^ cM- .......:...... Bi ^ FROM THE LAWRENCE FUND 3^ Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/traitthoriqu03must TRAIT THEORIQUE ET PRATIQUÉ DELA VÉGÉTATION, Contenant plufieurs Eicpériences nouvelles & démonftratives fur l'Economie végétale & fur la culture DES ARBRE S: Par m. MUSTEL , ancien Capitaine de Dragons ^ Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis, àQs Académies des Sciences, Belles-Lettres êc Arts de Rouen , Dijon , Châlons , de la Société des Arts de Londres , & de plufieurs Sociétés d'Agriculture. " , , ^ \> " I I II . I II Experientia rerum magiflrai, TOME TROISIEME» A P A R I S i Chez LES Libraires. Et A ROUEN, Chez LE BOUCHER le jeune , Libraire , rue Ganterie. M. D C C. L X X X I V. Avec Approbation & Privilège du Roi, V.3 TABLE DES LIVRES ETDES CHAPITRES CONTElstUS dans la troijîeme Parîîe, JL Ntroduêion , JP^ge 1 Lettres adrejféés à V Auteur ^ 2.5* Ll^RE CINÇIUIEME. D E S S E M I S. Chapitre I. Du Terrain , Page 29 ChaP. II. Des Labours , ^^ ChaP. III. Des Amendements , 55 CmaP. IV. De la Marne, $j ChaP. V. Des Fumiers , ^6 Ciï AP. VI. Des Terres repefées ou en jachère , 8*7 ChaP, VII. Des Moyens de fe procurer des engrais , 98 ChaP. YIW, Moyen sûr de fe préferver des Vers blancs de Hanneton , nommés Mans ^ lïS CHAPé IX. Des Graines , 13^ Chap. X. De la Maturité des Graines , 138 Ch AP. XI. de la Récolte des Graines , 143 Chap. XII. De la préparation des Graines , 148 Chap. XIII. De la confervation des Graines ^ 153 Chap. XIV. Des Semences , 161 Chap. XV. De la Germination des Semences , 1*^8 Chap, XVI. Obfervation & pratique importante pouf le fuccès des Semis en général , icp Chap. XVII. Des Semis fur couche , 19^ Chap, XVIII, De la difpofition & de l'inclinai f on. des Chaffis & des Vitrages , 2,03 ChaP, XIX, Z?f5 S émis en terrine ^ 21$ Chap, XX, Des Semis dans les jardins ^ ai2 Chap, XXI. Des Semis en grand , 241 Chap, îK^IIt D^ Sfmi? dans Us landes ou bruyères. îv T A B t E. en plaine ou fur des coteaux , îi49 Chap. XXIII. Des Semis de pins & autres arbres verds, 2-57 Chap. XXIV. Defcription & ufagé d^un outil très- utile pour les Semis & les plantations y 2.68 Ch ap. XXV. De la culture du Bled , . 172. Chap, XXVI. Defcription d'un Rouleau très-utile pour les Semis , 3-^4 LIVRE SIXIEmY. DES PLANTATIONS ET DE LA CROISSANCE DES ARBRES. Chapitre I. Examen de la croiffance des Arhres en grojfeur^ 30.5 Chap. II. De la crbijfance des Arhres en hauteur , 337 Chap. III. De la croijfance des branches , 34^ Chap. IV. Des Fepinieres , 348 Ç H A P , V . De Inutilité des Pépinières , 351 Chap. VI. Des Fepinieres pour élever de petits Ar- bres y 356 Chap. VII. Des Fepinieres pour élever de grands arhres y yjt Chap. VIII. Des Flantations en général , 377 Chap. IX, De la nature du terrain pour les planta- tions , 3§4 Chap. X. Du choix des Arbres, 391 Chap. XI. De lafaifon défaire les Flantations ^ 401 Chap. XII. Delà manière de planter , 410 Chap. XIII. De la manière de préparer & de tranf- porter les Arhres , 434 Chap. XIV. Du traitement des Arbres qui ont été long-temps en route , 441 Chap. XV. Des Flantations convenables aux diffé- rents terrains , 44^ Chap. XVI. Des Arhres qui peuvent fervir à la: dé- coration des Jardins 6' des F arcs, 461 Chap. XVII. DesFeupliers , 477 Chap. XVIII. De laFlantation des allées dans les Jardins , 489 Fin de la Table du Tome troifieme. mT:^ODUCTION. li"^ LETTRES ADRESSEES A L' A U T E U LETTRE DE M. le Duc DE HARCOURT. Fc DeCaen, I^ 19 Oâobre 1781. Otrje Ouvrage , Monjîeur , me fait defirer les deux Volumes qui doivent fuivre , fur-tout s*il^ nous donnent des principes fur la Culture comme fur la Végétation:, Je vois comment les arbres croijfent , 6" defire f avoir comment on leur aide» Le fuffrage de M...... eft toujours bon , mais il n'ejî pas le plus compétent , ù vous ave^ encore mieux mérité celui des Fkyficiens 6" des Botaniftes, Quant à moi je devois vous être fufpeâ de partialité^ par Us anciens fintîments avec lefquds je fuig ^ &ç. i6^ itmmm L JE T T R E de M. le Comte de Buffon. Paris , au Jardin du Roi , le 14 Février 1782. Fc Othi: Ouvrage , Monjieur , ne m'efi parvenu fu'à mon retour de Bourgogne à Taris y & c'efl ce qui a différé ma réponfe & les remerciments que je vous dois : j'ai été bien aife aujji de lire ces deux Volumes en entier , & je ne puis , Monfieur , çu'ap^ l^laiidir: à vos recherches y & de ypus louer fur le^ nomhreufes Ohfervations dont la plupart me paroif- fent faites avec beaucoup de jufteffe , & fuivies avec grande fugacité j & dans les points mêmes où je ne f crois pas d'accord avec vous , Monfieur , je n^ laijfe pas d'applaudir encore à vos efforts, C'efl fouvent du choc des opinions que fortent les étincelles de la lumière & de la vérité. Je ne puis donc , Monfieur , que vous encourager encore , s''il eft pojjible y dans le noble emploi que vous faites de 'VQtre loifir , en le confacrant à l'étude de la jNature<, J'ai Vhonneur d'être , avec une refpeâueufe confidé^ cation j) 6'c« %f LETTRE de M. Dalembert, Paris, le 24 Septembre 1781. Monsieur, Je n^ai reçu que depuis peu de jours V Ouvrage ^ue vous m'avei fait V honneur de m' envoyer , & V obligeante Lettre que vous ave^ eu la honte d'y joindre, Receve:^ mes remerciments de Vun 6f de. Vautre: quoique l'objet de votre Livre ne foit pas du nombre de ceux dont je m'oçcupç , cependant je Vai lu avec plaijir , intérêt , inftruâion & profit. Il me femble qu'il renferme des Obfervations curieufes , hien faites & intérejfantes ; & on ne peutl qu'applaudir , Monjîeur , à Vufage fi eftimable & fi utile que vous faites de vos talents & de votre loifir. Mon Suffrage , fur-tout en cette matière , efi affurément hien peu de ckofe j mais il me paroit que votre travail mérite au moins l'attention des Thyficiens éclairés , ainfi que leur eflime pour l'Ouvrage & pour l'Auteur. J'ai l'honneur d'être , avec une refpQclueufe confia dération , Monfieur , ô'c. / lETTRE de M. SiGAUD de la Fond. ProlcfTciir de Phyfiquc expérimentale à Pa- ris , & Auteur du Didionnairede Phyfique. Paris, le 29 Oâobre 1783. *Akrïvî: à Paris , Monjîcur , & je n^ai rien de plus prejjc que de vous témoigner ma reconnoijfancc , 6f devos fentiments pour moi , & du cadeau que vous avci^ hien voulu me faire. Je n'ai fait que parcourir votre Ouvrage , Monjieur , parce que je n'ai pas voulu que vous apprij/ie^ mon exijienceâ Paris par les Papiers pu^ hlics qui ne tarderont point â annoncer mes Cours. Tout ce que y ai ai lu m* a jincércmcntf'ait un véritable plai" Jir : j'ai lu avec attention le Chapitre des Trachées , 6' je ne doute nullement , Monfieur, que vous n'aye^ beaucoup mieux vu la Nature que vos Prédécejfeurs, Je vois avec plus de plaijir que de chagrin , que nous ne fommes point d* accord enfemble , Monfieur , en hien des endroits ; cela doit être y parce que je n'ai étudié cette partie , un peu étrangère à mon objet principal , que dans les Livres de nos Naturalises , 6' que j'ai adopte conjéqucmment leurs erreurs , n'ayant pas le temps ni la commodité de faire des expériences par- ticulières pour m'affurer de l'exactitude des J'aits. Le feul regret qui m'en rejlc , c'ejî que votre Ouvrage n'ait pas paru deux ou trois ans plutôt ; 7 V/z eujfe fans doute profité j car je m'en fcrois rapporté davantage à celui qui ne juge que d'après l'expérience, qu'à celui qui , pour jûvori fer un fyjlémc qu^ila adopté^fe porte à toutes les analogies qui f préfcntent, C'efi ma méthode ché- rie pour tout ce qui concerne la Phyjique proprement dite y & plus je la fuis ^ plus je la trouve sure & lumineufe. Si mes occupations pendant mon fejour à Paris, me privent du plaifir de lire & d'étudier votre Ouvrage , Monfieur , /'/ fera mon étude la plus férieufe l'Eté pro- chain y que je pa-fferai , félon mon ufage , â la Cam- pa f^ ne ; c*ejî là que le Livre â la main , fe répéterai , autant qu^il me fera pojfible , les belles expériences que vous ave:^ faites ,& que je profiterai des nouvelles lumières que j'efpere y puifer, Recevel donc encore une fois mes remcrcimcnts ajj ecîueux , & les ajfurances de l'efîime fingulicre& de la conjidération diftinguée avec laaudlc j'ai l* honneur d'être 3 Monfieur .^'c. ^ TRAITE iaMLm.ij INTRODUCTION. L 'ACCUEIL favorable que le Public a fait à la partie théorique de ce Traité , les fufFrao^es des Gens jnftruits & des Hommes les plus célèbres dont je me fais gloire de publier les Lettres , & enfin la fa- veur & la diftindion dont le Roi a bien voulu honorer mon Ouvrage, font des motifs bien encouras^eants pour moi , & qui m*'ont engagé à redoubler d'efforts & de ze!e pour rendre cette partie- pratique plus digne d'attention , plus intéreffante & plus utile. Je né me dîfîimule pas que fi cet Ouvrage efi goûté & paroît inté- reflfânt, l'honneur en eft dû bien plus aufujet que je traite, qu'à la man-'ere dont il eft traité. îl fuffit de parler de la Végétation & de l'économie rurale^ pour exciter l'attention de tous les Tome IIL A % ÎNTRODUCTIOK gens qui favent penfer ^ de toutes îe§ âmes fenfibles & de tous les amis de rhumanité. Je n'ofe me flatter d''avoîr rempli parfaitement la tâche que j'ai entre- prife y d'expofer les ades de la Végé- tation dans toute leur étendue ; mais j'ai lieu de croire que Ton verra que je n'ai rien négligé de ce qu'il importe effentielfement de fa- voir pour faire croître ^ multiplier & bien profpérer les végétaux. Il y a dans prefque toutes les fciences une mafTe d'idées reçues , que le Public répète fans les avoir vérifiées ; & qu'il eft nombreux ce PublicIPlufieurs ne font cependant que des erreurs que la vétufté a érigées en vérités reçues, & que l'habitude met opiniâtrement en ufage. L'Art de l'A- griculture y exercé ordinairement- par la claffe des hommes les plus groffiers & les moins inftruîts , eft plus que tout autre furchargé de préventions abfurdes & de routines inconfidérées ; je me fuis attaché à les faire connoître & à en détrom- per ceux qui les ont adoptées aveu= giément. ' INTRODUCTION. 5 T'ai fuivi les arbres depuis leur femence & !eur germination jufqu'à leur parfaite croiffance & leur ca- ducité ; j'ai tâché de ne rien omet- tre de tout ce qui eft effentiel à leur culture , à leur éducation & aux moyens d'en retirer le plus d'agrément & d'utilité. On verra par la Table des Chapitres , dont chaque Livre eft compofé , combien je me fuis attaché à y mettre ctt efprit d'ordre & de fuite fi nécef- faire dans un Traité méthodique , non-feulement pour le faire lire avec intérêt , mais pour préfenter d'une manière plus claire & plus fûre cette fuite de connoiffances & de principes qui ^ fe déduifant les uns des autres ^ doivent conferver en- tr'eux une liaifon & des rapports marqués. La marche de cet Ouvrage eft aufïi finiple que neuve j j'en peux dire autant de plufieurs explications ^ de plufieurs principes , de plufieurs méthodes' dont je ne parle que d'a- près l'expérience qui eft toujours mon guide. On y verra préfentées & expliquées de la manière la plus 4 INTRODUCTION. intelligible plufieurs opérations de jardinage que la Quintinie & autres bons Praticiens avoient regardées comme inexplicables , parce qu'ils n^avoient pas découvert , comme j'ofe dire l'avoir fait ^ les mouve- ments de la fève : telles font les opérations de la greffe & autres que Pon trouvera ici expliquées tel- les que Tobfervation me les a démon- trées. La Nature fe plaît ^ dit-on , à opé- rer clandeftinement; elle femble vou- loir nous dérober fa marche : mais lî elle ne répond pas toujours à nos queftions , eft-ce parce qu'elle elt vraiment impénétrable , ou parce V que nous ne favons pas bien Tinter- ^ roger ? Cette queftion ne reftera pasindé- cife pour ceux qui voudront bien remarquer la quantité de fecrets qu'elle s'eft laiffée dérober par les Phyficiens qui l'ont obfervée d'aflez près, & qui l'ont fuivie avec paffion & avec confiance. Ne pourroit- on pas la comparer à ces beau- tés ultramontaines qui font tou- jours voilées pour des amants froids INTRODUCTION. ç & indifférents , mais qui cefTent de rêtre pour celui qui leur donne des foins affidus ? Il eft vrai que îa Na- ture ne fe dévoile pas li-tôt ni fi aifément ; mais ceux qui la fuivent long-temps & affidument en obtien-' nent toujours quelques faveurs .^ je peux dire que je l'ai éprouvé quel- quefois ^ & je ne me diffimule pas que je le dois moins à mes talents qu'à ma perfévérance. J'ai cru ne devoir pas négliger tous les détails nécelTaires pour ceux qui ne font pas ou qui font mal inftruits ; mais comme il y en a qui feroient inutiles à ceux qui les fa- .vent déja^ je les ai abrégés, en évi- tant d'être diffus ^ défaut dégoûtant pour les Lecteurs les plus patients, & rebutant pour ceux qui veulent s'inftruire , & qui fouvent fait tom- ber le Livre des mains. Pour éviter les répétitions , j§ renvoie pour les détails aux Livres où j'en ai parlé. Je me fuis étudié à fuivre la mar-' che de la Nature dans tous les phé- nomènes intérelfants & fuccefîîfs de la végétation ^ en commençant par 6 INTRODUCTION'. le premier développement du germe, & fuivant fucceffivement les diiFéT rents états de la croiffance d'un -ar- bre y fon éducation & fon entretien. Le V^. Livre de cette IIP. Partie , dîvifé en 26 Chapitres , traite des Graines ^ des Semis , des Pépiniè- res , &c. Quoiqu'il ne foit point de mon fujet de parler des^ plantes herba- cées y rimportance de Tobjet m'a engagé à donner des explications & des détails fur la culture du bled; ils font fondés fur l'expérience ^ & par là bien capables de faire revenir des erreurs infpîrées par les préjugés & par la routine , les Laboureurs, qui voudront en profiter. C'efl le fruit de mes obfervations dans les différents Pays où j'ai été , & le ré- fultat des converfations que j'ai eues avec les Cultivateurs les mieux ins- truits & les plus expérimentés. Le VP. Livre ^ divifé en 30 Cha- pitres , traite de la croiifance des arbres & des plantations de diffé- rents genres . & dans les différents terranis. De rintelligence ^ de la croiffance INTRODUCTION. 7 du tronc & des branches fe dédui- fent naturellement les moyens les plus propres à employer pour fe procurer l'agrément de jouir d'ar- bres bien faits & d'un beau port , & l'utilité de fe procurer de beau & bon bois de fervice , fans nœuds & fans vices. Me réfervant à parler des arbrif- féaux à fleurs pour la décoration des jardins & des bofquets ^ dansJe VIP. Livre , je ne parle dans celui-ci que des Arbres à haute tige ^ dont on peut faire ufage pour border les allées des jardins & des parcs. Cç VIP.Livre traitera des différentes ma- nières de multiplier les arbres par la greffe , par les marcottes & les boutures. On y trouvera des expli- cations & des obfervations nouvelles fur la théorie & la pratique de l'art de greffer. Il eft terminé par une diifertation & des détails fur les jardins Fran- çois dans l'ordre fymmétrique , & fur les jardins dits Anglois^ dans l'ordre naturel. Le VHP, Livre a pour objet la fruc--. îîfication y c'efl là ou j'ai cru devoir À 4- 8 INTRODUCTION. particulièrement m'étendre fur la culture des arbres fruitiers , leur plantation , la manière de les tailler^ de les bien conduire , de les faire profpérer & durer plus long-temps _, & enfin de leur faire rapporter de beaux & bons fruits. J'indique les moyens de remédier aux accidents qui leur arrivent ^ & même de les prévenir. Parmi les Infeéles qui vifitent les arbres, il y en a de deftrufteurs & d'autres qui font, pour ainfi dire , leurs défenfeurs ; j'ai foin de les faire connoitre & de prouver l'er- reur où Ton eft, en cherchant à les éloigner 6c à les détruire. Les obfervations , les indications auffi utiles que nouvelles que je donne fur la culture des Melons , m'ont encore engagé à forrir de mon fujet , en parlant de ces plantes herbacées ; mais je fuis alTuré que ceux qui feront ufage des méthodes que j'indique pour le fuccès de ces plantes , ne m'en fauront pas mau- vais gré. Je m'abftiendrai de faire fentir l^importance de l'objet de ces deux INTRODUCTION. 9 derniers volumes : on fait qu'outre l'agrément que procurent les planta- tions , il en réfulte une utilité bien réelle. Les arbres fruitiers nous donnent une jouiffance des plus intéreiïantes. Les différents arbres & arbnffeaux d'ao;rément font une décoration bien agréable dans les jardins & dans les bofquets, fur-tout quand on fait les y placer avec intelligence & avec goût y comme nous le dirons. Quant aux arbres forêtiers , nous ne craignons pas de dire que c'eft une des produâions de la Nature qui réunit au plus haut point , & fur le plus de rapports poffibles , l'utile & l'agréable. Les belles ave- nues 5 les belles promenades qu'ils forment , & qui protègent encore plus qu'elles n'embelliffent les lieux qu'elles entourent , après avoir pro- curé pendant une longue fuite d'an- nées des jqqiflances agréables aux propriétaires, finiiTent par les enri- chir. On ne peut donc trop multiplier les plantations d'arbres forêtiers. L'utilité , la nêçeflîté des bois de- fo INTRODUCTION. vient de jour en jour plus prefTante? î'emploî que Pon en fait journelle- ment , foit pour les ufages domefti- qiies , foit pour les différentes conf- truclions, eft immenfe. L'article feuî des Manufactures , peut-être trop înnîcipliées aujourd'hui, eft énorme & niérice toute l'attention du Gou- vernement, qui devroit prendre des mefures pour éviter les dangereux effets de cttit confomniation excef- five , foit en obligeant au moins le p!us «jrand nombre de ces Manufac- tures à fe fervir d'autres matières combuftibles , foit en plaçant autant qu'il eft poffible ces Manufaftures dans les endroits où le bois eft com- mun & difricile à tranfporter. On fait qu'en Angleterre toutes les Manufaftures ne confommenÊ uniquement que du charbon de terre, & tout ce qu'on y apprête avec ce minéral n'en eft pas moins bon. Pourquoi ne feroit-on pas de même en France ?L'ufage contraire ne tient qu'à la routine , il n'eft queftion que de la rompre & de la fupprimer. Nous indiquons ici différents moyens dont quelques-uns font finif, INTRODUCTION. ii pies & très-économîques , pour for- fîier des bois d'une grande étendue , pour entretenir ceux qui font en •bon éVAt y & pour rétablir ceux qui font dégradés. La partie théorique de ctt Ou- vrage a mis les Leéleurs en état de çonnoitre les différentes parties des arbres , de comprendre & de fuivre les opérations de la Nature dans la végétation ; cttiQ théorie à laquelle 3e renvoie fouvent ^ jette un grand jour fur les pratiques dont nous al- lons parler. Le defir de rendre ce Traité utile à tous les Cultivateurs & les Pro- priétaires y dont la fituation & la fortune font fort différentes , m'a engagé à indiquer plufieurs procé- dés, afin que chacun, en confultant fcs moyens , la nature & la fituation de fon terrain, puiffe choifir ceux qui lui conviendront le mieux ; car ces procédés doivent varier félon les circonftances locales , les terrains , les facultés & les vues particulières de chaque Propriétaire. Enfin , j'ai expofé des moyens très-fîrnples & très-expéditifspour ceux qui ne peu- ïx INTRODUCTION. vent ou ne veulent pas faire beau- coup de frais pour leurs femis & leurs plantations. J'ai cru devoir entrer dans des détails quelquefois étendus en faveur des Propriétaires, qui, fort inftruits d'ailleurs , le font très-peu fur cette partie à laquelle on ne donne mal- heureufement pas Pétude & les atten- tions quVile mérite cependant bien ; ces Propriétaires qui ont négligé de prendre les connoilfances néceffaires pour favoir diriger leurs opérations, sVn rapportent aveuglément à des Jardiniers ou à des Journaliers qui toujours fe difent très au fait. Ces fortes de gens , guidés uni- quement par une grofïiere & mau- vâife routine qui leur tient lieu de fcience , n'ont jamais contraélé l'ha- bitude de réfléchir fur les principes d'un Art , dont ils n'ont pour la plupart que de foibles & obfcures idées ; ils ne favent que ce qu'ils ont vu faire dans leur pays , & bonne ou mauvaife , ils font bornés à cette pratique locale ; ils mafla- crent un arbre , comme ils l'ont va maiïacrerj ils le plantent auffi mal ÏNTROD UC TiON. 13 ' qu'ils Pont vu planter , parce qu'ils n'ont aucuns principes , & qu'ils ignorent qu^il y ait d'autres métho- des à fuivre plus conformes à îa marche de la Nature^ & plus appro- priées au terrain & aux circondan- ces. Eft-il étonnant d'après cela que" les femis manquent , qu^une partie des plantations périffe , & que celle qui a fubfifté languiiTe fi long- temps? ^ Cependant ces Hommes à mau- vaife routine ne difent jamais , & peut-être même ne voient pas , que tout cela n'arrive que par leur faute; ils l'attribuent toujours à quelqu'au- tre caufe , ou bien ils affirment har- diment, & ils trouvent fouvent des gens aflez peu inftruits pour les croire^ que le terrain n'en veut pas, car c'eft là le mot ; & le Propriétaire crédule & dégoûté par l'inutilité des frais qu'il a faits en pure perte , croit qu'il n'a rien de mieux à faire que d'abandonner les femis & les plantations , qui réufliroient cepen- très-bien en prenant les moyens & les foins convenables . & cela à î4 INTRODUCTION, rnoindres frais qu'il en a coûté polir mal taire. Parmi nos prétendus Auteurs d''A- griculture , il y en a pîufieurs qui n'ont jamais cultivé ; ils ne peuvent donc uniquement être que des Com- pilateurs , des Commentateurs labo- rieufement occupés à expliquer ce qu'ils n'entendent pas ; fouvent ils recommandent ce qui eft mauvais ^ & blâment ce qui eft bon : ignorant les faits , ils les omettent ou les négligent pour courir après de vains raifonnements. La plupart des Auteurs qui ont parlé des arbres , font des Botaniftes de Cabinet ou des Amateurs qui ne les ont point ou peu cultivés ; ils ont fait voir qu'ils pofTédoient plus l'Art d'écrire que le fonds de la fcience ; quelques-uns fe font ab'an- donnés à des fyftêmes dont ils ont fait la bafe de leurs raifonnements plus fpécieux que folides , parce qu'ils ne font point étayés de l'ex- périence ; enfin ils ont adopté & publié des erreurs fur la foi d'au- trui, dont un peu de pratique les eût bientôt détrompés. INTRODUCTION. 15 Le plus favant Botanifte , s'il ne cultive 5 s'il ne poiTede pas les plan- tes , ou du nK)ins s'il ne s'eft pas fait une habitude de les voir lou- vent ^ ne peut les reconnoitre que par des caraâreres diiHoftifs qui ne; font apparents que dans certaines faifons , & dont quelques-uns ne fe rencontrent jamais enfenible : d'ail- leurs , fi ce Botanifte n'eft point Cul- tivateur y peut -il enfeigner la cul- ture ? Montrez à un fimple Botanifte plufieurs arbres étrangers qu'il n'a pas encore vus , il ne vous les nom- mera pas ; s'il fuit le fyftême de Linnée , il vous dira qu'il faut atten- dre qu'il les ait vus en fleur : celui qui fuit le fyftême de Tournefort ^ après les avoir vus en fleur y vous dira qu'il ne peut encore les nom- mer^ à moins qu'il n'ait vu leurs fruits. Mais celui qui pofTede ^ qui cul- tive & qui voit habituellement les arbres étrangers ^ fait les connoître & les nommer en tout temps ; parce qu'outre les caraéleres très-marqués fur lefquels eft fondée la fcience des tS iNTRODUCTÎOlsr. Botaniftes^ qu'il pofTede comme cuXj rhabitude qu^il a contraélée en les voyant fouvent , lui a appris à iai- fir plufieurs autres marques diftinc- .ttives , comme Pafpeâ de Técorce , la forme des boutons , la pofitîon des branches , & enfin , pour ainfi dire, une certaine phyfionomie qui lui eft fi familière qu'il ne s'y trompe point en toute faifon. C'eft ainfi qu'en hiver comme en été y je reconnois aifément tous les genres d'arbres étrangers ^ connus en France , parce que je les pofiede^ les cultive & les vois depuis long-temps & fou- vent. Il ne fufEt pas d'ailleurs de favoir nommer les arbres , il faut favoir les cultiver & les conduire; ce qui ne peut appartenir qu'à un Cultiva- teur éclairé & expérimenté : pour devenir tel, il faut être Phyficien ^ & pour être bon Phyficien , relati- vement à l'Agriculture ^ il faut être Aericulteur. Je ne prétends pas dire que tous ceux qui voudront s'adonner à PA- griculture foient obligés de prendre eux-mêmes la pioche & la bêche , & INTRODUCTION, if & de conduire la charrue : nos mœurs font trop éloignées de celles de ces anciens Citoyens Romains qui fè li vroient fans peine à des travaux aufli pénibles. Ces exercices ne font pas faits pour des gens de notre fiecle, Laiflons aux hommes qui en font profeiTion l'exécution des travaux laborieux & manuels ; mais il y a une quantité d'opérations de jardinage qui font amufantes , fans être péni- bles y & qui peuvent former pour les honnêtes gens une récréation qui en vaut bien d'autres pour ceux qui favent la prendre & la goûter ; indépendamment de la fatisfaâion que Ton y trouve y un exercice mo- déré ^ & que Ton prends pour ainfi dire > fans s'en appercevoir ^ ne peut être que très-bon pour la fante _, & difpofe l'eftomac à jouir fans incon- vénient du plaifir de la table dont les fuites font ioiivent dangereufes à ceux qui reftent dans Tinaclion prefque toujours accompagnée de l'ennui. Ces amufements da jardinage apprendront à ceux qui voudront s'y livrer^ d'après les connoiffànces Tome IIL B 18 INTRODUCTION. répandues dans ce Traité , à éclai- rer & à guider les opérations de ceux auxquels ils commettent le foin de leurs jardins & de leurs plantations^ à faire avec difcernement des tenta- tives , des expériences dont le fuc- ces d'une feule dédommage quelque- fois amplement deplufieurs qui n'ont point réufTu C'eft ainfi qu'on emploie utilement des Ouvriers en faifant pour eux & même avec eux des réflexions profi- tables y & en mettant leur travail d'accord avec la marche de la Na- ture; elle ne trompe jamais , & on îve la trompe point : en vain vou- droit-on raffujettir à nos raifonne- ments , à nos fyftêmes , à nos routi- nes ; on ne peut heureufement rien changer à Tordre de fes grands ref- forts , de fes mouvements admira- blement réglés & confiants , & ce n'efl qu'en s'y conformant par le moyen d'une faine théorie qu'on peut efpérer des fuccès. Parmi les occupations dignes des hommes qui afpirent à fe rendre uti- les , il en eft qui , par l'élévation , la juftefTe & l'étendue d'efprit qu'elles IN TR OD UC TION. 19 demandent , méritent fans doute de jiiftes éloges; mais celles qui , s'annon- çantfous des dehors plus modeftes^ont pour objet des travaux d'une nécejP° lîté première ^ une induftrie bienfai- fante & des réfultats d'une utilité fans ct^t renaifTante ; ne font pas moins dignes de Teftime & de la confidération la plus étendue ; tel eft le caraélere de la fimple & fage économie rurale, qui, parle moyen de l'Agriculture ,. nous procure une abondance de vrais biens : ce qu'elle acquiert fans bruit > elle le préfente fans fafte ; & la douceur de fes dons répand fur elle un air de modeftie & de tranquillité qui paroît être uni- quement fôn partage, . Mais lorfqu\m efprit attentif s'a« donne à un examen plus étendu , 8c qu'il entre dans le détail de fes opé- rations , il eft furpris dé la multi- tude des connoiÏÏances qui lui font néceffaires & de l'étendue des foins qu'elle exige pour en affurer le fuc- ces. Il voit toutes les vertus afli- ves concourir avec elle pour obte- nir les vrais tréfors que la terre ne donne qu'à ceux qui favent les mé-^ B z ao INTRODUCTION. rîter : il reconnoît que les fciences^^ font avec elle dans un commerce continuel ; les unes pour en tirer le fujet de leurs méditations; les autres afin de Taider de leurs lumières ; que toutes enfin s'emprefTent à rele- ver fes^avantages ; & que fi les Scien- ces font la gloire d'un Etat , il eft réfervé à l'Agriculture d'en faire la force & la félicité. C'eft: donc avec raifon que nous nous flattons d'être utiles au bien public , & de nous rendre agréables à la fociété en fournilTant de nou- veaux fecours à ceux qui s'adonnent à la culture des arbres^ qui efl une partie bien eflentielle , nous pouvons même dire principale de l'économie rurale , & de les mettre en état d'accroître le bien général en tra- vaillant à leur fortune particulière & à l'agrément de leur vie. L'Agriculture , fi eftimée y fi ché- rie des Anciens , eft de toutes les occupations de l'homme celle qui eft la plus intéreffante & la plus utile ; non-feulement elle lui procure toutes les cjiofes nécefl^aires à la vie^ non-feulement elle l'entretient INTRODUCTION. %i dans une fanté dont on ne voit point jouir les gens oififs , mais encore par Pefprit réglé & attentif qu'elle lui infpire , elle Pcloigne d'un grand nombre de vices ^ lui rend familière la pratique de beaucoup de vertus , & l'élevé à une forte d'indépendance qui lui donne un caraélere vrai & décidé. En eflfèt , dégagé des pénibles de- voirs dont on eft fur^chargé dans les Cours & dans les Villes , libre & affranchi de toutes les manœuvres ou il entre fouvent autant de bafleffe que de fauffeté , l'Agriculteur ayant des jouiffances & des plaiflrs qui ne dépendent point de la volonté & du caprice d'autrui , ne doit les biens qu'il recueille &les agréments dont il jouit qu'à la fertilité de la terre ^ aux douces influences de l'air , & à l'intel- ligence &Ia confiance de fes travaux. Cette confiance n'efl ni pénible ni ennuyeufe pour l'homme même le plus inconfiant ^ parce que les travaux qui fe fuivent fans interrup- tion font extrêmement variés , de même que les jouiffances qu'ils pro- curant^ qui ne font point de la nature ^ INTRODUCTION. de celles qui font bientôt fuivies de la fatiéré. Eh ^ comment pourroit- on s'en lafTer , puifqu'outre la mul- tiplicité des différents objets qu'em- braife l'Agriculture, chaque faifon ^ chaque mois , même chaque jour offre un nouveau fpeélacie , & exige de nouvelles attentions ! Les terres , les vignes , les jardins ^ les vergers, les prés , les bois _, les taillis font î)aître une grande variété de diffé- rents détails. La récolte des graines^ les femis^ les élevés,, les plantations , l'éduca- tion & l'entretien des arbres tant fruitiers que de fervice ou de Am- ple agrément , la récolte & la con- servation des fruits , tous ces objets entraînent une grande variété d'oc- cupations. C'eft de tous ces points effentieîs fdont je vais parler , d'après la théo- rie déjà établie , d'après l'expérience & des obfervations faites dans dif- férentes Provinces du Royaume & ^ans les Pays étrangers. Les Cultivateurs ne doivent point craindre d'être trompés ici ' par f es prétendus fecrets , par ces vai- INTRODUCTION. 2.3 tics méthodes indiquées par des Ecri- vains qui n'^ont jamais pratiqué Part dont ils ne parlent qu^en Compila- teurs ^ en répétant & accréditant d'an- ciennes erreurs ; ou s'ils fe faififTent de quelques bonnes maximes , ils en font fouvent une faufTe application. Tels font cependant la plupart des Traités d'Agriculture que l'on voit paroître fous des titres pompeux & qui nuifent beaucoup plus qu'ils ne fervent au progrès de l'Art : on ne trouvera ici que des méthodes jufli- fiées par le (\iccès. Un des grands obftacles que ren- contre l'Agriculture, eft la difficulté de vaincre l'obftination des Peuples fervilement attachés aux ufages ou plutôt à la routine du pays qu'ils habitent , qu'ils regardent comme uniquement & exclufivement bonne. S'il eft vrai que la différence du climat, du terrain & quelques autres circonftances locales , existent une culture particulière , il n'eft pas moins certain que des mérhodes étrangères ont été pratiquées avec fuccès , & que de nouvelles épreu- ves ont parfaitement réuffi à ceux B 4 %^ INTRODUCTION. qui les ont faites avec intelligence/ Nous avons lieu de croire que les Cultivateurs qui entendent leurs vrais intérêts ^ loin de rejeter les X)blervations & les procédés que BOUS leur préfentons^ les liront & les examineront avec attention , & qu'obfervant ce qu'ils ont de conforme aux loix générales de la Nature & aux circonftances locales, ils les mettront en pratique. Nous ofons nous flatter qu'ils en retireront l'avantage que nous defirons leur procurer. Les richeffes de la Nature font inépuifables ; PinduArie les foliicite & les met à profit ; c'eft elle qui les multiplie, qui les varie & en aug- mente la valeur : on ne peut donc trop Pexciter, on ne peut trop Té- clairer. La terre feule fuffit pour occuper rhomme tout entier ; tandis que fon corps travaille à la culture , fon ef- prit s'exerce à diriger les opérations : ce double travail rempliffoit la vie de nos premiers parents & en fai- foit le bonheur, & le malheur de leur poftériré eft peut-être de l'avoir abandonné. INTRODUCTION. 25 Nos mœurs , je le répète , font trop éloignées de celles de nos Pè- res ; moins faftueufes ^ mais plus pai- fibles & plus heureufes que celles d'aujourd'hui ; d'ailleurs il ne s'agit point pour le propriétaire ni même pour fon économe de labourer fon champ ^ de bêcher fon jardin , de couper dans fon bois^ &c. Lorfqu'il eft à la tête d'une culture étendue, il ne doit point s'afiTajettir à un tra- vail mianuel ; c'eft bien afTez pour lui de fuivre & de diriger les opé- rations de ceux qu'il furveille ; il travaille fuffifamment en faifant tra- vailler les autres. Le travail eft cependant toujours mieux dirigé par celui qui a mis la main à l'œuvre : c'eft le moyen d'ap- prendre à bien connoître par foi- m.ême le bon ouvrage & le bon ou- vrier ; à favoir la meilleure manière de s'y prendre pour accélérer & bien faire la befop;ne , & l'indiquer aux Ouvriers qui fouvent exécutent lentement & mal. C'eft diaprés les épreuves qu'on a faites foi-même qu'on peut con- noître le fort & le foible du travail^ %6 INTRODUCTION. que l'on a fenti qu'il y en a de fort rude & auquel un homme ne peut réfifter long - temps , fans avoir fcefoin de fe repofer de temp3 en temps ; ce qui apprend à ouvrir fon cœur à la commifération pour les malheureux coopérateurs des reve- nus du Propriétaire , qui ont toute îa peine pour un modique falaire. Tels font les gens de journée & les domefliques que Ton prend à la campagne ; le bon choix qu'on en fait , & l'art de les gouverner , eft nn des principaux refforts de la prof périté & du fuccès de la culture. On ne peut douter que des Gens bien irigés n'exécutent beaucoup mieux que ceux qui , abandonnés à eux- mêmes , ne favent ce qu'ils doivent faire , ou pis encore j auxquels on a donné des ordres mal expliqués ou mal conçus : de là tant de tra- vaux à pure perte , parce qu'il faut défaire & recommencer ce qui a été mal fait ; ce qui non-feulement fait perdre du temps , mais dégoûte îes Ouvriers. Rien ne rallentit tant le zèle & i'adivité des bons Travailleurs que ÏNTROD UCTION. 2.7 de voir qu'iîs ne font pas mieux trai- tés que les fainéants, ou que ceux qui travaillent mal ; ce qui dans le fait n'eft pas jufte. Rien n'eft d'un meilleur effet que de dîftribuer de temps en temps , à propos & avec équité, quelques gratifications , quel- ques petites récompenfes à ceux qui travaillent le mieux , ce qui excite Pé- muîation & fait avancer le travail ; & ces marques de générofité , loin d'être difpendieufes pour le Maître qui fait en ufer , deviennent en effet très-profitables & économiques. Celui qui ne voudroit lire ce Traité que comme on lit un Dic- tionnaire que l'on n'ouvre que pour y chercher l'article dont on a befoin , n'en feroit ni plus fatisfait ni guè- re plus inftruit. Quoique diviféen VIIILîvres qui fe fubdîvifent en plufieurs Chapitres différents, ctt Ouvrage a une mar- che fi fuivie & une telle liaifon de principes , qu'il faut le lire en entier & de fuite pour bien entendre & faifir les explications de détail. Ceux qui fentiront combien les pbjets qui y font traités intéreffent 0.8 INTRODUCTION. leurs jouiflances , combien ils peu- vent procurer d'utilité & d'agrément; ceux-là y dis - je , ne dédaigneront point d'en faire une étude particu- lière y & d'y donner un temps fou- vent moins bien employé. Puiffé-^je être aflez heureux pour voir avant la fin des jours qui me reftent , que mon travail, en appla- lîifTant les difficultés , ait infpiré le goût & la volonté d'acquérir des eonnoiffances fi négligées & cepen- dant fi importantes pour le bonheur de l'humanité ! e=£^6j^ ^^ ^^^^^ ^^ ^ Is HUj^^^^^ ^^B ^w ^ TRAITE THÉORIQUE ET PRATIQUE DELA VEGETATION. LIVRE V. DES SEMIS. CHAPITRE PREMIER. L Du Terrain. A bonté naturelle du terraîn fait la fatisfadion & la richeîTe de celui qui en jouit ; tout au contraire un fol aride & ingrat ne peut guère faire que la ruine & le dé- fefpoir du malheureux Cultivateur condamné à y voir fes frais & fes travaux infruflueux. ga Traite de la S'il y a quelques plantes que l'on voie fubfifter dans des terrains arides , toutes profperent beaucoup mieux dans un bon ter- rain. Nous ne répéterons point ce que nous avons, dit de la terre dans la féconde Partie : îious avons prouvé par Tobfervation & l'ex- périence qu'elle n'entre point dans les plantes p ^ue la meilleure terre eft infertile par elle- même fans le fecours de l'eau , & que l'eau feule peut faire des produdions ; mais s'il y a quelques genres de plantes qui y trouvent une nourriture fufïifante , les arbres en gé- néral font connoître par la manière chétive dont ils y végètent , qu'ils ont befoin d'une nourriture plus fucculente ; c'efl dans la terre qu'ils la trouvent par la décompolîtion des fubftances fulfureufes , bitumineufes , Sec, , que l'eau met en diflblution , & qu'elle charie dans les plantes , comme nous l'avons expli- qué au Chapitre de la Nutrition. Il eft évident que plus ces fubftances font abondantes dans la terre , plus l'eau en eft imprégnée , & plus la fève eft nutritive ; mais lorfque le terrain en eft peu pourvu, ou lorfqu'elle commence à s'en épuifer , on y fupplée par les amendements & les engrais' dont nous allons parler dans un Chapitre particulier. Le principe de toute efpece de terre eft tin fable plus ou moins fin , plus ou moins incorporé à une fubftance argilleufe : le degré de cette incorporation , de ce m.êlange , dé- cide & conftitue la qualité de la terre. Quand on dit que la terre eft indlifoluble dans l'eau f- Végétation, Liv.V, Ch.Ï. 51 on n'entend parler que de la partie fableufe ; car la manière dont on voit l'eau épaifîie & trouble , prouve qu'elle a mis les autres par- ties en difiolution. Les bancs de fable que Von trouve dans le fein de la terre , les couches fablonneufes que l'on voit fur les bords de la mer & deS' grandes rivières , font les réfidus des terres qui ont été délayées & ont effuyé de grands frottements : ces fables , dans cet état , de- venus abfoluraent infertiles , peuvent donnes un très-bon terrain , en leur rendant les fub- Éances auxquelles ils étoient précédemment unis , & dont ils ont été dépouillés par la diflblution & l'agitation des eaux, Ainli,en mêlant ces fables avec de l'argille, ou même de la glaife , on compofe une très-bonne terre , qui devient ce qu'on appelle terre franche : deforte qu'une mixtion de deux fubtiances qui , féparément , fer oient infer- tiles , donne un fort bon terrain , où les plantes en général végètent & réallifren£ bien. On peut donc par ce moyen corriger & rendre bon le plus mauvais terrain , ce qui n'efl pas auili difpendieux qu'on le croiroic d'abord , lorfqu'on a le bonheur de trouver le remède proche du mal , comme fouvenr la nature nous le préfente. Je l'ai éprouvé avec fuccès , & j'en vais rapporter un exemple. Un de mes amis vouloit acheter dans mon voifinage une jolie habitation qui lui conve- aoit à tous égards ; mais il en étoit dégoûte 9 10 Traité DE t à caufe de l'infertilité décidée du terrain k/ long d'un mur de 50 toifes expofé au Midi ^ où tous les arbres qu'on avoir précédem- ment plantés avoient généralement péri : je l'aflurai d'y remédier, & il m'en crut. 3e favois qu'il y avoir très-près de là une carrière d'argille , j'en fis apporter la quantité né- ceflaire. Ayant fait défoncer le terrain à cinq pieds de profondeur & de largeur , je trouvai que fous environ lix pouces d'une aiTez mauvaife terre fableufe , fe trou voit un banc de fable pur , tel que celui dont on fe fert pour faire le mortier. Ayant fait mêler par peltées & par par- ties égales le fable avec l'argille , j'en fis rem- plir la tranchée , qui forma une nouvelle plate-bande , où l'on planta des arbres frui- tiers de toute efpece , qui y ont pouffé avec vigueur , & qui , dans l'efpace de quatre an- nées, y ont formé un des plus beaux efpaliers du pays. Ce fuccès connu a fait tomber l'incrédu- lité où l'on étoit d'abord de voir réuiîir des arbres plantés dans de l'argille , & les incré- dules font devenus des imitateurs. Cette opération , comme je Fai déjà dit , n'eft pas fort difpendieufe , fur- tout quand on trouve l'argille ou le fable à portée du terrain que l'on veut corriger : de plus , cette dépenfe eft d'un effet durable , parce qu'elle change la nature du fol , ce que ne font pas les autres amendements , qui ne foac pour la plupart que des palliatifs qu'il faut renouvellet Vegïtatîoîs , Iiv. V , Ch. I 33 renouveller fou vent. Je ne peux trop la con- lèiller à ceux qui veulent s'aflurer une bonne & longue jouifïance. Pour qu'un terrain foit bon ^ il ne faut pas que le fable ou l'àrgiile y domine trop ; l'excès de l'un le rend fec & aride, ôc celui de l'autre trop compade & humide ; l'un eft trop perméable à Tair & à l'eau , l'autre a le défaut oppofé. Il eit difficile de corriger ces vices dans des terrains d'une grande étendue , mais on le peut dans un jardin ; 6c c'eft par où il faut com- mencer , en défonçant le terrain de trois à quatre pieds de profondeur , & plus encore aux endroits où l'on fe propofe de planter des arbres. Cette opération efl: abfolumedt néceffaire pour accélérer & fortifier la vé- gétation, î^ous en parlerons encore au Chapitre des Plantations. Il n'arrive pas toujours que l'emplacement d'un jardin déterminé par le voiîinage de la maifon , par les points de vue , 6c autres raifons de convenance , donne un terrain tel qu'il doit être, c'e(l-à-dire , dé nature & de profondeur convenables ; pour lors , malheur à celui qui ne commencera pas par le mettre en état de faire de belles productions : il paiïera fa vie à fe plaindre chaque année des défagréments qu^il éprouvera , que l'ignorance hït fouvent attribuer à d'autres caufes , & la dépenfe qu'il fera d'ailleurs fera toujours en pure perte , s'il n'a pas commencé par faire celle dont nous parlons , dont il fera bien dédommagé par la fuite. Tome III, C ^4* IrUÂItÉ h E LÀ Il y a des terres de différentes couleurs § de rouges , de blanches , ^ de jaunes , de gri- fes , de noirâtres ; ces deux dernières font ordinairement bonnes , quoiqu'on eo voie quel- quefois de jaunâtres & de blanchâtres , qui font auili très-bonnes , & de noires , qui ne le font pas moins : ainfi la couleur de la terre n'eil pas toujours une marque fûrement dif- tindive de fa bonté ; c'eft par les produc- tions & le bon état du terrain en toute fai- fon , qu'il eft plus aifé de juger de fa qualité. Les terres, trop fortes , trop compaSes ^ quife coupent par tranches à la bêche, comme des terres glaifes , font fujettes à fe fceller , comme on dit , c'eit-à-dire , à fe ferrer & s'endurcir , enforte qu'elles deviennent pref- qu'impénétrables à l'eau des pluies & des ar- rofements ; leur fuperficie fe fend aifément^ & quelquefois profondément dans les temps de haie & de fécherefie , & leur dureté de- vient telle qu'elles ne peuvent fouifrir aucuns labours ; c'eil pourquoi elles font caufe d'une terrible difette dans la plupart des faifons : outre que telles fentes nuifent extrêmement aux arbres & aux plantes , parce quelles en dé- couvrent les racines , elles rompent les nouvelles & les empêchent de continuer leurs fondions j ce qui eft un inconvénient très-pernicieux. Ces terres , dans les temps pluvieux, font de leur naturel fujettes à être pourriffantes , froides & tardives , confcrvant dans leur fond^ une humidité perpétuelle & nuiiible , défauts les plus pernicieux que les terres puiiTent avoir. VEGETATION , LiV. Y. , Ch. I. 55 Voilà les principaux vices des terres ar- gilleufes & trop lourdes , trop graiTes ôc trop fortes. D'un autre côté , les terres fablonneufes ; trop légères , & par conféquent arides , ont auili de grands inconvénients : la lecherefTe de ces fortes de terres provient, de ce que d'ordinaire c'eft un fabie pur qui fe trouve au- defTous de telles terres arides , fi fur-touc elles n^ont pas afîez de profondeur , & qu'il n'y ait pas un lit aiTez folide ôc alFez ferré pour pouvoir arrêter & retenir les eaux qui provieanent du dehors , foit par les pluies > foit par les arrofements ; ces eaux pénétrant aifément le lit de ces terres , viennent jufqu'à ce fable, qui étant, pour ainfî dire , un ef-. pece de crible , les laiiTe pafTer & defcendre plus bas , où elles font entraînées par leur pefanteur , & ainfi il ne fe conferve aucune humidité ni fraîcheur dans le fond de cette terre pour en communiquer aux parties fu- périeures ; il bien que dans les temps de chaleur & de fécherelTe , malgré les fréquents arrofements , cette terre retombe biectôc dans fon aridité naturelle, & les plantes ne font qu'y languir , & y périiTent , ii on n'a foin d'arro- fer foir & matin. Le pofFefTeur d'un pareil terrain na pas de meilleur parti à prendre que de le faire dé- foncer Se d'y faire apporter deTargille, comme je l'ai dit , ou de la marne gralTe , dont je parlerai : tout autre remède n'efl: qu'un pal- liatif , mais qu'il eft toujours bon de prati- quer quand on ne peut mieux faire. C 2, ^6 ï R' A I T É D Ë t A Outre les amendements & les engrais , 8i fur-tout le fumier de vache , qui convient le mieux à ces fortes de terres , parce qu'il ell frais & humide , il eft bon de tenir les allées plus élevées que toutes les autres parties du terrain , afin que les pluies qui tombent dans ces allées puiiîent couler dans le terrain cultivé. Il eft bon auffi de faire ramafTer toute la neige dont les allées font couvertes & d'au- tres endroits voifins , pour la faire jetter fur les plates-bandes : il fe fait ^ par la fonte de cette neige, une certaine provifion d'hu- midité dans le fond de cette terre , pour lui aider à faire Tes fondions pendant les chaleurs de fEté. Ceux qui fe ferviront "de ces expé- dients, en reconnoîtront les bons effets. Voilà comme la neige eft bonne pour la végétation , ëc non pas , comme quelques-uns le croient , à caufe d'un fel nitreux, dont elle ii'eft certainement pas plus pourvue que ne l'eft l'eau de la pluie. Il arrive quelquefois que dans ces terrains de fable il y a de l'eau à une médiocre pro- fondeur , ce qui fe trouve ordinairement dans les vallées où l'on a ce que l'on appelle un boa fable noir : en tel cas , il fe fait dans la pro- fondeur de cette terre une fikration naturelle, qui élevé une partie de cette eau jufqu'à la fuperficie, & c'eft cela qui , entretenant la terre dans un bon tempérament pour la pro- dudion , la rend extrêmement bonne. J'en con- nois de cette efpece où toutes les plantes réulliirent à merveilles. Lorfque l'on jouit d'un tel terrain , quoique VEGETATION , LiV. V , Ch. I. ^j fablonneux, il faut bien fe garder de le déna- turer en y faifanc apporter de l'argille ; ce qui eft bien ailleurs , deviendroit ici un mal , parce qu'alors l'humidité confiante dans la^ quelle fe trouveroit une terre forte, laren- droit froide & pourrifîànte par l'effet d'une exceiïive humidité. Les produdions des terres légères font plus précoces que celles des terres fortes: les fruits Se les légumes récoltés dans celles-ci font plus gros ; mais dans les terres légères , ils font pour l'ordinaire d'un goût plus relevé , plus fucré & meilleur ; effet de la fève aérienne , dont nous avons parlé , & dont nous parle- rons encore plus amplemçnt au Livre de la Frudifîcation. Dans les terres légères , ks arbres pouffent , fruâitient & durent beaucoup moins que dans ks terres fortes , & la manière de les con- duire doit être fort différente , comme nous k dirons au Chapitre de la Taille. Il y a quelquefois des terres d'une nature fi bonne , que toute efpece de plantes , toute forte de légumes & de fruits y réufliffenc parfaitement ; &c même ces fortes de terres, étant iimplement cultivées par des labours or- dinaires pour les arbres fruitiers , fe confer- vent bonnes pendant plulieurs années , fans avoir befoin d'aucuns fecours d'amendement. Heureux le polTeffeur d'un tel fonds , qui réunit les conditions importantes , favoir , une terre fertile , une terre fans goût , une terre fuffifamment profonde, une terre meuble ^ peu pierreufe , une terre qui ne foit ni ■Ça 38 Traité be ia trop forte, ni trop humide , ni trop légère & trop feche ! Le poiTefTeur d'un tel terraia privilégié eft afliiré d'un fuccès infaillible, en ce qui dépend purement du tonds; à plus forte raiion , que ne doit- il pas efpérer s'il prend foin quelquefois de faire fouiller & remuer entièrement fa terre à une certaine profon- deur, tant pour lentretenir toujours bien di-= viiée , que pour donner lieu à chaque partie de faire alternativement fon devoir , & fi en outre il ne manque pas de lui faire donner la culture ordinaire ? Mais comme la bonté , la fertilité d'un ter- rain ne conlifle que dans un mélange conve- nable & proportionné de fable & de terre graile, fi la nature ne le préfente pas tou= jours tel, un propriétaire intelligent 'peut fe le procurer en pratiquant les moyens que nous venons d'indiquer , & autres , dont nous parlerons dans des Chapitres particuliers : s'ils exigent quelque dépenfe , on en fera bien indemnifé par la fatisfadion & les avantages qu'on en retirera. VEGETATION , IlV. V , Ch. II. 39 L CHAPITRE II. Des Labours. 'Opération des labours confiée à remuer & à renverfer les parties d'un terrain , de forte que celles de deffus & celles de deflbus prennent réciproquement la place les unes des autres , jufqu'à une certaine pro-^ fondeur. La culture des terres confifle principale- ment à labourer à propos ôc profondément,^ c'eft-à-dire , à rendre végétable une grande épaiftur de terre , à lui rendre des engrais à proportion de ce qu'elle nous donne de fruit , à varier les différentes efpeces de grains dont on peut la charger perpétuelle- ment , au moyen de la reftitution dont je viens de parler. On fait les labours avec des charrues en pleine campagne ; ils fe font de plulieurs fa- çons dans les jardins & autres parties de terrain. On fait les labours à la bêche dans les terres aifées ; dans celles qui font dures & difficiles, ont les fait à la houe , & à la fourche dans les terrains pierreux & durs. Les labours fervent à rendre meubles les terres qui ne le font pas , & à entretenir en état celles qui le font naturellement. On entend par terre meuble celle dont les parties font divifées ^ & pa^' conféquent per- 4P Traité de la îTiéables à l'air & à l'eau , & où il fetrouviô. fies inrerflices , de petites cavités favorables, aux effets de la raréfadion & de la conden- lation , objet principal & le plus efficace, des labours. Ce qui a été dit & expliqué à ce fujet dans la féconde Partie, nous dif- penie d'en dire ici davantage. Plus les labours feront faits de manière à divifer le mieux &: le plus profo.ndémenc les parties du terrain , & plus ils feroae parfaits. Avant de parler des labours à la charrue dans les cliamps , nous allons parler de ceux que l'on fait dans les jardins. La négligence p dinaire de ne pas extirper entièrement les niauvaifes herbes qui jettent de profondes ra- cines, telles que le cfuendent , eit un grand défaut dans la culture. Un ufage , un préjugé qui n'eft pas moins enraciné que le chiendent , eft de ne pas la- , bourer allez profondément ; opération nér. çeiTaire fi le terrain a de la profondeur , & plus néceflaire encore s'il n'en a pas. Je dois infider d'autant plus fur cet arti- cle eflentiel , qu'il efl prefque généralemenc négligé en France ; Se c'efl peut-être le pays . du monde où en généra] on laboure le plus fuperficiellement. Ce vice , fi préjudiciable à l'agriculture , le fait remarquer fur-tout dans les pays où fes terres font lé^çres , quoique ces efpeces de terres n'exigent pas moins dçs labours profonds. Outre ce que tout voyageur a pu reçoa- VEGETATION , Il V. V , Ch. II. 41 ïîoître par lui-même à ce fujet , il ne faut qu'examiner les différentes formes des outils aratoires des autres pays comparés aux nôtres. En Angleterre, en Flandres , en Allemagne, Sec. , les charrues , les bêches font d'une longueur & d'une forme à remuer la terre plus profondément qu'en France, ; c'eft évi- demment à quoi on doit attribuer le fuccès des produdions dans des terres qui d'ailleurs ne valent pas les nôtres. Tous les principes que nous avons pofés , & autres confidérations dont nous parlerons, démontrent l'avantage de remuer la terre le pi us profondément qu'il eft polîible. Je vais prouver que dans les jardins , dans les champs, les labours profonds font effen- tiels pour un terrain qui a beaucoup de pro- fondeur, néceflaires pour celui qui n'en a que médiocrement , indifpenfables pour celui qui n'en a que très-peu. Il me femble entendre déjà la voix de la routine & du préjugé s'élever contre moi. A la bonne heure , dira-t-on , de labourer profondément dans un bon fonds ; mais û. on entrçprenoit de le faire dans un autre qui n'a que cinq ou fix pouces de bonne terre , ici on rameneroit de la craie , là du fable ôc des pierres , ou bien de l'argille , &c. ; ce feroit mettre la bonne terre deflbus , & la mauvaife defFus ; ce feroit tout gâter , tout bouleverfer, tout perdre : mon père n'a jamais labouré plus profondément , & je dois bien me garder d'aller plus avant ; on ne trouve* ïoit defTous que de la terre fauvage , &ç. ^2, Traité de iâ Ces allégations & autres , qui ne tiennent qua l'ignorance & à une malheureufe routine ^ oppofent , dit-on , des obftacies invincibles à creufer plus profondément. J'avoue que je l'ai cru comme un autre , & je le croirois peut-être encore fi l'expé- rience ne m'avoit pas défabufé & démontré îe faux de ces idées ; H je n'avois vu en An- gleterre & çn Flandres de très-mauvais ter- rains qui , après avoir été profondément creu- fés, retournés & ainiî défrichés , font de- ¥enus très-bons & capables de faire à^s pro- dudions admirables. Si je n'avois obfervé que dans ceux aux- quels on n'ofe toucher , parce qu'ils font ,. dit-on , ingrats, infertiles , incapables de four nir à la végétation ; iî je n'avois vu , dis-je que les arbres qu'on y a plantés , ou qui y croiiTent naturellement , y enfoncent profon- dément leurs racines , ôc y profperent bien ; preuve très-évidente que ce fonds , regardé comme li mauvais , n'efl: pas infertile. Mais fi les plantes végètent bien dans ce fol , fans labours , fans amendement & fans foins, combien mieux doivent-elles croître & profpérer lorfqu'une partie de ce terrain aura été. incorporée à l'autre , mêlée & re- tournée par les labours , amendée par les en- grais , améliorée par les neiges , les pluies , ies rofées , & par l'influence de l'air auquel elle eft devenue plus perméable ? Examinons maintenant les différentes fubf- . tances qu'on rencontre ordinairement fous cette mince couche de terre qu'on s'eft con=- tenté de labourer. VEGETATION , lïV. V, Gh. II. 45 Si fous une fuperficie de terre fablonneufe on découvre de l'argiile , c'eft un tréfor qu'on eft trop heureux de trouver , qui reftoit en- foui à pure perte , & dont il faut s'em- prefler de jouir, en faifant avec facilité , fans tranfports & fcns frais , la mixtion que nous avons recommandée. Si au contraire fous une terre argilleufe , trop compade & trop humide , on eil: affe^ heureux pour trouver quelques fubftances fa- bleu fes , ou marneufes , ou crétacées ; c'eiic une découverte également utile & favorable pour la mixtion ëc l'amélioration d'un pareil terrain ;. voilà de ces rencontres heureufes dont il feroit abfurde de ne pas profiter. Mais 11 , comme il arrive plus ordinaire- ment, on ne trouve fous une terre argil- leufe que de l'argiile encore moins bonne , ou fous une terre fablonneufe que du fable & des cailloux , l'opération d'un labour pro- fond , iînon auiliavantageufe & auiîi prompte- ment produdive , n'en eîl pas moins né- ceiTaire. Voilà comm.e je l'ai vu pratiquer en An- gleterre , en Flandres &: ailleurs. On fe fert |)our cette efpece de défrichement, d'une char^ rue d'une conftrudion telle qu'elle peut s'en- foncer dans le terrain & le retourner à la profondeur de quinze à dix-huit pouces : il ne faut pas moins de fîx chevaux attelés à cette charrue , &: trois hommes , dont deux pour labourer , & un pour conduire les chevaux. On fait palTer enfuite fur ce terrain retourné des herfes de fer pour le purger , Traité delà ^u moins en partie , des pierres qui s'y trou* vent. On le laifTe ainiî quelque temps , après quoi on fait encore de nouveau repafler par- deiïus les herfes pour lepierrer. Après avoir répandu fur ce terrain une épailTeur de fumier ou de bonnes terres rap-r portées , lorfqu'on peut s'en procurer , on le laboure encore avec la même charrue & aufîi profondément, mais avec plus de faci^ lité que la première fois ; quatre chevaux & deux hommes fuffifent pour ce fécond la- bour ; on fait pafler de nouveau les herfes fur le terrain , & on y répand du fumier , pu autres amendements. On donne à ces terres ainfi retournées & amendées un troifieme labour avec une char- rue plus légère , & qui ne retourne le terrain que d'environ un pied de profondeur : ua fèul homme & deux ou trois chevaux fuf- fifent pour cette charrue , avec laquelle on donne quelque temps après un autre labour moins profond que le précédent , quieft celui des femis. Je peux a (Tu rer,' d'après l'expérience, qu'à îa fuite de telles préparations d'un terrain réputé précédemment très-mauvais , on aura des récoltes abondantes de froment & autres grains , fur-tout fi on a mixtionné de fable, ou mieux de marne fablonneufc les terres trop fortes & trop humides, & d'argille ou de marne argilleufe les terres trop divifées & trop feches ; & tel terrain défoncé , amé- lioré, & pour ainfi dire créé, n'a plus be- foin que d'un entretien ordinaire pour êtro o nftamment bon & produdif.- VEGEtATION , LiV. V , Ch. ÎI. 45 Mais voilà , dira-t-on , bien du travail & de la dépeafe. Cette obfervation doit être foumife à un calcul bien fimple : vaut - il mieux laiffer un terrain dans l'état de ftérili- té , ou du moins de peu de rapport auquel iî eft condamné pour toujours ^ que de le mettre en pleine valeur ? Les frais qu'exigent les opérations qui doi- vent le mettre dans cet état , ne font-ils pas bien inférieurs aux produits confiants de ce terrain , & à îa valeur qu'il a acquife ? Ne dédommagent-ils pas amplement le proprié- taire de cette première dépenfe , foie qu'iî .fafîe valoir fon terrain , foit qu'il le donne à loyer , foit qu'il le vende ? Que Ion compte , ôc l'on verra qu'il y a beaucoup à gagner. ^ Mais je conviens que cette opération ne peut être que celle d'un propriétaire , ou d'un locataire à longues années. D'où vient que les baux faits à lîx ou à neuf années font & ne peuvent être que des termes nui- Hbles en général au progrès de l'agriculture ? Parce qu'il n'eft pas naturel de croire qu*uiî homme qui n'eft pas afîiiré d'une plus longue jôuiffance , foit pour lui , foit pour fa poilé- rité , veuille faire la dépenfe qu'exigent les défrichements ou les améliorations dont nous venons de parler. Les baux à peu d'années font donc évidemment nuifibles à la vraie Culture des terres & au produit de la malIè générale des fublidances. Mes réflexions feront fort inutiles à ce fujet , fi le Gouvernement , pénétré de cette 4^ T R A I T E b E I A vérité , n'entreprend pas de corriger des aboâ qui font aiifii préjudiciables aux propriétaires ^ qu'ils le font à l'Etat. Si je m'étois laiffé perfuader par quelques Auteurs qui prétendent que les labours feuis fuffifent conftamment à toute eîpese de pro- duclions , fans les fumiers^ les amendements & autres foins néceifaires à l'agriculture , l'expérience m'en auroit bien détrompé ; elle m'a confirmé dans la croyance & la perfua- fion que ce n'efl; que par le fecours des uns & des autres que l'on peut mettre la terre en état de faire de belles & vîgoureufes produâions. 1°, Les labours les mieux faits & le plus profondément pofîible , fervent à entretenir dans la terre des interflices , des réfervoirs d'airs , qui donnent plus de jeu à l'effet de la raréfadion & de la condenfation ; premier & principal effet. 2^^. Plus la terre eft réduite en petites par- ties , & mieux l'eau peut diffoudre les fels dont elle eft remplie , & s'en imprégner plus abondamment ; ce qui rend la feye plus nutritive. 3°. Mieux les molécules de la terre font diviiées, & plus elles font perméables aux jeunes racines, qui s'y enfoncent, s'y éten- dent à proportion qu'elles éprouvent plus d'attraélion & de facilité à y pénétrer , & font au (il de grands progrès en peu de temps. Comme on peut compter que le progrès te plantes dépend de celui dQS racines , ces Végétation , ti v, V , Ch. ÎI. ^y i3lantes poufTent plus vigoureufement Se ea peu de temps dans un terrain bien préparé. Mais comme nous avons vu que ce qu'oa appelle fève, n'ell autre chofe qu'une difTo- lution des fubftances graiTes ëc falines, dont l'eau s'elt imprégnée dans la terre , ces fubf- tances^ne font pas inépulfables ; & lorfque la terre en eft dépouillée , elle devient ce qu'on appelle uf/e. Effedivement on a dit & reconnu de tout temps que les terres s'ufent à la longue; avec cette différence feulement, que comme il y en a de très-bonnes , & qu'il y en a de médiocres , hs unes s'ufent bien plutôt & plus aifément que les autres. Quelque fécondité que la terre pofTede , elle s'épuife à la longue par la fuite & ^ la quantité de fes produdions , & fur-tout de celles qui paroiffent lui être étrangères ; car celles qui lui font naturelles s'entretiennent bien plus long-temps & plus conftamment en vigueur fans foins & fans culture .* par exemple , la terre d'un bon pré , bien loia de s'ufer en nourriifant l'herbe qu'elle produit tous les ans , femble augmenter de plus en plus de difpofition à en produire. Mais CCS excellentes prairies ne fe font gueres remarquer que dans des vallées où le terrain , quelquefois fubmergé , eft en tout temps arrofé & baigné par les eaux des rivières ou ruiifeaux qui les avoiiinent. La fertilité ne feroit pas aufli confiante dans les terrains plus élevés , qu'on appelle hauts-prés , ou prairies artificielles , fans le fe- cours des engrais qu'on y répand de temps |t T IL A î T É i) B t A" en temps , de l'urine ou de la fiente des anî^ maux qui y pâturent. Une terre qui paroît ufée par rapport aux produdions qu elle avoit coutume de faire i ne l'eft pas toujours pour d'autres fortes de produdions ; & l'expérience prouve qu'il ne faut pas toujours charger le terrain des mê- mes fem.ences , mais qu'il faut les varier. Cette méthode ufitée & très -bonne , ne peut difpenfer cependant des fecours étran- gers qu'il faut absolument donner de temps en temps au terrain , c'eft-à-dire , des amen- dements éc des engrais qui remplacent les fubftances dont la terre eft épuifée , & dont les eaux puiiTent s'imprégner pour for- mer une fève nutritive. Nous parlerons de ces amendements dans un Chapitre particulier. Quant au terrain des jardins , il eft encore plus nécelTaire de le rendre bon & profond s'il ne l'eft pas , & de l'améliorer autant qu'il eft pollible. On ne peut efpérer aucune iouiffance fatisfaifante , li on ne commence par faire cette opération ; & fans cette pre» miere dépenfe , celle qu'on feroit annuellement & pendant toute fa vie feroit peu fruâueufe ; & quoique bien plus confidérable à la longue, elle feroit toujours d'un petit produit & de peu d'agrément. Heureux fi l'on trouve dans fon jardin les qualités d'une bonne terre telles que nous les avons décrites ! Mais s'il en eft au contraire , on ne peut trop tôt travailler à y remédier , fur- tout ï\ le terrain n'a pas la profondeur convenable. Végétation, Lit. V , Gh. II. 49 convenable. Voilà ce qui fe pratique à ce fujec en Angleterre. On creufe avec la houe le terrain d'enviroîi trois pieds de profondeur , par tranchées \ on jette la terre à côté , en féparant la bonne de la niauvaife , que l'on met chacune féparé- ment de chaque côté de la tranchée ; on mec un lit de fumier ou d'herbes, au fond de cette excavation ,• par-defTus une couche du moins bon terrain naturel que l'on a mêlé aupara- vant avec de bonnes terres qu'on a pu trouver à portée^ & fuccefîivement par lits de fumier ou autres amendemenîs , alternativement avec des couches de terre , mêlées comme je viens de le dire : on remplit la tranchée ^ après quoi on en fait une autre à côté de celle-ci , que l'on remplitSle même , en obfervant de mettre la meilleure terre au-de(Tus : c'eir ainiî que fuccefîivement on donne à fon jardin un fonds & un terrain excellent. Cette dépenfe, qu'un cultivateur éclairé ne doit pas héfîter à faire , finon tout d'un coup , au moins par parties , & félon ï^s moyens , lui afTurera une jouiffance profitable , fatis- faifante ôc confiante , qui le dédommagera , bien par la fuite des frais qu'il aura faits pour fe la procurer. Cela ne vaut-il pas mieux que de palfer toute fa vie à faire annuelle- ment , & prefque inutilement , de la dépenfe en vains palliatifs , qui ne peuvent remédier radicalement au mal. . Après avoir parlé des remuements de terre & des labours , qu^on pourroit appelîerpr/- mltifs , nous allons parler des labours moins Tome III, D ço Traité de la profonds , quelquefois même fuperficiels , qui doivent fe faire en différentes fâifons de Tannée, & particulièrement pour les femis. Ces labours fe doivent faire en différents temps , & même différemment , eu égard à la différence des terres & desfaiions. Les terres qui font chaudes & feches ne doivent être labourées en Eté, qu^avant, pen- dant ou après la pluie , & Air-tout s'il y a apparence qu'il en doive encore venir : mais il faut bien fe garder de remuer profondément ces fortes de tcres pendant un temps chaud & fec ; & Il on eft obligé de le faire où il y a des plantes & des arbres , il ne faut pas manquer d'arrofer auili-tôt. J'ai perdu plufieurs arbres faute de cette précaution. Au contraire , les terres fortes , humides & froides ne doivent jamais être labourées en temps de pluie , mais plutôt pendant les plus grandes chaleurs. En effet , pour lors on ne peut les labourer ni trop fouvent , ni trop avant , en vue particulièrement d'empê- cher qu elles ne fe fendent , ce qui , comme nous l'avons déjà dit , fait grand tort aux ra- cines , & afin que cette terre , étant divifée par les labours , la chaleur y pénètre plus aifément , ôc donne plus d'adion à l'effet de la raréfadion & de la condenfation. La Nature nous fait voir en cela , auili bien qu*en beaucoup d'autres chofes , que nous de- vons chercher à l'aider , mais bien prendre garde de la contrarier. L'obfervation nous apprend ce que demande la terre , & en quel temps elle le demande ; Végétation , Liv. V, Ch. II. ^t elle nous fait connoître qu'il eft bon de la- bourer , ou du moins de ferfouir fouvent au pied des arbres , foie en terre feche & légère , îoit en terre forte & humide ; mais en temps de pluie pour les unes , & en temps de cha- leur pour les autres. Ces labours fréquents ^ quand on a la commodité de les faire , font d'une grande utilité ; car outre qu'ils empêchent qu'une partie de la bonté de la terre ne s'épuife à la production & à la nourriture de mé- chantes herbes , ils font au contraire que ces herbes mifes au fond de la terre , s'y pourriflent, Se y fervent d'un nouvel engrais. Ceux qui font dans l'ufage de ne donner qu'un labour en chaque faifon , doivent , dans les intervalles de ces labours , ratilFer ou ar- racher les mauvaifes herbes qui , particuliè- rement l'Eté & l'Automne , viennent à fe pro- duire fur les terres , & s'y multiplient dans la fuite 11 on les y lailTe répandre leurs graines. 11 faut bien fe garder de faire des labours au pied des arbres dans le temps qu'ils fleu- riflent ; il en eft de même de la vigne lorf- qu'elle poulfe , parce que la terre fraîche- ment remuée au Printemps , exhale beaucoup de vapeurs , qui , aux moindres gelées blan- ches , afîez ordinaires en cette faifon, fe con- denfent & s'arrêtent fur les feuilles & fur les fleurs, les humedent & les attendrilTent > & les rendant ainli plus fufceptibles de la gelée , contribuent à les faire périr. Les terres qui ne font pas labourées ea D 2 52 Traité DE LA ce temps-là , & qui par conféquent ont la fuperfîcie dure , ne font pas fujettes à exha- ler tant de vapeurs , qui font très - préjudi- ciables aux fleurs & aux jeunes pouffes des arbres , lorfqu'il furvient de la gelée. L'obfervation que je fais ici elt bien prou-- vée par un fait qui étonne ceux qui n'en fa- vent pas la caufe ; c'eft qu'on voit que les gelées du mois de Mai endommagent toujours plus fortement les fleurs & les pouffes des arbres fitués dans les vallons , quoiqu'abricés, que celles qui font dans la plaine , ou fur le fommet des montagnes , où elles font plei- nement expofées au vent du Nord & à la ge- lée ; c'eft que les unes font dans un atmofphere humide , & les autres n'y font pas. Ce que je viens de dire de l'utilité des fré- quents labours au pied des arbres , fait voir qu'on doit s'abftenir de remplir , comme on le fait fouvent , les plattes-bandes des eipa- îiers , d'herbes potagères , de fraifiers , ou de plantes à fleurs tout auprès du pied de leurs arbres ; ces plantes y portent un grand préju- dice, & empêchent les fréquents labours dont je viens de parler. La règle la meilleure à pratiquer pour les labours qu'il faut faire aux arbres , tant en Au- tomne qu'au Printemps , eft que dans les terres feches & légères , on doit donner un grand Se profond labour avant l'Hiver , & un pareil aulfi-tôt qu'il eft paffe , afin que les pluies & les neiges- de l'Hiver 6c du Printemps pé- nètrent aifémentdans les terres qui ont beloiii de beaucoup d humidité. VEGETATION , LiV. V , CH. II. 53 A regard des terres fortes & humides , il faut leur donner au mois d'Odobre un petit libour, feulement pour ôter les mauvâifes herbes , Se attendre à leur en donner un plus profond au mois de Mai , quand les fruits font bien noués & les fortes gelées paflees , de même que les grandes humidités. Ainii la fiiperficie de ces terres s'étant trouvée dure , ferme & ferrée , n'a laiflfé que peu de palTage pour les eaux de l'Hiver & du Printemps , ôi pour la fonte des neiges , ce qui n'au- roit pu être que préjudiciable à ce terrain , déjà trop humide & trop froid. Rien n'humede tant le terrain que Feau de la fonte des neiges ; l'eau des pluies ne pé- nètre gueres au-delà d'un pied ; mais l'eau des neiges pénètre jufquà deux ou trois pieds de profondeur , parce'que la neige fe fondant len- tement & petit à petit , & parle deflbus de la malTe , elle s'inlinue plus ailément fans en être empêchée , fans elTuyer de difîipation par la chaleur du folçil , ou par le haie des vents. C'eft pourquoi il convient de raflembler , au- tant qu'on le peut , fur les terres feches , des tas de neiges , fur les labours des efpaliers , & particulièrement aux expolitions du Midi, qui font en Eté les plus frappées du foleil ; & auffi aux expofitions du Levant, parce que les eaux des pluies d'Eté n'y venant prefque jamais , les terres de cette expolition demeu- rent ordinairement plus altérées , & par con-^ féquent les arbres y fouffrent. Tout au contraire, il eft bon de faire en- lever la neige de deifus les terres fortes , puif- D3 f4 Traite de la qu'elle y porte une humidité qui ne pourroît être que préjudiciable dans ces fortes de terrains , déjà trop humides & froids. On pourroit révoquer en doute la nécef- fité des labours , de même que celle de plu* iieurs autres bonnes méthodes que j'indique- rai en citant des exemples qui paroifTent en difpenfer. On dira qu'il y a des arbres qui , étant couverts de pavé , ou de fable battu autour du pied , ne laiifent pas de bien faire , quoiqu'ils ne foienr jamais labourés ; mais il y a plufieurs chofes à répondre à cela. 1°. De tels arbres font pour l'ordinaire fous des égoûts; il y tombe beaucoup d'eau , qui , pénétrant au travers des jointures du pavé ou du fable battu , leur fournit affez de fraîcheur. 2^. L'humidité qui a ainfi pénétré dans ces terres couvertes de pavé , s'y conferve bien mieîîX & plus long-temps que dans les autres , le haie des vents & la chaleur du foleil ne pouvant la difîiper. Ainiî ces exemples & autres ne dérruifent pas la nécefîîté des labours , bien jutlifiée en- core par toutes les plantes & arbres que l'on .tient en caiiTes & en pots , qui ne manquent pas jde languir , Se fouvent même de périr. fi on n'a pas foin de ferfouir de tem.ps en temps la fu- perficie de la terre , pour donner palTage à Fçau des an'ofements. VEGETATION , LiV. V, Ch. III. 55 CHAPITRE III. Des Amendements. L Es Anciens nonc point douté de îa nécefîité des engrais : quelques Auteurs mo- dernes ont donné à croire qu'on pouvoir s'en paflTer , en y fuppléant par des labours mul- tipliés ; ils ont penfé que les fumiers n'opé- roient que par la divifion dts terres , & qu'ainfi toute autre opération qui opéreroit cette divilion, feroit également bonne : cette opinion , li contraire à l'expérience , va être détruite par les différents effets des engrais, que nous allons examiner & démontrer. Il çil certain que quelque fécondité que la terre poffede , elle s épuife à la longue par les productions qu'on lui fait faire. S'il y a des terrains qui produifent toujours conftam- ment fans qu'on y apporte aucuns amende- ments , tels que ceux des bois & des prairies, ceft que les uns reçoivent annuellement un très-bon engrais par la chute des feuilles , & les autres de puilTantsfecours apportés parles inondations , & par une irrigation prefque continuelle; fecours dont la privation les feroit bientôt dépérir. Les engrais naturels de ces fortes de terrains les mettent en état de fe palTer des autres ; mais ceux qui n'en reçoivent pas de pareils ont befoin qu'on leur en fourniffe , d'autant plus qu'on les force à Tentretien d'une végé- '^6 T R A I T É D E I A ration plus abondante & plus fiiivie. Les amendements ne fignifient autre chofe qu'une amélioration de terre ; cette amé- liorarion fe peut faire avec toutes fortes de fumiers. Quand nous amendons & fjmons de la terre , ce doit être en vue de donner de la fertjlité à celle qui n'en a pas, c'eft-à-dire , qui a beaucoup de défauts , Si par confé- quent peu de difpolition à produire , ou de l'entretien à celle qui en a , & qui pourroit îa perdre , fi de temps en temps on ne lui faiibit quelques réparations néceifaires. Nous devons amender cette terre plus oa moins , félon les produdions que nous lui de- mandons , foit au-delà de fes forces , foit con- formément à fon pouvoir ; il faut auiii avoir égard à fqo tempérament , comme nous le dirons. Il faut , par exemple , amplement des en- grais pour produire des herbes potagères, ou des légumes qui viennent en peu de temps en abondance , & fe fuccedent prornptement les uns aux autres dans un petit efpace de ter- rain , qui , fans cela , fe pourroit effruiter. Mais il en faut peu pour nourrir les ar- bres qui, croîiTant ifolés & lentem.ent , ne font que des produdions médiocres eu é^ard à l'efpace de terrain qu'ils occupent en larr geur , ôc fur-tout en profondeur , quoiqu'ils demeurent fort long-temps au même endroit où ils font ; cependant , par le moyen de leurs racines pivotantes & latérales, qui s'érendenç à 4toite & à gauciie , & très-profondément;'^ VEGETATION , IlV. V , Ch. IÎI. 57 ils prennent an loin & au large la nourriture qui leur convient , en pénétrant chaque année dans quelques nouvelles veines de, terrain. Un fol qui a naturellement beaucoup de fond & de fécondité , a moins befoin d'amen- dements qu'un autre. Les grands défauts de la terre confident ^ ou en trop d'humidité , accompagnée pour, l'ordinaire du froid & de la grande pefanteur, ou en trop de féçherefle , qui eft au contraire régulièrement accompagnée d'une excefîive lé- gèreté , & d'une grande difpolition à être brûlante, 11 fe fait de grandes diiTertations pour dé-^ çider quels font les meilleurs engrais, DesChy- Hillles s'arrogeant la compétence de cette ma- tière , fe font érigés en Juges fouverains , & ont décidé d'après quelques expériences faites dans leurs laboratoires. La Chymie eft une fcience très-utile , a, laquelle on eft redevable de plufieurs cpnnoif- fances , ôc qui mérite certainement bien les attentions qu'on y donne aujourd'hui plus que jam.ais : mais en devant attendre Se efpérer des découvertes utiles de la part de ceux qui, poiFédant cette fcience , favent en faire une jufle application , ne doit-on pas appréhendei; qu'elle n'induife-en erreur beaucoup d'autres qui, voulant en faire une application vague & mal dirigée , en tireront des conféquences fauifes , qui ne produifent jamais que des idées hafardées , des fyflêmes & des erreurs d'au- pntplus dangçreufes, qu'elles paroilTeot fcien-^ ^8 Traité de la tifiques , & érigées fur de grands mots qui en îrapofent à ceux qui s'en laiflTent prévenir , & qui font des armes dangereufes dans les mains des derai-favants , ou qui ne font que de lîmples manipulateurs ? Sans emprunter ici le fecours de la Chymie 9 qui , je crois, n'a que faire là , nous nous en tiendrons tout Amplement à reconnoître les qualités & les effets àts différents amende- ments , d*après ce que l'expérience a démon- tré; elle nous alfure que la décompofition des animaux, des végétaux, & de la plupart des minéraux , ell propre à amender & à amé- liorer la terre , en y retournant par la voie de la corruption ; que tout ce qui rentre dans la terre lui rend ce qu'elle avoit perdu : en effet , tout vient de la terre , & tout redevient terre. Ainfi toutes fortes de morceaux d'étoffes & de linge, la chair , la peau, la corne & les ongles des animaux , les bois , lesécor- ces 5 les fruits , les feuilles , les pailles , les grains , les cendres , les boues , les urines , les excréments , toutes ces fubftances ren- trant dans la terre Se décompofées , y fer- vent d'amélioration ; de forte qu'ayant la fa- culté d'en répandre fou vent fur les terres , comme on l'a particulièrement dans le voi-^ finage des grandes Villes , on met ces terres en état de pouvoir produire toujours & fans relâche ; car une terre quelconque ne ceffera de faire des produdions , pourvu qu'on lui reftitue la même quantité de fels & de focs que la végétaiioa lui a enlevés. VEGETATION, LiV. V, Ch. III. 5^ ' Par exemple , fi en labourant un terrain on l'emet dans le fond du labour les plantes qu'il avoit produites , ces plantes ainfi renveriees au-deflbus de la fuperficie de la terre , y pour- riflent, & y font un engrais delà même quan- tité & à peu près de la même valeur que ce qu'il en avoit coûté à cette terre pour les produire ; c'eft le même fel qui lui re- vient , & la rend aullî riche & aulFi fertile qu'auparavant. Il y a plufîeurs fortes d'engrais , les uns meilleurs que les autres ; mais tous font propres à amender la terre , c'eft-à-dire , à réparer la perte qu'elle avoit faite en pro- duifant. La terre proprement dite , c'eft-à-dire, la terre élémentaire , ne s'ufe point , puifque nous avons prouvé qu'il n'en entre point dans les plantes; ce ne font, comme nous l'avons dit , que les fubftances falines , oléagineufes , &c. dont elle eft remplie , qui fournifTent les fucs nutritifs,- & ces fubftances étant reftituées à la terre par le moyen des engrais , la réta- bliflent , & la remettent en état de produire comme auparavant. Il eft donc certain , qu'au moyen des en- grais , on peut faire produire la terre conti- nuellement , & c'eft ce que l'on voit bien prouvé par l'expérience dans des terrains plus que médiocres ; de là l'inutilité de la queftion de favoir s'il faut ou s'il ne faut pas laifler les terres en jachères , c'eft-à-dire , les laifîer repofer pendant un an ; ce fera le fujet d'un Chapitre particulier, éo Traitédela Il eil, outre les engrais, une autre cf^^^ccç d'amendement reconnu pour très-bon ; c'eft If celui que Ton fait au moyen des terres rap- portées ; c'eft ce qu'on appelle terroter. L'ex^ périence prouve que ce rapport de nouvelle^ terres eft d'un effet excellent pour ks femis & pour les plantations. L'opération de urvoUr neft autre chofe qu'uae mixtion de nouvelles terres avec celles du fonds que l'on veut am.è|Drer. On fe fert pour cet efFeroe vuidanges ou cures de mare-; & d'étangs , de gazons , ou mottes pris le long des chemins , de terre de pré , ou autres bons terrains , & fur-tout de terres neuves. Nous allons parler féparément de ces diffé- rentes terres ; nous en avons affez dit fur les mixtions d'argille dans les terres légères , & de fable dans les terres fortes ; nous ne pourrions que répéter ce que nous avons déjà dit de l'excellent effet de ces mixtions. On appelle terres neuves celles qui, étant 2 h profondeur de trois ou quatre pieds , font cenfées n'avoir jamais vu lé foleil , & n'avoir point fait de produdion ; c'eft pour-, quoi on les appelle encore /^rre^vier^e^. On regarde aufîi comme terres neuves celles, qui depuis long-temps ont été hors d'état de produire, foit pour avoir été amoncelées ^ foit pour s'être trouvées fous des édifices on bâtiments quelconques. Soit que ces terres n'aient jamais produit ,. foit feglement qu'elles foient reliées long-temps en repos , il eft ççrtain qu'elles font e^çeK VEGETATION , Ll V. V , Ch. IÎI. 6x lentes , parce qii elles font remplies de fels ou de ceux qui lui ont été donnés à la créa- tion , ou de ceux des terres de la fuperficie qui lui ont été apportés par la filiratiorî des eaux de pluie , dont la pefanteur les faic defcendre par -tout où elles peuvent pé- nétrer. Ces fels fe confervent dans ces terres fou- terraines jufqu'à ce que devenant elles-mêmes fuperficie, l'air S*la lumière leur donne une difpofition propre à employer avec éciat la fécondité dont elles font douées. En effet -, elles ne font pas pour ainfî dire plutôt en libeité d'agir , qu'elles produifent des végétaux d'une beauté furprenante. Ainli , i'ans trop s'embarraffer de favoir iî une terre eft vraiement vierge , li elle n'a ja- mais produit , Ij elle a encore fon premier (el de la création , connoifîance qui ne peut être que fort incertaine , il fuffit de favoir que ce foit une terre qui a refté en repos & fans pror duire depuis long-temps, pour pouvoir la re- garder comme neuve , & pour erre afïuré ^qu'elle fera des produdions merveilleufes. Dans les jardins où on l'emploiera, toutes for- tes de plantes & de légumes y embelliflent , croiffent & grofîîifent à vue d'œil, & les ar- bres que l'on y plante y réulîifTent à merveilles. Je confeille donc fur-tout le tranfport de ces terres neuves , autant que Ton pourra s'en pro- curer. HeureuK qui pourroit enfermer le fonds- de fon jardin ! La terre de pré , fi elle eft bonne à une cer^ laine profondeur , peut être regardée comme une terre neuve. ^i Traité de la Quant aux cures & vuidanges de mares oii d'étangs , les avis des Auteurs & même des Cultivateurs , font partagés fur leur qualité , leur préparation & la manière de les em- ployer ; cela doit être , puifque ces fortes de terreaux font prefque tous différents , quoique compris fous la même dénomi- nation. En effet , quoiqu également appelles curures de mares , il eft certain qu'ils participent cha- cun en particulier de la nature des terrains où eft la mare d'où on les a tirés, ce qui doit les rendre d'un genre & d'un effet aulB différent que l'eft celui de ces différents terrains ; c'eft pourquoi ici elles feront argilleufes , là fableu- fes, ou tenant de l'une & de l'autre. De là grande difpute entre les Cultivateurs: l'un qui aura employé fans aucune précaution de ce terreau argilleux dans un fol brûlant , dira que les vuidanges de mare ne valent rien ; qu'elles fe font , pour ainli dire , pétrifiées pendant la chaleur de l'Eté ; & qu'étant de- venues dures comme des briques , il a été obligé de fouiller au pied des arbres où il en avoit mis , pour les en retirer. Un autre , qui aura mis des vuidanges fa- blonneufes dans une terre forte & humide , dira qu'elles font très-bonnes & d'un excel- lent effet , parce que l'humidité du terrain aura mis en diffolution ces terreaux , qui ont par eux-mêmes bien moins de ténacité que les au- tres. Ces Cultivateurs ont tous deux raifon , & ne font cependant pas d'accord. C'eft ainfi qu'on difpute fouvent , faute de s'entendre. VEGETATION , IlV. V, Ch. III. 63 Les terreaux argilleuxne doivent point être employés d'abord : les uns les laifTent en tas pendant deux années , afin qu'ils puifîent fe digérer & fe diffbudre ; les autres , & ceft le mieux , les mettent par lits avec des herbiers , des pailles, des bruyères , des fougères , des feuilles , &c. , ce qui forme une ou plufîeurs maffes , dont la démolition , après un an oa deux , étant pafTée à la claie , donne des ter- reaux excellents , fur -tout pour les terres légères. Les terreaux fablonneux peuvent être em- ployés tels qu'ils font dans les terres humides, ou bien on les répand lîmplement avant THi- ver fur la fuperficie d'un terrain quelconque; les gelées & les pluies les mettent en peu de temps en diiïblution , & l'eau qui les diffouc & délaie, pénétrant dans le terrain , porte aux racines des arbres des fels lexiviels , qui y préparent une fève nutritive. Ces terreaux font enfouis par les labours du Printemps ; mais ils font alors de peu de valeur dans les terres légères , s'ils ont été dépouillés par les pluies & les neiges de leur graiffe & de leurs fels ; car la bonté de ces terreaux confiée dans une efpece de li- mon dont ils font imprégnés , lequel étant diflbus , il ne refte plus que du fable , peut- être encore un peu gras , que l'on met avec du fable ; amendement peu profitable pour des terres légères , mais très-bon pour des terres fortes & compades. Tout ce que nous venons de dire des vafes de mares & d'étangs , peut s'appliquer aux' ê^ T R A I T É D E I A boues des rues , qui font auîîi de différente nature , félon le local. Mais comme on n'a pas toujours des em- placements libres & convenables pour faire ces approvifionnements de terres neuves .& d'amendements , fur-tout dans les jardins , où je ne faurois trop en recommander l'excellent iifage , je vais dojiner un moyen facile 3c très- bon pour mettre en digeltion en telle quantité & auîli long-temps qu'on le voudra , les mé- langes dont je viens de parler. Un ufage quin'ell que trop pratiqué aujour- d'hui , & qui certainement tient plus à l'intiti- lîté qu'il ne remplit l'idée de magnificence qu'on y attache , met en allées excelîivement larges une partie du terrain des parterres, & même des potagers. Ces allées , qui font en pure perte , peuvent être employées en partie à l'utile dépôt des terres & terreaux & autres amendements qu'on pourra fe procurer. Dans le temps où les ouvriers & les che- vaux font peu occupés ou ne peuvent l'être à d'autres travaux, comme pendant un temps de gelée , on fera creuler une ou plufieursde ces allées les moins fréquentées. Il arrivera fouvent que l'on retirera de l'excavation de ces allées , de très-bonnes ter- res repofées depuis long-temps , & que l'on peut regarder comme des terres neuves ; on aura foin de mettre d'un côté toutes ces bonnes terres féparées de la mauvaife , s'il s'en trouve, que l'on jettera de l'autre côté de la tranchée. L'excavation étant faite dans la profondeur ' que Végétation , Liv. V , Ch. Iîï. 6$ que Ton aura jugée convenable , félon la niafTe du dépôt qu'on veut y faire ; on commen- cera par jetter au fond de la tranchée toute la bonne terre qu'on â pu en tirer ^ enfuite on y mettra les boues de rue ou vafesdemare entremêiées ^ comme nous l'avons dit , de lits de pailles $ d'herbiers, de foiigeres , debruye-^ res, ébranchages, moufies^&c, que l'on aura foin de bien fouler & de trépigner à chaque couche que l'on fera. On recouvrira le tout d'une couche' fuffifante de la mauvaife terre graveleufe que l'on aura mife feparément : il faut obfer- ver de donner un peu plus d'élévation à cette nouvelle allée, en la formant en dos d'âne ou de bahut ; car (Quelque bien foulé que foit le mélange qu'on aura fait , il arrive toujours qu'il s'afFaiiTe par la fuite , principalement vers le milieu. Une tell^ allée , précédemment inutile , & qui fouvent ne devient que plus feche, plus pratiquable & plus commode qu'elle n'étoit , contiendra un tréfor auquel on aura recours au befoin , pour l'amendem.ent & la fertilité des potagers ëc pour la plantation des ar- bres. On trouvera au bout de deux ou trois ans cet amas de différentes fubftances. converti en une maife d'excellents terreaux; avant même de les employer, on verra qu'ils auront déjà produit des effets bien fenlîbles fur les ar- bres qui en font à portée , tels que ceux d'un efpalier , quand on a fait pareille tranchée dans l'allée qui borne la plate-bande où ces Tome III. E 66 T R A I T É î) Ë t A ar'ores font plantés. On ne tarde pas à ap- percevoir à la vigueur extraordinaire de ces arbres , l'effet des fucs abondants & nutritifs que pompent dans cette maffe de terreau leurs racines qui y pénètrent & s'y étendent en peu de temps. J'ai vu avec admiration des efpaliers ainlî entretenus, & je crois qu'il n'y a point de meilleur moyen de les faire linguliérement prof- pérer, principalement dans les terres feches & légères. Quand on retire les terreaux de la tran- chée, on voit que les arbres voifins y ont pouflé une quantité prodigieufe de jeunes racines & de chevelu ; il faut bien fe garder de les trop découvrir ; & après avoir retiré la quantité de terreau , fans trop endomma- ger les racines , il faut remplir de nouveau la tranchée avec de pareils ingrédients. On ne fera pas furpris des progrès que font les racines dans ces mélanges qui con- fervent toujours beaucoup d'interitices & de cavités, fi l'on réfléchit fur ce que nous avons dit des effets de la raréfadion & de la condenfation , dont le jeu fe trouve favo- rifé dans une pareille tranchée & bien capa- ble d'y attirer puiffamment les racines. Toutes les fubllances végétales & anima- les font bonnes pour former les dépôts dont nous venons de parler , qui fe convertiront en excellents terreaux ; le marc de raifin & celui des pommes peut y être employé utile- ment ; la mouffe & les brouffailles dont on dégagera les bois & les futaies ; à^^ ani- Végétation, Iiv. V, Ch. IV. 6^ maux morts , des os , des tonturcs de draps dans les Manufadures , des raclures de corne , àçs cendres , & fur-rout le fang des animaux & les vuidanges des boucheries. Toutes ces fubftances, mêlées avec les ter- res ou vafes dont nous avons parlé , & mi- fes en digeftion pendant quelque temps, don- nent des terreaux dont je ne faurois affez recommander de fe pourvoir , puifque c'ell: la bafe abfolument néceffaire pour une bonne Agriculture , & qui , préparés comme nous l'avons dit , fuppléent aux fumiers dont nous parlerons, après avoir examiné dans le Cha- pitre fuivant la nature & les effets des amen- dements tirés du règne minéral , & particu- liérement de la marne. L CHAPITRE IV. De la Marne, A marne efl une fubftance folîile plus ou moins grafle & dure , qui fert à amen- der les terres & à les rendre fertiles. Il y a plufieurs fortes de marnes , toutes très-bonnes , pourvu qu'après en avoir exa- miné l'eflence & les propriétés , on fâche l'employer félon la nature du terrain , qu'elle améliore & rend fertile pendant un grand nombre d'années : nous allons commencer par rendre les meilleures définitions qui aient été données de la marne. E 2. 58 I'raité de la Cefl une terre calcaire , communément blanche , compoiée de craie , de glaife & d'un peu de fable fin : félon qu'il entre plus ou moins d'une de ces fubftances dans une quantité donnée de marne, alors elle cfî ou plus légère , ou moins abforbanre , ou plus vitrifiable , ou moins diflbluble aux acides , ou plus ou moins colorée & friable , mais elle eft toujours plus folide que la craie. En général , une bonne marne fait eifer- vefcence avec les acides , ce qui décelé des parties crétacées ^ miais iorfqu'elle en eft dé- ptDuiilée , elle parole tenace , s'endurcit au feu ; & étant détrempée avec de l'eau , on en peut faire des vafes fur le tour ; ce qui décelé fa partie argilleufe. On peut féparer la partie fableufe par le lavage ; miais ii on laide la glaife & qu'on la pouile au feu , on en obtiendra une efpece de verre laiteux ou une porcelaine. Ceft dans les ouvrages de Minéralogie & dans le Didionnaire de Chyraie qu'on trou- vera de plus amples détails. On trouve de la marne de diverfes cou- leurs : outre la blanche qui eil eftimée la meilleure pour les terres fortes , & qui fe rencontre le plus ordinairement , il y en a de grife , de bleue, de jaune, de noire, de rouge; celle-ci n'eil autre chofe qu'une ef- pece d'ocre qui contient du fer. Les i^nglois qui ont écrit fur l'Agriculture & l'économie rurale , comptent lix ei'pcces de marne colorée ; favoir : - 1°. Le Couflitmark qui tire fur le brun , & qui eR mêlé de craie. VEGETATION , Ll V". V, Ch. IV. ^^ 2°. 'Ltjîone marie ou marne de pierre , qui s'appelle aiifTi Jlak ou fiagmarle ; c'eft une efpece de marne de couleur bleue qui a vieilli; elle elt comme pourrie; la gelée, la pluie , la décompolenc ailemenr. :^'^ .'Lq pearmark ou tuingmarle ; cette m.arne ell: ferrée , compade , très-grafTe , d'une cou- leur brune ; on la trouve dans les moutar gnes. 4°. Le claymarh ou marne d'argille : elle reflemble à Targille , & eft quelquefois entre- mêlée de pierres calcaires, 5°. \^t Jlcelmarh ou marne d'acier; on la trouve com^munément au fond des galleries àts mines; elle fe divife en cubes. 6°. Lq p^permar/e ou mdiVUQ de papier, qui relTemble beaucoup à des miorceaux de pa- pier gris, mais dont la couleur ell quelque- fois plus claire ; on en trouve dans le voifi- nage des charbons de terre. Ces différentes couleurs de m.arnes ne font dues qu'aux parties m.éralliques & végétales qui y ont été dépofées dans Tétat de guko , avec les autres parties conftituantes de ces fortes de terre. On appelle marne pure celle qui nç con- tient que de la craie oc de la glaife très- f»ne , à dofes à peu près égales : quand la craie y domine , on l'appelle marne crétacée ; lorfque l'argille s'y trouve en plus grande quantité , on l'appelle marne a foulons. La marne qui fe decompofe à l'eau & à l'air , & qui le fend en lames , efl une forte de marne pure ; elle eft excellente pcui; fer- yo Traité db la tilifer les terrains fableux ou arides ; fi elle contient trop peu d'argille , elle tombe en poufîiere. Plus la marne efl argilleufe , mieux elle convient aux terres épuifées par les enfemen- cements; plus la marne eil calcaire & fableufe, meilleure elle efl pour les terres humides & tenaces. La marne pétrifiable efl dans le même cas que l'argille pétrifiable : un fable très-atténué domine dans fa compofition , & acquiert par la fuite du temps, avec le gluten argilleux , une extrême dureté , à la manière de la plu- part des pierres. Enfin la marne à foulons eft celle qui efl furchargée de terre bolaire & favonneufe ; elle s'étend dans l'eau au point d'y efFuyer une forte de diiTolution ; elle eft feuilletée & fe durcit peu à peu au feu : on s'en fert pour fouler les draps. On donne encore le nom de marne à plu- fieurs autres fortes de terres dont on fait ufage dans les Arts ; mais ce font pour la plupart des efpeces d'argilles blanches : on les emploie pour faire des creufets , des pipes, des moules , &c. A l'égard de la marne fœtide, on doit la regarder comme une efpece de pierre puante , calcaire, qui fe troHve dans les environs des charbonnières. La marne fe trouve communément en Nor- mandie , en Champagne , à la profondeur de trente , quarante & jufqu'à cent pieds , quel- quefois en pleine campagne ,• d'autrefois au VEGETATION , LiV. V, Ch. IV. 71 pied dçs collines , d'où communément il dé- coule un filet d'eau ; elle forme des lits afîez horizontaux ; on y trouve fouvent des cail- loux , mais peu de coquilles , finon en SuiiTe , en Bourgogne & en quelques autres pays. Les premiers &( les derniers bancs de marne font les plus graveleux; il femble que cette terre ne foit qu'un dépôt yafeux de la mer ; lequel eft , dans de certains endroits , corn- pofé du tritus de coquilles, & d'un limon provenant de la deftrudion des animaux de la mer, L'antiquité la plus reculée fait mention de l'ufags de la mavne pour fertilifer les terres ; il pa,rQÎt même qu'il étoit plus généralement pratiqué autrefois qu'il ne l'eft aujourd'hui , foit par la négligence des Propriétaires, foit par le peu d'efpoir que les Fermiers auroienc d'en jouir , à caufe des baux à petites an-^ nées , maxime deftradive de l'Agriculture » foit enfin faute de recherches , & qu'on fe perfuade trop aifément qu'il n'y ea a poinî dans le canton où l'on eft. Le bafard m'en a fait découvrir , prochç Rouen , d'une très-bonne qualité, dans une plaine fablonneufe : on pourroit avec cette marne , qui n'eft qu'à une petite profondeur , amender les terres légères & arides de cette plaine : les Habitants s'en tenant à la tradi- tion du pays qui les a affurés q.u'il n'y en avoit point , n'avoient pas penfé à en cher- cher. J'en ai fait ufage depuis, trois ans avec le plus grand fuccès j elle fe diflbut aifémenç % E A 72 T R A I T É D E I A Teau ; elle efl grafTe , ondueufe, & elle porte une fraîcheur permanente ôc une fertilité fur- prenante dans les terres fablonneufes & ari- des. Comme la carrière de cette marne parok abondante & étendue , on en retirera de grands avantages dans ce pays-ci, où les ter- res fablonneufes pour ainfi dire, d'une nature différente: pour lors, étant toutes corrompues , 6c n'étant plus propres à continuer de fervir de litière , on e(l: obligé de les ôter du lieu où elles étoient , pour y en remettre de nouvelles qui deviea- îient dans le même état. Cette litière qu'on a retirée de deifous les animaux , <& jettée devant les étables , y eil confervée en tas fous le nom de fumier , qu'apparemment la fumée qui en fort lui a fait donner. Ce qui efl: caufe de ce nouveau fervice que rend la paille étant ainii devenue fumier , efl: que les urines & les excréments des animaux lui ont communiqué une cer- taine qualité ou plutôt un certain fel qu'ils contiennent ; ce qui fait que ce fumier étant entaifé vient à s'échauffer confidérablement <& échauffe en même temps tout ce qui en ap- proche, comme nous l'expliquerons en parlant des couches. 7^ Traité be la Le fumier, regardé comme vil & dégoû- tant , eft cependant une ehofe bien utile & même nécefTaire au genre humain : nous allons examiner , i". Les différentes efpeces de fumiers. 2°. Quels font les meilleurs. 3°. Comment il faut le conferver. 4°. Le temps & la manière de l'employer. Les excréments des animaux forment le fumier ; mais comme ces divers excréments font de nature différente , il s'enfuit qu'il y a différentes efpeces de fumiers qui ne pro- duifent pas les mêmes effets. Les fumiers qui font le plus en ufage , non-feiilement à caufe de leur bonté , mais à Câufe de la grande quantité qu'on peut s'en procurer, font ceux de cheval ou de mulet, de bœuf & de vache , de mouton , de co- chon. Le fumier de cheval eft le plus commun & le plus abondant par-tout, à caufe du be- foin que l'on a de ces animaux pour les tra- vaux champêtres , pour le tranfport des den- rées , pour la commodité des Voyageurs. Outre l'emploi vraiment utile des chevaux, il s'en trouve une quantité bien conlidérable dans toutes les grandes villes, dont on pour- roit dire que l'utilité principale eft de faire du fumier , puifqu'ils ne fervent guère qu'au luxe Ôc à promener l'ennui de quelques per- fonnes oilîves qui vont réciproquement pour fe vifiter , fans defirer fouvent de fe rencon- trer. On fait qu'il y a eu un temps où un Roi Végétation, Lrv. V, Ch. V. 79 de France n avoir qu'un feul coche pour le tranfporter au milieu de fes Sujets qui alloient tous à pied. Dans le pays où Ton fait ufage des bœufs pour être attelés à la charrue & aux cha- riots , leur fumier eft abondant ; celui de va- che l'eft par- tout ; on ne peut guère fe paf- fer de ces animaux nécelfaires pour perpé- tuer l'efpece , fi utiles à l'économie rurale par les préfents qu'on en reçoit; le lait, le beurre , les fromages nous viennent des vaches ; on les emploie en Allemagne au même tirage que les bœufs ; ôc après avoir été fî utiles pendant leur vie , leur chair fert à nous nourrir , leur grailTe à nous éclairer , leur peau à nous chauf- fer , enfin tout efl d'un ufage utile dans ces animaux, jufqu'à leur poil & leur corne que plufieurs arts emploient pour les commodités de la vie. Les bœufs & les vaches font un fumier très-abondant : nous parlerons de fou ufage. On n'obtient beaucoup de fumier de mou- ton ou de chèvre que par de nombreux trou- peaux ; ces animaux en font beaucoup moins que ceux que nous venons de citer. Quant au fumier de cochon , le petit nom- bre de ces animaux , eu égard aux autres , & le peu de cas qu'on en fait , ne le fait guère compter parmi les engrais.- Outre les fumiers principaux de ce qu'on appelle gros bétail , on peut encore compter pour quelque chofe la fiente de volatile, telle que les poules , dindes , canards , oies , pi- geons , &c. dont tout bon économe fait Sa Traîtébeia tirer parti , comme nous le dirons. Ce n'eft pas afTez d'avoir parlé de la diver- lité des fumiers , il faut voir quelles font leurs qualités particulières , afin que cette connoif- fance nous mené à en faire un bon choix pour les befoins que nous en avons. On reconnoît dans les fumiers deux qua- lités oppofées ; l'une grafTe & froide, tel efl le fumier de bœuf & de vache ; l'autre, feche & chaude , tel ell: celui de cheval , de mulet , & encore plus celui de mouton. Le premier efl par conféquent le plus convenable & le meilleur pour les terres légères & feches , & l'autre pour les terres humides & froides. C'eil: une dillindion que ne font pas fou- vent les fermiers qui mêlent enferhble tous leurs fumiers , jettes au hafard devant le même bâtiment qui fert d'étable à ces différents ani- maux , où ces fumiers relient entaffés , fans précaution , pendant plufieurs mois. Je dis fans précaution ; car au lieu de con- ferver ces fumiers dans des foffes , comme font les bons économes dans plufieurs pays^ on voit communément en Normandie les fu- miers fous les égouts des bâtiments , où l'a- bondance des eaux les lavent & en délaient les graiffes & les fels ; & qui pis efl , c'efl qu'on ne manque pas d'ouvrir au pied àçs tas de ces fumiers des rigoles pour faire écouler & conduire dans quelque foffé ou mare voifine les eaux qui s'écoulent de ces fumiers , c'efl' à-dire qu'on fait fucceiïivement couler à pure perte une partie efTentielie de ces engrais. Les VEGETATION, LlV. V , Clï. V. ^j^ .Les eaux roufles & épaiîTes qu'on en voit ibrtir le démontreroienc à tout autre qu'à ceux dont les yeux farcinés par l'habitude ^ n'y font nulle attention Mais fi des fermiers, entichés de la routine , font toujours ce qu'ils voient faire aux autres , il eil: inconcevable comment des propiiétaires plus éclairés , fui- vent une auili pernicieulé habitude. Enrin le temps vient de porter fur les ter« res ces fumiers lavés depuis plufieurs mois j; & égouttés de leurs meilleurs fucs , qui ne font prefque plus , pour ainfi dire , que le caput mortuum des Chymiltes : mais perfonne ne penfe à comparer le peu d'elïet de ces? , fumiers à celui qu'ils auroient dû faire, s'ils; avoient été mieux conferv^és.; perfonne ne calcule la différence des récoltes qui en ré- fukent , & on continue de faire toujours comme on avoit fait. Les fumiers de la volatile ne .font pas d'un grand produit, excepté celui du pigeon que Ton ramaiTe en allez grande quantité dans les colombiers ; il eft réputé très-chaud , & ainfx il convient aux terres froides & humides. . Oa trouve dans plufieurs Auteurs , que le fumier des oies efl brûlant & pernicieux ; jai effedivement remarqué que la tiente de ces oifeaux avoit fait jaunir la fane des herbes fur laquelle il en étoit tombé ; mais je peux bien alfurer , d'après plufieurs obfervations , que lorfque les eaux de la pluie ont mis en diffolution ces fientes , elles forment un ex- cellent engrais , les herbes deviennent plus' vigoureufes , plus vertes , & croiiTent en abon- Tome IIL F 82 Traité DELA dance ; c'ell ce que j'ai remarqué fur d'affes mauvais terrains où on avoit fait pâturer des oies ; mais il eft vrai que pendant le temps de fécherelTe les herbes paroiiTent fouffrir de la fréquentation de ces oifeaux. Je dois encore juftiiier de la même accu- fation de brûler les plantes , une efpece de fumier regardé comme li précieux dans plu- fieurs pays , & fi abjet , fi négligé & même perdu dans le nôtre. L'expérience m'a fait connoître qu'il eft > à plufieurs égards , le meilleur de tous. On n'en doute pas en Flandres où les Cul- tivateurs viennent l'enlever dans les places de guerre , où les latrines font louées trois on quatre mille francs par an au profit des Ma- jors des places. J'ai vu quelques Jardiniers en faire ufage à Paris, mais clandeftinement ; car ceux qui, ayant trouvé leurs légumes plus tendres & d'un meilleur goût que ceux des autres ^ venoient en acheter de préférence , fe fe- roient bien gardés d'y revenir , s'ils avoient été inftruits de l'efpece d'engrais qui rendoit ces légumes fi beaux & fi bons , & la pré- vention eût fait ceifer de les trouver tels. Si le fumier des animaux eft un bon engrais , celui des hommes ne doit-il pas être le meil- leur de tous par la nature & la variété de fes aliments? Il eft efFedivement reconnu pour tel par tous ceux qui en font ufage, & ce- pendant on le jette toutes les nuits , à pure perte, dans la rivière. Je ne fuis pas le premier qui fe récrie cour- Vegetatiok , Liv. V, Ck. Y, gj ti'ë un tel abus, & je ne me flatte pas de réulïir plus qu'un autre à le faire ceiTer ; je m'en tiendrai à en parler ici pour ceux qui Voudront en faire ufage. Il y a différentes manières de s'en fervir t on peut l'employer mêle avec de la paille , le répandre iur le terrain & l'enfouir commç d'autres fumiers , fans craindre , comme on l'a dît, qu'il brûle les plantes, pourvu qu'on ny en mette pas trop , & qu'on ait foin de le bien dilTéminer en fouiiTant. Ou bien on peut faire des foiTes affez pro- fondes , y jetter la matière fécale, & la recou-^ vrir d'une fufîifante quantité de terre ; au bout d'un an ou deux , on trouvera cette matière réduiteen terreau noir & gras , qui pour lors â peu d'odeur. Si on n'emplit la foife que fucceiîi- vement , il faut chaque fois recouvrir d'un lit de terre la portion de matière qu'on y aura inife , ce qui ne fera qu'augmenter la mafTe dii terreau & en accélérer la maturité. Si on veut fe délivrer en peu de temps dé l'odeur de cent matière , il faut y jetter dé la chaux vive qui s'y éteint & abforbe l'o- deur : cette mixtion rend la matière d'une coup- leur jaune. Outre l'ufage que les Jardiniers & les Cul= tivateurs Flamands font de ces excellents ter- reaux , ils mettent une certaine quantité dé matière fraîche dans des tonneaux qu'ils rem- pUfient d'eau ; & après l'avoir bien .délayée avec des perches , ils arrofent leurs plantes t& leurs arbres avec cette eau gralFe : j'en ai vd des effets étonnants dans des terrains aifez mai- gres^ F % §4 Traité be la Je peux afllirer , d'après l'expérience , que de pareils arrofements donnent une vigueur finguliere aux plantes, aux arbuftes & arbrif- féaux en pots & en caîiTes, & fur-tout aux Orangers ; il fuffit de répéter ces arrofements deux ou trois fois par mois : li on craignoit que trop de matière n'eût rendu l'eau trop forte , une partie de fiente de vache la tempére- roir. On fait qu'on emploie le fumier de cheval ou de mulet , à la fortie des écuries & avant qu'il ait 'fermenté , pour faire des couches chaudes , dont l'afage & l'utilité font con- nus dans le jardinage pour avoir des pro- dudîons pendant l'Hiver & des nouveautés printanieres , comme des melons , des con- combres , des afperges , des falades , des raves, &c. ,& tout cela bien auparavant qu'on en puiiTe avoir en pleine terre : nous en parlerons plus amplement. On fe fert aulli de la litière la plus longue & la moins confommée pour couvrir , pen- dant les gelées , les figuiers & autres arbres délicats , les artichaux , les chicorées , le céleri , &c. qui périroient fans le fecours des fumiers fecs qui les couvrent; & ces couver- tures enterrées au Printemps fervent d'engrais aux plantes qu'elles ont confervées pendant l'Hiver. Toutes les faifons de l'année ne font pas bonnes pour employer les fumiers ; j'en ai vu qu'on avoit mis au mois de Mai dans des terres fableufes , qui s'y écoient confervés pref- ^ue dans le même état jufqu'au mois d'Odobre. VEGETATION, IlV. V, Ch. V. 8^ Les fumiers feroient inutiles dans le fein de ia terre , s'ils n achevoient pas de s'y pour- rir entièrement ; il n'y a que les pluies & les neiges qui puiflent opérer cette décom- pofition ; ceux qu'on emploie dans les temps chauds ne font que fécher , fe chancir ; & ainlî bien loin d'être favorables aux végé- taux , ils leur font pernicieux & funeftes , fur-tout s'ils font en trop grande quantité. Il n'y a que les grandes humidités de l'Au- tomne & de l'Hiver qui puilfent achever de faire pourrir la fubftance groiîiere & maté- rielle du fumier ,* les fels qui y font conte- nus , mis en difTolution par les eaux , palTent dans les parties intérieures de la terre ; c'ell ainfî que ces fels fe répandent dans les en- droits d'où les plantes tirent leur nourriture , & que les racines y trouvent & pompent des fucs nutritifs , & les font paffer dans les vé- gétaux. Il s'enfuit donc que c'efl avant l'Hiver qu'il faut fumer les terres , & principalement les terres feches & légères ; c'eft aux bons Cul- tivateurs à ne pas laiiTer pafTer inutilement un temps qui eft précieux , fans avoir égard aux quartiers de la lune ni aux vents quels qu'ils puiiTent être , nonobftant les traditions de quelques anciens , & tout ce qu'en peu- vent dire quelques Livres de jardinage ; ce font toutes obfervations qui, ne faifant que donner de l'embarras , font , quant au fait , très-inutiles , & qu'il faut abandonner aux Poètes ou aux Viiionnaires. Quant à la manière d'employer les fumiers , F 3 \ $ë Tb-Aité de la il n'y en a qu'une dans les champs , qui efl de répandre par-tout & le plus également que ToQ peut fur la furface du terrain , les tas de fumier qu'on y a dépofés , & enfuite de retourner la terre avec la charrue» Mais il y a pluiieurs manières de l'employer dans les jardins ; quelquefois on fume à vive jauge, c'eil-à-d:re amplement & un peu avant dans le fond de la terre , & quelquefois on pe fiirne que légèrement la fuperficie. Les fumiers enterres profondément ne font Utiles que pour les arbres dont les racines s'enfoncent dans le terrain , lequel , étant amendé , leur fournit dés fucs plus abondants & plus nutritifs. Mais pour les autres plan- tes & pour les arbriffeaux , il efl mieux après que le terrain a été labouré profondément éi amendé , de ne mettre les fumiers que pro- che de la fuperficie de la terre , parce que les ieis lexiviels deicendent toujours & ne pontent pas. Ce n'ert point la groiïe fubftance du fumier qui fertiiife , c'efl le fel qu'il contient , lequel diflbus & entraîné par les eaux , defcend avec elles par-tout où leur pefanteur les porte : înais un grand inconvénient des fumiers, c'efl de favorifer & de multiplier la naifTance de plufieurs genres d'infedes ; nous allons en par- ler , & donner les moyens d'y obvier. Loi ique les fumiers font employés nouveaux ^ ^vant d erre fuffifamment confommés , ils font remplis de graines de mauvaifes herbes qui ne manquent pas de germer & de croître dans les L VEGETATION , LiV. V , Ch. VI. 87 CHAPITRE VI. Des Terres repofées ou en jachère. l'ExpÉRiENCE prouve que la terre devient ce qu'on appelle ufec à force de pro- duire continuellement ; mais elle prouve aulîi qu'au moyen des engrais , on l'entretient tou- jours dans le même état de fertilité : en effet , en rendant , en reftituant à la terre les fels, les fucs nourriciers dont la végétation l'avoit épuifée, elle fe 'retrouve en état de fournir de nou- veau à la nourriture des plantes , fur-tout Û on a foin de varier les efpeces. On ne doit donc jamais craindre de voir la terre fi épuifée , fi effruitée qu'elle doive demeurer inutile & en friche. On fait faire des produdions continuelles au terrain d'un potager toutes les années , & même de plu- sieurs efpeces dans le cours de chaque année ; on fait produire de même le terrain des champs , quand on a foin de lui donner les mêmes fecours que l'on donne aux jardins. Car enfin un jardin dont la terre fournit jufqu'à trois récoltes dans la même année , n'eft qu'un morceau de terre bien cultivé & bien fumé ; tout un champ peut devenir un jardin également fertile , s'il eil auiîi bien foigné. Il réfulte de cette vérité , que li dans quel- ques Provinces de France, on eil: dans l'ufage de iaiffer chaque année un tiers de la terre en F 4 ǧ Traité DE lA iriche ou en jachère , c'efl rinfuffifance des engrais qui oblige à la nécefîité d'un tel fa- critice qui prive d'un tiers des récoltes cha= que année ; Ôi. ce qu'il y a de plus lingulier & en ménie temps de plus fâcheux , c'eft que cette routine de jachère s'efl particulièrement accréditée dans les cantons où les terres font les plus fortes & les meilleures , comme en Normandiç , dans le Roumois Se le pays de Cau>? ; tandis qu'elle n'a point lieu dans d'au- tres cantons où d'alTez mauvaifes terres, mais lufiifamment amendées , font enfemencées & donnent des récoltes tous les ans. rar tout où cet ufage , que je ne crains point d'appeller meurtrier , s'efl établi , il a palfé en loi , pour ainfi dire , li facrée, qu'il lî'ell permis à aucun fermier de s'en écarter ; c'efl: une claufe otdinaire du bail : mais com- nicnt ne fe trouve- t-il pas des propriétaires Cultivateurs aflez éclairés pour s'affranchir d'une habitude qui lailTe en friche un tiers des terres chaque année, & qui ne prennent pas les moyens de les mettre en valeur , en îe procurant des engrais en quantité fuffifante > car enfin , je le répète , ce n'efl que le défaut d'eijgrais qui oblige à laifTer ces terres en friche. Enfin , fî le raifonnement dépofe contre l'ufage des jachères , l'expérience en a encore inieux démontré l'abus. Une partie du pays de Caux , dans une étendue de dix à douze lieues , depuis l'em- bouchure de la Seine , le long de la mer, en pliant vers Dieppe, & de fept à huit lieues VEGETATION , IlV. V , Ch. VI. m largeur du côté de Rouen , s'eft affranchie depuis quatre- vingt ans de cette fatale routine. On n'y laifle point de terres en repos ; toutes répondent annuellement , avec fuccès , aux foins des Cultivateurs ; on le fait , on le voit : n'eft-il pas bien étonnant que ce bon exemple ne foit pas généralement fuivi ? On ne peut objeder ni la différence du fol , ni celle du climat ; ce n'eft donc uniquement que la dif- férence de la volonté & de l'habitude. On penfe que ne pouvant faire à la terre, par le moyen des engrais, la reftitution qui lui devient néceffaire , en la laiffant en repos pendant un an , elle reçoit par fadion de l'air & de l'eau au moins une partie des ré« parafions & des fecours qu'on n'a pu lui don- ner. J'ai raifonné fur cela avec des Cultivateurs éclairés ; tous font convenus que li on avoit alfez d'engrais, on pourroit abandonner l'u- fage des jachères ; car les autres raifons , dont nous parlerons , que Ton donne pour le conferver , ne tiennent qu'à i'efprit d'habitude dont il eft malheureufement iî difficile defe dé- partir. Il n'eft donc queftion que de remédier à ce défaut d^engrais , & c'eft ce que l'examen ne fera pas trouver aufli impollible qu'on le dit d'abord. Pour avoir plus de fumier , dit-on , il faut avoir plus de beftiaux ,- & on ne peut en nourrir que félon les fubfiftances que l'on ré- colte ; on ne peut faire de litière qu'autant giie l'on a de paille ^ donc , &c. Ce raifo.n- 9^ TRAITÉ DE LA iieraent , tout fondé qu'il paroiiTe , efl néan- moins fautif dans le fait. Il eft certain que quand on n enfemence que les deux tiers de fes terres , on ne ré- colte chaque année que les deux tiers de ce qu'on récolteroit fi la totalité de ces terres étoit enfemencée ; dans lequel cas les moiflbns produiroient un tiers de plus : & comme les terres devroient être partagées de manière qu'il y en auroit chaque année la moitié enfe- mencée en bled ou en feigle , & l'autre en menus grains, tels que les avoines, la vefce , les pois , &c. il en réfulteroit une augmen- tation coulidérable de nourriture pour les bediaux & de paille pour les litières , & par conféquent une quantité fuffifante de fu- miers pour engraiffer la totalité des terres , fur-tout fi on préparoit ces fumiers par cou- ches , avec des boues , des terres & autres ingrédients dont j'ai parlé , qui en augmen- tent la quantité & le bon effet. Je conviens que la première opération pour parvenir à cette réforme n'eft pas fans diffi- culté ; il faut travailler pendant l'année pré- cédente pour avoir la quantité de fumier né- celTaire , & chercher dans les engrais & les moyens que nous avons indiqués , des ref- fources capables de fuppléer au fumier qui manqueroit la première année ; mais ce pre- mier pas étant fait , il n'y auroit plus de dif- ficulté par la fuite. Avec de plus amples récoltes , on feroic en état d'avoir plus de beftiaux ,* ceux- ci produiroient plus d'engrais , lefquels > au VEGETATION , IlV. V , Ch. VI. çt moyen des additions expliquées , entretien- idroienc la totalité des terres en état de don- ner des récokes annuelles & fuccelîives. Voilà donc la plus grande difficulté levée à l'avan- itage du Cultivateur & du bien public, puif- qu'ii en réfulte une plus grande abondance dç grains & de befliaux. Examinons aduellement hs autres objedions. La plus forte eft la fubfiflance ou plutôt la promenade des moutons pour laquelle les jachères font, dit- on, nécelTaires. Quant à leur fubMance, ou il y aura de l'herbe fur les terres en jachères, ou il n'y en aura pas : dans ce dernier cas , la fubiiftance des mou- tons y devient nulle , puifqu'ils n'y trouve- ront rien à pâturer : dans le premier , je dis qu'on ne laifle ainfi la terre en friche pendant une année , quafin que reliant en repos & fans rien. produire , elle puifle fe réparer par les influences de l'atmofphere ; on doit même dans cet état & pour cet effet , la labourer fouvent ; mais fi , négligeant ces labours , on lui laiiîe produire des herbes , 4'objet elt manqué , puifqu'elle n'eil plus en repos. Ceft effedivement ce qui arrive lorfqu'on néglige de charger la terre de quelques plan- tes utiles qui la puifTent occuper ; car enfin il faut abfolument quelle produife toujours quelque chofe ,* fî ce ne font pas de bonnes , ce font de mauvaifes herbes : elle n'eft donc naturellement jamais en repos , à moins que par de fréquents labours , on ne s'oppofe à îes produdions ; & ce .prétendu repos eft plus idéal que réel en Agriculture, ^a Traité de la Ces terres en jachères , tenues comme elles doivent l'être , ne peuvent donc qu'être inu- tiles , ou du moins d'une très-petite refTource pour la nourriture des moutons ; mais font^ elles indifpenfablement néceiïaires pour leurs promenades ? Par-tout où Ton efl à portée des commu- nes , des landes, des bruyères, &c. , il n'y a point certainement d'embarras à ce fujer. Ailleurs , des coteaux , des plantations , des avenues , des forieres de grands chemins , &c. peuvent fuffire à la promenade des troupeaux ^ & mieux fournir à leurs pâtures ; mais enfin €n fuppofanc qu'une ferme n'eût aucuns alen- tours pour cela , ne vaudroit-il pas mieux facriiier quelques acres de fes mauvaifes ter- res en prairies artificielles pour le pâturage des moutons , que de condamner un tiers de fes meilleures terres à une ftérilité trifan- nuelle , pour y promener des troupeaux qui n'y doivent trouver prefque rien à paître? On pourra divifer ces prairies artificielles de manière qu'on en fauchera une partie qui donnera de bon fourrage pour nourrir les îTioutons pendant l'Kiver ; on pourra aulli les y faire parquer , ce qui , en fertilifant ces prairies , entretiendra les troupeaux dans un état de fanté dont ils ne jouifTent pas étant enfermés dans des étables clofes , & leurs toifons plus abondantes donneront une laine d'une qualité bien fupérieure. Outre ces prairies , n'auroient-ils pas de quoi fe promener & paître dans les champs pu on a récolté du bled , champs libres de- VEGETATION , LiV. V, Ch. VI, ^3 puis le mois d'Août jufquen Mars, où oq y doit faire les menus grains ? Mais enfin 11 quelques pofîtions particu- lières , & qui ne peuvent être que rares ^ obligeoient à laiiTer les terres en jachères pour les troupeaux; qui peut obliger à faire de Blême ceux qui ne font pas dans cette nécefiitél & c'eft le plus grand nombre des habitants d'une paroifTe où fouvent il n'y a qu*un ou deux troupeaux de moutons ; ce qui prouve que ce n'eil que le défaut d'engrais & la force de l'habitude qui fait continuer l'ufage des jachères dans les cantons où l'on en voit. Tous les prétendus incanvénients , toutes les objedions qu'on a pu alléguer contre le parcage des moutons pendant l'Hiver , font détruites & annuUées par l'exemple que donne en Normandie , depuis près de vingt ans , M, le Maréchal de Harcourt. Ce Seigneur, éclairé êc parfaitement inftruit dans la fcience de réconomie rurale , méprifant les préjugés & l'empire de l'habitude , fait conftamment par- quer fes moutons pendant toute l'année. L'ex- périence a démontré les avantages de cette excellente méthode ; fes troupeaux font plus faiils qu'ils ne l'étoient précédemment dans les étables ; il en obtient une toifon plus abon- dante d'une laine jugée par nos Négociants fupérieure à la laine d'Efpagne de la féconde qualité ; il nous en a hït voir un habit de très-belle ratine. On fait que la maladie ni les loups ne lui font pas perdre une feule brebis ni un agneau 5V on voit, à n'en pou- voir douter j les excellents effets de ce par« 14 Traité b e la cage pendant l'Hiver , & cependant on ne ïé pratique pas : pourquoi cela } C efl que s'il n'efl pas difficile d'accoutumer à ce régime ranimai mouton , il n'en efl pas de même de l'animal berger. On fait que les moutons paiTent toute l'année dehors en Angleterre ; on voit que ceux de M. le Maréchal de Har- court n'en foufFrent pas : il n'y a donc de difficulté que du côté du berger ; mais puif- qu'on efl parvenu à y accoutumer celui-ci ,, pourquoi n'en feroit-il pas de même des au- tres ? M, le Maréchal nous a dit , qu'au moyen d'une toile cirée fur fa loge bien clofe , d'un peu de bois avec lequel il fait du feu pour le chauffer en foupant , ce berger ne fe plaine point, n'efl point malade, & qu'il eft telle- ment accoutumé à ce genre de vie , qu'il ne penfe ni ne paroît defirer de revenir à la mai- îbn : il les chiens l'éveillent & paroilTent l'a- vertir de l'approche du loup ; un coup de piftolet, tiré par la fenêtre de fa loge, fuffit pour éloigner l'animal malfaifant , & ne pas îui laifTer T envie d'y revenir. Puiiïent les dé- tails que je donne ici pour l'avantage du pro- priétaire & pour le bien public , exciter à fuivre un auffi bon exemple ! Après avoir difcuté & détruit, ce me fem- ble , les principales raifons fur lefquelles on fonde la prétendue nécellité de l'ufage des ja- chères en certains cantons , je crois devoir m'abflenir de parler des autres , qui font fi foi- bles qu'il ne faut qu'un peu de réflexion pour en conaoîcre par foi-même la futilité. VEGETATION , IlV. V, Ch. VI. 9Ç Ces abus , qui font la fuite de plulîeurs autres y nous mènent à obferver combien font iiafardés les propos de ces gens qui , fans examen & fans connoiiTance , difent que l'A- griculture en France ell portée au plus haut degré de perfedion ; que dans la Province de Normandie , par exemple , il n'y a pas un pouce de terre de perdu , &c. ; ou voit combien font faufles ces allégations, puifque dans les meilleurs cantons de cette Province , on laifTe annuellement un tiers des terres en pure perte ; ce qui provient de plufieurs abus, dont un fur-tout eft bien préjudiciable à l'A- griculture dans le pays de Caux. Le voifînage des Ports de mer , & une cupidité mal en- tendue, a transformé les Laboureurs en Voitu- riers ; leurs chevaux occupés aux tranfports des marchandifes , ne peuvent pas donner aux terres les labours néceflaires ; il s'enfuit que ces labours font négligés , & ne font pas faits dans les temps convenables ;il s'enfuit encore un autre mal , c'eft que les chevaux , livrés à ces tranfports , répandent dans les chemins & dans les auberges la fiente qui auroit fait du fumier dans les écuries , où à peine s'tn fait-il affez pour engrailTer médiocrement la partie des terres qu'on enfemence chaque an- née. Ces charrois rapportent de l'argent aux fer- miers pour payer en partie leurs Maîtres ; mais s'ils y réfléchiflbient bien, ils verroientque c'eft de la faulTe monnoie qu'ils mettent dans leurs poches , & qu'ils gagneroient davantage en ne s'occupant que du foin de bien amendes: ç6 T R A I T É D E LA & labourer leurs terres , dont la culture né peut que fouffrir beaucoup de la diflradion de travail Se d'engrais qu'occaiionnent leurs fréquentes abiences. D'autres, dans le même pays de Caux, s'a- donnent à différents métiers, conime à celui de Tifferand , de Toilier , de Rubannier , &c. ce qui les empêche de fe livrer aux tra- vaux & aux foins champêtres , déjà trop né- gligés par la quantité d'ouvriers qui ont dé- ferté & délertent journellement des campa- gees pour fe rendre dans les. Villes où les Manufadures fe foat trop multipliées. Mais , dira celui qui traverfe une plaine en voyageant, je vois les terres bien cultivées par-tout , je les vois couvertes de bleds & autres moifTons. Oui ; mais qu'il interroge un Cultivateur éclairé , qu'il raifonne avec lui ; il lui dira^ que lî on labouroit mieux; & plus fouvent les terres , que fi on leur donnoit plus d'engrais en fumiers , en marnes , en terreaux & autres amendements dont nous avons parlé ; que fi on apportoit les foins & les attentions néceffaires pour les femen- ces ; que fi on purgeoit les terres des mau- vaifes herbes , article eifentiel & prefque généralement négligé ou mal exécuté , faute d'ouvriers ; il lui dira enfin , il lui démon- trera qu'au moyen de toutes ces opérations mieux faites , on récolteroit au moins un tiers de bled de plus que l'on ne fait fur ces terres qu'un homme peu inftruit croit être fi bien cultivées. Les connoiifances que j'ai prifes à ce fujet , & le rapport de pUifieurs Labou- reurs^ VEGETATION j LïV. V, Ch. VI. ^j rëurs éclairés , ne peuvent me laifler douter de cette vérité. Mais 11 la Province de Normandie , que ton cite comme un modèle d'une parfaite cul- ture, eft aufîi éloignée de tirer de la terre ce qu'elle pourroit en obtenir avec plus de travail & de Ibins , que Ton juge du défaut de produit de piuiieurs autres Provinces , oii les terres , étant moins bonnes & encore moins bien cultivées , ne produifent pas la moitié de ce qu elles pourroient produire ; & que l'on vienne encore dire que l'Agriculture eft portée au plus haut degré de perfedion , tandis qu'il n'eit que trop vrai de reconnoître que s'il n'y a pas d'art plus utile , il n'y en a guère qui foit encore auiïï peu étudié & perfedionné. Si nous ajoutons à ce que font perdre les défauts de culture en Normandie, la non-va.- leur de vingt à trente mille acres de terrain qui reftent en pure perte dans cette Pro- vince , foit en bruyères ,. en landes , en maré- cages, en communes , qui font prefque de nulle utilité, on fera effrayé de l'énorme fouflrac- don faite à la maiîè générale des fubfîftan- ces. Il ne faut pas croire cependant que ces ter- rains qu'on laiiTe ainiî incultes , foienc inca° pables de produire ; j'en ai vu d'un fol ex- cellent ; & parmi les plus mauvais que je con- Hoifle , il y a à la porte de Rouen douze cents acres de bruyère , dont quelques par- ties ayant été grattées par des voifms , &. d^ailleurs aiïez mal cultivées, ne lalifent pas.' de produire des grains ^ fur d'autres on a Tome Illf, G > T B. A î T E DE LA planté des bois qui y réuflilTent à merveilles;. j'y ai vu des chênes, des ormes & autres arbres donc la vigueur prouve qu'ils fe trou- vent très- bien dans ce terrain , qui cependant refte inculte auprès d'une grande Ville à. la- quelle il pourroit fournir des fubfiflances & du bois de chauffage. Puiflent les obfervations que je fais ici , pro- curer le bien que je defire ! On les trouvera peut-être étrangères à mon fujet , mais je me tiendrai heureux de les avoir faites , il elles peuvent exciter l'attention du Gouvernement fur ces objets importants , & faire connoitre aux Cultivateurs leurs véritables intérêts. Comme ce neft que le défaut des fumiers qui produit l'ufage des jachères , nous allons parler dans le Chapitre fuivant, des moyens de s'en procurer. CHAPITRE VII. Des moyens de fe procurer des engrais. N ne peut attribuer l'ufage des jachères qu'au défaut des engrais , puifque pendant qu'il a lieu dans les meilleures terres d'une Province , les plus mauvaifes fonf toutes cul- tivées & produifent annuellement dans les cantons où l'on a fuffifamment des fumiers , comme à la portée des grandes villes.' Demandez à un Laboureur, pourquoi laif- VEGETATION, LîV, V, Cit: VU. 9^' fez-voiis dans ce pays -ci un tiers de vos terres , qui (ont très-bonnes , fans les enfe- îiiencer Se fans leur faire faire aucune pro- dudion ? Il vous répondra : c'efl que je a'aî point aiïez de fumiers , & que je n'en aï pas même en quantité fuffifante pour en ré- pandre fur les deux tiers des terres que j en- femence. Pourquoi n'avez-vous pas aîTez de fumier? C'eft que je n'en peux avoir qu'autanc que j'ai de beftiaux ? Mais pourquoi n'avez- vous pas plus de beftiaux ? C'efI: que je n'ea peux pas nourrir davantage. Cela n'eft pas toujours vrai. Mais pourquoi ne peut-on pas en nourrir davantage ? C'eft qu'on ne tire pas de fes terres ce qu'on en pourroit tirer en grains , en paille , en fourrage de différentes efpeces. - Outre les prairies artificielles , pratiquées avec tant d'avantage dans plufieurs pays , & négligées & même méconnues dans d'autres^ parce que ce n'eft pas la coutume ; car cette allégation eft par-tout la plus ulitée ëc la plus commune parmi les gens de la campa- gne, & femble devoir faire une loi comme la coutume juridique du pays. . N'eft-il pas évident qu'en mettant en va- leur ce tiers de bonnes terres qu'on laifie chaque année en jachère , Ton récolteroit un tiers de plus ? On auroir donc plus de nourriture en tout genre ; on pourroit donc avoir plus de beftiaux ; mais on auroic aulli plus de pailles ^ & conféquemment plus de fumiers ; & en fupprimant les abus donc Tious allons parler 3 en pratiquant les movecs îod Traite DELA que nous allons indiquer , on parviendroié à avoir aiïez d'engrais pour bien amender tou- tes fes terres , & pour les faire produire beau* coup mieux. Cet objet eft fi important, que j'ai cru devoir en faire un Chapitre particulier. Si je répète ici plufieurs chofes dites dans les autres Chapitres , c'eft qu'on ne fauroit trop les répéter ; fi c'efi peine inutile à l'égard de ceux qui favent faifir le vrai & en profiter, elle ne le fera peut-être pas pour les au- tres. Puifque c'eft le défaut d'engrais qui arrête la produdion des terres , puifque c'eft ce défaut d'engrais ou du moins leur infuffifance qui s'oppofe aux défrichements , qui empêche & retient dans la crainte de labourer profon- dément , parce qu'il eft certain qu^il faut beau- coup d'amendements , au moins la première année , pour fertilifer les terres enfemencées qu'on a défoncées & retournées. Quoique j'aie déjà donné d'afiez bonnes preuves des avantages & des fuccès de ces labours profonds , je ne me flatte pas de per- fuader tous ceux qui les liront ; je fais com- bien les préjugés , les autorités de plufieurs Auteurs , des épreuves même que Ton cite , font oppofées à cette opération ; mais c'eft que rien n'eft fi ordinaire que d'entendre citer de faufles autorités & des expériences incom- plettes & mal faites. Deux hommes inftruirs m'afTuroient encore dernièrement, qu'ayant voulu faire des épreu- ves de labours plus profonds , notamment VEGETATION, LiV. V,Ch. VII. lOt âans le Vexin , on s'en étoit fort mal trouvé. Plus étonné que détrompé , nàalgré ce témoignage , fur une opération dont il m'eft impoiîible de douter du fuccès, j'allois faire quelques queftions , lorfque l'un d'eux m'en épargna la peine, en avouant que Fin- fuffifance des fumiers qu'éprouvent particuliè- rement les fermiers du Vexin , n avoit pas permis d'en mettre dans ces terres nouvelle- ment retournées. Cette petite omiilion dont on ne parloit pas d'abord , auroit pu faire croire aux exemples qu'on citoit. Dans la grande quantité d'affertions , de citations que j'ai entendu rendre contre les labours profonds , il s'eil toujours trouvé qu'il y avoit quelque petite omilîion fembla- ble à celle que je viens de citer : combien de gens cherchent à difcréditer les bonnes opérations en Agriculture , en fe fondant fur de faufles citations ou fur des expérien- ces mal faites ? Puifque l'infuffifance des engrais fe mani- fefte par-tout , il eft bien efîentiel de con- noitre & d'employer les moyens de les mul- tiplier ; c'eft ce que je vais faire : fi tous ceux dont je vais parler ne font pas à la portée de tous les Cultivateurs , il s'en trou- vera toujours quelques-uns dont chacun pourra faire ufage félon fon canton & fa polition. Commençons par examiner la manière dont on fait & dont on améliore les fumiers dans quelques Provinces , & particulièrement en Normandie. La quantité de paille que l'on a, fait la G a jox Traité de xa jnefure de la litière; on porte & on répanj annuellement dans les étables la quantité de paille qu'on a récoltée ; les animaux en man° gent une partie , & l'autre leur fert de li- tière ; quelques Particuliers des plus aifés ou qui entendent le mieux leurs intérêts, en achè- tent en fupplément, des Curés & des Déci- snareurs ; il s'enfuit que ceux qui ont beau- coup de paille & peu de beiliaux, répandent abondamment la litière , & ne tirent fouvent des écuries & des étables que de la paille à jpeir.e imprégnée des excréments des ani- piaux. Ceux qui par la raifon contraire font obli- gés de mé:,ager la litière , la laiffent pourrir fo'js les animaux qui font ainfi dans la fange & la malpiopreré , ôl font d'autant moins !de fumiers que la furabondance des excré- ments fe perd par les abus dont nous allons parler. Un fermier en Normandie , mefure fur la quantité de paille qu'il poHede, l'étendue de la litière , & par conféquent celle des fu- miers , fans penfer qu'il peut faire ufage d'au- tres chofes ; j'en ai parlé à quelques fermiers : Oh , je ne voudrois pas, m'ont-ils dit, mettre des fougères, des bruyères, des genêts, des rameaux d'aibres fous mes bêtes ; ç'eft trop froid i cela les rendroit malades; il faut bien croire que cela n'eft pas bon , puifque ce n'eft pas la coutume de notre pays. Mais , leur difois-je , les cerfs, les biches, îes chevaux fauvages , les moutons qui reftent toute l'année dans des pâtis en Angleterre , Yegetatiok, Iiv. V,Ch. VII. 103 ont-ils de la paille pour fe coucher? ne font- ils pas plus fainement & mieux fur la terre feche , fur l'herbe ou fur quelques rameaux , quand ils en trouvent , que vos bêtes que vous tenez dans la fange , l'ordure , la puan- teur & le mauvais air de vos étables ? Mais fuivons la conduite ordinaire au fu- jet des fumiers : on les jette tels qu'ils font devant les étables où ils reçoivent les égoûts des toits , lavés & relavés par les eaux qui , après en avoir délayé les parties falines & grafles , vont couler , à pure perte , dans des fofles , des mares ou autres trous ; car on n'a pas même l'attention d'apporter quelques bannelées de terre qui , étant imprégnée de ces eaux gralTes , deviendroit un excellent terreau. Lorfqu'on a le loilîr , car c'eft ordinaire- ment ce qui détermine , de porter ces fumiers détériorés fur les terres , on les y dépofe par petits tas , & fouvent on les y laiiTe long- temps, au lieu de les étendre & de les en- terrer tout de fuite , comme li on vouloit , en les expofant ainlî à l'air & au foleil par petites parties, faire évaporer ce qu'il y peut' refier de bon. Mon intention n'eft point de critiquer , mais de rendre exadement ce qui fe pratique. Après cela , n'eil-il pas naturel que la pe- tite quantité & la mauvaife qualité de ces fumiers ne faflent qu'un foible effet , & ne rendent pas les terres aulli fertiles qu'elles peuvent l'être avec des procédés différents ? Il faut donc commencer par reconnoitre îC4 Traité de la & réformer ces abus , qui font plus préjudi- ciables qu'on ne penfe. Il faut pratiquer der- rière les érables plufieurs fofles plus ou moins grandes , félon la quantité de beftiaux qup l'on a ; on fortira les fumiers des étables par une petite porte ou guichet , & on les jet- tera dans ces foiTes féparément , li on a des terres de différente nature , ou tous enfem- ble , û le fol que l'on cultive ell par-tout le même. Quand on jugera à propos de faire couler de l'eau dans ces foffes , on y amè- nera par des rigoles celles des égouts du bâ- timent ou de toute autre partie voiline ; & on détournera le cours de ces eaux, lorfqu'on jugera que les fumiers font fufnlamment hu- medés. Le mieux feroit d'y faire couler les uri- nes que les anmiaux répandent dans les éta- jbles : nous allons en parler. Il vaut mieux multiplier ces foffes ou éten- dre leurs furfaces , que de leur donner trop de profondeur, tant pour avoir plus de facilité à les vuider, que parce que la litière s'y décompofera mieux , fans devoir craindre qu elle aigriffe , en n'y laiffant couler d'eau qu'autant qu'il en faut ; on peut , pour cet effet , faire un rebord élevé autour de la foffe : quant à fa forme , peu importe qu'elle foit ronde ou quarrée. - L'urine des animaux efl ce qui donne aux fumiers leur principale qualité ; elle efl char- gée d'huiles & de fels qui portent une grande fécondité dans les terres : les litières s'abreu- vent d'une portion de ces urines; mais comme îes moutons , les chevaux & les vaches en \v. VEGETATION, Il V. V , Ch. yiî. ïQJ répandent beaucoup à la fois & à grands flots ^ la plus grande partie coule au-deflbus de la litière dans le fol des étables , ou fe diflipe fous les murs d'autant plus facilement qu'elle fermente & s'évapore en peu de temps. C'eft cette évaporation d'urine qui fait fen- tir , fur-tout dans les bergeries , cette forte vapeur d'alkali volatil qui failit ceux qui y entrent, d'autant plus fortement que les ber- gers tiennent toujours cqs étables très-clofes au grand détriment des moutons ; mais enfin c'eft la coutume : ainfi le Cultivateur , privé de la plus eflentielle & de la meilleure par- tie de ces engrais , n'en retire d'autie effet que celui de corrompre , d'empefter l'air des étables , & de voir quelquefois fes beftiaux attaqués de maladies qui en font les fuites. Mais , dira-t-oja , il eft plus aifé de voir îe mal que d'y apporter remède : fera-t-on, comme on le confeille , paver les écuries & les étables à chaux & à ciment , de manière à en diriger la pente du côté des foffes à fu- mier pour y conduire les urines par un canal cimenté ? Oui, fans doute , quand on le peut; & on peut alTurer le Cultivateur aifé que cette dépenfe lui fera plus profitable que bien d'autres qu'il ne craint pas de faire ; je dirois même plus qu'une portion de terre qu'il s'em- prefle d'acquérir. Mais un fermier fera-t-il cette dépenfe ? Non, fans doute; & il y a peu de propriétaires qui veulent s'y prêter : il faut donc trouver d'autres moyens moins difpendieux pour ne pas rendre inutile Se knême nuifible la majeure partie de ces uri-^ T ÏIAITÉ DE lA ses ; j'en peux propofer trois qui font à h portée des moins riches. i^ J'ai vu des étables qui netoient poin£ pavées, mais dont le fol étoit bien battu ^ comme celui d'une grange , & dans lequel on avoit mêlé de la chaux avant de le battre ; j'ai vu que ce fol , difpofé en pente du côté des fof- fes à fumier , y laifToit couler les urines par des trous pratiqués dans la muraille ; & ces urines reçues par des rigoles cimentées, alloient tomber dans les fofïès. Je crois bien qu'il s'en perd ; mais enfin , ce n'efl pas tout perdre. 2°. En faifant la litière plus épaifle & la renouvellant plus fouvent qu'on n'a coutume de faire : nous allons parler des m.oyens de s'en procurer. 3°. Par un procédé nouvellement propofe par urt Auteur inftruit dans l'économie ru- rale , & qui me parole très-bon à pratiquer : c'eft le feul moyen de fixer l'urine dans les étables , comme elles le font dans un parc ordinaire , & de n'en perdre que le moins poilible. Ce moyen eil: iîmple : c'ell de fe fervir de terres feches ; en voilà le procédé : îî faut ramaifer de bonnes terres à portée de la ferme , en faire , avant l'Hiver , des cou- ches peu larges & peu épailTes , afin que l'air & les pluies puiiTent les pénétrer davantage. Par un temps fec d'Eté , on les rentrera fous un hangar ou autre lieu couvert, où elles fe réduiront en poufiiere; on en répandra de répaifieur de deux ou trois pouces fous les chevaux, les vaches, moutons & cochons ^ & on la couvrira de litière. Veoetatioh , LiVe V, Ch. VîI. i©7 Quant après deux ou trois jaurs , plus ou înoins , félon la quantité des beftiaiix , on voit ces terres paiTablement mouillées , fans atten- dre qu elles foient trop en boue , on vuidera les érables, puis on remettra de nouvelles ter- res , en continuant toujours de même. Si les terres font légères , on mettra ces terres graffes & les fumiers tout enfemble dans les foiïes ; mais file fol étoit glaifeux, com- pade & humide , il faudroit féparer les ter- res des fumiers ; car dans les terrains humi- des , les fumiers ne fe confomment que trop : & lorfque l'on a de pareils terrains, on fera bien de n'employer dans les étables que des terres fableufes & légères , & fur-tout du ter- reau de bruyères lorfqu'on eft à portée d'en avoir. Il faut pulvérifer les terres avant de les répandre fous les beftiaux , & les employer le plus feches que l'on peut. Il eft bon aufîi d'en mettre dans les colombiers & dans les poulaillers , fur-tout où il y a des canards ôc des oies. Les oifeaux rendent leurs urines avec leurs grofles déjedions : fi l'excès de leur fumier brûle , ce n'eft qu'à raifon de la grande quan- tité d'urine qu'il contient. Quand on terrote ainfi les étables , il faut tenir plus épais le lit qui dépafTe d'environ deux pieds la partie poftérieure des gros ani- maux , & principalement des femelles. Lorfqu'on fépare les terres urineufes du grand fumier , il faut les mettre en monceau dans la baffe-cour, & non dans des falTes ^ ioS Traité de xa étant mifes à l'ombre, elles en conferveront mieux leur vertu. Si on ne vuide pas les bergeries fouvent , il faut y remettre de nouvelle terre & de nouvelle litière lorfque le befoin l'exige. ' Dans les Pays de vin ou de cidre , il fe- roit bon de faire fécher le marc , & d'en mê- ler avec la terre qu'on met dans les étables ; ce qui non-feulement en augmenteroit la quan- tité , mais perfedioiineroic encore l'engrais : on évite par ce procédé bien des inconvé- nients. La litière eft quelquefois fubmergée dans ks étables des vaches , fur - tout lorfqu elles mangent beaucoup d'herbe ; on voit des ber- geries qui reffemblent à des marais : ces uri- nes croupifîantes ne peuvent qu'altérer l'air , fur-tout dans les lieux clos, & occalîonner des maladies. La paille s'imbibe , il eft vrai , d'une partie cle ces urines , lorfqu'on n'eft point forcé de la ménager , mais le haie la fait évaporer & la deffeche ; au lieu que la terre qui eft absor- bante en retient les fels & les huiles : c'eft ce qui fait que l'effet du parc n'eft point dé- truit par les grandes chaleurs. La coutume des Pays où l'on ne connok que l'ufage de la paille pour faire des fu- miers, en limite néceffairement la quantité. Dans plulieurs parties de la France les litiè- res en paille manquent ou font toujours in- fuffifantes ; il eft des années où , lorfque la paille des grains a été foible & courte , elle manque par-tout, excepté chez le Laboureur Végétation, Iiv. V, Ch.VîI. îo^ riche Se prévoyant qui a le foin d'en garder d'année far aurre : & il y a bien des pays où l'on n'a feulement pas l'idée d'y fuppléer , quoiqu'on le puifle aifément. La quantité des engrais , au moyen des ter- res urineufes dont nous venons de parler, dépend en toute année de la volonté & des foins de quiconque veut fe livrer à ces pro- cédés. Par-tout on peut trouver de la terre; & que les pailles foient rares ou communes > les befliaux urinent toujours. Si , de l'aveu de ceux qui l'emploient , le parc ordinaire eft propre à tous les fols ; l'engrais dont nous parlons ne le fera pas moins; il le fera même davantage pour les fols qui ont peu de fond , ou pour ceux qui font fablonneux, puifque par là on en amé- liore & augmente la fubftance : cet en^rrais eft même meilleur que les fumiers ordinaires pour les terres légères. On ne doit pas s'inquiéter û toutes les par- ties de la terre , mifes fous les beftiaux , ne font point également abreuvées d'urines; tout fe bonifiera dans les foffes de fumier ; celles qui en auront furabondamment , en commu- niqueront à celles qui en auront le moins , foit par l'effet de la fermentation , foit par celui des pluies. Les parties de ces terres & celles de la litière fermentant , fe décompofant & fe mê- lant enfemble , forment un fumier beaucoup mieux nourri , beaucoup plus gras . plus fub- Itancieux que ne le peut être la litière feule. La terre attire à elle & abforbe, par une qua- ïiô Traite de la lité qui lui efl propre , les parties graffes des corps voifins qui en rendent beaucoup par la: tranfpiration. C'efl: un des principaux effets du parc , où le fuint- du mouton fe trouve afpiré & fixé ; il le fera de même par la terre que Ton mettra dans l'étable. On a éprouvé qu'une partie de terre effrui- tée , mife dans le coin d'une étable où il y a des beftiaux , s'y répare en moins de fix femaines; à plus forte raifon , celle fur laquelle ils coucheront , fe vuideront & urineront. Qu'eil-ce que donne un mouton à la terre dans un corps de parc ordinaire fur dix à quatorze pieds fuperficiels de place qu'il oc- cupe ? Cinq ou fix onces de déjedion au plus , fuivant fa taille : ce foible engrais en appa- rence eft cependant fuffifant ; & après avoir bien fait au bled ou au feigle, il eft encore fenfible à la féconde récolte. Le défaut de fourrage & de litières force îe foible Cultivateur à faire paître les bêtes de trait, & à tenir les autres hors des écuries : on ne manque de fourrages que faute de fu- miers; le vaguage des beftiaux n'eft pas pro» pre à en augmenter la maffe. Que l'on examine avec impartialité le rap- port de ces communes , de ces ftériles pâtu- res auxquelles l'cfprit d'habitude & d'entête- ment peut feul conferver des partifans & àes défen leurs ; on n'y verra que des^ troupeaux maigres & en petit nombre , des fquelettes ambulants qui cherchent à pâturer un peu d'herbe qu'ils ont peine à trouver dans ces pacages communs , ordinairemeat couverts de VEGETATION , LiV. V , Ch. VII. 1 1 1 buttes, de bruyères ou de moufles; que loii rédulfe à fa juile valeur le produit de ces foibles pacages , & on verra que vingt & trente arpents de ces communes ne fournif- fent pas autant de nourriture qu'en fourniroit un feul arpent qui feroit bien cultivé en trèfle, luzerne , lainfoin , &c. C'efl: cependant fur ces mauvaifes commu- nes que l'on fait répandre la fiente & l'urine des beftiaux , quiferoient de bons fumiers, au moyen defquels on auroit des grains & des fourrages. Les animaux qui fatiguent & tranf- pirent , fe vuident pendant le jour fur ces pa- cages , & font peu de déjedions pendant la nuit dans les étables. On fait qu'on enferme & qu'on empêche de courir les animaux qu'on veut rendre gras , fi on en excepte quelques pâturages privilé- giés où les herbes font très-abondantes & fuc- culentes :, les befl:iaux nourris à la crèche ont toujours plus d'embonpoint & de force. Une vache des environs- de Meaux , qui ne prend l'air que quelques heures par jour l'Eté êc l'Hiver , donne trois fois plus de lait & fait plus de fumier qu'une vache des Ardennes qui refte tout le jour dans les bois ; outre cela , le grand froid , le grand chaud la fatiguent ; rrop de tranfpiration difiipe & fait tarir le lait dans les mamelles les plus difpofées à en donner. Ceux qui aiment à faire des objedions far tout ce qu'on propofe , car fur quoi n'ea peut- on pas faire ? ne manqueront p^s d'en faire deux qui fe préfentent d'abord : lavoir, où ug HZ T s. A I î É DE LA fermier prendra-t-il ces terres ? & voudra-t-if faire ia dépenfe de les ralTembler & de les préparer ? Celui qui n'a qu'une où deux charrues , & qui n'a par conféquent qu'un petit nombre de befliaux , ne fera pas fort embarraffe pour fe procurer la quantité de terreau qui lui fera cécelTaire ; ce travail peut même avoir quel- quefois une double utilité , comme d'applanir une butte, une éminence nuifîble, de creufer des foiïes en partie comblés , de dégager un chemin au pied d'un coteau , fur lequel s'eft fait des éboulements , &c. Mais comme l' ob- jet eft alTez important pour l'engager lui feul à fe livrer à ce travail , il n'y a perfonne qui ne puifle trouver plus ou moins aifément dans fon voifinage des terres à râmafTer le long des murs ou des fciTés , des chemins & des bois. Quand on feroit obligé de faire des fofles ou de peler un terrain qui auroit alTez dé profondeur pour n'en pas foufFrir long- temps ; enfin , quand même un propriétaire qui au- roit une culture fort étendue , fe verroit con- traint , faute d'autres reflburces , de facrifier un arpent de terre pour en niettre deux ou trois cents en pleine valeur , devroit*on héfi- ter à faire un pareil facrifice ? Quant à la dépenfe , elle n'eft pas conlî- dérable pour une petite ferme, dût on y em- ployer des Ouvriers pendant quelques jours , fi les gens de la ferme ne fuffifoient pas 5 & Il pour une grande culture , il falloit avoir pour cela un cheval & un domeftique de plus / y Fegetatioî5,Lit.V,Ch. YIl. n^ y aùroit-il coniparaifon du produit à la dé- penfe? & s'y refufer ne feroic eeitainement pas eotendre fes intérêts. CcztQ coutume exclulive qui fait toujourê mefurer la litière fur la quantité de paiile que l'on a , eft la caufe principale de l'infutEfance des engrais, Eft- ce qy\Q Von ignore ou ed-ce que l'on veut s'obiliner à négliger pluiîeurs autres moyens ulités & pratiqués en plufîeurs Pays pour rendre les litières & conféquem-^ ment les engrais plus abondants ? J'en vais in- diquer plufieurs , afin que chacun puifTe choi« lir félon fa poiition. On peut faire de bonne litière pour tous les beftiaux, avec du chaume, de lamoufie> de la bruyère > de la fougère , des joncs ^ des rofeaux , des feuilles, des rameaux. Ces litières étant mifes dans des folTes pen- dant quelques mois , y fermenteront &: s'y confommeront , étant fur-tout mêlées avec la terre imbibée d'urine , dont nous venons de parler. On voit combien il eft poflible d'augmeii- ter la maife des fumiers , Se je . peux même dire de les améliorer , par le mélange de ces différentes fubilances, Si on en employoit en telle quantité que l'on eût lieu de craindre que le peu de beftiaux que l'on a ne les eût pas fuffifamment imprégnés de leurs déjedions ^ il feroit bon de jetter dans les folTes les eaiix graîTes des cuifines , des lies de vin ou de cidres , les urines des hommes , les eaux & les cendres de lefîive , le fang & les vuidan- gés de boucheries j quand oa eft à portée d'erî^ J'orne IIL H ÎI4 Traité bêla avoir ; il ne faut point négliger de jetter dans ces foifes à fumier tous les vieux cuirs , les haillons, les balayures des maifons , la fuie , îà fciure de bois , & généralement tous les débris des animaux & des végétaux : rien de tout cela n' efl perdu ; tout fournit au cours général de la végétation, & un bon économe fait en faire fon profit. Que l'on nous donne des fumiers , difent tous les Fermiers, ëi nous engraifïerons nos. terres. Voilà bien des moyens de s'en procurer. De plHS , on trouve prefque par-tout de la marne : j'en viens de trouver une mine qui paroît abondante dans la plaine de Sotteville ^ proche Rouen, d'une marne bleue, très-grafle, où l'on alfuroit qu'il n'y en avoir point. On a encore les tourbes & les houilles d'engrais, dont on fait un fi bon & fi heu- reux ufage en Flandres , dans la Brie & plu- fleurs autres Pays , ôc dont il y a beaucoup dans les marais de Jumiegc en Normandie , fur les bords de la Seine , & par conféquent d'un tranfport facile : voilà bien des moyens de multiplier , d'augmenter la mafle des en- grais , dont chacun peut faire ufage félon fa pofition , car il n'en eft certainement point qui ne rapproche de quelques-uns des procédés que je viens d'indiquer. S'ils exigent quelques foins , quelques frais , s'ils obligent , pour une culture étendue , d'avoir un Valet ou une Ser- vante de plus , que l'on confîdere le produit & la dépenfe , & on verra que c'eft bien mal entendre fes intérêts de ne le pas faire. Avec beaucoup d'engrais & une bonne cul- Végétation, Liv. V, Ch, VII. n^ ture , il n'y a plus de mauvaifes terres, il n'y a plus de chétives récoltes. Avec des engrais , les fables de la banlieue de Paris ôc de Meaux , les craies & le tuf des environs de Rheims & autres Villes en Champagne, deviennent des fois d'importance, 6c le couvrent de riches moifTons ; des arènes qui étoient le jouet des veks , deviennent des terres qui ont acquis de la eonfîftance. 'Une bonne culture laiife diilinguer diffici- lement au temps de la moiifon le guéret infé- rieur de celui qui avoir le plus de qualité. Avec des engrais, j'ai vu de beaux bleds dans uri terrain aride où à peine le feigle croiiToic à côté & dans le même terrain qui n'avoit pas été amendé. Au contraire , l'infuffifance des engrais ne fait voir que trop communé- ment des récoltes médiocres fur de bonnes terres ; des récoltés qui ne rendoient pas les avances fur de médiocres, & quelquefois les bonnes, les médiocres & les mauvaifes eri friche. De là point de fourrage dans ces malheu- reux Pays , point ou peu de beftiaux , & lai mifere ne peut que s'y perpétuer ; pourquoi cela ? faute de fumiers. Mes terres font froi- des , dit l'un ; mes terres font légères , dit l'autre , elles ne me donnent que de mauvaifes récoltes ; & tout cela faute d'engrais. On penfoit que le Cultivateur Propriétaire ou Fermier, devenu plus riche ou du rabins^ plus aifé depuis quelques années , fcroit plus *d'éleves , & augmenteroit le norabte de {es beftiaux 5 moyen fur de le devenir davaniage ? %i6 Traité de la point du tout ; la cupidité l'a porté à vendre les denrées pour en employer le produit à acquérir une pièce de terre dans l'on voili- îiage ; deforie que fa culture augmentant, fans qu'il ait un cheval , une vache , ua mouron de plus, elle n'en devient nécelîaireraent que plus négligée, fans fonger qu'il gagneroit bien âavântage en augy^entant la quantité de fes beftiaux qui lui donneroient les moyens de mettre fes terres en pleine valeur, de vendre beaucoup plus de bled , Se de récolter beau- coup plus de fourrages & de nourriture pour fes troupeaux. Il n'ell: pas poffible que ceux qui y veulent réfléchir ne le fentent ; mais le mauvais exem- ple a produit parmi eux l'ambition d'acquérir ^ de manière qu'on y fait céder toute autre con- lîdération. Il ell vrai que , bornés par la coutume j, par la routine héréditaire du Pays , plulieurs difent & croient réellement qu'ils ne peuvent faire de fumiers qu'autant qu'ils ont de paille ; ils verront par les moyens que je viens d'in- diquer qu'ils ont bien tort de s'en tenir uni- quement à cette feule litière. J'ai parlé de rameaux d'arbres : on ne man- quera pas de dire : où en prendre ? Outre le petit bois de Pins & de Sapins , d'après l'u- fage vanté du Socrate ruftique , ne peut-on pas fe procurer par-tout beaucoup de ces ra- meaux par des élagages faits pendant l'Eté fur des arbres ifolés qui pouffent beaucoup de branches, dans des haies & dans des taillis è Que l'on ne craigne pas que cela y falTe tort ^ Végétation , Iiv. V, Ch. VII. 117 t*eft même y faire du bien , en fupprimant des branchages bas qui doivent être étouffés par ia fuite & tomber en pure perte. Les ébranchages des Pépinières , des maf- fîfs, peuvent auili en fournir : tous ces menus branchages , après avoir fervi de litière , ne tardent pas à pourrir & à fe confommer dans la fofîe à fumier ; car H on s'obllinoit à s'en tenir à labfurde ufage de jetter incon- lîdérément les fumiers devant les étables , pour y être tantôt lavés par les égouts , tantôt éva- porés & deflechés par le foleil & par le haie, il n eft pas douteux que ces branches & même les bruyères feroient très-long-temps à le con- fommer. Je ne dois pas oublier de recommander à cet égard , de planter quelques grands arbres à portée de ces foffes, pour les ombrager pen- dant les chaleurs. Une objedion que l'on fait contre ces fof- fes , qui , quoique fondée , ne devroit pas arrê- ter ceuK qui favent prendre une petite peine pour opérer un grand bien , c'eft que, fuivant la coutume de laifler le fumier devant les éta- bles , on approche la voiture que l'on charge tout de fuite pour le tranfporter ; au lieu que dans des foifes , il faut d'abord en tirer le fumier & le jetter fur le bord , ce qui donne plus de peine & prend plus de temps. Je ré- ponds à cela que cette opération ell d'autant moins difficile que nous avons recommandé de ne pas faire ces fofTes très-profondes 5 & fans retarder le tranfport des fumiers , elle ne conftitue en d'autres frais que ceux d'avoir un H3 r** Îi8 T B. A î T É DE LA pu deux Ouvriers de plus pendant quelques jours. ' Au furplus , il eft aifé d'y obvier, en fai- fant à chaque foiïe une rampe afTez douce pour que la voiture y entre à reculons , &' pour lors on la chargeroit à l'ordinaire. Si on étoic dans le cas de craindre que cette rampe ne fît couler trop d'eau dans la folTe , on pourroit faire une efpece de digue vers le bas pour en arrêter le cours. Mais en voilà bien afTez pour ceux qui vou- dront m'entendre , & trop pour ceux qui ne le voudront pas ; paillent les détails , ks pro- cédés que je viens de rendre , exciter les Cul- tivateurs à les pratiquer. Ce Chapitre qui fem- fcleroit ne pas appartenir à ce Traité , n'aura pas été le moins utile. :/ji'a^*.¥-vra»=3S.^A-'.!2fci^:*»jJ--t!jpa5^E?5 CHAPITRE yill. Moyen Jûr de fe préferver de$ Vers blancs de Hanneton , nommés Mans, D E tous les Infedes deftrudeurs des plantes , je n'en connois point de plus vora- ces & de plus dangereux que le ver blanc de hanneton , nommé Mans. Ces animaux fe trouvent par-tout en plus ou moins grande quantité : dans l'état de ver , il ronge les ra- cines des plantes & les fait périr ; il fait beau- coup de ravages dans les jardins & dans les VEGETATION, LiT. V, Ch. VIII, 119 champs de bled ou autres grains , où il fait plus de mal qu'on ne penfe ; devenu infede volant , il mange les bourgeons de la Vigne & autres arbres , les feuilles & les fleurs , êc fait ainfi pendant toute fa vie & dans tous fes diffé- rents états un dommage conlidérable. Je vais entrer dans le détail de la defcrip- tion de cet infede & de fes métamorphofes, dont l'explication eil néceffaire pour l'intelli- gence des pratiques importantes dont je vais parler comme de fûrs préfervatifs de ces vers deflrudeurs. Le hanneton eft un In^câe coleoptere y c'efl- à-dire qui a des fourreaux par-delTus les ailes ; c'eit à proprement parler , une efpece àefcâra- bee ou à'ejcarbot dont on diftingue pluiieurs efpeces. Le hanneton le plus ordinaire , ou Scara- hit roux y eft celui qui eft appelle en Angle- terre MtûnUr , nom qu'on lui a donné , parce que fes ailes parbiiTent couvertes d'une eipece de pouiîiere farineufe. Cette mouche fcarabée eft groiTe comme le doigt, longue d'un pouce, de couleur rou- geâtre fur le de (Tu s des ailes; mais la tête, le deffus du corcelet & le ventre font noirs ; les bords du ventre ou, des articulations font tachetés de points blancs triangulaires ; le def- fus du corcelet, de la tête & de la poitrine eft velu ; il a fix pattes, dont quatre longues dépendent du corps, & deux courtes du cor- celet ; la tête eft ornée de deux cornes houp- péesparlebout -.lorfque la houppe eft longue & feuilletée par le bout , c eft un mâle ; Il elle eft H 4, ïi^ Traité be la courte & fans feuillets , c'eft une femelle ; k queue eft fort pointue & courbée ; il a deux paires d'ailes , dont Tune eil faite de pellicu- les , êc l'autre qu on appelle c/ytre ou coleop- tere , c'eft- à-dire fourreau ou étui de corne. La première paire d'ailes eil pliée au-def- fous de cette dernière , & ne paroît jamais que quand l'animal s'apprête pour s'envoler ; les ailes de corne font rouMtres, un peu tranf- parentes , couvertes d'une poulîiere blanche qui s'efTuic aifément. Le hanneton fe trouve par -tout , & c'eft: celui qui nous fait tant de mal , tant par lui- même que par fa progéniture. Il n'efl pas rare de voir périr fouvent plufieurs plantes à ra- cines fihreufes dont les Mans font très-friands & qu'ils rongent entièrement , comme les Frai- fiers , les Graments & autres : mais li beau- coup d'autres , ainii que les arbres , n'en meu- rent pas , parce qu'ils ont de groffes racines que ces Infectes ne peuvent détruire , ils ne îaiiTent pas de fouffrir beaucoup de la perte de petites racines & du chevelu , dont grande partie eft dévorée. On diftingue deux ou trois autres efpeces de hannetons dont je crois inutile de parler ici. Les deux fexes reftent long-temps attachés l'un à l'autre pendant l'accouplement ,• la fe- melle , ayant été fécondée, s'enfoiace quelque- fois fimplement dans la fiente des chevaux & des vaches qui fe trouve fur la furface de la terre, ou bien elle s'enfonce , en faifanc un trou avec ia pointe de fa queue , ai^x endroits Végétation , Liv. V, Ch. VIÎI. izi où elle fent du fumier , où les parties des ex- créments des animaux exiftent encore ; car c'eft toujours là qu'elle pond & dépofe fes çBufs , qui font oblongs & d'un jaune clair. Ces œufs font rangés à côté les uns des autres , mais fans aucune enveloppe ter- reufe ; après cette ponte , la mère fe nourrit encore quelque temps avec des feuilles comme auparavant , ôc elle difparoît. Sur la fin de l'Eté, les œufs font éclos, & il en eft forti de petits vers qui fe nourrif- fent de gazon , s'ils font nés dans la fiente qui eil fur les herbes ; & enfuite ils s'enfon- cent en terre pour y vivre de racines de tou- tes efpeces de plantes , comme font toujours ceux qui font nés dans l'intérieur du terrain ; ils pafTent quelquefois deux années dans cet état de ver , quelquefois davantage : les Jar-> diniers & les Laboureurs les nomment alors Vers blancs ou Mans. Ces vers font ^érir les plantes dont ils rongent les racines ; auîli voit-on en arrachant de terre une plante flé- trie & deflechée , qu'elle a été rongée par un ou plufîeurs de ces vers que l'on trouve def- fous. Il y en a quelquefois dans un terrain en fi grande quantité qu'ils défolent en peu de temps des potagers entiers & les prairies les mieux couvertes. Ce ver dans les jardins efi le fléau des plan- tes , & dans les champs il fait beaucoup de tort aux bleds, au feigle, aux graments & en général à toutes les racines des plantes qu'il rencontre dans fa route fouterraine. A l'âge de trois ans , le ver du hanneton h'i^ Traité de x a cfl long d'environ un pouce ^ & gros comme îe petit doigt ; il eft ordinairement recoquillé ; fa couleur efl d'un blanc jaunâtre, prefque tranf- parente ; tout le corps du ver confifte , comme celui des chenilles , en douze feg- ments , fans compter la tête ; le dernier eft le plus grand , le plus gros , & paroît d'un gris violet , parce qu'on y voit les excréments à travers la peau ; à chaque fegment , on ap- perçoit une couple de rides qui fervent au ver à s'allonger & à s'avancer dans la terre , & fur tous les fegments s'étend une efpece de bourrelet dans lequel on apperçoit neuf points à miroirs. Ainfi ce ver refpire l'air par neuf trous qui répondent à autant de fegments ; fous les trois premiers , font fix pie^s rouffâtres , compo- sés de lîx pièces aiticulées & un peu velues. La tête de ce ver eft aflez grande , applatie & d'un jaune luifant , munie d'une efpece de tenaille dentelée avec laquelle il coupe les fubftances dont il fait fa nourriture : on re- marque deux antennes derrière la tenaille. Il n'arrive guère que ces vers fortent volon- tairement de la .terre > li le foc de la charrue ou la bêche d'un Jardinier les font fortir au- dehors , ils ne tardent pas à y rentrer ; autre- ment ils deviennent bien vue la proie des oi- feaux : les corbeaux, les pies, les poules, ëi les cochons font fort friands de ces vers , aufîi-bien que des hannetons qui en provien- nent. Le ver change de peau à mefure qu'il prend de l'accroifTement ; il creufe une petite mai- VEGETA.TÏOÎT, IlV. V.,Ch. VIÏÎ. 123, fbiiiiette pour pouvoir s'y dépouiller plus com- modément : la cavité qu'il prépare & où il fe loge , eft de forme ronde. Après avoir dépouillé fa peau, le ver fort de fa caverne pour aller chercher & prendre fa nourriture ordinaire , c'eft-à-dire continuée fes ravages; mais ils ne font confidérables qu'en Eté , car pendant l'Hiver il ne peut pas butiner aulR commodément ; la gelée l'oblige à fe reflerrer , à s'enfoncer en terre à une grande profondeur : au refle, s'il n'a pas tou- jours le choix des racines les plus tendres & les plus fucculentes , il ne lailTe pas de trou- ver celles des arbres qui s'étendent profondé- ment en terre , & il remonte vers la furface de la terre lorfque la chaleur du Printemps l'y attire. Ce n'eft que vers la fin de la troifieme ou quatrième année , au mois de Mai , que la mé- tamorphofe de ce ver arrive : ii on fouille alors la terre, on y trouvera non-feulement des han* netons tout formés, mais aufli des vers à diffé- rents degrés de grandeur. Voilà comment fe fait la métamorphofe. Dans l'Automne, le ver s'enfonce en terre, quelquefois à plus d'une braffe de profondeur, & il s'en fait une caverne liiFe & commode; fa demeure étant faite , il commence peu de temps après à fe raccourcir _, à s'épaiflir , à fe gonfler , & il quitte , avant la fin de l'Au- tomne, fa dernière peau pour prendre la forme de cryfalide ; d'abord cette cryfalide paroît jaunâtre , puis jaune , & enfin rougeâtre , & alors on commence à difcerner l'apparence d'un hannetono T B. A ï T E B E t A Si on irrite cette cryfalide , on obfervc qu'elle a un mouvement fenfible & qu'elle peut fe tourner d'elle-même. Ordinairement elle ne conferve fa forme que jufqu'au com- mencement de Février ; alors on apperçoit diffindement un hanneton d'un blanc jaunâ- tre , qui eft d'abord mou , mais qui prend fa dureté & fa couleur naturelle au bout de dix à douze jours. Il reile encore trois mois en terre dans cet état de hanneton formé ; voilà pourquoi ceux qui fouillent la terre alors y trouvent des hannetons parfaits , & croient que ce font des infedes de l'année dernière qui fe font mis en terre pour fe fouftraire à la rigueur de FHiver. Après que Tinfede a paffé trois ou quatre ans dans la terre , la plus grande partie en forme de ver , il en fort enfin dans le courant du mois de Mai : c'eft alors qu'on peut , fur- tout les foirs , «les voir fortir de leurs ancien- nes demeures pour n'y plus rentrer; & c'eft aufîî ce qui fait que pendant ce mois , principale- ment dans les années où il y a beaucoup de hannetons , on voit que les chemins & les fen- îiers , durcis par la fécherelTe, font tout cri- blés de trous. Lorfque les gens de la campagne voient une grande quantité de hannetons , ils difent que l'année fera bonne ,• mais ils le difent , pour la plupart , fans favoir pourquoi : il eft certain que dans les années où la terre eft purgée en grande partie de ces vers rongeurs , îes plantes, délivrées de leurs ennemis, étant VEGETATION , Ll V. V , Ch. VIII. lif plus nombreufes & plus vigoureufes, font plus de produdions. §elon les rigueurs des faifons & l'avance- ment du hanneton en ver , on peut prédire l'année fertile ou ftérile en hannetons à pla- que rouge ou noire fur le cou, car ils paroif- fent tour à tour de deux années Tune : on n'en peut pas prédire autant des autres infec- tes qui naiflent & périflent dans la même année. Les hannetons ne voient guère pendant le jour , ils fe tiennent cachés fous les feuille des arbres; ils femblent y être affoupis juf- qu'au coucher du foieil ; alors ils fe réunifient en troupes ,• & avant de fe mettre en route, ils déploient & allongent leurs houppes ,• ils volent autour des haies & des buiflbns en bourdonnant , & donnent brufquement contre tout ce qu'ils rencontrent ; d'où vient le pro- verbe étourdi comme un hanneton. Les hannetons fe nourriflent de feuilles d'ar- bres , à^s œufs de fauterelles & d'autres in- fedes ; ils deviennent , à leur tour , la proie des oifeaux , fur-tout des poules , des cor- beaux , des pies , des chouettes & des hiboux ; par là ces oifeaux font plus utiles qu'on ne penfe , & les Fermiers entendent mal leurs intérêts quand ils cherchent à les éloigner & à les détruire. Quoique les hannetons ne laiiTent pas de nuire aux arbres , dont ils mangent les feuil- les & les bourgeons , il s'en faut bien qu'ils y faîTent autant de mal qu'ils en font dans l'état de ver en terre où ils ravagent continuelle". iii6 Traité D£i A îTient pendant toute l'année ; on ne les voie dans letat de mouches fcarabées que pendant deux mois , après lequel temps ils diiparoif- fent, foit que ce foit le terme de leur durée, ou que les oifeaux , leurs ennemis , en abrè- gent le terme ; mais avant de ceiTer d'être ^ ils pondent des œufs qui aflurent leur poflé- rité pour les années fuivantes. La defcription & les détails que je viens de rendre au fujet des vers du hanneton ionc connus de tous les Naturalises; mais ils ne le font pas de tous les Cultivateurs : j'ai dû Commencer par en inltruire ceux qui les igno- roient , pour leur rendre plus intelligibles les obfervations aulîi intérelfantes que nouvelles qui font l'objet de ce Chapitre. * * Nous voyons que la mère hanneton, après avoir été fécondée , vient pondre & dépofer fes œufs dans la fiente des animaux, foit Ru- la furface ou dans l'intérieur de la terre où die en peut trouver , & que de cette ponte nailTent les vers deitrudeurs des plantes dans les jardins & dans les champs. Il s'enfuit qu'où il n'y aura point de fiente ou de fumJer en- core imprégné de cette fiente non décompo- fée, la femelle hanneton n'y fera point de ""poiite , & par conféquent n'y multipliera pas îbn efpece ; car elle ne fait en cela que fui- vre l'ordre immuable de la Nature , li bien donné & , pour ainîi dire , imprimé dans cha- que individu , pour aflurer & perpétuer ion efpece , de manière que tous y obeiiïént & s'y conforment conftamment , & félon une uniformité bien admirable pour qui fait l'ob- ferver comme elle mérite de lêtre. VEGETATION , IlV, V , Ch. VIIL 127 Parmi les animaux ovipares , les uns font leur nid , & ces nids, lî artifteraent conf- truits , font fi femblables , félon chaque ef- pece , que l'on croiroit que c'eft le même Ou- vrier qui les a faits ; ils y pondent , ils y cou- vent leurs œufs, ils y élèvent , y nourriflent, y foignent leurs petits , jufqu'à et qu'ils foient parvenus à un état de force où ces foins leur deviennent inutiles; & tout cela fe fait avec une confiance , une affiduité , une vigilance , une foilicitude , une tendrelTe qui rend dans ce temps-là courageux l'animal qui efi; natu- rellement le plus timide , & qui paroit uni- quement dévoué alors à la confervation de les petits ; effet d'un ordre fuprême qu'il eft impofîibîe de ne pas reconnoître à quiconque veut y faire attention. D'autres animaux ovipares paroifient aban- donner leurs œufs ; mais ce n'eft pas au ha- fard ; ils ont également reçu l'ordre de la Nature , & chacun ne manque pas de s'y con- former uniformément , félon fon efpece : les uns les dépofent dans le fable , de manière que la chaleur du foleil doit fuppléèr à l'in- cubation êc les faire éclôYre ; d'autres les dépofent dans la chair des animaux ; d'autres çonftruifent artiftement des loges ^ des cellu- les où ils arrangent leurs œufs , & ont foin d'y mettre une portion de fublitlance fuffifante pour les petits qui doivent naître , jufqu'à ce qu'ils foient aflez forts pour chercher leur pâture. Il n'eft point de mon fujet de m'étendre fur toutes ces merveilles s reveaons à nos îiS Traîté de la hannetons qui ont reçu l'ordre de dépofer leurà ovations dans la fiente de certains animaux qui eit apparemment néceflaire à leur con° fervation , aux moyens de les faire éclorre ^ & peut-être à la première fubfiltance êc à l'éducation du ver. Ceft particulièrement dans la fiente de va- che , de bœuf , de cheval , que le hanneton , le fcarabée & l'efcarbot né manque pas de dépo- fer fa progéniture , qui périroit fans doute dans toute autre partie de terrain. Eclairés de ces notions , ils nous devient facile; d'éviter cette progéniture dans nos jar- dins .& même dans nos champs , en prenant les précautions dont nous allons parler. S'il n'y a pas moyen, d'empêcher lés hanne- tons de pondre dans les fumiers , foit qu ils foient fur la furface de la terre ou même dans l'intérieur , puifqu'ils favent s'y enfoncer , il eft queilion ici de difiiper cet embarras , au moyen de deux pratiques, dont le^ raifonne- ment, l'obfervation &: l'expérience démontrent & prouvent également le fuccès ; m.ais l'une plus fûre encore que l'autre , n'ell malheureu- fement pas auiîi pratiquable pour de valles terrains, tels que des champs de bled. La première pratique cpnfifte à n'employer jamais de fumier dans un jardin que lorfqu'it efî bien confommé & décompofé, c'elt-à-dire prefque réduit en terreau. Pour cet effet , il faut choifîr un emplace- ment , foit dans le jardin , foit très à por- tée , où Ton formera des tas par couches alter- natives de fumier & de terre ou de boue dç rue ; Vegetatioi?, Liv. V , Ch. VIîI. n^ tue ; on y peut mêler des herbiers , des bruye-» ïes , des fougères , &:c. ; on en formera fuc- ceffivement pluiieurs maiTes, on démolira celles qui ont été formées depuis un an pour les porter fur les terres du jardin .- ce moyen qui n eil ni difficile ^ ni difpendieux augmente con- fidérablement la maîTe des engrais ; & je peux aiï'urer à qui voudra le pratiquer , qu'outre îès bons effets qu'il en reconnoîtra, il n'aura point de mans dans le terrain où il ne met- tra que de pareils engrais. Depuis quinze ans que je pratique cette méthode économique par la bonté des en- grais & l'épargne du fumier j je ne vois ja- mais de mans dans mon jardin ; tandis que ceux de nies voifins qui emploient des fumiers nouveaux , en font remplis & ravagés ; c'efl ce qui m'arrivoit auffi avant d'avoir fuivi c^t ufage, dont tout bon économe reconnoîtra les avan- tages. Mais quelque bonne que foit cette méthode ; elle n'eft malheureufement pas auiîî praticable dans les champs qu'elle Fell pour les jardins; elle y feroit cependant d'un grand Se excel- lent effet , fi on poùvoit fe procurer affez d@ boues ou autres bonnes terres pour mêler en maffe avec les fumiers & les y laiiïèr pour- rir, puifqu'en fe préfervant des mans , on mul- tiplieroit ainfi Si. on augmenteroit confidéra- blement la maflè des engrais ; c'eil engraiffer & terroter en même temps fbn terrain. Mais enfin , s'il n'eîl p3s poiîible dans les grandes cultures de préparer ainli la totalité de fes fumiers , toujours peut-oq le faire en Tome IIL I 136 T R A ï t É DE LA partie : il y a des temps oii les Ouvriers n'è font pas fort occupés, on les emploie à cette opération , dont on n'aura pas lieu de regret- ter la modique dépenfe. Quant aux fumiers que l'on emploiera tels qu'ils font, il faut bien fe gafder de les por- ter fur les terres pendant le Printemps , foit qu'on fe contente de les répandre fur la fur- face , foit qu'on les enfouille en labourant. Il ne faut que réfléchir fur ce que nous venons de dire de la manière dont la mère hanneton pond Se dépofe fes œufs , pour être convaincu que le fumier non confommé, foit defTus, foit dans . la terre , ne peut manquer d'attirer ces infedes qui y font des pontes multipliées & une abondante production de vers pour hs années fuivantes. , Il eft cependant 11 ordinaire de voir porter au Printemps du fumier nouveau dans les jar- dios êi dans les champs , gu'î! parôît qu'on eil dans la pll^.S grande ignorance des effets. per- nicieux qui en réfukent , & qu'on ne fe doute feulement pas de tout le mal qui s'enfuit ; c'efl pourquoi je crois rendre un bon fervice de ]e faire connoître , & je dois croire que ceux qui voudront y réfléchir le garderont bien doré- navant de fuivre un li mauvais ufage. Si donc, foit par négligence , foit qu'on juge plus difficile que ne l'eil en effet Texcel- iente préparacîon des fumiers dont nous avons parlé , on veut continuer à employer les fumiers nouveaux , on n'a pour lors rien de mieux à faire que de les porter fur les serres & de les enfouir par les labours avant Végétation, Lrv. V , Ch. VIII. 131 i'Hiver ; les gelées , les pluies , les neiges les feronc pourrir & les décompoferont pendant cette faiibn, fur-tout dans les terres humides Se froides , & les hannetons ne trouvant plus au Printemps la fiente des animaux telle qu'elle leur convient , ne viendront point y faire leur ponre. Toute autre raifon de convenance doit cé- der à celle-ci ; elle eft aiTez importante pour qu'on ne là néglige pas. Si le raifonnement , Il l'obfervation , lî Tex- périence n'étoient pas fuffifants pour tirer de l'erreur Se de l'ignorance ceux qui voudroient encore y perfifter , qu'ils voient , qu'ils recon- noilTent par eux-mêmes la quantité prodigieufe de mans que l'on trouve toujours dans les tas de fumier & dans les couches quand on les démolit ; preuve bien évidente de la quaatité d'ovations qu'y dépofenc les hannetons. Pour m'afîurer de ce qui eft dit dans l'hif- toire du hanneton , que la femelle fait un trou en terre pour aller chercher le fumier & y faire fa ponte , j'ai enfoui au Printemps envi- ron un pied cubique de fumier , que j'ai recou- vert d'environ lix pouces de terre que je fis trépigner & battre ; je le viiitai l'Automne fuivante , & je trouvai qu'il écoit rempli de vers blancs de hanntton. Mais, m'a-t-on déjà objedé) on trouve beau- coup de mans dans les prairies où on ne porte jamais de fumier: j'en conviens ; mais c'eft parce qu'il y a beaucoup de vaches , de che- vaux dans ces prairies , & c'efl dans leur iiente que viennent pondre les hannetons : oa I 2, ïji Trâité^de là en peut dire autant des forêts & des bois où il y a différents animaux ; & cela eil fi vrai que- dans les prés , dans les bois où il n'entre point de bétail , on ne trouve point de mans : j'ai fouillé dans pluiieurs , fans avoir pu en trouver. J'ai rendu ce Chapitre étendu , parce que je le regarde comme un des plus utiles & des plus importants : l'exam.en m'a fait con- noître que les mans font plus de mal qu'on ne penfe ,• ils font perdre au Cultivateur une partie de fes 'récoltes, oc diminuent ainii beau- coup la mâiTe générale des fubiiflances. ■ Je ne crois pas pollible de détruire les mans dans la terre où ils ne donnent aucun ligne de leur exifrence que par le mai qu'ils y font; mais c'eft remplir le même objet que de pou- voir s'en préferver par les moyens que je viens d'indiquer , dont je ne crois pas que perfonne ait parié. Il paroit qu'au lieu de penfer aux moyens de fe préferver des mans, on s'eft contenté de porter fes attentions à la deilrudion des hannetons , en recommandant de les ramalfer dans la plus grande quantité polfible , & de les brûler : mais cette chaiTe minutieufe n'en garantît pas ceux qui la font , parce que s'ils ont déjà pondu , le mal ell fait ; au lurplus , on a beau ramafTer & brûler , il en revient toujours d'ailleurs , & le nombre des hanne- tons eil fi prodigieux , que tous les habitants des Villages ne fufSroient pas pour les exter- miner. Par la même raifon , les moyens que î'indlque ne préferveront pas des hannetons VEGETATION , LiV. V, Ch. ÎX. 133 qui viendront d'ailleurs , mais ils préferveront des mans qui eft iobjet capital. CHAPITRE IX. Des Graines^ T, . . OuTES les plantes herbacées ou ligneofes fe reproduifent par les graines ; chaque graine ell: dépolitaire du germe précieux , dont le développement doit produire un? plante fem- blable à celle qui l'a formée. Je lailTerai à ceux qui veulent pénétrer dans les myfteres de la création ^ le foin de difcu- ter 11 les plantes font forties toutes formées de la main du Créateur, ou ii , ayant com- mencé par former les graines , il les a répan- dues fur la lurface de la terre pour y germer & y faire leurs produâions ; fi chaque graine contient çn petit , non-feulement la plante & toutes fes parties ,, m.ais encore toutes les autres graines dont la fucceilion doic à jamais reproduire & perpétuer i'efpece. Des Phyiiçiens célèbres ont tenté d'établir différents, fyff êm.es à ce fujet , qui ne font & ne peuvent être que ùqs êtres d'imagination ; je m'ablliendrai de les fuivre dans cette élé- vation d'idées où je ne pourrois que m'égarer comme eux ; mais en continuant de ramper fur la terre , tenons-nous-en à tâcher de bien examiner & de reconnoître les objets que nos fçDS & robfervation peuvent nous faire faiiir. 134 Traitébela D'ailleurs , la queflion de favoir û le Créa-? teur a mis ou n'a pas mis dans une graine tous les germes qui doivent fucceiîivement reproduire la plante jufquà la fin du monde ^ cette queftion , dis-je ^ comme pluiieurs au- tres , n'intéreiTe point nos pofleilions & nos jouilTançes ; il nous fufîit de favoir qu'une graiue produit toujours une plante de la même efpece , ou au moins du même genre. Il efl probable que la plante eft formée en petit dans la graine ? la vue iimple nous en fait appercevoir les rudiments dans quelques-unes , & le microfcope nous les fait voir diftinâe^ ment dans pluiieurs autres. Mais chaque genre de plante ayant une forme & une organifation différentes , il eft tout naturel que la graine , qui en eft alors comme l'enveloppe & l'étui , ait aufïi des for- mes différentes , mais çonftantes dans le même genre ; & c'eft ce que nous fait reconnokre l'obfervation iidiftindement&: fifûrement,qu'il nous eft aifé de juger , à l'infpedion d'une graine , quelle eft la plante qui l'a produite ^ & conféqueramcnt celle quelle produira. Tout Bûtanifie exercé dans ce genre d'ob- fervàtion , ne s'y trompe pas ; il n'y a pas même de Jardinier , quelqu'ignorant qu'il fait d'ailleurs , qui ne reconnoifle , au premier coup d'œil , les graines de fes plantes pota- gères. La forme des graines eft iî variée dans les différents genres , mais iî femblable & ii conf- tante dans le même , que Tourneforc & plu- Végétation , Liv. V, Ch. IX. 13^ fieoFS autres en oçt pris les caraderes diftinc- tifs des plantes. Les graines en général différent , non-feule^ ment par leurs fornies, mais par leurs enveloppes qui font très- différentes ; les unes font recou- vertes d'une boire ligneufe & dure, qu'on appelle noyau , telles que la prune , la pêche ^ l'abricot , la çerife, &c. ; d'autres font recou- vertes d'une enveloppe coriacée , telles que le gland , la châtaigne ^ la poire > la pomme ^ l'orange , &c. i on les nomme pépins: d'au-- très , ôc c'efl le plus grand nombre , ne font recouvertes que d'une pellicule ou membrane plus ou n>oias épaiiFe , telles que les graines de cytife , de coiutsa , de pois , de fèves , &c. Enfin , telles autres graines paroilTenc être dans des boîtes pierreufes ou olîeufes , très- dures , telles que celles de l'épine , du nef-* flier, &c. La forme des graines varie encore plus que leur formation y parmi celles qui font ligneu- fes , & qu'on appelle à noyau , les unes font rondes & lllfes , telles que celles de la çe- rife ; d'autres font ovales & applaties, telles que celles dç l'abricot : il y en, a qui font allongées & terminées en pointe ,, telles que celles de l'simande ; d'autres ovales, telles que celles de l'olive ; il y en a de iillonnées , de ftriées , remplies de cavités , telles que celles de la pêche : plufieurs ne contiennent qu'une feule amande ; d'autres en contiennent plu- fieurs , telles que l'olivier , le laurier ; d'au- tres ont des formes irrégulieres , telles que Im épines, I 4 1^6 Traite de la Parmi les graines coriacées , il y a beau- coup de variétés pour les formes ; les unes font en larmes , comme au poirier , au pom- mier, à l'alifier , &:c ; d'autres font ovales , comme le gland ; d'autres triangulaires, comme, la faine ; d'autres de forme demi - ronde ou applatie , comme au châtaigner. L^s graines recouvertes de membranes fe font encore plus diitinguer par leurs variétés ; les unes ont une forme régulière, d'autres très- irréguliere ; elles varient beaucoup par leurs couleurs ; il y en a de blanches , de jaunes , de brunes, de rouges , de noires ; il y en a d'odorantes , d'autres ne le font pas ; il y en a de dures , d'autres font tendre^ ; il y en a d'aifez groifes , d^autres très-menues ; il y en a nommées véjlculaires , qui font renfermées dans d'aiTez grolles velîies , comme au ftaphyl- lodendron 6e au colutsa. Les enveloppes des graines varient auffi fé- lon les différents genres de plantes ; outre les différences générales d'enveloppes ligneufes , charnues , corjacées , membraneufes , ces enve- loppes font de nature & de forme très-diffé- rentes. Les fruits à boite ligneufe font recou- verts d'une pulpe plus ou moins fucculente , comme au pêcher , au prunier , à l'abricotier , &c. , ou feulement d'un brou , comme à la noix, à l'amande. 11 y a encore bien plus de variété dans les enveloppes des graines coriacées : les unes font comme nues , raffemblées par bouquets dans certains genres, ifolées dans d'autres , ren^ fermées dans des coffes ^ ou iiliques , ou VEGETATION , LiV. V:^Ch. ÏX. 131^ capfules , plus ou moins longues , plus ou moins applaties ; d'autres font contenues dans des membranes accouplées & ailées, comme au frêne , à l'érable , &c. ; d'autres ailées de même font renfermées fous des écailles , comme au pin ; d'autres font munies d'aigrettes foyeu- fes , comme au platane. La Nature n'a pourvu d'ailes & d'aigrettes ces fortes de graines que pour être transpor- tées êc difféminées au loin par les vents, parce qu'apparemment elles germeroient & réuili- roient mal , fi elles tomboient comme les au- tres fous l'arbre qui les a produites. C'eft fans doute pour la même raifon que quelques graines , comme les bel famines , qui ne font pourvues ni d'ailes ni d'aigrettes , font renfermées dans des capfules qui éprou- vent en s'ouvrant une force de reiïbrt très- marquée , qui lance & fait fauter aîTez loin les graines qui pour lors ont acquis leur matu- rité : ces opérations conilantes & merveilleu- fes font bien dignes de notre admiration. Je n'entreprendrai point ici d'entrer dans le détail de toutes ces différences , dont l'énu- mération peut faire l'objet d'un Traité parti- culier; ceux qui voudront pouffer plus loin leurs connoiffances à ce fujet, pourront avoir recours aux Traités de Botanique, dont les Auteurs fe font particulièrement adonnés à l'obfervation des graines : nous avons déjà donné pluiieurs détails à ce fujet dans notre premier Volume. ISI otre objet principal étant d'examiner ici la formation d^s graines & le développe- 3 3^ Traité de la ment du germe , nous nous en tiendrons s fuivre cet examen qui , quoique plus utile ^ 2, été moins approfondi jufqu'ici. CHAPITRE X, De la maturité des Çr aines. jnL Près avoir pris une idée de la nature & des différentes formes des graines , paiïbns à un examen plus eiFentiel & plus utile ;.c'efl: celui qui peut conftater leur bonté & leur maturité , puifque c'eft d'où dépend principa- lement le fuccès des femis. Quand un fruit bien conditionné tombe de lui-même, on peut être aiTuré que les femen- ces qu il renferme font mûres. Je dis bien con- ditionné ,• car il y a des accidents , tels que la piquûre d'un infede , qui précipitent , qui occaîionnent une fauife maturité : quand un fruit tombe avant îc temps qui doit la lui donner ,. les feraences de ces fortes de fruits ce valent rien, parce que le germe a avorté. Les femences les meilleures font celles dont les fruits ont acquis la plus parfaite maturité , fulfent-ils pourris, aux fruits fucculents, comme les melons, les poireS;^les pommes , &c. , ou def- féchés , comme aux capfulaires , les pois, les fèves, aux ébéniers, arbres de Judée, &c. L'expérience prouve que les pépins des fruits fucculents lèvent très-bien , lors même que ces fruits ont été deflechés au foleil i c'eft ainfi Vegetàtioh , I^iv. V , Ch. X. 1 35 qu'on s'eft procuré des efpeces de vignes & de figuiers, en femant les pépins pris dans les fruits fecs qui nous viennent de l'étranger. J'ai femé des pépins de poires léchées au foleil , qui ont bien levé ; je feme , depuis pluiieurs années , des amandes & des avelines qui nous viennent des pays méridionaux, où on eft dans Fufage d'expofer au foleil ces fruits poul- ies faire fécher , dans la vue de les çonferver plus long-temps; ils ont toujours très -bien germé & levé, & m'ont donné des amandes à fruit doux & bois tendre , & des avelines aulîi grofles & auili bonnes que celles qui nous viennent des pays lointains. Cette pra- tique , peu connue , ne fera pas inutile aux Cultivateurs qui voudront en faire ufage. J'ai dit que les fruits qui tombent en ma- turité & même pourris donnent les femences les plus parfaites ; mais celles qu'on tire des fruits qu'on a cueillis ne lailfent pas de bien germer & produire , pourvu que les germes aient eu le temps de fe bien former; quoiqu'on ait prévenu la chute des fruits , en les cueil- lant lorfqu'ils font en maturité , les graines n'en font pas moins bonnes ,• mais il n'en fe- roit pas de même fi on les cueillqit trop tôt. Si on n'envifageoit que la récolte des grai- nes , il n'y auroit pas d'inconvénient à laiiTer tomber naturellement les fruits ; mais , outre que nous voulons profiter de ceux qui flat- tent notre goût , & qui font partie de la nour- riture en plufieurs Pays , il y en a dont les g|:ainçs font fi fines ^u'il fçroit très-difïicik ^40 T R A I TÉ DE LA de les ramaffer , lî féparées de leurs envelop- per, elles étoient tombées par terre; d'ailleurs > comme elles y germeroient bientôt, elles péri^ roient, à moins quon ne les mk aulli-tôt en terre, encore y en a-t-il toujours beaucoup ^ui ne réufîiiTent pas. Il y a des fruits , comme les neffles , les épines , les cerifes , &c. qui fe deiTechent & pourrifient fans fe détacher des arbres ; il arrive fouvenc même que la pulpe des ceri- fes ayant été mangée par les oifeaux , le noyau refte, avec fon pédicule , attaché à l'arbre : j'ai éprouvé que ces noyaux lèvent auffi bien ^ue les autres, jfbm Ordinairement les noix, les marrons, les châtaignes , les glands , les noifettes^ les -faines , &c. tombent des arbres avec leur brou ; mais fouvent ils s'en détachent & tom- bent feuls , & leurs femences n'en font que plus parfaites lorfqu'elles quittent naturelle- ment ce brou. Beaucoup de fruits capfulaires , tels que ceux du fufain , s'ouvrent & laifTent tomber leurs femences, qui font alors parfaitement mûres ; d'autres fruits capfulaires ou vedicu- laires fe deflechent & confervent leurs fe- mences dans leur intérieur ; quand à leur ou- verture , on trouve que leurs graines n'y • font plus adhérentes , on eft afTuré de leuï maturité. Parmi les fruits filiqueux , il y en a , tels que les genêts , les cytifes, &c. , qui s'ouvrent et répandent leurs femences : mais il y en a d'autres , tels que ceux des guaîniers , donî Vegjetatioît, Irv. y, Cu.X. 141 les panneaux refient attaches aux arbres & demeurent fermés On ne peut juger de ia maturité de ces femences que par la bonne conforniatjon des fîiiques , & lorfqu elles fe deiTechent : l'examen de ces femences achevé d'aiTurer leur parfaite maturité ; elles font dans cet état iorfqu'on reconnoîC quelles font bien formées j bien remplies , que les enveloppés font bien tendues & non ridées, marque trè§- diftindive de leur défaut jdê ^.Groifran.cejye-a peut s'en affurer encore , ;€n les. ouvrant & examinant fi leurs lobe& lop^^bieUrforaiés & bien nourris. ; . . ; '.î^^'IOt/' r-^^- i -^ '• ^: Ceux qui ne Veulent fairerufage;; qiré dç femences parfaites ,.ont un' moyen certain' de .s'en aîTurer ; c'eft de jettçr: les graines dans un vafe rempli d'eau ;/6elies ^ui fe précipi- tent au fond du vafe font très-bonnes : il n'en cft pas de même de celles qui; furnagent. Cette épreuve eft rigoureufe, je n^ la confeille qu'à ceux qui ont peu de terrain. & beaucoup de femences ; car j'ai éprouvé que parmi les grai- nes qui font reliées fur Fe^u , il y en a eu beaucoup qui ont bien germié.. & profpéré. ^ On fent d'ailleurs que cettç épreuve ner peut avoir, lieu fur les graines accompagnées de membranes ailées ou. d'aigre^;tes. Quant aux arbres conifères , tels que les pins, les fapins, mélèzes, &c. , il n'eft pas aifé de s'aiïurer du temps /de la maturité de leurs femences ; -on court rifque de s'y trom- per avant ou après leur chute. La chaleur du Printemps fait ouvrir les écailles des cônes , & les ailes qui accompa- i^% Traité de r À gnent chaque graiîie donnent prife aux venfô qui les emportent & les font voler quelque- fois aiïez loin : ce feroit là le vrai temps à failîr , comme nous le verrons au Chapitre fuivant. Mais après que ces écailles ouvertes par l'effet de la chaleur', ont lailTé échapper les femences, elles fe Referment par l'effet de l'hu- midité de la nuit ou de la pluie , & il ne paroît plus que les cônes aient été ouverts ; de forte qu'on peut les croire remplis de graines , quoiqu'il n'y en relie plus : c'eft ce qui a fouvent trortipé ceux qui ne font pas au fait de cette' opération de la Nature. -i'^IÎ eft mieux de laifTer les graines dans leurs lîliques ou capfules après les avoir récoltées ; elles s'y confervent & même s'y perfediion- îient , fur^tout lorsqu'elles ont été féparées de là plante avatif leur parfaite maturité : ainii quand on eft obligé de cueillir des fruits qui ont encore de- la verdeur ^ il ne faiit pas en tirer alors les femences, il vaut mieux* les laifTer achever de fe perfedionner dans leurs propres ^véloppes : cette précaution n'a qu'un meilleur effet , en dépofant les grai- nes dans un endroit frais , ou même dans du fable; mais il ne faut pas qu'il y ait trop d'humidité qui feroit germer les graines. :;' Toute graine piquée des vers efl à rejeter; ée n'eft pas qu'il n'y^'ait plufieurs de ces grai- nes qui germent & lèvent affez bien , parce que le ver n'a fouvent attaqué que le corps fari- neux , 6c que le germe s'eft confervé fain & entier; mais il fouffre beaucoup dans fou déve- Végétation, irv. V , Ch. X 14^ îoppement du dérangement d'organifation quî> s'eft faic dans les lobes; ce qui influe fur la vigueur de la plante ; c'eft ce qui fera mieux expliqué dans la fuite. 11 faut donc avoir attention de ne récolter les graines qu'après leur parfaite rnaturité ;'" il faut de plus faiiîr des circonftances favo-*^' râbles : c'eft ce qui va faire l'objet du Cha- jpitre fuivant. tmmmmmimmmmm Vs CHAPITRE XI. De ia récoite des Graines, LL faut, autant qu'il e(l pofïiWe , choiiir n temps ferein & fec pour faire la récolte-. des fruits & des graines ; mais comme ddt pendant l'Automne que fe fait , en grande par- tie , cette récolte, & que les jours ne font plus ni 11 chauds, ni lî fereins qu'^n - Eté ,- il eft mieux de ne fe mettre .à ce travail que vers le milieu de la journée , parce que^ \m fruits en général, cueillis dans un tem|y'Si humide , font d'une mauvaife coiifervation. • .' Si on veut avoir de bonnes graines , il faut avoir foin de ne îaifTer que peU*de fleurs fur la plante dont on veut fe procurer des grai- nes. Il ell aifé de recueillir les fruits qui ont un certain volume ; mais il .n'en eii pas de même de ceux qui font menus : les premiers, tels que les pommes , les marrons , les glaods ,. ^44 Traité de i k 4&C. peuvent être ramafles à la main , qu'ils foient tombés d'eux-mêmes , foit qu oti les ait abattus en fecouant les branches avec de longues perches ; c'eft ordinairement l'ou- vrage des femmes & des enfants, qui en rem- pliflent des corbeilles pour les tranfporter au magafin. Quant à la récolte des autres fruits plus menus , tels que ceux des hêtres , du mico- coulier , des cèdres 6c genévriers , &c. , il faut avoir h précaution de nettoyer avec des râteaux ôc des rameaux le terrain qui avoi- lîne l'arbre , pour le purger des feuilles , bran» ches & autres ordures. Quand le terrain efi: ainfî nettoyé, on ap- perçoit mieux les faines dont on forme des tas avec le balai-, lorsqu'elles font tombées ; on ramafie auiîi de cette façon la graine d'orme. .Dans les bois oii il y a des fangliers & des bêtes fauves , on ne feroit qu'une récolte bien imparfaite de. glands, de châtaignes & de failles , fi otj nexomptoit que fur ce qu'on en peut ramalTer fous les arbres après la chute- fîaturelle de ces. fruits : ces animaux toujours plus vigilants & plus raatineux que ceux qu'on a chargés de les recueillir , ont foin d'en faire curée , & favent bien choifir de préfé- rence les fruits les plus pleins & les mieux conditionnés. -:,-Il faut donc, pour s'afTurer d'une bonne ré- colte de ces fruits , les faire tomber par un beau jour, foit en montant dans les arbres pour en fecouer lesfcranches , foit en les frap- pant VEGETATION , LiV. V, CH. XI. 145 pant avec des perches , de manière cependant à ne pas meurtrir ôc endommager les fruits que l'on ramalTe fur le champ , ayant pris , comme nous l'avons dit , la précaution de nettoyer auparavant la place : c'efl: ainfi qu'on récolte les noix , les poires & leè pommes dont on fait le cidre ; mais comme ces fruits le raraalTent à la main , il n efl pas befoin de prendre de ptécaurions. A l'égard des femences membraneufes & ailées , telles que celles du frêne , du charme , de l'érable , &c. , il feroit difficile de les ramafler à terre ^ parce quelles font nienues, & que le vent les porte de côté & d'autre , quelquefois affez loin ; on ne peut gueres fe difpenfer de les cueillir fur les arbres. Les femences des bouleaux , des faules , des peupliers & des aunes , étant bien plus me- nues , font encore plus difficiles à récolter ; elles viennent à l'extrémité des plus petites branches ^ ou élevées au fommet de l'arbre , ou affez écartées du tronc pour qu'on ait peine à le^ .atteindre ; heureuferaent que ces branches étant flexibles , on peut les abattre & les plier pour pouvoir en recueillir les graines : l'opération pénible & minuticufe qu'on eil obligé de faire pour récolter ces fortes de graines , eft rarement couronnée par le fuc- cès , parce que li on attend que ces femences foient bien mûres , les fecouifes les dérachenjt , & elles fe répandent par terre ; li on les re- cueille avant leur maturité, elles ne lèvent pas. Mais CCS femences réuffiffent à merveilles ^ ïa6 Traité de là quand elles tombent & fe fement d'elles-* mêmes , c'eft pourquoi iî on veut avoir beaucoup de jeune plant de ces efpeces d'ar- bres , il n'y a rien de mieux à faire que de labourerle terrain qui en eft à portée, ou bien de faire apporter des terres meubles deffous & autour de ces arbres; on peut être affuré que l'année fuivante, on verra paroîcre beaucoup de jeune plant. On ne peut que cueillir à la main toutes les graines à lilique & à capfule ; le temps de faire cette récolte , eft lorfqu'on remarque qu'il y en a déjà plufieurs d'ouvertes. Les baies fe cueillent aufïi à la main , ou s'il y en a une grande quantité , on étend fous les arbres un drap , & on frappe fur les bran- ches avec une perche pour en faire tomber les graines ; c'eft ainfi qu'on peut récolter les baies de cèdres , de genièvres, de mûrier ,, d'épine , d'azerolier , &c. La récolte des femences des arbres conifè- res, comme les pins, les fapins , les mélèzes, les cèdres du Liban, les cyprès , eft la plus difficile, comme nous l'avons déjà dit. Il faut cueillir les cônes à la main , opération péni- ble , parce qu'ils font à l'extrémité des me- nues branches ; on eft obligé de monter le long du tronc pour couper & faire tomber les cbnQS avec un fer en croilTant , amanché , p'ôur cet effet , au bout d'une perche ; ou fi les arbres ne font pas encore bien élevés , on fe fert d'une échelle double, comme celle avec laquelle on cueille d'autres fruits , en tournant autour des arbres. Veê^eîatïon , Liv. V, Ch. XI. 147 la récolte de ces cônes fe fait au mois de Mars ; mais comme il y en a qui reftent plufieurs années fur les arbres , après avoir répandu leurs femences , il eft important de favoir diihnguer ceux qui contiennent les femences d'avec ceux qui en font vuides ; ce qui n'eft pas aifé à voir à la feule infpedion des cônes ; car ceux que la chaleur a fait ouvrir , ôi qui ont répandu leurs femences , fe referment lorfqu'il vient de l'humidité , & ils font alors femblables à ceux qui ne fe font point ouverts : on pourroit cependant , en y faifant attention , les difcerner à la cou- leur ; mais le plus fur moyen de diftinguer les cônes qui font pleins d'avec ceux qui font vuides , eft de remarquer la place qu'ils occu- pent fur les arbres. Les cônes pleins font à l'extrémité des bran- ches , à l'endroit où la nouvelle poulFe com-r mence ; au lieu que les cônes vuides font plus bas ; à la partie de la branche produite deux ans auparavant , les pouffes de différentes an- nées fe diftinguent aifément, par un nœud qui eft à la branche 6c par les branches latéra- les : d'après ce renfeignement , il fera facile de ne fe pas méprendre dans la récolte des cônes. K .,2 Î48 Traité de xâ CHAPITRE XII. De la préparation des Graines» I L y a àts femences qne l'on feme telîeâ qu'on les a récoltées ; d'autres exigent des préparations pour Jes conferver jufqua ce qu'on les mette en terre & pour en faciliter la germination. La Nature dans ks> opérations n'a pas b^- foin de ces préparations , parce que les femen- ces , en fe détachant de la plante , vont fe répandre en terre ; leurs enveloppes , encor© fraîches , y pourriiTent , & elles fc trouvent dégagées de tout ce qui pourroit nuire à la germination : ainlî fe font naturellement les opérations dont nous allons parler. Les glands ^ les marrons, les faines , leg noix fe détachent d'elles-mêmes , ou du moins rrès-aifément de leur brou quand elles font bien mûres. Ces fruits n'exigent aucune pré- paration avant leur plantation. Il n'en eft pas de même des fruits à lilique & à capfuic ; plulîeurs tombent d'eux - m.êmes , après l'ou- vc'r.ure de la capfule qui fe fait fur îa plante ; ma^s comme on eft obligé de les cueillir avant que la capfule s'ouvre , fans quoi les graines feroient perdues, pour lors elles ne s'ouvri- roient plus d'elles-mêmes, fi on n'uloit pas des moyens néceffaires pour cet effet. Quelques-unes s'ouvrent en les expofant au foleil fur des linges pouc r^QQ'ioiï le^ graias^ Végétation , Liv. V, Ch. XIî. 149 qui s'en détachent ; d'autres exigent des frot- tements quelquefois même confîdérables ; il faut les battre avec des bâtons ou des fléaux pour en faire fortir la graine ; enfin , d'autres encore moins difpofées à s'ouvrir, telles que les iiliques du gaînier , exigent qu'on les dé- chire avec les doigts pour en retirer les fe-» menées. Il y a d'autres capfules qui reftent tou- jours fermées ; elles font feches , minces ,• on eu fait aifément fortir les femences , en les froiflant entre les mains : on vanne enfuite ou on épluche ces femenceSç Les noyaux , pour la plupart , fe détachent facilement de leur chair; on peut les en reti- rer aifément dans les fruits de ce genre; mais il n'en eft pas de même des pépins dans les poires & les pommes ; on ne peut les en re- tirer qu'en difîequant ces fruits avec précau- tion , ou en les laifTant tomber en pourri-^ ture : heureufement on n'eft pas obligé de prendre cette peine, quand il s'agit de faire de grands femis , Se qu'onne s'embarrafTe pas de femcr des çfpeces çhoifiesu Pour avoir facilement & abondamment des pépins de poires & de pon^mes, on fait fé- cher le marc qui fort du preiToir , 6( on le fait cribler fur un drap ; les pépins s'en fépa^ rent & paffent au travers du crible. Ceux qui foi\t en Normandie de grands femis de ces pépins, abrègent encore l'opé- ration ; ils fe contentent de répandre fur la terre , bien préparée , le marc tel qu'il eft au fortir du preflbir. Ils ont cependant foin d'ect î^o Traité de la réparer & dilTéminer les parties avec des râ- teaux de fer , & ils herfent bien le champ : les pépins fe trouvent fuffifamment recou- verts ; ils germent & lèvent très-bien , & le champ fe trouve couvert de jeunes plants , qu'ils arrachent & vendent pour mettre en pépinière , lorfqu'ils ont atteint la hauteur d'environ deux pieds. Cette pratique plus expéditive n'en eft que rneilieure, parce que le marc qui fe pourrit en terre forme un fumier utile à la germina- tion de ces plantes. C'eil pourquoi ^ comme le prouve l'expé- nence> on ne voit que mieux réufîir , en les mettant en terre avec leur chair , les baies d'azerolier , de genièvre , de fureau , de for- bier, de mahaleb , de padus , de jafmin, &:c. Mais lorfqu'on veut garder ces femences ou qu'on veut les envoyer dans le pays étran- ger , on peut faire fécher au foleil les fruits qui font peu charnus, & laifTer pourrir ceux qui ont plus de fuc , pour retirer enfuite les femences en les lavant dans Teau. Si on a befoin de retirer beaucoup de fe- mences de fruits très-fucculents , tels que font les cerifes , les framboifes , les fraifes , les mûres , les baies d'obier ,de phitolacea, &c., on écrafe ces fruits , on lave enfuite le marc dans pluiieurs eaux , le fuc & la chair fe mêlent avec l'eau , & les femences fe préci- pitent au fond ; alors on verfe par inclination & peu à peu l'eau qui efl chargée de la pulpe, dont on veut fe débarralTer , on remet de nouvelle eau fur les femences, & on conti- VEGETATION , LiV. V, Ch. XII. i il ne paroît pas qu'il y ait de danger à en faire ufage. Puifqu'il éft certain que les femences que l'on fait tremper dans de l'eau feule lèvent mieux & plus promptement , n'eft-il pas à croire qu'une liqueur plus ondueufe , plus adive , en s'infînuant dans les lobes , ani- mera , fortifiera encore mieux le germe qui ^ en opérant plus puiiïamment , doit donner une plante plus forte , plus vigoureufe ? Le développement du germe n'efl certainement point indifférent pour le fuccès ultérieur de la plante , félon qu''il fe fait vigoureufement ou foiblement ; c'efl un enfant bien ou mal conftitué ; & ce premier état doit influer^ en grande partie , fur celui qu'il aura par la fuite. On doit particulièrement faire ufage de ce procédé pour les graines étrangères qui ne parviennent que long -temps après qu'elles ont été recueillies , & dont l'organifatioa des lobes eft dérangée par l'état de delTé- Tom& IIL M Î78 Traité de la chement ou elle fe trouve : ces femences mi- fes feches en terre , pourriflent fouvent au lieu de germer ; mais j'ai éprouvé qu'en les fai- fant tremper, pendant quelques jours , dans des eaux gralTes , elles lèvent en fuite très- bien : iorfqu'on ks met dans cette eau , elles furnâgent d'abord prefque toutes ; mais on les voit fucceffivement tomber au fond du vafe , à mefure que les lobes s'imprègnent de la liqueur ; ce qui paroît prouver qu'ils s'en ndurrilTent , & qu'elle répare ainlî l'état d'épuifement où ils fe trouvoient ; & les faifceaux de fibres dont nous avons parlé , remplis ôc fortifiés par ces fucs , n'en doi- vent que beaucoup mieux nourrir le germe qui peut-être en prend lui-même fa part : voilà un raifonnement d'autant plus probable qu'il eil jullifié par l'expérience. CHAPITRE XV. De la Germination des Semences. Ous avons vu dans le Livre fécond , au Chapitre des Germes , les différents fyflêmes fur la produdion des plantes ; ce qui nous a amené à reconnoître que toutes proviennent des germes renfermées dans les graines. Nous allons examiner ici ce que l'obfervation fait appercevoir de lexiflence , de la configuration de ces germes, & de leur développement pro- greffif. VeôëTAtion , Liv. V, Ch. XV. ï^^ Nous avons vu que les graines des difFé*- rents genres de plantes font très-différem- ment figurées ; les germes ont aulli des confi- gurations & des poficions différentes dans les graines > dans les unes , ils font à Textrêraité de la femence, dans les autres , ils font placés vers le centre : il s'enfuit que le développe- ment n'eft pas le même , comme nous le ver-» rons. Il eft bien plus aifé de voir les variétés iremârquables des graines , que d'appercevoir celles des germes dont la texture eil fi fine dans plufieurs , qu'elle échappe aux yeux de rObfervateur le plus attentif. Nous nous en tiendrons ici à quelques exemples qui peuvent faire juger des autres. Dans une amande le germe efl extérieure- ment recouvert par les enveloppes générales ; le corps de l'amande dégagé de fa boîte ligneu- fe , nommée le noyau , & de fes enveloppes membraneufes , s'ouvre aiféraent & fe divife en deux parties , qu'on appelle lobes , à la pointe defquels on voit un petit corps qui eft le germe ; ce germe s'unit & s'étend dans les deux lobes par des filets ou appendices que nous examinerons. . La forme de ce germe efl approchante de. celle d'un fufeau , c'eft-à-dire figurée com- me le feroient deux cônes qui fe réuniroient par leur bafe. Un de ces cônes eft extérieur aux deux lobes ; l'autre eft renfermé entre deux : la partie extérieure doit former la jeune racine nommée radicule; la partie renfermée entre les lobes , doit former la jeune tige M z iSo Traité de ia nommée la plume. (PL i , figures i & 2 ). Nous voyons donc que dans ce petit corps qui termine l'amande , font contenus les ru- diments de la racine & de la tige ,• mais com- me cette racine &l cette tige font les prin- cipes d'un grand arbre 6c de toutes fes par- ties , il eft vrai de dire que le germe con- tient en petit toutes les parties Q"un grand arbre ;, 6^ quoique notre imagination ne fe prête pas aifément à l'idée d'une fi étonnante extention , nous ne pouvons nous refufer à Fadmertre. Mais fuivons l'examen des germes dès le prem.ier ade de leur développem.enr. Si après avoir rais une groiîe fève pendant quelques jours en terre , on coupe du côté du germe des tranches minces , on apperçoic des points plus verds que le refle ; & plus on fait de fedions , plus on découvre que ces points font les coupes tranlverfales de faifceaux de fibres qui s'épanouiiTent en une infinité de ramifications dans toute l'étendue des lobes. On peut rendre cet examen plus fenfible, en mettant des fèves tremper dans une liqueur colorée ; car après avoir fait les fedions dont je viens de parler , ces points , au lieu d'être verds, font teints de la couleur delà liqueur qu'on a employée. Ainfi, on peut les compter &: les fuivre plus aifément dans l'intérieur des lobes qui n'ont point pris la couleur, ce qui prouve d'abord que ces faifceaux de fibres qui s'étendent & ié ramifient dans des lobes, font des conduits des liqueurs , & les feules Vegetation,Iiv. V,Ch.XV. iSi parties organifées dans le corps de la grains dont nous verrons Tu (âge. Concevons donc que les lobes des graines font entrecoupés d'un prodigieux épanouifle- ment de faifceaux de fibres ," qui font des conduits, de liqueurs ; Grew les. a nommés alTez bien /a racine féminale. Comme toutes les graines font des fubftan- ces plus ou moins farineufes , il y a lieu de préfumer que ç^tte fublt.ance farineufe, dif- îbute par l'eau qu'elle pompe de la terre, fournit le prernier aliment néceffaire au dé- veloppement & à la première croif^a^nce du germe ; c'eft la bouillie pour l'enfant. Cet aliment convenable & fufEfant alors aux premiers progrès du germe, opère l'exten- lîon de la radicule , qui s alonge , fe fortifie & s'enfonce en terre , & y va pomper des fucs que les labes épuifés ne pourroient plus fournir : l'enfant peut alorS; fe pafier de fa nourrice ; il a befoin d'une nourriture plus fubftancielle : la jeune racine fe fortifie , s'en- fonce de plus en plus en terre , y pouffe des racines latérales , & les fucs nutritifs dont elle fe remplit , fe portent à la plume qui bientôt s'alonge , perce la terre , & fore aÇ' compagnée des deux lobes. Dans la plupart des genres de plantes , c^s lobes très-reconnoiflables , en fortant de terre, changent en peu de temps de couleur & de forme ; ils perdent de leur épaiireur, en ac* quérantde l'étendue ; ils prennent la couleur verte , & deviennent des feuilles que l'on apr pelle fimlnaUs y néceffaires alors pour l'afpi-? M 3 îS2. Traitédexa ration delà fève terreflre & rinfpiration de îa fève aérienne ; elles fubfiftent fur la jeune plante , jufqu'à ce qu'il fe foit développé de nouvelles feuilles en état de remplir cet of- fice effentiel. Mais alors ces feuilles féminales, devenues inutiles , périflent & fe détachent de la plante. D'après ce que nous venons de dire , oa voit que , quelle que foit la difpofition , l'em- placement du germe dans le corps farineux de la graine , la radicule fe développe , pouffe & s'enfonce toujours en terre , avant qu'il fe faffe aucun développement de la tige; que l'une s'enfonce toujours en terre, & l'au- tre s'élève du côté de l'air , & l'une & l'au- tre , quoiqu'en fens oppofé , fuivent toujours une diredion perpendiculaire. Il feroit donc convenable & mieux fans doute de dépofer les graines en terre , de manière que la partie du germe , d'où doit partir la racine , fût en deffous , c'eft-à-dire du côté de la terre , & que celle qui doit produire la tige fût en deflus. Mais comme cette attention deviendroit très-minutieufe & jnême impraticable dans plulieurs femences , on les répand en terre au hafard , & ainfi les germes font pour la plupart renverfés : qu'arrive-t-il alors ? La Nature ne manque ja- mais de reprendre fes droits. Si les germes fe trouvent dans une pofition totalement inverfe , la radicule alors fe re- courbe & décrit un demi-cercle pour venir •^'enfoncer en terre ; la plume décrit aulîi la îuêmç courbe pour s'élever du côte de l'air. VEGETATION ,llV. V, Ch. XV. 183 S'il neft que de côté , ils n'auront l'un & l'autre qu'un quart de cercle à décrire ; mais enfin jamais l'un & l'autre ne manqueront de fuivre la route qui leur eft prefcrite. Ce phénomène a fait jufqu*ici l'étonnement & l'admiration des Phyficiens ,* mais il étoit regardé comme inexplicable. Si on fe rappelle ce que j'ai démontré des effets de la condenfation & de la raréfadion dans la terre , la folution de ce problême de- vient très-facile. Nous avons vu que l'effet de la condenfa- tion dans la terre produit une efpece d'afpira- tion , de fuccion qui attire puiifamment les racines ; il n'eft donc pas étonnant que cette tendre radicule il flexible , û déliée , obéiffe à cette force d'attradion qui l'attire dans la terre : dans le temps de la raréfadion , la plume reçoit une double impuliion qui doit néceffairement la faire monter du côté de l'air , pouffée d'une part par les fucs nutritifs qu'elle commence à recevoir de la jeune ra- cine , 6c de l'autre afpirée par l'air , frappé des rayons de la lumière. Ce que nous avons dit du revirement des feuilles peut être appli- qué à celui de la plume , puifqu'il s'opère à peu près par la même caufe. L'expérience prouve que l'air eil: abfolu- ment néceifaire à la germination & au déve- loppement des germes. Homberg ayant f jmé dans deux caiffes de pareille grandeur des graines de laitue , de perfil , de cerfeuil , il en laiffa une expofée à l'air , & mie l'autre fous le récipient d'unq î84 Traite de ia' machine pneumatique, & après avoir pompé l'air , il obferva que les graines qui étoient reftées en plein air levèrent très-bien ; mais celles qui étoient fous le vécipient ne levèrent point , ou du moins il n'en leva qu'une très- petite partie & encore très-imparfaitement , & le peu qui leva ne fubiilta pas long- temps. Après avoir laifle rentrer l'air fous le ré- cipient , les graines qui n'avoient point paru levèrent ; mais après avoir enlevé le récipient pour voir fi ces plantes fubfiileroient dans l'air libre , elles périrent fucceffivement toutes. On voit encore dans les tranfadions phy- lofophiques (n^. 2,3 ) que des graines de lai- tue de même efpece ayant été femies dans deux vafes remplis de la même terre , la femence germa , & les plantes s'élevèrent à deux pouces & demi de hauteur , en huit jours de temps , dans le vafe qui étoit refté à l'air libre ; mais qu'il ne parut rien dans cçlui qui fut tenu dans le vuide. Après que l'on eut laifle rentrer l'air & ôté le récipient , la plupart des femences te- nues dans le vuide germèrent , & les plantes s'élevèrent en huit jours à deux ou trois pou- ces de hauteur. Ces expériences prouvent que l'air élaftique eft néceffaire à la germination & à l'accroiiTement des germes. Toutes les plantes n'ont pas un égal nom- bre de lobes ; les unes n'en ont qu'un , beau- coup en ont deux, & d'autres trois. M. Her-- j^an a nommé les lobes cotikdoms , ô^ a di/- Végétation, Iiv. V, Ch. XV. iSf tingué les plantes en monocotikdon SipoUco" îikdon ; cette diftindion adoptée par M. de Jufiieu , a fait la bafe de fa méthode dans fes Cours de botanique au Jardin du Roi. Nous voyons que les germes & les plantes s'alongent par leurs extrémités dans des fens contraires ; que les racines s'étendent en s'en- fonçant dans le terrain , & que la tige s*éleve en f air ; mais à quel endroit fe fait ce point de partage ? Nous allons le voir en fui- vant l'examen de la croifTance progrefîive d'une femence ,• prenons pour exemple une amande. L'humidité de la terre traverfe le bois d\i noyau , ainlî que les enveloppes de l'amande; de là elle s'infinue dans le parenchyme des lobes : la force attra^ive des vaifleaux capil- laires , ou , ce qui eft 1^ même chofe , des inteftins dans les faifçeaux de fibres , fuffit feule pour attirer l'eau ; car fans eau , point de germination ; il ne s'en fait jamais dans une terre qui en eft dépourvue. L'amande groffit alors conlidérablenient , parce que les ramifications de fibres , dont elle eft remplie , fe gonflent par l'effet de i'humidité ; elle oblige le corps ligneux de s'ouvrir en deux , & cette boîte ligneufe fe fépare de l'amande qui s'en trouve dégagée : on apperçoit alors comment les lobes s'ou- vrent & commencent à s'étendre ( fig. 3 ). La première nourriture que reçoit la ra-? dicule lui eft fournie par les faifçeaux de fi- bres dont on voit les ramifications ( fig. 4) d^ns les Ipbçs ; c'eft par leurs conduits qye 1Î6 T RAI TÉ DE LA îiii eft apportée & tranfmife la fubftance qui lui eft la plus propre , du corps farineux des lobes détrempés par l'eau , fubftance afTez femblable à nos émallîons ; ce qui forme pour ce tendre germe une efpece de laie vé- gétal. Fortifiée par cet aliment que la Nature lui â préparé , la radicule fe développe , s'alonge & s enfonce en terre (fig. $ ). Ses organes à peine développés commencent déjà à devenir âdifs & à faire leurs fondions ; elle pompe des fucs dans la terre qui , par l'effet de la lâréfadion , font pouffes jufquau germe de la plume , qui alors commence fon adion ; elle s'étend , elle perce la terre , dont elle fort accompagnée àes lobes qui prennent pour lors le nom de feuilles féminales , qui , com- me elle (fig, 6), reçoivent leur nourriture & leur: accroiffement des fucs que leur tranfmet la jeune racine. Ces feuilles féminales tom-^ bent , comme nous l'avons déjà dit , lorfqu'il s^en eft développé d'autres fur la jeune tige; mais jufques là elles lui font fort utiles , puif- que l'expérience prouve que fi on les fup- prime , la jeune plante périt ordinairement, eu du moins refte chétive & languiffante. Au point où s'eft fait dans la terre la fé- paration de la radicule & de la plume , on ©bferve deux efpeces d'oreilles ou appendices faillants A qui fe diffipent par la fuite. Mais cette partie que l'on appelle le col/et de l'arbre , eft remarquable dans toute fa du- rée ; c'eft là où les Amateurs de l'Analogie avoient placé l'eftomaç des plantes, qu'ils ju- Végétation, Iiv. V, Ch. XV. 187 geoient nécefTaire à la digcftion imaginaire qu'ils vouloienc établir dans les végétaux , comme dans les animaux. Nous voyons donc que la radicule alimen- tée d'abord par les lobes , c'eft- à-dire par les faifceaux de fibres qui font l'office de racines féminales , nourrit enfuite la plume , & les lobes mêmes qui ont fubi une efpece de tranf- formation , changeant alors de forme & de couleur. Il y a quelques genres de. plantes où les lobes n'éprouvent point ces mêmes change- ments , telles que le gland , la noix , le raar-^ ton , &c. Mais foit que les lobes fe convertilTent ea feuilles féminales , ou non , l'expérience fait connoître que leur fupprelîion prématurée eft toujours nuifible à la plante : ce qui prouve qu'ils lui font toujours utiles. Suivons aâuellement la germination & le^ développement du marron d'inde. Il eft for- mé pour l'ordinaire de deux lobes de grof- feur inégale , figure 6 ; A h grand lobe , B le petit lobe qui entre dans une cavité creufée dans le grand, La ligne ponduée C C marque la féparation des deux lobes , D la jeune ra- cine. La figure 7 , 011 on a fupprimé les lobes, fait appercevoir la jeune racine D , les deux appendices EEqui formoient la communi- cation des lobes à cette racine , & la plume F qui étoit enfermée dans les lobe^. On voit dans la figure 8 la jeune racine D |)e^ttcoup plus alongée ; les appendices E E îSB T !L A I T É DE LA commencent à prendre de l'étendue ; ce qm fait voir comnient la plume eft reçue entre les appendices , comme dans une elpece de gaine d'où elle a peine à fe dégager. La figure 9 préiente la plume telle qu'elle fort d'un marron couvert de fon écorce GG» H H indique les crevafles de cette écorce qui laiflent voir la fubftance des lobes. D eft la jeune racine qui a déjà produit quelques ra- cines chevelues. F eft la plume qui commence à fe développer. Il ne peut fe faire de germination ni dç végétation dans une terre defféchée ; mais î'eau feule fuffit pour opérer Tune & l'autre: les graines germent dans l'eau , & même dans un air chargé d'humidité ; on fait qu'elles germent promptement dans lea lieux humi- des. Il ne faut cependant pas que les graines plongent entièrement dans l'eau & foient fub- mergées , car alors elles pourriroient. Mais il le corps de la graine reftant à l'air ^ la ra- dicule feu^le trempe dans l'eau , le développe- ment du germe fe fait très-bien ; il fe fait encore mieux fi on répand des graines fur des éponges ou de la moufle mouillée. M. Bonnet qui s'eft beaucoup occupé de ces expériences , nous rapporte que non-feu- lement il a fait germer avec fuccès plufieurs efpeces de femences dans des éponges qu'il avoit foin de tenir toujours imbibées d'eau > mais que les plantes y ont pris la même oroif- fance qu'elles auroient prifes en terre , & qu elles lui ont donné des fleurs & des fruits* VEGETATION, LiV. Vj CîT. XV. I îi a rempli des mannequins de moufle feule bien prefTée ; il .y a dépofé des noyaux de prunes , de pêches , d'âbricors , &c. Ces noyaux y ont germé , végété avec le plus grand fuccès , puifque les arbres qui en font provenus , lui ont donné , dit-il , de beaux & excellents fruits ; & après avoir comparé les arbres de même efpece ,- élevés en pleine terre , avec ceux qu'il a élevés dans la moufle feule , il nous afllire que l'avantagea toujours été en faveur des derniers. Ce fait prouve bien mon opinion au fujçt de la fève aérienne pour la formation des fruits & celle des racines , puifque les uns & les autres ne doivent que mieux fubir l'effet de la raréfadion & de la condenfatioii, qu'éprouvent les arbres plantés dans de la moufle , dont les parties lâiflent entr'elles^ plus d'interilices qu'il ne peut y eh avoir dans^ la terre la mieux labourée. Il eft évident qu'on ne peut attribuer qu*à cette caufe. le fuccès des arbres dont nc)us- parle M. Bonnet ( quoiqu'il ne l'ait pas ap-^^ perçu ) , puifqu'il nous dit qu'il remarquoit' que ces arbres commençoient à languir iorf=^' que la moufle venant à pourrir & à f e décom- pofex , formoit une mafle plus denfe , Se qu'il éîoit obligé de remettre autour dès racines de ces arbres de nouvelle moufle pour leur rendre la vigeur qu'ils perdoient fans ce nouveau fecours. Cette expérience prouve bien encore^ com- me je l'ai déjà dit au Chapitre de la ÎSIutri- îion ^ que ce n'eu; pas la terre qui pafle dans 190 Traité i)E la les plantes , qui les nourrit ; mais que l'eau toujours chargée de particules étrangères ^ comme falines , huileufes > &c. , les dépofe en paflant dans les plantes ; ce qu'elle ne fait que plus abondamment , lorfqu elle eft im- prégnée de ces différentes fubflances qu elle a inifes en dilTolution dans la terre ou dans la inouire , où il doit fans doute s'en trouver. cha;rî,tre XVI. Ohjcrvation & pratique importante pour h fuccès des Semis en généraL c Ë que j'ai expliqué au fujet de la ger- mination des femences , va fervir à démontrer l'évidence du principe que j'établis ici , & con- féquemment la sûreté du procédé qu'on ne peut trop recommander pour le fuccès des femis. J'ai cru d'autant plus néceflaire d'en faire un Chapitre particulier , pour en difcu- ter & prouver l'utilité, qu'il m'a paru aflez généralement négligé , particulièrement pour la plus précieufe de toutes les plantes. On verra dans un Chapitre particulier de quelle importance eft ce procédé pour la culture du bled. Nous avons vu au Chapitre de la Germi- nation, que la radicule, nourrie d'abord par les lobes , tend à sVnfoncer en terre ; ce qu'elle ne peut bien faire qu autant qu'elle s'en trouve bien enveloppée & à portée d'y pou- Végétation, Iiv.V,Ch.XVÎ. n^i voir pic[uer. Mais lî le corps de la grain? ^ foutenu par quelques molécules de terrain,, ne trouve au-defTous qu'une cavité , il arrive alors que la radicule , dont la longueur efl déterminée, après s^être alongée autant qu'elle îe peut , refte ifolée dans cette cavité ; & ne pouvant s'enfoncer dans la terre pour jr pomper les fucs qui lui deviennent néçelTai- res , il arrive , dis-je , que cette radicule fe. deîTeche & périt , & avec elle le germe de la tige qu'elle devoir nourrir en s'enfonçanc en terre ; ce qui fait avorter une grande quan- tité de femences. Il eft donc bien efTentiel pour le fuccè*, des femis , de preffer & d'affermir la terre , . de manière qu'elle enveloppe & touche im-^ médiatement les graines. Cette précaution eft d'autant plus néceflaire que la graine eft.plus menue , parcç que fa radicule peut d'autant moins s'alonger , & que li elle r]fc rencontre en fortant qu'une cavité où elle refte ifolée, elle ne peut fervir au développement de la tige , comme elle devoir le faire en lui tranf- , jpettant les fucs nutritifs qu'elle auroit pom- • pés dans la terre. Ainfî , lorfqu'on a femé & recouvert les . graines , foit qu'elles aient été répandues à la main fur la furface du terrain , foit qu'elles aient été femées en rigoles , il ne faut jamais manquer de fouler & battre la terre ; on fent que plus elle eil meuble & déliée , & mieux elle le prête à cette opération. Il efl étonnant que cette pratique foit fi fouvent négligée par les Jardiniers , puifqu'il ^^i TltAITÉDELÀ iiY en a point qui n'ait eu fouvent occaiîoti Je remarquer que les graines qui ont été ré- pandues dans les fentiers qu'ils tracent entre leurs planches & qu'ils trépignent pour les mieux marquer ; il n'y en a point , dis-je, qui n'ait vu que ces graines, dans un terrain foulé aux pieds , font toujours celles qui - réufïilfent le mieux , qui lèvent les premières, & qui produifent les plus belles & les plus vig'oureufes plantes, Il y à des Jardiniers qui frappent avec le dos de la bêche fur les planches de femis t cette opération qui vaut mieux que de laifler ' les parties du terrain féparées , telles qu'elles font quand on ne les prefTe aucunement ^ n'eft cependant pas fufflfante , parce que la bêche qui répond par fa largeur à une trop grande furface du terrain, peut en unir la fuperfî- cie , mais n'en prefTe pas fuffifammenc les parties, intérieures. I! eft îTlieux de battre la terre que l'on vient d'enfemericer avec le dos d'un râteau pefant , ou mieux encore de fe fervir d'un inftrument fait exprès , tel que celui que l'on nomme rabot , avec lequel on bat le mortier, mais plus pefant , avec lequel on frappe à dif- férentes reprifes , en long & en large , la planche de femis Cette opération brifè les blocs de terre , & preîTe par-tout les par- ties du terrain où les graines fe trouveront ainfi immédiatement enveloppées. ^Après avoir ainfi battu le terrain , on peut pàfferle râteau pardefTus, mais très-légérement; il n'y a nul inconvénient , fur - tout fi les graines Végétation , Liv. V, Ch. XVI. 193 graines ne font pas très-fines , & qu'étant fçmées en rigoles > elles foient plus enfoncées. Ce petit ratehge donnera au terrain un coup d'œil plus propre & plus fatisfaiiant , & le rendra plus perméable à l'air & aux rofées ^ l'emj^échera de durcir , & donnera plus de facilité aux jeunes tiges pour percer & pa- roître. Je crois inutile d'obferver que cette ope- ♦ration de battre le terrain, très-bonne dans un temps fec , feroit très mauvaife dans un temps pluvieux : on fait qu'il faut bien fe garder de choifir pour femer^ un temps où là terre, trop détrempée parles pluies, feroic comme de la boue ; mais qu'il faut, fur-tout pour des graines fines , faifir des circonfîan- ces où la terre foit feche , 3c s'il fe peut même en poufîiere ; elle enveloppe beaucoup mieux alors les graines , & le développement de la radicule en eft plus affuré. Cette pratique très-aifée dans les jardins^ ne Tell pas malheureùfement autant pour les grands femis qui fe font dans les champs , où elle eft cependant encore plus nécefiaire , parce que la terre y eft moins meuble & bien moins divifée par la charrue qu'elle ne l'efi dans les jardins par la bêche, Mais nous donnerons un moyen expéditif & facile pour y fuppîéer : on verra combien il eft impor- tant d'en faire ufage pour la culture des bleds & autres grains ruraux. Tome nt N 194 Traite de la CHAPITRE XVII. Des Semis fur couche. Ous avons expliqué & prouvé dans là féconde Partie de cet Ouvrage , que la con- denfation &: la raréfadion font les agents principaux de la végétation ; mais comme l'une eil: l'effet du froid , & l'autre de la chaleur , il s'enfuit qu'il faut nécefTairement que l'une & l'autre régnent alternativement , pour que la végétation puiffe avoir lieu. En effet pendant l'Hiver , temps où le froid fe fait prefque continuellement fentir , les plan- tes en général paroiffent être dans une elpece d'engourdiffement & d'inaâion , dont elles ne fortent que lorfque les premières chaleurs du Printemps viennent les tirer de cette ef- pece de léthargie. Ce que dous venons de dire de la germi- nation fait affez connoître que les graines , de même que les plantes déjà formées , ont befoin des mêmes agents pour pouvoir opérer leur premier développement : il faut donc avoir recours , au défaut de la chaleur natu- relle , à des moyens qui procurent une cha- leur artificielle , pour faire germer , lever 6c. profpérer les femences pendant l'Hiver. On n'en connoît point de meilleure & de plus adive , que celle qui eil: produite par l'effet de la fermentation du fumier. On en VEGETATION, LiV.V,CH.XVÎI. 19^ fait des couches , dont la chaleur tempérée & durable , retenue fous des verres dont on couvre les femis , les met pendant la rigueur de l'Hiver dans un état de végétation auffi parfait, & rnême meilleur que celui que là chaleur du Printemps leur procure naturelle- ment , parce que tout eil: favorable dans ceâ couches aux effets de la raréfàdion & de la condenfation qui y âgilTent puiifamment. On forme les couches avec du fumier de cheval ou de mulet , nouvellement tiré des écuries. Leur largeur doit être au moins de quatre pieds: la longueur doit être propor- tionnée à la quantité de fumier que l'on a à eniployer , & a celle des femis que l'on a à faire. La hauteur de trois à quatre pieds fuf- fît : miais plus la mafle fermentante de fumier fera épaifTè ôt étendue , plus la chaleur fera forte & durable. On 'arrange le fumier , avec une fourche ; par lits , que l'on a foin de fouler aux pieds & de bien trépigner a chaque lit , en rele- vant les pailles qui fe trouvent au bord de la couche. Il faut avoir âttentiorï de donner à la cou° che une foi%e un peu bombée dans le milieu ^ autrement le fumier en s'affaiffant la rendfoiE creufe. On recouvre enfuite la couche d'une épaiP feur de terreau criblé , plus ou moins forte^^- félon les genres de femis qu'on y veut faire; îl eft mieux d'attendre que la couche aie jette fon premier feu avant de la couvrir de terreau ^ faut atteadre cependant le degré N z ig6 Traité de la de température , dont nous allons parler. Trois ou quatre jours après que la couche eft faite , elle donne un degré de chaleur , tel que les femis & les plantes n'y pourroient réiiiler & y feroient brûlées. Il m'eft arrivé d'eu faire la fâcheufe épreuve fur de jeunes orangers , dont fa vois enfoui les pots dans une couche , avant qu'elle eût perdu toute fa première chaleur. Il y a un moyen sûr de ne s'y pas mépren- dre : on enfonce dans la couche un piquet de bois d'environ un pouce de diamètre ; fi vers le quatrième ou cinquième jour on le retire^ il eft alors fi brûlant qu'à peine peut-on le tenir dans I3 main : on l'y enfonce de. nou- veau ; on fait la même épreuve tous les jours, jufqu'à ce qu'on juge, par l'état de ce bâton , que la chaleur s'ell aifez ralentie pour faire connoître que la couche eft en état de rece- voir les femis ; ce qui arrive ordinairement vers le huitième ou dixième jour , plus ou moins , félon l'efpece du fumier , la maffe fermentante & la température de l'air. Alors on prend une cloche que l'on appuie fur le terreau , pour lui faire marquer la trace de fa circonférence , & on trace ainfi autant de ronds que la furface de la couche en peut comporter. 11 faut laiffer fur les couches , fur-tout fur celles d'Hiver, au moins un pied d'efpace entre la cloche & le bord de la couche , parce que fi elle étoit trop près du bord , la gelée pénétreroit jufqu'aux femis ; de forte qu'où ne doit mettre que deux rangs de cio- • VEGETATION, Il V. Y, Ch. XVII. 157 ches ordinaires fur une couche de quatre ou cinq pieds de largeur. Pour empêcher l'efret de la gelée , & ra^ nimer la chaleur de la couche , il eft nécef- faire de mettre de temps en temps tout au- tour , une épaifleur de fumier chaud ; c'eft ec que les Jardiniers appellent des réchauds. On fait les femis dans les ronds que l'on a tracés , & on les recouvre avec des cloches. C'eii: ainfî qu'on fait les femis des plantes po-^ tageres , telles que les laitues , les raves , les melons , &c. On peut de même y faire des femis de plantes précieufes & d'arbres rares , dont on veut afTurer la germination & accélérer les produdions. J'ai fait ainii des femis d'oran- gers & de citronniers , qui ont fi bien réuiïï & pouffé fi vigoureufement , que plufieurs fe font trouvés en état detre écufTonnés au mois de Septembre fuivant. Il faut avoir foin de couvrir les cloches pendant la nuit avec des paillafTons ; & quand les gelées font fortes , il eft bon de recouvrir les paillafTons avec un lit de paille plus ou moins épais , félon la rigeur du fioid. L'effet des couches eft d'entretenir fous les cloches un air chaud & chargé d'humidité ; dans le temps que cet air vient à fe conden- fer , on voit l'intérieur des cloches plein de gouttes d'eau , qui ruiffelent même quelquefois contre les parois : on voit les jeunes plantes couvertes de gouttes de rolées , comme elles k font après les nuits du mois de Mai. Cette humidité leur eit fuuelte , lorfqu'elle N3 ^9^ Traité de la eft trop abondante ; c eft pourquoi il faut faifir des circoiillances favorables pour la dif- liper , foit en levant les paillafîbns & laiiTanc les cloches à découvert pendant quelques heures de foîeil , foit même en les levant à demi ou même tout à fait , mais pendant peu de temps , lorfque Tair e(l aflez tempéré pour ne pouvoir nuire aux jeunes plantes. Ces précautions font abfolument nécefl^i- res pour la çonfervation des plantes fous les cloches ; & faute de ce foin , j'en ai beaucoup perdu , que j'ai trouvées moiiies & pourries par une trop grande & très-confiante humi- dité. Il n'y a guère de méthode , quelque bonne qu'elle foit , où l'on ne trouve quel- <^ues inconvénients à la fuite de fes avan- tages. Dans les couches fi favorables à la végé- tation , il fe trouve une quantité d'ovations de différents infedes , que la chaleur fait éclorre , de même qu'elle en attire pluiieurs de la terre. Les infedes qui dévorent les jeu- nes plantes font de grands ravages fur les couches , fi on n'a pas foin d'y veiller : telle efi une petite efpece de limaçon fans coque, nommés mollets ; ceux-ci , ennemis très-dan- gereux des jeunes plantes ^ font aifés à dé- truire , parce qu'on les voit <& on les trouve fur les plantes mêmes ou contre les parois des cloches ; mais il n'en eft pas de même de ceux qui , refiant conftamiment en terre , rongent les racines , tels que les vers blancs du hanneton ou mans , dont nous avons parlé^ Végétation , Li v. V , Cn, XVII. 199 ou tels que Tinfecie nommé courtiliiere ou taupe-grillon. Le ver blanc du hanneton , dont les cou- ches font ordinairement remplies , reite pen- dant deux ans fous terre , où il ne donne d'autre marque de fon exiilence que par le dégât , pour ainfi dire invifible , qu'il fait : on voit les plantes fe deffécher & périr , fans en appercevoir la caufe , & peut-être l'igno- reroit-on encore , iî ce n'efl: qu'en fouil- lant au pied , on trouve le coupable occu- pé à butiner encore parmi le refle des raci- nes. Nous avons parlé dans un Chapitre parti- culier , d'un moyen sûr de fe préferver dans les jardins de cet animal dangereux ; mais on n'a pu encore trouver aucun moyen de le détruire. La bienfaifance éclairée de M. le Maré- chal de Harcourt , l'avoit porté à faire pro- pofer par la Société d'Agriculture de Rouen , un prix de 300 liv. à l'Auteur d'un Mémoire dans lequel on indiqueroit un moyen de dé- truire les Mans ou vers du hanneton. Je me trouvai à l'aiTemblée de la Société d'Agricul- ture , le jour que ce Seigneur bienfaifant pro- pofa ce Programme , qui fut annoncé dans les papiers publics ; je ne pus m'empêcher de lui dire qu'il fe verroit privé de la fatisfac- tion de donner le prix qu'il propofoit , & effedivement il n'eft parvenu aucun Mémoire à ce lujet , & en voilà la raifon ; c'eft qu^il ne paroît nullement poUible de donner la çhafle à ua animal cjui eft toujours fous terre ^ N ^ Traité de i.a gqe non-feulement on ne voit point , mais dont on n'apperçoit aucune trace. Il n'en eft pas de même de la cpurtiîliere pu taupe-grillon ; cet animal laifle ouverts des efpeces de petits puits , ou d'iflues fou- îerraines , par lerquelles il fort de terre & y rentre. Cependant on a efTuyé long-temps les ravages dans les couches , fans avoir trou- vé le moyen 4^ le détruire. Dans une année où les couches des Jardins du Roi à Choifi furent linguliérement rava- gées par ces infedes , un homme fe préfenta fL Louis Xy , afllirant qu'il avoit un fecret sûr de les faire périr fur le champ ; il en fît ï épreuve fous les yeux du Roi^ qui en fut fi fatisfait qu'il acheta fon fecret & le fit pu- fîlier dans tout le Royaume. Cet homme n'étoit d'aucune Académie ^ mais il avoit trouvé ce qu'aucune Académie îi'avoit imaginé : j'en vais parler en faveur de ceux auxquels ce moyen ne feroit pas par-, venu. On fait que les infedes portent les organes de la refpiration à la partie moyenne de leur corps, appellée le corcelet ; en bouchant ces organes de la refpiration j l'animal doit être ïuffoqué & périr fubicement ; c'eft l'effet du fecret de notre homme. Pour y parvenir, il s'eft fervi de moyens bien fimplés & bien faciles. Après avoir rempli d'eau les trous des courtillieres , on y répand quelques gouttes d'huile qui forment une nappe gralTe fur la furface de l'eau ; l'animal qui fe fent inond(^ VEGETATION , LiV. V , Gh. XVII. 201 dans fon terrier, en fort avec précipitation ; mais en fortant la nappe d'huile enveloppe fon corcelet , bouche & obftrue les organes de la refpiration , & on le voit tomber more à peu de diftance du trou par lequel il eft forti. Voilà un moyen bien fimple ; mais il falloit le trouver. Quant aux autres infedes nuifibles qui fe montrent hors de terre , il faut vifiter de temps en temps les cloches pour les en pur- ger. Après avoir parlé des femis faits fur des couches ordinaires & recouverts de cloches, nous allons entrer dans les détails d'une au- tre méthode plus pratiquée aujourd'hui , & préférable à plufieurs égards pour tirer encore im meilleur parti des couches : c'eft l'ufage des chaiîis. i*^. La chaleur dé la couche y efl: plus gé- néralement & plus uaiformément entretenue & confervée. 2°. Toute rétendue pofîible de la couche eft employée ; ce qui ne peut être fur celle couverte de cloches qui laifTent nécefTaire- ment entr'elles des efpaces qui font à pure perte. 3°. On peut , au moyen des chalIis bien difpofés , tirer un bien meilleur parti des rayons du foleil. 4°. L'humidité trop abondante fous les cloches & qui eft mortelle aux plantes, li on ne prend pas les foins dont nous avons parlé , eft bien moins à craindre dans l'efpace plus étendu des chaffis. ^oz Traité de la Ces confidérations leur ont fait donner avec raifon la préférence , & l'expérience prouve qu'ils ont un effet fort aâif , fur-tout îorfqu'ils font bien difpofés. La conftrudion des chalîis eft connue de tout le monde ; mais leur meilleure difpofition ne l'eli: pas appa- remment, puifque j'en ai vu très-peu qui fuient tels qu'ils doivent être. On fait qu'après avoir formé une couche qui ait au moins fix pieds de largeur , on met defllis une aflemblage de bois fort & épais , dont toutes les parties font jointes le plus parfaitement poffible ; que cet aflemblage , beaucoup plus élevé par derrière qu'il ne l'eft pardevant , eft deftiné à recevoir des chafiis qui doivent être «joints & recouverts le plus exadement qu'il fe peut. Ces chafiis font gar- nis de carreaux de verre bien maftiqués. Voilà la conitrudion bien connue des chaflis fur couche ; mais comme leur grand effet dé- pend de leur difpofition & de l'inclinaifon convenable du vitrage , nous allons en fuivre Texamen dans le Chapitre fuivant ; examen que je dois regarder comme d'au- tant plus néceffaire , que cet objet effentiel m'a paru prefque par -tout ignoré ou né- gligé. VEGETATION, LiV.V. 5 Ch.XVIÎÎ. 2Q3 CHAPITRE XyiII. De la difpojïtion & de rincllnaifon des ChaJJîs & des Vitrages, L Es chafîis & vitrages doivent être dif-? pofés de manière à faire face au midi ; mais; cette difpofition , quoiqu elTentielle , ne fuffit pas pour leur faire produire le plus grand effet : leur inclinaifon eft un point capital pour recevoir avec plus d'efficacité les rayons du foleil , qui font toujours un plus grand effet , à proportion qu'ils font lancés dans une direâion plus perpendiculaire , & ja- mais moins que dans une diredion plus oblique. Sans répéter ici ce que nous avons dit dans la féconde Partie, de la chaleur du foleil, nous nous en tiendrons à démontrer cette propofition par des citations très-connues. On fait que la chaleur extrême qui fe fait fentir fous la ligne , n'eft produite que par la perpendicularité des rayons du foleil. On fait auffi que le froid rigoureux qu'on éprouve vers les pôles , eft l'effet de la grande obli- quité des rayons du foleil , qui ne peut échauf- fer l'air. Enfin , fans fortir de notre climat tem- péré , nous éprouvons d'aflez vives chaleurs pendant l'Eté , temps auquel l'arc diurne de notre fphere , devenant plus grand , nous ap- proche le plus de la perpendicularité des 104 Traite de la rayons du foleil, & qu'au contraire nous éprou- vons un froid glacial pendant l'Hiver , où l'arc diurne , fort diminué , ne nous fait re- cevoir que très- obliquement les rayons du fokil. On fait encore que fi , en quelque faifon que ce foit , on veut raffembler & rendre brûlants ces rayons du foleil , on n'y parvient qu'autant qu'on y préfente le verre ardent dans la diredion la plus perpendiculaire ^ l'effet efl d'autant plus foible , que les rayons y portent le plus obliquement. D'après cq& notions , ne devient-il pas évi- dent que lorfque les vitrages feront difpofes de manière que les rayons du foleil les frap- pent le plus perpendiculairement pollible ; h'eft-il pas évident que dans cette difpolition ils feront le plus grand effet ? En partant donc de ce point qui me fem- ble inconteflable , il devient facile de connoî- tre & de décider s'il efl convenable d'incli- ner les vitrages des challis & des ferres chaudes , & quelle efl la meilleure inclinaifon qu'on puifîe leur donner. C'eft cependant fur quoi on n'efl: point d'ac- cord ; c'cff fur quoi on parle , & on opère il diverfement qu'il n'efl pas rare de voir des ferres chaudes , dont le vitrage antérieur efl difpofé perpendiculairement , & qui pis efl des chaflis difpofes prcfque horizontale-^ ment. Cependant tel efl le bon ufage des verres , que quoique mal difpofes , ils ne laiifent pas de faire toujours ua effet fenliWement bon ; Vegetation,Liv.V,Ch. XVIII. %o% ce qui fait qu'on s'en tient à la pofition qu'on leur a donnée, ou par hafard, ou par fantai- fie , fans prendre en confidération l'effet bien fupérieur que produiroient ces verres étant mieux difpofés. La meilleure difpolîtion des vitrages eft inconteftablement celle qui les met en état d'être frappés perpendiculairement des rayons du foleil : comme fon cours n'eft pas le m.ê- me dans toutes les faifons de l'année , il fera- ble d'abord qu'il fau droit faire varier cette difpofition j mais cela n'eft pas néceflaire , parce que ce n'eft que vers la fin de l'Autoninej pendant l'Hiver & au commencement du Prin- temps , temps auquel les rayons du foleil frap- pent le plus obliquement notre zone tempérée , que les vitrages font vraiment utiles : ainfi c'eft fur l'obliquité du foleil dans ces faifons qu'il convient de fe régler. Nous établirons pour règle générale qu'il faut incliner les vitrages de la quantité des degrés du complément de l'élévation du pôle, ou du degré de latitude du lieu où l'oa eft. Par exemple fi la latitude eft de 48 degrés, telle qu'eft à peu près celle de Paris , le com- plément de cette latitude fera de /^z degrés , inclinaifon la meilleure qu'on puifte donner aux vitrages des chafïis fur couche & aux vi- trages fupérieurs d'une ferre chaude ; car le paffage qui doit refter libre dans la ferre , & Tufage de mettre des pots fur la tablette , ne permettroient pas une telle inclinaifon au vitrage antérieur , qu'il eft toujours bon d'in- Ïraîté de la cliner autant que la difpolîtion de la ferre peut le permettre. On voit donc que l'inclinaifon âe 42. de- grés eft la meilleure que l'on puiffe donner aux vitrages dans la latitude de Paris, pour leur faire recevoir pendant l'Hiver lés rayons du foleil le plus perpendiculairement poffible : plus on s'éloignera de cette incîinaiion don- née , moins les vitrages feront d'effet , parce que les rayons du foleil deviendront d'autant plus obliques que les verres approcheront plus de la ligne horizontale , & pour lors les rayons du foleil ne font plus que glilfer delTus. L'ignorance de plufîeurs Jardiniers eft ce- pendant telle à ce fujet , qu'il n'ell pas rare de voir des chalîis pofés prefqu'horizontale- ment. Lorfqu'on met des chaffis fur les couches ,■ il faut laifler environ deux pieds de marge de tous côtés , parce que la gelée y pénétre- roit fi on les mcttoit trop près des bords de la couche ; on les couvre avec des paillalTons, & on les réchauffe avec du fumier nouveau , comme nous avons dit des couches recouver- tes de cloches. Il y a une autre conflrudion de chaffis qui efl la plus uiitée, comme meilleure & plus- durable. La couche efl renfermée dans une enceinte de maçonnerie ou de bois affez épaiffe, qui porte les chaîîis ; la conftrudion en eft fi connue , que je ne m'y arrêterai pas : mais il n'en efl pas de même de l'inclinaifon des vitrages , qui doit être telle que nous venons Végétation, Lrv. V, Ch. XVIII. 207 de le dire , & de quelques pratiques dont nous allons parler. Quelques-uns confervent encore l'ancienne manière de conilruire les chalîis en petits bois qui traverfent les vitrages , comme aux croi- fées des appartements ; cette pratique eft mau- vaife, & elle efl abandonnée aujourd'hui par tous ceux qui ont voulu en reconaoître les inconvénients. 1®. Cette quantité de bois employée dans les chalîis , rend la furface des verres moins étendue , & abforbe ainfi une partie de la lumière. 20. Les eaux qui s'arrêtent & filtrent fut ces bois de traverfes les pourriiTent en peu de temps , êc pénerrent dans l'intérieur , par le défaut des parties de maltic qui viennent à manquer. Il eft beaucoup mieux de ne point mettre de bois de traverfes , 6c de ne former raiïem- blage des chalîis que de tringles longitudi- nales , . qui fupporteot fufîifamment les car- reaux de verre , pofés de manière qu'ils fe recouvrent les uns les autres d'un bon pouce d'étendue : ces carreaux arrêtés avec des pointes & une couche de bon mailic , font fuffifamment & folidement fixés. Il faut avoir attention de choilir de boa bois de chêne bien fec pour faire ces trin- gles , & de leur donner une épaiiTeur & une force fuffifantes , parce que la chaleur du foleil faifant jouer & déjetter ces bois , il arrive que les carreaux de verre fe cafiTent , ne pouvant fe prêter , comme on fait , à un pareil dérangement. zoS Traité de la Ceft pourquoi ceux qui voudront coir- ferver le plus de jour pollible aux vitrages , feront très-bien de faire fupporter les car- reaux par des tringles de fer ; la dépenfe en eft modique , & on eft bien dédommagé par la folidité & la durée des chaflis. Il eft de fait que moins il y a d'efpace fous les vitrages , à proportion de l'étendue de leur furface ; c'eft-à-dire , moins le volu- me d^air eit conlidérable & plus la chaleur eft vive & durable. Ceft pourquoi les ferres les moins élevées font celles qui font toujours les plus chaudes , toutes chofes d'ailleurs égales. Cette obfervation , qu'il ne faut pas perdre de vue par rapport aux chaflis , ne paroît pas s'accorder avec l'inclinaifon que nous avons dit qu'il faut leur donner , parce que pour lors il fe trouveroit vers le fonds des chaflis un alTez grand éïoignement des plan- tes au fommet du vitrage ; mais il eft aifé d'y remédier. Lorfqu'on forme la couche de fumier dans l'enceinte de la maçonnerie, il faut avoir at- tention d'élever le fumier dans le fonds , de forte qu'on l'amené en pente , proportionnée à peu près à l'inclinaifon du chaflis, depuis le fond jufqu'au bord antérieur ; cette difpofi- tion du fumier & du terreau , dont on le recouvre , forme une efpece d'ados favorable à l'accès des rayons du foleil , & qui rap- proche les plantes du vitrage aufli près qu'on le veut. Je ne fais pourquoi eft fi peu pratiquée cette VEGETATION , LlV. Y , Ch. XVIIÎ. 2O9 cette méthode très-bonne , & dont j'ai recon- nu les excellents effets pour toutes les plan-^ tes , & fur-tout pour les melons ; on y gagne même du terrain pour les plantes ram- pantes ; en étendant ainfi la fiirface , ces chaf- îîsA^en maçonnerie ont de plus l'avantage de pouvoir être échauffés par des tuyaux de chaleur que l'on y fait pafier : ce font les plus favorables à la culture ôc au fuccès des Ananas. Un Jardinier de Paris j nommé Mallet ^ seft affiché avantageùiement pour une nou- velle conftrudion de chaiîis , qu'il appelloit ^ je ne fais pourquoi ^ chaiîis économiques. Ce feul mot économique , qui excite d'abord l'at- tention de tout le monde dans notre fiecle ^ que le liixe ne rend cependant point du tout économique , donna une grande célébrité aux ehaiîîs de Mallet j ils ri'avoient eflentiellement rien de différent des antres, iî ce n'eft que les vitrages , au lieu d'être plats ^ étoient ar- rondis & les rapprochoient ainlî de la formé des cloches. Il efi: certain que les verres dans #ette forme arrondie préfentent toujours quel- ques parties qui reçoivent perpendiculaire- ment les rayons du foleil , ce qui eft un avan- tage réel ; mais l'emporte-t-il fur la difficulté & les inconvénients de la conflrudion , fur la dépenfe & les réparations fréquentes aux- quelles elle eft néceffairenïeni: fujette ? Il y â apparence que ces eonfîdérations n'ont pas porté à adopter cette méthode , puifqu'^on ne voit pas qu'elle aie été fuivie , malgré les annonces merveilleufes de fou auteur. Tome IIL 0 2.ÎO Traité de l a La lumière qui pafTe au travers des verres n'en eft pas moins efTenrielie à la végétation, quoique le foieil ne luile pas. J'ai vu des gens qui , ayant mis un potle dans une chambre, prétendoient en faire une ierre chaude ; ils n'ont pas été long-temps à teconnoitre leur erreur, puiique lexpérience prouve que dans une chambre, fut-elle conf- tamment plus échauiîée que ne reil ordinai- rement une ferre vitrée , les plantes y dépé- riilènt feniibîement au lieu d'y végéter ; il n'y a que celles que l'on met tout près des vi- trages qui s'y foutiennent en bon état. 11 faut abfolument pour que les plantes puiiTent végéter , qu'elles foient frappées de ia lumière fupérieure , ôc plus elles la re- çoivent de tous côtés , Ôl mieux elles réuf- liffent. En partant de ce principe , une ferre donc toute la partie antérieure eft en vitrage , mais qui eil couverte d'un toit , fur-tout fi elle eil élevée & peu profonde , fera fans doute meilleure pour la confervation des plan- tes , que celle qui , étant recouverte d'un plancher , n'a que quelques croifées ; mais elle ne fera jamais le même effet que celle donc toute la toiture eil en viirage , ou au moins vitrée en grande partie. J'ai toujours reuiarqué que dans ces ferres couvertes en totalité ou en partie d'une toi- ture opaque , les plantes qui le trouvent fous la partie couverte s'inclinent toutes du côté du vitrage , & cela plus ou moins , fé- lon quelles en font plus ou moins éloignées. Végétation, Lîv.VjCh.XVîII. iti Ces faits bien reconnus ^ ont déterminé les Cultivateurs , habitants d'une partie de la fphere encore plus oblique que îa nôtre , à conftruire leurs ferres tout en vitrage : e'eft ainfi que j'en ai vu en Angleterre , qui pa- roiiTenr de vaftes maifons de verre ; cet édi- fice lumineux porte fur une maçonnerie éle- vée de trois à quatre pieds. On vient d'en faire coriftruire de pareilles à Navarre , far les plans qu'en a donné urt habile Jardinier Anglois , que M. le Duc dé Bouillon a fait venir. Ces ferres vafles & d'une belle conflruâion , font accompagnées d'une double galerie en chalRs , où les Ana- nas croilTent & réufliffent fi parfaitement & fi abondamment , que ce Seigneur en voit fer- vir plufieurs fur la table tous \qs jours de l'année. Les plantes les plus délicates 8c ôriginaifei des pays les plus chauds, profperent, fleurif- fent & frudifîent dans ces ferres. On fait palTer fous les vitrages quelques ceps de vignes plantés extérieurement ; les produâions en font très-précoces. Puifque Je parle de ces ferres , je ne peux fn'enipêcher d'en donner une petite defcrip- tion , qui ne fera pas inutile à ceux qui vou- droient s'en procurer de femblables en petit j, Se pour détromper ceux qui croient qu'on ne peut rien exécuter de pareil qu'à très- grands frais. On voit à Navarre , fur la pente d^on ter- rain à l'expofition du Midi ^ s'élever tm vafte bâtiment en vitrage , qui ell au rez de chauf- G 2. 212 Traité de la fée d'un côté , quoiqu'il paroifle fort exaucé de l'autre. Le long des murs de cet exhauflement, fe prolongent des deux côtés ^ les chafïis bas pour la culture des Ananas ; je dis des deux côtés , car il y a au milieu un corps avancé, oui forme une ferre chaude dans la forme d'un bâtiment en quarré long , fermé en-def- fus & par les côtés uaiquement par les verres. Ou arrive de plein- pied, parla partie fupé- rieure de ces terres , dans un fallon qui prend fon jour par les croifées qui donnent de ce côté , & par les parties latérales qui font prefqu'entiérement en vitrages , qui lailTent ap- percevoir de droite & de gauche deux vafles feiies chaudes qui forment deux efpeces de galeries qui accompagnent ce fallon , & qui n'en font féparées que par cette clôture tranf- parente , qui donne toute la liberté au coup d'œil. Les portes vitrées étant ouvertes, le fallon & les galeries ne paroilTent plus qu'une con- tinuité d'efpace & de promenade. Ce qui refte de muraille dans ce fallon , eft recouvert de glaces qui répètent & femblent multiplier la verdure toujours vive , & l'é- clat des fleurs animées & confervées par la douce chaleur qui règne conftamment fous ces vitrages , en dépit de la température ex- térieure. La plus grande rigueur de l'Hiver inaccef- fible aux pl?ntes qui font fous ces vitrages , ne les empêche pomt de végéter vivement , Veg£Tation,Liv. V,Ch.XVÎIL 213 de produire un feuillage verdoyant & des fleurs brillantes &: odorantes. Le coup d'œil de ce fallcn charmant fe- roit croire qu'on vient d'être tranfporté fu- bitement dans les Indes, li la terre que l'oa voit au travers des croiîees , couverte de neige & de frimats , fi la Nature l?.n . uilTinte dans un athmofphere glacial , li l'aipeâ -ie tous les objets extérieurs ne rappelloit qu'on n'a pas changé de climat , & que le Frintemps , doùC on jouit dans ce lieu délicieux , e(l pour ainfi dire enchâffé dans le cœur de l'Hiver. Mais il n'appartient , dira t-on , qu'à un riche &■ puiflant Seigneur de fe procurer de pareils agréments. Cette idée ex^lulive feioit mortifiante , & je veux ici la détruire. Qu'on ne croie pas que cette dépenfe foit fi coniidérable j il eft arrivé plus d'une fcis qu'un fimple particulier a payé plus d'argent pour l'acquifition d'un feul tableau , qu'il n'en faut dépenfer pour faire un pareil établiiTe- ment , dont l'entretien n'eft pas aulîi cher qu'on le penfe. Mais on peut à bien moindres fra^s fe pro- curer pareille jouiiTance , finon aulIi com^ plette & étendue, peu différente pour l'effet : c'eft ce que j'eus peine à perfuader à un dq mes amis qui en jouit aujourd'hui avec beau^ coup de fatisfadion. Il a fait conftruire , félon mes çanfeiîs , une ferre chaude attenante au fallon qu'il ha- bite , & qui y communique au moyen d'une porte vitrée ; de ibrte que du coin de fon feu il jouit d'un coup d'œil à peu près pareil 0 j ^ï4 T R A I "Ç É DE X A à celui que je viens de décrire , &i qu'il peut yjfîter fan^ peine fes plantes verdoyantes & en fleurs pendant les plus fortes gelées , & y trouver une température plus douce que celle de ion appartement. On feroit étonné du peu de dépenfe qu'a pxigé cette conitrudion qui procure autant 4'agrément & de iatisfadion pendant iix mois ^e l'année , & on fe trompercit û on croyoic que Tectretien en fût djfpendieux ; il peut même Revenir économique , puifque le foyer de l'appartement voilin peut être difppie de manière que le feu qu'on y fait foit fLiffifant pour échauffer la ferre. Ou fait que la conftruâion d'une ferre |:hai|de n'eft pas d'une grande dépenfe ; mais on efl: épouvanté par l'idée de Ton entretien y à caufe de la confommation du bois que l'on proit bien plus forse qu elle ne l'efl. En effet, j'en ai une de trente-îix pieds de longueur où il ne 's'eil pas brûlé une corde de bois pen- dant l'Hiver le plus rigoureux & le plus long. Loin detre un objet de dépenfe pour les Jardiniers ^ les çhailis & les ferres chaudes font pour eux un moyen qui leur vaut beau- coup d'argent, par le produit des élevés, des légumes très-prccoces , dQS rofes & autres fleurs qui fe vendent très-cher au mois de Marg, fur-tout dans une Ville comme Paris, où Ton compte pour rien la dépenfe, quançl il eil qivefiion de fatisfaire les fantailles. wî VEGETATION , LiV. V, Çh. XIX. 21^ CHAPITRE XIX. Des Semis en terrines. Ous avons va que l'efFec de la chaleur àts couches ell fuffifanc pour faire germer êc croître les femences couvertes par des cloches ou chalîis pendant l'Hiver : c-eft le feul moyen de faire opérer la végécarion pen- dant cette ia^^bn. Au mois de Mars , plufîeurs femences ger- ment & lèvent en pleine terre & en plein air. Mais il en eft beaucoup d'autres plus délicates qui , ne trouvant pas la terre encore fuffifamment échauffée , y pourriifent fans faire aucune produdion. C'eit pour cette raifon & pour pluHeurs autres, que l'on feme dans des vafes les grai- nes les plus fines & les plus précieuies qui réuiTiiTenc toujours bien mieux qu'ejj, pleine terre , où il n'eft pas poffible de donner les préparations itédela aura foin de les percer de pliifieurs trous par îe fond pour laiffer libre l'écoulement des eaux. On emplit ces yafes aux deux tiers de leur profondeur de bonne terre de potager , bien criblée Ôc plus feche qu'humide ; on la foule légèrement avec la main ; on met par-deflus une couche de terreau de bruyère , tamifé à fec ; on en remplit la cuvette ; on prelTe en- fuite Ôc on unit bien ce terreau avec la paume de la main i cette opération fait defcendre la terrp à environ un pouce du bord de la terrine ; on répand la femence fur cette fur- face de terreau foulé & applati, de manière qu'elle foit le plus également difperfée qu'il eil pollible ,• on taraife par-delTus unç épaif- feur de ce même terreau plus pu moins forte , félon la groifeur ou la finefle de la graine , oblervant en cela ce que nous avons dit au Chapitre des Semences. îl faut enfuite fouler & pre0er avec la main cette couche de terreau , afin que les graines fe trouvent bien enveloppées ; ii ce font des graines très-fines , il ne faut pas y faire autre chofe ; mais fî les graines font allez grofles , il eft bon de tamifer enfuite fiar-defliis une légère couche de terreau que 'on ne foule pas, Comme j'ai recommandé d'employer un terreau plus fec qu'humide , il faut lorfque l'on a ferné le bien arrofer ; ce qui ne peut fe faire qu'à différentes reprifes & avec beau- coup de précaution pour les graines trèsr fine^ , & que l'on n'a par conféquent que légét rement recouvertes,- VEGETATION, LiV. V,Ch. XIX. 2x7 Le meilleur moyen pour cet effet , d'où dépend la réulîite des graines fines , ell d a^ voir auprès de foi un petit baquet ou feaa plein d'eau dans laquelle on trempe un balai de bouleau ; & après favoir fait égoutter & fecoué au-de(fus du feau , on le tient au-def- fus de la terrine que l'on a enfemencée ; & en donnant avec la main de petites fecouffes fur le manche, on en fait tomber une efpece de petite pluie fine qui en humedant le ter- reau , n'en dérange point la furfacc : on réi- tère cette opération de terrine en terrine , jufqu'à ce qu'on juge qu'elles font fuffifam- ment mouillées. Si la groîTeur de la graine a permis de la recouvrir de TépailTeur de plus d'un quart de pouce , on peut fe fervir d'un moyen plus expéditif & plus facile ; c'eft de pofer vers le milieu de la terrine une petite lame de plomb laminé ou un morceau d'ardoife , & de faire couler de l'eau deffus avec un petit arrofoir ; l'eau par fa chute fur la lame cier plomb , ne forme aucunes cavités dans le terreau ; & elle fe répand fur toute la fur- face de la terrine , fans aucun inconvénient. Je me fuis même fervi avec encore plus de facilité & le même fuccès d'une feuille d'ar- bre. Il n'en eft pas de même lî on répand l'eau avec la pomme d'un arrofoir : je n'ai jamais pu réuftir à y faire palier l'eau en pluie afiez fine. Si l'arrofoir eft percé de trous fuffifamment gros pour que l'eau y coule par jets , ces jets forment des cavités & déran- gent la furface du terreau & les graines. zi8 Traita DE LA Si les trous font très-petits, l'eau, an lieu de forcir par jets , forme le long de la pomme «ne nappe qui fe réunit & tombe en gouttière ^ui dérange & gâte tout. J'ai donc éprouvé que l'ufage de Varrofoir, quel qu'il foit , & quelque précaution que Ton prenne , culbute les femences fines avant leur germination, & déracine après les jeu- nes plantes ; ce qui n'a point lieu au moyen des pratiques dont je viens de parler , & dont je me fuis toujours bien trouvé. On fent qu'une pluie forte feroit encore plus de niai que Varrofoir ; c'ell: pourquoi , fi on laifTe. les terrines expofées aux injures du temps, il faut avoir foin de les couvrir d'un lit de paille longue ou de mouffe, pour parer à l'effet des gouttes de pluie ; mais il ne faut pas y lailTer cette couverture quand on voit les femences lever , & le mieux efl de les metcre fous quelqu'abri lorfqu'il pleut fortement ; car on doit avoir en vue que les femences fines ne relient pas tout à fait à découvert, & que la fuperficie du terrain battu par les pluies & par les arrofements ne fe durciffe pas. On peut , félon le temps , mettre ces ter- rines zu foleil ou à l'ombre , les mettre à couvert de la gelée , de la grêle , de la neige & autres frimats ; avantage que ne peuvent avoir les femis en pleine terre. Lorfqu'on veut accélérer la germination Se les progrès des femences , on enfonce les terrines dans une couche modérément chaude , & on les couvre avec des cloches : on peut VEGETATION, LiV. V, Ch, XÎX. IT9 ainfî , fans danger , faire beaucoup plutôt les femis ; c'eft ce que je pratique toutes les années; & pour cet effet, j'ai fait faire des jattes de terre d'environ cinq pouces de pro» . fondeur & d'un diamètre un peu plus petit que celui des cloches ordinaires qui ainli les recou-? vrent aifément. Lorfque les jeunes plantes font déjà un peu fortes & que l'air échauffé & la faifon ne lailfent plus appréhender de gelées, après avoir foulevé de temps en temps les cloches pour les accoutumer à l'air par degrés , on rerire les jattes de deffiis les couches , Se oa les mec à l'ombre , car elles périroient ii on }es exp'ofoit d'abord au foie il en fortant des cloches. Au moyen de ces précautions , on a dès h première année des plantes fi vigoureufes Se fi forres que j'en ai fait palfer plufieurs en pleine terre fans aucune couverture pen- dant THiver fuivant. Nous parlerons de la manière de confervei* les femis pendant la première année. Je ne connois aucune efpece de terre où les graines germent & réulîiffent aulïï bien que dans le terreau de bruyère : comme j'au- rai encore occaiion d'en parler , il efl bon de connoitre fa nature & fa préparation. Dans les lieux où la bruyère croît depuis long-temps , on trouve à la furface du ter- rain une couche plus ou moins épaifle d'une efp ece de terreau noir qui eft produit pair la décom.poiition des racines de bruyère ; on levé cette couche par mottes que i'oa zzo Traité de la brife aifément , & en la paflant au crible, on obtient un terreau noir dégagé des herbes & des racines dont il étoit rempli : voilà le terreau de bruyère dont nous parlons , qui efl excellent pour les femis & pour plufieurs autres produdions que nous aurons foin d'in- diquer. Il eft d'autant plus néceffaire de tenir les femis dans une polîtion un peu ombragée , que ce terreau , quoique gras , fe defTeche plutôt que tout autre ; ainfi il faut avoir foin de Tarrofer fouvent pendant la chaleur de FEté, Nous avons indiqué les précautions qu'il faut prendre dans les commencenients ; mais iorfque les jeunes plantes font un peu fortes, on peut les arrofer alors tout iimplement avec un petit arrofoir , en faifant tomber l'eau le plus près pofîible des plantes : c'eft toujours un mal de la répandre de fort haut. Lorfque les chaleurs de l'Eté font paffées , on peut mettre les femis en plein foleil qui alors ne leur efl plus nuifible. On peut tranfplanter & mettre en pleine terre , dès le commencement de l'Automne , les plantes que l'on jugera aflez vigoureufes & alTez fortes pour pouvoir réfifter à la ri- gueur de l'Hiver : on laiifera les autres dans; les terrines qu'on mettra dans une ferre. A l'égard des femis qui n'auront pu être faits qu'en Eté , & qui ont fait encore peu de progrès , il eit mieux de les renfermer dans une ferre vitrée où il y a un poêle , dans laquelle ou n'entretient qu'un degré de cha- Végétation, Iiv. V, Ch. XIX. an leur alTez foible , car l'intention n'eft pas qu elles y falTent aucune produdion pendant qu'elles y féjournent ; on les tient feulement à couvert de la gelée & des frimats ; il ne faut pas que la ferre foit humide , elles y moiliroient & pourriroient. Ce jeune plant fera plus difficile à fauver pendant l'Hiver , s'il n'a encore poufle que les premières feuilles ; car toutes les plantes éprouvent une maladie qui leur eft plus ou moins funefte , lorfqu'elles commencent à produire leurs fécondes feuilles : on perd même encore beaucoup de plantes , lorfqu'el-. les n'ont que foiblement poufTé leurs fécon- des feuilles vers la fin de l'Automne. Lorfque l'Hiver eft palTé & que l'on fort les terrines , fur-tout d'une ferre chaude , il ne faut les expofer à l'air que peu à peu , & fe bien garder fur-tout de les mettre d'abord au foleil ,• il arrive fouvent que des plantes qui s'étoient bien foutenues &: s'éroient mon- trées vigoureufes pendant l'Hiver , meurent prefque fubitement quand on les retire de la ferre , lî on n'ufe pas de beaucoup de précautions. C6^ 222. TRAtTÉ DE LÀ CHAPITRE XX. Des Semis dans les Jardins, A faifon la plus favorable pour femer les graines en général , eft celle du Printemps ou de l'Automne ; en Hiver elles pourri- roient fans germer y ou û elles germoienc , la gelée en feroit périr la plus grande par- tie ; en Et^ , le delféchement de la terre eft contraire à îa germination , &: la trop grande ardeur du foleil brûle les jeunes plantes : il ne faut donc femer que dans des laifons tem- pérées, comme en effet on le pratique ordi- nairement j à l'exeeprion de quelques plantes potagères dont on veut jouir en tout temps , & que l'on fait réunir en Eté en les ombra- geant & les arrolant. '" Il y a trois différents procédés pratiqués pour les femis : on répand au hafard les feraenees fur le terrain , ou on les dépofe dans des rigoles tracées à vue ou au cor- deau , ou enfin on met les femences dans des tro'js faits avec un piquet, nammé plantoir: nous allons parler féparément de ces procé- dés d'ufage ordinaire. i^. On répand au hafard les femences fur le terrain , & enfuite on les recouvre au moyen d'un râteau dans les jardins, & de lat herfe dans les champs. Cette méthode , la plus généralement prati- quée , eft cependant évidemment la plus défec- VEGETATION, LiV. V, Ch. XX. 223 tueufe , puifque les femencesne font pas répaE- dues & difperfées également; il eft impofEbleque toutes les graines foient recouveî'tes , & elles ne peuvent l'être à même profondeur ; il ea périt beaucoup , foit par les gelées , foit par les oifeaux qui mangent celles qui font res- tées fur terre , avant ou après leur gerrai- natîon , lorfqu elles n'ont pas été fufRfammenc recouvertes. Il eft fans doute plus aifé de parer à ces inconvénients dans la culture des jardins que dans celle des champs où l'érendue du terrais 6c les grands femis exigent des procédés expé- ditifs ,v il eil connu que les indruments ara- toires dont on fait ufage laiiTent nécelfaire- ment bien des défauts dans la culture : nous en parlerons dans le Chapitre fuivant. Lorfque le terrain a été bien préparé & foui profondément, comme nous l'avons re- commandé , on le divife en quarré long ou planches fur lefquelles on feme , à la main ^ dts graines potagères , telles que l'oignon , la laitue , les choux , 3zc. , en obfervant de les répandre le plus également poilible & en quantité fufîifante ; il eft bon , fur-tout lorf- que les graines ne font pas très-fines , de commencer par frapper la terre avec les dents du râteau , à petits coups , dans toute l'étendue de la planche ; enfuite il faut bat- tre fortement la terre avec le dos du râteau ou même avec l'inftrument dont nous avons parlé ; après quoi on râtelle légèrement ia fuperficie du terrain. Une méthode que les Jardiniers foigneux 224 Trait ÊDEiA ne doivent jamais manquer de pratiquer da:ns les terres légères & feches , e'efl de difpofer leurs planches de manière que le milieu foie un peu plus enfoncé & les bords du quarré plus élevés , afin que les eaux de pluie Se des àrrofements ne s'écoulent point à pure perte dans les allées , & qu'elles foient retenues dans la planche au profit des plantes. On doit pratiquer tout le contraire dans des terres naturellement trop fraîches êc trop humides ; c'eft- à-dire qu'il faut élever le mi- lieu de la planche en dos de bahut , afin de donner l'écoulement aux eaux qui pour lors pourroient devenir nuifibles. C'eft ainfi qu'on peut faire dans les jardins des femis de pîufieurs arbres qui fournifient abondamment du jeune plant pour mettre en pépinière la féconde ou la troifieme année : on peut même faire ces femis fans rien pren- dre fur les quarrés des potagers , & fans rien retrancher du terrain réfervé pour les plantes d'ufage dans le jardin ; il ne faut pour cela que creufer dans le milieu des allées les moins fréquentées , en laifiant un palTage li- bre des deux côtes de Texcavation : fi la terre qui s'y trouve eft bonne , on fe con- tentera de lui donner quelques amendements avant d'y faire les femis ; mais fi elle étok mauvaife , on fera mieux d'y en rapporter de meilleure. Par ce moyen bien facile & qui ne diminue en rien les récoltes ordinai^ res du jardin , on peut fe procurer beaucoup de jeunes plants de différents arbres. Il ne faut pas négliger de couvrir pendant ^ THiver VEGETATION , LiV. V, Ch. XX. ll^ l'Hiver les femis faits en Automne , de même que le jeune plant de l'année précédente ^ mai^ il faut bien fe garder de les couvrir avec du fumier ou de la litière , comme il eft prefcrit dans pluiieurs Ouvrages d'Agricul- ture ; cet ufage eft pernicieux à pluHeurs égards : cette litière fraîche attire une quan^ tité d'infedes qui dévorent & nuifent beau^ coup aux germes des graines & aux racines dii jeune plant, il vaut mieux faire ufage de paille de peu de valeur , comme celle d'orge ou d'a^ voine ; ce qui n'eft pas encore fans incon- vénient , parce que ces pailles en saffaifTant fur le terrain empêchent la circulation de l'air, & entretiennent une humidité qui fait moiiir & pourrir les jeunes tiges. Après n'avoir que trop éprouvé lés dan-» gereux efi^ets de ces couvertures de litière ^ j'y en ai fubiîitué une autre dont je fais ufage avec fuccès depuis pluiieurs années ; je me fers de rameaux de bruyères que j'ai reconnu être fuffifants pour afFoiblir les effets de la gelée & du haie du commencement du Prin- temps ; j'en fais une couverture d'environ iix pouces d'épaiiléur fur mes femis ôi mes jeu- nes plants , & même fur les planches de iîeurs , telles que les anémones , renoncules , hyacinthes & autres plantes délicates. L'expérience m'a prouvé que cette fimple couverture les conferve fuffifamment ^ fans avoir aucun des inconvénients de la cou- verture de litière ; l'air circule au travers de ces rameaux ; il ne s'y trouve point d'humi*^ dite pourriffante , comme fous la paille ; & Tome IIL P ii6 Traité de la les infedes qui s'y trouvent plus à découvert ^ ne s'y réfugient pas aulli volontiers. Je ne faurois trop recommander ce procédé dont j'éprouve les bons effets depuis pluiieurs an- nées. Ceux qui ne feroient point à portée de fe procurer des bruyères , pourroient y fuppléer au moyen de fougères , joncs-marins ou autres menus branchages & brouiïailles. Cette efpece de couverture eit très-bonne pour les artichaux ; on fait qu'en les couvrant de fumier , comme on eft dans i'ufage de le faire , on en fait fouvent périr une partie , & qu'on trouve toujours ces plantes , quand on les découvre au Printemps , à demi pour- ries & en très-mauvais état ; ce qui n'arrive point fous le genre de couverture dont je viens de parler , les plantes & leurs feuilles s'y confervent verdoyantes. 2*^. Les planches étant préparées & for- mées comme nous l'avons dit , on y trace à vue ou au cordeau des rayons ou rigoles plus ou moins efpacées félon les genres des plantes , & plus ou moins profondes , félon la grofTeur des graines ; & après y avoir répandu les femen- ces, on les recouvre & on frappe enfuite le ter- rain , comme nous l'avons recommandé. Il eft à regretter que cette féconde rîîéthode ne convienne pas également à tous les femis ; car elle feroit bien préférable à l'autre , parce que les graines font placées à la même pro- fondeur , & que toutes font également recou- vertes. De plus , lorfque Ton feme ainfi en rayon, on peut'ufer d'un moyen très - favorable à Végétation , Ii\r. V , Ch. XX. ii^ îa germination qui n'eft pas pratiquable dans l'autre manière. J'ai dit qu'il étoit bon pour hâter là ger- îïîination , de faire tremper les graines dans une eau préparée ou limplement dans l'eau pure ; mais li on dépofoit ces graines dans une terre feche , & qu'il arrivât qu'il ne tom- bât pas de pluie pendant plulieurs jours > alors les lobes , gonflés par l'introdudion de la liqueur dans laquelle on les auroit fait tremper , fe delTécheroient , & le germe péri- roit infailliblement. Pour prévenir cet accident , il faut avec im arrofoir fans pomme , répandre de l'eau dans les rayons où on a dépofé les graines y & on les recouvre avec la terre feche de droite & de gauche du rayon ; ce qui ne fait que mieux battre & ferrer les parties du terrain ; & quand toute la planche eft enfe- mencée & battue , comme il a été dit , on arrofe bien tout le terrain avec la pomme de îarrofoir ,• ce qu'il ne faut pas négliger de faire tant que le temps continue à être fec. 1 II y a encore un avantage à femer ainiî en tayottj c'efl qu'on peut farcler plus aifément les quarrés , & dégager les jeunes plantes des raauvaifes herbes ; mais on eil: obligé de le- ver plutôt les plantes , parce que les racines qui s'engagent les unes dans les autres , fe nuifent réciproquement , & que les tiges trop laffemblées fouffrent également. 3°. Après avoir tracé fur le terrain pré- paré des lignes convenablement efpacées , oe^ P 2, 228 Traité de la y fait des trous avec im plantoir , dont le bout doit être obtus, & non pointu; c'eft dans ces trous , diilants d'environ quatre pou- ces les uns dQS autres , qu'on dépoie les grof- fes (ëmences , telles que celles de châtaignes , de noix , de gland , &c. Il faut avoir foin de bien preiïer la terre fur chaque femence avec la même cheville ou plantoir , dont , comme je viens de le dire , l'extrémité ne doit pas être pointue , parce que la pointe de la cheville ne formant qu'un trou d'un très-petit diamètre , la graine ne porteroit pas fur la terre , & ainfi la radi- cule courroit rifque de relier dans le vuide & de périr : mais lorfque la cheville eft en- tièrement cylindrique, c'eft- à- dire d'un égal diamètre , la graine porte toujours immédia- tement fur la terre du fond du trou. Cette manière de femis , outre la fureté de la germination , donne la facilité de cou- vrir les graines d'un bon terreau préparé dont on remplit les trous ; ce qui donne aux jeu- nes plantes plus de vigueur & de force, fans confommer beaucoup de terreau. Comme il arrive que ces femis , faits pen- dant l'Automne, font quelquefois ravagés par les taupes ôc les mulots ; fi on a eu la précau- tion de faire tremper les femences dans une in- fufion de colloquinte , ces animaux n'y font plus de tort : ce moyen qui ne m'a pas para nuire d'ailleurs aux graines , m'a très -bien réuiîi pour les préferver. Si après avoir fait germer ces groifes fe- mences pendant l'Hiver, comme nous l'avons VEGETATION , LiV. V , Ch. XX. 219 dit , on ne les mec en terre qu'au Printemps, il faut avoir attention de couper la radicule de chaque femence avant de la mettre eu terre , en obfervant qu'elle porte fur la terre du fond du trou , & il ne faut pas pour lors prelTer avec la cheville fi fort fur celle donc on le remplit. Si les femences qu'on mec en terre font groffes, & qu'on les ait fait auparavant ger- mer dans le fable , on coupera la radicule ; ôc après avoir tracé des raies au cordeau , à deux pieds les unes des autres , on y plan- tera à la cheville les femences à environ un pied de diftance dans le fens des rangées, ne les enfonçant en terre que de deux ou trois pouces ; au moyen de cette manœuvre , elles peuvent être tout d'un coup mifes en pépi- nière , où on les cultivera , comme nous l'ex- pliquerons : mais fi on n'avoit pas pu rogner leur pivot avant de les mettre en terre , il faudroit les arracher la féconde année, comme les femences fines dont nous allons par- ler. ^ Si les femences font moins grofies, comme font les pépins de poires & de pommes, les femences du frêne , du charme , &c. , nous fuppofons qu'on leur aura fait pafFer l'Hiver dans du fable ou de la terre , fuivant la dif- pofition plus ou moins grande que ces fe- mences ont à germer ; on les mettra en terre au mois de Mars , lorfque les grandes gelées feront pafTées , & alors on fera dans le ter- rain , préparé pour recevoir ces femences , des rigoles d'environ deux pouces de profoa- %IQ Traité de iâ deur , & éloignées les unes des autres d'en- viron fix pouces ; on femera pêle-mêle dans ces rigoles les femences & le fable oa la terre avec laquelle on les aura mêlées , on les recouvrira de l'épaifîèur d'un pouce de terreau de couche , que l'on prelîera légère- ment , fi les graines font germées. Ces rigoles relieront un peu creufes , ce qui eft favorable pour l'humidité & la fraî- cheur qui s'y entretient dans les terres légè- res qui font toujours celles que l'on doit choifîr pour les femis , car fî on étoit obligé de femer dans une terre forte & compade, il faudroit y mêler du fable pour la divifer; fi on n'étoit point à portée d'avoir du fable , qn pourroit faire ufage de démolitions de maçonneries , de vieux plâtreaux , de pierres calcaires , de morceaux de brique que l'on auroit battus & réduits en poudre , ou mieux encore de terreaux de bruyères , fi on eft à portée de s'en procurer. Voilà les amendements qu'il convient de donner aux terres dans lesquelles on veut faire des femis S mais il faut bien fe garder d'y mettre des tumiers nouveaux, ils y por- îeroient préjudice à plufieurs égards , fur- tout çn favorifant la ponte des hannetons , dont la progéniture en vers blancs ronge- roit le jeune plant. J'ai vu des femâs qui avoient très-bien levé & réufîi la première année , entièrement ra- vagés les années fuivantes par ces vers deC- trudeurs , parce qu'on avoir mis du fumier dans le terrain où on avoir fait ces femis ; VegetatioNjLiv. V, Ch.XX. 231 ce que j'ai déjà dit à ce fujet , fuffic pour faire connoître qu'on ne doit jamais employer de fumiers , fur-tout au Printemps , à moins qu'ils ne foient entièrement réduits en ter- reau. Quand les femences font très-fines, telles, par exemple, que celles du bouleau , il faut commencer par prefler & battre la fuperficie de la terre fur laquelle on veut femer ; & après l'avoir unie avec le dos du râteau ,011 y répandra les femences pêle-mêle avec le fable ou la terre dans laquelle on les aura mifes pendant l'Hiver. Ces femences , répandues ainfi fur la fuper- ficie du terrain , feront recouvertes de l'é- paiflTeur d'un écu d'un terreau préparé , tel que celui compofé de moitié terreau de cou- che , ou mieux de terreau de bruyère , & moitié terre meuble de potager bien mêlés enfemble ; on unira enfuite cette couche de terreau répandue le plus également polîible , & on la prelïera, en la battant avec le dos de la bêche ; après quoi on peut en gratter le deiTus , mais très - légèrement , avec les dents d'un petit râteau : cette opération qui donne au terrain un coup d'œil plus fatisfai- fant , peut encore favorifer la circulation de l'air ; car d'ailleurs on ne doit point crain- dre que ce terreau , léger & délié , puifTe former une croûte qui empêche la fortie des jeunes tiges , comme il arrive à une terre lourde & compade. Cette légère couche de terreau que nous recommandons principalement fur des grai- P 4 2.32. Traité de la nés fines , non-feulement donne aux petites tiges fa facilité de percer , mais de plus , les fels lexiviels , que les eaux en font découler , fournirent à la radicule des fucs qui lui font propres & qui la fortifient ; & comme elle tranfmet ces fucs à la tige , on voit 1 une & l'autre pouffer avec vigueur. Les femences d'orme doivent être traitées comme celles qui font fort fines ; mais ii faut les femer aulîi-tôt qu'elles font tombées des arbres ; c'efl la feule feraence de grands ar- bres qui mûrifie d'affez bonne heure au Prin- temps , pour être femée fur le champ , ôc qui levé dans l'année même. Comme ces fortes de femis font de peu d'étendue , on peut aifément les farder; mais il faut bien prendre garde de ne pas arra- cher les petits arbres avec les mauvaifes her- bes ; ce qui arrive fouvent en voulant arra- cher une plante bien enracinée, dont la motte enlevé avec elle pluiieurs pieds du jeune plant. Pour éviter cet inconvénient, il vaut mieux couper pour lors , avec des cifeaux ou avec la pointe de la ferpette , ces fortes de plan- tes le plus profondément qu'on le peut en terre ; ce qui pour l'ordinaire eft fuflifant pour la détruire & ne dérange rien aux fe- mis , qu'il faut avoir foin d'arrofer avec pré- caution dans les temps de fécherefTe , fur-touE lorfqu'on vient de les farder. Après avoir femé les graines fines , comm^ nous venons de le dire , il eft bon de cou-^ vrir Iç terrjiin avec des rameaux d'épine, d§ VEGETATION , IlV. V, Ch. XX. 253 jonc-marins , de bruyères ou autres brouf- failles pour empêcher les oiieaux & autres animaux d'y' faire ravage , & fur - tout les chats qui viennent volontiers gratter dans les terres nouvellement remuées ; de plus , ces rameaux , répandus fur le terrain , empêchent, au moins en partie , qu'il ne foit battu & dérangé par de fortes ondées de pluie ; ce qui efi: fort à craindre pour les femis des graines fines qui font légèrement recouver- tes ; ils fervent aufli à entretenir la fraîcheur , en préfervant les femis des vents hâleux & fecs du Printemps & de l'ardeur du foleil. Si ces rameaux étoient difpofés de manière qu'ils ne pulTent nuire au progrès des femis, il feroit avantageux de les y laifler pendant une partie de TEté ; mais lorfqu on voit qu'ils s oppofent à la fortie eft la feule praticable dans des coteaux pier- reux , dont la pente rapide ne permettroÎÊ pas l'ufage de la charrue ; elle fe fait de mê- me par tranchées , que l'on ne doit jamais faire dans la direâion de la pente du coteau, mais toujours tranfverfalement , parce que dans cette difpolîtion les eaux font reçues dans les tranchées qui en font abreuvées, & il ne fe forme point de ces courants rapides qui dégradent oc emportent Içs meilleures ter-» res au pied du coteau. Cette manière de femer des bois , foit en plaine , foit fur des coteaux , eft très-éco- nomique , puifqu'on ne laboure qu'une trçs- petite partie du terrain ; cependant elle n'eft pas la moins favorable au fuccès des jeunes arbres qui fe trouvent ainfi abrités & proté«» Végétation , Liv. V, Ch. XXIt 1^4 gés par les landes qui rerapliflent refpace non cultivé , & qui leur font moins de tort, ex- cepté cependant la bruyère, que les mauvai- fes herbes qu'ils empêchent de croître ; & à nielure que les arbres prennent de la croif- fance , & qu'ils couvrent de plus en plus le terrain , les arbrilTeaux périflent fous leurs rameaux étendus. Mais jufqu'à ce temps , c'eft- à-dire pendant la jeunelfe des arbres , la lande leur eft très- favorable ; elle leur lailTe fuffifamment d'air , & les feuilles dont elle fe dépouille pendant l'Hiver , réchauffent le jeune plant & lui four- nifTent un engrais. L'expérience a fait connoître qu'on fait beaucoup de tort à de jeunes chênes qui croif- fent bien , iorfque l'on coupe cette lande , ëc qu'il s*eft élevé de beaux arbres fous des lan- des fort hautes. On obferve que le genêt n'eft pas fi favora- ble à l'accroilTement du bois que la lande ; néanmoins comme les chênes ne laifTent pas de réuifir entre les genêts , Iorfque ces arbuftes ne font pas trop drus , il eft bon d'en laiflér à une diftance , telle qu'ils ne portent pas de préjudice au jeune ^lant , & de couper tous ceux qui , en étant trop proches , pourroient lui nuire. Dans l'opération d'egobuer un champ , comme no. s l'avons dit , on doit compter pour beaucoup l'avantage de détruire prefque toute la bruyère , 6c à la place de cette plante qui eft pernicieufe au>: arbres , le champ fe garnit quelquefois en genêts , d'autres fois 254 Traita de r a en landes , ou fouvent l'un & l'autre , ce qui ell: favorable aux femis des bois : Tabri falu- taire que donnent ces plantes aux jeunes ar- bres , a engagé des Cultivateurs à en femer fur des terrains où il n*y en avoir pas. Quand on a répandu le gland ou les châ- taignes , on feme la lande avec le froment ou l'orge , & on enterre l'une & l'autre avec la herfe. S'il fe trouve aux environs des terres ego- huées de grands bouleaux , leur femence que le vent porte fort loin y levé d'elle-même; cet arbre qui favorife l'accroiflemenr du chêne & du châtaignier , peut être fupprimé , s'il leur devenoit nuifible ; mais par la fuite les chênes étouffent les bouleaux. J'ai vu de beaux taillis qui avoi/entété femés de cette manière , dans lefquels on avoit laifTé croître des baliveaux difpofés à former de beaux arbres, & il ne reftoit plus aucune ap- parence de landes ,' ni de bruyères , fur-tout dans les parties qui étoient bien garnies. Enfin, il y en a qui , pour diminuer en- core la dépenfe , fe contentent de faire pip- cher des trous dans tous les efpaces qui fe trouvent dans les landes & d'y répandre les femences ; cette manière très-abrégée a réulli dans à^s circonflances où il s'efl trouvé alfez de parties de terrain libres & bonnes , entre des genêts , des joncs-marins , ou des gené- vriers ; mais il ne faudroit en attendre rien de bon , il on femoit ainfi dans des bruyères qui couvriroient le terrain. D'autres fe font contentés de lever à^s Végétation , tîv. V , Ch. XXII. 15 5 mottCvS de gazon & de les remettre iîmple- menc à leur place, après avoir dépofé defîbus quelques femences ^ mais quelques perfonnes qui m'ont dit avoir elTayé ces moyens , avouent s'en être lî mal trouvées , que je n'en par- le que pour avertir de ne pas faire de même. Parmi les différents procédés que je viens d'expliquer , chacun pourra choifir celui qui lui conviendra le mieux , félon la nature & îa fituation de fon terrain , & felôn fa con- venance & la dép'enfe qu'il veut & peut faire ; tous peuvent réuJîîr, mais non pas également* Il eft certain qu'une culture négligée eft bien moins difpendieufe ; mais elle peut devenir plus chère , parce qu'il faut quelquefois re- commencer entièrement , ou travailler annuel- lement à la réparer ôc à, l'entretenir , encore fou vent n'en a-t-on que du défagrément ; car dans toute efpece de terrain , & pour toute efpece de produdionjs , il n-e faut jamais at- tendre le même fuccès d'une culture négligée , que de celle qui aura- été bien faite & bien entretenue. C'eft pourquoi je crois n'avoir rien de mieux à confeiller que de faire tou- jours bien , & de moins faire chaque année , Il on ne peut pas faire plus de dépenfe ; car j'ai reconnu , en tout pays 6c en tout genre , que la plus mauvaife économie eft celle d'une mauvaife culture ; on. y perd fon argent , fes peines & fon temps. J'ai prefque toujours vu qu'après bien des défagréments de la dépenfe en pure perte» par- ce qu'elle avoic été infufîifante ^ on écoit obligé t^6 ÏRAITE DE t définir par où on auroic dû commencer, c'eft- à-dire par bien préparer fon terrain par de bons & profonds labours , & par les amen- dements qui lui font néceflaires. L'objet que nous avons aduellement en vue n'eit pas fufceptible d'une culture parfaite, elle feroit trop difpendieufe ôc peu praticable dans de vaftes terrains ; mais on a toujours tort de fe refufer à une petite dépenfe de plus, lorfqu'elle doit décider du bon ou du mauvais fuccès. Il y a des terrains d'une nature lî mauvaife & fi ingrate , que rien n'y peut venir ; tels font des coteaux ou monticules , où l'on ne trouve y fous quelques pouces d'une terre afTez aride j que de la craie ou un tuf blanc: on ne peut pas penfer à creufer profon- dément j ni à faire aucuns amendements dans un pareil terrain. J'ai vu cependant qu'avec le temps & de I4 patience on eft parvenu à y former des taillis de bouleaux , de coudres, de marceaux, de chênes & de hêtres ; voilà comme on peut y réulîir fans une grande dé- penfe. On trace à la houe ^ fur la pente d'un co- teau , de petites tranchées ou raies d'environ un pied de largeur , parallèlement à la baie du coteau , afin que l'eau des pluies , s'arrê- tant dans ces tranchées , ne forme point de ravines ni de dégradations , & y entretienne de la fraîcheur. La terre que l'on a tirée de cette petite excavation & que l'on a amoncelée fur le bord de la tranchée du côté du Nord , for- me Végétation, Liv. V, Ch.XXïI. 257 . me une berge, fur laquelle on feme à la houe des glands , des fênes , des châtaignes ou des noilectes ; en creuiant une rigole dans la- quelle on enterre ces femences , on plante au (Il à la pioche dans le fond de la tran- chée , du jeune plant de bouleau , de mar-- ceau j de coudre , &c. «• mais fi le terrain netoit abfoluraent que du tuf ou delà mar- ne , il faudroic creufer des trous avec la pioche ; & en mettant le jeune plant dans ces trouS , on les rempliroit avec quelques parties de la meilleure terre que l'on trouve- roit fur le bord de la tranchée , oppofé à celui fur lequel on a formé la berge j pour faciliter la radication des jeunes plantes. Il ne feroit que mieux de jetter enfuite dans la tranchée les caillous qu'on auroic t tirés de l'excavation, pour y former une cou- che pierreufe qui y- entretient de la fraîcheur, comme nous l'expliquerons plus amplement en parlant des plantations. CHAPITRE XXIII. Des Semis de pins & autres arbres verds^ X L eft étonnant que les femis & plantations d'arbres verds , tels que les pins , fapins , thuya , cyprès , cèdres foient auiîi néglio-és. Ces arbres qui réuifiiTent bien dans des fables arides & dans des terrains où le chêne & Tome IIL R 2$8 Traité i>e la autres refufent de croître , offrent plufieurs avantages que l'on ignore apparemment , ou auxquels on ne veut pas faire affez d'atten- tion. I®. Pendant l'Hiver où tous les autres ar- bres font dépouillés de veidure Se paroilTenc comme morts , ceux-là ont toujours un air vivant ; mais , dit-on , leur verdure eft trifle , carc'eft là le mot ordinaire, la grande objedion. Eh , pourquoi cette verdure paroît-elle trifte ? C'çil qu'on ne juge de tout que par comparaison , & que la verdure d'un rofier , par exemple , étant véritablement plus vive & plus gaie , celle des arbres verds nous paroît fombre ; mais comme ce point de cotnparaifon n'a point lieu pendant l'Hiver , l'objeâion n'eft plus fondée , & on ne fè plaint plus qu'ils ibient difgracieux à la vue. Je ferai voir , en parlant des bofquets, que quand ces arbres y font répandus & placés avec art , ils y forment pendant l'Eté des nuances , des points d'ombre très-favorables au tableau. 2°. Ces arbres plantés en avenues ou eti ceinture autour des habitations , des fermes , donnent une grande protedion aux parties qu*ils enveloppent ; ils abritent les cours & les ver- gers ; ils protègent les bâtiments contre le ravage des vents ; & ce feul objet eft d'une grande confidération. 3°. Tandis qu'ils font fur pied , on en peut tirer de la thérébentine , du brai , du gou- dron , de la réiîne , fubftances , comme on fait , très-utiles ; Se lorsqu'on les abat , ils faurniffent à la Marine des mâts & autres VEGETATION, LiV.V,Ch. XXIII. l^g pièces de conftrudion ; on les débite en plan- ches , dont l'ufage eft li néceflaire & fi étendu que, n'en ayant pas fuffiiamment chez nous , on eft obligé d'en faire venir ûqs pays étrangers. Bien des gens confondent mal à propos le bois de pin & de fapin avec leô autres bois blancs ; il y a alTurément bien de la différence pour la folidité & la durée : la réiine, donc ils font remplis , les rend d'une bien plus longue confervation , & cela félon qu'elle y eft plus abondante. Le bois de pin & de fapin fe eonferve très-long-temps elpofé aux^ injures de l'air ^ lotfqu'il a été peint , c'eft-à-dire imprégné d'huile. J'ai dans mon jardin des treillages d'efpaliers , faits de ces bois réfineux , qui y font depuis foixante ans ; ils fe font con- fervés fî fains qu'on en emploie quelquefois pour faire des manches de râteau & de ra- tilToirs. Mais ce qui eil encore plus iîngulier 3t plus étonnant ^ c'eft que parmi les arbres verds , ceux qui font du plus excellent ufage font ceux dont les plantations font les plus négligées , & on peut dire même prefque nulles. On fait que le bois de thuya , de cèdre, de cyprès , a fineftimable avantage d'être pref- qu'incorruptible ; ces arbres qui ne font pas délicats fur le choix du terrain , viennent très-bien dans notre climat : j'ai des cyprès très-beaux , & qui croisent vigoureulemenc dans un terrain qui a fi peu de fond que plu- iieurs autres arbres y ont péri • & cependant R i i6o Traite de la on néglige d'en faire des plantations : feroit- ce parce que les Poètes les ont chantés comme des arbres funéraires, qu'on ne veut poi«t en voir ? Je ne parlerai que des deux efpecés de cyprès dont la culture nous convient ; l'un du Canada étend beaucoup fes rameaux ; l'autre , mal à propos nommé cyprès mâle , porte fes branches en balai , Se eil d'une forme pittoresque qui figure très-bien dans les bof- quets , &i le rend fufceptible de plantations d'alignement très-agréables; il porte peu d'om- brage , & ne nuit guère aux productions du terrain qui l'environne , d'autant plus qu'il n'étend pas fort loin fes racines. Il fuffit de lui donner un petit ébranchage dans le bas à mefure qu'il croît; il s'élève très-haut, en portant toujours fes branches droites ôc ea forme pyramidale , ce qui difpenfe de l'éla- guer. Il y a peu d'arbres dont on puilTe tirer autant d'utilité : fon bois eft d'une bonne odeur & peut être employé par les Tour- neurs , comme celui du cèdre : comme il fe conferve très-long-temps à l'air , à la pluie , dans l'humidité de la terre où tout autre bois pourrit en peu de temps, il efl très -propre à faire des treillages d'efpalier, des échalas, des poteaux, des palifTades de chemin cou- vert , &c. Tant de bons fervices que l'on peut tirer de ces arbres devroient bien engager à en multiplier les plantations; il ell: trèsaifé d'en faire des pépinières pour en avoir du plant &: le mettre en place au Printemps, comme lious le dirons. Végétation, Liv.VjCh.XXIÎÎ. %6i Il faut dans les mois de Mars & d'Avril chercher fur les cyprès les noix qui coraiiien- cenc à s'ouvrir ; on les met dans une boice au foleil jufqu'à ce que les noix s'ouvrent- d'elles-mêmes, pour lors, en les agitant dans îa boîte, les graines tombent au fond. Il eft mieux de les femer dans des . terri- nes, dans le terreau de bruyère, comme nous l'avons dit, elles lèvent très-bien &l en peu de temps ; & au Printemps fuivant , on répli- que le jeune plant en pépinière : j'ai éprouvé qu'il eft aifé de s'en procurer ainli une très- grande quantité qui pouffe & réuliit très- bien. Puîifent les vérités que je viens de ren- dre engager les Cultivateurs à fuivre cette utile culture. 4°. C'eft une erreur de dire Si de croire qu'il ne faut point ébrancher les arbres verds ; l'expérience m'a fait voir qu'ils ne fouffrent pas plus 4e rébranchage que tous les autres , & qu'il leur eft auiïï néceflaire , afin qu'ils puifîent s'élever & former un beau tronc ; mais il faut le faire fur de jeunes branches ; car |î on attend qu elles foient devenues gref- fes , il s'y forme néceflairement des nœuds qui portent beaucoup de préjudice au bois. Le Socrate ruftique de la SuifTe nous a appris qu'on peut tirer un parti très- avan- tageux des jeunes branches de pin, de fapin, cyprès «Si autres arbre$ verds ;. on nous a die que c'étoit le principal moyen dont il fe fer- voit pour porter fes terres à bled au degré de fertilité qui faifoiî Tétonnement (k l'admi- ration de tous fes vciiins. U 3 ^6z Traité de la Un petit bois d'arbres verds qu'il avoit mis en eipece (Je taillis , étoit devenu la fource des riciieilts de cet habile économe ; l elagagç dQs jeunes rameaux de ce taillis lui fournif- foit une bonne litière pour fes befliaux ; ce qui , fuppléant à la paille, lui donnoit aboti- damment des engrais pour fes terres : on nous ^iî comment , en fe chauffant le foir avec les plus groffes branches , il s'^mufoit avec fes enfants^ à en féparer les plus petits rameaux pour cet ufage. Une folTe , pratiquée proche de les étables , recevoir cette litière ; elle achevoit dç s'y confommer , de s'y pourrir ; ^ tandis que les nouvelles litières fe façon- poient dans une autre fofle , il tiroit de l'an- cienne d'excellents fumiers qu'il portoit fqr fes terres : ne voilà-t-il pas un moyen facile de faire difparoître Fufage meurtrier des ja- chères , puifqu'il ne tient qu'au défaut & à î'infuffirance des engrais ? Ce qui s'ed fait avec tant de fuccès çr\ Suiffe , ne peut-il pas fe faire de même chez nous , il on veut renoncer à cet axiome aufli fatal que ridicule: ce n'eil pas? notre cou- tume j nos pères n'ont pas fait cela , donc nous ne devons pas le faire. On ne connoît que rufage de la paille dans notre pays- fi on en m.anque , les chevaux , les vaches , les mputons n'ont point de litière , & il ne fe fait point de fumiers : eh , pourquoi ne pas y fuppîéer par des herbes , de la moulFe , des fougères , des bruyères , àcs genêts, &c., par des élagages de rameaux dans les bois pendant l'Eté , dont la fupprefîion efl fi utile VEGETATION, LiV.V,Ch.XXIIÎ. z6^ & même néceflaire aux arbres , & enfin ea tout temps par la coupe des rameaux des arbres verds , dont notre Suifle nous a appris à faire un fi bon ufage. Quelques arpents des plus mauvaifes terres , ou même quelques coteaux employés à un taillis de cette efpece , fourniroient un fupplément confidérable à la litière de paille , & par conféquent beaucoup de fumiers. L'agrément , le produit & les reflources que peut procurer la culture des arbres verdis devroient bien engager à l'étendre <& à la multiplier ; les moyens en font faciles , & des terrains médiocres y peuvent être em- ployés ; les pins particulièrement réuflilTent bien dans des fables où d'autres arbres ne font que languir. Les pins peuvent être tranfplantés avec fuccès lorsqu'ils font encore jeunes , fur- tout Il on les levé en motte; mais il n'en eft pas de même lorfquils font grands , pour lors il en périt beaucoup dans la tranfplantarion $ c'efl pourquoi rien n'eft mieux que de les femer & de les élever en place. Les graines de pin germent & lèvent aflez bien dans les terrains les plus arides , pourvu que les femences ne foient pas trop recou- vertes ; mais lî le jeune plant eft expofé au plein foleil pendant un Eté fec , on en perd beaucoup la première année :, nous allons parler de différents moyens de les parer du grand foleil. D'abord le terrain dans lequel on a femé fle manque guère de produire des herbes R 4. Traité de ia qui fufïîfent pour protéger les jeunes pins qui poufient bien d?ns Therbe , pourvu cepen- dant qu'elle ne foit pas aiîez forte pour les étouffer ; c'eft pourquoi il faut bien fe gar- der de farder totalement un champ où on a fait des femis de pins , principalement pen- dant un temps chaud. Dans des terrains li arides que l'herbe n*y pouiîe pas , il faut ufer d'autres moyens ; je ne crois pas pouvoir en propofer de meil- leurs pour des femis très -étendus dans de mauvaifcs terres , que ceux qui ont été pra- tiques dans la forêt de Rouvrai , proche Rouen , puifque ces procédés ont été jufti- fiés par un plein fuccès. Dans un efpace de trois à quatre mille ^rpents de terres vagues , ne produifant que de petites bruyères & qui fe trouvoient ainfî à pure perte , proche la ville de Rouen , or^ forma le projet , en ly'jô, de mettre ces ter- rains en bqis , S^ de repeupler ainlî cette forêt. On a commencé à exécuter ce projet , en faifant planter quatre cents arpents en bjou- |eai|x 5 & l'on cpmptoit continuer ainfi tous les ans la plantation de trois cents arpents : ïp.ais quoiqu'en général la réuffite de ces pianr fatipns ait furpaffé ce qu'on devoit en atten- dre , il eft cependant arrivé que p^r le chan? gement des Oificiers de la Maitrife , on eii eft refté là, & on a laiffé les petites bruyè- res toujours en polTelîion de ce vafce ter? î:ain. Çf tçe première opération qui , rnalheureu-r Vegetation,Liv.V,Ch. XXIIÎ. iS^ femenc n'a point eu de fuite , mérite bien d'être connue , & peut être un modèle de grands femis faits avec autant d'habileté & d'économie que de fuccès. La nature du terrain eft en général un fable alîéz aride , fous lequel fe trouve un gros gravier mêlé de fable ; cette terre ne pro- duit prefque point d'herbe , mais feulement des bruyères fort baffes. On a commencé par entourer d'un petie foffé la totalité du terrain qu'on vouloir fe- mer ; & pour faire ce foffé à peu de frais ^ on a attelé quatre chevaux fur une forte char- rue , & en repaiïant quatre ou cinq fois dans - le même lillon pour l'approfondir de plus en plus , on efl parvenu à le creufer afîez pro^ fondement pour en former une efpece de folfé qu'on a jugé fuffifant pour le but qu'on / fe propofoit ; enfuite par un beau jour , on - a mis le feu aux bruyères , vers la fin de l'Eté , en prenant des précautions pour que l'incen- die ne fe communiquât pas aux bois voifins. On a labouré tout le terrain & fait palTer la charrue deux fois dans chaque raie pour qu'elles fuffent très-profondes. Lorfque le Laboureur avoit achevé d'ap- profondir un lillon , on faifoit auili-tôt des trous avec des houlettes dans le fond de ces lîilons , ( l'inftrument dont nous allons par- ler auroit bien mieux valu ) , & on y plan- toit de petits bouleaux à environ deux pieds de dillance les uns des autres ; on ne faifoit que légèrement recouvrir les racines de ces l^ouleauxj mais ils fe trouvoient fuffifamme^t %66 Traité de ia enterrés par le retour de la charrue qui fer- rooic de nouveaux filions à droite & à gau^ çbe. En continuant de labourer le champ , on laifFoit quatre vaies , c'efl-à-dire environ trois pieds , fans mettre de bouleau ; 6c on plantoit le fillon fuivant , comme nous venons de l'expliquer. Quoique les bouleaux qui avoient été arra^ chés dans les bois fuflent pour la plupart mal enracinés , ils ont aiTez bien repris & bien pouiTé , puifqu'au bout de cinq ou fix ans qu'on les a recépés , ils avoient depuis cinq jufqu'à huit pouces de circonférence, & douze à quinze pieds de hauteur ; & ils ont produit de fi beaux rejets, qu'au bout de quatre ans le recru fe trouvoit avoir cinq à fix pieds de hauteur ; il eft vrai qu'il y avoir quelques endroits où quelques-uns avoient manqué, & d'autres étoient reliés languifTants. Sur ce terrain fablonneux & même pier- reux qui avoir été labouré & planté en bou- leaux en Automne, on a répandu au mois de Mars fuivant de la graine de pin alTez clair femée ; &: comme cette graine n eft pas groife , & qu'elle ne doit être que légère- ment recouverte , on s'efl contenté de faire paifer la herfe deflus ; entre les rangées de bouleaux , le terrain s'eft applani , fans que la herfe ait arraché le jeune plant qui , par la méthode que nous avons détaillée , eft planté allez profondément en terre. On a femé & enterré à la herfe la faine , comme le pignon dans quelques endroits où la terre à paru VEGETATION, LIV.VjCh.XXÎÎÎ. I^J moins mauvaife, on a effayé d'y fcmer du gland & de la châtaigne ; mais tomme ces graines , plus groiïes , doivent être plus recou- vertes , on les a femées à la pioche , comme des fèves , entre les rangées de bouleaux. Cette pratique de planter les bouleaux & de femer , fous leur protedion , d'autres bois , eil très-économique : les femis faits de cette manière ont mieux réuiîî qu'on n'avoit lieu de î'efpérer dans un fi mauvais terrain ; les pins y ont pou^Téfort vite & font devenus très-beaux : on auroit dû les éclaircir , car ils font trop près les uns des autres en plufîeurs endroits , & ils fe nuifent ; mais ils font très -grands & très-beaux par-tout où ils fe font trouvés fuffifamment efpacés ; & cqmme ils couvrent le terrain , ils ont étouffé les bouleaux qui n'ont fubiifté que dans quelques clairières. Les chênes & les châtaigniers font deve* nus beaux en plufieurs endroits 5 le hêtre eft le feul qui ait pouffé foiblement : comment peut-il fe faire qu'un auffi heureux effai n'ait pas déterminé à mettre en même valeur qua- tre mille arpents du même terrain qui reflent toujours en friche à la porte d'une grande Ville où l'on eft tous les jours à la veille de manquer de bois , par la grande confommation qui s'en fait dans les maifons & dans les manu- iadures } 258 Traité de la CHAPITRE XXIV. Defcription & ufage d'un outil très -utile pour les fimis & les plantations, JLjEs opérations dont nous venons d^ parler peuvent être très-abrégées par le moyen d'un outil bien iimple ; je vais en faire connoître la forme & Tufage qui épargnent bien du temps & de la peine ; on peut s'en fervir pour repi- quer êc planter dans toute efpece de terrains, mais fur-tout dans ceux qui font pleins de carHoux , dont on ne pou rr oit les purger qu'à grands frais. Cet initrument mérite d'être connu , puîfqu à fon moyen on peut faire , à peu de frais , des plantations, des boutures , des fèmis & des garnitures de jeunes plants dans les terrains les plus ingrats & les plus difficiles : on en voit la repréfenta- tion , %. i^^^. , planche 2; fa hauteur totale eft d'environ quatre pieds : A , eft un mor- ceau de bois de chêne arrondi , qui a dix- huit lignes de diamètre ; il eft armé en bas d'une pièce de fer de forme conique & poin- tue , dans laquelle la pièce de bois eft forte- ment & folidement emmanchée , & fixée par deux forts clous en B & en C ; ce fer doit avoir huit à dix pouces de longueur : on voie vers le haut, en D, une efpece de cheville de fer qui doit y être fortement foudée & fixée à angles droits ^ cette cheville de forme Végétation, Iiv.VjCh. XXIV. i6^ quarrée doit avoir environ quatre pouces de longueur & environ un pouce de face ; l'ex^ trêmicé fupérieure de la pièce de bois, eft terminée par un manche qui la croife , comme une rarrière , en E. ; ce manche d'un bois dur , très -renforcé au milieu, y eft percé d'une mortaife qui doit avoir au moins un pouce en quarré. On pratique à l'extrémité de la pièce un tenon en quarré qui entre de force dans la mortaife de la pièce principale, dans laquelle on le fixe fermement , au moyen àçs coins chaiïes & enfoncés en deflus ; & pour l'y mieux fixer encore , on perce un trou dans lequel on fait pafler un clou : il faut avoir attention de difpofer l'armure de fer ^ de manière que la cheville qui y tient foie dans la diredion du manche , du côté droit* L'explication de cet outil bien fimple, don- née & entendue, on en voit d'abord l'ufage* Un homme tient des deux mains chaque côté du manche , il fouleve & pofe la pointe d^ Toutil à la place où l'on veut planter, & appuyant du pied droit fur la cheville de fer , il commence un trou , qu'il élargit en agitant l'outil ; enfuite , appuyant de nouveau le pied fur la cheville , il achevé le trou dans lequel on jette de la meilleure terre que l'on trouve à portée , jufqu'à la hauteur d'enviroa deux pouces de l'orifice, fi c'ett pour de grof- fe femence , ou moins fi elle eft fine ; on jette fur cette terre le gland , la châtaigne ou la noifette , & on achevé de remplir entière- ment le trou. On peut planter ainfi en ligne & même au cordeau, félon les efpaces & 270 Traite de là les intervalles qu'il conviendra de donner au femis. Si on veut repiquer du jeune plant, foit pour former un taillis , foit pour repeupler celui qui eft dégarni , le trou étant fait , en un indant , aflez profond & afiez large , au moyen de cet inftrument , même dans des ter- rains pierreux , il ne faut que jetter un peu de terre déliée dans le fonds du trou , pofer enfuite defllis la jeune plante, remplir enfuite de terre le trou , en la preiTant contre la racine ,• cette opération qui fe fait par deux enfants ou deux femmes qui fuivent celui qui fait les trous > eft très-expéditive & fe fait à peu de frais. S'il n'éil queftion que de planter des bou- tures ou jeune plant peu enraciné , on peut fe pafier de mettre de la terre dans les trous, fur-tout fi le terrain eft bon ; il fuffit d'en- foncer la bouture dans le trou , & de frapper au pied avec un marteau pour fermer le trou , en prefTant la terre. L'opération de faire les trous qui , fuivant tout autre procédé , eft la plus longue , eft celle qui fe fait ici le plus promptement : un homme les fait, tout en marchant , d'un feul coup de pied & fans peine dans un terrain facile ; mais c'cft fur-tout dans des coteaux , dans des terrains durs & pierreux qu'on en éprouve l'utilité , puifqu'on peut faire des fe- mis & des plantations où il feroit impolFible à la charrue, & très-difficile à la houe d'o- pérer , & cela fans faire aucuns frais pour préparer le terrain. Végétation, Liv.V,Ch. XXIV. 271 Je n'ai garde de vouloir faire efpérer que les arbres confinueronE de Téuflir aulîi-bien qu'ils le feroienc dans une terre bien remuée Se profondément labourée ; mais n'eft-ce pas beaucoup de pouvoir faire aulîi facilement des remplacements ou des. taillis entiers fur des coteaux intraitables par tout autre moyen ? Il ne faut pas croire que les femis & les plantations réullident d'abord dans un pareil fol & fans aucun abri ; mais il on parvient à faire croître quelques arbres de diftance en diftance , il deviendra plus facile d'en faire pouîfer d'autres fous l'abri de ces premiers ; & plus les plantes fe multiplieront , Ôc mieux elles profpéreront toutes en s'ombrageant ré- ciproquement. Outre futilité de cet outil pour femer & mettre en terre du jeune plant , il fournit le moyen le plus facile êc le plus expéditif pour planter àes boutures , comme je viens de l'ex- pliquer. Je puis préconifer cette méthode, parce que je l'ai beaucoup pratiquée , & je m'en fuis^ toujours bien trouvé : l'expérience s'accorde à ce fujet avec le raifonnement. En effet , la bouture que l'on enfonce fans réfiftance dans la terre, ne court point rifque d'être écorcée, comme il arrive à celle qui trouve de la réfiftance , foit par des pierres , foit par des blocs qu'elle rencontre dans le terrain oti on l'enfonce de force ; & on ne doit guère efpérer de fuccès d'une bouture qui eft écorcée & laciniée à fon extrémité , puifque c'eft là principalement, coname nous 272, ÏRAITÉ DE LA Texpliquerons plus amplement , que fe doit former une efpece de calus d'où doivent par- tir les racines. CHAPITRE XXV. De la culture du hledi Uoîqu'iL ne foit pas de mon fujet de' parler de la culture du bled , l'impor- tance de l'objet m'a engagé à faire l'applica- tion de mes principes à cette précieufe plante; les obrervations que je vais faire m'ont paru d'autant plus utiles qu'on les prend rarement en confidération : les gens de la campagne ne connoifTent & ne fuivent que la routine ; ils n^imaginént pas qu'on puifle faire autre chofe que ce qu'ils ont vu faire & ce qu'ils ont toujours fait. Eh, lai(îbns-les faire, difenc des hommes qui n'en favent pas davantage ; ils ont un bon guide ; leur intérêt les portera à faire toujours pour le mieux; c'eft leur mé- tier , ils le favent mieux que nous. Mais ce beau raifonnement pourroit s'appliquer à tous les Artiftes en général ; & on fait cependant que les arts ne leroient certainement pas por- tés au point de perfeâion où ils font pour la plupart actuellement , lî, abandonnés à ceux qui les profelTent , ils n'avoient été éclai- rés par des Savants : il e(t même à remarquer que prefque toutes les découvertes n'ont été iaites que par à^ hommes étrangers aux arts Vegètation,Liv. V, Ch.XXV. 2-73 arts qu'ils ont enrichis & perfedionnés. Il eft vrai que ii l'efprit de calcul d'jn Geô- imetre, ou la théorie éclairée d'un Méchanicieri peut le mettre en état de perfedioilner plu- îîeurs arts , fans forcir de fon cabinet , il n'en eft pas de même de l'Agriculture , art le plus utile & qui eft encore le moins approfondi &, perfedionné , parce qu'il ne peut faire dé progrès qu'au moyen d'une théorie éclairée par une faine phyftque , & fou mile à des expé- riences répétées & à^s obfervationâ fui- vies. Il faut des connoiftaiices préliminaires , qiii tnanquent aux gens de la campagne ; il failc en même temps un cours de connoifTances rurales , que ne peuvent avoir acquiies ceux qui ont prefque toujours habité les villes : de là, les premiers opèrent prefque toujours fans principes, bornés à leurs ulages; & les autres font des applications hafardées d'une théorie qui n'a pu être dirigée par l'expérience ; de là, des Traités d'Agriculture qui, loin de mériter la confiance des Agriculteurs , n'orlc fait que les éloigner de l'inftrudion , parce qu'ayant été trompés , comme ils le difent , par les Livres , ils font toujours dans la mé- fiance , & ne veulent rien croire de tout ci qu'on leur dit. Je fais cependant que fi dans la clafle des hommes que l'on appelle Laboureurs, il y en a un grand nombre li grolîiers , fi ignorants & a entêtés de la routine , qu'il eft bien diffi- cile de les faire revenir des abus qu'ils ne veu- lent pas voir , & de les porter à fuivre de Tome IIL S 2,74 Traité be la meilleures pratiques , il s'en trouve quel- ques-uns qui ont beaucoup de bon fens , & qui favent difcerner le vrai du faux quand on les aide à le reconnokre : c'eft pour ceux- là que j'écris , perfuadé que leur bon exemple & leurs fuccès engageront les autres à les imiter. J'aime à raifonner avec ces hommes inftruits & eftimables , & nous nous fommes ordinai- rement quittés contents l'un de l'autre. S'ils ont paru fenfibles & reconnoiflants des prin- cipes que je leur ai expliqués, des moyens que je leur ai donnés , j'en ai fouvent tiré de très-bonnes connoiflances. Ce ne font pas ces Laboureurs inftruits qui difent , comme ceux qui ne favent pas voir , que l'Agriculture eft portée au plus haut degré de perfedion ; plulieurs m'ont dit & prouvé par des détails fort juftes , qu'il feroit pofli- ble , au moyen d'une meilleure culture , de porter bs récçltes à un grand tiers de plus : on va voir les caufes principales de ces pertes annuelles. Avant d'entrer dans les détails de la culture du bled , qui doit être regardé comme le pre- mier objet de l'économie rurale, objet de la plus grande importance pour l'Etat , je crois nécelfaire de commencer par décrire & ex- pliquer les parties intérieures de ce précieux grain , fa germination , les progrès fuccefîifs de la plante qu'il produit , & l'ordre que la Nature obferve en le faifant croître & fruc- tifier. Je crois hors de doute que lorfqu'on eft VegetatioNjLîv, V,Ch. XXV. ij^ inftruit de ce que cette femence eft en elle- même, & de quelle manière elle doit végé- ter, on eft plus difpofé à réfléchir fur cd qui peut lui nuire ou lui profiter ; on eft plus préparé contre l'un ëc plus attentif à l'au- tre : ainîi j'ai lieu d'efpérer que la defcriptioil que je vais donner pourra être fort utile. Le grain du bled contient , i^. une fubitancé farineufe ; 2°. une ou plufieurs pellicules qui enveloppent la farine ; 3°. le germe où réfidê toute la vertu multiplicative du grain. La fubftance farineufe eft un compofé de petites vélicules ; étant humedée dans la terre ^ elle fert de nourriture au germe , jufqu a ce que trois feuilles vertes paroilfent , & alors la plante commence à tirer fon fuc nourri- cier par la racine i comme la farine humec- tée lui donne fa première nourriture ^ c'eft avec raifon qu'on l'appelle le lait de la plante. Le corps farineux dans tous les bleds , eft enveloppé de deux membranes ou pellicules brunes , entre lefquelles il y a des faifceaux fibreux qui fe prolongent jufqu'au germe ; en haut , où lé grain dans l'épi a été en plein air , on voit au feigle & au froment une ef- pece de petite platte-forme , criblée de plu- fieurs petits trous ou pores par lefquels l'hu- midité entre dans la farine & la change en une fubftance qui relTerable à du lait. Dans Forge & dans l'avoine les deux pel- licules brunes y font encore couvertes d'une croûte dure que l'on peuc aifément féparer , & en devant, du côté de la fente, d'une autre pellipule aflez roide. S 2, 27 Il ne feroit queilion que de veiller à itiain- tenir entr'elles une certaine proportion , une ef- pece d'équilibre qui empêchât que les forces de l'une ne pafîaiTent à l'autre en trop grande quantité. Le peuple de la Ville paroît né pôiit* îê travail des Manufadures qui y font établies : pourquoi permettre qu'on en tire encore en îî grand nombre des Campagnes ? Voilà l'a- bus funefte auquel il feroit aifé de remédier! mais l'examen des circonftancés aduelles ne peut guère nous le faire efpérer. Tout eft en faveur des Manufadures; J^ dis tout : les hommes qui font à leur tête ont pour la plupart de l'éducation , des con- noiflanees, de l'efprit, & par conféquent des protedeurs & des amis ; ils ont des relations par eux-mêmes & par leurs députés avec les Miniftres. ^ Des mémoires bien faits expofent fouvenc des demandes qui font rarement refufées. Eil- il permis d'établir aucun parallèle entre ces agents puiflants & favdrifés des Manufadu- res avec ceux de l'Agriculture ? Quelle diffé- rence à tous égards , par rapport aux quali- tés perfonnelles , à l'éducation, aux lumiereSjj aux moyens de fe faire écouter & de per» fuader , aux égards perfonnels , aux relations , aux recommandations , &c. ? Oa. voit que^^ Tome IIL V ' go^ Traité de la relativement à ces confidérations, tout efl d'un côté , & rien de l'autre. Des hommes bornés pour la plupart à un travail grofîier & machinal , qui n'ont que peu de connoiiTances des vrais intérêts de leur état ; d'autres, avec plus d'efprit & de lu- mières , n'ont ni les moyens , ni le pouvoir de faire des repréfentations , & encore moinâ de les faire valoir. L'agriculture ne peut donc recevoir de fecours & de protedion que de la fagefie éclairée du Gouvernement qui doit fe tenir à'autant plus en garde, que les uns font en polTeîîion des moyens de demander & d'ob- tenir , tandis que les autres ont beaucoup de difficulté à expofer leurs befoins. Qu'on ne croie plus aux faux rapports de ceux qui difent qu'il y a affez.de monde dans les campagnes , quand on faura qu'il périt tous les ans une quantité de bleds étouffés ^ar les herbes , faute de bras pour les farder , & qu'il fe perd beaucoup de grains , faute de moilTonneurs pour les couper à temps. Il elt de fait que telle paroiiTe qui fournif- foit autrefois trente à quarante garçons pour le tirage de la milice , en fournit à peine quinze aujourd'hui ; où font - ils ? dans les villes. Mais en attendant que l'on prenne les moyens ^'empêcher cette fatale défertion dans les cam- pagnes , examinons les conditions néceffaires dans la préparation de la terre & dans les femailles , pour mettre le Laboureur en état Végétation , Iiv. V , Ch. XXV, 307 jd'efpérer une bonne moiffbn îil y en a fîx prin- cipales qu'il faut Dbferver , fans en omettre Une feule , parce qu'elles font toutes ii elTen- tielles que celle qu'on auroit négligée fuffi- roit pour déranger l'effet des autres 5 ces con- ditions font : 1°. Que la terre foit labourée profondé- ment. 2°. Qu'elle foit aiTez amollie. 3". Qu'elle foit bien amendée & àîTeï gralTe, 4.*^. Que la femence entre affez profondé- ment dans la terre , & qu'elle en foit bien irecouverte & enveloppée. * ^°. Que les grains foient alTez écartés les uns des autres. 6®. Que la terré foit pàrfajtemejo t. nettoyée .des mauvaifés herbes en tout temps. Que la terre foit profondémen't labourée : j'ai déjà parlé amplement de cet article aulll çlTentiel qu'il eil négligé ; je dirai feulement ici que s'il eft néçeSaire , pour le fuceès de toute efpece de plantes , que là terre foit pro- fondément remuée , c'êfl fur- tout . pour lé bled ; l'examen de fa végétation le prouvé fuffifamment. L'effet de la raréfadion Se de la condenfation dansla terre devient tdtîiours plus puilTant à mefure que le terrain a été bien creufé & remué ; & c'efl cet ,effet qui fait alonger & pénétrer plus profondément les racines de la plante qui en ^ devient d'au- tant plus forte ôc plus affermie en terre, & par conféquent moins fujette à être renverféfc Va. 3o8 Traité delà Les tertes fableufes & légères ne fe labou- rent & ne fe divifent que trop aifément ; mais il n'en eft pas de même des terres fortes & compades : quelques labours qu on leur donne & qu'on ne fauroit trop multiplier dans ces fortes de terres , quel que foit le herfage qu'il faut faire en long , en travers & en tous fens, il refte toujours beaucoup de blocs plus ou moins gros , qu'il eft bo4i de brifer & de ré- duire en poulliere , autant qu'il eft pofîible , afin que la terre , ainfî amollie , puiiîe plus facilement recevoir les influences de lair & de l'eau , & fe pénétrer d^s engrais qu'on y répand. Si ces blocs n'étouffent pas la femence ] ce qui arrive communément, elle .y réufîit fort mal : nous avons vu que les germes du bled fe multiplient en plus grande quantité & fe fortifient mieuK dans une terre aTuoliie où les racines peuvent plus aifément pénétrer. V Ç'efh pourquoi , d'après l'infuffifance reconî- nue de nos inftruments aratoires , il faut faire ufage pour cet effet du rouleau dont nous parlerons au Chapitre fuivant , ufage excel- lent pour écrafer & réduire en poulliere les mottes que la herfe ne fait que retourner fans les divil'er. Tout le monde fait que la terre, quelque fertile qu'elle foit par elle-même, s'épuife par "des produdions répétées , & qu'elle a befoin de recevoir une redit ution de fucs nourri- ciers que les amendements & les engrais lui donnent. Mais a-t-on foin de lui en donner Végétation, Liv.V,Ch. XXV. 509 afTez ? Il s'en faut bien que cet objet eflentieî foit pour l'ordinaire fuffifamment rempli : outre les ufages abufifs des Laboureurs in- confidérés , qui , transformés en Voitu tiers , répandent dans les chemins & dans les auber- ges le fumier de leurs chevaux; outre la cou- tume abfurde de laifler laver par les eaux ceux qui leur relient , ils fe contentent de porter fur leurs terres le peu qu'ils en ont , fans prendre foin d'en augmenter la quantité par les moyens que nous avons indiqués ; de~ là un tiers de leurs terres , qui n'en peut recevoir , reRe en friche tous les ans , & les deux autres tiers font foiblement amendés. Nous avons vu que quand la femence da bled entre aiïez profondément en terre , il s'y forme des nœuds , d'où il part de noavelles plantes ; cette coniidération prouve combieti il eft eflentieî que cet objet foit rempli : mais il malheureufement il ne peut pas l'être tota- lement par le moyen des herfes , au moins faut-il remédier à fon infuffifance ; t-on, comment le Laboureur, f3ont le défaut n'ell pas de prodiguer fon grain , en jette-t-il ainfi à pure perte , moitié plus qu'il ne faut ? Qui , il le fait j & voilà pour^ Quoi il ie fait. i^. Le^Laboureur n'a rien de bien réglé fur pela ; il feme au hafard , l'un plus , l'autre moins ; il jette par poignée le grain qu'il ré- pand en marchant , & tout ce qu'il peut faire de plus juite , eft de régler fa marche fur la Qua^ntité de grain qu il prend fuccefîivement dans l'efpece de tablier retrouffé qu'il porte fdevant lui , foit à fa ceinture , foit en ban- doulière fur fon épaule : a femence ne peut être ainii bien également difperfée & répan- due ; Se pour qu'il y en ait par-tout , il faut en répandre une plus grande quantité. Ce îïial , plus ou moins grand dans l'ijfage fie fcm.er à la main , avoit fait imaginer une machine , nommée femoir , qui répand à la fuite de la charrue à laquelle il efl adapté , les graines efpacées convenablement. Mais quoique les avantages de ce femoir aient été bien démontrés , fon ufage ne s'eft pas trouvé être afîez facile pour être adopté par les La- boureurs auxquels il ne faut que des inftru- ments folides , peu compofés , qui ne foient pas fujets à le déranger , & qui n'exigent pas d'attentions ni de réparations fréquentes. Le bled feme à la i;Bain & recouvert par Vegetation,Liv. V,Ch. XXV. 311 là herfe , ne Teft jamais qu'irnparfakement; il en relie beaucoup de grains à découvert qui font mangés par les oifeaux ; & ceux qui ne font recouverts qu'imparfaitement , germent mal ôc périlTent pendant l'Hiver. Comme le Labou- reur doit compter fur toutes ces différentes pertes , il faut y obvier par une furabondance de femence. Au furplus , la terre n'ayant point été ni aflez bien , ni aflez profondément labourée , ni fufîifamment amendée, la femence n'ayant point été préparée , ou pas aufîi bien qu'il le faudroit , ayant été mal couverte , mal "rap- prochée de la terre , il n'en provient que des plantes foibles , produifant peu d'épis ; & âinli il convient qu'elles foient femées plus drues. Mais lorfque tout ce que nous venons de recommander a été bien obfervé , on ne doit pas craindre de femer clair & de ménager la femence , parce que les plantes vigDureufcs & multipliées qui en proviennent, exigent de l'efpace pour y étendre leurs touffes & déve- lopper une grande quantité de tiges & d'épis : elles fe nuiroient beaucoup , û elles étoient trop rapprochées. Enfin , on fait & on convient que les mau- vaifes herbes nuifent infiniment aux bleds y mais cependant on les y laifTe ou en tout ou en partie. Je ne hafarde point en difant , d'après l'examen que j'en ai fait , que dans notre Province de Normandie , fur vingt champs de bled , on a fouvent bien de la peine a ea trouver deux qui aient été bien purgés de mau- jii Traité de la vaifes herbes ; le relie ne l'eft point du tout pu l'eft fort mal ; car ceux qui paflent ordi° liairement pour prendre le plus de foin à cet égard , croient avoir bien farcie leurs bleds lorfqu ils en ont arraché les chardons ou au^ très plantes qui s'élèvent aufïï haut , tels que font les coquelicots , les navettes 3 les bluets , &c. ,' mais combien d'autres herbes plus baf- fes , & fouvent plus nuifibles aux productions des plantes , les olFufquent , les aftament & ^touifent les tiges latérales qui avortent fous ces mauvaifes herbes , qui répandent leurs graines & infedent d'autaiit plus le terrain Içs années fuivantes ! J'ai remarqué quelques champs qui produi- fent régulièrement plus de coquelicots & de bluets qu'ils ne produifent d'épis , auxquels on ne donne jamais aucun farclage. Ayant parlé de cette négligence à un pro-^ priétaire , il m'affura que le farclage feroit inutile , parce que la nature de ce terrain étoit de produire des bluets & des coqueli- cots : tel qui rira de cette idée abfurde , en a peut-être d'autres qui ne valent pas mieux , à en juger par les erreurs qu'il e-lt ordinaire d'entendre foutenir & de voir pratiquer , & par le peu de connoiiTances que l'on cherche à acquérir dans l'agriculture. le citadin loue fa ferme le plus qu'il peut , & le fermier fait comme il yeut , & tout eft bien pourvu qu'il paie ; mais quoique les cir-r çonitances foient devenues très-favorables aux fermiers, qui en général s'enrichifTent depuis quelques aniiées , il y en a cependant de i\ VEGETATION, Il V.V,Ch. XXV. 313 mal entendus & de lî négligents qu'ils fe rui- nent : combien ne feroit-il pas à délirer que les Maîtres fe miflent en état de les éclairer fur leurs cultures & fur leurs véritables inté- rêts? Je l'ai dit , je le répète , ce ne feront jamais les Payfans, entichés de leur coutume Se d'ail- leurs peu inftruits , qui pourront perfection- ner l'agriculture ; elle ne peut faire de pro- grès que par les lumières d'hommes plus éclai- rés qui feront des expériences, donneront de bonnes inftruâions & de bons exemples aux Laboureurs , qui n*ont pour l'ordinaire ni la tolonté , ni le temps , ni les moyens de faire des effais. Nous finirons ce Chapitre qui fem- blera trop étendu à quelques-uns , & qui pa- roîtra peut-être ne l'être pas aiïez à d'autres , pour parler dans le fuivant d'un rouleau très^ ytilç pour le fuccès àcs femences. 314 Traité de la CHAPITRE XXVI. T)efcrïption d*un JRoukau très-utik pour les Semis. j E vais prouver que quand le bled eft femé & recouvert autant qu'il fe peut par la herfe, âl refte à faire une opération bien importante , dont je vais détailler les bons effets ; & je vais d'autant plus m'attacher à en démontrer l'u- tilité, qu'elle eft abfolument ignorée dans plu- fîeurs pays , & négligée ou mal pratiquée dans les autres ; c'eft de faire paffer un rouleau fur la terre qu^on vient d'enfemencer. Uufage de ce cylindre ou rouleau n eft pas entièrement méconnu par -tout; mais il eft bien rare de le voir employer avec intelli- gence & dans la forme qu'il doit avoir pour faire l'effet qu'on en attend. J'ai vu des rouleaux de bois de fix pieds de longueur & d'un pied de diamètre que l'on fait tirer avec peine par un cheval ; les uns dans l'intention de brifer les blocs & d'unir le terrain ; les autres pour écrafer les feuilles de la plante au Printemps, & la faire, difent-ils , mieux patter. Mais les uns & les autres ne doivent-ils pas voir que leur objet eft manqué ? Comment ne s'apperçoivent-ils pas que ce long cylindre, répondant à une trop grande étendue de la furface du terrain , ne porte uniquement que fur deux ou trois émi- iiences, par-deflus lefquelles fon mouvement VEGETATION, LiV,V,Ch.XXVÎ. 315 & foii peu de poids le font fauter , fans même beaucoup d'effet , pour les parties élevées , & fans toucher aucunement aux parties qui font plus baffes? Quelques-uns s^apperçevant que ces longs cylindres de bois font à peu près de nul effet , ont voulu faire ufage de cylindres de pierre; mais s'ils font petits, ils ne font guère plus d'effet ; & Iprfqu'ils font très-gros ^ pefants , un cheval ne peut plus les tirer. On fait lîfage en Angleterre de cylindres de fer qui ont trois ou quatre pieds de dia- mètre , & tout au plus trois pieds de lon- gueur. Ces cylindres qui n'ont à leur circon- férence qu'environ deux pouces d'épaiffeur font figurés comme l'étui d'un manchon , qui n au- roit point de fond ; deux diamètres de fer qui fe croifent à angles droits à chaque bout , font folidement fixés à la circonférence , & font traverfés par un axe de fer. Ces cylindres rempliffent très- bien & très- facilement Tobjet qu'on fe propofe ; & quoi- que très-péfants , un petit cheval ou deux hommes les font aifément mouvoir , à caufe de leur grand rayon. Mais çonime ils font chers & inconnus en France , je vais donner la defcription d'une pareille machine , conftruite en bois , qui efl également d'un très-bon ufage. Il faut commencer par faire conflruire deux roues , telles à peu près que les petites roues d'un chariot, qui aient environ quatre pieds fie diamètre ; il fufht que ces roues aient fix raies ou rayons fur un moyeu percé en 3i(S Traite de la quarré , & qui ne doit pas être fort gros ni fort long ; ces roues entreront un peu de force dans un axe ou aiffieu de fer quarré , mais arrondi à chacune de fes extrémités ; enfuite on appliquera fur la circonférence des jantes de ces deux roues des morceaux de bois de chêne d'environ quatre pouces de lar- geur , de deux pouces d'épaifleur , & d'envi- ron trois pieds de longueur ; ~ ces pièces de bois feront foîidement fixées furies jantes avec de forts clous. Cette machine, ainfi conftruite, aura la forme d'une roue dans laquelle on met un chien pour tourner la broche. Il fera bon de la faire couvrir enfuite de trois lar- ges cercles de fer ; ce qui augmentera faibli- dite & fa durée , de même que fon poids. L'axe étant fixé dans les deux moyeux des roues , cette machine tournera dans deux an- neaux de fer , arrêtés par des écrous aux deux extrémités de l'ailfieu ; il y aura à cha- que anneau un crochet de fer auquel on atta- chera une chaîne ou corde qui fera Ry^ée de l'un & l'autre côté à un morceau de bois un peu plus long que la roue, auquel on atta- chera le cheval : on voit à la planche 2 une figure de ce rouleau. Examinons adueîlement Fufage & les bons effets de ce rouleau. 1^ Son poids que l'on augmente par les cercles de fer , ou , fi l'on veut encore, au moyen d'une groîTe pierre percée que Ton fait paifer dans l'axe entre les deux roues ; ce poids , dis-je , bien plus confidérable que celui d'un rouleau de bois ,1e fait appuyer bien davantage VEGï:TATÏOîT,ItV. V,Ch. XXVî. 317 fur le terrain, & le mec en état de l'unir en brifant & écrafant les blocs. 2°. Quoique beaucoup plus pefant , il eft plus aifé de le faire mouvoir & rouler, parce que, comme on fait, plus le rayon a de- tendue , ou ce qui eil la même chofe , ^plus le levier a de longueur, & plus la puiffance augmente de force ; & le rayon de cette ma- chine ayant deux pieds de longueur , il s'en- fuit que la puiffance a quatre fois plus de force pour le mouvoir , qu'elle n'en auroit pour mouvoir un rouleau de fix pouces de rayon , fans compter l'avantage du tirage paral- lèle fur le tirage incliné. 3^ Ce rouleau ayant plus de poids & moins de longueur, doit porter, iinon également, au moins beaucoup mieux fur toutes les par- ties du terrain. Après avoir examiné les avantages de la conftruction de cette machine , confidérons les fervices importants qu'on en peut tirer. Si on fe rappelle l'article elfentiei que j'ai démontré & recommandé , particulièrement pour les fuccès des femis en général, on ne doutera point de la néceiîîté de battre , de preiTer , enfin d'affermir les parties dc'la terre contre les graines , de manière qu'elles en foient bien enveloppées. Mais les détails dans lefqueîs je viens d'en- trer au fujet de la germination & de la végé- tation du bled démontrent évidemment que cette femence a encore plus befoin que toute autre d'être bien enterrée pour pouvoir réuîFir. Nous avons vu que fa première radi- 5iB Traité de % k cule eil très-courte , & par eônféquent la moindre cavité où elle donneroit , fans pou- voir toucher la terre ^ la feroit avorter ou Tempêcheroit de profpérer : c'eft en quoi l'o- pération de la herfe feule eft certainement ibien infuffifante ; & û les pluies qui furvien- nent heureufement à la fuite de ces femis fï imparfaits, ne battoient, ne raîfermiflbient pas un peu le terrain , on verroit encore mieux les preuves de ce que j'avance avec certi- tude. '. 11 eft vrai que comptant fur la quantité de grains qui manquent néceffairement par l'imperfedion de la culture , le Fermier eft dans Tufage d'en répandre quelquefois moi- tié plus qu'il ne faudroit. Mais cette profu- îion ne remédie pas entièrement au mal. L'ad- dition que je vais propofer à la culture or- dinaire , lui donne une perfedion qui produit une fuite d'excellents effets ; j'en fuis égale- •inent aiTuré par lé raifonnement & par l'ex- périence. ' Lorfquon a donné le dernier labour ^ il faut , avant de femer y faire pafTer fur le ter- rain le rouleau dont je viens de donner la defcriprion , répandre en fuite la femence ^ -herfer^aulîi-tôt & faire après repaffer encore le rouleau : détaillons les effets de ces deux importantes opérations. 1°. Le ^premier roulage é<:rafe , pulvérife les mottes & les blocs , remplit les cavités , & unit le terrain fur lequel la femence eft reçue plus uniformément & pofe plus immé- diatement. Végétation, Iîy.V,Ch. XX VI. 319 2*. Le fécond roulage , après le femis & le herfage , applatit & pulvérife les plus gref- fes parties de terre que la herfe avoit rer muées , & la démolition des blocs de terre recouvre la feraence dont la herfe avoit laifTé une grande partie à découvert. Les femences ainfi mieux recouvertes fe trouvent prefTées & bien enveloppées par les molécules de terre plus divifées ôc plus amol- lies ; car c'eft fur-tout dans les terres fortes & compades 011 cette opération produit le plus grand bien, quoiqu'elle foit très-bonne pour toute efpece de terrain. 3°. Les femences mieux recouvertes & en- terrées , ne font pas expofées à être mangées par les oifeaux ou à germer à pure perte ; c'eft pourquoi on en doit répandre beaucoup moins en fuivanc cette culture , fur-tout fi on a labouré profondément & iî les femen- ces ont trempé dans des eaux falines ou graf- fes ; car pour lors on peut compter qu'elles formeront des paquets de racines beaucoup plus forts , plus étendus , & par conféquent il en partira une plus grande quantité de tiges bien nourries. 4*". Les graines reftent , pour ainfi dire , incruftées dans le terrain par la prellion du rouleau qui rapproche de la femence les mo- lécules de terre , qui la prelTent & l'envelop- pent immédiatement , & ne laiiTent plus ou beaucoup moins de cavités où la radicule fe feroit trouvée ifolée & fans nourriture. Cette radicule , quelque courte qu'elle foit , s'y en- fonce d'abord & fe ramifie , comme nous l'-a* 320 Traité dé la vons expliqué, en racines chevelues, qui s^ étendent d'autant mieux que la radicule s'eiî bien nourrie & fortifiée. C'eft , comme nous l'avons expliqué , de la vigueur & de l'éten- due de ce paquet de racines & des nœuds qui s'y forment, que dépend la multiplication plus ou moins grande des tiges ou tuyaux de la plante , & par conféquent de la quan- tité des épis. 5°. Enfin , le terrain prefTé & raffermi , donne aux racines de la plante une tenue plus forte qui les met en état de mieux réfîfter au choc dçs vents , des grêles , des pluies qui trop fouvent déracinent , abattent & font verfer les bleds dans un terrain mou & creux , fuf^ tout loriqu il a été trop divifé par les fumiers & qu'il y a beaucoup de cavités. Uexpérience prouve que la plante dont les racines fe font bien étendues dans ce terrain prelTé & raffermi , s'y foutient bien mieux, & que les bleds font moins fujets à verfer, quoiqu'ils foient chargés de plus gros épis (& en plus grand nombre ; car la Nature a foin de donner à la colonne de l'édifÎGe affez de grolfeur & de force pour porter le cou-* ïonnement , & l'on voit prefque toujours dans les bleds verfés que ce font les plus foibles tuyaux qui ont plié fous le poids d'un petit épi. Il en e(t de même de plufieurs autres plantes ; par exemple : j'ai des hyacinthes dont les fleurons nombreux furpalFent le diamètre d'un écu de fix francs , & forment un aîTez gros bouquet qui fe foutient très-bien fuf^fa tige quieit proportionnée au poids qu'elle doit fupporcer , VEGETATION, LîVT.VjCh. XXVI. 32Î fupporter , tandis que d'autres hyacinthes qiti n'ont que de petites fleurs & en petite quan- tité , ont de 11 foibles tiges qu'elles fe cour-^ bent & tombent par terre , û on n'a pas foin de les foutenir. Il en eft de même des bleds dont les tuyaux plus gros & plus forts por- tent & foutiennent très-bien de plus gros épis. L'expérience prouve qu'il eft nécefTaire dt prefler , de fouler la terre pour faire réuflit le bled ; mais au lieu de prévenir le mal , on fe contente d'y remédier. Par exemple , lorf- que vers la fin de l'Hiver , on s'apperçoit que la fane du bled jaunit , alors on foule là terre , comme on le fait en plulieurs endroits ^ en faifant paiïer fur ces bleds , les hommes , les femmes , les vaches , les chevaux , leS eharrettes & même les moutons , ayant atten- tion de les y faire pafTer rapidement , fans leui^ donner le temps de paître. On remarque toujours que l'endroit le plus foulé eft celui où le mal eft le plus radica- lement guéri , & les plantes les plus vigou- reufes qui donnent le plus de grain , fe trou- vent toujours dans les trous formés par les pieds des chevaux. Quelque défordre que* ce remède opère en apparence fur ce bled foulé Se fouvent déchiré par le pied des chevaux , les Cultivateurs intelligents, qui le pratiquent^ ne manquent jamais de reconnoitre que le produit d'un champ ainiî traité , eft beau- coup plus eonfidérable que ne Teft celui d'un pareil champ où l'on ne remédie pas ainfi à la maladie du bled. Mais d'où vient cette maladie qu'il eft h'im Toîm III, X 32,2 Traité de la mieux encore de prévenir que de la guérir ? C'eft que dans les terres , fur -tout lorf- qu elles font légères ^ qui n'ont pas été fou- lées dans le temps des femences , il efl relié des cavités qui augmentent encore par la pour- riture & la décompofition des engrais , qui forment des vuides , & rendent la terre encore plus creufe qu'elle n'étoit. Outre les incon- vénients qu'occaiionnent ces vuides pour la radication du bled , le ver s'y nourrit & s'y maintient , lorfqu'il ne gelé pas aflez fore pour le faire périr , & il endommage la jeune plante ; de là cette jauniffe ^ cette maladie à laquelle on remédie , comme nous venons de le dire , mais qui n'a point lieu lorfque la terre a été bien foulée en femant. Dans une plaine où j'ai vu beaucoup de bleds verfés , je remarquai qu'un feul champ y quoique très- étendu Se couvert de très-beaux bleds , étoit exempt de cet accident ; je fus curieux d'en rechercher la caufe : je fus trou- ver le propriétaire ; & après lui avoir fait quelques queftions : voilà , me dit-il , la caufe de ce que vous voyez , en me montrant un rouleau qui, quoique très - imparfait , avoit produit un lî bon effet. Je lui expliquai la conftrudion de celui dont je viens de par- ler ; il me remercia , en me difant qu'il le feroit exécuter. Mais, lui dis -je, pourquoi vos voifins ne fuivent-ils pas le bon exemple que vous leur donnez ? Ils le feront peut- être , me répondit-il ; mais c'eft qu'ici comme ailleurs , on ne fait que ce qu'on a coutume de faire , & on s'en tient toujours là : comme Végétation, Iiv.VjCh.XXVL 323 j'ai beaucoup voyagé , & que j'ai perdu lef- prit de routine , je me fuis avifé de pratiquer ici ce que j'ai vu faire avec fuccès en Flan- dres ; j'ai fait creufer & labourer profondé- ment mes terres ^ je les fais rouler , & je m'en trouve bien ; mes voilins ne peuvent plus fe moquer de moi, comme ils ont fait, en me voyant labourer ainlî ; ils difoient que î'allois amener la mauvaife terre defTus la bonne ; que j'allois tout perdre , &c. : ils voient bien aduellement le contraire ; mais cependant ils n'en paroifTent pas moins entê- tés dans leurs préventions & leur routine ; & les louanges qu'on me donne paroifTent exciter plutôt leur jaloulie que leur appro- bation. Revenons à l'opération de notre rouleau. Si dans des terrains mous , il arrive que le cheval enfonce trop ^ Se qu'il falTe des trous que le rouleau ne peut recouvrir , lorfqu'ils font profonds , il faut pour lors le faire traî- ner par deux hommes , qui le feront fans peine ; on ne doit pas craindre que leurs pas faflent aucun tort , puifqu il eft aifé de re- marquer que il un chalTeur ou tout autre a pafle fur un champ nouvellement enfemencé^ on voit toujours que c'eil: à l'endroit qu'il â- foulé que croiiTent les plus belles & les plus vigoureufes plantes ; ce qui , en confirmant ma théorie & mes principes , eft analogue à ce qui arrive dans les fentiers trépignes , en- tre les planches d'un potagen On fait ufage de ce rouleau en Angleterre ^ non-feulement dans les champs enfemencés ^ •X 1 324 Traité de la Végétation , &c: mais fur les prairies pour y faire croître au Printemps les herbes plus touffues & plus fortes : M. le Maréchal de Harcourt , qui me permettra encore de le citer , l'emploie avec fuccès dans fes hauts & bas prés. PuilTe tout ce que je viens de dire de cet excellent procédé , engager les Cultivateurs à le fuivre ; il me fera permis de penfer que j'aurai fait beaucoup de bien : & c'eft l'objec que je me propofe. Fin du cinquième Livn. TRAIT THÉORIQUE ET PRATIQUE DEL A VEGÈTATIO m LIVRE VI. D&s Plantations à de la. croijfance des Arbres, CHAPITRE PREMIER. Examen de la croiffance des Arbres en groffiur» N Ous avons examiné dans le Livre pré- cédent , les femences , leur germination & leurs progrès ; elles nous ont donné des ar- X3 525 T R AITE DE LA bres qui font encore, pour ainlî dire, dans l'enfance : nous allons aduellement fuivre leur accroiffement fucceflîf & leur éduca- tion. ' Nous avons vu que quand la radicule s'eft enfoncée en terre , qu'elle s'y eft étendue , fortifiée & qu'elle a jette d'autres racines fi- breufes , la jeune tige fort de terre avec les lobes qui font l'office de feuilles que l'on nomme féminales ; que celles-ci fe deflechent & tombent , devenues inutiles lorfque la tige a pouffé d'autres feuilles qui tombent en Au- tomne, & pour lors la tige refte terminée par un ou plulieurs boutons. Au Printemps fuivant le bouton de l'extré- mité s'ouvre ;- il en fort une tige herbacée , femblable à celle qui étoit fortie de la fe- mence , qui pouffe & s'alonge de même ; c'eft-à-dire , tant que les parties font herba- cées , tendres & dudiles ; car quand elles font devenues ligneufes & dures , leur exten- iion celfe. Si pendant la féconde pouffé on fend h tige fuivant fa longueur , pour en examiner l'intérieur , on voit que la poufîe de l'année précédente efl formée de l'écorce , d'un cône ligneux & de la moelle ; il n'en eft pas de même de celle qui fe développe alors ; elle efl entièrement herbacée , fur-tout vers fon extrémité , & on ne trouve prefque, fous une écorce très-tendre, qu'un tiffu herbacé & très- abreuvé. Ce nouveau bourgeon qui doit fe convertir en bois , eit encore fort tendre & fprt mince : on n'y apperçoit que des fibres VEGETATION , IlV. VI , Ch. I. 327 très-fines , pliées en fpirales , qui font les ru- diments des fibres iigneufes , que l'on avoiE nommées d^s trachées. Il ell prouvé par plulieurs obfervations , & par des expériences répétées d'après d'habi- les Phyliciens , que le corps ligneux , une fois formé , foit à la tige , foit aux bran- ches , ne prend plus d'exteniîon , ni en lon- gueur , ni en grofieur j mais comment donc un arbre augmente-t-il chaque année , fuivant ces deux dimenlions ? C'eft ce que nous allons examiner. La Fig. 4, PL 2, repréfente en A B la por- tion ligneufe d'un arbre venu de femence , pendant la première année : l'année fuivante il fort du bouton B un bourgeon qui s'élève jufqu'en C ; mais en même temps il fe forme des couches Iigneufes fur le cône A B , & cet arbre augmente de lepaifTeur qui eft om- brée dans la figure & marquée I , & forme à la fin de la féconde année un arbre A C. Au Printemps fuivant le bouton C. s'ouvre; il en fort un bourgeon qui s'élève jufqu'en D ; il fe forme aulfi des couches Iigneufes ; 8c cet arbre âgé de trois ans , peut être repré- fente par A D. On voit vers F , fur la coupe tranfverfaîe de cet arbre , les quatre couches Iigneufes , qui ont été formées pendant ces quatre pre- rnieres années. . Cette figure , dont plufîeurs Auteurs fe font fervis pour cette démonftration , eft ef- fedivement très -propre à faire comprendre comment les arbres croifTenc en hauteur & X 4 328 Traité de la en grofleur , & pour peu qu'on y prête at- tention , on conçoit : 1°. Que les couches ligneufes peuvent être comparées à des cônes qui fe recouvrent les uns les autres. 2°. Que le diamètre des arbres augmente tous les ans de deux épaifieurs de cou- ches. 3°. Qe Taccroiflement des arbres en hau- teur fe fait par l'éruption des bourgeons qui fortent des boutons, comme la première pouf- fe fort de la femence ,• ainfi la crue de cha- que année forme autant d'arbres qui font en quelque façon placés les uns au-deffus des au^ très , mais liés enfemble par les couches li- gneufes qui s'étendent de toute la hauteur de l'arbre ; ce qui fe fait par juxtapojîtion , & fort dièéremment de ce qui s'opère dans les animaux. On voit fenlîblement qu'au pied & au centre de l'arbre il y a du bois de quatre ans , pendant qu'à l'extrémité & à la cime de cet arbre , comme ici depuis D jufqu'en C , le bois eft de la dernière année. L'accroiiTement des arbres en hauteur fe fait donc par les nouvelles pouffes ou bour- geons qui fortent des boutons. Examinons maintenant comment ils croiffent en grof- feur. Tous les Phyficiens conviennent que les- arbres augmentent en groffeur par des cou- ches ligneufes , additionelks au bois déjà for- mé \ mais on n'eft point d'accord fur l'origine & la formation de ces nouvelles cqu- cheSo VEGETATION , IlV. VI, Ch. I. 329 L'aire de la coupe tranfverfale d'un tronc d'arbre préfente des cercles ou zones à peu près concentriques : les arbres font formés par ces couches , qui fe recouvrent les unes les autres ; chaque couche très-diftinde , eft le produit de la végétation d'une année. Mais l'obfervation fait connoître qu'elle eft com- poféc de l'agrégation d'un grand nombre de couches panielles & très-minces , qui fe fonc formées fuccellivement pendant toute la durée de la fève. Ces faits bien connus , il n'eft plus queftion que de favoir comment fe for- ment ces couches partielles , dont l'agrégation compofe le corps ligneux & additionnel cha- que année ^ bois ordinairement tendre & blanc, connu fous le nom d'aubier ; mais qui change de couleur & durcit avec le temps. Les opi- nions ont été fort diverfes ôc partagées à ce fujet. Malpighy dit que ce font les couches les plus intérieures de l'écorce , celles qu'il nom^ me liber, qui fe convertilTent en bois , & qui, s'attachant au bois précédemment formé , produifent l'augmentation des arbres en grof- leur. ' Grew a paru varier dans fon opinion ; il femble d'abord être de celle de Malpighy : mais enfuite il n'admet point la converfion du liber en bois ,• il fait émaner les couches ligneufes du corps même de l'écorce, ^j/e^ , ce Naturalifte fi éclairé , qui , par un taâ: fin , des vues bien dirigées , a fu fe préferver des erreurs dans lefquelles font fouvent tom- bés les deux Auteurs que je viens de citer; 330 Traité de la enfin , ce Phyficien qui n'a prefque jamais prononcé que d'après l'expérience , a jugé que les dernières couches ligneufes fortent du bois précédemment formé. Il prétend que ce font les dernières couches du bois formé qui produifent la nouvelle couche , qui , par fon endurciflement , fait l'augmentation de grof- feur du corps ligneux. On doit penfer , dit- il , que les couches ligneufes de la féconde , troiiieme année , &c, ne font pas formées par la feule dilatation horizontale des vaif- féaux , mais bien plutôt par une extenlion des fibres longitudinales , oc des tuyaux qui fortent. du bois de l'année précédente , avec les vaifTeaux duquel ils confervent une libre communication. Il ajoute en un autre endroit ^ à l'occafion d'une tumeur qu'il a fait naître fur une branche , que le bois de cette tumeur efl évidemment forti du bois de l'année pré- cédente par des interfaces ferrés : d'où il femble conclure que l'accroifTement des nou^ velles couches ligneufes de l'année , conlifte dans l'extenfîon de leurs fibres en long fous l'écorce. Nombre d'expériences & d'obfervations viennent à l'appui de cette opinion ; mais il faut pour la rendre complette & plus intel- ligible , lui donner toute l'étendue qu'elle doit avoir. Il n'y a point d'Obfervateur , quel- que peu attentif qu'il foit , qui n'ait vu fuin- ter du bois couvert , ou même découvert de fon écorce, une matière d'abord très-flui* de , qui devient enfuite glaireufe par l'évapo- ration d'une partie de l'humidité , & qui fç \ VEGETATION, IlV.VI , Ch.I. 331 durcit & prend de plus en plus de la confif- tance & fe convertit en filets , qui s'uniiTent & s'accumulent les uns fur les autres , & forment évidemment ce qu'on appelle les cou- ches du liber. Les mêmes émanations ont aufîi lieu du côté & dans l'intérieur de l'écorce , & y forment de nouvelles couches cortica- les : mais il eft certain que ces émanations ne fe font qu'autant & à proportion que les fibres ligneufes & corticales font nourries & fortifiées par le cours de la fève , dont une partie qui pafTe entre le bois & l'écorce , eu dépofant des particules analogues à ces ten- dres filets , y porte une nutrition continuelle, qui opère leur folidité & leur épaifTeur addi- tionnelle. Cela eft fufïifamment prouvé par un fait inconteitable ; c'eft qu'un arbre ne grof- fit que pendant le cours de la fève : on fait qu'en Hiver l'écorce immédiatement & exac- tement appliquée fur le bois , forme un con- îad , d'où il refaite une adhérence très-forte, parce qu'alors la fève eft dans une efpece d'inadion ^ mais lorfque fon cours recom- mence au Printemps , &: qu'elle s'infinue & paffe entre le bois & l'écorce , alors ces deux fubfîances féparées par le cours de la fève , ne forment plus d'adhérence ni d'union entre elles ; & plus la végétation eft animée , c'eft- à-dire plus la fève coule abondamment, & plus l'écorce eft détachée du bois , plus le liber fe forme , s'épaifTit , & plus l'arbre croit fenliblement en grofTeur & en hau- teur. On ne peut douter que l'abondance ^^^ 332. Traité de la fucs nutritifs de la fève terreftre ne contribue beaucoup à la formation du liber & à l'épaif- feur des couches li^neufes : la croifiance d'un arbre planté dans un bon terrain en don- ne une preuve bien évidente. Au contraire les couches corticales croifTent dans une rai- fon inverfe , puifque les arbres plantés dans un mauvais terrain Se qui croilTent peu en bois , ont Técorce beaucoup plus épaiffe , ce qui , comme nous l'avons obfervé , paroîc être l'effet de la fève aérienne. Une preuve bien feniibie que les couches ligneufes augmentent par des émanations du bois fortifiées par le cours de la fève , c'eft que s'il s'en forme fur la circonférence du bois , il s'en forme pareillement dans l'inté- rieur au centre , à mefure que la moelle fc: defleche & difparoît. Prenons pour exemple une tige de lureau : lorfqu'elte eft encore jeune , on n'y obferve qu'une petite épaiffeur de bois qui recouvre une grande quantité de moelle , laquelle devenue inutile , comme il a été expliqué dans la première Partie , fe deffeche &: diminue chaque année , & avec le temps difparoît prefqu'entiérement, L'efpace qu'occupoit la moelle fe trouve fuccelîivement rempli par la croifiance du bois , de forte que l'arbre forme de nouvelles couches ligneufes , extérieurement & inté- rieurement. Mais ces nouvelles couches li- gneufes intérieures ne font sûrement pas for- mées par l'écorce^ donc elles émanent du bois j,, ÔL font fortifiées par le concours de la fève terreftre , qui , principalement dans les arbres VEGETATIO-^a , LiV. VI, Ch. I. 33J qui ont beaucoup de moëlîe , coule abon- damment entre le bois & la moelle , comme on Ta vu dans nos expériences. Cette feule preuve me paroît fuffifante pour lever les doutes à ce fujet , pour fortifier l'opinion de Haies , & faire tomber celle de Grew & de Malpighy. On s'efl cru autorifé à dire que l'écorce peut produire des couches ligneufes, en citant quelques expériences faites à ce fujet ; je les ai répétées , ëc j'ai reconnu l'er- reur qui avoit féduit ; & j'ai vu que ce qu'oa a pris pour des émanations de l'écorce y ctoit bien réellement des émanations ligneu- fes ; &c on ne peut attribuer qu'à la préven- tion Se au peu d'examen ^'erreur oii d'habi- les Obfervateurs font tombés à ce fujet. ^ Les couches ligneufes qu'on apperçoit fur la coupe des arbres , ne font pas toutes d'une même épailTeur ; cette épaifieur varie fuivanc plufîeurs caufes : félon l'âge de l'arbre ; la îeve d'un gros arbre ayant à fe diftribuen à un plus grand nombre de parties , les cou- ches font plus minces : de la vigueur de l'ar- bre , celui qui ell: planté dans un terrain gras^ fournit des couches plus épaifles , que celui qui l'eft dans un terrain maigre. Cette iné- galité d'épaiffeur dépend auîfi fouvent de l'é- tat des laifons , & de la durée de la fève. Dans une année favorable à' la végétation , les couches feront beaucoup plus épailTes que dans des années ou très-feches, ou très-froi- des. On obierve de plus que dans le même arbre , & principalement dans le hêtre , l'é- corce ell 4e différente épailTeur à différents ^34 Traité iîe la endroits de la circonférence, & que le corps ligneux a plus depailleur où lecorce en a moins. J*ai remarqué que cela s'obiervoit tou- jours du côté où il y avoir une plus grolTe racine, ou une plus grofTe branche, & par coniequent où le cours de la fève étoit le plus abondant. Tout eil tendre dans tin jeune arbre qui fort de la femence , & dans un bourgeon qui fe développe ; la Nature ne fait rien par faut 5 fes produâions font préparées de loin ; peu à peu le corps ligneux acquiert de la foli- dire, les fibres ligncufes fe diftinguent des corticales & de la moelle^ Le hois a befoin de palTer par plufieurs états avant d être parfait ; c'eft ici où l'on peut dire que le temps mûrit tout: les couches ligneufes que Ton apperçoiÉ fur la coupe d'un arbre , augmentent fuccef- fivemenc de pefanteur , de denlité , de dure- té , de la circonférence au centre ; de forte que les zones deviennent d'autant plus tendres qu'elles approchent le plus de l'écorce. Ces gradations dans la formation du bois & du liber ûndiquent que les couches ligneufes fe préparent entre le bois & l'écorce, mais ne prouvent pas , comme on a voulu le croire, qu'elles émanent de l'écorce. De ce qu'on a obfervé qu'il fe fait fous un écuifon , une émanation ligneufe produite par l'écuffon ^ pourquoi a-t-on voulu en conclure que cette émanation ligneufe ne provenoit que de l'écor- ce ? Parce que , dit-on , on ne lailfe point de bois à l'éculfon. Il eft vrai ; mais ne fait- on pas qu'il relie dans le bouton un péris VÊGETAtioN jLiv.VIjCh.Î. 331 cône ligneux ? Et comment n'a-t-on pas vu que c'efl ce petit cône ligneux qui produit l'émanation intérieure que l'on a obfervée 2 Pour m'aifurer de ce fait , j'ai appliqué ua écuiïbn , vuide de ce petit corps ligneux ; Técorce s^eft greffée , mais fans rien pouffer , ni extérieurement , ni intérieurement , & je n'ai point trouvé d'émanation ligneufe. Touc le monde fait qu'un écuffon dépourvu de ce corps ligneux ne fait aucune produdion. 11 n'eft donc point douteux que c'eft de lui que viennent les émanations dont eil ici queftion. Quant à d'autres expériences faites fur des lanières d'écorces enlevées fur l'arbre', ces lanières tiennent toujours à l'écorce , fans quoi elles fe deffécheroient fans fe greffer , & c'efl par ces parties où elles tiennent à l'arbre qu'il fe fait des émanations ligneufes & corticales. Toutes les expériences faites avec des eaux colorées , & que j'ai rapportées , prouvent in- conteflablement que la fève montante , que j'ai appellée fève terreltre , ne paffe point dans l'é- corce 5* mais on ne peut douter que cette fève montante ne contribue beaucoup à la forma- tion & à la multiplication des couches du liber, qui forment les couches ligneufes , puif- qiie celles-ci font toujours d'autant plus nour- ries ôc épaiffes , que le terrain fournit des fucs plus abondants & plus nutritifs , & qu'au contraire on obferve affez généralement que l'écorce des arbres languiffants dans un mauvais terrain eft , proportionnellement au bois , plus épaiffe que celle des arbres vigou- reux : donc ce n'efl pas l'écorce qui produis ù.'^é Traité d ë l a le bois , ni le bois qui produit l'écorce ; raarS les émanations de l'un & de l'autre produifent des libers , dont les uns fe changent en bois ÔL les autres en écorce. Une autre preuve encore que le liber de lecorce ëc celui da bois ne font pas les mêmes , c'eft que leur formation eft très-différente. On obferve dans le liber nouvellement formé , qui touche aa bois , des fibres pliées en fpirale , qu'on avoit appelle trachées. Les partifans de ces trachées conviennent qu'on n'en trouve point dans l'é- corce : donc ces fibres corticales font d'une nature , d'une formation différente , & leurs produdions le font auiîi. En examJnant avec attention les libers & la pouffe tendre & her- ^ bacée d'un jeune arbre ou d'un bourgeon , on voit que le feuillet plus tendre que l'écorce qui le recouvre , mais qui doit devenir bois , eff d'un tiffu différent de l'écorce dont il eft environné ; & ainlî nous pouvons conclure d'après l'obfervation & le raifonnement ^ que le fentiment du célèbre Haies eft aulîi vrai en cela qu'en tous autres faits , qu'il nous a il bien démontrés d'après fes favantes expé- riences. Mais comment concevoir que les libers j ces nouvelles couches corticales & ligneufes j, qui dans leur origine font lî tendres qu'on eft tenté de les prendre pour un mucilage ; comment ces couches qui fe touchent & qui font preffées l'une contre l'autre , ont-elles affez de force pour obliger les réfeaux des fibres de l'écorce de s'ouvrir & de fe défunir l Comment ces libers , non-feulement ne fe confondent- Végétation* Liv. VI, Ch. Il, 537 confondent-ils pas , mais laiflent-ils encore un libre cours à la fève ? C'eft ce qui ne peut s'expliquer que par l'air dilaté par l'effet dé la raréfadion qui dilate les faifceaux corticaux & les force à s'étendre , & il eft à croire que c'eft cet ade de preflion qui eole les filets du liber d'un côté au bois , & de l'autre à l'é^ corce ; mais lorfque la eondenfation fuccede à la raréfadion , alors il refte des efpaces libres pour le cours de la fève j & pour la formation de nouveaux libers. Après avoir parlé de l'accroiffement des arbres en grofïèur , nous allons examiner leut croilfance en hauteur. CHAPITRE IL De la croijfance des Arhrei en hauteur^ N, Ous avons vu que la première croiffance d'un arbre conlifte dans le développement de fon germe où toutes les parties de la plante font roulées & renfermées en petit ; nous allons voir que fa croiffance annuelle & fuc- ceiîive s'opère par le développement des bou- tons qui doivent eux-mêmes être regardés comme des germes qui contiennent en petit toutes les parties de la branche qui en doit fortir. Le premier germe s'eft enraciné en terre pour en tirer les fuçs qui lui font néceffai^ res , & les autres germes fubféquents qui Tome IIL Y 33§ Traité de la tiennent aux fibres ligneufes déjà formées , y font, pour ainli dire , enracinés, & en tirent les fucs nutritifs qui doivent fervir à fon développement & à fon accroifîement ; mais tous ces germes étoient-ils réellement renfermés dans le premier germe de la graine , ou n'en font-ils que des produdions fubfé- quentes ? C efl ce que nous allons commen- cer par examiner. En réfléchi (Tant fur le fyflêmé^ adopté & foutenu par plufieurs Naturaliftes , de l'en- veloppement des graines les unes dans les autres , il faut convenir qu'il répugne autant au bon fens qu'il confond la plus forte ima- gination : en effet , il ne s'agit pas moins ici que de fe figurer non-feulement que tous les boutons , que tous les bourgeons , que tou- tes les branches , & enfin toutes les produc- tions de l'arbre ont été enveloppées dans la femence , mais encore que celle-ci , avec tout l'arbre dont elle eit provenue & toutes [qs dépendances , l'a été de même dans fa graine , & ainli du refle, en remontant jufqu'au temps d'Adam où a été créé le premier germe dans lequel tout ce qui a végété jufqu'à préfent aura dû être renfermé auiîi bien que tout ce qui végétera à jamais. Que l'on fe repréfente donc cette multitude infinie de plantes de la même efpece qui non- feulement font forties & fortiront de ce pre- mier germe depuis le commencement du monde jufou'à la fin des fiecles , mais encore toutes celles qui auroient exifté & qui exifteroient fi toutes les femences avoient été & étoient '^EGEtÀTÎON^ItV.VÎ^CH.ÏI. ^jg dans la fuite mifcs à proric, ik l'on fera épou- vanté de ce nombre innombrable (le pla.-ites capable lui feul de couvrir la furface de la terre par une fécondité auiîi inutile qu'incoii^ cevabJe. Mais en fuivant ce fy[lêrhe , il faut abro**^ lument faire l'une de ces deux fuppofitions i ou que les germes font bornés au nombre qui en fortira , ou qu'ils s'étendent jufqu'à tous les nombres pofîîbles , & par conféquent jufqu'à l'infini. Dans la première hypothefe ^ on fera obligé de fuppofer que le premier germe en a renfermé un certain nombre déter- miné d'autres; qu'à mefure qu'ils fe font fuc-^ cédés , ils en ont toujours renfermé moins , ôc que les derniers doivent en contenir une fi petite quantité , qu'enfin ne pouvant plus produire de la femence , Telpece cefTera tout à fait. Toutes les clalTes & toutes les éfpeces de germes doivent contenir à proportion un nombre égal de germes , parce qu'on ne voit pas la raifon pourquoi certaines efpeces fini- roient plutôt que le refte des chofes créées ^ & moins encore pourquoi à la fin de tout , il y auroit dans certaines efpeces des germes de relie: l'un & l'autre devroit être regardé^ pour ainfi dire, comme une erreur de cal- cul ; ce qui répugne dans un monde créé aved tant d'ordre & de fageife. Dans la féconde fuppofition , on fera obligé de convenir que chaque graine doit renfer- mer quelque chofe d'infini, <& qu'en cela tou- tes fe rerfemblent. La première & la demierg Y z 540 Traité de la en contiennent donc également à l'infini ; cepen- dant à mefure que les germes fe dévelop- pent , ils en renferment toujours moins que ceux dont ils font fortis , ce qui met entre tous ces infinis une inégalité qui femble con- tredire la nature même de l'infini ; d'ailleurs il neft pas aifé à concevoir qu'un être aufli petit , auîîi limité que l'eft une graine, puiîTe renfermer une fuite infinie de tant de pro- dudions ; enfin ces germes emboîtés à l'infini les uns dans les autres , étant les mêmes , de- vroient toujours donner les mêmes efpeces. Les abfurdités & les contradidiôns inévita- bles dans ce fyftême , qui n'efl d'ailleurs étayé d'aucune preuve même apparente , ne doit donc pas lui aiTurer la perfuafîon des Naturaliftes éclairés. Il eft plus aifé d'imaginer & même de voir qu'un arbre croît par des produdions fuccellives , & que chaque développement annuel s'opère par des germes afîez fembla- bles au premier ; en effet , il y a beaucoup de relTemblance entre ce qui regarde l'em- bryon dans les boutons , & celui de la nou- velle tige dans les femences , parce que l'em- bryon de la tige eft implanté fur la pouffe de l'année précédente qui lui fournit la nourri- ture dont elle a befoin : on ne trouve point non plus dans le bouton l'embryon de la radicule , parce que le jeune bourgeon eft fecouru par les racines de l'arbre qui le porte. Mais le développement des bourgeons fe fait comme celui des nouvelles tiges , il s'étend dans toutes fes parties tant qu'il eft tendre & herbacé y l'exteofion diminue à me- VEGETATION, LiV. VI, Clî. II. 341 fure que l'endurciflement fait des progrès , & il cerie lorfque la partie ligneufe eft entière- ment convertie en bois ; c'eft ce qui fait qu'aux bourgeons , comme à la nouvelle tige , l'ex- tenfîon fubfifte vers l'extrémité , lorsqu'elle a cefle vers la partie qui seft développée en premier lieu. Nous devons donc regarder les boutons comme de nouveaux germes qui fe font for- més pour fournir fuccellivement à l'accroifTe- ment de l'arbre ; c'eft pourquoi les plantes annuelles, c'eft -à- dire celles qui prennent toute leur croiflance & périlîènt dans la même année , ne pouflTent point de boutons. Si fur une jeune tige tendre & herbacée qui poufle de femence , on fait des marques à diftances égales avec de la peinture à l'huile ; on obferve qu'à mefure que cette jeune tige s'élève , toutes les marques que l'on a faites s'écartent les unes des autres : en obfervant quelque temps après cette même tige , oa trouve que les marques qui font les plus pro- ches de fon origine , ne s'écartent plus guè- re ; tandis que celles qui font à l'extrémité fupérieure continuent de s'écarter confidéra-' blement. Ileftaifédereconnoitre que cette par- tie baiïe qui ne s'alonge plqs , eft devenue ligneufe & dure ; ce qui arrive de même aux parties fupérieures , à mefure qu'elles fe font converties en bois formé, c'eft-à-dire, comme je l'ai expliqué , quand les fibres , pliées en fpirales , fe font développées. Il en eft exac- tement de même des bourgeons ou jeunes bran-ches qui fe développent ; ce qu'il eft aifé Y 3 142, Traité de la de reconnolrre , en les marquant comme la jeune tige ; on verra tous les points de divî- |ion s'écarter les uns des autres , plus ou moins , leion que les fpirales le font plus oi| rnoins écendues , & qu'ainli le bois s'eft plus pu moins formé. C'eft aulîi le fentiment de M, Haies, qui dit que Textenfion des bourgeons fe fait en raifon renverfée de rendurciiTement du bois; ëi il obferve avec raifon que cette extenfion dépend encore de l'abondance de la fève: uu farmcnt de vigne , dit-il , qui commence à fe former, iorlque le cours de la ieve n'eft pas encore abondant, & fouvenc quand la faifori eft encore froide , a vers fon origine fes nœuds plus près les uns des autres que ceux qui fe forment dans le temps que la fève eft plus en adion : quand les feuilles font par- venues à leur grandeur , &■ quand la fève dimi- nue , alors les noeuds deviennent plqs ferrés I l'extrémité des farments. Il en efl des autres arbres comme de la vigne ; & l'on voit en général que tout ce qui peut rallentir l'endurcilTement eft favo- rable à rçxtenlion àts bourgeons ; de là vient que les branches gourmandes qui tirent une grande quantité de feye , font beaucoup plus longues que les autres,- que les arbres plantés dans des terrains humides font de plus gran- des pou (Tes quç ceux qui fqnt dans des ter^ rains fecs. Les années pluvieufes font favorables à Textenfion des bourgeons : une plante tenue à l'ombre & qui tranfpire peu , s'étend beau»- VEGETATION , LiV. VI, Ch. IÎ. 343 coup plus que celle qui , eft brûlée par le foleil ou deiTéchée par le vent ; on fent que toutes ces circonltances font très-favorables au développement & à la nutrition des fibres ligneufes , & par conféquent à leur entière extenlion , qui eft quelquefois arrêtée par des circonilances contraires. Nous pouvons conclure de ces obferva- tions que les parties d'un bourgeon s'étendent tant qu'elles font herbacées , mais que la pro- priété de s'étendre diminue à proportion que le corps ligneux fe forme & que l'extenfion cefle , quand il eft entièrement endurci , c'eft- à-dire quand les fibres , pliées d'abord en fpi- rales , font devenues longitudinales ôc ligneu- fes ; de forte que fi on a bien fuivi ce que nous venons de dire fur l'accroiffement des arbres , on concevra que le petit cône ligneux qui étoit formé de la germination de la pre- mière année, ne s'étendant plus en hauteur ni en grofleur , conferve les mêmes dimen- fions au pied &: au centre du plus grand ar- bre ; de forte qu'il y a du bois de cent ans au pied d'un arbre de cet âge , tandis qu'il y a du bois d'un an à l'extrémité de fes bran- ches. On obferve , fur-tout dans les années favo- rables à la végétation , que les bourgeons con- tinuent à s'étendre en grolTeur quelque temps après celui auquel ils ont cçiïé de s'étendre en longueur ; & les couches ligneufes qui fe forment fur les bourgeons dans les Autom- nes favorables , acquièrent alfez de folidité pour réfîfter à l'Hiver fuivant : c'eft ce que Y4 344 T R A I T É D E 1 A délîgnent les Jardiniers en difant que les bour^ geons font bien aoûtés , c'eft-à-dire bien per^ fedionnés par la fève d'Août , parce que c'eft au déclin de cette fève que , les bourgeons prennent la confiftançe dont nous venons de parler. 11 arrive quelquefois , par à^zz caufes don& nous avons déjà parlé , qu\ine même couche ligrcafe relie plus long-temps exteniïble d'un coté d'un bourgeon que d'un autre ; le côté lîîoins endurci faifant plus de progrès , il e^i réfulte une difformité dont nous parlerons dans la fuite. Mais avant de terminer ce Cha- pitre , je dois parler des moyens qu'on em- ploie pour redrefler les jeunes arbres , eti forçant les couches ligneufes de s'étendre plus fj'un coté que de Vautre. Lorfqu un jeune arbre eft courbé , on fait , avec la pointe d'une ferpette , des incifions obliques , & qui fe croifent dans toute la partie intérieure de la courbure ; ces incifions pénétrant jufqu'au bois , occafionnent une éruption du tiiTu cellulaire qui , faifant plus croître les couches ligneufes de ce côté -là que de l'autre , forcent la tige de fe redreffer. D'autres en mettant le genou contre la tige du côté convexe , la font plier dans un fens oppofé à la courbure ; par cette opération forcée, on rompt quantité de fibres dans la partie concave , ce qui produit à peu prè^ le même effet que les incifions dont nous ve- nons de parler. Comme ce que nous venons de dire de racçroiffement des arbres a beaucoup de rap- VEGETATION, IlV. VI, Ch. m. 545 port à la croifTance des branches , nous allons en parler de fuite. CHAPITRE III. De la croijfance des branches, J-j'ExPLiCATiON que nous avons donnée dp la croilTance de la tige & de celle des bourgeons , eft applicable à la formation & à raccroiflemenc des branches. Une jeune tige eft le commencement d'un arbre ; un bourgeon eft le commencement d'une bran- che , & cette branche croît en hauteur & en grolfeur tout de même qu un arbre : & jîe même qu'un arbre en s'élevant perpendi- culairement pouffe des branches latérales ; de même une branche principale , en s'élevant verticalement , en pouffe d'autres dans des di- redions obliques qui font les branches laté- rales : toutes ces branches en produifent d'au- tres qui fortent de leurs boutons , & de là toutes ces divifîons , ces ramifications que nous voyons dans la tête d'un arbre. Mais comment ces branches augmentent- elles en longueur & en grolfeur tout de même que l'arbre; car de même que celui-ci fe recouvre, fe revêtit, pour ainii dire , cha- que année de nouvelles enveloppes ligneufes & corticales ; de même fait la branche ? De même que les racines de l'arbre pren* nent de l'étendue dans la terre , à proportion 34^ Traité DE LA qu'il groffic & qu'il s'élève , de même la bran- che étend annuellement fon inferrion dans îc corps ligneux de l'arbre où le bouton s étoit d'abord , pour ainlî dire , enraciné : la fig. 5 , pi. z , en rendra Texplication plus abré- gée & plus facile. Suppofons un arbre âgé de quatre ans ; imaginons que dès la première année fur le cône ligneux, n^ i , il fe foit développé un bouton vers A; dans la quatrième année, ce bour- geon latéral fera formé par quatre couches , comme le repréfente A B. Si un autre bourgeon s'étoit développé fur la couche de la féconde année , n°. 2 , 2 , cette branche dans la quatrième année ne fera for- mée que par trois couches , comme on le voit en C D. Suppofons maintenant que dans îa troilieme année, il fe développe un bour- geon fur la branche A B, vers C ; il fe for- fïiera alors une petite branche E F , qui ne fera formée que de deux couches. Enfin , fi la quatrième année , lorfque la couche li- gneufe , n°. 4,4, s'eft formée , il s'eft déve- loppé un bourgeon vers G , on aura la petite branche G H , qui ne fera formée que d'une feule couche ligneufe. Il fuit de là que toutes les branches fe terminent dans le corps des arbres par un cône ABC qui a fon fommet B, fig. 6, pi. 2 , fur la couche où le bouton qui a été la première origine de cette branche , a com- mencé à paroître : dans l'exemple préfent, la branche a onze ans , ceci démontre bien clai- rement l'origine des nœuds qui pénètrent d'au- VEGETATION, LiV. VI, Ch. III. 347 tant plus profondément dans les pièces , que les branches qui les occalîonnent lont plus anciennes. Parent, Hiftoire de l'Académie, 1711 , dit que les branches font nourries par la moelle; c'efl: une erreur , puifque d'abord le nœud ne s'étend pas jufqu'à la moelle ; & les expé- riences que j'ai rapportées prouvent qu'il nç palfe point de fève dans la moè'lie. Cqz examen des branches porte à faire re^' marquer que les fibres longitudinales pren- nent pour diredion le grand cours de la fève; de forte que fi la fève eil déterminée à fui- vre la diredion du tronc , comme il arrive dans les arbres qui n'ont point de branches latérales , les fibres longitudinales fuivenc cette même diredion : mais fi une branche détermine une grande portion de la fève à fe porter de fon côté , alors les fibres lon- gitudinales, ou ligneufes, ou corticales, pren- nent de l'obliquité pour fuivre la diredion de cette branche. Cela ne paroît jamais plus fenfibîe que dans un arbre étêté immédiatement au deffus d'une jeune branche ; car alors toute la fève étant obligée de paiïer dans cette branche , les fibres prennent fa même diredion : de forte que fi l'on a retranché la tige en Hiver, & qu'on coupe enfuite cet arbre vers la fin du Printemps , on appercevra que les nouvelles fibres ligneufes croiferont les autres. Quand il fort une jeune branche d'un gros tronc , on voit que les fibres font forcées de s'écarcer pour laiiTer fortir cette branche. 34^ Traité DE iA & elles fe rapprochent enfuîte au-deflus & au-defTous pour fuivre leur première diredion droite : ce font les changements de diredion dans les fibres qui forment les bois rebours. Cet examen de la croiffance des branches nous deviendra utile pour l'intelligence de l'o- pération de la greffe ; nous ferons voir qu'un écufTon n'eft autre chofe qu'un bouton étran- ger à l'arbre , & , pour ainfi dire , un enfant adoptif qui y croît de même qu'un bouton naturel de l'arbre. Ctt examen nous fervira aufli à juger de la meilleure manière d'ébrancher un arbre ; opération bien importante pour là beauté de Tarbre & la bonté du bois , & qui le plus ordinairement fe fait très-mal , faute de prin- cipes & de connoifTances de la végétation. CHAPITRE IV. Des Pépinières. ' L Es notions que nous venons de donner fur la croiffance des jeunes tiges & des bran- ches, font néceflaires pour prendre connoif- fance de la végétation des arbres , & faire juger fainement des meilleurs principes de culture & d éducation. Eclairés par ces no- tions , appuyés fur ces principes , les hom-. mes qui aiment à examiner & à réfléchir faq- ront difcerner le vrai du faux ; ils travaille- ront de concert avec la Nature 3 ils cher- VEGETATION , IlV. VI , Ch. IV. 349 cheront à l'aider dans fes opérations , & fur-tout prendront garde de la contrarier , comme font ceux qui n'agilTent que par rou- tine & au hafard , & qui ne font que ce qu'ils ont vu faire fans favoir pourquoi ,• ils fauront faire une jufte application de la théo- rie à la pratique ; enfin , ils ne s'en tiendront point à dire , c'eft la méthode du Pays , oa a toujours fait comme cela $ donc il n'y a rien de mieux à faire : idée fatale à l'agri- culture , puifqu'elle en arrête néceflairement les progrès ; idée d'autant plus abfurde que de tous les arts , celui qu'on regarde comme le plus utile , elt celui qui eft le moins per- fedionné. L'agriculture , fi honorée, û fui- vie des anciens , eft uniquement abandonnée aujourd'hui à des hommes pour la plupart grofîiers , fans connoifTances & fans apti- tude même à en acquérir , & qui pis eft , fi entichés , fi entêtés de la coutume fouvent mauvaife de leur canton , qui eft pour eux le monde entier , qu'on a bien de la peine à leur perfuader qu'on peut mieux faire que ce qu'ils font. Ce n'eft certainement pas de cette efpece d'hommes que l'agriculture peut rece- voir quelque perfedion , malgré l'opinion qu'en veulent prendre des Difcoureurs qui n'en favenc pas plus & peut-être encore moins qu'eux. Il eft vrai que parmi les Cultivateurs & les Fermiers , il en eft qui favent voir & réflé- chir ; ce font ceux-là qui fentent le mieux combien ils font encore éloignés des con- noifTances efTentielles , mais ils manquent de înoyens pour en acquérir : il eft donc nécef- 350 ÏRAITÉ DE LA faire d'éclairer ceux-ci & de guider les au- tres, qu'on peut regarder comme des auto- mates : mais il ne faut pas les tromper , comme font les ouvra^fes des Agriculteurs de ville , qui ^ du fond de leur cabinet, dic- tent favamment des loix pour des campagnes qu'ils n'ont jamais vues qu'en pafTant. Ces Ou- vrages , d'autant plus dangereux qu'ils font bien écrits, dégoûtent les Cultivateurs , & leur infpirent peu de confiance pour les Livres en général , cependant ceux qui font un peu éclairés favent bientôt diftinguer les bons des mauvais , malgré le verbiage étudié de ceux-ci : l'Agriculteur ne demande que des chofes ; l'élégance du di (cours ne l'éblouie point. Notre intention étant d'examiner & de fuivre la végétation d'un arbre depuis la germination de la femence jufqu'à fa parfaite & entière croifTance ; après l'avoir conduit dans le Livre précédent jufqu'à l'état où il doit fortir des femis , nous allons dans celui- ci le fuivre dans fes différents degrés de croif- fance , dans fes diverfes tranfplantations , & indiquer les meilleurs procédés pour accélé- rer fon accroilTement & favoriler fon édu- cation dans ces différents états. Le jeune plant , provenu de femences & fur-tout de femences fines , foit en terrines , foi t en pleine terre, eft ordinairement trop ferré ou trop dru , comme le difent les Jar- diniers , pour pouvoir profpérer dans le même terrain , où leurs racines s'entrelaçant, fe con- fondant , s'affameroient bientôt : après avoir pris les précautions dont nous avons parlé VEGETATION , LiV. VI, Ch. V. 3$! pour préferver ce jeune plant des rigueurs de l'Hiver, nous allons parler de la manière de le tranfplanter en tout ou en partie au Prin- temps ou dans l'Automne fuivant , & de le mettre en pépinière : on appelle ainii ua terrain où on plante avec ordre & par ali- gnements de petits arbres les uns près des autres , pour en rendre la culture & l'é- ducation plus aifée & moins difpendieufe. CHAPITRE V. De l'utilité des Pépinières, L Es pépinières font un des principaux objets de l'économie rurale ; c'eft mal enten- dre fes propres intérêts, & favoir peu afluret fes jouifTances , que de n'avoir pas toujours des pépinières garnies des efpeces d'arbres fruitiers , forêtiers ou d'agrément , principa- lement lorfquon a des plantations étendues ou des remplacements à faire. Outre la dépenfe quelquefois conlidérable qu'il faut faire pour fe procurer les arbres dont on a befoin , que l'on coniidere les frais de tranfport , les dangers , les pertes aux- quelles on efl nécefTai rement expofé en tirant des arbres de pépinières étrangères , fur- tout fi elles font éloignées ; & on verra com- bien il eft préférable à tous égards d'élever chez foi les arbres dont on a befoin. L'intérêt d'un Pepiniérilte eft toujours eu y^z Traité de la raifon inverfe de celui du propriétaire plan- teur : en effet , le Pepiniérifte , en fuiva^nt fon intérêt perfonnel qui eft fa bouflble , doit pratiquer prefque tout ce que nous allons défendre, & négliger ce que nous allons re- commander : comme il n'a d'autres vues que de procurer à fes élevés la croiiTance la plus rapide , il doit choilir le terrain le plus gras » le plus fuceulent, ou engraifTer celui qui ne l'eft pas ; mais que deviennent ces arbres , accoutumés à une nourriture fucculente , lorf- qu'ils fe trouvent tranfplantés dans un ter- rain qui leur en fournit peu ? Le Pepiniérille qui arrachera toujours de préférence un arbre trop refferré entre deux autres , dans la vue de mieux faire profiter ceux-ci , doit avoir plus d'attention à ménager les racines de ceux qui relient, que celles de l'arbre qui eft vendu. Parmi les arbres fruitiers , il eft bien rare qu'on reçoive toutes les efpeces que l'on a demandées ; ce qu'il ne faut pas attribuer , comme on le fait , à la mauvaife foi des Pepiniériftes , autant qu'à la multiplicité des envois qu'ils font quelquefois obligés de faire dans le même temps. Si on joint à toutes ces confidérations le peu de foin pour l'emballage & la conferva- tion des arbres dans le tranfport , l'efpace de temps qu'ils reftent hors de terre , le deifé- chement qu'ils éprouvent néceflairement , les gelées auxquelles ils font expofcs , faut -il s'étonner û en on perd beaucoup , c& fi parmi ceux qui reprennent, la plupart n'ont qu'un fuccès très-médiocre , & ne durent pas long- temps > Vegetatiok,Iiv. VI,Ch. V. 353 temps ? Plulîeurs ne font que de foibles pouf- fes , & meurent la féconde ou la troifieme année ; il faut remplacer fouvent ; on a ainfî à fupporter les frais d'un achat inutile, ôz ceux du tranfport & de la plantation ; & on éprouve le defagrément d'avoir des efpa- liers dégarnis & des avenues irrégulieres , plantées d'arbres de différents âges. Un Cul- tivateur eft donc toujours dans une lituatioa précaire , quand il eil: obligé d'acheter des arbres ; mais il n'y e(t pas , lorfqu'il a une pépinière dans laquelle il trouve les arbres dont il a befoin , où il a fait greffer de bonnes efpeces d'arbres fruitiers , il en eft afîuré : parmi les arbres foretiers ou d'agrément , il peut choilir ce qui lui convient pour les dif- férentes plantations ; il peut faifir les temps favorables , & les racines de fes arbres, arra.- chés avec précaution , ne fortent de terre que pour y rentrer auffi-tôt : on verra , fuivant ce que nous dirons par la fuite , combien il y a d'avantages à faire de telles planta- tions. il eft donc de l'intérêt & de la fatisfac- tion d'un propriétaire d'avoir des pépinières relatives à fes goCits & proportionnées à l'é- tendue de fes plantations; elles fourniffent de grands avantages, & elles épargnent beau- coup de dépenfe à ceux qui bornent leurs plantations aux genres Se aux efpeces d'ar- bres que l'on trouve cammunément chez les Pepiniériiles ; mais elles font abfolument né- ceffaires à ceux qui veulent jouir de ces beaux arbres étrangers donc nous parlerons , foie Tome IIL Z 354 Traité DE LA pour former des avenues , foit pour compc- 1er des bofquets , foit pour l'ornement des jardins : le goût que pluHeurs perfonnes ont pris pour les arbres relie encore fans efter y parce qu'on ne fait où en trouver , & qu'on ne peut s'en procurer qu'en petite quantité & à grands frais. Avant de parler de là forrhâtion des pépi- nières, je dois parler du choix du terrain ^ article fur lequel les opinions font partagées ; les uns , féduits par lés aiïertions des Pepi- niérifles , foutiennent qu'il faut élever les arbres dans le meilleur & le plus gras ter- rain , & en donnent pour preuve la vigueur de ces arbres ; les autres , détrompés de cette aiïertion par les fâcheufes expériences qu'ils en ont fait , difent qu'il faut former une pé- pinière dans un mauvais terrain. En exami- nant ces deux opinions , il ell: aifé de recon-*' noitre qu'elles font également erronées ; ce font deux extrêmes nuilibles qu'il faut évi- ter : j'en vais expliquer les raifons. Si on place une pépinière dans un terrain humide, naturellement très-gras ou très-fumé j les arbres pouiTent avec force ; mais leurs racines font toujours mal conditionnées ; elles font très-abondantes, mais chétives; beaucoup de chevelu , & peu de bois. Si on tranfplante de pareils arbres dans un terrain plus fec & moins fubflancieux , il arrive ou qu'ils périf- fent dès la première année , ou ils languif- fent & rechignent, comme le difent les Jar- diniers ; & s'ils fublillent , il eft bien rare qu'ils reprennent leur première vigueur. Végétation , Liv. VI , Ch. V. 3 f j Si , au contraire , on choifît un mauvais terrain , {çc, aride, les jeunes arbres y languif- fent , les fibres fe reiTerrent , les canaux fé- veux fe rétréciflent, le bois racornit, l'écorce devient gâleufe & chargée de moufle ^ les pouiTes font foibles ôc tortues , les racines ne s'étendent 6c ne fe ramifient que foible- ment. Ces arbres périflent, pour la plupart , quand on les trànfplante ; ôc ceux qui re- prennent dans de bonnes terres font long- temps à fe rétablir , & ne font jamais de beaux arbres. L'expérience que j'ai rapportée dans la première Partie , au fujet de la tranf- plantation de peupliers dans différents ter- rains , vient à l'appui de ce que nous difons ici : il faut donc, en évitant ces deux extrê- mes , choilîr pour une pépinière une terre franche & de bonne qualité , mais plus feche^ que celle où on veut faire des plantations» Un terrain trop gras Si humide efl un excès aufii dangereux que Tefl: celui d'un terrain trop maigre & fec ; car le fumier qu'on ré- pandroit dans ces fortes de terres , n'y pro- duiroit que de fort m.auvais effets ; il s'y for- meroit des vers blancs qui rongeroient les racines ; Se d'ailleurs les racines qui pouffent dans le fumier font toujours menues , foibles & mal conditionnées. Quant aux arbres aquatiques , comme leif\ faules , les aunes , &c. , comme on ne doit fe propofer de les tranfplanter que dans des ter- rains humides , il n'y a pas de mal. de les y élever. Un Jardinier de cetce ville avoit imaginé Z z 35^ Traité de lA de faire apporter fur le terrain où ii.fcr<^ moit fes pépinières une grande quantité de- càilles d'huîtres qu'il faifoit battre & briier avant de les employer : les fucs que cet amen- dement fournit à fon terrain & aux jeunes arbres qiîi y étoient plantés , les fit croître avec vigueur^ ce qui lui procura d'abord une vente de préférence ; mais l'état de lan- gueur & de dépérilTement dans lequel tom- boient ces arbres , tranfplantés dans des ter- rains moins fucculents , dégoûtèrent bientôt ceux qui en avoient fait la fâcheufe épreuve. I II |||i I 11 ■■ lu ««j=»^.-»»j»ap.i^ 1 'M-nnlU!» «Il il»il CHAPITRE VI. Des Pépinières pour élever de petits Arbres: 'Après ce que nous venons dédire, nous allons aduellement fuivre graduellement la culture ôc l'éducation des jeunes arbres de iemence , jufqu'au temps auquel , ayant pris des hauteurs & des groiléurs fuffi Tantes , ils feront en état d'être mis en place. PvCprenons pour cet effet les femis dans l'état où nous ies avons laifTés. Soit que ces femis aient été faits en terrines ou en pleine terre , ils ont produit de jeunes arbres dont nous venons d'expliquer la croifîànce ; mais leur pofition confufe 6c ferrée exige une première tranf- plantation , qui doit fe faire félon l'efpece & Vegstatîok, Liv. VI, Ch. VI. 3^^ la force du jeune plant. D'abord lî les femis qu'on a faits en terrines , provenu s de graines fines ôc précieufes , ont levé fort abondam- ment , comme il arrive à ceux qui font faits , comme je l'ai dit , dans le terreau de bruyère, il faut préparer d'autres terrines ou caifles de bois , que l'on remplira d'une compofitioa de moitié terre franche , & moitié terreau de bruyère. Pour y tranfplanter ce jeune plant , efpacé fuffifamment , il y ea a qui fe contentent d'éclaircir le femis en arrachant par intervalles le plant qui eft le plus ferré ;. ce qui peut effedivement s'exécuter dans les. femis en pleine terre , & pour des arbres communs & plus forts ; mais ce procédé eft mauvais pour des plantes délicates : on coure rifque de caiTer les racines en tout ou en par- tie 5 & en mutilant les plantes que Ton en- levé , on endommage celles qui refient. Il ^ft donc mieux , quand la terrine eft bien garnie de plant , de la vuider entièrement. On com- mence par enfoncer une ferpetce dans la par- tie la moins garnie , Se on enlevé une maîTe de terrain ; on en détache ce qui s'y trouve de jeune plant ; on fuit fucceftivement cette opération par parties , jufqu'à ce que tout foit levé. Il arrive qu'en détachant ainii li- brement & avec un peu d'attention ces jeunes plantes , les racines confervent des parties delà terre dans lefquelles elles s'étoient en-* foncées , ce qui rend la reprife plus affurée» Dans celles où fe montre un pivot alongé avec peu de racines latérales , il faut le couper avec des cifeaux ; mais je ne confeilie 3^8 Traité de xâ point de toucher à celles qui font chevelues^' fur-tout lorfqu'elles ont confervé un peu de terre : on fait feulement avec le doigt des trous dans la terre préparée comme nous l'avons dit , dans d'autres vafes ; on y met & on y arrange les racines que l'on recouvre lé- gèrement de terre déliée que l'on prelTe un peu enfuite. Cette preniiere tranfplantation faite dans des vafes quelconques , fournit aux jeunes plantes une nourriture nouvelle, & leur don- ne les moyens de s'étendre en racines & en branx:hes : de plus la facilité que Ton a de tranfporter où l'on veut ces terrines , donne l'aifance de parer les jeunes plantes des gelées, ou de l'ardeur du foleil félon les faifons ,> des vents , de k grêle , & enfin de tout ce qui peut leur nuire. Mais lorfque le plant qu'on a femé & élevé en terrines ejf devenu affez fort pour pouvoir être iranfplanté en pleine terre , on çhoifit dans le jardin une planche ou une place- bandç ; & après avoir foui afîez profondé- ment , on répand fur le terrain une couche de l'épaifTeur d'environ deux pouces de ter» reau de bruyère , que l'on incorpore par un léger labour à la première couche de terre , que l'on a foin de rendre bien meuble en y faifant palTer pluficurs fois le râteau. Ou tra- ce enfuite au cordeau des lignes disantes les unes des autres , de 12 ou 15 pouces, où l'on fait des trous avec une cheville cylindri- que , pour y mettre les jeunes plantes à 6 ou 8 pouces les unes des autres. VEGETATION ,LlV. VI ,Ch. YI. 35(| Cqs petites pépinières en planches de jar-^ din doivent être regardées , pour ainfi dire , comme un premier berceau où on laiiTera fc fortifier, pendant quelque temps , de jeunes plantes encore foibles & délicates : on pourra y mettre auiîi le jeune plant qu'on arrachera des femis en pleine terre , dans les endroits où l'on jugera qu'il y en a trop ; ce qui fera mieux profiter celui qui reftera , que l'on affermira , en prelTant le terrain qui aura été foulevé en arrachant les autres. Outre ce que produifent eu arbres rares les femis que l'on a faits , on trouve dans les. bois beaucoup de jeune plant d'efpeces plus communes , mais qui ne laiffent pas d'avoir leur mérite pour le rempliiTage des bofquets dont nous parlerons : c'eft pour une pareille pé- pinière qu'il eft bon d'élever ce petit plane que l'on ne fauroit prendre trop jeune , pour lui faire produire de bonnes racines dans un terrain bien préparé , ce qu'il fait raremenc dans les bois ; c'eft pourquoi lorfqu'on at- tend pour y lever des arbres qu'ils foient un peu forts , on en perd beaucoup , parce qu'ils ont très-peu de racines latérales. On ne peut donc s'en aiTurer qu'en les pre- nant très - jeunes pour les élever en pépi- nière. Outre le jeune plant de grands arbres qu'on trouve dans les forêts & dans les bois , tels que des chênes , des hêtres , des ormes , des frênes , des châtaigniers , des meriiiers , des • pommiers fauvages , qui , étant élevés très- jeunes & mis en pépinière , réufïiffent auffi, Z 4 ^6o Traité de iâ bien , & quelquefois mieux que ceux que Toiï a pris la peine de femer. On trouve dans les bois plulieurs efpeces d'arbriffeaux , qui , quoi- que fauvages j ne lailTent pas de bien figurer dans des bofquets , ou que l'on ennoblit par la greffe , comme nous le dirons ; tels font les fufains , les cornouillers , les érables , différentes efpeces communes de peupliers , des épines blanches & noires , des néfliers , des forbiers , des aubiers , des pins , des fa- pins , des tymelées , des buis , des houx & autres efpeces ; il ne faut pas négliger d e- lever de ces arbriiTeaux en pépinière , car il faut les prendre très-jeunes dans les bois , autrement on peut compter qu'on n'en ré- chappe guère , fur-tout des deux derniers genres que j'ai cités ; mais ils réufîifTent com- me les autres , lorfqu'on les prend de fe- mence ; & lorfqu'en les repiquant on coupe le pivot , ils pouffent alors des racines laté- rales , & on les plante par la fuite avec fuc- çès où l'on veut. Si on vouloit élever une grande quantité de ce jeune plant pris dans les bois , & qu'on n'eût pas d'efpace libre & fuffifant dans fon jardin , il faudroit choifir un terrain convena- ble dans im endroit clos , pour y former une pépinière. Après avoir fufnfamment défoncé & labouré profondément ce terrain , on lui donnera plulieurs autres labours plus fuperfi- ciels pour détruire entièrement les raauvaifes herbes , & divifer le plus qu'il eft poliible les parties de la terre dans laquelle il ne fauc point lailTer de mottes , qu'on aura grand. Vegetatio:^, Iiv. VI , Ch. VI. ^6t Toin de brifer avec le râteau : tout étant biea préparé, on y plantera le jeune plant, com- me je viens de le dire , ou bien on tracera au cordeau des rigoles d'environ lix pouces de profondeur, fur une pareille largeur , écar- tées les unes des autres d'un pied & demi 5: à compter du milieu d'une rigole ^^ au milieu, d'une autre. Quand les rigoles feront faites , on y met- tra le plant , en obfervant qu'il y ait environ un pied de diflanee d'un arbre à l'autre : on couvrira avec la main les racines d'une t^rre déliée , &: on remplira enfuite la tranchée. La vraie faifon d'arracher les petits arbres des femis ou des forêts , pour les mettre en pépinière , eft l'Automne , litôt qu'ils ont quitté leurs feuilles : il eft bon que la terre ait été attendrie par la pluie , pour qu'on puif- fe arracher ces petits arbres plus aiféraent , fans endommager leurs tendres racines. Je xie parle ici que des arbres qui fe dépouillent^ car quant aux autres qui confervent leurs feuilles , l'expérience a fait connoitre que le Printemps eft la vraie faifon de leur tranf- plantation. Comme on tirera des femis & des forêts plulieurs genres d'arbres pour mettre en pé- pinière , il eft bon de ne les pas confondre , mais de les planter féparément ; outre qu'il eft mieux de les avoir ralTemblés , tous les genres d'arbres ne croilTent pas également , Si les arbres foibles feroient étouffés par ceux qui pouffent avec plus de force. Quand on n'arrache que par parties le plant ^éz f R A I T É B E X a! dans les femis , on attend pour cela que la terre foit bien détrempée , & en pinçant les jeunes tiges , on les tire de terre ; mais com- me on n'a pas toujours la terre détrempée à fouhait , & que la pluie favorable pour ar- j'acher le jeune plant devient très-contraire pour fa tranfplantatioa , 6ç que d'ailleurs quelque précaution que l'on prenne , on ea cafTe , ou du moins on en çadommage beau- coup en les arrachant ainfi ; il eft beaucoup mieux de le lever en tout pu; par parties de fuite : pour cet effet on fait au bout de la planche une tranchée , on fouleve enfuite avec la pioche la terre , & on détache tout le jeune plant; on ménage ainii beaucoup^ mieux Iqs racines ; & li on regarde comme un in- convénient d'arracher fans diftindion d'arbres forts d'avec ceux qui font foibles , cet in- convénient fe répare en les plantant féparé= ment. Il faut bien fe garder de planter , ou quand- il pleut, ou après de fortes pluies, c'eft-à- dire lorfque la terre détrempée & réduite en boue, ne peut pas s'arranger convenablement entre les racines ; il en efl de même immédia- tement après le's dégels , où pour lors la terre fe pétrit & fe réduit en mortier. Si la terre étoit en pareil état , & que les circonftances fuflent contraires quand on reçoit du plant , il faudroit après avoir délié les paquets , ou- vrir des tranchées dans un terrain libre , & y arranger le plant dont on recouvre exac- tement toutes les racines. Soit que les jeunes arbres foient tirés des. VEGETATION, IlV. VI, Ch. VI. 3(^3 femis ou des bois , il ne faut pas différer à les planter peu de temps après qu'ils ont été arrachés , parce que n'ayant encore que de foibles racines chevelues qui fe^deiFechent à lair, iï ne faut pas les y laiilèr expoiees long- temps. Comme ceux qui les arrachent dans les bois ne peuvent les afiembler & les livrer tout de fuite , on doit leur bien recommander d'en faire de petits dépôts qu'ils recouvriront de terre , & qu'ils ramafferont vers la fin du jour, pour mettre le tout dans des tranchées, d'où ils ne ks retireront qu'au jour indiqué pour les livrer , ëc pour être plantés fur le champ. Je n'ai que trop éprouvé combien on a de peine à engager ces fortes de gens à prendre ces petits foins dont l'omiffion fait perdre beaucoup de plant. Quant aux femis qui ne font pas éloignés de la pépinière, il eft plus aifé de planter les jeunes arbres à mefure qu'on les arrache. Un homme chargé de faire cette opération à la houe & avec précaution , comme nous l'avons dit , met dans un panier le plus fort plant, & le plus foible dans un autre , en coupant feulement le bout du pivot , & laifiant les petites parties de terre qui peuvent reiter aux racines. On porte aux planteurs aulii-tôt ces arbres pour être arrangés dans les tranchées préparées ; on donne à l'un le plus fort , & à l'autre le plus petit plant , pour être planté féparcment. . Lqs planteurs , un genou à terre , placent de la main gauche les arbres au milieu d'une des rigoles , à environ un pied de diflance ; ils 3^4 Te-Aité de tl £ font dirigés par un cordeau bien tendu aif milieu de la tranchée : ils couvrent les racines avec de la terre bien meuble , qu'ils font cou- ler dans le fond de la rigole avec leur main droite ; ils arrangent en même temps les ra- cines contre lefquelles ils preffent la terre ; & allant toujours en reculant , ils continuent de planter, laiiTant les plantes en cet état , fans achever de remplir les rigoles. Quand tout ce qui avoir été arraché eft mis en terre, tous les Ouvriers fe réuniflent & prennent tous en- femble la houe pour combler les rigoles , ou- du moins pour recouvrir le plant jufqu'à une certaine hauteur. Il eft rare qu'il ne fait pas dérangé dans cette opération ; mais il faut le faire redrefler fans foufFrir les coups de pieds, que ces gens ont coutume de donner lourde-, ment fur la terre qui le recouvre. S'il arrivoit qu'on ne pût mettre en place tout le plant qu'on auroit arraché , il fau droit le couvrir de terre , pour le planter le len- demain , avant d'en arracher d'autre. Lorfqu'on a mis tout le plant en terre , on achevé de combler les rigoles ; mais la nature du ter- rain doit faire agir différemment. Si le fol étoit difpofé de manière à retenir l'eau , il faudroit alors le bomber un peu au pied des- arbres , iinon on le tiendroit à plat. Dans les- terrains fort fecs il eft bon de laifTer les ri- goles un peu creufes , afin de mieux recevoir l'eau des pluies , & de conferver plus de fraî- cheur. Il y a des Jardiniers qui , fans aucun exa-» men , coupent à tort & à travers tout ce> VEGETATION , LiV. Vî , Ch. VI. 3§f qu'ils plantent ; c'eft même parmi eux un pro« verbe très-révéré , que li on pîantoit fon père, il faudroit lui couper la tête : ceux-là ne man- quent pas de réceper tous lés jeunes arbres j, foit en les plantant , foit au Printemps fui- vant , & avant qu'ils aient fait leur première poufTe ; d'autres , fans faire diftindion de ceux qui font gros ou petits , droits ou tortus , prétendent qu'il faut faire le récepage la troifieme année. On peut alTurer que les uns Se les autres font également inconfidérés , quoiqu'ils n'aient pas tout à. fait également tort. Pourquoi réceper un arbre ? C'elî: dans la vue de lui faire pouffer une plus belle tige , lorfqu'ayant été brouté , caÔe ou frappé de la grêle , il eit tortu & mal fait , ou bien iorfque l'arbre ayant été mal arraché , il a peu de racines , & qu'ayant fouffert dans le tranfport , elles fe font denéchées , & qu'ainfî il y a lieu de craindre que ces racines en mauvais état ne puiifent pas fournir à la nour- riture 6c aux produdions de la tige. Ces conlidérations doivent fans doute engager au récepage : mais quand le plant eft tiré d'un bon femis , qu'il a été arraché avec foin , que toutes fes racines ont été bien confervées, que fa tige eft faine & bien faite , il faut biea ie garder de le réceper , quand il n'y a aucune raifon pour le faire. Pour ce qui eft du récepage qu'on veut faire à la troiiiem.e année , il eft certain qu'il eft encore plus nuiîible, & c'eft une très- mauvaife opération , à moins qu'on, n'y foit Traité de xi contraint par quelqu'aecident arrivé à la pé- pinière, comme d'avoir été broutée ou frap- pée de la grêle ^ bu enfin que l'on ne voie les arbres languiflants & mourants par le haut ; dans ces cas il n'y a rien de mieux à faire que de réceper tout ce qui a befoin de l'être, fans examiner fî c'eft la deuxième ou la troi- lieme année. Quand une pépinière a été plantée avec les précautions que nous venons de détailler, elle h'exige plus que de petits foins qui fe rédui- fent, pour la première année, à en arracher l'herbe , & enfuite à donner chaque année uti labour lin peu profond avant l'Hiver , & deux labours légers , un au Printemps , & l'autre en Eté ^ en prenant garde de ne point endom- mager les racines ; fur-tout quand le plant efl petit ; c'eft pourquoi on préfere la fourche à la bêche pour cette opération. On peut fornier là pépinière de femences^' lorfqu'elles font grolîes, comme des châtai- gnes, des glands, ëiCo • car quand après les avoir fait germer dans le fable , on a rompu la radicule ^ on peut tout de fuite planter à la cheville obtufe , ces femences dans la pépiniè- re , à une diftance proportionnée à l'étendue que ces arbres doivent prendre avant d'être tranfplantés. On recouvrira ces femences de deux ou trois pouces de terre , qu'on aura attention de preiTer un peu, La plupart de ces femences feront forties de terre au mois de Juin ; il fuffira cette pre- mière année d'arracher l'herbe à la main ; dans la deuxième on donnera quelques légers bi- VegetAtiok, Liv. VI, Ch. Vî. g|| tiages , dans la troilieme année les labours feront faits un peu plus profondément. A l'égard des femences fines, comme ori ne peut pas facilement les fépârer du fable pour en rompre la radicule , il faut les tirer du femis au plutard dans la deuxième année, cour leur couper le pivot , avant de les replan- ter en pépinière , lorfque le plant eft un peu gros ; mais s'il fe trouvoit trop petit , on le piquera en planche , ou on le laiiTera jufqu'à ce qu'il ait pris afîez de force pour le mettre £n pépinière. C'eft ainiî qu'on pourra élever en pépinière toutes fortes d'arbres indigènes ou exotiques qui font de pleine terre , pour former des plantations en avenues , en maffifs dans les parcs j bofquets & jardins : nous en parlerons féparément. Mais fi les pépinières nous four- liiflent ces fortes d'arbres , elles nous fournif- fent aufîî des arbres fruitiers , foit en plein vent , foit eti efpaliers de bonnes efpeces , qu'on a fait greffer. On trouve ces arbres au befoin , pour faille des plantations & des rem- placements : étant bien enracinés , arrachés avec précaution , & remjs en terre prefqu'auf- ii-tôt qu'on les en a retirés , ils reprennent & réufîiiTent beaucoup mieux que ceux que l'oa acheté ailleurs. Il eft mieux , comme nous l'a- vons déjà dit , de mettre féparément les dif- férents genres d'arbres. Pour les poires , il faut planter des fauva- geons pris dans les bois , ou venus de pépin , ou de ceux que les racines des vieux pom- miers pouffent d'elles-mêmes ^ & comme k |6â Traité de là poirier fe greffe aufîi fur le coignafîier , il faut ea avoir en pépinière : il y en a de deux efpeces , l'une appellée en effet coignajfier , & l'autre toignier. Le premier donne des fruits plus alongés ; on Y 3.pipç[\e poirier coing , ceux de l'autre font arrondis ; on l'appelle /70/72772/er, îl efl reconnu que le coignier a plus d'analo- gie avec le pommier j ôc le coignafîier avec îe poirier ; c'eft pourquoi il ne faut pas con- fondre les greffes avec les fujets. Le coignier fe diftingue du coignafîier , en ce que fon écorce eft plus grife , tirant fur îe blanc , Se plus lice , fes branches plus par- tagées Se plus fourchues , fes feuilles plus pe- tites , les fruits plus ronds , plus pierreux & moins gros. Le coignafîier donne des branches plus droites ; il a i'écorce noire & velue , les feuilles plus larges , le fruit plus alongé , plus gros Se moins pierreux. Il ne faut donc employer le coignier que pour greffer des pommiers , St le coignalîier pour des poi- riers. Il y a encore le coignafîier de Portugal qui mérite par luirmême d'être cultivé, à cau- fe de la beauté de fes fruits , qui font juger que c'eft celui qui devroit être mis de préfé- ïence dans les pépinières pour greffer des poiriers. On tire beaucoup de jeunes plants de def- fus de gros pieds , qu'on appelle mères coignaf fes, parce qu'elles .produifent beaucoup de pe- tites branches qui font comme leurs enfants. On prend pour cet effet de gros pieds de coignaifiers qu'on plante ea Automne , à qua- tre VEGETATION , LiV, VI , Ch. VI. 3^9 tre pieds les uns des autres , obfervant de les couper à un pouce au-dêfrus de terre ; on leur laifTe poulTer ainfi de petites branches jufqu'à la hauteur d'un du deux pieds , qu'oii bute après d'un bon pied de terre pour leiff faire prendre racine. Ces branches ainlî butées pouflfent de pe- tites racines l'année fuivante qu'on les à ainft préparées , puis on les découvre aii inois de Novembre pour voir ii elles ont pris racine comme elles l'ont du. Si cela efl , on les cou- pe de defTus le pied pour les mettre en pé- pinière , puis on recouvre je tronc de terre pour le laiffer ainii palTer THiver. Le mois de Mars étant vend , on décou- vre ces mères coignajfès pour leur donner jour à repoufler de nouvelles branches , qui ^ étant traitées de même , donnent de nouveau plant. - ■• , . Outre ces marcottes dont on peut fe pro- curer abondamment i on fait auffi avec fuccès des boutures. ,, Pour les pomniiefs , fï oh veut en avoir ae tiges , on plante d'aÏÏez gros fauvageons pris dans les bois , nommés hofquets , ou des fau-" vageons venus de pepm , & qu'on laiffe venir grands pour être arbres de tiges. Si on veut faire une pépinière pour arbres nains, il faut planter des pommiers de paradis , & les plan- ter feulement à un pied l'un de l'autre dans les rangs. La raifon de cette proximité eft fondée fur le peu de racines que font ces fortes de petits pommiers , qui par conféquenc ne demandent pas grande place pour être éle- Tome ItL À â 370 Traité de la vés ; il faut aulli.iîlever des coigniersy comme nous l'avons dit. Pour faire des pépinières de pruniers , il faut planter des noyaux de certaines efpcces, telles que damas noir y faint- julien , cerifettCy ou prendre des rejettons de ces arbres. Pour les pêchers , il faut élever des fujets de prunier, des efpeces ci-defFus dénommées, ou des amandiers, dont on a planté à la che- ville les amandes avant l'Hiver. Le pêcher greffé fur amandier ou fur prunier , réufïit également bien ; mais nous expliquerons au Chapitre des plantations le choix qu'il faut faire de ces arbres , relativement au terrain où on veut les planter. Pour les fruits rouges à noyau > comme ceri fes , griottes, bigarreaux, il n'y a de fu- jets propres que les merilîers à fruit blan- châtre ; ceux à fruit noir ont d'ordinaire la fève fi amere , que les greffes à^s bonnes cc- rifes n'y prennent pas , ou languiffent tou- jours. Les cerifiers de pied peuvent bien fervir pour greffer les bonnes cerifes ; mais comme ils ne font jamais de grands arbres , on n'en fait guère ufage que pour des cerifiers pré- coces & nains. On ne fait guère de pépinières de vignes , on la multiplie par marcotte , & on greffe fur les vieux pieds des efpeces rares. Je confeille de mettre en pépinière beau- coup de jeunes tiges droites & bien choifies d^'épine blanche ; elles fourniront des fujets pour greffer d^s néfliers , aliziers , azeroliers, forbiers , & une quantité d'autres arbriÏÏeaux Végétation , Liv. Vî, Gh. VII. §f 1 d*âgrément pour la décoration des bofquets & des jardins. Nous en parlerons au Cha- pitre de la Greffe , de même que de la ma- nière de greffer tous les arbres fruitiers dont nous venons de parler» Au furplus ces arbres né demandent point d'autres foins pour être élevés en pépinière j que ceux que nous avons indiqués pour les arbres forêtiers. SMmKKI^tJUMJJi^.,^ J. J.!L.W^..Mt^ntl^^B^ CHAPITRE VII. ï)es Pépinières pour élever de grands Arhrcé. j E n'ai rien à ajouter ici aux procédés re- commandés dans le Chapitre précédent pour la préparation du terrain & l'entretien des pépinières , li ce n'eft qu'il faut que la terre foit plus profondément labourée, attendu que les arbres dont nous allons parler, devant y féjourner plus long-temps , doivent jetter àé plus profondes racines. On ne doit planter dans Une telle pépinière que des arbres qui doivent devenir très-grands^ tels que des chênes , des hêtres , des ormes j des châtaigniers & marronniers d'inde, des frê- nes , des tilleuls , des peupliers j des plata- nes ; il ne faut pas penfer à y mettre des arbres verds , <^ifime des pins , des fâpins, des cyprès , des cèdres , &e. On fait que ces arbres dont la reprife^ft peu alFurée, dès 372. Traité de la qu'ils ont pris une certaine hauteur, périroient prefque tous , li on les rranfplantoit lorfqu ils font déjà gros & élevés ; il faut , comme nous l'avons déjà dit , les mettre en place étant en- core fort jeunes. Comme les arbres que l'on met dans la pé- pinière dont nous parlons , ne doivent en fortir quelorfqu'ils* auront acquis dix ou douze pieds de hauteur , & huit ou neuf pouces de circonférence , il faut les écarter beaucoup plus les uns des autres que ceux dont nous avons parlé : on fent que l'étendue de leurs racines l'exige , ainiî que celle de leur tête. Il faut laifTer un intervalle d'environ trois pieds du milieu d'une rigole à l'autre, & deux pieds de diftance au moins entre les arbres ; c'eft d'abord ce qu'il eit néceflaire d^obferver, foit que l'on forme cette pépinière de jeune plant , foit de groITes femences qu'on aura fait ger- mer , & dont on coupera l'extrémité du ger- me en les mettant en terre. Comme on a pour objet de fe procurer des arbres qu'on puiife planter en avenue y en quin- conce , ou en alignement d'allée & de bor- dure , il faut leur laiifer prendre la hauteur & la grofTeur que nous avons dit , avant de les mettre en place , afin qu'ils puiffent mieux réiîfter aux accidents , Se pour en jouir plu- tôt ; & pour remplir avec agrément cette def- tination , il faut que leurs tiges foient bien droites, Se comme on dit d'une belle venue. C'cfl ce qui exige quelqu^ foins , pendant qu'ils s'élèvent dans la pepinl#e : nous allons eu parler, M Tegetation , Liv. VI , Ch. VII. 373 Il faut en vifitant la pépinière avoir foin d'élaguer les branches du bas de la tige , & fur-touc de fupprimer celles qui font four- chues à fon extrémité ; mais cette opération fe doit faire avec difcrétion êc en différents remps : il ne faut retrancher les branches la- térales que fuceeHivement ,• li on les fupprime tout d'un coup , Tarbre s élance fans prendre de grolTeur , & ne forme qu'une houffine qui devient le jouet des vents. De plus iî on fe rappelle que nous avons fait connoitre que les branches & les racines pouffent toujours dans la même proportion , on ne doutera point que cette fupprelîion de branches ne retarde le progrès des racines. 11 faut couper les branches gourmandes au ras du tronc , & arrêter les autres auxquelles on voit prendre trop de force , en coupant à leur extrémité ou même à moitié, Comme on doit avoir principalement arten^ tion à diriger la cime de l'arbre, lorfque deux: branches k peu près aufîi groffes fe difpo- fent à former un fourcher , il faut couper h moins bonne , en lui laiffant un chicot de quelques pouces de long , auquel on lie la branche qui relie, en la forçant un peu pour la redreffer , après quoi on coupe entière- ment ce chicot ; on retranche auffi peu à peu les branches latérales qu'on avoir arrê-^ tées. Au furplus comme dans les pépinières, lorfqu'elles font bien garnies , les arbres fonç peu éloignés les uns des autres , ils s'ébran- çhent naturellement • c'eft ce qui arrive dans. A ^ 3 174 Traité de la les futaies & dans les maffifs où les arbres çroilTent droits & fans branches latérales , êç prennent plus delévation que de groiïeur. Ainfi , en laiifant fubfifler les menues bran- ches qui viennent le long de la tige , elle§ contribueront à faire prendre de la groffeur à l'arbre , & on les verra périr peu à peu d'elles- niêmes ; linon quand les tiges paroitrpnt allez grofTes , on les retranchera fans que les arbres en fouffrent. C'eft fur-tout à l'égard des arbres toujours verds , comme les pins , les fapins , thuya , cyprès 5, cèdres , &c. , qu'il faut ufer de beau- coup de ménagement dans la fuppreflion des branches ; car ils dépériifent feniiblement , quand on leur en retranche beaucoup à la fois , attendu qu'ils n'çq rçpoulTent point de latérales» C'efl pendant l'Eté qu'il faut viiîter les pé- pinières pour retrancher les branches gour- mandes , & arrêter celles qui prennent trop de force , ou qui font mal placées. Lorfqu'il fe trouve des arbres qui fe courbent ou qui fe penchent , il faut les redrelfer , foie avec l'inilrument connu donc fe fervent , à delTein contraire , les Ouvriers qui font des cercles , & qu'on appelle billard , foit encorp plus amplement en mettant le genou fur fa partie convexe de la tige , & tirant forte- ment à foi le haut de l'arbre. Par cette opé- ration forcée on rompt quantité de fibres li- gneufes à la partie qui étoit concave ; il fe fait à cet endroit beaucoup de petites cica-? îricçs , & l'arbre prend par la fuite une di-^ Tegetation , Liv, VI , Ck. VII. 375 redion perpendiculaire : cette opération eft plus facile ;, l'effet en eit plus confiant , qu'en faifant ce redreffement par le fecours des tuteurs. Quand les arbres ont été négligés & qu'ils ont pris une raauvaife forme , le mieux eft de les couper au pied ; ils font l'année fuivante un jet vigoureux , qui forme une nouvelle lige que l'on conduit avec beaucoup plus de facilité. Ceft ainfi qu'on peut fe procurer de beaux arbres pour faire des plantations , qu'on peut être affuré de voir bien réuiiir , au m3oyeii des procédés dont nous parlerons. Mais la plus mauvaife , la plus mal entendue écono- mie que l'on puifTe pratiquer , c'eft de faire des plantations avec de grands arbres arra- chés dans les bois : ces arbres qui pouîTent bien où ils font venus de femence , périllent pour la plupart dans la traufplantation , ou ils reftent long-temps languilTants , parce qu'il faut pluiieurs années avant que ces ar- bres, qui ont peu de racines latérales, aient pu en former d'autres. Ce n'eft donc que da jeune plant que l'on peut tirer des bois pour le mettre en pépinière , où il poulie de bon- nes racines & fe forme un bon pied ; mais il faut les y lailTer lorfqu'ils ont pris une certaine croilTance , leur tranfpîantation ne produiroit que beaucoup de dépçnfe & très- peu d'agrément. Si on compte ce qu'il en coûte pour faire & refaire les trous , pour planter & replanter aanuejlement , pour remplacer les arbres Aa4 37^ Traite de la pions , les dégradations que l'on fait dan^ fesbois, ou ce qu'il en coûte pour les faire prendre dans les forêts & les faire tranfpor- ter > on verra qu'outre le peu d'agrémçnt qu'ils donnent , ces arbres coûtent plus cher que ceux qu'on acheté dans les pépinières ; & ceux-ci j par les raifons que nous avons déjà données, ne profitent jamais autant que ceux qu'on élevé chez foi ; ce qui démontre de plus en plus l'utilité vraiment économique des pé- pinières, ' Gefl: dans ç^s pépinières , piais féparément, quon élèvera aulîi (les arbres fruitiers gref- fés , pour avoir des hautes tiges , & des ar- tères en plein vent pour former des vergers , commç nous le dirons. Les pépinières d'édu- cation pour ces arbres, s'appellent batardieres ; pn làiffe entr'eux plus d'efpace que dans leâ pépinières ordinaires ; on y élevé aulîi des baf- fes & moyennes tiges ^ auxquelles on donne l'étendue & la formé convenable , foît eq éventail , ibit en buiflbn ; on les taille , on les difpofe félon leurs différentes deflinations ; on fe procure ainfi des arbres tout formés , ou , comme on dit , tout venus, poui* faire des remplacements aux efpaliei-s , eontre-efpaîiers & quarrés de jardins: c'elt le moyen de jouir promptement , & de ne pas s'àppercevoir , pour ainli dire , des pertes ique l'on a faites. ' ' ' ■• ^ : ' •' Il eft d'autant plus néceîFaire de fe préparer cette jouilîance , qu'on a peine à trouver de pareils arbres chez les Jardiniers , qui, lorf- ^u'iîs en ont , les vendent fi cher , que je ne Végétation, Liv. VI, Cii, VIII. 377 fais pourquoi ils ne fe portent pas à en éle- ver davantage. Il eft vrai que comme il eft mieux de lever autant qu'on le peut ces ar- bres en mottes , il eft néceiTaire de les mettre dans des mannequins, ce qui en rend le tranf? port difficile & poiireux ; confîdérations qui ii'ont pitis lieu lorfqu'on les élevé chez foi, & proche du lieu où ils doivent être plantés. T CHAPITRE VIU. Des Plantations en g^heral. 0 U S les Jardiniers & même de iîmples Ouvriers, difent & croient peut-être qu'ils favent bien planter. Etronçonner les racines d'un arbre , le mettre dans un trou que l'on remplit de terre fans précaution , donner de grands coups de pied par-deflus ; tout eft bien, pourvu que les arbres foient bien ali- gnés ; car c'eft à quoi les plus ignorants ne manquent guère , & l'appareil des jalons qu'ils difpofent , fouvent affez inutilen^ent , donne une grande idée de leur favoir Se de leur habileté à ceux qui n'en favent pas da- vantage. J'ai vu de ces Jardiniers qui ne penfant uniquement qu'à cet alignement , parce qu'il ne faut que des yeux pour voir ^'ils y auroient manqué , abandonnoient d'ail- leurs la plantation & toutes les précautions qu'elle exige pour être bien faite , à des Ouvriers ^u on leur donne toujours pour les aider : 578 Traité de la k maître vient fe promener avec fa compa- gnie ; on lorgne les arbres , car tout le monde fait lorgner , on les trouve bien alignés , .& on dit qu'ils font très-bien plantés. M 'étant trouvé à pareil examen : convenez , me dit le Propriétaire , que mon Jardinier plante bien. Très-mal , lui dis- je , mais très- mal : ne voyez-vous pas qu'on a écourté ^ mutilé les racines de ces malheureux arbres ; qu'on les met dans les trous-, fur une terre qui n'a pas été remuée , très - mauvaife & très-dure, qu'ils y font enfoncés trop pro- fondément , qu'on recouvre le peu de racines qu'on a laifiTées avec des blocs de' terre qui ne les enveloppent pas ? On appelle le Jardi- nier ; il affure qu'il fait bien fon métier , qu'on ne lui apprendra pas ; qu'il y a vingt , trente ans qu'il le fait , & autres raifons de cette efpece.Cependant l'année fuivanteplufieurs arbres ont péri ; d'autres ont poulTé , mais foi- blement ; car, malgré les outrages qu'on lui a faits, la Nature eil: toujours difpofée à les réparer autant qu'elle le peut ; oc quoique maltraités , il y a toujours plufieurs de ces arbres qui poulfent de nouvelles racines : une bouture en poulTe bien. Mais parmi ceux qui reprennent , malgré tout le mal qu'on leur a fait , combien faut- il de temps pour le répa- rer? combien faut -il d'années avant qu'ils aient formé un pied tel que celui dont on les a privés ? combien faut-il faire annuelle- ment de remplacements avant de les faire tous reprendre ? Si on demande pourquoi cqs arbres meurent, ce n'qlt jamais la faute da Tegetation, Liv. VI,Ch.V1II. 379 planteur ,• c*d\ que les mulots ont mangé les racines , ou bien le terrain trop humide les a fait pourrir , ou bien la féchereffe en eft la caufe , &c. Voilà à peu près çon^ment fe font les plan- tations , quand le Propriétaire ou celui qui les dirige n'eft pas inftruit des moyens & des précautions qu'il faut prendre pour les faire bien réuilir ; qu'il n'a pas pris les connoifîan- c^es qu'il neft pas polîible de trouver dan$ l'efpece d'hommes qu'on emploie ordinaire- ment à ces travaux ; enfin , s'il ne fait pas diriger leurs opérations. Mais 11 , éclairé par une bonne théorie , & fâchant juger fainement & fûrement, d'a- près les vrais principes de la végétation , des bons & des mauvais ufages , conduit par ces guides qui n'égarent jamais quand on fait bien les fuivre , il rejetera avec fermeté les fauiïes autorités de la coutum.e & les mau- vaifes raifons qu'on lui donnera ; il faura difcerner les bons d'avec les mauvais con- feils , fans s'en îaifler impofer par des répu- tations fouvent m.al méritées ; & iorfqu'il verra que l'expérience , par d'heureufes fui- tes , aura confirmé fes juftes conjedures & fes bons procédés ,* tous les raifonnements , toutes les opinions contraires , car il faut s'at- tendre à en trouver toujours , ne pourront jamais l'ébranler ni le laifTer douter. Il ne fe laiflera point féduire par les opé- rations merveilleufes que l'on trouve dans plufieurs Livres,* il ne donnera de croyance qu'autant qu'ils le méritent à une quantité de 3B0 Traité de la fecrets imprimés depu's long-temps , à dç nouvelles recettes , quoique publiées depuis cent ans , pour forcer la Nature à changer fa marche , heureufement li confiante & fi immuable, que les Rois & lç$ hommes n'y peuvent apporter aucun changement. Malgré le mérite des Auteurs à d'autres égards , îl les regardera conime ignorants & fautifs en agriculture , quand ils diront » eomme Virgile , que les arbres fruitiers réufr fiiïent & produifent étant greffés fur des ar- bres forétiers, tels que des ormes , des hêtres > &c. Malgré les citations de plufieurs Au- teurs , malgré la crédulité de plufieurs per- fonnes , d'ailleurs éclairées , il ne croira point qu'on obt^^nt des rofes vertes en greffant un rofîer fur un houx , parce que lexpérience lui a fait connoître la fauffeté & rimpoflï- biîité de ces opérations merveilîeufes , en Taffurant que jamais les greffes ne peuvent réullir que lorfqu'il y a de l'analogie entr'el- îes , & le fujet fur lequel on les pofe. C'eft ce que je prouverai en fon lieu : & pour ne pas fortir du fujet que nous traitons ac- tuellement , il ne doutera pas que plus on laiffera déracines & de chevelu frais à un arbre en le plantant, & plus non-feulement la re- prife fera aflurée , mais qu'il pouffera & fe fortifiera mieux en moins de temps , parce qu'il faura que les racines & les branches pouffent toujours en même proportion. Bien convaincu que la fève ne circule pas dans les végétaux comme le fang dans les aiimaux ; & ayant reconnu le peu de reffem^ VEGETATION, LiV. .VI, Ch.VIII. ^$t blance qu'il y a entre les uns & les autres , il rira de l'idée d'un bon Praticien d'ailleurs , qui veut que Ton faigne & que l'on purge les arbres ; il fait que la libre communication qu'ont entr*eux les conduits féveux , permet de détourner le cours de la fève , foit par l'amputation d'une branche , foit par des en- tailles faites au corps de l'arbre ; mais que les arbres n'ayant point de veines dans lef- quelles circule le fang comme dans celles des animaux , on ne peut les ouvrir pour ea faire jaillir les liqueurs qui pafTent dans les fibres ligneufes où les conduits font féveux; que Il par la thérébration , on tire des liqueurs de quelques arbres , l'examen fait voir que ce n'eft pas la fève , mais les fucs propres , très- différents félon les genres d'arbres : ces fucs font fucrés dans l'érable ; acidulés dans Torme où il s'en fait quelquefois d'aifez grands dépôts; amers dans l'oranger ; réiineux dans le pin , le fapin ; gommeux dans le pccher ^ le prunier , le cerifier ; laiteux dans le figuier , &:c. Enfin , l'étude qu'il aura faite des loix de la Nature le rendra Juge éclairé & habile des citations , des méthodes fouvent contra- didoires qu'il trouvera dans les Livres , des différents rapports qu'on lui fera , & des bons ou des mauvais effets de la coutume , c'eft- à-dire de la routine du pays que fuivent tou- jours aveuglément les hommes bornés à ces feules connoifTances. Quand , par exemple, fon planteur lui dira qu'il faut toujours étêter ua arbre ea le plan-* tant, & que j félon le proverbe três-fpirî- tuel du pays & très-répété , lî on plantoit fon père , il faudroic lui couper la tête j il fera le cas que Ton doit faire de pareilles citations. Si des hommes qui méritetit plus de con- fiance lui difent qu'ils ont éprouvé que deux arbres plantés en même temps , n'ont fait remarquer de différence que parce que celui ^qui a été étêté a mieux poufle & mieux formé fa tête que celui auquel on a laifTé des bran- ches en totalité ou en partie : s'il eit à por- tée d'examiner le fait , il reconnoîtra vrai- femblablement que toutes chofes n'étoient pas d'ailleurs égales ; obfervatidn importante & dont les gens qui veulent contrarier ne parlent jamais : mais en fuppofant qu'elles le fufTent , il fait quil y ardes circonftances où il eil bien & même néceffairc de ne pas laif- fer de branches à un arbre qui eft hors d'é- tat de les nourrir 5 tel eft celui qui , étant mal arraché & quelquefois depuis long- temps , qui a fouffert dans le transport, dont les petites racines font defféchées , ainfi que le chevelu. Mais comme ces confidérations n'ont point lieu à l'égard d'un arbre fraîche- ment & bien arraché & planté prefqu'audi- tôt , avec les attentions dont nous allons par- ler, il fe gardera bien d'étêter un pareil ar- bre , en admettant inconfidérément comme principe général , ce qui n'en doit être que l'exception dans certains cas. Si on étoit auifi perfuadé qu'on devroit l'être de la différence qu'il y a de bien ou mal planter un arbre VEGETATION, Il V. VI, Ch. VIII. 383 qui, dans cet état, eft , pour ainfi dire , entre la vie & la mort , état que décide la manière dont on le plante , & quand malgré les fautes commifes , il n'en meurt pas , comme font quelques malades entre les mains d'un Médecin ignorant; fi on favoit de combien d'années on retarde fa croilTance , la bonté & l'abondance de fa frudification , il eft à croire qu'un Propriétaire regarderoit comme bien employé le temps qu'il confacreroit à acquérir des connoiflances qui le guideroienc fûrement dans ces opératioas , qui l'afFran- chiroient des préjugés , des routines , qui le raettroient en état de juger fainement àes bonnes & des mauvaifes railons de fon Jar- dinier ; des confeils que tous les paffants né manquent pas de donner fur de fauffes cita- tions. Enfin , ces connoiflances bien acquifes, en le faifant jouir du fruit de fes travaux & de la dépenfe qu'il aura faite , lui afTureront une jouiflance fatisfaifante & profitable ; il eft à croire que celui qui , pour fon intérêt & foa agrément , fentira que l'étude de l'écono- mie rurale eft plus importante que toute autre à laquelle on s'adonne , fans en tirer autant d'a- vantages , il eft à croire qu'il ne penfera pas qu'il perde le temps qu'il y donnera , & j^ofè efpérer qu'il trouvera dans ce Traité les moyens d'y parvenir, fi , en profitant des méthodes éprouvées que j'indique dans cette féconde Partie, il a médité & réfléchi fur la marche de la Nature , démontrée dans la partie théorique ; car autrement , comme je g84 Traité de là l'ai dit y ces indications , ces méthodes-pra- tiques ne font qu'un bâton dans la main d'un aveugle , qui peut bien diriger fa marche , maiè qui ne l'éelaire pas; tj^um CHAPITRE IX. 3e la natUTt du terrain pour Us planta^ tions. LusiEURS Traités d'agriculture font remplis de grandes diflertations fur la nature des différentes terres , dès moyens qu'on peiït employer pour découvrir leurs bonnes & leurs mauvaifes qualités , fur d'excellents procédés , pour les améliorer ; mais outre qu'on peut révoquer en doute une partie de ce qu'on lit dans ces Ouvrages , tout cela n'*eft point du iujet que je traite , parce qiie dans les gran- des plantations dont il efl: ici queflion , il faut prendre le terrain tel qu'on le trouve , & l'expérience prouve que la plupart des arbres forêtiers viennent très-bien dans des terrains de nature très- différente. On peut planter par- tout ; il ne faut que faire un choix éclairé des moyens les plus lîmples & les moins dîfpendieux & des diffé- rents genres d'arbres , parce que tel fol qui ne convient pas aux uns convient bien aux autres. De plus , indépendamment du bien public qui exige qu'on mette en grains les terres qui Végétation, Iiv. VI , Ch. IX. 3^5 qui y font propres , ce feroit dommage d'em- ployer pour les plantations , & fur-tout les bois , aes terres de la meilleure qualité ; mais comme il y a beaucoup de terres qui dédom- magent à peine les Laboureurs des dépenfes qu'ils font forcés de faire pour les faire va- loir, ce font ces terres de médiocre qualité qu'il faut employer en plantations & en bois: Cette opération n'exige qu'une première dé- penfe, & fournit enfuite, fans aucune culture, àQS agréments & du profit. C'eft fans doute acquérir de nouvelles ter- res que de mettre en valeur celles qui n'y étoient pas, telles que des landes , des fri- ches, des coteaux ftériles que l'on plante en bois ; mais c'eil vraiment gagner de fe pri- ver pendant quelques années du petit revenu ie fes médiocres terres pour y faire des plan- tations qui augmentent de beaucoup la valeur du bien , iî on vouloit le vendre , & qui promettent au propriétaire ou à {qs enfants un produit quelquefois plus coniîdérable que n'étoit le fonds par lui-même. Outre l'ornement & l'agrément des arbres de haute-futaie , tant qu'ils font fur pied , ils font la richeife d'une famille, lorfqu'ii» font en état d'être vendus. Dans les terrains mauvais & qui n'ont point aiTez de fonds pour que les grands ar- bres y puiffent croître , on forme des taillis qui font d'un produit moins confidérable , mais plus prochain ; on y met , faxis autre choix que celui que décide la nature du terrain , toutes les elpeces d'arbres qui y prof- Tome III, Bb 3?i5 Traité de z k perent le mieux ; toutes font utiles, poufViP qu'elles y croiffent ; car le bois efl li rare qu'il n'y en a aucune efpece qui ne foit re- cherchée : tout fe vend bien. On fait qu'en général les arbres réufliflent: & poiiiTeot beaucoup mieux dans les bons terrains que dans ceux qui font mauvais ou médiocres. Les arbres fruitiers particulièrement ne font que languir dans ceux-ci ; c'efl pourquoi nous avons déjà parlé de la néceflité de défon- cer & d'améliorer le terrain où on fe pro- pofe de faire un jardin , à moins qu'il ne foit naturellement d'une bonne qualité jufqu'à une certaine profondeur ; de le faire changer de nature , û elle eil vicieufe , en y faifant mê- ler de l'argile 11 le terrain eft fablonneux , ou du. fable s'il eft trop compad & humide. Mais ces moyens qui font très-bons pour de petits efpaces , & qui , dans certains cas , pourroient même être pratiqués avec avantage pour des terres à grain , exigeroient trop de dépenfe pour des bois d'une grande étendue. Il faut que les arbres s'accommodent du terrain où on les met y tel que la Nature l'a fait. Heureufement il en eft qui viennent par-tout, excepté feulement dans la pierre, car je regarde comme pierre, la marne, la craie , le tuf, le fable pur & la glaife pure : li ces lub- ftances font uniformes & ferrées , les arbres y périront ; mais li elles font mêlées de quel- ques veines de terre , quelques arbres pour- ront y fubiiiler : d'ailleurs que la terre foit noirâtre ou blanchâtre, jaune ou rouge, ou Yegetatïôn, liv. VI, Ch. ÎX. 387 de toute autre couleur que lui donnent ordi- nairement les minéraux ; qu'elle foit franche DU limonneufe , mairécageule ou fablonneufe ^ humide ou feche, forte ou légère, douce oii pierreufe , on pourra y élever des bois. Si ce n'efl pas telle efpece d'arbre j ce fera une autre ; il n'efi queftion que de choifir le genre d'arbre qui convient à chaque nature du fol , pourvu qu'il y ait une fuffifante pro- fondeur de terre de même efpece ; & que celle qui eft dans l'intérieur près de la fuper- ficie, ne foit pas d'une nature contraire à la Tégétation. Ainiî quand on veut connoîtrè quelle éft li nature d'un terrain qu'on veut planter , oii doit commencer par examiner la qualité dii fol intérieur. „ , , Le mieux fera de faire ça & là des trolig de lîx pieds de profondeur pour être plus qû état d'obferver les différentes couches de ter- res. Mais comme ces fouilles coûteroienc beaucoup , lî on vouloit fonder une grande étendue de terrain qui varie fouvent à dé petites diilances , on pourra fe contenter de faire ufage d'une efpece de tarriere , dont orï fe fert pour fonder le terrain. Il ^[i rare de trouver de ces terrains; pri- vilégiés qui ont un excellent fonds à une grande profondeur ; car ordinairement là terre dy deffus change entièrement de nature à un , deux , ou trois pieds de profondeur ^ quelquefois même à fix pouces ; en ce cas ^ il le deiTous étoit du fable ,- du gravier ou de la terre rouge dans laquelle les racines Bh 2^ 388 Traité jd e la puifTent pénétrer, le bois poiirroit y venliV Si au lieu de fable , on y trouvoit de la glaife pure, mais douce, qui n'endommageâc pas les racines , elles s'alongeroient fur ce banc , fans beaucoup le pénétrer, ôc les ar^ bres profiteroient de l'eau que la glaife re- tient. Mais quand le deîTous fe trouve être un banc de pierre , fans prefqu'aucuns délits , ou un lit de tuf, de marne, &c., dans lequel îes racines ne peuvent pénétrer , une petite épailTeur de terre fur de pareilles fubftances ne pourroit nourrir que de foibles taillis. Deux pieds de terre fertile pourront fuf- lire à d'alTez bons taillis ; trois pieds pour-^ ront fournir fuffifarament de nourriture aux arbres qui doivent faire une demi-futaie, & pour une haute-futaie, il faut au moins qua- tre pieds : au refce , tout cela ne peut être que des à peu près. Ces trois pieds de terre bonne & bien fubftancieufe fourniront plu^- ;de nourriture aux arbres que quatre & cinq ' ;pieds de terre maigre & feche. On pourra dire que les frênes & les noyers réaiîiffent cependant bien dans des terres où le tuf blanc fe trouve à moins de deux pieds •tfle la fuperficie ; c'efl que ces genres d'arbres jettent des racines dans le tuf, pourvu qu'il ne foit pas trop ferré ; d'ailleurs les arbres qui grandiiïent dans ces terrains font ifolés ; éc com.me ils font de nature à étendre leurs racines fort loin , ils trouvent dans la fuper- ficie du terrain de quoi fuppléer à ce qui lui «manque en profondeur. VEGETATION , Lit. VÎ , Ch, ÎX. 3B9 Les jeunes arbres ono peine à fublifter dans des fables fecs & peu alliés de terre , parcs que , comme l'ardeur du foleil les pénètre èc qu elle ,îes deiTeche aiïez profondément 3 les racines qui ne s'étendent encore que foi-- blement font peu en état de fournir à la dilîif pation des feuilles. C çft fur-tout dans ces terres légères qu'il faut faire les femis & les plantations en Au- tomne , préférableiTient au Printemps , & procurer de l'ombre aux jeunes arbres par diftérents moyens dont je parlerai. Il faut s'attendre les premières années à beaucoup^ de rem.placeme.nts en pareil terrain ; mais quand une fois les arbres ont jette en terre de profondes racines ,. pris une certaine force, quand ils s'ombragent réciproquement , & qu'ils couvrent de leurs rameaux la terre donc ia fraîcheur neft plus diiîipée par les rayons du foleil , alors ils pouiïènt & réulîîireaî; aifez bien dans ces terres légères ; il y a quelques genres qui s'en accommodent par- ticulièrement bien , tels que les peupliers blancs , les bouleaux. , les hêtres , les châtai- gniers , les pins , Sic, Mais en général , prefque tous les arbres fe plaifent mieux dans les terrains frais & humides que dans les terres fecbes. On voit des arbres qui croilTent à mer- veilles dans de mauvais terrains lorfque Teau les pénètre ; il ne faut cependant pas que l'eau y féjourne toujours, comme dans les ma- rais qui font prefqu'entiérement fubmergés. m qui font expofés à l'être fréquemment 3 il 39^ Tk-aité de la XI Y croit que des rofeaux , des joncs & dç îTiaiivâifes herbes ; mais les arbres y péri- ^'oient. Il n'en efl pas de même dans les terrains qui ne font inondés que de fois à autre pen- dant l'Hiver ; j'ai éprouvé que les arbres n'y réuiîîfTent que mieux , particulièrement l'aune, le peuplier , le platane , le frêne , le tilleul §z l'orme, ' - Il n'y a guère de terrains où l'on ne puifTe élever des arbres; mais pour ne poinc faire d'inutiles dépenfes , à l'égard de ceuK qui ferojeni* tellem^ent mauvais , qu'ils fe refu- ferQieqt abfolum.ent à l'induftrie des Cultiva- teurs , Qutre ce qu'on en peut reconnoître en fondanf: , comme nous l'avons dit , on peut encore en juger par les produSions naturel- les de ee terrain : quand on apperçoit ça & là de grands arbies chargés de beaux jets ^ & qui donnent des iignes de vigueur , alors on peut juger que le terrain y eil bon juf- qu'à la profondeur où ces arbres peuvent étendre leurs racines ; & l'on fera afîuré de ia réullite des mêmes efpeces d'arbres que l'on y voit bien profpérer ; car on ne doic pas conclure par la vigueur des plantes qu'on y voitj que le terrain fera bon pour des ar- bres ; cette vigueur n'indique le plus fouvenE gue la qualité de la terre de la fuperficie. On peut encore juger de la qualité du ter- rain par les planres qu'il produit naturelle- ment ; il y en a qui ne viennent que dans les bonnes terres, telles que la periicaire , &c. ; li'autres dans de médiocres , comme la fou- Végétation , Lit. VÏ, Ch. X. 991 gère, les genêts, &c. ; d'autres enfin dans de très-mauvaifes , comnle le genièvre & îa bruyère. Au furplus , avant de travailler en grand, on peut faire de petits eirais ; car on voit quelquefois de très-beaux bois dans des ter- rains qu'oD auroit jugés très-mauvais. CHAPITRE Du choix des Arbres, E que nous avons dit de l'avantage d éle- ver chez foi des arbres en pépinière , va être reconnu & prouvé de plus en plus par tout ce que nous allons dire de ceux qu'on eft obligé de tirer d'ailleurs, par les négligences & les fraudes auxquelles on ell expofé , & plufîeurs autres inconvénients qui s'enfai- vent. On ne doit jamais attendre les mêmes fuc- cès du plant qu'on eili obligé d'acheter , que de celui qu'on élevé dans les propres pépi- nières <& dans fes femis ; mais comme cette pratique , quelqu'avantageufe &c économiquei qu'elle foit , n'ett pas auiTi généralement fùi-f vie & au (Il étendue qu'elle devroit l'être ,, on ell forcé d'acheter du jeune plant Se desf arbres que l'on n'a pas , & particulièrement' des arbres fruitiers & d'ornement pour les jardins. CQmme Iç profit aufTi-bien que ragrément B b ^ 392. Traité delà & la jouifTance du maître dépend beaucoup du bon choix des arbres que l'on acheté , nous allons entrer dans le détail de quelques lignes qui doivent guider dans ce choix. Il eil d'abord important de prendre con- noifTance de la nature du terrain des pépi- nières dont on tire les arbres ; il faut ablb- lument éviter d'acheter de ceux qui auroient crû dans des terrains fumés, gras & humides » à moins qu'on "ne les remit dans un fpl de pareille qualité ou même meilleur : nous ajouterons à ce que nous avons déjà dit du jeune plant , qu'il faut toujours tâcher de l'a- voir le plus frais poiîible & bien déraciné ; ç'efi ce qu'on a de la peine à obtenir des arracheurs , qu'on peut , à jufle titre , appeller tels , parce qu'au lieu de déraciner , ils arra- chent avec peu de précaution & caflent ainfî une grande partie des racines ; d'ailleurs ces fortes de gens qui expédient le plus promp- tement qu'ils peuvent la beibgne , laifTent def- fécher les racines à l'air & au foleil , fans prendre la peine de les couvrir ; & comme ils aiment mieux livrer une bonne quantité de plant tout à la fois, ils en apportent de vieux arra- ché avec du nouveau ; & afin qu'on ne s'ap- perçoive pas du deifécheraent des racines , ils ont foin de les faire tremper dans l'eau la veille qu'ils doivent les livrer. Il eft difficile de faire autrement à ces arra- cheurs de profeffion qui parcourent des fo- rêts , quelquefois éloignées , pour y chercher différents genres d'arbres , & fatisfaire aux dif- férentes demandes qu'on leur fait fouvent en çiême temps. Végétation, Iiv. VI, Ch.X. 395 On ne peut donc être afiuré d'avoir du planr fraîchement Se bien déplanté qu'en em- ployant , pour cet effet , des journaliers aux- quels on recommandera de fouiller le terraia à la pioche pour lever le plant bien enra- ciné , au lieu de le tirer à la- main ^ comme font les arracheurs ordinaires , en leur recom- mandant de couvrir avec des herbes ou de la moufle les racines par petits lots à fur êc mefure qu*ils déplantent , & de les ralïèm.blér le foir pour les apporter en paquets St les mettre provifoirement enterre^ à leur arrivée ^j^_ dans des rigoles. -^^ Cette manière de fe procurer du pîanl pourra paroître plus difpendieufe que l'au- tre, en ne confîdérant que la quantité qu'on en recevra ; mais on trouvera qu'elle ell bien économique , lî on coniidere les différents fuccès. ' On perd fouvent plus de la moitié d'iih côté , & on gagne prefque tout de l'autre ; &: fi on compte les frais perdus de la pre- mière plantation, & ceux qu'iî faut faire les années fuivantes pour les remplacements , on trouvera, comme je l'ai éprouvé, qu'à quelque bas ipn%. que leâ arracheurs livrent ce plant défedueux , il devient en effet très-cher par les non-JQuiiîances & les dépenfes qu'il occa- iionne. Le plant de forêt qui a germé & qui s'eft élevé dans le terreau que forment les feuilles & les branchages pourris , a ordinairement ks racines noires & chiffonnes ; cependant quand ces racines font bien conditionnées , ce ^94 Traité de la plant eft préférable à celuijie femence qui n'au- roit qu'un feul pivot. Entre les différents plants qu'on trouve dans les bois , les uns font de graines , & ies autres de rejets ou de drageons enra- cinés. Le plant de graine eft préférable quand il a de§ racines latérales & proportionnées à fa groiTeur ; mais celui qui n'a qu'une racine en pivot ne reprend que difficilement. ^>3 Le plant de rejets eft fort bon , quand il fe trouve pourvu de belles racines ; mais rare- ment il forme des tiges bien droites. On eft prefque toujours obligé de réceper la plus grande partie du plant pris dans le bois , foît qu'on le mette en pépinière ou en inaîTif ; on doit donc examiner avec plus d'at- tention l'état des racines que celui des tiges ; il importe peu dans ce cas qu'elles foient .bien branchues & mai faites , pourvoi qu'elles foient vives , que, les boutons foient gros & bien formés , que l'écorce en foit unie & brillantf , tellie qu'elle doit être au chêne , au hêtre , au charme & autres , lorfqu'ils foD't en vigueur ; il en eft d'autres , tels que ïôrme , l'érable , le cornouiller , &c. dont l'écorce eft grife , terne & fouvent raboteufe ; ce qui n'empêche pas néanmoins de diftinguer il elle eft vive & fucculente. Le plant le plus gros , pris dans le bois , n'eft pas ordinairement le meilleur , & eft toujours celui qui reprend le plus difficile- ment , d'autant plus que c'eft toujours celui qui eft le plus makyaité par les arracheurs VEGETATION , LiV, VI , Ch. X. 395 qui ne prennent pgs la peine de le déraciner comme il faur. Je préférerois le plant des bois , fraîche- ment & bien arraché, à celui de pépinière, il on étoit obligé de le faire venir de loin ; mais û on efl à portée de quelques Jardi- niers qui en élèvent de femence , le raieuicefl: de s'en pourvoir , fans examiner s'il xoOte pn peu davantage ; c'eft moins le prix, des arbres , fur-tout de ceux de cette efpece , qu'il faut examiner , que la dépenle de la plantation ; le fuccès en eft toujours plu^ aflbré & la jouiiTance plus accélérée. -^^ Le plant de femis que fournirent les Jar- diniers peut être employé , foit en pépinière, fo.it pour être planté à la place qu'on lui def- îine. Si on a pris les précautions dont nous avons parlé pour faire pouffer des racines latérales , il n'y a pas de danger de choifir .îe plant le plus fort; mais ii, faute de ces précautions, le plant n'avoit qu'une racine pivotante, il faudroit alors le choiiir aitez menu , afin qu'il puiife reprendre , malgré le raccourciilement que l'on fera à cette racine en plantant. ;„ ; Comme on ne récepe point ces petits ar-- bres de femis , à moins qu'ils ne foient ancieiî- nement déplantés , il faut choiiir ceux donc les tiges foient droites & bien conditionnées : ia fraîcheur des racines & de l'écorce doit faire connoitre s'ils font nouvellement tirés ^e terre. Le plant de pépinière qu'on aciiere des Jardiniers pour en former des pa;liirades ou ' %^6 Traité de i A ' pour remplir des maflifs , ne doit point avoir de pivot , mais un bel empattement de raci-^ ïies y le plus fort eft celui que l'on doit choi- iîr : Il c'efr pour former des paliiïades , il doit être de femenee , avoir trois ou quatre pieds de hauteur, être gros comme le doigs par le pied , & s'élever en houiîines droites ; fi avec cela, il eft pourvu de belles racines , & qu'il foit nouvellement arraché , on pourra fe difp£nfer de le réceper : mais quand c'ed pour garnir des maffifs , il eft aflez indiffé- rent que le plant foit de femenee ou de dra- geons : il efl aifé de les diftinguer quand ils font arrachés , à l'infpedion de la racine ; la principale eft toujours droite dans le plant de îemence , & celle du plant de drageons forme une petite croiTe. Quant aux arbres de hautes tiges pour for^» mer des allées ou des avenues , ils doivent avoir une belle tige bien droite, de huit àdiic pieds de hauteur , & de fîx à neuf pouces de circonférence , Técorcevive, fans mouffe , ni chancres , ni écorchures ; les branches doi* vent être vives & fortes , plus rapprochées qu'é- cartées les unes des autres ; on examinera iî l'écorce des rameaux n'eft point ridée , & on arrachera quelques boutons pour voir s'ils font bien verds. La grofleur & la longueur des racines doit être proportionnée à la grandeur des arbres ; elles doivent être unies , vives , fraî- ches , ni rompues , ni écorchées , ni forcées , tii éclatées. Si ces arbres fout pris dans une pépinière Vegetatioî^ , Liv/Vr, Ch. X. 397 Veifine , s'ils ont été déplantés avec précau- tion , tranfportés avec foin , ôc replantés le même jour de la manière que j'ai indiquée , on pourra conferver leurs branches au moins en grande partie ,* ils feront en état de les bien nourrir. Mais il ces arbres viennent d'af- fez loin pour ne pouvoir être tranfportés que dans l'efpace de deux ou trois jours , la né- celîité où l'on eft de les charger à dos de cheval , ou fur des voitures , ne permet gue-^ re alors de les tranfporter avec leurs bran- ches , ni même avec de longues racines, ce qui ell le plus grand mal ; on eft forcé alors de les étêter dans la pépinière , pour en rendre le tranfport plus aile ; mais il faut ménager toute la longueur de leur tronc , pour qu'on puiffe les rafraîchir en les replantant , & les couper tous à une même hauteur. Il feroit d'ailleurs fort inutile de tranfporter ces branches : car on ne doit en conferver que peu en plantant des arbres qui font tirés de terre depuis plufieurs jours ; autant j'ai recommandé de ne pas toucher au chevelu ^ ni aux petites racines d'un arbre que l'on tire de terre pour l'y remettre auiîi-tôt , autant je recommande ici de fupprimer entièrement l'un & l'autre , parce que l'air defleche & dé* truit en peu de temps l'organifation de ces menues racines , qui loin d'être utiles , en cet état , à la végétation de l'arbre , y deviennent îiuifibles en pourriiTant fur les bonnes racines où elles portent la corruption. La première opération des greffes racines eft de former an nouveau chevelu ; quand cette reproduçr 598 T ft A i T É i) E L A îion ne fe fait pas , il faut absolument que l'arbre périfTe. Ce que je viens de dire pour le choix des arbres forêtiers , convient également à celui des arbres fruitiers ; j'aurai peu de chôfe a "jr ajouter. On doit toujours cboifîr de préférence dans îa pépinière un arbre qui a l'écorce nette & luifante , & les jets de l'année , longs & vi- goureux ; il faut rejeter celui qui a l'écorce houeufe , remplie de bleffures , de calus, de couleur livide ou noirâtre : mais fi ce ne font que de légères contulions qui ont été faites dans le tranfport ,il faut rafraîchir l'écorce^ & couvrir la plaie avec de la fiente de vache démêlée avec de l'argille ; s'il s'y trouvoit quelque chancre peu conlidérable j il faut couper l'écorce noire jufqu'au vif, & recou- vrir de la même manière. Si la tige n'efL pas bien droite , on la redrelTera avec un tu- teur. Lorfque Tarbre efl: hors de terre , il faut examiner fi les racines font belles , bien fai- nes , & fuffifamment groffes à proportion de la tige : un arbre qui n'a que du chevelu , promet peu de fuccès ; les arbres qui ont une tige bien droite font toujours préféra- bles. Les pêchers & les abricotiers qui n'ont qu'un an de greffe , ôc qui ont fait un beau jet , valent mieux que ceux qui en ont deux & davantage ; il efl effentiel qu'un pêcher ait les yeux fains , beaux & entiers : il fufht que la tige ait environ deux pouces de circonfé- "VegetAtioît , Irv. VI , Ch. X. 599 rence. A l'égard des autres arbres nains , ils doivent avoir deux ou trois pouces de grof- feur par le bas ; celle d'un pouce ell fuffifante pour les pommiers fur paradis. La greffe des petits arbres doit être à environ deux pou- ces de terre ; on la trouve ordinairement re- couverte lorfque l'arbre eil bien en vigueur, & que le Jardinier a pris les foins nécef- faires. En général les pêchers greîfés fur aman- diers réufliiïent mieux en terre fabieufe , lé- gère & feche , que dans celle qui efl: forte & humide. Il en eft au contraire de ceux qui font greffés fur prunier , qu'il faut planter dans des terres fortes. Les arbres de tige doivent avoir cinq à fix pouces de groffeur par le bas , & fix à fept pieds de hauteur. Tous les poiriers réufliffenr en buiiïbn & en efpalier ; on fait qu'on les greffe avec le même fuccès fur coignafîier , comme fur franc; mais il faut choiiir de ceux-ci pour planter dans des terres légères , ou dans celles qui n'ont qu'une médiocre bonté : je n'ai jamais vu bien réufiir & durer long-temps dans ces for- tes de terrains des poiriers fur coignafîier , qui au contraire font très-bien dans des terres fortes; cependant le bonchrétien d'Hiver n'ac- quiert pas ordinairement fur franc la couleur jaune & incarnat que l'on y fouhaite ; ceft pourquoi il faut le choiiir greffe fur coignaf- îier. A l'égard des efpeces de fruits on en a fait des liftes fort ésendues : nous ne parlerons '^oo Tratté be ij k ici que de quelques-unes de celles qui mérkenfe îa préférence ^ comme telles font , parmi les poires d'été , la ceuillette , le petit mufcat , le roulTeîet, la poire fans peau, les blanquettes, la robine, le bonchrétien mufqué. Parmi celles d'Automne , les beurré , bef- gamotte , faiot-michel, vertelongue , crafane , lanfac , louifebonne. Parmi celles d'Hiver , les virgouîeufes, faint- germain , colmar , bonchrétien, l'échaiTerie^ l'épine , l'arabrette & martinfec. A l'égard des pommes , les principales font ks calvilles rouges & blanches , les reinettes grifes & blanches , de pigeon , des quatre goûts , courpehdus , les fenouillets & les apis. En prunes , les meilleures font la reine- claude , la jaune hâtive , les perdrigons , les» damas , les impératrices, les prunes d'abricot ^ les mirabelles , fainte-catherine , l'impériale ,, il royale. En pêches , les principales font Favant-pé-^ che , la pêche de troyes , les madeleines , la rolTane, les mignonnes , la chevreufe , la bour- dine , les violettes , l'admirable , teton de venus, la pourprée, les jaunes-lices, la jaune- tardive , & fur-tout la malthe. Et pour les pavies , le brugnon violet , le pavie blanc , le cadillot & le rambouillet. En fait d'abricots, celui qu'on appelle abricot-pêche , mérite la préférence qu'on avoit donnée- précédemment à celui dit d'angoulême. • Parmi les efpeces de raifins , on diflingue particulièrement le mufcat blanc , rouge & noir ; / VeCetatioisi , Liy. Vî, Cjâ. X. 401 ïioîr ; le chaffelas e(t celui qui réuflit 6c mû- rit le mieux dans notre pays ; mais ce qui mérite fur-tout la préférence , c'ell uiie nou- velle ei^\-)ece de raifin , nommée l'afpirant ; il y en a de blanc & de noir ; l'un ëc l'autre mûrit très-bien dans notre ciim.at Cette ef- pece , préférable à toute autre , forme de bel- îes grappes à gros grains , un peu alongés ;» qui fe touchent rarement ; c elt pourquoi ils acquièrent une parfaite maturité & un goût excellent : ce beau raiiîn a d'ailleurs l'avantage de fe conferver bien plus long-temps que touc autre. , En cerifes on fait particulièrement cas de la griotte , de la cerife de Montmorency j dite à courte queue , de la tardive , de la blanche ^ de la guigne , du bigarreau. Pour les figues , celles qui font blanches dedans & dehors , tant la longue que la roiv de , font les meilleures pour ce pays-ci ; les violettes y mûriflent bien rarement. CHAPITRE XI. De la faifon de faire les Plantations. V-/ N peut planter peu après îe commence^ ment de l'Automne juiqu'au Printemps, c'eft- à-dire depuis que les arbres font dépouillés de leurs feuilles, jufqu'à ce que leurs boutons s'ou-^ vrent pour en repouiiér d'autres : mais le Tome III. C c 402 Traité de t x temps le plus favorable à choifir pendant cet efpace , doit varier félon la température de l'air , la nature , l'état du terrain & l'efpece des aibres. Nous allons entrer dans le détail de ces trois articles , qui doivent être pris en ccnfidération pour déterminer un Cultiva- teur à choifir & faifir le meilleur temps. On ne court aucun rifque de tranfplanter un arbre aulïi-tôt qu'il a perdu fes feuilles ; j'en ai même tranfplanté avec fuccès auparavant ; mais j'avois eu foin de prévenir la chute des feuilles , en fupprimant ces organes de la tranfpiration à laquelle les racines jnutilées & dérangées n'auroient pu fournir ,• car on fait que s'il ne fe faifoit aucun dérangement dans les racines , on pourroit tranfplanter en toute faifon & en tout temps , comme on fait pour les plantes en général bien levées en motte, ou plantées en mannequin. Mais eft-ce l'Automne qui eft la faifon la plus favorable pour faire des plantations ? Examinons les circonllances qui doivent en dé- cider. Je crois pouvoir 'établir pour règle géné- rale que c'eil la meilleure faifon pour faire des plantations dans les terres fablonneufes , légères & feches , où l'humidité ne peut qu'ê- tre favorable , & où il eft bien rare que les plus fortes pluies foient préjudiciables , au moins c'eft pour peu de temps ; quant aux arbres, ils foufFrent bien moins alors d'être quelque temps hors de terre , parce que révaporation de l'humidité eft moindre en cet- te faifon qu'en toute autre , & c'eft par cette Végétation , Ltv.VÎ, Cii, XI. 40) râifon le temps qu'on doit choifir pour le tranf- port de ceux qui viennent de loin. Ayant levé au Printemps des arbres que j'avois plantés , ou que j'avois feulement mis provifoirement en terre pendant l'Automne ^ j'ai prefque toujours vu une grande quantité de nouveau chevelu & de petites racines blan- ches qui setoient formées pendant l'Hiver ^ & ces racines pouffent d'autant plus que les Hivers font doux & pluvieux. De même que dans les femences c'efi: la racine qui fe montre la première $ il paroîc que dans les arbres les produdions en raci- nes précèdent celles des bourgeons ; de forte que principalement pendant des Hivers doux,' les arbres qui ont été plantés en Automne , ont déjà , pour ainfî dire ^ pris poffeiïion du terrain au Printemps , étant pourvus de nou- velles racines , & en état de faire des produc- tions qui fubiîftent. On fait que la fève contenue dans uri âr^ bre que l'on plante au Printemps , peut fuf- fîre pour faire ouvrir ôqs boutons 6c pour développer des bourgeons ; j'en ai vu même qui ont donné des fleurs ; mais ce n eft qu'une lueur trompeufe. Lorfque les arbres ne font point de nouvelles racines , épuifés par ces produdions , on les voit fe deffécher & pé- rir aux premières chaleurs , comme il arrive à la mèche d'une lampe dont l'huile eft épui- fée. Il n'en eft pas de même des arbres qui ont commencé à pouffer de nouvelles racines » c'eft- à-dire des fucoirs en état de fournir les fucs néceffaires à leur entretien. C cz 404 Traité de la Toutes ces conlidérations portent évidetrr- ment à juger qu'en général l'Automne efl la faifon la plus favorable pour les plantations dans les terres légères , & même dans les ter- res fortes , lorfque le temps n'eft pas pluvieux au point de trop détremper la terre , qu'on ne pourroit pas bien arranger en-deflbus & en-deffus des racines , article abfolument eflen- tiel ; & pour n'être pas arrêté par les fortes gelées , il vaut mieux à tous égards commen- cer de bonne heure. Si on a des terrains de différente nature fur lefquels on veut planter , on pourra tra- vailler pendant les temps de pluie fur ceux qui font les plus légers , où je confeille de planter toujours pendant l'Automne; & lorf- que le temps efl moins humide & que le ter- rain fera refTuyé , on plantera dans les terres fortes^ , dont on acheveroit les plantations au Printemps , fi on avoit été arrêté par les pluies , ou par la neige & la gelée. Quand même il ne geleroït pas , il faut "bien fe garder de planter quand le terrain eft couvert de neige ; fi elle a commencé à fondre , ce qu'elle fait toujours en-defîbus , la terre alors fort détrempée eft comme de la boue ; fi elle ne fond pas encore , le mélange qui s'en fait nécelfairement avec la terre , em* pêche de recouvrir comme il faut les raci- nes. On peut commencer les plantations dès la mi-Odobre , & même plutôt dans de certai- nes années ; & à l'égard de certains arbres , îe temps donne l'ordre pour les cefTer ; il VEGETATION , LiV. Vî, Ch. XÎ. 40^ permet ordinairement de les fuivre jufqu'à la fin 4e Novembre , Se quelquefois même en Décembre ; mais je ne confeille point , à raoins de nécefîité , de planter pendant l'Hi- ver , fur-tout dans les terres humides , les ge- lées & les dégels , les neiges ôc les pluies y mettent ordinairement empêchement. Quand dans cette faifon il y auroit quel- ques jours qui paroîtroient favorables , il fur- vient tout à coup des gelées fouvent meur- trières pour des arbres qui viennent d'être mis dans une terre remuée j & qui n'a pu encore s'afîâiiTer. Il faut remettre à continuer au mois de Mars les plantations qu'on n'a pu achever pen- dant l'Automne ; il en e(l même qu'il vaut mieux ne faire qu'au Printemps , & qui doi- vent faire exception à la régie générale ; telles font celles que l'on fait dans des terres très- compades & très-fraîches , où la faifon du Printemps convient le mieux , parce que les racines des arbres nouvellement plantés ref- tant fans aâion pendant l'Hiver dans de pa- reils terrains , font fujettes à y pourrir. J'ai remarqué qu'elles n'y poulTent pas de chevelu, comme elles font dans les terres légères & feches , où les effets de la raréfadion &: de la condenfation font plus actifs. De plus il y a des genres d'arbres délicats qui pourroient être offenfés par les fortes gelées d'Hiver. Ces arbres qui réfiftent au froid dans un terrain où ils font plantés depuis quelques années , périfTent lorfqu'ils ont été tranfplan- tés avant l'Hiver. Il arrive fouvent que Ton C c 3 Traité de la per4 beaucoup de ces arbres , tandis que ceux qu'on a laiilés en pépinière , quoique plus fcibîes , ne foufFrent nullement. Il faut nietu-e dans cette clafle les arbres toujours verds , tels que les fapins , pins , cyprès j thuya , &c. Ces arbres tranfpirant peu , courent moins rifque detre delfécbés au Printemps ; il etl convenable de ne les expo- fer au riiqueque leur occafionnenécefiairement la traniplantation , que quand le grand mou- vement de la fève les met en état de faire prompteraent de nouvelles racines. Quoi qu'il en foit 5 l'expérience encore plus sûre que les raifonnements , a fait connoître que ces fortes d'arbres réuffiiïent mieux étant plantés à la fin de Mars ou au commencement d'A- vril, qu'en route autre faifon. Il faut félon le terrain Se le temps arrofer plus ou moins fortement les arbres que l'on plante au Priiicemps , fans- quoi la fécherelTe & le haie ordinaire en cette faifon , pu les defTécheroit & les feroit périr , ou du moins retarderoit les produdions des racinçs , & ils relleroient languifTants pendant long-temps, Ceft principalement pour lors qu'il eil nécef- faire de buter le pied de l'arbre , ou du moins de le recouvrir de pierres ou de paille , ou de toute autre efpece de couverture qui em- pêche l'évaporation & le defféchement de la terre , & y conferve de la fraîcheur ; cette at- tention trop négligée eft cependant bien effen- îieile. Si i'afped de ces couvertures parok (délagréable , fur-tout dans les jardins , celui 4'un arbre rauyc ou languifTant lui efl-il pre-i» férable ? VEGETATION , IlV. VI , Ch. XI. 407 En voilà afTez ce me femble pour lever l'in- certitude au fujet des fentiments qui paroif- fent partagés fur le choix qu'on doit faire de la faifon de l'Automne , ou de celle du Printemps pour planter les arbres. On voit que pour la plupart des arbres , & fur-tout dans les terres légères , la première faifon efl toujours préférable ; mais que dans des terres fortes & fraîches , & à l'égard des arbres délicats , & en général de tous ceux qui ne fe dépouillent pas de leurs feuil- les, la faifon du Printemps efl la plus conve- nable ; mais il ne faut cependant pas attendre que les boutons commencent à s'ouvrir : dans cette circonftance il ne faut plus fonger à planter , à moins qu'on n'y foit forcé , foie pour des arbres qu'on reçoit de loin , foit par d'autres raifons ; il faut alors planter ces arbres à l'ombre , ou s'ils n'y font pas , les abriter avec des paillalTons & les biens ar- rofer ; avec ces précautions , j'en ai fait re- prendre qui avoienc déjà pouffé leurs feuil- les. Il efl: afTez ordinaire d'entendre citer des tranfplantations merveilleufes des arbres , fai- tes avec leurs feuilles & même leurs fruits pendant l'été ; & j'ai vu des gens s'en vanter comme d'une grande habileté. Ces citations dont paroiiïent émerveillés ceux qui les font & ceux qui les écoutent , n'ont rien que de naturel. Lorfqu'on peut parvenir à lever un arbre avec la plus grande partie de fes racines en- , veloppées de terre , ce qu'on appelle en motte i C c 4 4o8 Traité de la fi on met auiîi-tôt cet arbre dans un trou pré- paré , qu'on l'arrofe bien , & qu'on l'abrite du foleil , il n'eft pas étonnant qu'un tel ar- bre reprenne , même pendant l'Eté , parce qu'il fcuffre peu de la tranfplantarion, & il en fouffrira d'autant moins, li quelques jours de fraîcheur ôi de pluie favorilent cette opé- ration ; mais on ne prend de pareilles peines que dans dss cas de nécefîité. Far exemple , on faifoit abattre une partie de mur dans un jardin que M. de Chevert avoir acheté à Yillemombie , Village auprès de Paris ; U y avoir contre le mur un bel abricotier qui alloit être facrifié à la nécef- iité de démolir ce mur pour la prolongation d'un bâtiment voifui. J'entrepris de le fàuver, & jy réuffis, quoique ce fût à la fin de Mai^ & que cet arbre fût alors couvert de feuilles '^ de fruits. L'opération étoit d'autant plus difficile , que le terrain fablonneux &: léger avoir peu de confiilance , & qu'ainliil étoit plus raal-aifé de leyer l'arbre en motte. Je commençai par faire bien mouiller la terre , afin qu elle tînt mieux aux racines ; je fis enfuite cerner afTez largement ôl pro- fondement au pied de l'arbre, en tâchant de mé« nager le plus de racines poffibies; le Général plus expérimenté dans l'Art delà guerre que dans celui des plantations , rioit en nous voyant fuivre cç travail qu'il regardoit comme fort inutile Je parvins à enlever mon arbre , de manière I me donner beaucoup d'efpérance ,* il fut VEGETATION , IlV. VI , Ch. XI. 409 mis aufîi-tôt dans un trou très-large qui avoic été préparé contre un mur , à l'expolition du levant , parce qu'il ne fe trouva point de place vacante à l'expofîtion du Nord , où je l'aurois mis pour plus de sûreté. Je fis bien arranger les racines faillantes de la motte ^ & après les avoir recouvertes avec toutes les précautions qu'il fut podible de prendre , je fis arrofer abondamment. Les pailiaiïbns ne furent pas épargnés pour le bien om- brager. Malgré cela , l'air fortement échauffé pat- un foleil ardent , fit un peu flétrir les feuil- les qui parurent molles & contournées; je ne fais ce qu'il en feroit arrivé , fi la chaleuu avoit continué : mais un orage qui furvint , arrofa fortement mon arbre , & quelques jours de fraîcheur qui fuivirent le rétablirent par- faitement ; les feuilles fe rouvrirent , & re- prirent leur fermeté & leur vigueur; de forte qu'au bout de trois femaines, jugeant à la pouffe des bourgeons que l'arbre étoit bien repris & hors de danger , je fis retirer les paillafTons. Il continua à végéter , comme il eût fait s'il n'avoit pas été tranfplanté , au grand éton- ïiement du Général dont j'avois mérité la con- fiance à l'armée en lui fervant d' Aide-de-Camp ; mais qui n'avoit jamais pu croire qu'il man- geroit cette même année les fruits de cec àbricotiçr,^^^ 4IO Traité de la L CHAPITRE XII. D& la manière de planter. 'A réufîîte , la vigueur , la croifTance & la durée d'un arbre dépendent en grande par- tie de la manière de le planter. Quelques attentions , quelques précautions peu difpendieufes pour l'ordinaire , alTurent le fuccès des plantations , & la jouifTance du Propriétaire ; l'omilTion de ces précautions ne peut au contraire que produire des pertes & des défagréments multipliés , puifqu'il faut fouvent recommencer la même dépenfe , & ce qu'on a regardé d'abord comme une éco- nomie , devient la ruine & le défefpoir du Pro- priétaire. On doit recevoir comme un axiome en agriculture , que toute dépenfe qui procure un plus grand produit , eft toujours une éco- nomie. Avant de donner des préceptes pour les plantations , il eft bon d'en établir la néceflité; en faifant connoître que les arbres que nous avons rendus pour ainfi dire domeftiques & mutilés, exigent des attentions pour les mettre en état de bien végéter ; attentions dont n'onc pas befoin ceux qui ont germé & crû dans les forêts. Je vais pour cet effet entrer dans quelques détails d'autant plus intéreflants , que je ne fâche pas qu'on en ait encore parlé. VEGETATION, IlV, VI, Ch. XÏI. 411 Je dis que les arbres que nous élevons en pépinière font mutilés. Nous avons recom« mandé de couper la radicule de la femence , ou le pivot des jeunes arbres en les fortant des feiïiis : c'eft vraiment les mutiler ; c'eft agir contre l'ordre de la Nature ; c'eft les priver des moyens de pomper des lues pro- fondément en terre , & de réfifter aulïï bien à la violence des vents ; c'eft retarder leur croif- fance , & peut-être abréger leur durée. Il n'y a point de Naturalifte qui ne doive convenir de ces faits conféquents aux principes de 1^ Végétation , & confirmés par l'expérience. J'ai arraché de jeunes élevés des bois , & les ayant plantés en pépinière après avoir coupé le pivot , ayant vilicé deux ou trois ans après ceux que j'avois laifles comme non-choix dans le bois , j'ai trouvé qu'ils étoient bien plus grands & plus forts que ceux qui avoient été mis en pépinière , quoique dans un meilleur terrain & avec une bonne culture , Se j'ai vu qu'ils ont conftamment confervé la fupé- riorité. J'ai eu occafion de remarquer plufîeurs fois que des arbres tranfplantés ont été déraci- nés par des ouragans , auxquels avoient ré- iifté des arbres de femences , de même force & en même terrain , dans lequel les racines pivotantes étoient profondément enfoncées. On remarque encore qu'un arbre qui n'a point été tranfplanté, s'élève davantage , & qu'il pouffe moins de racines latérales. Mais, dira-t-on , pourquoi donc couper le pivot d'un arbre , fi c'eft le mutiler & Iq 4ii Traité de la priver de plufieurs avantages ? II feroit fafJS doute à defirer qu'on pût s'en abftenir ; mais c'eft ce qui n'eft pas pofTible à l'égard des arbres qu'on deftine à la tranfplanta- tîon. Ceux qui n'ont formé qu'un pivot fans ra- cines latérales ne pourroient être tranfplan- tés avec fuccès , qu'autant qu'on les auroic levés avec ce pivot dans toute fa longueur, & avec les racines fourchues qui font à fon extrémité ; opération auffi impraticable pour la tranfplantation , que pour la plantation , puifqu'il faudroit pour cela fouiller jufqu'à douze & quinze pieds de profondeur & mê- Bie plus. On eft donc obligé de couper cette racine pivotante alTez près de terre , & le peu qu'il sen trouve de latérales ne fuffit pas pour fournir à la végétation ; c'ett pourquoi ceux qu'on arrache en cet état ne reprennent pas. Voilà pourquoi, malgré les confidérations dont nous venons de parler , on eil forcé de couper de bonne heure le pivot des arbres qu'on élevé dans le defFein de les tranfplanter, pour les difpofer à former des racines laté- rales. Mais heureufement , malgré les injures que nous faifons à la Nature , elle reprend toujours ks droits. Il efl: vrai que le pivot étant coupé ne s'alonge plus ; mais il en fort des racines qui deviennent pivotantes , & qui pénètrent quelquefois auili profondément en terre qu'auroit fait le pivot ; c'eft ce qu'on obferve dans un arbre , quelques années après Végétation , Iiv. VI , Ch. XII. 415 fa plantation , & ce n'eft que lorfque ces nouvelles racines pivotantes font formées , que l'arbre commence à pouffer des branches vigoureufes. La démonftration que j'ai doii- lîée dans le 4^ Livre , des effets de la raré- fadion & de la condenfation dans la terre, me difpenfefa de parler ici de la caufe de l'alongement de ces racines pivotantes. Si les arbres ont refté quelques années en pépinière , on trouvera qu'ils y ont déjà for- mé de ces nouvelles racines pivotantes ; il eft bien eflentiel de les conferver , & c'eil cependant ce que les planteurs font rare- ment , parce qu'ils n'en veulent pas prendre la peine , ou qu'ils n'en connoilTent pas là conféquence. On ne demandera donc plus , maigri des autorités refpedables d'ailleurs , fî dans l'or- dre naturel il eft nuilîble ou non de couper le pivot d'un arbre : on cefTera de prononcer en faveur de cette opération forcée , en con- lîdérant d'abord , qu ainfi l'a voulu & le veut conftamment la Nature , qui ne veut & ne fait rien en vain ; qu'un arbre ainlî mutilé eft obligé de repoufler un ou plulieurs pivots poftiches , preuve évidente de la nécefiité du premier pivot. Il n'efl: pas douteux que cette nouvelle for- mation ne retarde la croiffance de l'arbre pendant quelques années , plus ou moins , félon les précautions que l'on a prifes en plantant pour favorifer & accélérer cette pro- dudion de racines pivotantes. C'eft un arti- cle bien eflentiel , & qui m'a paru auffi ig^o- 414 Traïté de ia té que négligé en général. C'eft pourquoi j'aî cru néceflaire de commencer par ces expli- cations , pour mieux faire connoître l'utilité des méthodes que je vais indiquer. On ne peut donner de règles générales pour les plantations ^ la différence des genres , de l'état & des grandeurs des arbres , doit faire varier les méthodes qu'il faut fuivre pour les planter , de même que la différence des ter- rains , des expoiîtions , des fituations & plu- jQeurs autres circonftances. Nous pouvons cependant commencer par établir quelques principes généraux, en déii- gnant les exceptions. i**. Il faut toujours planter un arbre plus profondément dans une terre fablonneufe & légère que dans celle qui eft compade & hu- mide , parce que la première étant plus aifc- ment pénétrée par l'air & la chaleur , l'effet de la raréfadion & de la condenfation s'y fera fentir à une plus grande profondeur que dans l'autre , oij , faute d'une végétation affez ac- tive , les racines moiliffent & pourrilTent, fi elles font trop avant en terre. 2**. On ne doit enterrer que très -peu les arbres difpofés à pivoter profondément, tels que les chênes, les acacia , les gleditfia, les amandiers , les ftaphilladendron , les fumacs , &c. , parce que ces genres d'arbres s'enfon- cent toujours affez , & même toujours trop dans les terres fraîches ; c'eft pourquoi ils réuifilTent auîli mal dans celles-ci qu'ils pouf- fent vigoureufement dans les autres. 3°. Il ne faut jamais planter après ni pen- Vegetation,Iiv.VI,Ch. XII. 411 dant la pluie dans des terres fortes , encore moins dans un temps de neige ou de dégel , & enfin dans toutes les circonftances où la terre trop détrempée, ne pourroit pas bien s'arranger autour des racines. 4**. Lorfque l'arbre eft nouvellement arra- ché & que fes racines font fraîches & en bon état, il faut bien fe garder d'en fuppri- mer aucune , & on ne doit que très-peu les raccourcir ,• il faut les conferver toutes avec le chevelu : l'arbre dans cet état, & planté avec les précautions dont nous parlerons , pourra conferver & nourrir fes branches en totalité ou en partie , félon la qualité du terrain. 5°. Si un arbre a fes racines en mauvais état , éclatées, caflees, delféchées & gâtées, foit pour avoir été mal arraché , foit pour avoir fouffert dans le tranfport , il faut com- mencer par fupprimer tout le chevelu , parce qu'ayant perdu tout principe de vie , noa- feulement il devient inutile , mais nuifible ; il faut du refte conferver tout ce qu'il eft poîîible , en rafraîchiflant feulement & tail- lant en pied de biche toutes les racines tron- quées ôc qui donnent encore figne de yie , de manière que la coupe porte fur le terraia où l'on plante ; il ne faut point examiner fi une racine eft plus longue que l'autre. J'ai vu des efpeces de bourreaux d'arbres qui avoient pour principe d'arrondir, difoient- ils , le pied d'un arbre , c'eft-à-dire de couper les plus longues rachies au niveau des plus courtes : nous parlerons au Chapitre de la Taille, de ces meurtriers arrondiflements pour les af brcs en efpajier. 4i6 Traité f> è la Il n'eft pas douteux qu'il ne faille étêter Un arbre en le plantant dans l'état que nous venons de dire ; un arbre fans racines ne peut nourrir des branches. L'article le plus important en plantant, eil de défoncer le terrain le plus profondément poflîble, & de né pas fe contenter ^ comme on fait ordinairement , de faire un trou & de pofer l'arbre fur un terrain dur & qu'on n'a pas remué ; quelle que foit la terre du def- *fous, bonne ou mauvaife , il faut la creufer^ 3a remuer profondément , & employer tous les moyens qui doivent donner le plus d'adion à la raréfadion & à la eondenfa- cion. Si les arbres qu on plante dans les jardins & dans les bofquets font petits & précieux ^ îl faut , Il le fonds n'eft pas bon , après avoir creufé le trou , en retirer la mauvaife terre & en rapporter de meilleure ; c'efl une petite dépenfe l3ien inférieure à la perte d'un arbre cher & rare ; & après avoir rempli le trou que l'on a fait alTez large & profond, & l'a- voir garni de bonne terre légèrement preiTée à la main , on y plante l'arbrifleau à trois ou fîx pouces de profondeur, félon fa force, fa grofîeur & fon genre , & félon la nature du terrain , obfervant de bien arranger & éten^ dre fes racines féparées les unes des autres, & de les recouvrir à la main , de terre bien déliée que l'on preflera fur les racines,* lorf- qu'elles font recouvertes de l'épaiffeur d'en- viron un pouce, on fera bien d'arrofer cette terre de recouvrement avant de remplir le trou, VEGETATIOÎÎ,iîV,VI,CH. XII. 41'^ trou , ce qui la lie & l'approche mieux des racines. Je confeille de planter peu profondément^ fur-tout dans des terrains fi*ais , & fi ce font des arbres qui pivotent , d'autant plus que les terres rapportées fe prefTent & s'enfon- cent , & que par la fuite l'arbre fe trouve plus enterré; il faut donc le mettre plus près de la fuperficie de la terre; & pour le parer la première année du hâle du Printemps Se de la fécherefle de l'Eté , il eft bon de le recouvrir d'une bute aflez élevée ôc large , que l'on difpofera de manière qu'elle foie creufe vers le milieu, afin de retenir l'eau des pluies & des arrafements. On recouvrira cette butte avec du crottîa de cheval ou de mouton dans les terres hu- mides , ou de fiente de vache dans les terres légères ; ( je ne parle ici que pour les arbres précieux ) on applanit les buttes l'année fui- vante , lorfque l'arbre s'eft enfoncé par l'afFaif- fement des terres. Il y a des planteurs , & c'efi le plus grand nombre , qui croient bien faire en mettant ^ la bonne terre deflbus & la mauvâife defilis^ cette pratique efi évidemment mauvâife t on n*en pourra douter , fi on fe rappelle ce que nous avons dit dans le quatrième Livre , au Chapitre de la Nutrition. Les eaux des pluies & des arrofements qui mettent en diffolution les parties grades éc falines de la terre, defcendent toujours, & ne remontent point; ces eaux, en palTant par la bonne terre qui efi au-delTus des raci- Tome IIL D d 4i8 Traité de la ces , leur portent des fucs lexiviels dont elles profitent , & qui engraiiïent la terre qui efl au-defTous , fur-tout lorfqu'elle eft bien retournée & remuée. Ce n'eit pas qu'il ne foit avantageux que la terre du fond foit bonne , lés racines y piqueront & s'y étendront mieux , & elles y trouveront fans doute plus de nourriture ; c'eft pourquoi lorfqu'elle ne l'efl pas , il faut y en apporter comme nous venons de le dire. Mais comme cette pratique feroît très- difficile & très-difpendieufe pour de grandes plantations , on peut y procéder par différents moyens , comme nous allons l'expliquer. Après avoir pris les alignements des plan- tations que l'on veut faire , il eft bon quel- ques mois avant de planter , de faire préparer les trous , parce que la terre de ces fouilles, pénétrée par les pluies & expofée au foleil, le mûrit & en devient plus propre à la végé- tation ; on doit creufer ces trous de trois ou quatre pieds de profondeur & de quatre à cinq pieds de largeur pour de grands arbres, &c. , & pour les autres à proportion , en lobferyant de faire trois lots des terres qu'on retirera; favoir, la bonne, la médiocre & a mauvaife , s'il s'en trouve , mife à part & Séparément fur le bord du trou. On jettera dans le fond du trou un lit de bruyères ou de fougères , ou de chaume & vieille paille, de rameaux d'arbres , d'herbiers, même de ronces ou toute autre efpece de builTonnaille ; par-delTus un lit de terre mé- VEGEtATiOT^,LtV.VI,CH.XIÎ. 419 dibcre , un autre lit des fiibftances fufdites 6c de terre , & ainli alternativement en rem- plifTant le trou à la hauteur de deux pieds t on lailfera le tout ainli expofé à l'air & aux pluies jufqu à la faifôn de planter. Pour lors ^ choilîlTant le temps où les ter^ res ne font pas trop détrempées , on com- mencera par jetter dans les trous préparés quelques mottes de gazons hachés que l'on 4:répignera un peu dans le trou ; on jettera par-defîus de la bonne terre , fur laquelle on pofera les racines que Ton aura foin de bien étendre & d'arranger , de manière qu'el- les foient féparées & qu elles ne le croifenc pas. On recouvrira enfuite à la bêche ou mieux à la nlàin les racines avec de bonne terre , en prelfant par-tout deflu&, de manière qu'el- les foient bien enveloppées. On recouvrira enfuire à la bêche, d'une épaifTeur d'environ quatre pouces de ce qui fera refté de bonne ôi de médiocre terre , que l'on foulera , mais légèrement , S: non pas à grands coups de fabots , comme c'elt la cou- tume ; c'eft pour lors qu'il eft bon , fur-touc fi le temps eft beau & fi la terre eft feche ^ de jetter un ou deux féaux d'eau au pied de l'arbre : un tonneau fur une charrette facilite cette opération. On recouvrira enfuite entièrement, & on but^ tera , comme nous allons le dire. Des arbres bien levés dans la pepinkre & plantés comme je viens de le dire , à fur Se à mefure qu'on les lèvera , n'auront fûremenc Dd z 4^0 Traité de la point befoin d'être mutilés & étêtés ; il ri& fera queftion que de fupprimer les branches mal faites & mal difpofées , en fuivant ce que j'ai recommandé de ne pas trop enfon- cer les arbres en terre ; mais comme il feroit à craindre qu'ils ne fuflent renverfés par les vents , & qu'ils ne fouffriffent trop de la fé- cherefle pendant l'Eté, il fera néceflaire de les butter , c'eft-à-dire de former au pied de l'arbre une élévation d'une forme ronde de trois à quatre pieds de diamètre & de quinze a diîi^huit pouces de hauteur pour de grands ar- bres : nous parlerons plus amplement de cette opération au Chapitre de la Plantation des avenues. On obfervera de difpofer , comme nous l'avons recommandé, cette butte de manière qu'elle foit un peu creufe vers le milieu, afin d'y faire couler les eaux. On aura mis à part les plus gros cailloi#x qu'on aura trouvés en creufant la fofle ; c'efl un très-bon ufage d'en charger la butte ,- &en général, on ne peut mieux faire que d'en recouvrir le pied d'un arbre planté dans une terre feche & légère ; rien n'y entretient mieux la fraîcheur : on peut s'en convaincre en le- vant un caillou fur le terrain le plus aride pendant l'Eté , on trouvera toujours humide la partie de terre qu'il couvroit. Il eil àr remarquer que plus la chaleur du foleil eft vive^ & plus l'humidité eft fenfible fous un caillou : ce phénomène qui paroîc d'abord furprenant , vient à l'appui des preu- ves que j'ai déjà données des effets de la coq- VEGETATION, LiT. VI , Ch.XIÎ. 421 denfation & de la raréfadion dans la terre : en voilà l'explication. Plus la chaleur eft forte , & plus efl grande la diiîipation de l'humidité de la terre , parce que plus eft adif alors l'effet de la raréfadion qui dilate Sl poufle en dehors cette humidité réduite en vapeur; mais cette vapeur fe trou- vant arrêtée , on peut dire même condenfée fous une malfe compade & épaiffe , telle qu'un caillou , une groife pierre , une bûche de bois, & même une grolTe motte de terre, il eft tout naturel qu'il s'y forme d'autant plus d'humidité que la tranfpiration de la terre fera forte , & que la maffe qui en empêche i'évaporation fera épaifle & large. On doit donc regarder, d'après le raifon- nement & l'expérience, qu'un des meilleurs procédés pour entretenir de la fraîcheur au pied d'un arbre , eft de charger de cailloux la fuperlicie du terrain qui couvre fes raci* nés. On dira peut-être que ces cercles de cail- loux , ces buttes que je recommande ne for- inent pas un coup d'œil agréable ; mais quand les arbres feront alfez , enfoncés en terre , & qu^ils y auront pouffé de profondes racines, on applanira ces buttes , on retirera les cail- loux , & ainfi difparoitront ces confervateurs défagréablçs aux yeux de ceux qui ne favent pas les apprécier. Tout homme qui aura pris de juftes no- tions de la Végétation , ne regardera certai- nement pas comme minutieux & inutiles les procèdes que je viens de recommander , & Dd 3 412. *T EAITÉ B ^ LA dont je parlerai plus amplement , pour plan* £er un grand arbre , quant à la dépenfe qu'ils exigent de plus que les pratiques barbares des planteurs qui Te contentent de mettre les racines d'un arbre fur un terrain mauvais & dur , & de les recouvrir avec la terre telle qu'elle vient , avec des pierres , avec des blocs jettes incqniidérément avec la bêche , & qu'ils écrafept enfuite à grands coups de pied. Si en fuivant les moyens que je viens d'in- diquer , il en coûte un peu plus au proprié- taire , je le prie de confidérer s'il n'y gagnera pas beaucoup- du côté de l'agrément & des frais , en examinant , en calculant les réful- tats d'une bonne & d'une mauvaife rnaniere de planter. D'abord , en fuivant celle que j'indique , qn peut regarder comme afTuré qu'on perdra trè$-peu & peut-être point du tout d'arbres; çn les verra profpérer & croître prompte- ment & avec vigueur. Par une plantation négligée , plus expédi- tive à la vérité, mais effedivement plus coû- teufe s pn p^rd beaucoup d'arbres , il faut recommencer chaque année à faire des çrous ^ à replanter. Que l'on calcule la dépenfe faite à pure père & celle qu'il faut faire annuellement pour les remplacements, & l'on trouvera qu'il en a beaucoup plus coûté pour faire cette mauvaife befogne , fans compter les défagréments auxquels elle expofe , les inégalités de croiffance, la jouiiTance re- i:ardée pour les arb^'es forêtiers', la frudiii- Végétation, Iiv.VI, Ch. XII. 423 cation tardive & chétive pour les arbres frui- tiers , ëzc. Il s'en faut donc bien qu'il y ait de l'éco- nomie , en négligeant les moyens d'alTurer la reprife d'un arbre, & d'accélérer fa croHIknce. J'ai vu de ces prétendus économes qui , après beaucoup de temps & d'argent perdu , ont été obligés de revenir aux bonnes pratiques» Il eil à croire que ceux qui agirent lî mal ne le font que faute de réflexion & de con- noiiTances ; ce qui rend l'inftrudion d'autanc plusnécefTaire. Je confeille de creufer profondément les trous dans lefquels on veut planter ; bien en- tendu que ce n'eft qu'autant que le fol le per- met , & qu'on y trouve de la terre , de quel- que nature qu'elle foit ; mais ii fous une petite épaiffeur de terre , on ne trouve qu'une roche dure ou de la craie pure , ou du tuf blanc , je ne confeille point de creufer dans un pa- reil fol , à moins cependant qu'après avoir fondé , on ne trouvât qu'il y eût quelque veine de bonne terre à une petite profondeur, fous la couche peu épailTe de ces fubflances invégétatives ; autrement il ne faut pas fonger à faire des trous pour plantçr dans un pareil fol. J'ai vu faire beaucoup de dépenfè pour creufer les trous, pour y apporter de bonnes terres ; l'expérience a juftifié le raifonnement qui prouve que telles plantations ne peuvent pas réullir : en effet , ce n'elt jamais qu'un arbre encaiifé qui peut très-bien reprendre , m^is qui ne peut étendre fes racines au-delà 4^4 Traité de la des terres qu'on a mifes dans le trou ; & lorf- qu'elles fortent de cette terre , on voie bien- tôt l'arbre dépérir. Je crois qu'il eft mieux de renoncer à faire des plantations de grands arbres dans un pa- reil fol , où , comme nous le dirons , on peut faire des taillis. Mais enfin fi la lîtuation ou quelques raifons particulières font délirer d'y former une avenue , voilà la manière d'y mieux ïéufîir fans beaucoup de dépenfe. Après avoir pris l'alignement & marqué la phcç de chaque arbre , au lieu de faire des trous , on pioche toute la couche de terre, que l'on trouve, ne fût- elle que de huit ou dix pouces d'épaifTeur ; en formant un rond d'environ cinq ou lix pieds de diamètre , ou place les racines de l'arbre fur la fuperficie de cette terre , & on les recouvre de la meil- leure que l'on trouve à portée , en formant une butte de fix pieds de diamètre & de dix- huit pouces d épaifTeur : mais il ne faut pas faire de pareilles plantations avec des arbres qui pivotent. J'ai vu affez bien réufîir des arbres ainfi plantés, parce qu'outre les racines qui tra- cent dans le bon terrain , il y en a toujours quelques-unes qui s'enfoncent dans des fentes & des filons de la roche, & par -tout où il fe trouve quelques parties de terre où elles font attirées , comme nous l'avons dit ; c'ell là fur-tout qu'il ell bon de couvrir les mot- tes de cailloux pendant les premières an- pées. Une très-bonne maxime pour la plantation VEGETATION , IlV. VI , Ch. XII. ^if des arbres d'alignement , foit en avenue , foie fur les grands chemins , c eft de creufer de petits folles d'environ deux pieds de profon- deur fur deux ou trois pieds de largeur à l'ouverture, & d'un pied feulement au fond: ces fofles doivent être faits dans le même ali- gnement des arbres & dans l'efpace qui efl: entr'eux, venant aboutir auprès des racines; & afin que les eaux s'y portent mieux , on a foin d'en difpofer le fond à double pente; on met à part la meilleure terre que l'on tire de l'excavation de ces fofFés, pour remplir les trous où l'on plante , & pour butter ; car quand j'ai dit qu'il faut y employer la plus mauvaife terre , ce ne doit être que quand on ne peut pas s'en procurer de meilleure que par des tranfports éloignés, qui font tou- jours difpendieux. Cqs foifés empêchent les voitures & les chevaux de charge de pafTer entre les arbres & de gâter les contre - allées , réfervées pour les gens de pied. On choilit pour planter, un jour qu'il ne pleuve pas , parce que la terre s'arrange mieux autour des racines ; on place des ouvriers aux pépinières pour lever les arbres ; il y en a qui choififlent ça & là le plus beau plant , -c'eft une fort mauvaife pratique ; il vaut mieux faire une tranchée pour lever tout un rang, fauf à replanter ailleurs les arbres qu'on trou- vera trop foibles pour être mis en place ; car ce n'eft que par ce moyen qu'on peut bien ménager les racines , ce qui eil l'objet le plus important. 42,(5 Traité de la A mefure que les arbres fortiront de terre, un Jardinier rafraîchira , avec la ferpette , les racines qui ont été coupées avec la pio-^ çhe ; car quoiqu'on doive avoir attention que cet inftrument , dont on fe fert à cet iifage , foit bien tranchant , il ne coupe ja- mais aufli net que la ferpette. La plupart des Jardiniers rognent les raci- nes trop court ; on ne fauroit trop leur re- commander de ne faire que les rafraîchir , fauf à ouvrir davantage les trous , lorfque les racines l'exigeront : jutant qu'il fe peut, les racines doivent être à une niême hauteur, & fe diilribuer réguliérernent autour de l'arbre. Le même Jardinier élaguera la tête des arbres; c'eft- à-dire qu'au lieu de les étêter, comme on a coutume de le faire, il fe con- tentera de retrancher une partie des branches mal placées. A mefure que cette opération fe fait , on doit porter les arbres aux planteurs , ayant attention en levant , en taillant , & en por- tant les arbres , de confçrver la terre qui eft retenue par le chevelu des racines ,, que les ouvriers mal-entendus ne manquent guère de fecouer tant qu'ils peuvent. Les arbres étant portés au lieu de la plan- tation , un ouvrier les place au(Ii-tôt dans les trous , fuivant l'ordre que lui donne celui qui conduit l'alignement. L'arbre étant pofé à la place où il doit refier , & établi à une profondeur conve- nable , tandis que le même ouvrier le fou- tient toujours, un autre jette quelques bé^ VEGETATION, LiV. VI, Ch. XÎI. 417 chécs de la meilleure terre bien déliée fur les racines; & mettant un genou en terre , il arrange ces racines , en faifant en même temps couler entr'elles de la terre avec les mains ; & celui qui tient la tige de l'arbre la fouleve & la fecoue perpendiculairement à plufieurs reprifes, afin que la terre s'iniî- nue mieux entre les racines , article bien efTen- çiel I quand on voit qu'elles fqnt fuffifamment recouvertes & enveloppées , on remet encore un peu de terre que l'on foule légèrement, & non à grands coups de pied , comme c'elî: la coutume ; on achevé enfuite de remplir le trou à la bêche, & pour lors on peut pref- fer avec le pied , & butter enfuite s'il en eft néceflaire. Quand on plantera avec les attentions que nous venons de détailler , & avec afiez de diligence pour que les racines ne reftent que très-peu de temps à l'air , on pourra être afTuré de faire réuflir même d'afiez gros & grands arbres : lorfqu^ils le font cependant à un certain point , il eil: encore plus fur de les replanter en motte ; on ne peut même guère fe difpenfer de replanter avec leur motte certains arbres de difficile reprife , tels que font les ifs , les épicias , les pins , les fapins , les houx , &ç. Si les arbres viennent d'afiez loin , & que les racines ne foient plus fraîches , on eft forcé de les tailler plus courtes, parce qu'or- dinairement elles font endommagées ; il ne faut pas penfer alors à conferver le chevelu , ni les branches , parce que l'arbre n'ayant que 42.S Traité de la de grofîes & courtes racines ne pourroit pas les nourrir ; il ne peut le faire que lorfqu il a formé de nouveau chevelu , c'eft-à-dire de nouveaux fucoirs. Nous n'en dirons pas davantage fur la ma- nière de planter, pour ne pas répéter ce que Ion trouvera dans d'autres Chapitres relati- vement à ce fujet. Nous terminerons celui-ci par Texamen d'une quellion fur laquelle on a fait beau- coup de raifonnements qui , quoique contra- diâoires , ont cependant le même objet ; c'eil de favoir s'il eft important d'orienter les ajbres lorfqu'on les replante , & de leur con- ferver la même pofition qu'ils avoient dans la pépinière. Quelques Auteurs ont prétendu que le bois d'un arbre avoir fa partie expofée au Nord d'une denfîté différente de celle qui fe trouve du côté du Sud. Les uns difent qu'il doit être plus dur du côté du Nord , parce que cette partie des arbres eft expofée à un vent fec & froid ; d'au- tres au contraire penfent que le côté de l'ar- bre qui eft expofé au foleil doit acquérir plus de denficé , parce qu'il tranfpire beau- coup plus. Cette queftion qui n'eft point déci- dée , autorife bien des gens à croire qu'il eft important de conferver aux arbres que Ion plante la même expoiîtion qu'ils avoient au- paravant. Il y a des Jardiniers qui , pour cet effet, ne manquent pas de les marquer bien exaâement, quoiqu'ils négligent d'autres atten- tions vraiment eflentielles. VEGETATION , LîV, VI, Ch. XII. 42? Quand on eft entiche de quelqu'idée , on ne prend pas la peine d'examiner fi elle eft bien ou mal fondée ; fi ceux qui donnent croyanc» à celle-ci avoient voulu la foumettre à rex-» périence , guide qui n'égare jamais, ils au- roient reconnu , comme ceux qui l'ont con- fultée , que cette précaution eft très-inutile , puifque plufieurs obfervations répétées on£ prouvé que toutes chofes égales d'ailleurs, les arbres qu'on a pris la peine d'orien- ter n'ont pas mieux réuiïi que jceux qui ne l'avoient pas été ; & qu'en examinant avec attention l'état de ces arbres , la première an- née & les fuivantes , on n'a pu appercevoir aucune différence dans leur végétation. Difons quelque chofe de la plantation d^s arbres fruitiers. Si on a élevé les arbres en pépinière , feul ♦moyen comme nous l'avons dit d'alTurer & d'accélérer fa jouiflance , comme aulli d'avoir fûrement les bonnes efpeces dont on veut Jouir; x:omme la pépinière ne fera pas éloignée jdu jardin , après avoir levé les arbres , en confervant leurs racines le plus qu'il fera pof- fible , il fera aifé de les tranfporter ainfî dans les trous préparés pour les recevoir ; il n'y aura d'autre préparation à faire aux racines, que de rafraîchir celles qu'on aura été obligé de couper en les tirant de terre. Il faut pour cet effet faire ufage d'une bêche bien tran- chante ; il ne fera queftion enfnite que dç bien arranger , à la main , les racines aux- quelles on aura laillé , ainfi qu'au chevelu , toute la terre qui aura pu y refter , & achc» 4^0 Traité DE LA ver de planter l'arbre avec les précautions dont nous avoris parlé. Pour lever les arbres comme je viens' de le dire , il faut s'y être préparé , en leur don- nant plus d'efpace dans là pépinière qu'on n'a coutume de leur en donner ; mais fi cela n'é-= toit pas , oh pourroit y parvenir à peu près aulïi bien, en fai faut une tranchée de droite & de gauche, fuivant l'alignement des arbres, & alfez éloignée du pied , & lever après les arbres de fiiite , en commençant par le bouc d'une rangée. C'efl: ce que ne font & ne peu- vent pas faire des Pepiniériftes , chez lefquels on va choifir des arbres de diftance en dif- tance. C'efl pourquoi ils fe portent à écour- ter , à mutiler les racines de ceux qu'ils ar- rachent , d'autant plus que par ce travail expéditif , ils ménagent les arbres qui leur teftent. Ces motifs joints à la facilité du tranfport, font qu'ils envoient le pied fort dégarni , & que le mauvais état des racines exige une préparation efîentielle avant la planta- tion. Il me paroît d'autant plus néceflaire d'en- trer dans des détails à ce fujet , que la plu- part des Jardiniers font dans de faux prin- cipes 'fur cette préparation. Il en eft qu'on pourroit appeller bourreaux des arbres , qui tranchent , qui écourtent fans favoir pour- quoi ; & parmi ceux qui ont de l'intelligen- ce , & qui ont cherché à prendre des connoif- fances de leur Art ^ plufîeurs ont fuivi les principes de la Quintinie , très-bons en plu- Végétation, Iiv. VI,Ch.XII. 431 fieurs cas , thaïs fautifs dans d'autres , & fur-tout dans celui-ci. Il eft étonnant que cet habile Praticien aie pouifé l'erreur jufqu'à recommander , page ïz dé l'Ouvrage eftinjable qu'il nous alaifle, qu'il ne faut conferver que peu de groiTes ra- cines , & point du tout de menues ni de che- velues , enjoignant au furplus de les écour- ter beaucoup. Ces confeils , quoique mauvais, font d'autant plus capables de féduire , que ce célèbre Jardinier a paru les appuyer par l'expé- rience, J'ai fouvent , dit-il , planté des arbres avec une feule racine qui étoit en effet très-bonne, & ils ont très-bien réulîî. On auroit pu lui dire qu'on a planté dés boutures , & même de gros plantards fans aucune racine , & qu'ils ont bien réufîi. En effet , un arbre qui n'a qu'une feule racine coupée à huit pouces de longueur , comme il enjoint de le faire , fans autres racines ni chevelu , efl-il bien différent d'une bouture ? Et s'il n'en meurt pas , quelles produdions peut-il faire jufqu'à ce qu'il ait refait un nou- veau pied ? Et il lui faut pour cela plulieuts années. Nous recommandons d'opérer félon des principes très-oppofés , & bien juftifiés par des obfervations & des expériences conf- iantes. Quand on reçoit des arbres vieux arrachés, & qui quelquefois viennent de loin , il faut s'attendre à trouver les racines en mauvais état,* c'elt pourquoi elles ont plus befoin a exa- 43^ Traité de ia men & de préparation : il faut les fonder & les infpeder en détail & avec attention , exa- miner s'il n'y en a point de mortes. Le peu de foin qu'on prend ordinairement en les coupant avec des pioches ou dès bê- ches , dont le taillant eft émoufTé , fait qu^elles font plutôt hachées que coupées , très-fouvent éclatées & même rompues. Il n'eft pas queftion de fonger à ménager le chevelu à de pareils arbres ; il eft trop def- féché pour pouvoir jamais reprendre l'efprit vital ; il ne feroit que nuifible , c'efl pour- quoi il faut le fupprimer entièrement. Il n'eil pas poffible de conferver les grofTes tacines dans le peu de longueur qu'on leur a lailTée ; on ne peut fe difpenfer de fupprimer Celles qui font totalement défedueufes , & de racourcir celles qui font caifées. On fe contentera de rafraîchir jufqu'au vif celles qui ont été bien coupées , en les taillant en pied de biche , de manière que la coupe foie toujours en-deiTous , & que la plaie pofe fur la terre. On ne peut fe difpenfer de fupprimer les racines qui font chancreufes , ou qui ont été froiifées & écorcées dans le tranfport : mais fi ce ne font que de légères contufions , on pourra les conferver en coupant lecorce juf- qu'au vif , & y appliquant de l'argille détrem- pée avec de la fiente de vache ; il faut ufer du même remède s'il n'y a que quelques chan- cres ou autre mal qui s'étende peu. Il feroit à defirer qu'on pût lever un arbre avec fon pivot & le planter de même ^ mais au VEGETATION, IlV. VI, Ch. XII, 433 au moins il faut en conferver la plus grande longueur pofîible , & fe bien garder de le couper comme font la plupart des Jardi- niers. Il e(t bien étonnant qu'un favant Natura- lifte , auquel nous devons de très-bons Ou^ vrâges ^ ait recommandé de fupprimer le pi- vot des arbres , parce qu'à ce moyen , dit- il , il poufle des racines latérales qui valent mieux. Gomment cet habile Obfervateur a-t-il pu s'y méprendre à ce point ? Ne favoit-il pas que de même qu'il y a des arbres, tels que les pruniers j brganifés fans doute pour poufler des racines latérales ôc traçantes ; il en eft tels que le chêne & l'amandier , dont la na- ture eft de pouffer toujours un pivot qui s'en- fonce profondément en terre. Or , en fuppri- mant ce pivot à un tel arbre , que s'enfuit- il ? qu'il faut néceffairement qu'il en repouffe un ou plufîeurs autres , en rempliffant tou- jours fa deftination. On ne fait donc que con- trarier la Nature & retarder de beaucoup la croiffance de l'arbre , en coupant le pivot qui étoit formé , puifqu'affurément il ne pouffera & ne profitera pas avant qu'il ait commencé à en former un autre qui s'en- foncera en terre, comme auroit fait le pre- mier. Il eft certain qu'une racine , de même qu'une branche coupée , ne s'alonge plus ; mais il en repouffe d'autres qui fuivent tou- jours la diredion naturelle à leur genre, C'eft ainlî qu'heureufement la Nature travaille tou- Tome IIL E e 434 Traité bje ia jours à réparer les outrages qu'on lui a faits; mais outre que quelquefois ils font abfolu^ ment irréparables , il vaut mieux ne lui en faire que le moins polfible. Nous parlerons plus amplement, par la fuite , des arbres en efpalier & en buiffon ; c'eft pourquoi je n'en dirai ici rien de plus. B^!a^^iJaw-J^i^MtJMlgai^*»a»^*MJa^^M^!JB»s CHAPITRE XIII. De la manière de préparer & de tranjporîcr ks Arbres. iN Ou S avons fait connoître les avantages d'avoir des arbres en pépinière , pour four- nir aux plantations que l'on veut faire ; mais lorfqu'on n'en a pas , & qu'il n'y en a point à portée des endroits ou l'on veut planter , ou que le genre des arbres que l'on veut avoir oblige de les faire venir de loin , il eft né- ceffaire alors de prendre des précautions pour îa confervation de ces arbres , & pour évi- ter ks accidents qu'ils pourroient éprouver dans le tranfport. Il eft bon que les Jardiniers qui envoient ces arbres , & ceux qui les leur demandent , foient inllruits des précautions qu'il faut pren- dre , les uns pour les pratiquer , & les autres pour les recommander. Il y a pour cet effet une fuite d'attentions, dont Pomiflion pourroit être fort dangereufe, Vegetatiok, Liv. VI, Ch. XIII. 435 Se feroic tomber à pure perte l'efpoir du Cul- tivateur, Se la dépenfe quelquefois confidé- rable qu'il auroit faite pour fe procurer des envois dont la cherté & le péril augmentent également par leloignement & la longueur du tranfport. Les foins qu'il faut prendre pour la con- fervation des arbres dans leur tranfport, doi- vent être augmentés & pris avec plus d'at- tention , à proportion de l'éloignement & de l'efpace de temps que ces arbres doivent refier en route. Il faut encore avoir égard à la température du temps ; H c'eft pendant l'Hiver, fortifier l'emballage contre les effets de la gelée ; fi c'eft au Printemps , défendre autant qu'il eft pofîible les racines du haie de cette faifon , qui pourroit les deflecher & les altérer. Nous allons entrer dans ces différents dé- tails. Le Jardinier, après avoir déraciné les arbres avec les ménagements que nous avons recom-» mandés pour ne pas endommager & muti- ler leurs racines , doit , à mefure qu'elles font tirées de terre , les examiner pour couper celles qui fe trouveroient éclatées , rompues, ou écorcées , en lailTant à celles qui font faines & bonnes le plus de longueur pofîible, bien entendu qu'il fupprimera tout ce qu'il trouvera de vicié ou de pourri. Il doit retrancher une partie des branches; mais jamais rien de la tige , à moins qu'elle ne fut trop longue Ôc trop embarraffante pour rerai)aUage & le tranfport. E e 2. 43^ Traité de là Après cette préparation , on les arrangera aulli-tôt par bottes de quatre, lîx ou huit, félon la grofieur , ayant foin de bien en- trelaiïer & arranger les racines les unes dans les autres , afin de ne pas les cafTer en rapprochant les tiges le plus qu'il fe pourra. Quand les bottes feront ainfi aîTemblées , on les liera fortement avec des barts , en mettant un peu de foin fous ces liens pour qu'ils ri'offenfent pas l'écorce. On fourrera en- tre les racines des tampons de moufie fraî- che , a Ton peut s'en procurer fuffifamment, ou des bouchons de foin , ou de paille bien broyée entre les mains ëc un peu humide , de forte que tous les vuides fe trouvent bien remplis. Ces petites bottes étant ainfî bien arrangées & garnies d'enveloppes particulières du côté des racines , on en formera un paquet d'une grolTeur convenable , qu'on liera bien avec de forts harts dans toute leur longueur ; on les eiiveloppera enfuite avec de la paille longue, obfervant de renforcer cette enveloppe prin- cipalement du côté des racines : on lie de nouveau ce ballot avec des harts dans toute fa longueur ; car , quoiqu'on doive bien en- velopper particulièrement les racines , lorfque les arbres ne font pas très-longs , il eft bon de les envelopper totalement. Lorfque les arbres font petits, comme de jeune plant d'orm.es , de charmes , de tilleuls, d'épines , &c. , on pourra les bechevéter , comme difent les Jardiniers , c'eft-à-dire VEGETATION, LiV. VI, Ch.XIII. 437 qu'on pofera alternativement rextrêmité d'un arbre vers les racines d'un autre. Mais cette pratique feroit très-niauvaife à l'égard de tous autres arbres ou arbrifTeau.x qui ont des racines plus formées , parce qu'on ne pourroit pas les arranger convenable- ment ëc les bien envelopper toutes enfem- ble. Moyennant ces précautions , les arbres peu- vent relier aiïez long-temps en route , 3c être tranfportés fort loin , fans trop foufFrir de la privation de la terre, & fans être en- dommagés par le haie ^ par la gelée & par la pluie. Cependant lorfque l'on envoie des arbrif- feaux délicats & précieux , il efl mieux de bien envelopper féparémenc leurs racines dans de la mouife fraîche , c'eft- à-dire de faire au- tant de paquets qu'il y a de pieds d'arbres : on en fait enfuite un ballot total , comme je viens de le dire , en arrangeant les plus pe- tits arbuftes le long de la tige des plus grands ; & pour donner plus de fermeté & plus de foutien aux tiges , on met fous les harts qui lient ce ballot trois ou quatre gau- lettes , qui doivent s'étendre depuis les raci- nes jufqu au fommet des tiges ; ce qui les af- fujettit &: les garantit ces accidents pendant le trànfport. Pour plus de précaution encore , lorfqu^il s'agit d'arbrilTeaux précieux , ou de ceux qui reprennent difficilement , comme les pins , les fapins ^ &c. , qui doivent être envoyés fort loin, on fera bien de les choiilr jeunes g,^ E e 3 Traite db la de tâcher de leur ménager une partie de leu? motte , & de les arranger dans des caifles , €n mettant un lit d'arbres & un lit de moufle alternativement , ou bien on enveloppe fépa- rément leurs racines , & on les arrange en les ferrant dans des caifîes ; il eft bon, pour donner un libre paflage à l'air , de percer le couvercle de plufieurs trous. | Les Jardiniers Anglois ont encore une meilleure manière de faire leurs envois , au moyen de laquelle les arbres nous arrivent aulli frais que s'ils venoient d'être levés. J'en ai reçu au bout d'un & de deux mois de tranf- port^, qui étoient dans le meilleur état. Ils font ufage de paniers ronds , de deux ou trois ,'& même quatre pieds de diamètre, & de douze à dix-huit pouces de hauteur ; ils mettent un lit de terreau , d'environ trois pouces d'épaifleur , au fond de ces pa- niers. Après avoir levé leurs arbrifleaux en mot- tes , ils les enveloppent féparément de moufle afliijettie avec des liens ; ils les arrangent en- fuite debout dans les paniers , ou plutôt ils les y plantent ; car ils ont grand foin de garnir tous les vuides avec du terreau bien prelfé à la main ; ils afllijettiflent bien ces plan- tes avec des ofiers entrelacés dans les bords du panier ; après avoir bien arrofé le tout , ils lient toutes les tiges enfemble. Enfuite ils enfoncent dans les bords du panier , & à peu près à égale diflance , qua- tre bâtons taillés pour cet effet en pointe , obfervant que ces bâtons furpaflent un peu VEGETATION, LiV.VI, Ch. XIII. 439 la plus haute tige de tous les arbres renfer- més ; ils réunilfent & lient par le haut ces quatre bâtons enfemble , & ils y alTujettif- fent le paquet de tiges : ils finiffent par re- couvrir ces bâtons depuis le fommet juf- qu aux bords du panier , avec une natte qu'ils coufent proprement & folidement avec de la ficelle. Ces paniers prennent ainii une forme conique , aiïez reflemblante à des clochers : l'enveloppe de natte n'empêche pas la circu- lation de l'air ; & les plantes s'y confervent fi bien , qu'il m'en eft arrivé qui avoient fleuri pendant le tranfport. Voilà la meilleure pratique connue , 3c^ il n'y a nul inconvénient lorfque les envois fe font par la voie des Navires qui viennent en droiture au Port où on les attend. Le poids de ces paniers n'augmente point le prix du tranfport , parce que fur les Navires on a moins d'égard au poids , qu'à l'efpace qu'oc- cupe la marchandife. Il n'en eft pas de même , comme on fait » des voitures par terre. Outre que la quantité de terre , dont les paniers font garnis , augmen- te confidérablement les frais de port , les ca- hots , les fecouffes de ces voitures , ébranlenc & dérangent les arbres dans les paniers , &: les endommagent même quelquefois malgré toutes les précautions prifes. Cet arrangement de paniers n'eit donc pas bien praticable par les voitures de terre , fur- tout lorfque le trajet eft long & qu'il faut , comme il arrive par les chargements de Mef- fageries , charger & décharger plulieurs^ fois E e 4 440 Traité de la ces paniers ; ce qui fe fait fouvent avec pea de précaution. Je vais indiquer un moyen très-facile , que j'ai toujours .employé avec fuccès , pour la confervation des arbres envoyés même fore loin. Je fais délayer dans un baquet de la boufée de vache avec un peu d'argille , en y mettant une quantité d'eau fuffifante , pour que le tout ait une coniiftance de bouillie un peuL épaiiTeije plonge dedans la racine de l'arbre en la tournant & retournant , de manière qu elle foit bien imprégnée de cette matière.; je l'enveloppe fur le champ de moufle bien liée tout autour des racines , & j'en forme enfuite un ballot , comme je l'ai dit. J'ai envoyé , & j'ai reçu des arbres ainfi préparés , qui , après une longue route , fe font trouvés auiîi frais que s'ils venoient de fortir de terre. On trouve les racines très- vives & très-fraîches , le chevelu bien con- fervé ; il n efl queftion que de les rafraîchir & de les planter encore toutes imprégnées de cette matière très - falutaire pour les plantes. Je peux afl'urer d'après des épreuves répé- tées pour des arbres qui venoient de loin , que ce procédé eil: le meilleur & le moins fujet aux inconvénients pour la confervation des arbres dans leur tranfport , fur-tout au Printemps , faifon où le hâle dtfleche , com- me on fait , en peu de jours les racines. Il m'a particulièrement bien réulîi pour les arbres réfineux , qui reprennent difficile-^ Vegexation,Liv. VI,Ch. XIV. 441 ment , & même très-rarement quand le che- velu eft delTeché, & qu'on e(t par conféquent obligé de le fupprimer de même que les petites racines ; c eft la néceiîité de la con- lervation des petites racines qui fait recom- mander de lever en mottes ces genres d'ar- bres ; ce qui n'eft pas toujours praticable. Le procédé que je viens d'indiquer opère , mais plus aifément , le même effet. CHAPITRE XIV. Du traitement des Arbres qui ont été long* temps en route* s I on peut planter les arbres auîîi-tôt qu'ils arrivent , il eft toujours mieux de le faire ; mais quelquefois différentes circonflances em- pêchent d'y procéder. Par exemple, la gelée qui a durci la terre ne le permet pas , non plus que la neige qui la couvre d'une cer- taine épaiiTeur. Dans ces deux cas qui peuvent fufpendre pendant pluiieurs Jours la plantation , il faut mettre les arbres qui arrivent dans une ferre, ou tout autre endroit où il ne gelé pas , ex- cepté dans les caves ou autres lieux humides dont le féjour peut beaucoup leur nuire. Il ra'efl arrivé quelquefois , pendant de fortes gelées , des arbres d'Angleterre : com- me ils me venoient par la voie des Navires , q.ù il ne gelé point , ils n'avoient pas foufferc 442. Traite de ia de la rigueur de la faifon ; il étoit queflion de les en préferver ; quand même la terre n'auroit pas été auîTi dure , je n'aurois pu les planter en pareil temps à leur arrivée, fans leur faire beaucoup de tort. En attendant un temps moins rigoureux, je les plantai provifîonnellement très-près les uns des autres dans une terre fraîche que j'avois fait arranger en manière de couche dans ma ferre ; ils y relièrent près d'un mois avant que je pufle les planter dans mon jardin , & ils s'y conferverent en bon état. Lorfque le terrain ell: praticable , celui où Ton veut mettre les arbres en place n'eil quelquefois point encore préparé lorfqu'ils arrivent, ou enfin d'autres circonftances em- pêchent de les planter aufîi-tôt ; pour lors il faut les auhiner , c'eft-à-dire faire en terre , à l'abri du foleil , une tranchée dans laquelle on les arrange tout près les uns des autres , & on recouvre bien leurs racines avec de la terre meuble , à peu près comme fi on les plantoit à demeure ,• on place les grands ar- bres debout & les petits inclinés & moins enterrés. Il eft bon dans des temps de gelée , de couvrir de litière le pied des grands arbres , & même les rameaux des petits \ cette pré- caution eft également bonne au Printemps , dans un temps de fécherefle , en arrofanc pardefTus la litière. On ne retire ces arbres delà tranchée que pour les planter fur le champ à la place où ils doivent refter : on peut les laiiTer long- Vegetatioît,Iiv. VÎ,Ch.XIV. 443 temps dans cet état fans qu'ils en foiiffrent , pourvu qu'on ne les y laifle pas poufi'er de nouvelles racines. En joignant ces précautions à celles qui regardent la plantation , la plupart des ar- bres réulîiront ; au lieu que ceux que Von auroit lailTés un jour feulement expoiës à la gelée , à la neige , & pis encore au foleil , jnourroient en grande partie. Il ne faut pas non plus lailTer les arbres expofés à la pluie , à moins qu'on ne les plante auiîi-tôt ; car ii les racines fechent après avoir été mouillées , elles fe rident & périlTent ordinairement. Mais il , faute des précautions que nous avons indiquées au Chapitre précédent , on les reçoit dans un état de defféchement , il efl bon de les faire tremper dans l'eau pen- dant vingt- quatre heures avant de les mettre en terre ; ce qu'il ne faut pas manquer de faire en les retirant de l'eau. Quant aux arbriffeaux délicats & précieux, on fera bien de les planter dans des pots que Von tient en ferre jufqu'au Printemps , ëc pour lors on les enfonce dans une couche tiède ; ce qui leur fait pou (Ter des bourgeons &: des feuilles, & par conféquent excite & accélère la radication, comme nous l'explique- rons plus amplement au Chapitre des Bou- tures. Il efl fur-tout néceffaire de les bien abri- ter du côté du midi avec des paillaiïbns , qu'il efl: bon de retirer pendant la nuit ou dans des temps fombxes & pluvieux pour 444 Traité de ia les laiiïer profiter de la fève aérienne. Ce que nous en avons dit au quatrième Livre, en fait connoître les effets falutaires f une très-bonne pratique , lorfque les arbres ou arbriiTeaux ont des tiges un peu longues , c'eft d'envelopper ces tiges dans toute leur longueur avec de la moufle fraîche , aifujettie avec des liens de paille longue ; ce qui eft , pour ainli dire , les emmaillotter. Ce procédé, dont j'ai reconnu les bons effets , empêche la trop grande tranfpiratioti de la tige , facilite & augmente peut-être î'afcenfion de la fève qui fe porte avec plus d'abondance à la tête de l'arbre ; lorfqu'elle efl formée & couverte de feuilles , on retire ces maillots : ce qu'il faut faire par un temps frais ; car fi on expofoit fubitement Técorce de la tige , attendrie par cette opération , aux rayons brûlants du foleil , l'arbre en fouf- friroit beaucoup. Quant à la manière de planter , nous ne répéterons point ici ce que nous en avons dit au Chapitre de ce Livre où nous avons ex- pliqué toutes les précautions qu'il faut pren- dre. Végétation, Iiv. VI, Ch. XV. 44^ CHAPITRE XV. Des Plantations convenables aux différents terrains. A différente organifation des arbres les rend très-diflemblables dans leur végétation & leur accroiffement ; c'ell pour cela que nous en voyons qui languiffent & périiTenc dans des terrains dont d'autres s'accommo- dent très-bien. Il efl donc bien important pour l'agrément & le profit du Propriétaire de favoir connoî- tre <& choifir les différentes efpeces d'arbres qui conviennent à la nature des terrains où il veut faire fes plantations ; car il n'y en a point qui ne puifTe faire quelques produc- tions : c'eft ce que nous allons examiner dans ce Chapitre , en faifant connoître la deftina» tion qu'on peut donner aux différents genres d'arbres , & la manière de tirer le meilleur parti de fon terrain. Pour former avec fuccès des jardins frui- tiers , on fait qu'il faut qu'il y ait au moins deux ou trois pieds de profondeur de bonne terre , qui foit meuble , facile à bêcher , exempte de pierres ; qu elle ne foit ni trop feche , ni trop humide ; qu'elle n'entretienne point une athmofphere vicieufe qui commu- nique de mauvais goûts aux fruits. Si ces qualités ne fe trouvent pas dans le terrain que l'on deltine à la formation d'un 44^ Traité de ea jardin , on les lui donne en tout ou en partie f comme nous l'avons expliqué au cinquième Livre Mais il n'en eft pas de même de la planta- tion des avenues, des futaies Ôc des bois; on efl: obligé d'employer la terre comme elle fe préfente ; on ne doit pas même mettre en bois les meilleurs fonds : fouvent on n'y veut employer que des landes, des coteaux arides & incultes ; & comme certainement plufîeurs genres d'arbres y périroient , il faut choilir ceux qui peuvent y fubliiler. Il n'eft queflion que de les connoître , car il femble que la Nature a voulu mettre autant de variétés dans fes produdions végétales qu'il y en a dans les terrains ; de forte qu'il n'y a point de plante ligneufe ou herbacée qui n'ait un fol favori , & c'eft même le plus mauvais à l'égard de quelques- unes. Nous voyons des plante^ qui ne fe pUîfent que fur des rochers & des mon- tagnes arides ; quelques-unes fur des murs. Il y a aufîi des arbres qui profperent mieux dans des terres fablonneufes & feches , tels font les faux acacia , les gleditlia ; plufieurs efpeces de pins , &c. On peut cependant dire en général , que prefque tous les arbres végètent plus vigou- reufement & plus promptement dans des ter- rains fubflancieux & qui ont beaucoup de fond : on y formera toujours avec fuccès de hautes-futaies ; & fuivant que l'épaiffèur de la première couche de terre fera moindre ou VEGETATION, LiV. VI, Gh. XV. 447 moins bonne, on ne pourra efpérer que des demi-futaies ou même des taillis. Dans les fables gras , mêlés de terre fub- ftancieufe, les chênes, les charmes & pref- que tous les arbres font de grands progrès. Les châtaigniers & les hêtres réufliffent dans les fables qui ont beaucoup de fond & qui confervent de l'humidité lorfqu'ils font alliés d'un peu d'argille ; mais l'argille pure tîe leur convient point. Pluiieurs efpeces de pins , les acacia , gle- ditfia , caragagna réulîiflent dans les fables arides ; j'en ai vu qui croiîToient rapidement dans du fable , regardé comme fi put qu'on l'employoit pour faire du mortier. Dans les terrains d'une bonne qualité , quoique fecs , qui ont environ deux pieds de profondeur fur un tuf ferré , on pourra y planter des ormes , plufîeurs efpeces d'éra- bles , des noyers , des frênes , des mûriers > des cytifes & plufîeurs autres arbriffeaux , qui viennent d'autant "mieux que la couche de bonne terre eft plus épaifTe. Si cette couche n'étoit que de huit à dix pouces , on ne pourroit guère y élever que des coudriers , des bouleaux , des fureaux , des fumacs , des marfaux , des ypréaux , des cornouillers , des néfliers de différentes efpe- ces , des cytifes , des merifîers , des mahalebs & quelques autres arbriffeaux. Enfin dans à^s terrains abfolument mauvais, où le tuf n'efl recouvert que de cinq à fîx pouces de terre légère , on y peut encore faire fubfifter de.s bgulçaux , des marfaux , '44^ Traité de la des coudriers , & dans les plus mauvais , des genévriers : il eft vrai que ces arbres n'y font que de foibles poufTes, mais ces elpeces de brouffailles font toujours préférables à des friches rares & pelées ; & en faifant toujours quelque profit ^ ils font des remifes & des retraites pour le gibier. Les terrains marécageux , humides & frais conviennent aux faules de toute efpec€ , aux peupliers noirs & blancs , aux frênes y aux trembles , aux aunes , aux platanes , aux tuli- piers, aux cyprès delaLouifiane, & à prefque tous les arbrifteaux précieux de l'Amérique fep- tentrionale. Outre les convenances du terrain où Ton fait les plantations , on doit avoir égard aux genres de bois dont le débit elt plus affuré &r plus avantageux , félon les circonftances locales : les arbres forment la plus belle déco- ration des campagnes ; mais en fe procurant cet agrément , il eft bon d'envifager l'utilité qui en doit réfulter. Pour tirer de fes plantations le meilleur parti pofîible , il faut examiner en plantant quelle eft l'efpece de bois dont le débit fera ie plus avantageux dans le temps de l'exploi- tation. Comme cette circonllance varie dans les différentes Provinces , & même dans leurs dif- férentes parties , on ne peut point établir de règle générale à cet égard ; ce font les Pro- priétaires qui doivent juger, d'après les con- noiffances locales , ce qui leur fera le plus avantageux. Il y a des bois d'un ufage particulier ; il y Végétation , Iiv. VI ^ Ch. XV. 4^^ Y en a d'autres qui s'erhploient à quantité d'afages différents , & dont par conféquent on fait une grande confommation ^ tels que le chêne j l'orme ^ le hêtre , le frêne ^ le châ- taignier , le fapin ^ &c. j ce font ceux donc on fait ordinairement les plus grandes plan* tarions , lorsqu'on a des terrains où ils réullif« fent bien : ce font aflurément des arbres uti- les & d'un beau port 5 mais nous verrons s'il n'y en a pas d'autres qui mériteroient bien de n'être pas oubliés. Il eft encore avantageux de planter deâ arbres dont le fruit fert à la nourriture du bétail , comme le gland & la faine , & même à la nourriture des hommes , comme la noix^ la châtaigne & les glands doux qui font très- bons à manger , Se qui pourront contribuer à la fubfiitance des hommes , lorfque le chêne qui les porte fera plus commun. Il en eft de même du pin , dit pin cultivé^ dont les pignons font d'un aufïi bon goût que les noifettesi Ces fruits , vu leur abondance ^ pourroient être d'une grande reflburce dans les temps de difette : on fait même qu'en toue temps les châtaignes font la principale nour- riture des habitants de quelques Provin-* ces. Le chêne blani: de l'Amérique feptentrio^ nale i, qui donne le gland doux & mangea- ble, eit encore peu connu en France ; ceux que nous avons depuis quelques années y profperent très-bien. On devroit en multiplier les piantations> ne fût-ce que pour l'utilité dont feroit k Tome IIL F f 4^0 Tkaite d:e ia fruit de cet arbre dans un temps de difette* il eft d'un goût aulîi bon que celui des noix y mais plus nourrifTant ; on n'auroit pas regardé comme une des bifarreries du fameux Citoyen de Genève de propofer le gland pour la nour- riture des hommes , fi on eût connu la bonté des falles qu'on en formera , quelques allées qui en feront dé- corées , donneront au Printemps une jouifîan- ce très-agiéabie ; mais quand, même ctt arbre 4^0 T R A I T É D E L A ♦ n auroit pas tous les défauts qu'il a , il feroit ' toujours jufte de fe récrier contre l'ufage exclufif & unique que l'on en fait aujourd'hui daqs les jardins , en fe bornant à cette feule efpece. Ne fentira-t-on point enfin combien une pareille uniformité eft monotone , ennuyeufe & inconfidérée , quand il ne tient qu'à nous de jouir des belles- variétés que nous offre la Nature? Il nous eft venu de l'Amérique Septentrio- nale trois efpeces de tilleuls , toutes trois bien préférables à celle dont nous venons de parler. L'une en diffère très-peu par la for- me de fes feuilles ; mais il conferve fa verdu- re plus long-temps , & fes nouvelles pouffes deviennent en Hiver d'un beau rouge. L'autre a les feuilles plus larges , d'une forme arrondie , d'un verd un peu fombre , & qui ne tombent que fort tard. ■ La troifieme efpece eft nommée tilleul noir ; l'écorce efl en effet d'une couleur très^ brune ; il fe garnit de belles feuilles très- larges & très - longues : j'en ai mefuré qui avoient dix à onze pouces de longueur , Ôç fept à huit de largeur. Je cultive avec fuccès ces trois efpeces depuis quelques années ; j'ai reconnu qu'elles réulliffent mieux dans les terrains plus argil- leux que fablonneux , fur-tout le tilleul noir qui eft un des plus beaux arbres que nous connoiiîions. Je ne dirai rien de leur bois, ne le connoif-» faut point encorç affez ; mais autant qu'on ea VEGEtATION, LiV.VI , Ch. XVI. 4^1 peut juger par celui de leurs branches , il eil de meilleure qualité que celui de nos tilleuls.^ dits d'Hollande , inférieurs à tous égards à ceux dont je viens de parler. Nous allons voir au Chapitre fuivant , que Ton peut faire choix de beaucoup d'autres arbres. CHAPITRE XV i. Des Arbres qui peuvent firvir à la décoration des Jardins & des Parcs. A Près avoir parlé des marronniers d'in- de , des acacia , des tilleuls qui ont été en polTefîion prefqu'unique des jardins, exami- nons quels font les autres arbres qui réufîif- fent aufli bien dans notre climat , & qui mé- riteroient autant & même mieux d'avoir pla- ce dans les jardins & dans les parcs. Je ne dois parler dans ce Chapitre que des arbres ou grands arbrifleaux , me réfervant à indiquer les petits arbrifTeaux & les arbuftes, lorfque je traiterai de la formation des bof* quets. Commençons par parler des arbres les plus connus , & que l'on peut fe procurer le plus facilement. Le chêne , Forme , le châtaignier , le hêtre font des arbres fi connus , que je n'en dirai lien. Je crois cependant devoir parler des 4^2 Traité ty e la belles f fpeces de chênes qui nous font venues de l'Amérique Septentrionale. Le fycomore & les érables nous foumif- fent de belles elpeces qui font de fort beaux arbres ; je n'ai point remarqué qu'ils foient fort délicats fur la nature du terrain , mais ils réuiîilTent toujours mieux dans une terre plus forte que légère. Le fycomore à feuille panachée, en blanc Se en jaune , & dont la panachure eft toujours âfiez confiante , ce qui n'arrive pas à toutes les autres , efl un arbre très-intéreflant , qui fait un effet nès-agréable , parce qu'il a l'é- clat d'un arbre en fleur ; il charme le coup d'œil , ôc fait une variété frappante. Parmi les érables qui méritent attention , nous avons l'érable à feuille profondément laciniée , qui eft plus fingulier que beau ; l'é- rable de Montpellier, de Tartarie, de Penfil- vanie , &c. , qui méritent d'avoir place ; mais celui de Virginie à bois jafpé , mérite d'être diftingué ; fes belles & larges feuilles décou- pées en trois lobes , fa tige & fes grofles branches qui paroilfent argentées , le rendent très-intéreiïant. Il nous eft venu du Canada quelques belles efpeces d'érables , entr'autres celui à larges feuilles de platane, qui ont des nervures rou- ges, & qui prennent prefqu'entiérement cette couleur pendant l'Automne , ce qui donne beaucoup d'éclat à cet arbre , qui eft d'ailleurs beau. Les frênes en général font de beaux arbres, leuis branches fe foutiennent bien ; elles pren- Végétation, Iiv, VI, Ch.XVI. 463 lient une belle forme fans le fecours de l'art ; leur tête portée par une tige ordinairement fcelle & droite, eft couverte de feuilles d'un plus où moins beau verd , félon les différen- tes efpeces. Nous en avons de belles bien propres à contribuer à l'ornement des jardins. Je ne citerai que les plus recommandables* Tel eft le frêne de Virginie à feuille pa- nachée & à bois jafpé. La panachure de fes feuilles n'eft pas confiante ; mais lecorce de la tige , ëc celle des branches eft toujours marquée de bandes jaunes plus ou moins lar- ges , qui , comme des rubans , s'étendent fé- lon la longueur de l'écorce. Le frêne à feuille de noyer , efl un fort bel arbre. Le frêne de la nouvelle Angleterre , mérite d'être diftingué par fon beau feuillage d'un verd clair. Le frêne à fleur mérite particulièrement d'avoir place dans les jardins où il figure bien, fur-tout dans le temps qu'il efl en fleur. On lui reconnoit encore un grand avantage dans les années & dans les cantons où les infedes dévorent les feuilles des autres frênes ; ja* mais les feuilles de celui-ci n'en font endom- magées : apparemment qu'elles ont quelque goût acerbe qui ne plaît pas à ces ani- maux. Je cultive un frêne d'une efpece rare & finguliere: il m'efl venu anonyme d'Angleterre; je l'ai nommé frêne quadrangulaire , parce que fes branches régulièrement oppofées , pa- roilTent traverfer la tige avec laquelle clle^ Traité de la forment un angle droit , ce qu'elles font a!*- ternativement , de manière que ces branches font rangées fur quatre plans fymmétriques » qui forment quatre angles droits fur la tige ; ce qui donne à cet arbre j beau d'ailleurs, un port fort fingulier & fort intéreffant , dans une forme quarrée & pyramidale. J'ai coupé fur l'un de ces arbres toutes les branches oppofées de l'un & l'autre Coté ; les deux côtés reliants forment naturellement, & fans les fecours de l'art , un éventail ap- plati & très-régulier ; ce qui garniroit très- bien les côtés d'une falle de verdure ; & en coupant fur quatre arbres de cette efpecc toutes les branches oppofées d'un feul côté, les deux rangs de branches qui refteroient dif- pofées à angle droit formerôient nâturelle- nient les quatre angles de la fallé qui feroit d'une forme régulièrement quarrée , fans qu'il fût befoin de donner un feul coup de croif- fant ou de cifeaux aux arbres qui la forme- rôient. C'eil ce que je me propofe de faire § lorfque j'en aurai une quantité d'alTez grands* Il nous eft venu depuis peu d'années un frêne d'une cfpece nouvelle & finguliere ; on l'appelle frêne à une feuille, ou à feuille uni- que: on fait que tous les autres frêneS ont leurs feuilles conjuguées , c'eft- à-dire com- pofées de plufieurs folioles rangées fur un filet commun. Celui-ci n'a que la feuille (im- pie , comme par exemple celle du cerifier : c'eft cependant un véritable frêne ,• il en a d'ailleurs tous les caraderes dillindifs ; il paroît devoir former un bel arbre ; c'eft tout ce VEGETATION , LiV. VI , Ch. XVl ^6^ ce qae j'en peux dire, n'en ayant encore que de jeunes. Il feroit inutile de parler de la qualité du bois de frêne ; on fait qu'il efl très-^bon 6c qu'on l'emploie à quantité d'ufages différents pour le charronnage , pour la menuiferie, & pour la charpente ; ainiî il fe vend bien par- tout. Les eerifiers & merifiers à fleur double font un très-bel effet , quand ils font couverts au mois de Mai, de leurs fleurs d'un blanc éclatant , belles Si. larges comme de petites rofes ; ces arbres ont d'ailleurs l'avantage de fublifter dans de mauvais terrains où d'autres périroient. Les raerifiers communs méritent même dV Toir place dans les grands jardins Se dans les parcs ; ils ont une belle tige ; ils forment na-^ turellement bien leurs têtes : leurs feuilles affez belles fubfîilent fort avant dans l'Au- tomne ; elles prennent pour la plupart , en cette faifon , une couleur rouge , qui leur donne beaucoup d'éclat ; leurs fruits rougei ou noirs font un ornement qui n'eft pas fans utilité. Le bois du merilier eft de plus fonore, aifez dur ; il eft recherché par les Menuilîers, les Tourneurs , les Ebéniftes : lorsqu'on l'é» levé en taillis , on en fait de bons cercles. Il y a un grand nombre d'arbriifeaux à fleurs , très-propres à la décoration des jar» dins , foit pour former des petites allées , foit pour border des boulingrins ou des piè- ces d'eau, foit pour former des malîifs & des bocages. Tome IlL G g 4^ ont été plantés très-petits il y a dix ans ; our a0*ure que c'eft de. cet arbre que les Japon»? 1 nois tirent par incifîon leur beau vernis.- Ses feuilles font conjuguées comme celles* du fumac ; mais elles ne font point du tout i dentelées ; elles font li prodigieuferaent lonr> gués, fortes & garnies de. folioles qu'elles t paroifïent être des branches : j'en ai mefuréi qui avoient trois pieds de longueur ; elles rendent ce bel arbre aîTez garni pendant l'Eté; m.ais lorfqu elles font tombées , il refte nud &: chicot , comme le bonduc , n'ayant comme lui , que peu de branches qui toutes font groft fçs , car fes feuilles lui fervent de rameaux. 4.74 TîLAlTÉ DE XA Je ne peux rien dire de fon bois; maïs I eo jtiger par les branches , il paroît devoir être fort tendre. Le micocoulier ou ceîtis raériteroît d'être plus cultivé ; ii eft plus beau que Torme avec lequel il a quelque reflèmblance ; il pourroit de même former de belles avenues ; je ne fais cependant s'il s'élève autB haut. •Cet arbre eÛ originaire d*Efpagne & d'I- talie; il fupporte cependant très-bien nos Hi- vers les plus rigoureux. On en compte trois efpeces , dont les fruits font de différentes couleurs ; ces fruits font une baie un peu charnue, dont les oifeaux font très- friands ; ils donnent à Farbre , fur lequel ils fubfiftent long-temps ^ un coup d'œil inté- reffant» Il poulTe beaucoup de branches ; maïs on peut le tondre comme f ormiîle pour former des paliiTades & des cabinets de verdure : cet arbre peut dautant plus avantageufement remplacer forme , qu'il ne trace pas de même. Il eil fur-tout recommandable par la qua- lité de fon bois qui eft dur & très-liant , il plie i)eaucoup fans fe rompre ; il a beaucoup delaûicité ; ce qui le rend nnguliérement pro- pre à en faire des brancards de chaife : on en fait âufîi des cercles de tonneaux & de cuves, qui font de très longue durée. Outre les chênes qui nous font connus depuis long-temps , & dont les Auteurs ont fait un grand nombre d efpeces, dont pluiieurs mériteroient à peine le nom de variétés » il r*Qus eft venu de F Amérique feptentripu^lei de Végétation , Liv. VI , Ch. XVI, 47 f très-belles efpeç.es de chêne ; telles font : Le chêne à feuille de châtaignier , le cliêne écarlatte , aÎHlî nommé , parce qu'en Automne (çs feuilles prennent une belle couleur rouge. Le chêne de Marilland , le chêne noir. Le chêne blanc , dont les glands font mau- geables comme des noifectes. Le chêne épineux de VçllQiii Le chêne des Algaves;' *''- ■ ' Le chêne ragaol, Ces deux dernières efpeces ont les feuilks godronnées & affez relTemblantes à celles de tjotre chêne commun ; mais elles ont le pré^ cieux avantage de fe conferver vertes fur l'ar- bre pendant tout l'Hiver ; elles ne tombent''^ qu'au Printemps, quand il en pouffe de nou-' veîles ,* de forte que ces deux belles efpercs de chêne ne font jamais fans verdure. Il y a bien d*autres efpeces de chênes , dont nous parlerons, qui ne dépouillent point ; mais ce font plutôt des ilex que des auerciis^ ^ dont on a fait avec raiibn deux genres diffé- ' rents fous deux mots dans la langue latine , mais qui n*ont que le même nom de chénc dans la langue francoife. J'ai fait colleQion de vingt- fept efpecesL bien diftinâes de chênes étrangers ; je vou- drois pouvoir les nommer & les décrire ici tous , ils méritent bien d'être connus : mais une pareille defcription appartient plu- tôt à un Traité des arbres qu'au Chapitre que je traite, que j'ai rendu déjà allez long. On peut voir par la quantité d'arbres que j'ai nommés , & ceux dont il me rçfte à par^ 4i6 Traité de l a. ...» 1er, que les marronniers & les tilleuls ne font pas les feuls arbres qui doivent fervir à la décoration des jardins & des parcs ; mais qu'en leur y donnant place , on peut choifir ^ieux & varier les plantations. ; Ceft multiplier agréablement & utilement nosjouiiTances , Se rendre la promenade vrai- ment intéreffante ; car fulTent-ils les plus beaux du monde, on fe lalTe de voir toujours les mêmes arbres. Puifque la Nature nous offre tant de bel- les variétés, pourquoi n'en pas profiter ? On ne. feroit pas embarrafle où les trouver , fi plufiéurs , comme je le fais , les élevoient en pépinière pour la. fatisfaâion de ceux qui veulent s'en procurer. |1..,„,. .^,1 , Je n'ai rien dit dés telles efpeces de peu- pliers , il peu connus encore & qui méritent cependant bien ' de Vêtre ; c eft pourquoi je vais en donner une, légère defcription dans le Chapitre fuivant. , Comme je poifede toutes les efpeces dont je parle, & que je les ai fous les yeux , je peux dire que je les décris d'après nature ; de niême que tous les autres arbres dont je fais mention ; c'eft le feul moyen d'en parler dans le y rai : on commet bien des erreurs quand on n'écrit que fur la foi des àu- f J^es- m VEGETATION, Il V. VI, Ch. XVII. 477 j CHAPITRE XVI L Des Peupliers. E fais un Chapitre particulier à^s peupliers dont les belles efpeces ne font encore con- nues que de peu de perfonncs , & qui méri- tent cependant bien de l'être ; c'eft pourquoi je crois néceflaire d'en parler d'une manière plus étendue. Je cultive dix-fept efpeces bien diftinâe^ de peupliers, fans compter quelques variétés: je vais les nommer féparément. 1^ Le peuplier blanc à petite feuille, ou peuplier des bois, qui a peu de mérite ; le fuivant lui eft préférable. 2°. Le peuplier blanc à grandes feuilles ou hypreau ; le beau verd de fes feuilles en def- fus & le blanc argenté en defTous lui donnent un certain mérite ; il pouîTe vigoureufement dans les terrains humides & même maréca- geux ; & ce qu'il y a de fingulier , c'eft qu'é- tant naturellement un arbre aquatique , il ne lailTe pas de profpérer afTez bien dans les ter- res légères & feches , tant il eft peu délicat fur la nature du terrain. Mais le très-grand avantage qu'on peut tirer de cet arbre , c'eft qu'il profpere fur les bords de la mer où l'on voit périr tous les autres arbres ; on peut en faire des plantations qui garantirent & protègent les autres efpeces qui ne pourroient réullir étant à découvert. .478 Traité t -e là 3^ Le peuplier blanc à feuilles panachées; il fait un joli effets tant que fa pânachure fe foutient. 4®* Le peuplier , dit hétérophiîe ^ fe diftin- gue par fon port & par fes feuilles plus pro- fondément & fi différemment découpées que l'on a peine à en trouver deux fur le même arbre qui fe reffemblent. 5°. Le peuplier-tremble â grande & à petite feuille ; ce qui n'efl qu'une variété qui ne doit point être comptée pour une différente efpece. Cet arbre fe plaît dans les lieux humides ; j'en ai cependant vu réuflîr dans des terrains qui ne l'étoient pas. Celui à petite feuille pouiTe même afîez bien dans des terrains fecs. Ces arbres ont leurs feuilles prefque ron- des , non dentelées , mais ondées , ou godron- nées par les bords , très-unies ; les nervures n'étant prefque pas faillantes , elles font por- tées par d'alTez longs pédicules , menus & très-fouples ; ce qui fait qu'elles paroiffent trembler pour peu que le plus petit vent les agite. L'écorce de ces arbres eft très-unie , ils for* ment de belles tiges , très-élevées & fans nœuds , fi l'on a foin de les élaguer de temps en temps lorlqu'ils font jeunes : leur bois eft fort tendre , mais ne laifTe pas de fervir à différents ufages ; il eft très-bon pour chauffer les fours & les poêles. 6**. Le peuplier noir commun : plufieurs en ont fait deux efpeces ; mais elles fe reffemblent a fort qu'on ne peut tout au plus en faire que deux variétés ; ces arbres ne deviennent Vjsgetatîon,Iiv.YI,Ciî.XVII. 479 grands que dans des terrains hiimides oh ils le plaifent ; ils fubliftent néanmoins dans des terrains fecs , mais ils n'y font que de foibles produdions. Les jeunes poulTes de ceux que Ton a étè- tés > comme les faules , fervent aux Vigne- rons au même ufage que l'ofief ; leurs feuille* font dentelées aflez profondément & ond&s par les bords* 70. Le peuplier d'Arbelle : fes feuilles fonc d'un verd très-rembruni en deffus & blanches en deflbus ; leur forme eft arrondie , fe ter- minant en pointe courte & obtufe ; elles font régulièrement godronnées : je ne lui connois rien qui le rende recommandable ; il poufïe très-médiocrement , du moins dans un terrai» fablonneux. Le peuplier de Lombardiè ou d'Italie eft déjà commun en France , & cependant on pourroit dire qu'il n y eft point encore biea connu ; ceci paroît un paradoxe, & n^en eft cependant pas un : chacun en parle différem- ment, parce que chacun juge cet arbre fui- vant les bonnes ou les mauvaifes qualités du terrain où il l'a mis ; de là des opinions & des rapports très-différents. Plufieurs croient , parce qu'on l'a dit, que cet arbre réuiïit dans tous les terrains; ëc en le plantant dans un fol aride, ils difent qu'il ne pouffe pas bien , & qu'il fait un vilaia arbre. Un de ceux-là à qui je fis voir des peu- pliers d'Italie qui selevoient & croiffoient rapidement dans ua terrain qui leur convient , 4S0 Tkaitédeia ^ne voLiîoit pas croire qu'ils fuflent de la même efpece de ceux qui languifToient chez lui dans un fable brûlant. Les uns, au lieu d'en faire l'ufage qui lui convient, lui reprochent de ne pas donner alTez d'ombrage pour couvrir des allées & des falles de verdure. Les autres , le mettant à fa place , lui fa- tent très bon gré de lui voir former des plan- tations d'alignement , des avenues , qu'il ne rétrécit & n'offufque jamais , parce que s'éle* vant dans une forme pyramidale, & les bran- ches étant toujours ferrées contre la tige , aucune ne s'étend latéralement & ne nuit au <:oup d'œil, comme il arrive aux autres arbres qui ont befoin du fecours du croiflatit pour prendre l'alignement que forme naturellemenC une ligne de peupliers d'Italie. Les uns le blâment de s'élever trop rapi- dement ; d'autres s'en trouvent bien en le plantant en remplacement dans des vuides d'allées ou de mailifs , entre d'autres arbres , dont il ne tarde pas à atteindre le fommet. Enfin beaucoup de gens qui n'ont jamais fait ni vu faire ufage de fon bois , décident qu'il n'eft bon à rien , & ceux qui en con- noilTent Tufage favent & attellent qu'on en fait d'alfez bonnes pièces de charpente pour de petits bâtiments ; qu'on en fait des fabots ; que les Sculpteurs qui le connoiiTent l'em* ploient de préférence à celui du tilleul , mais fur-tout qu'on en fait de belles & bonnes planches qu'on emploie dans les différents ouvrages de menuiierie. Ce bois qui eft fans nœuds , doux & facile à travailler , fe prête àifément à l'adion des outils qui fornient les moulures : j'en ai va des lambris plus beaux & meilleurs que ceux de fapin ; il dure fort long- temps étant à couvert , & même étant expofé aux injures du temps, lorfqu'en le peignant ^ on l'a biea imprégné d'huile. J'en ai vu des contre-vents qui étoientr encore très-fains , quoique mis en place depuis plus de trente ans. On l'emploie en pilotis, parce qu'il fe Con- ferve très-long-tenips dans l'eau , pourvu qu'il en foit toujours couvert. Ce n'efi: pas cependant que je vante le peu- plier d'Italie comme un très-bel arbre , puif- qu'on va voir par la defcription que je fais des efpeces fuivantes, que je les regarde comme plus belles , & qu'elles lui font préférables à plufieurs égards ; mais j'ai voulu le juftifîéf des prétendus défauts qu'on lui impute , & faire connoître que loin d'être méprifable, il a des qualités qui lui font particulières , & qui doivent le faire rechercher dans les pofi- tions qui liii font convenables, où il repré- fente très-bien, & où il mérite même la pré» férence fur tous les autres. 90. Le peuplier de la baie d'Ëudfon : cet arbre a des feuilles d'un beau verd en delTus & en deilbus ; il a d'ailleurs quelque reilem- blance avec le précédent : rtiais outre le beaii verd de fes feuilles de l'un ôc l'autre côté , il en diffère beaucoup par la pofition de fes branches & par fon port ; leur infertion forme prefque un angle droit avec la tige , & ainfi Tome III, H h 4^2 Traité DELÀ elles s*étendent latéralement & donnent beati- coup d'ombrages. Si on a foin de Télaguer, il forme une belle tige aulîi élevée qu'on le veut , co.uron» née d'une tête bien arrondie , très- ample & fi touffue qu'on ne peut y voir un oifeau qui sY eft perché : il fait en tout un fort bel arbre. A en |ugeir par les branches , il paroît que fon bois eft dur & bon : il m'eft venu, il y a quelques années , d'Angleterre, fous ce nom j je dois le regarder comme très-rare , puifque je ne l'ai vu nulle part ailleurs en France'^ fa beauté m'engage à travailler par toutes fortes de moyens à le multiplier : on me le vendit fort petit & fort cher , mais Je rie regrette pas l'argent que j'y ai mis. iQo. li peuplier de Canada : tous les avalH rages que réunit certe efpece d'arbre du côté de l'utile & de l'agréable, en rendra furement les plantations étendues, lorfcju'on les con- noîtra bien. Je ne fais aucun arbre dont la végétation foit auîîi précoce ; il fe couvre de verdure plus d'un rtiois avant le tilleul , & il la con- ferve beaucoup plus tard. Ses feuilles nailTantes font d'un verd très- clair , mais qui devient plus rem.bruni par h fuite ; elles ne font point fujettes à être en- dommagées pat les infedes : plus larges & plus longues que celles des efpeces précéden- tes . elles font figurées en fer de lance. Son écorce d'une couleur brune eft toujours lifie y il forme une belle tige ordinairement Vegetation,Iiv.VI, Ch.XVII. 4S3 fort^droite ; fes branches s'étendent latéraîe- nient & donnent beancoup d'ombrage : il s e- leve trës-haut & croît rapidement dans les terrains où il fe plaît, qui font frais & humi- des ; il poulîe très- bien dans lés terres fortes & argilleufes i & il ne laifle pas de croître paflablemeht dans les terres fablorineufes & feches ; enfin il s'accommode de toutes for- tes de terrains ; mais il ne pouffe pas aulî! yigoureufement dans les mauvais que dans les bons. Quoique fà croiiTançe foit au moins âullî rapide > fon l3ois eft plus dur & meilleur que celui des autres efpeces de peupliers. Ses boutons pendant tout l'Hiver , mais fur-tout peu de temps avant qu'ils s'ouvrent au mois de. Mars ^ font imprégnés d'une li- queur épaiffe , gluante