ARR 4 x hf ho | PE Re LE Q - s Ë #17 an É Ai Rats s ” 4 : ( né LA ; K ‘sg ci ji: & EeN # oo 4. A < 4 EX. te PE x ar ra ERrrS ni 2 EN pe è \ À, « é FX + À Pi ’ 4 JA ù “ 7 ÿ & f 4 — gr s' 1 D % | | ) Î ge. UE, ME de, oR & 1 Re CN 1 7 < DEN «4 PE LEE 0 2 DT NES ee : J \ cd Re } Re se a ra bee Los bs 7 3* Fr PR | Te Ps \- f) x Rs a, AS S À hs) °XVa : 1 ur 2: da" qu Vs f “S SLA UN LETNRC ] A \ j jf D Pres ent \ VÉ Ÿ 7 V4 ( ) ù Dee A ee La er =: | 6 VOS à EN) n° /0t > 4 e | Ad ) N j ai hs; Re MX 4e _ k < ÿ À # # g Ê \- à - à NC PR 1, À de 4 4 4 V4 “Ua 4 et ; t ‘ « 34 n 1 ÿ 4 f < x | \ Ve ANNEES ©, ns 7e MS PSE, ) do AN A M OR SAT | | Pr en A Mau | DS PO NEA OT 7 ler ET CES t; Fr ne À à OS X 4 ur AN At ée- | à \ | 1 E À Le “55 à À NDS Lee VA el Ÿ ‘ # A7 k 72 Es ES Ÿ | y d \ Aie % 2 pe LÉ ei x ae à D 11128; -\ rer, LE PACA EME" pin TMD LM RP he) pdt Des 27 À vi A Lyr KQ RTE À MU SP TR CA. ge Re AO el ÈS TRAITÉE ÉLÉMENTAIRE PHYSIOLOGIE LR PPS ST TYPOGRAPHIE HENNUYER, RUE DU BOULEVARD, {. BATIGNOLLES. Boulevard extérieur de Paris. TRAITÉ ÉLÉMENTAIRE PILYSIOLOGIE HUMAINE COMPRENANT LES PRINCIPALES NOTIONS DE LA PHYSIOLOGIE COMPARÉE PAR J. BÉCLARD PROFESSEUR AGSRÉGÉ A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS, ETC, TROISIEME EDITION REVUE, CORRIGÉE ET AUGMENTÉE. OUVRAGE ACCOMPAGNE DE 21% FIGURES INTERCALÉES DANS LE TEXTE. SD OO > PARIS LABÉ, EDITEUR, LIBRAIRE DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE, PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE. 1859 Droit de traduction réservé. hd ng N : | Uniersiy of Ottawa F'im | 4 . D 0 NN , | PRÉFACE. Cet ouvrage est surtout un livre d’enseignement. Nous ne nous sommes point proposé d'écrire l’histoire de la physiologie, non plus que celle de ses progrès. Nous avons cherché à exposer, sous une forme concise, l’état actuel de la science. Nous avons été sobre de citations et de discussions; avant tout, nous nous sommes efforcé d'être clair. Les limites dans lesquelles nous nous sommes renfermé nous ont permis néanmoins de ne rien omettre d’essentiel. Nous avons rapi- dement glissé sur tout ce qui n’est encore qu’à l’état de supposition, réservant à l'exposition de la partie positive de la science les déve- loppements nécessaires. Parmi les nombreux travaux publiés sur les diverses parties de la physiologie, nous avons cherché à mettre en lumière ceux qui se re- commandent par un intérêt réel et sérieux. Libre de tout patronage, peu soucieux des doctrines, sous quelque nom qu'elles s’abritent, nous ne reconnaissons, en matière de science, d'autre guide que la vérité. Dans l'étude des fonctions, nous avons adopté les divisions les plus généralement acceptées. Nous n'avons pas cru nécessaire d’innover en ce genre, comme quelques-uns l'ont tenté. Les diverses fonctions de l’économie animale ne sont que des divisions plus ou moins factices, nécessaires à l’analyse des phénomènes. Toutes concourent à un but commun, et elles sont indissolublement liées les unes aux autres, comme les organes qui les exécutent. Les coupes nouvelles qu'on a cherché à introduire dans l'étude de la physiologie peuvent être fon- dées sous certains rapports, mais elles ne sont pas plus naturelles que les divisions anciennes, et souvent elles le sont beaucoup moins. Ce qui est plus essentiel, c’est de ne point oublier que les divers actes biologiques sont enchaînés les uns aux autres par des rapports réci- proques, et qu’ils ne sont isolés que dans nos descriptions. Les progrès de la chimie organique, l'application du microscope à l'étude de l’organisation et des phénomènes de la vie, les expériences sur les animaux vivants ont de nos jours profondément remué les bases de la physiologie. Depuis quarante ans à peine que la physio- logie est entrée dans la voie expérimentale, les découvertes n'ont vi PREFACE, pas cessé un instant de succéder aux découvertes, et chaque jour qui s'écoule ajoute quelque chose aux acquisitions de la veille. Cette troisième édition se distingue donc de la précédente par des modifi- cations que nécessilent les progrès réalisés dans ces deux dernières années. L'agrandissement de format nous a d’ailleurs permis de faire entrer dans cette édition, sans en augmenter le volume, un grand nombre d'additions et de figures nouvelles. Nous joignons ici la liste des principaux ouvrages modernes aux- quels pourront recourir ceux qui voudraient se livrer à une étude plus approfondie de la physiologie et suivre l'histoire de ses progrès. J. BÉCLARD. Paris, décembre 1858. Principaux ouvrages sur la Physiologie. A. HALLER. — Elementa physiologiæ corporis humani. 8 vol. in-4°. Lausanne, 1757-1766. X. BICHAT.— Anatomie générale appliquée à la physiologie et à la médecine, 4 vol. Paris, 1801.— Recherches physiologiques sur la vie et La mort, édit. Cerise, 1 vol. in-18. Paris, 1852. CH.-L. DUMAS.— Principes de physiologie, ou Introduction à la science expérimen- tale, philosophique et médicale de l'homme, 2° édit. 4 vol. Montpellier, 1806. P.-H. NySTEx.— Recherches de physiologie et de chimie. 1 vol. in-8°. Paris, 1811. G GRIMAUD.— Cours complet de physiologie distribué en leçons. 2 vol. Paris, 1818. W.Epwarps.—Del’influence des agents physiques sur la vie.1 vol, in-8°. Paris, 1824. RICHERAND. — Nouveaux Éléments de physiologie, 10° édit., revue et augmentée par P. Bérard. 3 vol. Paris, 1833. MAGENDIE.— Précis élémentaire de physiologie, 4° édit. 2 vol. Paris, 1836.— Jour- nal de physiologie expérimentale. 8 vol. Paris, 1821-1828.— Leçons sur les phé- nomènes physiques de la vie. 4 vol. Paris, 1842. Isib. BOURDON. — Principes de physiologie médicale. 2 vol. Paris, 1828. .-P. ADELON. — Physiologie de l'homme, 2e édit. 4 vol. Paris, 4832. P.-N. GERDY.— Physiologie médicale, didactique et critique. Paris, 1829. Un seul volume a paru. A. DuGÈs. — Traité de physiologie comparée de l'homme et des animaux. 3 vol. Montpellier, 1838-1839. P. BÉRARD.— Cours de physiologie fait à la Faculté de médecine de Paris, en cours de publication ; commencé en 1848 ; im-8°. Paris. Les trois premiers volumes et deux livraisons du quatrième ont paru (Prolégomènes : Digestion, Absorption, Respiration, Circulation). F.-A. LONGET. — Trailé de physiologie, en cours de publication; commencé en 1850; in-8°, Paris. Le Ile volume (Organes du système nerveux) et deux fascicules € du tome ler (Voix, Mouvements, Digestion) ont paru. CLAVEL. — Le Corps et l’Ame, ou Histoire naturelle de l'espèce humaine. 1 vol. Paris, 1851. CH. ROBIN et VERDEIL.— Traité de chimie anatomique el physiologique. 3 vol. in-8°, et atlas. Paris, 1853 PRÉFACE. vil G. COLIN. — Traité de physiologie comparée des animaux domestiques. 1854-1856, 2 vol. in-8°. Paris. J.-L. BRACHET (de Lyon). — Physiologie élémentaire de l’homme, 2° édit. 2 vol. Lyon, 1855. CLAUDE BERNARD. — Leçons de physiologie expérimentale (faites au Collége de France pendant le semestre d'hiver 1854-1855 et pendant le semestre d'été 1855). 2 vol. in-8°. Paris, 1855-1856. MiALHE.— Chimie appliquée à la physiologie. 1 vol. in-8°. Paris, 1856. FLOURENS. — Cours de physiologie comparée. Lecons recueillies par Ch. Roux. In-8e. Paris, 1856. GEOFFROY SAINT-HILAIRE {Isidore).— Histoire naturelle générale des règnes orga- niques, en cours de publication. In-8°. Paris. Le tome [°° et le premier fascicule du tome II ont paru. 1854-1856. MILNE-EDWARDS. — Leçons sur la physiologie et l'anatomie comparée de l'homme et des animaux, en cours de publication. Les trois premiers volumes ont paru. 1857-1858. Parmi les ouvrages nombreux publiés à l’étranger depuis trente ans, nous signalerons : C.-A. RUDOLPHI — Grundriss der Physiologie {Éléments de physiologie). 3 vol. Berlin, 1821-1828. Non traduit. L'auteur est mort avant la publication du qua- trième volume, qui devait terminer l'ouvrage. F. TIEDMANN.— Physiologie des Menschen (Physiologie de l'homme). K°* et IIS vol. Darmstadt, 1830-1836. Le deuxième volume n'a pas paru. Le premier volume de cet ouvrage contient la Physiologie générale; il a été traduit en français. Paris, 1831. C.-F. BURDACH. — Die Physiologie als Erfahrungswissenschaft ( La Physiologie considérée comme science d'observation). Traduction française faite sur la 2° édi- tion de 1835-1838, publiée en 1837-1840. 9 vol. Paris. F. ARNOLD. — Lehrbuch der Physiologie des Menschen (T raité de physiologie de l’homme). 2 vol. Zurich, 1836-1842. Non traduit. J. MULLER. — Handbuch der Physiologie des Menschen (Manuel de physiologie de l’homme), traduit en français, sur la 4° édition, en 1845, et, sur la 5e édition, en 1851. G. VALENTIN. — Lehrbuch der Physiologie des Menschen (Traité de physiologie de l’homme), 2€ édit. 2 vol. Braunschweig, 1847-1850.— Grundriss der Physiologie (Éléments de physiologie), 4° édit, 1 vol. Braunschweig , 1855, (Non traduits en francais. Le premier a eté traduit en anglais.) C.-G. CARUS. — System der Physiologie, etc., etc. {Système de physiologie, com- prenant la physiologie générale, lhistoire physiologique de l'espèce humaine , celle de l’homme en particulier, et de ses divers tissus). 3 vol. Leipzig, 1838- 1840. Non traduit. RUDOLPH WAGNER. — Lehrbuch der speciellen Physiologie (Traité de physiologie spéciale), 3° édit. 1 vol. Leipzig, 1845. Non traduit. — Handworterbuch der Phy - siologie, etc. (Dictionnaire de physiologie.) 4 vol. in-8°, de 800 à 1,000 pages. Braunschweis, 1842-1853. Non traduit. Cet ouvrage est composé de monographies groupées par ordre alphabétique. A la rédaction de ce livre ont concouru les plu- mes les plus savantes de l'Allemagne (VALENTIN, VOGEL, VOLKMANN, STAN- NIUS, BISCHOFF, LEHMANN, KRAUSE, PURKINJE, SCHERER, SiEBOLD, LUDWIG, VIERORDT, BIDDER, E.-H. WEBER, NASSE, BERTHOLD, HARLESS, etc.). F. GUNTHER.— Lehrbuch der allgemeinen Physiologie ; Traité de physiologie géné- rale). 4 vol. Leipzig, 4845. Non traduit. vu PRÉFACE. Marreucci.— Leçons sur les phénomènes physiques des corps vivants. 1 vol. in-18. Traduites sur la 2° édition italienne. Paris, 1847. Carz Vo@r.— Physiologische Briefe für gebildete aller Stande (Lettres physiologi- ques à l'usage des gens du monde). In-8, en 3 parties. 2° édit. Giessen , 1854. Non traduit. Lupw1G.— Lehrbuch der Physiologie des Menschen (Traité de physiologie humaine). 2e édit. Leipzig et Heidelberg, 1858. Non traduit. C.-G. LEHMANN.— Lehrbuch der physiologischen Chemie (Traité de chimie physio- logique). 3 vol. 3° édit. Leipzig, 1853. Non traduit.— Un abrégé de ce livre, fait par M. Lehmann, a été traduit en français par M. Ch. Drion, sous le titre de Précis de chimie physiologique animale. 1 vol. in-12. Paris, 1855. R.-B. Topp et W. BOWMANN.— The physiological anatomy and physiology of man {Anatomie physiologique et physiologie de l'homme), 2° édit. 2 vol. Londres, 1856. Non traduit. DRAPER. — Human physiology statical and dynamical [Physiologie humaine sta- tique et dynamique). New-York, 1856. Non traduit. W.-B. CARPENTER. — Principles of human physiology (Éléments de physiologie humaine), 5° édit. 4 vol. Londres, 1855. — À Manual of physiology including physiological anatomy (Manuel de physiologie, comprenant l'anatomie physiolo- gique), 3° édit. Londres, 1856. Non traduits. KiRkEes.— Handbook of physiology [Manuel de physiologie). 3° édit. Londres, 1856. Non traduit. Donpers. — Physiologie des Menschen {Physiologie de l'homme). V®° partie, tra- duite du hollandais en allemand par M. Theile {Circulation, Digestion, Respira- tion, Sécrétions). Leipzig, 1856. Non traduit. O. FunkE. — Lehrbuch der Physiologie [Précis de physiologie]; nouvelle édition, avec nombreux changements, du Précis de physiologie de R. Wagner. Leipzig, 1857. Non traduit. DUNGLISON.— Human physiology [Physiologie humaine], 8& édit. 2 vol. Philadel- phie, 1858. Non traduit. J. BunGE.— Specielle Physiologie des Menschen (Physiologie spéciale de l’homme), 7e édit. Weimar, 1857. Non traduit. , Indépendamment des ouvrages qui traitent de la physiologie dans son ensemble, il a été publié depuis trente ans, sur les diverses parties de la science biologique, un nombre considérable de mémoires et de moriogra- phies. A la fin des articles consacrés à chaque fonction, le lecteur trou- vera annexée une note bibliographique dans laquelle nous indiquons les principales sources auxquelles il pourra puiser. Il paraît chaque année, en Allemagne, deux revues très-complètes sur les travaux physiologiques de l’année en Europe et en Amérique. L’une, due à la plume de M. Valentin, paraît dans un recueil in-4°, intitulé : Canstadt s Jahresbericht ueber die Leistungen in den phystologischen Wissen- schaften (Annales de Canstadt sur les progrès des sciences physiologiques), imprimé à Würzburg. L'autre, due à la plume de M. Meissner, paraît dans un recueil in-8°, intitulé : Bericht ueber die Fortschritte der Anatomie und Physiologie (Rapport sur les progrès de l'anatomie et de la physiologie). Ce dernier recueil n’est qu’un annexe annuel d’une revue allemande inti- tulée : Zeitschrift für rationnelle Medicin (Annales de médecine rationnelle), publiée par MM. Henle et Pfeufer, et imprimée à Leipzig. TRAITÉE ÉLÉMENTAIRE DE PHYSIOLOG M TE NOTIONS PRÉLIMINAIRES I Des limites de la physiologie. L'homme n’entretient sa vie que par un échange incessant avec les choses du dehors. Depuis le moment de sa naissance jusqu’à celui de sa mort, il prend dans la nature et il rejette sans cesse dans son sein les élé- ments de ses organes. Lorsque le développement de l’homme est achevé, il transmet à des parties qui se détachent de lui les propriétés qu’il pos- sède. En d’autres termes, comme tout être vivant, l’homme est soumis aux lois de la matière organisée : il se nourrit et se reproduit. La nutrition et la reproduction, tels sont, en effet, les deux phénomènes les plus gé- néraux, les deux fonctions mséparables de toute organisation. Aux degrés inférieurs de l'échelle zoologique, la matière organique agit d'ensemble dans ce double but : l’animal est, dans sa totalité, un organe de nutrition et de génération. Dans les organismes les plus compliqués, les premiers linéaments du nouvel être s’accroissent comme l’animal dont nous parlons. S'il est vrai qu’une fois l’évolution terminée, la préparation des sues nutritifs et la séparation des germes ne s’accomplissent plus dans toutes les parties et sur toutes les surfaces, mais tendent à se localiser de plus en plus, il n’est pas moins vrai que, quels que soient le nombre des organes et la complexité des actions qu’ils exécutent, tout en eux con- spire à ce double but. Que l'animal soit sensible aux impressions tactiles, qu’il voie, qu'il en- tende, qu’ilsente, qu’il goûte, qu'il recherche la société de ses semblables, ou qu’il poursuive sa femelle dans la saison des amours, etc., ces divers phénomènes, ces instincts nés de ses besoins, où tendent-ils? toujours à la conservation de l'individu et à celle de l’espèce. A mesure que nous nous élevons dans la série des êtres, nous voyons, avec de nouveaux or- ganes, apparaître successivement de nouvelles fonctions, mais toutes viennent se grouper autour des deux premières. Les changements ana- 1 2 NOTIONS PRÉLIMINAIRES. tomiques qui surviennent, les actions diverses qüi leur correspondent, peuvent être ramenés à des phénomènes de nutrition et de reproduction. L'animal appartient tout entier au physiologiste. Par les différentes fonctions qui concourent à sa conservation, l’homme aussi est un animal, mais un animal intelligent. Il pensez il réfléchit, il veut ; il a lé sentiment du bien et celui du beau; il résiste à ses besoins et leur commande au lieu de leur obéir; enfin il supplée à sa faiblesse par sa raison, à l’imperfection de ses organes par son industrie, et s’as- sujettit ainsi toute la nature. L'école écossaise a rendu à la philosophie un service signalé : elle a ra- mené les questions métaphysiques sur le terrain du sens commun. Les réalités matérielles, menacées un instant par les excès du cartésianisme, ont repris leur évidence au même titre que les réalités spirituelles, qui s’en distinguent en nous les révélant. C’est encore cette philosophie qui a posé la distinction des sciences en deux ordres, distinction qui portera ses fruits. Les unes ont pour objet l'étude des phénomènes de l'esprit, les autres s'occupent des faits physiques ou naturels. Aux premières appar- tiennent la psychologie, la grammaire, la logique, le droit, la morale, la politique, les beaux-arts, etc. ; parmi les dernières viennent se grouper toutes les sciences dites naturelles, e’est-à-dire la physique, la chimie, la botanique, la physiologie, etc: Les unes comme les autres ont, il est vrai, leurs racines dans l'esprit humain, mais il est évident aussi Sos a diffèrent essentiellement par la nature de leur objet. Ces quelques mots suffisent pour montrer que nous ne pédbaivi ici ni philosophie ni psychologie, mais physiologie, ce qui n’est pas la même chose. Nous écarterons donc de notre sujet, comme ne lui appartenantpas, tout ee qui ne rentre pas dans l'étude du corps humain ou de ses fonc- tions: Il faut l’avouer;, cependant, ce travail d'élimination n’est pas toujours facile. Les sciences physiologique et psychologique se touchent par plus d’un point, et les limites qui les séparent ne sont pas nettement fixées. Ce que la philosophie cherche depuis des siècles, c’est de se définir et de déterminer son objet : pour cultiver un champ, il faut savoir où il est. Cette question, la plus importante qui se puisse poser; cette recherche, la première de toutes, ne saurait être l’œuvre d’un jour. Est-ce donc trop de tous les secours que peut fournir la science de l’homme, pour conquérir cette solution, pierre fondamentale de l’édifice philosophique? Il est vrai qu’à diverses reprises, des médecins philosophes n’ont rien moins tenté que d'effacer jusqu’au nom de la philosophie. Celle-ci nous garde rancune; elle conserve, avec le souvenir de leurs tentatives ; une secrète prévention contre toute entreprise nouvelle. Mais en résulte-t-il que la psychologie doive repousser à tout jamais la science, pour se ren: fermer dans une méditation solitaire ? Quel que soit le point de départ de la psychologie, qu’elle aborde le pro- blème de la connaissance humaine par l’étude des sensations ou par celle NOTIONS PRÉLIMINAIRES. 3 du sujet sentant; qu’elle soit, dans ses procédés, sensualisté ou spiritua- listé, foree lui est de distinguer, alors même qu'elle le nié, ce qui est pensé de ce qui est pensant. Il n’est point de doctrine qui se pût faire com- prendre, si elle confondait ces deux notions, et il lui faudrait changer jus- qu'aux formes du langage. Je n’en appelle ni au bon sens de tous les hommes , qui vaut bien les méditations de quelques philosophes, ni au sentiment, la meilleure pierre de touche de la vérité : il est des choses qui n’ont pas besoin d’être prouvées, et les sciences mathématiques elles- mêmes reconnaissent des axiomes. Si la philosophie, pour le dire en pas- sant, a si souvent rencontré l'indifférence, c'est aux efforts mutiles qu’elle a quelquefois tentés pour confondre en une seule substance l'esprit et la matière qu’elle doit s’en prendre. La psychologié et la physiologie se partagent l'étude de l'homme. Mais où commence le domaine de l’une, jusqu'où s’étend celui de Pautre? Tel est le premier problème qui se présente; et si les éléments d’une solution complète nous manquent aujourd’hui, il est évident que le concours de ces deux sciences estnécessaire pour reconnaître et poser leurs communes limites. La psychologie, je le sais, ne s’aventure pas volontiers sur ses frontières; elle semble redouter ce travail de séparation et s’efforce d’en dissimuler l'importance. Et cependant, comment pénétrer dans cette mys- térieuse demeure de l’esprit, si le seuil qui y conduit nous est imconnu? Buffon écrivait, il y a bientôt cent ans : «Ce n’est qu'en comparant que nous pouvons juger; nos connaissances roulent même entièrement sur les räpports que les choses ont avec celles qui leur ressemblent ou qui en dif- fèrent, et s’il n'existait pas d'animaux, la nature de l’homme serait encore plus incompréhensible. » Cette pensée de Buffon renferme en elle un des problèmes les plus difliciles et les plus attrayants qui se puissent poser, je veux dire la recherche et la distinction des actes intellectuels et des actes instinctifs. Si nous considérons un instant les phénomènes de la vie dans les ani- maux, nous ne tardons pas à nous apercevoir que les fonctions de nutrition et de génération sont accompagnées, ou plutôt assurées dans leur fin, par un ordre de mouvements ou de déterminations que l’homme, prenant en lui un terme de comparaison, a quelquefois désigné sous le nom d'actes raisonnés ou intellectuels. Ces actes ne sont pas les mêmes pour tous; ils sont plus compliqués dans les uns, ils le sont moins dans les autres. I y à entre eux, sous ce rapport, des différences nombreuses, origmaires ou acquises; mis l’on peut dire d’une manière générale que l'étendue de ces facultés est en raison directe du développement de la masse nerveuse encéphalique. C’est là un fait vulgaire pour le naturaliste, et le résultat d’un nombre considérable d'observations. Or, quel que soit l’intérêt qui s'attache à une semblable étude (intérêt d’ailleurs mcontestable, étude trop négligée), qui donc rapportera cette série de phénomènes à un prin- cipe immortel et libre? Voyons-nous que, depuis le temps de Pline, et n NOTIONS PRÉLIMINAIRES, malgré tout l'esprit que leur prête La Fontaine, les bêtes fassent mieux ou autrement ce qu’elles faisaient jadis? Nous ne dirons pas avec Descartes, ou plutôt comme on l’a fait dire à Descartes, que les animaux sont des automates; ce mot entraîne avec lui une idée de mécanique, en harmonie avec les théories généralement acceptées alors en physiologie, inadmis- sibles aujourd’hui. Mais nous dirons que ce sont des êtres organisés, qui agissent fatalement en vertu de leurs dispositions organiques. Les actes instinctifs de l’animal, auxquels on donne parfois le nom d'actes intellec- tuels, répondent d’une manière déterminée et nécessaire aux impressions externes ou internes. En un mot, l’animal est ce que le matérialisme pré- tend faire de l’homme : une organisation en action. Ceci posé, il s'agirait, à l’aide d’une observation patiente et attentive, de rechercher tout ce qui dans les animaux ressemble, de près ou de loin, aux phénomènes de l'intelligence ; et si les divers actes qu’ils exécutent ne sont, comme tout ce qui s’accomplit en eux, que des résultats insépa- rables de l’organisme vivant, cette recherche pourrait jeter quelque lu- mière sur la psychologie humaine , en donnant à ses investigations une direction mieux déterminée et en contribuant à circonscrire son sujet. Par cette étude, on arriverait sans doute à reconnaître que la psychologie s’occupe quelquefois de questions qui sont les nôtres, et que, franchissant le domaine spirituel, elle confond parfois, parmi les facultés de l’âme, des pouvoirs dépendants de l’organisation, variables et modifiables comme elle, et auxquels on pourrait, à plus juste titre, imposer le nom de fonc- tions, fonctions dont l’organe est le cerveau, et dont les appareils des sens sont la condition nécessaire. Nul doute que la psychologie ne puisse tirer de grands enseignements de la connaissance des animaux; mais peut-elle négliger la variété des faits anthropologiques ? Entre l’habitant policé des villes et le campagnard relégué, sa vie durant, entre les murs de sa cabane de terre, que de dif- férences morales! et, en même temps, que de ressemblances ! Mettre en lumière ce fonds commun que tous les hommes apportent avec eux, mon- irer comment et dans quelles conditions il se perfectionne ou se modifie, assister à l’évolution de cette vie nouvelle et chercher à en tracer le ta- bleau, tel serait un des premiers besoins de la vraie psychologie, de la psychologie expérimentale. La folie est encore une des sources naturelles auxquelles le physiolo- giste et le psychologue doivent puiser les éléments du grand travail de séparation entre le physique et le moral de l’homme. Considérés tour à tour comme des oracles divins ou comme des possédés du démon, les aliénés sont enfin tombés aux mains du médecin, et personne ne le trouve mauvais. À moins de supposer en effet que l’âme est malade, ce qui serait absurde, c’est à l'instrument qui établit ses rapports avec le monde exté- rieur qu'il faut s’en prendre. Les lésions organiques auxquelles se ratta- che la folie ont été, ilest vrai, diversement appréciées : il y a plus, les uns NOTIONS PRÉLIMINAIRES. 3 croient les connaître, les autres affirment témérairement qu’elles n’exis- tent pas. Mais qu'importe? Connaïît-on mieux l’altération pathologique des névralgies, de l’hystérie, de l’épilepsie? L’aliénation mentale est une maladie ; cela nous suffit. Depuis qu’on étudie avec quelque soin les phé- nomènes de la folie, et cette étude ne date pas de loin, on a déjà établi certaines catégories vagues, il est vrai, et mal déterminées, mais qui sont un acheminement vers un classement plus rigoureux. Ici d’ailleurs, il faut le dire, la psychologie a débordé sur nous. Nous l’avons prise pour guide, là où nous devions marcher de concert à la recherche de la vérité. Nous n'avons pas su secouer, même temporairement, le joug des notions ac- quises. Nous avons appelé à notre aide la psychologie et ses explications, et, par une singulière inconséquence, nous rendons à la science, qui nous interroge, les emprunts que nous lui avons faits. Parlerai-je d’une étude non moins intéressante, je veux dire celle du développement parallèle et simultané de l’organisation et de l’intelli- gence, de leur période d’état et de leur décadence, depuis le moment de la naissance jusqu’à celui de la mort? Il ne saurait suflire au philosophe, qui veut débrouiller le chaos des facultés, de se prendre lui-même pour sujet exclusif de ses méditations. Comme le sage de l’antiquité, il porte tout avec lui; mais, pour diviser ce tout complexe, ce n’est pas assez d'envisager l'édifice dans sa perfection, il faut en observer aussi les matériaux et les ruines, et y porter le flam- beau de l’analyse, afin d’en illuminer toutes les parties. Revenons à la physiologie. IT De l’organisation. — De la vie. Les corps répandus à la surface du globe se présentent sous deux états qui caractérisent deux grandes classes d'êtres : les corps inertes et les corps vivants. Quelles que soient les différences qui les séparent, les uns comme les autres sont des composés matériels ; ils sont constitués par des éléments puisés à une source commune. Depuis longtemps déjà la chimie a démontré trop positivement que les éléments ultimes des corps orga- nisés existent dans la nature matérielle, pour que nous insistions sur ce point. Ajoutons que cette communauté d’origine de tous les corps est né- cessaire dans l’ordre de l'univers, destinés qu’ils sont à se transformer les uns en les autres. Cette simple considération suflirait à elle seule pour démontrer que la physiologie ne saurait se renfermer exclusivement dans le cadre qu’on a souvent prétendu lui imposer. La matière revêtant suc- cessivement la forme vivante, et faisant, à chaque instant, de l'animal un animal nouveau, l’origine et la fin de ces matériaux sans cesse renouvelés ne sauraient être des questions étrangères à la science de la vie. Le phy- 6 NOTIONS PRÉLIMINAIRES. siologiste doit accepter ces problèmes, solliciter ou ehercher lui-même leurs solutions. Les minéraux, les plantes et les animaux sont liés entre eux par une série de rapports où règne l'harmonie la plus saisissante. Les plantes, en effet, ont besoin, pour se développer et croître, d’eau, d'acide carbonique et d’ammoniaque. Ces substances, la plante les trouve dans l’air où bai- gnent ses feuilles, et dans la terre où plongent ses racines : elle emprunte done les éléments de ses tissus au règne minéral. Les animaux ne peu- vent se développer et s'accroître qu'aux dépens de matières organiques; ces matières, l’animal herbivore les emprunte directement aux tissus des plantes, et le carnivore indirectement, en se nourrissant de la chair des herbivores. Le végétal est en quelque sorte le laboratoire où la matière se groupe en substances assimilables pour l’animal. L'animal, à son tour, lorsqu'il a utilisé ces substances, les expulse au dehors à un état d’oxy- dation tel, qu’elles se trouvent, en dernière analyse, transformées en eau, en acide carbonique et en ammoniaque. Les animaux rendent au règne minéral ce que les végétaux lui empruntent. Ainsi se trouve établie et entretenue l'unité de composition entre les corps inertes et les corps organisés. Toutefois, une différence profonde et caractéristique frappe tout d’abord l'observateur. Quelle que soit la na- ture du corps inorganique , qu'il soit constitué par une substance indé- eomposable, je veux dire élémentaire, ou qu'il résulte de la combinaison d'éléments divers, il est ou tout solide, ou tout liquide, ou tout gazeux. Dans un corps vivant, au contraire, il y a tout à la fois des solides, des li- quides et des gaz : la matière existe en lui sous ses trois formes possibles. Ce fait est d’une haute importance. Il ne suflit pas, en effet, de mettre en relief les différences phénoménales qui séparent les deux règnes de la nature, il importe aussi de signaler les différences matérielles auxquelles elles sont liées. De la réunion, en un même système, des solides et des fluides, résultent des parties contenantes et des parties contenues. Le mouvement de com- position et de décomposition, ou le double courant du dehors au dedans et du dedans au dehors, qui résume la vie dans sa plus simple expression, n’est possible qu'à cette condition. C’est aussi cette diversité dans la nature des éléments qui établit entre les différentes parties un consensus réci- proque, et fait de ces parties un tout, une individualité, en un mot un organisme. L'organisme, c’est-à-dire le siége des phénomènes de la vie, peut être lui-même divisé en un certain nombre de départements ou d’or- ganes; d’où il résulte que l’expression d'organe entraîne nécessairement l'idée d’une matière complexe, et que le jeu d’un organe est inséparable de l’idée de diversité dans les éléments qui le composent, Observés au point de vue dynamique, les corps organisés diffèrent, à beaucoup d’égards, des corps inorganiques ; mais il est bon de remarquer que, sous le rapport de la constitution matérielle, il n’est pas un corps NOTIONS PRELIMINAIRES,. 7 minéral qui puisse leur être comparé, et que, renfermant dans un espace limité toutes les formes que la matière peut revêtir, celle-ei se trouve en eux dans des conditions toutes nouvelles. Cette réunion, eette concen- tration sous une enveloppe commune, de solides, de liquides et de gaz, les propriétés particulières à chacun de ces états des corps, celles qui naissent de leur association ou de leur antagonisme, tels sont les fonde- ments saisissables de ces différences, et les premiers plans du tablean comparé des deux règnes de la nature. L'origine première des plantes et des animaux, aussi bien d’ailleurs que celle des minéraux, est couverte d’un voile impénétrable aux yeux du naturaliste. Tous les faits que la science a enregistrés, toutes les expé- riences qui ont été tentées, et elles sont nombreuses, démontrent qu'ils proviennent d'autres êtres organisés, que ces êtres soient vivants ou qu'ils l’aient été. Lorsque les animaux naissent d’un œuf, lorsqu'ils se séparent sous forme de bourgeons, ou lorsqu'une partie séparée du tout reproduit l’animal entier, le fait est évident. Mais il ne l’est pas moins dans l’évolu- tion des infusoires, puisqu'elle ne s'opère qu'au milieu d’une substanee animale ou végétale en putréfaction. On peut se demander, il est vrai, si, dans ce cas, l'être nouveau s’est développé d’un œuf microscopique eon- tenu dans la matière en décomposition, ou s’il a pris naissance dans cette malière elle-même et sans germes préexistants, aux dépens d’une de ces innombrables vésicules élémentaires qui entrent dans sa composition ; mais le fait n’en est pas moins général, savoir : que la matière organisée seule engendre la matière organisée. L’être organisé, qu’on l’envisage à l’état de germe, à l’état d’accroisse- ment ou à l’état de développement complet, a donc la propriété de réagir sur les éléments qui l’entourent, d'associer ces éléments en combinaisons nouvelles, et de les transformer en sa propre substance. Ces éléments, il les prend à l’état liquide ou gazeux, car ils doivent pénétrer au travers de la trame de ses tissus. Ce pouvoir, du reste, a ses limites. Il est très- développé dans le germe qui s'accroît, et forme ainsi ses tissus ; il est assez borné chez la plupart des animaux adultes, lesquels ne réparent plus qu’incomplétement les mutilations qu’on leur fait subir. Gette pro- priété, pour s'exercer, a d’ailleurs besoin d’un milieu et d’une tempéra- ture convenables ; et cela aussi bien pour la graine et le tissu du végétal que pour l'œuf et le corps même de l’animal. Les éléments organiques ne sont point divisibles à la manière des mi- néraux : ces éléments ont des dimensions assez petites, il est vrai, mais limitées et définies. Lorsqu'à l’aide du microscope l’anatomiste divise, en quelque sorte, des parties que le scalpel le plus délié ne peut atteindre, il assiste à un curieux spectacle. Le sang, le chyle, la lymphe, les muscles, les nerfs, les ligaments, le tissu cellulaire, ete., liquides ou tissus, tout est réductible en un certain nombre d'éléments de forme et de structure spéciales. Dans le sang, dans la lymphe, dans le chyle, ées éléments exis- 8 NOTIONS PRÉLIMINAIRES. tent à l’état vésiculaire, sous l’apparence de particules isolées, suspen- dues dans une eau légèrement saline qui maintient la pureté de leur forme, et la circulation porte ces particules dans tous les points de l’organisme. Les tissus présentent de leur côté, comme dernier terme de leur division, un élément particulier, une fibre cylindrique qui a, dans chacun d’eux, des dimensions et des propriétés caractéristiques. Si, poussant plus loin l’analyse, nous cherchons dans l’embryon à assister à l’évolution de ces fibres élémentaires, nous voyons de la manière la plus manifeste qu’elles passent en se constituant par une phase commune, la phase vésiculaire. Ainsi, l'anatomie du développement nous enseigne que toutes les fibres, tous les tissus proviennent d’un élément primitif; et, prenant le mot é/6- ment dans son acception la plus rigoureuse, on peut dire qu'il n’y a réel- lement qu’un seul élément anatomique, la cellule. Depuis l’œuf (l’homme naît d’un œuf, comme la plupart des animaux), qui, d’abord invisible à l’œil nu, et simple vésicule élémentaire, s’accroît peu à peu (par multipli- cation et transformations de cellules) et plus ou moins complétement, dans l’intérieur de la femelle, pour être ensuite rejeté au dehors, jusqu'aux organes achevés du nouvel être, tout procède suivant les mêmes méta- morphoses. Considéré dans la variété de ses parties constituantes, le corps organisé est donc caractérisé par la forme sphérique (vésicule ou cylindre), tandis que le minéral est au contraire terminé par des surfaces planes. Ceci est vrai, non-seulement pour chacune des parties élémentaires des corps organisés, mais encore pour l’ensemble même du corps. Ces diffé- rences morphologiques dépendent-elles de la composition complexe des uns et de l’unité physique des autres? La forme arrondie, ou la courbe, qui limite les surfaces organiques, partielles ou générales, est-elle en rapport avec leur organisation toute particulière ? Il est permis de le pen- ser. Nous savons, en effet, pour ce qui concerne les minéraux, que la forme cristalline est d’autant plus parfaite que la pureté de la solution cristallisable l’est davantage. Chaque jour, dans les laboratoires de chi- mie, on peut constater la vérité de cette proposition, qui démontre clai- rement une liaison directe entre la composition et la forme. Les plantes, qui vivent et meurent aux lieux où elles ont pris racme, s'accroissent d’une manière presque continue, autant du moins que les conditions extérieures de température n’entravent pas momentanément les phénomènes nutritifs, et ne les assujettissent pas à un renouvellement périodique. Les tissus nouveaux s'ajoutent aux tissus anciens, et leur dé- veloppement n’a guère de limites que dans la condensation et l’imperméa- bilité croissante de leur substance. Les animaux, qui sentent et se meu- vent, sont assujettis, au contraire, à une sorte d'équilibre organique. Leur développement ne franchit pas certaines limites compatibles avec le jeu du système locomoteur. Lorsque leur développement est achevé, ils pren- nent et rendent une quantité sensiblement égale de matière, et maintien- nent ainsi cet équilibre nécessaire. NOTIONS PRÉLIMINAIRES, 9 La plante, qui trouve dans l’air, dans l’eau et dans les sels que celle-ci contient, les éléments de ses organes, n’a pas besoin de se mouvoir pour trouver sa nourriture, et c’est en cela surtout qu’elle se distingue de l’a- nimal ; aussi le végétal agit-il sans cesse sur les choses qui l’environnent, et accomplit-il sans relâche ses fonctions de nutrition. Le jeu des fonc- tions proprement animales (sensibilité, mouvement) suppose, au con- traire, des intervalles d’action et de repos; ces fonctions sont soumises à des intermittences, ou à une périodicité qui les distingue des fonctions nutritives proprement dites; ces dernières, d’ailleurs, s’accomplissent dans l’animal comme dans la plante, d’une manière continue. Le système nerveux et les organes de locomotion (os, muscles, ligaments, etc.) en- traînent donc, entre les animaux et les plantes, une différence essentielle. Mais, si les phénomènes de sensibilité et de mouvement sont bien faits pour frapper d’admiration le physiologiste, les phénomènes de la vie vé- gétative, communs aux animaux et aux plantes, ne sont pas moins admi- rables. La forme constante de l’animal, forme qui persiste toute la vie durant, au milieu du travail de composition et de décomposition des organes, a semblé de tout temps un des arguments les plus triomphants en faveur de l'indépendance d’un principe vital. En vérité, on ne voit pas trop pourquoi. La cristallisation, toujours la même, de telle ou telle dissolution saline, n'est-elle pas un fait tout aussi inexplicable? et n’est-il pas tout aussi na- turel de rattacher la forme des êtres organisés à leur composition spé- ciale, que de rapporter la forme ‘du cristal à la nature et à la proportion des éléments qui le composent ? Bien que les substances minérales eris- tallisées ne soient pas soumises, comme les corps vivants, au travail de la nutrition, ou à un renouvellement continuel de leurs éléments, cepen- dant on a observé parfois des phénomènes qui montrent en elles une tendance tout aussi mystérieuse à reprendre leur forme caractéristique, lorsque celle-ci a été accidentellement détruite. Ainsi, on a remarqué, par exemple, que lorsqu'un cristal a éprouvé sur l’une de ses arêtes, ou même à l’un de ses angles, une perte de substance peu considérable, il reprend sa forme primitive aux dépens des dissolutions salines identiques dans lesquelles on le plonge : d’où il résulte que la dissolution a donné nais- sance à un solide qui représente la partie absente, c’est-à-dire un corps irrégulier. Voilà donc un cristal qui, pour reconquérir sa forme, modifie en quelque sorte à son gré les lois de la cristallisation. Dira-t-on qu'il est vivant ? Pénétrons plus avant. Un phénomène, quel qu'il soit, ne peut être conçu indépendamment de la notion de force. Si cette proposition est in- contestable dans les sciences physiques, dans la sphère animale elle est plus évidente encore. L'activité spontanée de l'animal, les limites inva- riables que le développement du nouvel être ne peut franchir, l'identité apparente dans la composition matérielle du corps que la vie anime, et 10 NOTIONS PRÉLIMINAIRES. dans celle de l’animal que la mort vient de frapper, font naître dans l’es- prit l’idée d'une force qui anime et retient temporairement les éléments hétérogènes qui le constituent. C’est à cette force, considérée dans les êtres vivants, qu'on a donné les noms de principe vital, de force vitale, d'âme animale, d’archée, etc. Si par ces expressions on entend désigner l’ensemble des propriétés par lesquelles les corps vivants diffèrent des corps privés de vie ; si on leur donne, dans le règne animal, une valeur analogue à celle qu’on accorde au mot attraction dans le système minéral, rien de mieux. Mais les physiologistes n’ont pas toujours tenu ce langage. Moins sages que Newton, ils ont franchi les bornes de l’observation. La force vitale est devenue pour eux une chose distincte et indépendante, ils lui ont donné une existence propre, ils ont cherché ses lois, et la ma- tière organisée, gouvernée par elle, n’a plus été que le théâtre accidentel de ses manifestations. Si nous en croyons cette physiologie qui a fait école, le principe vital est une essence immatérielle, et la machine humaine ne serait pas gou- veérnée seulement par l’âme spirituelle ; elle serait encore soumise à l’em- pire de l'âme animale. Barthez, dans son Traité de la science de l'homme, ne recule pas devant les conséquences de cette hypothèse, et si l’école de Montpellier, préoceupée des destinées posthumes du principe vital, avoue aujourd'hui son embarras, elle lui conserve néanmoins toutes ses préro- gatives, et cherche à placer ses croyances sous la sauvegarde de l’autorité. À cet égard, remarquons que les défenseurs du principe vital ne se sont jamais expliqués d'une manière catégorique. Parmi les corps vivants comprennent-ils tous les corps organisés? Pourquoi ne parlent-ils pas du principe vital végétal? Lorsqu'ils écrivent que la force vitale régit la ma- tière organisée, veulent-ils dire que la matière peut être organisée mdé- pendamment de ce principe? Alors ils supposent encore une force de plus. Prétendent-ils , au contraire, que c'est par ce principe qu’elle est organisée, que c’est lui qui l’organise ? Dans cette dernière hypothèse, ils admettent nécessairement une multitude innombrable de forces, car la force qui donnerait à la matière la forme d’un lézard n’est pas celle qui l'organiserait comme homme ou comme oiseau. Enfin, dans cette suppo- sition, à quoi bon la nécessité de la séparation des germes pour la propa- gation des espèces ? Comment se fait-il que les espèces disparaissent? Et si vous répondez que les forces périssent avec les individus, nous vous demanderons pourquoi vous séparez des choses que vous reconnaissez inséparables. Que serait-ce d’ailleurs que la mort d’une force ? Ne savons- nous pas que rien ne meurt dans la nature ? L'existence du principe vital, comme être ou substance distincte, est une hypothèse insoutenable et inutile. Dans la plante ou l’animal, tout aussi bien que dans les autres corps de la nature, l’idée de force ne sau- rait être conçue isolée et indépendante d’un substratum matériel. Qu'un corps soit animé par un de ces grands mouvements qui frappent NOTIONS PRELAMINAIRES. 11 les yeux, ou que, sollicité en divers sens par d’autres corps, il soit à l’état d'équilibre ou de repos apparent, il n’est pas moins évident qu'il n’y a pas dans la nature un seul corps immobile. Jamais on n’a observé la ma- tière sans le mouvement : le mouvement et la matière sont inséparables. Sans doute, des philosophes ont ayancé que si l’on ne pouvait observer la matière sans le mouvement, on pouvait cependant la concevoir sans lui. Mais il faut remarquer que, dans le langage métaphysique, le mot de matière n’a pas la signification du mot corps. Celui-ci est synonyme de l'étendue figurée, tandis que la matière, moins la figure, c’est-à-dire moins la divisibilité, n’est qu'une pure conception. En réalité, la matière n’est que la collection des corps, et les corps n’existent que par le mouvement. L’attraction, la chaleur, le magnétisme, l’électricité, phénomènes que nous présentent les corps, ne sont (ramenés à leur plus simple expression) que des mouvements s’exerçant en deux sens contraires. Or, par la pensée, supprimez ces mouvements, et le monde est anéanti. La matière n'étant plus ni combinée, ni chaude, ni pesante, etc., tout disparaît, tout, jusqu'à l’idée du corps. Il ne reste plus qu’une substance sans propriétés, et, par- tant, impossible à caractériser. Le mouvement n’est donc pas seulement une propriété des corps accidentelle ou contingente, c’est une qualité né- cessaire, sans laquelle la matière figurée, c’est-à-dire le corps, ne peut être conçue. La notion de force, que suppose l’idée de mouvement, ne saurait donc être séparée de la matière. La force, ainsi que le fait remarquer Kant et que l'avait déjà si magnifiquement exposé Leibnitz, le plus grand esprit des temps modernes, la force, dis-je, est ce qu'il y a de plus essentiel dans la matière. Cela nous explique pourquoi (l’idée de substance n'étant pas distincte par elle-même)la métaphysique a quelquefois substitué la notion de force à la notion de matière. Les corps vivants diffèrent, il est vrai, des corps inertes par Les phéno- mènes qu'ils présentent, et ces phénomènes nous donnent l’idée de forces différentes dans ceux-là de celles qui se manifestent dans ceux-ci; mais rien n’autorise à séparer la matière et la force dans le corps organisé plu- tôt que dans les corps inorganiques. Tout ce qu’on peut conclure de ces différences, c’est que la matière, en passant dans les corps vivants, en de- venant vivante pendant un temps limité, ne fait que révéler une de ces deux qualités fondamentales, et nous enseigne qu'il est dans sa destinée d’être alternativement vivante et inerte. L'état de vie, dans son expres- sion la plus générale, peut être considéré comme une manifestation de certaines propriétés de la matière soumises à une intermittence d'action; et la force vitale peut être conçue comme une formule laconique, destinée à exprimer en un seul mot les caractères propres à la matière organisée. La physiologie, qui est la science de la vie, est donc une branche de la physique, en prenant ce mot dans le sens de son étymologie. Et alors même qu'on ne lui accorderait qu’une signification plus restreinte, ces r 42 NOTIONS PRÉLIMINAIRES. deux sciences, s’appliquant, quoique dans des conditions différentes, à des éléments qui sont les mêmes, se tiennent par les liens les plus étroits. III De la méthode en physiologie. Toute science naturelle résulte d’un ensemble de connaissances coor- données dans un certain ordre. L'observation des phénomènes, l’expéri- mentation, tels sont ses matériaux; la comparaison des faits et celle des résultats, leur interprétation ensuite, tels sont ses procédés. L'homme a observé, il a expérimenté, il a comparé, il a interprété; il observera, il expérimentera, il comparera et il interprétera encore. Les destinées de la science sont celles de l'esprit humain, et, comme lui, elle marche à la conquête d’une perfection sans limites. Une science est donc une chose non finie et qui ne peut l'être, et tout système scientifique qui s’annonce, en dépit de l’avenir, comme le tableau complet et définitif de la connais- sance humaine, n’est qu’une œuvre éphémère que le temps doit détruire. Du moment où cette vérité s’est fait jour, les sciences ont réalisé un immense progrès. Alors seulement elles ont distingué clairement leur ob- jet. En écrivant cette devise sur leur frontispice : « Tout par l’observation et par l’expérience, » les sciences physiques ont conquis en même temps leur existence scientifique et leur évidence, car elles embrassent à la fois le passé, le présent, l’avenir, et posent ainsi les fondements d’un édifice impérissable. Or, depuis cinquante ans que les sciences physiques, ses sœurs, sont constituées, comment la physiologie a-t-elle procédé? Exa- minons. La physiologie expérimentale procède de Bichat. Quelques atteintes qui aient été portées à sa doctrine, il n’en est pas moins constant que la di- rection qu'il a donnée, que les voies nouvelles qu'il a ouvertes sont celles que la science physiologique a suivies, qu’elle suit encore de nos jours. Cette doctrine, ces principes, quels sont-ils? Jaloux de donner à la science qu'il étudie la certitude qui lui manque, et possédé du désir d'introduire dans l’étude de la vie la révolution que le génie de Newton vient d’opérer dans les sciences physiques, Bichat conçoit la pensée d’une réforme. Il fait remarquer combien la marche des physiciens diffère de celle des physiologistes. «Les uns, dit-il, rapportent tous les phénomènes qu'ils observent à quelques propriétés de la matière, telles que la pesanteur, l’élasticité, l’affinité ; les autres, au contraire, ne sont pas encore remontés des phénomènes qu'ils étudient aux propriétés qui les engendrent. » Une première question domine donc la physiologie tout entière, je veux dire la recherche des propriétés de la matière vi- vante. Rien de mieux; mais, arrivé à l'application, Bichat néglige toute une partie du problème, et cette recherche consiste pour lui dans l’op- position constante qu'il tâche d'établir entre les forces physiques et les NOTIONS PRÉLIMINAIRES, 43 forces physiologiques. Pour doter la matière de ses propriétés vitales, il met dans l’ombre ou il sous-entend toutes les autres. Là tendent ses ef- forts, et c’est pour exposer ces propriétés qu’il entreprend ses expériences et compose son immortel traité d'anatomie générale. Le but que Bichat s’est proposé, l’a-t-il atteint? Malgré tant d’observa- tions profondes, tant d'expériences ingénieuses, exécutées avec un art in- fini, la doctrine physiologique, telle qu’elle est sortie de ses mains, n’a pas ce caractère d’évidence qui est pour l’esprit humain le signe irrécusable de la vérité. Les résultats que Bichat espérait de sa méthode n’ont donc pas répondu à son attente. A l’exemple des novateurs et des esprits Sy- stématiques, il a cru pouvoir parcourir et fermer à lui seul le cercle en- tier de la science. Erreur séduisante, souvent volontaire, mais toujours convaincue d’impuissance ! Physiologiste à la manière des anciens philosophes qui ont commencé par s’attaquer de prime abord aux questions insolubles, il n’a pas évité l’écueil sur lequel tant de fois la curiosité humaine a échoué. Ce n’est que plus tard, ce n’est que peu à peu que, éclairé par les exemples du passé, l’homme reconnaît le côté inaccessible des choses. Ce n’est pas sans peine qu’il abandonne les hautes régions où son esprit s’élance et plane sans entraves, et qu’il se résigne à gravir lentement cette pente des causes premières dont le sommet se dérobe à nos regards. En vain, mettant en relief les différences dynamiques, on voudrait en faire sortir les bases d’une méthode propre, et rattacher les phénomènes de la vie à un ordre particulier de forces en lutte perpétuelle avec la ma- tière. Tant d'efforts n’aboutissent qu’à des hypothèses. Parce que la forme plane caractérise les minéraux, et la forme courbe le règne organisé, en résulte-t-il qu’on ne puisse comparer entre eux les corps vivants et les corps inorganiques, et que les procédés à l’aide desquels nous pouvons aborder les premiers doivent essentiellement différer de ceux qui nous conduisent à la connaissance des autres? Mais, à l’aide de la ligne droite, le géomètre ne calcule-t-il pas les courbes les plus étendues et les plus diverses ? Sans doute, il ne s’abuse pas sur l'identité mathématique de ces deux signes , il sait que leur rapport le plus approché n’est exact qu’à l'infini; mais y a-t-il pour cela deux géométries? Ainsi doit faire le phy- siologiste. Depuis le jour où l’homme a jeté pour la première fois les yeux sur les objets qui l’environnent, il sait que les corps vivants et les corps inertes ne sont pas identiques; mais la science n’a pris naissance que lorsqu'il a cherché à dénouer l’énigme de leurs rapports. Avant de rien connaître, pourquoi poser entre les sciences naturelles, qui ont pour objet l’étude des phénomènes physiques, et celles qui s’oc- cupent des phénomènes de la vie, une barrière infranchissable ? Les ani- maux et les végétaux placés à la surface du globe ne sont-ils pas, de même que les autres corps de la nature, soumis à l’nfluence des milieux et des agents nécessaires à toute existence matérielle? Ce n’est pas en suppo- 14 NOTIONS PRÉLIMINAIRES. L4 sant conmu ce qui est-le but définitif de nôs recherches, cé n’est pas eñ fixant à priori le centre d’une eirconférence dont la courbe est inconnue, que nous pourrons limiter celle-ci, car elle dépendra sans cesse du poirit où nous serons placés. Mais c’est en bornant notre ambition à découvrir peu à peu quelques-unes des parties de cette circonférence que nous pou- vons espérer d'en déterminer les limites dans la suite des temps, et acqué- rir ainsi sur le point central des notions de plus en plus approchées de la vérité. Abordons le problème de la vie par ses côtés accessibles. Pro- eédons du connu à l’inconnu, et ne supposons rien à l'avance. Si nous observons les animaux dans tous les moments de leur exis- tence, un premier phénomène nous frappe par son universalité, phéne- mène nécessaire et qui fait l’animal ce qu’il est dans l’ordre de la création : c’est que tous les matériaux de son organisation existent en dehors de lui: L’être organisé est lié étroitement avec les corps inorganiques ; c’est par eux qu'il entretient sa vie, c’est par eux qu'il existe. Nous pouvons concevoir un monde physique sans'êtres vivants ; il est impossible de se figurer les êtres vivants isolés du monde physique. En effet, l’idée de vie suppose implicitement un réservoir où ces êtres puisent les matériaux nécessaires à toute existence matérielle. Au lieu donc de placer au seuil de la science cette question : Qu'est-ce que la vie dans son essence? ques- tion aussi insoluble en physiologie que celle de la substance en métaphy- sique, cherchons d’abord à résoudre celle-ci : Comment les animaux vi- vent-ils et quelles sont les conditions de leur existence ? La physique et la chimie nous donnent sur les corps des notions dont on aurait mauvaise grâce à nier la certitude; car s’il en était ainsi, il fau- drait douter de toute science et désespérer de jamais rien connaître. Si donc le premier but que doit se proposer la physiologie consiste dans l’étude des relations que l’animal vivant entretient avec les choses natu- relles, il en résulte que les sciences physiques et chimiques doivent être considérées par le physiologiste comme ses auxiliaires les plus puissants, comme ses instruments les plus parfaits, puisque c’est par elles que nous connaissons les propriétés, et par conséquent le mode d'action des corps extérieurs. À diverses reprises, la physiologie a cherché, et aujourd’hui encore elle cherche à repousser ces sciences de son domaine. En cela elle se montre d’une grande inconséquence. Tout ce que nous savons d’une manière positive, ne le devons-nous pas aux secours qu'elles lui four- uissent ? Retranchez de la physiologie l'optique, l’acoustique, la phona- tion, les phénomènes chimiques de la digestion, de la respiration, des sécrétions, la mécanique des mouvements digestifs, respiratoires, loco- moteurs, circulatoires, l’étude physique des courants nerveux ; que reste- t-il? un inconnu qui revient sans cesse, qui n’explique rien, qui, aveu continuel de notre ignorance, loin de décourager et de retenir l'observa- teur, doit l’exciter au contraire et l’engager avec plus d’ardeur dans les seules voies qu'il lui soit donné de parcourir. NOTIONS PRÉLIMINAIRES, 15 La physiologie a beau s’en défendre, ce qu’elle connaît, elle ne le sait qu'à l’aide de la méthode que les autres sciences emploient dans l'étude de la nature. Qu'il observe les modifications passagères qui süifviennent dans les animaux ou qu'il dirige ses investigations sur les phénomènes de composition et de décomposition qui s’opèrent en eux, le physiologiste est tour à tour physicien, mécanicien, chimiste. Ce qui abuse la physio- logie, c'est qu’elle mélange les questions: Ne sachant pas où ne voulant päs avouer son ignorance sur les faits psychologiques, elle s'engage aveë une sorte dé prédilection dans le vague domaine des hypothèses, Que la physiologie entre franchement dans sa véritable voie. Loih de se rétrécir, le champ de l'observation s'agrandit au contraire à l'infini, les limites qu'on lui trace au hasard disparaissent, ce qui est vrai aujourd'hui l’est encore demain ; et la physiologie progresse sans cessé, ce qui est l’es- sence de toute science constituée. Dirai-je que trente ans de recherches entreprises dans cet esprit ont plus fait pour la science que deux siècles de discussions stériles? Rappel- lerai-je les découvertes nombreuses dont la physiologie s’est enrichie depuis cette époque et dont elle s'enrichit tous les jours ? Chacun le sait, cette vie nouvelle ; ce mouvement qui travaille aujourd’hui toutes les écoles, et l’école de Paris en particulier, n’est que la conséquence de l'impulsion féconde communiquée par les sciences physiques. I faudrait être aveugle pour ne pas le reconnaître. En vain quelques voix s’élèvent encore qui invoquent la tradition et l'autorité, et cherchent à défendre la science eontre ce qu’elles appellent des entrainements irréfléchis. L'école de l'observation et de l’expérience ne s’en laisse pas imposer par les formes du langage; quelque séduisantes qu’elles soient. Pour elle ; l’éloquence des mots n’est rien devant l'élo- quence des phénomènes. Quand elle fait un pas en avant, elle sait d’où elle vient et où elle va, et elle ne reconnaît d’autre logique dans les seiences que la logique irrésistible des faits. Une doctrine qui proclame aujour- d’hui que « l’homme n'est portion de rien, » que les milieux à l’aide des- quels il entretient sa vie ne sont que « des conditions de sa conservation ou de son bonheur, et non des éléments constitutifs de son être; » enfin; que «ses rapports avec l’univers touchent à des questions trop ardues pour qu'on ne doive pas les éviter ; » une telle doctrine est en contradic- tion flagrante avec l'esprit de la science moderne et avec ses progrès, et elle ne tend à rien moins qu’à transformer une science humaine en une sorte de dogme révélé. IV Division du sujet. La physiologie de l'homme comprend l'étude des phénomènes biolo- giques qui s’accomplissent en lui, depuis le moment de sa naissance jus- qu'à celui de sa mort. Tout ce qui, dans l’homme, concourt à sa conser- 46 NOTIONS PRÉLIMINAIRES. vation propre et à celle de son espèce est du domaine de la physiologie. En d’autres termes, c’est à l’ensemble des divers phénomènes, dont le double but se résume dans la conservation de l'individu et la propagation de l'espèce, que doit s'appliquer l’expression de vie; et la physiologie est la science de la vie. L'organisme est le théâtre d’un grand nombre d’actions ou de fonctions, que le physiologiste isole par la pensée, pour les circonscrire et les étu- dier au moyen de l’analyse, quoiqu’elles soient indissolublement liées les unes aux autres comme les organes qui les exécutent. C’est ainsi qu’en les envisageant dans leurs résultats, il les groupe tout d’abord en deux sections principales : l’une comprend tous les phénomènes qui entretien- nent et caractérisent la vie individuelle ; l’autre, tous ceux qui assurent la perpétuité de l'espèce. Le physiologiste ne s’arrête pas là. L'étude de ces deux grandes sections comprend des actions complexes, leur accom- plissement exige le concours simultané ou successif d’un grand nombre d'organes ou de systèmes d’organes, et les actions partielles qui concou- rent à la résultante finale sont isolément examinées par lui comme au- tant de sujets d’étude ou de fonctions. Les phénomènes de la vie individuelle, en effet, peuvent être envisagés sous deux points de vue principaux. Les uns consistent dans la formation et la transformation incessante des parties dont le corps de l’homme est composé ; les autres sont relatifs aux rapports que l’homme entretient avec les choses extérieures, rapports de convenance ou de disconvenance qui préparent les premiers. Ainsi, d’une part, les fonctions nutritives, auxquelles Bichat a donné le nom significatif de fonctions de la vie organique ou végétative, et qui com- prennent la digestion, l'absorption, la circulation, la respiration, les sécré- tions, la nutrition proprement dite ; D'autre part, les fonctions de relation, ou de la vie animale, c'est-à-dire les sensations, qui comprennent la vue, l’ouie, l’odorat, le goût, le toucher ; les mouvements, qui comprennent, au point de vue dynamique, la loco- motion et ses modes variés, la voix et les expressions du langage mimique, et, au point de vue statique, la station et les diverses attitudes. Aux fonc- tions de relation ajoutez encore l’innervation, c’est-à-dire l’ensemble des phénomènes de l’action nerveuse, envisagée en elle-même et dans ses rapports avec la plupart des autres fonctions de l’économie, tant animales que végétatives. Les fonctions relatives à la vie de l’espèce, ou fonctions de génération, exigent dans l’espèce humaine le concours des deux sexes. Elles peuvent être également partagées en un certain nombre de subdivisions , telles que l'ovulation, la copulation, la fécondation, la gestation, la lactation, etc. Si nous comparons entre elles les fonctions de la vie individuelle et les fonctions relatives à la vie de l’espèce, ou fonctions de génération, nous remarquerons que cette division n’est pas seulement justifiée par la fin # NOTIONS PRÉLIMINAIRES. 17 différente vers laquelle tendent ces fonctions, mais elle l’est encore, alors que nous les envisageons en elles-mêmes et dans leurs caractères spéciaux. L'exercice des unes est permanent et continu, depuis l’instant où l’homme existe jusqu’à celui où il cesse d’exister : elles commencent et finissent avec lui. Les autres, au contraire, sont temporaires, limitées, elles appa- raissent et disparaissent à certaines époques ; elles peuvent manquer, sans compromettre la vie de l’individu. Les premières trouvent, dans tous les moments de la vie, leur raison d’être dans l’existence même des organes; les secondes ne se manifestent en eux que dans un stade déterminé, qui correspond à leur évolution complète, et pendant lequel leur activité se développe, se ralentit et s'éteint. En faisant abstraction pour un instant des liens qui réunissent ces deux ordres de fonctions dans le même organisme, nous pouvons donc consi- dérer cette division comme une division physiologique naturelle. Quant aux divisions secondaires que l’analyse physiologique a intro- duites dans l’examen des phénomènes de la vie, elles sont beaucoup moins rigoureuses. Les fonctions dites nutritives ne sont pas, en effet, nette- ment distinctes des fonctions de relation. Les forces qui font passer le bol alimentaire de la bouche dans le pharynx et l’œsophage, celles qui favo- risent dans l’estomac le mélange des aliments avec les sucs digestifs dé- posés à sa surface, celles qui déterminent par l’ampliation de la cavité thoracique un vide que l’air atmosphérique remplit aussitôt, etc.; ces différentes forces, dis-je, sont sous l’empire du système musculaire : ce sont des phénomènes de mouvement. L'étude des fonctions de relation, qui renferme celle des mouvements, ne comprend donc pas tous ceux qui s’accomplissent dans l’organisme. En vain on dira que, parmi les mouvements, ceux qui sont en rapport avec la vie végétative sont sous- traits à l’influence de la volonté, tandis que dans les fonctions de relation la volonté les commande. Si cela est vrai d’une manière générale, que d’exceptions! Les muscles du thorax, de l’abdomen et du cou, que nous pouvons à tout instant mouvoir dans des directions et avec une intensité subordonnées à notre caprice ou à nos besoins, n’agissent-ils pas sans cesse dans les phénomènes mécaniques de la respiration, et pendant la veille et pendant le sommeil, sans que nous en ayons conscience? L'acte de la défécation, classé dans les fonctions nutritives, n’est-il pas, à moins de circonstances anormales, effectué par la contraction volontaire des muscles abdominaux et du diaphragme? Dans l'acte si compliqué de l’ac- couchement, ne voyons-nous pas un grand nombre de muscles tour à tour volontaires et involontaires ? Si, négligeant les caractères tirés de l'intervention ou de la non-inter- vention de la volonté, nous cherchons à séparer, d’après le but vers lequel ils tendent , les phénomènes du mouvement nutritif des phénomènes du mouvement de la vie animale, il est évident, d’après les exemples que je viens d'indiquer, que la limite est tout aussi dificile à poser. 2 18 NOTIONS PRÉLIMINAIRES. À mesure qu’on pénètre plus avant dans l’examen des fonctions nutri- tives, l’enchaînement qui retient et unit entre eux les différents actes de la nutrition est de plus en plus intime, et les subdivisions proposées pour en saisir tous les détails deviennent de moins en moins tranchées. Les phénomènes de la digestion ne se terminent pas dans le tube digestif. Les substances alimentaires, introduites dans l’économie à l’aide de l’absorp- tion, n’ont pas, au moment où elles pénètrent dans les vaisseaux, subi toutes les transformations successives qu’elles doivent parcourir. Les changements commencés dans le tube digestif se continuent d’une ma- nière évidente dans le système des vaisseaux de l'absorption. Le sang, régénéré par l’arrivée de ces produits nouveaux, n’est-il pas à son tour profondément modifié au moment de son passage au travers du poumon, et de nouveau transformé au sein du système capillaire, dans les glandes et dans la trame de tous les tissus ? Les phénomènes essentiels de la digestion, c’est-à-dire la transforma- tion des aliments en matériaux assimilables, ne peuvent done pas être rigoureusement localisés. Depuis les expériences de Barry, et depuis les redoutables accidents déterminés par l'introduction de l’air dans les veines béantes, qui ignore que le sang, comme l’air atmosphérique, est attiré sans cèsse dans le vide déterminé par l’ampliation de la poitrine? Les agents musculaires qui opèrent l'agrandissement de la cavité thoracique concourent aïnsi à un double but : ils sont liés à la respiration et à la circulation. Les phénomènes chimiques de la respiration s’arrêtent-ils dans le pou- mon ? Non. Pour étudier d’une manière complète les transformations du sang, ne faut-il pas franchir toute l'étendue du système circulatoire, afin d'observer dans les vaisseaux capillaires généraux la contre-partie des phénomènes dont les capillaires pulmonaires ne nous offrent que la pre- mière phase ? Les phénomènes des sécrétions ne s’exercent pas non plus en entier au contact du tissu glandulaire, etc., etc. Il ne faut donc pas, en physiologie descriptive, s’abuser sur la valeur des mots; il faut se souvenir que les phénomènes de la vie, liés entre eux par des rapports nécessaires, ne peuvent être groupés et classés en fonc- tions distinctes que d’une manière approximative. S'il est utile, nécessaire même, pour pénétrer le mécanisme compliqué de l’organisation, de ras- sembler sous un certain nombre de chapitres les nombreux phénomènes qu'elle présente à l'observation, il ne l’est pas moins d'étudier dans leur ensemble, et dans leurs rapports réciproques, tous ces actes qui ne sont isolés que dans nos livres. La physiologie de nos jours est bien pénétrée de l’importance de ces rapports, et c’est un de ses mérites. LIVRE LE FONCTIONS DE NUTRITION. . CHAPITRE L DIGESTION. à 1: Définition. — Division. — La digestion est cette fonction à l’aide de laquelle l'économie répare ses pertes incessantes. La digestion prépare, au moyen des aliments, les matériaux de réparation dont labsorption s’empare pour les porter dans le torrent de la circulation. La nutrition consistant dans la série des transformations successives qu’éprouvent les substances nutritives depuis le moment de leur entrée dans l'organisme jusqu’à celui de leur sortie par la voie des sécrétions et des exhalations, la digestion peut être considérée comme le premier temps de la nutrition. Tandis que les végétaux vont chercher, à l’aide d'organes extérieurs (racines, feuilles), dans la terre ou dans l'air, les éléments de leurs tissus, l'homme et les animaux portent en eux une cavité où sont reçues et élabo- rées les substances alimentaires. Dans l’homme et les animaux supérieurs, la cavité digestive est représentée par un long canal ou tube digestif. L’a- liment, introduit dans la bouche, parcourt successivement les diverses portions de ce conduit, se trouve soumis, chemin faisant, à l'influence de liquides variés qui le fluidifient, le transforment, et le rendent propre à être absorbé. Les parties non modifiées de l’aliment teintes par la bile, et auxquelles viennent se joindre quelques produits excrémentitiels de la mu- queuse intestinale, sont rejetées au dehors, sous le nom de matières fécales. Les phénomènes de la digestion sont de deux ordres. Les uns ont pour but de faire cheminer l'aliment dans toute l’étendue du tube digestif, de présenter ses diverses parties aux sucs digestifs et aux divers points de la surface absorbante de l'intestin, et, enfin, d’expulser le résidu non digéré; ce sont des phénomènes de mouvement; ils constituent la partie mécanique de la digestion. Les autres ont pour but de modifier et de méta- morphoser l'aliment pour le rendre absorbable, en un mot, de le digérer; ils constituent la partie essentielle de la digestion, ou la partie chimique. Les divers actes de la digestion peuvent donc être groupés sous ces deux chefs : phénomènes mécaniques et phénomènes chimiques de la diges- tion. Mais, avant d’entrer dans leur étude, nous devons d’abord examiner les aliments en eux-mêmes, afin de mieux saisir la nature des altérations 20 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. qu'ils éprouveront dans le sein des organes digestifs. Nous devons aussi consacrer quelques mots à deux sensations particulières qui précèdent l’ingestion des aliments, et qui en assurent le retour régulier : nous vou- lons parler de la faim et de la soif. SECTION I. Faim et soif. S 2 me. Faim.— La faim se fait sentir, en général, à des intervalles réguliers, qui coincident avec la vacuité de l’estomac et l'absorption des produits digérés. Le besoin des aliments concorde avec la fin du travail digestif précédent. Cette sensation, d’abord assez agréable, ne tarde pas à deve- nir douloureuse quand elle n’est point satisfaite. Une foule de conditions peuvent influer sur le moment où elle se produit, et aussi sur son inten- sité. L’habitude a, sur le retour périodique de cette sensation, une in- fluence que chacun connait. On peut dire cependant, d’une manière générale, que le renouvellement du besoin des aliments est en rapport avec l’activité ou la rapidité du mouvement nutritif. Les enfants le ressentent plus fréquemment que les adultes, les convalescents plus que les gens bien portants. Les enfants et les convalescents n’ont pas seulement à réparer exactement leurs pertes, il faut encore qu'ils gagnent en poids : l’un parce qu'il croît, l’autre parce qu’il regagne ce qu'il a perdu. L'exercice développe le sentiment de la faim, et la vie sédentaire le diminue, parce que l’un accélère le travail de la nutrition, et que l’autre l’entrave. La sensation de la faim, qui se re- nouvelle en moyenne, chez l’homme, deux ou trois fois dans les vingt- quatre heures, est plus impérieuse dans les animaux qui ont une cireu- lation plus active, une température plus élevée que la sienne, dont la nutrition, en un mot, fonctionne plus rapidement : les oiseaux, qui ne peuvent supporter un jeûne de vingt-quatre heures, sont dans ce cas. Ceux, au contraire, dont la circulation est lente, dont la chaleur n’est que peu ou point supérieure à celle du milieu ambiant, et dont les sécrétions sont rares, ne ressentent que de loin en loin la sensation de la faim : tels sont les reptiles, qui peuvent rester des mois sans prendre aucune nour- riture. La sangsue emploie près d’une année à digérer le sang dont elle s’est'remplie. La température ambiante a une influence analogue sur le besoin des aliments : une température basse excite l'appétit, et une température élevée le rend languissant. Quand la température est très-basse, l’homme doit lutter, en effet, par la quantité des aliments contre le froid extérieur: les aliments produisent de la chaleur dans leurs métamorphoses succes- sives. (Voy. Chaleur animale, S 165 et suivants.) CHAP. I, DIGESTION. 21 EE e De la sensation de la faim et de son siége.— La sensation de la faim est de l’ordre des sensations internes ou des besoins. Le sentiment de la faim, ou le besoin des aliments, est intimement lié avec l’ensemble des phénomènes de la nutrition. Aussi le besoin des aliments est-il une im- pulsion instinctive, bien plutôt qu'une véritable sensation. Il ne faut point nous étonner, dès lors, si tous les efforts qui ont été faits pour localiser le siége de la sensation de la faim sont restés jusqu'ici infructueux. Il est vrai que lorsque la faim n’a pas été satisfaite à son heure, nous éprou- vons une sensation vague et indéfinissable dans la région épigastrique , laquelle se change souvent en une véritable douleur. Mais où est le siége précis de cette sensation ? est-il dans l’estomac? et s’il est dans l'estomac, est-il dû aux frottements de la membrane muqueuse ou à une constriction douloureuse des fibres musculaires de la tunique charnue? Le fait est tout à fait incertain; car, s’il en était ainsi, la distension de l’estomac devrait calmer instantanément la sensation de la faim, et il est constant que le sentiment douloureux persiste encore quelque temps après l’ingestion des aliments. Le sentiment de douleur locale dont nous parlons n’est d’ail- leurs qu’un phénomène accessoire dans la sensation de la faim. Lorsque la privation des aliments se prolonge, le sentiment de douleur dans la ré- gion épigastrique disparaît : peut-on dire que la sensation de la faim n'existe plus ? Mais cette sensation, au contraire, devient tellement domi- nante alors, que toutes les autres s’anéantissent devant elle, et qu’elle se transforme à la longue en un véritable délire furieux. C’est parce que beaucoup de physiologistes comparent, à tort, les sen- sations de la faim avec celles des organes des sens, que l’on a cherché à fixer son siége organique, ainsi que le nerf chargé de transmettre à l’en- céphale ses impressions locales. Destinés à nous mettre en rapport avec les corps extérieurs et à nous en faire connaître les qualités physiques, les organes des sens ne pourraient disparaître ou être séparés du système nerveux, sans que les sensations qu'ils nous donnent ne disparussent en même temps. Au contraire, le besoin des aliments persiste encore, alors même que l'estomac est séparé des centres nerveux par la section des nerfs pneumogastriques, ainsi que le prouvent les expériences de M. Sé- dillot sur les chiens. On a dit, il est vrai, que les animaux dont les pneu- mogastriques sont coupés ne continuent à manger que pour satisfaire le sens du goût. Les expériences de M. Longet répondent à cette objection. Des animaux auxquels il avait coupé à la fois les pneumogastriques et les nerfs du goût ont continué à se nourrir. Placera-t-on le siége de la sensation de la faim dans le nerf grand sym- pathique, resté intact dans ces expériences? Mais tout concourt à prou- ver que le grand sympathique, en rapport surtout avec les phénomènes de nutrition, ne transmet point aux centres nerveux, dans l’état physio- 99 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. logique, les impressions des organes dans lesquels il répand ses filets. La sensation de la faim est une sensation de besoin attachée au senti- ment instinctif de la conservation, dont le siége réel doit être placé dans le système nerveux central, au même titre que la sensation du besoin de respirer. C’est, en effet, en agissant sur les centres nerveux que certains agents ont le pouvoir d’amortir ou d’anéantir cette sensation; tels sont, par exemple, le tabac et l’opium. Les maladies du système nerveux cen- tral causent souvent des sensations trompeuses de faim, alors que l’esto- mac ne se trouve pas dans l’état de vacuité; d’un autre côté, il est des aliénés chez lesquels la lésion profonde du système nerveux anéantit la sensation de la faim, au point qu'ils jeünent avec opiniâtreté. Le dé- but de presque toutes les maladies est caractérisé par une diminution notable, et quelquefois par l'absence totale de la sensation de la faim (anorexie). Dans ce dernier cas encore, cette sensation est gouvernée par le sentiment de la conservation. S 4. Soif. — Toutes les causes qui diminuent la proportion des parties li- quides de l’économie éveillent la sensation de la soif. La chaleur ambiante, qui favorise l’évaporation cutanée et pulmonaire, augmente la soif; les exercices violents, qui activent la sécrétion de la sueur, ont le même ré- sultat. La soif est vive dans le flux des hydropisies, elle est vive aussi dans les évacuations exagérées de la polyurie et du diabète sucré, ainsi que dans les hémorrhagies abondantes. L'anxiété de la soif non satisfaite devient extrêmement douloureuse. Les malheureux naufragés ont toujours plus souffert de la soif que de la faim. Lorsque la privation des aliments est compliquée de celle des bois- sons, la mort est bien plus rapide. L'ingestion de substances salines dans l’estomac développe le senti- ment de la soif, parce qu'ayant besoin, pour être dissoutes, d’une certaine proportion d’eau, elles déterminent un afflux de liquide dans le tube di- gestif, au travers des membranes intestinales, et diminuent ainsi les pro- portions de l’eau du sang. Les substances qui irritent l'estomac, telles que le poivre et les diverses épices, y déterminent également un afflux de liquide et mettent le sang dans les mêmes conditions. La sensation de la soif est liée à un certain état du sang caractérisé par la diminution de sa portion aqueuse. On calme la soif en faisant parvenir de l’eau dans le sang, même par d’autres voies que par les voies diges- tives. On lit dans l’Æistoire des voyages et découvertes dans le Nord, par For- ster : «Un vaisseau allant de la Jamaïque en Angleterre souffrit tellement «d’une tempête, qu'il fut sur le point de couler à fond. L’équipage eut «aussitôt recours à la chaloupe.…. Bientôt ils furent vivement pressés par «la soif. Le capitaine leur conseilla de ne point boire d’eau de mer, parce «que l'effet pouvait en être extrêmement nuisible. Il les invita à suivre CHAP. I. DIGESTION, 23 «plutôt son exemple, et sur-le-champ il se plongea tout habillé dans la « mer, €&e qu'il fit constamment ; et chaque fois qu'il sortait de l’eau, lui «et ceux qui suivaient son exemple trouvaient que leur soif était apaisée « pour longtemps. Plusieurs personnes se moquèrent de lui et de ceux «qui suivaient ses conseils ; mais elles devinrent si faibles, qu’elles péri- «rent bientôt... Quant au capitaine et à ceux qui, comme lui, se plon- « geaient plusieurs fois par jour dans la mer, ils conservèrent leur vie « dix-neuf jours, au bout desquels ils furent recueillis par un vaisseau qui « faisait voile de ce côté. » (T. Ier, p. 341, 1788.) S 5. De la sensation de la soif et de son siége.— La soif est une sensation interne, analogue à celle de la faim, et tout aussi obscure dans sa cause prochaine. Lorsque la proportion de l’eau du sang est diminuée et la soif vive, les sécrétions s’amoindrissent, et les membranes muqueuses, ordi- nairement lubréfiées par le mucus, tendent à se dessécher. Or, la sensi- bilité des membranes muqueuses est très-obscure, pour ne pas dire nulle, sur tous les points du système muqueux autres que ceux placés à l’entrée des voies digestives. C’est donc en ce point (bouche, gorge, pharynx) que nous rapportons la sensation de la soif, parce que là nous avons la con- science de leur état de desséchement. Ajoutons que le courant d’air de l'inspiration et de l’expiration contribue encore, en favorisant l’évapora- tion, à rendre en ce point les membranes plus sèches. Le desséchement des membranes muqueuses n’est, toutefois, qu’un phénomène secondaire qui tient à l’état du sang. La sensation de la soif, liée à ce desséchement et à cette irritation locale, a vraisemblablement sa source dans la notion irréflé- chie et instinctive de l’état du sang, c’est-à-dire dans les centres nerveux. Les expériences faites sur les animaux ne sont pas de nature à nous fournir, sur ce point, des éclaircissements suffisants. Les chiens sur les- quels on coupe les nerfs du pharynx, tels que les glosso-pharyngiens et les pneumogastriques à la région cervicale, continuent à boire après leur repas; ce qui tendrait à prouver, en effet, que la soif a une autre source que la sensation de sécheresse du pharynx. Mais M. Bérard fait remar- quer avec raison que ces expériences ne sont pas décisives, parce qu’a- près la section du pneumogastrique à la région cervicale, il reste encore dans le pharynx des filets pharyngiens du pneumogastrique. SECTION II. Aliments. S 6. Substances alimentaires. — L'homme fait usage , dans son alimenta- tion, de substances animales et végétales. Mais la viande, les végétaux et les fruits que nous mangeons, l’eau, le vin, les liqueurs alcooliques et 94 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. aromatiques que nous buvons, renferment, outre leurs principes organi- ques, des matières telles que du chlorure de sodium ou sel marin, du phosphate de chaux, et quelques autres sels. Les substances alimentaires contiennent encore, et dans des combinaisons diverses, du soufre, du phosphore, du fer, ete. L'homme fait donc usage aussi, mais dans de petites proportions, d'aliments minéraux. Les matières minérales que l’homme consomme ainsi avec ses aliments et ses boissons sont destinées, tout comme les matériaux organiques proprement dits, au renouvellement des parties solides et liquides de l’organisme, car les tissus et les humeurs contiennent ces divers composés minéraux. Parmi les substances tirées du règne minéral, le sel joue un grand rôle dans la préparation des ali- ments, parce qu’en favorisant la sécrétion des sucs digestifs, en réveillant le sentiment de la soif, et en excitant à l’introduction des boissons, il est un adjuvant utile de la digestion et de l’absorption. Les animaux supé- rieurs ont, ainsi que l’homme, un goût prononcé pour le sel, et ils le man- gent avec avidité. Les substances minérales jouent, dans les phénomènes de la digestion, un rôle important, mais à elles seules elles sont incapables d’entretenir la vie. Les peuplades qui, pour tromper le sentiment de la faim, introduisent de la terre dans leur estomac, ou qui, pour flatter la sensation du goût, consomment des argiles aromatiques, n’en retirent point d'avantage sous le rapport de la nutrition, lorsque ces matières ne renferment pas en même temps quelques principes organiques. Si les substances organiques suffisent, au contraire, à elles seules à l’entretien de la vie, c’est qu’elles renferment naturellement en elles une certaine proportion de matières minérales. En un mot, pour qu’un aliment soit complet, il faut qu’il con- tienne tous les éléments qui font partie de nos tissus. RE Solubilité des substances alimentaires. — Les substances organiques elles-mêmes ne sont pas toutes propres à la nutrition. Il est une condition indispensable qu’elles doivent remplir : il faut qu’elles soient solubles dans les sucs digestifs. Il est des parties animales tout à fait insolubles dans ces liquides : telles sont les substances cornées, les poils, les ongles, les écailles; ces substances sont rejetées telles qu’elles ont été avalées. Les végétaux présentent également un grand nombre de parties insolubles dans les liquides du tube digestif : telles sont la partie ligneuse du végé- tal, les enveloppes des graines, les résines, etc. Dans les excréments de l’homme qui a fait usage d’une alimentation végétale, on constate, à l’aide de la loupe ou du microscope, une quantité considérable de petites parcelles alimentaires non altérées. Chez les herbivores, dont la nourri- ture végétale n’est pas, comme la nôtre ‘préalablement divisée par la pré- paration culinaire et par la cuisson, les débrisvégétaux composent presque CHAP, I. DIGESTION, 25 entièrement le résidu de la digestion, et on peut les distinguer facilement à l'œil nu. Un certain nombre de graines, protégées par une enveloppe résistante, traversent, sans être altérées, les organes digestifs de l'oiseau et sont re- jetées par lui avec ses excréments, c’est-à-dire au milieu des conditions les plus favorables à leur développement ultérieur. C’est ainsi, bien plutôt que par l’action des vents, qu’on peut se rendre compte de ces migra- tions, souvent si lointaines, des végétaux. S 8. Aliments d’origine animale. — Les aliments d’origine animale dont l’homme fait le plus fréquemment usage sont : les viandes proprement dites ou de boucherie, telles que la viande de bœuf, de mouton, de veau et de porc; la volaille, telle que le poulet, le pigeon, le dindon, le canard et l’oie ; le gibier, tel que le faisan, la perdrix, la bécasse, le chevreuil, le lièvre et le lapin; les poissons de mer et les poissons d’eau douce ; les mol- lusques et les crustacés, tels que l’huître, la moule, l’écrevisse et le ho- mard ; quelques substances très-composées, telles que le lait et les œufs ; d’autres d’une composition plus simple, telles que le beurre, la graisse, le miel, etc. Les viandes comestibles diffèrent très-peu entre elles quant à leur com- position, et très-peu aussi de la chair humaine. La chair du poisson, qui n’a pas la couleur de la viande de boucherie, offre néanmoïins la même composition : elle est seulement un peu plus aqueuse. Les viandes sont essentiellement constituées par l’assemblage de fibres et de fibrilles musculaires , réunies entre elles par des lamelles de tissu cellulaire contenant une proportion plus ou moins considérable de cel- lules adipeuses. La viande est parcourue par des vaisseaux et des nerfs, et humectée par un liquide albumineux et légèrement salin. L'analyse suivante, due à Berzélius, donne une idée de la proportion de ces divers principes. ANALYSE DE LA CHAIR DE BOEUF. BERZÉLIUS. Run UE tes VAT NUE _ 77,17 rune (ODA), 2 Le - ce EEE 15,80 Tissu réductible en gélatine (tissu cellulaire intermusculaire). . . 1,90 Et OT nt 2,20 acide lactique et sels solubles) . . . . . . . . . . . . . . . 1,05 Substances solubles dans l'alcool. . . . . . . . . . .. À 1,80 Sels insolubles, . . . . . . “a DR | CCE SP TREREENL DR 0,08 100,00 Ajoutons à cette analyse une proportion variable de graisse, interposée 26 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. entre les principaux faisceaux musculaires et jusque autour des éléments les plus déliés des muscles. Quand on fait bouillir la viande dans l’eau, la graisse, en vertu de sa légèreté, vient se rassembler en partie à la surface du liquide; mais, pour extraire complétement la graisse des muscles, au milieu desquels une grande partie reste emprisonnée, il faut traiter la viande par les dissolvants de la graisse (alcool chaud et éther). Les œufs des diverses espèces animales dont l’homme fait usage dans son alimentation sont essentiellement constitués par deux ordres de sub- stances, de composition et de propriétés différentes : des matières azotées et des matières grasses, auxquelles il faut joindre une assez grande pro- portion d’eau et quelques principes salins. Les matières azotées des œufs comprennent l’albumine ou blane de l’œuf, la vitelline, matière azotée qui existe dans le jaune, la matière colo- rante du jaune et les membranes du blanc et du jaune. Les matières grasses consistent principalement en oléine, en margarine et en choléstérine. Le blanc de l’œuf (albumine) constitue les deux tiers du poids de l’œuf. Cette matière est contenue dans un réseau membraneux transparent extré- mement fin, qui donne à la masse un aspect gélatiniforme. Pour dissoudre le blanc d'œuf dans l’eau, il faut briser le réseau des membranes à l’aide du battage. Le blanc de l’œuf contient de 12 à 14 pour 100 d’albumine solide ; le reste est constitué par de l’eau et des sels. Le jaune constitue le tiers de l’œuf; il est formé par les matières grasses signalées plus haut, tenues en émulsion par la vitelline. Il contient aussi une petite proportion d’eau et des sels. Le lait des mammifères et celui de la femme contiennent de 80 à 90 parties d’eau pour 100, une substance azotée (la caséine), une sub- stance grasse (le beurre), une matière sucrée particulière (le sucre de lait), et des sels divers (Voy. S 421). $ 9. Aliments d’origine végétale. — Les aliments d’origine végétale les plus répandus sont: la farine des céréales, telles que le froment, le seigle, l'orge, le riz, le maïs, le sarrasin; quelques autres farines extraites de plantes di- verses, telles que la fécule de pomme de terre, l’arrow-root, le tapioca, le sagou, la farine de châtaignes; les légumes, tels que les haricots, les pois, les lentilles, les fèves et les pommes de terre ; les herbes potagères, telles que le chou, le chou-fleur, la carotte, le navet, la laitue, l’asperge, l’arti- chaut, le céleri; les herbes proprement dites, telles que l’oseille, la chi- corée et les épinards; les fruits charnus, pulpeux, à noyaux, etc.; enfin des matières plus ou moins abondamment répandues dans diverses par- ties des végétaux, telles que l’huile, le sucre, la gomme, ete. La farine des céréales renferme un grand nombre de principes. On y trouve une certaine proportion d’eau, des principes organiques azotés, tels que du gluten (celui-ci forme la majeure partie des principes azotés), CHAP. I, DIGESTION. 27 de l’albumine, de la caséine ; des substances organiques non azotées, telles que de la fécule, de la cellulose, de la dextrine et de la glycose ; des ma- tières grasses, des sels minéraux. Les blés durs sont plus riches en gluten et en autres matières azotées que les blés tendres. Le tableau suivant, dressé d’après les analyses de M. Payen, représente la composition moyenne des blés de provenances diverses. 100 GRAMMES DE BLÉ RENFERMENT : MAN PNR SL ENEUR SAN UR Abse 08 Matières azotées (gluten, ete.). . . 13 ,25 Amidon ou féeule. , . .« . . . . 60 ,68 Dextrine et glycose.. . . . . . + D ,48 CENUIDSE NN S Eee lee 2 ,66 MAHÈTOS Srasses UE NN 20 A 668 RER ET SITE à 40708 100:r,00 Le seigle, l'orge et l'avoine renferment sensiblement les mêmes propor- tions de matières azotées que le blé. Le maïs se distingue par la propor- tion des matières grasses (le maïs contient environ 5 pour 100 de ma- tières grasses). Le riz est la plus pauvre des substances alimentaires tirées des céréales, soit en substances azotées, soit en matières grasses (analyses de MM. Bra- connot et Payen). 100 GRAMMES DE RIZ CONTIENNENT : MAIRES ZONE 0 027 HéCUE EP ce e-e CCDlO Dextrine et matières analogues.. . 0 CelUlOSe RENE ns nt 05 Matieres/orasses C0 2 CU 0 Delss OL CRE - 1: 2 b0r:79 400sr,00 Le pain, qui forme la base de la nourriture des peuples de l'Occident, est fabriqué avec la farine des céréales. Tantôt la farine du blé entre seule dans sa fabrication, tantôt on y ajoute de la farine de seigle et d'orge, et même de la farine'd’avoine et de sarrasin. On a proposé, dans les années de disette, d'y introduire de la fécule de pomme de terre. Par ce procédé on augmente la quantité du rendement; mais l'augmentation porte spécialement sur un des principes de la farine (fécule), et l’élément le plus essentiel (gluten) se trouve diminué dans ses proportions relatives. Pour fabriquer le pain, on ajoute à la farine environ 50 pour 100 de son poids d’eau, et on forme ainsi une pâte dans laquelle on introduit le levain ou la levüre (1/4 de kilogramme pour 100 kilogrammes de pâte), afin de déterminer la fermentation. Celle-ci a pour effet de transformer 28 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. une portion de la fécule de la farine en dextrine et en glycose ; la gly- cose elle-même donne naissance, par une fermentation plus avancée, à une petite proportion d'alcool et d’acide carbonique. Ce gaz, emprisonné dans la pâte, la distend et la fait lever. Quand ce travail est suflisam- ment avancé, on place les pâtons dans un four dont la température a été élevée à 250 degrés centigrades au moins. La surface, saisie et solidifiée par caramélisation (formation de la croûte), empêche l’intérieur de se dessécher trop. Le couscoussou , dont on fait un grand usage en Algérie, n’est que du blé dur concassé et desséché après décortication. Le couscoussou, com- prenant la totalité des éléments du blé, est un aliment plus complet que le riz et surtout que les fécules. Les pommes de terre se distinguent des céréales par la faible propor- tion des matières azotées, lesquelles ne représentent guère que la ving- tième partie de la fécule. 100 GRAMMES DE POMMES DE TERRE CONTIENNENT : an), 93 LRU, tes APM UD Matières azotées.4. rent. 42.202160 COUR MN MER ocre 20 AD Dextrine.et glycose.. . . . . . - 4,09 Ueliniose re et 2e eee AR OZ Matibres Srasses MN RANCE SEE 0 REA) SÉR He ER RTE 20.0 ALES 1008r,00 Les fèves, les pois, les haricots et les lentilles, qu'on désigne souvent sous le nom générique de Zégumineux, constituent des aliments plus riches encore que les céréales en matières azotées. EAU |MATIÈRES| FÉCULE, CEL- |MATIÈRES 100 GRAMMES DE | hygrosco- dextrine SELS. pique. azotées. |et glycose.| LULOSE. | grasses. A | —————— | | ———————— | ——————— Fèves contiennent. . 16,0 24,4 51,5 3,0 1,5 3,6 Haricots — .. 9,9 95,5 55,7 9/9 98 3,2 Pois 2 9,8 93.8 58,7 3,5 21 91 Lentilles — el H1459 25,2 06,0 2,4 2,6 2,5 Les léqumes herbacés, ou légumes à feuilles et à racines comestibles, renferment, au milieu de la cellulose qui forme la charpente de leurs tis- sus, des sucs dans lesquels existent en dissolution des matières dextri- nées, des sucres, et aussi des principes azotés en proportions variables. Les fruits charnus ou sucrés constituent, en général, des aliments peu nutritifs. Leur charpente celluleuse contient des principes sucrés. Les ma- tières azotées sont ici rudimentaires; on y trouve souvent des principes acides de nature variée. - CHAP. I. DIGESTION. 29 $ 10. Composition des aliments. — Toutes les substances que nous venons d’énumérer, à l’exception toutefois du beurre, de la graisse, de l'huile, du miel et du sucre, offrent une composition complexe. Prendrons-nous tour à tour chacune de ces substances, pour l’envisager dans ses rapports avec les phénomènes de la digestion ? Mais l’analyse de ses transforma- tions dans le tube digestif nous entrainerait à des répétitions continuelles. Les substances alimentaires présentent des principes communs, sur les- quels les sucs digestifs agiront d’une facon identique. Ainsi, la viande de boucherie renferme, par exemple, de la fibrine, de l’albumine, de la géla- tine, de la graisse, etc. La volaille, le gibier, le poisson, renferment éga- lement ces principes. Le lait et les œufs renferment de l’albumine, de la: caséine, de la graisse, ete. La farine renferme du gluten, de la fécule, des matières grasses, ete. Énumérons donc les principes immédiats en lesquels sont réductibles les aliments animaux et végétaux; et lorsque, dans la partie consacrée aux phénomènes chimiques de la digestion, nous aurons fait connaître l’action des sucs digestifs sur chacun de ses principes, il sera facile de constituer l’histoire complète de la digestion de l’un quel- conque des aliments. Les principes immédiats tirés des animaux ou des végétaux peuvent être divisés en deux groupes, qui diffèrent essentiellement l’un de l’autre sous le rapport de la composition, et aussi eu égard au rôle qu'ils rem- plissent dans les phénomènes de la nutrition. Les uns renferment de l’a- zote, les autres n’en contiennent point. Les premiers sont des composés quaternaires : ils sont constitués par du carbone, de l'hydrogène, de l’oxygène et de l’azote. Les autres sont des composés ternaires : ils ren- ferment seulement du carbone, de l'hydrogène et de l’oxygène. Les prin- cipes immédiats azotés et les principes immédiats non azotés existent dans les aliments d’origine animale et dans les aliments d’origine végétale ; mais les principes azotés dominent dans les animaux, et les principes non azotés sont bien plus abondants que les autres dans les végétaux. S 11. Prineipes azotés. — On donne souvent aux principes immédiats azotés d’origine animale le nom de matières azotées neutres, où de matières albuminoïdes, parce que la composition chimique de toutes ces substances se rapproche sensiblement de celle de l’albumine. Principes immédiats azotés d'origine animale. — 1° L'albumine existe pres- que à l’état de pureté dans le blanc de l’œuf ; on la rencontre aussi dans la substance nerveuse; elle fait partie du sérum du sang, du chyle et de la lymphe, et on la trouve par conséquent dans presque tous les tissus de l'animal, imprégnés qu’ils sont par le sérum. L'albumine est à l’état de dissolution dans les liquides animaux. La 50 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. chaleur la coagule de 60 à 70 degrés centigrades. Quand on chauffe le sérum du sang ou même le sang dans sa totalité, il se prend en masse par la coagulation de l’albumine qu’il contient. La présence des alcalis peut retarder beaucoup la coagulation de l’albumine. L’albumine peut être précipitée de ses dissolutions aqueuses par la chaleur, par l’alcool, par les acides énergiques (en particulier l’acide azo- tique), par le tannin et par quelques sels métalliques. Les acides peu éner- giques, tels que l’acide lactique et l'acide acétique, ne la précipitent point. 2 La fibrine forme la base des muscles et la partie spontanément coagu- lable du sang. La fibrine, en se solidifiant quand le sang est extrait de ses vaisseaux, emprisonne les globules du sang dans son réseau et déter- mine la formation du caillot. La fibrine, débarrassée des globules du sang ou de la matière colo- rante des muscles, se présente à l’état de filaments solides, élastiques, blanchâtres. La fibrine a sensiblement les mêmes propriétés que l’albu- mine coagulée. La fibrine étant un peu plus riche en oxygène que l’albumine, on peut l’envisager comme un premier degré d’oxydation de celle-ci. La fibrme à une grande aflinité pour l’oxygène : elle décompose instantanément l’eau oxygénée. La fibrine des muscles se distingue dé celle du sang par la facilité avec laquelle elle se gonfle dans l’eau acidulée. 3° La caséine est la matière azotée du lait : elle y est à l’état de dissolu- tion. La caséine ne se coagule point par la chaleur, mais elle se coagule sous l'influence des acides peu énergiques (acide lactique, acide acéti- que). Ce double caractère la distingue nettement de l’albumine. 4° La gélatine et la chondrine peuvent être considérées comme des dérivés des matières albuminoïdes. Elles diffèrent des précédentes par un écart assez grand dans la proportion des éléments qui les composent. Cela tient peut-être à leur mode de préparation ; ce sont, en effet, des extraits obtenus à l’aide de l’eau et de la chaleur. La gélatine est le produit de l’ébullition prolongée du tissu cellulaire, des tendons, des ligaments, des membranes fibreuses, du derme cutané, du derme muqueux, des membranes séreuses, de la partie organique des os, Il suflit de 2 parties de gélatine dissoutes dans 100 parties d’eau pour que celle-ci se prenne en gelée par le refroidissement. Le tannin et les sels de platine précipitent abondamment la gélatine de ses dissolutions. La chondrine, ou gelée de cartilage, est le produit de l’ébullition pro- longée des cartilages. Il faut 5 ou 6 parties de chondrine sur 100 parties d’eau pour qu'elle se prenne en gelée. La chondrine paraît plus rappro- chée de l’albumine que la gélatine ; elle précipite par les acides minéraux qui ne précipitent point la gélatine. Avant leur ossification, les os (c’est-à-dire les cartilages qui les précèe- CHAP. I. DIGESTION. 31 dent) sont réductibles en chondrine, Après l’ossification, la base organique de l’os a changé de nature; elle n’est plus réductible en chondrine, mais en gélatine. 50 Divers extraits, obtenus à l’aide de l’ébullition de la viande dans l’eau, forment, indépendamment de la gélatine et de la chondrine, la partie essentielle du bouillon (Voy. $ 43). Principes immédiats azotés d’origine végétale. — 1° La fibrine végétale, ou gluten, existe dans un grand nombre de graines, et en particulier dans les graines de céréales. Cette substance joue un rôle important dans les propriétés nutritives des diverses farines. On considère, en général, que la propriété nutritive d’une farine croît en raison directe du chiffre du gluten (Voy. $ 9). La fibrine végétale existe aussi dans toutes les parties tendres des plantes. Lorsqu'un suc végétal est abandonné à lui-même, le préci- pité qui s’y dépose spontanément est de la fibrine. ® L’albumine végétale existe dans les graines émulsives, et aussi dans le suc des végétaux. L’al- bumine végétale, soluble dans l’eau, ne se coagule pas spontanément comme la fibrine ; mais, comme l’albumine animale, elle se coagule lors- qu’on expose le suc végétal à la chaleur. 3° La caséine végétale, nommée aussi légumine, parce qu’elle existe abondamment dans les pois, fèves, lentilles, haricots, ete., est soluble dans l’eau comme l’albumine; elle en diffère en ce qu’elle ne se coagule pas par la chaleur; mais, comme la caséine animale, elle se coagule par les acides faibles. & 12. Principes non azotés. — Les principes immédiats non azotés d’origine animale sont : la graisse, abondamment répandue non-seulement sous la peau et dans les replis des épiploons, mais encore au niveau des articu- lations dans le sens de la flexion, dans le système nerveux, dont elle est l’un des éléments constitutifs, dans les cavités médullaires, dans le tissu spongieux des os et dans le tissu cellulaire de presque toutes les régions du corps ; 2° le beurre , qui existe dans le lait de la femme et dans celui des animaux; 3° le sucre animal, qu’on rencontre dans le lait (sucre de lait), dans le foie et dans le sang ; 4° le miel, production sucrée des abeilles. Les principes immédiats non azotés d’origine végétale sont : 1° l’amidon, ou la fécule, matière abondamment répandue dans les végétaux, et for- mant en majeure partie la substance de la pomme de terre, la graine des céréales, et celle des légumineuses, telles que pois, haricots, lentilles, fèves, etc. (Voy. $ 9); 2° la dextrine, transformation de la fécule, qui d’in- soluble est devenue soluble, sans changement dans sa constitution chi- mique : on la trouve dans toutes les parties où existe la fécule, à une certaine période du développement de la plante ou de la fermentation du grain; 3° le sucre, qui existe sous divers états dans la plante, états qui cor- respondent au sucre de canne et au sucre de raisin ou glycose : on trouve le sucre dans presque tous les fruits, dans la racine et la tige d’un grand 32 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, _… nombre de végétaux; 4° la gomme et divers mucilages : la première découle des arbres, ordinairement d’une manière spontanée; les mucilages se développent autour de certaines graines sous l’apparence d’une masse vis- queuse et filante, qui a la plus grande analogie avec les gommes; 5° la pectine, ou principe gélatineux des fruits : on l’obtient sous forme de gelée, en faisant bouillir le jus de ces fruits dans des conditions particulières ; G°l’huile, qui existe dans beaucoup de graines et dans quelques tubercules. Les principes non azotés, qu'ils soient d’origine animale ou d’origine végétale, peuvent être classés en deux groupes. Le premier groupe ren- ferme l’amidon et ce qu’on peut considérer comme les dérivés de l’ami- don, c’est-à-dire la dextrine, les sucres de diverses natures (sucre de canne, glycose, sucre animal, miel), la gomme, la pectine. Le second groupe ren- ferme les matières grasses (graisses animales et végétales, beurre, huile). L'’amidon ou la fécule est le principe alimentaire le plus important du règne végétal. L’amidon forme la majeure partie du pain ; il entre dans la composition de tous les aliments végétaux, dont il constitue l’élément nutritif le plus abondant (Voy.$ 9). La fécule est constituée par de petits grains placés sur la limite des ob- jets visibles à l’œil nu (0,1 de diamètre). Ces grains, de forme ovoïde, sont composés de couches concentriques emboîtées ; ils sont renfermés dans Ja trame celluleuse de la plante, de la même manière que les vési- cules adipeuses sont contenues dans les vacuoles du tissu cellulaire. La fécule est insoluble dans l’eau; mais lorsqu'on la fait bouillir avec ce liquide, les grains se désagrégent, la fécule se gonfle, retient une cer- taine proportion d’eau et forme une sorte de gelée ou de colle connue sous le nom d’empois. La dissolution aqueuse d’iode colore l’amidon en bleu. L’iode est un réactif d’une extrême sensibilité pour reconnaître des traces d’amidon. L'amidon se transforme aisément en une matière gommeuse, la dex- trine, qui a la même composition, mais qui n’a plus les mêmes propriétés. L'amidon était insoluble, la dextrine est soluble. Cette transformation peut s’opérer de diverses manières : soit en chauffant la fécule à feu nu sur des plaques de tôle, soit en la traitant par les acides étendus, soit en la soumettant à l’action fermentescible de la diastase ou de l’orge germé. Sous les mêmes influences, la dextrine elle-même se modifie, et elle ne représente en quelque sorte qu’une phase transitoire de la transformation de l’amidon en sucre. Le sucre d’amidon, ou la glycose, diffère de l’ami- don par la fixation d’une certaine quantité d'oxygène et d'hydrogène dans les proportions de l’eau. Les divers sucres que nous avons énumérés se rencontrent dans un grand nombre de plantes. Tantôt le sucre se présente à l’état de sucre de canne, c’est-à-dire de sucre cristallisable en beaux cristaux (sucre candi): on peut l’extraire à cet état de la canne, de la betterave, du maïs, du palmier, de l’érable, du melon, des châtaignes, des dattes, des cocos, etc.; CHAP. I. DIGESTION. 35 tantôt le sucre n’a qu’une cristallisation mamelonnée : on le désigne géné- ralement alors sous le nom de glycose. Ce sucre, qu’on rencontre dans le raisin et dans les fruits et les tiges de beaucoup de végétaux, diffère du sucre de canne par son pouvoir saccharifiant, qui est moindre, et aussi par sa composition (il contient un atome d’eau de composition en plus). Le sucre animal doit être rangé dans cette dernière classe. La dissolution de sucre de canne, essayée au saccharimètre, dévie le plan de polarisation de la lumière vers la droite. La glycose, au con- traire, le dévie vers la gauche. La glycose réduit la liqueur bleue de Trommer ; c’est-à-dire qu’en plaçant une dissolution de glycose dans une liqueur composée d’un mélange de sulfate de cuivre, de tartrate de potasse et de potasse, la glycose a la propriété de décolorer la liqueur, en précipitant de l’oxydule rouge de cuivre. C’est là un caractère précieux en physiologie. Cette propriété permet, en effet, de reconnaître des traces de sucre dans les liquides animaux qui en contiennent, quand on procède avec les précautions convenables. Le sucre de canne se transforme très-facilement en glycose. Il sufit pour cela de faire bouillir une dissolution de sucre de canne, à laquelle on a ajouté une faible proportion d’un acide minéral. L’ébullition prolongée peut conduire, à elle seule, au même résultat. La même transformation a lieu dans les phénomènes de la digestion. Sous quelque forme, en effet, que le sucre soit introduit dans l’économie, c’est toujours à l’état de gly- cose que les voies digestives le livrent à l’absorption. Les gommes ont exactement la composition de la fécule, et elles sont solubles dans l’eau comme la dextrine. Elles diffèrent, au point de vue chimique, de la fécule et de la dextrine en ce que, chauffées avec de l'acide azotique, elles donnent de l’acide mucique et non de l'acide oxalique, comme la fécule et la dextrine. Le sucre de lait se comporte à cet égard exactement comme les gommes. Dans la trame celluleuse des fruits verts et dans beaucoup de racines, on trouve une substance particulière désignée sous le nom de pectose, ana- logue à la fécule par son insolubilité. La pectose se transforme facilement en une substance soluble (pectine), à l’aide de l’eau acidulée et de la cha- leur. Pendant que le fruit mürit, la pectose se transforme en pectine sous l’influence des acides naturels du fruit : voilà surtout pourquoi les fruits mûrs sont d’une plus facile digestion que les fruits verts. Les matières grasses d'origine animale sont généralement solides à la température ordinaire ; mais elles sont liquides à la température animale, et c’est à cet état qu’elles se présentent dans l’estomac des animaux à sang chaud. Les huiles végétales sont généralement liquides à la tempéra- ture ordinaire : telles sont les huiles d'olive, de noix, d’œillette, de colza, d’arachide, etc. Il n’y a guère que l'huile de palme qui soit solide, et encore suflit-il d’une légère élévation de température pour la liquéfier. Les matières grasses se préparent soit par expression, soit par l’ébul- _ J 54 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, lition des substances dans lesquelles elles sont en quelque sorte infiltrées ; en vertu de leur légèreté spécifique, elles se rassemblent alors à la surface du liquide. Quand, dans un but d'analyse chimique, on veut extraire la matière grasse d’une substance qui n’en renferme que de faibles propor- tions, on la tient pendant un certain temps en digestion avec de l’éther. L’éther est le dissolvant par excellence des corps gras, La graisse dissoute dans l’éther est mise facilement à nu par l’évaporation de l’éther. La plupart des graisses sont formées par la réunion de plusieurs prin- cipes immédiats. Ceux qu’on y rencontre le plus généralement sont : la stéarine, l'oléine et la margarine. Les recherches de M. Chevreul ont montré qu’on pouvait considérer ces principes comme autant d’acides organiques (acide stéarique, acide oléique, acide margarique) unis à une base commune nommée glycérine. La stéarine, l’oléine et la margarine sont donc de vé- ritables sels organiques insolubles, ou plutôt non miscibles à l’eau. Les matières grasses liquides et les huiles sont susceptibles d’être émul- sionnées, c’est-à-dire qu’on peut, en les agitant dans l’eau avec certaines substances visqueuses (mucilages, liquides albumineux), les diviser en particules d’une finesse extrême, qui restent plus ou moins longtemps en suspension dans la masse liquide. Les matières grasses sont également susceptibles d’être saponifiées, c’est- à-dire que, quand on les traite par des lessives de soude ou de potasse, la base organique (glycérine) est mise en liberté, et les acides s’unissent à l’alcali pour former des stéarates, des oléates et des margarates de soude ou de potasse. Les stéarates, les oléates ét les margarates de soude ou de potasse constituent des savons. Les corps gras qui étaient insolubles sont devenus solubles; car les savons de potasse et de soude sont solubles dans l’eau, ainsi que la glycérine, devenue libre. Les diverses matières grasses diffèrent les unes des autres par la pré- sence additionnelle de quelques autres principes qui leur donnent leur caractère spécial. C’est ainsi que le beurre, par exemple, indépendam- ment de la margarine et de l’oléine, renferme encore de la caprine, de la caproïne, de la butyrine. Ces derniers principes sont, de même que les premiers, constitués par la réunion d’acides gras (acides caprique, caproï- que, butyrique) avec une base organique, etc. $ 13. Boissons. — (Quelle que soit la nourriture solide dont l’homme fasse usage, il est évident qu'il introduit avec cette nourriture une grande quan- tité d’eau dans son estomac. Le pain, la viande cuite ou crue, les légumes frais ou accommodés, les fruits, contiennent, eu égard à leur poids, une quantité d’eau variable, mais qui l'emporte néanmoins sur le poids de la substance supposée complétement desséchée. Cette quantité d’eau n’est généralement pas suflisante cependant pour réparer les pertes liquides de l’économie, et on y doit joindre l’usage des boissons, L'homme, d’ailleurs, CHAP, I. DIGESTION. 35 ne consomme pas seulement des fruits et des végétaux verts, comme quel- ques animaux qui ne boivent point; ses aliments sont communément moins riches en eau. Les boissons dont l’homme fait usage sont ou de l’eau, ou du vin, ou de l’eau et du vin mélangés, ou de la bière, ou du cidre, ou diverses autres boissons fermentées. Il fait encore usage parfois de boissons aromatiques, telles que du thé, du café ou du chocolat. Les eaux dont l’homme fait usage sont des eaux de rivière, de source, de puits, de citerne, de pluie. Une bonne eau doit être fraîche, sans odeur, limpide, sans saveur, dissoudre le savon et bien cuire les légumes secs. Les eaux de source et de rivière sont généralement préférables aux eaux dé pluie et de citerne, à cause des proportions variables de matières minérales et de gaz (air et acide carbonique) qu’elles contiennent. L’exis- tence dans l’eau d’une certaine proportion de substances salines (carbo- nate de chaux, chlorure de sodium, etc.) contribue donc à la rendre plus saine. Cette proportion peut s'élever de 25 à 50 grammes! pour 100 litres d'eau, sans que l’eau cesse pour cela d’être potable. Quand la proportion des sels, et surtout celle du sulfate de chaux, est trop élevée, les eaux sont dites alors crues, séléniteuses ou gypseuses : elles ont une saveur désagréa- ble, elles dissolvent mal le savon (il se forme un savon à base de chaux insoluble) et elles cuisent mal les légumes secs, parce que le sel se dépose sur la surface des graines et forme une incrustation qui s'oppose à leur hydratation et à leur ramollissement. Le vin, ou le jus fermenté du raisin, est de toutes les boissons alcooli- ques la plus importante, en France tout au moins. Le vin contient un grand nombre de principes dont les proportions sont très-variables, sui- vant la provenance, la culture, l’exposition, la température de l’année de récolte, et aussi suivant le degré de fermentation, et par conséquent suivant le procédé de fabrication. Le sucre contenu dans le raisin, ou la glycose (Voy.S$ 12), se transforme par la fermentation en alcool, qui reste dans le vin, et en acide carbonique, qui se dégage en tout ou en partie. Les vins de Bordeaux, de Bourgogne et de Champagne contiennent de 8 à 45 pour 100 d'alcool (les vins d’Espagne et de Portugal en contiennent jusqu’à 25 pour 100). Il y a en outre dans le vin une grande quantité d’eau, plusieurs matières azotées, des huiles essentielles, des matières colorantes, des matières grasses et des sels. Les vins rouges diffèrent des blancs par la matière colorante, par une plus forte proportion de tannin, et par une proportion plus faible de sub- stances azotées. Les vins mousseux diffèrent des autres, parce qu’on re- tient dans leur intérieur le gaz acide carbonique, en les mettant en bou- 1 Il y a dans l’eau de Seine 25 grammes de matières salines pour 100 litres. Il y a dans l’eau de la Marne et dans l’eau des sources d’Arcueil 50 grammes de matières salines pour 100 litres d’eau. Le carbonate de chaux forme la majeure partie des principes salins dans l’eau de la Marne. Le sulfate de chaux domine dans les eaux d’Areueil. 36 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, -teille avant la fin de la fermentation, ou bien en ajoutant dans le vin, au moment de la mise en bouteille, un sirop de sucre, destiné à prolonger la fermentation. La bière est la boisson la plus répandue en Angleterre, en Allemagne et dans les diverses contrées du Nord qui ne produisent pas de vin. La bière est une boisson fermentée dont la base est l’orge germé. La fermentation du grain, déterminée par un ferment (que la germination a développé dans le grain), favorisée par l'addition de l’eau et par la cha- leur, donne naissance à de l’alcoo!l par la transformation de l’amidon en glycose et par la métamorphose de la glycose.On ajoute à ce mélange une décoction de houblon, destinée à donner à la bière la saveur à la fois amère et aromatique qui la caractérise. Au moment de la fermentation de la gly- cose, il s’est en outre formé de l’acide carbonique : une partie du gaz acide carbonique s’est échappée, une petite proportion est restée dans la liqueur. Quand la bière est mise en bouteille avant que la fermentation ait complé- tement cessé, on obtient des bières chargées de gaz, ou bières mousseuses. La bière renferme donc une grande quantité d’eau, une faible propor- tion d'alcool, de matières azotées, de principes amers et aromatiques et de sels, une notable proportion de dextrine, de glycose et de substances congénères. Le cidre, boisson habituelle des habitants du nord-ouest de la France, est le produit de la fermentation du jus de la pomme ou de la poire. Les cidres varient suivant la nature des fruits, leur maturité, la durée de la fermentation, et suivant qu’on ajoute ou non de l’eau au jus de pomme obtenu par expression. Le cidre contient une grande quantité d’eau, une proportion d'alcool généralement plus élevée que la bière, des matières azotées, de la dex- trine, de la glycose, une ou plusieurs huiles essentielles spéciales, des matières grasses, des sels. On peut fabriquer des cidres mousseux ou non mousseux. Le café est l’infusion (après torréfaction et pulvérisation) de la graine du fruit du caféier : 100 grammes de poudre de café traités par un litre d’eau bouillante abandonnent à l’état de dissolution environ 20 ou 25 grammes de matières. Ces 20 ou 25 grammes contiennent environ 10 grammes de principes azotés (caféine, légumine, ete.); le reste est constitué par des matières grasses, des produits dextrinés indéterminés, des substances mi- nérales, une huile essentielle aromatique. Associé au lait, le café constitue un aliment très-nutritif. En effet, 1/2 litre de lait et 1/2 litre d’infusion de café renferment 49 grammes de matières azotées (5 pour le café, 44 pour le lait), environ quatre fois plus qu’une égale quantité de bouillon. Le thé, en usage en Chine et au Japon depuis un temps immémorial, a été introduit en Europe vers 1650 par la Compagnie des Indes. Le thé 1 La coutume de faire infuser dans l'eau les feuilles d’une plante aromatique paraît n’avoir eu, en Chine, d'autre objet, dans le principe, que de masquer le mauvais goût des eaux. CHAP. I. DIGESTION. 37 est un arbuste de la famille des aurantiacées, dont les Chinois récoltent les feuilles qu'ils font dessécher. En Angleterre seulement, on consomme annuellement plus de 25 millions de kilogrammes de thé. En France, la consommation ne s’élève pas à un quart de million de kilogrammes. Pour l’infusion, on emploie environ 20 grammes de thé pour 1 litre d’eau. Ces 20 grammes abandonnent à l’eau bouillante, sous forme de produits so- lubles, environ 5 grammes de matières. Ces 5 grammes contiennent des principes azotés (théine, etc.), des matières dextrinées, du tannin, une matière colorante, une huile essentielle, des sels, etc. Par leur arome agréable, le café et le thé agissent comme condiments en stimulant l’appétit; ils occasionnent d’ailleurs une consommation de sucre. Le chocolat a pour base l’amande torréfiée et pulvérisée du fruit du ea- caotier, à laquelle on incorpore pendant le broyement une certaine quan- tité de sucre. L’amande du cacaotier est très-riche en matières grasses (beurre de cacao); elle en contient près de 50 pour 100 de son poids. Le cacao contient en outre 20 pour 100 de matières azotées, un principe aro- matique, de la fécule, de la dextrine, de l’eau et des sels. Consommé à l’état solide, ou cuit et mélangé avec le lait, le chocolat constitue un ali- ment très-riche en principes nutritifs. Le bouillon de viande est composé de toutes les parties que l’eau bouil- lante enlève à la viande. Le bouillon de bœuf, mélangé avec du pain ou des pâtes diverses, c’est-à-dire des féculents, est en France l’un des ali- ments les plus répandus. 1 kilogramme de bouillon renferme moyenne- ment 28 grammes de matières dissoutes, sans compter les matières grasses qui surnagent (à l’état liquide, quand le bouillon est chaud, à l’état solide, quand il est froid). Sur les 28 grammes de matières dissoutes, 10 pro- viennent du sel employé, 6 proviennent des légumes, 12 proviennent de la viande. Les principes azotés que la viande abandonne à l’eau par une cuisson prolongée sont : la gélatine, la créatine, la créatinine, l’acide ino- sique, la zoomidine. La fibrine insoluble se durcit par la cuisson, s’im- prègne des matières gélatineuses et graisseuses, et constitue le bourlli. L’albumine, solidifiée par la chaleur, se rassemble sous forme d’écume à la partie supérieure du liquide. L’albumine profondément contenue dans le morceau de bœuf s’y coagule mollement et reste inhérente au bouilli. En résumé, toutes les boissons, l’eau elle-même est dans ce cas, renfer- ment en dissolution ou en suspension des matériaux solides. L'eau con- tient, en effet, un certain nombre de sels (chlorures, carbonates et sul- fates), et les autres boissons renferment, indépendamment des sels, des substances azotées et non azotées; de sorte que les boissons sont aussi de véritables aliments. La distinction entre les aliments solides et les aliments liquides n’a d'importance réelle qu’au point de vue des phénomènes mé- caniques de la digestion, et en particulier des actes de la préhension et de la déglutition; sous tous les autres rapports elle est inutile, car il n’y 38 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. a qu'une différence du plus au moins. Le lait, par exemple, ne constitue- t-il pas un aliment bien plus réparateur, au point de vue de la digestion, qu'une salade de laitue? | 8 14. Régime animal. — Régime végétal. — L'homme qui ferait un usage exclusif du régime animal pourrait-il entretenir convenablement sa vie ? Nous pouvons répondre oui, car les faits le prouvent surabondamment. Il n’y à d’ailleurs aucune difficulté à concevoir que l’homme qui vit de la chair et du sang des animaux (la nature de l'aliment et celle de l'individu qui le consomme étant identiques) trouve dans son alimentation les ma- tériaux de renouvellement de ses tissus. En serait-il de même s’il faisait un usage exclusif du régime végétal? Les faits répondent également par l’affirmative. Mais il faut remarquer cependant que les personnes qui se sont astreintes au régime végétal pendant un certain temps, ou pendant toute leur vie, comme Haller en rapporte des exemples, se sont fait re- marquer par le peu de développement de l'énergie musculaire. Voici un fait qui confirme pleinement la remarque de Haller. Les ouvriers employés aux forges du Tarn ont été pendant longtemps nourris avec des denrées végétales. On observait alors que chaque ouvrier perdait en moyenne, pour cause de fatigue ou de maladie, quinze journées de travail par an. En 1833, M. Talabot, député de la Haute-Vienne, prit la direction des forges. La viande devint la partie importante du régime des forgerons. Leur santé s’est accrue tellement depuis, qu'ils ne perdent plus en moyenne que trois journées de travail par an. La nourriture animale a fait gagner douze journées de travail par homme. Les hommes peuvent donc entretenir leur vie, soit à l’aide du régime animal, soit à l’aide du régime végétal. Il est vrai que ce régime exelusif, dont s’accommodent quelques organisations, est loin de convenir à toutes; mais enfin il est rigoureusement possible. N'oublions pas que le régime végétal comprend, ainsi que le régime animal, des principes immédiats azotés et des principes immédiats non azotés, et qu'il n’y a entre ces deux régimes, au point de vue de la composition, que des différences de pro- portions. C'est pour cette raison que l’homme a pu modifier, non-seule- ment son propre régime, mais encore celui de certaines espèces animales; qu'il a nourri des herbivores avec de la viande et des carnivores avec des végétaux. Le cochon, qui vit de glands, supporte le régime de la viande, et le chien peut être nourri presque entièrement de pain. | La quantité de principes azotés contenue dans les végétaux étant peu considérable, les animaux qui suivent le régime végétal suppléent à la faible proportion des matériaux azotés par la masse de nourriture ingérée. Les herbivores, tels que le cheval et le bœuf, consomment par jour une quantité de nourriture solide et liquide qui correspond, en moyenne, au dixième ou au douzième du poids du corps. Le chien et le chat, qui sont CHAP, 1. DIGESTION. . 99 earnivores, ne mangent par jour, en moyenne, pour s’entretenir à l’état de santé, qu'une quantité de viande équivalente au trentième de leur poids. C’est pour cette raison encore que le tube digestif des herbivores l'emporte, pour la capacité, sur celui des carnivores. L'homme est omnivore : il peut vivre de tous les régimes; mais celui qui lui convient le mieux est celui dans lequel il associe le régime de la viande à celui des végétaux. Son système dentaire, qui renferme à la fois les canines du earnivore et les molaires de l’herbivore ; son tube digestif, qui tient le milieu, pour la longueur, entre celui du ehien et du bœuf, le prouvent non moins clairement que ses habitudes dans tous les temps et dans tous les lieux. S 15; Nécessité d’un régime à la fois azoté et non azoté. — L'homme peut vivre de la chair des animaux ou des diverses parties des végétaux, mais à la condition que ces deux régimes comprennent à la fois des principes immédiats azotés et des principes immédiats non azotés. L'emploi exclusif de ces principes est impropre à l’entretien de la vie. Pour ce qui concerne l'administration des principes non azotés, les ex- périences de M. Magendie sont formelles. Des chiens nourris soit avee du sucre, soit avec de l’huile d'olive, avec de la gomme, avec du beurre, ont suecombé dans une période moyenne de trente jours. Les expériences de MM. Tiedmann et Gmelin ne sont pas moins eoneluantes. Des oies nourries avec du sucre, avec de la gomme et avee de l’amidon, succom- bent du seizième au quarante-cinquième jour. Les principes immédiats azotés, administrés seuls, entraïinent les mêmes résultats. Une oie nourrie par MM. Tiedmann et Gmelin avec du blanc d'œuf (albumine) cuit et haché périt le quarante-sixième jour. Des chiens nourris soit avec de la fibrine, soit avec de l’albumine, soit avec de la gé- latine, soit avec ces trois substances réunies, succombent également. Dans le dernier eas ils ont vécu, il est vrai, plus de trois mois, mais ils ont fini néanmoins par mourir. Seul, le gluten, ou fibrine végétale, a paru pou- voir entretenir la vie des animaux. Mais des recherches ultérieures ont appris que le gluten, tel qu’on le prépare, en malaxant la farine sous un filet d’eau, est loin d’être de la fibrine végétale pure au point de vue chi- mique. Ce gluten contient encore de la caséine et des matières grasses. Lorsqu'une substance alimentaire contient à la fois des principes azotés et des principes non azotés, peut-elle servir à entretenir la vie lorsqu'elle est seule administrée aux animaux ? Oui, lorsque la proportion des prin- cipes azotés est suflisante par rapport à celle des principes non azotés. Ainsi le pain, la viande, donnés seuls, peuvent suffire à l’entretien de la vie. Les os nourrissent le chien. Les pois, les lentilles et les haricots, don- nés seuls, suflisent à entretenir la vie des animaux : ils contiennent, en effet, une proportion élevée de principes azotés. Le riz ! entretient aussi 1 Le riz est la céréale la moins riche en matières azotées (Voy. $ 9); aussi les populations 40 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. la vie des animaux, mais ils paraissent se moins bien porter. Les pommes de terre, données seules , n’entretiennent point la vie des lapins : les pommes de terre contiennent environ deux fois moins d’azote que le riz. Les carottes, les épinards, les choux, qui contiennent dix ou douze fois moins d’azote que le riz, sont dans le même cas, et l’on ne nourrit les la- pins avec ces substances qu’à la condition d’y ajouter du grain ou du son. D'ailleurs, dans toutes les expériences tentées à ce sujet, on a remarqué que les animaux ont plus ou moins souffert de ces régimes exclusifs. La variété des substances alimentaires contribue aussi, ndépendam- ment de leur composition propre, à l’entretien de la santé. Le besoin de la variété dans l’alimentation est analogue, chez l’homme, au sentiment instinctif de la faim et de la soif. En général, le sucre flatte le goût; mais pour peu que l’administration des boissons sucrées se prolonge, elles sont bientôt désagréables. L'usage longtemps soutenu d’une même nourri- ture, quelle qu’elle soit, devient promptement insupportable. : S 16. Aliments plastiques. — Aliments respiratoires. — Ce qui est impor- tant dans la considération des substances alimentaires, c’est bien moins de savoir si ce sont des substances animales ou des substances végétales, que de savoir si ce sont des principes azotés ou des principes non azotés. La réunion de ces principes est indispensable à la constitution de l’aliment, de quelque part qu’il provienne. Remarquons d’ailleurs que, dans toutes les substances dont l’homme se nourrit, ces deux principes se trouvent tou- jours associés, et que ce n’est que par l'intervention de l’art que nous les séparons. Ainsi, dans l’œuf, le blanc est constitué par de l’albumine à peu près pure, mais le jaune contient une grande quantité de matière grasse (substance non azotée). Dans le pain ou la farine, nous trouvons du glu- ten, substance azotée, et de l’amidon, substance non azotée. Dans la chair, indépendamment de la fibrine et de l’albumine, qui contiennent de l’a- zote, il y a aussi des matières grasses qui infiltrent le tissu cellulaire inter- musculaire, etc., etc. Il faut que les aliments contiennent les principes immédiats azotés, parce que nos tissus contiennent de l’azote, et que les phénomènes d’assi- milation, en vertu desquels nos organes se nourrissent et se renouvellent, ne peuvent s’accomplir qu'aux dépens des aliments. Les plantes, il est vrai, peuvent emprunter à l’air les éléments de leurs organes, mais l’homme et les animaux vivent d’une manière bien différente. L'homme, qui re- spire l’air atmosphérique, ne lui emprunte ni carbone, ni azote. Il ne lui emprunte pas de carbone, car la quantité d'acide carbonique qu’il expire est toujours beaucoup supérieure à celle qui est contenue dans l’air am- biant. Il ne lui emprunte pas non plus d’azote, car l’air expiré par lui en qui en font un usage presque exclusif en consomment d'énormes quantités, ou bien elles le mélangent avec des karis au poisson, CHAP, Ï. DIGESTION. 41 contient aussi un léger excès. L'azote nécessaire à la réparation de ses tissus, l’homme le puise donc nécessairement dans les aliments. Comme l’expérience prouve, d’un autre côté, que les principes immé- diats azotés ne suflisent pas à eux seuls pour entretenir la vie, nous de- vons en conclure que les principes non azotés jouent aussi un rôle spécial dans l'organisme, et qu'ils ont leur destination particulière. Tandis que les premiers (principes azotés) paraissent destinés à la rénovation des tis- sus, dont ils rappellent la composition, les autres (principes non azotés), réductibles, par une véritable combustion, en acide carbonique et en eau à l’aide de l’oxygène introduit dans l’organisme par la respiration, parais- sent être, au contraire, les matériaux de la chaleur animale. De là le nom d'aliments plastiques donné aux principes immédiats azotés, et celui d’ali- ments respiratoires donné aux principes immédiats non azotés. Nous re- viendrons plus tard sur cette distinction, et ce n’est pas le lieu d’insister en ce moment sur ce point (Voy. $ 198 et suivants). Cependant nous ajouterons que les aliments plastiques sont plus immédiatement néces- saires à l’entretien de la vie que les aliments respiratoires, parce qu'il y a à cet effet, dans l’économie, un produit aceumulé qui peut fournir pen- dant un certain temps les éléments de la combustion, lorsque les aliments respiratoires font défaut dans l’alimentation. Ce produit, c’est la graisse. Les expériences rapportées plus haut montrent aussi que l’adminis- tration exclusive des aliments plastiques soutient plus longtemps l’animal que l’administration exclusive des autres. Les substances azotées sont des substances quaternaires1; elles peuvent, dans une certaine mesure et par une transformation chimique d’une partie de leur masse, donner nais- sance à une certaine proportion de substance Aydrocarbonée ? où combus- tible, lorsque celle-ci fait défaut dans les aliments ; tandis que le contraire n’est pas possible , c’est-à-dire qu’une substance non azotée ne peut en- gendrer une substance azotée. & 17. Définition physiologique de l'aliment. — Il résulte de tout ce qui pré- cède qu’un aliment est une substance qui, introduite dans l’appareil di- gestif, doit fournir les éléments de réparation de nos tissus et les maté- riaux de la chaleur animale. Proust est le premier qui ait posé sur son véritable terrain la question qui nous occupe. Il fait remarquer avec raison qu’à une certaine période de la vie, le lait est la nourriture exclusive de l’homme et des mammifères. Le lait est donc pour lui le type de l'aliment. Il contient deux ordres de substances organiques : de la caséine et un peu d’albumine (matières azo- tées), du beurre et du sucre (matières non azotées).Tout aliment doit done réunir ces deux principes. Nous ferons remarquer encore que l’œuf des " Carbone, hydrogène, oxygène, azote, ? Carbone, hydrogène, oxygène, 4 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, animaux ovipares est constitué par des principes azotés (albumine et vi- telline) et par des principes non azotés (graisse du jaune). Or, c’est aux dépens de ces substances que vont se développer successivement le tissu cellulaire, les vaisseaux, les os, les museles, les cartilages, les plumes et les poils du nouvel être ; et, pendant que ces phénomènes s’aecomplis- sent, l’œuf respire au travers de son enveloppe calcaire. L’œuf contient done en lui-même les éléments de ses tissus et les matériaux combustibles de la respiration. ; Envisageant la question à un point de vue plus circonserit, nous pou- vons donner de l’aliment une définition moins générale. Toute substance alimentaire, pour pénétrer dans l'organisme, s’introduit par la voie du sang, soit directement par la veine porte, soit indirectement par les chy- lifères et la veine sous-elavière. L’aliment doit, par conséquent, faire partie constituante du sang lui-même pendant un temps plus ou moins long. Nous dirons donc : toute substance identique à l’un des prineipes du sang, ou capable d’être transformée par la digestion en l’un de ces prineipes, est un aliment !,. 8 18. Préparation des aliments. — L'homme consomme rarement les ali- ments que lui fournissent le règne animal et le règne végétal sans les sou- mettre par avance à un certain nombre de préparations. L'art eulinaire, art hygiénique, est destiné, dans le sens le plus général du mot, à favo- riser le travail de la digestion. Il consiste essentiellement à associer entre elles les substances alimentaires, et il transforme ainsi des aliments in- complets en aliments plus complets. C’est ainsi que la fécule, les pommes de terre et la plupart des légumes, substances peu riches en azote, sont mélangés avec du bouillon, avec des jus de viande ou avec du lait, qui leur donnent des propriétés plus nutritives. Les divers condiments que l’homme ajoute à ses aliments, tels que le poivre, le sel, la moutarde, etc., les boissons excitantes dont il fait usage et les divers assaisonnements acides (cornichons, citron, vinaigre, etc.) agissent dans l’estomac de ma- nière à favoriser la sécrétion du suc gastrique, ou à venir en aide à l’ac- tion du suc gastrique lui-même. SECTION I. Phénomènes mécaniques de la digestion. & 19. Préhension des aliments solides. — L'homme porte les aliments à sa bouche au moyen du membre supérieur. Les diverses pièces dont se com- pose ce membre sont disposées de telle sorte, que leur mouvement de 1 Le sang renferme de l’eau, des sels, des malières azotées (globules, fibrine, albumine, principes extractifs), des matières non azotées (matières grasses et sucre). CHAP. I. DIGESTION. 43 flexion dirige naturellement la main vers la bouche. Dans la plupart des cas, la tête s'incline légèrement sur la colonne vertébrale et se dirige vers l’aliment. Lorsque l'aliment est disproportionné par son volume avec la cavité dans laquelle il doit être introduit, nous le divisons soit à l’aide de la main, soit à l’aide de moyens mécaniques appropriés. Quelquefois les dents interviennent à cet effet : la substance, saisie et pressée entre les mâchoires, est tirée en sens contraire par le membre supérieur, dans le but d'opérer cette division préliminaire, L'homme peut aussi saisir direc- tement ses aliments avec la bouche ; mais ses dents verticales et la saillie du nez et du menton rendent ce mode de préhension, si commun chez les animaux, assez difficile pour lui; aussi n’y a-t-il recours que dans le cas où le libre usage de ses membres lui fait défaut. $ 20. Préhension des aliments liquides. — Ce mode de préhension est plus compliqué, et la plupart du temps la pression atmosphérique intervient. L'enfant qui tette saisit avec ses lèvres le mamelon de sa nourrice, puis il opère le vide dans l’intérieur de la cavité buccale, et la pression atmo- sphérique qui s'exerce à la surface de la mamelle chasse le lait dans la bouche. La bouche de l’enfant joue done le rôle d’une pompe aspirante. La bouche, en effet, représente le corps de pompe, et il y a dans la bouche un organe mobile, la langue, qui la remplit alors entièrement, et qui, agissant à la manière d’un piston par des mouvements d’avant en arrière, complète le jeu de pompe ou de ventouse. Pour que le vide puisse s’éta- blir dans la bouche, il est évident qu’elle doit être parfaitement close en arrière. Le voile du palais, appliqué sur la base de la langue, interrompt toutes communications entre la bouche et le pharynx ; aussi le passage de l'air continue librement par le nez pendant la succion. La respiration ne cesse, pour un instant, que lorsqu'il y a dans la bouche une quantité de liquide suffisante. L'enfant en opère alors la déglutition; après quoi, le voile du palais intercepte de nouveau la communication entre la bouche et le pharynx, et la succion recommence. L'homme se sert le plus souvent, pour introduire les liquides dans la bouche, de vases appropriés à cet usage. Quand il boit à l’aide d’un verre ou d’une tasse, l'introduction s’opère par un mécanisme tout à fait sem- blable au précédent, à la condition que ses lèvres soient complétement baignées par le liquide. En vertu de la pression atmosphérique, le liquide pénètre dans le vide que lui préparent incessamment la langue et les pa- rois contractiles de la bouche. C’est encore en vertu de la pression atmo- sphérique extérieure et du vide préalablement formé dans la cavité buc- cale que le liquide pénètre dans la bouche d’un homme qui boit couché sur le bord d’un ruisseau , et les lèvres immergées dans l’eau. Les che- vaux, les bœufs boivent exactement de même : l'ouverture de leur houche 44 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. baigne complétement dans l’eau, ou du moins les commissures qui ne bai- gnent pas sont complétement fermées. Lorsque l’homme boit à l’aide d’un verre, et que les lèvres ne sont pas exactement baignées , on entend un bruit ou gargouillement qui indique qu'il y a de l’air attiré avec le liquide dans l’intérieur de la cavité buccale. Le même phénomène se produit aussi lorsque le contenu du vase est in- suffisant pour baigner les lèvres. Il se produit encore lorsque nous cher- chons à introduire dans la bouche, à l’aide de la cuiller, un liquide chaud: de là le bruit qu’on fait presque toujours en mangeant le potage. Dans tous ces cas, le mécanisme de l'introduction des boissons diffère de celui de la succion. Il ne se forme plus de vide dans la bouche, car il y a inspi- ration, c’est-à-dire courant d’air vers les poumons; par conséquent, la cavité buccale n’est plus fermée en arrière par le voile du palais. Le vide n’existant plus dans la bouche, la pression atmosphérique n'intervient pas ici. Dans les conditions actuelles, les liquides sont humés, c’est-à-dire qu'ils sont entraînés dans la bouche à l’aide d’un courant d’air (déterminé par un mouvement d'inspiration), dont la vitesse est accrue à l’ouverture de la bouche par le rapprochement des lèvres. Le liquide n’est pas immé- diatement porté dans le pharynx, car le courant d’air l’entrainerait aussi dans le larynx ; en vertu de son poids, il se rassemble dans les parties dé- clives de la bouche. Des mouvements de déglutition le font passer succes- sivement dans le pharynx, lorsque la quantité accumulée dans la bouche est suffisante. On conçoit néanmoins que, dans l’action de humer, il ar- rive quelquefois qu’une certaine portion du liquide pénètre anormalement dans l’intérieur du larynx, où elle donne lieu à de la suffocation et à des efforts de toux. Il est enfin des cas où les liquides sont directement versés dans la bouche. Toutes les fois que la bouche, largement ouverte, reçoit la cuiller, le con- tenu de celle-ci y est simplement versé. La même chose a lieu encore lorsque, la bouche grande ouverte, nous recevons le liquide d’une bou- teille ou d’un verre, lorsque, en un mot, nous buvons, comme l’on dit, à la régalade. Dans ce dernier cas, pas plus que dans les autres modes de préhension, le liquide ne pénètre d’emblée dans le pharynx, comme on pourrait le croire. Le voile du palais s’applique alors contre la base de la langue, et ferme en arrière la cavité de la bouche. Cette cavité, ainsi fer- mée, se remplit d’abord, et le liquide ne parvient dans le pharynx que par un nouvel ordre de mouvements, par des mouvements de déglutition. $ 21. Mastication. — Les aliments introduits dans l’intérieur de la cavité buc- cale sont soumis à l’action des mâchoires et des dents. La mastication a pour but de diviser les aliments solides, afin qu'ils puissent être attaqués plus facilement par les liquides du tube digestif, non-seulement dans l’in- térieur de la bouche, mais dans toutes les parties de l’intestin. La viande CHAP. I. DIGESTION, 45 et les matières azotées sont plus facilement digérées dans l’estomac, lors- qu’elles ont été préalablement soumises à la mastication. Les digestions artificielles, faites à l’aide du suc gastrique et en dehors du corps de l’ani- mal, ont démontré, en effet, que le travail de dissolution ou de digestion des substances animales marche plus vite, lorsqu'elles sont divisées en fragments très-petits. C’est surtout pour les aliments tirés du règne végétal que la mastica- tion est indispensable. La plupart des matières nutritives que contiennent les végétaux sont renfermées dans des enveloppes, en général réfrac- taires aux liquides digestifs. Ces enveloppes doivent être brisées par les dents, pour livrer passage à la matière alimentaire. Les animaux qui vivent de végétaux (de grains et de fourrages, par exemple) mâchent plus long- temps leurs aliments que les carnivores, dont l'appareil masticateur puis- sant est disposé surtout poursaisir et déchirer la proie. Les vieux chevaux, dont les dents sont usées, seraient menacés de périr par insuffisance d’ali- mentation, si l’on n'avait soin de diviser le fourrage et de broyer le grain. La cuisson, à laquelle l’homme soumet la plupart du temps les aliments végétaux, contribue pour sa part à rendre le travail de la mastication plus efficace, car elle ramollit ou fait éclater les enveloppes insolubles des diverses fécules. Mais elle a besoin néanmoins d’être secondée par le travail de la mastication, et il n’est pas rare de rencontrer encore en- tiers des pois, des lentilles et des haricots dans les matières fécales des vieillards qui ont perdu leurs dents. La régularité des fonctions digestives dépend, plus souvent qu’on ne le pense, d’une mastication complète. Les personnes qui ont des diges- tions difficiles en connaissent bien l’importance. La mastication a encore un autre but chez l’homme, c’est de préparer l’aliment à la déglutition. Il est des animaux qui avalent leur proie tout entière ; l’homme, au contraire, ne peut faire passer l'aliment dans son gosier qu'à la condition de le diviser en un certain nombre de fragments, proportionnés, par leur volume, aux voies qu'ils doivent parcourir. La mastication est opérée par les dents ; les dents, supportées par les mächoires, se meuvent avec elles : les mâchoires sont mises en mouve- ment par des muscles. Les joues, les lèvres, la voûte palatine et la langue jouent aussi un rôle important, et concourent, chacune à leur manière, au résultat. & 22. Rôle des dents. — Les dents sont constituées par des masses dures, résistantes, destinées à diviser et à broyer les substances alimentaires, sans que les chocs et les pressions qui en résultent soient douloureuse- ment ressentis par l'individu. Ce n’est pas à dire cependant que les dents soient insensibles. Elles ont, au contraire, la propriété de sentir, même avec une certaine délicatesse, le degré de température des substances 46 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, introduites dans la bouche. Les dents sont pourvues à cet effet, dans leur cavité intérieure, d’une pulpe celluleuse qui reçoit ses nerfs sensitifs de la branche maxillaire inférieure du nerf de la cinquième paire. Les dents sentent également bien le degré de solidité des matières sug lesquelles elles agissent, et proportionnent ainsi l’énergie de l’action musculaire aux résistances qu'elles ont à vaincre. Si la pression des dents de l’arcade maxillaire supérieure contre celles de l’arcade maxillaire inférieure, ou contre la substance solide sur‘laquelle elles agissent, n’est pas douloureusement ressentie, cela tient à leur mode d’articulation. La dent, pressée perpendiculairement contre l’alvéole, n’a aucune tendance à céder dans cette direction, car elle forme une sorte de pyramide, dont la base évasée est au dehors, et qui ne peut point s’enfoncer dans une cavité plus petite qu’elle. La dent ne pourrait céder et comprimer douloureusement la pulpe nerveuse qu’à la condition de faire éclater l’alvéole. On ne doit donc pas s'étonner si la mastication est douloureuse sur les dents qui branlent. Dans ce dernier cas, la dent n’est plus rigoureusement embrassée par le bord alvéolaire : lorsqu'elle est pressée contre le maxillaire, elle cède, s’enfonce, et comprime dou- loureusement la pulpe nerveuse: La partie libre de la dent, ou la couronne, est enveloppée de toute part par une substance protectrice ou émail. Cette substance, extrêmement résistante, protége les dents contre l’usure, que le jeu des mâchoires les unes contre les autres tend à amener à la longue. L'émail est cependant, en général, impuissant à lutter contre les causes qui tendent à le détruire. A un certain âge, la surface triturante des dents est presque toujours plus ou moins privée de sa couche émaillée. Sur beaucoup de dents de mammifères, l'émail ne se borne pas à recouvrir l'ivoire de la couronne; l’émail forme en quelque sorte des replis intérieurs dans l’épaisseur de l’ivoire, de manière que si l’on prati- que des coupes horizontales sur les dents de cette espèce, la section divise à la fois des lames d'ivoire et des lames d’émail. Les dents qui présentent cette disposition sont désignées sous le nom de dents composées, par oppo- sition aux dents de l’homme et aux dents analogues aux siennes, et qu’on nomme dents simples. On observe des dents composées chez la plupart des animaux herbivores, chez lesquels le broiement est à peu près le seul mode de division des aliments. Cette disposition rend évidemment l’usure des dents plus lente, puisque les replis de l’émail entrent de champ dans l'épaisseur de la couronne. Malgré cette disposition protectrice, l'usure de la couronne des dents n’en est pas moins un fait naturel chez les rumi- nants et les solipèdes. Il est vrai que la racine continue à croître et se porte au dehors, pour suppléer en partie la couronne détruite. C’est pour cette raison que l'inspection des dents fournit sur l’âge approximatif de cesanimaux des renseignements assez précis. La forme des dents est appropriée à leurs usages. Les incisives n’ont CHAP, I. DIGESTION. 47 point, à proprement parler, de surface de mastication. Ce sont des lames qui coupent, en se rencontrant, à la manière des ciseaux. Les canines n’ont point chez l’homme d’usage bien caractérisé, car elles dépassent à peine le niveau des autres dents. Elles jouent cependant un rôle dans la mastication des substances élastiques (tendons, ligaments), très-réfrac- taires à l’action des mâchoires, en perforant et en dissociant ces sub- stances. On se sert encore des dents canines pour briser des corps résistants. La dent canine étant pointue, la pression qu’elle exerce est énergique, parce qu’elle est concentrée en un point, au lieu d’être répartie sur une surfice, comme pour les molaires. Les molaires présentent de véritables surfaces de mastication; ce sont elles, à proprement parler, qui mâchent les aliments. S 23. Mouvements des mâchoires. — Les dents sont mises en mouvement par les mâchoires, avec lesquelles elles sont solidement articulées. Chez l’homme, la mâchoire supérieure fait corps avec les os de la tête, et ne peut être mue qu'avec la tête elle-même. La mâchoire inférieure, au contraire, s'éloigne ou se rapproche de la mâchoire supérieure à l’aide d’une articulation mobile. La cavité articulaire, qui reçoit le condyle du maxillaire inférieur, est creusée sur l’os temporal, derrière la racine transverse de l’apophyse zygomatique. Cette cavité, plus grande que le condyle articulaire du maxillaire qu’elle recoit, permet à ce condyle de se déplacer dans les divers mouvements de la mâchoire. La direction des condyles du maxillaire inférieur est intimement liée avec la nature des mouvements que cet os peut exécuter. Chez l’homme, ces condyles ne sont dirigés ni horizontalement, comme chez lés carnassiers, ni dans le sens antéro-postérieur, comme chez les rongeurs ; ils ne sont point non plus constitués par des surfaces à peu près planes, comme chez Îles fumi- nants ; chez l'homme, la direction et la forme des condyles tiennent de toutes celles dont nous venons de parler : l’homme ést donc à la fois her- bivore et carnivore, non-seulement par ses dents, mais encore par ses mächoires (Voy. S 58). Le condyle articulaire de la mâchoire inférieure de l’homme est oblique de dehors en dedans et d’avant en arrière : cette obliquité est telle, qu’elle est bien plus voisine de la direction transversale que de la direction an- téro-postérieure. La mâchoire inférieure, par son élévation et son abaissement, déter- mine les divers changements qui surviennent pendant la mastieation dans les dimensions verticales de la bouche. La mâchoire supérieure, fixée à la tête, est immobile, Mais il est aisé de se convaincre, en observant atten- tivement une personne qui mange, qu'à chaque mouvement d’abaissement de la mâchoire inférieure correspond, du côté de la tête, un mouvement de flexion en arrière sur le cou, de manière que le maxillaire supérieur 48 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. est entraîné en haut, avec la tête tout entière, par un mouvement qui s’exécute dans l'articulation de la tête avec la colonne vertébrale. Ce mouvement de totalité de la tête, qu'on peut supprimer à volonté, ne concourt d’ailleurs que pour une faible part dans l’écartement des mä- choires, presque entièrement déterminé par l’abaissement du maxillaire inférieur. Le maxillaire inférieur peut encore exécuter d’autres mouve- ments que ceux d’abaissement et d’élévation : il peut être porté à droite ou à gauche, il peut être attiré en avant et ramené en arrière. Les dents molaires n’exercent, en effet, leur action triturante qu’à la condition de frotter leurs surfaces de mastication les unes contre les autres. Les mouvements de l’os maxillaire inférieur présentent plusieurs parti- cularités assez remarquables. Lorsque la mâchoire inférieure s’abaisse, le centre du mouvement n’est point, comme on serait tenté de le sup- poser, dans l'articulation temporo-maxillaire. Il est aisé de s'assurer sur soi-même, en plaçant son doigt en avant du conduit auditif externe, que le condyle articulaire du maxillaire inférieur abandonne la cavité glé- noïde et se porte en avant, à mesure que le menton s’abaisse en se por- tant en arrière. Le centre du mouvement n’est donc point dans l’articula- tion. Le mouvement a lieu autour d’un axe fictif, qui traverserait les deux branches montantes du maxillaire inférieur au niveau du trou dentaire Fig. 1. inférieur (Voy. fig. 1, C). Au- tour de cet axe comme centre, la partie supérieure de la bran- che montante du maxillaire dé- crit un arc de cercle en se diri- geant en avant, tandis que la partie dumaxillaire sous-jacente à l’axe fictif dont nous parlons exécute un arc de cercle en sens contraire. La distance comprise entre l’axe du mouvement et les dents incisives l’emportant de beaucoup sur la distance de cet axe au condyle articulaire, il en A, condyle articulaire de l'os maxillaire inférieur. résulte que l'arc de cercle décrit B, cavité glénoïde. Le condyle l’abandonne dans lemou- Par les dents incisives est plus vement d'abaissement de la mâchoire : ' C, ne a me DAPcen correspondant à l’axe grand que celui qu'exécute le D, E, arcades dentaires supérieure et inférieure. condyle articulaire. Aussi, pour un écartement de 3 centimètres entre les incisives D, E, la course du con- dyle en avant (c’est-à-dire de B en A) est de 1/2 centimètre environ. On a souvent cherché pourquoi le centre du mouvement de la mâchoire inférieure, transporté hors de l'articulation, correspond précisément au niveau du trou dentaire par lequel s'engagent les vaisseaux et les nerfs dentaires inférieurs. M. P. Bérard a fourni à cet égard une explication, ' CHAP, I. DIGESTION. 49 basée sur la connaissance anatomique des parties, que l'expérience sur le cadavre justifie pleinement. On sait qu'indépendamment de la capsule d’articulation qui retient assez lâchement le condyle articulaire du maxil- laire inférieur dans la cavité glénoïde du temporal, d’autres ligaments accessoires, placés dans le voisinage, contribuent à la solidité de l’arti- culation. Tels sont les ligaments stylo-maxillaire et sphéno-maxillaire. Or, le ligament sphéno-maxillaire, qui s’msère en haut à l’épine du sphé- noïde, vient se terminer en bas, en s’élargissant, à la lèvre épineuse du trou dentaire inférieur. Lorsque la mâchoire inférieure est tirée par en bas par ses muscles abaisseurs, le ligament sphéno-maxillaire inexten- sible transporte le centre fixe du mouvement au niveau de son insertion au trou dentaire, et dès lors le condyle articulaire de la mâchoire se meut en avant, à mesure que la mâchoire s’abaisse. La laxité de la capsule de l'articulation temporo-maxillaire, qui permet au condyle des mouvements assez étendus, et aussi la contraction du muscle ptérygoïdien externe, qui entraîne en avant le condyle, concourent également à ce résultat. Le condyle articulaire, en se déplaçant en avant, dans les mouvements d’abaissement de la mâchoire, sort de la cavité glénoïde proprement dite, etse place au-dessous de la racine transverse de l’apophyse zygomatique (Voy. fig. 1, A). Au lieu de correspondre à une surface articulaire con- cave, comme l’est la cavité glénoïde, le condyle vient donc se mettre en rapport avec une surface convexe, comme il l’est lui-même. Les accidents de luxation seraient dès lors imminents dans tous les mouvements de la mâchoire, s’il n'existait dans l’articulation un ménisque ou cartilage inter- articulaire, tellement disposé que, dans tous les mouvements de la mâ- choire, le condyle se trouve toujours correspondre à une surface concave, alors même qu'il est en rapport avec la racine transverse de l’apophyse zygomatique. À cet effet, le ménisque est biconcave. Dans l’état de repos de la mâchoire inférieure, il est couché obliquement entre la partie anté- rieure du condyle articulaire et la partie postérieure de la racine trans- verse de l’apophyse zygomatique. Lorsque la mâchoire s’abaisse, le con- dyle articulaire se porte en avant, et en même temps qu'il roule sur la surface concave du ménisque qui le regarde, ce ménisque lui-même glisse, par sa face concave opposée, sur la racine de l’apophyse zygoma- tique. Le ménisque interarticulaire accompagne par conséquent le con- dyle articulaire dans tous les moments de son déplacement, et lui présente toujours une surface concave de réception. Le mouvement du ménisque interarticulaire est d’ailleurs associé à celui du condyle par le muscle ptérygoïdien externe, qui non-seulement s’insère sur le col du condyle, mais aussi sur le ménisque lui-même. Ce muscle entraîne donc à la fois en avant et le condyle et le ménisque. LE 50 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. 8 24. Des muscles qui meuvent les mâchoires. — Les muscles abaisseurs de la mâchoire inférieure sont placés à la région sus-hyoïdienne. Ce sont : le ventre antérieur du digastrique, le génio-hyoidien, le mylo-hyoidien. Le ventre antérieur du digastrique s’insère d’une part à l’os hyoïde, de l’autre au maxillaire inférieur dans la fossette digastrique, au-dessous des apo- physes géni. Le génio-hyoïdien s’insère d’une part au bord supérieur de l’os hyoïde, et de l’autre aux tubercules inférieurs des apophyses géni. Le mylo-hyoïdien s’insère d’une part au corps de l'os hyoïde, et de l’autre à la ligne mylo-hyoïdienne du maxillaire inférieur. Dans les mouvements d’abaissement peu prononcés de la mâchoire, l’os hyoïde, sur lequel les muscles abaisseurs de la mâchoire prennent leur point fixe, est simplement fixé par les muscles sous-hyoïdiens. Quand l’abaissement est porté très-loin, l’os hyoïde est attiré en bas d’une ma- nière très-manifeste par le raccourcissement des muscles sous-hyoïdiens, c’est-à-dire du sferno-hyoïdien. du sterno-thyroïdien et de l’omoplato-hyoidien. Le muscle ptérygoidien externe (Voy. fig. 3, p. 52) agit aussi dans les mouvements d’abaissement de ia mâchoire inférieure, ainsi que nous l’a- vons dit, en tirant en avant le condyle articulaire et le cartilage interarti- culaire. Quant aux puissances qui agissent sur la tête pour la faire fléchir légè- rement en arrière sur le cou en même temps que la mâchoire inférieure s’abaisse, il est probable que ce léger mouvement n’est pas produit par les muscles de la région postérieure du cou, tels que le splénius, les com- plexus, les grands et petits droits postérieurs de la tête. Ce mouvement est produit très-vraisemblablement par le ventre postérieur * du muscle digastrique, qui prend en ce moment son point fixe, comme les muscles abaisseurs de la mâchoire inférieure, sur l’os hyoïde. On objectera que le muscle digastrique est un muscle bien faible, en comparaison des mus- cles extenseurs de la tête ; on dira aussi qu'il s’insère à peine à À centi- mètre en arrière de la ligne qui passe par le centre des condyles de l’oc- cipital, ou, en d’autres termes, que le bras de levier par lequel il peut agir sur la tête pour la mouvoir dans l'articulation occipito-atloïdienne est très-court. Mais cette objection perd beaucoup de sa valeur, quand on réfléchit que la tête est sensiblement en équilibre sur la colonne verté- brale, et qu'il suffit d’une force même très-faible pour la fléchir en avant ou en arrière. Le ventre antérieur du muscle digastrique est, par excellence, le muscle abaisseur de la mâchoire inférieure; il est placé le plus favorablement à cet effet, c’est-à-dire le plus loin du centre du mouvement; il agit presque seul dans les mouvements peu prononcés d’abaissement, comme le sont la 1 Le ventre postérieur du muscle digastrique s’insère d’une part à l'os hyoïde, et de l’autre dans la rainure digastrique de l’apophyse mastoïde, CHAP, I, DIGESTION. ÿ1 plupart des mouvements de la mastication. Il est permis de penser que l’autre partie du muscle, c’est-à-dire son ventre postérieur, conspire éga- lement au même but, c’est-à-dire à l'ouverture de la bouche. C’est en effet dans les mouvements modérés de la mastication que le mouvement de la tête en arrière est le plus prononcé. Les muscles élévateurs de la mâchoire sont beaucoup plus puissants que les abaïsseurs. Les abaïisseurs n’ont qu’une faible résistance à vaincre pour entraîner par en bas la mâchoire, qui, abandonnée à son propre poids, a une tendance naturelle à s’écarter de la mâchoire supé- rieure. Les élévateurs, au contraire, doivent non-seulement élever la mâ- choire, mais encore l’appliquer avec force contre la mâchoire supérieure, et vaincre des résistances souvent considérables. Les muscles élévateurs de la mâchoire inférieure sont : le femporal, le masseter, le ptérygoïdien interne. Le temporal (fig. 2, A) s’insère en haut dans toute l’étendue de la fosse temporale, et en bas à l’apo- Fig. 2. physe coronoïde du maxillaire inférieur.— Le masseter (fig. 2, B, C) s’insère en haut au bord inférieur et à la face interne de l’apophyse zygomatique, ainsi qu’au bord inférieur de l’os de la pommette, et en bas à la face externe du maxillaire inférieur, depuis l’angle jusqu’à la partie moyenne de la branche horizon- tale de cet os.— Le ptérygoïdien interne (Voy. fig. 3, p. 52) s’in- à 4 A, muscle temporal. sère en haut dans la fosse pté- B, muscle masseter (portion superficielle). rygoïde, et en bas à la face in- C, portion profonde du masseter. terne du maxillaire inférieur, dans le voisinage de l’angle de cet os. Dans les efforts de la mastication, ces muscles, ainsi qu’il est facile de le voir, agissent la plupart du temps assez loin de la résistance qu'ils doi- vent vaincre. Lorsque des corps résistants sont placés entre les incisives, par exemple, le bras de levier de la résistance est représenté par la distance qui séparerait deux verticales menées l’une par les incisives, l’autre par le point d'appui, c’est-à-dire par l'articulation temporo-maxillaire. Ce bras de levier a une assez grande longueur. Le bras de levier de la puis- sance, Compris entre le point d'application de la force (insertion des mus- * Nous venons de dire que le centre des mouvements de la mâchoire inférieure était reporté autour d’un axe fictif qui traverserait vers leur partie moyenne les portions montantes de l'os maxillaire inférieur. Mais le point d'appui du levier, représenté par los maxillaire inférieur, n'en est pas moins toujours au point où le condyle s’appuie sur la surface résistante de l’os temporal; seulement ce point d'appui est à chaque instant variable, à cause du mouvement en avant des condyles. 52 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. cles élévateurs sur l’os maxillaire inférieur) et le point d'appui, ne mesure que la distance qui séparerait deux verticales abaissées, l’une à 2 centi- mètres environ en avant de l’angle de la mâchoire inférieure, et l’autre par l'articulation temporo-maxillaire. Le bras de la puissance est par con- séquent moins grand que celui de la résistance. C’est là une disposition assez défavorable sous le rapport mécanique. La puissance considérable des muscles élévateurs de la mâchoire inférieure en atténue les effets. Lorsque nous voulons briser entre nos dents des corps solides, nous les introduisons aussi loin que possible entre les dents molaires, afin de di- minuer le bras de la résistance et augmenter ainsi les effets de la force. Les muscles élévateurs de la mâchoire inférieure, le temporal, le mas- seter et le ptérygoïdien interne, sont des muscles épais, qui, eu égard à leur longueur, comprennent un grand nombre de fibres charnues . Leur contraction est assez énergique pour que nous puissions, à l’aide des mâ- choires serrées les unes contre les autres, soulever des corps pesants et briser des substances extrêmement résistantes. Certains hommes présen- tent parfois, sous ce rapport, une puissance extraordinaire. Indépendamment des mouvements d’élévation et des mouvements d’a- baissement, la mâchoire inférieure exécute encore des mouvements laté- raux, des mouvements d’arrière en avant et d'avant en arriere. Les mouvements latéraux de la mâchoire inférieure, chez l’homme, sont assez bornés. Le maxillaire inférieur n’est pas, comme chez quelques animaux herbivores, porté tout d’une pièce à droite et à gauche. L’articu- lation temporo-maxillaire de l’homme ne permet pas au condyle d’un côté de se porter en dedans, tandis que le condyle du côté opposé se porterait en dehors. La forme de la cavité glénoïde s'oppose à ce mode de déplace- ment, Voici comment ce mouvement s'exécute. Lorsque l’arcade dentaire Fig. 3. inférieure se porte d’un côté, le condyle du côté opposé est tiré en avant par la contraction de son muscle ptérygoïdien ex- terne (Voy. fig. 3, B). Le condyle du côté où se porte la mâchoire est à peu près immobile dans sa cavité articulaire. Dans ce mou- vement de latéralité de la mâ- choire , l’os maxillaire inférieur décrit par conséquent un are de cercle autour de l’un des con- dyles, comme centre. Ajoutons que le condyle autour duquel À, muscle ptérygoïdien interne. à 3 B, muscle ptérygoïdien externe. s'opère le mouvement de ré- 1 La force des muscles est subordonnée au nombre des fibres musculaires, chacune d'elles ayant sa force propre, qui est une partie de la force totale. CHAP, I, DIGESTION. d9 volution est très-légèrement porté en dehors. Les muscles ptérygoi- diens externes sont les agents par excellence des mouvements de latéra- lité, et ils agissent alternativement dans les mouvements à droite et à gauche *. Le muscle ptérygoïdien interne, vu la direction oblique de ses fibres (fig. 3, A), agit aussi, mais plus faiblement, dans le mouvement de latéralité, en se contractant du même côté que le ptérygoïdien externe. Dans le mouvement en avant de la mâchoire inférieure, l’arcade den- taire inférieure, placée normalement un peu en arrière de la supérieure, se met de niveau avec elle, ou peut même la dépasser en avant. La con- traction simultanée des deux muscles ptérygoïdiens externes détermine ce mouvement. La contraction simultanée des deux ptérygoïdiens internes y contribue également. La mâchoire, préalablement portée en avant, est replacée dans sa position naturelle, et par conséquent ramenée en arrière par la cessation d’action des puissances musculaires qui l’avaient portée en avant, et aussi par les fibres postérieures des muscles temporaux et par la couche profonde des muscles masseters (Voy. fig. 2, p. 51). Les divers mouvements de la mâchoire, déterminés par le jeu des mus- cles, sont subordonnés, par l'intermédiaire des agents musculaires, à l’in- fluence des nerfs. Les muscles temporaux, les masseters, les ptérygoïdiens internes et externes, le muscle digastrique (le ventre antérieur), le muscle mylo-hyoïdien, sont animés à cet effet par le nerf maxillaire inférieur. Les recherches anatomiques et les vivisections ont prouvé de la manière la moins équivoque que la partie du nerf maxillaire inférieur qui va se ré- pandre dans les muscles correspond à la racine non ganglionnaire, ou ra- cine motrice du nerf de la cinquième paire ou trijumeau ; c’est pour cette raison que la racine non ganglionnaire du nerf de la cinquième paire, ainsi que la portion correspondante du nerf maxillaire inférieur qui se rend aux mucsles, est quelquefois désignée sous le nom de nerf masticateur. Le muscle génio-hyoïdien recoit ses filets nerveux du nerf hypoglosse, qui est aussi un nerf de mouvement. C’est aussi un nerf de mouvement, le nerf de la septième paire ou nerf facial, qui anime le ventre postérieur du muscle digastrique. Enfin, les muscles sous-hyoïdiens reçoivent leurs rameaux nerveux du plexus cervical. & 95. Rôle des joues, des lèvres et de la langue. — Les muscles des Ævres et des joues, qui comprennent une grande partie des muscles de la face, agissent en même temps que les mâchoires dans les divers mouvements de la mastication, et replacent sans cesse sous les arcades dentaires les parcelles alimentaires que la pression des dents fait déborder dans la gout- 1 Le muscle pférygoïdien externe s’insere d’une part sur la face externe de l’aile externe de l’apophyse ptérygoide et sur la partie inférieure de la face latérale du sphénoïde, et d'autre part à la partie antérieure du col du condyle du maxillaire inférieur et au fibro-cartilage in- terarticulaire de l'articulation temporo-maxillaire, 54 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. tière demi-circulaire qu’elles circonscrivent. Les lèvres agissent aussi, nous l'avons vu, dans les divers modes de préhension des aliments solides et liquides. Les lèvres sont pourvues à cet effet d’un muscle orbiculaire destiné à fermer l’ouverture de la bouche, et de muscles insérés comme des rayons sur les divers points de la circonférence de l'ouverture buc- cale, et qui agrandissent cette ouverture. Ces divers muscles, en agissant simultanément, ou tour à tour, peuvent aussi donner à l’ouverture de la bouche les formes les plus variées. La langue, qui sert à l'articulation des sons, à la préhension des ali- ments et aux actes mécaniques de la déglutition, ne reste pas inactive dans les mouvements de la mastication; elle en est en quelque sorte le ré- gulateur. C’est elle qui place l’aliment sous les arcades dentaires, qui va chercher celui-ci dans les diverses parties de la bouche et le ramène à chaque instant sous les mâchoires ; c’est elle qui rassemble les parcelles alimentaires éparses en une petite masse disposée à la déglutition. Elle écrase aussi contre la voûte palatine les substances d’une faible consi- stance, préalablement ramollies par la salive. Les mouvements de la langue sont des plus variés, et en rapport avec les museles nombreux qui entrent dans sa composition. Indépendamment des muscles génio-glosses, hyo-glosses et stylo-glosses, qui ont des points d'insertion fixe aux os et qui forment une grande partie de ses fibres lon- gitudinales et transversales, la langue a encore des fibres propres dirigées longitudinalement, transversalement et obliquement, qui prennent leur point d'insertion fixe soit au derme muqueux, soit au plan fibro-cartila- gineux médian, placé perpendiculairement dans la partie centrale de la langue. À l’aide de ces muscles diversement dirigés, et qui parcourent toute l’étendue de la langue ou seulement des fractions de la langue, celle-ci peut être portée en avant, en arrière, en haut, en bas, sur les cô- tés ; elle peut éprouver, dans les diamètres verticaux, longitudinaux, ho- rizontaux, des changements considérables, soit de totalité, soit partiels. La langue, liée à l’os hyoïde par le muscle hyo-glosse, peut aussi être en- traînée dans sa totalité, et d’une petite quantité, par les mouvements de cet os. Les mouvements des muscles des lèvres et des joues sont sous la dé- pendance du nerf de la septième paire, ou nerf facial, par l'intermédiaire des rameaux sous-orbitaires, buccaux et mentonniers. La membrane muqueuse qui tapisse la face interne des lèvres et des joues reçoit ses filets sensitifs de la cinquième paire de nerfs, ou trijumeaux, par l'inter- médiaire de la branche maxillaire supérieure (lèvre supérieure) et de la branche maxillaire inférieure (joues et lèvre inférieure). La paralysie du mouvement des lèvres et des joues n’entrave pas d’une manière absolue la mastication, mais elle la rend plus difficile. La paralysie du sentiment, ou l'abolition de la sensibilité de ces mêmes parties, entraîne des effets analogues, L’aliment n’étant plus senti par les joues, celles-ci remplissent CHAP, I. DIGESTION. 55 mal leurs fonctions et se présentent parfois sous les dents, quand celles- ci s'appliquent les unes contre les autres. Les mouvements de la langue sont sous l'influence du nerf hypoglosse, lequel épuise ses filets nerveux dans les fibres musculaires de cet organe. La section de ce nerf entraîne la perte des mouvements de la langue. La sensibilité de la langue, en rapport, dans sa portion libre, avec le nerf lin- gual, branche de la cinquième paire, joue aussi son rôle dans la masti- cation. La langue, qui va chercher dans toutes les parties de la bouche les parcelles alimentaires pour les placer sous les surfaces triturantes des dents, doit sentir ces parcelles pour les diriger convenablement et assurer ainsi l’accomplissement régulier de la fonction. Sa sensibilité la préserve également contre la rencontre des arcades dentaires. S 26. Déglutition. — Les aliments, divisés par les dents et humectés par la salive, passent de la bouche dans le pharynx, du pharynx dans l’æso- phage et de l’œsophage dans l'estomac. C’est à la succession des actes musculaires qui ont pour but le transport de l’aliment de la bouche dans l'estomac qu’on donne le nom de déglutition. La déglutition peut s’exercer sur les solides et sur les liquides. Les aliments solides sont d’ailleurs, la plupart du temps, réduits en une pâte demi-liquide, susceptible de se mouler sur le canal à parcourir. Par les mouvements de déglutition, on peut encore faire parvenir de petites quan- tités d’air dans l’œsophage et jusque dans l’estomac. La salive, mélangée aux aliments et avalée avec eux, l’eau et les boissons diverses dont nous faisons usage, et la plupart des aliments, contiennent aussi de petites pro- portions d’air ou d’autres gaz. Les divers mouvements en vertu desquels l’aliment est avalé s’en- chaînent et se süccèdent avec une grande rapidité. Afin de les mieux saisir, il n’est pas inutile d'introduire dans leur étude quelques divisions artificielles. Dans un premier temps, l'aliment parcourt la cavité de la bouche et s’avance jusqu’à ses limites postérieures, c’est-à-dire jusqu’à l’isthme du gosier, borné en bas par la base de la langue, et sur les côtés par les piliers antérieurs du voile du palais. Dans un second temps, l’ali- ment, à sa sortie de la bouche, parcourt le pharynzx, qui s’avance au- devant de lui pour le recevoir. Dans un troisième temps, l’aliment par- court l'œsophage jusqu’à l’estomac. Le premier temps de la déglutition est seul soumis à l'influence de la volonté. Les deux autres temps sont involontaires, et le bol alimentaire chemine sous ce rapport dans le pharynx et dans l’œsophage, comme il chemine dans toutes les parties du tube digestif. L'aliment, une fois par- venu à l’isthme du gosier, est saisi par le pharynx par une sorte de mou- vement convulsif ou spasmodique, et l’aliment traverse cette cavité pres- que instantanément, Il résulte de cette instantanéité que le conduit tou- 56 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. jours béant du pharynx (conduit commun à l'appareil de la digestion et à l’appareil respiratoire) se trouve libre entre chaque effort de déglutition et peut livrer passage à l’air inspiré. Dans l’œsophage, le mouvement de l'aliment, involontaire aussi, est beaucoup plus lent que dans le pharynx. Premier temps. — L’aliment, divisé par les dents et insalivé, est ramené des divers points de la cavité de la bouche, à l’aide de la langue, des lèvres et des joues, sur la face dorsale de la langue. Alors la bouche se ferme, et la langue s'applique successivement de sa pointe vers sa base : sur la voûte palatine, contre laquelle elle presse le bol alimentaire. Pour employer une expression vulgaire, la langue fait gros dos d’avant en ar- rière, et le bol alimentaire se trouve ainsi chassé de proche en proche jusqu’à l’isthme du gosier. Pour que le premier temps de la déglutition s’accomplisse régulière- ment, il faut nécessairement que la langue, qui en est l'organe essentiel, ne soit pas paralysée. Il faut aussi qu’elle existe, car on a vu l’absence congénitale de la langue. Dans ces divers cas, il devient souvent néces- saire de pousser le bol alimentaire avec le doigt jusqu’à l’isthme du go- sier, où les mouvements involontaires du pharynx s’en emparent. Il faut aussi que la voûte palatine, contre laquelle presse la langue, ne présente point de solution de continuité, car alors les aliments passeraient dans les fosses nasales. Lorsqu'il existe une perforation de la voûte palatine, on remédie à ce grave inconvénient par l’application d’un obturateur. Dans le premier temps de la déglutition, l’aliment est donc pressé entre la face dorsale de la langue et la voûte palatine. Mais la voûte palatine n’est osseuse que dans la partie antérieure de la bouche ; elle est mem- braneuse en arrière et constituée par le voile du palais. Or, cette portion membraneuse de la voûte palatine ne peut offrir à la langue, qui s’ap- plique contre elle, une résistance suffisante qu’à la condition d’être tendue par les muscles péristaphylins externes, et en même temps tirée par en bas par la contraction des muscles placés dans l’épaisseur des piliers anté- rieurs du voile du palais, ou glosso-staphylins. Les muscles glosso-staphy- lins se réunissent supérieurement sur le voile du palais, en se fixant sur la membrane fibreuse qui forme la charpente du voile du palais. En bas, ils se perdent sur les côtés de la langue, au milieu des fibres des muscles styloglosses. L’aliment est parvenu à l’isthme du gosier, mais il n’est pas encore dans le pharynx. Il survient alors dans le plancher charnu de la bouche sous-jacent à la langue, principalement constitué par les mylo-hyoidiens, une contraction énergique, qui, agissant à la manière d’une sangle, ap- plique avec plus d'énergie la base de la langue contre la voûte du palais, et détermine le départ du bol alimentaire, ou son entrée dans le pharynx. Ce mouvement, parfaitement décrit par M. Bérard, est des plus mani- festes, et facile à sentir sur soi-même. Il faut ajouter que, quand la con- traction du plancher inférieur de la bouche survient pour faire passer le CHAP, I. DIGESTION, 57 bol alimentaire dans le pharynx, les mouvements de celui-ci ont lieu d’une manière simultanée : il s'élève, et il accommode son canal au pas- sage de l'aliment. Deuxième temps. — L’aliment parcourt le pharynx avec une grande rapidité. Préalablement élevé par les muscles qui s’insèrent autour de lui, le pharynx représente, au moment où il reçoit l’aliment, un canal très-court, dont tous les orifices, autres que celui de l’œsophage par en bas, sont fermés. Aussitôt que l’aliment est parvenu dans ce canal par la contraction de la base de la langue et du plancher inférieur de la bouche, les forces musculaires qui avaient élevé le pharynx cessent d’agir, celui-ci reprend sa position et ses dimensions verticales. Le bol alimentaire, en quelque sorte saisi par la partie inférieure du fharynx, venue au-devant de lui, se trouve ainsi à l’entrée de l’œsophage lorsque le pharynx re- tombe, et le second temps de la déglutition est terminé. Quel est le mécanisme de l'élévation du pharynx pendant le second temps de la déglutition? Comment les orifices du larynx et des fosses na- sales, que le bol alimentaire doit éviter, se trouvent-ils fermés sur son passage ? Examinons ces deux points. Le pharynx n’est pas élevé, dans l’acception rigoureuse du mot; car ce canal, fixé par en haut à l’apophyse basilaire, n’est pas susceptible d’être déplacé dans sa totalité. Quand on dit que le pharynx s'élève, cela veut dire que son extrémité inférieure, mobile, est soulevée, et qu’elle tend à se rapprocher de son extrémité supérieure, immobile. On pourrait dire tout aussi justement qu'il se raccourcit dans le sens de sa. longueur. Le pharynx, intimement lié aux cartilages du larynx et à l’os hyoïde par ses muscles constricteurs inférieurs et constricteurs moyens, se trouve soulevé par l’action des muscles qui entrainent par en haut l’os hyoïde et le larynx. Le mouvement des cartilages du larynx est facile à appré- cier, en plaçant le doigt sur le bord saïllant du cartilage thyroïde (pomme d'Adam). Ce mouvement étant l’indice du soulèvement de l’extrémité in- férieure du pharynx, il est aisé de constater sur soi-même que ce soulève- ment est très-prononcé dans les mouvements de déglutition. Les mouvements du pharynx sont facilités en arrière, sur la partie an- térieure de la colonne cervicale, par un tissu cellulaire filamenteux très- lâche, dépourvu de tissu adipeux. La peau du cou, sous laquelle glissent en avant l'os hyoïde et les cartilages du larynx, est doublée par un tissu cellulaire de même nature. Le pharynx, avons-nous dit, est principalement élevé par les muscles qui élèvent l’os hyoïde et le cartilage thyroïde. Ces muscles sont les d- gastriques (ventre antérieur), les génio-hyoïdiens, les mylo-hyoïdiens ‘, les * Les muscles digastriques (ventre antérieur), les génio-hyoïdiens et les mylo-hyoïdiens, ainsi que nous l’avons vu, sont abaisseurs de la mâchoire inférieure quand ils prennent leur point fixe sur l'os hyoïde. Ils sont élévateurs de l'os hyoïde, au contraire, quand ils prennent leur point fixe sur la mâchoire inférieure. 58 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. stylo-hyoïdiens", les thyro-hyoidiens*?. Les muscles stylo-pharyngiens agis- sent aussi directement sur le pharynx dans ce but, et les muscles intrin- sèques du pharynx (conséricteurs), en prenant leur point d'insertion fixe sur le raphé médian postérieur et en tendant à ramener leurs fibres obliques à la direction horizontale, contribuent aussi au raccourcissement du conduit. L'ouverture du larynx (Voy. fig. 5, g), toujours béante dans le pharynx pour le passage de l’air, se trouve fermée au moment du passage du bol alimentaire. L'agent de cette occlusion est l’épiglotte. Au moment où le pharynx est soulevé pour la déglutition, le larynx, soulevé aussi, est porté en même temps en avant. L’épiglotte rencontre la base de la langue, gon- flée en ce moment, et cetfé lame cartilagineuse se renverse en arrière sur l'ouverture supérieure du larynx par un véritable mouvement de bascule. L'ouverture des voies respiratoires ne se trouve pas seulement garantie par l’épiglotte, il y a en même temps dans l’intérieur même du larynx, comme l'expérience sur les animaux l’a démontré, ocelusion des lèvres de la glotte. Cette occlusion des lèvres de la glotte, coïncidant avec les mouvements de déglutition, est une barrière, la plupart du temps inutile; car ni les aliments, ni les boissons ne pénètrent ordinairement dans les parties supérieures du larynx *. Lorsque par hasard cette introduction anormale a lieu, l’occlusion momentanée des lèvres de la glotte empêche le bol alimentaire de pénétrer plus loin, et il est expulsé par des efforts de toux. M. Magendie, ayant enlevé l’épiglotte à des chiens, a remarqué que le bol alimentaire ne pénètre que rarement par déglutition dans les voies aériennes. Le fait se conçoit aisément, attendu que le larynx, dans les mouvements de la déglutition, s'engage profondément sous la base de la langue, qui, de son côté, se projette en arrière. De cette manière, l’ouver- ture des voies aériennes se trouve alors protégée assez efficacement. Cette protection n’est cependant tout à fait eflicace qu'’autant que l’épiglotte vient la compléter. Chez les chiens privés d’épiglotte, s’il est vrai que les aliments solides ne s'engagent qu’exceptionnellement dans les voies res- piratoires, il n’en est pas de même des boissons, qui y pénètrent alors as- sez facilement. L'ouverture des voies aériennes est donc triplement protégée contre l'introduction des aliments. La base gonflée de la langue (sous laquelle ‘ Le muscle stylo-hyoïdien s'insère d’une part à la partie postérieure de l’apophyse styloïde du temporal, et de l’autre au corps de l’os hyoïde. ? Le muscle {kyro-hyoïdien s’insère d’une part sur la portion externe et sur la grande corne de l'os hyoïde, et d’autre part à la ligne oblique du cartilage thyroïde. 3 Le muscle stylo-pharyngien s'insèere d'une part à la base de l’apophyse styloïde du tem- poral , et de l’autre il s’épanouit sur la paroi musculaire du pharynx, entre les constricteurs moyen et inférieur et la membrane muqueuse du pharynx. * Il est question ici de cette portion du larynx comprise entre les cordes vocales et l’ouver- ture supérieure du larynx, bordée par les replis arythéno-épiglottiques. C’est cette portion du larynx qu’on désigne souvent sous le nom de vestibule sus-glottique. CHAP, I. DIGESTION. 59 vient se cacher l’ouverture supérieure du larynx dans son mouvement en haut et en avant) forme une espèce de plan incliné qui éloigne le bol ali- mentaire du trajet respiratoire. L'épiglotte agit comme obturateur par ex- cellence du larynx. La glotte enfin vient suppléer l’épiglotte, quand celle- ci se soulève dans des actes intempestifs de respiration ou de phonation. Le voile du palais (fig. 5, c) joue à l'ouverture postérieure des fosses nasales (fig. 5, b) le même rôle que l’épiglotte à l’ouverture supérieure du larynx. C’est lui qui oppose un obstacle au retour des aliments par l’ouverture postérieure des cavités nasales. Ce n’est point toutefois par un mécanisme analogue à celui de l’épiglotte qu'il atteint ce but, c’est-à-dire qu'il ne s'applique point directement sur les ouvertures postérieures des fosses nasales ; ses insertions ne lui permettent pas de se renverser ainsi, Il remplit son rôle en se tendant à peu près horizontalement, tandis que la paroi postérieure du pharynx s’avance vers lui et l’embrasse. De cette manière, le pharynx se trouve séparé en deux parties, qui ne communi- quent point entre elles. L’une, sus-jacente au voile du palais, correspond aux fosses nasales (portion nasale du pharynx ou sous-basilaire); l’autre, sous-jacente au voile du palais, ou portion buccale, se termine par en bas à l’æsophage. Cette dernière partie du pharynx est seule parcourue par les aliments. Fig. 4. Fig. 4, représentant la cavité buccale osseuse et l’orifice postérieur des fosses nasales. Fig. 5. a, a, le pharynx ouvert par g, ouverture supérieure du sa partie postérieure. larynx surmontée de l’é- b, ouvertures postérieures piglotte relevée. des fosses nasales. h, portion de l’œsophage €, voile du palais vu par sa correspondant à la paroi face postérieure. postérieure du larynx. d, la luette. 1, l'œsophage ouvert. e, les amygdales. m, la trachée artère, située f, la base de la langue. en avant de l’œsophage. Le rôle que joue le voile du palais comme obturateur des fosses nasales 60 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION. en arrière est mis en évidence par la paralysie du voile du palais. Cette paralysie entraîne le reflux par le nez des aliments et des boissons au mo- ment de la déglutition. Les mouvements du voile du palais, pendant le deuxième temps de la déglutition, peuvent être observés en partie sur soi-même, à l’aide d’une glace. Comme il faut, pour voir au fond de la bouche, déprimer la langue avec son doigt, les conditions de la déglutition sont un peu changées; on peut acquérir ainsi, il est vrai, quelques notions assez satisfaisantes, mais elles ne sont ni complètes ni rigoureusement exactes. Le rapprochement de la paroi postérieure du pharynx ne peut d’ailleurs pas être observé ainsi. Des observations plus rigoureuses, et qui ne laissent rien à désirer, ont été faites sous ce rapport par MM. Bidder et Kobelt. Sur un jeune homme de vingt-deux ans qui avait perdu l’os maxillaire supérieur d’un côté, ainsi que l'os jugal, et dont on pouvait voir le voile du palais par sa face supérieure, M. Bidder a constaté qu’à chaque mouvement de déglu- tition le voile du palais, incliné naturellement par en bas, se rapprochait du plan horizontal. On pouvait voir aussi chez ce jeune homme la paroi postérieure du pharynx s’avancer à la rencontre du voile du palais. M. Ko- belt a bien vu également ce mouvement de la paroi postérieure du pha- rynx chez un soldat qui avait reçu au cou un profond coup de sabre. Dans le mouvement d’occlusion en vertu duquel le voile du palais et le pharynx forment ainsi un plancher musculo-membraneux, pour empé- cher l'aliment de pénétrer dans la partie nasale du pharynx et de là dans les fosses nasales, il faut remarquer encore le rôle que jouent les muscles contenus dans les piliers postérieurs du voile du palais, ou muscles pha- ryngo-staphylins *. Les mouvements de ces muscles, sur lesquels Dzondi a fixé l'attention des physiologistes, sont des plus remarquables. En même temps que le voile du palais se tend, les deux muscles pharyngo-staphy- lins, en se contractant, marchent à la rencontre l’un de l’autre, de manière à diminuer tellement l’espace qui existe entre eux, qu’il disparaît pres- que. C’est ce qu'il est facile de constater dans un miroir. Ces muscles con- tribuent par conséquent puissamment, pour leur part, à séparer la partie nasale du pharynx de sa partie buccale. La paroi postérieure du pharynx, qui s’avance en avant pour concourir à cette occlusion, n’a plus, pour la compléter, qu’à s'appliquer contre l’espace resté libre entre les deux pi- liers postérieurs ?. Le voile du palais exécute les mouvements dont nous venons de parler 1 Les muscles pharyngo-staphylins se fixent par en haut sur la membrane fibreuse qui forme la charpente du voile du palais. Ses fibres se portent en bas sur les côtés du pharynx, sur lequel elles s’'épanouissent, et elles vont enfin se terminer au bord postérieur du cartilage thyroïde. ? Le bol alimentaire passe donc, dans l’acte de la déglutition, dans l’espace compris entre les deux piliers antérieurs (isthme du gosier); mais il ne passe point entre les deux piliers postérieurs. Ceux-ci font partie à la fois du voile du palais et du pharynx, et ils contribuent à la formation du plancher musculo-membraneux sous lequel glisse l’aliment pour descendre dans le pharynx. CHAP, I. DIGESTION. 61 à l’aide des muscles membraneux qui entrent dans sa composition. Son mouvement d’élévation est déterminé par la contraction du péristaphylin interne *; le péristaphylin externe * entraîne par sa contraction la tension du voile du palais, à l’aide de son tendon réfléchi sur le crochet de l’aile interne de l’apophyse ptérygoïde. Quant à la luette, dont le rôle est sans doute de compléter l’occlusion entre la partie nasale et la partie buccale du pharynx, en venant s’interposer dans l’angle de rencontre des deux piliers postérieurs contractés, quant à la luette, dis-je, ses mouvements d’élévation et de raccourcissement sont sous la dépendance du muscle pa- lato-staphylin 5. Les mouvements par lesquels le pharynx rapproche sa partie posté- rieure contre le voile du palais sont déterminés par la contraction des muscles qui diminuent l’aire de ce conduit, c’est-à-dire les constricteurs *. A cet effet, les constricteurs prennent leurs points d'insertion fixe en avant : le supérieur sur les apophyses ptérygoiïdes, le moyen à l’os hyoïde, et l’inférieur au cartilage thyroïde. | Le voile du palais reçoit ses nerfs de sensibilité du maxillaire supérieur, branche de la cinquième paire. Le péristaphylin externe recoit son filet moteur de la branche motrice de la cinquième paire, par l'intermédiaire du maxillaire inférieur. Les autres muscles du voile du palais reçoivent les leurs du glanglion sphéno-palatin et du plexus pharyngien. La membrane muqueuse du pharynx et les museles du pharynx reçoi- vent leurs filets sensitifs et leurs filets moteurs du nerf glosso-pharyngien et du nerf pneumogastrique. Troisième temps.— Le bol alimentaire, arrivé au commencement de l’œ- sophage, chemine dans ce conduit comme il cheminera dans les autres parties du tube digestif, en vertu du mouvement péristaltique. Le mouve- ment du bol alimentaire dans l’æsophage est favorisé par l’épaisseur de la tunique musculeuse de ce conduit. L’œsophage est remarquable aussi par l’épaisseur de l’épithélium (épithélium pavimenteux stratifié), qui re- 1 Le muscle péristaphylin interne s'insère en haut à la face inférieure du rocher, près de la trompe d’Eustache; en bas ses fibres deviennent horizontales et se perdent sur la membrane fibreuse du voile du palais. 2? Le muscle péristaphylin externe s’inseré en haut à la fossette scaphoïde de l’aileron in- terne de l’apophyse ptérygoïde et à la grande aile du sphénoïde ; en bas il se réfléchit sur le crochet de l'aile interne de l’apophyse ptérygoïde. Devenu horizontal, il se perd sur la mem- brane fibreuse du voile du palais. 3 Le muscle palato-staphylin est une petite bandelette musculaire placée sur la ligne moyenne et étendue de l’épine nasale, postérieure à la base de la luette. * Les constricteurs du pharynx sont au nombre de trois. Le constricteur supérieur s'insère à l’aileron interne de l’apophyse ptérygoïde, à l'aponévrose buccinato-pharyngienne, et à la partie la plus reculée de la ligne mylo-hyoïdienne; en arriere, les deux parties du muscle se réunissent sur un raphé médian. Le constricleur moyen s'insèere aux grandes et petites cornes de l'os hyoïde; en arrière, les deux parties du muscle se réunissent sur le raphé médian. Le constricteur inférieur s'insere à la ligne oblique du cartilage thyroïde, à la surface qui est en arrière de cette ligne, et sur les côtés du cartilage cricoïde; en arrière, les deux parties du muscle se réunissent sur le raphé médian. 62 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION. vêt sa membrane muqueuse : ce conduit se trouve ainsi protégé contre la température souvent élevée des boissons, ou contre les aspérités des ali- ments incomplétement divisés par les dents. La pesanteur contribue à précipiter la marche du bol alimentaire dans l’æsophage, mais elle n’agit que très-accessoirement : c’est ce que prouvent et l'exemple des animaux, qui broutent la tête beaucoup plus basse que l'estomac, et celui des bate- leurs, qui mangent et boivent la tête en bas. Les mouvements inspira- toires exercent sur la déglutition œsophagienne une influence accélératrice analogue à celle qu'ils exercent sur la circulation des gros troncs veineux de la poitrine. M. Goubaux adapte un tube à l’œsophage d’un cheval et il injecte par ce tube une grande quantité d’eau, de manière que le tube en reste rempli ; les choses étant en cet état, on observe qu'à chaque mou- vement d'inspiration le liquide s’abaisse dans le tube dans la direction de l'estomac. Les mouvements de l’œsophage sont sous l'influence des nerfs pneu- mogastriques. Lorsque, par la section de ces nerfs, on a paralysé l’œso- phage, celui-ci se distend énormément, à mesure que les aliments pénè- trent, sous l'influence de la déglutition et sous l’effort mécanique des dernières portions avalées. & 97. Rôle de la salive dans la déglutition, — La salive joue un rôle impor- tant dans les phénomènes mécaniques de la déglutition. Lorsque la salive fait défaut dans la bouche, les mouvements de déglutition deviennent pé- nibles, et il y faut suppléer par l'introduction des boissons. L’aliment ne rencontre pas seulement dans l’intérieur de la cavité buccale des glandes salivaires nombreuses, mais tous les points de son parcours contiennent des follicules simples ou composés, qui sécrètent abondamment pour fa- ciliter son glissement. Parmi les follicules composés, les amygdales, si- tuées derrière l’isthme du gosier, sont remarquables par leur volume. M. Bernard a fait, relativement au rôle mécanique de la salive, des ex- périences curieuses. Il pratique une plaie à l’œsophage d’un cheval,”vers sa partie inférieure, et lui donne une ration d’avoine. L'animal mange l’a- voine, malgré l'opération : tous les quarts de minute, les bols alimentaires se succèdent et se présentent à la plaie. Puis il coupe les deux conduits parotidiens et détourne ainsi la salive parotidienne, qui ne s’écoule plus dans la bouche. La déglutition devient alors plus difficile et plus lente : les bols ne se succèdent plus qu’à des intervalles de plus en plus éloignés, et la déglutition finit peu à peu par se suspendre. M. Bernard, qui a examiné séparément la salive fournie par les diverses glandes de la bouche, pense que la salive parotidienne et celle des glan- dules labiales et molaires, en raison de leur fluidité, sont principalement en rapport avec la mastication, c’est-à-dire avec l’imbibition de l’aliment au moment où il est divisé par les mâchoires ; tandis que la salive des CHAP. I. DIGESTION. 63 glandes sous-maxillaires, sub-linguales, et des glandules palatines, en rai- son de sa viscosité, rassemble (englue en quelque sorte) les parcelles de l’aliment sous forme de bol alimentaire, et entoure ce bol d’une couche adhérente et liquide en même temps, qui favorise son passage dans les voies de la déglutition. La salive des glandes sous-maxillaires et sub-lin- guales agit d’ailleurs aussi d’une manière différente de la salive paroti- dienne dans les phénomènes chimiques de la digestion (Voy. $ 38 et 39). S 98. Aecumulation des aliments dans l'estomac. — Les diverses parties du tube digestif, traversées jusqu'ici par l’aliment, n’étaient en quelque sorte que des lieux de passage. L’aliment doit, au contraire, faire un assez long séjour dans l'estomac, pour y subir l’action des sucs digestifs ‘. Le pylore ne donne point passage aux aliments à mesure qu'ils arrivent parle cardia. Les aliments s'accumulent dans l’estomac comme dans un réservoir dont l’orifice de sortie serait fermé. Lorsque le repas est terminé, l’orifice car- diaque lui-même se ferme sur la masse alimentaire comme l’orifice pylo- rique. S'il en eût été autrement, la pression du diaphragme et des mus- cles abdominaux, dans les exercices un peu violents et dans les efforts de toux, de rire, de défécation, etc., eùt fait refluer la masse alimentaire du côté de l’œsophage. L’estomac d’un chien vivant, celui d’un cheval, peu- vent être pressés entre les mains après le repas, sans rien laisser sortir par leurs ouvertures. Lorsque la digestion est laborieuse et que l’aliment, incomplétement attaqué par les sucs digestifs, donne naissance, par sa dé- composition, à un dégagement de gaz, l’orifice cardiaque s’ouvre souvent pour leur donner issue au dehors, Il arrive parfois que, malgré la compres- sion énergique des muscles de l'abdomen, l'estomac comprimé ne peut pas vaincre la résistance que l’orifice cardiaque oppose à la sortie des gaz, et 1l en résulte des douleurs d'estomac assez vives. L'orifice cardiaque s’ouvre aussi dans les mouvements du vomissement. L’estomac se dilate pour recevoir les aliments, car il est notablement revenu sur lui-même pendant l’état de vacuité. On peut constater le fait sur l’animal vivant. Sous l'influence de l’insuflation ou de l'introduction d’un liquide dans l’intérieur de l'estomac vivant, il acquiert des dimen- sions très-supérieures à celles qu’il possédait dans son état de vacuité. L’estomac, en se dilatant, glisse entre les feuillets du grand épiploon et de l’épiploon gastro-hépatique. Il change aussi de forme et de direction ; sa face antérieure tend à devenir supérieure et s’applique contre le dia- phragme, et sa grande courbure s’avance en avant contre les parois ab- dominales. l L'eau, qui n’a pas besoin d’être digérée pour être absorbée, traverse l'estomac sans s’y arrêter, quand elle est prise à jeun. Au bout d’une demi-minute, elle se présente à l'ouverture d’une fistule située au haut de l'intestin grêle d’un homme, et, au bout de six minutes, on la trouve dans le cœcum d’un cheval à jeun. 64 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. L'estomac, rempli d'aliments occupant dans l’abdomen un volume plus considérable que l'estomac vide, distend la cavité abdominale proportion- nellement à la quantité des aliments ingérés. La cavité abdominale dis- tendue réagit en comprimant les organes contenus dans son intérieur et même ceux qui sont placés au-dessus du diaphragme ; de là le sentiment de gêne de la respiration qu’on éprouve après un repas copieux, et aussi le besoin d’uriner ou d’aller à la garde-robe, qui surviennent après ou même pendant le repas, lorsque la vessie ou l'intestin sont remplis de leurs produits d’excrétion. $ 29. Mouvements de l'estomac. — Pendant que les aliments sont contenus dans l’estomac, celui-ci ne reste pas inactif, et il agit par ses mouvements, pour faciliter le travail de la digestion stomacale, en présentant les di- verses portions de la masse alimentaire à l’action du suc gastrique. Lors- qu'on a paralysé l'estomac des animaux par la section des nerfs pneumo- gastriques, la masse alimentaire n’est plus mélangée avec le suc gastrique par les mouvements de l’estomac. La partie de cette masse qui est en contact avec la muqueuse gastrique est encore attaquée, mais ses parties centrales ne le sont que très-incomplétement. Il est des animaux qui ont la tunique musculaire de l’estomac très- épaisse. Cet estomac triture les aliments et remplit l’oflice de la mastica- tion, qui fait à peu près défaut chez eux : tels sont les oiseaux, dont le bec ne fait que saisir la graine, tandis que le gésier la broie, lorsqu'elle estramollie par le suc gastrique. Les mouvements de l’estomac de l’homme sont bien moins énergiques, et ils ne sont pas capables de briser les sub- stances que la mastication n’a pas entamées. On peut constater directement les mouvements de l’estomac. Si l’on met à découvert cet organe sur l’animal vivant, sur le chien ou sur le chat, par exemple, on observe un mouvement vermiculaire qui dure quel- quefois pendant huit ou dix minutes. Lorsque ces mouvements ne se montrent pas spontanément, on peut les exciter à l’aide du galvanisme ou des excitants chimiques et mécaniques. Il est beaucoup plus facile de constater les mouvements de l’estomac lorsqu'il est rempli par les ali- ments que lorsqu'il est vide. Dans le premier cas, la contraction musculaire trouve en quelque sorte un point d'appui sur la masse alimentaire; dans le second cas, au contraire, les fibres musculaires de l’estomac, revenues sur elles-mêmes, ne se contractent plus que d’une manière peu sensible. Les mouvements de l’estomac ont été mis en évidence, d’une manière indirecte, par un procédé assez ingénieux. M. Reclam fait jeûner des chiens; puis, quand ils sont affamés, il leur donne un lait riche en ca- séum. Le lait se coagule dans l’estomac. Il ouvre alors le chien, retire la masse coagulée, et il constate les sillons imprimés à sa surface par les contractions de l’estomac. Pour compléter sa démonstration et pour mon- CHAP. I. DIGESTION. 65 trer le rôle que jouent les mouvements de l’estomac dans les phénomènes de la digestion, M. Reclam a fait une série de digestions artificielles dans des étuves à 37 degrés centigrades. Or, il résulte de ces expériences que la dissolution des matières placées dans le suc gastrique a été plus rapide dans les flacons qui ont été soumis en même temps à une agitation per- manente. Les mouvements de l’estomac de l’homme ont été observés directement sur des individus atteints de fistules gastriques. Des tiges de baleine, des thermomètres, introduits par la fistule dans l’intérieur de l’estomac, ont été serrés, comprimés et entraînés dans des sens divers. Ces mouvements sont surtout remarquables dans la région pylorique de l’estomac. Dans ces derniers temps, nous avons souvent pratiqué des fistules gastriques aux chiens, suivant la méthode de M. Blondlot, et nous avons pu con- stater la douce pression que les parois de l’estomac exercent sur le doigt introduit par cette voie dans la cavité stomacale. Il y a dans l’estomac de l’homme des fibres musculaires longitudinales dirigées dans le sens du grand axe de l'estomac; ces fibres agissent en rapprochant les deux orifices. Il y a aussi des fibres circulaires, et, sur le grand cul-de-sac, des fibres en anses ou circulaires incomplètes; ces fibres, perpendiculaires au grand axe de l’estomac, agissent en compri- mant la masse alimentaire suivant l’axe de cet organe. Les fibres circu- laires paraissent agir avec une certaine énergie vers la partie moyenne de l’estomac, et semblent en quelque sorte partager celui-ci en deux par- ties. On a quelquefois observé les vestiges de cette contraction sur des individus qui avaient succombé à une mort violente, au milieu du travail de la digestion. Les mouvements de l’estomac n’ont pas jeu d'ensemble, c’est-à-dire sur tous les points en même temps ; mais, comme dans l'intestin, ils s’ef- fectuent de place en place par de véritables mouvements péristaltiques; la masse alimentaire se trouve de cette manière promenée successive- ment dans toutes les parties de l’estomac. M. Schultz a étudié le rhythme de ces mouvements sur les chevaux, les lapins, les chiens et les chats. Chez les herbivores, les aliments sont sou- mis dans l’estomac à un mouvement de révolution; chez les carnivores, i n’y a qu’un mouvement de va-et-vient de gauche à droite et de droite à gauche. M. Beaumont a étudié le phénomène chez un homme atteint de fistule gastrique : la masse alimentaire était mue à peu près comme chez les herbivores. La partie de cette masse qui touche la grande cour- bure se porte à droite vers le pylore, tandis que la partie de la masse qui avoisine la petite courbure se porte à gauche vers le cardia. Il y a donc un mouvement péristaltique continu du côté de la grande courbure, et un mouvement antipéristaltique du côté de la petite. Les aliments subissent ainsi dans l’estomac une révolution complète en l’espace de 1 à3 minutes’. 1 On trouve dans les voies digestives de quelques animaux dés pelotes de poils, ou égagro- 5 66 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION. Les contractions de l’estomac sont sous l'influence des nerfs pneumo- gastriques. La section de ces nerfs paralyse l’estomac; et, après la sec- tion, l'excitation du bout du nerf pneumogastrique qui se rend à l'estomac provoque encore les contractions de cet organe. Sur des lapins auxquels on vient de couper les nerfs pneumogastri- ques, l’irritation locale de l’estomac est encore suivie de mouvements ver- miculaires lents : doit-on en conclure, avec quelques physiologistes, que les mouvements de l’estomac sont sous l'influence des nerfs grands sym- pathiques, qui envoient dans l’estomac quelques-uns de leurs filets? Mais de ce que l’estomac se contracte encore sous l'influence d’irritants locaux, lorsque les nerfs pneumogastriques sont coupés, cela ne prouve point que ces nerfs ne sont pas les agents nerveux du mouvement; car, ainsi que nous le verrons plus tard, les parties contractiles séparées du système nerveux par la section de leurs nerfs conservent encore pendant des se- maines la possibilité de se contracter sous l'influence d'’irritants locaux. Si le grand sympathique était le nerf moteur de l’estomac, l’irritation mé- canique, chimique ou galvanique de ce nerf devrait être suivie de la con- traction de l’estomac. Or, dans un tableau publié par M. Valentin, nous voyons que l’irritation du nerf grand sympathique, pratiquée sur des che- vaux, des moutons, des chats et des lapins, a amené des contractions dans des organes divers, tandis que l’estomac figure partout avec un point d'interrogation. ï $ 30. Vomissement. — L’estomac, nous venons de le voir, éprouve pendant la digestion des mouvements lents et continus. Il ne peut agir, et il n’agit en effet que d’une manière accessoire dans les contractions violentes et spasmodiques, en vertu desquelles le contenu de l’estomac est rejeté au dehors dans l’acte du vomissement. Les agents principaux de cet acte sont les muscles abdominaux et le diaphragme. Dans les phénomènes réguliers de l'inspiration, lorsque le diaphragme s’abaisse du côté de l’abdomen, les muscles des parois abdominales cè- dent sous la pression des organes pressés en bas et en avant; ils ne se contractent que dans le temps de l'expiration, et en même temps que le diaphragme reprend sa voussure. Mais lorsque, sous l'influence d’une cause perturbatrice dont le système nerveux est le point de départ, la contraction du diaphragme et celle des muscles abdominaux sont simul- tanées, les organes contenus dans l’abdomen se trouvent subitement comprimés en deux sens opposés. L’estomac, rempli d'aliments, a dès lors de la tendance à expulser par ses orifices les matières qu'il contient. L'orifice pylorique reste fermé et ne leur permet pas de s'engager de ce piles, qui mettent aussi en évidence les mouvements de révolution de l'estomac. Ces poils, introduits dans le tube digestif par déglutition chez les animaux qui se lêchent, sont roulés et pelotonnés par les mouvements de l'estomac et agglutinés entre eux par les liquides visqueux du tube digestif. LA CHAP, I, DIGESTION. 67 côté. L'orifice cardiaque, au contraire, s’ouvre en ce moment, et les ma- tières alimentaires s’échappent par son ouverture. Le mécanisme de l’ouverture de l’œsophage au moment du vomisse- ment a été mis hors de doute par les expériences de P.-A. Béclard, mon père, et par celles de Legallois. L'ouverture de l’orifice cardiaque est déterminée par une contraction spasmodique des fibres longitudinales de l’œsophage, concordant avec celle des muscles abdominaux et du dia- phragme. La contraction des fibres longitudinales de l’œsophage agit en sens opposé des fibres circulaires, diminue la longueur de ce conduit et tend à vaincre en même temps la constriction de l’orifice cardiaque. P.-A. Béclard et Legallois, ayant en effet pratiqué sur des chiens la sec- tion de l’æsophage près de l'estomac, et excité les spasmes du vomisse- ment par des moyens appropriés, ont vu qu'à chaque effort de vomisse- ment l’œsophage se raccourcissait et remontait vers le pharynx. L’action simultanée des muscles abdominaux et du diaphragme est, disons-nous, la cause principale de l’expulsion des matières contenues dans l’estomac. Une expérience bien connue de M. Magendie le démontre clairement. Cet expérimentateur enlève l’estomac d’un chien et le rem- place par une vessie de cochon remplie d’eau, dont l’orifice communique librement avec le bout inférieur de l’œsophage ; il referme les parois abdominales par une suture, et détermine les efforts du vomissement en injectant de l’émétique dans les veines. Or, cet estomac artificiel se vide presque complétement sous l'influence du vomissement. Des expériences nombreuses ont été faites dans le but d’apprécier la part proportionnelle suivant laquelle la contraction du diaphragme, ou celle des muscles abdominaux, concourt au résultat final. On a paralysé le diaphragme par la section des nerfs phréniques. Les muscles abdominaux agissaient alors seuls dans les efforts du vomissement. Le vomissement fut moins énergique : ce qui se comprend aisément. On sait d’ailleurs que chez les animaux qui manquent de diaphragme, les oiseaux, par exemple, la contraction des muscles abdominaux sufit pour produire le vomissement. On a cherché aussi à isoler l’action du diaphragme, et à cet effet on a coupé les muscles abdominaux (mais on a conservé alors les bandes aponévrotiques de la partie antérieure de l’abdomen, ou bien on a maintenu l’estomac sous les côtes, afin que l’estomac, pressé par le diaphragme, trouvât un point d'appui) ; le vomissement provoqué a eu lieu encore, mais plus faiblement. Ainsi donc, la contraction des muscles abdominaux en première ligne, et la contraction du diaphragme en se- conde ligne sont les principaux agents mécaniques du vomissement. Lors- qu’on suspend à la fois l’action du diaphragme par la section des nerfs phréniques et l’action des muscles abdominaux par l’ouverture de l’ab- domen, le vomissement n’est plus possible. Il ne résulte pas de là cependant que l’estomac soit inactif dans levomis- sement. Imdépendamment de ce que l’orifice cardiaque doit être disposé. de 68 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION. manière à rendre eflicace la pression contractile des parois abdominales et du diaphragme, le corps de l’estomac concourt aussi à l’accomplissement de cet acte. Les contractions lentes de l’estomac appliquent les parois de cet organe sur les matières contenues dans son-intérieur, de manière que ces matières ne fuient pas d’un point à un autre de sa cavité quand les forces musculaires abdominales agissent. Les contractions de l’estomac ont pour résultat, dans le vomissement, de rendre l'évacuation plus complète. Dans les mouvements du vomissement, les matières expulsées sont évacuées par la bouche. Le voile du palais, horizontalement tendu et appliqué contre la paroi postérieure du pharynx, comme dans le deuxième temps de la déglutition, s'oppose au passage des matières dans les fosses nasales. Dans les efforts très-brusques des muscles abdominaux et du diaphragme, cette barrière est parfois forcée, et les matières, violem- ment expulsées, sortent aussi par les fosses nasales. Les mouvements du vomissement entraînent souvent la contraction d’un bien plus grand nombre de muscles. L’évacuation des matières contenues dans l'estomac est déterminée, il est vrai, par les muscles ab- dominaux, le diaphragme, l’estomac, les fibres longitudinales de l’æso- phage ; mais l’acte du vomissement se complique la plupart du temps du phénomène de l'effort, dans lequel des puissances musculaires nombreuses et aussi les organes de la respiration se trouvent mis en jeu (Voy. $ 240). Le vomissement, qui associe d’une manière simultanée la contraction de tant de muscles, a sa source ou sa cause ailleurs que dans l’estomac. En effet, l'introduction de l’émétique dans l’intérieur du système cireu- latoire détermine le vomissement; et, lorsqu'il est introduit directement dans l'estomac, il n’agit que lorsque l'absorption l’a fait pénétrer dans le sang, et qu'il se trouve ainsi en relation avec le système nerveux. La fumée de tabac, le balancement de l’escarpolette, le mouvement du na- vire ou de la voiture, le passage d’un calcul par les voies biliaires ou urinaires, déterminent également le vomissement. C’est par leur action sur le système nerveux (moelle allongée) que ces diverses causes en- traînent les contractions spasmodiques du vomissement. L’estomac et l’œsophage ne jouant, dans les phénomènes du vomisse- ment, qu'un rôle accessoire, on concevra aisément que la section des nerfs pneumogastriques, qui leur communiquent le mouvement, n’en- traîne point la suppression du vomissement. La contraction du dia- phragme et des muscles abdominaux suffit, dans ce cas, pour le déter- miner. L'ouverture du cardia est, d’ailleurs, facilement franchie par les matières expulsées, cette ouverture étant alors paralysée ainsi que l’œ- sophage. $ 31. Régurgitation. — La régurgitation, par laquelle sont ramenées au de- hors les matières liquides ou solides de l’estomac, a beaucoup d’analogie avec la rumination chez les animaux : c’est un vomissement presque sans CHAP, I. DIGESTION. 69- efforts. Quand l’estomac est surchargé d’aliments et surtout de boissons, ce phénomène est fréquent. La volonté, chez certaines personnes, a beau- coup d'influence sur la régurgitation : il leur suffit de faire une forte in- spiration, de retenir l’air dans la poitrine et de contracter les muscles ab- dominaux, pour faire revenir dans la bouche une partie du contenu de l’estomac. Un physiologiste, M. Gosse, a utilisé ce moyen pour faire des recherches sur les phénomènes chimiques de la digestion. C’est en- core par régurgitation, plutôt que par vomissement proprement dit, que les matières ingérées sont rejetées par la bouche, lorsque le tube intestinal ne peut leur donner passage par en bas (volvulus, hernie étranglée, ete.). $ 32. Éructation. — Lorsque des gaz se sont développés dans l’estomac, ils y excitent une sensation pénible. La contraction de l’estomac suffit quel- quefois pour les expulser ; mais, en général, cette contraction doit être aidée par celle des muscles abdominaux et du diaphragme. Par leur pe- santeur spécifique, ils tendent à gagner les parties les plus élevées de l'organe ; aussi leur expulsion est plus facile dans la station verticale ou assise que dans le décubitus horizontal. Lorsque, pendant la nuit, des gaz se sont développés dans l’estomac, il suffit souvent de se mettre sur son séant pour faciliter leur expulsion, et éprouver ainsi un grand soulage- ment. Les gaz de l’estomac déterminent la plupart du temps, au moment de leur expulsion, un bruit rauque occasionné par la vibration de l’ex- trémité supérieure de l’œsophage, contracté au point où il se termine dans le canal béant du pharynx. L’œsophage résonne alors à la manière d’une anche membraneuse. Les gaz entraïinent souvent avec eux des va- peurs légèrement acides et d’une odeur désagréable, dues au travail de la digestion. S 33. Mouvements de l'intestin grêle. — Lorsque les phénomènes de la di- gestion stomacale sont terminés, l’ouverture pylorique de l’estomac s’ou- vre pour laisser passer la masse alimentaire. Celle-ci s’introduit, par portions fractionnées, dans le duodénum. La masse alimentaire parcourt le duodénum, où elle se mélange avec la bile et le suc pancréatique; elle passe ensuite dans le jéjunum, puis dans l’iléum, et arrive enfin à la valvule de Bauhin, qui sépare l'intestin grêle du gros intestin. Le mouvement de progression de la bouillie alimentaire est déterminé par les contractions péristaltiques de l'intestin. Ces contractions sont opérées par les deux couches de fibres musculaires de l'intestin, les fi- bres longitudinales et les fibres circulaires. La portion d’intestin dans la- quelle va s’engager la masse alimentaire vient en quelque sorte au-de- vant d'elle par la contraction des fibres longitudinales, et la portion d’intestin qui est derrière le bol alimentaire chasse celui-ci en avant par la contraction de ses fibres circulaires, et ainsi de suite. Lorsque l’intes- 70 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. tin renferme en même temps des gaz, le mouvement de progression est accompagné d’un bruit de gargouillement bien connu. Les mouvements de l'intestin sont facilement aperçus sur les animaux récemment tués, et aussi sur l’homme qui vient d’être décapité. Dans ces conditions, il suffit d'ouvrir l'abdomen pour voir l'intestin se mouvoir, sous l'influence seule de l’air atmosphérique, d’un mouvement vermicu- laire assez vif. Ce mouvement vermiculaire se propage aux diverses par- ties de l'intestin avec une certaine rapidité. Les mouvements que le contact de l’air détermine sur l'intestin de l’a- nimal qui vient d’être mis à mort, et qui s’étendent en peu d’instants à toute la masse intestinale, ne s’opèrent pas de la même manière sur l’a- nimal vivant. Leur rapidité s’accommoderait mal avec la lenteur du tra- vail digestif et de l'absorption. Lorsqu'on observe l'intestin de l’animal vi- vant, ce mouvement désordonné et universel n’a pas lieu. La contraction spontanée s'opère par places et dans des limites peu étendues, là surtout où l'intestin est rempli par les aliments. Lorsque les intestins de l’homme sont mis à découvert dans des opérations chirurgicales, on n’aperçoit aussi que des contractions locales. On constate le même phénomène lorsqu'on excite directement l'intestin de l’animal vivant, à l’aide des ex- citants mécaniques et galvaniques. La contraction est locale, lente à se produire et lente à disparaitre. Les mouvements de l’intestin grêle, comme ceux du pharynx, de l’œ- sophage et de l'estomac, sont des mouvements involontaires. L’aliment agit sur la muqueuse intestinale de l'animal vivant, à la manière d’un excitant mécanique. L’impression produite sur la membrane muqueuse par l’aliment n’étant pas perçue, et le mouvement qui correspond à l’im- pression et qui lui succède n’étant pas soumis à l'influence de la volonté, cet ordre de phénomènes nerveux appartient à ce qu’on appelle l’action refleze (Voy. S 344). Les mouvements de l’intestin sont placés sous l'influence du nerf grand sympathique. L’excitation mécanique, chimique et galvanique des gan- glions semi-lunaires, du plexus solaire, et des nerfs splanchniques (par- ties du grand sympathique), détermine dans l'intestin grêle les contrac- tions lentes qui lui appartiennent, Quant au nerf grand sympathique lui-même, il tire son influence de ses connexions avec l’axe cérébro-spi- nal, et quand on détruit ces connexions, on détruit aussi son influence. De là la paresse des intestins, et souvent leur paralysie dans les mala- dies de la moelle, et aussi dans les maladies de l’encéphale. S 34. Mouvements du gros intestin, — Les matières alimentaires qui n’ont point été absorbées dans l'intestin grêle passent de la dernière portion de cet intestin, ou iléum, dans la première partie du gros intestin, ou cœcum; du cœcum elles remontent à droite dans le côlon ascendant, CHAP. I, DIGESTION. 71 s'engagent dans le côlon transverse, descendent à gauche par le côlon descendant, traversent l'S iliaque, puis le rectum, et sont enfin rejetées au dehors. j En passant de l'intestin grêle dans le cœcum, les matières franchissent la valvule de Bauhin. Cette valvule bivalve est placée de champ, à l’ex- trémité de l'intestin grêle. Les substances, poussées par la contraction des fibres circulaires de l'intestin grêle, pressent sur cette valvule, dans la direction même de l’axe du canal, et passent facilement dans le cæcum. L'iléum s’ouvre latéralement dans le cœcum : le cæœcum n’est donc pas placé bout à bout avee l'intestin grêle, mais à angle droit avec lui. Ilen résulte que les contractions du cœcum font effort dans une autre direc- tion que l'intestin grêle : ces contractions font progresser les matières dans la direction du côlon ; elles n’ont aucune tendance à les faire rétro- grader vers l'intestin grêle. Les deux lèvres de la valvule de Bauhin (lèvre supérieure, lèvre inférieure) ne sont pas de simples replis mu- queux, elles contiennent un plan musculaire dans leur intérieur. Leur contraction s'oppose aussi au retour vers l'intestin grêle des matières engagées dans le gros intestin. Une autre disposition contribue encore à rendre ee retour plus difficile. Les deux valves se recouvrent un peu l’une l’autre, lorsque l'ouverture valvulaire se ferme. C’est en vertu de cette disposition que, sur le cadavre, où la contractilité du plan charnu de la valvule est anéantie, on peut néanmoins remplir d’eau le’cæcum, sans que le liquide pénètre dans l'intestin grêle. On peut même, après l'avoir détaché du corps, l’insuffler et le dessécher ainsi : les deux valves s'appliquant l’une contre l'autre, sous la pression de l’air msufflé, fer- ment le cœcum en ce point, et s’opposent à la sortie de Pair. Après avoir franchi les côlons ascendant, transverse et descendant, les matières arrivent à l’S iliaque du côlon, dont la forme singulière paraît être en rapport avec le ralentissement des matières fécales. Les matières parvenant sans cesse à l'extrémité du tube digestif, et n'étant expulsées qu’à des intervalles plus ou moins éloignées, il s’ensuit qu'elles s’accumulent et séjournent un temps plus ou moins prolongé dans les parties inférieures de l'intestin, C’est dans la portion du rectum sus-jacente au releveur de l’anus que cette accumulation a lieu. Il y a, en général, en ce point, une dilatation du rectum. Cette dilatation peut être poussée au point de déterminer des accidents de compression sur les organes contenus dans le bassin. Les matières accumulées dans la partie supérieure du rectum se massent de proche en proche jusqu’à PS iliaque du côlon. Chaque fois que l’on va à la selle, iln’y a guère (à moins qu'il y ait diarrhée) que les matières sous-jacentes à VS iliaque qui soient expulsées. Aussi a-t-on dit avec assez de vraisemblance que PS iliaque est le régulateur de la défécation. Lorsqu'on ouvre un animal vivant, on aperçoit manifestement les mouvements du gros intestin, On peut, d’ailleurs, les provoquer comme 72 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, ceux de l'intestin grêle, au moyen de l’excitation directe. Ces mouvements sont moins énergiques que ceux de l'intestin grêle, mais ils ont les mêmes caractères : ils sont lents et se manifestent par place ; c’est sur le côlon ascendant qu'ils sont le plus marqués. Les mouvements du gros intestin sont soumis à l'influence du nerf grand sympathique. Les premières portions sont animées par le plexus solaire, les dernières portions recoivent leurs nerfs du plexus mésentérique inté- rieur. La partie inférieure du rectum est soumise à l'influence d’un plexus nerveux mixte, le plexus hypogastrique, lequel renferme à la fois des filets du grand sympathique et des filets cérébraux-spinaux. Dans l’état normal, les impressions ne sont pas perçues par le gros intestin, et ses mouve- ments sont involontaires dans toutes les parties qui ne recoivent que les fi- lets du grand sympathique. La partie inférieure du rectum, au contraire, jouit d’une certaine sensibilité en rapport avec le besoin de la défécation. La contraction du sphincter est soumise à la volonté. $ 33. Défécation.— La défécation est l’acte par lequel le résidu de la diges- tion est expulsé au dehors. Cet acte se reproduit à des intervalles variables, souvent réguliers ; ordinairement une fois par jour, quelquefois toutes les douze heures, ou seulement tous les deux, trois, quatre ou cinq jours. Cet acte est précédé d’une sensation particulière, dite sensation du be- soin d’aller à la garde-robe, caractérisée par un sentiment de pesanteur dans la région anale. Cette sensation a son point de départ dans la sensi- bilité obscure de la membrane muqueuse qui tapisse la partie inférieure du rectum. Il n’est pas rare, en effet, que des excitations portées sur l’ex- trémité inférieure du rectum déterminent ce besoin, quoiqu’en réalité il n’y ait point de matières fécales dans l'intestin. Il suffit d'introduire le doigt dans l’anus ou d’y faire pénétrer des corps étrangers, pour exciter ce be- soin. Dans la dyssenterie, dans le flux diarrhéique du choléra, il suffit du contact de quelques parcelles solides ou même d’une petite quantité de li- quide, pour que la sensibilité exagérée du rectum détermine des efforts de défécation. La rétention des matières fécales, dans l'intervalle des garde-robes, est déterminée par deux muscles placés à l'extrémité inférieure du tube in- testinal. Ce sont les sphincters interne et externe. On désigne sous le nom de sphincter interne la portion des fibres circu- laires de la tunique musculaire intestinale renforcée au-dessus du sphinc- ter externe. Le sphincter interne n’appartient pas, par sa constitution (c’est un muscle à fibres lisses), à la classe des muscles volontaires ; mais il joue néanmoins un rôle dans la rétention des matières fécales : la partie renflée du rectum, dans lequel celles-ci s'accumulent, est sus-jacente à ce muscle. Le sphincter externe est un anneau musculaire très-épais qui en- toure l'anus et qui monte le long du rectum dans une étendue de 2 cen- CHAP, I. DIGESTION. 75 timètres environ. Ce muscle, qui peut se contracter sous l'influence de la volonté, n’est jamais dans un état de relâchement complet. Il est, même pendant le sommeil, dans un état de tension permanente et modérée, que partagent d’ailleurs tous les muscles. Cette tension, à laquelle on a quel- quefois donné le nom de force tonique, résulte de la liaison des muscles avec le système nerveux. Elle se manifeste, dans les muscles orbiculaires livrés à eux-mêmes, par l’occlusion des orifices qu'ils circonscrivent. Si cet état de tension permanente est moins évident dans les muscles qui ont des points d'insertion fixes aux os, il est facile de le mettre en évidence en coupant les fibres musculaires en travers : celles-ci se rétractent alors à l'instant de chaque côté de la section, et mettent cette propriété hors de doute. La paralysie des sphincters, qui anéantit la force dont nous par- lons, amène l’incontinence des matières fécales. C’est ce qui arrive sou- vent dans les maladies de la moelle. Les puissances musculaires qui déterminent la défécation auront donc d’abord à vaincre la résistance des sphincters. Cette résistance, au reste, n’est pas grande, et de faibles efforts de contraction peuvent la surmonter. Mais la consistance des matières, et le volume considérable qu’acquiert parfois la masse fécale dans l’ampoule rectale, nécessitent la plupart du temps des contractions musculaires plus énergiques. Les muscles abdominaux et le diaphragme agissent, dans la défécation, de la même manière que dans l’acte du vomissement. Ces muscles com- priment de proche en proche les organes abdominaux et tendent à ex- pulser au dehors, par les ouvertures naturelles, les matières qu'ils contien- nent. Lorsque l’estomac est rempli d'aliments, la contraction de l’orifice cardiaque lutte en ce moment contre la sortie des aliments par la bouche. La vessie, pressée aussi dans les efforts de la défécation, trouve généra- lement dans son sphincter une barrière suflisante ; parfois cependant cette barrière est franchie, et l’urine est expulsée en même temps. Les vési- cules séminales comprimées laissent souvent aussi s’écouler au dehors, par l’urètre, le liquide qui les remplit. Il y a toutefois, dans le rôle que jouent les muscles abdominaux et le diaphragme dans la défécation, une certaine différence avec celui qu'ils remplissent dans le vomissement. Dans la défécation, leur contraction est lente, volontaire, graduée; dans le vomissement elle n’est que passagère, elle à lieu par secousses Ürusques et ordinairement involontaires. Le releveur de l'anus ! se contracte énergiquement dans l’acte de la dé- fécation. Ce muscle, complété par l’ischio-coccygien, ferme par en bas la cavité de l'abdomen, comme le diaphragme la ferme par en haut. A l’é- tat de relâchement, le releveur de l’anus présente une voussure dont la 1 Le muscle releveur de l'anus s’insère à la partie postérieure de la symphyse pubienne, et au détroit supérieur du bassin par l'intermédiaire de l’aponévrose pelvienne. Complété par le muscle ischio-coccygien (qui s'insère à l’épine sciatique et sur les côtés du coceyx), il forme une cloison musculaire traversée par l’urètre et le rectum, et aussi par le vagin chez la femme, 74 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. concavité regarde par en haut et la convexité par en bas. Dans les mou- vements de la défécation, il agit en se contractant, c’est-à-dire en se rap- prochant de la direction horizontale et en effaçant sa concavité. Il s’é- lève du côté du diaphragme en même temps que celui-ci s’abaisse vers lui, et que les parois abdominales antérieures rentrent du côté de la co- lonne vertébrale. L’abdomen représente dans son ensemble une poche contractile qui presse sur les organes contenus dans son intérieur, à la fois par en haut, par en bas, et en avant. Le musele releveur de l’anus vient, par conséquent, puissamment en aide aux muscles abdominaux et au diaphragme. Le muscle releveur de l’anus a encore une autre action ; il élève le rec- tum en haut, et le fait en quelque sorte glisser de bas en haut sur la masse fécale, qui se trouve mise ainsi à découvert. Les contractions abdominales chassent en même temps cette masse au dehors, et une contraction du sphincter externe divise ce qui a passé. Le rectum présente, dans toute son étendue, une couche musculaire, relativement épaisse quand on la compare à celle des autres parties de l'intestin. Cette couche musculaire agit, dans l’acte de la défécation, avec une certaine énergie, et par ses fibres circulaires et par ses fibres longi- tudinales. Ces dernières contribuent, conjointement avec le releveur de l'anus, à raccoureir le rectum (ou plutôt à élever par en haut son extré- mité inférieure mobile avec les parties molles) le long de la masse fécale, et à transmettre ainsi celle-ci au dehors. Il est facile de constater les mouvements propres du rectum sur l’animal récemment tué. Ilsuffit, pour cela, d’exciter directement cet organe, ou d'appliquer l’excitant aux nerfs qui s’y distribuent. Les contractions du rectum sont capables, à elles seules, d’expulser les matières qu’il contient, en dehors même de l'influence des contractions abdominales. Tous ceux qui ont pratiqué des vivisections ont remarqué que le rectum peut se vider spontanément des matières fécales qu'il contient, alors même que l’abdomen de l’animal vivant est ouvert. L'énergie avec laquelle agissent les diverses puissances musculaires qui concourent à l’acte de la défécation est proportionnée aux résistances à vaincre, et ces résistances, nous l’avons dit déjà, sont relatives surtout au volume et à la consistance des matières fécales. Lorsque celles-ci sont peu résistantes, les contractions du rectum et celles du releveur de l’anus sufiisent presque à elles seules ; les muscles de l'abdomen etle diaphragme n’agissent que faiblement. Dans le cas contraire, ces muscles se contrac- tent violemment, et les phénomènes de l'effort surviennent (Voy. $ 240). Lorsque le besoin d'aller à la garde-robe est impérieux, etqu'ilne peut pas être satisfait, les sphincters ont à lutter contre la contraction des fibres musculaires supérieures du rectum, contre celle des releveurs et des au- tres muscles de la cavité abdominale, contractions qui, à la longue, finis- sent par se manifester alors d’une manière involontaire. Dans ces condi- tions, nous contractons d’une manière exagérée les sphincters externes, CHAP, I, DIGESTION. 75 nous refoulons ainsi par en haut la masse fécale, et nous sommes affran- chis pour un instant de ce besoïn ; mais il reparaît bientôt avec une nou- velle énergie, et il arrive un moment où le pouvoir rétentif du sphincter est vaincu. Le moindre effort ou un accès de toux sont souvent accompa- gnés, dans ces circonstances, de la sortie involontaire des matières. Des vents accompagnent souvent la défécation. Le mécanisme de leur expulsion est exactement le même que celui des matières solides et li- quides. Lorsqu'ils sortent seuls, la contraction musculaire qui détermine leur sortie est tantôt modérée, tantôt assez intense. Dans ce dernier cas, ils produisent le plus souvent un bruit analogue à celui de l’éructation. Ce bruit est déterminé par les vibrations de l’ouverture anale, qui représente en ce moment une anche membraneuse (Voy. S 255). Il n’est pas rare que l'intestin distendu par des vents les laisse échapper malgré la volonté. Cet effet a lieu le plus souvent chez les individus dont le resserrement du sphincter est gêné par des bourrelets hémorrhoïdaux. S 36. Rôle mécanique des gaz intestinaux.— Les intestins, ainsi qu'il est aisé de s’en assurer en ouvrant l'abdomen d’un animal vivant, n’ont pas leurs parois appliquées les unes contre les autres. Ils offrent une cavité inté- rieure, et cette cavité, dans les points où elle n’est pas remplie par les aliments, est maintenue par des gaz. Ce sont ces gaz qui s’échappent par- fois par les extrémités supérieures ou inférieures du tube digestif. Les gaz intestinaux, dont le développement est lié aux phénomènes chimiques de la digestion, existent dans toute l'étendue de l'intestin grêle et du gros in- testin : ils y jouent évidemment un rôle mécanique. Le paquet intestinal qui les contient ressemble à une sorte de coussin d'air, qui contribue, in- dépendamment des mésentères ou des replis péritonéaux, à maintenir dans leur position et à soutenir dans Les divers mouvements du tronc les organes de l’abdomen. A leur aide, il n’y a rien, ou du moins à peu près rien, de changé dans la position respective des organes abdominaux, que le tube digestif contienne des aliments ou qu’il n’en contienne point; car les intestins, qui remplissent les vides, ont, dans ces deux cas, à peu près le même volume. À l’aide de ces gaz, les pressions déterminées sur un point de l’abdomen sont transmises de toutes parts, et se répartissent éga- lement dans tous les autres points. C’est ainsi que la contraction des pa- rois abdominales, celle du diaphragme, celle du releveur de l’anus, dans les phénomènes du vomissement ou de la défécation, agissent par trans- mission de pression sur des organes qu'ils ne touchent point, et sans en comprimer douloureusement aucun. Les gaz intestinaux agissent par leur élasticité, pour amortir, dans les organes de l'abdomen, les ébranlements de la course et du saut. Ces gaz favorisent aussi la progression du bol alimentaire dans l'intestin, en main- tenant béant le canal dans le calibre intérieur duquel celui-ci s'engage successivement. 76 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. SECTION IV. Phénomènes chimiques de la digestion. S 37. Rôle des sues digestifs. — Les actions chimiques qui s’accomplissent dans le tube digestif ont pour but final l’absorption des substances ali- mentaires. Leur résultat est donc la dissolution de ces substances. Lorsque les aliments sont ensolubles, les sucs digestifs les transforment en une sé- rie de produits solubles ; à cet état, ils peuvent traverser les membranes de l'intestin et entrer dans le cercle fermé de la circulation. Lorsque les matières alimentaires sont solubles, les sucs digestifs n’interviennent sou- vent que pour dissoudre purement et simplement ces matières; quand ils agissent chimiquement sur elles, c’est toujours à l’état de produits so- lubles qu'ils les livrent à l’absorption. Les boissons viennent puissamment en aide aux sucs digestifs. L'eau que nous buvons agit comme dissolvant sur un grand nombre de substan- ces. Les boissons alcooliques, les boissons fermentées de diverse nature, les boissons acides, les boissons alcalines, contribuent aussi pour leur part à la dissolution des matières alimentaires ; elles peuvent agir aussi sur les aliments par une véritable action chimique, analogue à celle qu’exercent les sucs digestifs eux-mêmes. Les divers départements du tube digestif agissent d’une manière diffé- rente sur les aliments, et leur impriment des modifications spéciales. Il ne faut pas croire cependant que l’action des diverses parties de l’intes- tin soit locale et isolée. Les métamorphoses déterminées par les divers sucs digestifs commencent au point où ces sucs sont sécrétés, là où ils se trouvent d’abord en contact avec les aliments ; mais les sucs digestifs qui imbibent l'aliment l’accompagnent dans son trajet intestinal, et la plupart du temps l’action se continue et s'achève plus loin, dans d’autres parties de l'intestin. Les changements en vertu desquels les aliments sont transformés en produits solubles ont été étudiés avec persévérance depuis vingt-cinq ans. Les expériences sur la digestion, faites au siècle dernier par l’abbé Spallanzani, ont été complétées et fécondées de nos jours ; et, grâce aux progrès de la chimie organique, la lumière s’est faite sur beaucoup de points restés obscurs. Malgré tous ces travaux, le problème chimique de la digestion n’est cependant pas encore résolu d’une manière définitive dans toutes ses parties. Ce qui contribue à rendre la solution de ce pro- blème très-compliqué, c’est que les aliments attaqués par les sucs diges- tifs se transforment en des produits qui exercent peut-être, à leur tour, une action chimique sur les parties non encore modifiées de l’aliment. On conçoit qu'il est dès lors assez difficile de démêler ce qui appartient à l'ac- tion directe des sucs digestifs, et ce qui ne leur appartient pas en propre. CHAP, 1. DIGESTION. 41 Les sucs digestifs qui métamorphosent et dissolvent les aliments sont : la salive, le suc gastrique, le suc pancréatique, la bile, le Sue intestinal. ARTICLE T. ACTION DE LA SALIVE. & 38. Salive. — Le liquide qui humecte la cavité buccale est fourni par des glandes nombreuses. Indépendamment des glandes parotides, sous-maxil- laires et sublinguales, il y a encore dans presque toutes les parties de la bouche d’autres glandes moins volumineuses, qui appartiennent, comme les précédentes, à la classe des glandes en grappes : telles sont les glandes molaires ou glandes des joues, les glandes des lèvres, celles de la face inférieure {de la langue, celles du voile du palais, ete. Il y a enfin des follicules destinés plus spécialement à la sécrétion du muceus. Le liquide fourni par toutes ces glandes, et qu’on désigne sous le nom de salive, pro- vient donc de sources nombreuses et diverses. Ces liquides de provenance diverse n’ont pas tout à fait la même composition ni les mêmes propriétés !. Certaines conditions influent d’une manière notable sur la sécrétion de la salive. La présence des aliments dans la bouche (surtout celle des ali- ments qui contiennent peu de liquide) augmente la sécrétion de la salive. Cette sécrétion est augmentée aussi par les substances excitantes, par la fumée du tabac, par le chatouillement de la luette. Le travail de la den- tition et l’usage des mercuriaux ont les mêmes effets. Dans les maladies fébriles, la sécrétion de la salive est presque toujours diminuée, d’où sécheresse de la bouche et désir des boissons. Les émotions vives produi- sent des résultats analogues. Lorsqu'on introduit des aliments dans l’es- tomac d’un chien, par une fistule gastrique, la quantité de salive qui coule dans la bouche augmente. C’est probablement par la même raison que l'irritation morbide de l’estomac est quelquefois accompagnée d’une sa- livation abondante. L’excrétion de la salive contenue dans les voies de la sécrétion est aug- mentée par le mouvement des mâchoires pendant la mastication ; elle peut être accélérée aussi par la vue ou le seul souvenir des aliments. Lorsqu'on veut se procurer de la salive pour en étudier les propriétés physiques ou chimiques, on peut pratiquer des fistules salivaires sur les animaux, ou utiliser celles que es accidents ou des maladies ont dé- terminées sur l’homme. Chez le chien, par exemple, on peut mettre à nu le canal de la glande parotide (canal de Sténon) sur le muscle masseter 1 On peut, à l'exemple de M. Duvernoy, diviser les diverses glandes salivaires en deux groupes. Le premier groupe (groupe antérieur) comprend les sous-maxillaires et les sublin- guales, qui versent le produit de leur sécrétion sur le plancher inférieur de la bouche, près des dents incisives inférieures et sur les côtés du frein de la langue. Le second groupe (groupe postérieur) comprend les parotides et les molaires , qui versent le produit de leur sécrétion au niveau des dents molaires supérieures, 78 LIVRE J, FONCTIONS DE NUTRITION. Fig, 6, (Voy.fig. 6); on pratique la sec- tion du canal au point S, et l’on introduit dans le bout du canal qui tient à la glande une sonde en argent, à l’extrémité de la- quelle on fixe une petite bourse en caoutchouc, destinée à re- cevoir le produit de la sécré- tion. Lorsqu'on veut établir une fistule sur le canal excréteur de la glande sous-maxillaire (canal de Warthon), on pratique la section du canal de Warthon au point R (Voy. fig. 6), et l’on y introduit et l’on y fixe un petit appareilanalogue au précédent. GLARDES PAROTIDE FF SOEMANELAIRE DE CHEN, Guy les grands animaux, et en particulier sur les herbivores P, glande parotide. V, muscle masseter. M, glande sous-maxillaire. I, muscle temporal. > S, conduit de Sténon. JJ, veine jugulaire. (qui ont le système des glandes rrnasirit its salivaires plus développé queles carnivores), l'établissement de ces fistules est beaucoup plus facile que sur le chien. Sur le bœuf, M. Colin est parvenu à pratiquer des fistules de ce genre à l’une des principales branches des canaux excréteurs de la glande sublinguale *. Cesfistules permettant de recueillir séparément le produit des diverses glandes salivaires, on a pu en faire isolément l’analyse et étudier aussi certaines particularités de la sécrétion, jusque-là plutôt soupconnées que démontrées. M. Colin a constaté que le sens de la mastication a sur la quantité de la salive parotidienne sécrétée en un temps donné une in- fluence décisive. La quantité de salive parotidienne qui s'écoule dans le réservoir artificiel adapté au canal de Sténon peut être, du côté de la mastication, double ou triple de celle qui s’écoule dans le même temps de l’autre côté. Lorsque le sens de la mastication change (et cela a lieu en- viron tous les quarts d’heure sur le cheval), la proportion inverse s’éta- blit. Évidemment le mouvement des muscles n’est pas la cause de cette énorme augmentation. D'une part, la glande parotide est placée au-des- sus des muscles et ne peut être que fort incomplétement comprimée par l’action musculaire, et, d’autre part, cette action devrait s’exercer à peu près également sur la parotide située du côté opposé à la mastication, car le jeu des mâchoires se fait sentir des deux côtés en même temps. Il est probable que cette augmentation est due à l’impression produite par LL” 1 La glande sublinguale possède, dans les ruminants, indépendamment des conduits de Rivinus, un canal supplémentaire, qui vient s'ouvrir au même niveau que le canal de Warthon. C’est ce canal supplémentaire qu’on désigne dans l’homme sous le nom de canal de Bartholin, CHAP, I. DIGESTION. 79 les aliments sur la muqueuse buccale, et réfléchie par action reflexe sur la glande du même côté (Voy. $ 172). Lorsqu’après l'établissement des fistules salivaires, on recueille sépa- rément les produits sécrétés par chaque glande en particulier, on con- state : 1° que les parotides sécrètent abondamment pendant le repas, et qu’elles cessent de sécréter à peu près complétement pendant les inter- valles des repas (si ce n’est chez les ruminants, pendant la rumination) ; 2° que la sécrétion parotidienne fournit à elle seule, pendant la masti- cation, une quantité de salive qui l'emporte sur celle de toutes les autres glandes réunies; 3° que la sécrétion parotidienne est aqueuse et très- fluide; 4° que la sécrétion des glandes sous-maxillaires et sublinguales n’est jamais aussi abondante que celle des parotides, qu’elle n’est pas supprimée , mais seulement diminuée pendant l’abstinence, et qu’elle fournit (conjointement avec les autres glandules de la bouche) cette por- tion de la salive déglutie, à des intervalles plus ou moins réguliers ; 5° que le produit de sécrétion des glandes sous-maxillaires et sublinguales est visqueux et filant. La quantité de salive qui s’écoule dans la bouche dans l'intervalle des repas est donc moins considérable que pendant le repas. On a souvent cherché à évaluer la quantité de salive sécrétée dans les vingt-quatre heures. Les évaluations autrefois proposées reposaient sur des bases in- certaines et tout à fait insuffisantes !. M. Colin a proposé une méthode d'évaluation beaucoup plus rigoureuse. Il pratique la section de l’æso- phage à la partie moyenne du cou d’un cheval : cette opération n’em- pêche pas le cheval de manger comme à son ordinaire. Il recueille alors, au fur et à mesure qu'ils se présentent, les bols alimentaires amenés à la plaie par les mouvements de déglutition. Le poids des aliments a été pris d'avance ; on pèse ensuite l’ensemble des bols alimentaires sortis par la plaie œsophagienne : l'augmentation de poids représente la quantité de. salive dont ils se sont imprégnés. On trouve ainsi qu’un cheval, pendant qu'il mange, sécrète en moyenne, par toutes les glandes salivaires, de 5 à 6 kilogrammes de salive par heure. Or, un cheval broie sa nourriture pendant six heures sur vingt-quatre, ce qui fait environ 30 kilogrammes de salive pour la période des repas. On peut, d’autre part (en recueillant la salive à la section de l’œsophage), estimer à environ 100 grammes de salive par heure la quantité de salive déglutie pendant l'intervalle des repas. Or, en multipliant 100 grammes par dix-huit heures d’abstinence, on obtient un total de 2 kilogrammes. Le cheval sécrète donc, en l’espace de vingt-quatre heures, la quantité énorme de 32 kilogrammes de salive. 1 Ainsi, en dosant la proportion de salive fournie par des fistules parotidiennes acciden- telles en un temps donné, on ne tenait compte, d’une part, que d’une portion de la salive, et en second lieu, l'influence de la période du repas et de la période d’abstinence était négligée. En recueillant la salive mixte qui s’écoulait dans un vase au-dessus duquel l'observateur se tenait pendant une heure, la bouche grande ouverte, on se plaçait aussi dans des conditions tout à fait exceptionnelles, et l'influence du repas était passée sous silence. 80 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. Cette quantité est plus considérable encore chez le bœuf. Il est vrai, et cela n’est pas inutile à remarquer, que la salive, ainsi que la plupart des sues nutritifs de la digestion (sauf une partie de la bile), que la salive, dis-je, n’est point expulsée au dehors comme produit de sécrétion élimi- natoire, mais qu'elle rentre dans le sang, d’où elle est sortie, par les voies de l’absorption intestinale, avec les produits de la digestion. Si l’on cherche à appliquer à l’homme les résultats obtenus sur le cheval et le bœuf, il faut tenir compte de plusieurs conditions impor- tantes. Le poids des glandes salivaires (parotides, sous-maxillaires, sub- linguales) du cheval est en moyenne de 500 grammes, tandis que le poids des mêmes glandes salivaires de l’homme n’est guère que de 65 grammes !. L'homme ne broie en moyenne ses aliments que pendant une durée de deux heures sur vingt-quatre. Or, en admettant que le pou- voir sécréteur de l’appareil salivaire soit proportionnel au poids des glan- des, on en pourrait conclure que si le cheval sécrète 5 kilogrammes de salive par heure pendant la mastication, l’homme sécréterait pendant le même temps 650 grammes de salive ; soit, pour deux heures de mastica- tion, 1,300 grammes. Pendant les vingt-deux heures de repos de l’appareil masticateur, il y aurait, en établissant la même proportion, 143 grammes de salive de sécrétés à l’heure, ce qui constituerait un supplément de 286 grammes. En résumé, on arriverait ainsi à un total de 4k,5 à 1k,6 de salive sécrétée en l’espace de vingt-quatre heures. Il faut remarquer tou- tefois que cette appréciation comparative n’est qu’une simple supposition qui n’est pas suffisamment établie. Ajoutons que la nature de l'aliment (suivant qu’il est sec ou humide) ayant une influence marquée sur la proportion de salive sécrétée, on ne peut rigoureusement conclure d’un . animal herbivore qui consomme des fourrages secs, à l’homme qui fait généralement usage dans son alimentation d’une nourriture mixte plus imprégnée de liquides. Il est probable cependant que la quantité de sa- live sécrétée par l’homme en vingt-quatre heures est plus considérable qu’on ne serait tenté de le supposer, et qu’elle s’élève au moins à 1 kilo- gramme. Propriétés chimiques de la salive. — Lorsqu'on a pratiqué sur des ani- maux des fistules salivaires, on n’a ainsi que la salive parotidienne, ou la salive sous-maxillaire, ou la salive sublinguale, suivant la nature de la fistule ; on n’a qu’une partie de la salive, et non la salive complète, telle qu’elle agit sur les aliments dans les phénomènes de la digestion. Pour se procurer la salive complète, il faut réunir dans un vase les liquides expul- sés par la bouche ; on peut d’ailleurs favoriser la sécrétion par la fumée de tabac ou par la titillation de la luette. 1 Sur le cheval. Poids des deux parotides — 412 grammes. Poids des deux sous-maxillaires — 89 grammes. Poids des deux sublinguales — 25 grammes. Total, 526 grammes (Colin). Sur l’homme. Poids des deux parotides — 40 grammes. Poids des deux sous-maxillaires == 20 grammes. Poids des deux sublinguales 5 grammes, Total, 65 grammes. CHAP, I. DIGESTION, SI La salive complète ou mixte est un liquide transparent ou légèrement opalin, visqueux, inodore. La salive est alcaline. On la trouve quelquefois acide le matin; mais celle qui s'écoule dans la bouche au moment du repas est toujours alcaline. La salive doit son alcalinité au phosphate de soude tribasique. La salive contient une très-grande quantité d’eau. Lorsqu'on chauffe la salive et qu’on chasse par évaporation l’eau qu’elle contient, il reste environ 1 partie de résidu solide. Lorsqu'on filtre la salive avant de l’évaporer, la quantité des matériaux solides qu’elle laisse après l’évapo- ration est plus faible encore ; elle ne s’élève guère qu’à la moitié. Des lamelles d’épithélium et de mucus ont été alors retenues sur le filtre. La salive, indépendamment de l’eau, contient donc du mucus et des cel- lules d’épithélium. Elle contient encore un certain nombre de sels. Lors- qu’on a évaporé la salive à siccité, le résidu solide contient 98 pour 100 de matériaux salins. Les sels de la salive sont : les chlorures de so- dium et de potassium, le phosphate de soude tribasique, le phosphate de chaux et de magnésie, les carbonates de soude, de potasse et de chaux ; de faibles proportions de lactates alcalins, des traces de sulfocya- nure de potassium et de sodium, d'oxyde de fer et de matières grasses. On a aussi trouvé quelquefois dans la salive des traces d’ammoniaque, soit libre, soit combinée. Mais l’ammoniaque n’est qu’un produit de la décomposition ou de la putréfaction des parcelles alimentaires qui ont séjourné entre les dents. La salive contient encore une matière organique azotée, qui offre un grand intérêt au point de vue physiologique. Cette matière, dissoute dans la salive, constitue l’une des parties du résidu solide de la salive évapo- rée. Désignée autrefois sous le nom de ptyaline, et plus récemment sous le nom de diastase salivaire, cette matière mérite de nous arrêter un in- stant. Voici comment Berzelius préparait la péyaline. Après avoir évaporé la salive, il traitait par l’alcool la masse obtenue, la neutralisait ensuite par l'acide acétique, puis traitait de nouveau par l'alcool, pour séparer les acétates. Il dissolvait ensuite la masse dans l’eau, la filtrait pour la dé- barrasser du mucus, et évaporait la liqueur filtrée. La substance ainsi obtenue n’est pas un produit chimiquement pur. Indépendamment de ce qu’elle contient encore quelques matières salines, elle retient aussi, en petite proportion, d’autres principes azotés, ainsi que l'ont montré MM. Simon et Lassaigne. La matière désignée par M. Mialhe sous le nom de dastase salivaire n'est que la p{yaline de Berzelius, préparée par un autre procédé. La diastase salivaire s’obtient en précipitant la matière organique de la salive par l'alcool. Le précipité est ensuite étendu, et desséché à la température de 40 à 50 degrés centigrades, puis conservé dans des flacons bien bou- chés, Cette matière ne doit pas être non plus considérée comme un pro- 6 82 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION, duit chimique bien défini; elle contient, en effet, toutes les parties orga- niques que l'alcool précipite de la salive. Mais le mode de préparation de M. Mialhe a cet avantage sur l’ancien procédé, que la matière obtenue ainsi par une seule opération chimique et par une évaporation douce, entre 40 et 50 degrés centigrades, n’est point altérée dans sa nature ni dans ses propriétés. Cette substance complexe présente cette propriété remarquable, que, dissoute dans l’eau, elle produit sur les substances alimentaires des effets chimiques analogues à ceux de la salive elle- même !. Elle est done la partie active de la salive. La péyaline, telle qu’on la préparait autrefois, n’agit point sur les substances alimentaires comme la diastase salivaire, très-probablement parce que les divers traitements à l’aide desquels on l’obtient, et notamment les traitements à chaud, détrui- sent son pouvoir. On sait, en effet, que la température de l’ébullition, ou même une température de 70 à 80 degrés centigrades, anéantit la puis- sance des ferments azotés : or, la diastase salivaire agit à la manière d’un ferment ?. La diastase salivaire existe dans la salive fournie par les glandes sous- maxillaires. MM. Bidder et Schmidt ont en effet trouvé dans cette salive, qui est filante et visqueuse, une matière extractive azotée précipitable par l’alcool, et à laquelle ils donnent le nom de mucine. Cette matière va- rie dans ses proportions suivant l’époque de la salivation. Elle est plus abondante au commencement du réveil de la sécrétion (au début du re- pas) et beaucoup moins à la fin. Les matériaux salins de la salive ne se comportent pas ainsi, ei leurs proportions restent sensiblement les mêmes dans tous les moments de la salivation. Il est probable que la salive four- nie par les glandes sublinguales a une composition analogue à la salive des glandes sous-maxillaires. Comme celle-ci, et plus qu’elle, elle est visqueuse et filante, et elle est versée dans la même partie de la bouche. La salive parotidienne diffère de la salive fournie par les glandes sous- maxillaires; elle est limpide, aqueuse, et ne renferme pas de mucine. Elle ne contient que 1/2 pour 100 de matériaux solides, lorsqu'on la fait évaporer ÿ. Le tableau suivant offre en regard les proportions relatives des princi- paux éléments de la salive complète ou mixte de l’homme sain. L'une de ces analyses est déjà ancienne, elle est due à Berzelius ; l’autre, plus ré- cente, a été faite par M. Frerichs. 1 1 gramme en poids de diastase salivaire solide dissoute dans l’eau peüt transformer en sucre environ 2,000 grammes de fécule (Mialhe). Cette action à dose infiniment petite est tout à fait assimilable aux phénomènes de fermentation ou aux actions catal ytiques. ? MM. Frerichs et Stadler ont signalé dans l'extrait alcoolique de la salive, chez l’homme, la présence de la leucine. M. Béchamp a signalé dans la salive de l’homme sain la présence de l’urée (0,035 pour 400). * Composition moyenne de la salive parotidienne, d'aprés M. Schmidt : LUN PP Em der CLIN Matériaux organiques. . . « .« 0,14 | 100,00. DOS Te D ee 7 UP U,08 CHAP, I. DIGESTION. 85 SALIVE SALIVE POUR 1000 PARTIES DE SALIVE. DE L'HOMME. DE L'HOMME. (Berzelius.) (Frerichs.) Eau: ent 99 Matière organique (ptyaline, diastase salivaire ou mucine) .… Mucus et épithélium. Matières grasses. . . Lactates alcalins, Sulfocyanure de potassium. . . . . . . . Sels divers 5 © © me © 19 19 = 2 $ 39. Action de la salive sur les aliments.— La salive agit comme dissol- vant sur les substances solubles. Au moment où les aliments se trouvent divisés par la mastication, les chlorures, les phosphates et les sulfates al- calins, lesquels sont solubles dans l’eau, le sont également dans la salive. La salive agit sur les aliments féculents, et les transforme en dextrine d’abord et en glycose ensuite. Leuchs est le premier qui ait mis cette pro- priété de la salive en lumière, et M. Mialhe l’a vulgarisée parmi nous. Cette transformation est d'autant plus rapide que les enveloppes qui en- tourent les grains microscopiques de la fécule ont été plus exactement détruits par la coction ou par le broyage. Chez les grands animaux, qui prennent la fécule sous forme de fourrage et de grains, les dents sont chargées de ce soin. Quant à l’homme, il ne consomme guère la fécule qu'à l’état de cuisson; c’est elle qui forme la majeure partie de la sub- stance du pain. La fécule ou amidon (Voy. S 19) est la substance alimentaire la plus ré- pandue dans le règne végétal; elle est insoluble, tandis que la dextrine et la glycose sont solubles. La fécule, en se transformant en dextrine et en glycose, peut se dissoudre par conséquent dans les liquides digestifs. La transformation de la fécule en glycose, ou fermentation sucrée, s’o- père dans nos laboratoires ou dans certaines opérations industrielles par l’action de la diastase (substance active de l’orge germé) et de la chaleur; de là le nom de diastase donné à la substance active de la salive. On peut mettre en évidence cette propriété de la salive en faisant agir cette humeur sur l’empois de fécule (fécule euite) et en chauffant légère- ment. La salive peut être filtrée ou non filtrée, le résultat est sensiblement le même. Si on élève trop la température, la transformation de la fécule en glycose ou en sucre est ralentie. Une température de 40 degrés cen- tigrades est la plus favorable. La salive de l’homme agit avec plus de rapidité que celle du cheval ou du chien. On peut aussi démontrer l’action saccharifiante de la salive en mâchant dans sa bouche soit de l’empois d’amidon, soit du pain azyme, soit du pain ordinaire, et en jetant sur un filtre le produit insalivé, La fécule, il 84 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, est vrai, n’est pas transformée en sucre en totalité, mais il est facile de re- connaître la présence du sucre dans le liquide qui a traversé le filtre, lors- qu'on traite ce liquide par la liqueur cupro-potassique. Il suffit que la matière féculente ait séjourné dans la bouche pendant une minute ou deux pour que la transformation en sucre soit nettement établie. On peut encore mettre cette propriété de lasalive en évidence en broyant de l’amidon cru dans un mortier avec de la salive : de cette manière on brise les grains de fécule et on favorise la réaction. Mais, dans ce dernier cas, la formation de dextrine et de glycose est beaucoup plus lente : il faut quelques heures de contact, Quand on mélange de la salive avec de l’amidon cru et non broyé, il faut deux ou trois jours pour que la transformation se manifeste. La salive, nous l'avons vu, est un liquide composé du produit de plu- sieurs glandes. La salive parotidienne seule n’a pas le pouvoir de transfor- mer l’empois d’amidon en sucre, ou du moins elle ne fait apparaître des traces de sucre qu’à la longue, comme la plupart des autres liquides ani- maux. M. Lassaigne a depuis longtemps constaté ce fait sur le cheval; M. Bernard, beaucoup d’autres observateurs et nous-même l’avons con- staté plus d’une fois sur les chiens. La salive de la glande sous-maxillaire jouit du pouvoir saccharifiant, ainsi que l’ont constaté MM. Bidder et Schmidt. Il est vrai que l’action de la salive sous-maxillaire est plus ou moins rapide (suivant la proportion de mucine qu’elle renferme); mais 1l n’en est pas moins vrai qu’elle se distingue assez nettement sous ce rap- port de la salive parotidienne. Il est probable que la salive de la glande sublinguale, qui fait partie du système antérieur des glandes salivaires, jouit du même pouvoir que la salive sous-maxillaire{. Le pouvoir de trans- former l’amidon en sucre appartient surtout à la salive prise dans la bou- che, c’est-à-dire au produit complexe des glandes salivaires proprement dites et des autres glandules répandues dans la cavité buccale. Il est pro- bable dès lors que ces dernières concourent à fournir à la salive le fer- ment azoté en vertu duquel la transformation s'opère. D’autres liquides animaux possèdent aussi, quoique à un bien plus faible degré, le pouvoir de transformer en dextrine et en sucre les substances amidonnées. Ainsi, du sang, du jus de viande, une macération de cer- velle, de fragments de reins, de foie, en un mot tous les liquides contenant des produits albuminoïdes ou azotés en voie de décomposition, et pouvant agir ainsi à la manière des ferments, sont capables de déterminer la trans- formation de l’empois d’amidon et d’y faire apparaître de la dextrine et des traces de Sucre, Que prouvent ces faits? Ils prouvent que la fécule a une grande tendance à se transformer en dextrine et en sucre. Mais ils ne prouvent pas que la salive ne jouisse sous ce rapport d’une aptitude 1 Les glandes parotidiennes, qui sécrètent abondamment au moment de la mastication, paraissent donc avoir principalement pour but de ramollir l'aliment et de favoriser la dé- glutilion. Les glandes sous-maxiilaires et sublinguales paraissent plus spécialement en rap- port avec les métamorphoses chimiques de la matière alimentaire. CHAP. I, DIGESTION. 85 spéciale. En effet, l’action des diverses substances dont nous venons de parler est incomparablement moins active et moins complète que celle de la salive, et surtout beaucoup plus lente. Dans les derniers phénomènes dont nous venons de parler, la putréfaction paraît jouer le principal rôle et entraîner des modifications lentes dans la masse amidonnée. Il n’en est pas de même de l’action de la salive, ni en général dans les phénomènes de la digestion : les procédés de la putréfaction paraissent être ici tout à fait exclus. La modification imprimée par la salive aux aliments féculents n’est pas instantanée. Il faut au moins une minute ou quelques minutes pour que l’empois d’amidon, chauffé doucement avec la salive, décèle la présence du sucre. Il faut un plus long temps pour amener à l’état de sucre la to- talité ou même seulement une notable quantité de l’empois d’amidon mé- langé avec de la salive. Or, l'aliment ne séjourne guère qu'une fraction de minute dans la bouche; on doit donc supposer que l’action ne s’exerce pas seulement localement sur les aliments féculents introduits dans la ca- vité buccale, mais qu’elle se continue plus bas, à l’aide de la salive qui infiltre l’aliment avalé, et aussi à l’aide de la salive avalée à la suite du repas. Les expériences sur les animaux qui font leur principale nourriture d'aliments féculents (animaux herbivores) ont démontré qu’au moment où le bol alimentaire traverse l’œsophage, il n’y a en ce moment que des quantités insignifiantes de sucre formé; nous sommes donc conduit à penser que la salive exerce son action sur les aliments ailleurs que dans la bouche. On à élevé des doutes sur le pouvoir qu’aurait la salive de continuer son action dans l'estomac sur les féculents avec lesquels elle arrive mé- langée. On a dit que l’état alcalin de la salive était mdispensable à son action saccharifiante. Or, dans l’estomac, le suc gastrique acide neutrali- sant d’abord, puis acidifiant bientôt la masse avalée, arrête, dit-on, l’ac- tion de la salive. S'il est vrai que les acides énergiques, tels que les acides minéraux, entravent l’action de la diastase sur les fécules, ainsi que l’a fait voir M. Fremy, il n’en est pas de même quand il s’agit d'acides moins énergiques, tels que l’acide organique du suc gastrique (acide lactique). On peut neutraliser l’alcalinité de la salive, on peut même la rendre acide à l’aide de l’acide acétique ou de l’acide lactique ; elle n’a pas pour cela perdu la propriété de transformer l’empois d’amidon en sucre : l’action est seulement ralentie. L'expérience avait été faite autrefois par Schwann, elle a été répétée depuis par M. Jacubowitsch, par M. Frerichs, et chacun peut la reproduire facilement. L’aliment devant séjourner plusieurs heures dans l’estomac, l’action de la salive, quoique ralentie en ce point, n’en doit pas moins être efficace, et incomparablement plus importante que dans la bouche, où l'aliment ne fait que passer !. Remarquons à cet égard que les animaux ruminants, 1 Voici un fait qui confirme pleinement notre remarque. Les Archives de physiologie de 86 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION. qui font leur nourriture principale d'aliments féculents, introduisent une grande quantité de salive dans leur estomac multiple par l’action deux fois répétée de la mastication et de la déglutition. Les matières grasses, telles que les graisses, l'huile, le beurre, ne sont point modifiées par la salive. Elles parviennent inaltérées dans l'estomac, où nous les verrons séjourner aussi sans altération, Le sucre de canne est dissous, mais non transformé en glycose par la salive (Frerichs, Hoppe). Cette transformation s’accomplit dans l'intestin, Les aliments azotés ne sont point attaqués non plus par la salive. On peut constater le fait en plaçant ees substances avec de la salive et dans des conditions convenables de température. Les petites parcelles deviande qui restent entre les dents après le repas ne sont pas dissoutes par la sa- live. Lorsqu'on n’entretient pas la propreté de la bouche, elles se ramol- lissent à la longue, placées qu’elles sont dans un milieu humide et dans un courant d'air, mais par putréfaction, et elles communiquent à l’ haleine une odeur fétide ammoniacale. Le rôle de la salive dans les phénomènes chimiques de la digestion est donc borné à son action dissolvante à l’aide de l’eau qu’elle contient, et à son action spéciale sur les aliments féculents par son ferment. Chez les animaux carnassiers, qui ne font qu’exceptionnellement usage d’aliments féculents, les fonctions de la salive sont à peu près exclusivement relatives à ses usages mécaniques de mastication et de déglutition, C’est pour cette raison qu'on peut alimenter d’une manière suflisante des chiens auxquels on a pratiqué des fistules stomacales artificielles, en introduisant les ali- ments par ces fistules et en supprimant ainsi à peu près le rôle des glandes salivaires dans la digestion; je dis & peu près, parce que les mouvements de déglutition introduisent toujours une certaine quantité de salive dans l'estomac. Chez l’homme en particulier, on a vu quelquefois l’action de la salive supprimée dans les phénomènes de la digestion. Il y avait l’an dernier, dans la maison de santé de M. E. Blanche, un aliéné qui s’obstinait à ne rien vouloir avaler, et qu’on fut obligé de nourrir à l’aide de la sonde œso- phagienne pendant près d’un an. Ce malade n’avalait pas sa salive. Plu- sieurs fois par jour on était obligé de lui vider la bouche, distendue par les produits de la sécrétion salivaire. On l’alimentait en lui mjectant deux fois par jour dans l’estomac, à l’aide d’une sonde, des aliments azotés, des aliments gras, des aliments sucrés et des aliments féculents. On avait soin de joindre à ces derniers, au moment de l’ingestion, une petite proportion de diastase végétale. L'état de santé de cet aliéné était parfait, il avait Vicrordt (1854) renferment l’histoire d’une femme atteinte de fistule gastrique, observée par M. Grünewaldt, Quand cette femme avait été alimentée avec des féculents et qu'on retirait la masse avalée au moment de son arrivée dans l’estomac, on n’y constatait que de faibles pro- portions de sucre. Quand, au contraire, on retirait cette masse au bout d’un quart d'heure ou d'une demi-heure de séjour dans l'estomac, la proportion de sucre formé était beaucoup plus considérable. CHAP, I, DIGESTION. 87 même augmenté de poids sous l'influence de cette alimentation forcée. Depuis, ce malade s’est résigné à prendre de lui-même ses aliments. Au reste, nous le verrons plus loin, la salive n’agit pas seule sur les matières féculentes. Les produits de sécrétion qui se rencontrent au commence- ment de l'intestin grêle exercent aussi une action puissante sur ces sub- stances. Lorsque la digestion salivaire fait défaut, on concoit dès lors qu’elle puisse être suppléée par la digestion intestinale. ARTICLE IE. ACTION DU SUC GASTRIQUE (BIGESTION STOMACALE). & 40. Sue gastrique.— Le liquide qui doit agir sur les aliments pendant leur séjour dans l'estomac porte le nom de suc gastrique. Ce liquide n'’afflue dans l'estomac que lorsque celui-ci est rempli par les matériaux de la di- gestion. Dans l'intervalle des repas, les parois stomacales sont simple- ment humectées par le mucus qui lubréfie toutes les membranes mu- queuses. Les aliments, parvenus dans l'estomac, excitent la sécrétion du suc gastrique par leur seule présence et à la manière des excitants. Tous les corps étrangers introduits dans l’estomac, toutes les substances irri- tantes appliquées sur la membrane muqueuse stomacale, ont le même pouvoir. Lorsqu'on voulait autrefois se procurer du suc gastrique pour l’étudier, on faisait avaler des éponges sèches aux animaux, ou bien on faisait pénétrer dans l’estomac du poivre grossièrement concassé, ou même des cailloux. Sous l'influence de ces substances diverses, le suc gastrique affluait dans l’estomac, et on l’en retirait, soit en mettant à mort l’animal, soit en ramenant les éponges au dehors à l’aide de ficelles qu'on y avait préalablement fixées. De nos jours, on se procure du sue gastrique en allant le puiser direc- tement dans l’estomac par des fistules gastriques. Ces fistules, devenues en quelque sorte classiques depuis les expériences de M. Blondlot, ontrendu, on peut le dire, à la physiologie de la digestion un service signalé. On établit ces fistules sur les chiens avec la plus grande facilité. Il suffit pour cela de faire une incision à la région épigastrique, d'attirer au dehors l’es- tomac, de l’ouvrir, et de fixer les bords de l’incision sur les lèvres de la plaie à l’aide de quelques points de suture. Au bout de quelques jours, l’inflammation adhésive applique l'ouverture de l’estomac sur l’ouverture abdominale; la communication au dehors devient permanente, et la fis- tule est établie. Il ne reste plus qu’à introduire et à me une canule dans l’ouverture : cette canule est destinée à recevoir un bouchon. Un procédé préférable à celui que nous venons de décrire consiste à in- troduire de prime abord la canule dans l’incision, aussitôt que les parois stomacales ont été fixées sur les bords de la plaie abdominale. L’intro- duction fardive de la canule est en effet assez diflicile, et elle exige souvent 88 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. une opération nouvelle, Quand la canule est placée dans l’incision, on la fixe en place en pratiquant des ligatures convenables à la plaie abdominale, au- dessus et au-dessous d'elle, La canule employée est représentée fig. 7 (A); elle offre deux rebords, dont l’un est engagé dans l’estomac et dont l’autre reste au dehors. La plaie stoma- cale et la plaie abdominale sont en quel- que sorte maintenues l'une contre l’au- tre, comme les deux boutonnières d’une chemise, par un bouton à double tête. Quand la cicatrisation s’estopérée et que le trajet fistuleux est établi, la canule ne peut plus ni sortir au dehors ni rentrer dans l’estomac. La canule A estellemême formée de deux pièces (fig. 7,a et b),qui entrent l’une dans l’autre par un pas de vis. Après l'opération, les bords de la fis- tule se tuméfient et tendent souvent à recouvrir les bords de la canule. A l’aide du tournevis C (fig. 7), dont la mortaise peut se fixer sur une petite Fig, 8. tige qui occupe l’intérieur de la portion de canule a, on augmente ou on diminue la longueur de la canule, et on la proportionne ainsi, soit au gonflement des parties, soit à l'épaisseur des parois abdominales. Les chiens pourvus de fistule gastrique peuvent être conservés des mois entiers et même des années, sans paraître en souffrir. On a soin de fermer l’ouverture de la canule avec un bouchon, de manière que le suc gastrique ne s'écoule pas au dehors dans l'intervalle des expériences, et que cet écoulement n’é- puise pas l’animal. Le petit appareil B (fig. 7) est formé d’une poche en caoutchouc fixée sur un tube de verre pourvu d’un bouchon; il est destiné à recueillir le suc gastrique. A cet effet, le bouchon de l’appareil B est in- troduit et fixé dans la canule à la place du bouchon ordinaire. La figure 8 représente un chien à fistule gastrique pourvue de sa canule. Dans quelques cas rares, des lésions pa- thologiques ont déterminé sur l’homme des fistules de ce genre. On a pu CHAP, I, DIGESTION. 89 se procurer ainsi, par la fistule, du suc gastrique humain, et étudier quel- ques-uns des phénomènes chimiques de la digestion de l’homme f. A l'aide des fistules gastriques, on peut se procurer du suc gastrique à volonté. Il sufit pour cela de fixer dans la canule du chien à jeun le petit appareil B (fig. 7), et de donner à ce chien de la viande crue bien dégraissée et coupée en morceaux volumineux. Aussitôt que la viande est arrivée dans l’estomac, le suc gastrique afflue et se rend dans la pe- tite bourse de caoutchouc, qui ne tarde pas à se remplir. La digestion, c’est-à-dire la dissolution de la viande, est assez lente pour que le suc gastrique recueilli dans les premiers moments de l'expérience soit sen- siblement pur. Si on voulait l'avoir tout à fait pur pour l’analyse chimi- que, il faudrait introduire dans l’estomac, par la fistule, soit de petites éponges fixées à des tiges de baleines, soit du poivre en grains. Les fis- tules stomacales permettent encore d'introduire dans l’estomac des ali- ments de nature variée, de les retirer à des moments déterminés, et d’é- tudier ainsi les transformations successives qu’éprouvent les substances alimentaires pendant leur séjour dans l'estomac. De même que les liquides de la cavité buccale, les liquides de l’es- tomac ne viennent pas d’une source unique. Il existe dans l'épaisseur de la membrane muqueuse de l'estomac une multitude de glandes en tubes (glandes de Lieberkuhn), analogues à celles qu'on rencontre dans toutes les membranes muqueuses. Dans l’estomac, les glandes en tubes ne sont pas aussi élémentaires que dans les autres’ portions de l'intestin, et on constate de plus que ces glandes peuvent se partager en deux groupes distincts. Les unes sont destinées à la sécrétion du suc gas- trique ; les autres servent à la sécrétion du mucus, sécrétion caracté- ristique des membranes muqueuses. Les premières peuvent être dési- gnées sous le nom de glandes du suc gastrique, les secondes sous le nom de glandes à mucus. Les glandes du suc gastrique (Noy. fig. 9, A, B) existent dans toute l’é- tendue de la membrane muqueuse stomacale (homme et carnassiers), à l'exception de la portion pylorique de l’estomac?. Elles sont simples, A, ou composées B (fig. 9). À leur embouchure dans l’estomac, elles sont 1 Il existe dans les annales de la science un certain nombre de faits de ce genre. Voici les principaux : 1° Remarques sur une femme qui a une fistule à l'estomac (Circaud, Journal de physique, t. LIT); 20 Zwei Krankengeschichten, Vienne, 1805 (Helm : il s’agit aussi d’une femme); 5° Experiments and observations on the gastric juice, etc., 1833 (Beaumont : il s’agit d’un homme); 4° femme observée par M. de Grünewaldt et par MM. Bidder et Schmidt, dans die Verdaungssäfte und der Stoffwechsel, 1852, et dans les Archives de physiologie de Vierordt, t. XIII, 1854. | 2? On a dit et répété que la membrane muqueuse de la portion pylorique de l'estomac était la portion en rapport avec la sécrétion du suc gastrique. On a comparé la portion pylorique de l'estomac avec le dernier estomac des ruminants, et le grand cul-de-sac de l'estomac avec les premiers estomacs des herbivores; dès lors on a considéré la partie droite de l'estomac comme le véritable lieu de la digestion, et la partie gauche comme une sorte de réservoir ou de lieu de dépôt. Les faits ne confirment pas cette supposition. a 90 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. recouvertes d'un épithélium, qui disparaît bientôt quand on pénètre dans leur intérieur, comme on peut le voir sur la figure 9, L'épithélium est remplacé par une masse de cellules (d'environ 0w»,01 de diamètre) qui remplissent le calibre entier des tubes glanduleux, et que la glande écoule du côté de la surface libre de la membrane de l'estomac, avec le liquide qui leur sert de véhicule. Ces éléments vésiculeux contiennent irès-vraisemblablement la partie organique active du suc gastrique, Les glandes à mucus de l'estomac (Voy. fig. 9, C) se rencontrent dans les divers points de l'estomac. Dans la portion pylorique, elles existent seules, Elles diffèrent des précédentes en ce que le revêtement épithélial qui recouvre leurs parois à l’intérieur peut être poursuivi jusqu'aux culs- de-sac terminaux. Ces glandes ne contiennent point les grandes cellules dont nous venons de parler précédemment ; on n'y trouve qu'un liquide, avec quelques globules muqueux rares et de petite dimension {. Dans l’état de vacuité, la membrane muqueuse de l'estomac est d’une couleur grisâtre. Au moment où les aliments s'accumulent dans le réser- voir gastrique, cette membrane devient rose, par une modification de cir- culation qui détermine l’abord d’une plus grande quantité de sang, des- tinée à fournir les matériaux de la sécrétion du suc gastrique. La quantité de suc gastrique sécrétée en l’espace de vingt-quatre heures ne peut être appréciée que d’une manière approximative. Nous avons dit précédemment que la sécrétion du suc gastrique est suspendue quand l’estomac est dans l’état de vacuité, et qu’elle ne se manifeste que pendant le séjour des aliments dans l'estomac ou sous l'influence des ma- ? M. Goll (de Zurich) a montré, par une série de digestions artificielles, que la portion de membrane muqueuse voisine du cardia jouit d'un pouvoir digestif très-supérieur à toutes les autres portions de l'estomac. CHAP, I. DIGESTION. 91 tières excitantes de nature diverse. Quand les aliments sont dans lesto- mac, comme ils y séjournent plusieurs heures et jusqu'à dissolution plus ou moins complète, le suc gastrique sécrété peut bien être recueilli en partie par la fistule, mais une autre partie imbibe et gonfle l'aliment, passe avec l'aliment dans l'intestin grêle ou pénètre avec l'aliment dissous dans les voies de l’absorption. On peut se faire une idée plus exacte peut- être de cette quantité, en introduisant dans l'estomac des matières exci- tantes et insolubles, et en recueillant le liquide qui s'écoule par la fistule pendant un laps de temps déterminé. Un chien qui pesait 18 kilogrammes nous à donné en moyenne environ 72 grammes de suc gastrique à l'heure. La quantité de suc gastrique sécrétée dans l'espèce humaine a été évaluée à plus de 500 grammes à l'heure par MM. Bidder et Schmidt, sur une femme atteinte de fistule gastrique. En tenant compte du poids, ce sont à peu près les mêmes proportions que pour les chiens. Il ne serait pas rigoureux sans doute de conclure de là que la quantité de suc gas- trique sécrétée est la même pendant toute la durée du séjour des ali- ments dans l’estomac, parce qu'il est possible et même probable que cette quantité diminue à mesure que le travail de dissolution des aliments est plus avancé et à mesure que les portions dissoutes s'engagent du côté de l'intestin grêle. Mais il n’en résulte pas moins que la quantité de suc gastrique sécrétée est plus considérable qu'on ne serait tenté de le sup- poser au premier abord, surtout si l’on veut bien se rappeler que, dans l’état ordinaire, l’estomac ne reste jamais longtemps absolument vide, le besoin des aliments coïncidant vraisemblablement avec la fin du travail digestif précédent. Le suc gastrique, de même que la salive (il ne faut point l'oublier), n’est pas un liquide excrémentitiel destiné comme l'urine à l'élimination, mais il rentre au fur et à mesure par absorption dans la masse du sang d’où il est sorti. d Le suc gastrique est un liquide incolore, limpide, d’une odeur faible, rappelant celle de l'animal d’où il provient, d’une saveur légèrement sa- lée. Sa densité est peu différente de celle de l’eau : elle est de 4005 chez l’homme. Essayé au papier de tournesol, le suc gastrique est constam- ment acide. Cette acidité a été constatée chez tous les mammifères, chez les oiseaux, chez les reptiles (grenouilles et crapauds), chez les poissons. Le suc gastrique contient environ 99 parties d’eau sur 100; il contient en outre de petites proportions de sels, un acide hbre et une substance orga- nique particulière. Les sels du sue gastrique sont principalement constitués par des chlo- rures alcalins et terreux ; on y rencontre aussi du phosphate de chaux, du carbonate de chaux, des traces de sels de fer. L’acide libre du suc gastrique est d’une grande importance dans les phénomènes chimiques de la digestion. Cet acide est l’acide lactique. M. Chevreul l’a indiqué le premier et M. Lehmann a mis le fait hors de 92 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, doute. C’est grâce à son acidité que le suc gastrique peut se conserver assez longtemps, dans des flacons bien bouchés, sans s’altérer. Pendant longtemps les chimistes, à l'exemple de Prout, ont pensé que l'acidité du suc gastrique était due à l'acide chlorhydrique ; mais cela te- nait au procédé opératoire. Les chlorures, et en particulier le chlorure de calcium, sont décomposés à l’aide de l’acide lactique, à chaud; de là le déplacement du chlore, la formation de l'acide chlorhydrique, et son ap- parition dans les produits de la distillation du suc gastrique. MM. Bernard et Bareswill ont démontré aussi qu'il n’y a point d’acide chlorhydrique libre dans le suc gastrique. En effet, lorsqu'une dissolution de chaux ren- ferme seulement 1/1000 d’acide chlorhydrique, l'acide oxalique n’y dé- termine aucun précipité; or, le suc gastrique filtré donne, à l’aide de l’a- cide oxalique, un précipité d’oxalate de chaux. D'un autre côté, l'acide chlorhydrique (de même que les acides sulfurique et azotique), très-dilué, transforme par l’ébullition l’amidon en dextrine et en sucre; le suc gas- trique, bourlli avec l’amidon, ne produit jamais cette transformation 1, M. Blondlot, dans un travail expérimental sur la digestion, auquel nous aurons occasion de puiser plus d’une fois, a émis sur ce point une doctrine inacceptable. Il pense que c’est à l’aide d’un phosphate acide de chaux que le suc gastrique rougit le papier de tournesol. Suivant lui, il n’y a point d'acide libre dans le suc gastrique, parce que ce liquide ne fait point effervescence quand on y projette du carbonate de chaux. Mais cela tient uniquement à l’état de dilution du suc gastrique; car si l’on concentre ce liquide par évaporation, l’effervescence ne tarde pas à se produire quand on y ajoute du carbonate de chaux. L’acide libre du sue gastrique est donc l'acide lactique. Il est vrai que l’on trouve quelquefois dans l'estomac, pendant la digestion, de l'acide acétique ; on y a trouvé aussi de l’acide butyrique; mais ces acides pro- viennent des transformations des substances alimentaires (substances amylacées et substances grasses). L’acide lactique lui-même peut être augmenté dans ses proportions par les métamorphoses des matières ali- mentaires, et c’est de cette manière, sans doute, que le sucre (qui donne facilement naissance à cet acide) favorise l’action des sues digestifs. Pour fixer la constitution normale du suc gastrique, il importe donc de recueillir ce suc sur l'animal & jeun, en stimulant la sécrétion à l’aide de matières excitantes et insolubles (du poivre en grains, par exemple, qu'on introduit directement dans l’estomac par la fistule). Indépendamment de l’eau, des sels et de l’acide lactique, le suc gas- trique renferme encore, avons-nous dit, une substance organique. Cette substance joue un rôle capital dans les phénomènes de la digestion sto- 1 MM. Bidder et Schmidt, dans leur récent travail sur les sucs digestifs (die Verdaungs- säfte, etc., 1852), admettent dans le suc gastrique la présence de l’acide lactique et de l’acide chlorhydrique. Mais l'existence de l'acide chlorhydrique libre ne nous paraît pas appuyée sur des prenves convaincantes. CHAP, I, DIGESTION. 93 macale. Elle a été mdiquée pour la première fois par Schwann, et bien décrite par M. Wasmann. On donne à cette matière le nom de pepsine; on lui a donné aussi les noms de chrymosine et de gastérase. La pepsine est une matière azotée qui a beaucoup d’analogie avec les matières albuminoïdes, et qui agit à la manière d’un ferment. La pepsine offre avec l’albumine certains caractères de ressemblance. Elle est soluble dans l’eau, insoluble dans l'alcool, qui la précipite de ses dissolutions ; elle précipite par le tannin et par l’acétate de plomb. Lorsqu'on précipite la pepsine par l'alcool, le précipité se redissout dans l’eau, ce qui n’a pas lieu pour l’albumine. La dissolution aqueuse de pepsine n’est point trou- blée par l’ébullition. Les dissolutions d’albumine , au contraire , comme chacun sait, sont froublées quand on les chauffe, parce que l’albumine se coagule. Il n’en est pas moins remarquable que la pepsine, tout en ne se coagulant point par la chaleur, perd cependant toutes ses propriétés lors- qu’elle a été chauffée entre 70 et 80 degrés centigrades. Ajoutons encore que la pepsine n’exerce son action qu’autant qu’elle est unie à un acide Libre. Lorsqu’en effet on a saturé l’acide libre de suc gastrique, celui-ci a perdu ses propriétés : il est devenu impropre à opérer des digestions ar- tificielles. La pepsine a été préparée par M. Wasmann de la manière suivante : la membrane d’un estomac de cochon est plongée dans l’eau distillée pen- dant plusieurs jours ; puis on retire cette membrane, et ce qui a été dis- sous dans l’eau est précipité par l’acétate de plomb. Le précipité blane, floconneux, qui contient la pepsine, est mis en suspension dans l’eau et décomposé par un courant d'hydrogène sulfuré. Il se forme du sulfure de plomb insoluble, et la pepsine se trouve dissoute dans la liqueur; l’albu- mine reste coagulée. On sépare par filtration le sulfure de plomb et l’al- bumine coagulée, on précipite enfin la pepsine de la dissolution aqueuse par l'alcool, et on la dessèche. Le procédé de M. Payen est bien préférable. Il prépare la pepsine (qu’il appelle gastérase), non pas avec la membrane de l'estomac, mais avec le suc gastrique lui-même. Il se procure du suc gastrique de chien et traite ce suc par l'alcool, qui précipite la pepsine, et avec la pepsine de petites proportions d’albumine et de mucus. Le précipité est traité par l’eau, qui ne dissout que la pepsine. La dissolution de pepsine est de nouveau précipitée par l'alcool, et on la fait HO à une température de 40 degrés centigrades. La pepsine préparée par ce procédé n’est peut-être pas encore une ma- tière simple. Quoi qu’il en soit, cette substance organique a le pouvoir, lorsqu'on la dissout dans l’eau et qu’on ajoute à cette eau quelques gouttes d'acide, de reproduire le suc gastrique lui-même avec ses propriétés 1, Le tableau suivant indique les proportions relatives de l’eau et des ma- 1 Suivant M. Wasmann, il suffit d'ajouter à une liqueur acidulée 4/5000 de pepsine des- séchée pour déterminer les métamorphoses de la digestion. 94 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION, tières solides (organiques et minérales) du sue gastrique. Il faut remar- quer que, sous la dénomination de matières organiques, se trouve com- prise non-seulement la pepsine, mais encore cette substance mal définie connue sous le nom de mucus, et aussi une petite proportion d’albumine. La pepsine pure, préparée suivant le procédé de M. Payen, n’équivaut guère qu'à 4 ou 2 millièmes du poids du suc gastrique. SUC GASTRIQUE | SUC GASTRIQUE |SUC GASTRIQUE DU CHEVAL. DU CHIEN. HUMAIN. donnent (Tiedmann à Femme, et Gmelin.) (Frerichs.) (Schmidt.) 100 GRAMMES gr. gr. gr. Pete le feet à Lee 98,10 98.85 99,4% Matières organiques. . . 1,05 0,72 0,32 ST OR DOS LA 0,55 0,45 0,24 | S A1. Rôle du sue gastrique. — L’essence de la digestion, nous l'avons dit plusieurs fois déjà, est de transformer les aliments en substances solu- bles qui puissent être introduites par absorption dans les voies fermées de la circulation. Aussi reconnaîtrons-nous qu’une matière est digérée par le suc gastrique quand, de solide qu’elle était, elle s’est dissoute dans les liquides de l'estomac. Il est vrai que ce n’est pas une dissolation pure et simple. Les matières alimentaires sur lesquelles agit le suc gastrique éprouvent des ‘modifications moléculaires particulières pour passer de l’état solide à l’état liquide, tout en conservant sensiblement leur consti- tution chimique. La partie active du suc gastrique qui détermine ce mou- vement moléculaire agit ici à la manière d’un ferment, par action de contact ou par action catalytique. Quand on opère, en effet, des diges- tions artificielles à l’aide du suc gastrique, la quantité de pepsine em- ployée se retrouve entière dans les liquides au sein desquels on a déter- miné la transformation des aliments solides en produits liquides. Il n’y a donc point eu combinaison de la pepsine avec les produits formés. Ceci posé, on peut dire d’une manière générale que la propriété du sue gastrique est de dissoudre les matières albuminoides et de les transformer en une substance isomérique propre à être absorbée. Tel est le rôle prin- cipal du suc gastrique; mais l’estomac est encore le théâtre d’autres transformations accessoires. Ces transformations, qui ne paraissent point être aussi directement sous l'influence du suc gastrique, s’opèrent au sein de la masse alimentaire elle-même pendant les trois ou quatre heures que les aliments séjournent en moyenne dans l'estomac. & 42. Digestions artificielles. — L'expérience a appris que l’action du suc gastrique sur les substances alimentaires s'exerce aussi bien en dehors du CHAP, I. DIGESTION. 93 corps que dans l’intéfieur même de l’estomac, à la condition que la tem- pérature soit la même que celle de l’animal. La possibilité d'exécuter ar- tificiellement la digestion stomacale dans des vases placés dans des étuves ou des bains-marie a prodigieusement multiplié les recherches sur ce point de physiologie. Pour procéder à une digestion artificielle, 1 suffit de recueillir du suc gastrique sur un animal porteur d’une fistule gastrique, de mettre dans le vase qui contient le sue gastrique la substance qu’on veut faire di- gérer, et de placer ce vase dans une étuve ou un bain-marie chauffé à 37 degrés centigrades. Il faut, autant que possible, que la température ne s'élève pas au-dessus de 40 degrés, car, à la température de 70 à 80 de- grés, le suc gastrique (nous l'avons dit) perd toutes ses propriétés 1. On peut encore faire de toutes pièces un suc gastrique artificiel. Il suffit pour cela d'ajouter quelques centigrammes de pepsine à de l'eau contenant 4 ou 2 millièmes d’acide chlorhydrique. Au lieu de pepsine, on peut ajouter à de l’eau acidulée un fragment de membrane de l’es- tomac d’un animal carnivore, ou un morceau de la eaillette (quatrième es= tomac des ruminants) ; ces membranes retiennent en effet de la pepsine®. On peut encore ajouter à de l’eau acidulée quelques grammes du liquide extrait dans les abattoirs de la caillette des veaux; ce liquide, désigné sous le nom de présure, contient du suc gastrique souvent mélangé avec les boissons, et renferme de la pepsine. De même, on peut aciduler l’eau, non-seulement avec l’acide chlorhydrique, mais encore avec l’a- cide lactique, l'acide sulfurique, l’acide azotique, l'acide phosphorique. Seulement il faudra faire varier les proportions, suivant qu’on emploiera tel ou tel de ces acides. Ainsi, par exemple, l’acide sulfurique et l'acide phosphorique agissent en quantités plus faibles que l'acide chlorhydri- que et que l’acide lactique. Il faut dire aussi que ces divers acides ont de l'influence sur la coloration du produit de la digestion artificielle : la dis- solution finale sera jaunâtre avec l'acide azotique, elle sera brune avec l'acide sulfurique et l’acide phosphorique. Les digestions artificielles sont aussi complètes lorsque le contact de l'air est empêché que lorsqu'elles ont lieu à l’air libre, ce qui prouve en- core que l'air n'intervient point par ses éléments dans la réaction. L'eau simplement acidulée ne peut pas constituer à elle seule un suc gastrique artificiel. S'il en était ainsi, le rôle de la pepsine serait nul, L'eau acidulée avec À ou 2 millièmes d'acide chlorhydrique n’a la pro- priété de gonfler et de dissoudre qu’une seule matière albuminoïde. Cette matière, c’est la fibrine du sang, lorsqu'elle n’a pas été soumise à la coc- tion; et encore cette dissolution ne s'effectue qu'après un long temps. La viande (fibrine) cuite, l’albumine coagulée, le gluten, peuvent bien 1 Spallanzani à exécuté, le premier, des digeslions artificielles. 11 plaçait sous son aissellé de petits tubes contenañt du suc gastrique et de petits morceaux de chair. 2 Le principe actif du suc gastrique est le même chez les herbivores et les carnivores. 96 LIVRE ji, FONCTIONS DE NUTRITION, être ramollis et divisés, mais ils ne sont point dissous par l’eau acidulée. Ce n’est donc pas à l'acide libre qu'il contient que le suc gastrique em- prunte ses propriétés !, Comme, d’un autre côté, la pepsine perd son pouvoir dissolvant lorsqu'on sature l’acidité du suc gastrique par un al- cali, on ne peut pas non plus attribuer exclusivement à la pepsine la propriété digestive. Force est de reconnaitre que c’est dans l’action si- multanée de ces deux agents qu’elle réside. En d’autres termes, le fer- ment gastrique, ou pepsine, n’exerce son action que dans un milieu acide. & 45. Action du sue gastrique sur les divers principes alimentaires. —Lés digestions artificielles qui se rapprochent le plus de la digestion naturelle sont sans contredit celles que l’on a opérées à l’aide du suc gastrique lui-même. Mais l'expérience a montré que le suc gastrique artificiel, préparé à l’aide de la pepsine et de l’eau acidulée, a sensiblement les mêmes propriétés ?. Nous pouvons donc indifféremment puiser à ces deux sources d’expérimentation, = Dans les digestions artificielles, on a remarqué que les substances divisées en petits fragments sont bien plus tôt dissoutes que les autres. L'utilité de la mastication et des mouvements de l’estomac est ici bien évidente. Si l’on soumet de la fibrine, ou de l’albumine coagulée, ou du caséum s0- lide, à l'action d’une digestion artificielle, on constate, si les proportions du suc gastrique sont suflisantes , qu’au bout de quelques heures cha- cune de ces substances a disparu dans la liqueur, c’est-à-dire qu’elle s’est dissoute. Le produit de la dissolution est le même dans ces différents cas. La caséine (caséum), pure et liquide, débarrassée du sucre et du beurre auxquels elle est unie dans le lait, ne se coagule point sous l'influence du suc gastrique, mais la caséine liquide , unie au beurre et au sucre, se coagule très-rapidement.;Voilà pourquoi le laif se coagule sous l'influence du suc gastrique. À cette coagulation de la caséine succède peu à peu une désagrégation, et, en définitive, au bout de quelques heures, une dissolution complète. Le produit final n’est plus coagulable par les acides ni par la chaleur. L'albumine liquide, mise en contact avec le suc gastrique, ne se coagule pas. Si l’on attend cinq ou six heures, on trouve que, sous l’influence du suc gastrique , l’albumine liquide a subi, comme les autres matières al- 1 Ce qui prouve manifestement que ce n’est point seulement à l’acide libre qu’il renferme que le suc gastrique emprunte ses propriétés, c’est que quand on l’a fait bouillir il ne peut plus servir à rien. La pepsine (en sa qualité de férment) a perdu toute action. Le liquide est pourtant toujours acide. ? Le suc gastrique préparé artificiellement à l’aide de la pepsine et de l’acide chlorhydrique est même plus actif que le suc gastrique extrait de l'estomac de l'animal vivant (Külliker et Müller, Annales de la Société physico-médicale de Wurlzbourg, 1854). . CHAP, I, DIGESTION. 97 buminoïdes, une transformation isomérique. Ainsi elle ne se coagule plus sous l'influence des acides, ni par la chaleur. Si l’on ajoute à de l’albumine liquide ou du beurre ou du sucre, l’albu- mine commence par se coaguler sous l'influence du suc gastrique, et le coagulum se dissout peu à peu. Cette coagulation est surtout tres-rapide quand on ajoute une quantité de sucre et de beurre analogue à celle qui existe dans le lait. On fait ainsi une sorte de lait artificiel. Lorsqu'on met de la gélatine! (gelée de viande ou gelée d’os) en con- tact avec le suc gastrique, elle ne tarde pas à être dissoute, et forme un liquide brun clair. Ce n’est pas non plus une dissolution pure et simple, car le produit de la dissolution, concentré par évaporation, a perdu la propriété de se prendre de nouveau en gelée par le refroidissement. On ne sait pas encore bien positivement si le produit de la dissolution de la gélatine est identique aux précédents. Le gluten cuit ou cru, mis en digestion avec le suc gastrique, se dissout comme les substances précédentes. Fraîchement extrait de la farine de froment, le gluten cuif est tout à fait insoluble dans les acides étendus, même quand on l’abandonne pendant plusieurs jours à une température de 37 degrés. Le gluten cru parait se dissoudre dans les acides étendus; mais quand on examine à l’aide du microscope cette dissolution appa- rente, on reconnait le gluten divisé en particules et on constate qu'il n’y a eu là qu’une dissociation et non une véritable dissolution. Les acides étendus ne peuvent donc remplacer le suc gastrique, pas plus pour les substances azotées provenant des végétaux que pour les substances azotées animales ?. 1 Le pouvoir nutritif de la gélatine a été contesté, et mème formellement nié, par un cer- ain nombre de physiologistes. La gélaline ne peut pas entretenir la vie des animaux lors- qu’on leur donne celte substance isolément. En cela, elle ne se distingue point des autres matières azotées qui, données seules, ne peuvent pas nourrir non plus (Voy. $ 15). La gélaline, associée à d’autres aliments, jouit-elle, comme les autres substances azotées, du pouvoir nu- tritif? Des animaux ont été soumis à des expériences nombreuses et continuées pendant long- temps ; l'homme s’est pris lui-même (M. Donné en particulier) comme sujet d'expérience ; or, il résulte de tous ces faits que la gélatine du commerce, associée à d’autres aliments, non- seulement ne concourt point à la nutrition, mais encore qu’elle agit à la manière d’une sub- Stance purgative, et qu’elle est plutôt nuisible qu'utile. - Mais tel n’est point l'effet réel de la gélatine que nous prenons quotidiennement en assez grande quantité avec le bouillon, avec la viande, avec les os, avec la partie soluble des ten- dons, des ligaments, de la peau, du tissu cellulaire. Ces substances nourrissent à la manière des autres substances azotées. Si la gélatine du commerce (ou colle-forte ), obtenue à l'aide de la vapeur surchauffée, ou par les acides, à l’aide d’os puants et fétides (comme il est aisé de le voir dans les fabriques), si cette gélatine, dis-je, ne nourrit point, et si elle agit plutôt comme médicament que comme aliment, en passant presque entierement par les urines et dans les feces, c’est qu’elle est profondément altérée dans sa nature. La gélatine obtenue par la coction des pieds de veau (tendons) ou par celle des os frais est une substance réellement nutritive; les expériences de M, Bernard sont positives à cet égard. 2? Les expériences de M. Cnoop Koopmans (Voy. Bibliogr., page 156), auxquelles nous em- pruntons ce qui est relatif à la digestion du gluten, nous apprennent que le degré d'aci- dité du suc gastrique le plus favorable à la digestion du gluten n’est pas celui qui est le mieux 7 # 98 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. L’albumine végétale (pois, haricots, lentilles, fèves) crue est soluble dans l'eau. A cet état le suc gastrique détermine un précipité dans sa disso- lution, aussi bien dans les digestions naturelles que dans les digestions artificielles. Les dissolutions d’albumine végétale sont également préci- pitées par les acides étendus. Pour que le précipité ne se forme pas, il faut que le liquide contienne au moins 1/70 d'acide. L’albumine végétale se coagule par la chaleur, et c’est sous cette forme que nous la consommons généralement avec nos aliments. Coagulée par la chaleur , l’albumine végétale ne se dissout pas dans les acides éten- dus. Le suc gastrique (naturel ou artificiel) peut seul en amener la disso- lution à l’aide d’une température de 37 degrés. De tout ceci il résulte que la fibrine, le gluten, l’albumine solide et l'al- bumine liquide, la caséine sont dissous et métamorphosés par le suc gas- trique en une substance analogue. Ce produit final a la même composition chimique que les matières albuminoïdes d’oùil procède, ainsi qu'il résulte des analyses de M. Lehmann. De même que les matières albuminoïdes, cette substance forme encore de l’acide xantoprotéique lorsqu'on la chauffe avec l’acide azotique ; elle précipite encore par l’alcool, par le tannin et par le sublimé corrosif. Elle diffère de l’albumine proprement dite en ce qu’elle ne donne pas de précipité par les acides et ne se coagule point par la chaleur. C’est au produit de la digestion des matières albuminoïdes que M. Leh- mann donne le nom de peptone, M. Mialhe celui d’albuminose !. En somme, la peptone a une grande ressemblance avec l’albumine. On sait, depuis les travaux de M. Vœbhler, qu’il suffit de chauffer l’albumine dans la marmite de Papin pour qu’elle perde la propriété de se coaguler par la chaleur ; approprié à la digestion des substances albuminoïdes animales. L'auteur place simultanément dans des vases différents une même quantité de gluten cru, et une même quantité d’albumine cuile, et dans plusieurs séries d'expériences il modifie le degré d’acidité du suc gastrique. Quand l'acidité du suc gastrique est grande, l’albumine est complétement dissoute, le gluten cru l'est à peine. Quand l'acidité du suc gastrique est faible, le gluten est complétement dissous, l’al- bumine l’est beaucoup moins. Pour le gluten cru, le degré d’acidité du suc gastrique néces- saire pour la dissolution oscille entre 14/2000 et 1/400. Pour l’albumine cuite, il oscille entre 1/275 et 1/60. Le gluten cuit n’est pas assujetti aussi directement, pour sa dissolution, à un certain degré d’acidité du suc gastrique. L'auteur fait remarquer que le sue gastrique des herbivores est moins acide que le suc gastrique des carnivores (le suc gastrique du chien contient 3,05 pour 1000 d'acide ; le sue gastrique du mouton n’en contient que 1,25 pour 4000, d'après M. Grünewaldt). MM. Bidder et Schmidt avaient déjà observé que l’albumine se dissout plus vite dans le suc gastrique des carnivores que dans celui des herbivores. M. Cnoop Koopmans tire de ses expériences cette conclusion que chez l’homme, le gluten (surlout le gluten cru) peut être digéré par un suc gastrique tres-peu acide, et que par con- séquent, quand l'estomac remplit mal ses fonctions et ne peut plus digérer les autres substances albuminoïdes, on peut avoir recours au gluten cru. 1 La peptone ou albuminose n'est pas une substance fout à fait identique, suivant qu’elle procède de l’albumine, de la fibrine ou de la caséine, car on trouve encore entre ces divers produits quelques différences aux réactifs. CHAP. I. DIGESTION. 99 et cependant, sous cette nouvelle forme , elle a tout à fait la même com- position que l’albumine primitive. D’un autre côté, on sait aussi que l’al- bumine forme avec les acides étendus des composés solubles peu connus. Au reste, si la peptone ne se coagule point sous l'influence de la cha- leur, cela tient très-probablement à l'acidité du suc gastrique. En effet, soumettez de l’albumine coagulée à l’action du suc gastrique, et, lorsque la dissolution sera opérée, exposez à la chaleur le produit filtré de la di- gestion : il n’y aura point coagulation , ainsi que nous venons de le voir. Mais si on sature ce même produit liquide par un alcali jusqu'à neutra- lisation, et qu'on chauffe de nouveau la liqueur, il se forme bientôt un précipité gris blanchâtre floconneux, comme si on avait chauffé une dis- solution d’albumine. Les substances albuminoïdespénètrent par absorption dans le sang, sous la forme de peptone, mais l’alcalinité du sang reconstitue vraisemblable- ment presque aussitôt la peptone à l’état d’albumine , en neutralisant les produits absorbés, C’est sous cette forme (sous forme d’albumine ) que nous constaterons plus tard dans le sang qui revient de l'intestin le pro- duit de la digestion des matières albuminoïdes. Les substances organiques autres que les substances albuminoïdes ne sont point attaquées ni par conséquent dissoutes par le suc gastrique. Les corps gras, les huiles, restent tout à fait inaltérés lorsqu’on les mélange avec lui. Dans les digestions artificielles de viande, on voit la graisse de la viande se rassembler à la surface du liquide sous la forme d’une cou- che huileuse : la graisse a été simplement fluidifiée par la température du bain-marie. L'amidon n’est point attaqué par le suc gastrique. Par un séjour pro- longé dans le suc gastrique, à la température de 35 à 40 degrés, il apparaît, il est vrai, des traces de sucre, mais il se forme en même temps de l’al- cool, de l'acide acétique, de l'acide carbonique. La plupart des liquides de l’économie, autres que le suc gastrique, peuvent produire cet effet, quand on les maintient longtemps en présence de l’amidon; ce n’est point là une action propre au suc gastrique. Le sucre n’est point attaqué par le suc gastrique d’une manière spé- ciale. Lorsqu'il est longtemps maintenu en contact avec ce liquide, il se forme de l’acide acétique et de l'acide lactique. Mais la même réaction se montre lorsque, au lieu de suc gastrique, on emploie des matières albuminoïdes quelconques. Aussi la formation de l'acide acétique et de l'acide lactique aux dépens du sucre se montre-t-elle sur tous les points de l'intestin. Le sucre de canne se transforme en sucre de raisin ou glycose, dans les phénomènes de la digestion, et c’est sous cet état qu'il est absorbé. Mais cette transformation commence à peine dans l'estomac, et elle s’accom- plt surtout le long de l'intestin grêle. La gomme et la pectine ne sont point attaquées par le sue gastrique. La 100 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. Quant aux substances ènorganiques, toutes celles qui sont solubles dans l’eau, telles que les chlorures, les phosphates et les sulfates alcalins, le sont aussi dans le suc gastrique; elles rencontrent d’ailleurs, la plupart du temps, des boissons aqueuses dans l'estomac. Le phosphate de ma- gnésie, les sels de chaux et les sels de fer, etc., peu ou point solubles dans l'eau, le deviennent en partie dans le suc gastrique, grâce à l'acidité de ce liquide. Nous ne pouvons quitter les digestions artificielles sans faire remarquer que les digestions faites en dehors de l'estomac diffèrent de la digestion stomacale proprement dite, en ce sens que la dissolution des matières albuminoïdes est toujours plus prompte dans l'estomac que dans nos fla- cons. M. Blondlot a fait plusieurs séries d'expériences sous ce rapport. Il introduisait en même temps une même substance dans l’estomac d’un chien (chien à fistule gastrique), et en même temps il plaçait un même poids de cette substance dans du suc gastrique contenu dans un flacon. Quand la digestion stomacale était achevée, la digestion artificielle ne l'était point encore. Il fallait, en général, un espace de temps double. Là où il fallait deux ou trois heures pour la digestion stomacale, il en fallait en moyenne quatre ou six pour la digestion artificielle !. Cette différence tient à deux causes : d’abord aux mouvements de l’estomac, qui favori- sent le mélange de la pâte alimentaire avec le suc gastrique, et accélè- rent ainsi la réaction (Voy. $ 29); elle tient aussi à ce que la sécrétion du suc gastrique est sugcessive. Les mouvements de l’estomac promènent les diverses portions de la masse alimentaire sur la surface sécrétante, au fur età mesure de la sécrétion. Le suc gastrique agit dès lors, à tout moment, avec toute son énergie initiale, sur chaque partie de la masse alimentaire. & 4. Digestion stemacale naturelle. — Nous sommes en mesure d'analyser actuellement ce qui se passe dans l’estomac d’un animal qui digère. Si l’on ouvre l'estomac d’un animal aux diverses périodes de la diges- tion pour en examiner le contenu, on trouve dans son intérieur une pâte ou bouillie, nommée chyme, dont la nature est très-complexe, pour peu que l'animal ait fait usage d'aliments divers. Cette pâte est plus ou moins 1- quide, suivant que l’animal a pris ou n’a point pris de boisson, et suivant que le travail digestif est très-avancé, ou qu'il l’est peu. Supposons que l'animal ait fait usage d’une alimentation mixte; qu'il ait mangé, par exemple, du lait, du pain et de la viande, des pommes de terre et des lé- gumes : que trouverons-nous dans son estomac ? Nous y trouverons d’abord une grande quantité d’amidon, non encore * Dans les expériences dont nous parlons, la dose d'alimente introduite dans l'estomac était une dose expérimentale, c'est-à-dire une faible dose. Dans l’état ordinaire, c’est-à-dire quand un chien vient de faire un repas copieux, la digestion stomacale naturelle a besoin d’un plus long temps pour s’accomplit entièrement. CHAP. I. DIGESTION. 101 transformé, et dont la transformation n’aura lieu que plus loin (c’est-à- dire dans l'intestin). Nous trouverons de la dextrine et du sucre provenant de l’action qu'a exercée la salive sur une certaine quantité d’amidon. L'action commencée dans la bouche se continue encore dans l'estomac à l’aide de la salive avalée (Voy. $ 39). Nous trouverons dans l’estomac des parties non modifiées par la salive, non modifiées par le suc gastrique, et qui ne le seront que plus loin; telle est la graisse, qu'il sera facile de distinguer avec ses caractères. Nous y trouverons les matières albumi- noides, représentées ici par la fibrine et la caséine !, à divers états de dis- solution; et si l’examen a lieu vers la fin de la digestion stomacale, e’est-à- dire au bout de trois ou quatre heures, ces matières seront disparues en partie parce qu'elles auront été écoulées vers l'intestin ou absorbées. Nous trouverons encore dans l’estomac, et y tenant une assez grande place, tout ce qui n’a point été attaqué par la salive, tout ce qui ne l’est point par le suc gastrique, et ne le sera pas non plus dans les autres par- ties du tube digestif, c’est-à-dire toutes les parties réfractaires à la di- gestion (telles que cellulose, fibre végétale, grains de fécule non brovyés, fragments de tendons, etc.). Nous trouverons encore dans l’estomac le suc gastrique, et l’acide lactique, qui en est un des agents actifs, Si l’a- nimal a fait usage de sucre ou de lait dans son alimentation, la propor- tion d'acide lactique aura augmenté, de l'acide lactique se sera formé dans l’estomac aux dépens du sucre de lait ou aux dépens du sucre in- géré. D'un autre côté, l’amidon du pain et des pommes de terre, déjà transformé en sucre, pourra aussi parfois donner lieu à la formation de cet acide, surtout lorsque le séjour des aliments dans l’estomac se sera prolongé, comme cela arrive souvent. L'acide acétique se rencontre en- core parfois dans les produits de la digestion stomacale ; il provient aussi d’une fermentation particulière du sucre. Chez l’homme qui boit du vin et des liqueurs alcooliques, la transformation de l’alcool en acide acétique se présente assez souvent : on rencontre cet acide en quantités notables dans les produits du vomissement, après les excès alcooliques. Dans les boissons dont l’homme fait usage (vin, cidre, poiré, bière), il y a de l’eau, de l’alcool, des matières salines et des matières organiques. Les matières salines dissoutes sont absorbées avec l’eau dans l'estomac ou l'intestin. L'alcool fournit un peu d'acide acétique, mais il est en grande partie absorbé en nature. Lorsque de grandes quantités d'alcool ont été ingérées dans le tube digestif, une portion est exhalée par les voies respiratoires, en nature ou sous forme de vapeurs d’aldéhyde, avec leur odeur caractéristique. Quant aux matières organiques azotées des boissons, on ne sait pas si ces matières sont véritablement modifiées par les sucs digestifs, ou absorbées en nature. On en peut dire à peu près au- tant du bouillon. Indépendamment de l’albumine cuite, tenue en suspen- sion, et de la gélatine, il y a en effet dans le bouillon des matières extrac- 1 La caséine du lait s’est d’abord solidifiée avant d'être dissoute. (Voy. S 43.) 102 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, Lives azotées en dissolution (eréatine, créatinine, acide inosique), des sels, et une grande quantité d’eau. La digestion des substances albuminoïdes est plus prompte dans l’es- tomac que dans nos vases, avons-nous dit; mais ce n’est pas là la seule différence que la digestion naturelle présente, quand on la compare à la digestion artificielle. Dans un flacon où s'opère une digestion artificielle, la matière albuminoïde qui vient d’être dissoute se trouve encore, pen- dant les cinq ou six heures de la décomposition, en présence du suc gas- trique, comme la matière qui n’est pas encore attaquée, Or, il est très- possible que l’action fermentescible du sue gastrique continue à agir sur la matière déjà dissoute, et entraîne dans sa composition des modifica- tions qui ne s’accomplissent point dans l’estomac, Dans le corps vivant, l’action du suc gastrique a lieu au contact d’une surface absorbante, qui s'empare au fur et à mesure du produit liquide formé, lequel se trouve ainsi soustrait à l’action ultérieure du suc gastrique. Lorsqu’à l'exemple de M. Blondlot on introduit dans l’estomac d’un animal porteur d’une fis- tule gastrique de l’albumine crue (albumine liquide non cuite), on con- state qu’elle disparaît très-promptement par absorption. Elle se trouve, en effet, en contact avec une surface absorbante qui, la trouvant à l’état de dissolution, s’en empare telle qu’elle lui est offerte. Dans nos vases, au contraire , l’albumine liquide mise en contact avec le suc gastrique se transforme, au bout de cinq ou six heures seulement, en une substance incoagulable par la chaleur, ou peptone. Il est extrèmement probable que l’albumine liquide ingérée dans l'estomac ne passe point par cette méta- morphose. Il n’y a sans doute que les matières albuminoïdes solides, telles que fibrine, albumine coagulée animale et végétale, légumine, glu- ten, etc., qui soient dans l’estomac vivant préalablement transformées en peptone ou albuminose. Ajoutons que l’albumine n’est presque jamais in- troduite sous forme liquide dans l’estomac de l’homme, les matières ani- males dont il se nourrit étant préalablement soumises à la coction. & 45. Digestibilité des aliments. — Le médecin est souvent consulté sur la question de savoir quels sont les aliments de facile digestion et quels sont eeux qui présentent, au contraire, une certaine résistance à l’action des sues digestifs. Dirons-nous que la digestibilité d’un aliment doit être ap- préciée par le temps qu'un aliment reste dans l’estomac? Mais il est des aliments qui séjournent peu dans l’estomac, et qui pénètrent dans l’in- testin avant d’avoir été digérés. Il en est d’autres, au contraire, qui sé- journent longtemps dans l'estomac, et qui y sont finalement digérés. En conclura-t-on que les premiers sont facilement digestibles, parce qu'ils restent peu dans l’estomac, et que les seconds sont diflicilement digesti- bles, parce qu'ils y séjournent plus longtemps? Évidemment non. Ce n’est done pas là qu'il faut chercher le degré de digestibilité des aliments. Un CHAP, I. DIGESTION. 105 aliment est plus digestible qu’un autre quand il cède ses parties chymi- fiables plus promptement qu’un autre , quel que soit du reste le lieu où s'opère la dissolution, que ce soit dans l’estomac ou dans l'intestin. La question a été assez bien étudiée par M. Beaumont sur l’homme, et par M. Blondlot, dans plusieurs séries d'expériences sur les animaux, en ce qui concerne la digestion des substances dont la dissolution s'opère dans l’estomac, Elle laisse encore beaucoup à désirer pour ce qui concerne la digestion des substances alimentaires spécialement digérées dans les autres parties du tube digestif. Les aliments qui franchissent facilement l'estomac et n’y sont point di- gérés seront plus ou moins complétement attaqués par la digestion in- testinale; de ce nombre sont la plupart des matières végétales de l’ali- mentation. M. Lallemand a remarqué, sur des individus atteints d’anus contre nature, que les aliments végétaux (légumes) se présentaient tou- jours à la plaie plutôt que la viande et les substances animales. Si l’on donne dans un même repas à un animal de la viande et des végétaux, l’estomae retient la première, et laisse passer les seconds, dont il n’a que peu de substances nutritives à extraire. Voilà pourquoi M. Lallemand range les légumes parmi les aliments légers, et les substances animales parmi les aliments lourds. C’est là une image toute matérielle, et indé- pendante des phénomènes de la digestion et de l'absorption. Cela n’ap- prend rien sur le degré de digestibilité de l’aliment, car il importe peu que cet aliment se trouve dans telle ou telle partie du tube digestif. Mais ce fait apprend que les substances sur lesquelles le suc gastrique doit agir séjournent ordinairement plus longtemps que les autres dans l’esto- mac. On sait aussi que les boissons, qui n’ont pas besoin de l’action pré- paratoire du suc gastrique et qui peuvent être absorbées sur toute l’é- tendue du tube digestif, traversent promptement l’estomac. Les végétaux sont généralement d’une digestibilité moindre que les matières animales; ce sont eux, en effet, qui fournissent la plus grande partie des substances réfractaires, telles que la fibre végétale, ou cellu- lose, les enveloppes des raisins, des lentilles, des pois, des fèves, des ha- ricots, des pommes et des poires. La plupart des légumes, lorsqu'ils n’ont point été hachés ou très-divisés par les mâchoires, se présentent avec leur forme à l’anus contre nature; leur trame fibreuse (cellulose) en main- tent en quelque sorte le squelette. Les truffes et les champignons peuvent être notés au nombre des végétaux les plus indigestes. Il est des matières qui, tout en n'étant point attaquées par l'estomac, ne paraissent pas cependant en être expulsées aussi vite que les précé- dentes. Ces matières, par leur séjour dans l'estomac, entravent les phé- nomènes de la digestion, et peuvent à juste titre être considérées comme des aliments indigestes, lorsqu'elles sont prises en srande quantité. Telle est la graisse des animaux, le beurre, l'huile, la matière huileuse des noix, des amandes, des noisettes, des olives. Les matières grasses, d’ailleurs, 104 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. alors même qu’elles ont passé dans l'intestin, sont d’une digestion diffi- cile, et elles n’y sont absorbées que très-lentement ! (Voy. $ 48 et 76). Pour peu que leur quantité dépasse une certaine proportion, on les re- trouve en nature dans les fèces. Quant à ce qui concerne la digestibilité des substances albuminoïdes , voici le résumé des recherches tentées à cet égard par M. Blondlot sur des chiens à fistule gastrique. La fibrine a été digérée dans l’estomac en une heure et demie, le gluten cuit en deux heures, la caséine solide en trois heures et demie, l’a/bumine coagulée en six heures, les fissus fibreur, tels que tendons et ligaments, en dix heures. Le mucus s’est toujours montré réfractaire à l’action digestive, quelles que fussent sa source et sa forme. M. Beaumont a observé sur son Canadien que les substances albumi- noïdes, lorsqu'elles font partie des aliments composés, sont digérées ainsi qu'il suit : les viandes bouillies et frites de veau, de bœuf, de mouton et de porc, en quatre heures; ces mêmes viandes, rôties, en trois heures et demie ; la viande des volailles noires en trois heures et demie; celle des volailles blanches en trois heures. La chair du poisson était digérée moyennement en deux heures et demie. Les expériences faites par M. Beaumont sur la digestibilité des /écu- lents, tels que pain, pâtisserie, fécule cuite, pommes de terre, ne peuvent fournir de renseignements positifs, attendu que ces aliments franchissent l'estomac avant d’être digérés, leur digestion s’opérant en grande partie dans l'intestin. & A6. Durée de la digestion stomacale.— La digestion stomacale de l’homme s'opère donc sur les substances attaquées par le suc gastrique en l’espace de trois ou quatre heures, quand la quantité de nourriture digérée est mo- dérée. Quand la masse de nourriture consommée remplit complétement l'estomac, la durée totale de la digestion stomacale est souvent du double (ainsi qu'on le remarque sur les animaux). Il y a d’ailleurs, à cet égard, des différences individuelles nombreuses. Les hommes livrés aux travaux de cabinet et astreints par leurs occupations à une vie sédentaire ont en général les fonctions digestives languissantes, et les aliments restent souvent aussi de six à huit heures dans l’estomac; ils y déterminent pen- dant tout le temps de leur séjour un sentiment de pesanteur, dont la dis- parition coïncide avec la fin du travail de la digestion stomacale. L’exer- cice favorise le travail de la digestion stomacale; mais il faut qu’il soit modéré. Les efforts violents, quand l'estomac est rempli d'aliments, dé- terminent souvent l’indigestion. Le travail de la digestion s’accomplit plus vite pendant la veille que pendant le sommeil. 1 M. Blondiot a vu les matières grasses séjourner jusqu’à douze heures dans l'estomac des chiens. CHAP. I. DIGESTION. 105 ARTICLE III. ACTION DU SUC PANCRÉATIQUE, ACTION DE LA BILE, ACTION DU SUC INTESTINAL (DIGESTION DANS L’INTESTIN GRÈLE). & A7. Sue pancréatique.— Le pancréas est une glande analogue par sa con- stitution anatomique avec les glandes salivaires. Le pancréas présente toutefois ce caractère particulier, que ses conduits d’excrétion sont en- tourés de toutes parts par le tissu de la glande jusqu’à l'intestin, où ils vont s'ouvrir. Le suc pancréatique est versé dans la portion verticale, ou deuxième portion du duodénum, par deux canaux distincts (Voy. fig. 10). Fig. 10. a, fin de la vésicule biliaire. b, canal hépatique. c, ouverture dans l'intestin de la branche libre du conduit pancréatique. d, ouverture dans l'intestin du canal cholédoque uni à l’autre branche du conduit pancréatique. e, duodénum. f, canal cholédoque. L'orifice du conduit supérieur est commun avec celui du canal cholédo- que; le suc pancréatique et la bile se trouvent mélangés en ce point, au moment même de leur arrivée. L’orifice du canal inférieur est placé à 2 ou 3 centimètres au-dessous du précédent, et laisse écouler dans l’mtestin le suc pancréatique à l’état de pureté. Sur le chien, le canal pancréatique s’ouvre également dans l'intestin par deux branches, dont l’une est #so/ée. Sur le bœuf, sur le cheval, il y a également deux canaux excréteurs du pancréas. Chez le lapin, il n’y a, à proprement parler, qu'un seul canal pancréatique , car le plus petit (celui qui est commun avec le conduit de la bile) est tellement atrophié, qu'il est la plupart du temps imperméable. Autrefois, pour se procurer le suc pancréatique, on ouvrait l'intestin, on introduisait une sonde ou un tuyau de plume dans l’orifice du canal pancréatique, et on recueillait de petites proportions de liquide. Mais les désordres qu'il fallait faire subir à l'animal et l'impossibilité d'examiner 106 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. le liquide pancréatique tel qu'il s'écoule pendant la digestion normale ont fait rejeter ce procédé. Aujourd'hui, on se procure le suc pancréatique en établissant, suivant la méthode de M. Bernard, une fistule pancréatique à l'animal. A cet effet, on fait une incision à l'abdomen du côté droit, on cherche le duodénum, puis on saisit la branche isolée du canal pancréatique au moment où elle va pénétrer à travers les tuniques de l'intestin, on la coupe en travers, on l’attire légèrement au dehors et on la fixe sur une petite canule d'’ar- gent, à l’extrémité de laquelle est attachée une bourse en caoutchouc; puis op pratique un point de suture sur la plaie de l’abdomen, en ayant soin de laisser en dehors la bourse de caoutchouc. Il est bon de pratiquer cette opération sur un chien qui vient de manger : le liquide qui va s'é- couler dans le petit réservoir de caoutchouc représente ainsi celui qui se serait écoulé dans l'intestin pendant la période digestive. I ne faut non plus recueillir que le liquide qui s'écoule pendant les premières vingt-quatre heures. Passé ce temps, il arrive souvent que le liquide qui s'écoule dans le réservoir, et qui s’écoulera les jours suivants, devient aqueux et coule avec beaucoup plus d’abondance; mais il a perdu ses propriétés caracté- ristiques. Cette abondance tardive de la sécrétion estun signe que le pan- créas s’irrite et s’enflamme, C'est faute d’avoir fait cette distinction , et pour avoir opéré sur un suc pancréatique altéré par les phénomènes in- flammatoires qui succèdent à l'opération , qu’on a contesté les résultats obtenus par M. Bernard. M. Bernard a étudié ce suc sur les chiens, les chevaux, les lapins et les pigeons. Depuis, MM. Weinmann, Bidder et Schmidt, Kræger, l'ont étudié sur le chien; M. Frerichs, sur l’âne; M. Colin, sur le bœuf, le che- val, le porc et le mouton. La sécrétion du suc pancréatique n’est pas absolument suspendue sur les animaux pendant l'intervalle des digestions, mais elle est tellement ralentie alors, qu'il s’en écoule à peine quelques gouttes quand on établit ces fistules sur des animaux à jeun. Quand on pratique une fistule sur un chien de taille moyenne qui vient de prendre des aliments, on peut re- cueillir environ 20 ou 30 grammes de suc pancréatique dans les quatre ou cinq heures qui suivent l'opération. Le pancréas fournit par consé- quent environ 5 ou 6 grammes de suc pancréatique à l'heure pendant la période digestive. À mesure qu'on s'éloigne de ce moment, la sécrétion diminue et devient bientôt à peu près nulle. Ces oscillations de la sécré- tion se reproduisent à chaque repas. Pour bien les étudier, M. Bernard ne s’est pas contenté d'établir des fistules pancréatiques, mais il a pratiqué des fistules duodénales sur la portion du duodénum dans laquelle vient s'ouvrir le canal excréteur du pancréas. Dans une expérience sur un bélier, M. Colin a recueilli 20 grammes de suc pancréatique à l'heure. Au bout de trois heures, la sécrétion s’est ralentie ; elle n’était plus que de 3 à 4 grammes. Sur un pore, la sécré- CHAP. I. DIGESTION, 107 tion fournissait de 5 à 8 grammes de liquide par heure. Au bout de la huitième heure, il ne s’en écoulait plus que 1 ou 2 grammes. Les expé- riences que M. Kræger a faites sur le chien montrent pareillement que la quantité de la sécrétion est liée à la période digestive. Il n’est pas facile de fixer approximativement la quantité de suc pan- créatique qui s'écoule chez l’homme dans l'intestin pendant les quatre ou cinq heures qui suivent le repas. Si nous supposons que la sécrétion de la glande pancréatique est proportionnelle au poids de la glande, comme le pancréas du mouton pèse en moyenne 50 ou 60 grammes, et celui de l’homme à peu près 80 grammes, le pancréas du mouton donnant 20 grammes de liquide à l’heure pendant la période d’excitation, le pan- créas de l’homme en devrait fournir dans le même temps environ 30 grammes, Mais le mouton est un animal herbivore !, et il est probable que chez l’homme la quantité de suc pancréatique sécrétée est moindre, Le pancréas du chien pèse en moyenne 50 grammes (chien de 15 kilogr.) et donne par heure de 5 à 6 grammes de liquide. En comparant l'homme à un animal carnivore, le pancréas humain fournirait donc seulement 9 grammes de liquide à l'heure dans la période de sécrétion. Ajoutons que la nature de l’aliment a peut-être aussi sur la sécrétion panceréatique l'influence qu’elle exerce sur d’autres sécrétions du tube digestif, (Voy. Salive, S 38.) Le suc pancréatique de la digestion est un liquide incolore, filant, et analogue pour la consistance à du sirop. Lorsqu'on chauffe ce liquide, il prend en masse et se coagule, comme si l’on avait affaire à une dissolu- tion d’albumine. Le suc pancréatique altéré n’est pas coagulable. La partie essentielle du suc pancréatique est une substance analogue aux matières albuminoïdes. C’est cette matière qui se coagule par la cha- leur. Les acides énergiques la coagulent aussi, et déterminent en consé- quence un précipité. Tels sont les acides azotique, sulfurique et chlorhy- drique. Les acides faibles (acide acétique, acide lactique) et les acides étendus ne la coagulent pas. L'alcool coagule et précipite aussi cette ma- tière, qui diffère de l’albumine en ce que le précipité est de nouveau so- luble dans l’eau , ce qui n’a pas lieu pour l’albumine , laquelle est inso- luble lorsqu'elle a été coagulée par l'alcool ?. Le suc pancréatique offre une réaction alcaline. Ce suc s’altère avec une très-grande facilité. On ne peut le conserver plusieurs jours qu’à la con- dition de le maintenir à une basse température : à + 5° ou + 10°, par exemple. Il suflit de l’exposer quelque temps à une température de très- peu supérieure à celle de l'animal pour qu'il perde ses propriétés. Le suc pancréatique , indépendamment de sa matière organique spé- 1 Le suc pancréatique jouant un rôle essentiel dans la digestion des féculents (Voy.S 49), Ja sécrétion de ce suc est vraisemblablement plus active chez les herbivores que chez les car- nivores. ? La matière active de la salive et du suc gastrique, précipitée par l'alcool, est également de nouveau soluble dans l’eau. (Voy. $$ 38 et 40.) 108 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. ciale, renferme une grande quantité d’eau , des sels divers, tels que des chlorures et des phosphates de soude et de potasse, des carbonates et des sulfates alcalins, des carbonates et des phosphates terreux. Il renferme aussi des traces de matières grasses. MM. Tiedmann et Gmelin ont donné une analyse qui exprime les rapports comparés de ces divers éléments. Quoique le suc pancréatique n'ait pas été recueilli par eux suivant le pro- cédé de M. Bernard, qui n’était pas encore connu alors, cependant, comme ce liquide se coagulait à la chaleur, nous pouvons le considérer comme le véritable suc pancréatique de la digestion. L’une des analyses don- nées par MM. Bidder et Schmidt s'applique aussi au suc pancréatique normal. Voici ces deux analyses : SUC PANCRÉATIQUE DU CHIEN. SUC PANCRÉATIQUE DU CHIEN, (Tiedmann et Gmelin). (Bidder et Schmidt). HAE PSN 1 F0172 Matière organique analogue à l’al- bumine (et sels insolubles).. . 3,99 Matière soluble dans l'alcool (et Matières organiques . sels solubles dans l'alcool). . . 3,86 Matière soluble dans l’eau (et sels SOOhES cs Mae solubles dans l’eau).. . . . .[ 1,53 La seconde analyse, donnée par MM. Bidder et Schmidt, ainsi que celle de M. Frerichs, se distinguent des deux précédentes par la faible propor- tion des matières organiques. Il est plus que probable qu’elles ont porté sur un suc pancréatique altéré. SUC PANCRÉATIQUE DU CHIEN. SUC PANCRÉATIQUE DE L’ANE. (Schmidt.) (Frerichs.) Eau. . . - . . . . . . .| 98,04 FAURE Me CU EE IN O8 EE Matières organiques. . . . 1,27 | Matières organiques. . . . 0,05 SELS Cd ET RE ne de 0,69 "AISelS LR RE 1,01 S 48. Action du suc pancréatique sur les corps gras.— Les expériences de M. Bernard ont nettement établi que le suc pancréatique a la propriété d’é- mulsionner les corps gras. Les corps gras, qui ne sont miscibles ni à l’eau, ni à la salive, ni au suc gastrique, se trouvent transformés par le suc pan- créatique en une émulsion, c’est-à-dire qu'ils sont divisés en particules d’une finesse extrême, lesquelles n'apparaissent au microscope que comme une fine poussière ou comme des nébulosités indistinctes. Les corps gras, une fois émulsionnés, se trouvent par là même préparés à l'absorption, comme nous l’établirons plus loin. Lorsque du beurre ou des graisses animales, ramollies et liquéfiées par CHAP, I. DIGESTION. 109 une température analogue à celle du corps des animaux (37 degrés cent.), sont agitées avec du suc pancréatique, l’émulsion s'opère à l'instant. On obtient pour résultat un liquide fluide analogue à un lait de poule. Si l’on agite dans un flacon de l'huile d'olive avec du suc pancréatique, le même phénomène se produit. Lorsqu'on laisse le flacon où on a opéré ces divers mélanges dans un bain-marie à 37 degrés, le mélange finit, il est vrai, par se dissocier en partie, mais il se maintient pendant un temps plus considérable que celui qui est nécessaire à l’absorption. Sur le lapin, le canal pancréatique unique s'ouvre à 25 ou 30 centimè- tres au-dessous du canalcholédoque ; or, onremarque, quand on a fait pren- dre de l'huile à un lapin, que la partie de l’intestin placée au-dessous du pointoü vient s’ouvrirle canal pancréatique est remplie de matières grasses émulsionnées, tandis que l’émulsion est moins évidente dans la partie de l'intestin qui précède le canal pancréatique. Les chylifères qui naissent de l'intestin, au-dessous du canal pancréatique, sont aussi plus manifeste- ment remplis de graisse émulsionnée que les chylifères placés au-dessus. M. Eisenmann a rassemblé et publié dernièrement, dans les Annales de médecine de Prague, sept observations de maladies du pancréas, à la suite desquelles l’ouverture des corps a montré une destruction plus ou moins complète de la glande. Or, dans toutes ces observations, la maladie était surtout caractérisée par un amaigrissement considérable. L'examen des selles montra dans les fèces une grande quantité des matières grasses de l’alimentation. M. Bernard détruit le pancréas chez les chiens, en injectant par le ca- nal pancréatique des matières grasses liquides dans l’intérieur de la glande”, Or, chez les chiens dont le pancréas est ainsi détruit, l’amaigris- sement fait des progrès rapides, et les matières grasses de l’alimentation se trouvent en partie non altérées dans les matières fécales, Lorsqu'on lie sur les animaux les deux conduits pancréatiques et qu’on leur administre ensuite des matières grasses, une grande partie de la graisse parcourt le tube digestif sans être absorbée ?. On peut la retrouver en na- ture, soit dans le tube digestif lui-même, soit dans les matières fécales. Au reste, cette expérience n’a pas toute la valeur qu’on pourrait être tenté de lui attribuer. En effet, sur l’animal bien portant, pour peu que la quantité des matières grasses ingérées soit considérable, il s’en faut que toute la masse émulsionnée pénètre dans les vaisseaux chylifères. L’excès des matières grasses données dans la nourriture se retrouve dans les ex- créments. Cela tient à ce que les matières grasses offrent une certaine ‘ L’injection des matières grasses dans la substance du pancréas est suivie d’une induration de la glande. Il semble qu’il se forme là une masse savonneuse à l’aide de l’alcali du suc pan- créatique. Cette induration de la glande est suivie par la résorption du pancréas, qui s’ef- gectue en quelques semaines. ? Il est vrai que, dans celte expérience , on supprime en mème temps l’arrivée de la bile dans l'intestin, Or, la bile a certainement aussi une action émulsive sur les matières grasses. Voy. S 51.) 410 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. résistance à l'absorption. Pendant le temps que mettent les aliments à parcourir le tube digestif, il n’y a d'absorbées qu’une quantité bornée de matières grasses {. Dernièrement M. Berthé a démontré, par une série d'expériences faites sur lui-même, que les diverses matières grasses de l’alimentation ne sont pas absorbées dans les mêmes proportions, alors même qu’elles sont ad- ministrées en même quantité. Les huiles végétales, telles que l'huile d’a- mandesetl’huile d'olive, sontmoinsfacilement absorbables que les graisses animales, ‘le beurre et les huiles de poisson. Les expériences de M. Ber- thé ont également démontré que la proportion des matières grasses, mise par les sucs digestifs dans les conditions de l’absorption, n’est pas consi- dérable. Sa nourriture de chaque jour contenait 60 grammes de matières grasses. Or, ces 60 grammes de matières grasses n'étaient jamais com- plétement absorbés. On en retrouvait dans les fèces environ 8 ou 10 gram- mes, pendant la première semaine de l'expérience ; lorsque celle-ci était conduite plus longtemps, on retrouvait, au bout d’un mois, de 30 à 40 gram- mes de matières grasses non absorbées dans les selles. On a dit que le rôle du suc pancréatique ne se bornait pas à l’émulsion des matières grasses, mais qu'il agissait encore chimiquement sur ces ma- tières pour les transformer en savons à l’aide de son aleali. Cette manière de voir a été suggérée par la difficulté où l’on était d'expliquer le passage de l'huile et de la graisse en nature au travers des membranes ; la forma- tion de savons solubles? paraissait indispensable à l'absorption. Il n’en est rien. D'ailleurs on n’a jamais vu ces prétendus savons ni dans le tube di- gestif ni dans les chylifères, où on retrouve facilement les matières gras- ses en nature. I faudrait, pour que la saponification dont on parle fût pos- sible, il faudrait, dis-je, que la réaction des liquides de l'intestin grêle fût toujours alcaline ; or, malgré l’alcalinité du suc pancréatique et celle de la bile, l'acidité du suc gastrique entraîné dans l'intestin grêle avec le chyme sature non-seulement cette alcalinité, qui est très-faible, mais la réaction acide due au suc gastrique est encore prédominante dans la plus grande partie de l'intestin grêle. Le suc pancréatique, mis en digestion pendant longtemps avec des ma- tières grasses, en dehors du corps de l'animal, amène, il est vrai, une sa- ponification partielle ; mais cette saponification n’a lieu qu'à la longue, et il suffit d’ailleurs d'ajouter un peu d'acide au sue pancréatique, ou sim- plement de saturer son alcalinité pour qu’elle ne se produise pas. L'action émulsive du suc pancréatique sur les matières grasses est un 1 Voyez, pour l'absorption des matières grasses, $ 76. ? Une matière grasse est une espèce de sel non miscible à l’eau, constitué par l'acide oléi- que, l'acide margarique ou l'acide stéarique, unis à une base commune désignée sous le nom de glycérine. Dans la saponification à l’aide des alcalis, la glycérine est mise en liberté et les acides s'unissent à l’alcali pour former des savons, c’est-à-dire des margarates, des oléates ou des stéarates alcalins, solubles dans l’eau. La glycérine, devenue libre, est également 50- luble dans l'eau. CHAP. I. DIGESTION, 411 fait d'expérience facile à reproduire. Cette action n’a pas été niée, et elle ne pouvait pas l’être. Mais un certain nombre d’expérimentateurs ont con- testé le rôle qu’aurait le suc pancréatique de placer les matières grasses dans les conditions de l’absorption. Les expérimentateurs dont je parle n'ont pas toujours prouvé ce qu’ils ont avancé ; mais il résulte de leurs ex- périences, que le suc pancréatique n’est pas le seul qui émulsionne les graisses, ni le seul qui en favorise l'absorption. M. Frerichs lie le conduit pancréatique du chat; au bout de quatre heures, 1l donne à l'animal de la graisse, et il trouve les chylifères remplis d’un liquide blanc (caractéris- tique de l’absorption de la graisse). Dans d’autres expériences, après avoir posé une ligature sur lé duodénum, au-dessous de l’orifice des canaux biliaires et pancréatiques, il injecte des matières grasses dans l'intestin, et les chylifères contiennent bientôt après un liquide blane. On peut ob- jecter, il est vrai, aux expériences de M. Frerichs, ou bien qu'il n'avait lié que l’un des conduits pancréatiques, ou bien que l'intestin contenait encore du suc pancréatique au moment de l'injection des matières grasses: Ce dernier reproche ne peut pas être fait aux dernières expériences de M. Lenz. Après avoir lié l'intestin au-dessous de l’orifice des canaux bi- liaires et pancréatiques, l’expérimentateur laisse jeûner l'animal quatre jours; il porte alors directement de la graisse dans l'intestin, et au bout de quelque temps il trouve les chylifères correspondants remplis d’un /i- quide blanc. M. Lenz croit pouvoir conclure de là, que le suc pancréatique est inutile à l'absorption des matières grasses. Cette conclusion ne ressort pas de l’expérience : celle-ci prouve seulement que d’autres liquides in- testinaux jouissent de la propriété émulsive, et rien autre chose. M. Don- ders et M. Herbst ont également fait observer que les chyliferes du lapin contiennent un liquide lactescent dans la partie qui précède le canal pan- créatique, ce qu'on savait déjà. Mais il est mcontestable que le liquide qui circule dans les chylifères placés au-dessous de l’orifice du canal pancréa- tique est plus blanc que dans les chylifères placés au-dessus. MM. Bidder et Schmidt ont constaté que chez les chiens auxquels on a pratiqué une fistule biliaire, et chez lesquels, par conséquent, la bile ne coule plus dans l'intestin, la proportion des matières grasses absorbées par l'intestin di- minue très-notablement, comme on peut s’en assurer en pesant la quan- üté des matières grasses ingérées et la proportion des matières grasses expulsées avec les selles, et en comparant ce qui se passe dans ces con- ditions expérimentales avec ce qui a lieu chez un animal sain. Ceci prouve que la bile à une action analogue à celle du suc pancréatique, mais non pas que le suc pancréatique ne la possède point. Nous ferons les mêmes + M. Bernard, dont les travaux ont éclairé d’une vive lumiere l'histoire du suc pancréa- tique, est loin d’avoir l’opinion exclusive que quelques-uns de ses contradicteurs lui prêtent. Il n’a jamais soutenu que d'autres liquides que le sue pancréatique ne pussent émulsionner les graisses et en favoriser l'absorption, Ce n’est pas, d’ailleurs, le rôle unique du suc pan- créatique, car il agit sur les fécules et il concourt à la digestion des matières albuminoïdes. (Voy. $ 54.) 112 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, observations en ce qui concerne les expériences de M. Colin. Le chyle de la digestion, recueilli au cou par une fistule au canal thoracique, renferme une certaine proportion de graisse variable suivant l’alimentation ($ 63). S'il est vrai qu'on trouve encore de la graisse dans le chyle recueilli sur un animal à fistule thoracique, dont le suc pancréatique est en même temps dérivé au dehors par l'établissement d’une fistule pancréatique, ilest vrai, aussi, que la quantité de graisse qui passe par absorption dans le système chylifère d’un animal à fistule pancréatique est bien moins considérable que quand le suc pancréatique coule librement dans l'intestin : toutes les fois, bien entendu, que la comparaison porte sur des animaux soumis à une alimentation identique, quant à la proportion des matières grasses. En résumé, le suc pancréatique émulsionne les matières grasses et fa- vorise leur absorption. Il n’est pas le seul qui jouisse de ce pouvoir, car il le partage lavec la bile et le suc intestinal. Mais on peut conclure des faits connus jusqu’à ce jour, que le suc pancréatique est, parmi les divers liquides portés à la surface de l'intestin, celui dans lequel cette propriété parait être la plus active. La propriété émulsive du suc pancréatique a été observée par M. Ber- nard, en 1846. Ses expériences ont été publiées en 1848. Quatorze ans au- paravant (1834), M. Eberle avait dit, il est vrai, que le suc pancréatique transformait les graisses en une sorte d’émulsion, et paraissait destiné à en favoriser l'absorption, mais c'était là une idée jetée en avant et oubliée depuis, comme tous les faits non démontrés par expérience. La démons- tration expérimentale du fait, la seule sérieuse dans les sciences, ne peut être contestée à M. Bernard. $ 49. Action du sue paneréatique sur les aliments féculents.— Les aliments féculents, nous l'avons vu, sont transformés par la salive en dextrine d’a- bord, puis en glycose. Insolubles qu’ils étaient, ils sont devenus solubles. Mais cette action, commencée dans la bouche et continuée dans l’estomac (Voy.$ 39), ne s’est exercée que sur une portion des féculents. La trans- formation reprend une activité nouvelle dans l'intestin grêle. Au moment où le chyme passe de l’estomac dans l'intestin, il y a une grande quantité de fécule (surtout chez les herbivores, dont elle constitue la principale ali- mentation) qui n’a pas encore été modifiée. Le suc pancréatique agit sur elle à la manière de la salive. MM. Sandras et Bouchardat ont démontré le fait à l’aide du suc pancréa- tique de l’oie: Ils ont montré aussi que des fragments de pancréas, mis en digestion avec l’amidon, jouissaient à un haut degré du pouvoir de le transformer en dextrine et en glycose. M. Lenz a tiré, de recherches plus récentes, la conclusion que le sucre pancréatique transformait l’amidon en sucre avec une grande rapidité. Si, à l'exemple de M. Donders, on pratique à un chien une fistule à l’o- CHAP, 1. DIGESTION, 415 rigine de l'intestin grêle, et qu’on nourrisse ce chien avec du pain (le pain contient une grande quantité de fécule), on voit sortir par la fistule une matière qui contient encore beaucoup de fécule. Au contraire, un chien sans fistule, nourri avec du pain, ne présente pas de trace de fécule dans ses excréments. La transformation de la fécule a donc lieu en grande partie dans l'intestin. & 50. Bile. — La bile s'écoule par le canal cholédoque dans la deuxième por- tion du duodénum. Cette humeur joue dans l’économie un double rôle : elle est une humeur excrémentitielle, comme le sont l’urine et la sueur, et elle est évacuée par l’anus avec les résidus non absorbés de la digestion, qu’elle colore en brun. Elle concourt, d’une autre part, aux phénomènes chimiques de la digestion. Nous ne l’envisagerons ici que sous ce dernier rapport". La bile est un liquide légèrement alcalin, brun verdâtre, d’une saveur à la fois douce et amère. L'analyse de la bile a été faite bien des fois. MM. Berzelius, Gmelin, Mulder, Demarçay, Liebig, ont publié des analy- ses qui diffèrent beaucoup les unes des autres. Aujourd’hui la plupart des chimistes ont adopté les idées de M. Strecker sur la composition de la bile. Nous nous rattacherons aussi aux travaux de M. Strecker. C’est la bile con- tenue dans la vésicule biliaire du bœuf qui a servi à la plupart des analyses. Indépendamment de l’eau et des sels qu’elle renferme, ainsi que la plu- part des liquides organiques, la bile peut être considérée comme consti- tuée essentiellement par deux acides organiques azotés unis à la soude et à la potasse, et formant ainsi deux sels organiques. Ces deux acides orga- niques sont l’acide cholique et l'acide choléique; ils diffèrent l’un de l’autre en ce que l'acide cholique ne contient point de soufre, tandis que l’acide choléique est sulfuré. On a désigné quelquefois le premier sous le nom d’a- cide bilique non sulfuré, et le second sous le nom d'acide bilique sulfuré. L’acide cholique peut être obtenu cristallisé en aiguilles. Cet acide est peu soluble dans l’eau et dans l’éther ; il est soluble dans l'alcool. L’acide choléique n'a pas été obtenu à l’état cristallin. Son acidité est moins prononcée que celle de l’acide cholique. Il est soluble dans l’eau. Les cholates et les choléates alcalins de la bile sont solubles dans l’eau; ils ont une saveur à la fois sucrée et amère. L’acétate de plomb et le ni- trate d'argent précipitent les cholates. Les choléates ne sont point préci- pités par ces réactifs. Indépendamment des cholates et choléates alcalins, la bile contient éros matières colorantes azotées : 4° une brune (cholépyrrhine); 2 une verte (bi- liverdine]; 3° une jaune (bilifulvine). Ces principes colorants isolés sont insolubles dans l’eau. Is se trouvent dissous dans la bile à l’aide du cho- léate de soude. 1 Voyez, pour les détails relatifs à la sécrétion biliaire, & 484 et snivante, 114 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, I y a dans la bile des matières grasses neutres : cholestérine, oléine, margarine. I y a aussi dans la bile du mucus. Parmi les sels minéraux que contient la bile, le chlorure de sodium est le plus abondant. Il y a des phosphates et des carbonates alcalins, de très- petites proportions de phosphates terreux, et des traces de sels de fer et de silice. La proportion de l’eau contenue dans la bile du bœuf est environ de 90 pour 100. Il reste par conséquent 10 pour 100 de matériaux solides, quand on la fait évaporer. M.Strecker a procédé à la détermination des éléments constituantsde la bile par des procédés très-simples. Il évapore lentement cette humeur et traite le produit évaporé par l’eau, par l'alcool, par l’éther, par l’acétate de plomb. Il exclut tout traitement par les acides et les alcalis, qui dédou- blent et transforment les éléments constituants de la bile *. La bile de l’homme contenue dans la vésicule biliaire est un peu plus riche en matériaux solides, mais elle présente la même composition que celle du bœuf. Voici l’analyse de la bile humaine, faite par M. Frerichs sur un homme mort d'accident, et par M. Gorup-Besanez sur deux suppliciés. BILE HUMAINE. FRERICHS. GORUP-BESANEZ. ANALYSES Bile prise dans la vésicule Bile prise de deux suppliciés. RAPPORTÉES À 100 PARTIES. SR QE dans la vésicule œrr | 4°" supplicié. 2° supplicié. Eau, LU ANR RIEU À 86,0 89,7 82,1 Cholate et choléate de soude. . . 9,10 5,2 40,6 Gholestérine Eee ete 0,26 } 51 20 Margarine etoléine.. . . . . . 0,92 c 4 Mucus et matières colorantes. , . 2,95 4,4 2,2 SES tetes ie SR a 0 à 0,77 0,6 11 100,0 100,0 1 Voici, d'après M. Strecker, la signification qu’il faut donner aux matières autrefois consi- dérées comme les principes constituants de Ja bile, La taurine est un produit de l’art. Elle se forme aux dépens de l'acide choléique, quand on fait bouillir la bile avec des dissolutions alcalines, ou quand on la traite par l'acide chlorhy- drique. La taurine est sulfurée comme l'acide choléique d’où elle procede. Elle cristallise fa- cilement, est soluble dans l’eau bouillante et insoluble dans l’alcool. La biline de Berzelius et de Mulder est un mélange de cholates et de choléates alcalins. L’acide cholalique, l'acide choloïdique, la dyslisine sont des produits de l’action prolongée de la potasse caustique sur l'acide cholique. Dans les mêmes conditions, il se produit aussi du glycocolle. L’acide fellinique de Berzelius n’est que l'acide choloïdique. La matière désignée sous le nom de résine biliaire est la même substance unie aux malières grasses et aux principes co- lorants de la bile. Le picromel est aussi un produit artificiel, C'est du glycocolle mélangé de matières grasses. On a aussi signalé dans la bile la présence de la leucine et de la tyrosine. Ces deux prin- CHAP, I. DIGESTION, 445 & 51. Rôle de la bile dans la digestion. — La bile est versée dans le duo- dénum, c’est-à-dire dans une partie de l'intestin où les phénomènes de la digestion s’accomplissent encore avec toute leur activité; de plus, la bile est versée, chez l’homme et chez beaucoup d'animaux, par un canal qui lui est commun avec le suc pancréatique ; il est donc présumable déjà que cette humeur n’est pas seulement un liquide excrémentitiel, mais qu'elle joue un rôle dans les phénomènes de la digestion. Si la bile était simplement un liquide d’excrétion, on ne comprendrait pas pourquoi elle n’est pas versée dans les dernières portions de l'intestin, dans le côlon transverse, par exemple, qui se trouve placé à peu près au même niveau que le duodénum. La bile sécrétée par le foie s’écoule par le canal hépatique, elle passe de là dans le canal cholédoque, qui la transmet dans l'intestin, où elle s'écoule goutte à goutte, d’une manière continue. Mais une portion de la sécrétion, au lieu de suivre son trajet descendant par l’mtestin, remonte par le canal cystique, et vient s'emmagasiner dans la vésicule biliaire, qui se remplit. (Voy. S 184.) Au moment de la digestion, la bile accumulée dans la vésicule s’écoule dans le duodénum. Si l’on ouvre un animal à jeun, on trouve la vésicule biliaire distendue. S'il a fait un repas depuis une heure ou deux, on trouve la vésicule presque vide, quoique les aliments soient encore dans l’es- tomac. On a observé le même phénomène (c’est-à-dire la vacuité de la vésicule) sur des hommes morts pendant le travail de la digestion sto- macale. Lorsque les aliments passent de l’estomac dans le duodénum , ils trouvent donc la bile déjà parvenue dans l'intestin ; et, avec la bile, aussi du suc pancréatique. Une partie de ce suc y arrive, d’ailleurs, par un orifice commun avec celui de la bile. La paroi interne de l'intestin se trouve dès lors tapissée par avance, sur le passage de la bouillie alimen- taire, par une couche liquide, épaisse, visqueuse et adhérente, formée par la bile et le suc pancréatique. Il est probable que cette imbibition préa- lable des parois intestinales par la bile et le suc pancréatique n’est pas inutile à l'absorption. (Voy. S 75 et 76.) L’écoulement de la bile dans l’in- testin commence avec la réplétion de l'estomac par les aliments. Cette réplétion exerce une pression sur les organes contenus dans l'abdomen, par conséquent sur la vésicule, et la bile s’écoule dans l'intestin. Les pa- rois contractiles du canal cholédoque concourent à la progression. La vé- sicule biliaire est pourvue aussi d’une tunique contractile qui peut favo- riser l’excrétion, surtout quand la vésicule est fortement remplie. On a remarqué, depuis bien longtemps déjà, que la bile se mélange avec les corps gras ; ce n’est pas d'aujourd'hui que la bile de bœuf sert de cipes, qu'on a aussi retrouvés dans le sang des veines sus-hépaliques, ne se rencontrent qu’à l'état pathologique. Ce sont vraisemblablement des produits de décomposition, 116 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. dissolvant aux dégraisseurs. La bile ne paraît agir sur les corps gras que par une action de mélange, et non pas par action chimique. M. Lenz a mis des corps gras neutres en présence de la bile et n’a pas constaté de dé- doublement chimique. La faible alcalinité de la bile extraite du corps de l'animal n’a donc pas la propriété de saponifier les corps gras d’une ma- nière sensible. A plus forte raison, la saponification n’a-t-elle pas lieu dans l'intestin grêle, où, nous l’avons déjà dit, l'acidité du suc gastrique en- trainé avec la masse alimentaire est presque toujours prédominante. Il est probable, dès lors, que dans les phénomènes de la digestion la bile concourt avec le suc pancréatique à mettre les corps gras en suspension, c'est-à-dire à les émulsionner. Les matières grasses doivent être émulsionnées pour pénétrer dans les vaisseaux chylifères. (Voy. $ 76.) La présence des corps gras dans les vaisseaux chylifères peut donc être regardée comme une preuve que ces corps ont été préalablement préparés à l'absorption, soit par le suc pan- créatique, soit par la bile. Or, M. Lenz a fait plusieurs expériences qui démontrent que si l’on supprime l’écoulement du suc pancréatique dans l'intestin,jen y laissant parvenir la bile, on trouve encore dans les vaisseaux chylifères de l'intestin du chyle blanc, c'est-à-dire des matières grasses. Si l’on supprime l’arrivée de la bile dans l'intestin par la ligature du canal cholédoque, on constate qu’il y a eu néanmoins du chyle blanc d’absorbé : il y a donc eu des substances grasses émulsionnées. Le pan- créas a continué, en effet, à verser son liquide dans l'intestin. L'animal, d’ailleurs, succombe très-promptement aux phénomènes de la résorption biliaire, à moins que le canal ne se rétablisse. Lorsqu'on établit une fistule biliaire, c’est-à-dire lorsque, au lieu de laisser couler librement la bile dans l'intestin, on la force à couler au dehors par une plaie extérieure, l’animal n’est plus exposé aux phénomènes de la résorption biliaire. Il peut prolonger sa vie pendant des mois, bien que la bile soit supprimée pour la digestion. Les expériences de MM. Bidder et Schmidt, et celles de M. Lenz, montrent que, sur les animaux à fistule biliaire, la quantité des matières grasses absorbées dans l'intestin diminue de près de moitié, et que c’est surtout à cette cause qu'il faut attribuer l’épuisement et la mort des animaux auxquels on a pratiqué cette opération. M. Schellbach, qui a fait des expériences confirmatives des précédentes, a montré que les chiens à fistule biliaire ont besoin d’une plus grande quantité d'aliments pour réparer leurs pertes. La graisse ne pouvant plus être absorbée par eux qu’en proportions limitées, il faut, dans leur régime, augmenter la proportion des aliments féculents sur lesquels peut continuer à agir le suc pancréatique. De cette manière, d’après l’expérimentateur dont nous parlons, on peut prolonger beaucoup la vie de l’animal. La suppression de la bile comme liquide de digestion n’entraîne, par con- séquent, des désordres ni aussi manifestes ni aussi rapides que la sup- pression du suc pancréatique. On le conçoit aisément : le suc pancréa- CHAP. I. DIGESTION. 417 tique n’émulsionne pas seulement les corps gras, mais il agit encore avec beaucoup de puissance sur les aliments féculents. La bile jouit donc, concurremment avec le suc pancréatique, quoiqu’à : un plus faible degré, du pouvoir d’émulsionner les corps gras. Mais la bile n’agit pas à l'instar du suc pancréatique, pour opérer la transfor- mation des matières amidonnées en glycose. M. Valentin place, pendant vingt-quatre heures, dans une température de 30 à 40 degrés centigrades, un flacon contenant un mélange de bile et d’empois d’amidon, et, au bout d’un si long temps, il n’y a que des traces douteuses de dextrine. Si l’on mélange de la bile avec de la glycose, et qu'on place ce mélange dans une température convenable, il se forme de l’acide lactique. Mais la formation d'acide lactique n’a rien de spécial ici. Nous avons vu qu'il s’en formait dans l'estomac, et cette formation a lieu aux dépens du sucre, dans toute l'étendue de l'intestin, sous l'influence des liquides organiques et de la température animale. Quand on place de la bile fraiche en digestion avec de l’albumime coa- gulée, on n’observe pas la moindre dissolution au bout de plusieurs jours. M. Gorup-Besanez a dernièrement avancé que la caséine pouvait être dissoute par la bile, et M. Platner avait cru remarquer aussi que la bile avait une action faiblement dissolvante sur le groupe tout entier des sub- stances albuminoïdes; l’expérience n’a point confirmé cette maniere de voir. Les substances albuminoïdes s’altèrent à la longue dans la bile, mais leur décomposition spontanée n’y est pas plus rapide que dans l’eau distillée. Les chiens pourvus de fistule biliaire digèrent aussi bien la viande que les chiens sans fistule. Ainsi, lorsqu'on donne à des chiens une ration normale de viande, on constate que tous les principes albuminoïdes de la viande ont disparu dans les matières fécales; on n’y retrouve qu’une portion des matières grasses de l’alimentation. A l’aide des chiens à fistule biliaire, on a constaté pareillement que la bile pouvait être envisagée comme étrangère à la digestion des aliments féculents. Ainsi, par exemple, lorsqu'on nourrit un animal de ce genre avec du pain noir pendant huit jours, et qu'on essaye les matières fécales de cet animal à l’aide de l’iode, on n’y trouve pas plus d’amidon que sur un animal sain ‘. (Voy., pour plus de détails sur la bile, les $ 184, 185, 186.) 1 M. Hoffmann a appelé l'attention des physiologistes sur la propriété que possede la bile d'arrêter la putréfaction des matières qui cheminent dans l'intestin ; sur les animaux à fislule biliaire, MM. Bidder et Schmidt ont noté que les matières fécales avaient une odeur cada- vérique repoussante, quand ils étaient nourris de substances animales. MM. Scherer et Frerichs pensent que, sous l'influence de la bile, la peptone se transforme de nouveau en albumine coagulable par la chaleur, de telle sorte que les matières azotées (fibrine, albumine coagulée, caséine, gluten, légumine) de l'alimentation se trouveraient, en résumé, livrées à l'absorption sous forme d’albumine. Ce fait mériterait d’être étudié. 118 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. S 52. Sue intestinal. — Dans toute l’étendue de l'intestin, depuis le pylore jusqu’à l'anus, la membrane muqueuse sécrète une humeur ou mucus, qui agit aussi sur les substances alimentaires. À l’arrivée des matières alimentaires dans le gros intestin, la plus grande partie des portions as- similables de l’alimentation ont été liquéfiées et absorbées; l’action du suc intestinal est donc à peu près bornée à l'intestin grêle. Les glandes de Lieberkuhn, ou glandes tubuleuses simples, qui se trouvent répandues par myriades dans l’épaisseur de la membrane muqueuse, les follicules ou glandes en bourse, qu’on y rencontre aussi en quantité considérable, et surtout les glandes plus composées ou glandes de Brunner, qui forment au-dessous de la muqueuse du duodénum une sorte de tunique glandu- laire non interrompue, telles sont les glandes qui sécrètent le suc in- testinal. On a parlé aussi d’une perspiration de liquides à l’état de vapeur, qui aurait lieu, indépendamment des glandes, au travers de la muqueuse intestinale et aux dépens du sang qui circule dans les vaisseaux de l’in- testin. Cette perspiration, qui existe à la surface de la peau, n’a pas lieu dans l'intestin, car la surface intestinale est toujours en contact, soit avec des substances liquides, soit avec des gaz saturés d'humidité. (Voy. Éva- poration cutanée, $ 155 et suiv.) Attirez, au dehors de l’abdomen d’un animal vivant, une anse intesti- nale; ouvrez cet intestin, et excitez la surface muqueuse à l’aide d’un acide faible, tel que le vinaigre, par exemple, et vous verrez sourdre à l'instant le suc intestinal. Dans le but de se procurer le suc intestinal en quantité suffisante pour en examiner les propriétés, MM. Leuret et Lassaigne faisaient avaler à des animaux plusieurs éponges entourées d’un linge fin ; ils mettaient à mort les animaux, recueillaient les éponges trouvées dans l'intestin grêle, les débarrassaient de leur enveloppe et exprimaient le liquide qui les im- bibait. Cette méthode laisse beaucoup à désirer, car les éponges parve- nues dans l'intestin peuvent contenir de la salive, du suc gastrique, de la bile, du suc pancréatique et du sue intestinal. M. Frerichs a procédé d’une manière plus rigoureuse. Il attire au dehors une anse intestinale de chat, refoule avec soin son contenu par en haut et par en bas, à l’aide d’une pression douce, dans un espace de 10 à 20 centimètres ; pose une ligature au-dessus et au-dessous de l’espace ainsi préparé, et replace ensuite l’in- testin dans l’abdomen. Au bout de quatre à six heures, l'animal est tué, et on recueille le liquide qui a été sécrété dans l’anse intestinale comprise entre les ligatures. M. Colin a suivi à peu près le même procédé que M. Frerichs. Au lieu de poser des ligatures sur l'intestin, il comprime sur le cheval deux points d’une anse intestinale, distants l’un de l’autre d’environ 2 mètres, à l’aide d’un petit appareil à vis, dont les plaques comprimantes sont doublées de CHAP. I. DIGESTION. 119 velours. Au bout d’une demi-heure, il retire l’anse d'’intestin qui avait été replacée dans le ventre de l’animal, et il en extrait par une ponction le li- quide qui s’y est amassé. MM. Bidder et Schmidt se sont procuré du sue intestinal, en établissant sur des chiens des fistules intestinales vers la portion moyenne de l'intestin grêle. Sur d’autres chiens, la fistule n’était pratiquée à l'intestin qu'après la ligature préalable des {conduits biliaires et pancréatiques, afin d’ob- tenir le liquide aussi pur que possible. Le suc intestinal est un liquide limpide, transparent, alcalin. Sa solu- tion filtrée est incoagulable par la chaleur. L'alcool et la plupart des sels métalliques y déterminent un précipité abondant. Ce liquide contient, indépendamment du mucus et d’une matière orga- nique non définie, de l’eau, des sels et des matières grasses. Voici l'analyse qu’en a donnée M. Frerichs, celle que M. Lassaigne a faite sur le liquide recueilli par M. Colin, et celle de MM. Bidder et Schmidt. SUC INTESTINAL DE CHAT, |SUC INTESTINAL DE CHEVAL.| SUC INTESTINAL DE CHIEN. (Frerichs.) (Colin et Lassaigne.) (Bidder et Schmidt.) Matières organiques solubles Mucus et matières or- ganiques insolubles. Matières grasses. . . Sels S 53. Action du suc intestinal. — (Juelques auteurs ont contesté au suc in- testinal toute action digestive; d’autres, guidés par l’analogie et non par l'expérience qui a fait longtemps défaut, lui ont attribué le pouvoir de compléter l’action du suc gastrique sur la masse alimentaire. Tels sont MM. Leuret et Lassaigne, Tiedmann et Gmelin, Eberle, etc. L'action du suc intestinal sur les substances alimentaires n’a été expérimentalement étudiée que dans ces dernières années, et encore nous ne possédons sur l’action isolée de ce liquide qu’un petit nombre d'expériences. Telles sont celles de MM. Frerichs, Zander, Bidder et Schmidt, Colin. Lorsqu’après avoir extrait du suc intestinal de l'intestin d’un animal vi- vant on le met en digestion avec de l’empois d’amidon, on observe une métamorphose en dextrine et en glycose, analogue, pour la rapidité, avec celle qu'amènent la salive et le suc pancréatique. Ainsi, au bout de dix minutes, la masse amidonnée est devenue liquide, et elle précipite abon- damment en rouge par la liqueur cupro-potassique. Au bout d’une demi- heure, il n’existe plus d’amidon (comme on s’en assure par l’iode). Au 120 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. bout de cinq à six heures, tout le sucre formé (glycose) est transformé, par une métamorphose plus avancée, en acide lactique (Bidder et Schmidt). Le suc intestinal jouit de la propriété de diviser et d’émulsionner les graisses. Lorsqu'on mélange de l'huile d'olive à ce suc, l’émulsion persiste longtemps, et les liquides ne se séparent qu’à la longue et incompléte- ment. M. Frerichs et M. Lenz lient l'intestin au-dessous de l’orifice du canal biliaire et des canaux pancréatiques, et ils injectent du lait ou de l'huile d'olive dans la partie sous-jacente de l’intestim. Au bout de quelque temps, ils constatent la présence d’un chyle blanc (émulsion contenant les matières grasses) dans la partie correspondante de l'intestin. M. Colin est arrivé à peu près aux mêmes résultats. Voici ce qu'il dit à cet égard : « Lorsqu'on agite vivement dans un tube 5 ou 6 parties de suc intestinal avec À partie d'huile d'olive, celle-ci se transforme en une écume blan- châtre, homogène. Enfin, lorsqu'on injecte dans une anse intestinale fermée (d’après le procédé indiqué plus haut) une certaine quantité d'huile, on retrouve au bout d’une heure cette substance réduite en flo- cons blanchâtres, homogènes, et qui résultent évidemment d’une émul- sion déjà fort avancée. » MM. Zander, Bidder et Schmidt ont aussi étudié le rôle du suc intestinal sur les substances albuminoïdes de l'alimentation. Les animaux carnivores (chiens, chats) ont été utilisés à ce genre de recherches. Mais s’il est pos- sible de se procurer chez des animaux de petite taille des quantités de suc intestinal, suflisantes pour le faire réagir, dans un tube fermé, sur de l’amidon ou sur de l'huile, on n’en obtient par la fistule intestinale (qui ne comprend naturellement qu'un département très-restreint de l'intestin) que des proportions insuflisantes pour faire digérer de la viande ou de l’albumine coagulée, insuflisantes surtout pour estimer le pouvoir digestif de ce liquide. Les expérimentateurs ont donc procédé autrement. Ils lient sur l’animal vivant l'intestin au-dessous des canaux biliaires et pancréa- tiques; puis la substance alimentaire (albumine coagulée par la chaleur, ou viande cuite bien dégraissée) est placée dans de petits sacs de toile, et directement introduite dans l'intestin grêle. La plaie intestinale et la plaie abdominaie sont recousues, et l’animal abandonné à lui-même. Au bout de einq ou six heures, on met l’animal à mort et on recherche dans l’in- testin les petits sacs de toile. On retrouve généralement ces sacs dans le gros intestin. En ouvrant les sacs avec précaution, on constate déjà à la première vue un changement notable : l’albumine est ramollie, la viande dissociée, Si l’on pèse la matière contenue dans les sacs, on s’assure qu’elle a diminué environ d’un tiers, c’est-à-dire que le tiers ou le quart au moins de la matière alimentaire a été liquéfié par le suc intestinal et à traversé les parois du sac pour être livré à l’absorption intestinale. En résumé, le suc intestinal concourt à la digestion des aliments fé- culents ainsi qu’à celle des aliments albuminoïdes, et il jouit du pouvoir d’émulsionner les corps gras. CHAP, I. DIGESTION, 121 S 52. Action simultanée de la bile, du suc pancréatique ef du suc intes- tinal. — Digestion dans l'intestin grêle. — Nous avons étudié successi- vement l’action isolée de chacun de ces liquides. Maïs les conditions dans lesquelles nous nous sommes placé sont tout à fait artificielles et pure- ment expérimentales. Dans le fait, ces trois liquides agissent simultané- ment sur des aliments déjà infiltrés de salive et de suc gastrique. Le pro- blème est donc très-complexe 1. Ce que nous savons sous ce rapport, nous pouvons le puiser à deux sources : 4° l’examen des matières alimentaires recueillies à des hauteurs diverses de l'intestin grêle, après l’ouverture de l’animal, à des moments divers de la digestion; 2° l’action du liquide mixte versé dans l'intestin pendant la digestion. On se procure ce liquide mixte, en recueillant sur un animal en digestion le contenu de la partie supérieure de l'intestin grêle, et en jetant le tout sur un filtre; le liquide jaunâtre qui a traversé le filtre contient de la bile, du suc pancréatique, du suc intestinal, et aussi du suc gastrique. La bouillie alimentaire ou le chyme contenu dans l’estomac passe, au bout de quelques heures, dans l’intestin grêle et par portions successives. Le chyme qui entre dans l'intestin grêle (déjà dépouillé par l'absorption d’une partie des principes albuminoïdes liquéfiés et du sucre formé) con- tient : des matières albuminoïdes dissoutes, et non encore absorbées ; du sucre formé aux dépens des matières féculentes, et non encore absorbé ; des matières féculentes non encore altérées; les matières grasses in- tactes ; de faibles proportions d’acide lactique, quelquefois de l’acide acé- tique; enfin, les substances réfractaires à la digestion. La bouillie alimentaire était grisâtre dans l’estomac; elle se colore en jaune dans l'intestin grêle, à cause de la bile ; plus loin elle devient ver- dâtre, et sa couleur devient de plus en plus foncée, à mesure qu’elle s’avance vers le gros intestin. Malgré l’alcalinité de la bile, celle du suc pancréatique et celle du suc intestinal, l’acidité du suc gastrique entraîné dans l'intestin avec les ali- ments prédomine dans la plus grande partie de l'intestin grêle. Ce n’est guère qu’à la fin de cet intestin qu’on rencontre la réaction alcaline. Ce fait repose sur un grand nombre d’expériences. Cela est vrai surtout chez les animaux qui font usage de viande ou d’une nourriture mixte. Chez les . herbivores, la réaction du liquide contenu dans l'intestin grêle est généra- lement alcaline, très-probablement à cause de la prédominance d’action et de sécrétion des sucs digestifs de l'intestin. * Nous disions dans la deuxième édition de cet ouvrage : « Les résultats expérimentaux re- latifs à l’action simullanee de la bile, du suc pancréatique et du suc intestinal, sont à peu près nuls, et c’est une recherche qui est encore à faire; recherche d'autant plus intéressante que, nous le répétons, ces divers sucs agissent à l’état de mélange tout le long de l'intestin grêle. » Depuis cette époque, M. Bernard a examiné l’action du liquide mixte de l'intestin sur les mammiferes, les oiseaux et les poissons. 422 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION. La réaction acide de l'intestin grêle n’est pas d’ailleurs exclusivement déterminée par le suc gastrique. Elle l’est aussi par l’acide lactique et l'acide acétique, qui se forment aux dépens des matières sucrées. Cette acidité est, par conséquent, en rapport avec les mutations des substances alimentaires. L’acide lactique et l'acide acétique, que nous avons vus ap- paraître dans l’estomac, se forment bien plus abondamment dans l’in- testin, et cela se conçoit, puisqu'ils correspondent à une période plus avancée de la métamorphose des aliments féculents et sucrés. Il ne faut pas croire cependant, comme quelques auteurs l’ont dit, que la totalité de la glycose passe à l’état d’acide lactique avant de pénétrer dans les voies de l'absorption. Si cette transformation commence dans l'intestin, elle est loin d'y être complète, et nous verrons que la plus grande partie de la gly- cose formée pénètre en nature dans les voies de l'absorption. (Voy. $ 64.) On rencontre encore quelquefois, mais plus rarement, l’acide butyrique parmi les produits de la digestion intestinale. Il est probable que cet acide prend naissance, comme les précédents, aux dépens du sucre introduit en nature, ou du sucre provenant des métamorphoses des aliments fécu- lents. On sait que la fermentation prolongée du sucre au contact des ma- tières azotées donne naissance d’abord à de l'acide lactique et ensuite à de l’acide butyrique, par un dégagement d'hydrogène et d'acide carbo- nique !. M. Frerichs nourrit des chiens exclusivement avec des pommes de terre et du pain (nourriture principalement amylacée), et il constate la présence de l’acide butyrique dans le contenu de l'intestin grêle, Il n’est pas impossible pourtant qu'il se développe parfois de l'acide butyrique aux dépens des matières grasses. Le sucre que l’homme prend en nature est généralement à l’état de su- ere de canne (qu'il provienne de la canne à sucre ou de la betterave). La glycose ne se trouve guère toute formée que dans les fruits et dans les graines de quelques céréales, et dans les boissons fermentées. Le sucre de canne, avant d’être absorbé dans l'intestin, se transforme en glycose ; cette transformation s'opère surtout dans l'intestin grêle.-Si, à l’exemple de M. Frerichs, on met du sucre de canne en présence du suc gastrique pendant trente-six heures, on n’obtient que des traces de glycose. On peut faire, comme M. Lehmann, la même expérience à l’aide de la salive : le sucre de canne n’est point modifié. D'un autre côté, lorsque M. de Becker, dans des expériences nombreuses, fait prendre à un animal du sucre de canne, rarement il constate la présence de la glycose dans l’estomae ; la glycose est, au contraire, toujours très-abondante dans l'intestin grêle. On peut donc conclure que l'intestin grêle est le lieu ordinaire de cette transformation. Si l’acide lactique, métamorphose ultérieure de la gly- cose, se montre parfois dans l’estomac, il faut en rattacher la présence, non au sucre de canne, mais plutôt à la glycose déjà formée aux dépens de la partie amylacée de l'aliment par l’action de la salive. 1 Ces deux gaz existent parmi les produits de l'intestin. (Voy. $ 57.) CHAP. I. DIGESTION. 123 La gomme et la pectine, analogues par leur constitution chimique avec les matières amylacées, sont-elles transformées en glycose par la diges- tion intestinale, ou sont-elles absorbées en nature ? on l’ignore. On sait seulement que la salive et le suc gastrique n’exercent point sur elles d’ac- tion chimique. Lorsqu'à l’exemple de M. Bernard, on recueille le liquide contenu dans la partie supérieure de l'intestin grêle, on constate que ce liquide mixte, composé de bile, de suc pancréatique et de suc intestinal, possède toutes les propriétés digestives réunies. Ce liquide digère les matières albumi- noïdes et les matières féculentes, et émulsionne les matières grasses. Cela n’a rien de surprenant, si l’on veut bien se rappeler le rôle qu’exerce chacun des sucs digestifs pris isolémentf. En résumé, les phénomènes chimiques de la digestion dans l'intestin grêle consistent dans l’émulsion des matières grasses, dans la métamor- phose des aliments féculents en dextrine et en glycose, dans la dissolution des matières albuminoïdes non encore dissoutes par le suc gastrique, dans la transformation du sucre de canne en glycose, dans la formation de l’a- cide lactique et de l’acide acétique aux dépens d’une partie de la glycose déjà formée, dans la formation accidentelle de l’acide butyrique. On a souvent désigné sous le nom de chyle la bouillie alimentaire en- gagée dans l'intestin grêle ; il est aisé de voir, d’après ce que nous venons de dire, que cette masse est très-composée. Elle ne diffère du chyme sto- macal que par la disparition de certaines parties déjà absorbées, et par l'addition de la bile, du suc pancréatique et du suc intestinal. Si l’on ne devait donner le nom de chyle qu’à cette portion du produit de la digestion qui s’engagera par la voie des chyliferes, il est certain que les progrès de la science ont singulièrement restreint la signification du mot chyle. Au- trefois on pensait que la somme totale des produits absorbés de la diges- 1 L'action exercée par le liquide intestinal mixte sur les matières albuminoïdes tient-elle uniquement au suc intestinal ? Le suc pancréatique y concourt-il pour sa part? M. Corvisart affirme que le suc pancréatique pris isolément jouit de ce pouvoir. M. Bernard ne lui recon- naît celte action qu'autant qu’il est mélangé avec la bile et le suc intestinal. Les expériences de MM. Bidder et Schmidt sont confirmatives de cette dernière supposition. MM. Bidder et Schmidt placent en digestion des fragments d’albumine coagulée (de même poids et de même forme), les uns dans du suc intestinal pur, les autres dans un mélange de bile, de suc intes- tinal et de sue pancréatique. Or, la proportion de matiere dissoute par le liquide est exac- tement la même dans les deux cas. Au bout de six heures, cette portion dissoute est du quart ou du tiers. D'où ils tirent la conclusion que la propriété dissolvante, pour les matières albu- minoïdes, appartient en propre au suc intestinal. Au reste, le suc intestinal ne paraît pas jouir du pouvoir dissolvant au même degré que le suc gastrique. M. Bernard a constaté que, quand on a introduit par une plaie de l'intestin grêle des fragments de viande crue ou cuite, le suc intestinal digère faiblement les premiers ét beaucoup mieux les seconds. Dans les phénomènes réguliers de la digestion (chez les ani- maux carnivores qui prennent une alimentation non soumise à la coction), le suc gastrique acide a donc pour office de dissocier les fibres de la viande et d’en commencer la dissolution, que le suc intestinal vient achever. Le suc gastrique prépare également les matières grasses à la digestion, en les débarrassant de leurs enveloppes cellulaires, lesquelles paraissent long- temps résister à l’action des liquides de l'intestin. 124 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. tion passait par la voie des chylifères. Mais il est constant qu’il n’y a qu'une partie des produits digérés qni passe par cet ordre de vaisseaux ; une au- tre partie passe par les veines. (Voy. $ 66 et 75.) La bouillie alimentaire parvenue dans l'intestin se colore ordinairement en jaune, à cause de la bile. Lorsque la quantité des matières grasses in- gérées est très-abondante, l’émulsion qu’elles forment avec les liquides de l'intestin grêle domine et donne à la masse entière un aspect blanc et cré- meux. Cette bouillie blanche ressemble au liquide qui circule dans les chy- lifères ; et elle contient tous les autres produits de la digestion masqués par l’émulsion. ARTICLE IV. PHENOMÈNES CHIMIQUES DE LA DIGESTION DANS LE GROS INTESTIN. S 55. Digestion cœeale, — Les aliments, après avoir traversé l'intestin grêle et abandonné à l’absorption la majeure partie de leurs produits, s’enga- gent dans le gros intestin. La fluidité de la masse alimentaire avait dimi- nué le long de l'intestin grêle, elle diminue encore dans son trajet au tra- vers du gros intestin. Le résidu de la digestion se présente en dernier lieu à l’anus, sous la forme d’une pâte de consistance butyreuse ; à la condition, toutefois, que la sécrétion intestinale n’ait pas été anormalement augmen- tée par une cause pathologique, ou par un purgatif. La bouillie alimentaire, en passant de l'intestin grêle dans le gros intes- tin par la valvule de Bauhin; arrive dans le cœcum. Est-il vrai que les ali- ments, avant de continuer leur trajet ultérieur, soient soumis, pendant leur court séjour dans cette cavité, à une sorte de digestion supplémentaire ? Le contenu du cœcum, examiné sur un animal carnivore qu’on vient de mettre à mort, est quelquefois acide. L’acidité est due tantôt à l’acide lac- tique, tantôt à l’acide acétique. On a tiré de ce fait la conclusion que le cœ- cum, à l'instar de l’estomac, sécrète un liquide acide, et que les parties albuminoïdes d’une digestion difficile, telles que les tendons, les ligaments et la portion organique des os, pouvaient encore abandonner en ce point quelques principes nutritifs à la digestion. Rien ne prouve que le cœcum sécrète un liquide acide; il est bien plus probable, au contraire, que l’acide lactique et l’acide acétique qu’on y ren- contre viennent de plus haut, ou bien ont pris naissance aux dépens des aliments eux-mêmes, comme c’est souvent le cas, le long de l'intestin grêle. Ensuite nous ferons remarquer que le cœcum est bien plus développé chez les animaux herbivores que chez les animaux carnivores ; et il semble qu'il devrait en être autrement si le cœcum était, comme l’estomac, une cavité supplémentaire destinée à la transformation des substances albuminoïdes, D'ailleurs, le contenu du cæcum des herbivores (cheval et ruminants), loin d’être acide, est toujours alcalin. Le cæœcum, pas plus que les autres parties de l'intestin, ne donne donc naissance à un suc acide, et il semble, au con- CHAP. I. DIGESTION. 495 traire, que le séjour des aliments dans le cœcum développé des herbivores est plutôt en rapport avec la digestion des féculents. Dans les phénomènes normaux de la digestion, quand la masse alimen- taire a traversé l'estomac et l'intestin grêle, et qu’elle arrive dans le gros intestin, les sues digestifs ont épuisé leur action, c’est-à-dire que les par- ties de l'aliment capables d’être modifiées parles liquides de la digestion ont été non-seulement dissoutes, mais pour la plus grande partie absorbées. De sorte que le rôle du gros intestin, dans la digestion, peut être considéré comme à peu près nul. Mais si on introduit artificiellement dans le gros intestin des substances alimentaires, on peut constater que le suc intesti- nal, qui afflue à la surface du gros intestin, jouit d’un pouvoir analogue à ce- lui qui humecte l'intestin grêle. M. Steinhauser (1848) a fait sur une femme affectée de fistule au côlon ascendant une série d'expériences qui le démon- trent clairement. Lorsqu'il introduisait dans le gros intestin, par la fistule, un œuf dur réduit en pulpe, il ne retrouvait dans les matières fécales que les matières grasses du jaune; presque toute l’albumine avait disparu. Ces expériences ne doivent pas être perdues de vue parle médecin; elles lui enseignent que quand il y a un obstacle absolu à l'introduction des ali- ments par les parties supérieures du tube digestif, il peut prolonger la vie du malade, en introduisant par l’anus des liquides contenant en dissolu- tion des substances albuminoïdes. S 56. Excréments. — C’est dans le cœcum que la masse non absorbée com- mence à prendre l’odeur caractéristique des matières fécales. M. Vaientin retire du cæcum d’un animal une bouillie à peu près sans odeur, il la laisse exposée au contact de l’air : l'odeur fécale apparaît bientôt, et elle devient de plus en plus prononcée. L’odeur des matières fécales est re- poussante chez les animaux qui vivent d'aliments animaux ; elle n’a rien de bien désagréable chez les herbivores. Les principes de la bile et le mucus intestinal évacués avec les produits non digérés communiquent aux ma- tières fécales un fumet particulier, qui diffère suivant les espèces animales d’où elles proviennent. Les excréments contiennent : 1° du mucus intestinal et quelques princi- pes de la bile; % le résidu non digéré et non absorbé de l'alimentation ; c’est-à-dire les parties végétales insolubles, grains, noyaux, pepins, fibres végétales ; une partie des tissus fibreux animaux, ligaments, tendons, tissus élastiques; la portion non dis$oute par le suc gastrique des sels terreux des os ; l’'amidon non digéré; l’excès des substances grasses ; l'excès des sub- stances albuminoïdes elles-mêmes, lorsque la quantité d'aliments mgérée est disproportionnée avec les besoins de la réparation. (Voy.$ 186.) S 57. Des gaz de l'intestin. — Lorsqu'on ouvre un animal vivant, que ce soit pendant le travail de la digestion ou dans l’état de jeûne, on trouve l'inté- 126 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION. rieur des intestins remplis par des gaz. Aussitôt que la section abdomi- nale a eu lieu, le paquet intestinal s'échappe au dehors, et il fuit sous les doigts qui cherchent à le faire rentrer. Ces phénomènes sont dus à la réplé- tion gazeuse. On trouve des gaz dans toute l'étendue du tube digestif, de- puis le pylore jusqu’à l’anus. On en trouve aussi, mais en très-petite quan- tité, dans l'estomac. Dans l’état physiologique, ces gaz proviennent des réactions chimiques qui s’'accomplissent dans le tube digestif pendant les phénomènes de la di- gestion. Dans quelques cas pathologiques, il survient parfois, même en l’absence des aliments, un développement rapide de gaz accompagné d’un ballonnement plus ou moins considérable du ventre. Dans ce cas, on est indécis de savoir s’il faut attribuer l'accumulation gazeuse au passage des gaz du sang! au travers des tuniques des vaisseaux qui cireulent dans la membrane muquéuse intestinale, ou bien s’il faut la rapporter à la décom- position des humeurs sécrétées dans l'intestin. L’estomae, quand il n’est point distendu par les aliments, est bien loin d'être rempli de gaz, comme le tube intestinal lui-même. On ne trouve dans l’estomac qu'une proportion de gazsi faible qu’on n’en peut faire que rare- ment l'analyse. Lorsqu'on ouvre sous l’eau un estomac de supplicié, on ne recueille en général que quelques bulles gazeuses, principalement consti- tuées par de l'oxygène et de l’azote; on y trouve aussi de l'acide carboni- que. Il est probable que ces gaz proviennent, au moinsles deux premiers, de l’air atmosphérique, et qu'ils ont été introduits dans l’estomac par dé- glutition, soit avec la salive, soit avec le bol alimentaire. La très-faible proportion de gaz introduite dans l’estomac avec les sub- stances alimentaires ne gêne point le mouvement de ce viscère ; mais quand ils se développent abondamment par suite d’une mauvaise digestion, ces mouvements deviennent douloureux et le besoin de les rendre est impé- rieux. Dans l'intestin grêle et dans le gros intestin on ne trouve pas d'oxygène ; mais l’acide carbonique et l'hydrogène dominent. On y trouve encore de l'azote et de l'hydrogène carboné ; on a aussi rencontré de l'hydrogène sulfuré dans la dernière portion du gros intestin. Les gaz rendus par l’anus présentent cette composition complexe. ESTOMAC. [INTESTIN GRÊLE|GROS INTESTIN. GAZ SUR 100 PARTIES. (Chevreul (Chevreul (Chevreul rendus par l'anus. et Magendie.) et Magendie. j et Magendie.) (Marchand. ) AZOLB: 2, : Er RE 71,45 20,08 51,03 14,0 Oxygène 1514000050 11,00 » » » Acide carbonique... . 14,00 24,59 45,50 44,5 Hydrogene .. #2, 04 3,99 99,93 » 95,8 Hydrogène carboné.. » » 5,47 15,5 Hydrogène sulfuré. . » » » 1,0 Le sang contient, à l'état de dissolution, de l'oxygène, de l'azote et de l'acide carbonique. CHAP. I. DIGESTION. 127 Il serait assez difficile, dans l’état actuel de la science, de déterminer d’une manière précise l’origine de chacun de ces gaz. On sait cependant que l’acide carbonique et l'hydrogène se produisent fréquemment dans les fermentations organiques. L’acide carbonique provient sans doute encore de l’action de l’acide lactique du suc gastrique sur les carbonates contenus dans lesaliments, et de l’action, sur les mêmes carbonates, des acides qui se forment dans le tube digestif aux dépens des aliments. L'origine de l’hydro- gène carboné, qui ne se montre que dans le gros intestin, est fort obscure. Quant à l'hydrogène sulfuré, qui n’existe qu’en très-faible proportion dans le même intestin, il est probable qu'il provient de la décomposition des sul- fates en présence des matières organiques. S 58. De Ia digestion dans la série animale. — À l'exception des animaux pla- cés sur les limites du règne animal, et dans lesquels toutes les fonctions de nutrition, confondues ensemble, se bornent à exécuter, par la surface même du corps, les échanges nécessaires à l’entretien de la vie (tels sont les infusoires et les spongiaires) ; à cette exception près, dis-je, tous lesanimaux possèdent une cavité intérieure, dans laquelle sont recues et élaborées les matières nutritives. L'appareil de la digestion présente les dispositions les plus diverses; mais l’essence de cette fonction reste toujours la même. Des sucs variés sont déposés à la sur- face de ces cavités; les aliments y sé- journent un temps plus ou moins Fig. 11. long, se dissolvent dans les sucs diges- ME dis tifs, et pénètrent enfin, par des voies f L'HIPPOPOTAME diverses, dans l'épaisseur même des K. nie à tissus qu'ils doivent nourrir. Fe Mammifères. — La digestion des mammifères offre avec celle de l’hom- Fig. 1. me la plus grande analogie. Les prin- _Maxillaire inférieur cipales différences portent sur le ré- ph gime. Les animaux de cette classe, en effet, sont ou herbivores ou carni- vores. Les herbivores se distinguent par la longueur du tube digestif, et quel- ques-uns par la multiplicité des ren- Fig. 13. flements de ce canal; les carnivores me ont, au contraire, un tube digestif re- L’OURS BLANC (carnassier), lativement assez court. Le mode d’a- limentation introduit aussi dans le nombre et la forme des dents, dans 128 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, la forme et les mouvements du maxillaire inférieur, des différences liées au squelette, et qui constituent par là même des caractères zoologiques précieux. Les carnivores, par exemple, ont les condyles du maxillaire in- férieur dirigés en travers (Voy. fig. 13, c, c';—c, l’un des condyles vu de profil; —c", l’un des condyles vu de face); l’articulation, entourée de liga- ments solides, ne permet guère que des mouvements d’élévation et d’a- baissement. Dans les rongeurs, chez qui les mouvements de la mâchoire consistent principalement en un glissement antéro-postérieur, destiné à li- mer et à user les corps solides, les condyles ont leur grand diamètre dans le sens de la longueur de la tête (Voy. fig. 12, b, 4"). Dans les herbivores, les condyles présentent des surfaces d’articulation assez étendues, et en même temps la cavité qui les reçoit est plus ou moins plane, de manière à permettre à la fois des mouvements d’avant en arrière et des mouve- ments latéraux étendus. (Voy. fig. 41, a, a.) Les dents incisives, canines et molaires réunies n’existent pas seulement chez l’homme : on lesrencontre encore dansles quadrumanes (Voy.fig.14)5, dans les carnassiers (fig. 15), dans les ruminants sans cornes et dans le plus grand nombre des pachydermes (fig. 16). Dans les ruminants et les Fig. 14. SINGE 1 (quadru- Fig. 17. mane) BOEUF (ruminant à cornes). Fig. 15. CHIEN (carnassier digi- tigrade). Fig. 18. CHAMEAU (ruminant sans cornes). Fig. 16. CHEVAL (pachy- derme : solipède), Fig. 19. MARMOTTE (rongeur). EN. DEL ET 5€ * Dans les quadrumanes et les carnassiers, la série des dents incisives canines et molaires n’est point interrompue. Les dents qui manquent sur les figures 14 et 45 sont des dents {om- bées, qu'il faut remplacer par la pensée. CHAP. I. DIGESTION, 42 pachydermes, il y a une assez grande interruption entre lx série des molai- res et les autres dents; c’est cet intervalle qu’on désigne sous le nom de barres. (Voy. fig. 16, 47, 18.) De plus, les ruminants n’ont point d'incisives à la mâchoire supérieure. (Voy. fig. 17, 18.) Les ruminants à cornes man- quent de canines (fig. 17). Les rongeurs n’ont que des molaires, et des ca- nines allongées occupant en avant la place des incisives (fig. 19). Les pa- chydermes n’ont pas tous des dents canines comme le cheval. Quelques-uns d’entre eux n’ont que des mo- laires et des incisives, séparées par une barre : tel est le rhinocé- Fig. 20. ros (Voy. fig. 21). Dans d’autres LR | pachydermes, les dents canines proprement dites sont rempla- cées à chaque mâchoire par des défenses recourbées : tel est le babiroussa (fig. 20). Les dents molaires, véritables dents de la mastication, sont les dents qui Fig. 21. manquent les dernières chez les eus) animaux. L’éléphantne possède d avec les dents molaires que les défenses de l’os maxillaire su- périeur. Il y a aussi des mam- mifères sans dents : tels sont les male fourmiliers (fig. 22), les pango- FOUR edenté. lins, les échidnés, les baleines, dont les os maxillaires sont gar- nis par des lames cornées, dé- signées sous le nom de fanons. Ce sont les fanons qui fournis- sent la substance connue dans le commerce sous le nom de baleine. L'appareil salivaire des mammifères est généralement composé comme celui de l’homme. On y distingue des glandes parotides, maxillaires et sub- linguales. Les glandules de la muqueuse des joues prennent, chez la plu- part des ruminants, un développement assez considérable et constituent des glandes molaires supérieures et inférieures. L'appareil salivaire, pris dans son ensemble, est plus développé chez les animaux qui font principa- lement usage d'aliments végétaux (herbivores), que chez les animaux qui vivent de chair (carnivores). Cette disposition est en rapport avec les phé- nomènes chimiques de l’insalivation. (Voy. $ 39.) Le tube intestinal des ruminants n’est pas seulement remarquable par ses dimensions : l'estomac de ces animaux est multiple, c’est-à-dire com- posé de plusieurs cavités qui communiquent les unes avec les autres. La division de l’estomac existe déjà en vestiges chez quelques herbivores non 9 130 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. ruminants : le cheval, par exemple, possède un estomac non séparé à l’ex- térieur, ilest vrai, mais dont la membrane muqueuse est assez différente à gauche et à droite, et dont l’une des parties est très-musculeuse, tandis que l’autre l’est moins ; le cochon et le sanglier ont près du cardia des diverti- cules plus ou moins développés, et l'estomac de l’aï présente quatre réser- voirs, dont le dernier est pourvu de lames analoges à celles de la caillette. L’estomac des ruminants se compose de quatre parties : la panse ou ru- Fig. 23. men, le bonnet ou réseau, le feuillet et la caillette (fig. 23). La panse est la plus grande de ces cavi- tés; elle est garnie d’un épithé- lium épais. Dans quelques ani- maux,lechameauen particulier, la panse présente des groupes de cellules qui paraissent desti- nées à servir de réservoir aux boissons; les aliments solides qui pénètrent dans la panse de ESTOMAC DE MOUTON (ruminant). ces animaux s'engagent moins a, œsophage. d, feuillet, Fete né ve laits. facilement dans ces cellules que Fe, HORDE On EEE les liquides, l’entrée de ces cel- lules étant plus étroite que leur fond. Il est probable aussi que l’épithé- lium épais qui recouvre la membrane muqueuse contribue à rendre l’ab- sorption des liquides très-lente en ce point. Le bonnet, qui vient après la panse, est beaucoup plus petit. Le feuillet, ainsi que son nom l'indique, présente des lames plus ou moins développées, suivant les animaux : entre ces lames se rassemble la bouillie alimentaire. La caillette, ou der- nier estomac, constitue l'estomac véritable de la digestion : c’est lui-qui sécrète le suc gastrique; il correspond à l’estomac de l’homme. Les mammifères ont tous un foie et un pancréas analogues au foie et au pancréas de l’homme, et les produits de la sécrétion sont versés, comme chez lui, dans le duodénum. La bile est tantôt directement versée dans l'intestin à mesure qu’elle est secrétée par le foie, tantôt, comme chez l’homme, elle n’y est versée qu'après avoir séjourné dans un réservoir ou vésicule biliaire. La vésicule biliaire existe chez tous les carnassiers, chez le bœuf, le mouton, chez la plupart des oiseaux, des reptiles et des pois- sons. Elle manque chez le cheval, l’âne, le cerf, le chameau, le chevreuil, l’autruche, le pigeon, le perroquet, etc. | Chez les mammifères, l'aliment est saisi directement avec la bouche. 1 n’y a guère que les singes et les écureuils qui le prennent quelquefois à l’aide du membre supérieur. Tantôt la préhension se fait immédiatement, à l’aide de dents, comme chez les carnivores, tantôt elle s'opère par des lèvres mobiles et charnues ; le cheval se distingue surtout sous ce rapport. Les ruminants ont des lèvres courtes et peu mobiles, qui n’aident guère à la CHAP, I, DIGESTION. 151 préhension ; ils saisissent surtout l’aliment entre les incisives inférieures et le bourrelet fibreux dont est garni le maxillaire supérieur : telles sont la chèvre et la brebis. Le bœuf est dans le même cas; mais il s’aide en outre, à cet effet, de sa langue, qui est très-protractile, pour entourer la touffe d'herbe qu'il broute et l’attirer près de sa bouche. La déglutition des mammifères ne diffère point de celle de l’homme. L'é- piglotte se renverse sur l’ouverture des voies aériennes au moment du passage de l’aliment, et le voile du palais s’oppose à son retour par les fos- ses nasales. Le voile du palais du cheval présente cette particularité, qu’il est assez long pour embrasser la base de l’épiglotte et fermer ainsi com- plétement la communication de la bouche avec le pharynx dans l'intervalle de la déglutition. Au moment du passage de l’aliment, il se relève et arrive naturellement au contact de la partie postérieure du pharynx. Sa lon- gueur est telle, que la paroi postérieure du pharynx n’a pas, comme chez l’homme, à s’avancer en avant pour s'appliquer contre le bord postérieur du voile du palais. Toutefois le voile du palais n’est pas simplement sou- levé par le bol alimentaire au moment de la déglutition, ainsi qu’on l’a prétendu ; il esi activement tendu, comme chez l’homme, par ses muscles tenseurs. Cette tension active est nécessaire pour faire opposition au bol alimentaire placé à la face supérieure de la langue, activement soulevée en ce moment, et faire passer ainsi le bol dans le pharynx. Le voile du palais du dromadaire n’est guère plus long que celui du bœuf, mais il présente une particularité remarquable : c’est un appendice flottant, parsemé de glandules, ou sorte de luette, susceptible de se gonfler à certaines épo- ques (celles du rut, en particulier) et d’être repoussé par l'animal jusqu'aux commissures de la bouche. La digestion stomacale des ruminants présente un phénomène remar- quable. L’aliment ne passe pas successivement dans les divers estomacs de l’animal, et de là dans l'intestin, mais il est ramené dans la bouche par rumination, pour y être soumis à une nouvelle mastication et à une nou- velle insalivation. Voici comment s'opère cet acte singulier : lorsque les aliments sont avalés une première fois, les parties grossières de l’aliment se rendent dans les deux premiers estomacs, panse et bonnet, lesquels communiquent avec l'æsophage ; les portions liquides ou les portions très- diffluentes de l’alimentation suivent aussi cette voie, mais une partie d’en- tre elles continue son trajet et s'engage aussi par l'ouverture qui fait com- muniquer la gouttière œsophagienne avec le feuillet et la caillette. Les aliments renfermés dans la panse et le bonnet sont ensuite ramenés au dehors par la contraction simultanée de ces deux premiers estomaes. Cette contraction chasse le contenu vers l’orifice inférieur de l’æsophage, qui se relâche en ce moment et offre une dilatation que le bol alimentaire remplit. A ce moment, le bol alimentaire, refoulé activement par en haut, ferme 1 Les animaux ruminants sont: le bœuf, le mouton, la chèvre, l’antilope ou la gazelle, la gi- rafe, l’axis, le chevreuil, le daim, le renne, l'élan, le cerf, le chevrotain, Je lama, le chameau, 132 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION. par pression la communication de l’æsophage avec le feuillet et la caillette ; après quoi l’œsophage se contracte de bas en haut, et loute la portion en- gagée dans le tube œsophagien remonte vers la bouche par les mouve- ments péristaltiques de ce conduit. La contraction des muscles abdomi- naux concourt puissamment à la rumination, en venant en aide aux mou- vements de la panse et du bonnet au moment du départ ascensionnel de l'aliment. La rumination s'annonce en effet par un mouvement du flanc de l'animal, et on peut la rendre impossible en paralysant les muscles abdo- minaux par la section de la moelle au-dessus des nerfs qui animent ces muscles. Lorsque l’aliment a été mâché une seconde fois, il redescend par l’æsophage et il passe, non pas, comme on l’a cru longtemps, exclusive- ment dans les deux derniers estomacs, mais il suit la même route qu’aupa- ravant : il se rend encore en partie dans la panse et le bonnet; il est vrai qu'étant plus liquide que la première fois, une certaine portion suit la gout- tière œsophagienne sans l’abandonner, et s'engage immédiatement par l'ouverture qui fait communiquer l’æsophage avec le feuillet et la caillette. Au reste, les quatre estomacs communiquant les uns avec les autres, les aliments finissent en résumé par parvenir dans la caillette, où ils sont sou- mis à la digestion stomacale proprement dite. La rumination offre une grande analogie avec le vomissement; elle s'exécute par un mécanisme semblable, et ce sont les mêmes muscles qui entrent en jeu pour la produire. Elle en diffère surtout en ce que le vomis- sement est un acte involontaire, irrégulier et convulsif, tandis que dans la rumination l'aliment est ramené à la bouche par petites masses, successi- vement, régulièrement, sans efforts. Les liquides pris par les animaux ruminants suivent la même voie que les aliments ruminés, c’est-à-dire qu'une grande partie s'engage dans la première ouverture qui se présente et est versée dans la panse et le bon- net, tandis qu’une autre partie est portée directement dans le feuillet et la caillette par la gouttière œsophagienne. Les liquides portés dans la panse et le bonnet s’échappent d’ailleurs secondairement vers le feuillet et vers la caillette. Dans les animaux carnivores qui vivent exclusivement de chair, la par- tie la plus essentielle des phénomènes digestifs s’accomplit dans l’esto- mac, c’est-à-dire dans la cavité qui fournit le suc destiné à la dissolution des aliments albuminoïdes. Chez les carnassiers, la digestion stomacale a une importance capitale, et les aliments séjournent bien plus longtemps dans l'estomac du chien que dans celui du cheval, par exemple. Quand on donne à un chien affamé 1 ou 2 kilogrammes de viande, il n’est pas rare de retrouver encore dans l'estomac une portion de la masse alimentaire, quand on l’ouvre au bout de six ou huit heures. Les aliments séjournent, au contraire, beaucoup moins dans l’estomac des herbivores à estomac simple (cheval et autres solipèdes); ils n’y séjournent guère qu’une demi- heure, une heure ou deux heures au maximum. Les modifications que doit CHAP. I. DIGESTION. 135 éprouver l'aliment dans l'estomac ne portent ici que sur une faible partie de sa masse (gluten et matières albuminoïdes des fourrages); et, d'autre part, la quantité des aliments consommés par l'animal à chaque repas l'em- porte beaucoup sur la capacité de son estomac (l’estomac du cheval n’a qu'une capacité de 13 à 20 litres) ; il s'ensuit qu'une partie des aliments s’é- chappe dans l'intestin, à mesure qu’une nouvelle portion arrive dans l’es- tomac. M. Colin, dans d’ingénieuses expériences, a montré que si le che- val ne digère qu’incomplétement la chair, cela ne tient point à ce que le suc gastrique des herbivores n’a pas les mêmes propriétés que celui des car- nivores, mais à ce que l'aliment ne fait qu’un court séjour dans leur esto- mac. De la chair divisée en petites masses administrée à des chevaux et recueillie dans les intestins ou dans les fèces n'avait guère perdu que le quart ou le cinquième de son poids. Lorsqu’au contraire on retenait l'a- liment à l’aide d’un fil dans l’estomac d’un cheval à fistule, il finissait par se dissoudre entièrement au bout d’un temps à peu près égal à celui qui est nécessaire à la digestion d’un carnivore. Les aliments séjournent beaucoup plus longtemps dans l'estomac spa- cieux des ruminants que dans l'estomac des solipèdes. La capacité de la panse est telle, en effet, qu’on y trouve souvent de 50 à 100 kilogrammes de fourrages. Mais il ne faut pas oublier que la panse et le bonnet ne sont, en quelque sorte, que des réservoirs de dépôt contenant les herbes et le fourrage à peine brisés par une première mastication, et que la véritable digestion gastrique ne s'accomplit que dans la caiïllette, le seul des quatre estomacs qui sécrète un suc acide. Quand les aliments deux fois soumis à la mastication arrivent à cet estomac, ils y arrivent à l’état de bouillie, et ils n’y font sans doute qu'un assez court séjour avant de s'échapper vers l'intestin, car la capacité de la caillette est infiniment moindre que celle de la panse qui lui renvoie indirectement son contenu. Oiseaux. — Les oiseaux ont un régime très-varié, suivant les espèces. Les uns vivent exclusivement de graines, les autres y joignent des insectes ou des poissons ; d’autres sont exclusivement carnivores : tels sont les oi- seaux de proie, qui se nourrissent d'oiseaux vivants ou de chair morte. Les oiseaux n’ont pas de dents; leurs maxillaires sont garnis d’enveloppes cornées, servant plutôt à saisir qu’à diviser l’aliment. La mastication, qui fait défaut, est suppléée chez eux par un estomactrès-musculeux, ou gésier. La salive des oiseaux est sécrétée par des amas de follicules arrondis si- tués sous la langue ; elle est généralement épaisse et gluante. Les oiseaux ont un foie volumineux et un pancréas, qui versent leurs produits dans la première portion de l'intestin grêle. Le canal pancréatique a souvent deux ou trois ouvertures. Les oiseaux ont un tube digestif, dont la capacité est proportionnée à la nature du régime. Les granivores l’ont plus long que les carnivores. Le tube digestif des oiseaux présente ordinairement trois estomacs espacés qui acquièrent, chez les granivores, tout leur développement. Le premier 4154 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. de ces estomacs est un renflement membraneux, plus ou moîns développé, Fig. 24. qui porte le nom de 7abot (Voy. fig. 24, 6); il manque chez un grand nombre de carnivores. Le ventricule succenturié (c), le se- cond de ces estomacs, est peu développé, mais il a une grande importance au point de vue de la digestion; ses parois sont remplies de follicules glandu- leux, qui sécrètent un suc ana- logue au suc gastrique. Ce ven- tricule est plus grand chez les oiseaux qui manquent de jabot. Le troisième estomac enfin, ou le gésier (d), est garni d’une tu- nique musculaire, extrêmement épaisse et puissante chez les granivores. Reptiles. — Les fonctions di- gestives sont très-actives chez les mammifères et les oiseaux dits animaux à sang chaud, elles le sont très-peu chez les ani- maux à sang froid. Ces animaux peuvent supporter le jeûne des aliments pendant plusieurs mois. D'un autre côté, leurs sécrétions rares, leur basse température et TUBE DIGESTIF D'OISEAU. a, œsophage. 1, gros intestin. b, jabot. m, m', uretères. les enveloppes écailleuses et à c, ventricul centurié, , oviducte. ner te L UT ÉD DATE Pres peu près imperméables dont la f, duodénum. ?, foie. ? ” k. g, pancréas. r, vésicule biliaire. plupart d’entre eux sont recou Prat tie neyrRIURe; verts rendent les pertes par éva- poration cutanée très-faibles chez eux; aussi peuvent-ils également bien supporter le jeüne des boissons. Les reptiles ont une bouche largement fendue ; ils ont généralement des dents aux mâchoires et souvent aussi à la voûte palatine. Les dents des reptiles ne sont point des dents alvéolaires, elles sont généralement soudées aux 0s. Quelques reptiles manquent de dents et ont les maxillaires recou- verts d’enveloppes cornées, comme les oiseaux : telles sont les tortues. Les reptiles ont en général une chaîne de glandes salivaires autour des mächoires. Les serpents venimeux ont de plus, de chaque côté de la tête et sous le musele temporal, une glande qui écoule son produit dans le canal central de la dent à venin. Les reptiles ont un estomac simple, de forme CHAP, I. DIGESTION, 435 variée, et des intestins ordinairement courts. Ils possèdent un foie volu- mineux et un pancréas à sa place ordinaire. Poissons. — La plupart des poissons sont des animaux très-voraces, qui avalent tous les pelits animaux placés à leur portée, tels que vers, mou- ches, insectes de toute espèce, mollusques, poissons, etc.; quelques-uns d’entre eux avalent en même temps des aliments végétaux. Quelques pois- sons manquent de dents, mais la plupart en ont non-seulement aux deux mâchoires, mais encore sur la langue et jusque dans l’arrière-bouche, sur les arcs branchiaux et sur les os pharyngiens. Ces dents, soudées aux os, sont destinées plutôt à retenir la proie qu’à une véritable mastication. Les poissons n’ont pas de glandes salivaires : ils ont un estomac simple, un intestin court. Leur foie est grand et mou. Le pancréas est remplacé par des prolongements infundibuliformes, ou cœcums groupés autour du pylore. Invertébrés. — Les invertébrés présentent de très-grandes différences dans les organes de la digestion. Chez les in- sectes, cet appareil offre un grand dévelop- pement, surtout chez ceux d’entre eux qui sont herbivores. On trouve chez eux un pre- mier estomac ou /abof (fig.25, 6); un deuxième estomac ou ventricule chylifique (fig. 25, d), pourvu de follicules nombreux ‘. Chez les crustacés, on rencontre souvent un seul es- tomac armé de dents puissantes. Les insectes et les crustacés n’ont point de véritable foie, mais des tubes longs et déliés, parfois accolés ensemble, et s’ouvrant, soit dans le ventri- cule chylifique, soit au-dessous de l’estomac (fig. 25, e). Les insectes ne prennent souvent que des aliments liquides; ils sucent les sucs des plantes ou les sucs animaux ; ils sont à cet effet pourvus de suçoirs ou trompes, garnies intérieurement de petits appendices ou lan- cettes. Ceux qui prennent des aliments solides ont des mandibules pour diviser les aliments, rosiers die) et derrière ces mandibules, des mâchoires y, œsophage. plus ou moins modifiées et compliquées. Les Ÿ Ps gagne?" Jabot crustacés ont aussi des mandibules et des © vaisseaux ou cœeums biliaires rem ; 4 plaçant le foie, mächoires ; chez quelques-uns d’entre euxles f intestin. SA ; m, g, Canaux spermatiques et déférents. pattes antérieures, rapprochées de la bouche à, appendices copulateurs. et accommodées à la préhension et à la division des aliments, ont recu le nom de pattes-mächoires. 1 On trouve quelquefois aussi chez les insectes un troisième estomac ou gésier, pourvu de lames cornées destinées à favoriser le travail digestif. 156 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. Les mollusques ont souvent un appareil digestif très-développé, avec glandes salivaires et foie volumineux. En général, l'extrémité du tube in- testinal, au lieu d’être terminale ou sub-terminale, s'ouvre chez eux dans des points peu éloignés de la bouche. Quelques mollusques, en particu- lier les céphalopodes, ont des organes masticateurs ou mandibules. L'appareil digestif des rayonnés est assez variable, mais, en général, il n'y a qu'un seul orifice pour l’entrée et la sortie des aliments. Cet appa- reil représente, en conséquence, une sorte de cæcum, qui garde quelque temps les aliments, et les rejette ensuite au dehors!. CHAPITRE IL. ABSORPTION. S 39. Définition. — Pivision. — L'absorption introduit dans le torrent cir- culatoire le produit dissous de la digestion. Mais l’absorption ne s'exerce pas seulement à la surface muqueuse du tube digestif. L’absorption s'opère sur les diverses matières, liquides ou gazeuses, placées au contact des ! Consultez particulierement, sur la digestion : Spallanzani, Expériences sur la digestion; in 8°, Genève, 1785; trad, par Sennebier ; — Montègre, Expériences sur la digestion dans l'homme; in-8°, Paris, 1814; — Leuret et Lassaigne, Recherches physiologiques et chimiques pour servir à l’histoire de la digestion ; in-8°, Paris, 1825 ; — Tiedmann et Gmelin, Recher- ches expérimentales sur la digestion, traduct. de Jourdan ; 2 vol. in-8v, Paris, 1827 ; — Beaumont, Experiments and Observations on the gastric juice and the physiology of diges- tion; Boston, 1834; — Eberle, Physiologie der Verdaung; in-8°, Wurtzbourg, 1834; — Wassmann, De Digestione nonnulla ; Berlin, 1839 ; — Blondlot, Traité analytique de la di- gestion; in-8°, Nancy, 1845 ; — Bernard, Du Suc gastrique et de son rôle dans la nutrition ; Paris, 1845 ; — le même, Du Rôle de la salive (Arch. gén. de méd.,t. XIII, et Gaz. médic., 1855) ; — le mème, Du Suc pancréatique et de son rôle dans la digestion (Arch. génér. de médec., t. XIX, et Gaz. médic., 1850) ; — Bernard et Bareswil, Analyse du suc gastrique (Comptes rendus, Acad. des sciences, 1844); — Bouchardat et Sandras, Recherches sur la di- gestion, dans l'Annuaire de thérapeutique pour 1845 et dans le Supplément à l'Annuaire de 1846; — Miaihe, Sur la digestion et l'assimilation des matières albuminoïdes ; — Sur la digestion et l'assimilalion des malières amyloïdes et sucrées (Gaz. médic., 1846) ; — Chimie appliquée à la physiologie; in-8°, Paris, 1856 ; — Lentz, De adipis Concoctione, elc.; Mitaviæ, 1850 ; — Frerichs, article Verpauxc (Digestion), dans Wagner’'s Handwôürterbuch, 1851 ; — Moleschott, Physiologie des Stoffwechsels ; in-8, Erlangen, 1851 ; — Bidder et Schmidt, Die Verdaungssäfte und der Stoffwechsel ; in-8°, Mitau und Leipzig, 1852 ; — Donders, Die Nahrungsstoffe; traduit du hollandais en allemand par Bergrath; in-8o, Crefeld, 1853; — Schrüder, Succi gastrici humani Vis digestiva ; Dorpat, 1853 ; — Grünewaldt, Succi gastrici humani Indoles ; Dorpat, 1853; — Krôger, De Succo pancreatico; Dorpat, 1854; — Bernard, Cours de physiologie, t. II, 1856 (ce volume est consacré à la salive et au suc pancréatique) ; — Rinse Cnoop Koopmans, Bijdrage tot de Kennis der spijsvertering van de plantaardige Etvitachtige ligchamen (Des métamorphoses digestives des principes albuminoïdes tirés des végétaux), dans Nederland, Lancet, V, page 585, 1856. " CHAP, II. ABSORPTION. 157 surfaces vivantes. L’enveloppe tégumentaire externe, la membrane mu- queuse des voies aériennes, celle des voies urinaires, les réservoirs des glandes, leurs canaux excréteurs, qu'ils s'ouvrent sur le tégument interne ou sur l’externe; enfin, les cavités closes (membranes séreuses splanchni- ques, capsules synoviales des articulations, bourses synoviales des ten- dons, etc.), toutes ces parties sont le siége de l’absorption. Il s’opère aussi, dans l'épaisseur même des tissus, une absorption interstitielle ou de nutrition. L’absorption s'opère encore, en dehors de l’état physiologique, sur des liquides ou des gaz anormalement épanchés, soit dans les cavités natu- relles, soit dans des cavités accidentelles. On donne souvent le nom de résorption à ces absorptions éventuelles. Les végétaux manquent d'organes de digestion, et trouvent, tout pré- parés au dehors, les éléments liquides ou gazeux de leur nutrition. L’ab- sorption est pour eux le premier acte de la nutrition. L’absorption est donc un phénomène physiologique plus général que la digestion elle-même, et commun à tous les êtres organisés. La pénétration du dehors au de- dans des substances liquides ou gazeuses est le premier terme de l’échange incessant établi entre les corps organisés et les milieux qui les environ- nent, et l’une des conditions fondamentales du mouvement vital. Chez l’homme et chez les animaux supérieurs, une substance est défi- nitivement absorbée quand, placée au contact d’une partie vivante, elle a passé dans les vaisseaux sanguins ou dans les vaisseaux chylifères, ou dans les vaisseaux lympathiques. Que le phénomène ait lieu aux surfaces tégumentaires externe ou interne, ou qu'il s’accomplisse dans l'intimité des tissus, ce passage d’une substance, de l’extérieur à l’intérieur des vaisseaux, constitue l’essence de l’absorption. Comme, d’une autre part, le système lympathique (chylifères et lympathiques proprement dits) verse son contenu dans le sang, le sang est Le rendez-vous commun de toutes les substances absorbées. La respiration fait pénétrer de l’air dans le torrent sanguin, au travers des membranes de l'organe respiratoire, poumons, branchies ou trachées. L’acte principal de la respiration est, par conséquent, un phénomène d’ab- sorption dans toute la rigueur du mot. Mais comme cet acte se lie à une série d’autres phénomènes concomitants, qui ont leur siége dans l’appa- reil respiratoire, nous nous en occuperons, suivant l'usage, au chapitre spécial de la respiration. Nous passerons successivement en revue les diverses absorptions, en commencant par l'absorption digestive. Nous étudierons ensuite le phé- nomène de l’absorption considéré en lui-même, et nous en chercherons les lois. 138 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION, ARTICLE I. ABSORPTION INTESTINALE, $ 60. Lieu de l'absorption digestive. — Le produit liquide de la digestion est absorbé dans le tube digestif. Ce produit ne traversant les membranes qu’à l’état de dissolution, l'absorption ne s'opère pas également sur tous les points de l’étendue du tube digestif, les divers sues qui ont pour effet cette dissolution agissant successivement, et dans les divers départements de l'intestin. Dans la bouche et dans l’œsophage, où les aliments ne séjournent qu’un temps relativement très-court, l'absorption ne fait guère pénétrer dans le sang que de petites proportions d’eau et de sels solubles. Dans l'estomac, où s’opère la digestion des matières albuminoïdes, et dans lequel la masse alimentaire séjourne plusieurs heures, l'absorption s'opère sur l’eau, sur les sels solubles dans le suc gastrique, sur les matières albuminoïdes li- quéfiées, sur le sucre déjà formé aux dépens des matières amylacées. Dans l'intestin grêle, l'absorption s'exerce également sur l’eau et les sels dissous, sur les matières albuminoïdes liquéfiées, et qui n’ont point été absorbées par l'estomac, sur le sucre non absorbé par l'estomac, et sur celui qui se forme aux dépens des matières amylacées, par la diges- tion intestinale. L’absorption s’exerce, en outre, dans l'intestin grêle sur les matières grasses. Enfin, elle s’opère encore sur des produits secon- daires qui se sont formés, chemin faisant, aux dépens des matières déjà dissoutes (acide lactique, acide acétique). Le résidu alimentaire, qui arrive dans le gros intestin, a été dépouillé dans son trajet, le long de l'intestin grêle, de presque tous les matériaux absorbables, Cependant il s'opère encore en ce point une absorption li- mitée, sur les produits variés de la digestion qui ont échappé à l’action absorbante de l'intestin grêle. L’absorption digestive se fait done sur toute l’étendue du tube digestif, depuis le cardia jusqu’à l’anus. Il est vrai de dire cependant qu'elle ac- quiert tout son développement dans l'intestin grêle. Certains animaux ont l'estomac garni d’un épithélium très-épais, qui oppose un obstacle plus ou moins efticace à l'absorption stomacale. Le cheval est dans ce cas; son estomac absorbe peu et très-lentement, ainsi qu'il résulte des expériences de MM. Bouley, Colin, Sperino et autres, Il est probable que le peu de 1 Voici quelques-unes des expériences de MM. Bouley et Colin. Lorsqu'on injecte par une plaie œsophagienne, dans l’estomac d’un cheval à jeun, 50 grammes d'extrait alcoolique de noix vomique, ou 3 ou 4 grammes de sulfate de strychnine, l'animal meurt au bout d’un quart d'heure, au milieu des convulsions caractéristiques de l'empoisonnement par la strychnine. Si Jon injecte, au contraire, la même dose de poison dans l'estomac d’un cheval dont le pylore a été préalablement fermé par une ligature, l'animal n’éprouve point les phénomènes de l’em- poisonnement, la dissolution toxique reste dans l’estomac, où on la retrouve au bout de vingt- CHAP. IT, ABSORPTION. 139 perméabilité de l'estomac à l'absorption se rencontre aussi chez d’autres animaux, et particulièrement dans les deux premiers estomacs des rumi- nants. C’est ainsi, très-probablement, que les liquides engagés dans les diverticulums à cellules de la panse du chameau peuvent y séjourner un temps assez considérable et n’y être absorbés qu’à la longue. Il est vrai- semblable que, chez l’homme, la membrane muqueuse de l'estomac se laisse moins facilement traverser par les liquides que la muqueuse de l'intestin grêle. Il faut remarquer que c’est dans l'intestin grêle seule- ment qu’on rencontre les petits organes si admirablement disposés pour l'absorption : je veux parler des villosités. Les villosités, véritables racines animales molles et vasculaires, renferment un faisceau de vaisseaux qui n’est séparé des liquides à absorber que par une membrane muqueuse extrêmement fine, membrane qui n’a guère que quelques centièmes de millimètres d'épaisseur. & 61. Voies de l'absorption digestive. — Avant la découverte des vaisseaux chylifères, on a cru pendant longtemps que les veines intestinales seules absorbaient les produits de la digestion. Plus tard, quand Aselli eut dé- couvert les vaisseaux chylifères (1622), on leur attribua cette fonction, à l'exclusion des veines. Mais l’expérience a prouvé que l’absorption s’opère à la fois par les veines et par les lymphatiques de l'intestin. Les matériaux absorbés de la digestion sont portés dans le sang par deux ordres de vaisseaux : par les veines intestinales et par les vaisseaux chylifères. Les veines intestinales, concourant à la formation de la veine porte, conduisent les liquides de la digestion, d’abord dans le foie, puis dans la veine cave inférieure. Les vaisseaux chylifères versent, par l’in- termédiaire du canal thoracique, le liquide de la digestion qu'ils char- rient dans la veine cave supérieure, au confluent de la veine jugulaire interne. Le produit liquide de la digestion est donc versé dans le sang vei- neux ; il se dirige ensuite vers ies cavités droites du cœur, et traverse les quatre heures, en mettant à mort l'animal. La solution toxique prise dans cet estomac et ad- ministrée à des chiens, ou injectée dans les veines caves d’un cheval, détermine l’empoison- nement. Si,sur un cheval dont le pylore a été lié, on injecte la dose précitée de poison dans l'estomac par une plaie æsophagienne, et qu’au bout de vingt-quatre heures on retire la liga- ture du pylore, l'animal meurt empoisonné au bout d’un quart d'heure à vingt minutes, e’est- à-dire quand le poison a passé dans l'intestin grêle, où il est absorbé. La section des deux nerfs pneumogastriques , qui paralyse la tunique musculaire de l'estomac et qui s'oppose à l'expulsion du liquide toxique du côté de l'intestin grêle, a sensiblement les mêmes effets que la ligature du pylore. Au bout de quatre heures on retrouve la solution toxique dans l'estomac, et cette solution fait également périr les animaux auxquels on l’administre. L’estomac du chien, du chat, du porc et du lapin paraît absorber à peu près aussi bien que l'intestin lui-même. Lorsqu'on injecte dans l'estomac de ces animaux une dose déterminée d'un liquide toxique, on remarque en effet que la mort est à peu près aussi prompte, que le pylore soit lié ou qu'il ne le soit pas, que les nerfs pneumogastriques soient intacts ou qu'ils soient coupés. 140 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. poumons avant d’être envoyé dans les organes et d’être utilisé par la nutrition. Si l’on ouvre un chien en pleine digestion, c'est-à-dire trois ou quatre heures environ après un repas copieux, on voit se dessiner dans l’épais- seur du mésentère une foule de tractus blancs, qui ne sont que les vais- seaux chylifères gonflés d’un liquide émulsif blanc. Cette apparence leur a fait donner quelquefois le nom de vaisseaux /actés. Le canal thoracique est aussi rempli d’un liquide analogue. Si, au contraire, on ouvre un chien & jeun depuis plusieurs jours, les lymphatiques de l'intestin nc peuvent plus être distingués qu'avec une grande difliculté, parce qu'ils contiennent un liquide transparent, analogue à celui qui circule dans toutes les autres parties du système lymphatique. La digestion introduit donc quelque chose dans les vaisseaux lymphatiques de l'intestin, et c’est à ce quelque chose qu'ils doivent leur apparence lactée. Ouvrons encore un chien en pleine digestion, et examinons le sang qui revient de l'intestin par les branches intestinales de la veine porte. Ici, la couleur ne nous apprendra rien; mais si nous pratiquons l’analyse quan- titative de ce sang, nous constaterons que sa composition n’est pas la même que celle du sang qui circule dans les autres parties du système veineux, et qu’elle n’est pas la même que chez l'animal à jeun. La diges- “tion y a fait passer par absorption certains principes. Les produits absorbés de la digestion, entrant dans l'organisme par les veines intestinales et par les vaisseaux chylifères, les deux questions sui- vantes se présentent naturellement : Sous quelle forme sont absorbés les produits de la digestion ? Quels sont ceux de ces principes qui passent par les chylifères ? Quels sont ceux qui s'engagent par les veines? Voyons d’abord quelle est la nature du liquide qui circule dans les vaisseaux chy- lifères, et en quoi il diffère de la lymphe. $ 62. De la Ilymphe.— Le liquide qui circule dans les vaisseaux Iymphati- ques généraux, et celui qui circule dans les vaisseaux chylifères de l’animal tout à fait à jeun, peuvent être considérés comme identiques. On trouve cette humeur dans toutes les parties du corps où il y a des vaisseaux lym- phatiques; mais, pour s’en procurer des quantités notables, il faut l’aller chercher dans le canal thoracique. Il ne faut pas oublier que, pour se mettre en garde contre la présence des éléments du chyle, éléments ap- portés par la digestion, il est bon de faire jeûüner les animaux pendant vingt-quatre ou quarante-huit heures. On peut, sur les grands animaux, se procurer de la lymphe dans des vaisseaux lymphatiques de plus petit calibre. Ainsi les Iymphatiques du cou sur le cheval peuvent fournir des proportions considérables de liquide. Ici, d’ailleurs, on n’a pas besoin de faire jeüner l’animal, et on peut se procurer de la lymphe normale en tout temps. CHAP, II. ABSORPTION. 141 MM. Marchand et Colbert ont fait l'analyse de la lymphe qui s’écoulait d’une blessure existant sur le dos du pied de l’homme ; mais leur analyse diffère tellement de toutes les autres, qu'il est plus que probable qu'ils n’ont point examiné le liquide qui circule normalement dans les Iympha- tiques. Nous en dirons autant d’une analyse faite plus récemment (1854) par M. Quevenne. Cette analyse a porté sur la lymphe recueillie dans l'ame par M. C. Desjardins, sur les vaisseaux lymphatiques variqueux d’une femme. Evidemment il s’agit aussi d’une lymphe pathologique. Pour se procurer la lymphe du canal thoracique, on peut recourir à deux procédés. Le premier, qui est le plus simple, consiste à étrangler un chien ou à l’assommer par un coup violent porté derrière la tête. On l'étend immédiatement sur une table, on lui ouvre rapidement la poitrine, et on lie en masse l'aorte, l’œsophage, le canal thoracique, et tous les gros vaisseaux à la partie supérieure de la poitrine, et aussi haut que pos- sible, après quoi on casse et on renverse les côtes du côté gauche. En haut de la poitrine, le canal thoracique est placé à gauche de l'æsophage et derrière l’aorte ; on le dégage des parties qui l'entourent, on l’incise, et on recueille le liquide dans une petite capsule. Pour aider à son écou- lement, on peut exercer une pression douce sur l’abdomen. Un autre procédé, plus délicat, consiste à mettre le canal thoracique à nu à la partie inférieure du cou, dans le point où il se jette dans le golfe des veines jugulairest. On peut faire l'expérience sur l’animal vivant. Mais comme la recherche du canal thoracique en ce point est assez labo- rieuse, il est plus simple d’assommer d’avance l’animal, pour n’avoir pas à lutter contre ses eflorts. Sur les grands animaux (chevaux, bœufs), le canal thoracique, beau- coup plus volumineux que chez le chien, se prête mieux à l'expérience, et il est beaucoup plus facile de le mettre à découvert au cou sur l’animal vivant. (Voy. $ 63.) La lympbhe est un liquide transparent, légèrement jaunâtre. Examinée au microscope, la lymphe présente des globules; mais leur quantité est infiniment moindre que celle des globules dans le sang. Ces globules sont sphériques et lisses, tandis que les globules du sang ont la forme de disques aplatis. Les globules de la lymphe sont incolores. La lymphe extraite du corps de l'animal ne tarde pas à se coaguler spontanément; elle doit cette propriété à la fibrine qu'elle contient. En se coagulant, la fibrine de la lymphe, à l'instar de la fibrine du sang, em- prisonne les globules dans ses mailles. Voici quelques-unes des analyses qui ont été faites sur la lymphe. 1 Chez la plupart des animaux, le canal thoracique se jette au point de réunion des deux jugulaires, à l’endroit où celles-ci s’abouchent dans la veine cave. 442 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. LEDRET CHEVREUL. REES. et LASSAIGNE. T y (Cheval.) (Cheval.) (Ane.) EAU. née aaaru(cnt “if 925 926 965 Fibrine et globules. . . . . D n 1 AÏbumINE AT AMEMENELE LTFH 57 61 43 Matières grasses.. . . . . . » » traces Matières extractives et sels. . 15 19 21 Ce qu'il y a de remarquable dans ces analyses, c’est le chiffre peu élevé des globules de la lymphe. Le caillot desséché, qui comprend à la fois les globules et la fibrine, ne donne, pour 1,000 grammes de liquide, qu’un résidu de 1, 3, 4 grammes, tandis que dans le sang il y a, tant en fibrine qu’en globules, environ 130 grammes pour 1,000 grammes de sang. Comme la lymphe est aussi coagulable que le sang, et que dans le sang il n’y a, en moyenne, que 3 grammes de fibrine pour 127 grammes de globules, on voit quelle faible quantité il reste pour représenter le chiffre des globules de la lymphe. Le caillot de la Iymphe, il est vrai, ne retient pas exactement tous les globules, et une partie d’entre eux reste en suspension dans le sérum. Dans les analyses, ces globules, non emprisonnés dans le caïllot, sont conséquemment notés avec les matériaux solides du sérum, mais leur quantité est si faible, que cette cause d'erreur peut être négligée. La lymphe prend naissance dans le sein même des organes, et elle est introduite par absorption au travers des parois des vaisseaux lymphati- ques. Comme il n’y à point d'ouvertures aux extrémités originelles des lymphatiques, et comme il n’y a aucune communication directe entre les vaisseaux capillaires sanguins et le réseau initial des lymphatiques, il en résulte que les globules qu’on aperçoit dans la lymphe se forment dans l'intérieur du système lymphatique ; de même que les globules du sang se forment dans le système sanguin lui-même. $ 63. Du chyle. — On donne le nom de chyle au liquide qui circule dans les vaisseaux lymphatiques de l'intestin au moment de l'absorption digestive. L’absorption ne fait pas pénétrer en un instant, dans la circulation, les matériaux de la digestion : il faut quatre, six, huit heures, et plus peut- être, pour que l’absorption soit complétement terminée ; il y a donc, long- temps encore après que l’animal a pris des aliments, du chyle dans les vaisseaux lymphatiques de l'intestin. Le besoin des aliments et l’intro- duction d’une nouvelle ration alimentaire, coïncidant avec la terminaison du travail de la digestion et de l’absorption précédentes, il est vrai de dire encore que les dernières traces de chyle ont à peine disparu des vais- CHAP. II. ABSORPTION. | 443 seaux lymphatiques de l'intestin, quand le nouveau travail d'absorption commence. Nous ferons encore observer que, si l’on peut se procurer de la /ymphe pure, il est beaucoup plus difficile de se procurer ce qu’on pourrait ap- peler du chyle pur. En effet, pour obtenir une quantité notable de chyle, soit pour en faire l’analyse, soit pour en étudier les propriétés physiolo- giques, on est obligé de l’extraire du canal thoracique. Or, il est facile de s’apercevoir que, dans les conditions même les plus avantageuses (e’est- à-dire en sacrifiant les animaux dans le moment où l’absorption digestive est dans toute son intensité), on est loin d’avoir du chyle pur, puisque le chyle parvenu dans le canal thoracique se trouve mélangé à la Iymphe qui revient de toutes les parties du corps. Le chyle le plus pur qu'on puisse se procurer est celui qu’on obtient en ouvrant les chylifères sur Pintestin lui-même, au moment où ces vais- seaux sortent des tuniques qui le composent. Mais si l’on peut se procurer ainsi assez de chyle pur pour en faire l’objet d’études microscopiques, on ne peut guère s’en procurer des quantités sufisantes pour l'analyse chimique. Voilà pourquoi les auteurs qui ont écrit sur ce sujet ne sont pas tous d’accord sur la composition du chyle. D'un autre côté, c’est en vain qu’on chercherait à se procurer du chyle dans l’intérieur de l'intestin grêle lui-même. Il est vrai que ses éléments y existent, mais ils se trouvent mélangés, en ce point, avec tous les au- tres produits de la digestion. Le chyle à l’état de pureté n’existe donc que dans les vaisseaux chylifères, ce qui ne veut pas dire que la matière du chyle se forme dans les vaisseaux chylifères, car ceux-ci se bornent à le recevoir par absorption sur les parois intestinales. Pour se procurer des quantités notables de chyle, on est donc obligé de le puiser dans le canal thoracique. A cet effet, on peut procéder comme nous l’avons indiqué précédemment (S 62). M. Colin, qui a fait à cet égard un grand nombre de vivisections, est parvenu non-seulement à extraire le chyle du canal thoracique au cou sur l'animal vivant, mais il a pu, par une dissection attentive (sur le cheval et sur le bœuf), isoler le canal, y introduire et y fixer à demeure une canule, qui déverse au dehors, dans un réservoir convenablement disposé, le liquide qui circule dans ce canal. En un mot, il établit des fistules au canal thoracique, et il recueille pendant des journées entières le liquide qui cireule dans l’arbre lymphatique. M. Colin a pu se procurer ainsi des quantités considérables de liquide, et étudier en outre les différences qu'apporte dans la qualité et la quantité de ce liquide la période de jeûne et la période digestive. L'’abondance de l'écoulement par la fistule en un temps donné dépend de conditions accessoires dont il faut tenir compte, entre autres de la dis- position plus ou moins heureuse de l’appareil adapté à la fistule, ainsi que le remarque judicieusement M. Colin, et aussi de la différence qui 144 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. peut survenir par suite des anastomoses du canal thoracique principal (ou des divisions du canal thoracique principal) avec le grand vaisseau lym- phatique droit, anastomoses assez fréquentes et plus ou moins nom- breuses. Cependant on peut, à l’aide des fistules dont nous parlons, se faire une idée approximative de la quantité de liquide que le canal thora- cique déverse en vingt-quatre heures dans la masse du sang. Sur un cheval, la quantité de liquide qui s’écoulait par la fistule était de 600 à 1,200 grammes par heure ; ce cheval, observé pendant douze heu- res, donna ainsi 11 kilogrammes de liquide. Sur une vache, dont le canal thoracique s’ouvrait manifestement par une seule branche dans le système veineux, la quantité du liquide qui s’écoulait par la fistule fut de 3 à 6 ki- logrammes par heure et s’éleva en vingt-quatre heures à 95 kilogrammes (95 litres environ). Cette énorme quantité de liquide est bien propre, ainsi que le fait remarquer M. Colin, à nous donner une idée de l'importance du rôle que joue dans l’économie le système des vaisseaux lymphatiques ; elle nous montre que le sang est dans un état de mutation perpétuelle et qu'il se renouvelle incessamment et rapidement aux dépens des maté- riaux charriés par les lymphatiques de l'intestin, et aux dépens des ma- tériaux puisés dans le sein des organes par les lymphatiques généraux. L’écoulement du liquide par les fistules est continu, mais les propor- tions écoulées dans un même laps de temps sont sensiblement moindres pendant les intervalles des repas. On remarque aussi que le liquide de- vient lactescent, quand la digestion est dans toute son activité. Le chyle des animaux carnivores, celui des herbivores et celui de l’homme est un liquide blanc, opaque, analogue à du lait. Le chyle, tout en étant opaque, est quelquefois légèrement rosé ; mais cette coloration est empruntée au sang, par le reflux du sang veineux à l’orifice du canal thoracique. est vrai que le chyle pris dans le canal thoracique suivant les procé- dés ordinaires offre souvent une teinte rosée ; il est vrai que le chyle et la lympbhe rougissent à l’air, que le chyle et la lymphe, agités dans une at- mosphère d'oxygène rougissent plus fortement; mais cela tient aux glo- bules du sang que ces liquides renferment accidentellement. Lorsque le chyle et la lymphe sont extraits par une fistule disposée de manière que tout reflux du sang soit impossible dans l’intérieur de ce canal, ces li- quides ne rougissent point à l’air ni au contact de l'oxygène. Le liquide extrait du canal thoracique, soit par une vivisection, soit par une fistule, ne tarde pas à se coaguler, comme le sang ; le caillot formé comprend d’abord toute la masse du liquide (comme pour le sang), puis peu à peu le caillot se resserre, exprime le sérum, et la partie liquide flotte dans le liquide qui l’entoure. La coagulation s'effectue aussi bien dans le chyle de l’animal en pleine digestion que dans le liquide extrait du canal thoracique de l’animal à jeun. Le chyle blanc pris sur les lymphatiques de l'intestin de l’animal en CHAP. II, ABSORPTION. 145 pleine digestion est moins coagulable que celui du canal thoracique, mais il se coagule néanmoins. Cette propriété du chyle intestinal, niée par quelques auteurs, a été mise hors de doute par les recherches de M. Colin. Lorsqu'on a extrait le chyle sur les chylifères de l'intestin, et qu’on l’exa- mine au microscope, on constate qu'il est constitué par un liquide trans- parent, au milieu duquel sont suspendus, en quantité considérable, des globules. Ces globules sont sphériques, obscurs sur les bords et Ce dimen- sions très-variables. Les uns, constitués par des particules d’une petitesse extrême, ne peuvent être mesurés et ressemblent à une fine poussière. Les autres résultent de l’accolement de ces particules élémentaires; on en ren- contre de toutes les dimensions, depuis 0,006 jusqu’à O»,01. Les plus gros, beaucoup moins nombreux que les autres, deviennent plus abon- dants quand on examine le chyle dans le canal thoracique. Les globules composés du chyle sont granuleux, c’est-à-dire qu’on aperçoit distincte- ment en eux les éléments du groupement desquels ils résultent. Les granules élémentaires et les globules composés du chyle sont es- sentiellement formés par la graisse ; car si on les traite par l’éther sous le microscope, ils disparaissent et on ne trouve plus sur la plaque du micros- cope, après l’évaporation de l’éther, que des îlots irréguliers de matière grasse. Dans les globules du chyle, comme dans les globules du lait, la matière grasse est renfermée dans une enveloppe de nature albuminoïde. Dans le chyle du canal thoracique on trouve moins de ces particules ex- trêmement fines, qui forment la masse presque entière du chyle initial; on n’y trouve guère que des globules composés. C’est donc principalement à l’état de globules composés que les globules propres du chyle sont versés dans le torrent de la circulation sanguine. Dans le chyle on trouve aussi les globules de la lymphe, dont nous avons parlé. Ces globules diffèrent des précédents en ce qu’ils ont des dimensions sensiblement constantes, en ce qu’ils sont lisses ef légèrement colorés. (Voy. $ 62.) Le chyle se distingue donc surtout de la Iymphe, qui est transparente, par son opacité et sa lactescence. Pour que le chyle présente les caractères que nous venons de signaler, il faut que l’animal, carnivore ou herbivore. ait fait usage d’une alimen- tation naturelle. Dans la viande, dans les os, dansle lait, dans lesfourrages, dans le son, dans l’avoine, dans les graines de toutes sortes, il y a tou- jours, en effet, des proportions plus ou moins considérables de matières grasses. Mais si l’on place l’animal dans des conditions exceptionnelles, si, par exemple, on lui donne des substances alimentaires privées à dessein de leurs matières grasses (telles que de l’albumine et de la fibrine pure), le liquide qui circule dans les chylifères de l'intestin au moment de l’ab- sorption n’est point lactescent. Ce liquide est transparent et offre alors une grande analogie avec la lymphe. Les chylifères, ne contenant plus de ma- tières grasses, ne charrient vers le canal thoracique que des éléments 10 146 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION. albumineux et fibrineux. Les chylifères se trouvent alors dans des condi- tions à peu près identiques avec celles des vaisseaux lymphatiques pro- prement dits, lesquels se chargent dans les organes d’un liquide analogue au plasma du sang. Tous les mammifères ont un chyle blanc dans les chylifères intestinaux pendant la digestion, parce qu'ils font usage d’aliments qui contiennent des matières grasses. La teinte opaque de ce liquide est d'autant plus pro- noncée que les matières alimentaires sont plus riches en substances gras- ses; aussi le liquide qui circule dans les chylifères des carnivores est généralement plus blanc que le chyle des herbivores, dont l'aliment con- tient en général moins de graisse. Le chyle des herbivores est bien plus lactescent après l’administration de l’avoine qu'après celle de l'herbe et de la paille. Il existe beaucoup d’analyses du chyle ; maïs, comme ces analyses n’ont été faites que sur le liquide extrait du canal thoracique, les résultats ob- tenus sont complexes et portent à la fois sur le chyle et sur la lymphe. Telles qu’elles sont, ces analyses, comparées à celles de la lymphe, peu- vent cependant nous éclairer sur les différences qu’apporte à la Ilymphe du canal thoracique le chyle qui provient de l'intestin. Voici plusieurs de ces analyses. Les auteurs ne disent pas toujours à quelle période de la digestion ont été sacrifiés les animaux. Il est plus que probable que les variations de composition dépendent de l’époque de la digestion et de la nature de l'alimentation. SIMON. REES. (Cheval.) (Homme.) 904 traces 70 Matières grasses 9 Matières extractives et sels 1. s 14 Il est à remarquer combien, dans l’analyse de M. Simon et dans la der- nière analyse de M. Rees, le chiffre de la fibrine est peu élevé. IL est pro- bable que ces deux expériences ont coïncidé avee le moment où l’absorp- tion digestive était dans toute son activité. Le chyle de l’homme, dont M. Rees a fait l'analyse, avait été pris dans le canal thoracique d’un homme mort par suspension quelques heures après le repas ?. 1 Parmi les matières extractives nous signalerons le suere (ou glycose). Quand on s'est pro- curé du chyle sur un animal herbivore ou sur un animal nourri avec des féculents, et qu’a- près l'avoir défibriné on le fait chauffer avec la liqueur cupro-potassique, le précipité rouge d’oxydule de cuivre (caractéristique de la présence du sucre) prend naissance. 2? Dans les analyses du chyle, comme d’ailleurs dans celles de la lymphe, on désigne sous le nom de fibrine le caillot desséché. Or, ce eaillot contient à la fois de la fibrine, des globules CHAP. II. ABSORPTION. 447 En résumé, si l’on compare les analyses de la lymphe et celles du chyle, on constate que ce qui différencie essentiellement ces deux liquides l’un de l’autre au point de vue chimique, ce sont les matières grasses. L’as- pect extérieur (teinte laiteuse) et l'inspection microscopique l’établissent pareillement. Le chyle pris sur l'intestin contient toujours une assez forte proportion d’albumine. Pour s’en convaincre, il suflit de faire chauffer dans une pe- tite capsule du chyle extrait des Iymphatiques qui circulent sur les parois mêmes de l'intestin. À une température de + 709 ou + 750, ce liquide s’é- paissit et se prend en masse, comme une dissolution d’albumine. II faut ajouter, au reste, que le même phénomène se produit quand on chauffe le liquide extrait du canal thoracique, ou quand on chauffe le sang; en un mot, tous lesliquides quicontiennentd’assez fortes proportions d’albumine. S 64. Sous quelles formes sont absorbés les produits de la digestion. — Nous avons précédemment établi que les aliments féculents, qui consti- tuent la majeure partie du régime des herbivore et une partie importante du régime de l’homme, sont transformés en dextrine, puis en glycose, ou sucre de raisin. Mais la glycose elle-même, en présence des liquides organiques et de la température du corps des animaux, donne naissance à de l’acide lactique. Cette transformation de la glycose en acide lactique précède-t-elle nécessairement l'absorption ? Non. M. Becker a dernière- ment démontré, dans trois séries d'expériences instituées sur plus de quatre-vingts lapins, que de la glycose introduite dans une anse intestinale ou ingérée dans l’estomac à l’aide d’une sonde œsophagienne est absor- bée en nature, car on trouve constamment du sucre dans le sang de l’animal deux, trois ou quatre heures après l'expérience. Le même fait se produit quand on donne à l’animal une nourriture amylacée abondante. Les féculents sont donc absorbés en grande partie à l’état de glycose. Quant à la partie du sucre transformée dans l'intestin en acide lactique, elle est absorbée à cet état. MM. Lehmann et Rees ont noté la présence des lactates dans les voies de l’absorption. L’albumine liquide est absorbée en nature. Les aliments albuminoïdes solides (fibrine, caséine, albumine coagulée) sont absorbés à l’état de pep- tone (albuminose). Mais en présence du sang, la peptone, qui ne dif- fère pas sensiblement de l’albumine sous le rapport de la composition, se transforme promptement en albumine. (Voy. $ 43.) Une portion de pep- de la lymphe et des globules propres du chyle. On débarrasse le caillot des globules propres du chyle, c’est-à-dire de la graisse, en le traitant par l'alcool et par l’éther, qui s’en emparent en les dissolvant. Le résidu évaporé de la dissolution alcoolique et éthérée donne une partie des matières grasses. Un grand nombre de globules propres du chyle restent en suspension dans le sérum. Comme le sérum est également évaporé et traité apres évaporation par l'alcool et par l’éther, les globules propres du chyle restés en suspension figurent également parmi les matières grasses. 148 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. tone, peut-être celle qui provient de la dissolution de la fibrine, se re- constitue promptement aussi à l’état de fibrine. Proust et Nasse avaient déjà montré autrefois que le régime animal augmentait l’élément spon- tanément coagulable du sang. M. Lehmann a constaté sur lui-même qu’au moment de l’absorption d’un repas de substances albuminoïdes, l’albu- mine du sang s'était élevée de 12 grammes pour 1000 grammes de sang, et la fibrine de 3 grammes pour la même quantité de sang. Les matières grasses neutres, c’est-à-dire les graisses, l'huile, le beurre contenus dans les aliments, sont absorbées en nature, sans avoir été mo- difiées. Elles sont émulsionnées par les sucs digestifs, mais non trans- formées chimiquement. On retrouve les corps gras neutres en nature, non- seulement dans les voies de l’absorption (chylifères et canal thoracique), comme l’ont démontré MM. Bouchardat et Sandras, mais encore dans le sang de l’animal pendant la période de la digestion, comme nous l’a- vons constaté nous-même sur un grand nombre de chiens sacrifiés pen- dant la période digestive. S 65. Produits de la digestion absorbés par les chylifères. — Nous avons déjà fait pressentir que les matières grasses neutres de la digestion s’intro- duisent dans le sang par la voie des chylifères. Nous ajouterons que les chy- lifères sont très-vraisemblablement la seule voie de leur absorption. Les analyses citées plus haut ($ 63) prouvent que sur les animaux tués pen- dant la digestion, on trouve dans le chyle 9, 10, 36 parties de graisse sur 1000. Mais si, au lieu de donner aux animaux une nourriture mixte, on leur donne à peu près exclusivement des matières grasses, les proportions de graisse du chyle s'élèvent bien plus haut. MM. Sandras et Bouchardat font prendre à des animaux de l'huile d'amande douce; ils recueillent le chyle, et peuvent en extraire de 100 à 140 pour 1000 d'huile d'amande intacte. Les matières grasses peuvent-elles entrer dans les voies circulatoires par la veine porte ? L'analyse du sang de la veine porte a quelquefois accusé, il est vrai, une légère augmentation dans la proportion des matières gras- ses. Ainsi, M. Simon trouve sur un cheval, pour 1000 parties de sang, 2,29 de matières grasses dans le sang de la veine jugulaire et 3,18 dans le sang de la veine porte ; sur un autre, 1,46 dans le sang de la jugulaire et 1,85 dans le sang de la veine porte. Il y aurait donc dans la veine porte 0,89 ou 0,39 de matières grasses en plus que dans la masse générale du sang. Mais ce sont là, il faut l'avouer, des différences trop faibles pour que nous puissions en tirer des conclusions quelconques. Nous avons examiné le sang de la veine jugulaire et le sang de la veine porte d’un cheval soumis au régime du foin et de la paille. Le sang, après avoir été desséché à 100 degrés, a été réduit en poudre. Les résidus ont macéré pendant quinze jours dans l’éther. Au bout de ce temps, le sang CHAP. II, ABSORPTION., 149 de la veine jugulaire avait perdu 3,39 sur 1000 de résidu sec; celui de la veine porte avait perdu 3,18 sur 1000 de résidu sec. Les pertes représen- tent les matières grasses dissoutes par l’éther. Il résulte de cette analyse une petite différence en sens contraire de celle de Simon. Ces différences, je le répète, sont dans les limites d'erreurs possibles dans les méthodes d'analyse où l’on pèse les matières après desséchement. L'analyse du sang de la veine porte ne prouve donc point, comme on l’a répété, que les matières grasses neutres soient absorbées par elle ; car il n’est pas démontré que le sang de la veine porte contienne plus de ma- tières grasses que la masse générale du sang. Il est prouvé, au contraire, que le chyle diffère du liquide qui circule dans le canal thoracique de l’animal à jeun par l'addition (sur 1000 parties) de 9, de 10, de 36, de 100, et même de 140 parties de graisse semblable à celle qui a été ingérée. Les matières grasses sont absorbées à l’état d’émulsion : émulsion dé- terminée par les liquides de l'intestin, et en particulier par le suc pancréa- tique. Leur absorption commence dans le duodénum, et elle se prolonge tout le long de l'intestin grêle. Le gros intestin s'empare aussi parfois d’une petite proportion de matières grasses émulsionnées. M. Bouisson, ayant injecté par l’anus, chez les animaux, des liquides riches en matières gras- ses (lait, bouillon), a constaté la présence d’un liquide opaque et lactes- cent dans les chylifères du gros intestin; et nous avons établi plus haut, d’après les expériences de MM. Frerichs, Lenz et Colin, que le suc intesti- nal jouissait à un certain degré de la propriété émulsive. (Voy. $ 53.) Mais les matières grasses ne sont pas les seules substances absorbées par les chylifères. Les produits liquides de la digestion des substances al- buminoïdes, l’eau et les sels de l’alimentation, miscibles à cette émulsion, et en constituant pour ainsi dire le menstrue, s'engagent aussi dans les vaisseaux chylifères. Les analyses du chyle, que nous avons reproduites plus haut, montrent que ce liquide est assez riche en albumine. Le chyle pris dans les chyli- fères de l'intestin est toujours coagulable par la chaleur ; et M. Bouisson a remarqué que le chyle des animaux qui ont fait un usage exclusif de fi- brine ou d’albumine est non-seulement citrin et transparent, mais encore plus coagulable que tout autre. Les féculents, transformés en sucre ou glycose, s'engagent aussi en partie dans les vaisseaux chylifères. La pré- sence du sucre dans le chyle des chiens qui ont été nourris avec du pain ou des pommes de terre, la présence du sucre dans le chyle des animaux herbivores pendant la période digestive, est un fait bien démontré. Nous l’avons nous-même plus d’une fois constaté. Le goût sucré que présente parfois le chyle le démontre, même sans qu’il soit besoin de recourir à l’a nalyse. D’autres observateurs ont en outre noté la présence de l’acide lac- tique dans le chyle (MM. Lehmann, Rees), et nous savons que l'acide lactique n’est qu'une métamorphose plus avancée des matières amyla- cées et sucrées. 150 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, S 66. Produits de la digestion absorbés par les veines. — De même que les vaisseaux chylifères, les veines absorbent les produits albuminoïdes de la digestion, les sucres résultant de la digestion des féculents, l’eau, les sels et les boissons. Elles se distinguent des chylifères en ce qu’elles n’absor- bent pas sensiblement les matières grasses. Établissons sur des faits ces diverses propositions. Relativement à l’absorption des produits albuminoïdes par les veines, nous avons fait une série d'expériences, dont les résultats sont consignés dans les Archives générales de médecine pour l’année 1848. Ces expériences montrent que, dans la période digestive, le sang de la veine porte ! pré- sente une augmentation notable, quelquefois considérable, dans les pro- portions de l’albumine. Sur le cheval, où nous avons pu doser à part la fibrine, celle-ci se trouvait aussi un peu agmentée dans les mêmes condi- tions. M. Schmidt est arrivé depuis à des résultats analogues. Quant à ce qui concerne le sucre, les expériences de MM. Bouchardat et Sandras, celle de M. Bernard, celles de M. Lehmann, ete., etc., prouvent que le sang de la veine porte d’un animal qui digère du sucre ou de la fécule contient de la glycose. Il suffit, pour mettre ce fait hors de doute, de faire une saignée à la veine porte d’un animal en pleine digestion d’un repas de pommes de terre, de laisser coaguler le sang et d'essayer le sé- rum (après l'avoir débarrassé de son albumine, Voy. $ 117) à l’aide de la liqueur bleue de Trommer. La réduction de la liqueur bleue est toujours des plus manifestes, et révèle dans le sérum la présence du sucre. L'eau et les boissons sont absorbées, chacun le sait, avec une assez grande rapidité. Pour peu que la quantité ingérée soit un peu considéra- ble, le besoin d’uriner se fait promptement sentir. Dans les phénomènes réguliers de la digestion, l’eau sert de dissolvant aux produits divers de la digestion : l’eau et les boissons suivent donc la voie des chylifères et la voie des veines. M. Bouisson a trouvé, une demi-heure après l'injection d’une grande quantité d’eau dans l'estomac d’un animal, le contenu du canal thoracique clair et très-liquide. Nous avons constaté que si l’on analyse comparative- ment le sang veineux général (sang de la veine jugulaire) et le sang de la veine porte sur un animal qui a copieusement bu, on trouve des différences notables dans les proportions de l’eau de ces deux sangs. Dans une de ces expériences, le sang pris dans la veine jugulaire contenait, par exemple, 196 parties d’eau pour 1000, et le sang de la veine porte du même ani- mal en contenait 851 pour 1000 parties de sang. Une autre fois, le sang " Les expériences dont il est ici question ont porté sur le sang extrait de l’une des branches de la veine porte, la veine grande mésaraïque, formée par la réunion de toutes les veines de l'intestin grêle et par celles de la première partie du gros intestin. Là seulement, en effet, on peut trouver dans son état de pureté le sang de la digestion. Dans le tronc commun de la veine porte, le sang se trouverait mélangé avec celui qui provient de la rate. CHAP, II, ABSORPTION,. 151 de la veine jugulaire contenait 770 parties d’eau et le sang de la veme porte 825. En résumé, nous dirons : tous les produits de la digestion sont repré- sentés dans le chyle; les veines de l'intestin donnent aussi passage à ces divers produits, moins les substances grasses. Le mélange qui entre dans les vaisseaux chylifères diffère donc du mélange qui entre dans les veines par la présence des matières grasses. Nous chercherons plus loin à nous rendre compte de cette singulière particularité. Le canal thoracique et le système de la veine porte étant les voies d’ab- sorption des produits de la digestion, on conçoit aisément que l’oblitéra- tion de l’un ou de l’autre de ces canaux doit entrainer les plus graves dés- ordres. On a plus d’une fois opéré la ligature du canal thoracique chez les animaux pour en examiner les résultats. Ces animaux ont généralement sucecombé au bout d’un temps variable, qui n’excède pas huit à dix jours. La plupart de ces expériences ont porté sur des chiens. Or, les chiens à l’inanition absolue vivent ordinairement plus longtemps. La rapidité de la mort doit donc être rattachée bien moins à la suppression de l'entrée des matières de la digestion par la voie des chylifères qu'aux suites de l'opération ou qu’à la suspension de la circulation lymphatique. Quelque- fois l’animal continue à vivre en parfaite santé ; mais, dans ces cas, le ca- nal thoracique était double, ou bien les anastomoses si communes du canal thoracique avec les branches lymphatiques qui vont s’ouvrir à droite dans les veines avaient rétabli le cours du chyle et de la lymphe. Quant à la ligature de la veine porte, elle entraine aussi la mort des ani- maux. Mais comme le sang de la veine porte conduit au foie les éléments de la sécrétion biliaire, le phénomène est également complexe; il y a une sorte d'infection générale, par rétention dans le sang des éléments excrémentitiels de la bilet. & 67. Des autres substances absorbées à Ia surface de l'intestin. — Indé- pendamment des produits de la digestion, d’autres substances solubles peuvent être introduites dansle sang par l'absorption intestinale ; tels sont, par exemple, les médicaments et les poisons. On peut constater la présence de la plupart de ces substances dans les veines, plus rarement dans les vaisseaux chylifères, ce qui tient très- probablement à ce qu’elles n’y ont pas été aussi souvent recherchées, et à ce que les procédés de recherches n'étaient pas suflisamment rigoureux. 1 Il serait intéressant d'examiner l'influence de la ligature, non pas du tronc de la veine porte, mais de la branche mésaraique seule. On supprimerait ainsi l’arrivée des produits de la digestion, et on laisserait parvenir au foie le sang de la branche splénique. Gette expé- rience éclairerait en même temps l’histoire de la sécrétion biliaire. Il est possible, en effet, que les matériaux de cette sécrétion proviennent de la branche splénique et non de la branche intestinale, 152 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, MM. Tiedmann et Gmelin introduisent dans l'intestin des chiens et des chevaux du ferro-cyanure de potassium, du sulfate de potasse, de l’acé- tate neutre de plomb, du sulfate de fer : ils retrouvent facilement ces diverses substances dans les branches intestinales de la veine porte. MM. Westrumb, Panizza, Kramer répètent les mêmes expériences et ar- rivent aux mêmes résultats. De plus, ces derniers constatent la présence de l’iodure de potassium et du ferro-cyanure de potassium dans le canal thoracique. MM. Magendie et Ségalas attirent au dehors une anse d’in- testin; ils lient la veine et l'artère qui s’y rendent, laissent intact un fais- ceau de vaisseaux lymphatiques, et injectent un poison (un sel dissous de strychnine) dans cette anse d’intestin. Au bout d’une heure, les phéno- mènes d’empoisonnement ne sont pas encore survenus. Ils délient alors l'artère et la veine : l’empoisonnement survient en six minutes. M. Chatin administre de l’acide arsénieux et de l’émétique à des chiens; il en con- state la présence dans le sang, et non dans le canal thoracique. L'absorp- tion par les veines paraît donc plus facile, ou tout au moins semble s’exer- cer plus rapidement par les veines. C’est pour cette raison, sans doute, qu’à un moment donné, les proportions de matières absorbées que ren- ferme le sang des vaisseaux de l'intestin sont assez considérables pour qu'on puisse mettre ces matières en évidence à l’aide des réactifs. En somme, les sels métalliques passent rapidement dans le sang par la voie des veines. Nous ferons les mêmes remarques relativement aux ma- tières colorantes dissoutes, telles que l’indigo, la cochenille, le tournesol, la gomme-gutte, le safran, etc., lesquelles n’ont été signalées dans les chy- lifères que quand la proportion introduite dans l'intestin était considéra- ble, tandis, au contraire, qu’on les retrouve facilement dans le sang des veines: De même les matières odorantes, telles que le muse, le camphre, l'alcool, ne communiquent point sensiblement leur odeur au chyle, tandis que cette odeur est très-apparente dans le sang des veines intestinales. ARTICLE II. DE L'ABSORPTION CUTANÉE ET PULMONAIRE, DE L’ABSORPTION DANS LES CA- VITES CLOSES, DANS LES RÉSERVOIRS DES GLANDES , SUR LES SURFACES ACCIDENTELLES, — VOIES DE CES ABSORPTIONS. S 68. Absorption cutanée. — La peau est revêtue d’une couche épidermique protectrice, qui s'oppose, mais incomplétement, à l’évaporation qui tend à se faire sans cesse aux surfaces du corps humain parcouru et pénétré par des liquides à une température de + 37°. Cette couche s'oppose aussi, dans une certaine mesure, à l'absorption. Cependant les substances liqui- des et gazeuses peuvent pénétrer dans l’économie. Lorsque le corps est plongé dans un milieu liquide, dans un bain, par exemple, l’eau imbibe et ramollit d’abord l’épiderme, puis elle passe par absorption dans les vaisseaux qui circulent dans les couches superficielles CHAP. 11. ABSORPTION. 153 du derme, et de là dans le torrent de la circulation. IL y a donc d’abord imbibition, puis absorption. Dans l'intestin et sur les membranes mu- queuses, qui sont molles et toujours kumectées de liquide, l'absorption est plus immédiate et aussi plus rapide ; il n’y a, pour ainsi dire, point d’im- bibition préalable. On peut établir le fait de l'absorption de l’eau dans les bains, au moyen de pesées rigoureuses faites avant et après l'immersion. De nombreuses dissidences se sont produites, il est vrai, à cet égard. Les uns ont affirmé qu’on augmentait de poids dans le bain, les autres ont dit que le poids ne varie point ; les autres, enfin, que loin d’augmenter le corps diminuait de poids. Toutes ces observations sont exactes. Le problème, en effet, n’est pas aussi simple qu’il le paraït, et il se complique d’une question de tem- pérature et de l’évaporation habituelle qui se fait d’une manière continue par la surface pulmonaire. Lorsque la température du bain est supérieure à celle du corps, celui-ci, nous le verrons plus loin, lutte contre l’élévation de température par la secrétion de la sueur, la sortie du liquide du de- dans au dehors devient prédominante, et le corps perd. Lorsque la tem- pérature du bain est inférieure à celle du corps, l'absorption cutanée l’em- porte sur l’évaporation pulmonaire et le corps gagne en poids, l’eau du bain s’introduit dans l’économie ; c’est ce qui a lieu dans le bain ordinaire ou bain tiède. Enfin, lorsque le bain est à peu près à la température du corps, il y a balance : Le corps n’augmente ni ne perd en poids". Lorsque des substances salines sont dissoutes dans l’eau du bain, l’eau absorbée en entraine avec elle de petites quantités. Ces substances peu- vent être retrouvées dans le sang ou dans les urines : de là les bains mé- dicamenteux. La peau absorbe les substances dissoutes, qui agissent localement à la manière du bain, par ramollissement de l’épiderme. Lorsqu'on arrose d’une manière continue la région dorso-lombaire d’un cheval avec une dissolution de cyanure de potassium, le sel absorbé apparaît dans l’urine au bout de cinq ou six heures (Colin). On en peut constater la présence à l’aide d’un sel de fer. On facilite singulièrement l'absorption cutanée par des frictions. M. Leb- kuchner frictionne la peau du ventre d’un lapin avec de l’acétate de plomb : l'animal meurt empoisonné. Il plonge le tissu cellulaire sous-cutané de ce 1 Le point d'équilibre dont nous parlons est à 32 ou 35 degrés centigrades, c’est-à-dire de 4 ou 5 degrés au-dessous de la température du corps. Il ne faut pas oublier que, dans l'air, le corps perd sans cesse en poids, non-seulement par l’évaporation cutanée, mais aussi par l’é- vaporation pulmonaire. Or, quand nous sortons du bain avec un poids exactement semblable à celui de l'entrée, on ne peut pas dire qu’il n’y a point eu d’eau absorbée; an contraire, on peut affirmer qu’il y a eu une quantité d’eau absorbée correspondante à celle que nous avons perdue pendant le même temps par la voie de l’évaporation pulmonaire. Voilà tres-vraisembla- blement pourquoi le point d'équilibre est un peu au-dessous de la température du corps. Ainsi, cans un bain à 32 ou 53 degrés, quoique le poids du corps ne change point, il y a eu néan- moins une petite quantité d’eau absorbée, (Voy., pour plus de développements, 8 155 el suiv.) 454 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. lapin dans l'hydrogène sulfuré : ce tissu devient noir et accuse ainsi la présence du plomb par la formation du sulfure de plomb. Le même ob- servateur constate aussi la présence du plomb dans le sang. A l’aide des frictions on peut faire pénétrer l'huile de croton tiglium par absorption au travers de la peau intacte, et purger ainsi les malades. Les frictions à l’aide de la pommade stibiée excitent des vomissements. Les frictions et les applications laudanisées prolongées peuvent amener des accidents toxiques, etc. Il est indispensable de tenir compte, dans les phénomènes de l’absorp- tion cutanée, de l’état dans lequel se trouve la peau. Lorsqu'elle est re- couverte de son épiderme, comme l’épiderme est formé d’une couche épithéliale invasculaire, l'absorption est alors très-lente, et elle doit être précédée de l’imbibition et du ramollissement de l’épiderme. Quand la substance attaque l’épiderme, ou quand la peau est privée de son épi- derme et que le derme est à nu, les parties superficielles du derme étant parcourues par un réseau vasculaire sanguin et lymphatique d’une grande richesse, l’absorption est incomparablement plus énergique et plus prompte. Des substances solides, réduites en poudre et solubles, qui, placées à la surface de l’épiderme see, ne seraient point absorbées, le sont au contraire très-rapidement quand on les dépose sur le derme dé- nudé, à la surface duquel le plasma exhalé hors du réseau vasculaire en- tretient une humidité qui dissout la substance soluble. La peau absorbe aussi les gaz, et il se fait ainsi à la surface cutanée une respiration rudimentaire (Voy. $ 155). Si l’on plonge des animaux dans un milieu gazeux délétère, en leur maintenant la tête en dehors de l'appareil, ils ne tardent point à succomber. L'expérience a été souvent répétée à l’aide du gaz hydrogène sulfuré. M. Lebkuchner, ayant fait périr un lapin de cette manière, a constaté que le tissu sous-cutané de l'animal passait au noir quand on le traitait par un sel de plomb. & 69. Absorption pulmonaire. — L'expérience de tous les jours nous montre que le poumon, dont la fonction essentielle est d’absorber l’air atmosphé- rique, absorbe aussi les différents gaz délétères au milieu desquels l’homme se trouve parfois plongé. La respiration introduit également dans l’économie des vapeurs de toute espèce : vapeurs d’éther, de chlo- roforme, d'alcool, et beaucoup d’autres substances volatiles. La possibi- lité d'introduire ainsi dans le sang, par la voie pulmonaire, une foule de vapeurs, a donné naissance à une méthode spéciale d'administration des médicaments, dite méthode des fumigations, et on à construit à cet effet des appareils particuliers. N'oublions pas que la substance organique, peu connue, des miasmes marécageux, et que le principe inconnu d’une foule de maladies épidémiques et contagieuses s’introduisent probablement dans l’économie par cette voie. CHAP. IT, ABSORPTION. 155 La membrane muqueuse pulmonaire absorbe aussi les liquides avec une grande énergie, Chez l’homme, il est rare que les liquides pénètrent dans les poumons par la trachée ; quand ils s’y engagent par hasard, il y à d’abord un moment de suffocation, mais l'absorption ne tarde pas à débarrasser les voies aériennes de ce que les efforts de toux n’ont point expulsé au dehors. Chez les animaux, on peut impunément injecter dans les poumons de très-grandes quantités d’eau. Il y a d’abord un peu d’an- goisse, mais elle disparaît promptement. Nous avons souvent injecté 30, 40, 80 grammes de liquide dans la trachée des chiens et des lapins, et l’on peut impunément introduire 10 et 20 litres d’eau dans les poumons d’un cheval. Il faut injecter d’un seul coup environ 40 litres de liquide pour le faire périr d’asphyxie. Des substances diverses, dissoutes dans l’eau, passent promptement dans le sang par la muqueuse pulmonaire, muqueuse d’une extrême té- nuité aux extrémités des bronches. Lorsqu'on injecte 15 ou 20 grammes d’une dissolution de cyanure de potassium (contenant 4 grammes de sel pour 30 grammes d’eau) dans les poumons d’un lapin, on retrouve le sel dans le sang de la jugulaire au bout de quatre ou cinq minutes. Quand on injecte dans la trachée d’un cheval 12 grammes d’extrait alcoolique de noix vomique, les phénomènes d’empoisonnement surviennent bientôt, et l'animal expire au bout de cinq ou six minutes. Quand on cherche à faire pénétrer par absorption dans le sang des animaux une substance saline dissoute, dans un but d'expérience, iln'y a guère de voie plus prompte ni plus sûre que la voie pulmonaire. La rapidité des phénomènes d'absorption indique manifestement que les veines sont ici la principale voie d'absorption. S 70. Absorption dans les cavités closes, dans les réservoirs des glandes, sur les surfaces accidentelles, ete. — Voie de ces absorptions. — Les cavités closes, telles que la cavité des plèvres, celle du péricarde, celle du péritoine, celle de la tunique vaginale, celle de l’arachnoïde, les sy- noviales articulaires, les bourses synoviales des tendons, les bourses sous- cutanées, sont le siége d’une exhalation et d’une résorption normale. Ces diverses cavités sont aussi quelquefois le siége d’épanchements plus ou moins considérables. Les épanchements de la cavité des plèvres, en par- ticulier, sont remarquables par leur fréquence. La résorption de ces divers épanchements est généralement très-lente. Dans un certain nombre de circonstances (les causes qui leur ont donné naissance persistant, ou bien l’exhalation remplaçant sans cesse le liquide entrainé par l'absorption), il faut recourir à une opération pour en débarrasser le malade. Il n’en est pas de même chez les animaux bien portants : les liquides injectés dans la cavité du péritoine disparaissent assez promptement. On peut aussi faire passer par cette voie dans le sang des matières salines dissoutes. 456 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. Lorsqu'on place dans la cavité du péritoine une substance organique solide, celle-ci éprouve une série de transformations, en vertu desquelles elle est successivement ramollie, dissoute, puis résorbée. M. Michaëlis, de Prague, qui a dernièrement étudié ce phénomène en s’aidant de l’ana- lyse chimique, combat l’assimilation qu’on à voulu établir entre la di- gestion proprement dite et le mode de cette résorption. Des fragments de viande de veau, introduits dans la cavité péritonéale des animaux, per- dent d’abord par résorption toutes leurs parties liquides, et ne forment bientôt plus qu'un noyau. Suivant lui, ce noyau se décompose ensuite lentement par une métamorphose analogue à celle qui s’accomplit dans les matières azotées, en dehors du contact de l'air ; il en résulte un savon soluble dans le sérum, et résorbé sous cette forme à mesure qu’il se pro- duit 1. Quoi qu'il en soit, c’est sur ce phénomène de résorption qu'est basé le principe chirurgical de lier les artères au moyen d’un tissu animal susceptible d’être résorbé. Les liquides injectés dans les membranes séreuses sont assez rapide- ment absorbés. Une dissolution de cyanure de potassium injectée dans le péritoine ou dans les plèvres d’un chien apparaît généralement au bout de dix minutes dans les urines. On peut remarquer que les sels de strych- nine introduits dans les membranes séreuses (lesquelles ne sont recou- vertes que d’un épithélium pavimenteux simple) déterminent plus rapi- dement la mort que quand on les introduit dans l'intestin. Les liquides contenus dans les réservoirs des glandes, en contact par conséquent avec les surfaces muqueuses, se trouvent dans les conditions de l'absorption. Mais les revêtements de ces réservoirs consistent ordi- nairement en un épithélium stratifié, qui se laisse moins facilement tra- verser par les liquides que l’épithélium à cylindre de l'intestin. Cependant il s'opère constamment une légère absorption dans les réservoirs des glandes. La bile qui séjourne dans la vésicule biliaire est plus foncée et plus visqueuse que celle qui s’écoule directement dans l'intestin, l’urine du matin est plus chargée en couleur et en principes solides que l’urine de la journée, etc. L’absorption dans les voies glandulaires devient bien manifeste, et peut même devenir redoutable lorsqu'un obstacle s'oppose à l'issue au dehors du produit de la sécrétion. Une tumeur placée sur le trajet d’un canal d’excrétion, ou bien un calcul engagé dans l’orifice de ces conduits, détermine souvent la résorp- tion des éléments de l’urine, ou celle des éléments de la bile. On voit survenir alors, dans le premier cas, une sorte d'imprégnation urineuse 1 La substance organique eontenant de l'azote, il se forme de l’'ammoniaque par suite de sa décomposition , tandis que les éléments oxygène, hydrogène, carbone se constituent à l'état de graisse. L'ammoniaque se combine à la graisse naissante et forme un savon. Il se passerait dans le sein de l'organisme, c'est-à-dire en dehors du contact de l'air, dans un milieu hu- mide et à l'aide d’une température modérément élevée, ce qui arrive aux substances animales enfouies au sein de la terre, qui, sous l'influence d’une chaleur humide, se saponifient. CHAP, 11, ABSORPTION,. 157 générale, caractérisée par le goût de l'urine, par les sueurs urineuses, etc., et, dans le second cas, une teinte jaunâtre de la peau, de la conjonctive, et aussi du tissu cellulaire sous-cutané ; on voit aussi apparaître alors les matières colorantes de la bile dans les autres produits de sécrétions, et en particulier dans l’urine. L’absorption s'opère encore sur les surfaces accidentelles. La peau, dépouillée de son épiderme, absorbe avec une grande activité les ma- tières déposées à sa surface; elle se trouve alors dans des conditions ana- logues à celles d’une membrane muqueuse très-absorbante. On choisit souvent cette voie d'absorption pour faire pénétrer dans l’économie des substances énergiques et qui agissent à très-faible dose, les sels de strych- nine et de morphine en particulier. On enlève préalablement l’épi- derme à l’aide d’un petit vésicatoire, puis on dépose et on fixe la sub- stance sur le derme dénudé, à l’aide d’un emplâtre agglutinatif. On peut aussi, par cette voie, empoisonner les animaux avec une grande rapidité. Des substances dissoutes ou solubles dans les liquides organiques, dé- posées à la surface d’une plaie ou d’un ulcère, ou portées plus profondé- ment dans l’épaisseur même des tissus, sont aussi absorbées. La rapidité de l'absorption dépend de la vascularité plus ou moins grande des parties. Toutes les substances qui agissent comme poison ont besoin, pour exercer leur action, d’être portées par le sang vers les centres nerveux : il faut donc qu’elles soient absorbées pour devenir toxiques. Ce n’est ja- mais par action locale sur les nerfs de la partie où on les applique que ces substances font périr les animaux. Si l’on sépare, sur un animal, un membre du tronc, en ne laissant ce membre communiquer avec le tronc que par une veine et une artère (la veine et l’artère crurales, parexemple), l'introduction d’un poison dans l’épaisseur de ce membre fait périr l’a- nimal, tout comme s’il n'avait point subi de mutilation préalable. Si on ne laisse communiquer le membre avec le tronc qu’à l’aide des nerfs qui s’y rendent (le nerf sciatique, par exemple), on a beau plonger ce membre dans une dissolution fortement toxique, l’animal n’éprouve aucun acci- dent d’empoisonnement. Enfin, si le membre communique avec le tronc seulement par une veine et une artère, et qu'on applique une ligature sur ces deux vaisseaux, on aura beau plonger le membre dans la dissolution du poison, l'animal n’éprouvera rien : l’empoisonnement se manifestera rapidement, au contraire, aussitôt qu’on enlèvera les deux ligatures. Quelles sont les voies par lesquelles s’opèrent les diverses absorptions que nous venons de passer en revue ? Sont-ce les vaisseaux lymphatiques, sont-ce les vaisseaux veineux? La plupart des expériences qui ont été faites, et notamment celles que nous venons d’exposer, tendent, il est vrai, à faire supposer que ces absorptions ont lieu principalement par les veines. Mais il faut distinguer. Lorsqu'on cherche, par expérience, à sol- liciter l'absorption, on met généralement en contact avec les surfaces vivantes, ou de l’eau, on des dissolutions diverses plus ou moins éten- 458 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, dues : les vaisseaux se trouvent entourés dès lors d’une atmosphère li- quide abondante, qui n’existe point dans l’état normal. De ce que les veines absorbent principalement ces liquides, iln’en faudrait pas conclure rigoureusement que l’absorption intime des humeurs animales se fait aussi de même, presque uniquement, par les veines. Le réseau lymphatique est constitué par des vaisseaux d’un très-petit calibre, et dont le volume n’augmente pas sensiblement jusqu’au canal thoracique : il est possible que les substances irritantes ou narcotiques agissent sur leurs parois contractiles, suspendent les contractions néces- saires à la marche de la Iympbhe, et entravent l'absorption par cette voie. Si cet effet a lieu aussi sur les vaisseaux sanguins, il n’a lieu que sur les vaisseaux d’un très-petit calibre. Le réseau veineux augmente rapide- ment de volume, la circulation dans les branches d’un certain diamètre n'est plus soumise aussi directement à l'influence de la contractilité, et l'impulsion du cœur fait cheminer le sang dans leur intérieur, alors même que leur contractilité serait suspendue. MM. Henle et Beer ont fait des expériences qui peuvent sans doute être interprétées dans ce sens. Ils lient, sur des lapins, l’aorte abdominale au-dessous de l’origine des veines rénales ; la circulation sanguine du train postérieur se trouve dès lors supprimée. Il n'arrive plus de sang au membre, par conséquent il n’en revient plus. Ils font alors une plaie à la cuisse et y introduisent une forte dose de chlorhydrate de strychnine ; l’empoisonnement de l’animal n’a pas lieu. La voie lymphatique est pourtant restée libre. Il est probable que la circulation lymphatique se trouve suspendue, par paralysie des parois des vaisseaux. ST Absorption interstitielle ou de nutrition. — Il s'opère incessamment dans l’économie une absorption de nutrition, absorption interstitielle par laquelle les matériaux qui ont rempli leur rôle biologique rentrent dans le sang, pour être éliminés par la voie des sécrétions. Lorsque le mouvement de réparation et le mouvement de résorption se maintiennent dans un complet équilibre, les phénomènes d’absorption qui s’accomplissent dans la trame des tissus se dérobent à l’observation; mais ils deviennent manifestes quand le dernier l’emporte sur le premier, ou bien encore quand les tissus augmentés temporairement dans leur vo- lume sont progressivement ramenés à leur état normal. Dans l’état d’ina- nition où d'alimentation insuffisante, la résorption du tissu adipeux est des plus manifestes : les saillies musculaires se dessinent sous la peau, celle-ci se ride, les yeux et les joues se cavent, etc. Dans les mêmes con- ditions, le système musculaire diminue considérablement de volume. Dans le système osseux, on observe pendant presque toute la durée de la vie des phénomènes de résorption lente. C’est par un travail de ré- sorption que le canal médullaire des os longs et les cellules à vastes di- CHAP. II, ABSORPTION. 159 mensions des os courts se creusent dans le cartilage d’ossification à mesure qu'il s'ossifie; c’est par un travail de résorption que le canal médullaire et que les sinus des os de la face et du crâne s’accroissent par les progrès de l’âge; c’est par résorption que les os pressés par des tumeurs s’exca- vent à leur surface, que la virole du eal disparaît, et que la continuité du canal médullaire, d’abord oblitérée, se rétablit quelques mois après la consolidation des fractures, ete. Les corps de Wolf disparaissent pendant les premières périodes de la vie fœtale, le thymus s’atrophie peu à peu, et disparaît également par résorption pendant les premières années qui suivent la naissance. La résorption est aussi une des terminaisons heu- reuses de l’hépatisation pulmonaire, des engorgements glandulaires du testicule, de la mamelle, etc. Quelle est la voie de ces absorptions diverses ? L'expérience apprend peu de chose sur ce point. Il est difficile, par conséquent, d’aflirmer d’une manière absolue que les lymphatiques sont la principale voie de ces ab- sorptions, quoiqu'il y ait à cet égard un certain nombre de probabilités. Le liquide qui remplit les vaisseaux lymphatiques généraux diffère peu du liquide qui imbibe tous les organes, de celui qui est répandu dans les mailles du tissu cellulaire, de celui qui humecte les membranes séreuses. Ces divers liquides, ainsi que la Iymphe, diffèrent du plasma du sang par une proportion un peu moins considérable d’albumine. L’analogie qui existe entre le liquide interstitiel qui imbibe tous les organes et la Iymphe elle-même tend à faire supposer que les vaisseaux lymphatiques se char- gent de ce liquide et le portent vers le canal thoracique. Ce qui est re- marquable, c’est que la proportion de fibrine renfermée dans la lymphe est sensiblement la même que dans le sang. Nous verrons plus loin que la fibrine est au moins aussi abondante dans le sang veineux que dans le sang artériel. La proportion de fibrine paraît donc liée à la constitution plastique des divers liquides de nutrition, et celle-ci est sensiblement la même dans tous. Les absorptions interstitielles jouent un grand rôle en pathologie. Un grand nombre de produits morbides, solides ou liquides, déposés dans le sein des tissus, disparaissent par résorption. Lorsque ces épanche- ments interstitiels sont considérables et que leur résorption est rapide, les veines ne restent pas étrangères à ce travail. Il y à d’ailleurs des or- ganes dans lesquels l'anatomie n’est pas parvenue à démontrer l'existence des vaisseaux lymphatiques, et où les épanchements disparaissent cepen- dant par résorption : tel est l’encéphale, par exemple. D’autres faits dé- montrent la part que prend à la résorption le système lymphatique (telles sont les suites d’une piqûre anatomique, l’absorption du virus syphili- tique, etc.), bien qu'alors les phénomènes d’inflammation qui l’accompa- gnent soient assez difficiles à expliquer. 460 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, ARTICLE III. MÉCANISME DE L'ABSORPTION. É "T2 L'absorption ne s’opère que sur les substances dissoutes. — Le sy- stème chylifère, le système lymphatique et le système sanguin repré- sentent des appareils dont les réseaux terminaux sont clos de toutes parts !. Les substances qui s’introduisent dans leur intérieur ne le peu- vent qu’à la condition d’être dissoutes. À cet état seulement, elles peuvent traverser les tuniques des vaisseaux 2. M. Herbst et M. OEsterlen ont reproduit dernièrement l’ancienne opi- nion des physiologistes, en annonçant que des corps solides très-divisés pouvaient passer par absorption dans l’intérieur des vaisseaux. Mais les expériences les plus délicates ont démontré que les matières insolubles les plus finement pulvérisées ne sont point absorbées. Les expériences les plus décisives ont été faites à l’aide d’un corps absolument insoluble et d’une finesse impalpable, le noir de fumée. Il est vrai qu’en faisant avaler à des animaux du charbon pulvérisé, on a aperçu parfois au mi- croscope dans le sang desveines intestinales de petits fragments de charbon qui s’y étaient introduits. Mais le volume relativement considérable de ces fragments ne permet pas d'admettre qu’ils ont traversé des mem- branes dont, à l’aide de nos instruments grossissants les plus perfec- tionnés, nous n'avons jamais pu distinguer les pores organiques. Dans les cas dont nous parlons, les fragments anguleux ont chevauché par lé- sion mécanique successive au travers des parois des vaisseaux, à la ma- nière des aiguilles avalées, qui traversent souvent tous les tissus et vien- nent se faire jour sous la peau. Chez les mineurs, qui vivent au sein de la poussière de charbon de terre et dont les poumons prennent une teinte noire, la houille engorge les extrémités radiculaires des bronches, mais elle n’est point absorbée. Si l’on en trouve parfois des traces dans les ganglions lymphatiques, situés dans le médiastin sur le trajet des lym- phatiques du poumon, il est permis d’aflirmer que ce sont des fragments qui ontdéchiré mécaniquement les parois des lymphatiques pulmonaires. 1 La théorie des prétendues bouches absorbantes placées aux origines des vaisseaux absor- bants, et qui agiraient à la manière de sangsues intelligentes douées de la faculté de choisir ce qui doit entrer dans le sang, cette théorie est un pur roman, démenti et par l'anatomie et par les phénomènes de l’empoisonnement, 2? Les gaz, nous l'avons déjà dit, et nous y reviendrons au chapitre de la respiration, tra versent facilement aussi les membranes animales. 5 MM. Moleschott et Marfels (1855 et 1857), dans une longue série d'expériences sur les grenouilles, ont aussi cherché à démontrer que les corps solides de petit volume (les globules du sang, par exemple) peuvent traverser les voies de l'absorption. M. Moleschott injecte dans l'estomac des grenouilles du sang de bœuf défibriné, eten examinant le sang de la grenouille, le jour ou le lendemain de l'injection, il aurait constaté dans ce liquide l'existence des glo- bules du sang de bœuf, lesquels different des globules du sang de la grenouille et par le volume et par la forme. Ces résultats ont paru d'autant plus invraisemblables que, sur aucun animal CHAP, II. ABSORPTION. 161 Des substances minérales, quoique insolubles dans l’eau, peuvent être absorbées lorsqu'elles sont mises en contact avec les parties vivantes; mais il faut pour cela qu’elles éprouvent, dela part des liquidesorganiques, une décomposition chimique qui les transforme en produits solubles. Les membranes animales constituent les filtres les plus fins que nous puissions imaginer. Si l’on prend, par exemple, du sang humain défibriné par le battage et qu’on le jette sur un filtre en papier de laboratoire, une grande partie des globules du sang traverseront les pores de ce filtre ; si, au contraire, on se sert d’une membrane animale, il ne passe pas un seul globule de sang au travers de la membrane. Nous avons plusieurs fois insisté sur la nécessité de la transformation des aliments insolubles en produits solubles (et en particulier sur la méta- morphose de la fécule en glycose), pour qu'ils puissent entrer daus les voies de l’absorption. Voici une expérience facile à répéter, et qui montre bien la nécessité de cette transformation. Fermez deux tubes par des fragments de membranes animales. Placez dans ces deux tubes une dissolution d’al- bumine d’une densité analogue à celle du sang. Placez l’un de ces tubes dans un vase contenant de l’eau amidonnée, placez l’autre dans un vase contenant de l’eau amidonnée additionnée de diastase, et maintenez les deux appareils à une température de 40 degrés centigrades. Au bout de quelques heures, le niveau du liquide des deux tubes se sera élevé par suite des phénomènes d’endosmose qui se sont prononcés du côté de la dissolution albumineuse (Voy. $ 74). Mais ce que nous voulons faire re- et dans aucun de ses tissus, on n’a jamais vu les globules du sang sortir des canaux fermés de la circulation. Les recherches que M. Hollander a plus récemment entreprises sousla direction de M. Bidder n’ont pas confirmé les résultats annoncés par M. Moleschott, M. Hollander s’est servi, comme M. Moleschott, du sang de bœuf défibriné. Dans une première série de recherches, il injecte du sang de bœuf défibriné, directement, dans les vaisseaux de la grenouille. Dans ces conditions, l’observateur peut encore reconnaître les globules du sang de bœuf dans les vaisseaux de la grenouille, six, douze, vingt-quatre heures après l'injection. Apres qua- rante-huit heures il n’en existe plus. Quand on injecte dans l’estomac des grenouilles du sang de bœuf défibriné, on trouve encore du sang dans l'estomac et dans l'intestin de la grenouille, avec ses caractères distinctifs. Au bout de dix-huit heures on ne trouve plus rien. La résorption du sang (période digestive complète) est donc terminée, en moyenne, au bout de dix-huit heures. Or, en examinant dans ces conditions le sang pris sur les gre- nouilles pendant toute cette période de dix-huit heures, jamais M. Hollander n’a pu y con- stater l’existence des globules du sang de bæuf, soit que les grenouilles n’eussent été sou- mises qu'à une seule injection stomacale, soir qu’elles l’eussent été à plusieurs injections successives. On trouvait encore, disséminés dans le sang des grenouilles, quelques globules non ovalaires qui ont de l’analogie avec les globules du sang des mammiferes, mais on les ren- contre aussi bien chez les grenouilles saines que chez les grenouilles en expérience. M. Hol- lander a répété ces expériences à l’aide du sang de veau et du sang de mouton défibriné; il est arrivé aux mêmes résultats. M. Donders, à l'exemple de M. Hollander, a injecté du sang de mouton défibriné dans l’es- tomac des grenouilles, des chiens et des lapins, et à aucun moment de la digestion il n’a pu constater la présence du sang de mouton dans le sang ou dans le chyle de l'animal en expérience. 11 162 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. marquer ici, c’est que, si l’on examine chimiquement les solutions albu- mineuses contenues dans chacun des tubes, on trouve qu'il a passé du sucre dans celui de ces tubes qui était placé dans le vase contenant de l’amidon et de la diastase, tandis qu'il n’a passé que de l’eau dans l’autre tube : on n’y trouve pas un atome de fécule ni de sucre. S 73. Imbibition. — Lorsqu'une membrane desséchée est mise dans l’eau, elle se gonfle et augmente de poids ; elle a par conséquent de la tendance à s’imbiber de liquide. L’imbibition varie d'énergie suivant les liquides. De tous les liquides, l’eau est celui qui entre le plus facilement dans les tissus. La pression facilite beaucoup l’imbibition; elle peut même la détermi- ner quand le liquide a peu de tendance à mouiller les membranes. L'im- bibition varie encore suivant la nature du tissu organique, la température et la durée du contact. Le phénomène d’imbibition précède, ainsi que nous l'avons vu, l’absorp- tion par la peau, dont l’épiderme, en rapport avec l’air atmosphérique, est plus ou moins sec. Les autres tissus étant constamment baignés de li- quides dans l’état de vie, leur imbibition est en quelque sorte permanente. L'imbibition des parties solides de l'organisme a des limites, et ilne fau- drait pas comparer le corps d’un animal à une éponge. S'il en était ainsi, les liquides divers de l’économie, traversant de proche en proche les tis- sus environnants, arriveraient promptement au mélange. Il se passe, il est vrai, quelque chose de semblable chez les animaux inférieurs, dont la substance pulpeuse n’est point traversée par un système circulatoire dis- tinct, et dont le fluide nourricier imbibe toute l'épaisseur ; mais dans les animaux à circulation et chez l’homme, il n’en est plus de même. Le sy- stème circulatoire joue, sous ce rapport, un rôle important, que M. Bérard a très-nettement exposé. Dans toute partie organisée, dans toute mem- brane, il y a une multitude innombrable de vaisseaux capillaires, san- guins ou lymphatiques. Or, le liquide contenu dans un réservoir naturel imbibe, il est vrai, les tuniques de ce réservoir, mais les courants sanguins et lymphatiques entraînent ce liquide d’imbibition à mesure que l’imbibition a lieu. Ainsi, l’urine, par exemple, contenue dans la vessie, n’a point de tendance à entrer par imbibition dans la cavité péritonéale, non plus que le liquide de la cavité péritonéale à pénétrer dans l’intérieur dela vessie. C'est pour la même raison que le produit liquide de la digestion intestinale passe par absorption dans les vaisseaux qui circulent dans l’épaisseur de la membrane muqueuse de l'intestin, et qu'il ne traverse point de part en part l'intestin, comme cela a lieu chez les animaux qui n’ont point de vaisseaux. C’est pour la même raison que le liquide contenu dans une ca- vité séreuse ne passe point par imbibition dans le tissu cellulaire sous- jacent, et qu’une humeur enkystée ne se répand pas au dehors de sa membrane d'enveloppe, entourée de vaisseaux. Voilà anssi pourqnoi, sur CHAP. II, ABSORPTION. 163 le cadavre, le courant sanguin étant suspendu, les liquides contenus dans leurs réservoirs transsudent au travers des tuniques de ces réservoirs, L'imbibition prépare l'absorption. Quant à l'absorption proprement dite, elle consiste essentiellement dans le passage au travers des tuniques des vaisseaux, des liquides placés à leur surface extérieure. Mais comment se fait-il que le sang contenu dans ces vaisseaux, à un état de fension perma- nente, déterminée par les contractions du cœur et entretenue par l’élas- ticité des parois artérielles, comment se fait-il, dis-je, que le système san- guin, toujours bandé, admette des liquides dans son intérieur ? Ici inter- vient une force nouvelle. Cette force particulière, c’est celle que Bernoulli avait entrevue, et que M. Dutrochet a le premier décrite, sous le nom d’endosmose. Elle mérite de nous arrêter un instant. & 74. Endesmose.— Mettez dans un tube de verre B (fig. 26) une dissolution de sucre, de sel, de gomme, d’albumine, etc.; fermez ce tube par une membrane animale; plongez l'extrémité du tube ainsi fermé dans un vase À, qui con- tient de l’eau pure, de manière que le niveau de l’eau du vase et que le niveau du liquide contenu dans le tube se correspondent. Bientôt le liquide contenu dans le tube B s’élèvera , malgré les lois de la pesanteur, et son ascen- sion persistera pendant plusieurs jours. La so- lution du tube B attire donc l’eau du vase A. D'un autre côté, une petite portion de la solu- tion contenue dans le tube est passée dans le vase. Il y a donc eu deux courants : un courant de l’eau vers la solution, et un courant de la solution vers l’eau. De ces deux courants, l’un a prédominé dans l’expérience, c’est celui qui s’est fait vers la solution, dans la direction de la flèche (fig. 26). On a donné au courant pré- dominant le nom d’endosmose, et au courant plus faible celui d'exosmose. On a cru pendant quelque temps que le phénomène de l’endosmose était déterminé par la densité des liquides en présence ; on pensait que le cou- rant d’endosmose était d'autant plus énergique que la différence de den- sité des liquides en présence était plus considérable, et qu'il avait lieu du liquide le moins dense vers le liquide le plus dense. Il est vrai qu’en em- ployant des solutions concentrées de sucre, de sel, de gomme et d’albu- mine, l’endosmose de l’eau vers ces diverses solutions est bien plus ra- pide qu'avec des solutions peu concentrées. Mais employez des solutions de sucre, de sel, de gomme et d’albumine, de même densité, et opposez si- 164 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. multanément chacune de ces solutions à de l’eau distillée : le phénomène ne marchera pas également, et l’endosmose variera d'intensité suivant la solution employée. La solution d’albumine attirera l’eau avec une grande énergie, la solution de sel, au contraire, assez faiblement. On ne tarda pas non plus à s’apercevoir qu’en mettant en expérience de l'alcool et de l’eau, le courant prédominant se prononcçait vers l’alcoo!, quoique la densité de l'alcool soit moins élevée que celle de l’eau. Nous nous sommes convaineu par un grand nombre d'expériences, qui ont porté sur des liquides divers, que cette exception de l'alcool est loin d'être la seule, et que l’eau se dirige par endosmose à peu près vers au- tant de liquides moins denses qu’elle que vers des liquides plus denses. On a encore invoqué une action électrique. L’électricité est en physique ce qu'est le système nerveux en physiologie ; on est assez disposé à met- tre sur son compte tout ce qu’on ignore. On a voulu aussi expliquer le phénomène par une action propre des membranes. Il y a des liquides qui mouillent facilement les membranes, et d’autres qui les mouillent difficilement. L’eau est dans le premier cas, l'alcool dans le second. On a pensé que la résistance inégale que présen- taient les membranes à être mouillées pouvait !bien être la cause du phénomène. Mais l'alcool, l’éther et l'huile mouillent difficilement les membranes, et cependant ces liquides, séparés par des membranes, s’en- dosmosent entre elles. Il y a plus, l’alcool traverse moins facilement les membranes que l'huile (il faut une pression plus élevée pour faire trans- suder l'alcool au travers d’une membrane que pour faire transsuder l'huile); c’est pourtant l'alcool qui marche vers l'huile. Cette explication ne comprend donc, comme celle des densités, que des cas particuliers. La cause générale du phénomène est autre. Les membranes, il est vrai, par leur perméabilité plus ou moins grande et par leur degré d'épaisseur, peuvent accélérer ou retarder le phénomène, et en le retardant elles peu- vent paraître le modifier, mais elles n’exercent qu’une action tout à fait secondaire. La cause du phénomène ne réside point en elles, mais dans les liquides en contact. La première condition pour que l’endosmose ait lieu, c’est que les li- quides en présence puissent se mélanger. Ainsi, par exemple, l’eau et l'huile ne s’endosmosent point. Deux liquides capables de se mélanger et séparés par un corps érès-finement poreux, tel qu’une membrane, une lame mince d’ardoise ou d’argile cuite, présentent} constamment le phé- nomène de l’endosmose. Si les deux liquides, ou l’un d’eux, ou leur mé- lange, agissent chimiquement sur la membrane en la décomposant, ou sur la lame morganique, l’endosmose n’a plus lieu, ou bien elle se com- plique d’un phénomène d’équilibre, soumis aux lois de la pesanteur ; une membrane qui se détruit, en effet, n'offre plus assez de résistance pour maintenir sur chacune de ses faces des pressions inégales, et l’équilibre s'établit. CHAP. II. ABSORPTION. 165 Lorsque deux liquides miscibles l’un à l’autre se trouvent librement en présence, la pesanteur qui maintient invariablement l’équilibre ne permet pas de constater le rôle que chacun d’eux prend au phénomène : l’inter- position d’une membrane entre ces deux liquides met en évidence la part de chacun d’eux. C’est cette part inégale qui détermine la direction du courant. Toutes les fois, donc, que deux liquides peuvent se mélanger en tout ou en partie, le mélange se fait, alors même qu’on interpose entre eux une membrane organique. L’endosmose est terminée lorsque les li- quides mis en présence sont arrivés au mélange. L'eau s’endosmose vers tous les liquides, c’est-à-dire que si on la sé- pare, par une membrane, d’un liquide avec lequel elle puisse se mélanger, le courant prédominant se fait toujours de l’eau vers le liquide mis en ex- périence. Des expériences, en grand nombre, nous ont appris que dans les phé- nomènes d’endosmose, les liquides qui ont la chaleur spécifique la plus élevée marchent vers ceux qui l’ont plus petite‘. Ceci nous explique pour- 1 Le courant de l’endosmose se fait de l'alcool vers l’éther. La chaleur spécifique de l’al- cool est de 0,644 (Favre et Silbermann); la chaleur spécifique de l’éther est 0,503. Le courant de l’alcool vers l'éther sera d'autant plus énergique que la densité de l'alcool sera plus consi- dérable. Ainsi la densité, bien loin de jouer le rôle qu’on lui a attribué, produit ici un effet précisément opposé. On le conçoit aisément : la densilé de l'alcool augmente d'autant plus qu'il est moins anhydre; or, l'eau augmente immédiatement le chiffre de sa chaleur spécifique. Ce qui est vrai pour l'alcool l’est aussi pour l’éther : le courant endosmotique de l'alcool vers l'éther est d'autant plus énergique que la densité de l’éther est moindre. Le courant est au maximum quand on emploie de l'alcool non reclifié et de l’éther absolu. Il est modéré quand on emploie de l’alcool absolu et de l’éther absolu. 11 est à peu pres nul quand on met en présence de l’alcool absolu et de l’éther xon rectifié, parce qu’alors la chaleur spécifique de j’éther est sensiblement égale à celle de l'alcool absolu. On peut même ren- verser le courant, en ajoutant à l’éther le dixieme d’eau qu’il peut dissoudre, et en mettant cet éther ainsi préparé en expérience avec l’alcool. Dans ce dernier cas, la chaleur spécifique de l’éther l'emporte sur celle de l'alcool ,ainsi qu’il résulte des chiffres donnés par M. Despretz. Il y a courant de l’esprit de bois vers l'alcool. La chaleur spécifique de l’esprit de bois est 0,671, celle de l'alcool est 0,644, Il y a courant de l’éther acétique vers l'essence de térébenthine. La chaleur spécifique de l’éther acétique est 0,484, celle de l’essence de térébenthine est 0,467. Il y a courant de l’éther sulfurique (ch. spéc., 0,503) vers l’éther acétique (ch. spéc., 0,484). Ï1 y a courant de l'alcool (ch. spéc., 0,644) vers l'essence de térébenthine (ch. spéc., 0,467). Il y a courant de l'esprit de bois (ch. spéc., 0,671) vers l'huile d'olive (ch. spéc., 0,309). J1 y a courant de l’alcool (ch. spéc., 0,644) vers l'huile d'olive (ch. spéc., 0,309). Il y a courant de l’éther (ch. spéc., 0,503) vers l'huile d'olive (ch. spée., 0,309). Il y a courant de l’essence de térébenthine (ch. spéc., 0,467) vers l'huile d'olive (ch. spée., 0,309). Il y a courant de l'esprit de bois (ch. spéc., 0,671) vers l'essence de térébenthine (ch. spéc.. 0,467). Il y a courant de l’éther sulfurique (ch. spéc., 0,503) vers l'essence de térébenthine (ch. spée., 0,467), ele., etc. Il importe, on le conçoit, que les divers liquides mis en expérience soient purs. La pré- sence de l'eau dans l’un des liquides change le chiffre de la chaleur spécifique, et modifie par conséquent complétement les résultats. La pureté des substances est d'autant plus nécessaire 166 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. quoi l’eau, qui, de tous les liquides, a la chaleur spécifique la plus élevée, s’endosmose vers tous les liquides, et aussi pourquoi l'hydratation des li- quides détermine ou change la direction du courant. Il résulte de ce fait la possibilité de faire varier la direction du courant à volonté. En effet, l'eau ayant de beaucoup la chaleur spécifique la plus élevée, on conçoit que les chiffres des chaleurs spécifiques des deux liquides mis en expérience sont moins dif- férents l'un de l’autre. Quand l'écart entre les chaleurs spécifiques est grand, cette condition ést moins rigoureuse. La direction du courant d’endosmose est donc imprimée par la différence des chaleurs spé- cifiques. L’intensilé du courant est-elle proportionnelle à cette différence ? Qui, pour les liquides qui se mélangent en toutes proportions; non, pour ceux qui ne se mélangent qu’en partie. Pour exprimer le fait en d’autres termes, l'intensité du courant d'endosmose dépend de deux conditions : et de la différence des chaleurs spécifiques des liquides, et de leur misci- bilité. Cela est facile à comprendre. Supposons, en effet, deux liquides dont les chaleurs spécifiques soient tres-différentes l’une de l’autre, l'alcool, par exemple (0,644), et l'huile d’olive (0,309). En vertu de cette différence, l'endosmose de l'alcool et de l'huile devrait être intense; mais l'alcool et l’huile ne sont pas miscibles en toutes proportions. L'alcool ne dissout qu'une pro- portion d'huile déterminée ; le courant d’endosmose, dont le dernier terme est le mélange des liquides, sera done bien plus modéré que si le mélange entre les deux liquides pouvait être complet. Au lieu d'alcool, prenons l’eau pour exemple. La différence de chaleur spécifique de l’eau et de l'huile est la plus grande possible : elle est de 1 pour l’eau et de 0,309 pour l'huile, Il devrait donc y avoir un courant tres-énergique de l’eau vers l'huile; mais ces deux liquides ne pouvant se mélanger en aucune proportion, le courant d’endosmose est réduit au mini- mum, c'est-à-dire à 0. Au contraire, le courant d’endosmose s’élèvera au maximum, si, au lieu d’eau et d'alcool, c’est l’éther que nous mettons en expérience avec l'huile d'olive. L'écart entre la chaleur spécifique de l’éther et celle de l’huile d'olive est en effet assez considérable, et, de plus, ces deux liquides se mélangent parfaitement.— Autre exemple : l'essence de téré- benthine et l’éther se mélangent parfaitement ensemble, mais leurs chaleurs spécifiques sont peu différentes l’une de l’autre : l’intensilé du courant sera moyenne. Les mouvements d’endosmose peuvent être, au point de vue physique, considérés comme des phénomènes moléculaires de chaleur latente. La force avec laquelle ils se produisent est lente, successive, mais elle a une énergie considérable. M. Dutrocliet évalue qu’elle pent faire équilibre à plusieurs altmosphères. M. Jolly a publié, sur les phénomènes physiques de l’endosmose, des expériences tres-inté- ressantes, Mais il s’est placé dans des conditions toutes spéciales. 11 met dans des tubes fermés par une membrane différents sels à l’éfat solide, puis, plongeant ces tubes dans un vase rempli d’eau distillée, il remarque que l’eau du vase passe vers le sel et monte dans le tube, et il nole que la hauteur d’ascension du liquide dans le tube varie dans un même espace de temps, suivant le sel mis en expérience : il y a sous ce rapport des différences assez considérables. M. Jolly désigne, sous le nom d’équivalent endosmotique, le rapport qui existe entre le poids inilial du sel employé et le poids de la dissolution saline contenue dans le tube après l’expé- rience. Plus il est entré d'eau dans le tube, ét plus l'équivalent endosmotique du sel employé est élevé. Ainsi, l'équivalent endosmotique du sel marin serait 4, celui du sulfate de cuivre, 9,5, celui du sulfate de soude, 12, etc. Ex : Soit un tube qui, garni de sa membrane, pèse 50 grammes. On y introduit 28r.5 de sel marin, puis on le plonge dans l’eau distillée. Lorsque l'ascension du liquide dans le tube est terminée, on trouve que ce même tube pèse 40 grammes. Le poids initial du contenu du tube était 2,5: le poids du contenu après l'expérience est de 10 grammes. Par conséquent, AOzr. ae + l'équivalent endosmotique du sel marin, —4. _ L'expérience pratiquée à la manière de M, Jolly est complexe, Le phénomène se complique, CHAP. II. ABSORPTION. 167 qu'il est toujours possible d'obtenir avec l’eau et un liquide quelconque, miseible avec elle, un mélange dont la chaleur spécifique l’emporte sur celle de tout autre liquide, pris à l’état de pureté. 8 75. De l'endosmose dans les phénomènes d'absorption. — L'eau ingérée en nature est très-rapidement absorbée : cela ressort naturellement de en effet, du degré de solubilité des sels en expérience ; or, ce degré de solubilité, comme on sait, est extrêmement variable. Le sel non encore dissous reste au fond du tube, par son poids, et se trouve en contact avec la membrane, jusqu’à ce qu'il soit entré une quantité d'eau suffisante pour la dissolution. La solubilité du sulfate de cuivre est plus grande que celle du sel marin, la solubilité du sulfate de soude est plus grande encore; leur affinité pour l'eau l'emporte sur celle du sel marin, et cette propriélé introduit dans les expériences un élément nouveau qui se traduit par un renforcement de courant. Les chaleurs spécifiques du sel marin, du sulfate de cuivre et du sulfate de soude sont peu différentes entre elles. Aussi, lorsqu'on dégage le phénomène de l’endosmose du phénomène de solubilité, on trouve que le courant de l’eau vers une solution étendue et également titrée de sel marin, de sulfate de cuivre, de sulfate de soude, est sensiblement égal. MM. Ludwig et Cloetta avaient déjà fait voir que les équivalents endosmotiques de M. Jolly ne sont pas des chiffres constants, et qu'ils varient avec la concentration des liqueurs. M. Vierordt a récemment opposé aux équivalents de M. Jolly les mêmes objections, et les expériences qu'il a faites à ce sujet, nous les ayons nous-même répétées bien des fois avec des liquides différents. M. Vierordt prend, par exemple, 100 centimètres cubes d’une solution sa- line à divers états de concentration ; il place successivement ces diverses solutions dans un endosmomètre, qu’il plonge pendant le même temps, et à la même tempéralure, dans 100 cen- timètres cubes d’eau distillée. Or, quand la solution de l’endosmometre contenait 4 grammes de sel marin, celte solution avait gagné au bout de cinq heures 3c.c.,45 d'eau distillée; quand la solution contenait 30 grammes de sel marin, elle gagnait dans le même temps 5c-c.,5 d’eau. La condition première pour étudier l’endosmose et pour chercher à en découvrir les lois, c’est de l’isoler, autant que possible, dé tout ce qui n’est pas elle. Or, suivant nous, Ja meil- leure, je dirai même la seule méthode possible pour arriver à déterminer la théorie physique de l'endosmose (ou théorie du mélange des liquides à travers les membranes), c’est d'em- ployer non des corps solides ni même des corps dissous, mais des corps à l’état liquide en vertu de leur constitution propre; tels sont l'alcool, l'esprit de bois, l'essence de térében- thine, l'huile, l’éther, etc. Lorsqu'on emploie à cette détermination des sels solides, le sel non encore dissous reste au fond du tube par son poids : il se trouve en contact avec la membrane jusqu’à ce qu’il soit entré une quantité d’eau suffisante pour la dissolution. Plusieurs forces se trouvent en jeu pendant la durée de l'expérience. Pour nous résumer en quelques mots, nous dirons : l’endosmose est un phénomène pure- ment physique, en vertu duquel les liquides miscibles tendent au mélange au travers des membranes. Dans ce mélange, il y a excès d’un courant sur l’autre. La direction et l’intensité de ce courant sont déterminées, loutes choses égales d’ailleurs, par les différences de chaleur spécifique, Il est vrai, et cela n'est pas inutile à remarquer, que l’eau ayant parmi tous les corps la chaleur spécifique la plus élevée, la dilution d’une substance par l'eau ou sa con- centration par la soustraction de l’eau coïncide avec l’élévation ou l’abaissement de la cha- leur spécifique; par conséquent, il est vrai que les liquides dilués par l’eau marchent vers les liquides moins étendus, tout au moins quand ces liquides ont la même composition chi- mique. Comme la dilution par l’eau a aussi la propriété de diminuer la densité d’un certain nombre de liquides, on peut dire encore, mais seulement d’une maniere très-générale, que les liquides les moins denses marchent vers ceux qui sont plus denses. Mais il y a, je le ré- pète, de nombreuses exceptions, et ce n’est là qu’un cas particulier, tandis que tous les phé- nomenes d’endosmose obéissent à une loi commune. 168 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. tout ce qui précède. Il est vrai encore que les boissons aqueuses que nous prenons pendant le repas, en diluant les substances dissoutes par les sucs digestifs, favorisent puissamment l'absorption. Il est certain encore que l’eau que nous perdons incessamment par les diverses voies d’excrétion, par l'urine, par l’évaporation cutanée et pulmonaire, en diminuant l’eau du sang et des autres liquides de l’économie, en les concentrant, pour ainsi dire, met continuellement celle-ci dans des conditions favorables à l'absorption. L’évaporation cutanée et pulmonaire joue, relativement à l'absorption des animaux, un rôle analogue à celui que remplit chez les végétaux l’évaporation qui a lieu à la surface des feuilles et des parties tendres; et on sait, par les expériences de Hales, que la force avec la- quelle l’évaporation fait pénétrer les liquides dans les tissus des plantes est considérable. On a cherché à établir que le sérum du sang ou que le sérum de la lymphe intestinale étaient plus denses que les substances liquides absorbées, et que le courant prédominant (d’où l'absorption) s’établissait ainsi de la sub- stance à absorber vers les liquides organiques. M. Mülder affirme qu'il en est toujours ainsi, et M. Frerichs croit même l’avoir prouvé expérimentale- ment. Suivant lui, la partie liquide et absorbable du chyle intestinal aurait une densité de 1024 seulement, la densité du sang étant de 1050 à 1060. Mais il est bien diflicile d’aftirmer par l’ouverture d’un animal que la partie li- quide trouvée dans son estomac ou son intestin doit s'engager dans les voies veineuses et chylifères à l’état où on la trouve; la nature de l’ali- mentation et la quantité des boissons sufisent, d’ailleurs, pour faire varier singulièrement la pesanteur spécifique des liquides contenus alors dans l'intestin. M. de Becker injecte dans l'intestin des lapins des solutions de sucre de densités variables, et il remarque que lesdissolutions concentrées passent dans le sang tout aussi bien que des dissolutions plus étendues. Nous avons souvent constaté que des dissolutions de sucre ou de sel se dirigent par endosmose vers une dissolution d’albumine!, alors que ces diverses dissolutions marquent le même degré à l’aréomètre. Le courant prédominant s'établit encore, dans une certaine limite, des dissolutions sucrées et salines vers la dissolution albumineuse, lors même qu’elles sont plus denses que la dissolution d’albumine. Des dissolutions, bien qu'ayant la même densité ou même une densité un peu plus considérable que celle du sérum du sang, peuvent donc encore passer dans les vaisseaux par endosmose. L’albumine constitue, sous le rapport de l’absorption, un li- quide bien remarquable. Elle tient ses propriétés de sa constitution phy- sique. La chaleur spécifique d’une dissolution d’albumine, ainsi qu'il est facile de s’en assurer par la méthode des mélanges, est toujours moins considérable que celle d’une dissolution de sucre ou d’une dissolution de sel marin de même densité. Il y a peu de substances qui attirent l’eau vers elles avec autant d’énergie que l’albumine. Le courant d’endosmose est si ! Le sérum du sang est un liquide albumineux. CHAP, IT. ABSORPTION. 169 énergique, que celui d’exosmose est presque réduit à zéro, du moins dans les premiers temps de l’expérience {. Lorsqu'on commence une expérience d’endosmose, la différence entre les deux liquides est en ce moment au maximum : aussi le phénomène marche-t-il rapidement, surtout pendant les premières heures. Il se ra- lentit dans les heures suivantes, parce que le mélange qui s'établit efface peu à peu les différences. Or, dans l’absorption animale, les phénomènes de l’endosmose sont à tous les moments dans les conditions d’une expé- rience commençcante. En effet, la circulation entrainant sans cesse les pro- duits liquides que l’endosmose vient de faire pénétrer dans l’intérieur des vaisseaux, il en résulte que le sang en contact médiat avec le liquide à ab- sorber se trouve ramené, à chaque instant successif, dans l’état où il était au moment où l'absorption a commencé. Les phénomènes d’endosmose qui s’accomplissent sur l’animal vivant ont une grande analogie avec ceux qui s’opèrent dans l'appareil suivant (Voy. fig. 27). Soit B un vase d’une certaine capacité, contenant une dis- solution d’albumine. Lorsqu'on fait écouler cette dissolution par l’anse d'intestin C, l’eau contenue dans le vase A passe par endosmose vers la dissolu- tion albumineuse, autravers des paroismembraneusesde l’anse intestinale. L’endos- mose est plus rapide dans ces conditions que si l’ex- périence avait lieu (pour des surfaces de membranes éga- les et pour des liquides de même nature) dans l’appa- reil ordinaire d’endosmose représenté page 163. Le li- FAR ” "Te quide qui coule dans l’anse1— | d’intestin présente en effet à chaque moment une composition qui est sensiblement la même qu’au commencement de l’expérience. Les trois principaux produits de la digestion, on se le rappelle, sont : le sucre (glycose), l’albumine (peptone), et les matières grasses. (Voy. $S 39,43, 48.) Le sucre est facilement absorbé, quand sa solution est in- férieure ou égale en densité à celle du sérum du sang. Il peut l'être en- core dans une certaine mesure, quand sa densité est supérieure. Lors- Fig. 27. 1 Le courant d'endosmose et le courant d'exosmose sont en raison inverse l’un de l'autre. Quand l’endosmose est énergique, l’exosmose est peu considérable. Quand l’endosmose est moyenne, l’exosmose augmente. Quand l’endosmose est très-faible, l’exosmose lui est sensi- blement égale, c'est-à-dire que le mélange s’accomplit dans les deux sens, presque sans que les niveaux soient changés. 170 LIVRE II, FONCTIONS DE NUTRITION. qu'il est pris à l’état solide en grandes quantités, son absorption n’a lieu que lorsqu'il a été dissous et étendu dans une certaine mesure par les diverses sécrétions de l’estomac et de l'intestin. Il est probable que la peptone (albuminose ou matières albuminoïdes dissoutes) ne pénètre dans le sang qu’à un état de dilution supérieur à celui de l’albumine du sérum du sang lui-même. Ici, en effet, ce sont des solutions analogues en composition qui se trouvent en présence. Le pouvoir d'absorption pour toutes les substances placées dans le tube digestifestd’ailleurslimité, etlorsque la quantité des matières alimentaires surpasse celle qui peut être dissoute et mise dans les conditions de l’en- dosmose, l’excédant est évacué dans les fèces, où on le retrouve. Cela est vrai pour le sucre comme pour toutes les autres substances, y compris les matières albuminoïdes. S 76. Absorption des matières grasses.— Les matières grasses (huile, beurre, graisse de toute espèce) ne sont point saponifiées dans le tube digestif (Voy. S 40); elles sont absorbées en nature. Les matières grasses sont li- quéfiées par la température du corps, divisées et suspendues dans les li- quides de la digestion sous forme d’émulsion. Ces matières ne sont mis- cibles ni avec le sérum du sang ni avee la lymphe ; l'endosmose est donc absolument étrangère à leur introduction dans les vaisseaux. Les végétaux, dans lesquels les phénomènes de l’endosmose s’accom- plissent avec toute leur énergie, n’absorbent point l'huile dont on arrose leurs racines. Les matières grasses qu’on trouve dans leurs tissus se for- ment de toutes pièces dans leur intérieur. Les animaux peuvent bien aussi former des matières grasses aux dépens des féculents, ainsi que nous le verrons; mais, en outre, ils absorbent manifestement ces matières en nature dans leur tube digestif. Les plantes ont leurs racines projetées au dehors ; rien n’y peut pénétrer que par endosmose ou par l'aspiration déterminée par l’évaporation des feuilles. Les animaux, au contraire, ont leurs vaisseaux absorbants (chylifères et veines) compris dans un canal à parois musculaires. Ce canal, en comprimant la masse alimentaire pour la faire cheminer dans son intérieur, tend à exprimer en même temps ies pro- duits liquides de la digestion, et à les faire pénétrer dans les vaisseaux par compression. Lorsqu'on ouvre un animal en pleine digestion et qu'on examine avec soin les mouvements de l'intestin, on s'aperçoit que les contractions spontanées qui s’y manifestent n’ont pas lieu seulement d’une manière successive et de proche en proche ; on constate que des seg- ments d’intestin plus ou moins étendus se trouvent compris entre deux contractions simultanées. Or, les parties liquides renfermées dans une anse intestinale ainsi contractée, ne pouvant fuir ni par en haut ni par en bas, se trouvent pressées contre les parois muqueuses de l'intestin avec une force proportionnée à la contraction musculaire, CHAP, II, ABSORPTION, 171 La muqueuse intestinale pré- Fig. 28. sente de petits prolongements analogues aux filaments du ve- A lours, ce sont les villosités. Ces e AE = NA villosités (Voy. fig. 28) sont par- El y] A9 Tab courues à leur centre par un S Le vaisseau chylifère unique E, ter- =) | En d miné en cul de sac, quelquefois renflé en ampoule. Il y a aussi un réseau sanguin très-abon- dant, qui circule dans l’épais- seur de la substance même de la villosité, et qui entoure, par conséquent, le vaisseau chyli- À, villosité intestinale avec son vaisseau cChylifère Céniral et son résean sanguin. fere. B, villosité intestinale , dont le réseau sanguin n'est pas figuré. Les matières liquides, pres- %, épithétium. sées entre les parois du tube di- 4° sance spangieuse de la vilosité. gestifetla masse alimentaire par Free ane les contractions de la tunique *: réseau capillaire. musculaire de l'intestin, s’introduisent par imbibition et par pression dans la substance molle et spongieuse des villosités intestinales. La graisse émulsionnée, suspendue au milieu des autres produits liquides de la di- gestion, s'introduit pareillement dans l'épaisseur de la villosité. Or, tandis que la fension à laquelle est soumis d’une manière permanente le sang dans ses vaisseaux (Voy. S 95) ne permet pas à la contraction musculaire de l'intestin de faire pénétrer par pression les liquides de la digestion dans les vaisseaux sanguins, le vaisseau chylifère de la villosité n'offre, au contraire, aucune résistance à ce passage. Les liquides qu'il contient ne sont soumis à aucune tension, et les produits digestifs pénètrent aussi facilement dans la cavité du lymphatique central que dans la trame de la villosité elle-même. Il en résulte que tous les liquides de la digestion sont représentés dans les vaisseaux chylifères, y compris les matières grasses ; tandis que les veines ne se chargent que par endosmose, et ne reçoivent point les ma- tières grasses, réfractaires à l’endosmose. Les liquides de la digestion qui entrent dans la papille et qui vont gagner son centre pour se porter dans le chylifère central baignent et traversent d’abord les mailles du réseau sanguin périphérique et s’y dé- barrassent, par endosmose, d’une grande partie des substances sucrées et des substances albuminoïdes. L'absorption par les chylifères se fait donc par un procédé différent de l'absorption veineuse; les vaisseaux chylifères reçoivent indistinctement tous les produits de la digestion que les veines laissent parvenir jusqu'au centre des papilles, Il en résulte encore que les matières albuminoïdes, 172 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. dont la dilution doit sans doute être supérieure à celle de l’albumine du sérum du sang pour entrer dans les capillaires sanguins par endosmose; il en résulte, dis-je, que ces matières peuvent pénétrer par les chylifères, alors même que cette condition n’est pas remplie. On ne manquera pas d’objecter à cette manière de voir que les ma- tières grasses ont une assez grande difliculté à traverser les tissus orga- niques, et que la contraction musculaire de l’intestin n’est pas assez énergique pour vaincre cette résistance. … Nous avons tenté à cet égard quelques expériences qui nous paraissent démonstratives. Il est certain d’abord que l’endosmose ne s’exerce point entre l’huile et les liquides, avec lesquels elle ne se mélange point. De l'huile et des émulsions diverses placées dans un vase ne passent point à travers la membrane d’un endosmomètre qui contient une solution albu- mineuse. Mais il en est autrement quand la pression intervient. M. Liebig a constaté qu'il fallait une pression équivalente à 76 centi- mètres de mercure pour faire transsuder l’huile d’olive à travers une vessie de bœuf. S'il faut une pression aussi forte pour faire éranssuder l'huile à la surface de la membrane, il est certain qu’une pression beaucoup moindre suffit amplement pour déterminer le passage, surtout quand, au lieu d’une vessie qui comprend quatre membranes (séreuse, fibreuse, Fig. 29. musculeuse, muqueuse), on emploie seu- lement la muqueuse desséchée. En plaçant de l'huile dans un endosmomètre recourbé (fig. 29), dont on charge la branche ascen- dante M avec 20 ou 30 centimètres de mer- cure, le mercure s’abaisse peu à peu dans l'appareil, et l’huile contenue en E traverse la membrane avec une vitesse analogue à celle due au courant ascensionnel que dé- termine, par exemple, l’endosmose de l’eau vers l'alcool, placé dans un appareil d’en- dosmose de même dimension. Les émulsions traversent plus facilement les membranes que l'huile en nature. Si l’on met dans l’endosmomètre recourbé une émulsion d'huile d'amandes douces 1, il ne faut qu’une pression de 8 ou 10 centimètres de mercure pour déterminer le passage de =, __ l’émulsion au travers d’une lame de bau- MU ruche (intestin de mouton dédoublé). L'expérience est surtout facile à produire à l’aide d’un jaune d'œuf dissous dans l’eau. Le jaune de l’œuf est composé par une émulsion plus parfaite encore que celle des pharmacies. Il consiste en une dissolution ! L'emulsion doit être faite avec le plus grand soin. Quand la division de l'huile n'est pas CHAP. II, ABSORPTION, 175 de vitelline (substance albuminoïde), tenant en suspension une huile neutre colorée en jaune rougeûtre. En plaçant dans l’endosmomètre un jaune d'œuf, additionné au mortier de deux ou trois fois son poids d’eau, il suffit d’une pression de 6 centimètres de mercure pour opérer la trans- sudation. L'eau entraine avec elle, au travers des pores de la membrane, les parties les plus finement divisées de l'huile. On facilite beaucoup le phénomène en plongeant l'appareil dans un bain-marie maintenu à une dégrés température de 30 à 40° centigrades. Sur l'animal, les contractions intestinales peuvent vaincre facilement une résistance analogue à une pression de quelques centimètres de mer- cure, d’autant mieux que la membrane qui revêt les villosités n'a qu'une épaisseur de quelques centièmes de millimètre. Le passage des liquides gras émulsionnés au travers des membranes est facilité d’ailleurs par le mode de sécrétion du suc pancréatique et de la bile. Ces sucs, destinés en partie à l’émulsion des corps gras, sont versés dans l'intestin avant la sortie de la masse alimentaire de l’estomac ($ 50). Quand les aliments se présen- tent dans l'intestin grêle, ils trouvent les parois humectées et pénétrées par les sucs émulsifs. De toutes les matières de la digestion, les substances grasses sont celles dont l'absorption est la plus limitée. Tout ce qui n’est pas finement émul- sionné est réfractaire à l’absorption. Lire Mécanisme des absorptions générales. — Les absorptions qui ont lieu à la peau, aux membranes muqueuses pulmonaires, dans les réservoirs et dans les cavités closes, l’absorption interstitielle ou de nutrition et les diverses résorptions, sont soumises aussi aux lois de l’imbibition et de l’endosmose. Les lymphatiques généraux reçoivent dans leur intérieur un liquide analogue à celui qui humecte les tissus au milieu desquels ils circulent. L'imbibition est probablement le mode principal suivant lequel les liquides pénètrent le réseau initial des lymphatiques. Dans les parties où les Iym- phatiques sont situés au milieu des muscles, ceux-ci en se contractant, en s'appliquant avec une certaine énergie contre les loges aponévroti- ques inextensibles qui les contiennent, compriment tout ce qui les entoure et peuvent favoriser, par pression, l'imbibition des lymphatiques. Quant aux absorptions générales qui ont lieu par le réseau capillaire sanguin, l’imbibition aidée de la pression musculaire ne peut suflire à les poussée assez loin, l'huile et l’eau se séparent promptement , et il ne passe que de l’eau au travers de la membrane. Voici l’'émulsion qui m'a donné les résultats les plus satisfaisants : Amandes douces. . . . . . . 25 grammes. Han AL NA Eure on n41925) = Gomme adragante. , . . . . 40 — Huile d'amandes, . . . . . . 20 — 174 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION. déterminer. Le liquide qui circule dans les vaisseaux sanguins fait con- stamment effort contre leurs parois (Voy. $ 95); il a une tendance conti- nuelle à sortir de ses canaux. L'imbibition des parois des capillaires san- guins porte au dehors les liquides intérieurs, elle a peu de tendance à y faire pénétrer les liquides extérieurs. Les échanges s’opèrent principale- ment ici suivant les lois de l’endosmose. S 78. Caractère essentiel de l'absorption. — Vitesse de l'absorption. — Que l'absorption s'opère par imbibition simple, ou par imbibition et par pres- sion, ou par endosmose, son caractère essentiel est d’être partout lente et successive. Les capillaires sanguins et Ilymphatiques ne présentant point d'ouvertures béantes, les liquides de l’absorption n’y pénètrent que par une filtration qui exige toujours un temps généralement assez long pour introduire une certaine quantité de liquide dans le sang. Le caractère de lenteur imprimé à l’absorption par la nature des voies de l’absorption nous explique comment une partie des substances ali- mentaires est souvent rejetée par l’anus, sans avoir été dépouillée de toutes ses parties absorbables, quand la quantité de ces substances dé- passe une certaine proportion. La lenteur de l'absorption se lie d’une autre part à une condition essen- tielle de la nutrition. L’absorption étant lente et successive, il en résulte en effet que les matières introduites dans le sang par l'absorption ne chan- gent la constitution normale du sang que dans des limites déterminées. Il faut plusieurs heures aux produits d’une digestion pour pénétrer dans le sang; conséquemment l'absorption de ces produits n’est pas en- core terminée quand les premières portions absorbées ont déjà subi dans le sang les métamorphoses de la nutrition. De cette manière le sang ne contient jamais à un moment donné qu’une certaine proportion de ces produits. Cette proportion ne peut pas être dépassée, et elle est assujettie à une limite à peu pres fixe. Lorsqu'on modifie les conditions normales de l'absorption en introdui- sant brusquement dans le sang, par une injection, une substance analogue à celle qu'y introduit successivement et peu à peu le travail de l’absorption digestive, qu'arrive-t-il ? Il arrive que le sang, qui ne s’accommode que de changements limités, se débarrasse par les sécrétions, et notamment par les urines, de tout ce qui excède cette limite. D'où il appert encore qu'on se flatterait en vain de nourrir un animal en lui injectant dans les veines les produits d’une digestion artificielle. Il faudrait, pour se placer dans les conditions convenables, lui faire un tel nombre d'injections suc- cessives, que le procédé deviendrait inapplicable !. Ce qui serait préfé- * Sur l’homme, d’ailleurs, l'injection par les veines ne devra jamais être tentée, parce que, indépendamment de ce qu'on w’arriverait pas au résultat qu’on se propose, on pourrait encore déterminer des accidents redoutables. CHAP. II, ABSORPTION. 175 rable, ce serait de placer ces produits digérés en contact avec des surfaces absorbantes restées saines; et encore on ne serait pas tout à fait ainsi dans les conditions vraies de l’absorption digestive. Nous disons donc que ce n’est pas tout qu’une substance soit digérée, il faut encore qu’elle pénètre dans le sang par absorption, c’est-à-dire avec lenteur, d’une manière successive, et dans des proportions qui sont com- mandées par l’état du sang lui-même. Ce fait a une assez haute importance dans l’histoire de l'absorption pour que nous nous y arrêtions un instant. M. Bernard injecte dans les jugulaires de quatre chiens un liquide contenant en dissolution 5 grammes d’albumine ; sur deux chiens, il in- jecte une solution contenant 10 grammes de sucre de canne ; sur un chien, il injecte une solution contenant 10 grammes de glycose. L’albumine et le sucre apparaissent promptement dans l’urine. M. Becker, qui a sacrifié cent lapins, et qui a examiné avec le plus grand soin leur sang et leur urine, à tous les moments de l'alimentation par le sucre (glycose en nature, ou féculents), va nous fournir à cet égard les renseignements les plus circonstanciés. Il injecte de la glycose dans les veines d’un lapin, et il la retrouve, comme M. Bernard, au bout d’une demi-heure ou d’une heure, dans l’urine sécrétée pendant ce temps dans la vessie. Mais il y a plus. Alors même que le sucre est placé dans une anse intestinale, ou injecté dans l’estomac par une sonde œsophagienne, et qu'il est, par conséquent, absorbé par les voies naturelles de l’absorp- tion, il apparaît aussi très-souvent dans l’urine quelques heures après l'expérience. D'où il résulte que, bien que le sucre soit le produit de la digestion des matières amylacées (dont le lapin fait sa principale nour- riture), encore ne suflit-il pas que ce produit définitif soit mis en présence des voies de l'absorption pour qu'il remplisse régulièrement son rôle dans la nutrition. La transformation des matières amylacées en sucre doit être successive, de manière que la glycose ne se présente aux voies de l’absorption qu’au fur et à mesure de sa production. Quand la glycose est offerte exclusivement ef en nature, l'absorption en fait pénétrer dans le sang, dans un moment donné, des proportions supérieures à celles que le sang peut détruire dansle même temps par les combustions de nutrition, elle s'échappe par la voie des sécrétions, et elle n’est point utilisée pour la nutrition. Du reste, la présence du sucre dans l’urine des animaux, après l’in- jection du sucre dans le sang, ou après une alimentation exclusivement sucrée, est subordonnée au moment de l'observation. Au bout de trois, quatre, cinq ou six heures, le sucre à disparu dans les urines. . L'absorption, nous l’avons vu, est loin de s’opérer sur tous les points avec une vitesse uniforme. Le temps qu'il faut à une substance dissoute placée au contact d’une surface vivante pour entrer dans les vaisseaux dépend de l'épaisseur plus ou moins grande des tissus que la substance doit traverser, de la perméabilité des tissus ou des membranes, du degré 176 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION, de miscibilité de la substance dissoute avec les liquides animaux, et aussi, on le conçoit, de la vascularisation plus ou moins grande de la mem- brane ou du tissu. L’absorption s’effectue en peu de temps, au travers des parois des vaisseaux qui circulent aux extrémités des bronches, les- quels ne sont séparés de la surface que par une membrane muqueuse d’une extrême ténuité. Il en est de même pour le derme dénudé et pour les plaies intradermiques. Dans ces divers points, le réseau vasculaire est extrêmement abondant. L’absorption est beaucoup moins rapide sur la muqueuse intestinale, et surtout à la surface de la peau recouverte d’une couche épidermique épaisse. Les phénomènes d’empoisonnement peu- vent servir à apprécier le moment où débute l’absorption. Or, on voit souvent ces phénomènes survenir (quand le poison est déposé sur les surfaces les plus absorbantes) au bout de trois, de deux minutes, d’une minute, ou même de trente secondes. Cela arrive toutes les fois que la substance toxique peut agir à doses très-faibles ; l'empoisonnement sur- vient, alors, aussitôt que les premières portions absorbées ont com- mencé à circuler avec le sang. S 79. Conditions qui ont de l'influence sur l'absorption. — Nous avons montré comment la pression déterminée par les muscles, en favorisant ou même en déterminant l’imbibition, pouvait concourir au phénomène de l’absorption. Il est facile de concevoir comment la pression extérieure, ou la compression, comme on l'appelle, vient en aide à l’absorption. La thérapeutique chirurgicale en fait un fréquent usage comme adjuvant des résorptions ; et, pour être un moyen lent, ce n’en est pas moins un moyen puissant. Par contre, on peut, par des diminutions de pression, entraver ou même suspendre l’imbibition et l'absorption. La ventouse, appliquée sur une plaie, s’oppose plus ou moins eflicacement à la pénétration du poison ou du venin déposé à sa surface. Les expériences de Fodéré l’ont clairement démontré sur les animaux. Avant de pratiquer la cautérisation d’une mor- sure venimeuse, il n’est donc pas inutile d’y appliquer tout d’abord une ventouse, pour en faire sortir les liquides qui imbibent la plaie, et attirer au dehors, sinon tout le poison, au moins une partie du poison. Les pertes de sang, en diminuant la proportion des parties liquides de l’économie, mettent celles-ci dans des conditions très-favorables à l’ab- sorption. D'un autre côté, plus le corps approche de son point de satu- ration, plus les liquides éprouvent de difiiculté pour pénétrer dans son intérieur. Si l’on injecte un liquide dans les plèvres d’un animal, après lui avoir fait une forte saignée, ce liquide disparaît plus vite que sur l'animal sain. Si, au contraire, on injecte préalablement une grande quan- tité d’eau dans les veines d’un chien, le liquide injecté ensuite dans les plèvres est absorbé beaucoup plus lentement. Si le liquide injecté dans CHAP. II, ABSORPTION, 177 les plèvres est un poison, le degré de rapidité des accidents d’empoison- nement sert à mesurer la différence. Toutes les causes débilitantes sont dans le même cas; elles augmentent la tendance à l'absorption. L’abstinence, qui dépouille incessamment et peu à peu l’économie des parties liquides de l’organisme par les sécré- tions et l’évaporation cutanée et pulmonaire ; l’alimentation insuftisante, qui agit dans le même sens, favorisent le travail de l'absorption inté- rieure, et mettent l’économie dans des conditions fâcheuses, en la pré- disposant aussi à l’absorption des effluves marécageux et à celle des virus contagieux. ARTICLE IV. CIRCULATION DU CHYLE ET DE LA LYMPHE. $ 80. Principale eause de la circulation lymphatique. — Contractilité des vaisseaux. — Les vaisseaux chylifères, remplis du produit de l’absorp- tion, cheminent dans l’épaisseur du mésentère, traversent les renflements gangliformes dits ganglions lymphatiques, et viennent s’aboucher dans le canal thoracique, rendez-vous commun de la plupart des autres lympha- tiques du corps. Le canal thoracique lui-même va se jeter dans la veine sous-clavière gauche. Quant aux vaisseaux lymphatiques du bras droit, de la moitié droite de la poitrine, et de la moitié droite du cou et de la tête, ils se réunissent séparément pour former un canal (nommé grande veine lymphatique droite), lequel va s’ouvrir dans la veine sous-clavière droite. Le liquide contenu dans le système lymphatique, chyle ou lymphe, circule dans ce système, en vertu de conditions qui ne sont pas tout à fait celles de la circulation sanguine. Dans les reptiles, il est vrai, il y a de distance en distance des renflements contractiles, situés sur le trajet des vaisseaux lymphatiques ; ces poches contractiles, auxquelles on a donné le nom de cœurs lymphatiques, établissent entre le cours de la lymphe et celui du sang une certaine analogie. Mais chez l’homme et chez les mam- mifères, ces agents d’impulsion font défaut, et la circulation de la lymphe et du chyle est soumise (aux origines du système tout au moins) à peu près exclusivement à la contraction des tuniques des vaisseaux lymphatiques. La contractilité des vaisseaux lymphatiques n’est pas difficile à mettre en évidence par expérience. Il nous est souvent arrivé de déterminer le resserrement du canal thoracique en y appliquant les deux pôles d’un appareil d’induction. Le resserrement de ce canal, déterminé à l’aide des irritants chimiques, n’est pas aussi probant, attendu que l'alcool et la po- tasse exercent une action analogue sur les tissus organiques après la mort. Il n’est pas nécessaire de recourir à l'excitation galvanique pour constater la contractilité des vaisseaux lymphatiques ; il suflit d'observer l'influence de l’air sur ces vaisseanx. Quand on ouvre un animal au moment où il est 42 178 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. en pleine digestion, on aperçoit les chylifères remplis d’un chyle blanc, à travers les parois transparentes des mésentères. Puis, l’air agissant comme excitant sur les tuniques des vaisseaux, le liquide fuit de place en place dans la direction du canal thoracique, et les vaisseaux, rétractés sur eux- mêmes, deviennent assez difficiles à apercevoir. Le rétrécissement peut être porté très-loin. Les vaisseaux chylifères du cheval, par exemple, qui sont gros comme une plume d’oie, quand ils sont remplis de liquide, de- viennent alors presque invisibles et gros comme un fil délié. Les vaisseaux lymphatiques, en se contractant, pressent sur le liquide contenu dans leur intérieur, mais cette contraction aurait une égale ten- dance à faire fuir le liquide en avant et en arrière du point contracté, s’il n’y avait dans l’intérieur de ces vaisseaux une disposition organique qui détermine la direction du courant. Cette disposition organique consiste dans la présence des valvules. Les valvules, de forme semi-lunaire, sont la plupart disposées par paires, et assez larges pour fermer compléte- ment la lumière des vaisseaux. Les valvules des vaisseaux lymphatiques sont très-nombreuses. Il est des points où il y en a de 2 millimètres en 2 millimètres. Dans le canal thoracique, on les rencontre, en général, de centimètre en centimètre. Les valvules agissent à la manière de soupapes qui peuvent s’incliner et s'appliquer contre les parois des vaisçeaux dans la direction du canal thoracique. Les valvules laissent ainsi passer l’ondée liquide; elles se re- dressent ensuite dans l’intérieur du vaisseau et en interceptent la lumière, de manière à s'opposer au reflux, en sens opposé, au moment de la con- traction. De cette manière, les contractions successives des vaisseaux lymphatiques dirigent le chyle et la Iymphe de ses branches vers le tronc thoracique. On se ferait des valvules lymphatiques une très-fausse idée, si on les comparait à de simples lamelles tendues horizontalement, comme les sou- papes d’un corps de pompe. Dans nos machines, en effet, l’occlusion du Fig. 30. conduit est subordonné à un arrét contre lequel la soupape rigide vient s'appuyer, et qui l'empêche de se renverser. Dans les vaisseaux il n’y a pas d’arrêts, et les mem- branes ne sont point des corps rigides. Si les valvules étaient de simples lamelles flot- tantes, la colonne liquide en retour ne re- dresserait pas seulement les valvules, mais elle les renverserait en sens opposé, etelles AN deviendraient tout à fait inutiles. Les val- a, vaisseau lymphatique intact. vules (Voy. fig . 30) sont de petites mem- bb, renflements correspondantaux valvules. Fpanes semi-circulaires, fixées lâchement a', vaisseau lymphatique ouvert suivant sa longueur, laissant voir la surface in- contre la paroi du vaisseau par tous les térieure du vaisseau. d'u’, valvules. 16 4 points de leur demi-circonférence : leur CHAP. II. ABSORPTION. 179 bord droit seul est libre. Elles forment donc des espèces de goussets, dont l'orifice est tourné du côté du canal thoracique. Au moment de la con- traction des parois des vaisseaux, la colonne liquide en retour s’engage dans l’intérieur de ces goussets, et comme ils sont lâches et disposés par paires, la partie de leur surface externe qui avoisine leur bord libre vient s’appliquer contre celle du côté opposé : la lumière du vaisseau se trouve hermétiquement fermée, et d'autant plus hermétiquement que la con- traction est plus énergique. Dans quelques points, la lumière du vaisseau lymphatique est fermée par une seule valvule ; dans ce cas, la partie libre du gousset unique vient s’appliquer, quand il est rempli de liquide, contre la paroi opposée du vaisseau. $ 81. Causes accessoires de la circulation du chyle et de la Iymphe. — La circulation du chyle et de la lymphe est favorisée par quelques autres conditions anatomiques et physiologiques. Il est aisé de constater que la capacité intérieure du canal thoracique est bien moins considérable que la somme des capacités intérieures de tous les lymphatiques qui viennent s’y terminer. Or, comme le chyle et la Iymphe marchent des branches vers le tronc thoracique, c’est-à-dire d’un espace plus large vers un espace moins large, la circulation trouve dans cette disposition une cause accélératrice. C’est un principe de méca- nique usuelle, en effet, que la vitesse des liquides en circulation dans des tuyaux ou dans des canaux s’accélère dans les points rétrécis. Les mouvements de la locomotion (contraction des muscles des mem- bres) concourent à la progression de la lymphe dans les vaisseaux Iym- phatiques des membres. La contraction des muscles abdominaux exerce la même influence sur la progression du chyle, par transmission de pres- sion. La contraction musculaire tend, comme la contraction propre des vaisseaux lymphatiques, à faire progresser la lymphe et le chyle dans le sens déterminé par les valvules. Quand on pratique une ouverture à l’un des vaisseaux lymphatiques du cou sur le cheval, on remarque que l'écoulement de la lymphe est augmenté par les mouvements de l’encolure. Les phénomènes mécaniques de la respiration agissent de deux ma- nières pour favoriser le cours du chyle et de la lymphe dans le canal tho- racique. Le vide déterminé, pendant l'inspiration, par les muscles qui augmentent les dimensions de la cage thoracique, est comblé, non-seule- ment par l’air atmosphérique qui se précipite dans le poumon, mais aussi par tous les liquides qui ont un accès naturel vers la poitrine. Le liquide contenu dans la partie abdominale du canal thoracique, et de proche en proche dans les voies lymphatiques les plus voisines, se trouve attiré vers la partie {horacique du canal pendant l'inspiration. — D'un autre côté, l’ex- piration agit dans le même sens, car elle tend, par le retour élastique des parois abdominales, à faire passer le liquide du canal thoracique de la 180 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. portion abdominale dans la portion pectorale, En outre la portion pecto- rale du canal thoracique qui vient d’être dilatée par le vide de l’inspira- tion revient en ce moment sur elle-même, en vertu de l’élasticité de ses parois. Aussi, quand on recueille au cou le liquide du canal thoracique sur l'animal vivant, on constate qu’au moment de l’expiration le liquide sort en jet. En d’autres termes, l’écoulement est continu, mais on observe une série de saccades qui correspondent aux mouvements d'expiration. Une cause du mouvement du chyle et de la lymphe dans les vaisseaux, plus lente mais tout aussi incontestable que la précédente, est ce qu’on a appelé vis à tergo où momentum à tergo. Le liquide qui s’introduit dans les origines des chylifères et des lymphatiques (Voy. $$ 76 et 77) chasse de proche en proche, devant lui, le liquide antérieurement introduit dans l’intérieur des vaisseaux, et concourt avec les forces précédentes à sa pro- gression vers le canal thoracique. & 82. Vitesse de la ecireulation lymphatique. — L'absence d’un organe cen- tral d’impulsion pour présider au cours du chyle et de la lymphe fait que les vaisseaux lymphatiques ne sont pas toujours distendus, ni soumis à une tension permanente : aussi la quantité de liquide qui circule dans leur intérieur est très-variable. Tantôt on les trouve gonflés de liquide, tantôt ils sont revenus sur eux-mêmes et se dérobent presque à l'observation. C’est vraisemblablement à l’absence d’un organe d’impulsion dans le système chylifère que le canal thoracique doit de décrire un assez long trajet pour venir s'ouvrir dans la veine sous-clavière, au confluent de la veine jugulaire interne, dont le courant descendant entraîne avec lui l’on- dée chylifère et lymphatique. Remarquez aussi que le canal thoracique vient s'ouvrir dans les veines sur lesquelles l’action inspiratoire de la poi- trine agit avec énergie. La manière d'apprécier la vitesse du cours de la lymphe ne peut être que très-approximative, car une foule de causes peuvent la modifier, gé- néralement ou localement. Ce moyen d'appréciation consiste à ouvrir le canal thoracique d’un animal, à recueillir le liquide qui s’écoule, et à no- ter combien de temps une quantité donnée a mis à couler. Cruikshank avait évalué cette vitesse à 1 décimètre par seconde. Cette évaluation est trop considérable. La quantité de liquide recueillie par M. Colin, par la fistule thoracique d’une vache, étant en moyenne de 4 litres ($ 63) en l’espace d’une heure, et le diamètre de la canule par laquelle avait lieu l’écoulement étant de 8 millimètres, on arrive par le calcul à ce résultat, que pendant ce laps de temps (une heure), il a passé par la canule une colonne liquide de 62",25 de longueur, c’est-à-dire par conséquent une colonne de 2 centimè- tres et demi par seconde : on pourrait conclure de là que la vitesse avec laquelle se meuvent le chyle et la lymphe est égale à une distance de CHAP. IT, ABSORPTION. 181 2 centimètres et demi franchie par seconde. Mais il ne faut pas oublier qu'on ne peut se faire ainsi qu’une idée approximative de la vitesse du cours du liquide qui circule dans l’un des points du système chylifère, c’est-à-dire dans le canal thoracique. Ce cours doit être moins rapide dans les branches du système, et d'autant moins rapide qu’on se rapproche da- vantage de ses origines, attendu (ainsi que nous l’avons dit) qu’en addi- tionnant les capacités des branches, on trouve que le liquide se meut dans un espace de plus.en plus rétréci, au fur et à mesure qu’on se rapproche du canal thoracique. S 83. Circulation dans les ganglions lymphatiques. — Les vaisseaux chyli- fères et lymphatiques de l’homme et des mammifères n’ont avee les veines d'autre communication que dans les veines sous-clavières ou jugulaires, où ils versent en définitive leur contenu. Sur leur trajet, les vaisseaux chyli- fères et lymphatiques traversent des renflements ou ganglions, constitués par une trame celluleuse qui contient de nombreux vaisseaux sanguins. On a cru pendant longtemps qu'il y avait dans l’épaisseur de ces ganglions une communication directe entre les vaisseaux sanguins et les vaisseaux lymphatiques. Mais les recherches récentes et multipliées de l’anatomie microscopique ont établi que les ganglions lymphatiques résultent essen- tiellement d’une charpente celluleuse contenant deux réseaux intimement mélangés : un réseau lymphatique continu, d’un côté, avec les Iympha- tiques afférents, et, de l’autre, avec les lymphatiques efférents, et un ré- seau capillaire sanguin faisant suite aux artérioles qui arrivent au gan- glion, et se continuant d’un autre côté avec les veines. Il existe, en outre, dans les ganglions lymphatiques, des éléments vésiculeux qui leur ap- partiennent en propre, et qui les rattachent, de loin, à la classe des glan- des vasculaires sanguines. (Voy. $ 192.) Dans tous les points où circulent des vaisseaux sanguins, ces vaisseaux laissent échapper dans les tissus, au travers de leurs parois, les parties liquides du sang ou plasma : le même phénomène a lieu, sans doute aussi, dans les vaisseaux sanguins des ganglions. Le sang cède donc quelque chose à la Iymphe dans l’intérieur des ganglions, et les éléments vési- culeux des ganglions lymphatiques exercent sans doute aussi, et sur le sang qui sort des ganglions et sur la lymphe et Le chyle qui les traversent, des modifications particulières, Mais la science est sous ce rapport dans une ignorance absolue. La circulation des diverses parties du système lymphatique est très- variable. Il y a des points où le système est gonflé de lymphe, et d’autres où il est presque vide. Cette irrégularité est liée à l’absence d’organe cen- tral d’impulsion et aux conditions accessoires qui agissent nmégalement sur les divers points du système. Au nombre des causes qui peuvent ame- ner le ralentissement du cours de la lymphe et du chyle, les ganglions 182 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION. tiennent sans doute le premier rang. Les inflexions nombreuses des vais- seaux lymphatiques dans les ganglions et leur petit diamètre sont, en eftet, des causes d’autant plus eflicaces de ralentissement, que la vitesse du cours du chyle et de la lymphe est moindre. $ 84. Absorption dans la série animale. —L'absorption a lieu dans toute la série animale. Chez les animaux inférieurs, qui n’ont point de tube diges- tif (spongiaires, infusoires), elle s'exécute sur tous les points de la surface. Ces animaux reçoivent les matériaux de leur nutrition, à peu près comme les plantes. Les substances extérieures pénètrent les parties avee les- quelles elles se trouvent en contact, et se répandent ensuite, de proche en proche, par imbibition et par endosmose. Vertébrés. — Dans les vertébrés, l'absorption digestive se fait, comme chez l’homme, par deux ordres de canaux, les canaux veineux et les ca- naux chylifères. Les absorptions intérieures ont aussi, chez les vertébrés, une double voie pour faire rentrer les substances absorbées dans le tor- rent circulatoire. Les vaisseaux lymphatiques existent, en effet, chez les mammifères, chez les oiseaux, chez les reptiles et chez les poissons. Le système des vaisseaux lymphatiques présente même, chez un certain nombre de reptiles (la grenouille, par exemple), une structure plus com- pliquée que dans les animaux à sang chaud. Il y a, sur le trajet de ces vaisseaux, des renflements pourvus de fibres musculaires, qu’on nomme cœurs lymphatiques, et dont les contractions contribuent puissamment au cours des liquides. Ajoutons encore que dans les reptiles et dans les pois- sons, les vaisseaux lymphatiques sont plus volumineux que dans les mam- mifères et les oiseaux. Les Iymphatiques des reptiles et des poissons man- quent en général de ganglions; les valvules y sont aussi bien moins nombreuses, et chez quelques-uns d’entre eux elles paraissent manquer complétement. Les vaisseaux chylifères et les vaisseaux lymphatiques des oiseaux for- ment par leur réunion deux canaux thoraciques, lesquels s'ouvrent de chaque côté de la base du cou, dans les veines jugulaires. Dans les rep- tiles et dans les poissons, les vaisseaux chylifères et lymphatiques abou- tissent dans le système veineux, par des communications multiples et plus ou moins nombreuses. Les communications les plus ordinaires et les plus volumineuses ont lieu dans les veines qui avoisinent le cœur. Dans les grands mammifères, les vaisseaux chylifères se réunissent avec les vaisseaux lymphatiques en un canal thoracique unique, comme chez l’homme. Souvent, cependant, le canal thoracique est double, et la division subsiste jusqu’au moment de son embouchure dans le golfe des Jugulaires ; l’une des divisions se porte à gauche et l’autre à droite pour se réunir avec les lymphatiques du membre droit et du côté droit du cou CHAP. II, ABSORPTION. 183 et de la tête. D’autres fois, quoique double dans sa portion thoracique et au commencement de sa portion cervicale, les deux branches se réunis- sent au moment de s’aboucher dans le système veineux. Ces dispositions sont intéressantes à connaître pour le physiologiste qui veut en faire la li- gature sur l’animal vivant. Dans les mammifères, les ganglions Iympha- tiques sont nombreux, et il est très-probable que chez eux, pas plus que chez l’homme, il n’y a en ces points de communication directe entre les vaisseaux lympathiques et les vaisseaux sanguins. Invertébrés.— Les invertébrés n'ont ni vaisseaux chylifères, ni vais- seaux lymphatiques. Dans les invertébrés pourvus d’un système circula- toire complet, avee veines et artères distinctes, tels que les mollusques, par exemple, il est très-probable que les veines qui circulent le long des parois intestinales charrient le produit de la digestion du côté des organes respiratoires. Dans les arachnides, les crustacés, les insectes et les anné- lides, dont le système circulatoire est moins complet, le produit de la di- gestion traverse les tuniques de l'intestin, et se rend de là dans les ca- naux cireulatoires. Dans les rayonnés ou zoophytes, le produit liquide de la digestion, après avoir traversé les parois du tube digestif, ne rencontre point de véritables vaisseaux ; ilse répand, en conséquence, de proche en proche, dans l'épaisseur des organes. Il n’y a point, chez ces animaux, de distinc- tion à établir entre le sang et le produit absorbé de la digestion ; ou plu- tôt ee produit constitue le sang lui-même. Les produits de la digestion tra- versent donc les parois de la cavité digestive et pénètrent directement dans la trame des tissus. Les acalèphes, qui appartiennent à cet embran- chement, et qui ont la forme de champignons, présentent une disposition assez remarquable. La cavité digestive offre une foule de prolongements qui constituent un lacis compliqué, dans toute l'épaisseur de l’ombelle. Les produits de la digestion s’échappent au travers des parois de ces di- verticules intestinaux, et leur dispersion se trouve ainsi facilitée !, 1 Consultez particulièrement sur l'absorption : Magendie, Mémoire sur le mécanisme de l'ab- sorption, dans le Journal de physiologie, t. 1, 1821 ; — Westrumb, Physiol. Unlersuchung. über die Einsaugungskraft der Venen (Puissance absorbante des veines); Hannover, 1895 ; — Dutrochet, De l’ Agent immédiat du mouvement vital; et Nouvelles Recherches sur l'endosmose et l'exosmose, mém. publiés en 4826 et 1828: — Collard de Martigny, Recherches eæpériment. el critiques pour servir à l'hist. de l'absorpt., dans Nouvelle Biblioth. médic., 1827 ; — Pa- nizza, Dello Assorbimento venoso; Milano, 1842; — Bruecke, De Diffusione humorum per septa mortua et viva, dans Poggendorff's Annalen,t. LVIIL; Leipzig, 1844; — Herbst, Das Lymph-Gefäss-System und seine Verrichtung ; Gœttingen, 1844; — Matteucci , Leçons sur les phénom. phys. des corps vivants, trad. franç., 1847; le chap. Exposwose renferme des expé- riences faites en commun avec Cima ; — Jolly, Équivalents endosmotiques, dans Zeilschrift für rationnelle Medicin, t. NI, p.83 ; 1848 ; — Liebig, Recherches sur quelques-unes des causes du mouvement des liquides dans l'organisme animal, dans Ann. de chim. et de phys., t. XXV, 4849; — J. Béclard, Recherches expérimentales sur les fonctions de la veine porte, dans Arch. de méd., 1848; — le même, Recherches expériment. sur les condit. physiques de l’endosmose des liquides et des gaz, dans Comptes rendus de l’ Acad. des sciences, 1851, et dans Gaz. des hôp., 4851; — H. Nasse, art. Cuyzus, dans Handwôrterbuch der Physiologie, de R, Wa- 184 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. CHAPITRE III. CIRCULATION. & 85. Définition. — Division. — La circulation de l’homme et des mammifères consiste dans le mouvement incessant du sang dans l’intérieur d’un sy- stème de canaux ramifiés. Par ses contractions, le cœur chasse le sang dans les artères. Celles-ci le distribuent dans tous les organes, et il revient par les veines vers son point de départ, en vertu de son impulsion pre- mière, et en vertu des forces accessoires qui exercent leur action, soit sur l’ensemble du système, soit sur divers points du trajet circulatoire. Le sang, dirigé vers les organes par les artères, ne se répand point librement dans la trame des tissus, car les artères sont continues avec les veines, par l'intermédiaire du réseau capillaire. Les canaux dans lesquels se meut le sang constituent donc un système fermé. On désigne souvent la circulation sous le nom de cercle circulatoire, pour exprimer la continuité du système. À Le cercle circulatoire n’est ouvert qu'aux points où viennent s’aboucher dans son intérieur le canal thoracique et le grand vaisseau lymphatique droit, c’est-à-dire au niveau des veines sous-clavières gauches et droites. Mais comme le système lymphatique lui-même, ainsi que nous l’avons vu, commence à ses origines par un réseau fermé, il en résulte que l’en- semble de tous les vaisseaux du corps, en y comprenant les vaisseaux lymphatiques et sanguins, constitue un réservoir continu et fermé. Il résulte de là que les globules du sang, que les globules du chyle et les globules de la lymphe, qui ne peuvent traverser les parois du système circulatoire, se forment, dans l’intérieur même des vaisseaux, aux dépens des liquides absorbés. D’une autre part, les globules, une fois formés, ne gner, 1851 ; — Buchheim, Beiträge zur Lehre von der Endosmose, dans Arch. für physiolo- gische Heilkunde de Vierordt, livraison de mai 1855; — de Becker, Ueber das Verhalten des Zuckers beim tierischen Stoffwechsel (Rôle du sucre dans les phénomènes de nutrition), dans Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie de MM. de Siebold et Kôlliker, livraison de décem— bre 1853;—C. Bruecke, Ueber die Aufnahme des Milchsaftes (De l’Absorption du chyle), dans Denkschriften der Wiener Akademie, t. VI, 1854; — Moleschott et Marfels, Der Uebergang kleiner fester Teilchen aus dem Darmkanal in den Milchsaft und das Blut (De l'entrée des corps de petite dimension dans le chyle et dans le sang au travers du tube digestif), dans Wien. med. Wochenschrift, n° 52, 1854 ; — Moleschott, Erneuter Beweis für das Eindringen von festen Kôrperchen, etc. (Nouvelle preuve de l’absorption des particules solides, etc.), dans Untersuchungen zür Naturlehre des Menschen, t. II, 1857; — G. Hollander, Questio- nes de corpusculorum solidorum e tractu intestinali in vasa sanguifera transilu; Disser- tation, Dorpat, 1856; — Donders, article Aursauçuxe (Absorption), dans sa Physiologie des Menschen, 1856, page 513. CHAP. IT, CIRCULATION. 185 sortent plus des vaisseaux; les parties liquides traversent seules les pa- rois vasculaires. La circulation dans les vaisseaux chylifères et les lymphatiques a été exposée dans le chapitre précédent. A un point de vue général, il est vrai que le système lymphatique ne fait qu’un avec le système sanguin ; mais les conditions du mouvement du sang ne sont pas les mêmes que celles du mouvement du chyle ou de la lympbhe : il y a avantage à séparer leur étude. Le cœur de l’homme, celui des mammifères et celui des oiseaux, est séparé en deux par une cloison complète, qui le partage en cœur gauche et en cœur droit ; il est, en quelque sorte, formé de deux cœurs adossés : l’un placé sur le trajet du sang veineux, l’autre placé sur le trajet du sang artériel. L’un recoit et lance du sang veineux, l’autre reçoit et lance du sang artériel. En rapportant les mouvements du sang au cœur, on peut dire qu'il y a deux circulations, ou deux cercles cireulatoires simultanés ; de là le nom d'animaux à double circulation, donné à l’homme {et aux animaux supérieurs. De ces deux cercles, l’un commence au cœur gauche, traverse les organes, et revient au cœur droit ; l’autre commence au cœur droit, traverse les poumons, et revient au cœur gauche. Le premier cercle est plus étendu que le second; on lui donne le nom de grande circulation, ou circulation générale. On donne au second le nom de petite circulation, ou circulation pulmonaire. Les deux cercles de la circulation communiquent l’un avec l’autre, par l'intermédiaire du cœur. Le sang, pris en un point quelconque du système circulatoire, traverse dans une révolution complète, et pour revenir à son point de départ, une fois le poumon et une fois les organes généraux, tandis qu'il traverse deux fois le cœur. Le sang que le cœur envoie dans les artères chemine du cœur vers la périphérie; la direction du courant est centrifuge ; la direction du courant est centripète, au contraire, dans les veines. Le sang artériel diffère du sang veineux, non-seulement par la direction de son cours, mais encore par ses caractères physiques et chimiques ; ces caractères, liés aux phé- nomènes de respiration et de nutrition, seront examinés plus loin. Il nous suflit, pour le moment, de remarquer que le sang qui va du cœur aux or- ganes par les artères est rouge vermeil, tandis que le sang qui revient des organes au CŒ@ur par les veines est rouge brun. C’est dans le poumon que le sang brun est revivifié, et qu'il redevient vermeil. Aussi les artères qui portent le sang du cœur aux poumons sont remplies par le sang brun, tandis que les veines qui le ramènent du poumon au cœur contiennent du sang vermeil. Ainsi, dans la grande cir- culation, les artères contiennent le sang vermeil, et les veines le sang brun ; dans la petite circulation, les artères contiennent le sang brun, et les veines le sang vermeil. La structure anatomique des vaisseaux est en rapport avec les fonctions 186 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. mécaniques de la circulation, et nullement avec les phénomènes ehimi- ques de la respiration. Les artères pulmonaires, quoique remplies de sang brun, ont la constitution des artères ou canaux centrifuges ; les veines pulmonaires, quoique remplies de sang vermeil, ont la constitution des veines où canaux centripètes. Nous examinerons successivement les phénomènes de la cireulation dans le cœur, dans les artères, dans les capillaires et dans les veines, et nous ajouterons quelques remarques sur les phénomènes généraux de la circulation. ARTICLE I. ACTION DU CŒUR. — CIRCULATION DANS LE CŒUR, S 86. Systole et diastole. — Le cœur est un organe musculaire, ou une sorte de muscle creux, placé au centre de l’appareil cireulatoire, qui, par ses contractions répétées, pousse à chaque instant le sang dans l'arbre arté- riel. Le cœur agit à la manière d'une pompe foulante, mais d’une pompe foulante dont le piston est remplacé par la contraction des parois. Les pa- rois actives du cœur, revenant sur elles-mêmes de proche en proche, chassent devant elles le liquide qui les remplit, avec une perfection que nos appareils à parois rigides peuvent imiter par l’artifice d'un piston, mais qu’ils n’égalent point. Lorsque le cœur, en se contractant, a chassé devant lui l’ondée liquide, dans un sens déterminé par son mode de contraction et par des soupapes ou valvules, il survient un intervalle de repos. Le cœur reprend ses di- mensions premières par le relâchement de ses fibres musculaires. Le moment de la contraction du eœur a reçu le nom de systole. Le moment de repos ou de relâchement a reçu celui de dastole. La systole, correspondant à la contraction musculaire, est un état actif. La diastole, au contraire, est un état tout à fait passif; elle correspond au repos de —Ja fibre musculaire. C'est à tort qu’on à comparé le cœur à une pompe à la fois foulante et aspirante. I faudrait, pour que le cœur exerçât sur le sang veineux une action aspiratrice au moment où il reprend ses dimensions premières, c'est-à-dire au moment de la diastole, il faudrait, dis-je, qu’il y eût une tendance au vide dans les cavités du cœur. Cette tendance au vide, que le sang viendrait remplir en s’y précipitant, ne pourrait être déterminée que par une force active de dilatation. Lorsque l'air pénètre dans l’inté- rieur d’un soufflet par aspiration, il ne le fait qu’en vertu d’une dilatation active; et l’air ne pénètre pareillement dans la poitrine, au moment de l'inspiration, qu'en vertu de la dilatation active des parois thoraciques, dé- terminée par les muscles inspirateurs. Dans le cœur, nous ne voyons rien de semblable. Un muscle creux, qui, en se contractant, diminue sa cavité CHAP. III, CIRCULATION. 187 intérieure, ne peut pas en même temps augmenter cette cavité par ses contractions. La respiration, il est vrai, nous le verrons plus loin, exerce une no- table influence sur la circulation. La dilatation active de la poitrine dé- termine une tendance au vide non-seulement dans les poumons, mais dans tous les organes contenus dans la cage thoracique, et conséquem- ment dans les cavités du cœur. Mais cette aspiration, phénomène acces- soire de la circulation, est tout à fait étrangère aux mouvements musculaires du cœur, et n’a rien de commun avec la systole et la diastole; elle agit dans les mouvements actifs de l'inspiration, c'est-à-dire 15 ou 18 fois par minute, et non pas dans les 70 ou 80 contractions du cœur, qui ont lieu pendant le même temps. Chez l’homme et chez les animaux à double circulation, le cœur n’est pas seulement partagé en deux parties par une cloison verticale; chaque partie du cœur, droite et gauche, est encore divisée horizontalement en deux cavités qui communiquent l’une avec l’autre. La cavité supérieure ou oreillette communique largement avec la cavité inférieure ou ventri- cule, tant à gauche qu’à droite. Lorsque le cœur se contracte, ses quatre cavités (deux oreillettes et deux ventricules) n’entrent pas simultanément en jeu. Les deux oreil- lettes se contractent ensemble; les deux ventricules se contractent en- semble après les oreillettes. De même, les deux oreillettes se dilatent ensemble ; les deux ventricules se dilatent ensemble. La contraction du cœur est successive ; elle a lieu des oreillettes vers les ventricules; aussi la systole auriculaire et la systole ventriculaire n’ont pas lieu en même temps. Pendant la systole des oreillettes, les ventricules sont à l’état de diastole , et pendant la systole des ventricules, les oreiïllettes sont en diastole. Si on ouvre un animal vivant, il est facile de constater ces divers points. On observe, de plus, que les oreillettes et les ventricules se dur- cissent sous la main qui les touche, et se raccourcissent en tous sens, au moment de leur contraction. Comme la dilatation des oreillettes alterne -avec la contraction des ventricules et réciproquement, il s'ensuit que le cœur n’est jamais contracté simultanément dans toutes ses parties. Le raccourcissement général de l’organe, au moment de la contraction des oreillettes, est assez limité. Son plus grand raccourcissement coïncide avec la contraction des ventricules, qui l’emportent par leurs dimensions sur les oreillettes. Le raccourcissement des cavités du cœur porte sur tous les diamètres : la réduction de volume a lieu d’avant en arrière, d’un côté à l’autre, et de la pointe à la base. La réduction de volume se voit très-bien chez les grenouilles; on la voit moins bien chez les mammifères, Chez quelques animaux, le raccoureissement suivant la verticale est moins prononcé que le raccourcissement sur l’horizontale, ce qui a fait penser faussement à 188 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. quelques observateurs que le cœur s’allonge pendant la systole ventricu- laire. Sur le lapin, le raccourcissement vertical est des plus prononcés : il est aisé de se convaincre qu'il coïncide avec la systole ventriculaire. Lorsqu'on observe les contractions du cœur sur une grenouille, la demi-transparence des parois permet de distinguer le sang dans l’inté- rieur de ses cavités. Or, on remarque que la teinte rouge produite par le sang qui avait rempli le ventricule au moment de la diastole disparait pendant la systole. Il est donc probable que la contraction du cœur pousse au dehors, sinon la totalité, tout au moins la presque totalité du sang qui le remplit. Il est vrai qu’au bout de peu de temps, cette teinte ne dis- paraît plus complétement, et qu’on aperçoit au centre des cavités du cœur un point rouge persistant à chaque contraction. Mais, pour exami- ner les contractions du cœur sur l’animal vivant, on est obligé d'ouvrir la poitrine, et de placer cet organe dans des conditions anormales qui, en mettant le cœur au contact de l’air, troublent plus ou moins promptement le rhythme normal des contractions. Le trouble porte surtout sur l’éner- gie des mouvements, laquelle diminue peu, ainsi qu’on le remarque, Il est permis de penser que, sur l’animal san, les contractions ventricu- laires chassent devant elles la totalité du liquide qu’elles contiennent. S 87. Déplacements ou mouvements de totalité du cœur. — Lorsqu'on met la main sur la poitrine d’un homme ou d’un animal, dans la région du cœur, on sent un choc ou battement désigné sous le nom de pulsation du cœur. Lorsqu'on examine attentivement, sur une personne maigre, l’es- pace qui sépare la cinquième de la sixième côte, on apercçoit très-souvent à l'œil un soulèvement régulier de l’espace intercostal, qui n’est que l’in- dice de ce battement. Sur une personne atteinte de palpitations, ce sou- lèvement est encore plus prononcé. A quoi est dû le choc ou battement du cœur contre les parois de la poitrine ? Évidemment il ne peut être produit que par un déplacement de la partie libre du cœur, alternativement projetée en avant et ramenée en arrière. La cavité pectorale, étant complétement remplie par les or- ganes qu'elle renferme, ne permet pas au cœur, il est vrai, de se mou- voir, ainsi qu'on l’a dit quelquefois, à la manière d’un battant de cloche. Mais le cœur, couché sur les poumons qui représentent en quelque sorte deux coussins à air, peut éprouver des changements de forme et de posi- tion qu’explique la compressibilité du poumon. La cause qui, en amenant le déplacement du cœur, détermine le choc, a été très-diversement interprétée. Et d’abord, à quel moment de la contraction du cœur correspond ce choc? Les uns pensent que ce soulèvement correspond à la diastole des ventricules, et qu’il est déterminé, au moment de la systole auriculaire, par la projection du flot liquide dans les ventricules relâchés; les autres CHAP, II, CIRCULATION, 189 pensent qu'il se produit pendant la systole ventriculaire, c’est-à-dire au moment de la contraction des ventricules. La systole ventriculaire suit de si près la systole auriculaire, qu'il n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire de décider la question par expé- rience. Pour examiner le fait, il faut ouvrir la poitrine d’un animal du côté droit, diviser le péricarde, et observer attentivement les contractions du cœur, en appliquant en même temps la main sur les côtes précordiales conservées intactes. Mais les contractions du cœur perdent, par l’ouver- ture de la poitrine, la plus grande partie de leur énergie, et sa projection en avant est singulièrement amoindrie. Ajoutez à cela que l'ouverture de la poitrine nécessite l'établissement d’une respiration artificielle, ce qui complique encore l’observation. Nous avons répété plus d’une fois des expériences de ce genre, et nous pensons, avec Harvey, que la pro- jection en avant de la partie libre du cœur est simultanée avec la contrac- tion (systole) des ventricules f. Sile choc ou battement du cœur contre les parois de la poitrine est lié à la contraction des ventricules, il est naturel de penser que c’est cette contraction elle-même qui détermine le mouvement du cœur. La contrac- tion ou systole ventriculaire projette, en effet, l’ondée sanguine dans les courbures de l’aorte et de l’artère pulmonaire, c’est-à-dire dans des ca- naux élastiques. Ceux-ci tendent à se redresser comme un ressort, et ce mouvement de redressement se manifeste à l’extrémité du ressort repré- sentée par la partie libre du cœur. On a objecté à cette explication, qui a été donnée par Sénac, que, sur les autres points du trajet circulatoire, les courbures des artères ne se redressent point au moment de la poussée du sang, mais qu’elles ont, au contraire, de la tendance à s’exagérer. L’objection est très-juste pour des artères dont la courbure est comprise entre deux points fixes. Mais ici les conditions sont autres. Le cœur, ap- pendu aux gros vaisseaux, est libre du côté de sa pointe. Le phénomène mécanique en vertu duquel le cœur est soulevé au moment où le sang s'engage dans les courbures aortiques est tout à fait analogue à celui qui se produit dans le petit appareil suivant. Supposons un tube de caout- chouc fixé horizontalement à l’extrémité inférieure d’un corps de pompe muni d’un piston. Si le tube de caoutchouc est d’une certaine longueur, son extrémité obéit à la pesanteur, elle s'incline par en bas, en se cou- dant. A l’aide du piston, faites sortir le liquide par le tube de caoutchouc, 1 M. Groux, de Hambourg, qui a récemment parcouru une grande partie de l'Europe pour se soumettre à l'examen des physiologistes, offre une fissure congénitale du sternum, qui re- présente un sillon longitudinal, et qui, n'étant recouverte que par la peau, et ayant au moment del'inspiration une largeur de2 à5 centimètres, offre à l'étude des battements du cœur une sorte d'expérience toute préparée. L'examen que nous avons fait de M. Groux nous à paru confirmer pleinement la doctrine Harveyenne de la circulation. Les oreillettes (en particulier l'oreillette droite) forment en effet, au travers des parties molles, une tumeur dont l’affaissement maxi- mum coïncide avec le choc du cœur contre les parois pectorales, avec le pouls artériel et par conséquent avec la systole ventriculaire. 190 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION. celui-ci tend à se redresser, Il efface sa courbure, se redrésse et devient rectiligne, si la pression est suffisante. Dans le battement du cœur, les artères aorte et pulmonaire représentent notre tube de caoutchouc, et le cœur le corps de pompe. Il est vrai que c’est le cœur qui est libre, et non les artères, mais cela ne change rien au phénomène envisagé en lui- même (en mécanique, l’action et la réaction sont égales), et le mouvé- ment se produit là où il peut se produiref. $ 88. Mouvement de torsion du cœur autour de son axe longitudinal. — Lorsqu'on ouvre la poitrine d’un animal vivant, on remarque non-seule- ment que le cœur est projeté en avant à chaque systole ventriculaire, mais encore, et en même temps, que le cœur exécute un léger mouve- ment de torsion autour de son axe longitudinal, Ce mouvement de tor- sion devient de moins en moins visible, à mesure que les mouvements du cœur perdent de leur énergie. Pour le saisir dans toute son étendue, il faut l’examiner immédiatement après l’ouverture de la poitrine. Dans ces conditions, on constate que le ventricule gauche devient plus visible à chaque systole ventriculaire. Au moment de la contraction des ventri- cules, le cœur tourne donc légèrement sur son axe, de gauche à droite. Pendant la diastole ventriculaire, le cœur reprend sa position première; par conséquent, le mouvement de torsion s'exécute en sens contraire. 1 MM. Fatou et Hiffelsheim ont dernièrement émis, relativement au battement du cœur, une doctrine déjà proposée il y a quelques années en Allemagne, et tout à fait inacceptable. M. Hit- felsheim a résumé cette théorie en une formule assez originale : Leccœur bat parce qu’il recule. Chacun sait qu'au moment de l'explosion des armes à feu, la pression qui s’exerce dans la chambre de combustion de l’arme n'étant pas exactement équilibrée dans le sens du départ de la balle ou du boulet, le fusil ou le canon éprouvent un mouvement en sens opposé, dit mou- vement de recul. Chacun sait que le petit instrument de physique appelé tourniquet hydrau- lique se dirige en sens opposé de l'écoulement du liquide, parce que la pression fait défaut aux orifices de sortie, tandis qu'elle s'exerce sur la portion de paroi opposée à l’orifice de sortie. Au moment où la systole ventriculaire fait pénétrer le sang dans l'aorte et l’artere pulmo- naire, le cœur doit être projeté, suivant les expérimentateurs dont nous parlons, en sens con- traire de la direction des orifices aortiques, et la projection a lieu suivant une ligne oblique représentant la diagonale du parallélogramme des forces (les côtés inégaux de ce parallélo- gramme représenteraient la force du ventricule gauche et la force du ventricule droit, forces inégales, comme nous le verrons). M. Hiffelsheim opère sur des poches de caoutchouc distendues de liquide et suspendues : la poche est repoussée en sens opposé de l'écoulement du liquide, aussitôt que l’orifice d’é- coulement est ouvert. Le phénomène du tourniquet hydraulique se produit ici, ainsi qu'il était aisé de le prévoir. Mais dans l'appareil circulatoire les choses ne se passent pas ainsi, L’orifice d'écoulement n’est jamais libre. Il existe dans le système artériel, et par conséquent dans l'aorte, une tension permanente, tension équivalente à une colonne de 15 centimètres de mercure (Voy. $ 95). Cette tension existe 4 tous les moments, aussi bien pendant l’état de repos du cœur que pendant la contraction des ventricules. Lorsque cette contraction arrive et que le sang pressé par elle abaisse les valvules sygmoïdes et s’introduit dans l'aorte, la cavité du ventricule commu- nique avec la cavité artérielle, et la pression statique est aussitôt la même dans les artères et dans le cœur. CHAP. III, CIRCULATION. 191 Le mouvement de torsion du cœur sur son axe est simultané avec la projection du cœur en avant. Ge mouvement de torsion est dû à la con- traction ventriculaire elle-même. Les fibres charnues du cœur, groupées autour des orifices auriculo-ventriculaires et aortiques, prennent, au mo- ment de la contraction, leur point fixe sur les zones fibreuses qui gar- nissent, à la manière d’anneaux, ces ouvertures. Or, les plans charnus communs aux deux ventricules sont obliquement étendus sur les faces du cœur, Les antérieurs partent des anneaux auriculo-ventriculaires et aortiques et descendent de droite à gauche : les postérieurs partent des mêmes points et descendent de gauche à droite. Tous ces plans, en pre- nant leur point fixe aux anneaux auriculo-ventriculaires et aortiques, agissent de concert, au moment de la contraction, pour faire tourner le cœur de gauche à droite. La torsion du cœur ne s'étend pas à la totalité du cœur : les oreillettes n'y prennent point part. La torsion commence à la base des ventricules, où elle est sensiblement nulle, et c’est à la pointe qu'elle est le plus prononcée. La torsion du cœur est accompagnée d'un léger redressement de la pointe du cœur en avant. Ce redressement de la pointe, qui reconnaît la même cause que la torsion, c’est-à-dire la contraction propre des ventri- cules, ne doit pas être confondu avec la projection en avant de la masse du cœur contre les parois de la poitrine. La projection d’où résulte le battement du cœur tient à une autre cause, que nous avons précédem- ment développée. Dans le battement du eœur, ce n’est pas seulement la pointe du cœur qui frappe les parois thoraciques, mais c’est le tiers in- férieur de la face antérieure du cœur, ainsi qu’on peut le constater sur l’animal vivant. Le redressement de la pointe du cœur, dont il est ici question, est très-circonscrit ; il persiste quelque temps (comme, d’ailleurs, les contractions du cœur elles-mêmes) sur un cœur arraché de la poitrine d’un animal et placé à plat sur une table. S 89. Rhythme des contractions du cœur, où durée de la diastole et de la systole des oreillettes et des ventricules. — Le sang qui arrive au cœur est lancé dans les artères par la contraction successive des oreillettes et celle des ventricules. La diastole et la systole ventriculaire alternent avec la diastole et la systole auriculaire. Lorsqu'on examine l'animal vivant, on voit que la contraction des ventrieules suit immédiatement la contrac- tion des oreillettes. La contraction des ventricules, au contraire, n’est pas immédiatement suivie par celle des oreillettes. Il y a un intervalle pendant lequel les oreillettes, qui ont déjà commencé à s’emplir pendant la systole des ventricules, continuent à se remplir avant de chasser le sang dans les ventricules. Pendant le moment qui sépare la contraction des oreillettes de celle des ventricules, les oreillettes sont évidemment { 192 LIVRE IL. FONCTIONS DE NUTRITION. dans l’état de diastole; mais les ventricules ont cessé de chasser le sang dans l'arbre artériel : ils se trouvent également à l’état de diastole. Il y a un repos complet de l'organe. Pendant ce moment de repos du cœur, le sang, qui afflue dans l’oreil- lette en vertu de la circulation veineuse, pénètre aussi en petite quantité dans le ventricule diastolique. Quand l'oreillette est remplie de sang, elle se contracte, et le flot liquide qu’elle chasse dans le ventricule distend celui-ci, car ce flot est poussé par une contraction musculaire. La diastole ventriculaire se trouve, en vertu de la force active des oreillettes, poussée à ses dernières limites. Alors survient immédiatement la contraction ventriculaire, et ainsi de suite. Une contraction complète du cœur comprend la durée pendant la- quelle chaque section du cœur (section auriculaire et section ventricu- laire) a été une fois à l’état de systole et une fois à l’état de diastole. La durée d’une contraction complète du cœur peut être estimée par les bat- tements du cœur contre les parois thoraciques, ces battements se repro- duisant régulièrement à chaque systole ventriculaire. Maintenant, supposons qu’une contraction complète du cœur ait une durée représentée par le chiffre 3, l'observation montre que la contraction des oreillettes peut être, à peu de chose près, évaluée à 4, la contraction des ventricules à 4, et l'intervalle pareillement à 1. Dans un moment, l'oreillette est en systole, le ventricule est en diastole. Dans un autre mo- ment l’oreilletté est en diastole, le ventricule en systole. Dans un autre moment enfin, représenté par un intervalle de repos, le ventricule est en diastole, ainsi que l'oreillette. & 90. Marche du sang dans les cavités du cœur. — Le cœur, placé au cen- tre du système fermé de la circulation, communiquant d’une part avec les artères, et d'autre part avec les veines, aurait, en se contractant, une tendance à peu près égale à chasser le sang, aussi bien du côté des veines que du côté des artères, s’il n’y avait dans l’intérieur du cœur un appa- reil valvulaire. Cet appareil valvulaire, ou système de soupapes membra- neuses, détermine la direction du courant. L'appareil valvulaire est aussi complet que possible pour les ventri- cules. La valvule tricuspide intercepte, en effet, à un certain moment, toute communication entre le ventricule droit et l'oreillette droite; et la valvule mitrale joue exactement le même rôle dans le cœur gauche. Les valvules sygmoïdes, placées aux orifices artériels des deux ventricules, peuvent aussi, dans un autre moment, interrompre la continuité des ven- tricules avec l’aorte et l’artère pulmonaire. L'appareil valvulaire des oreillettes est moins complet. Leur commu- nication avec les ventricules peut être suspendue par les valvules auri- culo-ventriculaires (valvules tricuspide et mitrale); mais l’orifice des CHAP. III. CIRCULATION. 193 veines dans les oreillettes n’est point pourvu de valvules analogues à celles des orifices artériels des ventricules. La valvule d’Eustache et la valvule coronaire ne ferment qu'incomplétement les veines caves et co- ronaires, et les veines pulmonaires sont dépourvues de valvules. Mais, en analysant la marche du sang dans le cœur, il est facile de se convain- cre que les soupapes complètes dont sont pourvus les ventricules suffi- sent à déterminer la direction du courant. C’est ce que les développe- ments dans lesquels nous allons entrer feront aisément comprendre. Le sang afflue dans l’intérieur de l'oreillette droite par la voie des veines caves supérieure et inférieure, Fig. 31. et par la voie des veines coronaires. Il afflue dans l'oreillette gauche par la voie des veines pulmonaires. (Voy. fig. 31.) Cet afflux a lieu en vertu des lois qui président au cours du sang dans l’arbre veineux. (Voy. $ 104.) L’afflux du sang dans les oreillettes commence aussitôt après que leur contraction a cessé : il commence, par conséquent, au moment de la sy- stole ventriculaire ; il continue encore après la systole ventriculaire et pen- dant l'intervalle de repos du cœur. Lorsque les oreiïllettes sont remplies COEUR (la paroi antérieure est enlevée), Û “47 a, ventricule gauche. 1, orifice de la veine cave par le sang, les parois de ces cavités b, ventricule droit. inférieure. ia ©] : : _ €, oreillette gauche. m, orifice de la veine coro- réagissant, la systole auriculaire sur- 7 ete aroite. ce. 71 . 4 ? 1 f{, artère aorte. 6, veines pulmon.gauches. vient ? le sang, Eee par l'oreillette gg, artère pulmonaire. ?, veines pulmon. droiles. contractée, tend à s’échapper par les h, veine caveinférieure. r, orifices des veines pul- 1, veine cavesupérieure, monaires droites. diverses ouvertures qu’elle présente. k, orificede la veïne cave s, orifices des veines pul- Du côté des orifices auriculo-ventri- "7" PRICE culaires, le sang ne trouve point d’obstacle : il abaisse vers les parois ven- triculaires les valvules auriculo-ventriculaires, et s’introduit librement dans les ventricules, en ce moment à l’état de repos. Le sang trouve, au contraire, des obstacles de plusieurs sortes, qui empêchent son reflux par les orifices veineux des oreillettes : en premier lieu, le mode de contrac- tion de l’oreillette elle-même. La contraction de l’oreillette, en effet, n’est pas uniforme et ne s’opère pas en même temps dans toute la masse. Elle est en quelque sorte successive, péristaltique ou vermiculaire. Elle s'opère d’abord du côté des orifices veineux, et se propage dans la direction de l'orifice auriculo-ventriculaire : de telle sorte qu’elle chasse devant elle le sang, à peu près de la même manière que le bol alimentaire est poussé dans l'intestin. Ajoutons que les fibres musculaires des parois de l'oreillette qui entourent les orifices veineux tendent, au moment de la contraction, à diminuer et à obturer ces orifices. En second lieu (à sup- 45 194 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. poser que le mode de contraction de oreillette ne suflise pas à empêcher le retour du sang dans les veines), comme la colonne sanguine que les veines amènent incessamment aux oreillettes est animée d’une certaine quantité de mouvement, le flot sanguin qui tendrait à s'engager, par voie de retour, dans les orifices veineux, au moment de la contraction de l'oreillette, rencontre un flot contraire qui lui fait résistance. Aussitôt que le sang chassé par la contraction des oreillettes a distendu les ventricules, survient la systole ventriculaire. Le sang pressé par la contraction des ventricules tend à s'échapper par les ouvertures de la cavité. Ces ouvertures sont au nombre de deux dans chaque ventricule : l'orifice auriculo-ventriculaire et l’orifice artériel. La valvule tricuspide et la valvule mitrale se redressent sous la pression sanguine et intercep- tent toute communication avec les oreillettes. Les valvules sygmoïdes placées aux orifices de l’artère aorte et de l’artère pulmonaire, au con- traire, s'appliquent contre les parois artérielles et livrent passage à l’ondée sanguine. Au moment où le sang pénètre, sous l'influence de la contraction au- riculaire, dans les ventricules à l’état de repos, comment se fait-il que ce flot sanguin ne s'engage pas, du même coup, dans les orifices artériels des ventricules ? Le voici. En ce moment (diastole ventriculaire), les val- vules sygmoïdes closent complétement les orifices artériels des ventri- cules. La colonne de sang, chassée dans les artères par la systole ventri- culaire précédente, avait distendu l'arbre artériel. Celui-ci, en vertu de son élasticité, est revenu sur lui-même aussitôt que l'effort qui avait fait pé- nétrer le sang dans son intérieur a cessé. Le sang, pressé dans l’arbre artériel par l’élasticité des parois artérielles, a repoussé les valvules syg- moïdes, et intercepté toute communication entre les ventricules et les artères aorte et pulmonaire. = Au moment où survient la systole ventriculaire, celle-ci doit, par con- séquent, vaincre la résistance des valvules sygmoïdes qui supportent la colonne sanguine artérielle. La résistance de la colonne sanguine est vaincue facilement par la contraction ventriculaire. La force avec la- quelle se contractent les ventricules l’emporte sur l’élasticité artérielle, et cette élasticité se manifestera tout à l’heure par un mouvement de retrait des parois artérielles, proportionné à la distension des artères déterminée par la contraction ventriculaire elle-même. La contraction des ventricules chasse donc le sang dans les artères. Le mode vermiculaire ou successif de la contraction est moins marqué dans les ventricules que dans les oreillettes : il y est aussi moins nécessaire. Cependant, en observant le cœur avec attention, on peut remarquer que la contraction se fait de la pointe vers la base, c’est-à-dire du eul-de-sac du cœur vers ses orifices, de manière qu'il tend à se débarrasser aussi complétement que possible du liquide qu'il renferme. Au moment de la contraction ventriculaire, le sang trouve, avons-nous CHAP. HI, CIRCULATION. 495 dit, dans les valvules aurieulo-ventriculaires, un obstacle à son retour dans les oreillettes. L’obstacle opposé par ces valvules est eflicace, grâce à la disposition de ces valvules. Ces voiles membraneux, fixés au pourtour des orifices auriculo-ventriculaires, ne sont pas flottants, car, s’ils avaient pu être renversés tantôt par en bas et tantôt par en haut par la poussée du liquide, ils eussent été inutiles. Leurs bords sont fixés par en bas aux parois des ventricules par des cordages musculo-fibreux. De cette manière, ils ne peuvent se renverser par en haut, au moment de la contraction ven- triculaire. De plus, ces attaches ne leur permettent pas non plus d’obturer l’orifice auriculo-ventriculaire, en se redressant horizontalement sous la poussée liquide des ventricules. Au moment de la contraction des ventri- cules, les valvules auriculo-ventriculaires conservent la forme d’un enton- noir membraneux, dont le sommet, dirigé par en bas, se trouve fermé par la tension du liquide. De cette manière, le liquide des ventricules n’est pas refoulé dans les oreillettes. Si les valvules se redressaient horizonta- lement, on conçoit que toute la colonne sanguine mesurée par la longueur de ces valvules serait, à chaque systole ventriculaire, repoussée dans l’o- reillette, et viendrait porter obstacle à la circulation, en la ralentissant. S'il y a, à chaque contraction du ventricule, une portion du sangrenvoyée dans l'oreillette, au moment du rapprochement des parties libres des val- vules auriculo-ventriculaires, cette quantité doit être très-petite. Lorsque l’orifice auriculo-ventriculaire n’est pas régulièrement obturé, à chaque contraction ventriculaire, par le jeu des valvules auriculo-ven- triculaires (cela a lieu dans un certain nombre de cas pathologiques), une certaine quantité de sang est refoulée dans les oreillettes. Ce reflux est encore augmenté quand un obstacle quelconque empêche le sang de pas- ser par les artères pulmonaires. La puissance de la contraction ventricu- laire est assez énergique pour vaincre la résistance de la colonne san- guine, qui arrive pendant ce temps dans les oreillettes; elle arrête, par conséquent, pour un instant, le cours du sang dans les veines voisines du cœur. Les veines étant dilatables augmentent momentanément de diamè- tre. De là, le pouls dit veineux, lequel s’observe quelquefois sur les vei- nes du cou, au moment de la systole ventriculaire ; il mdique ordinairement qu'il y à un obstacle quelconque au cours du sang dans les poumons. Le pouls veineux ne s'étend pas loin. Les parois des veines sont très-dilata- bles (Voy. $ 102); ils’ensuit qu'il n’y a que la partie du système veineux la plus voisine du cœur qui se trouve modifiée en ce moment. La systole ventriculaire, en faisant pénétrer le sang dans les artères, soulève les valvules sygmoïdes, pousse devant elle la colonne liquide con- tenue dans le calibre‘artériel, et distend les parois élastiques de cesystème. Aussitôt que la systole ventriculaire a cessé, le système artériel revient sur lui-même; le sang contenu dans son intérieur abaisse les valvules sygmoïdes ; la communication entre les artères et les ventricules se trouve de nouveau interrompue. Il n’y a communication entre les ventricules et 196 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION. les artères qu'au moment de la systole ventriculaire, c’est-à-dire au mo- ment seulement où, pour faire pénétrer l’ondée sanguine dansle système des artères, la contraction des ventricules surmonte la tension permanente exercée par la colonne sanguine artérielle sur les valvules sygmoïdes. Les valvules sygmoïdes opposent donc un obstacle au retour du sang des artères dans le cœur, à tous les moments de la circulation, moins le moment de la systole ventriculaire. Les valvules sygmoïdes ne sont pas non plus des membranes flottantes, mais de véritables goussets demi-cir- culaires, dont l’ouverture regarde du côté des vaisseaux artériels. Ces goussets, au nombre de trois, tiennent appliquées les unes contre les au- tres les parties voisines de leur bord libre, en vertu de la tension perma- nente de la colonne sanguine artérielle. Nous avons insisté ailleurs sur ce mécanisme (Voy.S 80). La partie moyenne du bord libre de chaque valvule sygmoide est pourvue d’un petit renflement (globules d’Arentius), qui a sans doute pour effet de rendre l’occlusion plus parfaite. Ces renflements, du reste, ne paraissent pas nécessaires à cette occlusion, car ils manquent chez beaucoup d'animaux à double circulation. S 91. Force de contraction du cœur. — Nous verrons plus loin que la force musculaire est relative au nombre des fibres musculaires, chacune d’elles ayant sa force propre, qui est une partie de la force totale. Le cœur est composé par des plans charnus épais : c’est un muscle puissant. Il suffit de saisir entre ses mains les ventricules d’un animal dont on vient d'ouvrir la poitrine pour constater, par la rigidité et la dureté des parois, au moment de la systole, qu’ils exercent sur le sang une pres- sion énergique; on peut aussi introduire le doigt dans l’intérieur des ven- tricules, et on sent en ce moment une compression assez vive. On peut encore placer des poids sur la partie moyenne du cœur d’un animal vi- vant, et remarquer qu’à chaque systole ventriculaire la fibre musculaire, en se raccourcissant et en se tuméfiant, les soulève. On peut évaluer la force comparée des muscles, en établissant un rap- port entre le nombre de leurs fibres élémentaires; mais comme ces fais- ceaux sont des objets microscopiques, le poids des muscles est, de toutes les qualités accessibles à nos sens et à nos moyens de mensuration, celle qui nous permet le mieux d’arriver à une appréciation approximative de la force dont ils sont doués. Or, en comparant le poids du cœur droit et et gauche, on constate qu’en moyenne le cœur gauche est au cœur droit comme 2 est à 1. Cette proportion est sensiblement la même chez l’homme, chez le cheval, le mouton, le chien, le chat, le lapin, le cochon. La dif- férence de poids porte surtout sur les ventricules. Cette différence de poids indique une différence d’énergie dans la contraction des cœurs droit et gauche. Elle est en rapport avec l'étendue des deux cercles cireulatoires. La force de contraction du cœur droit est moitié moindre que celle du CHAP, III. CIRCULATION, 197 cœur gauche ; le cœur gauche, en effet, préside à la grande circulation, et le cœur droit à la petite. Quant à la force de contraction du cœur, considérée en elle-même, nous ne pouvons l’apprécier que par ses résultats. Nous verrons plus loin qu’elle détermine dans l'arbre artériel une tension qu’on peut mesurer. L’ondée liquide, chassée par la contraction ventriculaire du cœur gauche, fait équi- libre à une colonne mercurielle de 15 centimètres environ. L’ondée chassée par la contraction ventriculaire droite fait équilibre à une colonne beaucoup moindre. $ 92. Bruits du cœur. — Lorsqu'on applique l'oreille sur la poitrine de l’homme, dans la région précordiale, on entend deux bruits qui se suc- cèdent presque sans intervalle; puis survient un intervalle ou un moment de silence; puis, de nouveau, les deux bruits, et ainsi de suite. Le premier bruit est sourd, profond; le second bruit est plus clair, il dure un peu moins longtemps que le premier. Ces deux bruits s'entendent surtout dans la région précordiale; mais on peut les entendre encore dans les autres points de la poitrine, surtout pendant l'inspiration. Ils perdent de leur intensité à mesure qu’on s’éloigne du cœur. Ces deux bruits n’ont pas leur maximum d'intensité aux mêmes points. Le premier bruit a son maximum d'intensité vers le cinquième espace in- tercostal, un peu au-dessous et en dehors du mamelon. Le second bruit a son maximum d'intensité dans le troisième espace intercostal, près le bord gauche du sternum. Le maximum d'intensité du premier bruit est donc situé plus bas que le maximum d'intensité du second. Le premier bruit du cœur coïncide avec le pouls, c’est-à-dire avec la di- latation artérielle, c’est-à-dire, par conséquent (Voy. $$ 90 et 94), avec la systole ventriculaire. Si on ouvre un animal vivant, dont on entretient artificiellement la respiration, on s'assure directement que le premier bruit du cœur est simultané avec la systole ventriculaire, et qu'il dure autant que cette contraction. Le second bruit du cœur suit immédiatement le premier bruit ; il suit, par conséquent, immédiatement la systole ventriculaire. Mais comme à la systole ventriculaire succède, ainsi que nous l’avons vu ($$ 86 et 89), un repos du cœur, le second bruit coïncide, par conséquent, avec ce mo- ment de repost,. Le rhythme des bruits du cœur peut être assimilé, avec assez de vérité, à une mesure à trois temps. Le premier bruit correspondrait au premier temps; le second bruit, au second temps; le troisième temps serait rem- placé par un silence. Il est vrai que chacun de ces temps n’est pas rigou- reusement égal dans la mesure. Ainsi, le premier temps est sensiblement 1 Dans ce moment de repos, l'oreillette se remplit. L’oreillette et le ventricule sont à l'état de relächement ou de diastole, 198 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. plus long que le second, et le second étant très-court, le silence se trouve un peu augmenté. Mais ces réserves faites, il n’en est pas moins vrai que cette image d’une mesure à trois temps, proposée par M. Beau, laisse dans l’esprit une notion suffisamment exacte du phénomène. Nous avons pareillement comparé plus haut le rhythme des contractions du cœur à une mesure à trois temps (Voy. $ 89). De ces temps, l’un cor- respond à la systole des oreillettes, l’autre à la systole des ventricules, un autre au repos du cœur. Si nous établissons un parallèle entre le moment des contractions du cœur et des bruits du cœur, nous trouvons que le premier bruit correspond au temps de la systole des ventricules; le second bruit au temps de repos du cœur; et le moment de silence à la systole des oreillettes. Des deux bruits du cœur, il en est un (le second) qui se passe au mo- ment de repos du cœur. En outre, le si/ence du cœur a lieu au moment de la contraction des oreillettes. Il est donc naturel de penser que les bruits ne sont pas déterminés par les contractions du cœur, et qu'il faut en chercher ailleurs la signification. Il est vrai que le premier bruit a lieu au moment de la systole ventri- culaire, et qu’en ce moment les fibres musculaires du ventricule sont en contraction. Mais la contraction musculaire peut-elle déterminer un sem- blable bruit? Non. Il est vrai que l'oreille, appliquée sur un muscle qui se contracte, perçoit un frémissement fibrillaire. Mais les muscles les plus considérables, lorsqu'ils se contractent, ne donnent à l'oreille qu’un mur- mure oscillatoire à peine perceptible, qui n’a aucun rapport avec le tim- bre sourd et énergique du premier bruit du cœur. On a aussi voulu faire intervenir le frottement du sang contre les pa- rois du ventricule, pour expliquer le premier bruit du cœur. Mais cette explication suppose que le premier bruit a lieu au moment où le sang arrive dans le ventricule, c’est-à-dire au moment de la diastole ventricu- laire, ce qui n’est pas. t Au moment de la systole ventriculaire, le cœur est projeté en avant contre les parois de la poitrine (Voy.$ 87). Est-ce cette projection ou ce choc du cœur contre les parois pectorales qui détermine le premier bruit ? Beaucoup l’ont soutenu. Mais le stéthoscope, appliqué sur le cœur d’un animal dont on a ouvert la poitrine et enlevé les côtes, donne encore ma- nifestement les deux bruits. Le battement du cœur contre la poitrine n’est done pas non plus la cause essentielle du premier bruit du cœur. Comme le choc du cœur est simultané avec le premier bruit, il est probable cepen- dant qu'il contribue à le renforcer, surtout quand le cœur bat avec force. La doctrine des bruits du cœur qui nous paraît avoir pour elle les probabilités les plus grandes, est celle qui consiste à en placer le point de départ dans le jeu des valvules. Cette doctrine, émise pour la première fois par M. Rouannet, et parfaitement développée par lui, a aujourd’hui con- quis l’assentiment de la plupart des physiologistes. CHAP. IT, CIRCULATION, 199 L'expérience prouve que dans les veines liquides en mouvement, alors même qu’elles circulent dans des canaux à parois rigides, les frottements ne donnent naissance qu'à de faibles bruits de souffle, tandis que, au con- traire, des bruits énergiques et éclatants se manifestent aussitôt que des obstacles viennent se tendre brusquement en travers. Toutes les machines dans lesquelles le cours des liquides est réglé par des soupapes ou des clapets donnent à l'oreille appliquée sur elles la sen- sation de bruits qui ont avec ceux du cœur une frappante analogie. M. Valentin a fait, à ce sujet, une expérience bien simple, et facile à répéter. Il prend une anse d'intestin, la remplit d’eau, et applique une ligature à chaque extrémité. Il a soin d'appliquer ces ligatures sous l’eau, de manière à ce que l'intestin ne soit rempli que d’une quantité médio- cre de liquide, tout en ne contenant pas d’air. Puis il tire au dehors cette anse d’intestin ainsi liée, la pose sur une table, applique l'oreille par l’in- termédiaire d’un stéthoscope, tandis qu’un aide, qui tient une extrémité de cette anse entre ses doigts, refoule rapidement le liquide d’une extré- mité vers l’autre. On entend alors très-nettement un bruit qui à la plus grande analogie avec le premier bruit du cœur. L’extrémité contre la- quelle vient frapper le liquide peut être assimilée à un plan valvulaire. Les bruits du cœur sont donc très-vraisemblablement déterminés par le choc du sang contre les valvules. Le premier bruit, coïncidant avec la sy- stole ventriculaire, a lieu au moment où la tension subite des valvules auriculo-ventriculaires est déterminée par l’ondée sanguine, qui tend à s'échapper par l’orifice auriculo-ventriculaire. Le second bruit, qui a lieu immédiatement après le premier, et pendant le moment de repos du cœur, coïncide parfaitement avec le moment où les valvules sygmoïdes, un in- stant appliquées contre les parois artérielles, pour laisser passer l’ondée chassée par la contraction du ventricule, reviennent fermer l’orifice ar- tériel, sous la pression en retour de la colonne sanguine. Le premier bruit est sourd, parce que les valvules auriculo-ventriculaires sont fixées à des anneaux profonds, entourés de toutes parts de parois charnues, épaisses ; le second bruit est plus clair, parce que les valvules sygmoïdes sont fixées aux tuniques artérielles, c’est-à-dire à des parois membraneuses libres. Le maximum du premier bruit s’entend plus bas que le second, et plus en dehors, parce que les valvules tricuspides et mitrales se prolongent dans la direction de l’axe du cœur, et, par en bas, en entonnoir, dans l’intérieur même des ventricules. Le maximum du second bruit s'entend plus haui et plus en dedans, c’est-à-dire au point où correspond précisément l’in- sertion dans les artères aorte et pulmonaire des valvules sygmoïdes. IL est diflicile d’instituer des expériences pour démontrer directement que le premier bruit est causé par le redressement des valvules auriculo- ventriculaires. Il faut, pour cela, faire subir au cœur de l'animal des mu- tilations qui troublent le phénomène, et ne permettent guère d’en tirer des résultats concluants, 200 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. Mais les difficultés ne sont pas les mêmes pour le second bruit. On peut suspendre à volonté ce bruit sur l’animal vivant; on peut aussi le repro- duire sur le cadavre, sans diviser le cœur. M. Hope met à nu le cœur d’un animal : il comprime, dans un point voisin de leur origine, les artères aorte et pulmonaire, et le second bruit du cœur disparait avec le jeu des val- vules sygmoïdes. Le second bruit du cœur disparaît également quand, à l’aide de petites érignes métalliques, on fixe les valvules sygmoïdes con- tre les parois artérielles : il reparaît quand on détruit ces adhérences arti- ficielles. D'un autre côté, si l’on injecte un liquide dans l’aorte thoracique d’un cadavre, en dirigeant le jet du liquide vers le cœur, on entend, au moment de la poussée, un bruit qui rappelle tout à fait le second bruit du cœur. Dans cette expérience, on imite le choc en retour de l’ondée ar- térielle, et on ferme ainsi brusquement l’orifice aortique du cœur par le rapprochement instantané des valvules sygmoïdes. Bruits anormaux.— Dans l’état normal, on n’entend que les deux bruits dont nous avons parlé. Dans l’état pathologique, ces bruits sont quelque- fois altérés dans leur timbre, et il vient souvent s’y joindre des bruits ac- cessoires. Lorsque le péricarde est rempli par un épanchement, les bruits du cœur sont moins distincts, ils paraissent plus éloignés; on les entend encore cependant avec leurs caractères différentiels. Dans le cas dont nous par- lons, le liquide qui distend le péricarde ne permet plus au cœur de se mou- voir librement dans la séreuse à chaque contraction ventriculaire, comme il le fait dans l’état normal. Cependant, comme le premier bruit du cœur persiste aussi bien que le second, c’est encore une nouvelle preuve que ce bruit n’est pas déterminé par la projection du cœur contre la cage pec- torale. Lorsque l’exsudation plastique s’est transformée en concrétions fibri- neuses sur les parois de la séreuse péricardique, et qu’en même temps l’épanchement est médiocre, ou qu'il a disparu, on entend souvent alors, au moment de la contraction ventriculaire, un bruit anormal causé par le frottement du cœur contre la surface rugueuse du péricarde. C’est à ce bruit de frottement qu’on a souvent donné le nom de bruit de râpe, bruit de cuir neuf, ete. Ce bruit, on le conçoit, varie de timbre et d'énergie. Les bruits anormaux dont le siége est dans le cœur lui-même sont dé- terminés par des lésions qui altèrent le jeu normal des valvules. Dans l’é- tat physiologique, les deux valvules auriculo-ventriculaires interceptent au même moment la communication entre les ventricules et les oreillettes : le jeu simultané de ces deux valvules ne produit qu’un seul son, d’où ré- sulte le premier bruit du cœur. De même l’abaissement des valvules syg- moïdes de l'artère aorte est simultané avec celui des valvules sygmoïdes de l'artère pulmonaire, et le jeu de ces valvules ne produit qu'un seul son, d’où résulte le second bruit du cœur. Supposons maintenant que, par une cause quelconque (incrustations calcaires, adhérences anormales, destruc- CHAP. III, CIRCULATION. 201 tion plus ou moins étendue, etc.), l’une des valvules auriculo-ventriculaires ne ferme plus complétement la communication du ventricule avec l’oreil- lette au moment où le ventricule se contracte, tandis que l’autre valvule auriculo-ventriculaire remplit complétement sa fonction; il en résultera qu'on entendra, en même temps que le bruit normal, un autre bruit beau- coup plus faible. Ce bruit particulier est déterminé par le passage du sang au travers de l'ouverture anormale. C’est là le phénomène généralement désigné sous le nom de bruit de souffle au premier temps. Il faut remarquer que le bruit anormal qui se produit simultanément avec le premier bruit du cœur se prolonge un peu plus que le bruit normal, et relie immédiate- ment le premier bruit du cœur au second bruit. Le bruit normal, en ef- fet, est déterminé par un choc à peu près instantané de la colonne sanguine contre les valvules, tandis qu'il faut un certain temps à l’ondée sanguine pour traverser en retour l’orifice auriculo-ventriculaire incomplétement fermé. Le siége du bruit anormal dont nous parlons peut être déterminé à l’aide du stéthoscope, en recherchant le lieu précis de son maximum d’in- tensité; on peut ainsi déterminer si la lésion valvulaire intéresse le cœur droit ou le cœur gauche. Si les deux valvules auriculo-ventriculaires remplissent incomplétement leurs fonctions, le premier bruit du cœur se trouve modifié ; les bruits de souffle qui se manifestent simultanément peuvent varier de timbre, comme l'étendue de l’altération elle même, et rendre l’observation assez com- pliquée. Lorsque c’est le jeu des valvules sygmoïdes de l’artère aorte ou de l’ar- tère pulmonaire qui est entravé, le bruit anormal est-déterminé par le re- tour dans le ventricule d’une partie du sang engagé dans l’artère. Le bruit anormal s’entend alors simultanément avec le second bruit du cœur. Il constitue le bruit de souffle au second temps. De plus, ce bruit de souffle se prolonge aussi plus longtemps que le bruit normal et par les raisons in- diquées précédemment. On l’entend d'autant mieux qu’au second bruit du cœur succède l'intervalle de silence. Lorsque la lésion valvulaire porte à la fois sur les valvules sygmoïdes de l’artère aorte et sur celles de l'artère pulmonaire, on n’entend presque plus le bruit normal produit par le rap- prochement incomplet des goussets syemoïdes. Le bruit de soufile do- mine et masque en grande partie le second bruit du cœur. ARTICLE II. CIRCULATION ARTÉRIELLE, S 93. Principale cause du mouvement du sang dans les artéres.— [La prin- cipale cause en vertu de laquelle le sang circule dans le système artériel, c’est la contraction mtermittente des ventricules. A chaque systole ventri- culaire, en effet, une nouvelle colonne de sang est introduite par com- 202 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. pression dans le système artériel. Lorsqu'on ouvre une artère sur l’ani- mal vivant, ilest facile de constater que le jet artériel augmente d’élévation à chaque systole ventriculaire ; mais on remarque aussi que, même dans l'intervalle de la systole des ventricules, le sang qui s’échappe de l'artère ne coule pas en nappe. Il est alors même projeté au dehors avec une cer- taine force, parce qu’il est soumis, dans l’intérieur des artères, à une ten- sion permanente. Cette tension permanente est subordonnée à l’élasticité des artères, et déterminée par les contractions du cœur (Voy. $ 95). Lorsque la systole ventriculaire a lieu, l’ondée sanguine introduite vio- lemment dans les artères distend celles-ci, et quand la systole a cessé, les artères distendues reviennent sur elles-mêmes, en vertu de leur élasticité. Ce mouvement de retour des artères comprime le sang contenu dans leur intérieur et tend à le chasser suivant l’axe du vaisseau. Du côté du cœur, les valvules sygmoïdes s'opposent au mouvement rétrograde du sang : celui-ci fuit donc dans la direction centrifuge, $ 94. Élastieité des artères. — L’élasticité des artères joue un rôle très-im- portant dans la circulation du sang. Elle a été comparée, avec beaucoup de justesse, par M. C.-H. Weber, à la chambre à air d’une pompe à in- cendie. Chaque coup de piston introduit dans cette chambre une certaine quantité de liquide, et l’air comprimé chasse le liquide en vertu de son ressort dans le tube de distribution. De même que l’air comprimé de la pompe à Incendie, l’élasticité des artères agit surtout comme régulateur de la circulation. L’élasticité n’ajoute absolument rien à la force en vertu de laquelle le sang circule dans l’arbre artériel; cette force, elle l’'emprunte tout entière à la contraction des ventricules. En d’autres termes, l’élas- ticité artérielle est un ressort qui ne rend que ce qu'il a reçu, et qui tend à revenir sur lui-même avec une énergie proportionhée à la puissance de distension, Elle est bien une cause de progression du sang dans les ar- tères, mais la puissance avec laquelle elle agit est entièrement subordon- née à la contraction musculaire du cœur. À chaque pulsation du cœur correspond une pulsation artérielle. L’on- dée sanguine, projetée dans les canaux artériels élastiques, les distend au moment de la systole ventriculaire, et le calibre artériel est augmenté. Cet agrandissement périodique de calibre dans les artères est assez difficile à saisir par l'observation, parce qu’il s’opère dans des limites assez res- treintes. Il faut, pour le constater, avoir recours à l’expérience. M. Poi- seuille a construit à cet effet un petit appareil. Il consiste en une boîte per- cée de deux trous qui se correspondent, et surmontée d’un tube fin et gradué. Cette boîte se démonte en deux parties au niveau des deux trous. On introduit la partie inférieure sous l’artère carotide d’un animal préa- lablement mise à nu, puis on pose par-dessus l’autre partie de la boite ; de cette manière, l'artère traverse de part en part un appareil clos, On luie > CHAP, If, CIRCULATION, 205 convenablement les jointures et on remplit d’eau l'appareil. Or, à chaque pulsation du cœur (systole ventriculaire) l’eau monte dans le tube gradué. Le degré d’ascension permet de calculer l'augmentation de diamètre du vaisseau. Les résultats obtenus par M. Poiseuille sont tout à fait d'accord avec les évaluations antérieures de Borelli et avec les recherches plus récentes de M. Valentin. L'artère carotide, au moment de la dilatation, sur le chien comme sur le cheval, augmente moyennement de 1/22 de son diamètre. En enserrant les grosses artères des animaux dans des anneaux ouverts, formés par des ressorts d'acier très-doux, on peut constater facilement aussi qu'à chaque dilatation artérielle les extrémités de l'ouverture de l'anneau s’écartent l’une de l’autre d’une petite quantité. Mais cette mé- thode, excellente comme démonstration du fait lui-même, ne peut pas conduire, comme la précédente, à une évaluation exacte. $ 95. Tension du sang dans le système artériel.— Au moment de la systole ventriculaire, la distension des artères est portée à ses dernières limites. Quand la systole ventriculaire a cessé, les artères reviennent sur elles- mêmes dans une certaine mesure et font progresser le sang. Mais, à ce moment même, leur tension élastique ne s’épuise pas, parce que le sang circule dans un système fermé et ne s’écoule pas au dehors. Le système artériel est bandé d’une manière permanente, et le sang fait constamment effort contre les parois des artères, En vertu de cette tension permanente, le sang circule d’une manière plus uniforme ! dans ses vaisseaux fermés. Cette tension favorise singu- lièrement aussi la sortie au travers des parois des capillaires de la partie liquide du sang, qui doit nourrir les organes ou fournir les liquides de sécrétion. On à cherché par des procédés divers à mesurer la tension du sang dans les artères. Hales coupait une artère en travers sur l'animal vivant, il in- troduisait dans le bout de l’artère correspondant au cœur un long tube de verre, et 1l mesurait la hauteur à laquelie le liquide s’élevait dans ce tube placé dans la direction verticale, Mais la coagulation du sang dans le tube rend cette méthode difiicile et souvent imexacte, M. Poiseuille a ima- gmé un appareil plus commode, et employé depuis par un grand nombre de physiologistes. Il consiste en une sorte de tube en U, dont l’une des branches porte un ajutage horizontal à son extrémité. Cet ajutage, muni 1 Lorsqu'on ouvre un vaisseau artériel, on observe des saccades dans le jet du sang. Ces saccades, indices des contractions intermittentes du cœur, se traduisent, dans la circulation fermée, par les mouvements du pouls. L'élasticité des artères remplit ici le rôle que jouent les ressorts dans une foule de machines : elle tend à transformer le mouvement intermittent communiqué par le cœur en un mouvement continu, 204 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. d’un robinet, est disposé de manière à pouvoir être introduit dans le ca- libre artériel. Lorsque l'artère a été liée sur l’appareil, on verse du mercure dans le tube en U, et on ouvre le robinet. Le sang entre dans l'appareil, presse sur le mercure, qui s’élève dans la branche restée libre. L'élévation du mercure indique la tension du sang. La tension du sang fait alors équi- libre à une certaine colonne de mercure, et cette colonne de mercure la représente. Fig. 32. 4 Con LUDO DID HÉMODYNAMOMÈTRE. A, branche del’appareil en communication avec l’artère, et daps laquelle le sang presse sur le mercure. On place dans cette branche, avant l’expérience, un peu de sulfate de soude en dissolution, pour s'opposer à la coagula- tion du sang. B, branche ascendante del’appareil, sur les divisions de laquelle on note le degré d’ascen- sion de la colonne mercurielle C. G, ajutage en cuivre, muni d’un robinet." D, petite plaque métallique, fixée à l’extré- mité de l’ajutage. On l’introduit dans l’inté- rieur du vaisseau. E, petite plaque métallique pouvant glisser à frottement sur l'ajutage. Elle reste en de- hors du vaisseau. K, virole à vis, à l’aide de laquelle on serre la plaque E contre la plaque D. VV. vaisseau ouvert, vu par sa partie in- térieure. L'appareil de M. Poiseuille a été modifié et perfectionné par MM. Ludwig, Spengler et Valentin (Voy. fig. 32). L’hémodynamo- mètre de M. Poiseuille, ainsi qu'il est aisé de le comprendre, change un peu les con- ditions normales de la circulation. Quand on a coupé une artère en travers et lié le bout central de cette artère sur l’ajutage, toute la partie du système artériel avec laquelle était continue l’artère mise en expérience se trouve supprimée. Le perfectionnement consiste à laisser la circulation s’accomplir en toute liberté dans l’artère mise en expérience. A cet effet, à l’ajutage G (Voy. fig. 32) ont été ajoutées deux petites plaques métalliques D et E. Ces ‘petites plaques sont fixées perpendiculaire- ment à l'extrémité du tube de l’ajutage, et traversées par lui. De plus, ces deux plaques peuvent être rapprochées ou écartées l’une de l’autre au moyen d’une virole à vis. Lors- qu'on veut appliquer l’hémodynamomètre dans une artère, on ne la coupe pas en tra- vers, mais on fait sur ses parois une petite incision longitudinale, ou une sorte de bou- tonnière par laquelle on fait entrer la plaque qui termine l’ajutage. Puis, à l’aide de la vi- role à vis K, on serre la plaque E contre la plaque D. La paroi artérielle se trouve ainsi comprimée fortement entre les deux pla- ques, et l'issue du sang n’est plus possible que par le tube de l'appareil. La surface de la colonne mercurielle de l’hémodynamo- mètre reçoit donc la pression telle qu’elle serait exercée sur la paroi artérielle qu’elle remplace. Pendant ce temps, la circulation se fait dans cette artère comme dans toutes les autres. CHAP, II, CIRCULATION. 205 Au reste, les expériences de Hales, celles de Sauvages, celles de MM. Poi- seuille etMagendie, celles de MM. Volkmann, Ludwig, Spengler, Valentin, Brunner, Beutner, etc., ont conduit à des résultats à peu près les mêmes. L’élévation déterminée par la tension sanguine, dans l’appareil, peut être évaluée, en moyenne, à une colonne de 15 centimètres de mercure (environ 2 mètres d’eau !). Ce résultat, obtenu sur le chien, s’est montré sensiblement le même sur le cheval, sur le bœuf, sur le mouton, sur la chèvre , sur le chat, sur le lapin. Il ne dépend donc point de la taille de l'animal, mais d’un rapport à peu près constant, qui existerait chez les animaux, entre la force des contractions du cœur et le calibre des orifices aortiques. On peut conclure de là que, chez l’homme, la tension du sang artériel fait aussi équilibre en moyenne à une colonne mercurielle de 15 centimètres. La tension du sang est à peu de chose près la même dans tous les points de l’arbre artériel; en tant du moins qu’il n’est question que des artères volumineuses. M. Poiseuille a trouvé que, quelle que fût l'artère où il plaçait son tube, la tension était la même. MM. Ludwig et Spengler n’ont aperçu, entre la tension du sang de l’artère carotide du cheval et celle du métatarse du même animal, que des différences de peu d’impor- tance ?. Il n’en est pas tout à fait de même quand on expérimente sur de pefites artères. L’ondée artérielle lancée par la contraction ventriculaire perd en effet une partie de sa force à mesure qu’elle progresse dans ses canaux élastiques; et cela en vertu des frottements, des courbures et des divi- sions vasculaires. Aussi, quand on place en même temps un hémodyna- momètre dans une grosse artère voisine du cœur, et un hémodynamo- mètre dans un petit rameau de la même artère, il y a un excédant de pression en faveur de l'artère volumineuse. Si dans les artères d’un cer- tain calibre la tension est sensiblement la même, près du cœur et loin du cœur, c’est que la perte due au frottement, aux courbures et aux divi- sions, peut être ici (vu la proportion de la masse liquide en mouvement) envisagée comme à peu près nulle. En un point quelconque des grosses artères la pression du sang sur les parois (estimée en mercure) est donc égale à la surface de la paroi que l’on considère, multipliée par 15 centimètres. De même, une tranche li- quide, prise par la pensée dans une artère, est pressée de toutes parts par un poids égal à la surface de section de l’artère, multipliée par une colonne de 15 centimètres. 1 Ilest vrai que celte moyenne est sujette à de nombreuses variations, qui dépendent de conditions multiples, telles que l’état de réplélion ou de vacuité relative du système vasculaire, l'énergie des contractions du cœur, les lésions diverses du système nerveux, etc. 2 Deux hémodynamomètres placés en mème temps, l'un dans la carolide du veau, l’autre -dans l'artère métatarsienne, ont donné, le premier.une élévation de 0m,16,5 de mercure, l’autre une élévation de 0w,14,6. M. Wolkmann a trouvé entre la tension de l'artère caro- tide et celle de l'artère crurale du chien une petite différence en sens contraire. 206 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. De là, il est facile de déduire en chiffres quelle est la pression statique exercée par le sang sur les valvules sygmoïdes, à l’orifice aortique. Ainsi, par exemple, le rayon d'ouverture de l'artère aorte, près du cœur, sur un chien de moyenne taille, étant de 7#»,95 , le poids supporté par les valvules sygmoïdes est représenté par une colonne de mercure de 15 centimètres d’élévation et de 7v»,95 de rayon! c’est-à-dire par une colonne pesant 339 grammes. Sur l’homme, le rayon d'ouverture de l’ar- tère aorte près du cœur est de 16 millimètres : le poids supporté par les valvules sygmoïdes est donc représenté par 11,75. C’est ce poids que la colonne sanguine poussée par la contraction du cœur doit vaincre et sou- lever à chaque systole ventriculaire , pour pénétrer dans le système artériel. Lorsque la systole ventriculaire a fait pénétrer le sang dans l'aorte, en refoulant les valvules sygmoïdes, la cavité du cœur communique en ce moment avec la cavité artérielle, il y a une continuité momentanée entre le ventricule et l’aorte. La pression statique qui existait dans l’aorte existe alors aussi dans le cœur ; elle est représentée par une colonne de mer- cure de 15 centimètres, multipliée par la surface intérieure du cœur. Pour une surface égale, prise à l’intérieur des ‘artères ou à l’mtérieur du cœur, cette pression statique est égale; elle est répartie, sur chaque unité de surface du cœur, de la même manière que sur chaque unité de surface artérielle. Au moment de la systole ventriculaire, le flot liquide introduit dans l’arbre artériel exagère passagèrement la tension du sang. Sur l’hémo- dynamomètre introduit dans une artère, l’influence de chaque contrac- tion ventriculaire se fait sentir par une élévation intermittente dans le niveau du mercure. Ces mouvements de la colonne mercurielle sont donc simultanés, et avec les pulsations du cœur et avec le pouls artériel. A chaque systole ventriculaire la colonne mercurielle s’élève de 1/2 à 1 cen- timètre. Sur les petits animaux, l'élévation systolique du sang dans l’hé- modynamomètre n’est souvent que de quelques millimètres. La tension additionnelle due à chaque systole ventriculaire n’est pas uniformément répandue dans tout l’arbre artériel. Cette tension addi- tionnelle qui, en définitive, n’est que la trentième ou la quinzième par- tie de la tension totale, est plus marquée dans les vaisseaux qui avoisinent le cœur que dans les vaisseaux plus éloignés. L’ondée sanguine projetée dans la gaine artérielle élastique perd, en effet, une partie de sa puis- sance, en vertu des résistances diverses qu’elle rencontre (Voy. $ 97), et ces résistances s’additionnent les unes aux autres, à mesure qu'on s'é- loigne du cœur. La tension du sang dans l’arbre artériel varie encore dans les mouve- ments d'inspiration et d'expiration. Ces variations peuvent être constatées à l’aide de l’hémodynamomètre, et elles prouvent l'influence qu’exercent les mouvements de la respiration sur la circulation du sang. A l’article CHAP. III. CIRCULATION. 207 de la circulation veineuse, nous montrerons comment, à chaque inspira- tion, la circulation des troncs veineux qui avoisinent le cœur se trouve accélérée. Il n’est pas question ici des veines, mais des artères. La dimi- nution de tension dans l’arbre artériel, au moment de l'inspiration, est déterminée par l'influence que le jeu de soufflet de la poitrine exerce sur l’énergie des contractions ventriculaires du cœur et sur la capacité de l'aorte thoracique. Au moment de l'inspiration, en effet, la tendance au vide qui a lieu dans l’intérieur de la poitrine tend à paralyser les contrac- tions des ventricules, par effort excentrique, en même temps qu’elle tend à augmenter la capacité de l'aorte. Aussi voit-on, dans l’'hémodynamo- mètre fixé dans les artères carotides, que le niveau du mereure s’abaisse pendant les mouvements d'inspiration et s’élève pendant l'expiration. Ces oscillations ne peuvent être confondues avec celles dues à la systole veniriculaire. Elles sont lentes comme le flux et le reflux des mouve- ments respiratoires, et se produisent seulement 15 ou 48 fois par minute, de même que la respiration elle-même, tandis que les oscillations dues aux contractions du cœur sont saccadées , et se produisent, comme ces contractions, 75 ou 80 fois dans le même espace de temps. L'oscillation de tension déterminée par les mouvements respiratoires est plus étendue que l’oscillation amenée par les mouvements du cœur. L'oscillation de tension due à la respiration diminue à mesure qu'on s'éloigne de la poitrine, ce qui prouve que sa cause la plus efficace doit être attribuée à l'action du vide thoracique sur la contraction des ventri- cules du cœur et sur l'aorte peetorale. MM. Ludwig et Spengler ont si- multanément introduit leur hémodynamomètre dans l'artère carotide d’un cheval et dans l’artère du métatarse du même animal, Or, tandis que l’oscillation respiratoire faisait mouvoir alternativement la colonne mercurielle, dans une étendue de 5 à 6 centimètres dans l'artère caro- tide; dans l'artère du métatarse, le chemin parcouru par la colonne mer- curielle, pendant les mouvements de la respiration, ne dépassait pas 1 centimètre. La tension du sang dans le cercle artériel de la petite cireulation est (comme on devait le prévoir) moins considérable que celle de la grande circulation, dont il a été jusqu'ici exclusivement question. MM. Ludwig et Beutner ont mesuré par l’expérience directe sur le chien, le chat et le lapin, la différence de tension du sang dans les deux cercles circulatoires. A cet effet, ils introduisent dans la branche gauche de l'artère pulmonaire de animal en expérience le tube d’un hémody- namomètre, et dans l'artère carotide du même animal un autre hémody- namomètre. De leurs expériences il résulte que la tension du sang dans l'artère pulmonaire est à la tension du sang dans l'artère carotide :: 4 : 2,9 où :° 11 3,3. Il est vrai que pour faire ces expériences, comme il a fallu ouvrir la poitrine, il est nécessaire d’entretenir artificiellement la respiration, et cette opération change peut-être un peu le rapport nor- 208 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. mal. Il ne ressort pas moins de ces expériences que la différence obser- vée est en relation évidente avec la force inégale du ventricule gauche et du ventricule droit. Rappelons, en effet, que le principe de la tension du sang dans les artères est dans la contraction du cœur, et que la puis- sance musculaire du ventricule droit est à peu près moitié moindre que celle du ventricule gauche. (Voy. $ 91.) La colonne mercurielle (équilibrée par la tension artérielle) éprouve, ainsi que nous venons de le voir, deux sortes d’oscillations au-dessus et au-dessous de sa position moyenne d'équilibre : les unes sont isochrones avec les pulsations du cœur, les autres sont isochrones avec les mouve- ments respiratoires. Ces oscillations, faciles à constater à l’aide de l’in- strument représenté fig. 32, sont assez difficiles à mesurer avec cet instru- ment. M. Ludwig, pour remédier à cette difficulté, a imaginé de compléter l'hémodynamomètre par un appareil auquel il a donné le nom de kymo- Fig. 33. graphion. Cet appareil complémen- taire, qu’on peut d’ailleursutiliser à d’autresrecherchesde physiologie, a été employé depuis M. Ludwig par la plupartdes physiologistes qui se sont occupés des phénomènes de la circulation. Le kymographion est essentiellement constitué par un tambour A (Voy. fig. 33), au- quel on imprime un mouvement circulaire uniforme à l’aide d’un mécanisme d’horlogerie renfermé dans la caisse B. L’hémodynamo- mètre annexé au kymographion contient, dans le tube d’ascension du mercure, une tige métallique ff terminée par un disque au point où elle touche au mercure. Cette tige mobile suit les mouvements d’élé- vation et d’abaissement de la co- lonne mercurielle À sur laquelle elle repose, et elle porte un appen- dice horizontal sur lequel est fixé A, tambour animé d’un mouvement circulaire. DAreyone, On conçoit facilement B, caisse renfermant un mécanisme d'horlogerie. le jeu de l’appareil. Letambour A, C, poids servant de moteur au mécanisme d’horlogerie. D, pendule ou balancier servant de régulateur au mou- YeCOuUVErt d’une feuille de papier vement. KYMOGRAPHION. e, crayon. blanc et animé de son mouvement ff, tige métallique terminée intérieurement par un disque : : : r LR A En u T° circulaire uniforme, présente suc- k, colonne mercurielle de l'hémoäynamomètre, cessivement au crayon les divers points de la circonférence, et les mouvements d’élévation et d’abaisse- CHAP. III, CIRCULATION. 209 ment de la colonne mercurielle 4 se trouvent ainsi représentés sur le pa- pier du tambour A par une ligne onduleuse dont les saillants représen- tent les maxima des excursions. Cet instrument permet de mesurer avec une assez grande précision, et les excursions {respiratoires, et les ex- cursions systoliques de la colonne mercurielle. Ces dernières, étant moins étendues et plus fréquentes que les excursions respiratoires, se trou- vent représentées sur le parcours de la courbe par des ondulations plus petites. Au lieu d’une feuille de papier blanc, on peut entourer le tambour d’une feuille recouverte de noir de fumée, et remplacer le crayon e par une pointe métallique; on obtient ainsi un dessin plus net et plus exact. Différentes causes peuvent modifier la tension du sang dans les vais- seaux artériels. Lorsqu'on diminue brusquement la quantité de sang contenue dans l’intérieur du système circulatoire, comme il faut un cer- tain temps pour qu'il se régénère, les parois vasculaires reviennent par élasticité sur le liquide restant, et l’effort excentrique du sang diminue; c’est ce qui arrive dans toutes les saignées un peu abondantes. M. Goll tire à un chien 500 grammes de sang. La tension du sang, qui équilibrait 43 centimètres de mercure, descend immédiatement à 11 centimètres. Si, au contraire, on augmente brusquement la quantité de sang qui cir- cule dans les artères, la tension du sang augmente. Sur un chien dont la tension du sang était de 11 centimètres de mercure, M. Goll fait la liga- ture des artères crurales, des carotides et des cervicales ascendantes. La quantité du sang qui circule dans les parties restées libres de l'arbre ar- tériel augmente, car l’animal n’a point perdu de sang, et la tension du sang s'élève à 12 centimètres de mercure. M. Brunner constate que la tension du sang de la carotide d’un chien de moyenne taille fait équilibre à 15 centimètres de mercure. Il injecte dans les vaisseaux de ce chien 500 grammes de sang défibriné, la tension du sang de la carotide s’élève à 22 centimètres. Il tire 600 grammes de sang à un chien, la tension, qui était de 15 centimètres, descend à 12,5. Toutes les causes qui agissent sur le cœur, et qui sont de nature à di- minuer l’énergie de sa puissance contractile, diminuent la tension du sang dans les artères. Telles sont les lésions profondes du système ner- veux, l’agonie, l'administration de la digitale, du tabac, l'inspiration des vapeurs d’éther et de chloroforme. S 96. Contractilité des artères. — L’élasticité des artères, nous venons de le voir, réagit sur la colonne sanguine (introduite dans le système par la force active des ventricules) et tend à régulariser le cours du sang. Mais les artères ne sont pas seulement élastiques, elles sont aussi contractiles. La contractilité des artères est une force active par elle-même. La circulation du sang s’opérant dans des canaux élastiques et contrac- 14 210 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. tiles n’est pas comparable, d’une manière absolue, avec le cours des li- quides dans des tuyaux inextensibles. Tout en reconnaissant que les lois de l’hydraulique s'appliquent à la mécanique du cours du sang, il ne faut pas oublier que l’élasticité et surtout la contractilité ajoutent aux phénomènes de la circulation des éléments nouveaux qui compliquent le problème hydrodynamique, et peuvent en modifier les résultats dans une certaine mesure. La contractilité des artères est bien plus prononcée dans les petites ar- tères que dans les grandes. Il n’est pas facile de constater directement la propriété contractile des artères. Lorsqu'on met à nu une artère, non-seulement la contractilité n’est pas appréciable à la vue, mais les changements dus à l’élasticité échappent eux-mêmes, la plupart du temps, à l'observation. Les mouve- ments de dilatation et de resserrement des artères s'accomplissent, en ef- fet, dans des bornes très-restreintes : ils sont limités par l’état permanent de réplétion et de tension du système. Il est vrai qu’en mettant sur des artères de l’alcool, des acides ou des alealis, on voit parfois l’artère éprou- ver un mouvement de retrait ou de contraction vermiculaire ; mais ces li- quides agissent, après la mort, sur les substances organiques, à peu près de la même manière, et par une sorte de condensation ou de racornisse- ment du tissu. Des preuves beaucoup plus concluantes sont les suivantes : Lorsqu'on met une artère à découvert et que, dès le commencement de l'expérience, on en mesure le diamètre à l’aide d’un petit instrument gra- dué en fractions de millimètres et analogue à la mesure des cordonniers, on trouve que ce diamètre a diminué lorsque l'artère est restée longtemps exposée au contact de l'air. Il est évident que, l'artère faisant toujours partie du système artériel, la tension n’a pas varié dans son intérieur; ce n’est done pas par élasticité qu’elle est revenue sur elle-même, mais par contractilité. Nous avons souvent appliqué le courant d’un appareil d'induction sur les artères du mésentère de la grenouille, sur les artères tibiales et pé- ronières du lapin et du chien. Or, il est aisé de constater que le diamètre des artères diminue, dans ces conditions, de moitié et souvent des deux üers. Ce qui peut induire en erreur, dans ces expériences, c'est que la contractilité artérielle (comme la contractilité de toutes les fibres mus- culaires organiques) est lente à se produire sous l'influence des excitants. Il faut donc attendre quelques secondes. Mais de même qu’elle est lente à se produire, elle est lente à s’éteindre, en sorte que l'observation est des plus faciles. Aujourd’hui qu’on possède dans les bobines d’induction des appareils électriques puissants, la propriété contractile des artères ne peut être contestée. Si l’on pose deux ligatures sur une artère, à quelque distance l’une de l'autre, et si l’on fait une incision à l'artère entre les deux ligatures, cette artère se vide presque complétement. M. Parry a démontré, d'une autre CHAP. IT. CIRCULATION, 211 part, que si l’on fait périr les animaux d’hémorrhagie, la rétraction des artères va bien au delà de celle que l’élasticité seule aurait produite. En effet, vingt-quatre heures après la mort de l’animal, alors que toute con- tractilité a disparu, le calibre des artères, maintenant en équilibre avec l’é- lasticité seule, est devenu supérieur à celui qu'il avait au moment où l’a- nimal a expiré. C’est encore en vertu de la contractilité des artères que l’arbre artériel est presque complétement vide de sang sur le cadavre, tandis que le sy- stème veineux est distendu. Dans les moments qui précèdent la mort, le cœur diminue successivement d'énergie, la tension sanguine diminue dans les artères : lorsque les battements du cœur ont cessé, la tension du sang est réduite à zéro, la contracülité artérielle peut s'exercer en toute liberté. Dès lors, elle chasse peu à peu vers le système veineux, beaucoup plus di- latable que l’arbre artériel, le sang qu’il contenait. C’est aussi en vertu de la contractilité artérielle, mise en jeu par l'influence de l’air ou par l’eau des éponges à pansement, que les petites artères ne donnent pas toujours du sang après les amputations, et qu’elles déterminent souvent des hé- morrhagies consécutives quelques heures plus tard, etc. La contractilité artérielle concourt-elle avec l’élasticité, et dans le même sens qu’elle, à la circulation, en réagissant à chaque instant sur le sang introduit par le cœur dans les artères ? Il est permis de douter qu’elle s'exerce à chaque pulsation artérielle, l’élasticité remplissant parfaite- ment ce rôle. Il est probable qu’elle agit d’une manière plus lente sur les phénomènes de la circulation, en diminuant, pendant un certain temps, le calibre de segments plus ou moins étendus de l'arbre artériel. La con- tractilité artérielle peut entraîner ainsi des modifications importantes dans les circulations locales, et cette influence se fait sentir principalement, à mesure qu’on approche du réseau capillaire. Le tissu contractile des artères offre avec les muscles de la vie organique une complète analogie, et le caractère essentiel de la contraction de ces muscles, nous le répétons, est d’être /ente à s'établir et lente à s’éteindre. 8 97. Obstacles au eeurs du sang artériel. — Les diverses forces qui prési- dent au cours du sang dans les artères ont à lutter contre un certain nom- bre d'obstacles, qui absorbent une partie de ces forces. Pour parler le langage de la mécanique, nous dirons : le travail utile de la circulation artérielle n’est pas rigoureusement égal au travail moteur, une partie de celui-ci étant annulée ou consommée par les résistances passives. Le frottement du sang contre les parois des artères constitue une résis- tance passive, étendue à tout le système. Il est vrai que l’état poli de la surface interne des artères diminue, autant que possible, cette cause de ralentissement. Les canaux artériels dans lesquels eircule le sang ne sont point rectili- 12 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, 19 gnes. Ces canaux décrivent presque partout des courbures à rayon plus ou moins grand. Or, les courbures constituent aussi des causes de ralen- tissement dans le cours des liquides. Les expériences de M. Weissbach ayant démontré que la perte de mouvement due aux courbures est d’au- tant moindre, dans les tuyaux courbes, que le diamètre des canaux est moins considérable pour un même rayon de courbure, il en résulte qu'il arrive un moment où cette perte de mouvement est presque réduite à zéro, quand le diamètre des canaux est très-petit. Les artères, en se divisant, présentent, à l’endroit de la division, une sorte d’arête intérieure, sur laquelle la colonne sanguine vient se briser et se diviser. Le sang perd encore ainsi une certaine quantité de mouvement. Au moment où l’arbre artériel est distendu par la systole ventriculaire, le calibre des artères se trouve augmenté dans son diamètre, ou perpen- diculairement à sa section, ainsi que nous l’avons déjà dit. Dans ce mou- vement, les artères refoulent les organes qui les entourent; une partie de la force se trouve ainsi consommée, et n’est pas intégralement rendue quand l'artère revient sur elle-même. En outre, au moment de la systole ventriculaire, l’artère augmente aussi de dimension dans le sens longitu- dinal. La chose est facile à vérifier partout où les artères sont comprises entre deux points fixes, là où elles ne sont pas rectilignes : on aperçoit en effet, alors, que les courbures artérielles sont augmentées. La force em- ployée par la colonne sanguine en mouvement pour produire l’élongation de l’artère se trouve consommée par cet allongement ; et, au moment du retrait de l'artère, elle n’est pas restituée comme force de progression, à la manière de l’élasticité circonférentielle. Dans quelques points du système artériel, des branches d’un certain volume s’anastomosent directement entre elles, et c’est de ces anastomoses que partent les rameaux qui vont aux organes. En ces points, les colonnes sanguines arrivent à la rencontre les unes des autres, et une partie de la force d’impulsion se trouve ainsi anéantie. L'arbre artériel, considéré dans son ensemble, représente un cône dont le sommet correspondrait à l’aorte, et dont la base serait dans les orga- nes. En d’autres termes, le calibre intérieur des rameaux additionné l’em- porte sur celui des troncs d’où ils naissent. Le fait a été vérifié sur un grand nombre d’artères. Voici, pour fixer les idées, quelques mesures em- pruntées aux tableaux de M. Valentin. L’aorte abdominale de l’homme, au moment où elle va se diviser en iliaques primitives, n’a perdu que 0,316 centimètres carrés de section, si on la compare à l’aorte thoracique. Or, pendant son trajet abdominal, l’aorte a fourni un certain nombre d’ar- tères, et la somme des sections du tronc cœliaque, de la mésentérique su- périeure et des artères rénales, est à elle seule de 0,865 centimètres car- rés. Il résulte de là que le sang se mouvant d’un espace plus rétréei vers un espace plus large, le cours du sang se trouve ralenti à mesure qu'il progresse dans le système artériel. CHAP. III, CIRCULATION, 215 Enfin, au moment de la systole ventriculaire, la colonne sanguine qui s’introduit dans les artères, en refoulant les valvules sygmoïdes, rencon- tre la colonne sanguine qui pesait sur ces valvules en sens contraire, en vertu de la tension sanguine. Il y a donc là encore une certaine quantité de force employée à vaincre la résistance passive de la masse sanguine, pour lui communiquer le mouvement. Les divers obstacles que nous venons de passer successivement en re- vue consomment, il est vrai, une certaine quantité de la force d’impulsion, maisils ont l'avantage de concourir puissamment, avec l’élasticité des pa- rois artérielles, à régulariser le cours du sang. Ces obstacles tendent, en effet, à transformer le cours intermittent du sang en un cours plus uni- forme ; et si cette intermittence existe aux environs du cœur, elle tend à s’effacer peu à peu, à mesure qu’on s'approche du point où les vaisseaux plongent dans l'épaisseur des organes en s’y ramifiant. Les obstacles au cours du sang ne sont nulle part aussi multipliés que dans les artères qui vont se rendre dans les organes à texture délicate. Telest, entre autres, le système nerveux : les courbures et les anastomoses par courants opposés s’y rencontrent en divers points. S 98. Du pouls.— Les contractions ventriculaires, en introduisant d’une ma- nière intermittente une certaine quantité de sang dans le système artériel, déterminent dans ce système les phénomènes du pouls. Le pouls n'existe (au moins dans l’état normal) que dans le système artériel{. Les obstacles que le sang rencontre pendant son cours dans les divisions de l’arbre arté- riel, et surtout dans le système capillaire, efface peu à peu les saccades initiales dues au mode d'action de la force d’impulsion. Le cours du sang est devenu sensiblement uniforme dans les veines. Lorsqu'on applique la pulpe du doigt sur une artère, soutenue dans le sens opposé à la pression par un plan résistant, on sent un soulèvement alternatif. D’après les développements dans lesquels nous sommes entré, il est clair que cette sensation correspond à la dilatation des artères. Lorsque nous cherchons à constater le mouvement artériel, en appli- quant la main sur des parties dans lesquelles les artères peuvent fuir sous la pression, nous ne sentons plus le pouls que d’une manière très-impar- faite. Le mouvement de dilatation de l'artère, mouvement de très-peu d’é- tendue, se décompose et se perd alors dans les tissus peu résistants placés entre l'artère et la main qui cherche à les saisir. Les artères radiales, tem- porales et pédieuses, appliquées sur des plans osseux, et pouvant être pressées entre ces plans et Le doigt explorateur, sont, de toutes les artères, celles qui permettent de saisir et d'apprécier le pouls avec le plus de faci- lité. Le doigt, qui a déprimé en dedans la paroi artérielle, reçoit, au point ‘ Voyez, $ 104, ce qu'on appelle le pouls veineux. A4 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. où il est appliqué, l’effort impulsif du sang ; il remplace, en quelque sorte, en ce moment, la paroi artérielle. Le doigt qui reçoit l'effort du sang est alternativement soulevé, comme l’est, par exemple, la jambe par l’artère poplitée, lorsque le creux po- plité est appliqué sur le genou du côté opposé, dans le croisement des jambes. Le mouvement de soulèvement de la pointe du pied se trouve, dans le cas particulier dont nous parlons, considérablement augmenté, parce qu'il se manifeste à l’extrémité d’un long bras de levier. Cette ex- périence de tous les jours a suggéré à M. Vierordt un procédé ingénieux pour apprécier les qualités fines du pouls. Son appareil consiste essen- tiellement en un petit levier dont l’un des bras exerce, par une de ses ex- trémités, une pression douce sur l’artère, et dont le bras opposé, dix ou vingt fois plus long que le précédent, augmente dix ou vingt fois le dé- placement opéré par la pulsation altérielle. Ce déplacement est apprécié à l’aide d’une feuille de papier contre laquelle agit un crayon fixé à l’ex- trémité du long bras du levier. On peut communiquer à cette feuille de papier un mouvement uniforme en l’appliquant sur le tambour du ky- mographion (Voy.fig. 33), et obtenir une représentation graphique du pouls. Le pouls se trouve ainsi représenté par une courbe successivement convexe et concave. L'étude de cette courbe permet d’étudier les qualités fines du pouls avec une rigueur que les appréciations du tact ne peuvent fournir. On peut, en quelques points, apprécier le pouls autrement que par le toucher. Lorsqu'on fixe attentivement, par exemple, la région temporale d’une personne maigre, on aperçoit un léger déplacement de l'artère tem- porale, qui est l’indice du pouls. Le mouvement visible à l’œil n’est pas dû à la dilatation de l’artère , car la dilatation des artères est trop faible pour être aperçue; ce mouvement est dû à un déplacement, en d’autres ter- mes, à une véritable locomotion de l’artère. Au moment de l'introduction de l’ondée sanguine dans les artères, l’élasticité des parois artérielles se manifeste, en effet, nous l’avons vu, non-seulement par une dilatation ex- centrique, mais encore par un allongement dans le sens longitudinal. Cet allongement des artères, qui passe inaperçu dans les artères rectilignes, devient très-facile à constater sur les courbures artérielles ; l’élongation de l'artère change manifestement les rapports qu’elle affectait un instant auparavant avec les parties voisines, puis l’artère reprend ses dimensions premières et revient à la place qu'elle occupait. C’est cette élongation et ce raccoureissement alternatif des courbures artérielles qui donne naiïs- sance au déplacement artériel visible à l'œil, et cela sur tous les points où les artères décrivent des courbures, et où elles ne sont pas profondément placées dans l'épaisseur des parties. (L’artère temporale est de ce nom- bre.) Voici une expérience facile à reproduire, et qui prouve que c’est bien ainsi qu’on doit interpréter le pouls visible à l'œil. Lorsqu'on décou- vre sur un animal vivant l'artère carotide au cou, le phénomène du pouls artériel ne s’y montre pas, tant que l'artère est rectiligne, Si, au contraire, CHAP, II, CIRCULATION, 25 on renverse la tête en avant, de manière à incurver la carotide, immédia- tement l'artère éprouve des mouvements de locomotion visibles, et ces mouvements se produisent à chaque pulsation artérielle. Le pouls, c’est-à-dire la dilatation artérielle, correspond à la systolé ven- triculaire, et est déterminé par elle. Il corrrespond, par conséquent, aussi au premier bruit du cœur. Le sang, chassé dans l’arbre artériel par la contraction du cœur, dilate cet arbre dans toute son étendue, et à peu près dans le même temps. Il est vrai de dire pourtant que la transmission du mouvement n’est pas instantanée ; il Jui faut un certain temps pour s’é- tendre jusqu'aux extrémités de l'arbre artériel. Aussi, le battement des artères éloignées du cœur a lieu un peu après le battement des artères voisines de cet organe. Le pouls de l’artère radiale retarde un peu sur celui de la carotide, celui de la pédieuse retarde un peu sur celui de la radiale, En somme, ces différences sont très-faibles, elles sont comprises dans les limites de 4/12 à 1/7 de seconde. Lorsque les pulsations du cœur sont énergiques, les différences de temps sont moins sensibles que quand elles sont faibles. L’exploration du pouls donne, sur la puissance et la faiblesse des con- tractions du cœur, des notions que l’examen de cet organe ne pourrait fournir avec autant de facilité. IL permet de compter les pulsations du cœur, d’en apprécier la régularité ou l’irrégularité. Comme les artères sont contractiles (Voy. $ 96), il faut ajouter que la force ou la faiblesse du pouls ne sont pas toujours, sans doute, l’indice constant de la force ou de la faiblesse des contractions du cœur. Une artère contractée ne doit pas se laisser distendre par l’ondée sanguine, dans la même mesure qu’une ar- tère qui ohéirait librement à son élasticité. ARTICLE IIT. CIRCULATION CAPILLAIRE, S 99. Des vaisseaux capillaires. — Interposés entre les artères et les vei- nes, les vaisseaux capillaires tiennent à la fois de ces deux ordres de vais- seaux. Les vaisseaux capillaires constituent cependant une division assez tranchée dans le système vasculaire. Les réseaux qui les forment sont constitués par des canaux qui ont sensiblement les mêmes dimensions pour un même organe : c’est-à-dire qu’arrivés à une certaine petitesse ils ne diminuent plus, et présentent des vaisseaux anastomosés, ayant les mêmes dimensions dans une étendue assez grande. La dimension des vaisseaux capillaires les plus fins est mesurée par le diamètre des globules du sang ; il n’y a pas de vaisseaux capillaires dans lesquels ne puissent s'engager les globules du sang. Pour étudier les di- mensions des vaisseaux capillaires, il importe de faire les observations soit sur l'animal vivant, soit sur des pièces injectées, parce que le calibre des 916 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. vaisseaux vides ne représente pas exactement le diamètre des vaisseaux sur le vivant. En vertu de leur élasticité et de leur contractilité, les parois des capillaires reviennent sur elles-mêmes, quand elles ne sont plus dis- tendues par la tension circulatoire. Le diamètre des plus petits vaisseaux capillaires est sensiblement le même que celui des globules du sang : il est cependant quelquefois un peu inférieur. Les globules, étant élastiques, peuvent, en effet, s’allonger un peu pour passer dans les réseaux les plus fins. Les capillaires les plus déliés ont donc 0,006 à 0,005 de diamè- tre. Les plus gros vaisseaux capillaires ont environ 0®®,01 de diamètre. Quand nous disons que les plus gros vaisseaux capillaires ont O®",01 de diamètre, cela ne signifie pas que ces vaisseaux ne présentent pas à côté d'eux des vaisseaux d’un diamètre plus considérable ; cela veut dire qu'il y a des organes dans lesquels le réseau intermédiaire aux artères et aux veines ne descend pas au-dessous de 0"®,01. Tels sont les vaisseaux ca- pillaires des os; tels sont ceux de la plupart des membranes muqueuses. Les vaisseaux capillaires les plus fins se montrent dans le système ner- veux, le poumon, la peau et les muscles. Quoique la section d’un capillaire en particulier soit très-petite, le cali- bre additionné des capillaires l’emporte sur le calibre des artères qui leur donnent naissance, et aussi sur le calibre des veines avec lesquelles ils vont se continuer. C’est donc dans le système capillaire que le courant san- guin offrira sa plus grande lenteur. Pour donner une idée de la richesse du réseau capillaire, il nous suflira de dire qu'il y a des organes dans les- quels les mailles circonscrites par ce réseau ont si peu d’étendue, qu’elles ne dépassent pas en largeur le diamètre même des vaisseaux capillaires. Les vaisseaux capillaires sont élastiques. Ils jouissent, en outre, de la contractilité. L'observation microscopique démontre surabondamment le fait. 1 Il n’est plus nécessaire de réfuter des idées que l'emploi du microscope a depuis longtemps reléguées au nombre des erreurs. Chez tous les animaux pourvus d’un systeme artériel et d’un système veineux, il est bien démontré aujourd’hui que le passage des artères aux veines se fait constamment par un ensemble de canaux à fines dimensions, continus d’un côté avec les artères et de l’autre avec les veines. À l’époque où l’on n’avait pas les divers moyens d’é- tude dont l’anatomiste dispose aujourd’hui, on conçoit qu’on pût soutenir que les phénomènes de la nutrition ne s’accomplissaient qu’au contact immédiat du sang, que ce liquide s’épanchait dans l'épaisseur des parties, qu’il se transformait en organes, et que les veines se chargeaient, en sens oppGsé, du produit liquéfié des tissus. On pouvait encore invoquer, comme argument de l’infiltration générale du sang au sein des parties, qu'une piqüre d’aiguille, quelque fine qu’elle soit et en quelque point de la peau qu’on l’introduise, est toujours accompagnée d’une légère hémorrhagie. Mais ne sait-on pas aujourd’hui que le sang traverse les parois des capillaires ? que la partie dissoute du sang traverse seule ces parois ? que quand, par accident, les vaisseaux rompus ont laissé échapper dans les tissus la totalité des éléments du sang (c’est-à-dire le plasma et les globules), le sang, bien loin de nourrir les parties, n’est plus alors qu'un corps étranger qui doit disparaître par un travail de résorption, en donnant naissance aux phénomènes de l’ecchymose ? Quant à l'aiguille enfoncée dans la peau, ne sait-on pas que, relativement aux dimensions CHAP, IL, CIRCULATION. 217 $S 100. Observation de la circulation capillaire à l’aide du microscope. — Contractilité des vaisseaux capillaires. — Les vaisseaux capillaires ne tombent pas sous la vue ; il faut donc, pour examiner la circulation dans les capillaires, recourir au microscope. On peut observer le cours du sang, dans les réseaux capillaires, sur les parties transparentes des animaux vi- vants. À cet effet, on attache convenablement l’animal, on attire au de- hors, on place et on fixe sur le porte-objet du microscope la partie sur la- quelle doit porter l’observation. Les organes sur lesquels ont été le plus souvent faites les observations sont : le mésentère d’un grand nombre d’a- nimaux (animaux supérieurs aussi bien qu'animaux inférieurs); les pou- mons, la membrane natatoire et la langue de la grenouille, de la sala- mandre, et d’autres batraciens; les parties transparentes des embryons de mammifères, d'oiseaux, de reptiles, etc.; les aïles de la chauve-souris. Mais la grenouille convient surtout, d’abord parce qu’elle est très-com- mune, et ensuite parce que les globules du sang sont très-grost, et qu'il n’est pas besoin d’un fort grossissement pour l’observation. Il est important, lorsqu'on veut faire ces observations, de ne pas em- ployer un trop fort grossissement. Le champ du microscope, en effet, n’em- brasse alors qu’un point très-circonscrit de la circulation, auquel il donne une étendue factice, et la vitesse du cours du sang se trouve exagérée en proportion du grossissement. Avec un objectif dont le grossissement est de trois cents diamètres, par exemple, le cours du sang de la grenouille offre à l’œilun torrent d’une rapidité extrème. Un grossissement de soixante à quatre-vingts diamètres suflit amplement : le cours du sang paraît beau- coup moins rapide, et on peut l’observer avec fruit. On voit alors les globules du sang se mouvoir dans les vaisseaux capil- laires, au milieu d’un liquide transparent. Ces globules roulent les uns sur les autres, et se présentent sous toutes les faces, tantôt en long, tantôt en travers, tantôt de face et tantôt de profil. Lorsque les vaisseaux capillaires sont très-fins, les globules s'engagent à la file, suivant leur long diamè- tre ; ils s’allongent et s’infléchissent dans les coudes des vaisseaux. Dans les vaisseaux très-fins, la circulation est beaucoup plus lente que dans les autres. Les globules, comprimés entre les paroïs, cheminent avec lenteur, et semblent ne se dégager qu'avec peine. Derrière eux, on aperçoit très- souvent des colonnes sanguines arrêtées, lesquelles finissent par être en- traînées, au bout d’un temps plus ou moins long, comme par une sorte de débâcle. Les vaisseaux capillaires très-fins ne contiennent, à certains mo- ments, que la partie liquide et transparente du sang; ils se déroberaient à microscopiques des mailles du réseau sanguin cutané, une aiguille est comme une poutre énorme qui traverserait une fine étoffe de gaze, déchirant sur sa roule des centaines de eapil- laires, etc. ? 1 Les globules du sang de la grenouille sont ovales. Ils ont Oww,02 dans leur plus grand diamètre. 218 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. l'observation, si on ne voyait de loin en loin des globules s'engager dans leur intérieur. Dans les vaisseaux capillaires d’un diamètre moyen, on observe faci- lement que le liquide coule plus rapidement dans le centre même du vais- seau que le long des parois. Il y a le long des parois une couche qui cir- cule moins vite, à laquelle on a donné le nom de couche adhésive. Elle est surtout constituée par la partie liquide et transparente du sang ou plasma. Les globules qui circulent près de cette zone transparente s’y ar- rêtent souvent, oscillent sous l’influence du courant central, et finissent par être détachés et entrainés. On voit souvent encore, dans quelques branches du réseau capillaire, la direction du courant changer. Cela se conçoit aisément; il y a, en effet, des rameaux capillaires dans lesquels la direction du courant est à peu près indifférente : ce sont tous ceux qui sont perpendiculaires aux bran- ches d’entrée et aux branches de sortie. Le réseau capillaire, en effet, res- semble à un système d'irrigation en damier qui aurait pour affluent une artère, et pour décharge une veine. On conçoit que, dans un système de ce genre, les courants affluents peuvent arriver dans les branches transver- sales, dans des directions opposées ; et, aussi, que ces directions peuvent être changées, dans quelques branches, par un arrêt quelconque dans les branches voisines. C’est ce qui arrive souvent dans les vaisseaux capillai- res, soit à cause de la circulation lente des globules engagés dans les vaisseaux qui les contiennent avec peine, soit à cause d’un arrêt de cir- culation dû, en certains points, à la couche liquide adhérente, et, en d’au- tres points, à la contractilité des vaisseaux. Ainsi que nous l’avons déjà fait pressentir ($ 97), le courant sanguin dans les capillaires approche de l’uniformité. Les intermittences du pouls ne s’y font pas sentir d’une manière appréciable. C’est au moins ce qu’on remarque dans les premiers temps de l'observation. Plus tard, le dessé- chement de la partie qui a lieu au contact de l'air, le contact de l’air lui- même, ou bien encore l’affaiblissement de l’animal, troublent plus ou moins le cours du sang. On observe très-souvent alors un mouvement de progression, suivi d’un mouvement de repos, et isochrone avec les pul- sations artérielles. Pour observer les phénomènes de la circulation capillaire dans leur type normal, il faut donc préférer la membrane natatoire de la grenouille, c’est- à-dire la membrane étendue entre les doigts de la patte. Cette membrane est naturellement transparente, et l’on n’a besoin de faire subir à l’animal aucune mutilation. La membrane natatoire de la grenouille étant placée sous le micro- scope, on peut, à l’aide de certains agents, mettre en évidence la contrac- tilité des vaisseaux capillaires. Si l’on met de l’eau froide sur cette mem- brane, on constate que le calibre des vaisseaux capillaires peut diminuer de moitié, ou même des trois quarts, La glace a les mêmes effets, mais CHAP, III. CIRCULATION. 219 le phénomène se complique bientôt de la coagulation et de l'arrêt du sang. La diminution du calibre des vaisseaux capillaires n’a pas lieu d’une ma- nière instantanée. Il faut quelque temps pour que le phénomène se pro- duise. Nous avons encore ici manifestement affaire à des contractions analogues à celles des tissus musculaires de la vie organique. Une fois la contraction opérée, elle dure quelque temps : huit minutes, dix minutes. Elle s’est produite lentement ; elle disparaît lentement aussi. Le’sel de cui- sine produit les mêmes effets que l’eau froide. La contractilité des vais- seaux capillaires peut encore être mise en évidence à l’aide des irritations mécaniques, à l’aide des solutions acides et alcalines très-étendues, etc. L'eau chaude et l'alcool paralysent la contractilité des vaisseaux capil- laires ; ces vaisseaux se laissent alors distendre par le sang, et leur dia- mètre augmente peu à peu. S 101. Cours du sang dans les capillaires. — À chaque instant, en vertu de la force d’impulsion du cœur et de la réaction élastique des parois arté- rielles, les artères apportent le sang à l’entrée du réseau capillaire. Le sang s'engage et circule dans ces vaisseaux, en vertu de la force dont il est animé. Mais, en même temps, il parcourt des tubes à dimensions ca- pillaires, et, de plus, ces tubes sont élastiques et contractiles; examinons donc la part des capillaires dans les phénomènes circulatoires. Dans des recherches expérimentales sur le mouvement des liquides dans des tubes de très-petit diamètre, M. Poiseuille a démontré que : Les quantités d'eau écoulées dans un même temps, sous une même pression, à une même température, à travers des tubes capillaires d'un même diamètre, dimi- nuent proportionnellement à la longueur des tubes. M. Poiseuille a encore posé la loi suivante : les quantités d’eau écoulée dans un même temps, sous une même pression, & une même température, à travers des tubes capillaires d’une même longueur, sont entre elles comme les quatrièmes puissances des diamètres de ces tubes. Les quantités d’eau écoulées diminuent, par conséquent, d’une manière très-rapide avec les diamètres des tubes. Nous tirerons des résultats de M. Poiseuille les deux conclusions sui- 1 Exemples numériques. — Première loi. Soit un tube de 1/10 de millimètre de diamètre ayant À centimètre de longueur ; si ce tube donnait passage, sous une pression équivalente à une colonne de 76 centimètres de mercure et pour une température de 15 degrés centigrades, à 4 grammes d’eau par minute, un tube de même diamètre, à la même pression, à lamême tempé- rature, mais de ? centimètres de longueur, ne donnerait passage qu’à 2 grammes de liquide. Seconde loi. Soit un tube de 1 centimètre de longueur et de 1/10 de millimètre de diamètre ; si ce tube donnait passage, sous une pression de 76 centimètres de mercure et pour une tem- pérature de 15 degrés centigrades, à 4 grammes d’eau par minute, un tube de même lon- gueur, à la même pression, à la même température, mais de 1/20 de millimètre de diamètre, ne donnerait passage qu'à la trente-deuxième partie de 4 grammes, c’est-à-dire à 125 milli- grammes de liquide. 220 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION, vantes : 1° l'étendue du réseau capillaire, ou, si l’on veut, la longueur du chemin capillaire que parcourt le sang pour passer des artères afférentes dans les veines efférentes, a de l'influence sur la rapidité des circulations locales. Il est vrai que ce chemin est diflicile à mesurer, d’une manière même approximative, dans les divers organes; mais il n’en résulte pas moins qu'il y à des organes beaucoup plus rapidement traversés par le sang que d’autres organes, et cela en proportion de la distance que doit parcourir le sang pour passer des artères dans les veines ; 2 le degré de rapidité du sang, suivant les organes, est influencé d’une manière plus marquée encore par les différences de diamètre. Comparons, sous ce rap- port, les capillaires de la muqueuse digestive, qui ont en moyenne un diamètre de 0,01, et les capillaires des poumons qui ont à peu près un diamètre moitié moindre (0,006). Si l'écoulement du sang dans ces deux ordres de capillaires varie comme la quatrième puissance de leur diamètre, il en résulte qu’à égalité de longueur, la quantité de liquide qui coulerait par les capillaires de la muqueuse digestive serait trente-deux fois plus considérable que la quantité qui coulerait, dans le même temps, par les capillaires pulmonaires. Il est vrai qu'il faut tenir compte aussi du nombre des capillaires ; car, si les capillaires pulmonaires sont plus abon- dants que ceux de la membrane muqueuse digestive, l’équilibre tend à se rétablir. Si le nombre des capillaires pulmonaires était plus de trente- deux fois plus considérable que celui des capillaires de la muqueuse di- gestive, l'excès du courant se prononcerait en sens Imverse. Il ne faut donc pas exagérer les applications des recherches méca- niques de M. Poiseuille. Il faudrait, pour qu'elles fussent rigoureusement applicables, que la longueur, le nombre et le diamètre de tous les capillaires des organes fussent déterminés d’une manière absolue, ce qui est à peu près impossible. Mais il n’en est pas moins vrai que sices divers éléments (longueur, nombre , diamètre) ne sont pas les mêmes dans tous les or- ganes, et s'ils ne se compensent pas l’un par l’autre, ce qui est plus que vraisemblable, il en doit résulter des modifications locales de circulation, en rapport sans doute avec la nutrition et les sécrétions. Le faible calibre des vaisseaux capillaires, comparé à celui des veines et des artères, fait qu’une même quantité de sang rencontre dans les ca- pillaires des surfaces d’adhésion bien plus étendues que dans les autres ordres de vaisseaux. Les frottements y sont donc bien plus multipliés. En outre, le calibre additionné des capillaires l'emporte sur celui de l’arbre artériel; il l'emporte aussi sur celui de l’arbre veineux‘. Dans les capil- laires, le sang se meut donc dans un espace plus large; sa vitesse est 1 Le calibre additionné des artères, nous l'avons vu, va toujours en augmentant des troncs vers les branches ; d’un autre côté, le calibre additionné des veines va toujours en diminuant des branches vers les troncs. Le système eapillaire, qui résulte de la division des branches artérielles et des branches veineuses, l'emporte donc en capacité sur les troncs artériels et sur les troncs veineux. CHAP. III. CIRCULATION. 221 moindre que dans les artères et dans les veines. On peut démontrer le fait par l’observation microscopique. On tend, à cet effet, dans le microscope deux fils, dont l’écartement est calculé par avance, et on compte le temps que met le sang à passer d’un fil sous l’autre fil. MM. Weber et M. Valentin ont ainsi trouvé dans la larve de grenouille et dans la membrane natatoire du même animal, que le sang se meut dans les capillaires avec une vitesse bien moindre que dans les grands vaisseaux de cet animal. Sur les mam- mifères, qui ont une circulation plus active, les différences sont moins marquées ; nous verrons encore cependant ($ 107) que le sang emploie un temps plus considérable pour traverser le réseau capillaire que pour parcourir un trajet équivalent dans les gros vaisseaux. La quantité de sang qui passe, en un temps donné, dans un départe- ment quelconque du système capillaire, est subordonnée à une autre condition qui rend l’analyse du phénomène très-complexe : nous voulons parler de la contractilité des vaisseaux capillaires. La contraction du ventricule et l’élasticité de l’arbre artériel chassent, à chaque instant, au travers du système capillaire, et vers le système veineux, une quantité de sang équivalente à celle qui entre dans l’aorte ; en d’autres termes, la quantité de sang qui entre dans le système vei- neux dans un temps donné est équivalente à celle qui est poussée par le cœur dans l'aorte dans le même temps. Mais le sang, pour passer dans les veines, ne suit pas toujours les mêmes voies. Certaines parties du système capillaire se trouvent contractées sur elles-mêmes à certains moments, et certaines autres se trouvent dilatées pour donner passage au sang retardé temporairement dans d’autres parties du système, Le sang suit toujours son cours ; mais tantôt il passe plus abondamment dans certaines voies, tantôt plus abondamment par d’autres. C’est en vertu de la contractilité des vaisseaux capillaires que les joues se colorent subite- ment d’une vive rougeur dans les émotions de la honte ou de la colère, que la muqueuse de l'estomac rougit au moment de la sécrétion du suc gastrique, etc. La contractilité des vaisseaux capillaires, pas plus, d’ailleurs, que celle des artères, ne s’exerce à chaque pulsation du cœur ou à chaque batte- ment du pouls. Le resserrement contractile des vaisseaux capillaires s'opère d’une manière lente, et seulement sur des fractions plus ou moins étendues du réseau vasculaire. Ces dilatations ou ces contractions, qui durent un certain temps, changent le diamètre des vaisseaux parcou- rus par le sang, et modifient ainsi, pendant un temps variable, les cireu- lations locales. Le resserrement contractile des capillaires peut être porté au point de déterminer des arrêts de circulation. C’est ce qui arrive dans les parties congestionnées. Dans l’inflammation, deux ordres de phénomènes sur- viennent : des phénomènes morbides nerveux et des phénomènes mor- bides plastiques. En vertu des premiers, les capillaires se contractent: en 999 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, vertu des seconds, le sang, qui n’a plus ses qualités normales, accole ses globules les uns contre les autres, et obstrue les capillaires resserrés. Le sang arrive toujours, mais ses voies de retour sont fermées. Au resserre- ment contractile des vaisseaux de la partie enflammée suceède un état de dilatation. Cette dilatation est encore augmentée par la poussée de l’on- dée sangume contre les parties obstruées. Surviennent alors l’engorge- ment et la tuméfaction de la partie. Les grumeaux sanguins qui remplis- sent les capillaires deviennent plus tard le point de départ d’altérations diverses auxquelles viennent se joindre les produits d’exsudation qui s’é- chappent au travers des parois des capillaires voisins, restés perméables à la circulation. ARTICLE IV. CIRCULATION VEINEUSE. $ 102. Caractères propres aux veines. — Les parois des veines sont beau- coup moins épaisses que les parois artérielles. Ces parois sont très-dila- tables. Dans les arrêts de circulation qui ont lieu souvent sur le trajet des veines, on voit les parties du système veineux sous-jacentes à l'obstacle au cours du sang acquérir, dans une grande étendue, des dimensions qui n'ont souvent de limites que la résistance des veines à la rupture. Les veines ne maintiennent point par elles-mêmes leur calibre béant lors- qu'elles sont vides de sang, comme les artères : les parois opposées d’une veine divisée s'appliquent bientôt l’une contre l’autre. Les veines sont cependant élastiques, mais à un moindre degré que les artères. Elles reprennent leurs dimensions primitives lorsque la cause de distension cesse. C’est en vertu de cette élasticité que les veines arti- ficiellement distendues par les obstacles momentanés au cours du sang veineux (déterminés soit par compression, soit par le jeu des muscles, soit par l’afflux physiologique du sang dans les tissus érectiles); c’est en vertu de cette propriété, dis-je, que les veines reprennent en peu d’in- stants leurs dimensions premières. L'élasticité des veines est facilement vaincue par des distensions long- temps prolongées; la dilatation devient alors permanente. C’est ce qu’on observe souvent dans les points où agissent principalement les obstacles au cours du sang veineux. Telles sont les varices des extrémités imfé- rieures ; telles sont les dilatations veineuses de l’abdomen, qui persistent après des grossesses nombreuses. La dilatation permanente des veines est assez commune aussi chez les vieillards. La contractilité des veines est également beaucoup moins marquée que celle des artères et des vaisseaux capillaires. Mais on peut la mettre hors de doute à l’aide d’un appareil d’nduction. La contractilité vemeuse, comme la contractilité artérielle, ne se montre point immédiatement au CHAP. II, CIRCULATION. 225 moment de l'application de l’excitant. La contraction ne commence ni ne finit brusquement. Elle se manifeste au bout de quelques secondes, atteint son maximum au bout d’une ou plusieurs minutes, et cesse len- tement. Si l’on compare la capacité du système veineux à celle du système ar- tériel, on constate que la carrière dans laquelle se meut le sang veineux est beaucoup plus large que celle du sang artériel. Presque partout, il y a deux veines satellites pour une artère, et la plupart du temps chaque veine satellite l'emporte par son volume sur l'artère qu’elle accompa- one. La capacité du système veineux peut donc être approximative- ment évaluée au double de la capacité du système artériel. La différence dont nous parlons est au maximum, quand on examine les deux ordres de vaisseaux loin du cœur ; mais à mesure qu’on se rapproche de l'organe central de la circulation, la différence diminue, et au cœur lui-même les embouchures terminales des veines sont sensiblement égales aux bouches des artères. La circulation veineuse, bien moins immédiatement dépendante du cœur que la circulation artérielle, ne présente point de pulsations, le sang s’y meut d’une manière sensiblement uniforme. La circulation vei- neuse est sujette à des irrégularités et même à des arrêts de circulation plus ou moins étendus, soit en vertu des mouvements, soit en vertu de la disposition des parties. Toutes les veines ne sont pas indépendantes à la manière des artères : quelques-unes sont adhérentes par leurs parois aux organes qu’elles tra- versent, telles sont les veines des os, les veines du foie, les veines des sinus, les veines des tissus érectiles, etc. Ces dispositions anatomiques entrainent des modifications spéciales dans le mode de circulation de ces parties. $ 103. De Ia tension du sang dans les veines.— La tension du sang dans l'arbre veineux est beaucoup moindre que dans les artères. Les obstacles que le sang a rencontrés dans les artères (Voy. $ 97), et surtout ceux qu'il rencontre dans le système capillaire, ont absorbé ou détruit une grande partie de la force communiquée à l’ondée sanguine par les con- tractions des ventricules du cœur. Aussi les veines se laissent-elles bien plus facilement déprimer que les artères, et s’affaissent-elles sous de faibles pressions. Lorsqu'on mesure la tension du sang veineux à l’aide de l’hémodynamomètre, on trouve que la pression sanguine ne fait plus équilibre qu’à une colonne mercurielle d’une faible élévation. M. Poï- seuille, MM. Ludwig et Spengler, qui ont appliqué leur instrument dans la veine jugulaire, sont arrivés sensiblement aux mêmes résultats. La tension du sang dans l’arbre veineux, et cela se conçoit facilement, est loin de présenter l’uniformité de la tension artérielle. Le sang, en ef- fet, pour passer des artères dans tel ou tel département du système vei- 924 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. neux, trouve, chemin faisant, des obstacles qui varient suivant les organes traversés, c’est-à-dire suivant la longueur, le diamètre et le nombre des canaux du réseau capillaire (Voy. $ 101). On trouve, à l’aide de l’hémo- dynamomètre, que la tension du sang de la veine jugulaire du chien fait équilibre, en moyenne, à une colonne mercurielle de 1%#tim.,5 à 9 cen- timètres de hauteur ‘. La tension du sang dans le système veineux varie suivant l’état de ré- plétion du système sanguin, suivant le chiffre de la tension artérielle; elle varie encore à divers moments, dans certains points du système, suivant l’état de repos ou de mouvement de la partie et suivant les mouvements de la respiration. La contraction musculaire générale, et aussi les mouve- ments respiratoires, ont en effet sur la circulation veineuse une influence très-remarquable, comme nous l’allons voir. $ 104. Du cours du sang dans les veines. — Le sang circule dans les veines en vertu des contractions du cœur, qui chasse de proche en proche la co- lonne sanguine, au travers des artères et des vaisseaux capillaires. Le sang arrive dans les veines animé d’une certaine vitesse, et le mou- vement dont il est animé en vertu de l’impulsion du cœur et de la réac- tion élastique des artères est devenu sensiblement uniforme. Les pulsa- tions isochrones aux battements du cœur ne s’y rencontrent point, ou, si elles s’y rencontrent, cela tient à des causes anormales. Lorsqu'on ouvre une veine sur le vivant, le sang coule en jet, mais sans énfermittence. La 1 Il résulte des recherches nombreuses entreprises à l’aide de l’hémodynamomètre, par MM. Mogk, Volkmann, Ludwig, Brunner, Weyrich, que la tension moyenne du sang diminue dans les veines à partir des rameaux vers les troncs, c'est-à-dire que la tension est plus forte à mesure qu’on se rapproche des artères. Ces résultats ont été obtenus sur des chevaux, des veaux, des chiens et des chèvres. Ainsi, par exemple, dans une expérience, MM. Mogk et Volkmann ont trouvé à la veine jugulaire d’une chèvre une pression de Acentim.,8 de mercure, et à la veine faciale du même animal 4centim. 1, Dans une autre expérience, le sang de la veine brachiale d’un chien faisait équilibre à une colonne de Acentim.,5 de mercure, et le sang de la veine erurale à une colonne de 2centim.,3, Il y a aussi dans les veines une oscillation de tension correspondante à la diastole du cœur ; mais cette oscillation, à peine appréciable, ne dépasse pas quelques millimètres de mercure (M. Weyrich). Une expérience curieuse de M. Brunner montre l'influence que peut exercer la réaction élastique des artères sur la tension du sang veineux, quand par un artifice expérimental on diminue la tension normale du sang dans l'arbre artériel (et qu'on permet, par conséquent, à l’élasticité des artères de revenir sur leur contenu, au delà des limites ordinaires). Lorsque, sur un chien, M. Brunner suspendait pendant 30 secondes les mouvements du cœur ! Voy. $ 102), la tension du sang s’abaissait considérablement dans la carotide; celle de la veine ju- gulaire devenait au contraire à peu près triple de ce qu'elle était d'abord. Cela se comprend sans peine : la carriere artérielle tendait à se vider dans la carrière veineuse. L'augmentation de tension dans les veines était loin toutefois d’être équivalente à la diminution de tension des artères, ce qui s'explique encore par la différence grande entre l’élasticité veineuse et l'élasticité artérielle, CHAP. III, CIRCULATION. 225 hauteur du jet est d’ailleurs équivalente à la tension veineuse. Cette hau- teur est de 4%rtim. 5 de mercure, ou, ce qui est la même chose, de 20 cen- timètres de sang. Le mouvement de progression du sang dans les veines n’est pas ex- clusivement soumis à l'impulsion du cœur : des causes accessoires de progression viennent s’y joindre. Ces causes exercent leur influence avec une certaine énergie, précisément parce que la tension du sang veineux est peu considérable. La plus générale de ces causes accessoires, c’est la contraction musculaire. Maintenus dans des gaines aponévrotiques inex- tensibles, les groupes de museles qui se contractent exercent sur les parties placées dans leurs interstices une pression proportionnée à leur contraction. Les veines qui circulent profondément dans les membres ou dans les parois des cavités du tronc se trouvent dès lors comprimées avec une certaine énergie dans tous les mouvements musculaires. Le mouvement musculaire, en comprimant les veines, aurait une égale tendance à exercer sa poussée sur le sang veineux, dans la direction cen- trifuge et dans la direction centripète, et ne serait rigoureusement point une cause adjuvante du cours du sang dans le système veineux, sans la présence des valvules; il ne pourrait l'être, tout au moins, que dans certaines attitudes et dans des compressions inégales de l’arbre veineux. Les valvules viennent puissamment en aide au mouyement musculaire et rendent son action eflicace. Les valvules des veines ressemblent à celles des vaisseaux lymphatiques, et le mécanisme de leurs mouvements est le même (Voy. $ 80). Elles {s'appliquent contre les parois du vaisseau, sous la pression de l’ondée sanguine, lorsque celle-ci se dirige de la périphé- rie vers l'organe central de la circulation, c’est-à-dire des réseaux capil- laires vers les troncs veineux. Elles s’abaissent, au contraire, momenta- nément et opposent un obstacle au retour du sang vers les réseaux capillaires, quand un segment de veine placé entre la valvule et le cœur se trouve comprimé. Le segment veineux comprimé tend donc de cette manière à écouler le liquide qu'il contient du côté du cœur. L'influence exercée par la contraction musculaire sur le cours du sang veineux peut être démontrée par expérience. Il suflit pour cela de faire contracter les muscles d’un membre dans la veine principale duquel on a placé un hémodynamomètre, dirigé du côté du système capillaire. Au moment de la contraction, la colonne sanguine s’élève brusquement dans l'instrument. L'action de la contraction musculaire sur le sang veineux nous montre pourquoi les mouvements de la locomotion sont si favorables au cours du sang, principalement dans les membres où ce liquide doit remonter contre la pesanteur ; pourquoi, pendant la saignée, on recommande au malade de contracter les muscles de l’avant-bras, et pourquoi on place à cet effet dans sa main un corps qu'il puisse comprimer. Les veines contribuent encore au cours du sang par leur contractilité 15 @ * ni à 12 996 $ © LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. PA propre; mais cette cause d'accélération ne peut pas être comparée à la précédente : elle agit avec beaucoup moins d'énergie. La contractilité des veines, en diminuant momentanément le calibre des vaisseaux, peut agir sur la circulation veineuse de deux manières. Ou bien la contractilité des parois s’étend sur une grande étendue, et elle accélère ainsi le cours général du sang, en diminuant le diamètre des conduits qu'il doit par- courir en un temps donné ; ou bien la contractilité est circonserite dans des points limités, et alors elle agit comme les causes de compression exté- rieure, à la manière de la contraction musculaire, par exemple, et les val- vules lui viennent en aide. La contractilité veineuse, pas plus que la con- tractilité artérielle, pas plus que la contractilité des capillaires, ne se manifeste à chaque pulsation du cœur. Elle s'établit lentement et dispa- raît de même; elle change localement la capacité des espaces parcourus par le sang, et modifie par places la vitesse du sang. Les organes creux renfermés dans la poitrine sont sollicités, à chaque mouvement d'inspiration, à suivre les parois de la cage thoracique, la- quelle se dilate sous l'influence des muscles (Voy. $ 120). Les poumons suivent ce mouvement d'expansion, et l’air est attiré dans le vide qui tend à s'établir dans leur intérieur. Le cœur, contenu dans la poitrine, ne peut se soustraire à cette influence. À chaque mouvement d'inspiration, il se forme un vide virtuel dans le péricarde, comme dans les plèvres, et les cavités du cœur se trouvent soumises à un mouvement de dilatation, en vertu duquel le sang est attiré de toutes parts vers l’organe central de la circulation. Les valvules aortiques, placées à l’origine des ventricules, s'opposent au mouvement rétrograde de la colonne sanguine artérielle du côté du cœur; rien ne s'oppose à l'aspiration du sang veineux par les oreillettes, Chaque mouvement d'inspiration attire donc le sang veineux, et contribue ainsi à la marche du sang dans les troncs veineux voisins du cœur. Cette influence des mouvements inspiratoires sur la marche du sang veineux a été mise en évidence par les expériences de M. Barry. L’extré- mité d’un tube étant engagée dans la veine cave d’un cheval, tandis que l’autre extrémité plongeait dans un vase contenant de l’eau colorée, il re- marqua que l’eau s'élevait dans le tube à chaque mouvement d’inspira- tion. Lorsqu'on introduit un hémodynamomètre dans la veine jugulaire des chiens, du côté du cœur, on constate aisément les mêmes phénomènes d'aspiration. L’intensité de l’aspiration du sang veineux est très-variable : elle est soumise à l’énergie des mouvements respiratoires. En détermi- nant une violente douleur chez l’animal en expérience, et en exagérant ainsi les mouvements respiratoires, M. Poiseuille a vu l'aspiration du sang augmenter du double pendant l'inspiration. L'aspiration du sang est très-marquée au voisinage du cœur. Elle se traduit, dans l’hémodynamomètre, par un déplacement de 8 à 20 centi- mètres de la colonne liquide. À mesure qu’on s'éloigne du cœur, l'in- è. CHAP, IL. CIRCULATION. es 997 fluence de l'inspiration s'éteint rapidement. Elle est déjà très-faible à 20 centimètres de la poitrine, elle est nulle à la veine iliaque et aux veines des membres. Cela se conçoit facilement. Si les veines étaient des tubes inertes et incompressibles, l'aspiration exercée par les oreillettes au mo- ment de l'inspiration se transmettrait de proche en proche dans toute l’é- tendue du système. Mais les veines sont facilement dépressibles. Au moment de la dilatation du cœur, sous l'influence de l'inspiration, s’il y a diminution de pression dans le cœur, la pression atmosphérique ne cesse pas de s'exercer sur la surface du corps, et par conséquent sur toutes les veines. Les parois veineuses, en ce moment, ne sont plus sou- tenues par le sang, entraîné du côté du cœur par aspiration, et la pression atmosphérique tend à déprimer et à affaisser les parois veineuses, et par conséquent à limiter et à entraver le mouvement du sang. C'est en effet ce qui arrive pour toutes les veines dont le calibre n’est pas maintenu béant par des plans aponévrotiques. Dans le voisinage du cœur, les vemes présentent cette disposition , sur laquelle M. Bérard à appelé l'attention des physiologistes. Elles adhèrent, par leur contour, à des aponévroses tendues sur les parties osseuses voisines, et elles résistent ainsi à la pres- sion atmosphérique. Tel est le cas des veines jugulaires et sous-clavières, affluents de la veine cave supérieure ; tel est le cas de la veine cave infé- rieure, adhérente sur son contour à l’anneau du diaphragme. L’aspira- tion s’exerce donc efficacement sur le contenu des veines dans le voisi- nage du cœur. Si l’aspiration du sang ne s'étend pas très-loin dans l’arbre veineux, elle agit cependant d’une manière indirecte sur le cours général du sang. Quand l'inspiration a cessé, en effet, la colonne sanguine placée dans les branches plus éloignées du système veineux a de la tendance à remplacer celle que vient de faire progresser le mouvement d'inspiration. Les diverses causes de progression du sang veineux, dont nous venons de parler, agissent d’une manière active. Mais le sang veineux trouve en- core, dans la disposition même de ses canaux, une cause d'accélération. Le système veineux, envisagé dans son ensemble, diminue de capacité à mesure qu’il approche du cœur, c’est-à-dire, en d’autres termes, que le calibre additionné des deux veines caves est loin d’être égal à celui de toutes les veines que ces deux troncs terminaux résument. Le système veineux représente, par conséquent, une sorte de cône creux, dont le sommet est au cœur et la base à la périphérie. Or, on sait que tout le li- quide qui coule dans un canal animé par une force quelconque éprouve une accélération, c’est-à-dire une augmentation de vitesse, en passant d’un espace plus large dans un espace plus rétréci. Tandis que l’impulsion communiquée à la colonne sanguine veineuse, par les contractions du cœur et par la réaction élastique des artères, tend à s’éteindre à mesure que le sang, s’éloignant de son point de départ, pro- gresse dans l'arbre veineux de ses branches vers ses troncs, d’un autre 228 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, côté le rétrécissement continu du système veineux, en augmentant la vi- tesse du sang, tend à rétablir l'équilibre. M. Tigri a récemment appelé l'attention sur l'influence adjuvante des battements des artères dans les phénomènes de la circulation veineuse. Il fait remarquer que les artères et les veines principales marchent acco- lées ensemble, et qu’elles sont contenues, en beaucoup de parties, dans une gaine commune très-peu extensible. Or, la distension élastique de l'artère, qui a lieu à chaque systole ventriculaire, imprime en même temps à la veine contenue dans la gaine commune une secousse, et même une pression, qui doit tendre à faire progresser le sang dans le sens déterminé par les valvules. 8 405. Obstacles au cours du sang veineux. — Du pouls veineux. — Les forces qui président au cours du sang dans les veines ont à surmonter, dans les canaux veineux, des obstacles analogues à ceux que nous avons énumérés plus haut, à propos des artères (Voy.S$ 97). De plus, la tension veineuse étant peu considérable, le cours du sang dans les veines peut être ralenti, ou momentanément et localement entravé, par des causes qui n’ont qu’une influence à peu près insensible sur le cours du sang ar- tériel. Telle est surtout la pesanteur. Tels sont les arrêts de circulation déterminés par les contractions musculaires énergiques, Un lien placé autour d’un membre, et médiocrement serré, ne s’oppose point à la cir- culation artérielle ; mais il peut entraver plus ou moins complétement la circulation veineuse, amener ainsi la stase du sang, et déterminer au-des- sous de la ligature une tuméfaction , qui dégénère parfois en gangrène. L'action de la pesanteur varie dans les diverses attitudes du tronc. Dans la station verticale, cette force lutte contre l’ascension du sang veineux dans les membres, tandis qu’elle favorise la circulation des vaisseaux de la tête et du cou. Dans le décubitus horizontal, son action est à peu près nulle sur les divers ordres de vaisseaux. Chacun sait qu'il suffit de lever le bras en l’air pour se débarrasser d’une partie du sang veineux contenu dans les vaisseaux , et pour en faire changer la coloration , et les chirur- giens connaissent toute l'importance de la position des parties dans les maladies chirurgicales. Les valvules placées dans l’intérieur des veines luttent contre l’obstacle permanent opposé par la pesanteur. Les valvules ne peuvent annihiler l'action de la pesanteur sur la circulation vemeuse, mais elles la limitent; car si elles ne peuvent empêcher le sang de distendre les conduits veineux dansles parties déclives, du moins elles empêchent le sang de rétrograder. Les valvules n'existent pas dans toutes les veines du corps; c’est parti- culièrement dans les parties où la circulation veineuse doit surmonter l'ac- tion de la pesanteur qu'on les rencontre. Les veines des membres sont toutes pourvues de valvules, les principales veines du tronc également. CHAP. III, CIRCULATION. 229 Les sinus et les veines cérébrales n’ont point de valvules; et il est remar- quable que la circulation veineuse encéphalique, loin d’être gênée par l’action de la pesanteur, est au contraire favorisée par elle. Lorsque la tête se trouve dans une position déclive par rapport au cœur, la pesanteur fait sentir ses effets avec une grande énergie, et le sang s’accumule prompte- ment dans les veines. La veine porte, la veine azygos, les veines pulmo- naires, n'ont pas de valvules non plus. Il faut remarquer que les veines pulmonaires font partie du petit cercle de la circulation, et que l'influence de la pesanteur se fait peu sentir dans le poumon. Quant à la veine porte, il est certain que le sang, dans ses branches les plus déclives, doit lutter contre la pesanteur. La fréquence des dilatations hémorrhoïdales dans les veines rectales est liée à l'absence des valvules dans la branche inférieure de la veine porte (mésentérique inférieure). Les mouvements musculaires modérés, tels que ceux de la locomotion, favorisent la circulation veineuse par l’action des muscles, et s’opposent à l'influence fâcheuse de la pesanteur. L’immobilité prolongée, la vie sé- dentaire favorisent au contraire la stagnation du sang dans les parties dé- clives du système veineux, et prédisposent aux hémorrhoïdes et aux iufiltrations des membres. La pression, les constrictions de toute espèce peuvent agir en ralentis- sant le cours du sang veineux. Mais, tandis que la pesanteur agit d’une ma- nière permanente, les causes dont nous parlons sont ordinairement acci- dentelles etcirconscrites. Quand, aulieu d’être momentanées, elles agissent pendant un temps plus ou moins long, les tuniques veineuses distendues ne recouvrent plus leur calibre primitif; de là les dilatations veineuses. Dans le chant, dans le jeu des instruments, dans le vomissement, dans la défécation, dans la parturition, en un mot, dans tous les efforts (Voy. Mouvements), les mouvements respiratoires se trouvent suspendus pendant un temps plus ou moins long. L'influence accélératrice qu’exerce l’in- spiration sur le cours du sang veineux n’agit plus. Le sang, poussé par les contractions persistantes du cœur, s’accumule dans le système veineux, et celui-ci devient turgide. La face, le cou, la poitrine s’injectent. On amène exactement les mêmes phénomènes en suspendant pendant quel- que temps sa respiration. Si la rougeur et la tuméfaction sont plus sensi- bles à la face et au cou qu'aux autres parties du corps, cela tient à ce que la réplétion du système veineux s'opère d’autant plus vite que le cercle parcouru par le sang est moindre‘. En retenant pendant longtemps sa respiration, il est aisé de se convaicre que la turgidité du système veineux s’étend bientôt aux membres supérieurs. Le cours du sang dans les veines, rendu uniforme par les divers obstacles qu'il a rencontrés dans les artères et dans le système capillaire, ne se tra- 1 Le chemin parcouru par le sang qui va du cœur à la tête et à la face, et qui revient au cœur par les veines jugulaires, est moins élendu que le chemin parcouru par le sang de la partie inférieure du tronc et des membres. 230 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. duit pas, comme dans les artères, par le phénomène du pouls. Lorsqu'on applique le doigt sur le trajet d’une veine, celle-ci s’affaisse et ne trans- met rien qui ressemble au pouls artériel. Il arrive pourtant que, dans des conditions exceptionnelles, on aperçoit à l’œil et on peut aussi sentir au tou- cher, le long du trajet des veines jugulaires, des battements qui ont réel- lement leur siége dans les veines. C’est à ce phénomène anormal qu’on donne le nom de pouls veineux. Le pouls veineux est l'indice d’une lésion quelconque, soit du côté du cœur droit, soit du côté des poumons. Il peut en effet survenir dans trois circonstances principales. Lorsqu'il est isochrone avec la contraction ventriculaire du cœur, et par conséquent avec le pouls artériel, il peut indiquer qu'il y a un obstacle à l’écoule- ment du sang par l’orifice de l’artère pulmonaire au moment où le ven- tricule droit se contracte. Cet obstacle peut être, d’ailleurs, soit à l’orifice de l'artère. soit dans le poumon lui-même. Il est évident aussi que la co- lonne sanguine refluant en retour, du côté de l'oreillette droite et jusque dans les veines de cette oreillette, il est évident, dis-je, qu’en ce moment les valvules auriculo-ventriculaires remplissent incomplétement leurs fonctions. On conçoit pareillement que le pouls veineux puisse se mon- trer en vertu d’une simple insuflisance des valvules auriculo-ventricu- laires; dans ce cas encore, le pouls veineux serait isochrone avec le pouls artériel. Enfin le pouls veineux peut être en rapport avec le rétrécisse- ment de l’orifice auriculo-ventriculaire droit. Cette lésion, d’ailleurs très- rare, s'accompagne généralement d’une hypertrophie de l'oreillette droite. Le sang n'étant plus chassé qu'incomplétement du côté du ventricule droit par les contractions énergiques de l’oreillette, une portion du sang s’en- gage en retour du côté des veines et y détermine une distension pulsatile. Le pouls veineux, dans ce dernier cas, précède le pouls artériel, car il est isochrone, non plus avec la contraction ventriculaire, mais avec la con- traction de l'oreillette. Le pouls veineux ne s’étend pas loin; il s’éteint bientôt en vertu de la dilatabilité des parois des veines. Aussi on ne le sent guère qu'aux veines jugulaires voisines du cœur. Il se fait très-probablement sentir à l’origine de la veine cave inférieure, de même qu’à l’origine de la veine cave su- périeure (c’est en effet par la veine cave supérieure qu’il se transmet aux jugulaires); mais comme la veine cave inférieure décrit un long trajet dans la profondeur de l’abdomen, le pouls veineux est devenu insensible dans les branches afférentes de la veine cave inférieure, telles que les crurales, par exemple. 8 106. Circulation de la veine porte. — Circulation des tissus érectiles. — Nous avons vu précédemment que la contractilité des vaisseaux capillai- res, en changeant le calibre des conduits, et en le diminuant au point d’op- poser un obstacle plus ou moins prolongé au passage des globules du 19 CHAP, III. CRICULATION. 51 sang, entrainait, dans les circulations locales, des modifications profondes. Nous avons vu que les résistances nombreuses que le sang rencontre dans les capillaires, que la grande capacité du système veineux et la dilatabi- lité de ses parois rendaient la tension du sang dans les veines inférieure à la tension artérielle, et que par suite le sang a besoin, pour se mouvoir régulièrement dans les veines, d’un certain nombre de causes adjuvantes. Ces causes adjuvantes, et en particulier l’action musculaire, l’action aspi- ratoire des mouvements de l'inspiration, manquent dans la veine porte, ainsi que les valvules. Bien plus, le sang contenu dans la veine porte est compris entre deux systèmes capillaires. La veme porte, en effet, fait fonc- tion d’artère par rapport au foie, et le sang doit traverser un nouveau ré- seau capillaire, avant de se rendre dans la veine cave inférieure par les veines sus-hépatiques. Les causes de ralentissement sont donc plus nom- breuses dans le système de la veine porte que dans tout autre point du système circulatoire. Si nous réfléchissons que les vaisseaux capillaires généraux suffisent à atténuer considérablement la tension du sang qui passe des artères dans les veines, il est évident que le réseau capillaire de la veme porte, dans le foie, doit agir dans le même sens sur le sang qui circule dans la veine porte, et d'autant plus efficacement que la tension du sang dans le tronc de la veine porte est déjà elle-même bien moindre que celle des artères. Les causes qui peuvent modifier localement la circulation doivent agir ici avec beaucoup d'efficacité, et le sang placé dans le système de la veine porte peut être soustrait, dans des proportions variables, à l’action im- pulsive du cœur. Il serait diflicile de dire jusqu’à quel point peut être portée la stagnation du sang dans le système porte, mais il est au moins probable que, pen- dant la période de l’absorption digestive, la circulation de la veine porte est ralentie. Les expériences que nous avons entreprises sur la composition du sang de la veine porte, aux diverses époques de la digestion, nous ont conduit à cette conclusion. Les recherches faites par M. Erichsen, à un autre point de vue, nous semblent conduire aussi aux mêmes résultats. M. Erichsen introduit dans le tube digestif des animaux une substance saline, qui passe en nature dans l'urine, lorsqu'elle est parvenue dans le torrent de la circulation; tel est le ferro-cyanure de potassium. Or, le ferro-cyanure de potassium se montre au bout de 46 minutes dans l’urine, lorsqu'on le donne 24 minutes après le repas. Administré 60 minutes après le repas, il ne faut plus que 4% minutes. 120 minutes après le repas, il se montre au bout de 12 minutes. Certains organes, tels que les corps caverneux de la verge, le clitoris, la rate, sont essentiellement constitués par l'assemblage de lames cellu- leuses diversement entre-croisées et circonscrivant un grand nombre de cellules communiquant largement les unesavec les autres. Ces cellules, et c’est là le propre des tissus érectiles, communiquent avec les veines: elles 932 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. sont, en d’autres termes (dans ces organes particuliers), les origines même des radicules veineuses. La communication entre les artères et les veines ne se fait donc pas, dans les tissus érectiles, par un réseau capil- laire analogue à celui des autres parties. Il y a dans ces tissus, entre le système artériel et le système veineux, un réservoir multiloculaire qu’on peut considérer comme des diverticules veineux. Si maintenant, par la pensée, on suppose, en un point des troncs veineux qui rapportent le sang, l’action plus ou moins prolongée d’une force comprimante quelconque, non-seulement le cours du sang sera momentanément retardé dans les cellules dont nous parlons, mais encore ce liquide s’y accumulera. La contractilité des radicules veineuses et la contraction musculaire des mus- cles du périnée et du bassin qui entourent les veines, telle est la force qui accumule et retient temporairement le sang dans les corps caverneux : la contractilité des radicules veineuses, sans doute l’état de plénitude de l'estomac (déterminant une augmentation de pression sur les organes con- tenus dans l'abdomen), et aussi la contractilité de la rate, telles sont les causes qui influent sur la circulation du sang de la veine splénique. Ce qui est bien certain, c’est que le caractère essentiel de la circulation dans les tissus érectiles, c’est l’intermittence. Les augmentations et les diminu- tions de volume de la rate et des corps caverneux sont en rapport avec la quantité de sang contenue dans les mailles de leur tissu, et elles dépen- dent évidemment du départ, tantôt moins considérable, tantôt plus con- sidérable, du sang par le calibre des vaisseaux veineux. ARTICLE V. DE QUELQUES PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX DE LA CIRCULATION. & 107. Vitesse de la circulation. — Nombre des pulsations du cœur. — Lors- que le cœur se contracte, il chasse en même temps le sang dans l'artère pulmonaire et dans l’artère aorte, car la contraction des deux ventricules est simultanée. Il est évident que la quantité de sang envoyée par le cœur droit dans le poumon, et la quantité de sang envoyée par le cœur gauche dans les organes, sont sensiblement égales. La chose est dificile à dé- montrer expérimentalement, mais il est facile de concevoir que si le cœur droit envoyait plus de sang au poumon que le cœur gauche n’en recoit du poumon dans le même temps, le poumon serait bientôt rempli. S'il passe, dans un temps donné, la même quantité de sang dans le cœur droit et dans le cœur gauche, la vitesse du cours du sang dans le grand et le petit cercle de la circulation est la même, c’est-à-dire, en d’autres termes, que le sang franchit, en moyenne, en un même espace de temps, une même distance. Mais comme la carrière de la grande circulation est plus longue que la carrière de la petite, il est évident que, quoique animé d'une même vitesse moyenne, le sang a besoin d’un plus long temps pour CHAP. III. CIRCULATION. 233 parcourir le cercle de la grande circulation que pour parcourir le cercle de la petite. Avec quelle vitesse le sang se meut-il dans les vaisseaux ? Il est évident, d’après tout ce qui précède, que le temps qu’emploie une tranche de li- quide prise en un certain point du système circulatoire, pour franchir un certain nombre de centimètres, n’est pas le même dans tous les points du système. Le liquide sanguin, en effet, ne coule pas d’une manière uniforme dans toutes les divisions du système. Le sang qui se meut dans les artères circule dans des espaces d’une capacité moindre que le sang qui circule dans les veines. De plus, la capacité artérielle va sans cesse en augmentant, à mesure qu’on s'approche des capillaires. Fig. 34. Les capillaires constituent, ainsi que nous - l’avons dit, la partie la plus spacieuse de la carrière sanguine : enfin, la capacité du sy- stème veineux va sans cesse en diminuant, à mesure qu'on s'approche du cœur. En somme, et d’une manière générale, on peut dire que la capacité du système circulatoire va sans cesse en augmentant dans les ar- tères, à partir du cœur vers les organes, et sans cesse en diminuant dans les veines, à partir des organes vers le cœur; donc on peut dire, d’une manière générale aussi, que le sang, animé d’une certaine vitesse à sa sortie du cœur, perd sans cesse de sa vitesse jusqu'aux capillaires, et qu'il gagne sans cesse en vitesse à partir des capillaires jus- qu’au cœur. Lorsqu'on demande quelle est la vitesse du sang dans le système circula- toire, il faut donc distinguer s’il s’agit de la vitesse moyenne du sang dans le système circulatoire envisagé dans son entier, ou s’il s’agit de la vitesse du sang dans un dépar- se) tement quelconque du système. C’est pour n'avoir pas tenu compte de cette distinction, HEMODROMOMÈTRE. que les évaluations les plus diverses etles a, orifice d'entrée. b, branche ascendanie du tube del’hémodr. plus contradictoires ont été souvent propo- &, branche descendante. f d, orifice de sortie. sees. e, robinetpermettantouempéchantl’entrée du sang dans la branche ascendante b. Pour déterminer la vitesse du cours du ;, ,opinet hé au robinet e par uneroueden: an a xpérien . Volk 1 e tée placée derrière la figure. 2 = _ ee M. Volkmann à ima g, À, canules pouvant entrer à frottement sur giné un petit Instrument très-ingénieux, au- les pièces a et d. 1 La mécanique nous apprend encore que les diverses molécules d’une même tranche liquide ne se meuvent pas avec des vitesses égales ; celles qui avoisinent les parois marchent moins vite que celles qui occupent l’axe du vaisseau : cela est surtout applicable à la circulation des capillaires. 954 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. quel il a donné le nom d’hémodromomètre (Voy. fig. 34). Cet instrument consiste en un tube de verre recourbé, fixé sur une boite en cuivre. Quand on veut faire une expérience, on commence par remplir d’eau le tube de verre bc. Les robinets e, f sont tournés de telle facon qu'ils inter- Fig. 35. ceptent toute communication entre le tube de verre be et les orifices a et d (Voy. fig. 35). On fait alors la section du vaisseau sur lequel doit porter l’ex- périence, on lie sur la canule g (Voy. fig. 34) une KV” Ni des sections du vaisseau, et sur la canule 4 l'autre INERLRE section du vaisseau. Après quoi, on entre à frotte- Coupe représentant les robinets ment les canules g et À sur les pièces a et d. Quand e,f fermés. Le cours du liquide P À à : ë à a lieu de a en d. cela est fait, les aides qui comprimaient le vaisseau au-dessus et au-dessous de la section cessent leur compression, et le sang passe au travers de l’appareil. Comme les robinets e, f sont fermés (fig. 35), le sang ne peut pas s’introduire dans le tube be, et il continue son trajet directement de a en d. Alors l’opérateur tourne brusquement le robinet f (qui entraîne avec lui le robinet e), la communication directe de a en dse trouve fermée (Voy. fig. 36), et le sang, pour passer de «a en d, est obligé de parcourir le tube de verre j4 bcde l’hémodromomètre (fig. 34). Le temps qu’em- ploie le sang à parcourir la longueur du tube de ere Le coursdu tique, Verre bc représente le temps qu'il aurait mis à par- alien eur Re courir une étendue correspondante du vaisseau en expérience Î. M. Volkmann et M. Lenz ont principalement étudié la vitesse du cours du sang dans l’artère carotide. Les expériences de M. Volkmann ont été faites sur le chien, la chèvre, le mouton, le cheval, le veau ; celles de M. Lenz ont porté sur le veau. Sur le chien, la vitesse moyenne a été de 29 centimètres par seconde; sur la chèvre, de 29 centimètres ; surle mou- ton, de 28; sur le cheval, de 22 (Volkmann); sur le veau, de 20 centi- mètres (Lenz). On peut donc établir en moyenne que la vitesse du cours OM (e) ss ÈS SSS = 2 SES @| 1 L'expérience dont nous parlons demande certaines précautions. Le temps employé par le sang pour franchir le tube étant tres-court (ce tube ne peut avoir qu’une petite longueur, pour ne pas modifier sensiblement la circulation, — quelques centimètres au plus), il faut re- courir à des mesures chronométriques qui exigent une certaine habitude. En outre, comme c'est la couleur du sang qui sert à évaluer la rapidité de l’ondée sanguine d’un point à un autre, et comme le tube qne cette ondée doit traverser est rempli d’eau, il se fait à la limite de séparation des liquides un mélange qui rend cette limite moins tranchée. Cependant la dif- férence de densité des deux liquides, et surtout la rapidité de l'expérience , atténuent cette dernière difficulté, et il n’en résulte, suivant M. Volkmann, que des erreurs de peu d’impor- tance. Enfin, pour que la vitesse du sang dans l'instrument représente la vitesse du sang dans le vaisseau en expérience, il faut encore que le calibre du tube be soit exactement le même que celui du vaisseau en expérience , ou, s’il n’est pas le même, il faut, tenant compte des différences de diamètre, ramener par le caleul la vitesse observée dans l'appareil à la vitesse qui lui correspondrait dans le vaisseau. CHAP, IT, CIRCULATION, 255 du sang vers l’origine du système artériel est de 1/3 de mètre par se- conde, et qu’elle est à peu près la même dans tous les grands mammifères. M. Volkmann, à l’aide de son instrument, a trouvé, ainsi qu’on devait s’y attendre, que la vitesse du cours du sang diminue dans le système ar- tériel, à mesure qu’on s'éloigne du cœur, c’est-à-dire à mesure que la capacité du système augmente. Ainsi, la vitesse était de 22 centimètres par seconde dans la carotide du cheval, et seulement de 16 centimètres dans l’artère faciale. MM. Bidder et Lenz ont constaté, sur le chien, que la vitesse du cours du sang dans l'artère carotide est double de ce qu’elle est dans l’artère crurale. La vitesse de la circulation du sang dans le système des vaisseaux ca- pillaires ne peut être appréciée à l’aide de l’hémodromomètre. Elle ne peut l’être que très-approximativement à l’aide de l’observation micro- scopique. Mais il faut dire ici que les mutilations nécessaires pour placer le mésentère d’un animal à sang chaud sous le microscope introduisent des causes d’erreur qui ne permettent guère d’arriver, sous ce rapport, à des résultats satisfaisantst. La vitesse du cours du sang dans le système veineux n’a pas été étu- diée avec le même soin que dans le système artériel. M. Volkmann ne donne à cet égard qu’une expérience sur le chien. L’hémodromomètre introduit dans la veine jugulaire a accusé une vitesse de 22 centimètres par seconde. Cette expérience, parfaitement en harmonie d’ailleurs avec les développements précédents, montre que dans le voisinage du cœur la vitesse du säng dans le système veineux tend à devenir la même qu’au moment du départ par le système artériel. Maintenant, sans plus tenir compte de la vitesse différente du sang dans les divers départements de l’appareil vasculaire, cherchons avec quelle vitesse moyenne le sang parcourt toute l’étendue du système circulatoire. M. Hering a tenté à cet égard, sur des chevaux, des expériences nom- breuses, qui laissent peu de chose à désirer sous le rapport de la préci- sion. Son procédé consiste à injecter dans le sang un liquide qui n’aït pont d'action nuisible sur l’animal et qui, circulant avee le sang, puisse être recherché sur un point du système circulatoire. Le liquide employé est le ferro-cyanure de potassium, dont les moindres traces peuvent être révé- lées par un sel de fer. M. Hering ouvre une veine jugulaire, puis il y introduit et y fixe une canule à robinet, surmontée d’un petit entonnoir, dans lequel il verse 1 L'observation, à l’aide du microscope, de la membrane natatoire de la patte de la gre- nouille peut donner une idée de la vitesse de la circulation capillaire des animaux à sang froid ; ici, en effet, on n’est point obligé de mettre la partie transparente au contact de l'air. On peut compter, par exemple, le temps que met un globule placé dans le milieu du courant à parcourir une certaine étendue d’un vaisseau capillaire, et on tient compte du grossissement employé. Celte vitesse est tres-faible : elle n’est guère que de 1/2 millimètre par seconde. Mais il est impossible de faire la moindre application de ces résultats à la circulation des animaux à sang chaud, 236 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, environ 30 grammes de liquide. La solution de ferro-cyanure descend par son propre poids dans la veine, en l’espace de 2 à 5 secondes, après quoi l'opérateur ferme le robinet. Aussitôt que la solution entre dans la veine, un aide, placé du côté opposé de l’animal, reçoit dans des verres, qu’il change de ÿ en 5 secondes, le sang qui coule par la veine jugulaire du côté opposé, préalablement ouverte. Le sang est ainsi reçu dans dix ou douze verres d’épreuve, et l’expérience dure par conséquent de 50 à 60 secondes. Les verres contiennent chacun de 15 à 40 grammes de sang. Ils sont numé- rotés, puis abandonnés à eux-mêmes pendant vingt-quatre heures. Au bout de ce temps, la coagulation du sang est achevée. On prend alors successi- vement dans chaque verre quelques gouttes de sérum, et on les essaye sur une feuille de papier blanc, à l’aide d’un sel de fer qui décèle la présence du ferro-cyanure, là où il existe, par la formation du bleu de Prusse. M. Hering a établi ainsi (en 1828, en 1833 et en 4854) que le sang met de 25 à 30 secondes à parcourir le cercle entier de la circulation, c’est- à-dire à passer d’une veine jugulaire dans le cœur droit, du cœur droit dans les poumons , des poumons dans le cœur gauche , du cœur gauche dans les organes, et des capillaires des organes dans la veine jugulaire (ou dans celle du côté opposé, ce qui est la même chose). On a objecté aux expériences de M. Hering que l’écoulement du sang par un vaisseau ouvert pouvait avoir contribué à accélérer le cours du sang chez les animaux en expérience. Mais, dans des recherches plus récentes, M. Hering a démontré qu’en ouvrant la veine jugulaire du côté opposé à l'injection, vingt-cinq secondes seulement après l'injection, le ferro-cya- nure apparaissait ou dans le premier jet de liquide, ou dans les cinq se- condes suivantes. L'influence qu’exerce sur le cours du sang une ou- verture de vaisseau est donc sensiblement nulle. Les pertes moyennes de sang (huit livres chez le cheval) ne modifient point la vitesse du sang. Les pertes de sang très-abondantes accélèrent cette vitesse. Il faut ajouter que, dans ces cas, le pouls s’élève rapidement. Ainsi M. Hering retire brusquement 16 et 25 lives de sang à des chevaux, aussitôt le pouls s’élève de 40 à 80 pulsations, et le sang parcourt le cer- cle circulatoire en 15 et 20 secondes. A elle seule, l'élévation du pouls ne change pas sensiblement la vitesse moyenne du cours du sang. M. Hering a trouvé, chez un grand nombre de chevaux atteints de maladies aiguës avec fièvre , qu’il fallait toujours de 25 à 30 secondes pour une révolution sanguine complète. Enfin M. Hering a trouvé que la fréquence des mouvements respira- toires ne modifie pas la vitesse générale du sang. Chez des chevaux qui respiraient 60 ou 70 fois par minute, il fallait 1/2 minute au sang pour ac- complir sa révolution, tout comme chez des chevaux qui ne faisaient que 6 ou 7 respirations dans le même temps. L'influence qu’exerce l’inspira- tion sur le cours du sang est donc localisée dans les veines ; elle tend à régulariser le cours du sang veineux, en lui imprimant un supplément CHAP, III. CIRCULATION, 237 d’impulsion à la fin de sa course, mais elle ne modifie pas d’une manière appréciable la vitesse générale du sang dans l’ensemble du système. Ainsi, on peut établir qu'il faut en moyenne 1/2 minute chez le cheval pour que le sang exécute une révolution complète ; et, en outre, les causes qui peuvent modifier le cours du sang dans le système sanguin sont très- peu nombreuses et n’agissent que dans des limites extrêmement restrein- tes. Il est probable que, dans l’espèce humaine, la vitesse de la circula- tion ne doit pas être très-différente. I ne faudrait pas conclure de ce que nous venons de dire qu’une molé- cule de sang engagée dans l'aorte et une molécule de sang engagée au même niveau dans l’artère coronaire du cœur emploieront le même temps pour revenir par les veines à l'oreillette droite. Il est évident que la dernière , ayant à parcourir un cercle de peu d’étendue , reviendra à l'oreillette droite avant celle qui se dirigera à la plante du pied, par exem- ple. Cette inégalité dans le temps que mettront ces deux molécules à re- venir vers le cœur ne prouve en rien, du reste, que la vitesse du cours du sang soit différente dans le premier cercle et dans le second. Il est clair, en effet, que, de deux corps animés d’une égale vitesse, celui qui n’aura à parcourir qu’un espace de 1 mètre mettra quatre fois moins de temps pour arriver au terme de sa course que celui qui aura à parcourir un espace de 4 mètres. Ce que nous disons ici pour les vaisseaux coronaires du cœur et pour les vaisseaux du membre inférieur, on peut l'appliquer à tous les dépar- tements du système circulatoire. Ainsi, par exemple, une molécule de sang traverse plus promptement le cercle de la petite circulation que ce- lui de la grande. Pour déterminer rigoureusement le temps qu'il faudrait à une molécule sanguine pour partir du cœur, traverser un organe déter- miné et revenir à son point de départ, il faudrait connaître la longueur absolue du chemin parcouru, ce qui est tout à fait impossible, attendu les courbures des artères, la richesse ou la pauvreté du réseau capillaire, etc. Tout ce qu’on peut conclure de là, c’est qu’il y a une certaine diversité dans la circulation des divers organes. Le chiffre donné par M. Hering peut être considéré comme représen- tant une moyenne susceptible de varier en plus ou en moins, mais dans des limites peu étendues. Le chiffre de M. Hering représente le temps que met une molécule de sang à décrire le cerele de la circulation pulmonaire (quantité commune à toutes les révolutions complètes du sang), plus un cercle comprenant les vaisseaux de la tête (carotide et jugulaire). Si l’expé- rience était faite sur les veines iliaques, au lieu de l’être sur les jugulaires, le chiffre obtenu comprendrait le temps que met une molécule sanguine à décrire le cercle de la circulation pulmonaire (quantité commune), plus le cercle comprenant les vaisseaux du membre inférieur (aorte, artère crurale, et veines du membre inférieur). Il est probable que, dans ce cas, le temps employé serait un peu plus considérable. De même, il serait sans 958 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. doute plus court si l'on pouvait examiner de la même manière le cours du sang dans les cercles circulatoires placés dans le voisinage du cœur. Le ferro-cyanure de potassium, à dose modérée, n’exerce pas d’action sensible sur l’économie animale : il est très-propre à étudier la vitesse du sang. Les liquides qui agissent chimiquement sur le sang en le coagulant, ou en augmentant sa viscosité (sels de fer, solutions alcooliques concen- trées, ete.), doivent être repoussés pour ce genre d'expériences. D’autres liquides (liquides oléagineux, digitaline, cantharidine, poisons, etc.), en adhérant aux parois des vaisseaux, ou en agissant sur la contractilité des capillaires, ou sur les contractions du cœur, fourniraient également à cet égard des notions inexactes. Si nous estimons d’une manière générale que le temps d’une révolu- tion sanguine est en moyenne de 1/2 minute, il en résulte qu’en vingt- quatre heures le sang exécute 2880 fois sa révolution. Au reste, nous l’avons déjà dit, il s’en faut de beaucoup que la réparti- tion du sang se fasse d’une manière uniforme dans les divers organes. Le nombre et le diamètre des vaisseaux des différents organes seraient con- nus, que cela ne suflirait même pas à calculer cette quantité. Il suffit d’un arrêt apporté à la circulation veineuse, soit par une pression musculaire, soit par l’état de plénitude d’un réservoir , soit par d’autres causes encore, pour amener la rubéfaction, la congestion ou la tuméfaction des organes ; par conséquent, des modifications dans la circulation. Les mouvements de la locomotion et la contractilité des capillaires jouent aussi, sous ce rap- port, un rôle capital. La vitesse du cours du sang , lorsqu'on l’envisage dans des points spéciaux de l’arbre circulatoire, est donc soumise, pour tous ces motifs, à une grande variabilité. — Le nombre des battements du cœur n’est pas le même à tous les âges de la vie. Chez l'adulte, le cœur bat, en moyenne, 70 ou 75 fois par minute. Dans la première enfance, le nombre des battements du cœur (et par conséquent le nombre des pulsations artérielles) est bien plus élevé. Au moment de la naissance et pendant les deux mois suivants, le cœur bat environ 140 fois par minute. Au sixième mois, le nombre des battements est de 198 ; de 120 au douzième ; de 110 environ à la fin de la seconde an- née. Ce nombre s’abaisse ensuite peu à peu jusqu’à l’époque de la puberté, pour rester stationnaire à 70 ou 73. Les battements du cœur diminuent pendant le sommeil de quelques pulsations. Dans la position horizontale, le cœur bat un peu moins vite que dans la position verticale. L'influence de la position sur le nombre des bat- tements du cœur a été démontrée par M. Guy. Il placait les sujets en ex- périence sur un plan qu’on pouvait incliner ou redresser à volonté. Il a observé ainsi que la décroissance dans le nombre des battements du cœur est proportionnelle à l’inclinaison : elle est d'autant plus marquée que l'on se rapproche davantage de l'horizontale. Cette variation dans les bat- tements du cœur est vraisemblablement en relation avec l'influence CHAP. III, CIRCULATION. 239 qu’exerce le sang sur les parties supérieures du système nerveux cen- tral. Le système nerveux a d’ailleurs, indépendamment de la position, une influence capitale sur le nombre des battements du cœur. Les émo- tions vives déterminent des palpitations, ainsi que les exercices violents; la section des deux nerfs pneumo-gastriques au cou détermine aussi une accélération dans le nombre des battements du cœur ($ 112). La digitale exerce, par l'intermédiaire du système nerveux, sur le nombre et l’éner- gie des battements du cœur, une influence bien connue des médecins, etc. S 108. De la quantité du sang en circulation. — Il est impossible, comme on le pense bien, de déterminer cette quantité d’une manière absolue. À sup- poser qu’on püt calculer directement l'aire générale du calibre intérieur des vaisseaux, on ne pourrait, vu l’élasticité artérielle, la dilatabilité des veines et la contractilité des petits vaisseaux, considérer le résultat que comme une approximation plus ou moins exacte. Lorsqu'un homme meurt d’hémorrhagie, ou qu’on fait périr un animal en lui ouvrant une grosse artère, la quantité de sang qui s'écoule est loin de représenter la masse totale du sang. Il est certain que le cadavre en contient encore une assez grande quantité dans ses vaisseaux. On ne peut arriver à une évaluation approximative qu’à l’aide d’un ar- üfice expérimental. On a proposé de remplir les vaisseaux du cadavre par une injection, et d'évaluer la quantité de sang contenue dans les vais- seaux par la quantité d'injection dépensée. Mais il est évident qu’une in- jection solidifiable, même la plus parfaite, ne remplit jamais tout l’arbre circulatoire ; et, si elle est diffusible et pénétrante, elle s’échappe, par transsudation, au travers des parois vasculaires; on risque dès lors d’é- valuer trop bas ou trop haut. Le procédé d'estimation proposé par M. Valentin est fort ingénieux, mais il n’est pas aussi rigoureux qu'il le paraît. - Soit une solution saline quelconque, dont la quantité est inconnue ; 25 grammes de cette solution donnent 15 pour 100 de résidu solide. Ajou- tons 50 grammes d’eau.distillée à la solution saline, prenons de nouveau 25 grammes de cette solution, et supposons que ce nouvel essai ne four- nisse plus que 10 pour 100 de résidu solide. Nous avons dès lors tout ce qu'il faut pour calculer la quantité inconnue de la solution, car il suffit de résoudre une simple équation. On concoit l'application faite par M. Valentin de ce problème arithmé- tique. Il tire une certaine quantité de sang des vaisseaux d’un animal : il fait dessécher ce sang, et calcule combien cette quantité donnée fournit de résidu sec; puis il injecte une quantité connue d’eau distillée dans les vaisseaux, et, au bout de cinq minutes, il fait une nouvelle sai- gnée. Cette saignée fournit aussi une certaine quantité de résidu sec. On a dès lors tous les éléments de la solution, et il est facile de calculer 210 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, la quantité absolue de sang contenue dans les vaisseaux de l'animal, Des expériences de cette nature, entreprises sur des chiens, des mou- tons et des lapins, ont amené M. Valentin à cette conclusion que la masse du sang est la cinquième partie du poids du corps. En appliquant ces ré- sultats à l’espèce humaine, il en résulterait qu’il y a, chez l’homme adulte (pesant en moyenne 65 kilogrammes), près de 14 kilogrammes de sang, et chez la femme (pesant en moyenne 55 kilogrammes), près de 12 ki- logrammes de sang. Les résultats de M. Valentin sont entachés d’une cause d'erreur que nous ne pouvons passer sous silence. Pour qu'ils fussent rigoureux, il fau- drait que les parois des vaisseaux fussent imperméables. Le calcul sup- pose, en effet, qu'il ne s’est fait aucune déperdition du liquide injecté dans les vaisseaux. Dans l’espace des cinq minutes pendant lesquelles l’eau mjectée circule et se mélange avec le sang, une partie de cette eau transsude au travers des parois vasculaires, en traversant le réseau capil- laire. La composition du sang n’est pas exactement modifiée (dans la pro- portion des parties solides et des parties liquides), comme elle le serait si la transsudation n'avait pas lieu. Il résulte de là que, dans la seconde sai- gnée d’épreuve, la proportion des matières solides est sans doute évaluée trop haut, ce qui, dans le calcul, entraîne une exagération correspondante dans l’évaluation finale de la quantité du sang. Les chiffres donnés par M. Valentin doivent être abaissés pour cette raison. M. E. Weber a procédé d’une manière plus directe. Il pèse un homme qu'on va décapiter. Après la décapitation, et quand tout écoulement de sang a cessé par les artères ouvertes, il pèse le tronc et la tête : la diffé- rence donne le poids du sang écoulé. Après quoi, il fait passer un cou- rant d’eau distillée dans les vaisseaux du tronc et de la tête, jusqu’à ce que l’eau sorte incolore. Il dessèche le liquide obtenu, et le résidu sec corres- pond à une quantité de sang qu’on calcule facilement, en établissant une comparaison avec une certaine proportion du sang primitivement recueilli et desséché. La quantité de sang calculée est ajoutée à la première. M. We- ber a trouvé ainsi que la proportion du sang est au poids du corps comme 1:8, c'est-à-dire qu'un homme qui pèse 65 kilogrammes a environ 8 kilogrammes de sang dans ses vaisseaux (une femme pesant 55 kilo- grammes aurait par conséquent environ 7 kilogrammes de sang). Au reste, la quantité absolue du sang peut varier dans des limites as- sez étendues. L'homme qui vient de subir plusieurs hémorrhagies consé- ‘ M. Welker a proposé une méthode d'estimation basée sur la puissance colorante du sang. 11 prend d'abord sur un animal une petite quantité de sang d’épreuve, puis il fait passer dans les vaisseaux de l'animal mis à mort un courant d’eau distillée, jusqu’à ce que cette eau sorte tout à fait incolore, I1 mesure le volume du liquide ainsi obtenu. Après quoi il étend d’eau le premier sang d’épreuve, jusqu’à ce qu’il obtienne exactement la feinte du dernier liquide. II doit dès lors y avoir un rapport exact entre la quantité d’eau ajoutée au sang d’épreuve et la quantité d'eau mélangée au sang retiré des vaisseaux par le lavage. Dès lors le poids du sang d’épreuve permet de calculer le poids de l’autre portion de sang. CHAP. III, CIRCULATION, 41 cutives, la femme qui vient de faire une perte utérine considérable, n'ont pas dans leurs vaisseaux la même quantité de sang que lorsqu'ils sont dans un état de santé parfaite. Il existe des différences analogues entre l’homme bien nourri et l’homme à l’inanition, ou soumis à une ali- mentation insuflisante. L'état pléthorique et l’état anémique se distin- guent aussi (outre les altérations de proportions des principes du sang) par des différences dans la quantité du sang en circulation. 8 109. De l'épaisseur des parois des vaisseaux. — [La tension du sang dans les artères l’emporte sur la tension du sang dans les veines. Les parois artérielles sont plus épaisses que les parois veineuses. L’élasticité des premières l’emporte, il est vrai, de beaucoup sur celle des secondes; mais il y a dans l’économie des membranes minces qui sont très-élasti- ques. L’épaisseur des parois vasculaires est surtout proportionnée à la tension du sang dans les vaisseaux. Cela est d'autant plus probable, que le rapport entre le calibre intérieur et l’épaisseur des parois des vaisseaux artériels de différents diamètres suit assez régulièrement les lois de l’hy- drostatique. L’épaisseur des parois croît, en effet, dans les artères, comme le produit de l’unité de pression par le rayon de section du vais- seau. Ce qui veut dire, en d’autres termes, que pour une même pression l'épaisseur des parois croît simplement comme le rayon de section du ca- nal ; ou encore, que l’épaisseur des parois doit être double, seulement, pour une section quadruple. En se reportant aux chiffres de tension du sang dans l’arbre aortique (Voy.$ 95), on trouve que l'épaisseur des pa- rois artérielles se comporte comme l'indique la théorie. En comparant des artères de différents diamètres, il est aisé de se convaincre, en effet, par un examen même superficiel, que les parois des petites artères sont plus épaisses, eu égard à leur calibre intérieur, que les parois des grandes artères par rapport à leur calibre intérieur. En mesurant rigou- reusement ces épaisseurs chez les divers animaux, on arrive aisément à démontrer que l’épaisseur des parois artérielles croît moins rapidement que leur surface de section, et qu’elle est seulement double à peu près pour une aire de section quadruple. L’artère pulmonaire semble faire exception à cette loi. L’aire de section de l'artère pulmonaire l’emportant sur l’aire de section de l’artère aorte, l’épaisseur des parois de l’artère pulmonaire devrait l'emporter sur celle de l'artère aorte. Cependant c’est le contraire qui a lieu; l’épaisseur des parois de l’aorte l’emporte sur celle de l’artère pulmonaire. Mais c’est qu'ici la tension du sang n’est plus la même : elle est moindre dans l'ar- tère pulmonaire que dans l’aorte (Voy. $ 95). Dans certaines régions , l’épaisseur des parois artérielles ne suit pas rigoureusement la loi que nous avons rappelée. Ainsi, par exemple, les parois de l’artère splénique non-seulement sont plus épaisses, relative- 16 949 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION. ment à son calibre, que les parois de l’aorte ne le sont relativement au calibre de l'aorte ; mais encore les parois de l’artère splénique sont plus épaisses d’une manière absolue que les parois de l'aorte. Cette différence ne tiendrait-elle pas à l’accumulation intermittente du sang dans la rate, et à l'effort soutenu que doit supporter l’artère splénique, alors que la rate, gonflée par le sang; fait obstacle à l’effort de chaque pulsation ven- triculäire et aortique contre la colonne sanguine engagée dans l'artère splénique ? Une observation attentive conduirait vraisemblablement aux mêmes résultats pour toutes les artères qui vont distribuer leur sang dans des tissus érectiles. $ 110. Entrée de l'air dans les veines, — Transfusion du sang. — Il est quelquefois arrivé qu’en pratiquant sur l’homme ou sur les animaux des opérations dans la région cervicale, on a entendu un sifflement suivi bientôt d'accidents graves, et même de la mort des individus. Ce siftle- ment, plus ou moins aigu et plus ou moins intense, est déterminé par l'introduction de l’air dans les veines du cou incisées au moment de l’o- pération et maintenues béantes par les plans aponévrotiques de cette région. Cette introduction de l’air, ou mieux cette aspiration de l'air exté- rieur par les veines ouvertes, est déterminée, au moment de l'inspiration, par le jeu de soufflet de la cavité pectorale (Voy. $ 115 et suivants): L'air aspiré se mélange avec le sang et se dirige avec lui vers la poitrine, e’est- à-dire vers le cœur. On trouve après la mort les cavités du cœur et les gros vaisseaux remplis d’un sang écumeux, c’est-à-dire remplies de fines bulles d'air mélangées dans la masse du sang. Quelle est la cause réelle des accidents redoutables qui surviennent en pareille occurrence? D'abord il est certain, et des expériences directes l’ont démontré, qu'il faut injecter une certaine quantité d’air dans les vaisseaux pour faire périr les animaux. Quelques bulles d’air mélangées au sang ne suflisent pas pour amener les accidents redoutables qu’on a observés. On a souvent, et sur des points divers du trajet circulatoire, in- troduit dans les vaisseaux veineux des animaux 4, 2, 3 décilitres d’air atmosphérique, sans apporter de troubles bien manifestes dans la eireu- lation. Il faut injecter à peu près un litre d’air dans les vaisseaux veineux voisins du cœur pour faire périr un cheval de moyenne taille, et il en faut souvent plusieurs litres pour tuer un cheval vigoureux. On a pensé que l’air introduit dans le cœur détermine la mort, en pa- ralysant directement ses mouvements. Cette explication n’est pas vrai- semblable. Non-seulement le cœur, extrait du corps de l’animal vivant, et placé sur une table, continue à battre pendant un certain temps au contact de l’air atmosphérique qui l'entoure et pénètre par ses ouver- tures naturelles, mais encore lorsque ses contractions ont cessé, on peut les réveiller en insufilant de l’air dans son intérieur. Il est bien plus pro- bable que la mort survient par la difficulté que le sang mélangé d’air CHAP, IT, CIRCULATION. 243 trouve à traverser les vaisseaux capillaires, dont la contractilité est, d’ailleurs, mise en jeu par cet excitant anormal. Un tube capillaire qui, sous une certaine pression, donne facilement passage à un liquide, de- vient incapable, en effet, de lui livrer passage sous la même pression, lorsqu'on fractionne de bulles d’air le liquide engagé dans son intérieur. La mort est très-prompte lorsque l’air est introduit dans les vaisseaux voisins du cœur, probablement parce que l’air mélangé au sang arrive presque immédiatement dans les capillaires du poumon, et détermine ainsi une véritable asphyxie par arrêt de circulation pulmonaire. La transfusion du sang, c’est-à-dire l'injection d’une certaine quantité de sang dans les vaisseaux de l’homme ou dans ceux d’un animal, est une idée qui est née dans la science peu après la découverte de la cireu- lation du sang (dix-septième siècle). Quelques essais heureux faits dans le principe firent concevoir aux premiers expérimentateurs des espéran- ces exagérées , que de nombreux revers ne tardèrent pas à détruire. Il faut dire pourtant que la transfusion du sang ne doit pas être absolu- ment proscrite; bien plus, elle peut fournir au médecin, dans des cas extrêmes, c’est-à-dire quand la mort est imminente par suite d’une hé- morrhagie, une précieuse ressource. Mais pour que la transfusion du sang ne constitue pas par elle-même une opération dangereuse , il faut tenir compte de trois conditions, dont l’observation rigoureuse est de la plus haute importance : 1° le sang qu’on injectera dans les vaisseaux de l’homme doit être du sang humain; 2° l'injection du sang dans les vais- seaux du patient doit être pratiquée aussitôt que le sang a été retiré des vaisseaux de celui qui l’a fourni; 3° le procédé de transfusion doit être tel qu’il n'entre point d'air dans les vaisseaux au moment de l'injection. En ce qui concerne la première condition, l'expérience a appris, en effet, que le sang des animaux à sang froid fait périr les animaux à sang chaud dans les vaisseaux desquels on l’injecte; que le sang des animaux à sang chaud fait périr les animaux à sang froid ; que le sang des mammi- fères fait périr les oiseaux, ete. L'expérience a appris également que si de petites proportions de sang peuvent être transfusées impunément d’un animal mammifère à un mammifère d’une autre espèce, cependant, quand la proportion du sang injecté est considérable, la mort en est la conséquence, soit au bout de quelques heures, soit au bout de quelques jours. Au contraire, la transfusion de petites quantités ou de grandes quantités de sang dans les vaisseaux d’un mammifère de même espèce que celui d’où provient le sang est supportée par l’animal, lorsque le procédé d'injection est convenable. MM. Lower et Blundell ont démontré, par de nombreuses expériences, qu'un animal plongé dans l’état de mort appa- rente, à la suite d’une hémorrhagie abondante, pouvait être ramené à la vie par la transfusion du sang d’un animal de même espèce. Cette diffé- rence dans la nocuité ou l’innocuité de la transfusion tient très-vraisem- blablement à la différence de forme et de volume des globules du sang 944 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. dans les diverses classes et dans les diverses espèces animales. Le dia- mètre des capillaires est subordonné au volume des globules du sang dans les diverses espèces; il y a , entre les dimensions des canaux et celles des éléments figurés du sang qui circulent dans leur intérieur, une harmonie qui ne peut être détruite sans qu'il survienne plus ou moins promptement une asphyxie par cause mécanique , analogue à celle qui survient à la suite de l'introduction de l’air dans les vaisseaux. Il n’est pas nécessaire que la quantité de sang injectée dans les vais- seaux pour rappeler le patient à la vie, à la suite d’une hémorrhagie, re- présente la totalité du sang qu'il a perdu. S'il en était ainsi, on ne pour- rait racheter une existence qu'aux dépens d’une autre, ou bien il faudrait pratiquer une foule de saignées, qui rendraient le procédé inapplicable. Une hémorrhagie n’est mortelle qu’autant que la quantité de sang perdu dépasse une certaine limite ; tant que l’hémorrhagie se maintient en decà de cette limite, la quantité de sang contenu dans les vaisseaux, quoique très-diminuée, suffit à entretenir la vie, et la masse du sang se reconsti- tue peu à peu, quand la source de l’hémorrhagie est tarie. En imjectant donc dans les vaisseaux d’un individu épuisé par une hémorrhagie une certaine proportion de sang, on le place dans les conditions où il se trou- verait s’il n’avait pas perdu la proportion de sang qu’on vient de lui resti- tuer. Le temps et une alimentation convenablement dirigée feront le reste. La seconde condition de succès consiste, avons-nous dit, à pratiquer l'injection du sang le plus tôt possible après qu’il a été extrait des vais- seaux. Du sang pris sur un animal et injecté èmmédiatement dans les vais- seaux d’un animal de même espèce ne détermine pas d’accident. S'il s’est écoulé quelques minutes ou même trente secondes, la mort peut être la conséquence de l'opération. Le sang retiré de ses vaisseaux, en effet, se coagule assez promptement (au bout de cinq à dix minutes en géné- ral), et alors même que le sang ne s’est pas complétement pris en masse, la coagulation commence par un épaississement du sang, qui n’est que le premier degré de la solidification de la fibrine. L'épaississement du sang ou la solidification de la fibrine entraîne, on le conçoit, dans la circula- tion et notamment dans la circulation des capillaires du poumon, des arrêts de circulation bientôt suivis d’asphyxie. C’est dans la difficulté de remplir cette seconde condition de l'opération que gît le principal dan- ser de la transfusion. Le procédé de transfusion, en même temps qu'il doit rendre impossible l'introduction de l’air dans les vaisseaux, doit donc être en même temps rapide, afin que le sang conserve autant que possible les propriétés du sang vivant. Afin de remplir cette double indication, Lower se servait d’un tube recourbé dont l’une des branches était fixée dans le bout car- diaque de l'artère carotide de l'animal qui fournissait le sang, et dont l’autre bout était fixé sur le bout cardiaque de la veine jugulaire de l’ani- mal qui le recevait. Lorsque le sang transfusé était le sang veineux, l’une CHAP. IIf, CIRCULATION. 245 des extrémités du tube était introduite et fixée (sur l'animal qui fournis- sait le sang) dans le bout périphérique d’une grosse veine. Sur l’homme, il n’est guère possible de pratiquer la transfusion par ces procédés. D'une part, on n'’ouvrira pas une artère sur un homme bien portant, et, en second lieu, on ne peut songer à pratiquer sur lui la ligature d’une veine importante, car cette ligature peut n'être pas sans danger. D'ailleurs, en ce qui concerne la provenance du sang, il n’est pas aussi nécessaire qu'il pourrait le sembler que ce soit du sang artériel. La transfusion du sang veineux chez les animaux réussit à peu près aussi bien que celle du sang artériel. Le vaisseau dans lequel on pratique l'injection étant une veine, le sang doit d’abord traverser les poumons et y être hématosé avant d’être envoyé aux organes. La transfusion du sang sur l’homme s’opère à l’aide du sang extrait, suivant la méthode ordinaire, de la veine du bras d’une personne bien portante et de bonne volonté {. Ce sang est recueilli dans une seringue dont la canule pourvue d’un robinet a été préalablement fixée dans le bout central d’une veine du patient. Cette seringue est disposée de facon que le sang puisse se rendre dans son intérieur, le piston étant en place. Il faut avoir soin qu'il ne s’accumule point d’air entre la face intérieure du piston et le niveau supérieur du sang contenu dans la seringue. A cet effet, on peut employer une seringue pourvue latéralement d’un tube débouchant juste au-dessous du piston, et terminé supérieurement par un entonnoir dont le niveau est plus élevé que le piston. Le sang recueilli par l’entonnoir arrive ainsi dans la sermgue, qu'il remplit complétement. Il faut encore avoir soin de chauffer l'appareil avant de le mettre en place, de manière qu'il se trouve à la température du sang (37 degrés centigra- des), ou, ce qui est préférable, employer une seringue à double corps de pompe, et introduire par avance, dans le manchon enveloppant, un bain- marie qui maintienne la température de l’appareil au degré voulu. Il faut encore avoir soin de ne pousser l'injection qu'avec beaucoup de modé- ration, et chercher à se mettre à cet égard dans les conditions normales de la tension veineuse (Voy. $ 103). $ 111. Rapports de la respiration avec la circulation. — Nous avons pré- cédemment montré comment et dans quelle mesure les mouvements mécaniques de la respiration agissaient sur la tension du sang artériel et sur le cours du sang veineux ?. Mais là ne se borne pas l’influence de la respiration sur les phénomènes réguliers de la circulation. 1 Il existe dans la science un certain nombre d'opérations de transfusion suivies de succes. M. Bérard a rassemblé quinze cas de ce genre dans son Cours de physiologie, t. III, p. 219. 2 M. Donders, dans une suite de mémoires tres-intéressants, a démontré que les poumons, par leur élasticité, font obstacle à la pression que l'air extérieur tend à exercer sur le cœur, dans l’intérieur de la poitrine. Des lors la pression de l'air contre la surface extérieure du cœur est toujours plus petite que la pression de l’air dans les poumons. M, Donders a égale- 246 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, Les changements chimiques qui s’accomplissent dans le sang au con- tact de l’air atmosphérique, sur la surface pulmonaire, ont sur les contrac- tions du cœur une influence capitale. Tuez un animal à sang chaud; attendez que les mouvements respira- toires soient complétement suspendus, et que les contractions du cœur ne consistent plus qu'en un frémissement à peine sensible : il suflira de ré- tablir artificiellement la respiration pour réveiller immédiatement les contractions du cœur, et les voir persister pendant quelques heures. Ce phénomène, sur lequel nous reviendrons, tend à prouver que le sang doit être considéré comme le stimulus naturel qui met en jeu la contrac- tilité du cœur. Il prouve de plus que le sang veineux qui aborde au cœur, lorsque la respiration est suspendue, est impropre à exciter les mouve- ments normaux. En établissant une respiration artificielle, on redonne pour un temps au sang veineux les qualités du sang artériel. La circula- tion, qui n’était plus entretenue, au moment où on commence l’expé- rience, que par de faibles contractions du cœur, conduit vers cet organe un sang revivifié par l’air atmosphérique ; bientôt l’activité du cœur se développe sous cette influence, et la circulation pulmonaire se rétablit pour quelque temps, ainsi que la circulation générale. Il est probable dès lors que, le sang étant le stimulus des contractions régulières du cœur, la composition du sang (sujette à des variations) doit avoir de l'influence sur la fréquence et sur les autres qualités du pouls. Il y a, au reste, entre les pulsations du cœur et les mouvements de la respiration, un balancement tel que le pouls et la respiration se maintien- nent presque toujours dans un rapport sensiblement constant, quels que soient leur accélération ou leur ralentissement. Les pulsations du cœur : sont toujours plus fréquentes que les mouvements respiratoires; mais les pulsations du cœur et les mouvements de la respiration augmentent ou baissent ensemble. Ainsi le nouveau-né a en moyenne 140 pulsations du cœur par minute; il fait moyennement 35 mouvements respiratoires. L’adulte, qui respire 15 ou 18 fois par minute, n’a que 70 pulsations dans le même temps. Lorsque l'accélération du pouls survient en dehors des conditions physiologiques, on remarque la même coordimation entre les battements du cœur et les mouvements respiratoires. Il y a donc, en gé- néral, 4 pulsations du cœur pour un mouvement respiratoire complet. & 112. Influence du système nerveux sur la circulation. — Le système ner- ment démontré que la différence entre la pression de l'air contre le cœur et la tension de l’air dans les poumons est d'autant plus grande que les poumons sont plus distendus par l'air. Par conséquent, cette différence est au maximum pendant l'inspiration; par conséquent, au mo- ment de l'inspiration le cœur tend à augmenter de capacité. Nouvelle preuve de l'action ac- célératrice de la respiration sur le mouvement du sang veineux, et aussi de la diminution de tension qui survient au moment de l'inspiration dans les gros troncs artériels voisins du cœur (Voy. $ 120). CHAP. III, CIRCULATION, 247 veux lient sous sa dépendance plus ou moins immédiate tous les tissus contractiles. Il exerce dès lors sur la circulation une influence de premier ordre. Le cœur, organe musculaire par excellence, et le système capil- laire, dans lequel les phénomènes de contractilité sont si évidents et si étendus, sont plus directement sous l'empire de l’influx nerveux que les artères et les veines. Les artères et les veines, dans beaucoup de circon- stances, nous l'avons vu, mettent cependant aussi en évidence leurs pro- priétés contractiles. L'influence qu’exerce sur les mouvements du cœur le système nerveux ne se présente pas dans des conditions aussi simples que celle qu’exerce, par exemple, le nerf d’un membre sur les muscles dans lequels il répand ses filets. Lorque, dans un membre, le nerf qui établit la communication entre un musele et les centres nerveux est divisé, le muscle est paralysé, ilne peut plus se contracter, ni mouvoir le membre. Ce muscle, il est vrai, est encore capable de mouvements fibrillaires peu étendus, lesquels du- reront un certain temps ; mais ces mouvements ne peuvent être mis en évidence que par la stimulation directe du muscle lui-même, ou par celle du bout du nerf qui s’y rend. Le cœur n’est pas un muscle comme un autre, il n’a pas d’intermittences d'action analogues à celles des muscles volontaires; c’est un muscle per- pétuellement en action. Lorsque les nerfs qui établissent la communica- tion entre le cœur et les centres nerveux sont divisés, les contractions du cœur sont profondément modifiées, mais elles ne sont pas immédiatement suspendues. Le cœur continue encore à se mouvoir spontanément. Non-seulementle cœur continue à battre pendant quelque temps,quand, séparé des liens qui le relient au système nerveux, il fait corps encore avec l'appareil circulatoire; mais on peut l’enlever de la poitrine de l’a- nimal , le placer sur une table, et constater qu'il continue à battre pen- dant assez longtemps. Ces mouvements durent une heure ou deux dans le cœur des très-jeunes animaux à sang chaud. Ils durent plus longtemps encore chez les animaux à sang froid. Lorsque ces mouvements spontanés ont cessé, le cœur est alors tout à fait analogue à un fragment de mus- cle séparé du corps de l’animal ; on peut le faire contracter encore, comme un fragment de muscle ordinaire, pendant un temps variable (dépendant surtout de la température ambiante), en stimulant directement la fibre charnue à l’aide des excitants mécaniques, chimiques et surtout galva- niques. Au chapitre des mouvements et de l’innervation, nous examinerons avec quelques détails quelles sont les conditions de la contractilité per- sistante du cœur, ainsi que celle des muscles; ici, mentionnons simplement les faits, et disons que si le cœur, extrait du corps de l’animal, continue encore à se contracter spontanément, ou sous l'influence des excitants, cela tient très-vraisemblablement à ce qu'il emporte avec lui, dans l'épaisseur de son tissu, des éléments nerveux dont l’action ne s’épuise que peu à peu, 248 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, Le cœur recoit des filets nerveux de deux sources : du pneumo-gastri- que et du grand sympathique. Comme le grand sympathique tire son ori- gine multiple dans toute l'étendue de la moelle épinière, il s'ensuit que l’action exercée sur les mouvements du cœur par ces deux nerfs procède de la moelle par le nerf grand sympathique, et du bulbe rachidien par le nerf pneumo-gastrique. De cette manière, l'influence nerveuse qui se fait sentir sur le cœur est puisée dans une grande étendue du système ner- veux, et elle peut persister encore dans des mutilations qui comprennent des segments plus ou moins considérables de la moelle. La plupart des muscles de la vie de relation, tels que les muscles des membres, reçoi- vent, au contraire, leurs nerfs d’un point spécial de la moelle, et l'influence nerveuse se trouve suspendue pour ces muscles, lorsque ce point est lésé. Le cœur, en empruntant son principe d'action à presque tous les points du système nerveux, se trouve bien moins exposé aux causes de paralysie que les muscles de la vie animale. Legallois, se basant sur des expériences devenues célèbres, a cru pou- voir localiser le principe de l’action du cœur dans la moelle épinière. Il avait observé que la destruction d’une partie de la moelle affaiblit la cir- culation, et que l’affaiblissement est d'autant plus prononcé que la des- truction comprend des segments plus considérables de la moelle épinière. Il avait cru remarquer, d'autre part, que la destruction de la totalité de la moelle, y compris le bulbe, est subitement et constamment mortelle. Mais on sait parfaitement aujourd’hui que si les mouvements du cœur sont affaiblis par la destruction de la moelle et du bulbe, ils sont loin d’être suspendus, lorsqu'on a le soin d'entretenir la respiration artificielle de l'animal, en un mot quand on s'oppose à l’asphyxie mécanique qui est la conséquence de la destruction du bulbe (Voy.S 367). Les jeunes animaux peuvent ainsi vivre encore pendant plus de deux heures. D'un autre côté, des expériences nombreuses ont appris que sur les animaux décapités, chez lesquels on entretient une respiration artificielle, le cœur continue de battre encore pendant deux heures au moins quand ils sont très-jeunes. Nous parlons des animaux à sang chaud, et non des animaux à sang froid, lesquels résistent beaucoup plus longtemps encore à la décapitation. Enfin, on peut, à l'exemple de M. Flourens, enlever à de jeunes chiens à la fois l’encéphale, la moelle et la moelle allongée, et voir persister les contractions du cœur pendant une heure et même plus, quand on entretient une respiration artificielle, Aïnsi donc, on ne peut pas dire que le cœur tire immédiatement son principe d'action ou de la moelle allongée, ou de l’encéphale. Mais il serait inexact de conclure de là que le cœur est indépendant du système nerveux, système qui tient partout sous sa dépendance plus ou moins directe tous les organes contractiles. D'ailleurs, si la circulation persiste après les mutilations dont nous parlons, cette persistance n’est que momentanée, et la circu- lation ne tarde pas à s’affaiblir et à se suspendre. CHAP. III, CIRCULATION, 249 Dans les expériences dont nous venons de parler, expériences qui ont consisté à enlever tout le système nerveux central, le grand sympathique n’a pas été atteint, et l’on pourrait être tenté de rattacher à ce système, à l'exemple de Brachet, les contractions persistantes du cœur. Il est bien certain cependant que le grand sympathique ne tient pas seul sous sa dépendance les mouvements du cœur. Les expériences de MM. Budge et Edouard Weber ont prouvé que le pneumo-gastrique agit directement sur cet organe. Si l’on fait passer le courant d’un appareil d’induction par le nerf pneumo-gastrique, les contractions du cœur se sus- pendent. Si l’expérience dure quelque temps, les contractions intermit- tentes du cœur reparaissent. Le passage du même courant dans les ra- meaux principaux du grand sympathique accélère les contractions du cœur. Ces expériences prouvent l'influence du système nerveux sur les contractions du cœur. Mais il serait difhicile, dans l’état actuel de la science, d’en déduire le rôle précis que chacun de ces nerfs joue dans les mouvements rhythmiques de la circulation. Le cœur est insensible à l’action des excitants, à moins que ces exci- tants ne soient très-énergiques ! ; en cela il ne diffère point des muscles de la vie organique, tels que les muscles de l'intestin, de l'utérus, ete. Le cœur ne diffère pas non plus des autres muscles intérieurs sous le rapport de ses connexions nerveuses; mais il en diffère sous le rapport de la struc- ture anatomique de son tissu. Ses fibres charnues appartiennent, comme celles des muscles extérieurs, au système des fibres striées. Un phénomène curieux a été récemment observé par M. Goll. Lorsque les nerfs pneumo-gastriques sont coupés sur l’animal vivant, la tension du sang dans l'arbre circulatoire n’est pas sensiblement modifiée 2, Mais si, au lieu de couper ces nerfs, on les ?rrite, la tension du sang s’abaisse d’une manière remarquable. Cette tension, mesurée à l’hémodynamo- mètre, étant de 130 à 135 millimètres de mercure, elle s’abaisse à 104. Évidemment, l'irritation du nerf pneumo-gastrique agit ici sur les mouve- ments du cœur, de manière à atténuer l’énergie contractile de cet organe. Diverses substances introduites dans le sang produisent des effets ana- logues, en agissant sur le système nerveux central (Voy. $ 95). Le système circulatoire, artères, veines et capillaires, recoit dans l’é- paisseur de ses tuniques des filets nerveux provenant en grande partie du grand sympathique, et aussi des paires nerveuses rachidiennes qui ac- compagnent au tronc et dans les membres les divisions capillaires des vaisseaux. La contractilité des parois vasculaires est sous la dépendance de ces filets divers. Les fibres contractiles des vaisseaux ont, quant à leur 1! On peut presser le cœur de l'animal vivant entre ses mains, sans que l’animal paraisse s’en apercevoir. Les atlouchements qu'on pratique sur le cœur des individus atteints d’ectopie ne sont pas ressentis par les patients. 2? La section des deux nerfs pneumo-gastriques entraîne immédiatement l'accélération des mouvements du cœur. En même lemps que les mouvements s’accélerent, l'intensité des con- tractions diminue. 250 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. structure, une grande analogie avec les fibres musculaires lisses, ou de la vie organique; la nature de la contraction est semblable aussi, dans les vaisseaux, à celle des muscles lisses; elle est successive, lente à s'établir, et lente à s’éteindre. C'est sous l'intervention du système nerveux que la contractilité des vaisseaux (principalement dans les capillaires et les artères et veines de petit calibre) détermine les afflux sanguins locaux, compatibles avec l’é- tat physiologique. Tels sont, par exemple, l’afflux du sang dans la ma- melle, pendant la période de la lactation; l’afflux du sang à la membrane muqueuse de l'estomac, au moment de la digestion ; l’afflux ou la sous- traction du sang dans les diverses parties exposées à des températures extrêmes ; l’afflux du sang au visage, dans les émotions vives, etc. M. Bernard et M. Brown-Séquart ont dernièrement démontré, par ex- périence, l'influence qu’exerce sur les circulations locales le système du grand sympathique en particulier Lorsqu'on pratique la section des fi- lets cervicaux de ce nerf destinés aux artères de la face, les capillaires, privés de leur contractilité, se laissent distendre par le sang; les parties dans lesquelles se répandent ces artères offrent bientôt une congestion sanguine, accompagnée d'’élévation dans leur température. Si l’on vient ensuite à irriter, à l’aide de l’excitation galvanique, le bout du nerf cor- respondant aux vaisseaux, l'injection se dissipe, et tout rentre dans l’or- dre, par le rétablissement momentané de la contractilité vasculaire. La congestion et l'élévation de température reparaissent bientôt, quand l’ex- citation galvanique est supprimée. S 143. De la circulation dans la série animale. — La circulation du sang pré- sente, dans la série animale, des différences en rapport avec la configura- tion variée de l'appareil circulatoire. Dans les animaux, le cours du sang est principalement déterminé, comme chez l’homme, par un organe cen- tral contractile, ou cœur. Cet organe présente d’ailleurs des différences quant au nombre de ses cavités et quant à sa situation par rapport aux divers ordres de vaisseaux. Dans les animaux inférieurs , il n’y a plus de cœur, c’est-à-dire d’organe contractile central. Le sang circule dans des canaux plus ou moins compliqués. Au dernier degré de l’échelle animale, le système circulatoire n’est plus nettement distinct du système des or- ganes de la digestion, dont les ramifications anastomosées tiennent lieu de vaisseaux et portent dans l'épaisseur des tissus les liquides de la digestion. Mammifères et oiseaux. — C'est sur les mammifères que la circulation du sang a été découverte par Harvey (1618-1629). La circulation des mam- mifères et des oiseaux présente avec celle de l’homme une similitude à peu près complète. Il y a chez eux un cœur à deux oreillettes et à deux ven- CHAP. III, CIRCULATION, 251 tricules, et, de plus, le cœur droit et le cœur gauche sont séparés par des cloisons complètes, de manière que le sang noir qui circule dans le cœur droit ne se mélange en aucun point avec le sang rouge mis en circulation par le cœur gauche. Les mammifères et les oiseaux sont, de même que l’homme, des animaux à double circulation. Ce sont aussi des animaux à sang chaud où à température constante. La figure 37 représente, d’une manière aussi simple que possible, la circulation du sang des mammifères (y compris l’homme) et des oiseaux. Le sang du ventricule gauche V est poussé vers Fig. 37. les organes supposés en C; en ce point il devient = sang veineux et arrive dans l'oreillette droite 0". Il passe dans le ventricule droit V'; du ventricule droit dans les poumons supposés en P. Là il de- vient sang artériel, et continue sa course vers l'oreillette gauche 0, qui le transmet dans le ven- tricule gauche V; et ainsi de suite. Dans la période embryonnaire, le cœur des mammifères et celui des oiseaux présente entre ses oreillettes des communications temporaires : il y a aussi, dans le même temps, mélange du sang des deux ventricules , à l’aide de vaisseaux qui disparaissent plus ou moins promptement après la naissance. Cette disposition, qui donne à la circulation des embryons des mammifères et des oiseaux une certame analogie avec la circulation des reptiles, existe aussi chez l’homme pendant la période embryonnaire, et nous aurons oc- casion de l’étudier plus tard (Voy. $ 412). La disposition des vaisseaux artériels et veineux dans les oiseaux et les mammifères ne diffère pas sensiblement de ce qu’elle est chez l’homme. Le développement considérable des muscles qui meuvent le membre su- périeur des oiseaux (transformé en ailes) fait que, chez ces animaux, l’ar- tère qui correspond à la mammaire externe de l’homme l’emporte en vo- lume sur la plupart des autres branches qui procèdent supérieurement de l’aorte. Aussi, chez l'oiseau, l'aorte se divise, presque à son origine, en trois troncs principaux. Les deux troncs situés à droite et à gauche four- nissent les vaisseaux de la tête et ceux de la région pectorale correspon- dante. Le tronc situé au milieu descend dans la poitrine et constitue l’aorte descendante. Chez les oiseaux, les veines qui rapportent à l'oreillette droite le sang de toutes les parties sont aux nombre de trois. L’une correspond à la veine cave inférieure de l’homme (veine cave postérieure des mam- mifères). La veine cave supérieure de l’homme (veine cave antérieure des mammifères) est remplacée, chez les oiseaux, par deux veines qui s’ou- vrent isolément dans l'oreillette droite et qui correspondent aux veines sous-clavières. Le sang des mammifères et des oiseaux est rouge comme celui de 959 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. l'homme. Les globules du sang des oiseaux sont constitués par des dis- ques elliptiques, tandis que ceux du sang de l’homme et des mammifères sont formés par des disques circulairest. Reptiles. — Chez les reptiles, la circulation n’est plus aussi complète que chez les mammifères et les oiseaux; le sang artériel et le sang veineux se mélangent en partie, soit dans le cœur lui-même, soit dans les points voi- sins du cœur. Les reptiles, ainsi que tous les animaux dont il nous reste à parler, sont des animaux à sang froid, ou à température variable. Le cœur desreptiles esten général composé de deux oreillettes et d’un seul ventricule (fig. 38) ; il en résulte que le sang de la petite circulation, qui vient du poumon P, où il a été artérialisé, arrive à l'oreillette o et passe dans le ventricule V, où il se mélange avec le sang de l'oreillette 0’, qui recoit le sang veineux des organes. De cette manière, le sang du ventricule n’est ni du sang artériel ni du sang veineux, mais un sang mélangé. Ce sang mé- langéestenvoyé parles contractions du ventricule, à la fois dans les organes C par le grand cerele cir- culatoire, et à la fois dans le poumon P par le petit cercle de la circulation. Fig. 39. Le sang n’est exclusivement vei- neux que dans la partie veineuse du grand cercle circulatoire compris en- tre les organes C et l'oreillette droite 0' (fig. 38); il n’est exclusivement ar- tériel que dans les veines pulmonaires du petit cercle circulatoire, c’est-à- dire entre les poumons P ei l'oreillette gauche o. Dans l’aorte et ses branches (de V en C), ainsi que dans l’artère pulmonaire et ses branches (de V en P), le sang est mélangé. Les organes ne reçoivent, par conséquent, qu’un sang imparfaitement artérialisé ; et le sang qui arrive aux poumons est déjà à demi hématosé par le mélange qui s’est fait dans le cœur. Dans les reptiles ily a, la plupart du | aan" ne LeMPS, dEUX Grosses AOEIQUES qui se 2. ventricule unique, 6, artère pulmonaire divisée 'éÉUNISSENT, après un certain trajet, en 3, oreillette gauche, en deux branches. 4, aorte droite. 7, veines caves, une seule aorte ascendante (fig. 29). x, Le chameau, le dromadaire et l’alpaca ont les globules du sang elliptiques, comme les oiseaux, CHAP, TI, CIRCULATION. 255 Les crocodiles (qui appartiennent à l’ordre des sauriens) présentent une particularité remarquable. Le cœur offre, comme chez les mamifères et les oiseaux, quatre cavités distinctes : deux oreillettes et deux ventri- cules. Mais, par une disposition spéciale des artères (disposition qui rap- pelle le canal artériel de l'embryon des mammifères et des oiseaux), le sang artériel et le sang veineux se mélangent à quelque distance du cœur. A cet effet, le ventricule, mdépendamment de l’artère pulmonaire, four- nit un vaisseau volumineux qui se recourbe derrière le cœur et vient faire sa jonction avec l'aorte descendante, après que cette artère a fourni les branches de la tête ou carotides. De cette manière, il n’y a que les ar- tères du tronc et de la partie postérieure du corps qui reçoivent un sang mélangé, et la tête reçoit du sang artériel pur. Les reptiles ont le sang rouge, comme les mammifères et les oiseaux. Les globules du sang des reptiles sont elliptiques, comme ceux des oiseaux. Is ont généralement un volume beaucoup plus considérable (les globules du sang de l’homme et des mammifères ont de 5 à 6 millimètres; ceux de la grenouille ont 2 millimètres dans leur plus grand diamètre). Poissons. — Le cœur des poissons, généralement placé sous la gorge, présente une oreillette et un ventricule. Le cœur des poissons correspond au cœur droit des mammifères et des oiseaux; il n’est traversé que par le sang veineux. L’artère dorsale des poissons A (Voy. fig. 40) correspond au cœur gauche des ani- Fig. 40. maux supérieurs. Cette artère contractile envoie le sang artériel dans les organes supposés au point C. Là, le sang de- vient veineux, gagne l’o- reillette o, passe dans le ventricule V ,quile chasse vers les branchies B, où il redevient sang arté- riel. Des branchies il passe dans l'artère dorsale, et ainsi de suite. La circulation des poissons est plus complète que celle des reptiles, en ce qui concerne l’artérialisation du cœur. Tout le sang que l’artère dorsale pousse dans les organes a en effet passé par l'organe respiratoire ; c’est du sang artériel pur. Les veines qui apportent le sang à l'oreillette du cœur se réunissent toutes en un tronc commun, qui porte le nomde sinus veineux (Voy.fig. 41). Le ventricule donne naissance à une seule artère, dite artère branchiale, et qui porte le sang aux branchies, en se ramifiant sur les lames bran- chiales. L’artère branchiale, immédiatement après son origine au ventri- cule du cœur, présente ordinairement un renflement ou bulbe contractile qui vient en aide à l’action du ventricule lui-même. A 254 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION. Le sang des poissons est rouge. Les globules du sang des poissons sont elliptiques et volumineux comme ceux des reptiles. Fig. 41. PERS \ eZ CEE NÉE CIRCULATION D'UN POISSON OSSEUX. a, sinus'veineux inférieur. } : ; - : b, sinus veineux supérieur. { Ces deux sinus communiquent entre eux et reçoivent toutes les veines du corps. d, cœur simple, composé d'une oreillette et d’un ventricule. c, branchies recevant le sang veineux par l’arlère branchiale. d’, aorte recevant le sang rouge qui vient des branchies (par les veines branchiales. Mollusques (limaces, limacçons, huîtres, etc. ).—La circulation des mol- lusques a une certaine analogie avec celle des poissons, avec cette difré- rence que le cœur, au lieu d’être sur le trajet du sang veineux, est placé sur le trajet du sang artériel. Le sang qui a servi à la nutrition des organes (le sang veineux, par conséquent) gagne directement l’appareil respira- toire. Le sang, vivifié par la respiration, se dirige vers le cœur, qui l’en- voie vers les organes. Le cœur est ordinairement composé d’un ventricule et d’une ou de deux oreillettes. Chez quelques mollusques, on rencontre sur les vaisseaux veineux qui vont pénétrer dans les branchies des ren- flements contractiles ou cœurs branchiaux. Le poulpe, qui offre cette dis- position, n’a à son cœur aortique qu’une seule cavité ou ventricule. Le sang des mollusques est incolore ou légèrement bleuâtre. Crustacés (écrevisses, crabes, homards, etc.).— Le cœur des crustacés, comme celui des mollusques, est placé sur le trajet du sang artériel : il correspond au cœur gauche des animaux supérieurs. Ce cœur consiste en une cavité unique ou ventricule. Le sang, envoyé dans les organes par les artères qui font suite au cœur uniloculaire, gagne ensuite un système vas- culaire peu régulier. Les cavités irrégulières dans lesquelles se répand le sang, tapissées par une fine membrane vasculaire, communiquent avec des sinus situés à la base des pattes. De là, le sang gagne les branchies; des branchies il revient au cœur par les vaisseaux branchio-cardiaques. Le sang des crustacés est incolore, bleuâtre ou lilas. Annélides. — Les annélides n’ont pas de cœur, quoiqu'ils aient un ap- pareil circulatoire distinct. Le sang des annélides, qui est généralement rouge ou rosé, est mis en mouvement dans les canaux sanguins par les contractions des parois vasculaires. Il n’est guère possible de distinguer en CHAP. IT, CIRCULATION, 955 eux un sang artériel et un sang veineux, quoique le liquide qui circule dans les canaux vasculaires soit soumis àl’influence vivifiante de l’air atmosphé- rique dans les branchies. Il n’y a pas non plus de régularité bien mar- quée dans le cours du sang, et la direction des courants change souvent d’un moment à l’autre. Insectes. — La circulation des insectes n’est pas encore suffisamment connue. Dans beaucoup de parties du corps, le sang n’est point renfermé dans des vaisseaux arrondis analogues à ceux des animaux supérieurs. Le sang, généralement incolore, n’est pas toujours distinct du fluide nour-- ricier ; il représente le fluide nourricier lui-même, qui, après avoir tra- versé les parois de l'intestin, se répand dans les interstices des organes, interstices tapissés par de fines membranes vasculaires. Il y a cependant, dans la plupart des insectes, un vaisseau central à parois arrondies, situé vers le milieu du corps, au-dessus du tube digestif. Ce vaisseau dorsal exécute des mouvements alternatifs de resserrement et de dilatation, mais il ne paraît point fournir de branches. Le fluide nourricier y péuètre par des ouvertures garnies de valvules qui permettent l’entrée et non la sortie des liquides. La sortie des liquides se fait sans doute au travers des parois du canal, au moment de la contraction. Il y a, du reste, dans d’au- tres parties des insectes, et notamment dans les pattes et les aïles, des courants liquides, quelquefois assez rapides : on ne sait pas s’ils dépen- dent du vaisseau dorsal. Ces courants, au reste, ne présentent pas une direction constante; les liquides n’éprouvent pas en ces points une ré- volution complète, mais plutôt une sorte de flux et de reflux. Zoophytes. — La circulation des zoophytes est plus imparfaite encore. On distingue bien, chez quelques-uns, un système de canaux où circule le fluide nourricier (holothuries, oursins); chez d’autres, on constate en- core que le système des vaisseaux qui distribuent le fluide nourricier est constitué par des appendices dépendant manifestement du tube digestif (méduses); mais il en est d’autres où le liquide nourricier se répand par une sorte d'infiltration successive des parois du tube digestif dans la trame des tissus, sans qu’on puisse distinguer les voies spéciales de distribution. Consultez particulierement, sur la circulation : Harvey, Exercilationes anatomicæ de motu cordis et sanguinis circulo; Roterdami, 1661 ; — Spallanzani, Expériences sur la cir- culation, traduct. de Tourdes; in-8°, 1796; — (Œsterreicher, Versuch einer Darstellung der Lehre vom Kreislaufe (Essai d’un traité sur la circulation) ; in-8°, Nuremberg, 1826 ; — Wed- meyer, Untersuchungen über den Kreislauf des Blutes (Recherches sur la circulation du sang); in-8°, Hannover, 1898, en extrait dans le Journal des progrès des sciences el institulions mé- dicales , t. X, 1828 ; — Poiseuille, Recherches sur la force du cœur aortique; in-8°, 1828; — du même, Recherches expériment. sur les causes du mouvemen tdu sang dans les vaisseaux capillaires ; in-4°, 1839 ; — du même, Recherches expériment. sur le mouvement des liquides dans les tubes de très-petit diamètre , dans les Mémoires des savants étrangers, publiés par l'Académie des sciences, t. IX, 1846 ; — Hering , Schnelligkeil des Blutlaufs (Vitesse du cours du sang), dans Zeilschrift für physiologie de Tiedmann et Treviranus, t. III, Heidelberg, 1828; 2e mémoire sur le même sujet, dans le même recueil, t. V, 1832; 3° mémoire, même sujet, dans Archiv. für physiolog, Heilkunde de Vierordt, Stuttgard, livraison du 15 janvier 1853, 256 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, CHAPITRE IV. RESPIRATION. S 114. Définition. — Division. — La respiration est cette fonction de l’écono- mie qui a pour but la transformation du sang veineux en sang artériel. Cette transformation s’accomplit par l'intermédiaire de lair atmosphéri- que. A cet effet, l'air est introduit dans l’intérieur du poumon, entre en contact médiat avec le sang veineux, lui communique une partie de lui- même, lui enlève quelques principes, et le rend apte à nourrir et à vivi- fier les organes. La respiration est une des fonctions dont la suspension entraine le plus rapidement la mort. Le phénomène de la respiration, envisagé dans sa généralité, consiste done dans l’action exercée par l’air sur le sang. L’air atmosphérique en- tourant le corps de toutes parts, cette action a lieu aussi sur toutes les surfaces de l’économie. Mais le peu de perméabilité de l’épiderme chez l’homme, les poils et les plumes qui recouvrent la peau de la plupart des animaux à double circulation, circonscrivent plus particulièrement l’action de l’air atmosphérique sur la membrane muqueuse pulmonaire. Il n’en est pas de même chez un grand nombre d’animaux invertébrés à peau molle. Il n’y à pas toujours chez eux d’organe respiratoire spécial, et en extrait dans la Gazelle hebdomad. de médec., 7 octobre 1853 ; — Rouanet, Causes des bruits du cœur, these de Paris, 1832, n° 252 ; — du même, Nouvelle Analyse des bruits du cœur ; Paris, 1844 ; — Gerdy, article Circuzariow, dans le Dictionnaire de médecine en 30 vo- lumes, t. VIN, 1854; — Schullz, System der Circulation ; Stuttgard und Tubingen, 1858 ; — Hope, Treatise on diseases of the art (Traité des maladies du cœur); 3e édit., 1839 ; — Spen- gler, Symbolæ ad theoriam de sanguinis arteriosi flumine ; Marburg, 1843 ; — Mogk, De vi fluminis sanguinis in venarum cavarum systemata ; Marburg, 1845; — Volkmann et Hüt- tenhein, Observationes de sanguinis circulatione hemodromometri ope institutæ ; Hale, 1846; — Garros, Considérations sur Le mécanisme de la circulation; thèse de Paris, 4850, n° 45; — À. W. Volkmann, Die Hämodynamik nach Versuchen (Hémodynamique expérimentale) ; in-8°, Leipzig, 1850 ; — J. V. Nega, Beitrage zur Kenntniss der Function Atrio-ventricular- klappen, der Enstehung der Tüne und Geräusche in demselben, etc. (Du Jeu des valvules au- riculo-ventriculaires et des bruits du cœur); in-4°, Breslaw, 1852; — G. Joseph, De causis sonorum cordis ; in-8°, Breslau, 1852; — Bidder et Weirich, De cordis adspiratione Expe- rimenta ; Dorpat, 1853; — Brunner, Ueber die mittlere Spannung in Gefässystem (De la Tension moyenne du sang dans le système circulatoire); Zurich, 1854; — Donders, Mecha- nismus der Respiration und Circulation ; trois mémoires, dans Zeitschrift für rationnelle Me- dicin, de Henle et Ffeufer, t. III et t. IV, nouvelle série, 1853 et 1854; — G. Ludwig, chapitre BLurgeweGuxe (Mouvement du sang), dans Lehrbuch der Physiologie des Menschen, t. II, p.28; Leipzig et Heidelberg, 1855 ; — Vierordt, Die Lehre vom Arterienpuls in gesunden und kranken Zustande (Traité du pouls dans l’état physiologique et dans l’état pathologique) ; in-8°, Brunswick, 1855. CHAP, IV, RESPIRATION. ‘ 257 la respiration s'exerce sur toutes les surfaces en contact avec l'air atmo- sphérique. La localisation de la respiration chez les animaux supérieurs n’est d’ailleurs pas absolue, et nous verrons qu'il y a bien réellement, par la peau de l’homme, une respiration rudimentaire. Chez les reptiles à peau nue, dont la respiration est peu énergique, la localisation de la respi- ration pulmonaire ou branchiale est bien moins tranchée, et l’action de l'air sur le sang, au travers de la peau, suffit, dans quelques cas, pour prolonger pendant longtemps l’existence, lorsque la respiration véritable fait défaut. Chez l’homme et chez les animaux supérieurs, le poumon est constitué par d'innombrables canaux (bronches), qui se divisent et se subdivisent, et se terminent enfin dans des vésicules closes. L'air est, à chaque in- stant attiré dans ces canaux et ces vésicules tapissées d’une membrane muqueuse très-fine, dans l'épaisseur de laquelle rampe un réseau san- guin d’une admirable richesse. Réunissant en une seule, par la pensée, toutes les surfaces fractionnées de ces canaux et de ces vésicules, on peut envisager le poumon comme une vaste surface muqueuse en contact avec l'air atmosphérique, et sous laquelle circulent des vaisseaux. Dans les vésicules pulmonaires, le réseau vasculaire sanguin n’est séparé de la cavité vésiculaire (c’est-à-dire de l’air) que par une simple couche d’épi- thélium pavimenteux 1. C’est donc au travers des parois d’un épithélium qui n’a qu’un centième de millimètre d'épaisseur que se font les échanges entre l’air atmosphérique et le sang. L'acte régulier de la respiration pulmonaire ne peut s’accomplir qu’à la condition que l’air, altéré par son contact avec le sang dans le sein du poumon, soit remplacé par une nouvelle quantité d'air pur. Aussi l'air est-il, tour à tour, attiré dans la poitrine et repoussé au dehors. Un cou- rant d’entrée et un courant de sortie se succèdent sans interruption. Ces mouvements d'entrée et de sortie de l’air sont déterminés par une série d'actes mécaniques, auxquels prennent part des leviers osseux et des muscles. Ces mouvements sont désignés sous le nom d'inspiration et d'expiration. Dans l’ordre logique, l'inspiration précède l’action chimique de l’air sur le sang, et l'expiration succède à cette action. Mais il y a avantage à rapprocher les faits de même ordre. C’est par l’ensemble des phénomènes d'inspiration et d’expiration, dits phénomènes mécaniques de la respiration, que nous commencerons. Les phénomènes chimiques de la respiration , comprenant l'examen des modifications subies par le sang, viendront ensuite. 1 Les bronches d’un certain calibre (toutes celles qui ont plus de 1/2 millimètre de diametre) sont tapissées, comme l’on sait, par un épithélium cylindrique pourvu de cils vibratiles. 17 258 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. SECTION I. Phénomènes mécaniques de la respiration. ARTICLE I. DE L'INSPIRATION. S 115. Agents de l'inspiration. — Un homme adulte, bien portant, fait en moyenne 18 respirations par minute, c’est-à-dire qu'il inspire une cer- taine quantité d’air 18 fois par minute, et qu'il expire cet air le même nombre de fois, pendant le même temps. La durée moyenne d’un mou- vement respiratoire complet, chez l’homme adulte, est donc d’un peu plus de 3 secondes. Il faut remarquer encore que le temps de l'inspiration et le temps de l’expiration ne sont pas égaux. L’expiration est toujours un peu plus longue que l'inspiration !. En s’observant avec attention, on constate que l'expiration peut se décomposer en deux temps. Dans la première moitié de l’expiration, le mouvement de retour est très-marqué. Dans la seconde moitié, l'expiration est à peine sensible, et il semble qu'il y ait un temps de repos. C’est cetemps de quasi-repos qui donne à l’expi- ration une durée un peu plus longue qu’à l’inspiration. Les mouvements en vertu desquels l’air entre et sort du poumon res- semblent tout à fait au jeu du soufflet. La poitrine qui contient le poumon ne peut, pas plus que le souflet, s’agrandir d’elle-même. L'air presse à l’intérieur du poumon par les ouvertures du nez et de la bouche, de même qu'il presse sur toute la surface extérieure du corps. Pour rompre cet équilibre, il faut nécessairement que des forces actives de dilatation interviennent. Les muscles chargés d'agrandir la cavité de la poitrine, et médiatement le sac pulmonaire appliqué contre elles, jouent, dans l’in- spiration, le même rôle que la force musculaire des bras, qui écarte les deux parois opposées d’un soufflet, lorsqu'on veut le remplir d’air. Lors- qu'il est rempli d’air, le poumon, de même que le soufflet, se vide en re- venant sur lui-même, en partie sous l'influence de l’élasticité des maté- riaux qui entrent dans sa composition, et en partie sous l’influence des forces musculaires actives, qui agissent en sens opposé des précédentes. L'inspiration est le premier acte des phénomènes respiratoires : c’est par un mouvement d'inspiration que débute l’enfant qui naït à la lumière et à l’air atmosphérique. L'inspiration a pour résultat l’entrée de l’air dans l’intérieur du poumon : l’entrée de l’air est déterminée par l’agran- dissement de la poitrine. L’agrandissement de la poitrine est amené par le mouvement des pièces osseuses mobiles de la cage thoracique, et ces 1 M. Vierordt et M. Liebmann, en se servant de l'instrument figuré précédemment {Voy. fig. 55, page 208), à l’aide duquel un crayon fixé à la poitrine de l'animal figurait, sous forme d’une courbe ondulée, le mouvement de soulèvement et d'abaissement des côtes, ont établi expérimentalement que la durée de l'inspiration est à la durée de l'expiration : : 400 : 140. … CHAP, IV, RESPIRATION, + 259 pièces osseuses sont mises en mouvement par les muscles. L’inspiration nécessite donc le jeu d’un grand nombre de parties. Comment les pièces osseuses de la cage thoracique amènent-elles r a- grandissement de la poitrine? quels sont les muscles qui les meuvent? comment les poumons, librement suspendus dans la cavité de la poitrine, suivent-ils les parois de cette cavité dans son mouvement d'expansion ? C’est ce que nous allons successivement examiner. 8 16. Agrandissement de la poitrine. — Mouvement des côtes et du ster- num. — Au moment de l'inspiration, la poitrine se trouve augmentée dans tous ses diamètres, c’est-à-dire suivant son diamètre antéro-posté- rieur, suivant son diamètre transversal, et suivant son diamètre vertical. Le squelette de la cage thoracique est formé en arrière par la portion dorsale de la colonne vertébrale, en avant par le sternum, et, sur les cô- tés, par les côtes. De ces diverses’ parties, l’une est immobile relativement aux autres : c’est la colonne vertébrale. Elle ne prend pas une part di- recte à l'agrandissement de la poitrine, mais elle sert de point d’appui aux leviers osseux. Les côtes et le sternum (qui fait corps avec les extré- mités antérieures des côtes) sont mobiles. C’est par le jeu de ces pièces qu'est déterminé l'agrandissement antéro-postérieur et l'agrandissement transversal de la poitrine. Au moment de l'inspiration, les côtes, qui étaient obliquement dirigées d’arrière en avant et de haut en bas, éprouvent un mouvement d’éléva- tion. Le centre du mouvement étant à larticulation costo-vertébrale, le mouvement d’élévation, très-peu étendu en arrière, devient d’autant plus grand qu'on s'approche plus près de leurs extrémités antérieures, c’est-à-dire à mesure qu'on examine des points Fig. 42. de plus en plus rapprochés de l'extrémité du M levier représenté par elles. Soit MN la colonne vertébrale (Voy. fig. 42), et Vz le sternum; soient a, b, c les côtes à l’état d’abaissement, et a’, Ÿ', cles côtes soulevées. Il est aisé de se convain- cre que le mouvement d’élévation des côtes en- traîne une augmentation dans le diamètre an- téro-postérieur de la poitrine ; c’est-à-dire que la distance qui sépare la colonne vertébrale du sternum (ou la distance qui sépare la ligne MN de la ligne Vz) est augmentée quand les côtes sont soulevées. On peut se convaincre aussi, par un simple examen de la figure, que, pendant le mouve- ment d’élévation des côtes, les espaces inter- costaux augmentent, c’est-à-dire qu’une perpendiculaire tirée entre Y 260 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION . deux côtes a plus d’étendue quand les côtes sont élevées que quand elles sont abaissées ?, Nous reviendrons plus loin sur ce point. Les côtes n’éprouvent pas seulement un mouvement d’élévation au moment de l'inspiration, elles décrivent encore une sorte de mouvement de rotation autour d’une corde fictive, qui réunirait l'extrémité vertébrale et l'extrémité sternale de la côte. Ce mouvement, peu prononcé dans les inspirations ordinaires, prend un grand développement dans les inspira- tions exagérées. C’est en vertu du mouvement de rotation dont nous par- lons que la face externe de la côte, dirigée obliquement en dehors et en bas, dans l’état de repos de la poitrine, se redresse de manière à se pré- senter directement en dehors. Par ce mouvement se trouve agrandi le diamètre transversal de la cage thoracique. Le sternum, auquel viennent en avant se fixer les côtes, associe entre eux ces leviers mobiles, et donne à leurs mouvements un caractère d’en- semble. On conçoit que le sternum (Voy. Vz et V'z', fig. 42) est élevé en même temps que les côtes, et que, de plus, il est projeté en avant, puis- que les côtes, en s’élevant, agrandissent le diamètre antéro-postérieur de la poitrine. Ajoutons que ce mouvement de projection n’est pas le même pour tout le sternum. La partie inférieure de cet os est projetée plus en avant que la partie supérieure; en d’autres termes, à chaque inspiration le sternum s'éloigne plus de la colonne vertébrale en bas qu’en haut. Si les côtes avaient toutes la même longueur, comme sur la figure 42, il est évident que le mouvement de projection du sternum se ferait d’en- semble et d’une manière uniforme. Mais les côtes qui se fixent à l’extré- mité inférieure du sternum, ayant plus de longueur que les côtes supé- rieures, décrivent, au moment de leur élévation (pour une même quantité de mouvement dans les articulations costo-vertébrales), un are de cercle plus étendu que les côtes supérieures, et tendent, par conséquent, à aug- menter davantage le diamètre antéro-postérieur dans la région de la poitrine à laquelle elles correspondent. La figure 43 peut donner une idée de la projection en avant du ster- num au moment de l'inspiration, c’est-à-dire au moment du soulèvement des côtes. Elle montre que l’agrandissement du diamètre antéro-posté- rieur de la poitrine est d'autant plus étendu que les côtes (c’est-à-dire les leviers mobiles) sont plus longues. Supposons que les parties blanches de la figure représentent les côtes et le sternum à l’état de repos; supposons que la ligne AB représente un plan horizontal mené par l'extrémité sternale de la huitième côte; sup- posons que la ligne CD représente un plan horizontal tangent à l’extré- mité supérieure du sternum. La ligne GH, qui coupe la ligne AB à l’ex- trémité sternale de la huitième côte, et qui coupe aussi la ligne CD au ! Menez, en effet, sur la figure 42 une perpendiculaire entre les deux parallèles a, b, et une perpendiculaire entre les deux parallèles a’, b'; la dernière perpendiculaire aura plus de longueur que la première. CHAP. IV. RESPIRATION, 261 sommet dusternum, indique par Fig. 43. conséquent la direction linéaire du sternum. Quand les côtes sont soulevées (comme les re- présentent les parties noires de la figure), c’est-à-dire quand la ligne AB est devenue ab, et quand la ligne CD est devenue cd, la ligne GH est devenue 9h: en d’autres termes, enfin, la projection du sternum en avant est beaucoup plus marquée à sa partie inférieure qu’à sa partie supérieure. L’agrandissement du diamètre antéro-postérieur de la poitrine présente donc son maximum au niveau de l’extré- mité inférieure du sternum. La distance qui sépare (sur la fi- eure 43) la ligne MN de la ligne mn mesure ce maximum. Les divers mouvements du sternum ne sont cependant pas rigoureu- sement en rapport avec l’étendue du mouvement d’élévation des côtes, parce que les cartilages qui réunissent en avant les côtes avec le sternum sont loin d’être inflexibles. Ces cartilages étant élastiques, le mouvement d’élévation des côtes peut être porté un peu plus loin que le mouvement d’élévation du sternum lui-même. C’est ce qu'il est facile de constater dans les efforts violents d'inspiration. Alors que le sternum, élevé de 3 centimètres environ, ne peut plus l’être davantage, l'extrémité chon- drale de la côte peut être encore un peu soulevée, grâce à l’élasticité du cartilage qui la relie au sternum. Dans les mouvements plus modérés de la respiration, l’élasticité des cartilages des côtes, quoique moins apparente, entre cependant en jeu. Les mouvements d’élévation des côtes et du sternum seraient très-limi- tés, si le sternum était fixé d’une manière immobile à l’extrémité des côtes. Les cartilages costaux suppléent au peu de mobilité de l’articula- tion chondro-sternale. La valeur de l’augmentation du diamètre antéro-postérieur et du dia- mètre transversal de la cage thoracique au moment de l'inspiration peut varier beaucoup. La plupart du temps cette augmentation de diamètre est très-limitée, parce que l’agrandissement de la cavité pectorale se fait principalement par l’accroissement du diamètre vertical, c’est-à-dire par le jeu du diaphragme (Voy.$ 117). Dans les inspirations forcées, l’aug- mentation du diamètre antéro-postérieur, prise au niveau de l’extrémité inférieure du sternum, est d'environ 3 centimètres sur un homme adulte 262 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. de taille moyenne et bien conformé. L'augmentation du diamètre trans- versal peut être portée, dans les mêmes conditions, un peu plus loin : cette augmentation peut être de 4 centimètres quand on prend cette me- sure au niveau de la septième et de la huitième côte 4. L’agrandissement du diamètre transversal étant dû au mouvement d’élévation du corps de la côte par rotation autour de la corde fictive qui passerait par ses deux extrémités, le soulèvement des côtes inférieures est plus efficace que ce- lui des côtes supérieures pour augmenter le diamètre transversal de la cage thoracique, parce qu’à l’état de repos les côtes inférieures sont plus inclinées par en bas sur la corde fictive qui les sous-tend. C'est encore dans les cartilages des côtes que se passe en grande par- tie, en avant, le mouvement de torsion en vertu duquel la côte, dont la face externe est inclinée vers le bas pendant l'expiration, se redresse au moment de l'inspiration, sur la corde fictive dont nous parlons. Les diamètres antéro-postérieur et transversal de la poitrine sont donc agrandis par les mouvements de la ceinture costo-sternale, déterminés par le jeu de ses muscles élévateurs. Quant au diamètre vertical, celui-ci est directement agrandi par l’action du muscle qui ferme par en bas la poitrine, c’est-à-dire par le diaphragme. 8 447. Rôle du diaphragme dans l'inspiration. — Le diaphragme est un muscle hémisphérique, convexe du côté de la poitrine et concave du côté de l'abdomen, dans son état de repos. Le diaphragme s’insère par sa cir- conférence à tout le pourtour de la base de la poitrine : en arrière, sur le corps des trois premières vertèbres des lombes, par deux faisceaux char- nus, très-forts, désignés sous le nom de piliers, et à une arcade fibreuse étendue transversalement de l’apophyse transverse de la première ver- tèbre lombaire, au sommet de la dernière côte; sur les côtés, à la face postérieure des cartilages des six dernières côtes ; en avant, aux régions latérales de la face postérieure du sternum. Lorsque le diaphragme se contracte, sa convexité diminue, et il tend de plus en plus à former un plan horizontal. La cavité de la poitrine se trouve augmentée de cette manière, suivant son diamètre vertical. Au moment où le diaphragme se contracte, en tendant à transformer sa con- vexité en un plan horizontal, les côtes sur lesquelles il prend en avant ses Insertions sont activement soulevées par leurs élévateurs. Tandis que le diaphragme, en s’aplatissant, tend à augmenter le diamètre vertical de la poitrine, le soulèvement des côtes inférieures semblerait devoir di- minuer ce diamètre. Mais le soulèvement des côtes a lieu dans toute la cage thoracique prise en masse, et même, en n’envisageant ce soulèvement que dans les côtes sur lesquelles le diaphragme s’insère, on peut consta- ‘ Les mesures dont nous parlons peuvent être prises sur l’homme à l’aide de compas d’é- paisseur appliqués sur la poitrine découverte de ses vêtements. CHAP, IV, RESPIRATION., 263 ter sur l’animal vivant que l’excursion par en haut des côtes inférieures est beaucoup moindre que l’aplatissement du diaphragme par en bas, Soit A , en effet (Voy. fig. 44), un plan oblique passant par l’extrémité inférieure du ster- num et par la première vertèbre lombaire, pendant l’état de repos de la cage thoraci- que : soit D la position correspondante du diaphragme. Quand, au moment de l’inspi- ration , le plan A sera devenu 4, au même moment D sera devenu d. En même temps que le diaphragme s’a- platit activement, il repousse en bas et en avant, vers la région ombilicale, suivant la direction de son axe, les viscères abdomi- naux ; les viscères abdominaux, à leur tour, poussent en avant la paroi abdominale, qui jouit d’une certaine élasticité. Aussi, au moment de l'inspiration , le foie et l'estomac, abaissés, se dégagent de dessous les côtes, et il y a un léger soulèvement du ventre. Pour que le diaphragme puisse exercer son action inspiratrice, il est nécessaire que les divers points mobiles (côtes, sternum) sur lesquels vient s’insérer sa circonférence soient fixés ; il ne peut, en effet, dimi- nuer ou effacer sa convexité qu’à cette condition. Lorsque toutes les par- ties sur lesquelles le muscle s’insère sont fixées et que le muscle entre en contraction, le résultat de toute ‘contraction musculaire étant le rac- courcissement des fibres charnues, et, d’un autre côté, le plus court chemin d’un point à un autre étant la ligne droite, la courbe que ces fi- bres décrivent tend nécessairement à se transformer en droite. Si les côtes n'étaient pas fixées, en ce moment, par la contraction de leurs élevateurs, on conçoit facilement qu’elles seraient tirées en arrière et abaissées, le diaphragme prenant son point fixe sur la colonne verté- brale, à l’aide de ses piliers. Dans ce cas, non-seulement le diaphragme n’effacerait pas sa convexité, mais encore le diamètre antéro-posté- rieur de la poitrine se trouverait diminué, et il n’y aurait pas inspiration. Au moment de sa contraction, le diaphragme tend à effacer sa con- vexité, et c’est ainsi qu'il augmente le diamètre vertical de la poitrine. On a même cru autrefois qu'il pouvait devenir convexe, en ce moment, en sens opposé, c’est-à-dire du côté de l'abdomen. Cette supposition ir- rationnelle est tout à fait contraire à l’observation, et il est assez singu- lier qu’elle ait été un seul instant acceptée, quand il suflisait d'ouvrir l’abdomen d’un animal vivant pour décider la question. Or, que l’abdo- men d’un animal vivant soit largement ouvert, ou que l’expérimentateur pratique une simple ouverture par laquelle il introduit son doigt, il peut s'assurer que non-seulement le diaphragme ne devient jamais convexe du côté de l'abdomen, mais il peut même constater que, dans les efforts 964 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. les plus violents de l'animal, la voussure du diaphragme n’est jamais complétement effacée. On a attribué au diaphragme la propriété de soulever les côtes infé- rieures au moment de l'inspiration. Cette action est tout à fait invrai- semblable. Si le diaphragme soulevait les côtes, il aurait par là même le pouvoir d'augmenter les diamètres de la base de la poitrine (Voy. $ 116); or, la contraction en vertu de laquelle il efface sa convexité lutte, au contraire, contre l’augmentation en ce sens, laquelle est déterminée et maintenue par d’autres muscles. La contraction du diaphragme ne peut pas amener des effets opposés. MM. Beau et Maissiat ont cru le fait dé- montré, parce qu’en coupant les muscles intercostaux sur l’animal vi- vant, depuis la colonne vertébrale jusqu’au sternum, ils ont vu persister alors, quoique plus faiblement, le mouvement d’élévation des côtes infé- rieures. Mais, sur l’animal dont les muscles intercostaux sont coupés, les côtes font toujours corps avec le sternum, et les côtes supérieures peuvent entrainer les autres dans leurs mouvements. Les expériences de M. Debrou ont montré, d’autre part, que la section du diaphragme n’em- pêche pas le mouvement d’élévation des côtes inférieures . Il est difficile, il est même impossible de mesurer, chez l’homme, l’a- grandissement du diamètre vertical de la poitrme amené par la contrac- tion du diaphragme. Il est certain néanmoins que cet agrandissement varie beaucoup (de même que celui des autres diamètres) avec l’énergie des mouvements respiratoires. Il est permis d’aftirmer aussi que c’est généralement à l’abaissement du diaphragme que la poitrine doit sa principale augmentation de capacité au moment de l'inspiration. M. Co- lin, qui a mesuré comparativement les divers diamètres de la poitrine, pendant le mouvement de l'inspiration sur le cheval, estime en moyenne à 3 ou 4 centimètres l’agrandissement du diamètre transverse de la 1 M. Duchenne (de Boulogne) croit avoir démontré, à l’aide de l’électrisation des nerfs phré- niques, sur l’animal vivant, que la contraction du diaphragme a non-seulement pour effet d'augmenter le diamètre vertical de la poitrine, mais encore de porter les côtes inférieures en haut et en dehors, et d'augmenter ainsi les diamètres transverse et antéro-postérieur de la poitrine. 11 nous est impossible de partager cette manière de voir. Lorsque, sur l'animal vivant, les excitateurs de l'appareil d’induction sont appliqués sur les côtés du cou, le passage du courant n’a aucune tendance à se localiser sur les nerfs phréniques (les nerfs ne sont pas meilleurs conducteurs du courant que les autres parties animales, ainsi que nous le démon- trerons plus tard) ; les muscles inspirateurs autres que le diaphragme agissent en même temps, et les côtes soulevées par les muscles de l'inspiration fournissent au diaphragme les points fixes dont il a besoin pour remplir son rôle physiologique. Quand, sur l'animal qu'on vient de mettre à mort, on excite isolément les nerfs phréniques séparés des parties voisines, les côtes n’étant plus soulevées et maintenues fixes par leurs élé- vateurs, la base du thorax rentre en dedans. Si cet effet est peu marqué tant que l'abdomen de l’animal mort est intact, cela tient à ce que la contraction du diaphragme, refoulant les organes abdominaux en bas et en avant, fait saillir le ventre, et à ce que cette poussée s’op- pose plus ou moins complétement au mouvement de retrait des côtes. Mais quand on a sup- primé le paquet abdominal, l'excitation des nerfs phréniques sur l’animal mort fait manifeste- ment rentrer les côtes inférieures. CHAP, IV, RESPIRATION. 265 cage thoracique, tandis que l’augmentation du diamètre antéro-posté- rieur de la poitrine (correspondant au diamètre vertical chez l’homme) est de 10 à 12 centimètres. En d’autres termes, le diaphragme qui s’a- baisse pour effacer sa voussure décrit sur le cheval une course de 10 à 12 centimètres. Une règle graduée introduite dans l’abdomen d’un cheval, appliquée par l’une de ses extrémités sur la concavité du dia- phragme et maintenue mollement avec la main, s’abaissait, à chaque in- spiration, d’une quantité qu'on mesurait à l’aide d’une tige métallique fixe servant de repère. La tige métallique fixe était enfoncée dans la se- conde vertèbre lombaire, et tangente à l’appendice xyphoïde. S 118. Divers modes d'inspiration. — Dans les mouvements ordinaires de la respiration, l'agrandissement de la poitrine est dû, en grande partie, chez l'homme, au mouvement d’abaissement du diaphragme, associé à un léger mouvement d’élévation de la cage thoracique. On peut, au reste, faire varier expérimentalement le mode de l’inspi- ration. Si l’on comprime fortement le thorax à la partie inférieure, Pa- grandissement de la poitrine s’opère principalement aux dépens des por- tions supérieures de la poitrine. D'un autre côté, lorsqu'on respire très-fortement, tous les diamètres de la poitrine se trouvent augmentés simultanément, et le mouvement des côtes et le mouvement du dia- phragme se trouvent portés à leurs dernières limites. L'agrandissement de la poitrine ne se fait pas toujours de la même facon dans les mouvements de l’inspiration chez les divers animaux. L’abaissement du diaphragme et le soulèvement des côtes en sont bien les agents, mais ils n’y prennent pas toujours une part égale. Quel- ques animaux ont une respiration plus particulièrement abdominale, c’est-à-dire que la poitrine s’agrandit presque uniquement par abaisse- ment du diaphragme. Chez d’autres, la cage thoracique est manifeste- ment soulevée. Il suflit, pour s’en convaincre, de comparer, sous ce rap- port, le bœuf et le cheval avec le chien et les animaux carnassiers. Chez l'enfant, le diaphragme prend, en général, la plus grande part aux mouvements d'inspiration. C’est aussi le cas de la plupart des hommes adultes. Ils ont donc surtout la respiration dite abdominale. Chez la femme, au contraire, ainsi que l’ont fait remarquer MM. Beau et Maissiat, la respiration est plus pectorale, c’est-à-dire que l’élévation de la cage thoracique y entre pour une plus grande part. Ce mode de respiration, exagéré par la pression que le corset exerce sur la base de la poitrine, ne paraît pas cependant déterminé par lui. Il est en rapport, sans doute, avec les fonctions spéciales de la femme. Pendant la période de gestation, la femme trouve dans ce mode de respiration une sorte de compensation à la difficulté que rencontre le diaphragme à s’abaisser sur l’abdomen, distendu par le produit de la conception. 9266 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. M. Hutchinson, et plus tard M. Sibson (à l’aide d’un instrument qu'il désigne sous le nom de fhoracomètre), ont confirmé par des mesures précises les idées de MM. Beau et Maissiat. M. Sibson a observé de plus que, du côté gauche (côté du cœur), l’ampliation pectorale de l’inspira- tion est un peu moindre qu'à droite. Par l'exercice, l’homme peut modifier plus ou moins profondément son type normal d'inspiration, c’est-à-dire, en d’autres termes, qu'il peut faire prédominer tel ou tel diamètre dans l’agrandissement de la cage thoracique. Les professeurs de chant recommandent généralement la respiration ventrale. C'est, en effet, la respiration abdominale (celle dans laquelle l'agrandissement de la poitrine a lieu aux dépens de l’a- baissement exagéré du diaphragme) ‘qui emmagasine la plus grande quantité d’air dans la poitrine, celle qui permet de soutenir le plus longtemps l'émission du son, et celle qui recule les interruptions néces- sitées par Le besoin de l'inspiration. S 119. Des muscles qui agissent dans l'inspiration. — Les côtes et le ster- num sont les leviers passifs de l’agrandissement de la poitrine; les muscles qui les meuvent en sont les agents actifs. L’inspiration déploie beaucoup plus de force que l'expiration. L’inspiration tend, en effet, à opérer le vide dans la poitrine et à amener, par conséquent, une rup- ture d'équilibre dans les pressions gazeuses intérieures et extérieures. Le nombre des muscles inspirateurs est aussi beaucoup plus nombreux que celui des museles expirateurs. Dans les mouvements ordinaires de l'inspiration, l’agrandissement de la poitrine déterminé, chez l’homme, en grande partie, par le jeu du diaphragme, ne nécessite que l'intervention d’un petit nombre de muscles pectoraux; mais, dans les inspirations forcées, une foule de muscles, non-seulement de la poitrine, mais encore des parties voisines, entrent en jeu. Muscles intercostaux externes et internes. — Les espaces intercostaux sont remplis par deux muscles dont les fibres s'étendent obliquement de la côte qui est au-dessus à la côte qui est au-dessous. Ces muscles ont peu d'épaisseur, mais ils agissent par un très-grand nombre de fi- bres, car les espaces intercostaux ont une assez grande longueur. Ils sont dirigés en sens inverse l’un de l’autre. Tandis que le muscle inter- costal externe, envisagé sur un homme placé dans la situation verticale, a une direction oblique de haut en bas et d’arrière en avant, le musele intercostal interne est dirigé obliquement de haut en bas et d’avant en arrière. De plus, le muscle intercostal externe remplit l’espace inter- costal jusqu’à la colonne vertébrale, mais ne vient pas jusqu'au ster- num, tandis que le muscle intercostal interne ne va pas jusqu’à la co- lonne vertébrale, et arrive jusqu’au sternum. Il y a peu de muscles sur lesquels on ait aussi longuement disserté. CHAP, IV. RESPIRATION. 267 Toutes les opinions possibles se sont produites relativement à leur ac- tion. Les uns ont vu dans ces deux muscles des inspirateurs, les autres les ont considérés tous les deux comme expirateurs. D’autres ont con- sidéré les intercostaux externes comme des inspirateurs, et les inter- costaux internes comme des expirateurs. Pour d’autres, les intercostaux externes sont expirateurs, et les internes inspirateurs. Pour d’autres en- core, ces deux muscles sont à la fois inspirateurs et expirateurs. Enfin, on les a aussi considérés comme servant simplement à établir la conti- nuité des parois thoraciques et à faire office de paroi élastique passive. Evidemment cette dernière opinion ne saurait être fondée. Partout où il y a des muscles, ces museles ont un rôle actif à remplir. Si ces parties avaient un rôle passif, elles ne seraient point musculaires, mais consti- tuées par un tissu élastique, comme on en trouve en beaucoup de points de l’économie animale. De ce qu'il y a dans les espaces intercostaux deux muscles dirigés en sens opposé, il est vraisemblable que ces deux muscles n’ont pas à rem- plir une action identique, qu’un seul et même musele aurait sufli à exé- cuter. Il est donc déjà probable qu’ils ne sont ni inspirateurs ni expira- teurs tous les deux, mais que l’un est inspirateur et l’autre expirateur. Hamberger me parait avoir établi le fait sur des preuves sans répli- que, et fixé d’une manière positive le rèle de ces muscles. Les muscles intercostaux externes sont inspirateurs, et les intercostaux internes sont ex- pirateurs. I suflit, pour s’en convaincre, de jeter les yeux sur la figure 45. Fig. 45. M 1 cotes En ue af 8 M, N représentent l'axe de la colonne vertébrale vue par derrière. 1, 2, 3, 4 représentent les côtes soulevées ; 1, 2’, 3, 4', les côtes abaissées. a, a/ représentent une fibre du muscle intercostal externe dans l'état d'élévation et dans l’état d’abaissement des côtes. b, b' représentent une fibre du muscle intercostal interne dansl’état d'élévation et dans l’état d’'abaissement des côtes. Supposons que 4’, 2 représentent deux côtes à l’état de repos ou d’a- baissement, et a’ une fibre du muscle intercostal externe. Lorsque les 268 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, côtes 1', 2’ sont relevées, comme elles le sont en 1 et 2, il est vrai que l’espace intercostal correspondant a augmenté suivant une perpendicu- laire menée entre les deux côtes. Cependant la fibre s’est raccourcie, car les deux points d’attache de cette fibre sont moins distants l’un de l’au- tre, ainsi qu’on peut le constater avec un compas. Puisque la fibre a est plus courte que la fibre a”, il s'ensuit que le mouvement d’élévation des côtes correspond à la contraction ou à l’état actif de cette fibre. Le rac- courcissement du muscle intercostal externe coïncide avec l'élévation des côtes ; ce muscle est donc 2nspirateur. Pour le muscle intercostal externe, la démonstration est tout à fait analogue, en sens opposé. En effet, soit 4 une fibre du muscle inter- costal interne dans l’état d’élévation des côtes 3 et 4. Il est aisé de voir que, lorsque ces côtes sont abaissées, comme elles le sont en 3° et 4, la fibre à est devenue l”, et qu’elle s’est raccourcie; car les deux points d'attache de cette fibre sont moins distants l’un de l’autre. Donc la con- traction de l’intercostal interne coïncide avec l’abaissement des côtes ; donc le muscle est exprrateur. L'action inspiratrice des intercostaux externes et l’action expiratrice des intercostaux internes n’est efficace qu’autant que d’autres muscles s’associent à leur action et créent des points fixes pour leurs contractions. Les côtes sur lesquelles vont se fixer les muscles intercostaux sont, en effet, mobiles dans leurs articulations vertébrales. Si nous envisageons, en particulier, un espace intercostal, les muscles prenant leurs points d'appui sur des pièces également mobiles, la contraction musculaire ten- drait à faire monter la côte qui est au-dessous, mais elle tendrait aussi à faire descendre celle qui est au-dessus, et ainsi, de proche en proche, dans les espaces intercostaux voisins. C’est en envisageant ainsi les mus- cles intercostaux, isolément des autres puissances musculaires, qu’on a été amené à admettre que, leurs actions mutuelles se détruisant, leur action résultante était nulle. Mais leur action n’est jamais isolée. Toutes les fois que la cage thoracique s’élève, comme les côtés font corps avec le sternum, le mouvement d’élévation ou d’abaissement se fait d’ensem- ble, ou, si l’on veut, de proche en proche, mais d’une manière simulta- née. L'action des muscles intercostaux s'accompagne donc toujours de l’action concordante d’autres muscles. L'action des muscles intercostaux externes n’est possible qu'autant que la première côte est élevée et fixée, de même que les intercostaux internes n’agissent que quand les dernières côtes sont abaissées et fixées. Les scalènes, les sterno-mastoïdiens, le sous-clavier, le petit pectoral, jouent le rôle principal dans l'élévation et la fixation des premières côtes (Voy. fig. 47 et 48). Le carré des lombes et le grand oblique abais- sent et fixent les dernières côtes. (Voy. fig. 46 et 48.) Surcostaux. — Ces muscles qui s'étendent, en forme de triangles al- longés, de l’apophyse transverse des vertèbres à la côte qui est au-des- CHAP. IV. RESPIRATION. 269 sous, sont élévateurs des côtes, comme les intercostaux externes, dont ils ont à peu près la direction (Voy. fig. 46). Leur action n'est pas, comme celle des intercostaux, subordonnée à l’action d’autres muscles, car ils ont à tous les moments un point d’appui fixe à la colonne verté- brale. Ces muscles contribuent à faire éprouver à la côte le mouvement de rotation en vertu duquel leur face externe est soulevée. LIGNES REPRÉSENTANT LES RÉSULTANTES DES FIBRES MUSCULAIRES, a, cervical descendant, a, sterno-cléido-mastoïdien. b, petit dentelé postérieur et supérieur. b, scalène antérieur, d, petit dentelé postérieur et inférieur. c, scalène postérieur. c, surcostaux. Ces muscles existent dans toute d, grand dentelé. l'étendue de la cage thoracique; il ÿ en a g, transverse de l'abdomen. de chaque côté, autant que de côtes. e, trois fibres d'un intercostal externe. e, carré des lombes,. f, trois fibres d’un intercostal interne. Scalènes . — Le scalène antérieur (Noy. fig. 47) descend des tubercules antérieurs des apophyses transverses des troisième, quatrième, cin- quième, sixième vertèbres cervicales à la face supérieure de la première côte. Le scalène postérieur (Voy. fig. 47) descend des tubercules posté- rieurs des apophyses transverses de toutes les vertèbres cervicales, moins l’atlas, et se termine en bas par deux extrémités, dont l’une se fixe à la surface supérieure de la première côte, et l’autre à la face supé- rieure de la seconde côte. Ces muscles épais et puissants ont pour fonc- 270 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. tions d'élever et de fixer les premières côtes, et de fournir ainsi un point d'appui fixe aux intercostaux inspirateurs ou intercostaux externes. Petit dentelé postérieur et supérieur. — Ce muscle (Voy. fig. 46), qui s’insère, d’une part, aux apophyses épineuses de la septième vertèbre cervicale et des trois premières vertèbres dorsales, et, d'autre part, à la face externe des deuxième, troisième, quatrième et cinquième côtes, est aussi un élévateur des côtes, mais un élévateur peu efficace. Cervical descendant. — On désigne ainsi la portion cervicale du muscle sacro-lombaire, laquelle se fixe, d’une part, aux tubercules postérieurs des apophyses transverses des cinq dernières vertèbres cervicales, et, d’autre part, à l’angle des côtes (Voy. fig. 46). Ce muscle agit comme le muscle précédent, mais plus eflicacement, sa direction se rapprochant plus de la perpendiculaire, relativement aux côtes. D’autres muscles concourent encore à l'inspiration, mais ils n’agissent euère que dans les mouvements profonds de la respiration, ils n’ont pas, comme les précédents, d’insertions fixes à la colonne vertébrale, mais ils prennent leurs points d'attache sur des os, tels que la clavicule, l’omoplate et l’humérus, lesquels doivent être préalablement fixés, pour qu'ils puissent avoir une action efficace. Nous signalerons les suivants : Sous-clavier. — Ce muscle se dirige de la face inférieure de la cla- vicule à la face supérieure de la première côte ; il peut concourir à l'élévation de la première côte, et, par suite, à celle de la cage thora- cique. Grand dentelé. — Ce musele (Voy. fig. 47) s'insère, d’une part, au bord spinal de l’omoplate, et, d'autre part, par des digitations, à la face ex- terne et au bord supérieur des deux premières côtes. Quand l’omoplate est fixée, ce muscle est inspirateur par ses digitations inférieures, c’est- à-dire par celles qui vont obliquement, et de haut en bas, de l’omoplate aux sixième, septième, huitième et neuvième côtes. | Grand pectoral. — Ce muscle (Voy. fig. 48) s’insère, d’une part, à la lèvre antérieure de la coulisse bicipitale de l’humérus, et, d'autre part, aux cartilages des six premières côtes et à la partie interne du bord in- férieur de la clavicule. Les faisceaux de ce muscle ne peuvent pas con- courir tous à l’élévation des côtes, il n’y a guère que ceux qui vont se rendre aux quatrième, cinquième et sixième côtes 1. Petit pectoral. — Ce muscle est mieux disposé pour concourir au mou- vement d’élévation des côtes. Il se fixe, d’un côté, à l’apophyse coracoïde, et, de l’autre, à la face externe et au bord supérieur des troisième, qua- trième et cinquième côte (Voy. fig. 48). Ce muscle peut agir dans l’in- spiration par tous ses faisceaux. Grand dorsal. — Parmi les faisceaux du grand dorsal, ceux qui s’insè- 1 Quand le bras est élevé et fité, les insertions pectorales du muscle étant toutes plus basses que l'insertion humérale, le grand pectoral peut être considéré comme inspirateur par tous ses faisceaux. CHAP, IV. RESPIRATION, 271 rent aux apophyses épineuses des sept der- nières vertèbres dorsales, aux apophyses épineuses des vertèbres lombaires, au sa- crum et à la crête iliaque, ne peuvent pas être considérés comme inspirateurs. Mais les faisceaux qui se fixent par autant de languettes aux quatre dernières côtes, et, d'autre part, à la lèvre postérieure de la coulisse bicipitale de l’humérus, peuvent concourir aux mouvements forcés d’inspira- tion lorsque le bras est fixé, et surtout lors- qu’en même temps l'épaule est soulevée. Sterno-cléido-mastoidien. — Ce muscle (Voy. fig. 48), qui s’insère, d’une part, à l’apophyse mastoïdienne du temporal, et, d'autre part, à la partie supérieure du ster- num et à la partie interne du bord postérieur de la clavicule, agit aussi dans l'inspiration en élevant la clavicule et le sternum lorsque la tête est fixée. Sterno-hyoidiens et sterno-thyroïdens. — Ces muscles peuvent entrer en jeu dans les inspirations très-laborieuses. Un grand nombre d’autres muscles agis- sent dans les mouvements étendus de l’in- spiration pour maintenir la fixité des pièces à, a’, sterno-mastoïdien. b, grand pectoral. osseuses sur lesquelles les muscles précé- c, petit pectoral. ; x 44 d, grand oblique. dents viennent s’insérer. Tels sont, entre à it eidue. autres, le {rapèze, le rhomboïde, l’angulaire AA ERA ATAN AS F'ÉRPORER de l’omoplate, le splénius, les complexus, les grands et petits droits postérieurs de la tête, les muscles de la région sus-hyoidienne, etc. $ 120. Du poumon pendant l'inspiration. — Le poumon est tout à fait passif pendant l'inspiration. Les puissances musculaires qui déterminent l’a- grandissement en tous sens de la cage thoracique sont les causes mé- diates de la dilatation du poumon lui-même. Cet organe, contenu en ellet dans une cavité qu'il remplit entièrement, suit les mouvements d’ampliation de cette cavité, contre laquelle il est partout appliqué. L'es- pace qui sépare le poumon de la plèvre pariétale, c’est-à-dire la cavité des plèvres, étant vide d’air, le poumon suit les parois thoraciques pen- dant l'inspiration, comme s’il faisait corps avec elles. Lorsque la cavité des deux plèvres communique largement au dehors par des ouvertures ou des plaies qui établissent une communication avec l'air extérieur, les 272 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. phénomènes de la dilatation de la cage thoracique ont lieu encore par l'intermédiaire des museles de l'inspiration; mais le poumon, ayant sa surface aérienne et sa surface pleurale comprises entre deux pressions égales, reste immobile ; il ne suit plus les mouvements d’ampliation de la poitrine, les phénomènes de la respiration sont profondément troublés, et si l'ouverture est béante et porte sur les deux côtés de la poitrine, l’as- phyxie survient promptement. A chaque mouvement d'inspiration le ponmon se trouve donc dilaté en tout sens, comme la cavité qui le contient. Au moment de l'inspiration ou de l’ampliation du poumon, la cage thoracique se soulevant tandis que le diaphragme s’abaisse, le poumon glisse le long des parois thoraciques. Ce glissement a lieu entre la membrane séreuse qui recouvre la face exté- rieure du poumon et celle qui revêt la paroi intérieure de la poitrine. Ce mouvement de locomotion du poumon peut être facilement aperçu par transparence sur un animal vivant auquel on a enlevé les téguments et les muscles intercostaux, en respectant la plèvre pariétale. On voit, à chaque mouvement d'inspiration, le poumon descendre le long de la paroi pectorale. Le poumon suit, en effet, les mouvements du diaphragme qui s’abaisse ; et, en second lieu, son mouvement de descente paraît plus considérable qu'il ne l’est en réalité, parce que les côtes, en se soulevant, se meuvent sur lui. Au moment de l'expiration, le poumon, qui reprend sa place, exécute un mouvement en sens contraire : il remonte le long de la paroi thoracique. Dans les expériences dont nous parlons, on con- state également que le poumon est intérieurement appliqué contre la plèvre pariétale, et qu'il remplit complétement la cavité pectorale. Le mouvement de glissement du poumon, proportionné à l'étendue du mou- vement d'inspiration, favorisé dans l’état normal par le poli des surfaces et la sérosité qui les humecte, s’accomplit sans bruit. Lorsque, à la suite des pleurésies, il s’est formé des brides, des fausses membranes ou des produits solides à la surface ou dans l'épaisseur de la séreuse, ce glisse- ment se traduit souvent, à l'oreille appliquée sur la poitrine, par des bruits de frottement plus ou moins distincts. Sur des chiens dont on a dénudé complétement les espaces intercos- taux, en respectant la plèvre costale, on constate que dans les inspirations ordinaires, le poumon ne descend pas au-dessous de la septième côte. Lorsque l’animal fait une respiration exagérée, le poumon peut descendre jusqu’à la dixième. Ce qui prouve encore que les excursions du dia- phragme, ou que l'agrandissement du diamètre vertical (antéro-posté- rieur chez les animaux) de la poitrine peuvent varier dans des limites étendues t. 1 On peut répéter ces expériences sur le cadavre de l’homme, ainsi que l’a fait M. Donders. On dénude les espaces intercostaux, en ayant soin de ne point léser la plèvre pariétale, et on remplace la contraction du diaphragme par l’insufflation trachéale. On voit ainsi que le poumon descend quand on l’insuffle, en refoulant par en bas le diaphragme, et l’on constate que la descente peut atteindre le niveau de la dixieme côte, quand le souffle est très-énergique, 1© —! Qt CHAP. IV. RESPIRATION. S 191. Béance des voies parcourues par Fair. — Au moment de l'inspiration, l'air remplit, à mesure qu'il se produit, le vide virtuel déterminé par la dilatation de la poitrine. L'air qui s’introduit dans le poumon entre par les fosses nasales et par la bouche, ou par les fosses nasales seules, tra- verse le pharynx, le larynx, la trachée, et s'engage ainsi jusqu'aux extré- mités les plus reculées des bronches, en vertu de la pression atmosphé- rique. Si les conduits qui donnent passage à l’air atmosphérique n'étaient pas maintenus béants, soit par la rigidité des parois, soit par l'adhérenee à des parties rigides ; si leurs parois,fen un mot, étaient purement mem- braneuses et libres, ces parois tendraient, en vertu de la pression exer- cée contre elles, à se déprimer et à opposer à l’entrée de l’air un obstacle mesuré par cette pression elle-même. La béance continuelle des conduits respiratoires est évidente dans les bronches, dans la trachée, dans le larynx, où elle est maintenue par des cerceaux cartilagineux de formes diverses, qui entrent dans la constitu- tion des parois ; elle est évidente aussi à l’entrée des fosses nasales, dont les ailes mobiles sont doublées de cartilages. Dans l’intérieur des fosses nasales, le conduit est formé par des parois osseuses. La béance n’est pas moins évidente dans le pharynx, conduit commun aux organes de la di- gestion et à ceux de la respiration. Ce conduit, suspendu en quelque sorte à l’apophyse basilaire, est maintenu ouvert par des plans aponévrotiques résistants ; il ne revient activement sur lui-même qu’au moment de la dé- glutition, et les mouvements rapides, et pour ainsi dire convulsifs de la déglutition, ne suspendent le passage de l’air que pendant un temps très-court. Les ailes du nez, qui sont fmobiles, se dilatent activement au moment de l'inspiration, sous l'influence de leurs muscles dilatateurs (éléva- teurs de l’aile du nez et myrtiformes). Leurs mouvements de dilatation sont surtout marqués dans les inspirations énergiques et rapides. Alors, en effet, l'air extérieur pressant brusquement contre elles, à cause de la tendance au vide qui a lieu dans les poumons, la pression extérieure les déprimerait contre la cloison, si les muscles dilatateurs ne luttaient pour en maintenir l’écartement. La dilatation active des narines est si intimement associée avec les mouvements de l'inspiration, qu’elle se manifeste encore, alors même qu’elle est devenue inutile. On remarque, en effet, sur les animaux aux- quels on a coupé la trachée en travers, et chez lesquels les fosses nasales ne font plus partie des voies que doit traverser l’air, on remarque, dis-je, une dilatation concomitante des naseaux à chaque mouvement d’inspi- ration. On a signalé le même fait chez des hommes qui s'étaient coupé la gorge (c’est-à-dire la trachée). Il suflit, d’ailleurs, de se placer devant une glace et de faire une profonde inspiration, la bouche largement ou- verte, pour constater que les ailes du nez s’écartent activement en ce 48 974 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. moment, bien que les fosses nasäles ne donnent point passage à l'air inspiré. Ce qui a lieu à l’orifice extérieur des fosses nasales se reproduit éga- lement aux lèvres de la glotte. L'air qui s’introduit de haut en bas dans le larynx, au moment de l'inspiration, aurait de la tendanee à déprimer les lèvres de la glotte et à fermer ainsi le passage de l'air, si cette ouver- ture n’était pas maintenue dilatée en ce moment, d’une manière active, par les muscles dilatateurs. Il suit de là que la paralysie de ces muscles en- traîne souvent l’asphyxie; c’est ce qu’on observe fréquemment sur les animaux en expérience auxquels on coupe les nerfs pneumo-gastriques {. Le cornage des chevaux est déterminé par la dilatation incomplète des lèvres de la glotte au moment de l’inspiration. Sa cause doit être recher- chée soit dans une altération des museles dilatateurs de la glotte, soit dans une altération des nerfs laryngiens qui les animent. ARTICLE IL. DE L'EXPIRATION. & 192. Agents de l'expiration. — L’expiration est généralement moins labo- rieuse que l'inspiration. Dans les phénomènes ordinaires de la respiration, le retour au repos des agents actifs de l'inspiration et l’élasticité des pou- mons suffisent, en grande partie, pour la déterminer. Le cadavre, sur le- quel le jeu des puissances musculaires a cessé , est à l’état d'expiration. Mais l’expiration nécessite souvent l'intervention de puissances actives. Ainsi, dans les expirations profondes et prolongéés, les muscles dits expirateurs agissent en sens opposé des muscles inspirateurs, et peuvent diminuer les divers diamètres de la poitrine. Dans beaucoup de circon- stances, l’expiration devient un phénomène complexe et nécessite, d’une manière évidente, l'intervention de puissances musculaires variées. Tels sont les efforts de la phonation et du chant, dans lesquels le courant de sortie de l’air est gradué, retardé, accéléré, etc. ; tels sont les efforts vio- lents des excrétions, de l’exercice musculaire, etc., dans lesquels l’air est momentanément conservé dans la poitrine dilatée, et d’où il s'échappe ensuite brusquement, quand l'effort a cessé. Tels sont encore une foule d’autres actes, tels que le bâillement, la toux, le rire, l’éternument, etc., dans lesquels interviennent les agents de l’expiration et ceux de l'inspi- ration, et sur lesquels nous reviendrons plus loin. S 123. Du poumon pendant l'expiration. — Le poumon, avons-nous dit, est tout à fait passif pendant l'inspiration. Il agit, au céntraire, d’une ma- 1 C’est pour cette raison que, sur les animaux auxquels on pratique la section des pneu- mo-gastriques, on a soin de pratiquer en même temps une ouverture à la trachée, au-dessous du larynx, pour assurer le maintien des phénomènes mécaniques de la respiration. CHAP, IV, RESPIRATION., 975 nière directe au moment de l'expiration. Il revient sur lui-même, en vertu de son élasticité. On peut se convaincre aisément que le poumon est élastique. Il suftit pour cela d’insuffler, par la trachée, un poumon extrait du corps de lPani- mal. Le poumon, qui s’est dilaté sous l’effort de l’air , revient brusque- ment sur lui-même, aussitôt que l’insufllation a cessé. La propriété élastique du poumon, étant une propriété de tissu, existe dans tous les moments de la respiration, aussi bien au moment de l’in- spiration qu’au moment de l’expiration. Mais cette élasticité ne peut réagir sur l’air contenu dans la cavité pulmonaire que quand les puis- sances de linspiration qui ont lutté contre elle, et même qui l'ont sur- montée tempoffairement, cessent d'agir. Le poumon, qui, pendant l’inspi- ration, avait accompagné, en quelque sorte malgré lui, les parois pectorales, obéit librement à son élasticité au moment de l’expiration, revient sur lui-même, et chasse l’air que l'inspiration avait fait pénétrer dans son intérieur. Le mouvement de retrait du poumon est borné par les dimensions de la cage thoracique, qui ne peut diminuér que dans certaines limites. Lorsque la poitrine est revenue sur elle-même (en vertu de la cessation d’action des muscles inspirateurs, et en vertu de l’action surajoutée des muscles expirateurs), le poumon n’a pas encore épuisé toute son élasticité. Il diminuerait encore de volume, si la cage thoracique, contre laquelle il est maintenu par le vide des plèvres, était capable de diminuer encore. Le poumon est donc toujours dans uné sorte de tension forcée, même au moment de l’expiration, même sur le cadavre. Le fait peut être mis en évidence par une expérience très-sim- ple : lorsqu'on ouvre la poitrine d’un cadavre, et qu’on établit ainsi l’é- quilibre des pressions entre la surface pleurale et la surface muqueuse des poumons, rien ne gêne plus l’élasticité pulmonaire, et le poumon, quoique à l’état d'expiration, revient encore sur lui-même d’une certaine quantité. Il suflit, pour s’en convaincre, de faire l'ouverture de la poi- trine, le cadavre étant sous l’eau : le retrait élastique du poumon chasse au dehors des bulles d’air qui s’'échappent par la bouche et par les fosses nasales du cadavre. L’élasticité du poumon n’est donc jamais complétement satisfaite sur l'animal vivant, et cela assure l’énergie et la régularité de son mouve- ment de retour pendant l’expiration. C’est ainsi que dans nos machines un ressort agit avec plus de précision et d’uniformité lorsqu'on ne le laisse jamais agir jusqu’à sa limite de rétraction 1. 1 M. Donders a mesuré la force élastique que possède encore le poumon alors qu’il est re= venu sur lui-même au moment de l’expiration. A cet effet, il met à mort un animal; il adapte à la trachée un tube recourbé contenant de l’eau ou du mercure, apres quoi il ouvre largement les deux côtés de la poitrine : les poumons obéissent librement à leur élasticité, l'air qu'ils contiennent presse sur le liquide contenu dans le tube recourbé, la colonne liquide s'élève du côté de la branche libre et représente la tension de l'air contenu dans le poumon; cette ten- 276 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. D'après ce qui précède, on peut se rendre compte de ce qui arrive lorsqu'on ouvre largement la poitrine. Il y à alors équilibre entre la sur- face intérieure et la surface extérieure des poumons. Cet organe n’est plus maintenu contre la paroi pectorale, puisque le vide des plèvres n'existe plus. Le poumon obéit en toute liberté à son élasticité, il se con- tracte sur lui-même et devient immobile. I ne peut plus être dilaté au mo- ment de l'inspiration, car il ne suit plus les parois de la cavité thoracique qui le contient. Il ne revient plus sur lui-même au moment de l’expira- tion, car son élasticité n’a pas été mise en jeu par sa distension excen- trique. Si les deux côtés de la.poitrine étaient ouverts, l’asphyxie serait imminente. Il est rare, heureusement, que les deux côtés de la poitrine soient simultanément ouverts, et le côté sain supplée aux fonctions du côté lésé. Lorsque l'ouverture est peu étendue, l'épanchement qui se fait entre les lèvres de la plaie rend la suspension du jeu du poumon moins com- plète et prépare la guérison. Dans les plaies de poitrine qui ne sont obli- térées ni par des épanchements, ni par le rapprochement des lèvres de la plaie, ni par les pièces du pansement, l’air entre et sort par la plaie à chaque mouvement d'inspiration et d’expiration. La cage pectorale est alternativement augmentée et diminuée par le jeu des muscles, mais le poumon du même côté reste sensiblement immobile. Lorsque l’ouver- ture est petite, l'entrée et la sortie de l’air sont souvent accompagnées d'un bruit de sifflement qui indique le passage de l'air par l'ouverture. sion sert de mesure à la force élastique du poumon. D’après une série d'expériences tentées sur des cadavres d'animaux et sur des cadavres humains, M. Donders conclut que la force élastique du poumon, après l'expiration, fait équilibre à une colonne mercurielle de 6 milli- mètres d’élévation. Quand le poumon est distendu par de l'air insufflé, lorsqu’en un mot on a bandé au maxi- mum ses éléments élastiques, son élasticité fait équilibre à une colonne mercurielle de 18 mil- limètres de hauteur environ. Voilà pourquoi le courant d’air de l'expiration est plus rapide au commencement qu’à la fin de l'expiration. Les puissances actives de l'inspiration ont donc à vaincre une force qui va croissant, à mesure que l'inspiration est plus avancée. Au commencement de l’inspiration, la force que les muscles de l'inspiration doivent surmonter peut être évaluée à une colonne mercurielle de 6 millimètres d’élévation, qui aurait pour base la surface développée de la poitrine : à la fin d’une inspiration profonde, les muscles de l'inspiration font équilibre à une colonne mer- curielle de même base, mais trois fois plus haute. M. Baerent a dernierement répété les expériences de M. Donders sur des cadavres humains. 11 est arrivé sensiblement aux mêmes résultats ; et il a noté de plus un fait qui met bien en lumière la supériorité des agents musculaires de l'inspiration sur ceux de l'expiration. Les expériences dont nous parlons ne se font plus sur le cadavre, mais sur l’homme vivant. On introduit et on fixe avec la main, dans une narine, la branche horizontalement coudée d’un manomètre à mercure, puis on ferme hermétiquement la narine du côté opposé, ainsi que la bouche, Les choses ainsi disposées, l’expérimentateur exécute un mouvement d'inspiration aussi énergique que possible, et il constate que l'inspiration maximum fait équilibre à une colonne de mercure de 70 à 85 millimetres. Une expiration »#aæimum, au contraire, refoule le mercure en sens opposé, mais ne peut soulever qu'une colonne mereurielle de 55 à 65 mil- limetres. CHA, IV. RESPIRATION. 277 Ce bruit est surtout marqué au moment de l'inspiration, laquelle est plus rapide et généralement plus énergique que l’expiration. Le poumon n’est pas seulement élastique. Les conduits dans lesquels circule l’air sont pourvus de fibres contractiles, de nature musculaire. Ces fibres entourent les petites bronches d’une tunique continue ; on les trouve aussi dans la trachée, mais elles n’y existent plus que dans l’in- tervalle qui sépare les extrémités des cartilages incomplets. On peut mettre en évidence la contractilité des bronches à l’aide du galvanisme. Les petites bronches se prêtent mieux que les grandes bronches à ce genre d'expériences. On peut aussi, à l'exemple de M. Williams, rendre le fait très-évident, en multipliant, pour ainsi dire, le phénomène. A cet effet, on prend un poumon sur un chien qu’on vient de mettre à mort, on lie la bronche principale de ce Fig. 49. poumon sur un tube métallique, puis, suspendant verticalement le poumon (Voy. fig. 49), on remplit d’eau colo- rée le poumon et le tube, dont la par- tie supérieure est en verre et gra- duée. Cela fait, on dirige un courant galvanique puissant ou un courant d’induction au travers du poumon, en appliquant l’un des pôles de la pile ou de l’appareil inducteur sur la sur- face du poumon, et l’autre pôle sur la partie métallique du tube (Voy. fig. 49). Le liquide contenu dans le poumon ne tarde pas à s’élever dans le tube gradué , poussé par en haut par la contraction des bronches sti- mulées par le courant. un La contraction des bronches est SIM lente, successive , comme celle des Las muscles de la vie organique. Il n’est pas probable dès lors qu’elle se ma- nifeste d’une manière rhythmique à chaque expiration. TT = S 124. Des muscles qui agissent dans l'expiration. — Parmi les muscles expirateurs, il faut ranger les muscles intercostaux internes (Voy. S 119). La contraction de ces muscles n’est efficace, d’ailleurs, qu'autant que les côtes inférieures sont fixées par d’autres muscles; de même que les intercostaux externes n'agissent, pour soulever la cage thoracique, qu'autant que les premières côtes sont simultanément élevées et main- tenues. Le muscle carré des lombes (Voy. fig. 46), qui s'insère, d’une part, à la partie postérieure de la crête iliaque et sur le ligament iléo- 978 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, lombaire, et, d'autre part, au bord inférieur de la dernière côte, joue, pendant l'expiration, à peu près le même rôle que les scalènes pendant l'inspiration. Les fibres des muscles grand oblique, petit oblique et trans- verse, qui vont aux dernières côtes, contribuent aussi, en fixant les côtes inférieures, à rendre efficace la contraction des intercostaux internes 1. Les muscles sous-costaux, constitués par des languettes musculaires situées vers l’angle postérieur des côtes, insérées, d’une part, à la face interne d’une côte, et, d’autre part, à la face interne de la côte sus-ja- cente, ont la direction oblique des intercostaux internes, dont elles sem- blent une dépendance. Le muscle ériangulaire du sternum s’insère, d'une part, sur les parties latérales de la face postérieure du sternum, et, d’autre part, sur la face postérieure des troisième, quatrième, cinquième et sixième cartilages costaux. La direction des languettes de ce muscle est la même que celle des intercostaux internes. Il doit être pareillement envisagé comme un muscle expirateur. Le petit dentelé postérieur et inférieur, qui s’insère, d’une part, aux apophyses épineuses des onzième, douzième vertèbres dorsales, et aux apophyses épineuses des première et deuxième vertèbres lombaires, * M. Marcacci, professeur à l’université de Pise, et plus tard M. Sibson , ont analysé avec beaucoup de soin le rôle des muscles intercostaux externes et internes. Ces deux observateurs ont reproduit le théorème d'Hamberger ; mais en consultant l’anatomie comparée et en s’ai- dant des données de la physiologie expérimentale, ils ont montré que si les intercostaux ex- ternes sont inspirateurs et les intercostaux internes expirateurs, cependant une petite portion de l'étendue des intercostaux internes (portion intercartilagineuse) doit être considérée comme inspiratrice. Chez un certain nombre de mammiferes, la portion cartilagineuse des côtes a beaucoup plus d'importance que chez l’homme. Chez les mammifères dont nous parlons, on peut dire qu’il y a en avant une côte carlilagineuse, comme en arrière une côte osseuse, mobiles l’une sur l’autre, dans l’articulation chondrocostale, et chacune douée de mouvements distincts : la colonne sternale est en quelque sorte en avant la reproduction de la colonne vertébrale en arriere. Les côtes osseuses et les côtes cartilagineuses possedent chacune un appareil muscu- laire composé d’un musele élévateur et d’un muscle abaïsseur. L’intercostal interne n’est pas un seul muscle : sa partie intercartilagineuse représente pour le cartilage le muscle éléva- teur (inspirateur), le triangulaire du sternum en est l’abaisseur (expirateur). Le muscle in- tercostal externe représente d’ailleurs, comme chez l’homme, le muscle élévateur de la côte osseuse; et la portion interosseuse du muscle intercostal interne en est l’abaisseur. La portion carlilagineuse du thorax a peu d’étendue chez l’homme. Les muscles qui lui sont annexés (portion intercartilagineuse du muscle intercostal interne, muscle triangulaire du sternum) sont moins développés que chez les animaux; mais il est probable que les choses se passent chez l’homme comme dans les animaux, quoiqu'à un degré beaucoup moins marqué. M. Marcacci, qui a surtout insisté sur ces particularités et qui a cherché à les démontrer par expérience, rappelle un conseil déjà donné par Haller. Il n’est pas aisé d’é- tudier la mécanique respiratoire sur un animal vivant dont la respiration est calme et pai- sible; pour rendre ces mouvements plus énergiques et pour mettre en évidence les phéno- mènes signalés plus haut, il faut ouvrir largement la poitrine de l'animal du côté opposé à celui qu’on examine. Alors le poumon de ce côté s’affaissera, et les mouvements respiratoires du côté en expérience seront singulierement exagérés. CHAP. IV. RESPIRATION. 279 et, d'autre part, au bord inférieur des neuvième, dixième, onzième, douzième côtes, est également un muscle expirateur (Voy. fig. 46). La portion supérieure du grand dentelé, celle qui va se fixer aux deuxième et troisième côtes, peut concourir aussi aux fortes expirations (Voy. fig. 47). Comme ce muscle s’insère sur un os mobile (l’omoplate), il ne peut exercer cette action qu’autant que l'épaule est fixée. M. Sib- son à établi expérimentalement le rôle expirateur de ce muscle sur les animaux quadrupèdes dont les membres antérieurs sont naturellement fixés pendant la station. = Les muscles de l'abdomen (grand oblique, petit oblique, tranverse, grand droit (Voy. fig. 47 et 48), agissent, dans les phénomènes de l'expiration, à des degrés très-divers. Dans les mouvements de la respiration modé- rée, ils réagissent surtout par leur élasticité. En effet, au moment de l'inspiration, le diaphragme a refoulé la masse intestinale en bas et en avant, et celle-ci a légèrement distendu les parois abdominales ; ces pa- rois reviennent sur elles-mêmes, par élasticité, au moment de l’expira- tion. Ces muscles concourent aussi à fournir un point d'appui fixe à la contraction des intercostaux internes. Dans les expirations forcées, ils tirent les côtes par en bas, et agissent d'autant plus eflicacement qu'ils s’insèrent à une grande étendue de la partie antérieure des côtes. Ils peuvent encore, quand les côtes ont été abaissées autant que possible, s’aplatir activement sur les organes contenus dans le ventre, repousser ceux-ci du côté du diaphragme, exagérer ainsi la convexité de ce muscle alors relâché, et diminuer la cayité pectorale jusqu'à ses dernières li- mites. Le grand oblique s’insère, d’une part, à la crête de l’os iliaque et à l’arcade crurale, et, d’autre part, à la face externe des cinquième, sixième, septième, huitième, neuvième, dixième, onzième, douzième côtes. Le petit oblique s’insère, d’une part, à la crête de l’os iliaque et à la partie externe de l’arcade crurale, et, d’autre part, au bord infé- rieur des cartilages des neuvième, dixième, onzième, douzième côtes. Le transverse s’insère, d’une part, à la crête iliaque et à la partie ex- terne de l’arcade crurale, et, d'autre part, à la face interne des septième, huitième, neuvième, dixième, onzième, douzième côtes, en entre-croi- sant ses Insertions avec celles du diaphragme. Le grand droit s’insère, d’une part, au bord supérieur du pubis, entre l’épine et la symphyse, et, d'autre part, aux cartilages des cinquième, sixième, septième côtes et à la partie inférieure du sternum. Les muscles /ong dorsal et transversaire épineux par les faisceaux, qui se dirigent obliquement de bas en haut, des vertèbres à l'angle des côtes ou à l’espace compris entre cet angle et l'articulation costo-transver- saire, sont aussi des muscles expirateurs. Dans les mouvements violents d'expiration, comme dans ceux d’inspi- ration, d’autres muscles encore peuvent entrer en action ; tels sont, entre autres, ceux qui se rendent à l’omoplate , tels sont un grand nombre de 980 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. muscles de la colonne vertébrale. Ces divers muscles s’associent encore d’une infinité de manières dans les diverses situations du tronc, pour fournir dans toutes ces attitudes des points fixes à l’action des muscles de la respiration. S 195. Du bruit respiratoire. — Lorsqu'on applique l'oreille, nue ou armée d’un sthétoscope, sur la poitrine d’un homme sain, on entend un léger bruit qui correspond à l'entrée de l'air dans les poumons. Un second bruit plus faible que le premier, et la plupart du temps assez difficile à percevoir, correspond à la sortie de l’air ou à l’expiration. On a donné le nom de murmure respiratoire ou vésiculaire au bruit pro- duit par l'entrée et la sortie de l’air dans les poumons. Ce murmure est caractérisé, pendant l'inspiration, par une espèce de souffle léger, qui donne à l'oreille la sensation d’un mouvement d’expansion ou de dilata- tion, doux et moelleux. Le bruit produit par la sortie de l’air est à peine perceptible dans l’état normal, et il faut une oreille un peu exercée pour le saisir. Le murmure respiratoire est dû aux frottements de l’air contre les pa- rois des conduits aériens ?, On conçoit que le frottement de l’air est plus grand pendant l'inspiration que pendant l'expiration. La durée de l’in- spiration étant moindre que la durée de l'expiration (Voy. $ 115), la vi- tesse du courant d’air est plus grande dans le premier temps que dans le second, et, par conséquent aussi, le frottement. Cette différence dans l'intensité des deux bruits est encore une conséquence de l'énergie plus grande des agents de l'inspiration (Voy. $ 119). Le murmure inspiratoire se prolonge pendant toute la durée de l’in- spiration, tandis que le murmure expiratoire, à peine sensible, ne se fait sentir qu’au commencement de l'expiration : la plus grande partie de l'expiration est silencieuse, le courant d’air ayant peu de vitesse, surtout à la fin de l’expiration. On estime généralement que le bruit de l’inspi- ration est triple en durée environ du bruit de l'expiration. La durée du bruit de l’expiration est quelquefois anormalement aug- mentée dans certains points du poumon. Elle peut égaler la durée du bruit de l'inspiration, elle peut même la surpasser et s'étendre à tout le 1 On a cherché à localiser l’origine du murmure respiratoire. M. Spittal et M. Beau placent celte origine aux levres de la glotte, Il est certain que l'air qui entre dans le poumon, ou qui sort de cet organe, rencontre dans le larynx les cordes vocales, contre lesquelles il frotte. Une partie du bruit doit donc se produire en ce point. Mais la persistance du murmure respira- toire chez les individus et les animaux auxquels la trachée est largement ouverte au-dessous des cordes vocales, et les changements que l’état de dilatation ou de rétrécissement des bronches apporte à l'étendue et au timbre de ces bruits démontrent que la localisation du mur- mure respiratoire n’est pas possible, et qu’il est engendré dans toute l'étendue des conduits aériens. Ce bruit a sans doute plus d'intensité dans certains points que dans d’autres, comme, par exemple, aux cordes vocales et aux éperons des divisions bronchiques. CHAP. IV. RESPIRATION. 281 temps de l'expiration. Cette prolongation anormale du bruit expiratoire, désignée assez improprement sous le nom d’expiration prolongée, indi- que, en général, un obstacle local à la sortie de l’air, situé profondé- ment sur le trajet des conduits aériens, ou un rétrécissement de ces conduits, et elle a en pathologie une importance d'autant plus grande que, précédant parfois toute autre manifestation morbide, elle présage souvent une affection grave (tubercules pulmonaires). Lorsqu'on applique l'oreille ou le stéthoscope dans les points voisins de la racine des poumons, on entend un bruit qui diffère un peu du mur- mure respiratoire ou vésiculaire. Ce bruit, déterminé en ces points par le frottement de l’air sur les parois des gros tuyaux bronchiques, a reçu, en pathologie, le nom de souffle bronchique. Dans l’état normal, ce souffle se confond plus ou moins avec le murmure respiratoire général. Lors- que le poumon acquiert une densité anormale, par cause pathologique, ce souffle prend un certain développement, et comme le murmure vési- culaire est souvent suspendu, il devient prédominant, et se transmet par résonnance dans des points même éloignés du siége de l’induration. En appliquant le stéthoscope sur le trajet cervical de la trachée-ar- tère, on perçoit directement le bruit déterminé par le frottement de l’air contre cette partie des voies aériennes, et aussi le retentissement du bruit produit au-dessus (à l'ouverture glottique) et au-dessous (dans les bronches). Le murmure {respiratoire a été désigné en ce point sous le nom de souffle trachéal. | Aux bruits respiratoires dont nous venons de parler, viennent s’en joindre d’autres, dont le siége n’est plus dans les poumons ni dans les bronches, mais dans les fosses nasales. Chez une personne bien con- formée qui respire doucement et la bouche fermée, l’air entre et sort par les fosses nasales et produit un léger bruit, qui a principalement son siége dans la partie antérieure des fosses nasales. Ce léger bruit s’en- tend surtout dans le silence de la nuit ; ilse complique souvent du mou- vement oscillatoire des mucosités nasales agitées par le courant d'air. Quand la bouche est en même temps grande ouverte, le passage de l’air se trouve considérablement agrandi, et le bruit devient à peu près nul, à moins toutefois que n’interviennent les oscillations vibratoires du voile du palais. Dans ce dernier cas, le bruit augmente d'intensité et prend un autre caractère, le caractère du ronflement. Les bruits respiratoires éprouvent, dans les maladies de l'appareil de la respiration, des altérations nombreuses. La dilatation ou le resserre- ment des canaux par lesquels entre et sort l’air atmosphérique ; l’état de la membrane muqueuse bronchique, celui de la substance pulmo- naire, dont la congestion agit par refoulement sur les ramifications bronchiques voisines, ou dont la destruction partielle détermine dans le parenchyme pulmonaire des cavités anormales ; l’état de vacuité ou de plénitude des bronches, la nature des liquides qu’elles contiennent ; 282 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, la destruction de la plèvre pulmonaire et la communication anormale des canaux bronchiques avec la cavité des plèvres : toutes ces conditions nouvelles entraînent dans l'intensité, la durée, le siége et le timbre des bruits respiratoires, des modifications dont la connaissance est précieuse pour le médecin. L'ensemble coordonné de ces notions forme aujour- d’hui, sous le nom d’auseultation, grâce aux immortels travaux de Laën- nec, l’une des sources les plus fécondes du diagnostic. Mais ce n’est point ici le lieu de nous en occuper. ARTICLE III. DE QUELQUES ACTES DANS LESQUELS INTERVIENNENT LES AGENTS MÉCANIQUES DE LA RESPIRATION. ; $ 196. Les agents mécaniques de la respiration entrent en jeu dans une foule d'actes physiologiques. — Déjà, à propos du vomissement, de la défécation, de la préhension des liquides et du cours du sang veineux, nous avons insisté sur le rôle des puissances actives de l'inspiration et de l'expiration. Nous verrons plus tard ces agents intervenir aussi d’une manière spéciale dans la phonation, dans la locomotion, dans la mic- tion difficile, dans l'expulsion du produit de la conception, etc. Nous signalerons seulement ici quelques actes qui se rangent plus naturelle- ment dans les fonctions de respiration que dans les autres : tels sont le bäillement, le sanglot, le hoquet, le rire, le ronflement, la toux, l’ex- pectoration, le crachement, l’éternument. La plupart de ces actes ont leur point de départ dans un état particulier du système nerveux, et l’excitant en vertu duquel le système nerveux met les puissances mus- culaires en jeu, pour les produire, est pour quelques-uns d’entre eux à peu près inconnu. & 197. Bâillement. — Le bâillement survient dans des conditions diverses. Tantôt il est le signe du désœuvrement et de l’ennui, tantôt il annonce le besoin de sommeil ; d’autres fois il est l’expression d’un sentiment de mal- aise et de faiblesse, et il précède la syncope. Il consiste en une inspiration lente et profonde, la bouche étant grande ouverte. A l'inspiration succède une expiration lente aussi, et graduée. Pendant le bâillement, les voies nasales sont fermées à la sortie de l’air par l'application du voile du palais contre la paroi opposée du pharynx. La tension du voile du pa- lais a lieu au commencement du bâillement et au moment où la bouche s'ouvre largement, et elle dure jusqu’au moment où le bâillement se termine par la fermeture de la bouche. On sent très-bien sur soi-même ce mouvement, en quelque sorte convulsif, du voile du palais, et il est facile de le constater directement en bâillant devant un miroir, tandis qu'on déprime légèrement la langue. CHAP. IV. RESPIRATION. 283 S 198. ‘Hoquet. — Le hoquet est essentiellement déterminé par une sorte de convulsion du diaphragme. Il consiste en une inspiration brusque. Le diaphragme, en se contractant, s’abaisse rapidement. L’air se précipite alors dans la poitrine et fait entrer en vibration les lèvres de la glotte. La vibration des lèvres de la glotte est la cause déterminante du bruit parti- culier auquel on reconnaît de loin le hoquet. Il est probable que, dans ce moment, la contraction des muscles dilatateurs de la glotte ne se trouve plus harmonisée avec l’action inspiratrice du diaphragme convulsivement et anormalement contracté. Les cordes vocales relâchées, cédant sous la pression de l'air qui se précipite dans la poitrine, résonnent tout en di- minuant l'ouverture par laquelle pénètre l'air, et rendent ainsi l’inspira- tion à la fois bruyante et anxieuse. Le hoquet se montre, la plupart du temps, chez les individus nerveux et chez les jeunes enfants dont l’esto- mac est rempli outre mesure. Il survient aussi aux approches de la mort, etilest d’un fâcheux présage. S 199. Sanglot. — Le sanglot a une grande analogie avec le hoquet. Il est également déterminé par la contraction convulsive du diaphragme et par la résonnance des lèvres de la glotte. Il en diffère en ce que la contraction du diaphragme est saccadée, de manière que le bruit produit pendant l'inspiration aux lèvres de la glotte présente un caractère d’intermittence. De plus, la sortie de l’air pendant l’expiration qui suit présente aussi les mêmes caractères. La glotte résonne aussi de la même manière et sui- vant le mode intermittent, pendant l’expiration. Le sanglot est souvent accompagné de pleurs, et il persiste quelquefois assez longtemps chez les enfants, quand les pleurs ont cessé. Il survient dans les émotions vives et annonce un profond ébranlement du système nerveux. $ 130. Rire. — Le rire est caractérisé par des expirations résonnantes et sac- cadées, qui se succèdent avec rapidité. La résonnance ou le bruit du rire est déterminée, et par les vibrations des cordes vocales, et aussi par celles du voile du palais. Dans le rire, le bruit produit aux lèvres de la glotte ne l’est plus par le même mécanisme que dans le hoquet et le sanglot. Les lèvres de la glotte, convenablement disposées par leurs muscles tenseurs, rendent un son analogue à celui de la phonation : le rire est dit alors bruyant. Dans le rire modéré, les cordes vocales ne prennent plus part à la résonnance, et les vibrations du voile du palais subsistent seules. Au reste, on peut rire la bouche ouverte ou fermée. Le sourire n’est qu’une expression particulière des muscles du visage, à laquelle les phénomènes de la respiration restent à peu près ou tout à fait étrangers. 984 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, 8 131. Ronflement. — Le ronflement est caractérisé par la résonnance anor- male de l'air dans les fosses nasales et le pharynx, les autres conditions de la respiration restant les mêmes. La résonnance du ronflement est gé- néralement déterminée par les vibrations du voile du palais. Ces vibra- tions peuvent avoir lieu et pendant l'inspiration et pendant l'expiration. Le ronflement se produit à volonté. Il suflit de respirer par la bouche, de porter la langue en arrière et en haut, et d’inspirer et d’expirer avec une certaine énergie. En se plaçant alors devant un miroir, on constate aisé- ment les vibrations du voile du palais. Le ronflement causé par les vibra- tions du voile du palais pendant l’expiration a lieu très-facilement, quand la bouche est ouverte ; quand la bouche est fermée, il a lieu encore, mais moins fréquemment ; la colonne d’air de l’expiration qui sort par le nez, quand la bouche est fermée, rencontrant le voile du palais suivant le plan incliné de sa face postérieure, n’a pas la même tendance à le faire osciller que la colonne d'air qui, sortant par la bouche, le soulève par sa face inférieure. Le ronflement peut encore être produit par les liquides qui obstruent les cavités nasales et buccales. En général même, cette résonnance vient se joindre aux vibrations du voile du palais, et contribue à en modifier l'intensité ou le timbre d’une infinité de manières. S 132. Toux.— La toux est caractérisée par une expiration brusque et sonore, précédée d’une inspiration profonde. La toux survient généralement à l’occasion d’un sentiment d’irritation ou de gêne sur un point de l’appa- reil respiratoire. L'homme qui va tousser inspire profondément et prend une sorte d’élan, afin de chasser ou de balayer par le courant rapide de l'expiration les mucosités des bronches. Au reste, la toux peut avoir lieu volontairement par action directe du système nerveux sur les muscles de la respiration, et sans intermédiaire d’une irritation locale de la mu- queuse pulmonaire. Le bruit de la toux est déterminé par les lèvres de la glotte, mises en vibration par le courant presque instantané de l'expiration. L’expiration, au moment de la toux, est une expiration forcée. Dans les efforts de toux un peu énergiques, tous les muscles expirateurs entrent en contraction violente. Comme le fait très-bien remarquer M. Bérard, il y a deux temps dans le son de la toux. Le premier correspond au mo- ment même où l'air est expulsé; il est produit par les vibrations de la elotte; le second a lieu à l'instant même où cesse l'effort brusque de l'expiration. Le timbre du bruit change de nature, et le son est produit par la rentrée brusque de l'air par la bouche et les fosses nasales , alors que les parois thoraciques, qui avaient été violemment ramenées en de- dans par la contraction forcée des expirateurs, se restituent tout à coup, CHAP. IV. RESPIRATION. 285 par leur élasticité, à leur position moyenne d'équilibre. M. Bérard com- pare ingénieusement le son produit alors dans la poitrine à celui qui a pour cause le choc en retour produit par l’air dans une bouteille qu’on débouche vivement. Les deux bruits dont nous parlons se succèdent d’ailleurs avec une assez grande rapidité, et il faut une certaine attention pour les distinguer. S 133. Expectoration et crachement. — L’expectoration qui accompagne sou- vent la toux est déterminée par le passage brusque de l’air au travers des canaux bronchiques. Le courant d'air ascendant balaye, en quelque sorte, les voies aériennes, entraînant avec lui les mucosités qui les ob- struent. Lorsque ces mucosités sont épaisses et adhérentes aux parois muqueuses, la toux prend une énergie proportionnée à la puissance né- cessaire pour les détacher; quelquefois ces efforts ne sont pas toujours suflisants, et il faut plusieurs quintes de toux pour faire successivement cheminer les mucosités jusque dans l’arrière-bouche. L’expectoration n’est pas toujours accompagnée de toux. Lorsque les mugosités ou les crachats occupent la trachée, le larynx ou le pharynx, une expiration forcée suffit généralement pour les faire parvenir dans la bouche. Cette expiration est bruyante, accompagnée des vibrations du voile du palais, et parfois aussi de celles de la glotte. Le bruit produit ici a la plus grande analogie avec celui du ronflement pendant l'expiration. Arrivées dans la bouche, les mucosités sont expulsées au dehors. Cet acte porte plus particulièrement le nom de crachement. A cet effet, la bouche se dispose d’une manière particulière. Le voile du palais s’applique à la partie postérieure du pharynx, de manière à interrompre la commu- nication de la bouche avec les fosses nasales. La langue rassemble les mucosités à la partie antérieure de la bouche , puis elle se retire brusque- ment en arrière au moment où l'air, vivement chassé par un brusque mouvement d'expiration , chasse au dehors les mucosités rassemblées à l'ouverture de la bouche, restée demi-close pour augmenter la vitesse du courant d’air. S 134. Éternument. — L’éternument est un acte généralement involontaire, souvent déterminé par une irritation vague du voile du palais, A cette sensation vague succède bientôt une inspiration profonde qui prépare le phénomène. Cette inspiration est suivie par une expiration brusque et sonore, qui est l’éternument proprement dit, mais qui n’en constitue ce- pendant que la dernière phase. L’expiration brusque de l’éternument se fait à la fois par la bouche et par les fosses nasales, et le courant d’air entraîne souvent au dehors, dans toutes les directions, les liquides buccaux et nasaux. Le bruit de l’éternument, comme celui de la toux, est produit par la 286 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. vibration des cordes vocales, et il est renforcé par les parties supérieures des voies respiratoires, en particulier par la résonnance de l’air dans les fosses nasales. L'éternument est souvent précédé par une contraction, en quelque sorte spasmodique, des muscles de la face, qui donne au visage un caractère particulier. Cet acte est parfois accompagné d’un effort violent des puis- sances respiratrices; et comme il est involontaire, on ne peut pas toujours en graduer la puissance. Aussi est-il quelquefois suivi d’ébranlements dans la tête, de douleurs violentes dans la poitrine, et même quelquefois de ruptures vasculaires. La cause de l’éternument est dans le système nerveux ; mais l’excita- tion primitive a souvent son point de départ dans une irritation des mem- branes muqueuses. Dans le coryza, les muqueuses nasales irritées le dé- terminent, et il est facile de le provoquer artificiellement, en chatouillant le voile du palais ou l’intérieur des fosses nasales, à l’aide du doigt ou d’une barbe de plume. SECTION II. L] Phénomènes physico-chimiques de la respiration. S 135. En quoi consistent ces phénomènes. — À chaque mouvement d’in- spiration, une certaine quantité d'air atmosphérique pénètre dans les poumons ; à chaque mouvement d'expiration, une certaine quantité d’air est expulsée au dehors; mais l’air qui sort n’est pas identique avee l’air qui entre ; il a subi dans la proportion de ses éléments constituants, et aussi dans ses propriétés physiques (température, état hygrométrique), des modifications qui se rattachent à des changements importants dans la constitution du sang. Les modifications dans les qualités de l’air ex- piré, et les changements correspondants dans la constitution du sang, tels sont donc les deux termes du problème physico-chimique de la respi- ration. ARTICLE I. DE L'ALTERATION DE L'AIR PAR LA RESPIRATION. S 136. Composition et analyse de l'air atmosphérique. — Pour bien com- prendre les altérations qu’entraine la respiration dans la constitution de l’air, et en mieux saisir la mesure, rappelons en quelques mots la com- position normale de l’air. L'air est un mélange d'oxygène et d’azote, dans des proportions qui sont sensiblement les mêmes sur tous les points du globe: dans les val- lées et dans les plaines, dans les villes et dans les campagnes. L'air ren- CHAP, IV. RESPIRATION. 287 ferme, en outre, üne quantité variable de vapeur d’eau, une petite pro- portion d’acide carbonique, et, en outre, mais en quantités infiniment petites, quelques autres gaz ou vapeurs *. Nous ne pouvons examiner ici dans tous leurs détails les procédés d'analyse de l'air ; mais il nous est impossible de les passer compléte- ment sous silence. La physiologie, en effet, n’est arrivée à se former, sur les phénomènes physiques de la respiration, des idées exactes que le jour où les produits de l’expiration ont été soumis à des analyses ri- goureuses. Or, les procédés à l’aide desquels on analyse l’air expiré ne diffèrent point des procédés employés pour l'analyse de l’air ordinaire. Toute la différence porte sur le moyen de recueillir les gaz. Nous aurons occasion plus loin de revenir sur les moyens employés pour recueillirles gaz de l’expiration, et sur les modifications à faire subir aux appareils. L'analyse quantitative de l’air ne porte jusqu’à présent, d’une manière certaine, que sur les proportions relatives de l’oxygène, de l’azote, de l’acide carbonique et de la vapeur d’eau. Toute analyse de l’air com- prend deux séries d'opérations distinctes. La première à pour but de dé- terminer les proportions de la vapeur d’eau et celles de l’acide carboni- que ; dans la seconde, on dose l’oxygène et l’azote. Dosage de la vapeur d’eau et de l'acide carbonique. — L'appareil dont on Fig. 50. APPAREIL POUR DOSER LA VAPEUR D'EAU ET L’ACIDE —=— CARBONIQUE DE L'AIR. \ N/A 0 1 Parmi ces substances, répandues en quantité infiniment petite dans les couches inférieures de l'atmosphère, les unes sont simplement divisées et suspendues par l'agitation des vents, les autres sont à l’état de gaz ou de dissolution. Parmi ces substances, on peut compter les gaz sulfureux, sulfhydrique ou ammoniaque, l'acide azotique en vapeur ; les émanations des végétaux et des animaux, par suité de leur décomposition ou de leurs fonctions; les exhalai- sons fournies par le travail des usines, par l'exploitation des mines, l’éruption des volcans, le voisinage des marais, et une infinité de poussières de toute espèce, etc. 288 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. se sert pour ce dosage est représenté fig. 50. Il se compose d’une série de tubes en U. Les uns, /, e, b, a, sont remplis de pierre ponce imbibée d'acide sulfurique, et les autres, ç, d, contiennent des fragments de pierre ponce imbibés d’une dissolution de potasse caustique. Ces tubes, pesés d’avance avec leur contenu, reliés les uns aux autres à l’aide de tubes de verre et de manchons imperméables de caoutchouc, forment une chaîne qui vient se fixer, par l’une de ses extrémités, au sommet d’un vase aspirateur M. Ce vase aspirateur, étant mis en action par l’ou- verture du robinet R, force l’air à pénétrer par l'extrémité N de la chaîne et à traverser les tubes en U. Dans son passage à travers ces tubes, l'air se dépouille complétement de sa vapeur d’eau dans les tubes sulfu- riques, et de son acide carbonique dans les tubes potassiques. Après l'expérience, l'augmentation de poids des tubes f, e, b, a représente la quantité de vapeur d’eau fixée. L'augmentation de poids des tubes d, c représente la quantité d’acide carbonique fixé. On sait, d’une autre part, quelle est la quantité d’air qui a traversé l'appareil, par la quantité dont s’est abaissé le niveau de l’eau dans le vase aspirateur i. On arrive ainsi à constater (après les corrections de pression et de température) que 10,000 parties d’air contiennent de 4 à 6 parties d’a- cide carbonique ; ce qui revient à dire que l'air contient 4/10,000 ou 6/10,000 d'acide carbonique, par conséquent une quantité extrêmement faible. Quant à la quantité de vapeur d’eau contenue dans l'air, elle varie dans des limites très-étendues, car elle dépend du degré de saturation de l'atmosphère, et la saturation elle-même s'élève avec la température. Pour une température moyenne de 15 degrés centigrades, un mètre cube d’air contient, lorsqu'il est complétement saturé d’humidité, 14 erammes de vapeur d’eau. Dosage de l'oxygène et de l'azote. — On peut employer, pour déter- miner les proportions d'oxygène et d'azote, divers procédés, tels que la combustion du phosphore dans un espace clos, ou la combustion, dans l’eudiomètre, d’un volume connu d'hydrogène mélangé à l’air atmosphé- rique. Un autre procédé d’analyse est celui. qui consiste à déterminer à chaud l’oxydation du cuivre ; ce procédé permet de doser directement, et à la fois, le poids de l’oxygène et le poids de l’azote. L'appareil em- ployé pour ce dosage est représenté fig. 51. La pièce principale de cet appareil consiste en un tube de verre épais MN, rempli de cuivre métal- lique en fragments. Ce tube est adapté, d’un côté, à un ballon A d’une certaine capacité, et, de l’autre, à deux tubes E, D, remplis de pierre 1 Le vase aspirateur est un vase rempli d’eau, qui porte à sa partie inférieure un robinet; ce robinet, terminé par un tube fin, laisse couler goutte à goutte l'eau du vase. L’air ne peul arriver dans ce vase qu’en s’engageant par l'ouverture N et en traversant les tubes en U. Chaque goutte d'eau qui s'écoule est remplacée par un volume d'air équivalent, puisé par le tube N dans le milieu qu’on veut analyser. CHAP, IV. RESPIRATION. 289 ponce imbibée d’acide sulfurique, et à un tube de Liebig C, rempli de Fig. 51. APPAREIL POUR DOSER L'OXYGÈNE ET L’AZOTE DE L'AIR. potasse caustique en dissolution. On commence par faire le vide dans le ballon A et dans le tube rempli de cuivre MN. Le vide est maintenu dans l’appareil par les robinets R, R', R". On chauffe alors le tube MN, con- venablement disposé dans une auge de tôle, et l’on ouvre ensuite les ro- binets R,R',R”, qui permettent la rentrée de l’air dans l'appareil. Ces ro- binets doivent être ouverts d’une très-faible quantité, de manière que l'air aspiré par le vide du ballon ne parcoure l'appareil qu'avec une grande lenteur. L'air traverse alors, bulle à bulle, le tube C, où il se dé- pouille de son acide carbonique, et les tubes D, E, où il abandonne sa vapeur d’eau; il arrive dans le tube MN sur le cuivre chauffé, qui lui enlève son oxygène, et l’azote seul se rend dans le ballon. La différence entre le poids du tube MN, avant et après l’expérience, représente le poids d'oxygène fixé; la différence entre le poids du ballon vide et le poids du ballon après l’expérience représente le poids de l'azote qu'il contient. Après certaines précautions et corrections relatives aux pe- sées, on arrive à ce résultat, qu’à 768,9 d'azote correspondent 238,1 d'oxygène, c’est-à-dire que 100 parties d’air en poids renferment 76,9 d’azote et 23,1 d'oxygène. Le rapport en volume entre l'azote et l'oxygène se calcule facilement, en tenant compte des densités. En volume, l'air contient, pour 100 parties, 20,9 d'oxygène et 79,1 d'azote. L’air atmosphérique entoure de toutes parts les animaux et les plantes et agit incessamment sur eux. L'influence qu’il exerce sur l’économie ani- male peut être envisagée sous trois points de vue principaux : 1° sous celui de la pression qu’il détermine comme fluide pesant; 2° sous le rap- port de l’impression qu’en reçoit l'enveloppe tégumentaire extérieure ; 3 enfin, relativement à ses effets sur le sang dans les poumons. Ces deux derniers points de vue se rattachent aux phénomènes de la respiration pulmonaire et cutanée. (Voy., pour l’autre mode d'influence, le chapitre MouvemEnT, $S 233 et 234.) 19 290 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION, Un 137. Quantité d'air inspiré et expiré. — La quantité d’air qui entre dans les poumons pendant l'inspiration et celle qui sort pendant l'expiration ne se balancent pas exactement l’une l’autre. Cette quantité n’est pas ab- solument et rigoureusement la même, parce que le volume de gaz expiré est un peu moins considérable que le volume de gaz mspiré; nous ver- rons bientôt pourquoi. Pour le moment, nous pouvons faire abstraction de ces différences minimes. A chaque expiration, le poumon ne se vide jamais complétement de l'air qu’il renferme ; après l'expiration, même la plus forcée, le poumon contient encore une quantité d’air assez considérable. À chaque inspira- tion, l’air qui entre dans les poumons ne fait donc qu'augmenter la pro- portion de celui qui y était contenu ; et à chaque expiration il reste dans le poumon une quantité d'air qui varie avec la capacité de la cage thoracique. La quantité d’air qui entre dans le poumon à chaque inspiration et la quantité correspondante de l'air expiré ne peuvent pas être évaluées d’une manière absolue. Elles varient avec les individus, elles varient avec la capacité des poumons, elles varient avec les conditions extérieures; elles varient avec l’état de repos et l’état de mouvement, elles varient avec l'énergie ou la faiblesse des mouvements respiratoires. Ceci nous explique pourquoi les évaluations données par MM. Davy, Allen et Pepys, Dalton, Bostock et Menzies, etc., ne sont pas les mêmes. Les chiffres qu’on peut fournir en pareille matière ne peuvent donc avoir qu’une valeur approxi- mative. Il importe cependant de poser ces chiffres : nous aurons souvent besoin d'y recourir dans les développements qui vont suivre. Plusieurs procédés peuvent être employés pour arriver à cette évaluation. Aïnsi on peut, par exemple, expirer pendant un certain temps exclusivement par la bouche, au travers d’un tube recourbé plongeant dans un vase renversé sur une cuve à eau. La quantité d’eau déplacée représente la quantité de gaz ex- piré pendant un temps donné. Divisant alors ce nombre par le nombre des expirations opérées dans le même temps, on a en volume la quantité d’air rendu à chaque expiration. Il est vrai que l'attention soutenue de l’observateur, dans l’accomplissement d’une fonction qui se fait ordinai- rement sans le concours de la volonté, constitue, dans ce procédé, une cause d’erreur ; mais, avec de l’habitude, on peut se prémunir contre elle et se rapprocher d’une manière assez satisfaisante de la respiration nor- male. Un autre procédé, signalé par M. Valentin, est basé sur ce fait, que l'air qui sort du poumon, à une température donnée (comme nous le ver- rons), est saturé pour cette température. Or, en évaluant Ja quantité d’air qui correspondrait à la quantité de vapeur d’eau recueillie pendant un certain nombre d’expirations, on peut ainsi calculer la quantité d’air affé- rente à chaque expiration en particulier. CHAP, IV, RESPIRATION, 291 En combinant ces deux méthodes, qui fournissent, d’ailleurs, des ré- sultats assez concordants, M. Valentin fixe en moyenne à 500 centimètres cubes d'air, c’est-à-dire, en d’autres termes, à 1/2 litre, la quantité d’air qui entre et sort des poumons à chaque mouvement respiratoire. M. Bé- rard, qui a fondu ensemble, dans une moyenne commune, les nombres fournis par MM. Goodwin, Bostock et Menzies, Davy, Herbst, est arrivé à un résultat à peu près analogue (à 27 pouces cubes, c’est-à-dire à peu près 1/2 litre 1). M. Vierordt donne aussi, comme résultat d’un très-grand nombre d'observations, une moyenne sensiblement la même (507 centi- mètres cubes). 500 centimètres cubes, ou 1/2 litre, telle est donc en moyenne la quan- tité d’air mis en circulation dans le poumon, pendant chaque mouvement respiratoire normal. Dans les mouvements exagérés de la respiration, cette quantité peut être portée bien plus loin. Ces mouvements exagérés ne constituent, il est vrai, que des phénomènes passagers et exceptionnels ; mais ces éva- luations ne sont pas absolument sans importance. Les procédés de men- suration sont au reste, ici, d’une grande simplicité; il suflit, en effet, de faire une inspiration maximum et une expiration maximum dans un ré- servoir convenablement disposé ; on constate ainsi qu’une inspiration et une expiration forcées peuvent faire entrer dans les poumons et sortir de cet organe de 3 à 4 litres d’air (de 3000 à 4000 centimètres cubes). M. Hutchinson a construit un appareil spécial pour ce genre d’expé- riences. Il donne à cet appareil le nom de spiromètre. Depuis, un grand nombre d'appareils de ce genre ont été proposés par MM. Vogel, Win- trich, Guillet, Bonnet, etc. Tous ces instruments ne sont, en réalité, que des réservoirs renversés sur l’eau, dans lesquels la pression est maintenue la même pendant toute la durée de l’expérience. Pour se servir de ces appareils, on fait faire à un individu une inspiration forcée et l’on fait expirer l'air (jusqu'aux dernières limites de l'expiration) dans un tube qui communique avec l'appareil. En opérant avec l’un ou avec l’autre de ces appareils, on constate que le volume d'air, qu’une inspiration maxi- mum et qu’une expiration maximum peuvent mettre en circulation dans les poumons, est variable suivant les individus. C’est à ce volume variable que M. Hutchinson donne le nom de capacité vitale des poumons. M. Hut- chinson à cherché à établir qu'il y a entre la capacité des poumons, la taille et Le poids des individus (surtout la longueur des membres infé- rieurs) un rapport sensiblement constant; d’où il conclut que, connais- sant les derniers facteurs du problème, on en peut induire le premier. M. Arnold, et plus récemment M. Bonnet (qui propose de remplacer l’ex- pression de spirométrie par celle de pneumatométrie) sont arrivés à des ré- 1 Si nous joignons à ces chiffres ceux fournis par MM. Allen et Pepys (327 centimètres cubes), et par Dalton (595 centimètres cubes), la moyenne générale reste à peu pres la même, c'est-à-dire 4/2 litre. 292 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. sultats analogues à ceux de M. Hutchinson, c’est-à-dire qu'ils ont constaté que la capacité vitale des poumons varie principalement avec la taille des individus. Voici les moyennes des résultats de M. Arnold, lesquels repo- sent sur un nombre considérable de faits. HAUTEUR DU CORPS CAPACITÉ VITALE DES POUMONS EN CENTIMÈTRES, EN CENTIMÈTRES CUBES, c. Lo De 154,5 à 457 57 159,5 Les chiffres produits par M. Bonnet sont tout à fait concordants. Ainsi, il trouve, pour les petites tailles, de 2 litres 1/2 à 3 litres (de 2500 à 3000 centimètres cubes), pour les tailles moyennes 3 litres 1/2 (3500 cenli- mètres cubes), pour les grandes tailles 4 litres (4000 centimètres cubes). M. Bonnet vérifie ainsi cette remarque de M. Arnold, savoir : qu'à partir de trente-cinq ans, la capacité vitale des poumons va sans cesse en di- minuant d’une faible quantité. La grandeur de la circonférence du thorax influe également sur les ré- sultats et aussi, ainsi qu’on pouvait le prévoir, les professions, le sexe, et surtout le genre de vie, c’est-à-dire les habitudes corporelles. Le fait annoncé par M. Hutchinson, et étudié depuis quelques années avec beaucoup de persévérance, a pris une certaine importance en patho- logie : on conçoit, en effet, que la diminution dans le volume d’air que l'individu peut mettre en circulation dans ses poumons, par exemple, puisse indiquer que les phénomènes de la respiration ne s’accomplissent pas comme ils doivent s’accomplir dans l’état normal, appeler l'attention du médecin ou sur l’état des poumons ou sur l’état de la cage thoraci- que et servir de mesure à l’état pathologique. Il ne faut ni s’exagérer la portée des services que la spirométrie peut rendre en pathologie, ni repousser systématiquement ce nouveau mode d'investigations, comme quelques-uns le font. Les recherches de M. Buys- Ballot, celles de M. Fabius, celles de M. Donders prouvent, il est vrai, que la capacité vitale des poumons est subordonnée à des conditions Imdi- viduelles si nombreuses, qu'il n’est guère possible d'arriver aujourd’hui, à cet égard, à des déterminations rigoureuses. Mais il n’en est pas moins certain que toutes les affections du ponmon diminuent la capacité vitale des poumons. CHAP, IV. RESPIRATION, 295 S 138. Changements chimiques dans la constitution de l'air expiré.— L'air que nous expirons est moins riche en oxygène que l'air que nous avons inspiré. Il perd donc de l’oxygène pendant son passage dans les poumons. D'un autre côté, il contient une quantité d’acide carbonique beaucoup plus considérable. Quant aux proportions d’azote, tantôt elles sont à peu près les mêmes dans l’air expiré et dans l’air inspiré, tantôt les propor- tions de ce gaz sont légèrement augmentées dans l'air expiré. De la quantité d'oxygène dans l'air expiré.—L'air expiré contenant moins d'oxygène que l’air inspiré, la quantité en moins représente la propor- tion d'oxygène enlevée à l’air atmosphérique et passée dans le sang, au travers des membranes du poumon. Des recherches assez exactes ont été faites sur ce point par M. Davy et aussi par MM. Allen et Pepys. Ces derniers recueillaient les produits de l'expiration dans un gazomètre et en faisaient ensuite l'analyse. Les ex- périences plus récentes de MM. Brunner et Valentin offrent, à cet égard, des garanties plus sérieuses d’exactitude. L'appareil employé par MM. Brunner et Valentin, pour mesurer chez l’homme la quantité d'oxygène contenue dans l’air expiré, est représenté fig. 52. Il consiste dans un vase à trois tubulures À, d’une contenance de Fig. 52. { litre environ. Sur la tubulure du milieu est fixé un entonnoir à robinet D, rempli de mercure. Sur l’une des deux autres tubulures est fixé un tube recourbé et à renflements C, terminé à son extrémité par un em- bout B, destiné à s'appliquer hermétiquement sur la bouche. Ce tube re- courbé contient, dans sa partie déclive, en C, de l’amiante imbibée d’a- cide sulfurique. La troisième tubulure donne passage à un tube recourbé, qui plonge librement dans un verre E rempli d'acide sulfurique. L'expé- 294 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION. rimentateur applique hermétiquement l’embout B sur sa bouche, inspire par le nez et expire par la bouche. L'air contenu dans le flacon A est dé- placé par l'air expiré, et sort en E, annonçant sa sortie par des bulles qui éclatent à la surface de l’acide sulfurique. Au bout d’un quart d'heure, on peut être certain que tout l’air atmosphérique a été chassé par dépla- cement, et que le mélange gazeux contenu dans le flacon A représente exactement les gaz de l'expiration ‘. On laisse alors refroidir l'appareil. Le contenu gazeux du flacon A ne renferme point de vapeur d’eau, car l'air expiré s’en est dépouillé pendant l'expérience, en traversant le tube C:il renferme done l'oxygène, l'azote et l'acide carbonique expirés. Reste à doser la quantité d'oxygène contenue dans le mélange gazeux du fla- con. À cet effet, on adapte à la tubulure moyenne du flacon À un tube à renflements GH. Le tube G contient des fragments de chlorure de calcium ou de la pierre ponce imbibée d’acide sulfurique ; il est destiné à arrêter les traces d'humidité qui auraient pu échapper au tube C. Le tube H con- tient des fragments de phosphore. A la suite de H est un tube à ampoules rempli de coton. On chauffe alors le tube à phosphore, et on ouvre légè- rement l’entonnoir à mercure qui surmonte l'appareil. Le mercure qui tombe dans le flacon A déplace le mélange gazeux et le force à passer par le tube à phosphore, où il se dépouille de son oxygène. L’oxygène se fixe sur le phosphore, et forme de l’acide phosphorique, de l’acide phospho- reux et de l’oxyde de phosphore. Ces produits se subliment sur les parois du tube H, ou sont arrêtés par le tube à coton qui lui fait suite. Le volume du mélange gazeux qui a traversé le tube à phosphore est indiqué par le volume du mercure qui l’a déplacé dans le flacon A. En comparant la quantité dont le tube à phosphore et les tubes à coton ont augmenté de poids, au volume du mélange gazeux qui a traversé le tube à phosphore, on obtient le poids d'oxygène contenu dans un volume dé- terminé du mélange gazeux. Le poids d'oxygène obtenu est réduit en volume par un simple calcul. En opérant ainsi, MM. Brunner et Valentin ont trouvé (moyenne de 34 expériences) que l’air expiré ne contient plus que 16,03 pour 100 en volume d'oxygène. Or, l’air atmosphérique en contient 20,9 pour 100; il a donc disparu, par absorption, 4,87 d'oxygène pendant la respiration. Cette quantité n’est point uniforme dans les divers animaux à sang chaud. Les expériences de MM. Regnault et Reiset ont démontré que, dans un temps donné, les animaux plus petits que l’homme, tels que le chien, le lapin, les oiseaux, consomment , eu égard à leur poids, par la respiration, une quantité d'oxygène plus considérable que l’homme. La quantité d’acide carbonique exhalé dans le même temps est également plus considérable. Le degré d’altération de l’air qui passe à chaque res- piration par les poumons diffère donc chez eux de ce qu'il est chez 1 Au bout de ce temps, en effet, il a passé environ 135 litres de gaz dans l'appareil (1/2 litre par expiration, et 18 expiralions par minute). CHAP. IV, RESPIRATION. 295 l’homme. Cette énergie, plus grande dans la respiration, est liée à des conditions de température animale, sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Elle tient sans doute aussi à l’étendue de la surface développée du poumon, comparée avec le poids du corps de l'animal. Ce qui est certain, c’est que la capacité du poumon est proportionnellement moindre chez l’homme que chez la plupart des quadrupèdes de petite taille. Du reste, la quantité d'oxygène absorbé pendant une respiration est su- jette à des modifications nombreuses ; elle est subordonnée, comme on le conçoit, à la durée du mouvement respiratoire. Il est loisible à l’homme de la faire varier à volonté ; il lui suflit pour cela de modifier ses mouve- ments respiratoires. En ralentissant beaucoup la respiration, c’est-à-dire en conservant l'air plus longtemps dans les poumons, la proportion de l'oxygène absorbé augmente. Elle était de 4,87 pour 100; elle peut s’éle- ver alors à 7 et même à 7,5. (Valentin.) De la quantité d’acide carbonique dans l'air expiré. — L'appareil employé par MM. Brunner et Valentin pour mesurer la quantité d’acide carbonique contenu dans l’air expiré par} l’homme est le même que celui de la fi- gure 52 (Voy. p. 293), avec cette exception, que l’on adapte à la suite du tube à phosphore, lorsque l’appareil est rempli par les gaz de l'expiration, un tube à renflement K (Voy. fig. 52)renfermant des fragments de pierre ponce imbibés d’une dissolution saturée de potasse caustique. Lorsque le vase A est rempli par les produits gazeux de l’expiration, on ouvre l’entonnoir à mercure qui surmonte ce vase, et on détermine ainsi le passage des gaz au travers des tubes à analyse. Les produits ga- zeux s’échappent non-seulement au travers du tube à phosphore, mais encore au travers des tubes renfermant de la potasse caustique. Ces der- niers tubes fixent l'acide carbonique, et des pesées comparatives, avant et après l'expérience, indiquent ses proportions. Il résulte de 103 observations faites par MM. Brunner et Valentin, que la quantité d'acide carbonique contenue dans l’air expiré est de 4,267 (minimum 2,361, maximum 5,495) pour 100 en volume (l'air inspiré n’en contenait que 0,0004 ou 0,0006 de son volume). M. Vierordt, qui a tenté à cet égard près de 600 expériences, est arrivé, à peu de chose près, aux mêmes résultats. L'air expiré contient, suivant lui, en moyenne 4,336 (minimum 3,358, maximum 6,220) pour 100 en volume d'acide carbonique. Le rhythme de la respiration a, sur la proportion d’acide carbonique contenue dans les produits de l’expiration, une influence marquée. Lorsque la respiration est très-accélérée, la proportion d’acide carbonique diminue notablement dans l’air expiré. Il semble que son exhalation n'ait pas le temps de se produire. Une respiration lente favorise, au contraire, la sortie de l'acide carbonique; précédemment nous avons vu que cette len- teur favorisait en même temps l'absorption de l'oxygène. M. Vierordt fait 60 mouvements respiratoires par minute : il n’y a que 2,4 pour 100 d'’a- cide carbonique dans l'air expiré; il fait seulement 11 mouvements res- 296 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. piratoires dans le même temps : l’air expiré contient 4,34 pour 100 d’a- cide carbonique ; il conserve l’air dans les poumons pendant 20 secondes (3 mouvements respiratoires par minute); cet air en contient 6,5 pour 100 à l'expiration. La proportion d'acide carbonique contenue dans de l’air conservé dans les poumons pendant 60 secondes s’élève à 7,44 pour 100. M. Horn a fait sur lui-même les mêmes expériences. La même condition qui fait varier la quantité d'acide carbonique exhalé par les poumons en un temps donné est accompagnée de variations cor- respondantes dans la quantité d'oxygène absorbé. Absorption d'oxygène , exhalation d’acide carbonique constituent, au point de vue chimique de la respiration, deux termes liés l’un à l’autre. Ils augmentent ou diminuent ensemble , de manière que leur rapport reste toujours à peu près le même. Ceci est vrai non-seulement dans les conditions exceptionnelles dans lesquelles se sont placés les observateurs qui ont expérimenté sur l’homme ou sur eux-mêmes, mais encore le même résultat s’est produit dans les diverses recherches tentées sur la respira- tion des animaux. Cette constance dans le rapport entre la quantité d’oxy- gène absorbé et la quantité d’acide carbonique exhalé tient en effet, nous le verrons, à l’essence même des phénomènes de la respiration. Dans leurs recherches chimiques sur la respiration des animaux, MM. Regnault et Reiset n’ont pas procédé comme MM. Brunner et Va- lentin. Les animaux sont introduits dans un volume d’air limité, dans le- quel ils séjournent plusieurs jours. La composition de l’air est d’ailleurs sans cesse ramenée à l’état naturel par le jeu des appareils. L’oxygène consommé par les animaux est restitué à l’air à mesure qu'ils le consom- ment. L’acide carbonique produit est enlevé à mesure qu'ils le dégagent. Quant à l’azote, comme sa quantité varie peu, on ne l’apprécie qu’à la fin de l’expérience. Dans ce mode d’expérimentation, l'animal se trouvant placé dans un espace limité, clos de manière que rien ne s’en échappe, il s’ensuit qu’on peut modifier à volonté les conditions de l’expérience : on peut varier, par exemple, les proportions du mélange gazeux offert à la respiration. Nous reviendrons à diverses reprises sur les résultats ob- tenus par MM. Regnault et Reiset; nous placerons seulement ici sous les yeux du lecteur l’appareil qui a servi à leurs expériences. L'appareil employé par MM. Regnault et Reiset est représenté fig. 53. Il se compose de trois parties essentielles : 1° de l’espace dans lequel est renfermé l’animal; 2° d’un condenseur de l’acide carbonique formé dans la respiration; 3° d’un appareil qui remplace constamment l’oxygène ab- sorbé par l’animal. 1° L'espace qui contient l’animal consiste en une cloche de verre A, de 55 litres de capacité environ. La cloche A présente à sa partie inférieure une ouverture destinée au passage de l’animal et fermée par un cou- vercle hermétiquement assujetti à l’aide d’un système de boulons. La cloche A est, en outre, enveloppée d’un manchon en verre BB’. Ce man- CHAP. IV. RESPIRATION. 297 chon est rempli d’eau à une température déterminée, de manière que l’air de la cloche A est maintenu à une température sensiblement constante pendant l'expérience. La partie supérieure de la cloche A présente une tubulure qui donne passage à plusieurs tubes, Par le tube e la cloche DS Se Pig, 53. L.BELHATTE.SC + - communique avec un manomètre à mercure », qui donne à chaque in- stant la tension du gaz intérieur. Par les tubes £, é, la cloche À commu- nique avec l’appareil condenseur d’acide carbonique. Le tube v sert à l'introduction, par le robinet r, de l’oxygène nécessaire au rétablissement de la composition normale de l’air. 298 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. 2 L'appareil condenseur d’acide carbonique consiste en deux vases C, C’, de capacité de 3 litres chacun. Ces deux vases contiennent chacun 1 litre 1/2 d’une dissolution de potasse, dont la composition et le poids sont connus, et communiquent entre eux par leurs tubulures au moyen d'un tube en caoutchouc gg'q". Les tubulures supérieures des vases C et C'’ communiquent, par l'intermédiaire de longs tubes en caoutchouc /!", avec les tubes £ et é, et, par conséquent, avec la cloche A. Les vases C et C' sont montés sur des cadres en fer, et ces cadres sont suspendus à un mouvement de va-et-vient annexé à l'appareil, et dont le centre est en O. Ces cadres sont guidés dans leur mouvement d’élé- vation et d’abaissement par des tringles de glissement. Lorsque la pi- pette C monte, la pipette C’ descend, et comme la dissolution circule libre- ment dans le tube en caoutchouc gg'g", la pipette C se vide et la pipette C’ se remplit. L'effet opposé se produit quand la pipette C descend et que la pipette C’ monte. Lorsque le liquide passe de l’une des pipettes dans l’autre , il refoule l’air, dont il prend la place, du côté de la cloche A, tandis que l’air est aspiré de la cloche A vers la pipette qui se vide de liquide. Le jeu des pipettes GC et C’attire donc et repousse donc à chaque instant l’air de la cloche A, et de plus, l’air qui retourne vers cette cloche a été débarrassé de l’acide carbonique par son contact avec la potasse. L'une des pipettes attire l’air du sommet de la cloche par l’un des tubes t, l’autre pipette attire l’air de la région inférieure de la cloche par le prolongement j et j' de l’autre tube £. Ces deux prises d’air, situées à des hauteurs différentes, déterminent une agitation continuelle de l’air res- piré par l'animal, et tendent ainsi à lui conserver une composition uni- forme dans toute sa masse. 3° L'appareil destiné à fournir imcessamment l’oxygène nécessaire à la respiration consiste en trois ballons de verre ou trois grosses pipettes N, N', N'. Chacune de ces pipettes présente une tubulure supérieure et une tubulure inférieure. La tubulure supérieure est pourvue d’une monture métallique à deux branches; l’une des branches, pourvue du robinet 7”, est destinée à conduire l'oxygène vers la cloche qui contient l'animal. La seconde branche, pourvue du robinet s, est destinée à remplir les pipettes N, N', N’ d'oxygène (avant l'expérience). La tubulure inférieure présente également une monture métallique à deux branches. Lune des branches, pourvue du robinet R, sert à laisser écouler le liquide des pipettes quand on les remplit d'oxygène. L'autre branche, composée d’une partie hori- zontale et d’une partie verticale z, sert à introduire dans les pipettes le liquide destiné à remplacer le gaz oxygène, quand celui-ci se dirige vers la cloche où est l’animal. Le flacon M, placé sur le chemin de l’oxygène qui des pipettes N, N’, N'se dirige vers la cloche A, contient une petite quantité de dissolution de potasse. On juge, par le passage des bulles de gaz à travers le liquide, de la rapidité avec laquelle marche le courant, c’est-à-dire de la rapidité CHAP. IV. RESPIRATION,. 299 avec laquelle l'animal consomme l’oxygène. En effet, toute diminution de tension, déterminée dans l'appareil par la fixation de l’acide carbonique dans les pipettes potassiques CC’, est aussitôt comblée par le courant ga- zeux des pipettes N, N', N’ vers la cloche A. Le réservoir de liquide PQxzx', placé à la partie supérieure et gauche de la figure, est destiné à fournir constamment aux pipettes N, N', N’la quantité de liquide nécessaire pour maintenir la force élastique du gaz in- térieur de ces pipettes égale à celle de l’atmosphère. Les ballons renversés 0, 0’, 0”, dans le réservoir PQxx', ont pour but de maintenir constant le niveau du liquide zx’ dans le réservoir !, 4° Enfin, à côté de la cloche A se trouve disposé un manomètre X, qu’on peut mettre en communication avec la cloche A, à l’aide des robinets 7’, r". Ce manomètre, pourvu inférieurement d’un robinet, donne la possibilité de puiser, à un moment quelconque de l'expérience, un volume déterminé d’air dans la cloche A, pour le soumettre à l’analyse. Dans leurs expériences, MM. Regnault et Reiset laissaient séjourner l’a- nimal dans l’appareil jusqu’à ce qu'il eût transformé en acide carbonique 100 ou 150 litres d'oxygène; l'expérience avait une durée de douze ou quinze heures. Quelquefois elle était prolongée pendant deuxoutroisjours. Quand on veut faire une expérience avec l’appareil que nous venons de décrire, on commence par mettre en mouvement le mécanisme ? des je pettes C, C’ (préalablement garnies d’une quantité connue de dissolution potassique), et par remplir les pipettes N, N', N° d'oxygène. On place l’a- nimal dans la cloche, on scelle hermétiquement le couverele qui couvre le trou par lequel on l’a introduit, puis on met en communication la pi- pette N avec le flacon laveur M, et, par conséquent, avec la cloche où est l’animal. L’acide carbonique, formé par la respiration, étant continuelle- ment absorbé par les pipettes C et C”, la tension du gaz diminue dans la cloche où est l’animal (le volume d’acide carbonique produit correspon- dant à un volume précisément égal d'oxygène) et la pipette N envoie dans la cloche un volume équivalent d'oxygène. De cette manière, l’animal se trouve dans un milieu dont la tension ne varie pas et dont la composition est sensiblement la même. Quand la pipette N a livré tout son gaz, et qu’elle se trouve remplie par le liquide du réservoir PQ qui a pris sa place, on ferme le robinet r” et on la remplace par une autre (par N', puis par N”). Si l’expérience dure longtemps, on peut remplir de gaz et épuiser successivement plusieurs fois chacune des pipettes d'oxygène. Pour terminer l’épération, on fait une prise d’air dans la cloche A, à l’aide du tube manométrique X. L'analyse de cet air donne la composition 1 Le liquide du réservoir PQ, de même que le liquide des pipettes NN'N”', est formé d’une dissolution concentrée de chlorure de sodium , qui n’exerce qu’un pouvoir dissolvant tres- faible sur l'oxygène. 2 Ce mécanisme peut être mü par un contre-poids, comme un mouvement de tournebroche. 500 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. du milieu gazeux qui entoure l’animal à la fin de l'expérience. On con- naissait la composition de ce milieu au début de l'opération (air atmo- sphérique). La quantité d'oxygène fournie à l'animal est connue par le nombre des pipettes N qui sont vidées ; la quantité d’acide carbonique for- mée par lui est connue par l’augmentation de poids des pipettes C et C. La proportion d’azote contenue dans l’air, à la fin de l’expérience, est rap- portée au volume de la masse gazeuse contenue dans l'appareil. Les recherches de MM. Regnault et Reiset, précieuses par la rigueur des analyses et par le nombre des animaux sur lesquels elles ont porté, ne sont pourtant pas à l’abri de toute objection. Les échanges qui se font par la peau sont mis sur le compte de la respiration pulmonaire. Il est vrai que, sur les animaux couverts de poils et de plumes, ces échanges sont bien plus limités qu'ils ne le sont chez l’homme, et qu’on peut chez eux, et sans erreur sensible, attribuer la totalité de l’acide carbonique produit aux phénomènes de la respiration‘. Une objection plus sérieuse, c’est que les animaux se trouvaient placés dans un milieu gazeux saturé de vapeur d’eau : on voyait, en effet, pendant la durée des expériences, l’eau ruis- seler sur les parois de la cloche. D’une autre part, malgré les précautions prises pour absorber l’acide carbonique à mesure qu'il était formé, l’air renfermé dans la cloche, à la fin des expériences, contenait en moyenne 2 pour 100 d’acide carbonique. Cette proportion, qui n’est pas suffisante pour amener l’asphyxie, n’est probablement pas sans influence sur la na- ture des gaz exhalés par le poumon dans les derniers temps del’expérience. Pour placer l’animal dans une situation aussi rapprochée que possible de l’état normal, il serait préférable de le placer au milieu d’un courant d'air, déterminé par un appareil aspirateur amenant sans cesse de l’air neuf et entraînant sans cesse l’air vicié. L'expérience serait plus compli- quée, il est vrai, et les masses de gaz à analyser seraient considérables ; mais nous dirons avec M. Gavarret : « L'établissement et l’entretien d’un courant constant d'air pur autour de l’animal ne permettrait pas peut-être d'atteindre un si haut degré de précision dans l’analyse des gaz expirés, mais on satisferait beaucoup plus sûrement aux exigences physiologiques du problème. » S 139. Rapport entre la quantité d'oxygène absorbé et la quantité d'acide carbonique exhalé.— En moyenne, l’air expiré contient 4,87 d'oxygène en moins que l'air inspiré ; d’une autre part, il contient en moyenne 4,26 en plus d’acide carbonique ?. Ces deux quantités (4,87 et 4,26), quoique 1 Chez les mammiferes et les oiseaux, l’exhalation cutanée de l'acide carbonique ne s'élève qu’au 0,008 de l'acide carbonique rendu par l’exhalation pulmonaire; c'est du moins la moyenne des résultats de MM. Regnault et Reiset. Chez l’homme, au contraire, l’exhalation cutanée d’acide carbonique constitue la trente-huitieme partie de l’exhalation pulmonaire. (Voy. S 156.) 2? La quantité d'acide carbonique contenue dans l'air atmosphérique est si petite qu’on peut la négliger. Elle ne changerait pas ces moyennes. CHAP, IV, RESPIRATION., 301 à peu près égales, ne le sont cependant pas complétement. La quantité d'oxygène absorbé pendant la respiration l'emporte sur la quantité d’a- cide carbonique exhalé. Cette différence existe dans tous les cas. Lorsque la proportion d'acide carbonique exhalé par la respiration augmente et que la proportion d'oxygène absorbé augmente, ou lorsque la proportion d'acide carbonique exhalé diminue et que la proportion d'oxygène absorbé diminue (phénomènes qui marchent ensemble, ainsi que nous venons de le voir, il y a toujours un léger excès de l'absorption d'oxygène sur l’exha- lation d'acide carbonique. Voilà pourquoi, à la longue, le volume de l'air expiré ne représente pas complétement le volume de l’air inspiré. On peut donc dire, dans l’accep- tion rigoureuse du mot, que l'animal consomme une certaine proportion d'air. Il est vrai que cette différence est comblée, en partie, par l'excès d'azote que les animaux rendent parfois par la respiration. Mais cette exhalation d’azote n’a pas lieu dans tous les moments, et quand elle a lieu, elle est trop faible pour établir une compensation complète. Il résulte du fait que nous signalons que des animaux placés dans un milieu atmosphé- rique limité finissent, à la longue, par en diminuer réellement le volume. A quoi est dû cet excès d'absorption d'oxygène? L’acide carbonique expiré n'étant, en résumé, que le produit définitif de la combustion des éléments du sang aux dépens de l'oxygène inspiré, l'acide carbonique et l'oxygène devraient se correspondre volume à volume, car un volume déterminé d'oxygène qui brüle du charbon donne un égal volume d’acide carbonique. Mais les résultats de la combustion animale ne consistent pas seulement en acide carbonique, ils consistent encore en d’autres produits et particulièrement en eau. Une partie de l’oxygène inspiré est utilisée à la combustion de l'hydrogène : dès lors le volume d'acide carbonique exhalé en un temps donné ne représente jamais exactement le volume entier de l’oxygène absorbé. & 140. Des causes qui font varier la proportion d'acide carbonique exhalé par le poumon en un temps donné. — Nous avons déjà signalé quelques- unes de ces conditions, telles que l’espèce à laquelle appartient l'animal, les différences individuelles tenant au développement des poumons, les rhythmes variés de la respiration. Mais d’autres causes, en assez grand nombre, peuvent faire varier ces proportions. Les mieux connues sont l’âge et le sexe des individus, la température ambiante, l’espèce et la qua-" lité de l'alimentation, l’état d’inanition ou de nourriture insuflisante, l’é- tat de mouvement ou de repos, l’état de veille ou de sommeil, la torpeur hibernale de quelques espèces animales, Ces conditions, en apparence si diverses, tiennent toutes à une cause générale qui est la même, c’est-à- dire à la quantité variable d’acide carbonique produit dans le sang en un temps donné, ou, autrement dit, aux combustions des éléments combus- tibles du sang. 302 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION. Relativement au sexe et à l’âge, MM. Andral et Gavarret ont fait, sous ce rapport, des expériences nombreuses, qui établissent que l’homme exhale une quantité d'acide carbonique plus considérale que la femme, et cette différence est surtout marquée entre trente et quarante ans. Chez l’homme, la quantité d'acide carbonique exhalée va croissant de huit à trente ans. À partir de trente ans, l’exhalation d’acide carbo- nique commence à décroître. À l’époque de l'extrême vieillesse, l’ex- halation d'acide carbonique est à peu près ce qu’elle était vers l’âge de dix ans. Chez la femme, l’exhalation de l’acide carbonique croît aussi jusqu’à la puberté. Quand la menstruation apparaît, elle reste stationnaire (l’é- conomie se débarrassant périodiquement, par les règles, d’une partie du sang non comburé). Elle augmente à l’époque de l’âge de retour, puis elle décroît, comme chez l’homme, à mesure que la femme approche de la vieillesse. Lorsque les règles de la femme sont suspendues, accidentelle- ment ou pendant la durée de la grossesse, le chiffre de l'acide carbonique exhalé par le poumon s'élève momentanément. Enfin, dans les deux sexes et à tous les âges, la quantité d’acide carbonique exhalé par le poumon est d'autant plus élevée que la constitution est plus forte. On doit conclure des expériences précédentes que l’énergie des com- bustions qui s’exécutent dans le sang, sous l'influence de l’oxygène ab- sorbé par la respiration, diminue avec les progrès de l’âge, depuis l’état adulte jusqu’à l'extrême vieillesse. Mais il n’en faudrait pas conclure que cette énergie est moindre chez les jeunes enfants que chez les adultes. Chez les adultes, il est vrai, la proportion d’acide carbonique exhalé est plus forte, en un temps donné, que chez les enfants ; mais il faut remarquer que le poids des uns est beaucoup plus grand que celui des autres. Dans les expériences de MM. Andral et Gavarret, un enfant de huit ans exhale, en une heure, une quantité d’acide carbonique qui représente 5 grammes de carbone brülé ; entre seize et quarante ans, la quantité d’acide carbo- nique exhalé dans le même temps est à peu près du double; elle repré- sente environ 10 grammes de carbone brûlé. Mais il est bien certain qu’un enfant de huit ans ne pèse pas la moitié d’un adulte (en moyenne, il ne pèse pas même le tiers, d’après les tables de M. Quételet). Or, si nous rap- portons à 1 kilogramme de poids du corps la quantité d’acide carbonique produite en un temps donné, il est facile de voir, d’après les résultats de MM. Andral et Gavarret, que dans l’enfance cette quantité est plus éle- vée que dans l’âge adulte, et, à fortiori, que dans la vieillesse. Cela est, du reste, parfaitement en rapport avec l’activité des fontions nutritives chez l’enfant, et avec la quantité proportionnellement plus grande de son alimentation, laquelle est destinée à fournir les matériaux de combus- tion. Cette évaluation de la quantité d’acide carbonique produit en un temps donné, rapportée à 4 kilogramme du poids de l'animal, sera plus d’une fois employée dans le cours de ce chapitre et des suivants, et elle CHAP. IV. RESPIRATION. 305 est véritablement la manière la plus exacte de se rendre compte des phé- nomènes de combustion qui s’accomplissent dans l’économie. La figure 54 représente l'appareil employé par MM. Andral et Gavarret dans leurs expériences. Cet appareil se compose de trois grands ballons de verre D, D’, D", reliés entre eux par un tube qui leur est commun et par Fig. 54. des manchons de caoutchouc. Avant de procéder à l’expérience, on dé- tache le masque ABC, et on fait le vide dans les ballons, en mettant le robinet E en communication avec une machine pneumatique ou avec unê pompe aspirante. Le vide étant poussé aussi loin que possible, on ferme le robinet E pour maintenir le vide, eton fixe à l’appareïl le masque ABC, à l’aide d’un tube flexible terminé par un manchon en caoutchouc. Le sujet en expérience place alors son visage dans l’ouverture du masque. Cette ou- verture est garnie, sur ses contours, d’un bourrelet de caoutchouc destiné à établir un contact hermétique avec le visage. Cela fait, on ouvre d’un cer- tain degré le robinet E. Le vide des ballons force l’air extérieur à entrer dans l'appareil par le tube B, qui fait partie du masque. Le sujet en ex- périence respire dans le courant d'air; ce courant entraîne avec lui dans les ballons les produits de l’expiration. On gradue le courant d’air par le degré d'ouverture du robinet E, et de manière que les produits de l’ex- piration soient en totalité entraînés vers les ballons. L’aspiration exer- cée par les ballons pendant l'expérience tend à appliquer le visage, à le coller en quelque sorte contre le contour du masque, de manière que les produits de l'expiration n’ont aucune tendance à s'échapper au dehors, entre le visage et le masque. Les produits de l’expiration ne peuvent pas non plus sortir par le tube B, attendu la direction du courant d’air; ce- pendant, pour plus de sûreté et pour s’opposer à tout courant rétrograde, on place à l’ouverture du tube B une petite sphère de liége qui, formant soupape, permet l’entrée de l’air et s'oppose à sa sortie. Il y a en C, sur le masque, un cadre supportant une lame de verre qui permet d’exami- ner le visage du sujet et de voir si l’expérience marche bien. On arrête 504 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. l'expérience, avant que le vide des ballons ne soit complétement comblé, en fermant le robinet E. On laisse ensuite refroidir l'appareil, et, après les corrections de pression et de température, on pratique l'analyse du mé- lange gazeux contenu dans les ballons, d’après les procédés indiqués pré- cédemment (Voy. $ 136). La quantité d’acide carbonique exhalée par un même individu varie aussi avec la température, mais dans des proportions assez limitées. Cette quantité est moindre par une température élevée; elle est plus grande par une basse température. Dans les expériences de M. Valentin elle a été de 4,37 pour 100 pour une température moyenne de 0° (centigr.); et de 3,06 pour 100 pour une température de + 21°. Dans celles de M. Vierordt, elle était de 5 pour 100 pour une température de +3° (centigr.); elle s’est abaissée à 4,2 pour une température de+ 24° (centigr). Remarquons que l’homme qui doit lutter contre le froid par sa chaleur propre a une tem- pérature sensiblement constante. Il doit produire plus de chaleur quand il fait froid que quand il fait chaud. Les combustions respiratoires, et en par- ticulier la production de l’acide carbonique, se trouvent donc dans une re- lation intime avec la température ambiante. Ajoutons encore que la quan- üté des matériaux de combustion ingérés (aliments) augmente aussi d’une manière générale avec l’abaissement de la température. L'élévation de la pression atmosphérique diminue un peu la proportion d'acide carbonique exhalé. Il est probable que ce résultat est dû à une modification passagère dans les lois de l’endosmose et de l’exosmose ga- zeuse, dont le poumon est le siége. Pendant le sommeil, la quantité d’acide carbonique produit s’abaisse un peu. Notons que le sommeil est caractérisé par le ralentissement de la cir- culation et le calme des mouvements respiratoires. La diminution de l’acide carbonique exhalé se montre aussi, mais dans des proportions considérables, pendant le sommeil hibernal des animaux. Pendant ce sommeil prolongé,non-seulement les phénomènes mécaniques de la respiration sont considérablement ralentis, mais encore les animaux demeurent, pendant un temps souventtrès-prolongé, sans prendre aucune nourriture. La consommation de l’oxygène et l’exhalation de l’acide car- bonique s’élevant et s’abaissant ensemble ($ 138), on peut se faire une idée de la petite quantité d’acide carbonique exhalée pendant le sommeil hibernal par les résultats numériques suivants. Un hérisson, qui consom- mait 1 litre d'oxygène quand il était éveillé, ne consommait plus que Oit,0%, ou même Oit,02 quand il était plongé dans le sommeil hibernal et pendant un même espace de temps (Saissy). Une marmotte qui, à l'état de réveil, consommait par heure et par kilogramme de poids du corps 1 gramme d'oxygène, ne consommait plus par heure, quand elle était plongée dans son sommeil d'hiver, que 08,04 d'oxygène par kilogramme de poids de corps (Regnault et Reiset). L'inanition, en supprimant le renouvellement des matériaux de la com- CHAP, IV. RESPIRATION. 505 bustion, diminue de la même manière la proportion d’acide carbonique exhalé par le poumon. L'alimentation insuflisante agit dans le même sens. Il en est de même aussi pour certaines espèces d’aliments. La nourri- ture féculente, par exemple, augmente la proportion d’acide carbonique exhalé. Des chiens nourris avec du pain donnent, en un temps donné, une proportion d'acide carbonique plus considérable que lorsqu'on les nourrit avec de la viande (Regnault et Reiset). Les féculents représen- tent, en effet, des aliments hydrocarbonés plus directement réductibles en acide carbonique et en eau que les aliments azotés, dont la combus- tion est généralement incomplète, et qui passent par une série de com- posés intermédiaires. L'alcool et les boissons alcooliques exercent, sous ce rapport, une in- fluence remarquable. Déjà M. Vierordt avait observé qu'après l’ingestion d’une certaine quantité d'alcool, la quantité d'acide carbonique exhalé di- minue au bout de peu d’instants. Cette diminution dure deux ou trois lieu- res, et les proportions normales de l’acide carbonique reparaissent ensuite. M. Duchek a fait, à cet égard, de curieuses expériences. Il a constaté que la diminution de l’acide carbonique dans les produits de l’expiration coïn- cide avec le temps que l’alcool met à disparaître du sang. L'alcool, aussitôt après son introduction dans le sang, se métamorphose en aldehyde, facile à reconnaitre à son odeur spéciale. Or, l’aldehyde est un corps très-com- bustible, qui a plus de tendance à brüler que tous les autres principes du sang ; il s'empare dès lors avec énergie de l’oxygène absorbé par la res- piration et circulant avec le sang. Les produits de sa combustion sont, il est vrai, de l’acide carbonique et de l’eau, mais la proportion d’eau pro- duite est plus grande, eu égard à la proportion d’acide carbonique, que dans la combustion de la plupart des autres matériaux combustibles, tels que le sucre et la graisse. M. Duchek ajoute que, pendant le temps qu’em- ploie l’aldehyde à brüler, les autres matériaux combustibles du sang, et, par exemple, les matières grasses, sont temporairement épargnés : il ex- plique ainsi l’'embonpoint des buveurs de profession. On à aussi signalé l’abaissement du chiffre de l’acide carbonique ex- piré dans certains états morbides, en particulier dans le typhus. Il est pro- bable qu’un pareil résultat doit se produire dans les affections qui altè- rent profondément le jeu des fonctions et entravent les phénomènes de la circulation. Le choléra, caractérisé par un abaissement remarquable dans la production de la chaleur animale, est dans le même cas. S 141. De la quantité d'azote dans l'air expiré. — L'air expiré contient quel- quefois la même proportion d’azote que l'air inspiré. D’autres fois il y a un léger excès d'azote dans les produits de l’expiration : M. Despretz, M. Boussingault, MM. Regnault et Reiset l'ont nettement établi. La quantité d’azote contenue dans l'air expiré est très-faible, Dans les 20 506 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. expériences de MM. Regnault et Reiset, qui ont porté sur des chiens, des lapins et des oiseaux, c’est-à-dire sur des animaux carnivores et herbi- vores, elle n’a été en moyenne que les à millièmes de la quantité d’acide carbonique exhalé. Il n’y a pas eu de différences bien sensibles, sous ce rapport, entre les carnivores et les herbivores. L’azote qu’exhale ainsi, en petite quantité, le poumon, provient-il de respirations antérieures qui l’auraient préalablement introduit dans le sang”? Il est vrai que le fait a lieu dans des conditions exceptionnelles et particulièrement sur des animaux soumis à l’inanition, car on note par- fois une légère diminution d’azote dans les produits de l'expiration de ces animaux. Mais c’est là un fait rare et anormal. Dans la plupart des cas, l’exhalation d’azote étant seule observée, ce gaz ne peut provenir que du dedans. Il procède des transformations organiques des matières azotées, et il peut en être considéré comme l’un des produits ultimes 1. $ 142. De la température de l'air expiré.— L'air que nous inspirons est gé- néralement à une température moindre que celle de notre corps?. Il n’y a d'exception à cette règle que dans les pays très-chauds. L’air qui entre dans les poumons, se trouvant en contact avec un organe plus chaud que lui, lui enlève de la chaleur et sort avec une température supérieure à qu'il avait à son entrée. Le degré de température de l’air expiré varie naturellement avec la température de l’air inspiré. Lorsque celui-ci est frès-froid, le réchaufte- ment de l’air n’est pas tout à fait le même que quand la température extérieure se rapproche de celle du corps humain. Cependant il ne faut pas croire que la différence soit grande. Si l’on inspire par le nez et si l’on expire par la bouche, pendant quelque temps, au travers d’un tube contenant dans son intérieur un thermomètre (Voy. fig. 55), on constate 1 Quelques auteurs (Spallanzani, Davy (1800), Provençal (1809)) avaient noté que l'air ex- piré contient un peu moins d’azote que l'air inspiré. Plus tard, Berthollet (1809), Nysten (1811), Dulong (1823), Despretz (1824), ayant noté une différence en sens contraire, les premiers ré- sultats (peu nombreux d’ailleurs) furent considérés comme des erreurs d'analyse. Mais les re- cherches de MM. Regnault et Reiset, si précieuses sous le rapport de la rigueur des analyses gazeuses, montrerent plus tard que si l’exhalation d’une petite proportion d’azote est la regle, ce n’est pourtant pas une regle sans exception. L’exception (c’est-à-dire l'absorption d’azote par la respiration) peut être reproduite à volonté. Il suffit pour cela de faire jeûner les ani- maux, c’est-à-dire, vraisemblablement, qu'il suffit de diminuer la proportion de l'azote mis en liberté dans le sang, en diminuant l'intensité des métamorphoses organiques. La quantité d'azote tenue en dissolution dans le sang se trouvant diminuée, ce liquide a une tendance (ré- glée par la solubilité des gaz) à se charger d'acide aux dépens de l'air atmosphérique. Allen et Pepys (1808), ainsi que M. Marchand (1845), ont fait voir autrefois qu’en faisant respirer des animaux dans une atmosphère artificielle composée d'oxygène, le dégagement d'azote par la respiration était plus abondant que dans l’air atmosphérique. Ce fait, de même que le précédent, est de nature à démontrer que le phénomène fondamental de l’acte respi- ratoire est réglé par les lois physiques. (Voy. plus loin, $ 149.) 2 La température du corps humain est en moyenne de + 370 (centigr.). CHAP, IV, RESPIRATION. 307 que ce thermomètre s'élève à peu près constamment entre +359 et 437, pour une respiration modérée et pour une température extérieure com- prise entre +109 et +200. Lorsque la température exté- Fig. 55. rieure s’abaisse à zéro ou au-dessous, l’air expiré atteint encore, en moyenne, une température de 30°. La température de l'air expiré ne s'éloigne d’une ma- nière notable de la température propre de l'individu que dans le cas où la respiration est artificiellement très-ac- célérée. L'air n’a pas alors le temps de s’échauffer au contact. S 143. De la vapeur d’eau contenue dans l'air expiré. — L'air qui sort du poumon à chaque expiration s'échappe chargé de vapeur d’eau. L'expérience de tous les jours le démontre clairement. Il suffit d’expirer pendant quel- ques instants sur une glace polie, pour que cette vapeur d’eau s’y condense sous forme de gouttelettes liquides. Lorsque la température extérieure est très-basse, la va- peur de l’air expiré se condense au moment même de sa sortie, et donne lieu à une sorte de brouillard, qui se dis- sipe bientôt en se répandant dans l’atmosphère. La quantité de vapeur, d’eau contenue dans l'air ex- piré est liée de la manière la plus intime avec le degré de température des gaz de l'expiration. L'air expiré sort à l’état de saturation 1 ou à un état extrêmement voisin de la saturation, dans les respira- tions ordinaires. Or, l’air expiré ayant, en moyenne, une température qui s’éloigne peu de +359 à+370, la quan- 4: tube de verre par- we: 5 ÿ couru par l’air expiré. tité de vapeur d’eau qu'il peut contenir est à peu près Bembout destiné à être appliqué sur la bouche. constante. C, thermomètre. ro ; Hd j L D,viroleintérieure des- La quantité de vapeur d’eau émise par la respiration tinée à fixer le thermo- . A r r Q » 7: mètre. pourrait être évaluée immédiatement, en calculant la quantité de vapeur que contiendrait, 4 saturation, un volume d’air égal à celui de l’air expiré, supposé à une température moyenne de +369, en tenant compte, bien entendu, de l’état hygrométrique de l’air inspiré. L'air extérieur ne contient pas toujours, en effet, une quantité égale et déterminée de vapeur d’eau ; cette quantité, au contraire, est très-varia- ble, non-seulement pour des températures’ diverses, mais encore pour une même température. " L’air est dit saturé de vapeur d’eau, lorsqu'il contient, pour une température déterminée, le maximum de vapeur qu’il peut contenir. Si l’on ajoute à de l'air saturé une nouvelle quan- tité de vapeur, celle-ci se condense immédiatement à l'état liquide. La quantité de vapeur qu'un même volume d'air peut tenir en dissolution augmente avec la température. 50$ LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. Ilest plus simple d'évaluer d’une manière directe la quantité de va- peur d’eau contenue dans l'air expiré, en expirant dans un appareil à acide sulfurique ou dans un tube de Liebig analogue à celui employé pour le dosage de la vapeur d’eau contenue dans l’air atmosphérique (Voy. S 136). Pour que cette évaluation soit rigoureuse, il faut tenir compte aussi de la pression barométrique et de l’état hygrométrique de l’air. Il faut encore avoir soin, dans les épreuves de ce genre, comme, d’ailleurs, dans toutes celles qui portent sur la respiration, de ne pas exagérer les mouvements respiratoires. C’est là, en effet, la cause d'erreur la plus fré- quente. Ajoutons que la quantité de vapeur d’eau émise par la respira- tion, en un temps donné, varie avec la taille des individus et la capacité pulmonaire. M. Valentin a fait sur lui-même, pendant deux années, un grand nombre d'expériences sous ce rapport. Il conclut de ses expériences qu'il perd, en vingt-quatre heures, un peu moins de 400 grammes d’eau par le pou- mon. Mais M. Valentin n’est pas d’une constitution athlétique; il ne pesait que 54 kilogrammes à l’époque de ses recherches. Des expériences du même genre, faites sur des individus plus robustes et plus pesants, ont fourni des résultats en rapport avec la force des'sujets. On peut établir, en moyenne, que l’homme perd, par vingt-quatre heures, par ses pou- mons, une quantité d’eau comprise entre 400 et 500 grammes. Il est re- marquable que les chiffres auxquels Séguin est arrivé par une voie diffé- rente sont tout à fait concordants avec ceux-ci. Séguin, en défalquant la perspiration pulmonaire des produits de la per$piration totale, faite, en un temps donné, par la peau etles poumons, évalue la dernière à 15 onces, c'est-à-dire à 488 grammes par vingt-quatre heures. Lorsque la température extérieure est très-basse, la température de l'air expiré s’abaissant un peu, et par conséquent aussi son point de sa- turation, il en résulte que la quantité d’eau rendue par le poumon dimi- nue. M. Valentin a constaté directement le fait par expérience. Il a aussi trouvé que le nombre des inspirations et des expirations, qui a une cer- taine influence sur la quantité d’acide carbonique exhalé, n’en a presque aucune sur celle de la vapeur d’eau expirée en un temps donné. Pour 4, ou pour 40 respirations par minute, les résultats ont été sensiblement les mêmes. Dans les respirations précipitées, en effet, l’air s’échaufte moins dans les poumons; le point de saturation s’élève moins : chaque mouve- ment précipité d'expiration entraîne moins d’eau; de sorte qu'en défini- tive, la moyenne reste la même pour un même espace de temps. La vapeur d’eau qui se forme à la surface du poumon, et que l’air ex- piré entraîne incessamment, enlève donc, en moyenne, au corps environ 1/2 kilogramme d’eau par vingt-quatre heures. Mais si nous songeons combien l’état hygrométrique de l'atmosphère est variable; si nous ré- fléchissons que l'air atmosphérique est quelquefois saturé, et que, dans ce dernier cas, l’air expiré ne se charge que de la quantité de vapeur d’eau CHAP. IV. RESPIRATION. 309 correspondante à son élévation de température pendant son passage dans les poumons, il est aisé de se convaincre que l’évaporation pulmonaire est soumise à des fluctuations nombreuses, et que les conditions météo- rologiques ont sur l’économie une influence énorme. Quand l’air exté- rieur est saturé et qu'il possède une température égale ou supérieure à + 37° (centigr.), la fonction d’exhalation du poumon peut même être suspendue momentanément, et.transportée à la peau et dans le système urinaire. L'eau entraînée, à chaque expiration, par le courant d’air qui traverse les ramifications humides des bronches, provient du sang, comme l’eau de toutes les sécrétions, comme l’eau de tous les liquides de l’économie. L'air s’en charge en passant à la surface de la muqueuse pulmonaire, et elle y est sans cesse remplacée. Nous avons vu précédemment (Voy. $ 136 et 139) que la proportion d'oxygène absorbé l’emportait d’une petite quantité sur la proportion d’a- cide carbonique exhalé. L’excès d'oxygène introduit dans l’organismé est évidemment destiné à brüler l'hydrogène des éléments organiques com- bustibles, et à former de l’eau. Mais il serait tout à fait inexact de regar- der l’eau qui s'échappe par le poumon comme le produit unique de cette combustion en particulier. Il entre dans l’économie avec les boissons, et même avec les éléments solides !, une grande quantité d’eau; cette eau s'échappe par des voies nombreuses, et aussi bien par le poumon que par la peau, par les reins, et d’autres glandes encore. Il est d’ailleurs impos- sible de distinguer l’eau de combustion formée par l’oxygène absorbé dans la respiration, de l’eau universellement répandue dans l’économie; cette eau, mélangée avec celle de tous les liquides et de tous les tissus de l'organisme, s'échappe par des voies d'élimination diverses. En outre, la quantité d’eau formée par l’oxygène absorbé dans la respiration, dans les vingt-quatre heures, est loin de correspondre à celle qui est éliminée dans le même temps par le poumon, et elle n’en formerait qu’une mi- nime partie. S 144. De quelques autres principes éliminés avec l'air expiré. — Les gaz de l'expiration contiennent une très-petite proportion de matière orga- nique. Cette matière (analogue sans doute à celle que la vapeur d’eau qui s'élève d’un sol humide, couvert de débris organiques, entraine avec elle sous le nom de miasmes) s'échappe avec la vapeur aqueuse de l’ex- piration. La matière organique dont nous parlons donne à l'air expiré une odeur particulière, odeur qui devient assez désagréable lorsque les produits de l’expiration sont recueillis et abandonnés pendant quelque ‘ La plupart des aliments solides : viande, pain, pommes de terre, légumes de toute espèce, renferment une grande quantité d’eau. Lorsqu’on les dessèche, ils perdent en effet plus de la moitié et souvent les trois quarts de leur poids, en eau qui se vaporise. 310 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. temps dans un réservoir fermé. Cette matière contribue, avec les sub- stances organiques contenues dans les produits de la transpiration cuta- née, à vicier l’air dans les espaces clos habités par l’homme, et entraine, au même titre que les autres altérations de l’air, la nécessité d’une ven- tilation convenable. Il est probable, d’ailleurs, que, dans un certain nom- bre de maladies contagieuses ou infectieuses, cette matière suspendue dans l'air expiré constitue l’une des voies de transmission du mal. Cette matière colore en jaune l'acide sulfurique au travers duquel l’homme expire pendant longtemps. C’est elle également qui colore en rose une solution concentrée de nitrate d'argent, dans les mêmes con- ditions. … Lorsque certains liquides ou principes volatils sont introduits dans le sang, par absorption ou autrement, le sang qui passe dans les poumons laisse échapper, avec la vapeur d’eau dont se charge l’air, une partie de ces principes. Cette élimination a lieu tant que les substances ne sont pas encore modifiées ou transformées par le travail de la nutrition. Lors- qu'on à pris une certaine dose d’alcool, l’air expiré contient pendant quelque temps des vapeurs d'alcool ou d’aldehyde, reconnaissables à leur odeur. Le principe volatil et odorant de l’ail s'échappe aussi en partie par la voie pulmonaire. Il en est de même pour l’éther, le chloroforme, pour le camphre, le muse, l’assa fœtida, etc. Lorsque des gaz sont introduits dans le sang, le sang qui passe dans les poumons laisse également échapper ces gaz, s’ils sont impropres aux phénomènes de la nutrition. Ainsi, Nysten retrouvait dans les produits de l'expiration l’acide sulfhydrique et l'hydrogène injectés dans le sang. On à quelquefois noté l’ammoniaque parmi les produits de l'expiration. Il est vrai que, dans quelques circonstances, ce gaz se rencontre dans l'air expiré. Mais sa source n’est pas dans le poumon. Il provient de plus haut; il est le résultat de la décomposition putride qui s'opère parfois, soit aux dépens des parcelles alimentaires restées entre les dents après le repas, soit aux dépens des enduits morbides dont se couvrent la langue et les gencives, soit dans la carie dentaire. Des soins de propreté ou des lotions convenables de la bouche suflisent pour faire disparaitre ces gaz. ARTICLE II. ACTION DE LA RESPIRATION SUR LE SANG. S 145. Du sang. — L'étude du sang est du domaine de l’anatomie générale. Nous ne rappellerons ici que les points principaux de son histoire ?. 1 Les injections de peliles proportions de gaz {air atmosphérique, hydrogène, acide sulfhy- drique) dans les vaisseaux sanguins causent sur l'animal un trouble passager, qui disparait au bout de quelques heures. Lorsque la proportion dépasse pour le chien 50 ou 60 centi- mètres cubes, la mort en est la plupart du temps la conséquence (Voy. $ 110). ? Voyez, pour plus de détails, notre article Saxe, dans l’ Anatomie générale de P.-A. Bé- clard, 3e édition, in-80, Paris, 4852. CHAP. IV. RESPIRATION, 511 Le sang est un liquide légèrement alealin, d’une couleur rouge plus ou moins foncée, d’une saveur légèrement salée, d’une odeur sut generis. Le sang est constitué par deux parties différentes. L'une est liquide, transparente : on la nomme plasma du sang; l’autre consiste en une mul- titude de petites molécules microscopiques ou globules, lesquels nagent dans le plasma et sont entraînés avec lui dans le torrent de la circulation. Le plasma contient une matière incolore, dissoute dans le sang vivant, et qui n’est autre que de la fibrine. Cette matière se coagule spontanément, quand le sang est extrait de ses vaisseaux; et, en se coagulant, elle em- prisonne les globules dans les mailles de son tissu. C’est au coagulum, contenant à la fois et les globules et la fibrine du sang, qu'on donne le nom de caillot. Le sérum est constitué par la partie liquide et non coagu- lable du plasma. Les globules du sang sont de deux sortes : les globules rouges et les globules blancs. Les globules rouges, infiniment plus nombreux que les autres, sont constitués, chez l’homme et chez la plupart des mammifères, par de petits disques aplatis un peu renflés sur leur circonférence. Les globules rouges sont constitués par une enveloppe et un contenu coloré. L’enveloppe, ainsi que le liquide visqueux contenu dans l’intérieur des globules, sont constitués par une substance albuminoïde, qui offre toutes les propriétés chimiques des matières azotées neutres. Quant à la matière qui donne au contenu sa couleur, cette matière n’existe dans le globule qu’en quan- tité très-faible. On lui a donné le nom d’hématosine. L’hématosine, ou matière colorante des globules, renferme une petite proportion de ses- œuioxyde de fer. Les globules blancs, peu nombreux (M. Moleschott estime que le nom- bre des globules blancs est au nombre des globules rouges : 1 : 400, et M. Hirt : :1: 1000 en moyenne), sont sphériques et incolores. Ces globules ont la plus grande analogie , sinon une identité complète, avec les glo- bules du chyle et de la lymphe. Il est extrêmement probable que ces globules ne sont que les globules du chyle et de la lymphe, versés dans le torrent circulatoire par le canal thoracique, et qui n’ont pas encore disparu. Cela est d'autant plus probable, que le nombre de ces globules est manifestement plus considérable dans le sang des animaux, à l’époque où se fait l'absorption digestive, que dans toute autre période 1. 1 Cette supposition, faite par nous il y a dix ans, et basée sur l'examen comparé du sang des animaux à jeun et des animaux en pleine digestion, vient de recevoir dernièrement une con- firmation numérique. A l’aide de la méthode dite de Vierordt, perfectionnée par M. Welker (méthode qui consiste à compter les globules sur un micromètre quadrillé), x l’aide de cette méthode M. Hirt, ainsi que M. Marfels, ont constaté que le nombre des globules blancs, com- paré au nombre des globules rouges, augmente après les repas. Ainsi, par exemple, dans les expériences de M. Hirt faites sur lui-même, tandis que la proportion des globules rouges aux globules blancs, quand il était à jeun, était :: 1 : 1500, cette proportion pendant la pé- riode digestive était :: 4 : 700, 312 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. Sur 1000 grammes de sang, il y a, en moyenne, 127 grammes de glo- bules desséchés. Dans les 127 grammes de globules, l’hématosine est re- présentée par 2 grammes environ. L’imperfection des méthodes de sépa- ration ne permet guère de déterminer exactement le rapport des globules humides avec le plasma du sang. On peut admettre cependant, en moyenne, que les globules, tels qu'ils circulent:dans le sang vivant, représentent 50 pour 400 de la masse totale du sang. La fibrine peut être obtenue directement par le battage du sang au sortir de la veine. Elle se rassemble alors sous forme de filaments solides, qu’on recueille, qu’on dessèche et qu’on pèse. La fibrine, qui joue un rôle ca- pital dans la formation du caïllot, n'existe cependant, dans le sang, qu’en très-petite quantité. Sur 1000 grammes de sang, il n’y a guère, en moyenne, que 2 ou 3 grammes de fibrine desséchée. Le sérum du sang contient, à l’état de dissolution, une quantité assez considérable d’albumine. Lorsqu'on chauffe, en effet, le sérum à une tem- pérature supérieure à +70° (centigr.), il se prend en masse par la coa- gulation de l’albumine. Sur 1000 grammes de sang, il y a, en moyenne, 78 grammes d’albumine desséchée. Le sérum du sang, indépendamment de l’albumine, contient encore d'autres matières azotées ou non azotées, qu'on groupe généralement sous la désignation générale de matières extractives, de matières grasses et de sels divers. Joignons une grande proportion d’eau à tous ces élé- ments, et nous aurons du sang une idée complète. Moyenne d'analyses du sang de l’homme (sang extrait des veines du bras). BECQUEREL Fibrine.. . . Albumine Matières extractives.. . Matières grasses... . . SUIS UIVErS: 0 = Les matires extractives du sang s’obtiennent en évaporant le sérum à siccité. Ce résidu, traité par l’eau bouillante (l’eau ne dissout point l’al- bumine du sérum solidifié par la chaleur), abandonne à l’eau des ma- tières solubles. Les unes sont à la fois solubles dans l’eau et l’alcool, les autres sont solubles dans l’eau et Insolubles dans l’alcool. Ces produits existent en petites proportions dans le sang. Ils sont incristallisables pour la plupart. Il est probable que ces matières sont des transformations de l’albumine et de la fibrine, et le premier degré des combustions élimi- CHAP. IV. RESPIRATION. 15 natoires. C’est parmi ces substances qu'il faut ranger : la créatine, la créatinine, l'acide inosique, les matières désignées par M. Mulder sous les noms d'oxyde de protéine, de tritoxyde de protéine, substances provenant de l’oxydation de l’albumine, et d’autres substances mal déterminées. La recherche et le dénombrement exact des matières extractives, c’est- à-dire des substances organiques dissoutes dans le sérum, et autres que l’albumine et la fibrine, est l’un des desiderata de la physiologie ac- tuelle. Des analyses, entreprises depuis quelques années dans cette di- rection, ont déjà fourni des résultats importants. Ainsi, on a signalé dans le sang des animaux et dans celui de l’homme la présence de l’urée, dans l’état physiologique (Simon, Verdeil)!. On y a trouvé encore certains principes absorbés par l'intestin, et non encore transformés ou éliminés (Voy. Absorption); on y a trouvé encore du sucre, non-seulement après l’absorption de cette substance , qui n’est que le dernier terme de la di- gestion des féculents, mais aussi d’une manière à peu près permanente (Voy. Sécrétions, Fonctions du ‘foie, $ 187). On a trouvé de la caséine dans le sang+des nourrices. D’autres principes encore ont été signalés dans le sang, tels que les acides butyrique, lactique, hippurique, urique, formique, acétique , à l’état de combinaison saline avec les alcalis; mais des recherches nouvelles sont nécessaires pour décider si la présence de quelques-uns de ces principes dans le sang ne doit pas être rattachée à l’état pathologique. Les matières grasses contenues dans le sang s’obtiennent en traitant par l'alcool et l’éther le résidu évaporé du sérum et du caillot; car les matières grasses existent dans le sérum, et aussi unies à la fibrine et aux globules. La dissolution alcoolique ou éthérée donne par évaporation les matières grasses du sang, qui sont: l’oléine, la margarine, les oléates et margarates alcalins, la séroline, la cholestérine, la graisse phosphorée, la cérébrine. Les sels du sang s’obtiennent en faisant évaporer le sérum et en inci- nérant le résidu dans un creuset de platine; plus exactement encore, en évaporant et incinérant le sang dans la totalité de ses éléments. Les matières extractives du sang, les matières grasses et les sels repré- sentent, moyennement, environ 10 grammes en poids sur 1000 grammes de sang. Remarquons toutefois que la proportion des matières grasses peut varier dans des limites assez étendues. Ainsi, quoiqu'’elles figurent généralement, dans la plupart des analyses, pour 2 ou 3 grammes sur 1000 grammes de sang, elles existent dans le sang en proportions beau- 1 L'urée est l’un des produits du travail nutritif quis’exécule dans toutes les parties, et cette substance résulte de l'oxydation des matières albuminoïdes soit des lissus, soit du sang lui- même (Voy.S$ 176 et198).— La proportion de l'urée chez l’homme sain est de 0,16 pour 1000. Les circonstances qui entravent le travail éliminatoire de cette substance augmentent sa pro- portion dans le sang. Chez deux femmes atteintes d'aménorrhée, par exemple, elle s'est élevée . à 0,29 et à 0,26 pour 1000. Le sang du placenta en contenait une fois 0,62 et une autre fois 0,28 pour 1000; le sang du fœtus 0,27 pour 1000. Dans la maladie de Bright, la proportion d’urée s’élève parfois jusqu’à 1,5 pour 4000, et dans le choléra à 0,6 ou 0,7 pour 1000, (Picard, Thèses de Strasbourg, 1856.) 14 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. coup plus considérables, au moment de l’absorption digestive, et en par- ticulier quand l'animal a fait usage d'aliments gras. Les matières grasses peuvent s'élever alors, chez l’animal en expérience, jusqu’à 10 et 20 gram- mes pour 1000 grammes de sang. Le chiffre de la graisse contenue dans le sang est alors environ le tiers de celui de l’albumine. Le sang renferme enfin une grande quantité d’eau. Cette eau infiltre les globules et tient en dissolution tous les matériaux solubles du sang. Sur 1000 grammes de sang il y a, en moyenne, environ 790 grammes d’eau. Le sang de l’homme et celui de la femme, en prenant, bief entendu, les moyennes d’un grand nombre d'analyses, paraît différer, mais dans des limites peu étendues. Les différences qui ont été signalées ne portent guère que sur les globules. Le sang de la femme en contiendrait un peu moins que celui de l’homme. Les dernières périodes de la gestation sont caractérisées par une diminution notable dans la proportion des globules du sang de la femme; ceci nous explique l’état de fatigue et d’épuise- ment dans lequel tombent les femmes, dans.les dernières semaines qui précèdent l’accouchement. Les troubles qui surviennent “alors dans la santé de la femme ont été attribués à un état pléthorique ; ils sont ana- logues à ceux qui surviennent chez les individus dont la constitution est débilitée par les saignées ou l’abstinence. S 146. Des gaz du sang. — Le sang contient encore des gaz : ces gaz sont contenus dans le sang, à l’état de dissolution, à peu près comme l’air atmo- sphérique l’est dans l’eau ordinaire. Les gaz du sang sont au nombre de trois : l'oxygène, l'azote et l'acide carbonique. On démontre l'existence des gaz libres dans le sang, en plaçant ce liquide, au moment où il vient d’être extrait des vaisseaux de l’homme vivant, sous le vide de la machine pneumatique, ou en le faisant traverser par un courant d'hydrogène, qui agit par déplacement. L’existence des gaz dans le sang a été signalée d’abord par MM. Vogel, Brande, Stevens, etc.; elle a été mise hors de doute par les expériences de M. Magnus et par celles de M. Bischoff. L’oxygène contenu dans le sang vient de l’air atmosphérique ; l'acide carbonique et l’azote résultent des mutations et des combustions qui s’ac- complissent dans l’économie. L'origine de ces gaz ressort de l'examen des produits gazeux de l’expiration (Voy. $ 138, 141). L’air qui sort des poumons étant moins riche que celui qui y entre, et, d’un autre côté, l'air expiré contenant une proportion beaucoup plus considérable d’acide carbonique que celle qui est contenue dans l’air atmosphérique, et aussi un léger excès d'azote, il en résulte qu'il entre de l’oxygène dans le sang, et qu'il n’y entre ni acide carbonique ni azote. Ces deux derniers gaz sont, par conséquent, engendrés dans le sang par les phénomènes de la nu- trition. L’oxygène contenu dans le sang se trouve, en grande partie, uni aux CHAP. IV, RESPIRATION. 515 globules. M. Lehmann avait déjà observé que du sang défibriné, conte- nant encore ses globules et battu au contact de l'oxygène, possède un grand pouvoir absorbant pour ce gaz, tandis que le sérum privé de ses globules en absorbe à peine un peu plus que l’eau. M. Harley a fait ré- cemment sur ce sujet des expériences intéressantes. Il a dosé les propor- tions de gaz absorbés. Voici son procédé. Il prend une quantité détermi- née de sérum du sang agité préalablement dans l’air, et il place ce liquide dans un vase gradué avec une atmosphère d’air dont le volume égale celui du liquide. Ce vase, hermétiquement clos, est abandonné à lui-même ‘ pendant vingt-quatre heures. Après quoi, le gaz qui surnage le sang est analysé suivant la méthode de Bunsen. Or, l’air atmosphérique, qui con- tenait au début 20,96 parties d’oxygène, n’en contenait plus que 16,74. Si, au lieu de sérum, on prend du sang frais préalablement défibriné et agité dans l’air, et qu’on le place en expérience dans les mêmes condi- tions, on trouve que l'air renfermé dans le flacon et surnageant le sang ne contient plus, au bout de vingt-quatre heures, que 11,33 d'oxygène. La fibrine paraît jouir aussi à un haut degré du pouvoir d’absorber et de fixer l'oxygène. M. Harley s’en est assuré par des expériences di- rectes. De plus, quand on plaçait en expérience le sang non défibriné et simplement agité dans l’air,on trouvait qu’au bout de vingt-quatre heures la constitution du mélange gazeux surnageant était moins riche encore en oxygène. S& 147. Différences entre le sang veineux et le sang artériel.— Le sang vei- neux qui arrive de toutes les parties du corps au poumon, pour y subir l'influence vivifiante de la respiration, s’en retourne vers le cœur à l’état de sang artériel; il était d’une couleur rouge-brun : il est devenu d’un rouge vermeil. Ce changement de coloration, phénomène visible, et par conséquent saisissant, est le seul, à proprement parler, qui s’accomplisse dans le poumon d’une manière instantanée, ou du moins en un très-court espace de temps. D’autres modifications surviennent dans le sang, par suite de l'absorption de l'oxygène; mais ces modifications, qui commen- cent après cette absorption et qui en sont la conséquence, ont lieu pen- dant le temps que l'oxygène est en contact avec le sang, et, par consé- quent, dans les diverses parties du trajet circulatoire. Ces modifications, dont l’origine est dans les phénomènes respiratoires, sont directement en rapport avec la production de la chaleur animale et avec les métamor- phoses de la nutrition *. 1 Pour déterminer avec rigueur en quoi consistent les phénomènes chimiques de la respi- ration, c'est-à-dire pour caractériser le genre d'influence que l'air atmosphérique exerce sur la composition du sang dans les poumons, il ne serait pas inutile de posséder des analyses du sang, faites les unes sur le sang de l’artère pulmonaire, les autres sur le sang des veines pulmonaires. On conçoit en effet qu’il n’est pas tout à fait suffisant de comparer la composition du sang d’une artère (la carotide, par exemple) avec la composition du sang d’une veine (veine 316 LIVRE J. FONCTIONS DE NUTRITION. La coloration vermeille que prend le sang en passant par le poumon est due incontestablement à l’absorption de l'oxygène de l’air. On sait, en effet, depuis longtemps, qu’en agitant du sang veineux dans une at- mosphère d'oxygène, le sang prend presque immédiatement la teinte caractéristique du sang artériel. On sait aussi qu’en agitant du sang ar- tériel dans une atmosphère d’acide carbonique, le sang devient foncé comme du sang veineux. Bichat a fait à cet égard, sur le vivant, une expérience démonstrative que tous les physiologistes ont répétée depuis. On introduit et on fixe une canule à robinet dans la trachée d’un chien, et l’on ouvre une artère à l'animal. On laisse d’abord la respiration s’effectuer librement par le ro- binet ouvert, puis on tourne le robinet; la respiration est alors suspendue et, avec elle, l’entrée de l’air dans les poumons. Le sang, qui coulait vermeil par la plaie artérielle, perd peu à peu sa couleur rouge et, au bout de trente secondes, il est tout à fait analogue pour la couleur au sang veineux. On rouvre le robinet, et presque immédiatement le sang reprend la couleur vermeille qu’il possédait au début de l’expérience. La couleur naturelle du sang est probablement celle qu'il possède dans le sang veineux, et la teinte rouge vermeille est communiquée au sang ar- tériel par la combinaison instable de l’hématine (matière colorante des glo- bules) avec l'oxygène. Cette manière de voir, mise en avant par M. Bruch, est au moins très-vraisemblable. Si, en effet, on chasse l’oxygène du sang artériel, soit en plaçant le sang sous le vide de la machine pneumatique, soit en faisant passer dans le sang un courant d'hydrogène ou d'azote, qui agisse par déplacement, alors la matière colorante reprend sa couleur fondamentale et elle redevient foncée comme elle l’est dans le sang vei- neux. L'acide carbonique ne donne au sang une couleur foncée que parce qu'il déplace l'oxygène de sa combinaison avec la matière colorante, et non pas parce que ce gaz forme lui-même une combinaison foncée avec le pigment sanguin. En effet, prenez du sang, déplacez l'oxygène qu'il contient, en y faisant passer un courant d’acide carbonique, et placez ensuite ce sang foncé sous le vide de la machine pneumatique, la cou- leur foncée du sang n’est pas modifiée. Si la coloration foncée tenait à jugulaire, par exemple), pour se faire une idée parfaitement exacte des changements que l’air apporte dans la composition du sang dans les poumons. Il est vrai que nous savons, par l’ana- lyse des produits expirés, que le sang veineux perd dans les poumons de l’eau et de l’acide carbonique, et qu'il gagne de l'oxygène, mais il n’est pas certain que les différences qui exis- tent entre le sang artériel et le sang veineux, quand on examine ces deux sangs sur des vaisseaux distants du poumon, soient exactement les mêmes qu’à l'entrée et à la sortie du poumon. Il est extrêmement probable, au contraire, qu’il leur faut un certain temps pour se manifester, En outre, le sang veineux qui arrive du poumon par les cavités droites du cœur provient non-seulement des organes généraux, mais il vient des veines du foie et des veines intestinales, c’est-à-dire de deux systèmes vasculaires capables de modifier la composition générale du sang : l'un y verse incessamment du sucre, l’autre y verse d’une manière inter- mittente soit du sucre (aliments amylacés), soit de la graisse, soit des produits albuminoïdes, Les analyses dont nous parlons pourraient seules lever la difficulté. CHAP. IV. RESPIRATION. 917 l'influence de l'acide carbonique, il devrait prendre sa couleur rouge vermeille, à mesure que la machine pneumatique lui enlève l'acide car- bonique. Qnoiqu'il ne nous soit pas donné d'assister, dans le système capillaire général, comme dans le poumon, aux phénomènes chimiques qui s’y ac- complissent, il est permis néanmoins de déduire de ce qui précède que si le sang, au sortir de ce système, est redevenu du sang veineux, c'est- à-dire rouge noir, c’est qu'il a perdu de l’oxygène par suite des combus- tions de nutrition. Les pertes d'oxygène éprouvées par le sang ont lieu, pour la plus grande partie, dans le système capillaire, c’est-à-dire dans le point où la circulation est le plus lente (Voy. $S 99, 100, 101); mais rien ne prouve que cette perte ne commence pas avant l’arrivée du sang dans les vaisseaux capillaires, c’est-à-dire dans l’arbre artériel lui-même, de- puis le poumon jusqu’à la trame des organes. Il n’est pas certain, en effet, que le sang artériel qui va pénétrer dans le système capillaire général ait absolument la même coloration que celui qui sort du poumon. La coloration du sang étant intimement liée avec l’espèce des gaz qu'il tient en dissolution, on doit s'attendre à trouver des différences entre le sang artériel et le sang veineux, eu égard à la proportion relative des gaz qu'ils contiennent. C’est, en effet, ce qui résulte des expériences de M. Magnus, confirmées par celles de M. Magendie. Le sang artériel et le sang veineux, en communication directe l’un avec l’autre par les voies de la circulation, contiennent, il est vrai, les trois gaz que nous avons indiqués, c'est-à-dire de l’oxygène, de l'acide carbo- nique et de l’azote, mais le mélange gazeux n’est pas le même dans les deux sangs. Dans le système veineux, la proportion d’acide carbonique, comparée à la proportion d'oxygène, est relativement plus considérable que dans le sang artériel. Ainsi, par exemple, dans les expériences de M. Magnus, le sang artériel contient environ 38 parties d'oxygène pour 100 d'acide carbonique, tandis que le sang veineux ne contient que 25 par- ties d'oxygène pour 100 d’acide carbonique. Il est vrai que, dans quel- ques-unes des expériences de M. Magnus, les quantités absolues d'acide carbonique extraites du sang artériel l’ont quelquefois emporté sur celles obtenues du sang veineux. Mais le problème repose tout entier, non pas sur des quantités absolues; mais bien sur des quantités relatives, ou sur un rapport. En comparant la quantité d'acide carbonique à la quantité d'oxygène renfermée dans chacun des deux sangs, toujours on trouve, dans le tableau des expériences de M. Magnus, que la proportion relative d'oxygène est plus faible dans le sang veineux que dans le sang artériel, Quant à l’azote qui existe dans les deux sangs, les proportions ne pré- sentent rien de constant; il est, d’ailleurs, toujours en moindre quantité que l'oxygène et l’acide carbonique. | Nous avons établi plus haut ($ 143) que l’air expiré entraîne une cer- taine proportion de vapeur d’eau. Cette perte d’eau, aux dépens du sang 518 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. veineux qui traverse le poumon, se traduit-elle par une diminution d’eau dans le sang artériel? Des expériences nombreuses ont prouvé que tantôt il y a quelques millièmes d’eau en plus dans le sang veineux; d’autres fois c’est le sang artériel qui en renferme un peu plus. Il n’y a donc rien de constant sous ce rapport !. Cela se conçoit aisément. Si le sang vei- neux abandonne une certaine proportion d’eau par son passage au travers du poumon, d’un autre côté, le sang artériel en abandonne aussi dans la trame des tissus, pour fournir l’eau des sécrétions et l’exhalation cu- tanée. L’évaporation pulmonaire et l’évaporation cutanée pouvant varier dans leurs rapports réciproques, ainsi que la quantité d'urine sécrétée en un temps donné, telle est vraisemblablement la cause de ces résultats variables. Chez quelques animaux couverts de poils, qui perdent relative- ment, par la peau, bien moins de vapeur d’eau que l’homme, il est cer- tain qu’on rencontre souvent un peu plus d’eau dans le sang veineux que dans le sang artériel, et ce léger excès d’eau s'échappe par l’évaporation pulmonaire. Tels sont les chiens. Des expériences faites par nous, il y à quelques années, nous ont montré que le sang artériel du chien contient un peu moins d’eau que le sang veineux (moyenne : sang artériel, 759 eau; sang veineux, 795 eau). La quantité d’eau contenue dans le sang veineux peut, d’ailleurs, l'emporter d’une manière très-manifeste sur celle du sang artériel. Il suflit, pour cela, d'analyser, non pas le sang veineux de la jugulaire, qui, provenant d'une grande quantité d'organes, résume à peu près la com- position moyenne du sang veineux, mais il suffit d'analyser le sang de la veine porte chez un animal qui a bu abondamment (Voy. $ 166). Le sang artériel et le sang veineux, examinés sous le rapport de leurs principes æonstituants, présentent des différences de proportions qui ne portent que sur des quantités généralement très-faibles; ce qui tend à établir que les mutations qui s’'accomplissent dans le sang sont lentes et successives. Ce qu'il y a de plus constant sous ce rapport, et ce qui res- sort de la plupart des analyses du sang, c’est que le sang artériel renferme généralement un peu plus de globules que le sang veineux. Le sang vei- neux contient un peu plus de fibrine que le sang artériel. L’albumine se présente, dans les deux sangs, à peu près dans les mêmes proportions. Quant aux principes extractifs, auxquels on n’a pas accordé, jusqu’à pré- sent, l’attention qu'ils méritent, ils semblent être un peu plus abondants dans le système veineux que dans le système artériel : c’est au moins ce qui résulte d’un petit nombre d'analyses comparatives. Mais si les différences entre le sang artériel et le sang veineux général 1 Si les analyses comparatives portaient sur le sang veineux immédiatement à son entrée dans le poumon, et sur le sang artériel immédiatement à sa sortie du poumon, il n’y a pas le moindre doute que la proportion d’eau évaporée dans l'inspiration serait accusée par l’ana- lyse, et que le sang artériel serait, dans ces conditions expérimentales, moins riche en eau que le sang veineux. CHAP. IV. RESPIRATION. 519 sont minimes et dificiles à déterminer, il n’en est plus de même si nous considérons le sang veineux en lui-même. Le sang veineux, envisagé dans certains ordres de vaisseaux, présente des différences assez remarquables avec le sang veineux général. Cela se conçoit, car c’est par le sang vei- neux que sont introduits dans l’organisme une grande partie des produits . de la digestion. Nous avons précédemment insisté sur ce point ($ 166). Je ne fais que rappeler ici le transport, par la veine porte, d’une partie des matières albuminoïdes, des matières sucrées, et des boissons. Nous ver- rons aussi plus loin (Sécrétions) que le sang qui sort de la rate, que celui qui sort du foie, a éprouvé des modifications remarquables dans sa com- position. Il est d’ailleurs évident que le sang qui sort par les veines d’une glande n’est pas identique à celui que l’organe a recu par ses artères, car il a abandonné dans la glande certains principes de sécrétion. Les produits divers de la digestion portés par la veine porte etles chy- lifères vers le poumon, et de là dans le cœur et les artères, ne disparais- sent pas, d’ailleurs, en un instant. On retrouve dans le sang les trois produits généraux et définitifs de la digestion : le sucre, les matières grasses, les matières albuminoïdes, et cela pendant plusieurs heures (Voy. $ 64, 65, 66). La respiration, en introduisant de l’oxygène dans le sang, prend une part directe aux métamorphoses de ces substances. 8 148. De l'échange des gaz dans le poumon. — Envisagés dans leur carac- tère le plus essentiel, les phénomènes physico-chimiques de la respira- tion consistent en un véritable échange de gaz. L’oxygène de l’air at- mosphérique, amené au contact de la membrane muqueuse du poumon, entre dans le sang ; tandis que, d’un autre côté, l’acide carbonique en dissolution dans le sang sort de ce liquide au travers des membranes. Ce phénomène d'échange est déterminé par la tendance que les gaz difré- rents, mis en présence, ont à se mélanger, même lorsqu'ils sont séparés par des membranes animales. Les phénomènes d'absorption et d’exhalation gazeuse dont les poumons sont le siége ont, avec les phénomènes d’endosmose des substances li- quides une frappante analogie; il y a ici, comme dans l’endosmose des liquides, un courant d’entrée et un courant de sortie, déterminés par la tendance au mélange (Voy. $ 74, 75). On peut reproduire avec la plus grande facilité, par une expérience bien simple, le phénomène capital de la respiration. Prenez une vessie de cochon, remplissez cette vessie de sang veineux et placez-la sous une cloche remplie d'oxygène. Au bout de peu de temps, non-seulemient une partie de l’oxygène a pénétré dans le sang au travers de la vessie, mais encore une certaine proportion d’acide carbonique est sortie du sang et a passé dans la cloche. Les volumes de gaz absorbés et exhalés se ba- lancent à peu près comme dans la respiration elle-même, car le niveau 320 LIVRE I. FONCTIONS, DE NUTRITION. gazeux est à peine changé dans la cloche. S'il y a une différence, elle se traduit comme dans la respiration, c’est-à-dire qu’il y a un peu plus d’oxy- gène absorbé que d’acide carbonique exhalé. Des phénomènes analogues se produisent également si, au lieu de sang, on place tout simplement sous la cloche d'oxygène une vessie remplie d’eau chargée d’acide carbonique. Il ne faudrait pas employer, pour cette expérience, l’eau de Seltz du commerce, parce qu’elle contient une pro- portion d'acide carbonique snpérieure à celle que contient le sang. L'eau de Seltz, en effet, est sursaturée d'acide carbonique. Il ne faut pas même que l’eau mise en expérience soit saturée ; elle doit se rapprocher le plus possible du sang et contenir seulement, comme lui, environ 1/5 de son volume de gaz. De cette manière, on est encore loin du point de satura- tion, et les échanges qui s’opèrent alors entre les gaz, au travers des pa- rois de la vessie, ont une certaine analogie avec les phénomènes d’endos- mose de la respiration. S 149. De l'endosmose gazeuse. — L'expérience à l’aide de la vessie remplie d’eau de Seltz, ainsi que celle qui consiste à placer une vessie remplie de sang dans une atmosphère d'oxygène, constituent des phénomènes d’en- dosmose gazeuse ; mais ces phénomènes ne sont pas aussi simples qu'ils le paraissent au premier abord. D'un côté de la membrane, il y a un gaz libre, l’air atmosphérique, tandis que de l’autre côté le gaz acide carbo- nique est à l’état de dissolution dans l’eau ou dans le sang. L’endosmose respiratoire est donc assez complexe. Ceci demande quelques explications. Plaçons-nous d’abord dans les conditions de l’endosmose pure et sim- ple, et voyons comment les choses se passent. Prenons un appareil bilo- culaire, dont les loges sont séparées l’une de l’autre par un diaphragme membraneux, et mettons, d’un côté, de l’acide carbonique gazeux, et de l’autre côté de l’air atmosphérique ou de l’oxygène, et maintenons ces gaz, pendant toute la durée de l’expérience, sous des pressions égales; nous ne tarderons pas à nous apercevoir qu'il se forme un courant pré- dominant de l'acide carbonique vers l’air ou l'oxygène, ou que, en d’au- tres termes, l’endosmose marche avec énergie de l’acide carbonique vers l'air ou l'oxygène. La figure 56 représente un petit appareil très-simple, dont nous nous sommes servi dans une série de recherches sur l’endosmose gazeuse. A est une cloche dans laquelle on recueille le gaz qu’on veut opposer à l'air atmosphérique. L'air atmosphérique est contenu dans l’endosmomètre recourbé B. Les deux gaz se trouvent séparés par une membrane humide fixée sur l’endosmomètre. Le petit index C est formé par une goutte d’eau colorée qui, maintenue adhérente au tube par capillarité, n’a point de tendance à obéir à la pesanteur. Lorsque le courant d’endosmose a lieu du gaz contenu dans la cloche A vers le gaz contenu dans l’appareil B, CHAP. IV, RESPIRATION. 321 l'index C s'élève dans la direction de la flèche. Lorsque le courant d’en- dosmose se fait dans une direction contraire, l'index C s’abaisse dans le tube quilecontient.Ilfaut | Fig. 56. avoir soin, pendant l’ex- : périence, de maintenir la constance de niveau entre le liquide de la cuve et le liquide intérieur engagé dans la partie inférieure de la cloche A, afin que le gaz contenu dans la À cloche À supporte exac- = tement la pression atmo- sphérique. Le gaz du ré- servoir-B est, à tous les moments del’expérience, | \ = — soumis à la pression atmo- sphérique par le tube à l’ndex. Lorsqu'on place de l’a- cide carbonique dans la cloche A, et de l’air at- APPAREIL POUR L'ENDOSMOSE DES GAZ. mosphérique dans l’endosmomètre B, le courant d’endosmose s’établit suivant la direction de la flèche (Voy. fig. 56); le volume d'acide carbo- nique qui passe dans la loge d’air l'emporte promptement sur le volume d'air qui passe dans la loge d'acide carbonique‘. Dans le poumon, comme aussi dans les expériences d’endosmose, où l’on oppose à l'oxygène ou à l’air atmosphérique, non plus de l'acide car- bonique libre, mais de l'acide carbonique dissous dans un liquide, le résul- tat n’est plus le même. Le volume d'oxygène qui passe d’un côté, et le vo- lume d’acide carbonique qui passe de l’autre côté, se font presque équi- libre ; il y a même un léger excédant en sens opposé, car ilentre un peu plus d'oxygène dans le liquide qu’il ne sort d’acide carbonique (Voy.$ 148). Ici intervient, en effet, un élément nouveau. Cet élément nouveau, c’est la différence de solubilité des gaz en présence. Tandis que l'oxygène est peu soluble dans l’eau, l'acide carbonique, au contraire, est un gaz très- soluble : 400 parties d’eau, qui ne dissolvent environ que 4 parties d’oxy- gène en volume, dissolvent, au contraire, 100 parties d'acide carbonique. L’eau ou le sang retiennent donc l’acide carbonique avec une certaine éner- gie et forment obstacle à la direction du courant d’endosmose. La force 1 La direction du courant prédominant de l'endosmose gazeuse est régie, comme pour l’endosmose liquide, par les différences de chaleurs spécifiques. La chaleur spécifique de l’a- cide carbonique est 4,258, celle de l’air étant 1,000 et celle de l'oxygène 0,976. L’acide car- honique marche vers l'air et vers l'oxyéène (Voy. S 74). 21 322 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. d’endosmose se manifeste néanmoins, mais elle ne surmonte l’obstacle qu’en partie. Ajoutons encore que l'acide carbonique, se trouvant dissous dans un liquide alcalin (le sang), n’y est pas rigoureusement à l’état de li- berté, mais sans doute en combinaison légère avec les alçalis. Cette affinité constitue encore une résistance que doit vaincre l’endosmose gazeuse. Il est encore deux autres conditions dont il faut tenir compte pour se faire une juste idée du problème compliqué de l’échange des gaz dans le poumon. De ces deux conditions, il en est une qu'il est difficile d’appré- cier numériquement, c’est l’aflinité que les organites solides du sang (glo- bules), ainsi que la fibrine, présentent pour l’oxygène. Et cette aflinité n’est probablement pas la même en tout temps (dans l’état normal et dans l’é- tat pathologique). À L’affinité que les globules du sang et la fibrine présentent pour l’oxy- gène ne permet pas d'envisager le sang comme un liquide indifférent dans lequel le phénomène serait uniquement réglé par la différence de solu- bilité des gaz et par la force d’endosmose. L'autre condition pourrait être plus aisément soumise au calcul, elle consiste dans les différences de tension que présentent les gaz contenus dans l’air et les gaz contenus dans le sang. Tensions également variables dans divers moments successifs, en vertu des circonstances météorolo- giques et en vertu des conditions physiologiques. La respiration, en définitive, introduit sans cesse de l’oxygène dans le sang. L’oxygène circule avec le sang, est porté par lui dans le système capillaire, exerce, sur les principes avec lesquels il se trouve en présence, des actions chimiques d’où résultent des produits variés. Ces produits sont expulsés, soit par les voies de sécrétion, soit par les voies d’exhalation. L’acide carbonique qui circule avec le sang, ainsi que l’azote, sont les ré- sultats gazeux de l’action définitive des métamorphoses successives de la nutrition. Le sang s’en débarrasse au contact de l’air atmosphérique, dans une mesure proportionnée à leur production; de telle sorte que la pro- portion des gaz contenus dans le sang se maintient à peu près la même. L'introduction de l'oxygène dans le sang, et la sortie concomitante de l’acide carbonique s’accomplissent d’une manière continue, aussi bien pendant les mouvements d'expiration, que pendant les mouvements d’in- spiration, car il reste toujours de l’air dans les poumons, même après l'expiration la plus énergique (Voy. $ 137). L'air modifié qui sort du poumon à chaque expiration ne correspond pas rigoureusement à l’air qui a été introduit dans la poitrine par une inspiration antécédente. Dans un mouvement respiratoire ordinaire, l'air qui s’engage dans le poumon y rencontre une proportion de gaz au moins égale à celle qui entre; l’air inspiré se mélange avec l’air resté dans le poumon, et c’est une portion de ce mélange qui est expiré. Plusieurs con- ditions favorisent le mélange dont nous parlons. Chez l’homme, ordinai- rement placé dans la station verticale, et vivant dans un milieu générale- CHAP. IV. RESPIRATION. 523 ment moins chaud qu'il ne l’est lui-même, l’air extérieur est plus froid que l'air expiré, et que l’air qui reste dans le poumon après l’expiration. A mesure que l'air extérieur pénètre dans les bronches, l’air qui reste dans le poumon étant plus chaud tend à monter, l'air qui s'engage étant plus froid tend à descendre. Cette double tendance favorise puissamment le mélange. Il est remarquable que la plupart des animaux à respiration aérienne, chezlesquels la situation des poumons est moins déclive qu’elle ne l’est chez l’homme, élèvent la tête et le cou par en haut, comme pour fa- voriser la descente de l'air, toutes les fois que la respiration est laborieuse. La formation et l’expansion de la vapeur d’eau dans le poumon, ainsi que la différence des gaz en présence, favorisent aussi la diffusion et le mélange. $ 450. Remarques sur quelques théories de la respiration. — La découverte de l’exhalation d'acide carbonique par les poumons, et celle de la consom- mation d’une partie de l'oxygène de l’air dans la respiration, ont succédé de près à la découverte fondamentale de la composition de l'air atmo- sphérique. En 1777, Lavoisier, en comparant la respiration à une combus- tion, a même formulé de la manière la plus explicite la doctrine de la chaleur animale. Les phénomènes de combustion qui suivent l’introduc- tion de l'oxygène dans le sang ne sont pas, à proprement parler, des phé- nomènes de respiration (ils sont plus spécialement du ressort de la nu- trition, car ils ont lieu partout dans l’organisme); mais il n’en est pas moins vrai que Lavoisier a placé le problème de la chaleur animale sur ses véritables bases et ouvert à la science une voie des plus fécondes. On trouve dans le mémoire publié quelques années plus tard par La- voisier et par Séguin, que l’oxygène de l'air brüle l'hydrogène et le car- bone du sang dans le poumon; de là, la formation et l’exhalation de l’acide carbonique et de l’eau. Cette idée d’une combustion ou oxydation locale a été longtemps partagée par les physiologistes. Mais les faits ont démon- tré, de la manière la plus manifeste, que la combustion des substances carbonées et hydrogénées de nos tissus et de nos humeurs a lieu dans toute l'étendue du cercle circulatoire. Le rôle spécial du poumon dans la res- piration se borne, ainsi que nous l’avons dit, à des échanges gazeux au travers des fines parois des innombrables ramifications des bronches. Deux ordres de preuves ont surtout contribué à démontrer que cette supposition d’une formation locale d'acide carbonique et d’eau dans le poumon n’est pas fondée. En premier lieu, les expériences suivantes : Spallanzani place des grenouilles, pendant plusieurs heures, dans un mi- lieu d'hydrogène et dans un milieu d’azote (les animaux à sang froid ré- sistent plus longtemps que les animaux à sang chaud à la privation d’air atmosphérique); ces animaux continuent à expirer de l’acide carbonique, comme s'ils étaient dans l’air. M. Edwards, M. Collard de Martigny, M. Bergmann, M. Bischoff, M. Marchand répètent ces expériences sur les LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. grenouilles. Ils les placent soit dans le gaz azote, soit dans le gaz hydro- sène, et ils obtiennent les mêmes résultats que Spallanzani. Il est évident que si un animal, plongé dans un milieu autre que l’oxygène, continue à exhaler de l’acide carbonique, c’est que ce gaz provient d’une source autre que d’une combinaison effectuée instantanément dans le poumon entre l’oxygène de l’air et le carbone des éléments du sang. L'autre ordre de preuves a été fourni par la découverte de la présence des gaz dans le sang, et en particulier de l’acide carbonique, d’où est résultée la démons- tration directe que l’oxydation aux dépens de l’oxygène s'opère partout, puisque ses produits sont contenus dans la masse du sang et sur tous les points du trajet circulatoire. Dans les expériences citées de Spallanzani, l’acide carbonique a continué à être expiré dans les gaz hydrogène et azote, en vertu des lois physiques des échanges gazeux, et il a contiuué à être produit dans le sang, en vertu des combustions persistantes aux dé- pens de l’oxygène introduit dans ce liquide par les respirations antécé- dentes. Lorsque Spallanzani abaissait la température du gaz hydrogène près de 0, les combustions de nutrition qui avaient lieu dans le sang étaient très-ralenties, l'animal pouvait vivre jusqu’à 96 heures. Quand, au con- traire, la température du milieu hydrogéné était moyenne, la production d’acide carbonique, et, par conséquent, la disparition de l’oxygène con- tenu dans le sang, s’accomplissaient plus vite : la grenouille ne vivait guère que quarante-huit heures. D’après quelques physiologistes, l’acide carbonique de l'expiration pro- viendrait en partie, au moins, des carbonates alcalins du sérum. L’acide carbonique serait déplacé de ses combinaisons alcalines par des acides à afinité plus puissante, c’est-à-dire les acides lactique ou acétique pro- venant, soit directement des produits absorbés de la digestion des aliments féculents et sucrés (Voy. $ 39, 49, 54), soit des métamorphoses que le su- cre absorbé en nature ou sécrété par le foie subit par suite de son oxy- dation à l’aide de l'oxygène atmosphérique, soit encore de la transforma- tion d’autres matières contenues dans le sang". Il est certain que les carbonates neutres à base alcaline (carbonates de potasse et de soude) mis en présence de l’acide carbonique, s'emparent d’un second équivalent de ce corps et passent à l’état de bicarbonates. De plus, les expériences de M. H. Rose ont démontré que les bicarbonates al- calins sont très-instables, et que, pour chasser le second équivalent d’a- cide carbonique et le faire repasser à l’état gazeux, il suflit de faire le vide, 1 MM. Robin et Verdeil ont noté dans les poumons (dans la substance même du poumon) la présence d’une substance quaternaire, cristallisable, à réaction acide, à laquelle ils ont donné le nom d'acide pneumique ; d'apres leur manière de voir, cet acide, qui existerait, dans la masse des poumons, à la dose de quelques centigrammes, jouerait, relativement aux prin- cipes azotés, le rôle attribué à l’acide lactique pour les principes non azotés. 11 faut dire que, d'après des travaux plus récents, la matière désignée sous le nom d’acide pneumique n’a rien de spécial; ce n’est qu’un mélange de lactates alcalins et de faurine, substances cristallisables qu'on retrouve dans le sang. CHAP. IV, RESPIRATION. 329 ou de faire passer au travers de la dissolution saline un courant gazeux quelconque ou un courant de vapeur d’eau. Il est donc possible, il est même probable qu'une partie de l’acide carbonique qui circule avec le sang est lâchement unie aux carbonates alcalins du sérum ; mais, d’après les expériences de M. Magnus, il n’est pas possible d’admettre que la tota- lité de l’acide carbonique du sang se trouve à l’état de combinaison, car la quantité totale d’alcali existant à l’état de carbonate dans le sang serait insuflisante pour cette fixation. D’après M. Liebig, l'acide carbonique peut encore s'unir d’une manière instable avec d’autres éléments salins du sang (le phosphate de soude, par exemple). Ainsi, lorsqu'on a dissous dans un litre d’eau un centième de phosphate de soude, cette eau a acquis la propriété de dissoudre deux fois autant d’acide carbonique que l’eau pure à la même pression. Du reste, le gaz ainsi condensé se dégage dans le vide ou par l'agitation dans l'air. Ces divers modes de fixation de l’acide carbonique sont'à proprement parler de véritables dissolutions. On peut dire seulement que les sels al- calins du sang augmentent beaucoup le pouvoir dissolvant du sang pour l’acide carbonique. Cette sorte d’affinité des dissolutions salines, c’est-à- dire du sérum pour l'acide carbonique, d’une part, et celle des globules pour l'oxygène, de l’autre, rendent le problème des échanges de gaz qui ont lieu dans le poumon beaucoup moins simple que si l’air atmosphé- rique et les gaz de l’expiration n'étaient séparés les uns des autres que par une simple membrane humide. Mais ces diverses particularités ne changent rien aux phénomènes fondamentaux de la respiration. On peut se deman- der, ilest vrai, quelle est la source immédiate de l’acide carbonique contenu dans le sang ; on peut se demander si la totalité ou une partie seulement de l’acide carbonique est lâchement unie aux carbonates et aux phos- phates alcalins ; si, comme intermédiaire du déplacement de l'acide car- bonique, il est nécessaire de faire intervenir l’acide lactique ou l’acide acétique, ou si la présence de l’air atmosphérique dans le poumon suftit pour déplacer l’acide carbonique. Ces diverses questions sont encore, il est vrai, du domaine de la controverse, mais l’échange des gaz qui con- stitue l’essence même de la respiration est à l’état de fait démontré. Le rôle que jouent les globules dans le changement de coloration que subit le sang en traversant les poumons n’est pas non plus sans présenter quelque obscurité. Il est certain que le milieu liquide dans lequel ils se trouvent exerce une influence marquée sur le phénomène de la colora- tion vermeille du sang. Les sels du sérum sont parfaitement appropriés à l’artérialisation. Les globules contenus dans le sérum normal deviennent rutilants, lorsqu'on agite le sang dans l’oxygène. Le même phénomène se produit et semble favorisé, quand on agite dans l’oxygène du sang, au- quel on à ajouté du sulfate du soude, du phosphate de soude, des carhbo- nates alcalins, de l’acétate de potasse, de l’azotate de potasse. de l’acétate 326 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, de plomb, du sulfate de zinc, etc. Si, au contraire, on verse dans le sang des acides minéraux, de l’acide arsénieux, de l’acide citrique, de l’acide malique, de l’alun, du sulfate de potasse, du nitrate d'argent, du sulfate de cuivre, etc., le sang devient brun ou noir, et il ne se colore plus en rouge vermeil quand on l’agite dans l’oxygène. Dans ces deux séries d'expériences, le sang absorbe une certaine pro- portion d'oxygène : ce dont on peut s’assurer en plaçant ensuite le sang sous la machine pneumatique et en analysant le gaz qui s’en dégage. Est- il vrai que, dans le premier cas, l’aftinité des globules pour l’oxygène persiste, que l’oxygène s’unit à eux et leur donne la teinte rutilante, tan- dis que, dans le second cas, l’oxygène absorbé se répand uniformément dans le liquide, l’aflinité des globules pour l’oxygène étant détruite par les réactifs ? La chose, toute probable qu’elle est, n’en reste pas moins obs- cure ; les changements de coloration tiennent, en effet, à des causes qui se dérobent, pour la plupart, aux investigations de la chimie. ARTICLE III. DE LA SUSPENSION DE LA RESPIRATION, INFLUENCE DU SYSTÈME NERVEUX SUR LA RESPIRATION, ETC. & 151. Asphyxie par cause mécanique. — Lorsque l’entrée de l'air dans les poumons est suspendue pendant quelques minutes chez l’homme, la mort devient imminente. L'homme, chez lequel l’ouverture des voies respira- toires plonge dans un liquide (submersion), dont le cou est comprimé de telle sorte que la trachée-artère se trouve oblitérée (suspension, strangula- tion), dont la cage thoracique fonctionne mal, ou dont les bronches sont oblitérées par des produits divers, succombe dans une période de temps subordonnée à l’obstacle apporté à l'entrée de l’air dans les poumons. Les premiers phénomènes qui surviennent sont caractérisés par des troubles du côté des organes des sens : bourdonnements d'oreilles, troubles de la vision, anxiété vive, vains efforts de respiration, vertiges, perte de con- naissance. Le pouls ne tarde pas à se ralentir; puis il devient petit, irré- gulier. Les réservoirs naturels se vident souvent de leurs produits d’ex- crétion, par des contractions involontaires des muscles abdominaux. Si l’on examine le cadavre d’un individu qui a succombé à l’asphyxie, on trouve le système veineux gorgé d’un sang brun foncé, ainsi que le pou- mon et le cerveau. S 132. Obstacles apportés à la respiration par la viciation de l'air atmosphé- rique. — Lorsque l’homme ou les animaux respirent, pendant un certain temps , dans un volume d'air limité, cet air ne tarde pas à être modifié chimiquement, dans la proportion de ses éléments constituants. À cha- CHAP, IV. RESPIRATION. 527 que mouvement respiratoire , une certaine quantité d'oxygène disparait, et elle est remplacée par une quantité à peu près équivalente d'acide car- bonique (Voy. $S 138, 139). Au bout d’un temps variable , qui dépend et du nombre des individus et de la capacité de l'enceinte qui les contient, l'air est devenu irrespirable ou tout au moins nuisible. Le défaut du renouvellement de l'air, dans des locaux d’une capacité insuflisante et non ventilés, a souvent amené les accidents les plus redou- tables. En 1750, aux assises d’Old-Bailey, qui se tenaient dans une pièce de 30 pieds carrés, la plupart des juges et des assistants périrent as- phyxiés; ceux qui survécurent étaient près d’une fenêtre ouverte. En 1756, au mois de juin, 445 prisonniers de guerre furent enfermés dans une salle de 20 pieds carrés : au bout de douze heures, 23 seulement sor- tirent vivants. Le même fait s’est reproduit plus d’une fois dans la cale des vaisseaux négriers. À la suite des malheureuses journées de juin 1848, les effets terribles de l’air confiné se sont fait sentir sur les prison- niers entassés dans les souterrains de la terrasse des Tuileries. Indépendamment de l’acide carbonique, l’air confiné contient encore la matière organique de l’expiration et celle de l’exhalation cutanée, et il est probable que ces substances concourent, pour leur part, à déterminer les accidents qui surviennent. Cela est d’autant plus probable, que les indi- vidus qui ont survécu dans les circonstances que nous venons de rappeler ont, pour la plupart, été pris de fièvres graves, ce qui, généralement, n’a pas lieu chez les personnes asphyxiées par l’acide carbonique produit par la combustion du charbon et qu’on parvient à rappeler à la vie. L’acide carbonique accumulé dans l’air altéré par la respiration est-il, à la manière de l’azote et de l'hydrogène, nuisible seulement parce qu'il tient la place de l’oxygène disparu, ou bien a-t-il par lui-même une action directe sur l’économie ? Les expériences de M. Collard de Martigny ont conduit la plupart des physiologistes à conclure que ce gaz exerce direc- tement une influence toxique. Il a vu que des oiseaux, placés dans un mé- lange de 21 parties d'oxygène et 79 parties d’acide carbonique, y succom- bent en moins de 3 minutes , et qu'ils ne vivent guère au delà de 4 minutes dans un mélange de 79 parties d'oxygène et de 21 parties d’acide carbo- nique. Une atmosphère d’azote ou d'hydrogène, quoique ne contenant pas d'oxygène, n’entraine, au contraire, la mort qu’au bout de 6, 8 ou 10 minutes. Les reptiles, qui vivent des jours entiers dans une atmosphère d’azote ou d'hydrogène, ne vivent guère plus d’un quart d'heure dans l’a- cide carbonique. Tous ces faits, si probants qu'ils paraissent, n’établissent pourtant pas d’une manière suffisante que l’acide carbonique agisse, pour déterminer la mort, à la manière d’un véritable poison. Si les animaux conservent plus longtemps leur vie dans une atmosphère d'hydrogène et d'azote que dans un mélange gazeux qui contient une forte proportion d'acide carbonique, cela tient vraisemblablement à ce que les échanges gazeux qui ont lieu dans le poumon se trouvent, dans ces circonstances, 328 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. modifiés d’une façon différente. L’acide carbonique a une grande tendance à s'endosmoser vers l'hydrogène et l’azote, tandis que le courant se pro- nonce très-faiblement de l’acide carbonique vers un mélange à parties égales d'oxygène et d'acide carbonique, ainsi que nous nous en sommes assuré plus d’une fois. Il est probable, dès lors, que, dans l’atmosphère d'azote ou d'hydrogène, le sang de l’animal peut se débarrasser, pendant un certain temps, de l’acide carbonique qu'il produit sans cesse, tandis que, dans l’atmosphère chargée d’acide carbonique, l’acide carbonique du sang a peu ou point de tendance à s'échapper ; il s’accumule, circule avec le sang, celui-ci prend assez promptement les caractères du sang vei- neux, et l’asphyxie survient. Il est d’autres gaz que ceux que nous venons de signaler. Ces gaz, l’homme peut les respirer dans des circonstances spéciales, et de nom- breuses expériences ont été tentées, à cet égard, sur les animaux, pour déterminer leur mode d'action. L'oxyde de carbone, qui se produit ioutes les fois que le charbon brüle lentement au contact de l’air, jouit de propriétés réellement toxiques. Il suffit de placer des oiseaux dans une atmosphère qui contient 4 ou 5 pour 100 de ce gaz, pour les faire périr à l'instant (M. Leblanc). Il est proba- ble que, dans les cas d’asphyxie par le charbon, l’oxyde de carbone agit plus directement, pour déterminer la mort, que l'acide carbonique lui- même. En d’autres termes, il n’y a pas seulement asphyxie, mais encore empoisonnement. L'hydrogène sulfuré et l'hydrogène arséniqué agissent de la même manière et à dose beaucoup plus faible encore. L’hydrogène carboné et phosphoré, le chlore, le gaz nitreux ou rutilant, le cyanogène, l’'ammoniaque gazeuse, ete., ont par eux-mêmes aussi une action délétère. Pour compléter ce qui est relatif à l'influence du milieu gazeux dans lequel respirent les animaux, ajoutons qu’une atmosphère composée presque entièrement d'oxygène (96 parties pour 4 d’azote) entretient con- venablement la vie. Les oiseaux, les cabiais, l’homme lui-même, peuvent vivre, sans paraître en souffrir, dans un milieu gazeux constitué exclusi- vement par de l’oxygène pur. Les animaux y vivent presque indéfiniment lorsqu'on à soin d’absorber à mesure l’acide carbonique produit (Lavoi- sier, Séguin, MM. Allen et Pepys, Regnault et Reiset, Delapane, etc.). L'homme, il est à peine besoin de le dire, ne se trouve jamais dans des conditions de ce genre, lesquelles sont purement du domaine de l’expé- rimentation. $ 153. De la mort par asphyxie. — Lorsqu'une cause mécanique quelconque s'oppose à la libre entrée de l’air dans les poumons, ou lorsque le milieu gazeux qui entoure l’animal ne contient pas d'oxygène ou n’en contient que des proportions insuffisantes, la sortie de l’acide carbonique du sang se trouve diminuée. Le sang se débarrasse incomplétement ou ne se dé- CHAP. IV. RESPIRATION, 929 barrasse plus de ce gaz, dans son passage à travers les poumons; alors, recevant peu ou point d'oxygène et recevant toujours de l’acide carboni- que (produit incessant des combustions de nutrition), il ne tarde pas à ac- quérir les qualités du sang veineux. A cet état, il est impropre, ainsi que l’a montré Bichat, à entretenir régulièrement les fonctions nerveuses. Des troubles du côté des organes des sens surviennent et ouvrent le cortége des phénomènes d’asphyxie. Cet effet est très-rapide. Il est extrêmement rare que l’homme qui a séjourné plus de 4 ou 5 minutes sous l’eau puisse être rappelé à la vie. L'action non vivifiante du sang veineux sur le sy- stème nerveux réagit d’ailleurs, par l’intermédiaire de ce système, sur les battements du cœur, qui, bien que persistants, n’en sont pas moins al- térés dans leur énergie et dans leur rhythme : elle se complique aussi de l'embarras apporté à la circulation capillaire, et notamment à la cércula- tion capillaire dans les poumons. Ce sont même ces derniers phénomènes, conséquence immédiate du trouble nerveux sur la circulation par suite de la non-oxygénation du sang, qui expliquent la rapidité de la mort, bien plutôt que la non-oxygénation du sang elle-même. L'absence d'oxygène, en modifiant la composition du sang, constitue, il est vrai, le point de dé- part et l’essence même de l’asphyxie; mais l'arrêt de circulation dans les poumons précipite le résultat. Les animaux chez lesquels la respiration pulmonaire n’est pas établie, tels que les fœtus encore contenus dans le sein maternel, peuvent survi- vre à la mort de leur mère pendant un temps plus considérable. Lorsque Legallois asphyxiait des lapines pleines, en leur plongeant la tête sous l'eau, les fœtus renfermés dans le sein de la mère asphyxiée pouvaient être retirés vivants, 12, 15 et 20 minutes après la mort de leur mère. Dans ces expériences, cependant, l'oxygène faisait défaut au sang du fœtus, tout comme au sang de la mère; car les échanges gazeux ont lieu, dans le placenta , à peu près comme dans les poumons. Si les fœtus supportent plus longtemps la privation d'oxygène que les adultes, cela paraît tenir à la configuration de l’appareil respiratoire et circulatoire du fœtus. Chez le fœtus, en effet, ainsi que le fait remarquer M. Bérard, la masse du sang n’a point à traverser le poumon, comme chez l'adulte. Le trou de Botal et le canal artériel assurent la circulation pendant un certain temps; la mort ne survient que plus tard, c’est-à-dire lorsque le sang a consommé la plus grande partie de son oxygène, et par asphyxie proprement dite. Ce qui se produit chez le fœtus encore contenu dans le sein de sa mère se produit également sur l’animal nouveau-né, pendant les premiers jours de son existence. On peut, en effet, plonger de jeunes chiens ou de jeunes chats dans de l’eau tiède, quelques heures après leur naissance, et les y laisser séjourner pendant une demi-heure, sans les faire périr. On peut même, comme l’a fait Buffon, répéter cette expérience plusieurs fois de suite sur le même animal, en ayant soin de le laisser respirer pendant un pareil espace de temps, au moins, entre chaque épreuve. Cette faculté se 530 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, perd au bout de quelques jours. Il est vraisemblable qu’elle disparaît avec l’occlusion du trou de Botal et celle du canal artériel. Ces faits nous expliquent comment des enfants nouveau-nés, retrouvés dans des mares ou dans des fosses d’aisances, ont pu être rappelés à la vie, alors que tout espoir de salut semblait perdu pour eux; comment un enfant caché sous les cendres (encore tièdes probablement) a pu être ra- nimé par une respiration artificielle , près d’une heure après y avoir été enfoui. Il faut donc se tenir en garde contre de pareils événements, et, lors même que le temps qui s’est écoulé depuis la submersion des nouveau- nés paraîtrait incompatible avec le maintien de la vie, essayer néanmoins tous les moyens usités en pareil cas. L'asphyxie est plus prompte chez les animaux qui, en un temps donné, absorbent plus d'oxygène et dégagent plus d'acide carbonique, ce’est- à-dire, en d’autres termes, chez lesquels les combustions de nutrition et la température animale sont le plus développés.Les mammifères et les oiseaux, animaux à sang chaud, résistent bien moins à l’asphyxie que les reptiles, les poissons et les mollusques, animaux à sang froid, qui peuvent supporter des jours, et même des semaines entières, la priva- tion plus ou moins complète de l'air. S 154. Influence du système nerveux sur la respiration. — Par les nerfs qu'il envoie aux muscles de l'inspiration et de l’expiration , et par ceux qu'il fournit au larynx et au poumon lui-même, le système nerveux exerce une influence capitale sur les phénomènes mécaniques de la respiration. Les muscles inspirateurs et expirateurs recoivent leurs nerfs de l’axe spinal, à des hauteurs diverses, et plus particulièrement des paires cervi- cales et des paires dorsales. Ainsi, le diaphragme est animé par le nerf phrénique , branche du plexus cervical. Le plexus cervical fournit aussi des filets aux scalènes , au grand dentelé, au sterno-mastoïdien, au tra- pèze, au rhomboïde, à l’angulaire de l’omoplate. Le plexus brachial, par ses branches collatérales , fournit à la plupart des muscles précédents , tels que les scalènes, le grand dentelé, le trapèze, le rhomboïde, l’angu- laire de l’omoplate; il fournit aussi au sous-clavier , aux grand et petit pectoraux, à la partie supérieure du grand dorsal. Les paires dorsales fournissent aux intercostaux, aux sur et sous-costaux, aux grands et pe- tits dentelés postérieurs , et aussi aux muscles grand oblique, petit obli- que et transverse de l'abdomen. Ces derniers muscles, qui agissent surtout dans les mouvements forcés d'expiration, reçoivent encore leurs nerfs du plexus lombaire , ainsi que le carré lombaire. Il suit de là que les puis- sances musculaires de la respiration tirent leur principe d’action de pres- que toute l’étendue de la moelle épinière. Mais il est vrai de dire que les nerfs des muscles de la respiration proviennent, en majeure partie, de la moelle cervicale et de la partie supérieure de la moelle dorsale. CHAP, IV, RESPIRATION, 991 En coupant la moelle de bas en haut, on paralyse successivement les muscles abdominaux, les intercostaux, les pectoraux, etc., et enfin le dia- phragme ; mais tant que la moelle cervicale est intacte et fait corps avec le système cérébro-spinal central, les principaux mouvements de la res- piration sont encore possibles, alors même que les parties dorsales et lom- baires de la moelle ne font plus corps avec la partie supérieure. Les acci- dents qui surviennent alors sont plus spécialement en rapport avec d’autres fonctions, telles que la circulation, et, par suite, la calorification. Le nerf pneumogastrique, par les filets qu'il envoie au larynx (nerfs récurrents), et par ceux qu'il distribue dans les poumons, agit directe- ment aussi sur les phénomènes respiratoires. Lorsqu'on coupe, sur les animaux, les deux nerfs pneumogastriques, au-dessus de l’endroit où ils fournissent les nerfs du larynx, il est assez rare que les animaux survi- vent, lorsqu'on n’a pas soin d’établir chez eux une ouverture à la trachée. Lorsqu'’en effet les nerfs récurrents sont séparés des centres nerveux, les lèvres de la glotte paralysée sont poussées l’une vers l’autre par le cou- rant d'air attiré dans le poumon au moment de l'inspiration. Le conduit de l’air se trouve alors obstrué, et l’asphyxie ne tarde pas à survenir, lors- qu'on n’ouvre pas à l’air une voie nouvelle, à l’aide de la trachéotomie. Alors même qu’une fistule trachéale a été établie, la mort survient ce- pendant chez les animaux auxquels les deux pneumogastriques ont été coupés, mais elle se fait attendre des jours et quelquefois des semaines. L'intégrité du pneumogastrique est donc nécessaire aussi à l’accomplis- sement normal des fonctions du poumon. Tout concourt à prouver qu'ici le nerf pneumogastrique n’a point d'influence directe sur les phénomènes chimiques de la respiration. Le défaut d’artérialisation du sang, qui sur- vient, se produit peu & peu et par obstacle mécanique à l’endosmose ga- zeuse. L’élasticité du poumon, étant une propriété de tissu, existe encore, il est vrai, après la section des pneumogastriques, mais la contractilité des bronches est anéantie. La sécrétion de la membrane muqueuse qui ta- pisse les bronches persiste ; celles-ci ne peuvent plus s’en débarrasser par leurs contractions : de là leur accumulation. Ces mucosités accumu- lées apportent peu à peu un obstacle, de plus en plus insurmontable, aux échanges gazeux, et, en définitive, une asphyxie lente s'établit. Ajoutons encore que la circulation est troublée aussi, dans le poumon, par la suppression d'influence du pneumogastrique sur les capillaires. Il en résulte des engouements sanguins et des infiltrations sanguines, qui compliquent et accélèrent le terme fatal. D'ailleurs, la suppression du prneumogastrique retentit aussi sur les contractions du cœur, et indirec- tement encore sur la circulation pulmonaire. Tant qu'une partie des muscles de la respiration est en communication avec le centre nerveux cérébro-rachidien, la respiration, quoique affai- blie, peut continuer pendant un temps plus ou moins long. Mais lorsque la section de la moelle est faite plus haut, lorsqu'on la pratique sur le 352 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. bulbe rachidien, soit au-dessus de l’origine des nerfs pneumogastriques, soit à quelques millimètres au-dessous (Voy. /nnervation, $ 367), toutes les puissances musculaires de la respiration sont anéanties en même temps; l’immobilité absolue du diaphragme et de la poitrine entraine une mort presque instantanée, à moins toutefois qu’on ne supplée au jeu des puissances musculaires qui font défaut, en pratiquant une respiration ar- tificielle. Nous avons même vu précédemment ($ 112) qu’on peut entre- tenir pendant plusieurs heures, à l’aide d’une respiration artificielle con- venablement jpratiquée, la vie d’un animal auquel on a détruit tout le système nerveux central (encéphale et moelle). La respiration est sous la dépendance d’une sensation de besoin analo- gue au sentiment de la faim et de la soif. C’est en vertu de cette sensa- tion instinctive que s’accomplissent incessamment, pendant la veille et pendant le sommeil, et sans que nous en ayons conscience, les mouve- ments respiratoires. Cette sensation, dite sensation du besoin de respirer, devient bien évidente lorsqu'on suspend volontairement les phénomènes mécaniques de la respiration. Il arrive un moment où elle devient si im- périeuse qu’elle est plus forte que la volonté. Attachée au sentiment in- stinctif de la conservation, cette sensation, interne, inexplicable, n’a pas plus son siége dans le poumon que les sensations de la faim et de la soif (Voy. $S 3 et 5) n’ont le leur dans la bouche ou dans l'estomac. La sensation du besoin de respirer a son point de départ dans le sy- stème nerveux. Les expériences faites sur les animaux vivants permettent de localiser dans le bulbe rachidien le siége de cette sensation. Un ani- mal auquel les lobes cérébraux, le cervelet, les corps striés, les couches optiques, les tubercules quadrijumeaux, la protubérance annulaire ont été successivement enlevés, continue encore à exécuter des mouvements respiratoires. Si, sur un animal ainsi mutilé, on continue à enlever, de haut en bas, des rondelles nerveuses sur le bulbe rachidien, l’animal tombe comme frappé de la foudre quand on est parvenu au point du bulbe correspondant à l’origine des nerfs pneumogastriques. On est donc en droit de placer, par exclusion, le siége du besoin de respirer (autre- ment dit, le principe ou la source des mouvements respiratoires) dans le bulbe, ou, pour parler plus rigoureusement, dans la portion du bulbe com- prise entrela protubérance annulaire et un demi-centimètre au-dessous de l'origine des nerfs pneumogastriques. C’est à cet endroit qu’on a donné le nom de nœud vital. Cette rondelle nerveuse correspond à l’espace qui sé- pare la première vertèbre cervicale de l’occipital; et lorsqu'on veut faire périr instantanément un animal, c’est là qu’on fait pénétrer l'instrument tranchant, CHAP. IV, RESPIRATION. 353 SECTION II. Respiration par la peau (évaporation ou exhalation cutanée). à S 155. En quoi la respiration par la peau diffère de la respiration par les poumons. — La peau de l’homme, et celle des animaux qui ont, comme lui, la peau nue, offre certaines analogies avec le poumon. Comme dans le poumon, en effet, le sang circule dans un réseau vasculaire très-riche, et ce sang, qui contient des gaz, se trouve en contact médiat avec l’at- mosphère, au travers de la peau. La sortie de l’acide carbonique et celle de la vapeur d’eau, et, d’autre part, l'entrée de l'oxygène, doivent se produire et se produisent, en effet, sur toutes les surfaces molles en con- tact avec l'atmosphère. Aussi y a-t-il, chez l’homme comme chez beau- coup d'animaux, une sorte de respiration supplémentaire par la peau. Mais la peau de l’homme, indépendamment de ce que son derme a pres- que partout une épaisseur et une densité bien supérieures à celles du derme muqueux, est encore recouverte d’un épithélium pavimenteux stratifié et corné, qui limite beaucoup les phénomènes d'échanges. De plus, tout le sang passe par les poumons, tandis qu’une partie seulement du sang passe dans le système capillaire sous-cutané, une grande par- tie de ce liquide traversant en même temps tous les organes intérieurs (muscles, glandes, os, ete.). Il résulte de là que la quantité d’acide car- bonique qui sort par la voie cutanée est assez minime, qu’elle ne corres- pond pas à la totalité de l’acide carbonique formé par les combustions ca- pillaires, et que le sang qui remonte vers le cœur n’en offre pas moins les qualités du sang veineux. Mais si la quantité d'acide carbonique exhalée par la peau est peu con- sidérable chez l’homme, il n’en est pas de même de la vapeur d’eau. Celle-ci est très-abondante et l'emporte généralement sur la quantité de vapeur d’eau exhalée par le poumon dans le même temps, ainsi que nous l’établirons dans un instant. Et ici nous ne parlons pas de l’eau excrétée à l’état liquide sous forme de sueur, mais uniquement de cette évapora- tion invisible et continue qui se dérobe à la vue et qu’on a souvent dési- gnée sous le nom de transpiration insensible. La respiration cutanée, en- visagée dans son essence, est donc tout à fait analogue à la respiration pulmonaire. Mais elle en diffère, chez l’homme tout au moins, en ce sens que la quantité d’acide carbonique exhalé par la peau et la quantité d'oxygène absorbé sont beaucoup plus petites que dans le poumon, tan- dis que la quantité de vapeur d’eau qui s’échappe par évaporation cuta- née est plus considérable. La respiration cutanée n’introduisant dans le sang que de très-faibles quantités d'oxygène, et ne débarrassant ce liquide que de quantités éga- 534 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. lement très-faibles d'acide carbonique, ne peut, dans aucun cas, sup- pléer la respiration pulmonaire de l’homme. Aussi ne peut-il survivre au delà de quelques minutes à la suspension des mouvements respiratoires. Il n’en est pas de même pour les animaux chez lesquels les besoins de la respiration sont moins impérieux, et chez lesquels les combustions de nutrition (et, par conséquent, la production de l'acide carbonique) sont lentes. Lorsque ces animaux, en général à sang froid, ont en même temps la peau nue et humide, la respiration cutanée peut suppléer celle- ci pendant un temps plus ou moins long. M. Edwards, ayant supprimé l'entrée de l’air dans les poumons des grenouilles, à l’aide d’un capuchon ciré fixé autour du cou de ces animaux, a constaté qu’elles peuvent vivre ainsi, au contact de l’air, un ou plusieurs jours; lorsque le même expéri- mentateur submergeait complétement des grenouilles et supprimait ainsi la respiration cutanée et la respiration pulmonaire, elles ne vivaient guère au delà de huit ou dix heures. Chez les animaux à branchies et à peau molle, la respiration par la peau est généralement assez développée. Quant aux animaux sans appareil respiratoire distinct, il va sans dire que la respiration par les surfaces organiques molles atteint ici son plus haut degré de développement. Les animaux à sang chaud, couverts de poils où de plumes, ont une respiration cutanée plus restreinte que celle de l’homme. 8 156. De l’exhalation cutanée de l'acide carbonique et de l'absorption d'oxygène.—L'exhalation de l’acide carbonique par la peau a été établie expérimentalement, depuis longtemps, sur les animaux inférieurs, par Spallanzani. Des grenouilles auxquelles il avait enlevé les poumons n’en ont pas moins continué à exhaler de l’acide carbonique, pendant le temps qu'elles ont survécu. La réalité de ce phénomène chez l’homme peut être mise hors de doute par l'expérience suivante : lorsqu'on introduit la main et la partie voisine de l’avant-bras dans une cloche remplie d’air atmosphérique, renversée sur une cuve contenant de l’eau distillée, il suffit, au bout d’une demi-heure ou d’une heure, de retirer son bras et de verser dans cette atmosphère un peu d’eau de chaux, pour y déterminer un précipité de carbonate de chaux caractéristique. On peut doser la quantité d’acide carbonique exhalée par la peau de l’homme dans un temps donné, en recueillant tous les produits de l’exha- lation cutanée pulmonaire, et en déduisant de cette somme totale la quan- tité d'acide carbonique exhalée dans le même temps par le poumon seul (Voy. S 138). Pour recueillir ensemble les produits gazeux de l’exhala- tion cutanée et pulmonaire, il suflit de placer l’homme ou les animaux dans des enceintes fermées : d’un côté de cette enceinte arrive l'air at- 1 Si les grenouilles ont vécu encore dix heures à l’état de submersion, cela tient à une res- piration rudimentaire à l’aide de l'air contenu dans l’eau. Dans l’eau privée d'air, la mort est plus rapide. CHAP, IV. RESPIRATION. 335 mosphérique destiné à subvenir aux fonctions de respiration pulmonaire et cutanée, et à placer ainsi l'individu dans des conditions sensiblement analogues à celles où il se trouve dans l'atmosphère; de l’autre côté s’o- père, à l’aide d’un flacon aspirateur, le départ des produits de l’expira- tion cutanée et pulmonaire. Ces produits sont recueillis et dosés. MM. Scharling et Hannover ont fait sur l’homme une série d’expé- riences. En tirant la moyenne des tableaux qu'ils ont donnés, on trouve que la quantité moyenne d’acide carbonique exhalée en un temps donné, par la peau, est à la quantité d’acide carbonique exhalée dans le même temps par le poumon : : 1 : 38. En d’autres termes, l’exhalation d’acide carbonique par la peau est 38 fois moindre que l’exhalation par le poumon. L’exhalation d'azote par la peau, annoncée autrefois par M. Collard de Martigny, est considérée aujourd’hui comme un fait plus que douteux. Il y a aussi, avons-nous dit, une petite proportion d’oxygène absorbée par la peau. La réalité de cette absorption peut être démontrée par une expérience très-simple. Prenez huitou dix grenouilles, et, après leur avoir excisé les poumons, placez-les dans une cloche renversée sur le mercure et renfermant une quantité déterminée d’air atmosphérique. Au bout de vingt-quatre heures on retire les grenouilles, on fait pénétrer de l’eau de chaux dans la cloche pour absorber l’acide carbonique produit, et l’on constate, en mesurant de nouveau l’air atmosphérique à l’aide d’une clo- che graduée, que son volume a diminué. La quantité d'oxygène disparu est à peu près équivalente à la quantité d’acide carbonique produit. & 157. De l’exhalation de la vapeur d’eau par la peau.— Cette exhalation constitue une des fonctions les plus importantes de la peau. La réalité du phénomène a été constatée depuis longtemps. Il suffit de placer une par- tie quelconque du corps dans une enveloppe imperméable, pour qu’en très-peu de temps le milieu circonscrit se trouvant saturé, la vapeur d’eau se précipite, à l’état liquide, sur les parois intérieures de l’enveloppe. Les vêtements dont le {corps de l’homme est couvert ne constituant pas des enveloppes imperméables, la vapeur d’eau exhalée par la peau s’échappe insensiblement par les pores de leurs tissus et se répand dans l’atmo- sphère. Le cuir est moins facilement perméable à la vapeur d’eau que les tissus de fil, de soie, de coton ou de laine : cela nous explique comment la transpiration insensible a de la tendance à se condenser, sous forme liquide, dans les parties qu’il recouvre (bottes et souliers). Le cuir, ce- pendant, se laisse encore traverser par la majeure partie de la transpira- tion insensible. En effet, si l’on place l'extrémité inférieure, chaussée d’un bas et d’une botte, dans un large tube métallique hermétiquement appli- qué sur le membre, à l’aide d’un manchon de caoutchouc, et si l’on re- froidit ce tube à l’extérieur, la vapeur aqueuse de l’exhalation cutanée qui a traversé le tissu de la chaussure se condense, sous forme liquide, dans l'intérieur du tube. 336 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. Les chaussures de caoutchouc qui ont l'inconvénient d'entretenir l’hu- midité des pieds, doivent cette propriété à leur imperméabilité absolue. Les produits de la transpiration insensible se condensent à leur intérieur. C’est pour cette raison encore que les vêtements imperméables, dont nous nous couvrons pour nous garantir contre la pluie, ont le grave inconvé- nient de s’opposer à la diffusion, dans l’atmosphère, des produits gazeux de la transpiration cutanée. Ces produits accumulés sous le vêtement imperméable se condensent à leur paroi interne et entretiennent au- tour du corps une humidité d'autant plus malsaine, que l’air extérieur qui frappe à leur suface en abaisse la température. Lavoisier et Séguin ont, les premiers, cherché à évaluernumériquement la proportion de la vapeur d’eau exhalée par la peau, en un temps donné. A cet effet, l’expérimentateur, dépouillé de ses vêtements, se plaçait dans une enveloppe ou sac gommé, qui l’entourait complétement. La respira- tion était entretenue par un tube hermétiquement enchâssé dans cette enveloppe, terminé d’un côté par un masque appliqué sur la bouche et les fosses nasales, et communiquant au dehors par son autre extrémité. De cette manière les produits de l'expiration pulmonaire étaient rejetés au dehors, et les produits de l’exhalation cutanée étaient seuls recueillis dans l’enveloppe. La différence entre le poids de l’enveloppe avant et après l'expérience représentait le poids de la vapeur d’eau condensée sous forme aqueuse dans son intérieur. Ce mode d’expérimentation laisse quelque chose à désirer. Au bout de peu de temps, en effet, l’air intérieur du sac était saturé, et la déperdi- tion par la peau se trouvait modifiée, ainsi que nous le verrons dans un instant. Un procédé plus simple et aussi plus rigoureux, car le sujet de l’expé- rience se trouve dans les conditions normales, consiste à peser un indi- vidu débarrassé de'ses vêtements, puis à recueillir les produits de l’exhala- tion pulmonaire pendant un temps donné (Voy. $ 138). Après ce temps, on pèse de nouveau l'individu. Le poids qu’il a perdu représente à la fois les produits de l’exhalation pulmonaire et les produits de l’exhalation cu- tanée. La quantité des produits de l’exhalation pulmonaire est connue, on en déduit facilement la quantité de l’exhalation cutanée. Enfin, en retran- chant de cette dernière quantité un poids d’acide carbonique égal à la 38m partie (Voy. $ 156) de celle qui a été exhalée par les poumons dans le même temps, on obtient la quantité d’eau évaporée par la peau. En opérant ainsi, on constate que la quantité d’eau évaporée à la sur- face de la peau est, en moyenne, de 4 kilogramme en vingt-quatre heu- res. La quantité d’eau exhalée par le poumon, pendant le même temps, étant de 400 à 500 grammes (Voy. $ 143), nous en conclurons que l’éva- poration cutanée débarrasse l’économie d’une quantité d’eau double de celle des poumons. 1 Indépendamment de l'acide carbonique et de la vapeur d’eau, il s'échappe aussi, avec les CHAP. IV. RESPIRATION, 337 8 158. Des causes qui font varier la quantité d’eau évaporée à la surface de la peau.— Les pertes en eau qui ont lieu à la surface de la peau sont soumises à des fluctuations nombreuses, subordonnées aux influences ex- térieures. La température et l’état hygrométrique de l’air ambiant jouent, à cet égard, un rôle capital. L'étude et la connaissance des conditions météorologiques sont, sous ce rapport, d’une haute importance en étio- logie. h L’atmosphère au sein de laquelle nous vivons présente des états hy- grométriques très-divers. Tantôt elle renferme des quantités de vapeur d’eau peu considérables, eu égard à sa température : elle est relativement sèche ; tantôt, au contraire, elle renferme à peu près complétement, ou par fois même complétement, la quantité de vapeur qu’elle peut dissoudre à la température qu’elle possède : elle est alors près de son point de satu- ration ou tout à fait saturée. Lorsque l’atmosphère est saturée, l'air qui entoure le corps, n’ayant plus aucune tendance à se charger d’une nou- velle quantité de vapeur d’eau, entrave singulièrement l’évaporation cutanée et pulmonaire. Cette évaporation persiste encore, mais elle est considérablement amoindrie. Elle ne persiste qu’en vertu de l’excès de température du corps sur celle du milieu qui l'entoure. L’eau, concentrée en grande partie dans le corps, se porte vers ses autres voies d’échappe- ment (sécrétion urinaire). Si la température extérieure de l'air saturé était la même que celle du corps de l’animal, l’évaporation cutanée et pulmonaire serait réduite à zéro. Lorsque ce cas se présente, l’évapora- tion cutanée et l’évaporation pulmonaire se trouvent nécessairement sup- primées. Mais alors un nouveau phénomène survient, dont le résultat est de débarrasser l’économie de l’eau qu’elle ne peut plus perdre à l’état de vapeur. Les glandes sudorifères sécrètent une humeur qui s’écoule à l’état liquide, sous le nom de sueur *. Lorsque l’état hygrométrique de l’air est très-éloigné de son point de saturation, au contraire, l’évaperation cutanée et l’évaporation pulmo- naire acquièrent toute leur activité. La quantité d’eau qui s’échappe par ces deux voies augmentant, celle qui est évacuée dans le même temps par les voies de sécrétion (par l’urine en particulier, qui est la plus abon- dante de toutes) diminue. Dans les chaleurs de lété, l’état hygrométrique de l’air est, en général, moins près de son point de saturation qu’en hiver, et, de plus, la tempé- produits de l’exhalation cutanée, d’autres matières volatiles organiques, peu connues, el en quantité infiniment petite. Il est probable, d’ailleurs, que la majeure partie de ces produits s’acceumule à la surface de la peau par sécrétion (sécrétion de la sueur), et que la vapeur d’eau de la transpiration cutanée s'en charge au moment où elle est exhalée. Ce sont ces matières qui constituent le fumet de divers gibiers, et celui de l'homme, dont le chien reconnait aussi très-bien la piste. (Voy. Sueur, article Sécrério, S 182.) 1 Voy., pour plus de détails, Chaleur animale (S 167), et Sécrélion, article Sueur ($ 182). 92 338 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. , rature étant plus élevée, sa capacité de vapeur, pour arriver à satura- tion, est plus grande qu’en hiver. Aussi l’évaporation cutanée et pulmo- naire est généralement plus élevée dans la saison chaude que dans la sai- son froide. M. Dalton a fait, à cet égard, des recherches d’où il résulte qu’en juin, la transpiration cutanée et pulmonaire ayant été de 64 onces d’eau en un temps donné, elle n’a été que de 37 onces au mois de mars, dans un égal espace de temps. La quantité d’urine a été, au contraire, plus considérable en hiver qu’en été. La quantité des boissons dont l’homme fait usage modifie les propor- tions de l’urine. Les pertes d’eau par évaporation cutanée et pulmonaire sont à peu près indépendantes de la quantité des boissons ; elles sont in- timement liées avec les conditions physiques extérieures, et variables comme elles. La sécrétion urinaire sert en quelque sorte de régulateur et rétablit l'équilibre. Lorsque l'enveloppe tégumentaire est placée dans un milieu autre que celui avec lequel les poumons se trouvent en communication, et lorsque Pétat hygrométrique de ces deux milieux est très-différent, les rapports normaux entre les deux évaporations peuvent être complétement chan- gés. Lorsque les expérimentateurs se plaçaient dans une enveloppe im- perméable, et, par conséquent, dans un milieu promptement saturé, tan- dis que les poumons communiquaient librement avec l’air extérieur, la quantité d’eau évaporée par le poumon était relativement plus considé- rable que la quantité d’eau évaporée par la peau. L'évaporation pulmo- naire devenait égale et l’emportait même quelquefois sur la dernière. Lorsque, à l’aide de moyens appropriés, on supprime sur les animaux l’évaporation cutanée, et qu’on s'oppose ainsi d’une manière absolue à la sortie de la vapeur d’eau et à celle de l'acide carbonique, il s’établit peu à peu des désordres graves, qui se términent par la mort des animaux. Pour supprimer les fonctions de la peau, on a imaginé de mettre à nu, par la tonte du poil, la peau du chien, du mouton, du lapin, du cheval, et de recouvrir la surface rasée avec un vernis épais et siccatif. Les ani- maux ainsi préparés ont succombé au bout d’un temps variable : il est rare qu'ils aient survécu plus de 6, 8, 10 ou 12 heures. Après la mort, on trouve les tissus et les organes gorgés d’un sang noir, comme après l’asphyxie. Il est probable que, dans ces cas, ce n'est pas à la rétention de l’eau qu’une mort aussi rapide doi être attribuée. La sécrétion urinaire constitue, en effet, une voie succédanée à cette évaporation supprimée. Il est plus probable que l’acide carbonique non expulsé, s’accumulant dans le sang, a amené à la longue une asphyxte lente. I est vrai que la quantité d’acide carbonique exhalée par la peau est très-peu eonsidéra- ble, puisqu'elle n’est guère, chez l’homme, que la 38we partie de l’exha- lation pulmonaire, et qu’elle est beaucoup moindre encore chez les ani- maux à poil, mais si l’homme était recouvert d’un vernis, il n’en est pas moins vrai qu'au bout du temps qu’il emploie à faire 38 mouvements res- CHAP, IV. RESPIRATION. 339 piratoires (un peu plus de 2 minutes), il se serait accumulé dans son sang une quantité d'acide carbonique équivalente à celle qu’il rend dans cha- que expiration. Le poumon, qui échange ses gaz avec l’air atmosphérique en vertu d’une loi physique, ne peut suppléer l’exhalation gazeuse de la peau. Lorsqu'une des deux voies d'élimination de l’acide carbonique est fermée, ce gaz s’accumule peu à peu dans le sang et détermine l’as- phyxie (Voy. S 152). Lorsque c’est la voie pulmonaire qui est fermée, l’asphyxie est rapide ; elle est lente lorsque c’est la voie cutanée. Les poumons débarrassent en effet, en un temps donné, l’économie d’une quantité d'acide carbonique beaucoup plus considérable que la peau, et surtout que la peau des ani- maux à poils. Si l’expérience était praticable sur l’homme, il est très-pro- bable que la durée de l’asphyxie cutanée serait 38 fois plus lente que la durée de l’asphyxie pulmonaire. Au lieu de durer 4 ou 5 minutes, elle durerait vraisemblablement de 2 heures 1/2 à 3 heures. S 159. Hygiène de la respiration. — Ventilation. — Lorsque l’homme ou les animaux vivent à l’air libre, les modifications qu’ils font subir à Pair at- mosphérique sont tout à fait insensibles, parce que l’océan de l’air est continuellement agité dans sa masse par les vents et par les courants dé- terminés par la radiation solaire. Mais lorsque l’homme s’abrite dans des demeures, lorsqu'il y place des animaux, lorsqu’en un mot le volume d'air expiré est limité, cet air ne tarde pas à être profondément modifié dans sa composition et dans ses propriétés. Il perd sans cesse de l’oxy- gène, et il se charge d’acide carbonique, de vapeur d’eau et des produits organiques de l’exhalation pulmonaire et cutanée. À ces produits il faut ajouter encore ceux qui proviennent des foyers de combustion trop sou- vent mal disposés, et ceux des combustibles d'éclairage (chandelles, lampes, bougies, etc.); produits qui contiennent, outre l’eau et l’acide carbonique, des gaz plus nuisibles, tels que loxyde de carbone, des hydrogènes çcarbonés, etc. L'homme exécute 18 mouvements respiratoires par minute, et, à cha- que mouvement respiratoire, il fait circuler 1/2 litre d’air dans les pou- mons (Voy.S 137); il en résulte qu'il utilise, en 4 heure, environ 500 li- tres d’air pour les besoins de sa respiration. D'une autre part, l'air qui sort des poumons contient 4,3 pour 100 d’acide carbonique (Voy. $ 138). L'homme renfermé pendant une heure dans 500 litres d’air vicierait donc cet air, de telle sorte qu’au bout de ce temps, le milieu renfermerait environ 4,3 pour 4100 d'acide carbonique, à supposer que chaque fraction d’air fût respirée d’une manière successive. A cette dose, l’air ne serait sans doute pas encore doué de propriétés immédiatement nuisibles, ainsi que le prouvent les expériences sur les animaux vivants, et l'homme pourrait encore tirer de cet air une certaine proportion d’oxy- 540 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. gène, Mais il est certain qu'il en souffrirait, et qu'il pourrait en résulter pour lui des conséquences fâcheuses. mdépendamment de l'acide carbo- nique, en effet, l’homme rend de toutes parts, par le poumon et par la peau, des matières organiques en suspension dans la vapeur d’eau des exhalaisons. Ces matières jouent incontestablement dans l’air confiné un rôle important, et c’est à elles surtout que sont dus les effets funestes de l'encombrement (fièvres typhoïdes, contagions, ete.). À moins que l’espace dans lequel l’homme se trouve renfermé ne soit extrêmement resserré et qu'il ne périsse ainsi en peu de temps par as- phyxie, c’est surtout l'accumulation des produits organiques de l’expira- tion cutanée et pulmonaire qui est nuisible. Dans une salle de spectacle, dans un hôpital, dans une caserne, dans une salle d’assemblée, l’air, alors qu'il paraît le plus vicié à l’odorat et qu’il semble le plus irrespira- ble, ne contient guère au delà de 1 pour 100 d’acide carbonique. Long - temps avant que l’air atmosphérique dans lequel l'homme respire ne con- tienne 4 ou à pour 100 d'acide carbonique, cet air est devenu nuisible pour lui. Autant que possible, l’homme doit donc se placer dans des con- ditions qui le rapprochent le plus du milieu où il est appelé à vivre. Ces conditions, on pourrait les réaliser dans nos demeures, si l’on fournissait incessamment à l’homme une nouvelle quantité d’air prise au dehors, et si l’on enlevait aussi, au fur et à mesure, les produits gazeux de son ex- piration ; si, en d’autres termes, il se trouvait placé dans un courant d’air continu, apportant sans cesse de l’air neuf, entraînant sans cesse l’air vi- cié. La plupart des systèmes de ventilation qui ont été proposés ont cher- ché à réaliser ce problème. Mais avant que les salles d’assemblée, avant que les hôpitaux, et surtout avant que toutes nos demeures particulières soient pourvues d'appareils ventilateurs quelconques, il s’écoulera sans doute encore un long temps. Le problème de la ventilation est d’ailleurs assez complexe. Il faut te- nir compte, en effet, et de la capacité des locaux, et du nombre des indi- vidus , et du temps qu'ils doivent y séjourner. Il faut tenir compte des diverses causes de viciation de l’air, telles que la quantité d’acide earbo- nique produit par le poumon, par la peau, par les combustibles d’éclai- rage, la quantité de vapeur d’eau fournie par la peau et le poumon, etc. En faisant entrer tous ces éléments dans le calcul, on peut établir qu'il faut, en moyenne, 10 mètres cubes d’air neuf par heure et par individu !, Dans 1 Supposons, en effet, qu'il s'échappe en nombres ronds 4 pour 100 d'acide carbonique par chaque expiration. À 18 expirations par minute, chaque expiration étant de 1/2 litre, cela donne par heure et par individu 540 litres d'air expiré, ou 22 litres d’acide carbonique pro- duit. On peut admettre que l'air ne doit jamais renfermer plus de 4 millièmes d’acide carbo- nique (l'air libre en renferme 10 ou 20 fois moins que cela); or, pour que cette proportion ne dépasse pas 4 millièmes, il faut environ à chaque individu et par heure 4 mètres cubes d’air neuf. Mais cette évaluation n’est pas suffisante. En effet, l'homme perd, par évaporation cula- née et pulmonaire, 1,500 grammes d’eau en vingt-quatre heures ($$ 143 et 157), soit 60 gram- mes par heure. Or, il faut 14 grammes de vapeur d’eau pour saturer 4 mètre cube d'air à la tem- CHAP, IV. RESPIRATION. 541 tout système de ventilation sagement conçu, on doit se proposer de four- nir au moins cette quantité d’air. On concoit, d’ailleurs, qu’en pareille ma- tière, on ne pourra jamais pécher par excès; et si des considérations éco- nomiques ne dominaient la question, nous dirions qu'il faut fournir autant d'air que possible et se rapprocher de plus en plus des conditions de la respiration à l’air libre. Il faut donc à l’homme confiné dans l’intérieur de ses demeures 10 mè- tres cubes d’air par heure, ou 240 mètres cubes d’air par vingt-quatre heures, pour éloigner toute chance fâcheuse de malaise ou de maladie. Il est facile de voir qu'aucune de nos salles d’assemblée ne remplirait ces conditions, si elles n'étaient constamment soumises à un système plus ou moins parfait de ventilation ; et beaucoup d’entre elles laissent beaucoup à désirer sous ce rapport. Beaucoup de chambres à coucher, dans les- quelles nous passons 10 heures sur 24, sont très-insalubres, surtout lors- que le manque de cheminée diminue la ventilation qui s'opère par les joints des portes et des fenêtres. Précisons ces exemples par quelques chiffres. En supposant toute ventilation supprimée, il faudrait que l’es- pace complétement clos dans lequel l’homme passerait vingt-quatre heures consécutives fût au moins de 240 mètres cubes : en d’autres termes, cet espace devrait avoir plus de 6 mètres en tous sens. Si cet homme devait rester seulement 8 heures (c’est-à-dire environ le temps du sommeil) dans un espace complétement fermé, cet espace devrait avoir une capacité de 80 mètres cubes, c’est-à-dire environ 4",5 en tous sens; et en supposant (ce qui est le cas le plus fréquent) que la pièce n’eût que 2",5 d’élévation, elle devrait avoir près de 6 mètres en long et en large. Il est vrai qu'il s’opère toujours, dans les chambres les mieux closes, une ventilation as- sez efficace par les joints des portes et des fenêtres; de telle sorte que des pièces plus petites ne sont pas toujours insalubres. Mais combien de ca- binets qui n’ont pas les dimensions dont nous venons de parler, et dans lesquels on entasse jusqu’à huit, dix et douze lits ! — $ 160. Respiration dans la série animale. — L’échange des gaz, qui consti- tue l’essence de la respiration, s'opère dans toute la série animale. Dans tous les points où le fluide nutritif ne se trouve séparé de l’air atmosphé- rique que par des membranes ou des tissus peu épais, cet échange a lieu. Il consiste toujours essentiellement dans une exhalation d’acide carboni- pérature moyenne de +150; donc 60 grammes de vapeur d’eau satureront près de 5 mètres cubes d’air. Or, l’homme ne peut rester impunément renfermé dans un espace saturé : il faudra donc lui fournir plus de 5 mètres cubes d’air. Nous pouvons admettre qu’à 8 metres cubes d’air par heure, cette influence ne se fera pas sentir d’une manière fâcheuse. Ajoutons enfin à cette quantité 2 mètres pour l'alimentation des chandelles, bougies, lampes, becs de gaz, elc., qui brülent librement dans les enceintes fermées où respire l’homme, et nous arri- vons à une quantité moyeune de 10 metres cubes par heure et par individu. 342 LIVRE 1. FONCTIONS DE NUTRITION. que et dans une absorption d'oxygène. Tantôt, comme chez les animaux supérieurs, l'échange des gaz est localisé dans des organes spéciaux tra- versés par la masse du sang, et entretenus dans un état d'humidité per- manente (poumons, branchies); tantôt, comme aux degrés inférieurs de l'échelle animale, la respiration s'opère, à l’extérieur ou à l’intérieur de l'animal, sur les surfaces tégumentaires humides. Mammifères. — L'organe respiratoire des mammifères, ou poumon, of- fre dans sa structure une très-grande ressemblance avec celui de l’homme. Les phénomènes de la respiration des mammifères ont avec ceux de l’homme une similitude à peu près parfaite. Il n’y a guère d'autre diffé- rence que celle qui résulte du type des mouvements respiratoires ou du mode d’agrandissement de la cage thoracique (Voy. $ 118). Ajoutons que, chez la plupart des mammifères, le revêtement pileux ou laineux qui re- couvre la peau restreint beaucoup les échanges qui ont lieu à la peau. La respiration cutanée des mammifères (c’est-à-dire l’exhalation d’acide car- bonique et de vapeur d’eau, et aussi l'absorption d'oxygène) est donc plus faible que chez l’homme f, Oiseaux. — Les oiseaux vivent dans l’air comme les mammifères, et respirent comme eux, à l’aide de poumons. Leur respiration présente toutefois des particularités remarquables. Au lieu de remplir la cavité tho- racique, les poumons proprement dits n’occupent guère que la septième ou huitième partie de cette cavité. Les poumons de l’oiseau sont confinés dans la région dorsale de la cage pectorale, et appliqués contre les ver- tèbres dorsales par un plan membraneux et charnu, qui, se fixant de cha- que côté aux côtes, offre sa concavité du côté du sternum et sa convexité du côté du poumon. Indépendamment de cette cloison, à laquelle on a souvent donné le nom de diaphragme, il y a un autre muscle membraneux qui occupe à peu près la position du diaphragme des mammifères. Ce dia- phragme thoraco-abdominal, de même que la cloison précédente, n’isole pas d’une manière complète l’organe respiratoire, lequel envoie des pro- longements et entretient des communications avec des parties accessoi- res ou sacs aériens, constitués par des cavités membraneuses. De ces sacs aériens, quatre sont compris dans la poitrine et entre les deux diaphragmes, comme les poumons eux-mêmes : tels sont les deux sacs diaphragmatiques antérieurs et les deux sacs diaphragmatiques posté- rieurs. Un autre sac aérien impair, ou sac thoracique antérieur, est situé aussi dans la cavité pectorale, mais en dehors des diaphragmes. Il rem- plit la partie antérieure de la poitrine, derrière le sternum. Les autres sacs aériens sont situés hors de la cavité thoracique : tels sont les deux sacs cervicaux où interclaviculaires, et les deux sacs abdominaux. * M. Regnault a montré, par une série d'expériences annexées à son travail sur la respi- ration, que chez les mammifères et chez les oiseau, l'acide carbonique exhalé par la peau ne s’élève plus qu’au centième de celui que fournit l'animal par le poumon, et que cette pro- portion est souvent beaucoup plus faible encore. CHAP, IV. RESPIRATION. 345 Ces divers sacs aériens ne communiquent point entre eux, mais direc- tement avec les bronches ; ils sont , en quelque sorte , des diverticules du poumon. Les bronches qui établissent la communication entre les sacs aériens et les poumons de l'oiseau sont des bronches d’un assez gros calibre. Les principales divisions de la trachée, loin de s’enfoncer dans l’épaisseur du poumon et de s’y ramifier avant de s’ouvrir dans les sacs aériens, chemi- nent à la surface même du poumon, et viennent communiquer directement avec ces sacs. Ajoutons encore que dans le poumon de l'oiseau, les cer- ceaux cartilagineux des bronches sont la plupart incomplets, tandis que les cerceaux de la trachée forment des anneaux fermés, ce qui n’a pas lieu chez les mammifères. La structure du poumon des oiseaux n’est pas non plus semblable à celle du poumon des mammifères. Au lieu de se diviser isolément et de former, en définitive, comme chez l’homme, des culs-de-sac agglomérés, les bronches du poumon de l'oiseau s’anastomo- sent entre elles, et forment dans l’épaisseur du poumon un réseau de ca- naux parcourus par l’air, et qui a une certaine analogie avec les réseaux anastomosés des vaisseaux sanguins. L'air qui a traversé le réseau bronchique et qui est parvenu dans les sacs aériens va plus loin encore. En effet, quelques-uns des sacs aériens dont nous avons parlé communiquent chez beaucoup d'oiseaux avec la cavité des os. Ainsi, l’air des sacs cervicaux pénètre dans le corps des vertèbres cervicales et dorsales et dans les côtes vertébrales ; l'air du sac thoracique s’introduit dans la clavicule, dans le sternum, dans l’omo- plate, les côtes sternales et l’humérus; l’air des sacs abdominaux com- munique avec le sacrum, les vertèbres coccygiennes, les os iliaques et les fémurs. Les sacs diaphragmatiques contenus avec les poumons, entre les deux diaphragmes, ne communiquent point avec les os. Les communications des sacs aériens avec les os n’ont pas lieu chez tous les oiseaux ; on les observe particulièrement chez les oiseaux de haut vol. Beaucoup de gallinacés, de palmipèdes et d’autres oiseaux mauvais voiliers ne présentent point de communications de ce genre, ou seulement des communications partielles. Les mouvements de l'inspiration s’opèrent chez les oiseaux par l’élé- vation des côtes et du sternum, et par la contraction des diaphragmes. Le diaphragme supérieur, en effaçant sa concavité, attire le poumon er avant, et le développe suivant le diamètre antéro-postérieur ; le dia- phragme thoraco-abdominal, en s’abaissant, développe le poumon sui- vant le diamètre vertical. Les sacs diaphragmatiques compris entre les deux diaphragmes contribuent aussi (et plus énergiquement que le pou- mon lui-même) à attirer l’air dans leur intérieur : leur capacité se trouve, en effet, augmentée, au moment de l'inspiration, par l’écartement des deux diaphragmes. Les sacs aériens, situés en dehors des diaphragmes (par conséquent en dehors des puissances expansives) , n’agissent point 344 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. comme aspirateurs, au moment de la contraction des diaphragmes. Les sacs aériens inter-diaphragmatiques, dilatés au moment de l’inspira- tion, attirent, non-seulement l’air du dehors par la trachée, mais encore l'air des autres sacs aériens en communication avec eux par l’inter- médiaire du poumon. Il résulte de là que les mouvements d'inspiration de l’oiseau ont non-seulement pour effet de faire pénétrer l’air extérieur dans les poumons et les sacs pulmonaires inter-diaphragmatiques, mais encore d'opérer une expiration partielle dans les autres cellules aériennes de l'oiseau. Au moment de l'expiration, l’air contenu dans les sacs aériens inter- diaphragmatiques, pressé à la fois et par la réaction élastique du poumon, et par le retour des deux plans charnus diaphragmatiques, ne s’échappe pas entièrement par la trachée, mais passe en partie dans les autres cel- lules. De cette manière, et par ce double jeu, se trouve agité et renou- velé l’air qui circule dans les parties les plus éloignées de l’organe res- piratoire. La partie la plus vasculaire de l’appareil respiratoire de l’oiseau est le poumon, et c’est là surtout que s’opèrent les échanges gazeux de la respi- ration. Les sacs aériens et les canaux des os, beaucoup moins vasculaires que le poumon, sont surtout en rapport avec le mode de locomotion de l'oiseau, et destinés principalement à diminuer sa pesanteur spécifique ; mais il s’opère aussi, dans leur intérieur, une respiration supplémentaire. Reptiles. — Les reptiles, ainsi d’ailleurs que les animaux dont il nous reste à parler, sont des animaux à sang froid. Leur respiration est beau- coup moins active que celle des mammifères et des oiseaux, et ils peuvent être privés plus oumoinslongtemps d’air ou d'oxygène avant de succomber. La plupart des reptiles ont une respiration aérienne, et respirent par des poumons. Parmi les reptiles à poumon, quelques-uns ont des bran- chies dans les premiers temps de leur vie (têtards de grenouilles, par exem- ple), et respirent comme des poissons, jusqu’au moment de leur méta- morphose. Beaucoup de reptiles vivent à la fois dans l’air et dans l’eau, mais ils respirent encore par des poumons, et viennent à la surface res- pirer l’air atmosphérique. Il en est cependant quelques-uns qui sont bien réellement amphibies et qui conservent toute leur vie des branchies et des poumons (protées, axolots, sirènes). Chez les reptiles à poumons dont la peau est nue (les grenouilles, par exemple), la peau est aussi un organe important de respiration. La peau, envisagée comme organe de respiration, tient à la fois des poumons et des branchies : les échanges gazeux de la respiration cutanée peuvent s’opé- rer, non-seulement aux dépens de l’air atmosphérique, mais encore aux dépens de l’air contenu dans l’eau, ainsi que les expériences l’ont depuis longtemps prouvé. Il est probable que, chez quelques reptiles, la respira- tion cutanée est, dans l'air, anssi active que la respiration pulmonaire. Dans leurs expériences, MM. Regnault et Reiset ont observé que des gre- CHAP, IV. RESPIRATION, 319 nouilles privées de poumons consomment, dans le même temps, environ les deux tiers de la proportion d'oxygène absorbée par des grenouilles in- tactes. Les expériences de Spallanzani ont depuis longtemps appris que des grenouilles submergées peuvent vivre quelque temps dans l’eau re- nouvelée, tandis que dans l’eau bouillie (par conséquent privée d’air) elles meurent promptement. Nous avons déjà signalé, à cet égard, les expé- riences de M. Edwards (S 155). Les poumons de reptiles sont constitués par des sacs plus ou moins complétement cloisonnés, figurant parfois une sorte de tissu aréolaire à cellules communiquantes. Quoique le poumon des reptiles soit générale- ment volumineux, la surface développée de cet organe offre bien moins d’étendue que celle du poumon des mammifères et des oiseaux. Les rep- tiles n’ont point de diaphragme : leurthoraxcommuniquelibrement avec l’abdomen. Beaucoup d’entre eux n’ont point de côtes (fig. 57) : tels sont les batraciens. Il en ré- sulte que chez les batraciens, les mouvements d'inspiration et d’ex- & piration ne sont point soumis au - jeu du thorax, comme chez les mammifères et les oiseaux. Le pou- mondesbatraciensn'attire pasl’air par dilatation, au moment de l’in- spiration, comme chez les mam- mifères et les oiseaux; aussi, l’air n’est que très-incomplétement renouvelé dans leurs poumons. Les batra- ciens inspirent l’air par une sorte de déglutition. Certains muscles dilatent activement la gorge : l’air entre par les narines, remplit la dilatation ou le gonflement de la gorge; puis les narines se ferment, la gorge se con- tracte en vertu de ses muscles propres et chasse l’air, par refoulement, du côté des poumons. Le retrait élastique du poumon et la contraction des muscles de l'abdomen président à l'expiration. Les reptiles inspirant l'air, non point par la dilatation de la cavité pectorale, mais par un re- foulement de déglutition , il en résulte qu'ils respirent aussi bien, la poi- trine et le ventre ouverts, que lorsqu'ils sont intacts. Il en résulte encore (ce qui paraît assez singulier au premier abord) que l’on peut rendre la respiration pulmonaire impossible, et par conséquent les asphyxier à la longue, en leur maintenant la bouche largement ouverte. Poissons. — Les poissons respirent, à l’aide de leurs branches, l'air con- tenu dans l’eau. De grands naturalistes ont pensé que les animaux qui vivent dans l’eau avaient le pouvoir de décomposer l’eau pour en ex- traire l’oxygène ; mais l'expérience a prouvé depuis longtemps qu’en pla- cant ces animaux dans de l’eau privée d'air, ils ne tardent pas à succomber. Fig. 57. 346 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. L'air contenu dans l’eau fournit aux poissons l’oxygène dont ils ont besoin, et ils expirent de l’acide carbonique, ainsi qu'il est aisé de s’en assurer, en traitant par l’eau de chaux l’eau dans laquelle des poissons ont vécu pendant quelques jours. L'air contenu dans l’eau est d’ailleurs plus riche en oxygène que l’air atmosphérique, l'oxygène étant un peu plus soluble que l'azote {. Les branchies de poissons sont des organes disposés en forme de la- melles saillantes, très-vasculaires, fixées au bord externe des ares bran- chiaux. Il y a généralement de chaque côté du cou quatre branchies, composées chacune de deux lamelles. Dans les poissons cartilagineux, il y en a quelquefois davantage (cinq ou sept). Les branchies sont ordinai- rement libres ou flottantes par un de leurs bords, c’est ce qui a lieu chez poissons osseux. Chez les poissons cartilagineux, les deux bords des bran- chies sont fixés : l’un à l’are branchial, et l’autre à la peau. Les poissons dont les branchies sont libres n’ont qu’une seule ouïe : ceux dont les branchies sont adhérentes ont au cou des ouvertures multiples, et ordi- nairement en nombre égal aux branchies (les lamproies, qui ont sept branches adhérentes de chaque côté, ont sept ouvertures le long du cou). Lorsqu'on examine un poisson dans l’eau, on le voit alternativement ouvrir la bouche et les ouïes. En effet, le poisson, pour respirer, avale de l’eau par la bouche : l’eau, arrivée dans la gorge, passe au travers des fentes que laissent entre eux les arcs branchiaux, et parvient ainsi sur les branchies, qu’elle baigne ; l’eau cède au sang, au travers des parois vascu- laires, une partie de l’air qu’elle renferme ; elle s'échappe ensuite par les ouvertures des ouies. La plupart des poissons respirent encore l’air atmosphérique qu'ils viennent avaler à la surface de l’eau. L'air ainsi avalé se trouve en con- tact avec les branchies, par conséquent avec une membrane vasculaire et humide, et concourt à la respiration. Des poissons placés dans des réei- pients pleins d’eau, et qu’on empêche de venir respirer à la surface, à l’aide d’un diaphragme de gaze, finissent par succomber au bout d’un temps plus ou moins long. Lorsque les poissons sont tirés hors de l’eau, ils périssent assez rapi- dement par asphyxie. Les lamelles branchiales, n'étant plus soutenues par l’eau, s’affaissent promptement, se laissent difficilement traverser par le sang, se dessèchent peu à peu au contact de l’air, et rendent l’endos- mose gazeuse de plus en plus imparfaite. On peut prolonger leur vie en leur humectant sans cesse les branchies avec de l’eau, ou en les plaçant dans un milieu saturé d'humidité. Mollusques. — Les mollusques vivent dans l’air ou dans l’eau ; leur res- piration est pulmonaire ou branchiale. Les organes de la respiration pré- sentent ici des formes et des situations très-variées. 1 L'air atmosphérique contient 20,9 d'oxygène et 79,1 d'azote; l'air contenu dans l'eau contient 32 d'oxygène et 68 d'azote. CHAP. IV, RESPIRATION, 347 Chezles mollusques céphalopodes, la respiration est aquatique. Les bran- chies sont symétriques, constituées par des lamelles diviséeset subdivisées sous forme arborescente, et se trouvent cachées par le manteau dans une cavité spéciale, Cette cavité a des parois contractiles. Lorsqu'elle se di- late, l’eau entre dans son intérieur; lorsqu'elle se contracte, l’eau est chassée au dehors. Il y à, d’ailleurs, une fente pour l'entrée de l’eau, et un tube analogue à une sorte d’entonnoir pour la sortie du liquide. Les mollusques gastéropodes respirent dans l'air ou dans l’eau. Chez ceux qui respirent dans l’air (telle est une partie des gastéropodes à co-, quille), l'organe respiratoire ou poumon est constitué par une cavité sur les parois de laquelle vient se ramifier artère pulmonaire. Cet organe se trouve placé dans le dernier tour de spire. L’air est amené au poumon sans que l'animal sorte de sa coquille, tantôt par un pertuis percé dans la coquille, tantôt par un canal placé entre le corps et la coquille. Les gas- téropodes à coquille qui vivent dans l’eau ont des branchies. Tantôt l’a- nimal est obligé de sortir son corps au dehors pour mettre l'organe bran- chial en contact avec l’eau (toupies, sabots, etc.), tantôt l'organe respi- ratoire est pourvu d’une sorte de canal en siphon, et il peut respirer sans sortir de sa coquille (paludines, littorines, nérites, volutes, buccins, céri- tes, porcelaines, etc.). Les gastéropodes tectibranches ont des branchies à moilié cachées par le manteau, et les gastéropodes nudibranches, tout à fait privés de coquilles, ont des branchies fixées à quelque partie du dos. Les mollusques acéphales sont pourvus de branchies constituées par des feuillets striés en travers au nombre de quatre, et placées entre le man- teau et le corps de l’animal. Insectes. — Chez les insectes, animaux aériens, la respiration est moins localisée. La circulation de ces animaux est assez imparfaite (Voy. S 113); le sang n’est pas moins animé par un mouvement de révolution complète, et l'air va en quelque sorte à la rencontre du sang dans la plupart des parties de l’économie. L'organe respiratoire des insectes est constitué par une multitude de canaux ou érachées, qui s’ouvrent à l'extérieur, sur les côtés de l’animal, et se ramifient dans son intérieur. Tantôt les trachées sont simplement ramifiées, tantôt elles présentent, sur leur trajet, des renflements ou réservoirs à air. Les trachées sont maintenues béantes par une tunique spiroïde, de nature cartilagineuse. Leurs ouvertures extérieures, ou stigmates, ressemblent à de petites fen- tes ou boutonnières, parfois garnies de valvules. En général, il y a une paire de stigmates par anneau. L’air se renouvelle dans les trachées par les contractions alternatives de l'abdomen. La respiration des insectes est assez active, et leur température s'élève quelquefois d’une manière re- marquable (Voy. $ 161). Arachnides.— Comme les insectes, les arachnides ont une respiration aérienne, Tantôt la respiration a lieu à l’aide de trachées, tantôt à laide 348 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. de poches à air placées dans l'abdomen. Ces poches, sous le rapport de la disposition, ressemblent autant à des branchies qu’à des poumons. En effet, elles présentent dans leur intérieur une multitude de lamelles, sail- lantes comme des feuillets branchiaux. Ces poches à air reçoivent l'air, comme les trachées, par des stigmates placés sur les côtés ou à la face inférieure de l’abdomen. Annélides. — Les annélides ont généralement une respiration aqua- Fig. 58. tique. Les branchies des annélides varient beaucoup quant à leur forme et à leur posi- ton. Tantôt elles forment, le long du corps de l’animal, des touffes placées de distance en distance (arénicoles), tantôt elles sont groupées autour des pattes, sous forme de tubercules branchiaux (néréides), tantôt l’ex- trémitéfsupérieure du corps est garnie d’une sorte de panache multibranche (serpules, Voy. fig. 58). Les seuls annélides qui ne soient pas aqua- tiques sont les lombrics (vers de terre). Ils vi- vent dans la terre humide et respirent par la surface générale du corps, et peut-être aussi par de petites poches placées à la partie an- SS térieure du corps et communiquant au dehors BRANCHIES D'UN ANNËLIDE par des pores. FREE RE Crustacés. — La plupart vivent dans l’eau et respirent par des branchies. Un certain nombre de crustacés manquent de branchies, et la respiration aquatique se fait par les parties du corps recouvertes d’une peau molle (souvent les pattes). Quelques crustacés vivent à l’air et respirent à l’aide d’une multitude de lamelles extérieures, entretenues dans un état d'humidité permanente, qui ont la forme de branchies et qui fonctionnent comme des poumons. Zoophytes. — Ces animaux aquatiques n’ont point en général d’orga- nes spéciaux de respiration : les échanges gazeux se font par les divers points de la surface tégumentaire interne et externe. On remarque, ce- pendant, chez les holothuries, un canal ramifié particulier, naissant du cloaque, et analogue à une sorte de trachée. L'eau s’y introduit par le cloaque et en est expulsée de temps à autre par les contractions du canal. Chez les infusoires, on remarque à la surface du corps des cils vibratiles qui, par leurs mouvements, renouvellent l’eau aux dépens de laquelle l'animal respire 1, 1 Consultez principalement sur la respiration : Hamberger, Dissertatio de respirationis me- Chanismo et usu genuino ; Iéna, 1727, in-4; — Lavoisier et Séguin, Mémoires sur la respi- ration, dans les Mém. de l’ Acad. des sciences, 1789, p. 566, et 1790, p. 601; —Menzies (Rich.), Tentamen physiologicum de respiratione; Edimb., 1790, in-8° ; — Spallanzani, Mémoires CHAP. V. CHALEUR ANIMALE. O1 ES © CHAPITRE V. CHALEUR ANIMALE. 8 161. De la chaleur dans les animaux.—Tandis que les corps inorganiques se maintiennent en équilibre de température avec le milieu qui les en- toure ou tendent à se mettre en équilibre avec lui, lorsqu'ils ont été ar- tificiellement échäuffés ou refroidis, les animaux, au contraire, présen- tent une température propre. En d’autres termes, tous les animaux sur la respiration (vers, tortues, lézards, salamandres, grenouilles, oiseaux, mammifères, homme); dans Rapports de l'air avec les êtres organisés, publiés par Sennebier; 3 vol., 1807; les deux premiers volumes sont consacrés à la respiration ; — Edwards, Influence des agents physiques sur la vie ; in-8°, 1824, p. 1 à p. 98, p.165 à 229, p. 512 à 544, p. 404 à 531; — Col- lard de Martigny, Recherches expériment. et critiques sur l'absorpt. el l'exhalat. respiratoires, dans Journ. complem. des sciences médic., 1830, t. XXX VI, p. 225, t. XXXVII, p. 168; — Ma- gnus, Ueber die im Blute erhaltenen Gase, Sauerstoff, Stickstoff und Kohlensäure {Des gaz contenus dans le sang, etc.), dans Poggendorffs Annalen, t. XL, 1857, p. 538; — Bischoff, Experiment. chimico-physiol. ad illustrandam doctrinam de respiratione institut. ; Heidel- berg, 1837, in-4e ; — Andral et Gavarret, Recherches sur la quantité d'acide carbonique exhalé par les poumons dans l'espèce humaine, dans Ann. de chim. et de phys., 5° sér., t. VIII, 1845; — Beau et Maissiat, Recherches sur le mécanisme des mouvem. respirat., dans Arch. de méd., 1842, t. XV, p. 597; 1845, 5e série, t. I, p. 274, ett. II, p.264; — Leblanc, Recherches sur la composition de l'air confiné, dans Ann. de chim. et de phys., 5° série, 1842, t. V, p.293 ; — Sappey, Recherches sur l'appareil respiratoire des oiseaux; Paris, 1847, in-40 ; — Vierordt, Physiologie des Athmens mit besonderer Rüksicht auf die Auscheidung der Kohlensäure (Phy- siologie de la respiration dans ses rapports avec l’exhalation de l’acide carbonique); Karls- ruhe, 1845 ; — ibid., article Respirarion, dans R. Wagner’s Handwôrterbuch ; — Hannover, De Quantitate relativa et absoluta acidi carbonici ab homine sano et ægroto exhalati; 1845, in-8°; —Erlach, Versuche über die Perspiration einiger mit Lungen athmender Wirbelthiere (Recher- ches sur la perspiration de quelques vertébrés à poumons); Bern., 1846; — F. Sibson, On the mecanism of the respiralion, dans les Transact. philosoph.,1846, p.598 ; — Valentin, chapitre Das Araenx (La Respiration), dans Lehrbuch der Physiol. des Menschen, 2° édit., 1847, Ier vol., p. 510 et suiv. Cet article renferme le résumé des expériences faites en commun avec Brun- ner; — Hutchinson, On the capacity of the Lungs and on the respiratory functions, dans Transactions médico-chirurgicales, 1846, t. XXIX, p. 157, et article Taorax, dans | Encyclo- pedie de Todd, 1850 ; —Arnold, Ueber die Athmungsgrôsse des Menschen (Sur la Capacité res- piratoire de l'homme, elc.); Heidelberg, 1855, in-8°; — G. Liebmann, Versuche über die Rhytmik der Athembewegungen (Rhythme des mouvements respiratoires), Tubingen, 1856, in-80, et dans Vierordt’s Arch., livr. 2e, 1856; — Schnepf-Bonnet-Guillet, De la Spirométrie, dans les Comptes rendus de l'Institut, 1856, 1. I et II, n°s 4, 18, 22; — Valentin, Beiträge zür Kenniniss des Winterschlafs der Murmelthiere ( Sommeil hibernal de la marmotte), dans Untersuchungen zur Nalturlehre des Menschen, etc., de Moleschott, {re et 2e livr., 1856; — Moleschott et Schelske, Ueber die Menge der Augeschiedenen Kohlensäure und die Leber- grosse bei nahe Verwandten Thieren (De la Quantité d’acide carbonique expiré dans ses rap- ports avec le volume du foie), dans Untersuchungen zur Naturlehre des Menschen, 1re livr., 1856; —G. Harley, On the condition of the oxygen absorbed into the blood during respiralion, dans Philosophical Magazine and Journal, vol. XIT, n° 81, 1856. 330 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. produisent en eux-mêmes de la chaleur, et la quantité de chaleur qu'ils produisent est généralement suffisante, malgré les pertes incessantes qui s’opèrent à leur surface par rayonnement ou autrement (Voy. plus loin), pour que leur température se maintienne au-dessus de celle du mi- lieu ambiant. Les animaux qui ont une nutrition active, dont la circulation est dou- ble, et qui respirent par des poumons, se distinguent entre tous par l’é- lévation de leur température propre ; on les désigne sous le nom d’ani- maux à sang chaud. Ces animaux produisent, en effet, une grande quantité de chaleur en un temps donné, et leur température est remarquablement plus élevée que la température moyenne de l'atmosphère. Les oiseaux sont, de tous les animaux à sang chaud, ceux qui ont la cha- leur la plus élevée. Leur température moyenne, qui oscille d’ailleurs de quelques degrés suivant les espèces, varie entre+ 400 et+ 449 (centigr.), Les oiseaux, indépendamment de ce qu’ils produisent beaucoup de cha- leur (ainsi que le prouve leur consommation d'oxygène), sont recouverts d’une enveloppe de plumes, qui tend à limiter les pertes qui s’opèrent à leur surface. Après les oiseaux, viennent les mammifères. Leur tempéra- ture varie un peu, suivant les espèces, mais dans des limites circonscri- tes. Leur température moyenne oscille entre + 369 et + 409 (centigr.). La température moyenne de l’homme, qui appartient à la classe des mammifères, peut être évaluée à +372 (centigr.). En outre, la tempé- rature moyenne des animaux à sang chaud reste à peu près station- naire ou constante, non-seulement quand le milieu qui les entoure pos- sède une température inférieure à la leur, mais alors même que la température du milieu s'élève au-dessus de leur température propre. Cette faculté tient à des conditions complexes, que nous examinerons plus loin avec quelque détail. Les animaux dits animaux 4 sang froid, au contraire, sont loin de pré- senter cette constance de température. Ils sont assujettis, simon complé- tement, du moins d’une manière très-marquée, aux élévations et aux abaissements de température extérieure. Les animaux dits à sang froid produisent, il est vrai, de la chaleur; mais, la production de chaleur étant chez eux bien moins considérable que chez les animaux à sang chaud, les pertes incessantes qui s’opèrent à leurs surfaces sont presque suffisantes, dans la plupart d’entre eux, pour les rapprocher du point d'équilibre avec les milieux qui les entourent. C’est aïnsi que les reptiles n’ont guère que 1 degré de température au-dessus du milieu environnant. Quelques rep- tiles, le lacerta viridis, par exemple, ont quelquefois une température supérieure de 5 à 7 degrés à celle du milieu ambiant; quelques autres, tels que les grenouilles, ne présentent parfois aucune différence de tem- pérature avec l’air extérieur, et peuvent même, lorsqu'ils sont hors de l’eau, accuser un léger abaissement de température. Il faut remarquer que les premiers sont couverts d’écailles et qu'ils ont la peau sèche, tandis ‘CHAP. V. CHALEUR ANIMALE, 551 que les seconds ont la peau nue et constamment humide, et que les pertes de chaleur dues à l’évaporation sont, dès lors, plus considérables dans le second cas que dans le premier. On conçoit même que ces pertes puissent, dans des circonstances déterminées, amener un abaissement momentané de température au-dessous de la température ambiante (Voy. $ 167). Les poissons ont aussi une température très-peu supérieure à celle de l’eau dans laquelle ils vivent. L’excès de température de ces animaux ne s'élève guère au-dessus de + 00,5 à 190. Les insectes, les mollusques, les crustacés, ne présentent également que des différences qui portent sur 4 ou 2 degrés, et plus souvent encore sur des fractions de degré. Dans quelques circonstances, la température des insectes et celle des reptiles s'élève d’une manière assez remarquable. Les abeilles qui vivent en ru- ches, par exemple, et les serpents qui couvent leurs œufs, peuvent offrir une température supérieure de 5, 7, 8 et jusqu’à 10 degrés au-dessus de l’atmosphère extérieure. Ces faits sont faciles à concevoir. Dans la ruche, qui représente un espace limité, les pertes de chaleur des abeilles, dues au rayonnement et au contact, échauffent peu à peu le milieu qui les en- toure, et ce milieu une fois échauffé ne tarde pas à communiquer à l’in- secte lui-même une partie de sa chaleur. Le serpent qui couve est à peu près dans le même cas. En se repliant en rond autour des œufs, il em- prisonne au-dessous de lui un espace limité, ne communiquant plus libre- ment avec le milieu ambiant. Cet espace s’échauffe par le rayonnement dû aux pertes de chaleur de l'animal, et il communique à l’animal une partie de la chaleur qu'il lui a empruntée. En résumé, tous les animaux produisent de la chaleur, mais d’une ma- nière très-inégale. Les mammifères et les oiseaux, qui en produisent beaucoup, ont généralement une température assez élevée, eu égard à la température moyenne du milieu atmosphérique ; ils jouissent, en outre, de la faculté de conserver leur température propre, au milieu des éléva- tions et des abaissements de température extérieure. Les reptiles, les poissons et les invertébrés, qui produisent peu de chaleur, ont, au con- traire, une température peu différente de celle du milieu qui les contient, et ils sont soumis aux élévations et aux abaissements de la température extérieure. Au lieu de diviser les animaux en animaux à sang chaud et en animaux à sang froid, on peut donc aussi désigner les premiers sous le nom d'animaux à température constante, et les seconds sous celui d’anti- maux & température variable. S 162. Moyen d’appréeier la température animale. — Lorsqu'on veut appré- cier la température des parties extérieures de‘ l'animal, on se sert généra- lement d’un thermomètre ordinaire. Lorsque l'instrument doit être intro- duit dans les orifices des cavités naturelles, on l'entoure ordinairement d’un tube engainant, quine laisse libre que la boule thermométrique, Ce 352 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. tube engainant doit être transparent (en verre), pour permettre de lire les degrés sur l'échelle des divisions; il concourt à maintenir la solidité de l'instrument et à faciliter ainsi son introduction. En même temps, il sup- prime une des causes d'erreur, en s’opposant, dans une certaine limite, au refroidissement de la colonne mercurielle thermométrique, lorsqu'on retire l’instrument au dehors‘. Lorsqu'on veut apprécier des différences minimes de température, on peut se servir d’un instrument plus délicat, c’est-à-dire d’un appareil thermo-électrique. Un thermomètre ordinaire, même avec un petit ré- servoir, possède, en effet, une masse encore suflisante pour refroidir sen- siblement les parties dans lesquelles on le plonge. L'appareil thermo- électrique n'offre pas cet inconvénient : il fournit d’ailleurs aussi des notions que ne pourrait donner le thermomètre ; car on peut, à l’aide d’aiguilles exploratrices, pénétrer facilement dans l’épaisseur même des tissus et jusque dans les canaux où circule le sang, et comparer ainsi les températures de toutes ces parties. MM. Becquerel et Breschet se sont servis d’un appareil de ce genre dans leurs recherches (Voy. fig. 59). Il consiste en une pile thermo-électrique combinée avec le galvanomètre. Dans la pile thermo-électrique, comme chacun sait, l'intensité du cou- rant est déterminée par les différences de température des soudures des couples. Quand on veut se servir de l’appareil thermo-électrique pour mesurer la température des animaux, on commence par établir la relation des déviations de l’aiguille du galvanomètre multiplicateur annexé à l’ap- pareil, avec les différences de température des soudures des fils métal- liques employés. Après quoi il suflit d'exposer l’une des soudures à une température connue (on maintient, en général, cette soudure dans un bain d’eau à une température constante), et d'introduire dans les tissus les aiguilles composées de deux métaux soudés qui représentent l’autre soudure. Il est facile, dès lors, de déduire de la déviation de l’aiguille du galvanomètre la température de cette dernière soudure, et par con- séquent celle du tissu animal. La pile thermo-électrique pour l’usage physiologique est donc géné- ralement composée de deux aiguilles à soudure médiane (Voy. fig. 59, ac et a'c'). L'une de ces deux aiguilles est maintenue à une température 1 Lorsque le thermomètre doit être employé à des recherches délicates de physiologie, il faut avoir recours à des instruments sur lesquels on puisse facilement noter des fractions de degré. On se sert à cet effet de thermomètres dont le tube d'ascension est d’un calibre très-lin et dont l'échelle est tres-divisée : on peut apprécier ainsi des dixièmes et des vingtièmes de degré. Pour qu’un semblable thermomètre ne soit pas trop long, le point inférieur de l'échelle peut commencer à 20 degrés centigrades et le point supérieur se terminer à 50 degrés. Ces instruments (de mème d’ailleurs que tout thermomètre) sont comparés par avance avec un étalon, et gradués sur lui. M. Walferdin a récemment construit un thermomètre dont le tube d’ascension est d’un ca- libre si fin, qu'on peut distinguer sur l'échelle des centièmes de degré, et avec une loupe des millièmes de degré. L'échelle thermométrique de cet instrument ne comprend nécessairement qu'un très-petit nombre de degrés : chaque degré centésimal a de 5 à 6 centimètres de longueur. CHAP. V. CHALEUR ANIMALE. 393 constante et connue; l’autre aiguille est introduite dans les tissus de l’éco- nomie !. M. Becquerel ne s’est pas toujours servi du réservoir AA pour maintenir constante la soudure de l’aiguille ac; il plaçait souvent aussi la soudure de l'aiguille ac dans la bouche du patient en expérience. La tem- pérature de la bouche est en effet, pour une expérience de peu de durée, au moins aussi constante que celle du bain sans cesse renouvelé du cy- Fig. 59. Y OM | Ù CAL" he 1 LAS LL: Æ pull ( TN Au T T APPAREIL THERMO- ÉLECTRIQUE POUR MESURER LA TEMPÉRATURE ANIMALE. AA, réservoir contenant de l’eau à 36°. Ce réservoir est placé dans : BB, cylindre en bois, contenant également de l'eau. Ce bain est destiné à entretenir dans le réservoir AA une température constante. CC, vase en fer-blanc rempli d’eau chauffé par une lampe. Cette eau est destinée à réchauffer le liquide contenu dans le cylindre BB et à maintenir sa température, t't', tube d’entrée de l’eau chaude dans le cylindre BB. r, robinet qui établit ou suspend la communication entre le liquide de CC et celui de BB. RR, robinet qui donne écoulement au dehors, à une quantité d’eau égale à celle qui entre dans le vase BB ac, aiguille coudée placée dans le cylindre AA, chauffée, par conséquent, à 36°. La branche c de cette aiguille est en acier. La branche a est en cuivre. La soudure des deux métaux correspond au coude immergé dans l’eau. a'c', aiguille droite composée de deux métaux (acier et cuivre). La soudure entre les deux moitiés de l’aiguille, c'est-à-dire entre les deux métaux, correspond à la partie moyenne, plongée dans l'épaisseur du bras. G, multiplicateur interposé dans le courant. A, B, pôles austral et boréal de l’aiguille aimantée. lindre de bois BB. Un thermomètre, placé dans la bouche du sujet en expérience, indique d’ailleurs les variations qui pourraient survenir dans la température, et l'observation de ces variations indique les corrections à faire subir à l’expérience. La température de l’enveloppe cutanée est assez dificile à obtenir à l’aide du thermomètre ordinaire, car le réservoir ne peut être appliqué 1 M. Dutrochet s’est servi, dans ses recherches sur la température des insectes, d’aiguilles à soudures termino-latérales, c'est-à-dire qu’au lieu d’être soudés par le milieu, les deux mé- taux composant les aiguilles le sont par l’une de leurs extrémités (ens, Fig. X. par exemple, Voy. fig. X). Cette disposition ne change absolument rien cuivre à la théorie de l'appareil. C’est toujours la différence de température Fo entre la soudure s (introduite dans le tissu animal) et la température maintenue constante d'une autre soudure comprise dans le circuit, qui donne la déviation galvanométrique. acier 554 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. sur la région explorée que par une partie de sa surface. Les aiguilles thermo-électriques, bien disposées pour prendre la température des par- ties profondes, ne peuvent pas non plus être employées utilement à l'examen de la température de la peau; ce qu’il faudrait ici évidemment, ce ne sont plus des fs soudés, mais des lames soudées. M. Gavarret a pro- posé d'employer à cette détermination deux couples thermo-électriques, bismuth et cuivre, terminés à leur partie inférieure par un disque de bis- muth doublé d’une mince lame de cuivre. S 163. Température des diverses parties du corps humain.— La température moyenne du corps de l’homme, avons-nous dit, est de + 37° (centigr.). Cette moyenne résulte de l’ensemble des températures prises dans toutes les parties du corps; mais les diverses parties n’ont pas tout à fait la même température. La production de chaleur ne se fait pas, en effet, égale- ment partout. Le sang et les parties très-vasculaires ont une tempéra- ture un peu plus élevée que les autres parties; là, en effet, les phéno- mènes de combustion ont toute leur énergie. Les membres éloignés du centre circulatoire ont une température moins élevée que le tronc; les parties peu vasculaires, la surface de la peau con- tinuellement en contact avec l’atmosphère, ont aussi une température moins élevée que les cavités extérieures formées par le rapprochement des parties, telles que l’aisselle et l'intervalle compris entre la partie su- périeure des cuisses et le périnée. Enfin, les cavités intérieures, bouche, vagin, rectum, ont une témpérature un peu supérieure aux cavités exté- rieures. Ainsi, par exemple, la température des pieds et des maïns est gé- néralement inférieure de 5 ou 6 degrés à celle des parties centrales. Elle s'élève peu au-dessus de 32 degrés. Tandis que la température de l’ais- selle est de + 360,5 ; celle de la bouche est de + 379,2; celle du vagin, du rectum et de la vessie de +389 à +380,5 1, 1 Distribution de la température d’après Davy. — La température des parties superfi- cielles a été prise sur l'animal, en plaçant le réservoir du thermomètre dans des incisions sous-cutanées. La température des parties superficielles sur l’homme a été prise en plaçant le réservoir du thermomètre à la surface extérieure des parties. AGNEAU QU'ON VENAIT D'ABATTRE. HOMME VIVANT. SUPER. ere cemmmmssssscne 329,29 Sous la plante du pied. ............... 329,22 Sur le métatarse.......e.s.sossssssee 36 ,11 Entre la malléole interne et le tendon d’A- Sur l'articulation du genou... ss... 38 ,89 ghille. as asso ti ete 33 ,89 Vers le haut de la cuisse, .............. 39 ,44 Sur le milieu du tibia ....... act . 33,06 Sous la hanche. .L 2.232, Je susiee TA0 00 Sur le milieu du mollet............ =. OU) Au milieu du CEFVEaU.. sense sonne 40 ,00 Dans le pli du genou... .. ses 35 ,00 Dans 1e rEetme.-.. -e=-emmmemeesse 40 ,56 Au milieu de la cuisse, sur le trajet de l’ar- Dans le sang de la veine jugulaire.. ...... 40 ,84 fre fémürale 22207 : 1e AMAR ES 34 ,44 Sous la face inférieure du foie ,...,.... A1 ,11 Sur le milieu du muscle droit antérieur de Dans le ssng du ventricule droit du cœur, 41 ,11 Ta. QUISSe, Je Ta us se need 32 ,78 Dans le parenchyme du foie. ........... 41,39 Aümombrih ion. HERVE ace .…. 39,00 Dans le parenchyme du poumon.....,... M ,39 Sur la 6° côte à gauche (côté du cœur).... 34,44 Dans le sang de l'artère carotide, ..,..., 41,67 Sur la 6° côte à droite ....,....... re. 19 Dans le sang du ventricule gauche ducœur, 44 ,67 Sous Paisselle, ,,,.... A OUR Dr NT SE 07 CHAP, V, CHALEUR ANIMALE, 355 - Pour ce qui concerne la distribution de la température dans l’économie animale , on peut dire d’une manière générale, et en tenant compte de toutes les observations : que la température va croissant à mesure qu’on pénètre de l’extérieur à l’intérieur de l’animal, et à mesure qu’on s’avance de l'extrémité des membres vers leurs racines; on peut dire aussi que la température du tronc lui-même va croissant de ses extrémités vers le diaphragme, c’est-à-dire vers le cœur. Le sang est, en effet, ce qu'il y a de plus chaud dans l’économie, et nous verrons bientôt pourquoi. Davy, en introduisant le réservoir de très-petits thermomètres dans les vaisseaux sanguins des animaux vivants; MM. Becquerel et Breschet, en poussant dans les vaisseaux sanguins leurs aiguilles thermo-électriques ; et dernièrement MM. Bernard et Walferdin, en introduisant dans les vaisseaux de l’animal vivant des thermomètres métastatiques à très-petits résérvoirs, ont constaté directement que le sang est plus chaud que tous les autres tissus de l’économie. En comparant la température du sang de l'artère carotide à la tempé rature du sang de la veine jugulaire, Davy a trouvé que la température du premier sang l’emporte sur celle du second d’environ 2/3 de degré centigrade. La même observation a été faite par MM. Becquerel et Bres- chet. Ces derniers observateurs ont aussi noté que la température du sang de l’aorte l’emporte de ®, 8 sur -la température du sang de la veine cave supérieure. MM. Becquerel et Breschet ont encore signalé un autre fait : à savoir que la température du sang est un peu moindre dans les vaisseaux éloi- gnés du cœur que dans les vaisseaux plus rapprochés. De ces diverses observations, parfaitement exactes d’ailleurs, la ghabart des physiologistes ont prématurément conclu que la température du sang artériel est partout supérieure à celle du sang veineux. Les recherches récentes de M. Bernard démontrent que cette conclusion absolue n’est pas fondée, et ces recherches concordent d’ailleurs parfaitement avee la doctrine qui place dans les phénomènes chimiques de la respiration les sources de la chaleur animale. Pour bien saisir les résultats des expé- riences de M. Bernard, il faut, par la pensée, partager le système circu- latoire en trois sections. Dans une première section nous comprendrons, d’une part, la crosse de l'aorte avec toutes les artères qui en partent, et, d'autre part, la veine cave et tous ses affluents. Ici, la température du sang veineux est infé- rieure à celle du sang artériel, lorsque l’observation est faite sur des portions de vaisseaux situées à une même distance du cœur. Ainsi, si l’on compare la température du sang de l'artère carotide à la température du sang de la veine jugulaire au même niveau, la première l’emporte sur la seconde d’une fraction de degré. Il en est de même si l’on compare la température du sang de l'artère humérale à la température du sang de la veine qui l’accompagne; de même, si l’on compare la température du 356 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, sang de l’aorte à la température du sang de la veine cave supérieure, ete. Dans la seconde section, comprenant d’une part l'aorte descendante avec toutes ses branches et, d'autre part, la veine cave inférieure et tous ses affluents, il n’en est pas tout à fait de même. S'il est vrai que dans les membres inférieurs le sang des veines se montre un peu moins chaud que le sang des artères examinées au même niveau; s’il est vrai encore que le sang de la veine cave inférieure est un peu moins chaud que celui de l'artère aorte prise au même niveau, cela n’est vrai que jusqu’au point où vient s’aboucher la veine rénale dans la veine cave. En effet, le sang de la veine rénale est plus chaud que le sang de l’artère rénale; le sang des veines sus-hépatiques est plus chaud que le sang de la veine porte; le sang des veines sus-hépatiques est plus chaud même que celui de l’aorte au même niveau (c'est-à-dire pris à son passage par le diaphragme). Le sang des veines rénales et le sang des veines sus-hépatiques venant après un court trajet se verser dans la veine cave inférieure, il en résulte en- core que le sang qui circule dans le segment de la veine cave inférieure compris entre l'oreillette droite et l’abouchement des veines rénales est plus chaud que le sang de l’aorte. L’excès de température dans le sang des veines rénales et dans le sang des veines sus-hépatiques est amené par les phénomènes qui s’accom- plissent dans le rein et dans le foie. La dernière des sections en lesquelles nous avons divisé le système circulatoire comprend les cavités du cœur. Lorsqu'on recherche, sur l’a- nimal vivant, la température du sang du ventricule droit (sang veineux) et la température du sang du ventricule gauche (sang artériel), on trouve, contrairement à ce qu'avait annoncé autrefois Davy, que la température du sang du ventricule droit l'emporte sur l’autre. Cela se conçoit aisé- ment. D'une part, le sang des veines rénales et le sang des veines sus- hépatiques, échauffé par les phénomènes chimiques qui s’accomplissent dans le rein et dans le foie, est versé dans les cavités droites du cœur, et, d'autre part, le sang qui arrive aux cavités gauches du cœur revient du poumon, où il s’est refroidi au contact de l’air, car l’air expiré est plus chaud que l’air inspiré (Voy. S 142). Ce qui a induit Davy en erreur (Davy, toujours si exact), c’est qu'il opérait sur des animaux morts. Lorsque le cœur est mis à découvert dans ces conditions, les parois du ventricule droit étant beaucoup plus minces que les parois du ventricule gauche, le sang contenu dans le cœur droit se refroidit plus vite au contact de l’air que le sang contenu dans le cœur gauche, et, au bout de peu d’instants, il est effectivement un peu moins chaud, ainsi qu’on peut le constater expérimentalement. 8 164. Des limites entre lesquelles peut varier la température de l'homme. — L'homme, qui vit dans des climats de température variée, n’éprouve, CHAP. V. CHALEUR ANIMALE, 397 sous l'empire de ces températures diverses, que des différences très- minimes dans sa température propre. MM. Davy, Eydoux et Souleyet ont rassemblé, à cet égard, un très-grand nombre d'observations. Il y a, entre la température des individus qui habitent les pays les plus chauds et ceux qui habitent les pays les plus froids, à peine une différence de 1 degré en plus en faveur des premiers. Les différences de race et de couleur n’introduisent, à cet égard, aucun changement. Il n’y a non plus qu’une différence assez faible dans la température de l’homme d’un même climat, examiné dans les diverses saisons. D’après Davy, pour une température extérieure de + 33°, l’homme a sous la langue une température moyenne de + 380; pour une température exté- rieure de +2, sa température prise dans le même point est de + 370,9; pour une température extérieure de +6°, la température sous la langue est de + 36,1. Les degrés extrêmes de température extérieure n’ont donc qu'une in- fluence très-limitée sur les variations de la température animale. Lorsque, par des moyens artificiels, on élève ou on abaisse considérablement la température du milieu, il survient des variations plus considérables dans la température de l’homme ou des animaux. Lorsqu'on place, par exem- ple, des animaux dans des étuves à + 60° ou à +909, leur température peut s'élever de 4, 5 ou 6 degrés au-dessus de leur température normale. L'homme s’est soumis parfois lui-même à des expériences de ce genre, et il a quelquefois observé une élévation de 3 à 4 degrés dans sa tempé- rature. Il est rare, du reste, que la température s'élève autant chez lui que chez les animaux mammifères soumis à ce genre d’expériences, parce que la sueur qui monde bientôt la surface de sa peau augmente les pertes de chaleur par évaporation, et parce que le malaise qu'il éprouve ne lui permet pas de conduire aussi loin l'expérience. Lorsqu'on pousse l’expé- rience sur les animaux jusqu’à la mort, ils succombent généralement lorsque leur température s’est élevée de 5, 6 ou 7 degrés au-dessus de leur température normale. Lorsqu'on place des mammifères dans une atmosphère à 0°, ou dans des mélanges réfrigérants, leur température s’abaisse graduellement, et ils sont incapables de lutter longtemps contre une expérience un peu pro- longée. Ce mélange leur soutire plus de chaleur qu'ils n’en peuvent pro- duire, et ils ne tardent pas à succomber. La mort survient, en général, quand ils ont perdu un peu plus du tiers de leur température normale, c’est-à-dire environ 14 ou 15 degrés. La perte de 14 à 15 degrés de température est aussi la limite extrême au-dessous de laquelle la chaleur des animaux mammifères ne s’abaisse guère avant leur mort, lorsqu'ils périssent par inanition (Voy. &$ 212 et 213), ou à la suite des maladies. La température de l’homme est sensiblement égale à tous les âges de la vie. Si les enfants nouveau-nés se refroidissent facilement, et ont be- 338 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION. soin de vêtements appropriés, cela tient à leur masse peu considérable (Voy. $ 166), mais il n’en est pas moins vrai qu'ils possèdent une tempé- rature égale à celle des adultes, c’est-à-dire de +379 en moyenne. C’est ce qui résulte des recherches de M. Chisholm, et aussi des expériences nombreuses de M. Roger et de M. Mignot, qui ont pris la température, l’un de trente-trois enfants âgés de 4 à 7 jours ; le second, celle de qua- torze enfants âgés de 3 à 7 jours. La différence entre les vieillards et les adultes est également insignifiante. D’après les recherches de J. Davy et celles de M. Roger, la température moyenne d'individus âgés de 72 à 95 ans ne diffère que de quelques dixièmes de degré en moins. L'influence sexuelle n’est pas rigoureusement déterminée. Il faudrait pour l’établir des masses d'observations. Tout ce qu’on peut dire, e’est que si la femme a une température moins élevée que celle de l’homme, cette différence est très-minime et ne porte que sur des fractions de de- gré. L'état de maigreur ou l’état d’embonpoint, la stature du corps et la constitution, entrainent peut-être aussi des différences du même genre dans la température animale ; mais cela n’est pas nettement établi. Il est possible, d’ailleurs, que la production de chaleur, c’est-à-dire les com- bustions, se règle sur les quantités de chaleur perdue. Les individus qui portent sons la peau une couche épaisse de tissu adipeux, par exem- ple, couche mauvaise conductrice de la chaleur, produisent probablement moins de chaleur en un temps donné que les individus très-maigres, et l'équilibre de température se trouve ainsi maintenu. Il est certain qu’en général les individus maigres ont l’appétit plus développé que les indi- vidus très-gras, et introduisent ainsi dans leur intérieur une masse plus considérable de matériaux combustibles. Pendant le sommeil, les fonctions de nutrition sont ralenties. Le pouls bat un peu moins vite ; la réspiration est plus calme ; la température est aussi un peu moins élevée ; il y à, sous ce rapport, une différence d’en- viron 1 degré. L’exercice CAE augmente la température animale, mais dans des limites également assez restreintes. MM. Becquerel et Breschet, à l’aide de l'appareil thermo-électrique, ont constaté une diffé- rence de 1 degré en plus dans le muscle biceps, au moment de sa contrac- ton, et M. Davy avait déjà observé qu'après l’exercice, une promenade ou une course prolongée, la température, prise sur la peau, sous la lan- gue, ainsi que la température de l'urine excrétée, était plus élevée de quelques fractions de degré. Le régime exerce une influence très-impor- tante sur la température animale, on le conçoit aisément, puisqu'il intro- duit dans l’économie des matériaux de combustion. La privation partielle où absolue des aliments entraîne, sous ce rapport, des abaissements considérables de chaleur (Voy. $ 212). Dans les maladies, l'élévation de la température du corps est en rap- port avec l’accélération du pouls. L’élévation de température peut attein- dre 4,5 ou 6 degrés au-dessus de la température moyenne, mais elle ne CHAP, V, CHALEUR ANIMALE, 359 dépasse pas ce terme. Nous avons vu plus haut que c'est aussi la limite d'échauffement du corps, lorsque celui-ci est plongé dans un milieu à température supérieure à la sienne. Dans les maladies, les sensations subjectives de chaleur ou de froid ne sont pas toujours des indices de l'élévation ou de l’abaissement de la température du corps. M. Martine avait déjà observé que, dans le frisson de la fièvre intermittente, la cha- leur, loin d’être diminuée, est au contraire généralement augmentée. M. Gavarret a prouvé, plus récemment, que l’élévation de la tempéra- ture pouvait être portée, pendant cette période, jusqu’à 3, 5 ou 4 degrés au-dessus de la température normale. La température, au moment du frisson, est souvent aussi élevée que pendant la période de chaleur. Lorsque l’homme succombe, la respiration et la circulation s’abaissent peu à peu, et avec elles la température. Les parties les plus éloignées du centre circulatoire, telles que les pieds, les mains, le nez, les oreilles, etc.; se refroidissent les premières. Lorsque l’homme a suecombé, son cada- vre se refroidit peu à peu. La source de chaleur étant supprimée, le refroidissement rentre complétement dans l’ordre des phénomènes phy- siques. La promptitude du refroidissement dépend alors et de la tempé- rature extérieure et de la conductibilité des tissus animaux pour le calorique, et des substances qui environnent le cadavre, et de l’état d’em- bonpoint ou d’émaciation, etc. Lorsque les parties extérieures sont à peu près arrivées à l'équilibre de température avec les corps environ- nants, les parties profondes conservent longtemps encore un certain de- gré de chaleur ; les tissus animaux sont, en effet, de mauvais conducteurs du calorique. Est-il vrai que, dans des conditions particulières, la température pro- pre de l’homme puisse s'élever au point de déterminer spontanément dans ses tissus une combustion vive, analogue à celle de nos foyers ? Certains cas de mort accompagnés d’une carbonisation plus ou moins étendue et plus ou moins profonde des tissus, alors que tout foyer ex- térieur de combustion paraissait faire défaut autour de la victime, ont fait supposer que la chose est possible. Il est bien certain que des matières végétales, accumulées en masse, s’échauffent parfois jusqu’à 90 et 100 degrés, et que leur échauffement peut être exceptionnellement porté Jjus- qu'à l’inflammation spontanée. Mais l’homme et les animaux à tempéra- ture constante ne se trouvent point dans des conditions de ce genre. Bien loin de pouvoir s'élever au degré de la combustion vive, ou seulement à 100 degrés, leur température ne peut varier que dans des limites très- restreintes. Ce qui a contribué à entretenir l’erreur des combustions dites spontanées, c’est que le point de départ de la combustion disparaît par- fois sans laisser de traces derrière lui : c’est ce qui arrive notamment lorsque le feu est communiqué aux pièces du vêtement par la flamme d’une lumière, ou par des allumettes chimiques. Il faut remarquer que ces faits de combustion se montrent surtout chez les personnes recou- 560 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. vertes d’une couche abondante de graisse sous-cutanée, ou sur des indi- vidus accoutumés aux excès alcooliques, et dans le moment même où les tissus sont imprégnés d'alcool. Des sources faibles de combustion, qui, en tout autre temps et dans d’autres conditions, eussent été insuffi- santes à brüler les tissus, ont trouvé alors un aliment à leur activité. $ 165. Sources de la chaleur animale. — Toutes les combustions chimiques qui s’accomplissent sous nos yeux donnent naissance à un dégagement de chaleur. Tantôt ce dégagement est rapide et le phénomène est saisis- sant, comme, par exemple, lorsque du bois ou du charbon se consument dans un foyer. Tantôt, au contraire, la combustion est Zente, et la chaleur développée, se dissipant au fur et à mesure par rayonnement et par contact, ne frappe pas aussi directement les sens. C’est ce qui arrive, par exemple, toutes les fois qu’un bâton de phosphore se combine, par com- bustion lente, avec l’oxygène de l’air, ou lorsque des amas de substances végétales en fermentation absorbent l’oxygène de l’air. Mais dans ces derniers exemples, tout aussi bien que dans le premier, la quantité ab- solue de chaleur produite est proportionnelle à la réaction. La production de la chaleur animale peut être comparée , d’une ma- nière assez exacte, à ces combustions lentes. Il y a incessamment de l'oxygène introduit dans l’organisme par la respiration ; il y a incessamment aussi de l’acide carbonique et de l’eau produits. Or, cette transformation de l'oxygène en acide carbonique et en eau est une véritable combustion, et toute combustion est accompa- gnée de chaleur. L’acide carbonique et l’eau ne sont pas, d’ailleurs, les seuls termes définitifs de la combustion animale. Il s'échappe encore, par diverses voies de sécrétion , des produits d’oxydations successives, quel- quefois incomplètes, qui dégagent aussi une certaine proportion de cha- leur (urée, acide urique et autres produits de sécrétion). La source de la chaleur animale devant être recherchée dans l’oxydation que subissent les matériaux du sang sous l'influence de l’oxygène absorbé, la respira- tion et la chaleur animale se trouvent unies ensemble par les liens les plus étroits. La formation de l’acide carbonique et celle de l’eau sont les deux sour- ces principales de la chaleur animale. Les oxydations incomplètes en vertu desquelles se forment certains produits de sécrétion n’y entrent, relativement, que pour une très-faible part. Un animal envisagé pendant une période de temps déterminé (au com- mencement et à la fin de laquelle il présente la même température), expire pendant cette période, par le poumon et par la peau, une certaine quantité d’acide carbonique et d’eau ; or, pendant le même temps, il perd par rayonnement, par contact et par évaporation (Voy. $ 166), une cer- taine quantité de chaleur qu’on peut mesurer. Si donc, connaissant la CHAP, V. CHALEUR ANIMALE, 361 quantité de chaleur produite par la combustion du charbon pour former de l’acide carbonique, et la quantité de chaleur produite par la combus- tion de l'hydrogène pour former de l’eau (connaissance fournie par les expériences physiques) ; si, dis-je, nous mesurons la quantité de chaleur perdue par un animal pendant un temps donné, et si, d’une autre part, nous tenons compte de la chaleur dégagée dans la production de l’acide carbonique et de l’eau produits dans le même temps, nous devons arriver à une équation à peu près égale. C’est, en effet, ce qui arrive. Lavoisier place un animal dans un calorimètre de glace, et il a soin d'entretenir un courant d’air pur autour de l’animal. Il note la quantité de chaleur perdue par cet animal, en un temps donné, en recueillant et pesant la quantité de glace fondue ; il note, d’un autre côté, la quantité d’acide carbonique produite par l’animal dans le même espace de temps, puis il calcule la quantité de glace qui aurait été fondue par la formation d’un poids d’acide carbonique égal à celui que l’animal avait expiré. Il conclut de ses expériences que, si l’on représente par 10 la quantité de chaleur engendrée par la respiration, en un temps donné, la quantité de chaleur abandonnée, pendant le même temps, par l’animal, est égale à 43. Dans les recherches de Lavoisier, l'animal avait donc dégagé plus de chaleur que la formation d’acide carbonique par la combustion du char- bon n’en aurait produit dans le même temps. Mais Lavoisier fait remar- quer, avec raison, que l’excès de chaleur produit par l'animal n’est pro- bablement qu'apparent, et qu'il tient vraisemblablement à deux causes : 1° à ce que l'animal s’est refroidi dans l'appareil, et 2 à ce qu'il y a une certaine quantité d'oxygène employée à la formation de l’eau, c’est-à-dire à la combustion de l'hydrogène ; et il n'hésite pas à dire que «la respi- ration n’est qu’une combustion lente de carbone et d'hydrogène, en tout semblable à celle qui s'opère dans une lampe ou dans une bougie qui brüle, et que, sous ce rapport, les animaux qui respirent sont de vérita- bles combustibles qui brülent et se consument. » Les progrès de la science ont établi cette ngénieuse comparaison de Lavoisier sur des bases de plus en plus positives. MM. Dulong et Despretz ont repris et complété les expériences de La- voisier. Dans les expériences dont nous parlons, l’animal est placé dans un calorimètre à eau ; un gazomètre fournit l’air nécessaire à la respira- tion ; les produits de l'expiration sont reçus dans un autre gazomètre convenablement disposé. L’expérimentateur note la quantité de chaleur cédée à l’efu et à l'appareil ; en analysant les gaz contenus dans le ga- zomètre où ont été recueillis les gaz expirés, il connaît la quantité d’acide carbonique produite et la quantité d’oxygène consommée par l'animal. MM. Dulong et Despretz sont arrivés à ce résultat, que la chaleur pro- duite dans l’animal par la combustion de l’oxygène et de l’hydrogène re- présente les 8/10 ou les 9/10 de la chaleur cédée au calorimètre. Déjà les deux rapports se rapprochent davantage d’une équation parfaite. 562 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, Mais les travaux de MM. Dulong et Despretz n’échappent pas aux ob- jections qu’on peut adresser aux expériences de Lavoisier. Ils supposent, par exemple, que l'animal ne s’est pas refroidi dans l’appareil (parce que cet appareil ne contient pas de la glace, mais de l’eau), mais il est tout à fait présumable qu’un animal placé au repos absolu, dans un courant d'air, se refroidit, et il est plus que probable qu'il n’avait pas, en sortant de l’appareil (à la périphérie tout au moins), la température initiale. Ajoutons que dans ces expériences les gaz de l'expiration ont été re- cueillis sous l’eau, c’est-à-dire sous un liquide qui dissout une proportion notable d’acide carbonique. Enfin, et cette objection est plus grave que les précédentes, les coefficients des chaleurs de combustion du carbone et de l’hydrogène, à l’aide desquels a été calculée la chaleur produite par la formation de l’acide carbonique et de l’eau, étaient estimés trop bas par Lavoisier et par MM. Dulong et Despretz. Depuis cette époque, les chiffres de combustion du carbone et de l’hy- drogène ont été fixés d’une manière plus rigoureuse par les travaux de MM. Favre et Silbermann, et les différences signalées par Lavoisier et par MM. Dulong et Despretz ont sensiblement disparu. En calculant, à l’aide des nouveaux chiffres de combustion du carbone et de l’hydrogène pro- duits par MM. Favre et Silbermann, toutes les expériences qui ont été fai- tes, on arrive à ce résultat remarquable, que la chaleur dégagée par la respiration d’un animal, en un temps donné, est, à peu de chose près, égale à celle qu'il perd dans le même temps. Nous disons 4 peu de chose près, parce que l’égalité absolue n’a pas tou- jours été obtenue, et elle ne pouvait pas l'être. En effet, la production de la chaleur dans les animaux n’est pas une combustion directe de carbone et d'hydrogène en nature. Dans l’économie, ce n’est pas du carbone ni de l'hydrogène libre qui se brülent ; c’est ou de la graisse, ou du sucre, ou de l’albumine, ou de la fibrine, etc. Or, les recherches de MM. Favre et Silbermann nous enseignent que certains corps composés (alcool, acétone) produisent plus de chaleur par leur combustion directe que n’en produi- rait la combustion isolée de leurs composants, carbone et hydrogène. Remarquons encore que dans toutes les expériences on a cherché à comparer la quantité de chaleur produite par l’animal à la quantité de chaleur qu’aurait fournie la combustion d’un poids de carbone et d’hydro- gène équivalent à celui de l'acide carbonique et de l’eau formés ; mais on ne tient compté ainsi que des combustions complètes dont les produits s’é- chappent par le poumon et par la peau, et l’on sous-entend la combustion incomplète des éléments qui se séparent de l’économie à l’état d’urée, d’a- cide urique, de matières extractives de l’urine, d’acide choléique, d'acide carbonique, etc., produits qui s’échappent par les urines et les fèces. Or, la quantité de chaleur afférente à la formation de ces produits nouveaux (formés aux dépens des matières albuminoïdes) ne peut pas être directe- ment calculée, dans l’état présent de la science, CHAP, V. CHALEUR ANIMALE, 363 * Quoi qu'il en soit, il est remarquable que plus les procédés de recher- che se sont perfectionnés, et plus on a approché de l'égalité entre la quantité de chaleur produite et la quantité de carbone et d'hydrogène brûlée. Il est donc permis aujourd’hui (alors même que le problème ne peut pas être mathématiquement résolu) de regarder la production de la chaleur animale comme le résultat des oxydations lentes qui S'accomplissent dans l'organisme. Quant au lieu oùs’opèrent les phénomènes d’oxydation, ilest évident que ces phénomènes ne s’accomplissent pas exclusivement dans le poumon, comme on l’a dit autrefois, mais partout où circule le sang, et notam- ment dans les capillaires, c’est-à-dire là où le sang circule avec le moins de rapidité et où il se trouve en contact avec les tissus, au travers de pa- rois extrêmement minces. Les expériences de Spallanzani, d'Edwards et de M. Magnus le prouvent sans réplique (Voy. $ 150). Le sang est en quel- que sorte le foyer général de la chaleur. Le système circulatoire, analo- gue à une sorte de calorifère à eau chaude et à circulation continue, pro- duit lui-même la chaleur et la porte partout où il pénètre. Nous avons vu précédemment (Voy. $ 163) que la température des di- verses parties n’est pas exactement la même. Cette inégalité dans la répartition de la température est la conséquence de la variabilité des sources de chaleur et des sources de refroidissement. Tandis que la com- bustion des éléments du sang se fait dans la profondeur des organes et des tissus, la tendance à l’équilibre de température, ou, en d’autres termes, les pertes de chaleur, s’accomplissent à la périphérie. Les mem- bres, dont la masse est moindre que celle du tronc, sont plus exposés que le tronc aux déperditions de chaleur; de là leur température moindre (et d'autant moindre qu’on descend de leurs racines à leurs extrémités). Les combustions s’accomplissant dans les capillaires, c’est-à-dire dans la trame de tous les tissus, il n’y a point de centre unique où se forme et d’où émane la chaleur : la température de chaque partie en particulier dépend de l’activité des combustions dont elle est le siége, et de la manière dont elle est exposée aux causes de refroidissement ou protégée contre elles. Dans les organes profondément placés (foie, reins), et par conséquent moins exposés au refroidissement que ne le sont les membres et les pa- rois du tronc, la température du sang veineux qui sort de ces organes est supérieure à celle du sang artériel qu'ils reçoivent, et elle traduit en quel- que sorte l'intensité des réactions chimiques dont ces organes sont le siége. La production de la chaleur dans les plantes coïncide, comme chezles animaux, avec la production de l’acide carbonique. Dans l’état ordinaire, les parties vertes des plantes absorbent l’acide carbonique de l’air et ex- halent de l'oxygène, sous l’influence de la radiation solaire : elles ne pro- duisent pas de chaleur. Mais, au moment de la germination et au moment de la floraison, les plantes offrent, au contraire, une certaine analogie avec les animaux : elles dégagent de l’acide carbonique par une véritable 364 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. combustion. Suivant M. Goeppert, une semence qui germe peut présen- ter une température supérieure de 5 à 25 degrés à celle de l’air ambiant. M. Dutrochet a également observé une élévation de11 à12 degrésau-dessus de la température extérieure, pendant la germination de l’arum macula- tum.M. Van Beck a noté une élévation de 22 degrés pendant la floraison du colocasia adorata, et M. Vrolik a remarqué que la température de cette plante augmentait sous une cloche d'oxygène, et diminuait, au contraire, sous une cloche d’acide carbonique. Enfin M. Boussingault a démontré, à l’aide de l’analyse chimique, que, pendant la germination, le végétal em- bryonnaire brûle, comme l’animal, du carbone et de l’hydrogène. Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de réfuter longuement les diverses théories autrefois proposées pour expliquer la production de la chaleur animale. À une époque où l’on supposait que la force avec laquelle le cœur chasse le sang dans les vaisseaux était une force considérable, on attribuait la chaleur au frottement du sang contre les parois des canaux dans lesquels il circule. Mais, d’une part, on sait que la force du cœur est beaucoup moindre qu’on ne l’avait supposé, et, d'autre part, des expé- riences précises sur les mouvements des liquides ont démontré depuis longtemps que le frottement du sang contre les parois des vaisseaux est incapable de développer une chaleur sensible. Le mouvement musculaire élève, il est vrai, localement la température des muscles, et peut même, quand il est général, élever la température de la plupart des organes (Becquerel et Breschet, Davy, Valentin, Vier- ordt, Lassaigne), mais c’est en accélérant le mouvement nutritif des par- ties, et non pas en vertu des frottements des tendons sur les poulies os- seuses, comme le croyaient les iatro-mécaniciens. Bichat invoquait, comme source de la température animale, le passage de l’état liquide à l’état solide des éléments du sang dans la nutrition. Les expériences directes de Nicholson prouvent, en effet, que le sang, en passant de l’état liquide à l’état solide, dégage une petite quantité de chaleur, bien que le fait ait été nié par Hunter, par Davy et par M. De- nis. Mais comme le volume de l’animal ne s’accroit pas d’une manière continue, comme il est assujetti, au contraire, à une limite qu'il ne fran- chit point, il faut bien que la quantité des matériaux solides, qui rede- viennent liquides ou gazeux pour sortir par la voie des sécrétions et des exhalations ; il faut bien, dis-je, que cette quantité soit égale à celle des matériaux liquides, qui deviennent solides dans le même temps. Si, d’un côté, une certaine quantité de chaleur devient libre, d’un autre côté une quantité égale devient latente ; il n’y a donc point d’effet sensible produit. Le rôle qu'on a voulu faire jouer au système nerveux dans la produc- üon de la chaleur animale n’est pas mieux justifié. M. Brodie, qui s’est constitué le principal défenseur de cette doctrine, s’appuyait sur des ex- périences que quelques personnes invoquent encore aujourd’hui. M. Bro- die avait tiré de ses expériences les conclusions suivantes : 1° chez un ani- CHAP. V, CHALEUR ANIMALE, 365 mal auquel on a enlevé l’encéphale en le décapitant, et dont on entretient la vie à l’aide d’une respiration artificielle, le refroidissement arrive promptement, quoique les phénomènes chimiques de la respiration con- tinuent à s'accomplir ; 2 un pareil animal (décapité et soumis à une respiration artificielle) se refroidit plus vite qu'un animal mort non dé- capité et qu’on abandonne à lui-même. Mais comment M. Brodie consta- tait-il que les phénomènes chimiques de la respiration continuaient à s’accomplir sur l’animal en expérience? Sur ce simple indice que le sang artériel continuait à être rouge. Evidemment ce caractère ne saurait suf- fire; du sang veineux extrait du corps de l’animal devient rouge et ruti- lant quand on l’agite avec de l’air, en vertu de l’action de l'oxygène sur les globules; mais de là aux réactions chimiques de l’oxygène, c’est-à-dire à l'oxydation des matériaux combustibles du sang, il y a loin. Ce dont il eût fallu tenir compte, ce qu'il eût fallu rigoureusement apprécier, c'é- taient, d’un part, la quantité d'oxygène absorbé, et, d'autre part, la quan- tité d'acide carbonique produit. La seconde conclusion de M. Brodie est d’ailleurs tout à fait inexacte. Un animal décapité, dont on entretient ar- tificiellement et convenablement la respiration, vit assez longtemps, et sa température baisse beaucoup moins rapidement que celle d’un animal mort qu’on abandonne à lui-même. Les expériences de Wilson Philips, celles de Hastings sont positives à cet égard ; elles ont montré, en outre, que si le courant d’air qu’on fait passer au travers des poumons est trop précipité, il contribue au moins autant à refroidir l'animal qu’à lui four- nir l'élément comburant. Il faut donc avoir soin, dans ces expériences, de conduire avec lenteur les mouvements respiratoires. Du reste, il faut observer que des animaux qu’on a décapités, ou auxquels on a fait subir des lésions étendues du système nerveux central, ne vivent qu’un temps limité (trois ou quatre heures), et que leur température s’abaisse peu à peu ; mais il faut remarquer en même temps que la quantité d'oxygène absorbée et que la quantité d’acide carbonique exhalée diminuent en même temps, par suite des obstacles apportés à la respiration. Toutes les lésions graves du système nerveux, en effet, retentissent sur les phéno- mènes circulatoires, en ralentissant les mouvements du cœur et en modi- fiant puissamment les circulations capillaires. Tandis que M. Brodie croyait pouvoir tirer deses expériencesles conclu- sions que la source de la chaleur animale est dans l’encéphale, M. Chos- sat plaçait cette source dans le système du grand sympathique. Mais les expériences sur lesquelles s'appuie M. Chossat sont si peu probantes et si singulièrement interprétées, que nous ne nous arrêterons pas à les réfuter. $ 166. De la quantité de chaleur produite en un temps donné.— On a sou- vent calculé la quantité de chaleur produite par l’homme en l’espace de vingt-quatre heures. Il ne faut pas oublier que toutes les évaluations pro- 566 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, posées à cet égard sont des moyennes plus où moins approximatives : elles ne sont pas et ne peuvent pas être, actuellement, absolument ri- goureuses. Les chiffres obtenus reposent tous, en effet, seulement sur les quantités d'acide carbonique et d’eau produites par l’oxygène inspiré. En outre, le calcul est établi sur la quantité de chaleur qui résulterait de la combustion directe d’une quantité de charbon et d'hydrogène équiva- lente à celle de l'acide carbonique et de l’eau produits. Quoi qu'il en soit, comme la chaleur calculée est, ainsi que nous venons de le voir, très- rapprochée de la chaleur réelle, il n’est pas sans intérêt de fixer les idées par quelques chiffres. On peut admettre (en tenant compte des évaluations de MM. Brunner, Valentin, Andral, Gavarret, Dumas, etc.) que l’homme rend, en moyenne, par heure, une quantité d'acide carbonique équivalente en poids à 38 grammes environ!. Ces 38 grammes d'acide carbonique renferment 10 grammes de carbone environ, ou, ce qui est la même chose, ils corres- pondent à 10 grammes de carbone brülé. D'un autre côté, pour 38 gram- més d'acide carbonique produit, l’homme introduit 33 grammes d’oxy- gène dans ses poumons. De ces 33 grammes d’oxygène, il y a, en nombres ronds, 28 grammes utilisés à la combustion de 10 grammes de carbone. En supposant que l’excédant d'oxygène est tout entier employé à brûler de l'hydrogène pour former de l’eau, il y a dans le même temps 051,6 d'hydrogène brülé. Il y} a donc, en vingt-quatre heures, 240 gram- mes de charbon brülé et 15 grammes d'hydrogène brülé. Or, il est facile, d’après cela, de calculer la quantité de chaleur produite pendant ce temps dans le corps humain. 4 gramme de charbon qui brüle produit une quantité de chaleur capa- blé d'élever de 1 degré de température 8kil.,08 d’eau. 1 gramme d’hy- drogène qui brûle produit une quantité de chaleur capable d’élever de 1 degré 34xit.,5 d’eau. En désignant sous le nom de calorie ou sous celui d'unité de chaleur la quantité de chaleur nécessaire pour élever de 1 degré de température 1 kilogramme d’eau, il s'ensuit que 4 gramme de charbon dégage, en brülant, 8calories, 08, et 1 gramme d'hydrogène 34calories 5, Donc 240 grammes de charbon produiront, en brülant, 1940 calories, et 15 grammes d'hydrogène donneront 518 calories ; au total 2458 calo- ries ou unités de chaleur, ou, en nombres ronds, 2500. Ce qui revient à dire que la chaleur produite par l’homme, en l’espace de vingt-quatre heures, serait capable d'élever de 1 degré de température 2500 kilo- grammes d’eau; ou encore, qu'elle serait capable d’élever à la tempé- rature de l’eau bouillante 95 kilogrammes d’eau à 0°, L'homme possède une température à peu près constante. Les 2500 ca- lories qu’il produit, en moyenne, par les combustions intérieures ne s’ac- cumulent donc point en lui, mais se dissipent au dehors au fur et à me- sure de leur production, de telle manière que sa température reste à peu 1 Voy. les évaluations faites en volume, au chapitre de la Resprrariow, S$ 138 et 159. CHAP. V. CHALEUR ANIMALE, 367 près stationnaire. Le mode suivant lequel l’homme perd incessamment la chaleur qu'il produit est multiple. En premier lieu, comme tous les corps chauds, il a de la tendance à se mettre en équilibre de température avec le milieu ambiant, il perd donc par rayonnement ; en second lieu, le corps étant au contact d’un milieu généralement moins chaud que lui, il perd aussi de cette manière; en troisième lieu, l’évaporation à +379, qui se fait constamment à la surface de la peau et des poumons, lui enlève aussi de la chaleur; en dernier lieu, les aliments, les boissons surtout, et aussi l’air qu’il respire, possédant généralement une température in- férieure à celle du corps, il perd encore de sa chaleur en les échauffant. Quelle est la part de ces pertes diverses, pour dissiper les 2500 calories produites en vingt-quatre heures ? On calcule qu’en moyenne, l’évapora- tion de 4xi.,5 d’eau par la voie pulmonaire et cutanée fait perdre à l’homme 775 calories. Les aliments, les boissons et l’air expiré lui en enlèvent à peu près 196. Il en perd, par conséquent. jenviron 1600 par rayonnement et par contact. Mais ce sont là des appréciations moyennes. Il faut supposer que lair n’est point saturé d'humidité, que la température de l’atmo- sphère n’est ni trop basse ni trop élevée, mais d'environ + 20°. Nous al- lons voir, dans un instant, que les conditions extérieures ont une in- fluence décisive sur la valeur de ces diverses causes de refroidissement ; et qu’elles peuvent varier et se suppléer l’une l’autre dans des limites assez étendues. Toutes les causes qui font varier les proportions de l’acide carbonique exhalé en un temps donné, et, par conséquent aussi, les proportions d'oxygène introduites dans l'organisme ($ 139), font osciller la quantité de chaleur produite. La nature et la proportion des aliments, lesquels four- nissent les matériaux de la combustion, ont, sous ce rapport, une in- fluence sur laquelle nous avons déjà insisté. C’est pour la même raison que la température de l’homme éprouve, dans le cours de vingt-quatre heures, des maxima et des minima qui correspondent tout à la fois, non- seulement à l'influence du jour et de la nuit, mais aussi à celle du repas. M. Gierse, qui a pris, à cet égard, les températures sous la langue, a observé que le matin, avant déjeuner, la température étant dans ce point de + 36°,8, elle monte à+ 370,1 après déjeuner. La température prise au même point étant de + 37°,1 dans l'après-midi et avant le diner, elle est de + 37°,5 après le diner ; puis elle s’abaisse peu à peu, pendant la nuit, jusqu’à + 36°,8. Les animaux hibernants (marmotte, hérisson, loir, chauve-souris, etc.), qui, pendant la torpeur hibernale, ne prennent point de nourriture, con- somment une très-faible quantité d'oxygène dans le même temps, ainsi que Spallanzani l’a prouvé le premier! et que beaucoup d’autres observa- teurs l’ont constaté depuis. Lorsque le sommeil est complet, la respira- ! L’engourdissement hibernal est l’état normal et physiologique de la plupart des animaux à sang froid (ou animaux & {empérature variable). 568 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. tion est presque supprimée. Ce qui le prouve, c’est que ces animaux peu- vent vivre dans ces conditions 4, 5 et 8 heures dans l’acide carbonique pur. La circulation est aussi très-ralentie. La marmotte qui, à l’état de réveil, pendant l'été, a de 90 à 100 pulsations du cœur par minute, n’en a plus que 8 ou 10 pendant le même temps, lorsqu'elle est plongée dans le sommeil hibernal. La température des animaux hibernants s’abaisse avec les combustions de nutrition‘. L’animal,'produisant peu de chaleur pendant le sommeil hibernal, a une grande ressemblance avec les animaux à sang froid, et son corps a, en effet, une grande tendance à se mettre en équilibre de température avec le milieu ambiant. Si la température propre des ani- maux hibernants est généralement un peu supérieure à celle de l'air at- mosphérique pendant leur sommeil d'hiver, c’est qu'ils ont soin de se réfugier dans des espaces limités et de s’y entourer de corps mauvais con- ducteurs. Lorsque ces animaux sont placés, pendant leur somme il hi- bernal, au contact de l’air, à 0° ou au-dessous de 09, on voit souvent leur température s’abaisser à + 50, à + 49, et même à + 20. Pendant le sommeil naturel des animaux, la respiration et la circula- tion sont beaucoup moins ralenties que pendant le sommeil hibernal. Ce- pendant, pour être moins marquée, l'influence du ralentissement des fonc- tions de respiration et de circulation se fait néanmoins sentir par un léger abaissement de température. Cet abaissement est d'environ 1 degré chez l’homme. À cet abaissement de température correspond une diminution dans la quantité d’acide carbonique produit. M. Boussingault a vérifié le fait sur les oiseaux (tourterelles), et M. Scharling sur l’homme. D'après les recherches de M. Scharling, la quantité de charbon brülée par un homme endormi est à la quantité de charbon brülée par ce même homme éveillé : : 1 : 1,2. Il est certain, et beaucoup de faits le démontrent, qu'un homme. qui dort est plus accessible au refroidissement qu’un homme éveillé ; et ce n’est pas sans danger qu'il s’exposerait, endormi, à des températures qu'il braverait à l’état de veille. Davy, en mesurant la température sous la langue, avant et après un exercice un peu violent, a constaté après l’exercice une élévation de tem- pérature d’une fraction de degré centigrade environ. MM. Becquerel et Breschet, à l’aide de l’appareil thermo-électrique, ont constaté que la tem- pérature du muscle biceps pouvait s’élever de près de 1 degré pendant sa contraction. Les recherches de MM. Valentin et Vierordt, sur l’homme, ont prouvé qu’à l'élévation de température causée par l'exercice correspon- dait une élévation dans les proportions de l’acide carbonique exhalé, et M. Lassaigne est arrivé aux mêmes résultats sur le cheval. 1 Un hérisson qui, à l'état de veille, consommait 1 litre d'oxygène, ne consommait plus, à l’état de sommeil hibernal, que 01,04 dans le même temps (Saissy). Une marmotte qui con- sommait, par heure et par kilogramme de poids du corps, 1 gramme d’oxygène, ne consom- mait plus, quand elle était dans son sommeil d’hiver, que O8r,04 d'oxygène par heure et par kilogramme de poids du corps (Regnault). CHAP. V. CHALEUR ANIMALE, 3069 Les animaux mammifères et les oiseaux, qui ont, comme l’homme, une température constante, dissipent aussi dans l'atmosphère la chaleur qu'ils produisent et de la même manière. Mais ici se présente une difficulté qui, au premier abord, semble s’élever contre la doctrine des combustions, et que nous devons examiner. MM. Regnault et Reiset, dans leur remarqua- ble travail sur la respiration des animaux, ont établi que la consomma- tion d'oxygène et la production d’acide carbonique sont très-variables chez les mammifères et les oiseaux, quoique cependant la température de ces divers animaux soit à peu près la même. Ainsi, en rapportant la quan- tité d'oxygène consommé en un temps donné à une même quantité en poids de l’animal, ils ont trouvé, par exemple, que le chien consomme, par heure et par kilogramme d’animal, 18r,18 d'oxygène, que les canards consomment 18r,53 par kilogramme d’animal, que d’autres oiseaux (pe- tits oiseaux) consomment jusqu’à 9 ou 13 grammes d'oxygène par kilo- gramme d’animal et par heure. M. Valentin, dans plusieurs séries d'expériences du même genre, est arrivé à des résultats analogues; ainsi, tandis que pour 1 kilogramme du poids du corps, l’homme consomme par heure 08,62 d'oxygène, le lapin en consomme 087,8, les pigeons 18r,3, les souris 104,87, le bec-croisé (oi- seau) 108r,97. La production d’acide carbonique suit exactement aussi la même progression. Le lapin et la souris, d’une part, le pigeon et le bec- croisé, d'autre part, ont pourtant la même température. Cette anomalie apparente s'explique facilement. Il est évident que la masse des animaux joue un rôle des plus importants dans les phénomènes du refroidissement. Tandis que le volume moyen d’un lapin, calculé en centimètres cubes, est de 3370, celui de la souris n’est au contraire, que de 9,9; tandis que le volume du pigeon est de 317 centimètres cubes, celui du bec-croisé n’est que de 27. Plus la masse de l'animal est petite, plus est grand aussi le refroidissement en un temps donné, pour une même tem- pérature. Un petit animal, dont la température est égale à celle d’un ani- mal plus grand, doit done, relativement à son poids, consommer plus d’a- liments, absorber plus d'oxygène, former plus d'acide carbonique et produire plus de chaleur qu’un grand animal, car il a plus à lutter contre le refroidissement. La température de l’enfant étant égale à la température de l’homme adulte, on doit conclure de ce qui précède que l'enfant doit produire, en un temps donné, plus de chaleur que l’adulte; car sa faible masse le place, sous le rapport du refroidissement, dans des conditions désavantageuses. C’est, en effet, ce qui arrive : 1 gramme d'enfant absorbe, en un temps donné, plus d’oxygène et brüle plus de matière qu’un gramme d’adulte, pour maintenir sa température propre (Voy. $ 140). De là, l’activité des fonctions de nutrition chez l'enfant, la rapidité du pouls et celle des mouvements de la respiration. De là encore, la facilité avec laquelle il se refroidit. La nécessité des vêtements est donc plus impérieuse chez 24 570 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION, le jeune enfant que chez l’adulte, pour résister aux abaissements de température extérieure. S 167. De la résistance au froid et à la chaleur. — L'homme vit générale- ment dans des milieux dont la température est inférieure à sa tempéra- ture propre. Lorsque la température extérieure est très-inférieure à la sienne, la production intérieure de chaleur se proportionne dans une cer- taine limite aux pertes par rayonnement et par contact qui tendent à lui enlever une grande quantité de calorique. Les expériences de M. Letellier sur les mammifères ont, en effet, établi de la manière la plus concluante que les quantités d'acide carbonique en poids, produites en un temps donné, sont d’autant plus élevées que la température extérieure est plus basse. À cette production plus forte d'acide carbonique correspond natu- rellement l’absorption d’une quantité plus considérable d'oxygène. Cette absorption plus grande d'oxygène, par les températures très-basses, se trouve d’ailleurs en rapport direct avec les changements survenus dans les propriétés physiques de l’air, qui, sous le même volume, a, dans ces conditions, une densité plus élevée. A la production plus grande d’acide carbonique correspond aussi une alimentation plus abondante. L’aliment joue, en effet, le rôle d’un véritable combustible intérieur. Lorsque les abaissements de température extérieure sont poussés très- loin, l'homme doit, pour lutter efficacement contre les pertes de chaleur, se couvrir de vêtements appropriés, se retirer dans des habitations ou se livrer à l’exercice. Mais si l’on conçoit comment l’homme peut résister aux abaissements de température, il paraït,plus difficile d'expliquer comment sa tempéra- ture reste sensiblement constante dans une atmosphère dont la tempéra- ture est supérieure à la sienne. Dans ce dernier cas, en effet, deux causes devraient puissamment concourir à aceumuler en lui de la chaleur et à élever sa température. D'une part, l’air extérieur tend à lui communiquer de la chaleur par contact et par rayonnement, et d'autre part l’homme produit incessamment en lui de la chaleur par les combustions intérieures. Aussi, les physiologistes ont-ils pensé, pendant longtemps, que l’homme et les animaux à sang chaud étaient incapables de vivre dans une atmo- sphère dont la température est plus élevée que la sienne. Mais il est évi- dent qu'il y a des climats où la température s'élève souvent au-dessus de + 379, et les expériences ont montré que les animaux et l’homme lui- même peuvent supporter (pendant quelque temps du moins) des tempé- ratures artificielles beaucoup plus élevées. Franklin a le premier donné une explication satisfaisante de ce phéno- mène. Lorsque la température ambiante s’élève au même degré ou à un degré supérieur à celui du corps, les pertes par contact et par rayonne- ment ne peuvent plus enlever de la chaleur au corps, et il ne peut plus CHAP, V. CHALEUR ANIMALE, 371 perdre que par l’évaporation cutanée et pulmonaire. Mais cette évapora- tion elle-même n’est plus suflisante : les glandes sudorifères entrent en jeu, et le corps se couvre d’une sueur liquide. Le refroidissement produit par l’évaporation prend alors de grandes proportions f, Les expériences entreprises par MM. de La Roche et Berger viennent à l’appui de cette doctrine : elles démontrent que le froid produit par l’é- vaporation de la sueur suffit pour expliquer le maintien de la tempéra- ture de l’animal. En effet, si l’on introduit dans une étuve sèche chauffée entre + 509 et + 602 des grenouilles, des alcarazas et des éponges mouil- lées, au bout d’un quart d'heure , les éponges, les alcarazas et les gre- nouilles ont sensiblement la même température : cette température est de 15 à 20 degrés inférieure à celle de l’étuve. L’évaporation qui se fait à la surface de l’éponge et à la surface de l’alcarazas leur enlève donc plus de chaleur que la tendance à l'équilibre de température avec le mi- lieu ne leur en communique. Dans l’expérience dont nous parlons, il est remarquable que la température des grenouilles, après s'être élevée comme celle des éponges et des alcarazas à + 370, est restée station- naire en ce point. La grenouille est recouverte d’uue peau humide, et l’é- vaporation qui se fait à la surface du corps a agi sur elle comme sur les éponges dont nous parlons. Dans les grandes élévations de la température extérieure, les animaux à sang chaud doivent donc dissiper, par l’évaporation de la sueur, une grande partie de la chaleur accumulée en eux. Ceci nous explique comment des animaux, comment l’homme lui-même ont pu supporter, pendant quelque temps, des températures extrêmement élevées. M. Blagden a vu un homme rester 7 minutes dans une étuve à —+ 93° ; M. Berger en a vu un autre rester à peu près le même espace de temps dans une étuve à + 1070 et 41099; M. Tillet a vu une jeune fille rester pendant dix minutes exposée à une température de 112 (Réaumur). Le pouvoir de résister aux élévations de température extérieure n’est efficace et durable, du reste, qu’autant que ces élévations se maintiennent dans des limites analogues à celles que nous présentent les climats. Dans les expériences dont nous venons de parler, les pertes par évaporation de la sueur ne s'opposent qu'incomplétement à l’accroissement de la tempé- rature animale : celle-ci se manifeste sur les individus qui sortent des étu- ves par des élévations de quelques degrés au-dessus de la température normale, et l'expérience ne pourrait se prolonger pendant un temps un peu long sans compromettre bientôt la vie. M. Magendie a montré, par expérience, que les chiens succombent au bout de 18 minutes dans une étuve à + 1209; au bout de 24 minutes, dans une étuve à + 90° ; au bout de 30 minutes, dans une étuve à +809, Les animaux succombent dans ces 1 L'eau absorbe une quantité considérable de chaleur pour passer de l’état liquide à l’état gazeux. À gramme d’eau, déjà échauffée à 100°, absorbe, pour se vaporiser, une quantité de chaleur égale à celle qui serait nécessaire pour élever de 4 degré 540 grammes d’eau, 372 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION. conditions lorsque leur température s’est élevée de 6 ou 7 degrés au-des- sus de leur température normale (Voy. $ 164). Le pouvoir qu'ont les animaux de résister aux élévations de tempéra- ture diminue singulièrement avec l’augmentation de la vapeur d’eau con- tenue dans le milieu échauffé. Lorsque l’étuve dans laquelle se place l'homme est saturée de vapeur d’eau, il y peut à peine rester quelques instants dans des températures même très-inférieures à celles que nous venons de signaler, et sa température propre monte rapidement jusqu’à ses limites extrêmes. Lorsque l’espace est saturé, en effet, la source du refroidissement due à l’évaporation de l’eau à la surface cutanée est supprimée. L'influence exercée sur la température animale par l’état hygrométri- que de l'air a été bien mise en évidence par M. de La Roche. Si on place un animal dans une étuve saturée de vapeur et à une température même un peu inférieure à celle de l’animal , la température de celui-ci s'élève assez rapidement. Ainsi, un animal dont la température était + 40° est introduit dans une boîte contenant de l’air saturé à +380. Au bout de 40 minutes, on retire l'animal; sa température a monté à + 420,4. Quoi- que la température ambiante fût inférieure à la sienne, la température de l’animal s’est élevée de 2 degrés et demi; il a, en effet, continué à produire de la chaleur, tandis qu’une des voies de refroidissement était presque complétement supprimée. S 168. Influence de la température extérieure sur l’économie animale. — L'homme et les animaux, ainsi que nous l’avons vu, ne peuvent séjour- ner longtemps sans inconvénient dans des milieux dont la température est plus élevée que la leur. Une température égale à celle de l’homme (+370) peut être considérée, pour lui, comme le point limite de la ré- sistance exempte de danger. L'homme lutte au moyen de l’évaporation cutanée contre l’élévation que la production interne de chaleur tend sans cesse à amener ; et lorsque la température extérieure se maintient long- temps en ce point, elle n’est pas sans exercer sur l’homme une influence qui peut setraduire par desdérangements plus oumoinsgraves de la santé. Les plus hautes températures observées à l’air libre et à l’ombre se sont montrées au cap de Bonne-Espérance, à Manille, à Pondichéry, à Bassora, à Pékin, à Esné dans la haute Egypte, et dans les divers éta- blissements du Sénégal. On a vu en ces lieux le thermomètre s’élever, à l'ombre, à+340,+ 450, + 470 (centigr.), et surpasser, par conséquent, la température de l’homme de 6 à 10 degrés. Dans ces conditions, l’homme ne peut s’exposer impunément à l’air libre. Il se réfugie dans ses demeu- res et cherche, par des moyens appropriés, à entretenir autour de lui un abaissement artificiel de température. L'abbé Gaubil rapporte (Observa- tions sur la physique de Rozier, t. IV, p. 82) que, du 14 au 93 juillet 1743, CHAP. V. CHALEUR ANIMALE, 313 le thermomètre s’étant élevé chaque jour au-dessus de + 409 (centigr.) dans la ville de Pékin, 41,400 personnes moururent de chaud dans la ville et les faubourgs. u Des températures moins élevées ont parfois déterminé des effets non moins redoutables, surtout lorsque l’homme s’est trouvé directement exposé aux ardeurs du soleil. Les corps d'armée en marche, et les escla- ves qui travaillent aux rizières ou aux plantations du nouveau monde, ont été souvent cruellement éprouvés à cet égard. La mort, étant la plupart du temps subite, survient très-vraisembla- blement en vertu d’un trouble profond du système nerveux. L’annihila- tion des fonctions nerveuses est déterminée, soit par congestion sanguine, conséquence de l’accélération de la circulation, soit en vertu d’une com- pression, conséquence de la dilatation amenée par l’élévation de tempé- rature dans les éléments nerveux de l’encéphale contenus dans la boîte inextensible du crâne. MM. de La Roche et Berger, lorsqu'ils se placçaient dans l’étuve, en sortaient avec une céphalalgie violente et une grande faiblesse des membres; et les animaux sur lesquels on prolongeait l’ex- périence tombaient sur le sol dans une sorte d'état comateux. L'expérience a montré que les animaux placés dans des mélanges ré- frigérants pouvaient perdre, avant de succomber, plus du tiers de leur température (Voy. $ 164). Aussi l’homme peut lutter bien plus avanta- geusement contre les abaissements que contre les élévations de la tem- pérature extérieure. Dans leurs voyages près des pôles, les navigateurs ont été exposés à des températures extrêmement basses, auxquelles ils ont pu résister. Les capitaines Ross, Parry, Franklin, Back et autres, ont vu le thermomètre s’abaisser à — 480, à — 490, à — 560. En ces lieux, la température extérieure présentait donc, avec celle du corps, la différence énorme de 80 à 90 degrés centigrades. Il est vrai qu'ici ce n’est que par les vêtements, par le feu, par la nourriture et par l’exercice que l’homme peut résister à la grande quantité de chaleur que le rayonnement tend à lui enlever. Lorsque tout ou partie de ces moyens de résistance fait dé- faut, il suffit de températures moins basses pour entraîner la mort. Dans le fatal hiver de 1812, nos malheureux soldats, privés d’abris, de pain et de vêtements, sont tombés en foule dans les plaines glacées de la Russie, et pourtant le thermomètre ne descendit pas au-dessous de — 350. L'action du froid se fait sentir bien plus énergiquement dans un air agité que dans un air calme. Dans le premier cas, en effet, l'atmosphère qui entoure le corps est à chaque instant renouvelée ; le rayonnement et le contact agissent sans cesse avec la même énergie pour soutirer au corps son calorique. C’est encore par action directe sur le système nerveux que l’abaisse- ment extrême de température agit pour amener la mort. Les désordres des organes des sens, le délire, la tendance invincible au sommeil, qui surviennent alors, le démontrent. 374 LIVRE I, FONCTIONS DE NUTRITION. L'homme exposé aux élévations de température, alors même qu'il y résiste, éprouve cependant, dans ses diverses fonctions, certaines alté- rations que les expérimentateurs ont consignées dans leurs expériences. Ainsi, lorsque l’homme est resté 30, 20 ou 10 minutes dans des étuves à +450, à 4500, à + 900, le pouls, qui battait 75 pulsations à la minute, s'élève à 120, 145, 164. On à aussi noté, dans les mêmes circonstances, une accélération correspondante des mouvements respiratoires. À cette accélération des mouvements respiratoires ne correspond pas une acti- vité analogue dans les phénomènes chimiques de la respiration. Les combustions intérieures, et par suite la production de l’acide carbonique, s’abaissent à mesure que la température extérieure s'élève (Voy. $ 140), ettendent à lutter ainsi contre l'élévation de la chaleur propre del’animal. Les abaissements de température déterminent parfois la congélation des parties qui ne sont pas protégées contre le rayonnement par les vê- téements. Le visage est dans ce cas. Les mains et les pieds, éloignés du cœur et situés aux extrémités du chemin parcouru par le sang, quoique recouverts par les pièces du vêtement, en sont aussi souvent atteints. Il se forme alors, dans la trame des tissus, de petits glacons : ce qui n’em- pêche pas cependant que les parties ne puissent revenir à leur état nor- mal. Mais il faut, pour cela, que le réchauffement soit progressif; et c’est pour cette raison que les frictions avec de la neige ou de l’eau froide ont été recommandées. Lorsque le réchauffement se fait brusquement, à l’aide de l’eau chaude ou d’autres moyens analogues, on voit survenir la destruction, par gangrène, des parties congelées. Il se produit alors dans les tissus ce qui arrive lorsque les rameaux congelés des plantes sont frappés par le soleil. Les liquides, en se congelant, ont mis en liberté dans les tissus les gaz qu'ils tenaient dissous. Une chaleur brusque dilate rapidement ces gaz, avant que les liquides congelés n'aient été reconsti- tués à l’état liquide, et les gaz, en se dilatant, brisent les parois délicates des vaisseaux capillaires. L'homme peut vivre dans tous les climats. Les habitations dans les- quelles il s’abrite, les vêtements dont il se couvre, les aliments, le feu dont il fait usage, lui permettent dé résister plus ou moins eflicacement à l’abaissement de la température. Il peut aussi lutter contre les éléva- tions de température ; mais son pouvoir de résistance est ici bien plus restreint. Ce n’est plus, en effet, par des moyens en dehors de lui qu'il peut s’accommoder aux milieux à température élevée dans lesquels il doit vivre. L’exagération de l’évaporation cutanée, en augmentant les pertes de chaleur et la diminution des aliments, en diminuant les sources de la chaleur, tendent, il est vrai, à le mettre en harmonie avec les mi- lieux environnants. Mais les fonctions de la peau ne se mettent pas in- stantanément en équilibre avec ces conditions nouvelles, et d’ailleurs il n'en est pas le maître ; ajoutons qu'il n’est pas toujours suffisamment pénétré de la nécessité d'apporter dans son régime une grande sobriété. CHAP, VI. SÉCRÉTIONS, | 313 Il résulte de là que si l’acclimatement dans les pays froids est, en géné- ral, facile et dépourvu d’inconvénients graves, l’acclimatation dans les pays chauds est beaucoup plus difficile et fertile en maladies 1, CHAPITRE VI. SÉCRÉTIONS. S 169. Définition. — Organes de sécrétion. — Il n’est pas aussi facile qu’on pourrait le penser de définir rigoureusement ce que c’est qu'une sécré- tion. Il est vrai qu'il y a dans l’organisme certains organes bien déter- minés, d’une forme en général arrondie, auxquels on donne le nom de glandes, qui, pourvus d’un canal ou de plusieurs canaux excréteurs, dé- posent le produit liquide formé dans leur intérieur, soit sur les surfaces muqueuses, soit sur la surface cutanée ; tels sont, par exemple, le rein, le foie , les testicules, les mamelles, les glandes salivaires, lacrymales, le pancréas, etc. Mais il est d’autres organes dont la forme rappelle celle des glandes, et qui, riches en vaisseaux sanguins, recoivent et rendent une grande quantité de sang, et sont cependant dépourvus de l’élément es- ‘ Sur la chaleur animale, consultez particulierement : Spallanzani, Mémoires sur la res- piration, dans le IIT- volume de l'ouvrage de Sennebier, intitulé Rapports de l'air avec les corps organisés ; Genève, 1807 ; — de La Roche, Mém. sur les causes du refroidissement des animaux exposés à une forte chaleur (Journal de phys., t. LXXI, p. 289,1810);— B. Brodie, Recherches sur l'influence du système nerveux sur la chaleur animale, dans Philosophical Transactions, 1811 et 1812 ; — Ch. Chossat, Mémoire sur l'influence du système nerveux sur la chaleur animale, dans Annales de chim. et de phys., t. XCI, 1820 ; — Dulong, De la Cha- leur animale, dans le Journal de Physiologie de Magendie, t. III, 1823 ; — Davy, Observations sur la température animale, dans Annales de chim. et de phys., 1825, t. XII, p. 453; 1826, UE XXXIIE, p. 181 ; 1845, t. XIII, p. 174; — Despretz, Recherches expériment. sur les causes de la chaleur animale, dans Ann. de chim. et de phys., t. XVI, 1824 ; — P.-H. Bérard, article CnALEUR anima, dans le Dictionnaire de médecine en 30 vol., t. VIL, p. 175, 1834; — Bec- querel et Breschet, Mémoires sur la chaleur anim., dans Annal. des sciences natur. z00log., LITE, p. 257; t. IV, p. 245, 1835; — Berthold, Neue Versuche über die Temperatur der kaliblütigen Thiere (Nouvelles recherches sur la température des animaux à sang froid); Gütiingue, 1835 ; — Gavarret, Recherches sur la températ. du corps dans la fièvre intermitt. 3 dans le journal l’Expérience, 1839 ; — Roger, Recherches expérimentales sur la température des enfants, dans Archiv. génér. de méd., années 1844 et 1845; — Favre et Silbermann, Des chaleurs de combustion dans les Comptes rendus de l’Institut, t. XX et XXII, 1846 : — Crébes- sac-Vernet, Influence de la température sur l’économie animale, Thèses inaug., Paris, 1846 ; — Wurtz, De la Production de la chaleur dans les élres organisés, Thèses de concours, 1847; — Donders , ‘der Stoffswechsel als die Quelle der Eigenwarme bei Pflanzen und Thieren ; Wiesbad., 1847; — Nasse, article Taeriscme Ware (Chaleur animale), dans Handwürterbuch der Physiologie de R. Wagner, t, IV, 1853; —Gavarret, De la chaleur produite par les êtres vivants, 1 vol, in-19, 1855. 376 LIVRE 1, FONCTIONS DE NUTRITION. sentiel des glandes, je veux dire des canaux d’excrétion. Ces organes, quoique n'étant pas des glandes proprement dites, n’exercent pas moins une influence remarquable sur la constitution du sang, et doivent être examinés ici; tels sont la rate, les capsules surrénales, le corps thyroïde, le thymus. D'autres parties, en apparence plus éloignées des glandes que les précédentes, se présentent sous forme de sacs membraneux, à dimensions très-variables (séreuses splanchniques, membranes synovia- les articulaires, ete.) ; ces sacs, pourvus à leur surface externe d’un ré- seau vasculaire plus ou moins abondant, contiennent dans leur intérieur des liquides qu’on peut envisager aussi comme des sécrétions. Enfin, le sang qui circule dans le réseau capillaire des organes laisse filtrer, au travers des parois délicates des vaisseaux et dans la trame de tous les tissus, le plasma nourricier. Si l’on donnait le nom de sécrétion à la sortie de certains principes du sang au travers des vaisseaux, il n’y aurait pas de tissu pourvu de vaisseaux qui ne füt capable de sécrétion. Tous les tissus qui se nourris- sent devraient être considérés comme des glandes; il n’y aurait plus dans l’économie que des glandes. Ce point de vue général a son utilité, sans doute, et il est vrai que l’on passe, par une transition insensible, des fonctions de sécrétion aux fonctions de nutrition proprement dites ; mais nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire cependant de confondre dans une description commune les actes sécrétoires et les actes nutritifs. Malgré les liens qui les unissent et malgré la dépendance étroite et ré- ciproque qui existe entre eux, nous croyons qu'il est possible de conser- ver la division ancienne et d'analyser isolément ces deux ordres de phé- nomènes. Dans les phénomènes de nutrition l’organe qui se nourrit attire et fixe des matériaux analogues à sa propre substance. Dans les phéno- mènes de sécrétion, l'organe sécréteur ne forme pas, n’attire pas seule- ment des matériaux semblables à lui, car il n’y a point identité de com- position entre la substance de la glande et le produit qu’elle sécrète. Ce qui distingue encore ces deux actes, c’est qu'ils s’accomplissent sans se confondre dans chaque organe de sécrétion. La sécrétion s'exerce à l’aide de certains tissus enferposés entre les vais- seaux sanguins et le liquide sécrété. Les membranes séreuses représen- Fig. 60. tent le tissu inferposé sous sa forme la plus simple; ce A B sont, en effet, de simples sacs, dont une des surfaces # est en rapport avec les vaisseaux, et dont l’autre con- tient le produit de sécrétion. Dans les glandes simples ou follicules, le tissu interposé diffère de consistance et de texture avec les membranes séreuses : il se pré- - sente sous forme de petits sacs qui s'ouvrent sur les : en os membranes muqueuses ou à la peau (Voy. fig. 60, A), testin, ou de Lieberkuhn. 6 autour desquels rampent des vaisseaux. Les glandes en tubes, qui existent en quantité innombrable dans l'épaisseur des mem- SAUNINTEUE TEEN TIRE = 2 CHAP, VI. SÉCRÉTIONS. 377 branes muqueuses, ont avec les précédentes une grande analogie; elles n’en diffèrent guère que par la forme. Elles se présentent comme de petits tubes en cæcum, qui s'ouvrent librement dans l'intestin (Voy. fig. 60, B). Ces deux formes, forme vésiculeuse et forme tubuleuse, se répètent dans les glandes les plus composées, et ne sont, à un point de vue géné- ral, qu’une sorte d'artifice en vertu duquel les surfaces de sécrétion se trouvent multipliées dans des espaces circonscrits. Les glandes composées peuvent être groupées, eu égard à la disposi- tion de leurs éléments essentiels, en deux classes qui correspondent assez exactement aux deux formes simples représentées dans la figure 60. Dans les unes, les extrémités les plus reculées des canaux excréteurs se ter- minent, dans l'épaisseur de la glande, par des Fig. 61. extrémités renflées en ampoule; ce sont, en S quelque sorte, des folliculesassociés. Toutes ces glandes offrent entre elles une grande ressem- blance, non-seulement dans l’élément glandu- laire lui-même, mais encore dans le groupe- ment des éléments. La figure 61, qui représente une glande salivaire, donne une bonne idée de toutes ces glandes, auxquelles on donne souvent le nom de glandes en grappe; telles sont les glandes lacrymales, les glandes sali- vaires, les glandes duodénales de Brunner, la LOBE DE LA PAROTIDE. glande mammaire, le pancréas. La seconde classe de glandes composées peut être envisagée comme le grou- WE 62. pement d'éléments tubuleux, c’est- à-dire de cæcums simples ou rami- fiés, libres ou anastomosés entre eux. Cette classe comprend les glandes les plus compliquées, tels sont le foie, le rein, le testicule (Voy. fig. 62). Une glande, si composée qu’elle soit, peut être réduite, par la pen- sée, en un tissu étendu en forme de membrane, libre d’un côté, et sous le- quel circulent des vaisseaux sanguins. Les ramifications des canaux excré- teurs des glandes, supposées déve- FRAGMENT DE REIN (d’après Müller). loppées par projecti ssen- pp CN: Jeeson plane, LS a, circonvolutions des tubes urinifères dans la substance tent une surface d’une assez grande corticale. L : = b, les tubes urinifères devenus rectilignes dans la sub- étendue, et qui est loin d’être la stance Lubuleuse, même pour toutes les glandes. Cette différence dans l’étendue de la sur- face sécrétante des glandes, liée surtout à la quantité des produits sécré- tés, a été plusieurs fois calculée, On arrive à ces évaluations par l’obser- , Fi Ÿ Ê DE NT L AU «| ne @ CZ di) : EN ÉAUX Da) Lu <)) \ BA ( 9] ol {D 9 101 VX {, 378 LIVRE I. FONCTIONS DE NUTRITION, vation microscopique. Connaissant le volume d’une glande, le nombre des canaux excréteurs contenus dans un espace déterminé, le diamètre des canaux excréteurs, ainsi que l’épaisseur de leurs parois, on arrive à fixer d’une manière approximative la surface intérieure de tous les canaux ex- créteurs, c’est-à-dire la surface de sécrétion1. Les glandes tubuleuses composées ont généralement un volume plus considérable que les glandes en grappe, et leur surface de sécrétion est, par conséquent aussi, généralement plus étendue. Mais si l’on prend un centimètre cube de chaque glande, on arrive à constater qu’à égal vo- lume, les glandes en grappe offrent presque toutes une surface de sécré- tion plus étendue. Cela dépend sans doute de ce que les éléments sécré- teurs en grappe sont plus serrés les uns contre les autres, et de ce que le tissu cellulaire interposé occupe plus d'espace dans les glandes tubuleu- ses. Cela dépend encore de ce que, dans les glandes tubuleuses compo- sées, il y a, outre les canaux excréteurs, un autre élément glandulaire situé entre eux. Outre les ramifications des conduits excréteurs, il existe, en effet, dans quelques glandes composées (foie et rein), et comme parties essentielles, un élément spécial : je veux parler d'une multitude de vésicules ou cor- puscules d’une nature particulière, placés au milieu des circonvolutions des canaux excréteurs et ne paraissant point communiquer avec eux (cor- Fig. 63. puscules du foie, corpuscules de Malpi- ghi, du rein (Voy. &$ 174 et 184). Ces corpuscules jouent vraisemblablement dans les sécrétions un rôle capital; car, placés au milieu des entrelacements des vaisseaux quiseramifient dans la glande, ils se trouvent en contact avec le plasma du sang issu des parois des capillaires. Le corps thyroïde, la rate, les capsules surrénales, le thymus, souvent désignés sous le nom de glandes vasculaires san- quines,n’ont point de canaux excréteurs; ces organes présentent, dans leur épais- seur et au milieu du réseau vasculaire sanguin, des corpuscules ou vésicules SÈ pliquée au point C. Dans ce levier, le bras de la puissance est AC, et le bras de la ré- sistance est AB. Le point d'appui A peut R être placé à égale distance des points B LEVIER DU PREMIER GENRE. et C, cas dans lequel, les bras de la puissance et de la résistance étant égaux, la puissance P et la résistance R doivent être égales pour mainte- nir le levier dans l'équilibre. Lorsqu’au contraire le point d'appui A est plus rapproché de C, comme sur la figure 90, la puissance P doit l’em- porter sur la résistance R pour lui faire équilibre. Si le point d’appui A était plus rapproché de B, ce serait le contraire. En d’autres termes, et d’après le principe posé plus haut, la position d'équilibre est représentée par la proportion suivante : P : R!° AB : AC; ou, encore (le produit des extrêmes étant égal au produit des moyens dans toute proportion) PxX AC—R X AB. D'où il résulte que la puissance ou la résistance aug- mentent à mesure que leur bras de levier diminue, et réciproquement. Le levier du premier genre se rencontre assez fréquemment dans l’éco- nomie animale. En ce qui concerne l’homme, on pourrait l'appeler le levier de la station. C’est dans l’équilibre de la station qu’on en trouve les plus nombreux exemples. Lorsque la tête est en équilibre sur la co- lonne vertébrale dans l'articulation occipito-atloïdienne (Voy. fig. 91), 554 LIVRE IH, FONCTIONS DE RELATION, Fig. 91. elle représente, en effet, un levier du premier genre, dont le point d'appui correspond à l'articulation en A. La résistance est placée sur le bras de levier AB et correspond au poids de la tête R, qui tend à tomber en avant. La puissance qui fait équilibre à la résistance est représentée, sur le bras de levier AC, par les muscles de la région postérieure du cou (le muscle grand droit postérieur de la tête P est seul conservé sur la figure 91). Lors- qu’au lieu d’être immobile sur la colonne vertébrale, la tête s'incline en avant ou en arrière, le levier qu'elle représente ne cesse pas d'’é- tre un levier du premier genre. Le point d’appui est toujours dans l’ar- ticulation, à condition que le mou- vement se passe dans l'articulation de la tête, et que la colonne cervicale tout entière n’y prenne pas part, ce qui est le plus ordinaire; le point d'appui, dis-je, est toujours dans l'articulation occipito-atloïdienne ; seu- lement, la puissance et la résistance changent réciproquement de posi- tion. Dans la flexion en avant, la puissance est dans les muscles antérieurs du cou, et la résistance est représentée par la tonicité des museles de la région postérieure. Dans la flexion de la tête en arrière, au contraire, la puissance est dans les muscles postérieurs du cou, et la résistance dans le poids de la partie antérieure de la tête et dans la tonicité des muscles antérieurs du cou. La colonne vertébrale, qui fait corps avec le bassin, et par conséquent le tronc entier, repose aussi sur les têtes des fémurs, suivant le levier du premier genre. Le point d'appui est à l’articulation ; la puissance et la résistance, qui se font équilibre, sont représentées en avant par l’action des muscles, qui tendent à fléchir le tronc en avant, et en arrière par les muscles fessiers, qui empêchent le bassin d’obéir à l’action des fléchis- seurs et de tourner autour de la tête du fémur. Dans les mouvements des membres, le levier du premier genre est assez rare chez l’homme. Il est très-fréquent chez les animaux, et surtout chez les grands quadrupèdes. On l’observe chez eux dans les mouvements d'extension des membres. La puissance correspond aux museles exten- seurs, le point d'appui est à l’articulation, et la résistance est le poids du membre redressé. Le levier osseux représente chez les animaux un levier du premier genre, parce que l'extrémité de l'os sur laquelle vient s’ap- CHAP, I, MOUVEMENTS. 555 pliquer la puissance d'extension dépasse angulairement le centre du mouvement (c’est-à-dire l'articulation), lorsque le membre est fléehi. Il est vrai que le bras de la puissance est ici assez court, car il n’est mesuré que par la distance comprise entre l'insertion du musele extenseur et le centre articulaire, c’est-à-dire par une apophyse osseuse de peu d’éten- due; mais cette disposition, c’est-à-dire la brièveté du bras de la puissance par rapport à celui de la résistance, se rencontre presque partout. Elle existe au maximum dans le levier du troisième genre, le plus répandu dans les mouvements des animaux, et elle favorise singulièrement la vitesse du mouvement. Dans les mouvements d'extension des membres chez l’homme, les ex- tenseurs n’agissent pas, à proprement parler, sur les os à la manière de leviers du premier genre, parce que les saillies osseuses d'insertion sont loin d’être aussi prononcées chez lui que chez la plupart des animaux. Dans l'extension comme dans la flexion, les membres représentent géné- ralement des leviers du troisième genre {. Le levier du second genre est celui dans lequel la résistance est entre le point d'appui et la puissance ; aussi l’appelle-t-on quelquefois levier inter-résistant (Voy. fig. 92). Dans ce levier, Fig. 92. le bras de la puissance est AB : ce bras est mesuré par la distance qui sépare le point B, où est appliquée la puissance P, du point d'appui A. Le bras de la résistance est AC : ce bras est mesuré par la distance qui sé- = pare le point C, où est appliquée la résis- LEVIER DU SECOND GENRE. tance R, du pomt d’appui A. Il est aisé de voir que, dans ce levier, le bras de la puissance est toujours plus grand que celui de la résistance: car le premier mesure toujours toute la longueur du levier, tandis que l’autre n’en est jamais qu’une fraction plus ou moins grande. Une petite force appliquée à l'extrémité du levier de la puissance peut donc faire équilibre à des résistances considérables ; et la puissance employée peut ètre d'autant moindre que la différence entre les bras de levier est plus grande. Ce levier est très-rare dans l’économie animale. Il est vrai qu’une petite force peut vaincre à son aide de grandes résistances ; mais ce que © 21] el pi > 1 ! Cependant, à certains moments du mouvement d'extension des membres, le mode de levier se rapproche beaucoup du levier du premier genre. Ainsi, par exemple, quand l’avant-bras, fortement fléchi sur le bras, est redressé par la contraction du triceps brachial, le eubitus représente un levier du troisième genre, au commencement du mouvement, attendu que l’in- sertion du triceps à l’olécrane est à ce moment située du même côté du point d'appui (articu- lation) que la résistance (avant-bras et tonicité des fléchisseurs) ; mais au moment où l’a- vant-bras ne forme plus qu’un angle droit avec le bras, l’olécrane est un peu en arrière de l'articulation, le bras de la puissance se trouve transporté de l’autre côté du point d'appui, et le levier devient un levier du premier genre. Le bras de la puissance reste toujours très- court, d'ailleurs, relativement à celui de la résistance, et la vitesse du mouvement n’est pas sensiblement modifiée, 556 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. ce levier fait gagner en force, il le fait perdre en vitesse, et le déplacement de la résistance est toujours moindre que le chemin parcouru par la puis- sance. Les organes de la locomotion, au contraire, sont surtout disposés pour faire exécuter à la résistance des mouvements étendus, avec un dé- placement assez faible de la puissance, c’est-à-dire avec un faible raccour- cissement des muscles. Fig. 93, Le levier du second genre ne se rencontre guère dans la mécanique animale; mais c’est celui dont l’homme se sert le plus fréquemment dans le travail manuel. Cela se conçoit aisément, car, à l’aide de ce levier, il n’a à déployer qu’une force toujours moindre que la résistance qu'il veut vaincre. La plupart de ses instruments de travail peuvent être rattachés à ce genre de levier. La brouette, par exemple (Voy. fig. 93), est un levier dont le point d'appui est en A, à l’endroit où la roue touche le sol. La puissance P correspond au point où est appliquée la force musculaire de l’homme qui la soutient : le bras de la puissance est done mesuré par AP. La résistance R est représentée par le poids des objets placés dans la brouette; le bras de la résistance est donc mesuré par AR. Plus la di- stance AR sera petite par rapport à la longueur AP, et moins l’homme aura d'efforts à faire; aussi, l’ouvrier a-t-il soin de disposer le charge- ment dans le fond de la brouette, afin de diminuer, autant que possible, le bras de la résistance AR. Lorsque l’homme cherche à dresser contre un mur une échelle (Voy. äg. 93), dont le pied A, appuyé à terre, repré- sente le centre des mouvements qu'il lui imprime, il développe un effort bien moindre que s’il soulevart l'échelle pour la mettre en place !, etc., ete. 1 Dans cet exemple, le point d'appui est en A. La puissance appliquée en P est représentée par la force musculaire des bras aidée du poids du corps légèrement incliné en avant. La résistance RR est le poids de l'échelle, ou plutôt la portion du poids de l'échelle qui n’est pas supportée par le sol. Le bras de la puissance est représenté par la distance AP. Quant au bras CHAP, I. MOUVEMENTS. 557 Le levier du deuxième genre, où la vitesse est sacrifiée à la force, ne se montre chez l’homme que dans une seule circonstance, c’est lorsqu'il soulève son propre corps, en s’élevant sur la pointe du pied. Le soulève- ment du corps sur la pointe du pied a lieu, dans les mouvements de la marche, chaque fois que le pied se détache du sol. L'homme, pour sou- lever son propre poids, agit donc suivant le levier qui lui sert à soulever la plupart des corps pesants. Lorsque le corps est soulevé sur la pointe du pied, en eftet (Voy. fig. 94), le Fig. 94. point d'appui est en 4, sur le sol, à la jonction des métatarsiens et des phalanges; la puissance d (muscles du mollet) est appliquée en e (nous pouvons la prolonger jusqu’en € dans sa direction). Le bras de la puissance est donc représenté par ac. La résistance, c’est le poids du corps soulevé, lequel poids fait ef- fort sur le sol dans la direction du tibia, c’est-à-dire suivant la perpen- diculaire ob : b est donc le point d'application de la résistance, et ab est le bras du levier de la résistance. Or, le bras de la puissance ac étant plus long que le bras de la résistance ab, la puissance déployée par les mus- cles du mollet pour soulever le corps est inférieure au poids du corps lui-même. Le levier du troisième genre (Voy. fig. 95) est celui dans lequel la puis- sance est placée entre le point d'appui et Fig. 95. la résistance. On l'appelle quelquefois le- vier inter-puissant. Dans ce levier, le bras de la résistance mesure la distance qui sé- pare le point d'appui À du point B, où a est appliquée la résistance R. Le bras de la R puissance mesure la distance qui sépare le LEVIER DU TROISIÈME GENRE. point d'appui A du point C, où est appliquée la puissance P. Dans ce le- vier, ainsi qu'on peut le voir, le bras de la résistance est toujours plus long que le bras de la puissance, d’où il résulte que la puissance doit toujours être plus grande que la résistance pour lui faire équilibre. La de la résistance, il n’est pas représenté par la distance qui existe entre le point A et la partie moyenne de l'échelle, qui résume son poids. Le poids de l’échelle (c’est-à-dire la résistance) agit suivant la perpendiculaire au sol, et par conséquent obliquement à la direction de l’é- chelle. Or, dans tout levier, lorsque la force qui lui est appliquée n’est pas dirigée perpendi- culairement au bras de levier, la force est mesurée par la distance qui sépare la perpendieu- laire abaissée da point d'appui sur sa direction. Dans l'exemple cité, il faut donc, par la pensée, abaisser par le milieu de l’échelle une verticale. Cette ligne verticale rencontrera le sol, et la distance entre ce point de rencontre et le point A sera précisément le bras de la ré- sistance ; or, il est aisé de voir qu'il sera moindre que celui de la puissance AP, 538 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. puissance appliquée en C étant représentée dans les leviers de l’économie animale par la contraction musculaire, l’intensité de la contraction doit donc être toujours plus considérable que la résistance à vaincre. Mais, par compensation, dans tous les mouvements du levier, le chemin par- couru par le point B est plus grand que le chemin parcouru par le point C. Aussi, ce qui est perdu en force est gagné en vitesse; et c’est là ce qui im- porte surtout dans les mouvements de l’animal. Fig. 96. Le levier du troisième genre est, de beaucoup, le plus répandu dans l’économie; c’est le levier par excellence de la locomotion ; on le trouve dans la plupart des mouvements partiels ou d’ensemble, et particulière- ment dans les mouvements de flexion. En voici quelques exemples. Dans la flexion de l’avant-bras sur le bras (Voy. fig. 96), le point d'appui est dans l'articulation du coude A. La puissance P (museles fléchisseurs, re- présentés ici par le biceps) est appliquée au point C. Le bras de la puis- sance est donc mesuré par la distance qui sépare le point A du point €. La résistance est représentée par le poids de l’avant-bras. Le poids de l'avant-bras et de la main a sa résultante ou son centre de gravité vers la partie moyenne, en R. Le point d'application de la résistance corres- pond donc au point R, et le bras de la résistance est mesuré par la distance qui sépare le point d’appui A du point R. On concoit que la longueur du bras de la résistance augmente quand la main soulève en même temps des corps pesants, parce que le centre de gravité de l’avant-bras se trouve transporté du côté de B. Le bras de la résistance AR est toujours plus long que le bras de la puissance AC; d’où il résulte que le point R et le point B décrivent, autour du point À comme centre, des arcs de cercle beaucoup plus étendus que le point C; d’où il résulte encore que, pour un faible raccourcissement du muscle P, la main éprouve un mouvement très-étendu. Ce que nous venons de dire pour la flexion de l’avant-bras sur le bras, nous pouvons le répéter pour la flexion de la jambe sur la cuisse (Voy. fig. 97). Dans ce mouvement, le point d'appui est dans l'articulation du genou À. La puissance P, représentée sur la figure par les muscles de la CHAP. I. MOUVEMENTS. 559 patte d’oie (conturier, droit interne, demi-tendineux), est appliquée en C. Le bras de la puissance est done AC. La résistance est représentée par le poids de la jambe soulevée, et le bras de la résistance est mesuré par la distance qui sépare le point À du point R. De plus, on voit aussi que quand le point C, attiré par la contraction des muscles, décrit un petit arc de cercle autour du point À comme centre, le pied B, placé à l'extrémité du levier de la résistance, décrit un arc de cercle beaucoup plus étendu au- tour du même point A. Fig. 97. Dans la plupart des mouvements d'extension, les membres de l'homme se comportent aussi comme des leviers du troisième genre. Lorsqu’en effet le droit antérieur de la cuisse (continué par l'intermédiaire de la ro- tule et des ligaments de la rotule jusqu’à la tubérosité du tibia) se con- tracte pour redresser la jambe, la puissance contractile agit sur son tendon suivant la direction réfléchie du ligament rotulien; le point d'application de la puissance se trouve à la tubérosité du tibia, le point d'appui du mouvement se trouve dans l'articulation, et la résistance est encore à la jambe. Cette résistance est tantôt le poids de la jambe elle-même, comme quand nous sommes assis les jambes pendantes et que nous les étendons sur les cuisses ; tantôt, au contraire, la résistance est représentée par les muscles postérieurs de la jambe, qui luttent contre l'extension. En résumé, que les mouvements s’accomplissent suivant le levier du premier genre ou suivant celui du troisième genre, ce qu'il y a de plus remarquable et de plus général, dans les mouvements des leviers osseux de l’homme ou des animaux, c’est la longueur du bras de la résistance, comparée à la brièveté du bras de la puissance. Remarquons encore que la direction suivant laquelle la puissance agit sur le bras de levier doit être prise en grande considération dans le mou- vement. Quand la direction de la force est perpendiculaire au levier qu'elle doit mouvoir, elle est le plus favorablement disposée : à mesure que sa direction devient plus oblique par rapport au bras de levier, l'effet produit diminuant de plus en plus, la puissance doit augmenter de plus 560 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. en plus pour continuer à faire équilibre à la résistance. Soit, par exemple, un levier ABC (Voy. fig. 98), dont le centre de mouvement est en A. La force P, appliquée perpendiculairement au point C, fait équilibre à la ré- sistance R, appliquée au point B; mais si la puissance P est détournée de la perpendiculaire, si elle agit dans la direction CP’, elle ne fera plus équilibre à la résistance R, ou bien il faudra, pour maintenir l’équilibre, qu’elle augmente d'intensité. À mesure que la force CP se rapprochera de CD, la plus grande partie de l'effort qu’elle exerce sera détruite dans le point d'appui; et enfin, si elle agissait suivant CD, toute la force serait consommée en À. Fig. 98. t) Ÿ , R P p Or, pour peu qu'on réfléchisse aux mouvements de flexion ou d’ex- tension des membres, on s'aperçoit que la puissance musculaire n’agit suivant la perpendiculaire aux leviers qui doivent être mus que dans cer- tains moments du mouvement. Lorsque commence la flexion de l’avant- bras sur le bras, la puissance musculaire représentée par le biceps est loin d’être perpendiculaire au radius ; elle est, au contraire, très-oblique. Elle ne lui devient perpendiculaire que plus tard. Dans les mouvements de flexion, le mouvement est, en général, d’autant plus favorisé que les muscles arrivent vers leur limite de contraction. Dans les mouvements d'extension, la puissance agit, pendant toute la durée du mouvement, suivant une direction oblique, voisine de la parallèle au levier. Voilà pourquoi, sans doute, la force des extenseurs l’emporte sur celle des flé- chisseurs. Le poids des premiers, comparé à celui des seconds, est, en effet, comme 141 : 5. Leur force absolue est donc le double de celle des flé- chisseurs (Voy. S 237). Nous avons vu précédemment que les extrémités renflées des os ont pour effet de diminuer l’obliquité de la puissance sur les leviers. Ce serait, par conséquent, se faire une idée fausse de la direction réelle de la puis- sance musculaire par rapport aux os qu’elle met en mouvement, que de l'apprécier suivant la direction du corps charnu des muscles. Le tendon d'insertion, alors même qu'il ne décrit autour du renflement articulaire qu'un arc de cercle de peu d’étendue, change la direction définitive de la puissance, au point d'application, d’une quantité bien plus grande qu'on ne serait tenté de le penser au premier abord. CHAP, I, MOUVEMENTS. 561 $ 242. Centre de gravité du corps humain. — La pesanteur agit verticale- ment de haut en bas sur tous les corps ; en d’autres termes, tous les corps sont pesants. Les poids des différentes molécules, dont l’ensemble constitue les corps, représentent donc autant de forces agissant suivant la verticale. Ces forces sont sensiblement parallèles les unes aux autres, et ont en conséquence une résultante commune. Le point du corps qui ré- sume toutes ces forces différentes, ou, autrement dit, le point d’applica- tion de la résultante, se nomme le centre de gravité de ce corps. Tout corps soutenu par son centre de gravité est nécessairement en équilibre. Lorsque le corps repose sur une surface ou sur un plan, il est en équili- bre toutes les fois que la verticale qui passe par son centre de gravité tombe perpendiculairement sur sa base de sustentation. L'homme n’est en équilibre qu'autant que la verticale qui passe par son centre de gravité tombe dans la base de sustentation représentée par les pieds, ou dans le parallélogramme construit aux limites de ses pieds, lors- que ceux-ci sont écartés. Le centre de gravité de l’homme doit être pris en grande considération dans la station et dans les mouvements de la locomotion : de sa position, en effet, résulte l’équilibre ou la chute du corps. La détermination expérimentale du centre de gravité n'offre pas de sérieuses diflicultés. Si nous partageons le corps de l’homme (supposé debout) par un plan idéal perpendiculaire, qui le divise en deux parties égales, l’une droite, l’autre gauche, nous pouvons admettre que chacune de ces parties a sensiblement le même poids. Le centre de gravité du corps humain oc- de cupe donc ce plan. Si, maintenant, ainsi que (hi. Gr l’a fait Borelli, on place l’homme sur une surface horizontale mobile, à la manière d’une balance (Voy. fig. 99), on constate que Fig. 100. Fig. 99, le corps se maintient en équilibre lorsque le plan vertical qui passe par le point d’ap- pui de l’appareil divise en même temps la dernière vertèbre lombaire, à peu près par sa partie moyenne. Il en résulte que le cen- tre de gravité du corps est situé à la ren- 562 LIVRE IH, FONCTIONS DE RELATION. 221 contre du plan vertical qui partage en deux le corps, et du plan horizontal qui partage la dernière vertèbre lombaire. De plus, comme le tronc est en équilibre sur les têtes des fémurs, le centre de gravité se trouve aussi sur le plan qui coupe verticalement le bassin, en passant par l’axe de ro- tation du bassin sur les têtes des fémurs. Le centre de gravité est donc dé- terminé par le point de rencontre de ces trois plans : ; ilcorrespond en un point idéalement placé dans l'aire intérieure du bassin, en C (Voy. fig. 100, p. 561). Ce point est situé à un centimètre environ au-dessus d’un plan ho- rizontal qui passerait par le promontoire (c’est-à-dire par l’angle saillant formé par l'articulation de la dernière vertèbre lombaire avec le sacrum). SECTION IV. Des attitudes, et des mouvements de locomotion en particulier, ARTICLE I. DE LA STATION. S 243. Station vertieale. — L'état de mouvement éveille dans la pensée l’idée d’une force en action, comme l’état d’immobilité est généralement syno- nyme pour nous d'inactivité. Dans l’immobilité, il y a cependant, la plu- part du temps, des forces qui entrent en jeu; seulement, ces forces, agissant dans des sens opposés, se balancent et se font équilibre. Lors- qu’on envisage un homme qui se tient debout sur les deux pieds, le corps est à l’état d'équilibre, mais les puissances musculaires ne sont pas mac- üves ; elles agissent dans des sens divers, et se balancent réciproquement pour maintenir le corps dans la verticale. Le corps de l’homme et celui des animaux n’est, à proprement parler, à l’état de repos, que lorsqu'il est étendu sur le sol ou sur des corps plans, obéissant ainsi librement aux lois de la pesanteur. La condition essentielle pour que l'équilibre de la station soit possible, c’est que la ligne qui passe par le centre de gravité du corps tombe sur la base de sustentation. La verticale menée du centre de gravité du corps à la base de sustentation peut, d’ailleurs, rencontrer celle-ci sur des points divers de son étendue, en sorte que le tronc peut s’incliner à droite, à gauche, en arrière, en avant, d’une certaine quantité, sans que l'équilibre de la station soit détruit. Lorsqu’au lieu d’être rapprochés, les pieds sont écartés l’un de l’autre, la base de sustentation, étant élar- gie de tout l’écartement des pieds, permet au tronc des inclinaisons beau- “ Le centre de gravité est donc le point de rencontre du plan perpendiculaire antéro-pos- térieur, plan partageant le corps en deux moitiés symétriques, du plan latéral perpendiculaire Passant par l’axe qui réunit les têtes des fémurs, et du plan horizontal déterminé par expérience, CHAP. 1. MOUVEMENTS. 363 coup plus étendues, dans le sens de l’écartement des pieds. Lorsque, par exemple, les pieds sont écartés latéralement, le trone peut se balan- cer à droite et à gauche, transportant alternativement la charge sur chacune des limites de cette base, limites correspondantes à l’appui des pieds. Lorsque les pieds sont écartés en avant et en arrière, le tronc peut se déplacer dans le sens antéro-postérieur, etc, Fig. 101. € ü € € 3} ee LASER (0 CDI — Le WT j Te UN / Sa: A B Lorsque l’homme ajoute à son propre poids des poids étrangers, lors- qu'il porte, par exemple, des fardeaux, il est obligé de prendre certames attitudes caractéristiques, pour que le centre de gravité de son corps, calculé avec le poids additionnel, soit toujours dans la verticale qui passe par la base de sustentation. C’est ainsi que l’homme qui porte une charge de bois ou toute autre sur ses épaules incline le tronc en avant, de ma- nière à faire équilibre, par le poids du tronc{, au poids qui tend à trans- porter le centre de gravité en arrière, et à maintenir ce centre dans la verticale qui passe par les pieds. Supposons, par exemple, que le centre de gravité de la charge qu’il porte sur ses épaules passe par la verti- cale B (Voy. fig. 104), et que cette charge égale 40 kilogrammes; il faut, pour que l'équilibre de la station se maintienne, que le poids du tronc, que l’homme projette instinctivement en avant pour ne pas tomber, il faut, dis-je, que la résultante du poids du tronc tombe sur le sol de l’au- tre côté du point d'appui, en A, par exemple. La position sera la moins fatigante et la plus assurée, lorsque le déplacement du tronc de l’autre côté du point d'appui fera précisément équilibre au poids additionnel. Si nous supposons que le tronc pèse 40 kilogrammes (comme la charge elle- même), la verticale B, qui passe par le centre de gravité de la charge, et 1 Le poids du tronc (séparé des membres) est d'environ 40 kilogrammes. Le centre de gra- vité du tronc (supposé détaché des membres inférieurs) correspond, dans la poitrine, à un point placé dans le plan qui couperait la poitrine au niveau de l'appendice xyphoïde. Il ne faut pas confondre le centre de gravité du tronc avec celui du corps enlier. 564 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. la verticale A, qui passe par le centre de gravité du tronc, devront tom- ber à égale distance du point d'appui placé sur la verticale G. L'homme représente tout à fait, en ce moment, un levier du premier genre. Le poids de la charge B et le poids du tronc A se font mutuellement équilibre sur le point d'appui des pieds. En d’autres termes, le centre de gravité défi- nitif (représentant la composition de B et de A) se trouve sur la verticale C qui passe par l'appui des pieds. Lorsqu’au lieu d’être supportée en arrière, la charge se trouve appli- quée en avant, dans un éventaire, par exemple, le corps prend une attitude opposée (Voy. fig. 101). Le tronc se renverse en arrière, de manière à faire équilibre au poids additionnel. L'homme qui porte un fardeau à la main se renverse de côté, pour la même raison (Voy. fig. 101). De plus, lorsque le poids qu'il porte est lourd, il tient généralement soulevé et étendu le bras du côté opposé. En agissant ainsi, il augmente la longueur du bras de levier situé du côté où il s'incline, et il n’a pas besoin d’incliner autant le tronc pour faire équi- libre au poids soulevé !. Dans les divers mouvements de locomotion, les bras ne restent pas inactifs et agissent d’une manière analogue par leurs déplacements. Mécanisme de la station. — Lorsque l’homme est immobile et dans la station verticale proprement dite, la tête repose sur l'articulation occi- pito-atloïdienne, et représente un levier du premier genre, dont le point d'appui est dans l'articulation. Comme la tête a une faible tendance à tomber en avant, en raison de son poids, les muscles postérieurs du cou représentent la puissance, et le poids de la tête placée à l’autre extré- mité du levier représente la résistance à laquelle ces muscles font équili- bre. Il est vrai que cette résistance est très-peu considérable, car la tête est presque en équilibre. Ordinairement, d’ailleurs, la tête n’est pas par- faitement droite sur la colonne vertébrale ; elle est légèrement inclinée en avant, et sa flexion est limitée par la résistance des ligaments jaunes placés entre les vertèbres cervicales. La résistance de ces ligaments à la distension fait en partie équilibre au poids de la tête, et elle se trouve ainsi soutenue par une contraction musculaire très-légère. La colonne vertébrale, solidement fixée dans le bassin, transmet à cette partie le poids des parties groupées autour d'elle. Les vertèbres, d’ailleurs, reposent les unes sur les autres, comme des leviers du premier genre dont le point d'appui correspond au corps de la vertèbre, dont la puis- sance est représentée par les muscles des gouttières vertébrales, et dont la résistance est représentée par le poids des organes contenus dans les cavités pectorale et abdominale. Le bras de la résistance étant très-grand relativement au bras de la puissance, qui est très-court, les muscles pos- térieurs du tronc auraient besoin d’être dans une contraction énergique ‘ Le soulèvement du bras tend, en effet, à augmenter le bras de levier et à reporter ainsi le centre de gravité du tronc plus loin de la verticale C. CHAP, I, MOUVEMENTS, 565 et permanente, pour empêcher le tronc de s’incliner en avant, si les liga- ments jaunes de la colonne vertébrale ne luttaient efficacement contre cette inclinaison. La contraction des muscles postérieurs du tronc est donc à peu près nulle dans la station verticale, alors surtout que le tronc, un peu incliné en avant, fait effort sur les ligaments jaunes distendus. L'action musculaire est plus directement en jeu dans les membres pour maintenir la direction verticale du corps. En effet, par l'intermédiaire du bassin, avec lequel la colonne vertébrale fait corps, le poids du tronc re- pose sur les membres inférieurs, et ceux-ci, composés de segments mo- biles les uns sur les autres, ont une tendance naturelle à se fléchir dans leurs articulations. Lorsqu'on cherche à placer un cadavre dans la situation verticale, le tronc peut être maintenu dans cette position à peu près sans secours étran- ger, tandis que les membres se dérobent, pour ainsi dire, sous la charge du corps. C’est aussi ce qui arrive lorsque l’homme perd connaissance, c’est-à-dire lorsque la contraction musculaire fait défaut. Le poids du corps repose sur les têtes des fémurs ; or, pour empêcher que le tronc ne tourne en avant ou en arrière autour de l’axe fictif qui passe horizontalement par les têtes des fémurs, il faut que les puissances et les résistances qui se fixent sur le bassin et sur la cuisse, tant en arrière qu’en avant, soient dans un état de tension ou d’équilibration continuelle. Le bassin repose donc sur les têtes des fémurs, suivant un levier du pre- mier genre, dont le point d'appui est dans l'articulation, et dont la résis- tance et la puissance, qui se font équilibre, sont représentées par les muscles qui vont du bassin à la cuisse, soit en avant, soit en arrière. La disposition de la capsule articulaire de l'articulation coxo-fémorale est telle, que le mouvement de flexion du corps en avant, sur la cuisse, a une tendance naturelle à s’exercer, et ce mouvement peut s’opérer en ce sens dans une grande étendue. Aussi, les muscles placés à l’arrière, et desti- nés à empêcher le bassin de tourner en avantsur les têtes des fémurs, sont très-puissants : ce sont les muscles fessiers. Quant aux muscles placés en avant de l’articulation, ils n’ont, en général, presque rien à faire dans la station verticale, surtout lorsque le corps est légèrement porté en arrière, lorsqu'il est cambré, comme on dit. En effet, la capsule d’articulation pré- sente en avant un faisceau fibreux de renforcement qui bride la tête du fémur, lorsque l'extension de la cuisse sur le bassin est portée à un certain degré, et qui limite alors le mouvement. L’effort modérateur placé en avant du levier est remplacé par la résistance des ligaments articulaires. Le fémur transmet le poids du corps sur l’extrémité supérieure du tibia. Ici encore nous avons affaire à un levier du premier genre, dont les bras de levier sont très-courts. Le point d'appui est dans l'articulation. La puis- sance est représentée par les muscles extenseurs de la jambe sur la cuisse (droit antérieur de la cuisse en particulier), lesquels s'opposent à la flexion du genou. Si l'articulation du genou était une articulation mobile 566 LIVRE If. FONCTIONS DE RELATION. en tous sens, la résistance correspondrait aux muscles fléchisseurs de la jambe sur la cuisse, qu’on pourrait regarder comme les puissances modé- ratrices appliquées en arrière, à l’autre extrémité du bras de levier ; mais le jeu de ces muscles n’est pas nécessaire quand la jambe est tout à fait étendue sur la cuisse, c’est-à-dire quand le membre inférieur est bien ver- tical; l’effort modérateur où résistant est représenté en ce moment par les ligaments postérieurs et les ligaments croisés de Particulation du ge- nou, lesquels ne permettent pas le renversement de la jambe sur la cuisse en avant. Le tibia repose enfin sur l’astragale , encore suivant un levier du pre- mier genre, dont la résistance et la puissance, qui se font équilibre, sont figurées par les muscles extenseurs et fléchisseurs du pied sur la jambe. Dans cette articulation, le mouvement n’est point borné en avant ni en arrière par des ligaments résistants. La contraction musculaire peut donc seule assurer la station. De plus, le corps, pour rendre son équilibre plus stable et pour ne pas reposer tout entier sur la projection verticale du ti- bia, c’est-à-dire sur le talon, mais pour répartir également son poids sur toute l’étendue de la base de sustentation ; le corps, dis-je, s'incline légè- rement sur l'articulation tibio-astragalienne pour reporter en avant la pro- jection verticale du centre de gravité, d’où il suit que le corps a une cer- taine tendance à tomber en avant, et que les muscles qui s'opposent à ce mouvement, c’est-à-dire les muscles du mollet, sont dans un état de ten- sion permanente. La saillie du calcanéum en arrière accroît d’ailleurs leur énergie, en augmentant la longueur du bras de levier sur lequel ils agissent. Le pied, enfin, transmet au sol le poids du corps, non pas par tous les points de sa surface inférieure, mais par le talon, par l'extrémité des mé- tatarsiens et aussi par son bord externe. La charge du corps est ainsi transmise au sol par une sorte de voûte, composée d’os qui peuvent éprou- ver les uns sur les autres de légers mouvements. La voüte du pied est composée d'os (tarse et métatarse) multiples, reliés ensemble par des li- gaments puissants. La charge du corps, qui tend à écraser la voûte du pied, se trouve donc décomposée dans des articulations nombreuses , et reportée en partie sur les ligaments qui unissent les pièces osseuses : d'où résultent pour le pied une souplesse et une élasticité, destinées surtout à amortir les chocs de la marche et de la course. En résumé, la station exige la contraction active des muscles, et parti- culièrement des muscles des membres; c’est pour cette raison qu’elle est fatigante à la longue. Lorsque l’homme reste longtemps debout, il prend en général ce qu’on appelle la position kanchée, c'est-à-dire qu’il reporte le poids de son corps sur un seul membre, tandis que l’autre est légère- ment fléchi. En agissant ainsi et en changeant de jambe , c’est-à-dire en reportant alternativement la charge sur l’un des membres inférieurs, non- seulement il repose lé membre qui ne travaille pas, mais encore, dans la CHAP., I. MOUVEMENTS. 367 nouvelle attitude qu’il prend, le membre sur lequel il s'appuie fatigue moins que dans la station sur les deux jambes. La contraction musculaire, destinée à lutter contre la flexion du bassin sur la cuisse et de la cuisse sur la jambe, est à peu près nulle dans cette position, et la contraction des muscles du molle, destinée à s'opposer à la chute du corps en avant, est aussi beaucoup amoïindrie. En effet, dans cette situation, le corps est légèrement incliné de côté et aussi un peu en arrière. L’articulation de la hanche de ce côté est dans l'extension extrême : dans cette position, la tension du faisceau antérieur de la capsule articulaire et celle du ligament intérieur de l'articulation sont portées au maximum. Les muscles qui re- lient antérieurement le bassin à la cuisse n’ont done point à lutter contre le renversement du bassin en arrière. Quant aux muscles de la partie postérieure, c’est-à-dire les fessiers, leur action est rendue inutile par la légère inclinaison du corps en arrière, le bassin n’ayant plus, dans cette position, la moindre tendance à tourner en avant. Le genou du côté han- ché est porté également dans l’extension maximum. Les ligaments posté- rieurs de l’articulation fémoro-tibiale, et aussi les ligaments croisés situés dans l'articulation , sont dans un état de tension qni soulage la contrac- tion des museles. Dans la position hanchée, en outre, la bande aponévrotique puissante qui, déployée sur les muscles de la partie externe de la cuisse, se fixe à la fois sur le bassin, sur le grand trochanter et à la tubérosité supérieure du tibia, forme une sorte de sangle tendue contre laquelle est reportée une partie du poids. Le corps est maintenu dans la situation qui convient à la tension des ligaments articulaires et à celle de la bande t/60-trochan- téro-tibiale par le membre du côté opposé, lequel, un peu fléchi et repo- sant légèrement à terre presque par son seul poids, sert en quelque sorte de régulateur, et, par des mouvements insensibles , tend à ramener le corps dans la position convenable et à le maintenir ainsi dans son équili- bre. Les muscles du mollet, qui dans la station ordinaire sur les deux pieds luttent contre le renversement du corps en avant, sont soulagés aussi dans la position hanchée , parce que le membre opposé, en même temps qu’il est légèrement soulevé, est aussi porté un peu en avant, et sert ainsi d’arc-boutant en ce sens. Dans la station hanchée enfin, le corps, incliné sur le côté et un peu en arrière, exerce surtout sur l'articulation tibio-astragalienne un effort latéral, c’est-à-dire dans une direction où le déplacement est empêché par les ligaments articulaires, et par la dispo- sition des surfaces articulaires, c’est-à-dire par la malléole externe, La station verticale, ou sur deux pieds, est propre à l’homme. De même que tout concourt chez lui à rendre cette attitude possible et même facile, tout concourt pareillement, chez les animaux qui se rapprochent le plus de lui, à la rendre dificile ou impossible. Les muscles des membres, qu'on pourrait appeler les muscles de la station, c’est-à-dire les exten- seurs du pied sur la jambe , et de la cuisse sur le bassin, forment, dans 568 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. l'espèce humaine, des saillies (fesses et mollets) qu’on ne rencontre au même développement dans aucune espèce animale !. Ses pieds larges à segments mobiles, qui peuvent s’appliquer et se cramponner, pour ainsi dire, sur le sol, ainsi que la largeur de son bassin (Voy. fig. 102 et 103), concourent puissamment aussi à augmenter la solidité de l’appui. D'un autre côté, la longueur disproportionnée des membres inférieurs compa- rés aux membres supérieurs, la longueur relative de leurs segments, la position des yeux, la brièveté du cou, etc., indiquent clairement que latti- tude à quatre pattes n’a jamais pu être l’attitude naturelle de l’homme, comme on s’est quelquefois plu à le dire. BASSIN DE L'HOMME. BASSIN DU CHIEN. S 244. Station sur un seul pied. — Station sur la pointe des pieds, — Station sur les genoux.— Station assise. — Station couchée, — Dans la station sur deux pieds, la base de sustentation, nous l’avons dit, est représentée par le parallélogramme construit sur les limites des deux pieds. Dans la station sur un seul pied, ou plutôt sur une seul jambe, la base de sustenta- tion est très-diminuée, car elle n’est plus représentée que par la surface du sol couverte par le pied. Comme le centre de gravité doit passer par la base de sustentation, c’est-à-dire par le pied appuyé sur le sol, le corps s'incline du côté de la jambe appuyée pour lui transmettre le poids du corps. L'équilibre de la station sur un pied est peu stable. Cet équilibre est possible, il est vrai, et, ainsi que nous l’allons voir, le corps est alter- nativement porté par une seule jambe dans tous les mouvements de pro- gression ; mais pour peu que cette attitude se prolonge, elle devient extré- mement fatigante. Le poids à supporter par le membre est double, en effet, du poids ordinaire; les muscles, continuellement en action pour mainte- 1 Si les fessiers sont tres-développés chez quelques quadrupèdes (croupe du cheval, par exemple), le mollet fait absolument défaut. Nous avons vu que presque tout l'effort actif de la station bipède est concentré dans les muscles du mollet. Les oiseaux, qui se tiennent sur deux pieds, présentent une disposition toute spéciale (Voy.S 250). CHAP. I, MOUVEMENTS. 569 nir le membre dans sa rectitude, ne peuvent se reposer en reportant al- ternativement la charge d’un membre sur l’autre, comme cela a lieu dans la station prolongée sur deux jambes; et enfin, la petitesse de la base de sustentation oblige à des efforts musculaires énergiques pour maintenir le centre de gravité dans la perpendiculaire à la surface de sustentation. Aussi la station sur un seul membre détermine promptement des tremble- ments, et ne tarde pas à devenir impossible. La station sur la pointe des pieds, c’est-à-dire sur cette portion de la surface plantaire des pieds comprise entre la tête des métatarsiens et l’ex- trémité libre des orteils, est à peu près aussi fatigante que la précédente, et tout aussi peu naturelle. La base de sustentation se trouve très-réduite, et dans la position particulière que prend alors le pied, les muscles du mollet sont dans une contraction violente, qui ne peut durer que quelques instants. La station sur la pointe d’un seul pied est plus fatigante encore et plus difficile, Ici comme toujours, en effet, la verticale abaissée du cen- tre de gravité doit passer par la base de sustentation, et la base de susten- tation est alors considérablement diminuée. La projection du tronc en avant et la projection en arrière du membre inférieur libre, qui accom- pagnent, la plupart du temps, cette attitude, n’en changent point les con- ditions d'équilibre : la résultante du poids de la partie projetée en avant, et la résultante du poids de la partie projetée en arrière, doivent toujours être dans des rapports tels que leur composante passe par la base de sustentation. : Lorsque l’homme est à genoux et qu'il tient le corps droit, le centre de gravité tombe perpendiculairement le long des fémurs sur les genoux, et le poids du corps se trouve ainsi presque exclusivement supporté par une base de sustentation de peu d’étendue, arrondie et mal disposée à cet eftet. Cette situation est fatigante , et le genou ne tarde pas à devenir doulou- reux sous la charge du corps. Cette position est moins fatigante quand, inclinant le bassin en arrière et l’appliquant sur les talons, on déplace le point où vient tomber le centre de gravité et on répartit la charge sur la base de sustentation tout entière. (La base de sustentation est mesurée alors par le parallélogramme construit entre les quatre points du sol où touchent les deux genoux et les deux pointes des pieds.) Lorsque l’homme est assis et non appuyé par le dos, la situation de la tête et du tronc est la même que s’il se tenait debout. La colonne verté- brale, ordinairement plus incurvée en avant, pèse de tout son poids sur les ligaments jaunes (Voy. $ 243). Les cuisses et les jambes n’ont rien à supporter. L’effort est tout entier concentré dans les muscles qui s’oppo- sent à la flexion du bassin sur les cuisses. L'équilibre est d’ailleurs facile. D'une part, le centre de gravité du corps est très-bas placé, car il corres- pond presque à la base de sustentation , et, en second lieu, la base de sustentatation elle-même est généralement assez étendue, puisqu'elle me- sure toute ia partie du corps supportée par le siége. Si, au lieu d’être as- 570 LIVRE IH, FONCTIONS DE RELATION. sis sur une surface plane , l'homme était assis sur un bâton ou sur une corde, et les jambes pendantes, l'équilibre deviendrait très-difficile, parce que la ligne verticale du centre de gravité aurait beaucoup de peine à être maintenue dans la base de sustentation ; si les pieds de l’homme touchaient en même temps la terre, l'équilibre deviendrait au contraire facile, parce que la base de sustentation serait alors beaucoup plus large (elle serait, en effet, représentée par toute la surface graphique construite entre les pieds, et conduite aux deux extrémités de la ligne d'appui du siége). Lorsque l’homme gst assis, et qu’en même temps il est renversé sur un dossier plus élevé que sa tête, le tronc se trouve soutenu; il repose sans fatigue, et il n’aurait aucun effort à faire, si les membres, appuyés sur le sol, ne se fatiguaient un peu sous la pression des parties supérieures. Lors- que l’homme supporte en même temps ses membres inférieurs sur un plan incliné, il serait absolument comme s’il était couché, n’était la fatigue qui résulte à la longue de la pression correspondante à la portion du poids du tronc supportée par les fesses. Dans la situation couchée, le poids du corps se trouve réparti sur une large surface, et aucune partie n’est comprimée par le poids des autres. Cependant, lorsque le déeubitus a lieu sur des plans tout à fait résistants, le poids du corps ne touchant à la surface sur laquelle il repose que par un petit nombre de points (les points les plus saïllants), la pression qu’exerce le poids du corps peut être douloureusement ressentie aux points de contact, parce qu’elle ne se répartit pas sur une surface assez étendue. Les matelas élastiques, matelas de laine, de crin, de plume, d’eau, d'air, ne nous paraissent doux au coucher que parce que, prenant la forme du corps qu'ils supportent, celui-ci repose par la plus large sur- face possible. L'action musculaire est nulle dans la station couchée, qui est l'attitude du repos et celle du sommeil. L’habitude et aussi divers états morbides influent sur les diverses positions que prend l’homme pendant le sommeil ; mais, quelle que soit la position du tronc, on remarque que, chez l’homme endormi, les membres sont dans un état de demi-flexion. On a souvent dit que cet état était dû à l'énergie plus considérable des muscles fléchis- seurs, sans songer que les muscles sont à l’état de repos pendant le som- meil 1, Si les membres sont à l’état de demi-flexion pendant le sommeil, c’est que cet état est celui qui s’accommode le mieux avec le relâchement des fléchisseurs et celui des extenseurs. Si les membres étaient tout à fait droits, les extenseurs seraient dans le raccourcissement maximum et les fléchisseurs dans l’extension maximum ; si les membres étaient tout à fait fléchis, les fléchisseurs seraient dans le raccourcissement maximum, et les extenseurs dans l'extension maximum. La demi-flexion des membres est donc la situation moyenne du repos pour les muscles fléchisseurs et 1 Il est démontré , au contraire, que la masse des muscles extenseurs, et par conséquent leur puissance contractile, est plus considérable que celle des fléchisseurs (Voy. S 237). CHAP, I, MOUVEMENTS, 971 pour les muscles extenseurs, et c’est dans cette situation que le repos des muscles place les membres. ARTICLE II. DES MOUVEMENTS DE PROGRESSION, $ 245. De la marche. — Dans la marche, comme d’ailleurs dans tous les actes de progression, il faut distinguer dans le corps deux parties: l’une, qui est portée par les membres inférieurs : cette partie est le tronc supporté par les deux têtes des fémurs; et une autre partie, qui supporte le tronc, et qui, en même temps, lui communique le mouvement : cette partie est représentée par les membres inférieurs. Le corps est transporté en avant par le rôle alternatif des deux jambes, dont l’une supporte le poids du corps, tandis que l’autre est dirigée en avant. Lorsqu'on examine attentivement un homme qui marche, on peut décomposer un double pas en plusieurs temps successifs, Dans un pre- mier temps, le corps repose sur les deux jambes, le pied gauche placé en avant, je suppose, et le pied droit en arrière; dans un second temps, le corps n’est plus appuyé que sur le membre gauche, tandis que l’autre, suspendu dans l’espace, se dirige en avant ; dans un troisième temps, le corps s'appuie de nouveau sur les deux membres; dans un quatrième temps, le membre droit touche terre et supporte seul le poids du corps, tandis que le membre gauche se dirige en avant pour replacer le corps dans la position du départ. Examinons ce qui se passe pendant ces divers temps de la marche. Au moment où l’homme se dispose à marcher, le corps est appuyé sur les deux membres, mais inégalement; le centre de gravité tombe verticalement par le talon du pied placé en avant, que nous supposerons être le pied gauche, lequel va porter bientôt tout le poids du corps. Le pied placé en arrière, que nous supposerons être le pied droit, est un peu soulevé et n’appuie sur le sol que par l'extrémité du métatarse et les phalanges. Aussitôt que l’homme part, il incline légèrement le tronc en avant, et le pied droit se soulève, du métatarse à l’extrémité des phalanges, en se déroulant, pour ainsi dire, sur le sol, de manière à s’étendre compléte- ment sur l'articulation tibio-tarsienne. Ce mouvement d'extension du pied du membre placé en arrière soulève le bassin, et, par conséquent, le tronc, suivant la direction du membre agissant, c’est-à-dire dans une di- rection oblique de bas en haut et d’arrière en avant. Il en résulte que le centre de gravité est à la fois porté en avant et en haut. Le membre gauche reçoit, de plus en plus, le poids du corps, à mesure que l'extension du pied situé en arrière devient plus complète. Au moment où le pied droit, 572 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. situé en arrière, est arrivé à sa limite d’extension sur la jambe, le poids du corps tout entier repose sur le membre gauche. Celui-ci, qui était oblique par rapport au tronc au moment du départ, se trouve alors dans la perpendiculaire, et le centre de gravité passe par sa base. Alors, le membre droit peut quitter le sol sans que l’équilibre soit détruit, et le se- cond temps commence. Le membre gauche, qui supporte maintenant le poids du corps, était, au moment du départ, plus ou moins fléchi; mais, à mesure que le centre de gravité a été poussé en avant par le détachement du pied droit, il a été poussé aussi en haut, ainsi que nous l'avons dit. Le membre gauche s’est donc étendu, tandis que le bassin montait, poussé en haut par le pied droit. Au moment où le membre gauche supporte la charge du corps, il s’allonge encore par le jeu de ses muscles propres et se met dans l’exten- sion complète. Ce léger allongement final suffit pour que le pied droit, qui ne touchait plus terre que par l'extrémité de sa pointe, quitte le sol. Or, aussitôt que le membre inférieur droit quitte le sol, il obéit à la pe- santeur, qui tend à le ramener en avant, et il oscille dans l'articulation coxo-fémorale, à la manière d’un pendule (Voy. $ 233), et sans que la contraction musculaire entre nécessairement en jeu. Pendant qu’il oscille et se dirige en avant, le membre inférieur droit n’est pas dans l’exten- sion, il est, au contraire, à demi fléchi dans l'articulation du genou; et c’est surtout pour cela que le balancier qu’il représente ne rencontre pas le sol par son extrémité, dans son oscillation pendulaire. La légère flexion de l'articulation du genou, du membre qui oscille, n’est pas (dans la marche ordinaire), déterminée par une contraction musculaire, active, elle est le résultat de deux causes. En premier lieu, le membre inférieur, pris dans son ensemble, représente un pendule à deux segments (cuisse et jambe), réunis par une charnière mobile (arti- culation du genou). Or, la cuisse constitue un pendule plus court que le membre envisagé dans sa totalité; elle tend donc à osciller plus rapide- menti que le membre entier ; dès lors, à l'instant où le pied quitte le sol, il y a un moment de retard dans l’oscillation de la jambe par rapport à la cuisse. De là, dans l'articulation mobile du genou, une tendance à la flexion. On peut faire directement l'expérience avec un pendule composé de deux parties réunies par une charnière mobile : on constate que ce pen- dule se fléchit légèrement dans la charnière, au moment du mouvement. En second lieu, s’il est vrai, comme nous l’avons dit ($ 244), que dans l’état de relâchement des fléchisseurs et des extenseurs, la situation moyenne du repos des muscles est un état de demi-flexion, la suspension de toute contraction musculaire dans le membre oscillant vient en aide au jeu de pendule dont nous parlons, en favorisant la légère flexion des 1 On sait que la durée des oscillations d'un pendule est en raison directe de sa longueur. Plus un pendule est long, plus la durée des oscillations est grande ; plus un pendule est court, plus il oscille vite. CHAP. I. MOUVEMENTS, 573 divers segments du membre inférieur, flexion qui a pour effet de faire éviter au pied qui oscille la rencontre du sol 1. Lorsque le membre droit a décrit une demi-oscillation, le talon se trouve verticalement au-dessous de la tête du fémur; le membre prend terre du talon vers la pointe. Pendant que le membre droit oscillait, le pied gauche a commencé à se soulever de terre; aussi, au moment où le pied droit touche terre, le pied gauche ne porte plus sur le sol que par l'extrémité des métatarsiens et l'étendue des phalanges. Pendant le se- condtemps de la marche, temps qui correspond à l’oscillation pendulaire, le bassin éprouve donc aussi un mouvement de translation par le soulè- vement du talon du pied qui supporte le corps. Le troisième temps s’accomplit exactement comme le premier. Le mem- bre gauche se soulève et se détache du sol, tandis que le membre droit supporte de plus en plus le corps. Le quatrième temps s’accomplit comme le deuxième, à l'exception que c’est le membre gauche qui oscille. Quand le membre gauche touche terre, nous nous retrouvons à la position du départ, et le double pas est achevé. Pendant les mouvements des membres inférieurs, les membres supé- rieurs ne restent pas inactifs. Ils agissent à la manière de balanciers, et contribuent aussi, pour leur part, à l’équilibre. Il est vrai qu'ils ne sont pas indispensables à la marche : celle-ci, en effet, peut s’opérer les bras étant croisés, ou placés derrière le dos, et les manchots peuvent marcher aussi; mais lorsque les bras sont immobiles pendant la marche, on peut remarquer que le tronc éprouve un léger mouvement de rotation autour du fémur de la jambe appliquée au sol. Lorsque les bras oscillent libre- ment, au contraire, ce mouvement est réduit au minimum, ou même à zéro, parce que le bras du côté de la jambe qui oscille se porte en ar- rière, pendant que la jambe se porte en avant. Or, tandis que le mouve- ment de la jambe qui oscille tend à entrainer un léger mouvement de torsion du bassin sur la tête du fémur du membre appliqué au sol, le 1 M. Duchenne (de Boulogne) a cherché à démontrer que les mouvements oscillatoires des membres inférieurs ne peuvent être produits dans le second temps de là marche sans l’in- tervention de la contraction musculaire. Ses arguments sont tirés de l'observation des faits pathologiques. Il a remarqué que, consécutivemeut à la paralysie ou à l’affaiblissement des muscles fléchisseurs de la cuisse sur le bassin, ou des muscles fléchisseurs de la jambe sur la cuisse, ou des muscles fléchisseurs du pied sur la jambe, il survient un grand trouble dans le second temps de la marche. Mais, à supposer que la paralysie soit bien nettement localisée dans les muscles fléchisseurs, est-ce bien nécessairement le défaut de contraction musculaire qui rend ici difficile le transport du membre d’arriere en avant? Dans l’état normal, quand le membre placé en arriere est arrivé à l'extension maximum et qu'il se détache du sol, les extenseurs cessent d'agir; le membre inférieur a donc une tendance instantanée à prendre la posilion moyenne d'équilibre qui s'accommode le mieux avec le relâchement des extenseurs et des fléchisseurs. En d'autres termes, la {onicilé des fléchisseurs, qui avait été portée à ses dernieres limites par l’extension du membre, ne suffit-elle pas quand l'extension cesse (aidée qu’elle est d'ailleurs par le mouvement pendulaire du levier brisé qui représente le membre), pour fléchir le membre inférieur dans ses articulations mobiles, et pour faire éviter au pied la rencontre du sol? 574 LIVRE H. FONCTIONS DE RELATION, mouvement de projection en sens opposé du bras du même eôté neutra- lise cet effet. Le poids du membre supérieur est plus faible que celui de la cuisse, il est vrai, et, par conséquent, la quantité de mouvement dont il est animé parle balancement est moindre que celle du membre inférieur, mais 1l peut cependant lui faire équilibre, parce qu'il est attaché à l’ex- trémité d’un bras de levier plus considérable 1, Nous avons dit que le centre de gravité est poussé en avant et en haut par l'extension du membre inférieur placé en arrière. C’est de la succes- sion de ces mouvements que résulte le déplacement horizontal, Sur un homme qui marche, on peut aisément constater le déplacement du centre de graxité suivant la verticale. À chaque détachement du pied du talon vers la pointe, on voit le corps s'élever ; on le voit s’abaisser chaque fois que le pied oscillant reprend terre par sa plante. Ces oscillations sont fa- ciles à voir lorsqu'on observe sur un mur l’ombre projetée par un homme qui marche au soleil, et ce n’est pas d'aujourd'hui qu’on a comparé aux flots de la mer les grands rassemblements d'hommes en mouvement. La valeur de l’oscillation verticale est d'environ: 3 centimètres pendant la marche ordinaire. L'homme qui marche, avons-nous dit, incline son corps en avant. Cette inclinaison, qui tend à faire passer la ligne du centre de gravité du tronc en avant des têtes des fémurs qui le supportent, est caractéristique de tous les mouvements de progression. Elle est destinée à lutter contre la résistance de l’air; et, en même temps, le tronc se trouve ainsi placé dans la direction oblique suivant laquelle se fait l'allongement du membre arc- bouté. Le corps penché en avant n’est pas rigoureusement en équilibre sur les têtes des fémurs, la résistance de l'air en supporte une partie. Il arrive ici Ce que nous observons toutes les fois que nous tenons une tige rigide en équilibre sur le bout du doigt, et que nous voulons la mouvoir dans l’espace. Cette tige, pour conserver son équilibre, doit être inclinée du côté du mouvement, et déviée, par conséquent, de la verticale, afin que la résistance de l’air ne la renverse pas en sens opposé. C’est le mou- vement qui la maintient en place, car, à l’état de repos, l'équilibre serait incompatible avec la position oblique qu’elle occupe. La position oblique que nous donnons à la tige rigide que nous voulons mouvoir, de même que l’inclinaison que nous donnons au tronc sur les fémurs lorsque nous ie déplaçons, ont une valeur telle, que la tendance de chute en avant se mesure sur la résistance de l’air ; d’où l'équilibre. Si la tige rigide était maintenue droite (au moment du mouvement) sur le doigt qui la supporte, elle tomberait bientôt en arrière sous la résistance de l'air; si le tronc était maintenu dans la verticale sur les fémurs, au moment du mouvement, 1 Le bras de levier auquel est appendue la jambe oscillante est mesuré par la distance qui sépare les deux têtes des fémurs. Le bras de levier auquel est appendu le bras oscillant du même côté est mesuré par la perpendiculaire menée de l'épaule à la rencontre de la verticale passant par la tête du fémur du membre reposant sur le sol. CHAP, I, MOUVEMENTS. 579 il ne tomberait pas en arrière, il est vrai, sous la résistance de l’air, mais il marcheraïit bien moins commodément, parce qu'il lui faudrait lutter contre cette résistance par la contraction des muscles qui fléchissent en avant le bassin sur les cuisses. La longueur du pas est mesurée par la grandeur du déplacement hori- zontal du centre de gravité. Ce déplacement étant produit par l’allonge- ment du membre arc-bouté sur le sol, il sera d'autant plus considérable que le membre agira sur le tronc dans une direction plus oblique et qui se rapprochera plus de l'horizontale; et cette direction se rapprochera d'autant plus de l'horizontale que le centre de gravité sera plus rapproché de terre par l’écartement des jambes. La durée du pas dépend de deux conditions : premièrement, du temps employé par le membre appuyé à se détacher du sol, c’est-à-dire à s’é- tendre dans ses articulations, en transportant le poids du corps; secon- dement, du temps nécessaire à la demi-oscillation du membre qui a quitté le sol. Or, de ces deux quantités, la première est plus variable que la seconde : l’oscillation du membre ayant une durée toujours la même, ou à peu près toujours la même, dans la marche ordinaire 1, Quant à la vitesse du déplacement, c’est-à-dire la grandeur du che- min parcouru en un temps donné, il est évident qu’elle dépend de la /on- gueur du pas et de sa durée. Elle est en raison directe de la longueur du pas et en raison inverse de sa durée. L'homme peut marcher avec une assez grande vitesse. Pour cela, il augmente la longueur du pas et il cherche à en diminuer la durée. Celle-ci dépendant du temps nécessaire à l'extension du membre, et du temps nécessaire à l’oscillation du mem- bre flottant, il peut agir sur ces deux quantités, en étendant ses articu- lations avec plus ou moins de promptitude, et en accélérant le transport en avant du membre flottant par l’action des muscles fléchisseurs. II peut même arriver à supprimer presque complétement le temps employé à l'extension ; il lui suflit pour cela d'opérer l'extension complète du mem- bre qui touche le sol, pendant que l’autre membre flotte. De cette ma- nière, lorsque le membre oscillant vient prendre terre, l’autre membre a terminé son extension et se détache immédiatement du sol. Le double pas ne dure alors que le temps nécessaire au transport en avant de cha- que membre flottant, et le corps ne touche réellement le sol que par un seul pied à la fois. Cette espèce de marche accélérée tient le milieu entre la marche et la course, mais elle est très-fatigante. La vitesse maximum du déplacement peut être ainsi portée, suivant MM. Weber, à 2,60 par seconde. Si l’homme progressait ainsi pendant une heure, il pourrait parcourir un peu plus de 8 kilomètres. 1 La durée de l'oscillation est proportionnelle à la longueur du membre; elle ne varie que dans des limites tres-faibles, suivant les divers individus. Elle peut varier aussi un peu sui- vant le degré d'élévation ou d’abaissement du centre de gravité pendant la marche. Dans les pas longs, le centre de gravité est, en effet, plus bas placé que dans les pas courts. 576 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, La vitesse de la marche, au lieu d’être accélérée, peut être retardée de diverses manières. En premier lieu, on conçoit qu’en augmentant le temps pendant lequel les deux jambes reposent ensemble sur le sol on puisse ainsi retarder à volonté la marche à des degrés très-divers. En second lieu, le ralentissement peut être amené aussi par le mode d’oseil- lation du membre suspendu. Si ce membre, en effet, ne prend pas terre aussitôt qu'il se trouve dans la verticale, c’est-à-dire au bout de la demi- oscillation pendiculaire ; s’il décrit, en un mot, plus d’une demi-oscilla- tion, le temps employé par le membre pour dépasser la verticale et pour revenir à la verticale par un mouvement en sens opposé sera autant de perdu pour la vitesse de la marche. Cette manière de marcher n’est donc point un mode régulier de progression. La marche est également plus lente et aussi plus fatigante lorsque, par exemple, le membre suspendu, ayant décrit plus d’une demi-oscillation, s'étend brusquement à l’extré- mité de sa course par la contraction des extenseurs, et s'appuie ainsi sur le sol, soit par la pointe, soit par la plante, comme on le voit faire quel- quefois dans les exercices militaires. Le temps nécessaire pour que la jambe dépasse la verticale de l’oscillation et le travail musculaire néces- saire pour la placer dans l’extension, au moment où elle va toucher le sol, ralentissent le pas tout en augmentant la fatigue musculaire. La marche peut être supportée assez longtemps par l’homme, à la con- dition qu'elle s'opère sur un sol uni, ou sur un plan légèrement incliné par en bas. Lorsque le plan est incliné par en haut, les efforts musculaires qu'il doit faire pour soulever à chaque pas le centre de gravité, suivant une ligne ascensionnelle parallèle au plan incliné, ajoutent à l'effort ordi- naire tout le travail musculaire correspondant à l’élévation (mesurée sur la verticale) d’un poids égal à celui du corps, depuis le point de départ jusqu'au point d'arrivée. Lorsque l’homme monte des rampes inclinées, ou des escaliers, le transport du corps met en jeu, non-seulement les muscles extenseurs de la jambe placée en arrière, comme dans la marche horizontale, mais aussi les muscles extenseurs du membre placé en avant (surtout les mus- cles antérieurs de la cuisse), lesquels travaillent beaucoup moins dans la progression horizontale. Il en est à peu près de même lorsque l’homme marche sur un sol plan, mais mouvant; il faut à chaque pas qu’il replace son corps à la surface du plan, ce qu'il ne peut faire que par un soulè- vement alternatif de son propre corps. Ces deux modes de progression sont, pour cette raison, lents et fatigants. S 246. De la course. — Dans la marche lente, le corps, nous l’avons vu, est soutenu entre chaque pas simple par l'appui des deux pieds; dans la marche précipitée, le corps n’est plus soutenu que par un seul pied à la fois, celui qui supportait le corps se détachant du sol au moment où CHAP. I. MOUVEMENTS. d71 l’autre s’y pose. Le corps ne quitte donc jamais complétement la terre pen- dant la marche. Dans la course, au contraire, à certains moments, le corps se sépare complétement du sol. C’est en cela surtout, bien plutôt que par la vitesse de la progression, que la course diffère de la marche précipitée, car on peut courir moins vite qu’on ne marche. Pendant la course, le corps touche alternativement le sol par chaque pied, et à cha- que fois qu’un pied quitte le sol, le corps est projeté en haut et flotte librement dans l'air. La projection du corps dans l’espace s’opère dans la course comme dans le saut ; la course est une marche précipitée, en- trecoupée de sauts. Lorsque l’homme se dispose à courir, il reporte tout le poids du corps sur le membre placé en avant (soit le membre gauche); l'articulation de la hanche, l'articulation du genou et l'articulation tibio-tarsienne sont fléchies, et le pied ne touche le sol que par l’extrémité des métacarpiens etpar les phalanges. Le membre placé en arrière (soit le membre droit) est à peine posé sur le sol, et tout prêt à l’abandonner. Au moment du départ, le membre gauche, qui supporte le poids du corps, se redresse subitement dans ses articulations. Cette extension subite agit à la manière d’un ressort, et a pour effet de communiquer au corps une quantité de mouvement telle, qu’il se détache du sol comme une sorte de projectile. Pendant que le corps est suspendu en l'air, les deux jambes flottent à la manière de pendules. Le membre droit a commencé son oscillation au moment même du départ, c’est-à-dire au commencement de l’extension des articulations du membre gauche; sa demi-oscillation est terminée avant celle du membre gauche. Le membre droit prend terre aus- sitôt que la tête des métatarsiens (sur lesquels il va se poser) est dans la verticale qui passe par la tête des fémurs. Le membre droit, en prenant terre, se fléchit dans ses articulations, se redresse brusquement et jette le corps dans l’espace, avant que l’oscillation du membre gauche ne soit terminée ; et ainsi de suite. Pendant la course, le centre de gravité est ordinairement très-abaissé par la flexion des membres inférieurs, et le corps est fortement incliné en avant. Il résulte de là que l’impulsion oblique de bas en haut et d’arrière en avant, communiquée au corps par le membre qui se détend, a plus de tendance à s’exercer dans le sens horizontal que dans le sens vertical, et la longueur de l’espace parcouru entre les deux pieds, qui touchent suc- cessivement le sol, en est augmentée. Le déplacement communiqué au corps dans le sens vertical pendant les sauts de la course est, par la même raison, d’une valeur moindre que le déplacement correspondant de la marche. Tandis que dans la marche, en effet, l’oscillation verticale est de 3 centimètres environ, ce déplacement oscillatoire n’est guère que de 2 centimètres dans la course. La vitesse de la course, c’est-à-dire la grandeur du déplacement (sui- vant l’horizontale) du centre de gravité du corps, dépend de la longueur 37 D78 LIVRE I, FONCTIONS DE RELATION. des sauts de la course et de leur durée. Nous venons de dire que la lon- gueur du saut pouvait être plus considérable que celle du pas ; c’est en partie pour cela que la course est une allure plus vive que la marche. Mais c’est surtout parce que les jambes oscillent ensemble que les sauts de la course sont plus précipités que les pas de la marche. Dans la marche la plus vive, l'intervalle qui sépare l'application sur le sol de chaque pied pris en particulier se compose, en effet, au minimum, de la durée néces- saire à deux transports successifs des membres inférieurs. Dans la course, ces transports s’opèrent en partie simultanément dans les deux mem- bres. D'où il résulte que, dans un même intervalle de temps, l’homme peat exécuter un plus grand nombre de sauts qu'il n'aurait exécuté de pas. La vitesse maximum du déplacement horizontal en une seconde peut être portée, dans la course la plus rapide, à 7,6, suivant MM. We- ber. Si une pareille vitesse pouvait être soutenue pendant longtemps, l'homme parcourrait 27 kilomètres en une heure. Mais une course aussi précipitée n’est possible que pendant quelques secondes, ou quelques minutes. Avant même que la fatigue des museles ne vienne faire obstacle au mouvement, l’homme éprouve un étoufte- ment, des palpitations où un point de côté qui l’arrêtent forcément. Lors- que l’homme veut courir longtemps ou soutenir, comme l’on dit, une course de longue haleme, il règle la vitesse du déplacement de manière à parcourir, dans l'intervalle d’une heure, environ 12 kilomètres de di- stance (trois lieues). La course réglée ou course de résistance est celle des coureurs de profession, celle des pompiers qui vont à l’incendie, ete. ; on la désigne souvent sous le nom de course gymnastique. Dans la course gymnastique, comme dans la course vive, le corps quitte complétenrent le sol, et exécute une série de sauts successifs. Mais les jambes sont moins fléchies que dans la course accélérée ; en conséquence, le centre de gravité du corps est placé moins bas, et le corps est aussi beaucoup moins incliné en avant. Il résulte de là que l'impulsion communiquée par le membre qui se détache du sol agit dans une direction moins oblique, et que le corps s'élève davantage à chaque saut dans la verticale. Ce que le saut gagne du côté de la verticale, ïl le perd suivant l'horizontale, et, par conséquent, suivant le sens du déplacement, La projection exagérée du corps dans le sens vertical amène encore le ralentissement de la course d’une autre manière. Quand la jambe qui oscille se trouve dans la verticale qui passe par les têtes des fémurs, le corps a été soulevé en haut d’une quantité telle que cette jambe ne peut pas toucher terre en ce moment, parce que le corps n’a pas encore opéré son mouvement de descente. Quand le corps est descendu et que la jambe oscillante touche terre, cette jambe a dépassé la verticale qui passe par les têtes des fémurs ; elle a décrit par conséquent plus d’une demi-oseilla- tion. La jambe qui touche terre, après avoir ainsi dépassé la. verticale qui passe par les têtes des fémurs, ne supporte complétement le poids CHAP., I. MOUVEMENTS. D19 du corps que quand celui-ci vient, en vertu de sa vitesse acquise, se pla- cer dans la verticale qui passe par les métatarsiens appliqués sur le sol. Pendant le temps qu'emploie le corps à venir se placer dans la verticale qui passe par la base de sustentation (métatarsiens appliqués au sol), le corps est, pour ainsi dire, encore suspendu en l’air, et il ne repose fran- chement sur la jambe qu’au moment où celle-ci peut lui servir d’appui résistant pour le saut suivant. Dans la course de résistance, le temps em- ployé par les jambes à décrire le surplus d’une demi-oscillation, et l'aug- mentation du temps pendant lequel le pied repose sur le sol concourent donc aussi au ralentissement de la course, lorsqu'on la compare à la course accélérée. $ 247. Saut. — Le mouvement en vertu duquel le corps quitte terre dans la course constitue une première espèce de saut. Nous n’y reviendrons pas. Mais on peut sauter encore autrement. Les deux membres inférieurs re- posant ensemble sur le sol peuvent s'étendre ensemble, et les pieds quitter le sol en même temps. Le corps projeté par la détente subite des deux membres peut être élevé suivant la verticale : c’est le saut vertical sur place. Le corps peut être élevé obliquement de bas en haut et d’arrière en avant, ou de bas en haut et d’avant en arrière, de manière à décrire une parabole ; parabole dont la courbe d’ascension est déterminée par l'impulsion des membres l’emportant sur la pesanteur, et la courbe de descente, par la pesanteur l’emportant sur la force d’impulsion. Tel est le saut à pieds joints, en avant ou en arrière. Une autre manière de sau- ter, très-connue aussi, est celle qu’on désigne sous le nom de saut en largeur, avec élan. Disons un mot sur le mécanisme particulier de ces divers modes de déplacement. Lorsque le corps doit s’élever par un saut vertical sur place, les pieds se rapprochent et le corps se fléchit fortement dans toutes ses articula- tions. La jambe est fléchie sur le pied, la cuisse sur la jambe, le tronc sur la cuisse; la colonne vertébrale elle-même exagère sa courbure an- térieure. Le pied repose sur le sol par la tête des métatarsiens et les orteils. Les choses étant en cet état, le corps se redresse brusquement dans toutes ses articulations, exactement comme une tige élastique qu’on presserait sur le sol par une de ses extrémités et qu’on abandonnerait ensuite à elle-même. La détente du corps réagit sur l'appui solide du sol et détermine un mouvement ascensionnel, capable de vainere le poids du corps et de l’élever au-dessus de terre. L’impulsion communiquée au corps par la brusque extension des articulatioñs, et par le soulèvement rapide du pied, diminue à mesure que le corps s'élève ; et quand il est parvenu an plus haut point de sa course, il redescend par l'effet de la pesanteur, L'élévation à laquelle on peut ainsi porter le corps dépend de 580 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, plusieurs conditions. Elle dépend du poids du corps, de l'étendue du re- dressement et de la rapidité avec laquelle le mouvement de redressement s'opère. Le degré de flexion du corps au moment préparatoire et le degré d'énergie de la contraction des extenseurs sont les principales conditions de l'élévation du saut, et expliquent les inégalités individuelles que pré- sente ce mode de déplacement. L’étendue du redressement dépend, dans une certaine mesure , de la longueur des membres inférieurs. Plus les articles de ces membres ont de longueur, plus la valeur du redressement qui suit la flexion est considérable, La plupart des animaux sauteurs (non-seulement parmi les vertébrés, mais encore parmi les insectes) sont remarquables par la longueur des membres postérieurs. On conçoit aisément que le saut est plus facile sur un sol résistant que sur un sol humide ou mouvant. Au moment, en effet, où le corps se re- dresse en pressant le sol, une partie de l'effort de redressement se perd dans le sol, en le déprimant. Le saut est, au contraire, singulièrement favorisé par l’élasticité du plan sur lequel reposent les pieds, comme dans l'exercice du tremplin, par exemple. Alors, en effet, le ressort bandé par le poids du corps ajoute à l'impulsion communiquée par la détente des articulations l'impulsion due à son retour élastique, au moment où le corps l’abandonne. Lorsqu'on veut sauter en large à pieds joints, on prend à peu près la même position que pour sauter en hauteur, c’est-à-dire que le corps se fléchit dans les articulations ; seulement la flexion du tronc sur le bassin est exagérée. Le pied repose sur le sol, soit par la plante entière, soit seulement par l'extrémité antérieure des métatarsiens et des phalanges. La flexion de la jambe sur le pied tend, il est vrai, à relever le talon, dans ce mode de progression comme dans les précédents ; la position à plat du pied sur le sol, avant le saut, ne peut donc être maintenue que par un certain effort; mais lorsque le corps repose sur la plante entière des pieds, le saut y gagne en étendue. Au moment où le corps quitte terre par l'extension subite du pied, la cuisse ne s’étend point sur la jambe, ni le corps sur le bassin, comme dans le saut vertical; le corps reste, au contraire, fortement incliné en avant. En même temps, les bras sont violemment projetés dans le même sens. La résultante de l'effort d'extension du pied contre le sol se produit dès lors dans une direction oblique de bas en haut et d’arrière en avant. Dans le saut en arrière, les membres inférieurs sont pareillement flé- chis dans leurs articulations, ainsi que le bassin sur les cuisses; mais la colonne vertébrale est droite. Au moment du départ, le pied quitte le sol, non pas du talon vers la pointe, mais de la pointe vers le talon, tandis que la colonne vertébrale et la tête sont vivement rejetées en ar- rière. Ce mode de déplacement a beaucoup moins d’étendue que le pré- cédent. En effet, il ne peut guère être secondé par les bras, et, de plus, les mouvements d'extension de la colonne vertébrale sont assez bornés. CHAP, I, MOUVEMENTS. 581 Dans le saut en large avec élan, la vitesse acquise par le corps au mo- ment où il se détache du sol s'ajoute à l’impulsion du saut lui-même, et augmente beaucoup l'étendue de l’espace franchi. Dans ce mode de dé- placement, les pieds ne sont pas sur la même ligne au moment où ils quittent la terre; c’est le membre placé en arrière qui en se détendant détermine surtout le saut. Aussitôt que les pieds ont abandonné la terre, les membres inférieurs s'étendent vivement en avant, et les membres su- périeurs sont projetés également dans le même sens. Le corps et aussi les membres qui font partie du corps étaient animés, au moment du saut, par une certaine quantité de mouvement ; cette projection des bras et des jambes augmente donc encore le résultat. S 248. Du grimper. — Ce mode de déplacement nous donne avec les animaux une certaine ressemblance, attendu que les membres supérieurs prennent part à la progression. Quelquefois la part des membres supérieurs est aussi grande et même plus grande que celle des postérieurs. Lorsque l’homme grimpe le long d’un plan incliné, il saisit avec ses mains les aspérités du sol, et tire à lui la partie inférieure du corps du côté des mains. Les membres inférieurs ne restent pas inactifs. Après s'être préalablement raccourcis et fixés au sol par les orteils, ils s'étendent et poussent ainsi le corps par en haut, tandis que les bras l’attirent. Lorsque l’homme grimpe sur un arbre, les bras constituent d'ordinaire les principaux agents de l'ascension. Il commence, en effet, par saisir les branches avec les mains, ou par entourer le tronc avec les bras, puis le corps est attiré vers les mains ou vers les bras par la contraction des muscles de l’épaule. Quand ce mouvement est opéré, l’arbre est alors saisi entre les jambes et les cuisses ; le tronc se repose sur ce nouveau point d’appui, les mains et les bras sont reportés plus haut, se fixent, et attirent de nouveau le corps par en haut. L'exercice dont nous parlons est assez fatigant, parce que les muscles des bras et de l'épaule doivent à chaque instant supporter et élever la charge du corps. Les membres in- férieurs, en se fixant dans les temps d’arrêt, constituent surtout des points d'appui et permettent aux membres supérieurs de se reporter plus haut, Rigoureusement, les membres inférieurs concourent cependant aussi à la progression ascensionnelle. Au moment, en effet, où les jambes embras- sent solidement l’arbre, le bassin (et par conséquent le corps) se relève sur l'articulation du genou par l’extension de la cuisse. Lorsque l’arbre offre un grand diamètre, ce mouvement est peu sensible ; il l’est davan- tage sur un arbre de moyenne grosseur. Le mode de déplacement de l’homme, dans le grimper, offre une grande analogie avec la progression des chenilles, celle des sangsues et celle de beaucoup d’animaux rampants, qui commencent par fixer une des extré- mités de leur corps et qui attirent vers ce point les autres parties, ou bien les projettent en avant (Voy. $ 250). 582 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION, 249. A Natation. — La natation offre avec le saut une certaine analogie. Il y a cette différence, toutefois, que l’eau ne fournit pas aux membres qui se détendent la même solidité d’appui que le sol; une partie de la force d’impulsion est perdue. Le poids spécifique de l’homme l’emportant un peu sur celui de l’eau, il ne se maintient à la surface que par l’agitation du liquide. Lorsque l’homme est sans mouvement, il tend à gagner le fond ; c’est ce qu’on peut facilement observer sur le cadavre 1. La différence entre le poids du corps et celui du volume d’eau déplacé est assez faible. Dans les profondes in- spirations, l’air contenu dans la poitrine diminue assez le poids spécifique du corps pour qu'il devienne plus léger que l’eau. L'homme n’a donc besoin que de faibles mouvements pour se maintenir à la surface du li- quide, et ces mouvements ne sont même rigoureusement nécessaires qu'au moment de l'expiration. C’est ce dont on peut se convaincre en se renversant sur le dos, en inclinant la tête en arrière, et en soulevant la poitrine vers le niveau de l’eau. Au moment de l'inspiration, on peut rester immobile, mais il faut agiter les mains par un léger mouvement latéral et de haut en bas, au moment de l'expiration pour ne pas des- cendre. Lorsqu'on veut progresser dans l’eau, on peut se placer dans des situa- tions diverses. Les positions qui conviennent le mieux à la natation sont celles dans lesqgelles le corps est allongé plus ou moins horizontalement dans les couches supérieures du liquide. Il peut, d'ailleurs, être étendu soit sur le ventre, soit sur le dos. La natation sur le ventre est la plus commune. La natation sur le dos est plutôt une attitude de repos; elle n'est pas comparable à la première pour la rapidité. Lorsque l’homme placé sur le ventre veut s’avancer dans le liquide, il place d’abord ses membres dans la flexion ; les talons sont rapprochés du côté des fesses, la pointe des pieds tournée en dehors (position la plus naturelle de flexion) ; les mains, appliquées l’une contre l’autre par leurs faces palmaires, sont appliquées en avant, à la partie antérieure de la poitrine. Alors, par un mouvement rapide, il étend ses membres, de ma- nière à représenter une ligne rigide. Les pieds ont frappé l’eau par la face plantaire et aussi, mais plus obliquement, par la face postérieure des cuisses et la face antérieure des jambes ; le corps est poussé en avant; les mains, en s’allongeant suivant leur tranche, ont présenté à l’eau le moindre obstacle possible au mouvement de progression. L’effort de pro- gression à eu à vaincre la résistance offerte à la surface de la poitrine, 1 Les cadavres flottent souvent sur l'eau; mais c’est là un effet de la putréfaction, qui tient au développement de gaz dans l’intérieur des cavités splanchniques. Ces gaz, augmentant le volume du corps sans augmenter sensiblement son poids, diminuent par conséquent sa pesan- leur spécifique. CHAP. I, MOUVEMENTS. D83 dans la direction du mouvement; la force déployée par les membres pos- térieurs a été en partie absorbée par la résistance incomplète du fluide. En résumé, cependant, l'impulsion produite par la détente des membres postérieurs, déduction faite des pertes, a été assez eflicace pour faire progresser le corps dans l’eau. Au mouvement d'extension succède le mouvement de flexion. Les cuisses et les pieds se replacent dans la position Imitiale ; mais, tandis que leur extension avait été brusque, leur flexion se fait avec une certaine lenteur, afin de ne pas frapper l’eau en sens opposé. Quant aux bras, ils se séparent pendant ce temps l’un de l’autre; les ‘mains se mettent à plat, et viennent, en décrivant un mouvement circulaire, se rejoindre sous la poitrine. Pendant ce deuxième temps de la natation, les membres antérieurs ne restent pas inutiles. Les mains, en effet, en décrivant leur courbe pour se rapprocher, pressent sur l’eau de haut en bas, et, en même temps, suivant une direction légèrement oblique en arrière, et font l'office de véritables rames. De cette manière, le corps se trouve maintenu à la surface du liquide, et l’impulsion communiquée au corps par les membres postérieurs est continuée. Le mouvement de progression dans la natation sur le dos s’opère par l’extension rapide des membres postérieurs, qui frappent l’eau par la plante du pied, par la partie postérieure des cuisses et par la partie anté- rieure de la jambe. Pendant tout le temps de la natation, les mains, pla- cées à plat sur les côtés du corps, exécutent de légers mouvements destinés à soutenir le tronc à la surface de l’eau. Souvent les bras, préalablement étendus à angle droit, sont rapprochés vivement sur les côtés du corps, en même temps que les membres postérieurs s'étendent, et contribuent à la progression. On rend ainsi ce mode de natation plus rapide qu'il ne l’est ordinairement ; mais il en résulte que, les mains ne faisant plus l’of- fice de rames de soutien, la tête s’enfonce facilement au-dessous du ni- veau de l’eau, surtout quand l’impulsion des membres postérieurs se fait horizontalement au lieu de se faire suivant une direction oblique de bas en haut. $ 250. Des mouvements dans la série animale. — Les mouvements des ani- maux dépendent, comme ceux de l’homme, de l’action des puissances musculaires sur des segments mobiles diversement disposés. Chez les animaux vertébrés, les segments mobiles sont les os; mais, dans beau- coup d'animaux inférieurs, les parties sur lesquelles viennent se fixer les muscles sont des organes de diverse nature. Tantôt ce sont des leviers cornés ou testacés dont le squelette est intérieur ou extérieur aux puis- sances motrices, tantôt ce sont des anneaux, tantôt des appendices de diverse nature, tantôt le derme cutané lui-même, Les organes de loco- Là 584 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. motion sont d’ailleurs accommodés au milieu dans lequel l’animal est appelé à vivre. Quand il se meut sur le sol, il est généralement pourvu de membres plus ou moins nombreux et composés d’un nombre variable d'articles. Quand il se meut dans l’air, ses membres antérieurs sont sou- vent modifiés sous forme d'ailes (oiseaux), ou bien, tout en présentant un certain nombre de membres destinés à la locomotion terrestre, l’animal présente en outre à la partie supérieure du corps des appendices ailés qui n'ont plus leur analogue dans les animaux supérieurs (insectes). Quand l’animal se meut dans l’eau, ses membres, profondément modifiés et ré- duits à la partie qui correspond aux phalanges des mammifères, n’offrent plus que des rayons réunis par une membrane (nageoires des poissons). Enfin, beaucoup d'animaux qui vivent sur la terre ou dans l’eau, ou à la fois sur la terre et dans l’eau, n’ont pas de membres apparents et se meuvent par des mouvements de totalité, ete. Station et progression des quadrupèdes. —La station des quadrupèdes est plus solide que celle de l’homme. Leur base de sustentation, représentée par le parallélogramme tracé entre les quatre points par lesquels ils tou- chent le sol, offre, en effet, une grande étendue (Voy. $ 243). La station quadrupède n'est, pas plus que la station bipède, une attitude passive, et si l’animal la supporte plus longtemps que l’homme, elle détermine néanmoins la fatigue. Dans la station quadrupède, les muscles extenseurs des membres doivent en effet lutter, par leur contraction, contre le poids du corps, qui tend à fléchir les segments des membres dans leurs diverses articulations. Chez les quadrupèdes comme chez l’homme, la contraction musculaire se trouve soulagée, au moment de la sustentation, par cer- taines parties ligamenteuses sur lesquelles se répartit une portion de la charge. Tel est, entre. autres, chez les solipèdes et chez les ruminants, l'appareil fibreux, très-solide, désigné sous le nom de ligament suspen- seur du boulet, ligament qui tend à prévenir la flexion de la région digitée sur le métacarpe dans les membres antérieurs, et sur le métatarse dans les membres postérieurs. Le cheval offre, dans son mode de station, quelque chose d’analogue à la station hanchée de l’homme (Voy. $ 243). Dans l’état le plus ordinaire, il ne repose franchement que sur trois pieds. L’un des membres posté- rieurs est légèrement fléchi et ne touche le sol que par la pince. Les mouvements des quadrupèdes peuvent être, comme chez l’homme, distingués en mouvements sur place et en mouvements de locomotion. Parmi les premiers, on peut signaler l'attitude en vertu de laquelle les quadrupèdes se dressent momentanément sur leurs pieds de derrière. Ce mouvement, connu chez le cheval sous le nom de cabrer, se produit chez lui assez difficilement; il est beaucoup plus facile chez le singe et chez l'ours, et par l’éducation on peut aussi accoutumer le chien à ce genre d'exercice. Cet exercice ne dure généralement que peu de temps. Chez le cheval, il est rare que le centre de gravité puisse se placer dans la CHAP, I. MOUVEMENTS, 585 verticale de la base de sustentation; aussi a-t-il une tendance naturelle à retomber sur ses pieds de devant aussitôt que l’effort d’élévation est ar- rivé à ses dernières limites. Lorsque le redressement a été porté au point qu'il se trouve en équilibre sur les sabots de derrière, cet équilibre ne peut durer qu’un instant, parce que la masse du corps est si grande, par rapport à l’étroitesse de la base de sustentation, qu'il sufit d’un faible mouvement du tronc pour déplacer le centre de gravité. Aussi arrive-t-il très-souvent alors que le moindre effort du cavalier décide la chute du cheval. Le chien, qui a moins de masse et qui écarte les pattes, le singe et l’ours, qui ont la plante du pied beaucoup plus étendue, peuvent rester plus longtemps dans cette position; mais elle devient promptement fati- gante pour eux, parce qu'ils n’ont point, comme l’homme, les muscles si puissants du mollet, qui s’opposent à la chute en avant. Lorsque l’animal quadrupède veut se dresser sur les pieds de derrière, il détache du sol la partie antérieure du corps par un mécanisme analogue à celui du saut (S 247), c’est-à-dire qu'il étend les membres antérieurs par un mouve- ment brusque, accompagné d’une contraction violente des muscles des gouttières vertébrales. L'animal qui veut se dresser a besoin d’un mo- ment de préparation, pendant lequel il fléchit préalablement les membres antérieurs dans leurs articulations, pour les étendre brusquement ensuite. Le cheval, l’âne, le mulet, se dressent souvent sur leurs membres an- térieurs par un mouvement opposé au précédent, comme, par exemple, dans la ruade. Mais ce mouvement d’élévation , accompagné d’une pro- jection violente en arrière des membres postérieurs, est promptement suivi du retour au sol des membres soulevés, le centre de gravité de l’a- nimal n'étant jamais porté aussi près de la verticale que dans le mouve- ment opposé. L'animal qui veut ruer commence par abaisser la tête et par incliner l’encolure, pour reporter autant que possible en avant le centre de gravité. Puis un mouvement rapide d’extension dans les mus- cles des membres postérieurs élève la croupe, tandis que les membres qui ont quitté le sol obéissent à leur extension maximum. Chacun sait qu'en élevant la tête de l’animal, il a une grande difiiculté à exécuter ce mouvement. Dans les mouvements de progression des quadrupèdes, les jambes quit- tent alternativement le sol par des mouvements d’extension analogues à ceux de l’homme, et, comme chez lui, le membre qui a quitté terre se dirige en avant dans un état de demi-flexion. Ajoutons que dans la plu- part des mouvements de progression, c’est principalement dans les mem- bres postérieurs que se développe la puissance qui fait progresser le corps en avant. Les allures du cheval ont été mieux étudiées que celles des autres qua- drupèdes. Chacun sait que le cheval peut aller au pas, à l’amble, au trot ou au galop. L’allure la plus lente, le pas, et l'allure la plus rapide, le galop, sont communes à presque tous les animaux. Lorsque le cheval com- 586 LIVRE 41. FONCTIONS DE RELATION. mence le pas, ses pieds se détachent du sol dans l’ordre suivant : le membre antérieur droit, je suppose, puis le postérieur gauche, l’anté- rieur gauche, le postérieur droit. Pendant tout le temps qu’il marche, il a toujours deux pieds en Fair et deux pieds sur le sol d’un même côté. Ce n’est qu'au moment où le cheval entame le pas que, partant d’abord d’un seul pied, il repose pendant un instant sur trois jarmabes. L’amble, ou le pas relevé, n’est qu'une sorte de pas précipité, caractérisé par le jeu alternatif des deux membres du même côté. À tous les moments de cette allure, le cheval a deux pieds levés et deux pieds à l’appui du même côté. Le trot est une allure dans laquelle deux membres, en diagonale, sont successivement et simultanément levés et appuyés. Le galop est l'allure la plus rapide du cheval; c’est une succession de sauts dans lesquels le corps quitte tout à fait le sol pendant un temps variable. Le corps, qui re- tombe, fait entendre quatre ou trois battues, suivant que les pieds tou- chent le sol les uns après les autres, ou que deux d’entre eux le touchent simultanément. Dans les sauts du galop, comme dans tous les sauts aux- quels peut se livrer le cheval, c’est par la détente des membres posté- rieurs qu'il se détache du sol. Dans l’allure du galop, le cheval peut at- teindre à une grande vitesse : il n’est pas rare de rencontrer des bêtes de course qui font quatre kilomètres en cinq minutes. Les quadrupèdes, de même que l’homme, sont capables de se mouvoir dans l’eau ou de nager. La natation est chez eux plus facile que chez l’homme. D'une part, ils conservent dans l’eau leur position naturelle ; d'autre part, ils se soutiennent et progressent dans l’eau de la même ma- nière que dans la locomotion à la surface du sol. Quelques mammifères, tels que les chauves-souris, ont les os du mé- tacarpe et les phalanges du membre supérieur démesurément allongés et réunis entre eux par une membrane. Ces animaux peuvent s'élever dans l’air à la manière des oiseaux, et le mécanisme de leur progression est le même. D’autres, tels que les galéopithèques, présentent sur les côtés du corps des replis membraneux étendus entre les quatre membres, lesquels peuvent soutenir un instant l’animal en l’air lorsqu'il s’élance d’une branche à une autre; mais il ne peut les utiliser à un véritable vol. Du vol, — Des animaux ailés. — De la station des oiseaux.— Le vol n’est pas très-différent de la natation (Voy. $ 249). Il y a toutefois cette dif- férence essentielle, que le milieu dans lequel se meut l’animal est ici beaucoup moins dense. Le poids du fluide qu’il déplace est infiniment moindre que son propre poids, et il doit faire, pour se soutenir en l’air, des efforts très-énergiques. Les oiseaux se distinguent, entre tous les animaux à ailes, par la puis- sance de leur vol. La charpente osseuse et les muscles locomoteurs sont appropriés chez les oiseaux à ce mode de progression. Le sternum, sur lequel s’insèrent les museles du vol, prend chez eux un développement considérable, et forme une sorte de bouclier qui recouvre le thorax et CHAP, I. MOUVEMENTS, 087 une partie de l'abdomen. On remarque en outre, à la partie moyenne du sternum, une crête longitudinale et saillante (le bréchet), qui multiplie les points d’intersection des muscles et en même temps donne une direction plus favorable à la puissance musculaire. L’épaule, chez les oiseaux, est également disposée de la manière la plus favorable à la puissance des ailes; l’omoplate est en effet réuni et fixé au sternum, non-seulement par une clavicule, mais encore par l’apophyse coracoïde, prolongée, chez les oiseaux, sous forme d’un os plus fort et plus résistant que la clavicule elle- même. Les os des bras et de l’avant-bras diffèrent peu de ceux de l’homme, à l'exception que le radius et le cubitus sont immobiles l’un sur l’autre. Le carpe se compose de deux petits os suivis de deux métacarpiens terminés par deux ou trois doigts rudimentaires. Les plumes des aïles se fixent sur la main, sur l’avant-bras et sur le bras. Celles qui naissent du bras différent peu des autres plumes de l’oiseau ; on les désigne sous le nom de fectrices ; celles de l’avant-bras et de la main, désignées sous le noms de rémiges, sont les véritables plumes du vol; elles forment par leur superposition éta- gée un plan continu et résistant. C’est de la longueur des rémiges , bien plus que de la longueur des os du membre supérieur, que dépendent la grandeur des ailes et la puissance du vol. Lorsque l'oiseau veut s'envoler, il élève l’humérus et, avec lui, l’aile ployée. Puis il déploie l’avant-bras sur le bras, le métacarpe sur l’avant- bras, et aussitôt que l’aile est étendue, il l’abaisse subitement. L'air brus- quement refoulé résiste, et représente un point d’appui sur lequel l'oiseau s'élève. Avant qu'il ne soit parvenu au plus haut point de sa course, avant, par conséquent, que l'attraction terrestre ne le ramène à terre, il reploie contre lui ses ailes abaissées, puis il soulève de nouveau l’humérus, étend l'aile, frappe l’air, et ainsi de suite. L’aile de l'oiseau, qui frappe l'air pour s'élever dans l’atmosphère , n’agit pas suivant un plan horizontal, mais, bien au contraire, dans une direction oblique de haut en bas et d'avant en arrière. Il en résulte que, tout en s’élevant, il progresse en avant. Quand l'oiseau veut s'élever dans la verticale, il éprouve une certaine difficulté, parce que ses ailes sont tellement disposées, que leur jeu tend naturellement à la progression. Beaucoup d’entre eux ne peuvent s’éle- ver ainsi qu’en volant contre le vent. Lorsque l’oiseau est un grand voilier, le départ est quelquefois assez dificile , à cause de l’envergure des ailes. La plupart du temps il fléchit d’abord ses membres inférieurs, les redresse vivement , et s’élève ainsi au-dessus du sol par un véritable saut. Au moment où il est en l’air , il élève et déploie rapidement ses ailes, afin de frapper l’air avant de re- tomber à terre. On voit souvent aussi ces oiseaux s’avancer sur une saillie du sol au moment de s’envoler. Quand l'oiseau vole, le centre de gravité du corps correspond au niveau des épaules, Le poids du corps se dispose autour de laxe fictif qui passe- rait par les deux épaules, de manière à se trouver équilibré en avant et 588 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. en arrière de cet axe. C’est pour cette raison que l’oiseau tend générale- ment le cou en avant. Il faut remarquer encore que la plus grande partie du poids de l'oiseau est placée plus près de son ventre que de son dos, à cause des masses musculaires épaisses dont est garni son sternum t; d’où il résulte que le centre de gravité est placé bas dans l’oiseau, ce qui assure sa stabilité dans l'air. Lorsque l'oiseau à frappé l'air de son aile, l’aile se présente par sa tranche dans le sens du déplacement horizontal, et n’apporte pas d’obsta- cle à la progression. Quant à la queue, projetée en arrière, elle sert à l’oi- seau de gouvernail. La queue, ordinairement étalée, sert surtout à l'oiseau à rendre son vol plus oblique ou plus horizontal; elle peut lui servir aussi à changer la direction latérale de son vol, en s’inclinant à gauche ou à droite. Les oiseaux qui n’ont qu'une courte queue projettent ordinaire- ment leurs pattes en arrière, pour la suppléer. Plus les ailes sont grandes , plus est grande aussi la masse d’air frap- pée à chaque coup d’aile, et moins les oiseaux ont besoin de répéter le mouvement. Les oiseaux à vol puissant agitent bien plus lentement leurs ailes que les autres ; ils peuvent même, lorsque leur envergure est con- sidérable relativement à la masse de leur corps, se soutenir quelque temps en l’air , les ailes étendues, ou plutôt ne descendre que lentement, à la manière d’un parachute, suivant une succession de plans obliques. On dit alors que l’oiseau plane. Les oiseaux nagent plus facilement que les mammifères ; leur pesan- teur spécifique étant moindre que le volume d’eau qu'ils déplacent, ils se tiennent naturellement à la surface : ils n’ont à opérer que les mouvements de progression. Il y a beaucoup d'oiseaux aquatiques; ces oiseaux ont généralement les pieds palmés et transformés ainsi en une véritable rame. Parmi ces oiseaux, il en est dont les ailes sont devenues tout à fait rudi- mentaires, et dont la natation est le mode principal de progression. D’autres sont à la fois bons nageurs et bons voiliers. Ces derniers sont ceux qui font les voyages les plus lointains. Ils peuvent traverser les mers. On estime que les oiseaux bons voiliers peuvent faire 80 kilomètres à l'heure. Les oiseaux reposent sur le sol sur deux pieds. Ce sont des bipèdes à la manière de l’homme. Aussi, les oiseaux ont-ils le bassin large, les os des hanches très-développés, et leurs pattes sont-elles naturellement écartées l’une de l’autre. Pour que l’oiseau se tienne en équilibre, il faut nécessai- rement que le centre de gravité tombe sur la base de sustentation. Nous avons dit plus haut que le centre de gravité de l’oiseau correspond au ni- veau des épaules ; or, les membres inférieurs de l'oiseau sont attachés en 1 Non-seulement les muscles abaisseurs de l'aile sont fixés au sternum de l'oiseau, mais encore les muscles élévateurs. Ces derniers produisent un effet opposé aux précédents, parce que leur tendon, avant de s'insérer sur J’humérus, passe sur une poulie de réflexion qui change la direction de leur puissance. CHAP. I. MOUVEMENTS. D89 arrière et assez loin de l’épaule ; s’il ne tombe pas en avant, cela dépend de l’angle formé par la flexion de la cuisse sur la jambe et de la jambe sur le tarse, d’où il résulte que les doigts s’avancent en avant du point où tomberait la verticale qui passerait par les épaules de l’oiseau. La station, loin d’être une position fatigante pour l’oiseau, est au contraire pour lui une attitude de repos, et la plupart d’entre eux se perchent pour dormir : en même temps ils s’affaissent sur leurs membres. La branche sur laquelle ils reposent est alors embrassée par les doigts. Les muscles fléchisseurs des phalanges, passant derrière l’articulation tibio-tarsienne, ont une ten- dance naturelle à amener les doigts dans la flexion, quand les segments du membre inférieur s’inclinent les uns sur les autres. Le poids du corps, qui tend à amener la flexion du membre inférieur, tend donc en même temps à fléchir les doigts, et l'oiseau serre sans aucun effort la branche sur laquelle il repose. Parmi les invertébrés, les insectes forment une classe innombrable d’ê- tres ailés. Les insectes ont généralement deux paires d’ailes articulées aux anneaux du thorax (tels sont les abeilles, les papillons, etc., ete.). Les ailes sont formées par un repli cutané très-fin, constitué par un tissu épider- mique soutenu par des nervures cornées. Quelquefois , l’une des deux paires est solide et opaque , et forme à l’autre paire une sorte d’étui ou d’enveloppe protectrice qui la recouvre au repos. Les ailes solides (élytres) sont d’ailleurs diversement colorées; elles sont couleur marron dans le hanneton, vert-émeraude, gris, noir, rouge, etc., dans d’autres insectes. Il y a quelques insectes qui n’ont qu’une paire d’ailes : les ailes posté- rieures qui manquent sont remplacées par deux filets mobiles, souvent terminés par une extrémité renflée, et qu’on désigne sous le nom de balanciers. Des animaux aquatiques. — Parmi les animaux aquatiques, les poissons se distinguent en première ligne. Les poissons appartiennent à l’embran- chement des vertébrés ; ce qui les caractérise spécialement, c’est que leurs membres, profondément modifiés, sont transformés en nageoires. Parmi les nageoires, il en est qui, placées sur la ligne médiane (au dos, au ven- tre ou à la queue), et par conséquent impaires, ne correspondent pas aux membres. Les nageoires pectorales et les nageoires ventrales, placées sur les côtés de l’animal et disposées par paires, représentent les membres des autres vertébrés. Les nageoires ventrales, qui correspondent aux membres postérieurs, ne sont pas toujours placées en arrière des nageoires pectorales, e’est bien plutôt leurs connexions et leur composition que leur situation qui les caractérisent. Les nageoires pectorales , comme les na- geoires ventrales, sont formées de rayons cartilagineux ou osseux, entre lesquels se trouve étendu un repli de la peau. La nageoire pectorale re- pose sur une série de quatre ou cinq petits os comparables aux os du carpe, qui, à leur tour, sont fixés à deux os plus larges, qui ne sont que le ra- dius et le cubitus très-élargis. Le radius et le cubitus viennent enfin s’arti- 590 LIVRE If, FONCTIONS DE RELATION. culer à une ceinture osseuse, qui représente à la fois l’humérus et Fomo- plate. Dans là nageoire ventrale , on reconnaît moins facilement les connexions du membre abdominal. Les poissons , en effet, n’ont pas de bassin , tandis qu'ils ont une poitrine et des côtes. La nageoire ventrale est ordinairement portée par un seul os triangulaire. Tantôt cet os se fixe à la ceinture osseuse de la nageoïire pectorale, tantôt il n’est relié que de loin au squelette par des ligaments, et la nageoire ventrale paraît suspen- due dans les chairs. Les masses musculaires des poissons, placées de chaque côté du corps. ont surtout pour but de fléchir le corps latéralement dans l’un et l’auire sens. C’est aussi principalement en frappant latéralement et alternative- ment l’eau, par les mouvements de la queue et du trone, que le poisson progresse dans l’eau. Les nageoires verticales du dos et du ventre augmen- tent d'autant la surface du corps dans les mouvements de latéralité , et concourent ainsi à la progression. Les nageoires pectorales et ventrales ne servent guère qu'à maintenir l’équilibre de lanimal ; elles peuvent concourir aussi à modifier la direction. Les poissons présentent, pour la plupart, une poche remplie de gaz, ou vessie natatoire, qui leur est d’un grand secours dans la natation. Cette po- che communique quelquefois avec le tube digestif; mais d’autres fois elle est close de toutes parts. La vessie natatoire peut être comprimée par les mouvements des côtes, et, suivant le volume qu’elle présente, elle donne au corps du poisson une pesanteur spécifique inférieure où supérieure à celle de l'eau , et il peut ainsi sans mouvements monter à la surface de l’eau ou s’enfoncer dans sa profondeur. La vessie natatoire manque, en général, chez les poissons qui vivent dans la vase , et qui viennent rare- ment à la surface de l’eau. H est des poissons sans nageoires. Ces poissons, comme d’ailleurs la multitude innombrable d'animaux inférieurs que renferme l'océan des mers, se meuvent dans le liquide par les mouvements propres du corps. Le mode de progression n’est pas très-différent de celui des poissons. C’est par des mouvements rapides obliques, à gauche et à droite, qué le corps s’avance, suivant la résultante de tous les efforts successifs. Des animaux rampants. — Beaucoup d'animaux à sang froid, quoique pourvus de membres, se trainent sur le soi plutôt qu'ils ne marchent. Les serpents, les limaces, les vers de terre, les sangsues, d’autres ani- maux encore, sont dépourvus de membres et s’avancent réellement en rampant. La reptation peut donc être incomplète ou complète. Lorsque l'animal qui rampe est pourvu de membres (crapauds, pipas, iguanes, crocodiles, etc.), la progression a lieu comme chez les animaux quadru- pèdes, avec cette différence que l’abdomen et le thorax touchent le sol et glissent à sa surface pendant le mouvement. D’autres fois l'animal projette ses deux membres antérieurs en avant, les fixe, et attire à eux la masse du corps pour recommencer ensuite. Ce mode de progression CHAP. 1. MOUVEMENTS. 591 est le seul possible chez les reptiles qui n’ont qu'une paire de membres. Le mouvement de progression des serpents a une certaine analogie avec celui-là. En effet, le serpent a toujours, au moment du mouvement, une partie du corps immobile, tandis que les autres portions de son corps s’avancent sur cette partie qui lui sert d'appui. Lorsqu'il veut se mouvoir, il rapproche la queue de la tête par une succession de mouvements laté- raux, puis la partie postérieure du corps s'applique à son tour au sol, et c'est le côté qui correspond à la tête qui se dirige en avant. Le mouve- ment que le serpent exécute sur le plan horizontal, la chenille l’exécute sur le plan vertical. Sa tête étant fixée, elle rapproche sa queue près de la partie antérieure du corps, en soulevant en cercle la partie moyenne du corps. Puis la queue se fixe, et toute la partie soulevée du corps se développe en avant, sur le point d'appui de la queue. Quand le dévelop- pement est achevé, la queue se rapproche de la tête de nouveau fixée, et ainsi de suite. La plupart des chenilles ont des pattes rudimentaires ou des soies qui aident leur progression, en favorisant l’adhérence sueces- sive des divers points de leur corps. Le ver de terre et la limace progressent comme les chenilles, avec cette différence que leur corps ne quitte pas, à proprement parler, le sol. Les points fixes et les points mobiles, très-rapprochés les uns des autres, changent successivement de position de la queue à la tête et de la tête à la queue, et donnent à l’ensemble du mouvement le caractère vermicu- laire. La sangsue, qui progresse de la même manière, quand elle est sur le sol, otire, à chacune de ses extrémités, une ventouse qui facilite l’adhé- rence de sa tête et de sa queue. Parmi les insectes dépourvus d'ailes, quelques-uns se distinguent par un nombre considérable de pattes, atta- chées aux anneaux du thorax et de l'abdomen. Les rules en ont cmquante ou soixante paires, quelques scolopendres jusqu’à sorxante-quatorze pai- res. La progression de ces animaux est décomposée ainsi en une muhi- tude de mouvements partiels, correspondants à chacun de leurs anneaux, et rappelle le mouvement vermieulaire des annélides !. * Consultez principalement sur les mouvements : Joh. Alph. Borelli et Joh. Bernoulli, De Motu animalium ac de Motu musculorum, etc.; Hagæcomitum, 1745; — Prévost et Dumas, Mémoire sur les phénomènes qui accompagnent la contraction musculaire, dans le Journal de Physiologie, t. III, 1823 ; — Gerdy, Srarion et Mouvenexrs, dans Physiologie médicale, t. 1, 2e part.; Paris, 1832; — Purkinje et Valentin, De Phœnomeno generali et fundamentali motus vibratorii, ete.; Breslau, 1855; — Longet, Recherches expérimentales sur les condilions né- cessaires & l’entrelien et à la manifestation de l'irrilabilité musculaire, ete.; Paris, 1841 ; — Ed, et W. Weber, Mécanique des organes de la locomotion, avec atlas (traduct. de Jourdan); Paris, 1845; — Maissiat, Éfudes de physiologie animale ; in-4, Paris, 1845 ; — Prechil, Un- tersuchungen über den Flug der Vügel (Recherches sur le vol des oiseaux); in-8°, Wien, 1846 ; — Matteucci, Leçons sur les phénomènes physiques des corps vivants (traduet. franc.) ; in-18, Paris, 1847 ; — Colin, Traité de physiologie comparée des animaux domestiques, t. 1er, chapitres Amrirunes, MOuvEMENTS PROGRESSIFS, UTILISATION DES FORCES MUSCULAIRES ; Paris, 1854; — Delaunay, Cours élémentaire de mécanique théorique et appliquée; in-18, Paris, 4851 ; — Helmholtz, Ueber den Stoffverbrauch bei der Muskelaction (Consommation de ma- tière pendant l'action musculaire), dans Müller’s Archiv, 1845 ; — du mème, Ueber die bei der Muskelaction entwickelle Würmemenge (Quantités de chaleur développées pendant l'ac- 592 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. CHAPITRE IL. VOIX ET PAROLE. S 251. Définition. — On donne le nom de voix au son que l’homme et les ani- maux supérieurs font entendre en chassant l’air de leurs poumons, au travers du larynx convenablement disposé. La parole, dont l’homme est seul en possession, consiste dans certaines modifications apportées aux sons de la voix par les parties qui surmontent le larynx, c’est-à-dire par le pharynx, la bouche, le voile du palais, les fosses nasales, la langue, les dents, les lèvres. La parole, en d’autres termes, est la voix articulée. La voix est le lien qui réunit entre eux la plupart des mammifères et des oiseaux lorsqu'ils vivent en société ou qu'ils se recherchent au mo- ment de l’accouplement. La parole est pour l’homme l'agent de commu- nication le plus rapide et le plus puissant; et le chant, qui n’est que la voix modulée, ajoute encore à sa puissance les charmes de l'harmonie. ARTICLE I. DE LA VOIX. $S 252. Organes de la voix humaine.— L'appareil de la voix se compose de trois parties essentielles : 4° d'organes destinés à chasser l’air au travers du larynx, et qui remplissent dans la production de la voix l’ofice de soufilets d’orgues : ces organes sont les poumons ; 2° du larynx, dans le- quel l’air, chassé par les poumons, vient résonner sur certaines parties, dites cordes vocales ; 3° du tuyau vocal, c'est-à-dire de tout ce qui surmonte tion musculaire); — Stannius, Untersuchungen über Leistungsfähigkeit der Muskeln und Todtenstarre (Recherches sur la contractilité et la rigidité cadavérique), dans Archiv für physiologische Heilkunde, de Vierordt, XI; — Brown-Séquard, Sur la rigidité cadavérique et la contractilité musculaire, dans les Comptes rendus de l’Institut, juin, août 1851 ; — Va- lentin, Action réciproque des muscles et de l'air atmosphérique, dans Archiv für physiolog. Heilkunde, de Vierordt, décembre 1855; en extrait dans la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 11 avril 1856 ; — Matteucci, Recherches sur les phénomènes physiques de la contraction musculaire, analyse dans la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 25 avril 1856 ; — Duchenne (de Boulogne), De l'Électrisation localisée ; applications physio- logiques; in-8°, Paris, 1855; — Matteucci, Fenomeni fisici e chimici della Contrazione mus- colare; Turin, in-8°, 1856 ; — Kussmaul, Ueber die Todtenstarre, etc. (Sur la rigidité cada- vérique), dans Prager Vierteljahrschrift, 1855, 1. II, p. 67; — Bernard, Analyse physiolo- gique des propriétés des systèmes musculaire et nerveux. à l'aide du curare, dans les Comptes rendus de l'Institut, 1856 ; — Brücke, Ueber den Bau der Muskelfasern (Sur la Structure des fibres musculaires), dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences de Vienne; 1857, t. XXV; — A. Fick, Ueber theilweise Reizung der Muskelfaser (Sur la Contraction partielle des fibres musculaires), dans Untersuchungen zur Naturlehre, ete., de Moleschott, t. II, p. 62, 1857 ; — Giraud-Teulon,!Principes de mécanigne animale, ou Étude de la locomotion Chez l'homme et les animaux vertébrés; in-8°, Paris, 1858, CHAP. II, VOIX ET PAROLE, 593 le larynx (pharynx, bouche, fosses nasales). Le rôle que jouent les pou- mons, au moment de l'expiration, a été exposé précédemment (Voy.… $$ 122, 123, 124). Rappelons en quelques mots la disposition et le rôle du larynx et du tuyau vocal. Le larynx de l’homme, situé en avant du cou, se trouve placé sur le parcours des voies respiratoires. Il consiste en une charpente cartilagi- neuse composée de plusieurs pièces mobiles réunies entre elles par des articulations et par des ligaments. Ces pièces mobiles peuvent être mues par des muscles; ces muscles sont animés par Fig. 104. des nerfs; enfin, le larynx est tapissé à son inté- rieur par une membrane muqueuse, comme la trachée qu'il surmonte, et comme le pharynx dans lequel il vient s'ouvrir. Les cartilages du larynx sont au nombre de quatre : deux impairs, le cartilage thyroïde et le cartilage cricoïde (a, b,fig. 105,106, 107); et deux pairs, qui sont les cartilages aryténoïdes ! (Voy. fig. 104). Il faut encore ajouter à ces cartilages l’é- piglotte, qui, ordinairement soulevée au-dessus de l’orifice du larynx, s’applique sur lui à la ma- nière d’un couvercle au moment de la dégluti- tion (Voy. $ 26). Le cartilage cricoïde surmonte, comme un anneau complet, le premier cartilage cantILaGes ARYTÉNOIDES r : Ê = (position normale, grandeur na- de la trachée-artère; le cartilage thyroïde sur- turelle ). monte le cartilage cricoïde, et vient s’articuler 4 cartilages aryténoïdes vus par derrière. avec lui sur les côtés. Les cartilages aryténoïdes 4, face postérieure. : : ABS b, apophyse postérieure externe. surmontent pareillement le cartilage cricoïde et », cartilages aryténoïdes vus par viennent s’articuler sur sa partie postérieure, , a RS : £ ? Lee T c, face antérieure. plus élevée que l’antérieure (Voy. fig. 106). ne de Les cartilages du larynx, mobiles les uns sur DNS EURE EE Tee ” ; cales supérieures. les autres, peuvent être déplacés par des muscles, 9, apophyse antérieure interne, où s’insèrent les cordes vo- et leurs déplacements ont pour effet de mettre cales inférieures. & |”; ip Z C, un cartilage aryténoïde vu par les cordes vocales, placées à l’intérieur du larynx, A rer dans un état de tension ou de relâchement qui dd, face interne. a, face postérieure. détermine la nature du son produit. g, apophyse antérieure interne. La plupart des muscles du larynx sont groupés autour des cartilages aryténoïdes, et ont un point d'insertion à ces cartilages. Tels sont : 4° le musele aryténoïdien, muscle impair (Voy. fig. 105, d), situé derrière les cartilages aryténoïdes, dont il couvre la face postérieure : ce muscle est composé de deux couches de fibres, une couche superficielle, formée de 1 Il y a encore, au sommet des cartilages aryténoïdes, deux petits cartilages dits cartilages de Santorini, et, dans l'épaisseur des replis aryténo-épiglottiques, des noyaux cartilagineux appelés cartilages de Wrisberg; mais ces cartilages, qui n'existent chez l’homme qu'à l’état rudimentaire, n’ont point un rôle déterminé dans les phénomènes de la voix. 38 594 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. fibres obliques qui s’insèrent aux bords externes des cartilages aryté- Fig. 105. aa, cartilage thyroïde. bb, cartilage cricoide. ce, muscles crico - aryténoidiens postérieurs. d, fibres obliques et transverses du muscle aryténoïdien. noïdes, et une couche profonde formée de fibres transverses, qui s’insèrent sur les faces posté- rieures des cartilages aryténoïdes; 2 les crico- aryténoidiens postérieurs (Voy. fig. 105, cc), mus- cles pairs situés à la partie postérieure du cartilage cricoïde, s’insérant, d’une part, à une grande partie de la face postérieure de ce cartilage, et, d'autre part, à l’apophyse postérieure externe du cartilage aryténoïde (Voy. fig. 104, bb); 3° les crico-aryténoidiens latéraux, muscles pairs, pro- fondément situés sous le cartilage thyroïde, dont il faut enlever une partie pour les bien aperce- voir (Voy. fig. 106, d) : ces muscles s’insèrent, d’une part, à la partie latérale et supérieure du cartilage cricoïde, et, d'autre part, à l’apophyse postérieure externe du Fig. 106. a, cartilage thyroïde. bb, cartilage cricoïde. , cartilage aryténoïde, d, muscle crico-aryténoïdien la téral. e, muscle thyro-aryténoidien. kel cartilage aryténoïde; 4° les fhkyro-aryténoidiens, muscles pairs situés dans l’intérieur même du larynx, sur les parois latérales duquel ils font saillie ; ils forment la partie charnue des cordes vocales inférieures : ces muscles s’insèrent, d’une part, à l'angle rentrant du cartilage thyroïde, et, d’autre part, à l’apophyse antérieure interne du cartilage aryténoïde (Voy. fig. 406, e, fig. 104, g); 5° enfin les museles crico-thyroïdiens, les seuls qui ne s’insèrent pomt aux cartilages aryténoï- des : ces muscles sont situés à la partie antérieure du larynx. Ainsi que leur nom l'indique, ils s’in- sèrent, d’une part, à la face antérieure du carti- lage cricoïde, et, d'autre part, au bord inférieur et aux petites cornes du Fig. 107. a, carlilage thyroïde, b, cartilage cricoïde. et, muscles crico-thyroïdiens, cartilage thyroïde (Voy. fig. 107,cc). Outre les mouvements mtérieurs qui s’accom- plissent dans le larynx par l’action des muscles précédents (mouvements qui ont pour effet d’aug- menter ou de diminuer le degré d'ouverture de la glotte, d'augmenter ou de diminuer la tension des replis musculo-membraneux qui la bordent), cet organe peut encore être élevé ou abaissé en totalité par des muscles extrinsèques, principa- lement par les muscles sus et sous-hyoïdiens. Le larynx est lié à l’os hyoïde par la membrane thyro-hyoïdienne et par le muscle thyro-hyoïdien, et il suit les mouvements d’élévation ou d’abaissement de cet os. Les replis intérieurs du larynx, auxquels on donne le nom de cordes CHAP, II. VOIX ET PAROLE. 595 vocales, sont au nombre de deux de chaque côté : les cordes vocales su- périeures et les cordes vocales inférieures. Les cordes vocales supérieures font à peine saillie dans l’intérieur du larynx; elles sont formées de fais- ceaux fibreux peu nombreux, qui s’insèrent dans l'angle rentrant du car- tilage thyroïde, et, d'autre part, au tubercule de la face antérieure du cartilage aryténoïde (Voy. fig. 104, e). Ces faisceaux fibreux sont recou- verts par la membrane muqueuse qui tapisse l’intérieur du larynx. Les cordes vocales inférieures sont beaucoup plus saillantes et beau- coup plus importantes que les précédentes. Quand on regarde le larynx par son orifice supérieur, on aperçoit la Fig. 108. saillie qu’elles forment dans le larynx (Voy. fig. 108, ee), tandis que celle des cordes supérieures, placées plus près de l'orifice, est moins marquée. Les cordes vocales inférieures ont la même direc- tion etles mêmes insertions que les mus- cles thyro-aryténoïdiens. Les cordes vo- cales inférieures, en effet, contiennent une partie de ce muscle dans leur épais- seur. Indépendamment des fibres charnues ÿ du muscle thyro-aryténoïdien, la corde © vocale inférieure contient des fibres pa- rallèles résistantes, élastiques, occupant le bord libre de la corde vocale. La corde d vocale inférieure est, d’ailleurs, comme gLorre (vue par la partie supérieure du larynx). la corde vocale supérieure, tapissée par æ TEA ÉLAEe la membrane muqueuse du larynx. # ce, cartilages aryténoïdes (vus en Se ct LA Les cordes vocales ne sont donc pas ”” nan tag lé M base de l'épi- 1 inc : glotte, et limitant l'ouverture du larynx dans libres, ainsi que leur nom semblerait le pharynx. l'indiquer, mais adhérentes aux parois ‘3 us le la glotte (cordes vocales in- du larynx et faisant saillie dans la cavité Re du larynx par leur bord interne. L'espace ou l'intervalle qui sépare les cordes vocales inférieures l’une de l’autre constitue la glotte!. Les cordes vocales inférieures contenant un muscle dans leur épaisseur, et, d'autre part, les autres muscles du larynx pouvant mouvoir les cartilages les uns sas 1 On donne quelquefois, mais à tort, le nom de glot{e à l'ouverture du larynx dans le pha- rynæ, c'est-à-dire à l'ouverture bornée par les replis aryténo-épiglottiques. On a aussi dé- signé sous le nom de glotte l'intervalle qui sépare les deux cordes vocales supérieures, comme celui qui sépare les deux cordes vocales inférieures. On a dès lors distingué une glotte supé- rieure et une glotte inférieure. Mais les cordes vocales inférieures étant les seuls organes né- cessaires à la production du son, et le nom de glotte étant inséparable de l'idée de voix, nous désignerons seulement ainsi l'ouverture circonscrite par les bords libres des cordes vocales inférieures. Les dimensions de la glotte varient suivant les sexes et suivant les âges ; et elles sont en rapport avec les divers caracteres de la voix. La glotte a 95 millimètres de longueur, en moyenne, chez l’homme adulte, et environ 20 millimetres chez la femme. 596 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, sur les autres, la glotte est susceptible de s’agrandir, de se rétrécir; ses bords eux-mêmes peuvent être tendus ou relâchés, etc. La glotte est, dans l’état naturel des parties, la portion la plus rétrécie du larynx. On peut distinguer à la glotte deux parties : l’une, anté- rieure, est bordée par les deux cordes vocales inférieures; l’autre, postérieure, est comprise entre les cartilages aryténoïdes (Voy. fig. 104). Ces deux parties sont continues, sans ligne de démarcation; mais il ne faut pas oublier que la première est seule membraneuse, la seconde étant cartilagineuse. On peut donner à la portion antérieure le nom de glotte interligamenteuse, et à la seconde le nom de glotte intercarti- lagineuse. La première de ces portions, la plus étendue, est la seule qui serve à la voix; la seconde, qui mesure à peine le tiers de la fente glot- tique, est plus spécialement en rapport avec la respiration, ainsi que nous le verrons. On désigne sous le nom de ventricules du larynx l'espace compris entre les cordes vocales supérieures et inférieures d’un même côté. La profon- deur des ventricules du larynx dépend du degré de saillie des cordes vo- cales. La cavité intérieure des ventricules du larynx est plus large que leur ouverture, et elle présente une arrière-cavité, qui se prolonge j jus- qu'aux insertions de l’épiglotte. Rôle des muscles du larynx. — Il y a donc dans le larynx neuf petits muscles; quatre pairs, savoir : les crico-aryténoidiens postérieurs, les crico-aryténoidiens latéraux , les thyro-aryténoïdiens, les crico-thyroi- diens ; et un impair, le muscle aryténoïdien, qu'on pourrait appeler l’ary- aryténoidien, pour rappeler ses insertions. Les muscles du larynx, lors- qu'ils agissent, ont pour effet, d’une manière générale, de modifier la largeur de la glotte, la longueur et la tension des cordes vocales, c’est-à- dire de faire varier les dimensions des portions essentielles du larynx dans un but vocal ou dans un but respiratoire. Mais l’action spéciale de chacun des muscles pris en particulier n’est pas aussi facile à déterminer qu'on pourrait le penser. Ces muscles sont, en effet, situés profondé- ment ; il est dificile de les mettre à nu sur le vivant. Enfin, le larynx n’est pas seulement l'organe de la phonation, il fait encore partie de l'arbre aérien, et tout ce qui entrave, même pour un instant, les phénomènes respiratoires, amène chez l’animal des accidents de suffocation qui com- pliquent l’observation. Aussi un certain nombre d'auteurs, rebutés par les difficultés de la mé- thode expérimentale, ont-ils cherché à déterminer l’action de ces muscles d’après leurs attaches et d’après la connaissance des surfaces articulaires. C'est pour ce motif qu’il a régné quelques divergences sur leur mode d'action. Aujourd’hui que la méthode expérimentale a prévalu partout où elle est possible, on sait d’une manière positive l’action des muscles du larynx, grâce surtout aux travaux de MM. Longet, Harless et Merkel. La méthode expérimentale employée ici est basée sur ce fait que les CHAP, Il, VOIX ET PAROLE, 297 muscles entrent en contraction quand on excite convenablement les nerfs qu vont se répandre dans leur tissu. Or, on met le larynx à découvert, on dissèque attentivement, et on coupe les filets nerveux qui vont à cer- tains muscles du larynx, sauf les filets qui vont aux muscles dont on veut connaître l’action. Puis on excite Le tronc du nerf qui envoie à ces muscles (nerf récurrent), et on observe quels changements surviennent dans les diverses parties du larynx, et en particulier dans la glotte, au- tour de laquelle ces muscles sont groupés. On peut encore mettre à mort un animal, découvrir le muscle dont on veut connaître l’action, le galva- niser directement, et observer l’effet produit. Les muscles crico-aryténoidiens postérieurs ont pour effet, en prenant leur point d'insertion fixe sur le cartilage cricoïde, de faire exécuter aux cartilages aryténoïdes un mouvement de rotation dans leur articulation cricoïdienne, en vertu duquel les apophyses antérieures des cartilages aryténoïdes (et par conséquent les insertions postérieures de la vocale inférieure) se trouvent portées en dehors. Les crico-aryténoïdiens posté- rieurs sont donc les dilatateurs de la glotte. La glotte, limitée par les cordes vocales, représente une sorte de triangle isocèle, dont le sommet correspond aux insertions antérieures des cordes vocales fixées dans l’angle rentrant du cartilage thyroïde. Les insertions antérieures des cordes vocales sont fixes; ce sont donc les insertions postérieures des cordes vocales fixées aux cartilages aryténoïdes qui, en s’éloignant ou en se rapprochant du plan médian, augmentent ou dimmuent l'ouverture de la glotte. Les muscles crico-aryténoïdiens latéraux ont pour effet, en prenant leur point d'insertion fixe sur le cartilage cricoïde, de faire exécuter aux car- tilages aryténoïdes un mouvement de rotation dans leur articulation cri- coïdienne, en vertu duquel les apophyses antérieures des cartilages ary- ténoïdes se trouvent portées en dedans. Les crico-aryténoïdiens latéraux sont donc les constricteurs de la glotte, et nous pouvons ajouter qu'ils sont les constricteurs de la glotte interligamenteuse. Le muscle ary-aryténoidien a pour effet, lorsqu'il se contracte, de rap- procher tellement les deux cartilages aryténoïdes, que ceux-ci se touchent par leur face interne, et que, par conséquent, la glotte intercartilagineuse disparait. Le muscle ary-aryténoïdien est donc constricteur de la glotte ; et nous pouvons ajouter qu'il est le constricteur de la glotte ntercarti- lagineuse. C’est surtout sur l’action de ce muscle que les divergences se sont produites. Quelques auteurs, guidés par des vues théoriques, ont supposé qu'exerçant son action aux limites de ses insertions, c’est-à-dire sur les bords externes des cartilages aryténoïdes, et tirant sur ces bords, il faisait pivoter les cartilages aryténoïdes dans leur articulation cricoï- dienne, de manière à porter en dehors les insertions postérieures des cordes vocales. L'expérience n’a pas justifié cette supposition. Les carti- lages aryténoïdes se portent de masse l’un vers l’autre lorsqu'on fait con- 598 LIVRE IL. FONCTIONS DE RELATION. tracter ce muscle : ee qui s'explique facilement par la laxité extrême des ligaments des articulations aryténo-cricoïdiennes. Les museles {hyro-aryténoidiens sont composés d’un certain nombre de faisceaux : 4° faisceau thyro-aryténoïdien externe, allant du cartilage aryténoïde au cartilage thyroïde, en dehors de la saillie de la corde vo- cale; 2 faisceau thyro-aryténoïdien interne, allant du cartilage aryté- noïde au cartilage thyroïde, dans l'épaisseur de la corde voeale; 3° fais- ceau ary-syndesmien, procédant du cartilage aryténoïde, et allant se fixer sur les divers points de la portion fibreuse de la corde vocale. Ces museles complexes sont les plus importants en ce qui concerne la pho- nation. Tandis que les erico-aryténoïdiens latéraux, et l’ary-aryténoï- dien placent la glotte dans les conditions de la phonation, en rappro- chant les cordes vocales, les muscles thyro-aryténoïdiens tendent (à des degrés divers comme leur contraction) les cordes vocales et changent leur densité, de manière à déterminer la hauteur du son, et peut-être à modifier le timbre de la voix. Les muscles thyro-aryténoïdiens sont, en définitive, tenseurs des cordes vocales. Les muscles crico-thyroïdiens, quoique placés en dehors du larynx, et par conséquent assez loin des cordes vocales, agissent néanmoins comme les précédents, c’est-à-dire qu'ils sont tenseurs des cordes vocales. En prenant, en effet, leur point fixe sur le cartilage cricoïde, ils font exécuter au cartilage thyroïde un mouvement de bascule en vertu duquel ce car- tilage culbute pour ainsi dire en avant sur le cartilage cricoïde, d’où ten- sion des cordes vocales élastiques (tension passive par allongement). En résumé, on peut diviser les muscles du larynx en deux groupes. Le premier comprend les crico-aryténoidiens postérieurs, les crico-aryté- noidiens latéraux, et l’'ary-aryténoidien, lesquels ont au moins un point d'insertion aux cartilages aryténoïdes , et agissent sur ces cartilages, lä- chement articulés avec le cartilage ericoïde (qui est fixe relativement à eux), de manière à leur faire exécuter une série de mouvements qui ont pour effet soit d'augmenter, soit de diminuer l'ouverture glottique. Le second groupe comprend les muscles fhyro-aryténoïdiens et erico-thy- roidiens, qui ont pour effet de modifier la tension des leviers de l’ouverture. Lorsqu'on fait à un animal une incision au devant du eou, qu’on pra- tique une large incision au-dessus du cartilage thyroïde, et qu’on attire le larynx au dehors à l’aide d’une érigne, de manière que l'œil plonge dans son intérieur, on constate que l'ouverture eirconserite par les lèvres de la glotte éprouve deux sortes de mouvements. Quand l’animal est au repos, la glotte est modérément ouverie (comme elle l’est sur le cadavre : cet état représente le repos des muscles); mais, à chaque effort d’inspi- ration , elle se dilate, et cette dilatation s’exagère lorsque la respiration est gènée. Lorsque l'animal veut crier, c’est-à-dire lorsqu'il dispose sa glotte pour l'émission du son, on constate que les lèvres de la glotte se rapprochent au contact, et elles restent ainsi rapprochées pendant tout CHAP. II. VOIX ET PAROLE, 599 le temps que l'animal émet le son. La fermeture n’est pas absolue, car l'air qui produit le son la traverse, mais il y a tendance à la fermeture, et c’est la colonne d’air chassée par le poumon qui, pour se faire jour, en faisant vibrer les bords de la glotte, maintient entre elles, pendant tout le temps que dure le son, une ouverture linéaire. Aussitôt que l'animal cesse de crier (c’est-à-dire de produire de la voix), la glotte reprend ses dimensions normales, par la cessation d’action de ses constricteurs. Les muscles qui, d’une part, disposent la glotte pour la production du son, c’est-à-dire qui ferment la glotte, et les muscles qui, d'autre pari, augmentent l'ouverture normale de la glotte au moment de l'inspiration, constituent deux séries de muscles qui n’ont rien de commun au point de vue physiologique. Les uns sont des muscles phonateurs, les autres des muscles respirateurs. Il y a done dans le larynx des muscles étran- gers à la production de la voix. Les muscles respirateurs sont ceux qui agissent au moment de l’inspi- ration pour empêcher les lèvres de la glotte de se rapprocher sous l'in- fluence de l’action aspirante du poumon (Voy.$ 121). Ces muscles n’a- gissent point dans la phonation; ils sont tout à fait étrangers à la production de la voix, car ils placent la glotte dans des conditions com- plétement opposées à celles de la production du son. Ce sont les erico- aryténoïdiens postérieurs. Les muscles phonateurs sont les muscles qui mettent la glotte dans les conditions nécessaires à la production du son, c’est-à-dire qui rappro- chent les lèvres de la glotte, de telle sorte que la colonne d’air chassée par le poumon puisse acquérir au niveau de cette ouverture rétrécie une force suflisante pour faire entrer en vibration les cordes vocales. Ces muscles sont, en d’autres termes, les consiricteurs de la glotte, savoir : les crico-aryténoïdiens latéraux et l’ary-aryténoïdien. Aux muscles phonateurs précédents, qui placent la glotte dans les conditions favorables à la phonation, il faut ajouter les phonateurs par ex- cellence, c’est-à-dire ceux qui agissent sur la tension, sur la longueur, sur la consistance et sur l’épaisseur des cordes vocales elles-mêmes, savoir : les thyro-aryténoïdiens et les crico-thyroïdiens. Les muscles crico-aryténoïdiens latéraux et l'ary-aryténoïdien sont des muscles phonateurs, parce qu'ils mettent la glotte dans les conditions voulues pour la production du son. Les muscles thyro-aryténoïdiens et les muscles crico-thyroïdiens agissent sur la longueur, sur la consistance et sur l’épaisseur de la corde vocale elle-même, et sont les muscles pho- nateurs par excellence, car ils donnent aux cordes vocales des qualités telles qu’elles peuvent, par leurs vibrations variées, parcourir les divers degrés de l’échelle des tons. Un mot encore sur les changements que les muscles thyro-aryténoï- diens et crico-thyroïdiens font éprouver aux cordes vocales. Les cordes vocales peuvent être raccourcies par le rapprochement de leurs in- 600 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. sertions : ce raccourcissement est opéré par les muscles thyro-aryténoïi- diens; elles peuvent être allongées par l’écartement de leurs insertions : cet allongement est opéré par les muscles crico-thyroïdiens. Quand les cordes vocales sont raccourcies, elles deviennent en même temps plus épaisses; quand les cordes vocales sont allongées, elles deviennent en même temps plus minces, et leur bord est plus tranchant. La tension des cordes vocales, bien plus que leur longueur, qui en dé- finitive ne peut varier que dans des limites peu étendues, est l’élément le plus essentiel de la production du ton de la voix. Les cordes vocales peu- vent être tendues de deux manières : ou activement ou passivement. La ten- sion active est sous l'influence des muscles thyro-aryténoïdiens, la tension passive sous l'influence des muscles qui tendent à augmenter la longueur des cordes vocales, c’est-à-dire sous l’influence des muscles crico-thyroiï- diens. Dans la tension active, il y a raccourcissement, et l’on conçoit que les fibres musculaires qui entrent dans l'épaisseur des cordes vocales sont contractées ou tendues, tandis que les fibres élastiques sont relâchées. Dans la tension passive, il y a allongement; les fibres élastiques sont ten- dues, et les fibres musculaires ne sont pas contractées. Au reste, quand la tension passive, qui bande les fibres élastiques, s'opère, on conçoit que les fibres musculaires qui entrent dans l'épaisseur de la corde vocale puissent en même temps se contracter, de sorte que ces deux modes de tension peuvent se manifester simultanément. Le problème de la phonation est donc très-compliqué; et il est'impos- sible de ne pas remarquer que les expériences qui ont été faites sur le larynx humain laissent toujours après elles quelque chose d’indéterminé, attendu que l’on n’a jamais pu obtenir sur le cadavre que la tension pas- sive des cordes vocales. Les nerfs moteurs des muscles du larynx viennent de deux sources : 1° du laryngé supérieur, qui fournit seulement les filets des erico-thyroï- diens; 2° du laryngé inférieur ou récurrent, qui anime tous les autres muscles du larynx. Les laryngés (supérieur et inférieur) sont des branches du nerf pneumogastrique ; mais, ainsi que nous le verrons plus tard, ce n’est pas ce dernier nerf, mais bien le nerf spinal, dont les filets sont mélangés à ceux du pneumogastrique, qui paraît tenir sous sa dépendance les mouvements musculaires en rapport avec la production de la voix (Voy. Nerf spinal, S 360). S 253. Du son.— L'air chassé par les poumons produit le son en traversant la glotte. Mais pour comprendre comment le son se produit et comment 1l se module pour donner à la voix humaine son étendue et ses caractères, nous avons besoin de rappeler quelques principes de physique. Le son est le résultat d’oscillations imprimées aux molécules des corps élastiques, lorsque, sous l'influence d’un choc ou d’un frottement, ces CHAP, II, VOIX ET PAROLE, 601 molécules ont été dérangées de leur état d'équilibre. Pour que le mou- vement vibratoire des corps devienne son pour l’homme, il lui faut un nerf spécial (nerf acoustique), destiné à transmettre l’impression au sen- sorium. C’est même, à proprement parler, à la sensation particulière ex- citée dans l’organe de l’ouïe par les vibrations des corps qu’on donne le nom de son. Un sourd qui touche un corps vibrant sent, par la peau, un frémissement tactile, qui ne peut en aucune façon lui donner l’idée du son. Il faut aussi, pour que le son-sensation ait lieu, qu'il y ait entre le corps vibrant et l'oreille un milieu intermédiaire qui le transmette à l'oreille. Ce milieu intermédiaire est généralement l’air atmosphérique, fluide élas- tique qui entre lui-même en vibration au contact du corps sonore; mais ce peuvent être aussi des liquides ou des solides, car tous ces corps trans- mettent le son. Lorsqu'on place un timbre mü par un mouvement d’hor- logerie sous la cloche d’une machine pneumatique, on entend très-bien le bruit de la sonnerie, tant que la cloche est pleine d’air; mais, à mesure qu’on fait le vide sous la cloche, le son diminue d'intensité, et 1l devient nul quand le vide est fait. Lorsqu'un corps vibre, ses molécules éprouvent des oscillations de con- densation et de dilatation successives. Ces oscillations de condensation et de dilatation se transmettent à l’air, et déterminent également, dans les couches de l’air, des ébranlements de condensation et de dilatation, les- quels ébranlements se transmettent enfin aux organes de l’ouie et nous donnent la sensation du son. Les vibrations sonores se transmettent dans les gaz, dans les liquides et dans les solides ; mais leur vitesse de propagation n’est pas la même dans ces divers milieux (Voy. Sens de loue). Un son peut être fort ou faible ; il peut être élevé ou bas ; il peut réson- ner d'une certaine manière à l'oreille (le son d’une flûte ne ressemble pas à celui du violon, alors même qu'ils exécutent la même note ; le son d’une flûte d’ébène ou d’une flüte de cristal n’est pas non plus le même) : on peut donc distinguer dans le son trois qualités, qui sont l'intensité, la hauteur, le timbre. L'intensité du son dépend de l'amplitude des vibrations du corps so- nore, mais non pas de leur nombre. Des sons semblables quant à l’élé- vation peuvent avoir des intensités variées, représentées dans la musique instrumentale ou dans le chant par les mots pianissimo, piano, forte, (bic lissimo, etc. La hauteur du son dépend du nombre des vibrations exécutées par le corps sonore dans un espace de temps déterminé; en une seconde, par exemple. Le do de la quatrième corde du violon fait 512 vibrations par se- conde ; le do de l’octave supérieure fait 1024 vibrations pendant le même espace de temps. On voit, par l’exemple que nous venons de prendre, que lorsque deux corps qui vibrent exécutent dans le même temps un nombre de vibra- 602 LIVRE HE. HONCTIONS DE RELATION. tions qui est dans le rapport de 1 à 2, ces deux corps sont à l’octave l’un de l’autre. Les nombres de vibrations qui correspondent aux diverses notes de la gamme sont entre eux dans les rapports suivants : do ré mi fa sol la si do, dus oidb radar ip 8 4 3 2 5 8 C'est-à-dire que do, contient le double de vibrations de do, que ré contient le même nombre de vibrations que do plus 1/8, que mi contient le même nombre de vibrations que do plus 1/4, ete., etc. On peut voir encore, en examinant le tableau précédent, que les intervalles qui séparent chaque note ne sont pas mesurés par un nombre égal de vibrations. Le do que nous avons choisi étant de 542 vibrations par seconde, le ré suivant aura 512X 9/8, le ni aura 512X 5/4, le fa aura 512X 4/3, le sol aura 512X 3/2; le do, enfin, aura 512X2. On dit de deux sons qu'ils vibrent à l’unisson lorsqu'ils sont produits par un même nombre de vibrations par seconde, quel que soit le corps vibrant. L’oreille exercée peut apprécier cette concordance avec une grande rigueur. En se servant d'instruments particuliers (roue dentée de Savart et sirène de M. Cagniard-Latour), on peut vérifier la justesse des appréciations de l’ouie et démontrer que deux sons se trouvent à l'unisson parfait au moment où les compteurs de ces deux instruments indiquent le même nombre de vibrations dans le même intervalle de temps. Toute vibration des corps élastiques produit un ébranlement que nous percevons comme son ; mais la faculté d'apprécier le son a ses limites. Lorsque le nombre des vibrations d’un corps sonore est inférieur à 32 vi- brations simples par seconde, il n’est plus perçu comme son par l'oreille ; telle est donc la limite des sons graves. Lorsque le nombre des vibrations est supérieur à 70,000 vibrations simples par seconde, il éveille encore, il est vrai, une sensation dans l'organe de l’ouïe, maisil devient tout à fait impossible de distinguer ce son d’un autre son qui serait plus élevé. Telle est donc la limite des sons aigus que peut apprécier l'oreille humaine. Quant au timbre du son, il dépend de la nature du corps vibrant ou de la nature des corps avec lesquels le corps vibrant se trouve en contact de vibration. Malgré tous les efforts qui ont été faits pour déterminer les causes du timbre, la science en est aujourd’hui encore réduite à cet énoncé un peu vague. S 254. Des instruments à cordes. — Des instruments à vent, — Appliquons les notions qui précèdent à quelques-uns des instruments de musique les plus répandus, nous comprendrons mieux ensuite le jeu des diverses par- ües de l’organe vocal, qui, lui aussi, est un instrument non sans analogie avec ceux que l’art construit. CHAP. II. VOIX ET PAROLE. 605 Tous les instruments de musique peuvent être partagés en deux classes. Une première classe comprend les instruments à cordes; une seconde classe renferme les instruments à vent. Instruments à cordes. — Dans les instruments à cordes, tels que le vio- lon, le violoncelle, la harpe, etc., le son est produit par les vibrations de cordes tendues, vibrations déterminées soit à l’aide du doigt, soit à l’aide d’un archet frotté de colophane. L’intensité du son produit dépend de l'amplitude de l’oscillation de la corde; la hauteur du son dépend du nombre de vibrations exécutées par la eorde en une seconde t, Le nom- bre de vibrations dépend, et de la grosseur de la corde, et de sa longueur, et de sa tension, et même de sa densité. On sait d’une manière précise quel degré d'influence chacune de ces conditions apporte au nombre des vibrations qu'une corde exécute en un temps donné, et, par conséquent, apporte à la hauteur du son. L'’organe de la voix humaine est pourvu de parties vibrantes, ou cordes vocales, dont la tension peut varier, dont la longueur peut varier, dont la densité et même la grosseur peuvent va- rier, par suite de la contraction des muscles du larynx. Lorsqu'une corde entre en vibration, non-seulement elle le fait dans son ensemble, mais encore elle peut se diviser en un certain nombre de par- ties dites aliquotes, qui vibrent séparément et sont séparées entre elles par des points où les vibrations de la corde sont à peine sensibles et qu’on nomme nœuds de vibrations. Ces points peuvent être regardés comme fixes. Or, la longueur d’une pareille corde, lorsqu'elle vibre ainsi, doit être estimée, non pas d’après sa longueur totale, mais d’après la distance qui sépare un nœud de vibration d’un autre nœud, et cette distance est ce qu’on nomme ventre de vibration. La séparation du corps vibrant en parties aliquotes est bien plus fréquente dans les membranes qui vibrent que dans les cordes, ainsi que l’apprend l’expérience qui consiste à faire entrer en vibration une membrane placée sur un cadre qu’on frotte avec un archet de violon. Dans cette expérience, en effet, on voit le sable fin, dont on a d'avance saupoudré la membrane, fuir les parties vibrantes, c’est-à-dire les ventres de vibration, et se rassembler dans les parties peu ou point vibrantes, où il forme des dessins symétriques. Les cordes vo- cales, lorsqu'elles vibrent, représentent autant des membranes que des cordes, et il est probable, dès lors, que ce phénomène doit s’y produire également. 1 Les cordes qui vibrent, ainsi que les verges élastiques de toute nature, éprouvent deux sortes d’oscillations : des oscillations transversales, c'est-à-dire perpendiculaires à leur lon- gueur ; ce sont celles qu’on voit distinctement à l'œil nu et qui se traduisent, en vertu d’une illusion d'optique, par une sorte de renflement ou ventre de vibration; les autres s'operent suivant le sens longitudinal du corps vibrant ; elles sont peu apparentes dans une corde ten- due. Lorsqu'on passe les doigts frottés de colophane sur une petite tige de bois arrondie, et dans le sens de la longueur, le son qu’on entend est produit par des vibrations longitudinales. L'é- tude de ces dernières vibrations est du domaine de J’acoustique pure. Nous ne nous occupons que des vibrations transversales, les seules nécessaires à la théorie des instruments. 604 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. Les principales lois auxquelles obéissent les cordes tendues, relative- ment au nombre de vibrations qu’elles produisent en un temps donné, sont les suivantes : 1° La tension d’une corde étant constante, le nombre de ses vibrations, dans un même temps, est en raison inverse de sa longueur. En d’autres termes, une corde qui a une longueur 2, donnant, par exemple, le son do, la même corde donnera le son do, si sa longueur est réduite à 1, toutes les autres conditions restant les mêmes. 2% Le nombre des vibrations qu'exécute une corde augmente avec sa tension ; ce nombre est directement proportionnel à la racine carrée des poids qui la tendent. Ainsi, par exemple, une corde qui supporte un poids de 4 kilogramme et qui donne le son do donnera le son do,, si l’on change le poids de 1 kilogramme contre un poids de 4 kilogrammes, toutes les autres conditions restant les mêmes. 3° Toutes choses égales, d’ailleurs, le nombre des vibrations qu’exé- eute une corde est en raison inverse du rayon de la corde et inversement proportionnel à la racine carrée de sa densité. Cette dernière loi aurait sans doute, dans les applications à la voix humaine, la même importance que les deux premières, s’il était possible d'apprécier la valeur des chan- gements d'épaisseur et de densité qui surviennent dans les cordes vocales inférieures, par suite de la contraction des muscles qu'elles renferment dans leur épaisseur. Mais il faut avouer que la science physiologique est à peu près muette sur ce point. Ajoutons, en ce qui concerne les instruments à cordes, une considéra- tion essentielle : c’est que ces divers instruments ne produiraient que des sons d’une très-faible intensité si les cordes n'étaient pas fixées sur des corps résonnants qui, vibrant à l'unisson, entflent considérablement le son et ont une utilité au moins égale au corps vibrant initial. Une corde mé- tallique, fixée de part et d’autre à un mur de pierre, résonne à peine lors- qu’on la fait vibrer en la dérangeant de son état d'équilibre. Une même corde, de même longueur, à tension égale, placée sur la boîte d’un vio- lon, d’une basse ou d’une guitare, rendra un son plein, qu'on entendra à une grande distance. Par elles-mêmes, ne l’oublions pas, les cordes ne produisent que des sons d’une faible intensité. Ce qui est vrai pour les cordes métalliques est plus vrai encore pour les cordes formées de sub- stances moins denses, pour les cordes composées de matières organiques, les cordes à boyau, par exemple. Instruments à vent. — Dans les instruments à vent dont les parois sont suflisamment résistantes, tels que la flüte et le flageolet, on admet géné- ralement que le son est produit par la colonne d’air elle-même. L'air ren- fermé dans les tuyaux de ces instruments n’est pas seulement le véhicule du son, il est le corps sonore lui-même. La hauteur du son dépend de la longueur et de la tension des masses d’air ébranlées, de la même manière que dans les vibrations longitudinales des verges solides. CHAP. II, VOIX ET PAROLE, 605 Dans ces instruments, la grandeur de l'embouchure par laquelle entre le vent a de l'influence sur la hauteur du son produit, c’est-à-dire sur le nombre des vibrations sonores. La vitesse du courant d’air et aussi les dimensions du tuyau ont également sur la hauteur du son une in- fluence capitale. & 255. Des instruments à anche rigide. — Des instruments à anche mem- braneuse. — Parmi les instruments à vent, quelques-uns se distinguent des autres par la nature de l'embouchure : tels sont le hautbois, le bas- son, la clarinette, etc. Dans ces instruments, dits instruments à anche, une languette ou deux languettes, fixées par une de leurs extrémités au corps de l'instrument, sont libres par l’autre extrémité engagée dans la bouche. Placées sur le passage du courant d’air, ces languettes peuvent exécuter de courtes oscillations, être mises en vibration. On a beaucoup disserté pour savoir si, dans ces instruments, la vibration de la languette ou des languettes de l’anche était cause ou effet du son. Voici comment on peut résumer les opinions qui se sont produites à cet égard : 1° d’après une première manière de voir, le son des instruments à anche serait produit par les vibrations de l’anche elle-même, mise en vibration d’une manière mécanique par le courant d’air, à peu près comme l’est la corde du vio- lon sous l’archet qui l’ébranle ; % dans une autre hypothèse, on admet que le son est produit dans ces instruments exactement comme dans les autres instruments à vent, c’est-à-dire par les chocs dus à l’écoulement de l’air lui-même ; les oscillations de la lame seraient consécutives à l’ébran- lement de l’air et ne feraient que régler la périodicité de l’écoulement ; en un mot, le son serait produit ici absolument comme dans la sirène, c’est-à-dire par les chocs intermittents de la veine aérienne contre l'air extérieur. Nous ne pourrions examiner ici les diverses questions que ce problème soulève, sans entrer dans des considérations étrangères à notre sujet; nous ne dirons qu’un mot. Il est vrai que la languette d’une anche, sépa- rée du corps de l'instrument et frottée avec un archet, ne rend qu’un son très-faible ; mais cela prouve-t-il que le son initial ne soit pas produit par ses vibrations? Nullement. J'ajoute même que la première hypothèse est la plus probable, car le son que rend l’anche séparée du corps de l’instru- ment est identique pour la hauteur avec celui que rend l’instrument quand elle est en place. La faiblesse du son produit par l’anche #solée ne lui est pas particulière ; il en est de même pour toutes les cordes et les tiges vi- brantes séparées de leurs appareils de renforcement. Cette faiblesse du son fait place immédiatement à un son fort lorsqu'on fait vibrer l’anche dans un courant d'air, ou qu'on la place sur un appareil résonnant (caisse à air, par exemple). Dans la deuxième hypothèse, comment d’ailleurs expliquer le son du cor, celui de la trompette et du trombone? Dira-t-on 606 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, que le son est produit par l'écoulement de l'air au travers de l'ouverture des lèvres ? N’est-il pas manifeste, au contraire, que pour faire parler ces instruments, les lèvres, qui représentent en ce moment une anche vérita- ble, doivent entrer d’abord en vibration? Dira-t-on que les lèvres ne vi- brent que consécutivement? Ce n’est pas soutenable. Quelle que soit, au reste, la théorie à laquelle on se rattache, il n’en est pas moins certain que l’organe de la voix humaine, en tant du moins qu'organe formateur du son, a la plus grande analogie avec l’anche des instruments dont nous parlons. Soit que les lèvres de la glotte ne vibrent que parce que l’air leur communique ses vibrations initiales, soit qu’elles vibrent d’abord pour transmettre ensuite leurs vibrations aux couches d'air qui les environnent, cela importe peu, et c’est là, suivant nous, une question tout à fait oiseuse dans l’étude de la voix humaine. Ce qui est incontestable, c’est que les cordes vocales vibrent pendant que la voix se produit, et que les divers états de {ension dans lesquelles se trouvent ces cordes influent de la manière la moins équivoque sur la hauteur du son. M. Müller, qui a fait sur la voix humaine une foule d’expériences in- génieuses, a imaginé un petit instrument qui offre avec les anches de nos Fig. 109. Fig. 110. instruments une grande analogie; seulement, les | languettes rigides de l’anche sont remplacées par des membranes élastiques tendues. Les figures 109 et 110 représentent deux de ces instruments, dans lesquels les languettes de caoutchouc sont fixées sur l’ouverture d’un tube métallique. Ces languet- tes, n'étant libres que par un de leurs bords, offrent, avec les cordes vocales du larynx, une analogie que le simple examen des figures 109 et 110 suflira à faire comprendre. M. Müller a fait, le premier, à l’aide des anches membraneuses élasti- ques, des expériences précieuses pour l'interprétation des phénomènes de la voix humaine, et tous ceux qui sont venus après lui n’ont guère fait que suivre la voie expérimentale qu'il avait ouverte. L’anche mem- braneuse de la figure 109 est composée d’une seule membrane élasti- que, couvrant la moitié de l’orifice du tuyau; l’autre moitié de l’orifice est couverte par une peau rigide; on a soin de laisser, entre la mem- brane et la plaque, une fente pour le passage de l'air. La figure 410 re- présente une anche membraneuse double, composée de deux mem- branes de caoutchouc, laissant encore entre elles une fente plus ou moins large. Cette disposition a plus d’analogie avec la glotte que l’autre, et ce sont les résultats qu’on obtient avec cette anche que nous allons résumer brièvement. On peut faire parler l'anche, c’est-à-dire lui faire produire des sons, soit en soufflant par l'extrémité libre dy tuyau, soit en aspirant l’air par cette même extrémité. Cette première expérience, qu'on peut faire à l’aide de la e, CHAP. IT, VOIX ET PAROLE. 607 bouche, et que chacun peut répéter facilement, permet déjà de constater une différence dans le son produit. Quand l'air passe au travers de l’anche par aspiration, le son produit est plus grave que celui qu’on obtient en soufflant. Dans le premier cas, l'air, mis en vibration par l’anche, traverse le corps du tuyau; dans le second cas, il se répand librement dans l’air, à mesure qu'il s'échappe par la fente membraneuse. Lorsqu'on souffle dans une anche membraneuse, après avoir ajouté de l’autre côté de l’an- che un corps de tuyau, cette addition, on le conçoit, a également pour effet de faire baisser le ton; toutes les autres conditions restant les mêmes, l’abaissement du ton peut être porté à un demi-ton, ou même à un ton entier. Pour étudier les autres propriétés de l’anche membraneuse, et aussi afin de graduer le courant d’air et d’en bien apprécier l'influence, on place les anches des figures 109 et 410, ou encore celle de la figure 111, sur un cylindre creux (Voy. fig. 141), qu'on adapte à l’ouverture d’une soufflerie. On obtient alors les résultats suivants : 1° de même que pour les cordes et les lames élastiques, le son gagne en hau- teur quand la tension des lèvres de l’anche membra- neuse augmente ; 2 lorsqu'on empêche les deux lèvres d’une anche membraneuse de vibrer dans toute leur longueur, en couvrant avec un corps rigide (et per- pendiculairement à la fente) la moitié de l’anche, la moitié restante de l’anche fait entendre l’octave du son que rendait primitivement l’anche entière : nou- | velle analogie avec le mode d’élévation du ton dans les cordes; 3° la largeur de la fente qui sépare les lè- vres de l’anche membraneuse n’a pas d'influence sen- sible sur l'élévation du ton. L'anche membraneuse ne parle plus quand l'ouverture est trop large, parce que le courant d’air n’a plus assez d’é- nergie pour la faire vibrer. Enfin, lorsqu'on force le courant d’air, le ton s’élève un peu. Ici le ré- sultat est différent de celui qu’on obtient avec les cordes. Voici à quoi üent ce phénomène, qui ne constitue, à vrai dire, qu'une différence ap- parente et non réelle. Il ne faut pas oublier que les membranes d’une anche de caoutchouc ne sont vibrantes que parce qu’elles sont fendues d’une certaine quantité ; mais elles peuvent, alors même qu’elles sont à un état de tension déterminé, elles peuvent, dis-je, en vertu de leur élas- ticité, qui est grande, être soulevées par un courant d'air violent, et leur tension augmenter d'autant. Il est naturel qu'alors les effets de l’augmenta- tion de tension se manifestent. M. Harless a répété et confirmé les expériences de M. Müller dans tous leurs points essentiels. Il s’est servi, dans ses recherches, d’un appareil assez compliqué et qui se rapproche plus que les précédents de l’organe Fig. 111. 608 Fig. 112. tuyau par lequel arrive l’air. pièce cireulaire fixée sur A par les vis a, a. appareil vocal (ou lames vocales) formé soit en caoutchouc, soit à l’aide de la tunique d’une grosse veine. pièce servant à la fixation des lames vocales. La mortaise d permet à la pièce b des mou- vements d’élévation et des mouvements de bascule. Le reste de l'appareil est destiné à suppléer au jeu des cartilages aryténoïdes. Il consiste en un système de vis et de leviers appliqués au point sur lequel les lames vocales viennent se fixer en e, e. Ce système peut écarter ou rapprocher les bords de la glotte ou même lui donner les formes les plus variées. Les parties solides f, f, rempla- çant les cartilages aryténoïdiens, peuvent repré- senter, par des mouvements de rotation, une vé- ritable glotte interaryténoïdienne. A l’aide de ce système, on peut aussi donner aux lames vocales des teusions aussi variées qu’on le veut ; changer leur tension pendant la production du son, etc. B, C, LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. #” de la voix humaine. Cet appareil mérite à plusieurs égards le nom que lui a donné M. Harless, celui de larynx artificiel. L’inspection de la figure 112 suflira pour en donner une idée au lecteur. M. Merkel, dans un ouvrage tout ré- cent sur la voix humaine, a fait usage d'appareils qui rappellent les anches membraneuses de M. Müller. Seulement il a cherché à donner aux lèvres mem- braneuses qui bordent l’ouverture par laquelle on chasse le vent plus de res- semblance avec les cordes vocales que n’en ont des lames de caoutchouc ordi- naires. Au lieu de simples membranes tendues, il se sertde membranes repliées et pour ainsi dire doublées (il les appelle duplikater-bânder), pour imiter autant que possible la duplicature du revête- ment élastique de la corde vocale sous- jacente à la muqueuse. Tantôt il a placé les plis fermés le long de l’ouverture (Voy. fig. 113); tantôt les ouvertures des plis correspondaient à l'ouverture glottique (Voy. fig. 114). Dans d’autres séries d’expériences, M. Merkel a cherché à entourer les lames membraneuses des anches sim- ples à l’aide d’un double revêtement (fragments de cartes) (Voy. fig. 4115). Fig. 113. Fig. 114. Fig. 115. Mais ces appareils ne lui ont donné que des résultats peu sûrs, parce qu'ils se dérangeaient facilement. & 956. Expériences directes sur le larynx du cadavre. — Rôle des cordes vocales inférieures. — Ainsi que nous l’avons dit déjà, la glotte, c'est- à-dire l'ouverture circonscrite par le bord libre des cordes vocales infé- rieures, est le siége véritable de la voix humaine. La glotte représente l'ouverture de l’anche membraneuse dont nous venons de parler : les | % CHAP, 11. VOIX ET PAROLE, 609 poumons et la trachée représentent le soufflet qui porte le vent au travers de la glotte. Le vent, en passant sur les lèvres de la glotte convenable- ment rapprochées l’une de l’autre par les muscles du larynx, fait entrer ces lèvres en vibration. La cavité du larynx sus-jacente aux cordes voca- les inférieures, le pharynx, la bouche, les fosses nasales, représentent le tuyau vocal. Ce tuyau vocal correspond à l’appareil de renforcement des instruments à cordes. Fig. 116. CO TE TE NE ne La preuve expérimentale que les sons sont produits dans le larynx comme dans les anches membraneuses a été fournie par M. Müller. A cet effet, le larynx est fixé par le cartilage cricoïde contre le montant du milieu de l'appareil représenté par la figure. 116. Le plateau de ba- lance ce, suspendu au bord / du cartilage thyroïde, est chargé de poids variés qui, agissant à la manière des muscles crico-thyroïdiens, font bas- culer le cartilage thyroïde sur le cartilage cricoïde, et tendent les cordes vocales. Le petit appareil a, fixé également au montant du milieu, est pourvu de deux lames mobiles qui entrent dans le larynx, et qui agissent à l’aide des poids placés dans les plateaux de balance 64, de manière à 99 + 610 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. » . simuler l’action des muscles crico-aryténoïdiens latéraux, et à rapprocher les lèvres de la glotte. On fait arriver le vent au travers de la glotte par le tuyau d, lequel représente la trachée. Un soufflet adapté au tuyau d est destiné à pousser l'air dans le larynx, et représente le poumon. En même temps que l'air s'engage dans le larynx par le tuyau d, il pénètre aussi dans un manomètre »m rempli de mercure : la différence de niveau du mercure indique la pression de l’air à son passage par la glotte. Dans ces expériences, on observe que le larynx détaché du corps peut exécuter tous les tons qui correspondent au registre de la voix humaine, c'est-à-dire environ deux octaves et demie. On peut enlever toutes les parties du larynx sus-jacentes aux cordes vocales inférieures, et obtenir encore les mêmes résultats. Toutes les fois qu’on ajoute des poids dans la balance ec, c’est-à-dire toutes les fois qu’on augmente la tension des cordes vocales, le son s’élève. Le relâchement complet des cordes vocales correspond au son le plus bas. Le larynx du cadavre n'offre pas un rapprochement suflisant de ses cordes vocales pour qu’on puisse le faire parler ; on n'obtient guère alors qu'un souflle rauque qui ne ressemble en rien à la voix. Il faut un degré de rapprochement assez prononcé des cordes vocales pour que la voix puisse se produire. Ce degré une fois obtenu à l’aide du compresseur 4, on peut le maintenir invariable et observer néanmoins tous les phéno- mènes d’élévation du ton en tendant successivement, d’une manière crois- sante, les cordes vocales à l’aide de poids ajoutés dans la balance c. Lorsqu'on augmente la force du soufflet, cette augmentation se fait sentir, comme sur les anches en caoutchouc, de deux manières : 1° par un renforcement dans l'intensité du son ; 2° par une légère élévation dans la hauteur. Cette élévation est due, comme dans les anches membraneuses précédemment étudiées, à l'augmentation de tension des cordes vocales amenée par l'intensité du courant d'air. S 257. Timbre et renforcement de la voix. — Lorsqu'une ouverture a été pratiquée à la trachée-artère, au-dessous du larynx, et que l’air ne suit plus, pour sortir de la poitrine, la voie laryngienne , l’aphonie en est la conséquence. Dans toutes les lésions, au contraire, qui portent au-dessus du cartilage thyroïde, et quelque larges qu’elles soient, la voix n’est pas détruite. Ces faits, ainsi d’ailleurs que les expériences précédentes, dé- montrent surabondamment que la voix a son siége dans le larynx, et que, de plus, elle se forme au niveau de la glotte. Cependant les parties qui surmontent la glotte ne restent pas étrangères à la production de la voix, en ce sens qu’elles la renforcent et qu’elles concourent à lui donner le timbre qui la caractérise. Pour ce qui est du timbre, il faut remarquer que chez l’homme qui parle, une grande quantité de parties entrent en vibration à l'unisson du CHAP, I. VOIX ET PAROLE, 611 son produit à la glotte. Ainsi, non-seulement le pharynx, les fosses na- sales, la bouche, mais encore la poitrine, et jusqu'aux corps solides sur lesquels repose l’homme qui parle, entrent en vibrations. Ces vibrations, on peut les constater soi-même, en appliquant sa main sur une caisse en bois, pendant que l’on parle. On sent alors très-distinctement les vibra- tions que la main transmet à la caisse par voie de continuité. Le timbre de la voix résulte donc d’un certain nombre d'éléments divers, qu'il est impossible de préciser, et ce timbre peut varier suivant les conditions par- ticulières dans lesquelles on se trouve. La voix du vieillard n’est pas celle de l'adulte. Le développement du larynx et les modifications qu'il subit avec l’âge portent principalement sur la constitution des cartilages. Ceux-ci deviennent moins élastiques et s’incrustent d’ossifications partielles qui parfois les envahissent complétement. On dit des vieillards qu’ils ont la voix cassée. La nature des corps résonnants solides qui supportent les cordes vocales, et qui reçoivent les premiers les vibrations communiquées, pa- rait donc jouer ici un rôle important. Les modifications moins profondes du timbre de la voix, à l’aide desquelles cependant l'oreille distingue fa- cilement, sans les voir, les personnes qui lui sont connues, tiennent à des conditions moins appré- ( ciables et multiples. Elles tiennent probablement à la conformation individuelle de la bouche, des fosses na- sales et de leurs sinus *. Lorsque, au lieu d’expéri- menter sur un larynx com- plétement séparé du corps de l’ndividu, on pratique sur un cadavre ce qu’on appelle > la coupe du pharynx, de ma- nière à ménager toutes les parties qui surmontent le la- rynx, et par conséquent le trajet pharyngien, buccal et nasal de la voix, on peut fixer la pièce sur un appareil ana- logue à celuide la figure 116, et l'utiliser pour faire sur la voix humaine les mêmes expériences que précédem- ment. Seulement, dans ce dernier cas, le compresseur ua (Voy. fig. 117) presse ex- . Fig. 117. 1 Le timbre tient évidemment à d’autres condition; encore que la conformation individuelle 612 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. térieurement par deux petites languettes sur le larynx 4. Il est destiné pa- reillement à diminuer l’ouverture de la fente glottique. Les poids placés dans le plateau de balance C ont pour effet, en reportant leur traction au sommet du cartilage thyroïde, de faire basculer celui-ci et de tendre les cordes vocales. L’embout d, fixé à la trachée, sert à introduire l’air qui doit faire parler l’appareil. En procédant de cette manière, il est difficile de constater le degré d'ouverture de la glotte, ainsi que la pression de l’air qui passe par l'appareil; aussi, cette méthode ne convient pas pour des expériences de précision, mais elle montre l'influence qu’exercent les parties sus-jacentes au larynx pour renfler la voix et lui donner les carac- tères de timbre qui la rapprochent de la voix vivante. On peut s’assurer sur soi-même, par une expérience bien simple, de l'influence qu’exercent sur le son les parties qui surmontent le larynx, pour en modifier le timbre.Ouvrez la bouche et rendez un son quelconque, puis, tout en soutenant le son, fermez la bouche : l’air s'échappe alors par les fosses nasales seules, et le timbre est à l’instant profondément modifié. S 258. Usage des cordes vocales supérieures.— Des ventricules.— De l’épi- glotte.— Les cordes vocales supérieures ne sont pas nécessaires à la pho- nation. Les expériences précédentes prouvent, en effet, qu’on peut obte- nir les divers tons de la voix humaine, lorsqu'on ne conserve plus dans le larynx mis en expérience que les cordes vocales inférieures. Les cordes vocales supérieures restent-elles pareillement inactives dans la production du son chez les animaux? Lorsqu'on examine l’intérieur du larynx sur un chien ou sur un chat vivant, on remarque, il est vrai, que les cordes vocales supérieures se tendent et s’approchent de la ligne médiane, et ce rapprochement est surtout remarquable sur le chat; mais on peut les enlever sans que la phonation soit détruite; et les troubles qui surviennent alors dans certaines qualités du son peuvent être attri- bués à l’opération aussi bien qu’à l’ablation de la corde elle-même. Il n'y a pas lieu d’être surpris qu'une seule paire de cordes vocales puisse ser- vir à la formation de la voix humaine. Les oiseaux, qui de tous les ani- maux ont la voix la plus étendue et la plus variée, n’ont pourtant que des cordes vocales simples. Les ventricules du larynx sont, comme toutes les cavités qué traverse le son avant de sortir au dehors, destinés sans doute à renforcer la voix. Quelques auteurs leur font jouer un rôle capital dans la formation des sons eux-mêmes (Voy. $ 264). Mais l'expérience n’est pas d’accord avec ces suppositions hypothétiques. du larynx et de toutes les parties qui vibrent à son unisson. Un même individu, c'est-à-dire un même larynx, peut à volonté modifier le timbre de sa voix. N’est-il pas des acteurs qui savent parfaitement imiter la voix des autres? Évidemment ils ne le peuvent qu’à la condition de faire varier le timbre de leur voix. Nous verrons dans un instant ($S 261) que l’homme qui chante peut aussi modifier à volonté le timbre de sa voix. CHAP. II, VOIX ET PAROLE, 613 L’épiglotte se place-t-elle horizontalement au-dessus de l’ouverture du larynx, dans certains moments de la voix ou du chant? La chose n’est pas prouvée. Cependant les interprétations ont devancé la démonstration ex- périmentale du phénomène lui-même. Ainsi, d’après quelques auteurs, l’abaissement de l’épiglotte sur l’ouverture laryngienne coïnciderait avec le renflement de la voix dans le chant; cet abaissement permettrait d’aug- menter l'intensité du son sans augmenter en même temps sa hauteur. L’épiglotte jouerait l’oflice des diaphragmes, qui s’abaissent sur l’extré- mité des instruments à vent et qui ont pour effet d’en faire un peu baisser le ton. Il est certain que, dans les expériences sur les larynx humains, l'intensité du courant d’air élève un peu le ton, en augmentant la tension des cordes vocales, sous-tendues en ce moment par des poids (Voy. $ 256). Mais il n’est pas certain que, sur le vivant, l’augmentation dans la force du soufllet pulmonaire, au moment où l’on veut enfler le son, ne coïncide pas avec un relâchement proportionnel des muscles tenseurs des cordes vocales qui rétablirait l'équilibre. On à encore doué l’épiglotte d’un autre oflice. On a pensé qu’elle pou- vait agir à la manière des couvereles élastiques qu’on place au-dessus des anches dans les tuyaux d'orgue, couvereles qui ont la propriété de rendre le son éremblé, sans en changer la hauteur. Cela n’est pas invraisembla- ble. Chacun sait que le voile du palais, mobile à la manière de l’épiglotte, peut entrer en vibration à volonté et produire un ronflement qui n’est pas sans analogie avec le tremblement du son laryngien. $ 259. Mouvements d'élévation et d’abaiïissement du larynx. — Nous avons dit précédemment que l’addition des tuyaux au-dessus des anches mem- braneuses avait pour effet de faire baisser la hauteur du ton. Si les ex- périences représentées ci-dessus (fig. 116 et 117) étaient faites avec deux larynx parfaitement semblables, pourvus de cordes vocales de même longueur et également tendues par des poids, le ton obtenu ne serait pas identique dans les deux cas. Dans le larynx surmonté de toutes les parties supérieures du tuyau vocal(Voy. fig. 117), le ton obtenu serait plus bas que dans le larynx détaché du corps. Le pharynx, la bouche et les fosses nasales, qui représentent le tuyau vocal de l’anche membra- neuse de la glotte, ont donc certainement pour effet de rendre le ton plus bas qu'il ne serait si ces parties n’existaient pas. Mais, sur l’homme vivant, le pharynx, la bouche et les fosses nasales font partie intégrante et permanente de l'organe de la voix, et si ces parties font éprouver aux sons qui ont traversé la glotte un abaissement de ton quelconque, cet abaissement est permanent, et ne change en rien les conditions de la voix humaine. Le tuyau vocal, il est vrai, n’est pas toujours absolument de la même longueur, et l’on peut se convaincre aisément, en chantant devant une glace, que le larynx s’abaisse dans les sons graves et s’élève dans les 644 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. sons aigus; mais on peut remarquer aussi que ce déplacement est minime et qu'il atteint à peine un demi-centimètre dans les excursions maxima. L'allongement ou le raccourcissement qui en résulte sur l’ensemble du tuyau vocal peut être à peu près envisagé comme nul au point de vue des modifications qui en pourraient résulter pour la hauteur du ton. Cette élé- vation ou cet abaïissement ne sont d’ailleurs pas constants, et dépendent autant du timbre dans lequel on chante que de l’élévation ou de l’abaisse- ment du ton. M. Segond explique l'élévation du larynx dans les sons ai- eus, en attribuänt au constricteur inférieur, au moment où il agit pour élever le larynx, la propriété de tendre les cordes vocales inférieures en concourant à faire basculer le cartilage cricoïde sur le cartilage thyroïde. $ 260. Étendue de la voix humaine. — Lorsque l’homme parle, c’est-à-dire lorsqu'il se sert de la voix articulée, le registre des sons qu'il emploie est peu varié et ne dépasse guère une demi-octave. Lorsqu'il chante, au contraire, sa voix parcourt une échelle beaucoup plus étendue. Une bonne voix moyenne est ordinairement de deux octaves à deux octaves et demie. Un chanteur très-exercé peut gagner en sus environ une oc- tave. Mais la voix de l’homme est loin de correspondre aux mêmes degrés de l'échelle des tons. Quoique par l’exercice il puisse s'étendre dans le registre d’en haut ou dans celui d’en bas, le chanteur possède un certain nombre de notes en rapport avec l’organisation de son larynx, et qui correspondent aux diverses voix de basse-taille, de baryton, de ténor, d'alto, de soprano. JO PRANO ——— ALTO —BARYTON— mi, fa sol, lai, Ydosré,mi, fa, sol, la, si, do .ré-mifa, api a,5i,00, —————— ÉTENOR —— — — — BASSE-TAILLE=———_—————_—— Le son le plus bas de l’échelle des tons de la voix humaine est le son mi,, qui correspond à 160 vibrations par seconde. Le son do,, le plus élevé, correspond à 2048 vibrations {. La voix de basse-taille , celle de 1 Le son do, correspond au do de la quatrième corde du violon, c’est-à-dire à 512 vibra- tions par seconde (Voy. $ 253). Par conséquent, do, correspond à 1024, do, à 2048, tandis que do, correspond à 256 vibrations. Voici le registre entier de la voix humaine, avec les nombres de vibrations correspondants : mi, fa, sol, la, Si, 160 170,5 192 215,5 240 do, ré, Mi fao sol, la, Si, 256 288 320 541 384 421 480 do; réx mi: fa - sol; la; Siz 912 976 640 682 768 854 960 do, réy mi, fa, sol la, Si4 1024 1152 1280 1364 155 1708 1920 do; 2048. CHAP, II, VOIX ET PAROLE, 615 baryton et celle de ténor appartiennent particulièrement à l’homme ; les voix d’alto, de soprano, de contralto, de mezzo-soprano, sont générale- ment des voix de femmes. Cependant la castration, qui entrave le déve- loppement du larynx, peut donner à l’homme la voix de la femme , et il n’est pas rare de rencontrer des femmes qui ont des voix de ténor. La voix d’une femme, celle d’un enfant, celle d’un adulte ont des carac- tères tranchés, que personne ne méconnaît. Les modifications dans l’é- tendue et dans le registre ordinaire de la voix, qui apparaissent à l'époque de la puberté, se prononcent d’une manière brusque, comme le dévelop- pement de la caisse vocale elle-même. Les voix de l'enfant, de la femme et de l'adulte ne se ressemblent pas non plus entièrement, alors même qu’ils chantent ensemble dans le même registre ; elles se distinguent par des qualités de timbre qui tiennent surtout à la nature des pièces vibrantes du larynx, car l’ensemble général de la charpente du corps qui vibre à l'unisson est constitué, à tous les âges, à peu près de même. Ajoutons que la production de la voix, quant à l'élévation des tons, est dans une liaison intime avec la longueur des cordes vocales. La voix de l'enfant se produit dans un petit larynx, c'est-à-dire dans un larynx à cordes vocales petites ; la voix de la femme et celle du ténor se produisent dans des larynx moins développés que ceux des barytons et des basses- tailles. $ 261. Modification du timbre. — Voix de poitrine, voix de fausset ou voix de tête, voix claire, voix sombrée. — Ces diverses qualités de la voix, résultant de modifications dans le éimbre, sont peu connues quant à leur cause essentielle, et on ne peut guère se livrer, à cet égard, qu’à des suppositions. Le même individu peut, à volonté, parler ou chanter en timbre clair ou en timbre sombré, comme il peut se servir de la voix de poitrine, ou de la voix de fausset, pour produire des sons de même hau- teur. Dans la voix sombrée et dans la voix claire, les modifications dans le timbre ne dépendent pas de la nature du corps mis en vibration; il reste le même, et ce sont toujours les cordes vocales qui produisent le son. Les changements qui surviennent alors doivent être principalement re- cherchés dans le tuyau vocal (pharynx, bouche, fosses nasales). Mais dans la voix de fausset ou voix de tête, comme on l’appelle quelquefois, le corps vibrant lui-même n'est-il pas changé, et le larynx représente-il toujours une anche membraneuse ? Chacun sait qu’on désigne sous le nom de voix de poitrine cette voix à timbre plein et sonore, accompagnée d’un frémissement vibratoire de la cage thoracique, qu’on sent très-bien, en appliquant la main sur la poi- trine. Les sons de la voix de poitrine constituent les sons de la voix ordi- noire. La voix de fausset, au contraire, est caractérisée par un son doux et flüté. La voix de fausset met le larynx en possession d’un registre de 616 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, sons moins étendus que celui de la voix de poitrine, mais pouvant mon- ter là où la voix de poitrine ne peut atteindre. Tous les tons de la voix humaine ne peuvent être produits dans les deux registres. Cependant dans les tons hauts il y a un bon nombre de notes qui peuvent être émi- ses à volonté dans les deux registres. Il y a par conséquent, sur la limite des deux registres, un certain nombre de sons qui, composés du même nombre de vibrations, peuvent ne différer que par le timbre. Quel est le mécanisme de la voix de fausset ? M. Müller a proposé une explication qui ne nous paraît pas très-satisfaisante, et qui est d’ailleurs en désaccord avec ce que nous savons sur les lois qui président aux oscillations des corps vibrants. Il pense qu'au moment où la voix de poi- trine passe à la voix de fausset, les cordes vocales deviennent immobiles : dans leur portion externe ou adhérente, et que leurs bords libres seuls entrent en vibration. L’explication de MM. Diday et Pétrequin nous paraît plus rationnelle, et elle ne manque pas d’ailleurs d’une grande vraisemblance. Au moment où se produit la voix de fausset, la glotte se placerait, en vertu de la contraction des muscles qui la doublent, dans un état de tension tel, que les cordes vocales ne pourraient plus vibrer à la manière d’une anche. Son contour ressemblerait alors à l’ouverture d’une flûte, et, comme dans les instruments de ce genre, ce n’est plus par les vibrations des bords de l'ouverture, mais par celles de l’air lui-même, que le son serait produitt. Dernièrement, M. Segond a cherché à localiser la voix de fausset dans les parties supérieures du larynx. De même que la voix dite de poitrine serait produite par les vibrations des cordes vocales inférieures, la voix de fausset ou de tête le serait par les vibrations des cordes vocales supé- rieures. Cette manière de voir repose sur des expériences pratiquées sur des chats, auxquels la section des cordes vocales supérieures a fait per- dre le miaulement. Mais il faut dire que la section des cordes vocales in- férieures produit exactement le même résultat. Chez le chat, d’ailleurs, les cordes vocales supérieures font dans le larynx une saillie assez con- sidérable., Chez l’homme, les replis rudimentaires de la muqueuse, aux- quels on donne le nom de cordes vocales supérieures, sont trop peu 1 Voici quelques faits tirés de l’observation qui viennent à l'appui de la doctrine de MM. Diday et Pétrequin : 4° la résonnance de la cage thoracique dans la voix de poitrine et sa non-réson- nance dans la voix de fausset semblent indiquer qu'il y a en effet ici une différence dans le mécanisme, et que si l’une est déterminée par les vibrations des cordes vocales, l’autre se produit d’une autre maniere; 2 les chanteurs conviennent que la voix de poitrine dans les notes d'en haut est bien plus fatigante que la voix de tête; 3° les sons de la voix de poitrine peuvent être émis forts ou faibles, c’est-à-dire avec des intensités variées à volonté : les sons de la voix de tête, au contraire, ne peuvent être produits sans être intenses, ce qui semble bien indiquer que l'énergie du courant d'air est le principal élément de leur production; 49 M. Garcia fait remarquer que, pour une même quantité d’air inspiré, une même note peut être fenue plus longtemps en registre de poitrine qu’en registre de fausset, ce qui indique ma- nifestement une dépense d'air plus considérable dans le second cas que dans le premier. CHAP, IT, VOIX ET PAROLE, 617 saillants pour se trouver sur le courant de la colonne d'air expirée. Les cordes vocales inférieures, au contraire, font toujours une saillie beau- coup plus considérable vers le plan médian, et dirigent le courant d’air qui passe par l'ouverture de la glotte, principalement dans l’axe du tuyau laryngien, c’est-à-dire en dedans des cordes vocales supérieures. La voix à quelquefois le timbre dit nasonné. Le nasonnement peut se produire de deux manières : ou bien le son s'échappe par les fosses na- sales, tandis que la bouche est fermée, ou bien le son s'échappe par la bouche, tandis que l’on oblitère avec ses doigts les fosses nasales. Dans le premier cas, le nasonnement est faible, il mérite plutôt le nom de gro- gnement. Dans le second cas, il est très-prononcé. En effet, ce qui déter- mine le timbre du nasonnement, c’est bien moins l’écoulement de l'air par les fosses nasales que son retentissement dans les fosses nasales. Lors- que le son ne peut s'échapper que par la bouche, alors que l’orifice an- térieur des fosses nasales est fermé, l’air retentit dans toute l’étendue des fosses nasales. Lorsqu'un coryza un peu violent a tuméfié la muqueuse de l’orifice antérieur des fosses nasales, et qu’on a le nez bouché, l'air ne s'écoule plus par les fosses nasales, mais il y résonne; on parle du nez, ainsi qu'on le dit vulgairement. Par une raison analogue, le grognement qu'on produit en faisant passer le son par les fosses nasales, et qui rap- pelle le grognement si familier du chien, est produit surtout par la réson- nance de l’air dans la bouche fermée. Le chant peut se produire en timbre clair ou en timbre sombré. Les Français ne chantent guère que dans le premier timbre, qui est le timbre normal. Le timbre sombré, qui donne à la voix de quelques chanteurs ita- liens un si grand charme, dépend de causes à peu près inconnues. Ce qu'il y a de plus remarquable, c’est que le chanteur peut à volonté chan- ter en timbre clair ou en timbre sombré ; celui-ci dépend donc de la dis- position particulière qu'il donne à ses organes vocaux. M. Segond ex- plique ainsi le mécanisme de la voix sombrée : le larynx est très-abaissé ; le pharynx a, par conséquent, toute sa capacité, et, au moment de l’émis- sion du son, le voile du palais se rapproche légèrement de la base de la langue, de manière que le son, tout en s’échappant par la bouche, va résonner dans la partie supérieure du pharynx sous la voûte basilaire. S 262. Du bruit de sifflet. — Lorsque l’homme porte ses lèvres en avant et les contracte de manière à conserver entre elles une ouverture arrondie, il peut siffler et produire des sons de hauteur diverse. Avec un peu d'exercice, il peut même ainsi parcourir près de deux octaves et exécuter des airs variés. Les lèvres font ici l'office de glotte; car lair arrive non résonnant à l’orifice buccal, et c’est là seulement que le son se produit. Dodart, en parlant du bruit de sifflet, a désigné très-justement les lèvres ainsi disposées sous le nom de glofte labiale. On peut siffler pendant l’ex- 618 LIVRE IT. FONCTIONS DE RELATION. piration et pendant l'inspiration; les fosses nasales, qui restent ouvertes, servent en quelque sorte de trop-plein et permettent de siffler d’une ma- nière soutenue, sans que la respiration soit gênée. I est probable que dans le bruit de sifllet, le son est produit, non par les vibrations des lèvres, comme dans la formation du son dans la glotte laryngienne, mais par l'écoulement de Pair à travers la petite ouverture circonscrite par elles. En un mot, les lèvres ne représentent probable- ment pas ici une anche membraneuse, mais plutôt, comme dans la voix de fausset, une ouverture analogue à celle d’un instrument à vent. D'une part, il est certain que les vibrations des lèvres sont à peu près insensi- bles au moment du sifflement, et en second lieu, comme l'a montré M. Cagniard-Latour, on peut produire les sons du sifflet dans une étendue d'environ une octave, en remplaçant les lèvres par de petits disques de liége présentant des ouvertures de 5 millimètres de diamètre, e’est- à-dire le diamètre ordinaire de l'ouverture des lèvres disposées pour le siflement, Enfin, dans l’action de siffler, comme aussi dans la production du son dans les instruments à vent, l'intensité du courant d'air a une influence remarquable sur la hauteur du ton. $ 263. De la respiration dans ses rapports avec la voix. — Le plus ordinai- rement, la voix se fait entendre au moment de l'expiration. Le son pro- duit aux lèvres de la glotte traverse les parties supérieures du tuyau vo- cal, où il prend le timbre qui caractérise la voix humaïne, ou bien il est articulé, et il devient alors la parole. Dans les circonstances ordinaires, les sons ne se produisent guère pendant l’énspiration que dans les mou- vements convulsifs des muscles respiratoires, c’est-à-dire dans le rire, le sanglot, le hoquet (Noy. $$ 128, 129, 130). On peut, si l’on veut, repro- duire artificiellement ces divers sons. On peut aussi, avec un peu d’exer- cice, reproduire pendant l'inspiration une grande partie ou la totalité des sons formés ordinairement par le courant de l’expiration. En faisant ainsi résonner la glotte, on peut même dépasser le registre des tons aigus de l'expiration. Il n’y à, au reste, rien d’essentiellement différent dans la production du son dans ces deux circonstances. Le son se produit toujours aux lèvres de la glotte et de la même manière. Le soufilet et le porte-vent sont seulement déplacés; au lieu d’être le poumon et la tra- chée-artère, ils sont représentés par l’air extérieur et par le tuyau vocal; et nous avons déjà vu précédemment qu'on peut tout aussi bien faire parler une anche membraneuse en soufflant dans le tube sur l’extrémité duquel elle est appliquée, qu’en attirant l'air extérieur au travers de la glotte artificielle qu’elle représente. Lorsqu'on expérimente sur le larynx humain détaché du corps et fixé sur une soufllerie, et qu’on cherche à faire vibrer les cordes vocales infé- rieures, on remarque qu'elles peuvent entrer en vibration , que la glotte CHAP. If. VOIX ET PAROLE. 619 inter-aryténoidienne * soit fermée ou qu’elle soit ouverte. Le rapproche- ment des bords de la glotte cartilagineuse inter-aryténoïdienne est, il est vrai, une condition avantageuse, mais sa fermeture n’est pas nécessaire à la production du son. Il en est de même sur le vivant. Lorsqu'on exa- mine l’intérieur du larynx sur un chien qui crie, on observe souvent alors, en arrière des cordes vocales rapprochées et vibrantes, une ouverture triangulaire-allongée ou ovalaire, bordée par les apophyses antérieures des cartilages aryténoïdes. On a fait la même observation sur des hom- mes qui s'étaient coupé la gorge au-dessus du laryox, ét il s'ensuit que la partie de la glotte comprise entre les cartilages aryténoïdes est étran- gère à la production du son. A quoi peut tenir la persistance de l’ouverture glottique inter-aryténoi- dienne au moment de la production de la voix? Il est extrêmement proba- ble que, dans l’état ordinaire, la glotte inter-aryténoïdienne reste toujours ouverte, de sorte que le mouvement d'expiration pulmonaire trouve là une sorte d'échappement naturel, au moment où les cordes vocales tendues et rapprochées opposent à sa sortie un certain obstacle. Chez un certain nombre de personnes qui ne sont pas très-exercées dans l’art du chant, le son produit n’est pas toujours pur, et l’on entend souvent en même temps un bruit expiratoire qui en altère la netteté; ce bruit est vraisemblable- ment produit par l’échappement de l'air au travers de l’ouverture inter- aryténoïdienne. C’est probablement pour cette raison aussi que quelques personnes ne peuvent parler en public sans s’épuiser promptement, l'air emmagasiné dans le poumon se trouvant dépensé en pure perte par l’ouverture inter-aryténoïdienne. L'art de chanter ou l'art de parier en public, c’est-à-dire l’art de ménager son vent, art qui ne $’apprend que par un exercice plus ou moins long, ne résiderait-il pas dans la faculté qu’on acquerrait alors de maintenir fermée, au moment de l'expiration, la glotte inter-aryténoïdienne, et de forcer ainsi tout l’air du poumon de passer entre les lèvres de la glotte proprement dite ? Quant à la forme que prend la glotte proprement dite (l'espace compris entre les cordes vocales) au moment de l'émission de la voix, elle est la même sur le vivant que celle qu'il faut lui donner sur le cadavre pour obtenir des sons à l’aide d’un courant d’air d’une intensité modérée, c’est-à-dire que les lèvres de la glotte se rapprochent l’une de l’autre, et ne laissent entre elles, sous la pression du vent qui les fait vibrer, qu'un espace linéaire de 4 ou 2 millimètres de diamètre. C’est ce que Mayo et Rudolphi ont constaté sur un homme à la suite d’une blessure au cou qui siégeait au-dessus du larynx. L'air qui arrive à la glotte, au moment de la parole ou au moment du chant, a une tension supérieure à celle de l'expiration ordinaire. La pa- 1 On désigne sous le nom de glolte inter-aryténoïdienne la partie postérieure de l'ouverture glottique, celle qui est comprise, non pas entre les cordes vocales, mais entre les cartilages aryténoides (Voy. $ 252). 620 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION, role et le chant sont toujours, en effet, accompagnés d’un effort (Voy. $ 240). La tension de l'air expiré, modérée dans les efforts de la parole, est équivalente alors à une colonne de 2 ou 3 centimètres de mercure; cette tension s'élève à 6 ou 7 centimètres dans les efforts du chant; elle peut s'élever à 20 ou 24 centimètres dans les cris violents ou au moment des efforts de l’expectoration et de l’éternument (Voy. $$ 133 et 134). S 264. Remarques sur quelques théories de Ia voix humaine. — La doctrine de la voix humaine, telle que nous l’avons exposée, est, au moins dans ce qu'elle a d’essentiel, celle qui a été proposée et développée par M. Müller, et, plus tard, par M. Harless et M. Merkel. C’est elle, suivant nous, qui se rapproche le plus des phénomènes naturels, et c’est la seule qui ait pour elle l'expérience directe. Toutes les autres sont plus ou moins spéculatives, et leurs auteurs se sont toujours efforcés de comparer l’or- gane vocal de l’homme à un instrument de musique déterminé. Suivant nous, c’est à tort. Aucun instrument ne peut être comparé à l'organe de la voix humaine, ou plutôt l'organe de la voix humaine renferme plu- sieurs parties qu’on peut comparer à diverses sortes d'instruments. Les lèvres de la glotte représentent, en effet, une anche membraneuse élas- tique, et jusqu’à présent ces anches n’ont été appliquées à aucun instru- ment de musique. De plus, l’anche membraneuse de la glotte n’est pas une anche aussi simple que les anches de caoutchouc, car les cordes vo- cales inférieures représentent des lames, non-seulement élastiques, mais encore contractiles par elles-mêmes, c’est-à-dire susceptibles tout à la fois de se tendre, de se gonfler et de modifier leur état moléculaire. Ces deux der- nières qualités, en changeant leur épaisseur et leur densité, entraînent vrai- semblablement sur le vivant des modifications dans la voix que la tension artificielle des cordes vocales, à l’aide de poids, ne peuvent nous donner. Cela est d'autant plus vraisemblable que les cordes vocales suivent pour l'élévation du ton, la loi des vibrations des anches solides ou des verges; et nous savons que, dans les anches solides et dans les verges, l’épaisseur et la densité de la matière n’est pas indifférente (Voy. & 954 et 255). Si la glotte, où se forme le son, peut être comparée à une anche mem- braneuse, le tuyau vocal, où le son se modifie, rappelle, d'autre part, le corps de tuyau des instruments à vent. Et enfin, s’il est vrai que, dans le registre de la voix de fausset, le son se produit d’une autre manière que dans la voix naturelle ou voix de poitrine, on voit combien l’assimi- lation de l'organe de la voix à un instrument de musique en particulier laisse à désirer. L'instrument de la voix humaine a été tour à tour et à diverses reprises comparé à un instrument à cordes ou à un instrument à vent. Si l’on ne veut envisager ces diverses théories qu'au point de vue seulement de l'origine du son, et non pas comparer le larynx dans son entier à un in- CHAP. I, VOIX ET PAROLE, 621 strument plutôt qu’à un autre instrument, il est certain que la vérité est dans l’une de ces deux opinions. Dans les anches membraneuses, le corps vibrant étant les lèvres de l’anche, et le {on étant subordonné au nombre des vibrations, c’est-à-dire à leur tension, ces anches ont plus d’analogie pour l’origine du son avec les instruments à cordes qu'avec les instruments à vent. C’est ce qu'avait bien vu Dodart, dans quelques passages de ses écrits tout au moins, car ses Mémoires renferment plus d’une contradic- tion. Ainsi, il dit quelque part que le ton de la voix a pour cause les vi- btations de la glotte, vibrations dont le nombre dépend, non de la di- mension de l'ouverture, mais de la tension des cordes vocales; il dit bien encore que les lèvres de la glotte se mettent en branle, comme lorsqu'un vent impétueux fait vibrer les bords d’un carreau de papier mal collé sur le châssis qui le supporte ‘; mais, plus loin, il semble renoncer à sa doc- trine, et il accorde à la vitesse et à la pression de l’air, à sa sortie par l'ouverture de la glotte, une influence telle sur l’élévation du fon, qu'on est tenté de supposer qu'il ne tient plus compte du degré de tension des cordes vocales. On a beaucoup reproché à Ferrein d’avoir comparé les lèvres de la glotte à des cordes de violon. Il est vrai que les lèvres de la glotte ne sont point des cordes dans la rigueur du mot, et qu’elles ressemblent beaucoup plus à des anches membraneuses de caoutchouc; mais les an- ches de caoutchouc n’avaient pas encore été inventées, et on ne peut prendre ses points de comparaison que parmi les objets connus. Ferrein connaissait assez l’anatomie, et il l’a bien prouvé, pour savoir que les cordes vocales ne sont pas des fils arrondis fixés à leurs extrémités et libres sur leur parcours, vibrantes à la manière des cordes d’un violon ou d’une guitare ; s’il s’est servi de cette comparaison, c'était pour rendre sa pensée plus claire; c'était, surtout, pour indiquer que la production du son était due aux vibrations des lèvres de la glotte, et que la condition principale de l’élévation ou de l’abaissement du ton dépendait de la fension différente des cordes vocales. Voilà pourquoi il a dit: «Les lèvres de la glotte sont des cordes capables de trembler et de sonner comme celles d’une viole. L’archet est l’air qui les met en jeu; l’effort de la poitrine, c’est la main qui promène l’archet, ete. » Les auteurs qui ont comparé la voix humaine à un instrument à vent ont ordinairement choisi la flüte comme point de comparaison. La réalité des vibrations des lèvres de la glotte, au moment de la production du son, nous paraît la meilleure réfutation à opposer à cette comparaison. D’autres l’ont comparée à ce petit instrument à vent désigné sous le nom d’appeau?. Cette comparaison, proposée par M. Savart, a été reprise et 1 De là la théorie de Dodart, dite du chdssis bruyant. 2 L'appeau est une pelite caisse de métal ou d'ivoire, percée d’un trou sur deux des parois opposées. En soufflant par l’une des ouvertures, l'air s’écoule par l'ouverture opposée, en mettant en vibration l'air intérieur, et engendre des sons, variés comme l'intensité du cou- rant de l'air. 622 LIVRE If, FONCTIONS DE RELATION. habilement défendue par MM. Masson et Longet. Mais, dans cette théo- rie, il faut faire plusieurs suppositions démenties par l'expérience. Il faut supposer, d’abord, que l'air est le véritable producteur du son, et que les vibrations des lèvres de la glotte ne sont que consécutives aux vi- brations de l'air, ce qui est au moins contestable (Voy. & 254 et 255); en second lieu, il faut supposer que les cordes vocales supérieures, ou toute autre partie située plus haut, peuvent représenter la paroï supérieure de l’appeau, dont la glotte et les cordes vocales inférieures représenteraient la paroi inférieure, Si l’on considère les cordes vocales supérieures comme faisant oflice, par leur rapprochement, de la paroi supérieure dé l’appeau, comment expliquer la voix des oiseaux chanteurs qui n’ont que deux cordes vocales? Si l’on considère comme faisant office de paroi supérieure de l’appeau la bouche ou les fosses nasales (dont les ouvertures naturelles sont plus étroites que leurs cavités), comment expliquer qu'avec un la- rynx dépourvu de toutes les parties qui le surmontent, on puisse, en soufllant par la trachée, faire parcourir au ton le registre entier de la voix humaine ? Comment expliquer que, dans les expériences représentées fig. 116 et 117, l'intensité du courant d’air ne fasse pas monter le ton d’une manière sensible, pour une même tension des cordes vocales, et pour une même ouverture de la glotte ? Comment expliquer que la section des nerfs qui animent les muscles de la glotte sur l’animal vivant soit suivie d’aphonie, alors que l’appeau, que représenterait l'organe voeal, se trouve à peine modifié, et que la vitesse et l'énergie de l’expiration devraient compenser, et au delà, les modifications survenues dans l’ou- verture de la glotte ? Comment expliquer qu’une simple incision sur le bord libre d’une corde vocale chez l'animal vivant ou qu’une simple ul- cération de la glotte dans les maladies du larynx entraïnent des change- ments profonds dans la production du son et l'impossibilité absolue des tons élevés? Comment expliquer que l’infiltration séreuse des cordes vocales abolisse presque complétement la voix ? Comment expliquer que dans les expériences sur le larynx des cadavres, le desséchement des cor- des vocales (quand celles-ci ne sont pas humectées convenablement et maintenues par conséquent élastiques) entraine promptement l’aphonie ? Comment expliquer qu’un poids, même très-faible, placé sur les cordes vocales du larynx du cadavre, ou qu'une simple mucosité déposée sur elles pendant la vie, apportent un trouble profond dans l'émission de la voix? etc. ARTICLE II. DE LA PAROLE, S 265. Parole. — Voyelles. — Consonnes. — La parole est la voix articulée. La voix est formée dans le larynx par les cordes vocales, aussi bien chez les mammifères que chez l’homme ; mais elle n’est articulée que chez lui, CHAP, II, VOIX ET PAROLE, 625 bien que les organes de l'articulation situés le long du tuyau vocal, c’est- à-dire le pharynx, les fosses nasales, le voile du palais, la langue, les joues, les dents et les lèvres, existent chez les mammifères ainsi que chez l’homme. Ici intervient donc un acte intellectuel. Les idiots et les crétins ne poussent souvent que des cris inarticulés, quoique le son produit dans le larynx traverse aussi le tuyau vocal. Les sourds-muets ont aussi un larynx régulièrement conformé, et pourtant ils ne produisent que des sons ou des cris; à force de persévérance on parvient seulement à leur faire prononcer imparfaitement quelques mots. Les modifications que l’homme doit imprimer au tuyau vocal pour transformer la voix ou le son en paroles sont donc des mouvements vo- lontaires, que l’imitation, secondée par le sens de l’ouïe et par l'intelli- gence, lui apprend à reproduire. La parole est un produit de l'intelligence humaine, qui ne recoit du larynx que le son ou l’intonation : cela est si vrai, que la parole peut se passer de la voix, peut se passer du son, peut se passer de larynx. Nous pouvons, en effet, parler sans qu'il se produise aucun son aux cordes vocales : c’est ce qui arrive toutes les fois que nous parlons, comme on dit, 4 voix basse, où que nous chuchotons à l'oreille de notre voisin; l'air expiré et aphone n’est que modifié, c’est-à-dire articulé par la bou- che, les dents, la langue, les fosses nasales. Qu’emprunte done la parole à la voix? Elle ne lui emprunte que le son. Pour parler à haute voix, le larynx est nécessaire ; pour parler à voix basse, il ne l’est plus. Aussi peut-on parler bas aussi bien dans l'inspiration que dans l'expiration, et alors évidemment que le larynx n’entre point en jeu. Il résulte encore de là, que quand la trachée est coupée en travers ou que l'opération de la trachéotomie a été pratiquée, alors que la voix est anéantie, la parote dite à voix basse ne l’est pas. Beaucoup de faits de ce genre ont été signalés. L'un des plus remarquables l’a été dernièrement (Gazette médicale, 1856) par M. Bourguet. L'homme dont il est question avait cherché à se suicider en se coupant la gorge. Cet homme, qui ne respirait plus par le larynx, mais par une canule placée dans la trachée, pouvait encore parler à voix basse. Quand il voulait parler, les joues s’aplatissaient; la langue, les dents et les lèvres entraient en action. Comme le tuyau vocal n’était plus traversé par le courant d'air pulmonaire, cet homme exéecutait des mou- vements particuliers des joues, pour emmagasiner l'air extérieur dans son 2nstrument à parole. Il pouvait parler aussi bien dans l'inspiration que dans l'expiration, et sans interruption, ce qui se conçoit à mer- veille, puisque son instrument n'avait plus rien de commun avec l'arbre pulmonaire. Les faits dont nous venons de parler sont bien de nature à montrer que, dans la production de la parole, il s'ajoute au son vocal produit dans le larynx un élément psychique des plus importants; mais ce mode de parler est en définitive exceptionnel. La parole ordinaire s'exécute à voix 624 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. haute, et c’est elle qui doit nous occuper. Elle résulte de la combinaison du son laryngien avec des positions spéciales du pharynx, du voile du palais, de la langue, des joues, des dents et des lèvres. Les signes sonores qui servent à l’homme pour communiquer avec ses semblables se composent de voyelles et de consonnes. Ces sons, diver- sement associés, composent les syllabes ; celles-ci, combinées de diverses manières, composent des sons articulés d’une certaine durée, qui sont les mots. Les voyelles se distinguent surtout des consonnes, parce qu’elles arrivent presque toutes formées de la glotte ; ce sont des sons laryngiens presque purs, tandis que les consonnes exigent un travail plus ou moins compliqué des parties supérieures du tuyau vocal. Voyelles. — La formation des diverses voyelles dépend des formes que prend le tuyau vocal, quand il est traversé par le son. Les modifications qu’éprouve le tuyau vocal dans la formation des di- verses voyelles portent principalement sur sa longueur. Willis a fait autrefois des expériences sur ce sujet, et M. Brücke en a dernièrement tenté de semblables. Elles consistent à reproduire les sons correspondant à chacune des voyelles, en allongeant ou en diminuant de longueur un tube ajouté à l’extrémité d’une languette vibrante. Il suflit donc de chan- sements survenant dans la longueur du tuyau vocal, pour donner à un même son qui sort de la glotte tantôt la valeur de a, tantôt celle de e, de à, de o, de w. u. — Pour la production de lu, le tuyau vocal est allongé au maxi- mum : 4° par le déplacement des lèvres en avant, et 2° par l’abaissement du larynx (la racine de la langue se porte, en effet, fortement en arrière, ce qui ne peut avoir lieu que par l’abaissement du larynx). i. — Pour la production de li le tuyau vocal est diminué au maximum. De plus, le calibre du tuyau vocal est rétréci par l’application de la face dorsale de la langue contre le voile du palais et la voûte palatine (Voy. fig. 118). Ce rétrécissement explique sans doute la plus grande résonnance des parties solides de la tête, résonnance qui donne à l’é son caractère spécial. Fig. 118. Fig. 119. É a.— Dans le son de l’a le tuyau vocal est dans son état le plus naturel, il n’exige aucun effort ; car c’est celui que produit le larynx, la bouche étant CHAP. II. VOIX ET PAROLE, 625 modérément ouverte, ainsi que les mâchoires et les lèvres. Le tuyau vocal est plus court que pour l’& et plus long que pour l’é. Dans la pro- duction du son de l’a, la langue, à l’état de repos complet, est normale- ment appliquée sur le plancher inférieur de la bouche (Voy. fig. 119). Toutes les autres voyelles sont des transitions entre w, a, à. Ainsi, par exemple, disposez la bouche pour le son de l’a, puis, élevez la langue contre la voûte du palais, et de plus en plus, de manière à rétrécir suc- cessivement le tuyau vocal, et vous avez é, ê, é, 1. D’autres voyelles, souvent désignées sous le nom de composées, différent des précédentes par un retentissement plus complet du son dans les fosses nasales; ce sont les voyelles an, in, on, un. Consonnes. — La prononciation des consonnes présente ce caractère général, qu'il y a quelque part dans le canal buccal un rétrécissement permanent où une fermeture qui, cessant instantanément, imprime au ton venu du larynx un caractère particulier. Lorsqu'on compare les consonnes aux voyelles, on constate que, pour plusieurs d’entre elles, le son ne peut pas être soutenu comme pour les voyelles. Quelques consonnes pouvant être soutenues à la manière des voyelles, on les a divisées en consonnes soutenues et consonnes non sou- tenues. Consonnes soutenues. — Les mouvements du tuyau vocal déterminent à eux seuls quelques-unes d’entre elles, et la glotte n’entre point en jeu pour les produire. Telles sont les consonnes s, ch, r, f, th des Anglais. Le son s se produit avec la langue appliquée en avant contre le palais, les dents rapprochées ; le son c se produit avec la langue appliquée contre le palais par sa partie moyenne, les dents rapprochées ; le f se produit les dents supérieures étant presque appliquées sur la lèvre inférieure ; le {. des Anglais se produit lorsque la pointe de la langue s'applique sur l’arcade dentaire supérieure. Le r est déterminé par des mouvements vi- bratoires imprimés au voile du palais. En joignant l’intonation de la voix, c'est-à-dire le son laryngien, au son produit par le passage de l’air dans le tuyau vocal, le s devient z, le c4 devient }, le f devient v. Lorsqu'on chuchote à voix basse, il est à peu près impossible de prononcer le x, le j et le v; aussi, dans les mots qui comportent ces lettres, on dit alors s pour z, ch pour 7, f pour v, et les Allemands font souvent cette substi- tution dans la parole à haute voix. Consonnes non soutenues.— Ce sont p, b,m, d,t,l,n, k,q.4q,qn, x. L'ar- ticulation des trois consonnes p, b, m est produite par l’occlusion des lè- vres, suivie de l'ouverture subite du tuyau vocal, au moment de la pro- duction du son laryngien. La prononciation de 4, #, /, n est produite par le détachement de la pointe de la langue appliquée contre la voûte pala- tine. Le son de m et de n se distingue des autres par une résonnance plus prononcée de l’air dans les fosses nasales. Dans la production du 4 et du t, l'application de la pointe de la langue se fait tout à fait en avant de la 40 % 626 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION, voûte palatine, au collet des dents de la mâchoire supérieure (Voy. fig. 120). Dans la production de l’/ et de l’a, l'application de la langue a lieu plus en arrière (Voy. fig. 121). L’articulation de k, g, g, gn est produite par le détachement de la langue appliquée d’abord contre le palais par sa partie moyenne (Voy. fig. 122). L’articulation de la lettre x résulte de la combi- naison des deux consonnes gz (exil), ou de celle des deux consonnes gs (exposition). Remarquons que la plupart des consonnes non soutenues ne peuvent devenir son qu’à la condition d’être jointes à la voyelle qui les suit, et que dans la parole à haute voix elles ne prennent naissance dans le tuyau vocal qu'avec l’émission du son laryngien. Fig. 120. Fig. 121. — | | | hj En somme, le son laryngien traversant la bouche et les fosses nasales, et principalement la bouche, les formes que celle-ci peut prendre dépen- dent des organes mobiles qui la forment ou qu’elle renferme. L’articula- tion des sons exige donc tout particulièrement le concours de la langue et des lèvres, et surtout le concours de la langue : l'expression de parole et de langage sont synonymes. Quelque importante que soit la langue pour l'articulation des sons, on a vu cependant, après des opérations chirurgicales, ou par suite d’un vice de conformation originel, cet organe disparaître à peu près totalement, sans que la parole ait été abolie. Le jeu des lèvres a pu, jusqu’à un certain point, suppléer au manque de la langue, mais seulement par un exercice et un apprentissage prolongés. S 266. De la ventriloquie. — Du bégayement. — (On désigne sous le nom de ventriloquie une aptitude spéciale que possèdent certaines personnes de produire des sons articulés, c’est-à-dire de parler à haute voix en con- servant la bouche fermée ou immobile lorsqu'elle est ouverte; et, en même temps, d'imprimer à leur voix un timbre tel, que la voix paraît plus éloignée qu’elle ne l’est réellement. Nous avons dit précédemment que l’on pouvait produire des sons à la glotte, et pendant l'inspiration et pendant l'expiration ; mais entre les sons simples de la voix et du chant et les sons articulés de la parole, il y a une différence notable, et il est CHAP, IT, VOIX ET PAROLE, 627 assez diflicile de concevoir comment la parole dans l’engastrimysme peut se produire, ainsi qu'on l’a dit, au moment de l'inspiration. On comprend aisément qu'on puisse produire des sons pendant l'inspiration par les vi- brations de la glotte, mais on ne voit pas aussi bien quels seraient, dans ce cas, les organes de l'articulation. Remarquons cependant que, pour un certain nombre de consonnes, le son glottique n’est donné qu'après que le tuyau vocal s’est disposé pour la production de la consonne. On con- coit dès lors la possibilité de produire, avec beaucoup d’exercice, un cer- tain nombre d’articulations pendant le temps de l'inspiration. Au reste, la plupart du temps, les soi-disant ventriloques ! produisent leur voix au moment de l’expiration, et c’est en graduant la sortie de l’air, en donnant à la voix un son étouffé, et en conservant une immobilité des lèvresaussi complète que possible, qu'ils peuvent produire une illusion qu'augmente encore leur pantomime. Quant au bégayement, chacun sait que cette imperfection de la pro- nonciation consiste dans une difficulté particulière à articuler certaines consonnes, d’où des temps d'arrêt, suivis de sortes d’explosions du son. Cette difficulté se produit, tantôt pour certaines consonnes, tantôt pour certaines autres; elle n’est d’ailleurs pas constante, et se reproduit sur- tout dans des conditions morales particulières. Le véritable siége du bé- gayement n’est point dans les muscles de la langue, mais dans le système nerveux qui les met en mouvement. La section des muscles de la langue, que quelques chirurgiens avaient imaginée pour guérir le bégayement, peut bien amener la paralysie de quelques portions de la langue par la section des nerfs compris dans l’incision, mais non pas rendre aux bègues l’articulation des sons. $ 267. De la voix dans la série animale. — Parmi les vertébrés, les mam- mifères, les oiseaux, quelques reptiles, ont un larynx, c’est-à-dire un organe disposé pour la production du son. Les poissons, dont la respira- tion est branchiale et non pulmonaire, n’ont pas de voix. Il en est de même des invertébrés. Parmi ces derniers, quelques-uns cependant font entendre des sons très-aigus (cigale, cricri, etc.), mais par un mécanisme tout à fait différent de celui de la voix humaine. Mammifères. — Les mammifères peuvent produire des sons variés. Le Cheval hennit, le chien aboïe, le chat miaule, l’âne brait, le taureau mu- git, le cochon grogne, le lion rugit, etc. Les modifications de la voix chez les mammifères tiennent à la conformation particulière du larynx, et par- dessus tout à celle des cavités situées au-dessus de la glotte, c’est-à-dire à l’appareil de renforcement du son, appareil résonnant qui varie suivant 1 En particulier l'homme à la poupée, que chacun a pu voir à Paris, sur les théâtres et dans les cafés. 6928 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, la forme et la profondeur des fosses nasales, celle des sinus, celle des parties supérieures du pharynx, celle des ventricules du larynx, la con- formation de la bouche, etc. Quant à la production du son lui-même, elle est tout à fait la même que chez l’homme. Le son est produit par les vi- brations des lèvres de la glotte. Les cordes vocales supérieures, déjà ru- dimentaires chez l’homme, manquent chez un certain nombre de mam- mifères, qui n’ont qu’une seule paire de cordes vocales correspondantes aux cordes vocales inférieures de l’homme. La glotte du cheval est bordée par des cordes vocales simples, assez développées, et surmontées de chaque côté par des ventricules dont l’en- trée est large. La glotte vocale du cheval ne mesure guère que la moitié de la fente glottique ; la glotte inter-aryténoïdienne est plus développée que chez l’homme. Le hennissement est produit par une succession de mouvements expiratoires saccadés. La tension des cordes vocales dimi- nue pendant la durée d’une expiration complète : les premières saccades sortent en son aigu, les dernières en son grave. Le larynx de l’âne diffère peu de celui du cheval : iln’y a ici aussi que deux cordes vocales. Les ventricules du larynx sont développés, mais ils n’ont qu'une entrée fort étroite. La voix de l’âne présente une particula- rité assez remarquable; elle commence au moment de l'inspiration par un son aigu, et elle se termine à l’expiration par un son plus grave. Le larynx du bœuf présente d’assez grandes différences avec le larynx des solipèdes. La glotte est courte, les cordes vocales sont à peine déta- chées sur la surface du larynx; il n’y a pas de ventricules. La voix du bœuf est beaucoup plus imparfaite que celle du cheval. Elle consiste en un mugissement sourd, ou beuglement, assez grave de ton, et très-peu varié. Le chien a des cordes vocales inférieures nettement détachées et minces sur leur bord. Les supérieures sont à peine indiquées. Les ventricules sont amples, leur ouverture est étroite. La voix du chien est très-variée dans ses divers modes d’expression; tantôt il aboie, tantôt il gronde, tantôt il hurle, tantôt il gémit, tantôt il fait entendre une sorte de hennis- sement de joie. L’échelle des tons qu'il parcourt est assez étendue. Le chat se distingue des autres mammifères, et aussi de l’homme, par le développement presque égal des cordes vocales inférieures et supé- rieures, Le miaulement du chat commence par un son très-aigu, qui de- vient de plus en plus grave, à mesure que la bouche, d'abord ouverte, se ferme. La voix du chat offre, comme celle du chien, une certaine étendue diatonique. Le pouvoir que possède le chat de produire des sons de hauteur variée est surtout remarquable quand il est en chaleur; sa voix ressemble alors, à s’y méprendre, aux cris d’un enfant. On ne sait pas, d’une manière certaine, quel rôle jouent les cordes vocales supé- rieures du chat. Si leur lésion amène des troubles dans la voix, la lésion des cordes inférieures en amène de plus profonds encore. Il est probable CHAP, II, VOIX ET PAROLE. 629 que ces dernières sont chez lui, comme chez les autres mammiferes, l’or- gane essentiel de la production du son (Voy. $ 261). Le cochon a un larynx qui se distingue surtout par l'insertion antérieure des cordes vocales inférieures, insertion qui se fait au bord trachéal du cartilage thyroïde. Les cartilages aryténoïdes du cochon sont soudés su- périeurement; les cordes vocales sont rudimentaires; les ventricules sont profonds et ne communiquent avec l’intérieur du larynx que par une fente étroite. Le cochon a deux sortes de cri : l’un assez grave, ou grognement, est le plus habituel; l’autre, très-aigu, est poussé par le cochon lorsqu'on le maltraite et lorsqu'on l’égorge. On peut facilement reproduire le gro- gnement du cochon, en disposant une tête de cochon comme dans l’expé- rience représentée fig.117. Il suflit alors de souffler d’une manière saccadée par l'ouverture inférieure de la trachée. Ce bruit correspond au relâche- ment à peu près complet des lèvres de la glotte, et le timbre particulier qu'il prend est dû à la disposition des fosses nasales. Pour obtenir les sons aigus, il suffit de déterminer la tension des cordes vocales, en ajoutant des poids dans la balance(Voy. fig. 117). Si, au lieu d’une tête de cochon, on dispose de la même manière une tête de chien, on peut obtenir des sons qui ont avec le grondement ou l’aboiement de cet animal une grande analogie; il sufit pour cela de varier le mode d’insufflation. Beaucoup d’autres mammifères ont une voix, mais la plupart d’entre eux n’en font pas aussi fréquemment usage : tels sont le cerf, le lapin, le lièvre, ete. Les animaux qui hurlent et qui se font entendre la nuit à de grandes distances ont généralement les ventricules du larynx déve- loppés. Quelques singes du nouveau continent se distinguent surtout sous ce rapport. Les alouates, ou singes hurleurs, qui vivent en troupes à la Guyane, ont un os hyoïde terminé de chaque côté par un renflement os- seux logé dans les apophyses montantes du maxillaire inférieur. Ce ren- flement osseux, qui est creux, communique avec les ventricules du larynx prolongés sous l’épiglotte et sous la membrane thyro-hyoïdienne, et donne à la voix un timbre tout particulier. Oiseaux. — Les oiseaux ont deux larynx : un larynx supérieur et un larynæ inférieur. Le larynx supérieur, qui occupe la place du larynx des mammifères, et qui est placé à l'ouverture supérieure des voies respira- toires dans le pharynx, ne sert à la voix que d’une manière accessoire. Les cartilages thyroïdes, cricoïdes et aryténoïdes sont ici rudimentaires. L'ouverture par laquelle le cartilage thyroïde s’ouvre dans le pharynx peut être augmentée ou diminuée par les muscles groupés autour d'elle; mais elle ne mérite pas, à proprement parler, le nom de glotte. Le véri- table larynx des oiseaux est le larynx inférieur. Celui-ci est placé à la partie inférieure de la trachée, au point où la trachée se divise en bronche droite et gauche. Le larynx inférieur se compose de plusieurs parties : 1° d’un renflement dont les parois sont en partie osseuses et en partie membraneuses, et qui correspond à la partie inférieure de la tra- 630 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. chée. Ce renflement porte le nom de tambour. Le tambour est divisé, au point de jonction des bronches, par une traverse osseuse surmontée par une membrane mince, de forme semi-lunaire. 2° Au point où les deux orifices supérieurs des bronches communiquent avec le tambour, ils sont bordés chacun par deux lèvres ou cordes vocales, dont l’une est la plu- part du temps plus développée que l’autre. Il y a, en outre, entre les di- vers anneaux du larynx inférieur, des muscles plus ou moins nombreux qui ont pour but de tendre les divers replis membraneux qu'ils soutien- nent. Ces museles existent à peine chez les gallinacés; il y en a une paire dans l'aigle, le vautour, la buse, le coucou, etc.; il y en a trois paires dans le perroquet; il y en a cinq paires dans les oiseaux qui modulent le mieux leur chant, tels que le rossignol, la fauvette, le serin, le pinson, etc. Ces muscles ont tous une insertion commune à la trachée, et ils se fixent d'autre part aux premiers anneaux de la bronche correspondante à chaque glotte. Indépendamment de ces muscles 2ntrinsèques, il y a encore d’autres muscles chargés d’abaisser la trachée, et de diminuer ainsi la longueur du tuyau vocal. La longueur du tuyau vocal peut être d’ailleurs modifiée aussi par l’action des muscles élévateurs de l’os hyoïde, lequel est relié au cartilage thyroïde, comme chez les mammifères. Les éléva- teurs et les abaisseurs de la trachée ne sont pas sans influence non plus sur la tension ou le relâchement des lèvres glottiques du larynx inférieur ; quand les premiers agissent, ils tendent ces lèvres, tandis que les se- conds les relâchent. Ce qui prouve bien manifestement que le larynx inférieur est l'organe vocal des oiseaux, c’est que la voix ne paraît pas sensiblement modifiée quand on coupe la trachée au-dessous du larynx supérieur (chez un mam- mifère, cette section est suivie de l’aphonie complète). D'un autre côté, on peut produire des sons assez variés avecle larynx inférieur des oiseaux, après qu'on a enlevé le larynx supérieur. La voix des oiseaux se produit, comme chez les mammifères, par les vibrations des lèvres glottiques. Le rôle de la membrane semi-lunaire qui surmonte la traverse osseuse du tambour n’est pas très-bien déterminé ; il est probable, cependant, qu'elle entre aussi en vibration au moment où la voixse produit. Le tambour est un organe de renforcement analogue aux ventricules du larynx des mammifères. Les différences de longueur du tuyau vocal, déterminées par le jeu des muscles abaïisseurs et éléva- teurs de la trachée, ont bien plus d’étendue chez les oiseaux que chez les mammifères. Elles entrainent sans doute quelques modifications dans la hauteur du ton (Voy. S 255). Reptiles. — Parmi les reptiles, quelques-uns ont une véritable voix : tels sont les grenouilles, les crapauds et d’autres batraciens. La cavité du larynx présente sur les côtés des replis membraneux, qui, partant de la base des cartilages aryténoïdes, méritent, à proprement parler, le nom de cordes vocales, C’est là que se produit le bruit du coassement. Les gre- CHAP. II, VOIX ET PAROLE. 631 nouilles mâles présentent en outre, de chaque côté du cou, sous l'oreille, un appareil de renforcement consistant en une poche membraneuse élastique, qui s’ouvre dans la bouche sur les côtés de la langue, et qui se gonfle quand l’animal coasse. Bruits produits par les insectes. — Les insectes produisent des bruits remarquables, en général, par leur acuité. Les insectes respirent par des trachées, et n’ont rien qui ressemble à un larynx. Le bruit qu'ils produi- sent résulte soit du frottement de quelques parties du corps les unes contre les autres, soit d’ébranlements déterminés par le jeu des museles dans des organes spéciaux. Quelques insectes produisent le bruit en frot- tant leurs cuisses dentelées contre le bord externe de leurs élytres ; d’au- tres frottent leurs élytres contre les anneaux de l’abdomen, ou les anneaux du thorax les uns eontre les autres. D’autres, comme les cigales, présen- tent sur les côtés du corps une petite membrane sèche, tendue sur un cadre corné, à laquelle ils impriment des oscillations répétées, à l’aide de muscles qui agissent sur la membrane de la même manière que les muscles de la chaîne des osselets de l’ouie sur la membrane du tympan, c’est-à-dire par des mouvements répétés de tension et de détente. D’autres insectes produisent des bruits qui ne dépendent pas du jeu de leurs organes, mais bien de chocs plus ou moins précipités contre les corps sur lesquels ils sont placés : tels sont divers insectes qui rongent le bois, et qui frappent soit avec leurs mandibules, soit avec l’extrémité de leur ab- domen résistant, 1 Consultez principalement sur la voix : Dodart, Sur les causes de la voix de l’homme et de ses différents tons, dans les Mémoires de l’ Acad. des sciences de Paris, années 1700, 1706, 1707 ;— Ferrein, De la Formation de la voix de l'homme, dans Mém. de l’ Acad. des sciences de Paris, année 1741 ; — J. Müller, Traité de physiologie, chap. Voix ET PAROLE, t. Il; — Diday et Pé- trequin, Sur le mécanisme de la voix de fausset, dans Gaz. méd. de Paris, année 1844 ; — K. F.S. Liskowius, Physiologie der menschlichen Stimme, für Aertze und Nichtärtze; in-8o, Leipzig, 1846 ; — Man. Garcia, Mémoire sur la voix humaine ; in-8°, Paris, 1847; — L. A. Segond, Sur la parole, sur les mouvements du larynx, sur les modifications du timbre de la voix humaine, sur la voix inspiratoire (ventriloquie), dans Archiv. génér. de méd., 1847 et 1848 ; — Harless, article Srmue (Voix), dans Handwôrterbuch der Physiologie de R, Wa- gner, 1852, t. IV; — Brücke, Grundzüge der Physiologie und Systematik der Sprachlaute (Principes fondamentaux d’un systeme naturel de la parole); Wien, in-8°, 1856 ; — du même, Nachschrifte zu Prof. J. Kudelka’s Abhandlung, etc. (Réponse au Mémoire du professeur Kudelka), dans les Mémoires de l’Acad. impériale de Vienne, t. XX VIII, année 1858 ; — C.-L. Merkel, Anatomie und Physiologie der Menschlichen Stimm und Sprach-Organs (Anatomie et physiologie des organes de la voix et de la parole chez l’homme); in-8° de 950 pages; Leip- zig, 1857. 632 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. CHAPITRE II. SENS DE LA VUE. S 268. Définition. — La vue ou la vision est une sensation particulière qui nous décèle la présence des corps, et nous donne la notion de plusieurs de leurs propriétés sensibles (couleur, figure, volume, état de repos ou de mouvement, etc.). Les objets qui impressionnent l’organe de la vision agissent à distance; ils n’entrent point en contact immédiat avec l’organe du sens, l'œil ne les touche point. Il y a, entre l’œil qui voit et les objets qui sont vus, un agent intermédiaire, véritable excitateur de l’œil. Cet agent intermédiaire, qui vient impressionner les parties sensibles de l’œil, est la lumière. On peut donc définir la vue : le sens à l’aide duquel nous connaissons les corps lumineux (que ceux-ci soient lumineux par eux- mêmes ou par réflexion). Pour que les phénomènes de la vision s’accomplissent, trois conditions sont nécessaires. Premièrement, les corps doivent être lumineux : ce qui revient à dire que l’excitant du sens de la vue est indispensable à son action. En second lieu, la membrane sensible (rétine) sur laquelle vient agir la lumière doit être intacte et communiquer avec le système nerveux central par l'intermédiaire d’un conducteur (nerf optique), chargé de transmettre les impressions jusqu’au sensorium. Troisièmement enfin, il faut encore qu'entre la membrane sensible à la lumière et l’objet lumi- neux existe un appareil qui rassemble les rayons émanés des objets éclai- rés, et reproduise sur cette membrane l’image de ces objets. Cet appareil est le globe de l'œil. Diverses parties accessoires de l’œil concourent aussi, mais indirecte- ment, à l’accomplissement de la sensation visuelle. Tels sont les muscles oculaires, qui donnent au globe de l’œil sa mobilité; les glandes lacry- males, les paupières, les cils et les sourcils, qui conservent aux milieux transparents de l’œil les qualités nécessaires au passage des rayons lu- mineux à travers leur substance. S 269. Rôle du globe de l'œil. — La présence d’un appareil spécial (globe de l'œil) placé sur le trajet des rayons lumineux, entre l’excitant (lumière) et la membrane sentante (rétine), a, dans les phénomènes de la vision, une importance capitale, et dont il est facile de se rendre compte. On peut se convaincre, en y réfléchissant un instant, que si l'appareil op- tique, représenté par le globe de l’œil, était réduit, à l'instar du sens de CHAP, II SENS DE LA VUE, 653 l’odorat et du goût, à une simple membrane sensible (représentée ici par la rétine), la vision des objets extérieurs serait complétement abolie. Nous savons, en effet, que la lumière rayonne dans toutes les direc- tions ; et si nous supposons un point lumineux, isolé dans l’espace, nous ne concevons pas un seul point de l’espace où il soit invisible, et dans le- quel, par conséquent, il n’envoie ses rayons. Au lieu de l’espace infini, envisageons par la pensée une rétine, ou bien un écran MN (Voy. fig. 1923), et supposons que cet écran recoive sur sa surface les rayons émanés d’un point lumineux a; ce point éclairera éoute la surface MN. Supposons un second point lumineux à, placé près du premier, celui-là éclairera éga- lement et simultanément fous les points de la surface MN ; un troisième point lumineux c éclairera de même également et en même temps fous les points de la surface MN. Fig. 123. N / / / / ES >< 2 His Li 2 “ _ 4 4 ES. ES LES de à NET € Mestre sosie on — S © LU à 11 millimètres. à 8 — à 12 —_— se KI l Diamètre de la pupille. . . . . . do à 7 — Épaisseur de la cornée, . . . . . . . LE 1 — Distance de la cornée au cristallin. . HOLST 1956 — , Rayon de courbure de la face antérieure du cristallin... 7 à 10 — Rayon de courbure de la face postérieure du cristallin. 5 à 6 — Épaisseur du cristallin. . à Me en GET EEE ND — Voici, d’après M. Krause, les dimensions des mêmes parties. Les me- sures sont plus détaillées, et concernent spécialement les épaisseurs et les diamètres. Je transcris ici les moyennes en chiffres ronds : Dimensions du globe de l'œil. Diameëtre dans l'axe optique. . . . . . . . . . . . . 24 millimètres. Diamèetre horizontalele te aue ner evo HO OMR SMS Diametne verfieal 706 7 Su DRE Re NSP ET A — CHAP. If. SENS DE LA VUE, G45 Épaisseurs des diverses parties de l'œil dans la direction de l'axe optique. Gornée:transparente 210: DOME 6 0 EM, Et Mimillimeire: Humeur. aquensenst, al. nocien- nl. sisi 25 — CiStANIn RES Pa PSN SE UE 7 —_ COFNDS VITE ee D: cpieee ee a ce run D AD Es 1 — Rétineet choroïde réunies. 1.7 me te ne le eee à (9 ni Saéronquehae nt 4h dflop Sop pm si ls 2 LE ge — Épaisseurs des diverses parties du cristallin. Couche molle antérieure. +: /. = . + . «+ 2 millimetres. Gouche moyenne antérieure... + + 4... . + 1,3 — NOUS SE ANS, 973 SUD) ARETION DE 062 — Couche moyenne postérieure. . . . . . . . . . . . . À — Couche molle postérieure. 249.,.1e cn. ie eh 0,7, — Enfin, MM. Brewster et Chossat ont déterminé les indices de réfraction des différents milieux de l'œil. Voici les moyennes de leur calcul : AID 00h Sterne 48 : Lu Cosnee 2h en la NÉ ASC HOME AQUEUSC. HOMME RU NI ds CAPSUIE CHS INTER PEN EN EP 155 Couche extérieure du cristallin. EN MMNE 1,55 Gouchemoyenne re ben RAC TDR AMMISS NOYAL PT EN FAT CA 141 COFPSANIITÉ en ner CNT RE ETS 107 A l’aide de ces résultats numériques, on peut se rendre compte de la mesure suivant laquelle chacune des parties transparentes du globe ocu- laire influe sur la déviation des rayons lumineux. On remarquera d’ail- leurs que la cornée, l'humeur aqueuse et l'humeur vitrée présentent le même indice de réfraction, et que, par conséquent, le cristallin se trou- vant enclavé entre des milieux également réfringents, son action conver- gente propre est nette et isolée f, S 275. Centre optique de l'œil. — Nous venons de dire, il y a un instant, que les milieux transparents de l’œil pris dans leur totalité, cornée, humeur aqueuse, cistallin, humeur vitrée, représentent une lentille réfrmgente composée dont le foyer est sur la rétine, c’est-à-dire, par conséquent, au point correspondant à la face postérieure du corps vitré. Les milieux ré- fringents de l'œil pris dans leur totalité doivent, comme toute lentille, présenter un point situé sur l’axe antéro-postérieur de l'œil où s’entre- croisent tous les axes des cônes lumineux qui entrent dans l’œil (Voy. $ 272); ce point est le centre optique de l’œil. La position de ce point dé- 1 Il n’y a pas, mathématiquement parlant, une égalité parfaite entre les indices de réfrac- tion de l'humeur aqueuse, de la cornée et de l'humeur vitrée. Celle différence apparaît dans la troisieme décimale que nous avons omise. Mais cette différence est si petile, d’une part et les mesures qu'on peut prendre sur des parties aussi délicates que les milieux transpa- rents de l’œil sont si difficiles à établir d’une manière rigoureuse, que nous avons cru pou- voir négliger cette légère différence. 646 LIVRE I. FONCTIONS DE RELATION. pend, et de la courbure de la face antérieure de la lentille composée dont nous parlons, et de la courbure de la face postérieure de ce même en- semble de milieux réfringents. La courbure de la face antérieure est donnée par le rayon de courbure de la cornée, la courbure de la face postérieure est donnée par le rayon de courbure de la sclérotique (la courbure de la rétine est la même que celle de la sclérotique qui forme, en arrière, la charpente solide du globe oculaire). La position du centre optique dépend, d’après ce que nous avons dit précédemment, du rap- port de ces deux courbes (Voy. $ 271); il doit être placé sur l’axe de l’œil, et plus rapproché de la cornée que de la rétine. Mais la constitution de la lentille formée par tous les milieux transparents de l'œil n’est pas iden- tique ; la substance du cristallin est plus réfringente que les autres, et sa face postérieure appartient à un rayon de courbure plus petit que la face antérieure : le cristallin tend donc à reporter un peu en arrière le centre optique de œil. En tenant compte de ces diverses conditions, on trouve que le centre optique occupe le point C (Voy. fig. 134 et 135) ; il est situé dans l’intérieur du cristallin, dans un point voisin de sa face postérieure. C’est par conséquent en ce point C que vont se croiser les axes des cônes lumineux qui vont former foyer sur la rétine. La figure 134 représente deux de ces cônes : dans l’un, #Ae, le raÿon qui passe par le centre optique est x; dans l’autre cône 6Be, le rayon qui passe par le cen- tre optique est &”. Fig. 134. Le centre optique de l'œil n’est pas au centre du cristallin, comme on le figure souvent. Il ne faut point oublier, en effet, que le cristallin n’est pas isolé dans l'œil comme la lentille d’une loupe simple, mais qu'il forme seulement une partie de l'appareil réfringent. Fig. 135. Les cônes lumineux qui vont former l’image sur la rétine ayant pour résultante le rayon qui passe par le centre optique de l’œil (C), nous nous conten- terons désormais de figurer seulement ce rayon comme le représente la figure 435, qui n’est que la figure 134 simplifiée. CHAP, II. SENS DE LA VUE. 647 & 276. Rôle de la cornée et de l'humeur aqueuse. — Le rôle que jouent la cornée transparente et l’humeur aqueuse, à en juger par leur indice com- mun de réfraction, doit être sensiblement le même. La convexité de la cornée transforme le système cornée-humeur aqueuse en un milieu à sur- face courbe antérieure. La direction que prennent les rayons lumineux dans ce système réfringent dépend donc à la fois, et du rayon de cour- bure de la cornée, et de l'indice commun de réfraction. Tout rayon tombant sur la cornée et réfracté par elle se rapproche de l’axe antéro- postérieur de Pæil, et ne change plus de direction dans l’humeur aqueuse. Il s’en faut que tous les rayons qui traversent la cornée transparente et la chambre antérieure de l'œil concourent ultérieurement aux phénomè- nes de la vision. Une grande partie, la plus grande partie d’entre eux, arrivant à la face antérieure du diaphragme opaque tendu derrière la cornée (iris), Sont réfléchis par lui au dehors, traversent en sens imverse la chambre antérieure de l’œil et la cornée transparente. C’est par ces rayons féfléchis que nous connaissons la forme et la couleur de l'iris. Il n’y a que les rayons qui tombent dans l’ouverture centrale de l'iris qui continuent leur trajet dans l’intérieur de l’œil et concourent à la vision : l'iris ne laisse donc pénétrer dans l’œil que les rayons lumineux situés dans le voisinage de l’axe antéro-postérieur de l’œil. Nous verrons dans un instant l'importance de cette disposition pour la netteté de l’image. $ 277. Rôle du cristallin. — Le cristallin, étant plus réfringent que l'humeur aqueuse, continue, sur les rayons qui lui arrivent de l'humeur aqueuse, l’action convergente. Lorsque les rayons réfractés par le cristallin arri- vent à la face postérieure de cette lentille, ils passent dans le corps vitré, c’est-à-dire dans un milieu moins réfringent ; ils tendent, par conséquent encore, à la convergence (Voy. fig. 129). Le rayon de courbure de la face postérieure du cristallin est d’ailleurs plus petit que celui de la face antérieure (Voy. $ 282); d'où il résulte que la réfraction des rayons est plus eflicace, pour la convergence, à la sortie du cristallin qu’à leur entrée. Telle est l’action du cristallin pris en masse, tel est son rôle final; mais si nous poussons plus loin l’analyse, nous voyons que l’action du cristal- lin n’est pas aussi simple qu’elle le paraît d’abord. Pour se rendre compte de la complication du problème, il sufit de se rappeler que la substance de cette lentille croît en densité de la surface au centre ; que chacune de ses parties offre des indices de réfraction qui croissent et décroissent sui- vant l’axe antéro-postérieur de l’œil ; qu’en outre, les rayons de courbure de ses diverses parties ne sont pas les mêmes. Nous ne pouvons entrer ici dans l'analyse mathématique du phénomène ; il nous suffira de dire que cette différence dans la densité et les courbures des couches succes- 648 LIVRE IT. FONCTIONS DE RELATION. sives du cristallin a pour objet de remédier à l’imperfection des images telles qu'on les obtient avec des lentilles à courbures simples, composées d'une substance homogène. L’imperfection de l’image obtenue à l’aide de nos lentilles de verre tient à ce que les rayons qui frappent les points voisins de la circonférence de la lentille se réunissent au foyer plus près de la lentille que les rayons qui la traversent dans les points voisins du centre. C’est ce qu’on appelle en optique l’aberration de sphéricité. Nous reviendrons sur ce point(Voy. $ 281). S 278. Rôle du corps vitré.— L'indice de réfraction du corps vitré étant moin- dre que celui du cristallin, il s’ensuit, ainsi que nous l’avons dit, que la convergence des rayons lamineux qui ont traversé la lentille cristalline augmente encore au moment où ils s’engagent dans le corps vitré, car ils tendent à s’écarter de la normale au point d’émergence (Voy. S 271 et fig. 129). La marche des rayons lumineux dans le corps vitré est tout à fait comparable à celle que suivent des rayons lumineux qui, à leur sortie d’une lentille, convergent au foyer, en traversant un milieu de même composition que celui qui les contenait avant leur entrée dans la lentille. Le cristallin, en effet, est placé au sein d’une atmosphère trans- parente, composée de milieux (humeur aqueuse et humeur vitrée) qui ré- fractent la lumière d’une quantité sensiblement égale. Il en résulte que le degré de convergence des rayons lumineux à leur entrée dans le cristal- lin est à leur degré de convergence à leur sortie, comme le degré de con- vergence des rayons à l’entrée d’une lentille de verre placée dans l'air est à leur degré de convergence à leur sortie dans l’air. Or, la propriété d'une lentille de verre, ainsi qu'il a été exposé précédemment, est de faire converger les rayons placés dans l’air atmosphérique de manière à les réunir en foyer; et cette convergence est la conséquence non-seule- ment de la réfraction des rayons à leur entrée dans la lentille, mais en- core de la réfraction à leur sortie. Il en est de même pour le cristallin en- visagé dans ses rapports avec l’humeur aqueuse et l'humeur vitrée. S 279. Usages du pigment.— La surface interne de la choroïde est couverte, dans toute son étendue, par une substance noire ou pigment choroïdien. Cette substance recouvre aussi la face postérieure de l'iris (elle prend en ce point spécial le nom d’uvée). La rétine recouvrant la choroïde et s’é- tendant jusqu'aux procès ciliaires, il s'ensuit que le pigment est partout sous-jacent à la rétine. Il n’est à découvert qu’à la face postérieure de l’i- ris que ne recouvre pas la rétine (Voy. fig. 195). On a dit qu'on apercevait le pigment au travers de la demi-transpa- rence de l'iris, et que c’était lui qui, par sa coloration plus ou moins fon- cée, déterminait la couleur des yeux. Il n’en est rien, La coloration des CHAP, LI. SENS DE LA VUE. 649 yeux tient à la présence et à l’arrangement particulier d’autres molécu- les pigmentaires. Il est certain que l'iris des yeux bruns, gris, noirs, bleus, verts, offre exactement le même aspect lorsqu'on l’envisage par sa face postérienre; il est toujours coloré en noir, et il est impossible de distinguer par ce côté les yeux bleus des yeux noirs. Le pigment fait l’office, dans l’œil humain, de cet enduit noir que nous étendons à l’intérieur de tous nos instruments d'optique. La lumière qui pénètre dans l’œil ne peut exercer son effet utile, qu'autant que les rayons qui ont frappé la rétine et qui ont produit sur elle l'impression visuelle sont annulés ou absorbés, ce qui est la même chose. Si les rayons qui tombent sur la rétine, membrane nerveuse semi-transparente, eussent rencontré derrière elle une surface sur laquelle ils auraient pu se réflé- chir!, ces rayons réfléchis, en retraversant la rétine d’arrière en avant et suivant des directions variées, auraient jeté la plus grande confusion dans les phénomènes de la vision. Le pigment manque, plus ou moins complétement, dans les yeux des albinos ; c’est à cette cause qu'est due chez eux l’imperfection de la vision. Le pigment de la choroïde a donc pour usage d'absorber ou d’anéantir les rayons qui ont impressionné la rétine. Le pigment placé à la face postérieure de l'iris a pour ofice d’annuler les rayons réfléchis par les milieux transparents situés derrière lui. Quel- que transparent que soit un corps, en effet, jamais il ne donne passage d’une manière absolue à toute la lumière qui le traverse, il en réfléchit toujours une portion. L’uvée s'oppose donc à ce que les rayons réfléchis par les milieux transparents de l’œil soient réfléchis une seconde fois et renvoyés à la rétine. $ 280. Rôle de l'iris. — L'iris est un diaphragme opaque, percé à son cen- tre d’une ouverture qui peut s’agrandir ou se rétrécir. L'iris est donc contractile, et les variations dans les dimensions de la pupille dépen- dent de sa concentration ou de sa dilatation. La dilatation de la pu- pille ne doit pas être considérée comme un état passif, ou comme la cessation d’action des mouvements de contraction de l'iris. On s’en fe- ait ainsi une fausse idée. L'agrandissement de la pupille, tout aussi bien que son rétrécissement, est une contraction de l'iris. Les fibres contrac- tiles de l’iris affectent, en effet, deux directions : les unes sont circulaires et bordent l’ouverture pupillaire, à la manière d’un sphincter; les autres s'étendent, comme des rayons, du centre à la circonférence, et adhèrent avec l'iris à la coque de l'œil. Les premières déterminent, par leur contrac- tion, une diminution dans l’ouverture de la pupille ; la contraction des se- condes augmente cette ouverture. Ces deux ordres de fibres agissent iso- 4 La lumiere qui frappe les corps polis et tous les corps qui ne sont pas complétement noirs se réfléchit en tout ou en partie, suivant un angle de réflexion égal à l'angle d'incidence, 650 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION, lément dans quelques circonstances. La belladone détermine une dilata- tion permanente de l'iris en paralysant ses fibres circulaires. L’amaurose agit dans le même sens. La strychnine, et quelques maladies du sy- stèmée nerveux, qui ont pour effet de porter le resserrement de la pupille à ses dernières limites, agissent au contraire en paralysant les fibres rayonnées. On a beaucoup discuté pour savoir si les mouvements de l'iris sont de la nature des mouvements musculaires, ou, en d’autres termes, si les fibres qui le composent sont de la même nature que les fibres constituantes des muscles. Si, au point de vue anatomique, la question a pu être agitée, elle ne pouvait pas l'être sous le rapport physiologique. L'iris exécute des mouvements : ces mouvements sont subordonnés, dans l’état physiolo- gique, à l'intégrité de ses liens avec le système nerveux, et lorsque ces liens sont rompus, on peut encore, pendant un certain temps, réveiller directement les contractions par l'application de l'électricité : voilà bien évidemment tous les caractères de la contraction musculaire, Il apparte- nait d’ailleurs aux anatomistes de nos jours de démontrer que l'iris n’est point analogue aux tissus érectiles auxquels on l'avait hypothétiquement comparé, mais qu'il est constitué par des fibres lisses, semblables, quant à leur aspect microscopique et quant à leurs réactions chimiques, à celles des muscles de la vie organique (Voy. $ 219). A l'exemple des divers muscles de la vie organique, la contraction de l'iris est complétement involontaire, et elle se manifeste sous l'influence d'un excitant intérieur. Ge qu'est le sang pour le cœur, le bol alimentaire pour la couche musculeuse de l'estomac et de l'intestin, la lumière l’est pour l'iris. Mais ici il faut remarquer une chose : dans l’estomac où dans le cœur, l’excitant agit directement sur la partie qui doit se contracter, parce que cette partie est sensible à l’excitant en même temps que con- tractile. L'iris est contractile, il est vrai, mais il est insensible à l’excitant lu- mière, comme d’ailleurs la plupart des parties de l’organisme. La rétine seule jouit de cette propriété. Il en résulte que ce n’est pas sur la partie contractile elle-même qu'agit l’excitant, et que les mouvements de l'iris ne sont qu'indirectement excités par lui. Il en résulte encore que les mouvements de l'iris sont indissolublement liés à l'intégrité de la rétine. Toutes les fois que, par le fait d’une maladie, ou à la suite de la section du nerf optique, la rétine est privée de ses propriétés, l'iris se trouve paralysé. L'iris, en tant qu'organe contractile, augmente ou diminue le champ de la pupille, et laisse ainsi entrer au fond de l’œil une quantité plus ou moins considérable de rayons lumineux. L'iris sert à graduer, par consé- quent, l'intensité de la Iumière qui parvient à la rétine. Il suflit, pour s’en convaincre, d'examiner ce qui se passe dans la pupille d’une per- sonne qui regarde successivement des objets diversement éclairés. Lors- CHAP, II, SENS DE LA VUE. 651 que l’œil se dirige sur des corps très-éclairés, la pupille se resserre ; lors- qu'il se tourne vers des objets peu éclairés, la pupille se dilate. Lorsque Vœil cherche à distinguer les objets au milieu d’une obscurité presque complète, la pupille est à son maximum de dilatation. Si l’on approche vivement une lumière près d’un œil dont on ouvre brusquement les pau- pières, le resserrement de la pupille est porté à son plus haut point. L'iris est donc chargé de ne laisser pénétrer dans l’œil que la quantité de lumière proportionnée à la sensibilité de la rétine. La rétine a besoin, pour entrer en jeu avec toute sa perfection, d’une intensité moyenne de lumière, en decà et au delà de laquelle ses fonctions ne s’exécutent qu’im- parfaitement. C’est pour cette raison, pareillement, que les substances qui agissent sur l’économie, en émoussant la sensibilité de la rétine, dé- terminent un agrandissement dans le champ de la pupille : celles, au contraire, qui exagèrent cette sensibilité, occasionnent le resserrement de ouverture pupillaire. On a attribué à l'iris deux autres usages : on a pensé 1° qu'il servait à corriger laberration de sphéricité du cristallin, et 2 que ses mouve- ments étaient liés aux divers degrés de convergence des rayons lumineux qui viennent frapper l'œil, de telle sorte que l’état de la pupille aurait de l'influence sur la vision des objets placés à diverses distances. Ces deux suppositions paraissent très-contestables. Un examen rapide suffira à le démontrer. S 281. De l’aberration de sphéricité. — On appelle aberration de sphéricité des lentilles cette imperfection dans la netteté de l’image résultant de ce que tous les rayons lumineux qui traversent les lentilles ne viennent point concourir rigoureusement en un même foyer. Ce phénomène est une conséquence nécessaire des courbures des lentilles et de l’homogénéité de leur substance. Les rayons AB, AB (Voy. fig. 136), placés dans le voisinage de l'axe de la lentille, étant presque per- Fig. 136. pendiculaires à la lentille, vien- nent former leur foyer en C. Les rayons AD, AD’ qui rencontrent la lentille sur des points voisins , de sa circonférence, ont une in- cidence plus oblique; ils sortent du milieu réfringent avec une convergence plus forte et se réunissent en avant des premiers, en F. Si l’on recoit sur un plan, placé en C, les rayons BB’ émanés du point A, ils seront représentés sur le plan par un point; les rayons DD", émanés du même point A, seront représentés sur le plan placé en C, non plus par un point, mais par un cercle de diffusion correspondant à la base du cône aF4. 652 LIVRE JI, FONCTIONS DE RELATION. On remédie à l’aberration de sphéricité, dans la construction des instru- ments d'optique, en plaçant au- devant des lentilles des dia- phragmes opaques percés d’un trou. Ces diaphragmes suppri- ment les rayons marginaux, et ne laissent pénétrer dans la len- tille que les rayons centraux ou voisins du centre (Voy. fig. 437, et comparez avec la figure 136). Par ce moyen on donne de la netteté aux images, mais il est aisé de voir qu’en même temps on diminue leur éclat, car on supprime une partie de la lumière irradiée du corps lumineux. € £ 989 $ 202. Le cristallin dans ses rapports avec l’aberration de sphérieité. — On a comparé l'iris aux diaphragmes des instruments d'optique, et on a pensé qu'il avait pour usage de corriger l’aberration de sphéricité du cristallin; mais ce n’est là qu’une supposition hypothétique qui repose sur la pré- tendue identité qui existerait entre le cristallin et une lentille ordinaire. Or, ces deux appareils diffèrent essentiellement. Avant de chercher l’or- gane destiné à remédier à l’aberration de sphéricité du cristallin, il eût fallu démontrer que le cristallin est soumis à cette imperfection, comme les lentilles de nos instruments. Or, l'absence d’homogénéité dans les couches de la lentille cristalline et la diversité des courbures de ses couches successives ne permettent en aucune manière l'assimilation du cristallin avec une lentille de verre, constituée par une substance homo- gène. Le cristallin est, par lui-même, une lentille aplanétique, c’est-à-dire une lentille telle que tous les rayons qui la traversent se rendent au même foyer. La densité du noyau central du cristallin rapproche le foyer des rayons centraux ; la moins grande réfrangibilité de la partie périphérique du cristallin éloigne le foyer des rayons marginaux, et cela proportion- nellement à leur distance de l’axe de l'œil; les foyers tendent doric à con- corder à la même distance du cristallin, et à se confondre. De cette ma- nière, le cristallin fait converger au même foyer tous les rayons qui le traversent, et les images ne gagnent point en netteté aux dépens de leur éclat. Soit MN (Voy. fig. 138) la lentille cristalline extraite des milieux de l'œil qui l'entourent. Soient 1, 2, 3 trois couches emboiïtées dont la ré- frangibilité croit du dehors au dedans, c’est-à-dire de 1 vers 3. Supposons que le rayon AB, placé dans le voisinage de l'axe, vienne, après avoir traversé les trois couches du cristallin, former son foyer en GC. Le rayon marginal AE, qui, dans une lentille ordinaire, aurait formé son foyer en x, se trouve rejeté en C par le peu de réfrangibilité de la couche 1. Le CHAP. II, SENS DE LA VUE. 655 rayon AD, moins marginal que le précédent, a moins de tendance, par conséquent, à rapprocher son foyer de la lentille. Dans une lentille ho- mogène, son foyer correspondrait au point æ'; mais il est rejeté pareille- ment en C, parce qu'il ne traverse que les couches 4 et 2 (comparez avec la figure 136). Fig. 138. Quand on envisage l'iris comme un diaphragme destiné à remédier à l’aberration de sphéricité du cristallin, on semble oublier que l’ouverture de la pupille augmente ou diminue à chaque instant avec le degré de clarté des objets lumineux. A mesure que le champ de la pupille aug- mente, et que, par conséquent, une plus grande quantité de rayons mar- ginaux s'engagent dans le cristallin, les phénomènes de l’aberration de sphéricité de cette lentille devraient se produire et s'exprimer par du trouble dans la vision. Il n’en est rien. La vue des objets n’est pas altérée d’une manière sensible par les changements dans les dimensions de lou- verture de la pupille. La vision est aussi nette lorsque la pupille est dila- tée que lorsqu'elle est contractée. Il est vrai que l'iris, même au moment de sa dilatation maximum, couvre toujours une petite partie de la circonférence du cristallin, et s'oppose ainsi, d’une manière permanente, à l’entrée des rayons marginaux les plus excentriques. Il est donc possible, sans qu’on puisse cependant l’af- firmer, que l'iris agisse sur la portion éoujours masquée du cristallin, à la manière des diaphragmes placés dans les lunettes aplanétiques. $ 283. Des dimensions de la pupille dans la vision des objets rapprochés et dans celle des objets éloignés. — Lorsque les yeux sont alternativement dirigés sur des objets éloignés et sur des objets rapprochés, on peut re- marquer que l'iris ne reste pas immobile. La pupille se dilate pour les ob- jets éloignés et se resserre pour les objets rapprochés. Voici l’explication qu’on a donnée de ce fait. Les rayons envoyés à l'œil par un objet éloi- gné étant moins divergents que ceux qui émanent d’un objet rapproché, 654 LIVRE JI, FONCTIONS DE RELATION. la dilatation de la pupille aurait pour but, dans le premier cas, de laisser pénétrer dans l’œil les rayons qui ont à traverser les couches du cristallin les plus distantes du centre, et, dans le second cas, le resserrement dela pupille aurait pour but de ne laisser pénétrer dans l'œil que les rayons centraux. On à pensé, dès lors, que ces variations de l'iris avaient pour effet de faire concorder toujours le foyer ou l’image au même point, pour une distance quelconque de l’objet. Cette explication ne peut pas être ad- mise. Elle suppose, en effet, que les divers degrés, dans l'ouverture de la pupille, auraient le pouvoir d’éloigner ou de rapprocher le foyer des rayons formés derrière le cristallin; elle admet, par conséquent, que la lentille cristalline est, comme nos lentilles de verre, une lentille homogène à plusieurs foyers ; ce qui, nous l’avons vu, n’est pas exact. D'une autre part, une expérience bien simple démontre que la grandeur de l'ouverture pupillaire restant invariable, l'image des objets placés à des distances va- Fig. 139, riées se forme cependant d’une manière par- faitement nette au foyer de la rétine. Faites sur une carte une ouverture un peu plus petite seu- lement que la pupille; appliquez cette carte aussi près que possible du globe de l'œil (Voy. fig.139), et observez successivement des objets placés à des distances diverses. Vous distingue- rez également bien les objets; et cependant vous avez remplacé la pupille par une ouver- ture invariable. Cette simple expérience vous apprendra encore le véritable rôle de la pupille dans la vision. Lorsque vous regardez par l'ouverture de la earte, les objets éloignés ne perdent point leur configuration, qui reste nette ; mais ils perdent beau- coup de leur clarté. Le but de la dilatation de la pupille dans la vision des objets éloignés, c’est de suppléer à la diminution dans la clarté des objets, La clarté des objets s’affaiblit, en effet, nécessairement, avec leur éloignement; car la proportion des rayons lumineux envoyés à l'œil par l'objet diminue en proportion de la distance. En résumé, le champ de la vision augmente et diminue avee le degré de clarté des objets lumineux. Le champ pupillaire augmente quand un objet est peu éclairé, afin de recevoir la plus grande quantité possible de rayons lumineux ; il diminue pour les objets plus rapprochés, pour que l'œil ne soit point blessé par une clarté trop vive : telles sont les véritables fonctions de l’iris, Cela est si vrai que si l’œil se fixe sur un objet très- éloigné, qui est en même temps très-lumineux, la pupille, loin de se di- later, se contracte ; et réciproquement, si l'œil se fixe sur un objet très- rapproché et très-peu éclairé, la pupille, loin de se contracter, se dilate. CHAP, III, SENS DE LA VUE. 655 S 284. Accommodation de l'œil pour la vision aux diverses distances. — La membrane nerveuse, sur laquelle a lieu l'impression de la lumière, étant la rétine, les images des objets doivent nécessairement se former sur la rétine, et toujours sur la rétine. Or, dans nos instruments d’optique, l'i- mage formée au foyer se rapproche de la lentille quand l’objet lumineux s'éloigne; l’image s'éloigne de la lentille, au contraire, quand l’objet lu- mineux se rapproche (Voy. $ 271). Comment se fait-il que dans l'œil li- mage coïncide toujours au même point, et qu’elle soit toujours à la rétine pour toutes les distances de l’objet? Disons-le tout d’abord, c’est paree qu'il s'opère dans les milieux transparents de l’œil des modifications par- ticulières, suivant que l’objet lumineux s'éloigne ou se rapproche; en un mot, parce que l'œil s’accommode pour la vision aux diverses distances. On conçoit que les changements dans les milieux transparents de l'œil puissent s’accomplir de diverses manières; soit par des variations dans la longueur de l’axe antéro-postérieur de l’œil, portant plus particulièrement sur le segment oculaire postérieur; soit par des déplacements du cristal- lin; soit, enfin, par des changements appropriés dans les courbures des divers milieux réfringents de l'œil. Tous les auteurs ne sont pas d’accord sur la manière dont se produisent ces changements intérieurs, et quelques-uns même ont contesté que ces changements aient lieu. Ainsi, par exemple, M. Magendie, examinant, par transparence, l’image d’une lumière au fond de l’œil d’un lapin albinos (Voy. fig. 433), et voyant que cette image persistait, quand il éloignait ou rapprochait la lumière, conclut de cette expérience que les milieux de l’œil sont tellement disposés que, sans qu’on puisse s’en rendre compte par les lois de la physique, le foyer de l’image est mvariable pour toutes les distances de l’objet. Cette conclusion ne découle pas nécessairement du fait observé. Dans l'expérience précitée, l’œil, détaché de ses con- nexions naturelles, ne peut plus, il est vrai, éprouver de changements in- térieurs; mais l’image de la bougie a pu se former ailleurs que sur la rétine, sur ün point quelconque de l’espace qui sépare le cristallin de la rétine, et ne pas paraître changer de place pour l’observateur, qui n’en a la connaissance que par la transparence des parties. Quelques physiologistes (M. Lehot et d’autres après lui) vont plus loin : ils prétendent qu’il n’est pas nécessaire, sur le vivant, que les images tom- bent sur la rétine; qu’elles se forment dans l’intérieur du corps vitré, et que, par conséquent, les foyers des images peuvent occuper des positions diverses, sans qu'il soit nécessaire d’invoquer l'adaptation de l'œil pour la vision aux diverses distances. Cette théorie ne mérite pas d’être dis- cutée. Si la rétine apercevait les images à distance dans le corps vitré, on ne voit pas pourquoi elle n’apercevrait pas tout aussi bien à distance les objets extérieurs eux-mêmes; et à quoi bon, alors, tous les milieux ré- 656 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. fringents de l'œil? Des expériences plus concluantes, pour la solution de cette question, seraient celles de M. du Haldat, car elles ont été faites à l’aide du cristallin lui-même. Ces expériences établiraient que les images des objets placés au devant d’un cristallin de bœuf, enchâssé à l'ouverture d’une chambre obscure, sont toujours placées au même foyer, quelle que soit la distance des objets. Mais ces expériences sont faciles à reproduire au moyen d’une petite chambre noire à daguerréotype disposée à cet ef- fet. On peut se convaincre aisément, par soi-même, que l’image reçue sur l'écran transparent qui forme foyer, quoique visible pour une position invariable de l’écran et pour les distances variées de l’objet, est bien plus nette dans certaines positions que dans certaines autres. Si l’on dirige le cristallin de bœuf, formant l'objectif de la chambre noire, vers un objet qui occupe les derniers plans du paysage, il faut rapprocher l'écran de l'objectif pour obtenir une image nette; il faut, au contraire, éloigner l’é- cran de l’objectif pour obtenir l’image nette d’une maison placée sur les premiers plans du paysage. Il faut donc agir absolument de la même ma- nière qu'avec l’objectif ordinaire du daguerréotype. M. Pouillet a émis une théorie qui repose sur l'inégalité de densité ou de réfrangibilité des différentes couches de cristallin. Il pense que, parmi les rayons qui traversent le cristallin, il n’y en a qu’une partie qui se réu- nissent en foyers sur la rétine. Pour les objets rapprochés, les rayons passant par le centre viendraient seuls converger en foyers à la rétine; pour les objets éloignés, les rayons passant par la circonférence du cris- tallin viendraient seuls converger en foyers à la rétine. Dans le premier cas, le rétrécissement de la pupille, qui accompagne la vision des objets rapprochés, interceptant les rayons marginaux, l’image au foyer résulte de la totalité des rayons réfractés par le cristallin. Dans la vision des ob- jets éloignés, l'élargissement de la pupille permettant aux rayons margi- naux de former image à leur point de convergence sur la rétine, les foyers des rayons centraux se trouvent alors situés en avant de la rétine, et ne concourent point à la formation de l’image. Mais on comprend difti- cilement, dans cette théorie, comment les rayons, après avoir formé leur foyer en avant de la rétine, et poursuivi, après leur rencontre, leur marche dispersive (Voy.S$ 281, et fig. 136), pourraient ne pas apporter du trouble dans la netteté de l’image, alors qu'ils tomberaient sur la rétine en cercles de diffusion. Cette doctrine suppose, en second lieu, que le cristallin est soumis à l’aberration de sphéricité, et qu'il y a une relation intime entre le degré d'ouverture de la pupille et le phénomène de la vision distincte à diverses distances; or, ces deux suppositions ne sont pas fondées (Voy. $$ 282 et 283). Nous pourrions multiplier le nombre des citations. Treviranus, M. Miles, M. Vallée, M. Sturm ',etc.,admettent aussi, tout en se plaçant à des points 1 La doctrine de M. Sturm a joui pendant quelque temps d’une grande faveur parmi les physiciens. Sa démonstration est toute théorique et basée sur l’analyse mathématique. Son / CHAP. III. SENS DE LA VUE, 697 Î de vue différents, que la structure du globe oculaire est telle que le foyer des images est toujoufs à la rétine, sans qu'il soit besoin d’invoquer des déplacements dans la position relative des milieux transparents de l'œil. Il nous suflira de signaler quelques expériences très-simples, pour dé- montrer la réalité des changements qui s’opèrent dans l’intérieur de l’or- gane de la vue pour la vision à diverses distances. 1° Placez deux objets de petite dimension, deux épingles, par exemple, à des distances différentes et Fig. 140. dans la même direction (Voy. fig. 140). Regardez alternati- vement chacune d’elles; vous constaterez que l’épingle la plus rapprochée paraît nébu- leuse quand vous fixez la plus éloignée, et réciproquement. Il en résulte que l’image de l’objet qui n’est pas directe- ment fixé par l’œil ne corres- pond pas mathématiquement à la rétine ; l’image de cet objet se traduit alors sur cette membrane, non par des points focaux, mais par des cercles de diffusion. N résulte encore de cette expérience, qu’il dépend de nous, par un effort de volonté, de modifier les conditions intérieures de l’œil, pour accommoder la distance focale à la distance de l’objet. 2° Fixez, par la pensée, un objet imaginaire placé entre vos yeux et le livre que vous lisez; à l’instant vous sentez qu'il s’opère dans votre œil un effort qui devient parfois douloureux, et vous ne voyez plus les lettres imprimées que comme une masse confuse. 3° Si vous fixez pendant longtemps un objet très-rapproché, il faut un certain temps pour que l’œil redevienne apte à distinguer les objets éloi- gnés : c’est ce qui arrive particulièrement quand on a fait usage de la loupe pendant quelques heures. I s’accomplit donc un changement dans l’œil; mais de quelle nature est ce changement? Par quel mécanisme s’opère-t-il? Toutes les suppo- auteur a cherché à prouver qu’on peut concevoir un systeme lenticulaire tel que les images pourraient toujours être reçues sur un écran placé à une distance invariable, pour toutes les distances de l'objet. Les milieux réfringents de l'œil, dit M. Sturm, n'étant point terminés par des courbes sphé- riques, mais par des courbes paraboliques, il s'ensuit que le foyer des rayons lumineux, en arrière du cristallin, n’a pas lieu en un point unique, mais que les rayons forment des fais- ceaux condensés de très-petit diametre et de tres-petite longueur, et compris entre deux foyers. Or, suivant M. Sturm, il suffit que des tranches quelconques, prises sur la longueur de ces faisceaux, correspondent à la rétine, pour que l’image suffisamment nette de l’objet y soit représentée (ces faisceaux ayant des dimensions analogues aux éléments constituants de * la rétine). M. Sturm ajoute que, même en deçà ou au delà des foyers des faisceaux, une image nelte peut se produire, attendu que dans les points voisins des foyers les faisceaux ont une dimension sensiblement la même que dans l’espace interfocal. CSS 1 658 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. sitions ont été faites; mais ce n’est que depuis peu que la question est entrée dans la voie expérimentale. Ê Les uns ont pensé que la courbure de la cornée pouvait augmenter, par suite de la compression du globe oculaire par la contraction des museles droits; mais l'examen le plus attentif de la cornée, à l’aide d’une lunette micrométrique, dont on amène le fil vertieal tangent à la cornée, ne per- met pas d'apprécier ce prétendu changement de courbure, qui corres- pondrait à la vision des objets rapprochés. Les recherches d’Young ayant établi que ces changemenis, pour être eflicaces, devraient apporter au rayon de courbure de la cornée une variation de 5 à 7 millimètres, ces changements seraient très-visibles s'ils étaient réels. Young, après avoir combattu l'hypothèse des variations de eourbure de la cornée transpa- rente, pour l'explication de la vision distincte à diverses distances, rem- place par une autre hypothèse celle qu'il vient de renverser. Il compare le cristallin à un muscle qui aurait en lui-même la propriété de modifier, par ses contractions, ses diverses courbures. Or, s’il y a dans l’économie animale une partie à coup sûr non musculaire, certes c’est le cristallin. On a pensé que la distance qui sépare la rétine du cristallin pourrait être diminuée ou augmentée par l’état de contraction ou de relâchement des museles droits et des museles obliques de l'œil. Cette opinion est en- core aujourd'hui celle de beaucoup de physiologistes. Le globe oculaire reposant en arrière sur un plan aponévrotique concave, solidement fixé à la base de l'orbite, on concoit que la contraction simultanée et graduée des quatre muscles droits puisse, en comprimant l'œil d'avant en arrière sur le plan aponévrotique résistant, diminuer l’axe antéro-postérieur de l’œil, et par conséquent la distance qui sépare le cristallin de la rétine. On concoit également que la contraction des muscles obliques puisse agir en sens contraire et augmenter cette distance. Vu le peu de compressi- bilité des liquides, il faut admettre, dans cette hypothèse, que les mem- branes du globe oculaire, et en particulier la sclérotique, qui en forme la charpente solide, sont doués d’une certaine élasticité. Si cet allongement ou ce raccourcissement de l’œil, suivant son axe antéro-postérieur, a réellement lieu, comme on le pense, il doit, sous peine d’être ineflicace, ne pas être circonscrit dans des limites trop restreintes. De plus, les par- tisans de cette doctrine ne disent pas si ces variations portent sur tous les éléments transparents de l’œil pris en masse, ou seulement sur certains éléments pris en particulier. Cette explication est donc assez vague et ne repose d’ailleurs sur aucun fait bien constaté. L’œil est une lentille composée à très-court foyer. Si le cristallin était susceptible de se mouvoir, dans sa totalité, par un mouvement de transla- tion en avant ou en arrière, il lui sufirait de parcourir un trajet très-peu considérable pour accommoder le foyer des rayons lumineux à toutes les . distances possibles de l’objet : aussi quelques physiciens ont-ils placé, dans les changements de position de totalité de la lentille cristalline, les LA :CHAP, III. SENS DE LA VUE. 659 phénomènes de l’accommodation. Mais les chambres de l’œil sont rem- plies par l’humeur aqueuse; la translation en avant du cristallin en masse est-elle possible? Elle ne pourrait l'être qu'autant que l’humeur aqueuse passerait libre- ment du segment antérieur de l’œil dans le segment postérieur pour pren- dre la place laissée libre par le cristallin, Il est vrai que M. Ribes a dé- erit, et que d’autres ont admis, sur les contours du cristallin, de petits canaux par lesquels le passage du liquide pourrait s’opérer ; mais c’est en vain qu’on cherche sur les yeux frais les canaux de M. Ribes ; personne depuis n’a pu les mettre en évidence. Ajoutez que le cristallin est fixe en arrière, et que sa capsule est intimement adhérente aux membranes du corps vitré. La doctrine de l’adaptation n’est véritablement entrée dans le domaine de la démonstration rigoureuse que dans ces dernières années. M. Cra- mer, en Hollande, et M, Helmholtz, en Allemagne, ont, chacun de leur côté, démontré par des expériences ingénieuses la nature et le siége des changements qui s’accomplissent dans l'œil. M. Cramer a eu recours à une méthode basée sur un fait connu depuis longtemps déjà, d’après les observations de Sanson et de Purkinje, mais qu'on n’avait pas encore cherché à utiliser pour cette recherche. On sait que lorsqu'on place la flamme d’une bougie à une certaine distance d’un œil sain, on peut apercevoir dans l'œil trois images de cette flamme. L'image antérieure À est droite, et est engendrée par réflexion à la surface anté- rieure de la cornée ; l’image moyenne M est renversée et petite : elle est engendrée par la face postérieure du cristallin, agissant comme miroir concave; l’image postérieure P est droite : elle est engendrée par la face antérieure du cristallin. Il est évident que la position respective de ces diverses images dépend de la nature et du degré de courbure des miroirs concaves ou convexes qui les engendrent. Si, à certains moments déter- minés, les rayons de courbure des milieux transparents de l'œil éprou- vaient des changements, ces changements seraient accusés dans les ima- ges qui leur correspondent par un changement de position. Or, c’est précisément ce qui arrive. Supposons que l'œil du sujet en expérience fixe d’abord un objet placé à 100 mètres de distance, et qu'il fixe ensuite un objet placé à 1 mètre : l'observateur remarque qu’au moment où le sujet regarde un objet plus rapproché, il y a dans l’image P une /ocomo- tion, en vertu de laquelle elle se rapproche du côté de la bougie. Les deux autres images restent sensiblement immobiles. L'image P se rap- prochant du côté de l’observateur, c’est que la surface antérieure du eris- tallin s’est déplacée en avant; si les deux autres images n’ont pas changé leur position relative, c’est que la surface postérieure du cristallin et la - cornée n’ont pas changé de position. D'où M. Cramer conclut que, dans la vision des objets rapprochés, le cristallin change de forme en devenant ! L'image P se rapproche par conséquent de l’image M. 660 LIVRE 11, FONCTIONS DE RELATION. de plus en plus convexe en avant. Le phénomène dont nous parlons peut s’observer à l’œil nu; mais on peut le rendre beaucoup plus sensible en se servant de l’ophthalmoscope (Voy. fig. 146, p. 669), instrument à l’aide duquel on peut amplifier de cinq, dix ou vingt diamètres les images observées. M. Helmholtz a constaté, comme M. Cramer, les changements de position des images de Sanson. Mais il a fait plus : à l’aide d’un instrument d’une grande précision, il a mesuré, à 1/100° de millimètre près, les variations de la grandeur de l’image correspondantes aux variations dans le rayon de courbure de la face antérieure du cristallin; il a montré dans quelles limites ces changements ont lieu; il a prouvé par le calcul que ces chan- gements sont tout à fait en harmonie avec les lois de l'optique, et qu'ils expliquent parfaitement la vision distincte aux diverses distances. M. Helmholtz a encore prouvé que la face postérieure du cristallin, quoi- que ne se déplaçant pas comme l’antérieure, augmente cependant de convexité, ce qui se traduit par un changement de grandeur dans l’image correspondante M. Il a enfin remarqué, de même que M. Hueck, que li- ris est en même temps légèrement projeté en avant dans sa partie pu- pillaire, et qu'il prend par conséquent une forme légèrement convexe. De ces diverses observations il résulte que le cristallin, au moment de l'accommodation, tend à se rapprocher de la forme sphérique. L’épais- seur de la lentille qu’il représente augmente, et les bords de la lentille cristalline sont déprimés et se rapprochent vers le centre. Les changements de forme du cristallin sont donc démontrés par des expériences précises et rigoureuses. La question qui se présente mainte- nant est celle-ci : quels sont les agents qui déterminent ces changements ? On sait, depuis les recherches de M. Brücke, celles de M. Browman et celles plus récentes de MM. Reeken, Rouget et Sée, qu'il y a dans l’inté- rieur de l’œil des reptiles, des oiseaux, des mammifères et de l’homme un muscle, désigné par M. Brücke sous le nom de fenseur de la choroïide, et par M. Browman sous le nom de muscle cihaire. Ce muscle forme une sorte d’anneau aplati, dont les fibres ont généralement nne direction antéro- postérieure. Le bord antérieur de ce muscle, ou sa petite circonférence, répond à l'union de la cornée avec la selérotique ; son bord postérieur, ou sa grande circonférence, se confond insensiblement avec les couches ex- térieures de la choroïde, et on peut suivre ses fibres jusque vers la par- tie moyenne de cette membrane. On conçoit que ce muscle, en se con- tractant, refoule vers le centre les bords du cristallin et augmente ainsi le diamètre antéro-postérieur de la lentille. Quant aux procès ciliaires, con- stitués par un appareil vasculaire très-riche, leur rôle n’est pas nettement déterminé. Ou bien ils sont destinés à compenser par leurs divers états de réplétion ou de vacuité les différences de capacité qui résultent des mouvements internes de l’œil; ou bien (comme l’a ingénieusement ex- posé M. Rouget) ils prennent eux-mêmes une part active aux mouvements. CHAP. III. SENS DE LA VUE. 661 Distendus par le sang, sous l'influence de la contraction du muscle ciliaire, qui les placerait dans une sorte d’état érectile , ils représenteraient un coussin élastique destiné à répartir uniformément la pression du muscle ciliaire sur le pourtour du cristallin *. Lorsque nous regardons successivement des objets placés à des di- stances diverses, nous avons parfaitement conscience qu’il s’accomplit dans notre œil un changement accompagné d’un véritable effort. Or, cet effort est d'autant plus sensible que les objets sont plus rapprochés; il de- vient même douloureux lorsqu'ils sont très-rapprochés. Si, après avoir fixé pendant longtemps des objets très-rapprochés, nous jetons les yeux sur des objets situés à des distances considérables, sur un vaste panorama. par exemple, nous sentons comme une sorte de détente et comme une sen- sation de bien-être. La construction optique de l’œil paraît donc disposée de telle sorte que, dans l’état de repos de l’œil, le foyer des rayons lu- mineux sur la rétine correspond à la vision des objets éloignés, et que l'effort d’accommodation s’opère à mesure que la distance des objets di- minue.Or, à mesure que la distance des objets à l’œil diminue, la distance de l’image à la lentille cristalline augmentant, il s'ensuit que l'effort qui a lieu concorde parfaitement avec les fonctions du muscle tenseur de la choroïde, dont les contractions déforment le cristallin et augmentent son diamètre antéro-postérieur. C’est une locution vulgaire et qui ne manque pas de vérité que de dire de la vision attentive des objets rapprochés, qu'elle fire les yeux. Ainsi, de même que le globe oculaire se meut dans l'orbite, pour aller en quelque sorte à la recherche des images (comme la main se dirige vers les corps qu’elle veut saisir), de même les milieux réfringents de l’œil se meuvent aussi, mais d’une quantité infiniment plus petite, pour se mettre en rapport avec les objets diversement éloignés. S 285. De l’aberration de réfrangibilité ou du chromatisme.— Nous avons précédemment établi que le cristallin n’était pas soumis, comme les len- tilles homogènes, à l’aberration de sphéricité ; nous ajouterons que l’œil humain n’est pas soumis non plus à l’aberration de réfrangibilité ou chro- matisme. 1 Au premier abord, on pourrait objecter à la théorie de l'adaptation, telle que nous venons de l’exposer, que les opérés de la cataracte peuvent cependant voir encore à des distances diverses. Mais c’est là une supposition inexacte. Si l'absence du cristallin n'empêche pas la vue de se rétablir en partie, il n’en est pas moins vrai qu’elle est toujours plus on moins confuse, qu’elle n’est jamais parfaitement nette, et que les points focaux des images qui tom- bent sur la rétine la rencontrent constamment par des cercles de diffusion plus ou moins étendus, suivant la distance des objets. M. de Graefe, qui s’est livré à cet égard à de récentes recherches, a conclu, d’une série d'expériences tentées à l’aide de l'optomètre (Voy. S 286), que les individus privés de cristallin par des opérations chirurgicales ont perdu la faculté de l’accommodation. 42* 662 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. On appelle chromatisme le phénomène qui se produit lorsque la lu- mière traverse des substances transparentes, dont les faces correspon- dantes ne sont pas parallèles. On sait qu’elle se décompose alors en sept couleurs primitives, qui sont le violet, l’indigo, le bleu, le vert, le jaune, l’orangé, le rouge. Les substances transparentes, taillées en forme de prisme, jouissent de cette propriété au suprême degré. La décomposi- tion de la lumière blanche par les prismes tient à ce que les couleurs pri- mitives qui la composent sont inégalement réfrangibles. Soit un faisceau de lumière L (Voy. fig. 141) traversant un prisme P, placé dans une cham- bre obscure, la base tournée en haut; le faisceau sera décomposé et viendra former sur l'écran E une image colorée dite spectre solaire. La couleur violette, qui est la plus réfrangible, occupera le sommet du spec- tre, tandis que la couleur rouge, qui est la moins réfrangible , occupera la partie inférieure de l’image colorée. Fig. 141. violet indigo bleu vert jaune orangé rouge NN NN ANA Les lentilles décomposent aussi la lumière blanche; elles jouissent du pouvoir dispersif, mais à un plus faible degré. Dans le voisinage du cen- tre, les faces de la lentille pouvant être considérées comme sensiblement parallèles, les images reproduites par elle ne sont point sensiblement co- lorées; mais à mesure qu’on s'éloigne du centre, l’inclinaison des faces de la lentille se prononce, et la dispersion se produit. Aussi les images formées au foyer des lentilles simples sont irisées sur leurs bords; elles sont soumises au chromatisme. Dans l’œil, les divers milieux transparents qui le composent corrigent réciproquement leur pouvoir dispersif, à l’aide de leur densité et de leurs courbures différentes. C’est par l’examen attentif de l’œil humain qu'Eu- ler découvrit les lois de l’achromatisme, et voilà pourquoi, dans les in- struments d'optique, on associe les lentilles, afin d'obtenir des images qui ne soient point irisées sur leurs bords, comme celles qu’on obtient avec ea CHAP. III, SENS DE LA VUE, 665 des lentilles simples. Les instruments ainsi corrigés sont dits ackromati- ques. L’œil est achromatique. L’achromatisme de l’œil est la conséquence de l’absence d’aberration de sphéricité dans la lentille cristalline (Voy. $ 281 et 282). Dans toute lentille où la distance focale des rayons réfractés est la même pour tous les rayons, il n’y a point de chromatisme ou de couleurs irisées sur le contour des images. Les bordures colorées n'apparaissent qu'avec les cercles de diffusion, conséquence des distances focales inégales. Or, comme dans l’œil tout est disposé de facon que l’image, qui n’est que l’ensemble des foyers, se produise toujours au même point, et d’une ma- nière parfaitement nette pour toutes les distances de l’objet éclairé, nous pouvons dire que l’œil est parfaitement achromatique. Quelques physiologistes ont combattu cette manière de voir. Voici l’ex- périenee qu’ils invoquent. Soit un champ blanc sur un fond noir (Voy. fig. 442). Si vous fixez le champ blanc de la figure 142, il se détache vi- vement sur le fond noir sur le- Fig. 142. quel il est placé, et ses bords sont nets et non colorés; mais si vous regardez un point ima- ginaire placé entre l’æil et le champ blanc; si, comme on le dit, vous regardez dans le vide, c’est-à-dire si vous adaptez votre vue’pour la vision distincte d’un point qui serait placé en avant du plan d'observation, le champ blanc ne tarde pas à vous appeñ raître confusément, et ses bords deviennent colorés. Cette expé- rience prouve-t-elle que l’œil n’est point achromatique ? Nul- lement. Elle prouve , au contraire, que l'œil est disposé pour l’achroma- tisme, puisque, pour constater les phénomènes du chromatisme, il faut se placer en dehors des conditions de la vue normale, puisqu'il faut, en un mot, pour faire apparaître les zones colorées, s’efforcer de voir un objet sans le regarder. C’est exactement comme si l’on prétendait que le foyer des image s n’est pas situé à la rétine, parce qu'un objet éloigné, placé sur la projec tion d’un autre objet plus rapproché que l’on regarde, ne donne sur la” rétine que des cercles de diffusion et, par suite, une image confuse (Voy. S 282 et fig. 140). Limite de la vision distincte des objets rapprochés, —Myopie, — Presbytie, — Optomètre et optométrie. — L'æœil apercoit les corps luini- 664 LIVRE If. FONCTIONS DE RELATION. neux placés dans l’espace à des distances infinies, et s’accommode par ses changements intérieurs à la vision des objets successivement plus rapprochés. Mais le pouvoir d’accommodation de l’œil a des limites. Lorsque l’augmentation des courbures du cristallin est portée à ses der- nières limites, et que l’objet se rapproche encore de l’organe de la vi- sion, la vue cesse d’être possible, au moins d’une manière nette, et nous n'avons plus sur la rétine que l’image confuse des objets. Dans ces cir- consiances, comme on le conçoit, la confusion vient de ce que les foyers de l’image ne se réunissent plus à la rétine mais derrière elle, et que les cônes ne tombent plus sur la rétine par leur sommet, mais par des cer- cles de diffusion. Soit AB (Voy. fig. 143) un objet frès-rapproché du globe oculaire. Le Fig. 143. cône de lumière qui part du point À, pris sur cet objet, ne formerait son foyer qu’en a, c’est-à-dire derrière la rétine. Il en est de même du point B, dont le foyer tomberait en 6, et ainsi de tout autre point pris sur le corps AB. Les cônes de lumière rencontrent donc la ré- tine, non plus suivant des points focaux, mais suivant de petits cercles de diffusion qui ont pour diamètre xx’ dans la figure 143. La confusion est d'autant plus grande que les cercles de diffusion sont plus grands et que le foyer réel est plus éloigné de la rétine. La vision distincte cesse d’être possible chez la plupart des hommes, pour toutes les distances moindres de 0",2. ” Il est quelques personnes qui ont la faculté de voir très-distinctement les objets à des distances beaucoup plus petites, à 0",1, par exemple, et quelquefois à des distances moindres encore; on dit de ces personnes qu’elles sont myopes. D’autres ne peuvent rapprocher les objets à une distance de 0,5, ou 0,6, sans cesser de les voir distinctement : ce sont les presbytes. Ajoutons que si les myopes ont l’avantage de voir les ob- jets de plus près que les hommes doués d’une vue ordinaire, ils ont le désavantage, bien autrement fâcheux, de ne voir que d’une manière con- fuse tous les objets situés en dehors des limites restreintes de leur vision distincte. Les presbytes sont mieux partagés que les myopes. Ils voient confusément ce qui les touche de près, mais leur champ visuel peut s’é- tendre au loin. Les myopes étant obligés de rapprocher les objets pour les voir dis- tinctemeni reculent ainsi le foyer de l’image (Voy.$S 271). Ce qui rend leurs yeux défectueux, c’est donc que les rayons lumineux qui traversent les milieux réfringents de l'œil se réunissent en avant de la rétine lorsque les objets sont situés à une certaine distance des veux. Les veux presbytes CHAP. IN. SENS DE LA VUE, 665 sont, par contre, ceux dans lesquels les rayons réfractés se réunissent en arrière de la rétine, pour les objets rapprochés. A quoi tiennent ces deux imperfections? Elles pourraient dépendre ou d’un changement dans la courbure normale des milieux réfringents de l'œil, ou de l'impossibilité où se trouverait l’œil de s’accommoder aux di- verses distances. Dans le premier cas, l'excès de courbure, et par consé- quent de réfringence, entraînerait lamyopie : la diminution de courbure, et par conséquent de réfringence, entraiînerait la presbytie. Dans le cas, au contraire, où on devrait attribuer la myopie et la presbytie au défaut d’a- daptation de l'œil aux diverses distances, il faudrait admettre que les changements intérieurs qui s’accomplissent dans l'œil sont, dans ce cas, impossibles ou incomplets. Malgré l'autorité imposante de M. Müller, qui penche vers cette der- nière supposition, nous pensons, avec la plupärt des physiologistes, que la myopie et la presbytie tiennent à des variations anormales de courbure dans les milieux transparents de l’œil. Les moyens à l’aide desquels on remédie aux vices de la vision tendent à le démontrer. Chacun sait qu'on corrige ces imperfections par l’emploi des lunettes; que la vue presbyte est modifiée par des verres convexes, qui rapprochent le foyer de la len- tille représentée par l’œil, et que la vue myope est corrigée par des verres concaves, qui l’éloignent. Or, si à l’aide des lunettes le myope et le pres- byte n’ont pas toujours une vision aussi complète que celle des bons yeux, ils ont cependant le pouvoir de distinguer nettement des objets situés à des distances variées. Le pouvoir d’accommoder l’œil à la distance des objets n’est donc pas anéanti. Si la myopie et la presbytie tenaient au dé- faut d'adaptation de l'œil, il s’ensuivrait nécessairement que les verres concaves ou convexes diminueraient ou augmenteraient la distance de la vision nette d’une quantité donnée et invariable, qui dépendrait du rap- port entre la réfringence de la lentille employée et celle de l'appareil optique représenté par l'œil. Il faudrait au myope ou au presbyte autant de lunettes qu'il voudrait distinguer d'objets. On ne voit pas ce qu’on ga- gnerait à leur emploi, si, en effet, elles n'avaient d'autre but que de dé- placer le point de la vision distincte et de le transporter à une distance invariable ". Une expérience très-ingénieuse, due à M. Scheiner, et que chacun 1 La vision des objets devient confuse, disons-nous, pour toutes les distances moindres de Om,2, et la confusion augmente à mesure que cette distance diminue. C’est ce dont il est facile de se convainere en plaçant la page d’un livre tres-près des yeux. Les caractères ces- sent alors d’être visibles, et l'œil ne distingue plus qu’une masse confuse. Mais si, conser- vant la même distance entre l'œil et le livre, on interpose une carte percée d’un simple trou d’épingle, aussitôt les caractères redeviennent visibles. Cette expérience, indiquée par Lecat dans son Traité des sensations, a été diversement interprélée depuis, Lecat me parait toute- fois en avoir donné l'explication la plus satisfaisante. Ii attribue la production de l’image, dans ce cas, à l’infleion de la lumière sur les bords de l'ouverture de la carte. L’inflexion ou la diffraction de la lumière au bord de l'ouverture rapprocherait une partie des rayons 666 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION. peut reproduire à volonté, permet de déterminer, avec une grande exac- titude, le point précis de la limite de la vision distincte. Comme cette li- mite, ainsi que nous l’avons dit, n’est pas la même chez les divers indi- vidus, on conçoit l'utilité de l'expérience de M. Scheiner, et l’application qu'on en peut faire dans le choix raisonné des lunettes. Voici cette expé- rience : on pratique dans un écran (dans une carte, par exemple), et dans la direction horizontale, deux trous d’épingles, à une distance moin- dre que le diamètre de la pupille. On applique l'écran devant l’un des yeux, et on regarde au travers des trous une ligne noire, perpendieu- laire, tracée par avance sur une feuille de papier blanc, où un fil noir collé perpendiculairement sur le carreau d’une fenêtre bien éclairée. Quand l'observateur est très-rapproché de la ligne, celle-ci paraît double ; elle n’est vue simple qu’à une certaine distance, qui est précisément la limite de la vision distincte. Lorsque la distance augmente, la ligne n’est plus vue simple ; elle redevient double. Voici ce qui se passe dans l’œil (Voy. fig. 14%). Soit À un point pris sur la ligne noire; soit B la coupe de l’écran. Le cône de lumière qui rayonne du point À vers l’œil se trouve partagé en deux, par la partie de l’écran intermédiaire aux deux'trous. Le point À envoie donc, par les trous de l’écran, deux petits cônes qui traversent isolément les milieux réfringents de l'œil. Dans la figure 144 l’objet est supposé érés-rapproché du dia- Fig. 144. phragme; dès lors les cônes lumineux se réunissent derrière la rétiné (Voy. plus haut fig. 143), et chacun vient former sur la rétine un petit vers le centre, et contribuerait x augmenter la convergence. Le foyer ou l’image qui, sans cette intervention, tomberait derrière la rétine, se trouverait ainsi reportée en avant. L'image ainsi produite ne présente, d’ailleurs, qu'une faible intensité, et cela se conçüit. D'une part, le diaphragme interposé entre l’œil et l’objet élimine une grande quantité de rayons lumineux, et, d'une autre part, il n’y a que les rayons infléchis vers le centre de l’ou- vérlure qui forment l’image. Les rayons infléchis vers le dehors, tombant sur l'iris, ne ser- vent point à la vision. L'image produite présente aussi des dimensions plus grandes que lorsqu'on regarde l'objet à l'œil nu et à la distance de la vision distincte. Celte amplification de l’image tient à ce que l'œil, placé dans ces conditions exceptionnelles, aperçoit l’objet sur la projection des rayons infléchis. En d’autres termes, ce n'est pas l'objet lui-même qu'on voit alors, mais une image virtuelle de l’objet. L'inflexion agit ici absolument comme la len- tille d'une loupe simple. CHAP. III. SENS DE LA VUE. 667 cerele de diffusion en a et a’. Le point A est vu double, et chaque image un peu amplifiée est reportée dans la direction des rayons x et x’, sui- vant le centre optique de l’œil. Lorsque le point À est beaucoup plus éloigné de l'écran (Voy. fig. 145), les petits cônes de lumière qui passent par les trous de l’écran se réu- nissent en avant de la rétine, et, poursuivant leur marche après leur inter- section, viennent également frapper la rétine par deux cercles de diffu- sion a et a’: le point A est vu double, et chaque image est également reportée dans la direction des rayons x et x’ 1. Fig. 145. Quand le point A est moins rapproché du diaphragme qu’il ne l’est dans la figure 144, et quand il est moins éloigné qu'il ne l’est dans la figure 145, il arrive un moment où il est vu simple. Cela a lieu quand les deux cônes partis du point A éprouvent dans l’œil une convergence telle qu’au lieu de tomber en arrière ou en avant de la rétine, ils correspondent précisé- ment à cette membrane par leurs sommets réunis. La distance qu'il faut donner à l’objet pour qu’il soit vu simple à l’aide du diaphragme à deux ouvertures dépend, comme on le concoit, du de- gré de convergence des milieux transparents de la lentille oculaire, et elle varie comme elle. Si donc on monte le diaphragme à deux ouvertures sur un châssis ; si l’on fixe perpendiculairement un fil sur une lame de verre dépoli, et si l’on dispose le châssis et la lame de verre sur un axe commun et gradué, de manière à pouvoir les rapprocher ou les éloigner l’un de l’autre, au moyen d’un mouvement de vis, on a ainsi un instrument au- quel on a donné le nom d’optomètre. A l’aide de cet instrument, on peut mesurer la limite de la vision distincte, calculer avec une grande préci- sion la direction des rayons lumineux dans l’œil, et vérifier un grand nombre de problèmes d'optique. M. Ruete a proposé de remplacer les lunettes par l’optomètre, dans les diverses épreuves du recrutement où l’on se propose de vérifier si la myopie est ou n’est pas simulée. 1 La preuve que les choses se passent ainsi, c’est que si, au moment de l'observation, on ferme l’ouverture de droite de l’écran B, c’est l'image de gauche x’ qui disparaît dans l’expé- rience représentée fig. 144 ; tandis que, dans l’expérience représentée fig. 145, c’est l’image de droite æ qui disparait, quand on ferme l'ouverture de droite. 668 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. S 287. L'impression a lieu sur la rétine. — Du punctum cæeum. — Après avoir passé en revue les phénomènes physiques de la vision, et analysé les conditions nécessaires à la formation des images, il nous reste à ex- poser le rôle que jouent la rétine et le nerf optique, relativement à l’im- pression et à la transmission de la lumière. Et d’abord, sur quelle partie de l’œil se fait l'impression de la lumière? La rétine est-elle la membrane sensitive chargée de recevoir cette im- pression ? Aujourd’hui cela ne fait plus question. La structure nerveuse de cette membrane, sa continuité avec le nerf optique, et, par le nerf op- tique, avec l’encéphale ; la présence constante d’un nerf spécial, et de son - expansion sensitive, dans tout organe du sens, ne permettent pas le doute à cet égard. À une autre époque, un physicien célèbre, Mariotte, et un physiologiste distingué, Lecat, émirent des doutes sur le rôle de la rétine, et transpor- tèrent à la choroïde la faculté de l’impression. Cette opinion reposait sur les arguments suivants : 1° une expérience, faite pour la première fois par Mariotte, prouverait que la partie centrale de la rétine, celle qui corres- pond à l'insertion du nerf optique, est insensible; 2° le seul point du fond de l’œil où la sensation de la lumière ferait défaut est le seul où la cho- roïde manque (la choroïde est percée en ce point pour laisser passer le nerf optique); 3° la demi-transparence de la rétine laisse pénétrer les rayons lumineux à travers son épaisseur jusqu’à la choroïde; 4° un cer- tain nombre de physiologistes d’alors plaçaient le siége de la sensibilité dans la pie-mère, et ils croyaient avoir démontré la continuité de la cho- roïde avec la pie-mère cérébrale. L'expérience de Mariotte consiste à tracer, à la même hauteur et à 15 centimètres de distance, deux cercles ! blancs de 3 centimètres de rayon, sur un tableau noir. On se place ensuite en face du tableau, et, fermant l'œil gauche, on fixe le cercle du côté gauche avec l’œil droit : on voit ainsi, non-seulement le cercle que l’on fixe, mais encore celui qui est placé à côté ; mais si on s’éloigne peu à peu du tableau, il arrive un point où l’on n’a plus que la sensation d’un seul cercle, le cercle du côté gauche, sur lequel la vue est fixée; le cercle droit cesse d’être vu. Or, le point où l’on ne voit plus qu’une seule image est précisément celui qui correspond à la projection des rayons de l’objet qui cesse d’être vu sur la partie de la rétine qui donne insertion au nerf optique. Ce qui le prouve, c'est qu'en s’éloignant de nouveau, la vision des deux objets reparaît, à mesure que le foyer des images change de place sur la rétine. Cette insensibilité de la rétine as le punctum cœæcum est loin d'être absolue, comme l’expérience précédente tendrait à le faire supposer. La 1 Nous disons deux cercles, et non pas deux circonférences. Ce qu'il y a de mieux, c’est de découper deux cercles de papier et de les coller sur un tableau ou sur un fond noir, CHAP. ILE. SENS DE LA VUE. 669 sensibilité visuelle est obscure en ce point, mais elle existe encore. Si, en effet, on substitue un corps en ignition à celle des deux images qui dis- paraît, il n’est plus possible de transformer la sensation des deux objets en une seule. Un corps vivement éclairé impressionne donc encore la portion la moins sensible de la rétine. On peut concevoir pourquoi la rétine présente au punclum cæcum une sensibilité obtuse. Les rayons lumineux qui tombent en ce point traver- sent, comme d’ailleurs sur toute l’étendue de la rétine, les éléments ner- veux semi-transparents sur lesquels ils exercent leur action ; mais la ré- tine n’étant point doublée en ce point par la choroïde et son pigment, la lumière n’est point annulée après avoir produit son effet utile; elle est, en partie, renvoyée par réflexion au travers de la membrane qu’elle vient de traverser, et il en résulte une confusion qui nuit à la formation de l'image en ce point. Voilà, sans doute, pourquoi l'insertion du nerf op- tique sur l’œil ne se fait point dans l’axe visuel, mais sur les côtés, de ma- nière que le siége des images ne corresponde point en même temps sur cette même portion des deux rétines, dans les conditions ordinaires de la vision (Voy. S 293). Toutes les fois que la vision s'exerce, nous l'avons dit déjà (Voy. $ 279), une petite quantité des rayons lumineux qui entrent par la pu- pille pour gagner la rétine sont réfléchis par les milieux transparents de l'œil. Une partie des rayons réfléchis tombent sur la face postérieure de l'iris (sur l’uvée) où ils sont annulés, une autre partie est reportée au de- hors par l’ouverture pupillaire elle-même. Cette proportion de lumière réfléchie au dehors est trop peu considérable dans l'état ordinaire pour que nous puissions, à son aide, prendre connaissance des parties pro- fondes de l'œil; d'autant plus que l'observateur, en se plaçant devant l'œil qu’il examine, empêche celui-ci d’être suffisamment éclairé. Mais si, à l’aide d’un miroir convenablement éclairé, on concentre vers l'œil une grande quantité de lumière, et si l'observateur se place de telle 670 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. manière, que n'étant point sur le trajet des rayons lumineux qui se diri- gent vers l’œil qu'il observe, il se trouve cependant sur le trajet des rayons lumineux réfléchis par l'œil, il peut ainsi apercevoir le fond de cet organe. L'observateur peut en outre amplifier l’image du fond de l’œil à l’aide d’un jeu de lentilles placé en arrière du trou central du miroir par lequel il observe, et apercevoir ainsi le réseau sanguin de la rétine (c’est-à-dire les ramifications de l'artère et de la veine centrale de la rétine). Quand l’œil en observation est très-fortement éclairé par le miroir (ophthalmoscope), on peut même distinguer le point qui correspond à l'entrée du nerf optique dans l’œil (punctum cæcum) : dans ce point, la rétine, dépourvue de pig- ment à sa face postérieure, se distingue des parties voisines par une ap- parence plus éclairée. MM. Helmholtz, Ruete, Donders, Coccius, Follin, Meyerstein, etc., etc., ont proposé des ophthalmoscopes qui diffèrent les uns des autres par leur construction, mais qui reposent tous sur le principe que nous venons d'établir, La figure 146 représente l’ophthalmoscope que M. Follin à fait construire d’après les données de M. Coccius. C'est un des plus com- modes dans l'application. $ 288. Nature de l'impression visuelle. — Vision subjective. — La nature de l'impression causée sur la rétine par la lumière est complétement in- connue. On peut l’envisager toutefois comme un ébranlement molécu- laire, en rapport avec les ondulations de la lumière. Cet ébranlement sui generis, déterminé dans la rétine par la lumière, peut être mis en jeu au- trement que par son excitant naturel, c’est-à-dire qu’on peut imprimer à la rétine, au travers des membranes et des milieux transparents de l'œil, des ébranlements physiques, qui se traduisent par des sensations subjec- hves de lumière. Ainsi, en se plaçant dans une obscurité complète, et en comprimant fortement le globe oculaire d’avant en arrière ou sur les côtés, on aperçoit des lueurs plus ou moins intenses, ou des figures lumineuses de diverses formes. Il arrive souvent aussi que, lorsqu'on tourne brusque- ment les yeux dans l’obscurité, et par un mouvement forcé, on voit ap- paraitre un grand arc lumineux, qui disparaît à l'instant. Dans les efforts qui ont pour conséquence l’aflux du sang vers la tête, le réseau sanguin de la rétine agit par compression sur la portion nerveuse de la membrane et détermine la sensation d’arborisations lumineuses. Ces images lumi- neuses constituent une des preuves de la spécialité d’action des nerfs des organes des sens. Quel que soit l’excitant à l’aide duquel on cherche à ré- veiller la sensibilité d’un nerf de sens, celui-ci répond par la sensation qui lui est propre. Dans le phénomène particulier dont nous parlons, la sensibilité de la rétine (expansion du nerf optique) se trouve mise en jeu par compression mécanique. L'étude des sensations subjectives de lumière offre un grand intérêt, et - CHAP, II. SENS DE LA VUE, 671 nous aurons occasion d’y revenir plus loin, dans la discussion de certains points encore controversés de la vision. Pour le moment disons seulement que la tache lumineuse qui apparaît dans l’œil comprimé a une forme analogue à celle du corps comprimant. Si l'on comprime l’œil avec la pulpe du doigt, la tache lumineuse, ou le phosphène *, a la forme d’une sorte de croissant ; l'extrémité du doigt appliquée à plat sur un des points de la eirconférence du globe oculaire agit, en effet, principalement suivant la courbe parabolique qui le termine. Si l’on comprime l’œil avec l'extrémité arrondie d’un crayon, la tache lumineuse est arrondie; si l’on taille en carré l'extrémité du crayon, la tache lumineuse est carrée; si l’on taille cette extrémité en triangle, la tache est ériangulaire, Les sensations sub- jectives de la rétine ne donnent done pas seulement la sensation de lu- mière, elles fournissent encore des images lumineuses subordonnées à la forme de l’excitant. Pour reproduire ces diverses expériences, il faut avoir soin de ne comprimer le globe oculaire que très-modérément. Une com- pression violente détermine, il est vrai, des taches lumineuses d’un grand éclat; mais comme cette compression s’étend par irradiation à toutes les parties de la rétine, celle-ci, ébranlée en masse, donne des effets généraux qui masquent le phénomène. $ 289. Durée de l'impression et de la transmission, — [La lumière n’agit point d’une manière instantanée sur l’organe de la vision. L’ébranlement de la rétine a une certaine durée ; une fois ébranlée, elle ne revient à son état de repos qu'après un laps de temps qui est loin d’être mappréciable. En second lieu, lorsque la lumière a ébranlé la rétine, l'impression reçue par celle-ci a besoin, pour être transmise au sensorium, d’un espace de temps qu'on peut déterminer. Il peut arriver, par conséquent : 1° que nous ayons encore la sensation d’un objet, alors que celui-ei a cessé d’im- pressionner la rétine ; 2 que l’objet qui a impressionné la rétine dispa- raisse, avant même que la sensation ne soit perçue. La durée de l'impression et celle de la transmission donnent naissance à un certain nombre d'illusions d'optique. Lorsque nous imprimons à un corps incandescent un mouvement rapide de rotation, il semble que nous avons devant les yeux une circonférence continue ; lorsqu'une fusée vo- lante s’élance dans les airs, elle semble conduire à sa suite une longue trainée de feu ; lorsqu'une voiture se meut avec une grande rapidité, les jantes qui réunissent la circonférence des roues avec les moyeux dispa- raissent ; lorsque les cordes vibrantes résonnent, elles paraissent ampli- fiées à leur partie moyenne. Évidemment, dans tous ces cas, l'illusion dépend de la persistance des impressions, alors que, par son mouvement 1 C’est ainsi que M. Serres, d'Uzès, désigne les images lumineuses subjectives. M. Serres a fait dernièrement sur ce sujet un livre rempli d'expériences et de considérations ingénieuses. (Voyez la bibliographie du chapitre Vision.) 672 LIVRE If, FONCTIONS DE RELATION. de translation , l’objet vient successivement impressionner de nouvelles parties de la rétine. De même, nous attribuons à l’éclair qui déchire la nue une durée qu'il n’a pas réellement; et, de plus, comme la lueur de l'éclair est instanta- née, et que la sensation visuelle ne l’est pas, il s’ensuit qu’au moment où nous le voyons, il a déjà disparu, etc. La durée des impressions de la rétine a été mesurée par divers obser- vateurs. On peut l’évaluer en moyenne à 1/3 de seconde. Il est un petit appareil des cabinets de physique, connu sous le nom de phénakisticope (ou phantasmoscope), qui traduit d’une manière saisissante la persistance et la durée des impressions de la rétine. Il consiste en un dis- que sur lequel, à des points voisins de la circonférence, on a quinze ou vingt fois figuré un homme ou un animal, pris aux divers moments successifs de la course ou du saut. Lorsqu'on imprime à ce disque un mouvement ra- pide de rotation (lorsqu'il décrit une circonférence entière en moins de 1/3 de seconde), et qu'on regarde dans une glace, au travers d'ouvertures multiples disposées sur le disque, l’homme ou l’animal semble courir ou sauter. En effet, au moment où chaque représentation figurée vient frapper la rétine, l'impression de celles qui la précèdent n’est pas éteinte. Lorsqu'un corps opaque, müû par un mouvement rapide de translation, parcourt un espace égal à son diamètre, en un temps moindre que celui de la durée de l'impression de la rétine, il échappe complétement à la vue. Re- marquez d’abord que, quelque rapide que soit la course d’un corps lumi- neux, jamais il ne passe inaperçu. Si une balle, si un boulet lancés par une arme à feu ne peuvent pas être vus, c’est précisément parce que ce sont des corps opaques. En effet, l’impression qu’un corps opaque déter- mine sur la rétine est, relativement à la ligne atmosphérique qu'il par- court, une privation de lumière. Or, en un endroit quelconque de son trajet, la sensation de la portion de l’espace éclairé que parcourt le corps persiste sur la rétine pendant le temps qu’emploie ce corps à franchir un espace égal à son propre diamètre. Par conséquent, la sensation de l’es- pace éclairé n’éprouve point d’intermittences; elle persiste sur tous les points du trajet que parcourt le corps, et celui-ci passe inapercu : telle est la raison pour laquelle nous ne voyons pas une balle de fusil ou un boulet de canon, lorsqu'ils sont dans toute la rapidité de leur course. $ 290. Dimensions des objets visibles, — Pour être visibles, les objets doivent avoir une certaine dimension. Lorsque ces dimensions sont trop faibles, les objets cessent d’être perceptibles à l’œil; ils ne peuvent plus être vus qu’à l’aide d'instruments grossissants. Quelque considérable que soit le volume d’un corps, il y a pareillement des détails de structure qui échap- pent à l'œil, et que peut seul nous révéler le microscope. Pourquoi y a-t-il des objets qui se dérobent à notre vue? Est-ce que tous CHAP. III, SENS DE LA VUE. 675 les corps, quelque petits que nous puissions les imaginer, ne rayonnent pas de toutes parts dans l’espace la lumière qu'ils reçoivent? Est-ce que ces rayons ne traversent pas les milieux transparents de l’œil et ne vien- nent pas peindre sur la rétine l’image de ces corps? Certainement tous ces phénomènes ont lieu, et cependant nous n’avons pas la notion de ces objets. Il y a donc des images qui se peignent sur la rétine et qui ne l’im- pressionnent point. Voici à quoi tient ce phénomène. La rétine, comme toutes les membranes et tous les tissus, est constituée par des éléments anatomiques qui, pour être très-petits, n’en ont pas moins des dimensions finies et mesurables. Les éléments de la rétine (j'entends les éléments essentiels, car il entre aussi dans sa composition des vais- seaux capillaires et un tissu cellulaire unissant, etc.) sont les mêmes que les éléments du nerf optique dont elle est l’épanouissement. Elle est constituée par des fibres nerveuses, qui ont chez l’homme 0,003 de diamètre. Or, chacune de ces fibres ne transmet et ne peut transmettre à l’encéphale qu’une seule impression en même temps. Il s’ensuit que, lorsque deux points À et B (Voy. fig. 147) d’un objet sont assez rappro- chés l’un de l’autre pour que l’angle Fig. 147. opposé par le sommet qu'ils sous-ten- dent sur la rétine soit mesuré par une distance ab, moindre de 0w»,003, ces deux points À et B cesseront d’être visibles séparément; ils tomberont tous ‘les deux sur une même fibre nerveuse primitive, et ne donneront lieu qu’à une impression mixte. On comprend qu’à plus forte raison, tous les points de l’objet compris entre À et B ne pourront pas être vus. Il en est de même des corps qui, dans leur fotalité, occupent dans l’espace des dimensions telles, que les rayons émanés des points les plus extrêmes de leur diamètre de figure ne me- surent sur la rétine que des distances moindres de 0m»,003. Traduisons par un exemple ces données anatomiques. Nous avons dit que la limite la plus rapprochée de la vision distincte était, en moyenne, de 2 décimètres (Voy. $ 286); quelle dimension doit avoir un objet placé à cette distance pour être visible ? Evidemment une dimension telle que la distance qui sépare ses deux points les plus extrêmes, dans l’image peinte sur la rétine, ne soit pas inférieure à 0®®,003. Dans la figure 147, la ligne Aa et la ligne Bô représentent les deux rayons des cônes de lumière qui, partant des points A et B, se croisent en o au centre optique de l'œil, et vont tomber sur la rétine. L’angle boa et l’angle BoA sont égaux, car ils sont opposés par le sommet. La distance du centre optique de l'œil à la rétine est connue (elle est d’environ 13 millimètres); le calcul est facile. Le triangle boa est au triangle BoA comme 13 millimètres (distance de la rétine ab au centre optique 0) sont à 2 décimètres (distance de l’objet au 45 674 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. centre optique 0). Or, si l’angle boa a pour mesure sur la rétine 0w»,003, l’angle BoA aura pour mesure, en AB, 0,05 (c'est-à-dire 4/20 de mil- limètre). L'expérience directe prouve également que les corps qui n’ont que 1/20 de millimètre (0w»,05) sont placés à la limite extrême de la vision. Lorsque deux points lumineux, pris sur un objet, sont situés à une distance moindre que 02,05, l'impression produite sur la rétine par cha- cun d’eux n'étant pas distincte, il en résulte que, si l’un des points lumi- neux est coloré d’une facon et l’autre point coloré d’une autre façon, nous n'avons qu'une sensation mixte produite par le mélange des deux couleurs. Deux substances diversement colorées et mélangées, après avoir été réduites à un état de division tel que les molécules colorées aient moins de 0®",05 du diamètre, ne donnent que l'impression de la couleur résultant du mélange, alors même que chaque particule a con- servé son caractère propre. C’est ainsi que, grâce aux propriétés de la rétine, nous pouvons, avec les sept couleurs du spectre réduites en pou- dre impalpable, réaliser par des mélanges la série indéfinie des couleurs composées. ,. * $ 291. De la vue droite avec des images renversées, — L'une des conséquen- ces de la construction optique de l’œil, c’est que les images des objets sont renversées sur la rétine (Voy. fig. 124, 1432, 433). Or, c’est un phé- nomène qui n’a pas peu embarrassé les physiologistes et les philo- sophes que de savoir pourquoi nous voyons les objets droits, quoique leur image soit renversée au fond de l'œil. Buffon a prétendu que, primitivement, nous voyons les objets renver- sés, et que le toucher et l'habitude peuvent seuls nous faire acquérir les connaissances nécessaires pour rectifier cette erreur. Cette explication a été donnée aussi par Lecat; mais aucun fait ne prouve qu’il en soit ainsi. Cheselden a rapporté dans les Transactions plulosophiques l'observation très-intéressante d’un aveugle-né qui recouvra la vue, et il n’a point re- marqué dans son jeune opéré ce prétendu redressement des images. M. Müller, reproduisant l’ancienne opinion de Berkeley, soutient que, puisque nous voyons tout renversé, nous n'avons pas besoin d’une expli- cation de la vision droite. Rien, avait dit Berkeley, ne peut être renversé quand rien n’est droit, car les deux idées n’existent que par opposition. M. Müller, et d’autres avec lui, se sont laissé entraîner, à leur insu, dans le monde idéal de Berkeley, et ils ont oublié que, pour l’évêque de Cloyne, les objets visibles ne sont pas extérieurs, qu'ils n’ont ni figure, ni position, ni étendue. Pour nous, qui vivons dans le monde des réali- tés, nous pensons que les objets existent, qu'ils ne sont pas une simple modalité de notre être, et qu’il y a une parfaite ressemblance entre l’é- tendue, la figure et la position des corps révélés par la vue, et les mé- CHAP. I, SENS DE LA VUE, 67 mes qualités des corps perçus par le toucher. Lorsque nous disons qu'un objet est dirigé d’une certaine façon par rapport à l'horizon, ce n’est pas seulement parce que la vue nous le montre tel, mais encore parce que nous savons et que nous pouvons constater, à l’aide du toucher et les yeux fer- més, que l’objet en question présente, avec notre corps, exactement les mêmes relations. D'un autre côté, nous savons aussi, à n’en pas douter, que la représentation de cet objet, qui affecte avee notre corps une posi- tion déterminée, se trouve disposée sur la rétine dans une situation pré- cisément inverse. Il nous est donné, en effet, dans nos expériences, de voir directement cette image imprimée sur larétine (Voy. fig. 133, p. 644). A moins de récuser le témoignage du toucher, et de prétendre qu'il ne nous donne que des notions fausses sur la position des objets, il est im- possible de se soustraire à cette double évidence. 3 Lorsqu'on demande pourquoi nous voyons les objets droits el non ren- versés, n'est-ce pas comme si l’on demandait pourquoi nous voyons les objets tels qu’ils sont réellement, et non tels que leurs images se peignent sur la rétine ? Telle est, en effet, la véritable question. L'image que l’objet détermine sur la rétine, telle que nous l’apercevons sur un œil disséqué, ne représente que les divers points de la rétine im- pressionnés par la lumière. Ce n’est point la rétine elle-même, et comme étendue fiqurée, que nous percevons dans la vision, pas plus que ce ne sont les modifications de la membrane pituitaire que nous sentons dans l’odorat, pas plus que ce ne sont les modifications de la membrane au- ditive que nous entendons. C’est la lumière que nous voyons, c’est l’odeur que nous sentons, c’est le son que nous entendons. De même, ce que nous sentons dans le toucher, ce sont les objets extérieurs qui mettent en jeu la sensibilité. S'il en était autrement, les organes des sens ne seraient point disposés pour leur fin providentielle ; nous ne saurions acquérir la certitude du monde extérieur, et la vie ne serait qu’un rêve perpétuel. Le son, le choc, la lumière, laissent dans l’esprit une idée d’extériorité que rien ne peut dominer, et jamais un homme de sens commun ne pren- dra pour de simples modalités de son être les effets que ces agents déter- minent en lui. La tendance naturelle, invincible, à reporter à leur véritable source, et non sur le point de l’organisme où ils exereent leur impression, les agents qui mettent en jeu les organes des sens, est si puissante, que lors- que, par hasard, ces organes entrent en action en l’absence de leurs ex- citants naturels et par suite d’une cause anormale (hallucinations, songes), nous rapportons au dehors de nous les impressions qu'ils transmettent au sensorium. L'impression une fois produite, la rétine transmet à l’encéphale la no- tion de la direction des rayons lumineux qui viennent frapper chacune de ses parties élémentaires. L'impression du rayon de lumière a lieu, en effet, grâce à la demi-transparence de la rétine, dans toute l'épaisseur 676 LIVRE If. FONCTIONS DE RELATION, de cette membrane, depuis la face postérieure du corps vitré jusqu’à la choroïde enduite de son pigment. L’impression n’a pas lieu, par consé- quent, sur une surface mathématique. Quoique la rétine soit très-mince, l'impression se fait suivant une ligne qui traverse l'épaisseur de cette membrane, et qui indique la direction linéaire du rayon de lumière. C’est dans cette direction qu'est rapporté chaque rayon lumineux qui frappe la rétine. C’est ainsi que nous voyons les objets tels qu'ils sont réelle- ment, c’est-à-dire tels que le toucher nous les montre par rapport aux parties de notre corps. En un mot, les objets sont vus droits, parce que nous voyons chacun de leurs points suivant la projection des rayons lumineux qui impressionnent la rétine 1. Voici une expérience bien simple, qui prouve de la manière la plus évidente que la tine ne transmet pas au sensorium l’image telle qu’il nous est donné, dans nos expériences, de la voir imprimée sur elle, mais qu’elle nous donne la notion de l'objet lui-même. Fixez pendant longtemps, et jusqu’à la fatigue, un corps sombre, se détachant sur un fond éclairé, un clocher, par exemple, sur un ciel Ilumineux; puis, fermez les yeux et placez-vous dans l’obscurité : l’image du clocher persistera dans les yeux fermés, pendant une minute au moins, et donnera lieu à divers phéno- mènes (Voy. $ 295); mais ce qu'il nous importe de remarquer en ce mo- ment, c’est qu'alors que les yeux sont fermés, l’image du clocher se pré- sente exactement dans les mêmes rapports avec notre corps que lorsque les yeux étaient ouverts. Ainsi, le sommet du clocher est toujours en haut et sa base en bas. L’ébranlement de la rétine qui, en l’absence de l'objet, persiste seul en ce moment pour nous en donner l’idée, cet ébranlement n'est pas perçu à l’état d'image peinte sur la rétine. S'il en était ainsi, à l'instant même où nous fermons les yeux, le clocher devrait nous parai- tre renversé, car c’est de cette manière que son image est peinte au fond de l’œil. S 299. Be la vue simple avec les deux yeux.—Axe optique.—Angile optique, — Comment se fait-il que les objets nous paraissent simples, alors qu'ils déterminent deux images correspondantes à chacun des yeux ? Comme on voit à peu près aussi bien un objet avec un seul œil qu'avec le secours des deux yeux, on a pensé que, dans la vision, il n’y avait jamais qu’un seul œil qui agissait à la fois. Cette explication, proposée par Gassendi et développée par Gall, s'appuie sur des faits qui ne manquent pas d’une certaine valeur. Il est positif qu’il y a des individus chez qui la portée des yeux est fort inégale, et qui se servent alternativement, et sans s’en ren- 1 Dans la vision nous rapportons toujours la position d’un corps (et par conséquent la po- sition des diverses parlies d'un méme corps) sur la projection des rayons qui viennent frapper la rétine. C’est en vertu de ce même principe qu’un prisme placé au-devant de l'œil élève ou abaisse les objets que nous regardons au travers de sa masse transparente. CHAP. Ilf, SENS DE LA VUE, 677 dre compte, de l’un ou de l’autre œil pour distinguer des objets situés à des distances variées. Il est certain également que les individus affectés de strabisme ne voient les objets qu'avec un seul œil, tantôt l’un, tantôt l’au- tre, et que, lorsqu'ils cherchent à embrasser le même objet avec les deux yeux, celui-ci devient double. Mais ce ne sont là que des faits particuliers qui n’embrassent pas l’ensemble des phénomènes. Il est un fait incontestable, c’est que, pour que la vision simple s’ac- complisse, il faut que les yeux soient dirigés de telle facon que leurs axes optiques AC, BC (Voy. fig. 148) convergent vers l’objet, et se réu- nissent sur lui en C. Il faut, en d’autres termes, que le sommet de l'angle optique ACB soit sur le corps observé !. Lorsque ces conditions ne sont pas remplies, l’objet devient double. La diplopie (ou vue double) des stra- biques ne tient pas à une autre cause. On peut constater la vérité de ce fait par quelques expériences bien simples. Fig. 148. B Tandis que vous fixez un objet, déplacez l’un des yeux et changez son axe optique en appuyant avec la pulpe du doigt sur le globe de l’œil. A l'instant même l’objet devient double ; le sommet de l’angle optique n’est plus à l’objet, et chacun des yeux transmet à l’encéphale une impression séparée. Si vous conservez dans le champ de la vision un objet médiocrement éloigné, tout en dirigeant vos regards d’une manière plus précise sur un objet intermédiaire plus rapproché, l’objet le plus éloigné devient dou- ble. Réciproquement, si vous fixez l’objet le plus éloigné, tout en conser- vant l’objet intermédiaire dans le champ de la vision, l’objet intermé- diaire devient double. Dans le premier cas, comme dans le second, l’objet qui devient double a cessé d’être au sommet de l’angle optique?. Autre exemple très-saisissant. Prenez un crayon un peu long ; appli- quez l’une des extrémités du crayon entre les deux yeux, à la racine du * On désigne sous le nom d’angle optique l'angle ACB formé par les axes optiques de l’œil dirigés vers un même point. Le sommet de l’angle optique est donc toujours à l’objet: il varie avec la distance de l’objet. Il ne faut pas confondre l'angle optique avec l'angle visuel (Voy. $ 298). 2 Ces expériences sont surtout faciles à reproduire à l’aide de corps de petites dimensions : ayec un crayon, par exemple, placé debout sur une table. 678 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, nez; maintenez-le dans la direction horizontale à l’aide de la pulpe du doigt (Voy. fig. 149); puis fixez successivement, à l’aide des deux yeux, des points divers de la longueur du crayon. La partie du crayon située au delà de l'intersection des deux axes optiques deviendra double, et, suivant que vous regarderez les points 4, 4, c, d, vous obtiendrez les appa- rences 1, 2, 3, 4; en d’autres termes, à partir du point qu'on fixe, le crayon semble se bifurquer, et on peut faire, pour ainsi diré, voyager la bifurcation à volonté, en changeant successivement le sommet de l’angle optique. Fig. 149. La direction des axes optiques de chacun des yeux a une influence telle dans le phénomène de la vision simple, qu’on peut, à l’exemple de M. Wheatstone, transformer en une seule la sensation des deux images produites dans chacun des yeux par des objets semblables. Il suffit, pour cela, de placer devant les yeux deux cylindres creux, A et B (Voy. fig. 150), et de les diriger au-devant de deux corps semblables, a, 4 (deux petites sphères, par exemple), de telle facon que l’angle que formeraient ces cylindres, si on prolongeait leur direction, tomberait au delà des deux objets, en ç, par exemple. On n’a plus alors que la sensation d’un seul objet, et cet objet est rapporté au point de rencontre des deux axes op- tiques, en €. Fig. 150. S 293. Doctrine des points identiques. — Pour que la vision simple à l’aide des deux yeux ait lieu, il est donc indispensable que les axes optiques de chacun des yeux soient inclinés d’une quantité déterminée par rapport . CHAP. III, SENS DE LA VUE, 679 à un plan vertical placé entre l’un et l’autre ; ou, ce qui revient au même, il faut que les images soient reçues sur des points identiques où harmoni- ques des deux rétines. Il y a, en effet, dans chaque rétine, des points dé- terminés qui ne transmettent au sensorium qu’une seule et même impres- sion, alors qu'ils agissent ensemble. Quand d’autres points des deux rétines entrent simultanément en jeu, ils transmettent au sensorium des impressions isolées, et la vue est double. Quels sont les points identiques des deux rétines? Il est facile de les dé- terminer par une construction géométrique très-simple, en tenant compte des mouvements des axes oculaires dans la vision des objets diversement situés par rapport à l’observateur. Pour la vision des objets placés en haut ou en bas de l’horizon visuel, le mouvement des yeux étant symétri- que, les points identiques sont également symétriques, et se correspon- dent, en haut et en bas, sur chacune des deux rétines; mais pour la vi- sion des objets situés à gauche ou à droite de l’observateur, il n’en est plus de même : tandis que l’un des yeux se dirige en dedans, l’autre se dirige en dehors. Il en résulte que c’est la partie interne d’une rétine qui correspond à la partie externe de l’autre, et réciproquement. En d’autres termes, si l’on détachait les yeux et si l’on superposait les deux rétines sans changer leur po- sition normale, les points identiques seraient mathématiquement en contact les uns avec les autres. La figure 151 peut donner une idée de la distribution des pointsidentiques des rétines : ces points correspon- dent dans les deux yeux aux lettres de même valeur. Deux points identiques, pris sur les rétines, sont donc ceux qui corres- pondent à un angle optique déterminé. Soit un objet situé en un certain point C (Voy. fig. 152, p. suiv.), et fixé par les deux yeux G et D ; cet objet impressionne les deux rétines en a et a’; les deux points a et a’ sont identi- ques. Si les yeux fixaient le point D, les points identiques seraient en 4 et b'; si les yeux fixaient le point E, les points identiques des deux rétines se- raient en € et c’. On voit également, par l'inspection de la figure, que, quand les yeux passent de la position aCa’ à la position #Db', c’est-à-dire quand les yeux se dirigent à droite vers le point D, c’est la partie externe de la rétine de l’œil gauche et la partie interne de la rétine de l’œil droit qui se trouvent impressionnées. De même, quand les yeux passent de la position aCa’ à la position cEc’, c’est la portion interne de l’œil gauche et la portion externe de l’œil droit qui entrent en jeu. Les sensations subjectives de la vision (Voy. S 288) sont parfaitement en Fig. 151. 680 LIVRE 11, FONCTIONS DE RELATION. harmonie avec la doctrine des points identiques. En effet, si l’on presse les deux yeux en même temps en dehors, ou en même temps en dedans, on donne naissance à deux images lumineuses distinctes et assez éloi- gnées l’une de l’autre; mais si l’on presse en même temps l’un des deux yeux à l'angle externe et l’autre à l'angle interne, les deux images parais- sent, en quelque sorte, sauter l’une sur l’autre et tendent à se superpo- ser. La fusion des deux taches lumineuses n’est pas toujours complète, et elles débordent souvent l’une sur l’autre, parce qu'il est difficile de com- primer exactement des parties identiques des deux rétines, On peut, ce- pendant, en tâätonnant, arriver à fondre les deux images lumineuses en une seule. Fig. 152, C — ac OEIL GAUCHE. OEIL DROIT, Maintenant, on se demande naturellement comment il se fait que les impressions produites sur certains points de la rétine, dits points identi- ques, ne transmettent à l’encéphale qu’une seule impression. C’est là, il faut l’avouer, un phénomène au delà duquel nous ne pou- vons remonter, et qui a sa cause dans les propriétés mêmes du système nerveux. Ce qu’on peut dire de plus vraisemblable, c’est que les points identiques des deux rétines correspondent à un même côté de l’encé- phale; l’entre-croisement partiel des nerfs optiques dans le chiasma per- met tout au moins de le supposer. La figure 153 montre comment on peut se représenter la part que prend chaque nerf optique à la constitu- tion des deux rétines. Si chaque nerf optique fournit à la fois le segment interne d’une rétine et le segment externe de l’autre rétine, on conçoit CHAP, III, SENS DE LA VUE, 681 que les points identiques correspondent à un même nerf optique, par conséquent à un même côté de l’encéphale. Fig. 153. Cette distribution du nerf optique, en quelque sorte en partie double, n’est pas, au reste, une simple supposition. L’anatomie à débrouillé en partie la disposition des éléments nerveux dans le chiasma, et la patho- logie a parfois donné des preuves à l'appui. Il est une altération de la vue, singulière et rare, qu’on nomme hémio- pie ou amaurosis dimidiata. Cette altération de la vue, observée chez des personnes atteintes d’hypocondrie ou de quelque autre affection nerveuse, consiste en ce que les objets paraissent comme coupés par moitié. Les in- dividus atteints d’hémiopie ne voient plus que la moitié gauche ou la moitié droite des objets. Tout se passe, dans cette paralysie de larétine, exactement comme si les points identiques de chaque rétine étaient frap- pés de paralysie dans les segments qui correspondent à un même nerf optique. S 294. Du stéréoscope, — De la vision des objets à trois dimensions. — M. Wheatstone, dans le but de déterminer les conditions de la vue simple avec les deux yeux, a fait un grand nombre d'expériences, et imaginé un appareil très-ingénieux aujourd’hui dans toutes les mains, nous voulons parler du stéréoscope. Cet instrument peut avoir des formes très-diverses : la figure 154 (p. suiv.) représente une des plus simples. On fait aujourd'hui des stéréoscopes à dimensions réduites, et qui ressemblent à des lunettes de spectacle. Le stéréoscope, tel que M. Wheatstone l’a d’abord construit, est composé de deux miroirs plans ab, réunis par un angle saillant en ce, et formant ensemble un angle de 90 degrés. De chaque côté des glaces ab sont disposés deux plans d, e, angulairement placés. Ces plans, garnis 682 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION, d’une coulisse, sont destinés à recevoir les représentations graphiques qui doivent se réfléchir dans la glace correspondante. L’observateur se place du côté de l'angle saillant formé par la rencontre des deux miroirs, et applique ses yeux sur les deux ouvertures mn, placées à une distance telle qu'il puisse recevoir dans chacun de ses yeux l’image reproduite par chaque miroir. La construction du stéréoscope a été simplifiée. Les miroirs ont été supprimés ; ils étaient tout à fait inutiles. Le stéréoscope, aujourd’hui si répandu, consiste simplement en une boîte de bois, au fond de laquelle on place (sur le même plan) les deux images avec un écartement tel que chacune puisse se peindre isolément dans l’œil correspondant; chaque œil est dirigé vers l’image placée de son côté par deux ouvertures dispo- sées comme elles le sont en "m #, dans la figure 154. Fig. 154. à (I A, stéréoscope. B, le même stéréoscope, dont la paroi antérieure mn est enlevée, pour montrer la disposition intérieure, b, miroirs réunis par un angle saillant. ct, angle saillant formé par la réunion des miroirs @ et b. d, e, écrans sur lesquels on applique les images. Lorsque deux images placées au foyer du stéréoscope sont tout à fait semblables, soient deux carrés, par exemple, ou deux triangles égaux; comme, d’une part, la distance de chaque rétine à l’objet est égale; comme, d'autre part, l’inclinaison de chaque globe oculaire est égale aussi, les points identiques ou homologues des deux rétines entrent en jeu, et l’image parait simple. Elle se trouve située au point de jonction des deux axes optiques, exactement comme dans l'expérience représen- tée dans la figure 150, p. 678. Si, au lieu de deux figures semblables, on place dans le stéréoscope les deux projections différentes d’un solide (telles qu’elles seraient vues par chacun des deux yeux isolément, en supposant le solide placé au point de Jonction des axes oculaires), l'observateur n’aura également que la notion d'une seule image, et cette image fera naître en lui la sensation d’un corps solide, c’est-à-dire la sensation du relief : l'illusion sera complète. Au lieu d’être des figures géométriques, les deux représentations, peintes ou dessinées, peuvent être de toute autrenature. Elles peuvent consister en paysages ou en portraits, exécutés préalablement en double, à l’aide de deux appareils photographiques, où les axes des deux verres objectifs CHAP, LT, SENS DE LA VUE, 683 ont la même direction qu’auraient les axes optiques de chaque œil pour la distance donnée de l’objet. En présentant les deux épreuves, ainsi ob- tenues, au foyer du stéréoscope, on obtient l'illusion du relief à un haut degré. On peut même, sans l’aide du stéréoscope, transformer en une seule les deux images d’un solide, telles qu’elles seraient vues par chacun des yeux. Soient en effet (Voy. fig. 155) ces deux projections; regardez per- pendiculairement les deux projec- tions à une distance de 15 centimè- tres, dans un endroit bien éclairé, et placez perpendiculairement en- tre vos yeux un écran (une feuille de papier, par exemple), de ma- nière que chaque image soit reçue dans l'œil correspondant. A l'instant, la double image se trouve trans- formée en une seule, et la sensation d’un cône tronqué, c’est-à-dire d’un solide, devient manifeste. Avec un peu d'exercice et d'attention, on peut arriver au même résultat, en supprimant l'écran et en fixant avec _atten- tion les deux images. | Le stéréoscope, donnant l'apparence du relief à desreprésentations des- sinées ou peintes sur des surfaces planes (carton ou papier), produit donc une c/lusion d'optique, mais une illusion réellement saisissante. Le sté- réoscope a donné beaucoup à réfléchir. Prouve-t-il, comme on l’a dit, que ce n’est qu'avec les deux yeux qu'on peut avoir une perception nette du relief des corps, c’est-à-dire de leurs trois dimensions? Mais les borgnes ont, tout comme nous, la notion des corps solides, et il nous suf- ät de fermer l’un des yeux pour constater immédiatement que nous n’a- vons pas perdu le pouvoir de distinguer le relief. L'idée de solidité et de relief n’a pas sa source dans l’organe de la vi- sion. L'idée de solidité et de relief est dans l’esprit. Elle y a été introduite par le toucher, qui peut seul nous la fournir. Le sens de la vue ne peut nous donner que des idées de surfaces diver- sement éclairées. Mais ce que peut faire le sens de la vue, c’est d’attacher aux divers modes d’éclairement des diverses parties des objets l’idée de changement de plans fournie par le toucher, et d'acquérir ainsi par l’habi- tude des notions de perspective non raisonnées, mais sûres et précises. La preuve démonstrative que l’idée de solidité est liée de la manière la plus étroite aux modes d’éclairement des surfaces nous est fournie par un instrument très-ingénieux de M. Wheatstone, connu sous le nom de pseudo- scope. La figure 156 (p. suiv.) représente cet instrument tel que le construit M. Duboscq. Il consiste en une sorte de lorgnette dans laquelle les verres oculaires sont remplacés de chaque côté par un prisme. Les prismes dévient les rayons lumineux (Voy. fig. 128, p. 638), de telle sorte que Fig. 155. 684 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. l'image qui correspondrait dans la vue naturelle à la partie gauche de l'œil correspond à ja partie droite, et réciproquement, Cet instrument fait voir en creux les objets en relief, et en relief les objets en creux. L’ar- tifice de cet instrument consiste à retourner l’image, et en retournant l’image il retourne en même temps les ombres. Fig. 156. 7 |] | me \ | SKNI On a dit, et on a répété, que les expériences du stéréoscope étaient contradictoires avec la doctrine des points identiques de la rétine. Deux images différentes sur chaque rétine (les deux images du stéréoscope re- présentent des projections un peu différentes l’une de l’autre) ne peuvent donner naissance à une image unique sans que des points insymétriques des deux rétines aient été impressionnés en même temps; donc, dit-on, la doctrine des points identiques n’est pas fondée. Le stéréoscope ne prouve rien de semblable, et il est fait bien plutôt pour confirmer que pour renverser la théorie dont nous parlons : c’est ce qu’il nous sera aisé de démontrer en peu de mots. Fig. 157. Prenez un livre relié, de médiocre épaisseur; entr'ouvrez-le très-légère- ment; placez-le debout sur une table, le dos tourné vers vous, et placez-vous en face, à une distance assez rapprochée (Voy. fig. 157). Les yeux, fixés sur le dos du livre, voient en même temps Les deux plans fuyants placés de chaque côté, et correspondants aux deux couvertures. Sans changer de place, fermez l'œil droit , il ne restera plus dans le champ visuel de l’œil gauche que le dos du li- vre, plus le plan fuyant placé à la gau- che du livre. Rouvrez l’œil droit et fer- mez l'œil gauche, il ne reste plus dans le champ visuel que le dos du livre, plus le plan fuyant placé à droite du livre. L'image qui se forme au fond de chaque CHAP. III, SENS DE LA VUE. 685 œil a donc une partie commune, qui est le dos du livre; de plus, l'œil gauche a en outre l’image du plan fuyant de gauche; l’œil droit, l’image du plan fuyant de droite. Or, il est évident que la partie commune des deux images, c'est-à-dire le dos du livre, frappe en ce moment des points identiques des deux rétines a, b (Voy. fig. 157), tandis que les deux plans fuyants forment au fond de l’œil des images isolées qui tombent en x et z. Ces deux points, étant situés tous les deux en dedans des précédents, ne sont pas des points identiques (Voy. $ 293). Aussi, tandis que les parties a, b de la rétine donnent une seule image du dos du livre, les parties x, z, au contraire, fournissent chacune leur image particulière dans la sensa- tion. Les plans fuyants du livre pourraient indifféremment ne pas se ressern- bler; comme leur perception est isolée dans chacun des yeux, ils sont apercus tous les deux et donnent naissance à deux images distinctes qui concourent à la perception totale *. En somme, la notion de solidité est liée à la combinaison de l’impres- sion commune faite dans les deux yeux avec les impressions particulières faites dans chaque œil en particulier. Le stéréoscope fournit, toute faite, la combinaison de ces impressions diverses. Voilà pourquoi l'illusion est si grande. La vue ne peut, je le répète, nous donner l'idée de solidité elle-même; mais l’habitude que nous a donnée le toucher de reconnaître comme des solides certains corps qui font naître simultanément dans nos yeux une impression commune et des impressions isolées, cette habi- tude, dis-je, fait que la solidité des corps devient pour nous inséparable d’un mode déterminé de vision. S 295. Des images consécutives. — Nous avons vu précédemment que l'im- pression produite sur la rétine par une cause instantanée avait une cer- taine durée, et que cette durée n’était jamais moindre de 1/3 de seconde. Mais l’ébranlement déterminé dans la rétine par un objet lumineux peut durer beaucoup plus. La durée de cet ébranlement est généralement pro- portionnée au temps pendant lequel agit l’excitant. Fixez la lumière d’une bougie ou d’une lampe, puis supprimez tout à coup l’excitant, soit en éteignant la lumière, soit en appliquant la main sur les yeux, l’impres- sion produite par l’objet persistera pendant plusieurs secondes et même pendant plusieurs minutes, pour peu que la contemplation de la lumière ait duré longtemps. Substituez à la lumière de la bougie ou de la lampe 1 On peut varier cette expérience. Ainsi, on peut mettre le livre à plat sur la table et le dis- poser de manière que les deux yeux, étant fixés sur lui, embrassent en même lemps sa surface et une de ses tranches, et seulement sa surface quand un des yeux est fermé. Il est évi- dent que, dans ce cas, il y a encore une image commune aux deux yeux (la surface du livre) et une image particulière à l’un des yeux {la tranche). Les deux premières frappent des points identiques et se superposent, pour n’en former qu’une. La seconde, reçue seulement dans un des yeux, n’est perçue que par lui: elle participe à l’image totale, suivant sa position relative, 686 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. un corps vivement coloré (en rouge, par exemple), et les mêmes phéno- mènes se reproduiront. Les images, transmises dans ces circonstances au sensorium, portent le nom d'images consécutives. Ces images présentent des phénomènes cu- rieux. Dans les premiers moments, les images consécutives sont identi- ques aux images réelles ; mais, au bout de quelques instants, ces images, tout en conservant leur forme, prennent une coloration nouvelle; cette co- loration nouvelle elle-même ne tarde pas à disparaître, et la coloration primitive reparaît ; puis survient de nouveau la coloration accidentelle, et ainsi de suite, jusqu’au moment où l’image disparaît par le retour au repos de la rétine. Si l’on compare la coloration des images primitives avec celle des images consécutives auxquelles les premières donnent naissance, on con- state que les couleurs consécutives sont complémentaires ! des couleurs primitives. Ainsi, dans l’exemple que nous avons choisi, la couleur de l’image lumineuse consécutive au rouge sera le vert. Les images subjectives (Voy. $ 288) produites par la pression du globe oculaire présentent également des colorations variées. L'ordre dans le- quel elles se succèdent n’est pas toujours le même : cela dépend de la sensibilité de l'individu, de la durée et de l'intensité de la compression. Lorsque les phosphènes sont déterminés par une pression violente, ils par- courent presque toutes les couleurs du spectre, et le repos de la rétine (c’est-à-dire la couleur notre ou l’absence de couleur) n'arrive qu'après des oscillations nombreuses. Le point de départ des phosphènes, quant aux alternatives de coloration, peut être assimilé à celui de la couleur blanche. Lorsqu'’en effet on fixe le soleil (source de lumière blanche), on remarque aussi que les images consécutives parcourent les diverses cou- leurs du spectre, et que la rétine n'arrive au repos qu'après des oscilla- tions nombreuses, pendant lesquelles les mêmes colorations reviennent et disparaissent à plusieurs reprises, sans ordre bien manifeste. S 296. Des illusions de coloration. — Jusqu'ici, nous n'avons parlé que des images consécutives qui apparaissent dans le champ de la vision quand les yeux se sont fermés; mais il peut aussi se produire des #/lusions de co- loration et des images consécutives lorsque les yeux restent ouverts. Voici, entre autres, un phénomène bien curieux et qui vient encore à l'appui de la doctrine des points identiques. Si l’on place perpendiculaire- 1 Les sept couleurs du spectre solaire qui, par leur réunion, donnent la lumière blanche, sont réductibles en trois couleurs principales, le jaune, le bleu, le rouge. Les autres couleurs du spectre, le violet, l’indigo, le vert, l'orangé , pouvant être produites par le mélange des précédentes, sont dites couleurs mixtes. D'où il résulte que l'association d’une couleur prin- cipale avec l’une des couleurs mixtes (provenant elle-même du mélange des deux autres cou- leurs principales) correspond à l'association des trois couleurs principales, c’est-à-dire au blanc. On donne le nom de couleurs complémentaires à deux couleurs, l’une principale et l’autre CHAP. III. SENS DE LA VUE, 687 ment un écran entre les yeux, et si l’on reçoit isolément dans l'œil gauche un faisceau de lumière rouge et dans l’œil droit un faisceau de lumière verte, on ne percoit qu'une seule impression, celle de la lumière hanche. Il en est de même pour tous les faisceaux de lumière qui représentent deux couleurs complémentaires. Les portions identiques des deux rétines ne donnent, en effet, naissance qu’à une seule image, et celle-ci résultant de la superposition de deux couleurs complémentaires, il en résulte la mixte, lesquelles, recomposées entre elles, donnent du blanc. Le vert est complémentaire du rouge, l’orangé est complémentaire du bleu, le violet est complémentaire du jaune. On peut, pour fixer les idées, disposer les couleurs du spectre autour d’un cercle, de manière que les Fig. 158. Violet Rouge Bleu Orangé Vert Jaune couleurs complémentaires se correspondent aux extrémités des diamètres (Voy. fig. 158). Les couleurs voisines les unes des autres dans la figure 158 peuvent être associées entre elles, et Fig. 159. Violet Rouge violet Jaune orangé Jaune la couleur résultante est également complémentaire des couleurs correspondantes pareille - ment associées (Voy. fig. 159). 688 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, sensation de la lumière blanche. Ce fait nous explique comment, sous certaines conditions d'incidence, les signaux de lumière sur les chemins de fer(généralement ces signaux consistent en feux rouges et verts) ont pu induire en erreur les conducteurs de trains et leur faire croire à des feux de lumière blanche, alors que ces feux étaient diversement colorés. Si, après avoir longtemps fixé un écran de couleur rouge, on porte les yeux sur le plafond blanc d’un appartement, on voit apparaître sur le pla- fond une tache verte qui bientôt devient rougeâtre, puis de nouveau verte, et ainsi de suite, etc. On peut varier les conditions du phénomène en choisissant d’autres couleurs; les résultats se reproduisent toujours les mêmes, c’est-à-dire que la couleur complémentaire apparaît sur le champ blanc. S 297. Couleurs et images par irradiation, — Applications aux arts, — L’ébranlement communiqué à la rétine par la lumière ne se traduit pas seulement par la persistance plus ou moins durable des impressions de la rétine et par l'apparition des couleurs consécutives; l’ébranlement se transmet au dela des points de la rétine, qui sont directement frappés par la lumière. C’est ce dernier phénomène qui donne naissance à ce que les physiciens appellent images par irradiation et couleurs par irradiation. Cette extension des effets de la lumière dans les points voisins de ceux qui sont soumis à son action immédiate explique pourquoi de deux cer- cles du même rayon, tracés sur des fonds différents, celui dont la surface est noire et le fond blanc (Voy. fig. 160, A) paraît plus petit que celui dont la surface est blanche et le fond noir (Voy. fig. 160, B). Dans le premier cas À, l’ébranlement de la rétine est bien plus intense pour le fond et em- piète sur l’image du cercle noir; dans le second cas B, l’ébranlement causé par le cercle blanc empiète sur l’image du fond. C'est pour la même rai- son que les compositeurs d'imprimerie se trompent, dans le principe, sur la véritable grandeur des 0. A Fig. 160. B Si les objets soumis à l'observation ne sont pas blancs ou noirs1, s'ils ! Le blanc est la réunion de toutes les couleurs; le noir est l’absence de toute lumière et par conséquent de toute couleur. Le blanc et le noir, seuls, n’ont par conséquent point de couleurs complémentaires. CHAP. III. SENS DE LA VUE, 689 sont colorés d’une manière quelconque, l’irradiation déterminée sur la rétine ne consiste plus simplement alors dans l'extension de l’image qui donne à la dimension des objets un accroissement apparent, il survient un autre effet. Les parties de la rétine ébranlées par irradiation, ou par voisi- nage, semblent se mettre dans un état opposé avec celles qui sont directe- ment frappées par la lumière, et ce n’est pas la couleur de l’objet qu’elles reproduisent, mais sa couleur complémentaire. Les objets para ssent en- tourés d’une bande colorée, dite bande ou couleur par irradiation. Pour vérifier le fait, il suffit de considérer d’une manière soutenue un disque rouge vivement éclairé sur un fond blanc. Au bout de quelques minutes, on voit apparaître autour du disque rouge une couronne verte plus ou moins foncée. Si le disque était d’une autre couleur, l’auréole serait com- plémentaire de cette couleur. Cette propriété remarquable de ja rétine dans la sensation visuelle à été mise à profit et dans la peinture et dans l’industrie des tissus. Elle montre comment on peut augmenter la valeur des tons par de simples associations de couleurs, comment, au contraire, on peut diminuer cette valeur ou éteindre les couleurs, ainsi qu'on le dit, de manière à donner à l’œil, tantôt l'éclat et la vivacité du coloris, tantôt la douceur et le fondu des teintes. Deux couleurs complémentaires, placées l’une près de l’autre, sem- blent, en effet, beaucoup plus riches en couleur que lorsqu'elles sont sé- parées. La raison en est simple : chacune d'elles réveille sur ses limites la sensation de la couleur qui la borde et augmente d'autant son éclat. Deux ou plusieurs couleurs qui ont à peu près le même ton perdent de leur valeur lorsqu'elles sont placées les unes près des autres; car, loin d'augmenter leur éclat, l’auréole par irradiation, qu'elles déterminent sur la rétine, ne fait qu'amortir leur impression. S 298. Notions fournies par le sens de la vue sur l’état de repos ou de mou- vement des corps, sur leur distance, sur leur grandeur, — De l'angle visuel, — La rétine ne nous fait rigoureusement distinguer que la quan- lité, la direction et la couleur des rayons lumineux qui viennent frapper notre œil. Cependant, avec des données aussi peu nombreuses, nous pou- vons porter sur les objets que nous voyons des jugements extrêmement variés. Non-seulement nous jugeons de leur forme et de leur coloration, mais encore nous apprécions leur grandeur, leur distance, leur état de repos ou de mouvement. La rétine à elle seule ne saurait nous donner toutes ces notions, qui sont le résultat de l’éducation ; mais ces apprécia- tions étant associées par l'habitude à certains mouvements ou à certains états de l’œil, ces mouvements et ces états deviennent ensuite les élé- ments mêmes de nos jugements. Ainsi, à l’aide du sens de la vue, on juge de l’état de repos où de l’état 44 690 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION, de mouvement des corps, en partie par la fixité ou le déplacement de l’image sur la rétine, c’est-à-dire par la direction permanente ou variable des rayons lumineux; en partie, aussi, par le mouvement des yeux qui suivent l’objet quand cet objet se meut. Cela est vrai, du moins, pour les corps qui se meuvent en travers de l’axe optique. Quand le mouvement a lieu dans la direction même de l’axe optique, l’image n’est point dépla- cée sur la rétine, et si la vue nous donne alors l’idée d’un déplacement, c’est parce que l’image diminue ou augmente sur la rétine, et que l’idée de grandeur est toujours liée à celle de distance. Cette liaison entre la grandeur et la distance des objets n’est nulle part plus saisissante que dans la fantasmagorie. Des figures, dont la grandeur augmente et dimi- nue rapidement sur un plan immobile, paraissent s’avancer ou s’éloigner quand tous les objets intermédiaires, capables de servir de points de comparaison, ont disparu. D'un autre côté, toutes les fois que la distance de l’objet à l’œil est assez considérable pour qu’un rapprochement ou un éloignement de l’objet, à cette distance, ne puisse se traduire sur la ré- tine par une augmentation ou une diminution sensible dans les dimen- sions de l’image, il paraît immobile. Si la réflexion nous avertit que l’objet peut se mouvoir, s’il s’agit, par exemple, d’une personne qui marche de- vant nous à une très-grande distance, ou d’un vaisseau placé en pleine mer, il est impossible d'affirmer si la personne ou le vaisseau s’éloignent ou se rapprochent. Les notions que nous donne la vue, relativement au mouvement des corps, nous exposent à une foule d'illusions qui ne tiennent point aux impressions de la rétine, mais à des appréciations inexactes, que la ré- flexion seule peut détruire. C’est ainsi que le voyageur qui descend en bateau le cours d’une rivière croit voir fuir la rive; c’est ainsi que, placé dans un waggon de chemin de fer, immobile sur la voie, le voyageur se croit entraîné en sens opposé d’un convoi qui croise celui où il se trouve; c’est ainsi que le soleil paraît tourner autour de la terre et la lune se mou- voir en sens inverse des nuages, etc. L'image produite sur la rétine s’est réellement mue dans tous ces cas, mais la réflexion seule peut nous en- seigner si ce mouvement de translation de l’image est dû au mouvement de l’objet ou au mouvement de l'observateur, l’un ou l’autre de ces mou- vements déterminant sur la rétine identiquement les mêmes effets. Dans le principe, les notions relatives à la distance des objets sont con- fuses, et le sens de la vue a besoin, sous ce rapport, d’une véritable édu- cation, ainsi que le prouvent et l'observation des enfants nouveau-nés et celle de l’aveugle-né auquel Cheselden rendit la vue. Cette éducation s’ac- complit sans réflexion et d’une manière en quelque sorte nécessaire : les animaux ont, comme l’homme, la notion des distances. Nous avons vu précédemment que, pour la vision des objets placés à des distances di- verses, il se passait dans l’œil des changements organiques qui avaient pour résultat de faire coïncider toujours les foyers des divers points de CHAP. III. SENS DE LA VUE. 691 l’image à la surface de la rétine. Ces mouvements, destinés à accommoder l'œil à la distance de l’objet, et l'effort qui les accompagne, s’associent avec la distance de l’objet qui les occasionne, et deviennent ainsi les si- gnes et en quelque sorte la mesure de cette distance. On désigne sous le nom d'angle visuel l'angle sous lequel est vu un objet, c’est-à-dire l’angle formé au centre optique de l’œil (Voy. fig. 161), par les rayons partis des extrémités de l’objet. L’angle AcB est donc l'angle visuel sous lequel est vu l’objet AB. Si l'objet AB est transporté en A'B', l'angle visuel devient A'c B'; l'angle visuel diminue, par consé- quent, avec la distance de l’objet. Mais le degré d'ouverture de l'angle vi- suel, on le concoit, ne fournirait à lui seul que des notions trompeuses sur la distance, car le corps ab, plus rapproché de l’œil que A’B', sous-tend exactement le même angle. C’est donc surtout, ainsi que nous le disions, la conscience du mouvement d’accommodation qui s’accomplit dans notre œil pour la vue des objets diversement distants qui nous sert de guide. Fig. 161. 1 B La quantité des rayons lumineux que chaque objet envoie à l'appareil de la vision contribue aussi à nous faire juger de la distance des objets. Nous savons, en effet, qu’à mesure qu’un objet s'éloigne ses détails nous échappent, il devient moins net, moins éclairé, la quantité de lumière qu'il envoie à l’œil diminuant en raison du carré des distances. L'état de clarté d’un même objet, placé successivement à des distances diverses et apprécié par la rétme, est donc aussi un signe de distance. Ici la sensi- bilité de la rétine joue le principal rôle. Comment jugeons-nous de la grandeur des objets? Si cette notion n’était due qu'aux dimensions de l’image produite sur la rétine, tous les objets compris dans un même angle visuel (Voy. fig. 162, p. suiv.), donnant sur la rétine une image d’égale mesure, seraient sentis comme des objets de mêmes dimensions. Les objets AB, CD, EF, GH, KL, très-différents de grandeur, placés à des distances diverses, et compris dans le même angle visuel AcB, forment en effet des images égales zz sur la rétine. Mais la notion de distance intervient. Or, l’expérience nous apprend que plus un objet s’éloigne, plus son image devient petite sur la rétine; il en résulte que, bien que l’image de AB soit égale sur la rétine à l’image de KL, nous ! On peut également, on le conçoit, mesurer l'angle visuel du côté opposé, c'est-à-dire du côté de la rétine. En effet, l'angle AcB (Voy. fig. 161) est égal à l'angle cz, opposés qu'ils sont par le sommet. Pour la même raison, l’angle A’cB’ = l’angle tes. 692 LIVRE I, FONCTIONS DE RELATION, conclurons que le corps AB est plus grand que le corps KL, lorsque nous aurons Jugé qu'il est plus éloigné. Fig. 162. Les idées de grandeur et de petitesse des corps n’existent que par com- paraison. Dans l’état ordinaire, nous jugeons ces dimensions par opposi- tion, c’est-à-dire parce que l'organe de la vue embrasse en même temps un certain nombre d'objets : c’est pour cette raison que la lune au zénith nous paraît beaucoup plus petite que lorsqu'elle est à l'horizon. De même, nous ne pouvons juger de la distance réelle d’un objet quand il n'existe pas d'objets intermédiaires ou de points de repère. La vue ne peut nous donner aucune idée de la distance prodigieuse qui sépare le soleil et la lune de la terre, et nous croyons presque toucher à un clocher dont le sommet se détache sur le ciel au travers d’une fenêtre ouverte, quand nous n’apercevons ni les champs, ni les prés qui nous séparent de lui. La notion de la forme des corps est une notion simple, en tant qu'il ne s’agit que des surfaces, c’est-à-dire de la hauteur et de la largeur des ob- jets, et elle tient à la situation réciproque des points affectés de la rétine. Mais nous ne connaissons la solidité, ou la troisième dimension des corps, que par le toucher. La mémoire donne aux corps que l’on envisage les faces qu'on apercevrait si on changeait leur situation. Les impressions de la rétine ne peuvent nous donner que la notion des surfaces (Voy. $ 294). Alors même que nos yeux embrassent en même temps les faces d’un corps angulairement inclinées les unes par rapport aux autres, la rétine ne re- çcoit que les projections planes de ces diverses faces. Les dimensions de ces faces sur la rétine varient suivant l’inclinaison sous laquelle elles sont vues. Ce sont les dimensions respectives de ces faces, les conditions va- riables de lumière et d’ombre résultant de leur inclinaison, et aussi les points impressionnés de la rétine (Voy. $ 293 et 294) qui réveillent l’idée de solidité introduite dans l'esprit par le toucher. $ 299. Transmission des impressions par le nerf optique.— Les impressions de la rétine sont transmises à l’encéphale par le nerf optique et seulement CHAP. III. SENS DE LA VUE. 695 par le nerf optique. Les branches du nerf trijumeau, qui se rendent au globe oculaire et qui donnent à la conjonctive sa sensibilité et aux mi- lieux transparents de l’œil les condition sorganiques en vertu desquelles leurs qualités dioptriques sont entretenues, agissent en favorisant et en assurant les fonctions de la rétine, mais ne peuvent, en aucun cas, sup- pléer le nerf optique. Lorsque celui-ci est coupé, détruit ou comprimé par une altération où une tumeur placée sur son trajet, la vue est anéantie, ou profondément troublée. Le nerf optique, de même que la rétine, dont il n’est que la continua- tion, est complétement insensible aux irritations mécaniques. Les chirur- giens qui ont pratiqué l’extirpation de l’œil ont constaté le fait sur l’homme ; les physiologistes l’ont souvent piqué, pincé et cautérisé sur les animaux, sans déterminer de sensation douloureuse. L'irritation et la section du nerf optique ne causent point de douleur, mais elles déterminent des effets analogues à ceux qu’on obtient en com- primant la rétine par un coup porté sur l’œil, ou par une pression vive du globe oculaire. Cetteirritation, cette section, donnent lieu à une sensa- tion subjective de lumière. Le nerf optique révèle donc sa fonction spé- ciale sous l'influence des irritations mécaniques. Lorsqu'on a pratiqué la section du nerf optique, et, par conséquent, rompu les communications qui existaient entre la rétine et l’encéphale, l'iris est devenu immobile et s’est dilaté (Voy. S 280). Si, dans ces condi- tions, on excite le bout du nerf optique qui tient à l’encéphale, l'iris se contracte. La sensation de lumière, déterminée dans l’encéphale par l’ex- citation du nerf optique, produit sur l'iris, par l'intermédiaire du nerf mo- teur oculaire commun, les mêmes effets que la sensation de lumière transmise par la rétine elle-même. Lorsque le nerf moteur oculaire com- mun, quitient sous sa dépendance les mouvements de l'iris, est également coupé en arrière du ganglion ophthalmique, l'iris est devenu immobile et le phénomène ne se produit plus. Les nerfs optiques, nés isolément de chaque côté de l’encéphale, se réunissent avant de pénétrer dans les globes oculaires, et forment un entre-croisement tout particulier, désigné sous le nom de chiasma. Dans l’homme et les mammifères, l’entre-croisement n’est pas total, il n’est que partiel. Il est probable que l’entre-croisement ne devient total que dans les animaux chez lesquels la position des yeux sur les parties latérales de la tête ne permet jamais aux yeux de fixer en même temps le même objet. L’entre-croisement partiel est en rapport avec la vision simple au moyen des deux yeux (Voy. $$ 292, 293). Lorsqu'après la section d’un seul nerf optique on excite le bout cérébral du nerf, on observe que les deux iris se contractent. La sensation subjec- tive de lumière, qui détermine, en pareil cas, la contraction de l'iris, a été transmise aux deux côtés de l’encéphale, chaque nerf optique conte- nant, en arrière du chiasma, les éléments des deux rétines. De même, 694 LIVRE IX. FONCTIONS DE RELATION. lorsqu'on a mis à découvert sur un mammifère les tubercules quadriju- meaux, on remarque que l'excitation des tubercules d’un seul côté entraine des contractions dans les deux iris. Les nerfs optiques transmettent l'impression de la lumière aux points de l’encéphale où ils prennent naissance, c’est-à-dire aux tubercules quadrijumeaux (Voy.$ 369). $ 300. Des mouvements du globe de l'œil. — Le globe de l'œil est mis en mouvement par six muscles, qui sont les quatre muscles droits et les deux obliques. Grâce à ces mouvements, le champ de la vision est singulière- ment augmenté, et l’homme peut, sans changer sa position, embrasser une étendue considérable, qui s'agrandit encore par les mouvements de la tête sur la colonne vertébrale, et des vertèbres cervicales entre elles. Des noms divers, tirés de l’action qu’ils exercent sur le globe de l'œil, ont été donnés aux muscles qui le meuvent. C’est ainsi que le droit ex- terne a recu le nom d’abducteur, le droit interne celui d’adducteur, le droit supérieur celui d’élévateur, le droit inférieur celui d’abaisseur, les deux muscles obliques les noms de roftateurs.-La plupart de ces dénomi- nations ne donnent pas de l’action des muscles de l’œil une idée bien précise. Il n’est pas exact de dire que l’œil est abaïssé ou qu'il est élevé, ni qu'il se porte en dedans ou en dehors; l’œil ne subit aucun transport d’un lieu dans un autre. Tous les mouvements du globe de l’œil sont des mouvements de rotation, et, par conséquent, tous les muscles de l'œil sont des muscles rotateurs, dans l’acception rigoureuse du mot. L’œil, maintenu en avant par les voiles palpébraux, et en arrière par un plan aponévrotique concave, ne peut que rouler, en quelque sorte, dans cette capsule, solidement fixée au pourtour osseux de l'orbite. Les mouvements qu’exécute le globe de l’œil, analogues à ceux qu’exécuterait une sphère pleine mobile dans une sphère creuse, peuvent être rapportés à trois di- rections principales : la direction horizontale, la direction verticale, la direction antéro-postérieure. Les mouvements de l’œil se passent autour de trois axes fictifs : un axe horizontal, un axe vertical, un axe antéro-pos- térieur. Les muscles droit supérieur et droit inférieur meuvent le globe de l'œil autour de l’axe horizontal ; les muscles droit externe et droit in- terne le meuvent autour de l’axe vertical ; les muscles grand et petit obli- que le meuvent autour de l’axe antéro-postérieur. Le grand et le petit oblique s’insérant sur la partie externe du globe oculaire, le mouvement de rotation opéré par le premier s’accomplit de dehors en dedans, celui qu'imprime le second s’opère de dedans en dehors. On comprend aisé- ment comment ces divers muscles, en associant leurs contractions, pro- duisent des mouvements de rotation variés à l'infini, et dirigent ainsi la cornée dans tous les sens imaginables", ! Le musele grand oblique agissant sur l'œil par l'intermédiaire de la poulie de réflexion CHAP. III. SENS DE LA VUE, 695 Beaucoup de physiologistes attribuent aux muscles moteurs du globe oculaire le pouvoir de changer, par leurs contractions, les dimensions an- téro-postérieures du globe de l’œil, de faire varier ainsi la distance qui sé- pare la rétine du cristallin, et d’accommoder l’œil au degré d’éloignement des objets. Les uns prétendent que les contractions des muscles droits ont pour effet d’aplatir le globe oculaire sur lequel ils s’enroulent, et d’allon- ger ainsi son diamètre antéro-postérieur. Les autres pensent qu’en appli- quant fortement l’œil contre la capsule fibreuse qui le soutient, les muscles droits déterminent, en se contractant, un changement précisément inverse, et amènent un raccourcissement dans le diamètre antéro-postérieur. Le même désaccord règne en ce qui concerne l’action des muscles obliques. Ces changements dans la forme du globe de l'œil, pris en masse, sont done loin d’être prouvés, et nous ayons vu précédemment ($ 284) qu'ils ne sont nullement nécessaires pour expliquer l’accommodation de la vue aux di- verses distances. J’ajouterai encore que si l’accommodation, pour la vision à diverses distances, était sous l’influence des agents qui impriment à l’œil ses directions diverses, il en résulterait que la contraction des muscles de l’œil agirait à la fois sur l’étendue des diamètres et sur la direction du globe oculaire, et on comprendrait diflicilement que l’œil püt se mouvoir sans qu'il ne survint du trouble dans la vision, car il n’y a aucune rela- tion entre la distance et la direction des objets. Les muscles de l’œil sont animés par trois nerfs : le nerf moteur ocu- laire commun, qui répand ses filets dans les muscles droit supérieur, droit inférieur, droit interne et petit oblique ; le nerf moteur oculaire externe, qui anime le muscle droit externe; le nerf pathétique, qui se porte au muscle grand oblique. On s’est demandé pourquoi les muscles de l’œil recevaient leurs nerfs de tant de sources différentes, et pourquoi un seul et même nerf, le nerf moteur oculaire commun, par exemple, n’envoyait pas ses filets à tous les agents musculaires qui meuvent le globe oculaire. Diverses explications ont été proposées. Il est probable que cette dispo- sition est en rapport avec ce que nous avons appelé les points identiques des rétines. En effet, dans les mouvements de rotation du globe oculaire autour de l’axe horizontal, c’est-à-dire dans la rotation vers le haut ou vers le bas, les points identiques des deux rétines étant symétriquement situés au-dessus et au-dessous de l’axe horizontal, les muscles droits su- périeurs agissent ensemble ainsi que les muscles droits inférieurs, et l'harmonie des mouvements est assurée par l’action d’un seul et même nerf, le nerf moteur oculaire commun. Mais, dans les mouvements de rotation du globe oculaire autour de l’axe vertical et autour de laxe an- fixée à l’arcade orbitaire, et son insertion mobile sur le globe oculaire ayant lieu au côté ex- terne et en même temps postérieur de ce globe, il s'ensuit que la direction de la portion agissante de ce muscle tend non-seulement à faire éprouver au globe de l’œil un mouve- ment de rotation autour de l’axe antéro-postérieur de l’œil, mais en même temps aussi (à sup- poser qu'il agisse seul) à porter légèrement la pupille en dehors el en bas, 696 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. téro-postérieur, les points identiques des deux rétines ne se meuvent plus symétriquement; les deux muscles qui meuvent l’œil autour de l’axe ver- tical, ainsi que les deux muscles qui le meuvent autour de l’axe antéro- postérieur, reçoivent chacun leurs nerfs d’une source différente. Le droit externe d’un côté agit avec le droit interne du côté opposé, pour faire exé- cuter la rotation autour de l’axe vertical, et ils recoivent leurs nerfs, l’un du moteur oculaire commun, l’autre du moteur oculaire externe. Le grand oblique d’un côté agit, dans les phénomènes de la vision, avec le petit oblique du côté opposé, pour faire exécuter la rotation autour de l’axe antéro-postérieur ; ils recoivent leurs nerfs, l’un du pathétique, l’autre du moteur oculaire commun. Le nerf moteur oculaire commun participe en conséquence à tous les mouvements de l’œil. Il agit seul sur le globe oculaire dans les mouve- ments symétriques d’élévation et d’abaissement, qui présentent aux objets des points identiques des deux rétines ; il agit avec le nerf moteur ocu- laire externe pour les mouvements associés autour de l’axe vertical; il agit avec le nerf pathétique pour les mouvements associés autour de l’axe antéro-postérieur. $ 301. Orbites, — Les orbites creusées dans les parties supérieures de la face représentent des cavités protectrices, qui abritent l’organe de la vision. Les orbitès qui contiennent l’œil, les paupières quile recouvrent, les sourcils qui le surmontent, et l’appareil lacrymal qui Phumecte, ont un but commun de protection : leur ensemble a reçu le nom de éutamina ocul. La cavité osseuse de l’orbite est une sorte de pyramide à quatre pans, dont le sommet, situé en arrière, correspond au trou qui donne passage au nerf optique, et dont la base, obliquement coupée d'avant en arrière et de dedans en dehors, sert de support aux paupières. Le globe de l'œil n'occupe que la partie la plus évasée de cette cavité osseuse; toute la partie rétrécie de l'orbite est remplie par les muscles, les nerfs et les vais- seaux de l'œil, et aussi par un coussinet graisseux qui garnit tous les in- terstices, et concourt (ainsi que le plan aponévrotique concave dont nous avons parlé) à maintenir l’œil dans sa situation fixe et à faciliter ainsi ses mouvements. Lorsqu'une partie de ce tissu adipeux a été résorbée, le globe de l'œil s'enfonce un peu dans l'orbite. C’est ce qui arrive dans toutes les maladies longues et lorsque l’amaigrissement est considérable. Les orbites sont obliquement dirigées en dehors, d’une quantité telle, que si on prolongeait par la pensée leurs axes du côté postérieur, ils se rencontreraient à l’apophyse basilaire de l’occipital. La direction des axes optiques de l’œil n’est pas la même que celle des orbites. La vision des mêmes objets avec les deux yeux détermine en effet dans les axes op- tiques une convergence plus ou moins prononcée vers le plan médian. CHAP. II. SENS DE LA VUE. 697 Le nerf optique, qui suit à peu près,'dans son trajet, l'axe de l'orbite, ne correspond donc pas exactement au prolongement des axes optiques, et son point d'insertion sur le globe oculaire se fait un peu en dedans de cet axe. Le punctum cœæcum, placé à l'insertion du nerf optique sur la rétine (lequel n’est doué, nous l’avons vu, que d’une sensibilité obscure pour la lumière), n'étant pas situé dans l’axe optique, il en résulte que dans les mouvements associés des deux yeux, lorsque l’image produite au fond de l’un des yeux correspond à cette partie peu sensible de la rétine, l’i- mage produite en même temps au fond de l’autre œil n’y correspond pas, $ 302. Soureils, — Les sourcils sont formés par une éminence de l'os frontal, par le muscle sourcilier, par la peau qui recouvre ce muscle, et par des poils courts dirigés en dehors et plus ou moins abondants, suivant les in- dividus et suivant les races. Les peuplades méridionales ont générale- ment les sourcils plus épais que les peuplades du Nord. L'homme etle singe sont les seuls êtres, à proprement parler, qui aient des sourcils; quel- ques animaux présentent cependant en ce point des poils longs et roi- des. Les sourcils atténuent l’intensité des rayons lumineux venus d’en haut, et protégent l’œil contre la lumière directe du soleil. L'homme aug- mente la saillie qui forme le sourcil en les fronçant par la contraction du muscle sourcilier, et protége ainsi plus eflicacement le globe de l’œil. La saillie sourcilière, et surtout les poils du sourcil, enduits d'humeur sébacée, détournent la sueur du front du champ de la vision. Les sour- cils contribuent aussi à l’expression de certains sentiments. Ils s'élèvent et s’écartent l’un de l’autre dans l’expression de la joie et de l’espé- rance ; ils s’abaissent et se rapprochent dans l’expression de la colère et de la crainte. Les mouvements du sourceil sont sous la dépendance du nerf facial ou de la septième paire, qui anime la plupart des muscles de la face. S 303. Paupiéres, — Les paupières sont des voiles mobiles, destinés à sou- straire momentanément l’organe de la vision à l’action de la lumiere. Elles sont au nombre de deux chez l’homme. Quelques animaux ont trois paupières : deux sont transversales, comme chez l’homme; la troisième est verticale : on désigne souvent cette dernière sous le nom de #em- brane clignotante. Chez les oiseaux, cette membrane s’avance au-devant de l’œil, de l’angle interne vers l’angle externe, et recouvre complétement le globe oculaire. Chez les ruminants et les solipèdes, elle recouvre seu- lement une partie du globe de l'œil, et elle est pourvue à sa base d’un cartilage irrégulier et d’un coussinet graisseux. Dans l'espèce humaine, la membrane clignotante n'existe qu’à l’état rudimentaire : elle est réduite à un simple repli de la conjonctive dans l'angle interne de l'œil. 698 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. Des deux paupières de l’homme, la supérieure est plus développée que l'inférieure; et à elle seule elle recouvre environ les trois quarts du globe oculaire au moment de l’occlusion. Les paupières renferment dans leur épaisseur une portion du muscle orbiculaire, des cartilages (cartilages tarses), un tissu cellulaire dépourvu de graisse, et dont la laxité est en rapport avec la fréquence et la rapidité du mouvement ; à l'extérieur, les paupières sont recouvertes par la peau; à l’intérieur, par un repli de la conjonctive, qui tapisse aussi le globe de l'œil. Leur bord libre est pourvu de poils ou cils ; les paupières contiennent encore dans leur épaisseur, entre les cartilages tarses et la conjonctive, un appareil glandulaire (glan- des de Meibomius), dont le produit de sécrétion est versé par des canaux excréteurs au nombre de trente ou quarante sur le bord libre des pau- pières. Le bord libre des paupières, ainsi que les cils, se trouvent ainsi enduits d’un vernis gras, analogue à la matière sébacée. L’humeur de Meibomius retient les larmes sur le globe de l'œil, et s'oppose à leur écoulement sur la joue, tandis qu’elles cheminent vers l’angle interne de l'œil, pour s'engager dans les points lacrymaux et ga- gner les fosses nasales. Les cartilages tarses, placés dans l'épaisseur des paupières, ont un double effet. En premier lieu, ils conservent la forme des paupières et s’opposent à leur renversement dans les mouvements qu’elles exécutent; secondement, ils appliquent uniformément les pau- pières à la surface du globe oculaire, et étalent ainsi le liquide protecteur (larmes) avec régularité, dans les mouvements de clignement. Les mam- mifères n’ont que des cartilages tarses rudimentaires, représentés par une petite bande cartilagineuse, placée près du bord libre des paupières : cette bande s'oppose au plissement en travers de la paupière, au moment de la contraction de l’orbiculaire des paupières ; chez eux, le corps cligno- tant, pourvu d’un cartilage, concourt d’ailleurs à étaler les larmes sur la cornée. Les paupières peuvent se rapprocher ou s’écarter, c’est-à-dire se fer- mer ou s'ouvrir. Le mouvement d’ocelusion est sous l’influence du mus- cle orbiculaire des paupières; le mouvement contraire est sous l'influence du muscle élévateur de la paupière supérieure. La paupière supérieure agit surtout dans ces divers mouvements ; la paupière inférieure n’y con- court que pour une très-faible part. Elle s’élève un peu au moment de l’occlusion, en vertu de la contraction active du muscle orbiculaire qui entre dans son épaisseur; elle s’abaisse légèrement au moment de l’ou- verture, par la cessation d’action du muscle orbiculaire. Elle peut d’ail- leurs être encore légèrement abaiïssée, lorsque le globe oculaire se tourne en bas, entraînée qu’elle est par le repli conjonctival qui l’unit au globe de l'œil. Pendant le sommeil, les paupières se ferment et restent fermées sans que la volonté intervienne. Il n’est pas probable, cependant, qu’en ce mo- ment le muscle orbiculaire soit dans un état permanent de contraction (la CHAP. II, SENS DE LA VUE, 699 permanence dans la contraction ne s’observe nulle part : Voy. $S 220, 235). La tonicité du muscle orbiculaire l'emporte vraisemblablement sur celle du muscle releveur de la paupière supérieure, et l’équilibre du re- pos des muscles est en faveur du premier (Voy. S 227). Ces mouvements d’occlusion et d'ouverture des paupières sont soumis à la volonté. Le premier est sous l'influence du nerf facial ou de la sep- tième paire, qui anime le muscle orbiculaire; le second est sous l’in- fluence du nerf moteur oculaire commun ou de la troisième paire, qui anime le muscle élévateur de la paupière supérieure. Pendant l’état de veille, ces deux muscles agissent tour à tour, de même que les muscles respiratoires, sans que nous en ayons Conscience, pour déterminer ce qu'on appelle le clignement. Le clignement a pour effet d'étendre continuellement les larmes à la surface de l'œil et d'entretenir cet organe dans des conditions d’humi- dité favorables à la vision : il survient par action réflexe, et sous l’in- fluence d’une sensation qui a son point de départ à la surface de la con- jonctive. Lorsqu'on résiste volontairement au clignement, cette sensation, ordinairement non perçue, devient un sentiment de picotement assez vif, qui entraine bientôt le besom irrésistible de l’ocelusion des pau- pières. La section intra-cranienne du nerf de la cinquième paire, qui entraine l’abolition de la sensibilité de la conjonctive, entraine comme conséquence l'abolition du besoin de cligner (Voy. chap. /nnervation, S 355). En résumé, les mouvements des paupières permettent à l’œil de se soustraire à l’action incessante de la lumière, quoique cependant nous puissions encore alors distinguer, au travers des voiles palpébraux, la clarté du jour de l'obscurité de la nuit. Ces mouvements mettent le globe oculaire à l’abri du contact des corps extérieurs et s'opposent à l’intro- duction des corps étrangers d’un petit volume: ils étalent à la surface de l'œil une humeur lubréfiante (larmes), et ils concourent à diriger cette humeur vers l'angle interne de l'œil dans le canal nasal. Les cils qui garnissent les paupières concourent avec les sourcils, et plus eflicacement qu'eux, à soustraire l'œil à l’influence d’une lumière trop vive; ils servent encore à retenir les poussières qui voltigent dans l'atmosphère, et s'opposent à leur entrée dans l’œil. S 304. Appareil laerymal, — L'appareil lacrymal se compose, chez l’homme, de plusieurs parties : 1° la glande lacrymale, glande acineuse, analogue pour la composition aux glandes salivaires (Voy. $ 169), logée en partie dans la cavité de l'orbite, vers la paroi externe et supérieure, dans la fossette dite lacrymale, et en partie dans l’épaisseur de la partie externe de la paupière; 2° les canaux excréteurs de la glande lacrymale, qui s’ou- vrent isolément, au nombre de huit ou dix, du côté externe, à la face 700 LIVRE If. FONCTIONS DE RELATION. postérieure de la paupière supérieure ; 3° les points lacrymaux, un pour chaque paupière; ces points sont de petites ouvertures placées à l’an- gle interne de l'œil, sur le bord libre des paupières : le point lacrymal de la paupière supérieure regarde en bas; le point lacrymal de la paupière inférieure regarde en haut ; l’ouverture des points lacrymaux est en même temps inclinée vers le globe de l'œil; 4° les conduits lacry- maux, étendus des points lacrymaux au sac lacrymal; ces conduits, très- fins, occupent l’épaisseur des paupières, entre la conjonctive et le mus- cle orbiculaire des paupières; le supérieur se dirige en haut, l’inférieur en bas; après quoi, ils se coudent l’un et l’aulre, deviennent horizon- taux et vont s'ouvrir dans le sac lacrymal sur sa paroi antérieure, au- dessous du tendon de l’orbiculaire des paupières; 5° le sac lacrymal, placé à l’angle interne de l'œil, dans la gouttière lacrymale ; 6° le canal nasal, creusé dans les os de la face et tapissé par une membrane mu- queuse, faisant suite à celle du sac lacrymal et des conduits lacrymaux; ce canal est cylindrique, un peu aplati sur les côtés, légèrement incurvé, et fait communiquer le sac lacrymal avec les fosses nasales, dans le méat inférieur desquelles il vient s’ouvrir. Les larmes, sécrétées par les glandes lacrymales, sont formées par un liquide clair, limpide, inodore, légèrement salé. Les larmes contiennent environ 99 parties d’eau sur 100, du chlorure de sodium, des phospha- tes de soude et de chaux, des traces de quelques autres sels, et une pe- tite proportion de matière organique. Les larmes, sécrétées par les glan- deslacrymales, sontincessamment versées à la surface du globe oculaire ; elles sont étendues à sa surface par les mouvements des voiles palpé- braux, gagnent les points lacrymaux, les conduits lacrymaux, le sac la- crymal, le canal nasal, et entrent dans les fosses nasales, où elles se mé- langent avec les mucosités de ces cavités. Dans l’état ordinaire, la quantité des larmes est telle, qu’elle suflit à la lubréfaction de l’œil : une petite par- tie, exposée à l’air sur la surface du globe de l’æil, est entraînée par éva- poration ; le faible excédant s’écoule par les fosses nasales, par les voies que nous avons indiquées. Lorsque la quantité des larmes est anormale- ment augmentée sous l'influence des impressions morales vives (douleur ou joie), les voies étroites des points lacrymaux et des conduits lacry- maux ne sufisent plus à entrainer l’excédant du côté des fosses nasales, et les larmes, accumalées à la surface du globe de l’œil, s’écoulent sur la joue, malgré le vernis gras dont est enduit le bord libre des paupières. En ce moment, d’ailleurs, la quantité des larmes qui traversent les points lacrymaux, les conduits lacrymaux, le sac lacrymal et le canal nasal est notablement augmentée, ainsi que le prouve le besoin de se moucher, qui accompagne le larmoiement. Dans l’état normal et pendant la veille, les larmes, étalées à la surface oculaire par le mouvement de cligne- ment, doivent se diriger vers l’angle interne de l’œil, pour s'engager dans les points lacrymaux, et de là dans les fosses nasales. Les larmes sont CHAP. III, SENS DE LA VUE, 701 dirigées du côté interne de l’œil, et par la direction du bord libre de la paupière inférieure, qui forme un plan incliné en dedans, et par le mou- vement de clignement lui-même, car, au moment où il se produit, la commissure externe des paupières se porte légèrement en dedans. Arrivées à l’angle interne de l'œil, les larmes passent dans les points lacrymaux, qui, inclinés vers la surface du globe de l’œil, baignent dans le liquide. Le diamètre capillaire des conduits lacrymaux et la tendance au vide qui se forme dans le canal nasal au moment de l'inspiration suf- fisent à les y faire pénétrer. Au moment du clignement, les paupières, qui se rapprochent, pressent sur le globe oculaire, par conséquent sur les larmes qui humectent la conjonctive, et le liquide s'échappe par la seule voie qui lui est offerte, c’est-à-dire par les points lacrymaux. Les larmes passent des conduits lacrymaux dans le sac lacrymal, et, de là, dans le canal nasal, d’où elles s’introduisent enfin dans les fosses nasales. Ajou- tons qu'au moment du clignement, le muscle orbiculaire des paupières, en se contractant, exerce sur le sac lacrymal une pression qui doit favo- riser l'écoulement des larmes dans le canal nasal. Pendant le sommeil, la sécrétion des larmes est vraisemblablement très-ralentie ; l'écoulement vers les fosses nasales est favorisé par la pe- santeur, du côté opposé à celui sur lequel a lieu le décubitus. Les larmes cheminent alors de l'angle externe de l'œil vers l’angle interne, le long des replis conjonctivaux qui réunissent le globe de l’œil aux paupières. Les larmes sécrétées du côté du décubitus remontent, par accumulation successive, du côté de l’angle interne de l'œil et gagnent ainsi les points lacrymaux. Il est vrai de dire cependant que l’occlusion des paupières est rarement assez complète pour que le cours des larmes puisse surmonter les effets de la pesanteur. La plupart du temps, les larmes s’écoulent au dehors, du côté du décubitus, sur l’angle externe de l'œil, et, au réveil, on retrouve sur cette partie le résidu salin de leur évaporation. S 305. De la vue dans la série animale, — L'appareil de la vision et les con- ditions optiques de l'œil sont à peu près les mêmes dans la classe des mamnufères que dans l'espèce humaine; il n’y a guère de différence que dans le volume relatif du globe oculaire, et dans l’ouverture pupillaire, qui, à l’état de resserrement, prend quelquefois une forme allongée, au lieu de la forme circulaire ?. Quelques animaux, qui passent la plus grande partie de leur vie sous terre, sont remarquables par la petitesse du globe 1 On a dit aussi que les paupières fermées ne se joignaient que par la lèvre externe de leur bord libre, et qu’il en résultait ainsi un petit canal triangulaire dont le globe de l'œil formerait une des parois. Cela est bien douteux. 2 Cette fente est allongée éransversalement chez le cheval et chez la plupart des animaux domestiques. Elle est allongée verticalement chez le chat et chez la plupart des carnassiers nocturnes. 702 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. de l'œil : telles sont les taupes. Chez d’autres, qui vivent dans l’eau (cé- tacés), le cristallin a de l’analogie avec celui des poissons et se rapproche de la forme sphérique. La différence entre la réfrangibilité de l’eau dans laquelle vivent ces animaux et la réfrangibilité des milieux transparents de l'œil est, en effet, beaucoup moindre qu'entre celle de l’air atmosphé- rique et celle des humeurs de l’œil des animaux aériens. La convergence des rayons derrière la lentille cristalline eût été beaucoup amoindrie chez les animaux aquatiques, si l’exagération des courbures du cristallin n’eût rétabli l'équilibre. La choroïde de l’œil des mammifères offre souvent, dans le fond de l’œil et au-dessous de la rétine, une tache brillante à reflets métalliques, à la- quelle on a donné le nom de fapis, et qui , réfléchissant en partie la lu- mière qui a traversé la rétine, donne aux yeux des animaux, envisagés sous certaines incidences, un éclat tout particulier. Le tapis est vert doré chez le bœuf, jaune doré chez le chat, bleu argenté chez le cheval, etc. Le tapis doit nuire à la netteté de la vision des objets (Voy. $ 279), mais il donne sans doute aux animaux une sensibilité plus vive à la lumière, la rétine étant retraversée en ce point par une partie de la lumière qui n’a point été absorbée par la choroïde. En vertu de cette disposition, les animaux peuvent, sans doute, se guider mieux que l’homme dans une demi- obscurité. L’œil est placé chez les mammifères dans des orbites dont la direction est telle que les yeux sont dirigés plus ou moins directement sur les côtés. Il n'y a guère que l’homme, les singes et les oiseaux de proie nocturnes dont les orbites sont disposés de manière que la vue s’exerce en avant et simultanément avec les deux yeux. Quelques poissons présentent ce- pendant aussi les deux yeux sur le même côté du corps, soit à la partie dorsale, soit sur l’un des côtés. L'appareil lacrymal des mammifères se compose d’une glande lacry- male, simple ou double, placée à l’angle externe de la cavité orbitaire. Les carnassiers, les rongeurs, les pachydermes, quelques ruminants, pré- sentent en outre, à l’angle interne de la cavité orbitaire, sous l’origine de la membrane clignotante, une autre glande, dite glande de Harder, la- quelle fournit une humeur épaisse et blanchâtre, qui s’accumule souvent à l'angle correspondant des paupières. Cette glande existe aussi en ves- tiges chez les solipèdes. Les larmes sont prises également par des points lacrymaux qui les conduisent, par un sac lacrymal et un canal nasal, à l'entrée des cavités nasales. Quelques rongeurs, les lièvres en partieulier, ont les points lacrymaux remplacés par une fente en forme de croissant, qui établit une large communication entre la surface conjonctivale et les fosses nasales. Les cétacés, qui vivent dans l’eau, et dont l'œil est, comme celui des poissons, continuellement lubrifié par le liquide ambiant, n’ont point d'appareil lacrymal. Les oiseaux ont le sens de la vue très-développé. Ceux d’entre eux qui CHAP, IN, SENS DE LA VUE, 705 planent à de grandes hauteurs dans l’atmosphère paraissent distinguer très-nettement des objets de petit volume placés à la surface du sol. Les oiseaux présentent dans le centre du globe oculaire un repli rayonné qui s’avance du fond de l’œil vers la face postérieure du cristallin et auquel on donne le nom de peigne. Ce repli, infiltré de pigment choroïdien, est formé par un prolongement de la choroïde et recouvert à sa surface par une expansion de la rétine. Il augmente l’étendue de la surface sentante, mais on ignore de quelle manière il peut concourir à la vision. Les oiseaux de haut vol, qui aperçoivent les objets à de grandes distances, ont, en gé- néral, le cristallin peu bombé; ceux qui vivent ordinairement dans l’eau, et qui plongent pour poursuivre leur proie, ont un cristallin à surfaces plus convexes; il se rapproche de celui des cétacés et des poissons. Les oiseaux ont des glandes lacrymales ordinairement doubles : l’une située à l’angle externe de l’œil, l’autre à l’angle interne (glande de Har- der). Les larmes s’écoulent par deux trous situés à l'angle interne de l'œil, passent dans le sac nasal, et de là dans les fosses nasales. Les reptiles ont souvent trois paupières : quelquefois, cependant, les paupières manquent complétement (serpents); le globe oculaire est alors, comme chez les poissons, recouvert seulement par une conjonctive trans- parente. Ii y a chez la plupart d’entre eux des glandes lacrymales rudi- méntaires. Le cristallin a des formes variables ; les reptiles aquatiques l’ont beaucoup plus bombé que les reptiles terrestres. Chez quelques rep- tiles, on trouve aussi un vestige de peigne. Quelques reptiles inférieurs, tels que les protées et les cécilies, qui vivent dans les eaux des cavernes obscures et souterraines, ou qui se creusent des trous dans les lieux som- bres et humides, ont des yeux rudimentaires, formés par une capsule remplie d’un liquide transparent, tapissée intérieurement par une expan- sion nerveuse, et recouverte de pigment à la surface extérieure : le point de la capsule dirigé à la surface en est seul dépourvu. Les yeux sont cachés sous les téguments, au milieu du tissu cellulaire sous-cutané : ces animaux n’ont qu’une vue très-imparfaite. Les poissons manquent de paupières. Leurs yeux, continuellement bai- gnés par le liquide ambiant, sont dépourvus d'appareil lacrymal. Les yeux des poissons sont grands, peu mobiles; le cristallin est sphérique, leur cornée presque plate, l'iris très-peu contractile. La rétine des poissons carnassiers, qui poursuivent leur proie et paraissent la distinguer à d'assez grandes distances, présente des plis rayonnés qui rappellent le peigne des oiseaux. Les yeux des myxines, comme ceux des protées, sont placés sous les téguments et même sous les muscles ; ils sont constitués égale- ment par une capsule, enduite extérieurement et, dans une certaine éten- due d’un pigment foncé. Les myxines‘ distinguent probablement seule- 1 Il ya, dans la plupart de nos cours d’eau, une myxine très-commune, longue de 5 à 6 cen- timètres, et de la grosseur d’un ver de terre, à laquelle on donne vulgairement le nom de chatouille, et dont les pêcheurs se servent pour amorcer, 704 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, ment la clarté du jour de l'obscurité de la nuit, comme d’autres animaux inférieurs. La peau et les muscles placés au devant de l’œil ne sont pas des diaphragmes tout à fait opaques ; 1l suflit, en effet, de placer sa main entre les yeux et la lumière du soleil ou celle d’une lampe pour distin- euer encore la lueur de la source lumineuse. Parmi les articulés, les insectes et les crustacés ont des yeux d’une structure toute particulière. Leurs yeux, dits composés ou à facettes, sont constitués par l’agglomération d’un nombre considérable de petits tubes Fig. 163. rayonnés ou de cônes divergents, dont l’ensem- ble vient se terminer à la surface, suivant une courbe plus ou moins étendue. Ces cônes, termi- nés à leur base libre par de petites cornées à formes polygonales, renferment dans leur inté- rieur une humeur analogue au corps vitré, re- coivent un filet nerveux à leur extrémité pro- fonde, et sont enduits à leur intérieur par un pigment foncé (Voy. fig. 1463). Chacun des deux yeux, qui n’a que quelques millimètres de dia- YEUX A FACETTES (insectes). c, œil entier. d, œil divisé horizontalement Dir a ap 7 DEN ARC a : EN Ne pe mètre, renferme souvent de dix à vingt mille de des cônes. ces petits tubes. La cornée, qui ferme chacun de a,b, nerfs optiques. F À : À 5 e, ganglion céphalique. ces petits cônes, est enduite elle-même de pig- ment sur la plus grande partie de son étendue, excepté au centre, Où elle présente un point transparent que la lumière peut traverser. Les yeux à facettes, quoique différant assez notablement des yeux des animaux supérieurs, donnent néanmoins aux insectes et aux crustacés des images assez exactes des objets extérieurs. Les cônes, étant diver- gents et disposés comme les rayons d’un segment de sphère, ne laissent parvenir à la terminaison nerveuse placée dans leur fond que les rayons dirigés suivant leur axe. Tous les autres rayons, qui tombent plus ou moins obliquement sur les parois intérieures enduites de pigment, sont absorbés. La représentation de l’image se fait, par conséquent, sur des milliers de points, qui correspondent chacun à des points #solés de l’objet extérieur. L'image de cet objet se trouve en quelque sorte représentée par une mosaïque d’une extrême finesse, dont chaque segment microscopique correspond aux dimensions des éléments nerveux placés à l'extrémité profonde des cônes. L'appareil optique placé au devant du nerf de la vision des insectes à done sensiblement les mêmes effets que le globe oculaire des animaux supérieurs (Voy. $ 269). Il est vrai, cependant, que si la vision des in- sectes et des crustacés est assez nette, une grande quantité de lumière se trouve absorbée par les parois des cônes, et la clarté des objets doit y perdre. On conçoit que l'étendue du champ visuel, avec les yeux à facettes, dé- pend du segment de sphère représenté par l’ensemble des cônes. Le pro- CHAP. III, SENS DE LA VUE, 705 longement de l’axe des cônes les plus extérieurs détermine cette étendue; sur un @il plat, elle est bien moindre que sur un œil convexe. Dans la vue de près ou de loin, avec les yeux à facettes, l’accommodation n’est pas nécessaire, car l’objet qui envoie la lumière suivant l’axe du cône est toujours vu distinctement comme point. L'œil à facettes des crustacés aquatiques est le même que celui des crustacés ferrestres et des insectes. Les articulés n’ont pas tous des yeux à facettes. Quelques-uns, les an- nélides en particulier, ont des yeux simples, constitués par une rétine enduite extérieurement de pigment, un corps vitré et une cornée. Dans beaucoup d'insectes et dans quelques crustacés, les deux espèces d’yeux coexistent. Les yeux simples, au nombre de trois, ou plus, som le plus souvent placés sur le sommet de la tête, entre les deux yeux à fa- cettes. Il est probable que les yeux simples ne voient que de près, et sont surtout en rapport avec la vue de l'aliment, tandis que les autres yeux, donnant à l’animal la notion des corps éloignés, le dirigent dans son vol ou dans ses mouvements. Les yeux composés des crustacés sont généralement portés sur un pé- dicule mobile, inséré au fond d’une fossette particulière. Ce pédicule peut, par ses mouvements, augmenter l’étendue du champ visuel. Les mollusques céphalopodes ont des veux analogues à ceux des ani- maux supérieurs. Les poulpes et les seiches ont deux gros yeux logés dans les parties latérales de la tête, composés d’une sclérotique, d’une cho- roïde, d’une rétine, d’une cornée, d’un corps vitré, d’un cristallin; il y a quelquefois des rudiments de paupières, Les gastéropodes (limacons, ete.) ont les yeux portés sur des pédoncules saillants, mais ces yeux sont moins parfaits que les précédents : ils ne consistent guère qu'en une vésicule, enduite de pigment, remplie d’une humeur vitrée, et présentant emavant un point transparent. Quelques mollusques acéphales, et peut-être aussi quelques animaux rayonnés, présentent sur quelques points du corps des vésicules enduites de pigment, qu’on désigne quelquefois sous le nom de points oculaires, et qui leur donnent sans doute la faculté de distinguer la lumière du jour de l’obscurité de la nuit ?. 1 Consultez principalement sur le sens de la vue : Lecat, Trailé des sensations ct des pas- sions; Paris, 1767, t. 11, De la Vue, p. 299; — Olbers, Dissertatio de oculi mutalionibus internis; Gôttingen, 1780; — Young, On the Mechanism of the eye, dans Philosophical Trans- actions for the year 1801 ; part. 1, London ; — Chossat, Sur la courbure des milieux réfrin- gents de l'œil, dans Annales de chim. et de phys., 2 série, année 1819, t. X, p. 337; — du même, Sur le pouvoir réfringent de l'œil, dans Annales de chim. et de phys., 2e série, 4818, . VIII, p. 217; — Purkivje, Beobachtungen und Versuche zur Physiologie des Sehens (0h- servations et expériences sur la physiologie de la vue) ; Prag., 1819 ; — du même, Beobacht. und Vers. zür Phys. der Sinne (Observat. et expér. sur la phys. des organes des sens): l'rag., 1825; — J. Müller, Zür Vergleichenden Physiologie des Gesichtsinnes des Menschen und der Thiere, etc. (Sur la physiol. comparée du sens de la vue chez l'homme et chez les animaux; in-8, Leipzig, 1826, et chap. Vue, tome IT de sa Physiologie; —WNollaston, On semi-decussation of the optic nerves, dans Philosoph. Transact., p. 22: London. 1824; — Plateau, Essai d’une 4 706 LIVRE Il, FONCTIONS DE RELATION, CHAPITRE IV. » SENS DE L’OUÏE. S 306. Définition. — Organe de louie. — L'’ouie est le sens qui nous donne la notion du son. Le mouvement vibraloire des corps peut être perçu, par l’homme, par d'autres organes que celui de l'audition. Ainsi, il peut sentir à l’aide du toucher les oscillations d’une corde qui vibre; et le son du canon peut ébranler à distance le corps d’un sourd, de même qu’il brise les vitres, sans qu'on puisse dire qu'il est entendu. Le mouvement vibratoire des corps n’est donc pas le son lui-même, physiologiquement parlant. Il ne devient son qu’à la condition d’impressionner l'organe de l’ouïe, animé par un nerf spécial, dit nerf acoustique. Il en est de même pour les autres organes des sens. Lorsqu'un aveugle-né reconnaît, au toucher, les couleurs arti- ficielles déposées sur les corps, il n’a pas plus la notion des couleurs que le sourd n’a celui du son : il ne voit pas par le bout des doigts, mais il sent des surfaces polies et des surfaces plus ou moins rugueuses, et il a appris qu’on donne à ces diverses surfaces des noms de couleurs différentes. L’organe de l’ouïe, ou l'oreille, se compose, chez l’homme, de trois par- ties : 1° oreille externe, ou pavillon et conduit auditif externe ; 2 oreille moyenne ou caisse du tympan ; 3° oreille interne ou labyrinthe. Le pavillon de l'oreille de l’homme est une lame cartilagineuse assez irrégulière , présentant des éminences et des dépressions diverses, pou- théorie générale sur les apparences visuelles qui succèdent à la contemplation des objets colorés, dans Annales de chim. et de phys., 2° série, 1835, t. LVIII, p. 337; — W. Wolkmann, Neue Beiträge zür Physiologie des Gesichtsinnes (Nouvelles Contributions à la physiologie du sens de la vue); Leipzig, VI,1836; — A. Hueck, Die Bewegung der Krystallinse (Des mouvements du cristallin); Dorpat, 1839; — Chevreul, De la loi du contraste simultané des couleurs, etc.; Paris, 1839 ; — Wheatstone, Sur un phénomène remarquable et inobservé de la vision avec les deux yeux, extrait des Philosoph. Transact. de Londres, dans Annales de chim. et de phys., 5° série, 1841, t. II, p. 350; —Vallée, Théorie de l'œil ; Paris, 1844; — du même, Précis sur l'œil et la vision ; Paris, 1854 ; — Serre (d'Uzès), Essai sur les phosphènes, ou anneaux lumineux de la rétine; in-8, fig.; Paris, 1853 ;—Listing, article Dioptrik des Auges (Dioptrique de l'œil), dans Wagner's Handwürterbuch der Physiologie, t. IV, p. 485; — Th. Ruete, Lehrburch der Ophthalmologie (Traité d’ophthalmologie); Braunschweig, 1854; —Cramer, Het accommodatie Vermogen der Oogen (Sur le pouvoir d’accommodation de l'œil) ; Harlem, 1853; — Helmhollz, Ueber die im Auge eintrelende Veränderungen bei abgeänder Accommo- dation (Des Changements qui surviennent dans l'œil dans l’accommodation variée) , dans les Comptes rendus mensuels de l'Académie de Berlin , février 1855; — M. Sée, De l'accommo- dation de l'œil et du muscle ciliaire, thèse pour le doctorat, n°135, Paris, 1856; — Giraud- Teulon, Mécanisme de la production du relief dans la vision, dans l'ouvrage cité (Principes de mécanique animale), p. 445-483; Paris, 1858. CHAP. IV. SENS DE L'OUIE. 707 vant être mü, mais dans de très-faibles limites, par les muscles auricu- laires, en haut (auriculaire supérieur), en avant (auriculaire antérieur), en arrière (auriculaire postérieur). Le muscle auriculaire antérieur a aussi, et surtout, pour effet d'attirer à lui la petite languette cartilagi- neuse triangulaire située en avant du conduit auditif, à laquelle on donne le nom de fragus, et d'agrandir ainsi l’ouverture du conduit auditif ex- terne. La lame cartilagineuse qui compose le pavillon est formée de plusieurs pièces réunies entre elles par des ligaments fibreux et par des muscles rudimentaires. Les diverses pièces du pavillon peuvent donc rigoureuse- ment Jouer les unes sur les autres; mais tous ces mouvements sont fort obscurs chez l’homme et imperceptibles. Fig. 164. APPAREIL AUDITIF (grandeur naturelle). a, conduit auditif externe. g, fenêtre ronde. b, membrane du tympan. h, vestibule. €, marleau. À ; +, limaçon. d, enclume. E S k, canaux semi-circulaires. e, lenticulaire. 22 1, trompe d’Eustache. f. étrier dont la base recouvrela \ &o m, nerf acoustique (branche vestibu- fenêtre ovale du vestibule. ei laire et branche limacéenne). Le conduit auditif externe (Voy. fig. 164 a), cartilagineux en dehors, osseux en dedans, se termine à la membrane du tympan. Il a une lon- gueur d'environ 3 centimètres , et il est légèrement coudé par en haut. La membrane du tympan (Voy. fig. 464, 4) est tendue, à l’extrémité du conduit auditif externe, sur un cadre osseux qui fait corps avec l'os tem- poral. Cette membrane n’est pas placée perpendiculairement à l'extrémité du conduit; elle fait, avec la paroi inférieure de ce conduit, un angle de 45 degrés environ. Les osselets de l’ouïe contenus dans la caisse du tympan adhèrent entre 708 LIVRE 1I. FONCTIONS DE RELATION. eux par des articulations. La chaîne continue qu’ils forment mesure toute l'étendue transversale de la caisse du tympan. Elle se fixe au côté ex- terne, à l’aide du manche du marteau (Voy. fig. 164 c), sur la paroi in- terne de la membrane du tympan. A l’autre extrémité de la chaîne, la base de l’étrier vient s'appliquer sur la fenêtre ovale (Voy. fig. 164, f). La caisse du tympan, bornée en dehors par la membrane du tympan, présente, en dedans, les deux ouvertures qui la font communiquer avec l'oreille interne ou labyrinthe. Ces deux ouvertures sont la fenêtre ronde et la fenêtre ovale (Voy. fig. 164, g, f). Ges deux orifices sont fermés par des membranes, et la fenêtre ovale est, de plus, couverte par la base de l’étrier. La caisse du tympan n'offre rien de remarquable en haut et en bas. En arrière, elle présente l’ouverture des cellules mastoïdiennes, qui sont à peu près pour l'oreille ce que sont les sinus pour les fosses nasales, En avant, la caisse du tympan présente l’orifice de la trompe d’Eustache, qui établit sa communication avec l’arrière-gorge (Voy. fig. 164, ?). L’oreille interne, ou labyrinthe, est formée de trois parties : une cen- trale ou vestibule (fig. 164, »), une antérieure ou limaçon (fig. 164, à), une postérieure ou canaux semi-circulaires (fig. 164, 4). Les canaux semi- circulaires communiquent avec le vestibule. Ils sont renflés en ampoules aux points de communication. Le limaçon communique aussi avec le ves- tibule, mais seulement par une de ses rampes (le limaçon est formé par deux canaux osseux spiroïdes, qui forment ensemble deux tours et demi de spire et communiquent seulement au sommet). L'autre rampe aboutit à la caisse du tympan; son orifice, fermé par une membrane, n'est autre que la fenêtre ronde. C’est dans le labyrinthe que viennent s'épanouir les branches du nerf acoustique. Ses ramifications nerveuses sont baignées par le liquide dont ces cavités sont remplies (Voy., fig. 165, p. 716). S 307. A] Notions d’acoustique applicables à l'audition, — Déjà, à propos de la voix humaine, nous avons signalé la plupart des propriétés du son (Voy. $ 253). Nous ajouterons ici quelques données, spécialement appli- cables à l’organe de l’ouie. Les vibrations d’un corps sonore qui se communiquent à l'air ambiant ou à tout autre milieu, gazeux, liquide ou solide, se transmettent, comme la lumière, dans toutes les directions. Il en résulte que l'intensité du son décroît rapidement avec la distance, et que ce décroissement s'opère comme le carré de la distance. Mais si l'intensité du son décroît rapide- ment lorsque celui-ci se propage librement dans toutes les directions el dans un espace indéfini, il n’en est plus de même lorsque les ondes so- nores sont dirigées dans un espace limité, dans un tube cylindrique, par exemple. Les ondes sonores qui s'engagent dans un tube de ce genre, suivant la direction de son axe, conservent indéfiniment, sauf la petite CHAP. IV. SENS DE L’OUIE. 799 perte due aux frottements, la même intensité; car à tous les points du cylindre les tranches d’air qui résonnent ont une même mesure, celle de la section du cylindre. Le son se propage dans les milieux gazeux, dans les milieux liquides et dans les milieux solides, car tous ces corps peuvent vibrer; mais sa vi- tesse de propagation n’est pas la même; tandis qu’elle est d’environ 333 mètres par seconde dans l’air tranquille, elle est de 1,400 ou 1,500 mètres dans l’eau, et de 3,000 mètres environ dans les solides. Les membranes vibrent comme tous les corps ; elles peuvent entrer en vibration, soit par percussion directe, à l’aide d’un corps solide, soit par influence, lorsqu'on fait vibrer, par exemple, un corps sonore dans leur voisinage ; en d’autres termes, elles sont aptes à recevoir les vibrations que l’air leur transmet. Ces vibrations deviennent très-sensibles sur les membranes tendues, par les dessins qu'offre, au moment où elles vibrent, la poussière dont on les couvre. En général, le nombre des ventres et des lignes nodables est en rapport avec celui des vibrations (Voy. $ 254). Des pressions différentes, appliquées à chacune des faces d’une membrane ten- due, exercent une influence capitale sur son pouvoir résonnant. En effet, si on fait le vide dans un vase dont l'ouverture supérieure est fermée par une membrane, il devient très-difiicile de faire vibrer cette membrane, c’est-à-dire d’y faire apparaître les dessins dont nous parlions. Si l’on aug- mente la tension de l’air à l’intérieur du vase, la même difliculté se pré- sente, les conditions sont, en effet, les mêmes ; dans ce dernier cas seu- lement, l’excès de pression est à la face interne de la membrane, au lieu d’être à sa face externe. La propagation des vibrations des corps gazeux aux corps solides et aux corps liquides, celle des corps solides aux corps liquides, etc., a été étudiée avec soin par M. Müller. Voici une série de résultats expérimen- taux qu’on consultera avec fruit : I. Les ondes sonores des corps solides se transmettent avec plus de force à d’autres corps solides mis en communication avec eux qu’à l’eau; mais la transmission des ondes a bien plus d'intensité quand elle s’opère des corps solides à l’eau, que quand elle s'opère des corps solides à l’air. II. Les ondes sonores de l’air se transmettent très-diflicilement à l’eau ; mais elles se communiquent très-facilement à ce liquide par l’intermé- diaire d’une membrane tendue. IT. Des ondes sonores qui se propagent dans l’eau, et qui traversent des corps solides limités, ne se communiquent pas seulement avec force aux corps solides, mais encore se transmettent des surfaces de ce corps dans l’eau, de manière que le son dans l’eau,'au voisinage du corps so- lide, est entendu fort là où il eût été entendu faible d’après la seule trans- mission dans l’eau. IV. De minces membranes conduisent le son dans l’eau sans affaiblis- sement, qu'elles soient ou non tendues. 710 LIVRE I. FONCTIONS DE RELATION. V. Des masses d’air résonnent dans l'eau, lorsque l'air est renferme dans des membranes ou des corps solides, et produisent ainsi un renfor- cement considérable du son. "* VI. Les ondes sonores qui passent de l’air dans l’eau, par l’intermé- diaire d’une membrane tendue, sont transmises sans changement dans la hauteur du ton. VII. Les ondes sonores se transmettent de l’air à l’eau, sans change- ment notable d'intensité, alors même que les membranes se trouvent tendues sur un corps solide résistant, qui est seulen contact avec le liquide. $ 308. Rôle de l'oreille externe. — La partie essentielle de l’organe de l’ouie est l'oreille interne, dans laquelle viennent se ramifier les expansions du nerf acoustique ; c’est la partie où s’opère l’impression. Les autres par- ties (oreille moyenne et oreille externe) doivent être envisagées comme des organes de perfectionnement. Les corps de toute nature pouvant transmettre le son, les os de la tête et le rocher pourraient encore remplir ce rôle si l'oreille externe et l'oreille moyenne faisaient défaut, et la notion du son ne serait pas perdue pour cela ; c’est ce qu’on observe dans beaucoup d'animaux. L’oreille externe et l’oreille moyenne de l’homme et des animaux supérieurs sont vrai- semblablement des appareils en rapport avec les diverses qualités du son, l'intensité, la hauteur et le timbre. L’oreille externe (conque et conduit auditif) peut être regardée comme un organe collecteur du son. On considère que l’inclinaison la plus favo- rable du pavillon de l'oreille avec les parois latérales de la tête est celle qui représente un angle de 30 à 45 degrés. La perte du pavillon de l'oreille n'empêche pas l’audition, et la hauteur des sons n’en est pas non plus modifiée. La perte du pavillon n’entraîne qu'une certaine dureté de l’ouïe, c’est-à-dire qu’elle ne nuit qu’à l’inten- sité du son. Le pavillon de l'oreille est donc un cornet acoustique, et on peut s’en convaincre en dirigeant artificiellement la conque du côté où l’on veut distinguer un son confus; mais c’est un cornet qui est loin d’a- voir chez l’homme la puissance qu’il a chez les animaux, où non-seule- ment il jouit d’une grande mobilité, mais où il offre une forme conique beaucoup plus favorable à la collection des sons. Quant à la forme singulière de la conque auditive, elle est encore une énigme pour la physiologie. On a dit que le pavillon à peu près immobile de l’homme , et dont la forme se rapproche plutôt d’un plan que d’un cornet , était mal disposé pour renvoyer les ondes sonores dans le con- duit auditif, et qu’il paraissait plutôt destiné à les amortir qu’à les ren- forcer. On a dit aussi que les dimensions variées des saïllies et des dépres- sions du cartilage auriculaire, ainsi que sa composition assez complexe (il est composé de plusieurs cartilages réunis par des ligaments fibreux), CHAP. IV, SENS DE L'OUIE, 711 devaient l'empêcher de vibrer jamais 4 l'unisson d'aucun son (Voy. $ 253); vibrations propres qui eussent été nuisibles à l'audition. On a dit enfin que cette forme était destinée à présenter, dans toutes les directions possibles, une surface perpendiculaire à la direction des ondes sonores, et à diriger toujours une portion des ondes vers l’orifice du conduit auditif externe. Les recherches expérimentales faites sur lui-même par M. Schneider donnent gain de cause à cette dernière supposition. M. Schneider bou- che le conduit auditif externe de l’une de ses oreilles (soit l’oreille gau- che) avec un petit tampon de coton, puis il remplit toutes les anfractuo- sités de la conque auditive du même côté avec une ;composition liquide (1 partie de cire, 3 parties d'huile), de manière qu'après le refroidisse- ment, la conque est transformée en une surface plane. Après quoi il en- lève le coton qui préservait les parties profondes contre l'introduction de la composition cireuse, et le conduit auditif externe redevient libre. Ecou- tant alors un corps sonore placé derrière lui ou devant lui, à égale di- stance des deux oreilles, l'observateur constate que ce corps est beau- coup mieux entendu par l'oreille droite, dont la conque est restée libre, que par l'oreille gauche. Si l’observateur tourne alors son oreille gauche du côté d’où vient le bruit, il arrive fout & coup un moment où il entend aussi bien avec cette oreille qu'avec l’autre : c’est le moment où le con- duit auditif externe se trouve dans la direction précise du corps réson- nant. D'où il résulte que la conque auditive, à peu près inutile pour tous les sons qui nous arrivent dans la direction même de l'oreille, est très- utile pour tous les sons qui nous arrivent en avant et en arrière, et dans toutes les directions obliques par rapport à l’axe du conduit auditif ex- terne. Lorsque M. Schneider remplissait les conques auditives de ses deux oreilles avec la composition en question, il ne pouvait plus distin- guer si le son provenait du côté gauche ou du côté droit, toutes les fois qu'il n’était pas dans la direction du conduit auditif. Les divers phéno- mènes dont nous venons de parler étaient plus marqués encore lorsque la face interne de la conque auditive était enduite comme la face ex- terne, lorsque, en d’autres termes, la conque tout entière était noyée dans la composition cireuse. Les ondes sonores s’engagent dans le conduit auditif externe et se diri- gent vers la membrane du tympan; elles y circulent dans un canal à peu près cylindrique et ne perdent rien de leur intensité (Voy. $ 307). Les vibrations sonores du conduit auditif externe proviennent de plusieurs sources : les unes ont pénétré directement du dehors, d’autres ont été réfléchies par le pavillon de l'oreille; enfin, pour ne rien omettre, d’au- tres encore ont été communiquées à l’intérieur du canal par ses parois cartilagimeuses et osseuses. Les vibrations des parois cartilagineuses et osseuses du canal proviennent, soit de la conque, par continuité de tissu, soit directement de l’air extérieur, et cheminent à travers les os, en même temps que les vibrations aériennes parcourent le conduit auditif 712 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. externe. D’après ce que nous avons dit précédemment (Voy. $ 307), il est évident que les vibrations solides parviennent plutôt à la circonférence de la membrane du tympan que les vibrations aériennes n’arrivent à la surface de la même membrane. S 309. Membrane du tympan. — Osselets de l’ouie. — Cette membrane reçoit les vibrations sonores par sa circonférence (vibrations des parois solides du canal auditif externe) et par sa surface (vibrations aériennes du canal). Il est probable que ce double mode d'influence contribue à faire entrer plus facilement la membrane en vibration. La membrane du tympan favorise la transmission du son, d’une part, parce qu’une membrane tendue est plus facilement impressionnable aux ondes sonores qu'un corps plein, et, en second lieu, parce que les ondes sonores se transmettent ensuite plus facilement à des corps solides sur les- quels la membrane est tendue *. La tension de la membrane du tympan est subordonnée à la chaîne des osselets de l’ouie, laquelle établit d’un autre côté la continuité de la membrane avec les parties profondes de l'oreille. Les osselets de l’ouïe sont au nombre de quatre : le marteau, l'enclume, le lenticulaire, V'étrier (Voy. fig. 164, p. 707). Ces petits os, articulés entre eux, éprouvent de lé- gers mouvements, déterminés par les muscles du marteau et de l’étrier. Ces mouvements sont circonscrits dans de faibles limites, car le commence- ment de la chaîne est adhérent, par le manche du marteau, à la surface interne de la membrane du tympan, et la fin de la chaîne adhère, par la base de l’étrier, à la membrane de la fenêtre ovale. La chaîne des osselets est donc une sorte de tige qui traverse la caisse du tympan à la manière de l’âme des instruments; mais elle en diffère par sa mobilité. Les muscles de la chaîne des osselets sont au nombre de trois : le muscle interne du marteau, le muscle de l'étrier et le muscle antérieur du marteau. Le muscle mterne du marteau s’insère sur le manche du marteau; en se contractant, il tire la membrane du tympan en dedans, avec le marteau qui adhère à cette membrane. On peut, à juste titre, le désigner sous le nom de {enseur de la membrane du tympan. Le muscle de l’étrier, qui s’in- sère au collet de l’étrier, applique, lorsqu'il se contracte, la base de l’étrier sur la fenêtre ovale. Il est, par l’ntermédiaire de la chaine des osselets, l’antagoniste du muscle tenseur de la membrane du tympan. Quant au muscle antérieur du marteau, qui vient se fixer au sommet de l’apophyse grêle de cet os, il est aussi un antagoniste du muscle tenseur de la mem- brane du tympan. La membrane du tympan peut donc être tendue par les muscles de la chaine des osselets. Cette tension est involontaire, car la contraction du 1 Savart a démontré ces deux points par l’expérience directe, CHAP. IV. SENS DE L'OUIE. 715 muscle interne du marteau est soustraite à l'influence de la volonté 1. L'expérience directe a appris que, lorsqu'une membrane tendue vibre sous l'influence des ondulations sonores aériennes qui lui arrivent, elle rend toujours un même son (celui qui correspond à sa tension), quelle que soit la hauteur du son aérien qui la met en branle. L'expérience a encore appris qu'une membrane tendue, et au contact de l’air sur ses deux faces, entre le plus facilement possible en vibration quand le son aérien qui la met en branle est à l'unisson de celui qu’elle produirait si on la faisait vi- brer directement. Il est donc probable que la membrane du tympan pro- portionne sa tension de manière à vibrer à l’unisson des sons qui lui arri- vent. La membrane du tympan aurait dès lors le pouvoir de s’accommoder par ses degrés divers de tension aux tons qui lui arrivent, de manière que celui-ci puisse être entendu distinctement. Il en serait ici de la sensation distincte de l’ouie comme de la vision distincte, pour l'exercice de laquelle les milieux transparents de l'œil (le cristallin) s’accommodent à la distance des objets. Les expériences montrent encore qu'une membrane tendue vibre diffi- cilement, même pour des sons d’une grande intensité, quand ceux-ci sont inférieurs pour la hauteur à ceux que rendrait la membrane elle-même pour le degré de tension qu'elle possède. Il est donc probable que la mem- brane du tympan est mise dans un état de tension forcée toutes les fois qu'un son très-intense et de nature à blesser l’ouïe se produit. La mem- brane du tympan et les muscles qui la meuvent peuvent être, sous ce rap- port, envisagés comme des organes protecteurs du sens de l’ouïe. La membrane du tympan n’est pas indispensable à l’exercice du sens de l’ouie. Elle peut être perforée et l’ouïe n’en persister pas moins. Les osselets de l’ouie peuvent aussi disparaitre sans que le sens de l’ouiïe soit absolument aboli ; mais la perception des principales qualités du son est profondément troublée. S 310. Trompe d'Eustache. — La trompe d’Eustache, s’ouvrant dans le pha- rynx, établit une communication entre l'air extérieur et l'air intérieur de la caisse du tympan. L'existence de la trompe est constante chez tous les animaux qui ont en même temps une caisse du tympan. La trompe est destinée à maintenir l'air intérieur de la caisse à la même pression, ou sensiblement à la même pression que l’air extérieur. Les différences de pression entre les deux surfaces des membranes entravent en effet le jeu des vibrations. Toute membrane tendue vibre au mieux, c'est-à-dire le plus facilement, quand elle est pressée sur ses deux faces par des pres- sions égales (Voy. $ 307). Lorsque nous nous transportons brusquement dans un milieu d’une ‘ Quelques personnes peuvent, dit-on, contracter à volonté le muscle interne du marteau et tendre ainsi la membrane du tympan. Ce sont des exceptions rares. 714 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. densité différente, nous éprouvons une surdité passagère, parce que l’é- quilibre ne s’établit pas immédiatement entre le milieu extérieur et la caisse du tympan. La communication par la trompe n’est ni béante ni lar- sement ouverte : cet équilibre ne s'opère qu'au bout d’un certain temps!. C’est ce qu’on observe quand on descend sous l’eau dans la cloche à plon- geur; c’est ce qu'on observe encore quand on s'élève en ballon et qu'on se trouve brusquement transporté dans des couches d’air d’une densité inférieure à celles de la surface du sol. L'oblitération de la trompe entraîne une dureté de l’ouïe qui peut de- venir très-grande. La communication de la caisse du tympan avec l’exté- rieur étant rompue, la petite quantité d’air qui y existait se trouve peu à peu absorbée. Lorsque le canal de la trompe n’est pas complétement oblitéré, on remédie à cette imperfection par des injections d'air. La trompe sert donc à établir la communication de l’air extérieur avec la caisse, et aussi à écouler vers le pharynx les mucosités de la caisse. A-t-elle encore d’autres usages? Est-ce par la trompe que l’homme qui parle entend sa propre voix? La trompe augmente-t-elle la résonnance du son à la manière du tuyau des instruments à vent? On peut objecter à la première supposition que la trompe est moins bien disposée pour transmettre le son que les parties dures qui l’environnent. D'ailleurs, nous nous entendons parler, surtout par les ondes sonores aériennes qui viennent frapper l'oreille externe, quand l’air résonnant est sorti au dehors. Quand nous entendons le son de notre voix, ce n’est pas seulement le son laryngien, tel qu'il arrive de la glotte dans le pharynx, que nous entendons, mais c’est la voix articulée, c’est-à-dire le son modifié par la langue, les lèvres, les dents, etc. Quant à la seconde supposition, elle n’est pas admissible ; il faudrait, pour cela, que la trompe füt un ca- nal béant largement ouvert, ce qui n’est pas, au moins chez l'homme. On ne voit pas d’ailleurs en quoi cela pourrait servir à l’audition; on voit bien mieux, au contraire, en quoi cela pourrait lui nuire. $ 311. Oreille interne. — Les vibrations sonores arrivent à l'oreille interne par plusieurs voies, soit par l’air de la caisse, soit par la chaine des osse- lets de l’ouie, mise en vibration par les vibrations de la membrane du tympan, soit enfin par les parois osseuses de la cavité du tympan. Les vibrations des parois osseuses qui entourent la cavité du tympan proviennent, soit des oscillations vibratoires des diverses parties de l’o- reille externe, soit des vibrations générales des os de la tête. Lorsque nous plaçons une montre entre les dents, le tic-tac du balancier arrive à 1 La trompe communique avec l’arrière-gorge par un conduit qui, dans sa partie profonde, est extrêmement étroit. Ge conduit est ordinairement fermé : il ne s'ouvre guère que pendant les mouvements de déglutition, mouvements qui font exécuter au pavillon de la trompe des excursions assez considérables. (Warthon Jones, Toynbee, Menière, J. Jago.) CHAP, IV. SENS DE L'OUIE, 715 l'oreille externe avec bien plus de force que lorsque la montre est placée à côté de la bouche, à une même distance de l'oreille externe. Dans cette expérience une grande partie des vibrations est transmise par les dents à los maxillaire supérieur, et de proche en proche jusqu’au rocher et au labyrinthe. Dans les conditions ordinaires de l’audition, il y a donc aussi une partie des vibrations qui sont transmises par les os à l'oreille interne. Il est vrai que dans l'audition normale le corps vibrant n’est pas relié avec l'oreille interne par une succession continue de solides, comme dans l'expérience précédente. L'air ambiant est l’agent ordinaire de transmis- sion du son, et nous savons que les vibrations se transmettent moins fa- cilement d’une manière directe aux solides, qu'ils ne se transmettent à ces mêmes parties solides à l’aide des membranes tendues qu’elles sup- portent ($ 307). Il en résulte que, dans les conditions de l’audition ordi- naire, les ondes transmises directement par les os du crâne ont une in- tensité moindre que celles qui parviennent à l'oreille interne par l'oreille externe et moyenne. Les ondes sonores qui, de l’intérieur de la caisse du tympan, se trans- mettent à l’oreille interne peuvent suivre deux voies différentes : la voie aérienne, ou bien la voie des osselets. Les ondes aériennes frappent sur la paroi interne de la caisse du tympan où se trouve la fenêtre ronde, et les oscillations se transmettent à la membrane qui ferme cette fenêtre. Les vibrations qui arrivent à la fenêtre ovale lui sont, au contraire, par- ticulièrement et directement transmises par la chaîne des osselets, qui les ont reçues eux-mêmes de la membrane du tympan. La membrane qui obstrue la fenêtre ronde de l'oreille interne a pour effet de faciliter la transmission à l’oreille interne des vibrations aériennes de la caisse du tympan, et elles n’en changent point le ton (Voy. $ 307, IT et VI). Les os- cillations qui parviennent à la fenêtre ovale par l'intermédiaire de la chaîne des osselets doivent avoir plus d'intensité que les autres, car ce sont des oscillations de solides. Par la même raison aussi, les ondes so- nores qui arrivent à la fenêtre ovale du vestibule par la chaîne des osse- lets doivent parvenir plus tôt à leur destination que celles qui arrivent au limacon par la fenêtre ronde ($S 307). La fenêtre ovale s'ouvre dans le vestibule; la fenêtre ronde s’ouvre dans le limacçon. Les ondes sonores qui s’introduisent dans le vestibule et celles qui s’introduisent dans le limacon arrivent, en résumé, dans le li- quide de l'oreille interne. Le vestibule et les canaux semi-circulaires con- tiennent à leur intérieur des parties membraneuses continues entre elles, qui représentent un sac dans le vestibule et des tubes membraneux dans les canaux semi-circulaires (Voy. fig. 165, d,d',f,f,f). Le vestibule et les canaux semi-circulaires membraneux représentent, en quelque sorte, un autre vestibule et d’autres canaux semi-circulaires inclus dans le vestibule et dans les canaux semi-circulaires osseux. Cette oreille interne membra- neuse, sur laquelle viennent se diviser les branches vestibulaires du nerf 716 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, acoustique, et qui est remplie de liquide (endolymphe), n’adhère pas aux parois osseuses : elle en est séparée par un liquide (périlymphe). Le li- maçon n’a pas de partie intérieure membraneuse; il ne contient qu’un seul liquide, qui communique avec la périlymphe du vestibule par l’a- queduc vestibulaire du limacon. Fig. 165. OREILLE INTERNE. a, limaçon. allant à l’utricule et aux ampoules des canaux semi-circulaires supérieur et horizontal. h, branche nerveuse du vestibule membraneux al- lant au saccule. k, branche nerveuse allant à l’ampoule inférieure bb, vestibule osseux. cee, canaux semi-circulaires osseux. d, vestibule membraneux (utricule). ! = F \ sis z = 3 d', vestibule membraneux (saccule). du canal semi-circulaire inférieur. fff, canaux semi-cireulaires membraneux. ill, anses nerveuses terminales de la branche lima- 9, branche nerveuse du vestibule membraneux, céenne sur la lame spirale du limaçon. Le liquide intérieur du vestibule membraneux et des canaux semi-cir- culaires membraneux, c’est-à-dire l’endolymphe, contient une poussière fine, dite poussière auditive, composée par des cristaux microscopiques de carbonate de chaux. Il est probable que cette poussière a pour but d'augmenter la secousse auditive, et, par conséquent, l’impression que les vibrations du liquide opèrent sur les ramifications nerveuses (Voy. $ 307, Il). | Les vibrations qui passent de la périlymphe à l’endolymphe n'’éprou- vent aucun affaiblissement en traversant les parois de l'oreille interne membraneuse (Voy. S 307, IV). On à cherché à fixer le rôle de chacune des trois parties fondamentales de l'oreille interne ; mais on n’a guère émis sur ce sujet que des suppo- sitions sans preuves. Le vestibule et les canaux semi-circulaires sont plus essentiels, sans CHAP, 1V, SENS DE L’OUIE, 114 doute, que le limaçon, car les premiers sont plus constants que le dernier chez les animaux. Le vestibule et les canaux semi-circulaires qui lui font suite, recevant surtout les ondes sonores par l'intermédiaire de la chaine des osselets, c’est-à-dire les ondes sonores de la membrane du tympan et du conduit auditif externe, on a pensé qu'ils étaient surtout en rapport avec les vibrations sonores qui frappent et traversent l'oreille externe. Le limacon, au contraire, enchâssé dans les parties solides de la tête, dé- pourvu de sac membraneux intérieur, et ne communiquant avec l'oreille externe que par l'intermédiaire de la colonne d'air de la caisse tympani- que, a paru plus propre à recevoir les vibrations qui parviennent à l’o- reille interne par les os de la tête. On a dit que la fenêtre ronde ne devait transmettre au Himacon que des ondes sonores d’une faible intensité, et qu’elle était destinée à suppléer la fenêtre ovale dans les moments où la base de l’étrier, fortement ap- pliquée sur la membrane qui la ferme par la contraction du muscle de l’étrier, ne permettait plus à cette membrane d’entrer en vibration. C’est là une supposition toute gratuite. Chaque fenêtre a son rôle à remplir. M. Auzoux fait remarquer que les liquides qui emplissent l'oreille in- terne de l’homme et des animaux supérieurs sont entourés de parties so- lides, et que si l'oreille interne ne communiquait avec la caisse du tympan que par la fenêtre ovale, les mouvements vibratoires communiqués par la chaine des osselets au liquide de l'oreille interne eussent été très-limités, les liquides étant sensiblement incompressibles. Au contraire, l'existence de la fenêtre ronde et l’élasticité de la membrane qui la ferme permet- traient à la membrane de la fenêtre ovale de céder sous la pression des mouvements de l’étrier. En d’autres termes, la pression exercée sur le li- quide de l’oreille interne, au niveau de la fenêtre ovale, par le moyen de la tige des osselets, cette pression, disons-nous, serait transmise par le li- quide du vestibule au liquide de la rampe vestibulaire, du liquide de la rampe vestibulaire au liquide de la rampe limacéenne (puisqu’au sommet du limaçon ces deux rampes communiquent ensemble); enfin, du liquide de la rampe limacéenne à la membrane de la fenêtre ronde, qui, étant élas- tique, cède du côté de l'oreille moyenne, sous l'influence de cette pression. Après quoi, l’élasticité de l’air contenu dans la caisse faisant l’oftice d’un ressort, la membrane de la fenêtre ronde reprend sa place au moment même où la base de l’étrier cesse de presser sur la fenêtre ovale. Il ré- sulterait de là une succession de mouvements de va-et-vient, ou de vi- brations isochrones avec les vibrations transmises dans le liquide par la chaîne des osselets. Cette doctrine, en harmonie avec le rôle de la mem- brane du tympan et avec la nécessité de l'existence de l'air dans la caisse tympanique, pour l'exercice normal de l'audition, mériterait d’être étudiée expérimentalement, et elle est incontestablement un progrès dans l'étude encore si peu avancée de l'audition, et dans la fixation du rôle des di- verses parties de l'oreille interne. 718 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION. On a dit que le limaçon était l'organe qui nous permettait d’apprécier la hauteur du ton; que la lame spirale du limaçon, lame moitié osseuse, moitié membraneuse, entrant en vibration avec les liquides qui la baïi- enent, transmettait aux nerfs qui s’épanouissent à sa surface (Voy. fig. 165) une impression correspondante à l’idée du ton. Mais l’impres- sion causée sur les nerfs du vestibule et des canaux semi-circulaires, par les vibrations des liquides et des parties membraneuses du vestibule et des canaux semi-cireulaires, est la même pour un mére ton, car elle correspond, là aussi, à un nombre de vibrations donné. On ne voit donc pas trop comment les nerfs qui s’épanouissent sur la lame spirale joui- raient, à cet égard, d’une aptitude que ne partageraient pas les branches nerveuses du vestibule et des ampoules des canaux semi-cireulaires !. M. Külliker a constaté qne les fibres nerveuses terminales du limaçon ne sont qu'appliquées sur la lame spirale du limacçon, et qu’elles flottent ainsi librement dans le liquide qui le remplit. Comme, d’un autre côté, les branches nerveuses terminales du vestibule et des ampoules des canaux semi-circulaires se trouvent contenues dans l'épaisseur des membranes vestibulaires et ampullaires, il en résulte une certaine différence dans la manière dont chacune des branches nerveuses reçoit l'impression; mais il n’est guère possible de dire en quoi cette différence peut consister. On a attribué aux canaux semi-cireulaires la propriété de nous faire ap- précier la direction du son. On s’est fondé surtout sur leur direction va- riée, qui correspond aux trois dimensions des corps (hauteur, longueur et largeur); mais il faudrait d’abord démontrer que nous jouissons de la faculté d'apprécier la direction du son autrement que par un acte de ré- flexion, ou que par la différence entre l'intensité des ébranlements pro- duits dans chaque oreille (Voy. $ 313). S 312. De la durée de l'impression auditive, — Estimation de la hauteur du son.— La durée de l'impression auditive n’est pas mstantanée, et elle ne s'éteint pas immédiatement avec la cause qui l’a fait naître. Il en est ici absolument de même que dans la vision (Voy. $ 289). La durée de l'impression auditive peut être mesurée d’une manière approximative par la limite inférieure des sons perceptibles. Nous avons vu ($ 253) que cette limite correspondait à 32 oscillations simples par se- conde. La durée de l'impression auditive peut donc être estimée 1/32 de seconde. La démonstration directe peut être facilement fournie à l’aide 1 M. Auzoux suppose que la finesse de l’ouie pourrait bien dépendre de l’élendue du lima- çon. En coulant dans le conduit auditif externe de l’alliage d'imprimerie, on obtient en relief la forme des diverses parties de l'oreille externe et en particulier du limaçon (la chaleur du métal en fusion suffit pour carboniser le tissu osseux, qu’on détache ensuite par fragments). Or, il est aisé de constater que les dimensions et même la forme de cet organe varient beau- coup suivant les individus. Tantôt le limaçon décrit 1 tour 1/2 de spire, tantôt 2, tantôt 2 1/2, tantôt 3. CHAP. IV. SENS DE L'OUIE. 719 de la roue dentée de Savart, ou de la sirène de M. Cagniard-Latour, in- struments dans lesquels le son est formé par une succession de chocs, au lieu de l'être par une succession de vibrations élastiques. Lorsque les chocs de ces deux instruments ne dépassent pas 32 par seconde, l'oreille distingue ces chocs; lorsque leur nombre dépasse 32, l'oreille ne perçoit plus qu’un son continu, parce que la durée de l'impression produite par chacun des chocs sur la membrane auditive est plus grande que linter- valle qui les sépare. Le phénomène qui se produit ici est tout à fait ana- logue à celui en vertu duquel l’œil voit une circonférence ignée continue lorsqu'on fait tourner rapidement un charbon en ignition. La possibilité de distinguer les uns des autres les différents tons varie singulièrement suivant les individus. Chacun distingue aisément les tons de la gamme et même les demi-tons, les dièzes et les bémols placés en- tre deux notes consécutives; mais lorsque deux tons sont très-rappro- chés, il faut une oreille exercée pour les distinguer l’un de l’autre; il faut, comme on le dit, avoir l'oreille musicale. La finesse de l’ouïe peut être, à cet égard, portée très-loin par l’exercice. M. Seebeck affirme qu’on peut arriver ainsi à distinguer un son qui ne diffère d’un son voisin que ‘ par 14/1200 dans le nombre des vibrations. Une oreille exercée distingue également deux sons différents qui résonnent ensemble, alors même que ces sons sont consonnants ou harmoniques. $ 313. Estimation dé l'intensité du son.— De la direction et de la distance du son. — MM. Renz et Wolf ont dernièrement cherché à apprécier par expérience quel est le degré de sensibilité de l’organe de l’ouie pour l'appréciation de l'intensité des sons. Une montre est placée sur un sup- port vertical matelassé, support disposé de manière à pouvoir se mouvoir dans une glissière sur un plateau horizontal. En avant du support contre lequel est appliquée la montre est un écran fixe, également matelassé en avant et en arrière pour s'opposer à toute réflexion des ondes sonores. Au centre de l'écran fixe est un trou qui correspond horizontalement au centre de la montre, et par lequel les ondes sonores du mouvement de la montre sont transmises à l’oreille. Les lois de la propagation du son étant, en ce qui regarde l'intensité, les mêmes que pour la propagation de la lumière, il s'ensuit que l'intensité du son de la montre décroît comme le carré de la distance de la source sonore à l'oreille, ce qui permet de comparer les intensités. Voici les résultats les plus saillants de ces expériences : 4° L’éloigne- ment qu'il fallait donner à la montre pour que le son ne fût plus percu variait suivant les jours, ce qui prouve que la sensibilité de l’organe auditif n’est pas toujours la même (il en est ainsi sans doute pour tous les autres organes des sens), 2° Lorsque deux sons de différente intensité sont entendus immédiatement l’un après l’autre, la sûreté du jugement 120 LIVRE 1!, FONCTIONS DE RELATION. porté sur leur intensité comparative s'accroît avec l’accroissement dans la différence d'mtensité des deux sons. 3° Toutes les autres circonstances étant égales, lorsque la différence d'intensité de deux sons est dans le rapport de 10 à 7, on peut encore les distinguer l’un de l’autre. Deux sons, l'intensité de l’un étant représentée par 10, tandis que l’intensité de l’autre le serait par 9, ne peuvent plus être distingués l’un de l’autre. D'où il résulte que le pouvoir de distinguer l’intensité du son est beau- coup moins étendu que le pouvoir d’en distinguer la hauteur. La direction du son peut être appréciée, ainsi que nous l'avons fait pressentir, en la rapportant du côté de l'oreille la plus ébranlée, et aussi par le mouvement instinetif qui nous porte à chercher, par le déplace- ment du corps, le point de l’espace qui correspond à la plus grande in- tensité du son. Lorsque l’homme renfermé dans sa demeure entend les bruits du dehors ou le passage lointain d’une voiture, s’il peut aftirmer que le bruit se passe dans la rue, parce que le maximum d'intensité du bruit qui parvient à son oreille correspond à ce côté de l'appartement qu'il occupe, il lui est impossible cependant de décider à quelle extrémité de la rue il a lieu. I lui serait également impossible d’afirmer que le bruit se rapproche ou s'éloigne, si la réflexion, qui ne dépend pas du sens de l’ouie, ne l’avait depuis longtemps accoutumé à juger qu'un son fort qui s’affaiblit est un son qui s'éloigne, et qu’un son faible qui devient plus intense est un son qui se rapproche. La distance du corps sonore n'étant présumée que par les divers degrés d'intensité du son, l’appré- ciation de la distance du son est donc une opération de l'esprit. Lorsque le ventriloque fait successivement entendre des voix qui pa- raissent sortir de la cave, du grenier, de la cheminée ou de la rue, ce sont ses intentions, exprimées par sa voix naturelle ou par sa panto- mime, qui expliquent les #/lusions de direction. I] a d’ailleurs soin d’enfler ou de diminuer le son pour faire naître l’i/lusion de distance. S 314. Nerf de l'audition. — Le nerf qui préside au sens de l’ouïe est le nerf auditif. Ce nerf reçoit sur ses expansions vestibulaires et limacéennes l'impression des vibrations sonores, et les conduit à l’encéphale. La branche vestibulaire est la plus importante; elle correspond à la partie fondamentale de l'oreille. On a vu quelquefois la branche limacéenne dé- truite avec le limacon chez l’homme, sans que le sens de l’ouie ait été aboli, ni même troublé d’une manière profonde dans ce qu'il y a d’es- sentiel ; nouvelle preuve que le limaçon n’est pas, dans l'oreille interne, le seul appréciateur du son. La destruction totale du nerf acoustique entraîne la perte de l’ouie. Les lésions du nerf acoustique, et son irritation directe, paraissent éveil- ler de la douleur chez les animaux. On sait que les ébranlements vio- lents du nerf acoustique dans les sons d’une intensité extrême sont dou- CHAP, IV, SENS DE L'OUIE, 721 loureux, même lorsque les vibrations sonores sont transmises au travers de l'organe auditif. Il est probable que la sensation auditive, déterminée par l'excitation directe du nerf auditif, présente le même caractère; c’est une sorte de sensation auditive exagérée. Lorsque l’on comprend l’o- reille interne dans un courant galvanique un peu énergique, en plaçant l’un des pôles dans le conduit auditif externe, et l’autre dans l’arrière- bouche, du côté de la trompe d’Eustache, le passage du courant fait naï- tre un bourdonnement continu. Le sens de l’ouie est sujet, comme le sens de la vue, à des sensations subjectives. Lorsqu'un bruit longtemps prolongé a frappé l'oreille, lors- qu'on a voyagé pendant plusieurs jours dans une voiture sur le pavé, il reste souvent dans l'oreille une sensation de roulement, qui ne disparait qu'après le repos du sommeil. Les sons un peu intenses font naître à leur suite dans l'oreille un bruit particulier, dit #intement d'oreille, qui rap- pelle les images consécutives de la vision. Les sensations subjectives de l'audition sont communes dans l’insomnie, dans l’indigestion et dans tou- tes les congestions vers le cerveau. Les hallucinations de l’ouïe sont les plus communes et les plus variées. S 315. Du sens de l’ouie dans la série animale. — La partie essentielle et fondamentale du sens de l’ouie correspond à l'oreille interne de l’homme. A mesure qu’on descend l'échelle animale, les parties accessoires du sens de l’ouïe, telles que la conque auditive, le canal auditif externe, la membrane du tympan, la caisse du tympan, les osselets de l’ouïe, dis- paraissent. L’oreille interne, qui se montre seule dans les animaux im- férieurs pourvus du sens de l’ouïe, se présente aussi chez eux avec une complication qui va sans cesse en décroissant. Le limacon, les canaux semi-circulaires peuvent disparaître, et l'organe de louïe n’est plus re- présenté alors que par le vestibule membraneux, c’est-à-dire par un sac rempli de liquide, dans lequel nagent de petites concrétions calcaires plus ou moins volumineuses ; et sur les parois internes de ce sac viennent se ramifier les expansions d’un nerf spécial. Le sac auditif est placé profon- dément dans l’épaisseur des parties osseuses, cartilagineuses ou testa- cées, ou sous les parties molles, et les vibrations sonores (aériennes ou aquatiques, suivant que l'animal vit dans l'air ou dans l’eau) parviennent au sac en mettant en vibration les parties qui le recouvrent. Mammifères. — L'appareil auditif des mammifères diffère peu de l'ap- pareil auditif de l’homme, et le sens de l’ouie est généralement très-dé- veloppé chez eux. L'appareil collecteur du son, c’est-à-dire la conque auditive, présente, chez la plupart d’entre eux, une forme et une mo- bilité qui leur permettent de percevoir des sons de faible intensité, et d’en apprécier assez exactement la direction. 46 722 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION, En dirigeant en arrière le cornet auditif, les animaux timides peuvent fuir devant le danger, et proportionner leur course à l'intensité du bruit. Le cornet auditif dirigé en avant concourt, avec le sens de l’odorat, à gui- der les animaux chasseurs qui poursuivent leur proie. Tantôt le cornet auditif, formé par des cartilages plus ou moins épais et solides, est droit (cheval, âne, chat, lièvre, lapin, ete.); tantôt les cartilages plus minces sont plus ou moins étalés, et les oreilles retombent sur les côtés de la tête (chien de chasse, chien épagneul, éléphant, ete.) : dans ce dernier cas, l'animal qui écoute soulève la portion pendante de la conque, de manière que, tantôt elle touche sur les côtés de la tête par son bord pos- térieur, tantôt par son bord antérieur, etc. Le canal auditif externe est plus ou moins long, suivant les espèces. Tandis qu'il mesure chez les solipèdes et les ruminants 5 ou 6 centimè- tres, il est très-court chez les carnassiers. La cavité du tympan, séparée dncanal auditif externe par la membrane du tympan, présente des difré- rences peu essentielles, qui ne portent que sur ses dimensions. Chez quel- ques animaux, les cellules osseuses mastoïdiennes et les cellules osseu- ses supérieures ont un grand développement, et augmentent d'autant sa cavité. La trompe d’Eustache, courte et assez étroite chez les bœufs et la plupart des ruminants, est très-dilatée chez le cheval, où elle forme ce qu'on appelle les poches qutturales. La chaine des osselets, le vestibule osseux, les canaux semi-circulaires osseux le vestibule membraneux, les canaux semi-Circulaires membraneux, et enfin le limaçon ne présentent rien de particulier. Comme chez l'homme, la cavité du tympan commu- nique avec le vestibule par l’intermédiaire de la fenêtre ovale sur la- quelle s'applique la base de l’étrier, et avec le limacon par l'intermédiaire de la fenêtre ronde. Les muscles qui meuvent les osselets de l’ouie, c’est- à-dire le muscle interne du marteau et le muscle de l’étrier, acquièrent chez nos grands animaux domestiques (le cheval et le bœuf) un dévelop- pement qui permet de les bien étudier. Oiseaux. — L'appareil de l’ouïe est à peu près aussi complet chez les oiseaux que chez les mammifères, sauf le pavillon de l'oreille, qui fait défaut. Le conduit auditif externe, placé sur les côtés de la tête, est formé par un canal ostéo-membraneux qui traverse le temporal. La caisse du tympan, séparée de ce conduit par une membrane du tympan, offre un grand développement, parce qu’elle communique avec les cellules osseu- ses dont sont creusés presque tous les os du crâne. La caisse communi- que avec l’arrière-bouche, par l'intermédiaire des trompes d’Eustache, formées dans toute leur étendue par un canal osseux revêtu d’une mem- brane muqueuse. Les trompes se réunissent ensemble au point où elles correspondent avec l’arrière-bouche. L'oreille interne des oiseaux est formée d’un vestibule, de canaux semi-cireulaires et d’un limaçon. Celui-ci est peu développé, et il res- semble à celui des lézards et des serpents. Il n’est point contourné en CHAP. IV. SENS DE L’OUIE, 7925 spirale, mais formé d’un canal osseux terminé en cul-de-sac, presque droit. Il est d’ailleurs partagé, par une cloison délicate qui règne dans le sens de sa longueur, en deux rampes (rampe vestibulaire, rampe tym- panique) comme celui des mammifères. Reptiles. — Les reptiles n’ont ni conque auditive, ni canal auditif ex- terne. La membrane du tympan est à fleur de tête ou cachée sous la peau. Elle n’existe pas toujours, quelques reptiles inférieurs (protées, cé- cilies, axolots, tritons) étant dépourvus de caisse du tympan. Lorsque la caisse existe, ce qui est le cas le plus fréquent, elle communique géné- ralement d’une manière très-large avec l’arrière-bouche. La trompe d’Eustache est tellement évasée, que la caisse semble une sorte de diver- ticulum de la gorge. Les osselets de l’ouïe sont souvent réduits au nom- bre de deux. Lorsque la membrane du tympan manque, ces osselets, fixés du côté de l'oreille interne sur la fenêtre ovale, s’attachent de l’autre côté au derme cutané. L’oreille interne est complète chez les reptiles pourvus d’écailles, c’est- à-dire les sauriens et les ophidiens (lézards, crocodiles, serpents); elle est composée d’un vestibule, de canaux semi-circulaires et d’un limacon. Chez eux, l'oreille interne communique, par conséquent, avec la cavité du tympan, par la fenêtre ovale (fenêtre vestibulaire), et par la fenêtre ronde (fenêtre limacéenne). Le limaçon est d’ailleurs non contourné, et à peu près droit. Chez les reptiles dépourvus d’écailles, c’est-à-dire les batraciens (grenouilles, crapauds, etc.), il n’existe pas de limacon ni, par conséquent, de fenêtre ronde. L’oreille interne, réduite au vestibule et aux Canaux semi-Circulaires, ne communique plus avec le tympan que par la fenêtre ovale. Les reptiles nus, dépourvus de caisse du tympan, dont nous avons parlé plus haut, manquent également de limacçon. Le li- quide contenu dans l'oreille interne des reptiles contient, comme celui des oiseaux et des mammifères, une poussière composée de cristaux calcaires microscopiques. Cette poussière ne se présente sous forme de petites pierres d’un certain volume que dans les reptiles les plus infé- rieurs. Poissons.— Les poissons n’ont ni oreille externe, ni caisse du tympan, ni limacon. Leur oreille est réduite à la partie membraneuse du vesti- bule et des canaux semi-circulaires. Tantôt il y a trois canaux semi-cir- culaires, tantôt il y en a deux, tantôt il n’y en a qu’un. Le vestibule et les canaux semi-circulaires représentent un ensemble membraneux fermé de toutes parts. Comme il n’y a plus ni osselets de l’ouïe, ni cavité du tympan, il n’y a ni fenêtre ovale ni fenêtre ronde. Tantôt l'oreille interne membraneuse est logée dans la substance cartilagineuse des os de la tête (poissons cartilagineux) ; tantôt elle est en partie engagée dans les os du crâne, et hbre en partie dans la cavité crânienne, et appliquée contre l’encéphale (poissons osseux). L’oreille interne membraneuse recoit les expansions du nerf auditif, et est remplie d’un liquide dans lequel on -24 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. trouve des concrétions calcaires d’un volume plus ou moins considé- rable. Articulés.— Les insectes ne présentent rien qui ressemble à un appa- reil d’audition, et pourtant ces animaux paraissent, en beaucoup d’occa- sions, être sensibles aux ébranlements sonores. Il est probable que chez ces animaux, comme d’ailleurs chez les rayonnés et chez beaucoup de mollusques, les vibrations sonores peuvent être senties, non comme son, mais comme ébranlement du toucher. Les crustacés ont un appareil auditif placé, de chaque côté, à la base des antennes extérieures; il consiste en un petit sac membraneux rem- pli de liquide, et sur lequel vient s'épanouir un nerf spécial. Mollusques.— Les céphalopodes dibranchiaux (poulpes, sèches, cal- mars) sont les seuls mollusques dans lesquels on ait constaté, d’une ma- nière positive, l'existence de l'appareil auditif. Il consiste en deux petits sacs membraneux, placés de chaque côté dans l’épaisseur du cartilage céphalique. Le sac, rempli de liquide, contient une pierre relativement volumineuse, et sur ses parois membraneuses vient se distribuer un nerf spécialf, 1 Consultez particulièrement sur le sens de l’ouie : E. H. Weber, De Aure et Audilu homi- nis et animalium ; Leipzig, 1820 ; — F. Savart, Recherches sur les usages de la membrare du tympan et de l'oreille externe, dans Journ. de physiol. de Magendie, 1824, t. IV; — du même, Leçons de physique professées au Collége de France (Acoustique), dans le journal l’/n- stiltut, année 1839 ; — J. Müller, chapitre Sens de l'ouie, dans son Trailé de physiologie, t. Il; — Esser, Mémoire sur les diverses parties de l'organe auditif, dans Annales des sc. naturelles, t. XXVI, Paris, 1832 ; et dans Archiv. génér. de méd., Paris, t. XX et t. XXVI ; — G. Breschet, Recherches anat. et physiol. sur l'organe de l'ouëe et l'audition dans l’homme et les animaux vertébrés ; Paris, 1856, in -4, fig.; — du même, Recherches anat. et physiol. sur l'organe de l'audition chez les oiseaux; Paris, 1837, in-8, et atlas ; — du même, Re- cherches anat. et physiol. sur l'organe de l’ouïe des poissons ; Paris, 1838, in-4, fig.; — C. G. Lincke, Handbuch der theoretischen und practikischen Ohrenheilkunde (Manuel théori- que et pratique des maladies de l'oreille) ; Leipzig, 1837, in-8o, t. 1; — Külliker, Ueber die leltzten Endigungen des Nervus cochleæ und die Function der Schnecke (Sur les dernières Terminaisons du nerf auditif et sur la Fonction du limaçon); in-4°, Würtzburg, 1854; — Harless, article Hôren (ouie), dans Wagner’s Handwôürterbuch der Physiologie, t. IV, p. 447; — Schneider, Die Ohrsmuschel, und ihre Bedeutung beim Gehôr (la Gonque audi- tive et sa signification dans l’audition); dissertation, Marburg, 1855; — Kramer, Zur Phy- siologie des menschlichen Ohres (Physiologie &e l'oreille humaine), dans Froriep's Notizen, t. Ii, ne9,p 129 et 145, année 1856; — Renz et Wolf, Versuche Ueber die Untercheidung differentes Schallstarken (Estimation de l'intensité du son; Recherches expérimentales), dans Vierordt's Archiv., 1856, p. 185 ; — Bruhns, Ueber das deutliche Hüren (De l'audition dis- tincte); Dissertation, Gôttingen, 1857; en extrait dans Bericht ueber die Fortschrilte der Physiologie im lakre, 1857 ; de Henle et Meissner, p. 583 ; — Auzoux, chapitre Audition, dans Leçons élémentaires d'anatomie et de physiologie ; in-8o, 2e 6d., 1838, p. 289. CHAP, V. SENS DE L’ODORAT, — 19 Cr CHAPITRE V. SENS DE L'ODORAT. S 316. Définition. — Des odeurs. — Le sens de l’odorat est celui qui nous donne la notion des odeurs. Quant à dire ce qu'il faut entendre par l’o- deur d’un corps, la chose n’est pas aussi aisée à définir qu’elle semble. Pour les uns, les odeurs sont une sorte de mouvement vibratoire des corps se propageant comme un fluide impondérable, et transmis à la membrane muqueuse olfactive. Pour d’autres, les odeurs sont des parti- cules impalpables des corps, des vapeurs, ayant assez d’analogie avec les gaz odorants. Cette dernière opinion, la plus généralement adoptée, est aussi celle qui paraît la plus vraisemblable. Certaines substances odo- rantes perdent, en effet, avec le temps, leur odeur, et, avec leur odeur , les parties volatiles auxquelles cette odeur était attachée. La diminution dans le poids des matières odorantes exposées au contact de l’air, quel- que faible qu’elle soit, tend aussi à le démontrer. Des quantités extrêmement faibles de matières odorantes suflisent pour réveiller sur la membrane muqueuse des fosses nasales la sensation de l'odeur. L'expérience de tous les jours le démontre. Du papier qui a con- tenu du tabac ou du muse s’imprègne des parties odorantes volatiles de ces substances, conserve pendant des mois ou des années leur odeur ça- ractérisque, et réveille la sensibilité de la muqueuse olfactive. En diluant une substance odorante avec de l’eau, jusqu’à ce qu’elle soit devenue in- appréciable pour l’odorat, on peut estimer ainsi à quelle dose elle cesse d’être odorante. On peut également introduire un volume donné de gaz odorant dans un volume donné d’air atmosphérique et essayer le mé- lange à l’odorat, jusqu'aux limites extrêmes de la sensibilité olfactive. On pourrait, de cette manière, grouper en série les gaz et les liquides odo- rants, et dresser une sorte de table des odeurs, d’après leur degré d’éner- gie sur la membrane olfactive, qui vaudrait bien la plupart des classifi- cations proposées en ce genre. L'hydrogène sulfuré est encore sensible à l’odorat dans un mélange d’air atmosphérique, qui n’en contient que deux millionièmes de son volume. L’organe de l’odorat est un réactif plus sensible que ceux de la chimie : l'homme reconnaît encore par l’odo- rat la présence de certains corps, placés à dessein dans l’air, alors que les réactifs de la chimie sont impuissants à les déceler. Ne nous étonnons pas, dès lors, si la plupart des altérations de l’äir déterminées par la pré- sence des matières odorantes sont encore enveloppées d’obscurités, si le parfum des fleurs, et si beaucoup d’autres odeurs ne peuvent pas être 726 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, mises en évidence d’une manière positive, à l’aide des moyens dont nous disposons aujourd’hui. S 317. Organe de l'odorat. — Siége de Fodorat. — L’organe de l’odorat con- siste essentiellement en une membrane muqueuse vasculaire douée d’un grand nombre de nerfs, et appliquée sur les parois osseuses des fosses nasales. Cette membrane se développe sur des cornets (cornets supé- rieurs, moyens, inférieurs), et dans des sinus (sinus frontaux, ethmoï- daux, maxillaires, sphénoïdaux), c'est-à-dire sur des parties saillantes et dans des anfractuosités qui multiplient sa surface. Les animaux, qui ont l’odorat plus développé que l’homme, présentent une muqueuse nasale plus étendue, c’est-à-dire des saillies et des enfoncements plus nombreux. Le siége réel de l’odorat ne s'étend pourtant pas à toute l'étendue de la membrane muqueuse qui recouvre les fosses nasales et ses dépen- dances. Les sinus ne paraissent que des parties de perfectionnement ou des sortes de diverticulum, destinées à emmagasiner, en quelque sorte, l’air odorant, en le plaçant en dehors du courant de l'inspiration et de Fig. 166. l’expiration, et à prolonger ainsi l’impres- L. sion. Le véritable siége de l’odorat n'existe que sur les parties de la membrane mu- queuse des fosses nasales, dans lesquelles € vont se distribuer les nerfs olfactifs, c’est- à-dire les parties les plus supérieures. Telle est la membrane qui recouvre la voüte des fosses nasales, celle qui revêt les parties su- périeures des parois des fosses nasales, jus- qu’à la naissance des cornets moyens, et la partie supérieure de la cloison. La figure 166 qe NU j) | a, nerf olfactif. b, bulbe terminal du nerf olfactif. r : . . : se c, distribution du nerf olfactif sur la cloison représente la distribution du nerf olfactif nasale. dansla cloison nasale. On peut, par expérience, démontrer que toutes les parties de la mem- brane muqueuse des fosses nasales ne sont pas aptes à sentir les odeurs. Il suftit pour cela de placer dans les fosses nasales un tube de verre un peu fin, communiquant avec un vase d’où se dégage un gaz odorant. Lors- qu'on place le tube presque horizontalement sur le plancher inférieur des fosses nasales, l’air inspiré par le tube ne donne pas lieu à la sensation de l'odeur ; lorsque le tube est dirigé par en haut, du côté de la voüte des fosses nasales, l’odeur est vivement perçue; il faut avoir soin cependant, dans cette expérience, de ne pas engager le tube par en haut, aussi loin qu'il peut aller. Quand il se rapproche de la voûte des fosses nasales, l’odeur devient, en effet, à peine perceptible. Le courant d'air entraîne alors rapidement l’air odorant dans les poumons, et il est hors de la por- iée des sinus où il semble qu'il doive s’accumuler pour affecter, pendant un certain temps, les nerfs placés au sommet de l’appareil olfactif. CHAP, V. SENS DE L'ODORAT. 727 Les sinus ne paraissent donc pas inutiles à l’olfaction, ainsi que nous le disions en commençant, mais ils ne jouent qu’un rôle accessoire en pro- longeant la durée de l'impression. La membrane qui les tapisse est, en elle-même , incapable de recevoir l'impression odorante ; elle ne recoit pas de filets nerveux du nerf olfactif, et c'est à peine si l’on y peut suivre des filets nerveux provenant d’autres sources. Les sinus frontaux et maxil. laires, mis à découvert chez l’homme, à la suite d'opérations chirurgi- cales, ont paru tout à fait insensibles à l'impression de substances très- odorantes, qu’on en approchait avec précaution. S 318. De l’olfaction dans ses rapports avee la respiration. — Pour que les odeurs produisent leur impression particulière sur la membrane mu- queuse olfactive, il faut que l’air, qui en est le véhicule, soit mis en cir- culation dans les fosses nasales par les mouvements respiratoires. Lors- que nous sentons une odeur agréable, nous multiplions coup sur coup les mouvements inspiratoires pour remplir les diverses parties des fosses na- sales et y accumuler l’air odorant. Il est aisé de constater qu’en pareil cas l'odeur persiste dans le nez, quelques instants encore après la suppres- sion de la substance odorante. Si l’on a inspiré un.corps très-odorant, qu'on ferme les narines immédiatement après, et qu’on continue ensuite à inspirer et à expirer par la bouche, il semblerait d’après cela que le gaz odorant, qui reste renfermé pendant quelque temps dans les fosses na- sales, dût éveiller, pendant tout ce temps, la sensation de l'odeur qui lui est propre; il n’en est rien cependant; la sensation ne dure guère plus alors que si l’on avait laissé l’air circuler librement dans le nez. Le sens de l’odorat paraît donc s’émousser promptement par la répétition d’une même impression. La facilité avec laquelle on s’accoutume à une odeur, si bien même qu’elle devient inapercçue, est connue de tout le monde. C’est encore pour cette raison que les personnes affectées de maladies des pou- mons ou du larynx, ou de caries dentaires, et dont l’haleine exhale une odeur désagréable, ne s’apercoivent pas elles-mêmes de la fétidité des gaz expirés. Il ne faut pas conclure de là, comme on l’a fait quelquefois, que l’odoration n’est possible que dans les mouvements inspiratoires, et qu’elle ne se produit pas dans lés mouvements d'expiration. Si la muqueuse na- sale des personnes dont nous parlons reste insensible aux odeurs qu’elles exhalent, cela tient à ce que la persistance de l'impression a amorti, et, à la longue, aboli la sensation. Lorsqu’au moment d'une mauvaise diges- tion, on expulse les gaz de l’estomac par le nez, on perçoit parfaitement l’odeur de ces gaz. Si l’on ferme avec ses doigts les fosses nasales, au moment de l’inspi- ration, et si l’on fait passer le courant d'air odorant par la bouche, pour le rendre ensuite par le nez, la sensation produite de cette manière sur la membrane muqueuse olfactive est beaucoup moins vive que lorsque 728 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. l'air odorant a pénétré tout d’abord dans les fosses nasales, au moment de l'inspiration. Cela tient, très-vraisemblablement, au mécanisme diffé- rent de l'inspiration et de l’expiration. Au moment de l'inspiration, le vide qui tend à se former dans la poitrine attire l’air des parties supérieures, c'est-à-dire celui des fosses nasales et de tous leurs sinus, avec une cer- taine énergie. L'air du dehors, attiré pour combler le vide qui tend à s’opérer dans les parties supérieures du trajet respiratoire , a donc une grande tendance à renouveler l’air des sinus et à y faire pénétrer ainsi l’air odorant. Au moment de l’expiration par le nez, au contraire, l’air qui vient des poumons passe par la partie la plus large des fosses nasales et n'a qu’une très faible tendance à déplacer l’air contenu dans les anfrac- tuosités nasales pour s’y substituer. Le nez, placé comme une sorte de cornet ostéo-cartilagineux à la partie antérieure et supérieure des fosses nasales, concourt à la perfection du sens de l’odorat, en dirigeant vers la voûte des fosses nasales le courant de l'inspiration. L’air inspiré se brise ainsi contre la voûte, et sa disper- sion dans les sinus se trouve favorisée. Lorsque le nez manque, l’olfac- tion est profondément troublée, parce qu’au moment du vide inspira- toire, le courant d’air suit le plus court chemin pour arriver aux poumons, en glissant le long du plancher inférieur des fosses nasales. On remédie à cette infirmité à l’aide d’un nez artificiel, qui joue le même oflice que le nez naturel. Le rôle capital que jouent les phénomènes mécaniques de la respira- tion, dans l’exercice de l’odorat, nous explique comment on peut se ren- dre presque insensible aux odeurs qu’on veut éviter, ou du moins en at- ténuer considérablement l'impression sans fermer les fosses nasales. 1] suflit, pour cela, de respirer largement la bouche ouverte, de manière que le courant d’air passe presque entièrement par la bouche. L'air des cavités nasales est alors à peine renouvelé et la sensation considérable- ment affaiblie. En fermant complétement les narmes avec les doigts, et en respirant et en expirant seulement par la bouche, l'air n’est plus re- nouvelé dans les fosses nasales, et l'odeur passe inapercue. S 319. Différences daps la sensibilité olfactive. — L'impressionnabilité aux odeurs n’est pas la même chez tous les individus. Elle peut varier dans des limites très-étendues. Ces différences dépendent et de l'habitude et de l’état du système nerveux. Beaucoup de substances, odorantes pour certaines personnes, sont tout à fait sans odeur pour d’autres; tel est le parfum peu développé de certaines fleurs, du réséda et des violettes, par exemple. De même que certaines personnes sentent ce que d’autres ne sentent pas, de même les animaux dont l’odorat est développé ont la no- tion de beaucoup d’odeurs que nous ne soupçonnons même pas. C’est ainsi que le chien reconnait à la piste l'odeur de son maitre, quelques heures CHAP. V, SENS DE L’ODORAT, 729 après son passage, et alors même que d’autres personnes ont passé par les mêmes lieux. C’est ainsi que les chiennes en chaleur exhalent une odeur que le mâle reconnaît de loin, et qui lui fait souvent parcourir d'assez grandes distances. Il est des substances qui affectent agréablement l’odorat de certaines personnes, et qui sont désagréables ou même repoussantes pour d’au- tres ; l’assa-fœtida est de ce nombre, et nous pourrions citer mille autres exemples. Les odeurs, même les plus suaves pour la plupart des autres hommes, deviennent pour quelques-uns le sujet de répulsions qui peuvent aller jusqu’à la syncope. Je ne parle pas ici de l’effet prolongé des odeurs fortes, qui amènent chez la plupart des hommes la migraine, la nausée et l’évanouissement. Chacun sait que les odeurs éveillent souvent les désirs vénériens. Elles sont un excitant puissant du systènie nerveux, et la thérapeutique pour- rait, sans doute, les utiliser. $ 320. Nerf olfactif. — Le nerf olfactif, ainsi que nous l’avons dit, est le nerf qui donne à la muqueuse la sensibilité spéciale qui la rend apte à recevoir l'impression des odeurs. C’est lui qui transmet à l’encéphale les impres- sions reçues par la membrane muqueuse, dans laquelle il distribue ses expansions périphériques. L'absence congénitale du nerf olfactif est tou- jours accompagnée d’une anosmie complète; il en est de même de sa destruction morbide. On peut détruire le nerf olfactif sur les animaux sans produire de désordres trop graves. Pendant cette opération, les ani- maux se montrent insensibles aux irritations qui portent sur ce nerf. Il est assez dificile de prouver, alors, que l’odorat a disparu chez eux, car on ne sait trop à quelsigne reconnaitre leur insensibilité sous ce rapport: cependant, tout concourt à prouver que la faculté de percevoir les odeurs est anéantie. Lorsqu'on place un flacon d’ammoniaque sous le nez d’un animal ainsi opéré, il est vrai qu'il se débat, qu’il se gratte le nez avec les pattes; mais l’ammoniaque émet, comme on sait, des vapeurs qui irritent vivement toutes les membranes muqueuses. Si la sensibilité olfactive de la muqueuse nasale à disparu, la sensibilité générale n’en persiste pas moins, car celle-ci est sous l'influence du nerf de la cinquième paire. Il arrive en ce moment à la muqueuse nasale ce qui arrive aussi à la mem- brane conjonctive; elle est vivement excitée, et l’animal cherche à se débarrasser de la cause d’excitation. Le sens de l’odorat est sujet à des sensations subjectives, mais ces sen- sations sont moins connues et moins fréquentes que celles de l’ouïe et de la vue. Les hallucinations du sens de l’odorat, chez les aliénés, portent presque toujours sur des sensations d’odeurs désagréables; ils se plai- onent presque constamment alors qu’on leur donne des aliments corrom- pus ou mélangés de matières fécales, 750 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. Quant à la direction suivant laquelle les odeurs parviennent au sens de l’odorat, il est évident que ce sens est tout à fait impuissant à nous la faire connaître. Lorsque les odeurs nous sont apportées par les vents, le sens de l’odorat n’est pour rien dans le jugement que nous portons sur leur direction, et, en pareille matière, on risque fort, d’ailleurs, de se tromper, $ 391. Du sens de l'odorat dans la série animale. — Le sens de l’odorat est généralement plus développé chez les mammifères que chez l’homme. Les cornets présentent, chez la plupart d’entre eux, des prolongements osseux papyracés, qui multiplient beaucoup l'étendue de la membrane muqueuse pituitaire. Les sinus frontaux sont très-spacieux ; la plupart des autres sont rudimentaires. Les volutes osseuses plus ou moins compli- quées, dont l’ethmoïde est découpé, remplacent en grande partie les sinus ethmoïdaux. C’est principalement au développement du cornet inférieur que les ruminants, les carnivores et les rongeurs doivent la multiplication des surfaces olfactives. Chez les premiers, le cornet inférieur se divise à son bord libre en deux lames papyracées, dont l’une se recourbe et s’enroule par en haut et l’autre par en bas. Chez les seconds (chiens, lièvres, la- pins), le cornet inférieur se divise et se subdivise en lames et en lamelles, qui rappellent la disposition des lames et lamelles du cervelet. Chez le chien, l’ethmoïde, découpé en lames, multiplie considérablement, dans la partie supérieure des fosses nasales, la surface olfactive. Chez le che- val, les cornets sont moins compliqués : le supérieur se recourbe en lame de haut en bas, et l’inférieur de bas en haut. Le nez des mammifères est généralement peu détaché des os de la face. Chez les solipèdes et les ruminants, les naseaux, qui jouissent d’ailleurs d’une certaine mobilité et d’une grande sensibilité, proéminent peu en avant. Chez le cochon, le sanglier, la taupe, la musaraigne, le nez se prolonge en avant, sous forme de groin ou de museau; chez l'éléphant et le tapir, le prolongement acquiert de plus grandes dimensions, le nez se transforme en trompe, et devient surtout un organe de toucher. La plupart des mammifères présentent, sur le plancher inférieur des fosses nasales, dans le voisinage de l'insertion de la cloison perpendicu- laire, et dans l'épaisseur de la pituitaire, un organe allongé, probablement de nature glanduleuse, auquel on donne le nom d’organe de Jacobson. Ce corps, très-petit dans les carnassiers, est plus développé dans les rumi- nants, et plus encore dans les rongeurs; il reçoit des filets nerveux du nerf olfactif et du nerf de la cinquième paire. On suppose que cet organe (qui manque chez l’homme) est en rapport avec l’olfaction; mais on ignore complétement quel est son mode d'influence. CHAP. V. SENS DE L’ODORAT, 751 Oiseaux. — Les oiseaux n’ont pas de sinus; ils ont de chaque côté trois cornets simples. La surface olfactive n'offre donc point un grand déve- loppement. Les lobes olfactifs d’où procèdent les nerfs de l’olfaction sont pourtant assez développés. Les oiseaux de proie, et les palmipèdes qui vivent de poissons vivants, se distingent surtout sous ce rapport. Les oï- seaux ne paraissent pas cependant avoir une grande finesse d’odorat. C’est bien plutôt la vue, excellente chez eux, que l’odorat qui les guide, quand ils recherchent leur nourriture. Reptiles. — Les reptiles ont des cavités nasales peu spacieuses, consti- tuées par deux canaux s’ouvrant à l’extérieur par des narines et commu- niquant avec la bouche par deux trous dont est percée la voûte palatine. Chez les reptiles nus, les canaux nasaux sont simplement recouverts par la membrane muqueuse. Chez les reptiles écailleux, on trouve des cornets plus ou moins développés. Les nerfs olfactifs des reptiles gagnent la na- rine correspondante par un canal osseux et cartilagineux spécial, creusé dans les os du crâne. Poissons. — Les poissons vivant dans l’eau, l'appareil olfactif n’est pas disposé pour être traversé par le courant d’air de la respiration. Cet ap- pareil consiste chez eux en deux petites cavités terminées en cul-de-sac, s’ouvrant au dehors par deux ouvertures ou narines. Le fond de ces sacs est généralement garni de plis, tantôt groupés comme des rayons autour d’un point central, tantôt rangés en feuillets parallèles. Ce sac reçoit les filets nerveux du nerf qui se détache du lobe olfactif de l’encéphale. L'eau qui apporte les odeurs sur la membrane olfactive des poissons ne peut être que lentement renouvelée, car il n’y a pas de courant continu d’entrée et de sortie. L'’odorat est chez eux très-imparfait. Invertébrés. — On ne connait pas l'organe de l’odorat des articulés (in- sectes, arachnides, crustacés), des mollusques et des rayonnés. Il est cer- tain cependant qu’un certain nombre d’invertébrés, et en particulier les insectes, ne sont pas dépourvus du sens de l’olfaction. Les mouches, les abeilles et les fourmis sont attirées de loin par le miel, le sucre, la viande, etc. Quelques physiologistes pensent que ce sont les antennes ou les tentacules qui sont ici le siége de l’odorat. Le sentiment de Cuvier est plus vraisemblable. Il pense que l'olfaction des insectes s’effectue sur les stigmates, petits bourrelets rentlés, placés à l’ouverture des trachées, sur le passage du courant d'air de la respiration !. 1 Consultez principalement sur le sens de l'odorat : H. Cloquet, Osphrésiologie, ou Traité des odeurs, du sens et des organes de l'olfaction ; in-8°, Paris, 1821; — F. Bidder, Neue Beobachtungen über die Bewegungen des Weichen Gaumens und über der Geruchsinn (Nouvelles Observations sur les mouvements du voile du palais et sur le sens de l’odorat) ; Dorpat, 1838; — Aug. Duméril, Des Odeurs, de leur nature et de leur action physiologi- que ; thèse pour le doctorat es sciences, Paris, 1840. LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. BL CHAPITRE VL SENS DU GOUT. S 392, Définition. — Le sens du goût est celui qui nous donne la notion des saveurs. La saveur est la sensation particulière qui résulte de l’action des corps sapides sur l’organe du goût. Les corps n’agissent sur le sens du goût qu’à l’état liquide‘. Toutes les fois que le corps placé dans la bouche est complétement insoluble, il ne fait naître sur la langue que la sensation du toucher. Il ne faut pas confondre avec la sensation gustative les im- pressions que font naître sur la langue les corps froids, les corps chauds, les corps acides, alcalins, astringents; ces corps agissent aussi, et de la même manière, sur d’autres membranes muqueuses, sur la conjonctive, par exemple; ce sont des sensations tactiles de contact, de constriction, de température. S 323. Siége et organe du goût. — L'organe principal du goût est la langue. Cependant, toutes les parties de la langue ne paraissent pas également aptes à l’impression des saveurs; et de plus, d’autres parties que la lan- gue peuvent certainement transmettre les impressions gustatives. La lan- gue possède à sa surface une membrane muqueuse pourvue de papilles nombreuses, de formes différentes à sa pointe et à sa base, et riches en vaisseaux et en nerfs. Les papilles qui se trouvent à la pointe sont fines et dites filiformes ; sur le dos de la langue, elles sont plus volumineuses et ont généralement une forme conique; enfin, en arrière, elles se présentent sous une apparence particulière, qui leur a fait donner le nom de calici- formes, c’est-à-dire qu'elles sont constituées par une papille disposée en forme de couronne, du milieu de laquelle surgit une papille plus grosse, enchatonnée lâchement dans la couronne. Les papilles de la langue sont très-développées, et, comme une sorte de gazon épais, elles peuvent re- tenir les liquides sapides dans leurs intervalles et prolonger la sensation du goût. La disposition caliciforme surtout parait très-propre à cet usage, 1 M. Stich a dernierement publié une série d'expériences, d’où il résulte que les substances gazeuses peuvent aussi stimuler le sens du goût. M. Stich a étudié, sous ce rapport, la va- peur de chloroforme, la vapeur d'acide acétique, l'hydrogène sulfuré, l'acide carbonique, le protoxyde d'azote. Dans toutes ces expériences, le nez était hermétiquement fermé. L’hy- drogene sulfuré, le protoxyde d’azole et les vapeurs de chloroforme ont un goût sucré; l’a— cide carbonique et les vapeurs d’acide acétique un goût légèrement acide et agréable. M. Stich s’est assuré que l'action des gaz avait bien lieu sur le sens du goût, et non sur le sens de l’odorat, en répétant ces expériences sur des personnes qui avaient perdu le sens de lodorat. CHAP. VI. SENS DU GOUT. 155 et c'est aussi la partie postérieure de la langue qui jouit de la sensibilité gustative la plus prononcée. À diverses reprises, on a tenté un grand nombre d'épreuves pour as- signer quelles sont, dans la bouche, les parties sur lesquelles peut s’opé- rer la sensation gustative. L’expérimentation n’est pas aussi facile qu’on pourrait le penser. Pour essayer chaque partie de la membrane muqueuse de la bouche, il faut se servir de matières sapides dissoutes, ou tout au moins solubles, et il est dificile de s'opposer à leur diffusion dans des points voisins de ceux sur lesquels porte l’expérimentation. Les procédés consistent à déposer, à l’aide de petites éponges fixées à des tiges de baleine, ou à l’aide de pinceaux fins, ou à l’aide de tubes de verre retenant les liquides par capillarité, des substances sapides sur di- vers points de la bouche. Dans leurs recherches sur le sens du goût, MM. Guyot et Admyrault ont imaginé un procédé assez ingénieux pour isoler la partie libre de la langue et pour la soustraire momentanément à l’action des substances d’épreuve : ils l’entouraient d’un petit sac de parchemin ramolli, qui s’appliquait hermétiquement sur elle. MM. Vernière, Guyot et Admyrault, Panniza, Valentin, Schirmer, etc., se sont principalement livrés à cette recherche. La langue est non pas l’unique siége du goût, comme on le pensait au- trefois (Boerhaave, Duverney), mais le principal. Encore la langue tout entière n’est pas sensible à l'impression des saveurs : elle ne l’est qu’à la base dans une assez grande étendue, à la pointe et sur les bords. Cette sensation est nulle sur la partie moyenne de la face supérieure, et à la face inférieure de la langue. Il y a longtemps qu'on à fait remarquer que des sujets auxquels on avait enlevé la langue, ou que de jeunes enfants privés de langue dès le moment de leur naissance, n'avaient pas perdu toute sensation gustative (de Jussieu, 1718). Les expériences ont également démontré que les pi- liers antérieurs du voile du palais sont très-sensibles aux impressions gustatives, ainsi que la portion membraneuse du voile du palais la plus rapprochée de la voûte palatine. Les autres portions de la muqueuse du voile du palais, les piliers pos- térieurs, la luette, la muqueuse qui recouvre la portion osseuse de la voûte palatine, la muqueuse des joues, des lèvres, des gencives sont in- sensibles aux impressions sapides. Ainsi, en résumé, la pointe, les bords et la base de la langue, les pi- liers antérieurs du voile du palais et une partie très-circonscrite du voile du palais, telles sont les parties qui paraissent être chez l’homme le siége du sens du goût. Il faut même remarquer qu’à l’exception de la pointe et des bords de la langue, où le sens du goût ne paraît exister que comme une sentinelle avancée destinée à nous renseigner sur les substances ali- mentaires, 1l faut remarquer, dis-je, que le siége du sens du goût est surtout placé à l’arrière-bouche, et qu'il forme, au niveau de l’isthme du 754 LIVRE If, FONCTIONS DE RELATION, gosier, une couronne ou une sorte d’anneau complet constitué en bas par la base de la langue, sur les côtés par les piliers antérieurs du voile du palais, et en haut par la partie correspondante du voile du palais. La plus grande étendue des surfaces gustatives sensibles est placée au point où les substances sapides passent de la bouche dans le pharynx ; et en s’observant avec quelque soin, on remarque que le sens du goût est sur- tout prononcé au moment de la déglutition. Les substances amères, à saveur très-prononcée, telles que la colo- quinte, ont surtout été employées dans ce genre d'expériences. Les ma- tières sucrées, salées et acides peuvent l'être également. Les sensations gustatives, déterminées par les substances salées, sucrées ou acides, appa- raissent plus vite que la sensation des amers ; mais la sensation de l’amer, plus lente à se produire, persiste beaucoup plus longtemps. Il ne faut pas oublier que beaucoup de substances alcalines, acides, astringentes, âcres, déterminent des sensations tactiles et non des sensations gustatives. Une précaution indispensable pour assurer la rigueur des résultats dans ce genre d'expériences, c’est de fermer le nez avec les doigts, afin de ne point rapporter au sens du goût ce qui appartient à l’odorat (Voy. $ 326). Les expérimentateurs n’ont pas toujours tenu compte ‘de cette condition essentielle. S 324. Causes adjuvantes qui favorisent la gustation.— Lorsqu'on cherche, par expérience, à déterminer si une partie de la langue ou de la bouche est sensible aux saveurs, on est obligé de se placer dans des conditions qui ne sont pas tout à fait celles de l’état normal. On dépose, en effet, la substance sapide dans tel ou tel point, et on attend le résultat, la ‘bouche ouverte et immobile, afin que les substances sapides ne se répandent pas au delà du point en expérience. Il n’en est pas de même lorsque le goût s’exerce. En ce moment, au contraire, la langue s’applique plus ou moins fortement au palais et se promène dans les diverses parties de la cavité buccale. L'application de la langue contre la voûte palatine favorise cer- tainement le goût. Quand on a déposé une substance sapide, même sur les parties incontestablement douées de la sensation, le goût se prononce bien plus fortement quand on ferme la bouche et qu’on presse la langue contre le palais. Ce n’est pas le palais qui goûte en ce moment, l'expé- rience directe est positive à cet égard; mais l'application de la langue com- prime les papilles gustatives et exagère leur action par le frottement, sans qu'on puisse s’en rendre un compte bien exact. * La déglutition, qui fait passer dans le pharynx les aliments divisés par la mastication, favorise la sensation gustative ; elle exprime et fait, en quelque sorte, passer à la filière le bol alimentaire sur les partiesles plus sensibles de l’appareil gustateur. La mastication, par ses frottements ré- pétés et par le jeu incessant de Ja langue et de toutes les parties molles, CHAP. VI. SENS DU GOUT. 755 vient en aide au sens du goût ; la salive, en dissolvant les matières sapides solubles et non dissoutes, favorise aussi l’exercice du sens. De même que le sens de l’odorat, le sens du goût a besoin, pour s’exer- cer bien complétement, d’une impression lente et répétée. Le gourmet qui veut acquérir quelques données précises sur le goût d’une substance sapide promène cette substance dans toutes les parties de la bouche, et ne l’avale qu'après un contact prolongé. $S 325. De l'étendue du goût et de ses variétés. — Le goût est un sens beau- coup moins fin que l’odorat, c’est-à-dire qu'il n’apprécie la saveur des substances sapides qu’à des doses beaucoup plus élevées que le sens pré- cédent (Voy. $ 316). On peut s’en convaincre en dissolvant dans l’eau les substances sapides et en cherchant quel degré de dilution il faut donner à ces substances pour qu’elles cessent d’être appréciées comme saveurs. Une dissolution sucrée, qui ne contient que 1 pour 400 de sucre, est tout à fait insipide. Lorsque de l’eau distillée ne contient que 1/2 pour 100 de sel marin, elle paraît également tout à fait sans saveur !. Les dissolutions très-amères conservent de la saveur, alors qu’on les étend d’une plus grande quantité de liquide; mais, ici encore, le sens du goût reste bien loin en arrière du sens de l’odorat. L’amertume d’une dissolution d’ex- trait de coloquinte n’est plus perçue par le goût, quand la dissolution ne contient que 4 partie d’extrait pour 5000 parties d’eau. La sensibilité gustative est extrêmement variable. Certaines personnes semblent à peu près indifférentes à la nature et à la qualité des mets; d’autres, au contraire, se livrent avec immodération aux jouissances de la table. Toutefois, il faut prendre garde ici de confondre les sensations du goût avec les sensations de l’odorat; car ce qu'il y a de plus savou- reux, de plus subtil dans le sens du goût, ne lui appartient pas, mais dé- pend du sens de l’odorat. S 326. Rapports du goût avec l'oderat.— Lorsqu'on mange de la viande, du pain, du lait, du beurre, de l'huile, on distingue assez nettement si la viande est de la viande de bœuf, de mouton, de veau ou de gibier, si le beurre est de bonne ou de mauvaise qualité, si l'huile a goût d'olive ou si elle a goût de noix; cependant les sensations agréables ou désagréables qu'on ressent alors cessent complétement lorsqu'on ferme les fosses na- sales, et qu’on s'oppose ainsi à l'introduction des vapeurs odorantes dans les fosses nasales par la partie supérieure du pharynx (Voy.S$ 318). Si l'on continue à manger les substances dont nous venons de parler, le nez fermé 1 C'est ainsi que l'eau ordinaire (de rivière, de puits, de fontaine), qui renferme souvent 2 ou 5 pour 1000 (c'est-à-dire 20 ou 30 grammes par kilogramme) de matieres salines, nous paraît tout à fait sans goût. Elle est d’ailleurs pour nous une boisson beaucoup plus hygié- nique que l’eau distillée. 156 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, et les yeux bandés, il est complétement impossible d'en distinguer aucune. Il est tout à fait impossible de distinguer également, de cette manière, si l'on boit de l’eau ou du vin : le bouquet caractéristique du liquide a dis- paru. Les aliments paraissent alors sans goût; on ne ressent que leur sa- veur salée ou sucrée. Il en est de même quand on boit du café, du thé, du chocolat, et qu’on se place dans les mêmes conditions expérimentales. Tout arome disparait, il ne reste plus que la saveur ambre ou sucrée, sui- vant la manière dont ces boissons sont accommodées. Le même phénomène se produit lorsqu'un coryza (rhume de cerveau) a rendu la muqueuse nasale insensible aux odeurs. Les seules saveurs qui persistent alors sont les saveurs sucrées, amères, salées, acides. Le sens du goût est donc bien plus restreint qu'il ne nous paraît, et la plupart des jouissances qu'il semble nous procurer ne lui appartiennent pas. Le sens du goût ne reconnaît, par conséquent, que quatre sortes de substances sapides, ou que quatre qualités des corps : l’amer, le sucré (ou le doux), l'acide, le salé. S 3927. Rapport du goût avec la digestion. — Le siége du goût, étant parti- culièrement situé à la base de la langue, se trouve en quelque sorte as- socié avec la déglutition. L’attrait des sensations gustatives nous invite à la déglutition et, par conséquent, à la réplétion de l’estomac. Quant à la sensation de dégoët qui survient, dit-on, quand l’estomac est convenable- ment rempli d'aliments, il faut avouer qu’elle est assez trompeuse et qu'elle se trouve souvent en défaut. Les animaux ont, sous ce rapport, beaucoup plus de raison que l’homme, ou, pour mieux dire, plus d’instinct. La merveilleuse aptitude que possèdent les animaux de repousser les aliments nuisibles et de choisir ceux qui leur conviennent ne dépend pas du sens du goût, mais du sens de l’odorat; elle ne succède pas à la pré- hension de l’aliment, mais elle la précède. $ 398. Des nerfs du goût. — Des sensations subiectives du goût. — La langue recoit ses filets nerveux de trois sources principales (Voy. fig. 167) : du nerf lingual, branche de la cinquième paire; du nerf glosso-pharyn- gien et du nerf hypoglosse. La langue recoit encore des filets nerveux, qui viennent du nerf facial, par l'intermédiaire de la corde du tympan !. Le nerf hypoglosse, qui répand ses filets dans les muscles de la langue (Voy. fig. 167), est le nerf qui préside à ses mouvements; il est évidem- ment tout à fait étranger à la sensation du goût (Voy. $ 361). Le nerf lingual traverse la langue et vient, au contraire, se terminer spécialement à la muqueuse qui recouvre la langue depuis sa pointe jus- qu'à la jonction des deux tiers antérieurs avec le tiers postérieur, La mem- 1 Voyez, pour les usages de la corde du tympan, le paragraphe 597. CHAP, VI. SENS DU GOUT, 191 brane muqueuse qui recouvre le tiers postérieur de la langue recoit ses filets du nerf glosso-pharvngien. Fig. 167. : / a, coupe de l'os maxillaire inférieur, g, muscle stylo-glosse. b, face dorsale de la langue. h, os hyoïde. c, coupe verticale de la langue, k, nerf lingual. 4, muscle génio-glosse. l, nerf glosso-pharyngien. €, faisceau hyoïdien du muscle génio-glosse. mn, nerf hypoglosse. f, muscle hyo-glosse. M. Panniza et M. Valentin, qui refusent à la pointe de la langue la sen- sibilité gustative, pour la localiser sur la base de la langue et aux piliers du voile du palais, considèrent naturellement le nerf glosso-pharyngien comme le nerf du goût, et ne donnent au nerf lingual que la faculté de percevoir les impressions tactiles, lesquelles sont très-vivement ressenties à la pointe de la langue, ainsi que nous le verrons plus loin. M. Panniza a tiré de ses expériences les conclusions suivantes. 1° L’ex- cision des nerfs hypoglosses n’est accompagnée que de la paralysie des muscles de la langue; la sensibilité tactile et la sensibilité gustative sont conservées : observation répétée depuis par tous les physiologistes. 2 L’excision des deux nerfs linguaux anéantit la sensibilité tactile de la langue : le mouvement et la sensibilité gustative seraient conservés. Le chien mange avec plaisir de la viande, du pain et du lait ; maisil les rejette, si on mélange ces matières avec une décoction de substance très-amère, de coloquinte, par exemple. 3° L’excision des deux nerfs glosso-pharyn- giens est suivie de l’anéantissement du goût. Les mouvements et la sen- sibilité tactile sont seuls conservés. L'animal mange tout ce qu'on lui donne sans la moindre répugnance. A l’état normal, il éprouve un imsur- montable dégoût pour la coloquinte ; or, un animal auquel on a coupé les deux nerfs glosso-pharvngiens mange indifféremment de la viande qui a 1 ri 7358 LIVRE IF, FONCTIONS DE RELATION, séjourné dans une macération de coloquinte, et il boit même le liquide. Mais, depuis les expériences de M. Panniza, d’autres observateurs ont noté que les résultats qui suivent la section des divers nerfs de la langue ne sont pas aussi tranchés que le physiologiste italien les décrit. MM. AI- cock et John Reid, par exemple, qui ont aussi coupé sur les chiens les glosso-pharyngiens, ont remarqué que l'animal ne montre, quand on lui présente des aliments imprégnés de coloquinte, qu’un peu moins de dégoût qu'auparavant. D'ailleurs, M. Panniza, pour douer le nerf glosso- pharyngien de la fonction gustative, conteste nécessairement les pro- priétés gustatives de la pointe et des bords de langue. Or, il est constant que ces parties sont aussi le siége du goût, et il est certain que le nerf glosso-pharyngien ne va pas jusque-là, et que ces parties sont sensibili- sées par le nerf lingual. Ajoutons encore qu’il y a dans la science plu- sieurs faits de paralysie du nerf de la cinquième paire (d’où procède le nerf lingual), accompagnés de la perte de la sensibilité tactile e£ du goût, à la pointe et sur les bords de la langue du côté paralysé ; tandis qu’en arrière cet organe avait conservé ses deux modes de sensibilité. Remarquons encore que si le nerf glosso-pharyngien était le nerf ex- clusif de la gustation, il est certain que tous ses filets ne posséderaient pas la faculté gustative, ear il donne la sensibilité tactile à la muqueuse linguale et pharyngienne, dans une étendue bien supérieure au siége du goût; il serait donc tout au moins un nerf à double fonction et il se dis- tinguerait par là des autres nerfs des organes des sens dont nous avons parlé jusqu'ici. Cette double fonction du nerf glosso-pharyngien rend toute naturelle la supposition que le nerf lingual, tout en étant un nerf de sensibilité tactile, préside en même temps à la sensibilité gustative des parties antérieures de la langue, là où cette sensibilité existe. Le sens du goüt donne quelquefois lieu à des sensations subjectives. On range généralement parmi les sensations gustatives de ce genre celles qu'on fait naitre en appliquant sur la langue les deux pôles d’une pile. Cependant il est probable que la sensation est provoquée ici par décompo- sition des liqueurs salines de la bouche. On croit avoir remarqué, en effet, que le goût acide est percu au pôle positif, et le goût a/calin au pôle né- gatif ; or, c'est précisément de cette manière que se groupent les acides et les bases dans la décomposition des sels par le courant galvanique. La sensation dure, d’ailleurs, pendant toute la durée du courant, de même que l’action chimique. Des sensations subjectives du goût peuvent être éveillées par des modi- fications purement nerveuses; mais la plupart du temps la sensation n’est subjective qu’en apparence, et elle s’opère à l’aide des substances dépo- sées dans l’intérieur de la bouche par les sécrétions. Dans le diabète su- cré, la plupart des malades n’accusent point de goût sucré dans la bou- che, et quand cela a lieu on peut mettre en évidence le sucre déposé par sécrétion dans les liquides buccaux. Le sucre qui cireule dans les vais- CHAP, VI, SENS DU GOUT, 139 seaux sanguins des diabétiques, et qui se trouve en contact, par transsu- dation, avec les nerfs du goût, dans l'épaisseur même de la langue, ne paraît pas éveiller la sensation gustative. On pourrait, il est vrai, objecter que l'absence du goût sucré chez les diabétiques, dont le sang contient du sucre, dépend de l'habitude qui aurait émoussé la sensation ; mais, s’il en était ainsi, on ne comprendrait pas que les diabétiques reconnussent le sucre aussi bien que les personnes saines, quand il en existe dans leurs aliments ; et c'est ce qui arrive. Les sensations subjectives du goût ne pa- raissent donc pas s’opérer aux dépens des liquides placés dans l'épaisseur des organes de la gustation. S'il en était autrement, nous aurions sans cesse le goût du sang ; or, ce goût n’est éveillé que lorsque le sang est épanché dans la bouche même. $ 329. Du sens du goût dans la série animale, — Le sens du goût est beau- coup moins développé chez les animaux que chez l’homme. Ce n’est pas le sens du goût, mais bien le sens de l’odorat, qui les guide dans le choix des aliments, car ce choix précède la préhension de l'aliment. L'incerti- tude qui existe encore sur le siége précis du sens du goût, chez l'homme, est plus grande encore à mesure qu’on descend dans la série animale. Il est vraisemblable que la partie supérieure des voies digestives (pharynx), qui partage chez l'homme, avec la base de la langue, la propriété de trans- mettre les impressions du goût, préside seule à cette sensation chez la plupart des espèces animales où la langue fait défaut, ou bien chez ceux où cet organe, transformé en appareil de préhension, est corné ou armé d’appendices en forme de dents. : La langue des mammiftres ressemble, en général, à celle de l’homme. La langue du chien est couverte de papilles molles et nombreuses, comme dans l’espèce humaine. Celle des grands ruminants, celle du chat et des animaux du même genre, présentent des papilles inclinées en arrière, renfermées dans un étui corné, plus ou moins épais. Quand l’animal ru- minant broute, ces papilles concourent à fixer la langue sur la toufte d'herbe qu’il veut saisir ; quand l’animal carnassier lèche la proie qu'il a déchirée, la surface rugueuse de la langue tend à faire sortir le sang dont il se délecte. D’autres mammifères ont la langue à peu près dépourvue de papilles ; tels sont les fourmiliers, les échidnés, les cétacés, etc. Les oiseaux ont le sens du goût assez obtus; ils avalent leur nourriture presque sans la mâcher. Leur langue est généralement dure et demi-car- tilagineuse, surtout du côté de la pointe. Les granivores, en particulier, se distinguent sous ce rapport. Les oiseaux de proie, qui vivent de chair, ont la langue plus charnue. Quelques reptiles ont une langue épaisse et charnue ; mais elle est plus souvent mince, protractile, quelquefois bifide, et constitue principalement 740 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. chez eux un organe de préhension destiné à saisir les insectes dont ils se nourrissent. Les poissons ont une langue rudimentaire. Chez beaucoup d’entre eux elle est à peine mobile, et garnie, comme la plupart des autres parties de la cavité buccale, de prolongements cornés ou osseux, qui servent à Pani- mal à retenir la proie. Si les poissons sont encore doués du sens du got, celui-ci doit être confiné à la partie supérieure des voies digestives. On peut en dire autant des invertébrés : il n’y a plus rien chez eux qui ressemble à la langue. Si la notion des saveurs existe chez eux (les in- sectes l’ont sans doute), elle a son siége dans les parties molles de la bouche, des sucoirs ou des trompes {. CHAPITRE VIE SENS DU TOUCHER. S 330. Définition, — Le sens du toucher, répandu sur toute l’enveloppe cuta- née, est celui qui nous fournit les notions les plus nombreuses et les plus variées. Le toucher est le premier des sens; il est en même temps le plus répandu dans l'échelle animale, et il subsiste seul quand les autres ont disparu. Nous lui devons la sensation de douleur causée par les agents mécaniques, sensation que les autres organes de sens sont incapables de transmettre au sensorium, car ils ne la ressentent point. Le toucher nous avertit de la présence des corps ; il nous éclaire sur leur forme, sur leur consistance, sur leur poids, sur leur température. Le toucher nous fait con- naître la sifuation des corps par rapport à notre propre corps et par rap- port aux corps environnants, et conduit ainsi l'esprit, par une transition insensible, à la notion du nombre, à celle de l'étendue et à celle de l’espace. Le toucher, en nous fournissant les preuves les plus démonstratives de 1 Consultez spécialement sur le sens du goût : Chevreul, Des différentes manières dont les corps agissent sur l'organe du goût, dans le Journal de physiologie de Magendie, t. IV, 1824; — W.lorn, Ueber den Geschmacksinn des Menschen, etc. (Sur le seus du goût chez l’homme); Heidelberg, 1895 ; — A. Verniere, Sur le sens du goût, dans le Répert. génér. d’anat. et de physiol. de G. Breschet, t. IV, 5° trimestre ; Paris, 1827 ; ou dans le Journal des progrès, elc., t. III et t. IV, 1827; — E. Picht, De gustus et olfaclus nexu, præsertim argumentis pathologicis et experimentis illustrato; Berlin, 1829 ; — Panniza, Ricerche sperimentali sopra à nervi; in-8°, Pavie, 1834 ; — J. Guyot et Admyrault, Mémoire sur le siège du goût chez l'homme; Paris, 1830 ; — mème sujet, dans les Archives générales de médecine, 2 série, t. XIII, 1857; — Bidder, article Schmecken (Goût), dans Wagner's Handivôrterbuch, 1. II, p. 1, 1846 ; — Schirmer, Nonnullæ de qustu disquisitiones ; Dis- serlatio; Greifswald, 1856 ; — Stich, Beiträge zur Kenntniss der Chorda Tympani, dans Annalen des Charité-Krankenhauses ; Berlin, 1857, p. 59; — du même, Ueber die Schmeck- barkeit der Gase (Sur la saveur des gaz), dans le même recueil : 4857, p. 105. CHAP. VIL SENS DU TOUCHER. 74 l’existence des corps, nous distingue et nous sépare par là même du monde extérieur, et nous donne la conscience de notre existence propre. ” Le toucher peut s’exercer par toute la surface de la peau, par toutes les parties du corps dites sensibles ; mais certains départements de l’enve- loppe générale possèdent, ainsi que nous le verrons, une finesse que n’ont pas les autres. La peau qui recouvre la paume des mains, et surtout la face palmaire des doigts, se distingue sous ce rapport, et comme elle se trouve en même temps développée sur des segments mobiles qui peu- vent embrasser les corps et se mouler à leur surface, elle est par excel- lence le siége du toucher. En général, nous ne fouchons guère les objets qu’avec les mains ; d’au- tres parties, telles que les lèvres, la langue, jouissent d’une sensibilité au moins égale à la sienne; mais elles sont accommodées à d’autres fonc- tions, et, par conséquent, moins disposées à cet usage. Quant aux autres parties du corps, généralement recouvertes par les vêtements, le toucher y est beaucoup plus obscur. On a souvent donné le nom de sensibilité factile à la sensibilité géné- rale, et limité le sens du foucher à la sensibilité de la paume de la main. Cette distinction est vague et mal déterminée. L’attention est nécessaire à l’exercice de tous les organes de sens, à l’exercice du toucher, comme à celui de la vue et à celui de l’ouïe. Le son d’une pendule qui frappe les heures passe souvent inaperçu à l'oreille, et dans une grande contention d'esprit les yeux parcourent machinalement le texte d’un livre sans le lire réellement. Il en est de même du toucher ; il ne mérite véritablement ce nom que lorsqu'il est accompagné d’un degré d’attention suflisant. Il y a entre le tact et le toucher la même différence qu'il y a entre voir et re- garder, entendre et écouter. Ces mots, qui expriment des choses difré- rentes, correspondent pourtant aux mêmes organes de sens. Il en est de même pour le sens du toucher; son organe (la peau animée par les nerfs) est le même partout ; il ne diffère en divers points que par le degré de la sensibilité ; mais les notions qu'il fournit sont essentiellement les mêmes. Le toucher existe donc, à des degrés divers, sur toutes les surfaces té- sumentaires sensibles. La peau et l'extrémité de la langue sont des or- ganes de toucher par excellence ; maïs la conjonctive, les fosses nasales, la bouche, le gosier, la partie supérieure de l’œsophage, la fin de l’intes- tin, le vagin, le canal de l’urètre, sont sensibles aussi, quoique plus obs- curément, à l'impression des corps extérieurs. Toutes ces parties recoi- vent directement leurs nerfs de l’axe cérébro-spinal. Les surfaces tégumentaires internes, c’est-à-dire les membranes mu- queuses de l’intestim, de la vessie, des canaux excréteurs des glandes, ne nous donnent jamais de véritables notions de toucher. La membrane in- terne des vaisseaux est dans le même cas. Nous ne sentons pas le sang circuler dans nos vaisseaux, pas plus que nous ne sentons l'aliment che- miner dans l'intestin. Les surfaces tégumentaires internes sont sensibles 742 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, cependant, mais leur sensibilité est obscure comme celle de toutes les par- ties qui recoivent leurs nerfs du système ganglionnaire du grand sympa- thique. La sensibilité des membranes tégumentaires internes ne nous donne point les notions du toucher proprement dit, mais elle peut se tra- duire comme douleur. La peau, réellement organisée pour le toucher, ne peut d’ailleurs exer- cer efficacement son action qu'’autant que les impressions sont circon- scrites dans certaines limites. Lorsque ces limites sont dépassées, la sen- sation du toucher devient facilement aussi une sensation de douleur, devant laquelle toutes les appréciations du toucher disparaissent. $ 331. Diverses sortes de toucher, — Pour peu qu'on réfléchisse un instant à la manière dont le toucher s'exerce, on ne tarde pas à se convaincre que la sensibilité cutanée ne peut nous donner, à elle seule, toutes les notions qu'on lui attribue. Lorsque nous touchons un corps et que nous jugeons qu'il est chaud ou qu'il est froid; lorsque, promenant notre main sur la surface d’un corps, nous jugeons de sa forme et de son volume, la sensi- bilité cutanée est seule venue en aide ici à notre jugement. Mais lorsque nous disons d’un corps qu'il est résistant, qu'il est dur ou qu'il est mou ; lorsque nous jugeons qu'il est pesant ou qu'il est léger, évidemment ces notions ne nous sont pas fournies par la sensibilité cutanée seule ; elles supposent une certaine somme de force musculaire déployée, soit pour constater la résistance ou la cohésion du corps, soit pour s'opposer à sa chute en raison de sa gravité. C’est le sentiment instinctif du degré de contraction musculaire qui nous sert de mesure pour l'appréciation de ces diverses qualités du corps. Le toucher comprend donc deux ordres de phé- nomènes : les uns sont circonscrits à la sensibilité cutanée, les autres mettent en jeu tout à la fois la sensibilité cutanée et la contraction mus- culaire. La contraction des muscles, qui survient ici comme auxiliaire de la sensibilité cutanée, lui est subordonnée. Partout, ainsi que nous le ver- rons, les phénomènes moteurs sont intimement liés dans leurs manifes- tations avec les phénomènes de la sensibilité. Le toucher n’est possible qu'autant que les nerfs qui se distribuent à la peau sont dans leur état d’intégrité. Si une paralysie des nerfs de sen- sibilité (VNoy. $ 342), du membre supérieur, par exemple, a rendu la peau de la main tout à fait insensible, et aboli ainsi le toucher, l’homme non-seulement ne distingue plus à l’aide de son membre ni la forme des corps, nileur température, mais il n’est plus averti de leur présence, et il les laisse tomber quand on les dépose dans sa main sans qu'il s’en apercoive. L'homme a perdu, avec la sensibilité, le pouvoir d'associer la contraction museulaire nécessaire pour soutenir le poids du corps ; mais la vue peut venir en aide au membre qui, paralysé du sentiment, con- serve encore son mouvement, Averti de la présence du corps qu'on place CHAP, VII, SENS DU TOUCHER, 745 dans sa main, le patient peut le soutenir alors sans le laisser échapper; ses yeux font en quelque sorte l'office de la sensibilité tactile qui fait défaut, et lui donnent la mesure de la contraction nécessaire pour le maintenir en équilibre. La paralysie de la sensibilité dans les membres inférieurs, avec conservation du mouvement, est accompagnée pareillement d’un grand trouble de la locomotion. L'homme ne sent plus alors le sol sur le- quel il marche, et la notion du point par lequel il touche terre faisant dé- faut, l'équilibre devient très-difficile à conserver !. La vue, il est vrai, peut lui venir en aide dans une certaine mesure; mais il lui faut une longue éducation, et la progression dans les ténèbres est presque im- possible. On a cherché dernièrement, en s'appuyant sur des faits pathologi- ques, à séparer la sensibilité tactile de la sensibilité-douleur, et on a pensé que la transmission de ces deux ordres d’impressions cheminait par des éléments nerveux différents, qui pouvaient être isolément paralysés. Cette manière de voir n’est pas suffisamment justifiée. Les impressions du toucher et les impressions de la douleur ne sont que des modes différents d'expression, ou, en d’autrestermes, que des degrés divers de sensibilité. Il y a, il est vrai, des paralysies incomplètes de la sensibilité dans lesquel- les les attouchements de la peau ne sont pas ressentis, et dans lesquelles le pincement de la peauet les piqûres ne causent point de douleur et n’é- veillent que l’impression de simples attouchements ; mais, dans l'ivresse de l’éther et du chloroforme, n’assistons-nous pas d’une manière en quel- que sorte graduée à l'extinction de la sensibilité? Quand l'ivresse com- mence, les attouchements commencent par n'être plus sentis; quand l'ivresse est plus avancée, les piqures, les brülures, les plaies par instru- ments tranchants sont encore senties, mais sans douleur ; enfin, quand l'ivresse est complète, la sensibilité est complétement abolie. S 332. De l'organe du toucher. — La peau est par excellence l'organe du toucher, à la condition qu'elle soit en communication avec le système nerveux. Toutes les parties de la Fig. 168. peau ne sont pas douées cependant de la sensibilité tactile. La couche superficielle, ou l’épiderme, couche dépourvue de vaisseaux et de nerfs, est tout à fait insensible, et destinée seulement à protéger la couche pro- fonde (derme) sur laquelle elle se dé- FRAGMENT DE PEAU. ploie. Les véritables organes du tou- a, derme. : b, papilles du derme. cher sont les papilles (Voy. fig. 168), c, cellules profondes de l’épiderme. d, cellules superficielles de l’épiderme. ‘ Pour que l’homme qui marche conserve son équilibre, il faut nécessairement que la ver- ticale qui passe par le centre de gravité de son corps tombe en même temps sur la base de 744 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. saillies situées à la superficie du derme, constituées, comme le derme auquel elles appartiennent, par un tissu cellulo-fibreux assez résistant, dans l’intérieur duquel circulent des vaisseaux et des nerfs. M. Wagner et M. Kôlliker ont dernièrement constaté que toutes les papilles cutanées ne reçoivent pas de nerfs, comme on l'avait cru jusqu’à présent. Par con- séquent, il y à des papilles tactiles et des papilles qui ne le sont point (Voy. fig. 169, 170, 171). M. Meissner a décrit aussi dans les papilles Fig. 169. Fig. 170. Fig. 171. Fig. 169 et 170, deux papilles isolées. — Fig. 174, trois papilles réunies. a, renflement en forme de pomme de pin existant dans les papilles pourvues de nerfs. b, tubes nerveux primitifs entrant dans les papilles pourvues de nerfs. c, anse terminale des tubes nerveux primitifs. d, anse vasculaire dans les papilles dépourvues de nerfs. pourvues de nerfs un renflement particulier (Voy. a, fig. 169, 170). M. Wagner attribue à ce renflement la nature nerveuse, et il suppose qu'il n’est que l'extrémité terminale, renflée, des tubes nerveux primi- tifs. M. Kôlliker a montré que ce rentlement, qui a la forme d’une sorte de petite pomme de pin, est situé, il est vrai, dans toutes les papilles pourvues de nerfs, mais que les nerfs ne s’y terminent point; ceux-ci, ré- duits à leurs éléments primitifs, circulent autour de la papille, s’appli- quent simplement sur le petit corps dont nous parlons et se terminent soit par des anastomoses en anses, soit par des extrémités libres. Le petit renflement placé dans les papilles pourvues de nerfs est constitué par un tissu fibreux plus résistant que celui qui compose le reste de la papille. M. Kôülliker lui donne pour usage de servir de soutien au filet nerveux au moment du toucher, et d'empêcher ce filet de céder et de fuir, pour ainsi dire, sous les impressions tactiles. Ce petit corps, qui existe dans toutes les papilles sensibles, aurait une certaine analogie, quant au rôle qu'il joue, avec les ongles. On sait que ceux-ci, en effet, dans le toucher avec la main, contribuent à l’exatitude de l’application de la pulpe du sustenlalion, c'est-à-dire sur l'espace couvert par la plante des pieds, ou sur le parallélo- gramme qui les réunit. Dans l’état normal, la sensibilité de la plante du pied, en nous don- nant la notion des points du sol touchés, et par conséquent en nous faisant connaître leurs relations avec notre corps, maintient instinctivement le centre de gravité du corps dans la verticale qui passe par la base de sustentalion. CHAP. VII. SENS DU TOUCHER. 745 doigt sur les objets explorés, en formant un plan de soutènement opposé à la compression !. Les papilles cutanées sont très-visibles à la langue, où l’épiderme leur forme une sorte d’étui, et leur conserve ainsi leur indépendance. Par- tout ailleurs, les papilles de la peau sont couvertes plus ou moins com- plétement par l’épiderme, de manière que leur individualité disparait. A la paume des mains, et particulièrement à l’extrémité palmaire des der- nières phalanges, elles sont disposées suivant des lignes courbes qui for- ment des séries concentriques visibles à l'extérieur. Dans les autres points de la peau, elles sont irrégulièrement distribuées, et tout à fait dissimulées par l’épiderme. La peau seule peut nous donner ce qu’on peut appeler les notions dé- licates du toucher. M. T. Weber a démontré par l'expérience directe sur l’homme (dont le bras et l'avant-bras dénudés par un phlegmon présen- taient les muscles &4 nu) que les parties dépourvues de peau ne ressen- tent point les impressions du toucher, ni même des pressions faibles. Il faut comprimer les muscles assez énergiquement pour que leur sensibi- lité entre en jeu. Les différences de température de l’eau, entre 02 et 400, ne sont point ressenties. Lorsque l’eau est à une température plus élevée, le patient éprouve simplement un sentiment de douleur. Les nerfs sensibles, touchés partout ailleurs qu’à leur extrémité péri- phérique dans la peau, ne donnent point les sensations du toucher, mais celles de la douleur, et de plus, la détermination du lieu de la douleur ne correspond point au lieu où le nerf cutané est impressionné sur son par- cours. Le sentiment de la douleur est rapporté en un certain point qui correspond à la terminaison périphérique des filets nerveux du nerf; en d’autres termes, c’est la partie dans laquelle se termine le nerf sensible qui souffre. Submergez complétement le coude et les parties voisines du bras et de l’avant-bras dans de l’eau à 0°, au bout de quelques instants vous ressentirez dans les doigts, non pas un sentiment de température, mais un sentiment de douleur, principalement le long des branches ter- minales du nerf cubital, dans les derniers doigts. Le nerf cubital est, en effet, assez superficiel au coude et facilement accessible, par conséquent, au refroidissement. Chacun sait pareillement que quand on froisse ou que l’on comprime le nerf cubital à son passage derrière l’épitrochlée, on ressent immédiatement une douleur vive dans le petit doigt et l’an- nulaire, Lorsque les amputés souffrent dans leurs moignons, la douleur nerveuse est rapportée aux extrémités périphériques du nerf du moi- 1 Les papilles de la peau sont done, les unes pourvues de nerfs, les autres pourvues de vaisseaux. Les papilles pourvues de corpuscules sont les seules qui reçoivent des nerfs ; les papilles dépourvues de corpuscules sont les seules qui recoivent des vaisseaux. Les papilles de la face palmaire des doigts ont en moyenne Omm.,05 de longueur : il y en a en celte région cinquante environ par millimètre carré de surface. M. Meissner calcule qu'il y a une papille nerveuse sur quatre papilles. 746 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. gnon, et par conséquent dans le membre qui fait défaut. Ces faits ne doi- vent point être perdus de vue en pathologie. Ils nous expliquent pourquoi la partie dite douloureuse par le patient n’est pas toujours celle où siége le mal. S 333. Différences du toucher dans les diverses parties de Ia peau. — La couche épidermique qui recouvre les papilles du derme n'offre pas partout la même épaisseur. Dans certains points, la couche épidermique est très- mince, comme aux lèvres, par exemple; dans d’autres, elle est très- épaisse, et les papilles cutanées se trouvent comme noyées dans l’épi- derme. Le talon, par exemple, offre une couche épidermique de 4 ou > millimètres d'épaisseur, et quelquefois même de 1 centimètre. Certaines impressions qui déterminent de la douleur sur des parties recouvertes d’un épiderme très-fin ne causent sur d’autres parties qu’un simple sen- timent de toucher. . Une partie qui a perdu son épiderme transforme en douleur tous les attouchements : c’est ce qu’on observe souvent sur le derme dénudé des vésicatoires. Les papilles en elles-mêmes, et lorsqu'elles sont dépourvues de leur épiderme protecteur, ont donc une sensibilité exagérée, qui, loin de favoriser la délicatesse du toucher, lui fait au contraire obstacle. Le degré de sensibilité de la peau offre de grandes variations suivant les régions, quand on l'estime à la manière de M. Weber. Ce moyen d'estimation très-ingénieux consiste à, chercher quelle distance il faut donner à deux pointes qui touchent en même temps la peau, pour que ces deux pointes produisent deux impressions séparées et soient senfies isolément. Ce procédé donne bien la mesure de la finesse du toucher. Ou- vrez un compas, appliquez les pointes de ce compas sur les lèvres, appli- quez-les ensuite sur la joue ou sur le dos de la main, etc., et vous con- staterez que si les deux pointes ont été senties distinctement sur les lèvres, avec un écartement de 4 millimètres, par exemple, cet écarte- ment ne donnera sur les joues que la sensation d’un seul contact, etil faudra, pour que la double sensation se produise en ce point, que l’écar- tement des pointes soit porté à 8 ou 9 millimètres environ. Ces expé- riences ont été faites par M. Weber sur tous les points du corps; il est loisible à chacun de les répéter, et de constater la réalité des résultats. La possibilité de distinguer ainsi deux impressions simultanées varie beaucoup suivant les régions, et on peut sous ce rapport construire une véritable échelle de sensibilité. Il faut dire que cette échelle n’est pas ab- solument invariable pour tous les individus, et qu'on peut aussi observer sur soi-même des différences qui ne sont pas les mêmes à tous les mo- ments; mais, Ce qui importe dans ces déterminations, c’est bien moins leurs valeurs absolues que leurs valeurs relatives. La partie la plus sensible à ce genre d'expérience, c’est la pointe de la langue. Celle-ci distingue les deux impressions lorsque l’écartement des CHAP, VII, SENS DU TOUCHER: 147 pointes du compas n’est que de 1 millimètre. La partie la moins sensible est la région du dos. Dans cette partie, on ne distingue les deux impres- sions que quand elles sont séparées par la distance relativement consi- dérable de 50 millimètres environ : cette région est donc, en quelque sorte, cinquante fois moins sensible que la pointe de la langue. L’extré- mité des doigts de la main (c’est-à-dire la face palmaire de la dernière phalange) vient après la langue : elle distingue deux impressions, sépa- rées seulement de 1°*,5 l’une de l’autre; elle est donc à peu près aussi sensible que la langue. Les autres phalanges des doigts ne distinguent les deux impressions qu'à une distance de 3 millimètres : c’est aussi le degré de finesse de la sensibilité des lèvres. Celui des joues et des pau- pières est beaucoup moindre : il est de 7 à 9 millimètres. La différence qui existe entre la finesse des impressions du toucher à la peau des joues et à la peau des lèvres rend compte d’un phénomène singulier. Prenez un compas; ouvrez-le, je suppose, de 4 ou 5 millimètres, puis placez les pointes sur la joue. En ce lieu, l’écartement n’est pas apprécié, et le con- tact ne détermine qu’une seule impression. Mais maintenez le compas contre la joue, tout en le descendant du côté des lèvres; aussitôt que le compas arrive dans le voisinage des lèvres, il semble que le compas s’ou- vre, parce qu'en ce point la sensibilité est capable d’apprécier les deux impressions des pointes. Le degré de sensibilité de la peau, ainsi mesuré à l’aide du compas, prouve que la sensibilité va toujours en décroissant des extrémités des membres vers le tronc. Aïnsi, la finesse du toucher est moindre à l’avant- bras qu'à la main, moindre au bras qu’à l’avant-bras. Elle est moindre à la jambe qu’au pied, moindre à la cuisse qu’à la jambe. En comparant les membres entre eux, on constate également qu’elle est moindre au membre inférieur qu'au membre supérieur. On constate encore qu’elle est moindre à la face dorsale de la main et du pied qu’à leur face plan- taire, moindre à la face dorsale des membres que dans le pli des articu- lations, etc. À quelles causes attribuer les différences dont nous venons de parler ? Évidemment ces causes sont d’ordre nerveux. Elles sont sans doute en rapport avec la richesse ou la pauvreté, en nerfs, des divers départements de la peau. Depuis que MM. Wagner et Meissner ont démontré l’existence des papilles pourvues de nerfs et des papilles sans nerfs, ce n’est plus le nombre des papilles, mais bien celui des papilles nerveuses qu’il faudrait comparer dans les diverses régions. On trouverait sans doute ainsi que l'échelle de la sensibilité et celle de la richesse en papilles pourvues de nerfs représentent deux séries parallèles correspondantes. Les récentes expériences de M. Czermak ont déjà jeté quelque jour sur ce sujet. Cet observateur a dernièrement comparé la finesse du toucher de l'enfant à celle de l'adulte, en se servant de la méthode du compas. Sur quatre enfants de dix à douze ans, il a trouvé que l’écartement qu’il 748 LIVRE I!, FONCTIONS DE RELATION, faut donner aux pointes de l'instrument (pour que les deux impressions tactiles soient isolément senties) peut être diminué chez les enfants, et cela dans toutes les régions. Ges expériences confirment le calcul de M. Harting, qui, en étudiant la distribution des nerfs dans la peau de l'enfant, est arrivé à ce résultat, que la quantité des fibres nerveuses pri- mitives est plus grande chez l’enfant que chez l’adulte, pour une même surface de peau. M. Czermak a encore constaté que la finesse du toucher de la peau du ventre n’est pas la même chez la femme, avant et pendant la grossesse, c’est-à-dire quand la peau n’est pas distendue, ou quand elle l’est. Il à fait les mêmes observations sur des points de la peau artificiellement distendus. Ces divers résultats sont conformes aux précédents. La distri- bution nerveuse de la peau n’est pas changée, tandis que la surface à laquelle correspond cette distribution augmente. L'inégalité dans la puissance tactile de la peau introduit des différences très-remarquables dans les jugements que nous portons sur la forme et même sur le volume des corps. Appliquez sur la langue l'extrémité d’un crayon taillé en triangle, reportez ensuite cette extrémité sur la joue. Dans le premier cas vous avez la sensation d’un corps de forme triangu- laire; dans l’autre, une sensation de contact pure et simple, ou celle d’un corps mousse tout au plus. Prenez une natte de cheveux, appliquez-la sur la joue, vous n’en sentirez pas les détails ; appliquez-la sur les lèvres, ou sur la langue, ou bien appliquez-y la pulpe des doigts, ces détails de- viennent distincts. Dans les points de la peau où la finesse du toucher est le moins déve- loppée, on se trompe également sur le volume du corps, £el que la main nous le donne, parce qu’en effet, la distance minimum suivant laquelle nous pouvons reconnaître deux points séparés nous sert d'unité de mesure. Ainsi, lorsque, par exemple, nous sentons distinctement les deux pointes d’un compas écartées de 9 millimètres et placées sur la Joue, il nous est impossible d'apprécier le degré d’écartement; ou bien, si nous le compa- rons avec les notions les plus habituelles fournies par le toucher des doigts, nous jugeons cet écartement beaucoup plus petit qu'il n’est. Dans nos ju- gements, en effet, nous rapportons tout à une commune mesure, c’est-à- dire à la sensibilité de la main, qui devient ainsi une sorte d’arbitre. Aux deux pointes du compas on peut substituer un corps d’un petit volume. On concoit, d’après cela, que si on l’applique, par exemple, dans le dos ou sur d’autres régions d’un toucher peu délicat, il devient impossible d'acquérir, non-seulement sur sa forme, mais même sur son volume, des notions conformes à celle que nous donne le toucher des mains ou des lèvres. S 994. Appréciation de la température .— Lorsqu'un corps placé à la surface de la peau paraît chaud ou froid, ce n’est jamais que par une apprécia- CHAP. VII. SENS DU TOUCHER, 749 tion comparative avec la chaleur de notre propre corps que nous por- tons un jugement (la chaleur animale est, en moyenne, de +370). Le corps nous paraît chaud quand sa température l'emporte sur celle de la main qui le touche; il paraît froid dans le cas contraire. Le plus souvent la main, comme d’ailleurs tous les organes éloignés du centre de la cir- culation, est à une température inférieure de quelques degrés à la tem- pérature moyenne du corps ($ 163) ; il en résulte que les corps qui ac- eusent, au thermomètre, une température de + 370+ 360 + 350 + 340, nous paraissent chauds à la main. On conçoit aussi comment des corps peuvent paraître chauds quand on les applique sur certaines parties de la peau, et froids quand on les applique sur d’autres; comment la main est parfois chaude par rapport au visage, tandis qu’elle est froide par rap- port aux aisselles ou à la face interne des cuisses. Dans tous ces cas nous ne jugeons que des différences. Le toucher des corps ne peut, en aucun cas, remplacer les apprécia- lions rigoureuses et absolues du thermomètre ; il ne peut pas non plus nous faire sentir les différences légères de température. En essayant suc- cessivement, à l’aide du toucher, un même corps diversement échaufté, il est rare qu’on puisse distinguer des différences plus petites que 2 ou 3 degrés centigrades. Cette appréciation est d’ailleurs très-limitée, et n’est possible que pour des températures qui s’éloignent peu, en plus ou en moins, de la tempé- rature normale du corps. Pour des températures relativement très-chau- des ou relativement très-froides, le pouvoir de distinguer les différences de température est très-borné ; le sentiment douleur masque alors le ré- sultat de l’impression tactile. La nature du corps joue un rôle capital dans l'appréciation de la tem- pérature et dans le jugement que nous pouvons porter à l’aide du tou- cher. Tous les corps, en effet (nous ne parlons pas des corps vivants), ont une tendance naturelle à se mettre en équilibre de température avec les corps qui les avoisinent. Lorsque nous saisissons avec les mains un corps bon conducteur de la chaleur, il nous paraît plus froid qu'un autre, parce qu’il enlève à la main plus de chaleur qu’un autre corps mauvais conducteur. Les métaux, qui sont de bons conducteurs, nous paraissent plus froids que les pierres et le bois, quoique leur température absolue soit rigoureusement la même, Un métal échauffé nous paraît également plus chaud qu’un corps non métallique, porté à la même température. La chaleur spécifique des corps conduit à des erreurs analogues dans les appréciations de la température à l’aide du toucher. Chauffez à un égal degré de température une masse de zinc, une masse de cuivre et une masse de mercure; le cuivre et le zine paraîtront plus chauds quele mercure. La chaleur spécifique du cuivre et du zinc est plus considéra- ble que celle du mercure; ils ont absorbé plus de chaleur que le mercure pour s'élever d’un certain nombre de degrés, ils en rendent conséquem- 750 LIVRE I. FONCTIONS DE RELATION, ment davantage pour s’abaisser d’un même nombre de degrés !, D'où il faut conclure que la température des corps ne nous est pas donnée par le toucher comme par le thermomètre. Ce que nous sentons par le tou- cher, ce sont les pertes ou les acquisitions de chaleur éprouvées par la peau, au contact du corps. Il est impossible de se rendre un compte exact du mécanisme de la sensation de température à l’aide du toucher. Lorsque la main touche un corps chaud, elle gagne de la chaleur, les papilles s’échauffent; lorsque la main touche un corps froid, elle perd de la chaleur, les papilles se re- froidissent. De là, sans doute, un mouvement obseur de dilatation ou de contraction des papilles et des éléments nerveux qu’elles renferment. L'impression de chaleur ou de froid éprouvée par la peau est propor- tionnée à l’étendue de la surface du contact. Un corps d’une tempéra- ture plus élevée qu'un autre, et qui ne touche la peau que par quelques joints, n’éveille pas aussi vivement la sensation de température qu'un au- tre corps d’une température moins élevée, et qui touche la peau sur une grande surface. Les degrés extrêmes de température déterminent des sensations dou- loureuses qui peuvent aller jusqu’à la brülure, jusqu’à la congélation. La douleur de la brûlure est une des plus vives que l’homme puisse res- sentir. Lorsqu'un corps très-chaud est touché par la peau, l’épiderme et le derme se dessèchent, et ce desséchement peut être porté jusqu’à la dés- organisation. Lorsque le corps ressent un grand degré de froid, il sur- vient des frissons, des tremblements ou des claquements de dents, et le toucher se trouve alors fort affaibli. Cet affaiblissement est dû, sans doute, à un commencement de solidification de la moelle nerveuse contenue dans les tubes nerveux primitifs. La sensibilité à la température est celle qui s’évanouit le plus tard dans les paralysies incomplètes de la sensibilité. Darwin parle de para- lytiques qui avaient perdu la possibilité de distinguer par le toucher la forme et les aspérités des corps et qui pouvaient encore percevoir par la peau la notion de la chaleur. Des observations de ce genre ont été faites de nos jours. Elles ne prouvent pas cependant (comme on a cru pouvoir le conclure) qu'il y ait un sens pour la température, et un sens pour le toucher, sens qui seraient dévolus à des nerfs de sensibilité spéciale différente. $ 335. Appréciation de la résistance et du poids, — Ainsi que nous l'avons dit, le degré de solidité d’un corps, l'obstacle que ce corps oppose au dé- placement, ou l'effort commandé par son poids exigent l'intervention de la contraction des muscles. Si le toucher entre en jeu, en ce moment, ‘ Chaleur spécifique du cuivre 0,09; chaleur spécifique du zine 0,09 ; chaleur spécifique du mercure 0,03. CHAP, VII, SENS DU TOUCHER, 751 pour nous fairé connaître en même temps les antres propriétés du corp# il n’en est pas moins vrai que c'est le degré de la contraction musculaire qui nous éclaire sur les qualités de dureté, de mollesse, de résistance, de poids. Remarquons que, dans le toucher proprement dit, alors que nous ne prenons connaissance que de la forme ou de la température d’un corps, la contraction des muscles est étrangère, il est vrai, au jugement que nous formons sur ces qualités, mais qu’elle intervient encore pour pro- mener successivement la main sur les diverses parties de l’objet, ou pour fléchir les doigts qui l’embrassent. Lorsque les corps soutenus dans la main sont d’un poids médiocre, le sentiment dela contraction musculaire nécessaire pour faire équilibre à son poids nous conduit à des appréciations assez exactes, que l'exercice rend plus rigoureuses. La différence qui existe entre un poids de 400 grammes et un poids de 105 grammes peut être assez facilement appréciée ainsi, à l’aide de la main droite ; la main gauche est beaucoup plus inhabile à ce genre d'expériences; cela dépend sans doute de lhabitude. Pour des poids très-lourds, ou pour des poids très-légers, nous ne pouvons acqué- rir ainsi que des notions très-imparfaites. S 356. Hlusions du toucher. — Chatouillement, ete. — La main de l’homme est placée à l'extrémité d’un levier mobile qui la dirige dans tous les sens; elle est fractionnée en segments nombreux, opposables, chacun en par- ticulier, à l’un d’entre eux (pouce); elle peut ainsi prendre les positions les plus diverses, varier et multiplier ses points de contact avec les objets : elle est un organe de toucher par excellence. Lorsqu'on saisit avec chaque main un corps différent, ces deux corps ne confondent point leur im- pression en une impression unique ; ils sont perçus chacun en particulier. La main peut, cependant, fournir une illusion assez singulière. Lorsqu'on promène sur une table un petit corps arrondi, une boule de cire, par exemple, avec la pulpe des doigts indicateur et médius rapprochés l’un de l’autre, on sent bien distinctement un corps arrondi, et on ne sent qu'un seul corps; mais si l’on engage l'indicateur sous le médius, de ma- nière à placer le petit corps dans l’angle formé par la rencontre du bord externe de l'indicateur et du bord interne du médius, immédiatement il semble que l’on touche deux corps arrondis au lieu d’un. On peut consta- ter le même phénomène en croisant le médius avec annulaire, ou l’indi- cateur avec l’annulaire, ou l’annulaire avec le petit doigt, ou le médius avec le petit doigt, ou l’indicateur avec le petit doigt, etc. L’illusion dont nous parlons tient évidemment au changement artificiel apporté à la distance normale des surfaces sensibles. On peut la faire naïi- te encore en plaçant un corps sphérique entre les deux genoux croisés: ou, comme l’a indiqué récemment M. Czermak, en introduisant ce corps 7952 LIVRE IT. FONCTIONS DE RELATION. #phérique entre les lèvres. Tant que les deux lèvres sont dans leurs rap- ports normaux. le corps paraît unique : aussitôt que l’expérimentateur change le rapport normal des deux bords libres des lèvres en tirant l’une à gauche et l’autre à droite, le corps semble double, et la distance sup- posée entre les deux corps est estimée d’autant plus grande que les lèvres se correspondent par des points plus éloignés. Aristote avait déjà donné une explication satisfaisante de ce phéno- mène. Il dépend très-certainement de ce que les filets nerveux de chaque département de la surface sentante périphérique sont dans un rapport constant et déterminé avec le cerveau, rapport qu’il n’est pas en notre pouvoir de changer. Dans l'expérience de la main et dans celle des lèvres, chaque surface sentante donne la notion d’une demi-sphère solide com- plétée par l'imagination. Quand les parties sentantes (les deux doigts ou les deux lèvres) sont dans leur situation normale, les deux surfaces sphé- riques senties se regardent et concourent toutes deux à la sensation d’un corps unique. Quand la position respective des parties sensibles n’est plus normale, chaque partie impressionnée donne l’idée d’une sphère appli- quée à chaque partie, par conséquent de deux sphères. Dans les opérations de la rhinoplastie, quand on renverse par en bas un lambeau de la peau du front pour former un nez, c’est par la même raison que les attouchements sur le nez nouveau ne sont pas rapportés entre les yeux et la bouche, mais au front. Le chatouillement est une sensation particulière du toucher, accompa- enée souvent d’un rire involontaire et convulsif. Certaines parties de la peau sont, à cet égard, plus sensibles que d’autres, et ce ne sont pas celles qui sont les plus sensibles au toucher. La plante du pied, en effet, se distingue surtout sous ce rapport, et elle juge assez mal de la forme des objets. On peut exciter la sensation du chatouillement sur les parties la- térales du nez, sous le dessous des yeux avec les barbes d’une plume, tandis que la pulpe des doigts est à peu près insensible à ce genre d’ex- citation. Les sensations voluptueuses du tact sont du même genre ; elles constituent, en quelque sorte, le pendant de la douleur, et ne sont peut- être qu’un ébranlement nerveux contenu dans certaines limites. Les par- ties les plus finement douées pour le toucher éprouvent vivement les sensations voluptueuses. Les sensations subjectives du toucher sont fréquentes. C’est à elles qu'il faut rapporter la plupart du temps le sentiment de la douleur, et nous ne pourrions indiquer leurs divers modes sans passer en revue le cadre no- sologique : tantôt ce sont des douleurs de pression ou de tension, tantôt des douleurs lancinantes, tantôt ce sont des sensations de froid ou de frai- cheur, tantôt des sensations de chaleur, etc., ete. f. 1 Nous avons déjà fait remarquer (Voy. $ 557) que les sensations subjectives de chaleur et de froid ne sont pas toujours accompagnées de l'élévation ou de l’abaissement de Ja tempé- ralure animale. CHAP, VII, SENS DU,TOUCHER, 755 S 337. Du sens du toucher dans la série animale. — Le toucher n'existe pas chez les animaux avec la même perfection que chez l’homme. Chez eux, la sensibilité, répartie sur la membrane dont la surface de leur corps est couverte, s'exerce la plupart du temps d’une manière passive, et mérite plutôt le nom de sensibilité tactile que celui de toucher proprement dit. Les poils (crins, soies, laine), les plumes, les enveloppes cornées ou calcaires, qui recouvrent le corps de beaucoup d’animaux, n’abolissent pas la sensibilité tactile, autant qu'on pourrait le penser, car ces parties transmettent aux tissus sensibles sous-jacents les ébranlements qu'ils éprouvent, mais ils limitent singulièrement ie nombre des notions que l'animal peut tirer du contact des corps. H est averti de leur présence, mais la température et la forme ne peuvent être appréciées par lui que d’une manière très-imparfaite. Parmi les mammifères, quelques-uns présentent certaines parties plus ou moins bien disposées pour le toucher. Le singe à ses quatre membres terminés par des mains, disposition qui a valu à l’ordre tout entier le nom de guadrumanes ; mais ces mains présentent de nombreuses imperfections. Les singes ne peuvent mouvoir leurs doigts séparément : leur pouce, beaucoup plus court, ne peut être opposé anssi aisément aux autres doigts, et la paume des mains, servant en même temps à la progression, se couvre d’un épiderme calleux. Quelques singes ont la queue prenante, c’est-à-dire que cet organe très-mobile leur sert à embrasser les corps et à les saisir comme avec une main. Les solipèdes, les ruminants, les carnivores, chez lesquels l'extrémité des membres est terminée par un sabot simple ou double, ou par des griffes et par une peau calleuse, n’ont, à l’aide du pied, qu’un toucher très-impar-- fait. La sensibilité, émoussée par la substance cornée, s’accommode en ce point avec les fonctions locomotrices ; mais elle n’est pas cependant tout à fait abolie, et on conçoit que l'animal puisse avoir avec le pied la notion distincte de la résistance, de la solidité et de la consistance. Chez les ani- maux dont nous parlons, la corne repose d’ailleurs sur un derme dont l'élément papillaire est très-développé, et qui doit, par conséquent, res- sentir avec une certaine vivacité les ébranlements communiqués par le sol ou par les corps extérieurs. Chez les solipèdes et les ruminants, les lèvres reçoivent une grande quantité de nerfs; elles sont très-mobiles chez les premiers, et sont utilisées pour le toucher. Les carnivores (le chien, par exemple) ont l'ouverture des fosses na- sales garnie d’un tissu dépourvu de poils, toujours humide, très-sensible, qui leur sert aussi à toucher les objets. Chez le cochon, le sanglier, l'é- léphant, le tapir, la taupe, la musaraigne, le nez, prolongé en forme de groin ou de trompe, constitue un organe de toucher qui acquiert chez l'éléphant une grande perfection. 48 754 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. Quelques animaux présentent sur la lèvre supérieure des poils longs et roides, qui transmettent aux tissus sensibles sur lesquels ils s’im- plantent les ébranlements qu'ils reçoivent : telles sont les moustaches du chat, du rat, du phoque, etc. Les piquants du hérisson et du pore-épic avertissent aussi, de la même manière, Panimal de la présence des corps extérieurs. À Les oiseaux couverts de plumes, et dont les membres antérieurs sont transformés en ailes pour le vol, ont les pattes couvertes d’écailles à la face dorsale et tapissées mférieurement par une peau peu riche en nerfs et sur laquelle s’étend un épiderme épais et résistant : ils n’ont, par les pattes, qu’un toucher très-imparfait. Lorsque l'oiseau veut toucher, c’est en général le bec qui lui sert à cet usage. Implanté dans un derme riche en filets nerveux, le bec transmet les ébranlements qu'il recoit, à la ma- nière de la corne du sabot du cheval et des enveloppes solides des articulés. Les reptiles n’ont point d’organe spécial du toucher. Ceux qui sont re- couverts d’une peau nue et humide (batraciens) paraissent doués d’un toucher plus délicat que ceux qui ont le corps revêtu d’écailles. Quelques reptiles, dont la langue est très-protractile, s’en servent, sans doute, non- seulement comme organe de préhension, mais aussi comme organe de toucher. Chez les serpents, le corps tout entier peut remplir un pareil office, en s’enroulant autour des corps. Quelques poissons présentent sur les côtés de l’ouverture buccale des prolongements plus ou moins développés nommés barbillons. Ces pro- longements recoivent des nerfs, et sont de véritables organes de toucher. Les nageoires, et particulièrement celles qui sont placées sur les côtés, et qui sont suspendues dans les chairs (Voy. $ 250), peuvent aussi trans- mettre les impressions tactiles. Les articulés, recouverts de tests cornés (insectes) ou calcaires (crus- tacés), sentent les ébranlements du dehors par toute l'enveloppe de leur corps ; ils présentent aussi du côté de la tête des prolongements (antennes ou palpes) qui jouissent d’un toucher plus délicat. Lorsqu'on touche ces prolongements, l'animal se déplace vivement, se retourne en boule ou s'envole, etc. Les mollusques et les zoophytes, dont la peau est géné- ralement molle et humide, ont une sensibilité obtuse répandue sur toute la surface du corps. Quelques-uns d’entre eux présentent des prolonge- ments très-développés et souvent multiples (bras ou tentacules), qui pa- raissent doués d’une sensibilité plus vive que le reste du corps ; tels sont les céphalopodes, les polypes, les hydres, etc. *. 1 Consultez principalement sur le sens du toucher : E. H. Weber, De Subtilitate tactus diversa in diversis partibus sensui ac dicatis, dans l'ouvrage intitulé : De Puisu, Resorp- tione, Auditu et Tactu. Annot. anatom. et physiolog.; in-8°, Leipzig, 1854; — Belleld Le- fevre, Recherches sur la nature, la distribution et l'organe du sens tactile; Paris, 1837; — Gerdy, Mémoire sur le tact et les sensalions culances, dans le journal l’Expérience, an- née 1842 ; — Beau, Recherches cliniques sur l'anésthésie, suivies de considérations sur la CHAP, VIII, INNERVATION, 1 x ot CHAPITRE VIT. FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX (INNERVATION). SECTION I. Propriétés générales du système nerveux. S 338. Role du système nerveux. — Le système nerveux, composé de masses centrales et de prolongements périphériques répandus dans les diverses parties de l'organisme, est le siége de la sensibilité générale, celui des perceptions sensoriales et des facultés intellectuelles et affectives ; il est l'agent incitateur des mouvements volontaires et involontaires; et il tient sous sa dépendance, dans une certaine mesure, les fonctions de nutrition. 8 339. Composition et structure. — Tubes nerveux. corpuseules nerveux. — Le système nerveux des animaux vertébrés se compose d’un axe central renfermé dans le canal rachidien et dans la cavité du crâne (axe cérébro- rachidien), et de prolongements périphériques (nerfs), qui établissent la communication entre les organes sensibles ou contractiles et le centre per- ceptif et excitateur. Les nerfs sont donc surtout des conducteurs. La division dont nous parlons n’est pas aussi tranchée qn’on pourrait le penser. En effet, les conducteurs nerveux qui partent de l’axe cérébro- rachidien, ou qui y arrivent, ne se perdent pas dans la masse nerveuse, mais continuent leur trajet dans l’épaisseur même de l’axe cérébro-ra- chidien, de manière à donner à certaines parties des centres nerveux le rôle de conducteurs. D'une autre part, les nerfs eux-mêmes présentent, sur leur trajet périphérique, des masses isolées ou ganglions; organes peu volumineux, il est vrai, mais qui offrent dans leur structure et leurs fonc- tions une certaine analogie avec les centres nerveux eux-mêmes. Les animaux sans vertèbres, et par conséquent sans canal rachidien et sans cavité crânienne, manquent d’axe cérébro-rachidien. Leur système nerveux central n’est plus composé que de ganglions, reliés entre eux par des filets de communication qui établissent l'unité du système; c'est sensibilité, dans les Arch. génér. de médecine, 4 série, t. XVI; Paris, 1848 ; — A. Külliker, Ueber den Bau der Cutispapillen und die sogenannten Tastkôrperchen R. Wagner's (Sur la structure des papilles et sur celle des corpuscules du tact), dans Zeitschrift für Wissen- schaftliche Zoologie von Siebold und Külliker, 4er vol., 1re liyrais., 1852; — Weber, Ueber den Mangen des Tastsinns an Theilen die von der Haut entblôst sind (Disparition du toucher sur les parties dépourvues de peau), dans Archiv, für phys. Heilkunde de Vierordt, 3: livrais., 1855. 756 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. de ces ganglions que procèdent les prolongements périphériques, c’'est- à-dire les nerfs qui vont se distribuer dans les organes. Les nerfs sont composés par des éléments microscopiques bien définis, auxquels on donne le nom de tubes nerveux primitifs. Les tubes nerveux sont formés de trois parties : 1° une enveloppe, sans structure apparente ; 90 une substance intérieure, demi-liquide, ou moelle nerveuse; 3° une fibre molle, centrale, placée au centre de la moelle nerveuse. Les tubes ner- veux, accolés entre eux suivant la direction longitudinale du nerf et réu- nis par un tissu cellulaire assez résistant (névrilemme), constituent le nerf lui-même. Les tubes nerveux primitifs présentent des dimensions assez variables, suivant les régions où on les examine. Ces dimensions peuvent varier de 0ww,001 à Ow®,02 de diamètre. Les tubes nerveux les plus fins se rencontrent dans les nerfs des organes des sens, dans les racines posté- rieures des nerfs rachidiens et dans les filets du nerf grand sympathique 1. Sur un nerf pris chez l’animal vivant, c'est-à-dire sur un nerf tout & fait frais, les tubes nerveux apparaissent, au micro- scope, comme de petits cylindres #ransparents ho- b mogènes (Voy. fig. 172, a). Il est difficile, il est même impossible de distinguer l’un de l’autre le contenant et le contenu. Mais, au bout de peu de temps, la moelle nerveuse intérieure, qui était fluide, se coagule d’une manière plus ou moins ré- gulière, et alors le tube nerveux primitif devient variqueux (Voy.fig.172, b). La coagulation de la moelle nerveuse donne souvent aux tubes ner- veux l’apparence représentée dans la figure 173, a. Après la coagulation spontanée de la moelle ner- PRES Ones, Veuse, on aperçoit parfois dans le tube primitif «, fibres nerveuses prises sur l'a une partie centrale plus claire, qu’on peut quel- — ns D RS quefois isoler, et à laquelle on a donné le nom cr ro d’axe central des tubes nerveux (Voy. fig. 173, b). Cet axe existe vraisemblablement dans tous les tubes nerveux primitifs, et en constitue sans doute la partie la plus essentielle. Si on ne l’aperçoit pas toujours distinctement dans les tubes primitifs, après la coagulation de la moelle nerveuse, c’est que cette coagulation altère les rapports uormaux des parties et masque leur présence. Sur les nerfs pris chez l'animal vivant, l’axe cylindrique n'est pas visible, non plus que l’enve- Fig. 172. 1 Jlnya point, dans les branches du nerf grand sympathique, de tubes nerveux spéciaux, qui mériteraient le nom de fibres nerveuses grises ou de fibres nerveuses organiques, ainsi que quelques auteurs les ont admis, plutôt pour le besoin d'une explication physiologique que conformément à l'inspection microscopique: Celle-ci ne montre, dans les branches du nerf grand sympathique, que des tubes nerveux primitifs généralement d’un petit calibre, mais en tout semblables à ceux des autres nerfs. La gangue celluleuse, qui réunit les éléments ner- veux les uns aux autres, est plus abondante dans £es nerfs que dans les autres, CHAP, VII, INNERVATION, 757 loppe du tube primitif lui-même, parce que toutes ces parties sont trans- parentes. Mais, à l’aide de certains réactifs, on peut Fig. 173. faire apparaître presque instantanément l’axe cen- tral. En imbibant la pièce avec de l'acide gallique ou de l’acide chromique, on parvient assez facile- ment au résultat. L’axe central des tubes nerveux primitifs est constitué par une substance albuminoïde, qui offre 8 à peu près les mêmes réactions que la fibrine. La moelle nerveuse placée entre cet axe et la gaine du tube nerveux primitif est formée par une substance grasse. Sur le vivant, les axes fibrineux des tubes {$f nerveux primitifs sont donc entourés d’une huile IFE demi-solide qui les isole des axes des tubes voi- sins. Les centres nerveux contiennent aussi des tubes nerveux primitifs. Ce sont eux qui composent les parties blanches des centres nerveux. Le tissu cellulaire interposé entre les tubes nerveux est bien plus mou dans l’é- paisseur des centres nerveux que dans les nerfs, et les tubes ne peuvent pas être séparés aussi aisément les uns des autres sans déchirure ; mais leur structure est la même. Les parties grises des centres nerveux contiennent, outre les tubes ner- veux (qui circulent aussi dans leur épaisseur), des éléments vésiculeux ; ce sont les corpuscules nerveux ou cellules nerveuses (Voy. fig. 174). Ces éléments se rencontrent également dans les ganglions. Les cellules nerveuses sont des cellules à enveloppe très-fine, remplies d’un contenu finement granulé, et pourvues d’un noyau. Leurs dimen- sions sont très-variables : elles ont depuis 0,005 jusqu'à Om, de dia- mètre. (Elles sont, dans ce dernier cas, sur la limite des objets visibles à l’œil nu.) Un point de science qui laisse encore à désirer est celui qui concerne les connexions des cellules nerveuses avec les tubes nerveux primitifs. Ce qui est bien certain, c’est que ces connexions existent. Les travaux de MM. Ehrenberg, Valentin, Purkinge, Müller, Stannius, Remak, Hanno- ver, Will, Günther, Robin, Wagner, Stilling, Schilling, Kôlhiker, Bidder, Owsjannikoff, Kupffer, Lenhossek, etc., le démontrent de la manière la plus évidente. Mais un certain nombre de questions restent encore irré- solues et demandent de nouvelles recherches. Toutes les cellules nerveu- ses communiquent-elles avec des tubes nerveux, et n’en est-il point de libres ou d’indépendantes (Voy. fig. 174, a)? Il est des tubes nerveux qui paraissent n’avoir qu’une seule communi- cation avec les cellules nerveuses, de manière que ces cellules semblent être l’origine renflée de ces tubes; cette disposition (fig. 174, b) est-elle réelle, ou n'est-elle qu'une apparence trompeuse qui dépendrait de la PU WII ER RTL pp} 758 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. rupture d’autres communications amenée par la préparation de l’objet Fig. 174. placé sous le microscope ? Ce qui paraît mieux démon- tré, c’est que parmi les cellules il en est qui sont pourvues seu- lement de deux prolongements (fig. 174, c), c’est-à-dire que la cellule se trouve sur le trajet d'un tube nerveux, lequel s’a- bouche par une extrémité et sort par l’autre. (Ce mode de communication a été particuliè- rement rencontré dans les gan- glions placés sur le trajet des ra- cines postérieures des nerfs rachidiens. Robin, Wagner.) Ce qui résulte encore de la plupart des observations microscopiques, c’est que les cellu- les nerveuses qui entrent dans la composition de la substance grise de la moelle et de l'encéphale présentent des prolongements multiples (Voy. fig. 174, d) qui, pour n'avoir pas été suivis très-loin, vu la délicatesse des parties, n’en sont pas moins les vestiges de communications multiples avec les tubes nerveux. Les cellules dont nous parlons présentent générale- ment trois ou quatre prolongements. Ajoutons encore que, d’après des recherches récentes (Jacubowitsch et Ovwsjannikoff), les cellules nerveuses paraissent pouvoir être divisées en deux classes qui diffèrent anatomiquement et physiologiquement ( Voy. S 343). | S 340. Du cours des tubes nerveux. — Origines et terminaisons, — Les tu- bes nerveux qui entrent dans la composition des nerfs s’accolent les uns aux autres, ainsi que nous l'avons vu. L’inspection microscopique montre que les tubes nerveux ne commencent point ou ne finissent point dans les nerfs, mais qu'ils se prolongent dans leur continuité, depuis l’axe cen- tral d’où ils émanent, jusqu’à l’organe dans lequel ils se répandent. Ac- colés dans les nerfs, ils ne communiquent point les uns avec les autres. Lorsqu'une branche se détache d’un nerf pour se porter à un autre, c’est- à-dire lorsque deux nerfs s’anastomosent, les tubes ne s’abouchent point entre eux, comme les vaisseaux sanguins; ils passent simplement d’une branche à l’autre, en continuant, dans la nouvelle branche à laquelle ils s’accolent, leur trajet indépendant. Comment les tubes nerveux qui ont cheminé dans les nerfs se compor- tent-ils dans les centres nerveux (moelle et cerveau) ? Rien n'autorise à admettre que les tubes nerveux primitifs présentent des extrémités libres : toutes les observations, au contraire, démontrent que ces tubes sont par- tout continus à eux-mêmes, On ne trouve dans les centres nerveux que CHAP, VII, INNERVATION, 759 des accolements ou des circonvolutions de tubes nerveux, mélangés avec les cellules (s’abouchant avec elles) sans solution de continuité. Comment les nerfs se terminent-ils à la périphérie ? Les tubes nerveux ont-ils des extrémités Zibres dans les organes, ou bien se réfléchissent-ils par des anses de retour pour revenir vers leur point de départ? On a cru pendant quelque temps que la disposition en anses était générale. On l'a- vait constatée dans les papilles de la peau (fig. 169 et 170), et on croyait être certain aussi qu'elle se montrait dans les muscles; mais, ainsi que nous l’avons dit précédemment ($ 224), ces anses ne sont vraisemblable- ment pas le dernier terme de la distribution périphérique des tubes ner- veux. On sait d’ailleurs positivement que les tubes nerveux se terminent par des extrémités libres, légèrement renflées dans les corpuscules de Pacini, qui existent à la paume de la main et à la plante du pied. Les ter- minaisons périphériques des nerfs n’ont pas été étudiées avec autant de soin dans les autres tissus, et la science laisse encore à désirer sous ce rapport. On a constaté dans beaucoup d'organes que les tubes nerveux primitifs, arrivés à l’état d'isolement (après les divisions successives du tronc nerveux), se dépouillent de leur gaine, de telle sorte que l’axe cen- tral lui seul représenterait l'extrémité terminale 1. On peut donc systématiser d’une manière générale l’ensemble du sy- stème nerveux, et considérer ce système comme formé par une multitude innombrable de tubes microscopiques accolés dans les centres nerveux, et qui vont s’isolant à la circonférence pour se terminer dans les divers tissus. D’après cette manière de voir, les tubes nerveux des nerfs se conti- nuent dans la moelle épinière, dont ils forment la substance blanche, par- viennent au cerveau, s’y épanouissent, entrent en relation avec les cellu- les nerveuses de la substance grise, puis redescendent par la moelle pour se reporter dans les nerfs. Mais, comme nous verrons plus tard que l’ab- lation du cerveau n’entraine pas la suppression de toute influence ner- veuse sur le corps de l’animal décapité, et comme, d’une autre part, la moelle, quoique plus particulièrement conductrice, exerce néanmoins par elle-même une action propre sur les organes, on suppose que tous les tubes nerveux ne remontent pas jusqu’au cerveau, pour entrer en rela- tion avec la substance grise de l’encéphale ; on pense que quelques-uns d’entre eux ne dépassent pas la moelle, circulent dans la substance grise de cet organe, entrent en relation avec les cellules nerveuse de cette sub- stance, et sortent de la moelle pour se reporter dans les nerfs. Ces tubes ont été quelquefois décrits sous le nom de fibres transversales de la moelle épinière (Voy. $ 346). 1 Cette disposition pourrait expliquer comment les divers points de la peau sont sensibles, quoique tous les points ne reçoivent pas de filets nerveux. L’axe central s'étant dépouillé de la matière grasse isolante qui l'entoure, l'agent nerveux ne serait plus isolé à l'extrémité de ses conducteurs, et il existerait en ces points une sorte d’atmosphere nerveuse répandue dans les parties intermédiaires. 760 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION, S 341. Transmission des impressions sensitives, — Transmission de l’exci- tation motrice. — L'examen le plus superficiel des fonctions nerveuses démontre qu'il y a dans ce système deux sortes d'actions, ou, pour ex- primer la chose plus clairement, deux sortes de courants, l’un qui mar- che de la périphérie vers le centre, c’est-à-dire des organes vers les cen- tres nerveux; l’autre qui marche du centre à la périphérie, c’est-à-dire des centres nerveux vers les organes. Lorsque j'approche ma main ou mon doigt trop près du feu, et que je le retire pour éviter la brûlure, l'impression de température déterminée par le foyer de combustion à la surface de la peau chemine par les nerfs jusqu’au centre nerveux, où elle est perçue; puis le centre nerveux réagit, et les muscles entrent en con- traction sous l'influence de l'excitation motrice dirigée en sens opposé. Ce qui prouve que les nerfs sont bien les conducteurs de l'impression sentie à la peau, ce qui prouve qu'elle n’a pas cheminé par d’autres tis- sus, c’est qu'il suflit que les nerfs soient divisés en un point quelconque de leur trajet pour que cette transmission se trouve suspendue. La transmission n'ayant plus lieu, l'impression n’est plus transportée aux centres nerveux ; elle n’est plus sentie, la douleur est comme non avenue. Ce qui prouve que l'excitation motrice se transmet par les nerfs aux parties contractiles, c’est que, si le nerf ou les nerfs moteurs de la partie sont divisés sur un point quelconque de leur trajet, la volonté est deve- nue impuissante à faire mouvoir le membre; celui-ci ressent encore la douleur, mais il ne peut plus s’y soustraire. Autre exemple : lorsque l'œil est frappé par une vive lumière qui vient faire impression sur la rétine, celle-ci, transmise au cerveau par le nerf optique, réagit en sens opposé par les nerfs ciliaires, et l'iris se con- &wacte, etc. Les fibres nerveuses !, dans lesquelles les impressions cheminent de la périphérie au centre par un courant centripète, et celles dans lesquelles les impressions cheminent du centre à la périphérie par un courant cen- * trifuge, sont accolées entre elles dans la plupart des nerfs, et aussi dans les parties conductrices des centres nerveux; elles ne sont isolées et dis- lincies qu'en quelques points seulement, ainsi que nous l’allons voir. C'est parce que ces deux sortes d'éléments sont groupés et intimement réunis ensemble dans la plupart des nerfs, que leur section entraîne le plus souvent et l’insensibilité et la privation du mouvement volontaire dans les parties où ces nerfs vont se distribuer. Dans les exemples que nous avons choisis, l’excitant chaleur et l'exei- tant lumière peuvent être remplacés, on le conçoit, par tout autre exci- ! Nous employons ici, et nous emploierons dans le cours de cet article, l'expression de fibres nerveuses, parce que c’est l’expression la plus usitée; mais il ne faut pas oublier queles fibres nerveuses sont de véritables fubes remplis de deux matieres différentes (Voy. $ 339). CHAP. VII, INNERVATION. 761 tant de la sensibilité ; les phénomènes produits sont identiques. La stimu- lation peut même être portée, non plus sur les expansions périphériques des nerfs, mais sur un point quelconque de leur trajet; le résultat ne change point. Ainsi, lorsqu'on met à nu un nerf sensitif sur un point quel- conque de son parcours, et qu'on vient à exciter mécaniquement ou chi- miquement ce nerf, on éveille sur l'animal une sensation de douleur, tout comme si on avait excité la partie sensible d’où il procède. Lors- qu’on vient à exciter, au contraire, un nerf mofewr sur un point quelcon- que de son parcours, la sensibilité n'entre point en jeu, mais les parties contractiles, dans lesquelles ce nerf va répandre ses filets, se contractent à l'instant. Si l’on excite un nerf mixte, c’est-à-dire un nerf contenant à la fois des fibres sensitives et des fibres motrices, il se développe instantanément deux effets partant du point excité : l’un suit la direction centrifuge et fait contracter les muscles, l’autre suit la direction centripète et éveille la sensibilité. S 342. Pe la distinction des fibres nerveuses sensitives et des fibres nerveu- ses motrices dans les nerfs rachidiens. — Les impressions sensitives et l'excitation motrice cheminent donc en sens inverse et par deux ordres d'éléments différents. Cette distinction est fondamentaie dans l’étude du système nerveux, et nous y reviendrons plus d’une fois. Il est nécessaire de nous y arrêter un instant et d’établir le fait sur des données expéri- mentales positives. L'existence, dans le système nerveux, de deux sortes d'éléments, les uns présidant à la sensibilité, les autres au mouvement, avait été pres- sentie et supposée plus d’une fois par les physiologistes; elle n’a reçu la consécration expérimentale que de nos jours. Le physiologiste anglais Charles Bell (1811), en établissant que les fibres nerveuses conductrices du sentinent et les fibres conductrices du mouvement sont groupées 1so- lément dans le point où les nerfs se détachent de la moelle épinière, et qu'elles jouissent de propriétés bien distinctes, a fait une des plus belles découvertes de la physiologie. MM. Magendie, Müller, Valentin, Longet, et beaucoup d’autres, ont répété les expériences de Charles Bell ; ils les ont étendues et complétées. Si le fait fondamental, mis en lumière par ces expériences, a soulevé dans le principe une opposition qui n’a jamais manqué aux grandes découver- tes, cette opposition même, en multipliant les expériences, a contribué à rendre le fait plus évident encore. La démonstration peut être faite sur tous les vertébrés. On l’a tentée le plus souvent sur les reptiles, parce que ces animaux sont faciles à se procurer, parce que le procédé opératoire est plus simple, parce qu’en- lin ce sont des animaux à sang froid, qui supportent longtemps, sans 762 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, périr, la plupart des mutilations. Mais l'expérience faite sur de grands mammifères, quoique plus difficile à pratiquer, est bien plus probante, en ce qui concerne les applications à l’espèce humaine ; et, en opérant avec soin, on peut conserver les animaux vivants pendant des journées entières. Voici comment on procède. On ouvre le canal rachidien, par la partie postérieure (supérieure chez les animaux quadrupèdes), en coupant d’a- bord les parties molles et en divisant ensuite avec précaution les lames vertébrales à l’aide de ciseaux à lames très-fortes. La dure-mère rachi- dienne, mise à nu par l’ouverture du canàl rachidien, est incisée. Les racines postérieures des nerfs, recouvertes par le feuillet viscéral arach- noïdien, apparaissent. On coupe très-doucement, avec des ciseaux fins, les insertions du ligament dentelé sur les parties latérales de la moelle, afin de parvenir sur les racines antérieures des nerfs. Cela fait, on laisse reposer pendant quelque temps l’animal, puis on procède à l’expérience. Celle-ci peut être faite soit sur les racines 2nfactes, soit sur les racines di- visées. Elle consiste à les exciter tour à tour à l’aide de stimulants quel- conques et à examiner les résultats. La stimulation peut avoir lieu à l’aide des agents mécaniques, des agents chimiques ou des agents galvani- ques. L’excitation mécanique est préférable; c’est celle qui donne les résultats les plus nets et les plus tranchés. Le courant galvanique ne doit pas être employé ici (du moins pour mettre en évidence les propriétés dont nous parlons). Quand ce courant, en effet, dépasse une certaine li- mite, il survient dans l’action nerveuse un phénomène particulier, dont nous parlerons bientôt ($ 347 et $ 348) et qui complique les résultats. La moelle étant mise à nu sur l’animal vivant, et les racines postérieu- res et antérieures des nerfs conservant leurs connexions naturelles avec la moelle, voici ce qu’on observe. Si l’on vient à toucher avec la pointe d'un scalpel ou à presser légèrement avee les mors d’une pince la racine postérieure, l'animal accuse immédiatement, par ses cris et son agitation, une vive douleur. Il cherche souvent à fuir, c’est-à-dire qu’il exécute des mouvements mais ces mouvements sont des mouvements d'ensemble qui ne portent pas plus spécialement sur les membres ou sur les parties aux- quelles correspond la racine du nerf rachidien en expérience que sur toute autre partie. Ces mouvements généraux correspondent à la sensibilité mise en jeu et ne sont pas sous l'influence immédiate de l’excitant. Si l’on excite la racine antérieure seule, l'animal ne crie ni ne s’agite, il reste tout à fait impassible. Le membre dans les muscles duquel vont se distribuer les branches nerveuses correspondantes au nerf rachidien en expérience éprouve, au contraire, immédiatement un mouvement convulsif : toutes les autres parties restent dans le repos. Déjà on peut conclure de ce premier fait que la racine antérieure est une racine de mouvement, c’est-à-dire qu’elle éveille la contraction dans les muscles, et que la racine postérieure est une racine de sensibilité, CHAP. VII, INNERVATION, 763 c'est-à-dire qu'elle conduit aux centres nerveux l'impression douleur. Mais en modifiant l'expérience, on peut se convaincre encore, de la ma- nière la plus claire, que la direction du courant nerveux suivant lequel cheminent les impressions qui mettent en jeu la sensibilité n’est pas Ja même que la direction du courant exeito-moteur ; le premier est bien centripète, c’est-à-dire qu'il marche dans la racine postérieure, en se dirigeant vers la moelle (en venant, par conséquent, des branches péri- phériques du nerf, ou des organes, vers les centres nerveux), tandis que le second est bien centrifuge , Fig. 175. c'est-à-dire qu'il marche dans la racine antérieure du nerf, en se dirigeant de la moelle vers les organes. En effet, la racine postérieure d'un nerf rachidien étant divi- sée par sa partie moyenne (Voy. fig. 175), si l’on irrite le bout périphérique P, on n'obtient rien, l’animal ne bouge ni ne crie; pas le moindre mouvement convulsif dans la partie corres- pondant au nerf en expérience.) MR an Si l’on irrite le bout central C de ce, bout central de la racine postérieure après la section. la même racine, il se produit une douleur vive, une grande agitation *. La racine antérieure du nerf étant à son tour divisée par sa partie moyenne (Voy. fig. 176), l'irritation du bout central C n’est point ressentie par l’ani- mal etne détermine aucun mou- vement. L'irritation du bout périphérique P n’est point non plus ressentie, mais elle est sui- vie d’un mouvement convulsif dans la partie correspondant aux divisions terminales du nerf. Les nerfs sont donc composés MOELLE VUE PAR SA PARTIE ANTÉRIEURE. de deux sortes de filets ner- zx, les deux racines des nerfs intacis, PP, bout périphérique dela racine antérieure après la section. veux : filets nerveux pour la CC, bout central de la racine antérieure après la section. Fig. 176. RS —— ’ # = 1 Le bout périphérique de !a racine divisée ne tient plus aux centres nerveux; il correspond aux organes où aux tissus, c’est-à-dire qu'il est continu avec la section du nerf qui se distri- bue dans les parties. Le bout central est celui qui tient à la moelle ; il n’est plus en commu- nication, par conséquent, qu'avec les centres nerveux. 764 LIVRE If, FONCTIONS DE RELATION, sensibilité, filets nerveux pour le mouvement. Au sortir du canal ra- chidien, les deux racines des nerfs se sont accolées et ne forment plus qu'un tronc commun, d’où procèdent les branches nerveuses. Dans ces branches, les deux éléments sensitifs et moteurs sont intimement confon- dus et forment ainsi des nerfs mixtes. Au moment de leur distribution terminale dans les organes, les élé- ments nerveux d'ordre différent tendent à s'isoler. Les nerfs, pénétrant dans les parties sensibles et dans les parties contractiles, abandonnent les filets sensibles aux organes doués de sensibilité (la peau, par exem- ple), et les filets moteurs aux organes contractiles (muscles). Il ne fau- drait pas croire, cependant, que la distribution des filets sensitifs ou mo- teurs soit exclusive. Les organes contraëtiles, ou les muscles, quoique doués d’une moindre sensibilité que la peau, ne sont pas complétement insensibles aux impressions mécaniques ; et, d’ailleurs, nous savons qu'ils répondent, par la contraction, à l'excitation directe ($ 220) : ils contien- nent donc aussi des tubes nerveux de sensibilité. Il en est de même de la peau; il est vrai qu’elle reçoit presque exclusivement des filets de sensibilité ; mais le‘derme contient, parmi ses faisceaux fibreux, des fibres musculoires lisses, qui lui donnent un certain degré de rétractilité ; elle possède donc aussi, mais en faible proportion, des fibres nerveuses motri- ces. La proportion des éléments sensitifs ou moteurs est subordonnée au rôle des tissus dans lesquels ces éléments vont se terminer; et ce n’est que dans la profondeur des tissus et à leurs confins périphériques, que les deux éléments nerveux, jusque-là confondus, se partagent iné- galement entre eux. Les nerfs qui se détachent de la moelle épinière constituent donc des nerfs mixtes, aussitôt après la réunion de leurs racines, et il est impossi- ble de constater isolément, ensuite, leurs propriétés motrices et leurs propriétés sensitives sur les divers points de leur trajet. Il n’en est pas de même des nerfs qui naissent de l’encéphale. Plusieurs d’entre eux présentent, pendant un assez long trajet, soit des propriétés motrices comme les racines antérieures des nerfs, soit des propriétés sensitives comme les racines postérieures des nerfs rachidiens. Iei encore apparait la division fondamentale du système nerveux en ses deux éléments fonc- tionnels. L'un des nerfs crâniens, surtout (nerf trijjumeau ou de la cin- quième paire), ressemble "beaucoup, par son mode d’origine, aux nerfs rachidiens, et comme il conserve, pendant la plus grande partie de sa distribution, l’mdépendance de ses racines, il se prête facilement à l’ex- périence (Voy. $ 355). L'’expérimentation sur les nerfs crâniens vient corroborer les résultats obtenus sur les racines des nerfs rachidiens, et comme les résultats peu- vent être obtenus ici par de simples plaies sans étendue, ils répondent à cette objection souvent répétée : qu'il n’est pas permis de conclure que tous les effets observés dans le système nerveux d’un animal, affaibli par CHAP. VIII, INNERVATION, 768 des vivisections, se fussent manifestés de la même manière, si l'animal était resté dans son état normal. L'anatomie ne montre aucune différence appréciable entre les éléments des racines postérieures et ceux des racines antérieures des nerfs rachi- diens. Ce sont les mêmes tubes nerveux primitifs. L'inspection microsco- pique montre seulement que leur diamètre est plus fin dans les racines postérieures que dans les racines antérieures. Ce qui différencie mieux, anatomiquement, les racines antérieures et les racines postérieures, c’est que ces dernières présentent sur leur trajet, à un centimètre environ de la moelle, un renflement ou ganglion (Voy. fig. 175 et 176, p. 763). C’est immédiatement après ce ganglion que les deux racines des nerfs se réu- nissent pour former le tronc commun. Le ganglion situé sur la racine pos- térieure des nerfs rachidiens ne paraît pas traversé par tous les filets ner- veux de la racine postérieure. Il est, d’ailleurs, constitué par des tubes nerveux diversement enchevêtrés, et par des corpuscules nerveux en rela- tion avec eux (Voy. fig. 174 c., p. 758). Les nerfs cräniens, doués de sensi- bilité, présentent aussi, à peu de distance de leur origine, des rentlements du même genre. Au point de vue physiologique, la signification de ces gan- glions nous échappe complétement. On ne peut pas admettre que c’est à leur existence que les racines des nerfs doivent leurs fonctions de sensi- bilité. Lorsqu'on excite, en effet, Le bout central de la racine postérieure d’un nerf (Voy. fig. 175, C), l'animal est aussi sensible à cette excitation qu’à celle du nerf intact; pourtant le ganglion n’est plus alors sur le che- min de l’impression sentie. De la distinction des fibres nerveuses motrices et des fibres nerveu: ses sensitives dans l'axe cérébro-spinal.— Les nerfs se détachant de la moelle épinière par deux ordres de racines à fonctions distinctes, il était permis de penser que les faisceaux de la moelle épinière (sur lesquels ces racines prennent leur insertion, ou plutôt, physiologiquement par- lant, dans lesquels plongent les racines postérieures et d’où émergent les racines antérieures), il était permis de penser que ces faisceaux avaient aussi des fonctions distinctes. Avant tout, il faut remarquer ici que, des parties à fonctions différentes entrant dans la composition d’un même cylindre (moelle), lexpérimentation doit être conduite avec beaucoup de circonspection, pour ne pas attribuer les fonctions d’une partie du cylin- dre nerveux à d’autres parties voisines. En mettant la moelle à décou- vert sur un animal, et en comprimant, par exemple, les faisceaux posté- rieurs, On applique en même temps les faisceaux antérieurs contre la pa- roi opposée du canal rachidien, et on obtient des résultats qui peuvent induire en erreur. En agissant avec toutes les précautions convenables sur une moelle mise à découvert et infacte, on constate que les faisceaux (ou cordons) 766 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, postérieurs ! de la moelle sont sensibles, tandis que les faisceaux (ou cor- dons) antérieurs sont énsensibles : tous les expérimentateurs sont d’accord sur ce point. Fat Ê L’excitation des faisceaux latéraux fait naître de la douleur et du mou- vement, comme celle des nerfs mixtes ; d’où on peut conclure que les tu- bes nerveux d'ordre différent ne marchent point ici à l’état d'isolement, mais qu'ils sont plus ou moins mélangés entre eux. Au lieu de laisser la moelle épinière intacte, on peut l’interroger, soit après l'avoir divisée en travers par une section complète, soit après avoir divisé isolément certains faisceaux, en laissant les autres intacts. Ces deux modes d’expérimentation, dont le premier a été pratiqué particulière- ment par M. Longet et l’autre par M. Brown-Séquard et par M. Schifr, ne donnent pas des résultats aussi contradictoires qu’on a paru le croire dans ces derniers temps. C’est ce dont on peut se convaincre en compa- rant les résultats. Lorsqu'on a divisé complétement la moelle d’un animal mammufère, et qu’on excite sur le bout qui tient à l'encéphale les cordons antérieurs, l’a- nimal n’accuse point de douleur et ne bouge point. Si l’on excite sur ce même bout les faisceaux postérieurs, l'animal se plaint. L’excitation du bout caudal de la moelle fait contracter les muscles du train postérieur quand cette excitation porte sur les cordons antérieurs. L’excitation des cordons postérieurs du même segment ne donne point lieu à des con- tractions (ni à de la douleur, car toutes les communications sont rompues avec l’encéphale). Pour que les résultats dont nous parlons soient tran- chés, deux conditions sont nécessaires : 1° il faut laisser reposer l’animal après la section de la moelle, pour se mettre en garde contre l’action re- flexe de la moelle (Voy. S 344); 2° il faut que l'excitation porte sur la par- tie des cordons qui avoisine les sillons médiaux antérieurs ou postérieurs, c’est-à-dire le plus loin possible des cordons latéraux, où les effets de la sensibilité et du mouvement ne sont plus nettement distincts. Nous avons à peine besoin d'ajouter que dans les expériences où l’on pratique la section complète de la moelle épinière, les parties situées au- dessous de la section sont frappées à la fois de la paralysie du sentiment et de la paralysie du mouvement volontaire, car toute communication est rompue entre l’encéphale et les organes sensibles et contractiles. Lorsque, à l'exemple de M. Brown-Séquard, on divise sur l’animal vi- vant les cordons postérieurs de la moelle épinière dans la région dorsale eu respectant les autres parties de la moelle ?, on constate après la section: 1 Les faisceaux postérieurs de la moelle comprennent l’espace qui existe entre le sillon médian postérieur de la moelle et la ligne d'insertion des racines postérieures. Les faisceaux antérieurs de la moelle comprennent l'espace qui existe entre le sillon mé- dian antérieur de la moelle et la ligne d'insertion des racines antérieures. Les faisceaux latéraux comprennent l’espace qui existe, sur les côtés, entre les deux séries d’insertions des racines antérieures et postérieures. ? Remarquons de suite que les faisceaux de la moelle ne sont pas des cordons dans la ri- CHAP, VIIT, INNERVATION, 767 1° que la surface de section du segment caudal (du cordon postérieur) est plus sensible que la surface de section du segment céphalique ; 2° que la sensibilité des parties situées au-dessous de la section (la sensibilité des membres postérieurs, par exemple) persiste. Quand la section comprend à la fois les cordons postérieurs de la moelle et la substance grise, la surface de section du segment caudal des cor- dons postérieurs est devenue insensible, et les organes situés au-dessous de la section partielle de la moelle ont perdu toute sensibilité. Dans ce dernier mode d’expérimentation, les organes placés au-dessous de la section communiquent encore avec l’encéphale par l'intermédiaire des cordons antérieurs : si donc les organes placés au-dessous de la sec- tion sont devenus insensibles, on peut déjà conclure que les cordons an- térieurs ne sont point des conducteurs de sensibilité. Les expériences de M. Longet et celles de M. Brown-Séquard sont iei parfaitement concor- dantes f, La sensibilité persistant dans les parties sous-jacentes à la section des cordons postérieurs de la moelle, cela prouve que les racines postérieures des nerfs rachidiens ne se réfléchissent pas, ou, en d’autres termes, ne se coudent pas par en haut et ne remontent pas directement vers l’encé- phale, pour former les cordons postérieurs de la moelle. Cette supposi- tion avait déjà été démentie, d’ailleurs, par les recherches anatomiques. MM. Schilling, Külliker, OwsjannikofF, Lenhossek, etc., ont directement montré qu'aux points où les racines des nerfs (les antérieures comme les postérieures) se détachent de la moelle épinière, elles procèdent en tota- lité des cornes antérieures et postérieures de la substance grise. La trans- mission de la sensibilité des organes situés au-dessous de la section des cordons postérieurs peut donc encore s’opérer par la substance grise, lorsque les cordons postérieurs sont divisés. Ainsi que le remarque M. Brown-Séquard, la communication des filets nerveux des racines des nerfs rachidiens avec la substance grise de la moelle épmière n’a pas seulement lieu au niveau même du détachement des racines, mais dans une certaine étendue, par en haut et par en bas. La surface de section du segment caudal du cordon postérieur de la moelle étant plus sensible que la surface de section du segment céphalique, on peut même en conclure que, parmi les filets des racines qui se dirigent vers la substance grise, la proportion des filets descendants l'emporte sur la proportion des filets ascendants. (Voy., pour plus de détails, $ 366.) Dans la moelle, le siége de la sensibilité et du mouvement est donc gueur du mot. Accolés intimement les uns aux autres et confondus sur leurs limites, il est difficile, pour ne pas dire impossible, dans les expériences sur l'animal vivant, de couper eæactement en travers des parties qui n’ont point de limites anatomiques exactes. ‘ Les expériences de M. Brown-Séquard et de M. Schiff ont prouvé aussi que les cordons antérieurs sont insensibles à l’excilation directe; elles ont encore prouvé que la substance grise est également insensible à l'excitation directe, 7068 LIVRE Il, FONCTIONS DE RELATION. moins nettement tranché que dans les racines des nerfs rachidiens. Dans l’encéphale, les tubes nerveux irradiés de la moelle traversent un certain nombre de renflements (cervelet, protubérance annulaire, tuber- cules quadrijumeaux, couches optiques, corps striés), et viennent enfin s'épanouir dans les hémisphères cérébraux. Ici, les éléments nerveux du mouvement et ceux de la sensibilité sont plus intimement mélangés ; aussi, dans les expériences sur les animaux vivants, l'excitation des di- vers renflements encéphaliques (bulbe rachidien, protubérance, pédon- cules du cervelet et du cerveau, couches optiques, corps striés) éveille à la fois des phénomènes de sensibilité et de mouvement. En résumé, et d'une manière générale, la substance grise prise dans les divers points des centres nerveux (substance grise de la moelle, sub- stance grise des hémisphères cérébraux et du cervelet, substance grise interposée au milieu des divers renflements encéphaliques) paraît insen- sible à l'excitation directe; et pourtant elle peut conduire les impressions sensitives. D’une autre part, la substance blanche est sensible dans cer- tains points à l'excitation directe (cordons postérieurs de la moelle, ra- cines postérieures des nerfs, certaines portions blanches des renflements encéphaliques). Dans d’autres points, la substance blanche est insensi- ble, mais son excitation entraine le mouvement des organes auxquels elle correspond (cordons antérieurs de la moelle, racines antérieures des nerfs, certaines portions blanches des renflements encéphaliques). Enfin, dans la masse principale de l’encéphale (hémisphères cérébraux), la sub- stance blanche est tout à la fois insensible et incapable de déterminer le mouvement sous l'influence des excitants. Nous trouvons ici une masse pourvue de propriétés qui rappellent celles des nerfs des organes des sens. MM. Jacubowitsch et Owsjannikoff ont dernièrement soumis à l’Aca- démie des sciences de Saint-Pétersbourg une série de recherches micro- scopiques sur l’origine des nerfs, dans lesquelles ils se sont proposé de démontrer qu’il y a dans la substance grise des centres nerveux, dans l’encéphale, ainsi que dans la moelle, deux classes de cellules nerveuses, dif- férant les unes des autres anatomiquement et physiologiquement. Les cel- lules avec lesquelles communiqueraient les tubes nerveux du mouvement seraient de grandes cellules, d’un diamètre trois ou quatre fois plus considé- rable que celui des autres. Les cellules des tubes nerveux de sensibilité seraient beaucoup plus petites, claires, gris-blanchâtre 1. 1 M. Külliker avait déjà décrit les grandes cellules (Omm,1 de diamètre) dans les cornes antérieures de la substance grise de la moelle. Suivant MM. Jacubowitsch et Owsjannikoff, la substance grise des hémisphères cérébraux ne contient que de pelites cellules ; les nerts olfactif, optique, acoustique, procedent de petites cellules ; il en est de même de la portion ganglionnaire du nerf de la cinquième paire; la portion non ganglionnaire du nerf procède de grandes cellules. Tous les autres nerfs encéphaliques naîtraient à la fois de grandes et de petites cellules, mais dans des proportions variées. D'après les mêmes auteurs, la substance CHAP, VII, INNERVATION, ‘ 769 S 344. De l'action réflexe. — Des sympathies., — On donne le nom d'action réflexe à la propriété du système nerveux en vertu de laquelle des mou- vements succèdent à des impressions, sans que ces impressions aient été senties Où perçues. Dans les mouvements que nous avons passés en revue précédemment (Livre II, chap. 1°"), ceux-ci étaient précédés d’une sensation dont le mou- vement était en quelque sorte la réponse. Lorsqu'’au contraire une im- pression chemine sur les fibres sensitives vers la moelle ou vers l’encé- phale, et qu’elle se réfléchit, dans une direction centrifuge, sur les filets moteurs, sans que l’homme ou les animaux en soient avertis, le système nerveux opère ce qu'on appelle une action réflexe. L'action réflexe est un mode d’action très-fréquent du système ner- veux. On peut mettre sur son compte la plupart des mouvements mvolon- taires. L'action réflexe a d’ailleurs besoin, pour entrer en jeu, que les nerfs soient en communication avec les centres nerveux. Elle suppose la participation du système nerveux central, tout comme pour les impres- sions perçues et les mouvements volontaires. Le mouvement de cligne- ment, en vertu duquel la paupière s’abaisse périodiquement sur le globe oculaire pour étaler les larmes à sa surface, se produit par action réflexe. L'impression est ici le contact de l’air, qui tend à dessécher la conjonctive et détermine involontairement la contraction de lorbiculaire des pau- pières. Le cheminement du bol alimentaire depuis l’œsophage jusqu'au rectum est déterminé par une action du même genre. L’aliment impres- sionne les filets nerveux sensitifs, sans que cette impression soit perçue, et la couche musculaire sous-jacente entre en contraction. C’est par ac- tion réflexe que sont mus les liquides dans les canaux excréteurs contrac- tiles des glandes, etc. Le pouvoir réflexe a son siége dans l’axe cérébro-spimal ; mais, tandis que l’action nerveuse dans laquelle interviennent la sensibilité perçue et le mouvement volontaire exige, pour se manifester, la continuité de l’axe cérébro-spinal, et disparait lorsque l’encéphale est séparé de la moelle, le pouvoir réflexe, au contraire, est bien moins localisé. Il suftit que les nerfs sur lesquels cette action s'exerce tiennent à un éronçon de l'axe cé- rébro-spinal, pour qu'il se manifeste. Lorsqu'on décapite un animal à sang froid et qu’on exciie vivement un de ses membres, ce membre se contracte. Il est évident que le courant centripète n’a pas pu dépasser la moelle, et qu'il s’est transformé dans la moelle en un courant centrifuge ou réflexe. D'un autre côté, lorsqu'on décapite un mammifere et qu'on vient immédiatement à irriter la conjonctive, la paupière se ferme. L’ac- grise du cervelet renfermerait dans sa couche superficielle de grandes cellules , et dans sa couche profonde de petites cellules. Les cellules des hémisphères cérébraux communiqueraient entre elles par des prolongements. II en est de même pour les cellules du cerveleL. 49 : * 710 L LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. tion réflexe s’est opérée par le nerf de la cinquième paire (nerf sensible), et par le nerf de la septième paire (nerf moteur. Il est vrai qu'ici il est plus difficile d’aftirmer que l'impression n’a pas été sentie et que le mou- vement n’a pas été voulu. Cependant, comme toutes les causes qui sus- pendent l’arrivée du sang à l’encéphale entraînent immédiatement la perte de connaissance, et partant l’insensibilité, il est permis de penser qu'on a affaire iei à une action réflexe de la moelle allongée. Les phénomènes de l’action réflexe peuvent être étudiés avec beaucoup d'avantage sur les animaux à sang froid, décapités ou même séparés en fragments plus ou moins nombreux. Sur les animaux à sang chaud, le pouvoir réflexe disparaît très-promptement ; il existe réellement, mais la constatation des phénomènes ne peut être faite qu'immédiatement après les mutilations. Les phénomènes de l’action réflexe ne se bornent pas à faire naïtre le mouvement dans les parties excitées, ils mettent souvent en jeu un grand nombre de parties. Lorsqu'on opère sur un animal à sang froid, voici ce qu’on observe. Vient-on à saisir vivement, entre les mors d’une pince, la patte d’une gre- nouille décapitée, ou bien à brüler cette patte avec un corps en ignition ou avec un acide énergique, on voit survenir, non pas seulement un mou- vement convulsif dans la patte excitée, mais une contraction simulta née des quatre membres. L'intensité de l’excitant a une influence manifeste sur le degré du mouvement produit. Le point sur lequel porte l’excitation west pas non plus sans importance. L'irritation de la surface cutanée donne des effets bien plus marqués que tous les autres points, et que les viscères intérieurs en particulier. On remarque que l’animal a besoin d’un moment de repos pour répondre par de nouvelles contractions à l’excitant. On remarque encore qu'une seule excitation suflit pour amener des mouvements qui se répèlent quelquefois pendant quelques secondes. Du reste, le mouvement qui succède à l’irritation des parties perd peu à peu de son énergie. Au bout de quelque temps, l’excitation d’un membre n’entraine bientôt plus que la contraction de ce membre lui-même, et à la fin, le mouvement est seulement borné aux muscles sous-jacents à l'irritation. Au lieu de décapiter simplement l'animal, on peut diviser le tronc par la partie moyenne, et les membres postérieurs de l’animal se contractent encore sous l'influence de leur excitation directe. Le pouvoir réflexe est bien évidemment alors localisé dans le fragment de moelle auquel appar- tiennent les nerfs qui vont se répandre dans la partie exeitée. On ne con- fondra pas ce qui arrive ici avec la contractilité des muscles, séparés du corps de l’animal vivant (contractilité qui survient en dehors de l'influence de la moelle, Voy.S$ 220), car les contractions par action réflexe n’ont pas lieu seulement dans la cuisse touchée, mais encore dans la cuisse du côté opposé. ‘ CHAP, VIII, INNERVATION. 774 Toutes les fois que l’encéphale et la moelle sont enlevés sur l’animal vivant, toute trace d’action réflexe disparait. La contraction fibrillaire due à la contractilité des muscles a bien encore lieu localement, mais jamais on ne voit la contraction survenir dans des lieux voisins ou éloignés du point excité. L'action réflexe disparaît également toutes les fois que la partie de l’axe cérébro-spinal, correspondante aux nerfs de la partie ex- citée, est détruite ou enlevée. Lorsque, sur un animal vivant, on excite la muqueuse du voile du palais ou du gosier avec la barbe d’une plume, on fait naître des mouvements involontaires de déglutition ou de vomisse- ment. Après la décapitation, c’est-à-dire après l’enlèvement du bulbe rachidien, centre d’où procèdent les nerfs du pharynx, l'excitation du gosier ne fait plus naître de mouvement. L’abolition de l’action réflexe sur l'animal, dans les parties correspon- dantes à la destruction de l’axe cécrébro-spinal, prouve que les ganglions du grand sympathique, qui persistent après cette mutilation, ne peuvent pas être envisagés comme de petits centres nerveux, agissant en vertu d’une action propre, comparable à celle de l’axe cérébro-spinal. Lorsque sur une grenouille décapitée, dont la moelle est intacte, on vient à exciter les viscères, on voit survenir les mêmes phénomènes qu'a- près l’excitation de la peau, c’est-à-dire que les membres sont agités de mouvements, moins vifs il est vrai, mais cependant très-évidents. Lorsque les parties de la moelle dans lesquelles vont se rendre les filets de com- munication du grand sympathique ont été enlevées, l’excitation des vis- cères est incapable de faire de nouveau mouvoir, par action réflexe, les membres d’une grenouille décapitée, car la chaîne nerveuse est absolu- ment abolie entre les viscères et les membres. Les muscles des viscères sont devenus également incapables de se mouvoir par action réflexe. Lorsque sur un animal décapité on partage la moelle, non pas par une section perpendiculaire à sa longueur, mais en la divisant longitudinale- ment en deux moitiés, l’une droite et l’autre gauche, l’action réflexe per- siste ; mais elle se montre uniquement dans le côté excité. Elle peut être bornée aux parties excitées ; elle peut aussi se traduire par des mouve- ments dans des parties autres que la partie excitée, mais toujours du même côté que l’excitation. Ainsi, en pinçant fortement le membre posté- rieur, le membre antérieur du même côté peut entrer en contraction. Les actions réflexes peuvent être groupées en deux classes principales. Les unes se rattachent principalement aux fonctions de la vie de relation : les autres se rattachent plus particulièrement aux fonctions de la vie de nutrition. C’est à ce dernier groupe qu'appartient cet ordre de phéno- mènes désignés assez vaguement en physiologie sous le nom de sympa- tes. s En effet, lorsqu'on examine dans l’économie vivante les mouvements dus à l’action réflexe, il est aisé de se convaincre que ces mouvements peu- vent se produire, soit sur des muscles de la vie animale, soit sur des mus- 772 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. — cles de la vie organique. Presque tous les mouvements des muscles inté- rieurs, ainsi que nous l’avons dit, sont de cet ordre; mais un certain nombre de mouvements involontaires des muscles du tronc ou des mem- bres sont aussi produits de la même manière ; telles sont, par exemple, les convulsions qui succèdent à la présence des vers dans le tube intesti- nal, les crampes, les contractions spasmodiques des muscles des mem- bres, du diaphragme, ete., succédant à des irritations non perçues des organes intérieurs, etc. S'il est vrai que nous pouvons contracter à vo- lonté les muscles respiratoires, augmenter et diminuer l’amplitude de leur action, il n’est pas moins vrai que, la plupart du temps, ces mouve- ments s’accomplissent d’une manière involontaire, et pendant le sommeil, et pendant la veille. Les mouvements respiratoires succèdent à une im- pression, la plupart du temps non sentie, mais qui ne tarde point à se transformer en une sensation douloureuse, lorsque le besoin de respira- tion n’est pas satisfait. Les actes mécaniques de la respiration soustraits, la plupart du temps, à l'empire de la volonté, se produisent done par une véritable action réflexe. Un apoplectique qui a perdu connaissance et qui approche la main de sa tête, un homme endormi qui agite ses membres, exécutent des mouvements du même ordre. Les phénomènes dits sympathiques rentrent dans les mouvements par action réflexe. Tout phénomène de sympathie, quel que soit son point de départ dans le système nerveux périphérique, exige, pour son accomplis- sement, que l’excitation produite se transmette, par l'intermédiaire des nerfs, aux centres nerveux, les seuls qui soient aptes à réfléchir l’ex- citation. Les sympathies qu'entretiennent entre elles les diverses parties d’un organe ou d’un tissu, et que la pathologie met souvent en évidence, se propagent par l'intermédiaire du système nerveux. Les mouvements pro- duits alors par action réflexe sont moins évidents que ceux dont nous avons parlé jusqu’à présent, mais ils n’en sont pas moins réels. C’est par une réaction qui porte particulièrement sur les tuniques contractiles des vaisseaux que les phénomènes de nutrition et de sécrétion se trouvent modifiés sur des points plus ou moins éloignés du tissu ou de l’organe malade, et que l’inflammation se propage. On peut se rendre compte ainsi de la transformation du coryza en catarrhe, de la gonorrhée en orchite ; c’est ainsi que les maladies de l'œil passent d’un côté à l’autre, que le rhumatisme parcourt un grand nombre d’articulations , que, dans l’état physiologique et pathologique, la mamelle se gonfle en même temps que l'utérus, etc. Se S 949. Mouvements involontaires succédant à une impression sentie. — L'action réflexe proprement dite consiste en un mouvement involontaire succédant à une impression non sentie. On peut rapprocher de ces phé- CHAP, VII, INNERVATION. 1175 nomènes d’autres mouvements qui surviennent d’une manière tnvolon- taire à l’occasion des sensations perçues , sensations dont le siége peut être plus ou moins éloigné des parties qui se meuvent. Ainsi, par exem- ple, lorqu'on irrite la luette ou le voile du palais avec la barbe d’une plume, il survient bientôt des mouvements involontaires de vomisse- ment, mouvements qui mettent en jeu des muscles de la vie organique (estomac), et des muscles de la vie animale (diaphragme, muscles abdo- minaux). Lorsqu'on excite la membrane pituitaire, on détermine l’éternument, c’est-à-dire la contraction involontaire des muscles de l'appareil respira- toire. Lorsqu'une parcelle d’aliment est entrée dans la partie supérieure du larynx, il survient une toux involontaire, destinée à la rejeter au de- hors. La plupart des efforts de toux, succédant à une irritation ou à un pi- cotement senti, sont du même genre. On en peut dire autant du tremble- ment des membres et du claquement des dents, qui surviennent à la suite d’une vive impression de froid à la surface cutanée. Le mouvement involontaire, succédant à des sensations perçues, peut se montrer, non-seulement sur les muscles de la vie animale, mais aussi, quoique plus rarement, sur des muscles de la vie organique. Les sensa- tions douloureuses qui ont lieu à la peau accélèrent presque toujours les mouvements du cœur, et les impressions morales, qui déterminent des dérangements d’entrailles, agissent vraisemblablement en accélérant les contractions du tube digestif. S 3/6. Comment on peut se rendre compte de l’action réflexe. et des phéno- mènes analogues. — Pour qu'une impression, ou pour qu'une irritation portant sur une partie sensible soit perçue ou sentie par l'animal, et pour qu’il réagisse volontairement, il faut que la partie sensible commu- nique avec la moelle, et que la moelle communique avec l’encéphale. Si l'on pratique une section qui interrompt la communication de la moelle avec l’encéphale, l'impression ne sera plus sente, et le mouvement volon- taire sera anéanti. Le siége de la sensibilité et le point de départ des mouvements volontaires sont done dans l’encéphale etnon dans la moelle. Puisqu’un animal décapité exécute des mouvements des membres et du tronc, quand on excite un point de la peau, l’action réflexe n’a évi- demment pas son siége dans l’encéphale, car la moelle suflit seule alors à sa manifestation. Mais cette action n’est pas seulement possible dans la moelle, car le tronçon céphalique de l'animal peut exécuter aussi des mou- vements quand on l’excite convenablement. Donc, le siége de l’action réflexe n’est pas localisé dans un point particulier du système nerveux , comme le sont la sensibilité et le principe des mouvements volontaires. L'action réflexe a son siége dans toute la longueur de la moelle et dans la 774 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, moelle allongée !. Les sections multiples de la moelle, laissant à chacune des parties correspondantes aux segments nerveux la possibilité de se con- tracter sous l'influence des excitants directs, le prouvent manifestement. Il est donc probable que les fibres nerveuses, qui des organes se ren- dent à l’axe cérébro-spinal ; il est probable, dis-je, que ces fibres ne re- montent pas toutes vers l’encéphale, par l'intermédiaire de la moelle épi- nière. Un certain nombre d’entre elles s'arrêtent dans la moelle et se réfléchissent vers les organes, sans remonter jusqu’au cerveau. Comme, d’un autre côté, l’excitation d’un membre postérieur, sur un animal dé- capité, fait contracter non-seulement ce membre, mais encore le membre postérieur voisin et même le membre ou les membres antérieurs , il est probable que les fibres nerveuses, qui des organes vont à la moelle, se di- rigent dans la moelle dans des directions diverses et se réfléchissent en- suite vers les organes, les unes par le même nerf, d’autres par le nerf op- posé, d’autres par des paires voisines, d’autres, enfin, par des paires plus ou moins éloignées. La moelle renfermerait dès lors, non-seulement les conducteurs de la sensibilité et du mouvement volontaire , qui se dirigent vers l’encéphale ou qui en descendent, mais encore l’assemblage assez compliqué de fi- bres qui, ne remontant pas jusqu’au cerveau, constituent des conduc- teurs de sensibilité non perçue et d’incitations motrices involontaires. Quel que soit le trajet parcouru par les conducteurs de l’action réflexe dans la moelle épinière et dans la moelle allongée, il est certain que la connexion des conducteurs ou tubes nerveux avec la substance grise de la moelle épinière, et avec les amas de substance grise de la moelle al- longée , est nécessaire à leur action. La substance grise (qui n’est, en somme, que l’assemblage des cellules nerveuses) est le centre ou la con- dition sine quà non de l’action nerveuse ; c’est dans son sein que les con- ducteurs centripètes se transforment en conducteurs centrifuges. Au reste, la nécessité de cette connexion entre les tubes nerveux et la sub- stance grise n’est pas propre aux conducteurs nerveux de l’action ré- flexe; elle est générale dans le système nerveux, et les conducteurs de la sensibilité perçue et du mouvement volontaire y sont soumis aussi dans les points spéciaux du système nerveux auxquels ils correspondent. La substance blanche des centres nerveux est constituée, en effet, ainsi que les nerfs, par l’accolement des tubes nerveux primitifs, c’est-à-dire par des éléments conducteurs (de sentiment ou de mouvement), et la seule substance qui appartienne en propre aux centres, c’est la substance grise, ou l’ensemble des cellules nerveuses. Partout les tubes nerveux (soit à l’état de cordons nerveux , soit à l’état de masses nerveuses) établissent une communication entre les organes moteurs et sensibles et les masses * Quand la moelle allongée est détruite sur le segment céphalique de l'animal, tout mouve- ment réflexe est anéanti dans cette partie. Les hémisphères cérébraux n’en sont done point le siége. CHAP. VIII, INNERVATION., 775 nerveuses grises. Aussi a-t-on considéré avec raison la substance grise comme le centre fondamental de l’action nerveuse, comme le foyer même de l’innervation. La moelle , la moelle allongée , le cerveau et tous ses renflements possèdent, dans leur épaisseur ou à leur surface , des amas de substance grise plus ou moins étendus, auxquels viennent aboutir et d’où partent les conducteurs nerveux des impressions et du mouvement. Le centre où aboutissent les fibres nerveuses qui apportent l’impres- sion, et d’où rayonnent les fibres qui déterminent le mouvement, est donc partout la substance grise. D’après cela, le siége réel de l’action réflexe est dans la substance grise de la moelle et de la moelle allongée, et dans toute l’étendue de cette substance. S 347. Des phénomènes intimes de l'action nerveuse, — Lorsqu'on examine la substance cérébrale, ou la moelle épinière, ou le tissu des nerfs au mo- ment où un animal éprouve et manifeste une vive douleur, ou au moment où il exécute des mouvements, l'œil ne peut absolument saisir aucun changement ni dans les centres nerveux, ni dans les nerfs. Le transport des impressions du dehors au dedans, et le transport des incitations mo- trices du dedans au dehors, démontré par l'expérience (Voy. $S 341, 342), n’est donc accompagné d’aucun phénomène particulier visible à l’œil. Diverses hypothèses ont été invoquées successivement pour expliquer le transport des impressions et de l'incitation motrice dans les nerfs. On a parlé de changements moléculaires qui accompagneraient tous les phé- nomènes de sensibilité ou de mouvements. On a comparé les nerfs à des cordes tendues dont les extrémités, placées à la périphérie, transmet- traient les impressions par des sortes de vibrations centripètes, tandis que d’autres nerfs, ou les mêmes, par des vibrations en sens opposé, trans- mettraient le mouvement aux muscles. On a supposé que les nerfs étaient parcourus par des courants de liquides, et on les a assimilés à des espèces de vaisseaux particuliers. On a fait circuler aussi, dans l’intérieur des uerfs, une sorte de fluide impondérable qui, sous le nom d’esprits ani- maux, à joué un grand rôle dans les ouvrages physiologiques ou philo- sophiques du dix-septième et du dix-huitième siècle. Toutes ces supposi- tions n’ont pas besoin aujourd’hui d’être réfutées. Nous ferons remarquer seulement que, si l'anatomie de structure a démontré que les tubes ner- veux contiennent une substance demi-solide ou moelle nerveuse, cela ne confirme en rien la doctrine d’une prétendue circulation de liquides dans les nerfs. La substance que renferment les nerfs est, en effet, d’une con- sistance telle qu’elle ne peut se prêter à des mouvements analogues à ceux du sang dans ses vaisseaux ; et d’ailleurs le système nerveux man- que d’organe d’impulsion. Ce qui est certain, c’est que la moelle nerveuse et l’axe que contien- nent les tubes nerveux doivent être dans leur état d’intégrité, pour que 116 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. les phénomènes de l’action nerveuse puissent se produire ; il faut de plus qu'il y ait continuité des tubes nerveux. La contiquité ne suflit pas aux phénomènes de transmission, soit du courant centripète, soit du courant rig.177. centrifuge. Si, en effet, le nerf AB (Voy. fig. 177) est divisé 7 A4 dans sa continuité par une section S, l'excitation portée sur le bout B, qui correspond aux organes, ne se transmet plus en À vers les centres nerveux; et réciproquement, l'excitation qui porte sur le point A ne réveille plus la contraction des or- ganes du côté de B. On a beau maintenir en contact les deux .s bouts de la section au pointS, le nerf a perdu ses fonctions conductrices centripètes et centrifuges. Le nerf perd égale- ment ses propriétés conductrices, lorsqu’au lieu de le diviser en travers, on applique simplement sur lui une ligature. La ligature, comme la section, interrompt également, en effet, la continuité du contenu des tubes nerveux. Ces deux expé- B riences suflisent pour démontrer que l’assimilation des nerfs avec les conducteurs métalliques de nos appareils galvaniques n’est pas fondée; car dans une pile le rapprochement des deux extrémités du con- ducteur suflit pour rétablir la continuité du courant. D'autres expériences démontrent encore, de la manière la plus claire, que si les phénomènes de l’action nerveuse ne manquent pas d’analogie avec les phénomènes électriques, ce n’est pas en comparant les nerfs aux conducteurs métalliques de nos appareils électro-dynamiques qu'on peut arriver à établir un parallèle utile. Quoique les nerfs soient très-sensibles à l’excifation galvanique, ainsi que nous l'avons dit plusieurs fois déjà, et que cette excitation soit la plus propre à réveiller la sensibilité dans les filets sensitifs, et le mouvement dans les filets moteurs, cela ne veut pas dire que les nerfs soient de bons conducteurs de l'électricité. Cela tient à d’autres conditions, sur lesquelles nous reviendrons dans un instant. Les nerfs sont de mauvais conducteurs de l'électricité : expérience la plus simple le démontre aisément. Supposons que le courant d’une pile très- faible passe par un fil métallique et qu'un galvanomètre soit compris dans le circuit, l'aiguille du galvanomètre sera déviée d’une certaine quantité, proportionnée à la section du fil et à l'intensité du courant de la pile. In- terposons maintenant dans le courant un segment de nerf : immédiate- ment le courant cesse de passer, et l'aiguille du galvanomètre revient au zéro du cadran indicateur. Les nerfs ne conduisent pas mieux l'électricité que de l’eau légèrement salée; or, l'eau, ainsi qu'on le sait, conduit des millions de fois moins bien que les métaux, à égalité de section. Les nerfs ne conduisent pas mieux l'électricité que les autres parties animales, et il y a des parties animales qui conduisent beaucoup mieux le courant que les nerfs eux-mêmes : les muscles sont dans ee cas. M. Mattencci estime que les muscles conduisent CHAP. VIII. INNERVATION. 717 l'électricité quatre fois mieux que les nerfs!. Les nerfs conduisent l’élec- tricité, à peu près comme les tendons, et sensiblement de même qu'un fil de coton, ou de toute autre matière, imbibé d’eau salée. Lorsqu’autrefois on voulait assimiler les courants nerveux aux courants des piles, on disait que les nerfs étaient de bons conducteurs ; on commençait par afirmer un fait inexact. Les nerfs, bien que mauvais conducteurs du courant de la pile, n’en présentent pas moins, lorsqu'on les interroge d’une certaine manière, des traces d'électricité. Ils ont cela de commun avec les muscles et avec d’au- tres organes (Voy. $ 225). Ainsi, quand on réunit à l’aide d’un conduc- teur métallique la surface naturelle d’un nerf avec sa surface de section, on obtient un faible courant qui chemine dans le courant métallique inter- posé de la surface naturelle du nerf vers la surface de section; c’est aussi la direction du courant des muscles. De même que pour les muscles, le circuit métallique mterposé n’est traversé par aucun courant, quand on touche deux points symétriques de la surface de section , ou deux points symétriques de la surface naturelle; il est traversé , au contraire, par un courant très-faible, quand ces points sont insymétriques (Voy. S 225, fig. 85 et 86). Les propriétés électriques des nerfs sont plus dificiles à mettre en évi- dence que les propriétés électriques des muscles , et les courants qu’on obtient ainsi sont extrêmement faibles, ce qui s'accorde avec ce que nous savons sur les actions chimiques qui président à la nutrition des parties, celles-ci étant beaucoup moins actives dans les nerfs que dans les mus- cles. Il s'ensuit que, pour constater dans les nerfs les propriétés dont nous parlons, M. du Bois-Reymond a dû recourir à des instruments d’une sen- sibilité extrême. Le galvanomètre multiplicateur dont il s’est servi est composé d’un fil de cuivre de 0® 1 de section, faisant de 10,000 à 15,000 tours. De plus, pour que les indications fournies par ce multiplicateur, extrêmement sensible, ne fussent pas trompeuses, il fallait que l’aiguille du multiplicateur ne bougeât pas, quand les deux extrémités du fil étaient plongées dans un liquide indifférent. Pour remplir cette condition, M. du 3ois-Reymond fait communiquer les deux extrémités du fil du galvano- mètre avec deux lames de platine (Voy. fig. 178, p, p') maintenues à poste fixe, par deux supports isolants, dans deux verres V, V'remplis d’une dis- solution concentrée de chlorure de sodium?. Dans les deux verres V et V’ plongent deux petites masses de papier à filtre (Voy. fig. 178, m,#, et fig. 179) complétement imbibées de la même dissolution de chlorure de sodium. Avant de procéder à l'expérience, on met en rapport les deux petits paquets »m, m, en appliquant sur eux un autre paquet nr (égale- ment formé de papier imbibé); c’est-à-dire qu'on ferme ainsi le circuit 1 D’après M. Eckhard, les muscles conduisent 1 fois 1/2 mieux que les nerfs. ? Les lames de platine pp’ sont enduites de vernis dans les porlions qui ne sont pas im- mergées, et aussi au point qui correspond au contact de l’air avec le niveau du liquide, 7178 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. humide de la'figure 178. Si l'aiguille du galvanomètre ne bouge pas, c'est Fig. 178. CONTENTER EETEEEEEEENE TEEN EP EENETEEEEETEEEEET NET EEE EEE EN EE EENEEC TEEN EEENEEENEENEETT AN - = = = > ? qu'il n’y à pas trace de courant dans l'appareil, et tout est convenable si Av ment disposé pour l'expérience. On enlève le paquet », et c’est à son lieu et place qu’on dispose le nerf ou toute autre partie animale sur laquelle on veut expérimenter. De cette manière, on évite les contacts -métalliques. Comme la solution saline qui infiltre les masses de papier "”, m' pourrait agir par imbibition sur le nerf ou sur les parties animales d’épreuve, et les altérer, on place sur chaque paquet m, m' un fragment de vessie (Voy. fig. 480, c, c’) préalablement imbibé d’une dissolution d’albumine ou de sérum du sang (analogue par conséquent au liquide normal qui infiltre les tissus animaux). Fig. 180, Fig. 181. Lorsqu'on ferme le circuit galvanométrique à l’aide d’un nerf disposé comme le représente la figure 180, c’est-à-dire lorsque les deux pôles hu- CHAP. VII, INNERVATION. 719 mides »,m" du galvanomètre touchent deux points pris sur la surface na- turelle du nerf, l'aiguille du galvanomètre reste immobile et n’accuse point le passage du courant. Lorsque, au contraire, le circuit galvanométrique est fermé à l’aide du nerf disposé comme le représente la figure 181, c’est- à-dire lorsque l’un des pôles (m) touche la surface de section du nerf, et l’au- tre pôle (m') la surface naturelle du nerf compris dans le circuit, l'aiguille du galvanomètre accuse le passage d’un courant dont la direction est celle que nous avons indiquée. Lorsqu'on ne cherche pas à déterminer la direction et l'intensité du cou- rant dont il est question, et qu’on veut simplement le constater, on peut se servir aussi d’une patte galvanoscopique. C’est tout simplement une patte de grenouille séparée de l’animal et à laquelle on conserve adhérent le nerf sciatique sur la plus grande longueur possible (Voy. fig. 182). Cette patte est isolée sur un plateau de verre; on applique l'extrémité du nerf (surface de section) sur la masse de papier imbibé "”', tandis qu'une por- tion de la surface naturelle du nerf repose sur une autre masse ». Les deux masses de papier reposant dans une auge commune remplie d’une dissolution de chlorure de sodium, le circuit humide se trouve fermé par le nerf, et le courant qui se développe se traduit dans la patte de gre- nouille par une contraction. Fig. 182. Nous avons dit que les nerfs sont d'assez mauvais conducteurs du cou- rant voltaïque (ils ne sont pas meilleurs conducteurs que les autres tissus); d’autre part, les courants provoqués dont nous venons de parler ne peu- vent être obtenus, de même que les courants musculaires, que par un ar- üfice expérimental, et il est probable que dans les nerfs normaux, pas plus que dans les muscles, ces courants ne sont jamais à l’état de liberté (Voy. $ 225). Mais les nerfs jouissent d’une propriété qu’ils possèdent seuls et que ne partage aucun autre tissu; cette propriété, que M. du Bois-Reymond désigne sous le nom de force électro-tonique, dénote en eux l'existence à l'état statique d’une force particulière. Voici comment on peut mettre en évidence cette propriété remarqua- ble. Soit N un fil humide (Voy. fig. 183), avec lequel le galvanomètre B se trouve en rapport par ses deux extrémités « et d, Faites passer un =80 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. courant dans le fil N, en appli- > Œuantles deux pôles d’une pile RS di =; ena et en b; il est évident que le galvanomètre ne bougera pas. Le courant de la pile pas- sera tout entier dans le seg- ment du fil humide interposé entre les pôles de la pile a et 4. Maintenant, supposons que N, au lieu d’être un fil humide, représente un nerf vivant, et que l'expérience soit disposée exactement de la même manière. Au mo- ment où le courant de la pile A passera par le nerf N, le galvanomètre B accusera en même temps le passage d’un courant, dont la direction estfi- surée par les flèches (Voy. fig. 183); c’est-à-dire que non-seulement le segment du nerf compris entre les deux points d’application des pôles de la pile est traversé par un courant, mais encore le nerf fout entier esi iraversé en ce moment par un courant de même sens. On peut tirer de cette expérience la conclusion que les molécules du nerf sont, pendant le repos du système nerveux, dans une éfat statique d'équilibre, et qu’elles passent à l’état électro-dynamique, au moment où le courant passe. De plus, on peut en inférer encore que ce changement a lieu en même temps dans toute l'étendue du nerf; car non-seulement on constate qu'un courant apparaît dans le nerf, quand on place le galvano- mètre d'essai au-dessous de la partie du nerf comprise dans le courant de la pile, mais il se montre également quand on place le galvanomètre au- dessus de la partie du nerf soumise à l’action du courant. L'état moléculaire du nerf à l'état statique a été représenté par M. du Fig, 184, Bois-Reymond par une succession de molécules péripolaires (Voy. fig. 184, A). L'état dynamique cor- ” respondrait à un changement dans À B l’état électrique des moléculesner- = CCCCCCCCC __ veuses, en vertu duquel celles-ci : se polariseraient comme les molé- cules liquides d’une pile, en se correspondant par des pôles de nom con- traire (Voy. fig. 184, B). De ces diverses expériences, M. du Bois-Reymond conclut que, dans les phénomènes de l’action nerveuse, il suffit qu'un changement molécu- aire se développe sur un point même très-circonscrit d’un circuit ner- VEUX, pour entrainer dans toute l'étendue périphérique du nerf un chan- sement moléculaire, d’où résulte le développement d'un courant nerveux. On conçoitaisément comment la force électro-tonique a servi à M. du Bois- Reymond pour expliquer les phénomènes de la contraction musculaire CHAP, VIII, INNERVATION, 781 induite ($ 225). Soit en effet (Voy. fig. 185) une patte de grenouille G pla- cée sur un support de verre, et dont le nerf sciatique a est appliqué con- tre le nerf sciatique d’une autre patte de grenouille. Lorsqu'on plonge le pôle p de la pile M dans le vase v rempli de mercure, c'est-à-dire, en d’autres termes, quand on fait passer un courant voltaïque dans le nerf 4 par les points x et z', toute l’étendue du nerf à est parcourue en ce mo- ment par un courant (d’après l’expérience représentée fig. 183). Mais l’état modifié du nerf à réagit (quand la pile n’est pas trop faible) sur la force électro-tonique du nerf e, dont l’équilibre est rompu ; d’où le déve- loppement, dans le nerf a, d’un courant qui fait entrer la patte G en contraction. Fig. 185. La force électro-tonique peut nous donner la clef d’un autre phéno- mène, Jusqu'ici inexpliqué, et auquel M. dun Bois-Reymond donne lenom de paradoxe de contraction. Supposons que le nerf A (Voy. fig. 186) se divise dans son trajet en deux branches #= et b; si, à l’aide Fig. 186. d’une pile un peu forte, on fait passer un courant par les A points € et d, non-seulement l’état électrotonique de la fibre nerveuse eb sera modifié, mais de proche en proche aussi celui des autres fibres du nerf, de telle sorte que non- seulement la fibre eb fera contracter les parties musculaires dans lesquelles se répandent ses filets terminaux, mais les fibres » feront aussi contracter les muscles dans lesquels elles se répandent, si ce sont des fibres nerveuses motrices; ou elles réveilleront la sensibilité, si ce sont des fibres ner- veuses sensitives. Il résulte de là que, lorsqu'on veut mettre en évidence les propriétés spéciales des racines des nerfs rachidiens , il faut plutôt avoir recours à l'excitation mécanique qu'à l’excitation galvanique; ou bien, quand on emploie celle-ci, il faut qne la pile soit érès- fable (Vox. $ 342). Quand on emploie une pile trop forte dans ce genre d'expériences, il arrive que les racines excitées réagissent au delà du ganglion intervertébral sur les fibres nerveuses de la racine opposée, et font naître simultanément les effets de l’excitation des deux racines, c’est-à-dire des résultats mixtes qui introduisent une cause d’er- reur dans les résultats 1. ! C'est ainsi qu'on a cru que les racines antérieures des nerfs rachidiens jouissaient d’une 782 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. Les propriétés électro-toniques des nerfs cessent avec la coagulatiôn du contenu des tubes nerveux. S 348. Action de l'électricité sur le système nerveux, — Le courant galvani- que est l’excitant le plus propre à mettre en jeu l’action nerveuse, et cela dépend très-probablement des propriétés dont nous venons de parler. Alors que les excitants mécaniques et chimiques ne sont plus capables de réveiller la contraction dans les parties contractiles ou la douleur dans les parties sensibles, l'application du galvanisme a encore ce pouvoir L’électricité, envisagée comme agent excitateur des fonctions du sy- stème nerveux, a des propriétés communes avec les excitants mécani- ques et chimiques. Comme eux, elle fait naître la douleur quand on l’ap- plique aux nerf sensitifs ou aux éléments sensitifs des centres nerveux; comme eux, elle excite le mouvement, quand on l’applique aux nerfs mo- teurs ou aux éléments moteurs des centres nerveux; comme eux, elle fait naître à la fois le mouvement et la douleur, quand on l’applique à un nerf mixte ou aux éléments mixtes des centres nerveux; comme eux, elle éveille la sensation de lumière, quand on l’applique à la rétine ou au nerf optique, la sensation du son quand le courant traverse le nerf acousti- que, etc.; mais, en outre, l'électricité dynamique a des propriétés que n’ont pas les autres excitants. Lorsqu'on applique la pointe d’un scalpel ou un agent chimique sur un nerf, la sensibilité ou le mouvement des parties sont mis en jeu pendant toute la durée de l'excitation. La disparition de la douleur, ou celle du mouvement, concorde avec la suppression de excitant. Il n’en est pas de même avec le courant de la pile. En général, le résultat (douleur ou mouvement) se montre au moment de l’application de l'électricité : il ne se manifeste plus pendant que le courant passe ; il peut apparaître de nou- veau au moment où le courant cesse de passer. L’électricité n’est donc pas, pour le système nerveux, un excitant tout à fait analogue aux excitants chimiques ou mécaniques; preuve nouvelle qu'il y a entre la force ner- veuse et la force électro-motrice certains rapports que les progrès de la science tendent de jour en jour à rendre plus frappants. certaine sensibilité, parce que dans quelques conditions leur excitation est accompagnée de signes non équivoques de douleur sur l'animal en expérience. Mais toute trace de sensibilité disparait dans les racines antérieures quand la racine postérieure correspondante est coupée. Dans les expériences dont nous parlons, la sensibilité a cheminé par la racine postérieure, en vertu d'un phénomène analogue à celui qui est représenté dans les figures 185 et 186. Il n’est point nécessaire d'invoquer ici, comme on l’a fait, l'existence de filets sensitifs récurrents qui remonteraient du ganglion intervertébral vers la moelle, par les racines antérieures. Quand on a coupé la racine antérieure d’un nerf rachidien, et qu'on excite par le galva- nisme le bout qui tient au ganglion intervertébral , on constate quelquefois aussi des signes de sensibilité, quand la racine postérieure est intacte. Ceci est encore une conséquence de ce que M. du Bois-Reymond désigne sous le nom de paradoxe de contraction. CHAP. VIII, INNERVATION, 785 La direction suivant laquelle se propage le courant électrique qui tra- verse un nerf joue un rôle important dans la manière dont il réagit sur les nerfs. L’intensité du courant de l'appareil électro-moteur employé détermine aussi des effets variables comme elle. C’est surtout pour n’a- voir pas tenu suflisamment compte de cette dernière condition, que les expérimentateurs se sont souvent trouvés en désaccord sur les effets des appareils voltaïques appliqués à l’étude des courants nerveux. Les courants employés par les physiologistes (par MM. Marianini, No- bili, Matteucci, Longet, Martin-Magron, Rousseau, etc.) étaient des cou- rants à forte tension et à intensité variable, dont la force électro-motrice n'avait pas été mesurée par avance. M. J. Regnauld a dernièrement proposé de faire usage, dans les recherches d’électro-physiologie, de cou- rants très-faibles produits par une pile thermo-électrique bismuth et cui- vre, où l’on peut à volonté augmenter ou diminuer le nombre des eou- ples. Cette pile, dont chaque couple n’a guère qu’une tension équivalente à 4/150° de la pile de Daniell, offre encore cet avantage que la différence des températures des soudures pouvant facilement être maintenue inva- riablement de 100 degrés (eau bouillante, glace fondante) pendant toute la durée de l’expérience, on a ainsi à sa disposition un courant tout à fait constant. Le procédé de M. Regnauld a ce double avantage de permettre d’étu- dier l’action sur le système nerveux de courants peu intenses et con- stants, et de les graduer en faisant concourir l'effet d’un nombre plus ou moins grand de couples. Lorsqu'on fait passer un courant dans un nerf, on peut opérer de deux manières. Ou bien le courant est dirigé du centre à la périphérie (c’est-à- dire que le pôle + de la pile est placé sur le nerf du côté du centre ner- veux, et le pôle — du côté de la périphérie); on dit alors que le courant employé est direct. Ou bien le courant est dirigé de la périphérie au cen- tre (c’est-à-dire que le pôle + de la pile est placé du côté périphérique, et le pôle — du côté central); on dit alors que le courant est inverse. Supposons d’abord que le nerf excité par le courant soit un nerf mixte (le nerf sciatique de la grenouille séparé des tissus voisins, par exemple). Voici ce qu’on observe (Regnauld, Bernard) : 1° 1 faut au moins deux couples bismuth et cuivre pour obtenir des effets sensibles, et quelquefois il faut en employer jusqu’à sept, ce qui prouve déjà que l’excitabilité du système nerveux n’est pas la même chez tous les individus, ni probablement à tous les moments. 2° Le passage de l'électricité dynamique dans le nerf doué de toute son excitabilité détermine la contraction des muscles qu’il anime à la ferme- ture du courant direct. 3° Le passage de l'électricité dynamique dans le nerf doué de toute son excitabilité détermine la contraction des muscles qu'il anime à la fermeture du courant enverse, La force nécessaire pour amener ce résul- 784 LIVRE II. KONCTIONS DE RELATION, at dépasse toujours celle qui amène la contraction à la fermeture du courant direct. %° Pendant tout le temps que le courant passe et au moment de l’ou- verture du courant (direct ou inverse) on n’observe rien. Quand on agit, non plus sur le nerf intact, mais sur le nerf sciatique séparé de ses communications avec la moelle (ou sur un animal dont on a détruit la moelle), voici ce qu’on observe : 4° contraction à la fer- meture du courant direct; 2 contraction à l'ouverture du courant inverse. Lorsqu’au lieu d'employer des courants faibles et gradués on augmente l’énergie des courants en se servant dès l’abord d’un grand nombre de couples, on obtient les résultats notés par la plupart des observateurs, c’est-à-dire des contractions à la fermeture et à l'ouverture du courant direct, aussi bien qu’à la fermeture et à l’ouverture du courant inverse 1. Jusqu'ici il n’a été question que des nerf mixtes. Quant aux nerfs m0- teurs et aux nerfs sensitifs, nous ne possédons sur ce point que les résul- tats obtenus par MM. Matteucei et Longet, à l’aide du courant de la pile ordinaire appliqué sur les racines antérieures et sur les racines posté- rieures des nerfs rachidiens. Les expérimentateurs, il est vrai, ont négligé les effets multiples du commencement des expériences (effets qui dépen- dent surtout de l’énergie du courant employé), pour ne tenir compte que des effets qui se manifestent au bout de quelque temps lorsque, suivant leur expression, le système nerveux est pour ainsi dire déchargé. Pour ‘ M. Nobili a publié sur ce sujet un mémoire bien connu des physiciens et des physiolo- gistes. Il faisait usage d’une pile au moins équivalente, pour l’énergie, à cinquante des cou- ples de la pile de M. Regnauld. Les faits observés par lui et par ceux qui ont répété ses ex- périences dépendaient tres-probablement de la force excessive déployée des l’origine pour exciter les nerfs. M. Nobili partage en cinq périodes le degré d’excitabilité des nerfs sous l'influence du courant de la pile. ( Courant direct. Se 1re PÉRIODE. F t ai Contractions égales. | Courant inverse. L DR te C di Fermeture... Contraction. ppp El ( CHER EIERL. Ouverture .… Contraction. ( Courant inverse. ES s Ouverture ... Gontraclion. À Fermeture... Contraction. Courant direct. VRP RAT SALES bts Fermeture... 0. Me Ouverture ... Gontraction, Ouverture ..… Fermeture... Ouverture .., Fermeture... Ouverture ... Fermeture... Ouverture ,.. : Courant direct. 4° PÉRIODE, | Courant inverse. Courant direct. D® PÉRIODE, Courant inverse. : Fermeture... Contraction. SMS ESS Si s, CHAP. VIII. INNERVATION. 785 cette raison, leurs expériences ne manquent pas d'intérêt, mais elles au- raient besoin d’être reprises à l’aide de la pile graduée de M. Regnauld. MM. Matteucci et Longet, en faisant agir isolément le courant sur les racines motrices et sur les racines sensitives des nerfs (sur le cheval, le chien, le lapin, la grenouille), ont constaté que les phénomènes varient avec la direction du courant, suivant les racines en expérience. Lorsqu'on fait passer par les racines motrices un courant diet, la con- traction des muscles correspondants à la racine motrice en expérience n’a lieu qu’à la rupture du courant. Lorsqu'on fait passer par les racines motrices un courant enverse, la contraction des muscles n’a lieu qu’au mo- ment de l’éfabhissement du courant. Lorsqu'on fait passer le courant de la pile par les racines postérieures ou sensitives des nerfs, la sensibilité est mise en jeu au moment de la rupture du courant inverse. Elle n’est point mise en jeu au moment de l'interruption du courant direct. Dans les expériences de MM. Matteucci et Longet sur les racines pos- térieures, la sensibilité s’est manifestée au moment de l'établissement du courant, que celui-ci fût direct ou inverse. Nous ferons remarquer ici, qu’au moment où l’on applique les fils conducteurs de la pile, on ne peut se mettre en garde contre l’effet mécanique de l’aftouchement, lequel suflit pour éveiller la sensibilité de la racine. Notons que dans toutes ces expériences, comme dans toutes celles où l’on se sert du courant de la pile pour exciter le mouvement ou la sensibilité, les résultats obtenus sont d'autant plus marqués que l'é- cartement des deux pôles appliqués sur le nerf est plus grand, ou, en d’autres termes, que la portion de longueur de nerf comprise dans le courant est plus grande. Lorsque les deux pôles de la pile sont appli- qués, de chaque côté du nerf, aux deux extrémités d’une ligne qui cou- perait ce nerf perpendiculairement à sa longueur, les effets sont peu marqués ; il arrive même parfois qu'il ne se produit point de contraction dans les muscles quand on agit ainsi. Ce résultat, signalé par la plupart des observateurs, concorde avec les recherches et les déductions de M. du Bois-Reymond. Non-seulement les courants des piles hydro-électriques et des piles thermo-électriques ont été utilisés à la recherche des propriétés des nerfs, mais on a encore souvent fait usage des courants d’induction, quine sont en définitive qu'une succession rapide de courants interrompus. Ces cou- rants entraînent à chaque rupture et à chaque fermeture du courant im- ducteur (toujours doué d’une certaine énergie) une succession tellement rapide de contraction dans les museles où vont se porter les nerfs exci- tés, que ces organes sont, pendant tout le temps du passage du courant, dans un état de contraction permanente ou dans une sorte d'état tétani- que. Les courants d’induction sont précieux pour le physiologiste ; ils lui fournissent, il est vrai, un excitant plus puissant que le courant ordinaire DL] 786 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION, des piles, et à leur aide on est parvenu à découvrir dans les tissus des propriétés contractiles jusqu'alors considérées comme douteuses; mais ces courants sont par là même plus impropres encore que les courants hydro-électriques à l'analyse rigoureuse des propriétés des nerfs dans leurs rapports avec les courants électro-dynamiques f. MM. Eckhard, Pflüger, Rosenthal, ont cherché dans de nombreuses séries d'expériences à pousser plus loin l’étude des propriétés incito-mo- trices des nerfs dans leurs rapports avec les courants électro-dynami- ques. Nous répéterons ce que nous avons dit précédemment, à savoir que les résultats de ces expériences n'auront réellement toute leur valeur que quand on aura gradué rigoureusement la dose d'électricité (en d’au- tres termes la quantité de force électro-motrice) employée. Nous trans- crirons néanmoins ici les résultats de ces expériences, curieux sous plus d’un rapport. On découvre un nerf et on comprend un segment plus ou moins étendu de ce nerf dans le courant d'une pile de force moyenne. Le muscle dans lequel se distribue le nerf se contracte au moment où le courant vient à être fermé; puis, pendant tout le temps que le courant passe dans le nerf, le muscle reste au repos. C’est là le fait connu et dont nous avons parlé. Mais de plus, dit M. Eckhard, pendant tout le temps que dure le passage du courant dans le nerf, l'excitation du nerf sur un autre point de son parcours (au-dessus ou au-dessous) n’est plus capable de faire en- trer en contraction le musele dans lequel il répand ses filets. M. Pflüger objecte que le résultat annoncé tient à ce que M. Eckhard s’est servi dans ses expériences d’un courant trop fort; que si, au contraire, on emploie un courant faible, l’excitabilité du nerf, bien loin d’être Il n'est question dans ce chapitre que des applications immédiates de l'électricité sur le tissu nerveux lui-méme. C'est seulement ainsi que, au point de vue physiologique, on peut se former, relativement à l'influence des courants électriques et aux rapports de ces courants avec les courants nerveux, des idées justes et précises. Maïs on peut encore éveiller la sensi- bilité et le pouvoir incito-moteur des xerfs, en appliquant l'électricité dans des points plus ou moins distants des nerfs, à la surface tégumentaire, par exemple. Ces expériences ont sur- tout été tentées dans un but thérapeutique. Les appareils dans lesquels l’électricite se trouve à l'état stalique ou de lension sont ceux qui déterminent sur le système nerveux les effets de commotion les plus énergiques. L’électricité accumulée sur des conducteurs et à un élat de forte tension traverse facilement les tissus et généralise plus aisément ses effets. Aussi, toutes les fois qu'on veut agir sur l’ensemble du système nerveux, a-t-on recours à là machine élec- trique ou à la bouteille de Leyde. Les appareils d'électricité dynamique, tels que les divers appareils d'induction, sont préférables quand il s’agit de faire des applications localisées. L'application du courant, indépendamment des effets de sensibilité, éveille la contractilité du tissu musculaire sous-jacent, et comme les tissus qui recouvrent les nerfs sont aussi bons si ce n'est meilleurs conducteurs de l'électricité que les nerfs eux-mêmes, le courant se transmet aux branches nerveuses voisines par l'intermédiaire des tissus ambiants (peau et muscles). Il s'ensuit que la contraction, qui ne se manifeste qu'entre les deux points touchés par les électrodes, quand le courant est faible, se généralise au contraire aux muscles voisins ou éloignés, animés par le nerf ou les nerfs compris dans le courant d'induction, quand celui- ci a une fension suffisante, CHAP, VII. INNERVATION, 787 anéantie ou même amoindrie par le passage du courant, est au contraire augmentée. Ceci, pour le dire en passant, prouve bien la nécessité de se servir dans toutes les expériences de ce genre de courants d'une com- mune mesure. M. Rosenthal, qui (après MM. Eckhard et Pflüger) a cherché quelle in- fluence le courant direct et le courant inverse d’une pile faible exercent sur un nerf lorsqu'ils le traversent pendant un certain temps, formule ainsi ses conclusions en forme de loi : Tout courant constant, qui traverse pendant un certain temps un nerf, place ce nerf dans des conditions telles que son pouvoir incito-moteur est augmenté pour l’ouverture d’un cou- rant semblable à celui qui agit et pour la fermeture d’un courant de sens opposé; le pouvoir incito-moteur du nerf en expérience est au contraire diminué pour la fermeture du premier et pour l'ouverture du second. Ces phénomènes tendent à établir entre l’action nerveuse et l’action électrique une analogie de plus. Mais indépendamment des différences déjà signalées entre ces deux agents, en voici une autre qui n’est pas moins remarquable. S 349. Vitesse de transmission des courants nerveux.— Cette transmission, si on l’envisage dans ses rapports avec celle de l'électricité, est infini- ment plus lente. Il semble que les changements moléculaires des filets nerveux aient besoin d’un certain temps pour se produire. M. Helmholtz a fait le premier sur €e sujet un grand nombre d'expériences sur les gre- nouilles. L'appareil employé par M. Helmhol{z est très-simple et très-in- sénieux. Il consisté en une pile dans le circuit métallique de laquelle est compris un galvanomètre. La durée des oscillations de l'aiguille est cal- culée par avance. Üñe patte de grenouille est introduite dans le circuit, et tellement disposée, que le plus faible raccourcissement de la patte, amené par la contraction de ses muscles, produit la rupture du courant entre la pile et le galvanomètre. À l’aide d’un artifice mécanique, l’exci- tation du nerf de la patte est simultanée avec la fermeture du courant du salvanomètre. La patte se contracte et le courant se rompt. Le chemin parcouru par l’aiguille du galvanomètre, au moment de la rupture, in- dique le temps employé par le courant nerveux pour amener la contrac- tion du muscle, En procédant ainsi, M. Helmholtz a reconnu que la vitesse du courant nerveux était d'environ 32 mètres par seconde 1. M. Valentin a dernièrement répété les expériences de M. Helmhol{z, à l'aide d’un appareil d’une grande précision, et fondé sur les mêmes prin- 1 La vitesse de l'électricité est, d'apres les évaluations de M. Wheatstone et celles de M. Fi- zeau, à peu pres la même que celle de la lumière, c’est à-dire de plus de 500,000 kilomètres {ou 500 millions de metres) par seconde. La vitesse des courants nerveux sur leurs conduc- teurs (nerfs) serait donc environ seize millions de fois moins rapide que celle des courants électriques sur les conducteurs de nos machines, 788 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. cipes. Cet appareil consiste essentiellement en un chronomètre à deux ca- drans. Ce chronomètre est mis en marche par un mouvement d’horloge- rie. L’aiguille du premier cadran exécute un tour complet en 10 secondes; ce cadran étant divisé en 100 degrés, chaque degré correspond à 4/10 de seconde. L’aiguille du second cadran exécute une révolution complète pen- dant que celle du premier parcourt 1 degré; et comme ce deuxième ca- dran est divisé aussi en 100 parties, chaque degré correspond ici à 4/1000 de seconde. L’aiguille du premier cadran se meut librement; mais la marche de l'aiguille du second cadran peut être momentanément suspendue sous l'influence d’un électro aimant, lorsqu'un courant voltaïque, convenable- ment dirigé, parcourt l’hélice métallique qui entoure la masse métallique de l’électro-aimant,. Geci posé, voici comment on procède à l’expérience. On prend une patte de grenouille, dont on ne conserve que la masse musculaire du mollet m (Voy. fig. 187), le nerf sciatique, le tendon d’Achille et un fragment d'os. Fig. 187. On suspend la patte de grenouille sur un montant en bois, à l’aide du fragment d'os », et on adapte à l'extrémité inférieure du tendon d’Achille un petit cylindre composé d’une matière isolante (ivoire), terminé infé- rieurement par une pointe métallique g. Cette pointe métallique affleure une lame métallique 4, convenablement maintenue au contact de g par des vis et par un ressort (de telle manière que le plus faible raccourcisse- ment du musele »m, même un raccourcissement de 1/10 de millimètre, en- traine la rupture du contact entre g et k). En examinant la figure 487, on voit que le courant de la grande pile P courant fort) peut circuler le long d’un conducteur métallique fermé, sui- vant cabdefghlz. Ce courant est destiné à transformer la petite masse de fer # en électro-aimant, et à suspendre pendant sa durée la marche de Paiguille du deuxième cadran, au mécanisme duquel elle est annexée. Le CHAP, VII, INNERVATION, 718) courant de la petite pile P' (courant faible) est destiné au nerf x, dont l'excitation sera suivie de la contraction du muscle #. Le courant de la pile P'peut suivre deux directions. Il peut se diriger soit dans la direction c'orz, soit dans la direction c's u x t r z'. Comme ce courant est très- faible, il a bien plus de tendance à suivre la première direction que la se- conde. En effet, dans la première direction, tout le circuit est métallique, tandis que dans la seconde il rencontre la résistance du fragment du nerf (u æ) mterposé. Aussi, quand les courants sont disposés comme ils le sont dans la figure, le courant passe tout entier par c'orz';il ne suivra la di- rection c'suztrz que quand on viendra à rompre la communication du fil métallique 0 avec le point r. L'expérience consiste précisément dans la rupture du contact r. L’ex- périmentateur rompt la communication de o avec r à l’aide d’un méca- nisme particulier, qui lui permet de noter sur le chronomètre le moment précis de la rupture. Le courant de la pile P'passe immédiatement par le segment de nerf # x ; il se développe dans le nerf n un courant nerveux, le muscle »# se contracte, le contact g k est rompu (par la contraction du muscle), le courant de la grande pile P cesse de passer, le cylindre de fer doux 4 perd son aimantation, et l’aiguille du second cadran commence à se mouvoir. Au moment où l’expérimentateur a rompu le contact o r, une petite sphère métallique, convenablement disposée (et qui n’est point re- présentée sur la figure), s'échappe et tombe d’une certaine hauteur. Au moment où la sphère métallique tombe en 7, le circuit métallique de la grande pile P se trouve fermé par elle, suivant ç a b dy y z; le cylindre de fer doux 4 devient de nouveau un aimant, et l’aiguille du second ca- dran s’arrête. Une série d'expériences préliminaires avait fait connaître la durée de chute de la sphère métallique. Le temps que le courant nerveux a employé pour parcourir le fragment de nerf et amener la contraction musculaire peut donc être facilement calculé : il est égal à la durée de chute de la sphère métallique diminuée de la fraction de temps pendant laquelle l’aï- guille du second cadran du chronomètre s’est mue. Or, cette dernière frac- tion de temps est fournie par l'instrument lui-même, car elle correspond au point où l’aiguille du second cadran s’est arrêtée. Les résultats de M. Valentin concordent d’une manière complète avec ceux de M. Helmholtz. Certains phénomènes, sur lesquels nous avons déjà appelé l'attention dans l’histoire des sensations, et en particulier dans celle de la vue et de l’ouie, peuvent au reste conduire à des résultats analogues, et prouver aussi que les courants nerveux sont relativement assez lents. En effet, si le bruit produit par les chocs successifs des dents d’une roue contre une languette métallique se transforme, pour l'oreille, en un son continu, quand le nombre des chocs est de 32 par seconde, cela tient sans doute a ce que le temps qu'il faut à l'impression, pour cheminer de l'oreille au 190 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. centre de perception par le nerf acoustique, est plus considérable que lin- tervalle compris entre deux chocs successifs. Lorsqu'un pianiste exécute sur son instrument une cadence aussi rapide que sa volonté peut le lui permettre, il ne dépasse pas dix chocs par seconde. Chaque mouvement du doigt se compose de deux temps; il faut, en effet, que les extenseurs le relèvent et que les fléchisseurs labaissent. Les nerfs transmettent ici l'excitation motrice du centre à la périphérie vingt fois par seconde, par des conducteurs nerveux, dont on peut évaluer la longueur à 1 mètre. On pourrait donc estimer ici la vitesse du courant nerveux à 20 mètres par seconde, si la contraction musculaire s’opérait instantanément sous l’in- fluence de l’excitant, et s’il n’y avait un certain temps de consommé pour qu’elle puisse se produire. Lorsqu'on applique la pulpe du doigt sur la circonférence d'une roue dentée, ou peut sentir les inégalités de la roue jusqu'au moment où il passe environ 80 dents sous le doigt par seconde. La vitesse de l'impression, qui chemine du doigt à l’encéphale, est donc ici de 1/80 de seconde, pour une longueur de 4 mètre (distance du doigt à l’encéphale), ou de 80 mètres par seconde. De tout ceci, on peut conclure que si la véritable valeur de la vitesse du courant nerveux n’est pas rigoureusement déterminée par expérience chez l'homme vivant, il n’en est pas moins vrai que cette vitesse est infiniment moins considérable que celle de l'électricité ou de la lumière. à S 350. Des poissons électriques !. — Quelques poissons présentent, sur divers points du corps, des appareils particuliers, qui offrent une certaine res- semblance avec des piles voltaïques. A l’aide de ces appareils, les pois- sons électriques peuvent, lorsqu'ils sont touchés, ou même spontanément, donner naissance à des décharges qui offrent, ayec celles de nos ma- chines, une remarquable analogie. Les conducteurs métalliques, placés en contact avec leurs corps, transmettent l’action électrique comme les conducteurs de nos appareils. Les corps non conducteurs interceptent cette action. On peut même faire briller l’étincelle électrique, lorsqu'on fait passer la décharge de la torpille ou celle du gymnote par des circuits métalliques interrompus. Enfin, le courant qui traverse les fils métalliques conducteurs (mis en rapport convenable avec les organes électriques de 1 Alors que la bouteille de Leyde et le courant dynamique de la pile n’étaient pas connus, on nommait les poissons électriques poissons {rembleurs. On supposait que la commotion qu'ils faisaient éprouver était causée par des vibrations rapides analogues à celles des corps sonores en vibration. On sent combien cette explication était peu satisfaisante. Les poissons électriques sont : les {orpilles (torpedo Risso, torpedo unimaculata, torpedo marmorata, torpedo Galvanii), le silure (silurus electricus), le gymnote (gymnotus electri- cus), le tetraodon electricus, le trichiurus electricus. Dans ces dernières années, on a découvert les propriétés électriques dans d’autres poissons encore, qui sont : gymnaschus niloticus, mormyrus longipinnis, mormyrus oxyrhynchus, mormyrus dorsalis. CHAP, VII. INNERVATION, 791 ‘ces poissons) peut produire tous les effets des courants électro-dynami- ques : il donne la commotion, il produit des élévations de température dans les fils, il aimante les aiguilles d’acier introduites dans les tours de spire des conducteurs. L'organe électrique des torpilles, placé de chaque côté du corps de l’a- nimal, est composé d’une série de colonnettes ou prismes dirigés perpen- diculairement, du dos de l’animal vers son ventre. Ces prismes, au nom- bre d’environ 500, dans chaque appareil, sont essentiellement composés de parties membraneuses et de liquides albumineux interposés. La partie membraneuse consiste dans une quantité considérable de petits dia- phragmes, ou lamelles superposées et empilées les unes sur les autres. Les lamelles sont en nombre considérable, car les prismes ayant 4 centi- mètres de hauteur contiennent de 4,500 à 2,000 diaphragmes. Ces petits diaphragmes, qui n’ont guère que 0,004 d'épaisseur, sont séparés les uns des autres par des espaces de 0,02 remplis par le liquide. Cet ap- pareil reçoit des nerfs qui, venant s'appliquer contre la surface inférieure des diaphragmes, baignent ainsi dans le liquide de l’espace situé au-des- sous d’eux. L'appareil électrique du gymnote (anguille de Surinam) a de l’analogie avec le précédent; il est placé aussi sur les côtés du corps de l’animal, mais ses dimensions sont beaucoup plus grandes, car il a environ 60 cen- timètres de longueur. En outre, les diaphragmes adossés dans les séries de pyramides n’ont point leurs surfaces disposées comme ceux de la tor- pille; ces lamelles sont perpendiculaires à la direction du corps, de sorte que l’une de leurs surfaces regarde la tête et l’autre la queue. Aussi, tan- dis que dans la torpille le courant est dirigé de la surface dorsale à la sur- face ventrale, dans le gymnote le courant est dirigé de la tête à la queue. En d’autres termes, l'extrémité dorsale des pyramides de l’appareil de la torpille représente le pôle positif, tandis que dans le gymnote ce pôle correspond à l’extrémité céphalique de l’organe. Il y a, de chaque côté du corps du gymnote, environ quarante-huit sé- ries de diaphragmes. Chaque série contient environ 4,000 diaphragmes sur lesquels sont appliqués des filets nerveux ; ces diaphragmes sont éga- lement séparés par des espaces remplis de liquide. ‘ Les diaphragmes de l’appareil du gymnote sont plus compliqués que ceux de la torpille. M. Pacini, qui a étudié dernièrement ces organes avec beaucoup de soin, à reconnu qu'ils étaient formés de deux parties super- posées : l’une qu'il appelle corps cellulaire, et l’autre, très-fine, qu'il ap- pelle lamelle fibrillaire. Ces deux éléments membraneux sont aussi séparés l’un de l’autre par un liquide. M. Pacini, qui cherche à établir la ressem- blance de ces organes avec des piles, compare la membrane fbrillaire à la cloison de porcelaine poreuse qui sépare les deux liquides en réaction dans la pile de Bunsen. : L'organe électrique du mormyrus longipinnis, dernièrement décrit par 792 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, M. Külliker, est analogue aux précédents; il est formé par quaire séries de diaphragmes placés longitudinalement sur les côtés de la queue, deux de chaque côté. Chacune de ces séries est composée de 140 à 150 dia- phragmes, séparés les uns des autres par des intervalles de O®®,1 remplis d’un liquide albumineux. L'organe électrique du silure a été étudié par M. Pacini. Il présente des caractères particuliers qui le distinguent des précédents; il n’est point formé de séries parallèles et symétriques. Il se compose de plans mem- braneux entre-croisés dans toutes les directions, et formant par leurs en- tre-croisements des alvéoles octaédriques d’une capacité d’environ 4 mil- limètre cube, et remplis d’un liquide albumineux. En outre, cet organe forme une masse alvéolaire, qui enveloppe éout le corps de l'animal, moins les nageoires et l'extrémité du museau. Il s’ensuit que l’animal est plongé dans son organe électrique comme dans un sac. Le silure étant compléte- ment enveloppé par son organe électrique, le courant de décharge n’a pas de direction déterminée; il peut sortir d’un point quelconque de sa surface. Dans le silure il y a une masse abondante de tissu adipeux, qui forme une couche continue interposée entre l'appareil électrique et le corps de l'animal. Le silure, entouré d’un tissu mauvais conducteur, se trouve ainsi isolé au milieu de son appareil. Les autres poissons électriques, dont l’ap- pareil est placé de chaque côté du corps, ne présentent point de masses analogues de tissu adipeux, parce que la direction du courant a une ten- dance naturelle, au moment de la décharge, à compléter son circuit au iravers de l’appareil lui-même, comme dans les piles dont on metles pôles en rapport; tandis que, au contraire, dans le silure, enveloppé de toutes parts par l'appareil, le courant aurait, à chaque décharge, traversé le corps de l’animal par le chemin le plus court. Ce qu'il y a de bien remarquable dans tous les poissons dont nous ve- nons de parler, c’est que la décharge de lorgane électrique est volontaire. On peut toucher impunément un poisson électrique, même en mettant en rapport les deux pôles opposés de l’organe électrique, sans ressentir au- cune commotion ; mais si on vient à irriter l’animal, la décharge peut se produire et,se répéter à chaque irritation. Nos appareils électriques ne nous offrent rien de semblable. Si nous touchons un réservoir où se trouve accumulée de l'électricité à l’état de tension, la décharge a lieu au moment même du contact. D'un autre côté, si nous établissons la communication entre les deux pôles d’un appareil électro-dynamique,le passage du courant s'opère d’une manière continue. Au bout de quelque temps, et à la suite de commotions répétées, la dé- charge des poissons devient de plus en plus faible, ce qui prouve que lé- lectricité fournie par l’appareil ne se produit pas instantanément, et qu'il lui faut un certain temps pour s’y accumuler. Après plusieurs heures de repos, le courant a repris toute sa force. Il est donc vraisemblable que l’électricité renfermée dans l'appareil électrique des poissons s’y trouve à CHAP, VIII. INNERVATION, 795 l’état de tension ou à l’état sfatique. Mais il reste toujours à démontrer pourquoi l'électricité accumulée dans lappareil ne se reconstitue pas né- cessairement, quand on établit la communication entre le pôle positif et le pôle négatif de l’organe, et comment le système nerveux, qui est en communication avec lui, par des nerfs volumineux, pour lui donner ou lui retirer cette propriété. Parmi les faits jusqu’à présent connus de l’élec- tricité, c’est le magnétisme qui offre le plus d’analogie avec ce phéno- mène singulier. Sur un aimant, en effet, l'électricité se trouve accumulée aux deux pôles et s’y maintient à l’état statique, tant que l’aimant est en repos. On a beau joindre les deux pôles de l’aimant à l’aide de conduc- teurs métalliques, ceux-ci n’accusent le passage d’aucun courant, et ne déterminent aucune commotion. Il n’en est plus de même lorsque aimant est mû par un mouvement rapide : son électricité passe alors immédiate- ment à l’état dynamique; elle détermine des courants dans les conduc- teurs convenablement placés, et elle excite des commotions, etc. Il est remarquable que lorsque le poisson lance sa décharge, sous l’in- tluence des nerfs qui vont se porter à l’organe électrique, les nerfs agis- sent par action centrifuge, exactement comme quand ils déterminent la contraction des muscles. L'appareil électrique des poissons est un appareil spécial, qui n’a point son analogue dans les animaux vertébrés. Cet appareil, qui sert aux pois- sons de moyen d'attaque ou de défense, est, il est vrai, sous l'influence du système nerveux ; mais il n’est pas le système nerveux lui-même. On n’a jamais observé de phénomènes analogues à ceux des poissons élec- tiques sur les animaux vertébrés, dépourvus d’un organe électrique spé- cial. Le rôle du système nerveux, dans ses rapports avec l'organe élec- trique des poissons, paraît consister à mettre cet appareil dans les conditions nécessaires pour que l'électricité développée par les phéno- mènes chimiques de la nutrition se maintienne en ce point à l’état de séparation, et ne se recombine pas sur place, comme cela a lieu dans la trame de tous les tissus (Voy. $$S 225 et 226). Lorsque les nerfs qui se rendent à l'organe électrique sont divisés, ou lorsque le lobe nerveux d’où ces nerfs se détachent est enlevé (ce lobe est placé à la partie supérieure de la moelle, où il forme un renflement qu’on peut comparer aux olives du bulbe rachidien), l'organe électrique perd promptement ses propriétés, & 351. influence du système nerveux sur les fonctions de nutrition, — Les fonctions de nutrition, c’est-à-dire celles de respiration, d'absorption, de sécrétion, etc., se rencontrent dans tous les êtres organisés; elles sont communes aux animaux et aux végétaux. Ce qui distingue essentiellement les animaux des végétaux, c’est le mouvement et la sensibilité. Le système nerveux est propre aux animaux. Il tient sous sa dépendance les organes du mouvement; c’est le système nerveux qui anime les muscles, et leur 794 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, permet de mouvoir les parties solides sur lesquelles ils se fixent; c’est Ini qui donne la sensibilité aux organes, et établit ainsi entre l’animal et le monde extérieur les rapports les plus variés. Mais le système nerveux est-il sans influence sur les fonctions de nutrition? La plante immobile sur le sol où elle a pris racine absorbe, respire, sécrète et se nourrit sans intermédiaire d’un système organique analogue au système nerveux. L'animal qui naît prend naissance aux dépens d’un blastème originaire uniforme ; les tissus se développent et s’accroissent alors que le système nerveux n'existe pas encore, et ce système lui-même se développe et s’accroit comme eux. Sur l’animal et sur l’homme, arri- vés à leur complet développement, la suppression ou la section des nerfs d’une partie, d’un membre, par exemple, qui entraine dans ce membre la paralysie de la sensibilité et celle du mouvement, n’entraine pas né- cessairement la suspension des phénomènes de la nutrition, et le membre, quoique séparé de ses liens avec le système nerveux, continue encore à vivre. Ce n’est pas à dire pourtant que le système nerveux soit sans influence sur les fonctions de nutrition. Les fonctions les plus essentielles de la vie organique sont accompagnées de mouvements chez l'animal. La respira- tion et la circulation en particulier ne sont possibles qu'autant que le jeu des puissances musculaires, qui agrandissent la cage thoracique, sont dans leur état d’intégrité. Il suflit de léser sur l’animal vivant certains points du système nerveux pour entraîner la cessation des mouvements de la poitrine, et pour amener immédiatement la mort. La cessation des mouvements de l'estomac, de ceux des intestins, entraine pareillement, en peu de temps, des désordres graves dans la digestion. Les lésions de l’axe cérébro-spinal retentissent promptement sur les mouvements du cœur, et amènent une profonde perturbation dans la circulation, ou même sa cessation quand elles sont très-étendues, etc. En dehors de l'influence exercée par le système nerveux sur les mou- vements des organes dans l’accomplissement des fonctions de nutrition, l’expérience démontre que les sécrétions sont plus ou moins modifiées (Vay. $ 172) lorsque les nerfs qui se rendent aux organes sécréteurs sont divisés. La nutrition elle-même (tout au moins celle des tissus dans lesquels le mouvement nutritif est actif) est manifestement, à un cer- tain degré, sous la dépendance des nerfs. (Voy., pour plus de détails, S 371.) Il y a des animaux qui, placés aux degrés inférieurs de l'échelle zoolo- gique, ne présentent point de système nerveux distinct, et qui, cependant, vivent et se nourrissent. On n’en tirera pas la conclusion que le système nerveux est étranger aux fonctions de nutrition chez les animaux supé- rieurs pourvus de ce système. Les animaux inférieurs dont nous parlons, en effet, présentent des mouvements manifestes; ils sont composés d’un tissu homogène et contractile : en tirera-t-on la conclusion que le système CHAP. VIII. INNERVATION, 195 nerveux, qui fait ici défaut, est étranger aux mouvements des muscles dans les animaux supérieurs ? SECTION II. Propriétés des diverses parties du système nerveux, ARTICLE I. DES NERFS. & 352. Nerfs rachidiens. — Nerfs erâniens. — Les nerfs qui se détachent de l'axe cérébro-rachidien ont été divisés par les anatomistes en nerfs rachi- diens et en nerfs crâniens, c’est-à-dire en nerfs qui se détachent du cen- tre nerveux contenu dans le rachis, et en nerfs qui se détachent du cen- tre nerveux renfermé dans la boîte crâänienne. Cette division n’est pas seulement anatomique, elle est encore physiologique. Tandis que tous les nerfs rachidiens se comportent de même, et naissent par deux ordres de racines ayant des propriétés spéciales, les nerfs crâniens n'ont, pour la plupart, qu’une origine simple ou une seule racine ; ceux qui naissent par deux ordres de racines, et qui se rapprochent ainsi des nerfs rachi- diens, offrent d’ailleurs dans leur distribution ultérieure des caractères propres que ne présentent point les nerfs rachidiens. Les nerfs rachidiens, au nombre de 31 paires (8 cervicales, 12 dorsales, 5 lombaires, 6 sacrées), après s’être détachés de la moelle par deux or- dres de racines (Voy. fig. 175 et 176), l’une antérieure, l’autre postérieure, convergent vers le trou de conjugaison, et se réunissent bientôt en un tronc commun. Les racines d’origme du nerf ont à peine mélangé leurs filets en un tronc commun, que ce tronc se divise à sa sortie du trou de conjugaison en deux branches terminales, lesquelles contiennent à la fois des filets sensitifs et des filets moteurs. Les nerfs rachidiens, à leur sortie du trou de conjugaison, sont donc des nerfs mixtes. Les nerfs rachidiens, peu après leur réunion en un tronc commun, se divisent en deux branches qui divergent à la sortie du trou de conjugai- son. L'une des branches se porte en avant, l’autre en arrière. Les branches postérieures se portent dans les muscles postérieurs du tronc et dans la peau de cette région. Les branches antérieures se portent dans les muscles et dans la peau de la partie antérieure du tronc et forment les plexus cervicaux, brachiaux, lombaires et sacrés qui alimentent les mus- cles et la peau du cou, des membres supérieurs et des membres in- férieurs. Les nerfs rachidiens président à la contraction des muscles du tronc et des membres ; ils donnent aux muscles la sensibilité obscure qu'ils pré- sentent; ce sont eux enfin qui donnent à la peau du tronc, à celle des membres et à celle de la partie postérieure de la tête, la sensibilité tactile 796 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. qui lui est propre. Le segment antérieur de la tête recoit ses filets sensi- üifs d’un nerf crânien (le nerf de la cinquième paire, ou trijumeau). Les nerfs créniens naissent dans des points variés de l’encéphale, et sortent par les trous de la base du crâne. Il y a douze paires de nerfs crà- niens (classification de Sœmmering), qui sont : 1° les nerfs olfactifs; 2% les nerfs optiques; 3° les nerfs mofeurs oculaires communs ; 4° les nerfs pathétiques ; 5° les nerfs trijumeauz ; 6° les nerfs moteurs oculaires externes ; 1° les nerfs faciaux; 8° les nerfs auditifs ; 9° les nerfs glossopharyngiens ; 10° les nerfs pneumogastriques ; 11° les nerfs spinaux ; 12° les nerfs hy- poglosses. Les nerfs olfactif, optique et acoustique nous ont déjà occupé (Voy. $S 320, 299, 314), dans l’étude des sensations. Nous avons vu que l’exci- tation mécanique, chimique ou galvanique éveille en eux la sensation qui leur est propre. Ils agissent alors comme conducteurs, à la manière des autres nerfs; ils reportent dans les points de l’encéphale où ils se terminent l'impression reçue à leur extrémité périphérique, et c’est dans l’encéphale lui-même que l'impression devient lumière, son, etc. Lorsqu'un de ces nerfs est détruit sur un point quelconque de son trajet intracrânien, la sensation disparait. La portion du nerf qui reste adhérente à l'organe de sens, et qui est séparée de l’encéphale, a perdu ses propriétés conduc- trices. Le point réel de l’encéphale où vont se terminer les nerfs olfactifs n'est pas très-bien connu *. On ne peut guère poursuivre les racines de ce nerf au delà de la partie postérieure du lobe antérieur du cerveau, dans le fond de la scissure de Sylvius. Le nerf optique parait se terminer dans les tubercules quadrijumeaux (Voy. $ 369). Le nerf auditif parait se ter- miner au bulbe rachidien, dans l’épaisseur de la substance grise placée à la face postérieure du bulbe. Le siége encéphalique des divers organes des sens n’est donc pas encore suftisamment déterminé. S 353. Nerf moteur oculaire commun, — Ce nerf se détache des pédoncules cérébraux à l’endroit où les pédoncules sortent de la protubérance annu- laire. L'origine de ce nerf a lieu sur l’étage inférieur des pédoncules cé- rébraux. Le nerf moteur oculaire commun va se distribuer à tous les muscles de l’œil, sauf le droit externe et le grand oblique, c’est-à-dire qu'il donne le mouvement au droit supérieur, au droit inférieur, au droit interne, au muscle petit oblique et au releveur de la paupière supérieure ; de plus, il fournit au ganglion ophthalmique ce qu'on appelle sa courte 1 L'origine des nerfs, aux points où ils se séparent des centres nerveux, ne représente que leur origine apparente. Les tubes nerveux primitifs (Voy. $ 339) qui entrent dans la compo- sition des nerfs entrant aussi dans la composition des centres nerveux, il y a continuité du uerf au centre nerveux. On peut donc suivre, plus ou moins profondément, les fibres d’un nerf dans le centre nerveux lui-même. C’est ce qu’on appelle poursuivre son origine réelle. C’est une recherche difficile, attendu le peu de consistance de la substance nerveuse, CHAP. VIIL, INNERVATION, 197 racine. Cette racine, après avoir traversé le ganglion, donne naissance aux nerfs ciliaires qui vont à l'iris. C’est à ces nerfs que l'iris doit de pou- voir diminuer l’ouverture de la pupille : ils président à la contraction du sphincter irien. Lorsque le nerf moteur oculaire commun est coupé sur les animaux, ou lorsqu'il est détruit ou comprimé par des tumeurs sur le vivant, on voit survenir la paralysie des muscles de l'œil et la dilatation permanente de la pupille. La paralysie des muscles dans lesquels se distribue le nerf moteur ocu- laire commun se traduit à l'extérieur par un prolapsus de la paupière su- périeure, dû à la paralysie du muscle releveur de la paupière supérieure; il s’ensuit aussi un strabisme externe. Le strabisme externe s’explique ai- sément par la paralysie du muscle droit interne et par la persistance de la tonicité (Voy. S 227) dans le muscle droit externe resté intact. On a quelquefois signalé exceptionnellement des rameaux nerveux du nerf moteur oculaire commun, qui se rendaient dans le droit erterne et dans le grand oblique. Dans l'appréciation symptomatique de la lésion nerveuse, le prolapsus dé la paupière supérieure et la dilatation de la pu- pille devront donc passer avant le strabisme. Le nerf moteur oculaire commun est un nerf de mouvement. Mais ne contient-il que des filets moteurs, et ne renferme-t-il pas quelques filets de sensibilité ? Lorsqu'on excite le nerf moteur oculaire commun sur les animaux, dans la cavité orbitaire, les animaux accusent de la douleur; le nerf est légè- rement sensible. Cette sensibilité est-elle empruntée au nerf ophthalmique dans le trajet intracrânien, le long du sinus caverneux, ainsi que le pense M. Longet, ou bien est-elle due à une petite proportion de fibres sensitives destinées à la sensibilité musculaire? C’est ce qui n’est pas par- faitement déterminé. Les recherches de MM. Jacubowitsch et Owsjanni- kof® sur l’origine réelle des nerfs encéphaliques s'accorde mieux avee la dernière supposition. Chez l'animal récemment tué, il est facile de montrer l'influence n10- trice de ce nerf sur les muscles de l’œil; il suffit d’exciter le nerf avec une pince ou avec les pôles d’une pile pour exciter des contractions dans tous ces muscles, et aussi dans l'iris. Les expérimentateurs (M. Nuhn en particulier) ont constaté pareille- ment sur l’homme décapité que l'excitation du nerf moteur oculaire com- mun entraîne la contraction de la pupille. Nerf pathétique, — Ce nerf a son origine apparente en arrière des tu- bercules quadrijumeaux, sur les côtés de la valvule de Vieussens. Le nerf pathétique est destiné à un seul muscle de l’œil, le muscle grand oblique. Lorsqu'on vient à exciter ce nerf dans l’intérieur du crâne, sur un animal récemment tué, on aperçoit sur le globe oculaire un léger 798 LIVRE I. FONCTIONS DE RELATION, mouvement de rotation de dehors en dedans ; et, lorsque la voûte osseuse de l'orbite est enlevée, on constate directement que ces mouvements sont déterminés par les contractions du muscle grand oblique. 8 358. Nerf trijumeau (ou trifacial, ou de la cinquième paire). — Le nerf ijumeau naît de l’encéphale par deux racines. Il offre, sous ce rapport, avec les nerfs rachidiens une certaine analogie. L'une de ces racines est, en effet, une racine sensitive, et l’autre une racine motrice. Ces deux ra- cines ont leur origine apparente au même point, sur les côtés de la pro- tubérance annulaire, là où les fibres transversales de la protubérance prennent le nom de pédoncules cérébelleux moyens. L'expérience a prouvé, de la manière la plus certaine, que la petite ra- cime de ce nerf est une racine motrice, tandis que la grosse racine est une racine sensitive. La grosse racine, ou racine sensitive, présente, comme les racines postérieures des nerfs rachidiens, un renflement ganglionnaire peu après son origine. Ce renflement est contiu sous le nom de ganglion de Gasser. La réunion de la portion sensitive du nerf trijuméeau avec si portion motrice n’a lieu qu'au delà du ganglion, comme pour les nerfs ra- chidiens. Mais ce qui établit entre les nerfs rachidiens et le nerf triju- meau une différence essentielle, c’est que la portion ganglionnaire où sen- sitive du nerf trifacial ne se réunit pas entièrement à la portion fon ganglionnaire pour former un nerf mixte. Loin de là, il n’y à qu’une fai- ble partie de la portion ganglionnaire du nerf qui se réunisse à la portion non ganglionnaire pour former la branche #mazillaire inférieure. Les deux branches supérieures du nerf de la cinquième paire sont exclusivement fournies par la racine sensitive : ce sont la branche ophthalmique et la branche maxillaire supérieure. Les branches ophthalmique et maxillaire supérieure sont donc des nerfs sensitifs, tandis que la branche maxillaire inférieure est un nerf mixte. Le nerf de la cinquième paire donne, par sa branche supérieure (oph- thalmique), la sensibilité au globe oculaire, à la conjonctive, à la mu- queuse nasale et à ses sinus, à la peau du front jusqu’à la partie supé- rieure de la tête, à la paupière supérieure, à la partie supérieure du nez. Par sa branche moyenne (maxillaire supérieure), il donne la sensibilité à la muqueuse nasale , à la trompe d’Eustache , à la partie supérieure du pharyux, au voile du palais, à la voûte palatine, aux gencives, aux denis, à la paupière inférieure, à la partie inférieure du nez, aux joues jusqu'aux lèvres. La branche inférieure du nerf de la cinquième paire (nerf maxil- laire inférieur) donne la sensibilité à la peau des tempes, à une partie de l'oreille externe, à la partie inférieure du visage, à la lèvre inférieure, au plancher inférieur de la bouche, aux deux tiers antérieurs de la langue. Cette branche donne le mouvement, par ses filets nerveux, aux muscles temporaux, masséters, ptérygoïdiens externes et internes, ventres anté- CHAP, VII. INNERVATION. 799 rieurs des digastriques, mylo-hyoïdiens, Fig. _188. tenseurs du palais (péristaphylins ex- ternes). En résumé, la cinquième paire donne la sensibilité à presque tous les téguments cutanés et muqueux de la tête (Voy. fig. 188). Elle donne le mouve- ment à un groupe de muscles qui agis- sent pendant la mastication. On peut exciter directement le nerf de la cinquième paire dans l’intérieur du crâne, après avoir soulevé le cerveau avec précaution; on constate ainsi que la portion ganglionnaire est douée d’une vive sensibilité. La section intracrânienne du tronc $ . a 4 1, distribution cutanée de la branche oph- entier de la cinquième paire, au moment res deson passage sur le sommet du rocher, 2, distribution cutanée dé la branche maxil- god __ laire supérieure. entraîne immédiatement l’abolition de 3,9, distribution cutanée de la branche maxil- rie 4 | laire inférieure. la sensibilité de toutes les parties que » distribulion cutanée des branches anté- / £ rieures des nerfs cervicaux. nous venons de signaler, et la paralysie 5, des muscles auxquels il donne des filets. = ot , distribution cutanée des branches posté- rieures des nerfs cervicaux. La section intracrânienne du nerf de la cinquième paire s’opère à l’aide d’un petit instrument très-délié, qu’on introduit en avant du con- duit auditif externe, en perforant l’os temporal, après avoir mesuré par avance, dans le crâne ouvert d’un animal de même espèce, la profondeur à laquelle il faut faire pénétrer l'instrument , et la direction qu'il faut lui donner pour diviser le nerf. Cette section est accompagnée d’une éres-vive douleur, ce qui établit directement encore que ce nerf est doué d’une grande sensibilité. D'un autre côté, lorsque, après avoir enlevé le cerveau sur un animal, on détache les origines du nerf de la cinquième paire de la protubérance, on peut exciter le bout périphérique de la grosse racine sans déterminer le moindre mouvement dans les parties auxquelles va se distribuer ce nerf. Lorsque l'irritation porte sur la petite racine, les mus- cles auxquels va se porter le nerf maxillaire inférieur entrent en contrac- tion, et comme ces muscles sont principalement des muscles masticateurs, la mâchoire inférieure se rapproche de la supérieure. Cette expérienee, souvent répétée par les observateurs, prouve que la partie sensible du nerf correspond à la grosse racine, et la partie motrice à la petite. Elle prouve encore que, dans le nerf maxillaire inférieur, la portion nerveuse qui fait contracter les muscles vient de la petite racine du nerf trijumeau, car l’irritation de la grosse racine qui, elle aussi, concourt à la formation du nerf maxillaire inférieur, n’est suivie d'aucun mouvement dans les muscles de la mâchoire. C'est à la racine non ganglionnaire du trijumeau, et à la portion mo- S00 LIVRE If, FONCTIONS DE RELATION, trice du nerf maxillaire inférieur, qui lui fait suite, que Bellingeri a donné le nom de nerf masticateur. Cette dénomination est plutôt physiologique qu'anatomique , car elle s'applique à un nerf qui n’est pas isolé dans toutes les parties de son trajet. Il est vrai que les filets fournis aux museles et ceux qui vont se distribuer à la peau et aux muqueuses peu- vent être souvent suivis à l’aide du scalpel et rapportés à leur véritable origine, c’est-à-dire à la racine motrice ou à la racine sensitive, et qu’on peut ainsi, à la rigueur, séparer le nerf maxillaire en ses deux parties composantes, sensitive et motrice, depuis son origine jusqu’à sa terminai- son. Mais il faut dire que la dissection peut induire en erreur, car elle est, en quelques points tout au moins, un peu artificielle. La véritable distri- bution des fibres sensitives et des fibres motrices du nerf maxillaire in- férieur est bien plus rigoureusement déterminée par l’expérience , qui consiste à irriter directement la racine motrice du nerf de la cinquième paire après l’enlèvement du cerveau. La dissection des rameaux du nerf maxillaire inférieur aurait toujours laissé quelque incertitude dans l’es- prit, pour savoir quels sont les filets du nerf maxillaire inférieur qui vien- nent de la racine ganglionnaire, et quels sont ceux qui viennent de la ra- cine non ganglicnnaire ; c’est en se conformant aux résultats fournis par les expériences physiologiques que l’anatomie est parvenue à rapporter les divisions de ce nerf à leur véritable source. Influence du nerf de la cinquième paire sur les organes des sens. — Lorsque le nerf de la cinquième paire a été coupé sur un animal dans l’intérieur du crâne, la sensibilité et le mouvement ont disparu dans les parties ani- mées par ce nerf. Le mouvement de clignement ne s’opère plus sur l’œil du côté correspondant à la section du nerf de la cinquième paire. La sen. sibilité de la conjonctive est en effet anéantie : la sensation de picotement déterminée par le contact de l’air sur cette membrane n’est plus sentie, le besoin de cligner n'existe plus. On peut promener les barbes d’une plume, appliquer la pulpe du doigt sur le globe de l’œil, l'animal n’en à pas con- naissance, et les paupières restent immobiles. Quand l'animal survit à l'opération, on constate qu'au bout de quel- ques jours la cornée devient opaque ; elle s’ulcère même parfois, et l'œil se perd en se vidant. Dans le principe, on a pensé que cette altération de l'œil devait être attribuée au desséchement de l’œil (par cessation du mou- vement de clignement, alors que les larmes ne sont plus étalées à la surface du globe oculaire), et à l’action irritante des poussières et des autres influences extérieures. Mais M. Magendie , qui, le premier, avait observé les désordres dont nous parlons, avait déjà constaté que, soit la section du nerf de la septième paire (suivie de la paralysie du sphincter des paupières), soit l’excision des paupières, opérations qui mettent à dé- couvert le globe oculaire, quoique suivies d’ophthalmie, ne sont pas ca- pables de produire dans le globe oculaire une affection semblable à celle qui résulte de la section de la cinquième paire. MM. Snellen et Donders CHAP, VIII, INNERVATION. S01 ont confirmé la justesse de cette observation, et, comme M. Magendie, ils ont constaté pareillement que l’extirpation de la glande lacrymale n’en- traîne point l’opacité de la cornée. Les désordres qui surviennent dans la nutrition du globe de l’œil tien- nent donc évidemment à la suppression d'action de la branche ophthal- mique de la cinquième paire. Le mode de cette action, resté jusqu’à ce jours assez obscur, nous semble avoir été dernièrement élucidé, avec beaucoup de sagacité, par M. Snellen. L'auteur, après avoir constaté d’abord que des tissus dont les nerfs ont été coupés sont tout aussi capables que les autres de s’en- flammer sous l'influence des agents mécaniques et chimiques, montre par des expériences que des irritations mécaniques peuvent, après la section du nerf facial (nerf de la septième paire), donner lieu à des altérations de nutrition qui ne diffèrent en rien de celles qui suivent la section du tri- jumeau. M. Snellen constate également, comme l'avait déjà observé M. Schiff, que l'application d’une suture aux paupières (d’un animal dont on a coupé le nerf de la cinquième paire), pour empêcher le contact de l’air, retarde un peu, mais n'empêche ni le développement, ni l’inten- sité de l’inflammation oculaire. L’expérimentateur se demande alors si les corps étrangers et durs, contre lesquels l’animal se choque à chaque instant avec son globe oculaire découvert et privé de sensibilité , ou avec son globe oculaire insensible, couvert de paupières également insensi- bles, ne seraient pas capables de produire une inflammation de la cornée avec ses suites. L'auteur imagine alors un nouveau procédé. Après avoir coupé le nerf de la cinquième paire à un lapin et fermé les paupières du côté lésé par une suture, il fixe au devant de l’œil par quelques fils Po- reille du même côté (l'oreille reste encore sensible après la section du triju- meau). De cette facon l’œil se trouve soustrait aux influences traumatiques. Dans une première expérience, la cornée resta parfaitement transpa- rente jusqu’au sixième jour, moment où les fils de la suture tombèrent avec la suppuration des paupières. Les fils étant tombés, le pus s’est amassé dans l’œil entr’ouvert, la cornée est devenue opaque et les phénomènes ordinaires n’ont pas tardé à se manifester. Dans une autre expérience, au moment où les fils se relâchèrent, on renouvela les points de suture, et le succès fut tel que, jusqu’au dixième jour, c’est-à-dire jusqu'au mo- ment de la mort de l’animal, la cornée garda son état normal. M. Snellen tire de ses expériences la conclusion que les altérations qui surviennent au globe de l'œil, à la cornée en particulier, sont l'effet d’une cause trau- matique , alors que l’œil, privé de sensibilité, a perdu la faculté de se soustraire aux influences du dehors. M. Schiff a tout récemment répété les expériences de M. Snellen. Sur cinq lapins, les résultats généraux (consignés dans la thèse de M. Hauser) ont été sensiblement les mêmes, 1 M. Schiff signale, en outre, l'injection des vaisseaux de l'iris et de la conjonctive comme ÿl 802 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. La cinquième expérience de M. Schiff est surtout saisissante. On pra- tiqua sur un jeune lapin la section du nerf trijumeau des deux côtés, et on conserva l’animal par Palimentation artificielle (il faut alimenter artifi- ciellement l’animal, car la sensibilité de la muqueuse buccale et le jeu des mâchoires sont abolis). L’œil gauche fut fermé par süture et protégé par l'oreille. L’œil droit fut seulement fermé par suture. Le cinquième jour, dans la matinée, lamimal fut trouvé mort (de faim). La cornée de l'œil gauche était saine; la cornée de l'œil droit était opaque. La section du rameau carotidien, qui établit la communication entre le ganglion cervical supérieur du grand sympathique et le ganglion ophthal- mique, entraine aussi des altérations de nutrition dans l’œil, mais elles ne sont pas à beaucoup près aussi marquées. Elles consistent particulièrement dans linjection des vaisseaux de l'iris et de la conjonctivn (Voy.S 377). Un phénomène souvent observé après la section du nerf de la cin- quième paire dans l’intérieur du crâne, c’est le réfrécissement de la pu- pille, rétrécissement qui diminue peu à peu. Or, le même phénomène survient aussi sur les animaux auxquels on a coupé le filet carotidien, qui fait communiquer le ganglion ophthalmique avec le ganglion cervi- cal du grand sympathique; il est, dès lors, assez probable que la section intracrânienne de la cinquième paire a en même temps porté sur le filet de communication dont il est question, filet qui passe très-près des ra- cines de la cinquième paire ‘. Le rétrécissement momentané de la papille peut être expliqué par la paralysie des fibres rayonnées de l'iris, lesquelles sont sous l'influence du grand sympathique (Voy. $ 373), et par la persis- tance de l’action tonique du sphincter de l'iris, lequel est sous l'influence du nerf moteur oculaire commun (Voy. $ 353). Lorsque le nerf de la cinquième paire est coupé dans l’intérieur du crâne, il survient aussi des troubles dans l’organe de l’odorat, troubles qu'il assez difiicile d'expliquer. L'expérience apprend peu de chose à cet égard, car tout ce qui est relatif aux odeurs est difficile à bien apprécier sur l’animal. On sait seulement qu’alors la muqueuse nasale éprouve des modifications de nutrition. Elle rougit, elle devient molle et saignante, la sécrétion en est augmentée (Schiff); et l’odorat paraît très-affaibli. On sait qu'un simple coryza suflit pour altérer profondément l’odorat. La paralysie de la cinquième paire est quelquefois accompagnée d’une certaine dureté de l’ouie. La section intracrânienne de ce nerf sur les conséquence de la lésion de la cinquième paire, et comme pr'édisposition à l'inflammation du globe de l'œil, lorsque celui-ci n’est pas protégé par la paupière et par l'oreille. Mais il n’est pas démontré que la paralysie des vaisseaux (d’où l'injection) ne soit ici, comme ailleurs, dé terminée par la portion du filet du grand sympathique qui procède du rameau carotidien, et qui se rend au ganglion ophthalmique, filet qui passe sur le sommet du rocher, dans le voi- sinage de la cinquième paire. 1 M. Schiff, qui a observé le rétrécissement de la pupille sur le lapin, ne l'a point observé sur le chat et sur le chien. Cela ne tiendrait-il pas au rapport un peu différent du filet ana Stomotique du grand sympathique ? CHAP. VIII, INNERVATION. 805 animaux apprend peu chose sur ce point‘. Sil’ouie est troublée, cel pro- vient sans doute de la cessation d'influence des filets nerveux qui se dé- tachent du ganglion otique (venant mdirectement du nerf maxillaire im- férieur), et qui vont se porter au vestibule, c’est-ä-dire à la membrane qui contient les liquides auditifs. S'il est vrai que le nerf lingual (branche da maxillaire inférieur) tient sous sa dépendance non-seulement la sensibilité tactile de la langue, mais encore la sensibilité gustative de ses bords et de sa pointe, il est évident que la section intracrânienne de ce nerf entraine à la fois la- bolition de ces deux modes de sensibilité (Voy. $ 323, 328). Lorsque le nerf de la cinquième paire est coupé, la sécrétion de la sa- live est ralentie. L’excitation du nerf augmente, au contraire, cette sé- crétion, ce dont on s’est convaincu sur des animaux chez lesquels on avait établi des fistules aux canaux de Sténon?. La glande sous-maxillaire et la glande sub-linguale reçoivent leurs nerfs du ganglion sous-maxillaire et du ganglion sub-lingual, et ces ganglions sont en communication avec le nerf lingual de la cinquième paire, et avec la corde du tympan de la sep- tième paire, auxquels il faut joindre quelques filets du grand sympathique accolés à l'artère linguale et à ses divisions. La glande parotide reçoit des filets de la branche auriculo-temporale de la cinquième paire, et proba- blement de la septième paire par l'intermédiaire du ganglion otique (Voy. $S 371). æ S 356. É& Nerf moteur oculaire externe. — Ce nerf, qu’on pourrait appeler aussi nerf abducteur de l’œil, se répand dans le muscle droit externe. La dis- tribution de ce nerf dans un seul muscle, tandis que le nerf moteur ocu- laire commun se distribue dans les autres muscles de l’œil, est vraisem- blablement en rapport avec le mode d’association des mouvements des deux yeux dans l’exercice de la vision: L'expérience qui consiste à exciter directement ce nerf dans l’intérieur du crâne est une expérience difficile. Ce nerf naissant sur les confins postérieurs de la protubérance, à l’endroit où les faisceaux du bulbe (continuation des faisceaux antérieurs de la moelle) s'engagent sous les fibres transversales de la protubérance, on ne peut parvenir jusqu’à lui qu’en soulevant toute la masse encéphalique. Avec beaucoup de pré- 1 Quand on coupe le nerf de la cinquième paire dans l’intérieur du crâne, il arrive souvent qu'on coupe en même temps le nerf acoustique. Il faut donc se méfier des résultats. 2 Lorsqu'on se propose d'activer la sécrétion des glandes salivaires par l'excitation du nerf de lacinquieme paire, il faut que l’excitant (on s’est particulièrement servi dans ces expériences du courant de la pile ou du courant des appareils d’induction) soit appliqué sur les branches correspondantes aux glandes en expérience, et il faut que ces branches soient intactes. Lors- que les branches ont été coupées, ce n'est pas, comme on pourrait le croire, l’excitation du bout périphérique, mais bien celle du bout central, qui active la sécrétion (Voy. pour plus de ee" détails, $ 577). 804 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. cautions, M. Longet a constaté que l’animal paraît insensible à son ex- citation. Lorsqu'on a enlevé le cerveau, on peut exciter le bout périphérique du nerf à l’aide d’excitants variés, et constater directement qu'il fait con- tracter le muscle droit externe, et qu'il entraine le globe oculaire en de- hors. Lorsque ce nerf est paralysé isolément sur l’homme vivant, la pu- pille se trouve portée en dedans en vertu de la tonicité persistante du muscle antagoniste (le musele droit interne). 8 337. Nerf faeial.— Le nerf facial se détache, en dehors du précédent, dans le sillon de séparation de la protubérance annulaire et du bulbe. Il s’en- gage bientôt dans l’aqueduc de Fallope, et sort du crâne par le trou stylo-mastoïdien. Le nerf facial anime les muscles occipital, auriculaire postérieur, auriculaire supérieur, auriculaire antérieur, frontal, sourci- lier, orbiculaire palpébral, grand zygomatique, petit zygomatique, canin, élévateur propre de la lèvre supérieure, élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure, myrtiforme, transverse du nez, pyramidal, orbiculaire des lèvres, buccinateur, triangulaire, carré, muscle de la houppe du menton, peaucier, ventre postérieur du digastrique, stylo- hyoïdien, muscle interne du marteau, muscle de l’étrier. Lorsqu'on excite les principales branches du nerf facial qui se distri- buent à la face, l’animal se montre très-sensible à l'excitation ; lorsqu'on le prend à sa sortie du crâne, c’est-à-dire au-dessous du trou stylo-mastoïi- dien, il est sensible encore, mais beaucoup moins. La sensibilité de ce nerf à la face provient en très-grande partie des filets sensitifs de la cinquième paire, qui presque partout marchent accolés avec lui, et sont confondus dans le même névrilemme. Ces deux nerfs, en effet, se distribuent en- semble à presque toutes les parties molles du visage : l’un (nerf facial) abandonne surtout ses filets dans les muscles, l’autre (nerf de la cinquième paire), laissant dans les muscles quelques filets de sensibilité, se porte en majeure partie dans les téguments cutanés et muqueux. Le nerf facial, à son origine, est-il un nerf purement moteur? est-il in- sensible? La démonstration directe n’est pas facile, quoiqu’elle ait été annoncée. Pour aller exciter le nerf facial à son origine, sans détruire le cerveau, il faut, en effet, soulever celui-ci el le renverser, pour découvrir la partie antérieure du bulbe rachidien. Or, cette expérience n’est guère possible sans déchirure, et l'animal est alors tellement abattu, qu’on ne peut guère tirer de conclusions positives de l’expérimentation ; mais on peut chercher à résoudre le problème par voie indirecte. Les paralysies de la cinquième paire, qui entraînent la perte de la sen- sibilité dans les téguments de la face, ne sont point accompagnées de la perte du mouvement. Réciproquement, dans la paralysie du nerf facial, CHAP. VIII, INNERVATION. 805 qui entraine la paralysie du mouvement, la sensibilité des téguments est conservée du côté correspondant de la face. Lorsque le nerf de la cinquième paire a été coupé dans le crâne, les branches du nerf de la septième paire, qui se répandent à la face, sont devenues très-peu sensibles à l’excitation, et quelques-unes même ne paraissent plus l'être. C’est donc principalement l’adjonction de la bran- che auriculo-temporale de la cinquième paire au niveau du trou stylo- mastoïdien, celle des filets sus-orbitaires, sous-orbitaires, et mentonniers de la cinquième paire, au niveau des trous de même nom, qui communi- quent au nerf facial la vive sensibilité que montre l’animal infact, lors- qu'on irrite les branches de la septième paire. Mais il n’en faut pas con- clure que le nerf facial est absolument insensible. Le nerf facial est légerement sensible à sa sortie du trou stylo-mastoi- dien, alors qu’il n’a pas encore recu les anastomoses du nerf de la cin- quième paire, et, de plus, sa sensibilité n’est pas éteinte complétement lorsque le nerf de la cinquième paire a été divisé dans le crâne. Cette sen- sibilité obscure, le nerf facial la doit à des filets propres, qui font partie de son tronc originel. Lorsqu'on examine les origines du nerf facial, on remarque qu'il se détache du bulbe par deux racines : l’une, qui constitue la plus grande partie du nerf; l’autre, très-petite, qui lui est tout à fait accolée. Est-ce cette petite racine (nerf de Wrisberg) qui lui donne la sensibilité obscure dont il jouit, et la petite intumescence qu’on observe au coude du nerf facial, en son trajet dans l’aqueduc de Fallope, est-elle un renflement ganglionnaire analogue à celui qu’on observe sur les racines postérieures des nerfs rachidiens et sur la racine sensitive de la cinquième paire? Ce sont là des suppositions qui ne sont pas suflisamment démontrées 1. Mais ce qui ressort de l’expérience, c’est que le nerf facial n’est pas exclusive- ment moteur avant ses anastomoses avec la cinquièrne paire, et qu'il est légèrement sensible par lui-même ?. 1 Quelques expériences récentes de M. Bernard tendent à faire supposer que le nerf inter- médiaire de Wrisberg n’est pas complétement assimilable à la racine sensitive de la cinquième paire. Ce nerf devrait être envisagé, au moins en partie, comme une racine du système sympathique encéphalique, et l’intumescence gangliforme du nerf de la septième paire devrait être considérée comme un ganglion de ce systeme (Voy. 8 377). ? Il ne faut pas forcer les faits et vouloir se faire sur les propriétés exclusivement sensi- tives ou exclusivement motrices des nerfs des idées trop absolues. La distinction est nette el tranchée pour les racines originaires des nerfs rachidiens ; elle l'est aussi pour les branches du nerf de la cinquième paire; mais la distinction est loin d’être aussi tranchée pour la plu- part des autres nerfs crâniens. La localisation des tubes nerveux conducteurs du mouvement dans tels ou tels nerfs n’est en rien nécessaire à la doctrine de Charles Bell; ces éléments différents conservent leur signification, alors mème qu'ils sont accolés dans les nerfs, alors même qu’ils sont accolés dans les centres nerveux. Tantôt ils apparaissent distincts au mo- ment où les nerfs se séparent des centres, tantôt ils sont accolés au lieu d’être séparés. Les tubes nerveux ne s’anastomosant point entre eux, cela importe peu. Les tubes nerveux, qu'ils marchent séparément vers leur destination ultérieure, ou qu’ils se rassemblent et se rappro- 806 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, Au reste, le nerf facial est le seul qui fournisse des filets moteurs aux muscles de la face. On peut, après avoir mis à mort un animal et lui avoir enlevé l’encéphale, irriter mécaniquement le bout périphérique du nerf facial, et faire contracter ainsi les muscles du visage. Dans les paraly- sies du nerf facial, les muscles d’un côté de la face étant paralysés, les museles du côté sain entrainent le visage de leur côté, en vertu de leur force tonique, et la face prend une expression particulière. Influence du nerf de la septième paire sur les organes des sens. — Quand le nerf est paralysé sur l’homme, ou quand on l’a coupé sur un animal, à la sortie du trou stylo-mastoïdien, le muscle orbiculaire des paupières ne se contracte plus, les paupières ne peuvent plus s’abaisser sur le globe de l’œil. L’œil du côté paralysé paraît même plus grand que l’autre, en vertu de la tonicité persistante du musele releveur de la paupière supé- rieure animé par le nerf moteur oculaire commun. Il peut résulter de cette paralysie des troubles graves dans la vision, et il y a ordinairement un état inflammatoire chronique de la membrane conjonctive, par suite du contact prolongé de l’air. Les muscles du globe de l'œil peuvent tou- tefois suppléer en partie le mouvement de clignement ; ce n’est plus la paupière qui étale les larmes sur le globe de l'œil, c’est l’œil lui-même qui se meut sous la paupière. Les larmes s’écoulent sur la joue, parce que les points lacrymaux n’ont plus leur direction normale (Voy. $ 304). Dans les paralysies du nerf facial, on a souvent observé un affaiblisse- ment remarquable de l’odorat, qu’il est assez difficile d'expliquer. On l’a attribué à la paralysie des muscles qui entourent l’orifice extérieur des narines, paralysie qui, tout en r’empêchant pas le courant d’air de tra- verser les fosses nasales, s’opposerait à l’écartement actif des narines, qu'on regarde comme une cause adjuvante assez essentielle de l’odorat!. Le nerf facial anime les muscles des osselets, c’est-à-dire le petit mus- cle de l’étrier, et le muscle interne du marteau. La paralysie du nerf fa- cial est quelquefois accompagnée d’une sensibilité douloureuse de l’au- dition, qui dépend sans doute de ce que la membrane du tympan ne peut plus remplir son rôle protecteur (Voy. $ 309). Le nerf facial fournit, un peu avant sa sortie par le trou stylo-mastoï- dien, un rameau assez volumineux, qu’on désigne sous le nom de corde chent dans un névrilemme commun, n’en conservent pas moins, jusqu’à leur terminaison, les propriétés qui leur sont propres. Les filets sensitifs du nerf de la cinquième paire et les filets moteurs du nerf facial, réunis entre eux dans les branches auriculo-temporales, susorbitaires, sous-orbitaires et mentonnières, ne président pas moins, les uns à la sensibilité des parties, et les autres au mouvement musculaire. Ces filets seraient accolés entre eux et formeraient un tronc unique dès le moment où ils se séparent des centres nerveux, que cela ne change- rait point le rôle qu’ils sont appelés à jouer. ‘ On peut aussi attribuer l'influence du facial sur J’odorat au filet qui se détache du coude du facial, sous le nom de grand nerf pétreux superficiel (filet supérieur du nerf vidien), et qui, apres avoir traversé le ganglion sphéno-palatin, va se répandre dans les fosses nasales, en formant la plus grande partie du nerf naso-palatin. Le nerf facial exercerait sur l’odorat une influence du même ordre que le nerf de la cinquième paire (Voy. 8 555). CHAP, VIIT, INNERVATION., 807 du tympan. Ce rameau traverse de part en part la caisse du tympan, et sort du crâne par un petit orifice situé au voisinage de l’épine du sphé- noïde. Ce nerf s’accole au nerf lingual et va se terminer avec lui dans la membrane muqueuse de la langue. Beaucoup de suppositions ont été faites sur le rôle de ce nerf singulier, mais il faut bien dire qu'il reste encore à cet égard à éclaircir plus d’une obscurité. On a constaté parfois des altérations du goût dans le côté de la langue correspondant au nerf facial paralysé. Ces altérations ont été notées à di- verses époques. Tels sontles faits rapportés par MM. Roux, Bernard, He- noch, Romberg, ete. M. Stich, dans un mémoire publié récemment, passe en revue tous les faits de ce genre, et fait remarquer que dans les cas où on a observé le trouble du goût, la cause de la paralysie du nerf facial siégeait toujours sur un point plus ou moins périphérique du nerf facial. Le goût n’est point troublé au contraire quand le siége de la cause paralysante se trouve à la base de l’encéphale. M. Stich en conclut que si la corde du tympan a de l'influence sur le sens du goût, elle le doit à des filets du tri- jumeau accolés à elle et fonctionnant comme nerfs du goût !. Ce qui est certain, c’est que la corde du tympan, quelle que soit l’origine réelle des filets de gustation qu’elle renferme, a une influence propre dans l’'appré- ciation des saveurs. Un homme auquel on avait enlevé la moitié de l'os maxillaire inférieur avec la corde du tympan et le nerf facial immédiate- ment à sa sortie du trou stylo-mastoïdien, le nerf lingual éfant conservé, sentait très-bien la saveur d’une dissolution concentrée de sel appliquée par M. Stich à l’aide d’un pinceau, sur la pointe et sur les bords du côté correspondant de la langue. Mais tantôt il aceusait une sensation acide, tantôt une sensation sucrée. ]l en fut de même avec l'extrait de quassia amara, dont la saveur amère ne fut pas nettement distinguée. La déter- mination des diverses saveurs était au contraire parfaitement nette à la base de la langue dans les points correspondants aux divisions du nerf elosso-pharyngien, Lorsqu'on excite directement sur les animaux vivants la corde du tym- pan, on n’observe pas le moindre frémissement dans les muscles de la langue. D'une autre part, cette excitation éveille chez l'animal des signes manifestes de sensibilité. La corde du tympan contient done des filets de sensibilité, et elle exerce sur le goût etsur la sensibilité tactile de Ja lan- gue le même rôle que la branche linguale de la cinquième paire, dont elle partage la distribution. Le rôle que joue la corde du tympan, dans la sécrétion des glandes 1 M. Stich suppose que les filets de la cinquième paire ne s’accolent pas seulement à la corde du tympan après la sortie de la base du crâne; mais il pense que, à la partie supérieure même du rocher, le nerf facial reçoit des anastomoses de la cinquième paire qui l'accompagnent pendant son trajet de l’aquedue dans Fallope. Cette supposition a déjà été faite autrefois par M. Longet, qui a cherché à expliquer de cette façon la sauabiie du tronc du nerf facial à sa sortie du trou stylo-mastoïdien. 808 LIVRE Af, FONCTIONS DE RELATION. sous-maxillaires, tend à la rattacher d’üne autre part au système du grand sympathique (Voy. $ 371). Quant aux mouvements des muscles du voile du palais, ils ne sont point, comme on l’a cru, sous l'influence du nerf facial. La galvanisation du nerf facial dans le crâne ne fait point contracter ces muscles, tandis que la galvanisation du nerf glosso-pharyngien et celle du nerf pneumo- gastrique les fait manifestement entrer en contraction. M. Debrou, par d’habiles dissections, a d’ailleurs démontré que le nerf glosso-pharyngien anime la plupart de ces muscles. S 358. Nerf glosso-pharyngien. — Le nerf glosso-pharyngien tire son origine des côtés du bulbe, au-dessus du pneumogastrique. Ce nerf est manifes- tement mixte dès son origine, c’est-à-dire composé de filets sensitifs et moteurs. Lorsqu'on excite ce nerf sur l'animal vivant, aussitôt après sa sortie du crâne, sur le chien ou sur le chat, on obtient de faibles signes de sensibilité. Les recherches anatomiques de M. Debrou et les expérien- ces physiologiques de M. Volkmann prouvent que ce nerf tient sous sa dépendance quelques muscles du pharynx et du voile du palais (stylo- pharyngiens, constricteur moyen, péristaphylins iaternes et palato-sta- phylins). Le nerf glosso-pharyngien ne donne pas seulementdes filets aux mus- cles et des filets de sensibilité à la muqueuse des parties où il distribue ses filets; il communique aussi à la base de la langue la sensibilité gus- tative dont elle jouit. La faible sensibilité de ce nerf tient sans doute à ce qu'une grande partie de ses filets est dévolue à la sensibilité spéciale du soût (Voy. $ 328). $ 359. Nerf pneumogastrique. — Le nerf pneumogastrique, né sur les côtés du bulbe rachidien , au-dessous de l’origine du glosso-pharyngien , sort du crâne par le trou déchiré postérieur, en compagnie du glosso-pharyn- oien et du spinal, fournit des rameaux au pharynx, au larynx, au cœur, aux poumons, à l'estomac, et tient ainsi sous sa dépendance trois grandes fonctions de l’économie : la respiration, la circulation et la digestion. Le nerf pneumogastrique, au moment où il sort du crâne par le trou déchiré postérieur, est accolé au nérf spinal, et il présente sur son trajet un petit renflement ganglionnaire. Plus tard , le spinal n’est plus seule- ment accolé à ce nerf, mais il lui fournit une branche anastomotique assez considérable. De plus, ces deux nerfs naissent de la moelle dans des points différents ; tandis, en effet, que le pneumogastrique se détache du bulbe rachidien sur le prolongement de la ligne qui, à la moelle, donne 1 Nous avons vu plus haut ($ 355) que le péristaphylin externe reçoit ses filets de la ra- cine motrice du nerf maxillaire inférieur (branche de la cinquieme paire). CHAP, VIII. INNERVATION. 809 insertion aux racines postérieures des nerfs, le nerf spinal se détache du faisceau latéral de la moelle cervicale et du bulbe. La présence d’un gan- glion sur le pneumogastrique , son absence sur le spinal, le mode d’ori- gine de ces deux nerfs, et un certain nombre de faits que nous analyse- rons bientôt, ont porté quelques physiologistes à confondre ces deux nerfs en une seule description, et à les comparer à une paire rachidienne, dont le pneumogastrique serait la racine sensitive, et le spinal la racine motrice. Ces deux nerfs, en se fondant ensuite ensemble (en partie au moins), formeraient par leur accolement un certain nombre de branches mixtes. Cette manière de voir, proposée par M. Bischoff et habilement soutenue par M. Longet, a été, il y a déjà longtemps, abandonnée par M. Bischof, comme contraire aux faits. Il est certain, en effet, et toutes les expériences faites depuis ce temps le démontrent , que le nerf pneumogastrique est un nerf mixte, dès son origine encéphalique. La sensibilité du nerf pneumogastrique ne fait doute pour personne. Lorsqu'on l’irrite ou lorsqu'on le coupe sur un point quel- conque de son trajet, les animaux accusent une vive douleur. Mais ce qui prouve que ce nerf n’est pas seulement un nerf de sentiment, c’est que son irritation dans le crâne, alors qu'il n’a encore reçu ni l’anasto- mose du spinal, ni celle d’autres nerfs, c’est que cette irritation, dis-je, détermine des contractions dans les muscles constricteurs supérieurs et inférieurs du pharynx, dans les museles palato-staphylins et péristaphy- lins internes (Bischoff et Reid), et aussi dans les muscles de l’æsophage et de l’estomac (Valentin). De plus, les animaux sur lesquels on a prati- qué l’ablation complète des nerfs spinaux dans le crâne ! présentent en- core des mouvements dans les parties où vont se distribuer les branches du pneumogastrique. Ce dernier argument, il est vrai, ne constitue pas une certitude, mais seulement une présomption, attendu que le nerf preumogastrique pourrait emprunter des filets moteurs à ses autres ana- stomoses, au-dessous du trou déchiré postérieur. Mais l'excitation directe du pneumogastrique dans le crâne ne peut laisser subsister aucun doute à cet égard. La facilité avec laquelle on peut couper au cou le nerf pneumogastri- que, et aussi l'importance de sa distribution (cœur, poumons, estomac), ont depuis longtemps engagé les physiologistes à examiner les effets de cette section. Rappelons que, lorsqu'on coupe le nerf pneumogastrique au cou, on ne tranche pas seulement le nerf, tel qu’il se détache du bulbe rachidien : le tronc du pneumogastrique, au cou, contient le faisceau in- terne du spinal qui fait corps avec lui; il a reçu aussi quelques filets ana- stomotiques (provenant du glosso-pharyngien et de l'hypoglosse). La sec- tion au cou du nerf pneumogastrique, en supprimant l’action de ce nerf, 1 Voy. $ 560, à l’article du nerf spinal, le procédé mis en usage à cet effet par M. Bernard. 810 LIVRE JI. FONCTIONS DE RELATION. supprime en même temps celle des autres fibres nerveuses qui lui sont accolées. Influence du nerf pneumogastrique sur la digestion et l'absorption. — Le nerf pneumogastrique, envoyant par sa branche pharyngienne des ra- meaux aux muscles du phary»x, contribue à la déglutition. La section du pneumogastrique au cou ne trouble pas la déglutition pharyngienne, parce que cette section a toujours lieu au-dessous de l’origine de la bran- che pharyngienne. Pour couper le nerf pneumogastrique au-dessus de la branche pharyngienne , il faudrait remonter profondément sous la mâ- choire : nul doute qu’alors la déglutition ne fût très-gênée. Au reste, ce n’est pas seulement par les filets du pneumogasirique que sont animés les muscles du pharynx. S'il est vrai que l'excitation du pneu- mogastrique dans le crâne fait contracter le constricteur supérieur et le constricteur inférieur, l'excitation du spinal dans le erûne fait également contracter les constricteurs du pharynx, et avec plus d'énergie que le prneumogastrique lui-même !. M. Bernard a noté, dans ses expériences, une certaine gène de la déglutition après l’ablation des nerfs spinaux. L'œæsophage et l'estomac recoivent leurs nerfs de sensibilité et de mou- vement du nerf pneumogastrique et du nerf spinal. L'irritation du nerf preumogastrique dans le crâne amène quelquefois des mouvements non équivoques dans les parties dont nous parlons ; celle du spinal également. Ces filets sont confondus dans le pneumogastrique pris au cou. En para- lysant le mouvement, la section du nerf pneumogastrique au cou entrave les phénomènes de la déglutition œsophagienne et suspend l'influence mécanique de l’estomac sur la digestion (Voy. $ 26 et 29). La masse ali- mentaire n’est plus successivement promenée dans l’estomac, et ses di- verses parties ne sont plus soumises à l’action des sues digestifs. Quand on retire cette masse de l’estomac d’un animal dont les nerfs pneumo- gastriques sont coupés, on trouve que sa surface est en partie chymifiée; mais le centre est à peu près intact. L'action du nerf pneumogastrique sur la digestion ne paraît pas être bornée exclusivement à ces phénomènes mécaniques. Sur des chiens à fistule gastrique , on peut constater que la quantité du suc gastrique est généralement diminuée après la section des pneumogastriques. La réac- tion acide de ce suc persiste, quoique plus faiblement. Le lait injecté dans l'estomac se coagule encore. Lorsque l'aliment est avalé sans être divisé, il reste souvent trois ou quatre jours dans l'estomac (Nasse). Les aliments réduits en bouillie et introduits à petites doses successives dans l’estomac d'animaux dont les nerfs pneumogastriques sont coupés peuvent encore être digérés et servir 1 Le glosso-pharyngien fait aussi contracter le constricteur moyen (Voy. 8 358). Le grand sympathique fournit aussi des filets au larynx. C’est, en définitive, du plexus pharyngien formé par des filets du spinal, du pnenmogastrique, du glosso-pharyngien et du grand sym- pathique, que procèdent les nerfs du pharynx. CHAP, VIII, INNERVATION. 811 à la réparation. Si les animaux succombent fatalement au bout d’un temps plus ou moins long à la section des pneumogastriques, cela tient surtout à l'influence exercée par ces nerfs sur d’autres organes, sur les poumons, par exemple {, La disparition des aliments liquides, placés dans l’estomac des chiens dont les pneumogastriques sont coupés, prouve que l'absorption n’est pas suspendue. On peut objecter, il est vrai, que l’absorption s’est pro- duite dans l'intestin, Mais quand on injecte des substances vénéneuses dans l’estomac des chiens dont on a lié le pylore et dont les pneumogas- triques sont coupés, cette section n'empêche pas le poison de pénétrer dans les vaisseaux et d’amener l’empoisonnement. Il y a peut-être un peu plus de lenteur dans le phénomène; la section des nerfs entraine, en eflet, dans les circuiations locales, des effets de congestion qui ralentissent le cours du sang (Voy. $ 112). Il ne faut pas oublier que dans quelques ani- maux (le cheval, par exemple) l’estomac absorbe très-peu, même quand les nerfs pneumogastriques sont intacts (Voy. S 60). M. Pincus a dernièrement pratiqué la section des nerfs pneumogastri- ques, non pas au cou, comme les expérimentateurs qui l’ont précédé, mais sous le diaphragme, vers l’extrémité inférieure de l’œsophage, près de l’estomac. Ce nouveau mode d’expérience, mis en usage sur des chiens et sur des chats, a conduit l’auteur à des résultats curieux. Les animaux étaient à jeun depuis vingt-quatre heures, au moment de l’opération; et immédiatement après on leur faisait avaler du lait. On mettait à mort l’a- nimal au bout de vingt-quatre ou trente heures, et on trouvait : 4° le lait non coagulé dans l'estomac; 2° le liquide stomacal était non pas acide, mais alcalin; 3° la membrane muqueuse était fortement hyperhémiée, et on trouvait même des hémorrhagies interstitielles sous la membrane mu- queuse. Ce triple résultat a été constant. La section des nerfs pneumogastriques, au cou, et celle des mêmes nerfs au niveau de l’orifice œsophagien de l’estomac entraînent donc des résultats très-différents. L'auteur fait remarquer, avec raison, que les changements profonds dans la sécrétion (qui d’acide est devenue alcaline, et, par conséquent, impropre à la digestion stomacale), et dans la colo- ration de la membrane muqueuse (par injection vasculaire), doivent être attribués dans ces expériences, non pas à la section du pneumogastrique, mais à celle des rameaux du grand sympathique qui, dans toute la por- tion thoracique des pneumogastriques, viennent se joindre aux troncs de ces deux nerfs et les accompagnent dans leur distribution ultérieure. Les expériences de M. Pineus sur les diverses portions viscérales du grand sym- pathique, dont il sera question plus loin (S 377), démontrent que les lé- sions du grand sympathique sont, tout le long de l'intestin, suivies des mêmes effets, 1 On a vu des chiens survivre à cette section une, deux, trois. quatre, cinq, six, sept et huit semaines. (Expériences de M. Sédillot, et expériences plus récentes de M. Nasse, 1855.) 812 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION. Influence du pneumogastrique sur les mouvements du cœur .— On sait que le cœur recoit ses nerfs de deux sources : des filets cardiaques du pneu- mogastrique et de la portion cervicale du nerf grand sympathique. Lors- que les deux pneumogastriques ont été coupés sur l’animal, il survient une accélération remarquable des battements du cœur. Cet effet n’est pas déterminé seulement par l'agitation et l'émotion inséparables de toute opération : il persiste pendant les jours qui suivent. Le nombre des bat- tements du cœur est souvent presque doublé. M. Nasse a constaté qu'ils s’élèvent de 100 à 430 ou 190 sur les chiens. En même temps que les bat- tements du cœur augmentent de fréquence, ils perdent de leur énergie. Les nerfs pneumogastriques exercent donc une certaine influence sur les mouvements du cœur, mais ils ne les commandent pas absolument, puis- que ceux-ci persistent. Nous avons vu déjà (Voy. $ 222) que le cœur ar- raché de la poitrine d’un animal vivant, et par conséquent séparé de ses connexions nerveuses, non-seulement avec les pneumogastriques , mais encore avec le grand sympathique, contmue encore à se contracter spon- tanément pendant quelque temps. Quel genre d'influence le nerf pneumogastrique exerce-t-il donc ici? MM. Ed. Weber et Budge, ayant fait passer le courant énergique d’un appareil d’induction par le tronc du nerf pneumogastrique des mammi- fères, des oiseaux et des poissons, ont observé un fait des plus curieux. Le cœur suspend ses contractions aussitôt que le courant passe dans le nerf pneumogastrique. Le pneumogastrique et le spinal paraissent, du reste, jouir à cet égard des mêmes propriétés, car le même phénomène se produit, soit qu'on applique l’excitant électrique aux racines du pneu- mogastrique, soit qu'on l’applique aux racines du nerf spinal. Le grand sympathique, excité de la même manière, ne donne rien de semblable ; au contraire, les contractions du cœur sont alors accélérées. Lorsque le cœur ne recoit plus l'influence des nerfs pneumogastriques, après la sec- tion de ces nerfs, l’action du grand sympathique, qui persiste seule, peut nous expliquer jusqu’à un certain point l’accélération des mouvements du cœur. Dirons-nous que leffet du pneumogastrique sur le cœur est de le mettre au repos, tandis que le grand sympathique aurait une action con- traire, et que c’est de l’association de ces deux actions contraires que ré- sulte le rhythme des mouvements du cœur ? Mieux vaut avouer que, dans l’état actuel de la science, le mode d’action du pneumogastrique et du spi- nal sur les mouvements du cœur, quoique manifeste, n’est pas bien connu. Ce qui rend encore la solution de ce problème plus obscure, c’est que si, sur un animal récemment tué, on vient à exciter mécaniquement au cou le nerf pneumogastrique, après avoir ouvert la poitrine pour mettre le cœur à nu, on voit survenir des contractions partielles dans les fais- ceaux charnus du cœur. L’excitation du nerf produit ici, sur les muscles du cœur, le même effet que l'excitation de tous les autres nerfs produit sur les muscles dans lesquels ils se terminent. CHAP, VIII INNERVATION. 815 Influence du pneumogastrique sur la respiration. — Lorsqu'on a coupé les deux pneumogastriques sur un animal, il survient, la plupart du temps, un trouble immédiat de la respiration, et tous les signes de la suffocation apparaissent. Les animaux ne succombent point après la section d’un seul nerf pneumogastrique : on n’observe alors chez eux qu’un changement dans le timbre de la voix et un trouble passager de la digestion. On a plus d’une fois pratiqué chez l’homme la section d’un nerf pneumogas- trique dans un but chirurgical. M. Fano a dernièrement rapporté l’obser- vation d’une résection de l’un des nerfs pneumogastriques, pratiquée ac- cidentellement chez l’homme par Roux. Il s'agissait d’une tumeur cancé- reuse siégeant sur le côté du cou. Un fragment de l'artère carotide et du nerf pneumogastrique furent enlevés. L'homme succomba, il est vrai, au bout d’une semaine, mais à d’autres accidents qu’à ceux de la résection du nerf pneumogastrique. On ne remarqua absolument rien d’anormal dans la mécanique respiratoire, et on ne trouva rien de pathologique dans les poumons après la mort. La seule chose observée fut une modification dans le timbre de la voix. Si l’animal est jeune, il succombe en peu d’instants, après la section des deux nerfs pneumogastriques. Les animaux plus âgés résistent mieux, mais ils ne tardent pas, en général, à succomber par asphyxie, au bout de peu d’heures, ou tout au plus de quelques jours. L’asphyxie est due à la paralysie des muscles de la glotte. Les lèvres de la glotte ne s’écartant plus l’une de l’autre, à chaque mouvement respiratoire, par la contrac- tion de leurs muscles dilatateurs; l’air, qui se précipite dans le vide amené par la dilatation pulmonaire et qui s'engage avec une certaine force dans l'orifice comparativement étroit du larynx, déprime les cordes vocales sans résistance, et tend à obturer le conduit aérien. Cette difticulté de res- . pirer augmente les efforts d'inspiration de l’animal, et les effets dont nous parlons s’exagèrent encore 1. C’est pour cela que dans toutes les expé- riences où l’on veut prolonger la vie de l’animal, on fait une large inci- sion à la trachée au-dessous du larynx. Malgré cette opération accessoire , les animaux succombent souvent très-rapidement, et ce n’est que par un hasard heureux qu’on peut les conserver vivants pendant un mois ou deux Quand on pratique l’autopsie des animaux qui, quoique pourvus d’une ouverture à la trachée, ont suc- combé en quelques heures, on trouve des parcelles alimentaires engagées dans le larynx et jusque dans les bronches, et il est évident que ce sont ces corps étrangers qui, obstruant l’arbre aérien, ont déterminé l’as- 1 Chez les vieux animaux la glotte inter-aryténoïdienne, comprise entre les apophyses car- tilagineuses et résistantes des aryténoïdes, présente, ainsi que l’a remarqué M. Longet, une ouverlure Conslante, alors même que les cordes vocales sont appliquées l’une contre l'autre. La rigidité des cartilages arylénoïdes s'oppose à leur affaissement sous la pression de l'air inspiré. Chez les jeunes animaux, le peu de développement des apophyses antérieu- res des cartilages aryténoïdes et la souplesse de toutes les parties du larynx font qu’au mo- ment de l'inspiration la glotte se ferme à peu près complétement. S14 LIVRE fl. FONCTIONS DE RELATION. phyxie. La section des pneumogastriques a, en effet, non-seulement privé du mouvement les muscles de la glotte, mais elle a rendu inseni- sible la muqueuse laryngienne, et l’animal ne cherche pas à se débarras- ser par des efforts d'expiration des substances qui ne mettent plus en jeu la sensibilité de la muqueuse, et dont il n’a pas conscience. On a proposé, pour remédier à ce genre de mort, de placer dans l’incision pratiquée à la trachée une canule recourbée, volumineuse, qui, remplissant le calibre intérieur de l'arbre aérien, permet le libre accès de l’air extériear et s’op- pose mécaniquement à l'entrée dans les voies aériennes des aliments qui traversent le pharynx. Les nerfs qui animent les muscles du larynx sont les laryngés supé- rieurs et les laryngés inférieurs ou récurrents. Dans la section du nerf pneumogastrique au cou, les laryngés supérieurs ne sont pas toujours compris dans la section; ils peuvent continuer d’être en relation avec Fen- céphale; mais ils n’animent qu’un seul musele du larynx, et encore ce muscle n’est pas un dilatateur (Voy. $ 252) ; tandis que le laryngé infé- rieur, qui se détache beaucoup plus bas du pneumogastrique, à la partie supérieure de la poitrine, est toujours situé au-dessous de la section cer- vicale du pneumogastrique. Le tronc du nerf pneumogastrique comprend au cou, ainsi que nous l'avons dit déjà, les filets anastomotiques du spinal. Or, les filets par les- quels les nerfs laryngés communiquent le mouvement aux muscles du larynx proviennent-ils exclusivement du nerf pneumogastrique; ou ex- clusivement du nerf spinal, ou de l’un et de l’autre ? Deux voies expéri- mentales peuvent conduire à la solution de cette question : 1° l’excitation dans le crâne des racines originaires du nerf pneumogastrique et des ra- cines originaires du nerf spinal; 20 la destruction du cerf spinal, suivant le procédé de M. Bernard. L’excitation directe de la racine du nerf pneu- mogastrique dans le crâne, sur l'animal fraîchement décapité, fait naître des contractions, non-seulement dans les muscles précédemment énu- mérés, mais encore dans les crico-aryténoïdiens postérieurs. L’excitation de la racine du spinal amène pareillement des contractions dans la plu- part des muscles du larynx. D'un autre côté, l’ablation complète du nerf spinal est suivie de troubles profonds dans la voix (Voy. $ 360) ; mais la respiration continue, et la glotte offre encore un libre passage à l’entrée et à la sortie de l’air. Il résulte de là que les muscles du larynx reçoivent des filets moteurs à la fois du pneumogastrique et à la fois du spinal. Les tilets du preumogastrique ont poureffet, sans doute, ainsi que le remarque M. Bernard, de mettre le larynx dans les conditions de dilatation néces- saires à la respiration, tandis que les filets empruntés au nerf spinal, par les nerfs laryngés, sont en rapport avec les mouvements des muscles amenant la fermation de la glotte, lorsque cet organe doit produire la phonation. Le nerf pneumogastrique fournit à la trachée, aux poumons et aux bronches de nombreuses branches, qui, se réunissant à des branches CHAP, VII. INNERVATION. 815 venues dé la portion cervicale du grand sympathique, forment un plexus autour de la racine des poumons et accompagnent les bronches dans leurs subdivisions terminales. La plupart des expérimentateurs sont d’ac- cord pour attribuer la mort lente des animaux, après la section des nerfs preumogastriques, aux désordres qui surviennent du côté des poumons. Peu après cette section, les mouvements respiratoires perdent de leur fré- quence ; il n’est pas rare de voir diminuer leur nombre de moitié. Nous avons souvent observé que, quelques minutes après la section des pneu- mogastriques, le nombre des mouvements respiratoires, qui était chez les lapins de 70 à 80 avant l'opération, tombait brusquement à 40 et même à 30 par minute. Si l’on pratique l’autopsie des animaux qui ont succombé, on trouve uñ engouement pulmonaire, accompagné d’engorgement sanguin, des exsudations séro-œdémateuses, et même l’hépatisation de la pneumo- nie. Les bronches sont remplies de mucosités, les vaisseaux sanguins sont gonflés de sang. Le mucus bronchique a empêché l’arrivée de Pair jusqu'aux extrémités radiculaires, et l'échange des gaz, qui constitue l'essence de la respiration, est devenu de plus en plus impossible; l’ani- mal a suecombé à une asphyxie lente. Pourquoi les bronches, qui ne sont plus animées par le nerf pneumo- gastrique, ont-elles alors une tendance anormale à lengorgement mu- queux ? On a fait observer que les fibres musculaires des bronches animées par le nerf pneumogastrique !, étant paralysées par la section de ce nerf, ne pouvaient plus expulser les mucosités continuellement sécrétées à leur surface. Mais il n’est pas probable que, dans l’état normal, la membrane muqueuse des bronches sécrète des mucosités qu’elle écoulerait par Po- rifice supérieur du larynx. M. Traube suppose que les mucosités de la partie supérieure des voies digestives, ainsi que les liquides de l’alimen- tation, s'engagent dans le larynx, où elles ne sont plus senties, et, de là, dans les extrémités des bronches, dont elles amènent peu à peu l'engor- gement, L’explication de M. Schiff, appuyée par les recherches de MM. Wundt, Panum et Arnsperger, nous paraît plus vraisemblable : il attribue la mort à l'engorgement sanguin, qui survient par paralysie des vaisseaux; engorgement d’où résultent des épanchements interstitiels et une double pneumonie. Les altérations inflammatoires des poumons ont été constatées d’ailleurs par la plupart des observateurs. M. Snellen a dernièrement constaté, sous la direction de M. Donders, d’Utrecht, qu’en appliquant sur le tronc du nerf pneumogastrique un cou- rant d’induction, non-seulement on obtient l’effet signalé par MM. We- 1 Les bronches sont contractiles, et, de plus, leur contractilité est manifestement sous l'influence du nerf pneumogastrique. {1 suffit, pour s’en convaincre, d'ouvrir la poitrine d’un animal, de lier la trachée sur un tube, d’emplir le poumon par ce tube avec de l'eau à 50 ou 40 degrés centigrades, et de faire passer un courant galvanique un peu énergique par les deux nerfs pneumogastriques au cou. On voit, au bout de peu d’instants, le liquide monter dans le tube, en vertu de la rétraction des bronches, 816 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. ber et Budge, savoir : la suspension momentanée des mouvements du cœur, mais aussi la suspension momentanée des mouvements respira- toires. Cette suspension momentanée se produit pendant l'inspiration, c'est-à-dire pendant l’état actif des puissances respiratoires. Après quel- ques instants de repos, survient un certain nombre de mouvements courts et précipités. M. Snellen a constaté de plus (et c’est un phénomène à ajou- ter à beaucoup d’autres du même genre déjà signalés par M. Bernard) que le courant nerveux ne chemine pas dans la même direction pour agir sur les mouvements du cœur et pour agir sur la mécanique respiratoire. Lorsqu’en effet on a coupé le nerf pneumogastrique, on constate que l'excitation du bout périphérique agit sur les mouvements du cœur et est sans action sur les mouvements respiratoires, tandis que l’excitation du bout central du nerf agit sur les mouvements respiratoires et est sans ac- tion sur les mouvements du cœur. L'influence du nerf pneumogastrique sur le cœur chemine donc des centres nerveux vers l’organe contrac- tile; l’influence qu’exerce le nerf pneumogastrique sur la mécanique res- piratoire chemine donc du poumon vers les centres nerveux, quiréagissent à leur tour sur les nerfs qui se rendent aux muscles de la cage thoracique. Influence du pneumogastrique sur l'action glycogénique du foie. — Lorsque les deux nerfs pneumogastriques sont coupés sur un animal, la sécrétion du sucre dans le foie se ralentit promptement et s’arrête bientôt. Si l’on recueille le sang des veines sus-hépatiques quelques jours après cette section, on ne trouve plus dans le sang de ces veines le sucre qu'elles charrient à l’état normal (Voy. S 187). D'un autre côté, on peut aug- menter momentanément, chez un animal sain, la sécrétion du sucre par l'excitation du nerf pneumogastrique. D’après M. Bernard, à qui nous devons presque tout ce qui se rattache à la formation du sucre dans le foie, l’action du système nerveux sur la fonction du foie s’opère sous l’in- fluence du nerf pneumogastrique, et cette influence s'exerce non pas dans la direction centrifuge, mais dans la direction centripète. Lorsqu’en effet on a supprimé, sur un animal, la sécrétion du sucre par la section des pneu- mogastriques, ce n’est pas en excitant les bouts périphériques des pneu- mogastriques qu’on peut voir cette sécrétion reparaître, mais c’est en excitant les bouts supérieurs des pneumogastriques, ceux qui tiennent au bulbe. Dans cette expérience, le foie n'étant plus lié au système ner- veux que par le nerf grand sympathique, l'excitation transmise au bulbe a été reportée au foie par les branches du plexus hépatique. C'est donc par l'intermédiaire du nerf grand sympathique que le système nerveux central tient sous sa dépendance l’action glycogénique du foie. Le foie, en tant qu'organe sécréteur du sucre, se trouve dans les conditions des autres glandes, dont la fonction sécrétoire est particulièrement sous la dépendance du même nerf, ainsi que nous le verrons bientôt (Voy. $ 377). Quant au rôle du nerf pneumogastrique, il consiste à porter vers la por- üon des centres nerveux où il aboutit une incitation sécrétoire dont l’ani- CHAP, VIH, INNERVATION, A mal n’a pas conscience. Cette incitation ne paraît pas avoir son point de départ dans le foie. L'expérience suivante tend tout au moins à le faire supposer. La section des nerfs pneumogastriques au cou, avons-nous dit, ralentit promptement et arrête bientôt la formation du sucre dans le foie, parce que l'incitation sécrétoire n’est plus transmise au bulbe. Mais si, au lieu de couper les nerfs pneumogastriques au cou, on les coupe dans la poitrine, au-dessous du point où les nerfs ont fourni les branches pulmo- naires, l’action glycogénique du foie persiste. Sur un animal ainsi opéré les poumons sont encore en communication avec le bulbe par l’intermé- diaire des nerfs pneumogastriques ; d’où il est permis de penser que l’in- citation sécrétoire prend naissance dans le poumon. Il est probable qu'on peut la rattacher à l’action de l'air atmosphérique sur le sang dans les poumons, ou en d’autres termes au phénomène de l’hématose. $ 360. Nerf spinal. — Le nerf spinal, ou nerf accessoire de Wallis, se distingue de tous les nerfs crâniens par la singularité de ses origines. Chez l’homme, il naît sur les côtés du bulbe, et ses insertions multiples s’étendent in- férieurement le long de la moelle cervicale jusqu’au niveau de la cmquième paire cervicale environ. Dans quelques mammifères, et, entre autres, dans le cheval, les insertions de ce nerf descendent jusqu’au niveau de la première paire dorsale. L'insertion a lieu sur le faisceau latéral de la moelle, beaucoup plus près des racines postérieures que des antérieures. Le nerf, ainsi constitué par la réunion de nombreux filets, remonte dans le crâne, d’où il ressort par le trou déchiré postérieur, intimement accolé au nerf pneumogastrique. Pendant son passage dans le trou déchiré pos- térieur, il se partage en deux parties : une branche externe, qui reste li- bre, etune branche interne, qui s’accole et s’unit au nerf pneumogastri- que. Il est remarquable que la branche interne ou anastomotique du nerf spinal correspond à la partie du nerf qui se détache du bulbe rachidien, tandis que la branche externe, ou branche libre, correspond aux filets de ce nerf qui se détachent le long de la moelle cervicale. Lorsqu'on excite le nerf spinal dans son trajet intrarachidien, il se montre insensible aux irritations mécaniques. Lorsqu'on excite le nerf spinal dans son trajet intracranien, il offre des traces de sensibilité. D’au- tre part, lorsqu'on excite, à sa sortie du trou déchiré postérieur, la branche externe du nerf spinal, elle se montre insensible comme la portion intra- rachidienne du nerf auquel elle fait suite. D’où on peut conclure que le nerf spinal est surtout un nerf moteur. Déjà ($ 359) nous avons indiqué les divers muscles à la contraction desquels le nerf spinal préside, par sa branche interne ou anastomoti- que, conjointement avec le nerf pneumogastrique. Quant à sa branche externe, elle se porte en dehors et va se diviser dans les muscles trapèze 22 818 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. et sterno-cléido-mastloïdien, en s’associant avec les branches du plexus cervical. | L'’anastomose du nerf spinal avec le pneumogastrique dans le trou dé- chiré lui-même ne permet pas de le couper au cou, au-dessus de l’ana- stomose. D'autre part, les origines multiples de ce nerf rendent sa section intracranienne complète presque impossible, ou bien il faut faire subir aux animaux une mutilation telle qu’ils saccombent en peu d’instants. M. Bernard a imaginé un procédé très-ingémieux , à l’aide duquel il est possible d'enlever complétement ce nerf sur l'animal vivant, et d'étudier ainsi les modifications qui surviennent sur les animaux, après son enlè- vement. Ce procédé consiste à saisir le spinal à sa sortie du trou déchiré postérieur, et à opérer, par arrachement, la destruction de toutes ses ori- gines {. Dans toutes ses expériences, M. Bernard a d’ailleurs vérifié, par l’autopsie des animaux, que l’extirpation était complète. Il n’est pas né- cessaire de pratiquer une incision à la trachée pour entretenir la respi- ration. Le premier résultat de ces expériences, c’est que les animaux survi- vent à l’extirpation du nerf spinal. Le nerf spinal étant enlevé, les mou- vements auxquels préside le nerf pneumogastrique persistent. Le spinal ne représente donc pas l’élément moteur d’une paire nerveuse, dont le pneumogastrique serait l’élément sensitif. Tout ce qu'on observe alors chez l’animal au repos, c’est la disparition de la voix et une certaine gêne de la déglutition. Après l’arrachement d’un seul nerf spinal, la voix devient rauque ; après l’arrachement des deux nerfs spinaux, l’aphonie est complète. Quand lanimal veut faire entendre un son, il ne parvient qu’à produire un souffle expiratoire , comme quand on expire avec force, mais point de voix. Quant à la respiration, elle continue à s’opérer comme à l’état nor- mal, méme sur les très-jeunes animaux. Les filets du spinal qui entrent dans la constitution des nerfs laryngés ont donc sur les muscles du larynx une influence, qu'avec M. Bernard nous appellerons vocale. Ils sont destinés à donner à l'ouverture de la glotte et à la tension des cordes vocales les conditions propres au son, au moment où la glotte devient organe de la voix par la volonté de l’animal. En d’autres termes, les muscles du larynx forment un système moteur qui peut réaliser deux fonctions distinctes, parce que les deux puissances nerveuses motrices qui l’animent sont séparées à leur origine encépha- lique et indépendantes dans la transmission de leur influence. Le larynx est tour à tour un organe de phonation et un organe de respiration; l'appareil musculaire laryngien est tantôt un appareil vocal, quand le spinal l’excite ; tantôt un appareil respiratoire , quand le pneumogastri- que seul l’influence (Voy., pour plus de détails, $ 252). 1 La méthode de M. Bernard donne des résultats complets sur les chats et les lapins. Elle échoue presque toujours sur le chien, ainsi qu'il le remarque lui-même. CHAP. VII INNERVATION. 819 La gène de la déglutition , qui survient après l’ablation des nerfs spi- maux, s'explique naturellement par la suppression des filets nerveux que le spinal envoie aux muscles du pharynx (Voy. S 359). La déglutition n’est d’ailleurs pas abolie, à cause de la persistance des filets pharyngiens provenant du pneumogastrique et du glosso-pharyngien (Voy. $ 358 et 359). Si on n’observe point la gène de la déglutition après la section du nerf pneumogastrique au cou, là où le spinal a déjà fourni sa branche anastomotique , c’est que la section a lieu au-dessous de l'origine du ra- meau pharyngien. | Lorsqu'au lieu de détruire le nerf spinal dans son entier, on pratique seulement la section de sa branche externe, en conservant la branche in- terne anastomotique, la voix et la déglutition restent tout à fait intactes; seulement les muscles trapèzes et sterno-cléido-mastoïdiens, dans les- quels va se distribuer la branche externe du spinal, sont paralysés en partie !, Le thorax n’est plus maintenu aussi solidement comme point fixe, au moment de l'effort (Noy. $ 240) : les animaux n’exécutent plus qu'avec peine les mouvements qui exigent une certaine énergie de contraction. Il va sans dire que l’ablation totale du nerf spinal, amenant également la paralysie incomplète des sterno-mastoïdiens et des trapèzes, entraîne les mêmes effets dans les phénomènes du mouvement. S 361. Nerf hypoglosse. — Ce nerf se détache du bulbe rachidien sur le pro- longement du sillon collatéral antérieur de la moelle. Il paraît être essen- tiellement moteur. Le nerf hypoglosse est le plus reculé des nerfs crâ- niens ; il sort du crâne par le trou condylien antérieur. On peut arriver sur lui, en laissant l’encéphale dans son état d’intégrité, par l’intervalle qui sépare postérieurement l’occipital de la première vertèbre. On peut ainsi se convaincre qu'en l’excitant à son origine, il est tout à fait insen- sible à l'excitation. Le nerf hypoglosse est toujours sensible au eou, mais en ce point quelques fibres nerveuses se sont accolées au tronc principal, pendant son trajet. Le nerf hypoglosse s’anastomose, en effet, avec le pneumogastrique , et largement avec les deux premières branches du plexus cervical. Le nerf hypoglosse anime les muscles de la langue (hyo-glosse, stylo- glosse, génio-glosse). Par sa branche descendante, à la formation de la- quelle concourent les deux premières paires cervicales, il anime les muscles omoplato-hyoïdiens, sterno-hyoïdiens, thyro-hyoïdiens. Lorsqu'on coupe le nerf hypoglosse sur l’animal vivant, le mouvement de la langue est aboli. La sensibilité tactile et gustative de l’organe per- siste. Le chien auquel on présente à boire cherche en vain à laper. En abolissant les mouvements de la langue, la section du nerf hypoglosse Leur paralysie n'est pas complète. Ces muscles reçoivent encore des filets nerveux par l'intermédiaire du plexus cervical et du plexus brachial, 820 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. gène beaucoup aussi la déglutition (Voy. $ 26). Lorsque le nerf hypoglosse vient d’être coupé, et qu’on excite le bout périphérique du nerf, on fait naître des contractions dans les muscles de la langue et dans ceux que nous avons énumérés. ARTICLE II. FONCTIONS DE L’AXE CÉRÉBRO-SPINAL, S 362. Composition. — Membranes. — Le système nerveux central, contenu dans le canal rachidien et dans la boîte encéphalique , contient un élé- ment de plus que les nerfs : il renferme de la substance grise. La sub- stance blanche des centres nerveux est constituée par des tubes primitifs semblables à ceux qu’on trouve dans les nerfs (Voy. $ 339). La substance grise est formée par les cellules nerveuses, et aussi par les tubes ner- veux qui circulent au milieu d’elles (Voy. $ 339). Ce sont les cellules ner- veuses assemblées en masse qui donnent aux parties du système nerveux où on les rencontre une teinte grise. Cette teinte tient à ce que les cel- lules contiennent un pigment particulier. Elle est plus ou moins pronon- cée, selon l’abondance plus ou moins grande des cellules colorées relati- vemeñt à l’élément tubuleux. Dans la moelle, la substance grise est rassemblée au centre. Elle se trouve placée plus particulièrement à la surface , dans le cerveau et le cervelet. Cependant, on la rencontre aussi dans la profondeur de l’en- céphale, par exemple, dans l’épaisseur de la protubérance, dans celle des tubercules quadrijumeaux, dans la couche optique, etc. La sub- stance grise parait être partout insensible à l'irritation directe ; mais elle n’en joue pas moins dans le système nerveux central un rôle capital, quoi- qu’il ne nous soit pas donné d’en pénétrer le mystère. C’est elle qui éta- blit la différence entre les nerfs et les centres nerveux. Les nerfs, com- posés de filets nerveux conducteurs de sentiment, et de filets nerveux conducteurs de mouvement, se continuent avec la substance blanche des centres qui leur fait suite, et entrent en communication dans les centres nerveux avec la substance grise. Quand ces communications sont rom- pues, toutes les propriétés des nerfs s’évanouissent, La substance blanche de la moelle est formée par l’accolement des fi- bres nerveuses, qui vont s’isolant ensuite pour donner naissance aux nerfs rachidiens. I est moins facile de se rendre compte de la masse considé- rable de la substance blanche des hémisphères cérébraux, quand on la compare à celle de la moelle épinière. Pour admettre , en effet, que les fibres de la substance blanche de la moelle, et celles de la substance blanche de l’encéphale, sont continues les unes avec les autres, il faut ad- mettre que ces fibres décrivent dans l’encéphale de nombreuses circon- volutions. La différence qui existe entre la masse de la substance blanche CHAP. VII, INNERVATION. 821 de l’encéphale et celle de la moelle a porté quelques anatomistes à sup- poser qu’il y avait dans le cerveau des fibres propres, qui ne se continue- raient pas avec celles de la moelle et des nerfs. C’est un point qu'il n’a pas encore été possible de décider. Quant à la substance grise, elle n’est certainement point continue dans son ensemble ; les amas de cellules qui la constituent sont placés, tantôt au centre (moelle, protubérance , cou- ches optiques, etc.), tantôt à la surface (hémisphères cérébraux, cervelet, corps striés, etc.). Ici, la continuité n’était pas nécessaire; elle n’est point, en effet, un conducteur de sentiment ou de mouvement; c’est en elle que s’accomplit l’action nerveuse. L’axe cérébro-spinal est entouré par des membranes protectrices, ou méninges, qui sont du dehors au dedans la dure-mère, 'arachnoïde, et la pie-mère. La dure-mère , membrane fibreuse résistante, douée, en cer- tains points seulement, d’une faible sensibilité, forme dans la cavité du crâne des cloisons solidement fixées aux os. Ces cloisons soutiennent le cerveau dans les diverses attitudes et dans les ébranlements de la locomo- tion. L’arachnoïde, membrane séreuse destinée à favoriser les mouve- ments obscurs du cerveau, ne contient dans sa cavité qu’une quantité très- faible de liquide, ainsi d’ailleurs que les autres membranes séreuses (Voy. $ 118). Le liquide dit céphalo-rachidien, liquide propre au système nerveux central, n’est pas contenu dans l’intérieur du sac représenté par la sé- reuse. Ce liquide est placé sous le feuillet viscéral de l’arachnoïde, entre ce feuillet et la pie-mère. La pie-mère est une membrane cellulo-vaseu- laire, presque entièrement formée par des vaisseaux : elle est, en quelque sorte, la membrane nourricière de l’axe cérébro-spinal. Les vaisseaux qui arrivent au système nerveux, au lieu de pénétrer immédiatement dans son épaisseur, se répandent à sa surface, se divisent à l'infini dans la pie- mère, et pénètrent, à l’état capillaire, dans la substance délicate du cer- veau et de la moelle. La pie-mère du cerveau peut concourir aussi, dans une certaine mesure, à la protection de l’organe, car elle offre quelque résistance à la déchirure. Quant à la pie-mère de la moelle, elle forme à cette partie de l’axe nerveux une enveloppe très-résistante, qu’on pour- rait comparer au névrilemme des nerfs, si elle n’était en même temps très-vasculaire. S 363. Liquide céphalo-rachidien. — Lorsqu'on a coupé les muscles du dos à un animal vivant, enlevé les lames vertébrales, et mis ainsi à nu la moelle entourée de ses membranes, on constate qu’en pratiquant une pi- qüre sur les méninges, il s'écoule aussitôt une certaine quantité d’un li- quide transparent. On peut également donner issue à ce liquide, en pra- tiquant une ponction sur les membranes, dans l’espace qui sépare la première vertébre de l’occipital. Le liquide céphalo-rachidien a son siége, ainsi que nous venons de le dire, à la surface du cerveau et de la moelle. 822 LIVRE If, FONCTIONS DE RELATION. dans les mailles très-lâches du tissu cellulaire sous-arachnoïdien , et il communique aisément de la boîte crânienne dans le canal rachidien , en suivant la voie de continuité du tissu cellulaire, Ce liquide communique également avec les ventricules du cerveau. Les ventricules latéraux du cerveau ne sont pas tapissés, comme on l’a cru, par une véritable mem- brane séreuse, comparable à un sac sans ouverture : ils ont pour revête- ment une simple couche de cellules d’épithélium, et ils communiquent largement avec le tissu cellulaire sous-arachnoïdien, par l’intermédiaire du troisième et du quatrième ventrieule. L’axe cérébro-rachidien est done, sur l’animal vivant, baigné par une couche de liquide, et ce liquide peut passer librement de la cavité crânienne dans la cavité rachidienne, et ré- ciproquement. M. Magendie, qui a attiré le premier l'attention des physio- logistes sur ce liquide, estime que sur l’homme sain sa quantité doit être d'environ 60 grammes. Il peut augmenter dans des proportions considé- rables ; c’est ce qu’on observe dans l’hydrorachis et dans l’hydrocéphalie. L'analyse du liquide cérébro-rachidien, extrait de la cavité rachidienne des animaux vivants, a été faite plusieurs fois. Ce liquide est très-riche en eau (98 parties sur 100), il renferme du chlorure de sodium, d’autres sels, une très-faible proportion d’albumine, et quelques matières extractives. On peut le comparer à du sérum du sang, dans lequel la proportion d’al- bumine serait très-diminuée. Les substances solubles injectées dans le sang passent avec facilité dans ce liquide. Il n’est pas impossible , ainsi que le fait remarquer M. Magendie, que les substances qui modifient ou qui suspendent les fonctions du système nerveux agissent par cette voie. L'action, en effet, doit ainsi se généraliser promptement à tout le système nerveux. Lorsqu'on a enlevé le liquide céphalo-rachidien, en faisant une ponc- tion aux membranes de la moelle d’un animal vivant, les vaisseaux de la pie-mère cérébro-rachidienne laissent exhaler les parties séreuses du sang au travers de leurs parois, et comme la pie-mère est très-riche en vaisseaux, ce liquide se reproduit avec une grande rapidité. Au bout de vingt-quatre heures, il existe en aussi grande quantité qu'avant l’opé- ration. Lorsqu'on donne issue à ce liquide, par une piquûre pratiquée dans l'espace inter-occipito-atloïdien , on remarque que le premier flot de li- quide sort en jet. D’après M. Magendie, les centres nerveux seraient dès lors, dans l’état normal, soumis à une certaine pression de la part du li- quide qui les baigne ; et c’est à la soustraction de cette pression normale que M. Magendie attribue le trouble des facultés locomotrices, qui suc- cède à l'issue au dehors du liquide céphalo-rachidien. Les animaux, en effet, après cette opération, chancellent sur leurs jambes comme s'ils étaient ivres, et leur corps s’affaisse, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. M. Longet, qui a répété ces expériences, a constaté que /a section des muscles de la nuque, qu’on pratique pour mettre à nu l’espace occipito-at- CHAP. VIII. INNERVATION. 825 loïdien, suffit pour amener un trouble profond dans les mouvements ; 1l a pareillement constaté qu'en déterminant l'issue au dehors du liquide céphalo-rachidien, sans diviser les muscles de la nuque, la démarche des animaux ne présentait aucune modification notable !, Nous sommes, en ce qui concerne le rôle du liquide céphalo-rachidien, assez disposé à le regarder, avec M. Foltz, comme un coussin protecteur (ou, ainsi qu'il le dit, comme une sorte de ligament suspenseur des cen- tres nerveux), en vertu duquel la substance nerveuse ne repose pas im- médiatement sur les parois osseuses de la cavité céphalo -rachidienne. L’encéphale et la moelle se trouvent, grâce à ce liquide, supportés dans une sorte de bain, où ils perdent la majeure partie de leur poids (principe d’Archimède). En tenant compte de la densité du liquide céphalo-ra- chidien et de celle de la masse nerveuse, on trouve en effet que cette dernière doit perdre ainsi les 98/100 de son poids. On conçoit dès lors comment le liquide céphalo-rachidien peut amortir, dans une proportion considérable, la violence des chocs transmis aux centres nerveux. $ 364. Des mouvements du cerveau. — Lorsque sur un animal on enlève une partie plus ou moins étendue de la voûte du crâne, on remarque (soit que la dure-mère reste intacte, soit qu’on l’enlève aussi avec les os) que la masse encéphalique éprouve un double mouvement. Elle est alternative- ment soulevée à chaque mouvement de respiration, et aussi à chaque pulsation artérielle. Ce double mouvement, on peut aussi l’observer sur l’enfant nouveau-né, au niveau des fontanelles, c’est-à-dire dans les es- paces membraneux non encore comblés par l’ossification. Les mouve- ments d'ensemble de la masse encéphalique ont d’ailleurs peu d’étendue. Sur les individus qui ont subi l’opération du trépan, ou qui ont perdu, par accident ou par maladie, une portion plus ou moins étendue des os de la voûte du crâne, le tissu cellulo-fibreux qui remplace l’os absent permet aussi de constater, surtout au toucher, les mouvements de soulèvement dont nous parlons. Mais, de ce que l’impulsion due aux battements des artères et à l’in- fluence des mouvements respiratoires se fait sentir sur le cerveau, lors- 1 Pour arriver à donner issue au liquide céphalo-rachidien sans diviser les muscles pos- térieurs du cou, on peut enlever les lames postérieures d’une vertebre dorsale. Dans une autre série d'expériences, M. Longet découvre l’espace inter-occipilo-atloïdien et attend que l'équilibre des mouvements se soû rélabli, ce qui a lieu au bout de quarante-huit heures en - viron. Alors il donne issue au liquide par ponction, et il ne remarque rien d'anormal dans les mouvements. M. Longet attribue la titubation des animaux, pendant les deux jours qui suivent la section des muscles postérieurs du cou, à la flexion angulaire de la tête sur l'atlas, flexion qui déterminerait sur les pédoncules du cervelel des tiraillements auxquels l'animal s’accoutumerait peu à peu. Il est plus probable que ce trouble des mouvements est la consé- quence directe de la suppression brusque des points d’altache de la masse des muscles du dos, muscles qui jouent un rôle capital dans l'équilibre de la station. 824 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. qu'il existe une ouverture anormale à la voûte crânienne, ou sur les points encore membraneux de cette voûte, en résulte-t-il que sur l’homme ou sur l'animal, chez lequel la voüte du crâne est complétement ossifiée, de semblables mouvements aient lieu? La boîte close etiinextensible du crâne ne constitue-t-elle pas un obstacle absolu à des mouvements de ce genre ? Examinons, Lorsqu’après avoir pratiqué, à l’aide d’une couronne de trépan, une ouverture circulaire au crâne d’un animal, on fixe à frottement dans cette ouverture un tube de verre qu’on remplit d’eau, le liquide introduit dans ce tube s’abaisse à chaque mouvement inspiratoire, et s’élève, au con- traire, à chaque mouvement d'expiration. On a conclu de cette expérience que, sur l'animal vivant, dont le crâne est intact, la masse encéphalique s’abaisse sur elle-même, pendant l'inspiration, dans l’intérieur du crâne, et qu’au moment de l'expiration, elle comble le vide qui s’était formé en- tre sa surface et l’intérieur de la cavité crânienne. Mais pour qu’un pareil vide püt se former, il faudrait que le cerveau fût entrainé par en bas, au moment de l'inspiration, par une force tellement considérable, que à chose est évidemment invraisemblable !. Si on ajoute un robinet au tube de verre solidement fixé à l'ouverture du crâne, et qu'on ferme ce robinet après avoir complétement rempli d’eau le tube, la colonne liquide reste parfaitement immobile, et pendant l'inspiration et pendant l’expiration. On a, dans cette expérience, substitué une colonne d’eau incompressible à un os inextensible; on s’est donc mis en garde contre l'influence de la pression atmosphérique, et on a prouvé directement qu’il ne se forme pas de vide dans la cavité crânienne, au moment de l'inspiration. Mais at-on réellement prouvé ainsi qu'il n’y a point de mouvement dans la masse encéphalique ? Ne peut-on pas concevoir que l’encéphale puisse éprouver de faibles déplacements, sans pourtant qu’à aucun mo- ment la cavité du crâne cesse partout d’être remplie ? Le liquide céphalo- rachidien, par exemple, qui communique si facilement de la cavité du crâne dans le canal rachidien, ne peut-il éprouver des déplacements al- ternatifs correspondant aux gonflements et aux abaissements alternatifs de l’encéphale? L'état de réplétion et l’état de vacuité intermittente des sinus encéphaliques peuvent d’ailleurs s’accommoder avec les mouve- ments de la masse nerveuse ?, 1 Ceite force devrait faire équilibre, en effet, à une colonne de mercure de 76 centimetres d'élévation, dont la base serait représentée par la surface du cerveau. ? Si la cavité céphalo-rachidienne était complétement fermée et remplie par les masses nerveuses et par le liquide céphalo-rachidien, tout mouvement de ce genre serait impossible, Jes liquides étant sensiblement incompressibles. Mais on sait parfaitement que les masses ner- veuses, le liquide qui les entoure et les membranes qui les contiennent ne remplissent pas entierement le canal rachidien. 11 y a entre les parois osseuses du rachis et les enveloppes de la moelle, tout le long de l’épine, et surtout dans la région lombaire, un espace rempli de tissu cellulo-adipeux, qui communique avee le tissu cellulaire extra-rachidien, par l’intermé- diaire des nombreux et larges trous de conjugaison, de telle sorle que les enveloppes de la CHAP, VIII, INNERVATION. 825 Au reste, à supposer qu'il en soit ainsi sur l'animal vivant, il est vrai- semblable que la respiration et la circulation déterminent dans la masse nerveuse plutôt des ébranlements que de véritables mouvements. S 365. Influence du sang sur le système nerveux central. — Influence des poisons, de l’éther, du chloroforme. — L'influence du sang sur les fonc- tions du système nerveux est une influence de premier ordre, surtout chez les animaux à sang chaud. Les animaux à sang froid peuvent en- core se mouvoir, et leurs diverses fonctions s’exercer encore pendant un temps plus ou moins long après la suppression de la circulation, après l’excision du cœur, par exemple ; tandis que les mammifères, dont le sy- stème nerveux central ne reçoit plus de sang, sont promptement frappés de mort. Lorsqu'on lie les carotides sur un animal, sur un chien, par exemple, il ne paraît éprouver rien de bien fâcheux; mais il ne faut pas oublier que le cerveau recoit aussi du sang par les artères vertébrales. On a vu pareil- lement sur l’homme l’oblitération des deux artères carotides, ou leur li- gature, ne pas entraîner la mort de l'individu. La ligature simultanée des artères vertébrales et des artères carotides est généralement suivie de la mort des animaux. Dans quelques cas ex- ceptionnels, la ligature des deux carotides et des deux vertébrales n'a pas amené la mort des chiens; mais on a constaté par l’autopsie que la cir- culation s’était rétablie par voie collatérale (par les artères du rachis, par les œsophagiennes et les cervicales ascendantes). La décapitation, qui entraine la cessation immédiate de l’action du sang sur le système nerveux encéphalique, entraîne la mort immédiate des animaux et de l’homme. Il ne reste plus dans les deux segments qu’une excitabilité momentanée du système nerveux, qu’on peut mettre en évi- dence par la contraction fibrillaire des muscles, lorsqu'on excite les par- ties; mais ces mouvements sont de l’ordre des mouvements réflexes, ils succèdent à des impressions non senties (Voy. S 344). La rupture du cœur ou d’un gros tronc vasculaire entraîne rapidement la suspension de l’in- fluence du sang sur l’axe nerveux cérébro-spinal et est suivie d’une mort presque subite. Action des poisons. — C'est sur le système nerveux que s’exerce l’action des poisons. Pour qu’un poison agisse, il faut que l’absorption l’introduise dans le torrent circulatoire, et que la circulation le porte sur les diverses parties du système nerveux t. L'action des poisons n’est pas aussi simple moelle peuvent facilement céder d’une certaine quantité sous le flux et le reflux du liquide céphalo-rachidien qu’elles contiennent. * Quelques poisons, tout en étendant leur action sur l'ensemble du système nerveux, com- mencent par détruire la propriété contractile des muscles. Quand la dose de ces poisons est suffisante pour amener la morten un court espace de temps, les phénomènes nerveux ont 826 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, qu’elle le parait, et les phénomènes de l’empoisonnement présentent plus d’une obscurité. Les poisons absorbés aux surfaces tégumentaires, mu- queuses ou cutanées, ou portés dans le sem des tissus, doivent, pour exer- cer leur action, être portés vers le système nerveux par le courant san- guin. Quand les poisons sont directement portés sur le système nerveux, soit sur la moelle mise à nu, soit sur l’encéphale, les phénomènes de l’em- poisonnement ne surviennent pas instantanément. Bien plus, les phéno- mènes d'intoxication se manifestent dans ces conditions beaucoup plus tar- divement que quand on dépose le poison sous l’épiderme ou dans le tissu sous-cutané, sur un point quelconque du corps; ce qui tient évidemment à ce que l'absorption qui doit introduire le poison dans le sang est moins fa- cile et moins prompte dans les parties peu vasculaires (surface des centres nérveux) que dans les organes riches en vaisseaux (peau et muqueuses). Les substances toxiques, pour agir sur le système nerveux et déterminer l’empoisonnement, doivent donc arriver dans l’mtimité de ce système par l’intermédiaire du sang. Cette condition tient sans doute à ce que la circula- tion seule peut généraliser instantanément l'effet de la substance dans l’ensemble tout entier du système. Il se peut faire aussi que les substances toxiques n'aient point par elles-mêmes une influence chimique directe sur la matière nerveuse, et que leur effet réel consiste à modifier les élé- ments du sang, de telle sorte que ceux-ci deviennent impropres (et même nuisibles) à entretien des fonctions nerveuses. Ce qui n’est pas moins surprenant dans les phénomènes de l’empoi- sonnement, c’est la faible dose à laquelle quelques poisons peuvent agir. M. Marshall-Hall a constaté qu’il suflit de 1/1000 de grain (0sr,00005) d’acétate de strychnine pour empoisonner une grenouille, et M. Harley a montré plus récemment qu’il suflit d’injecter dans l’abdomen ou dans le poumon d’une grenouille 14/8000 de grain (05',000006) du même sel de strychnine pour amener sur une grenouille le tétanos, au bout de huit à dix minutes, et la mort au bout d’une ou deux heures. Aussi est-il per- mis de dire que les animaux (la grenouilie en particulier) sont, pour la strychnine, des réactifs plus sensibles que ceux de la chimie. L’acide cyan- hydrique (acide prussique) agit aussi, comme chacun sait, à des doses extrêmement faibles; mais il n’est pas facile de les apprécier aussi ri- goureusement, parce que c’est un corps plus difficile à manier. La rapidité des phénomènes d’empoisonnement dépend de deux con- ditions : 4° de la nature du poison; quand le poison agit à faible dose, la rapidité de l’empoisonnement est grande, car les premières parcelles de poison introduites dans le sang suflisent pour déterminer des effets toxi- ques ; 2 des parties sur lesquelles le poison est déposé ; les divers tissus, en effet, n’absorbent pas avec la même facilité (Voy. Absorption, $ 68 et suiv..). à peine le temps de se produire, et on peut dire que c’est par l'abolition directe de la con- lractilité des muscles (cœur et muscles de la respiration) que l'animal succombe (sulfo- cyanure de potassium, upas-antiar). CHAP. VII, INNERVATION. 827 MM. Bernard, Kôlliker et Harley ont étudié, dans ces dernières an- nées, l’action d’un certain nombre de poisons sur l’économie animale, et analysé, avec beaucoup de soin, l'influence exercée par ces substances sur les divers systèmes de l’économie. Nous ne pourrions, sans sortir des bornes de cet ouvrage, placer sous les yeux du lecteur le détail de ces expériences, qu'on consultera avec fruit dans les mémoires originaux f. Nous nous bornerons à consigner ici les résultats les plus saillants. L'un des poisons dont les effets ont été le mieux étudiés, c’est le curare, dont nous avons parlé déjà (Voy. p. 512); poison qui jouit de la propriété de paralyser les éléments excito-moteurs du système nerveux (fibres mo- trices), en laissant intacte la contractilité musculaire. Quand on introduit un fragment de curare sous la peau d’une grenouille, l’empoisonnement se produit silencieusement, sans convulsions, sans contractions tétani- ques, et au bout de deux à cinq minutes l’animal est mort, c’est-à-dire que la respiration a cessé, et que ses membres et tout son corps sont dans un état complet de flaccidité. Mêmes phénomènes chez les animaux à sang chaud, seulement la mort est plus rapide. Quand on ouvre une grenouille empoisonnée par le curare, on constate que le cœur n’a pas cessé de battre. On l’a même vu continuer à se con- tracter pendant vingt-quatre heures. Les muscles de la locomotion restent contractiles à l’excitation directe pendant plusieurs heures. M. Kôlliker a constaté que la contractilité est également conservée dans les muscles intérieurs (muscles lisses). Les membres préservés contre l’action du poi- son, par la ligature des vaisseaux qui s’y rendent, peuvent se contracter encore sous l'influence des excitations qui portent sur un point quelconque de la surface cutanée du corps empoisonné, ce qui prouve que les élé- ments sensibles (fibres sensitives) du système nerveux n’ont pas été atta- qués par le poison, et que la moelle jouit encore du pouvoir réflexe. Les mouvements réflexes sollicités ainsi par la persistance de la sensibilité disparaissent peu à peu; par conséquent, la sensibilité qui les éveillait s'éteint. Lorsque l'extinction du pouvoir réflexe de la moelle et celle de la sensibilité sont consommées, on peut encore, pendant quelque temps, sol- liciter des contractions dans les muscles par l'excitation directe. La con- tractilité musculaire disparaît donc la dernière. Il semble même que le curare prolonge la durée de cette propriété. La rigidité cadavérique qui vient y mettre un terme survient plus tard dans les muscles d’un animal empoisonné par le curare que dans les muscles d’un animal qui a suc- combé à un autre genre de mort ?. * Voy. la bibliographie, à la fin du chapitre de l’{nnervalion. 2 Le curare ne parait pas être un poison tout à fait aussi violent que la strychnine. Il ré- sulte des expériences de M. Källiker et de celles de M. Vulpian que, quand on a donné à une grenouille O:r,0001 (c’est-à-dire 1 dixième de milligramme) de curare, l'animal qui paraît mort, élant conservé dans de la mousse humide (mais non dans l’eau), ressuscile pour ainsi dire au bout de quatre jours. Les mouvements du cœnr n’ont pas cessé, et ont entretenu Ja vie de l'animal, 828 LIVRE 11, FONCTIONS DE RELATION, La strychnine, portée par l'absorption dans, le sein du système nerveux, attaque et abolit les propriétés des éléments sensitifs de ce système, tandis qu’elle n’a aucune action sur les nerfs moteurs. En découvrant un nerf et en l’excitant directement, on fait naître des contractions chez les muscles dans lesquels ïls se terminent. Ce qui caractérise essentielle. ment la strychnine, au point de vue des effets visibles qu’elle détermine sur l'animal, ce sont les contractions tétaniques qui s’emparent de tous les muscles du corps, et qui reviennent par accès. C’est pendant un ac- cès de ce genre que l’animal saccombe, par suite du tétanos des muscles de la respiration, et, par conséquent, par asphyxie. L'action du poison suflirait pour entrainer la mort; mais celle-ci est précipitée par le man- que de respiration ; c’est ce qu’a prouvé dernièrement M. Pavy en pro- longeant beaucoup la vie des chiens empoisonnés par la strychnine, en établissant sur eux une respiration artificielle. M. Harley, en administrant successivement ou simultanément à un ani- mal du curare et de la strychnine, a observé des faits qui mériteraient d’être répétés. Une grenouille reçoit 1/500 de grain (05,0001) de curare; au bout de trois minutes l’effet du poison se fait sentir par la paralysie de tout le système locomoteur. On lui donne alors 1/20 de grain (05,0025) de strychnine : les contractions tétaniques de la strychnine apparaissent au bout de cinq minutes. Quand on intervertit l’ordre, on voit survenir d’abord les contractions tétaniques de la strychnine, que fait bientôt cesser l'administration! du curare. Mais voici qui est plus merveilleux. On introduit simultanément dans l’abdomen d’une grenouille 1/500 de grain de curare et 1/40 de grain de strychnine. Au bout de dix minutes les contractions tétaniques de la strychnine apparaissent; au bout de vingt minutes, paralysie et flaccidité complète des membres et du tronc. Le lendemain la grenouille est rétablie. M. Harley conclut de cette ex- périence que ces deux substances se neutralisent dans l’organisme. Le sulfo-cyanure de potassium agit en paralysant d’abord les muscles (Bernard). Ceux-ci ne répondent plus aux excitants directs. Ils ont perdu leur contractilité. L'animal succombe à la paralysie du cœur. Lorsqu'on empêche l’arrivée du poison dans un membre, en liant les vaisseaux qui s’y rendent, l'excitation des parties empoisonnées amène encore par action réflexe des contractions dans le membre situé au delà de la ligature. Plus tard le système nerveux s’affecte à son tour. L’upas-antiar (suc de l’antiaris toxicaria, arbre de la famille des urti- cées) agit comme le sulfo-cyanure de potassium. Le premier effet de ce poison est d’anéantir la contractilité dans les muscles (Kôlliker). Il tue l’animal en arrêtant les mouvements du cœur, ainsi d’ailleurs que l'avait constaté M. Brodie. Cet effet est prompt chez les mammifères (une ou deux minutes); un peu plus lent sur les grenouilles, animaux à circulation et à absorption plus lente (cinq à huit minutes). L'animal succombe sans convulsions. CHAP, VIII, INNERVATION. 829 La vératrine (alcaloïde extrait des graines de la cévadille, ou veratrum sabadilla) est encore un poison qu’on pourrait appeler musculaire, c’est- à-dire que le premier effet qu’il produit se montre du côté des muscles (Külliker), qui perdent promptement leur contractilité. Le cœur s’ar- rête promptement et perd son excitabilité aux excitants. L’excitabilité des nerfs sensibles n’est pas anéantie, mais seulement diminuée. La conicine (alcaloïde d'aspect huileux extrait de la grande ciguë) et la nicotine (alcaloïde d’aspect huileux extrait du tabac) ont des effets tout à fait analogues à ceux du curare. La nicotine seule détermine chez l’ani- mal quelques secousses tétaniques qui durent peu. L’un et l’autre de ces alcaloïdes paralysent les nerfs moteurs, et ne paraissent pas affecter les nerfs de la sensibilité, pas plus que la contractilité musculaire. Le cœur continue encore longtemps à battre après la mort de l’animal. L'action des venins a une grande analogie avec celle des poisons vé- gétaux que nous venons de passer en revue; mais on n'a pas analysé avec autant de précision l'influence qu'ils exercent sur les divers élé- ments du système nerveux et sur le système musculaire. M. Vulpian a récemment appelé l'attention des physiologistes sur un fait d’un autre or- dre qui n’est pas moins curieux. Les recherches de M. Vulpian ont porté sur les venins cutanés de quelques batraciens. Il a constaté que le venin cutané du triton est un poison pour le chien‘, pour le cochon d’Inde, pour la grenouille; mais qu'il n’est point un poison pour le triton lui- même. Le venin de la salamandre terrestre fait périr les grenouilles, et non lessalamandres. Le venin cutané de la salamandre, et celui du tri- ton font périr les crapauds, tandis que le venin du crapaud n’est pas toxique pour le crapaud. Le venin du triton parait avoir de l’analogie avec les poisons qui anéantissent d’abord la contractilité musculaire; on re- marque en effet chez les animaux auxquels on l’a inoculé que les contrac- tions du cœur s’affaiblissent rapidement, ainsi que la contractilité muscu- laire. Ether et chloroforme.— Par son action sur les centres nerveux, l’inha- lation des vapeurs d’éther ou de chloroforme anéantit la sensibilité. Ces vapeurs placent l’homme et les animaux dans une sorte d'ivresse rapide et momentanée; la peau perd sa sensibilité, les organes des sens de- viennent ensuite insensibles à leurs excitants naturels; l’organe de l’ouie est celui qui s'endort le dernier. Il arrive souvent que le patient auquel on pratique une opération douloureuse entend ce qu’on dit au- tour de lui, et même voit confusément l’opérateur, bien qu'il n’ait pas la conscience de ce qu’on lui fait. Quelquefois il semble exprimer de la dou- leur par des cris ou par des contractions dans les muscles du visage, et 1 Pour tuer un chien, il a fallu rassembler le venin cutané de plusieurs tritons. Il est probable que ce venin serait aussi un poison pour des animaux de plus forte taille, et même pour l’homme, s’il était inoculé à dose suffisante. Les naturalistes ont depuis longtemps si- gnalé les ophthalmies contractées pendant la dissection du triton. 830 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, cependant il ne se souvient plus de rien au réveil. Lorsque l’éthérisation ou la chloroformisation sont complètes, les muscles sont devenus lâches, et, lorsqu'on les coupe, ils se rétractent bien moins que dans l’état nor- mal. Lorsqu'un animal est profondément plongé dans le sommeil de l’é- ther ou du chloroforme, on peut constater que les excitants les plus éner- giques sont incapables de susciter des contractions dans les muscles du tronc ou des membres (l'excitation, en effet, n’est pas sentie). Les mus- cles intérieurs, animés par le grand sympathique, perdent plus tard la propriété de réagir par des contractions : ils répondent encore aux exci- tants qui portent sur la membrane muqueuse, alors que les muscles exté- rieurs y sont devenus insensibles,. Lorsque les nerfs sont mis à découvert sur un animal anésthésié par le chloroforme ou par l’éther, l’excitation directe du nerf fait contracter les muscles dans lesquels ce nerf répand ses filets. Si ce nerf, en effet, ne transmet plus les impressions sensitives, il est encore capable de trans- mettre, du côté des muscles, l'excitation} motrice. Il survient ici ce qui arrive sur les membres séparés du corps (par conséquent des centres nerveux), et qui, bien évidemment, ne sont plus sensibles (Voy. $ 220). Pendant le sommeil de l’éther et du chloroforme, les mouvements res- piratoires sont notablement ralentis. Lorsque ce sommeil devient mortel, ce qui est arrivé malheureusement quelquefois, c'est par la suspension des phénomènes mécaniques de la respiration, et par la suspension de l’action du système nerveux sur les mouvements du cœur, que la mort arrive en un court espace de temps. Le ralentissement dans les mouvements de la respiration entraine l’é- change incomplet des gaz dans le poumon ; le sang veineux se débar- rasse incomplétement de l'acide carbonique. Si le sommeil est longtemps prolongé, l'acide carbonique s’accumule dans le sang, et le sang qui cir- cule dans le système artériel n’a plus sa couleur rutilante, ainsi qu’on a pu le constater sur les animaux. Lorsque l’éthérisation ou la chlorofor- misation sont poussées jusqu'à la mort des animaux, la cause de là mort est done assez complexe. Elle dépend d’abord de l’action de l’éther ou du chloroforme sur le système nerveux, action qui tend à ralentir les mouvements des muscles respiratoires et les mouvements du cœur ! par l'intermédiaire des nerfs que ces museles reçoivent. Les troubles de l’hé- mathose surviennent secondairement, et le sang, incomplétement revi- vifié, n’excite plus suflisamment les centres nerveux. La mort par le chloroforme est une syncope compliquée d’asphyxie. 1 Lorsqu'on place un eœur arraché de la poitrine d'un animal vivant dans une atmosphère remplie de vapeurs d'éther ou de chloroforme, le cœur cesse de battre plus tôt que lorsqu'on le laisse à l'air libre. CHAP. VIH, INNERVATION, 831 S 366. Moelle épinière. — La moelle épinière est continue avec l’encéphale. Elle conduit à l’encéphale les impressions qui lui arrivent par les racines postérieures des nerfs : elle conduit de l’encéphale aux organes, par les racines antérieures, les incitations du mouvement; elle est donc un or- ‘gane de transmission. En outre, la moelle contient, dans toute sa lon- gueur, une masse intérieure de substance grise; elle a done aussi une action propre (Voy. $ 362) ; elle est un centre d'innervation. Lorsque la moelle est coupée en travers sur un animal, ou lorsqu'elle est altérée ou détruite chez l’homme dans toute son épaisseur, les par- ties qui recoivent leurs nerfs de la portion de moelle située au-dessous de la lésion sont paralysées du sentiment et du mouvement volontaire. Les impressions ne sont plus senties, les mouvements ne sont plus vou- lus. Mais les mouvements dus à l’action réflexe de la moelle ne sont pas abolis (Voy. $ 344). Lorsque la moelle est divisée au-dessus des points qui fournissent les nerfs destinés à animer les muscles de la respiration, cette section de- vient beaucoup plus grave pour les animaux, de même que ses altéra- tions sont alors aussi beaucoup plus funestes chez l’homme. Ainsi, la moelle étant divisée entre la dernière cervicale et la première dorsale, tous les muscles costaux sont paralysés, mais le diaphragme continue encore à se contracter, ainsi que les muscles supérieurs de la cage tho- racique {sterno-cléido-mastoïdien, trapèze, grand dentelé, pectoraux). Lorsque la moelle est coupée plus haut, on paralyse successivement tous les muscles respiratoires, et l’asphyxie devient menaçante !, Tous ces faits, sur lesquels nous avons déjà insisté précédemment ($ 343), révèlent l’action conductrice de la moelle; mais la science physio- logique n’est pas encore aujourd’hui en mesure de suivre, sur tous les poinis de leur parcours, la voie que suivent les impressions sensitives pour remonter dans la moelle jusqu’à l’encéphale, et la voie que suivent les incitations motrices pour redescendre par la moelle dans les racines antérieures des nerfs. Ce qu’on sait, ce que les recherches anatomiques ont démontré, c’est que les racines des nerfs rachidiens, éant les anté- rieures que les postérieures, pénètrent dans la substance grise de la moelle, et entrent en relation avec cette substance (Voy. fig. 189, p. 832). Une fois engagées dans la substance grise de la moelle, les racines des nerfs com- muniquent avec les cellules nerveuses contenues dans cette substance, Comme, d’une autre pari, les celiules de la substance grise sont en com- 1 Suivant Ch. Bell, il y aurait dans la moelle épinière une portion spécialement en rapport avec les mouvements de respiralion. Cette portion serail le faisceau latéral. D'après lui, le faisceau latéral de la moelle donnerait naissance aux nerfs facial, spinal, glosso-pharyngien, pneumogastrique, diaphragmatique, respiratoire externe du tronc (l'une des branches du plexus brachial), et aux nerfs intercostaux. Cette supposition n’est justifiée ni par l'anatomie ni par les expériences physiologiques. 832 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. munication avec les fibres longitudinales de la moelle (Schilling, Bidder, Wagner, Remak, Owsjannikow, Kupfer), on peut admettre que les tubes nerveux des ra- cines des nerfs et les tubes nerveux de la substance blanche de la moelle sont continus les uns avec les autres depuis les organes jusqu’à l’encéphale. Ajou- tons encore qu'indépendamment des prolongements des cellules de la sub- stance grise, continus avec les tubes ner- COUPE DE LA MOFILE CERVICALE DE L'HOMME veux des cordons de la moelle, cuayee (après M Lenbossek]. les tubes nerveux qui entrent dans la PE, races pusériures de ner rachats. CONStitution des racines des nerfs, il est gg, substance grise de la moelle ayec son canal 1? e. : 7 à dta- re à d’autres tubes nerveux qui servent à éta bb, Substance blanche de la moelle. blir des anastomoses entre les diverses ww, w, deux racines du nerf spinal (accessoire de Willis). cellules. Il est probable que c’est par l'intermédiaire des anastomoses des cellules d’un côté de la moelle à l’au- tre, que les phénomènes de l’action propre de la moelle peuvent être inter- prétés. On conçoit, en effet, que les conducteurs du sentiment (tubes ner- veux des racines postérieures) peuvent se trouver en continuité avec les conducteurs du mouvement (tubes nerveux des racines antérieures) dans l’intérieur même de la moelle, à l’aide des cellules de la substance grise *. En somme, ce qui résulte des recherches les plus récentes sur la struc- ture de la moelle, c’est que nulle part les fibres des racines des nerfs ne se réfléchissent ou ne se coudent par en haut pour remonter immédiate- ment vers l’encéphale par la substance blanche de la moelle, comme on les a longtemps décrites. Les fibres nerveuses de la substance blanche qui composent ce qu'on nomme les cordons antérieurs, les cordons posté- rieurs, et les cordons latéraux de la moelle, ne sont continues avec les fi- bres des racines des nerfs que par l'intermédiaire des cellules de la sub- stance grise dans l’intérieur de laquelle plongent ces racines. Les fibres qui composent la substance blanche de la moelle sortent par toute la surface de la substance grise et sous des angles très-aigus, et elles diffèrent par leur finesse des fibres qui entrent dans la composition des racines des nerfs. Le mode précis suivant lequel les fibres des racines des nerfs rachi- diens se continuent (après leurs communications avec les cellules de la 1 D'après les travaux les plus récents de l’école de Dorpat (entrepris sous la direction de M. Bidder), les cellules de la substance grise de la moelle sont toutes mullipolaires, c'est-à- dire que chaque cellule communiquerait avec une fibre destinée à l'encéphale, avec une fibre sensitive en relation avec l'organe sensible, avec une fibre motrice en relation avec l'organe contractile ; enfin chaque cellule fournirait une autre fibre anastomotique qui établirait la communication des cellules du côté gauche avec celles du côté droit. CHAP, VIII. INNERVATION. 35 substance grise) avec les faisceaux postérieurs, antérieurs et latéraux de la moelle, constitue une des recherches microscopiques les plus difficiles. D’après les recherches de M. Külliker (Voy. fig. 190), les racines anté- meures (a) se continueraient, d’une part, avec le faisceau antérieur du côté opposé (leur entre-croisement en ce point formerait la commissure blanche antérieure de la moelle), et, d’autre part, avec le faisceau latéral -du même côté. Les racines postérieures (p) affecteraient une disposition plus complexe. Une partie se porterait dans le cordon postérieur du même côté, une autre partie dans le cordon latéral du même côté ; mais la plus grande portion s’entre-croiserait avec celles du côté opposé (entre-croi- sement formant la commissure grise postérieure de la moelle), et se por- terait dans le faisceau postérieur et dans le faisceau latéral du côté op- posé (Voy. fig. 190). Fig. 190. FA DISPOSITION DES ÉLÉMENTS DES RACINES DES NERFS DANS LA MOELLE, A, sillon longitudinal antérieur de la moelle.} P, sillon longitudinal postérieur de la moelle. a, a, racines antérieures des nerfs rachidiens. P,P, racines postérieures des nerfs rachidiens. . Les expériences physiologiques relatives à la transmission des incita- tions motrices et à la transmission des impressions sensitives le long de la moelle, sont entourées de plus de difficultés encore que l’étude anato- mique, et cela se conçoit aisément. La section nette et isolée des faisceaux de la moelle est impossible à pratiquer, car les faisceaux ne sont pas des choses limitées. Ils se confondent au contraire insensiblement les uns avec les autres, en formant à la substance grise de la moelle une enve- loppe corticale continue. En outre, la substance grise elle-même se pro- longe en avant (cornes antérieures) et en arrière (cornes postérieures) dans l’épaisseur même de la substance blanche, si bien qu'il est difficile, si ce n’est impossible, de couper transversalement la substance blanche {en arrière ou en avant) sans léser en même temps plus ou moins pro- fondément la substance grise. Ces réserves faites, on peut dire cependant qu'il est permis d'envisager les faisceaux postérieurs et la partie postérieure des faisceaux latéraux comme les portions de la moelle correspondantes aux filets de sensibilité (cette partie de la moelle est la seule sensible), tandis que les faisceaux — J9 834 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. antérieurs et la portion des faisceaux latéraux qui les avoisinent corres- pondraient surtout aux filets moteurs. Il ne faut pas oublier que les raci- nes des nerfs, plongeant entièrement dans la substance grise de la moelle, leur connexion avec les faisceaux blancs n’est pas immédiate. Aussi peut-on couper à une hauteur donnée les faisceaux postérieurs de la moelle, sans que pourtantles parties situées au-dessous de la section soient privées de la sensibilité. Le chemin des impressions, en effet, n’est pas” interrompu. D'une part, la substance grise dans laquelle plongent les ra- cines se trouve encore en connexion avec les fibres sensitives situées au-dessus de la section; et, d'autre part, toutes les fibres sensitives ne remontent pas par les faisceaux postérieurs (Voy. fig. 190). De même, lorsqu'on coupe les faisceaux antérieurs de la moelle, on ne produit pas nécessairement la paralysie complète des mouvements volontaires des par- ties situées au-dessous de la section (Brown-Séquard). La continuité des fibres de mouvements n’est pas, en effet, nécessairement interrompue par cette section, surtout lorsqu'elle ne comprend pas en même temps les cornes antérieures de substance grise et la partie antérieure des cordons latéraux. La réalité de la communication des racines antérieures et des racines postérieures avec la substance grise de la moelle, et la nécessité de ces communications se trouvent confirmées d’ailleurs par les expériences de M. Brown-Séquard. Quand la section de la substance grise de la moelle est complète , les parties situées au-dessous de la section ne ressentent plus la douleur, et on observe également la paralysie des mouvements volontaires. D'après M. Schiff (Congrès scientifique de Carlsruhe, septembre 1858), les cordons postérieurs de la moelle auraient une fonction propre qui consisterait à conduire non pas la sensibilité douleur, mais la sensibilité tactile. Voici sur quelles expériences se base l’auteur : il isole les cordons postérieurs, puis il coupe au même niveau les cordons antérieurs, les cordons latéraux et la substance grise, de sorte que le segment de moelle supérieure ne communique plus avec le segment de moelle infé- rieure que par les cordons postérieurs. L'animal tombe dans l’assoupis- sement et ne ressent plus la douleur, quand on pince, quand on pique ou quand on brûle le train postérieur, car il ne crie, ni ne s’agite. L'animal sent néanmoins, car il suflit de le toucher même très-légèrement sur la même partie pour qu'il ouvre les yeux et que son attention soit éveillée. D'où M. Schiff conclut que les cordons postérieurs conduisent les impres- sions du fact; tandis que la sensation de douleur et celle de température est transmise par l'intermédiaire dela substance grise. La moelle épinière présente, au niveau de la région cervicale et de la région lombaire, deux renflements peu marqués chez l’homme, mais qui le sont beaucoup plus chez quelques animaux. Le volume de ces renflements est en rapport avec le volume des nerfs CHAP. VII. INNERVATION. 835 qui vont se porter aux membres. Chez les oiseaux, dont les membres an- térieurs transformés en ailes ont besoin de déployer une grande force, : les muscles et les nerfs de ces parties l’emportent en volume sur ceux des membres postérieurs : le renflement cervical de la moelle est chez eux très-développé. Chez les mammifères, dont les membres postérieurs sont plus puissants que les antérieurs , le renflement lombaire est plus mar- qué que l’autre. Les animaux sauteurs {le kanguroo en particulier) se dis- tinguent surtout sous ce rapport. L'action propre de la moelle épinière se révèle, sur les animaux aux- quels l’encéphale est enlevé, par la persistance des mouvements réflexes ; elle se révèle également par la persistance des mêmes mouvements, dans les parties situées au-dessous des sections de la moelle. Les mouvements réflexes ont été étudiés précédemment avec détails ; nous n’y reviendrons pas (Voy. $ 344). Ces mouvements sont sous la dépendance de la sub- stance grise de la moelle. Ils prouvent, comme le microscope, que les fi- bres conductrices des impressions et les fibres conductrices des incitations motrices entrent, à des hauteurs variées et dans des sens divers, en com- munication avec les cellules de la substance grise de la moelle, sans re- monter nécessairement jusqu'au cerveau. L'action propre (action réflexe ou excito-motrice) de la moelle épinière se fait sentir particulièrement sur les mouvements du cœur et sur la cir- culation. La plupart des actes sécrétoires et nutritifs paraissent aussi plus ou moins directement placés sous son influence. Influence de la moelle sur les mouvements du cœur, sur les sécrétions , la nutrition. — À l’aide d’un stylet, Legallois détruit la moelle /ombaire d’un lapin: cet animal succombe au bout de trois heures et demie; il détruit, par le même procédé, la moelle dorsale d’un second lapin, et celui-ei ne vit que quelques minutes ; un troisième, auquel il détruit la moelle cer- vicale , succombe plus rapidement encore. Dans ce dernier cas, l’expéri- mentateur a soin d'entretenir artificiellement la respiration de l’animal pour remédier à la paralysie des muscles respiratoires. Sur d’autres mam- mifères, le même expérimentateur détruit la moelle dans toute son éten- due, par le même procédé: la mort est presque instantanée. Les mouve- ments de contraction du cœur ne cessent pas subitement, car le cœur, même arraché de la poitrine, continue encore de battre pendant quelque temps ; mais ces contractions, ainsi que le remarque Legallois, sont des mouvements sans force, incapables d'entretenir la circulation. Legallois a beaucoup exagéré la rapidité de la mort, après la destruc- tion partielle ou totale de la moelle épinière !; mais il ne faudrait pas 1 Les animaux mammiferes peuvent vivre vingt-quatre, trente-six on quarante-huit heures après l'ablation complete de la moelle. Les destructions partielles de la moelle (moelle lom- baire et moitié de la moelle dorsale) peuvent être supportées par les animaux pendant un très-long temps. Chez les oiseaux en particulier, la vie peut durer indéfiniment et sans que l'animal paraisse en souffrir autrement que de la perte de la sensibilité et des mouvements 836 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, conclure pourtant que la moelle (tout au moins la partie supérieure) est sans aucune influence sur les mouvements du cœur. Losqu’on fait pas- ser par la moelle d’un animal fraichement tué le courant d’un appareil d’induction puissant, les contractions du cœur acquièrent immédiatement une assez grande énergie. En versant de l'alcool concentré sur la moelle d’un animal décapité , on peut aussi observer des résultats analogues, quoique moins prononcés. Le cœur tire donc vraisemblablement de la moelle épinière une partie au moins de son principe d'action ; et comme la moelle n’est en relation avec le cœur que par le nerf grand sympathi- que, c’est par cette voie que s'opère la transmission de l'incitation mo- trice. Lorsqu'on fait passer un courant d’induction dans la moelle d’un ani- mal fraichement décapité, on remarque, non-seulement l'accélération des contractions du cœur, mais encore des contractions de l'intestin grêle, du gros intestin, des uretères, de la vessie, ete. Le grand sympathique, qui va à toutes ces parties, est évidemment, ici encore, le lien qui les réunit à la moelle. C’est également par l'intervention du grand sympa- thique (Voy. $ 377) que la moelle exerce, sur les sécrétions et sur la nu- trition, une influence mise en évidence par les expériences physiologi- ques, et quelquefois aussi par les faits pathologiques !. S 367. Bulbe rachidien. — Le bulbe rachidien, continuation immédiate de la moelle épinière, est, comme la moelle elle-même, un conducteur des im- pressions sensitives, et un conducteur des incitations du mouvement. Le bulbe à aussi des fonctions propres. Il jouit du pouvoir réflexe à un assez haut degré (Voy. $ 344), et il tient les phénomènes de la respiration sous sa dépendance. Les conducteurs du mouvement et du sentiment sont moins distincts encore dans le bulbe que dans la moelle épinière. L’excitation de la par- tie postérieure et celle de la partie antérieure du bulbe donnent des ré- sultats moins tranchés que l’excitation des parties correspondantes de la moelle. Il est certain, toutefois, que les éléments sensitifs dominent en- core dans les faisceaux postérieurs du bulbe (ou corps restiformes), car des organes correspondants. M. Brown-Séquard, auquel nous devons ces expériences, a conservé également, pendant plus de quatre mois et dans un bon état de santé, un jeune chat auquel il avait enlevé toute la moelle lombaire. Les expériences de Legallois n’ont été rapidement mortelles pour les animaux que parce qu’il ne s’est pas mis en garde contre l’hé- morrhagie. 1 La moelle épinière aurait aussi, dit-on, une action propre sur les muscles extenseurs et sur les muscles fléchisseurs, et celte action pourrait être localisée. Voici, suivant les auteurs dont nous parlons, une des expériences les plus probantes. Lorsqu'on décapile une gre- nouille au niveau de la première vertebre cervicale, et qu'on l’abandonne apres lui avoir élendu les membres, au bout d’un certain lemps ceux-ci se replient dans leurs articulations. Si au contraire la grenouille a été décapitée entre la région cervicale et la région dorsale de la moelle, et qu’on lui éfende les membres, ceux-ci restent étendus pour toujours. CHAP, VIII, INNERVATION, 837 l'excitation de cette partie est beaucoup plus douloureuse que celle des autres. L'influence qu’exerce le bulbe sur les mouvements respiratoires est bien remarquable. Elle a surtout été mise en lumière par les travaux de Legallois et de M. Flourens. Ouvrez le crâne d’un animal vivant ; faites, par portions successives et d'avant en arrière, l’ablation du cerveau ; en- levez ainsi les hémisphères cérébraux, le cervelet, et même la protubé- rance : l’animal respire encore. Mais lorsque l'opérateur arrive dans les environs de l’origine des nerfs pneumogastriques, la respiration cesse su- bitement, et l'animal expire. Ce n’est évidemment pas parce que l’origine des nerfs pneumogastriques est atteinte que la respiration est subitement arrêtée alors ; car la section des nerfs pneumogastriques n’entraine que des désordres lents et laisse survivre les animaux pendant des semaines ou des mois (Voy. $ 359). L'incitation des mouvements respiratoires transmise, dans l’état nor- mal, par l'intermédiaire de la moelle cervicale et dorsale, aux nerfs qui vont se porter aux muscles respiratoires, se trouvant subitement anéan- tie par la section du bulbe dans le point précité, on en peut naturellement conclure que l'incitation du mouvement de contraction de ces muscles vient d’un point situé au-dessus de la section. Comme, d’un autre côté, l’enlèvement des lobes cérébraux, du cervelet et de la protubérance laisse persister les mouvements respiratoires, il en résulte encore que la por- tion du système nerveux qui régit les mouvements respiratoires n’occupe qu'un espace de très-peu d’étendue à la partie supérieure du bulbe. M. Flourens s’est appliqué à fixer le siége précis de ce point du système nerveux, auquel il a donné le nom de nœud ou de collet vital. Les recher- ches de M. Flourens ont montré que la partie du bulbe qu’on peut re- garder comme la matière nerveuse incitatrice des mouvements respira- toires n’a guère plus d’un demi-centimètre d’étendue chez le lapin. Cette partie du bulbe comprendrait une rondelle de la moelle, comprise entre une ligne qui couperait le bulbe immédiatement au-dessus dé l’origine des nerfs pneumogastriques, et une autre ligne qui couperait le bulbe à 5 ou 6 millimètres au-dessous de la première. Dans les grands animaux, le nœud vital aurait un peu plus d’étendue; ilen aurait un peu moins dans les petits, 1 La rapidité de la mort apres la section du bulbe rachidien dépend de plusieurs condi- tions : 10 Il faut abandonner l'animal à lui-même, si l’on veut qu’il succombe en peu de temps; car si l’on entretient une respiration artificielle, on peut singulièrement prolonger sa vie, ainsi que nous l’avons dit plus d’une fois ; 2° d'un autre côté, si la section du bulbe est rapidement mortelle pour les mammiferes et pour les oiseaux, qui ne peuvent vivre au delà de une, deux, trois ou quatre minutes sans respirer, il n’en est pas de même des ani- maux hibernants et des animaux à sang froid, qui respirent aussi par la peau. Un crapaud peut vivre un mois après cetle opération, une salamandre plus de quatre mois (quand on les maintient dans un milieu frais). Chez les animaux dont nous parlons, la respiration cutanée peut suppléer pendant longtemps la respiration pulmonaire. 858 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, Lorsqu'on fait passer un courant d’induction par le bulbe rachidien, on observe du côté du cœur exactement les mêmes effets que lorsque le courant passe par le tronc des nerfs pneumogastriques eux-mêmes (Voy. S 359), c’est-à-dire que le cœur suspend temporairement ses batte- ments!'. Le passage du courant par la moelle cervicale a, au contraire, pour effet d'accélérer les mouvements du cœur; effet qui se produit aussi quand le courant passe seulement par les nerfs cardiaques (Voy. $S 112 et 376). L'action qu'exerce le système nerveux sur l’action glycogénique du foie (Voy. $$ 187 et 359) est empruntée au bulbe rachidien. Lorsque, à l'exemple de M. Bernard, on pratique, à l’aide d’un instrument piquant, une piqûre à la partie postérieure du bulbe rachidien, c’est-à-dire sur le plancher du quatrième ventricule, dans le voisinage des origines du pneumogastrique, l'urine des animaux, qui avant l'opération ne conte- nait pas trace de sucre, en renferme alors pendant un certain temps. La piqûre, pour être eflicace, ne doit pas franchir un espace compris entre 3 Où 4 millimètres carrés. Le sucre apparaît dans l’urine de une heure à une heure et demie après la piqûre ; il augmente jusqu’à la troisième heure et cesse vers la cinquième ou la sixième. L'apparition du sucre dans l'urine est due, très-vraisemblablement, à une. activité anormale du foie. L'activité anormale du foie augmente les proportions du sucre qu'apportent incessamment les veines sus-hépatiques dans la masse du sang; et M. Lehmann a démontré par expérience que toutes les fois que le sang renferme plus de 0,4 pour 100 de sucre, il s’en débarrasse par la voie des sécrétions (Voy. S 78). S 368. Protubérance annulaire. — Pédoncules cérébelleux. — Pédoneules cérébraux. — La protubérance qui fait suite par en haut au bulbe rachi- dien est formée par des fibres dirigées en deux sens distincts. Les unes représentent les fibres fransversales du pont de Varole; ces fibres se por- tent sur les côtés, vers.le cervelet, en constituant les pédoncules cérébel- leux moyens, et relient entre eux les deux hémisphères latéraux du cer- velet. Les fibres transverses n’existent pas chez les animaux dans lesquels le cervelet, manquant de lobes latéraux, est réduit à son lobe moyen. L'autre partie de la protubérance (placée au-dessus et aussi entre les fi- bres transverses du pont de Varole) est constituée par un amas de sub- stance grise, traversé, dans le sens antéro-postérieur, par la continuité des faisceaux du bulbe avec les pédoncules cérébraux. Cette dernière partie de la protubérance présente une masse plus considérable que le bulbe rachidien; elle en constitue la partie la plus essentielle. Lorsqu'on excite, sur un animal récemment tué, la partie profonde de 1 Quand l'application du courant est soutenue pendant quelque temps, les contractions du cœur reparaissent, même pendant le passage du courant, CHAP. VIII, INNERVATION, 839 la protubérance, on fait naître chez l’animal des mouvements musculai- res dans diverses parties du corps. D’un autre côté, lorsque l'excitation porte sur la même partie d’un animal dont le cerveau n’est pas enlevé, cet animal manifeste des signes non équivoques de sensibilité. La protu- bérance, comme le bulbe, comme la moelle épinière, est done encore un conducteur de sensibilité et de mouvement. La protubérance jouit, comme le bulbe rachidien, et comme la moelle, du pouvoir réflexe ou excito-moteur, c’est-à-dire qu’elle peut réagir, en vertu d’une force propre, à la suite d’impressions, en provoquant des mouvements (Voy. $ 344). La démonstration directe n’est pas ici facile à isoler ; cependant il est bien certain que les mouvements réflexes ont beaucoup plus d’étendue et d'énergie, lorsqu'on a séulement enlevé le cerveau et le cervelet, et conservé à l’animal toute la moelle allongée (c’est-à-dire la protubérance et ses prolongements cérébraux et cérébel- leux), avec le bulbe et avec la moelle, que lorsque l’animal est réduit au bulbe et à la moelle, ou à la moelle seule. On a cherché à établir que la protubérance annulaire était le centre de perception des impressions de la sensibilité générale, et, par conséquent, le point de départ de l'incitation des mouvements volontaires de la loco- motion. Les expériences invoquées à ce sujet ne sont rien moins que dé- monstratives. Sans doute, les animaux exécutent encore des mouve- ments, lorsque les hémisphères cérébraux, les couches optiques, les corps striés et le cervelet sont enlevés; ils peuvent même se dresser sur leurs pattes, changer de place, retirer la patte qu’on leur pince, etc. Mais sont-ce là des mouvements volontaires ? Rien ne le prouve, et, si ce sont des mouvements involontaires, nous rentrons dans l’action réflexe, action que la moelle et le bulbe partagent avec la protubérance 1. Pédoncules eérébelleux.— Les pédoncules cérébelleux sont au nombre de trois : les inférieurs, les moyens, les supérieurs. Les pédoncules céré- belleux inférieurs relient le cervelet avec la moelle; les pédoncules céré- belleux supérieurs, ou processus cerebelli ad testes, relient le cervelet au cerveau; les pédoncules moyens relient le cervelet à la protubérance, ils constituent les fibres transverses et superficielles de la protubérance (pont de Varole), et forment une sorte de commissure très-épaisse entre les deux hémisphères cérébelleux. La section de ces diverses parties donne lieu, chez les animaux, à des phénomènes curieux. 1 M. Longet a vu des animaux dont tout l’encéphale était enlevé, sauf la protubérance et le bulbe, crier encore quand on venait à pincer l’origine du nerf de la cinquième paire. Cette expérience ne résout pas la difficulté, et l’on ne sait pas si l'animal a réellement senti la dou- leur et voulu le cri. Lorsqu'on voit l’homme plongé dans l'ivresse du chloroforme crier et s’'agiter sous le couteau de l'opérateur, sans avoir senti la douleur ni voulu le mouvement, il est permis de douter de l'interprétation que M. Longet tire de ses expériences. Le cri est une expiration avec effort, accompagnée de la tension des cordes vocales : c'est un phéno- mène de mouvement. Est-il impossible que ce mouvement soit parfois involontaire, comme les divers mouvements déterminés par l’action réflexe ? N'y a-1-il pas des cris involontaires ? 840 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. La section de l’un des pédoncules cérébelleux inférieurs fait courber le corps de l’animal en une sorte d’are, dont la concavité est tournée du côté de la blessure. La section d’un pédoncule ou des pédoncules supérieurs ne produit pas de phénomènes nettement tranchés du côté du mouvement. La section d’un pédoncule moyen détermine immédiatement chez l'animal un mouvement giratoire du côté de la lésion. Le mouvement est d'autant plus prononcé que la lésion est plus éloignée de la ligne moyenne du pont de Varole. Le mouvement de rotation est si rapide que l’animal exécute parfois près de soixante tours à la minute. Si l’on coupe l’autre pédoncule, l'animal redevient tranquille 1. Le pont de Varole, qui n’est que la portion médiane des deux pédon- cules cérébelleux moyens, donne lieu aux mêmes phénomènes toutes les fois qu’on coupe ses fibres en dehors de la ligne médiane. À quoi est dû le mouvement giratoire ? Probablement à ce que l’ani- mal cherche à se soustraire à la lésion, c’est-à-dire qu'il cherche à fuir. Or, la section des pédoncules détermine une paralysie partielle dans un des côtés du corps (dans les muscles des membres, dans les museles de la nuque et du dos) ; les muscles, se contractant d’un seul côté, ont pour effet d’enirainer le mouvement de manége autour du côté paralysé. Un phénomène assez étrange accompagne les lésions du pédoncule cérébelleux moyen. Le globe oculaire du côté lésé se dirige en bas, et semble proéminer en avant, tandis que celui du côté opposé éprouve des mouvements giratoires convulsifs. Pédoncules cérébraux.— Les pédoncules cérébraux, qui prolongent en avant la protubérance, représentent cette portion des faisceaux de la moelle qui, après avoir traversé le bulbe et la protubérance, vont plon- ger en avant, à travers la couche optique et le corps strié et s’irradier dans les hémisphères. Les pédoncules contiennent les éléments moteurs et sensitifs, qui unissent la moelle allongée aux hémisphères cérébraux. Lorsqu'on irrite profondément les pédoncules du cerveau sur un ani- mal dont le cerveau est enlevé, on peut déterminer des mouvements, non-seulement dans les muscles de la vie animale, mais encore dans les muscles de l’estomac, de l'intestin et de la vessie, c’est-à-dire qu’on voit survenir les mêmes effets que par l'excitation de toutes les parties sous- jacentes : protubérance, bulbe et moelle. Les pédoncules sont donc en- core des conducteurs. L’estomac et les intestins sont animés par le nerf 1 M. Longet, en répétant les expériences de Pourfour du Petit, de M. Mageudie et de M. Flourens, a vu les animaux exécuter leur mouvement giratoire du côté opposé à la lésion du pédoncule cérébelleux moyen. Mais M. Schiff, qui a plus récemment expérimenté à ce point de vue, a remarqué que la section des pédonceules cérébelleux moyens entraine le mou- vement giraloire du côté du pédoncule cérébelleux divisé, comme l'avait vu M. Magendie : seulement, quand la section dépasse le pédoncule cérébelleux moyen, et intéresse le lobe cor- respondant du cervelet, le mouvement giratoire a lieu du côté opposé. Gette différence s’ex- plique sans doute par la paralysie croisée des muscles (Voy. S 372). CHAP. VII, INNERVATION. 841 grand sympathique; ce nerf, qui se trouve relié aux centres nerveux par l'intermédiaire de nombreuses communications, ne puise donc pas ex- clusivement dans la moelle le principe de son action; ce principe, il le puise aussi plus haut, dans diverses parties de l’encéphale, et jusqu’au- dessus des pédoncules, dans les couches optiques et les corps striés. Lorsqu'on pratique la section de l’un des pédoncules cérébraux, l’ani- mal exécute un mouvement giratoire ou de manége, du côté opposé à ce- lui de la lésion. L'animal tombe souvent à terre. Il recommence à lour- ner quand on le met sur ses pieds. S 369. Tubercules quadrijumeaux, — Les tubercules quadrijumeaux de l’homme et des mammifères correspondent aux lobes optiques des au- tres vertébrés ; chez ces derniers on en voit se détacher les nerfs opti- ques d’une manière évidente. Chez l’homme, les nerfs optiques ne vont d’une manière apparente que jusqu'aux corps genouillés ; mais ceux-ci sont reliés aux tubercules quadrijumeaux par des prolongements ner- veux, qui font saillie sur les couches optiques. Les tubercules quadrijumeaux sont en rapport avec l’exercice de la vi- sion, sans qu’on puisse préciser d’une manière bien nette en quoi con- siste leur rôle dans cette fonction. Lorsqu'on les enlève, l’animal perd la vue; mais comme l'animal perd également la vue lorsqu'on opère la sec- tion du nerf optique sur un point quelconque de son trajet, on peut se demander si les tubercules quadrijumeaux ne seraient pas seulement des renflements situés sur le érajet des impressions. On les a considérés, il est vrai, comme l’aboutissant de la sensation visuelle, ou comme des cen- tres de perception. Mais un animal privé de ses lobes cérébraux voit-1l la lumière? Il n’est guère possible de le prouver, et d’ailleurs il se com- porte alors comme s'il était aveugle : il se heurte à tous les obstacles. Nous nous rappelons, il est vrai, avoir vu dans le cabinet de M. Longet un pigeon dont les hémisphères cérébraux étaient enlevés, et qui sui- vait, par des mouvements de tête, le mouvement circulaire imprimé à une bougie allumée. Mais les expérimentateurs qui ont cherché depuis à reproduire cette expérience n’y sont point parvenus. Notons cependant ce point essentiel, que, lorsqu'on a enlevé les lobes cérébraux, et respecté les tubercules quadrijumeaux, la contracti- lité de l’iris persiste; cette contractilité disparait aussitôt que les tuber- cules quadrijumeaux sont lésés. Les tubercules quadrijumeaux consti- tuent done, tout au moins, un centre de réflexion entre les impressions de la lumière et les contractions de l'iris. Lorsqu'on excite les tubercules quadrijumeaux d’un seul côté, on amène des contractions simultanées dans les iris des yeux. Ce phénomène est confirmatif du rôle que nous avons attribué à la rétine, et il tend à dé- / 542 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. montrer que chaque rétine transmet ses impressions par les deux nerfs optiques, en arrière du chiasma (Voy. $S 292 et 293). S 370. Couches optiques, corps striés, ete.— Les fonctions propres des cou- ches optiques et des corps striés, noyaux de substance grise placés sur le trajet des faisceaux prolongés de la moelle, sont tout à fait inconnues. Leur excitation fait manifestement contracter les muscles du tronc et des membres, quand on lesirrite sur l’animal récemment tué; quand on agit avec un appareil d'induction puissant, on peut aussi faire apparaître des -contractions dans l’estomac et les intestins. Les couches optiques et les corps striés sont peu sensibles. L'hypothèse de M. Foville, qui place dans le corps strié le siége des incitations des mouvements volontaires du membre abdominal, et dans la couche optique le siége des incitafions des mouvements volontaires du membre thoracique, est loin d’être démontrée. On sait seulement qu’a- près l’ablation des lobes cérébraux, et la conservation des couches opti- ques et des corps striés, les animaux peuvent encore se tenir sur leurs pieds. Les couches optiques paraissent du reste avoir sur l’appareil du mouvement une influence plus grande que les corps striés. Quand on a enlevé à un animal et les lobes cérébraux et les corps striés, il peut en- core courir en se servant de ses quatre membres, lorsqu'on l’excite. Quand on enlève en outre à l’animal ses deux couches optiques, il n’est pas complétement paralysé, mais il est assez affaibli pour ne pouvoir plus se tenir sur ses jambes. Les fonctions du corps calleux, de la voûte à trois piliers, celles des ven- tricules du cerveau, de la glande pituitaire, sont tout à fait inconnues. M. Foville suppose que la corne d'Ammon est le siége spécial des incita- tions des mouvements de la langue. Ce qui est plus certain, c’est que lorsqu'on excite cette partie, à l’aide d’un appareil d’induction, sur un animal récemment tué, on fait naître des contractions dans les muscles de la face. S 371. Cervelet. — Le cervelet, placé à la partie postérieure et inférieure du cerveau, et en communication avec la moelle et avec le cerveau, par l’in- termédiaire de la moelle allongée, constitue certainement une des parties les plus importantes de l’encéphale. Beaucoup de tentatives ont été faites pour déterminer sa part d'action dans les fonctions nerveuses ; mais, mal- gré un grand nombre d'expériences et de déductions empruntées à la pathologie, le rôle spécial de cet organe est encore aujourd’hui fort obscur. La substance superficielle du cervelet, c’est-à-dire la substance grise, est insensible à l'excitation ; en cela, elle ne diffère pas de la substance CHAP, VII, INNERVATION. 845 grise, prise dans les autres points du système nerveux !, Quant à l’inté- rieur du cervelet lui-même, il est doué d’une sensibilité peu marquée, mais néanmoins très-manifeste. Les mutilations ou l’excision du cervelet sur les animaux vivants don- nent lieu à des phénomènes curieux, bien décrits par M. Flourens, et souvent observés depuis. Lorsqu'on enlève, à l'aide du scalpel, quelques tranches du cervelet d’un oiseau, il se manifeste immédiatement un manque d'harmonie dans les mouvements. Quand le cervelet a disparu complétement, l’animal se comporte, relativement aux mouvements, comme s'il était ivre. Lorsqu'on répète les expériences de M. Flourens sur les mammifères, les mêmes phénomènes se reproduisent. Le défaut d’équilibration, il est vrai, n’est pas aussi grand, mais les animaux ne perdent pas moins toute leur agilité ; ils marchent en chancelant, reculent quand ils veulent avancer, et tombent aussitôt qu'ils cherchent à se dé- placer avec trop de précipitation. Ce n’est pas à la gravité de la lésion en- céphalique qu’on peut attribuer le désordre des mouvemenis, car si l’on enlève à un lapin les deux hémisphères cérébraux, en respectant Le cer- velet, tandis qu'on enlève seulement une portion même assez restreinte du eervelet d’un autre lapin, le premier animal, d’abord étourdi par la blessure, ne tardera pas à se replacer sur ses pieds, tandis que le second aura la démarche chancelante de l'ivresse. C’est pour cette raison que M. Flourens considère le cervelet comme l’organe coordinateur des mouve- ments. Cette dénomination, expression pure et simple des faits observés, est loin de nous donner la clef de l'influence mystérieuse du cervelet. Les lésions pathologiques du cervelet chez l’homme n'ont pas toujours donné lieu à des phénomènes identiques à ceux que cause la blessure de cet organe sur les mammifères. En général même, on peut dire que ce qu'il y à de plus frappant alors, c’est la perte totale du mouvement, ab- solument comme dans les lésions de l’encéphale lui-même. Quelques auteurs sont tentés de considérer le cervelet comme un foyer de sensibilité. Quelques faits pathologiques tendent, en effet, à démontrer que des maladies du cervelet ont été accompagnées d’une agitation ex- traordinaire, qu’on pouvait rattacher à une exagération de la sensibilité. Il n’est point impossible que les phénomènes assez bizarres que présen- tent les animaux, après l’ablation du cervelet, ne tiennent à la perte de la sensibilité musculaire. Les muscles, comme la peau, sont doués de sensibilité (quoiqu’elle soit beaucoup plus obscure dans les muscles que 1 La substance grise du cervelet et celle des hémisphères cérébraux est tout à fait insen- sible, de même que la substance grise de la moelle. Celle des autres renflements encéphali- ques est manifestement sensible, mais beaucoup moins que la substance blanche. Il est pro- bable que dans ces derniers points ce sont les fibres nerveuses sensilives, mélangées aux cellules de la substance grise, qui font naïtre la douleur à l'excitation. La substance grise est, dans les divers points du système nerveux, le centre auquel aboutissent les conducteurs, et le centre d’où ils partent ; elle a des fonclions propres que l'excitation est impuissante à révéler, 844 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. dans la peau). Dans l’état normal, la sensibilité musculaire avertit l’ani- mal de la résistance du sol : il sent le degré de contraction qu'il doit im- primer aux muscles pour se maintenir dans l’équilibre de la station. Sup- posez qu'il ne sente plus l’état de contraction ou de relâchement de ses muscles, et tous les effets observés s’expliquent facilement. S'il est vrai que la sensibilité musculaire ait son siége dans le cervelet, ce qui n’est, de notre part, qu’une simple supposition, il est certain que la sensibilité générale (sensibilité cutanée tout au moins) n’est pas ordinairement abo- lie dans les lésions pathologiques de cet organe. Gall, ainsi que chacun le sait, localisait dans le cervelet l'instinct de re- production. Il appuyait sa manière de voir sur ce que des lésions du cer- velet avaient été accompagnées de priapisme ; sur ce que les compres- sions du cervelet, par hémorrhagies cérébelleuses ou par strangulation dans la suspension, amènent une érection accompagnée parfois d’éjacu- lation ; et aussi sur ce fait, que le cervelet des animaux hongres ne suit pas le développement général de l’encéphale, et reste relativement plus petit que chez les animaux entiers, lorsque la castration a été opérée avant le développement complet de l'animal. Mais l’absence congénitale du cer- velet a été observée sur une jeune fille, qui n’en manifestait pas moins une tendance très-prononcée à l’amour physique ; les animaux châtrés ont le cervelet tout aussi développé que les étalons ; et, en fait, la com- pression à la suite de la pendaison, ou à la suite des épanchements san- guins, agit tout aussi bien sur le bulbe et sur la moelle, que sur le cerve- let. M. Flourens parle d’un coq qui poursuivait encore sa femelle après l’ablation du cervelet ; et M. Calmeil dit que l'instinct de l’accouplement suivit chez les reptiles, dans les mêmes circonstances. La tendance au recul, signalée par beaucoup d’expérimentateurs, parmi les phénomènes qui succèdent aux lésions du cervelet, n’a rien de constant. D’autres animaux manifestent, au contraire, une tendance opposée. Au reste, l'excitation directe du cerveket fait naître, comme celle du bulbe, de la protubérance, des couches optiques et des corps striés, des contractions dans certaines parties : ces contractions sont peu marquées. M. Budge signale plus particulièrement, sous ce rapport, les canaux dé- férents, les trompes, l'utérus; mais on peut se convaincre, à l’aide d’un appareil d’induction, que l'excitation des couches profondes du cervelet fait naître des contractions dans beaucoup d’autres organes musculeux. Il est remarquable que ces contractions s’observent presque toutes dans des muscles de la vie organique. Ces expériences rappellent à l'esprit la doctrine de Willis, qui plaçait dans le cervelet le centre des mouvements involontaires. En résumé, le rôle du cervelet est encore peu connu. CHAP, VIII, INNERVATION. 845 S 372. Hémisphères cérébraux, ou cerveau proprement dit. — De l’action croisée dans le système nerveux. — Lorsqu'on met le cerveau à décou- vert sur un animal vivant, on peut piquer, inciser, dilacérer, brûler les hémisphères, soit à leur surface, soit dans leur épaisseur, sans faire naître sur l’animal aucun signe de douleur. On ne voit pareillement survenir alors aucun mouvement, ni dans les muscles de la vie animale, ni dans les muscles de la vie organique. Ainsi, les fonctions conductrices que nous avons reconnues dans la moelle, dans le bulbe, dans la protubérance, dans les couches optiques et les corps striés, et qu’on peut distinguer aussi dans le cervelet lui-même, ces fonctions deviennent insaisissables à nos moyens d'investigation dans les hémisphères cérébraux. Quelles sont donc les fonctions des hémisphères ? Ces fonctions consis- tent à recevoir les impressions : ils sont le centre ou l’aboutissant de la sensibilité, et le point de départ de l'incitation motrice volontaire. Pour par- ler un langage plus général, les lobes cérébraux peuvent être considérés comme le siége de la sensibilité et du mouvement. La moelle allongée etses dépendances, et la moelle elle-même, peuvent, après l’ablation du cerveau, ainsi que nous l’avons vu, déterminer encore des mouvements involontaires ou réflexes, à la suite d’impressions diverses dont l’animal n’a pas conscience ; il faut donc ajouter que les lobes cérébraux sont le siége de la sensibilité perçue et le point de départ du mouvement vo- lontaire. Quant à distinguer dans les hémisphères cérébraux les parties qui pré- sident à la sensibilité et celles qui président au mouvement, nous n’avons aucun moyen expérimental d’y parvenir, puisqu’en ce point les facultés conductrices ne sont pas distinctes. Dans les hémisphères, la substance nerveuse a cessé d’être conductrice ; elle est devenue organe de percep- tion et de volition. Lorsqu'on enlève les hémisphères cérébraux sur les animaux à sang froid, ces animaux conservent encore une certaine vivacité dans les mouve- ments. Si l’on excite ces animaux, le mouvement produit par action réflexe est capable de les faire progresser pendant longtemps. Les oiseaux pri- vés de leurs lobes cérébraux se tiennent aussi sur leurs pattes ; ils mar- chent quand on les excite ou quand on les pousse. Quand on cesse de les exciter, ils tombent dans un profond anéantissement. Les mammifères sont plus troublés par l’ablation des hémisphères. Ils n’ont généralement plus assez de force pour rester sur leurs pattes. Si on les place debout et qu'on les excite, ils font quelques pas et ils tombent bientôt. Au reste, jusqu’au moment de la mort, les membres sont capables de mouvements, et l’on peut solliciter ces mouvements par des excitants divers. Les lobes cérébraux sont aussi des centres de perception pour les or- ganes des sens, Lorsqu'on enlève à un animal les hémisphères cérébraux, 846 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. il semble plongé dans un sommeil profond. Le bruit qu’on fait autour de lui ne l’émeut pas; les lésions les plus graves qu’on fait subir à ses tissus paraissent à peine l’affecter, et s’il y répond par des mouvements, il est impossible de dire qu'il a ressenti la douleur, l'action réflexe suflisant à les produire. Lorsque l'animal conserve assez de force pour se tenir sur ses pattes, il se heurte à tous les obstacles, il garde entre ses dents ou dans son bec l'aliment qu’on y place, sans le mâcher ou sans l’avaler, ete. Lorsqu'un bruit violent se passe dans le voisinage d’un animal auquel on a enlevé les hémisphères cérébraux, par exemple, lorsqu'on dé- charge une arme à feu près de son oreille, on remarque quelquefois en lui une sorte d’agitation ou de frémissement ; mais il n’est pas possible de dire que l’animal a entendu. Les vibrations de l’air peuvent agir sur l'enveloppe du corps ou sur les tissus, à la manière des excitants. La dé- tonation du canon suflit pour casser les vitres; on conçoit que celle d’un pistolet puisse suffire à exciter une impression sur les nerfs périphé- riques. On a cherché à localiser, dans des points déterminés des hémisphères cérébraux, les centres de perception de chacune des sensations ; mais tous les efforts qui ont été faits dans cette direction ont échoué. L'action exercée sur les mouvements volontaires par les hémisphères est généralement croisée, c’est-à-dire, en d’autres termes, que l'incitation qui descend de l'hémisphère droit, le long de la moelle allongée et de la moelle, pour se rendre aux nerfs, excite le mouvement dans les muscles de la partie gauche du corps; et, réciproquement, l’hémisphère gauche éveille la contraction des muscles placés à droite du plan médian du corps. Si l’on détruit un seul hémisphère sur un animal, on constate, de la manière la plus évidente, que l'abolition du mouvement volontaire porte sur les membres opposés à l’hémisphère enlevé. Les lésions patho- logiques (entre autres les épanchements cérébraux) prouvent aussi les ef- fets croisés du mouvement de la manière la moins équivoque. Cet effet croisé dépend de l’entre-croisement des fibres nerveuses du mouvement dans la commissure blanche de la moelle, dans le bulbe rachidien, et aussi dans toute l'étendue de la protubérance annulaire. L’excitation des hémisphères ne déterminant point de contractions dans les parties musculaires, les effets croisés ne peuvent être directement dé- montrés sur eux par expérience; mais l'excitation des couches optiques, celle des pédoncules du cerveau, celle de la partie supérieure de la pro- tubérance, montrent que les contractions ont souvent lieu dans les parties du corps opposées à l'excitation. L'action croisée des hémisphères dans le mouvement est loin d’être complète. On a rapporté plus d’une observation dans laquelle la lésion cérébrale siégeait du même côté que la paralysie du mouvement. L'ana- tomie ($ 366), la pathologie et l’expérimentation s'accordent pour démon- ter que l’entre-croisement n’est que partiel, Les phénomènes observés, CHAP. VIIT. INNERVATION. 847 soit dans l’état pathologique, soit dans les expériences sur les animaux vivants, dépendent très-certainement des points lésés, ceux-ci eorrespon- dant tantôt à des éléments entre-croisés, tantôt à des éléments directs !. Les effets croisés de la sensibilité ont été observés par quelques expéri- mentateurs, maisils ne sont ni constants, ni complets ; ce qui tend à prou- ver que l’entre-croisement des fibres sensitives est incomplet aussi. Lors- qu’on enlève un seul hémisphère à un animal, il conserve sa sensibilité; et on ne remarque pas de différence bien tranchée entre la sensibilité des deux côtés du corps. On a vu des altérations d’un seul hémisphère, chez l’homme, être accompagnées de l'abolition du mouvement dans les par- ties opposées à l’altération, tandis que la sensibilité était conservée des deux côtés. M. Brown-Séquard a trouvé, dans ses expériences sur la moelle, que quand on divise la moelle dans une certaine étendue (à l’aide d’un scalpel à lame très-mince) et suivant le plan antéro-postérieur, c’est-à-dire quand on partage la moelle en deux moitiés par la division des commissures grises et blanches, les parties situées au-dessous de la lésion paraissent privées du sentiment. Dans cette expérience , en effet, la continuité des filets sensitifs qui passent d’un côté de la moelle au côté opposé est dé- truite (Voy. fig. 190). Mais la sensibilité est-elle complétement et absolu- ment anéantie ? Quelques expérimentateurs (M. Chauveau entre autres) afirment le contraire. Remarquons que les fibres nerveuses qui se por- tent de la racine postérieure des nerfs dans le faisceau postérieur du même côté persistent encore. N’en serait-il pas ici pour la sensibilité de mème que pour le mouvement? Après la section de la moelle en deux moitiés , la division de la commissure blanche a en effet détruit la conti- nuité d’une partie des fibres motrices (celles qui s’entre-croisent dans la commissure), tandis qu'une autre portion est restée intacte : aussi les ani- maux peuvent-ils se mouvoir, bien que le mouvement soit assez profon- dément lésé, car ils ne peuvent guère alors que se traïner sur leurs membres demi-paralysés. Les hémisphères cérébraux sont le siége organique des facultés intel- lectuelles et des déterminations instinctives. Chacun sait que les commo- tions cérébrales et les blessures graves du cerveau affaiblissent ou anéan- 1 L'analomie du système nerveux est une étude hérissée de difficultés. Pour suivre tous les filets nerveux moteurs de la moelle d'un côté à l’autre, au niveau de l'entre-croisement des fibres (dans la commissure blanche de la moelle, dans le bulbe et dans la protubérance), il faudrait connaître de visu les fibres nerveuses motrices et les fibres nerveuses sensitives, ce qui n’est pas possible, au moins dans l’état actuel de la science. En second lieu, il faudrait savoir si l’entre-croisement des fibres motrices ne se produit pas plusieurs fois: si un certain nombre de fibres ne s’entre-croisent pas dans la commissure blanche d’abord, par exemple, et plus loin dans les pyramides au-dessous du bulbe, ce qui donnerait en définitive à ces fi- bres une action directe. D'un autre côté, les fibres qui s'engagent dans les faisceaux latéraux de la moelle s’entre-croisent-elles en haut comme celles des faisceaux antérieurs ? Les faits pathologiques sont aujourd’hui le seul moyen d’élucider la question, 848 LIVRE IT. FONCTIONS DE RELATION. tissent, plus ou moins complétement, les manifestations de l'intelligence. Lorsque les lobes cérébraux sont enlevés sur les animaux, ils conservent la faculté de respirer, même celle de se mouvoir; mais, comme ils ont perdu toute perception, ils ne cherchent plus ni à fuir, ni à se défen- dre, ni à manger, et ils se laissent mourir sur les aliments qu’on leur donne. On peut dire, d’une manière générale, que l'intelligence est d'autant plus développée que les hémisphères sont plus volumineux. Ainsi, à me- sure qu'on descend dans l’échelle animale, on voit l'intelligence décroître comme la masse nerveuse encéphalique. Il ne faudrait cependant pas ju- ger, d’une manière trop rigoureuse, du degré d'intelligence d’un ani- mal d’après le volume de son cerveau. Il est vrai que l’encéphale de l’en- fant s'accroît avec le corps, à mesure que l'intelligence se développe, et que le cerveau de l’adulte est plus volumineux, d’une manière absolue, que celui de l’enfant; mais tandis que sur l’homme adulte le cerveau est seulement la trentième ou la trente-cinquième partie du poids du corps, chez l’enfant il est relativement beaucoup plus grand, car il est la sixième ou la huitième partie du poids du corps. Chez les animaux, le volume relatif du cerveau; quand on le compare au poids du corps, n’est pas toujours non plus l'indice du degré d'intelli- gence de l’animal. Beaucoup de petits animaux et d'oiseaux de petite taille ! sont très-bien doués sous ce rapport, et cependant la plupart d’en- tre eux le cèdent aux mammifères pour le développement intellectuel. Parmi les mammifères eux-mêmes, M. Colin a récemment publié un ta- bleau d’où il résulte que le chat serait placé en première ligne, que le chien viendrait ensuite, puis le lapin, la chèvre, le bélier, l'âne; le che- val ne viendrait qu’à la suite. La forme du cerveau, le nombre et surtout la profondeur des circon- volutions sont des éléments au moins aussi importants que le poids; on a même cru pouvoir établir que l'étendue de la surface (supposée déve- loppée) du cerveau était la mesure de l'intelligence chez les animaux. Il est vrai que l’homme se distingue de la plupart des animaux par le nom- bre et la profondeur des circonvolutions; mais beaucoup d'animaux très- bien doués ont des circonvolutions rudimentaires, et on les trouve rela- tivement très-développées dans quelques animaux très-obtus. Malgré toutes ces difficultés, il n’en est pas moins certain qu’en compa- rant un individu à un autre individu de la même espèce, le développe- ment plus ou moins considérable de la masse encéphalique marche gé- néralement de pair avec le développement intellectuel : cela est vrai surtout pour l’homme. On sait de la manière la plus positive qu’au-des- sous d’un certain degré de développement des hémisphères et de la " Ghez les petits oiseaux, le cerveau est à peu près dans le même rapport avec le poids du corps que chez l'homme, Chez quelques oiseaux, le rapport est en leur faveur, chez le serin en particulier. CHAP. VIII. INNERVATION, 849 boîte osseuse qui les contient, l'individu est nécessairement un idiot. Le développement de la masse encéphalique est donc généralement une condition favorable. Au reste , il ne faut pas se dissimuler que, sur l’homme vivant, une pareille appréciation ne peut guère fournir que des notions assez vagues. Ce qu’on peut apprécier ici, en effet, ce n’est pas le poids du cerveau, mais seulement son volume. Or, pour connaître même le volume, il faudrait tenir compte de l’épaisseur des parois du crâne (épaisseur variable); il faudrait tenir compte de la grandeur des : ventricules, de la quantité de liquide qui les remplit, de la grandeur des sinus frontaux, ete. : toutes choses impossibles. Beaucoup de grands crânes ne sont pas remplis de cervelle; et les hydrocéphales, qui se dis- tinguent sous ce rapport, sont la plupart du temps des crétins. Dira-t-on que la symétrie dans la disposition des deux hémisphères est une condition favorable au développement de l’entendement? Mais qui ne sait que des blessures, que des pertes de substance, que la suppura- tion et la destruction d’un seul hémisphère n’ont pas toujours entraîné la perte de l'intelligence ? Dira-t-on qu’une partie seulement de l’encéphale est en rapport avec l'exercice de l'intelligence, et que le développement des lobes antérieurs du cerveau, se traduisant par le développement cor- respoñdant de la partie antérieure du crâne, pourra fournir à cet égard des renseignements plus précis ? Mais l'anatomie comparée nous montre de la manière la moins équivoque que les lobes postérieurs du cerveau sont précisément la partie par laquelle les hémisphères du cerveau hu- main diffèrent le plus du cerveau des animaux!. Avouons qu'ici encore on ne peut guère faire que des suppositions. La prédominance des parties antérieures et supérieures de la tête associée à un certain aspect de la physionomie (c’est-à-dire à un degré convenable dans l’ouverture de l’an- gle facial) est, depuis l'antiquité, le symbole de l'intelligence dans toutes les productions de la statuaire et de la peinture, et se confond dans notre esprit avec l’idée de la perfection physique ; il est certain néanmoins qu’une foule d'hommes qui ont marqué leur place dans les sciences, dans les lettres et dans les arts, parmi les intelligences les plus rares, se sont fait plus d’une fois remarquer par les conformations en apparence les plus ingrates. 1 Les lobes postérieurs du cerveau laissent à découvert le cervelet, chez les oiseaux. Chez les mammifères, une grande partie du cervelet n’est pas couverte par les hémisphères. Il n°y a guère que l’homme dont les hémisphères sont assez prolongés en arrière pour couvrir complétement le cervelet, 830 LIVRE I, FONCTIONS DE RELATION, ARTICLE III. SYSTÈME DU GRAND SYMPATHIQUE, $ 373. Composition du nerf grand sympathique. — Le nerf grand sympa- thique consiste en une chaîne ganglionnaire, ou long cordon noueux, profondément placé dans les cavités splanchniques, et étendu de chaque côté de la colonne vertébrale. Cette double chaîne, réunie sur la ligne _Mnédiane en haut, dans les profondeurs de la face , et en bas dans l’inté- rieur du bassin, constitue un seul et même système, d’une forme ovalaire allongée. Cette chaîne envoie dans les viscères de nombreux filets qui s’anastomosent entre eux et forment des plexus. Ces plexus établissent de fréquentes communications entre la chaîne ganglionnaire située de chaque côté. Le nerf grand sympathique n’est pas isolé : il est relié avec l’axe céré- bro-spinal. Ce nerf communique en effet, au niveau des trous de conjugai- son, avec le fronc des nerfs rachidiens. Les filets d'union dont nous parlons se détachent du tronc des nerfs rachidiens, et procèdent de l’une et l’autre racine. Les filets d’anion du grand sympathique, quelquefois appelés les racines du grand sympathique, contiennent donc des fibres sensitives et des fibres motrices. A l’aide des filets d'union se trouve constituée l'unité du système nerveux. Les ganglions renfermés dans les cavités de la face, tels que les gan- glions ophthalmiques, sphéno-palatins, otiques, sous-mazxillaires et sublin- guaux, reliés au système du grand sympathique par les filets de communi- cation envoyés par le ganglion cervical supérieur, peuvent être envisagés comme la portion céphalique du grand sympathique. Ces ganglions, placés sur le trajet des nerfs crâniens moteurs et sensitifs, reçoivent des filets de communication de ces nerfs, et se trouvent ainsi réunis à l’axe cérébro-spinal, et par conséquent dans les mêmes conditions que les gan- . glions cervicaux, thoraciques et abdominaux de la chaîne du grand sym- pathique. Les ganglions du nerf grand sympathique contiennent de la substance grise, c’est-à-dire qu'on y trouve des cellules nerveuses à côté des tubes nerveux primitifs. Les connexions entre les tubes nerveux et les cellules, dans les ganglions du nerf sympathique, ont été bien vues et bien décri- tes par MM. Robin et Wagner (Voy. S 339). Toutes les fibres nerveuses qui traversent les ganglions ne paraissent pas avoir de connexions avec les cellules '. Les fibres nerveuses contenues dans l'épaisseur des gan- glions sont continues avec les fibres du système qui établissent la con- nexion des ganglions entre eux; ou bien elles se continuent, d’une part, 1 Ces connexions sont surtout faciles à constater sur les poissons, L'observation est moins facile sur les reptiles, les oiseaux et les mammifères, CHAP, VII, INNERVATION. 851 avec les filets qui établissent la connexion des ganglions avec l'axe cé- rébro-spinal, et, d'autre part, avec Les filets qui vont aux organes splanch- niques. Les tubes nerveux primitifs, qui entrent dans la constitution du nerf grand sympathique, sont semblables à ceux des nerfs qui se détachent de l’axe cérébro-spinal. On trouve seulement dans le nerf grand sympathi- que une plus grande quantité de tubes à petit diamètre que dans les nerfs cérébro-rachidiens. S 374. * Le nerf grand sympathique considéré comme conducteur de sensi- sibilité et de mouvement. — On a longtemps considéré le nerf grand sympathique comme insensible à l’excitation directe, et comme inca- pable de susciter des contractions dans les parties où il répand ses filets terminaux. Le doute n’est plus possible à cet égard. De même que les nerfs rachidiens, les filets du nerf grand sympathique sont des conduc- teurs d’impressions vers les centres nerveux et des conducteurs d’ex- citation motrice vers les organes. Il faut remarquer, toutefois, que les ré- sultats ne sont pas à beaucoup près aussi évidents pour le nerf grand sympathique que pour les nerfs rachidiens. Pour éveiller la sensibilité et déterminer la douleur sur un animal, en excitant les rameaux ou les gan- glions du grand sympathique, il faut revenir plusieurs fois à la charge ; la transmission des impressions vers l’axe cérébro-rachidien n’a lieu qu'avec lenteur, mais elle est néanmoins manifeste. Pour pratiquer l’ex- citation et bien constater la sensibilité propre au grand sympathique, il est utile de ne pas expérimenter aussitôt après l’éventration de l'animal; il faut attendre quelque temps, parce que les vives douleurs qui résul- tent de la section des nerfs rachidiens compris dans les parois de l’abdo- men ne sont pas encore apaisées, et qu’elles masquent en partie la sen- sibilité plus obscure du grand sympathique. Les branches d'union du grand sympathique avec le tronc des nerfs rachidiens sont les parties les plus sensibles; ensuite viennent les ganglions, puis les branches vis- cérales !. Le grand sympathique est aussi un conducteur de mouvement, c’est- à-dire que si l’on excite mécaniquement ou chimiquement ses ganglions ou ses rameaux, les parties dans lesquelles se terminent les rameaux vis- céraux se contractent. Ici, comme dans les expériences précédentes, l’ex- citation doit être prolongée pendant quelque temps pour amener un ré- sultat. De plus, nous l’avons déjà dit plus d’une fois, la contraction des ‘ Les branches viscérales sont peu sensibles quand on les excite à l’aide des irritants mé- caniques. Il faut, pour mettre en évidence leur sensibilité, ou bien verser sur un plexus un acide concentré, ou bien y appliquer un fragment de potasse caustique, ou bien pratiquer la ligature d'un vaisseau sur les parois duquel se ramifie le nerf grand sympathique, L'irritation porte alors sur un grand nombre de filets, et l’effet se multiplie, 852 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. 1 muscles de la vie végétative est lente à se dessiner, et lente aussi à s’é- teindre. Nous avons établi précédemment que la moelle épinière, seule ou gar- nie du bulbe et de la protubérance, et séparée des lobes cérébraux, don- nait encore aux nerfs en communication avec elle le pouvoir de susciter le mouvement dans les parties excitées. Ce pouvoir, que nous avons ap- pelé pouvoir eæcito-moteur ou action réflexe, n’existe pas seulement pour les nerfs sensitifs et moteurs de la vie animale, il existe aussi pour le nerf grand sympathique. Lorsque chez un animal décapité on vient à exciter le nerf grand sympathique, soit sur les ganglions, soit sur les filets, soit sur les viscères eux-mêmes, l’impression transportée à la moelle se réfléchit sous forme de mouvement dans les parties correspondantes à l’excitation, ou même, par irradiation, à des parties plus ou moins éloignées de celles sur lesquelles a porté l'excitation. Nous avons même vu que l'excitation des parties animées par le grand sympathique pouvait se réfléchir par action réflexe sur des muscles de la vie animale (Voy. $ 344). L'action persistante du nerf grand sympathique, alors qu’il n’est plus en communication qu'avec la moelle épinière (lorsque le cerveau est en- levé), prouve que le principe de son action est en grande partie puisé dans la moelle. Les faits signalés précédemment démontrent que le prin- cipe de son action peut remonter plus haut encore, car l’excitation di- recte du bulbe, de la protubérance et même des couches optiques et des corps striés, détermine des contractions dans les organes animés par le grand sympathique. Le principe des mouvements involontaires ne paraît pas remonter jusque dans les lobes cérébraux. L'expérience prouve encore que le système nerveux du grand sympa- thique n’a pas en lui-même, et indépendamment de ses connexions avec l’axe cérébro-spinal, le pouvoir de conduire les impressions et de ren- voyer le mouvement. Si sur un animal on détruit complétement l’axe cé- rébro-spinal, les fonctions sensitivo-motrices du nerf grand sympathique sont abolies. S 373. Influence du nerf grand sympathique sur les mouvements de la pu- pille. — Le ganglion cervical supérieur, on le sait, envoie, par sa partie supérieure, des filets du côté de la tête, filets qui vont se mettre en com- munication avec les ganglions céphaliques. On ne connait pas encore très-bien le rôle spécial de chacun de ces filets; mais les expériences de MM. Budge, Külliker et Schiff ont prouvé que celui de ces filets qui va se porter au ganglion ophthalmique et de là à la pupille, par l’intermé- diaire des nerfs ciliaires, tient sous sa dépendance les mouvements de di- latation de la pupille. L'iris est constitué par des fibres musculaires lisses, dirigées en deux sens différents. Les unes, groupées au centre, sous forme de sphincter, CHAP, VIII, INNERVATION. 853 ont pour effet de resserrer l’ouverture pupillaire; ces fibres ont pour nerf moteur le nerf moteur oculaire commun (Voy. $ 353). Les autres fibres contractiles de l'iris sont disposées vers la grande circonférence, et affec- tent la direction rayonnée. En prenant leur point fixe à l’insertion de la grande circonférence de l'iris (au ligament ciliaire), elles sont les antago- nistes de l’action du sphincter, sur la circonférence duquel elles s’insèrent. Lorsque le ganglion cervical supérieur est enlevé, ou bien lorsque la bran- che supérieure qui s’en détache est coupée, la pupille se contracte immédia- tement, etelle reste ainsi pendant des semaines et même pendant des mois. Les fibres rayonnées, en effet, sont paralysées, et la tonicité du sphincter subsiste seule. Quand, au contraire, on irrite le ganglion cervical supérieur ou son filet supérieur, on détermine la contraction des fibres rayonnées de l'iris, et, par conséquent, l’agrandissement de l’ouverture pupillaire. Si l’on applique un courant galvanique énergique sur la portion de moelle qui avoisine les limites de la moelle cervicale et de la moelle dor- sale, on fait également contracter les fibres rayonnées de l'iris. Si l’on conpe la branche cervicale supérieure du nerf grand sympathique ou les branches d'union de la portion cervicale du grand sympathique avec l’axe cérébro-spinal, l'excitation de la moelle ne détermine plus l’agrandisse- ment de la pupille. Cette expérience est bien propre à démontrer que l’in- fluence motrice du grand sympathique est puisée dans l’axe cérébro-spinal. S 376. Influence du grand sympathique sur les mouvements du cœur, — Les connexions du cœur avec le système nerveux varient suivant les es- pèces animales. Tandis que dans les mammifères, par exemple, le cœur reçoit ses filets nerveux du pneumogastrique et du grand sympathique, dans les vertébrés inférieurs (les grenouilles, par exemple), le cœur n’est plus animé que par le nerf pneumogastrique. Pour examiner l'influence comparative du nerf grand sympathique sur les mouvements du cœur, il faut donc avoir recours à des mammifères. Lorsque chez un mammifère dont la poitrine est ouverte on applique le courant d’un appareil d’induction sur les branches cervicales du grand sympathique, qui concourent à la formation du plexus cardiaque, on ob- serve généralement une accélération remarquable dans les battements du cœur’. Lorsque l'excitation porte sur les filets de communication qui réunissent le grand sympathique à l’axe cérébro-spinal, les mêmes phé- nomènes se manifestent, quoique d’une manière moins marquée. Il en est de même, lorsque le courant passe par la moelle cervicale. Ces ex- périences montrent bien l’action directe du grand sympathique sur les mouvements du cœur, et le mode de son action; elles montrent aussi que le grand sympathique puise son principe d’action dans la moelle ; mais il 1 L'irritation du nerf pneumogastrique a pour effet, au contraire, de les suspendre, au » moins dans les premiers temps de l’expérience (Voy. $ 359). 554 LIVRE I. FONCTIONS DE RELATION. reste toujours dans les contractions du cœur un inconnu que l’expérience n’a pas encore résolu, et sur lequel nôus avons plus d’une fois insisté (Voy.S$S 1192, 359, 366). C’est la question de savoir pourquoi le cœur sé- paré du corps de l’animal continue à battre spontanément pendant quel- que temps f. On ne peut se livrer à cet égard qu’à des suppositions, et attribuer aux ganglions nerveux du plexus cardiaque, ou aux ganglions microscopiques situés sur le trajet des nerfs dans la masse du cœur, la persistance mo- mentanée des contragtions. Les filets du grand sympathique ne sont pas les seuls, au reste, qui entretiennent pendant quelque temps une contrac- tion rythmique de la fibre charnue, lorsqu'ils sont séparés de l’axe cé- rébro-spinal. Les muscles de la jambe de la grenouille éprouvent souvent une sorte de frémissement oscillatoire, au moment où l’on a séparé le membre du tronc, etil n’est pas rare de rencontrer le même phénomène dans le diaphragme des animaux mammifères, quand le nerf phrénique vient d’être divisé ?. ! S 371. Influence du grand sympathique sur les fonctions de nutrition (di- gestion, cireulation, sécrétions). — La partie supérieure du tube diges- tif (œsophage, estomac) est sous l’influence directe du pneumogastrique ; mais les intestins sont manifestement animés par le nerf grand sympa- thique. Les irritations qui portent sur les ganglions ou sur les filets vis- céraux du grand sympathique, ou sur les filets d'union de ce nerf avec l'axe spinal, font naître des contractions évidentes dans ces parties, Nous avons vu que l'excitation directe de la moelle épinière est suivie des mêmes effets (Voy. $ 366). Les uretères, la vessie, les conduits déférents, les vésicules séminales, les trompes, l'utérus, sont, comme les intestins, sous l'influence motrice du grand sympathique. L'influence du nerf grand sympathique est donc incontestable dans les phénomènes de nutrition accompagnés de mouvements; mais cette in- tluence n’est pas bornée à la couche musculeuse du tube intestinal, à celle de l'utérus, et à celle des réservoirs ou des conduits excréteurs des landes : elle s’étend à l’ensemble tout entier du système circulatoire. Le nerf grand sympathique se dissémine et s’épanouit en nombreux plexus sur les vaisseaux de la poitrine et de l'abdomen; la portion cervicale ali- mente les vaisseaux du cou et les vaisseaux de la tête par l’intermédiaire du plexus carotidien ; sa portion pelvienne forme, avec les branches sa- crées de la moelle un plexus mixte qui envoie aux vaisseaux des mem- * Les contractions persistantes du cœur, apres sa séparation de l'axe cérébro-spinal, sont différentes des contractions normales. Elles sont, dans le commencement, à peu près aussi fréquentes, mais elles sont, des le principe, beaucoup plus faibles. ? Quand on coupe l’extrémité inférieure de la moelle, les contractions des cœurs lympha- tiques de la grenouille persistent. Lorsqu'on enlève avec soin ces organes, on remarque que leurs contractions persistent encore pendant une heure ou deux, : CHAP. VIIL, INNERVATION, 855 bres inférieurs des filets qui procèdent du grand sympathique, ainsi que les expériences dont nous allons parler tendent à le démontrer. Les vais- seaux artériels et veineux possèdent, au nombre de leurs tuniques, une couche composée de fibres musculaires lisses (fibres-cellules, Voy. p.502) qui peuvent augmenter ou diminuer le calibre des voies que le sang par- court, non pas à chaque mouvement rhythmique du cœur, mais d’une ma- nière continue et pendant un certain temps, dans diverses conditions physiologiques, dont quelques-unes sont connues de tous, telles que l’in- jection de la muqueuse stomacale au moment de la sécrétion du suc gastrique, l’mjection des joues sous l'influence des émotions vives, sous celle de la chaleur et du froid, ete. Il est vraisemblable que des phéno- mènes du même genre accompagnent, dans les diverses régions, les actes sécrétoires et nutritifs, et règlent ainsi l’activité variable des métamor- phoses organiques. Un grand nombre d'expériences ont été entreprises depuis quelques années dans cette direction, et les résultats obtenus éta- blissent avec une grande netteté que le diamètre des vaisseaux est dans une liaison intime avec les branches nerveuses du grand sympathique, que quelques auteurs désignent souvent, pour cette raison, nerfs vaso- moteurs. C’est sur les vaisseaux de moyen et de petit calibre, c’est-à-dire sur les vaisseaux qui pénètrent dans le sein des organes, que cette in- fluence a été surtout constatée. Peut-être s’exerce-t-elle aussi sur lesgros troncs vasculaires de l’abdomen sur lesquels le nerf sympathique se dé- ploie avecune grande richesse ; mais, à supposer que des changements temporaires de diamètre se montrent en ces points, ils ne sont guère sen- sibles. Ajoutons, d’ailleurs , qu'on en concevrait beaucoup moins bien l'utilité. C’est M. Bernard qui a le premier fixé l’attention des physiologistes sur ce point. Coupez, à son exemple, sur un lapin, le nerf grand sympathique au cou, au niveau du ganglion cervical supérieur, et, peu de temps après, vous verrez les vaisseaux de l'oreille du côté opéré se tuméfier, se dessi- ner nettement sous la peau, et la température de la partie s'élever. Les lilets sympathiques qui animaient la tunique musculaire des vaisseaux étant séparés du système nerveux, les fibres musculaires de cette tunique sont paralysées, et la tension sanguine amène promptement leur dilata- tion !, De là l’engorgement sanguin des parties, et leur élévation de tem- pérature par suite de l’afflux anormal du sang. Excite-t-on maintenant, à l’aide du courant de la pile, le bout du nerf grand sympathique qui correspond à l'oreille en expérience, on détermine dans la tunique musculaire des vaisseaux une contraction qui ramène les ‘ Le systeme musculaire à fibres lisses (fibres-cellules) qui entre dans la constitution des vaisseaux se comporte, eu égard à ses liaisons avec le ‘système nerveux, comme le système musculaire de la vie animale ou de la locomotion. Tant qu'un muscle de la locomotion est relié au système nerveux central par les nerfs, il est, même pendant le repos, dans un état de contraction tonique ou de tension spéciale, qui disparaît par la section des nerfs (Voy. S 227). 856 LIVRE 11, FONCTIONS DE RELATION, vaisseaux à leur diamètre normal ; l'injection disparaît, et avec elle l’é- lévation de température. Supprime-t-on la source d’excitation (qui a rem- placé pour un instant l'influence nerveuse), la dilatation des vaisseaux reparait, et avec elle l'élévation de température. Tous les physiologistes ont répété l’expérience de M. Bernard et en ont confirmé la justesse 1. M. Van der Beke Callenfels a constaté, de plus, que l'élévation de température observée sur l'oreille de l’animal, à la suite de l’extirpation du ganglion cervical supérieur, persistait encore, quoiqu’à un faible degré, au bout de 121 et de 155 jours. Le même expé- rimentateur a constaté encore (dans une expérience qu'il pratiquait en commun avec M. Donders), sur un lapin auquel on avait enlevé la voûte crânienne, que l'excitation du bout périphérique du grand sympathique au cou amenait dans les artères de la pie-mère une diminution telle, que le diamètre de deux artères (spécialement en observation) augmentait de plus du triple quand on supprimait la cause excitatrice. M. Pincus et M. Samuel extirpent sur des chiens, des chats et des la- pins le plexus solaire et les ganglions semi-lunaires, et, entre autres phé- nomènes, ils constatent que la muqueuse de l'estomac et de la partie su- périeure de l'intestin grêle est fortement injectée, et que cette ablation entraine même des épanchements sanguins sous-muqueux. M. Pincus enlève à d’autres lapins le plexus nerveux qui entoure l’artère mésenté- rique et l’aorte abdominale, et il trouve des désordres analogues dans toute l'étendue de l'intestin correspondant à la distribution nerveuse. M. Gunning coupe sur des grenouilles le plexus ischiatique au point où il sort de la moelle (par conséquent il coupe en même temps les ra- meaux communiquant du grand sympathique de cette région). Parmi les résultats de cette section, il note une injection très-visible à l’œil des vaisseaux du membre inférieur. Cette injection s'étend jusqu’à la mem- brane natatoire ; on peut la constater à l’aide des instruments grossissants, en comparant les deux membres. Le grand sympathique peut donc entraîner dans les circulations locales des changements en vertu desquels la masse du sang qui traverse un or- gane se trouve temporairement augmentée ou diminuée. Or, comme le sang est à la fois producteur et distributeur de chaleur, le grand sympa- thique exerce dès lors une influence indirecte, mais néanmoins très-re- marquable, sur la température locale des parties. Il y a longtemps déjà que M. Chossat avait noté, dans quelques expé- riences où il coupait la moelle à diverses hauteurs dans la région dorsale, que la température prise dans le rectum des animaux éprouvait, après l'opération, une élévation momentanée qui durait plus ou moins long- temps, et qui cessait ensuite pour faire place à un abaissement continu (comme, d’ailleurs, dans toutes les autres parties) jusqu’à la mort. Plus 1 Elle a été exécutée dernierement sur de grands animaux (cheval), par MM. Lussano et Ambrosali. CHAP. VIII, INNERVATION, 857 tard, M. Nasse obtenait, de la section de la moelle pratiquée à diverses hauteurs, des résultats variés. Tantôt, suivant lui, la température du membre postérieur s’élevait, tantôt elle s’abaissait. Mais quand, passant en revue toutes ses expériences, on compare la température des membres antérieurs avec celle des membres postérieurs (c’est-à-dire la tempéra- ture des parties non paralysées avec celle des parties paralysées), con- stamment on trouve, après l'opération, un excédant de température dans les membres postérieurs soustraits à l'influence nerveuse. Remarquons (Voy. $ 378) que le grand sympathique n’est pas un système nerveux fonctionnant isolément, et que son influence est profondément atteinte quand, au lieu de communiquer avec tout l’ensemble du système ner- veux, il ne communique plus qu'avec un tronçon peu étendu de la moelle. La soustraction de l’influence nerveuse sur la circulation des membres postérieurs est plus complète encore quand la moelle lombaire, au lieu d’être simplement coupée, est détruite t. Les expériences de M. Brown-Séquard, et celles plus récentes de M. Schiff sur la moelle épinière, ont mis plus d’une fois en lumière cette influence du système nerveux sur la distribution de la température. M. Brown-Séquard pratique la section d’une moitié de la moelie, vers le milieu de la région dorsale, et il constate une augmentation de tempéra- ture dans le membre du côté paralysé. M. Schiff a souvent observé, à la suite de la section ou de la destruction d’une partie plus ou moins éten- due de la moelle, une élévation de température dans les parties paraly- sées qui dépassait de 5, de 8 et quelquefois de 12 degrés celle des parties paralysées ?. C’est par l'intermédiaire des filets (vaso-moteurs) qu’il répand sur les tuniques des vaisseaux qui entrent dans le sein des glandes, que le grand sympathique agit vraisemblablement sur les sécrétions, pour les augmen- ter ou pour les diminuer. Si nous nous en rapportons aux expériences de 1 Dans l’état normal, les membres postérieurs d’un chien sont plus chauds que les anté- rieurs de 0°,3. Après la section de la moelle lombaire, les membres postérieurs sont plus chauds que les antérieurs de 00,6. Après la destruction de la moelle lombaire, l’excédant de température des membres postérieurs est de 2 degrés. Voici trois expériences : Membres postérieurs. Membres antérieurs, Chenginihehs. sarl arr lame 280,1 270,8 Chien apres section de la moelle.. . . . . . 260,5 250,7 Chien apres destruction dela moelle lombaire, 270,7 250,7 M. Nasse prenait la température dans une plaie faite aux muscles de la cuisse. S'il l'avait prise à la surface du membre, la différence eùt été plus grande. La dilatation vasculaire porte en effet surtout sur les vaisseaux de petit calibre, et le réseau sous-cutané est tres- riche. 2 M.Schiff insiste, avec raison, dans ses expériences sur la nécessité de comparer toujours la température des membres en expérience avec celle des membres restés sains, attendu que la température absolue de la partie paralysée est souvent, comme celle des autres parties, plus basse après l'expérience qu'avant. Il n’en peut être autrement quand la destruction com- prend une étendue notable de la moelle. 858 LIVRE If, FONCTIONS DE RELATION, M. Budge, la suppression des nerfs vaso-moteurs, en paralysant les tu- niques des vaisseaux, ne leur permettrait plus d’opposer à la tension sanguine un effort suflisant, et la filtration des éléments liquides du sang au travers des parois vasculaires se trouverait augmentée. C'est ainsi qu'on peut interpréter plusieurs faits signalés par lui. Lorsque, sur des lapins, on a retranché le plexus solaire, l'animal est bientôt atteint de diarrhée, et, si on l’ouvre, on trouve les dernières parties de l'intestin, cœcum, côlon, remplies de liquide. Lorsqu'on a coupé le nerf grand sympathique au cou ou extirpé les ganglions cervicaux, on remarque, in- dépendamment des résultats signalés plus haut, des phénomènes qui in- diquent une certaine tendance aux épanchements. C’est ainsi, par exemple, que M. Colin a observé, après cette section sur les chevaux, que la partie correspondante de la face et de l’encolure est, peu après, mouillée par une sueur abondante. C’est ainsi que M. Schiff signale, parmi les ré- sultats de l’extirpation des ganglions cervicaux, l’épanchement de la sé- rosité dans le péricarde. Les glandes salivaires, quoique placées hors des cavités splanchniques, ne font pas exception, et c’est par l'intermédiaire de la portion céphali- que du système sympathique que se trouvent animés leurs vaisseaux. L'excitation sécrétoire vient de la membrane muqueuse de la bouche ; elle est transportée par les nerfs sensitifs du côté des centres nerveux (Hingual, glosso-pharyngien), et elle est transmise des centres vers l’or- gane sécrétoire par le système du grand sympathique (ganglions ophthal- mique, sphéno-palatin, otique, sous-maxillaire, sublingual) ?, Si nous nous en référons aux expériences relatées au paragraphe 172, et aussi aux expériences récentes de M. Pineus, le grand sympathique tien- drait sous sa dépendance non pas seulementla quantitédes sécrétions, mais encore leur qualité. Lorsqu'on coupe les deux nerfs pneumogastriques au cou suivant la méthode commune, l’estomac remplit, il est vrai, incom- plétement ses fonctions, parce qu'il ne se meut plus sur les matières ali- mentaires, mais la sécrétion du suc gastrique, quoique diminuée, persiste, et Le lait injecté dans l'estomac se coagule (cette coagulation est caracté- ristique de l'acidité du suc gastrique). Mais lorsqu'on coupe les nerfs pneu- mogastriques au niveau de lanneau œsophagien, le lait injecté dans l'estomac des animaux ne se coagule plus, et le liquide extrait de l'esto- mac n’a qu'une réaction alcaline. Or, entre ces deux méthodes d’expé- riences, il y a cette différence que, dans le premier cas, les branches pec- 1 Les mamelles sont sans doute aussi en relation avec le système du grand sympathique, par l'intermédiaire des tuniques des artères mammaires (mammaires internes surtout). La liaison sympathique de ces glandes avec les organes de la génération, dans le travail de la lac- tation, tend à le démontrer. Toujours est-il que l'application de l'électricité a sur la lacta- tion un effet analogue à celui qu’on obtient en l’appliquant aux autres sécrétions. Plusieurs fois (Aubert, Becquerel), on a rappelé la sécrétion du lait en appliquant à diverses reprises le courant d’un appareil d’induction sur la mamelle dans la direction des vaisseaux mam- maires. CHAP, VII, INNERVATION, 859 lorales du grand sympathique, qui s'unissent aux nerts pneumogastri- ques et vont avec lui à l'estomac, sont respectées, tandis que, dans le second cas, ces branches sont coupées avec les nerfs pneumogastriques eux-mêmes. M. Snellen à récemment publié, sous les auspices de M. Donders, d'U- trecht, une série d'expériences qui mettent en évidence le rôle des nerfs vasculaires sur les phénomènes de l’inflammation. On coupe à un lapin le nerf grand sympathique du côté droit à la région cervicale, puis on introduit dans chaque oreille, par une plaie pratiquée à dessein, une petite perle de verre sur laquelle on recoud la plaie. La température de l'oreille droite est de 37, celle de l’oreille gauche n’est que de 20 degrés. Au bout de six jours, l'oreille droite n’est presque plus gonflée, l'oreille sauche est fortement tuméfiée. Au bout de douze jours, la plaie de l’o- reille droite s’estouverte par déchirure des bords de la plaie; celle-ci est sèche, il n’y a point de gonflement. Au bout du même laps de temps, le sonflement de l’oreille gauche a considérablement augmenté, et il s’est formé dans son épaisseur un vaste abcès purulent. D’autres expériences du même genre ont appris à l’auteur que la section du nerf grand sym- pathique favorise la cicatrisation !. Voici d’autres résultats curieux : on coupe à droite, sur un lapin, le grand sympathique au cou, et lorsque les vaisseaux du globe oculaire du même côté sont dilatés, on verse de l'acide acétique concentré sur les deux yeux (sur l’œil du côté sain comme sur l’œil du côté opéré). Les deux yeux se troublent à l'instant, l’épithélium cautérisé ne tarde pas à se détacher, et une conjonctivite violente éclate. Pendant dix jours, on ne remarque aucune différence entre les yeux. Plus tard, on voit se dessiner nettement sur la conjonctive de l'œil droit des vaisseaux rayonnés qui se dirigent vers la cornée ; celle-ci s’éclaireit et redevient transparente, et, au bout de quatre semaines, l'œil droit ne présente plus qu’un trouble à peine marqué, c'est-à-dire une dilatation limitée des vaisseaux de la conjonctive et de l'iris. Quant à l’œil gauche, au contraire, on ne voit pas apparaître les vaisseaux rayonnés, et la cor- née est encore si trouble au bout de quatre semaines qu'on n’aperceoit pas la pupille. De tous ces faits et de beaucoup d’autres que nous ne pouvons trans- crire ici, il résulte manifestement que le système nerveux ganglionnaire, par les filets qu'il envoie aux tuniques des vaisseaux, tient jusqu’à un cer- ain point sous sa dépendance les fonctions de sécrétion et de nutrition. Mais il ne faut pas cependant exagérer l'importance du système nerveux sur les fonctions nutritives. Les fractures se consolident parfaitement sur les membres paralysés; les expériences de M. Snellen montrent que la cicatrisation des plaies des parties molles est dans le même cas. S'il 1 M. Snellen coupe, par exemple, à un lapin la moitié de chaque oreille. Or, l'oreille cor- respondante à la section de la portion céphalique du grand sympathique est cicatrisée en dix jours; l’autre ne l’est qu’en quinze jours. 860 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. est vrai que les membres paralysés diminuent de volume, si leurs masses musculaires s’atrophient, ces membres n’en sont pas moins vivants. Le manque d'exercice amène à peu près les mêmes effets dans les membres non paralysés. Le système nerveux de la vie animale qui donne la sensibilité aux par- ties n’est pas non plus absolument étranger aux fonctions de nutrition, et il agit, si je puis ainsi parler, comme une sorte de protecteur. Lors- qu’on a coupé les nerfs d’un membre à un animal vivant, on voit sou- vent l’inflammation s’emparer des parties sur lesquelles repose l'animal. Cela tient sans doute à ce que la sensibilité est anéantie dans le membre; Panimal ne sent plus la compression que le poids du corps amène dans la partie sur laquelle il repose, sensation de douleur qui, dans l’état na- turel, lui fait varier sa position. La partie soumise à une pression conti- nue, et engorgée d’ailleurs par la paralysie des capillaires, se trouve éminemment disposée au travail inflammatoire. On voit pareillement chez l’homme des engorgements succéder parfois à l’excision des nerfs qui se rendent dans une partie, et des abcès se former à la suite de la paralysie de la langue, dans les points devenus insensibles, qui se trouvent soumis à la pression continue des dents. En résumé, et en ce qui concerne l’action du grand sympathique sur les fonctions de nutrition, on peut dire que la section de ce nerf entraine la paralysie des filets vasculo-moteurs. Les vaisseaux qui ont perdu leur contractilité se dilatent et s’engorgent de sang. Cette hypérhémie neuro- paralytique (ainsi la nomme M. Schiff) a, à son tour, des conséquences très-différentes , suivant les tissus ou les organes ; tandis qu’elle ne pro- duit pas d’altérations sensibles dans le tissu vasculaire osseux, tendineux musculaire, cutané, ete., elle en peut produire dans des tissus plus déli- cats (poumons et cornée, par exemple), sous l'influence des causes trau- matiques les plus légères. On peut encore dire avec M. Schiff: «La para- lysie d’un nerf vasculo-moteur n’est jamais suffisante pour produire direc- tement une altération de nutrition dans les tissus ; elle a seulement pour conséquence immédiate de les mettre dans un état hypérhémique. » $ 378. Remarques sur le rôle spécial du nerf grand sympathique.— Bichat, auquel on doit principalement la division féconde des fonctions en fonc- tions de nutrition ou de la vie organique, et en fonctions de relation ou de la vie animale, chercha à mettre cette division en harmonie avec le sy- stème nerveux. Il plaça les premières sous l’influence des nerfs cérébro- spinaux, et rattacha les secondes à la chaine ganglionnaire du grand sympathique. De là, pour lui, deux systèmes nerveux : le système ner- veux de la vie organique et le système nerveux de la vie animale ; le der- 1 Voy., $ 555, les lésions de nutrition qui surviennent par cause mécanique dans l'œil . , . D Er » privé &e sensibilité. CHAP. VIII, INNERVATION, 861 nier ayant pour centre le cerveau et la moelle, et pour conducteurs les nerfs cérébro-rachidiens ; le premier ayant pour centres multiples les ganglions du grand sympathique, et pour conducteurs les filets de ce même nerf. La symétrie des organes des sens et des organes locomoteurs s’accommodait, dans sa doctrine, à la symétrie du système nerveux cé- rébro-rachidien et des nerfs qui en partent; tandis que l’nsymétrie des organes intérieurs se trouvait en rapport aussi avec l’insymétrie du sy- stème nerveux correspondant. D’après la manière de voir de Bichat, les ganglions du grand sympathique seraient autant de petits centres ou de petits cerveaux recevant les impressions obscures des organes nutritifs, et réfléchissant vers eux le mouvement, sans l’intervention nécessaire de la moelle ou du cerveau. Queiques anatomistes ont cherché à mettre cette doctrine en rapport avec la constitution anatomique du grand sympathique. MM. Remak , Bidder, et Volkmann, en particulier, ont décrit dans le nerf grand sym- pathique, indépendamment des fibres nerveuses sensitivo-motrices com- munes à tous les nerfs, un certain ordre de fibres dites fibres sympathi- ques ou fibres organiques, qui naîtraient dans les ganglions du nerf grand sympathique. Ces fibres s’irradieraient d’une part dans les organes avec les filets viscéraux; et, d'autre part, ces fibres spéciales se porteraient du côté de l’axe cérébro-spinal, et établiraient ainsi la communication entre les deux centres nerveux. Mais il n’y a point de différence appré- ciable entre les tubes nerveux du grand sympathique et ceux qu’on ren- contre dans tous les nerfs. Il n’y a d’autres différences que dans la pro- portion plus ou moins grande des fibres de tissu cellulaire interposé. La division du système nerveux en deux systèmes secondaires indépen- dants n’est pas non plus conforme à l’expérience physiologique. L’expé- rience démontre que le grand sympathique devient incapable d’entretenir le mouvement et la sensibilité, quand ses connexions avec l’axe cérébro- spinal sont détruites. À mesure que les recherches de la physiologie se multiplient, l’unité du système nerveux devient une vérité de plus en plus manifeste. Les impressions du grand sympathique sont ordinairement non senties ; mais elles se traduisent parfois sous forme de douleur, et met- tent par conséquent en jeu les foyers supérieurs de la sensibilité (hé- misphères). Non-seulement la sensibilité des organes et le mouvement des parties contractiles animées par le sympathique se trouvent anéanties par la sé- paration du nerf grand sympathique d’avec l'axe cérébro-spinal ; mais les nerfs vaso-moteurs eux-mêmes puisent réellement leur action dans le sy- stème nerveux central lui-même, par l'intermédiaire des filets d’union du grand sympathique. M. Pflüger a dernièrement constaté, dans une suite d'expériences délicates , que les artères de la membrane natatoire de la grenouille diminuent de calibre, quand on excite, à l’aide d’un ap- pareil d’induction, les racines antérieures des nerfs rachidiens. Quant # ; ” à * + 862 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION. aux Yeines, dit le même “expérimentateur, il en est de même; mais leur contraction est si peu marquée qu’elle échappe presque à l'observation. ARTICLE IV. D INTELLIGENCE, INSTINCT, — SOMMEIL, S 379. Facultés intellectuelles. — Les organes des sens transmettent à l’en- céphale les impressions du toucher, celles de la vue, de l’ouïe, de Fodorat et du goût; mais la sensation n’est pas tout entière dans l'impression ni dans la transmission de l’impression. Une pendule dont le timbre ré- sonne, et qui fait entrer en vibration les expansions du nerf acoustique, ne donne pas nécessairement la sensation du son, et il arrive très-souvent qu'il passe inaperçu. L'attention seule est capable de compléter la sensation, en la transfor- mant'en perception. La sensation percue devient une idée. L'idée eonsi- dérée dans sa simplicité suppose seulement une sensation perçue par un cerveau ; elle est commune aux animaux et à l’homme. Mais ce qui dis- tingue essentiellement l'homme de l’animal, c'est que le dernier n’a que des idées concrètes, tandis que le premier est capable de se former des idées abstraites, en appliquant son attention, non-seulement à des sensa- lions actuelles, mais encore à des sensations passées, en un mot, parce qu'il compare et qu'il juge. L'idée concrète ne sépare jamais le mode de l’être : elle est la notion simple de ce qui existe par soi. Pour l'animal qui n’a que des idées de ce genre, il n'existe que des corps ou des individus plus ou moins nom- breux, pour lui il n'existe ni genres ni espèces. s L'idée abstraite, au contraire, sépare le mode de l'être ; elle rapproche les qualités et les attributs d’une foule de corps, et en forme des notions distinctes des corps eux-mêmes. Pour lanimal, il y a des corps colorés, des corps sapides, des corps chauds ou froïds, etc.; mais les idées de cou- leur, de saveur, de température, de forme, de pesanteur, de son, ete. (toutes choses qui expriment certains modes considérés abstractivement des corps), n'existent pas pour Jui. Par l’artifice du signe, de la parole et de l'écriture, l’homme a été plus loin, il a donné en quelque sorte un corps à ses abstractions ; il a substan- tivé une foule d'idées qui forment le fonds commun de son langage et qui constituent en quelque sorte les éléments de sa pensée. Les substantifs vice, vertu, impulsion, civilisation, navigation, expression , ressemblance , force, sagesse, beauté, et tant de milliers d’autres mots dont les plus igno- rants des hommes se servent chaque jour, correspondent évidemment à des idées que l'animal n’a point. L’homme a fait plus encore, il a donné l'être à ce qui n'existe pas, il a créé le néant, l'infini, le passé, l'avenir. CHAP. VIII, INNERVATION. 865 Nous ne rechercherons pas si toutes les idées de l’homme lui viennent - par les sens, ou s’il en est quelques-unes dont il possède en lui le germe. Cette recherche est, suivant nous, tout à fait oiseuse, L'homme a en lui le pouvoir de créer des idées abstraites, pouvoir que n’ont certainement pas les animaux. Qu'importe que ce soit l’idée elle-même ou le pouvoir qu'il a de les créer à l’aide des sensations qui préexistent en lui ? Il est toutefois assez naturel de penser que si toutes les sensations lui faisaient défaut , et, avec elles, tous les matériaux de la réflexion et du jugement, le pou- voir qu'il a d’abstraire resterait à l’état de force latente. On concoïit difli- cilement qu’alors il pût avoir même l’idée mathématique, idée qui s’éloi- sne le plus des modes matériels. Il n’est pas possible d’aflirmer, en effet, qu’en l'absence du sens de la vue et de celui du foucher l'homme püt avoir la notion du nombre. La comparaison entre une sensation présente et une sensation passée, ou entre deux sensations passées, c’est-à-dire la réflexion, suppose la mé- moire. Chez l’homme, elle peut s'appliquer aux idées de toute sorte et aussi aux sentiments. Qu’on envisage la mémoire comme une trace insen- sible déposée par la sensation à la surface ou dans la profondeur du cer- veau, Où qu'on avoue son ignorance sur la condition matérielle à laquelle elle est liée, il n’en est-pas moins vrai que la mémoire est une faculté es- sentiellement organique. Elle est commune aux animaux et à l’homme. Il est vrai que les premiers n’en tirent pas, comme lui, les fruits du juge- ment et de la raison; mais il est incontestable qu’elle n’est pas étrangère aux déterminations qui n’ont pas leur source dans l'instinct. La mémoire est, après la sensation perçue, la plus importante des facultés de l’enten- dement. Sans elle toutes les autres seraient inutiles. La mémoire est une faculté variable, suivant les espèces animales et suivant les individus de l'espèce humaine. Elle varie aussi avec la durée et la vivacité des im- pressions. Toute perception vive et répétée se grave pour longtemps dans l’encéphale. Les perceptions de la vue, celles de l’ouie, celles des odeurs, he se conservent pas au même debré dans la mémoire ; et il y a, sous ce rapport, des différences individuelles extrêmement nombreuses, qui tien- nent évidemment à des conditions organiques. La mémoire de la vue, d’où résulte la mémoire des lieux et des choses, donne à l’homme qui la possède à un haut degré une prédisposition favorable aux sciences d’ob- servation. La mémoire des sons, très-développée chez quelques-uns, est presque nulle chez d’autres ; à cette prédisposition organique s'allie le goût musical. La mémoire des odeurs, généralement faible chez l'homme, est extrêmement développée chez le chien, qui reconnaît son maître bien plus par l’odorat que par la vue, etc. La mémoire enfin se perfectionne par l'exercice, se ralentit et s’éteint, comme la plupart des fonctions or- ganiques, avec les progrès de l’âge. De même que l’homme, l’animal se souvient; mais peut-il, comme l’homme lui-même, faire surgir à volonté les faits de mémoire ? Rien ne 864 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION, _le prouve, et tout prouve le contraire. L'animal n’a point de libre volonté. Le libre arbitre est l'apanage exclusif de l’homme. L’homme meut son bras parce qu'il le veut; il ne le meut point, et le laisse exposé aux dou- leurs les plus vives, parce qu'il le veut encore. Dira-t-on qu’un animal a aussi la volonté, parce qu’il meut son corps ou ses membres dans telle direction plutôt que dans telle autre? Mais pourrait-il agir autrement qu'il ne le fait? Lorsque l'homme est frappé de paralysie et que le pouvoir de mouvoir ses membres lui manque, en a-t-il moins la volonté spontanée ? La recherche des aliments, le besoin d’un abri, la nécessité d'échapper au danger qui le menace, peuvent faire naître chez l'animal auquel on aurait retranché les membres la volonté de fuir; mais est-ce là réelle- ment un acte spontané de volonté ? Le mouvement n'est-il pas commandé ici par le sentiment de la conservation ? S 380. Facultés affectives. — Instinets, — L'homme n'a pas seulement des idées, il a aussi des sentiments. La plupart des actions de l’homme, le plus grand nombre de ses déterminations, supposent une tendance ou une im- pulsion, dont le point de départ peut être ramené à des besoins organi- ques. L'homme, en un mot, a des instincts comme l’animal lui-même. Mais, tandis que chez l'animal l'instinct est une tendance aveugle ou un penchant irréfléchi, qui le porte à exécuter certains actes dont il ne con- çoit ni les moyens, ni l'utilité, et qu’il effectue sans préméditation et sans choix; chez l’homme, l'instinct n’est qu’un mobile d'action que le juge- ment et la raison dirigent. En un mot, les instincts sont perçus par lui, et ils deviennent ainsi des sentiments. Les instincts ont pour but, ou la conservation de l'individu, ou la con- servation de l’espèce. Les instincts attachés au corps de l’animal, comme l'afinité l’est à la molécule minérale, sont la condition nécessaire de son existence. C’est par eux que l’animal cherche sa nourriture, qu'il se retire dans des abris pour échapper aux causes de destruction qui le menacent ; c’est par eux qu'il recherche sa femelle, qu'il construit son nid, etc. L'instinct de conservation, envisagé dans la série animale, est le point -de départ d'actes très-compliqués. Le castor arrache des branches, les place en travers du courant, enfonce des pieux, et forme ainsi une digue sur laquelle il asseoit solidement son habitation. La fourmi , laborieuse et guerrière, quitte le champ de bataille pour venir chercher des renforts à la fourmilière. L’abeille se décharge sur ses prisonniers de tous les tra- vaux de la communauté. La mygale établit à l'entrée de sa retraite un couvercle à charnières. Ces actes si compliqués sont-ils le fruit de combi- naisons raisonnées ? Mais la fourmi, l’abeille, le castor n’ont point appris tout cela. L’individu, séparé de ses parents, dès sa naissance, se livre instinctivement aux mêmes actes; il fait de la même manière et jamais autrement, À peine l’abeille est-elle sortie de son sommeil de chrysalide, CHAP, VIII, INNERVATION. 865 à peine est-elle née, qu’elle s'envole, va chercher la fleur, y puise le suc, et sait retrouver sa ruche. Elle est aussi instruite le premier jour qu’elle le sera plus tard. Evidemment, ce sont là des actes irréfléchis, néces- saires , et qui méritent le nom d'’instincts. Mais alors, que d’actions de l’homme , que nous qualifions souvent d'actes raisonnés et réfléchis , et qui ne sont vraisemblablement chez lui que des impulsions instinctives ! L'instinct de reproduction n’est pas moins remarquable. A lui se ratta- chent, chez les animaux, la construction du nid et le choix des maté- riaux , toujours les mêmes pour les mêmes espèces. De cet instinct en- core procède l’amour de la femelle pour ses petits, amour qui lui donne le courage de les défendre au péril de sa vie. L'amour maternel des ani- maux, qui nous parait si tendre, nous donne bien la mesure de l'instinct. A peine, en effet, les petits peuvent-ils se suflire à eux-mêmes , que la tendresse des parents s’évanouit : l’instinct de conservation reprend le : dessus ; le père et la mère disputent les aliments à leurs petits; les en- fants sont devenus des ennemis ; la famille se disperse. Le besoin de reproduction engendre dans l’espèce humaine le plus noble des sentiments, l'amour, et le plus touchant des instincts, l'amour maternel. L'amour maternel naît dans l’âme de la mère comme le lait dans sa mamelle pour nourrir son enfant, et il ne s’éteint plus qu'avec la vie. Les instincts sont des besoins plus ou moins impérieux, qui ont pour sanction le plaisir et la douleur. Des instincts ou des sentiments dérivent les passions de l’homme, et quelques-unes aussi sont communes aux ani- maux. Mais, si le sentiment du bien, si le sentiment du juste, celui du beau, si la tendance constante de l’homme vers un idéal qu'il ne rencontre jamais et qu'il poursuit sans cesse sont des penchants instinctifs, ne lui appartiennent-ils pas en propre? L'homme qui trouve son bonheur à s’oc- cuper de celui des autres obéit-il à un instinct de conservation ? S 381. Sommeil. — Les fonctions du système nerveux sont soumises à une intermittence d’action ou à une périodicité d’où résultent la veille et le sommeil. Il est remarquable que les fonctions dites animales sont seules soumises à cette intermittence. Les fonctions de mütrition, la respiration, la digestion, les sécrétions, s’accomplissent pendant le sommeil comme pendant la veille. ñ Le besoin du sommeil se fait généralement sentir quand le soleil est descendu sous l’horizon. De même que l’homme, la plupart des animaux dorment la nuit. Le besoin du sommeil est, comme le besoin des aliments, un besoin de conservation; lorsqu'il n’est pas satisfait, il devient impé- 1 Il y a seulement un tres-faible raientissement dans les diverses fonctions de nutrition pendant le sommeil, 866 LIVRE II, FONCTIONS DE RELATION. rieux, et, quels que soient l'heure ei le moment, l’homme succombe à ses atteintes. Un adulte passe généralement le tiers de sa vie à dormir; l’en- fant plus de la moitié; le nourrisson ne fait guère que manger et dormir. Lorsque Phomme s'endort, il sent d’abord un engourdissement général dans les membres; la station devient impossible par cessation d’action musculaire ($ 243); les bras tombent le long du corps ; les sensations, d’abord confuses , s’éteignent graduellement ; le sentiment de la faim et les autres besoins s’endorment aussi pour un temps. Le besoin du som- meil est soumis à l'influence de l'habitude; il reparaît et il cesse ordinai- rement aux mêmes heures ; il offre encore, sous ce rapport, une certaine analogie avec le besoin des aliments. Le silence et les ténèbres de la nuit favorisent l'établissement du sommeil, en supprimant les excitants des organes de l’ouie et de la vue. Il est vrai que l'habitude peut rendre cette condition inutile et même la rendre défavorable. Le meunier s’endort au tic-tac de son moulin, et se réveille quand il s'arrête; quelques person- nes, qui ne peuvent dormir sans lumière, se réveillent quand la lumière s'éteint. La cause prochaine du sommeil est inconnue ; on l’attribue à une con- gestion sanguine du cerveau ; mais on ne l’a jamais prouvé. Pendant le sommeil, homme perd le sentiment de son existence, il est comme s'il ne vivait plus, comme s’il était mort. La plupart du temps, cependant, quelque chose veille en lui : il rêve, il songe. L’engourdisse- ment complet des organes des sens lui a enlevé la conscience du monde extérieur, et il attribue aux images de la mémoire la réalité des objets qu'elles représentent. Au moment du réveil, les organes des sens ren- irent en exercice, la vivacité de leurs impressions fait pâlir les notions de la mémoire, et la réalité supposée de ces notions s’évanouit par la com- paraison, Qui n’a assisté au réveil des sensations et senti se dissiper peu à peu l'évidence accordée aux images de la mémoire, à mesure que les sens, s'ouvrant davantage, attirent à eux le sentiment de la réalité, c’est- à-dire la conscience du moment présent? À qui n'est-il pas arrivé de con- templer quelques instants encore le tableau changeant d’un songe, alors que le réveil des sens, en nous rappelant à la réalité, nous avait convaincu de sa non-existence ? Le sommeil nous plonge done dans une existence factice, dont la réa- lité momentanée est pour nous complète, et que nous ne chercherions probablement jamais à mettre en doute, si les sens ne venaient nous dé- tromper d’une erreur quelquefois si douce. Les organes des sens, en nous donnant la certitude de l'existence des sensations actuelles, nous donnent aussi celle de l'existence des corps extérieurs; et nous ne pouvons avoir d'autre certitude de l'existence des corps que celle-là. Aussi, a-t-on quel- quefois comparé la vie de l’homme à un rêve dont la mort serait le réveil. L'éveil de la mémoire, pendant les songes, ne porte pas seulement sur des sifuations ou des actes divers, mais encore sur des idées, et générale- CHAP. VIII, INNERVATION, 867 ment sur celles qui nous ont le plus préoccupé pendant la veille. La com- paraison des idées, c’est-à-dire le jugement, s’accomplit parfois avec une netteté remarquable pendant le sommeil, c’est-à-dire dans le silence des impressions du dehors, et il en résulte parfois des aperçus qui nous éton- nent nous-mêmes, par leur fécondité et leur justesse. Le somnambulisme est un mode de sommeil dans lequel le réve est ac- compagné de mouvements de l’appareil locomoteur; mouvements com- mandés par l’idée ou par les idées sous l’empire desquelles se trouve le somnambule. Le somnambule ne voit ni n’entend ; les organes des sens sommeillent ; aussi, n’a-t-il pas le sentiment de la réalité : il saute par la fenêtre, croyant enjamber une porte; il écrit sans lumiere, etc. Il n’est rien moins que démontré que le somnambule réponde aux questions qu'on lui adresse, ni qu’il voie les objets qu’on place devant ses yeux. Quant au somnambulisme provoqué, ou magnétisme animal, état dans le- quel l'individu qui y serait plongé aurait la faculté de sentir les odeurs par le creux de l’estomac, de lire avec le nez, avec les doigts ou avec la nuque, de prédire l'avenir, de ressusciter le passé, de savoir les sciences sans les avoir jamais apprises !, et de se livrer enfin à une foule d’exert+ cices plus ou moins divertissants; quant au magnétisme animal, dis-je , et à ses prétendues merveilles, ce qu'il y a de plus surprenant, c'est la crédulité humaine. Tout dernièrement encore, n’avons-nous pas vu les tables tournantes et frappantes, réminiscence de la cabale et des influences occultes, se faire jour avec éclat, en plein dix-neuvième siècle, et mena- cer un instant de prendre les proportions d’un événement scientifique ! S 382. Du système nerveux dans la série animale. — [ans tous les animaux vertébrés (mammifères, oiseaux, reptiles, poissons), le système nerveux consiste en un axe central cérébro-rachidien, contenu dans un canal os- seux, et en prolongements périphériques ou nerfs. On trouve également chez eux une chaîne ganglionnaire (grand sympathique), située profondé- ment, le long de la colonne vertébrale, et fournissant aux viscères de la poitrine et de l'abdomen. Le système nerveux des mammifères, composé des mêmes parties fôn- damentales que celui de l'homme, n'offre que des différences peu essen- tielles qui portent, soit sur l'importance réciproque des renflemerits encé- phaliques ?, soit sur le nombre des nerfs cräniens et rachidiens, soit sur le nombre des ganglions et des plexus du nerf grand sympathique. Chez les oiseaux, les hémisphères ou lobes cérébraux sont encore, 1 Les somnambules, qui parlent si volontiers de l'estomac, de la rate ou du foie, ne parais- sent pas avoir pour les sciences exactes la même prédilection que pour les sciences médicales, 2 Le renflement olfactif situé à l'extrémité du pédoncule olfactif acquiert chez les mammi- feres un assez grand développement. Il est souvent creux intérieurement, 868 LIVRE II. FONCTIONS DE RELATION, comme chez les mammifères, les parties les plus volumineuses de l’en- céphale; mais ils n’offrent point de circonvolutions (Voy. fig. 191), et ils ne sont pas aussi complétement réunis entre eux, car le corps calleux fait défaut. Fig. 191. Les tubercules quadrijumeaux, au nombre de quatre chez les mammifères, ne sont qu’au nombre de deux chez les oiseaux. Ces tubercules (tubercules bi- jumeaux) présentent ici un grand vo- lume, et méritent le nom de lobes opti- ques (Voy. fig. 191). Cachés, chez les mammifères, entre le cervelet et la \S Fl. A LE Ÿ se CERVEAU D’OISEAU (dindon). a, hémisphères cérébraux. moelle allongée, ils débordent, chez les , tubortules bijumeaux (lobes optiques) Giseaux, de chaque côté du cervelet. Les ns te lobes optiques sont creux, comme les hémisphères cérébraux. Le cervelet des oiseaux est réduit à son lobe moyen (Voy. fig. 191, c); le cerveau le laisse complétement à découvert. Les hémisphères latéraux du cervelet manquent chez les oiseaux, le pont de Varole (c’est-à-dire les fibres transverses de la protubérance qui, chez les mammifères, servent de commissure aux hémisphères cérébelleux) manque également.? Dans les dernières familles des mammifères, on remarque une tendance Fig.192. très-prononcée à la fusion du grand sympathique avec le nerf pneumogastrique. Dans les oiseaux, la fusion est plus grande encore. Le grand sympathique est confondu supé- rieurement avec le pneumogastrique, quelquefois avec l’hy- poglosse où le glosso-pharyngien. Dans la portion inférieure du tronc, le grand sympathique est en grande partie rem- placé par les nerfs du plexus lombo-sacré. L’encéphale des reptiles et des poissons est peu développé. On n’y rencontre point de circonvolutions. La prépondé- rance des hémisphères n’est plus aussi marquée (Voy. fig. 192). Les lobules optiques et les lobules olfactifs sont généralement assez volumineux. Le cervelet, réduit au lobe moyen, est petit. La moelle des reptiles est très-dé- veloppée, relativement à la masse de leur encéphale, et les nerfs qui en partent sont volumineux. Chez les reptiles, le srsrème nerveux PTT grand sympathique est confondu supérieurement avec PAS le pneumogastrique. Inférieurement, ses portions lombaires a, hémisphèrescéré. CL SaCrées sont suppléées par les nerfs rachidiens. Chez les braux. so : a : b, dd « °phidiens et les sauriens , on ne trouve sur la chaîne in- cervelet. ë = ] : - mimi complète du grand sympathique que des ganglions très-pe d obesolfactifs. tits. [l en est de même chez les poissons. Chez ces derniers, la partie inférieure du grand sympathique est également incomplète, CHAP, VIII. INNERVATION. 869 Les invertébrés étant privés de vertèbres, et par conséquent de cavité rachidienne et de cavité crânienne, ne présentent pas la distinction qu’on peut établir chez les vertébrés entre le système nerveux cérébro- rachidien et le système nerveux du grand sympathique. Les invertébrés n’ont qu'un système nerveux étendu le long du corps, et consistant en une série de renflements, communiquant entre eux, et fournissant des nerfs à toutes les parties. Le système nerveux des invertébrés est consti- tué par les mêmes éléments anatomiques que le système nerveux des mammifères (Voy. $ 339). Le système nerveux des invertébrés, constitué par une série de gan- glions, a été assimilé par quelques physiologistes au système du nerf grand sympathique des vertébrés; on suppose, dans cette manière de voir, que les invertébrés sont privés du système nerveux correspondant à l’axe cérébro-rachidien. Rien ne justifie cette manière de voir. Le sy- stème central unique des invertébrés représente les deux systèmes des animaux supérieurs. Il préside, et aux fonctions de sensibilité et de mou- vement, et aux fonctions de nutrition, ainsi que le prouve l’expérience. Les articulés (insectes, annélides, crustacés) présentent un système nerveux très-symétrique. Tantôt les ganglions qui le composent sont dis- posés par paires, de chaque côté de la ligne médiane } rig.195. à du corps, et réunis en deux chaînes longitudinales, : occupant une portion ou toute l’étendue du corps : les ganglions sont aussi réunis entre eux par des commissures transversales. Tantôt les ganglions sont confondus sur la ligne moyenne, et forment une chaine simple (fig. 193). L'un des ganglions, géné- ralement plus volumineux que les autres, occupe la tête, et peut être comparé au cerveau des vertébrés. C’est ordinairement de ce ganglion que procèdent les nerfs des organes des sens, quand ceux-ci existent. Le ganglion céphalique est placé au-dessus de l’œ- sophage, tandis que les autres portions de la chaine ganglionnaire sont placées au côté ventral de l’ani- mal, sous le tube digestif. Le ganglion céphalique est relié avec les autres ganglions par des cordons SYSTÈME NERVRUX D'INSECTE qui tournent autour de l’æsophage, et qui forment c, a RTE ne 3 . ; b, nerfs opliques. ainsi une sorte d’anneau ou de collier œsophagien. c, premier ganglion thoracique. Le nombre des ganglions est très-variable; il est, par exemple, de douze à quinze paires dans le perce-oreille et dans la sauterelle, tandis que dans la punaise des bois il n’y a que trois ganglions impairs et volumineux. On peut dire, d’une manière générale, que plus l'animal articulé est par- fait, plus le nombre des ganglions est petit, et plus les ganglions pairs ont de tendance à se fusionner sur la ligne moyenne. La centralisation peut être portée au point qu'il n’y ait plus que deux masses nerveuses, l’une 870 LIVRE IT, FONCTIONS DE RELATION. sus-æ@sophagienne, et l’autre sous-æsophagienne, réunies par un collier. C'est de ces deux masses que partent alors tous les filets nerveux du corps. La chaine ganglionnaire des mollusques est moins symétrique que celle Fig. 194. des articulés et s’accommode, sous ce rapport, à la forme générale de leur corps (Voy. fig. 494). Cette chaîne consiste toujours en ganglions unis entre eux par des filets de communication, et fournissant aux divers organes de l’animal. Gé- néralement, il y a un ganglion dit cerveau, placé au côté céphalique de l’animal, et deux ganglions abdominaux, placés plus en arrière sous l’æso- phage, reliés au précédent par un collier œæsopha- gien. Il y à aussi parfois un ou plusieurs autres ganglions. Chezles zoophytes ou rayonnés, le système ner- veux n'existe plus qu'à l’état rudimentaire. Il consiste en une série de petits ganglions réunis entre eux sous forme de cercle, autour de l’ou- verture, généralement unique, de l'intestin. De ce cercle partent des rameaux déliés, qui se ren- sysrème nerveux pe mozzusque dent dans les tissus. Dans les zoophytes infé- (are rieurs, toute trace de système nerveux a disparu. lion buccal où labial. * | ; + nn cédhalique, Chez ces derniers animaux, les fonctions de nu- c, ganglion thoracique. EE ; È FT ; c', ganglion ventral. trition s’accomplissent comme dans les végétaux. d, re L'animal ne diffère alors de la plante que par ses mouvements; il recoit sans choix et sans instinct les aliments contenus dans le liquide ambiant. M. Faivre et M. Yersin ont dernièrement constaté, par de curieuses vi- visections, des faits qui démontrent clairement que le système nerveux des animaux invertébrés représente l’ensemble du système nerveux des ani- maux supérieurs, et qu'il exerce son influence à la fois sur les fonctions de relation et sur les fonctions de nutrition. Le premier a opéré sur les dytiques (insectes coléoptères qui vivent à la surface de l’eau), le second sur les grillons (insectes orthoptères). Lorsqu'on enlève à ces animaux le ganglion céphalique sus-æsophagien, ils restent quelque temps immobiles, puis ils se meuvent bientôt, mais ils se dirigent toujours vers un même point, et ne savent plus tourner les ob- stacles. La mastication et la déglutition sont conservées, la bouche est sen- sible et mobile ; mais les antennes sont privées de mouvement et de sen- sibilité. L’enlèvement du ganglion sous-æsophagien paralyse le sentiment etle mouvement des mâchoires et des mandibules; mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est le trouble de la locomotion qui succède à cette abla- tion. L'animal s’agite irrégulièrement, sans pouvoir progresser dans l’air ou dans l’eau. Les membres sont pourtant encore sensibles et mobiles, CHAP, VIII, INNERVATION, 871 car 1ls se meuvent spontanément ou sous l’influence des excitants, mais ces mouvements sont désordonnés et sans coordination. Les ganglions céphaliques, sus-œsophagiens et sous-æsophagiens, jouent donc chez les insectes un rôle d'ensemble qui s’étend par l’ntermé- diaire de la chaîne nerveuse à toute les parties de l’animal, et qui permet- tent d’assimiler le premier de ces ganglions au cerveau, et le second au cervelet des animaux vertébrés. L'expérience de M. Yersin, qui consiste à couper complétement vers la partie moyenne de son corps la chaîne nerveuse de l’animal dans la por- tion ventrale, et à séparer ainsi le système nerveux en deux portions éga- les, est très-probante aussi et conduit aux mêmes conclusions. Sur un grillon ainsi opéré, les deux parties du corps correspondantes à chaque segment nerveux restent sensibles et contractiles , mais les mouvements de l’un ne correspondent plus aux mouvements de l’autre. Il n’y a plus d'entente en quelque sorte : le segment postérieur ne coordonne plus ses mouvements avec ceux du segment antérieur, et l’animal s’agite sans ré- sultat. Un mâle en chaleur, auquel on a pratiqué cette opération, s’agite en tous sens autour de la femelle, mais il ne peut plus monter sur elle pour la féconder t. 1 Consultez principalement sur les fonctions du système nerveux : C. Legallois, Expériences sur le principe de la vie, dans ses Œuvres complètes ; 2 vol., Paris, 1824; — Ch. Bell, Ex- position du système naturel des nerfs du corps humain (traduit de l'anglais); 1 vol., Paris, 1825; — Gall, Sur les Fonctions du cerveau et sur celles de chacune de ses parties, etc.; 6 vol., Paris, 1825; — E. Serres, Anatomie comparée du cerveau dans les quatre classes d'animaux vertébrés, appliquée à la physiologie, ete. ; 2 vol. avec atlas; Paris, 1827 ; — Marshall-Hall, New Memoir on the nervous system ; Londres, 1 vol. in-4°, 1843; — du même, On reflex Function on the medulla oblongata and medulla spinalis ; in-4°, Londres, 1833; — Magendie, Leçons sur les fonctions et les maladies du système nerveux ; 2 vol., Paris, 1839 ; — L.-F. Calmeil, Physiologie de l'appareil de l’innervation, dans le Dictionnaire de médecine en 50 vol.; Paris, 1839; — Jobert ( de Lamballe), Etudes sur le système nerveux; Paris, 1858; — P, Flourens, Recherches sur les fonctions et les propriétés du système ner- veux dans les animaux vertébrés ; 2e édit.; 4 vol., Paris, 1842 ; — G. Valentin, Traité de névrologie (traduit de l’allemand); 1 vol., Paris, 1843; — Volkmann, article Nerven- physiologie, et article Gehirn (Encéphale), dans R. Wagner's Handwôürterbuch der Phy- siologie, t. I et 11, 1843, 1844; — Budge, article Sympatischer Nerv, dans le mème dic- tionnaire t. III, 1846; — F. Longet, Anatomie et physiologia du système nerveux dans l'homme et les animaux vertébrés; 2 vol., Paris, 1842; — du même, chapitre Propriétés et Fonctions du système nerveux, dans son Traité de physiologie, t. I ; Paris, 1850 ;— Brown- Séquard, Recherches et expériences sur la physiologie de la moelle épinière; thèse n° 2, Paris, 1846 ; — Helmholtz, Messungen über den zeillichen Verlauf des Zuckung animalischer Muskeln und die Fortpflanzungsgeschwindigkeit der Reizung in den Nerven (Mesure de la durée de la contraction musculaire et de la transmission des courants nerveux), dans Müller's Archiv, 1850 ; — mème sujet, 2° mémoire, dans Müller’s Archiv, 1852; — du Bois-Reymond, Unter- suchungen über thierische Electricität ; 2 vol., Berlin, 1849; — Owsjannikoff, De Medullæ spinali textura, imprimis in piscibus; Dorpat, 1854; — Owsjannikoff et Jacubowitsch, Re- cherches sur l’origine des nerfs de l’encéphale, dans le Bulletin de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, t. XIV, no 395, p.175, 1855; — C. Kupffer, De Medullæ spinalis tex- tura in ranis, ete ; Dorpat, 1854; — Schiff, Untersuchungen zur Physiologie des Nerven- system, elc. (Recherches sur la physiologie du système nerveux); Francfort, in-8°, 1855 ; — LIVRE TT. FONCTIONS DE REPRODUCTION (GÉNÉRATION). S 383. Définition. — Divers modes de génération, — La génération est cette fonction par laquelle les animaux se reproduisent et donnent naissance à des individus semblables à eux. Dars l’espèce humaine, la génération exige le concours des deux sexes. Dans les degrés supérieurs de la série animale, les sexes sont égale- ment séparés, et concourent, chacun à leur manière, au résultat. Marshall-Hall, Aperçu du syslème spinal, ete.; in-18, Paris, 1855; — Külliker, chapitre Sy- stème nerveux, dans ses Éléments d'histologie (traduct. de J. Béclard et Sée); Paris, in-80, 1855, p. 298; — Brown-Séquard, Experimental Researches on the physiology and pathol. of the spinal cord, etc.; in-8°, Richmond, 1855; — Résumé des recherches de M. Brown- Séquard, dans Gaz. hebdom. de méd. et de chir., p. 575, 655, 674, 791, t. II, 1855; — J. de Lenhossek, Neue Unlersuchungen über den feineren Bau des centralen Nervensystem des Menschen (Recherches sur la structure intime du système nerveux central de l’homme) ; in-4, avec planches dessinées par le âocteur Elfinger ; Vienne, 1855; — Nasse, Einige Versuche über die Wirkung der Durchschneidung der Nervi vagi bei Hunden (Influence de la section des pneumogastriques sur le chien}, dans Archiv des Vereins für gemeinsch. Arbeit., ILe vol., 2e livr., 1855; — Wundt, Versuche über den Einfluss der Durchschneidung des Lungen- magennerven auf die Respiralionsorgane (Influence de la section des pneumogastriques sur les poumons), dans Müller’s Archiv, 1855 ; — J. Pincus, Experimenta de vi nervi vagi et sympathici ad vasa, secrelionem, nutritionem tractus intestinalis et renum; dissertation, Breslau, 1856; — Samuel, Die Extirpation des Plexus cæliacus, dans Wiener Medicin. Wo- chenschrift, n° 50, 1856 ; — Van der Beke Callenfels, Ueber den Eïinfluss der Vasomotoris- chen Nerven auf den Kreislauf und die Temperatur (Influence des nerfs vaso-moteurs sur la circulation et la température), dans Zeitschrift f. rationnelle Medicin, VII, p. 157, 1856; — Waller, Expériences sur la section des nerfs et les altérations qui en résultent, dans Gazetle médicale, n° 14, 1856; — Plüger, Mittheilung über die Einwirkung der Vorderen Rücken- markswurzeln auf das Lumen der Gefässe (De l'influence des racines antérieures des nerfs rachidiens sur le calibre des vaisseaux), dans Allgemeine medicinische Centralzeitung, XXVe vol., n° 52, 1856; — Schiff, Neue Versuche über den Eïnfluss der Nerven auf die Gefässeund diethierische Wärme (Nouvelles recherches relatives à l’influence des nerfs sur les vaisseaux et la température animale), dans les Comptes rendus de la Société des naturalistes de Berne, p. 69, 1856 ; — Külliker et H. Müller, Ueber Ludwig's Speichelversuch (Note sur le travail de M. Ludwig relatif à l'influence des nerfs sur la sécrétion de la salive), dans Bericht von der physiol. Anstalt; Würzburg, 1856 ; — Brown-Séquard, Recherches expérimentales sur la voie de transmission des impressions sensilives ; phénomènes singuliers qui succèdent à la section des nerfs spinaux, dans Gazelte médicale, n°5 16, 17, 23; 1856; — Harley, On the action of strychnine upon the spinal cord ; Londres, in-8v, 1856; — Külliker, Physiolo- CHAP. I, OVULATION ÉT MENSTRUATION. 873 Un grand nombre d'animaux invertébrés sont hermaphrodites ; l’or- gane mâle et l'organe femelle se trouvent réunis sur le même individu, et les divers actes de la génération s’accomplissent dans l’intérieur même de l'animal. Ici le mode de reproduction a une grande analogie avec celui des végétaux, qui contiennent dans une même enveloppe florale les or- ganes des deux sexes. Parmi les animaux hermaphrodites, quelques-uns ont néanmoins besoin du concours réciproque de deux individus de la même espèce, pour la fécondation des germes. D’autres animaux, plus imparfaits , ont un mode de génération analo- gue à celui des végétaux cryptogames. L'individu n’offre point d'organes de génération. Il se reproduit à l’aide de parties qui se détachent de lui. et qui possèdent la propriété de croître et de se développer. Tantôt le germe se détache de individu, sous forme d’une vésicule, qui parcourra ensuite toutes les phases de son développement (génération par spores) ; tantôt on voit croître sur une partie du corps de l’animal, en dehors ou en dedans, une sorte de bourgeon qui, après avoir acquis sur place un développement plus ou moins complet, se sépare de l'individu et continue gisch. Untersuchungen über die Wirkung einiger Gifte (Recherches physiologiques sur l’ac- tion des poisons), dans Archiv. f. patholog. Anat. und Physiolog. de Vierordt, X, 1856; — Arnsperger, Wesen, Ursache und Pathologisch-anatomische Natur der Lungenveranderung nach Durschneidung beider Lungenmagennerven am Hailse (Nature, cause, et anatomie pa thologique des désordres du poumon qui succedent à la section des deux nerfs pneumogastri- ques au cou), dans Archiv für patholog. Anat. und Physiol. de Vierordt, IX, 1856 ; — Roux et Fano, Résection d'un nerf pneumogastrique pratiquée accidentellement chez l'homme, dans Arch. gén.de méd., Paris, 1856 ; — Lussano et Ambrosoli, Su le funzione del nervo gran sim- patico e su la calorificazione animale, dans Gazetta medic. Italiana, n°5 95, 30, 52,155, année 1857; — Snellen, Die Invloed der Zenuwen op de Ontsteking, ete., hollandais (De l'influence des nerfs sur l’inflammation), dissertation ; Utrecht, 1857; — Schiff, Uber die function der hinteren Stränge des Rückenmarks (Sur les fonctions des cordons postérieurs de la moelle épinière), dans Untersuchungen zur Naturlehre, etc., de J. Moleschott, IV, 14857; — Aubert, Becquerel, Emploi de l'électricité pour rappeler la sécrélion lactée, dans Gazette des hôpitaux, n° 104, 1856 ; n° 7, 1857; et dans Union médicale, n° 9, 1857; — Brown-Séquard, New facts and theories concerning the physiology of the nervoussystem, dans Charleston medical Journal and Review, n° 2, 1857; — Bernard, Leçons sur les effets des substances toxiques et médica- menteuses ; Paris, in-8°, 1857; — Faivre, Du cerveau des dytiques considéré dans ses rap- ports avec la locomotion, dans les Comptes rendus de l’ Acad. des sciences, 1857 ; — Yersin, Recherches sur les fonctions du système nerveux dans les animaux articulés, dans Biblioth. univ. de Genève, 1857 ; — Stich, Beiträge zür Kenniniss der Chorda Tympani, dans Annalen des Charité-Krankenhauses, Berlin, p.59, 1857 ; — Rosenthal, Ueber modification der Er- regbarkeit durch geschlossene Ketten und die Voltaischen Abweselungen (Des modifications de l’excitabilité nerveuse dans ses rapports avec les courants fermés, directs ou inverses), dans Berliner Monatsberichte, décembre 1857 ; — Gubler, De l'Hémiplégie alterne envisagée Comme preuve de la décussation (entre-croisement des nerfs faciaux), dans Gazette hebdoma- daire, t. TI, nes 45, 45, 46, 1857 ; — Pflüger et Eckhard, Herr Dr Pflüger und seine Unter- suchungen über die Physiologie des Electrotonus (M. le Dr Pflüger et ses recherches sur la physiologie de la force électro-tonique), dans Zeitschrift für rationnelle Medicin de Henle et Meissner, VIII, p. 345, 1857 ; — Regnauld (Jules), Recherches électro-physiologiques; broch. 12 pages, Paris, 1858 ; — Bernard, Leçons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux ; Paris, 2 vol. in-80, 1858. 874 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION, à s’accroitre après sa séparation (génération gemmipare) ; tantôt, enfin, l'animal nouveau procède d’une partie de l’animal ancien, partie qui se détache par une sorte de scission. Après la séparation, la partie détachée s’accroit et forme un animal nouveau, tandis que l’animal ancien répare la partie qu'il a perdue (génération par scission, ou scissipare). Dans tous les animaux pourvus d'organes de génération (que ces or- ganes soient portés par des individus distincts, ou qu’ils se trouvent réunis sur un même individu), la génération présente ce caractère fondamental, savoir : organe femelle produit un œuf, et l'organe mâle produit un liquide qui féconde cet œuf et lui donne le pouvoir de se développer. Tantôt le liquide mâle ne se met en rapport avec l’œuf que quand cet œuf a été pondu au dehors par la femelle (poissons, etc.); tan- tôt le liquide mâle féconde l’œuf avant sa sortie, et celui-ci parcourt ul- térieurement les divers périodes de son développement (oiseaux , etc.) ; tantôt enfin l’œuf, fécondé par le liquide mâle dans l’intérieur de la fe- melle , se fixe, après la fécondation, dans une cavité ou matrice dans la- quelle il subit les premières phases du développement, et se détache vi- vant du corps de la femelle (mammifères, espèce humaine, etc.). Quelque différents que paraissent ces modes de génération, l’essence du phéno- mène ne cesse pas d’être la même, D'une part, production d’un œuf; de l’autre, production d’une liqueur fécondante : il n’y a de différent que le lieu de la fécondation et le milieu dans lequel se développe l’œuf, L'homme nait d’un œuf. Cet œuf, formé dans Povaire de la femme, et auquel on donne le nom d’ovule, se détache à certaines époques. Tantôt il sort de l'ovaire sans être fécondé, se dérobe par sa petitesse à l’obser- vation et disparait par dissolution dans le mueus des parties génitales ; tantôt la liqueur mâle, sécrétée par l’homme et introduite dans l'intérieur des organes de la femme, féconde l’ovule ; celui-ci s'arrête alôrs dans l’u- térus, s’y fixe, s’y développe, s’y accroît et donne naissance au nouvel être. Nous étudierons successivement : 1° la formation de l’œuf dans l'ovaire et sa sortie de l'ovaire, c’est-à-dire l'ovulation, et comme accessoire la menstruation ; 2 la liqueur fécondaute ou le sperme ; 3° le rapprochement des sexes, copulation ou co?t ; 4° la fécondation ; 5° le développement de l'œuf dans l'utérus ; 6° les fonctions de l'embryon ou fœtus ; 7° les phénomènes de la gestation et de la lactation ; 8° les principaux modes de génération dans la série animale ; 9° le développement du nouvel être après la naissance. CHAP, 1, OVULATION ET MENSTRUATION, S79 CHAPITRE L OVULATION ET MENSTRUATION. S 384. Ovaires. — Vésieules de Graaf, — L'appareil génital de la femme (Voy. fig. 195) se compose des ovaires, dans lesquels se forment les ovu- les ; des trompes, dont le pavillon recoit l’ovule pour le conduire dans Pu- térus; de l’uférus, qui retient l’ovule pendant un temps déterminé ; du vagin et de la vulve, qui donnent issue au produit de la conception et qui sont aussi des organes de copulation. Fig. 195. LOT MAN) b, col de l'utérus, g;, g, ovaires. c, utérus (matrice). h, ligament de l'ovaire. dd, ligaments ronds. Nora. Les rapports de l'ovaire, de la trompeet ee, trompes utérines. du ligament rond avec le ligament large (repli ff, pavillon de la trompe. du péritoine) sont conservés à droite. Les ovaires, placés dans l’excavation pelvienne, et retenus vers le fond de l’utérus par les ligaments de l’ovaire, sont en quelque sorte les testi- cules de la femme (testes muliebres). Dans l'espèce humaine , l'ovaire, il est vrai, n’est pas continu avec son canal d’excrétion (trompe), et ce n’est qu'à des intervalles plus ou moins éloignés que l'extrémité évasée de la trompe s'applique sur l’ovaire pour recevoir l’ovule formé dans son inté- rieur. Mais, dans un grand nombre d'animaux invertébrés, les ovaires consistent, comme les testicules, en un ou plusieurs tubes ramifiés et re- pliés sur eux-mêmes, et qui viennent s'ouvrir par un Canal excréteur (trompe ou oviducte) sur la membrane muqueuse du cloaque. Les ovaires peuvent être, sous le rapport physiologique, envisagés comme des glan- des dont les trompes sont les canaux excréteurs. L'ovaire des mammifères femelles et de la femme, constitué par une base celluleuse parcourue par un grand nombre de vaisseaux, recouvert par une membrane propre et par un feuillet du péritoine, contient dans son épaisseur des vésicules de grandeurs diverses , auxquelles on donne 876 LIVRE III. FONCTIONS DE REPRODUCTION, le nom de vésicules ou follicules de Graaf \. Ces vésicules elles-mêmes con- tiennent dans leur intérieur un corps plus petit, qui n’est autre que l’ovule. Les vésicules de Graaf présentent un volume très-variable, qui corres- pond aux diverses périodes de leur évolution. On en voit dans la profon- deur de l’ovaire qui n’ont que 1 ou 2 millimètres de diamètre, et il y en a d’autres qui n’ont pas même ces dimensions. D’autres, au contraire, ont refoulé, en se développant, tous les tissus environnants, viennent faire saillie à la surface de l'ovaire, soulèvent ses tuniques , et forment des tumeurs transparentes. Ces vésicules ont souvent, au moment de leur maturité, un centimètre de diamètre. Chez la femme, leur développement peut atteindre le volume d’une noix ou même plus encore. Le nombre des vésicules de Graaf n’est pas le même dans toutes les espèces animales. Ces vésieules sont d’autant plus nombreuses que l’animal est plus fécond, et que le nombre des petits qu’il peut produire dans une même portée est plus considérable. Dans l’espèce humaine, on en distingue nettement quinze ou vingt environ, à divers états de développement. Les vésicules de Graaf sont formées par deux tuniques : l’une externe, résistante, élastique, peu vasculaire ; l’autre interne, plus épaisse, peu élastique et très-vasculaire. | Fig. 196. L'intérieur de la vésicule de Graaf d contient un liquide transparent, jaunà- € e tre, analogue au sérum du sang et, comme lui, coagulable par la chaleur et l’alcoo! ; dans ce liquide existent en sus- pension une multitude de granulations e élémentaires (Voy. fig. 196). On distin- gue encore dans le contenu une couche de cellules appliquée à toute la surface y intérieure de la vésicule (fig. 196, b). Cette couche de cellules forme comme € un épithélium intérieur : on lui a donné le nom de membrane granuleuse. On Tr voit aussi, dans l’intérieur de la vési- VÉSICULE DE GRAAF cule, et groupée autour de l’ovule, une supposée extraite de l'ovaire). rer : a, tunique de la vésicule, composée de deux feuil- RP de cellules agglomérées Er lets accolés (interne et externe). quelle on a donné le nom de cumulus b, membrane granuleuse. ; = ss 4 c, l'ovule. proliger ou de disque proligère (Voy. d, membrane vitelline (ou zone transparente). e, cumulus proliger , ou disque proligère. fig. 196, €; e). 1 Regnier de Graaf, anatomiste hollandais, n’est pas le premier qui ait observé ces vési- cules, mais il est le premier qui les ait étudiées avec soin. Il ne leur assigna cependant pas leur rôle véritable, car il les considéra, à tort, comme les ovules eux-mêmes. CHAP. I. OVULATION ET MENSTRUATION., 871 S 385. De l’ovule, — L'ovule est situé dans l’intérieur de la vésicule de Graaf. Lorsque la vésicule de Graaf est arrivée à son entier développement, l'ovule, entouré par les cellules du cumulus proliger, est maintenu par ces cellules contre la paroi de la vésicule, dans le point où celle-ci fait saillie sous les tuniques de l’ovaire. Aussi, lorsque la vésicule de Graaf et les enveloppes de l'ovaire se rompront, l’ovule s’échappera facilement au dehors. Lorsqu'on ouvre une lapine ou une chienne à l’époque du rut, on aper- coit parfois l’ovule à l’œil nu, au travers des enveloppes amincies et transparentes de l'ovaire et de la vésicule de Graaf. L’ovule se détache sur la masse liquide, qui distend la vésicule, comme un petit point blanc moins transparent. L’ovule, au moment du développement maximum de la vésicule de Graaf qui le contient, n’a guère, chez les mammifères et dans l'espèce humaine, plus de 1/5 à 1/10 de millimètre de diamètre. C’est sous ce petit volume qu'il abandonnera l'ovaire pour se porter à l'utérus par la trompe, et y subir, s’il est fécondé, les métamorphoses du déve- loppement. L'’ovule ou l’œuf des mammifères, au moment où il sort de l’ovaire, offre donc un volume très-petit, quand on le compare à l’œuf des oiseaux ; mais cette différence de volume, qui est réellement énorme, n’a rien de surprenant ; elle tient au mode de développement ultérieur. L’œuf de l’oiseau doit trouver en lui-même les substances nécessaires à sa pre- mière évolution; pendant que ses tissus se forment, pendant qu'il devient un oiseau vivant, il est séparé de l'organisme maternel. L’œuf humain et l'œuf des mammifères, au contraire, à peine sortis de l'ovaire, se fixent dans la cavité utérine, et puisent, à l’aide de connexions qui s’établissent au moment même de son arrivée, les sucs nécessaires à leur accroisse- ment et à leurs métamorphoses. L’ovule est composé d’une enveloppe transparente et d’un contenu (Voy. fig. 197). L’enveloppe, ou mem- Fig. 197. brane vitelline, offre, relativement au volume de l’ovule, une assez grande épaisseur (Voy. fig. 197, a). Lorsqu'on examine par transparence un ovule au microscope, on voit le profil de la membrane vitelline se dessiner autour du contenu, comme un anneau large et transparent, d’où le nom de zone transparente que quelques auteurs lui ont donné. , ; a, membrane vitelline, Le contenu de l’ovule est le jaune, ou b, jaune ou vitellus. F = 2 c, vésicule germinative, vutellus (Voy. fig. 497, 4). Il est composé d, tache germinative, 378 LIVRE IT, FONCTIONS DE REPRODUCTION. par un amas de granulations élémentaires. Ces granulations sont ras- semblées et unies entre elles par un liquide visqueux. Le vitellus forme ainsi une masse demi-liquide. Dans l’intérieur du vitellus existe une vésicule arrondie, remplie d’un liquide transparent (Voy. fig. 197, c). Cette vésicule, dite vésicule germi- native, est très-délicate ; elle se détruit avec une grande facilité, et se dé- robe parfois ainsi à l'observation microscopique. La vésicule germinative a, sur l’ovule arrivé à son développement, environ 1/30 de millimètre de diamètre. On désigne quelquefois la vésicule germinative sous le nom de vésicule de Purkinje; du nom de l’anatomiste qui l’a découverte dans l’œuf des oiseaux. C’est M. Coste qui a signalé plus tard sa présence dans l’œuf des mammifères. La vésicule germinative contient elle-même dans son intérieur un petit amas granuleux moins transparent, qui forme en quelque sorte ache sur la transparence de la vésicule, lorsqu'on examine l’œuf au microscope. C'est à cet amas granuleux que M. Wagner a donné le nom de tache ger- minative (Voy. fig. 197, d). S 386. Évolution des vésieules de Graaf. — Sortie de l'ovule. — Corps jaunes. — Les vésicules de Graaf constituent un élément essentiel de l'ovaire, car elles contiennent l’ovule dans leur intérieur. Leur évolution a pour but final la sortie de l’ovule qu’elles contiennent. C’est ainsi que, microscopiques d’abord, elles augmentent peu à peu de volume : l’ovule se montre alors distinctement dans leur intérieur. Un liquide s’accumule en elles, les distend, amineit leurs parois; elles finissent enfin par écla- ter, et projettent au dehors l’ovule, dans le pavillon de la trompe. Les vésicules de Graaf ont done un commencement, une période d'état et une fin, On distingue de très-bonne heure les vésicules de Graaf dans l’ovaire de la femme, comme d’ailleurs dans l'ovaire des mammifères fe- melles. Leur formation n’est pas limitée à l’époque de la puberté. Ces vé- sicules forment partie constituante de l'ovaire lui-même; elles représen- tent l’élément glandulaire vésiculeux, qu’on observe dans la plupart des glandes (Voy. $ 169). Elles apparaissent avec l'ovaire lui-même. On les trouve non-seulement dans l'ovaire de la petite fille avant la puberté, mais encore dans les premiers linéaments de l'ovaire pendant la période fœtale. L’ovule se forme également de très-bonne heure dans l’intérieur de ces vésicules. Dès la période fœtale et pendant toute la durée de l’en- fance, on trouve des ovules dans les vésicules de Graaf. A cette époque, les vésicules de Graaf sont peu développées, et leurs parois ne se trou- vent séparées de l’ovule que par un très-petit espace. En ce moment, d’ailleurs, l’ovule n’est pas complet, il est formé seulement par ses parties les plus internes (la vésicule germinative et la tache germinative). Jusqu'à l’époque de la puberté, les vésicules de Graaf représentent des CHAP. 1, OVULATION ET MENSTRUATION. 879 cellules , dont l’ovule , alors incomplet , est le noyau, et elles vivent de la vie obscure des cellules. Mais aussitôt que les premiers signes de la pu- berté se déclarent, une ou plusieurs vésicules de Graaf augmentent rapi- dement de volume et refoulent autour d’elles la gangue celluleuse de l'ovaire. Pendant ce temps, l’ovule a suivi le développement de la vési- cule qui l'entoure ; une portion du contenu de la vésicule de Graaf s’est groupée autour de la vésicule germinative, et le nombre toujours crois- sant des granulations qui se déposent autour d’elle forme bientôt la masse du vitellus; après quoi, cette masse s’entoure d’une membrane (mem- brane vitelline) par la condensation des granules superficiels : dès lors l’œuf ou l’ovule se trouve complet. Les vésicules de Graaf continuent à s’accroître, et, par les progrès du développement, viennent faire saillie à la surface de l’ovaire. Leurs parois deviennent plus vasculaires, le liquide qu’elles contiennent augmente de quantité, et la tumeur qu’elles forment à la surface de l’ovaire finit enfin par éclater. La paroi de la vésicule et les membranes amincies de l’ovaire se déchirent. L’ovule, situé vers la partie la plus proéminente de la vésicule de Graaf, s’échappe aussitôt , entraînant avec lui la petite masse ou cumulus qui l’entoure, L'élasticité de la membrane externe de la vésicule détermine probablement, au mo- ment de la rupture, un petit jet de liquide, et l’ovule se trouve ainsi plus sûrement expulsé au dehors. Sur quelques mammifères, et en particulier sur la truie, les vésicuies de Graaf forment, au moment où elles ont Fig. 198. acquis tout leur développement, de petites masses sphériques qui soulèvent les tuni- ques propres de l'ovaire, et proéminent à la surface d’une manière beaucoup plus mar- quée que dans l'espèce humaine. La fi- sure 198 représente, d’après M. Pouchet, un fragment de l'ovaire d’une truie, sur le- quel deux vésicules de Graaf se sont ou- vertes et ont laissé échapper l’ovule. Sur l’une de ces vésicules (a), la déchirure est cireulaire, sur l’autre (b), elle présente l’as- pect d’une fente. D’autres fois, la déchi- PORTE 2 rure est entourée de lambeaux irréguliers. à, voit sur ce fragment des vésicules de L'évolution de la vésicule de Graaf (c’est-Graaf à divers états de développement, à-dire son accroissement, sa proéminence à la surface de l'ovaire et l’aceu- mulation de liquide dans son intérieur) a pour but sa rupture, c'est-à-dire la sortie de l’ovule. Une fois l’œuf sorti, son rôle est terminé, et elle dis- paraît par un travail de cicatrisation. La cicatrisation de la vésicule de Graaf déchirée s'opère peu à peu. Tant qu’elle n’est pas terminée, il existe dans le point de l'ovaire qu’elle occupait une petite masse à laquelle on a donné le nom de corps jaune, et 880 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. dont la signification n’a été bien connue que de nos jours. Les corps jaunes représentent une phase transitoire de la cicatrisation des vésicules de Graaf. Lorsqu’en effet cette vésicule s’est rompue, ses tuniques, alors très- vasculaires, ont donné lieu à une légère hémorrhagie, qui remplit la cavité et s’y coagule. Les bords de la déchirure se rapprochent comme les bords d'une plaie et emprisonnent le caillot. La membrane externe de la vési- cule, qui est élastique , revient sur elle-même, tandis que la membrane interne, refoulée au dedans et hypertrophiée par un épanchement plasti- que, enserre le caillot, qui peu à peu se résorbe. A une certaine période, la membrane interne hypertrophiée forme un tissu de cicatrice jaunâtre ou violacé, qui a quelque analogie avec les circonvolutions cérébrales. La figure 199 représente en a, 6, ce, d, e les diverses phases de la formation du corps jaune. Lorsque le caillot central a disparu par le rapprochement de la membrane interne, le corps jaune diminue peu à peu par résorp- tion, et finit par ne plus laisser à la surface de l’ovaire qu’une cicatrice linéaire. Fig. 199. FORMATION DES CORPS JAUNES. La figure 200 représente, d'après M. Pouchet, deux vésicules de Graaf, dont Ja tunique interne commence à s’hypertrophier. Pendant toute la période de la vie de la femme comprise entre la puberté et l’âge de retour, les mêmes phénomènes s’accomplissent. Aussi, lorsqu'on exa- mine les ovaires pendant toute cette pé- riode de la vie, on y trouve des vési- cules de Graaf à divers états de dévelop- pement, et aussi les diverses phases du travail de cicatrisation des vésicules rompues. On estime, généralement, que sad éd . les corps jaunes disparaissent trois ou Quelque temps après la rupture de deux vésieules quatre mois après la rupture de la vési- CR ANE AN cule. Le travail de la cicatrisation peut être cependant plus long dans certains cas. Lorsque l’ovule a été fécondé et qu'ilse développe dans l'utérus, le corps jaune qui se forme à la place de la vésicule rompue prend un développement considérable, et à la fin de la grossesse il n’a pas toujours disparu !. Fig. 200. 1 On a donné à ces corps jaunes le nom de vrais, par opposition aux corps jaunes qui se forment dans l'ovaire, à la suite de la rupture des vésicules de Graaf, en dehors de la féconda- CHAP, 1, OVULATION ET MENSTRUATION, 881 8 387. Des époques de Ia chute de l'œuf. — Le développement de la vésicule de Graaf et sa rupture ne surviennent, avons-nous dit, qu’à l’époque de la puberté, c’est-à-dire à l’époque qui coïncide, chez la femme, avec l’ap- parition de l’écoulement menstruel. Le développement des vésicules de Graaf, et la rupture qui en est la conséquence, disparaissent chez la femme avec les signes de la fécondité, c’est-à-dire avec les règles. Cette simple considération montre déjà qu'il y a entre ces deux phénomènes une liai- son intime. I y a longtemps, d’autre part, qu’on a observé sur l’ovaire des jeunes filles nubiles et vierges des corps jaunes, c’est-à-dire les phénomènes con- sécutifs à la rupture des vésicules de Graaf. Cette observation , autrefois passée inapercçue, a été vérifiée de nos jours par MM. Négrier, Raciborski, Coste et autres. Les vésicules de Graaf peuvent donc se rompre, et les ovules s’engager dans les trompes, en dehors de la fécondation, en dehors du rapprochement des sexes. s M. Bischoff a tenté à cet égard , sur les animaux , des expériences qui mettent ce fait en pleine lumière. Il extirpe l’utérus à une chienne en cha- leur, et lie l'extrémité utérine des trompes. Les ovaires et les trompes sont conservés intacts. Au bout de quelques jours, la chienne reçoit les ap- proches du mâle, et, bien que la liqueur spermatique n’ait pu parvenir jusqu’à l'ovaire , on trouve les vésicules de Graaf rompues et les ovules engagés dans la partie libre des trompes. Cette expérience, plusieurs fois répétée, a donné les mêmes résultats. De ces faits on peut conclure que le contact du sperme sur l'ovaire n’est pas nécessaire à la rupture des vésicules de Graaf. Dans une autre série de recherches, le même observateur enferme des chiennes et des truies pendant la période de chaleur; il les ouvre quand cette période est passée, et il trouve des vésicules rompues, d’autres prêtes à se rompre, et des ovules engagés dans les trompes. Ici, non-seulement la rupture des vésicules de Graaf ne peut pas être attribuée à l’action di- recte du sperme sur l'ovaire, mais on ne peut pas l’attribuer non plus aux approches du mâle. La rupture des vésicules de Graaf et l’issue des ovu- les dans la trompe coïncident done, chez les animaux, avec la période du rut, et elles peuvent s’opérer spontanément pendant cette période. La ponte des œufs, chez les mammifères , offre donc une grande analogie avec celle des poissons (animaux chez lesquels la ponte a lieu avant la fé- condation) et avec celle des oiseaux qui pondent des œufs inféconds, quand ils sont séparés du mâle. Y a-t-il aussi chez la femme une ponte spontanée ? A quelle période cor- respondrait la maturité et la rupture d’une vésicule de Graaf ? tion, et auxquels on a donné le nom de faux. Cette distinction, qui ne porte que sur la durée et le mode de cicatrisation, n’est pas essentielle, o6 582 LIVRE II, FONCTIONS DE REPRODUCTION, La période du rut chez les animaux est caractérisée, ainsi qu’on le sait, par la sensibilité exaltée et par la congestion sanguine des organes de la génération, phénomènes souvent accompagnés d’un écoulement mucoso- sanguin par les parties externes de la génération. Cette époque est d’ail- leurs caractérisée par l’évolution et le développement des vésicules de Graaf. La période menstruelle de la femme présente avec le rut des ani- maux une analogie que, plus d’une fois déjà, on avait pressentie. Mais voici qui rend l’analogie plus frappante. L'examen des ovaires des femmes qui succombent , soit pendant la période menstruelle , soit à la suite de cette période, a montré qu’en aucun temps les vésicules de Graaf ne sont plus développées à la surface de l'ovaire, et on a même été assez heu- reux parfois pour constater la rupture de la vésicule de Graaf. D’où on a été amené à conclure qu'une vésicule de Graaf se développe spontanément à chaque période menstruelle, qu’elle arrive spontanément à maturité, qu’elle peut aussi se rompre spontanément et donner issue à l’ovule qu'elle renferme. . Ce qu'on ne sait pas encore d’une manière positive, c’est l’époque pré- cise à laquelle la rupture a lieu. S’effectue-t-elle avant ou après les rè- gles? Peut-elle s'effectuer en dehors du molimen sanguin qui accompagne le ilux menstruel ? Si la rupture d’une vésicule de Graaf et la ponte de l’œuf sont liées d'une manière intime au flux menstruel, et s’il est vrai que le moment le plus favorable à la conception est celui qui suit immédiatement cet écou- lement, on ne peut pas aftirmer pourtant qu'il n’y a pas d’autres causes capables d'amener la rupture d’une vésicule de Graaf et de déterminer la chute de l’ovule. Si la ponte de l’œuf ne pouvait se faire qu’à la suite du molimen hé- morrbhagique des règles, il s’ensuivrait que la fécondation ne serait pos- sible que dans les premiers temps qui suivent l'évacuation menstruelle. Il est vrai que la fécondation, qui consiste essentiellement dans la rencontre de l’ovule et du sperme , peut s’accomplir dans des points divers des or- ganes internes de la génération, et qu’on ne sait pas, d’une manière cer- taine, combien de temps un ovule détaché de l'ovaire et engagé dans la trompe, ou même arrivé dans l’utérus, combien de temps, dis-je, il peut rester intact et conserver le pouvoir d’être fécondé. Mais on sait que sur les animaux qu'on a ouverts après le rut, et qui n’ont pas été soumis aux approches du mâle, toutes les vésicules de Graaf, arrivées à maturité, n’é- taient pas rompues. On a même observé que chez quelques-uns les vési- cules de Graaf, quoique très-développées , n’étaient pas ouvertes, et on sait enfin, d'autre part, qu'il y a des vésicules de Graaf qui, quoique par-- venues à leur développement , ne s'ouvrent pas pour donner issue à l’o- vule qu’elles renferment, mais s’atrophient et avortent. Il est donc pré- sumable que l’accouplement n’est pas sans influence sur la rupture des vésicules, On sait que chez les animaux la présence du mâle hâte le re- CHAP, I, OVULATION ET MENSTRUATION, 883 tour du rut, et, par conséquent, la maturation des vésicules ; que, dans l’état de domesticité, certaines espèces animales, sous l'influence d’un régime abondant, entrent plus souvent en chaleur qu'à l’état de liberté, et font un plus grand nombre de portées, ete. En résumé, dans l’état actuel de la science, on peut dire que la période menstruelle est pour l'espèce humaine, comme le rut pour les animaux, l’époque correspondante au développement et à la maturation des vési- cules de Graaf. Les œufs peuvent être expulsés spontanément à cette épo- que, lorsque la maturation des vésicules est complète ; mais certaines conditions accessoires peuvent contribuer à la rupture des vésicules, lors- qu’elle n’a pas eu lieu à cette époque, comme aussi ces vésicules peuvent parfois rester stationnaires, où même avorter quand ces conditions font défaut. Dans l’espèce humaine , une seule vésicule de Graaf arrive générale- ment à maturité dans le même temps, et laisse échapper son ovule dans la trompe. Chez les mammifères, le nombre des vésicules de Graaf qui arrivent en même temps à maturité est plus considérable, la plupart d’entre eux faisant plusieurs petits à chaque portée. Les grossesses mul- tiples de la femme sont dues, comme celles des animaux, à la maturation et à la rupture simultanée de deux ou d’un plus grand nombre de vési- cules. Dans quelques cas, assez rares d’ailleurs, on a vu, sur les animaux, des vésicules de Graaf qui contenaient dans leur intérieur deux ovules, Si ce fait se présente exceptionnellement dans l’espèce humaine, on con- coit aussi qu'il en puisse résulter des grossesses gémellaires. $ 388. Menstruation. — On donne le nom de menstrues ou de régles à cet écoulement périodique du sang qui survient chez la femme, par l’orifice externe des organes de la génération , depuis le moment où elle est pu- bère jusqu'à l’époque où elle cesse d’être féconde. Les menstrues sont propres à l’espèce humaine. Il est vrai que quelques femelles de singes présentent un écoulement analogue, et que, d’une autre part, les femmes de certaines peuplades sauvages n’ont pour ainsi dire point d'écoulement menstruel ; mais ce sont là des faits exceptionnels. | L’écoulement des règles, quoique soumis à des intervalles périodiques, n’est cependant pas toujours très-régulier. Il se manifeste souvent tous les mois, et jour pour jour; mais on remarque que les époques menstruel- les ont généralement une certaine tendance à avancer. Des observations prises sur un grand nombre de femmes permettent de fixer ce retour pé- riodique à vingt-huit jours en moyenne. A l’époque où l’on se préoccu- pait plus qu'aujourd'hui de l'influence des astres, on n’a pas manqué de faire remarquer que les retours du flux menstruel se reproduisaient sui- vant le même laps de temps que la révolution lunaire !. Mais s’il y a coïn- ‘ [ia lune met 29 jours 42 heures 44 minutes à accomplir sa révolution périodique, 884 LIVRE III. FONCTIONS DE REPRODUCTION. cidence entre la durée d’une période menstruelle et celle d’une révolu- tion lunaire, on ne voit pas trop ee qu'on peut en conclure. Il est certain, d’ailleurs , que le retour de l’écoulement survient chez les femmes aux époques les plus diverses du mois. Il ÿ a un grand nombre d’exceptions à la moyenne que nous avons posée. Quelques femmes sont réglées tous les quinze jours , d’autres ne le sont guère que toutes les six semaines. L'époque à laquelle la menstruation s’établit chez la femme, c’est- à-dire, en d’autres termes , le moment de la puberté, varie dans des li- mites assez étendues. Quelques jeunes filles sont réglées à onze ou douze ans, d’autres ne le sont pas encore à dix-sept ou dix-huit ans. Le climat exerce à cet égard une action accélératrice ou retardative, à laquelle on a souvent accordé une influence exagérée. Il est certain, néan- moins, que dans les climats chauds l’apparition des règles est un peu plus précoce que dans les climats froids. En France, l’âge moyen de la pre- mière éruption menstruelle peut être fixé à quatorze ans. Dans les pays du Nord et dans les climats très-chauds, cet âge moyen est d’un an ou de deux ans supérieur ou inférieur. L'époque à laquelle la menstruation cesse chez la femme est plus va- riable encore, et on ne peut guère établir de moyenne à cet égard. Tout ce qu'on peut dire, c’est que la femme cesse généralement d’être réglée entre quarante et cinquante ans. On a vu, dans quelques cas exception- nels , des femmes de soixante ans , et même de soixante-dix , conserver leurs règles et leur fécondité. La durée de l’écoulement menstruel est des plus variables, Tantôt cet écoulement ne dure que deux ou trois jours , tantôt il se prolonge pen- dant une semaine. Les règles ne sont pas accompagnées de phénomènes réellement mor- bides ; le mouvement fébrile qui les accompagne parfois n’est qu’excep- tionnel. Les règles sont généralement précédées par quelques symptômes généraux, telles que pesanteurs ou douleurs de reins, dégoût, abattement, légère altération des traits du visage, gonflement et sensibilité du mame- lon et des organes de la génération, etc. Le premier liquide qui s'écoule par la vulve est un mucus vaginal plus ou moins coloré par le sang ; peu à peu ce liquide se colore davantage , et le lendemain ou surlendemain il est composé de sang à peu près pur. La quantité du liquide diminue bientôt d'abondance; sa couleur devient moins foncée, et le flux mens- truel se termine ordinairement par l’écoulement d’un mucus plus ou moins épais. La quantité de sang rendue par la femme à chaque période menstruelle varie beaucoup; elle dépend principalement de la constitution et du ré- gime. Généralement, l'écoulement est plus abondant chez les femmes bien constituées , chez les femmes ardentes, et chez celles qui sont bien nourries, que chez les femmes d’une constitution faible, froides de tem- CHAP. I. OVULATION ET MENSTRUATION. 885 pérament , ou soumises à une alimentation insuflisante, On peut éva- luer en moyenne cette quantité à 250 grammes (1/2 livre) ; elle peut s’é- lever beaucoup au-dessus, ou rester au-dessous. Le sang des règles est analogue au sang qui coule dans les vaisseaux, et il est aussi riche en globules. Il ne présente d’autres différences qu’une proportion un peu moindre de fibrine, ce qui tient vraisemblablement au mode suivant lequel il s'échappe des vaisseaux. Son coagulum est moins solide que celui du sang extrait par une large ouverture de vaisseau. Le sang des règles provient des vaisseaux de la membranne muqueuse utérine , très-tuméfiée en ce moment; il se fait jour, non pas au travers des parois vasculaires (les globules du sang ne traversent nulle part les parois des vaisseaux), mais par de petites déchirures ou gerçures micro- scopiques. La sortie du sang a lieu à la surface de l'utérus, de la même manière qu’elle s'opère dans toutes les hémorrhagies spontanées, La menstruation est intimement liée avec les modifications qui s’ac- complissent dans les organes internes de la génération de la femme. Ainsi que nous l’avons vu, leur éruption et leur retour périodique coïncident avec le développement périodique d’une vésicule de Graaf,. Dans quelques cas, l'écoulement du sang ne s’effectue pas par la sur- face utérine ; le flux hémorrhagique se fait jour par d’autres vaisseaux. C’est ainsi qu’on voit des femmes , dont l’écoulement menstruel est sup- primé, avoir, à l’époque de leurs règles, des hémorrhagies nasales, pul- monaires, intestinales, etc. La menstruation est liée d’une manière intime aux phénomènes de la chute de l’œuf; elle indique dans l’organisme de la femme une tendance à fournir au développement du nouvel être les matériaux de son déve- . loppement. Quand la fécondation a eu lieu, la menstruation se supprime, et elle reste suspendue pendant tout le temps de la grossesse ; elle reste généralement suspendue aussi pendant tout le temps que la femme al- laite son enfant. La femme est-elle privée de ses ovaires, et, par consé- quent, de vésicules de Graaf et d’ovules, par un vice de conformation originel, la menstruation ne s'établit pas chez elle. La science renferme plusieurs observations d’où il résulte qu’à la suite de l’extirpation des ovaires la menstruation a été supprimée. S 389. Passage de l'ovule dans Ia trompe. — Dans l'espèce humaine, comme aussi chez les mammifères et chez les oiseaux , le canal par lequel s’é- chappe l’œuf pour être conduit, soit dans la matrice, soit au dehors, ce canal, dis-je, n’est pas continu avec l'ovaire, comme il l’est chez un grand nombre d’invertébrés. La trompe (qui représente chez les mammifères l’oviducte des oiseaux) est un canal flexueux, de 10 à 12 centimètres de longueur, continu avec l'utérus dans le fond duquel il s'ouvre par un ori- fice très-petit (1/2 millimètre de diamètre). La trompe s’élargit en dehors, 886 LIVRE 111. FONCTIONS DE REPRODUCTION, et se termine, du côté de l’ovaire, par une dilatation en entonnoir ou ya- villon, bordée tout autour par des replis frangés (Voy. fig. 185). L'ouver- tuve du pavillon est libre dans la cavité abdominale. Cette ouverture n’est maintenue dans le voisinage de l'ovaire que par une des franges du pa- villon, ordinairement plus longue que les autres, et qui adhère sur un des points de l'ovaire. La trompe présente d’ailleurs, parfois, dans le voisi- nage du pavillon, d’autres pavillons supplémentaires plus petits, groupés vers sa terminaison , et qui paraissent destinés à assurer le rôle que le conduit excréteur de l’ovule est appelé à jouer. Au moment où la vésicule de Graaf, arrivée à maturation et distendue "par le liquide qui s’est accumulé dans son intérieur, se déchire pour don- ner issue à l’ovule, la trompe, et surtout le pavillon, éprouvent une sorte de turgescence , en vertu de laquelle celui-ci s'applique sur l’ovaire , et enserre ainsi dans son intérieur la vésicule prête à se rompre. La trompe et le pavillon, dont les tuniques renferment des fibres musculaires, éprou- vent sans doute alors un mouvement vermiculaire, lequel, dirigé de l’o- vaire vers l'utérus, exerce sur la vésicule de Graaf, couverte par l’enton- noir de la trompe, une sorte de succion (analogue au mouvement de suc- cion des lèvres) qui détermine ou tout au moins favorise la déchirure. L'ovule, en sortant de l’ovaire, après la déchirure de la vésieule de Graaf et des tuniques amincies de l'ovaire, entraîne avec lui la petite masse de cellules qui l'entourent (cumulus proliger), et aussi une partie du liquide de la vésicule de Graaf. Grâce à ce liquide qui lui sert de mens- true, et qui offre une certaine prise au mouvement vermiculaire des tu- niques charnues , l’ovule s'engage bientôt dans le canal même de la trompe, de la même manière que les liquides passent du pharynx dans l’œsophage, pendant la déglutition. Une fois parvenu dans la trompe, l'ovule, qui n’a guère alors que de 1/6 à 1/10 de millimètre de diamètre, continue son trajet du côté de l’utérus. Ce trajets’effectue très-lentement. Les mouvements des cils vibratiles des trompes (Voy. $ 218) contribuent vraisemblablement à sa progression. Le temps que met l’ovule à parcourir la trompe de la femme pour ar- river jusqu'à l’utérus n’est pas très-bien connu. A quelque époque qu'on ait examiné les trompes de la femme après la mort, on n’a jamais pu, jus- qu'à présent, y saisir l’ovule au passage. Mais les expériences sur les ani- maux peuvent fournir à cet égard des données approximatives. Il est certain d’abord que , chez les oiseaux, le passage de l’ovule dans les di- verses parties de l’oviducte est assez lent. C’est, en effet, dans ce canal que l’œuf des oiseaux, qui, à la sortie de l’ovaire, est exclusivement con- slitué par le jaune et la membrane vitelline, se revêt successivement de sa couche albumineuse, et s’entoure de son enveloppe calcaire : 1l lui faut un certain temps pour éprouver ces métamorphoses. L’œuf de la poule met environ vingt-quatre heuresà parcourir l'étendue des oviductes, avant d'arriver an cloaque. Chez les mammifères, l'ovule éprouve aussi, CHAP. IL, DU SPERME. 887 dans son passage au travers des trompes, une série de modifications ana- logues: ils’entoure d’une couche albumineuse; des changements profonds s'accomplissent dans son intérieur quand il a été fécondé, ct, quand il arrive à l'utérus, il est déjà préparé au développement. On estime que l'o- vule met de quatre à huit jours à parcourir le trajet des trompes chez les chiennes, les lapines et les brebis. Ce sont là, il est vrai, des détermina- tions un peu arbitraires, attendu que cette durée est estimée (pour les animaux chez lesquels on a trouvé les œufs dans les trompes) d’après l’é- poque présumée à laquelle a eu lieu la rupture des vésicules de Graaf. Or, le simple examen des vésicules déchirées ne suflit pas pour établir nettement combien de temps s’est écoulé depuis la déchirure ; et, d’autre part, ni l’époque du rut, pendant laquelle on a ouvert l’animal, ni le mo- ment de l’accouplement ne peuvent fournir d’indications positives sur le moment précis de la rupture des vésicules de Graaf. Cela est si vrai, qu'en ouvrant un animal à des époques variées du rut , on trouve à la fois des ovules dans les trompes et des ovules dans les vésicules de Graaf non encore déchirées. Quoi qu'il en soit, ce qui paraît constant, et ce qui con- corde d’ailleurs parfaitement avec les notions tirées de l'anatomie com- parée, c'est que le cheminement de l’ovule au travers de la trompe est très-lent. Cette lenteur, en rapport avec les premières métamorphoses de l'œuf, a sans doute pour but de multiplier les chances de fécondation. CHAPITRE IL DE LA SEMENCE OÙ SPERME. S 390. Testicules. — La liqueur fécondante, ou le sperme, se forme chez l'homme dans les testicules. Le sperme est l’élément générateur mâle, comme l’ovule est l'élément générateur femelle. Le testicule est pour l’homme ce que l'ovaire est pour la femme. Le testicule existe chez le jeune garcon , comme l'ovaire existe chez la jeune fille; mais pendant toute la durée de l'enfance, la fonction du testicule sommeille comme celle de l’o- vaire. Quand la puberté se déclare, les testicules de l’enfant se dévelop- pent par une transition peu ménagée , et la sécrétion du sperme révèle une aptitude nouvelle. Une fois que la fonction spermatique est établie, elle s’accomplit chez l’homme d’une manière continue. Elle diminue d'activité avec les progrès de l’âge; la tendance au rapprochement des sexes s’affaiblit progressive- ment aussi. Quoique ralentie et languissante dans la vieillesse avancée, la sécrétion du sperme persiste néanmoins toute la vie durant. Les testicules , placés dans les bourses, sont entourés d’une coque fi- 888 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. breuse résistante (tunique albuginée), pourvue de prolongements ou de lamelles celluleuses, qui partagent l’intérieur du testicule en un certain nombre de loges incomplètes et en forment pour ainsi dire la charpente. C'est dans l'épaisseur de ces prolongements, ou lamelles celluleuses, que s’engagent et circulent les vaisseaux et les nerfs de l’organe, et c’est dans les loges incomplètes, circonscrites par elles, qu’estrenfermée la substance propre de la glande. Cette substance, qui remplit les loges, est constituée par les canaux séminiféres, tubes cylindriques d'environ 0w®,1 de diamè- tre *, enlacés les uns aux autres et formant, par leurs circonvolulions, autant de lobules aux testicules qu’il y a de loges celluleuses. Les canaux séminifères, accolés entre eux par un tissu cellulaire très-fin et très-lâche, peuvent être facilement séparés les uns des autres. On peut les injecter assez facilement au mercure; mais comme leurs parois sont élastiques, leur diamètre est généralement augmenté alors; il peut aller jusqu’à Ovn,3. Fig 201. Les lobules du testicule (Voy. fig. 201, a), au nom- bre de trois ou quatre cents, sont formés par deux ou trois canaux séminifères repliés sur eux-mêmes, terminés en cul-de-sac à leur extrémité et venant s’aboucher, à la sortie du lobule, avec les ca- naux du lobule ou des lo- bules voisins 2. En sortant des lobules, les canaux sé- minifères se dirigent vers le bord postérieur du testicule, là où converge le cloisonne- ment celluleux. Durant ce trajet, ils deviennent moins flexueux,s’anastomosenten- tre eux, diminuent en nom- TESTICULE DE L'HOMME (injecté au mercure). 4,4,a,a, lobules formés par les circonvolutions des canaux séminifères, bre, augmentent de diamè- b, canaux droits résultant de l’anastomose des canaux sémini- fèves, | î © tre. Ils portent alors le nom cc, rete vasculosum faisant suite aux canaux droits, et donnant . naissance aux canaux efférents, de canaux droits (ig. 201 ? b) * ee, ff, épididyme faisant suite aux canaux efférents. 1 d, tête de l'épididyme. Les canaux droits perforent h, queue de l'épididyme, la tunique albuginée, en s’a- ti, canal déférent, g, vas aberrans. nastomosant entre eux, et ‘ C’est le diamètre d’un cheveu fin. ? En supposant qu'il y ait dans chaque lobule 5 mètres de longueur de canaux, on aurait, pour la totalité du testicule, environ 2,000 mètres de conduits. Si l’on tient compte de la lon- gueur des conduits séminiferes et aussi de leur diamètre, on arrive à établir par le calcul que la surface sécrélante des reins est à celle des testicules comme 60 est à 1. La sécrétion du sperme est infiniment plus lente que celle de l’urine, CHAP. II, DU SPERME. 889 forment un réseau connu, depuis la description de Haller, sous le nom de rete vasculosum (Noy. fig. 201, c). Après sa sortie du testicule, le rete vasculosum se résout en dix ou douze conduits (canaux efférents), dont les circonvolutions anastomosées forment, sur la surface extérieure du tes- ticule, l’épididyme (Voy. fig. 201, e, f). L'épididyme se termine par un canal excréteur unique, qui est le canal déférent. De cette succession de canaux et d’anastomoses résulte le mélange intime des produits de sécré- tion qui arrivent des divers départements de la glande. Les deux canaux déférents remontent enfin du testicule vers l'abdomen, s’engagent dans le canal inguinal, pénètrent dans l’abdomen, gagnent les côtés de la ves- sie, s'unissent au canal excréteur des vésicules séminales, et vont s’ou- vrir dans la portion prostatique de l’urètre, sous le nom de canaux éjacu- lateurs (Noy. fig. 202, m). On trouve vers les dernières circonvolutions de la queue de l’épididyme un prolongement en forme de cœcum (Voy. fig. 201, g), ou vas aberrans, qui, s’ouvrant à l’origine du canal déférent, est sans doute destiné à la sécrétion d’une humeur additionnelle; il re- présente le vestige des corps de Wolf (Voy. $ 410). Les testicules ne sont pas placés, dès l’origine, dans les bourses. Les testicules se développent primitivement dans l’abdomen, sur les côtés de la colonne vertébrale, dans la région lombaire : ils y restent jusqu’au septième mois de la vie intra-utérine. A cette époque, le testicule descend dans le serotum (les bourses), guidé par un cordon fibreux sous périto- néal, adhérent d’une part au testicule, et de l’autre au canal inguinal. Ce cordon fibreux, auquel on a donné à tort la texture musculaire, se nomme gubernaculum testis. En déprimant les bords réunis des muscles petit obli- que et transverse, pendant son passage au travers du canal inguinal , le testicule, pourvu déjà de son enveloppe séreuse, se coiffe d’une enveloppe musculaire (crémaster). À la naissance, les testicules sont généralement parvenus dans le scrotum. Il arrive assez souvent cependant que la des- cente du testicule ne se fait que plus tard. D’autres fois, un seul testicule descend dans le scrotum , et l’autre reste pendant toute la vie soit dans l'abdomen , soit engagé dans le canal inguinal. Il arrive même quelque- fois qu'aucun des deux testicules ne se porte au dehors. Dans ce dernier cas , les testicules rudimentaires ne donnent qu’un sperme infécond, c'est-à-dire privé de spermatozoïdes. La castration, qu’on pratique d’une manière régulière chez certaines espèces animales, soit pour adoucir le caractère et faciliter la domestica- tion, soit pour favoriser l’engraissement, entraîne nécessairement la sté- rilité, en supprimant l’organe sécréteur du sperme. La castration s’est longtemps opérée et s'opère encore aujourd’hui sur l’homme. Cette opé- ration, qu'une coutume barbare a perpétuée jusqu’à nos jours, a lieu en général dans l'enfance, c’est-à-dire à l’époque où la fonction des testicu- les n’est pas encore éveillée. Elle constitue alors , comme chez les ani- maux, une opération à peu près sans danger. L'enfant privé de testicules 890 LIVRE TITI, FONCTIONS DE REPRODUCTION, n'appartient plus, pour ainsi dire, à aucun sexe. En avançant en âge, il n’acquiert ni les masses musculaires nettement dessinées, ni les traits ac- cusés de l’homme. Homme fait, il a la voix de la femme, dont il n’a ce- pendant ni la grâce ni les formes. Fig, 202. Œ lo >® à > À ss Ke ®) 6 895 NS A ® ee COUPE DE LA LIGNE MÉDIANE DE L'APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. a, vessie. 1, vésicule séminale. b, portion prostatique de l’urètre. m, canal éjaculateur. ©, portion membraneuse de l’urètre, n, glande de Cooper. d, portion spongieuse de l’urètre. 0, corps caverneux de la verge. e, uretère ou canal excréteur du rein, ?, bulbe de l’urètre. f, testicule. r, Corps caverneux de l’urètre. 9, tête de l’épididyme. s, Corps caverneux du gland. hk, queue de l’épididyme. t, prostate, k, canal déférent. S 391. Sperme. — Composition chimique, — Le sperme est un liquide blan- châtre , épais, légèrement alcalin, filant à la manière de l’albumine de l'œuf, d’une odeur alliacée sui generis. Lorsqu'on dessèche le sperme, il CHAP, II, DU SPERME, S91 perd environ 90 parties d’eau. Il reste, apres l’évaporation, 10 pour 400 d’une matière organique jaunâtre, analogue à de la corne. Lorsqu'on met cette matière sur les charbons ardents , elle répand une odeur de corne brülée, et il reste ensuite un faible résidu salin. La matière organique de la semence a reçu le nom de spermatine. Cette matière a beaucoup d’ana- logie avec les substances albuminoïdes. Elle diffère de l’albumine en ce qu’elle ne se coagule point par la chaleur. Comme l’albumine, elle se coa- sule par l'alcool, et le coagulum se dissout à chaud dans une lessive de potasse; mais lorsqu'on neutralise ensuite la potasse par l’acide azotique, la spermatine ne se précipite plus, comme il arrive à l’albumine. La spermatine correspond vraisemblablement aux particules organi- ques tenues en suspension dans le sperme (cellules de la semence, sperma- tozoides); mais il est diflicile cependant de l’aflirmer, attendu que le sperme , lorsqu'il est évacué au dehors , est mélangé avec des produits de sécrétion multiples, tels que le liquide prostatique, celui des glandes de Cooper, le mucus urétral. La spermatine n’existe que dans la semence de l’homme pubère , ou dans la semence des animaux à l’époque du rut. Dans le jeune âge, et dans les époques Imtermédiaires au rut chez les ani- maux, la matière organique du liquide qu'on trouve dans les voies sper- matiques ressemble, sous le rapport chimique, à peu près complétement à de l’albumine. L'analyse quantitative du sperme à élé faite rarement. Voici l'analyse de Vauquelin : . ANALYSE DU SPERME (Vauquelin). BAR CPP DU Dh - 400 SDETTANNE ER CTI OL Le -N-Ne CR - De 6 Phosphate caleaire et autres sels. . . . . . Hs AaS SORT 2 S 392. Spermatozoïdes, — Cellules spermatiques. — Lorsqu'on examine du sperme frais au microscope, on remarque une multitude considérable de petits filaments qui se meuvent dans le liquide avec une certaine viva- cité. Ces filaments ont reçu des noms divers; on les a successivement dé- signés sous les noms de : animalcules spermatiques , zoospermes , filaments spermatiques, spermatozoïdes. Ce dernier nom nous parait le plus conve- nable, attendu que ces petits corps, malgré leur mobilité, ne peuvent pas être regardés comme des animaux proprement dits. Ils sont constitués par une substance homogène, et n’ont aucunement cette organisation com- pliquée dont l’imagimation s’est plu à les douer. Ils représentent des élé- ments organiques analogues, par leur mobilité, aux cellules vibratiles (Voy. $ 218). Indépendamment des spermatozoïdes, on remarque encore dans le sperme des globules d’une nature particulière, dits cellules spermatiques. 892 LIVRE IIT, FONCTIONS DE REPRODUCTION, Ces cellules , de volume très-variable, ne sont que les premières phases du développement des filaments spermatiques. Ces cellules existent en grand nombre dans le sperme contenu dans les canaux séminifères du testicule. On n’en retrouve qu’un petit nombre dans le sperme éjaculé, parce qu’au moment où le sperme est évacué au dehors, ces cellules ont généralement subi leurs métamorphoses. Par la même raison, le sperme extrait des canaux séminifères du testicule ne renferme que de rares spermatozoïdes, et le nombre de ces derniers augmente dans l’épididyme, le canal déférent et les vésicules séminales. Outre les spermatozoïdes et les cellules spermatiques, on trouve enfin dans le sperme, comme dans tous les liquides de sécrétion, des granulations élémentaires et des la- melles d’épithélium détachées des parois des conduits excréteurs. Les spermatozoïdes de l’homme (Voy. fig. 203, a) sont formés par une partie renflée, ovoïde, qu’on nomme tête, et par un appendice long et grêle, qu’on nomme queue. La tête est un peu aplatie, car on la voit plus large ou plus étroite, suivant que le spermatozoïde se présente de face ou de profil. Dans les mouvements spontanés que le spermatozoïde exécute dans la liqueur séminale, c’est toujours du côté de la tête que la progres- sion a lieu. La tête a environ 0,005 dans son diamètre longitudinal ; la queue est relativement beaucoup plus longue ; elle a souvent jusqu’à Omw,1 de longueur. Fig. 203. SPERMATOZOIDES ET GLOBULES SPERMATIQUES. Les spermatozoïdes exécutent des mouvements qui paraissent très-ra- pides au microscope, et d'autant plus rapides, on le conçoit, que le gros- sissement est plus grand. M. Henle a calculé qu’en trois secondes ils peu- vent parcourir un espace de 0w,1. Leur mouvement de progression est analogue à celui des serpents, et, relativement à leur longueur, il est à peu près aussi vif, car les serpents ne mettent guère moins de trois secondes à franchir un espace égal à leur propre longueur. Les spermatozoïdes continuent à se mouvoir après la mort de l’animal dans le liquide des ca- naux spermatiques. Au bout de vingt-quatre heures, on les retrouve en- core mobiles. Quand ils ont été portés par le coït dans les organes géni- taux de la femme, ils conservent leurs mouvements beaucoup plus longtemps. M. Bischoff a retrouvé les spermatozoïdes du lapin encore CHAP. II, DU SPERME, 893 animés de mouvements spontanés dans les trompes utérines de la lapine, une semaine après l’accouplement. Lorsque le sperme est abandonné au contact de l’air, la durée des mou- vements des spermatozoïdes n’est que de quelques heures, et encore faut-il maintenir le liquide à la température du corps de l’animal et s’op- poser aussi aux effets du desséchement. Les spermatozoïdes perdent leurs mouvements quand on étend d’eau le sperme; ils les perdent également sous l'influence du froid, d’une température élevée, des acides, des alca- lis, de l’opium, de la strychnine , de la bile, et aussi, d’après M. Donné, sous l'influence de certaines qualités du mucus vaginal de la femme (aci- dité et alcalinité). Les spermatozoïdes conservent leurs mouvements dans l'urine, à peu près aussi longtemps que dans le sperme abandonné au contact de l’air. Les spermatozoïdes des mammifères et de la plupart des autres ver- tébrés ont aussi la forme de filaments, avec une partie renflée à l’une des extrémités. En général , les spermatozoïdes des animaux ont des dimen- sions plus considérables que ceux de l’homme. Les principales différences que présentent les spermatozoïdes dans les animaux portent sur la forme de la tête. Ainsi, chez la taupe, cette tête représente une ellipse très-al- longée ; chez le chien, elle ressemble à une sorte de poire dont la grosse extrémité serait tournée en avant; chez le rat, elle ressemble à un fer de lance, ou plutôt à la figure d’un pique de carte à jouer, etc. Dans les oi- seaux, la tête des spermatozoïdes est très-allongée et se distingue moins nettement de la queue; elle a souvent une forme analogue au pas de vis d’une vrille. Les cellules spermatiques, d’où procèdent les spermatozoïdes, doivent être étudiées dans le sperme extrait des canaux séminifères du testicule des animaux vivants, ou dans les canaux séminifères de l’homme mort de mort violente, de l’homme décapité, par exemple. Ces cellules présentent des volumes très-divers, qui correspondent aux diverses périodes de leur évolution. MM. Wagner, Kôlliker, Robin, etc., ont étudié avec soin leurs métamorphoses. D'abord très-petites, elles constituent dans l’origine des vésicules simples, nées autour des granulations élémentaires, à la ma- nière des cellules organiques. Elles grossissent peu à peu et acquièrent bientôt des dimensions plus considérables (Voy. fig. 203, b, c, d, e, f). A la fin de leur accroissement, elles ont généralement, chez les mammi- fères, Onm,05 de diamètre. Les cellules spermatiques ne contiennent, dans l'origine, qu’un noyau et un contenu à peu près uniformément granulé (Voy. fig. 203, b, b, b). Puis, pendant que la cellule s’accroît, le contenu se fractionne en deux parties par multiplication endogène, et, à une cer- taine période, il y a deux cellules filles incluses dans la cellule mère pri- mitive ! (Voy. fig. 203, c). Les cellules filles continuent à se multiplier dans 1 La muitiplication endogène paraît se faire ici par segmentation, c'est-à-dire par groupe- ment du contenu autour de noyaux, en deux masses, puis quaire, puis huit, etc., masses qui 894 LIVRE UT, FONCTIONS DE REPRODUCTION. la cellule mère, et bientôt il y en a quatre, huit, et davantage (Voy. fig. 205, d, e). Quand la multiplication est achevée, on voit bientôt se déve- lopper dans l'intérieur de chacune des petites cellules un spermatozoïde enroulé sur lui-même (Voy. fig. 203, 6). Quand le développement isolé des spermatozoïdes est terminé, les vésicules qui les entourent se détruisent, et les spermatozoïdes deviennent libres dans la cellule mère. Les filaments spermatiques s'appliquent alors contre les parois de la cellule mère, d’une manière symétrique, et forment un faisceau dans lequel les têtes sont sou- vent accolées les unes contre les autres (Voy. fig. 203, f). Appliqué con- re les parois, en forme de courbe, le faisceau croît encore avec la cellule mère , qui ne tarde pas à se rompre. Une fois libre dans le liquide sper- matique , le faisceau se dissocie, et les spermatozoïdes acquièrent une existence indépendante. On retrouve souvent dans le sperme des filaments spermaliques encore adhérents par quelque partie de leur corps, et en particulier par leur tête. C’est à la présence des spermatozoïdes que le sperme doit ses proprié- tés fécondantes. L'homme adulte, qui peut féconder la femme en toute saison, présente constamment des spermatozoïdes dans le liquide séminal. Les animaux n’en présentent qu’à l’époque du rut. Dans les intervalles, l’évolution des vésicules Spermatiques et la formation des spermatozoïdes soni suspendues ; ceux qui existaient dans les organes mâles disparaissent peu à peu, à mesure que la dernière période du rat s'éloigne. Le sperme se forme plus lentement que les autres liquides de sécrétion. Sa viscosité en rend le cheminement assez lent. dans le long parcours des canaux séminifères du testicule et de l’épididyme. À la suite des pertes spermatiques répétées, on remarque aussi que le sperme est moins riche en animaleules; on y retrouve plus de cellules spermatiques : ce qui indique clairement qu'il faut un certain temps pour que les métamor- phoses de ces cellules s’accomplissent. s’entourent plus tard de membranes de cellules. Nous retrouverons plus loin la segmentation du vilellus, comme premier phénomène du développement de l'œuf, On a comparé le globule Spermalique à l’ovule, et M. Robin a même désigné ce globule sous le nom d’ovule mâle. I] y a, en effet, une certaine analogie entre ces deux éléments organiques. Le globule spermatique nait au sein du liquide spermatique contenu dans les canaux séminiferes, comme l’ovule naît au Sein du contenu liquide des vésicules de Graaf. Le globule spermatique reste stationnaire pendant l'enfance, comme l'ovule, et les métamorphoses ultérieures, qui doivent donner naissance aux spermatozoïdes, s’accomplissent de la même manière que les métamorphoses ultérieures de l’ovule. CHAP, IT, COPULATION. 895 CHAPITRE I. DE LA COPULATION (AGGOUPLEMENT où coir). S 393. Be l'érection ehez Fhomme. — L'érection est caractérisée, chez l’homme, par l'augmentation de volume et de consistance, et par le chan- gement de direction du membre viril. L’érection facilite l’introduction du pénis dans les organes génitaux de la femme, et lui permet de porter dans la profondeur du vagin le liquide destiné à la fécondation. Mais ce n’est pas là le but principal de l'érection. D'une part, ce phénomène accom- pagne aussi chez la femme l'acte du coït; et, d’une autre part, la sortie du sperme peut avoir lieu sans érection, ainsi que cela se rencontre quel-. quefois. L’érection met les organes mâles et femelles dans un état de turgescence tel, que ces organes, doués en ce moment d’une sensibilité exaitée, s'appliquent intimement l’un sur l’autre : elle augmente ainsi dans les deux sexes la sensation voluptueuse, sensation par laquelle se trouve assurée, dans toute la série animale, la reproduction de l'espèce. Telle est surtout sa destination. L'appareil de l'érection consiste en un tissu spongieux dit érectile, qui constitue à lui seul la masse presque entière de la verge (Voy. fig. 202). Le tissu érectile de la verge est formé : 4° des deux corps caverneux (Voy. fig. 202, 0), qui, attachés en arrière aux branches ascendantes de l’ischion et descendantes du pubis, s’adossent l’un à l’autre, et ne sont plus sépa- rés en avant que par une cloison incomplète ; 2 par la portion spongieuse de l’urètre (corps caverneux de l’urètre), tissu érectile à mailles plus fines que le précédent, formant autour de l’urètre une gaine complète, et ve- nant se loger, avec l’urètre qu’elle entoure, au-dessous des corps caver- neux de la verge, contre lesquels elle est intimement appliquée. La por- tion spongieuse de l’urètre présente en arrière un renflement ou bulbe (Voy. fig. 202, p), et en avant un autre renflement, ou gland (fig. 202, s). Les corps caverneux de la verge, et la gaine spongieuse de l’urètre ren- flée en avant sous forme de gland et en arrière sous forme de bulbe, sont constitués par les lamelles entre-croisées d’un tissu fibreux, dans lequel on trouve aussi des fibres musculaires lisses ($ 219). Ces lamelles cir- conscrivent des espaces irréguliers ou cellules, communiquant largement les unes avec les autres, et communiquant aussi avec les veines. De plus, les capillaires artériels qui arrivent au tissu caverneux, après s’être di- visés et subdivisés sur les parois des cellules, se terminent par des extré- 896 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. mités dilatées en forme d’entonnoir, qui versent le sang dans les cellules. Le tissu érectile, interposé entre les artères et les veines, forme ainsi entre elles une sorte de réservoir tout spécial, pouvant, dans certains moments, recevoir une grande quantité de sang, et augmenter beaucoup de volume. C’est ce qui arrive toutes les fois que le retour du sang par les veines se trouve suspendu ou ralenti, alors que les artères continuent toujours à apporter le sang poussé par la tension artérielle. Tel est, en effet, le mé- canisme de l’érection, comme nous l’allons voir. Les corps caverneux de la verge et le tissu caverneux de l’urètre sont entourés et isolés les uns des autres par des gaïînes fibreuses élastiques, qui permettent les changements de volume de l'organe, tout en les limi- tant à un degré déterminé. Les corps caverneux de la verge et le tissu caverneux de l’urètre reçoivent principalement leur sang par des vais- seaux distincts, et leur érection n’est pas toujours simultanée. Cependant il existe entre eux quelques communications , et le sang qui les distend peut passer des uns aux autres; mais l’érection de chacun d’eux est ame- née d’une manière bien plus directe, et surtout bien blue complète, par leurs vaisseaux respectifs. L’érection peut être déterminée par des causes diverses. Tels sont‘: le contact de la femme, les excitations mécaniques du pénis, les lectures érotiques, la vue ou le souvenir du coït. La continence, c’est-à-dire la ré- plétion des voies spermatiques par un sperme riche en spermatozoïdes, donne à ces diverses causes une grande activité. Certaines émotions vives peuvent, au contraire, y porter plus ou moins complétement obstacle. L’érection peut être déterminée aussi par d’autres causes, telles que le décubitus dorsal dans le lit, la réplétion de la vessie par l'urine, la présence d’un calcul dans la vessie, etc. L’érection dépend évidemment de l'accumulation du sang dans les mailles du tissu érectile de la verge. On peut amener l'érection sur le cadavre, en injectant à l’aide d’une masse solidifiable les vaisseaux du pénis. On peut aussi, à l'exemple de M. Müller, déterminer l'érection du pénis en fixant un long tube, à l’aide d’une ligature, dans une ouverture pratiquée à l’un des corps caverneux de la verge, en remplissant d’eau ce tube maintenu dans la verticale, et en exerçant une pression conve- nable sur les organes du bassin pour s’opposer au retour de l’eau par les veines. Lorsque le liquide infiltré dans le tissu caverneux supporte ainsi une colonne d’eau de 2 mètres, l’érection est complète. Cette expérience démontre en outre que la tension du sang accumulé dans le pénis, au moment de l'érection, est précisément celle auquel le sang est'soumis dans le système artériel (15 centimètres de mercure) (Voy. $ 95). Au moment de l'érection, le sang s’accumule donc dans les mailles du tissu érectile de la verge, et cette accumulation ne peut être amenée que par un obstacle quelconque à la sortie du sang veineux. Le retour du sang par les veines est-il suspendu complétement au moment où l'érection CHAP, III, COPULATION, 897 s'établit? On lignore ; mais il est probable cependant qu'il n’y a qu’un ralentissement dans la circulation veineuse, et que, quand l'érection est établie, la tension artérielle transportée dans les mailles du tissu érectile fait progresser dans les veines, pendant tout le temps que dure l'érection, une certaine quantité de sang. L’obstacle à la sortie du sang veineux n’a pas besoin, en effet, d’être absolu, il suflit qu'il fasse équilibre dans une certaine mesure à la tension artérielle, pour que le réservoir multilocu- laire, représenté par le tissu érectile, reste bandé. L’obstacle au retour du sang veineux, au moment de l'érection, est dé- terminé en partie par la contraction musculaire des fibres lisses qui en- trent dans la constitution des lamelles du tissu caverneux, et en partie par certains muscles du périnée (l’ischio-caverneux et le bulbo-caver- neux). Ceux-ci agissent principalement pour porter l'érection au maxi- mum. L'existence des fibres musculaires lisses dans les lamelles du tissu caverneux est démontrée par l'observation microscopique, et l’on peut mettre la propriété contractile de ce tissu en évidence, en appliquant les pôles d’un appareil d’induction sur le pénis d’un animal récemment tué. Le rétrécissement des lamelles du tissu caverneux peut être observé très- facilement alors, à l’aide d’une simple loupe; il est, comme dans tous les muscles lisses, lent à se produire et lent à s’éteindre. La contraction des fibres musculaires du tissu caverneux entraîne, dans chaque point où les cellules communiquent avec les veines, une diminu- tion du calibre veineux correspondant ; et ces effets, se produisant dans toute l'étendue des corps caverneux, s’additionnent. Le sang, toujours versé dans les artères, sous l'influence de la tension artérielle, amène progressivement l’augmentation de volume de la verge, et, avec cette augmentation de volume, les changements de forme et de direction sub- ordonnés à l’état de réplétion des mailles du tissu érectile. La contraction des fibres musculaires du tissu érectile agit à peu près seule, au commencement de l'érection. Les muscles du périnée rendent l’érection plus complète. Pendant le coît, et alors surtout que la verge est agitée par des saccades ou battements convulsifs, on constate manifes- tement les contractions involontaires de ces muscles. L’ischio-caverneux, né à la face interne de la tubérosité de l’ischion, se porte sur la racine des corps caverneux et s’entre-croise, au-dessous du bulbe, avec celui du côté opposé. Le bulbo-caverneux, né du raphé commun au sphincter et au transverse du périnée, contourne le pénis et vient se terminer près de son ligament suspenseur. Ces deux muscles, par leur contraction , agis- sent surtout sur le bulbe. Le bulbe comprimé chasse le sang de la partie postérieure de la portion spongieuse de l’urètre vers la partie antérieure, c’est-à-dire vers le gland. C’est à ces contractions répétées qu'est due la turgescence exagérée du gland, dans les moments qui précèdent l’éjacu- lation. Chez la plupart des animaux, le gland acquiert en ce moment un développement très-supérieur à celui qu’il avait au moment où le pénis .— O4 898 LIVRE II, FONCTIONS DE REPRODUCTION. a pénétré dans les organes génitaux de la femelle, ainsi qu'on peut le remarquer quand il sort immédiatement après l’éjaculation. La contraction de ces muscles agit aussi pour compléter et pour pous- ser à ses dernières limites la réplétion des corps caverneux de la verge. Le bulbo-caverneux, en pressant de bas en haut la verge contre la sym- physe pubienne, comprime, en effet, les veines dorsales du pénis; et l’is- chio-caverneux, en pressant la portion des corps caverneux adhérente aux surfaces ischio-pubiennes, chasse aussi le sang vers la portion libre de la verge. Le sphincter et le transverse du périnée, se contractant dans le même temps, et donnant plus de fixité aux insertions postérieu- res du bulbo-caverneux, concourent indirectement aussi au phénomène de l'érection. S 394. De l'érection chez la femme, — La femme possède aussi un appareil érectile, qui s’érige dans les mêmes conditions que celui de l’homme. De même qu'on voit parfois le phénomène de l’érection manquer ou ne se produire que très-incomplétement chez l’homme, au moment de l’éjacu- lation, de même l'érection peut manquer chez la femme, et la fécondation s’opérer néanmoins. Le phénomène de l'érection n’est donc, pas plus chez la femme que chez l’homme, lié absolument à la fécondation; mais il est destiné à exciter chez elle le désir du rapprochement des sexes, et à soustraire à l’indifféçence ou au dégoût la fonction la plus essentielle de l’animalité. L'appareil érectile de la femme se compose de deux parties principales. 1° Le clitoris, organe situé à la partie supérieure du vagin, correspond exactement aux corps caverneux de la verge de l’homme. C’est un pénis en petit, moins le canal de l’urètre ; l’urètre s’ouvrant, chez la femme, iso- lément, en dessous de lui. Le clitoris présente en arrière deux racines qui, comme celles des corps caverneux de la verge, vont se fixer sur les bran- ches descendantes du pubis et ascendantes de l’ischion. Les deux racines du clitoris convergent l’une vers l’autre, et forment, en se dirigeant en haut, le corps du clitoris. Celui-ci se recourbe bientôt en bas, et se ter- mine par un petit tubercule imperforé, appelé le gland du clitoris, gland auquel la jonction supérieure des petites lèvres sert de prépuce. 2° Le bulbe du vagin, placé à l’orifice antérieur du vagin, sous les racines des corps caverneux du clitoris, correspond au bulbe de l’urètre de l’homme. Placé entre les racines du clitoris et le méat urinaire, il envoie des pro- longements qui descendent de {chaque côté du vagin; il forme ainsi, à l’entrée de la vulve, une sorte de coussinet érectile. Le clitoris et le bulbe du vagin sont constitués par un tissu analogue à celui de la verge. Le mécanisme de l’érection est le même chez la femme que chez l’homme. Le gonflement du clitoris, déterminé par la contrac- tion des lamelles musculaires du tissu caverneux, peut être porté au maxi- CHAP. III. COPULATION. 899 um au moment du coit, par l’action du constricteur du vagin (bulbo- caverneux de la femme). Ce muscle embrasse et comprime le bulbe, et augmente ainsi la turgescence du clitoris, dont le tissu caverneux com- munique avec celui du bulbe. $. Le clitoris, lorsqu'il s’érige, augmente de volume et de consistance, mais il ne change pas de direction , comme la verge de l’homme. Sa par- tie libre, coudée vers le bas, ne se relève point du côté de l’abdomen, au moment de l'érection. Son augmentation de volume tend, au contraire, à le faire prédominer du côté de l’ouverture vaginale, de manière à le pré- senter à la rencontre du pénis, au moment du coït. S 395. Du eoit. — Le but du coït est de mettre en présence les deux éléments essentiels de la reproduction, l’ovule et le sperme. A cet effet, Ia verge, préalablement érigée, s’introduit dans les organes génitaux de la femme. Le membre viril, devenu plus volumineux, remplit le vagin. Celui-ci, dont l’orifice est plus rétréei que le fond, s’accommode au volume variable du pénis. Le glissement du membre est favorisé par les mucosités du vagin, sur- tout par la sécrétion des glandes vulvo-vaginales ou glandes de Bartholin. Ces glandes, analogues pour la structure aux glandes salivaires, sont pla- cées sur les côtés de la vulve et du vagin, dans le tissu cellulaire du plan- cher pérméal, et viennent s'ouvrir de chaque côté par un canal excré- teur, à un centimètre environ en arrière de l’orifice vulvaire. Le liquide fourni par ces glandes est visqueux, filant, assez analogue à de la salive, et doué d’une odeur vive et caractéristique , qui éveille chez l'homme les désirs vénériens. La sécrétion des glandes vulvo-vaginales augmente au moment de l'excitation génésique, et l’excrétion du liquide sécrété accom- pagne l'érection des tissus érectiles qui garnissent l’entrée du vagin. Lors- que le désir du coït est vif, l’issue du liquide a lieu parfois sous forme de jet, par les contractions spasmodiques du canal excréteur. C’est ce jet de liquide , assez analogue à celui qui a lieu par les canaux excréteurs des glandes salivaires, à la vue ou au souvenir des aliments savoureux, qu’on a quelquefois désigné sous le nom d’éjaculation de la femme. Mais ce li- quide n’a rien de commun avec le liquide éjaculé par l’homme, c’est-à-dire avec le sperme ; il n’est qu’un liquide destiné à lubrifier le vagin, à favo- viser l'introduction du pénis, à adoucir les frottements , et à rendre plus vives et plus exquises les impressions du toucher. Le vagin présente à l’intérieur et sur la ligne médiane, en avant et en arrière, des saillies longitudinales de la membrane muqueuse (colonnes du vagin), et aussi, dans le voisinage de la vulve, des plis ou des rides transversales qui augmentent les contacts voluptueux. Les grandes et les petites lèvres de la vulve, très-riches en vaisseaux et en nerfs, n’éprou- vent pas une érection comparable à celle du bulbe et du clitoris, mais 900 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION, elle se gonflent néanmoins au moment de l’excitation du coït, et concou- rent à embrasser étroitement le pénis. Les frottements du gland de la verge contre les surfaces nerveuses, lu- brifiées et gonflées, de la vulve et du vagin, entrainent, par action ré- flexe, la contraction des muscles bulbo-caverneux et ischio-caverneux de l’homme. L’érection des corps caverneux de la verge et celle du gland se trouvent ainsi portées à leurs dernières limites (Voy. S 393). Le frottement du dos de la verge contre le clitoris et contre l’ouverture de la vulve, douée en ce moment d’une vive sensibilité, amènent également, par action réflexe, la contraction du constricteur du vagin et de l’ischio-caverneux, contraction qui augmente la turgescence de l’appareil érectile de la femme, ou qui la détermine, si elle n’avait pas eu lieu au commencement du coït. L'appareil érectile de la femme, distendu par le sang, réagit à son tour sur le membre viril, et ainsi de suite. Enfin, lorsque la sensibilité déve- loppée sur le gland par les frottements réitérés de l’organe mâle contre l'organe femelle est arrivée à un certain degré d’exaltation, il survient dans tout l'organisme une sensation indéfinissable, accompagnée d’un sentiment de chaleur le long de l’axe cérébro-spinal, de l’accélération du pouls, et d’efforts convulsifs d'expiration. La contraction des voies d’ex- crétion du sperme, et de tous les muscles du périnée, survient par action réflexe de la moelle épinière, et l’éjaculation a lieu. Il est probable que, du côté de la femme, l'orgasme vénérien est accom- pagné, non-seulement de mouvements dans les muscles du périnée, mais aussi de contractions utérines, de manière que le col utérin, s’ouvrant et se resserrant par des mouvements convulsifs, attire en quelque sorte la se- mence dans sa cavité. La sensation voluptueuse qui accompagne le coït n’est pas indispensa- ble à la fécondation. Des femmes ont pu dévenir grosses sans l’avoir res- sentie, de même que l’homme peut quelquefois émettre la liqueur sperma- tique sans éprouver l’ébranlement nerveux qui accompagne généralement l’éjaculation ; mais il n’est pas moins certain que l’orgasme vénérien est l’un des plus puissants et des plus sûrs mobiles de la procréation. Les ani- maux ressentent vivement cette sensation. Quelques insectes accouplés ne se séparent pas quand on les transperce d’outre en outre, et on peut mutiler les grenouilles mâles, au moment de la fécondation, sans qu’elles cessent d’embrasser la femelle. Il semble qu’en ce moment l'instinct de la conservation individuelle a disparu pour faire place à celui de l’es- pèce. Le premier coït de la femme est souvent douloureux. L’orifice vaginal de la fille vierge est pourvu, en arrière des petites lèvres, d’un diaphragme membraneux incomplet, ou hymen, qui, fermant en partie l’entrée du va- gin, est généralement déchiré par les premières approches. La déchirure de cette membrane, pourvue de vaisseaux et de nerfs, est ordinairement accompagnée de douleur et d’une légère effusion de sang. Lorsque l’hy- CHAP, III, COPULATION, 901 men a été rompu, ses lambeaux se rétractent, deviennent plus épais et constituent les caroncules myrtiformes. L’hymen a ordinairement la forme d’un croissant, dont l’ouverture re- garde en haut, du côté du méat urinaire ; d’autres fois il constitue un dia- phragme complet, percé d’une ouverture ou de plusieurs ouvertures ; d’autres fois encore, mais beauconp plus rarement, ce diaphragme est tout à fait imperforé et ferme complétement le vagin. La solidité de l’hymen est le plus souvent médiocre, et cette membrane cède facilement, non- seulement à l’introduction du pénis, mais aussi à celle d’autres corps étrangers. Parfois l’hymen offre une mollesse et une laxité telle, qu'il prête sans déchirure. Rarement il est assez solide pour résister aux efforts naturels qui doivent en amener la rupture. La présence de l’hymen est une probabilité, mais non pas un signe cer- tain de virginité ; car, s’il était lâche, il a pu céder et permettre l’introduc- tion du pénis sans se rompre, et, d'autre part, il peut y avoir eu copula- tion incomplète à l’orifice externe de la vulve, et même fécondation, le jet du sperme ayant traversé l'ouverture circonscrite par lui. Il existe dans la science des observations de femmes qui présentaient encore la membrane hymen au moment de accouchement. L’absence de l’hymen n’est pas non plus la preuve du coït. Il n’est pas probable, il est vrai, que l’écartement forcé des cuisses, la danse ou l’équitation puissent le rompre, mais il est évident que l’introduction de tout autre corps que le pénis a pu en déterminer la déchirure. S 396. Éjaculation. — L'éjaculation ou l’excrétion du sperme est déterminée par la contraction des canaux éjaculateurs, celle des vésicules sémi- nales, celle des canaux déférents, et probablement aussi celle de l’épi- didyme (Voy. fig. 202). À ces contractions viennent se joindre celle des muscles du périnée et celle des couches musculaires multiples (dites muscle de Wilson), qui entourent de toutes parts la portion membra- neuse de l’urètre. L’éjaculation est involontaire ; elle survient par action réflexe, lorsque l’excitation du gland est poussée à un certain degré. La réalité de la contraction des canaux éjaculateurs et des canaux défé- rents peut être mise en évidence par l’excitation directe de ces canaux sur les animaux fraichement tués, ou par l'excitation galvanique des nerfs qui s’y rendent (portion lombaire du grand sympathique). La stimulation directe de la moelle épinière peut conduire au même ré- sultat. L’éjaculation qui accompagne souvent la pendaison est déterminée par la compression et par les tiraillements de la moelle épinière ; et le sperme qu’on trouve ordinairement dans le canal de l’urètre des guillo- tinés y à été amené par les contractions des voies de l’excrétion du 902 LIVRE IT, FONCTIONS DE REPRODUCTION, sperme, en vertu de la stimulation nerveuse déterminée par la section de la moelle épinière. Les vésicules séminales (Voy. fig. 202), placées sur le trajet des voies d’excrétion du sperme, entre les canaux déférents et les canaux éjacu- lateurs, sont tout autant des organes glanduleux que des réservoirs du sperme. Lorsqu'on examine au microscope le liquide qu’elles contien- nent, on y trouve des animalcules spermatiques. Après la castration, ces organes se développent et atteignent le même volume que chez les ani- maux entiers. Il est donc probable que les vésicules séminales fournissent une humeur particulière, qui se mélange au sperme au moment de l’éja- culation. | La prostate (Voy. fig. 202), dont les canaux excréteurs viennent s’ou- vrir dans l’urètre, fournit un liquide transparent et filant ; les glandes de Cooper (Voy. fig. 202) sont dans le même cas. La membrane muqueuse de l’urètre elle-même fournit un mueus qui vient encore compliquer la composition du sperme éjaculé. Les liquides fournis par les glandes de Cooper, par la prostate et par la muqueuse urétrale, paraissent avoir pour but de lubrifier le canal de l’urètre, au moment de l’éjaculation, de manière que le liquide visqueux du sperme se trouve entraîné au dehors, en masse, et sans adhérer aux parois du canal qu'il parcourt. Ce sont ces liquides qui s’écoulent au dehors du canal, et avant l’éjaculation, sous la forme d’une humeur transparente, lorsque le pénis est vivement excité : c’est aussi Le liquide non fécondant fourni par la prostate, par les glandes de Cooper et par les vésicules séminales, qui s'écoule, après l'érection, au dehors de l'urètre de l’homme ou des animaux qui ont subi la castration. La contraction des voies de l’excrétion du sperme est assez brusque et assez énergique, au moment de l’éjaculation, pour faire sortir le sperme en jet. Ce jet, chez l’homme continent, peut aller à plusieurs pieds de hauteur. Au moment de l’éjaculation, l’urine ne s’écoule point en dehors de la vessie. En ce moment, le col de la vessie reste fermé. En dehors même de l’excitation vénérienne, le col de la vessie oppose aussi un obstacle à peu près insurmontable à la miction, toutes les fois que le pénis se trouve à un degré prononcé d’érection 1. Dans l’état ordinaire, le sperme ne s’écoule pas avec l’urine, quoique la miction soit accompagnée, surtout vers la fin, par la contraction des muscles du périnée : ce qui montre bien le rôle spécial des voies sper- matiques dans l’éjaculation. Chez les individus continents, la contraction des muscles du périnée entraîne assez souvent cependant, à la fin de l’urination et dans les efforts de la défécation, la sortie d’un liquide mu- queux mélangé de sperme et provenant des vésicules séminales, 1 La difficulté et même l'impossibilité d’uriner au moment de l'érection, malgré les efforts les plus énergiques, tient peut-être aussi au gonflement du verumonfar:um, saillie placée sur la portion inférieure de la portion prostatique de l'urètre. CHAP. II. COPULATION. 903 Le sperme qui est évacué au dehors des voies spermatiques, au moment de l’éjaculation, provient des vésicules séminales, du canal déférent et de l’épididyme. Mais la capacité de ces réservoirs et de ces canaux étant peu considérable, il est probable qu'il provient aussi des canaux sémini- fères du testicule lui-même, dont l’action de sécrétion se trouve notable- ment augmentée au moment du coit. Lorsque l’éjaculation se répète un certain nombre de fois en peu de temps, le fait est évident; il ne l’est pas moins chez les animaux en rut (bélier, par exemple), qui, en l’espace de moins d’une heure, peuvent s’accoupler trente ou quarante fois, et chez lesquels l’éjaculation est presque continue. S 397. Hermaphrodisme. — L’hermaphrodisme, c’est-à-dire la réunion des organes mâles et des organes femelles sur le même individu, existe dans les plantes et chez un certain nombre d’animaux invertébrés, qui tantôt se fécondent réciproquement et tantôt se fécondent eux-mêmes. On ren- contre parfois chez l’homme les apparences extérieures de l’hermaphro- disme, c’est-à-dire une vulve, conduisant dans un canal intérieur ou vagin, avec des testicules et un pénis; mais, dans ce cas, les organes in- térieurs femelles, c’est-à-dire l'utérus et les ovaires, font défaut. D’autres fois, on trouve une vulve, un vagin, un utérus, des ovaires et un pénis; mais alors les testicules font défaut, et le pénis n’est que l’exagération du clitoris. Quelquefois, avec un clitoris très-développé et un méat urinaire se continuant sous le clitoris (comme dans la verge de l’homme), les ovaires, au lieu d’être placés dans le ventre, sont engagés dans les an- neaux, comme les testicules, ou même descendus dans les bourses, figu- rées alors par les grandes lèvres dilatées. Mais l’hermaphrodisme, qui paraît ici complet extérieurement, n’est qu'apparent et non réel. L’hermaphrodisme réel, caractérisé par la présence simultanée des testi- cules et des ovaires, n’a point encore été constaté d’une manière positive dans l’espèce humaine. Dans l'hermaphrodisme de l'espèce humaine, il y a toujours prédominance du sexe masculin, ou prédominance du sexe féminin ; et c’est l’existence des testicules ou celle des ovaires qui déter- mine cette prédominance. Nous verrons plus loin (Voy. $ 410) à quoi tiennent ces anomalies d’organisation. Les prétendus hermaphrodites de l’espèce humaine ne peuvent se féconder eux-mêmes ; ils ne peuvent non plus féconder à la fois la femme et être fécondés par l'homme. IIs sont donc exclusivement homme ou femme. 1 Le fait d’hermaphrodisme en apparence le plus complet est celui qui a été observé à Lisbonne en 1807. L’individu dont ilest question avait alors vingt-huit ans, la taille svelle, le teint brun, un peu de barbe, la voix d’une femme. Cet individu présentait un pénis déve- loppé et des testicules (ou du moins des tumeurs dans les bourses, qu’on désignait ainsi) ;une vulve avec grandes et petites lèvres tres-bien conformées ; une menstruation régulière. La grossesse eut lieu deux fois, mais elle se termina par deux fausses couches , à trois et à cinq 904 LIVRE IIT, FONCTIONS DE REPRODUCTION. CHAPITRE IV. FÉCONDATION. $ 398. En quoi consiste la fécondation, — [La fécondation est l’acte le plus mystérieux de la génération. La fécondation consiste dans la rencontre de l’ovule et du sperme; mais nous ignorons absolument comment l’ovule puise dans son contact avec le sperme le pouvoir de se développer en- suite, soit en dehors du corps de la femelle, aux dépens des matériaux de nutrition entraînés avec lui (ovipares), soit dans l’intérieur même de la cavité utérine {vivipares), en empruntant aux organes sur lesquels il se fixe les éléments de ses tissus. Ce que nous savons, ce que l’expérience nous apprend, c’est que la fécondation n’est possible qu’autant que le sperme entre en contact matériel avec l’ovule, et qu’autant que le sperme se trouve dans ses conditions de composition normale. Autrefois, on supposait que la fécondation pouvait s’opérer par une influence en quelque sorte purement dynamique. On pensait que le sperme n’était pas porté lui-même jusqu’à l'ovaire; et comme on croyait, à cette époque, que la fécondation pouvait seulement s’accomplir dans l’intérieur de l’ovaire, on admettait que les parties les plus déliées de la semence absorbée après le coït, dans les organes de la génération, étaient portées dans toutes les parties de l'organisme femelle, et que la féconda- tion s’opérait à l’aide d’une sorte de vapeur à laquelle on donnait le nom d'aura seminalis. Cette supposition n’est plus admissible aujourd’hui, Non- seulement, à l’aide de lobservation microscopique, on à pu rencontrer le sperme dans tous les points des voies génitales internes, depuis le vagin jusqu’à l'ovaire, mais encore on sait que la rupture des vésicules de Graaf peut s’opérer et s'opère le plus souvent d’une manière spontanée. On sait, d'autre part, que le contact direct du sperme et de l’ovule est indis- pensable à la fécondation. La fécondation artificielle des œufs de poisson et celle d’un certain nombre de reptiles, chez lesquels la ponte a lieu avant la fécondation, en sont la preuve la plus évidente. Si on place, immédiatement après la ponte, des œufs de poisson ou de grenouille dans deux vases différents mois. Durant la copulation, le pénis entrait en érection. Cet individu n'avait aucun penchant pour les femmes. Il est évident que cet hermaphrodite était une femme. Les prétendus testicules n'étaient que des ovaires anormaux situés au dehors, dans l'épaisseur dé la partie supérieure des grandes levres. Le pénis n’était qu’un clitoris développé; lorsqu'on voulait sonder le canal dont il était perforé, on arrivait bientôt à un eul-de-sac. La vessie venait s'ouvrir à la partie supérieure du vagin par un méat urinaire conformé comme chez la femme. :CHAP, IV. FECONDATION. 905 contenant de l’eau, et dans les mêmes conditions de température, les œufs se développeront seulement dans celui des deux vases à l’eau du- quel on aura ajouté la liqueur séminale du mâle. Dans les phénomènes de la génération, tout ce qui précède et accom- pagne la fécondation est accessoire : le but est la fécondation elle-même. L’érection, la copulation, le sentiment instinctif qui pousse à l’union des sexes, sont destinés à en assurer l’accomplissement. Sur une chienne on peut, au moment du rut, injecter le sperme du mâle dans les organes génitaux femelles, et amener le développement d’un nouvel être. Hunter, et quelques observateurs modernes, ont rapporté dans l'espèce humaine des exemples du même genre. Pour que la fécondation ait lieu, le sperme doit contenir des sperma- tozoïdes. Le sperme des animaux, en dehors de la période du rut, ne con- tenant point de spermatozoïdes, n’est pas fécondant. Si, à l’exemple de MM. Prévost et Dumas, on filtre du sperme de grenouille, la portion qui a passé à travers le filtre ne contient point de spermatozoïdes; elle ne féconde plus les œufs avec lesquels on la met en contact. La portion qui est restée sur le filtre contient les spermatozoïdes, et elle féconde les œufs, On peut encore varier autrement l’expérience : on prend un cer- tain nombre d’œufs de grenouille, on en place une moitié dans un vase, et l’autre moitié dans un autre vase ; on extrait des voies génitales du mâle une certaine quantité de sperme, qu'on divise aussi en deux por- tions : l’une de ces portions est soumise au passage du courant électrique, qui a pour effet de détruire la mobilité des spermatozoïdes ; la portion du sperme restée intacte, mélangée à l’eau dans laquelle on a placé une partie des œufs, a le pouvoir de féconder ces œufs, car ils donnent bien- tôt naissance à des téfards. La portion du sperme soumise à l’action du courant électrique, et mélangée à l’eau du second vase, n’effectue aucune fécondation dans les œufs : au bout de quelques jours ces œufs se gâtent. L'intégrité du sperme est donc nécessaire à la fécondation. L’intégrité de l’œuf ne l’est pas moins. Lorsqu'on laisse séjourner dans l’eau, pen- dant huit ou dix heures après la ponte, les œufs de grenouille, on a beau mettre les œufs en contact avec le sperme et les agiter avec la liqueur fécondante, la fécondation n’a plus lieu. Les échanges qui se sont opérés entre le contenu de l’œuf et l’eau dans laquelle ils ont séjourné ont mo- difié le contenu de telle facon que les phénomènes du développement sont devenus impossibles. L'effet de l’eau sur l'œuf non fécondé, pendant les heures qui suivent la ponte, se révèle d’ailleurs extérieurement par un gonflement considé- rable de la matière albumineuse qui l'entoure, et il est possible que ce gonflement apporte aussi un obstacle à l’action directe du sperme sur le contenu de l’œuf. Dans les animaux aquatiques, qui pondent leurs œufs avant la fécondation, le mâle doit donc répandre sa liqueur spermatique sur ces œufs aussitôt après la ponte, ou tout au moins très-peu de temps 906 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. après la ponte, sans quoi ceux-ci ne tardent pas à s’altérer promptement. On remarquera que les espèces aquatiques pondent généralement un nombre considérable d’œufs (quelquefois des millions), et que la plus grande partie d’entre eux avortent, par suite des causes nombreuses de destruction qui les entourent (action endosmotique de l’eau, agissant sur les œufs non fécondés; action des courants, agissant pour soustraire les œufs à l’action fécondante de la semence, etc.). Chez les animaux dans lesquels la fécondation est intérieure (l’homme est de ce nombre), l’œuf échappé de l'ovaire se trouve contenu, jusqu’au moment de la féconda- tion, dans un milieu qui l’altère beaucoup moins rapidement. Il est pro- bable qu’il conserve pendant plusieurs jours sa constitution normale, et qu'il peut être fécondé assez longtemps après avoir été expulsé de l'ovaire. S 399. Rôle du sperme dans la fécondation, — La présence des spermato- zoïdes dans la semence, et aussi leur intégrité ou leur mobilité, sont, nous l'avons dit, la condition indispensable de la propriété fécondante du sperme. Mais quel est le mode d’action des spermatozoïdes? Sont-ils les porteurs de la liqueur séminale, ont-ils pour but de faciliter par leurs mouvements la progression de la semence, et de mettre en contact avec l’ovule le sperme dont ils sont en quelque sorte englués? Entrent-ils dans l'intérieur de l’ovule pour y constituer l’élément primitif du nouvel être ? Dans les mammifères et dans l’espèce humaine, où la fécondation est intérieure, le sperme introduit dans la profondeur du vagin, ou jusque dans l’intérieur de l’utérus, au moment de l’éjaculation, est ensuite porté plus loin. Si l’on ouvre des lapines ou des chiennes, à des époques inégalement distantes du moment de la copulation, on constate qu'il faut de douze à vingt-quatre heures pour que le sperme parvienne jusqu’à l'extrémité des trompes, dans le voisinage du pavillon. Le mouvement de progression du sperme dans l’utérus et dans les trompes n’est pas sous l'influence des mouvements vibratiles des cils dont est garni l’épi- thélium qui recouvre l’intérieur de ces organes ; car, nous l’avons vu, ce mouvement est dirigé du dedans au dehors, et favorise plutôt la progres- sion en sens opposé de l’ovule. Quelques auteurs ont pensé que les sper- matozoïdes, par leurs mouvements spontanés, se dirigeaient du côté des trompes, et, estimant au microscope la rapidité de leur course, ont cherché à établir que c’est par leur intermédiaire que le sperme progresse dans l'utérus et dans les trompes, du côté de l'ovaire. Cette supposition n’est guère vraisemblable. Les mouvements des spermatozoïdes n’auraient pas plus de tendance à les conduire du côté de l’ovaire que du côté de la vulve, à moins de leur attribuer une sorte d’instinct qui les pousserait dans une direction plutôt que dans une autre. Il n’est pas très-logique de leur retirer les attributs de l’animalité, de les envisager comme de sim- ples filaments vibratiles analogues aux cellules vibratiles de l’épiderme, CHAP, IV, FECONDATION. 907 et de les douer en même temps des qualités qu’on n’accorde générale- ment qu'aux animaux pourvus d’un système nerveux distinct. L'existence des filaments spermatiques dans le sperme .des animaux qui ne s’accouplent point, et dans lesquels la liqueur fécondante est sim- plement déposée sur les œufs, témoigne d’ailleurs contre cette hypothèse. Le cheminement du sperme dans les trompes, du côté de l’ovaire, est bien plutôt déterminé par les mouvements péristaltiques de l’utérus et des trompes. À en juger par le temps qu’emploie le sperme à franchir l'utérus et l’étendue des trompes, ces mouvements doivent être très-lents. La quantité de sperme nécessaire pour la fécondation doit être extrê- mement petite, si nous nous en rapportons aux expériences de Spallan- zani. Cet expérimentateur délaye 15 centigrammes de sperme de crapaud dans plus de 500 grammes d’eau ; puis, prenant une goutte de ce liquide, il trouve que cette goutte suflit pour opérer la fécondation d’un certain nombre d'œufs, et que le développement des œufs n’est ni plus rapide ni plus complet, quand la quantité de sperme employé est plus considé- rable. Il cherche ensuite, par le calcul, à fixer la quantité absolue de semence nécessaire pour féconder un œuf, et il la fixe à moins d’un mil- lionième de grain. MM. Prévost et Dumas ont constaté également, dans leurs expériences, que des quantités très-petites de semence suftisent pour féconder de crandes quantités d'œufs, et ils concluent de leurs recherches que la liqueur fécondante employée, alors même qu’elle est très-étendue d’eau, contient toujours plus de spermatozoïdes qu'il n’y a d'œufs de fécondés. Il est certain que les spermatozoïdes entrent en contact avec les ovules. On les.a trouvés à leur surface ; on les a trouvés dans la masse albumi- ueuse qui entoure l’œuf des animaux inférieurs, et dans la couche albu- mineuse dont l’œuf des animaux supérieurs s’entoure pendant son trajet à travers la trompe. L'action des spermatozoïdes sur l’ovule est plus intime encore. Les spermatozoïdes entrent dans l’intérieur même de l'ovule. Le fait avait été signalé en 1840 par M. Barry, et contesté depuis par la plupart des physiologistes. Mais, dans ces dernières années, des faits en assez grand nombre ont démontré la justesse de l'observation de M. Barry. En mars 4854, M. Meissner, travaillant dans le cabinet de M. B. Wagner, trouva sur une lapine qui venait d’être sacrifiée dans un autre but quel- ques ovules fécondés à l'entrée de l’utérus. Ayant placé les ovules sous le microscope, il vit dans plusieurs de ces ovules des spermatozoïdes au dedans de la zone transparente, et en contact immédiat avec le jaune. M. Wag- ner, qui revenait de sa leçon, MM. Henle, Baum, Müller, T. Weber, Schrader furent ensuite témoins de ce fait, ainsi que plusieurs étu- diants. L'entrée des spermatozoïdes dans l’ovule a été vue dans l’œuf de la grenouille par M. Newport et plus tard par MM. Bischoff et Leuckart. M. Meissner a constaté le même fait dans l’ascaris marginata, dans l’as- 908 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. caris megalocephala, dans le strongylus armatus, dans le lombrie et dans beaucoup d'insectes; M. Nelson, dans l’ascaris mystax ; M. Keber, dans l’œuf de la moule ; M. Van Beneden, dans le dystome, etc. Que deviennent les spermatozoïdes après leur entrée dans l’ovule ? Si un seul spermatozoïde s’introduisait dans l’ovule, on pourrait supposer qu'il est le point de départ ou le germe même du nouvel être (komuncu- lus). Mais les observations faites jusqu'ici sont en désaccord avec cette supposition. D'une part, un certain nombre de spermatozoïdes entrent dans l’ovule, et, d'autre part, ils disparaissent au bout d’un certain temps, en se dissociant. Les spermatozoïdes, gw’ils entrent ou non dans l'œuf, éprouvent les mêmes métamorphoses régressives : ils se résolvent en granulations. Ceux qui ont pénétré dans l’œuf concourent avec les gra- nulations du jaune à la formation du blastoderme (Voy.S 402). Ce der- nier point a été élucidé par les travaux de M. Meissner sur l'œuf du lom- bric (ver de terre). $ 400. Lieu de la fécondation. — Époques de la fécondation. — L'endroit où s’opère la fécondation, c’est-à-dire le lieu de rencontre de l’ovule et du sperme, n’est pas circonscrit en un point spécial. Cette rencontre peut avoir lieu dans toute l’étendue des trompes, et jusque dans l’intérieur même de l’utérus. La fécondation peut done s’opérer dans un assez long trajet, et les chances de fécondation se trouvent ainsi multipliées. Il est certain que la fécondation peut avoir lieu sur l’ovaire lui-même, car on à quelquefois trouvé du sperme en ce point, chez les animaux ou- verts le lendemain ou le surlendemain du coït. Les grossesses extra-uté- rines le démontrent également. On conçoit dès lors que la fécondation puisse s’opérer, alors même que l’ovule était encore dans l’ovaire, au moment où l’accouplement a eu lieu. Comme, d’un autre côté, il faut aux spermatozoïdes un temps assez long pour parvenir jusqu’à l’ovaire (Voy. S 399), et que, d’autre part, ils peuvent rester intacts dans les organes femelles , c’est-à-dire y conserver leurs mouvements et leurs propriétés fécondantes pendant plusieurs jours (Voy. $ 392), on conçoit également que la fécondation puisse s’accomplir plusieurs jours après le coït, et au moment où la vésicule de Graaf, arrivée à maturité, se rompra . Lorsque l’ovule, déjà sorti de la vésicule de Graaf, était engagé dans la trompe, au moment de l’accouplement, la fécondation a pu s’opérer dans la trompe elle-même, et à des hauteurs diverses, suivant que l’ovule (femme) ou les ovules (chiennes, lapines, etc.) étaient plus ou moins 1 La propriété que possedent les spermatozoïdes de féconder l’ovule au bout d'un temps plus ou moins long; cette propriété, disons-nous, est bien remarquable chez les insectes. Chez beaucoup d’entre eux il existe une cavité (bursa copulatrix) dans laquelle la semence peut se conserver un mois ou deux, jusqu'au moment du passage de l’ovule dans le canal avec lequel communique cette cavité. | CHAP, IV. FÉCONDATION, 909 avancés dans leur trajet vers l’utérus. En tenant compte du temps, rela- tivement assez long, employé par les ovules pour franchir la trompe (Voy. $ 389); en tenant compte de l'influence exercée par la présence du mâle et par l’ébranlement du coîït sur l'accélération des phénomènes de matu- rité et de rupture des vésicules de Graaf (Voy. $ 387) ; en tenant compte du temps qu’il faut au sperme pour arriver jusqu’à l'ovaire; en tenant compte, enfin, de la rareté des grossesses extra-utérines, on en conclura que c’est dans les trompes, à des hauteurs variées, que la rencontre du sperme et de l’ovule a lieu le plus fréquemment. Il n’est pas impossible que la fécondation puisse s’opérer dans l’inté- rieur même de l’utérus, alors que le coït aurait eu lieu à une.époque plus éloignée de la chute de l’ovule. Maïs, pour que la fécondation soit pos- sible alors, l’ovule ne doit être arrivé que depuis très-peu de temps, car il est probable que l’œuf non fécondé séjourne peu dans la cavité relati- vement très-grande de l’utérus, et qu’il est promptement entraîné au dehors par les voies externes de la génération, ou dissous par les muco- sités utérines. Il n’est plus possible aujourd’hui de soutenir que la fécondation s’opère d’une manière instantanée au moment du coït, comme on le croyait au- trefois. En admettant même que la sensation particulière, éprouvée par certaines femmes au moment du coït, puisse correspondre, parfois, avec la rupture d’une vésicule de Graaf arrivée à maturité, il n’est pas moins certain que la fécondation, c’est-à-dire le contact du sperme et de l’ovule, ne peut se faire qu'après le temps nécessaire à la progression du sperme du côté de l’ovaire, et à celle de l’ovule du côté de l’utérus. Les fécon- dations les plus promptes seraient celles dans lesquelles le coït aurait lieu quelques jours après la sortie de l’ovule, alors que le sperme rencontre- rait cet ovule dans les points de la trompe voisins de l’utérus, ou dans l’utérus lui-même. Quant aux époques de la fécondation, elles sont en rapport, dans les espèces animales, avec le retour périodique du rut, puisque c’est à cette époque seulement que les vésicules de Graaf arrivent à maturité chez la femelle, et que les spermatozoïdes se développent dans la semence du mâle. Ce retour n’a pas lieu aux mêmes époques dans toutes les espèces. En général, il coïncide avec la saison chaude ; cependant il survient par- fois en automne (chats, crapauds, grenouilles, etc.), ou même en hiver (loups, renards, etc.). Dans quelques espèces animales, le rut a lieu plu- sieurs fois par an : les lapins se distinguent surtout sous ce rapport, car ils font sept ou huit portées dans l’espace d’une année. La domestica- tion, une nourriture abondante , et aussi le contact habituel du mâle et de la femelle, ont une grande influence sur le retour du rut, et le rendent généralement plus fréquent. La liqueur séminale de l’homme contient en toute saison des sperma- tozoïdes. L'homme jouit du privilége de pouvoir féconder la femme en 910 LIVRE HIT, FONCTIONS DE REPRODUCTION. tout temps. Quant à la femme, la menstruation étant pour elle l’époque vaturelle de l’évolution et de la maturation des œufs, les moments qui suivent l'écoulement menstruel sont les plus favorables à la fécondation. Mais comme des influences accessoires peuvent retarder ou accélérer la maturité et la rupture des vésicules de Graaf (Voy. $$S 386, 387), il en résulte qu'on ne peut pas affirmer, comme quelques physiologistes l’ont fait, que la fécondation n’est possible que dans les huit à dix jours qui suivent les règles. Si cela était, il s’ensuivrait qu'il y aurait une période de deux semaines environ pendant laquelle le coït serait toujours infé- cond. L’expérience de tous les jours dément cette supposition 1. $ 401. Des fécondations multiples. — De la superfétation. — Du sexe des enfants. — Les animaux ne peuvent rien sur le nombre des petits, pas plus que l’homme lui-même. Ce nombre tient à des conditions organi- ques, et non à la volonté. Tandis que les animaux mettent ordinairement au jour un nombre plus ou moins considérable de petits, la femme n’en engendre généralement qu'un seul à la fois. Lorsqu'elle en produit deux, ce qui est assez rare, lorsqu'elle en produit trois ou quatre, ce qui est beaucoup. plus rare encore, cela tient à la maturation et à la rupture de plusieurs vésicules de Graaf, et à l'engagement, dans le même temps ou à de très-courts intervalles, de plusieurs ovules dans les trompes ?. Les grossesses doubles, triples ou quadruples, tenant à la fécondation simul- tanée ou à peu près simultanée de plusieurs ovules, ne sont donc pas du fait de l’homme, mais bien de celui de la femme. Certaines femmes pré- 1 M. le professeur Hyrtl, de Vienne, a observé l’ovule chez la femme dans la deuxieme portion de la trompe, cinq jours après le début des règles. Il s’agit d’une jeune fille vierge, de dix-sept ans, morte dans le service de M. Oppolzer. M. Letheby dit également avoir ren- a contré deux fois l’ovule dans les trompes de la femme, peu de temps après l’éruption des regles. Il est donc probable que l’ovule abandonne l'ovaire vers la fin des règles, et que, d’une autre part, il est fécondable pendant dix à douze jours. On peut donc dire d’une manière générale que la période La plus favorable à la fécondation est comprise dans les quinze jours qui sui- vent la fin de l’éruption menstruelle. Les observations décisives en pareille matiere ne sont pas aussi faciles à faire qu’on pour- rait le penser. Il faudrait, pour qu’elles ne laissassent aucun doute dans l’esprit, que la fécon- dation ne püt être rapportée qu’à un seul coït et non à plusieurs. Or, tous les faits de ce genre se compliquent d’un élément extra-scientifique que chacun conçoit. On peut arriver à une probabilité plus ou moins grande, mais tres-difficilement à la certitude. La remarque qui précède s'applique aux faits rapportés par MM. Hirsch, Leuckart, Wag- ner, etc. Ces observateurs rapportent des exemples de fécondation qui auraient eu lieu seize, dix-huit, vingt-deux, vingt-quatre jours après la période menstruelle. On peut affirmer néanmoins que ce n’est pas là la regle, et l’on peut présumer que les cas où la fécondation a lieu plus de quinze jours apres l’éruption menstruelle doivent être ratta- chés à un retard exceptionnel, soit dans la sortie de l’ovule, soit dans son cheminement à {ra- vers les trompes. * Les grossesses gémellaires pourraient tenir aussi à ce qu'une seule vésicule de Graaf con- Liendrait anormalement plusieurs ovules dans son intérieur, CHAP. IV, FÉCONDATION. 911 sentent une disposition aux grossesses multiples, qui les rapproche des femelles des animaux. On rapporte dans la science des exemples de femmes dont toutes les grossesses ont été multiples. Le paysan russe qui avait eu quatre-vingt-dix enfants, et que l’impératrice Catherine se fit présenter, ne méritait guère la curiosité dont il fut l’objet. Il est vrai qu'il avait eu la singulière chance de rencontrer des femmes dont toutes les grossesses avaient été quadruples, triples ou doubles, et qu’à ce titre il était une véritable rareté. De la conception gémellaire à la superfétation, il n’y a qu'un pas. Ce qu'on appelle la surconception n’est vraisemblablement qu’une double fé- condation, survenant presque au même moment, chez une femme dont plusieurs vésicules de Graaf, arrivées simultanément à maturité, se sont rompues en même temps, ou presque en même temps. Une négresse donne naissance à deux jumeaux, dont l’un est noir et dont l’autre est blanc (ou tout au moins sang mêlé); une blanche donne naissance à deux jumeaux, dont l’un est blanc et l’autre mulâtre : ces deux femmes avouent avoir eu des rapports presque simultanés avec un blanc et un nègre. Ici point de difficulté. Mais lorsqu'une femme, après être accouchée d’un enfant à terme, donne naissance, au bout dé deux, trois, quatre ou cinq mois, à un autre enfant également à terme, il est plus difficile de se rendre compte de la manière dont la seconde fécondation a pu s’opérer. Il est vrai qu’on peut supposer que dans ces cas, d’ailleurs très-rares, la femme présentait un utérus double, ainsi que cela se rencontre dans quelques espèces ani- males, et ainsi qu’on l’a quelquefois observé aussi dans l’espèce humaine. Lorsque l’examen anatomique à pu être pratiqué, et que l'utérus a été trouvé simple, il est probable que le second enfant n’est venu plus tard au monde que par suite d’un arrêt de développement. On remarque en effet, dans ces cas, que l’un des enfants est toujours moins développé que l’autre; et, le plus souvent, l’un des deux arrive mort. Or, on sait qu'un enfant mort peut séjourner des mois entiers dans l’utérus, sans se putréfier. Dans tous les cas de superfétation, il est donc extrêmement probable que la double fécondation remonte à la même époque ou à deux époques extrêmement rapprochées l’une de l’autre. La rencontre du sperme et d’un nouvel ovule ne paraît guère possible, en effet, lorsque l'utérus est distendu par le produit de la conception. La tuméfaction considérable de la membrane muqueuse utérine, qui survient peu de temps après la fé- condation (Voy. $ 416) et qui oblitère l’orifice ntérin des trompes, et en outre la cessation des menstrues et le repos de l’ovaire, ne permettent pas non plus de l’admettre. Le sexe de l’enfant dépend-il de l’ovule ou de l’action fécondante du sperme; c’est-à-dire les œufs sont-ils mâles ou femelles dès l'instant où ils se détachent de l’ovaire, et le sperme n’a-t-il d'autre effet que de donner 912 LIVRE Il, FONCTIONS DE REPRODUCTION, à l’œuf la puissance de se développer? L'action fécondante du sperme a-t-elle le pouvoir de déterminer le sexe? Le sexe est-il déterminé par la puissance relative de l’homme ou de la femme ? Les embryons mâles ou femelles ont-ils la même apparence dans les premiers temps du dévelop- pement, et le sexe de l’enfant dépend-il des influences diverses auxquelles la femme est soumise pendant la durée de la grossesse? On ignore abso- lument tout cela. L'art de procréer les sexes à volonté n’est qu’une chimère, dont quel- ques auteurs se sont plu à tracer arbitrairement les règles. Donner à l’o- vaire droit la faculté de développer des ovules mâles, placer dans l'ovaire gauche les ovules femelles et faire jouer à la position de la femme, au moment de la copulation, une influence décisive sur le résultat, ou bien attribuer au testicule droit le pouvoir de procréer des garçons, et au tes- ticule gauche celui de donner naissance à des filles, ce sont là des fables que rien ne justifie, que les faits démentent suffisamment !, et qui n’ont d'autre but que de piquer la curiosité du lecteur. CHAPITRE V. DÉVELOPPEMENT DE L'OŒUF. S 402. Développement de l'œuf depuis le moment de la fécondation jus- qu'à l'apparition du blastoderme.— Les premières phases du dévelop- pement de l’œuf n’ont pas encore été suivies dans l’espèce humaine. Mais la possibilité de sacrifier les animaux mammifères, à tous les mo- ments de la fécondation, a permis d'étudier chez eux ces premiers phé- nomènes avec beaucoup de précision. Il est certainement permis d’ap- pliquer à l’espèce humaine les résultats obtenus, d'autant mieux que le développement ultérieur de l’œuf humain et celui de l’œuf des mammi- fères suivent exactement la même marche. L'ovule sorti de la vésicule de Graaf et engagé dans la trompe subit, même avant d’avoir été fécondé par le sperme, quelques changements qui le préparent à la fécondation. Le premier changement qui se montre consiste dans la disparition ou dissolution de la vésicule germinative ?. 1 Les hommes privés d’un testicule n’en ont pas moins le pouvoir de procréer des enfants de l'un et de l’autre sexe, el des femmes à qui on avait enlevé un ovaire, et qui avaient survécu à cette grave opération, ont pu donner naissance à des enfants mâles et à des enfants femelles. * L’ovule, ou l’œuf, qui sort de la vésicule de Graaf, est composé, on se le rappelle (Voy. $ 385), d'une enveloppe (membrane vitelline ou zone transparente), d'un contenu granuleux (ou vifellus), et d'une vésicule diaphane incluse dans l’œuf (vésicule germinative, présentant un point plus foncé, ou fache germinative). CHAP. V. DÉVELOPPEMENT DE L'ŒUF, 915 Ce premier changement s’accomplit, soit lorsque l’ovule est encore con- tenu dans la vésicule de Graaf, soit lorsqu'il s’est engagé dans la trompe; il n’est pas sous l'influence de la fécondation, car la vésicule germi- native disparaît spontanément dans les œufs des animaux qui pondent avant la fécondation, et aussi dans l’œuf des femelles d'oiseaux, qui pon- dent en l’absence du mäle. La disparition de la vésicule germinative ne peut pas être envisagée comme un phénomène de décomposition; car chez les animaux dont la fécondation est extérieure, les œufs sur lesquels cette vésicule a disparu peuvent encore être fécondés. L’ovule, en sortant de la vésicule de Graaf, a entraîné avec lui la petite masse de cellules (disque proligère, Voy. $ 384) qui l’entourait; ces cel- lules se dissolvent peu à peu et disparaissent. Puis l’ovule, à mesure qu'il progresse dans la trompe, s’entoure d’une couche albumineuse. Cette couche n’a, chez les animaux mammifères, qu'une faible épaisseur ; chez l'oiseau, elle forme la masse épaisse du 4lanc de l'œuf. La couche albu- mineuse dont s’entoure l’œuf des mammifères dans son passage au tra- vers de la trompe n’a point la même importance que dans l’œuf des oi- seaux. Chez ceux-ci, le développement étant extérieur, cette couche doit servir d’aliment à l'oiseau qui se développera. Chez les mammifères, cette couche n’a qu’une existence éphémère ; elle a à peu près complétement disparu quand l’ovule arrive dans l’utérus, où il doit se fixer pour se dé- velopper. Chez quelques mammifères, la couche albumineuse est si peu épaisse, qu’elle semble manquer. Cette couche retient autour de l’ovule les spermatozoïdes et favorise ainsi la fécondation ; en outre, elle sert probablement au premier développement de l'œuf, car celui-ci s'accroît pendant son passage au travers de la trompe. Lorsqu'on examine l’o- vule fécondé, extrait de la trompe d’un mammifère, on constate, dans l'épaisseur de la couche albumineuse, un nombre assez considérable de spermatozcides, qui font corps avec la petite masse que représente l’o- vule (Voy. fig. 204). SEGMENTATION DE L'OEUF DES MAMMIFÈRES. Segmentation du vitellus. —Le premier phénomène ‘de la fécondation se manifeste dans l’œuf par la segmentation du jaune. Cette métamorphose remarquable s’accomplit dans l’œuf de la plupart des animaux; elle est le prélude du développement embryonnaire. Voici comment elle se produit. 58 914 LIVRE II, FONCTIONS DE REPRODUCTION. Au milieu de la masse du jaune, devenue uniforme par la disparition de la vésicule germinative, on voit apparaître un point un peu plus clair ; ce point unpeu plus clair est un noyau pourvu d’un nucléole. Ce premier noyau agit sur la masse entière du jaune comme une sorte de centre d’ai- traction; le jaune se resserre sur lui-même et laisse un espace clair entre lui et la membrane vitelline : la première sphère de segmentation est con- stituée. Bientôt le noyau central se partage en deux. Aussitôt que ce par- tage s’est effectué, les noyaux nouveaux agissent à leur tour comme centre d'attraction sur la masse vitelline , et celle-ci se divise bientôt en deux masses juxtaposées (Voy. fig. 20%, a). Les noyaux contenus dans ces deux masses se divisent à leur tour , et les sphères de segmentation, se grou- pant autour des noyaux nouveaux, ces sphères sont bientôt au, nombre Fig, 205. de quatre (Voy. fig. 204, 4). La multi- plication des noyaux et des sphères de segmentation continue de la même ma- EE) 1Qn nière, jusqu'à ce qu'il se soit formé e (2Jegs) huit, seize , trente-deux, et enfin un US nombre considérable de petites sphè- res, qui remplissent bientôt la cavité entière de l'œuf (Voy. fig. 204, ce; et SEGMENTATION DE L'OEUF (invertébrés). fig. 205, c). Le phénomène que nous venons de décrire constitue la segmentation complète, parce que toute la masse du jaune a pris part à la métamorphose. Dans quelques animaux, dans les oiseaux en particulier, le jaune ne con- court pas tout entier au phénomène de la segmentation; il n’y a qu’une partie du jaune, celle qu’on désigne sous le nom de cicatricule , qui se segmente après la fécondation. Au reste , le phénomène est essentielle- ment le même. On ne doit donc comparer au vitellus de l’œuf des mam- mifères que la partie du jaune de l’œuf d’oiseau qui prend part à la seg- mentation. Les autres parties du jaune de l’œuf d'oiseau sont, comme l’albumine, destinées à fournir l’aliment nécessaire au nouvel être qui procédera de la cicatricule. Lorsque la segmentation du jaune de l’œuf est arrivée à ses dernières limites, chacune des sphères de segmentation s’épaissit à la surface , et ces sphères deviennent de véritables cellules, constituées par une enve- loppe, un contenu liquide et granuleux, et un noyau intérieur. Les premières cellules du développement une fois formées se rassem- blent à la périphérie, contre la surface interne de la membrane vitelline. Elles sont refoulées vers ce point par le liquide albumineux qui s’accu- mule dans le centre de l'œuf, liquide dont la quantité augmente par suite du développement. Appliquées les unes contre les autres, les cellules se déforment, deviennent polygonales , se fondent entre elles, et finissent bientôt par former une membrane sphérique, ineluse dans la membrane vitelline. L’œuf se trouve dès lors constitué par la membrane vitelline et CHAP. V. DÉVELOPPEMENT DE L'ŒUF, M5 par une membrane intérieure, de nouvelle formation, à laquelle on donne le nom de vésicule blastodermique, ou, par abréviation, #lastoderme. Le blastoderme , appliqué contre la membrane vitelline, renferme dans son intérieur un liquide albumineux dans lequel nagent des granulations. & 403. Blastoderme. — Apparition de l'embryon. — À peine le blastoderme a-t-il pris la forme membraneuse, qu’il s’obscurcit sur un des points de son étendue ; c’est-à-dire qu’en ce point, les éléments qui forment le blasto- derme acquièrent plus d'épaisseur, et se laissent moins facilement traver- ser par la lumière, lorsqu'on observe l'œuf à la loupe ou au microscope. Ce point plus épais du blastoderme est le premier vestige de l'embryon ; on lui donne le nom de tache embryonnaire (area germinativa). Pendant que les phénomènes dont nous avons parlé jusqu'ici s’accom- plissent, l’œuf fécondé poursuit son trajet à travers la trompe. Lorsqu'il arrive dans l’utérus, vers le huitième jour qui suit la fécondation, non- seulement le blastoderme et la tache embryonnaire sont visibles, mais encore l’œuf dans son entier à augmenté de volume ; il est alors quatre où cinq fois plus volumineux qu'il n’était dans l'ovaire ; il a de 4/2 millimètre à { millimètre de diamètre. L’œuf pénètre alors dans lutérus Fig. 206. par l’orifice étroit de la trompe (Voy. fig. 206, d). La muqueuse utérine, tuméfiée par un travail qui a débuté dès le moment de la fécondation de l'œuf, a acquis, au moment où l'œuf arrive dans l’utérus, un développe- ment tel qu’elle forme des circonvo- lutions tomenteuses qui comblent toute la cavité utérme. Lorsque l'œuf arrive , il est arrêté par une des cir- convolutions ou anfractuosités de la membrane muqueuse : il s’y loge et s’y arrête. La membrane vitelline de l'œuf développe autour d’elle des prolongements, ou villosités nom- UTÉRUS À L'ÉTAT DE VACUITÉ breuses, qui s’implanteront dans la lee NA chez la femme vierge). muqueuse utérine, et, d'autre part, #, eavité Au eo Erin, celle-ci forme autour de l'œuf une y Re ae bn 1 bo et EE sorte de bourrelet circulaire, qui, guévant saonétére: augmentant peu à peu, forme à l’œuf une capsule qui, s’accroissant sans cesse, finit par se joindre au-dessus de lui et par l’emprisonner dans une enveloppe complète. Nous reviendrons plus loin sur les chan- gements qui s’accomplissent ensuite dans l’utérus (Voy. $ M6). Conti- 916 LIVRE IIT. FONCTIONS DE REPRODUCTION. nuons à suivre l'œuf dans les diverses périodes de son développement. L'œuf n’a pas encore été vu d’une manière certaine dans l'utérus de la femme, au moment de son arrivée ; mais on l’a vu vers le douzième jour après le coït, par conséquent, très-peu de temps sans doute après son arrivée. Les changements qui s’opèrent dans le blastoderme, lorsque l'œuf des mammifères est parvenu dans l’utérus, s’accomplissent avec une grande rapidité. La tache embryonnaire, d’abord circulaire, s’allonge et prend une forme elliptique ; elle s’éclaircit vers le centre. Dans le milieu de la partie claire se dessine bientôt une ligne, premier indice de la moelle épinière. À ce moment, le blastoderme ne représente déjà plus une vési- cule simple : il s’est dédoublé en deux feuillets, appliqués l’un sur l’autre, de sorte que l’œuf est alors composé de trois tuniques emboîtées : une tunique extérieure, ou membrane vitelline; une tunique moyenne, ou feuillet externe du blastoderme; une tunique interne, ou feuillet interne du blastoderme. Ces deux feuillets (feuillet externe du blastoderme et feuillet interne du blastoderme) correspondront plus tard, quand l'embryon sera développé : le feuillet externe, à la surface tégumentaire externe ou cutanée ; le feuil- let interne, à la surface tégumentaire interne, ou muqueuse intestinale. Quelques auteurs ont donné au feuillet externe du blastoderme le nom de feuillet animal, parce qu’on a cru que les diverses parties de l'appareil locomoteur (os, muscles), et que les organes des sens se développaient dans son épaisseur ; mais les recherches de M. Reichert ont prouvé que ce feuillet correspond seulement à la peau de l'embryon. Le nom de feuil- let animal ne saurait lui être conservé. On lui a aussi donné le nom de feuillet séreux, parce qu’à une certaine période du développement, il for- mera, au moins en partie, une enveloppe de l’œuf (amnios), en rapport avec un liquide intérieur. Ce nom convient mieux que le précédent. Le feuillet interne du blastoderme correspond à la muqueuse intestinale ; on lui a donné le nom de feuillet muqueux. Entre les deux feuillets du blastoderme apparaît promptement le blas- tème primitif, au sein duquel se développeront tous les organes du fœtus. Des vaisseaux se développeront aussi dans le blastème primitif inter- posé entre le feuillet interne et le feuillet externe du blastoderme, et pré- luderont à l’organisation du système vasculaire de l'embryon. C’est à l’en- semble de ces premiers vaisseaux (qui forment de bonne heure, à la surface externe du feuillet interne ou muqueux, un réseau continu) qu’on donne le nom de feuillet intermédiaire ou vasculaire du blastoderme. Mais c’est bien plutôt un ensemble de vaisseaux qu'un feuillet réellement distinct. Pendant que le blastoderme se dédouble en deux feuillets, la tache em- bryonnaire, qui s’est allongée, devient en même temps plus épaisse ; elle forme saillie à la surface externe du blastoderme. Ses extrémités, et aussi CHAP. V. DÉVELOPPEMENT DE L'ŒUF, M7 ses bords, s’incurvent du côté du centre de l’œuf, de manière que le corps de l'embryon ressemble bientôt à Fig. 207. une petite nacelle, dont la concavité regarde du côté du centre de l’œuf (Voy. fig. 207, d). Les bords de la na- celle, auxquels on a donné le nom de lames ventrales, se rapprocheront de plus en plus les uns des autres, de manière à ne plus circonscrire qu’une ouverture beaucoup plus petite, cor- respondant à l’ombilic. Pendant que l'embryon s’incurve ainsi sur lui- même, l’une de ses extrémités se ren- fle beaucoup plus que l’autre : l’ex- trémité renflée correspond à la tête de l'embryon. On peut déjà distin- a, membrane vitelline avecses villosités naissantes. guer, dans l'intérieur de la masse feu exernedu busideume [fau sra) formée par l'embryon, les vestiges queux). d, corps de l'embryon. de la moelle, ceux du cerveau, CeUX b'b', premier soulèvement céphalique et caudal du D crdbres (Voy. S 40). feuillet externe du blastoderme. À mesure que l'embryon s’incurve en forme de nacelle, la partie du feuillet externe du blastoderme placée sur les limites de l’embryon se soulève tout autour de lui (Voy. fig. 207, b', b'). Ce soulèvement est plus apparent, d’abord, vers l’extrémité céphalique, et vers l’extrémité caudale. Aussi, dans les premiers temps , la portion soulevée dn feuillet externe du blastoderme forme, du côté de la tête et du côté de la queue, en se portant sur la partie convexe de l’embryon, deux replis, qui portent le nom de capuchon céphalique et de capuchon caudal. Ces capuchons, et aussi les replis formés par le feuillet externe du blastoderme, sur les cô- tés du corps de l'embryon, marchent rapidement à la rencontre les uns des autres, et finiront plus tard par se rejoindre (Voy. fig. 208, #", &"). Quant au feuillet interne du blastoderme , ou feuillet muqueux, il su- bit, à mesure que le corps de l’embryon s’incurve en dedans, un étran- glement qui correspond à l’ombilic ; et la cavité que formait ce feuillet (Voy. fig. 208, c, et fig. 209, c) se trouve bientôt partagée en deux parties inégales, communiquant ensemble, par la portion étranglée, à l’ombilic. La portion enserrée dans l’intérieur du corps de l'embryon formera plus tard la cavité intestinale; la portion avec laquelle elle communique, et qui forme en ce moment la plus grande partie de la cavité intérieure du blas- toderme, prendra bientôt le nom de vésicule ombilicale, L'OEUF (au 12e jour environ de son développement). S 404. Les annexes du fœtus. — De ce que nous venons rapidement d’esquis- ser il résulte que, vers le douzième jour du développement, on peut re- 918 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. connaitre dans l’œuf deux parties désormais distinctes : 1° Le corps du fœtus ou de l'embryon; 2% les annexes du fœtus, c’est-à-dire toutes les parties qui ne font pas partie constituante de sa masse, mais qui concou- rent néanmoins à son évolution, soit en établissant des moyens de con- nexion avec la mère, soit en concourant à son développement. Ces annexes sont : 1° la membrane extérieure de l’œuf, ou membrane vitelline, à la- quelle on donne désormais le nom de chorion; ® les replis du feuillet externe du blastoderme qui, en se réunissant du côté de la partie dorsale du fœtus, formeront l’amnios ; 3° la portion extra-fœtale du feuillet mu- queux du blastoderme , qu’on désigne dès lors sous le nom de vésicule ombilicale. Les annexes du fœtus se composent encore d’autres parties , qui nai- tront plus tard aux dépens du feuillet muqueux du blastoderme , sur le- quel les vaisseaux ont pris naissance ; tels sont : 1° la vésicule allantoide ; 2e Je placenta et le cordon ombhilical. Enfin, on range encore au nombre des annexes du fœtus la membrane caduque, qui n’est autre chose que la mem- brane muqueuse de l’utérus, laquelle, profondément modifiée dans sa stucture, entoure l’œuf qui se développe, lui forme son enveloppe la plus externe, et est expulsée avec lui au moment de l’accouchement. Mais la membrane caduque, quoique entourant l'œuf, ne lui appartient pas : nous l’examinerons plus loin ($ 416). À partir du douzième jour du développement les métamorphoses ulté- rieures ont pu être suivies directement sur l’œuf humain lui-même. $ 405. De Famnios. — Les replis du feuillet externe du blastoderme qui se Fig. 208. soulèvent tout autour du corps de ll l'embryon, en se portant vers le côté dorsal, marchent à la rencontre les uns des autres, et finissent enfin par se rejoindre (Voy. fig. 208, #’, b). # Cette jonction a lieu du vingtième « au vingt-cinquième jour du déve- z” loppement de l’œuf, et la cloison qui existe d’abord au point de jonc- tion ne tarde pas à disparaître. En se repliant ainsi au-dessus du dos de l'embryon, le feuillet externe du blastoderme offre deux feuillets a, membrane vitelline (chorion). l’un qui regarde l’embryon, l’autre b, feuillet externe du blastoderme. qui esten rapport avec la membrane b', b',_replis du feuillet externe du blastoderme marchant à la rencontre l’un de l’autre. D : T 4 d b''b"", capuchon céphalique et capuchon caudal formés vitelline (V O7: b 4 b F fig. 208, res par ces replis. x ; la] ion a eu lieu c, feuillet interne du blastoderme, s'‘écartant du feuil- et 210) Lorsque ajoncho » 4 let externe et devenant la vésicule ombilicale, le feuillet de ce repli, qui regarde la CHAP,. V. DÉVELOPPEMENT DE L'ŒUF, 919 membrane vitelline, ne tarde pas à s’accoler à cette membrane; il se con- fond bientôt avec elle, et fait partie constituante de l’enveloppe externe de l’œuf ou chorion. Quant au feuillet de ce repli, qui est du côté de l'embryon, c’est lui qui forme l’amnios. Il est d’abord appliqué sur le dos de l'embryon, puis il s’en sépare peu à peu; un liquide s’amasse entre lui et l'embryon, et la cavité de l’amnios se trouve constituée. Dans le principe, c’est-à-dire au moment de sa formation, l’amnios forme une enveloppe qui n’entoure l’embryon que du côté de sa face dorsale et de ses extrémités céphaliques et caudales. Maïs, à mesure que l’orifice ombilical se rétrécit par le rapprochement des lames ventrales, l’amnios, entraîné avec elles, se rapproche de plus en plus du pédicule de la vésicule ombilicale, et bientôt l'embryon est complétement entouré par l’amnios, sauf le point où la cavité abdominale du fœtus communi- que avec la vésicule ombilicale. En ce point, l’amnios se réfléchit sur le pédieule de la vésicule ombilicale, sur celui de l’allantoïde, sur le cordon ombilical (qui a pris naissance), et forme à ce cordon une gaine qui s’al- longe avec lui. L’amnios est une des membranes persistantes de l’œuf. Elle augmente peu à peu d'épaisseur et de densité, et, vers le troisième mois, elle s’ap- plique partout à la surface interne du chorion, alors que la vésicule om- bilicale et la vésicule allantoïde ont disparu. C’est dans son intérieur que s’accumule peu à peu le liquide connu sous le nom d'eaux de l'amnios, eaux qui s’écoulent au moment de l’accouchement, après la rupture des membranes qui entourent le fœtus arrivé à son développement. L’amnios offre avec les membranes séreuses une grande analogie. Sa surface intérieure, celle qui est en contact avec le liquide, est lisse et re- couverte d’un épithélium pavimenteux, comme les membranes séreuses,. Le liquide qui s’accumule dans son intérieur y est probablement exhalé par elle comme le liquide des membranes séreuses splanchniques. Le li- quide amniotique est une sérosité d’abord limpide, qui devient ensuite légèrement jaunâtre, et dans laquelle on trouve des débris épidermiques. Ce liquide, légèrement salé au goût, renferme 99 parties d’eau sur 100, de l’albumine et des sels, parmi lesquels du chlorure de sodium, du phos- phate et du sulfate de chaux. Ce liquide s’accumule dans l’amnios, jus- que vers le cinquième mois ; à cette époque, le poids du liquide amnio- tique est sensiblement le même que celui du fœtus. Plus tard, le fœtus continue à s’accroître, et la quantité du liquide reste stationnaire. Au mo- ment de la naissance, la cavité de l’amnios contient de 4/2 kilogramme à ! kiogramme de liquide. $S 406. De la vésicule ombiliecale. — La vésicule ombilicale se forme de très- bonne heure. Dès que le feuillet interne de la vésicule blastodermique commence à s’étrangler par l'incurvation de l'embryon, la portion extra- 920 LIVRE IL, FONCTIONS DE REPRODUCTION. Fig. 209. fœtale du feuillet interne de la Hi, vésicule blastodermique consti- tue la vésicule ombilicale elle- même (V. fig. 208, c, et fig. 209, c). Peu à peu cette vésicule, qui communiquait largement avec la cavité ventrale de l'embryon, ; de, fl ne communique plus a d DE ; + que p vec cette ° ——- y cavité que par un co/let qui, en : X s’allongeant, forme bientôt une sorte de pédicule creux. C’est à cette communication canali- forme entre la vésicule ombili- TNIRAS | cale et l’mtestin commencant de b, feuillet externe du blastoderme, qui va se confondre l’embryon, qu’on a donné le avec le chorion. _b'b', feuillet externe du blastoderme, qui va formerl’ampios. NOM de conduit omphalo-mésen- cc, vésicule ombilicale ( portion extra-fœtale du feuillet Lx ss “4 OEUF DE VINGT OU DE VINGT=CINQ JOURS. muqueux du blastoderme) avec ses vaisseaux. térique ( conduit vitello-intesti- d, portion céphalique de l'embryon. l d', portion caudale de l'embryon. na ) ï , vésicule allantoïde avec ses vaisseaux. re + c!'!,c!!, premiers vestiges de l'intestin (portion fœtale du feuil- Sur les parois de la vésicule ls mbgueux du Diastogerme): ombilicale se sont développés des vaisseaux (omphalo-mésentériques) qui communiquent avec ceux du corps de l’embryon. La vésicule ombilicale n’est qu’un organe transitoire, qui disparait promptement. À la fin du premier mois du développement, elle remplit en grande partie l’intérieur de l’œuf. A cette époque le pédicule par le- quel la vésicule communique avec l'intestin s’étrangle ; la communication n'existe plus, et la vésicule disparaît peu à peu par résorption, à mesure que l’œuf s’accroit. Pendant les trois ou quatre premiers mois de la vie intra-utérine du fœtus, on peut encore constater l'existence de cette vési- cule sous forme d’une petite poche aplatie, entre la portion placentaire du cordon et la face externe du sac amniotique. Quelquefois même , on peut encore découvrir ses vestiges dans les membranes de l’œuf, au mo- ment de l’accouchement. S 407. Allantoiïde. — La vésicule allantoïde se développe sur le feuillet in- terne de la vésicule blastodermique, aux dépens de la portion de cette vésicule emprisonnée par le fœtus, et qui doit former l'intestin. Dès le douzième ou le quinzième jour, vers le moment où la vésicule ombilicale se limite nettement par la formation de l’ombilic du fœtus, on voit naitre sur la partie de la vésicule blastodermique, qui correspond à la portion caudale de l'intestin du fœtus, un petit mamelon vasculaire, qui va s’ac- croissant, et qui forme bientôt une vésicule visible (Voy. fig. 209, c'). Le développement de la vésicule allantoïde est très-rapide. Au moment où CHAP, V. DEVELOPPEMENT DE L'ŒUF, 921 l’étranglement ombilical du fœtus réduit la communication entre l’intes- tin et la vésicule ombilicale à un canal, la vésicule allantoïde, déjà dévelop- pée à cette époque, se trouve étranglée par la formation de lombilic du fœtus, et est ainsi divisée en deux parties renflées, séparées par une por- tion intermédiaire plus étroite. La partie de la vésicule comprise en de- dans de l’étranglement, et située, par conséquent, dans l’abdomen du fœtus, formera plus tard la vessie urinaire; la partie de l’allantoïde, ex- térieure au fœtus, très-riche en vaisseaux, constitue l’allantoïde propre- ment dite. Les vaisseaux qui circulent à sa surface, et qu'on désigne à cette époque sous le nom de vaisseaux allantoïdiens, deviendront plus tard les vaisseaux du cordon (artères et veine ombilicale). Fig. 210. {| | I 4 LL 4 In 1, #00) AU) no )) v 1) All ou N/ D fl br CA e z 4 fé OEUF; D'UN MOIS ENVIRON. a, chorion. c, vésicule ombilicale. b, feuillet externe du blastoderme, se Con- G'é'e'c'c', vésicule allantoïde. fondant avec le chorion. Fr 2 = - : p',v', replis du feuillet externe du blastoderme ACRrS Un qunRERanE de Lente qui ont formé l’amnios. d, extrémité céphalique de l'embryon. b!!, b!!, capuchon céphalique et capuchon caudal d', extrémité caudale de l'embryon, de l’amnios. L’allantoïde s’accroît rapidement, gagne bientôt l'enveloppe extérieure de l'œuf, s'étale à sa face interne (Voy. fig. 210, c'ec'e'c'), et, s’y appliquant et sy soudant de toutes parts, va concourir à la formation du chorion Voy. 8 408). De plus, en gagnant ainsi l'enveloppe extérieure de l'œuf, l’allantoïde sert, en quelque sorte, de conducteur aux vaisseaux qui la recouvrent. Les villosités du chorion, jusqu'alors invasculaires, devien- nent vasculaires dans une certaine étendue ; des communications s'éta- blissent avec les prolongements des vaisseaux allantoïdiens, et le placenta se développe (Voy. $ 409). Aussitôt que la vésicule allantoïde à rempli son rôle conducteur, et que les vaisseaux du cordon qui rampent sur 922 LIVRE III. FONCTIONS DE REPRODUCTION. elle ont été portés à la périphérie, pour établir entre le fœtus et la mere les liens nécessaires à l’accroissement, sa communication avec la vessie urinaire s’oblitère au niveau de l’ombilic, vers le quarantième jour. Le pé- dicule, creux d’abord, se transforme en un cordon fibreux qui, accolé aux vaisseaux du cordon, représentera l’ourague de l'enfant, après la séparation du cordon, et la formation de la cicatrice ombilicale. S 408. Chorion., — Le chorion constitue l’enveloppe permanente la plus exté- rieure de l’œuf (en faisant abstraction de la membrane caduque). Au mo- ment où l’œuf arrive dans l’utérus, le chorion est formé par la membrane vitelline, déjà modifiée, et accrue peut-être par l'application d’une partie de la couche albumineuse dont l’œuf s’est entouré pendant son passage au travers de la trompe. Quelques jours plus tard, le feuillet externe de la vésicule blastodermique s’applique contre la membrane vitelline et se con- fond avec elle. Nous avons vu que, dans le point de l’œuf correspondant à l'embryon, le feuillet externe de la vésicule blastodermique se repliait au- tour de l’embryon et formait j’amnios; le feuillet de ce repli qui regarde la membrane vitelline s’applique et se confond avec cette membrane, comme dans tous les autres points (Voy. fig. 209 et fig. 210, b, 6 et #”, 4). Le chorion se trouve dès lors constitué, dans toute son étendue, par le feuillet externe de la vésicule blastodermique et par la membrane vitel- line, confondus ensemble. Le chorion est encore renforcé vers le trentième jour par l’application des deux feuillets de la vésicule allantoïde, dont le liquide intérieur dimi- nue et disparaît, et dont le prolongement périphérique vient recouvrir toute la face intérieure de l’œuf (Voy. fig. 20, €’, c’, €, c', c'). Quelques auteurs pensent que, dans la formation du chorion, il n’y a pas seulement fusion des diverses membranes dont nous venons de parler, mais que chacune s’atrophie tour à tour. Ainsi, d’après M. Coste, le pre- mier chorion correspondait à la membrane vitelline ; Le second chorion se- rait formé par le feuillet externe du blastoderme qui, d’abord incorporé avec le précédent, finirait par le remplacer ; le froisième chorion, chorion définitif ou permanent, se trouverait constitué seulement par les parois adossées et confondues de la vésicule allantoïde, après que le deuxième chorion aurait disparu en s’atrophiant. Qu'il y ait fusion de ces divers éléments en un seul ou qu'ils se substi- tuent les uns aux autres, dans le cours du développement, toujours est-il que le chorion n'offre pas le même aspect aux diverses périodes de la ges- lation. Peu après que l’œuf est arrivé dans l’utérus, le chorion présente à sa surface externe une foule de petits prolongements ou de villosités, qui s’enfoncent dans la membrane muqueuse utérine, et servent à fixer l’œuf, en même temps qu'ils agissent à la manière du chevelu de la racine des CHAP, V. DEVELOPPEMENT DE L'ŒUF, 923 plantes, en absorbant dans les parois de l'utérus les liquides de la nu- trition. Les villosités du chorion commencent à se vasculariser vers le trentième jour , c’est-à-dire au moment où la vésicule allantoïde vient s'appliquer contre le chorion. Dans le principe, et avant que les liens circulatoires en- tre le fœtus et la mère se soient localisés dans le placenta, c’est-à-dire sur un point circonscrit du chorion, la plupart des villosités présentent des vaisseaux, et cela sur tous les points de la surface de l'œuf. Plus tard, les villosités fvasculaires ou non, situées dans les points autres que le pla- ‘centa, s’atrophient peu à peu, et la surface du chorion devient glabre dans tous les points autres que ceux quicorrespondent au placenta. En ce dernier point, au contraire, les villosités s’accroissent et prennent un dé- veloppement considérable. Vers la fin du troisième mois, ce travail est terminé. La partie du chorion qui correspond au placenta est seule demeu- rée vasculaire. S 409. Placenta. — Cordon ombilieal. — Les villosités du chorion correspon- dantes au point où la vésicule allantoïde rencontre les enveloppes de œuf, nous venons de le voir, ne s’atrophient pas comme les autres; loin de là, elles s’accroissent par une sorte de bourgeonnement ou de prolongement arborescent, et elles forment bientôt des touffes réunies entre elles par un tissu cellulaire lâche. Ces touffes vasculaires, ou cotylédons, constituent le placenta fœtal; elles s’enfoncent dans l'épaisseur des parois utérines, tandis que du côté de lutérus lui-même poussent des productions vascu- laires qui vont à la rencontre des premières. C’est au développement de ces parties nouvelles dans l’utérus maternel qu’on donne le nom de pla- centa maternel. Il résulte de ce travail simultané une sorte d’engrènement réciproque qui multiplie les contacts vasculaires entre la mère et l’em- bryon. Mais à aucun moment il n’y a de communication directe entre les vaisseaux des cotylédons du placenta fœtal et les vaisseaux des produc- tions vasculaires de lutérus. Les échanges entre le sang de la mère et ce- lui du fœtus s’opèrent au travers des parois des vaisseaux. Le placenta fœtal augmente de volume à mesure que le fœtus s’aceroit, et entretient entre la mère et l’enfant des liens de plus en plus nombreux. A l’époque où il se sépare de l’utérus, après l’accouchement, le placenta offre un développement assez considérable ; il représente une sorte de masse spongieuse à peu près circulaire, continue sur sa circonférence avec le chorion, et appendue au cordon des vaisseaux ombilicaux, dont il n’est, en quelque sorte, que l'épanouissement terminal. Il a alors de 45 à 20 centimètres de diamètre, et de 4 à 2 centimètres d'épaisseur au centre : cette épaisseur va en diminuant vers la circonférence. La surface qui regarde du côté de l’intérieur de l'œuf est lisse, recouverte qu’elle est par l’ammios, tandis que la surface externe, généralement mélangée 24 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. avec des fragments des productions vasculaires de lutérus, qui se sont détachées avec lui, est lobée, molle, tomenteuse et sanguinolente. Dans les grossesses multiples, il y a autant de placentas qu'il se déve- loppe d'enfants dans l’utérus de la femme. Le cordon ombilical, par l'intermédiaire duquel sont établis les liens vas- culaires entre le fœtus et le placenta, commence à se former de bonne heure. Sa formation débute à l’instant où la vésicule allantoïde, qui porte les vaisseaux allantoïdiens, atteint les enveloppes de l’œuf, pour se con- fondre avec le chorion qu’elle vient renforcer. C’est au point d la jonc- tion s’est opérée, là où les vaisseaux allantoïdiens vont d’abord s'épanouir, que correspondra le placenta. À mesure que le fœtus se développe et que le placenta s’accroit, le pédicule de la vésicule allantoïde se resserre, et n’est bientôt plus représenté que par un cordon fibreux. Dans le principe, le col allongé de la vésicule allantoïde et celui de la vésicule ombilicale (Voy. fig. 210), y compris leurs vaisseaux, représen- tent ce qui deviendra plus tard le cordon. Puis la vésicule ombilicale s’a- trophie et disparaît, et le col allongé de la vésicule allantoïde se trans- forme en un cordon fibreux. Le cordon n’est plus représenté alors que par les vaisseaux de l’allantoïde et par le cordon fibreux, qui remplace la communication de l’allantoïde avec l'intestin. Les éléments du cordon sont entourés par l’amnios, dès le moment où cette membrane s'étant dé- veloppée s’est portée du côté ventral de l’embryon (Voy. $ 405). L’am- nios arrivé au pourtour du cordon s’y est accolé et lui forme une gaine qui persiste jusqu'à la fin. Au moment de la naissance, le cordon a,en moyenne, 50 centimètres de longueur sur une épaisseur de 1 centimètre; il est constitué : 4° par l’en- veloppe fournie par l’amnios; 2° par les vaisseaux du cordon ; 3° par les vestiges de l’allantoïde ; 4° par une matière albumineuse d’une consis- tance épaisse, qui infiltre les interstices, et qui donne au cordon sa forme arrondie (gélatine de Warthon); 5° quelques anatomistes ont aussi décrit des filets nerveux dans le cordon de l’enfant naissant. Ces filets, prove- nant du plexus hépatique du grand sympathique du fœtus, n’ont pu être poursuivis qu’à quelques centimètres en dehors de lombilic. Les artères du cordon, auxquelles on donnait d’abord le nom d’arteres allantoïdiennes, prennent le nom d’artères ombilicules, quand la vésicule allantoïde a subi ses métamorphoses. Les artères ombilicales communi- quent du côté du fœtus avec les artères iliaques de l’embryon, dont elles ne sont que la prolongation. Quant aux veines, désignées aussi dans le principe sous le nom de veines allantoidiennes, elles se réduisent bientôt à une seule qui, sous le nom de veine ombilicale, se met du côté de l’em- bryon en communication avec la veine porte et la veine cave inférieure. Les artères et la veine ombilicale, arrivées au placenta, s’y divisent à l’in- fini, en s’anastomosant ensemble. Engagés avec les cotylédons du pla- centa fœtal dans les anfractuosités du placenta maternel, les deux systèmes CHAP, V. DÉVELOPPEMENT DE L'ŒUF. 995 sanguins se trouvent en rapport, ‘et les échanges de la nutrition peuvent s’opérer (Voy. $$ 412 et 413). $ MO. Développement de l'embryon ou fœtus. — Développement des tissus. — Pendant que les annexes du fœtus, dont nous nous sommes jusqu'à présent exclusivement occupés, parcourent les diverses phases de leur évolution, la tache embryonnaire, devenue le corps de l'embryon, s'accroît en même temps; les divers tissus et les divers organes prennent naissance et se développent. Au bout de neuf mois, l'enfant, expulsé au dehors de l'utérus, par l’acte physiologique de l'accouchement, continuera et achè- vera son accroissement durant la période de l’enfance et de l’adolescence. L'étude du développement embryonnaire a été de nos jours l’objet d’é- tudes nombreuses, et elle forme aujourd’hui à elle seule une branche im- portante de l’anatomie, sous le nom d’anatomie du développement ; nous rappellerons seulement d’une manière rapide l’origine et la formation des principaux organes. Formation du système nerveux. — Le système nerveux céphalo-rachi- dien est le premier système organique qui se dessine sur l’area germi- nativa, ou tache germinative de l'embryon, alors que celle-ci n’est encore formée que d’une couche de cellules interposée entre le feuillet externe et le feuillet interne du blastoderme. La couche de cellules interposée entre Le feuillet externe et le feuillet interne du blastoderme présente bientôt, dans son centre, une partie plus claire (ligne primitive), entourée de deux saillies longitudinales obscures, qui tiennent à l'accumulation du blastème sur les bords de la ligne pri- mitive. Cette ligne claire et les deux marges plus obscures qui l’entou- rent forment, dans leur ensemble, une sorte de gouttière dont le fond est représenté par la partie claire. Les marges obscures, désignées sous le nom de lames dorsales, marchent bientôt à la rencontre les unes des au- tres, et se soudent sur la ligne médiane : ainsi se trouve constituée la moelle épinière, d’abord creuse dans son intérieur, et qui peu à peu de- viendra pleine par les progrès du développement. A son extrémité anté- rieure, le système nerveux primitif présente un léger renflement, pre- mier vestige du cerveau. Sur ce renflement qui s’accroit, se dessinent bientôt trois bosselures désignées sous le nom de cellules cérébrales, et qui, en s’accroissant très-mégalement, donneront naissance aux diverses parties de l’encéphale. La cellule cérébrale antérieure augmentera considérablement de vo- lume, et donnera successivement naissance aux hémisphères cérébraux, aux ventricules latéraux, à la couche optique, aux corps calleux, à la voûte à trois piliers. Ces changements commencent vers la fin du premier mois; vers le quatrième, toutes les parties sont nettement dessinées, et les lobes cérébraux, qui continuent à croître, recouvrent bientôt en ar- 926 LIVRE INT. FONCTIONS DE REPRODUCTION, rière les portions de l’encéphale, qui ont pris naissance aux dépens des deux autres cellules. Ainsi, au cinquième mois, les tubercules quadriju- meaux sont recouverts par l’accroissement des hémisphères cérébraux, et le cervelet l’est au septième mois. Les circonvolutions commencent à se dessiner sur les hémisphères vers le quatrième mois. La cellule cérébrale moyenne était la plus considérable des trois dans l'origine, mais elle augmentera beaucoup moins que les autres : elle donne naissance aux tubercules quadrijumeaux et à l’aquedue de Sylvius. La division sur la ligne moyenne de la cellule cérébrale moyenne (pour former les tubercules quadrijumeaux) ne se dessine nettement que vers le cmquième ou le sixième mois de la vie intra-utérine. La cellule cérébrale postérieure donnera naissance à la protubérance, au bulbe et au cervelet. Ce dernier se forme vers le troisième moïs. Sur les confins du bulbe et de la protubérance on voit s'élever deux lames qui, se recourbant l’une vers l’autre, se rejoignent et représentent un pont nerveux, formant la paroi supérieure du quatrième ventricule, et origime première du cervelet. Les feuillets superficiels du cervelet n’apparaissent que vers la fin de la vie intra-utérine. Les méninges qui entourent la moelle et le cerveau se développent en même temps que le système nerveux. Vers le troisième mois, on les aper- coit distinctement sur l’encéphale. La pie-mère est celle qui apparaïñt première ; on peut la distinguer au bout de la huitième semaine. Les nerfs naissent partout où nous les trouvons. Il n’est pas exact de dire qu’ils se développent de la moelle et du cerveau par une sorte de bourgeonnement analogue à la pousse des végétaux. Il n’est pas exact non plus de dire qu’une fois formés ils se dirigent vers la moelle ou le cerveau. Leur formation se fait sur place, aux dépens du blastème gé- néral. Il en est de même du système du grand sympathique. Formation des organes des sens. — Le développement de lorgane de là vue, de l’organe de l’ouie et de l’organe de l’odorat est en connexion in- time avec celui de l’encéphale. L’organe se forme autour de la portion essentielle du sens, qui est l’expansion périphérique du nerf de sensa- tion, et cette expansion périphérique n’est elle-même, dans le principe, qu’une sorte de prolongement des cellules cérébrales. Les deux yeux résultent de la subdivision d’une cellule, d’abord uni- que, sorte de prolongement creux de la cellule cérébrale antérieure. Lorsque les deux cellules oculaires sont une fois formées, leur paroi an- térieure, de nature nerveuse comme la paroi postérieure, se réfléchit au dedans de l’œil; c’est de l’adossement de ces parois que résulte la for- mation de la rétine. Les autres parties de l’œil se développent ensuite en dehors et en dedans, aux dépens du blastème environnant. Ainsi se trou- vent constituées, d’une part, la sclérotique et la cornée, et, de l’autre, la choroïde, l'iris et les milieux transparents de l’œil. La choroïde est d’a- bord continue, et l'iris est, par conséquent, imperforé : au septième mois, CHAP, V. DÉVELOPPEMENT DE L'ŒUF, 997 la portion de choroïde correspondante à la pupille (membrane pupillaire) disparaît. Jusqu'au commencement du troisième mois, la peau couvre les yeux. A partir de ce moment, elle s’amincit et prend l’apparence de la conjonc- tive. Au commencement du troisième mois également, les paupières ap- paraissent, au-dessus et au-dessous du globe de l’æil, sous forme de petits bourrelets cutanés, qui vont se développant, et finissent , vers le quatrième mois, par recouvrir le globe de læil. L’organe de l’olfaction consiste dans une excroissance de la cellule cé- rébrale antérieure qui forme le nerf et le renflement bulbaire olfactif, creux dans l’origine; l’autre partie de l'appareil, c’est-à-dire la membrane muqueuse nasale, procède du système cutané, dont une portion se trouve emprisonnée dans la face par le développement des os de cette région. L'organe de l’ouie procède de la cellule cérébrale postérieure, d’abord sous forme de cellule auditive. Cette cellule formera l’oreille interne ner- veuse et membraneuse, et autour d’elle se développeront les parties os- * seuses qui la contiennent. Vers le troisième mois, on distingue déjà les canaux semi-circulaires et le limacçon, et aussi les vestiges du conduit auditif externe et du pavillon. Mais ce conduit, ainsi que la cavité du tympan, sont formés par la croissance et le développement des diverses parties de la face. Développement du système osseux, du système musculaire, des diverses parties de la face et des parois du tronc; développement de la peau. — Le système osseux se développe de très-bonne heure. A peine le système ner- veux s'est-il montré, au milieu de la tache germinative, sous forme d’une gouttière allongée, qu’on aperçoit en dehors d’elle et de chaque côté une série de petites plaques quadrilatères très-rapprochées, qui, se soudant vers la partie moyenne et en avant de la moelle épinière , forment les corps des vertèbres. Un peu plus tard, les lames vertébrales se forment dans le blastème postérieur à la moelle; elles se réunissent entre elles sur la ligne moyenne et sur les côtés avec les corps des vertèbres, et le canal rachidien se trouve constitué. Les côtes et le sternum apparaissent plus tard que la colonne vertébrale. Lorsque les cavités ventrales et pec- torales se sont formées par l’incurvation des bords de l’embryon et que l’ombilie est nettement formé, on voit apparaître les lignes costales et la plaque sternale, dans le blastème interposé entre la paroi cutanée et la paroi muqueuse de l'embryon. Les côtes et le sternum apparaissent vers la sixième semaine. Le crâne n’est qu'un développement plus considérable des vertèbres supérieures de la colonne vertébrale. À une certaine période du déve- loppement, on reconnaît que ses premiers vestiges correspondent à trois centres principaux, qu'on a désignés sous les noms de vertèbre occipitale ou basilaire, vertèbre sphénoïdale postérieure, vertèbre sphénoïdale antérieure. Les divers os du cräne se forment ensuite par les progrès du 928 LIVRE IIT, FONCTIONS DE REPRODUCTION. développement, et par des formations ultérieures qui restent à l’état d'os distincts ou qui se soudent aux précédents. Les diverses parties de la face, celles du cou, celles du tronc, se dé- veloppent dans le blastème interposé entre les feuillets cutanés et mu- queux du blastoderme. Tandis que les côtés de embryon se recourbent vers le centre de l’œuf, en formant des lames continues, pour circonscrire les cavités ventrales et pectorales, les lames qui correspondent aux côtés du cou et de la face ne sont pas réellement des lames, mais des tuber- cules au nombre de quatre, qui, en se développant et en se portant vers la partie centrale de l’œuf, interceptent entre eux des fentes. Dans les parties pleines ou tuberculeuses, désignées sous le nom d’arcs branchiaux, se développent les mâchoires avec les dents, la langue, les parties molles de la face, l’os hyoïde, le larynx. les parties molles du cou. Les cavités naturelles de la face sont formées par la persistance des fentes viscérales, diversement configurées après le développement des tubercules faciaux. La première fente branchiale forme d’abord une sorte de cloaque, com- mun à la bouche et aux fosses nasales, qui se délimite bientôt par le dé- veloppement des os maxillaires et de la cloison nasale. De la seconde fente dérivent, par la soudure antérieure des tubercules qui la bordent, la cavité du tympan et le conduit auditif externe. L'espace qui séparait les tubercules branchiaux dans la région du cou disparaît sans laisser de trace. Les os du bassin apparaissent, comme ceux du tronc, du crâne et de la face, vers la partie inférieure du tronc, dans le blastème intermédiaire aux feuillets du blastoderme. Les membres se montrent, vers la fin du premier mois, sous la forme de petits tubercules, de chaque côté du tronc. A cette époque, on peut déjà distinguer une partie aplatie et terminale, qui correspondra au pied et à la main. A la sixième semaine, les membres se sont allongés, et la partie aplatie et terminale présente quatre échancrures, qui indiquent la séparation des doigts et des orteils. Déjà, à cette époque, on peut distin- guer les vestiges des os, ou plutôt, comme presque partout, des cartilages temporaires qui vont bientôt être envahis par l’ossification. Les membres supérieurs se développent plus rapidement que les infé- rieurs. Les muscles se dessinent dans le blastème du tronc et des membres, et dans les points qu'ils doivent occuper, vers la huitième semaine. On aper- coit d’abord les muscles des gouttières vertébrales, un peu plus tard ceux du cou, puis les muscles du ventre, un peu plus tard ceux des membres, et plus tard ceux de la face. La peau se développe aux dépens du feuillet externe de la vésicule blastodermique, qui limite de toutes parts la surface externe de l’em- bryon; on peut même envisager ce feuillet comme la peau primordiale. Dès le deuxième mois de la vie intra-utérine, on distingue à sa surface les cellules aplaties et polygonées de l’épiderme; vers le troisième mois, CHAP, V. DÉVELOPPEMENT DE L'ŒUF, 929 on distingue dans son épaisseur les glandes qui lui sont propres, et les ongles commencent à apparaître à l’extrémité des doigts. Les papilles de la peau se font voir vers le quatrième mois. Le système pileux se montre vers la même époque, sous forme d’un duvet lanugineux, qui fait place, vers le sixième mois, aux sourcils, aux cils et aux cheveux. Développement du tube digestif, du foie, du pancréas, des poumons. — Le tube digestif communique d’abord largement avec la vésicule ombilicale, et, un peu plus tard, avec la vésicule allantoïde (Voy. & 406 et 407). Lorsque l’embryon représente une sorte de nacelle, le tube digestif se présente d’abord sous la forme d’une gouttière ouverte. Quand l’ombilie s’est formé, le sac intestinal, enserré dans le corps de l'embryon, re- présente un canal terminé en cul-de-sac du côté céphalique et du côté caudal de l'embryon, et communiquant avec la vésicule ombilicale et avec la vésicule allantoïde. La communication de l'intestin avec la vésicule ombilicale a lieu dans un point de l'intestin qui correspond à peu près à la terminaison de l'intestin grêle; quant à la communication avec la vé- sicule allantoïde, qui se développe plus tard, elle a lieu avec la portion anale de l'intestin (Voy. $ 407). Plus tard, les communications de l’intes- tin avec les deux vésicules précédentes s’oblitèrent, et l'intestin repré- sente un tube fermé de toutes parts. D'abord rectiligne, ce tube se sou- lève bientôt et ne tarde pas à former des anses, maintenues en arrière par un feuillet de nouvelle formation qui constituera le mésentère en se dé- veloppant. Le cul-de-sac du tube intestinal, correspondant à l'extrémité céphalique de l'embryon, se renfle et forme l’estomac. La membrane muqueuse de l'intestin n’est autre que le feuillet interne de la vésicule blastodermique, qui se modifie dans sa structure. A sa sur- face apparaît l’épithélium cylindrique, et, dans son épaisseur, les villo- sités et les glandes. Les muscles qui doublent la muqueuse du tube di- gestif, la membrane séreuse qui recouvre l'intestin, ainsi que la cavité abdominale qui se forme, proviennent du blastème qui s’est accumulé entre les deux feuillets du blastoderme. C’est également aux dépens du blastème intermédiaire que se déve- loppe l’œsophage, lequel, terminé d’abord par deux extrémités closes, s’ouvre bientôt, d’une part, dans l'estomac, et de l’autre dans la bouche. La continuité entre la muqueuse intestinale et l’enveloppe cutanée ex- terne se trouve établie par en haut. Du côté de son extrémité inférieure, le tube digestif se trouve en rapport avec une dépression de l’enveloppe cutanée (dépression rectale); bientôt la cloison qui sépare le fond de cette dépression de l'extrémité inférieure de l'intestin disparaît. La con- ünuité entre la muqueuse intestinale et l'enveloppe cutanée se trouve établie par en bas. Le foie et le pancréas se développent dans le blastème intermédiaire aux deux feuillets du blastoderme, et dans le voisinage du tube digestif. Plus tard, on apercçoil dans la masse glanduleuse un prolongement intes- 59 930 LIVRE IT, FONCTIONS DE REPRODUCTION, tinal, qui n’est autre que le canal excréteur. Ce canal excréteur s’abouche avec les canaux plus fins qui se sont développés dans l'épaisseur de la glande. La trachée et les poumons apparaissent aussi, d’une manière isolée, dans le blastème intermédiaire, et les communications avec le pharynx s’établissent ensuite et de très-bonne heure. Développement des organes génitaux urinaires. — Le développement des organes génitaux urinaires s’accomplit, comme celui de presque toutes les parties dont nous avons parlé jusqu'ici, aux dépens du blastème in- termédiaire aux deux feuillets du blastoderme. Les parties génitales ex- ternes et les parties génitales internes se développent à peu près simul- tanément, mais isolément, et leur réunion n’a lieu qu’ensuite. Vérs la fin du premier mois, les organes génitaux urinaires internes commencent à se montrer, les organes génitaux urinaires externes apparaissent en- viron une semaine plus tard. Le long de la colonne vertébrale, on voit d’abord apparaître deux corps allongés, auxquels on donne le nom de corps de Wolf, ou de faux reins. Ces organes mesurent bientôt toute la longueur de la cavité thoraco- abdominale. Ces corps sont des organes transitoires, indépendants des organes urinaires et génitaux internes, et destinés sans doute à jouer un rôle dans les premières périodes de la nutrition; mais ce rôle n’est pas très-bien connu. Les corps de Wolf, essentiellement formés de faisceaux de tubes, terminés en cul-de-sac, représentent de véritables glandes. Ils sont pourvus d’un canal excréteur, qui s'ouvre à l'extrémité inférieure de l'intestin. Vers la fin du second mois ils s’atrophient. Dans leur voisinage avait déjà commencé à se développer le testicule chez l’homme et l’o- vaire chez la femme. Quand les corps de Wolf ont disparu, ceux-ci s’ac- croissent rapidement. L’ovaire de la femme et le testicule de l’homme ont, dans l’origine, la même position. Le canal excréteur de l’ovule (trompe) et le canal excré- teur du sperme (canal déférent) se forment isolément, et il est un moment où il est impossible de distinguer les sexes; d’autant plus que, dans leur formation, les organes externes de la génération se présentent, dans l’o- rigine, sous le même aspect. Plus tard, le canal déférent sé joint au tes- üicule, tandis que la trompe reste indépendante du côté de son pavillon. Le rein a commencé à se montrer peu de temps après le corps de Wolf, et au-dessus des testicules ou des ovaires; l’uretère s’est également dé- veloppé de son côté, et s’est promptement réuni avec le rein d’une part et avec la vessie d'autre part. La vessie, ainsi que nous l’avons dit plus haut (Voy. $ 407), n’est dans l'origine qu’un simple renflement du pédicule de l’allantoïde. Lorsque ce pédicule s’est transformé en un cordon fibreux, la vessie est réellement constituée ; elle tient encore à l’ombilic et y tiendra d’une manière per- manente, par l'intermédiaire de l’ouraque. La vessie, n'étant qu’un renfle- s CHAP. V. DEVELOPPEMENT DE L'ŒUF, 931 ment de lallantoïde, communique, dans le principe, avec le rectum dans ce qu’on appelle le cloaque, point dans lequel viennent aussi aboutir les trompes et les canaux déférents. Plus tard, il s’établit un eloisonnement entre le rectum et la vessie ; la portion prostatique et la portion membra- neuse de l’urètre prennent naissance; la portion membraneuse s’abouche avec la portion spongieuse de l’urètre, qui s’est formé, de son côté. comme les autres parties externes de la génération. Les deux trompes de la femme se réunissent par l'extrémité opposée au pavillon ; le point de jonction se renfle, une cloison se développe entre le rectum et cette partie renflée, et l’utérus se trouve constitué; l'utérus communique bientôt avec le vagin, qui s’est développé isolément. Les canaux déférents de l’homme ne se réunissent point ensemble : il se forme aussi une cloison entre eux et l'intestin ; bientôt ils ne s’abou- chent plus dans le cloaque, mais dans la portion prostatique de l’urètre qui s’est développée pendant le cloisonnement ; les vésicules séminales, qui ont pris naissance dans le blastème voisin, se sont réunies à eux. Les organes externes de la génération se développent dans la couche de blastème sous-jacente au feuillet externe du blastoderme, c’est-à-dire dans le voisinage de la surface. Leur développement marche de pair avec celui des organes génitaux internes. On apercoit d’abord un petit soulè- vement au-dessous de la région caudale de l'embryon. Cette éminénte ovalairé se développe ensuite davantage sur les côtés, de manière que le centre présente bientôt une dépression (dépression anale). Le fond de cette dépression communique promptement avec l'extrémité inférieure de l’in- testin par résorption de la cloison qui les sépare (Voy. plus haut), et le cloaque est constitué. Les deux éminences qui bordent la dépression anale continuent à s’accroître; elles formeront plus tard les corps caver- neux de la verge chez l’homme, et, chez la femme, le clitoris, les racines du clitoris et les petites lèvres. À ce moment, les organes de la généra- tion et l'extrémité du tube digestif communiquent largement. Plus tard, les éminences qui forment les corps caverneux de la verge de l’homme se soudent d’abord du côté de la face dorsale, et il en résulte une gouttière allongée, dont les bords se recourbent en dessous et se joignent sur la li- gne médiane pour former un canal, qui deviendra la portion spongieuse de l’urètre. La portion membraneuse et la portion prostatique de l’urètre se sont formées dans le même temps, et ont établi la séparation de l’ap- pareil intestinal et de l'appareil urinaire, et en même temps la continuité de la vessie avec l’urètre. Chez la femme, les corps caverneux se déve- loppent beaucoup moins : ils ne se soudent que par la partie dorsale pour former le clitoris; la gouttière inférieure persiste et correspond aux petites lèvres. A mesure que les corps caverneux de la verge de l’homme se dévelop- pent, ils tendent à remonter du côté de l’ombilic ; la fente du cloaque se soude en partie, forme le périnée, et l’anus se trouve isolé. Lorsque les 932 LIVRE HI, FONCTIONS DE REPRODUCTION. bords de la gouttière que forment les corps caverneux se rejoignent en dessous pour former lurètre, la fente assez étendue qui existe encore en avant du périnée se soude et forme le scrotum. Les corps caverneux de la femme, indépendamment de ce qu'ils se développent beaucoup moins, n'ont pas de tendance à se porter par en haut. La cloison périnéale se forme, et en même temps la eloison recto-vaginale; le vagin se trouve dès lors isolé du cloaque. Quant à la portion qui correspond au scrotum de l’homme, elle persiste à l’état de fente et constitue l’ouverture vulvaire. Il résulte de ce mode de développement des organes externes de la gé- nération de l’homme et de la femme, qu’à une certaine période du déve- loppement, ilest impossible de distinguer nettement les sexes. Tant que les deux corps caverneux ne se sont pas réunis en dessous pour former l’urè- tre, et tant que la fente scrotale ne s’est pas soudée pour former la po- che des bourses, la confusion est possible. Lorsque, par suite d’un arrêt de développement, la formation de la portion spongieuse de l’urètre n’a pas lieu, c’est-à-dire lorsque la soudure inférieure des corps caverneux fait défaut, et lorsqu’en même temps la fente scrotale persiste chez l’homme, celui-ci offre les apparences de l’hermaphrodisme. Lorsque, chez la femme, les corps caverneux, très-développés, ont donné naissance par la soudure inférieure des bords de leur gouttière à la portion spon- gieuse de l’urètre, celle-ci présente également les apparences de l’herma- phrodisme. Mais l’hermaphrodisme est apparent et non réel. Ce sont les testicules ou les ovaires qui déterminent le sexe , et donnent à l’ensem- ble général de l'individu les caractères qui lui sont propres. Le véritable hermaphrodisme serait celui où non-seulement les organes externes de la génération, mais aussi les testicules, les ovaires, les canaux déférents et les trompes existeraient sur un seul et même individu, ce qui ne s’est jamais vu (Voy. $ 397). Développement des tissus. — Nous avons vu précédemment que les pre- miers phénomènes du développement de l'être nouveau commencent par la segmentation du jaune, c’est-à-dire par la formation de cellules qui se multiphent suivant un mode spécial. C’est de ces éléments primitifs, c’est- à-dire de ces cellules, que dérivent tous les tissus de l’être organisé. I y a donc un temps où l'embryon est formé d'éléments anatomiques embryonnaires ou de cellules; c’est pour, cette raison qu’on donne quelquefois à l’étude histologique du développement le nom de fhéorie cellulaire. Les cellules embryonnaires du développement se multiplient suivant des modes divers. Les premières cellules qui apparaissent se dévelop- pent de toutes pièces au sein du liquide ou blastème qui constitue le jaune. Cette formation libre ou spontanée des cellules se rencontre aussi à une période plus avancée du développement. Ce mode de multiplication ou de génération des cellules (désigné par M. Robin sous le nom de généra- lion par énferposition) consiste dans l'apparition d'éléments anatomiques CHAP, V. DÉVELOPPEMENT DE L'ŒUF. 955 entre ceux déjà existants, et semblables à eux, aux dépens du blastème fourni par les vaisseaux : blastème modifié sans doute par les éléments que ces vaisseaux sillonnent. Le mode de génération des cellules par ap- position est analogue au précédent : c’est encore une formation spontanée de cellules à l’aide du blastème fourni par les vaisseaux des tissus exis- tants. Ce mode de génération s’observe aux surfaces (peau, séreuses, mu- queuses , surfaces glandulaires). Les éléments le plus anciennement for- més tombent et sont remplacés par les éléments nouveaux. Mais les cellules nouvelles ne prennent pas seulement naissance d’une manière spontanée et aux dépens du blastème général, elles procèdent souvent de cellules déjà existantes. Tantôt il se forme par segmentation, dans l’intérieur d’une cellule, une quantité plus ou moins considérable de cellules filles, qui s’accroissent et qui deviennent libres à leur tour, par disparition de la membrane de la cellule mère qui les entourait ; tantôt i] se forme sur un point d’une cellule une sorte de hernie ou cul-de-sac qui se sépare de la cellule mère par un cloisonnement ; tantôt une cellule mère s’étrangle par sa partie moyenne , et les deux parties situées de chaque côté de l’étranglement deviennent libres par l’amincissement progressif et la disparition de l’éfranglement, etc. Certains tissus de l’économie se présentent, toute la vie durant, à l’état embryonnaire ; les éléments de ces tissus consistent, par conséquent, en cellules. Ces cellules, d’ailleurs, peuvent être sphériques ou plus ou moins déformées. Elles sont sphériques dans la lymphe, dans le chyle, dans les couches profondes de l’épiderme, dans le tissu adipeux, dans le lait, dans le mucus, etc.; elles sont polygonées dans les couches moyennes de l’é- piderme, dans le foie; polygonées ou cylindriques dans les divers épithé- liums; discoides dans le sang (globules du sang), etc. — Mais dans la plupart des tissus de l’économie, les cellules se transforment pour donner naissance aux éléments nerveux, musculaires, cellulaires, vasculaires, élastiques, fibreux, cartilagineux, osseux. Ici deux doctrines sont en pré- sence : suivant les uns, les tissus dont nous venons de parler prennent naissance par les métamorphoses successives des cellules, en vertu des- quelles ces cellules accolées s’allongent, perdent peu à peu par résorption et dans des directions déterminées les parois par lesquelles elles se cor- respondent, et ainsi se trouveraient constituées les fibres des tissus mus- culaire , cellulaire , fibreux, les tubes nerveux et les réseaux vasculaires initiaux ; cette manière de voir est celle de l’école allemande inaugurée par Schwann. Suivant d’autres (MM. Lebert et Robin), les éléments ana- tomiques définitifs des tissus ne résultent point de la métamorphose des éléments embryonnaires ; les éléments nouveaux ne feraient que prendre la place des éléments primordiaux. En d’autres termes, ce serait aux dé- pens du blastème résultant de la fluidification spontanée des cellules élé- mentaires que naïtraient les divers éléments des tissus. Les cellules em- bryonnaires ne seraient que des éléments transitoires qui disparaitraient 934 © LIVRE IN, FONCTIONS DE REPRODUCTION. par dissolution, et le tissu nouveau se formerait au fur et à mesure que le tissu primitif disparait. Chacune de ces doctrines a pour elle un certain nombre de faits qui plaident en sa faveur. Ge serait nous écarter du plan de cet ouvrage que d’entrer dans la discussion de ce problème d’histologie, qui est loin d’ail- leurs d’être résolu. S A1. Dimensions et poids du fœtus aux diverses époques du développe- ment, — L'activité du mouvement de nutrition est d'autant plus grande qu'on se rapproche davantage de l’époque de la conception. Haller observe qu'à la fin du premier jour de l'imcubation l'embryon d'oiseau est quatre- vingt-dix fois plus pesant qu'il ne l’était au commencement de ce jour ; tandis qu’au vingt et unième jour de l’incubation (c’est-à-dire au dernier), l’aceroissement de l’animal est six cents fois moins considérable que ce- lui du premier jour, car il n’a guère augmenté, durant les dernières vingt-quatre heures, que d’un sixième de son poids. Il en est de même pour les mammifères. Les premières formations embryonnaires s’accom- plissent avec une extrême rapidité, et c’est là surtout ce qui rend difficile l’étude des premières phases du développement. L'œuf n’a pas 1 millimètre de diamètre , au moment où il arrive dans l'utérus. Quinze ou vingt jours plus tard, c’est-à-dire à la fin du premier mois du développement, l'embryon a déjà près de 1 centimètre de lon- gueur, et l'œuf est par conséquent mille fois plus volumineux, au moins, qu'il ne l’était à son arrivée dans l'utérus. Au bout de la cinquième se- maine, l'embryon a environ 1 centimètre 1/2, et sa tête, alors bien dis- tincte , mesure à peu près la moitié de sa longueur. Le fœtus de six se- maines à 2 centimètres ; il s’isole nettement de ses annexes, et le cordon qui commence à établir ses rapports avec le chorion et avec l'utérus a déjà 1 centimètre de longueur. Le fœtus de deux mois à près de 3 centi- mètres ; celui de deux mois et demi a 4 centimètres 1/2 et pèse près de 50 grammes. Le fœtus de trois mois à 10 centimètres de longueur et pèse 80 grammes ; celui de quatre mois a 18 centimètres de longueur et pèse 200 grammes ; celui de cinq mois a 25 centimètres de longueur et pèse 400 grammes; celui de six mois a 35 centimètres de longueur et pèse 700 grammes ; celui de sept mois a 40 centimètres de longueur et pèse de 1,200 à 1,300 grammes ; celui de huit mois a 45 centimètres de lon- sueur et pèse de 2 kilogrammes à 2 kilogrammes 1/2; celui de neufmois a 48 ou 50 centimètres de longueur et pèse 3 ou 4 kilogrammes. Les nombres que nous venons de transcrire ne sont que des moyennes; ils peuvent varier aux diverses périodes de l’évolution. L'enfant qui vient au monde peut mesurer 60 centimètres de longueur et peser jusqu'à à ou 6 kilogrammes, comme aussi il peut être beaucoup plus petit et ne peser que 2 kilogrammes ou 2 kilogrammes 1/2. CHAP. VI. FONCTIONS DE L’EMBRYON. 955 CHAPITRE VI FONCTIONS DE L’EMBRYON. $ 412. Cireulation du fœtus. — Pendant que les organes et les tissus de l’em- bryon apparaissent, l’appareil vasculaire sanguin se développe égale- ment. Nous aurions pu étudier l’évolution de ce système dans le chapitre précédent; mais nous avons préféré rapprocher cette étude de celle de la circulation fœtale, celle-ci variant aux diverses périodes du développe- ment, à mesure que l’appareil dans lequel ciréule le sang se modifie et se perfectionne. Première circulation. — Les premiers vestiges de l’appareil vasculaire sanguin se montrent de très-bonne heure et presque aussitôt que la moelle épinière. Ces vestiges se développent dans la couche de blastème qui se dépose entre les deux feuillets de la vésicule blastodermique, et sur les confins de la tache germinative. C’est vers le quinzième jour que se mon- trent les premiers rudiments de circulation. Ils consistent d’abord en vaisseaux appliqués sur le feuillet interne de la vésicule blastodermique. Ces vaisseaux forment sur cette membrane un cerele à peu près complet (sinus terminal), d’où partent, d’un côté des rameaux qui communiquent avec le corps de l'embryon, et, de l’autre , d'autres rameaux qui recou- vrent toute l’étendue du feuillet interne de la vésicule blastodermique, lequel devient bientôt la vésicule ombilicale. Du côté de l'embryon, ces vaisseaux se mettent en rapport avec le cœur, qui s’est développé simul- tanément dans la région céphalique. Ces vaisseaux et le cœur se dévelop- pent sur place, dans le lieu qu'ils occupent, et non pas par la poussée du liquide chassé par le cœur, comme quelques auteurs l’ont pensé. Le cœur, formé par une cavité unique, ne tarde pas à s’allonger et à s’incurver en forme d'S. Dès le moment où la première circulation s'établit, le sang se meut dans cet appareil circulatoire élémentaire, sous l'influence des contrac- tions du cœur (punctum saliens), et voici quel est son trajet. Chacune des extrémités du cœur donne naissance à deux vaisseaux. Les vaisseaux qui se détachent de la partie supérieure du cœur représentent les artères : on les nomme aortes ou arcs aortiques. Les ares aortiques se recourbent vers le bas dès le moment de leur origine, et, appliqués contre la colonne vertébrale, ils longent le corps de l'embryon dans toute sa longueur. Au niveau de l’ombilie qui se dessine, ces ares fournissent deux troncs arté- riels (Voy. fig. 211, g, g), qui vont se ramifier sur le feuillet interne de la vésicule blastodermique, devenue la vésicule ombilicale. Ces deux Loncs portent le nom d’artères omphalo-mésentériques; leurs rameaux se 956 LIVRE HI. FONCTIONS DE REPRODUCTION. Fig. 211. rendent au sinus terminal. Eu Du sinus terminal naissent dir Ti Dia": les veines, sous le nom de Er PE = veines omphalo - mésentéri- LES ZONN T7 ques (Voy. fig. 211, d, à, à). A ee S Ê L ss Ces veines se réunissent en e si — mo) L ii deux troncs terminaux, ren- she trent dans le corps de l’em- bryon par l’ombilic, et vont se terminer à l’extrémité in- férieure du cœur rudimen- taire. Les ramifications arté- rielles des arcs aortiques, qui se sont distribuées dans lecorpsmême del’embryon, sont beaucoup moins con- ) ser Ÿ= a ee Êce à >. Th = ŒR 2S 1 21 PREMIÈRE CIRCULATION DE L'EMBRYON. : de, ViAiRe; f |, vésicileateNcale sidérables que celles qui se b, cœur. d, d, d, veines omphalo-mésentériques. a nue cc, amnios. 9, 9, artères omphalo-mésentériques. répandent sur la vésicule ombilicale. Le sang de ces fines artères est ramené au cœur par des branches veineuses déliées, qui opèrent leur jonction avec les troncs des veines omphalo- mésentériques. La première circulation est donc en grande partie extra-fœtale : on peut lui donner le nom de circulation de la vésicule ombilicale. La première circulation est subordonnée à l'existence de la vésicule ombilicale, el elle n’a, comme elle, qu’une courte durée. Elle est destinée à fournir, dans les premiers temps, à l'embryon qui se développe, des matériaux de nutrition. Les vaisseaux qui circulent sur la vésicule ombilicale reçoi- vent, par absorption, les matériaux liquides contenus dans cette vésicule, et ces matériaux sont portés à l'embryon par les voies omphalo-mésen- tériques. La vésicule ombilicale et les vaisseaux qui la recouvrent jouent, en quelque sorte, le rôle d’un premier placenta. Chez les oiseaux, la vé- sicule ombilicale persiste jusqu’au terme du développement de l'embryon, et même encore après qu'il est sorti de la coquille ; la masse du jaune, qui est considérable chez lui, sert, en effet, à la nourriture du jeune ani- mal, pendant toute la période de l’incubation, et pendant les quelques jours qui suivent. Deuxième circulation. — La seconde circulation de l’embryon com- mence quand la communication de l'intestin avec la vésicule ombilicale disparaît. Alors, c’est-à-dire vers la fin du premier mois, les vaisseaux omphalo-mésentériques, réduits d'abord à une seule artère et à une seule veine (Voy. fig. 212 £ et g), s’atrophient, et les vestiges de ces vaisseaux disparaissent ensuite avec la vésicule ombilicale. La portion 2ntra-fæœtale de la veine omphalo-mésentérique persistera seule, et continuera à re- cevoir le sang veineux des intestins par la veine mésentérique ; elle for- CHAP. VI, FONCTIONS DE L’EMBRYON, 957 mera plus tard le tronc de la veine porte. Au moment où nous sommes arrivés, la seconde circulation avait déjà été préparée par l'apparition et par la croissance de la vésicule allantoïde (Voy. $ 407). Fig. 212. a ! h d’ UA d 1172 à » à Ÿ/ Ar à L « + . \ A, D’ ” UD) ] 17 \ OR Ds 77 RC CORUr = 1, LT / £ R 73 7] W D M DL € NN. — DA ke IDAUN NUL 7 É LES 0 at k Î m M PASSAGE DE LA PREMIÈRE À LA SECONDE CIRCULATION. abc', chorion résultant de la fusion de la mem- L, confluent des deux troncs veineux g et k. brane vitelline,du feuilletexterne de la vé- m, confluent de toutes les veines à leur entrée sicule blastodermique,et de la transforma- dans la cavité auriculaire du cœur. tion dela vésicule allantoïde (V. fig. 210). n, tronc résultant de la réunion des veines al- c, la vésicule ombilicale qui diminue. lantoïdiennes p, p et dela veine omphalo- d, portion céphalique de l'embryon. mésentérique q. d', portion caudale de l'embryon. o, veine cave inférieure. e, cavité ventriculaire du cœur. p, p, veines allantoïdiennes. f, cavité auriculaire du cœur. q, veine de la vésicule ombilicale (veine om- i, tronc aortique formant les arcs aortiques. phalo-mésentérique). h, tronc représentant l’aorte thoracique. >, aorte abdominale. y, tronc qui deviendra la veine cave supé- s, s, artères allantoïdiennes. rieure. t, artère de la vésicule ombilicale (artère om- k, tronc de la veine azygos. phalo-mésentérique). A peine cette vésicule s’est-elle montrée, par bourgeonnement, sur la partie inférieure de l'intestin de l'embryon, qu'on aperçoit à sa surface des ramifications vasculaires (Voy. fig. 209 et 210); cette vésicule croit rapidement, et gagne la surface interne de l’œuf. Les vaisseaux qu'elle porte s’anastomosent promptement à la périphérie, avec les ramifications vasculaires qui se développent dans le chevelu du chorion ; les commu- nications de l'embryon avec la mère, par l'intermédiaire du placenta, se trouvent établies dès le commencement du second mois. A la fin du pre- mier mois, il y a donc une période où la circulation fœtale comprend en même temps la circulation de la vésicule ombilicale, qui disparait, et la 958 LIVRE III. FONCTIONS DE REPRODUCTION. circulation de la vésicule allantoïde, qui s'établit. La figure 212 repré- sente cette période de transition. Les vaisseaux de la vésicule de l’allantoïde sont d’abord au nombre de quatre : deux artères et deux veines (Voy. fig. 219, s, s, p, p). Quand la vésicule allantoïde a rempli son rôle, une des veines s’atrophie, et il ne reste plus que deux artères et une veine. Ces deux artères et cette veine persistent jusqu’à la naissance, et forment les vaisseaux du cordon ombi- heal (Voy. fig. 213, d). Les deux artères communiquent avec les iliaques, branches de l’aorte descendante. L’aorte descendante, double dans l’o- rigine, s’est promptement transformée en un seul tronc. La veine du cordon se réunit à la fois avec la veine porte (formée comme nous l’avons vu) et avec la veine eave, qui s’est développée dans le même temps (Voy. fig. 212, 0). Pendant le second mois, le système vasculaire du fœtus se complète ; au commencement du troisième mois, la seconde circulation, qui doit persister jusqu’à la naissance, est tout à fait établie. Voici, en peu de mots, comment les divers vaisseaux se constituent. Le cœur se courbe de plus en plus; la partie supérieure, qui fournissait les artères, devient inférieure ; la partie inférieure, qui recevait les veines, devient supérieure. On voit bientôt apparaître trois renflements : le premier, ou auriculaire, correspond aux oreillettes ; le second, ou ven- triculaire, correspond au ventricule droit; le troisième, placé à l’endroit où l'aorte (devenu unique à son insertion) s’abouche avec le cœur, a été désigné sous le nom de bulbe aortique; il correspondra plus tard au ven- tricule gauche, quand le cloisonnement des ventricules aura eu lieu. Ce cloisonnement est précoce ; il est terminé à la fin du second mois. Le cloisonnement des oreillettes est plus tardif ; il n’est guère prononcé avant le troisième ou le quatrième mois : alors il reste encore une large com- munication (érou de Botal) entre les deux oreillettes, et cette communi- cation persistera pendant toute la vie intra-utérine du fœtus. Les arcs aortiques, réunis à leur insertion au cœur en un seul tronc, se sont multipliés du côté céphalique, par les progrès du développement, en un certain nombre d’ares secondaires, qui correspondent aux tuber- cules formateurs de la face et du cou (Voy. $ 410). Ces ares, en se modi- liant, donnent naissance à la crosse de l’aorte, à l'artère pulmonaire, aux artères sous-clavières, aux artères carotides et à leurs branches. Ce qu'il faut surtout noter ici, c’est que de cette fusion ou de cette transformation des vaisseaux il résulte, entre l’aorte et l’artère pulmonaire, une large communication par l'intermédiaire d’un canal, quine s’oblitérera qu'après la naissance. Ce canal est le canal artériel. Les deux aortes descendantes, nous l’avons dit, se sont fusionnées en une seule; les iliaques ont pris naissance, et c’est sur ces dernières que s’implantent les artères du cordon (artères ombilicales). Ces artères (Voy. fig. 243, /, l), qui établiront, pendant toute la vie intra-utérine, une CHAP. VI, FONCTIONS DE L'EMBRYON, 939 communication vasculaire entre le fœtus et le placenta, disparaitront après la naissance, et se transformeront en cordons fibreux. Fig. 213. Les veines se sont dévelop- pées en même temps que les artères. Les veines du tronc et des membres, de même que les artères, prennent naissance sur place, aux dépens du blastème général. D'abord connues sous le nom de cardinales, et au nombre de quatre, les veines qui se jettent dans les cavités auriculaires du cœur seront bientôt réduites à deux (veine cave inférieure, veine cave su- périeure), et recueilleront le sang des diverses veines du corps qui ont pris naissance. Quand la seconde circulation est établie, le sang qui vient du placenta se dirige vers le fœtus, par la veine ombilicale du cor- don, et il retourne du fœtus au placenta, par l'intermédiaire des artères ombilicales. L’exis- tence du canal veineux, celle du canal artériel, et celle du érou de Botal, introduisent dans la cir- culation du fœtus certaines dif- ‘érences avec la circulation de l'adulte. Le sang, arrivé du placenta à lombilic par la veine ombilicale c (Voy. fig. 213), se divise en deux parties. Une portion pénè- tre dans le foie par les branches d, d, qui communiquent avec la veine porte. L'autre partie » 2 4 # Z 22 2 y V CA Z L Æ A A £ À À CIRCULATION FOETALE JUSQU'AU MOMENT DE LA NAISSANCE. &, placenta. b, cordon ombilical. c, veine ombilicale. dd, portion dela veine ombili- * calequiva au foie. L'autre portion,qui gagne la veine cave inférieure, porte le nom de canal veineux. ee, veine cave inférieure. f, oreillette droite. g, oreillette gauche. h, ventricule gauche. i, aorte ascendante. k£k, aorte descendante. ll, artères ombilicales. m, m, artères carotides. n, n, veines jugulaires. 0,'o, artères sous-clavières. P, P, Veines sous-clavières. g, veine cave supérieure. r, ventricule droit. s, artère pulmonaire four- nissant deux rameaux (coupés sur la figure) qui yont au poumon. La communication avec l'aorte porte le nom de canal artériel. 1, artère iliaque. v, veine iliaque, de la veine ombilicale, désignée sous le nom de canal veineux, gagne di- rectement la veine cave inférieure e. Le sang qui s’est introduit dans le foie est d’ailleurs destiné aussi à rejoindre la veine cave inférieure, par les veines sus-hépatiques !, Le sang engagé dans la veine cave inférieure 1 Ces veines ne sont pas représentées sur la figure. Elles procedent du foie et vont se jeter dans la veine cave inférieure, à lembouchure même du canal veineur. 940 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. arrive à l'oreillette droite f. La disposition de la valvule d’Eustachi, pla- cée à l’orifice de la veine cave inférieure, et l’existence du trou de Botal, font que la plus grande partie du sang passe de l'oreillette droite dans l'oreillette gauche g. De l'oreillette gauche le sang passe dans le ventri- cule gauche À, par l’orifice auriculo-ventriculaire ; puis les contractions du cœur le font passer dans l’aorte à, et dans toutes les branches de l'aorte, telles que les carotides m, m, les sous-clavières 0, 6, l’aorte des- cendante k, k. Le sang qui descend par l’aorte descendante s'engage en partie dans les iliaques {, et en partie dans les artères ombilicales Z, qui le ramènent au placenta. Le sang veineux, qui revient des parties supérieures de l'embryon, par les veines jugulaires n, n, par les sous-clavières p, p, et, en résumé, par le tronc de la veine cave supérieure q, arrive à loreillette droite f. Le sang veineux, qui revient des parties inférieures de l’embryon, par l’in- termédiaire des veines iliaques v, arrive également à l'oreillette droite, par le tronc de la veine cave inférieure e. C’est également dans l'oreillette droite qu'arrive le sang des intestins et du foie, par l'intermédiaire de la veine porte et des veines sus-hépatiques. Le sang veineux, qui arrive dans l'oreillette droite par la veine cave supérieure g, a plus detendance à passer dans le ventricule droit r, qu’à passer dans l'oreillette gauche, avecle sang qui arrive du placenta, bien qu'il se mêle cependant en partie avec lui. Du ventricule droit r, le sang s’engage dans l'artère pulmonaire s, qui le transmet dans la crosse de l'aorte par le canal artériel !. Le sang veineux, continuant son trajet dans l'aorte descendante 4, k, est en partie reporté au placenta par les artères ombilicales Z, /, pour y subir l’hémathose. Le sang qui arrive du placenta par la veine ombilicale est le sang arté- riel du fœtus; celui qui y retourne par les artères ombilicales est le sang veineux. Il est aisé de voir qu’en aucun point du système vasculaire de l'embryon, le sang artériel ne se trouve à l’état de pureté parfaite. Ce- pendant, le sang qui parvient à la tête et aux extrémités supérieures, quoique mélangé dans l'oreillette droite du cœur avec une certaine pro- portion de sang veineux, est plus hématosé que celui qui se répand dans les extrémités inférieures et dans la partie inférieure du tronc. La tête et les extrémités supérieures, en effet, recoivent le sang des artères caro- tides et sous-clavières avant la jonction du canal artériel, tandis que les extrémités inférieures recoivent le même sang que celui qui est entrainé par les artères ombilicales vers le placenta, pour être soumis à l’héma- tose. Il en résulte que le développement des parties supérieures l'emporte, au moment de la naissance, sur celui des parties inférieures du corps. S 415. Nutrition du fœtus. — Jusqu'au moment où les vaisseaux apparaissent dans l'œuf, celui-ci n’est pas resté stationnaire. Son volume a déjà beau- ! Une petile partie du sang s'engage dans les poumons par les artères pulmonaires; mais, jusqu'a la naissance, les poumons ont peu de volume, ainsi que les artères pulmonaires. CHAP. VI, FONCTIONS DE L’EMBRYON, 941 coup augmenté, comparativement à ce qu'il était dans la vésicule de Graaf et dans la trompe. Il n’avait originairement que 1/7 de millimètre, et il a, au moment où les vaisseaux apparaissent, la grosseur d’un petit pois. L’œuf s’est donc assimilé des matériaux plastiques venus du dehors, et ces matériaux, qu'il a puisés dans ies trompes et dans l'utérus, au travers de ses enveloppes, ont contribué à augmenter les dimensions de la vési- cule blastodermique, ainsi que la masse de blastème accumulée entre les feuillets du blastoderme : blastème aux dépens duquelse forment les pre- miers rudiments du système nerveux, ceux du cœur et ceux des vaisseaux. La première nutrition s'opère donc au travers de l’épaisseur des mem- branes de l’œuf, par voie d’imbibition et d’endosmose. L’absorption se trouve favorisée par les appendices ou villosités dont se couvre le cho- rion initial. Quand la première circulation est établie, la nutrition de l’œuf s’opère principalement à l’aide des vaisseaux qui se sont développés. Ces vais- seaux agissent par absorption sur les liquides contenus dans la vésicule ombilicale, de la même manière que les veines mésentériques de l’adulte absorbent, au travers de leurs parois, les sucs digestifs déposés à la sur- face intestinale. Quand la seconde circulation a fait place à la première, les échanges de nutrition s’opèrent par l'intermédiaire du placenta. Les vaisseaux du placenta fœtal, intimement appliqués et mélangés avec les vaisseaux des parois utérines (augmentées en ce point sous forme de placenta maternel), entretiennent entre le sang maternel et le sang fœtal un contact médiat, d’où résulte une série continue d'échanges. Les parties dissoutes, et sans doute les gaz du sang de la mère, entrent dans le sang du fœtus et le ren- dent propre à la nutrition, tandis que les parties devenues impropres à en- tretenir la vie du fœtus rentrent dans le sang de la mère et s'échappent ensuite, chez elle, par les diverses voies des sécrétions. Le placenta est donc tout ensemble, pour l'embryon, un organe de nu- trition et de respiration : un organe de respiration, car il redonne au sang, devenu impropre à l’entretien de la vie, des propriétés vivifiantes nouvelles ; un organe de nutrition, car c’est par lui principalement, si ce n'est uniquement, que sont fournis les matériaux du développement et de l’accroissement. L’embryon étant suspendu au milieu du liquide de la poche amnioti- que, pendant toute la durée de son développement, et jusqu’au moment de la naissance, on s’est demandé si les eaux de l’amnios ne constitue- raient pas pour l’embryon un liquide nourricier. Cela est peu vraisembla- ble. Le liquide de l’amnios, en effet, renferme une très-petite quantité de substances organiques !, et il contient souvent des produits de sécrétions. 1 Leliquide amniotique contient, indépendamment de quelques principessalins (Voy. S 405), environ 1! pour 100 d’albumine, M. Schlossberger a trouvé dans les eaux de l’amnios du fœtus de la vache 4 gramme de sucre pour 1000 grammes de liquide (fœtus de sept à huit semaines), 942 LIVRE IT, FONCTIONS DE REPRODUCTION. On à cru aussi que l’embryon pouvait, à la manière des poissons, ab- sorber les gaz dissous dans les eaux de l’amnios par une véritable respi- ration aquatique. Mais les eaux de l’amnios ne renferment ni oxygène, ni air atmosphérique, ni acide carbonique, eomme on le pensait. La respi- ration duifætus, c’est-à-dire les phénomènes d’hématose sont limités dans le placenta. Les eaux de l’amnios ont, d’ailleurs, une utilité mécanique incontesta- ble, en protégeant l'enfant dans les divers mouvements de la mère. S 414. Sécrétions du fœtus. — Les corps de Wolf, dont nous avons précédem- ment parlé ($ 410), se développent rapidement au commencement de la vie embryonnaire, et prennent un développement relativement considé- rable, eu égard au petit volume de l'embryon. Leur canal exeréteur com- munique avec l'extrémité inférieure du tube digestif et par conséquent avec la cavité de la vésicule allantoïde, qui en constitue pour ainsi dire le réservoir. Plus tard, la portion renflée du pédicule de la vésicule allan- toïde, qui doit seule persister et devenir la vessie, se mettra en connexion avec le rein, qui prend peu à peu la place des corps de Wolf. Chez les oiseaux, et aussi chez quelques mammifères, la vésicule al- lantoïde a une plus longue durée que dans l'espèce humaine; et, à di- verses reprises, on a signalé, dans le liquide qu’elle renferme, la présence de l’acide urique; d’où on a tiré la conclusion que le liquide de l’allan- toïde est le produit d’une sécrétion des corps de Wolf, sécrétion qui aurait avec la sécrétion urinaire une grande analogie. La manière dont se développe la vésicule allantoïde;, laquelle procède réellement de l’em- bryon (et non, comme la vésicule ombilicale , d’une simple modification du feuillet interne du blastoderme), tend à faire penser en effet que le li-, quide qui la remplit est bien un produit de sécrétion d’origine fœtale. Le liquide allantoïdien, d’abord transparent, contient une grande quan- tité d’eau, un peu d’albumine et quelques sels ‘. Il se trouble ensuite, à mesure que la vésicule allantoïde s’atrophie ; il devient jaune orangé; on y trouve des grumeaux plus ou moins consistants. Plus tard, 1l disparait ; les lames de la vésicule s’adossent à la surface interne de l’œuf (Voy. $ 408), et son pédicule se transforme en un cordon fibreux. Le liquide qui s’accumule dans la vésicule allantoïde a des usages mé- caniques importants. Il distend la vésieule, et la met bientôt en rapport avec la surface interne de l’œuf, de manière à établir, entre les vaisseaux de l’embryon et ceux de la mère, les communications d’où résulteront le placenta et le cordon ombilical (Voy. $ 409). La vésicule allantoïde et Plus tard, les eaux de l’amnios contiennent de l’urée : ce liquide renférmait des cristaux d'urée chez un fœtus de vache de dix-huit semaines. ‘ Le liquide allantoïdien du fœtus de vache renferme, vers la septième ou huitième Semaine, 4 grammes de sucre pour 1000 grammes de liquide (Sehlossberger). CHAP, VI, FONCTIONS DE L’EMBRYON. 945 le liquide allantoïdien disparaissent quand la connexion vasculaire entre la mère et le fœtus est établie. Quand la vésicule allantoïde a disparu, quand les reins ont fait place aux corps de Wolf, et quand les uretères, qui se sont développés dans le même temps, ont établi la continuité du système urinaire, la sécrétion urmaire s'établit. L'enfant, suspendu dans le liquide amniotiqué , émet par l’urètre une certaine proportion d'urine, qui se mélange avec les eaux de l’amnios 1. Dès la fin du troisième mois de la vie intra-utérine, on trouve dans l'intestin les produits de la sécrétion biliaire. A la fin du sixième mois, cette matière, connue sous le nom de méconium, est répandue dans toute l'étendue de l'intestin; la vésicule biliaire, qui s’est formée, en contient aussi. Le foie du fœtus sécrète donc de la bile. Il est évident que, dans cette période de la vie, la sécrétion biliaire n’est point en rapport avec les phénomènes de la digestion intestinale, car le fœtus ne digère point : ses aliments lui arrivent tout préparés par les vaisseaux du cordon, et sont immédiatement portés aux organes par les voies de la circulation. Le foie agit comme le rein : il élimine du sang une partie des matériaux devenus impropres à la nutrition. Le méconium, accumulé dans le gros intestin de l'enfant naissant, est généralement évacué par l’anus, peu après la naissance. Quelquefois cette évacuation se fait en partie pendant ja vie intra-utérine, dans les eaux de l’amnios. Vers le cinquième ou le sixième mois de la vie intra-utérine; le corps du fœtus se couvre d’une substance grasse adhérente à la peau (vernis caséeux). Cette substance, analogue au produit des glandes sébacées, est une matière de sécrétion, et non un dépôt des eaux de l’amnios, car on n’observe rien de semblable à la face interne de la membrane amnios. Le vernis caséeux est destiné à faciliter le passage du fœtus par les voies de la génération, au moment de l’accouchement. S 415. Mouvements du fœtus. — Les phénomènes de la vie de relation du fœtus sont à peu près bornés à des mouvements automatiques. Chez le fœtus, de même que chez l'adulte, les mouvements sont déterminés par la contraction des muscles. Mais pendant la période embryonnaire, les muscles de la vie animale, de même que les muscles de la vie organique, ne se contractent que par action réflexe (Voy.$ 344). C’est vers le milieu du cinquième mois, quand les muscles et les leviers du mouvement ont acquis un certain développement, que la femme sent généralement re- muer son enfant. Quant aux mouvements respiratoires du fœtus, qu’on aurait observés sur les chiens et sur les chats encore contenus dans les membranes et les ! Le vice de conformation congénital, consistant dans l’imperforation de l’urètre, est ac- compagné d’une distension énorme de la vessie, et quelquefois même de sa rupture, 944 LIVRE HI, FONCTIONS DE REPRODUCTION. liquides de l'œuf, ce sont des mouvements passagers et irréguliers, ana- logues aux mouvements des membres et de tous les autres muscles du corps. Ces mouvements n'ont point pour but d'introduire dans les bron- ches et dans les poumons les eaux de l’amnios et de les expulser ensuite, car le fœtus ne trouve point dans ce liquide les gaz de la respiration. Nous en dirons autant des mouvements des lèvres et des mouvements de déglutition, qu'on a parfois observés dans les mêmes circonstances : le fœtus ne se nourrit point aux dépens des eaux de l’amnios, mais par l’in- termédiaire des vaisseaux du cordon. La couche musculeuse de l'intestin, des parois de la vessie, ete., éprou- vent aussi des mouvements pendant la vie intra-utérine, Au moment de la naissance, en effet, le méconium est arrivé à l’extrémité inférieure du tube digestif, et, d’un autre côté, une certaine quantité d'urine a été éva- cuée dans les eaux de l’amnios. CHAPITRE VIL GESTATION ET LACTATION. S AIG. L'uiérus pendant la grossesse. — De la membrane eaduque, — À mesure que l’œuf fixé dans l'utérus se développe, la cavité utérine se dé- veloppe avec lui. L’excavation du bassin ne peut bientôt plus contenir la matrice , qui s'élève vers la cavité abdominale. Vers la fin du troisième mois, le fond de l’utérus dépasse le niveau du pubis ; au sixième mois, il s'élève jusqu’à l’ombilic ; au neuvième mois enfin, il est parvenu au creux de l’estomac, c’est-à-dire au niveau du côlon transverse. Pendant que la cavité utérine s’accroit, les parois de l'utérus, qui dans l'état de vacuité ne laissaient que difficilement reconnaitre leur nature musculeuse, à l’œil nu tout au moins, deviennent plus distinctement musculaires. Les artères et les veines utérines augmentent de volume, leurs flexuosités deviennent plus nombreuses. La membrane muqueuse surtout se modifie profondément, et finalement, quand l’œuf développé remplit la cavité utérine, cette membrane l'entoure en lui formant une enveloppe, qu'on désigne sous le nom de membrane caduqgue. La mem- brane muqueuse de l’utérus, transformée en membrane caduque et ap- pliquée sur le chorion de l’œuf, se détache peu à peu de l'utérus, et est expulsée au moment de l’accouchement, avec les autres enveloppes de l'œuf, dont elle forme la tunique la plus extérieure. A une époque encore peu éloignée de nous, on croyait que la mem- brane caduque était une membrane de nouvelle formation, développée à la surface utérine, au moment de la fécondation, par l'intermédiaire d’une CHAP, VII, GESTATION ET LACTATION. MU sécrétion de lymphe plastique. On croyait que l’œuf fécondé , arrivant dans l'utérus, trouvait cette membrane nouvelle , formant alors dans la cavité utérine une sorte de sac sans ouverture; on supposait que l'œuf la refoulait et s’en coiffait ; d’où formation d’une caduque soulevée par l’œuf, ou caduque réfléchie. Cette caduque réfléchie, refoulée de plus en plus par le développement de l’œuf vers le feuillet de la caduque appliqué à la pa- roi opposée de l'utérus (caduque directe), finissait, disait-on, par se fondre avec ce feuillet, pour n’en plus former qu’un seul. On supposait que ces deux feuillets, réunis par fusion, enveloppaient l’œuf sur tous les points par lesquels l’œuf n’adhérait point à l'utérus. On admettait encore que, par suite d’une sécrétion plastique secondaire, ilse formait entre la paroi utérine et l'œuf (dans le point correspondant à l'insertion de l’œuf) une caduque tardive, qui venait compléter l’enveloppe de l'œuf. Aujourd’hui , de nombreuses observations faites à toutes les périodes du développement ont clairement démontré que la membrane caduque n’est autre que la membrane muqueuse de l’utérus, qui se détache à cha- que grossesse, s'échappe au dehors avec les enveloppes de l’œuf, et se re- produit ensuite. La membrane muqueuse de l'utérus a une épaisseur beaucoup plus grande que la plupart des autres membranes muqueuses. Elle mesure à elle seule près du quart de l’épaisseur de la paroi utérine : elle a environ 1/2 centimètre d'épaisseur sur l'utérus dans l’état de vacuité. A l’orifice des trompes et à l’orifice du col utérin, cette membrane va s’amincissant, pour se continuer avec la muqueuse des trompes et du vagin; elle n’a guère en ces points plus de 4 millimètre à 1/2 millimètre d’épaisseur. Cette membrane contient un grand nombre d'éléments glandulaires constitués par des tubes de 1/10 de millimètre de diamètre. Ces tubes, très-rappro- chés les uns des autres, mesurent toute l’épaisseur de la muqueuse; ils se terminent, du côté de la tunique charnue de l'utérus, par des extrémi- tés en cul-de-sac , et ils s'ouvrent à la surface libre de la cavité utérine, soit isolément, soit en se réunissant à d’autres. La membrane muqueuse reçoit un grand nombre de vaisseaux, qui circulent autour de ces éléments glandulaires. Pendant que l’ovule fécondé parcourt la trompe, et avant qu’il ne tombe dans l’utérus, la muqueuse devient le siége d’une congestion concomi- tante , et elle s’hypertrophie dans tous ses éléments. L’œuf, en arrivant dans l'utérus, trouve la cavité de cet organe à peu près remplie par les circonvolutions de la muqueuse tuméfiée ; il se fixe dans une des anfrac- tuosités de cette membrane, et en un point généralement voisin de la trompe. IL est rare que l’ovule descende dans la cavité utérine , jusque dans le voisinage du col de l’utérus, avant de se fixer !. 1 Lorsque cela a lieu, les liens vasculaires que l'embryon contractera plus tard avec sa mère peuvent s'étendre sur le col de l'utérus, et donner lieu à une implantation vicieuse du placenta. Cette implantation, quand elle existe, donne lieu à des hémorrhagies graves, qui compliquent la grossesse et l’aceouchement. 60 946 LIVRE INT, FONCTIONS DE REPRODUCTION, Pendant que le chevelu du chorion (Voy. $ 408) établit les premières connexions de l’œuf avec l’utérus, la muqueuse se soulève autour de l’œuf, et lui forme d’abord un chaton. Puis l’œuf est bientôt complétement entouré par la muqueuse, dont les bords soulevés se réunissent au-dessus de lui, de la même manière qu’on voit parfois les bourgeons plastiques d’un cautère se refermer au-dessus du pois placé dans la petite cupule du derme. Le très-petit volume de l’œuf rend cet emprisonnement très-rapide. Une fois qu’il est ainsi entouré de toutes parts par la membrane mu- queuse utérine, l’ovule continue à s’accroître. La portion de muqueuse qui le recouvre, et qui représente ce qu’on désignait autrefois sous le nom de caduque réfléchie, se rapproche de plus en plus de la muqueuse placée du côté opposé de la paroi utérine (caduque directe); elle finit par s’y adosser. Les deux feuillets, d’abord juxtaposés, finissent bientôt par se confondre. La structure glanduleuse des feuillets de la caduque disparaît peu à peu, les vaisseaux qu’ils contenaient s’atrophient; l’épais- seur de ces feuillets devient de moins en moins grande : au septième mois de la grossesse, les deux feuillets réunis de la caduque n’ont guère plus de 1 millimètre d'épaisseur. Dès le quatrième mois de la grossesse, les adhérences de la portion directe de la caduque, c’est-à-dire de celle qui est en rapport avec la tunique musculeuse de l’utérus, ces adhérences, disons-nons, commencent à devenir moins intimes. Sous ce feuillet, qu’on peut alors arracher par lambeaux plus ou moins étendus, on voit le tra- vail de régénération de la muqueuse utérine, qui commence à s’établir. Lorsque, au moment de l’accouchement, la membrane caduque sera expulsée avec les membranes de l’œuf, le travail de régénération sera déjà très-avancé et presque terminé. Tandis que les feuillets réfléchis et directs de la caduque deviennent anhystes, s'amincissent et se confondent, le point de la muqueuse sur la- quelle l’œuf s’est primitivement fixé continue au contraire à augmenter d'épaisseur et à s’hypertrophier. Loin de disparaître, comme dans les autres points de la caduque, les vaisseaux prennent ici un développement considérable. C’est à cette partie de la membrane caduque utérine qu’on a donné le nom de caduque énter-utéro-placentaire. C'est dans l'épaisseur de cette portion de la membrane caduque, dont le développement vascu- laire va croissant, qu’apparaît l’ensemble ramifié des vaisseaux auxquels on donne le nom de placenta maternel, et c’est dans cette portion de la caduque utérine que s’engrènent les cotylédons du placenta fœtal déve- loppés aux dépens du chorion (Voy. $ 409). $S 417. Phénomènes généraux et signes de la grossesse, — Les commence- ments de la grossesse s’annoncent ordinairement par un trouble nerveux, caractérisé par des nausées et des vomissements. L’appétit est diminué ; quelquefois il existe un profond dégoût pour les aliments. Les époques / CHAP. VII. GESTATION ET LACTATION. 947 plus avancées de la grossesse offrent parfois des perversions singulières du goût, qui font désirer à la femme les substances les plus indigestes et les plus dégottantes. A mesure que l'utérus se développe et gagne la cavité de l’abdomen, il refoule et comprime les organes contenus dans le bassin et dans le ven- tre. Dans le principe, il presse sur le canal de l’urètre, et occasionne par- fois des rétentions d’urine qui nécessitent l’emploi de la sonde. Plus tard, l'utérus comprime la vessie et le rectum. La capacité du réservoir urinaire et celle du réservoir fécal étant diminuées, on voit survenir des envies fréquentes d’uriner et d’aller à la garde-robe, et les évacuations n’ont lieu la plupart du temps qu'avec une certaine difficulté. La compression que l'utérus exerce sur les vaisseaux du bassin peut déterminer des dilatations variqueuses des veines, et aussi une infiltration plus ou moins prononcée des membres inférieurs et des parties extérieures de la génération. La compression des nerfs pelviens et cruraux explique les crampes ou les engourdissements des membres abdominaux, qui tourmentent souvent les femmes dans les dernières périodes de la grossesse. La matrice, en s’élevant et en refoulant la masse intestinale et les or- ganes contenus dans le ventre, exerce une influence marquée sur les phénomènes respiratoires , en rendant les contractions du diaphragme moins étendues. La gêne de la respiration est surtout très-marquée dans les derniers mois. Les dernières périodes de la gestation sont caractérisées par une dimi- nution notable dans le chiffre des globules du sang. C’est à cette diminu- lion qu'est dù l’état de fatigue et d’épuisement dans lequel tombent les femmes dans les dernières semaines qui précèdent l'accouchement. Les troubles qui surviennent alors ont été souvent, mais à tort, attribués à un état pléthorique. Le chiffre de la fibrine présente aussi une légère augmentation. Les signes de la grossesse peuvent être tirés en partie des changements que l’augmentation de volume de l’utérus entraîne dans la santé générale de la femme; mais comme le développement de l’utérus peut tenir à d’au- tres causes qu’à la présence du fœtus, il n’y a de signes certains de gros- sesse que ceux qu'on peut tirer de la présence du fœtus lui-même. Notons cependant que la suppression des règles est, dans l’immense majorité des cas, chez la femme bien portante, la première présomption sérieuse de grossesse. Il ne faut pas oublier, toutefois, que les règles peu- vent se supprimer sans qu'il y ait grossesse, et que, d'autre part, elles peuvent persister, dans quelques cas rares, surtout pendant les premiers mois, quoiqu'il existe un fœtus dans l’utérus. Le col de l’utérus participe à la tuméfaction générale de l'utérus, et, comme on peut l’examiner par l’intérieur du vagin, il peut, dans les pre- miers mois de la conception, fournir quelques indications sur la probabi- lité de la grossesse. À une époque plus avancée de la grossesse, le vagin 948 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION, diminue de hauteur, par suite du développement par en bas de l'utérus. Dans les dernières semaines, l’ouverture du col s'agrandit, et l’accouche- ment se prépare. Bientôt cette ouverture devient aussi grande que l’aire du vagin, et les lèvres du col disparaissent. Vers la fin du troisième mois, l’utérus, en dépassant le niveau du pubis, peut être senti directement par la dépression de la paroi abdominale. En introduisant en même temps le doigt dans l’intérieur du vagin et en sou- levant le col de l'utérus, on peut aussi sentir une sorte de ballottement qui peut faire présumer, jusqu’à un certain point, que l'utérus contient le produit de la conception. Plus tard ( de trois mois et demi à quatre mois et demi), les mouvements du fœtus ressentis par la mère constituent l’un des signes les plus certains de la grossesse. A la même époque, les battements du cœur du fœtus commencent à être distinctement entendus, à l’aide du stéthoscope appliqué sur l’abdomen de la femme, et viennent donner plus de certitude au diagnostic. Cet examen fournit d’ailleurs, sur la position du fœtus dans le sein de sa mère, des notions précieuses. S A8. Grossesses extra-utérines, — Il arrive quelquefois, par exception, que l’ovule, en se détachant de l'ovaire, au lieu de s’engager dans la trompe et de parvenir dans l’utérus pour s’y développer, s’échappe dans la cavité abdominale, ou bien s'arrête dans l’intérieur de la trompe et subit, dans le point où il s'est anomalement fixé, les phases de son développement. On peut diviser les grossesses extra-utérines en trois groupes : tantôt l'œuf se fixe et se développe dans l’abdomen (grossesses abdominales); tan- tôt il se développe dans un point variable de la trompe (grossesses tubai- res); tantôt, au lieu de tomber dans l’intérieur de l’utérus, il s’arrête dans la portion de la trompe qui perfore le tissu utérin, et l’œuf semble se dé- velopper dans l'épaisseur même des parois utérines (grossesses intersti- tielles). Chacun de ces groupes présente des variétés nombreuses, suivant les parties déprimées par les progrès du développement fœtal. Les grossesses extra-utérines, dites grossesses ovariques, c’est-à-dire celles où l’œuf paraît se développer dans l'épaisseur de l'ovaire lui-même, ne sont que des grossesses abdominales. Seulement, ici, l’ovule fécondé après rupture de la vésicule de Graaf s’est développé sur lovaire lui- mème. Le kyste, dont l’œuf s’entoure par les progrès du développement, etles membranes de l’œuf lui-même, ont pu seuls faire croire que l’ovule s'était développé dans l’intérieur même de la vésicule de Graaf, sans rup- ture préalable. Dans les grossesses extra-utérines, qui ont pour siége des points va- 1 Les battements du cœur du fœtus sont beaucoup plus fréquents que les battements du cœur de la mère : vers la fin de Ja vie intra-utérine, on en compte environ 150 à 160 par minute, c’est-à-dire à peu pres le double des pulsations maternelles. On ne peut done confondre les pulsations du cœur du fœtus avec les battements artériels de la mère. CHAP. VII, GESTATION ET LACTATION. 919 riables de la trompe, la fécondation a pu s’opérer dans la trompe elle- même ; mais, dans les grossesses abdominales, la fécondation a eu lieu nécessairement sur l'ovaire lui-même. Nous savons que chez les animaux, bien que la fécondation ait lieu le plus souvent dans l’intérieur de la trompe, elle peut cependant s’opérer aussi sur l'ovaire ; on a trouvé sou- vent, en effet, quelques jours après l’accouplement, du sperme sur lo- vaire, alors que les vésicules de Graaf, arrivées à maturité, n'étaient pas encore rompues (Voy.S 400). Les ovules qui s’échappent de l’ovaire dans ces conditions ont donc été fécondés immédiatement à leur sortie. Si, maintenant, en vertu de causes qui nous échappent, le pavillon ne s’ap- plique pas convenablement sur l’ovaire, pour recevoir dans son intérieur l’ovule qui sort de la vésicule de Graaf, on conçoit que l’ovule fécondé puisse s’échapper dans la cavité abdominale, s’y fixer par le développe- ment du chevelu du chorion, et lier bientôt, par l'intermédiaire des vais- seaux allantoïdiens, des communications vasculaires avec le point de la cavité abdominale correspondant à l’œuf, point dans lequel les vaisseaux maternels s’accroissent aussi simultanément. On ignore également les causes en vertu desquelles l’œuf,normalement engagé dans le pavillon de la trompe, s'arrête en ce point, ou dans d’au- tres points de la trompe, pour y suivre les phases de son développement. Il est rare, au reste, que la grossesse extra-utérine parcoure la durée de la grossesse normale, et le développement du fœtus ne s’étend guère au delà du cinquième mois. L’embryon meurt souvent avant cette épo- que. Il subit alors des transformations particulières, et ordinairement la femme succombe à une péritonite. D’autres fois il se forme un vaste abcès autour du fœtus; cet abcès se fait jour soit par la cavité de la vessie, soit par la cavité vaginale, soit même à la région abdominale, dans le voisi- nage de l’ombilie, et le fœtus est expulsé par fragments, avec la suppu- ration. Dans les cas très-rares de grossesse extra-utérine, où le fœtus est arrivé au terme de son développement complet, on a pu quelquefois l’extraire vivant du corps de la mère par une opération chirurgicale?. S 419. Accouchement. — Lorsque le fœtus a acquis le développement compa- tible avec l’existence nouvelle dont il doit vivre désormais, il est expulsé du corps de sa mère par un travail particulier, qui constitue l’accouche- ment. L'époque à laquelle arrive lexpulsion du fœtus est de neuf mois dans l’espèce humaine, ou à peu près 275 jours après le moment de la ‘ On a souvent fait intervenir les impressions morales vives, telles que la frayeur, la colère, ou des chutes coïncidant avec la rupture des vésicules de Graaf, On ne sait rien de bien positif à cet égard. ? Dans les quelques cas de grossesse extra-utérine terminés par la naissance d’un enfant vivant, la sortie de l’enfant a été effectuée par une large incision pratiquée sur les parois du vagin ou sur les parois du rectum. 950 LIVRE III. FONCTIONS DE REPRODUCTION. conception. Il arrive que les femmes se trompent souvent sur l’époque présumée de l’accouchement, parce qu'elles rapportent le moment de la fécondation au rapprochement des sexes. Nous avons vu que ces deux choses ne sont point simultanées, et qu’elles peuvent être séparées l’une de l’autre par un intervalle de plusieurs jours. Quelquefois la durée de la grossesse est moindre et l’expulsion du fœtus peut avoir lieu à huit mois ou à sept mois. Dans ces cas, l’enfant naït en- core viable, mais sa naissance est dite précoce, et les premiers moments de sa vie sont entourés de périls. Lorsque l’accouchement a lieu avant cette époque, l'enfant n'est plus viable, et la naissance prématurée prend le nom d'avortement. L’avortement peut d’ailleurs être naturel, ou avoir été provoqué soit par des violences extérieures, soit par des manœuvres coupables. Au moment de l'accouchement, le fœtus contenu dans la matrice, et baigné par les eaux de l’amnios, présente le plus ordinairement une po- sition telle, que l'utérus offre, dans son ensemble, la forme d’un ovoïde à petite extrémité dirigée en bas. Cette forme, accommodée aux dimensions respectives du bassin et de l'abdomen, tient à ce que l'enfant a la tête di- rigée par en bas, le siége tourné en haut, et les membres fléchis dans leurs articulations. Les cuisses sont appliquées contre l’abdomen; les jam- bes, légèrement croisées, sont fléchies sur les cuisses; la plante du pied, dirigée en haut, se trouve au même niveau que le siége; les membres antérieurs, également fléchis, sont appliqués contre la poitrine. Quelquefois la tête est tournée par en haut et le siége par en bas, ou bien encore le fœtus est placé transversalement dans la cavité utérine, de ma- nière à se présenter par le côté à l'ouverture utérine; ce sont là des cas rares, qui appartiennent à la pathologie obstétricale, et qui rendent sou- vent nécessaire l'intervention de Part. L'accouchement est généralement annoncé, quelques jours avant le travail, par des douleurs ‘dans les reins. Ces douleurs se font sentir par accès, et reviennent à des intervalles plus ou moins rapprochés et plus ou moins réguliers ; puis les douleurs changent de siége; elles se rappro- chent du bassin : ce sont les premières contractions de l’utérus. Ces dou- leurs, d’abord assez légères, deviennent de plus en plus fortes et de plus en plus rapprochées, et le travail de l'accouchement commence. La sécré- tion muqueuse du vagin augmente et lubrifie le canal que doit parcourir le fœtus. Par l'ouverture dilatée du coi de l'utérus on sent distinctement les membranes de l’œuf (poche des eaux), qui font une sorte de hernie. Les membranes de l’œuf cèdent bientôt sous l’effort des contractions uté- rines; elles se rompent et laissent écouler au dehors les eaux de l’amnios. La rupture de la poche des eaux peut avoir lieu prématurément, à l’é- poque où le col n’est pas suffisamment dilaté pour donner passage à * Quelques enfants nés à six mois et demi, et même à six mois, ont pu vivre, mais ce sont Jes cas exceptionnels. CHAP. VII. GESTATION ET LACTATION. 951 l'enfant ; il en résulte généralement un certain retard dans l’accouche- ment. D’autres fois la rupture est tardive, et entraîne seulement la sortie de quelques gouttes de liquide, parce que la tête du fœtus, qui s'engage immédiatement dans l’ouverture du col, fait obstacle à son écoulement ; dans ce cas, les eaux s’écoulent, soit après la sortie de l’enfant, soit avec l'enfant, aussitôt que la tête est passée. Les eaux, en s’écoulant, lubrifient les parois du vagin et le préparent au passage de l’enfant. Les douleurs de la femme deviennent extrême- ment violentes. Aux contractions de l’utérus viennent se joindre celles des muscles abdominaux et aussi celles de tous les muscles du tronc. La contraction puissante des muscles entraîne tous les effets des efforts vio- lents (Voy. $ 240). Des inspirations saccadées se succèdent rapidement pour consolider la cage thoracique et fournir des points fixes à la con- traction des muscles ; la face s’injecte, le cœur bat avec force, la tête de l’enfant franchit le col de l'utérus et s’avance dans le vagin. La vulve, plus rétrécie que le vagin, présente un nouvel obstacle, accompagné, sur- tout chez les primipares, de nouvelles et très-vives douleurs. Enfin la tête franchit l’ouverture vulvaire, dont l'agrandissement se trouve favo- risé par le relâchement qu'ont éprouvé, vers la fin de la grossesse, les ligaments de la symphyse pubienne. Quand la tête a franchi l’ouverture de la vulve, le reste du corps sort rapidement. Au moment où l’enfant apparaît au dehors, toutesles parties de l’œuf ne l’accompagnent point, excepté dans des cas très-rares. Les membranes de l’œuf et le placenta sont encore dans l’utérus, et l’enfant tient au pla- centa par le cordon ombilical. Quoique entièrement sorti du corps de la mère, l'enfant y tient encore par le cordon. L’art intervient alors : on sépare l'enfant de sa mère par la section et la ligature du cordon, prati- quées à quelques centimètres de l’ombilic. L'intervention de l’art ne se- rait pas, à la rigueur, absolument indispensable ici, car l'accouchement est une fonction naturelle. L'enfant, dont la respiration commence aussi- tôt qu'il est né à la lumière, pourrait rester entre les cuisses de sa mère, continuer à vivre et à respirer jusqu’au moment où les membranes et le placenta se détachent de l’utérus. Le cordon, qui ne livre plus passage au sang, se dessécherait, s’atrophierait ensuite au niveau de l’ombilie, s’en détacherait par un travail analogue à la chute des escarres, et le fœtus se trouverait enfin débarrassé de ses annexes. Mais la séparation artificielle du fœtus présente des avantages incontestables, qui en ont fait un précepte universellement suivi. Indépendamment de ce que la sortie du délivre (membrane et placenta) peut être quelquefois assez tardive, on soustrait, d’une autre part, l'enfant au contact des liquides qui se sont écoulés des organes de la mère pendant l’accouchement, et on peut plus commodément le préserver du froid, auquel il est alors extrêmement sensible. Peu de temps après la sortie de l’enfant et la section du cordon, c’est- 952 LIVRE III. FONCTIONS DE REPRODUCTION, à-dire au bout d’un quart d'heure environ, ou d’une heure au plus, le délivre, devenu inutile, se détache généralement de lui-même, par un travail de séparation, qui a commencé dès les premiers temps de l’ac- couchement. Lorsque la sortie des membranes et du placenta se fait trop attendre, le chirurgien intervient, et hâte cette sortie par des tractions légères sur la portion du cordon restée dans les organes maternels. Cette manœuvre doit être pratiquée avec de grands ménagements, afin de ne point déterminer d’hémorrhagie grave ou de renversement de matrice. Aux violentes douleurs et aux efforts de l’accouchement succède un profond abattement. La matrice revient sur elle-même, et diminue rapi- dement de volume. Au moment de la séparation du placenta, il s’est écoulé une assez grande quantité de sang; le décollement du placenta, qui entraîne avec lui des lambeaux de la caduque inter-utéro-placentaire, ne se fait pas sans déchirure de vaisseaux. L’écoulement sanguin conti- nue encore pendant quelques jours, mélangé de caillots dont l’expulsion ne se fait pas toujours sans douleurs. Puis, l'écoulement de sang diminue d’abondance; il se transforme d’abord en une mucosité roussâtre ; et, quand la fièvre de lait est terminée, en un liquide albumineux, ordinai- rement peu coloré. Cet écoulement, désigné sous le nom de ochies, cesse généralement au bout de dix à quinze jours. L’utérus est alors assez revenu sur lui-même pour ne plus dépasser le pubis. Ce n’est guère qu’au bout de six semaines ou deux mois qu'il a repris ses dimensions premières : c’est aussi à ce moment que l’écoulement menstruel se rétablit. S 420. Lactation. — Durant la seconde moitié de la grossesse, les seins ont graduellement augmenté de volume, et se sont peu à peu préparés à la sécrétion du lait. Vers le deuxième ou le troisième jour qui suit l’accou- chement, les seins deviennent durs et douloureux, et il s’établit en même temps un mouvement fébrile plus ou moins intense, auquel on donne le nom de fièvre de lait. Au bout de vingt-quatre heures, la fièvre diminue et disparait; la sécrétion du lait est établie. Les seins, moins durs, restent volumineux. Ils fournissent d’abord un liquide peu riche en matériaux nutritifs (colostrum). Ce liquide revêt peu à peu les qualités du lait. Les mamelles, qui sécrètent le lait, appartiennent à la classe des glandes en grappes (Voy. $ 169). Elles consistent essentiellement dans le groupe- ment de vésicules, terminées par de petits conduits qui s’unissent entre eux et forment, par des réunions successives, quinze ou dix-huit cananx excréteurs. Ces canaux convergent vers l’aréole mammaire, forment un faisceau qui occupe le centre du mamelon, et qui, après avoir parcouru sa longueur, s'ouvrent à son sommet par des orifices étroits, cachés par les inégalités du derme. Les éléments vésiculeux ou glandulaires de la mamelle sont parcourus par des vaisseaux dont le développement aug- mente pendant la gestation; ils sont réunis entre eux par un tissu cellu- CHAP. VII, GESTATION ET LACTATION, 953 laire, infiltré de {tissu adipeux, qui prend souvent un grand développe- ment. Les mamelles volumineuses ne sont pas toujours le signe d’un grand développement de la partie glandulaire. La glande mammaire pré- sente quelque chose de "particulier dans la disposition de ses canaux ex- créteurs. Ces canaux, avant d'atteindre l’aréole du mamelon, offrent des dilatations nombreuses , qui constituent des réservoirs multiples, dans lesquels s’accumule le lait sécrété pendant les intervalles de l’excrétion. Ces petits réservoirs ont souvent plus de 1/2 centimètre de diamètre. Les canaux qui traversent l’épaisseur du mamelon sont beaucoup plus fins, et n’ont guère qu’une fraction de millimètre d'épaisseur. Les parois de ces canaux, comme celles de tous les canaux excréteurs des glandes, 'con- tiennent des fibres musculaires lisses. Ces fibres représentent des sortes de sphincters qui s'opposent à l’écoulement continu du lait. Le mamelon est formé par un tissu cellulo-fibreux, parsemé de fibres musculaires lisses, et parcouru par un grand nombre de vaisseaux; il peut augmenter de volume, comme les tissus érectiles, par la distension momentanée des vaisseaux qui le parcourent. Le mamelon s’érige chez la femme dans les mêmes conditions que les corps caverneux des or- ganes de la génération, et aussi sous l'influence de l'excitation mécanique. Des mamelons très-peu développés, et qui, au premier abord, paraissent insuflisants pour l’allaitement, prennent, sous l'influence des efforts de succion de l’enfant, des dimensions qui leur permettent d'atteindre par- faitement leur but. Les mamelles sécrètent le lait comme toutes les autres glandes sécrè- tent leur produit de sécrétion, c’est-à-dire aux dépens du sang apporté à la glande par les artères mammaires. La sécrétion du lait présente ce- pendant quelques caractères particuliers. Elle est périodique, c’est-à-dire qu’elle ne se manifeste qu'après l'accouchement, et qu’elle a une durée subordonnée à celie de l'allaitement !. L’évacuation du produit sécrété ne s'opère que sous l'influence d’une action extérieure, pression ou suc- cion ; tandis que les produits de sécrétion des autres glandes s’échappent sous la seule influence des contractions de leurs réservoirs ou de leurs canaux d’excrétion. Lorsque les sinus dont nous avons parlé sont disten- dus par les produits sécrétés, il n’est pas rare cependant qu'une petite proportion de lait s'écoule au dehors sous l'influence de leurs contractions spontanées. C’est ce qu’on observe principalement dans les premiers temps, lorsque la femme, quoique mère, ne nourrit pas son enfant. Pendant l'allaitement, et tant que la sécrétion du lait s’accomplit, les règles de la femme sont généralement suspendues, et elles ne reprennent leur cours que quand l'allaitement est terminé, époque qui arrive vers le dix-huitième ou le vingt-quatrième mois de la vie de l'enfant. Lorsque ! On rapporte dans la science quelques faits exceptionnels de femmes qui, n'ayant jamais conçu, ont eu du lait au point de pouvoir allaiter, La sécrétion du lait s’est même montrée parfois chez l’homme. 954 LIVRE IT, FONCTIONS DE REPRODUCTION. la femme n’allaite point, la sécrétion du lait diminue peu à peu, et elle se supprime tout à fait vers la sixième semaine, époque à laquelle repa- raît alors le flux menstruel. Il arrive parfois que les règles se rétablissent chez la femme, pendant la période de l'allaitement. Lorsque la femme qui allaite est une nourrice à gages, elle dissimule la plupart du temps la réapparition des menstrues. On a remarqué, en effet, que pendant l'écoulement menstruel, le lait diminue souvent de quantité. Cependant ce n’est point là une règle sans exceptions, et celles-ci sont nombreuses. D'ailleurs, la diminution de sé- crétion porte principalement sur l’eau du lait. Toutes les fois que les règles apparaissent chez une nourrice, il faut donc, non lui retirer son nourrisson, car il est possible qu’elle puisse encore le conduire à bonne fin, mais surveiller de près l’enfant, pour voir si sa santé se maintient. La femme qui allaite est dans une situation peu favorable pour être fécondée, le travail de la menstruation étant suspendu. Les exemples de conception pendant l'allaitement ne sont pas rares cependant. La dispo- sition à être fécondée coïncide généralement avec la réapparition hâtive des menstrues. Quand une grossesse survient ainsi au milieu de l’allaite- ment, le lait diminue généralement de quantité; cette diminution va croissant, à mesure que le nouveau fruit prend un plus grand développe- ment; dans les dernières périodes de la grossesse, le lait ne suflit plus, ordinairement, à la nourriture du premier enfant. Quelques femelles d’a- nimaux allaitent et portent en même temps, et l’on en a conclu que ces deux états pouvaient s’allier aussi chez la femme : une foule d'exemples prouvent qu'il est loin d’en être toujours ainsi. S 491. Lait. — Le lait est la première nourriture de l'enfant : il doit faire la base de son alimentation pendant toute la durée du premier âge. Le lait est un liquide blanc, d’une saveur douce et agréable, d’une den- sité peu supérieure à celle de l’eau (la densité de l’eau étant 100, celle du lait est 103). Lorsqu'on l’abandonne à lui-même, il se sépare en trois parties principales. L'une vient à la surface former la crème ; l’autre, d’a- bord en dissolution dans le lait, se concrète et forme le caséum (fromage). La troisième portion du lait, ou sérum (petit-lait), est un liquide jaunâtre, limpide ou légèrement opalin, constitué par de l’eau tenant en dissolution des matières salines, et une substance particulière nommée sucre de lait. Quand on examine le lait au microscope, on constate qu'il est constitué par un véhicule liquide, tenant en suspension des parties solides ou glo- bules du lait. La partie liquide contient l’eau, les sels, le caséum à l’état de dissolution et le sucre de lait. Cette dernière substance (sucre de lait) se transforme spontanément, au bout de quelques jours, en un principe acide (acide lactique), lequel détermine la coagulation du caséum et la CHAP. VII, GESTATION ET LACTATION, 955 séparation du petit-lait. La coagulation du caséum peut être obtenue ar- tificiellement dans le lait frais, par l’addition des acides. Les globules du lait sont des vésicules de volume très-variable. Les uns ont les dimensions des globules du sang (0w®,005) ; les autres ont un vo- lume deux, trois ou quatre fois plus considérable. C’est dans l’intérieur des globules qu'est contenue la matière grasse du lait, c’est-à-dire le beurre. L’enveloppe des globules est de nature caséeuse ou albumineuse. Lorsque, par le battage, on sépare le beurre du laït, les globules se dé- truisent; on ne les retrouve plus dans le liquide caséeux qui reste après l'opération. Le battage, en détruisant les enveloppes des globules, met en liberté la matière grasse demi-solide qui y est contenue, et la ras- semble en masse sous forme de beurre. L'analyse du lait de la femme a été souvent pratiquée. Voici les ana- lyses les plus récentes : AA #11 D'APRÈS ANALYSE D'APRÈS D APRÈS MM. VERNOIS U LAIT DE LA FEMME. M. LEHMANN. | M. REGNAULT. sk = he + BECQUEREL. AR le se aie der né 89,8 88,6 88,9 Caséum et sels insolubles,. . 5,9 8,9 5,9 Pennrene admictee ane 2,0 2,6 24 Sucre de lait et sels solubles. . 4,7 4,9 4,5 100 » 100 » 100 » Ainsi de l’eau, du caséum, du beurre, du sucre de lait et des sels, telle est, en somme, la constitution chimique du lait. Le lait résume donc les qualités d’un aliment complet. L’aliment azoté est représenté par le ca- séum. Le beurre et le sucre de lait représentent les aliments non azotés. L'eau et les sels, dont le besoin n’est pas moins impérieux dans l’alimen- tation de l'enfant, y sont également représentés. Les proportions des divers principes qui entrent dans la composition du lait sont assez variables, non-seulement suivant l'espèce de l'animal, mais encore suivant quelques autres conditions que nous allons rapide- ment passer en revue. Le lait que sécrètent les mamelles, dans les premiers jours qui suivent * Composition moyenne du lait de la femme, comparée à celle du lait de quelques espèces domestiques : VACHE. ANESSE. CHÈVRE, FEMME. Eau MST 87,4 90,5 82,0 88,6 Caséum, ete. . . 3,6 107 9,0 3,9 HOUTTE. et 4,0 1,4 4,5 2,6 Sucre de lait, etc. . 9,0 6,4 4,5 4,9 956 LIVRE HI, FONCTIONS DE REPRODUCTION. l’accouchement, n'offre ni les caractères physiques, ni les caractères chi- miques qu'il présentera plus tard. Ge premier lait, désigné sous le nom de colostrum, offre un aspect jaunâtre ; il renferme peu de caséum, peu de beurre : en revanche, il contient de l’albumine. Aussi les acides le coa- gulent à peine, tandis qu’il se prend en grumeaux par la chaleur. Les globules du colostrum sont irréguliers, souvent ils sont accolés ensemble par petites masses. Le colostrum ne se transforme pas en lait parfait, im- médiatement après l'accouchement. Cette transformation n’est guère complète qu’au bout du premier mois. Ce premier lait, peu nourrissant, agit sur l’enfant comme un léger purgatif, et concourt”à l’expulsion du méconium. L'influence de la traite sur la composition du lait se fait sentir d’une manière très-remarquable chez les vaches, les ânesses et les chèvres. Dans une même traite, ou dans deux traites successives, le lait qui s’é- coule d’abord est moins riche en crème (par conséquent en beurre) que le dernier ; il y a souvent, à cet égard, des différences de plus du double. Le lait, déjà sécrété, s’'accumule, en effet, dans les mamelles de la vache, de l’ânesse et de la chèvre, comme dans une sorte de vase, et la crème y prend, en vertu de sa légèreté, la position qu’elle prendrait dans tout autre récipient. Il n’en paraît pas être de même chez la femme. Les ré- servoirs du lait (sinus), bien moins développés chez la femme, et aussi la station verticale, expliquent pourquoi il n’y a chez elle, sous ce rapport, que des différences insignifiantes. Le régime, et en général toutes les conditions hygiéniques , ont une grande influence sur la composition du lait. L’insuffisance habituelle de la nourriture ou sa mauvaise qualité donnent un lait séreux et peu nour- rissant. Le régime végétal ou le régime animal ont-ils sur la composition ou sur l’abondance du lait une influence marquée? On a souvent prétendu que le régime végétal, offrant de l’analogie avec celui des animaux qui nous donnent du lait, devait être préféré. Cette opinion est sans fonde- ment : il faut que le régime des nourrices, comme celui de tout le monde, soit suflisant à l’entretien de la bonne santé. « La nature des aliments consommés, dit M. Boussingault, n’exerce pas d'influence marquée sur la quantité et la constitution chimique du lait, pourvu que les animaux recoivent les équivalents nutritifs de ces divers aliments. » Beaucoup de femmes s’imaginent que leur principal soin doit être de beaucoup manger, et elles se flattent ainsi d'augmenter la quantité de leur lait. Mais il arrive souvent qu’elles surchargent leur estomac d’une trop grande quantité d'aliments ; les fonctions digestives se dérangent, et elles arrivent à un résultat opposé à celui qu’elles se proposaient. Les diverses périodes de la lactation introduisent quelques différences dans la constitution du lait. On remarque que les parties solides augmen- tent peu à peu en quantité (surtout le caséum et le beurre), pendant les CHAP, VIII. GÉNÉRATION DES ANIMAUX. 957 trois ou quatre premiers mois. Pendant les mois suivants, les propor- tions restent sensiblement stationnaires. Du dixième au vingt-quatrième mois, les matériaux solides commencent à diminuer; mais, à cette épo- que, les dents de l’enfant, qui ont poussé, lui permettent de diviser et de digérer d’autres aliments. Le lait présente encore des différences qui tiennent à la sécrétion elle- même, et dont les effets se font sentir sur le nourrisson. Il est des femmes qui ont beaucoup de lait, une très-bonne santé, et qui pourtant ne peu- vent allaiter leur enfant ou d’autres enfants, sans les rendre malades. Cela tient à l'augmentation de certains principes du lait, et le plus sou- vent à celle du beurre. On à enfin remarqué depuis longtemps que les principes volatils de quelques végétaux passent dans le lait et lui communiquent leur odeur. Des substances salines variées, administrées aux nourrices, ont été quel- quefois retrouvées dans ce liquide, comme dans les produits de la sécré- tion urinaire. On a, d’après cela, conseillé de faire prendre à la mère ou à la nourrice certaines substances médicamenteuses qu’on veut faire par- venir dans les voies digestives du nouveau-né. CHAPITRE VII. DE LA GÉNÉRATION DANS LA SÉRIE ANIMALE. S 492. Génération des vertébrés. — La génération des vertébrés (mammi- fères, oiseaux, reptiles et poissons) s’accomplit par le concours des sexes. Les organes sexuels mâles et les organes sexuels femelles sont portés par des individus différents 1. Dans les mammifères et les oiseaux, la fécon- dation a lieu dans l’intérieur des organes femelles et elle nécessite l’ac- couplement, La plupart des reptiles s’accouplent aussi : cependant, chez quelques-uns d’entre eux, la fécondation est extérieure, c’est-à-dire que la femelle pond des œufs #nous, sur lesquels le mäle répand presque aus- sitôt sa liqueur fécondante. Ce dernier mode de fécondation est celui de presque tous les poissons. Mammifères. — Dans la classe des mammifères, ou animaux à ma- melles, classe à laquelle l’homme appartient, l'animal femelle nourrit ses petits, dans le principe, à l’aide du lait sécrété par des mamelles. Les di- vers actes de la génération diffèrent peu chez les mammifères de ce qu'ils ‘ D’après M. Desfossés, deux poissons, le serranus cabrilla et le serranus scriba, portent à la fois les organes mâles et les organes femelles, et sont par conséquent hermaphrodites, comme la plupart des insectes. L'individu pond des œufs, et répand ensuite sur eux la liqueur fécondante sécrétée dans ses testicules. 958 LIVRE III. FONCTIONS DE REPRODUCTION. sont chez l’homme. Les principales différences portent sur le nombre des petits, sur la durée de la parturition, sur la fréquence des actes de repro- duction, et sur certaines particularités anatomiques relatives au mode d’adhérence du fœtus ou des fœtus avec la cavité utérine. Parmi les mammifères, il en est quelques-uns qui ne font qu’un petit à la fois ; tels sont : la vache, la jument, la biche, la femelle du chameau, celle de l’éléphant, l’ânesse, la femelle du singe, etc. L’ours, le chevreuil et la chauve-souris mettent bas deux petits ; le lièvre, le castor, la taupe, la marmotte, le cochon d’Inde, en font trois ou quatre. Le lion, le tigre, le léopard, en font quatre ou cinq. Le chien, le renard, le loup, le chat, la belette, l’écureuil, en font cinq ou six. Le lapin, le rat d’eau, le mulot, le furet, en font six ou huit. La souris en fait jusqu’à dix, et le cochon et le rat gris jusqu’à quinze. La durée de la parturition est de trois semaines, chez la souris et le co- chon d'Inde ; de quatre semaines, chez le lapin, le lièvre, l’écureuil; de cinq semaines, chez le rat, la marmotte et la belette ; de six semaines, chez le furet; de huit semaines, chez le chat; de neuf semaines, chez le chien, le renard, le putois; de dix semaines, chez le loup et chez les grandes races de chiens; de quatorze semaines, chez le lion ; de dix-sept semaines, chez le castor et le cochon; de vingt et une semaines, chez les brebis ; de vingt-deux chez la chèvre ; de vingt-quatre chez le chevreuil; "de trente, chez l’ours ; de trente-six, chez le cerf; de quarante et une, chez la vache 1; de quarante-trois, chez la jument, l’ânesse et le zèbre; de quarante-cinq, chez le chameau; de cent, chez l’éléphant. Le nombre des portées des mammifères est assujetti à certaines condi- tions. Les animaux qui, dans l’état de nature, ne s’accouplent qu’une fois par an peuvent, lorsqu'ils sont réduits à l’état de domesticité , entrer de nouveau en chaleur, et s’accoupler peu de temps après la terminaison de la portée antécédente, ce qui tient sans doute à l’abondance de la nourriture. La jument peut entrer en chaleur dix ou douze jours après la mise bas ; la vache, au bout de vingt jours ; les brebis et les chèvres, seulement au bout de sept mois. Le nombre annuel des portées des mammifères est principalement as- sujetti à la durée de la gestation. Les petits mammifères qui portent peu de temps font, en général, plus de portées que ceux dont la gestation a une plus longue durée. La souris, le mulot, le rat d’eau, le lapin, le cochon d'Inde, mettent bas quatre, cinq ou six fois par an, suivant les conditions dans lesquelles ils se trouvent placés. Un rat, qui produit six fois par an de quinze à dix-huit petits, donne ainsi naissance à une cen- taine de rejetons, qui pullulent bientôt à leur tour, Chez la plupart des mammifères, l’utérus n’est pas, comme chez la femme, constitué par une cavité simple. Cette cavité se prolonge plus ou 1 A peu près comme chez la femme. CHAP. VII. GÉNÉRATION DES ANIMAUX. 959 moins sur les côtés, et forme ce qu’on appelle les cornes de l’utérus. Quel- quefois, comme chez les carnassiers , la division de l’utérus se prolonge jusqu’à l’orifice vaginal de l’utérus. Cette division de utérus en deux cornes ou en deux corps plus ou moins distincts n’entraiîne pas, au reste, de différence dans le mode d’union de l'œuf ou des œufs avec la muqueuse utérine. ” Dans les femelles des ruminants à cornes frontales, telles que la vache, la brebis, la chèvre et la biche, le mode d’union de l’œuf avec la muqueuse utérine présente cependant une particularité remarquable : le placenta fœtal se dispose en cotylédons isolés les uns des autres. Ces cotylédons for- més d’ailleurs, comme dans l’espèce humaine, par des houppes vascu- laires, s’implantent sur des parties très-vasculaires de la membrane mu- queuse utérine, qu'on désigne sous le nom de cotylédons utérins. Les cotylédons utérins existent chez les femelles des animaux, même avant le part, et ils persistent après la séparation du fœtus et de son placenta multiple. Les cotylédons utérins ont tantôt la forme d’une coupe à bords renversés, tantôt celle d’un tubercule aplati et arrondi sur les bords. Les cotylédons existent dans le corps et les cornes de l’utérus; on en compte ordinairement de quatre-vingts à cent. Généralement le nombre des co- tylédons du placenta fœtal correspond à celui des cotylédons maternels; mais il n’est pas rare cependant de trouver, surtout vers l'extrémité ova- rienne des cornes utérines, des cotylédons utérins libres de connexions avec les prolongements du placenta fœtal. Lorsque l’animal mammifère met son petit au monde, les membranes de l’œuf se déchirent au moment de l’accouchement, et souvent aussi le cordon ombilical, D’autres fois, la femelle divise les membranes et le cor- don avec ses dents. La plupart des animaux carnivores dévorent le déli- vre qui s'échappe ensuite de l’utérus. Chez les ruminants à cornes (vaches, brebis, chèvres), l’adhérence des cotylédons du placenta fœtal avec les cotylédons utérins est assez intime. Le délivre n’est souvent détaché et et expulsé des organes maternels qu’au bout de quelques jours. Chez ces animaux, il y a inconvénient à hâter la sortie du délivre par des tractions intempestives : on risque ainsi d’arracher une partie des cotylédons uté- rins, et, indépendamment de ce qu’il peut survenir alors des hémorrha- gies graves ou une inflammation utérine, la fécondité à venir de l’animal peut être gravement atteinte par cet arrachement. Lorsque l'animal est multipare, le délivre (membrane et placenta) de chaque petit sort succes- sivement après le petit auquel il appartient. Dans quelques espèces de mammifères, les petits qui viennent au monde sont peu développés, et ne peuvent faire usage de leurs membres. Ces petits s’attachent aux mamelles maternelles, placées dans une poche ou bourse, que forme sous le ventre un repli de la peau. Cette poche, qu’on rencontre dans les animaux de la famille des marsupiaux, représente, en quelque sorte, une seconde matrice que l'animal n’abandonne que quand 960 LIVRE IL, FONCTIONS DE REPRODUCTION, il peut marcher. Pendant les premiers temps, le petit s’y réfugie encore à la moindre apparence de danger. Oiseaux. — Chez les oiseaux, le produit de la génération sort des or- ganes femelles à l’état d'œuf : c’est pour cela qu'on les appelle quelque- fois ovipares. Mais il ne faut pas oublier que l’homme et les mammifères sont aussi des ovipares, dans l’acception rigoureuse du mot. Seulement, chez eux, l'œuf ne sort du corps de l’animal qu’après son développement complet. Chez les mammifères, l’œuf fécondé parcourt les trompes et s’ar- rête dans l’utérus ; il s’y fixe, y est en quelque sorte soumis à une incu- bation entérieure, et s’y développe aux dépens des connexions vasculaires, qui s’établissent avec la mère. Chez les ovipares, l’œuf fécondé parcourt les oviductes (analogues des trompes), s’y entoure d’une couche albumi- neuse épaisse et d’une coquille calcaire, et est, à cet état, expulsé au de- hors. Il porte en lui les matériaux nécessaires à son développement : aussi est-il beaucoup plus volumineux que celui des mammifères. Cet œuf se développera ensuite par incubation extérieure, c’est-à-dire sous l’influence d’une température convenable. Les oiseaux manquent d'organes de copulation. Les testicules sont placés près des reins. Les canaux spermatiques ou déférents, qui servent à l’excrétion du sperme, s’ouvrent à l’extrémité inférieure du tube digestif dans le cloaque. C’est par application de l’anus du mâle contre l’anus de la femelle que s’opère la fécondation. L’autruche, le canard, l’oie, ont cependant un pénis rudimentaire. Ce pénis, placé dans le cloaque, à la rencontre des canaux déférents, consiste en un tuberculé plus ou moins saillant, susceptible d’une sorte d’érection et creusé d’un sillon vecteur du sperme. La partie fondamentale de l’œuf, ou le jaune, se forme dans l'ovaire de la femelle. Lorsque le jaune est arrivé à son développement complet, la capsule ovarienne qui l'enveloppe se rompt, et le jaune, entouré de la membrane vitelline, passe dans la trompe, dont le pavillon s’applique sur l'ovaire pour le recevoir. Là il rencontre la liqueur du mâle t, et s’enve- loppe, chemin faisant, d’une couche d’albumine épaisse. Dans le principe, le jaune éprouve un mouvement de rotation au milieu de la couche al- bumineuse qui l'entoure ; ainsi se forment, aux extrémités du jaune (sui- vant le grand axe de œuf), des sortes de ligaments albumineux, ou chalazes. La couche d’albumine augmente, et, lorsque l'œuf est arrivé au tiers inférieur de l’oviducte (c’est-à-dire environ six heures après sa sortie de l'ovaire, chez la poule), la couche albumineuse s’enveloppe d’une membrane, d’abord transparente, qui se dédouble bientôt en deux feuil- lets. Le feuillet adhérent à l’albumine restera à l’état de membrane; le feuillet le plus externe s’incrustera de cristaux calcaires et formera la 1 Lorsque le mâle fait défaut, les oiseaux de nos basses-cours peuvent pondre encore, quoique moins souvent. Les œufs sont alors inféconds. La plupart des oiseaux ne pondent que pendant une certaine époque de l’année, à l’époque du rut, CHAP, VII, GENERATION DES ANIMAUX, 961 coque. La formation de la coque est plus lente que celle de Falbumine ; ee n’est guère qu'au bout de vingt-quatre heures que l’œuf complet est ex- pulsé de la partie inférieure de l’oviducte dans le cloaque, et du cloaque au dehors. Le petit bout de l’ovoïde que représente l’œuf sort le pre- mier. Tel était, d’ailleurs, sa position dans l’oviducte, dès l’époque où la membrane de l’albumine et la coquille se sont formées. 4 Lorsque l’œuf est arrivé au dehors, il se forme du côté du gros bout, entre la coquille et la membrane de l’albumine, un espace dans lequel l'air s’accumule, et qu’on appelle la chambre à air. La coquille, quoique solide, n’en est pas moins poreuse, et il se manifeste, non-seulement au point dont nous parlons, mais encore par toute la surface de l'œuf, un échange de gaz, qui devient bien évident pendant le développement, au moment de l’incubation. Alors que le jaune de l’œuf était encore contenu dans l'ovaire, on pou- vait voir manifestement, dans son intérieur et dans un point voisin de sa surface, la vésicule germinative. Celle-ci, comme dans l’ovule des mam- mifères, disparaît peu après que l’œuf est sorti de l'ovaire. C’est aussi pendant le passage de l’œuf au travers de ia trompe que la segmentation du jaune s’opère. Seulement, dans l’œuf d'oiseau, la segmentation n’est que partielle; elle ne s’opère qu'aux dépens d’une très-petite portion du jaune, qu'on désigne sous le nom de cicatricule. Cette petite portion du jaune est l’analogue de la masse entière du jaune de l’œuf des mammi- fères. Après des segmentations successives, la cicatricule donne nais- sance à la tache embryonnaire d’où procéderont ensuite toutes les for- mations fœtales. La masse du jaune qui n’a point pris part à la segmentation doit servir à la nutrition de l'oiseau; elle remplit l'intérieur de la vésicule ombilicale et communique, par conséquent, avec l'intérieur de l'intestin de l'oiseau qui se développe (Voy. $ 406). Chez l'oiseau, la vésicule ombilicale per- siste pendant tout le temps de l’incubation; elle existe encore quand loi- seau sort de la coquille; seulement, les parois abdominales qui se sont formées font qu’elle est alors contenue dans la cavité abdominale ; plus tard, la portion restante du'jaune sera entièrement résorbée par l’absorp- tion intestinale, et la vésicule ombilicale, devenue inutile, disparaîtra. La chaleur est nécessaire au développement de l'œuf; à cet effet, loi- seau s'applique sur ses œufs et les couve. Chacun sait qu’on peut rem- placer la chaleur naturelle de l'oiseau par une température convenable (359 à 400), et faire ce qu'on appelle des incubations artificielles. La cha- leur du soleil suflit pour faire éclore les œufs de quelques oiseaux des régions intertropicales 1. Les vaisseaux, qui s’établissent promptement dans le blastoderme de 1 La durée de l’incubation varie suivant les espèces. Elle est généralement moins longue que la durée de la gestation des mammiferes. Elle est de quinze à dix-huit jours pour les se- rins, de vingt et un jours pour les poules, de vingt-cinq jours pour les canards, ete. 2 61 : _ 962 LIVRE HI, FONCTIONS DE REPRODUCTION, l'oiseau, ne lardent pas à envelopper la membrane vitelline et à mettre ainsi le corps de l'embryon naissant en relations vasculaires avec l’albu- bumine et avec le jaune ; les vaisseaux puisent dans ces deux substances les matériaux nécessaires à la formation des tissus. Aux dépens du jaune et de l’albumine, et surtout aux dépens de l’albumine (car une portion du jaune existe encore à la naissance), se développeront tous les organes de l'oiseau, nerfs, os, muscles, plumes, etc. Dès le troisième jour de l’incubation, on voit naître par exsertion, sur la partie caudale de l'intestin, la vésicule allantoïde, qui, se développant rapidement, entourera bientôt entièrement l'embryon, et constituera, à l’aide des nombreux vaisseaux qu’elle porte, une sorte de poumon, des- tiné, très-vraisemblablement, à la respiration de l’œuf 1. Mais ces phénomènes ne peuvent s’accomplir qu'autant que l'œuf est entouré par l’air atmosphérique. L’œuf ne se développe, en efet, qu'à la condition d’un échange avec l’oxygène de l'air. L’œuf, qui croît, res- pire à travers la paroi calcaire qui l'entoure. Lorsqu'on le place dans des gaz irrespirables (acide carbonique, hydrogène, azote), ou qu’on l’entoure d’un vernis imperméable, on a beau le soumettre à une température de 35 à 40 degrés centigrades, le développement ne s'opère pas, ou tout au moins il s'arrête au bout de peu de temps, et l’œuf avorte. Nous avons dit que, peu de temps après la ponte, il se développe, du côté du gros bout de l’œuf, un espace rempli de gaz. Cet espace, qui ren- ferme de l’air atmosphérique un peu plus riche en oxygène que l'air (22 à 26 pour 100 d'oxygène), augmente avec les progrès de l’incubaton. Tandis que l’air entre dans l’œuf, il s’en échappe de l’acide carbonique. Lorsqu'on soumet un œuf à l’incubation, dans un espace limité, on con- state, par analyse, que la quantité d’oxygène disparue a été remplacée par une quantité sensiblement équivalente d’acide carbonique. Il s'opère donc des combustions dans l’œuf, et ces combustions sont nécessaires à la transformation du jaune et de l’albumine en les divers tissus de lani- mal; en même temps, l'œuf perd en poids, non-seulement parce qu'il expire de l'acide carbonique, mais aussi parce qu'il perd une certaine quantité de vapeur d’eau, Lorsque le développement de l'oiseau est achevé, et que la pointe cornée , qui s’est formée au bout du bec, va lui permettre de fendre la coquille, Fœuf a généralement perdu 14 pour 100 de son poids. Reptiles. — Chez les reptiles, comme chez les oiseaux, le produit de la génération sort des organes femelles à l’état d'œuf. Chez la plupart d’entre eux, la fécondation précède la ponte, de même que chez les oiseaux , et 1 L'allantoïde de l'œuf de poule, examiné du dixieme au douzième jour de l’incubation, est manifestement contractile. La contractilité peut être mise en évidence, mème une heure après que l'œuf est cassé. Examiné au microscope, le tissu de l’allantoïde révèle dans son épaisseur la présence des fibres musculaires lisses (fibres cellules). C’est en vain qu’on y cherche des nerfs (Remak, Vulpian). Ce fail constitue un argument de plus en faveur de l'indépendance de la contractilité musculaire (Voy. $ 229). CHAP. VII, GENERATION DES ANIMAUX. 965 l’œuf, au moment de sa sortie, est entouré d’une enveloppe solide. Cette enveloppe, incrustée de matières calcaires, est généralement moins ré- sistante que celle des oiseaux. Quelques reptiles de l’ordre ‘des batraciens (crapauds et grenouilles) pondent leurs œufs avant la fécondation. Ces œufs sont mous et dépour- vus d’enveloppe calcaire. Le mâle embrasse étroitement la femelle au moment où celle-ci émet ses œufs, et il les féconde au moment de leur sortie. Chez quelques reptiles, dont la fécondation est intérieure, la sortie des œufs au dehors n’a lieu qu’assez longtemps après leur détachement de l’o- vaire. L’œuf, retenu dans l’oviducte, se développe sous l’influence de la chaleur maternelle, et il n’est expulsé que lorsqu'il est sur le point d’é- clore. Chez quelques serpents, l’incubation intérieure a souvent lieu d’une manière complète dans les oviductes : les petits brisent les enveloppes de l’œuf et sont expulsés vivants au dehors (couleuvre, vipère). Les reptiles ne couvent généralement pas leurs œufs, ils les déposent dans le sable ou dans l’eau (reptiles amphibies), et la chaleur extérieure les fait éclore ‘. Quelques serpents cependant se replient en rond au- dessus de leurs œufs, et emprisonnent au-dessous d’eux une couche d'air dont la température s'élève généralement de quelques degrés au-dessus de celle du milieu environnant. Les reptiles femelles ont deux ovaires, et deux oviductes qui s'ouvrent séparément dans le cloaque. Chez les reptiles, comme chez les oiseaux et les mammifères, les oviductes (trompes des mammifères) ne sont pas continus avec l’ovaire ; ils présentent, du côté de l’ovaire, un orifice évasé semblable au pavillon. Les organes mâles diffèrent suivant les espèces. Dans l’ordre des ba- traciens il n’y a point d'organes de copulation. Les canaux spermatiques, qui font suite aux testicules, s'ouvrent dans le cloaque, et la fécondation a lieu, comme chez les oiseaux, par l'application des anus, lorsque la fé- condation précède la ponte. Dans les autres ordres de reptiles, il y a un véritable accouplement. Les canaux spermatiques viennent s'ouvrir dans une verge, laquelle acquiert un grand développement chez la tortue. Les ophidiens et les sauriens ont une verge fourchue ou double. Le dévelop- pement de l’œuf des reptiles écailleux (chéloniens, ophidiens, sauriens) a lieu suivant les mêmes principes que celui de l’œuf des oiseaux; la segmentation primitive du jaune n’a lieu que dans un point circonserit (cicatricule). Dans les batraciens, la segmentation du jaune est complète: le jaune de l’œuf, pris dans sa totalité, concourt à la formation du blas- toderme, comme dans l’œuf des mammifères. De tous les reptiles, les batraciens sont les plus féconds. Les tortues pondent quatre ou cinq œufs ; les serpents, de dix à vingt; les grenouilles 1 Les reptiles sont des animaux à sang froid, comme ceux dont il nous reste à parler. Leur température ne diffère guère de celle du milieu ambiant (Voy. & 161). 964 LIVRE HI, FONCTIONS DE REPRODUCTION, et les crapauds (batraciens), plusieurs centaines. Les batraciens qui sor- tent de l’œuf ne sont généralement pas arrivés à leur complet dévelop- pement, et ils subissent pendant les premières semaines une véritable métamorphose : tels sont les grenouilles et les crapauds. Ces animaux naissent à l’état de tétards. Ils n’ont point de membres; ils ont une queue, et respirent par des branchies situées sur les côtés du cou, sous la peau. L'eau entre par la bouche, passe sur les branchies, et sort en dehors par une ou deux ouvertures placées sur les parties latérales du cou. Les pattes de derrière se développent presque à vue d’æil; celles de devant se développent dans le même temps, mais sous la peau, et elles la per- cent ensuite. La queue s’atrophie progressivement, ainsi que les bran- chies, et l'animal respire bientôt par les poumons, qui se sont simultané- ment développés *. Poissons. — Dans la plupart des poissons, le produit de la génération sort à l’état d’œuf, et la fécondation n’a lieu qu'après la ponte, et à une époque plus ou moins éloignée. Les œufs sont déposés par la femelle dans des endroits abrités, généralement le long du rivage ou sur des bas- fonds. Le mâle répand ensuite sur ces œufs (enveloppés, comme ceux des batraciens, par une membrane molle) sa liqueur fécondante , dési- gnée sous le nom de laite. Les causes de destruction sont nombreuses, et, en général, une grande quantité d'œufs échappent à la fécondation. Le nombre considérable des œufs pondus par les poissons est destiné sans doute à remédier à ces conditions défavorables. Le nombre des œufs, or- dinairement de plusieurs milliers, peut s’élever dans quelques espèces jusqu’à plusieurs millions pour une seule ponte. Les ovaires des poissons femelles sont deux glandes volumineuses qui remplissent en grande partie l’abdomen au moment de la ponte. Dans la plupart des poissons osseux, les oviductes sont continus avec les ovaires, et forment un canal excréteur, analogue à celui de toutes les autres glandes. Chez beaucoup de poissons cartilagineux, l'extrémité abdomi- nale de la trompe est libre, comme chez les mammifères, les reptiles et les oiseaux. Les deux oviductes s'ouvrent dans le cloaque, ou bien se réunissent entre eux, et viennent aboutir à une ouverture placée en ar- rière de l’anus. Les testicules forment, chez le mâle, deux glandes également très- volumineuses. Les canaux spermatiques s'ouvrent, soit dans le cloaque, soit, par une ouverture spéciale, dans le voisinage de l’anus. Chez quelques poissons cartilagineux, la fécondation est intérieure, et il y à un véritable accouplement, analogue à celui des oiseaux. Chez ces poissons (squales, marteaux, scies), l'œuf fécondé sort recouvert d’une enveloppe cornée solide. Chez quelques autres (raies), les œufs fécondés 1 Les salamandres sont dans le même cas que les grenouilles et les crapauds, mais elles ne perdent pas leur queue. Les sirènes, les tritans et les protées ne perdent point leurs branchies. CHAP. VIII, GENÉRATION DES ANIMAUX. 965 séjournent dans l’intérieur des oviductes, s’y développent, et l'animal produit des petits vivants. Dans les poissons cartilagineux dont nous parlons, la segmentation du jaune n’est pas complète ; elle n’a lieu, comme chez les reptiles écailleux et les oiseaux, que dans le point de l’œuf qui correspond à la cicatricule. S 493. Génération des invertébrés. — La génération des invertébrés présente des modes très-divers. Un grand nombre d’entre eux se reproduisent, comme les vertébrés, à l’aide de véritables œufs; et l’on trouve ce mode de génération, non- seulement dans les invertébrés placés en tête de la série, tels que les ar- ticulés (insectes, arachnides, crustacés) et les mollusques, mais même dans l’embranchement des zoophytes. D’autres invertébrés se reproduisent par génération scissipare ou gem- mipare; et si l’on trouve ce mode de génération plus répandu dans les espèces inférieures que dans les espèces supérieures, il est vrai de dire que les articulés eux-mêmes le présentent parfois : témoin les annélides. Génération des invertébrés à sexes séparés, à l'aide d'œufs. — Les in- sectes, les arachnides et les crustacés ont des sexes séparés, et la féconda- tion s’opère par accouplement. Les ovaires consistent généralement en tubes plus ou moins longs, simples ou ramifiés, occupant souvent une grande partie de l'abdomen. C’est dans ce tube ou dans ces tubes, qui se continuent avec les oviductes, que se forment les œufs. Les oviductes se terminent à l’extérieur par une ouverture située dans des points variés. Le testicule du mâle consiste également, le plus souvent, en tubes sim- ples ou ramifiés, et offre avec l’ovaire une grande ressemblance. Seule- ment ces tubes, au lieu de sécréter les œufs, sécrètent le sperme, c’est- à-dire un liquide fécondant pourvu de spermatozoïdes. D’autres fois, au lieu de tubes, le testicule est constitué par de petites capsules adossées, arrondies ou allongées, et s’ouvrant dans le canal spermatique. Le sperme du mâle est porté dans les organes femelles, soit par le ren- versement au dehors de la partie terminale du canal spermatique, renver- sement qui fait fonction d'organes copulateurs (crustacés), soit par un véritable pénis (insectes). Le pénis des insectes est souvent entouré de pinces ou de crochets qui, se redressant dans l’intérieur des voies géni- tales de la femelle, au moment de l'érection, rendent l’adhérence si in- time, qu’on ne parvient guère à les séparer sans arrachement. Quelques insectes femelles présentent, vers l'extrémité inférieure de l’oviducte, une poche dite poche copulatrice, dans laquelle s’accumule le sperme du mâle. Le sperme conserve dans cette poche ses propriétés fécondantes pendant des mois, et peut ainsi féconder plusieurs générations d'œufs. Chez quelques insectes (abeilles et fourmis), il existe des femelles sté- riles, dites neutres. Les femelles stériles des abeilles, connues sous le nom 966 LIVRE II, FONCTIONS DE REPRODUCTION, d'ouvrières, ont des organes tubuleux, correspondants aux ovaires ou aux testicules, mais elles ne produisent pas d’œufs, et ne sécrètent point de sperme. Cependant, chose singulière, si, peu après leur naissance, on leur donne une nourriture abondante, ou si on les place dans certaines cellules de la ruche, plus grandes que les autres, on peut les transformer en mâles ou en femelles. Les femelles stériles des fourmis sont dépour- vues d'ailes. Un grand nombre de vers intestinaux, principalement parmi ceux de la classe des nématoïdes, ont des organes sexuels séparés : tels sont les ascarides, les strongles, les oxyures, les trichocéphales, etc. Chez quel- ques-uns d’entre eux, les organes sexuels ne consistent pas seulement en un ovaire ou un testicule rameux, mais il y à aussi, à l’extrémité ter- minale du canal spermatique, un véritable pénis, et la fécondation pré- cède la ponte. On rencontre parmi les mollusques un certain nombre d’espèces à sexes séparés, principalement parmi les pectinibranches et les lamellibranches. Les méduses, qui appartiennent à l’embranchement des zoophytes, se- raient (au moins quelques-unes d’entre elles) dans le même cas. Chez les insectes, le nouvel être qui sort de l’œuf n’est pas toujours arrivé à son développement complet, et il doit subir encore de nouvelles métamorphoses. Les insectes ailés passent généralement par une forme intermédiaire avant de prendre leurs ailes. Le nouvel être se nomme larve, lorsqu'il manque de pattes; ou chenille, dans le cas contraire. Les larves ou chenilles, après différentes mues ou changements de peau, s’entourent d’une coque ou cocon plus ou moins résistant et passent à l’état de chrysalide ou de mort apparente. C’est dans ce cocon que les chry- salides ou nymphes se métamorphosent, aux dépens de leur propre sub- stance, car elles ne prennent point de nourriture. Lorsque les ailes ont poussé, et qu’en même temps les organes de la génération ont acquis un développement complet, la chrysalide, devenue insecte parfait, perfore sa coque, et devient apte à se reproduire. Génération des invertébrés à l'aide d'œufs, avec hermaphrodisme. — Pres- que tous les annélides (embranchement des articulés) qui se reproduisent à l’aide d’œufs sont hermaphrodites; beaucoup d’helminthes et de mol- lusques sont dans le même cas. On rencontre aussi, dans la classe des échinodermes et dans celle des acalèphes (embranchement des zoophytes), des individus qui se reproduisent de la même manière. L'hermaphrodisme consiste dans la réunion, sur le même individu, des ovaires et des testicules. Ces deux glandes, placées dans l'abdomen, se présentent généralement sous l'apparence de tubes plus ou moins rami- fiés. Dans les uns sont sécrétés les ovules, et dans les autres la liqueur fécondante. Les canaux excréteurs de ces glandes communiquent souvent vers leur extrémité terminale, de telle sorte que, quand l’œuf est expulsé de l'ovaire, le sperme, chassé en même temps du testicule, rencontre CHAP. VIII, GENERATION DES ANIMAUX. 967 l’œuf dans le canal terminal, et le féconde avant qu’il ne s’échappe au dehors. D’autres fois, le testicule et l'ovaire s'ouvrent séparément au de- hors : les produits de l'ovaire (œufs) et le produit du testicule (sperme) sont expulsés simultanément dans l’eau au sein de laquelle vit l’animal, et la fécondation s’opère après la ponte, comme chez les poissons. Chez quelques mollusques hermaphrodites (limacons, limnées, etc.), il existe des organes de copulation, et l’aécouplement est réciproque, c'est-à-dire que l'individu est à la fois mâle et femelle, par rapport à un autre individu de la même espèce. Le pénis de l’un s’engage dans les or- ganes femelles de l’autre, et l'organe femelle du premier recoit le pénis du second. Tantôt il y a double fécondation simultanée; tantôt l’un joue le rôle de mâle et l’autre le rôle de femelle; et plus tard, celui qui a joué le rôle de mâle sera à son tour fécondable. Les animaux hermaphrodites forment souvent ainsi de longues chaines, au moment de l’accouplement. Quelques animaux hermaphrodites (parmi les vers) s’appliquent les uns contre les autres, sans qu'il y ait un véritable accouplement. L’applica- tion mutuelle n’a ici d’autre but que d’exciter la sortie du sperme au de- hors, et sa rentrée dans les oviductes du même animal ; l’ouverture ex- térieure du canal spermatique et celle de l’ovaire étant très-rapprochées ou confondues. S 424. Génération gemmipare. — Ce mode de génération se rencontre prin- cipalement dans l’embranchement des zoophytes. Dans la classe des aca- lèphes, dans celle des spongiaires et des infusoires, la génération gem- mipare consiste en ce que, sur un certain point du corps, quelquefois toujours au même endroit, il se forme une sorte de tubercule arrondi. Ce tubercule, d’abord plein, se creuse ordinairement d’une cavité, puis il se transforme peu à peu en un individu semblable à celui qui lui a donné naissance, s’en détache et se reproduit à son tour de la même manière. Quelques annélides, tels que les naïs (animaux très-rapprochés des vers de terre), les syllis, les myrianides, se reproduisent aussi par gé- nération gemmipare. À une certaine période, on voit, à la partie posté- rieure du corps, se développer un individu nouveau. L'individu nouveau, après avoir formé successivement ses anneaux et sa tête, se sépare de lPindividu mère par étranglement et par division. Quelquefois il se forme en même temps plusieurs bourgeonnements les uns sur les autres, et la séparation n’a lieu que quand cinq ou six individus se sont formés. Ce qu'il y a de bien remarquable dans les annélides, qui présentent ce mode de division gemmipare, c’est que l'individu chez lequel on l’observe man- que d'organes de reproduction, tandis que les produits de la gemmiparité en sont pourvus. Les produits de la gemmiparité sont donc destinés à pondre des œufs; et de ces œufs naissent des individus non sexués, 968 LIVRE IL, FONCTIONS DE REPRODUCTION, $ 495. Génération scissipare, — Lorsqu'on coupe un ver de terre en deux parties, la partie antérieure du corps donne naissance à un animal en- tier. Il en est de même de la partie postérieure ; elle se complète, quoi- que plus lentement. Le même fait s’observe sur beaucoup d’entozoaires, sur les hydres, sur les actinies (zoophytes). Chez ces animaux, il suflit généralement d’un fragment peu considérable du corps pour reproduire l’animal entier. Tremblay coupe une hydre en petits morceaux dans toutes les directions : chaque fragment reproduit une hydre complète. La force de régénération existe aussi chez les mollusques : les lima- cons peuvent reproduire leurs tentacules enlevées; les céphalopodes leurs bras, etc. Chez les reptiles, elle est également très-remarquable : les salamandres peuvent reproduire leurs pattes; il en est de même pour les grenouilles et les crapauds très-jeunes, et chacun sait avec quelle fa- cilité la queue des lézards repousse lorsqu'on la leur a arrachée. Dans les animaux supérieurs, non-seulement la régénération ne se montre plus sur des organes entiers, mais elle est très-restreinte pour les tissus eux- mêmes, et elle ne se montre guère que pour les tissus placés aux sur- faces : épiderme, poils, ongles, laine, crins et plumes. Mais, si les animaux inférieurs reproduisent des parties plus ou moins considérables de leur corps, lorsqu'ils ont été divisés artificiellement, il faut dire que la scission spontanée, comme mode de génération, est assez rare, et qu’on est loin de la rencontrer chez tous les animaux qu’on peut multiplier par section artificielle. La génération scissipare s’observe principalement dans les infusoires (zoophytes globuleux). Elle à été constatée aussi dans quelques hydres et dans une espèce de planaire. Quelques animaux pourvus d'organes sexuels, c’est-à-dire d’ovaires et de testicules, et se reproduisant par des œufs, peuvent aussi, à certaines périodes de leur développement, se mul- tiplier par scission : tels sont les méduses (zoophytes acalèphes), et quel- ques vers plats intestinaux (sous-embranchement des annélides). Dans la génération scissipare naturelle, la division s'opère dans des directions déterminées, toujours les mêmes chez le même animal ; tantôt en long, tantôt en travers. Chez les infusoires, où on l’observe le plus communément, elle commence par un étranglement, ou constriction, bientôt suivi de l'isolement des deux parties placées de chaque côté de l’étranglement. Les méduses, et quelques vers plats intestinaux, donnent naissance à des œufs qui nagent quelque temps dans le liquide, puis se fixent à un corps étranger, se développent, se partagent en un certain nombre de parties renflées, séparées par des étranglements; au bout d’un temps plus ou moins long, chaque segment renflé devient libre et donne nais- sance à un nouvel être, La période comprise entre la naissance et la scis- CHAP. VIIL. GÉNÉRATION DES ANIMAUX. 969 sion n'est en quelque sorte qu’un état {transitoire ou de larve, en vertu duquel un seul œuf peut donner naissance à plusieurs individus. S 426. Génération spontanée. — Lorsqu'on met dans l’eau des substances animales ou végétales, et qu’on abandonne le vase qui les contient à l’air libre, il se développe bientôt dans la macération des animaleules mi- croscopiques (monades, trachélies, enchélides, paramécies, etc.). D'où proviennent ces animaux, auxquels on donne souvent le nom d’nfu- soires ? Malgré un très-grand nombre d'expériences, la question de savoir si ces animaux élémentaires peuvent naître spontanément, par la désagré- gation et l’organisation de débris animaux ou végétaux, est encore au- jourd’hui indécise et partage les naturalistes. Ce qui est certain, c’est que leur développement ne s'opère qu'à l’air libre et sous l'influence d’une certaine température. Lorsqu'on place la substance organique dans de l’eau distillée, après avoir chauffé le tout à 100 degrés pour détruire tous les germes d’animalcules qu’elle pourrait contenir, et qu’on supprime le contact de l’air en bouchant le vase ou en l’étirant à la lampe, il ne se développe pas d’animalcules. D'un autre côté, lorsqu’à l’exemple de M. Schultz on place la matière organique dans de l’eau distillée, et qu'après l’avoir chauffée à 100 de- grés on la laisse au contact d’une couche d'air, qui n’arrive dans l’ap- pareil qu'après avoir traversé un flacon d’acide sulfurique, les animal- cules n'apparaissent pas dans la macération. Si la couche d'air qui est en rapport avec le liquide en macération a traversé d’abord un tube chauffé au rouge (Schwann), les animalcules ne se développent pas non plus. De ces expériences on peut conclure que les infusoires qui se dévelop- pent dans les macérations & l'air libre proviennent, soit d’animalcules amenés par l’air atmosphérique et multipliés ensuite dans le liquide par scission, soit de spores, c’est-à-dire de bourgeons microscopiques prove- nant d'êtres semblables. Dans toutes les expériences dont nous parlons, les animaleules ne se sont point développés quand on s’est mis en garde contre les apports de l’air atmosphérique. Il est vrai qu'il a fallu chauffer préalablement la matière pour détruire les germes qu’on supposait pou- voir y être contenus, et on peut objecter que l’ébullition a eu pour effet d'enlever à la substance organique le pouvoir de s'organiser spontané- ment plus tard. Il n’en est pas moins certain que les infusions organiques ne donnent jamais naissance qu’à des productions microscopiques d’une organisation très-simple, pour l’évolution desquelles l'hypothèse de la génération spontanée n’est nullement nécessaire. 1 Ilest certain qu’il y a dans l'air une multitude innombrable de germes microscopiques ou de spores végétaux et animaux. Les poussières qui se déposent à la surface des corps sont ca- pables, quand elles se trouvent dans des conditions convenables d'humidité et de température, de donner naissance à des mousses végétales ou moisissures, où à des infusoires. 970 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. Les vers intestinaux ou entozoaires, animaux d’une organisation gé- néralement assez compliquée et pourvus d'organes génitaux distincts, ne se développent jamais par génération spontanée dans le corps des ani- maux vivants, ainsi qu’on l’a quelquefois supposé. Ceux qui se trouvent dans le tube digestif ou dans les bronches des animaux peuvent s’y in- troduire par les voies naturelles, soit à l’état de développement plus ou moins avancé, soit à l’état d'œuf. Quant à ceux qui existent dans l’inté- rieur même des organes, il est vraisemblable qu’ils y ont été portés par les voies de la circulation. Les fines membranes des vaisseaux d’un petit calibre ne constituent pas un obstacle infranchissable à ces animaux, lors- qu'ils n’ont encore que de petites dimensions. Les entozoaires, trouvés dans l’intérieur du corps des fœtus encore contenus dans le sein mater- nel, ont pu s’y introduire au travers des minces parois des vaisseaux placentaires. Des auteurs, amis du merveilleux, font naître des animaux microsco- piques dans des infusions de marbre et de granit, dans des dissolutions de sel marin et de salpêtre. Il serait superflu de réfuter ces erreurs : on peut aflirmer aujourd’hui que les animaux provenaient du dehors. Quand on s’est prémuni contre les apports de l’air atmosphérique, les animal- cules n’ont plus reparu *. 1 Consultez principalement sur la génération de l’homme : R. de Graaf, De Mulierum Or- ganis generalioni inservientibus ; in-80, fig., Leyde, 1762, et dans la Bibliothèque anatomique de Manget, t. I ; — Spallanzani, Expériences pour servir à l'histoire de la génération ; 4 vol., Paris, 1787 ; — Prevost et Dumas, Sur les animalcules spermaliques, dans les Annales des Sciences naturelles, année 1824; De la génération dans les mammifères , dans le même re- cueil, même année ; — J.-E. Purkinje, Symbolæ ad ovi avium historiam ante incubationem ; in-4s, fig., Breslau, 1825; — C.-E. de Baer, De Ovi mammalium et hominis Genesi ; in-4o, Leipzig, 1827 (trad. franc., dans le Répertoire d'anatomie et de physiologie de G. Breschet, année 1829) ; — Ratke, Abhandlungen zur Bildungs und Entwickelungsgeschichte des Men- schen und der Thiere (Mémoires pour servir à l’hist. du développ. de l'homme et des animaux). in-40, Leipzig, 1852-1833; — R. Wagner, Sur la Vésicule germinative, dans Müller’s Ar- chiv, année 1855; — Valentin, Handbuch der Entwickelungsgeschichte des Menschen (Ma- nuel de l'histoire du développement de l’homme); in-8v, Berlin, 1835 ; — Burdach, les deux premiers volumes de son Traité de physiologie (traduct. franç., Paris, 1858\ ; — Reichert, Das Entwickelungsleben im Wirbelthierreich (Embryogénie des vertébrés); in-4%, Berlin, 1840 ; — GC. Négrier, Recherches anatomiques et physiologiques sur les ovaires dans l'espèce humaine, considérés dans leurs rapports avec la menstruation ; in-8°, Paris, 1840; — Barry, Researches in embryology, trois séries publiées dans les Philosophical Transactions, années 1838 à 1840; — Bischoff, Traité du développement de l'homme et des mammifères (traduct. franc., Encyclopédie anatomique) ; 4 vol., atlas, Paris, 1843; — Raciborski, De la Puberté et de l’Age crilique chez la femme; 1 vol., Paris, 1844; — Courty, De l’OŒEuf et de son déve- loppement dans l'espèce humaine; Montpellier, 1845; — Pouchet, Théorie positive de l'ovu- lation spontanée et de la fécondation des mammifères et de l'espèce humaine ; 1 vol., atlas, Paris, 1847; — Coste, {istoire générale et particulière du développement des corps organi- sés ; 5 vol. in-4o, avec planchés in-fol.; Paris, 1848-1854 (en cours de publication) ; — Bau- drimont et Martin-Saint-Ange, Du Développement du fœtus ; 1 vol. in-4e, avec planches, Paris, 1850; — Leuckart, article Zeugung (Génération), dans Wagner’s Handwôürterbuch der Physiologie, 4e vol., p.707, 1853; — Bischoff, Beiträge zur Lehre von der Mensiruation und Befrüchtung (Mémoire pour servir à l'histoire de la menstruation et de la fécondation), CHAP, IX, DEVELOPPEMENT APRES LA NAISSANCE, 971 CHAPITRE IX. DU DÉVELOPPEMENT APRÈS LA NAISSANCE. $ 427. Naissance. — Mort. — Au bout de neuf mois, l’enfant naît à la lu- mière. Dès le moment où les liens qui attachaient l'enfant à sa mère se rompent, des changements importants s’accomplissent. Ces changements mettent le nouveau-né en harmonie avec le nouveau milieu dans lequel il est appelé à vivre. Le phénomène essentiel et caractéristique de la naissance, c’est l’éta- blissement de la respiration. L'enfant, jusque-là contenu dans un liquide, change tout à coup d’atmosphère. Les puissances inspiratrices dilatent la poitrine, l’air se précipite pour la première fois dans les poumons. Ceux-ci, naguère rouges et condensés, augmentent rapidement, non-seulement de volume, mais de poids : ils deviennent roses, mous et crépitants ; ils tom- baïent au fond de l’eau, et maintenant ils surnagent. Cependant, souvent, après plusieurs jours de respiration, la totalité du poumon n’est pas per- méable. La gravité des accidents qui accompagnent ou suivent la nais- sance de l’enfant se rattachent en grande partie à la difficulté que la pre- mière respiration éprouve quelquefois à s'établir. Il en résulte un état de mort apparente, qui se présente avec des aspects divers, qu’on a dési- gnés sous les noms d’apoplexie, d’asphyxie ou de syncope des nou- veau-n6s. En même temps que s'établit la respiration, la circulation fœtale se modifie. La direction du courant sanguin est changée par l’afflux du sang vers les poumons. Le sang, qui traversait le canal artériel (Noy. S 412), se coagule ; les parois de ce canal se rapprochent et se transforment en dans Zeitschrift für ralionnelle Medicin de Henle et Pfeufer, 4° vol., p. 129, 1854; — Waguer, Eïindringen der Spermalozoen in dem Ei (De l'entrée des spermatozoïdes dans l’œuf ), dans Zeitschrift für ration. Medic. de Henle et Pfeufer, 4 vol., p. 404, 1854; — Follin et Gou- baux, De la Monorchidie et de la Cryptorchidie, dans les Mémoires de la Société de biologie, 1855; — E. Godard, Études sur la Monorchidie et la Cryptorchidie chez l'homme; in-8°, avec 4 planches lithog., 1857 ; — Rübsam, Ueber den Zusammenhang des Mutterlischen Kreislaufs mit dem der Frucht (De la liaison de la circulation maternelle avec celle de l'embryon), dis- sertation ; Marburg, 1857; — Robin, Nole sur les connexions anatomiques et physiologiques du placenta avec l'utérus, dans la Gazette médicale, n° 19, 1857 ; — Vulpian, De la Contracti- lité de V'allantoïde de l'embryon de la poule, dans les Comptes rendus de l'Acad. des sciences, 1857; — Schlossberger, Beiträge zür chemischen Kennlniss des Fôtus-Lebens (La vie chi- mique du fœtus), en extrait dans Bericht über die Fortschritte der Anatom. und Physiol. de Henle et Meissner, in-80, Leipzig, 1858 ; — Farre, Beschreibung und Abbildung menschlicher Eier aus der drilten und vierten Woche (Description et représentation d’un œuf humain de la troisieme à la quatrième semaine), dans Schmidl's Jahrbücher, t. XCVIE, p. 145, 1857, 972 LIVRE ILE, FONCTIONS DE REPRODUCTION, un cordon fibreux. Le trou de Botal et le canal veineux cessent de donner passage au sang et s’oblitèrent : la circulation s’établit suivant le type qu'elle doit conserver. Ces changements s’accomplissent dans les trois ou quatre jours qui suivent la naissance. Dans le même temps survient la dessiccation de la portion du cordon ombilical adhérente à l'abdomen du nouveau-né. Cette dessiccation, qui commence vers le sommet, s’avance vers la base, et elle est suivie de la chute du cordon, laquelle a lieu du quatrième au sixième jour. À cette chute suceède un petit enfoncement (nombril), dont la cicatrisation est complète vers le dixième jour. C’est aussi dans les premiers jours qui suivent la naissance que le méconium, accumulé dans l'intestin de l’en- fant, est expulsé au dehors. Après que ces principaux changements se sont accomplis, le nouveau- né, alimenté par le lait maternel, s’accroît chaque jour; ses dents pous- sent, et il peut faire usage bientôt d’une nourriture nouvelle; plus tard, la puberté se déclare par des changements internes et des signes exté- rieurs; plus tard, la croissance s’arrête, l’homme est dans toute la pléni- tude de son développement et de ses fonctions. Puis enfin, au bout d’un temps variable, les fonctions languissent et s’éteignent, et la mort sur- vient comme le terme fatal et inévitable de la vie. L'homme n'arrive pas toujours au terme naturel de la vie : la mort le saisit à tous les âges. Les causes de destruction entourent l’homme de toutes parts. La famine, la guerre, les épidémies, les maladies, les acci- dents mettent presque toujours fin à l’existence avant l’époque naturelle. La durée moyenne de la vie humaine, calculée sur des millions de décès, est de trente-trois ou trente-quatre ans. Les vieillards qui atteignent à cent et cent dix ans ne sont que de rares exceptions. La mort arrive par la cessation d'action du cerveau, des poumons et du cœur, Les organes des sens deviennent obtus ; les yeux cessent de voir, les oreilies d'entendre, la peau de sentir; la respiration se ralentit ; les mouvements respiratoires deviennent de plus en plus lents et cessent par une dernière expiration ; le cœur, qui ne bat plus que faiblement, fait encore sentir à l’oreille quelques frémissements, qui bientôt s’éteignent : la mort est confirmée. Alors survient la rigidité cadavérique ($ 230), et enfin la putréfaction. Les divers tissus passent à des combinaisons chi- miques nouvelles, dont le terme est de l’eau, de l'acide carbonique et de l’ammoniaque. L'eau, l’acide carbonique et l’ammoniaque s’évaporent, et les parties salines, fixes, qui composent la charpente solide des os, et qui entrent aussi dans la composition des liquides et des tissus, repré- sentent seules, plus tard, le corps qui a cessé d'exister. La putréfaction est le signe de la mort par excellence : on peut même dire qu’il n’y a guère que celui-là. La cessation apparente de l’action du cerveau et la suspension des mouvements respiratoires peuvent se rencontrer parfois, sans que la vie ait nécessairement cessé, ou tout au CHAP, IX. DÉVELOPPEMENT APRÈS LA NAISSANCE. 975 moins sans qu'il soit impossible de la rappeler. La cessation complète des mouvements du cœur, constatée, non sur le trajet des artères, mais direc- tement par l’auscultation précordiale, pourrait être regardée aussi comme un signe à peu près constant de mort, si l’on ne concevait la possibilité de mouvements fibrillaires du cœur, trop faibles pour être perçus à l’o- reille, au travers des parois pectorales, et coexistant chez l'individu avec le pouvoir d’être rappelé à la vie. La science à enregistré quelques faits qui commandent, sous ce rapport, une grande circonspection. Il n’est pas rare, en effet, de rencontrer sur les animaux plongés dans le sommeil d'hiver une véritable mort apparente, avec impossibilité de distinguer les battements du cœur. S 498. Des âges. — Toute division numérique des âges souffre de nombreuses exceptions : une foule de causes peuvent accélérer le cours de la vie ou le retarder. Les phénomènes de la vie sont trop dépendants des influences extérieures pour que le temps écoulé puisse en mesurer, à un moment donné, le mouvement accompli. On peut cependant partager la durée de la vie humaine en trois périodes assez naturelles, qui correspondent à la jeunesse, à l’âge viril et à la vieillesse. Pendant la jeunesse, les organes s’accroissent et les facultés se développent. Lorsque le développement est achevé, survient une période pendant laquelle l'homme est en pleine possession de lui-même. Cette période de virilité dure pius ou moins long- temps, suivant le milieu dans lequel il se trouve placé, et aussi suivant les conditions individu@lles. Après ce temps, l’homme commence à dé- croître, et la vieillesse commence. La jeunesse elle-même se partage en deux périodes assez nettement tranchées par l'établissement de la puberté. La première période ou l’en- fance s’étend de la naissance jusqu’au moment où les fonctions de repro- duction commencent à s’éveiller; la seconde comprend l'adolescence, c'est-à-dire cet intervalle pendant lequel l’homme, qui n’est plus un en- fant, n’est pas encore un homme. Enfance. — L'enfant naissant offre une remarquable activité de toutes les fonctions de nutrition; la vie semble marcher avec d'autant plus de ra- pidité qu’on se rapproche davantage de la naissance. L'augmentation en dimensions est d’autant plus rapide que l’enfant est plus jeune, et chaque année qui s'écoule ajoute moins à la stature que celle qui l’a précédée. Un enfant de trois ans a atteint la moitié de la hauteur totale de l'individu adulte ; il a acquis dans l’espace de trois ans (et neuf mois) autant que dans les quinze ou dix-huit années qui vont suivre. Ce qui a lieu pour le développement du corps en hauteur a lieu aussi pour chacun des éléments qui le composent. Cette loi peut être vérifiée facilement sur le système osseux Î. 1 M, Falek à dernierement publié un mémoire intéressant sur ce sujet, J1 a pris le poids 974 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. La circulation du nouveau-né est plus active que celle de l'adulte. Le nombre des pulsations artérielles, pendant le premier et le second mois, est de 140 par minute ; il est encore de 198 au sixième mois; de 420 au douzième ; de 110 à la fin de la seconde année ; etil ne descendra que peu à peu à 75 ou 80, chiffre normal de l’âge adulte. La respiration est également plus accélérée. Tandis que le nombre des respirations de l’adulte est de 15 à 18 par minute, celui des enfants nouveau-nés est de 30 à 40, et il s’abaissera peu à peu, comme les pul- sations du cœur. L'enfant, respirant davantage, produit plus de chaleur, et sa petite masse l’expose facilement au refroidissement (Voy. $ 140 et 166). Le lait est la première nourriture de l’enfant, et c’est celle qui doit faire la base de son alimentation pendant toute la durée du premier âge, c’est-à-dire pendant les quinze ou dix-huit mois qui suivent la naissance. Vers le sixième ou le dixième mois, on associe généralement au régime de l’enfant de petites bouillies claires, faites avec la farine de froment, ou avec la mie de pain séchée et pulvérisée ; on y associe bientôt la se- moule, la fécule, la crème de riz, etc. Plus tard, vers la fin de la pre- mière année, on ajoute à ce régime des bouillons de poulet, de veau, de bœuf, coupés d’abord et purs ensuite. Enfin, vers quinze ou dix-huit mois, les premières dents, presque toutes sorties, permettent à l’enfant de di- viser les aliments. La transition entre l’allaitement et le régime nouveau doit être bien ménagée. Il est important que les enfants soient peu à peu accoutumés au régime nouveau, au moment où on les sèvre. Dans le cours de la première enfance, les dents sortent en dehors de l'épaisseur des maxillaires qui les contiennent. Cette éruption est souvent accompagnée de perte d’appétit, d’agitation, de salivation, de vomisse- ments, de diarrhée, parfois de fièvre, de convulsions, ete.; mais elle peut se faire aussi sans trouble, et sans que les enfants s’en aperçoivent. La sortie des dents commence ordinairement du sixième au septième mois, et elle est généralement terminée vers la fin de la seconde année ou vers le trentième mois. Voici leur ordre d'apparition : les incisives moyennes de la mâchoire inférieure paraissent les premières, vers le septième mois; puis viennent les supérieures; ensuite les incisives externes de la mä- choire inférieure ; puis les incisives externes de la supérieure ; puis, vers le quinzième ou le dix-septième mois, les premières molaires, d’abord à la mâchoire inférieure, ensuite à la supérieure ; à peu près à la même époque, ou un peu plus tard, les canines ; enfin les deux dernières mo- laires d’en bas et d’en haut complètent la série des dents de lait, qui sont ainsi au nombre de vingt. Pendant que ces changements s’accomplissent, les autres parties du tube digestif se modifient aussi. L’estomac se rapproche de l'horizontale, du corps et des différents organes du chien pendant le premier mois du développement (4r- chives de Wirchow, t. VI, p. 57, 1854). CHAP. IX, DÉVELOPPEMENT APRÈS LA NAISSANCE, 1 et acquiert une plus grande capacité, ainsi que le gros intestin. Le foie et le rein croissent moins que le corps, et paraissent diminuer de volume. La vessie descend dans le bassin, par suite du développement des os coxaux. L’urine, d’abord excrétée dix ou douze fois par jour, le devient de moins en moins avec lg progrès de l’âge. Il est remarquable qu’elle ne renferme pas d’urée chez les enfants à la mamelle. Pendant la première enfance, l’accroissement n’est pas réparti d’une manière uniforme sur l’ensemble du corps. En général, les parties qui, à l'époque de la naissance, étaient les plus développées, sont celles qui, après la naissance, se développent le moins rapidement. Dans le sein de la mère, les membres supérieurs croissent plus rapidement que les infé- rieurs; après la naissance, le développement des membres inférieurs l'emporte sur celui des supérieurs. La tête, remarquable par son volume, ne croît plus que lentement. Elle forme presque le quart de la hauteur du corps à la naissance; elle n’en forme plus que le cinquième à trois ans, et le huitième seulement quand l'accroissement est achevé. Enfin, indépendamment des changements dans la proportion des or- ganes, les tissus eux-mêmes se modifient. Le système osseux continue à se solidifier par le dépôt des matières calcaires dans la trame cartilagi- neuse du squelette ; le tissu musculaire se fonce en couleur et devient plus solide ; le tissu fibreux acquiert plus de résistance ; le système nerveux devient plus blanc et plus consistant ; les cheveux, d’abord rares, aug- mentent en épaisseur, les ongles deviennent durs, etc. Pendant que les organes de l’enfant s’accroissent, il se passe en dedans de lui une série de phénomènes qui le préparent à la connaissance dn monde extérieur. L'enfant ne sent d’abord que le plaisir et la douleur; tout ce qui l’impressionne douloureusement lui arrache des eris et des larmes. Vers la fin du second mois, l’enfant, qui voyait tout confusément, commence à regarder; il répond au sourire de sa mère; la parole attire son attention. L'éducation des sens est commencée, et l’enfant est tout entier aux sensations qui doivent lui fournir les matériaux de ses connais- sances. Il regarde tout ce qui attire fortement ses yeux; la lumière et les couleurs éclatantes captivent son attention, peu active d’ailleurs, et bien- tôt distraite par d’autres impressions : il veut tout manier, tout saisir. Il allonge le bras pour prendre les choses qui le touchent, aussi bien que celles qui se dérobent à sa portée; mais il n’a pas encore la notion des distances, et un long apprentissage seul la lui fournira. L'enfant balbutie bientôt quelques mots, et l'intelligence, obtuse jusque-là, se révèle. L’en- fant commence à parler et à marcher seul. Vers l’âge de sept ou huit ans, les premières dents disparaissent pour faire place aux dents définitives. Le thymus (Voy. $ 193) s’est peu à peu atrophié, et il n’en reste plus alors que des vestiges. Huit grosses molai- res, qui n’avaient pas encore paru, se développent et prennent place dans les maxillaires, dont les dimensions ont augmenté. Déjà les formes plus LA 976 LIVRE II, FONCTIONS DE REPRODUCTION, accusées du sexe masculin se dessinent, ainsi que les manifestations dif- férentes du sentiment. Adolescence. — Vers l’âge de quinze ans chez l’homme, et vers l’âge de quatorze ans chez la femme, apparaissent les premiers signes de la puberté. Chez l’homme, les testicules deviennent plus volumineux, ainsi que les organes de la copulation; les spermatozoïdes apparaissent dans le liquide spermatique ; les parties génitales se couvrent de poils. Chez la ferame, les ovaires et l’utérus augmentent de volume ; les vésicules de Graaf commencent leur évolution périodique, et les règles s’établissent. Les différences extérieures entre les sexes se prononcent de plus en plus. Le visage de l’adolescent se couvre de barbe; la femme conserve les formes arrondies qui lui sont propres, tandis que les saillies osseuses et musculaires de l’homme, recouvertes par une couche adipeuse moins abondante, s’accusent à l’extérieur. Les cartilages du larynx augmentent rapidement de volume et le timbre de la voix se modifie. En même temps que les organes de la reproduction se développent et donnent à l’homme et à la femme une aptitude nouvelle, les sentiments affectifs se transforment et l’amour apparaît; l'amour, la passion la plus noble et la plus pure qu'il soit donné à l’homme de ressentir. Virilité. — Vers l’âge de vingt-cinq ans, le développement de l’homme est complétement achevé ; il a cessé de croître en hauteur depuis quel- ques années déjà, mais à cette époque seulement l’ossification a complé- tement envahi la trame du squelette, restée longtemps cartilagineuse en quelques points. L'équilibre s’établit entre les fonctions de l’assimilation et les fonctions de sécrétion. Les facultés intellectuelles de l'homme ont atteint toute leur perfection. À l'imagination passionnée, aux illusions et aux rêves brillants de la jeu- nesse succèdent peu à peu la maturité de la raison et du jugement. Les fonctions de génération, qui s’exercent d’abord dans toute leur énergie, vont peu à peu en s’affaiblissant; à l’amour succèdent des pas- sions moins nobles, tempérées par l’amour des enfants. Vers l’âge de soixante ans, la plupart des fonctions commencent à diminuer d’énergie ; l’homme touche à la fin de sa période active ; il commence à décliner, et la vieillesse s’établit. Vieillesse. — Le vieillard a rempli sa tâche ; il vit encore de la vie indi- viduelle, il est mort à la vie de espèce. La faculté de procréer se perd dans les deux sexes. Chez l’homme, le sperme n’a plus ses vertus prolifiques; chez la femme, la menstruation a cessé, et avec elle la sécrétion des ovules. + Les tissus deviennent plus mous, le visage se ride, les cheveux blan- chissent. Les dents s’ébranlent et tombent ; la digestion devient plus la- borieuse, elle est moins prompte et moins complète. La circulation se ra- : CHAP. IX, DÉVELOPPEMENT APRÈS LA NAISSANCE. 977 lentit, et les ossifications qui envahissent les tuniques des petits vaisseaux rendent l'assimilation moins complète. Les organes des sens s’affaiblissent; Ja vue se trouble, l’ouïe devient dure. Les mouvements ne s’exécutent plus qu'avec lenteur ; les muscles, devenus moins irritables, se contractent moins facilement. Les tissus fibreux tendent à s’ossifier; les os deviennent puls denses et plus fragiles. La voix perd son éclat; elle devient moins pure; elle se casse. À mesure que les années se succèdent, la décadence fait des progrès continus, et la mort vient mettre un terme à une existence devenue inutile. $ 429. Des tempéraments. — Les tempéraments sont des manières d’être par- ticulières, constantes chez un même individu, compatibles avec la con- servation de la santé, et dues à une diversité de proportion entre les di- vers systèmes organiques. On a beaucoup disserté et on dissertera longtemps encore sur les tempéraments. La division ancienne des tempéraments en flegmatiques, bilieux, san- guins et mélancoliques reposait sur l’hypothèse des qualités élémentaires de Galien, et sur la prédominance supposée de quatre humeurs princi- pales : le sang, la pituite, la bile et l’atrabile. La doctrine des quatre hu- meurs a disparu depuis longtemps de la science, et cependant la division ancienne des tempéraments nous est restée. La pituite et l’atrabile, créations fantastiques des anciens, ont disparu, il est vrai, et avec elles les tempéraments flegmatique et mélancolique; mais le tempérament lymphatique, qu’on leur a substitué, ne vaut guère mieux. Des quatre tempéraments dont il est fait mention dans la plupart des traités d'hygiène (sanguin, nerveux, bilieux, lymphatique), les deux pre- miers seuls méritent d’être conservés. Ce sont les seuls dont il soit pos- sible de donner ou plutôt de rechercher les caractères anatomiques. Sous ce rapport, presque tout est encore à faire. Les caractères tirés des dispositions affectives, des passions ou des fa- cultés intellectuelles, caractères sur lesquels s’appuient la plupart de ceux qui ont voulu justifier cette classification, ne sont ni du ressort de l’hy- giène, ni de celui de la physiologie. Celle-ci ne peut baser une classifica- tion que sur des conditions organiques. Le tempérament nerveux et le tempérament sanguin sont caractérisés par la prédominance relative du système nerveux ou de l’appareil circu- latoire. D'où résulte, soit la prépondérance des fonctions dites animales sur les fonctions de la vie organique, soit, au contraire, la prépondérance des fonctions de nutrition sur celles de la vie animale. L'appareil circulatoire ne doit pas être envisagé, d’ailleurs, seulement sous le rapport de son développement relatif; mais il faut tenir compte des qualités du sang qui circule dans son intérieur. La proportion des glo- 62 978 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION, . bules ne peut augmenter ou diminuer dans le sang, même pendant un temps peu considérable, sans entrainer dans l’ensemble général de l'in- dividu des changements profonds. Le tempérament sanguin ou végétatif devrait sans doute aussi être di- visé en deux sous-embranchements, suivant la prédominance du mouve- ment nutritif vers le tissu adipeux ou vers le tissu musculaire (Voy.$$ 209 et 210). Le tempérament lymphatique appartient vraisemblablement à la pré- dominance adipeuse, Jamais on n’a pu fournir la preuve que le système lymphatique fût plus développé chez les individus qu’on désigne ordinai- rement sous le nom de lymphatiques. Le tempérament bilieux n’est qu’un tempérament nerveux enté souvent sur un état pathologique du foie. Quant aux conditions en vertu desquelles certains tissus acquièrent une prédominance relative sur d’autres, de manière à amener des différences qui se traduisent par le tempérament, s’il est vrai qu’elles soient inhé- rentes en partie à la transmission héréditaire, il est certain aussi que les conditions au milieu desquelles l’homme se développe et s'accroît sont loin d’être sans influence sur le résultat. Dans des expériences autrefois pratiquées dans un autre but sur le développement des poulets, nous avons remarqué que dans les incubations artificielles, précipitées par une température élevée (450 à 50°), les jeunes poulets arrivés à éclosion pré- sentaient une tête volumineuse, presque monstrüeuse, tandis que les tissus étaient peu colorés et le cœur peu volumineux. Lorsqu’au contraire l'mcubation était conduite de manière que l’évolution du poulet s’ac- complit sur les limites inférieures de température, compatibles avec le dé- veloppement (35° à 40°), leur tête, et par conséquent le système nerveux des jeunes poulets, étaient peu développés, tandis que le cœur était volu- mineux et les tissus gorgés de sang. En comparant d’une manière géné- rale les peuples du Nord avec les peuples du Midi, on peut constater une différence dans le même sens. Les premiers sont plus massifs, plus déve- loppés, la vie nutritive a plus d’activité que la vie nerveuse. Chez les peu- ples du Midi, le système nerveux prédomine et imprime à la physionomie une vivacité caractéristique. Les différences beaucoup plus marquées entre les systèmes sanguins et nerveux, obtenues sur les animaux qui se développent d’un œuf, se conçoivent sans peine, car elles ont porté sur les premières formations embryonnaires. Chez l’homme, les influences du dehors n’agissent sur lui qu’à une époque où déjà il a subi la plupart de ses évolutions dans le sein maternel, et l’on sait que la température ani- male est sensiblement identique sous toutes les latitudes (Voy. S 164). S 430. Races humaines. — Races animales. — Si nous jetons un coup d'œil sur les huit ou neuf cents millions d'habitants répandus à la surface du globe, nous sommes immédiatement frappés par les différences qui les CHAP, IX. DÉVELOPPEMENT APRÈS LA NAISSANCE. 979 séparent. Mais ces différences sont plus apparentes que réelles, et les caractères de races sont loin d’être aussi marqués et aussi permanents qu'on a cherché à l’établir. Préoccupés surtout des différences actuelles, et tenant peu de compte des modifications profondes et nombreuses que les influences extérieures. telles que le sol, les eaux, la chaleur, la lumière, l'humidité, le régime, ete., agissant pendant une longue suite de générations, ont nécessairement exercées à la longue surle physique de l’homme, et indirectement sur ses aptitudes intellectuelles , quelques auteurs se refusent à considérer l’es- pèce humaine comme descendant d’une souche commune, et cherchent à la rapporter à quelques types primitifs, originairement distincts. Les physiologistes qui combattent l’unité de l’espèce humaine ont pro- posé un certain nombre de types qui représentent pour eux les souches originaires. Or, non-seulement le nombre de ces types n’est pas le même pour chaque observateur, mais encore il règne une certaine divergence sur les caractères attribués à chacun d’eux. C’est ainsi que Linné admet quatre variétés, Buffon huit, Blumenbach cinq, Cuvier trois, Desmou- lins onze, M. Bory de Saint-Vincent quinze, etc. A supposer que l’espèce humaine, unique dans l’origine, se soit suc- cessivement étendue sur les divers points du globe habité, on cherche en vain , il est vrai, les traces de ces migrations, Pour gagner l'Amérique, a-t-elle pris le chemin de l’Asie ou celui de l'Océan ? Comment s’est-elle transportée dans les îles habitées de la Polynésie ? Mais ces questions, qui se perdent dans la nuit des temps, ne sont point du domaine de l'histoire naturelle, et c’est déplacer le problème physiologique que de tirer de la possibilité ou de l'impossibilité de ces migrations des argu- ments pour ou contre la pluralité originaire des espèces dans le genre humain. Depuis plus de trois siècles que l’Amérique a été conquise par les Es- pagnols, et que les Européens, fixés depuis cette époque dans le pays, se sont trouvés soumis à des influences climatériques nouvelles, il est vrai qu'il ne sont pas sensiblement changés, et qu'ils sont loin de ressembler à la population indigène. Les Européens établis dans le Sénégal, dans le midi de l'Afrique, dans la Nouvelle-Hollande, dans les Indes, sur les côtes de la Chine et dans un grand nombre d’autres contrées ont également con- servé leurs caractères propres. Mais remarquons que partout où deux races se trouvent en présence, les individus qui la composent représentent une longue série de siècles écoulés dans des conditions différentes. L'Europe conquérante s’est trans- portée avec son régime, ses habitudes, ses habitations, ses vêtements, son industrie , là où l’indigène était nu ou à peine couvert d’une ceinture de feuilles, sans défense contre le froid, la chaleur, la lumière. Est-il sur- prenant que les caractères de race se perpétuent aujourd’hui sous des cli- mals nouveaux, alors que les colonies se recrutent sans cesse des émigrants 980 LIVRE IIf, FONCTIONS DE REPRODUCTION. de la mère patrie ? Qu'est-ce, d’ailleurs, qu’une période de trois siècles comparée à un intervalle de cinq à six mille ans ? Et s’il a fallu ce temps pour amener dans les populations les caractères qu’elles présentent au- jourd'hui, comment peut-on espérer trancher la question par une expé- rience aussi courte? Les caractères de la race ont dü, dans le principe, s’imprimer avec une énergie d'autant plus grande qu’au début des socié- tés les hommes se sont trouvés bien plus qu’à présent à la merci des forces physiques. Si, abandonnant pour le moment l’espèce humaine, nous portons nos regards sur les espèces animales, qui ne peuvent aussi eflicacement que l’homme se soustraire aux influences du dehors, les faits ne sont pas douteux. Colomb, Cortez et Pizarre, dans leurs diverses expéditions, introduisi- rent successivement en Amérique le cochon, le mouton, le bœuf, la va- che, le chien, le cheval, et divers oiseaux de basse-cour. Or, on rencontre aujourd'hui dans les plaines des Cordillères, et dans les vastes forêts du nouveau monde, des porcs marrons, vivant à l’état sauvage, et présen- tant les caractères des sangliers , leurs premiers parents. Leur tête s’est élargie, leurs oreilles sont devenues droites et roides, leur poil noir, épais et court. Les ruminants, désignés sous le nom de calongos, représentent les descendants des bœufs de la conquête. Ils sont profondément transfor- més : ils ont perdu leur poil, et leur peau est entièrement nue. La toison des moutons, qu’on n’a pas soumis, comme en Europe, à une tonte an- nuelle, s’est épaissie; elle est tombée par plaques, et elle a laissé au-des- sous d’elle, non pas une laine naissante, mais un poil lisse et brillant, analogue à celui de la chèvre. Voilà des faits; mais, sans aller si loin, et pour rester dans l’ancien continent, les espèces animales ne nous offrent-elles pas d'innombrables variétés, sans cesser d’être l’espèce ? Le mouton d’Espagne ressemble-t-il à celui d’Angleterre ; le cochon chinois, le chien danois, anglais, turc, etc., ressemblent-ils au cochon de la Vendée et au chien du Poitou ? Si, trans- portées en dehors du climat sous lequel les caractères particuliers à cha- cune de ces variétés se sont lentement développés; si, dis-je, ces espèces conservent encore, pendant un temps plus ou moins long, les caractères qui les distinguent, en conclura-t-on que ces caractères tiennent à des différences originaires et immuables ? Mais qui ne sait, au contraire, com- bien il est difficile d’acclimater des races, et avec quelle facilité elles dé- génèrent sous un ciel nouveau ? Les différences qui distinguent le Nègre, le Hottentot, l’Esquimau, le Chinois, l’'Européen, sont tranchées; mais, pour l'être moins, celles qui séparent l’Anglais, le Français, l'Espagnol, le Russe, l'Italien, ne sont pas moins incontestables. Hâtons-nous de l'ajouter, les influences extérieures, en agissant sur les corps organisés, ne les modifient pas à l'infini. Il s'établit à la longue une sorte d'équilibre, et les caractères acquis se transmettent alors CHAP, IX. DÉVELOPPEMENT APRÈS LA NAISSANCE. 981 sans changements nouveaux aux descendants. C’est cet équilibre qui ca- ractérise la variété ou la race. Jusqu'ici, nous avons passé sous silence une influence d’une autre na- ture, dont l’action s'ajoute parfois à la précédente, et qui vient compliquer ou précipiter les résultats. Je veux parler des croisements entre individus de variétés ou de races différentes. Supposons qu’un certain nombre d'individus, appartenant à l’une ou à l’autre de nos variétés chevalines , bovines ou ovines, soient transportés sous un ciel nouveau ; supposons également que toute communication soit interceptée entre eux et les animaux de la même espèce, soumis depuis longtemps déjà à l'influence du climat étranger dans lequel on les place. Les caractères organiques en harmonie avec les milieux nouveaux appa- raitront, mais seulement au bout d’un nombre plus ou moins considéra- ble de générations. Mais si, au milieu de ce groupe d'individus, on fait in- tervenir un ou plusieurs mâles indigènes, au bout de peu de temps les caractères nouveaux se dessinent. Ici, le croisement des races confirme et accélère les effets du climat; le croisement est eflicace, parce que les conditions météorologiques et le sang nouveau agissent dans le même sens. Laissez, au contraire, votre troupeau dans les plaines qui l’ont vu naïi- tre, et versez dans son sein un sang étranger. Les changements du sang étant plus rapides que ceux du sol, les nouveaux produits seront, il est vrai, immédiatement modifiés. Mais, ici, le sang et le climat agissent en sens contraire. L'action de celui-ci étant incessante et continue, les produits ne tarderont pas à dégénérer, et les changements temporaires que vous aurez obtenus finiront par disparaître complétement. En d’autres termes, la lignée mixte ressentira tôt ou tard l'influence des lieux dans lesquels elle se développe et se reproduit. En général, lorsqu'on cherche à modifier une race ou à l'améliorer, comme on dit, on se propose de substituer à certaines qualités désavan- tageuses au point de vue économique d’autres caractères organiques en harmonie, soit avec la vitesse dans les mouvements, soit avec la force, soit avec la proportion des masses musculaires et adipeuses. Or, pour arriver à ces résultats, et chacun sait qu’on peut y arriver, quelles sont les con- ditions nécessaires et quel est leur mode d'action ? S’il s’agissait simplement de transformer une race venue de loin en une autre race déjà existante dans le pays où on l’amène, rien ne serait plus facile. La race étrangère disparaîtrait promptement par son mélange avec l’autre. Mais tel n’est pas le problème qu’on se propose : il est même évi- dent qu’on n’a jamais un pareil but; car, si l’on voulait simplement aug- menter ses produits, il serait peu économique de les aller chercher au loin. Une erreur que partagent un grand nombre d’éleveurs consiste à croire que toute la question de l'amélioration des races est celle-ci : transformer la race du pays où l’on opère en une autre race déterminée , 982 LIVRE III, FONCTIONS DE REPRODUCTION. qui existe ailleurs, et à laquelle on emprunte un certain nombre d’éta- lons. Lorsqu'on poursuit ce résultat, on s’efforce tout simplement d’at- teindre l’impossible. Supposons, en effet, pour nous placer dans les con- ditions les plus favorables, qu’on emprunte à un ciel étranger un groupe entier d'individus appartenant à une race quelconque, et que ces animaux, transplantés sur le sol où on veut perpétuer la race, se reproduisent ex- clusivement entre eux. Au bout d’un temps plus ou moins long, et géné- ralement après deux ou trois générations seulement, il ne sera pas difi- cile de s’apercevoir que les produits ne ressemblent déjà plus à leurs parents. Peu à peu, ils prendront une forme , une taille, une charpente et des proportions en harmonie avec le nouveau pays dans lequel ils sont appelés à vivre, et ils s’y accommoderont, ou, comme on dit, ils dégéné- reront. Il n’est pas besoin d’ajouter que si, au lieu de laisser le troupeau pur de tout mélange, vous introduisez, dès le principe, dans son sein des individus indigènes, vous accélérerez encore le résultat contraire à celui que vous vouliez atteindre. On croît remédier eflicacement à cet inconvénient en empruntant pé- riodiquement des mâles, et en renouvelant sans cesse le sang étranger. De cette façon, il est vrai, on conserve plus longtemps dans les produits les caractères qu’on recherche ; mais le croisement n’en est pas moins en lutte perpétuelle avec le climat, et on obtient en définitive une nouvelle race, qui n’est point semblable à celle qu’on voulait imiter. Ce besoin sans cesse renaissant d'introduire du nouveau sang dans le troupeau indique suffisamment qu'on combat une force insurmontable et qui ne peut être vaincue. Ces individus modèles que nous faisons venir à grands frais de l’Angle- terre, il ne faut pas croire que celle-ci les a empruntés ailleurs. Leurs ca- ractères sont des caractères acquis : ils sont devenus ce qu'ils sont à la longue, et en veriu du régime auquel ils ont été soumis, et en vertu du climat sous lequel leur ascendance a longtemps vécu. La race de chevaux dont l’Angleterre est justement fière, l’a-t-elle prise quelque part ? Est- elle identique à la race arabe, dont on l’a dit descendue ? Non; elle se distingue par des caractères propres, elle excelle par des qualités qu’elle possède seule. Ces bœufs, ces moutons monstrueux dont la charpente os- seuse, dont la tête amoindrie ont fait place aux tissus utiles, c’est-à-dire aux masses charnues et adipeuses, l’Angleterre les a-t-elles trouvés ail- leurs ? Non; ils procèdent du climat, du régime et des accouplements de choix. On peut bien transporter des individus, mais on ne transporte pas une race : il faudrait pour cela transporter avec elle le ciel, l’air, le sol, les eaux , les herbages. Par le croisement, on obtient des effets immédiats, mais incomplets, mais éphémères ; on crée des produits, on ne fonde pas une race. Pour résoudre le problème de l’amélioration de nos espèces do- mestiques, il ne s’agit donc pas de reproduire certains types déterminés V2 CHAP, IX. DÉVELOPPEMENT APRÈS LA NAISSANCE, 983 qui existent chez nos voisins, il faut procéder comme eux, c’est-à-dire rechercher sur notre propre sol les individus qui se distinguent par cer- täines qualités physiques particulières, combiner par génération les qua- lités qu’on veut réunir sur le même individu, former des animaux de choix, les grouper, ménager convenablement les accouplements, et s'élever ainsi peu à peu à la création d'individus d'élite, qui, développés, nourris et en- gendrés dans les mêmes conditions de régime et de climat, constitueront des souches indigènes capables de conserver et de communiquer des ca- ractères durables. Les animaux subissent donc, sous l'influence combinée du régime, du climat et des croisements, des modifications profondes. Cette influence, l’homme la subit également. Il est vrai qu'il sait et qu’il cherche souvent à s’y soustraire ; 1l est vrai encore que la pensée d’améliorer l'espèce con- stitue rarement pour lui des mobiles de procréation ; mais il n’est pas moins vrai que l’ensemble des conditions extérieures au milieu desquelles il se développe et se propage impriment à sa physionomie certains caractères géographiques qui constituent autant de variétés. Les différences par lesquelles se distinguent les hommes répartis dans les diverses contrées du globe sont loin de justifier l'hypothèse de la plura- lité des espèces dans le genre humain. Les hommes et les femmes, de quelque part qu'ils viennent, peuvent se perpétuer indéfiniment et à toutes les générations, ce qui n’a pas lieu pour les espèces différentes, même les plus voisines. Celles-ci peuvent bien donner parfois naissance à des métis (âne et jument, chien et loup, etc.), mais les métis sont infé- conds, ou, s’ils peuvent encore se reproduire, cette puissance s’éteint in- variablement après deux ou trois générations. Des formes de tête peu variées, quelques différences dans la direction des dents, dans la longueur des os des membres ou dans le mode d’arti- culation des ailes du sphénoïde, peuvent-elles être mises en parallèle avec les différences bien plus profondes que nous pouvons nous-mêmes im- primer artificiellement au squelette et aux proportions relatives des di- vers tissus de nos espèces domestiques ? 8 Les caractères tirés de la couleur ne sont pas plus concluants, Si la co- loration noire du nègre était un caractère originel, retrouverait-on cette couleur chez des peuples dont le crâne offre une conformation qui est celle des races caucasiennes, comme les Indous et les Abyssiniens ? Les Juifs du Nord sont blonds et ont le teint blanc; les Juifs d'Afrique et de l’Asie Mineure ont les cheveux noirs et le teint basané, et on en trouve aussi de tout à fait noirs. Les caractères qui affectent les formes et les dimensions de la tête ont été étudiés avec beaucoup plus de soin que les autres, précisément en rai- son de leur intérêt psychologique. L'étude comparée des crânes a été faite à des points de vue divers. Tantôt on s’est proposé de déterminer la capacité relative de la cavité crânienne, (Il résulte des recherches faites > 984 LIVRE IT, FONCTIONS DE REPRODUCTION, par M. Tiedemann sur un grand nombre de crânes que cette capacité est sensiblement la même dans les races les plus éloignées, telles que la race caucasienne et la race éthiopienne.) Tantôt on a cherché le rapport qui existe entre la cavité du crâne et l'étendue de la face. Tantôt on a me- suré ce que Camper a appelé l'angle facial, c’est-à-dire l’angle formé par la rencontre de deux lignes, dont l’une, tangente au front, rencontre, à la racine des dents incisives, une autre ligne qui part du conduit auditif ex- terne. Cet angle est généralement de 80 degrés pour les têtes européennes, et de 70 pour celle des nègres ; mais si cette différence tient en partie au peu de saillie du front chez le nègre, elle dépend bien plus encore de la saillie en avant de l’os maxillaire. Lorsqu'on fait coïncider l’angle facial avec le bord inférieur de l’ouverture des fosses nasales, la différence de- vient bien moindre, et souvent elle s’efface. Lorsqu'on cherche à apprécier, dans leur ensemble, les diverses formes du crâne, il faut, non pas placer le crâne devant soi et l’envisager, soit du côté de la face, soit du côté de l’occiput, soit de profil; il est préféra- ble, comme le conseille Blamenbach, de placer la tête à ses pieds, et de la regarder par le sommet pour en embrasser toute la circonférence. On arrive ainsi à établir, parmi les diverses formes de la tête dans l’espèce humaine, quatre dispositions principales. La première forme (ovale) est caractérisée par un contour ovalaire, ni trop allongé, ni trop raccourci; la seconde forme (elliptique) présente un contour ovalaire aussi, mais plus allongé que le précédent; le crâne est un peu aplati sur les côtés. La troi- sième forme (pyramidale) consiste dans l’aplatissement latéral du crâne, suivant deux plans inclinés qui se rejoignent au sommet de la tête, de manière qu'envisagé d’en haut, le crâñe a une forme en quelque sorte py- ramidale, et que, vu du côté de la face, le sommet de la tête et le menton forment les deux extrémités d’un losange dont les apophyses zygomati- ques représentent les deux autres angles. La quatrième forme (globulaire) consiste en ce que l’occiput et le front étant en quelque sorte refoulés vers le plan médian de la tête, celle-ci perd sa forme ovale et devient à peu près circulaire ou globulaire. Il faut dire que ces diverses formes pas- sent de l’une à l’autre par des transitions insensibles, et qu'elles sont loin de présenter des caractères constants. On peut rencontrer toutes ces for- mes dans une seule et même race. Toute classification des variétés de l’espèce humaine est plus ou moins arbitraire. On peut toutefois les rapporter à quatre principales : la blanche, ou caucasique ; la jaune, ou mongolique ; la noire, ou éfhiopienne; la rouge, ou américaine. Ces variétés correspondent à peu près aux quatre parties du monde : Europe, Asie, Afrique, Amérique. Elles se subdivisent en un grand nombre d’autres. Variété caucasique. — Les peuples qui appartiennent à cette variété occupent l’Europe et l’Asie occidentale. Les pays qu'ils habitent se dis- tinguent par la douceur du climat et par la richesse du sol. Ces peu- CHAP, IX. DÉVELOPPEMENT, APRÈS LA NAISSANCE, 985 ples sont les plus civilisés, et ils ont constamment dominé les autres. Les individus de la race caucasique ont le visage et la tête ovales, le nez long et droit, les yeux fendus horizontalement, les dents et les lèvres non saillantes; de la barbe, des cheveux blonds, châtains ou noirs; les yeux bleus ou noirs, la peau blanche ou noire. Cette variété peut être partagée en deux branches : la branche euro- péenne et la branche orientale. A. La branche européenne comprend quatre tiges principales : 1° La tige orientale ou caucasique proprement dite, dans laquelle les traits du visage et la forme du corps représentent le type le plus parfait de la beauté physique. Cette tige se rencontre en Géorgie, en Mingrélie et en Circassie. 2° La tige méridionale ou pélasgique, peuplant la Grèce, l'Italie, les prin- cipautés danubiennes, etc. 3° La tige occidentale ou celtique qui, descendue d’abord des Gaules sur l'Italie avec Brennus, fut ensuite refoulée par les Pélasges et par les Germains, avec lesquels elle s’est mélangée. On retrouve ses vestiges en Bretagne, dans le pays de Galles et dans les provinces basques. 4 La tige septentrionale ou germanique se partage en trois rameaux : le teutonique (Danemark, Suède, Norwége, Allemagne du Nord); le slave (Russie, Pologne, Hongrie); le scythe ou tartare. B. La branche orientale comprend : les Arabes, peuple nomade, à peau basanée et presque noire ; les Juifs, qui se sont ensuite répandus partout ; les Abyssiniens, les Nubiens, à peau tout à fait noire ; les Egyptiens ; les Indous, dont la peau est jaune brun ou noire; les Persans, les Afghans, les Kurdes, les Arméniens, races remarquablement belles, à peau blanche ou légèrement bistrée. Dans la branche orientale de la variété caucasique, on peut ranger aussi les Alleganis, peuplades américaines, originaires des monts Alleganis, et disséminées aujourd'hui parmi d’autres nations américaines. Ces peu- plades, intelligentes et guerrières, ont des traits européens, la peau légè- rement cuivrée et peu de barbe. Variété mongolique. — Cette race habite surtout l’Asie, les parties sep- tentrionales de l’ancien et du nouveau monde, la Chine, ete. Les Mongols ont une taille peu élevée, le visage plat, les pommettes saillantes, les yeux obliques, le crâne pyramidal ou globulaire, la peau jaune, brune ou olive. - Parmi les peuplades qui appartiennent à cette variété, il faut placer en première ligne : 1° Les Chinois, les Japonais, les Cochinchinois, les Tonquinois, les ha- bitants de la Corée. Les femmes de la classe élevée, presque toujours renfermées dans l’intérieur des habitations, ont la peau aussi blanche que les Européennes. Tous ces peuples, fort peu connus même aujourd’hui, occupent une immense étendue de territoire et comptent un nombre con- 986 LIVRE III. FONCTIONS DE REPRODUCTION, sidérable d'habitants. L'agriculture paraît avoir acquis chez eux un haut degré de perfection. Les Chinois s’attribuent l'invention de la boussole et de la poudre à canon. 2 La tige kyperboréenne comprenant les Lapons, les Samoïèdes, les Es- quimaux, les Kamschadales, les Groenlandais. Ces peuplades sont de petite taille, trapues et sales. 3° La tige malaise. On fait souvent des Malais une race à part. Ils tien- nent en effet et des Indous caucasiques et des Chinois. On rapporte à cette race la plupart des peuplades des îles de la Polynésie. La race est surtout pure aux Molluques, à Sumatra, à Bornéo, en Australie. On la retrouve aussi aux Marquises, à l’archipel de Taïti, aux îles Sandwich, aux Philippines, à la Nouvelle-Guinée, à la Nouvelle-Zélande, etc. Variété éthiopienne. — Les nègres ont la peau noire, le crâne allongé, le nez épaté, les cheveux crépus, les dents incisives et les os maxillaires projetés en avant et recouverts de lèvres épaisses, les membres supérieurs longs et le pied plat. Les nègres se rencontrent en Afrique, à Madagas- car, à la Nouvelle-Hollande, aux îles Salomon, à la terre de Van-Diémen. L’esclavage dans lequel est tombée cette race l’a répandue en une infi- nité d’autres lieux. On peut diviser les nègres en trois groupes : les nègres proprement dits, les Cafres, les Hottentots. Les Cafres se distinguent par une assez belle conformation du crâne, et une certaine régularité dans les traits du visage; leur peau n’est pas très-noire. Les Hottentots ont généralement la tête plus aplatie; ils ont le nez épaté des nègres proprement dits. Les femmes des Hottentots sont remarquables par un développement, parfois considérable, des petites lèvres, auquel on a donné le nom de tablier. Levaillant prétend que les femmes les allongent par coquetterie. Variété américaine. — Les peuplades américaines qui occupaient l’Amé- rique au moment de la conquête, et que l’émigration européenne refoule chaque jour davantage, ne sont en majeure partie qu’un rameau détaché de la race mongolique. Dans l'Amérique du Sud, leur teint est rouge cuivré. Les peuples du Nord ont la peau beaucoup moins colorée; mais ils se teignent généralement la surface du corps à l’aide de couleurs va- riées, parmi lesquelles le rouge joue le principal rôle; ceux de la Cali- fornie ont la peau d’un brun foncé. Les Américains ont généralement les cheveux noirs et un visage régulier, se rapprochant du type européen. Quelques peuplades américaines sont remarquables par leur stature et les belles proportions du corps. FIN, TABLE DES MATIÈRES. PRÉFACE. 200 RE à os « à e 2 se os Un a US ss Ue ee NOTIONS PRÉLIMINAIRES. JT. Des limites de la physiologie. . . . . . . . . NC Een ET E DATE ET 11. De l’organisation. — De la vie. . . . . DS ec D PERMET RE ee IT. De la méthode en physiologie. . . . . . . . . . . ici ec MMS ME Acte EVE CDS IONIOR SE EEE! UN Anse ne ee + ete LIVRE I. — FONCTIONS DE NUTRITION. CHAPITRE I. — DIGESTION. . . . . . CUITE MENENRIREMEMENS CEE . $ 1. Définition. — Division. . - . . . Che Sd Ha nt oder at Mc CPE PE SÉCTIONTE CPUINVCL SOU LEA, COPIE CERTA En SFR, SRI SR AIN RE ee ee : NES ie cie ren te ae 3. De la sensation de la faim et de son siége. + : : : . . . . . . 4: SOU: 2, PABR ETES ENT EE RUE UNE EE AE Le UP Te ai: 5. De la sensation de la soif et de son siége. . . . . . . . . . . . ET pr Reda MAÉ ERAS RENE EE à SL Len e $ 6: SUBSLANCES AMEN LAITES EME ane peines = el sus 7. Solubilité des substances alimentaires. . . . . . . . . MATE 7 ADmentS LOFeMeAMMAICE 7 - = ch. HU: lee à DAMES HONPINOAVERELAlOE SE ee Url en 10. Composition des aliments. . . . . . TPE EE oo en de DMBRUICIDESAZOLESS Me ere Le © © elle e DRE ete 12 PEMCIpes non Az0LéS: 4225075 SRE PME à MORE RE EE LNBOSSONS RE RER rt smic ht ci; LE Lt AREA . 14. Régime animal. — Régime végétal. . . . . . . ete el eue 15. Nécessité d’un régime à la fois azoté et non stoté Res 16. Aliments plastiques. — Aliments respiraloires. . , . . . . , . 17. Définition physiologique de l'aliment. . . . . . . . PE OR 18. Préparation des aliments. . . . . . M M TL SE Mo re SECTION III. — Phénomènes mécaniques de la digestion. , . . . . . . . . . $ 19. Préhension des aliments solides... . . . . . . AREAS 20. Préhension des aliments liquides. . . . . . . . . . Je ge be SH MASLICALIOn ER So or eue HS 92. Rôle des dents. ... . . - . A OPEN EE RE MERS 93 Mouvements dES MACNOIFES 2 us les MO 24. Des muscles qui meuvent les mâchoires. . , . . . . . . . . . 25. Rôle des joues, des lèvres et de la langue. . . . . . . . . . 202: DÉCIULILION Teen eee 21 telle PO = le le 97. Rôle de la salive dans la déglutition. . . . . . . . . . . . . = 28. Accumulation des aliments dans l’estomac. . . . . . . . . . . 29: Mouvementstüe L'ESLOIMAC: 2 san de CNE 1. 30% Vomissements cornes 31 SRE ATEN RS AS le Régurgitalion. L . . . L L * 0 + # . L] . . + . L . . . 9 © KW O1 & 988 TABLE DES MATIÈRES, Pages. $ 32. Eruetaliopsi st ét) db tot ob Ep Ms UE & . , 168 33.. Mouvements de liniéatin.gréle. sit RESEMR MS EE 14 ls Ra 69 34. Mouvements du gros intestin. . . . . . . . . . To = 70 20e DÉLCCALION ES ER cc = : 72 36. Rôle mécanique des gaz intestinaux. . . . . . ete cle 75 SECTION 1V. — Phénomènes chimiques de la digestion. . . . . . - 76 $ 37. Rôle des sucs digestifs. . . . . . eue SE A RON SM Article I. — Action de la salive. . . . . . . : PANTIN 11 S°-08. ARMES AR RER EE MOVIE MA Se nn sue se 7 UN 39. Action de la salive sur les aliments. . . . . . . . . . « . . . 83 Article II. — Action du suc gastrique (digestion stomacale). 3e Se ST $ 40. Suc gastrique. . . . . ps brie PR OCrE He ut 02 LIFAROÔle du SRCITASITIQUEE. Ne EC Eire * 94 42. Digestions artificielles. . . . . . . . . À DIE © TEL 9% 43. Action du suc gastrique sur les divers principes alimentaires. . 96 44. Digestion stomacale naturelle. . . 5 qe 100 45. Digestibilité des aliments. . . . . . . .. Sie ete clele 102 46. Durée de la digestion stomacale. . . . . . . . . . She 006 Article III. — Action du suc pancréatique, action de la bile, action du suc intestinal (digestion dans l'intestin grêle).. . . . . + 105 S::.47, Sue pantréalique... #3 2408 shell à : . + 105 48. Action du suc pancréatique sur les corps gras.,. . . . . . . . . 108 49. Action du suc pancréatique sar les aliments féculents. . . . . . 112 HO DIE EE 0 mood dE ARE SAMBUCEE pe 113 51. Rôle de la bile dns VA CISESION RUE ESS ee Cr D OS Li LE 52. Suc intestinal. . . . . . PROS OUT A ME S To 118 53e ACTION QU SUCHOLES RANCE EEE ER ee : : 119 54. Action simultanée de la bile, du suc DHéréatique et Ti suc in- testinal. — Digestion dans l'intestin grêle. . . . . . . . . . 121 Article IV, — Phénomènes chimiques de la digestion dans le gros intestin. 124 $ 55. Digestion cœcale.. « . . . . . . . . ele hehe rie = ” + 124 DU EXCTEMENS ee The te ep © telle MEN Dr 120 57. Des gaz de l'intestin. . . . . . . NOMon te ET EE. LES 0125 58. De la digestion dans la série animale. . . . . . . . 50 EI CHAPITRE II. — ABSORPTION.. . . . . . ts. APTE CARMEN ES 136 $ 59. Définition. — Division. . . . . . . . . . pitis Ce DOS Va can ON Ait Article [. — Absorption intestinale... . . . + . . . . . A à - 138 $ 60. Lieu de l'absorption digestive... . . « . . . . . + « . . . . 138 61. Voies de l'absorption digestive . . . . . . . . . . de 13) 627De y RO y cotrone ets CS ET) Ga MDUCCHYIC ENTREE EE NEA NT El ee PS ne Me 142 64. Sous quelle forme sont absorbés les produits de la digestion. . . 147 65. Produits de la digestion absorbés par les chylifères. . . . . . . 148 66. Produits de la digestion absorbés par les veines. . . . . . . . . 150 67. Des autres substances absorbées à la surface de l’intestin. . . . 151 Article IL. — De l'absorption cutanée et pulmonaire, de l'absorption dans les cavités closes, dans les réservoirs des glandes, sur les surfaces accidentelles. — Voies de ces absorptions. . . . . . . . < « 152 $ . 68. Absorption eufanégs à » à ee + + 0e te. - A 69. Absorption pulmonaire. « 4 . « « « « « « . « . « « « + « + + 154 $ Article IIT. — Mécanisme de l’absorption $ Article IV. — Circulation du chyle et de la lymphe... . . . . $ CHAPITRE III. CIRCULATION. . . . . TABLE DES MATIÈRES. P 70. Absorption dans les cavités closes, dans les réservoirs des glandes, sur les surfaces accidentelles, etc. — Voie de ces absorptions. 71. Absorption interstitielle ou de nutrition. . . . . . 72. L'absorption ne s'opère que sur les susbtances dissoutes. . . . . 73 DIDIER eee ee es ee ce TRS ERUGSINOSEE ere eee» virer sente LEE LE LC Che 75. De l’endosmose dans les Tor d'absorption cle 76. Absorption des matières grasses. . . . . . . 11. Mécanisme des absorptions générales. . . . . . . . . . . . . 78. Caractère essentiel de l'absorption. — Vitesse de l'absorption... . 79. Conditions qui ont de l'influence sur l'absorption ile) #77 80. Principale cause de la circulation lymphatique. 2 Contraetilité HCS NAISSENT CRC alle on alts de 1h). CRUE 81. Causes accessoires de la circulation du chyle et de la lymphe.. 82. Vitesse de la circulation lymphatique. . . . . . . . . . . . . 83. Circulation dans les ganglions lymphatiques. . . . . . . . . . 84. Absorption dans la série animale. el ol RS nn Ds: a)», 9» + stiniailen did Dos! HAUSSE 5 $ 85. Définition. — Division.. . . . SANTO MT te) à + à Article I. — Action du cœur. — CHenaLon dans lecœur2. M ee $ 86. Systole et diastole. . . . . . . . TO NEC" LÉO 87. Déplacements ou mouvements de totalité du cœur.. . . . . . . 88. Mouvement de torsion du cœur autour de son axe longitudinal, 89, Rhythme des contractions du cœur, ou durée de la diastole et de la systole des oreilleltes et des ventricules. . , . . . . . . 90. Marche du sang dans les cavités du cœur.. . . . . M RE 91 Force de contrachionidu EŒUr-- - - . 00e : MT ONG LEE PONSMONENENT St EME NS cfek à Article II. — Circulation artérielle,, . . . . . . . . . sc K de Principale cause du mouvement du sang dans je artères. Article II. — Circulation capillaire. . . $ Article IV. — Circulation veineuse. . $ Article V. — De quelques phénomènes de la circulation. $ 107. Vitesse de la circulation. — Nombre des pulsalions du cœur. LElASUCITÉ des artères: Mes Ve ec 9 JON 2 1 do ÉCTOR DIE Tension du sang dans le système artériel. . . . . 96. Contractilité des artères., . . . . . 97. Obstacles au cours du sang artériel 98 DU POUIS RE PEL 1. en even 7, Me 99. Des vaisseaux capillaires. , = 100. Observation de la circulation capillaire à l’aide du microscope. — Contractilité des vaisseaux capillaires. . . . . 101. Cours du sang dans les capillaires, . . . . . . . . 102. Caractères propres aux veines.. . . . . . . . 103. De la tension du sang dans les veines. . 10% Du'conrs du sains danS'les veines”... 1 UN 0. 105. Obstacles au cours du sang veineux. — Du pouls veineux. . . . 106. Circulation de la veine porte. — Circulation des tissus érectiles. 163. De la quantité du sang en circulation... . CT CS LC TABLE DES MATIÈRES, 990 Pages $ 109. De l'épaisseur des parois des vaisseaux. . ... . . . . . . . . . 241 110. Entrée de l’air dans les veines. — Transfusion du sang. . , . . 942 111. Rapports de la respiration avec la circulation, . . . . « . . . . 245 112. Influence du système nerveux sur la circulation... . . . . “ 246 113. De la circulation dans la série animale. . . . . . . de CAD CHAPITRE IV. — RRSPIRATION. 417: JS an = = + mgillinh de. = 256 $ 114. Définition. — Division... . . . . bte OS EE » : 256 SECTION 1. — Phénomènes mécaniques de la respiration. . . . . . . . . . . 258 Article I. — De l'inspiration. . . . . . . Ses ee SRE ee ce DDR S_.115. Aÿentside lINSDIRALION 2 Lee 3 3 À OMR 258 116. Agrandissement de la poitrine, — Mouvement FRE côtes et du SÉDNM US ec steel Aer it ETES een ie = het 259 117. Rôle du diaphragme dans l'inspiration, , . . . . . . ST 02 18 "DIVÉTSANOUES MASPIrALION TT. 4 9 ENT OMAN CT - CRC T 119. Des muscles qui agissent dans l'inspiration. . . . . . . . . . . 266 120. Du poumon pendant l'inspiration. . . . . . . . . RU 1 271 121. Béance des voies parcourues par l'air. . . . , . . . : . . . . 9273 Article IT. — De l'expiration. . , . . . se Cote sb SSSR EC S122. Agents de l'expiration ter TT She ec. cité 193: Du poumon pendant lexpiration.-+.- "MERE NOTE 124. Des muscles qui agissent dans l'expiration. . . . . , . . . . . 277 125.. Du bruik.sespFatoiress sus un 6) la. eu 380 Article I[T. — De quelques actes dans lesquels interviennent les agents mé- caniques lle la respiration." eux ve TR teNs PR. TC 252 $ 126, Les agents mécaniques de la respiration entrent en jen dans une foule d'actes physiologiques. . . . . . . , . PU EM Le 282 197. Miillemente OMAN EME RE SAT). 1. APS 188. Hoquet... SP EN ARE OONP MR ER EN EN UE © s : 283 199: Sanglob niet POP RIT nee Ne cu e 209 190. -RifBsnen. + Mots sut Palienor AR OMONNEMEN EN - , - 282 131:-Bonflement.. .. "0 MONT ENIAUENNEN. MES. 284 13% TOUL c Yi Gi Seat: Jrraué soins il crée SIM) AC) 28% 133. Expectoration et crachement. . ..: #4, « . « . « . …". . + 285 134. Eternument, Studios latiodieegiemehent 88 : < - 285 SECTION 11. — Phénomènes physico-chimiques de la respiration.. . . . . . . 286 $ 135. En quoi consistent ces phénomènes. . . . . . ne ee ee 286 Article I. — De l’altération de l'air par la respiration . . . . . . . . . 286 $ 136. Composition de l'air atmosphérique. . . . . . . . . . . 286 137: Quantité d'air inspiré et expiré 2/0 0 . CRT. . 290 138. Changements chimiques dans la constitution de l'air Entré. 293 139. Rapport entre la quantité d'oxygène absorbé et la quantité d'acide carbonique “ex ha lé PRE EEE RS 2: 300 140. Des causes qui font varier la proportion d’acide dite exbalé par le poumon en un temps donné. . . . . . . . . . 301 141. De la quantité d’azote dans l'air expiré. . . . . . . . . . . . 305 142. De la température de l'air expiré." 24.14 su st. ons + + 306 143. De la vapeur d’eau contenue dans l’air expiré. . . . . . . . . 307 144. De quelques autres principes éliminés avec l'air expiré. . . . 309 Article II. — Action de la respiration sur le sang . . . . .. . . . . . .« 310 S.485. Da songs came -'teatien eue it-rats De 010 146. Du gaz du sang. hiiainnsietenaiedi tbe il a 7. AIR TABLE DES MATIÈRES. 994 Pages. $ 147. Différence entre le sang veineux et le sang artériel. . . . . . . 315 148. De l’échange des gaz dans le poumon. . . . . « . , . . 319 149, Nellendacmnse sazenze.t fes obama: da let) sole » 320 150. Remarques sur quelques théories de la LEA ANT. =: 925 Article III. — De la suspension de la respiration, influence du système ner- veus sun lasresSpiralion ele: 40 52.2. 5 et 3 0e E 326 SA-rsnvie par mécanique... 4.1 ne Mt he Lent Hl aus is 326 152. Obstacles apportés à la respiration par la viciation de l'air atmo- ÉMOTION SNS RE LE Mado el Ge 326 ER. Le IRON ON TARN ROSE RE 328 154. Influence du système nerveux sur la respiration. . . . . 2 330 SECTION 111. — Respiration par la peau (évaporation ou exhalaison cutanée). . 333 $ 155. En quoi la respiration par la peau diffère de la respiration par les DOUMIONS PAU E- SRPRERET LC chiD ESS ENCT 200 le « » 333 156. De l’exhalation cutanée de l'acide carbonique et de l'absorption ON N SEC CRC PET - eo 0e ee » eum + = + 334 157. De l’exhalation de la ne d'eau DAC IDEAUSNAS CT ele re dos 158. Des causes qui font varier la quantité d’eau évaporée à la surface HONORÉ EN PEN en ET NO ES RE. 2, 337 159. Hygiène de la respiration. — Ventilation. . . . . . . . . . . 339 160. Respiration dans la série animale. . . . . . . . . . . . 3#1 CHAPITRE V:— CHALENRIANIMALE. 1. 2. TS 2 à . 349 S161- "De Jatchalendans'les animaux. . . . . . ! . . . . . , 349 162. Moyen d’apprécier la température animale. , . . . . . . = 351 163. Tempéralure des diverses parties du corps humain. . . . . : 354 164. Des limites entre lesquelles peut varier la température de homme." Re 070 Mhilécticus hlirie cédé Mr d TETE 356 165. Sources de la chaleur animale. . . . ne aRe sl Et vhs 8e . 360 166. De la quantité de chaleur produite en nn temps donné. . . . . 365 167. De la résistance au froid et à la chaleur. . . . . . . . . . . . 370 168. Influence de la température extérieure sur l’économie animale. 372 CHAPITRE MR ETIONME CT EM Me Se Ie Rs OT. 5 tte tee, 375 $ 169. Définition. — Organes de sécrétion. . . . . . . . . . . . . . 370 170 MÉCATRSRIET LES PSECEÉLIDNS ME | 7. 0 US IR > 380 171. Evacuation des produits de sécrétion. . . . . 5. CEE 385 172. De l'influence des nerfs sur les sécrétions. , . . . . . . . . 386 173: Clissihéation des, SÉCFCTIQNS). 07 SR ee On . 388 ATECLe IN SeCRÉEIONNEM ARE EEE PT LL eo à PERRET S 174 Organes del SÉeséR UFINAÎre..... sue + phe + © + « « 389 175. Ecoulement des urines dans la vessie. — Expulsion de l’urine. 392 176. Composition de l’urine. — Urée, acide urique , etc. . . . . . . 395 477. Du sucre et de l’albumine dans l'urine. . . . . . . . . . . . 402 PP DÉNOISAPAUENMe LE "CAIEUIS. 7... … oo, + one . + ete,» . 405 179. Elimination par l'urine d’un grand nombre de substances absor- DE ER se ie T-MÈE 407 180. Rapidité avec faquellé les substances introduites dans és tube disveshapparaissent dans lurine 2... NU UD. 408 ArticleIT. —Sécrétions de la peau. : . . . . . . . . ailes es se SAT SAS OnAnes /delsécrétion:s : + à à + à + MEN S ,1OD 410 SPP RE SUENTS 2. heros. éslb. fesse datés its 412 UMR SÉDACÉE ar ml 0e da 1alOn let sétaidT intl 2 osé . 414 Arlicle IL.-—\FoneionSdditéie Mn UE SE Me. à : . 200 S 186. Sécrétion bare OR LL CON 185. De la bile envisagée comme sécrétion excrémentitielle. . . . 417 186. De la bile dans les excréments . . . . . . . . . os 5 EE 420 187. De la formation du sucre dans le foie. . , . . . . . . . . . . 42 Article IV. — Sécrétions séreuses et synoviales . . . . . . . . . . . . . 433 $ 188. Faible quantité du liquide contenu dans les cavités séreuses , . 433 189. Composition Ma: Sérosités LL ES Mr 43% Article. Ÿ. —Séciétion dumueus, *. ”:".." OUON EC ER, UT. $ Sources deMalseerétione . . CC SR : . 436 192" CORPOSILION M AMIENS 06. «+ RO ce le + « 437 Article VI. — Fonctions des glandes vasculaires sanguines , . . . . . . . 438 SR SRE PTE L'ARS NR fotos OUEN Ne + 90 193. Corps thyroïde, capéules surrénales, thymiüs. CORTE | 46E 194%. Des sécrétions dans la série animale. . . . . . . . . . . . . . 446 CHAPITRE MIEL. — Norainon:.. PR LR: 1 OT cu. 450 SM95.:Délinitions: Rat luc. DT LR MES ONE OURS 450 196. Du liquide nutrilif. . . . . LES de Le PE ee ls she - + 492 Article I. — Phénomènes chimiques de la nutrition. . . . . . . . . . . 455 $ 197. Métamorphoses des diverses substances introduites dans ee nisme par la digestion . . . . CERN A0: .CORTENI55 198. Métamorphoses des matières albuminoïdes, ou aliments plastiques. 456 199. Métamorphoses des aliments non azotés (ou hydrates de carbone). 459 200. Rapport entre les aliments albuminoïdes et les hydrates de car- LUOTORE *- PRET NE EU PEU EE cet COURS . EPL 201. Rôlegdes Self dans la nutrition. enct. SEC RME © . 00 "402 202. De l’eau dans les phénomènes de nutrition, . . . . . . . . . 463 Article II. — Statistique chimique de la nutrition. . . . . . . . . . . . 46% $ 203. Égalité entre ce qui entre et ce qui sort de l'organisme. . . . . 464% 204. Ration alimentaire ou ration d'entretien. . . . . . . . . . . . 469 Article III. — Nutrition et reproduction des tissus. . . . . . ., . . , . 471 $ 205. Premières formations dans le plasma exhalé hors de ses vaisseaux. 471 206. De la nutrition dans les tissus vasculaires et dans les tissus invas- cuiaires bios à elle st nn ORENSas ST SELS, : Le 472 207. Nutrition de l’épiderme et des épithéliums ; poils, ongles.. . 473 208. Nutrition des cartilages et des os . . . . Minh SES LES 209. Nutrition des muscles. — Nutrition du Sue nerveux. — na trition du tissu cellulaire (tissu cellulaire proprement dit, ten- dons, ligaments, membranes fibreuses, ete.) . . . . . . . . . 477 210. Nutrition Ou LISSHATIPOUX. - Ne RS - 2. 478 211. Reproduction des Lissus . . . . . . . . Ne ie Dr. . +19 Article IV, — Inanition et alimentation insuffisante . . . . , . .« . . . . 483 $ 212. Des effets de l’inanition sur les organes et les {issus. . . . . . 483 213, Influence de l’inanition sur les diverses fonctions. . . . . . . . 485 214:-Del'alimentationtinsuffisante:s: mani: con! . den 487 LIVRE IL. — FONCTIONS DE RELATION. CHAPITRE I. — MOUVEMENTS. + % + + à CN ON NERO . . 491 $ 215. Des diverses sortes de mouvements. . . . . . . . . . . . . 491 216, Mouvements volontaires. — Mouvements involontaires . . . . . 493 TABLE DES MATIÈRES. \& TABLE DES MATIÈRES. 995 Pages. : SECTION 1, — Mouvements de quelques parties élémentaires. (Mouvements visibles au microscope). . . . sf. 26 = 495 $S-217.:Mouvement broWnieni:e. 1. 6-0, SU 1e HAT 495 218. Mouvement vibratile. . . , . . . - tes ER . 496 SECTION 11. — Des phénomènes de la contraction musculaire. . . . , . . . . 499 S'219-2DESMUSCIES-- 0... ie CR . : . 499 220. De la contractilité en - #2 ST . 504 221. Raccourcissement et gonflement des aude pendant a con- ÉACOON PRE ES à OR Je LÉ Li. PEN Om c 506 222, La contractilité est- elle une HA Le inhérente à la Tite mus- OEM ES oc ORNE. DFE: - GE D - = : . « 008 223. De l'influence de l’abord du sang sur la contractilité Precihire 513 224. Comment s'opère le raccourcissement des muscles au moment de la contraction. — Durée ct périodes de la contraction. . 919 225. Des phénomènes électriques qu'on peut constater dans les muscles, 518 226. Phénomènes chimiques qui accompagnent la contraction mus- COM: ee ee tic, 2.’ - re 028 227. Tonicilé musculaire. — aigue musénlaire .-.4.1 00 525 228. Différences entre la contraction des muscles striés et 5 de MUSCLES MSSES Te M à à tds eu NP ES. : 527 229. De la persistance de la MCE ee méseles. quelque temps après la mort. ° 528 230. Rigidité cadavérique. . . . héruen 0 e 530 SECTION 111. — Mécanique générale des mouvements de locomotion.. . . . 532 Article I. — Organes passifs de la locomotion. . . . . ‘ 532 S 231. Dassquelette SR, zut si 4-0 ; 532 232 DES ArtiCu lat OBS. 0 à Re. in à cts 235 233. Influence de la pression A he nne sur les cavités ER 536 234. Influence des variations de pression atmosphérique sur les mou- vements de locomotion... . . . . . . . SLANOL FE JS UDhPréle des LISSUS ÉTASLIQUES 27 RE - . . . … , . - 541 Article II, — Des organes actifs de la locomotion... . . . . . . . . . . . 542 $ 236. Des muscles envisagés comme puissance active des mouvements. 542 937. De lintensitéd’action des/muscles-n:. . mets Jr. 544 238. Ce qu’on appelle le déchet musculaire.— Travail utile des muscles. 548 939. .Force mécanique-de-Phomme. = AP -0- et - è 550 940: De l'effort ce ONE 2 Je RPC CU MAL AI. + 551 Article III. — Notions sur la composition des forces dans les mouvements de la locomotion hi -t-rscmiz 20 PAL LEE 553 $ 241. Des leviers. — Applications à l'économie animale. . . . . 553 242, Centre de gravité du corps humain . . . . . EE 001 SECTION 1V.— Des atlitudes et des mouvements de locomotion en particulier, . 562 Article I. -- De la station. . . . . . . MERE Eur + 0662 $° 243. Stahon verticale:"..#2.0" 04 NS à . 962 241, Station sur un seul pied. — Station sur la pointe Le LAS — | Sta- tion sur les genoux. — Station assise. — Station couchée. 568 Article II, — Des mouvements de progression. . . . . . « . . + . . 571 Si265..De la Marche: 0 En. DEA . . 571 246 De IA CONTSEMAENS. "| : 2e . 573 247. Du saut... . . ME ° 579 24$. Du grimper. . . - = 581 994 TABLE DES MATIÈRES. Pages, $; 249:-De la‘hatalionisautot relient: chenal 2 Monr:. 58% 250. Des mouvements dans la série animale... . . . . . , . . . . . 583 CHAPITRE II. — Voix ET PAROLE. .-. . . . . . . D Re TR: 592 S'251-"DÉFAUONEN INR MANS se Mae te OMS : 592 Article I. — De‘la voix. . . . . HET Ra ane, eee Mer neue le le ds NO $ 252. Organes de la voix timntiire SOS MOMENT ee au 592 253. DU SON. / M - - - . RÉ TEN Ee CMREETS | 600 254. Des instruments à cordes. — Des instruments AVOIR... . 602 255. Des instruments à anches rigides. — Des instruments à anches membraneuses.. . . . . . . . . ne SU 605 256. Expériences directes sur le larvnx du cadavre.— Rôle des cordes DAPATCS HDIGTIGUTESZ 5 er ue ee sue 020 eee 608 257. Timbre et Lan letient GENE st Re pt de +- 610 258. Usage des cordes vocales supérieures. — Des ventricules . — De NÉDIPIUTEES mure emo de Dee ce ee + e 612 259, Mouvements d’ élévation et d dhEshene THAT YNX ER D. 613 260. Etendue de la voix humaine. . . . . . . . NES. e 614% 261. Modification du timbre. — Voix de poitrine, voix de fausset, ou VOIX de été. VOIX Gate, VOIS SOMDTEP ee eee. de 615 HAS Dibrüit de;siffet. ee en 617 263. De la respiration dans ses rapports avec la voix. . . . . . . . . 618 264. Remarques sur quelques théories de la voix humaine . : 620 Article II. — De la parole... . . . . RES Vo Mr set .622 $ 265. Parole. — Voyelles. — Consonnes. . . . = . . . . . . RE 622 266. De la ventriloquie.— Du bégayement: . . . . . . . . . rm. » 620 267. Delvwoix dans:lassérie animale +228. 0e QUI À . en 627 CHAPITRE III. — SENS DE LA VUE . . . . . . roro « rdc: © CES 632 S'2608- DÉDITEIBN EEE ARE: =, +» D Er 632 269. Rôle du globe Rat RON TSTS ETEI ER. de. . Me 632 270: Le globe de Nœsemeere . . 0 . . EP À ; 634 271. De la réfraction, — Propriétés des prismes et des Éttlles 636 272--Deila formalion OS IMASEMRR. EL -erre e eMnr ee e 641 273. De l’œil considéré comine lentille. . . . . . . . . . . + 642 274. Dimensions des diverses parties du globe oculaire. — Rijons de courbure. — Indices de réfraction... . . , . . . . . . . . . (644% 275. Centre-oplique de l'œil, . . . . . . . Cut Di ni D DE de 276. Rôle de la cornée et de l'humeur aduouse. 10423 in ,l 647 ts Rôle ducrisfallin sabraotaoc meta dei. AL the 10 ME 7 218. Rôle du corps vitrées... CRD REEl ol. . >: - . . . 648 219. Usages du.pigments : ONE Or. à 648 280. Du rôle de L'ITIS EE ue PNA D RE 649 981. De l'aberration de Sphéricité - ......., . - . OCR 651 282. Le cristallin dans ses rapports avec l'aberration de sphéricité . . 652 283. Des dimensions de la pupille dans la vision des objets rapprochés et dans celle des objets éloignés... . . . . MORE. UE €. 653 284. Accommodation de l'œil pour la vision aux diverses distances. . 655 285. De l’aberration de réfrangibilité ou du chromatisme.. . , . . . 661 286. Limite de la vision distincte des objets rapprochés, — Myopie. — Presbytie. — Optomètre et oplomélrie.. . . . « . . . . . . 663 287. L'impression a lieu sur la rétine. — Du punctum cæcum, — Oph- thalmoscope Reste ee 9? UE ose ÿ :f162 TUE STORE. (668 288. Nature de l'impression visuelle. — Vision subie bol LES 670 TABLE DES MATIÈRES. 995 Pages $ 289. Durée de Pimpression et de la transmission. . . . . . . . +. - 071 290. Dimensions des objets visibles . . . . . . . . . . . nt au GT2 291. De la vue droite avec des images renversées. . . . . . 674 292. De la vue simple avec les deux yeux. — Axe optique. — Eine (LU QUE ace orccittit A n SEE ee Re de + uen e 676 293: Doctrine des points identiques... - . . . . . . . . . . 0078 29%. Du stéréoscope. — De la vision des objets à trois ren . . 681 295. DE HAS ESICONSÉEUTIVES EE - 2 Se ie = 0 090 296 MDES AIMONS COLOPA LICE 2 2 = ne eue. on © à le + + . 686 297, Couleurs et images par irradiation. — Applications aux arts. . . 688 298. Notions fournies par le sens de la vue, sur l’état de repos ou de mouvement des corps, sur leur distance, sur leur grandeur. — DéMingie visuels AURONT IN EN AUTÉNUTIENMREE 108 . 6839 299. Transmission.des a par F REPPOPUQUER : - | : . | 692 300. Des mouvements du globe de l'œil. . . . . . . . . . . . + 00e 301 Besrorbites AMEN, ent MEN RE RE Te = les ee ere 090 SUR RETSOUTCNS ON EURE NET TROUS TU AMD ee: 097 SUN DES IPAUPIPFESIP EMA DIE CIRE NOT. ne - 097 - 304. Appareil lacrymal. . . . . . Éd ac a cas nc cer - CELL 305. De la vue dans la série animale... . . . . . . . . OUR = = 701 CHAPITRE IV. — SENS DE L'OUIE. . . . . . . LS on et ee 706 $ 306. Définition. — Organe de l’ouie. . . . . . . . , . . . . . . . 706 307. Notions d’acoustique applicables à l'audition b-Abi£. .: D. 109 308. Rôle de l’oreille externe. ..: 24. 4 0 APS. 228 > 710 309. Membrane du tympan. — Osselets de louïe. , . . . . . . . . 712 an Eronmipe d'Eustichel sus zum s0%)erz nb mga1bn] À €: HO EE 0 EE 511-1Oreille interne... 5. auens se APE PE EN LP Pat 71 312. De la durée de l'impression auditive. — Estimation de la hauteur SOIENT + ee m2 CRE is le lee nns © Nue A 718 313. Estimation de l'intensité, de la direction et de la distance du son, 719 ANNE TMENAndILION". *: Meet = à Me moe» à de es els 21 0190 313 10ufsensde:l'ouierdans/latsémetanimale. #00. 2 Me 721 CHAPITRE V. — SENS DE L'ODORAT.. . siopens » ee ee» jee + sue 1129 $- 316: Définition. — Des odeurs.2# ; ;: : o : + 00 MIN, 508. , … 725 317. Organe de l’odorat. Siége de l’odorat. . . . . . .". … . . se 126 318. De l'olfaction dans ses rapports avec la respiration. . . . . . . 721 319. Différences dans la sensibilité olfactive.. . . . . . . DUE. 7 0 728 220 MNer LOL RER TT. o «SAONE TRUE 4208... 729 321. Du sens de l’odorat dans la série animale... . . . . , hate - 190 GHAPITRE VI. == SENS DU COUT Le Efoaliid-— Lodisotiion be 4. - 732 $ 322. DÉADITON SE RON: Hodoes-citigss À DIRLE .F0E". 732 323. Siège l'organe du'godt "see ni 2Éta OO VANOUE ASE 10€. . . 732 324. Causes adjuvantes qui favorisent la gustation.. . . . : . . . 734 322. De l'étendue dugoûtiet de sesivariélés. 21.10 00. . . . . . . 735 326. Rapports du goût.avec l’odorat. ....., . 44740, 0. . . 735 - 327. Rapport du goût avec la digestion, . . . . . . AU 306. … … 736 328. Des nerfs du goût. — Des sensations subjectives du goût. BE ...-00136 329. Du sens du goût dans la série animale. , . ., . . . . . . . . . 739 CHAPITRE VIT.—SENSIDOMQUCHER . 00 7. - . . 10. SR SAN TER EU TETAD S 350. Débriuonammze: 0. |: :. ne SSSR CRÉES à RAI 331. Diverses sortes de toucher., . . . . . . . ER ee Ve 2 TER JL 996 TABLE DES MATIÈRES, $ 332. De l'organe du toucher. . area ir 334. Appréciation de Ja température. . : +... + ate 335. Appréciation de la résistance et du poids... . 336. Illusions du toucher. — Chatouillement, etc. 337. Du sens du toucher dans la série animale... CHAPITRE VIII. — FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX (INNERVATION).. SECTION 1. — Propriétés générales du système nerveux... $ 338. Rôlé général du système nerveux. , . . . . . . . . CSC CRC 333. Différence du toucher dans les diverses parties de la peau 339. Composition et structure. — Tubes nerveux, corpuscules nerveux. 340. Du cours des tubes nerveux. — Origines et terminaisons . 341. Transmission SEL En sensilives. — Transmission de l’ex- cilation motrice. . . . . coeurs : 342. De la distinction des fibres nerveuses sensitives el des fibres ner- veuses motrices dans les nerfs rachidiens.. 343. De la distinction des fibres nerveuses motrices et des fibres ner- veuses sensitives dans l’axe cérébro-spinal. 344: De l'action réflexe."— Des sympathies.V 0100000225 MON - 345. Mouvements involontaires succédant à une impression sentie. . . 346. Comment on peut se rendre compte de l'action AE et des phé- nomènes analogues. CE ENTER 347. Des phénomènes intimes de l'actiont nerveuse. 348. Action de l'électricité sur le système nerveux. 349. Vitesse de transmission de l’action nerveuse. 350. Des poissons électriques. CCC . 351. Influence du système nerveux sur les fonctions de nülrition, SECTION 11, — Propriété des diverses parties du système nerveux. . Article I. — Des nerfs. $ 352. Nerfs rachidiens. — Nerfs AS 353. Nerf moteur oculaire commun . . . . 354. Nerf pathétique. . . . . . 4 355. Nerf trijumeau (ou trifacial, ou de la cinquième paire). 356. Nerf moteur oculaire externe... . 357. Nerf facial. : 358. Nerf glosso- enr À 359. Nerf pneumogastrique . . . . . : 360. Nerf spinal. . . . à 361. Nerf hypoglosse. 11e. elles) fe le Article IT, — Fonctions de l’axe cérébro-spinal. $ 362. Composition. — Membranes. . . 363. Liquide céphalo-rachidien. 364. Des mouvements du cerveau. 365. Influence du sang sur le système nerveux ne — Anfuence des poisons, de l’éther, du chloroforme. . . . . . 266. Moelleépmière #28 1000 367.:Bulbe-rachidien-.=.##s en cle 368. Protubérance annulaire. — Pédoncules cérehelett — Pédon- cules cérébraux. . 369. Tubercules quadrijumeaux. . 370. Couches optiques, corps striés, elc.. 371. Cervelet.…. CCE TABLE DES MATIÈRES. 997 \ Pages, $S 372. Hémisphères cérébraux, ou cerveau proprement dit, — De l’action croisée dans le système nerveux... 4.0, . « « 845 Article LILI, — Système du grand sympathique. . . . . . . . . . . . . . + 850 $ 373. Composition du nerf grand sympathique. . . , . . . . . 850 374. Le nerf grand sympathique considéré comme conducteur de sen- Sibihté etdemoutement: 2. 4.2.8.00 27 MN 1, ee 851 375. Influence du nerf grand NS ntiiique sur iqeé mouvements de la MODES en ER ER TEE EL 5€ . 852 376. Influence du grand sympathique sur les none 1 cœur... 853 377. Influence du grand sympathique sur la digestion, la circulation, les sécrétions, la nutrilion.. . . . . . OU LOOER EN RE 854 378. Remarques sur le rôle spécial du nerf grand sympathique. . . . 860 Article IV. — Intelligence, instinct. — Sommeil. . .., . . . - . . , . . 862 S, 41% Faculiésinielieciuelless RCE uit el le : 862 380,-Facullés affectives:.— InStiNGie Mer MOMENT IN MATE 864 381. Sommeil. ne 5 QTE SU ns EE. NN 865 382. Du LEE nerveux Fr ia série ral MONA ne 867 LIVRE IIL. — FONCTIONS DE REPRODUCTION, $ 383. Définition. — Divers modes de génération . . . . . RER 012 CHAPITRE I. — OVULATION ET MENSTRUATION . . . . . . . . . . . . . . . 875 S:384-"Ovaires. —Nésicnlesude Graf... ls NEA are Tr 875 Bei ON HAT SEE SORT PC CPE AUDE ERP RC PER RE 877 386. Evolution des vésicules de Graaf. — Sortie ue: — Corps JAUTES:, er EU PR AE bts MEME OMS TOMBER VE 381. Destépoques detlatehutedelŒuR Ce ue, Mere AU 881 SSS A MENSTEUAUIONS EN CC CL en 883 289, Passace de ONUICAdAnS ANTOMPEN CR. C0 0.0. 1880 CHAPITRE II. — DE LA SEMENCE OU SPERME . . . , . . . . . . . . . . BB GISIUAETESLICUES EE CENT RECENT os ee 887 391. Sperme. — Composition chimique. . . . . . . . . . . … . . 890 392. Spermalozoïdes. — Cellules spermatiques. . . . . . . . . . . 891 CHAPITRE III. — DE LA COPULATION (ACCOUPLEMENT OU CoiT) . . . . . . . . 895 S2393--DelérechonchezAlhomme te Mu M5 5 0 0 QE 394. De l'érection chez la femme. . . . . . LRO ONE EP ONE 898 395. DU COÏLE RANCE DU ee |: ct 0809 3062 FIACUADIODE RE. Al: à «De OR Le à à 901 291 HEADER An ee, 0, PRO 4 903 CHAPITRE IV. — FÉCONDATION . . . . . . dt NON LS RARES de 2 0 100€ SHaJ8 MENTQUONCONSISENIAMIECONTA NON NN EN EC UT ee 90£ 399. Rôle du sperme dans la fécondation. . . . .:. . . . . . . . . 906 400. Lieu de la fécondation. — Epoques de la fécondation . . . . . 908 401. Des fécondations multiples.—De la superfétation.— Du sexe des OUNÉTUSS © OR ONEM OR STORE AR GC ne CID DURE 910 CHAPITRE V. — DÉVELOPPEMENT DK L'OEUF. . . « «+ . . « . . RER Le 912 $ 402. Développement de l'œuf depuis le moment de la fécondation jusqu’à l’apparition du blastoderme . . . . . . . . . . . . 912 403. Blastoderme. — Apparition de l'embryon. . . . . . . DCS AOZODES ANNEXES AUIEUUS . + 0 PCM NE MER E Le 917 RODSN DEN RAIDS A ME Tete à ste Se elle let es Re — +): et JLS 998 TABLE DES MATIÈRES, $ 406. De la vésicule ombilicale. , . . . . . . « . . HET D. . 407. Allantoïde, 2eme sonate hip LOL à 408. Chorion . . . . sidiuseave Lasis uinuétverse ts 409. Placenta, D te oembilicalte fus tcaéonrot efie.2: : 410. Développement de l'embryon, ou fœtus. — Développement des USSUS UE eue rte AN : D0eS DEL see + - 411. Dimensions et poids du fœtus aux ges époques du dévelop- DÉMENT ES ER TE ee RENE EU 0 - it MONS CHAPITRE VI. — FONCTIONS DE L'EMBRYON. . « « .« « . « « . . dt - : $ 412. Circulation du fœtus. . . . . . RS VERT MES ne 0e 413 NUTEILON AUNICELUS eee cn de eue ee sa here PS ÆTS SÉCIELIONS QU IŒEUS ue e ee a ete Ha r 415 Monvements Qu FEI. 0. re . 2 or à eo cie à ht CHAPITRE. VII, — GESTATION ET L'AGTATION .. vente sm. mat … . $ 416. L’utérus pendant la grossesse. — De la membrane caduque., . . 417. Phénomènes généraux et signes de la grossesse . . . . . . . . 418. Grossesses extra=uténines EM EN RER CCR EE 419. AccouCheMent ie", METEO LOONR NME, ME To 420: Lactation. uw, DRM TE LME MERS LAS RANCE 0.