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TRAITE

THÉORIQUE ET PRATIQUE

DE DROIT CIVIL

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DE LA PRESCRIPTION

TRAITÉ

THÉORIQUE ET . PRATIQUE

DE

DROIT CIVIL

DE LA PRESCRIPTION

PAR

6. liVORT-LiCAHTIRERIE

DOYEN HONORAIRE DB LA FACULTÉ DE DROIT DE l'université DE BORDEAUX

ALBERT TtSSIER

PROFESSEUR DE DROIT aVIL A LA FACULTÉ DE DROIT DE DIJON

TROISIÈME ÉDITION

Entièrement refondue et mise an courant de la législation et de la jurisprudence

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LIBRAIRIE

DE LA S(X;iÉTÉ DU RECUEIL J.-B. SIREY, ET DU JOURNAL DU PALAIS

Ancienne Maison 1^. LAROSE A FORCEL.

it, Rue èoufflot, PARIS, 5' An*

' L. LAROSE et L. TENIN, Directeurs

1905

L 3342

FEB 2 0

1931

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DE LA PRESCRIPTION

(Livre III, litre XX du Code civil).

(1)

CHAPITRE PREMIER

NOTIONS HISTORIQUES

1. L'histoire de la pi'eScription présente encore aujour- d'iiui un grand nombre de- difScûlté^j bien des points obs- curs n'ont pas été éclaircis. Nous 'ç6': pouvons, dans cet exposé historique sommaire, examiner fesl (jUVstions si com- plexes, que fait naître Tétude des règles de 'la^r' prescription

('; Il ne s* agit, dans ce travail, que d'étudier le fonctionnement de I& jtr».^ * ^ rription en droit privé et dans l'état actuel de notre droit privé. A un point de- me plus général et plus élevé, la prescription soulève de nombreux problèmes «]ue nous n'avons pas ici à aborder. On sait quel rapport étroit existe entre la pre«tcriplion et la coutume (V. D'Argentré, Goût, de Bret., art. 277; Dunod, Prescr.^ p. 106 et 107*; Troplong, Prêter., n. 26; Brissaud, Histoire générale i/o Droit français, p. 240; Gény, Méthode d'interprétation et sonrces en droit privé positif, n. 116; Lambert, La fonction du droit civil comparé, t. I, p. 114 et note 1, p. 142 et note 5). On admettait autrefois que la possession 'immémoriale peut tenir lieu, non seulement de titre, mais môme de loi (V.Mer- lin, Rép., V. Prescr , sect. 2, § 24). Nous n'avons pas à examiner cette impor- Uote question. Nous laisserons aussi de c(Mé le rapport étroit qui existe entre rinstUution de la prescription et le problème que soulève l'application d'une loi nonvelle : une réforme législative venant modiller des règles du droit, quel effet doit-on attribuer aux situations anciennes? Dans quelle mesure doit-on les res- pecter? Convient-il d'indemniser ceux qui avaient depuis longtemps des droits abolis par la loi nouvelle? Ces questions se posent chaque fois qu'une réforme <<>ciale profonde vient supprimer, comme injustes, des situations auparavant admises parla loi. Nous n^avons pas il les étudier (V. Lassalle, Théorie systé- matique des droit acquis, trad. fr., 1901; Andler, Les origines du socialisme d'État en Allemagne, p. 91 et s.). Nous n'avons pas non plus h nous occuper ici «ie la prescription en droit public ou en droit international public, t^n ce qui con- rerne même le droit privé, nous laisserons en général de cùté l'étude des légis- lations étrangères et celle des réformes nombreuses qu'il conviendrait d'apporter h cette partie de notre droit français : sur ces deux points, nous ne donnerons, U' cas échéant, que de brèves indications.

Prescr. 1

2 DE LA PRESCRIPTION

dans les très anci(*nnes législations (*) et même sous le Bas- Empire et au moyen âge. Nous devons seulement retracer les origines de notre législation actuelle en ne rappelant que les faits et injstitutions sur lesquels Taccord parait établi entre les auteurs. Nous retrouverons d'ailleurs, dans le cours de notre travail, un grand nombre de difficultés spéciales qui nous amèneront à étudier d'une façon détaillée les pré- cédents historiques des dispositions du code civil. On peut affirmer que, dans cette matière, le champ reste ouvert lar- gement aux tr:avaux et aux recherches des historiens du 1 droit, et que, notamment, bien des dispositions du droit canonique ou des coutumes, et bien des règles établies par notre jurisprudence ancienne, n'ont^pas été jusqu'ici complè- tement approfondies.

2, Notre législation sur la prescription vient en grande partie du droit ronietiï^; ïKoiré ancien droit lui avait emprunté presque tou^e^ »ç"$f règles (*) ; il est essentiel de remarquer cepead&i^Lqiie le droit canonique avait cherché à introduire ^ ^..^ ffes.fègtes nouvelles ayant surtout pour but de ne protéger *\l '-ïjue les personnes de bonne foi et d'empêcher que la pres- cription ne servît à enrichir injustement des possesseurs ou des débiteurs malhonnêtes et peu scrupuleux. A la fin de notre ancien droit, les solutionsi admises en matière de pres- cription se rattachent presque toutes à la combinaison des principes du droit romain et des règles du droit canonique. Dans l'avertissement qui précède son célèbre Traité des près* criptions, Dunod le fait très justement remarquer. « J'ai ' posé, dit-il, pour fondement de l'ouvrage, les décisions des droits civil et canonique, car, quoiqu'on dise que, dans les pays coutumiers, l'on ne reconnaît de prescription que celle qui est établie par la coutume, les ordonnances et la juris-

(*) Sur la preKcriplion chez les peuples primilifs, v. Slobbe, Handbnch der denlschen Privatrerhls^ II, p. 181 ; Kovalewski, Coutume contemporaine et loi ancienne, p. 90. Sur la prescription dans les anciennes législations de Grèce et d'Orient, et dans les anciens droits Scandinave, germanique' et slave, V. Dareste, La prescription en droit civil, p. 2 et s., et Bull, des trav. de l'Acad, des sciences mor. et polit t. 42, p. 941. Sur la prescription en droil musulman, v. Morand, Revue alffér., 1899, l, 37 et s.

(*) Gpr. Alb. Desjardins, \ouv. Rev. hisl., 1877, p, 301.

NOTIONS HISTORIQUES 3

prudence des arrêts, il faut convenir néanmoins que cette prescription même est tirée des droits civil et canon, qu'elle en admet les principes généraux, et qu'elle a été seulement modifiée et rendue plus simple et plus naturelle par les coutumes qui ont rejeté ce que le droit civil y avait mis de trop subtil et le droit canon de trop difficile et de trop onéreux (*)• *

SECTION PREMIÉ;HE

DROIT ROMAIN

§ l. Prescription acquisitive.

3. Le droit romain abonde en textes sur la prescription. C'est, on Ta fait souvent remarquer, une des matières les plus richement traitées dans les compilations qui nous sont parvenues.

On sait que, pendant longtemps, la législation romaine n'a prévu et admis que Tusucapion qu'on a pris l'habitude de désigner par les expressions moins exactes de prescription acquisitive. L'usucapion était un mode d'acquérir du (jroit civil : 4c Usucapione dominia adipiscimiir, dit Ulpien, tant « mancipi rerum quam nec niancipi. Usucapio est aufem dominii adeptio per continuationeni possessionis anni vel hiennii; rerum mobilium anni^ immohiliitm bien?iii. » (*). Cette institution remontait aux Douze Tables ('). Il est à peine besoin de rappeler que la brièveté des délais de prescription exigés par la loi romaine s'explique par cette considération qu'au début de l'histoire romaine les propriétés foncières étaient peu considérables et les déplacements peu fréquents r les délais d'un an et de deux ans suffisaient pour qu'on pût connaître et empêcher les usurpations (*). La plupart des

(') V. d*ailleur3 d*Espinay. /)e V influence du droit canonique sur la léffisla» lion française, p. 80 et s., 189 et s., 270 et s.

(*) UIp. Reg., XIX, § 8.

(>) Gaius, Inst., II, § 42.

(') V. Troplong, t. I, n. 15; Esmein, Mélanges d'histoire de droit et de cri- tique, p. 171 s.; Daresie, op, cit,, p. 4.

4 DE LA PRESCRIPTION

anciennes législations contiennent de même des délais d'usu- capion très courts.

4. L'usucapion servait, en premier lieu, à transformer en dominium ex jure Quiritium la possession de celui qui avait la chose in bonis. Elle apportait ainsi une correction équi- table et utile à des principes d'une rigueur surannée. « Je ne connais rien, dit Summer-Maine, dans la pratique des Romains, qui atteste à un aussi haut degré leur génie juri- dique, que lusage qu'ils firent de Fusucapion. Les difficultés qui les entouraient étaient à peu près les mêmes que celles qui embarrassaient et embarrassent encore les légistes anglais. Grâce à la complication de leur système, qu'ils n'a- vaient ni assez de courage ni assez de puissance pour recons- truire, le droit réel se trouvait constamment séparé du droit positif; celui qui était propriétaire en équité ne Tétait pas en droit. Mais l'usucapion, employée par les jurisconsultes, fournit un mécanisme par lequel le défaut de régularité du titre de propriété était constamment couvert, et au moyen duquel la propriété et la possession, séparées pour un mo- ment, se réunissaient de nouveau dans le plus bref délai possible (*). »

5. L'usucapion servait, en second lieu, à transformer en propriété quiritaire la possession de celui qui avait reçu une cho^e a non domino, divec justa causa et bonne foi. Elle met- tait ainsi obstacle aux revendications tardives, empêchait l'instabilité et l'incertitude du droit de propriété et facilitait aux légitimes propriétaires la preuve de leurs droits. Gains indique en termes précis le but de l'usucapion dans cette seconde application : « Quodideo réception videtur,ne reruni dominia diutius in incerto essent. Bono publico usucapio introducta est, ne scilicet qnarwndem rerum diu et fere sem- per incerta dominia essent, cum sufficeret dominis ad inqui^ rendas res suas statuti temporis spatium (*). » L'usucapion ne pouvait être invoquée par le possesseur que s'il avait juste titre et bonne foi. Mais d'après une opinion fort accré-

(') Suinmer-Maine, L'Ancien droit, trad. Cuurcellc-Sonouil, p. 268. (-) Gains, Inslil., II, § 43 et 44, el 1)., I, 1, de iisnrp, et usnc.

NOTIONS HISTORIQUES S

clitée aujourd'hui, surtout en Allemagne, ces conditions n'auraient pas été exigées dès les premiers temps du droit romain. En France,M.Esmein a consacré au développement et à la défense de cette doctrine une dissertation d'un grand intérêt. D'après lui, ce n'est que lentement que s'est élabo- rée la théorie de Tusucapion avec juste titre et bonne foi; la condition de la bonne foi aurait été exigée la première ; celle de la justa causa serait venue plus tarfl. Le point de départ de la théorie aurait été la règle primitive qui exigeait pour Tusucapion une possession publique, non clandestine. « C'est en analysant plus finement les cas dans lesquels le possesseur échapperait à tout reproche de clandestinité qu'on arriva à exiger pour l'usucapion la bonne foi et le juste titre qui sans doute au début ne se distinguèrent pas nettement l'un de l'autre {'). »

6. Dans l'un et l'autre cas, l'usucapion faisait acquérir la propriété avec ses attributs et avantages : elle pouvait servir à repousser toute revendication, comme aussi à revendiquer contre un tiers détenteur; mais elle ne faisait acquérir la propriété qu'avec les chargées dont la chose pouvait être grevée au moment de l'usucapion (').

7. L'usucapion ne pouvait s'appliquer qu'à des choses sus- ceptibles de propriété quiritaire et elle ne pouvait profiter qu'aux seuls citoyens romains ; les fonds provhiciaux se trouvaient exclus de son domaine; elle ne s'appliquait pas non plus aux choses volées, aux immeubles occupés par vio- lence, aux choses inaliénables ou à celles dont l'aliénation était subordonnée à certaines conditions, telles que les pra*- (lia rustica vel suburbana des pupilles ou mineurs en cura- telle, les res niancipi d'une femme en tutelle, plus tard les biens quelconques des pupilles ('). Il y avait place, près d'elle, pour d'autres institutions plus larges.

8. Le droit prétorien introduisit, à côté de l'usucapion,

(*) Esinein, toc.rit. V. aussi Girard, ilfa/iiieZ de droti romam, p. 296, note 7.

(') L. iO, ^ i et L. 44, § 5, 1)., de nsurp, et usiir. V, (jirard, Manuel de droU romain, 2* éd., p. 292.

(") V. Oaius, iMtit., H, § 45, 46, 49 ; L. 28, pr. 1)., de verb. signif, ; U 3, C, deprxsc. trig. veL quadrag. ann.

6 DK LA PRESCRIPTION

\^ pnescriptio longi temporis, qui s'appliqua aux fonds pro- vinciaux et put être invoquée par les pérégrins. Elle exigea, comme Tusucapion, le juste titre et la bonne foi, outre une possession de dix ans entre présents, c'est-à-dire quand le possesseur qui soutenait avoir prescrit et celui qui se préten- drait propriétaire étaient domiciliés dans la même pro\'ince, ou de vingt ans entre absents, c'est-à-dire quand le posses- seur et le prcçriétaire étaient domiciliés dans des provinces différentes. Les délais de possession étaient plus longs que ceux de Tusucapion : les territoires étaient plus vastes qu'aux premiers siècles de Rome ; les déplacements du propriétaire pouvaient par suite être plus difficiles et moins fréquents. Q. Le préteur ne donna pas d'abord à Isl pr^escriptio l'effet de faire acquérir la propriété ; ce n'était qu'une fin de non- recevoir permettant de repousser toute action en revendica- tion ; cette fin de non-recevoir figurait en tête de la formule, et de son nom de prœscriptio. Plus tard, le possesseur put se défendre au moyen d'une exception qui n'eût pas besoin d'être placée en tête de la formule ; Ulpien parle de cette « exceptio long œ passe asionia » (*). On continua cependant à se servir du mot pr^rscriptio, et, par une singulière fortune, ce mot finit par désigner à la fois, d'une façon générale, l'acquisition d'un droit par la possession prolongée pendant un certain temps et l'extinction d'un droit par l'inaction de son titulaire pendant un certain temps.

La prœscriptio pouvait d'aiUeurs être opposée non seule- ment au propriétaire, mais encore à tous ceux qui préten- daient avoir sur la chose des droits réels ; il y avait à cet égard autant de prescriptions différentes à appliquer qu'il y avait de droits contre lesquels on devait prescrire : chacune de ces prescriptions devait réunir les conditions voulues par la loi quant à la possession, au juste titre, et à la bonne

foi (*).

Le préteur finit par accorder dans tous les cas de pra^s-

(*) L. 5, § 1, I)., de div. temp, prasc,

\*) V. Accarias, PrécUde droit romain, I, n. 245; Girard, Manuel de droit romain, 2* éd., p. 294, noie 1.

NOTIONS HISTORIQUES 7

criptio longi temporis une action utile en revendication {*).

10* La prœscriptio longi temporis et Tusucapion se confon*- dirent dans une institution unique ; Ta distinction ne pouvait survivre à la disparition des res mancipi, à Tassimilation des citoyens et des pérégrins, des fonds italiques et des fonds provinciaux. L'institution nouvelle emprunta les délais de la prœscriptio longi temporis, en admettant, eh outre, pour les meubles, un délai de trois ans ; mais, conmie Fusucapion», elle constitua un mode d'acquérir et donna l'action en reven- dication (*). Dans la fusion des deux institutions, il semblé bien qu'on conserva l'ancienne règle de Fusucapion, d'après laquelle les droits réels grevant la chose usucapée étaient maintenus ; mais il faut ajouter que, suivant une opinion très accréditée, la prœscriptio longi temporis continua à être opposée aux créanciers gagistes ou hypothécaires (*).

11. La législation du Bas-Empire admit, à côté de l'usu- capion ainsi réformée, une prœscriptio longissimi temporis ; on décida, en appliquant la constitution de Théodose le Jeune, dont nous allons parler plus loin, que le possesseur pouvait opposer la prescription de trente ans comme moyen défense contre la revendication (*). C'était une ressource utile à tous ceux qui ne pouvaient bénéficier de l'usucapion, faute de titre de bonne foi> ou â raison de vices de la chose possédée. La novelle 119, cap. 7, rendit d'ailleurs fort rigoureuses les conditions de la prescription de dix à vingt ans, en exigeant qu'il y eût bonne foi, non seulement de celui qui invoquait la prescription, mais aussi de son auteur.

On étendit le délai à quarante ans pour certains biens, ceux du fisc, de l'empereur, des églises, des établissements pieux, et généralement pour tous les cas non encore prévus ; on exigea plus tard un délai de cent ans poui* prescrire contre l'Église C).

(') L. 8, pr. C, de prsesc, trig, vel quàdrag. ann,

O L. un. G., de iifnc. transf, ; L. un. C, qnibus non objic. longi temp. prxse.

l') V. Accarias, op, cit., n, 246.

(•) L. 3, C, de prmsctrig, vel quadrag. an». ; Nov. Ii9, cap. 7.

(*) U 23, C, de MAcros. eccles. ; Nov. 9 ; Décret. Cireg., liv. III, lit. XXVI.

8 DE LA PRESCRIPTION

Justinien donna même à cette prescription de trente ou de quarante ans l'effet de faire acquérir la propriété et de permettre la revendication, même en l'absence de titre, lors- qu'il y avait eu bonne foi au début de la possession et que la chose n'avait pas été enlevée par violence (*).

Ainsi se trouvent organisées à la fin de la législation romaine les deux institutions que nous retrouvons dans le code civil sur la prescription acquisitive en matière immo- bilière : la prescription de dix ou vingt ans avec juste titre et bonne foi et la prescription de trente ans. On revenait un peu, en admettant cette dernière, à Tidée primitive de l'usucapion opérant sans titre ni bonne foi, idée qui seule est susceptible de satisfaire au besoin de sécurité et de sta- bilité de la propriété (*).

12- La possession immémoriale était-elle susceptible de produire certains effets dans la législation romaine ? Il sem- ble bien qu'en matière de servitudes elle avait un rôle important. Il est certain, dans tous les cas, que nos anciens auteurs ont souvent invoqué les textes romains pour appuyer et développer leur théorie de la possession immémoriale et des effets qu'elle devait, d'après eux, entraîner f*).

§ II. Prescription extinctive.

13. La prescription extinctive ne fit que tardivement son apparition dans le droit romain (*). Pendant longtemps, on n'y admit point l'extinction des obligations ni des actions par suite de la seule inaction de celui qui pouvait les exer- cer : les actions étaient en général perpétuelles ; dans cer- taines hypothèses seulement on avait créé des actions n'ayant qu'une durée limitée (*) ; les actions créées par les préteurs

(*) L. 8, C, de prœscr, trig. vel qnadrag. a/in. (*; V. Esmein, op, cit,, p. 215 s.

(') V. not. L. 2, D., de aqua et aquse pluvise arcendœ; LL. 3, § 4 et 23, § 2, D., de aqua quotidiana ; Dunod, 2* part., ch., XIV. V. aussi infra*

n. 21.

(*) Il en fui de môme dans la plupart des anciennes législations. V. Daresle, loc, cit.

(») V. Girard, op. cit., p. 710 et 711.

NOTIONS HISTORIQUES 9

et les édiles étaient le plus souvent temporaires et ne iluraient qu'un an. Une constitution célèbre, rendue par Théodose le Jeune en 424, décida que les actions, jusque-là perpétuelles, seraient éteintes après trente ans du jour de Texigibilité du droit. Cette règle fut formulée pour toutes les actions, tant réelles que personnelles ; elle s'appliquait même, d'après Justinien, ce qui ne laisse pas d'être assez difficile à expliquer, à l'action finitnn regundorum (*). Le délai de la prescription fut de quarante ans dans certains cas exceptionnels, pour l'action hypothécaire, pour les actions ayant fait l'objet d'instances périmées, pour les égli- ses et les établissements dits loci venerabiles {•).

14- Justinien mélangea d une façon assez malheureuse, dans sa codification, la prescription acquisitive et la pres- cription extinctive qui, avant lui, étaient restées distinctes ; il en traite en même temps dans son code au livre VII. Cette confusion, qui lui a survécu et se retrouve dans notre code civil, contribue à rendre d'une obscurité presque impénétrable certains points de la législation du Bas-Empire sur la pres- cription. Le fonctionnement de la prescription extinctive avec le caractère général et absolu que nous lui voyons attribué par les textes de Théodose et de Justinien est d'ailleurs diffi- cile à bien comprendre : il y a des questions qui ne sont pas encore éclaircies. « La matière de la prescription soit acquisitive, soit libératoire, est une de celles sur lesquelles les interprètes éprouvent le plus de peine à déterminer le der- nier état du droit romain, et parce que Justinien n'a pas expliqué clairement quelques-unes de ses innovations, et parce qu'il a réuni dans ses recueils des textes appartenant à des temps divers en leur attribuant une égale autorité ('). »

(') V. L. 1, C Théod, de act, cert, temp, ; L.3 et 7, G., de prœsc. trig, vel. quadng. ; L. i, § 1, C, de «nn. exe, ; L. 6, G., fin. reg. (*) LL. 7 et 9, G., de prœsc. trig, vel qnadrag. ; Nov. lli. (*) Albert Desjardins, Nouv. rev. hlstor., 1877, p. 301.

10 DE LA PRESCRIPTION

SECTION II

ANCIEN DROIT FRANÇAIS

15. La législation romaine telle qu'elle était organisée après la constitution de Théodose le Jeune, au v* siècle, fut introduite en Gaule et y était en vigueur lors des invasions barbares. En matière immobilière, il semble qu'elle fut assez rapidement admise par les lois des Burgondes et des Visigoths (*). Elle eut plus de peine à triompher des règles contraires suivies par les coutumes franques. Les rois mérovingiens Clotaire (560), Childebert (595), plus tard Louis le Débonnaire dans un capitulaire de 819, cherchè- rent à abroger les dispositions de ces coutumes sur la pos- session d'un an en matière immobilière et à introduire la prescription acquisitive du droit romain (*). La législation romaine finit par triompher. Mais la prescription d'un au admise par les coutumes laissa des traces profondes; eu Bretagne, on la retrouve dans la théorie de lappropriance ; d'une façon générale, le délai d'un an se rencontre très fréquemment dans notre ancien droit (*).

13. Il y eut des divergences nombreuses entre les pays de droit écrit et les pays de coutume, et d'autre part entre les diflférentes coutumes quant à l'établissement des règles sur la prescription. Dans les pays de droit écrit, on suivit le droit romain; mais il est à observer que la NoveUe 119, cap. 7, en exigeant qu'il y eût bonne foi non seulement de celui qui invoquait la prescription, mais encore de son auteur, rendit très difficile et tout à fait exceptionnelle l'ap- plication de la prescription de dix à vingt ans; la pres- cription de trente ans fut en réalité la seule usitée.

Dans les pays de coutume (*) la NoveUe 119 n'était pas suivie ; on appliquait la prescription de dix à vingt, ans ou

(*) Brissaud, p. 79. .

(*) V. Dunod, Tr, des prescrip.^ p. 133 s. ; Brissaud. p. 271.

(*) V. Savigny, Histoire du dr, romain au moyen âge, H, p. 76 s., 113 et 114; VioUel, Histoire du dr. français, 2* éd.. p. 57 s.; Brissaud, Cours d'his- toire génér du droit public et privé, p. 758, 1237, 1255, 1263 et s,

(*) Voy. notam. Cioul. de Paris, art. 113 s.

NOTIONS HISTORIQIKS 11

celle de trente ans à défaut de titre. Certaines coutumes Réadmettaient que la prescription de trente ans (*).

17. L'histoire de la prescription en matière mobilière est, dans notre ancien droit, d'une grande obscurité. Une opi- nion assez généralement admise, et que nous exposerons en étudiant Farticle 2279 du Code civil,^ soutient que, dans les lois franques et germaniques, la propriété résultait, sauf dans les cas de perte ou de vol, de la seule possession (*). Mais on a tout récemment soutenu qu'il n'en était ainsi que dans certains cas déterminés et que ce n'était pas une règle générale ('). Quoi qu'il en soit, la législation varia beau- coup sur ce point dans les différentes pro\'inces. Dans la plupart d'entre elles, on ne distingua point les meubles des inuneubles au point de vue de la prescription ; dans quel- ques-unes, on admit avec la législation romaine Tusucapion par trois années avec juste titre et bonne foi (*). Enfin le^ auteurs nous font connaître que la jurisprudence du ChâtcT let de Paris supprima, au xvnr siècle, la revendication deî^ meubles contre les tiers possesseurs de bonne foi. Notre législation actuelle a consacré cette règle, en admettant aussi, dans certains cas, une prescription qui se rattache un peu à la prescription de la loi romaine (C. civ., art. 2279 et 2280) (').

18. La législation sur la prescription se compliqua des règles spéciales établies par les ordonnances royales. Cel- les-ci créèrent une série de courtes prescriptions que notre code civil a, pour la plupart, conservées ; il faut citer notam- ment rordonnance de juin 1510, établissant des prescriptions lie six mois, un an, trois ans, cinq ans, et celles de 1539, 1629, 1673 et 1681 («).

IQ. Le droit canonique exerça aussi une grande influence

0) Coul. d*Orléan.s, art. 260 et 261. V. les détails donnés par Dunod, p. 1%. V. aussi Klimratb, Travaux sur VhUtoire du droit fra.nçai»', H, p. 268 et 5. ; Dareste, op. cit,

(0 V. Jobbé-Duval, Élude hist. sur la revendication des meubles,

(') V. Van Bemmelen, Système de la propriété mobilière.

(») V. Brissaud, p. 1212.

(*) Sur r histoire du régime de la propriété mobilière, V. Brissaud, p. 1198 f l «. Cpr, infra n, 917 s.

(') Y. Dareste, op, cit

12 DE LA PRESCRIPTION

sur cette partie de notre droit; c'est un des points sur les- quels il est entré en lutte avec le droit civil, et il fit triom- pher plusieurs de ses solutions. Il chercha d'une façon g'éné- raie à rapprocher Finstitution delà prescription de la morale et de Téquité ; méconnaissant un peu le véritable fondement de la prescription, qui«est l'intérêt social, il vit surtout dans la prescription une présomption de propriété ou une pré- somption de paiement. Il contribua au développement de cette maxime si fâcheuse au point de vue pratique : Contra non valentem agere non currit prœscriptio (*).

C'est surtout en ce qui concerne la condition de bonne foi en matière de prescription acquisitive que le droit civil et le droit canon furent en conflit. Le droit romain n'exigeait pas la bonne foi pour la prescription de trente ans opposée par le possesseur ou par le débiteur ; de plus, il se contentait, même pour la prescription de dix à vingt ans, de l'existence de la bonne foi au début de la possession. Le quatrième Con- cile de Latran considéra ces solutions comme inadmissibles, et proclama, d'une façon absolue, la nécessité de la bonne foi chez tout possesseur pendant toute la durée de la possession, et chez tout débiteur invoquant la prescription comme mode d'extinction de son obligation.

Le conflit entre le droit civil et le droit canonique parta- gea les auteurs et les tribunaux; combattue par d'Argentré, par Auzanet, par Charond'as, la doctrine canonique fut défendue par Dumoulin et par Duplessis. A la fin de Tan- cien droit, Perrière et Dunod exposent encore la contro- verse. 11 est certain qu'en jurisprudence la solution du droit canon triompha pour la prescription de dix à vingt ans ; mais le système romain parait l'avoir emporté pour la prescrip- tion trentenaire, soit acquisitive, soit extinctive (*).

(') Gpr, Mornard, Ret\ gén. du dr,, i885, p. 516.

(MV. d'Ai-Kenlré, î*iir Part. 266 Goût. Brel., ch. VI, n. 21 et sur Tari. 2ôJ, n. 7; Charondas le Carou, Pand. du dr, fr., liv. II, ch. XXII; Auzanet, î*ur l'art. 114, Coût, de Paris; Dumoulin, sur Tari. 67, anc. Goul. Paris; Duplessis, Prescription, liv. I, ch. II, p. 490; Perrière, sur Tart. 113 Coul. de Paris, gl. 4, n. 4; Dunod, Prescription, p. 42; Polhier, Prescr,, n. 173. V. aussi Bacquel, Droit de justice, ch. XXI, n. 185 et 186; de Laurière sur Loisel, liv. V lit. 1(1, n. 20. \'. au surplus, Albert Desjardins, op, cit., p. 316; Momard, Rev. gén.

NOTIONS HISTORIQUES 13

Plus conforme à la morale, la doctrine qui exige la bonne foi crune façon absolue est une source de difficultés et de ])rocès ; peut-être eut-elle sa raison d'être dans les siècles lie Tépoque féodale, alors que les spoliations devaient être fréquentes ; dans un état de choses normal, il ne semble pas (jue ce soit un système législatif à établir. Summer-Maine attribue très justement au droit canonique les retards et les répugnances qu'on rencontre dans Thistoire du droit civil en ce qui concerne l'application de la prescription. « Il n'y a pas de principe, dit-il, que les modernes aient adopté avec plus de répugnance et aient moins consenti à pousser jus- i]U*à ses conséquences légitimes, malgré son utilité, que celui que les Romains connaissaient sous le nom d'usucapion et «pie les modernes appellent prescription. Cette lenteur à adopter un des chapitres les plus fameux du droit romain cfui était sans aucun doute lu constamment par la majorité tles légistes européens, est due à l'influence du droit cano- nique. Lorsque les jurisconsultes ecclésiastiques présentèrent leur droit canon comme un modèle de législation civile, il eut une influence particulière sur les premiers principes. La répugnance pour la prescription fut un des premiers résul- tats de cette influence (*). »

Dunod, au siècle dernier, avait déjà émis la m<>me idée : < On doit, dit-il, suivre la règle par la généralité de laquelle les Romains avaient sagement assuré la fortune des familles et le repos des particuliers. Mais les canonistes ayant exigé dans les prescriptions la bonne foi dont les juristes ne s'in- formaient pas, c'a été une première occasion pour donner atteinte, sous mille prétextes recherchés, à ce fondement de la tranquillité publique. La faveur apparente de certains droits et de certaines personnes a d'ailleurs armé la subtilité des interprètes et des docteurs contre la prescription, <pioique le bien public sur lequel elle est fondée fût préfé- rable à toute faveur particulière. Il me semble que Ton évi-

•'n dr. et de U législ., 1885, p. 516 s. ; Francesco Iluffini, Ijl buona fede in «ateria di prescrixione, Turin, 1892 ; Bufnoir, Propriété et contrat, p. 173 ; Hrissaud, p. 1268 et s. (') Sommer-Maine, hc, cit.

44 DE LA PRESCRIPTIO.N

terait bien des procès et peut-être quelques injustices, si Ton ne cherchait pas trop à écarter la prescription et à étendre l'imprescriptibilité, et si l'on s'^n tenait exactement à la règle établie par le droit romain (*). »

20. De nombreux privilèges vinrent obscurcir encore cette difficile matière rTEglise^les corporations, les communautés; le domaine de la couronne, profitèrent de plusieurs disposi- tions établissant à leur profit soit le bénéfice de Fimpres- criptibilité, soit tout au moins des prescriptions exigeant de très longs délais (*).

21. Enfin une dernière source de difficultés résultait encore d'une règle généralement adoptée et d'après laquelle la possession immémoriale devait être prise en considération à l'égal d'un titre (^). « La possession immémoriale, dit Dunod, tient lieu de titre quand il est requis. 'Elle le forme ou le fait présumer. Elle n'est jamais exclue par la loi qui rejette toute prescription, si elle ne l'est nommément ou s'il n'y a même raison pour 1-oxclure que pour rejeter la prescription dans un temps plus court Tout ce qui n'est pas soumis aux prescriptions ordinaires d'un temps certain peut être prescrit par un temps immémorial à moins qu'il ne soit imprescriptible. » La prescription immémoriale, qui a joué un si grand rôle dans l'histoire du droit, et spéciale- ment dans l'établissement et l'organisation de la société féodale, se rattache, on le voit, autant et peut-être davan- tage au système des preuves qu'à l'institution même de la prescription.

Dunod nous dit aussi ce qu'il faut entendre par la pos- session immémoriale et l'idée assez peu précise qu'il en a (lonnée n'est pas de nature à faire regretter qu'on l'ait aban- donnée : « On peut la définir, dit-il, une prescription dont aucun homme en vie n'a vu le commencement, dont il tient déjà l'existence de ses anciens, et dont il n'a rien appris de contraire de quelqu'un qui l'ait vu, ou entendu dire par

0) Dunod, p, 207, («) V. Dunod, p. 70, 206 s., 273 s,

(') Loisel, liv. V, lit. m n. 17 ; Polhier, Prescr., n. 278 ; Dunod, p, 213 s. V. aussi Troplong, Prescr,, l, 2, p. 340, n, 8l8, noie i ; Brissaud, p. i270.

.NOTIONS HISTORIQUES 15

ceux qui rauraieîit vu ; ce qui se porte à trois générations qui forment l'espace d'environ cent années, et qui a fait (lire à plusieurs auteurs que la prescription immémoriale (levait être au moins de cent ans ; parce que c'est d'ailleurs le temps ordinaire de la vie la plus longue et qu'on ne peut la fixer à un terme plus convenable ; aussi nous prenons communément en France l'espace de cent ans pour la pres- cription immémoriale. L'opinion la plus sûre en droit et la plus commune est que la prescription immémoriale n'ayant point de temps déterminé par la loi, il n'est pas nécessaire cpi'ellc soit précisément de cent années, et qu'elle peut être (l'un plus grand ou d'un moindre espace suivant les circons- tances. Car il suffit, pour prouver la possession immémo- riale, que, dans chaque affaire particulière, les vieillards ([ui en ont connaissance l'aient toujours vue eux-mêmes, ({u'ils aient ouï dire communément qu'elle existait à d'autres (jui l'aient appris a înajoribus, et qu'ils n'aient appris» de personne qu'il ait vu le commencement de cette possession ou qu'il l'ait su d'un autre qui l'aurait vu. »

22. C'est, en résumé, la législation romaine, modifiée sur certains points par le droit canonique, par les ordonnances i-oyales, par nos anciennes coutumes et par la jurispru- dence, qui constitue l'origine directe et la source principale des règles du code civil sur la prescription (*).

Les rédacteurs du code civil ne manquaient pas de maté- riaux ; la théorie de la prescription a été l'objet, dans notre ancien droit, de travaux considérables (*). Les règles qui forment aujourd'hui le titre De la prescription ont surtout été empruntées à Dunod et a Domat ; la coutume de Paris a été suivie sur plusieurs points importants ; enfin on s'est conformé, sur le point spécial tranché par l'article 2279, à la jurisprudence du Châtelet.

(') V. pour le dernier étal de l'ancien droit, les nombreuses prescriptions éou- méréea par Merlin, Rép., v" Prescription.

<•) Parmi les plus importants, il suffit de rappeler le Commentaire de d'Argen- Iré sur la coutume de Bretagne, les Commentaires de Cujas, Pavre et Doneau *ur les textes du droit romain, ceux de Coquille, Legrand, Brodeau et Pei*rièt'iB î'iir les coutumes du Nivernais, de Troyes et de Paris, enfin les traités classi- ques de Pothier, Domat et Dunod. V. encore Merlin, loc. cil.

10 DK LA PRESCRIPTION

23. Il est permis de penser que le titre De la prescription n'est pas parmi les meilleurs de notre code civil : la rédac- tion en est quelque peu confuse et obscure ; la prescription acquisitive et la prescription extinctive sont réglementées ensemble par des dispositions qui s'enchevêtrent et dont la portée et la sphère exacte d'application ne sont pas toujours faciles à déterminer. Troplong constate, avec une certaine part de vérité, que « la fatigue commençait à peser sur la longue et laborieuse rédaction du corps de nos lois civiles ; les discussions du conseil d'Etat sont écourtées, rares et vides ; les orateurs du gouvernement et du tribunat ont hâte d'en finir, et l'on sent que le législateur, succombant sous le poids de son œuvre immense, soupire après Finstaut d'arriver au port (*). »

On ne peut cependant refuser aux rédacteurs du code civil le grand mérite d'avoir unifié et considérablement simplifié cette matière ; la suppression des prescriptions résultant d'une possession immémoriale et l'abolition des nombreux privilèges admis dans l'ancien droit constituent, à elles seu- les, de grands bienfaits.

CHAPITRE II

DISPOSITIONS. GÉNÉRALES.

§ I. Définitions.

24. Nous avons une définition légale de la prescription. D'après l'article 2219, « la prescription est un motjen dac- « quérir ou de se libérer par un certain laps de temps, et « sous les conditions déterminées par la loi (*). » Cette défi- nition s'applique aux deux espèces de prescription : la pres- cription acquisitive ou usucapion, qui nous fait acquérir la propriété d'une chose (art. 712), et la prescription libéra- toire ou extinctive, qui nous libère d'une obligation en

(') Troplong, Prescription, préface, p. XII.

(*) Cpr. G. civ. ital., art. 2105. G. civ, esp. arl. 1930. G. civ. port. ar\. 515. C. civ. holl., art. 1983. G. civ. Bas-Ganada, art. 2183.

DISPOSITIONS GÉNÉRALKS 17

réteignant (art. 1234 in fine). Dunod, à qui les rédacteurs, du code ont emprunté beaucoup de règles de ce titre, disait: La prescription est un moyen d'acquérir le domaine des choses en les possédant comme propriétaire et de s'afiFran^ chir des droits incorporels, des actions et des obligations, lorsque celui à qui ils appartiennent a négligé, pendant un certain temps, de s'en servir et de les exercer (*). » Domat donnait une définition qui se rapproche plus encore de celle de l'article 2219. « La prescription est une manière d'ac- quérir et de perdre le droit de propriété d'une chose et tout autre droit par Tefifet du temps (*) . » Domat a seulement le tort de considérer la prescription comme un mode d'acqui- sition et d'extinction s'appliquant à tous les droits sans excep- tion. « Les mêmes raisons, dit-il ailleurs, qui font que la longue possession acquiert la propriété et dépouille l'ancien propriétaire, font aussi que toutes sortes de droits et d'ac- quisitions s'acquièrent et se perdent par l'eflfet du temps. » Nous verrons que c'est une doctrine peu exacte, que tous les droits ne s'acquièrent pas par la prescription, et que tous non plus ne peuvent s'éteindre par le non usage pen- dant un certain temps. Ainsi que l'a jugé la cour de cassa- tion, « les lois qui établissent des prescriptions ou des déchéances sont de droit étroit et ne peuvent être étendues par analogie d'un cas à un autre (*). »

25. I^ temps est l'élément commun à ces deux pres- criptions, et c'est pourquoi le législateur l'a indiqué dans la définition : sa durée varie beaucoup suivant les cas, sans jamais dépasser trente années. Mais le temps, à lui tout seul, ne peut rien créer ni rien détruire. « Le temps seul, a dit Bigot-Préameneu, n'opère pas la prescription. »

D'autres éléments doivent donc venir s'y ajouter pour que la prescription s'accomplisse: ils varient suivant que la pres- cription est acquisitive ou libératoire. Notre article les comprend d'une manière générale dans cette formule : et sous les conditions déterminées par la loi. Quelles sont ces

(*) Dunod, p. 1 .

(*) Domat, Lois civiles, livre III, litre VII, section IV.

O Cas»., 26 juin 1859, S, 59. 1. 858.

Pre?cr. 2

18 DE LA PRESCRIPTION

conditions ? Sans anticiper ici sur des explications qui vien- , dront en leur temps, nous pouvons dire tout de suite qu'elles consistent principalement: pour la prescription acquisitive, dans la possession légale de la chose à prescrire, et, pour la prescription libératoire, dans l'inaction du créancier.

En tenant compte de ces deux nouveaux éléments, on peut donner les définitions suivantes. La prescription acquisi- tive est un mode d'acquistion de la propriété, résultant de la possession légale prolongée pendant un certain temps. Ainsi je m'empare d'un immeuble qui appartient à mon voisin, et je le possède pendant trente années conmie s'il m'apparte- nait. Au bout de ce temps, le fait se sera transformé en droit ; si le propriétaire réclame son bien, je pourrai lui opposer la prescription, et il succombera. La prescrip^ tion libératoire est un mode de libération résultant de Vinac- tion du créancier pendant le temps fixé par la loi. Je suis débiteur d'une somme d'argent ; pendant trente ans, mou créancier néglige d'exercer contre moi aucune réclamation. Je suis libéré ; s'il me poursuit, je pourrai lui opposer la pres- cription. La prescription extinctive n'est pas seulement une fin de noii-recevoir contre l'action, sans extinction de la créance. Elle entraîne, dans notre législation, Textinction du droit non exercé.

26- Que la prescription acquisitive soit un mode d'acqui- sition de la propriété, ce n'est pas douteux: l'article 712 le dit positivement et l'article 2219 le répète. Il résulte avec non nvoins d'évidence des articles 1234 et 2219 que la pres- cription extinctive est un mode de libération.

11 y a cependant, sur cette définition, des dissidences parmi les auteurs. D'après Aubry et Rau, « l'usucapion est moins un moyen d'acquérir dans le sens propre du mot qu'un moyen de consolider, à l'aide d'une possession revêtue de certains caractères et continuée pendant un laps de temps déterminé, une acquisition sujette à éviction ou même sim- plement présumée (% » Quant à la prescription extinctive ou prescription proprement dite, elle est « une exception au

(*) Aubry et Rau, 5* éd., H, p, 475.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 19

moyen de laquelle on peut, en général, repousser une action par cela seul que celui qui la forme a, pendant un certain laps de temps^ négligé de l'intenter ou d'exercer le droit auquel elle se rapporte (*). » On est allé jusqu'à dire que la prescription n'est pas un mode d'acquérir ou de se libérer, mais une présomption d'acquisition ou de libération (*).

Il faut, à notre avis, écarter ces définitions comme peu exactes. Sans doute, l'idée de consolider une acquisition présumée ou de protéger une libération probable est une des raisons d'être de la prescription; mais ce n'est qu'un des motifs de la prescription, et il ne faut pas confondre l'institution elle-même avec les raisons qui la justifient. Dans notre droit, comme dans le droit romain ('), la prescription est un mode d'acquisition et un mode de libération. Domat la définissait « une manière d'acquérir ou de perdre par l'effet du temps » et Dunod « un moyen d'acquérir le domaine des choses en les possédant et de s'affranchir des droits, actions et obligations, quand le créancier néglige de les exer- cer » (*).. Il y a, sans doute, certaines conséquences à tirer

(') Aubry et Rau, éd., loc, cit., el éd.. VIII, p. 423. V. aussi Polhier, Oblig., n. 676 et 677 ; Guillouard, n. 792 ; Planiol, 2* édil., t. 2, n. 690 et 692, el p. 212, note 1. Le Code civil du Bas Canada, après avoir reproduit, dan}« son article 2183, la disposition de notre article 2119. ajoute : La pres- cription acquisitive fait présumer ou confirme le titre et transfère la pro- priété au possesseur par la continuation de sa possession. La prescription fxtincliveou libératoire repousse et, en certains cas, exclut la demande en accom- plissement d'une obligation ou en reconnaissance d'un droit, lorsque le créan- cier n'a pas réclamé pendant le temps fixé par la loi. » Kn droit anglais, ce point de vue, d'après M* Lehr, serait traditionnellement admis : la prescription constituerait une simple exception et non un mode d'extinction des obligations. Lehr, Eléments de droit civil anglais, p. 582. Le droit allemand considère la prescription comme n'éteignant que VAnspriich el non le droit lui-même. V^ Crome, System des deutschen bùrgerlit-hen rechts, t. I, p. 505, § 114 el p. 520, § 117. V. aussi les développements donnés par M. Saleilles, Code civil ëllemund, tome l'^", p. 256, note sur l'art. 194, §§ I et II. La question n*a pas, d'ailleurs, pour les créances, d'intérêt pratique. Crome fait observer que das Hecht mil dem Anspruch selbst lahmgelegt ist. > V. aussi sur ce point Saleil- les, op. cit., p. 258 et 327. Avec une construction juridique différente, le droil allemand aboutit, en général, aux mêmes solutions que les autres législations.

(*) Mourlon, III, ji. 1753 et 1754, el Rev. crit., VI. p. 279 s. V. aussi Hue, 1. 14, n. 309.

(') Ulp., Reg., XÏX. § 2; L. 3, I)., de usurp, et nsuc, ; L. 20. C. de pactis.

(*j V. Domat, Lois civiles, liv. III, lit. 7, section 4, n. 1; Dunod. /Ve«cri/><ion,

t 20 DE LA PRESCRIPTION

de cette idée que la prescription repose, entre autres raisons, sur la présomption que le droit auquel elle s'applique a réellement été acquis ou éteint ; mais il ne faut pas donner comme définition de la prescription ce qui n'est qu*un des . motifs pris en considération par la loi.

§ lï. Fondement de la prescription.

27. La première pensée qu'éveillent dans l'esprit les défi- nitions ci-dessus est que la prescription constitue une spolia- tion : le propriétaire est dépouillé de son droit de propriété, le créancier de son droit de créance. Mais on sait que la prescription est, tout au contraire, une institution nécessaire pour la stabilité de tous les droits. Le législateur en a fait le couronnement du code civil, parce qu'elle consolide tons les droits que ce code établit dans les titres précédents.

Rien en effet ne serait stable sans la prescription. L'n pro- priétaire ne serait jamais assuré de conserver son bien; un débiteur n'aurait jamais la certitude de ne pas être obligé de payer deux fois.

Nous disons d'abord que, sans la prescription, nul ne serait assuré de conserver son bien. La raison en est que la preuve du droit de propriété serait souvent impossible. Eu effet, pour prouver qu^un bien m'appartient, ce qui peut m'êlre nécessaire pour triompher dans une action en revendication contre un usurpateur, il ne me suffit pas de démontrer que j'ai acquis ce bien en vertu d'urt titre translatif de pro- priété, tel que vente, échange, donation entre vifs ou testa- mentaire... ; il faut en outre que je prouve que mon auteur était propriétaire, car il n'a pu me transférer la propriété qu'à cette condition ; nemo dat qtiod non habet. Mais, jiour prouver le droit de propriété de mon auteur, il faut que je prouve le droit de propriété de tous ceux par les mains des-

rh. I. V. encore d'Argenlré, sur Tari. 275, Coul. de Brel., n. 6; Pothier. Introd, an tit. XIV de U coui. d'Orléans, n. 1,30 et31; Poullain du Parc, VI. p. 230. V. au surplus, dans le sens de Topinion exposée au texte, Marcatl^. .sur l'art 2219, n. 2; Çolmet de Sanrlerre, VIII, n. 326 Jbi>, II;Laurenl, XXXII. II. 3; Momard. liev. gén, du droit, 1885. p. 520. . . « .

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 21

i{UcU le bien a successivement passé avant de lui parvenir; car, s'il en existe un seul qui n*ait pas été propriétaire, il n'a pu transmettre la propriété, et par suite tous ceux qui lui ont succédé dans le bien n*ont pu Tacquérir. La prescription simplifie beaucoup les choses : elle rend le fardeau de la preuve moins lourd en dispensant celui à qui il incombe de l'obligation de remonter à des époques souvent aucune trace du droit ne pourrait être retrouvée ; il prouvera que lui ou ses auteurs sont en possession depuis plus de trente ans et tout sera dit. La prescription vient aussi, au secours du propriétaire qui a perdu son titre d'acquisition, ce qui peut arriver facilement si ce titre est sous seing privé, et elle n'apparaît pas comme moins légitime dans cette hypothèse que dans la précédente.

Nous avons ajouté que, sans la prescription, le débiteur qui a payé ne serait jamais sûr de ne pas être obbgé de payer de nouveau. En jeSet, la perte de la quittance ou la destruc- tion, volontaire de cette quittance après un certain laps de temps peut mettre le débiteur dans l'impossibilité d'établir sa libération à rencontre du créancier qui vient demander un nouveau paiement. Ici encore la prescription viendra fort à propos en aidejaujdébiteur : elle suppléera au titre qui lui fait défaut.

Ainsi, d'une part, la prescription consolide des titres légi- times de propriété qui ne se suffisent pas à eux-mêmes, pu supplée au titre perdu ; d'autre part, elle met le débiteur, qui a payé sa dette, à l'abri de la réclamation formée par un créancier malhonnête qui sait que la quittance a été per- due ou supprimée. Elle rassure donc les particuliers en pro- tégeant leur patrimoine contre d'injustes réclamations (*). C'est à ce point de vue qu'il est vrai de dire que la prescrip- tion est fondée en partie sur une présomption de propriété ou de libération. Domat disait à cet égard : « Toutes ces sortes de prescriptions qui font acquérir ou perdre des droits sont fondées sur cette présomption que celui qui jouit d'un droit doit en avoir quelque juste titre, sans quoi on ne l'au-

(*) V.1.5, pr.jD.pro suo : « ut aliqui» lUinm finis esseti^: et 1. 7 C, de prsesc, trig.vel quBdrtLg. ann.: c ne passes sores prope immortali timoré teneanturi^^

22 DE LA PRI^SCRIPTION

rait pas laissé jouir si long*temps^ que celui qui cesse d'exer- cer un droit en a été dépouillé par quelque juste cause, que celui qui -est demeuré si longtemps sans ejciger sa dette en* a été payé ou a reconnu qu'il ne lui était rien dû. » La prescription apparaît ainsi comme organii^aht des facilités de preuve pour les situations depuis longtemps établies et dont on viendrait contester la légitimité.

28. Mais toutes les institutions humaines ont leur côté fai- ble ; la prescription n'échappe pas à cette règle. Accidentel- lement, elle assurera le triomphe d'un usurpateur contre le véritable propriétaire ; ou bien elle libérera un débiteur qui n'a pas payé sa dette, et le créancier sera sacrifié. Je m'em- pare d'un fonds de terre qui appartient à mon voisin ; pen- dant trente ans, je le possède, et je me comporte de tous points comme si j'en étais le véritable propriétaire ; après ce laps de temps, le voisin, qui jusque-là avait gardé le silence, revendique son fonds contre moi. En lui opposant la pres- cription, j'obtiendrai gain de cause. Ou bien je suis débiteur d'une somme d'argent; trente ans s'écoulent depuis l'échéance sans que je songe à payer ma dette ; puis le créancier se décide enfin à me demander le paiement. Si j'oppose la pres- cription, le juge devra me déclarer libéré. La prescription aura donc abouti, dans le premier cas, à la spoliation du propriétaire, et, dans le second, à la spoliation du créancier. N'est-ce pas d'une injustice révoltante ?

Ne nous hâtons pas tant de nous apitoyer sur le sort du propriétaire ou du créancier que la prescription dépouille, et de maudire le possesseur ou le débiteur qu'elle enrichit. D'abord on peut reprocher tout au moins une grande négli- gence au propriétaire ou au créancier qui est victime de la prescription. En ce qui concerne le premier, pourquoi donc est-il resté trente ans sans revendiquer son bien ? Ce long silence n'a-t-il pas autorisé l'usurpateur à croire que le pro- priétaire renonçait à son droit de propriété, qu'il sanction- nait l'usurpation puisqu'il négligeait de la réprimer? N'est-il pas vrai de dire avec la loi romaine : Vix est enim ut non videatur alienare qui patitur mucapi (*) ? Et, si nous consi-

(») L. 28, D., dt verb, signif.

DISPOSITIONS GKNÉBALKS i*\

dérons niaiiiteuaiit le créancier, conimeiit expliquer son inac- tion pendant le long délai de la prescription ? Le débiteur n a-t-il pas penser, au bout d'un certain temps, que le créancier renonçait à sa créance, qu'il lui faisait remise de la dette ? S'il s'agit de charges réelles grevant la propriété, n est-il pas raisonnable que ces charges disparaissent lors- que leur défaut d'exercice prolongé démontre qu'elles n'ont pas d'utilité pour celui qui aurait pu les exercer ?

D'autre part, après l'expiration du long délai de la pres- cription, le possesseur ou le débiteur, pensant ne plus jamais être inquiétés, ont sans doute réglé définitivement leur bud- get sur leurs ressources actuelles. En outre, le possesseur au profit duquel s'est accomplie la prescription acquisitive a peut-être fait de grandes dépenses d'amélioration. Serait-il toujours juste de donner satisfaction à la réclamation tardive du propriétaire ou du créancier? « La loi, dit Troplong, s'empare de son silence ; elle y trouve un principe d'amnistie qu'eUe proclame en faveur de celui qui, pendant trente aimées non interrompues de travail, d'activité et peut-être d'inquiétudes, a suffisamment expié la violation d'un droit ([ui n'est pas réclamé (*). »

29. En tout cas, si, dans quelques rares hypothèses, la prescription paraît conduire à des résultats que l'équité désavoue, si elle constitue, comme disait Justinien, un impium praesidium (*), on peut bien le lui pardonner, en échange des ser\'ices immenses qu'elle rend à la société. Sans elle, il n'y aurait plus de sécurité dans les transactions, plus de stabilité -dans les fortunes privées, plus de paix entre les particuliers, ni d'ordre dans l'Etat. C'est la pensée qui inspirait l'orateur du gouvernement lorsqu'il disait, dans l'exposé des motifs de la loi : 4c De toutes les institu- tions du droit civil, la prescription est la plus nécessaire à l'ordre social. » Elle pourra parfois blesser l'équité ; mais, ^n se plaçant à un point de vue plus élevé, Bigot-Préame- neu a raison de dire que « la justice générale est rendue et

V) Comp. Beausstrc, Princ, du droit, p. 276 et s. l*) Nov. 9.

24 DE LA PRESCRIPTION

<lès lors les intérêts privés qui peuvent être lésés doivent céder à la nécessité de maintenir Tordre social. »

C'est le véritable et principal fondement de la prescrip« tion. L'idée d'une acquisition présumée ou d'une libération présumée, aussi bien que celle d'une renonciation du titu- laire du droit prescrit, sont des motifs accessoires et de seconde ligne. Le motif prédominant est l'intérêt social. Domat a écrit à cet égard : « Quand il n'y aurait pas d'au- tre raison qui favorisât l'usage des prescriptions que l'utilité publique d'assurer le repos des possesseurs, il serait juste d'empêcher que la propriété des choses ne demeurAt tou- jours dans l'incertitude. ». Laurent exprime fortement la même opinion : « Après un certain laps de temps, la pos- session doit devenir le principe du droit. C'est plus qu'un intérêt pour la société, c'est une question d'existence. La société a donc un droit, le plus fort de tous, à opposer à l'individu, c'est que la société ne se conçoit que la propriété est assurée et elle ne l'est que si la possession la consolide. Le droit du propriétaire lui-même n'est, dans sa première origine, qu'une possession que la société a confir- mée en y attachant l'autorité du droit. Si la propriété peut se fonder sur la possession, elle peut aussi s'acquérir par la possession contre celui qui cesse de posséder (*). »

On peut dire avec Cujas « Usucapio damno est dominis, bono reipubliccB» (^). Et Cicéron l'appelait avec raison « finù^ spllicitiidinis ac periculi litium » {^). C'est une nécessité sociale que la propriété soit assurée, et par suite, que la longue possession soit protégée et mise à l'abri de toute contestation. C'est aussi une nécessité sociale que les droits ne puissent être exercés indéfiniment. « Que l'on se repré- sente un instant l'état d'une société l'on pourrait faire valoir des droits qui datent de dix mille ans ! Ce serait une cause universelle de trouble et de perturbation dans l'état des fortunes ; il n'y aurait pas une famille, pas une personne (jui serait à l'abri d'une action par laquelle sa position

(*) Laurent, XXXII, n. 5.

(*) Cujas, sur la loi I, D., de usnrp, el usuc. V. supra, n. 5.

<*) Pro Cœcina, 26.

DISPOSITIONS GÉNÉRALKS 25

sociale serait remise en question. Une incertitude perma- nente et universelle aurait pour suite un trouble général et incessant. Comment les individus et la société pourraient-ils subsister dans une pareille anarchie? A celui qui se plaint qu'il est déchu d'un droit par la prescription, on peut répon- dre que cette même prescription le met à Tabri des obliga- tions que lui ou ses ancêtres depuis des milliers d'années auraient contractées. Voilà la compensation de la déch'éance qui frappe le créancier. II y gagne la sécurité que le débi- teur réclame contre lui (*). »

Lia prescription, au point de vue de son utilité sociale, peut Hve comparée à la règle de l'autorité de la chose jugée; elle rend des services analogues. Il est un moment il faut que le dernier mot soit dit, l'incertitude du droit est plus fâcheuse que l'injustice. « Tout doit avoir une fin, dit Tro- plong, et l'Etat est intéressé à ce que les droits ne restent pas trop longtemps en suspens. » Thiers a écrit de même : « Il faut bien qu'il y ait un terme fixe ce qui est, par cela seul qu'il est, soit* déclaré légitime, et tenu pour bon, sans quoi voyez quel procès s'élèverait sur toute la surface du irlobe («). »

(') Laurent, XXXII, n. 5.— Bourdaloue a exprimé avec force celte môme idée iUn$ ce passage souvent cité d'un de ses sermons : « J'en appelle à votre expé- rience. Parcourez les maisons et les familles distinguées par la richesse et par l'abondance des biens, je dis celles qui se piquent le plus d'être honorablement établies, celles il paraît d*ailleurs de la probité et de la religion. Si vous r»*montez jusqu'à la source d'où cette opulence est venue, à peine en Irouverez- vous Ton ne découvre, dès l'origine et dans le principe, des choses qui font trembler. »

I*) Troplong, Prescription, n. 1^. Thiers. De la propriété, p, 103. V. ii'ailleurs, pour plus de développements sur le fondement de la prescription, Kant, Klém, métaphys. de la doctrine du droit (trad. Barni) p 135 et s. ; Hélinie, Philos, du droit, t. 2, p. 6S6 et s.; Beaussire, Princ. du droit, p. 276 ♦*ls.; Boislel, Philos, du droit, l.I, p. 401 et s. Les idées que nous avons nppelées sur la justification de la prescription sont, nous scmble-t-il, des véri- ti^?) d'évidence, de bon sens. C'est avec étonnement que nous avons lu, dans une élude récente de M. de la Grasserie, que « la prescription est une institution fort contestable » qui, « loin d'éteindre les procès, les allume ». M, de la Gras- serie ajoute: c La prescription est dans son ensemble une institution fort ébran- lée. Elle n'est pas fondée en raison ; elle est une source de procès... » {hevue pénitentiaire, 1898, p. 650). Ce sont des hardiesses faciles, des affirmations paradoxales qu'on ne saurait vraiment prendre très au sérieux.

26 DK LA PRESCRIPTION

30. Nous avons dit, pour bien mettre en relief Timpor- tance du rôle de la prescription en matière immobilière, qu'elle venait en aide aux propriétaires qui, sans elle, seraient dans Timpossibilité de fournir une preuve définitive et complète de leur droit. La prescription, à notre avis, constitue en définitive la preuve normale du droit de pro- priété. Il est nécessaire de rappeler à cet égard que la juris- prudence française admet une idée différente, et consacre un système qui va quelque peu à Tencontre des développe- ments fournis plus haut. Elle est résumée par Aubry et Rau en termes très nets : « Lorsque le demandeur produit un titre de propriété, et que le défendeur n'en rapporte point, le revendiquant doit être considéré comme justifiant suffi- samment de son droit de propriété, pourvu que son titre soit antérieur à la possession du défendeur... Quand les deux parties rapportent l'une et l'autre des titres de pro- priété et que ces titres émanent de la même personne, c'est par l'antériorité des transcriptions, ou, selonlescas, des titres eux-mêmes, que se règle la préférence... Enfin, lorsque le demandeur ne produit aucun titre à l'appui de sa réclama- tion et qu'il se borne à invoquer, soit d'anciens faits de pos- session, soit des jîrésomptions tirées de l'état des lieux ou d'autres circonstances, la question de savoir si le juge peut admettre ces moyens comme suffisants pour justifier la 'demande doit se résoudre par une distinction entre le cas le défendeur a une possession exclusive ej bien caracté- risée, et celui les faits de jouissance dont il se prévaut ne réunissent pas les qualités constitutives d'une posses- sion utile. Au premier cas, la présomption de propriété attachée à la possession du défendeur doit l'empoi'ter, quelque graves que puissent être les circonstances de fait militant en faveur du défendeur. Au second cas, il appar- tient au juge de l)alanccr entre elles les présomptions res- pectivement invoquées par les deux parties, et d'accueillir ou de rejeter la demande suivant le résultat de cet examen comparatif (*). »

(•) Aubry el Hau, II, p. 390, § 219. V. d'ailleurs pour les développemenls,

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 27

Cette jurisprudence peut être critiquable, à notre avis, au point de vue strict des principes (*) ; elle est constante, et ce n'est pas ici le lieu de la discuter. On ne peut nier qu'elle ait comblé une lacune des plus considérables de notre légis- lation. C'est qu'en efifet, en bonne législation, la prescrip- tion qui exige des recherches laborieuses est d'une insuffi- sance manifeste comme preuve de l'acquisition des propriétés ; on ne doit la considérer que comme une ressource subsi- diaire, secondaire ; il faut qu'il y ait pour les propriétaires ngilants des moyens plus faciles d'établir leur droit. La jurisprudence, qui a été aux prises avec ces inconvénients, a sans doute fait œuvre pratique et utile en organisant elle- même la preuve du droit de propriété. Mais, à notre avis, elle a fait œuvre de législateur.

31. Il est d'ailleurs fort intéressant de faire observer que, dans les lég-islations on a admis le système des livres fon- ciers avec force probante absolue, la raison d'être de la pres- cription acquisitive est notablement amoindrie et peut même entièrement disparaître (*) . C'est une des difficultés très déli- cates de l'institution des livres fonciers que de déterminer quel pourra être, en dehors des énonciations de ces livres ou à leur encontre, l'effet de la prescription (^),

l^lnité de MM. Baudry-Lacantinerie et Ghauveau, n.235 et s.— V. aussi Apple- '(W, Hisioire de propriété prétorienne et de VsLctwn publicienne; Debrand, £oi<<nr U preuve de la propriété immobilière; Planiol, 2* éd., t. I, n. 1095, i393 ,' EmmaDuel Lévy, Preuve par titre du droit de propriété immobilière.

(*) Montagne, De Vaction en revendication des immeubles en droit français : I-Mirent, VI, n. 156 .s. ; Naquel, Note dans Sii-ey, 1873. 2. 49 ; Albert Tissier, Théorie et pratique de la tierce-^opposition^ n. 42 s. ; Wahl, S. 98.1. 337.

{*) Steht die Verjabning in Widen<pruch mil der Eintragung von Recblen m Grondbuch. Beide Institute dienen gleichinœssig demselben Zweck, Huhe und 'Mntmg zu schaffen, nur auf verschiedene Weise : die Verjahning durch L^thmlegang des durch Zeilablauf verdunkelten Rechts ; die Grundbucheinlra* puif durch Anfzeichnung des Rechls und Schutz gegen Verdunkelung. Wo <Us eiue Prinzip herrscht, ist das andere auszuschliessen. » (Crome, System des Hrgerliches ReehU, I, p. 506, § 114).

(*) Dans une législation établissant un système de livres fonciers, le rôle de la prescription acquisitive est évidemment beaucoup diminué; cependant on peut concevoir qu'elle reçoive encore qujBlques applications. Tout d'abord elle peut (oDctiooner pour des droits qui n'auraient pas été inscrits au livre foncier, soit <ine leur acquisition pût avoir lieu sans inscription, soit qu'aucune inscription n'eût été faite. V. G. civ. aU. art. 927. G. civ. Zurich, art. 121 et s. Projet

28 DE LA PRESCRIPTION

32* Quant à la prescription libératoire, il est essentiel d'ajouter qu'elle repose, dans certaines hypothèses spéciales, sur des motifs un peu différents de ceux que nous avons exposés. C*est ainsi qu'au cas de l'article 1304 du code civil, l'extinction de l'action après dix ans repose sur la présomp- tion d'une confirmation de l'acte entaché de nullité ; c'est ainsi encore que l'article 2277 du code ci\il se propose d'empêcher une accumulation d'intérêts ou d'arrérages rui-

Code civil suisse, art. 656, Huber, Exposé des motifs de l'avant^projei du Code civil suisse, Berne, 1902, p. 467 et s. En second lieu, il peul y avoir place au loncUonnement de la prescription, dan» le cas d'une inscription faite indûment sur le livre foncier, au profit du possesseur indûment inscrit. V. C. civ. autr.art. 1467* C. civ. ail. art. 900. G. civ. Zurich, art. 121 et s. Projet Ck)de civil suisse, art. 655. Huber, loc. cit. Enfin on peut se demander si les droits inscril"* sur le livre foncier sont susceptibles d'ôtre atteints par l'effet de la prescription acquisitive. Dans le système de Code civil allemand, la prescription acquisitive ne peut en principe s'appliquer, au profit d'un tiei*s possesseur, à rencontre d'un droit inscrit au livre foncier : le droit inscrit ne peut subir aucune atteinte par leffet de la prescription, V. Code civil ail. art. 898 et 902. V. cep. C. civ. ail- art. 927. Cpr. projetCode civil suisse, art. 656. Huber, loc, cit. Dans le système des livres fonciers d'Autriche, la prescription ne disparait pas : celui qui a acquis par prescription peut demander son inscription au livre foncier, et les droits qu'avait consentis jusque-là le précédent propriétaire inscrit sont oppo-? sables au nouveau. Cpr. Code civil esp. art. 1949. C. civ. porlug. art. 524. et s.

C'est à un système intermédiaire que s'est arrêtée la sous-commission juridi- que de la commission extra-parlementaire du cadastre. La prescription est bien admise en principe contre un droit inscrit au livre foncier, mais elle ne peut l'être pour modifier les limites des propriétés et modifier les énonciations de la première pariie du livre foncier qui contient la détermination physique àv l'immeuble. D'ailleurs, comme en Autriche, elle n*aurail pas d'elTet rétroactif et conférerait seulement une action à l'effet d'obtenir Tinscription sur le livre foncier. Voici au surplus le texte volé à la séance du 30 juin 1892 : « La pres- cription, soit acquisitive, soit extinclive, peut s'accomplir k rencontre d'un droit inscrit au livre foncier. Toutefois il n'est pas admis de prescription acquisitive contre les énonciations de la première partie du livre foncier. Les droits acquis par prescription sont inscrits au nom de l'acquéi-eur. L'inscription est opérée sur la production de l'acte ou du jugement qui constate que la prescription est acquise. La radiation des droits atteints par la prescription extinctive est opérée- d'après les mômes règles. La prescription ne préjudicie pas aux droits acquis ï des tiers par des actes passés avec le titulaire du droit atteint par la prescription avant l'inscription ou la radiation faite en vertu de la prescription accomplie, sauf l'effet d'une prénotation. Dans le cas la prescription suppose un litr*'. elle ne commence à courir que du jour il a été rendu public, mais ses effets* remontent, môme à l'égard des tiers, au jour de l'inscription de ce litre. ». V, les procès- verbaux de la commission extra-parlementaire du cadastre (fascic. n. 2, p. 635 et s.)

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 29

neuse pour le débiteur^ tandis que les articles 2271 à 2273, mnsi que Tarticle 189 du code de commerce, ont essentielle- nient pour base une présomption de paiement.

33. Il est sans grand intérêt de rechercher maintenant si l'institution de la prescription vient du droit naturel ou du droit civil. C'est une question qui a jadis exercé la subtilité de nombreux auteurs et donné lieu à de grandes discus- sions. Cujas enseignait que l'usucapion est de droit civil et opposée à la loi naturelle et au droit des gens ; c'était aussi lopinion de Grotius, de Perrière, de Pothier (*). Ce dernier concluait que les étrangers en France ne pouvaient se pré- valoir de l'usucapion.

La solution contraire était soutenue notamment par Puf- fendorff, Vattel, Brunemann, d'Argentré, Dunod (*), Sous le code civil, Troplong a repris cette opinion (^). Elle conduit à admettre les étrangers à se prévaloir de la prescription comme les nationaux. Le parlement de Paris avait consacré déjà cette solution au siècle dernier (*)-

Nous n'avons pas à reprendre cette discussion épuisée T il nous suffit d'avoir montré que la prescription est une ins- titution qui s'impose dans toute législation, et d'une façon générale, par suite de la plus impérieuse nécessité ; ordinai- rement conforme à l'équité, elle est toujours commandée par rintérêt public. Il semble bien que ce soit une création do droit positif en ce sens qu'il serait plus conforme à la nature des droits de ne pas dépendre dans leur existence de Técoulement du temps. Dans tous les cas, c'est une institu- tion indispensable dans tous les pays et qui, à raison de son but essentiel, peut être invoquée par les étrangers aussi

(') V. Cujas, sur. la loi 1, D., de usurp. et usuc, : Hrolius, De jure belli et pac'u, Hb. n, cap, 4 ; Ferrière, InstiL, liv. II, tit. VI ; Pothier, Prête, n. 20.

(^) Puffendorfr, TrsiUé du droit de la nature et des gens, ch. XII, § 9 : ViUel, Droi< des gens, liv. II, ch. XI, § 141 ; Brunemann, sur la loi 1, i)., lie tfjoc, et usurp. ; Dunod, Prescr., ch. I ; d'Argenli*é, .Sur la coût, de Bret., til. XIY, Des appropriances, Protheoria, n.lO. V. au surplus Merlin, Hèp. '• Prescriplion, sect. I, § I.

(') Troplong, Prescr., I, n. 2 s. V. aussi Leroux de Bretagne, Prescr., l, n. 7 et 82.

(•) Denizafty Aep., Etranger, § 9 ; Merlin, Prescription^ secl. l, § 1 ; Troplong, op. cit», n. 35.

30 DE LA PRESCRIPTION

bien que par les nationaux. Il n'est plus contestable aujour- d'hui que l'étranger en France puisse se prévaloir de la pres- cription comme le Français ; ce n'est pas un droit civil stricto sensu au point de vue de l'article 11 du code civil (*), Nous aurons seulement à déterminer à la fin de cet ouvrage quelles solutions il faut admettre dans les hypothèses l'application de la prescription donne lieu à un conflit entre plusieurs législations.

§ III. Distinction de la prescription acquisitive et de la prescription extinctive.

34- Le code civil traite, nous l'avons dit, en même temps, de la prescription acquisitive et de la prescription extinc- tive, Pothier avait suivi un système différent qui semble plus exact ; il les avait étudiées séparément, consacrant à la première un traité spécial : « De la prescription qui résulte de la possession », et à la seconde un chapitre de son Traité : 4c Des obligations ». Les rédacteurs du code civil ont considéré qu'il y a de nombreux points de contact entre les deux prescriptions ; ils ont traité de l'une et de l'autre dans un même titre, pour ne pas s'exposer à de nombreuses redites. Il est d'ailleurs certain que leur sys- tème présente cet inconvénient de faire naître plusieurs dif- ficultés sur la distinction des règles communes aux deux sortes de prescriptions et des règles spéciales à chacune d'elles (*).

On peut, en réservant ces difficultés, signaler plusieurs règles importantes communes aux deux prescriptions :

1* Les dispositions des articles 2220 à 2227 sont applica- l)les en général à la prescription acquisitive et à la pres- cription extinctive ; il s'agit de déterniinor les droits aux- quels s'applique la prescription et ceux qui y échappent, de traiter de ceux quLpeuvont opposer la prescription et de

(•) Sic, Weiss, Dr, i ni. privé y p. 105; Audinel,W., n, 61: Guillouard n. 362; el tous les auteurs.

(») Sic, Aubry. et Hau, é<L, H, p. 477, § 210. - Cpr. Cass., 21 déc. 1858, S., 62. 1.1076.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 31

ceux vis-à-vis desquels on peut s'en prévaloir, d'établir enfin les règles de la renonciation à la prescription.

2* Le calcul du délai se fait d'après les mêmes règles pour Tune et l'autre prescription (art. 2260 et 2261).

3* Les deux prescriptions sont aussi régies en général par les mêmes règles en ce qui concerne les causes de suspen- sion et d'interruption (art. 2243 à 2250).

4* La prescription, soit acquisitîve, soit extinctive, ne cons- titue pas, tant qu'elle n'est pas accomplie, un droit acquis au point de vue de l'application de l'article 2 du code civil sur la rétroactivité des lois. En d'autres termes une loi nou- velle peut, sans effet rétroactif, modifier les règles d'une prescription en cours (*). Suivant les expressions de la cour (le cassation, « la prescription ne peut constituer un droit acquis que lorsqu'elle est consommée, et le législateur reste toujours maître jusque-là de modifier la loi. »

35. Mais il faut aussi indiquer dès maintenant les diifé- rences profondes qui séparent les deux institutions.

1* La prescription acquisitive a essentiellement pour base la possession; la prescription extinctive, sauf quelques hj^o- thèses particulières, telles que la prescription de l'hypo- thèque et celle de la pétition d'hérédité, ne suppose pas la possession (*).

t La prescription acquisitive peut être la source d'une action ou d'une exception au profit de celui qui a prescrit. Ainsi la prescription acquisitive relativement à un immeu- l>le me permettra, soit d'exercer une action en revendica- tion contre le détenteur, si j'ai perdu la possession, soit, si je possède, d'opposer une exception péremptoire à l'action en revendication que le propriétaire dirigerait contre moi. Au contraire, la i>rescription extinctive, n'étant qu'un moyen de repousser une action, n'engendre jamais qu'une exception.

3* Il faut observer, en outre, que la prescription extinc- tive est plus large dans son domaine que la prescription acquisitive. Celle-ci ne peut aboutir qu'à l'acquisition de la

(') Cass., 25 janv. 1858, S. 58.1.361, et 25 déc. 1865, S., 68. 1. 110. (=) Cass., 21 déc. 1858, précité. Laurent, XXXII, n. 273.

32 DE PRESCRIPTION

propriété OU des droits réels; encore ne s'applique-t-cllo pas à tous les droits réels puisqu'il faut laisser en dehors le droit d'hypothèque, les servitudes discontinues ou non appa- rentes. La prescription extinctive s'applique aux créances, aux droits réelsautresquele droit de propriété, aux actions autres que la revendication. 11 n'y a pas d'ailleurs, dans notre législation, de prescription extinctive de l'action eu revendication comme dans le droit du Bas-Empire. C'est du moins une solution que nous exposerons plus loin en étu- diant l'article 2262.

§ IV. Distinction des prescriptions et des déchéances.

36. C'est une question des plus difficiles et des plus obs- cures que celle qui consiste à distinguer la prescription extinctive des déchéances qui peuvent, après un certain délai, atteindre ceux qui n'ont pas exercé un droit ouvert à leur profit, notifié un acte ou intenté une action en justice. Dunod, dans son Traité de la prescription, mélange quelque peu les délais de prescription et les délais établis à peine de déchéance, et Merlin enseigne « qu'on doit tenir pour constant que les déciiéances sont susceptibles de l'applica- tion de toutes les règles propres aux prescriptions libéra- toires, à moins que la loi n'en dispose autrement, soit en termes exprès, soit d'une manière implicite par rapi>ort à quelques-unes (*). »

Cette manière de voir a été combattue par les auteurs qui ont, depuis Merlin, étudié la prescription ; Troplong (*) . Leroux de Bretagne (*), Laurent (*), Aubry et Rau (*) ont cherché à établir des distinctions entre les déchéances et les prescriptions. Nous ne croyons pas qu'ils aient bien nette-

. (*) Merlin, Rép., Prescription y sect. I, § 1, n. 3, et QitesL de dr., y" Appelf § IX. Cpr. Duiiod, p. 115 et s.

(«) Troplonp, n. 27.

(*) Leroux de Bretagne, n. 25.

(*) Laurent, XXXH, n. 10.

(») Aubry et Uau, A* éd., VUI, p. 427.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 33

ment éclairci le point obscur qui consiste à savoir dans quels cas il s*a^it d'une déchéance, dans quels cas au contraire il s'agit d'une prescription extinctive. D'autre part, il faut avouer que la question ne présente pas par elle-même un grand intérêt pratique; car on peut se mettre d'accord sur la règle à appliquer à certains délais fixés par la loi, sans qu'il soit nécessaire de discuter sur le nom à leur donner dans un classement des déchéances et des prescriptions.

37. A. Il faut d'abord, à notre avis, laisser de côté les dé- chéances qui peuvent résulter de l'expiration des délais fixés par des conventions particulières ou des décisions des tribunaux pour Taccomplissement d'un fait, l'exécution (l'une prestation, la manifestation d'une volonté, ou l'exer- cice d'une option ou d'une faculté (*); elles n'ont qu'un rapport éloigné avec la prescription ; elles s'apprécient sui- vant la volonté des parties ou des juges; ce ne sont pas des prescriptions.

Il faut aussi mettre de côté les règles de procédure qui imposent la notification ou la confection de certains actes <lans un temps déterminé, à peine de déchéance (*). Ces règles ont pour but d'activer les procédures ; elles se rap- prochent, à ce point de vue, de la prescription Dunod les appelle même des 4c prescriptions légales judiciaires » mais elles ne se confondent pas avec la prescription ; elles ne rentrent pas dans la définition de la prescription qui tend à libérer une personne d'une action, faute par le titu- laire de l'avoir exercée dans un délai déterminé, ou à étein- ïlre un droit faisant partie du patrimoine et qui n'a pas été exercé pendant un certain temps. Ces délais de procédure ne peuvent être soumis a priori aUx règles de la prescrip- tion, pas plus qu'ils peuvent être systématiquement sou- mis à des règles différentes. Les difficultés qu'ils soulèvent doivent être résolues séparément dans les cas particuliers prévus par la loi. Ainsi les délais fixés à peine de déchéance

(*) Il ne s'agit pas ici des prescnplions conventionnelles abrégées qui sonl bien joridiquenient, à notre avis du moins, de vraies prescriptions. V. infrh. n. »6 el s.

(0 SÂc Laurent, loc, cU,

Prescr. 3

34 DE LA PRESCRIPTION

pour faire une surenchère ou pour signifier un acte d appel ne nous paraissent pas devoir être traités comme des délais de prescription. Quand on se pose la question de savoir si l'expiration du délai d'appel peut être opposée d'office par le juge, il n'y a pas à faire intervenir, quoi qu'on ait dit, la règle de l'article 2223, d'après laquelle « les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la pres- cription. y> En tenant compte de ce qu'il s'agit de l'ordre des juridictions, il ne faut pas hésiter à dire que le moyen de nullité peut être suppléé d'office (*).

Enfin, il y a des cas le législateur ouvre un droit dont l'acquisition est subordonnée à une manifestation de volonté dans un certain délai, ou bien encore, en permettant une option, fixe à un temps restreint le délai donné pour prendre parti. Tel est le cas de l'article 9 du code civil. Il n'y a pas encore de prescription extinctive dans le sens précis du mot. Il n'y a pas non plus de prescription extinctive dans le délai donné par l'article 252 du code civil pour transcrire le divorce, ni dans le délai de cinq ans pour exercer le réméré (art. 1660), ni dans les délais de l'article 2102 pour la saisie-revendication du bailleur et celle du vendeur do meubles.

38. Voilà trois catégories d'hypothèses nous trouvons des déchéances qu'on ne saurait confondre avec la pres- cription. Mais on a voulu aller plus loin. Aubry et Rau enseignent que, quand la loi n'accorde une action qu'à la condition qu'elle soit exercée dans un temps déterminé, l'ex- piration du temps emporte déchéance ; ce n'est pas, disent- ils, une prescription extinctive : il n'y a pas d'idée de négli- gence à faire intervenir dans le fondement de la déchéance ; il y a comme un terme légal extinctif qui atteint le droit lui-même. Aubrj^ et Rau considèrent, à ce point de vue,

0) V. la noie de M. Albert Tissier dans Sirey. 1891.1.513; Troplong, n. 27 et 51; IJevilleneuve, S., 59.2.337. V. cep. Nicias Oaillard, S., 50.1.421. Y. d'ailleni*s dans le sens de l'opinion exprimée au lexle, sur la distinction des délais de procédure et de la prescription, Colmet de Santerre, Vlll. n. 353 bis, V. _ V. aussi les travaux pi'éparatoircs de la loi du 13 avril 1895 modifiant l'art. 1033 C. pr. civ. (S., Lois annotées, ll« série, p. 1066; Ixtis nouv,, 1895, l" part., p. 197). V. en sens contraire Haute:-, Hev, de législ., lll, p. 131.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 35

comme édictant des déchéances et non des prescriptions, les articles 181 et 183 sur les nullités de mariage, les arti- cles 316 et 317 sur l'action en désaveu, l'article 957 sur Faction en révocation des donations pour cause d'ingrati- tude, les articles 1622 et 1676 sur les actions en diminution de prix, en supplément de prix ou en rescision, en matière de vente d'immeubles, l'article 809 sur le recours des créan- ciers d'une succession bénéficiaire qui n'ont pas fait oppo- sition et n'ont rien reçu de l'héritier, l'article 880 sur l'extinction du droit de demander la séparation tles patri- moines, l'article 2279 alinéa 2 sur la revendication des meu- bles perdus ou volés. On a indiqué aussi comme établissant un délai de déchéance et non une prescription, l'article 559 du code ciAÎl qui donne un délai d'un an pour exercer son droit au propriétaire d'un fonds dont une partie a été enle- vée par la force subite d'un fleuve ou d'une rivière et portée vers un autre fonds. On a proposé encore comme exemples l'article 1648 du code civil et les articles 5 et 6 de la loi du i août 1884 en matière d'action en garantie à raison de vices rédhibitoires (*). M. Hue ajoute à l'énumération le cas de l'article 1854 sur les réclamations des associés relative- ment au règlement des parts, et celui de l'article 1792 qui établit un délai de dix ans pour la garantie due par les architectes et entrepreneurs (*).

Cette théorie et la classification qui en est l'application nous paraissent peu exactes. La prescription extinctive, tout d'abord, n'atteint pas seulement l'action ; elle atteint aussi le droit, et on ne peut établir à ce point de vue un critérium de distinction entre les prescriptions et les déchéances. De plus nous ne voyons pas quelle grande différence on peut

(•) Planiol, 2* éd., t. 2, n. 705 el 706.

(') Hue, n, 317 et 419. M. Hue voulant distinguer la prescription el la dé- chéance, s'exprime ainsi : « Ce qui caraetérise la déchéance, c'est qu'elle ne repose ni sur une présomption d^acquisition, ni sur une présoinplion de libéra- lion quelconque. Il s'agit d'une pure réglementation utilitaire présentant quelque loalogie avec les délais de procédure imposés pour Taccomplissement ou la notification de certains actes. C'est le temps seul qui produit l'effet extinctif » liu 366). CeUe distinction suppose admis que la prescription est une présomption (le libération, ce qui, à notre avis, n'est pas exact pour toutes les prescriptions et n'est d'ailleurs en général qu*un motif secondaire.

36 DE LA PRESCRIPTION

faire entre les règles qui limitent la durée de Faction en nullité de mariage ou en rescision de la vente, et celles qui sont contenues dans Farticlc 1304 qui limite à dix ans toute une série d'actions en nullité ou en rescision. Nous ne com- prenons guère comment, dans les cas des articles 809 et 880, alors que la loi parle expressément de prescription, on tient à ne voir que des déchéances. Enfin, dans tous ces cas, il n'est pas exact, à notre avis, de dire qu'il n'y a plus d'idée de négligence servant de base à la perte du droit: aussi bien qu'en matière de prescription ordinaire, la loi veut y empê- cher certaines actions d'être intentées après un certain délai ; elle se propose par même d'atteindre la négligence de ceux qui n'auraient pas pris à temps leurs dispositions pour se mettre en règle avec elle. Pour nous, dans tous les cas les textes du code civil, du code de commerce, ou des lois particulières, limitent à un certain temps Texercice d'une action, il nous semble qu'il s'agit bien de prescrip- tion, et, à cet égard, la théorie de Merlin nous parait exacte (*).

39. B. La question de la distinction des déchéances et des prescriptions, ainsi envisagée théoriquement, n'a d'ailleurs guère d'intérêt pratique : car nous ne prétendons pas que toutes les règles du titre de la prescription vont s'appliquer sans distinction à ces prescriptions que d'autres auteurs appellent des déchéances. Il n'est pas en effet nécessaire, pour suivre dans ces cas spéciaux des règles particulières, de dire qu'il s'agit de déchéances et non plus de prescrip- tions ; il suffit de dire qu'il s'agit de prescriptions spéciales.

Les auteurs signalent à cet égard une série de difiérences qui ne nous paraissent ni très exactes ni très précises.

a. La prescription extinctive, dit Troplong, ne comprend qu'une exception, tandis que la déchéance, plus sévère dans ses effets, peut senûr de fondement à une action : et il donne comme exemple le cas d'un créancier poursuivant le débi- teur à terme qui a diminué les sûretés de la créance. Maisquel

(*) M. Colmel de Santerre admet aussi, dans les cas visés au texte, qu'il s^a^ril de véritables prescriptions, sauf dans les cas des art 559 et 880 cod. civ. (VIII. n. 359 Jbù, VI s.). V. encore Guillouard, I. n. 42.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES '37

rapport cette déchéance du terme a-t-elle avec la théorie de la prescription ? (') Il nous semble, au surplus, que les délais dont nous avons parlé plus haut, et qu'on veut appeler déchéances et non prescriptions, ont pour effet, tout comme les prescriptions, d*enl«ver un droit et de faire perdre une situation légale préexistante.

b. La déchéance, a-t-on dit encore, opère le plus souvent de plein droit; on ne peut y renoncer, tandis que la prescrip- tion n'opère pas de plein droit et qu'on peut renoncer au bénéfice d'une prescription acquise ; on cite comme exemple la déchéance du droit d'interjeter appel après deux mois depuis la signification du jugement. C'est une hypothèse qui, nous l'avons vu, rentre dans les délais de procédure, lesquels doivent être laissés en dehors de la prescription. Mais, en restant dans les hypothèses sur lesquelles nous avons à discuter, il est certain qu'on ne peut pas formuler la règle d'une manière absolue. Si elle est quelquefois exacte, c'est que certaines prescriptions sont soumises à des règles spéciales. Mais ce n'est pas une différence générale à éta- blir entre les cas qu'on appelle déchéances et les cas qu'on appelle prescriptions : parmi les cas de déchéance mis en avant par les auteurs, il en est dans lesquels bien évidem- ment on peut renoncer à se prévaloir de la disposition de la loi. V. infra, n. 40.

c. Le délai de déchéance court contre les mineurs comme contre les majeurs (*). Mais la loi (art. 2278) ne fait-elle pas courir contre les incapables les courtes prescriptions ? Ce n'est donc pas encore une règle spéciale aux hypothè- ses qu'on qualifie de déchéances. Il nous semble même qu'on ne saurait a priori l'appliquer indifféremment à toutes.

d. Les déchéances ne sont pas suspendues entre époux

(')Troplong, loc, cil, ; Leroux de Bretagne, loc. cil, V. cep, Aubry et Kau, loc, cit,

(*) Leroux de Bretagne, loc, cit, : Aubi^ et Rau, loc cil, ; Duranlon, XXI, n. 290; Troplong, n. 1038; Guillouard, n. 45. Cpr. Gass., 18 avril 1838, S., «. i. 309 et 5 avril 1853, S., 5Î. 1. 731. - Grenoble, 27 déc. 1821. Ces arrêts, qui écartent les règles de la prescription, sont rendus en matière de délais ile procédure et sont certainement exacts dans notre théorie comme dans celle que nous critiquons.

38 DE LA PRKSCRIPTION

comme la prescription (*). On juge ainsi que le délai fixé pari l'article 957 pour demander la révocation d'une donation pour cause d'ingratitude court même entre époux (*). La solution contraire a été soutenue ('). Mais nous prétendons que^dans les cas qu'on a groupés sous le nom de déchéances, on peut très bien dire qu'il s'agit de prescriptions auxquelles exceptionnellement la suspension entre époux n'est pas appli- cable, par suite de la volonté du législateur manifestée for- mellement ou résultant implicitement du but et du caractère de la règle établie par lui (*).

La cour de Rouen dit, à propos du délai de l'article 957: Le motif qui a fait limiter la durée de l'action du donateur est puisé dans un intérêt d'ordre élevé afin de ne pas trou- bler la tranquillité des familles et d'éviter des scandales qui en seraient résultés après un plus long laps de temps ; cette restriction constitue une simple déchéance ou fin de non- recevoir et non une prescription. » Il semble cependant que la prescription est précisément fondée sur les motifs qu'on vient de rappeler. La cour de Metz donne une autre raison. « La prescription ne frappe que le laps de temps qui a pour objet un moyen d'acquérir ou de se libérer » et, dans le cas de l'article 957, il y a au contraire, dit-elle, une simple déchéance, une forclusion. Mais on peut répondre qu'il s'agit bien de libérer le donataire de l'action en révocation. La cour de cassation, qui s'est en dernier lieu ralliée à la solution que nous . critiquons, se borne à une affirmation ; pour elle la . disposition de l'article 957 < ne présente point le caractère d'une prescription, mais d'une déchéance applicable à toutes personnes, spécialement aux époux pendant le mariage (*). >

C] Aubry et Hau, loc. ciL; Guillouard, loc. cil,

(«) Gass., 22 juin 18S»7, S., 97. 1. 345.— Rouen, 5 août 1863, S., 64. 2. 229. Melz, 19 fév. 1868, S., 69.2.171. - Besançon, 12 fév. 1873, S., 73. 2. 196. Aix. 24 ocl. 1894, S., 97. 2. 146, 1)., 96. 2. 450.- Aubry- et Hau, /oc. cit.; Demolombe, Don.y ni, n. 666; Baudi^-Lacanlinerie et Colin, Don,, I, n. 1616; Guillouard* n. 126.

(») Gass., 17 mars 1835. S., 35. 1. 161. - Caen, 30 déc. 1854, S., 57. 1. 139.— Golmet de Santerre, VIII, n. 359Jbi>, IX. Gpr. Leroux de Bretagne, I, n. 658.

(*) V. en sens contraire Golmet de Santerre, VIII, n. 359 fcw, XIV\

(*i Gass., 22 juin 1897, précité.

DISPOSITIONS (SÉNKRALÉS 39

Nous ne nions pas que le délai doive courir contre toutes personnes et même entre époux. Mais il n'est pas nécessaire, pour arriver à cette solution, de dire que nous sommes en présence d'une déchéance et non d'une prescription ; toutes les prescriptions ne sont pas nécessairement soumises à la rèjsrle de la suspension entre époux.

D'une façon plus générale, on doit admettre que certaines prescriptions échappent aux règles de la suspension ; Aubry et Rau disent eux-mêmes que «d'après l'esprit de la loi », les prescriptions de courte durée mentionnées aux articles 64, 108 et 189 du code de commerce, ne sont pas suspendues au profit de mineurs et interdits (*) ; on décide qu'il en est de même pour la prescription de cinq ans visant les dettes de l'Etat, et les autres prescriptions établies par les lois fiscales au profit des particuliers (*). On ne saurait donc se placer à ce point de >Tie pour classer les prescriptions et les déchéances.

e. Enfin on soutient, comme dernière difiérence, que la règle Quœ temporalia sunt ad agendum perpétua simt ad ftcipiendum s'applique seulement aux prescriptions et non aux déchéances, et on a jugé, à cet égard, qu'une demande en délivrance de legs ne peut être écartée après le délai d'un an, par une exception de révocation pour ingratitude (^). C'est une question discutée. Mais il faudrait démontrer que la règle s'applique à toutes les prescriptions et ne s'ap- plique à aucune des prétendues déchéances ; or, ni l'une ni l'autre proposition ne serait exacte. Nous verrons que la règle, pour ceux-là mêmes qui l'acceptent encore aujour- d'hui, n'est pas absolue ; et, d'un autre côté, dans les cas qu'on indique comme étant des déchéances, on peut très bien admettre qu'elle est applicable si celui qui devait agir s'est trouvé, pendant le délai fixé, sans intérêt pour le faire, étant en possession des choses auxquelles il prétend et n'étant pas inquiété. Cette maxime est présentée comme

(') Aubry et Rau, éd., II, p. 491, § 214.

(«)Cons. d'ÉUl, 13 janv. 1888, Leb., I, 88. Lafemère, Jur. acfmmw/r., II, p. 23».

(*) Besançon, 12 fév. 1373, S., 73. 2. 133. Aubry et Rau, 4* éd., VHl, P- 428 ; Guillouard, t. I, n. 45.

42 DK LA PRbSCRIPTlON

opposée par celui qui a le droit de s'en prévaloir. C'est ce que dit l'article 2223 : « Les juges ne peuvent pas suppléer d'of- fice le moyen résultant de la prescription. » Le juge ne peut donc avoir égard à la prescription qu'autant qu'elle est oppo- sée, c'est-à-dire invoquée comme moyen de défense ou d'at- taque, par des conclusions formelles. Bigot-Préanieneu, dans son exposé des motifs, a ainsi expliqué la règle : « La prescription n'est, dans le langage du barreau, qu'une fin de non recevoir, c'est-à-dire qu'elle n'a point d'effet si celui •contre lequel on veut exercer le droit résultant d'une obliga- tion ou contre lequel on revendique un fonds n'oppose pas •cette exception. Telle, en effet, doit être la marche de la jus- tice. Le temps seul n'opère pas la prescription ; il faut qu'avec le temps concourent ou la longue inaction du créancier ou une possession telle que la loi l'exige. Cette inaction ou cette possession sont des circonstances qui ne peuvent être con- nues et vérifiées par les juges que quand elles sont alléguées par celui qui veut s'en prévaloir. »

Cette règle, dont l'origine lointaine se place sans doute au temps la prescription était invoquée par voie d'exception, •doit être mieux précisée et justifiée. Elle peut, en effet, paraître en désaccord avec le droit comnmn, qui veut que les moyens de droit se rattachant à l'ordre public puissent être suppléés d'office. Mais il ne faut pas considérer, dans un procès qui met en jeu des intérêts particuliers, le moyen tiré de la prescription comme étant d'ordre public ; c'est une question d'ordre privé que celle de savoir si telle prescription a été accomplie et doit être opposée. La prescription soulève d'ailleurs parfois une question de morale ou de conscience, puisqu'elle peut aboutir à «ne spoliation injuste. Si le législateur a cru devoir l'admettre comme possilde dans tous les cas, il faut laisser * -celui qui doit en profiter juge en sa propre cause. La loi met dans ses mains une arme dont l'usage peut être déloyal; à lui de juger s'il doit s'en servir. 11 faut ajouter que le point de savoir si la prescription est acquise donne lieu à des questions de fait pour lesquelles il est en général néces- 4iaire que les parties s'expliquent elles-mêmes. Ces diffé-

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 43

rents motifs justifient suffisamment la règle du reproche qui lui a été adressé «d'être le résultat de préjugés anciens et un emprunt maladroit fait au droit romain ('). » Si la prescription produisait son effet de plein droit, il faudrait admettre que le débiteur, en ne l'invoquant pas, contracte une obligation nouvelle ; c'est une idée que personne n'ose- rait soutenir.

La loi du 25 février 1901 s'est écartée de ce point de vue en disposant dans son article 7 qu'on ne doit pas déduire, comme dettes de la succession, pour la fixation du droit de mutation par décès, les dettes « pour lesquelles le délai de prescription est accompli, à moins qu'il ne soit justifié que la prescription a été interrompue. » Bien que la pres- cription ne soit pas opposée par les héritiers et qu'ils préfèrent payer la dette pour laquelle le délai de prescription est accompli, la déduction n'aura pas lieu ; vis-à-vis du fisc et quant au droit de mutation, la dette est considérée comme n'existant plus. Evidemment il y a des mesures à prendre pour empêcher que l'héritier n'invoque, en vue de la déduc- tion, des dettes réellement éteintes ; peut-être cependant aurait-on pu ici réserver à l'héritier la possibilité de justifier que telle dette, pour laquelle le délai de prescription a couru, existe encore, et qu'il entend la payer.

42. Celui qui veut opposer la prescription doit donc pren- dre des conclusions en ce sens (*). Ce n'est pas à dire qu'une formule sacramentelle lui soit imposée ; il suffit qu'il exprime sa volonté à cet égard dans des termes qui ne laissent pas place au doute; c'est une question d'interprétation des con- clusions.

43. Il n'est pas même nécessaire que la prescription soit opposée en termes exprès. 11 suffit que le moyen résulte de la nature de la demande et de l'ensemble des conclusions

0 Troplong, n. 87 et 88. V. dans noire sens, Mai*cadé, sur Tari. 2223, 0. l ; Leroux de Bretagne, n. 26. V. aussi Guillouard, n. 300, G. civ. iliL, art. 2109. - G. civ. port., arl. 515. - G. civ. holl., art. 1987. Gode fédéral des obligations, art. 160. Gode Monténégro, arl. 635.

P) Cass., 16 nov. 1886, S., 87. 1. 72.

44 DE LA PRESCKIPTION

prises (*). Ainsi il faut admettre que celui qui invoque la prescription pour le principal Tinvoque implicitement pour les intérêts qui lui sont réclamés ; et qu'en repoussant le moyen de prescription pour le capital, le juge doit exami- ner, sans conclusions spéciales, si la prescription de cinq ans n'est pas acquise au débiteur pour les intérêts (*). Il est clair aussi que le plaideur qui, ayant triomphé en première instance sur le moyen de prescription, demande la confir- mation du jugemeut, reprend par implicitement le même moyen ; on ne peut dire que la cour, en l'admettant, supplée d'office le moyen de la prescription ('). En matière de pres- cription acquisitive, si le défendeur a invoqué la prescrip- tion trentenaire, le juge a le droit de rechercher, sans con- clusions nouvelles, si la prescription de 10 à 20 ans n'est pas applical>le (^).

La jurisprudence nous fournit d'autres cas analogues. On a considéré comme opposant implicitement la prescrip- tion acquisitive celui qui réclame une servitude en invoquant un état de choses remontant à plusieurs siècles ('), celui qui demande à faire preuve d'une possession paisible et sans trouble (^), celui qui, après une enquête sur la possession alléguée, conclut, en s'appuyant sur le résultat de l'enquête, à ce que l'action en revendication soit déclarée non receva- ble (').,0n a jugé aussi que se prévaut de la prescription le débiteur qui ofiFre cinq années d'intérêts en disant que le créancier n'a pas droit à une somme plus considérable (*).

Lorsque le débiteur oppose la prescription de cinq ans à la demande formée contre lui en paiement ou en rembour^ sèment de prestations qu'il prétend tomber sous l'application

i') Cass., 28 avril 1840, S., 40.1.600 ; 3 août 1870, S., 71.1.72. Sic Tro- plong, n. 91 ; Marcadé, sur Tarlicle 1223, n. 3 ; Leroux de Bretagne, n. 31 ; Ouillouard, n. 304.

(*) Cass., 26 fév. 1822. Sic Marcadé, loc. cil,

(^ Cass . 3janv.l833, P. chr. ; 29 nov. 1876, S., 77.1,368. —Sic Laurent, KXXII, n. 181.

(♦) Dijon, 3 janv. 1878, S., 78.2.85.

{;) Cass., 3 août 1870, S., 71.1.72.

(*) Cass., 16 nov. 1842, S., 43.1.243. Sic Laurent, XXXII, n. 180.

(') Cass., 30 déc. 1851, D., 52.5.430.

("; Cass., 10 mars 1841, I). Rép., Prescr,, n. 100. Sic Laurent, n. 181.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 45

de l'article 2277, nous serions assez disposés à admettre qu'il invoque implicitement et à titre subsidiaire, à défaut de la prescription de cinq ans, celle de trente ans; si bien que, si le juge écarte Tarticle 2277 comme inapplicable à l'espèce, il doit rechercher, sans autres conclusions, si la prescription de trente ans n'a pas couru. Le débiteur qui demande à ne payer que les prestations dues depuis cinq années et sou- tient que les autres sont prescrites, entend par là, bien cer- tainement, à titre subsidiaire, se refuser à payer celles qui sont dues depuis plus de trente ans, et invoquer pour elles la prescription du droit commun (*).

44. Mais encore faut-il que la prescription ait été invoquée dans les conclusions, et qu'elle Tait été d'une manière non équivoque. Il faut donc admettre, comme conséquence delà première de ces deux idées, qu'il ne suffit pas que le moyen ait été soulevé devant le juge de paix, lors du préliminaire de conciliation, s'il n'a pas été reproduit depuis (*), et, qu'à l'inverse, il ne suffirait pas davantage qu'il fût développé dans la plaidoirie si des conclusions n'ont pas été prises (») . Comme application de la seconde des deux règles que nous venons de formuler, il est important de bien faire remarquer que la formule banale par laquelle se terminent souvent les conclusions, « et par tous autres moyensde droit qu'ilplaira au tribunal suppléer d'office », ne suffit pas pour satisfaire à l'exigence de la loi ; il ne suffit pas non plus de conclure au rejet de la demande pour « toutes fins de non-recevoiret tous voies et moyens de droit (^). » Ce n'est pas non plus invo- quer la prescription que de dire dans ses conclusions «qu'on peut s'étonner de la tardiveté de l'action et que peut-être à la rigueur, serait-il possible d'invoquer la prescription (*). » Enfin le fait que le plaideur a invoqué la prescription de cinq

O V. cep. en sens contraire Cass., 8 mai 1895, S., 96.1.385.

(*) Cass., 22 messidor an XIII. Sic Laurent, n. 282 ; Marcadé, sur l'arli- cle2223, n. 3.

(»)Cass.,16 nov.i886, S., 87.1.72. G uillouard, n. 303.— Cpr. Cass., 17aoûl 1865, S., fô.1.399.

(•) Cas*., 14 nov. 1822, D. /îcp„ V Prescr., n. 103. Sic. Laurent, n. 182.

V*) UsH., 18 avril 1838, S.. 38.1.553.

46 DE LA PRESCRIPTION

ans de Tarticle 2277 n'autoriserait pas le juge à suppléer (Voffice une des courtes prescriptions des articles 2271 s. (*).

45. Il suit des règles que nous avons posées que lorsque, la prescription a été soulevée en première instance, si la cause a été gagnée par d'autre moyens, sans que le juge ait eu à se prononcer sur la prescription, il faut, en appel, con- clure de nouveau à la prescription ; autrement, on ne serait pas réputé nécessairement reproduire le moyen et on ne serait pas recevable à se plaindre de ce que l'arrêt, en infir- mant le jugement, n'eût pas statué sur la prescription (*).

46. La règle d'après laquelle le moyen de la prescription ne peut être suppléé d'office est applicable alors même que la prescription s'est accomplie au profit de mineurs ou d'in- terdits. Sans doute, nous verrons que les représentants de ces incapables ne peuvent renoncer à la prescription qu'en remplissant les formalités requises pour l'aliénation. Mais nous pensons cependant que, s'ils gardent le silence, le juge ne peut suppléer à leur inaction. Le ministère public ne peut pas non plus, au nom des incapables intéressés, proposer le moyen tiré de la prescription. La décision rendue sans que la prescription soit invoquée sera, il est vrai, susceptible (l'être attaquée par la voie de la requête civile; et on pour- rait observer qu'il serait raisonnable que le ministère public fut à même de protéger les incapables non protégés par leurs représentants, et pût empêcher ainsi la décision à intervenir d'être exposée à l'éventualité d'un recours qui, pendant plusieurs années, en maintiendra l'instabilité et l'incertitude. Mais l'article 2223 nous parait formel. Le minis- tère public n'a pas à agir et à prendre l'initiative dans les affaires civiles qui lui sont communiquées^ Il doit conclure jiur l'affaire dans l'état elle se présente, sans pouvoir ajouter aux conclusions que les parties ont prises et qui ont fixé le litige. On peut soutenir qu'il y a dans l'article 2223 une lacune; mais il paraît difficile d'y introduire une dis- tinction que son texte ne comporte pas (').

(') Cass., 10 juin 1872,D.,73. 5. 463.-Cass. beljç., 12 mai 1887, D., 82. 2. 143.

(«) Cass., 4 fév. 1857, S., 57, 1. 704. - Sic Laurent, n. 181.

(') Sic Troplong, n. 89; Marcadé, sur l'art. 2223, n. 2; Leroux de Bretagne, n. 27

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 47

47. La règle de larticle 2223 ne s'applique pas seulement aux prescriptions ordinaires, il faut l'étendre à toutes les prescriptions, même aux prescriptions spéciales organisées en dehors de notre titre (*). C'est ainsi que la prescription de dix ans de l'article 1304 ne peut être suppléée d'office ; nos^ anciens auteurs admettaient la solution contraire sous Tem- pire de cette idée que. les ordonnances avaient strictement limité à dix ans la durée de l'action en rescision (*); mais- cette idée n'a pas été soutenue sous le code civil ('). La cour de cassatidli a de même appliqué l'article 2223 à la pres- cription de cinq ans établie par l'article 2277, à celle de l'ar- ticle 2272, à celle établie par l'article 189 du code de com- merce, aux prescriptions spéciales admises en matière d'enregistrement (*).

48. D'après VsLriicleiifii,^!: la prescription peut Hre opposée m tout état de cause, même devant la cour royale, A moifis que la partie qui n* aurait pas opposé le inof/en de la prescription nedoice, par les circonstances, être présumée y avoir renoncé(^).yh Bigot-Préameneu, dans Texposé des motifs, explique ainsi cette disposition : « La prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant le tribunal d'appel ; le silence à cet égard peut avoir été déterminé par l'opinion que les^ autres moyens étaient suffisants, et le droit acquis par la pres- cription n'en conserve pas moins toute sa force jusqu'à ce que l'autorité de la chose définitivement jugée par le tribunal d'appel ait irrévocablement fixé le sort des parties. Cette règle doit néanmoins se concilier avec celle qui admet la renoncia-

el28; Hue, l. 14, n. 330; OuiUouaril, l. I, n. 302. Contra, Vazeille, Prescr,, n. 235; Colmel de SanleiTC, VIII, n. 330 bis, II ; Planiol, éd., t. 2, n. 686;. Bafnoir, Propriété et contrat, p. 16S.

0 Ca*s., 17 mai 1897, S., 97. 1. 268, D., 97. 1. 279.

(') Dunod, n. 110.

0) Sic Laurent, n. 174.

(*) V., sur la première hypolhèsc, Gass., 25 janv. 1825, S. chr.; 5 mars 1827,. 1)., nép., loc. cit., n. 98; 26 fév. 1861, S., 61.1.849: 25 fév. 1891, S. 97.1.268, àd notam,D.,91.5.406. V.aussi m/"ra,n.772. Sur la seconde, Gass., 17 mars 1897,S., 97.1.268, D., 97.1.279. - Sur la troisième, Gass., 2 janv. 1855, S.55. 1.13; Ga*s. belg., 4 mai 1883, I)., 85.1.29. Sur la quatrième, Gass.,1*' avril 1840. S., 40.1.430, el 31 mai 1847, D., 47.4.379.

V*; Cpr. G. civ. ilal., art. 2110. G. civ. holl., arl. 1988.

48 DE PRESCRIPTION

tion même tacite à la prescription acquise. Cette renonciation résulte de faits qui supposent l'abandon même du droit. Ainsi , quoique le silence de celui qui, avant le jugement défi- nitif, n'a pas fait valoir le moyen de prescription, ne puisse seul lui être opposé, les juges auront à examiner si les cir- constances ne sont point telles qu'on doive en induire la renonciation tacite au droit acquis (*). »

40. La prescription est un moyen qu'on peut soulever jus- qu'à la fin du procès, si on n'y a pas renoncé. On peut le soulever, nous le verrons plus loin en étudiant' les cas de renonciation tacite, même après les conclusions au fond, même après une expertise ; on peut le faire même après les plaidoiries (*). Mais on ne le peut plus après que le ministère public a donné ses conclusions et que la cause a été mise en délibéré. C'est une règle certaine qu'on ne peut signifier des conclusions nouvelles après la mise en délibéré ; il en résulte que la prescription qui, nous l'avons vu, doit néces- sairement faire l'objet de conclusions, ne peut plus être opposée. Un arrêt de la cour de cassation (') a pu tenir compte de conclusions relatives à la prescription et dépo- sées après la mise en délibéré par ce motif que « ces con- clusions n'étaient que le développement de celles prises avant la mise en délibéré et ne constituaient pas une demande nou- velle. » Mais c'est une décision d'espèce, et la jurispru- dence s'est fixée dans le sens que nous venons d'indiquer (^). Il est à peine besoin d'ajouter que la prescription ne peut être invoquée après un jugement rendu en dernier ressort qui a admis le principe de la dette et n'a laissé en litige que le chiffre de la condamnation (^).

50. La prescription peut être opposée même devant la cour

(') Sur celte règle, V. Berrial Saint-Prix, Séances et travaux de VAcad, des »r. mor, et polU., !'• série, t. 6, p. 329.

(«) Besançon, 12 déc. 1864, S. 65.2.197.- Nancy, 2mars 1882, S., 83. 1.121.

(») Cass., 7 nov. 1827, S. chr.

(») Cass., 5 nov. 1883, S., 86.1.22. Duranlon, XXI, n. 135 ; Leroux de Bretagne, n. 35 ; Laui-enl, l. 32, n. 178 ; (luillouard, n. 312. Contra Nancy, Il fév. 1833, P. chr. Troplong, n. 95; Marcadé, sur l'art. 2224, n. 1.

(*) Caî*s., 25 janv. 1808. Y. sur rauloiité de la chose jugée résullant de» décisions qui condamnent au paiement d'une somme à fixer par état, Albert Tissier, Hevue critique, 1838, p. 536.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES 49

royale. La première édition du code ciril portait : même devant le tribunal dappel, expression plus compréhensive qui embrassait, non seuleinent les cours d'appel, mais aussi les tribunaux de première instance statuant comme juges (l'appel des sentences rendues par les tribunaux de paix. La modification que ce texte a subie dans Tédition de 1807 et dans celle de 1816 n'en a certainement pas changé le sens.

51. En permettant d'opposer pour la première fois la pres- cription devant la cour d'appel, notre article ne fait qu'une application de la règle générale qui permet d'invoquer en cause d'appel des moyens nouveaux (*). Mais encore faut-il, pour que la prescription puisse être opposée pour la première fois en appel, que celui qui l'invoque n'y ait pas renoncé tacitement. C'est tout ce que signifie la partie finale de notre article, qui formule ainsi une proposition à peu près inutile. Xous trouverons plus loin des hypothèses de renonciation tacite. On voit, dès maintenant, par notre texte, qu'elle ne résulte pas de ce seul fait que celui au profit de qui la pres- cription s'est accomplie ne l'a pas opposée en première ins- tance. Sans doute les juges, nous aurons à le remarquer, peu- vent tenir compte, pour apprécier si le plaideur a renoncé à la prescription, du silence qu'il a gardé en première ins- tance (») ; mais, à lui seul, ce silence n'implique pas renoncia- tion. Peut-être le défendeur ignorait-il l'existence de la pres- cription ; peut-être aussi a-t-il mis en réserve, pour l'invoquer comme dernière ressource, un moyen qu'il hésitait à propo- ser, parce qu'il craignait la censure de l'opinion publique ou qu'il reculait devant les scrupules de sa conscience (').

52. Si la prescription peut être proposée pour la première fois en cause d'appel, elle ne peut pas l'être pour la première fois devant la cour de cassation. En efiet, la cour suprême ne

(•) Voy, sur Tapplicalion de celle règle à la prescription de l'arl. 2277, Cass., Saoul 1878, S., 79. 1. 301; - Amiens, 14 juin 1871, S., îi. 2. 217;- Renne.s 12févr. 18^0, S., 81. 2. 53 ; - Bord?aux, 31 déc. 1895, D. 97. 2. 97. - V. in/ra, n. 771. —L'arl. 2224 s'applique aux courtes prescriptions des art. 2271s. comme aux autres prescriptions. V. Nancy, 13 fév. 1895, 1)., 95. 2. 383.

(») Cass., 21 mai 1833, S. 84. 1. 422.

(') V. cep. Paris, 1»' mars 1893, I). 93. 2. 296.

pREscn. 4

50 DE LA PRESCRIPTION

peut casser une décision qu'autant qu'elle a violé la loi; or le juge n*a pas violé la loi en ne tenant pas compte de la prescription quf n'était pas opposé'e^puisquerarticle 2223 lui défend de suppléer ce moyen d'office (*). Mais, si le jugement ou l'arrêt est cassé pour une autre cause, la prescription peut être invoquée devant le tribunal auquel l'affaire a été renvoyée, à moins que la partie ne doive être considérée comme y ayant tacitement renoncé (*)•

CHAPITRE III

DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION

53. « On ne peut y (T avance, renoncer à la prescriptiofi : on « peut renojicer à la prescription acquise. » Ainsi s'exprime l'article 2220 (»).

On comprend aisément qu'on ne puisse à l'avance renon- cer à la prescription : une règle qui le permettrait serait contraire à l'intérêt social ; elle encouragerait la négligence et l'incurie des titulaires des droits ; elle irait à Tencontre du but de la prescription. « La prescription, dit l'exposé des motifs, étant nécessaire pour le maintien de l'ordre social, elle fait partie du droit public auquel il n'est pas libre à chacun de déroger. >

Dunod le disait déjà au siècle dernier : « C'est non seule- ment parce qu'elle est utile à la société des hommes en général, mais encore parce que les lois qui l'autorisent for- ment un droit public auquel ou n'est pas libre de renoncei» avant qu'il soit appliqué à chaque fait particulier. Il en est comme d'une fille qui, bien que dotée, ne renonce pas valfi- blement suivant le droit civil aux successions à échoir de

(')Cass.,26fév.l861, S., 61. 1. 849; 3 août 1863, S., 63. 1. 541; 17 janv. 1877, S., 78.1.165 ; 20 janv. 1881, S., 84.1.30 ; 18 mars 1884, S., 86.1.428; 27 oclo- brc 1883, S., 87.1.193 ; 8 mai 1895, S., 96.1.385. Celle règle s'applique en malière d'enregislremenl. Gass., 17 mars 1396. S., 97.1.102 ; 10 juill. 1901, S., 1902.1.363.

(*) Besançon, 26 déc. 1888, D., 89.2.227. Guillouard, n. 314.

(») Gpr. G. civ. ilal., arl. 2107. G. civ. esp., p., art. 1935. G. civ. port., arl.508. - G. civ. hoU., art. 1984: G. féd. des obi., arl. 159.

DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION 51

ses père et mère ; ni un héritier à la quarte falcidie avant la mort du testateur. Il en est aussi comme du sénatus-con- suite Macédonien, du bénéfice de cession de biens, et de celui de compétence, auxquels on ne permet pas de renoh-» .cer avant coup (*)• *

Il n'est pas sans doute très exact de dire que la prescription fait partie du droit public ; mais il est certain que l'intérêt ' . social qui a fait établir la- prescription s'oppose à ce qu'on puisse renoncer par avance à l'invoquer.

54. Ati contraire, la renonciation à une prescription acquise ne peut causer aucun préjudice à la société. C'est l'intérêt privé qui est seul en jeu. Tout ce que l'intérêt social exige, c'est que les actions aient un terme; mais il ne demande nullement que celui au i^rofit duquel la prescrip-r tion s'est accomplie soit forcé d'en bénéficier. Libre à lui de renoncer au droit que la prescription lui a fait acquérir, si oe mode d'acquisition répugne à sa conscience. La société ne peut que gagner à cet acte de délicatesse.

Etudions maintenant avec détails les deux règles conte- nues dans l'article 2220 : on ne peut renoncer d'avance à la prescription; on peut renoncer à une prescription acquise.

SECTION PREMIÈRE

DE LA RENONCIATION ANTICIPÉE A LA PRESCRIPTION

55. La pratique n'offre guère d'exemples de renonciation anticipée à une prescription acquisitive. On ne conçoit g-uère .comment un possesseur, qui se trouve dans les conditions

requises pour prescrire, pourrait être amené à faire une semblable renonciation. Une renonciation qui serait faite erga omnes,f\m serait impersonnelle, serait exclusive de Vanimits (/omini, et empêcherait toute prescription, indépendamment de l'article 2220. Une renonciation faite au profit d'une per- sonne déterniinée ne serait en réalité le plus souvent qu'une reconnaissance du droit de celle-ci, un aveu de précarité produisant ses effets comme tel, mais ne faisant pas obstacle

m baiMd, p. lil.

32 DE LA PRESCRIPTION

à une prescription acquisitive ultérieure après interversion du titre.

56. Il faut en effet bien se garder de confondre la renon- ciation anticipée à la prescription, nulle aux termes de l'ar- ticle 2220, avec la reconnaissance faite par le possesseur de la précarité de sa possession, reconnaissance qui a pour résultat de rendre la prescription impossible sauf interver- sion. Ainsi vous me demandez Tautorisation d'ouvrir des fenêtres d'aspect dans le mur de votre maison qui est con- tigu à ma propriété : j'aurais le droit de m'y opposer, puis- que votre mur n'est pas à la distance légale; cependant, comme ces vues ne doivent me causer aucune gêne pour le moment, je consens à ce que vous me demandez, mais en expliquant bien que c'est une simple tolérance de ma part et que j'entends me réserver le droit de faire boucher vos ouvertures le jour elles me gêneront, quelque longue qu'ait été votre possession. Nous rédigeons un acte écrit pour constater cette convention. Elle a pour résultat de rendre votre possession précaire, et par suite la prescription impossible à votre profit, à moins cependant que votre titre de possession n'ait été interverti conformément à Tarti- cle 2238 (*). Bigot-Préameneu, dans l'exposé des motifs de notre titre, a exprimé cette idée ; « S'il a été convenu entre deux voisins que l'un posséderait le fonds de l'autre sans pouvoir le prescrire, ce n'est point, de la part de celui au profit duquel est la stipulation, une renonciation à la pres- cription, c'est une reconnaissance qu'il ne possédera point à titre de propriétaire et nul autre que celui qui possède à ce titre ne peut prescrire. »

57. Maintenant, comme il faut apprécier les conventions des parties re plutôt que i;^rôi.s, c'est-à-dire en allant au fond des choses plutôt qu'en considérant l'enveloppe, en recher- chant la pensée qui se cache sous les paroles sans trop s'attacher au sens littéral d'expressions impropres que les parties auraient employées, il en résulte qu'une convention aux termes de laquelle un possesseur déclare renoncer à

(') (îuillouard, n. 320. Gpr. Nancy, 16 nov. 1889. S. 91.2.101, avec la noie de M. Bourcart. V. i/i/rà, n. 63.

DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION 53

l'avance à se prévaloir de la prescription, ne sera pas nulle, s'il est avéré en fait qu'elle équivaut à une reconnaissance faite par le possesseur de la précarité de sa possession. Ainsi on conçoit que, dans l'exemple qui vient d*être proposé tout à rheure, lacté ait pu être rédigé, de la manière sui- vante : « Le propriétaire du terrain consent à ce que des fenêtres d'aspect soient établies dans le mur de la maison qui le touche; mais il aura le droit de les faire boucher quand elles le gêneront, le propriétaire de la maison renon- çant d'avance à se prévaloir de la prescription, quelque longue quait été sa possession. » En apparence, il y a une renonciation anticipée à la prescription, qui devrait être iiuUe aux termes de l'article 2220; en réalité, la clause ne contient qu'une reconnaissance faite par le propriétaire de la maison de la précarité de sa possession, précarité qui rend la prescription impossible.

58. 11 serait d'ailleurs inexact de soutenir que l'article 2220 ne peut jamais s'appliquer qu'à la seule prescription extinc- tive. Les applications à la prescription acquisitive seront très rares; elles ne sont pas impossibles. Marcadé cite le cas assez singulier d'une personne qui, étant en possession, aurait demandé à y être maintenue en renonçant à l'avance à toute prescription; le propriétaire ayant refusé le maintien de la possession, celle-ci aurait néanmoins continué contre sa volonté ; il ne pourra se prévaloir de la renonciation faite si ce n'est pour le passé comme acte d'interruption (*). Il a été jugé qu il y aurait renonciation anticipée dans la conven- tion par laquelle une personne, se faisant concéder un droit sur un immeuble, s'engagerait à ne pas en réclamer d'autre ; malgré cette stipulation, elle pourrait acquérir par prescrip- tion les droits auxquels elle aurait renoncé (*). Enfin on peut ajouter que l'article 2220 s'oppose à ce que, reconnaissant la précarité de son titre, on s'engage à l'avance à ne se pré- valoir d'aucune interversion de titre; ce serait indirectement renoncer à l'avance à toute prescription acquisitive ('). (W

(') .Marcadé, sur l'arl. 222, n. 3.

(') C^ss., 9 nov. 1826, S. chr. Sic Leroux de Bretagne, I, n. 48; Guillouard» n. 318. P) Bufnoir, Propriété et contrat, p. 164.

54 * DE LA PRESCRIPTION

sont des hypothèses rares sans doute, mais qu'il est intéres- sant de signaler; il n'est pas tout à fait vrai de dire, comme le fait Laurent, que « ce sont de pures hypothèses d^école que la vie réelle ignore, et qu'il y a assez de difficultés dans notre science pour qu'il soit inutile d'entrer dans ce débat (*).' »

59. Si l'on conçoit difficilement la pos6il)ilité d'une renon- ciation, méritant véritaldement ce nom, faite d'avance à une prescription acquisitive, on conçoit fort bien, au contraire, la possibilité d une renonciation anticipée à la prescription extinctîve. Les renonciations ,de cette nature auraient été fréquentes dans la pratique, si le législateur ne les avait pas proscrites; il eût même été à craindre qu'elles ne devinssent de style dans les actes, et, en fait, les dispositions de la loi relatives à cette prescription, qui est basée sur des considé- ratioAS. d'ordre public, seraient demeurées sans application ; la volonté des partics/aurait tenu la loi en échec. On aurait usé et abusé, dans la pratique, de la renonciation anticipée à la prescription extinctive. Souvent, en effet, elle aurait été provoquée par le créancier, et le débiteur aurait été obligé de la consentir pour obtenir le crédit par lui sollicité, car un refus de sa part eût été la preuve d'intentions déloyales. Quel est donc celui, par exemple, qui, au moment de con- tracter un emprunt, aurait refusé de s'engager envers le prêteur à ne jamais se prévaloir contre lui de la prescrip- tion? « Si cette convention était valable, a dit Bigot-Préa- meneu, la prescription ne serait plus, pour maintenir la paix publique, qu'un moyen illusoire; tous ceux au profit desquels seraient pris les engagements ne manqueraient pas d'exiger cette renonciation (*). »

60. C'est donc surtout à la prescription extinctive que s'appliquera, dans le domaine des faits, la prohibition de renoncer d'avance à la prescription. Mais, nous le répétons, le principe est formulé par la loi dans les termes les plus généraux et, par conséquent, il comprend aussi la prescrip- tion acquisitive.

0 V. Laurent, XXXII, n. 186.

(«) Cpr. Guillouard, t. I, n. 316; Hue, t. XIV, n. 321.

DK LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION 55

61. La règle de Tarticle 2220 e-ît applicable à' toutes les prescriptions, ordinaires ou spéciales. On s'est demandé si elle lest également aux délais établis à peine de déchéance. En laissant de côté les déchéances conventionnelles aux- quelles on peut certainement renoncer à l'avance et en ne comprenant sous le nom de déchéances, comme nous l'avons fait,que les hypothèses où, en matière de procédure, une for- malité doit être remplie dans un temps déterminé par la loi, et celles la loi donne un délai pour râcquisition d'un droit Texercice d'une option, il faut distinguer entre les déchéances basées sur des motifs d'ordre pul)|ic et les autres; pour les premières seules, on devra frappât* <le nullité les renonciations anticipées. Il faut, à notre avis, faire rentrer dans cette catégorie la péremption d'instance et la déchéance du droit de faire appel après l'expiration d'un certain délai; la renonciation à se prévaloir de l'expiration du délai d'appel serait nulle d'ailleurs, même faite après coup; le jugement ayant alors acquis force de chose jugée, on ne peut plus le i*emettre en question (*).

62. Si l'on ne peut pas renoncer d'avance à se prévaloir de la prescription, on ne peut pas non plus valablement convenir que la prescription s'accomplira par un temps plus long que celui fixé par la loi. S'interdire le droit d'invoquer la prescription avant l'expiration d'un délai de quarante années, par exemple, quand la loi fixe le délai de prescrip- tion à trente ans, c'est renoncer en partie au bénéfice d'une prescription future; or, la loi prohibe toute espèce de renon- ciation, car elle ne distingue pas. Qui ne voit d'ailleurs que la validité d'une semblable renonciation conduirait au ren- versement de la règle établie par l'article 2220? On pourrait, en effet, convenir que la prescription ne s'accomplira que par cent ans, par mille ans, ce qui équivaudrait à dire qu'elle ne pourra avoir lieu (*).

63. 11 ne faut cependant pas appliquer notre règle d'une façon trop absolue. La jurisprudence permet d'abord de

l') Sic Troplong, n. 48 et 51; Marcadé, sur l'art. 2ZZ0, n. 4; Laurent, n. 187. Cpr. la note dans S., 91. 1. 513. (*) Cpr. Lyon-Caen, S., 1>6. 1. 112; Guillouard, n. 321.

56 DE LA PRESCRIPTION

retarder la marche de la prescription, de Tenrayer, de la suspendre pendant un certain temps. C'est ainsi qu'il a été jugé par la coup de Toulouse qu'on peut suspendre toute prescription et toute péremption depuis la signature d'un compromis jusqu'à la fin de l'arbitrage (*). « Par cette sti- pulation, les parties conviennent seulement de retarder la marche de la prescription en vue d'un arrangement amiable ; on peut enrayer la marche d'une prescription sans mettre cette prescription à néant et se priver éventuellement de son bénéfice. » La cour de cassation a admis, de son côté, que, si un créancier accorde un sursis à son débiteur sur la demande de c^ / dernier, il y a, à la fois, renonciation à la prescription courue et suspension de la prescription pour l'avenir pendant la durée du sursis (*). « La demande en sursis implique pour l'avenir la suspension du cours de la prescription ; il serait contradictoire qu'une prescription pût courir au profit d'un débiteur pendant le sursis qu'il aurait sollicité et obtenu pour l'exécution de ses obligations. » Elle a jugé aussi, d'une façon générale, que la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir par suite d'une convention qu'il a acceptée, par exemple contre celui qui s'est engagé à ne pas demander de partage pendant un cer- tain temps (^). Sa décision sur ce point invoque surtout la règle Contra non valent em agere non currit prœacriptio : « La prescription, dit l'arrêt, ne court point contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêche- ment quelconque résultant de la loi, de la convention, ou de la force majeure. » Mais elle aboutit, en définitive, à per- mettre l'idlongement du délai de la prescription. Enfin la cour de Nancy, se plaçant à ce point de vue, a validé la clause d'un acte récognitif de servitude par laquelle un propriétaire qui ne pouvait, par suite de son titre, ouvrir dans son mur, même à la distance légale, que des jours de

(*) Toulouse, 18 mai 1868, S., 71. 1. 156. On peut dire d'ailleurs que ce n'est qu'appliquer au compromis et à l'arbitrage la règle admise pour les ins- tances ordinaire». V. Laui-enl, XX.XII, n. 135.

{*) Gass., 28 nov. 1865, S., 67. 1. 391.

(') Cass., 28 juin 1870, S., 71. 1. 137. - V. aussi Cass., 22 juin 1853, S. 55. 1. 511.

DE LA RENONCIATIOJC A LA PRESCRIPTION 57

souffrance, stipulait le droit, pendant trente ans, d'ouvrir des jours dans d'autres conditions, le propriétaire du fonds donunant se réservant, à l'expiration du délai, de faire réta- blir l'état de choses établi par le titre primitif sans qu'on put lui opposer la prescription (*). « On peut enrayer la marche d'une prescription sans la mettre à néant et se pri- ver éventuellement de son bénéfice ; sans doute, si l'effet de la stipulation devait équivaloir à son abandon anticipé ou TeDipécher de s'accomplir, cette stipulation serait contraire à la loi; mais tel n'est pas l'effet d'une convention qui, comme dans l'espèce, suspend le cours d'une prescription pendant un délai déterminé et pour une cause momentanée, sauf à lui faire reprendre sa marche à l'expiration de ce délai. Dans ce cas, le terme de la prescription n'est que retardé ; il doit forcément échoir un jour, si la partie qui a intérêt à le prévenir ne veille suffisamment sur son droit. » 64. Nous retrouverons ces solutions et nous aurons à les .«aminer encore quand nous traiterons de l'interruption et de la suspension de la prescription. Il nous suffira ici de faire remarquer que l'article 2220 ne condamne pas néces- sairement toute convention qui retarde et allonge la mar- che de la prescription. La règle de cet article doit se com- biner avec les autres règles de la prescription. En matière de prescription acquisitive, elle doit se concilier avec les règles de la précarité. En matière de prescription extmctive, il faut faire intervenir celles sur la reconnaissance des droits du créancier par le débiteur, qui peuvent aboutir à modifier Ift délai de la prescription, comme nous le verrons à pro- pos de l'article 2248 du code civil. Il faut appliquer aussi les règles de la suspension et de l'interruption de la pres- cription, notanmient par suite de l'introduction d'une ins- tance; il faut enfin respecter le principe d'après lequel les conventions font la loi des parties quand elles ne sont pas contraires à l'ordre public : c'est à la jurisprudence à déter- miner dans quels cas une clause qui enraye et retarde le «ours de la prescription constitue une renonciation prohi-

{') Nmcy, 16 nov. 1889, S., 91. 2. 161, avec une note de M. Bourcarl.

58 DE LA PRESCRIPTION

bée par Tarticle 2220, dans quels cas au contraire elle n'est qu'une convention licite devant recevoir son exécu- tion (*).

64 bis. Il ne s'agit pas, remarquons-le bien, d'invoquer ici, comme Ta fait la cour de cassation, la règle Contra non valentem agere non ciirrit prœscriptio qui, nous le verrons, n'est plus vraie dans notre législation et d'ailleurs n'est peut-être pas applicable à l'hypothèse. Il ne s'agit pas non plus d'admettre d'autres causes de suspension que celles. étabUes par la loi. Il s'agit d'appliquer le principe de la liberté des conventions. L'ordre public n'empêche en rien que les particuliers s'entendent pour retarder l'exercice d'une action, ou qulls établissent un délai pendant lequel la prescription ne courra pas en ce qui concerne un droit contesté. La loi qui permet de fixer un terme pour le paiement d'une créance et de retarder ainsi le point de départ de la prescription ne saurait interdire une convention par laquelle, pour un motif déterminé, on décide que la» prescription d'un droit ne courra ou ne recommencera à courir ou ne continuera de courir qu'après un certain temps.

La cour de cassation de Belgique a récemment admis en ce sens que, des parties ayant convenu de suspendre une prescription pendant la durée d'une instruction criminelle et d'une enquête administrative connexes à la difficulté sou- levée entre elles, cette convention est valable, ne déroge pas à l'ordre public et ne constitue pas une renonciation anticipée à la prescription (*).

65. Il faut même se demander s'il est absolument défendu de convenir d'un délai de prescription plus long que celui fixé par la loi. Qu'on ne puisse à l'avance établir une pres- cription de quarante ans au lieu de la prescription normale de trente ans, cela va de soi ; qu'on ne puisse à l'avance allonger le délai de certaines courtes prescriptions, comme celle de l'article 2277, tout spécialement basées sur certains motifs d'ordre public, cela est encore certain. Mais il est des

*

<') Cpr. Laurent, XXXII, n. 184 et 185. Cpr. Guillouard, n. 320. (*) Cass. bel»., 4 oct. 1894, S., 95. 4. 19, D., 96. 2. 169.

DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION 59"

courtes prescriptions que Ton peut, semble-t-il, prolonger au delà du délai légal, sans que Tordre public soit le moins du monde froissé. En matière de garantie des vices d'une chose venduè,qu'y a-t-il de choquant à permettre aux parties d'éta- blir un délai d'épreuve plus long que le délai légal? Le délai fixé par la loi comprend à la fois le temps accordé pour découvrir les défauts de la chose vendue et le temps pour agir; les particuliers peuvent allonger le temps d'épreuve et du même coup le délai de la prescription. Dans les cas des articles 2271 et 2273, on peut, en reconnaissant sa dette par écrit dès sa naissance, la soustraire à la prescription établie par la loi et la soumettre à la prescription ordinaire : on allonge ainsi la prescription légale. D'une façon générale,, nous dirons que certaines prescriptions, fixées par la loi à im temps plus court que le délai de trente ans, peuvent, quand Tordre public n'y est pas intéressé, être prolongées par les conventions des parties (*).

66. C'est ainsi qu'il faut trancher la question de savoir si la règle de l'article 2220 qui interdit de renoncer d'avance à la prescription qst applicable au cas visé par les articles 1792" et 2270 du code civil, qui fixent à dix ans la durée de la garan- tie des architectes et entrepreneurs. Le Conseil d'État a jugé avec raison que l'article 2220 n'a pas ici d'application à recevoir (*), et qu'il n'y a rien de contraire à l'ordre public à prolonger la garantie des architectes et entrepreneurs au delà du temps fixé. La cour de cassation, dans son arrêt solennel du 2 août 1881, que nous aurons à examiner en étudiant l'article 2270, a décidé que le même délai de dix ans comprend à la fois le délai de la garantie et celui de l'exercice de l'action à laquelle cette garantie peut donner lieu. La clause validée par le Conseil d'Etat a donc pour **ffet de supprimer à l'avance la prescription extinctive de tlix ans. C'est une renonciation anticipée à la prescription.

(') V. la noie de M. Lyon-Caen, S., 96. 1. 113; riuillouai-d, n. 321 et 322.

(')Cons. d'Étot, 3 janv. 1881, S., 82. 3. 34. - Sic Duranlon, XVII, n. 255 ; ZachariK, Ma^sé et Vergé, V, p. 398, § 859 ; Taulier, VI, p. 317 ; Laurent^ XXVI, n. 61 ; Frémy-Ligne ville et Perriquel, Législ, des bnlimenis, I, p. 167 ^Uouard, loc, cit.

60 DE LA PRESCRIPTION

Mais Tordre public ne s'oppose nullement à ce que le délai de la garantie due par Tarchitecte soit prolongé ; il est rationnel que, dans certaines constructions, on stipule une garantie de plus de dix ans ; le délai de la prescription de Faction en garantie se trouvera plus long que celui du droit commun ; mais il n'y a rien de contraire à Tordre public (*).

SECTION II

DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION ACQUISE

§ 1. Des cas il y a renonciation à la prescrip- tion.

67. La renonciation à la prescription acquise est, avons- nous dit, permise ; elle Test au cas de prescription acquisi- tive comme au cas de prescription libératoire ; celui qui a prescrit peut céder à un scrupule de conscience ; il n'y a plus ici qu'une question d'intérêt privé. La renonciation à prescription peut émaner des personnes civiles comme des autres ; Topinion de Laurent, d'après lequel les personnes civiles ne sauraient renoncer à la prescription parce qu'il y a un acte gratuit et que d'ailleurs « il ne peut être ques- tion de conscience quand il s'agit d'une fiction légale », ne nous paraît exacte ni sur Tun ni sur Tautre point. V. infrUy n. 74.

68. Cette renonciation n*est assujettie à aucune condition de forme particulière (^). Il n'y a aucune analogie à établir entre elle et la confirmation ou ratification d'un acte annu- lable visée par Tarticle 1338 du code civil. Il n'y a qu'à appli- quer le droit commun qui régit toutes les renonciations, à l'exception de celles qui sont soumises à des formes spé- ciales, comme la renonciation à succession (art. 784).

(») Cpr. Hue, t. 14, n. 322.

(*) Gass., 8 mars 185), S., 51. 1. 763, I). 54. 1. 336 ; 21 mai 1883, S., 84. 1. 425, D., 84. 1. 163. - Sic Aubry et Hau, \* éd., VIII, p. 452 ; Leroux de Bre- tagne, n. 54 Laurent, XX.KII, n. 189 ; (Juillouard, n. 332.

DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION 61

4

L'article 2221 dit à cet égard : « La renoneiation à la prescription (acquise) est expresse ou tacite. »

La renonciation expresse soulève peu de difficultés : elle résulte d'une déclaration de volonté, verbale ou écrite ; c'est certainement à tort que certains auteurs ont émis l'idée que la renonciation expresse devait résulter d'un acte faisant preuve de son contenu (*) ; la preuve peut en être faite d'après les règles ordinaires, par écrit, par témoins avec commencement de preuve par écrit ; elle peut résulter d'un aveu (-). La renonciation peut être pure simple ou condi- tionnelle ; rien ne s'oppose, k notre avis, à ce que le débi- teur subordonne sa renonciation à l'acceptation d'une offre (|U il fait à son créancier, si bien que, l'offre n'étant i)as acceptée, sa renonciation est non avenue.

69- La renonciation tacite donne lieu à des questions plus délicates. Elle « résulte d'un fait qui suppose l'abandon du droit acquis » (art. 2221 in fine). La cour de cassation, dans deux arrêts déjà anciens f^), avait, malgré les termes de cet article et ceux non moins formels de l'article 2224, jugé que la renonciation à prescription ne peut s'établir par « de simples inductions », qu'elle ne peut se prouver que « par des aveux, affirmations ou consentements ». Userait sans intérêt aujourd'hui de critiquer et de réfuter cette jurisprudence, qui a été abandonnée depuis et qui était en contradiction avec les termes mêmes de la loi. Il faut dire au contraire que c'est au juge du fait à apprécier souverainement les cir- constances d'où l'on prétend induire la renonciation tacite à la prescription (*).

Li cour de cassation n'a pas à se livrer au contrôle de la décision que le juge a rendue sur le point de savoir s'il y a

(') Daranlon, XXI, n* 119 ; Troplong, I, n. 52 ; TaiiUer, VII, n. 444.

{') Marcadé, sur Tart, 2222, n. 5 ; Leroux de Bretagne, n. 55.

OCa^s. 15 déc. 182'i^, S. chr. ; 10 mars 1834, S., 34. 1. 800. - Contra Tm- plong, n. 56 ; Marcadé, sur Fart. 2222, n. 5 ; Leroux de Bretagne, n. 57 et 61. Cpr. Laurent, n. 191.

(•) Gass., 8 août 1865, S., 65. 1. 371; 19 août 1878, S., 79. 1. 455; 28 nov. 136j, S , 67.1.391; 21 mai 1833, S., 84. 1. 422, D., 84. 1. 163; 18 déc. 1883, S., 85. l. 486, I). 84. 1. 364; 3 mars 1885, S., 86. 1. 360; 16 mars 1897, D. 97. 1. 320; 11 nov. 1903, D., 1904. 1. 161.

«2

DE LA PRESCRIPTION

<3U OU non renonciation à la prescription; c'est essentielle- ment une question de fait et d'intention. Quelques arrêts ont pu paraître s'écarter de cette règle (*)/ mais elle n*en doit pas moins être considérée aujourd'hui comme hors de con^ testation et de jurisprudence constante. La décision des juges du fait ne pourrait donner ouverture à cassation que si elle reposait sur des motifs erronés en droit, si elle avait déna- turé les caractères ou les effets légaux des actes dont elle aurait fait résulter la renonciation à la prescription, comme si, par exemple, elle avait admis, contrairement à l'arti- cle 2224, qu'une défense au fond pût empêcher plus tard <l'invoquer la prescription (*).

70. Les faits d'où peut résulter la renonciation tacite à la prescription acquise ne peuvent être évidemment que de» faits postérieurs à Tépoque elle a été acquise (^) ; les faits antérieurs ne pourraient être qu'une renonciation à la prescription en cours, c'est-à-dire une reconnaissance du droit menacé par la prescription. Ces faits postérieurs à l'acquisition de la prescription ne doivent pas être équi- voques; il ne suffit pas qu'ils semblent annoncer que la prescription ne sera pas opposée ; il faut qu'ils impliquent nettement la renonciation, qu'on ne puisse leur donner une autre interprétation (*). 11 y aurait lieu, par suite, de tenir compte des réserves qui auraient pu accompagner le fait ou Tacte dont on veut faire résulter la renonciation à prescrip- tion, en admettant bien entendu que ces réserves ne soient pas inconciliables avea lacle lui-même (') et qu'elles ne

C) Gass., 16 mars 1831, S., 31.1. 96; 9 avril 1862, S., 62. 1.481,D., 62. 1.279.

(*) Cass., 19 avril 1815; 7 juillet 1856, S., 57. 1. 776, D., 56. 1. 285. - Sic Aubry et Uau, 4* éd., VIII, p. 454; Leroux de Bretagne, n. 67. V. cep. Marcadé, sur Tari. 2222, n. 5; Laurent, XXXII, n. 192.

(») Paris, 13 avril 1867, S., 67. 2. 214.

(♦) Gass., 7 juill. 1856. S., 57. 1. 776, D., 56. 1. 285; 9 avril 1862, S., 62. i. 481, D., 62. 1.279. Sic Troplong, n. 56; Marcadé, sur Tarlicle 2222, n. 5; Aubry et Hau, 4" éd., VIII, p. 452. Gpr. G. civ. ital., arU 2111: c La re- nonciation tacite résulte d'un fait qui est incompatible avec la volonté de se prévaloir de la prescription. »

(») Gass., 3 juin 1835, 1)., 35. 1. 236; 21 mai 1883, S., 84. 1, 422, D., 84. 1. 163. Sic Troplonjç, n. 61 et 62; Leroux de Bretagne, n. 58 et 59; Laarent, XXXII, n. 193 ; Guillouard, n. 339. V. sur les nombreuses distinctions pro- posées h. cet égard par les anciens auteurs, Troplong n. 58 s.

DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION 63

soient pas des réserves de style et purement banales, comme il s'en trouve tant dans les actes de procédure, « mots parasites, accumulés machinalement les uns sur les autres, et dont on peut dire siîie mente sonum (*). »

Ces idées posées, il nous suffira de rappeler les princi- * pales espèces dans lesquelles la jurisprudence a vu une renonciation tacite à la prescription, et celles elle a donné une solution différente.

71. Examinons d'abord l'hypothèse d'une prescription

libératoire. La renonciation tacite résulte à coup sur du

paiement de la dette ; les réserves faites lors du paiement

n auraient aucun effet, étant inconciliables avec le fait même

da paiement (*). Mais le paiement fait par erreur, dans

l'ignorance de la prescription, pourrait-il plus tard donner

lieu à la répétition? Cette question se rattache à la théorie

de la répétition de Tindû. A notre avis, on ne peut dire que

la dette prescrite soit indue. Nous supposons ici que la près-.

cription n'a pas été encore invoquée ; dès lors la dette n'est

pas éteinte : il n'y a pas paiement indu. La prescription

ne Ubère que le débiteur qui a invoqué la prescription :

îa question de savoir s'il subsiste une obligation naturelle

et celle de savoir si le débiteur qui a payé par erreur la

dette prescrite peut agir en répétition ne sauriiient se poser

<{ue pout une dette déjà éteinte par la prescription, c'est-à-

4lire pour laquelle la prescription a été antérieurement

invoquée. V. infra, n. 104.

72. Le paiement d'un seul acompte implique aussi renon- ciation à la prescription: il suppose la reconnaissance de la <lette entière {^). Mais nous ajouterons que le débiteur peut ici, par des réserves, limiter la portée de sa reconnaissance à la somme payée, et conserver pour le surplus le droit de contester la créance ou d'en invoquer la prescription. Le paiement des intérêts contient enfin également une renon- ciation à la j)rescription acquise (*).

0 V. Gass., 21 mai 1883, S., 84. 1.422, D. 84.1.163.

(-) Sic Leroux de Bretagne, n. 59.

{^)Sic Leroux de Bretagne, loc. cil,

nGa8s.,29janv. 1838, D.,38. 1.83. -V. cep. Gass., 15 mai 1834, S., 34. 1.810.

64 DE LA PRESCRIPTION

73. En dehors du paiement, la reconnaissance de la dette entraîne renonciation a invoquer la prescription (*). L'oflre de paiement faite parle débiteur (*), la demande d'un délai (*), la réponse faite à la demande du créancier qu'il y a un

' compte à faire, ou une compensation à opérer (*), la discus- sion du compte du créancier à la suite d'un premier juge- ment préparatoire (*), la convention soumettant le différend à des arbitres (®), la demande ou Tacceptation d'une exper- tise en vue du règlement du compte {"), constituent des renonciations à la prescription. 11 en est de même du fait de donner une hypothèque, un gage, une caution, de consen- tir une novation, de subroger un tiers fournissant les fonds pour le paiement de la dette (*).

74. La théorie de la renonciation tacite s'applique, avons- nous dit, aux personnes civiles comme aux autres ; la déli- bération, régulièrement approuvée, par laquelle le conseil municipal d'une commune inscrit au budget une somme représentant des intérêts courus pendant dix ans, implique

(») Gass., 21 mai 1883, S., 84. 1.422, D., 84.1.163; 23 janv. 1885, S. 86.1.215, D., 85. 1. 358; 3 mars 1885, S., 86. 1. 360. C'esl un point embarrassant que celui de savoir si la reconnaissance contractuelle de la dette prescrite, faite dans r ignorance de la prescription qui a couru, doit produire ses efTets.On peut soutenir qu'elle n'est pas sans cause et que, de même que le paiement fait par erreur {V, supra n. 71) elle doit être considérée comme valable et définitive. Sic, G. civ. ail. art. 222, al. 2. Gpr. Grome, op, cit., p. 520, § 117.

(*) Gass., 4 mars 1878, S., 78. 1. 469, D., 78. 1. 4(58 ; 5 août 1878, S., 79. 1. 301, D., 79. 1. 71 ; 18 déc 1883, S., 85. 1. 486, D., 84. 1. 364. -

(») Gass., 28 nov. 1865, S., 67. 1. 391. Sic, Troplon^f, n. 67 et 68 ; Aubry et Rau, A* éd., VIII, p. 453. V. cep. Gass., 15 déc. 1829.

(*) Toulouse, 20 mars 1825, S. chr. Amiens, 11 mars 1826, D. Rép, v* Prescr,, n. 72.

(»} Gass., 11 fév. 1840, D., 40. 1. 130 et D. llép,, loc, cil.

(•) Angers, 26 août 1867, S., 67. 2. 86.

(') Gass., 21 mai 1883, S., 84. 1. 422. D., 84. 1.163; 6 juin 1896, S.,97. 1.407. Bordeaux, 31 déc. 1895, D., 97. 2. 97. La réponse faite par un notaiit? devant le juge de paix en conciliation et d'après laquelle ce notaire déc]ai*e êti*e prôt à faire taxer ses actes à condition qu*on lui remette certaines pièces qu"!! a délivrées peut ôtre considérée comme une renonciation au droit qu'il avait d'invoquer la prescription. Gass., 6 déc. 1898, S., 1903. 1. 500.

(•) Gass., !•' mai 1866, S.. 66, 1. 187, I)., 66. 1. 293. V. en sens contraii-e pour le cas d'une cession à laquelle a concouru le débiteur, Gass., 2 juin 18*fô, D., 35. 1. 329.

DIC LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION 65^

reiionciatian de la commune à invoquer toute prescription

à cet égrard (*).

76. Enfin la règle s'applique aux prescriptions abrégées résultant des clauses des compagnies d'assurances. La com- pagne ne peut plus opposer la déchéance de l'assuré quant il la demande d'indemnité, si elle désigne des experts pour estimer le dommage, sans faire de protestations ni réserves sur le principe même de l'indemnité (*).

76. Mais il faut, ayons-nous dit, que les faits impliquent (l'une façon certaine renonciation à la prescription. IJ n'y a pas renonciation dans l'offre (fe paiement accompagnée de réserves ou de protestations, si le débiteur, par exemple, dit qu'il la fait à titre de sacrifice et pour éviter un procès, s'il dit qu'il paiera si le demandeur justifie sa demande, s'il offre de payer ce qu'il peut légitimement devoir d'après les comp- tes à régler; il n'y a pas davantage renonciation si le deman- deur demande coummnication des mémoires ou sollicite un délai pour prouver que les comptes sont réglés (^) .

77. La prescription peut être opposée, d'après l'arti- cle 2ii4, même après des défenses au fond, pourvu qu'on n'y ait pas encore renoncé. Elle peut donc être invoquée après des moyens tirés de l'inexistence de la dette ou de son paie- ment ; la prescription n'est qu'une ressource subsidiaire ; la loi veut protéger les débiteurs qui, étant libérés réelle- ment, ne peuvent, après un long temps, fournir une preuve régulière de leur paiement. Ainsi, un débiteur peut soulever le moyen de prescription après avoir soutenu d'abord qu'il ne (levait rien, ou avoir allégué la nullité de Tacte sur lequel était bas^e la demande (^). Il n'en est autrement que pour

(') Cons. (l'Étal, 21 fév. 1890, S., 92. 3. 74.

(») Nancy, 30 mai 185S, S , 53, 2. 617 - Lyon, 30 juin 1887, S , 89 2.65. - I/acceptatiun par la coinpafi^nie d'une expertise après le délai de six mois fixé pour la réclamation de l'indemnité doit ôtre considérée comme une renonciation lu bénéfice de la prescription. G. d'appel de la Réunion, 9 mars 1894, S., 97.1.407. V. aussi Ciss., 6 juin 18)3. S. 97.1.407. Cpr. cependant Cass., 8 déc. J812 ; y av:-il 18îî, S., 85.1.221. - Besançon, 2i nov. 1886, S., 87.2.225.

(^ V. Cis-s., {} avril 1^15 ; 16 mars 18U, l).,31. 1.136 ; 12 mars 1814, 1)., 44. 1.351. - BourKe?», !•' fév. 1327. Bordeaux, 7 fév . 1827. Hiom, 9 juin 1840,

n., 40.2.240. 0) Cass., 19 avril 1815 ; 27 juin 1855, S., 55.1,826, T)., 55.1,290. - S/r Tro-

Presc.i. ^

60 DE LA PRESCRIPTION

les prescpiptioBS particulières reposant sur uue présomption de paiement (art. 2Î71 s.).

78. On peut, après avoir contesté la validité de l'hypothèque, opposer la prescription de la créance elle-même (*), ou, aprè{» avoir soutenu la nullité de l'hypothèque, opposer la prescrip- tion de cette hypothèque (^) . On peut aussi, après avoir soutenu son droit de propriété, invoquer, comme fermier, la prescrip- tion de larticle 2Î77 ('), ou, après avoir opposé la prescription de trente ans, opposer celle de cinq ans pour les intérêts (*). En matière de contrat synallagmatique, on peut demander Texécution de Tobligation d^ son cocontractant sans que cette demande implique nécessairement renonciation au droit d'opposer la prescription de sa propre obligation (*), à moins cependant que la demande adressée à Tautre partie ne con- tienne implicitement la reconnaissance de son droit récipro- que (•). L'héritier, en formant une demande en partage, ne renonce pas par à opposer la prescription aux réclamations que ses cohéritiers pourraient diriger contre lui ("). Le tiers acquéreur d*un immeuble hypothéqué, en notifiant son con- trat aux créanciers inscrits, ne renonce pas à opposer la prescription soit des créances, soit des hypothèques (*).

79* Dans toutes ces h;^'po thèses, nous supposons bien entendu qu'aucune déclaration antérieure n'a été faite impli- quant renonciation à la prescription (•). Un acte de procé- dure pourrait en eifet contenir une renonciation à la près-

plongr, n. 56 ; Marcadé, sur l'arlicle 2224, n. 1 ; Aubry et Rau, 4* édit., VIll. p. 453.

(') Bourges, 28 mai 1824.

{*) Toulouse, 22 mars 1821.

(*) Leroux de Bretagne, n. Qd.

{') Cass., 1" avril 1829.

(») Cass., 7 août 183Î, S., 33,1.721 ; 14 mai 1834, S., 34.1.810 ; 22 juiUel 1835, S., 35.1.72t. Sic Merlin, Que$i, de dr,. >• Prêter,, § 10 ; Troplong, n. 70 ; Aubry et Rau, 4* édiU, VIfl, p. 453 ; Leroux de Bretagne, n. 66, 427 s.; Guil- louard, n. 338. V. la question développée plus loin (n. 338 et s.) à propos de l'article 2241,

(•) V. Cass., 27 mai 1812 ; 22 juil. 1835, précité,

C) Cass.,9âvr.l862,S. «2.1.481, D., 62.1.279. -Lk)uai, 13 janv. 1865, S.66.2.61.

(•) Douai, 17 nov. 1863, S. 64.2.253. Leroux de Bretagne, n. 65 ; Aubiy el Rau, 4' éd., VIII, p. 453, § 776 ; Guillouard, n. 337.

(*) Cass., 19 mai 1829.

DE LA RK>OX€IATIOX A LA PRESCRIPTION 67

cription, sauf le désaveu de Tofficier niimstériel qui en serait Fauteur (^). Il y a sur ce point, sans doute, une large appréciation à faire des circonstances. Troplong dit très bien qu'une simple phrase dont la portée n*a pas été calculée ne devra pas toujours être prise à la lettre et opposée à la par- tie dont elle n'exprime point la volonté. Mais, en principe, il faut admettre que la renonciation tacite à la prescription peut résulter des déclarations consignées dans les actes de procédure, actes introductifs d'instance ou conclusions des avoués, aussi bien que des déclarations personnelles des intéressés.

80. En matière de prescription acquisitive, on a vu une renonciation à la prescription acquise dans le fait du posses*- seur permettant au propriétaire de lui tenir compte des biens usurpés (*), ou convenant avec le revendiquant que la question sera réglée par les titres, sans avoir égard à la possession (^) . On peut aussi la faire résulter de ce que le possesseur a pris la chose à bail, s'est fait consentir par le propriétaire un Aroii réel, ou a laissé le propriétaire rentrer en possession (^).

81. Mais il n'y a pas renonciation à la prescription acqui- Mtive accomplie dans le fait d'avoir d'abord en justice con-- testé le droit de propriété du revendiquant : ici encore le moyen de prescription peut être considéré comme ayant un caractère subsidiaire : on peut l'invoquer après avoir demandé une expertise et l'application des titres au terrain litigieux (*). On ne peut non plus être présumé avoir renoncé a la près* cription par cela seul que l'ancien propriétaire a repris pos- session de son immeuble et eu a joui pendant un certain temps, s'il n'est pas démontré que ce soit du consentement et de l'aveu du possesseur qui a prescrit que les faits se sont

(') Paris, 8 fév. 1865, S., 65.2.12). - Aubry et lUu, édil., VIU, p. 452, .55 776 ; Guillouard, n. 333. Cpr. cep. Troplontç, n, 55,

(«)Ga»s., 4 mai 1841, S., 41.1.848.

O Sic Troplong, n. 72 ; Leroux de Bretagne, n. 60.

(*) Cpr. Bordeaux, 12 janv. 1828. Col arn'^t admet la renoncialion laeile même si le possesseur, ayant prescrit, s'est laissé déposséder par un tiers et est resté plusieurs années sans protester. Sic Marcadé, sur l'article 2220, n. ô.— V. cep. Troplong, n. 56.

(») Cass.,16 nov. 1842, S., 43.1.243, - Besançon, 12 déc. 1864, S., 65.2.197.

08 DE LA PRKSCBIPTION

ainsi passés. De iiiênie, les actes d'exercice d'une servitude éteinte par non usage^ faits sans protestation du propriétaire du fonds grevé, ne pourraient impliquer renonciation de ce dernier à se prévaloir de l'extinction de la servitude que s'ils avaient été faits avec son assentiment et s'il avait bien eu l'intention de reconnaître le maintien de la servitude (*).

§ IL Des caractères juridiques de la renonciation

à la prescription.

82. D'après l'opinion généralement admise et qui nous parait tout à fait exacte, la renonciation à une prescription acquise ne constitue pas une aliénation; elle implique simple- ment la reconnaissance du droit d'autrui. Celui qui renonce à une prescription accomplie manque d'acquérir; il n'aliène pas. La renonciation empêche le bien d'entrer dans son patri- moine, elle ne l'en fait pas sortir. Il résulte en effet, nous l'avons vu, des articles 2223 et 2224 que la prescription n'opère pas de plein droit; il faut qu'elle soit opposée; le juge ne peut pas suppléer ce moyen d'office. La prescription ne suffit donc pas à elle seule pour faire acquérir une pro- priété ou pour éteindre une obligation ; il faut en outre que celui qui a prescrit manifeste la volonté de devenir proprié- taire ou d'être lil)éré de sa dette. L'article 2219 ne contre- dit en rien cette solution, quand il nous dit que la prescrij)- tion est un moyen d'acquérir la propriété par un certain laps de temps, car il ajoute immédiatement: et sous les con- ditions déterminées par la loi; or l'une de ces conditions est précisément que la prescription soit opposée. On a invo- qué à tort également, à l'appui de l'opinion contraire, l'arti- cle 2221, qui nous présente la renonciation comme étant l'abandon d'un droit acquis. Il ne résulte pas de ce texte, comme on le prétend, que la propriété soit acquise de plein droit à celui qui a prescrit, et il n'en résulte pas non plus que la renonciation à une prescription extinctive domie

('/ Cpr. cep. 27 août 1834, 0., 36. 1. 193; 7 juill. 1856, S., 57. 1. 776, 1)., 56. 1. 2S5; 25 juill. 1860, S., 61. 1. 526.- V. aussi Poitiers, 3 juin 1898, Gaz.Pal. (lu 18 juin 1898.

d:: la r!:>'onciation a la prescription CJ)

naissance à une créance nouvelle ; il n'y a ni dans un cas ni dans l'autre de titre nouveau ; c'est le droit contre lequel la prescription a couru qui continue à vivre et à s'exercer. 11 y avait pour celui au profit de qui la prescription avait couru un droit acquis à invoquer la prescription: c'est de ce droit qu'il se dépouille par sa renonciation (% Suivant les expressions dun arrêt de la Cour de cassation « la prescription ne peut constituer un droit acquis que lorsqu'elle est consommée (*), » Mais, à notre avis, elle n'est consommée que lorsqu'elle a été invoquée par celui qui est en droit <le s'en prévaloir.

83. Les conséquences de cette théorie sont faciles à déduire. La renonciation à une prescription est un acte unilatéral ; il n'est pas besoin qu'il y ait acceptation de la part de celui qui en profite. Ce n'est pas une aliénation susceptible d'être transcrite, s'il s'agit d'un immeuble; c'est un acte déclaratif et non translatif; c'est la reconnaissance du droit d'autrui; c'est une renonciation abdicative. 11 n'y a pas lieu à percep- tion dun droit de mutation au profit de l'Etat. Enfin il est à peine besoin d'ajouter qu'on ne pourrait considérer un pareil acte comme une libéralité soumise aux règles du rapport et de la réduction (»).

M. Il en serait autrement si la prescription accomplie avait <1 abord été invoquée, et si, plus tard, celui qui avait prescrit vernit à restituer la chose à l'ancien propriétaire. Nous aurons à nous demander s'il v a l'exécution d'une obliga- tioa naturelle plutôt qu'une libéralité ; il est dans tous les cas certain, à notre avis, qu'il y a alors une rétrocession sou- mise, s il s'agit dimmeuldes, à la nécessité de la transcription, et devant donner lieu au paiement des droits de mutation (^).

86. La théorie que nous venons d'exposer a trouvé un adversaire dans Laurent (^) qui a repris une thèse déjà sou- tenue autrefois par Uunod. Ce dernier a écrit qus « si la

(') Bnfnoi;-, Prop, et contr., p. 16 i et 165. (*) Cas:*., 25 jaiiv. 185S, S. ôS. 1. 351.

OCass., 23 mars 1815, I)., 46. 1. 374. Sic Laurent, XKXII,n. 212; L-ioux <l2 Brelai^n?. n. 41; Biirnoir, lor. cil, V. cependant infra, n. 85 bis, (•) Sir Marcatlti, sur lart. 2222, n. 5. Conlra, Troplong, n. 75. O Uureiil, XX^II, n. lUi s. Cpr. Dunod, p. 111.

70 DE LA PRESCBIPTION

prescriptioii est acquise^ la partie qui aurait en profiter peut y reuottcer; et sa seule renonciation a effet en choses incorporelles ou en action personnelle. Mais s'il s'apissait d un bien coi^orel, il semble qu'il faudrait un titre nouveau et une nouvelle tradition pour transférer le domaine à un autre, après qu'il aurait été acquis par une prescription consommée. »

De même^ d'après Laurent^ la prescription étant un mode d'acquérir, celui qui y renonce aliène ; la prescription étant un mode de se libérer, le débiteur qui y renonce s'oblige ; dans un sens large, il fait un acte d'aliénation. Les arti- cles 712, 1234, 2219 lui paraissent conduire à cette solution. De plus l'article 2221 i>arle de « l'abandon d'un droit acquis ». L'article 2222 exige la capacité d'aliéner chez celui qui renonce à la prescription ; enfin l'article 2225 peraiet aux intéressés de l'invoquer malgré la renonciation du débi- teur, parce qu'il y a un droit acquis au profit des divers intéressés et que la renonciation de l'un d'eux ne peut le leur enlever. Sans doute le juge ne peut suppléer la pres- cription d'office ; c'est que le juge ne peut se substituer au plaideur ; mais il ne faut pas conclure de ce texte que la renonciation ne soit pas un acte d'aliénation. S'il faut, d'une façon générale, qu'elle soit opposée, à quel moment dira- t-on que la prescription est acquise dans les hypothèses il n'y a pas de litige? La vérité est qu'elle est acquise dès qu'elle est accomplie ; dès ce moment, on ne peut y renon- cer sans que la renonciation implique aliénation. Laurent hésite d'ailleurs à y voir un acte translatif de propriété, dans le sens précis du mot. 11 reconnait que, dans le cod<» civil, la renonciation à prescription est un acte unilatéral comme une renonciation à succession ; elle implique abdi- cation d'un droit acquis, mais n'exige pas de transcription et ne donne pas lieu au paiement d'un droit de mutation. Ce n'est que d'une façon toute spécuhitive qu'il soutient la solu- tion donnée par Dunod, lequel exigeait rétrocession avec tra- dition. Laurent avoue que cette idée est inconciliable avec les textes du code civil. Finalement ses longs développe- ments aboutissent à dire que le système du code ciAÎl est

DK LA RENONCIATION A LA PBÏSCRIPTION 71

indécis et contradictoire : « Le principe que nous soutenons contre les auteurs modernes reste à l'état d'abstraction ; le texte de la loi s'oppose à ce que Ton accepte les conséquen- ces qui en découlent (*). »

La doctrine de Dunod, reprise par Laurent, est restée de nos jours isolée ; elle ne nous paraît pas rationnellenient exacte ; elle n'arrive pas à rendre compte de Tarticle 22Î3 : elle est surtout en contradiction avec cette rèçlc que la renonciation peut résulter de simples faits et n exigée pas un concours de volontés. La théorie généralement admise nous parait se concilier facilement avec tous les textes du code civil : il y a bien renonciation à un droit acquis, mais il n'y a pas aliénation.

85 bis. Il a été jugé cependant, par une décision récente (le la cour de cassation, que lorsqu'un testament contient l'affirmation qu'une dette n'a pas été payée et exprime la volonté du défunt qu'elle soit payée malgré la prescription acquise, les juges peuvent, en interprétant l'intention du tes- tateur, voir une lil>éralité déguisée (*). « De l'ensemble du testament et des circonstances de la cause, dit cette déci- sion, l'ari'ét a conclu que cette disposition n'avait pour but, dans la pensée de la testatrice, que de masquer une libéra- lité ; cette interprétation de l'intention du testateur est sou- veraine et échappe au contrôle de la cour de cassation. » Ainsi présentée, la solution ne saurait être admise ; il est nécessaire de faire une distinction. Sans doute, il peut arri- ver qu'une libéralité soit déguisée sous l'apparence d'une renonciation à prescription s'appliquant à une dette simu- lée ou déjà éteinte par suite d'un paiement ou d'une pres- cription accomplie et invoquée par le débiteur; mais si, après avoir constaté qu'une dette a existé, qu'elle n'a pas été P*yée, que la prescription n'en a pas été invoquée, les juges ont à apprécier la disposition par laquelle le testateur a voulu que la dette fût payée et que la prescription ne fût pas invoquée, ils ne peuvent voir une libéralité ; il

(*) Uurent, XXXH, n. 199,

(M Cass., 22 juill. 1895, S., 99. 1. 43, I)., 96. l. 56^ et la noie de M. Ouénée. Cpr. GulUouard, n. 341.

72 DE LA PRESCRIPTION

n'y a que le maintien d'une obligation préexistante ; le tes- tament ne . confère pas de droit nouveau.

m

§ III. Capacité nécessaire pour renoncer à une

prescription acquise.

86- Si la renonciation à la prescription n'est pas une alié- nation, elle y ressemble du moins beaucoup, car elle a pour conséquence soit d'empêcher un l)ien d'entrer dans le patri- moine du renonçant, ce qui, au point de vue du résultat, équivaut à peu près à l'en faire sortir, soit d'imposer à ce même patrimoine une charge dont on aurait pu le libérer en invoquant la prescription, ce qui équivaut à aliéner les biens qu'il faudra sacrifier pour exécuter la charge. Cette simple considération suffit à expliquer la disposition de l'ar- ticle 2222: « Cf^ltti qui 7ie peut aliéner, ne peut renoncer à la prescription acquise. » Il n'est pas nécessaire, pour justi- fier cette solution, de voir dans la renonciation à la pres- cription une aliénation; il suffit qu'il y ait l'abandon d'un émolument positif ; pour être juridiquement valable, cet abandon doit émaner d'une personne capable de faire un acte d'aliénation, s'il s'agit de la prescription acquisitive, ou capable de contracter- l'obligation contre laquelle lu prescription a couru, s'il s'agit de la prescription libéra- toire (1).

87. Le mineur ni l'interdit ne pourraient renoncer à la prescription. Leur tuteur, agissant seul, ne le pourrait pas davantage, réserve faite de la règle de l'article 2275 d'après lequel il peut être appelé à jurer sous la foi du serinent que certaines sommes pour lesquelles la prescription a couru ne sont point dues, d'où il résulte que, si le tuteur sait qu'elles n'ont point été payées, il doit les payer et par suite ne pas se prévaloir de la prescription, La question délicate est de savoir si le tuteur peut renoncer à la prescription en remplissant les mêmes formalités qu'il devrait remplir pour une aliénation ou une obligation. La plupart des auteurs qui

(•) Cpr. lïuc, l. 14, n. 325; Ouillouard, n. 324.

DK LA R'JNONCIATION A LA PRESCRIPTION 73

ont examiné cette question lui refusent ce droit (*). Ils croient en voir un motif péreniptoire dans la disposition de l'article 457 qui veut, pour Talicnation d'un immeuble, qu'il y ait nécessité absolue ou avantage évident, ce qui, dit-on, ne saurait se rencontrer dans notre hypothèse. On ajoute qu'il s'agit d'une question de conscience et de délicatesse que l'intéressé seul put apprécier personnellement. Enfin on a fait observer que les formalités de la loi pour la vente des biens. d'un mineur ne peuvent s'appliquer ici, la loi exigeant une vente aux enchères. Ces raisons sont insuffisantes, à notre avis. Il faut d*abord écarter l'article 457 : ce texte vise l'aliénation d'immeubles appartenant au mineur et les conditions qu il exige n'ont pas à s'appliquer à l'hypothèse tout à fait géné- rale d'une renonciation à prescription acquisitive ou libéra- toire, renonciation qui d'ailleurs n'est pas une aliénation. Quant au caractère moral de la renonciation et à l'apprécia- tion personnelle qu'elle suppose, est-ce un motif tout à fait déterminant quand on voit l'article 307 du Code civil autoriser k tuteur d'un interdit à demander la séparation de corps au nom de son pupille, quand la jurisprudence l'autorise même à intenter une action en désaveu ou en nullité de mariage ? Peut-on contester que, dans les cas il est cer- tain que rincapable n'est pas propriétaire légitime ou ne s'est pas libéré, il est du devoir de ses représentants de ne pas enrichir son patrimoine à l'aide d'une évidente spolia- tion? (*). Enfin la loi ne veut pas, en parlant de la capacité pour aliéner et en l'exigeant de celui qui veut renoncer à la prescription, faire allusion à toutes les formalités de procé- dure qui ne peuvent se comprendre que pour l'aliénation ; autrement, elle eût mieux fait de dire que les mineurs et interdits ne peuvent, par aucun moyen, renoncer à la pres- cription. 88. Nous déciderons donc, d'une façon générale, que la

{^)Sic Troplong, I, n. 80 et 81 ; Leroux de Brelatçne, I, n 69 ; LaurenU XXXU, n. 202 ; Bufnoir, p. 167 ; Guillouard. n. 327; Hue, XIV, a. 328, - Cpr. Polhier. Oblig., n 625 et 669.

{')Sic NUrcadé, sur l'art. 2222, n. 8: Aubryet Uau, 4* éd., VIII, p. 451. - V. c«p. Aubr%- et lUu, 5* éd.,l , p. 712, § 113.

74 DE LA PRESCRIPTION

renonciation à la prescription sera valablement faite au nom d*un incapable si elle est accompagnée des conditions qui seraient requises pour Taliénation du droit une fois acquis par la prescription (*). Ç*est ainsi qu'il a été jugé que, pour qu'il y ait renonciation à la prescription acquisitive de la part d'une commune, il faut les mêmes autorisations que pour la validité dune aliénation (*)• En ce qui concerne la renonciation à la prescription libératoire, il faut la même capacité et les mêmes conditions que s'il s'agissait de con- tracter l'obligation atteinte par la prescription.

Le jugement rendu contre un incapable, alors que la pres- cription accomplie n'a pas été soulevée et que la renoncia- tion n'a pas été régulièrement autorisée, pourrait être attaqué par la voie de la requête civile (*). D'une façon générale, l'incapable peut se faire restituer contre le paie* ment d'une dette qui était prescrite (*).

89. Il faut appliquer la même règle au mineur émancipé^ à la femme mariée, au prodigue pourvu d'un conseil judi- ciaire ; la capacité pour renoncer à la prescription doit être calquée sur la capacité nécessaire pour aliéner ou s'obliger (*). 11 n'est pas exact, à notre avis, de dire, comme Laurent, qu'il s'agit d'une aliénation gratuite pour laquelle il faut appliquer les règles de capacité édictées en matière de dona- tion.

90* Enfin une règle analogue doit être suivie quand il s'agit, non plus de la capacité, mais des pouvoirs d'un manda- taire conventionnel ou légal, et spécialement des représen- tants des personnes morales (®). Ceux-ci peuvent renoncer à la

(*) Bordeaux, 12 déc. 1895, D., 97. 2. 97.

(*) Besançon, 12 déc. 1864, S., 65. 2. 197. ^ Sic TropionK, n. 79 ; Marcadé. sur TarL 2222, n. 8. Cpr. Cas»., 21 déc. 1856, S., 56. i. 209 ; 15 nov. 1864, S., 65. 1.78.

(») Aubry et Ilau, 4* éd., VIIÏ, p. 452 ; Duranlon, XXI, n, 126 s. ; Troplong» n. 80 et 81.

(*) Aubry et llau. édit , IV, p. 151, noie 15; Laroinbièrei sur Tant. 1238, n. 15.

(*) V. pour le cas de la femme mirié:',r)3uai,13 mii 1846, S., 47 2.24, D., 47. 2. 6'J. Leroux de Bretagne, n. 69 s. V. cep. Douai, 24 déc. 1333, S., 47. 2. 24. D , 47. 2. 59. - Laurent, XXXII. n. 201.

{*) Contra Laurent, XXXÏl, n. 233; Guillouard, 1. 1, n, 327; Hue, t. 14, n. 328. V. d'ailleurs, supra, n. 74.

])£ LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION 7&

prescription en se munissant de la même autorisation qui serait requise pour aliéner le droite si on le supposait acquis par la prescription, ou pour contracter l'obligation qui a fait l'objet de la prescription.

90 bi^' Il nous semble d'ailleurs, au cas de renonciation tacite faite pour un incapable ou une personne morale, qu'il est nécessaire que l'autorisation requise ait été donnée en connaissance de cause, c'est-à*dire avec connaissance de la portée juridique de Tacte et des effets qu'il va entraîner ea tant que renonciation à la prescription (').

Le mandataire conventionnel doit, de son côté, pour pouvoir KnoDccr à la prescription, être muni d un pou>'oir spécial.

§IV.D^^ effets de la renonciation à la prescription.

91. Il reste à préciser les effets de la renonciation à la prescription acquise. Cette renonciation doit être, dans ses effets, restreinte à celui qui l'a faite; elle est strictement relative. Il est certain, par exemple, que la reconnaissance de la dette faite par une veuve dans un inventaire ne peut empêcher les héritiers du mari d'opposer la prescription (*). Les articles 2249 et 2250, qui étendent aux codébiteurs soli- «laires et à la caution l'effet de la reconnaissance interrup- tive de prescription, ne sauraient s'appliquer à notre hypothèse ('). Il a même été jugé que le cohéritier qui a Peaoncé à la prescription peut l'opposer du chef d'un cohé- ritier dont il devient cessionnaire (^).

92- Une nouvelle prescription peut commencer à courir Après la renonciation à la prescription acquise. Mais il est à remarquer que les conditions de cette nouvelle prescrip- tion peuvent être différentes de celles de rancienne. S'il s'agit delà prescription libératoire, la reconnaissance résul-

(') Cpr. Hue, Zoc. cit.

(*) Cjhs , 10 mai 1836, S., 36. 1. 841. - Sic Laurent, XXXll. n. 207.

0) Pari», 9 fév. 1833, D., Rép,, v Avoué, n. 116. - Limoges, 18 déc 1842, î^M 43. 2, 495. -Sic Polhier, Obli'j., n. 699; Laurenl, XXXII, n. 204; Leroux •'< BreUgiie. n, 76. - Cpr. Albert Ti.ssîer, Note dans S.. 93. 1. 83. Code fétlér. des oblig, art. 159.

(•) Cas*, 12 fév. 1829. V. iitfra, n. 105 et s.

7G DK LA PRKSCRIPTION

tant de la renonciation à la prescription peut avoir entraîné novation et avoir substitué, par exemple, dans les cas prévus par les articles 2272 s.ducodeciviletlSJ) du code de commerce, une prescription trentenaire à la prescription plus courte à laquelle il a été renoncé. C'est un eflet que nous aurons à étudier plus loin à propos de la reconnaissance interruptive de prescription : la règle est la même dans les deux cas (*). S'il s'agit de la prescription acquisitive,la renonciation peut impliquer cessation de la bonne foi du possesseur et substi- tution de la prescription trentenaire à celle de dix à ving-t ans qui avait couru jusque-là (^). Elle peut aussi, très sou- vent, comme nous l'avons déjà dit, contenir un aveu de pré- carité qui s'oppose à ce qu'aucune prescription ait lieu avant que le titre soit interverti. Il y a, on le voit, de gran- des ressemblances entre les effets de la renonciation à la prescription acquisitive et ceux de la reconnaissance inter- ruptive de prescription, qui n'est qu'une renonciation à la prescription en cours.

SECTION III d:: la rî:nonclvtion a la prescription en cours

93. Entre les deux hypothèses que prévoit la loi, celle de la renonciation à une prescription non commencée qu'elle prohibe, et celle de la renonciation aune prescription acquise qu'elle autorise, se place une hypothèse intermédiaire, celle de la renonciation à une prescription en cours, c'est-à-dire à une prescription qui a couru pendant un certain temps mais qui n'est pas encore accomplie. Une semblable renon- ciation est-elle valable ? 11 faut appliquer ici distributive- ment les règles que la loi établit pour les deux hypothèses extrêmes entre lesquelles celle que nous venons de prévoir forme un moyen terme ; la renonciation sera valable pour ce qui est acquis, c'est-à-dire en tant qu'elle s'applique au passé, mais nulle en tant qu'elle s'applique à l'avenir. En un

C)Sic Cass . li fév. 1826. Laurent, XXX.II, n. 206; Troplong, n. 76 et 77; Marcadé, sur l'arl. 2222, n. 5. (-) Sic TroplonK» »• ^6; Le/oux de Brela{çne,n.77. V. cep. Dunod, p. 112.

CONVENTIONS QUI ABRÈGENT LE DÉLAI DE LA PRESCRIPTION 77

mot, celui qui fait une semblable renonciation perdra le l)énéfice du temps écoulé et sa situation sera la même que si la prescription n'avait pas commencé à courir ; mais ses droits pour Tavenir demeureront intacts : la prescription pourra donc recommencer à courir immédiatement. C'est dire que la renonciation qui nous occupe équivaut à une interruption de la prescription.

94. Il résulte de qu'on ne saurait exiger, pour la renon- ciation à la prescription en cours, la même capacité que pour la renonciation à la prescription acquise ; il n'est pas néces- saire d avoir la capacité d'aliéner. Par exemple, un tuteur peut, comnie administrateur des biens du mineur, faire des paiements ou d'autres actes impliquant reconnaissance du droit du créancier et par suite renonciation à la prescription cpii a commencé à courir (*). V. infra, ch. XI II.

95. Au cas d'une prescription acquisitive, une pareille renonciation sera généralement un aveu de précarité, empê- chant toute prescription ultérieure, sauf interversion. On a cependant fait obser\^er avec raison qu'il peut en être autre- ment. Il pourrait arriver qu'il n'y eût qu'une reconnaissance relative au passé, impliquant simplement que jusque-là, les conditions de la prescription manquaient, mais n'impliquant pas nécessairement précarité pour Ta venir (=^).

CHAPITRE IV

DES CONVENTIONS QUI ABRÈGENT LE DÉLAI

DE LA PRESCRIPTION.

96. L'ordre public exige, en général, sauf les restrictions que nous avons déterminées plus haut (*),que le temps delà prescription ne soit pas augmenté par une renonciation anti- cipée,mais il n'exige point qu'il ne soit pas raccourci. La con-

(') V. Pothier, Oblig., n. 699; Troplonjf, n.45 : Marcadt^ sur lart. 2222. n. 1 ; Anbry el Mau, éd., VUI, p. 451 ; Golmet de Sanlerre. Vlï!, n. 329 his^ II.

{')Sic Maixadé, sur l'arl. 2222, n. 2 ; Colmet de Sanlen-o, VIII, n. 327 bis, VII. V. supra ^ n. 55 s.

(') V. supra ^ n 62 s.

78 DE LA PRESCRIPTION

ventioii des parties doit donc ici s'exécuter. La jurisprudence -s'est depuis longtemps prononcée en ce sens. On ne saurait , par exemple, considérer comme illicite la clause d'un con- trat de transport abrégeant la prescription de droit commun ou la clause d*une police d'assurance restreignant la durée de Faction en paiement de l'indemnité (*). « La condition mise à Texercice des droits de l'assuré, dit un arrêt de la Cour de cassation du 16 janvier 1865, ne blesse en xîen Tor- dre public; en effet la disposition de l'article 2220 qui défend de renoncer à la prescription et de rendre ainsi les actions perpétuelles, loin d'en recevoir aucune atteinte, se •concilie parfaitement avec la stipulation qui tend à renfer- mer l'exercice de certaines actions dans des limites plus étroites (jue celles de la prescription ordinaire. Notamment lorsqu'on a stipulé que les actions dérivant d'un contrai d'assurances contre les risques de la navigation fluviale à l'intérieur de la France doivent être exercées dans un délai plus court que celui qui est fixé par l'article 432 du code de commerce, pour les actions dérivant d'un contrat d'assu- rances maritimes, une pareille clause, qui s'explique et se justifie par la rapidité des communications à l'intérieur, est licite en elle-même, et, si elle a été librement consentie, elle rentre sous l'application de l'article 1134 qui veut que les

(*) V. Cass.. !•' lév. 1853. S., 56.1.892, D., 53.1.77; 16 janv. 1865. S.,65.1 SO, n., 65.1.12 ; 25 ocl. 1893, S 94 1.361 ; 4 déc. 1895, S.. 96.1.113, 0.,96.2. 241 ; 26 ocl. 1896, S. 98.1.330, 1) ,97.1.5 et la note de M. Kœhler ; l«inai 1897, S. 98.1.219. I)., 97.1.5i3 ; 14 nov. 1899, S. 1901.1.289; 26 mai-s 1902, I). 1902. 1.248. - V. aussi Nancy, 25 juill. 1851, S., 51.2.576. I). 52.2.67 ; 20 janv. 1896, D., 97.2.294 ; 26 juin 1897. S. 98.2.173, D., 97.2,503. - Lyon, 5 inai-s 1887, S., 90.2.77. - Paris, 28 nov. 1889, S., 90.2.77 ; 21 déc. 1889, S , 90.2. 79. - Pau, 19 nov. 1896, D., 97.2.70. - Douai, 4 déc. 1893, S., 94 2.142 ; 24 mars 1896, D., 97.2.255. .Sic Alauzel. Assur., il, n. 531 ; Grun el Joliel, Agsur, itrr., n. 357 ; QuesnauU, id., n. 252 ; Persil, id,y n. 254 ; Agnel, id., n. 142 et 225 ; de Lalande et Couturier, id., n. 922 ; Duhatl, ûf.. n. 217 ; Leroux de Bretagne, n. 52 ; Laurent, n. 184 ; Tarbouriech, Auur. contre les accûl., n. 95 ; Labbé, note sous Paris, 30 oct. 1885, S., 86.2.49 ; Fuzier-Hennan, Réperl, gën, alph. du dr. fr. v Assur, (en général), n. 620, 1004 ; Dalloz, Rép. SnppL, Prescription^ n. 12 ; (iuillouard, n. 323. V. cep. Planiol 2* éd., t. 3, n. 648. Il est à peine beNoin de faire observer qne la courte presciiption établie quant aux actions dérivant d*un contrat ne saurait s'étendre H celles nées, en dehors du contrat, d'un fait constituant un quasi-délit. Cham- I)ér^', 10 nov. 1896, D. 97.2,311.

C0N\TNTIONS QUI ABRÈGENT LE DÉLAI DE LA PRESCRIPTION 79

conventions légalement formées tiennent lieu de loi aux par- ties. »

La jurisprudence est fixée en ce sens que l'abréviation con- ventionnelle des délais de prescription est valable pourvu qu'elle n'ait d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public. « A cet éfrard^a récemment décidé la cour de cassation^ la liberté des conventions ne saurait être qu'exceptionnellement res- treinte par un texte formel ou par des motifs d'ordre public (*). > Il faut donc rechercher si chaque clause de ce ^senre apparaît ou non comme contraire à Tordre public^ si elle tombe sous l'application de l'article 6 ou sous celle de larticle H34 du code civil; il ne peut y avoir de rèsrle abso- lue (*). On peut, à l'appui de la théorie qui vient d'être exposée, ajouter que la loi du 29 janvier 1831 autorise TÉtat à stipuler dans ses conventions des déchéances plus courtes que celles fixées de droit commun par cette loi.

96 bis, La jurisprudence admet, en matière d'assurances contre l'incendie, la validité de la clause d'après laquelle l'indemnité due à raison de l'incendie, doit être réclamée, à peine de déchéance, dans un délai de six mois à partir.de

(') Gi*».,4déc. 1835, S. 97.1. 113, 1).,96. 1. 241. Cet arrêt décide que les pres- criptions fixées par Tari. 108 C coinm. en matière de transport peuvent être «bréf^-4 el qu*une pareille clause peut fiiçurer valablement dans les tarifs de «'bemins de fer. V. ausîii en ce sens la note de M. Lyon-Caen dans Sirey, et cdie de M. Sarrul dans Oalloz. Ce dernier auteur fait observer avec raison «|u*en matière de transport de pareilles clauses sont particulièrement nécessai- ns.Dans la discussion de la loi qui a modifié les art. 105 et 108 C. comm., la> :K)Iution contraire a été indiquée comme résultant des principes généraux de la prpgcriplion (V. le rapport de M. Demôle au Sénat, Journ. off.^ Doc, parlem. rfn 5êfui, session extraordinaire de 1887, p. 4 et 46, et celui de M. Gaillard à C%ambre des députés Journ. off,^ Doc. parlem. de la Chambre des dépuiés, lîW8, p. 454 s.). Mais c'est une erreur certaine. V. G. civ. ail. art. 225; <1 iprès ce texte, on ne peut exclure ni aggraver la prescription; mais on peut U rendre plus facile el notamment en abréger le délai. Le (^ode fédéral sul>se «1^ obligations (art. 148) va plus loin et défend de modifier par convention le délai de la prescription; ses rédacteurs ont considéré que tout ce qui concerne U prescription est en quelque sorte du droit public et ne peut, en aucune manière, dire modifié par les conventions privées. Mais celle disposition de l'article 148 ne s'applique d'ailleurs qu'aux prescriptions générales des art. 146, 147, 156. Toutes les autres peuvent €>lre abrégées par convention; il en peut ^Ire ainsi notamment en matière de transport, el en matière d'assurance. Sic, Uossel, Manuel du droit fédér, des nblig. p. 199 el 200.

(*) «Sic Leroux de Bretagne, loc, cit.; Laurent, loc. cil.; (iuillouard, loc. cil.

80 dî; la prescription

lincendie (% ou même dans un délai de quatre mois à par- tir de l'incendie, ou dans un délai de quatre mois à partir du procès- verbal de clôture .de l'expertise celle-ci devant être constituée régulièrement et conformément aux statuts dans les deux mois qui suivent Tincendie (*).

Elle admet la validité de la clause d'un contrat d'assu- rance contre les accidents portant « qu'aucune action judi- ciaire en paiement de l'indemnité à laquelle la compagnie d'assurances est tenue en vertu dudit contrat ne pourra être exercée contre celle-ci après six mois à compter du jour de l'accident et qu'en conséquence la Compagnie est déga- gée de toute obligation si, pendant ce délai, pour une cause quelconque, la garantie de la responsabilité civile n'a pas été judiciairement invoquée ('). »

96 ter. On a souvent considéré qu'il ne s'agit pas de vraies prescriptions, mais plutôt de déchéances convention- nelles. Mais c'est un pointde vue, à notre avis, inexact. L'ex- tinction d'une action par l'expiration d'un certain délai est une prescription; c'est une prescription conventionnelle abré- gée. 11 y a, si Ion veut, une déchéance : mais c'est une déchéance résultant de la prescription. En diminuant la durée de la prescription, les contrats ne modifient pas son l)ut et son caractère. 11 s'agit toujours de prescription. Mais il faudrait se garder de conclure de cette donnée que les règles du code cinl sur l'interruption de la prescription doivent s'appliquer sans restriction. Une prescription con- ventionnelle est soumise à la convention qui l'a établie ; c'est la convention qu'il s'agit avant tout, dans la mesure la loi peut être modifiée par les parties, d'interpréter et d'appliquer. V. infra n. 485, 532, 551 his.

97. La cour de cassation se montre, nous l'avons vu, très large dans l'appréciation des clauses abrégeant la prescrip- tion. Elle est allée jusqu'à juger que la clause des statuts d'une société financière, stipulant la déchéance, après dix ans, de toute demande de remboursement de titres sortis au

(.') Gass., !•' mai 1897, précilé. C) Nancy, 26 juin 1897, pi-t^rilé. (=») Gass., 14 nov. 189î\ précilé.

CONVENTIONS QUI ABRÈGENT LE DÉLAI DK LA PRESCRIPTION 8t

tirage, est valable et opposable aux porteurs, alors môme qu'ils ont contmué à toucher les coupons pendant dix ans, (lu moment que la clause a prévu cette hypothèse et a déclaré que les coupons ainsi indûment payés seraient sujets à resti- tution (*). Un porteur peut ainsi n'avoir pas connu le tirage au sort de sou titre, avoir continué à toucher ses coupons, et après dix ans, être déchu du droit au remboursement et tenu de restituer les coupons touchés. Une pareille clause n'est-elle pas contraire à l'ordre public ? Ne peut-elle pas conduire a de véritables injustices? Ne crée-t-elle pas un avantage choquant au profit de la société financière vis-à- vis le porteur de titres, inégalité dont celui-ci n'a guère pu se rendre un compte exact? (*)

98. La prescription de Taction en réparation d'un dommage ne peut naître, nous le verrons, que lorsque ce dommage s'est produit. L'action contre une compagnie d'assurances, en cas d'accident, ne peut naître que quand le préjudice s*est manifesté. Pourrait-on stipuler que toute action sera éteinte dans un certain délai après l'accident, si bien que le recours sera impossible si le dommage ne se manifeste qu'après ce délai? Une pareille convention devra être interprétée plutôt ^n ce sens que le délai ne part que du jour du dommage ('). Mais si cependant la clause était bien formelle, devrait-on la considérer comme valable? Cette question doit,suivant nous, se résoudre par une distinction. Si le délai est assez long pour que l'assuré ait tout le temps normalement nécessaire pour se rendre compte du préjudice et agir, si bien que des cas extraordinaires seuls échapperaient au bénéfice de l'as- surance, la clause pourra être reconnue valable : elle sera nulle si le délai est si court que le souscripteur n'aurait pas le temps suffisant de constater le dommage et de former sa

0 Gass., 14 jaiiv. 1890, S., 91. 1. 17, avec la noie en sens conlraire de M. Chavetcrin. Nancy, 28 oct. 1890, S., 91. 2. 11.

(*) V. à cel é^ard l'inléressanle di^tsertation de M. Chavegrin. V. aussi "uc, l. 14, n. 323. D'après l'art. 70 de la loi sur les sociétés par actions, modifiée par la loi nouvelle du 1" août 1893, les sociétés ne peuvent répéter le montant des coupons qu'eUes ont payés après le tirajçe au sort. Mais la loi ne prononce pas la nullité d'une clause conlraire et ne s'explique pas sur la ques- tion de pre;H:ription que la jurisprudence a eu a trancher.

v') .Nancy, 20 juin 1SJ6, 1)., 97. 2. 234. - V. Labhé, S., 86. 2. 49.

PRE<CR. 0

82 DE LA PRESCRIPTION

demande, de telle sorte qu'il aurait fait une assurance dont il ne pourrait en réalité retirer le bénéfice : la clause dont il n'aurait guère pu à l'avance se rendre compte serait en pareil cas un avantage immoral stipulé par la compagnie. Dans la seconde édition de ce traité, nous reconnaissioni> cependant que la loi du 9 avril 1808 sur la responsabilité des accidents de travail, en disposant eUe-même dans son article 18 que l'action en indemnité se prescrit par un an à partir du jour de l'accident, conduisait évidemment à valider toutes les clauses analogues, quelque injustes qu'elles pussent paraître. Ce texte a été heureusement modi6é par la loi du 22 mars 1902 aux termes de laquelle la prescrip- tion d'un an commence du jour de l'accident ou du jour de la clôture de l'enquête du juge de paix, ou du jour de la cessation du paiement de lindemnité temporaire. V. infra, n. 384 et 719. L'expérience de quelques années a suffi pour démontrer à combien d'injustices criantes peut conduire une prescription si courte dont le point de départ invariable est le jour de l'accident, et qui par suite de recherches, de pourparlers, de négociations engagées et soigneusement entretenues par le débiteur, peut s'achever avant que le créancier ait pu penser à agir (*). Cette réforme législative constitue un sérieux argument pour ceux qui s'eflforcent de faire ressortir le caractère immoral et illicite de certaines clauses de prescription conventionnelle insérées dans les polices d'assurance (*).

99. En jurisprudence, on admet aussi comme valable, eu cas d'assurance faite par un patron pour s'exonérer de la responsabilité des accidents pouvant arriver à ses ouvriers, la clause d'après laqueUe toute action du patron contre la compagnie est prescrite après un certain délai, un an le plus souvent, à partir de l'accident ; cette clause doit, dit-on, s'exécuter d'une façon absolue, en ce sens que, même si les ouvriers victimes d'accidents attendent plus d'un an avant de poursuivre le patron, le recours de celui-ci contre la com-

(*} V. Cabjual, Lois nouveUes^ 1903, i'* partie^ p. i«>. (*) Pour le commentaire des textes relalifs à )a |>rescriplion en matière d^acci- dents du travail, V. Baudry-Lacantincrie et W'ahl, Traité dn loa^ge^ t. 2.

CONVENTIONS Qtl ABRÈGENT LE DÉLAI DE LA PRESCRIPTION 83

paguie n*en est pas moins éteint; en d'autres termes, le point de départ de la prescription est dans tous les cas le jour de Taccident et non le jour de l'assignation signifiée par l'ouvrier. La cour de cassation se fonde sur ce que les clauses de ce genre sont très formelles : < Toute réclama- tion est prescrite après un an ^ partir de raccident » ; une pareiUe clause abrégeant le délai normal de la prescription n'a rien, d'après elle, d'illicite (*).

En admettant cette interprétation de la clause qui est peut- être rigoureuse et contraire à l'idée que les conventions doi- vent être interprétées et appliquées de bonne foi (*),on peut encore avoir des doutes sérieux sur l'exactitude de la solu- tion. Que, dans une assurance directe, on impose à l'assuré tpii a subi un dommage l'obligation de s'a<lresser à l'assureur dans un bref délai, rien n'est plus raisonnable, et une pareille stipulation est licite, pourvu que le délai laissé à l'assuré ne soit pas trop court. Mais que, dans une assurance de respon- sabilité, on valide une clause cpii souvent éteindra le droit du patron avant qu'il puisse agir, cela nous parait difficile à admettre- Le droit ne peut s'éteindre avant d'être né. La prescription de l'action en responsabilité directe ne doit pas commencer a courir avant qu'il y ait dommage causé; de même, le recours du patron dans l'assurance de responsa- bilité ne peut se prescrire avant qu'il y ait lieu pour lui de recourir contre son assureur {^).

Vainement on dit que la convention se ramène en réalité à restreindre l'assurance aux actions en responsabilité pouvant être exercées pendant un an après l'accident et à laisser les

0) Cas*., 25 ocl. 1893, S.. 94. 1. 361, et 26 oct. 1896. S., 98. 1. 330, D.,97. 1. 5. Pari», 21 juin 1888, en noie dans S., 9-i. 2. 255.— Orléans, 19 juill.1894 {Rtc, pér, de«'M»ar., 1894, p. 470). Trib. Seine, 7 mai 1895 (Ree. pér, des awnr., 1895, p. 415). ViUetard de Prunières. -4m nr. contre les accid, dn trsLV,, n. 344. Cette solution a été admise encore par la cour de Paris dans un arrêt du 30 janv. 1896 (Marteau c. le Patrimoine). —V. aussi «npra, n. 96 bis. W en sens contraire. Douai, 11 nov. 1889, en note dans S., 94. 1. 361. Trib- Seine, 5 févr. 18W, S., 94. 2. 255. - Trib. du Havre, 12 mai 1894, S., 94. 2. 255. Tarbourit"'h, op, cit,, n. 401.

O TariKHiriech, u. 9>, L.abbé, ..Vote dans Sirey, 86.2. 49.

(») Sic Douai, 11 nov. 1889, précité. Tarbouiiech, op, cil, Ce dernier auteur, dans l'hypothèse indiquée au texte, ne fait m^me partir le délai de pres- cription qu'après la condamnation du patron.

84 DE PRESCRIPTION

autres en dehors de Tassuraiice, et que ce n'est qu'une limi- tation de l'objet de Tassurance (*). Ce n'est pas ainsi que le contrat a été fait ; on a assuré toute la responsabilité pou- vant résulter d'un accident, et on a ajouté que l'action serait prescrite après un an. Une pareille clause est de nature à tromper les assurés. Nous pensons que, encore, la légis*- lation sur les assurances qui est à faire pourra, à défaut de la jurisprudence, intervenir équitablement. On ne pourrait admettre de pareilles clauses que si elles contenaient un délai assez long pour que l'assuré fût à même de retirer du con- trat le bénéfice qu'il en attend p).

100. Nous ajouterons que, tout au moins, si on admet comme valables les clauses que nous critiquons, il faut per- mettre aux intéressés d'empêcher la prescription de courir en adressant une réclamation dans le délai voulu, alors même que cette réclamation ne serait pas une demande en justice. 11 n'y a pas à appliquer nécessairement les textes du code civil sur l'interruption de la prescription ; il s'agit seule- ment de formuler une réclamation. Il suffit, à notre avis, que l'assuré ait fait savoir, avant même qu'il ait connu les suites de l'accident et qu'il ait pu agir en justice, qu'il entend user de l'assurance. Puisqu'on veut exécuter littéralement la convention, il ne faut pas parler des règles légales d'inter- ruption de la prescription ; tout ce que le contrat exige, c'est qu'on ne reste pas un an sans faire sa réclamation ; une fois qu'on l'a faite, la prescription est couverte ; récla- mer, ce n'est pas nécessairement ester en justice, c'est mani- fester la volonté de se prévaloir de son assurance (^). Mais il est possible que les clauses des contrats d'assurances

(') V. not. Orléans, 19 juillet 1894, précilé.

(*) Dans le rapport qui a précédé 1 arrt^l du 26 ocl. 1896, M. le conseiller (Jecr^es Leinaire, tout en leconnaissanl que de pareilles clauses sont licites, ne manque pas de dii*e qu'elles sont « rigoureuses, presque léonines » et quelles sont la conséquence de « cette liberté économique qui s'exerce si souvent pour le plus grand profit des spéculateurs, des compagnies et aux dépens du public. » D., 97.1.5.

(^ Nîmes, 8 nov. 1904, Pand. fr, 1904.2.23. V. cependant Cass., 26 ocl. 1896, S., 98.1.230, T)., 97,1.5, avec le rapport de M. le conseiller Lemaire. V. aussi la note dans Sirey, 94.1.361 et la note dans Dalloz, 98 1 561, V. au surplus infra, n. 485. . .

CONVOTIO.NS QUI ABRÈGENT LE DÉLAI DE LA PRESCRIPTION 85

exigent dans le délai d'un an une action en justice résultant d'une demande régulière devant un tribunal ; dans ce cas, une simple réclamation ne saurait suffire. Nous espérons d'ailleurs que la loi future sur les assurances prohibera de pareilles clauses et les déclarera nettement illicites.

Quelle que soit la rédaction de la clause, il restera d'ail- leurs toujours vrai que la reconnaissance de la dette par l'assureur l'empêche d invoquer la déchéance. Et, à cet ' égard, le tribunal de la Seine a jugé avec raison que le délai indiqué par les clauses d'une police d'assurance doit être considéré comme interrompu par des pourparlers engagés ' entre les parties (*).

Ces solutions sont importantes ^ et il y aurait notamment lieu d>n tenir compte au cas de clause interdisant toute action avant l'expertise. Il est alors bien nécessaire d'admet- tre que la prescription a pu être interrompue par la demande d'expertise ou par l'assistance à l'iîxpertise. On a proposé d'ailleurs de décider qu'en pareil cas la prescrip- tion ne peut courir par application de la maxime Contra mn valentem agere non currit prœscriptio (^). Puisque la' jurisprudence, ainsi que nous le verrons, admet le maintien tle cette règle dans notre droit, ce serait bien un cas son application serait équitable et juste.

Enfin il ne peut être douteux que la clause d'après laquelle l'action de l'assuré doit être intentée dans le délai d'un an après l'accident n'est pas applicable, si ce sont les agisse- ments et les manœuvres de l'assureur qui ont amené l'as- suré à retarder la demande en justice (^).

100 his. Au cas de l'assurance de responsabilité, le patron peut toujoure, quelle que soit la clause de la police, et même avant d'être lui-même poursuivi, agir contre l'assureur dans le délai fixé par le contrat pour le mettre en demeure

(') Trib. d3 la SjinL», 17 juillet 1381, S., 86 2.49 et la note de M. Labbé. - Nancy, 20 juin 1836, D., 97.2.294. Tarbouriech, n. 98. - V. aussiOrléans, 19 juîu. 1894, précité. V. infra, n. 485 et 532.

(*) V. la note dans Dalloz, 9S.1.561.— V. aussi suprn/n. 63 et infra, n. 372.

(»> Paris, 2 die. ISJ8, D. I9v)0.2.2;)3. - V. infra, n 485 et 532.

86 DE LA PRESCRIPTION

de reconBaître la garantie éventuelle qu'il lui doit(*). Il pour- rait aussi mettre son ouvrier en demeure de l'actionner dans le délai fixé, en déclarant qu'il entend le rendre responsable des déchéances qui pourraient résulter du retard et de la négligence mis par lui à agir (*). V. infra, n. 485 et 532.

100 ter. En cas d'assurance collective contractée par le patron à l'aide de retenues faites sur le salaire des ouvriers, il a été jugé avec raison que la clause, d'après laqueUe toute action en dommages-intérêts contre le patron emporte renonciation au bénéfice de l'assurance, est nulle comme contraire à l'ordre public, et a seulement pour effet de refuser le cumul des deux actions : l'ouvrier qui a intenté une action contre le patron ne peut, dès lors, agir contre l'assureur qu'en cas de rejet de l'action en responsabilité ; le délai de la prescription conventionnelle abrégée ne court qu'après ce rejet (').

iOO quater. Un projet de loi sur le contrat d'assurance a été déposé à la Chambre des députés le 12 juillet 1904. Il contient, relativement à la prescription, des dispositicms importantes, dont plusieurs constitueraient une améliora» tion notable du droit actuel, mais encore insuffisantes à notre avis pour la protection des assurés : l'expérience de ces dernières aimées démontre cependant que le législateur ne saurait trop se préoccuper de ce point de vue (*). Il y aurait

(') V.en ce sens le rapport précité deM. le conseillerLeinaire; Kœhler, loc. cil,

(*) Tarbouriech, n. 96.

(») Lyon, 3 août 1899, S. 19(H. 2. 08.- Pau, 21 mai 1900, S. 1900. 2. 280. Ces arrêts décident aussi trèi< exactement que le patron qui n*a pas fait connaître k ses ouvriers le délai de la courte prescription est responsable des effets de la déchéance encourue et ne peut s'en prévaloir vis-à-vis d'eux.

(♦) Le texte du projet, relatif à la prescription, est ainsi conçu: <* Art. 38. Toutes» actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par un an à compter de Tévénement qui y donne naissance. Toutefois ce délai ne court: En cas de rélicence ou de fausse déclaration, que du jour elle a été découverte par l'assureur ; 2* en cas de sinistre, que du jour l'assuré en a eu connaissance» sMl prouve qa*il l'a ignoré jusque-là. Quand l'action de l'assuré contre Tassu-

m

reur a pour c«use le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour ce tiers a exercé une action en justice contre l'attSUFé ou a été indem- nisé par ce dernier. ^Art. 39. La durée de la prescription ne peut être alwré- gée par une clause de la police. Art. 40. La prescription annale court môme

f:oNvi:NTioNs qu abrègent le délai de la prescription 87

lieu, i notre avis» de bien préciser que la prescription de Taction en indemnité, en matière d'accident, court seulement du jour du dommage éprouvé et non d'ime façon absolue (lu jour de l'accident. Il y aurait lieu aussi, en écartant ici le droit commun de l'interruption, de permettre à tout assuré d'interrompre la prescription par une citation en référé, ou une simple sonmiation, ou même une simple lettre recom- mandée, et de bien indiquer que l'assistance à une expertise ou le fait d'engager des pourparlers ou des négociations avec l'assuré entraîne de droit, malgré toutes clauses ou tontes réserves contraires, interruption de la prescription de l'action en indemnité.

iOO quinquies. Dans une législation qui établirait des délais de prescription tout à fait conformes aux nécessités de la pratique et bien adaptés, dans chaque cas, aux exigen- ces de la justice et de l'utilité sociale, on pourrait conce- voir que l'abréviation en fût prohibée aussi bien que ral- longement. Les considérations dont on doit s'inspirer pour fixer les délais de la prescription sont, à l'un ou à l'autre point de vue, des considérations d'intérêt général ; les solu- tions admises par le législateur devraient être par suite au- «lessus des conventions particulières. Mais on peut penser qu'il est à peu près impossible que la loi s'adapte à chaque cas d'une façon satisfaisante. Aussi pour suppléer à l'insuf- fisance de la loi est-on conduit presque nécessairement à admettre le droit pour les particuliers d'abréger, dans une certaine mesure du moins, le délai de la prescription ; on considère que la loi a fixé le délai le plus long, en laissant aux intéressés, pour les cas ils le jugeraient utile, le droit de l'abréger. Ce droit donnant lieu à des abus, le législateur sera souvent amené à le restreindre ou à le sup-

<'onlre les mineurs, les ÎDlenliU et tous aulreai iucapables. Fille peut être inter- nioipoe par une des causes ordinaires d*inlerniption de la prescription. L'inter- ruption de la prescription de Taclion en paiement de la prime peut, en outre, résulter de l'envoi d'une lettre recommandée adressée par l'assureur à l'assuré. » Ces textes ont d*ailleurs, à notre avis, le tort de réunir ensemble la prescrip- tion des actions en indemnité, celle des actions en paiement des primes, et celle «les actions en nullité du contrat d'assurance, alors que cependant il est bien «lifficile d'appliquer à toutes ces prescriptions les marnes règles, sinon pour le déUd, du moins pour le point de départ et les causes d'inlerruplion.

88 DK LA PRESCRIPTION

primer. On a vu que les règles de la proscription, dans lo projet de loi sur les assurances, excluent toute clause abré- geant le délai légal.

CHAPITIΠV

DES EFFETS DE LA PRESCRIPTION

iOi. Nous avons dit que la prescription est un mode d'ac- quisition ou de libération, et non pas seulement une pré- somption légale d'acquisition régulière ou de paiement eifectif. Sans doute elle sert souvent à protéger celui qui, propriétaire légitime ou débiteur réellement libéré, ne peut fournir la preuve de sa propriété ou de sa libération. Mais, d'une façon générale, une fois accomplie et invoquée par celui pour qui elle a couru, elle a pour efiet de fîiire acqué- rir le bien possédé ou d'éteindre le droit non exercé pendant le temps fixé par la loi (^). V. supra, n. 20.

La prescription de la dette entraîne d'ailleurs extinction <les sûretés accessoires, personnelles ou réelles {^).

102. 11 ne résulte pas de que la prescription ne s'opère pas rétroactivement. L'idée que la prescription est un mode d'acquérir ou de se libérer n'empêche pas que, lorsc;u'elle est accomplie, elle ne rétroagisse au jour elle a commencé. La propriété qu'elle fait acquérir ou la libération qu'elle produit est censée dater du point de départ de la prescription ("*). La loi ne formule nulle part cette règle d'une façon expresse,

(•) La loi (lu 25 fév. 1901 (art. 7) décide que parmi les délies des successions' h déduire pour la perception du droit de tnulalion ne doivent pas ligurer « les délies en capital el inlérôls pour lesquelles le délai de la prescription esl accom- pli, à moins qu'il ne soit justifié que la prescription a été interrompue. » Celle loi n'exij;e pas que la prescription ait élé invoquée. \'. snpra, n. 41.

(*) V. cep. C. civ. ail. art. 223. D'après ce texte qui se rallache à la Iradilion romaine, la prescription de la créance n'enlraine pa> extinction du pajçe ou de riiypothèque. Ceux-ci restent intacts et pnxluisent leurs efTets. Celle solution, jadis rattachée à l'idée d'obliKation naturelle ( \'. infrst, n. 104) peut, en droit allemand, sexpliquer, au point de vue t éorique, par celte idée que la pres- cription n'éteint pas le droit lui-même, mais seulement r.4ïi*/>r«c/i. V.Saleilles^ op. cil., p. 329, sur l'art. 223.

(') Cpr. Aubry et Hau, U, p. 324 ; Troplong, n. 826 ; Bufnoir, p. 428 et s. y Emmanuel Lévy, op. cit., p. 134.

DES EFFETS DE LA PRESCRIPTION 89

mais elle en donne des applications. Il résulte notamment de larficle 1402, qui se réfère àlacommunauté légale, queTim- nieuble acquis par prescription pendant le cours du mariage cil vertu <rune y)ossession légale do Tun des époux avant la célébration forme un propre pour cet époux. Cette décision ne peut s expliquer que par l'eifet rétroactif de la prescrip- tion accomplie ; car, si la prescription ne rétroagissait pas, 1 immeuble, dans l'espèce proposée, devrait être considéré comme acquis pendant le mariage et tomber dans la com- munauté aux termes de Tarticle 1401 (*).

103. Le principe que nous venons de poser entraine des conséquences intéressantes :

1* Le débiteur dont la dette se trouve éteinte par la pres- cription est libéré de l'obligation de payer non seulement le capital de la dette, mais aussi les intérêts dont il pou- vait être débiteur au moment la prescription s'est accom- pUep).

i* Celui qui a acquis par prescription un immeuble est dans tous les cas dispensé de restituer les fruits par lui per- »:u8; Tarticle 549 du code civil n*a rien à faire ici; il s'appli- que au possesseur tenu de restituer la chose possédée, il ne peut être étendu au possesseur qui triomphe sur la reven- dication .

3' Les droits réels qui ont pu être établis du chef du pro- priétaire qui subit la prescription ne peuvent être opposés à felui qui a prescrit qu'autant qu'ils sont antérieurs au début de sa possession. Les autres, bien que valablement constitués, ne peuvent produire d'ejBPet contre lui ; ils sont réputés non avenus à son égard.

l-a prescription acquisitive ne fait ainsi acquérir la chose possédée qu'avec les charges qui la grevaient lors du com- mencement de la possession ; suivant l'expression romaine, la chose est acquise cum sua causa. Seulement, il faut voir si les charges qui affectaient la chose à cette époque n'ont

{') V. encore l'arlicle 1561 C. civ.

0 V. en ce sensC, l. 26 pr., De nsuris. Cpi-.C. civ. ail. arl.228 ; lapres- friplion delà prestation principale entraîne prescription des prestations accessoires, V. tussi Cjde féd. des oblig., ail. 151 et 152.

90 hh: LA PRESCRIPTION

pas elles-mêiues été atteiutes par d'autres prescriptions sus- ceptibles d'en entraîner l'extinction (*).

4* Les droits Féels établis du chef du possesseur qui a prescrit, et pendant le cours de sa possession^ se trouvent définitivement consolidés.

103 bis. Le principe de la rétroactivité de la prescription accomplie n'a pas besoin d'ètrejustifié, tellement il s'impose •comme essentieUement inhérent à l'institution même de la prescription. La nécessité sociale veut qu'on ne puisse con- tester une situation qui s'est prolongée pendant trente ans sans réclamations ; comment concevoir qu'on soit admis à exercer, une fois la prescription accomplie, le droit aux fruits ou intérêts échus antérieurement ou des droits réels établis, pendant le cours de la prescription, du chef de celui contre qui elle a couru ? Ne serait-ce pas faire la preuve cpie la loi veut empêcher, la preuve du droit que la loi déclare éteint, prescrit ? Ne serait-ce pas ébranler des situations acquises et dont la loi veut imposer le maintien ? Et, si on «e place au point de vue accessoire de l'idée de présomp- tion d'acquisition légitimé ou de libération régulière, n'est- il pas évident encore qu'on soit conduit à l'idée de la rétro- activité de la prescription ? En matière de prescription acquisitive, s'il s'agit de la prescription trentenaire, c'est la prise de possession, l'usurpation, qui après trente ans passés, -est considérée comme respectable et conférant le droit ; s'il s'agit de la prescription basée sur un titre, c'est ce titre qui est consolidé ; il n'y a pas de titre nouveau. On ne peut voir un titre nouveau il y a présomption d'acquisition antérieure (*).

104. C'est une doctrine très généralement acceptée et qui était déjà enseignée par Domat et par Pothier, que celle

0) V. Cass., 14 nov. 1853, D.,53il.328 ; 17 oct. 1894, D., Ô5 1.75. - V. aussi Bufnoir, p. 442 el s. ; Olasson, Revue pratique, l. 34, 1872, p. 552 el s.

(») V. Boistel, Philos, du droit, l. I, p. 401 et s. ; (juillouard, n. 51 ; Hue, n. 315. Le principe de la rétroaclivilé doit in^^me, en matière de prescription acquisitive, s'appliquer sans qu'il y ail à tenir compte des causes d'*interruplion civile qui ont rendu nécessaire Técoulement d'un nouveau délai de prescription: Peffel de la prescripliori remonte au début de la possession. Lég«r, Théorie gén,, delà prescr» extinci.^ p. 181 el s.

D£S EFFETS DE LA PRESCRIPTION (M

d'après laquelle la prescription, accomplie et opposée par le possesseur ou par le débiteur, laisse subsister une obligation naturelle chez celui qui n'était pas légitime propriétaire ou qui ne s'est pas effectivement libéré. Il en résulte que lares- titation de la chose acquise par prescription, ou le paiement de la dette éteinte par prescription, ne constitue pas une libé- ralité; il n'y a pas lieu d'appliquer ici les règles de forme ni les règles de fond des donations (*). La dette éteinte par prescription ne saurait d'ailleurs donner lieu à la compensa* iion légale ni à un cautionnement, sauf, pour cette dernière hypothèse, le cas la caution connaissait l'extinction de la dette quand elle en a garanti le paiement (•).

Nous ne pouvons ici développer cette question qui se ratta- che à la théorie des obligations. Observons seulement que Fopinion aujourd'hui dominante parait bien avoir été celle it Bigot-Préameneu qui dans l'exposé des motifs de notre litre, disait, en parlant de celui qui a prescrit : « Le cri de sa conscience qui lui rappellera sans cesse son obligation naturelle est la seule ressource que la loi puisse laisser au propriétaire ou au créancier qui aura laissé courir contre lui k prescription. >

Nous supposons ici que la prescription a été opposée. Si elle ne l'avait pas été, il nous semble qu'il n'y a pas à exa-

(•M^ias., 26 mars 1815, S., 47.1.120. ^ Sic Doinal, liv. III, tit. VU, secl. 4, ^. 14; Bouhier, Sur la coutume de Bourgogne^ ch. XIX., n, 151 ; Polhter, ''*%., n. 196, 642, 666 ; Merlin, Rép., V Prescr., sect., 1, § 2; Duranton, X, n.4l el XXI. n. 106 ; Laiombière, Oblig., sur l'art. 1376, n. 22 ; Colroel de î^Dterre, V, n, 171 bis, IV ; Leroux de Bretagne, I, n. Il s. ; Taulier, VI f, h^; Aubry et Rau, éd., t. 4, p.8, § 297, noie 11, et 4- éd., t. Vlll, p. 448, ^775; Marcadé, sur l'article 2219, n. 4 ; Tiuillouard, t. I, n. 48 et ^; Beaus- ^fn, Principes de droit, p. 279. -^Contra, d'Argenlré, sur Brel., art. 273, n.22 *.;DQnod, p. 108; Cujas, sur la loi 95, D. de solut. ; Troplonjç, n. 29 s. ; Lau- '^nl,XXXlI, n. 205; Hue, t. 14, n. 338. D'après ce dernier auteur, on con- fond, dans ropinion {générale, l'oblit^alion naturelle avec le simple devoir de '''«science. V. aussi Bupra, n. 85 his. Cpr. sur la question, Lass^alle, 7*êorie tjfsiémmlique des droits acquis, Irad. fr. 1904.

^*)Troplong, n. 30 et 63 ; Aubr>- el Rau, lac, cit., I, p. 145 s. V. Cass., »1 joiU 1820, S. chr. —V. pour le droit allemand, en ce sens que la dette per- ^iMe pour senir de base à un gage ou à une hypothèque valables, Crome, •p. fU., p. 522, 1 117. Cpr. C. civ. ail. art. 223. V. Saleilles, op. cit., p. 328, note sur rarlicle 222. § II.

\)i DE LA PRESCRIPTION

miner s'il subsiste une obligation naturelle^ L^obligation subsiste entière, tant que la prescription n'est .pas opposée ; celui qui, sans invoquer la prescription, paye la dette après l'expiration du temps légal ne paye pasTindù. Il n'acquitte pas seulement une obligation naturelle; il paye sa dette qui n*est pas encore éteinte puisque la prescription ne fonc- tionne pas de plein droit (*).

105. La prescription accomplie peut être opposée à tous ceux vis-à-vis desquels il peut y avoir intérêt à le faire, que ce soit le créancier, l'ancien propriétaire ou une autre per- sonne. Il a même été jugé que le débiteur peut opposer la prescription à celui qui a payé pour lui, à son insu, avant que le délai de la prescription fût expiré, et qui agit en reni- l)oursement alors que ce délai est accompli (*).

A rinverse, elle peut être invoquée non seulement par le possesseur ou le débiteur, mais encore par toutes les autres personnes qui ont intérêt à ce qu'elle soit acquise. Cette règle résulte de l'article 2225 : « Les créanciers on toutes autres personnes ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer, encore que le débiteur ou le pro- priétaire y renonce C*). > Dunod formulait la même règle en termes un peu différents et moins généraux. « Si celui qui a prescrit négligeait de s'en prévaloir, ses créanciers pourraient le faire sll y allait de leur intérêt, parce que la prescription forme un droit acquis dont on ne peut se dépouiller au pré- judice de ses créanciers. »

i08. L'application de cette règle ne peut offrir de diffi- cultés pour ceux qui, ayant un droit distinct et indépendant du droit du possesseur ou du débiteur, peuvent invoquer la prescription de leur propre chef. Ainsi, s'il s'agit de pres- cription libératoire, chacun des codébiteurs solidaires peut

(') V. cep. Ti-oplonff, n. 33 et les aulorilés par lui cilées. Mais voy. dans le sens ci-dessus C. civ. ail. arl. 222, al. 2. \\ aussi Oome, op. cii,, p. 521, S 117 ; Saleilles, op. vit,, p. 328, iiole sur l'art. 222, § U. Cpr. Léger, Théorie gén, de la prescr, exUnct,, p. 167.

(*) Cass., 18 ocl. 1309.

(») Cpr. G. civ. ital., arU 2112. G. civ. esp., art. 1937. G. civ. poil., arl. 53J. G. civ. holl., arl. USO, V. cep. code fédéral suisse des oblig., art. 159. Uossel, Manuel du droU fédéral des obliff,, p. 496.

DES EFFETS DE LA PRESCRIPTION 93

opposer la prescription ; c'est un droit qui lui est propre et qu'on ne peut lui enlever : l'un des codébiteurs peut y renoncer s'il le juge à propos ; cela ne compromet en rien le droit des autres. De même, la caution peut opposer la prescription (*). 11 a été jugé, par exemple, que la feînme dun commerçant qui a souscrit avec lui un billet à ordre peut invo- quer la prescription de l'article 189 du Code de commerce. Dans ces deux hypothèses, il faut dire avec Aubry et Rau que « la prescription, étant fondée sur ce que le droit d'action n a point été exercé dans le délai déterminé par la loi et s'attaquant à ce droit en lui-même, engendre de sa nature nue exception réelle (*). > S'il s'agit de prescription acquisi- tive, les ayants cause à titre particulier du possesseur, ayant reçu de lui mi droit sur la chose, peuvent avoir à opposer de leur chef une prescription qui a couru à leur profit. \. %upra, u. 91.

107. Mais ce n'est pas cela que veut dire l'article 2225 : on veut dire ici que des personnes, y ayant intérêt et ayant d'ailleurs un droit personnel à sauvegarder, peuvent oppo- ser la prescription qui a couru du chef du débiteur ou du possesseur.

Ainsi, en matière de prescription acquisitive, les ayants cause du possesseur, n'ayant pas, de leur chef, de pres- cription à opposer, peuvent invoquer celle qui a couru au profit du possesseur : un créancier hypothécaire ou mie ])ersonne ayant acquis une servitude, même discontinue ou apparente, bien que leur droit ne puisse être consolidé par aiie prescription qui leur serait propre, peuvent invoquer la prescription qui s'est accomplie au profit du possesseur avec qui ils ont traité. Ces personnes peuvent opposer la

(') V. svpr», n. 91.

(*) V. sur le cas de.** codébiteurs solidaires, G'js<., 23 fi*v. 1812. S. 32. 1. 537, - Umoîçes, 18 déc. 1842, S , 43. 2. 495. - (niillouard, n. 309 ; Albert Tissier, .Vole dans S., 93. 1. 83 ; Larombière, Oblij., sur l'arl. 1206, n. 4. Sur le rt^ de la caution, Gi^s., 8 déc. 1852, S., 52. 1. 795, 1). 53. 1. 80 ; 28 mai 1866, S., 66. 1. 335 ; 5 avril 1892, S., 92. 1. 365 ; 18 mai 1895, S., 96. 1. 28, I)., 95. 1.367; 2 août 1904, D. 1904. 1. 387. Troplonjç, l, n. 79 ; Vazeille, n. 241 ; Marcadé, sur Part. 2225, n. 3 ; Laurent, n. 212 et 214 ; Aubry et Kau, édit., IV', p. 6.:J4, et VIll, p. 449 ; (iuillouard, loc, cil, V. supra, n. 91.

04 DE LA PRESCRIPTION

prescription^ soit que le débiteur ou possesseur gardant le silence, elles interviennent pour l'invoquer dans leur propre intérêt, soit même que, le débiteur y ayant renoncé expres- sément ou tacitement, elles viennent s'en prévaloir en leur nom pour restreindre la portée de la renonciation et sauve- garder leur intérêt personnel (*).

i06- La jurisprudence n*a eu que rarement l'occasion de se prononcer sur l'application de cette partie de la règle de l'article 2225. Il a été jugé que la prescription acquisitive peut être opposée, du chef du débiteur qui néglige de s'en préva- loir, par un créancier hypothécaire (*) ; elle pourrait l'être aussi par un acquéreur à titre onéreux ou à titre gratuit, alors même que son auteur y aurait renoncé (*^). Il a été jugé que la prescription de l'h^-pothèque peut être opposée par le tiers détenteur cessionnaire du prix de vente dispu- tant ce prix aux créanciers hypothécaires inscrits sur l'im- meuble vendu (^). Le mari, au nom de la communauté, a qualité pour invoquer, relativement à un immeuble de la femme, la prescription qui a couru au profit de celle-ci (').

i08 bis. C'est une question difficile et controversée que celle de savoir si un codébiteur solidaire vis-à-vis de qui la prescription aurait été suspendue, j>eut opposer la pres- cription qui a couru au profit d'un de ses codébiteurs : l'ar- ticle 2225 ne peut être invoqué pour en donner la solution; eUe se rattache à la théorie générale de l'obligation soli- daire (*). 11 ne semble pas que la même difficulté puissi* exister pour la caution : elle peut toujours invoquer la pres-

{^) Bufnoir, p. 434 el s.

(») Bordeaux, 13 déc. 1848, S., 49. 2. 438. Toulouse, 13 fév. 1858, D, 58. i. 156.

(') Vazeille, n, 350; Leroux de Brelajçne, ii. 42 el 43; Troplonç, n. 106.

0) Gass., 25 avril 1826; 5 mai 1851, S., 51. 1. 344, D., 51. 1. 271. —Sic Laurent, XXXII, n. 215 el 217.

(») Orléans, 21 janv. 1898, D. 99. 2. 174 el 1900. 2. 237.

(*) U s'agit de savoir si l'exceplion tirée de la prescription peut être invo<iuée par tous les codébiteurs. V. pour l'affinnative, Demolombe, t. 26, n. 413; Baudry-Lacantinerie el Barde, Ohlig,, II, n. 1252; Contra, Cass., 23 févr. 1832, précité.— Laroinbière, Obliff,, sur Tart. 1206, n. 4; Golmet de Santerre^ V, n. 142 bis. Gpr. G. civ. ail. art. 425. Dans cette seconde opinion, on admet, du moins en général, que la prescription peut ^tre opposée pour la part de celui au profit duquel la prescription a couru. Gpr. G. civ. port. art. 513.

DES EFFETS BE LA PRESCRIPTION 95

cription du chef da débiteur principal. Ainsi il a été jugé que la caution peut se prévaloir de la prescription des inté- rêts de la dette courue au profit du débiteur principal alors même qu'ayant bénéficié d'un terme plus reculé, elle ne peut invoquer en ce qui la concerne aucune prescription (*) . < La prescription acquise au débiteur principal a rejailli par ricochet au profit de la caution. Cela est renfermé dans^ ridée essentielle que la caution ne saurait devoir ce que ne doit pas, ou ce que ne doit plus le débiteur principal (*). > i09. Mais il faut supposer que le droit sur lequel on s'ap- puie pour invoquer la prescription du chef du débiteur ou du possesseur n'est pas lui-même éteint. Un créancier ayant reçu une hypothèque de son débiteur ne peut, dansTinstance en résolution du droit de propriété de ce débiteur, et si la résolution est admise par le tribunal, être autorisé a oppo- ser la prescription du chef d'un tiers détenteur à qui ce Blême débiteur a transmis l'immeuble. Le droit d'hypothè- que du créancier tombe nécessairement avec le droit de son débiteur de qui il tenait son hypothèque ; il y aurait contra- diction à résoudre le droit de propriété du débiteur qui a consenti l'hypothèque et à maintenir en même temps cette hypothèque (*).

t09 bis. On peut se demander si le vendeur de mauvaise foi, actionné en garantie par son acheteur, a le droit d'op- poser, du chef de celui-ci, pour échapper à l'obligation de garantie, la prescription qui s'est accomplie. Nous ne croyons pas que ce droit doive lui être reconnu. Le fait qu'il pourrait se prévaloir de la prescription ne peut empê- cher l'acquéreur, s'il a des scrupules à le faire, d'invoquer soit l'article 1599, soit l'obligation de garantie; la situation est identic[ue à ceUe du créancier qui a reçu en paiement une chose n'appartenant pas au débiteur; il a droit de demander un nouveau paiement, alors même qu'il serait à l'abri de la revendication du légitime propriétaire (*).

(')Cass., 2 fév. 1886. S., 87. 1. 51, el la noie de M. Labbé. (*) Labbé, loc, cit. C. civ port, art, 513,

(') (iiss., 28 aoûl 1860. S., 61. 1. 69, D., 60. 1. 35i. - Sic Lameiil, XXXII, n. 216. (*) V. Uaudry-Lacanlinerie el Barde, Oblig., II, n. 1412 el les ailleurs

96 DE LA PRESCRIPTION

iiO. La disposition de larticle 2225 est la source de con- troverses très vives quand il s'agit de la situation des créan- ciers .chirographaires du possesseur, ou des créanciers quel- conques d'un débiteur qui n'oppose pas la prescription ou vient à y renoncer. Ces créanciers peuvent-ils, en présence d'un débiteur négligent, opposer la prescription, comme ils peuvent exercer tous les droits de leur débiteur, d'après l'article 1166 du Code civil? Si le débiteur a définitivement

m

renoncé à la prescription, peuvent-ils, exerçant l'action révocatoire dont le principe est formulé par l'article 1167, faire rescinder dans leur intérêt cette renonciation? Telles sont les doux questions distinctes qui doivent être exami- nées.

111. Il ne paraît guère contestable que la prescription puisse être opposée du chef d'un débiteur par ses créanciers, lorsqu'il néglige de le faire lui-même. L'article 2225 lève le doute que permettrait de concevoir à ce sujet la disposition de l'article 1166, en nous montrant clairement que la faculté d'opposer la prescription ne rentre pas dans la catégorie des droits exclusivement attachés â la personne, dont l'exer- cice est interdit aux créanciers (art. 1166 m fine). D'ailleurs l'exposé des motifs de Bigot-Préameneu est sur ce point très formel : « Ce serait une erreur de croire que la prescrip- tion n'a d'effet qu'autant qu'elle est opposée par celui qui a prescrit et que c'est au profit de ce dernier une faculté per- sonnelle. La prescription établit la libération ou la pro- priété; or les créanciers peuvent, ainsi qu'on la déclaré au titre (les obligations, exercer les droits et les actions de leui*s débiteurs, à l'exception de ceux qui sont exclusivement atta- chés à la personne; la conséquence est que les cr6anciei*s peuvent l'opposer, quoique le débiteur ou le créancier y renonce. »

112. On conçoit que des créanciers viennent ainsi opposer la prescription du chef de leur débiteur, lorsqu'ils intentent au nom de celui-ci l'action en revendication d un bien lui appartenant et qui est détenu par un tiers ; il pourra être néces-

qu'ils Client. V. en sens contraire de la solution ci-dessus, Caen, 15 mai 18.)9, Gaz. Pal, 99. 2. 511.

DES EFFETS DE LA PRESCRIPTION 1)7

saire, pour triompher dans une semblable action, d'invoquer la prescription, et les créanciers en auront certainement le droit. On peut supposer encore qu'une action en revendica- tion étant intentée contre le débiteur, ses créanciers inter- viennent dans l'instance pour la conservation de leurs droits ; nul doute qu'ils ne puissent encore opposer la prescription que le débiteur négligerait d'invoquer. Enfin il se peut qu'un ordre étant ouvert sur les biens d'un débiteur, celui-ci n'op- pose pas à l'un des créanciers qui produisent à cet ordre la prescription acquise contre lui ; il est certain que les autres créanciers pourront l'opposer à sa place, afin d'écarter un concurrent.

113. Mais, s'il s'agit d'attaquer une renonciation faite par leur débiteur, et qui a été de nature à le rendre insolvable ou à augmenter son insolvabilité, la question se pose de savoir si les créanciers ont le droit de faire tomber cette renonciation et à quelles conditions ils peuvent agir. Plu- sieurs opinions différentes se sont fait jour sur cette question.

114. A. Une première théorie refuse absolument aux créan- ciers le droit de faire révoquer la renonciation du débiteur à la prescription. L'article 2225, dit-on, ne formule qu'une application de l'article H66; il vise l'hypothèse le débi- teur n'oppose pas la prescription, non pas celle il a déjà renoncé à l'opposer; il permet, au premier cas, d'invoquer U prescription en exerçant le droit du débiteur; il ne per- met pas, au second cas, de revenir sur la renonciation faite. <itte solution, ajoute-t-on, est très rationnelle; il s'agit d'une affaire de conscience ; la renonciation s'explique sans qu'il y ait fraude envers les créanciers. Enfin, en renonçant à la prescription, le débiteur néglige de s'enrichir, il ne diminue pas son patrimoine, gage de ses créanciers. L'action paulienne n'a donc pas d'application à recevoir en ce qui concerne la renonciation à la prescription (*).

115. Cette opinion doit être repoussée. L'article 2225 en disant « encore que le débiteur y renonce », veut dire, à

(') V. dans ce sens Nancy, 25 aoiU 1829, S., 46. 2. 545, en noie. Bordeaux, 21 mars 1846,8., 46.2.545. ^ic Vazeille, n. 352. Cpr. Rossel, M^nutl du droit fédéral des oblig,^ p. 196.

Prescr. 7

98 DE LA PRESCRIPTION

notre avis, non pas encore que le débiteur néglige aTopposer la prescription ymsî% encore que le débiteur ait fait une renon- ciation à la prescription (*). Si cet article, en tant qu'il s'ap- plique aux autres ayants cause que nous avons indiqués, vise les renonciations déjà faites, ce qui n'est pas contesté, il doit en être de même quand il s'a^t des créanciers qui sont mis sur la même ligne (') . C'est ainsi d'ailleurs que, en matière de renonciation à succession, l'article 788 dit « Les créan- ciers de celui qui renonce au préjudice de leurs droits », en parlant d'une renonciation déjà faite. Au surplus, quand même on aurait démontré que l'article 2223 n'est qu'une application de l'article H66, il resterait à savoir si l'arii- cle 1167 ne constitue pas une règle de droit commun qui devrait s'appliquer dans le silence du texte.

Vainement on ajoute que c'est une affaire de conscience, qu'il n'y a pas de fraude. Nous verrons qu'une doctrine très sérieuse n'exige pas ici la condition de fraude; mais en fût- il autrement, on sait que la fraude dans l'action paulienne consiste uniquement dans le fait de consentir un acte qu'on sait préjudiciable à ses créanciers.

Le débiteur dira tant qu'il voudra qu'il agit ainsi par un scrupule de conscience; ses créanciers lui répondront qu'il règle une dette de sa conscience à leurs dépens,que le droit de celui au profit de qui le débiteur a renoncé à la prescription est douteux, que c'est dans tous les cas un concurrent qu'ils ont intérêt à écarter. La conscience du débiteur restera en repos puisqu'il a renoncé à la prescription ; on ne pourr.a lui reprocher aucune indélicatesse ni aucune malhonnêteté. Si l'article 2225, par un sentiment de justice éclairée, auto- rise la rescision de sa renonciation au profit des droits plus certains de ses créanciers, comment sa conscience serait-elle troublée ? Le propriétaire ou le créancier au profit de qui il a renoncé à la prescription conserve d'ailleurs son droit contre lui ; sa renonciation n'est rescindée que relativement à ses créanciers.

(') V. en ce sens: G. civ. hoU., arl. 1989. C. civ. ci«p., orl. 1937.— G. civ. port., art, 509. («) V. Bordeaux, 13 déc. 1848. S., 49. 2. 438.

DES EFFETS DE LA PRESCRIPTION M

Enfin il nous parait peu exact de s'appuyer sur ce qpi'il y a non pas un appauvrissement^ mais un refus de s'enriclur, La distinction que le droit romain parait avoir faite des «êtes par lesquels le débiteur s'appauvrit et de ceux par lesquels il manque d'acquérir n'a pas, à notre avis, passé entièrensieiit dans notre droit; il faut la repousser quand il s'agit de droits ouverts par la loi et dont l'acquisition n'est plus subonlonnée c{u'a une déclaration unilatérale de volonté ; en pareil cas, laction paulienne est permise; or la prescription confère un droit quand elle est accomplie, avant même qu'elle soit opposée : c'est un droit auquel le débiteur ne peut renoncer au préjudice de ses créanciers.

116* B. Une seconde opinion soutient qu'il faut fiiire ici une application pure et simple de l'article 1167 et admettre les créanciers i attaquer la renonciation de leur débiteur à la prescription, mais seulement si cette renonciation a été frauduleuse, c'est-^-diré si le débiteur a eu connaissance du préjudice qu'il causait à ses créanciers. Il ne suffirait pas qu'il y eût préjudice causé si le débiteur n'en avait pas eu connaissance. Sans doute une théorie assez accréditée sou- tient que toutes les renonciations gratuites faites par le débi- teur à des droits acquis peuvent être révoquées sans que la |»reuve de la fraude soit nécessaire. Mais on répond que e*est une distinction que le code civil ne contient pas : les textes des articles 622, 788, 2225 ne sont pas suffisamment probants pour faire échec à la régie de l'article 1167. Les créanciers sont obligés de subir tous les actes du débiteur, même si ces actes sont dommageables : il ne peut y avoir d'exception qu'au cas de fraude. L'article 2225 s'explique très bien^ dit-on, avec cette solution ; le code civil n'a fait que permettre aux créanciers d'opposer, en vertu de l'arti- cle 1166, la prescription du chef de leur débiteur ; si on veut qu'il ait aussi visé le cas de renonciation faite i la prescription, il faut dire qu'il n'a voulu que rappeler le principe général en se référant aU droit commun pour les conditions d'application de ce principe. On ne comprendrait ^ère pourquoi on exigerait la preuve d'une fraude quand U s'agit d'une donation et pourquoi on ne l'exigerait pas

100 DE LA PRESCRIPTION

quand il s'agit d'une renonciation gratuite à la prescription, alors qu'au contraire il y a un tiers cherchant à éviter une perte et non à réaliser un gain (*). .

117. C. Un troisième système décide que le droit des créanciers est ici plus large que le droit conunun de l'arti- cle H67. Même s*il n'y a nulle fraude de la part du débi- teur, ils peuvent attaquer la renonciation qui leur porte préjudice. En d'autres termes, il y a ici une exception à la règle établie par l'article H67. En principe, il ne suffit pas qu'un acte accompli par un débiteur soit préjudiciable à ses créanciers pour que ceux-ci puissent le faire rescinder par l'action paulienne : il faut, en outre* que l'acte ait été accompli en fraude de leurs droits. Ici le préjudice suffit sans qu'il doive nécessairement être doublé de la fraude. L'exception se justifie aisément. Il ne serait pas équitable que le débiteur pût empirer la situation de ses créanciers en renonçant au bénéfice de la prescription acquise ; entre le propriétaire ou créancier négligent et les créanciers vigi- lants, la loi préfère ces derniers. Cette solution est en har- monie avec les textes des articles 622 et 788 desquels on peut à coup sûr conclure que, quand il s'agit des renoncia- tions gratuites à des droits ouverts à son profit, il n'est pas nécessaire que le débiteur ait agi en fraude de ses créanciers pour que ceux-ci puissent faire rescinder l'acte qui leur pré- judicie. On peut faire valoir en outre que, dans le cas des ayants cause >'isés par l'article 2225 à côté des créanciers, on ne doit certainement pas exiger la preuve de la fraude. Enfin on a fait remarquer que la renonciation à prescription ne peut être rangée dans les actes à titre gratuit ; on ne peut non plus lui appliquer les règles de l'action paulienne en matière d'actes à titre onéreux ; c'est un acte d'une nature particulière pour lequel l'application stricte de l'ar- ticle H67 soulèverait des difficultés considérables ; le légis- lateur a voulu simplifier ici le droit commun.

Ce troisième système, qui paraît lavoir emporté en doc-

(') Taulier, Vil, n. 747 ; Troplong, n. 101 s. ; Marcadé, sur l'arl. 2225, n. 2 ; Planiol, éd., l. 1, n. 1507 el 1508 ; Hiifnoir, p. 439 s. ; (înillouard, n. 342 ^•1 s. V. C. rlv. holl., arl. 1989.

DES EFFETS DE LA PRESCRIPTION 101

trine, a été développé* .avec une admirable clarté et une frrande habileté par M,,Ratau3i,.qui a ainsi résumé son opi- nion ; « Toutes les fois que, le débiteur a perdu le droit (l'opposer une prescription acquise et ^vie^pajp il se trouve . devenu insolvable ou plus insolvable qu aupdra;Vdnt. ceux qui étaient ses créanciers à ce moment peuvent .xippQîsfer celte prescription (*). » 1 ^

118. La jurisprudence parait être en ce sens ; la cour de cassation, dans son arrêt du 21 décembre 1859, dit bien que la renonciation ne peut être attaquée par les créanciers qu*au- tant qu'elle a eu lieu en fraude de leurs droits ; mais elle a statué sur une hA'pothèse il s^agissait d'une renonciation intervenue dans un temps le débiteur était encore solva- ble et jouissait de tout son crédit ; dans ces conditions, elle Il avait pas même causé de préjudice; c*est tout ce que veut dire, à notre avis, l'arrêt de la cour de cassation.

La vérité est que la jurisprudence a une tendance à appli- quer largement Tarticle 2225. La cour de Dijon a jugé que la prescription de l'hypothèque peut être invoquée en appel par un créancier du tiers détenteur, bien que celui-ci, n'ayant pas contredit en temps utile, ne puisse plus l'oppo- ser. La cour de cassation est allée jusqu'à décider que les créanciers peuvent opposer la prescription à laquelle le débiteur a renoncé, alors même que les choses ne sont plus entières et que le débiteur a payé la dette que la prescrip- tion avait éteinte ; ils peuvent exiger la restitution de ce qui a été payé (*) .

119. D. Une quatrième opinion a été émise par Valette, s'il faut encroire Mourlon,et a été reproduite par Laurent ('') ; l'article 2225 conférerait un droit qui ne se rattacherait pas

(') Gass., 21 mars 18i3, S., 43. i. tSl el 21 déc. 1859, S., 60. 1. 945. Bor- -leaux, 19 déc. 1848, S., 49. 2. 438. - Orléans, 27 fév. 1855, 1)., 55. 2. 234. - Irtjon, 10 avril 1867, S., 68. 2. 54. Merlin, QuesL de dr., v" Garantie, § 7 ; Duranlon, XKt, n. 150 ; Demolombe, XIX, n. 219 à 223 ; Ralaud, Rev, prat., I, année 1856, p. 481 ; Àubry et Hau, éd., IV, p. 135, § 313, note 18, et VIIl, p. 450 ; Colnnet de Sanlerre, VllI, n. 332 his, V.

(*)Cass., 21 mars 18iî, S., 43.1.6S1. - Dijon, 12 avril 1867, S., 68.2.54.

{*) Mourlon, Rép., m, p. 740, note 2, el n. 1797 ; Laurent, n. 209 et 210, 220. V. aassi dans ce siens Hue, t. 14, n. 333 et 334.

i9Bt DE Lk PRESCRIPTION

au articles 1166 et 1167 et qui permettrait aux personnes

qQ'il vise d'opposer la prescrifrtioh sans même avoir à faire

d'abord annuler la reiidn^ibliôn du débiteur. Laurent va

jusqu'à dire qu*jfcft'JMt .^aâ nécessaire qu'elle ait causé un

préjudic0:4}i ^lometif elle a été faite. On a répondu avec

^^rajispk/quêeètle opinion enlève à Tarticle 2225 toute base

\ I *'jjtM4di^e; on ne voit pas d'ailleurs comment la loi, qui ne

*• * veut pas que le juge puisse d'office appliquer jamais le

moyen de la prescription, permettrait à des créanciers de

l'opposer quand il y a une renonciation qu'ils n'ont pas fait

tomber et qui jusque-là leur est opposable.

120. Uest à peine besoin de faire remarquer que si c'était au cours d'une instance que le débiteur avait renoncé à la

. prescription^ et s'il en était résulté un jugement préjudiciant aux créanciers^ ceux-ci pourraient se pourvoir par la voie de la tierce opposition qui fait fonction d'action paulienne quand il s'agit des jugements portant atteinte aux droits des créan- ciers {^.

121. On s'est demandé si l'article 2225 s'applique aux courtes prescriptions prévues par les articles 2271 et sui-* vants. 11 nous parait difficile de le contester^ la règle posée ici étant générale (*). Mais il faut ajouter que le créancier contre qui la prescription est opposée par d'autres que le débiteur conserve la ressource de l'article 2275 qui lui per- met de déférer le serment à son débiteur; le créancier ne peut être privé de ce moyen par cela seul que la prescrip- tion est invoquée par d'autres que son débiteur (•).

. (*) Sic Duranton, XXI, n. 150 ; Troplong, n. iùt; Marcadé, sur Tarticle 2225, n. 2.

(") Gass., 12 juin. 1880, S., 81.1.421, D., 81.1.437. - Grenoble, 23 déc. 1898, D., 1903. 5- part , p. 572. Paris, 28 juili. 1898, D. 1900.2Jfô, Leroux de Bretagne, I, p. 38 ; Laurent» XXXtl, n. 218; Lyon-Caen et Renault, iV,n.452; Guillouard, n. 345, 788; Hue, t. 14, n. 336. V. cep. Rouen, 1" déc. 1854, D., 55.2.121. - Trtb. d*Orange, 12 juiH. 1890, D., 93.2.276.- Aubry et Rau, 4- éd., III, p. 137, note 36 ; Duranton, XXI, n. 151 ; Boistel, Droit comm.^ n* 852.

(») Gass., 12 juîU. 1880, précité. Aubry et Rau, k" éd., VIII, p. 488; Leroux de Bretagne, I, n. 39.

DLS BIOS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 103

CHAPITRE VI

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION

i22< I^s choses qui sont dans le commerce^ qui sont sus- ceptibles de faire l'objet d'actes de disposition^ de changer de maître, sont seules susceptibles de prescription acqui- sitive. L'article 2226 dispose qu' « on ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce (*). »

123. Il y a, en général, corrélation entre la prescriptibilité et l'aliénabilité : en principe, les biens aliénables sont pres- criptibles, et, en sens inverse, les biens inaliénables sont imprescriptibles. Cette double règle n'est pas cependant sans exception. Ainsi, les servitudes discontinues sont aliénables; elles sont dans le commerce; et cependant elles ne sont pas susceptibles d'êtres acquises par prescription (art. 691). En sens inverse, les immeubles dotaux deviennent prescriptibles après la séparation de biens et cependant ils demeurent ina- liénables (art. 1561, § 2). Sont prescriptibles également les immeubles dotaux dont la prescription a commencé avant le mariage et cependant ils ne peuvent être aliénés (art. 1561, % i). C'est que les biens dotaux ne sont pas, à vrai dire, hors <1q commerce, leur inaliénabili étant toute relative et tenant aune sorte d'incapacité.

124. L'article 2226 a-t-il été écrit seulement en vue de la prescription acquisitive, ainsi que cela parait résulter du mot domaine qu'il emploie ? Vise-t-il aussi la prescription extinctive ? Laurent soutient cette dernière opinion. On ne peut pas plus, dit-il, perdre par prescription les droits qui sont hors du commerce qu'on ne peut les acquérir. Comme exemple, il cite les droits relatifs à 1 état des personnes. 11 faut convenir que l'article 2226 parait bien, par ses termes, étranger à cette hypothèse. Mais la question n'a guère d'in- térêt pratique. 11 est certain que si, d'une part, la prescrip-

(*) Cpr. C civ. UaL, art. 2113. C. civ. esp., art, 1936. C. civ. port., art. ^)«. - C. civ. holl.. art. 1990.

104 DE LA PRESCRIPTION

tion acquisitive ne peut s'appliquer aux choses qui ne sont pas dans le commerce, il y a, d'autre part, des droits qui, étant placés en dehors du domaine des conventions, ne sont pas susceptibles de s'éteindre par la prescription. Que la règle soit ou non formulée par l'article 2226, elle n'en est pas moins incontestable.

Nous allons donc étudier ici successivement, au point de vue de la prescription acquisitive et de la prescription extinctive, quelles sont les choses ou les droits qui échappent au principe ordinaire de la prescription.

SECTION PREMIÈRE

PRESCRIPTION ACQUISITIVE

125. La prescription acquisitive peut faire acquérir la propriété de toutes choses susceptibles de possession; l'usu- fruit, l'usage, les servitudes continues ou apparentes, peu- vent aussi s'établir par prescription. Mais nous n'avons à nous occuper ici que de la prescription acquisitive de la propriété (*).

126. On peut acquérir par prescription une propriété superficiaire ou une propriété souterraine (art. 553 C. civ.). C'est ainsi qu'une carrière souterraine peut être acquise par

(^) V. sur la distinction des droits d'usage et des droits de servitude, au point de vue de la prescription, et notamment sur les caractères des droits de pacage et de pâturage dans les forêts, Gass., 23 juin 1880, S., 80,1. 568, D., 81.1.316; 1" déc. 1880, S., 81. 1. 303, D., 81. 1. 121; 9 janv. 1889, S., 89. 1. 118. La distinction des droits d*usage qui peuvent être acquis par prescription et des servitudes qui ne peuvent l'ôtre est parfois difficile ; la jurisprudence a eu souvent k résoudre cette difTiculté, notamment pour les usages foi-cstiers. Il semble y avoir, sur ce point, un désaccord entre la chambre civile et la chambre des requêtes de la cour de cassation. La première admet aujourd'hui que les usages forestiers peuvent s'établir par prescription et ne doivent pas être considérés comme des servitudes discontinues. V. Gass. civ., 1*' déc. 1880 et 9 janv. 1889, précités. V. aussi dans le môme sens Gass., 19 août 1829 ; 15 avril 1840, S., 40. 1. 465; 8 nov. 1848, S., 49. 1. 111. V. en sens contraire, Gass. req., 23 juin 1880, pré- cité, et 14 janv. 1886, Gaz, PaL, 86. 1. 494.— V. aussi Gass., 2 avril 1855, S., 56. 1. 68; 14 juin 1869, S., 70. 1. 29. - Aix, 13 nov. 1891, Gaz, Pal., 13 déc. 1894.

DES BIENS KT DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 105

la prescription (*). Des arbres peuvent être acquis par pres- cription isolément du sol (*) ; de nombreux textes admettent implicitement qu'ils peuvent faire Tobjet d'une possession sépai'ée ; l'article 3 du code procédure civile admet pour eux 1 action possessoire; d'ailleurs le décret du 28 août 1792, article 15, a expressément disposé que les arbres sur les places des villes, bourgs, villages, dans les marais, prés et autres lieux dont les communes ont ou recouvreront la pro- priété, sont présumés appartenir aux communes, « sans préjudice des droits que les particuliers pourraient y avoir acquis par titre ou par possession. »I1 a même été jugé qu'un eep de vigne, considéré comme arbre, peut être possédé et acquis par prescription indépendamment du sol ('). Les arbres et les haies peuvent faire l'objet d'une possession particulière, même quand ils sont placés sur le domaine public (*).

127- La prescription peut s'appliquer aux francs bords (l'uu canal privé, indépendamment du canal lui-même (^). i^tte solution a été admise autrefois pour le canal du Midi, considéré comme une propriété privée; on a jugé que les terrains qui en dépendaient pouvaient faire l'objet d'une possession utile, pourvu que cette possession ne fût pas inconciliable avec la destination publique du canal (*).

OCass., 22 oct. 1811. Sic Tmplong, I, n. 406 ; Laurenl, XXXiï, n. 348 ; Aubry el Rau, 5- édit, IL p. 623, § 223 ; Guillouard, n. 408. V. cep. Cass.', 1- fév. 1832, S., 32 1. 463.

n.Cass., 13 fév. 1834, S., 34. 1. 205; 26 déc. 1833, S., 34.1. 720; 18 mai 1858, S., 53. 1.661, D.,58. 1.218; 7 nov.1860, S , 61. 1. 879; 23 déc. 1861, S , 62. 1. IM. D., 62. 1. 129; !•' déc. 1874, S., 75. 1. 167, D., 75. 1. 123 ; 21 nov. 1877, S., 78. 1. 160, D., 78, 1. 301 ; 8 nov. 1880, S.. 81. 1. 52, D., 81. 1. 28. - Sic Uroui de Bretagne, n. 329; Laurent, XXXIL n. 349; Gilbert, note dans Sirey, •'i6. 2. 513; GuiUouard, n. 406.

nv. Cas.s., 21 juiU. 1892, S., 92. 1. 548 et la note.- Gpr. Ca8.s.,25 fév. 1885,

•^■, OO. 1. 07«

OCass., 1»' déc. 1874, S., 75. 1. 167. D., 75.1. 323; 21 nov. 1877, S., 78. 1. 16!); 8 nov. 1880, S., 81. 1. 52, D., 81.1. 28. - Guillouard, n. 407.

(*)Ca-s.. 6 mars 1844. S., 44.1. 289 ; 28 avril 1846, S., 46. 1.380; 22 juin 1853, K 53. 1. 203; 21 mars 1855, S., 56. 1. 304; 4 déc. 1888, S.. 90. 1. 105. Sic Uroux de Bretajçne, n. 171; Guillouard, n. 40J. V- aussi Cass., 1*' avr.1855, S., 56. 1. 441, D., 55. 1. 370. .

(•) V. Gass., 7 nov. 1865, S., 66. 1, 57 et la note; 11 nov. 1867, S., 68. 1. 171, IJ., 68. 1. 426. Aubry et Uau, 5- éd., II, p. 184, §185, note 5.

106 DE LA PRESCRIPTION

128. Un étang est évidemment susceptible de j^ossessiou et de prescription. }i9is il faut une possession non équivo- que. Les actes de possession exercés par des tiers sur les par- ties d'un étang momentanément à sec ne peuvent conduire à la prescription si, en réalité^ Tétang conserve toujours sa destination (^}; la prescription ne peut utilement commen- cer que quand Tétang est à sec définitivement (*). Il n^est pas douteux que, de son côté, le propriétaire de l'étang peut^ par prescription, acquérir le droit d'élever les eaux de son étang à une plus grande hauteur (') ; mais le fait que, dans les crues extraordinaires, Teau s'élève i une hauteur plus considérable, ne fait acquérir aucun droit sur les terrains environnants (art. 558 C. civ.).

129. La jurisprudence a d'ailleurs admis que la chaussée et les talus d'un étang peuvent être l'objet d'une prescrip- tion acquisitive séparément de l'étang lui-même (*). Ce sont bien des accessoires de l'étang, en ce sens que la possession de l'étang s'étend en principe à la chaussée ; mais celle-ci peut, de la part d'un tiers, être l'objet d'une possession dis- tincte conduisant à la prescription; il en est des bords de l'étang comme des francs bords d'un canal.

130. La prescription acquisitive ne peut s'appliquer à des droits personnels; par suite, dans notre droit, les rentes ne peuvent être, comme on Fadmettait dans l'ancien droit, acquises par prescription (*).

V) Ca8s., Il mai 1835, S., 36. 1. 55; 18 nov. 1851, S., 52. 1. 312, D., 51. 1. 315; 9 nov. 1841, S., 41. 1. 333. D., 41. 1, 3T7. - Il n'en est ainsi, d'après la jurisprudence de la chambre des requêtes, que si l'étang est muni d*un déver- soir contenant les eaux dans des limites flxes et invariables. V. Gass. req., 10 mars et 25 mai 1868, S., 68. 1. 332 et 69. 1. 72. Gpr. cep« Gass., 13 iiiar^i 1867, S., 67. 1 249, D., 67. 1. 270.

(') Gass. 2) déc. 1845 et 28 avril 1846, S., 46. 1. 106 et 380, D., 46. 1. 40 el 206.

(») V. Gass., 10 et 17 déc. 1818, S., 39. 1. 311 et 499, D., 39. 1. 131 el 297. Leroux de Bretagne, n. 211 el 212.

(«) Uss., 14 mars 1882, S., 82. 1. 195; 10 avril 1883, S., 83. 1. 318. V. Guillouard, n. 409.

(») Sic, Duranlon, XXf, n. 99; Paul Pont, sur Tart, 1910, n. 334; Leroux de Bretagne, n. 201. V. pour l'ancien droit, Polhier, ConsUtut, de renies^ n. 112 et 158; Merlin, Rép., V Prête, sect. 3, § 2, art. 1.; Dunod, p. 304. Gpr. Gode civil Bas-Ganada, art. 2252.

DEvS BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 107

i3i. Elle ne peut s'appliquer qu'aux choses et aux droits qui sont dans le commerce et pourraient faire Tobjet de con- ventions entre particuliers. Ainsi on ne peut^ tout d*abord, prescrire par une possession quelconque contre les lois qui intéressent Tordre public. Des services fonciers^ autres que ceux que la loi admets ne pourraient être établis même par une possession aussi prolongée qu'on voudrait la supposer (O*0n ne pourrait acquérir par prescription, dans le cas de l'article 674 du code civil, le droit de maintenir des travaux que la loi a prohibés pour des motifs d'intérêt géné- ral; on ne pourrait non plus acquérir par prescription le droit d'exploiter une mine sans l'autorisation du gouverne- ment, ni le droit de faire des fouilles contraires aux règlements sur la protection du périmètre des sources thermales (').

132. Il faut rattacher à cette règle que la prescription acqui- sitive ne doit pas être contraire à l'ordre public cette obser- vation que l'on ne peut, par suite de la possession et de la prescription, établir un état de choses délictueux; en d'autres termes le maintien d'une situation ayant un caractère délic- tueux ne peut être fondé sur la prescription. C'est ainsi que Tenlèvement des herbes dans une forêt, s'il a un caractère délictueux, ne peut constituer une possession susceptible de conduire à la prescription du droit aux herbes ; on ne pour- rait acquérir par prescription le droit de maintenir un barrage prohibé, celui de maintenir les eaux d'une usine à une hau- teur contraire aux règlements, celui de se servir des eaux à des jours plus nombreux que ceux fixés par les règlements, celui de jouir exclusivement d'une quantité d'eau plus consi- dérable que celle accordée par un règlement de police {').

(') V. Cass., 16 juin 1841, S., 41. 1, 857; 28 mars 1873, S., 74. 1. 80, D., 73. . 1. 965. - Uoreni, XXXIl, n. 226; Guill<^uard, n. 404.

(') V. Cass.. 29 août 1856, S., 56« 1. 922. ^ Sic Demolombe, XI, n. 515; Trofilong, n. 139 ; Leroux de Bi-etagne, n. 145; Guillouard, n. 396, 403 et s.

(») V. CàsH., 3 ocl. 1828 et 5 mare 18;»; 19 avril 1839, D., 39. 1. 198,0. Rép., ForéU, n. 1574 ; 23 juiU. 1836, S., 37. 1. 245; 24 juin 1841, D. Rép., Prescr,, 0. 152 ; 3 loât 1863, D., 6&. 1. 45 ; 2 man 1868, S., 68. 1. 245 ; 26 avril 1876, ^M 77. 1. 304, D., 77. 1. 68. - Paris, 8 août 1836, S., 36. 2. 467. Conseil «i'Étai, 19 avril 1855, D., 55. 3. 8). Toulouse, 28 fév. 1877, S., 77. 2. 144. Sic Leroux de Bretagne, n. 146 ; Laurent, n. 240 ; Troplong, n. 136 ; Guil- i>Mrd, n. 403, 4*3, 440. V. cep. Oriéans, 12 mare 1883, S., 84. 2. 181.

108 DE LA PRESCRIPTION

133* Les minutes des actes notariés sont inaliénables et imprescriptibles et non susceptibles d'appropriation privée ; on ne saurait, dans quelque circonstance que ce soit, se pré- valoir, pour les conserver, de la possession prolongée qu'on aurait pu en avoir (*).

134. Les noms patronymiques ne sont pas susceptibles de possession ni de prescription. On ne peut, par une pos- session quelconque, acquérir le droit de porter un nom ou un titre.; ce sont des choses hors du commerce. L'usage peut sans doute avoir ici une grande importance ; il peut faire, présumer la propriété légitime d un nom. Mais ce n'est plus une question de prescription.

Il est défendu de changer de nom sans l'autorisation du gouvernement, et la prescription ordinaire ne peut fonder en cette matière aucun droit : à plus forte raison est-il vrai de dire que, lorsqu'il s'agit d'acquérir le nom d'autrui, Tusurpation prolongée ne devient pas légitime. D'une façon générale, les noms de famille ne s'acquièrent pas par les modes applicables à la propriété des choses, convention, succession ou prescription (*) : il est même exact, à notre avis, de dire que le nom patronymique n'est pas une véri- table propriété ('). Les noms ne peuvent non plus se perdre par le non usage. V. infra, n. 159.

134 bu. Mais, en dehors de la prescription, la possession très longue, constante, ne peut-elle ici avoir l'effet de faire acquérir un droit ? D'après une première opinion, à laquelle nous avions cru devoir nous rallier dans la précédente èdî-

(') V. Trib. Seine, 5 fév. 1869, S., 69. 2. 271, avec les conclusions de M. le substitut Manuel ; Rolland de Villargues, fîep. du no^, Minute, n. 125 bi* : Clerc, Tr, gén. du not., I, n. 308 ; Guillouard, n, 405.

(*) Gass.,'l6 mars 1841, S., 41. 1. 532; 29 juill. 1879, D., 80. 2. 102 ; 17 nov. 18')1, S., 93. 1. 25, et la note de M. Lallier. - Paris, 4 déc. 1863, S., 66. 1. 435. - Riom, 9 jnnv. 1865, S. 65. 2. 7. - Sic Troplong, Prêter,, n. 248 ; Leroux de BrelaKue, n. 141 ; Laurent, t. 32, n. 239 ; (îuillouard, u. 400. - V. aussi Cass., 29 juin 1825. - Douai, 26 déc. 1835, S., 37. 2. 188.

(M Nous n'avons pas ici à rechercher le caractère juridique du droit au nom ; la question se rattache à l'étude du droit de famille. V. sur celle question Lallier, De la propriété des noms et des titres : Planiol, 2* éd., I, n. 411 et s. ; Sudre, Le droit an nom (thèse 1903) ; Perreau, Revue critique 1900, p. 548 €t 578 ; Saleilles, id., p. 94 ; A. Colin, note au Dalloz, 1904. 2. 1.

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 109

tion de ce traité, elle ne peut créer qu'une présomption ; on ne doit la prendre en considération que sauf preuve con- traire résultant des titres ; les actes anciens doivent rem- porter sur la possession contraire qui les a suivis ; attribuer un autre effet à la possession serait aller à l'encfontre du principe de Timmutabilité des noms de famille, principe affirmé par de nombreux textes de loi (Ordonn. de 1555 ; L23 juin 1790; L. 6 fructidoran 2; L.H germinal an XI) (^). Le principe de l'imprescriptibilitédu nom empêche, ajoute- t-on, qu'on puisse, soit acquérir par la possession un autre nom que le sien, soit perdre son propre nom par le non usage, même prolongé plusieurs siècles. La possession est une pré- somption, un mode de preuve à défaut de preuves écrites et régulières, mais elle n'est pas à elle seule un titre ; si une famille a toujours été désignée sous un nom déterminé, on ne peut le lui contester : la possession ne le lui donne pas, elle prouve que c'est bien son nom véritable. Quand on peut démontrer quel a été à une époque plus ou moins ancienne le vrai nom d une famille, la possession illégale qu'elle en a eue pendant un temps plus ou moins long no peut être alléguée. Admettre avec la cour de cassation qu'on préférera à des titres anciens la possession qu'une personne invoque pour porter un autre nom que celui de ses ancêtres, n'est-ce pas en réalité admettre une prescription d'une durée indéterminée et abandonnée à l'appréciation des juges î On objecte qu'à l'origine c'est la possession qui a été la seule source des noms. Sans doute ; mais une fois le droit acquis, la possession n'a pu le modifier ; elle ne peut |)lus être qu'une présomption. Sinon il faut dire que le nom peut s'établir par la prescription ; car « il est impossible de ne pas voir l'élément essentiel et caractéristique de la pres- cription dans la possession par laquelle on peut arriver à acquérir un droit que Ton n'avait pas d'abord (*). » Vaine-

(V Sic, Merlin, Rép,, y Prescr., sect. 3, § 6 ; Troplong, n. 248 ; Lallier, op. cit., et note» dans S., 93. i. 25 et 93. 2. 284 ; Perreau, Jievue Irim, de dr, «ri7, 1905, p. 68 et s. V. aussi le remarquable rapport de M. le conseiller dUbexi, S., 67. i. 241,

(-) Rapport de M, le conseiller d'Ubcxi, S. 6/. 1. 241.

If0 DE LA PRESCBIPTION

ment on dit que c'est par l'usage et non par la prescription que le nom a été accfuié ; usage ou possession sont ici une seule et même chose^ et c'est Im possession qui en réalité sert de base à l'acquisition du nom daAS le système de la cour de cassation ; au fond c'est une prescription*

On ajoute que la possession ou Tusage prolongé, s'ils ne I peuvent prévaloir sur les titres antérieurs contraires, pe»- vent souvent du moins servir de base légitime à une demande de changement de nom (^).

134 ter* La jurisprudence sans appliquer ici les règles de la prescription et en les écartant même très nettement, nous parait bien, nous l'avons dit, orientée dans un sens tout différent; elle considère la seule possession comme pou- vant donner droit à un nom : la propriété du nom s'établit, d'après la cour de cassation, par les actes de l'état civil ou par une possession prolongée. Quelques rares décisions 'cherchent à concilier la règle de l'immutabilité des noms avec cette dernière solution ; on a soutenu à cet égard que l'immutabilité des noms met obstacle aux changements de noms actuels, mais ne permet pas de revenir sur des chan- gements accomplis depuis des siècles (^). Mais la cour de cassation s'est contentée d'affîrmer les effets de la possession sans essayer de les concilier avec le principe de Fimmuta^ bilité des noms de famille (').

Un important arrêt du 15 mai 1867, après avoir décidé que la prescription n'a pais d'application à recevoir en notre matière, ajoute que « le silence d'un siècle imputable à ceux qui l'ont gardé, est un fait dont ceux-ci doivent sup- porter la responsabilité, si, par l'effet de ce silence, des usages sincères se .sont établis sur la tête de tierces person- nes étrangères à toute pensée d'usurpation, et si ces usages, faisant naître une identité ou quasi-identité de nom involon- tairement subie, ont imposé leur loi à tous et consacré des

(^) Lallier, note dans S., 93. 1. 26.

(«) V. noU Riom, 9 janv. 1865, S., 63^ 2. 7.

(>) Gass., !•' juin 1863, S., 63. 1. 387; 15 mai 1867, S., 67. 1. 241, avec le rapport de M. le conseiller d'Ubexi, et les conclusions de l'avocat général Fabre; 17 nov. 1891, S., 93. 1. 25.

DES BIE!(S ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 111

droits manifestés par les actes de naissance et la possession de plusieurs générations ; la règle, toute négative, qui écarte de la cause la prescription n'empêche pas que l'usage et la possession qui exercent leur action inévitable sur les noms comme sur toutes choses, ne puissent quelquefois être pris en considération en cette matière ; seulement, comme la loi n'a réglé ni la durée ni la condition de cette possession et de cet usage, il suit de que les juges du fond apprécient souverainement la loyauté et l'effet de ces usages, tantôt en les faisant respecter, tantôt en les ramenant à leur première origine (*). » La cour de Riom est allée jusqu'à dire que « la possession est le titre principal, pour ne pas dire unique, à considérer en cette matière. » Elle ajoute, conmie consi- dération d'équité, qu'il serait injuste d'enlever à des per- sonnes le nom qu'elles tiennent de leurs parents et de leurs aïeux pour les obliger à reprendre le nom depuis longtemps oublié de leurs premiers ancêtres, et elle fait remarquer enfin qae « s*il importe à la bonne police de l'État que les noms, qoi sont comme le signalement et la personnification des bmilles et des individus, restent immuables, c*est surtout À l'égard des générations auxquelles peuvent se rattacher, dans le temps présent, des intérêts moraux et matériels, et non à l'égard des générations depuis longtemps disparues de la scène du monde, et plus dignes d'exercer la curiosité de Tarchéologue que la science pratique et vivante du juris- consulte (*). »

Dans le système admis en jurisprudence, il appartient aux juges du fond d'apprécier la durée, la persistance, la continuité, la publicité et la loyauté de la possession. Il n'est pas indispensable que le changement de nom se soit opéré avant 1789. Le dernier arrêt de la cour de cassation, du 10 novembre 1897, n'exige même pas que le nom pour lequel on invoque une longue possession figure dans l'acte

(*) Cas»!)., 15 mai 1867, précité. V. dans le même sens, Cass., 17 nov. 1891, précité; 10 nov. 1897, S., 99, 1. 397 et la note de M. Appert, D., 98. 1. 242.

{*) Riom, 9 janv. 1865, S., 65 2. 7. - V. aussi Montpellier, 29 mars 18^, S., 56. 2. 403. - Pau, 8 déc. 1862, S., 64. 2. 102. Lyon, 24 mai 1865. S., 66. 2. 343.

112 DE LA PRESCRIPTION

de naissance de celui qui en revendique Tacquisition ni dans ceux de ses ascendants (*).

On invocpie à Tappui de cette seconde opinion des argu- ments d'une très grande force ; d'une part, la tradition de plusieurs siècles, au cours desquels, en dépit des prohibi- tions édictées, les noms ont été établis par l'usage et cons- tamment modifiés par lui ; d'autre part, la nature même des choses qui impose l'usage et la possession comme les seuls modes possibles d'acquisition des noms de famille ; enfin les conséquences pratiques du système contraire qui, logique- ment appliqué, conduirait à obliger les familles à reprendre les noms patronymiques que portaient leurs ancêtres au xr siècle, tout au moins lors de l'ordonnance de 1555 qui prohiba les changements de nom.

Le législateur et les tribunaux doivent empêcher les usur- pations de noms lorsqu'elles se produisent; mais ils ne peuvent empêcher que l'usage prolongé finisse par créer des droits légitimes (*). 11 y a un droit qui se forme et se <léveloppe en dehors de la loi, mais non contre elle.

Cette jurisprudence n'établit pas sans doute une prescrip- tion acquisitive du nom. Mais il nous semble qu'elle ne se borne pas, comme on l'a soutenu récemment ('), à voir dans la possession un simple moyen de prouver le droit au nom. Le système admis se rattache, il est vrai, intimement à la théorie de la preuve, comme d'ailleurs autrefois les règles établies en matière de possession immémoriale. Mais il dépasse, dans sa portée et dans ses effets, le domaine de la preuve; il y a l)ien un effet propre de la possession.

Cette jurisprudence paraît aujourd'hui définitivement établie. On peut d'ailleurs citer un grand nombre de déci-

(*) M. Appert, loc. cit., fait remarquer avec raison qu'il esl difficile d'exi^^r la loyauté de lous les anc(^tres de celui qui invoque le changement de nom con- sacré par l'usage. Les motifs qui ont fait abandonner la condition de bonne foi en matière de prescription se retrouvent ici. Il faut surtout s^attacher h la durée, h la continuité et à la publicité de la possession. Voy. ime analyse délail- lée des solutions de la jurisprudence sur ce point dans Perreau, /Icruc trimeslr. de dr, civil, 1905, 65 s.

(") M. Appert, toc, cit,

(*) Perreau, loc. cil.

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 113

sions qui considèrent que le nom de famille ne peut se perdre par quelque laps de temps que ce soit et d'après lesquelles on peut, après plusieurs siècles, revendiquer le nom de ses ancêtres que pendant longtemps on a cessé de porter, les actes les plus anciens devant faire foi et rempor- ter sur une possession différente, même prolongée (*).

134 quater. Il est de jurisprudence que l'usage qui avait prévalu avant 1789 d'ajouter à son nom patronymique le nom d une terre noble dont on était propriétaire a pu cons- tituer un droit si la possession du nom a été publique et constante ; l'usage, soutenu par la possession, a créé, avant la Révolution, un droit que la législation nouvelle n'a pas supprimé, les lois postérieures à 1789 n'ayant pas porté atteinte aux droits antérieurement acquis (*).

Il faut ajouter, avec la cour de cassation, que cet usage avait passé dans la classe roturière ; on y ajoutait souvent à ison nom patronymique un nom de terre, sans que cette addi- tion eût d'ailleurs un caractère nobiliaire. « C'est ainsi que non seulement la plupart des familles nobles, mais aussi des familles qui ne sauraient prétendre à la noblesse ont acquis le nom sous lequel elles sont aujourd'hui désignées et con- nues; la possession publiquement acquise d'un surnom déri- vant anciennement de cette source, avant la période révolu-

(') V. Gaî^s., 8 mars 1841, S., 41. 1. 189. Hennés, 4 juin 1878, S., 79.9.10. - Piris, 30 mai 1879, D.79. 2,137.— Toulouse, 15 mars 1893, S., 93. 2. 281. Umoges, 22 juiU. 1895, S., 97. 2. 278. Lyon, 29 juill. 1898, D., 99. 2 61. - Trib. civ. Orange. 21 avril 1833, S., 93. 2. 281. V. aussi les décisions citées «pra, n. 134 et infra n. 159.

OCass., 14 nov. 1832, S., 33. 1. 324 ; 15 déc. 1845. S., 46. 1. 81 ; 17 déc. 1860, S., 61. 1. 273; 15 janv. 1861, S., 61.1. 273; 10 mars 1862, S.,62. 2.593; 20 nov, 1866, S., 66. 1. 419 ; 25 mai 1869, S., 69. 1. 908 ; 2 fév. 1881, S., 82. 1. 115, avec le rapport de M. le conseiller Alméras-Latour. V. aussi Cass., 27 jaiU. 1886, S., 90. 1. 335. Nîmes, 7 juill. 1829. Montpellier, 29 nov. 1855, S., 56. 2. 402- Orléans, 1*' août 186^, S.. 64. 2. 101. —Paris, 4 déc. 1863, ï^.66. 1. 435. Lyon, 24 mai 1865, S., 66. 2. 343. - Poitiers, 9 juill. 1866, S., 66. 2. 344. Angers, 23 mars 1876, S., 76. 2. 283 ; 2 juill. 1894, S., 95. 2. l:tt. - Limoges. 9 avril 1878, S., 78. 2. 195. - Rennes, 4 juin 1878, S., 79. 2. 10; 20 avril 1880, S., 81. 2. 30. Dijon, 10 fév. 1882, S., 83. 2. 42. - Paris 16 mai 1900, S., 1902. 2. 15. - Sic Lallier, n. 25 s.; Appert, S., 99. 1. 337. V. cep. Merlin, Aep., Presc, sect. 3, § 6; Perreau, Revue Irim, de droit cii»., 1905, p. 68.

PRBSCR, 8

114 DE LA PRESCRIPTION

tionnaire, avait tous les caractères coastitutifs d*un droit ('). » Mais il faut que la possession ait été ancienne^ publique, constante, non interrompue, témoignant de la volonté per- sistante d'incorporer le nom de La terre au nom de la famille (*) ; il ne suffirait pas d'une possession accidentelle ou intermit- tente. Le juge du fait apprécie souverainement les faits de possession, sans avoir à faire intervenir les règles de la prescription ni de la possession d'état ('). Certains arrêts ajoutent que cet usage a perdu toute force depuis 1789 (^), et cela nous semble très exact. Mais d'autres arrêts plus récents paraissent se prononcer d'une façon générale sans distinguer si la possession remonte ou non au delà de 1789 ; il faut d'ail- leurs remarquer qu'ils ne statuent pas sur cette question (*). 134 quinquies. Un surnom peut aussi, d'après la juris- prudence, constituer un droit, notamment au cas il a été établi pour distinguer entre eux les membres d'une même famille, et s'il y a d'ailleurs une possession d'une durée suf- fisante (*)•

135. Les choses communes dont l'usage appartient à tous sont aussi en dehors de la prescription. La jurisprudence de la cour de cassation avait décidé à cet égard que les rivières non navigables ni flottables étaient communes à tous ; il en résultait qu'on ne pouvait acquérir par prescription ni le lit, ni le cours d'eau d'une rivière, tandis qu'on peut acquérir

(*) Cass., 20 nov. iSdô, précité; 22 oct 1901, S., 1902.1. 191. V. aussi Gass., 2 févT. 1881, précité. Poitiers, 9 juill., 1866, précité. Limoges, 9 avrill878, pi*écité.

(*) Gass., 17 déc. 1860, S., 61. 1. 273 ; 5 janv. 1863, S., 63. 1. 191 ; 25 mar* 1869, précité ; 22 oct. 1901, précité. Montpellier, 29 mai 1855, S., 56. 2. 402. - Douai, 12 mai 1863, S., 64. 2. 102. - Bourges, 30 janv. 1901, S„ 1904. 2. 27. Angers, 12 août 1901, S., 1904. 2. 29. Cet anèt parait d'ailleurs aller trop loin en exigeant, que, dans tous les actes invoqués, le nom de terre soit précédé du nom patronymique. V. la note sous l'arrêt.

(») Gass., 16 mars 1862, S., 62. 1. 593 ; 25 mai 1869, précité. FoiUers, 9 juiU.. 1866, précité. Dijon, 10 fév. 1882, précité. - Angers, 2 juiU. 1894, précité.

(*)Gass., 15 déc. 1845, précité ; 15 janv. 1861, précité ; 14 mars 1865, S. 66. 1.435.

(») Gass., 15 mai 1867, et 17 nov. 1891. précités.

(*) Gass., 17 déc, 1860, précité; 9 janv.1901. S., 1902. 1.462. Pari*, 30 déc. 1868, S., 69. 2. 139. - Trib. Toulouse, 18 mai 1886, S.. 86. 2. 119. Trib. Seine, 22 juillet 1896, S. 97. 2. 219; 1*' août 1903, D. 1904. 2. 4.

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 115

ainsi la propriété des ruisseaux, lacs et étangs ; en d autres termes, la prescription ne pouvait avoir ici pour effet que de créer des servitudes entre les proj)riétaires riverains (*)• La loi du 8 avril 1898 admet (art. 3) que « le lit des cours d'eau non navigables ni flottables appartient aux propriétaires des 4leux rives », et que, « si les deux rives ont deux propriétai- res différents, chacun d*eux a la propriété de la moitié du lit suivant une ligne que l'on suppose tracée au milieu du cours d'eau sauf titre ou prescription contraire. » Il ne s'agit ici que du lit de la rivière ; il peut être acquis par la pres- cription, bien qu'on ne voie pas facilement comment une possession utile pourra exister en ce cpii le concerne (*). Mais le cours d'eau lui-même ne peut être acquis par pres- cription; celle-ci ne peut que créer des servitudes dans les rapports des propriétaires riverains (').

136. Les biens qui font partie du domaine public échap- pent à toute prescription acquisitive ; ils ne peuvent être l'objet, à cet égard» d'une possession utile (*). L'Etat, les départements, les communes, peuvent invoquer la prescrip- tion pour les biens qui font partie du domaine public (*) ; on ne peut l'invoquer contre eux.

137. Nous n'avons pas à suivre dans toutes ses applica- tions la règle cpie nous venons de formuler ; c'est dans le commentaire du livre II du code civil et dans les traités spé- ciaux relatifs au domaine public qu'on peut en détail déter- miner comment ce domaine se distingue du domaine privé de l'Etat, des départements et des communes, et quelle est retendue exacte des biens soustraits à l'empire de la pres-

(*) V. Cas:)., 10 juin 1846, S., 46. 1. 433 ; 6 mai 1861, S., 61. 1. 958 ; 8 mars 18(55, S., 65. 1. 108 ; 6 nov. 1866, S., 66. 1. 427. Leroux deBrelagne,n. 172s.

(*) W Graux el Renard, Lois nouvelles, 1898, p. 533 et s.

(') V. sur la prescription en matière d*eaux courantes, Haudry>Lacantinerie et Cbaavean, Des biens, n. 871. Sur la prescription en matière d*eaux pluviales, \\ Baudr)'-Lacantinerie el Ctiauveau, op» cil,, n. 830 el s., et, en matière :«ources, ibid., n. 842 et s.

(*) V. Cass., 1«' déc. 1874, S., 75. 1. 167, D., 75. 1. 323; 26 juin 1888, S., 90. l. 412 ; 25 ocU 1896, S*, 97. 1. 447, D., 97. 1. 245. - Trib. confl., 22 juin 1889. S., 91. 3. 81.

(•) Gpr. Casa., 31 déc. 1855, S., 56. 1. 209 ; 9 janv. 1872, S., 72. 1. 225, D, 72. 1. 41. Leroux de Bretagne, n, 239.

116 DE LA PRESCRIPTION

cription('). Nous ne pouvons ici que retracer quelques appli- cations principales du principe de rimprescriptibilité du domaine public.

138. Le domaine public maritime est imprescriptible (*) ; mais les lais et relais de la mer sont considérés comme alié- nables et prescriptibles (*).

139. Dans le domaine fluvial imprescriptible ne rentrent pas les îles qui se forment dans les fleuves et qui sont sus- ceptibles d'être acquises par prescription quand elles émei^ gent au-dessus du fleuve (*) ; mais les digues artificielles des cours d'eau navigables et flottables font partie du domaine public et ne sauraient faire l'objet d'une propriété privée (*).

140. Les canaux de TEtat, destinés à la navigation, leurs accessoires et dépendances, font partie du domaine public; on ne peut acquérir par prescription le droit d'avoir sur un canal des ouvrages établis contrairement aux règlements administratifs (®).

141. Le domaine public terrestre imprescriptible comprend toutes les voies de communication : les chemins de fer ('),

(*) Le premier projet du Code civil présenté à la Convention n*admettait pa< rimprescriptibilité du domaine public comme principe général : après avoir établi comme règle que toutes les actions, tous les biens appartenant à la nation, et dont Taliénation est permise, sont prescriptibles » (liv. 2, tit. 3, art. 106), il disposait en effet que lorsqu'il s'agit de choses destinées à Tusage commun au public telles que les rues, les halles, les marchés, les cours, les fontaines, les cimetières, les églises, temples et autres propriétés de ce genre, la possession «toit avoir été tellement exclusive qu'elle ait privé tous les autres citoyens do l'usage de la chose >, (liv. II, tit. 3. art. 109).

1*) V. pour les rivages de la mer, Cass., 4 déc. 1843, D. liép., Act^ possess,, n. 683.

(') V. nolam. Cass., 17 nov. 1852, S., 52. 1. 729, D.,53.1. 105; 18 avril 1855, S., 55. 1. 735, I)., 55. 1. 205; 21 juin 1859, S., 59. 1. 744, 0., 59. 1. 252.

y*) Lyon, 19 juill. 1877, S., 77. 2. 258. Grenoble, 25 juill. 1865, S., 67. 2. 225.

(») Cass., 26 nov. 1849, S., 50. 1. 46, D., 50. 1. 50.

(«) Cass., 22 août 1837, D. Rép.y V Dom, pub,, n. 47. Troplong, n. 154; Lauient, n. 249; Leroux de Bretagne, n. 169; Aubi7 et Hau, 5* édit., II, p. 56, S 169; (iuillouard, n. 385. V. en ce qui concerne les francs bords des canaux, Cons. d'Él., 1" juin 1861, D., 61. 3. 59.

(') Cahs., 20 janv. 1868, S., 68. 1. 225. Ducrocq, Droit adm„ II, n. 945, 1343 et 1344. Le domaine public comprend non seulement les voies feri-ées, mais les gares, bâtiments affectés au service des voyageui-s et des marchandi- ses, cours et avenues donnant accès aux gares et élal)lis sur des terrains acquis

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 117

les routes, les chemins vicinaux (*), même les chemins ruraux reconnus conformément à la loi du 20 août 1881 (*), les voies publiques des villes ('). Sur les voies publiques, toute saillie extérieure, tout aqueduc souterrain, empiétant sur le domaine public, peuvent être supprimés après un laps de temps quelconque (*). Les terrains qui sont entre la voie publique et les maisons qui y ont accès sont même présu- més faire partie du domaine public, sauf preuve contraire (*) ; mais le propriétaire riverain pourrait faire la preuve de sa possession exclusive et invoquer la prescription acquisi- tive (*). Le sous-sol des voies publiques est imprescriptible comme les voies publiques elles-mêmes C^).

142. Si les voies publiques ne peuvent donner lieu à l'ac- quisition par prescription de droits pour les particuliers, il est nécessaire de rappeler qu'on peut avoir des vues et des ouvertures conformes à raffectation de la voie publique et à l'usage, et qu'il y a un véritable droit susceptible de faire l'objet d'actions possessoires contre d'autres particuliers, et qu'on ne peut d'ailleurs enlever qu'à charge d'indemnité (•).

pv expropriation. Cass., 20 janv. 186S, précité; 29 août 1871, S., 71. 1. 132.

- Cons. d'Ét., 1" juill. 186;^. S., 69. 1. 339. i

(')Cass., 12 août 1873, S., 74. 1. 29; 29 déc. 1879, S., 80. 1. 461; 2 mars 1887, S., 90. 1. 439; 26 ocl. 1896, précité.

(') Le terrain servant d*assiette à un chemin rural non reconnu est prescripti- ble. Amiens, 13 juin 1895, D., 96. 2. 124.

(») Cass., 6 nov. 1866, S., 66. 1. 622; 22 oct. 1900, S. 1904. 1. 167.

(*) Cass., 17 nov. 1859, S., 60 1. 591 ; 1" août 1856, S., 57. 1. 151 et les arrêts antérieurs indiqués en note, D., 56. 1. 357; 16 juil. 1877, S., 77. 1. 353. -Paris, 11 juill. 1871, D., 71. 2. 14S. Cpr. Leroux de Bretagne, n. 184.

{*) Cass., 13 mars 1854, S., 5i. 1. 542;24 avril 1855, S., 57. 1. 283 : 28 juil- H 1856, S., 57. 1. 284; 8 fév. 1893, S., 93. 1. 184 et la note, D., 93. 1. 168.— Troplong, n.l6l; GuUlouard, n. 372 et 373.— V. cep. Laurent, XXXII, n. 242.

(*)Cass, 28 juill. 1856, précité. -- Guillouard, loc. cit.

(') Uurent, X>C>CII, n. 243; Guillouard, n. 376. - V.Paris, 11 juill. 1871, 1)., 71. 2. 148.

(•)V. Cass., 3 mai 1858, S., 58. 1. 751; 12 fév. 1859, S., 60. 1. 267. Oriéans,30 juU. 1861, S., 62. 2. 28, et la note, D., 61. 2. 163. - Laurent, VU, n. 131 8.; Troplong, n. 156; Aubrj' et Rau, A* éd.. II[, p.69, §. 249 et les notes; Oaillouard, n. 375.— Sur Je droit, pour les propriétaires riverains d'un chemin, <i't8:ir au possessoire s*ils sont troublés dans les droits qu'ils tiennent de la Mtoation des lieux et de la loi, voyez Cass., 2 mars 1892, S., 92. 1. 151 ; 15 juin 18^, S., 95. 1. 412 et les arrêts antérieurs indiqués en note.

118 DE LA PRESCRIPTION

142 bis. Les murs^ fossés et remparts des places de guerre, faisant partie du domaine public, ne peuvent donner lieu aux actions possessoires ni être susceptibles de prescrip- tion acquisitive (^).

143. Les fontaines destinés à Tusage public et à Falimen- tation des villes font partie du domaine public, même pour la partie des eaux qu'elles fournissent au delà des besoins des habitants. Lajurisprudence Fa ainsi décidé, en se basant sur ce que la fontaine entière est affectée aux nécessités, éventuelles du public; même si des règlements ont déter— miné une certaine quantité d'eau à concéder, il ne peut en résulter qu'une fixation subordonnée aux besoins du ser- vice public; il ne peut donc, dans aucun cas, y avoir de possession utile au point de vue de la prescription (*).

144- C'est une question vivement controversée que celle de savoir si les bâtiments affectés à un service public font partie du domaine public et à ce titre sont inaliénables et imprescriptibles (');la solution dépend de l'idée qu'on admet sur le caractère du domaine public, du point de savoir si c'est un domaine de propriété, ou un domaine de souverai- neté, s'il faut restreindre l'article 538 du code civil aux frac- tions du territoire, ou s'il faut y voir l'idée générale de faire rentrer dans le domaine public toutes les choses, meubles, ou immeubles, qui sont affectées a l'usage public ou à un service public (arg. art. 540 C. civ.). Nous n'avons pas ici à aborder cette discussion. Notons seulement que la con-

(», Cass., 29 janv. 1878, S., 78. i. 249.

(») Cass., 20 aoùl 1861, S., 62. 1. 65, I)., 61. 1. 385; 4 juin 1866. S., 66. 1. 446, D., 67. 1. 35.; 15 nov. 1869,S., 70. 1. 20, D. 70. 1. 275; 21 janv.l883,S.. 83. 1. 321, D., 84. 1. 107; 19 fév. 1889, S., 89. 1.208;30 avril 1889, S.,89. 1.368,. D.,89. 1.373; 6 juil. 1896, S , 97. 1. 4i6. Leroux de Bretagne, n. 190; Aubry et Rau. éd , H, p. 59, § 169, noie 18 ; (Juillouard, n. 386 et 387. Contre Oss., 9 janv. 186J. S., 62. 1. 166. Troplonjç, n. 168.

(») V. pour rafllrmalive, Troplong, I, p. 169; TouUier, UI, n. 39 et 50 ; Gau- dry, 7p. du domstine, I, n. 269, et II, n. 636 ; Lainache, Reçue crtl., XXVn, 1865, p. 13 ; Foucai-l, Droit adm., II, n. 801 ; Demolombe, IX,. n. 458 bis et 460 ; Aubry et Hau, 5* éd., II, p. 55 ; Hauriou, Précis de dr, àdmin , p. 489 s. ^ Contra Prondhon, Dom. publ,, n. 334; Baibie, Tr. de dr. public, V, n. 337 s. ; Dufour, id., V, n. 70,72, 82 ; Diievocq^ Droit admin^ II, n. 914 et 919, et Rev. crit., XXVIII, 1865, p. 318 ; Uferrière, Droit pubUe et

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 119 '

troverse n'existe guère pour les églises^ qui sont considérées par presque tous les auteurs comme faisant partie du domaine public (')• La jurisprudence décide 4 cet égard que sont imprescriptibles comme les églises elles-mêmes, les piliers et contreforts extérieurs qui en font partie ; on ne peilt, par la prescription, acquérir sur eux, pas plus que sur les ég'lises elles-mêmes, aucune servitude ; on ne peut, par exemple, acquérir sur eux une servitude oneris ferendi (*). On est même allé jusqu'à considérer aussi comme imprescriptible le terrain situé entre les piliers et contreforts extérieurs (*) . 145. C est également une difficulté très délicate que sou- lève la question de savoir si le domaine public peut com- prendre des objets mobiliers, et si notamment les objets affectés au culte, ceux des musées et bibliothèques, les tableaux et objets d art placés dans les églises, en font par- tie, et sont, comme lui, inaliénables et imprescriptibles. La jarisprudence admet que des choses mobilières peuvent luire partie du domaine public (*). Elle interprète large-

*/m., I, p. 555 ; Berthélemy, Droit adm^, 3* édil., p. 404 s. V. l'intéressant exposé de la controverse dans Tétude de M.SaleilIes sur la loi du 30 mars 1887. La jurisprudence parait peu fixée. V. dans le sens de la première opinion, Douai, 21 août 1865, S., 66J2.229, et, en sens contraire, Paris, 18 fév. 1854, D., 51.2.178.- Cfr. aussiLyon,10 juU1.189i, S., 95.2.185 et la note de M. SaleiUes.

(«) Aubry et Rau, 5* éd., VIII, p. 60, § 109, note 19. - V. nol. Cass., 18 juill. f[ 5 déc. 1838, S. 38. 1. 798 et 39. 1. 33 ; 22 julU. 1874, S., 74. 1. 431. V. aus.si Cass., 19 avril lâ25 ; 4 juin 18)5, S., 35. 1. 413 ; 17 mare 1869, S., 69. 1. 257. V. cep. Berthélemy, p. 408.

(»)Cass., 5 déc. 1838, S., 39. 1. 33. - Paris, 18 fév. 1851, S., 51. 2. 81. - .\gen, 2) janv. 1860, S., 60.2. 317. Gaen, 28 déc. 1896, S., 96. 2. 201, I)., 98. 2. 133. V. cep. Troplong, n. 173.

P)Agen, 2 juill. 1862, S., 62.2.510. Leroux de Bretagne, n. 192 et s. V. cep. Cass., 7 nov. 1880. S., 61. 1. 353. Caen, 28 déc. 1896, précité. Guillouard, n. 390. Comme le fait observer M. Guillouard, il n'y a pas de doute si le terrain situé entre les contreforts a été aménagé en vue de la conservation de TédiQce, par exemple recouvert de dalles ; il est alors un accessoire de rédifici*.,et, comme lui, imprescriptible.

(♦) Casa., 17 juin 1896, S., 96. 1. 408. - Paris, 3 janv. 1846, S., 47J8.77 ; 2 mars 1877, Le Droit du )fô mai IBH ; 12 juiU. 1879, S., 86, 4. 26, en note, D., 80.2.201. « Dijon, 3 mars 1886, S., 90. 2. 74 ; 5 fév. lc<9l, Bevnebomrgni^ gnonne^ 1891, p. 636. Lyon, iO juill. 1894, S., 95. 2. 185. Cass. Belgi- que, 11 nov. 1886, S., 88« 4. 26. Sic Aubry et Bau, éd.. Il, p. 61, § 169 ; Foucart, Droit mdmin., il, n. 803 ; Saleilles, La loi dn SO mars iêi7, n. 16, 35 et 46 et note dans S., 95. 2. 185 ; Pariset, Monum, histor., p. 119 et 120 ;

120 DE LA PRESCRIPTION

ment l'article 538 du code civil ; il y a jouissance effective du public, elle tend à voir une partie du domaine îpublic, qu'il s'agisse ou non de portions du territoire. Elle a été ainsi amenée à ranger dans le domaine public les objets mobiliers des musées et bibliothèques affectés au public et répugnant, par suite de cette destination, à une appropriation privée.

145 bis. Il est intéressant de signaler à cet égard les deux décisions rendues récemment par la cour de Lyon et par la cour de cassation. La première a jugé « que 1 énumération des dépendances du domaine public faite par les articles 538 et 540 n'est point limitative mais seulement énonciative ; qu'elle doit être complétée par un critérium cherché dans un caractère commun à toutes les choses énumérées par la loi ; que ce caractère distinctif de la domanialité publique réside dans l'affectation d'une chose à l'usage direct et immédiat du public ; que cette règle s'applique à la fois aux choses mobi- lières et aux choses inmiobilières se rattachant au domaine de l'Etat, des départements ou des communes qui présentent ce caractère d'être affectées à l'usage public et par suite non susceptibles de propriété privée ». Et la cour de cassation, maintenant cet arrêt, a jugé que « les livres et manuscrits, qui sont la partie constitutive et essentielle d'une biblio- thèque dépendant du domaine public, appartiennent néces- sairement à ce même domaine (*). »

Pour que ces objets mobiliers fassent partie du domaine public, certains arrêts exigent qu'il y ait eu une décision formelle de classement; d'autres veulent simplement, à défaut de cette mesure de classement, qu'il y ait eu place- ment dans un musée ou bibliothèque, c'est-à-dire affecta-

Béquel, Rép, de dr nt admin,, v* Beanx-Rrls, n. 313 s., et v Domaine, n. 216 s.; Block, Dict, de Vadmin., Domaine^ n. 30 ; Aucoc, Droit adm., II, II. 494 ; Ifauriou, loc, cit.: Hue, Traité de dr, civil, IV, n. 62. V. aussi les art. 46 de la loi du 18 juill. 1837 et 110 de celle du 5 avril 1884. Contra, Balbie, Droit admin., V, p. 317 ; Brémond, Rev. crit., 188S. p. 550 ; Berlhé- lemy, p. 407. V. aussi Oufoiir, Droit admin.. V, n. 263 s. ; Ducrocq, id,, n. 1015 et 1032. V. sur les meubles ayant fait partie du domaine de la cou- ronne, Orléans, 23 déc. 1880, S., 83. 2. 204 et la note. V) Lyon, 10 juill. 1894, précité. - Gass., 17 juin 1806, précité.

DES BIENS ET DES DROITS SL'SCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 121

tien à Fusage du public (*) . Un arrêt a même admis que les objets d'art appartenant à l'État sont de plein droit hors du commerce, en dehors de- tout classement et de toute affec- tation («) .

146. La loi du 30 mars 1887 a introduit des règles nou- velles sur la condition juridique des objets mobiliers pou- vant présenter un intérêt national au point de vue historique ou artistique, meubles précieux, manuscrits, livres, objets (1 art, etc. Elle en ordonne un classement dont les effets sont différents selon qu'il s'agit d'objets appartenant à l'Etat ou d'objets appartenant à d'autres personnes morales publiques ('). D'après l'article 10 de cette loi, « les objets classés et appartenant à l'Etat seront inaliénables et impres- criptibles. » Aux termes de l'article 11, «les objets classés appartenant aux départements, aux communes, aux fabri- ques et autres établissements publics, ne pourront être restaurés, réparés ou aliénés par vente, don, ou échange, qu'avec l'autorisation du ministre de Tinstruction publique et des beaux-arts. » Et l'article 13 ajoute que « l'aliénation faite en violation de l'article 11 sera nulle et la nullité en sera poursuivie par le propriétaire vendeur ou par le minis- tre de rinstruction publique et des beaux-arts, sans préju- «lice des dommages-intérêts qui pourraient être réclamés «outre les parties contractantes et contre l'officier public qui aura prêté son concours à l'aliénation ; les objets clas- sés qui auraient été aliénés irrégulièrement, perdus ou volés, pourront être revendiqués pendant trois ans, confor- mément aux dispositions des articles 2279 et 2280 du code <îivil. La revendication pourra être exercée par les proprié-

(') Cass. 10 août 1841, S., 41.1.740. - Dijon, 3 mars 1886, précité. Saleil- H op. cit., n. 48.

{*) Lyon, 19 déc. 1873, D., 76J2.89.

(') Sur celle loi, voir nolammenl Ducrocq, La loi du 30 mars US7, et les àéertts dtt S janvier 1SS9 sur la conservation des monuments et objets ^ohUiers présentant un intérêt national au point de vue de VhUtoire et de IV(;MorKand, Revue gén. d'administration, 1889; Saleilles, La loi du W mars ISS7, et Revue bourguignonne, 18;*3, p. 300 s.— V. aussi Parisel, Les "■onomenU historiques, et l'inléressanle mono{çraphie de M. Saleilles sur La %û{aitofi italienne relative à la conservation des monuments et objets

122 DE LA PRESCRIPTION

taires, et^ à leur défaut^ par le ministre de rinsiruction publique ».

147.. La loi distingue ainsi les objets appartenant à l'Etat qui sont garantis par une imprescriptibilité perpétuelle, et ceux des départements, communes, ou autres établissements publics, qui peuvent être, en cas d aliénation irrégulière, de perte ou de vol, revendiqués pendant trois ans. Il ne paraH pas douteux en ejffet que l'article 13, que nous avons reproduit plus haut, ne doit s'appliquer qu'à la seule hypo- thèse de l'article 11 et non à celle de l'article 10; les tra- vaux préparatoires sont quelque peu confus sur ce point, mais le texte et le but de la loi ne doivent laisser prise à aucune hésitation (^).

148. Il faut bien préciser d abord les objets visés par la loi nouvelle. Elle a eu principalement en vue non pas les objets mobiliers du domaine public, mais ceux qui rentrent dans le domaine privé de l'Etat, des départements, des com- munes, ceux qui appartiennent aux fabriques ou autres éta- blissements publics, en d'autres termes les objets isolés non compris dans des musées ou bibliothèques et qui,constituant une propriété ordinaire, étaient auparavant susceptibles d'être aliénés. Elle ne se propose pas de réglementer le domaine public mobilier tel que la jurisprudence le reconnaissait, d'interpréter ou de modifier l'article 538 du code civil, mais de créer une sorte de domaniali nouvelle résultant, à défaut de l'aflPectation à l'usage public, du classement ordonné par la loi. Les rapports au Sénat et à la Chambre des députés prouvent clairement qu'on n*a visé que des objets considérés comme propriété privée, et que ce n'est pas des grandes col- lections publiques, admises par la jurisprudence comme rentrant dans le domaine public, qu'on a voulu s'occuper, M. Bardoux, au Sénat, prend soin de dire qu' « il ne saurait être question d'objets mobiliers appartenant à des particu- liers », que la loi nouvelle « est par certains points une loi d'exception », qu'elle est « la limitation de la propriété par l'établissement d'une restriction, d'une sorte de servitude

(*) V. sur ce point el en ce sens Saleilles, op, cit.

DES BIE?<S ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 123

d*utilité publique (^). » M. Autonin Proust, à la Chambre des députés, dit, de même, dans son exposé des motifs, que la loi nouvelle, dans le but de protéger des œuvres d art dont la conser vation est pour la France d'une importance capi- tale, vient limiter le droit de propriété dans les mains des personnes morales qui les possèdent ou les détiennent (*). » La loi nouvelle n*est pas, à vrai dire, une loi de domania- lité, c'est une loi de protection adniinistrative, créant une sorte de servitude administrative ('). « 1/idée de servitude administrative, a écrit à cet égard M. Saleilles, suppose une propriété de droit privé dominée par un service d affecta* tien supérieure qu*il faut protéger contre. Tarbitraire ou la négligence du propriétaire. Il s^agit d'une de ces propriétés d'affectation qui peuvent se trouver aux mains d*une personne morale publique sans cesser pour cela d*ètre une propriété de droit privé, mais qui exigent, en vue préci- sément de la destination qui pèse sur elles, des limitations aux droits du propriétaire, limitations exigées par le but même qu'elles doivent remplir (*). »

C'est précisément parce qu'on se plaçait à ce point de vue qu'on a distingué les objets de l'État et ceux des communes, départements ou autres établissements publics. Comme la loi avait déjà le caractère d'une atteinte à la propriété privée, on n'osa pas aller jusqu'à édicter une imprescriptibilité per- pétuelle pour les départements, communes et établissements publics: on se contenta d'admettre la revendication pendant trois ans (').

Il est d'ailleurs à remarquer qu'en fait les instructions données pour l'application de la loi nouvelle n'ont pas eu trait aux grandes collections publiques des musées ou des bibliothèques. Ce n'était pas pour elles que la loi de 1887 était faite. On a voulu protéger des objets qui auparavant ne Tétaient pas ; on ne s'est pas occupé de ceux qui étaient

(•) V. Journal officiel, Sénat. Doc. pnrL, 18S6, p. 139 el 140.

(*) V. Journal officiel, Chambre, Doc.parL, 1882, 1, p. 168.

(') Lyon, 10 JniU. 1894, précilé.

r) Saleilles, note sur Lyon, 10 Juill. 1894, précité.

(») V. Journal officiel, Sénat, Doc. parL^ loc, cit.

124 LA PRESCRIPTION

déjà sauvegardés par Timprescriptibilité. On n'a pas eu liintention de rien changer à la jurispni(lence ancienne sur le domaine public mobilier ; cela a été dit formellement au Sénat (*).

140. Est-ce à dire que la loi du 3 mars 1887 ne sera sus- ceptible d'aucune application aux objets précieux qui, fai- sant partie des grandes collections publiques^ étaient aupa- ravant considérés comme faisant partie du domaine public ? Cette solution serait trop absolue et peu conforme à l'inten- tion des rédacteurs de la loi nouvelle. Le classement ordonné par cette loi peut être utile pour ces objets, la question d'imprescriptibilité étant mise à part; il produit des effets intéressants quant à la surveillance et au contrôle de l'administration sur les objets classés, au point de vue de leur restauration, ou au cas d'aliénation; ces garanties peu- vent s'ajouter à celles qui étîiient déjà admises. M. Saleîl- les, dans les intéressantes dissertations qu'il a publiées sur la loi de 1887, nous paraît avoir clairement démontré qu'il rentre dans le but de la loi nouvelle d'étendre ces garanties aux objets des musées et bibliothèques déjà protégés depuis longtemps par les règles de domanialité et d'imprescriptibi- lité. « Il a été dans la pensée des auteurs de la loi que, s'ils introduisaient des garanties nouvelles que ne compor- tait pas antérieurement le régime juridique des objets fai- sant partie des collections publiques, ces garanties nouvel- les pourraient leur être appliquées par surcroît, sous la con- dition des formalités spéciales que la loi allait prescrire (*). »

150. Les développements que nous venons de donner ont répondu par avance à deux questions fort délicates que l'ap- plication de la loi du 3 mars 1887 a fait naître devant les tribunaux. 11 s'est agi d'abord de savoir si les objets non classés, par suite non réglementés par la loi nouvelle,doivent continuer à être considérés comme rentrant dans le domaine public, au cas ils sont affectés à l'usage public dans des conditions telles que la jurisprudence antérieure à la loi

{^) Journal officiel, Sénat, Doc. parL, loc. cit, V. aussi à cet égard Lyon. 10 juill. 1894, précité. (-) Saleilles, Hevue Boarifuignonne, 1893, p. 342.

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 125

les considérait comme inaliénables et imprescriptibles. On a soutenu que la loi de 1887 avait restreint le domaine public mobilier aux manuscrits, livres, objets d'art, appartenant à l'Etat et ayant été classés ; les objets précieux appartenant aux départements et communes ne seraient plus dans aucun cas imprescriptibles ; ils ne seraient garantis que par les dis- positions des articles 11 et 13 de la loi nouvelle; ceux de l'Etat ne seraient eux-mêmes imprescriptibles qu'à la condition d'être classés. Dans ce système, qu'a admis le tribunal de Lyon (*), on ajoute d'ailleurs que les inventaires déjà faits «le grandes collections peuvent être assimilés à un classe- ment (*). Ainsi, d'après cette interprétation, la loi du 30 mars 1887 aurait confirme la jurisprudence antérieure quant aux musées et bibliothèques de l'Etat, qui continueraient à être protégés par l'inaliénabilité et Timprescriptibilité ; elle aurait au contraire abrogé cette jurisprudence quant aux musées <*t bibliothèques des communes et départements.

Cette solution ne peut être admise. Nous avons dit cpie la loi nouvelle ne voulait supprimer aucune des garanties déjà établies. On ne comprendrait pas que les communes et les «lépartements n'eussent pas, comme l'Etat, un domaine public mobiher ; il serait contradictoire que la loi de 1887, en même temps qu'elle élargissait les catégories d'objets précieux sus- ceptibles de protection, en même temps qu'elle augmentait les mesures de protection à prendre dans l'intérêt national, eût voulu « diminuer pour toute une catégorie d'objets, et non les moins importants, ceux des collections publiques muni- cipales, les garanties considérables que leur accordait la jurisprudence et qui leur étaient fournies par le droit com- mun » (') ; enfin il est inadmissible que les objets précieux «le l'Etat considérés jusqu'ici comme du domaine public et

(') V. aussi Hauriou, n. 368; Puzier-Herman, Rép, gén» du dr.fr. ^y'* Reaux- »rtM, n. 243 bis ; Ducrocq, La Loi du 30 mars 1887 p. 37 ; Répert, du droit admin., v* Domaine, n. 222.

(*) V. en ce **ens, Trib. civ. Lyon, 21 janvier 1893, S., 95.2.185. Sm-rassi- milation de^ inventaires au classement exi^çé par la loi nouvelle, voyez d^ailleurs SileiUes, Revue bourguignonne, 1893, p. 315, 332, 342, el noie sous Lyon, 10 juilL 1894, précité.

(') Saleilles, La Loi du 30 mars 1887.

126 dYs prescbiption

imprescriptibles ne puissent conserver ce caractère qu'à la condition d'être soumis au classement prescrit parla loi nou- velle, si bien qu'à défaut de classement, ils sortiraient du domaine public et seraient sujets à la prescription. La vérité est, conrnie nous Tavons dit, qu'on n'a pas vaulu diminuer les garanties anciennes ; la domanialité qui était atechée à Faffectation àTusage public en résulte toujours comme«upa- ravant ; la loi ne s'en est pas occupée ; elle a voulu créer des garanties nouvelles en visant spécialement les objets iso- lés faisant partie du domaine privé de l'Etat ou des établis- sements publics. Cette solution a été admise par le tribunal de Màcon, par la cour de Lyon et par la cour de cassation dont rintéressant arrêt fixera, nous le pensons, la jurispru- dence (^}. « La loi du 30 mars 1888, dit la cour de cassation, ne s'est point occupée des bibliothèques faisant partie du domaine public de l'Etat, des départements ou des commu- nes, et ses dispositions sont sans application dans la cause. En effet cette loi, accordant sa protection aux objets qui n'étaient pas suffisamment protégés, n'a pu vouloir détruire ou affaiblir la protection qui couvrait déjà une partie de la richesse artistique ou littéraire dépendant du domaine public de l'Etat, des départements ou des communes. »

Les objets non classés, s'ils sont compris dans des collec- tions publiques, continuent donc à faire partie du domaine public et sont inaliénables et imprescriptibles, qu'ils soient dans le domaine national, dans le domaine départemental, ou dans le domaine comnmnal. Ce sont les objets placés en dehors de ces collections, non affectés à l'usage public, qui seront protégés ou non par la loi de 1887, selon qu'ils seront classés ou non ; classés, ils seront imprescriptibles s'ils appartiennent à l'Etat ; ils pourront être revendiqués pen- dant trois ans s'ils appartiennent aux départements ou aux communes. Nous aurons plus loin à revenir sur l'application des articles 2279 et 2280 aux objets visés par la loi du 30 mars 1887.

(') Trib. civ. Màcon, 18 juin 1890, S., 95. 2. 187, en note. Lyon, 10 juiL 1894, S., 95. 2. 135 et la note de M. Saleilles. Gass., 17 juin 1896, S., 96. 1. 408, D., 97. 1. 257, et la note de M. Guénée.

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 127

I5i. On s'est demandé aussi si les objets classés confor- mément aux exigences de la loi de 1887, s'ils sont d'ailleurs afiectés à l'usage public, peuvent continuer à bénéficier de la jurisprudence ancienne tout en profitant des effets de la loi nouvelle. On pourrait soutenir que cette loi n'a en vue que la protection des objets isolés, faisant partie du domaine privé et qui auparavant étaient soumis au droit commun quant i leur aliénation et leur prescription ; elle ne s'appli- querait pas aux objets qui étaient déjà protégés par la règle de rimprescriptibilité ; le classement qu'on ferait de ces objets ne changerait rien à leur situation ; il ne produirait pas d'effet.

Cette idée doit être, suivant nous, repoussée. Nous avons

déjà dit que l'application de la loi de 1887 doit être élargie

et étendue à tous les objets ayant un intérêt artistique ou

historique ; ceux qui étaient avant elle considérés comme du

domaine public resteront inaliénables et imprescriptibles ;

ils seront de plus soumis à la loi nouvelle en ce qu'ils ne

pourront être restaurés sans autorisation ministérielle, en ce

qu'ils pourront être revendiqués par le ministre, en ce qu'ils

ne pourront, dans tous les cas, être désaffectés et perdre

leur caractère domanial qu'après décision ministérielle (^).

V. mpra n. 149.

152. Mais, quoi qu'il en soit de ce point délicat, il est bien impossible d'admettre, comme Ta fait un jugement du tribu- nal de Màcon (*), que les objets des départements et commu- ii^> jusqu'ici considérés comme imprescriptibles, puissent être considérés conmie perdant leur caractère par suite du classement ordonné par la loi de 1887. La formalité du clas- sement ne peut évidemment avoir pour effet de soustraire un objet aux garanties dont il jouissait auparavant ; la protec- tion établie pour lui n'a pu être diminuée parce qu'on l'a classé. On éviterait de procéder au classement s'il devait entraîner dépareilles conséquences ; les objets des collections publiques des départements ou des communes seraient ou

(')Sic Saleilles, op. cit, - Cpr. Lyon, 10 juill. 1894, pi-écilé. (') Trib. civ. Mâcon, 18 juin 1990, précité.

128 DE LA PRESCRIPTION

privés du classement ou privés d'iinprescriptibilité ; c'est une solution inadmissible.

163. La loi du 30 mars 1887 ne saurait avoir d'effet rétroac- tif. On a soutenu qu'il doit en être autrement, parce que, a-t-on dit, c'est une loi interprétative qui a mis fin aux con- troverses sur le domaine public mobilier (*). C'est une idée inexacte. Il n'y avait en jurisprudence aucune dissi- dence sur l'existence d'un domaine public mobilier compre- nant les meubles affectés à l'usage public : la controverse n'existait que parmi les auteurs. D'ailleurs il en eût été autre- ment que la loi du 30 mars 1887 n'aurait pas pour cela le caractère interprétatif ; elle n'admet pas en effet une des interprétations entre lesquelles on pouvait hésiter ; elle donne des solutions nouvelles ; elle contient une série de formalités et de garanties nouvelles ; c'est une loi qui innove sur un grand nombre de points et non une loi qui interprète un texte embarrassant (•).

i54. L'imprescriptibilité du domaine public cesse avec la cause qui l'a produite. La question est seulement de savoir s'il faut une mesure de l'autorité publique pour le déclasse- ment. Il semblerait rationnel de se conformer, pour la désaf- fectation, aux formalités remplies pour l'affectation, et d'exiger une déclaration officielle s'il y a eu à l'origine un acte d'affectation, de se contenter au contraire du change- ment opéré en fait dans la destination de la chose au cas aucun acte n'a été dressé pour constater la domanialité. La jurisprudence parait cependant fixée dans le sens d'une autre distinction quelque peu arbitraire. Elle exige, en appli- quant certains textes spéciaux, un arrêté de déclassement quand il s'agit du domaine militaire ; à partir de cet arrêté seulement peut commencer une possession utile (»). Au con- traire, pour les chemins, les rues et places publiques, les

(') Trib. civ. Lyon, 21 janv, 1893, précité.

(«) Sic Saleilles, Revue bourguignonne, 1893, p. 300 s. V. aussi Trib. civ Màcon, 18 juin 1890, précité.

(M L. 8-10 juin. 1791; L. 17 juill. 1819. - Cass., 3 mars 1828 ; 27 nov. 1835, S., 36.1.296, I)., 36.1.66. - Grenoble, 5 avril 1865, S., 65.2.306. - Troplon^! n. 174. Gpr. Leroux de Bretagne, n. 198 ; Aubr)- et Rau, 5* éd.. Il, p. 69 ei 70, § 171. - V. cep. Cass., 30 juill. 1839, S., 40.1.166, 1)., 40.1.17.

I

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION liî)

édifices publics, rimprescriptibilité cesse dès que Taffecta- tion est changée ('). Pour les chemins et pour les rues, il a été jugé que les particuliers peuvent avoir une possession utile pour la prescription dès que le terrain a perdu sa des- tination, n'est plus affecté à Tusage du public ; c'est une question à apprécier par le juge du fond ; alors même qu'en fait elle servirait encore au jîassage des habitants, la partie d'un chemin qui a été redressée peut être considérée comme ne faisant plus partie du domaine public (*). Il faut d'ailleurs que la désaffectation soit réelle et complète; un obstacle au passage et à la circulation ne constitue pas l'abandon et le déclassement (') ; il en est de même de l'empiétement sur une portion de rue résultant de la construction d'un mur en pierre (^).

155. Il faut ajouter qu'en cas de difficulté sur la désaf- fectation, et lorsque TEtat a prouvé que le terrain litigieux a fait partie du domaine public, la partie adverse ne peut invoquer la prescription qu'à la condition d'établir que le terrain a cessé d'appartenir au domaine public pour passer <laD5 le domaine privé de l'État (*).

156. Rappelons enfin que l'imprescriptibilité du domaine public ne peut être invoquée par les particuliers entre eux, soit au point de vue de la prescription, soit au point de vue des actions possessoires (*) ; les particuliers ne peuvent, dans

<')Uss., 18 mars 1815, S.. 45.1.572, 1)., 45.1.243 ;24 avril 1855, S., 56.1.443, D., 55.1.206 ; 25 janv. 1848, S., 48.1J844 ; 27 nov. 1861, S., 62.1.170, I)., 62.1. 34. Leroux de Bretagne, n. 196 ; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 69, § 171. V. cep. Guiilouard, n. 395.

i*)Cass..l8 marn 1845, S., 45.1.572, D., 45.1.243 ; 24 avril 1855, S., 56.1.443, I)., K.l.a06 ; 27 nov. 1861, précité ; 26 mai 1868, S., 68.1.329, ])., 68.1.256 ; déc. 1874, S., 75.1.167, I)., 75.1.323. - Proudhon, Dom. pubL, n. 218 ; Leroux de Bretagne, n. 182; Troplong, n. 162. V. encore Gass., 9 déc. 1895, i^., 97.1.405.

P) Cass., 26 mai 1868, S., 68.1.329. - V. cep. Gass., 27 nov. 1861, précité.

(*l (^s., 20 nov. 1901, S., 1902.1.40, D., 1902.1.537.

(»)Gi.<s., 8 juin 1875, S., 76.1.32.

(♦; V. Gxs^.. 18 déc. 1835, l).. 63.1.224 ; 20 nov. 1877, S., 78.1.64, I)., 78.1. 272 ; 6 mars 1878. S., 79.1.13 ; 11 juill. 1883, S., 85.1.118; 19 février 1889, S.. ai.208, D , 8i. 1.347 ; 11 juillet 1883, S., 85.1.108 ; 6 juiU. 1896, S., 97.1. 416. 0., 96.1.352. - Guiilouard, n. 395.

PRE*»CR. 9

130 DE LA PRESCRIPTION

leur intérêt privé, se prévaloir de Timprescriptibilité du domaine public.

SECTION II

PRESCRIPTION EXTLNCTIVE

167. Les droits placés en dehors des conventions des par- ticuliers ne peuvent s'éteindre par reflet de la prescription; on ne peut en disposer ; ils ne sont pas dans le commerce et ils ne peuvent disparaître par un certain laps de temps. On peut ajouter, et nous allons le voir spécialement .pour ce qui concerne les pures facultés, que ces droits, pour la plu- part, se renouvellent en quelque sorte constamment tant qu'existent les situations de fait auxquelles ils se rattachent-

158. Les droits qui sont relatifs à l'état des personnes^ ne s'éteignent pas, en principe, par prescription ; on peut par exemple, même après trente ans, agir en nullité d'une reconnaissance d'enfant naturel (*). Il faut rappeler que les droits pécuniaires se rattachant à Tétat des personnes peu- vent au contraire s'éteindre par prescription ; ainsi s'expli- quent les articles 328 et 330 du code civil. Il faut rappeler aussi qu'il est des actions relatives à l'état civil, à la filia- tion, au mariage, que le législateur a limitées à un espace de temps plus ou moins long.

150. Tels sont aussi les droits qui se rattachent aux noms de famille et aux titres nobiliaires ; ils échappent aux règles de la prescription ; on ne les perd point quel que soit le temps pendant lequel on ait négligé de s'en prévaloir.

La propriété du nom est imprescriptible. Elle n'est pa& dans le commerce. Il en résulte que les ayants drpit peu- vent la revendiquer malgré le silence qu'ils auraient gardé même très longtemps et l'usage plus ou moins long qu'un tiers en aurait eu sans leur protestation (*). La cour de

(») Douai, 21 déc. 1885, S., 87.2.151. Aubry et Rau, éd., VI, p. 21,. § 544 bis ; LaurenI, III, n. 427 ; Demolombe, Palern, et fil,, n. 329.

(«) Paris, 20 juill. 1879, S., 80.2.203. Toulouse, 15inaM 1893, S., 93.2.281. - Limoges, 22 juill. 1895, S., 97.2.278. - Trib. civ. Orange, 21 avril 1893, S., 93*2.281. - Laurent, t. 32, n. 239; OuiUouard, n. 400; Lallier. Pro-

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 131

Limoges a jugé récemment, dans le même sens, que le principe de rimmutabilité et de Fimprescriptibilité du nom patronymique permet à une personne de réclamer le nom originaire porté par ses ascendants, sans qu'on puisse lui opposer une altération produite dans ce nom pendant un laps de temps assez étendu et même plusieurs générations, les noms de famille étant fixés par les actes les plus anciens auxquels il convient de se reporter pour connaître le véri- table nom (*). (V. supra, n. 134 et s.).

160. Au principe que nous avons posé se rattache cette idée que les obligations imposées par des lois d'ordre public et d'intérêt général ne disparaissent pas par prescription. Ainsi les textes spéciaux à la matière disposent que Faction tendant à faire démolir des ouvrages établis dans le voisi- nage des places fortes contrairement aux règlements est imprescriptible (*). 11 a été jugé que l'obligation imposée à des concessionnaires de travaux de défrichement de marais d'avoir à réparer et à entretenir des ouvrages nécessaires au défrichement ne peut s'éteindre par trente ans ('). (V. supra, n. 132).

161- Les pures facultés ne peuvent s'éteindre par pres- cription. C'est une règle qui, reposant au fond sur une vérité d'évidence, est en réalité fort obscure et des plus difficiles à préciser. Il est intéressant, pour bien la com- prendre, de se reporter d'abord à deux auteurs qui ont sou- vent inspiré les rédacteurs du code civil dans cette matière de la prescription, Pothier et Dunod (*).

D'après Pothier, sont imprescriptibles les droits qui sont de pure faculté « lorsque cette faculté procède de la liberté naturelle, telle qu'est la faculté que chacun a d'élever sa maison qui n'est sujette à aucune servitude à telle hauteur

priété des noms et titres, n. 179 s. V. aussi Cass., 8 mars 1841, S., 41.1.189 el 15 mai 1867, S., 67.1.241.

(*) Limoges, 22 juill. 1895, précité. V. dans le môme sens, Toulouse, 15 mars 1893, précité. Trib. civ. Orange, 21 avril 1893, précité.

(«) D. 30 aoûl-23 sept. 1853, art. 49. Cf. Leroux de Brelagne, n. 199.

(M Ck)ns. d'ÉUl, 19 avril 1855, D., 55.3.89.

(*) Les idées maîtresses de la théorie avaient été fortement exprimées, avant eux, par d'Argentré sur l'article 266 anc. coût, de Bret, cliap. IX, n. 4 et 5,

132 DE LA PRESCRIPTION

que bon lui semblera, ou lorsqu'elle procède de quelques dispositions de droit public, telles que sont celles que cha- cun a en Beauce de mener paître ses troupeaux sur les ter- res vaines de ses voisins. »

Dunod a aussi essayé d'expliquer ce qu'il faut entendre par les facultés imprescriptibles, mais son langage est un peu confus. Il mélange les pures facultés imprescriptibles et les actes de faculté qui ne peuvent conduire à la prescription acquisitive ; il confond avec tout cela les actes de tolérance. Ne prenons de ses développements que ce qui est relatif aux pures facultés qui ne peuvent s'éteindre par prescrip- tion ; le passage est fort intéressant : « Ce qui est de pure faculté, dit-il, n'est pas prescriptible, et cette qualité vient de la chose ou de la personne. La faculté qui vient de la chose tire son origine de la nature ou de la destination ; de la nature lorsque la faculté s'exerce sur ce que la nature a donné à tous les hommes pour en user sans se Tapproprier, qui n'est pas susceptible d'occupation et qui est resté dans l'usage commun, tels que sont les éléments; de la destina- tion, lorsque des choses susceptibles par elles-mêmes d'oc- cupation, de possesssion et de propriété, sont néanmoins affectées à l'usage de tous, ou des personnes d'une certaine société, comme sont les chemins, les rues, les fontaines publiques, les communaux du lieu dont on est habitant. On ne perd pas la liberté de se servir de ces sortes de choses quoi qu'on n'en use pas... Il y a une autre faculté qui est attachée à la personne des particuliers. Elle consiste dans l'exercice d'une liberté purement naturelle de disposer de ses biens et de ses actions, suivant le droit de l'Etat dont on est membre, quand et comment on le trouve à propos, et de faire ou de ne pas faire certaines choses. Cette liberté est imprescriptible tant qu'elle n'est pas intervertie ou contre- dite et que l'on n'y a pas renoncé expressément ou tacitement. Ainsi quand on serait allé d'un temps immémorial au four ou au moulin de la même personne, on pourrait encore cuire ou moudre dans ceux d'une autre, si on le jugeait à propos, ou faire chez soi des fours ou des moulins, parce que l'on ne serait censé s'être servi de ceux de la même

DKS BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 133

j)ersonne qu'en vertu de la liberté qu'on avait d'y aller comme ailleurs^ liberté qui subsiste toujours et qui est pré- sumée la cause de ce que l'on a fait en cette matière, à la iin comme au commencement. Ainsi quoique Ton ait usé d'un temps immémorial d'un chemin public plutôt que d'un autre, on pourra prendre celui-ci quand on le vou- dra... Ainsi quand on n'aurait jamais eu de bâtiment sur son fonds, le voisin ne pourrait pas empêcher qu'on en fît, iii à plus forte raison qu'on rétablît ceux qui y étaient, (|uand ils auraient été ruinés d'un t^mps immémorial ; il n'aurait pas le droit d'empêcher que Ton élevât des bâti- ments à son gré, encore qu'élevant de la sorte on nuisît à sa vue et à ses jours et qu'on obscurcît sa maison, parce que c'est une liberté naturelle de faire sur son fonds ce que l'on veut; on peut par cette raison établir un cabaret, une bou- tique, une manufacture, un moulin, près d'un autre, sans craindre la prescription. C'est en vertu de cette liberté qu'il est permis de faire un puits dans sa maison, quoiqu'en le faisant on coupe les veines de celui de son voisin, que l'on peut retenir l'eau de la source qu'on a dans son héritage, ou la conduire ailleurs pour son utilité, quoiqu'elle ait coulé tl'un temps immémorial dans ceux des voisins, et qu'ils s'en soient servis; enfin que s'il n'y a point de servitude con- traire, le propriétaire du fonds supérieur peut retenir ou <létourner dans son fonds l'eau qui coule dans ce fonds ou tians le chemin qui le touche. »

Généralisant un peu ces exemples, Dunod distingue ce qui est acquis naturellement, indépendamment de toute conven- tion et droit formé, et ce qui vient d*une cause extérieure, «l'un droit nouveau. « La pure faculté consiste en fait parce qu'elle ne suppose pas un droit ni une action propre et par- ticulière qui préexistent... La faculté étant une liberté com- mune à tous les hommes ou à plusieurs membres dune société d'agir ou de ne pas agir suivant qu'ils le trouvent bon et que la loi le leur permet, elle fait abstraction de tout droit formé et de toute action... 11 suit de que la faculté qui est impres- criptible tandis qu'elle conserve sa nature, devient prescrip- tible quand on l'assujettit à une convention, parce qu'elle est

134 DE LA PRESCRIPTION

dénaturée et changée en un droit formé et particulier qui pro- duit des actions et des exceptions sujettes à la prescription.. 11 faut donc distinguer entre la faculté qui a son fondement dans la nature^ dans le droit public commun à tous ou à plu- sieurs d'une même société^ dans la liberté de faire ou de ne pas faire certaines choses, sans aucune préexistence ni mé- lange de titres, de conventions ou d'actions, et celle qui vient d'un titre, qui tire son origine d'un contrat, qui est propre à celui qui a le titre, qui résulte d'un droit formé,qui produit une action et qui peut être déduite en jugement. La première de ces facultés n'est pas sujette à la prescription tant qu'elle n'est pas intervertie, mais la seconde se prescrit sans inter- version, parce qu'elle dérive d'une convention et d'une action qui sont prescriptibles et dans le commerce ordinaire... »

162. Cette longue citation est importante; elle peut servir encore aujourd'hui de base et d'assise à la théorie des facultés imprescriptibles : il est d'ailleurs raisonnable de. s'appuyer sur la doctrine de Pothier et de Dunod,que les'rédacteurs du code ont suivie si souvent en écrivant le titre de la prescrip- tion. Il résulte de la théorie de Dunod que les facultés impres- criptibles sont celles qui dérivent de la liberté naturelle, celles qui sont l'exercice du droit de propriété, celles enfin que la loi attribue à tous indépendamment de toute conven- tion.

163. En d'autres termes, les facultés nombreuses qui ré- sultent de la nature ou de la loi, ou qui sont l'exercice de la liberté ou de la propriété,ne peuvent se perdre par prescrip- tion parce qu'elles dérivent en quelque sorte d un titre qui se renouvelle chaque jour et que,à celui qui les a,il n'est point besoin d'une action pour les conserver. Comme on l'a sou- vent répété et démontré, les pures facultés sont surtout et avant tout les droits émanant de la liberté de la personne et de la liberté de la propriété. Le droit d'aller et de venir ou d'exercer une industrie se rattache à Ja liberté de cha- cun ; le droit de construire, de planter, de fouiller son ter- rain, d'acquérir la mitoyenneté du mur voisin, de demander le bornage de son champ, de clore sa propriété, d'exiger un passage si on est enclavé, de demander le partage de biens

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 135

indivis, de se ser\'ir des eaux à leur passage, d'obliger son voisin à subir le passage des eaux destinées à Tirrigation ou des eaux nuisibles, ou de subir l'appui d'un barrage sur son fonds, de couper les racines et de faire couper les bran- ches des arbres du voisin qui avancent sur son propre fonds, tous ces droits font partie du droit commun de la propriété ; comme le droit de propriété lui-même, ils ne s'éteignent pas par non-usage. 11 en est de même du droit de se servir des cho- ses publiques et des choses communes. Toutes les facultés dont nous parlons sont, comme dit Troplong, des droits en dispo- nibilité; les faits juridiques qu'elles produisent peuvent don- ner lieu à la prescription,maisnonles facultés elles-mêmes; un autre ne peut les posséder et en user; d un autre côté, le défaut d'exercice ne peut en faire présumer l'abandon, puisqu'elles sont subordonnées à notre volonté, aux nécessités dumoinent,qu'on les tient en réserve; ce sont des droits qui ont un caractère facultatif, en ce sens que celui à qui ils appartiennent demeure libre d'en user ou non, sans que le non usage en compromette l'existence. Ce sont des droits essentiellement attachés à une qualité qui ne peut se perdre par la prescription, la qualité de personne, de propriétaire, d'habitant de telle commune ; ils ne sont que la conséquence de cette condition permanente et durent aussi longtemps qu'elle, puisqu'elle les fait naître incessamment. Les facultés inhérentes à la propriété sont notamment de leur nature imprescriptibles, comme le droit de propriété lui-même qui ne peut s'éteindre par le seul non usage ; elles ne peuvent se perdre par le non usage si prolongé qu'il soit ; elles ne peu- vent se perdre qu'indirectement par suite de l'acquisition, faite par un tiers, d'un droit inconciliable avec elles.

164. Les auteurs ont presque tous des formules différentes pour définir les pures facultés. D'après M. Poncet, il faut ranger parmi les actes de pure faculté, ceux qui découlent du libre exercice de nos facultés, ceux au moyen desquels nous nous servons de nos choses, des choses communes ou publiques, ceux qui ne sont que l'exercice de droits attachés d'une manière permanente à une situation déterminée. Aubry et Rau disent que sont imprescriptibles les facultés inhércn-

136 DE LA PRESCRIPTION

tes au droit de propriété ou dérivant d'une concession légale. Ces définitions se confondent en somme avec celle que nous avons donnée.

D'autres sont plus vagues et indécises. Ainsi Troplong dit qu'il est de Tessence des facultés d'agir uniquement sur nous- mêmes et sur les choses qui sont à notre disposition et de n'agir jamais sur la j)ersonne ou la propriété d'autrui. Cette idée est peu exacte ; le droit de demander le bornage, celui de demander le partage sont imprescriptibles ; ce sont des facultés que la prescription ne peut atteindre ; et cependant ces droits impliquent une action contre autrui. V. infra,xi. 165.

Ferrière définissait les choses de pure faculté « celles dont la loi nous donne expressément le droit de nous servir, sans nous y astreindre, en sorte que nous avons une entière liberté d'user ou de ne pas user de la faculté que la loi nous donne. » Bien évidemment c'est une notion insuffisante; et il en est de même, à notre avis, de celle que donne M.Guil- louard, d'après Perrière, lorsqu'il écrit que « les droits accordés par la loi sans limitation de délai, que l'on appelle à cause de cela actes de pure faculté, ne se perdent pas par le jion usage », ou lorsqu'il définit les pures facultés « des droits que la loi donne sans en limiter la durée (*). »

Leroux de Bretagne range parmi les facultés imprescrip- tibles celles qui ont été données aux hommes par la nature ou par la loi dans un intérêt général, tandis que les autres supposent la préexistence d'un droit qui n'appartient qu'à certains individus et dont ils peuvent disposer parce qu'il ne touche que leur intérêt privé. Laurent enseigne que « les facultés sont l'exercice de la liberté dans son application aux relations civiles ». Ces définitions nous paraissent insuf- fisantes et peu précises.

166. Bien que le code ne parle pas des facultés impres- criptibles, leur existence n'en est pas moins certaine. Mais on a souvent émis, pour justifier cette solution, une argumen- tation qui ne nous paraît pas rigoureusement exacte. Tous les droits, a-t-on dit, ne s'éteignent pas par non usage ; les

(') V. Perrière. Dicl. de droit et de pratique, Choses de pure faculté: Guillouard, n. 502.

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION d37

articles 1234 et 2262 ne visent que les obligations et les actions; il est des droits qui échappent à ces textes, qui n'impliquent pas rexercice d'une action pour leur mise en mouvement ; ils ne peuvent s'éteindre par non usage, car aucun texte n'en a disposé ainsi ; et, comme d'ailleurs ils ne donnent pas naissance à une action, la prescription extinctive ne les atteint pas.

(iC raisonnement n'est pas suffisant pour justifier Tim- prescriptibilité des facultés. Nous verrons plus tard s'il est vrai de dire que la prescription ne peut atteindre que les droits munis d'actions. Mais nous pouvons observer dès maintenant que des droits même munis d'actions peuvent être à labri de la prescription ; nous avons déjà cité le droit <racquérir la mitoyenneté, de demander le bornage, le par- tage, et on pourrait en citer d'autres (*). Ces droits rentrent cependant dans les facultés imprescriptibles. Ce qu'il faut lUre, c'est que ces droits sont des conséquences du droit (le propriété, dérivent directement de la loi, sont indépen- dants de toute convention, tandis que les droits proprement dits, opposés aux facultés, sont constitués par la volonté de lliomme. Les facultés peuvent impliquer l'exercice d'une action et cependant n'être pas susceptibles de s'éteindre par la prescription, parce que le titre en vertu duquel elles existent se renouvelle pour ainsi dire chaque jour et résulte de la loi (*). Nous ne disons pas que les facultés imprescrip- tibles sont tous les droits qui dérivent directement de la loi, mais ceux-là seulement qui se rattachent à une situation per- manente d'où ils renaissent sans cesse, soit la qualité de per-

(') V. Bufnoir, p. 249.

0 Y. sur les facultés imprescriptibles, Gass., 10 avril 1821 ; 16 mars 1826 ; 25 mars 1844, S., 44. 1. 602, D., 41. 1. 241; 17 fév.1858, D., 58. 1, 297; 11 mai im, D., 68. 1. 468 ; 29 juil. 1.863, S., 64. 1. 20 ; 28 juill. 1874, S., 75, 1. 404, !>., Î5. 1. 317. Paris, 4 juin 1872, I)., 74. 5. 453. D'Argentré sur Brel., article 266, ch. VIII, n. 5; Dunod, p. 80 s.; Polhier,/fi<rod. an titre XIV de la rontame dVrlé&ns, n. 33 ; Merlin, /îép., Droits facultatifs ; Vazeille, n. 56 N ;TropIong, n. 110 s, ; Leroux de Bretagne, n. 122 s. ; Marcadé, surTarticle 2iâ!6 ; Poncel, Rev, crit.^ 1880, p. 450 ; Laurent, 227s. ; de Loynes, Rev. crit.^ 1889, p. 388 s. ; Planiol, éd., I, n. 738, et t. 2, n, 635 ; Bufnoir, p. 244 «'l *. ; Boislel, Philos, du droit. I, p, 163 Gpr. C civ. ail., articles 758^ 92 i, 2042.

138. DE LA PRESCRIPTION

sonne jouissant des libertés de droit commun, soit le titre de propriétaire, soit la qualité de citoyen de tel pays ou d'habi- tant de telle commune, etc.

165 bis. Nous venons de passer en revue des droits qui, à raison de leur nature et de leur objet, sont imprescriptibles. On peut dire, en se plaçant à un point de vue inverse, qu'il y a des obligations imprescriptibles parce qu'elles dérivent d'une situation permanente qui les fait naître sans cesse. Ainsi il est clair que l'obligation alimentaire née de la parenté ou de ralliance ne peut se prescrire. Nous ne disons pas bien entendu que toutes les obligations légales sont imprescriptibles, mais que celles qui dérivent d'une situation déterminée ne peuvent se prescrire tant que cette situation elle-même est maintenue ; le titre se renouvelle chaque jour, comme nous Tavons vu pour les pures facul- tés (0 (V. infra, n. 169 et 612 bis).

166. Les droits qui dérivent d'une convention sont au con- traire, susceptibles de prescription. « Les facultés, dit Dunod, qui proviennent d'une convention sont prescriptibles dans le même temps que l'action que la convention produit, quand même ces facultés auraient été stipulées perpétuelles. » Il en est de même des droits établis par la loi et ne rentrant pas dans le groupe des pures facultés, ne se rattachant pas à une situation permanente qui puisse les faire renaître sans cesse et en renouveler constamment le titre.

167. Mais il faut bien remarquer que cela ne serait pas vrai des facultés légales imprescriptibles réservées par une conven- tion : elles sont toujours imprescriptibles. Dunod dità tort que « la faculté qui est imprescriptible tandis qu'elle conserve sa nature devient prescriptible quand on l'assujettit à une con- vention, parce qu'elle est dénaturée et changée en un droit formé et particulier, qui produit des actions et des excep- tions sujettes à la prescription. » Cela n'est pas exact : le propriétaire d'un terrain voisin de sa maison peut, en ven-

(*) Il a été jugé en ce sens que robligation pour l'usager de conlribuer au paie- ment de rinipôlne peut s'éteindre par prescription. Seules les impositions annuel- les peuvent être atteintes par la prescription. Gass., 26 avril 1900. S. 1901. 1. 337 et la note de M. Ferron.

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 139

dant ce terrain, se réserver le droit de surélever son bâti- ment ; son droit reste imprescriptible ; la convention sura- bondante n'a pu le dénaturer. On a jugé en ce sens que le propriétaire d'une forêt qui, en concédant un droit d'usage, se réserve de prendre le bois nécessaire pour alimenter une scierie, ne fait que stipuler un droit dérivant de la propriété qu'il conserve ; il peut rester trente ans sans exercer son droit, il ne l'a pas perdu (*).

168. La règle que nous avons formulée ne s'applique donc qu'aux facultés conventionnelles qui ne nous appar- tiendraient point si un titre ne nous les avait accordées ; tel est le droit stipulé par l'acquéreur de bâtir sur un ter- rain réservé par le vendeur, le droit stipulé par un proprié- taire d'obliger son voisin à contribuer au paiement du prix d'une cour commune, le droit accordé à un propriétaire d'ouvrir dans sa maison une fenêtre à une distance illégale, le droit réservé par un propriétaire, en concédant un droit d'usage sur certains immeubles moyennant une rente, de reprendre ces immeubles quand il lui plaira (^), le droit réservé par un propriétaire vendeur de faire des fouilles et des aqueducs sur le terrain vendu pour amener les eaux chez lui ('), le droit de faire des fouilles dans une carrière appartenant à un tiers (*). C'est de ces facultés que Pothier disait très bien : « La faculté qui ne nous appartient qu'en vertu d'une clause accidentelle du contrat et qui ne nous appartiendrait pas sans un titre particulier par lequel elle nous est accordée est un droit sujet à la prescription ordi- naire. »

(•) Cass., 2 juilL 1862, S,, 62.1.104. - Rouen, 14 juin 1843, S., 43.2.519. VazeiUç, n. 109 ; Bufnoir, p. 254 ; Guillouard, n. 618. V. aussi Montpellier, 10 août 1865, S., 66.2.17. Mais voy. cep. Agen, 23 janv. 1860, S., 60,2.317. ^ Le droit stipulé de racheter une rente est imprescriptible, la loi ayant elle- ro^me disposé que toute rente est essentiellement rachetable.

(*) Cass., 24 avril 1860, S., 61.1.362, D. 61.1.180 ; 14 déc. 1863, S., 64.1.77, D., 64.1,126 ; 28 juill. 1874, S., 75.1.404, D., 75.1.317. -Bourges,24 fév. 1830. - Toulouse, 4 fév. 1841, I)., 41.2.150.

(•) Ciss., 28 ocl. 1889, S., 91.1.293.

(*)Cass., 30 mars 1870, S., 71.1.95, D., 70.1.345. - V. Laurent, XXXII, n. 376. V. encore Caen, 13 fév. 1897, La Loi du 17 avril 1897.

140 DE LA PRESCRIPTION

168 bis. Il y a, ou le voit, grand intérêt à déterminer si tel droit acquis par une personne constitue un^droit de pro- priété qui ne peut se perdre par non usage et dont les attributs sont de pures facultés imprescriptibles, ou une ser- vitude susceptible de s'éteindre par non usage, ou encore un droit de créance ou un droit réel autre qu'une servitude mais auquel s'applique également le principe de l'extinc- tion par trente ans* de non usage (*).

La faculté conventionnelle peut d'ailleurs constituer un droit conditionnel, pour lequel la prescription ne peut courir que si l'événement en vue duquel la faculté a été établie se réalise ; il en serait ainsi de la faculté d'achat ou de rachat stipulée pour tel cas déterminé, notamment pour le cas de vente d'un bien par son propriétaire ou ses héri- tiers (^).

160. Encore faut-il ajouter que les facultés convention- nelles ne peuvent s'éteindre par prescription si elles procè- dent de l'essence ou de la nature du contrat ; elles se main- tiennent tant que le contrat est lui-même mamtenu. D'un autre côté les facultés accordées à un dél)iteur et qui ne sont que des modifications apportées à son obligation ne peuvent s'éteindre tant que cette obligation subsiste ('). U a été jugé que la faculté d'achat stipulée comme condition et garantie d'une cession de jouissance subsiste et ne sau- rait être atteinte par la prescription, tant que dure le droit de jouissance dont elle constitue un élément indivisible (*). Celui qui, en se soumettant à une servitude de passage, s'est réservé le droit de s'en aftranchir par l'établissement d'un chemin placé ailleurs, ne perd à aucune époque le droit de substituer au passage établi l'autre chemin. Il y a là, sui- vant la Cour de cassation, une faculté conventionnelle dont la réserve était une condition inhérente à l'établissenient de

(») V. Cass., 5 nov. 1866, S., 67.1.441 ; 30 mars 1870, S., 71.1.95. - Buf- noir, p. 258 ; Gmllouard, n. 617.

(=•) V. Troplong, n. 124 et 790.

(») Polhier, IiUrod. au lit. XIV de la coût. d'Orléans, n. 33 ; TropIont% n. 127 et 129 ; Leroux de BreUigne, n. 129 s. ; Bufnoir, p. 255. V. cep. Laurent, XXXII, n. 235.

0) Cass., 9 juill. 1883, S., 85.1.415.

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION 141

la servitude et formait ainsi un élément indivisible du con- trat (*). La concession faite sur un cours d'eau sous la con- dition que la ville pourrait prendre les eaux nécessaires à ses fontaines donne à la ville le droit de prendre de l'eau à une époque quelconque, même après plus de trente ans ; c'est une condition inhérente à la concession ; « elle en est tellement inséparable que le temps plus ou moins long que met la ville à user du droit stipulé à son profit ne peut devenir pour le concessionnaire la cause d'un affranchisse- ment incompatible avec la nature de son droit et son titre originaire (*). » (V. infra 612 bis et s.).

170. Les pures facultés peuvent-elles devenir prescripti- bles par suite d'une interversion ? Dunod formulait à cet égard une règle qui nous paraît quelque peu hardie : « L'in- terversion et la contradiction, disait-il, sont d'un grand iKage pour les prescriptions en ce qu'elles servent, comme on Va dit, non seulement aux détenteurs et possesseurs pré- cwrcs, mais encore à prescrire des droits contraires aux facultés de fait. Car quoiqu'il soit libre, par exemple, à cha- can d'aller ou de ne pas aller au four ou au moulin d'autrui, si, quand on a cessé d'y aller, on a été requis de le faire comme y étant obligé et que l'on ait déféré à la réquisition pendant le temps itécessaire pour prescrire, on perdra cette liberté. Les contradictions ouvrent, en un mot, la carrière de la prescription à tout ce qui peut être prescrit activement ou passivement. » Troplong accepte aussi cette opinion ; relui qui obéit à la prohibition d'autrui en ne faisant pas acte de pure faculté pourra, dit-il, perdre son droit, < comme si, un voisin me défendant de ne pas bâtir, je reste trente ans sans bâtir (^). »

0)Cas»., 18 déc. 1900, S., 1902.1.139, D., 1901.1.251.

nCass., 21 fév. 1872, S., 72 1.167, D., 72.1.237.- Laupcnl. XXXII, n. 330. - V. encore infra, n. 384 bis. «V. d*ailleurs D. Rép, Supp,, v* Prescr., B.90 s.

(•) Dunod, p. 89 ; Troplong, n. 113. V. Gass., 4 avril 1842, ?., 42.1.308 et 11 mai 1868, D., 68.1.468, et d*aulres arrêts indiqués au Rép, de Dalloz.SiippL ^* Prêter,, n. 89. D'après les arrôls précités, les facultés imprescriptibles Pavent se perdre par prescription, s'il y a eu contradiction. Mais, dans les ^^pèces de ces arrêts, il s'agit de prescription acquisilive, bien que les arrêts partissent s'exprimer autrement.

142 DE LA PRESCRIPTION

171. La vérité est, au contraire, à notre avis, que Tinter- version ne peut avoir lieu qu'en matière de prescription acquisitive ; on conçoit que des actes exercés à titre de pure faculté et n'empiétant pas sur le droit d autrui deviennent, à un moment donné, des actes d'une nature différente, empiétant sur le droit d'un autre, constituant une contra- diction à l'égard de ce droit ; mais au point de vue de l'ex- tinction par non usage, il ne peut être question d'inter^^er- sion ; les contradictions ne peuvent ouvrir la carrière de la prescription, pour reprendre les expressions de Dunod, qu^'à ce qui peut être prescrit activement ; l'interversion n'a trait qu'à la possession, et, par suite, qu'à la prescription acqui- sitive. Nous aurons à étudier comment l'interversion peut avoir lieu en matière d'actes de pure faculté ou de tolé- rance, quand nous expliquerons la règle de l'article 2232.

172. Il faut ajouter que, dans les cas visés par Dunod et Troplong, il s'agit en définitive de faire acquérir par pres- cription des droits pour lesquels la loi n'admet pas ce mode d'établissement, parce que ce sont des droits personnels ou parce que ce sont des servitudes négatives qui, étant non apparentes, ne peuvent être acquises par prescription ; on arriverait, en effet, à acquérir par prescription une servitude non œdificandi, non altius tollendi, ce qui est contraire aux articles 690 et 691. Suivant les expressions de Marcadé, la prétention du voisin qui est l'auteur d'une pareille défense est une prétention ridicule, insignifiante ; le silence gardé à l'égard d'une défense absurde ne peut être considéré comme ayant aucun effet (*).

173. Signalons enfin parmi les droits imprescriptibles le droit de tout porteur d'un billet de la banque de France de s'en faire rembourser le montant ; ce droit est considéré comme imprescriptible, le billet devant circuler comme la monnaie et devant lui être assimilé au point de vue des avantages du porteur. « Quel que soit le temps écoulé depuis la date de l'émission d'un billet de banque, le porteur peut en réclamer le paiement, sans avoir à craindre que la pres-

(•) V. aussi Marcadé, sur l'art. 2^26 ; Laurent, n. 232 ; GuiUouard, n. 619.

DES P£aSO.M<rES QUI PEUVENT INVOQUER LA PRESCRIPTION 143

cription lui soit opposée. A ce point de vue notamment, le billet de banque est assimilé aux espèces monnayées dont le temps ne détruit pas la valeur. Aucune loi n'établit cette règle, mais elle est incontestable*. »

174. Nous aurons plus loin, en étudiant l'article 2262 d après lequel toutes les actions se prescrivent par trente ans, à rechercher s'il n'y a pas quelques autres droits qui échappent à la prescription extinctive. Les instances se pres- crivent-elles par trente ans ? Les actions dirigées contre un acte inexistant ou nul d'une nullité absolue s'éteignent-elles par le délai ordinaire de la prescription ? L'action en reven- dication est-elle atteinte par ce délai ? Ce sont des ques- tions qui trouveront leur place avec l'examen du principe général de Taiiicle 2262. V. infra, n. 584 s.

CHAPITRE Vil

DES PERSONNES QUI PEUVENT INVOQUER LA PRESCRIPTION ET DES PERSONNES CONTRE LESQUELLES ELLE COURT

175. La prescription, soit acquisitive, soit libératoire,, court au profit de toute personne et contre toute personne. Les personnes civiles sont soumises aux règles ordinaires* Nous avons eu l'occasion de remarquer plus haut que la prescription peut être invoquée en France par les étrangers comme par les Français (v. supra, n. 33). Nous verrons plus loin que, d'après l'article 2251, « la prescription court contre toutes personnes, à moins qu^elles ne soient dans quelque exception établie par la loi. »

L'article 2227 applique ce principe aux personnes mora- les du droit public ; « L'Etat, les établissements publics et ks communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers, et peuvent également les opposer. » Cette dispo- sition a une grande importance. Elle consacre l'abandon de règles toutes différentes suivies dans le droit romain et

0 Lyon-Caen et Renault, Droit commercial, IV,n. 763.

14 i DE LA. PRESCRIPTION

dans lancien droit; Pothier écrivait encore, au siècle der- nier, que « le roi, à la vérité, n'est pas lui-même sujet à aucune loi humaine et par conséquent à celle de la pres- cription (*). » Il faut en suivre Inapplication à l'Etat, aux communes, aux établissements publics et d'utilité publi- que e).

§ I. L'État.

176. L article 2227, appliqué à l'État, signifie que l'État est soumis aux mêmes prescriptions acquisitives ou libéra- toires que toute autre personne, et il peut de même en profiter. L'État peut donc invoquer la prescription comme tout particulier peut le faire. Il peut l'invoquer même à rencontre des communes, malgré l'espèce de tutelle qu'on prétend qu'il exerce sur elles ('). V. infra, n. 185 bis.

177. On peut, à l'inverse, invoquer contre l'État les pres- criptions ordinaires. En ce qui concerne la prescription acquisitive,il ne peut bien entendu s'agir ici que du domaine privé de l'État; le domaine public, nous l'avons vu, est à l'abri de la prescription.

178. Cette distinction du domaine pubUc et du domaine privé est d'origine récente. Les lois de la période révolu- tionnaire l'ont connue et tracée sans bien la préciser; les textes du code civil ne la respectent pas très fidèlement (V. art. 537 et 541 C. civ.).

Dans l'ancien droit, le domaine du roi et le domaine de l'État étaient confondus; le domaine public et le domaine privé l'étaient également. Le domaine de l'État, aussi bien le territoire du royaume sur lequel le roi avait le domaine de souveraineté que ce qui appartenait au roi comme particulier et était administré comme tout autre domaine privé, fut déclaré inaliénable et imprescriptible par plusieurs disposi- tions, notamment par l'édit de juin 1539, et par l'ordonnance

(♦) Polhier, Oblig,, n. 685.

{*} Gpr. C. civ., ilal., art. 2114. C. civ. esp,, art. 1932. C. civ. purt.,art. 516. - G. civ.. holl., art. 1991.

(») Douai, 8 jaiiv. et 10 juin 1863, sous Cass., 2 mars 1870, S., 71.1.161. Contra Duranton, XXI,n. 179; Mas^é et Vergé, sur Zachariac, V, § 845.

DES PERSONNES QUI PEUVENT INVOQUER LA PRESCRIPTION 145

de Moulins de février 1566; c'était une protection nécessaire contre les abus des libéralités du souverain et l'avidité de son entourage. «Cette union de plein droit des biens patrimoniaux du prince qui parvient à la couronne, nous dit Dunod, est un usage particulier au royaume de France fondé sur les lois de la nation. Les empereurs romains n'avaient aucun privilège à l'égard de leur patrimoine privé et il pouvait être prescrit par le temps ordinaire ». Quant au domaine de l'Etat, Dunod ajoute que « la raison qui établit Tinaliénabilité du domaine est que le souverain, le tenant pour des causes qui regardent rintérèt public^ il n'en doit pas être regardé conmie proprié- taire, mais seulement comme usufruitier et administrateur ; ce qui a fait passer parmi presque toutes les nations qu'il ne peut en disposer d'une manière préjudiciable,et il est censé le faire au préjudice de l'Etat lorsque raliénation est d'une chose considérable et que la nécessité ou l'utilité publique ne l'exige pas ».

L'aliénation n'était permise qu'exceptionnellement pour constitution d'apanage aux putnés de la maison de France à charge de retour en cas de décès sans enfants mâles, pour nécessité de guerre moyennant deniers comptants et sous réserve de rachat à perpétuité, enfin en cas d'échange. Cer- taines parties du domaine étaient d'ailleurs exceptées de la règle, leur destination étant d'être essentiellement aliéna- bles ; tels étaient les terres vaines et vagues, landes, bruyères, étangs, marais, bacs, ponts, moulins, fours, pressoirs, mai- sons, etc. (*).

Mais, sauf ces exceptions, l'imprescriptibilité était géné- rale et absolue ; la prescription de cent ans était elle-même inefficace. « L'inaliénabilité du domaine étant en France une loi qui intéresse la police et la conservation du royaume, les aliénations qui s'en font, même par des édits, dans des cas de nécessité, ne sont que des engagements ; en sorte que le roi peut toujours retirer ses domaines aliénés en rem- boursant les acquéreurs sans avoir égard à aucune appro-

(') V. sur ce point Troplon^, n. 184. —V. aussi Cass., 21 mars 1838, S., 38.1, 353, D., 38.1.166; lOnov.lSiO, S.,41.1.37, b., 41.1.170. - Caen, l7nov.l84'i. Ul. 49.2.149.

Phesch. 10

146 DE LA PRESCRIPTION '

bation/ confirmation ni laps de temps, quand il serait de plusieurs siècles (*). » La jurisprudence a été appelée sou- vent à appliquer cette règle aux biens aliénés après 1566 (*).

179. Le principe de Taliénabilité et de la prescriptibilitc du domaine privé de TEtat a été posé par la loi des 22 novem- l)re-l*' décembre 1790 ; le délai de la prescription fut seu- lement porté à quarante ans ('). Sous la période révolution- naire, le domaine privé s'enrichit dans des proportions considérables par suite des confiscations.

Les règles introduites par le droit révolutionnaire ont été rappelées par Bigot-Préameneu dans son exposé des motifs : « A regard des domaines nationaux, a-t-il dit, si dans Tancien régime ils étaient imprescriptibles, c'était une con- séquence de la règle suivant laquelle ils ne pouvaient en aucune manière être aliénés. On induisait de cette règle que le domaine ne pouvait être possédé en vertu d'un titre valable et sans mauvaise foi ; que cette possession ne pou- vait être imputée qu'à la négligence des officiers publics et que cette négligence ne devait pas entraîner la perte des biens nécessaires à la défense et aux autres charges de rÉtat. La règle de Tinaliénabilité a été abrogée pendant la session de l'assemblée constituante par des considérations de l>ien public qui ne sauraient être méconnues. Les lois multipliées qui autorisent la vente des domaines anciens et nouveaux, les aliénatiçns générales faites en exécution de ces lois et l 'irrévocabilité de ces aliénations prononcées dans les chartes constitutionnelles ont faire consacrer par le code civil, comme une règle immuable, celle qui, en met- tant ces domaines dans le commerce, les assujettit au droit commun de la prescription. »

180. Les aliénations qui avaient été faites contrairement à l'ordonnance de 1566, ou même celles qui avaient eu lieu à

(') Dunod, p. 74, 273. V. cep. Polhier, Prescrip., n. 288. - V. d'aiUeurs Wodon, Traité des choses publiques, n. 52 s. ; Saleilles, Revue bourgui" gnonney 1891, p. 664 s.

(') ^ pour plus de développements, Troplon^ç, n. 185; Leroux de Bretagne, n.217.

(») V. Cass., 17 juin 1839, S., 39.1.759, D., 39.1.256.

DES PERSON.NES QUI PEUVENT INVOQUER LA PRESCRIPTION 147

une époque quelconque avec réserve de rachat à perpé- tuité, ne pouvaient donner lieu à prescription ; mais la loi du 14 ventôse an VII en prononça la révocation et dès lors les possesseurs purent prescrire. La loi du 17 mars 1820 disposa que toute revendication de TEtat serait éteinte après trente ans depuis la loi du 14 ventôse an VII. Ceux qui ont acquis postérieurement au code civil des biens rentrant dans cette catégorie ont même pu les prescrire par dix ou vingt ana avec juste titre et bonne foi (*).

181. Les forêts domaniales avaient d*a])ord été laissées en dehors de la règle ordinaire ; elles restaient inaliénables et imprescriptibles. Elles sont considérées comme étant devenues aliénables et prescriptibles depuis la loi du 25 mars 1817qui les a affectées à la dotation de la caisse d'amortissement (*).

182. En somme, la distinction du domaine public et du tlomaîne privé a été indiquée en termes un peu vagues par la loi des 22 novembre-l*"" décembre 1790 ; en réalité, cette loi distinguait seulement une partie du domaine de l'Etat aliénable et une autre partie de ce môme domaine inaliéna- l)le. La distinction s'est poursuivie et a été pou à peu précisée parles auteurs, la jurisprudence et les textes administratifs. U théorie n'est pas encore complètement établie, puisqu'on discute toujours sur le caractère des bâtiments affectés à un ser>ice public et des objets mobiliers affectés à l'usage public (v. supra, n. 144 s.).

183. Sous la monarchie, les biens compris dans la dota- lion de la couronne étaient déclarés inaliénables et impres- criptibles ; telle fut la règle établie par les lois des 8-9 no- vembre 1816, 2-7 mars 1832, par les sénatusconsultes des

(') V. nol. Cass., 8mai 1832, S., 32.1.838 ; 3 juin la'U, S., 34.1.633; 21 août IS38, S., 38.1.811 ; 4 fév. 1835, S., 35.1.893. V. aussi Cass., 25 fév. 18i5, S.. 45.1.371. Troplong, n. 187 el s.

{«) Cass., 17 juillet 1850, S. 50.1.653,0. 53.1.263 ; 27 juin 1854, S., 55.1.497, I)., ^.1.261 ; 9 avril 1856, S., 56.1.808, D., 56.1.187 ; 25 janv. 1858, S., 58.1 . 351, D., 58.1.189. Aubry el Rau, éd., 11, p. 71. - V. d'ailleurs Pagarl, /?er. de dr, fr, el étr., XI, p. 241 ; Sacaze, Revue de légisL, LXV, p. 193 ; Derouet, Rev, pratique, XXII et XXIV ; Serrigny, Revue critique, II, p. 296.

148 DE LA PRESCRIPTION

30 janvier 1810 et 12-17 décembre 1852. Cette imprescripti- bilité a pris fin avec le régime impérial (*).

§ II. Les communes.

184. L'article 2227 soumet aussi aux règles ordinaires les communes qui jouissaient autrefois de privilèges multiples dont Tapplication créait un grand nombre de difficultés (-).

185. Elles sont donc soumises au droit commun quant à la prescription libératoire ; notamment, Taction en nullité contre les actes passés par un maire sans l'observation des formalités légales s'éteint par dix ans, suivant la règle géné- rale de l'article 1304 (»).

185 bis. Elles peuvent se voir opposer par l'Etat aussi bien que par des particuliers la prescription qui a couru contre elles. On a écrit à cet égard que l'Etat ne peut pres- crire contre les communes « dont il est en quelque sorte le tuteur ». Cette considération n'a aucune valeur. L'Etat n'est pas le tuteur des communes. De plus, les textes ne contien- nent sur ce point aucune distinction ; l'article 2227 est général et ne comporte pas de restriction, et la disposition qui suspend la prescription au profit des mineurs n'est pas de celles qu'on puisse étendre par analogie (*).

186. La prescription acquisitive est aussi la même pour elles que pour les particuliers. Elles peuvent, comme les particuliers et sous les mêmes conditions, acquérir par pres- cription la propriété des terrains qu'elles possèdent (^),

(') Aubq- el Uau, 5- éd., II, p. 70 ; Leroux de Brelagne, n. 204 et 232.— V. d'aillem-î*, sur les biens de l'Étal en général, Arthur Desjardins, De Valiénation et de la prescription des biens de VÉtat,

(*) V. Merlin, v Prescr., secl. 3, § 5 ; Leroux de Bretagne, n. 224.

(') V. Gass., 12 janv. 1874, S., 74.1.290 ; 18 mai 1886, S., 90.1.514 ; 23 fév. 1887, S., 89.1.313, la note el les renvois ; 8 janv. 1895, S., 95.1.278, 1)., 95.1 111. Aix, 24 juill. 1893, S., 95.2.169.

(•) Cass. 8 janv. 1895, précité. - Aix, 24 juill. 1893, précité. V. aussi Cass. 2 mars 1870, S.. 71.1.161.

(•) Ainsi jugé spécialement dans le cas de possession trentenaire d'un terrain servant de cimetière. Cass. 13 juin 1903, S., 1904.1.118.

DES PERSONNES QUI PEUVENT LNVOQUER LA PRESCRIPTION 149

186 àis. La loi du 10 juin 1793, après celle du 28 août 1792, a décidé que les biens communaux connus sous le nom de terres vaines et vagues appartiennent aux communes sur lesquelles ils sont situés. La loi du 28 août 1792 qui avait admis dans son article 8, que les communespouvaient se faire réintégrer dans la possession des biens et droits d'usage qu'elles justifieraient avoir antérieurement possédés et qui auraient été attribués aux seigneurs, à moins que ceux-ci ne puissent représenter un acte authentique constatant leur acquisition légitime, avait ajouté, dans son article 9, que les terres vaines et vagues dont elles ne pourraient justifier une possession ancienne seraient censées leur appartenir, à con- dition d'une action dans les cinq ans, et à moins que les seigneurs ne puissent prouver leur propriété par titre ou possession de quarante ans. La loi du 10 juin 1793 alla plus loin. L'article premier de la section IV de cette loi est ainsi conçu: « Tous les biens conmiunaux en général connus dans toute la République sous les divers noms de terres vaines et vagues, gastes, garrigues, landes, pacages, pAtis, ajoncs, brayères, bois communs, hermes, vacants, palus, marais» marécages, montagnes, et sous toute autre dénomination quelconque, sont et appartiennent de leur nature à la géné- ralité des habitants ou membres des communes ou des sec- tion» de communes dans le territoire desquelles ces com- munaux sont situés; et comme tels, les dites communes ou sections de communes sont fondées et autorisées à les reven- diquer. « Et Tcirticle 8 ajoutait que la possession de qua- rante ans exigée par la loi précédente de 1792 des ci-devant seigneurs ne pourrait suppléer le titre légitime et que celui- ci ne pourrait être celui qui émanerait de la puissance féo- dale. Mais le législateur entendait respecter les autres droits régulièrement acquis par ventes, concessions, partages et les autres possessions remontant à plus de quarante ans avant le 4 août 1789 (art. 9).

Ainsi les communes ont été investies de plein droit de la propriété des terres vaines et vagues dont personne encore ne s'était mis en possession ; mais en ce qui concerne celles qui étaient aux mains de tiers possesseurs, les lois pré-

150 DE LA PRESCRIPTIO:«

citées n'ont établi qu'une présomption de propriété (*) ; les possesseurs, contre lesquels les communes devaient, à défaut d'une prise de possession de fait, agir dans les cinq ans, ont pu justifier d'une propriété antérieurement acquise dans les conditions prescrites par la loi et qui, on vient de le voir, étaient différentes suivant qu'il s'agissait d'anciens seigneurs ou de simples particuliers (^). La Cour de cassation a récemment jugé que la possession de qua- rante ans établie par l'article 9 de la loi du 10 juin 1793 a pu être invoquée sans qu'il fût nécessaire de justifier des droits de celui qui avait fait la concession, vente, etc., par suite de laquelle la possession avait commencé ; elle a fait application de cette solution au cas de moulins ayant obtenu plus de quarante ans avant 1789 des concessions d'eaux ('). 187. Les terres vaines et vagues devenues, par suite des lois de 1792 et 1793, la propriété des communes ont été depuis soumises au droit commun de la prescription. D'une façon générale, en effet, les propriétés communales non affec- tées à un usage public sont prescriptibles comme toute autre propriété (^). Les terrains vagues d'une commune qui ne ser- vent pas de places publiques ni de chemins publics peuvent donc être acquis par prescription (^). Il faut supposer bien entendu, pour qu'il en soit ainsi, que des particuliers ont eu une possession exclusive et à titre de propriétaire des terres communales. Les concessions précaires faites à des habita^nts ne sauraient conduire à la prescription. Il a été jugé qu'une coutume locale ancienne, d'après laquelle

(') Sur la force tîe celte présomption, v. Cass., 10 nov. 1896, D., 97.1.483.

(») V. Cass., 29 nov. 1848, S., 49.1.157 ; 21 juin 1854, D., 54.1.767 ; 16 avril el 3 déc. 1855, S., 56.1.258 ; 3 juin 1857, S., 57.1.136 ; 10 janv. 1856, S., 58.1. 62. Cpr. Pau, 30 avril 1894, S., 96.2.311. V. aussi, sur les lois des 28 août 1792 el 10 juin 1793 relatives aux bien» communaux, Troplong, n. 198 s. ; Leroux de Bretagne, n. 224 s. Sur Tancien droit, V. Brissaud, p. 458 et s.

{^} Cass., 16 juill. 1900, S., 1900.1.505.

(♦) Gdss., 7 août et 18 nov. 1834, S., 35.1.767 ; 22 juin 1836, S., 36.1.700. V. aussi Gass., 6 aoùl 1859, S., 59.1.670. Les ciiemins ruraux non reconnus •dans Les conditions do la loi du 20 août 1881 sont prescriptibles. Amiens, 13 juin 1895, ;)., 96.2.124.

(*jGass., 8 mars 1897, O., 97.1.457 ; 26 juill. 1897, D., 97.1.616 ; 9 janv 1899, S., 99.1.238; 28 avril 1902, S., 1903.1.39. - Bordeaux, 14 juin 1877,S., 79.2.324. Amiens, 13 juin 1895, IJ., 96.2.124. - Limoges, 29 juill. 189 1,D., 92.2.402.

DES PERSONNES QUI PEUVENT INVOQUER LA PRESCRIPTION 151

tout habitant qui défrichait une parcelle des terres vaines et vagues d'une commune en aurait la jouissance transmissi- ble à ses héritiers mais sans pouvoir d'aliéner, affectait de précarité la possession ainsi obtenue (*).

488. Une section de commune peut acquérir par pres- cription des biens communaux contre la commune dont elle fait partie, si elle a exercé une possession ayant les caractères requis pour la prescription (*),D'ailleiu's une commune peut réciproquement prescrire contre sa section. Vainement on soutiendrait qu'elle est tenue de défendre les intérêts de cette section. Celle-ci peut avoir,en cas de conflit, une pro- tection propre, une représentation séparée ; il n'y a pas de raison pour ne pas la soumettre à la règle ordinaire (*).

189. Le maire d'une commune peut-il acquérir par pres- cription des biens de cette commune ? Il nous semble diffi- cile qu'on puisse l'admettre; le maire ne peut avoir une possession à titre de propriétaire, non équivoque. Sa qualité d'administrateur légal imprime aux actes qu'il peut avoir à faire un caractère de précarité ; les actes qu'il aura faits seront même présumés avoir été faits dans l'intérêt et au nom de la commune, puisqu'il est chargé de la représenter et de prendre soin de ses intérêts : il n'arrivera donc pres- se, jamais que la possession du maire réunira vis-à-vis la commune les conditions requises par la loi. C'est ce qui explique que la jurisprudence ait repoussé les prétentions élevées par les maires contre leurs communes en pareille hypothèse {'). V. au surplus infra, n. 289, 307, 4^8.

§ III. Les établissements publics.

190. Enfin, les établissements publics et d'utilité publique sont soumis également au droit commun en matière de pres-

(') Cass.. 9 janv. 1899, précité.

(*) Cass., !•' fév. 1865, S., 65,1.120.— Limoges,16 mars 1869, S., 69.2.296.

(') Montpellier, 9 janv. 1872, S., 72.2.305. - Contra la noie publiée dans le recueil Sircy sur cet arrêt.

(♦)Cass., 3 août 1857, S., 59.1.319 ; 8 mars 1893, S..99.1.12. - Aix, 24 nov. 1841, S., 42,2.122. - Nancy, 10 janv. 1862, S., 63.2.92. - V.cep. Pau, 13 dée. 1871, S.. 72.2.280.

152 DE LA PRESCRIPTION

cription. L'ancien droit avait créé de nombreux privilèges. On ne pouvait acquérir par prescription un bien de l'Eglise que par une possession de cinquante ans avec bonne foi ; les fabriques; hôpitaux, communautés religieuses, jouissaient des mêmes privilèges ; certaines corporations ecclésiastiques n'étaient même soumises qu'à la prescription de cent ans ; l'ordre de Malte prétendait échapper à toute prescription. Les corporations laïques voulaient à leur tour obtenir des situations privilégiées. Il y avait en cette matière un grand nombre de difficultés qu'il serait sans intérêt d'examiner aujourd'hui (*). Il faut appliquer partout le droit commun. 191. Ainsi les hospices, quoique dépendant, pour la ges- tion de leur patrimoine, des administrations municipales, sont des personnes morales distinctes des communes ; ils sont soumis, vis-à-vis des communes, aux règles ordinaires de la prescription et peuvent notamment se voir opposer par elles la prescription extinctive d'une action en remboursement (*). Les fabriques sont également aujourd'hui soumises au droit commun ; elles peuvent invoquer la prescription ordinaire (^) ; on peut la leur imposer.

CHAPITRE VIII

DE LA POSSESSION

SECTION PREMIÈRE

NOTIONS GÉNÉRALES

§ I. Définitions.

192. Ce chapitre et les chapitres IX, X et XI qui suivront ne concernent guère que la prescription acquisitive : ils con-

(^) V. Merlin, 7îep.,v* Prescr,, secL 3, § 4, art. J ; Leroux de Bretagne, n. 223: Troplong, n. 191 s. ; Glasson, Élem. du dr, fr,, I, p. 420.

(«) Dijon, 26déc. 1877, S., 80.2.146

(») Gass. 23 janv. 1877, S., 79.1.128. - Guillouard, n. 65. - Cpr. Baslia, 18 avril 1855. S. 55.2.348 ; 14déc. 1858, S. 59.2.111.

DE LA POSSESSION ' 153

tiennent les règles du code civil sur la traditionnelle et diffi- cile théorie de la possession (*) ; le législateur français, sui- vant, bien à tort d'ailleurs, Texemple des compilations romaines, a tracé les principes de cette théorie à propos de h prescription. Nous avons vu qu'en droit romain la posses- sion a été, dans plusieurs hypothèses, une condition de la prescription extinctive. Dans notre droit, il en est en général autrement. On peut cependant citer la pétition d'hérédité dont la prescription extinctive suppose la possession des choses héréditaires par celui qui prétend avoir prescrit. V. aussi les articles 642, 685, 707, 2180 du code civil.

193. D'après l'article 2228, « la possession est la détention on la jouissance dune chose ou d'un droit que nous tenons ou « que 710US exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la client ou qui V exerce en notre nom ('). » Dans notre ancien droit, les choses corporelles étaient seules susceptibles d'une véritable possession ; les ctioses incorporelles, comme les servitudes, n'admettaient que la quasi-possession. Ainsi qu'on a pu le voir par la lecture de l'article 2228, ce texte ne dis- tingue plus la quasi-possession de la possession ; la quasi- possession est devenue une possession dans le langage du code civil (').

194. Envisagée par rapport aux choses corporelles, la possession est la détention cTune chose que nous tejions nous- mêmes ou par un autre qui la tient en notre nom, Cette définition est empruntée à Pothier: on peut, disait-il, définir la possession « la détention d'une chose corporelle que nous tenons en notre puissance ou par nous-mêmes, 'OU par quel- qu'un qui la tient pour nous et en notre nom. » Domat avait une définition moins précise : « C'est, disait-il, ladétcn-

0) V. pour la bibliographie du sujel, Saleilles. Étude sur les éléments <9HstUutifs de la possession, 1894, et Revue Critique, 1903, p. 592 ; Cornil, Tnité de U possession, 1905.

(') Cpr. code civil esp., art. 430 ; code civil hoU., art. 594 ; code monlén,, art. 811.

0) Pothier, Possession, n, 1. On peut, disent Aubry et Rau, définir lapos- ^sion < le fait de celui qui, voulant qu'une chose soit soumise en sa faveur à un droit de propriété ou à un droit réel de servitude, de jouissance ou d*usage, détient celte chose ou exerce ce droit. » (5« éd., II, p. 107).

154 ' DE LA PRESCRIPTION

tion d'une chose que celui qui en est le niaitre ou qui a sujet de croire qu'il Test, tient eu sa puissance ou en celle d'un autre par qui il possède. » Détenir une chose, dans le sens de l'article 2228, c'est la tenir et l'avoir en sa puissance. Ainsi je détiens la maison que j'habite ou le champ que je cultive en qualité de propriétaire. Si j'ai loué ma maison ou affermé mon .champ, je détiens mon bien par l'entremise de mon locataire ou de mon fermier, dont le titre implique la reconnaissance de mon droit de propriété. Le locataire ou le fermier ne possède donc pas, bien qu'il détienne maté- riellement la chose, parce que, juridiquement, il la détient pour le propriétaire dont son droit émane. C'est le pro- priétaire qui possède par son entremise; le locataire ou le fermier n'a pas lui-même, dans notre droit français, un droit de possession. Quant l'article 2236 dit que le fermier pos-- sede pour autrui, cela revient à dire que, personnellement, il ne possède pas.

195. Envisagée par rapport aux droits réels mobiliers ou immobiliers, la possession est la jouissance diin droit que 710US exerçom par nous-mêmes ou par un autre qui l exerce en notre nom. Ainsi je possède un droit de servitude quand j'en jouis, c'est-à-dire quand j'exerce le droit résultant de la ser- vitude, quand je passe s'il s'agit d'une servitude de passage, quand je puise s'il s'agit d'une servitude de puisage. Et, ici encore; je puis posséder par l'entremise d'un autre qui exerce le droit à ma place et en mon nom, par exemple par un fermier qui jouit à ma place de la servitude appartenant à mon fonds.

196. Eu somme, la possession n'est pas autre chose que Texercice, la jouissance, soit par nous-mêmes, soit par autrui, du droit réel que nous avons ou que nous prétendons avoir sur une chose ; peu importe que ce soit un droit de propriété ou tout autre, par exemple, un droit d'usufruit, d'usage, d'habitation ou de servitude. L'ancienne distinction de la possession et de la quasi-possession qu'avait faite le droit romain et qu'on trouve encore dans Pothier (*) a donc été

(') Pothier. Possession, n. 37 et 38.

DE LA POSSESSION 155

supprimée ; c'est avec raison ; elle n'était peut-être qu'une conséquence de la confusion que l'on a commise depuis la plus haute antiquité entre le droit de propriété et la chose objet de ce droit. La possession n'est que Texercice d'un droit ; en réalité, ce n'est pas la chose que Ton possède, c'est le droit que l'on a ou que l'on prétend avoir sur la chose. <>la est \Tai du droit de propriété aussi bien que du droit de servitude ou d'usufruit, et par conséquent, la distinction entre la possession, qui s'exerce sur la chose, et la quasi-pos- session, qui s'exerce sur le droit, n'a pas de raison d'être.

197. La définition de l'article 2228 ne s'applique ainsi; suivant nous, qu'à ceux qui ont lanimiis domini, qui détien- nent la chose à titre de propriétaires, ou, s'il s'agit de la pos- session d'un droit réel sur la chose, agissent avec la volonté de se comporter comme titulaires de ce droit. C'est dans ce sens que Pothier entendait sa définition reproduite par le code civil. « Il ne faut pas confondre, disait-il, avec la pos- session naturelle, la détention de ceux qui détiennent la chose pour un autre et au nom d'un autre, tels que sont des fer- miers, des locataires, des dépositaires, des emprunteurs ou des commodataires. La détention qu'ont ces personnes de la chose qui leur a été louée ou donnée en dépôt ou prêtée n'est qu'une pure détention, niera ciistodia, et n'est pas même une possession purement naturelle ; car, détenant la chose, non en leur nom, mais au nom de celui qui la leur a louée ou donnée en dépôt ou prêtée, la détenant comme ses fermiers, ses locataires, ses dépositaires, c'est celui qui la leur a louée ou donnée en dépôt ou prêtée, qui la possède par leur minis- tère ; c'est lui qui à par eux la possession de cette chose ». U ne s'agit pas toujours d'un animm domini impliquant pré- ^tionàla propriété, puisque d'autres droits réels peuvent être possédés ; il s'agit de ï animas domini ou de l'animas Tfm sibi habendi dans un sens plus large, il s'agit de l'inten- tion de se comporter en maître.

i98. Troplong a vainement essayé de soutenir que l'arti- cle 2228 s'applique aux simples détenteurs, que ceux-ci sont (les possesseurs dans le sens général du mot et que leur pos- session produit certains effets de droit ; elle leur permet.

156 DE LA PRESCRIPTION

par exemj)le, crexercer Faction en réintégrande s'ils sont dépouillés de la chose qu'ils détiennent. Il y a là, au point de vue du code civil, une confusion certaine ; la détention peut être l'occasion de Texercice de certains droits, mais elle ne constitue pas pour cela une possession. On emploie assez fréquemment les expressions de possession précaire et de possesseur précaire pour désigner la détention et le déten- teur ; mais il ne s'agit pas d'une véritable possession. Les articles 2230, 2231, 2236 opposent ceux qui possèdent pour eux et ceux qui possèdent pour autrui ; l'article 2246 dit que ces derniers détiennent précairement et ne prescrivent jamais. 11 est évident que l'article 2228 ne vise que les pre- miers ; les autres, j^ossédant pour autrui, ne sont pas des possesseurs. C'est un pur jeu de mots que de dire, comme le fait Troplong, qu'ils sont bien possesseurs, puisque la loi dit qu'ils possèdent pour autrui. Posséder pour autrui, dit très bien Marcadé, bien loin de signifier être possesseur, signifie au contraire « être seulement l'agent et l'instrument du possesseur, et par conséquent n'être pas possesseur (')• > Ce serait sans doute un langage très acceptable que de se servir toujours du mot possesseur en ajoutant un qualifica- tif, à titre jjrécaire, à titre de maître, etc. ; ce langage est souvent employé par la loi elle-même ; mais la possession, dans le sens propre et précis du mot, ne vise que ceux qui ont la chose entre leurs mains à titre de jjropriétaire^ et exclut ceux qui détiennent la chose au nom d'un autre. « L'article 2228, dit M. Bufnoir, le suppose implicitement. Si nous 2)ossédons par un autre qui tient la chose en notre nom, c'est que celui-ci ne possède pas : il faut en conclure que la possession n'exige pas seulement la détention, mais qu'elle implique en outre Vanimu.s sibi habendi (*). » M. Saleil- les a soutenu, tout récemment encore, une solution diffé-

(*) V. Polhier, Possession, n. 15; Dunod, p. 16; Domal, liv. HI, lil. 7, secl. I. n. 8 ; Merlin, liép , Prescr,, secl. I, § 5, article 3 ; Poullain du Parc, Princ. du dr, fr.,l, p. 150; Marcadé, sur l'arlicle 2228, n.l, ei Rev.crit., 1854, 1, p. 460 ; Aubrj' el Uau, éd., II, p. 106, § 177 ; Leroux de Bretagne, n. 234. Conira Troplong, n. 218 et 239; Saleilles, Ktade sur les éléments constitua tifs de la possession,}}. 125 et 213, el Revue critique, 1904, p. 52 el 53.

(*) Bufnoir, Propriété et contrat, p. 197.

DE L.i POSSESSION 157

rente ; Tarticle 2228 ne fait, d'après lui, aucune allusion à un élément intentionnel ; il ne tranche j^as la question des éléments constitutifs de la possession ; la discussion est ouverte ; c'est affaire d'interprétation. Nous croyons au con- traire que l'article 2228, par sa formule même, dont le sens est nettement précisé par les précédents historiques et par les autres textes de la matière, implique bien la distinction (le la possession pour soi et de la détention précaire pour notrui.

iW. Au surplus, nous ne parlons ici que du code civil ; au point de vue des textes du droit romain, c'est une ques- tion que nous n'avons pas à étudier que de savoir si la pos- session supposait nécessairement Vanimus domini. D'excel- lents auteurs soutiennent que les textes ne l'exigent pas et que la possession était protégée quand on le croyait utile, indépendaniment de toute condition (Vanwms doniini (*)• Mais pour ce qui est du code civil, il ne nous paraît pas Aouleux qu'il se soit attaché à la notion de la possession impliquant Vaiiimus doniini : C'était la solution dominante à la fin de l'ancien droit. Dunod se sert expressément des wxohaninius domini, animas rem sibi habendi. Ce n'est pas Savigny qui a imaginé, comme on pfaraît souvent le soute- îiir aujourd'hui, la théorie de ïanimus domini. Les textes romains ne visent en général que ïanimus possidendi; mais nos anciens auteurs avaient précisé, peut-être modifié la théorie dans le sens que nous avons indiqué.

Sans doute, le code civil indique (art. 2229) la nécessité 'le posséder à titre de propriétaire comme n'étant qu'une condition de la prescription, ce qui semblerait impliquer que l'absence de cette condition ne serait qu'un simple vice <le la possession. Mais il y a une manière de s'exprimer défectueuse que le code civil a empruntée à Dunod. Celui-ci

(') V. nolaminent Iherinp, Der Besitzicille ; DernburK, Pnndeclen, I, § 170; Van Bemmelen, Motions fondamentales du droit civil, p. 79, 192, 206 ; ^iie'iWeif Étude sur les éléments constitutifs de la possession, et les nombreux ouvrages indiqués par ce dernier auteur ; Vcrmond, Théorie de la possession, n. 29 et s. ; Girard, Manuel de droit romain, p. 259 et 261 ; Guq, xVohi'. rer. hist. de dr. fr. et étr,, 1894, p. 5 ; I)uque.sne, Distinction de la possession et Je la détention en droit romain; Cornil, Traité de la possession.

158 DE LA PRESCRIPTION

parle, en effet, d'abord de « la jouissance actuelle avec le dessein de posséder comme maître (*). » 11 ajoute que « la possession des fermiers, usufruitiers, dépositaires, et des autres qui reconnaissent un propriétaire, n'est pas par con- séquent une véritable possession. Ce n'est qu'une simpledéten- tion de fait (*). > Et cependant, plus loin, il traite de la précarité au milieu des causes qui empêchent la prescrip- tion. C'est cette méthode peu exacte que le code ciWl a imitée.

Domat exprimait les mêmes idées que Dunod et Pothîer. L'usufruitier, le fermier, le locataire ont bien, disait-il, une espèce de possession ou de détention, mais « on appelle pro- prement possession la détention d'une chose que celui qui en est le maître tient en sa puissance. La vraie possession n'est proprement que celle du maître, et encore que d'autres que le maître puissent avoir le droit de tenir la chose en leur puissance, comme le locataire, le fermier, l'usufruitier, qui, ayant droit de jouir, doivei^t, par conséquent, avoir la détention, ce n'est en eux qu'une possession empruntée ou plutôt la possession même du maître qui possède par eux, le droit de la possession ne pouvant être séparé de la pro- priété ('). »

Les idées de Pothier, Domat, Dunod étaient celles des rédacteurs du code civil. « Posséder, dit Bigot-Prémaneu dans l'exposé des motifs, est un fait positif, extérieur et con- tinu qui indique la propriété. Cette possession par soi- même ou par autrui est un fait qui indique la qualité de propriétaire (*). » La plupart des auteurs allemands qui ont écrit sur la possession, Savigny et Ihering notamment, n'ont pas paru douter que les rédacteurs du code civil soient res- tés fidèles à la théorie de Vanimus domini (*).0n ne peut, à notre avis,interpréter notre code à l'aide de théories nou-

(') Dunod, p. 16.

(') Dunod, loc, cil,

(^) Domal, Lois civiles, liv. III, lit. 7.

(*) Locré, XVI, p. 558 et 56^1.

(*) L'art. 102 liv. 2, lit. 3,du premier projet de code civil présenté par Cani- hacérès à la Convention disposait que « la poîjsession a lieu lorsqu'on jouit comme propriétaire par soi-mônie ou par autrui. »

DE LA POSSESSION 159

velles qui constituent, non un développement doctrinal ou jurisprudenticl, mais une critique de notre législation (*). (Sur cette question, voyez encore infra, n. 204 s. 264 s. 302 s.) . \

109 bis, La théorie enseignée par Ihering dans ses der- niers travaux aboutit à écarter absolument toute idée diani-^ mus do7?iini on d'anintus possidendi (*). Il n'y a pas d'autre volonté que celle qui accompagne nécessairement tout fait <lc la détention, d'autre intention que celle de se servir de la chose. En d'autres termes il n'y a pas de différence théori-. que ejitre la possession et la détention. En fait, dit-il, il est possible que telle législation donnée protège certains pos- sesseurs et laisse certains autres possesseurs sans protection ; ces derniers peuvent être désignés sous le nom de déten- teurs ; mais la détention n'est alors autre chose que la pos- session non protégée ; ce sont des distinctions que peut être amené à faire le droit positif, mais qui n'ont rien de nécessaire. D'après Ihering, le droit romain se serait déve- loppé en ce sens : il n'aurait pas distingué la possession de la détention. Plusieurs textes refusant de considérer comme possesseurs certains détenteurs pour autrui, on en a conclu à tort que la possession exige essentiellement Yanimtusdomini, la vérité est que le droit romain n'a pas connu les théories «le Vanimiis domini ou de Yaninins possidendi. Certains détenteurs pour autrui, n'ayant aucune initiative propre, aucune indépendance, étaient exclus de la protection posses- soire ; mais la possession en elle-même n'impliquait pas Xanimtis domini.

109 ter. Dans son étude sur les Eléments constitutifs de ta possessioîi, M. Saleilles a critiqué et combattu cette théo- rie. D'après lui, la possession doit se distinguer de la déten- tion ; elle implique une volonté, un animus possidendi, mais on ne saurait exiger un animiis domini ; il s'agit ici

(') V. cep. S^aleilles, op. cit.

(-) V. Ihering. Du rôle de la volonté dans la possession (Irad. de Meulenaere) fi Possession, Théorie simplifiée et r»ise à la portée de tout le monde. {Œu- très choisies^ Imd. de Meulenaere, II, p. 215 s.) \'. aussi Gornil, De la poss,, p. :W s., 80 s.

160 DE LA PRESCRIPTION

de la « volonté d'agir comme maître de fait >, de la 4( volonté de réaliser l'appropriation économique de la chose ». 11 y a des détenteurs sans animus domini qui ont la possession, d'autres qui restent desimpies détenteurs pour autrui. « Lepossesseur est celui qui apparaîtra dans le monde des faits extérieurs comme le maître de fait de la chose et qui voudra Têtre... 11 faut s'élever au-dessus de la concep- tion d'un simple rapport d'exploitation pour s'attacher au rapport d'appropriation économique ; et le rapport d'ap- 2)ropriation économique n'est pas forcément constitué par le fait d'exploiter, il est constitué par le fait de se poser eu maître... Va?iimus possidendi n'a pas été une invention de théoriciens, c'est lui qui a inspiré les solutions mêmes de la pratique ; il a formé la base de la théorie possessoire romaine... Cet animi(s possidendi n'est ^ai^nnanimus domini, c'est la volonté de se poser en maître, animus rem sibi kabendi, ce n'est pas la volonté de se dire propriétaire... \J animus domini, nous ive le trouvons nulle part, mais nous trouvons à sa place un animus possidendi qui est la volonté d'avoir la chose pour soi, donc de se poser en maître de la chose (*). » Cette conception est singulièrement voisine de celle que nous avons exposée. Bien que M. Saleilles affirme qu'elle n'a rien de commun avec la théorie de Vanimus domini, qu'elle place le critérium de la possession dans la constatation des faits sociaux, des usages, des mœurs, des besoins économiques, il nous semble que Vaîiimus rem sibi habendi n'est pas très différent de Yanimus domini ; c'est toujours l'intention de se comporter en maître du droit qu'on exerce.

199 quater, La théorie traditionnelle qui exige pour la possession Yanimus dojnini ouYanimus possidendi et distin- gue ainsi la possession et la détention est admise par la plu- part des législations actuelles (^) .

(<) Saleilles, op, cit., p. 174s. —Mais voyez des idées un peu différentes dans l'élude de M. Saleilles sur la Théorie possessoire du Code civil aUemand (Revue critique, 1903 el 1904).

(2) V. G. civ. aulr., art. 303 ; G. civ. holl., arl. 5Î5, 594 ; G. civ. ilal., art. 636 et 687 ; G. civ. osp., arl, 430 ; Loi bol^'e du 25 mars 1876.

DE LA POSSESSION 161

Mais la théorie trihering' a Aisiblement inspiré la rédaction du code civil allemand qui n'exige pas d'autre volonté que celle qui est inhérente à rexercice de la possession envi- sagée comme pouvoir de fait sur la chose (art. 854, 856). Sont possesseurs ceux qui détiennent comme usufruitiers, sragistes, locataires, fermiers, dépositaires, etc. 11 peut y avoir sur une chose plusieurs possessions parallèles ou superj)osées ; il y a à distinguer le possesseur direct qui a la chose entre les mains, et le possesseur indirect (mittelbarer Besitz) (*). Il reste encore, cependant, des détenteurs non possesseurs : ce sont ceux qui détiennent pour le compte d'un autre dont ils ont à suivre les instructions, qui ne sont que ses préposés (*), qui n'ont aucune initiative propre, aucune maîtrise indépendante. Sauf cette restriction, le sys- tème du code allemand n'exige plus ranimus domini, ni \nnimus rem sibi habendi, La distinction qu'il fait entre la possession et la détention est établie tout autrement que ilans le système traditionnel (*).

199 quinquies. On est allé plus loin dans cette voie ; le projet du code civil suisse, qui admet d'ailleurs aussi le sys- tème des possessions parallèles et des possessions hiérarchi- sées, les unes directes et immédiates, les autres indirectes <'t médiates, étend davantage encore l'idée de possession : ^{uiconque a une chose en sa puissance, même momentané- meut, en est considéré comme le possesseur (*). L'exposé <les motifs de l'avant-projet l'explique nettement. « La pos- session étant uniquement définie en considération de la puissance de fait sur la chose, indépendamment de toute inteution personnelle qui irait au delà de la volonté d'exer- cer un pouvoir eflfectif sur la chose, nous avons une notion plus étendue et qui nous permet de fixer, de fa<;on à la fois

') V. art. 8(58 G. aU. Sur cello hiérarchie de possessions, V. Saleilles, iîerne critique, 1904, p. 59 el siiiv.

{') V. arl. 855 G. aU. Sur les difficultés anxqueUes donne lieu celle di<po- >ilion, V. Saleilles. Revue critique, 1903, p. 606 el s..

(') V. dans le môme sens Gode civ. Zurich, arl. 64 el 66. Gpr. Lehr, Le Code civil du canton de Zurich, 1890, p. 20. V. aussi le projet de Code civil hongrois. îl§ 505, 508.

(*) V. art. 957 du piojel de Code civil suisse.

102 DE LA PRESCRIPTION

simple et précise, la portée juridique de l'institution... I/intention de posséder, qui n'est pas matériellement recon- naissable, reste sans influence sur la notion même du droit. Seule la puissance de fait extérieurement manifestée est déci- sive... C'est ainsi que s'évanouissent toutes les obscurités qui planent sur la preuve de Vanimus possidendi, et c'est un avantage d'une éminente valeur pratique. Ajoutons qu'en procédant ainsi, le législateur revient à la conception popu- laire de la possession. Ce qui est essentiel pour le législa- teur, c'est la possession même sans autre caractère que celui dérivant du fait qui y donne naissance. Le surplus ne Finté- resse pas et l'intention des parties est une question qui sort du cadre de la loi (*). » Le projet suisse parait donc plus avancé encore que le code allemand ; il ne contient plus de texte visant la détention des personnes qui ont la chose entre les mains pour le compte d'autrui.

Dans l'application, on est bien cependant obligé de con- server quelques distinctions: pour les mandataires, préposés, employés, domestiques, ouvriers, l'exposé des motifs recon- naît qu'ils peuvent être possesseurs ou non, suivant qu'ils ont ou non un pouvoir de fait à exercer ; on revient ainsi à peu près au système allemand.

109 sexies. Cette théorie nouvelle de la possession, qui a donné lieu à tant de travaux, est-eUe supérieure à celle que notre code civil a conservée? Toute cette grosse controverse a-t-elle un aussi grand intérêt pratique qu'on l'a prétendu ? Il est permis d'avoir des doutes sur l'un et l'autre point. Nous ne nions pas qu'il ne puisse paraître raisonnable en législation de considérer un fermier ou un locataire comme en possession de la chose qu'il a louée. 11 est certain, d'ail- leurs, que les textes du code de procédure sur les actions possessoires auraient besoin d'être revisés et éclaircis. Mais la distinction classique de la possession et de la détention, et l'exigence, comme élément essentiel de la possession, de Yanimm rem sihi habendi, ne nous paraissent pas aussi con- damnables qu'on le soutient. Et il y a bien ([uelque chose de

,') Hubcr, Code civil suisse. Exposé des motifs de V avant-projet, p. 694 et 695. V. auijsi dans le môme î>cn.s Gornil, p. 85.

DE LA POSSESSION 163

rationnel à refuser d'assimiler au point de vue de la notion delà possessioa et de la protection possessoire, ceux qui détiennent pour autrui^ et ceux qui exercent un droit en leur propre nom (*). I.e système nouveau dont les partisans ont beaucoup critiqué, non sans raison, les subtilités et les fictions de la théorie classique, ne se heurte-t-il pas aussi à bien des difficultés d'application et ne suscite-t-il pas déjà bien des controverses ?

Nous persistons à croire qu'il y a place, dans une théorie de la possession, à un élément intentionnel distinct de celui que suppose toute appréhension quelconque. Sans doute, la possession n'est pas- une pure question de volonté et d'inten- tion : le législateur en détermine les conditions : mais ne doit-il pas, parmi ces conditions, exiger l'intention de pos- séder pour soi ? Au surplus, ce qui importe surtout, c'est que les possesseurs ou détenteurs soient protégés quand cela est juste et utile, et qu'ils le soient dans la mesure et de la loaiiière qui conviennent à leurs situations respectives. Peut- être attache-t-on trop de portée aux formules, aux définitions et aux classifications.

§ II. Des droits susceptibles de possession.

200. Tous les droits ne sont pas susceptibles de posses- sion. En laissant de côté la théorie de la possession d'état, qui est en dehors de notre étude, et qui, dans notre droit, apparaît comme très distincte de la théorie générale de la possession, il faut dire que les droits réels, mobiliers ou immobiliers, peuvent seuls être l'objet d'une possession {*),

0) M. SaleiUes reconnaît lui-même qu'on ne peut considérer comme posses- seurs les simples préposés : C'est perdre de vue les conditions de la vie. C'est par défiance du point do vue juridique, descendre au niveau d'apparences exté- rieures, purement simplistes el ne correspondant à aucune réalité sociale. Il faut écarter de la possession tous ces instruments delà pos-»('ssion d'aulrui,au\- qoels les usages et Topinion refusent la qualité de possesseurs. » {Revue crilî^ que, 1903, p. 603 et 604). Gpr. Gornil, p, 52.

(*) La possession no s'applique même pas h tous les droits réels immobiliers; «'Ue ne doit être admise que pour ceux qui peuvent s'exercer d'une façon maté- rielle. L'hypothèque, qui est un droit réel immobilier, n'est pas susceptible de possession. D'un autre coté, on a pu soutenir que le créancier gagiste, bleu

164 DE LA PRESCRIPTION

»il s'agit d'ailleurs de choses qui sont dans le commerce (*)• Dans notre législation, ni les créances, ni les universalités juridiques, telles qu'une hérédité, ne peuvent être possédées.

201, Les créances, quelles qu'elles soient, rentes sur l'État, actions de la Banque de France, rentes foncières, ne peuvent être l'objet d'une possession (*) : seuls les titres au porteur peuvent être possédés, le titre matériel et la créance se confondant, et le possesseur du titre étant, par même, possesseur de la créance. On se sert parfois, pour les créan- ces, de ces expressions possesseur de la créance (art. 1240) ; il s'agit alors du titulaire apparent de la créance, et non du possesseur dans le sens juridique du mot.

202. Une hérédité n'est pas non plus, envisagée daiis son ensemble comme universalité de droit, susceptible de pos- session ; les mots possessioji d'une hérédité, possesseur d'une hérédité, ne doivent pas être pris à la lettre ; ils s'appliquent, en général, aux objets dépendant de l'hérédité et non à l'hé- rédité elle-même. Quelquefois cependant on désigne par ces mots celui qui, étant en fait détenteur d'objets héréditaires, s^prétend héritier ; mais ce n'est qu'une forme de lan- gage : l'hérédité ne peut être, dans son ensemble, l'objet d'une possession au sens de l'article 2228. La saisine héré- ditaire admise par notre législation au profit de certains suc- cesseurs ne leur fait acquérir la possession que quant aux biens de la succession qui faisaient l'objet de la possession du défunt et non quant à la succession elle-même considé- rée comme universalité ('). V. infra, n. 586.

f[u'ayant sur la chose donnée en gage un droit qu'il peut opposer aux lierj?, n'a pas une véritable possession, et n'est qu'un détenteur précaire. Mais la solution contraire est très généralement admise; on considère le créancier gagiste comme ayant, à l'égard des tiers, quant à son droit de gage, une véritable possession. V. infra, n. 303, 304 his,

(♦} Plusieurs législations disposent expressément que la possession ne peut s'ap- pliquer aux choses qui ne sont pas dans le commerce. V. C. civ. liai., art. 690; C. civ. esp., art. 437; G. civ. hoU., art. 477; C, civ. holl., art. 593.

(«) V. sur le principes Cass., 2^ juillet 1828, S. chr. ; 9 août 1831, S., 31.1.387; 11 Fév. 1833, S., 33.1.183. - Hélime, Possession, n. 283; Aubry et Hau, 5*éd., II, p. 109, § 178, notes 4, 5 et 7 ; (iarsonnel. Traité Ihéor, et prat. de procéd,, 2* éd., I, p. 571, § 3i0, noie 5 ; Hue, t. 14, n. 343 ; Guillouard, n. 417.

^*) Sic Bélimo, Possession, n. 278 s.; Aubiy et Rau, éd., Il, p. 110, § 178;

s

DE LA POSSESSION 16S

III. De la nature juridique de la possession.

203. La nature juridique de la possession a été depuis longtemps l'objet d'études et de travaux considérables. On s'étonne que Bentham ait pu écrire qu'on chercherait vaine- ment la solution de cette question dans les livres de juris- prudence et que c'est une matière qui n'a pas été appro- fondie. La vérité est plutôt que la difficulté de cette étude a été depuis longtemps accrue par le grand nombre de théo- ries qu'elle a suggérées, et par les subtilités excessives dans lesquelles on est tombé.

La possesion est-elle un fait ou un droit ? Sur quel fonde- ment doit-on faire reposer la protection que la loi accorde à la possession ? Ce sont des questions embarrassantes et souvent agitées.

Les textes du Digeste parlent de la possession en la consi- dérant tantôt comme un simple fait, tantôt comme un droit (*).

De nombreux auteurs enseignent que la possession est un droit ; il y aurait un droit de possession comme il y a un

Guillouard,n. 419; Ck)rnil, p. 108. V. aussi Garsonnet,2«éd., p. 572, § 840,p. 612, §360.— V. cep. Troplong^, I, n. 281; Marcadé, sur l'art. 2228, n.3.— Gpr. code civil ilal., art. 694; G. civ. lioll., art. 2000 ; G. civ. Bas Canada, art. 2252. -. Au ^^Dfpluâ nous ne faisons qu'indiquer ici l'état actuel de notre droit français. On peut concevoir une notion diiïérente de la possession, et plus étendue. Il est certain, «lue dans l'ancien droit, les idées de possession et de prescription s'étaient beau- coup élargies : on les appliquait, non seulement aux universalités, mais aux droits seigneuriaux, aux droits de justice, aux dîmes, aux droits d'élection, aux droits de patronage, etc. V. Dunod^p. 23 et s.; Merlin, flcp., v* Prescr, sect. I, § V,art. 3; Iherîng, Œuvres choisies, II, p. 259 s. ; Gornil, p. 115 s. Gpr. G. civ. autr.,arl. 311, 313, 350 et 351. Dans notre droit actuel, on n'a pas admis une théorie de la posses- sion s*appliquant à tous les droits susceptibles de se manifester par un exercice extérieur : ou du moins l'idée de possession n'est appliquée en matière d'étal Jps personnes, de droits de créance, et d'hérédité qu'avec une portée et des effets bien différents. V. sur cette question l'intéressante thèse de M. Ravail {Ohjel de U possession^ Paris 1899). V. aussi l'étude de M. Ravail sur l'Idée juridique de Vobjei de la possession (Revue génér. du droit, 1900 et 1901). La juris- prudence qui s'est établie sur l'art, 789 paraît bien admettre d'ailleurs, comme Tancien droit, qu'une hérédité est susceptible de possession et de prescription. (•)V. d'une part, les fragments 19, D., Ex quibns causisy IV, 6; 1 § 3, 3§5, 29, D.,Z)c adquir.vel amitL poss., XU, 2; 12, § 2, D.,De captivis, XLIX,15; et, d'autre part, les fragments36et 49 pr. et § 1, D., Deadquir, veUmitt.poss,^ XU, 2;2 et3 pr.,D., Uti possid., XLIII,17;15, § 4, D., Dcpreca no, XLIII, 26.

166 DE PRESCRIPTION

dr'oit d'usufruit ou de servitude. « Le droit de possession^ a écritM. BlondeaUj consiste essentiellement dans le droit d'oc* cuper exclusivement la chose tant qu un autre individu ne prouve pas que la chose lui appartient... Ce droit présente tous les caractères d'un droit absolu, c'est un droit adversus omnes. » (*) Parmi les partisans du droit de possession, tous n*en font pas d'ailleurs un droit réel ; plusieurs le laissent en dehors de la classification ordinaire des droits réels et personnels ; il y a, d'après eux, un droit de possession, garantie donnée à toute personne qui possède, afin qu'elle soit mise à l'abri des violences des autres parce qu'il est de l'intérêt public que les possesseurs, même de mauvaise foi, soient maintenus dans leur possession jusqu'à ce qu'elle leur soit enlevée par les moyens légitimes (*).

Il nous paraît plus simple et plus exact de dire, avec Po- thier, que la possession est un fait plutôt .qu'un droit, mais qne la possession, quoique n'étant pas un droit, donne au possesseur plusieurs droits par rapport à la chose qu'il pos- sède; c'est un état de fait auquel la loi attache plusieurs effets juridiques (*). Telle est la solution qui nous parait la plus rationnelle ; c'est celle qu'à notre avis le code civil a admise ; outre que c'était celle de Pothier, on a fait remar- quer qu'on ne voit pas comment on pourrait faire figurer le droit de possession, soit dans les droits réels dont l'arti- cle 543 nous donne l'énumération, soit dans les droits per- sonnels, la possession étant exclusive de toute idée d'obli-

(') V. Blondeau, Chrestom&thie, p. 267 ; Doinat, LoU civiles, liv, III, Ut. 7, sect. 1 ; Poncet, Actions, p. 91 ; Duranlon, IV, n. 245; Toullier, XI, n. 124 el 127 ; Marcadé, sur l'art. 2228, n. 4, el Rev, crit., 1854, I, p. 463 ; V. aussi Ihering, Œuvres choisies, II, p. 234 el s. ; Gornil, De larposs,, p, 6 s. Cpr. Garsonnel, loc, cit. . (*) Huberus, cité par Troplong, n. 235; Ileineccius, Inst., II, n. 334, note a.

(') Savigny, Traité de la possession, § 5 et 6; Thibault, System , I, § 277; Bélime, n. 12 s.; Aubry et Rau, b* éd., II, p. 1 8; Kuntze, Zur Besitslehre, ch. III, § 15 ; Leroux de Bretagne, n. 231 et 232; Van Wetter, iVoMt\ rev.hist., 1877, p. 279; Esmein, id,, p. 489 ; Saleilles, op. cit., n. 129 ; Veniiond,op. cit., n. 4 s.— Cpr. Troplong, n. 237.— V.aussi les Traités de la possession deMoIi- lor et de Wodon qui discutent longuement cette question. Cpr. Cass.,28déc. 1826, S. chr. V. encore sur la confusion et les contradictions des auteurs en cette matière, Ihering, Éludes compiém. de Vespr, du dr. romain, trad. fr. de ^ Meulenaere, 1902, p. 342 et s., 361.

DE LA POSSESSION 107

gation et de créance. 11 n'y a pas un droit de possession ; il y a des droits accordées au possesseur. Au surplus, la con- troverse n'offre pas un immense intérêt.

204. I^ notion de la possession étant en elle-même quel- que peu obscure et vague, les jurisconsultes romains et nos anciens auteurs avaient essayé de distinguer plusieurs espèces de possession. 11 semble bien que les jurisconsultes romains aient employé les mots de possessio justa, possessio civilis, pour désigner soit la possession qui s'exerce avec animus (lotnini, soit seulement celle qui peut conduire à Tusuca- pion, en réservant à la simple détention les expressions de corporalis possessio, yiaturalis possessio (*).

Mais il régnait à ce siget, dans notre ancien droit, une grande confusion. Pothier, dans lequel le code a pris la défi- nition de la possession, distinguait tout d'abord la posses- sion civile ou jiista possessio et la possession naturelle. La première, dit-il, est la possession de celui qui possède une chose comme lui appartenant en propriété, soit qu'il en soit effectivement le propriétaire, soit qu'il ait seulement quelque sujet de croire l'être, pourvu qu'il ait d'ailleurs un juste titre, c'est-à-dire un titre qui soit de nature à transférer la propriété, tel que le titre de vente, d'échange, de dona- tion, etc. Quant à la possession purement naturelle, elle est, d'après Pothier, de plusieurs espèces: la première est celle qui est destituée de titre ; la seconde celle qui procède bien d'un titre de nature à transférer la propriété, mais qui est infectée de mauvaise foi ; la troisième celle qui procède d'un titre nul; enfin la quatrième procède d'un titre valable, mais n'est pas de nature à transférer la propriété ; telle est celle d'un engagiste. Mais cette classification et cette termi- uologie n'étaient pas admises par tous les auteurs.

D'Argentré et Dunod appellent possession naturelle celle qui implique la jouissance actuelle avec le dessein de possé- der comme maître, tandis que la possession civile est réduite à l'intention de posséder, « comme il arrive à un homme qui, après avoir possédé naturellement, cesse de

l') V. GoniU, p. 13 els.,55. Gpr, code civil esp., art. 430.

168 ' DK LA PRESCRIPTION

détenir la chose, mais qui conserve l'intention de la possé- der. » Au contraire, d*après Argou et Domat, les mots « possession naturelle » étaient employés pour désigner ceux qui détenaient pour autrui. On ne peut nier en efifet que le droit romain ait employé les mots naturaliter possidere pour les simples détenteurs de la chose d'autrui. Savigny a beaucoup éclairci les discussions anciennes sur ce point. La possessio civilis, pour lui, est celle qui conduisait à Tusuca- pion; la possessio naturalis désignait tantôt la possession ad interdicta, tantôt la simple détention (*).

205. Toutes ces distinctions, qui ont pu avoir leur raison d'être en droit romain, alors que s'élaborait la théorie de la possession, sont bien inutiles dans notre législation; le code a eu grandement raison de les laisser de côté, et il serait sans intérêt aujourd'hui de reprendre les discussions noni- ])reuses qui s'engageaient autrefois sur la possession juste ou injuste, civile ou naturelle ; il n'y a qu'une seule posses- sion qui s'exerce à titre de maître ; mais elle peut, suivant les caractères qu'elle présente, les vices dont elle est infectée,- produire des efiPéts juridiques plus ou moins considérables. D*ailleurs on peut admettre que, dans certains cas et sous certaines conditions, la détention pourra aussi être protégée et produire certains effets.

206. Ce fut en dtoit romain une question longuement dis- cutée que celle de savoir si deux personnes peuvent à la fois l)osséder une chose pour le tout ; les uns 'soutenaient que, tandis qu'une personne a la possession juste d'une chose, une autre personne peut en avoir une possession injuste ; les autres pensaient que la possession injuste de celui qui dé- pouille le possesseur d'une chose est exclusive de la posses- sion de ce dernier ; j)endant que l'usurpateur a la possession injuste de la chose qu'il a usurpée, la pei*sonne qui en a été déi)ouillée ne peut conserver aucune possession (*). On paraît

(*) Polhier, Possession^ n. 6 s. ; Argou, Instil, dn dr. franc,, I, p. 222 ; Dunod, p. 16; d'Argenlré, sur l'art. 265 Goul. Bret., ch. I, n. 1 et 4; Domat, Lois civiles, liv, HI, lit, VII, sect. 1. V. aussi, Vazeille, n. 29 ; Troplong, n. 239.

(*) Voy. Verinond, op. cil,, n. 100 et 101.

DE LA POSSESSION 169

s'être, depuis longtemps, mis d'accord pour admettre que la possession, est exclusive. Deux personnes ne peuvent possé- der en même temps, chacune possédant in solidum : deux personnes peuvent sans doute posséder ensemble une chose par indivis, ou posséder sur une chose des droits différents ; mais elles ne peuvent posséder la chose chacune pour le tout (*).

Il est cependant intéressant de faire observer qu'il y a dans notre droit une hypothèse deux personnes sont en quel- * que sorte Tune et l'autre simultanément en possession in mlidum de la même chose ; nous faisons allusion au cas d'un possesseur qui a un an pour exercer l'action possessoire et se faire réintégrer dans la possession qu'il a perdue ; pendant ce temps, l'usurpateur est en fait en possession, et le posses- seur qui a perdu la possession a le droit de la reprendre, de telle sorte qu'il n'y aura eu aucune interruption au point de ^iie de la prescription.

^ IV. Du fondement de la protection possessoire.

207. Que la possession soit un fait ou un droit, on s'est demandé sur quel fondement il faut faire reposer la protec- tion dont la loi Tentoure, De nombreuses théories se sont fait jour et c'est une question sur laquelle les jurisconsultes allemands de notre époque ont longuement disserté.

C'est la volonté du possesseur qui, dans une première théorie, sert de fondement à la protection possessoire. « La volonté d'une personne juridiquement capable doit, jusqu'à un certain point, être reconnue par le droit, même avant d'être établie juste, précisément parce que c'est la volonté d'une personne juridiquement capable et que dès lors il est possible qu'elle soit juste ». Ainsi s'exprime Puchta. Bruns a écrit de son côté que « la possession n'est point un droit, mais un fait protégé contre la violence en considération des

i

(') Polhier, Possession, n. 4 ; Diinod, p. 23 ; Domal, liv. III, lit. 7, secl. 1 ; Troplong, n. 243 s. ; Leroux de Bretagne, n. 235. V. Gomil, p. 106 s. V. auMi. pour le droit allemand, von Seeler, Zur Lehre von MUbesitz, et Wolff, Dtr Mitbesits, dans Ihering's Jahrbûcher 1902.

170 DE PRESCRIPTION

droits généraux de la volonté (*). » Cette conception est pu- rement idéale ; elle ne trouve aucun point d'appui dans le droit romain ni dans notre législation ; la volonté n'est pas toujours et par elle seule protégée ; pourquoi d'ailleurs refu- ser la même protection aux détenteurs pour autrui ? Leur volonté ne doit-elle pas être aussi bien protégée ? Pourquoi aussi ne pas accorder une pareille protection quand il s'agit des choses non susceptibles de possession ?

208. Savigny avait soutenu une théorie différente ; la pos- session est un fait ; mais l'atteinte à la possession n'en a pas moins le caractère d'un acte préjudiciable, défendu par la loi ; la protection possessoire a pour but de le réprimer. C'est la personnalité humaine qui est protégée dans la possession; il s'agit d'interdire la violence (*). Cette idée est rationnelle- ment soutenable. Mais ni la législation romaine ni la nôtre ne le supposent; avec ce point de départ, ne serait-on pas admis à protéger le détenteur aussi bien que le possesseur? Ne devrait-on pas protéger la possession qui porte sur des cho- ses hors du commerce ? Ne serait-on pas à Tinverse amené à distinguer entre les possesseurs de bonne ou de mauvaise foi et à n'accorder à ces derniers aucune protection?

209. Dans une théorie un peu voisine, le fondement de la protection de la possession a été présenté en termes plus précis. C'est l'ordre public, l'intérêt social qui prohibent les violences et les usurpations commises contre ceux qui sont en possession. Huberus avait autrefois mis cette idée en avant ; elle a été soutenue en Allemagne par Rudorff ; elle

(*) V. ces cilalions dans Iheiing, Du fondement de la protecton passes soire^ Irad. de Meulenaere, p. 27 el 28. V. aussi dans le sens de celle Ihéorie» Windscheid, Pandectes^ p. 365. Gpr. Andler, Les origines du socialisme d'Étal en Allemagne, p. 6d el s.— V. d'ailleurs l'exposé critique de celle théorie et des suivantes dans Tintéressanle thèse de M. Applelon, Essai sur le fonde^ ment de la protection possessoire,

{*) Savigny, toc. cit. —Coinp. Lassalle, Théorie systém.dn droit acquis, Irad. Tr. 1904, p. 322. « La possession nous apparaît essentiellement comme un droil autonome, basée sur la liaison réelle de la personnalité et de la chose : c'est du reste sous cet aspect que, d'après les fondements posés par Savigny dans son chef-d'œuvre connu, la possession est universellement comprise aujourd'hui. La possession, en tant que droit propre, est fondée sur ce fait que déjà la liaison de la chose el d'une personnalité forme en elle-même un lien juridique, dans lequel la causa est reléguée à l'arrière -plan. »

DE LA POSSESSION 171

répond d'une façon plus satisfaisante aux objections que nous avons formulées ; nous lui reprocherons seulement d*être, à elle seule, insuffisante pour expliquer les différents effets que la loi attache à la possession ; elle a besoin d'être appuyée d une autre idée, la présomption de propriété ou plutôt, d'une façon plus générale, la présomption de légitimité du droit possédé (').

210. C'est cette dernière idée qui, à notre avis, a la plus grande part de vérité. Elle a été chez nous admise par plu- sieurs auteurs. Aubry et Rau ont écrit que « la possession ne constitue pas un droit sui generis. Ce que la loi protège et garantît, c'est bien moins lapossession elle-même que le droit probable de propriété ou de servitude dont celle-ci fait sup- poser Texistence (*). » Troplong avait déjà émis la même idée : « La possession n'est que le résultat et l'expression d'un droit plus élevé qui en est la source. Tout ce que la loi a m% en elle, c'est une présomption ; ce n'est que comme fait eitérieuF servant de manifestation à la propriété que la possession a une valeur. Tous les effets que, par mégarde, on Wt quelquefois sortir de la possession ne sont que les con- séquences de la propriété présumée qu'elle signale ; toutes Joutes les fois que la possession demande quelque chose à la loi, c'est à titre de propriété présumée qu'elle l'obtient ('). »

211. Ea Allemagne, Ihering a donné à cette théorie l'ap- pui considérable de son autorité. Dans son célèbre traité sur « Le fondement des interdits possessoires », il a déve- loppé cette idée que la protection de la possession est un complément nécessaire de la protection de la propriété ; la preuve de la propriété est souvent difficile à fournir ; si, pour obtenir réparation du moindre trouble, il fallait la pro- duire, bien des propriétaires seraient embarrassés ; il faut que la possession en elle-même soit protégée au risque de faire profiter de cette protection le non-propriétaire. D'après

(S Huberus, loc. ciL V. aussi Kuntze, loc cit, Cpr. Gass., 28 déc. 1826, précité.

Ci V. Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 108.

0 Troplong, n. 237. V. aussi Bélime, n. 12 s. ; Leroux de Bretagne, I, n- 229 s. ; Uurenl, XXXII, n. 274.

172 DE LA PRESCRIPTION

le langage pittoresque de Ihering, « la possession est un ouvrage avancé de la propriété. » Ce n'est pas pour elle- même qu'elle est protégée, c'est en considération de la pro- priété. Mais, comme la loi n'exige que la preuve de l'exté- riorité de la propriété, celui qui, quoique non propriétaire, pourra prouver qu'il exerce les attributs du propriétaire,, sera aussi protégé (*).

212. Nous n'avons point à suivre la démonstration que le grand jurisconsulte allemand a fournie de cette thèse au point de vue de la législation romaine. Nous disons seule- ment que, pour nous, le fondement de la protection posses- soire repose à la fois sur l'intérêt social et sur la présomp- tion de propriété, plus généralement de légitimité du droit, attachée à la possession ; ces deux idées doivent être combi- nées pour expliquer le mécanisme de la théorie : elles ont servi l'une et l'autre à Télaboration de la législation sur la possession (*). On peut affirmer qu'elles étaient celles des rédacteurs du code civil. « Posséder, dit l'exposé des motifs de Bigot-Préameneu, est le but que se propose le proprié- taire ; posséder est un fait positif, extérieur et continu, qui indique la propriété. La possession est donc à la fois l'attri- but principal et une preuve de la propriété... S'il en était autrement, il n'y aurait aucun terme après lequel on pût se regarder comme propriétaire ; il ne resterait au législateur aucun moyen de prévenir ou de terminer les procès ; tout serait incertitude et confusion... La possession est un fait qui ne peut pas d'abord établir un droit, mais qui indique la qualité de propriétaire. Cette indication serait illusoire, si celui qui a la possession pouvait être évincé autrement que par la preuve qu'il possède au nom d'autrui et qu'un autre

(*) Ihering, Du fondement des interdits possess, Irad. Meulenaere, p. S * Esprit du droit romain, Irad. Meulenaere, 3' édil., t. 4, p. 352. Sur la diffi- cullé de concilier la théorie d'Ihering dans son traité Du fondement des inter- dits possessoires avec celle qu*il a soutenue depuis dans son livre Du rôle de U volonté dans la, possession, voy. notamment Saleilles, op. cit,, n. 103 s. ; Vaij Bemmelen, loc. cit. V. d'ailleurs, sur les théories proposées par Iherin? en ce qui concerne la possession, Vermond, op, ci7.; Esmein, Xouv, rev.hislor.» 1877, p. 489 s. ; Saleilles, op, cit,; Cornil, op, cit.

(*) Cpr. Garsonnet, I, p. 540, §130.

DE LK POSSESSION 173

a la propriété. On a considéré que si l'occupation momenta- née d'un fonds suffisait pour priver des effets de la posses- sion, ce serait une cause de désordre ; que chaque posses- seur serait à tout moment exposé à la nécessité d'avoir un procès pour justifier son droit de propriété ; la règle de la possession annale a toujours été suivie en France à l'égard des immeubles ; elle est la plus propre à maintenir l'ordre public (*) . » On trouve bien dans ces paroles de Bigot-Préa- meneu l'indication des deux motifs que nous avons indi- qués ; ce sont eux qui expliquent les avantages que notre législation attribue au possesseur.

SECTION II

DE l'acquisition, DE LA CONSERVATION, ET DE LA PERTE DE LA

POSSESSION

^13. Les textes du code civil ne s'occupent pas de déter- miner comment et à quelles conditions la possession s'acquiert, se conserve et se perd ; les textes romains et nos anciens auteurs avaient, au contraire, beaucoup étudié et analysé ces <|uestions : les rédacteurs du code ont entendu, sans doute, s'en référer aux règles qui étaient traditionnelles et classi- ^es à la fin de notre ancien droit.

1 1. De V acquisition de la possession^ et des été* ments constitutifs de la possession.

214. Il y a deux éléments dans la possession: un élément matériel, le fait de l'occupation, corpus, et un élément inten- tionnel, la volonté d'avoir la chose à titre de propriétaire, ou d'agir à titre de maître, de titulaire d'un droit sur la chose, animm rem sibi habendi^animus domini. Le concours de ces <leux éléments est nécessaire pour l'acquisition de la posses- sion. Adipiscimur possessioneîn corpore et anima, dit la loi i^omaine (*).

(') Locré, XVI, p. 558, 559, 564, 508.

(') Cpr. Gass., 17 juin 1862, S., 62.1. 117, D., 62. 1. 356. - Laurent, XXXII, n.266.

174 DE LA PRESCRIPTION

215. On ne peut d'abord acquérir la possession d'une chose dit Pothier, sans avoir la volonté de la posséder (*). Nous avons dit, à cet égard, que la détention sine animo domini ne constitue pas, dans notre droit, une possession dans le sens juridique du mot. C'est la solution que notre code civil, ainsi que nous Tavons vu,a emprunte à Fancien droit: Dunod emploie, d'une façon précise, les expressions d^ani- mus domini, ou danimus remsibi habendU^),

Pothier ajoute que de ce principe, il suit que, si j'ai acheté de vous une chose et que vous m'en livrez une autre que je prends par erreur pour celle que j'ai achetée et dont j'ai rintention d'acquérir lapossession, je n'acquiers la pos- session ni de celle que j'ai acquise par erreur, puisque ce n'est pas celle dont j'ai la volonté d'acquérir la possession, ni de celle que j'ai la volonté d'acquérir puisque je ne l'ai pas reçue ('). C'était la solution donnée par Ulpien (^). Elle est contestable ; quoique entachée d'erreur, la volonté de posséder a bien porté sur la chose reçue; et c'est bien à titre de propriété que cette chose a été reçue ; il nous semble qu'il y a bien une véritable possession ; le détenteur de la chose en a usé comme d'une chose lui appartenant ; il a eu Yanimus domini ; il a été non seulement possesseur, mais possesseur de bonne foi; son erreur ne peut être con- sidérée comme l'empêchant de posséder (^) .

216. La nécessité de Yanimiis domini entraîne cette con- séquence que les personnes incapables de volonté ne peuvent posséder: les fous, les enfants, ne peuveni posséder, ou du moins ne le peuvent que par l'intermédiaire de leurs repré- sentants (*^). Mais les personnes qui ont l'usage de leur rai-

(') Polhier, Possession, n. 40.

(=») Dunod, p.l6 el 18.— Cpr. Godecivil hoU., art. 594. - V. «upra, n.l9T els.

(*) Polhier, loc, cit. Cpr. Leroux de Brelatfne, n. 2 il; Troplongr, n. 254.

(♦) V. l. 34, pr, D., De adquir. vel admili, poss,, XLI, 2.

(*) .Sic Marcadé, sur l'art. 2228, n. 6, et Hev, criL, 1854, I, p. 46(>.

(*) V. C. civ., lioll., art. 595; G. civ, aulr., art. 310; G. civ. esp. art. 443. Comil, p. 90 s, Encore propose-t-on de faire exception pour \ts chose-^ non appropriées et qui s'acquièrent par occupation. V.G.civ., port., art. 480. V. aussi sur la question Saleilles, Élém. constit. de lu poss., p. 129 et Revue critique, i902, p. 600. Le code civil allemand écartant toute exigrence d^àni' mus domini, on en conclut qu'il admet que lapoî^session peut ôlre acquise parles

DE LA POSSESSION 175

son, quoique juridiquement incapables, les mineurs, les femmes mariées, peuvent posséder. Pothier appuie cette solution d'une idée que nous avons déjà exprimée et que Paul énonçait en droit romain, à savoir que la possession est une chose de fait (*).

217. Le second élément nécessaire pour l'acquisition de la possession est l'élément de fait, l'élément corporel, le corpm ; nous entendons par les faits ou les actes qui dénotent la possibilité d'agir matériellement sur la chose. Nos anciens auteurs exigeaient à cet égard, en principe, l'appréhension corporelle, à laquelle ils apportaient des restrictions nombreuses ; le code civil est resté muet sur ce point qui donne lieu, en doctrine du moins, à de grandes difficultés.

L'élément do fait de la possession est tout différent, à. notre a\is, suivant qu'il s'agit d'une possession originaire, c'est-à-dire qui n'est pas la suite d'une acquisition, ou d'une possession transmise ou dérivée, c'est-à-dire qui suit une acquisition de la chose possédée (*).

218. Au premier cas, qu'il s'agisse d'une chose n'appar- tenant à personne ou d'une chose déjà appropriée, qu'il î^'apsse de meubles ou d'immeubles, la simple possibilité d'agir ne suffit pas pour qu'on soit en possession ; il faut un fait actif révélant l'intention d'user en maître; il faut un acte sur la chose impliquant volonté de se l'approprier. « Un usur- pateur ne serait pas censé avoir possédé la chose qu'il pré- tend avoir acquise par prescription s'il ne l'avait occupée pied à pied et d'une manière patente (^). »

219. Au second cas, l'élément corporel de la possession résulte de tous les faits qui donnent à l'acquéreur possibilité d'user en maître de la chose acquise. I^es faits qui consti-

foos et les enfants, même incapables de disceriiemenl. Saleilles, Revue crilL" ÇBe, loc. cil.^ ; Coniil, p. 85. Cependant la solution reste douteuse ; car le cor- pn< poâsessoire implique bien nécessaireinenl une certaine volonté.

(') Pothier, Possession^ n. 45; Troplong, n.238. Gpr. G. civ. esp, art. 443; ^'. civ. port., art. 48:); C. civ. holl., art. 595.

(*) V. Vermond, op, cit., n. 15 et s.; Gornil,p. 119 s.— G. civ, esp., art. 438.

C) Troplong, n. 251. Gpr. Dunod, p. 2t. V. aussi Saleilles, op, cit., n. 50 et 51 ; Gomil, p, 125 s. V. encore Gass., 2a oct. 1930, I), 1901. 1. 36.

176 DE LA PRESCRIPTION

tuent délivrance, qui font passer la chose au pouvoir et en la puissance de l'acheteur, suffisent aussi pour la mise en pos- session. « Si c'est un meuble, dit Pothier, il faut que ce meuble soit remis entre mes mains ou aux mains de quel- qu'un qui le reçoive pour moi et en mon nom ; si c'est un héritage, il faut que je me transporte sur cet héritage pour m'en mettre en possession ou que j'y fasse transporter quel- qu'un qui s'y mette en possession de ma part (*). » Et, après avoir posé ainsi la règle de l'appréhension corporelle, Pothier ajoutait : « Le principe qu'il faut une appréhension corpo- relle de la chose pour acquérir la possession souffre excep- tion dans le cas de plusieurs espèces de traditions par les- quelles celui à qui elles sont faites est censé acquérir la pos- session de la chose dont on entend lui faire tradition avant cju'il soit intervenu aucune préhension corporelle de cette chose. Ces espèces de traditions sont rapportées en notre Traité du domaine de propriété ; nous y renvoyons. » Or, au passage indiqué par Pothier, on trouve différents modes de tradition considérés comme équivalents de la tradition réelle ot qui ont pris place dans les articles 1604 et suivants du code civil {^). ^aujourd'hui, de même que du temps de Pothier, les actes qui impliquent délivrance à Tacheteur suffisent pour constituer l'élément de fait de la possession transmise. U est seulement nécessaire d'élargir le système de Pothier sur la délivrance et sur l'entrée en possession.

220. Xous n'avons pas à rappeler les distinctions faites par nos anciens auteurs. A côté de la tradition réelle, ils admettaient la tradition symbolique « par laquelle on reinet entre les mains de la personne à qui on entend faire la tra- dition d'une chose, non la chose môme, mais quelque chose qui la représente et qui met en son pouvoir la chose dont on entend lui faire la tradition » (') ; telle est la remise des clefs d'une maison, et des titres de propriété de cette mai- son, ou, pour des effets mobiliers, la remise des clefs d'un

(') Polhier, Possession, ii. 41.

(=) V. aussi Dunod, p. 13 et 21.

(') Polhier, Dm droit de domaine de propriété^ n. 199.

DE LA POSSESSION * 177

bâtiment Us sont enfermés. Il y a, disait-on encore, tra- dition longa manu, résultant de ce que la chose a été placée sous les yeux de celui qui veut en acquérir la possession avec faculté pour lui de s'en rendre maître. Il y a tradition par la fiction brevis manus, lorsqu'une chose, d'abord déte- nue à titre de prêt, dépôt ou louage, est possédée à titre de propriétaire à la suite d'un nouveau contrat. 11 peut y avoir encore tradition par suite de la marque qu'un acheteur met, (lu consentement du vendeur, aux choses qu'il lui a ven- dues (*). Il y a enfin tradition feinte résultant de certaines clauses apposées à une vente ou à une donation, par l'eftet desquelles l'aliénateur continue à détenir la chose, mais au nom et pour le compte de l'acquéreur, qui en a désormais la possession (constitut possessoire). Ajoutons, sur ce der- nier point, que sous le code civil, un acte translatif de pro- priété pourra facilement être interprété, même en l'absence 'le toute clause expresse, eu ce sens que l'aliénateur qui continue à détenir la chose la détient pour le compte de i'acquéreur (*).

221. Il faut aller plus loin. Lorsqu'un objet est aliéné, l'awjuisitîon de la possession peut résulter suffisamment de ce que Taliénateur s'en déclare dessaisi au profit de l'acqué- reur; celui-ci possède alors personnellement et sans intermé- ïliaire. La coutume dT)rléans disait : « Dessaisine et saisine valent et équipollent à tradition de fait et possession prise de la chose sans qu'il soit recjuis autre appréhension f*). »Pothier admettait qu'en pareil cas il y avait possession acquise à l'acquéreur si rien ne s'opposait à sa jouissance. Dunod disait ïju'il y avait alors possession feinte pouvant servir, dans cer- tains cas, à prescrire ou du moins à continuer une prescrip- tion commencée. Nous ajouterons que, sous le code civil, la

(') Polhier, op. ciL, n. 205. (iuiUouard, n. 424.

O Aubrj- et liau. 5' éd., II, p. 113. - V. lUom, 28 mai iSlO, S. chr., D. ft«p., Prescr., n. 461. Lyon, 8 cléc. 1838, S., 39.2.538. TroploiiK» n. 251 ; Leroux de Bretagne, I, p. 245; GuUlouard, loccit, ; Coniil, p. 142 s. Gpr. C, civ. au!r., art. 319; C. civ. Zurich, art, 102 ; (^ode It^d. desoblig., «rt. 202.

{*i V. Polhier, op, cil,, n, 213 ; Dunod, p. 21. Mais voy. Domat, Lois civiles, liv. HI, lil. VU, secl. 2, n. 2, 16, 21.

PnEiîcii. 12

178 DE LA PRESCRIPTION

possession pourra être considérée comme acquise sans même qu'il y ait clause expresse dessaisissant l'a^énateur ; si ce dernier était en possession^ réelle^ s'il a laissé la pos- session vacante^ de manière que Tacquéreur puisse se servir de la chose quand il le voudra^ si aucun obstacle n'empêche celui--ci d'entrer en jouissance^ nous dirons qu'il est en pos- session (^). Il l'est aussi si la chose aliénée est aux mains d'un tiers qui la détenait pour le compte de l'aliénateur et va désormais la détenir pour le compte de l'acquéreur.

222. D*une façon générale^ il y a donc élément corporel de la possession chaque fois que l'acquéreur a la possibilité d'exercer sur la chose des actes de maître (^). Il n'est pas besoin de contact matériel^ d'occupation réelle pour que la possession commence à exister (') ; les distinctions que nous avons rappelées n'ont plus qu'une importance historique ; il n'y a plus de traditions réelles et de traditions feintes. La mise en possession résulte simplement de la possibiUté d'user de la chose. « On nomme appréhension le fait par lequel une personne obtient la possibiUté actuelle et exclu- sive d'agir matériellement sur une chose (^). > Nous sommes ains ramenés à l'idée de l'article 1604 : « transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur. » Dans le cas le prétendu possesseur a acquis la chose d'une autre personne, sa possession est dérivée, les faits qui ont constitué la délivrance ont suffi pour qu'il y eût à la possession l'élément corporel qu'exige la règle tradition- nelle {^).

(*) V. encore Béliine, n. 186 ; Merlin, Quett,, v* Complainte ; Hue, t. 14. n. 345. Cpr. G. civ. ail., art. 854. Nouâ disons que l'acquéreur acquiert la possession et non que la possession lui est transmise : il faut observer que la possession, n'étant pas un droit sur la chose, ne peut, dans le sens précis du mot, être transmise ; les avantages qu'elle confère seuis peuvent être cédés ou transmis. V. infra, n. 343. V. cep. dans le sens de la transmission de la pos- session, Comil, p. 120 s., 130 s. La question est d'ailleurs sans intérêt pratique.

(*) Aubry et Rau, 5- éd.. II, p. 111. Cpr. Cass., 17 juin 18», S., 62. 1.711. -* V. en ce sens Tart. 854 G. civ. ail. et l'art. 200 du cod. fédéral suisse des obligations.

(») V. cep. Cass., 9 janv. 1901, D., 1901, 1. 449.

(♦) Aubry et Rau, 5- éd., II, p. 111, § 179.

<*) V. G. civ. esp. art. 438 ; G. civ. ail., art. 854. V. aussi la riche et précise énumération du projet de code civil hongrois de 1900, art. 508 et 509 : < Acquiert

DE LA POSSESSION 170

223. Cette idée paraît avoir été contestée. Oa a écrit que < par la délivrance, le vendeur oSre et prépare la posses- sion a lacheteur ; il lui remet tout ce dont celui-ci a besoin pour cette possession ; mais c'est à l'acheteur seul de la réaliser ensuite » (*), et on a soutenu, par suite, que la pos- session et la prescription ne commencent qu'après Toocupa- tion réelle et matérielle de la chose. Cette opinion nous semble peu exacte ; la simple délivrance résultant de ce que le vendeur a laissé la chose à la libre disposition de l'acqué- reur, investit celui-ci de la possession immédiate; les actes matériels d'occupation seront Texercice, la manifestation dune possession préexistante. Cette possession pourra, sans doute, si elle n'est pas suivie d'actes matériels, n'être pas continue, publi<pie, n'avoir pas les caractères requis pour la prescription ; mais elle n'en aura pas moins commencé {*) .

224. Les règles que nous avons formulées relativement à rèlément corporel de la possession sont celles qui nous parais- sent avoir été suivies dans Tancien droit et avoir été admises par les rédacteurs du code civil. Cette matière a été l'objet d études considérables et des théories multiples se sont fait jour. Savigny a soutenu un système qui se rapproche beau- coup des idées que nous avons résumées ; il exige un fait impliquant domination de celui qui l'accomplit, prise de possession réalisée ou sur le point de se réaliser ; mais il

It possesdon par transfert celui qui tombe d'accord avec le possesseur antérieur an sujet du transfert et qui est placé dans un rapport extérieur lui permettant d*exercer le pouvoir de fait sur la chose. Moyennant un accord conforme au §508, la possession est acquise par transfert, spécialement de la manière suivante : 1* L'acquisition de la possession mobilière s'accomplit quand le possesseur anté- rieur remet la chose à l'acquéreur, quand il lui remet la clef du contenant^ coffre, caisse ou magasin) dans lequel la chose se trouve ; quand il marque la chose d'an signe extérieur qui fasse connaître clairement le transfert de la possession; 2* l'acquisition de la pgssession immobilière s'accomplit quand le possesseur antérieur introduit l'acquéreur dans le fonds ; quand à proximité il lui montre le fonds ; quand il lui remet les clefs de la construction ou partie de la construc- tion dont s'agit ; quand il cesse d'exercer le pouvoir de fait sur la chose et rend Texercice de ce pouvoir possible à Tacquéreur. » (Traduction de M. Oornil, op, cti., p. 575 et 576).

(*) Marcadé, sur l'art. 1004, n. 4. V. aussi Domat, loe. cit. ; Leroux de Bretagne, n. 245.

(') V. en ce sens Dunod, p. 21. Cpr, Hue, t. 14, n. 345 ; Brissaud, p. 1234 ei s., 1302 et s.

180 DE LA PRESCRIPTION

nous paraît, à cet égard, trop rigoureux en voulant une pos- sibilité de domination al>solument immédiate, qui suppose- rait par suite le voisinage, la proximité de la chose possé- dée ; nous croyons qu'il faut s'en tenir à la simple possibi- lité d'user matériellement ; ce n*est qu'au cas d'une prise de possession originaire, d'une occupation, qu'il faut des actes matériels de possession supposant nécessairement la proximité de la chose (*). A notre avis, la théorie de Savigny est plus étroite et plus sévère que celle qu'admettaient nos anciens jurisconsultes, Dunod et Pothier.

224 bis. S'il s'agit au surplus de la possession de droits autres que le droit de propriété, il paraît bien clair que l'élément corporel de la possession n'est et ne peut être autre chose que l'exercice ou la possibilité d'exercice du droit possédé.

225. \h\e autre conception a été développée par Ihering. Pour lui, le côté matériel de la possession est l'ensemble des actes par lesquels se manifeste le droit de propriété ; c'est la visibilité de la propriété ; ce n'est pas un fait maté- riel précis et déterminé, c'est un rapport de fait entre le possesseur et la chose, manifestant l'exercice d'un droit de propriété ; ce rapport peut varier avec la nature de la chose, son mode d'utilisation, les usages locaux, etc. (*). Si la pos- session s'applique à un autre droit, il faut dire de même que l'élément matériel de la possession n'est autre chose que le fait d'exercer normalement ce droit.

Mais M. SaleiUes s'exprime d'une façon différente. Pour lui, le corpus est « la manifestation extérieure de l'appro- priation économique de la chose, c'est-à-dire un état de fait tel qu'il révèle le maître de fait de la chose, celui qui Ta sous sa dépendance et la fait servir à la satisfaction de ses besoins économiques. » Il ajoute que « ce qui constitue le rorpus possessoire, c'est un ensemble de faits qui seraient

(') Savigny, Traité de U possession^ ^ 14 et s. V. la théorie de Savigny ana- lysée dans rinléressante et savante monographie de M. -Saleilles, Étude sur les éléments constitutifs de la possession, V. aussi Vermond, op, cit.

{') Ihering, Le fondement des interdits possessoires, et (iiuvres choisies^ U, p. 245 s. —V. la théorie d'Ihering analysée et critiquée par M. Saleilles, op. vit. V. aussi Gornil, p. 23 s.

BE LA POSSESSION 181

(le nature à révéler entre celui auquel ils se rapportent et la chose qu'ils ont pour objet un rapport durable d'appropria- tion économique, un rapport d'exploitation de la chose au service de l'individu ». (*)

Nous préférons, comme plus simple et plus rationnelle, ridée ancienne de la mise de la chose à la disposition de l'acquéreur, de la simple possibilité pour celui-ci d'user de la chose. Les faits indiqués par Ihering et par M. Saleilles se réfèrent peut-être plus aux caractères de la possession quand elle doit conduire à la prescription, quand il s'agit de savoir si elle a été continue, publique, paisible, non équivoque, qu'à l'acquisition même de la possession et à l'élément cor- porel que suppose cette acquisition. Peut-être aussi n'y a-t-il pas, entre ces points de vue et l'idée plus traditionnelle que nous proposons de maintenir, les profondes diflférences qu'on îi voulu y voir. Les conséquences pratiques auxquelles on est conduit nous paraissent sensiblement les mêmes, qu'on parle démise à la disposition et de possibilité d'user en maître, ou de rapport d'appropriation, d'exercice visible du droit de propriété, de rapport d'exploitation, etc. Les faits qui impli- (pient mise à la disposition et possibilité d'agir sont bien en général ceux qui révèlent le rapport d'appropriation (*).

226. La distinction que nous avons faite de Vanimus et du fnrpm existe d'ailleurs bien plus en théorie qu'en pratique.

(') Saleilles, op, cit.

{*) Le point de vue traditionnel se retrouve d'ailleurs dans les légrislalions les pliw récentes. V. Code Zurich, art. 64 et 65 ; Code nionlén., art. 812 et 829 ; C civ. ail., art. 854 et 870, 930 et 931; C. civ. esp., art. 438. V. aussi le projet «le Code civil hongrois de 1900, art. 505 et s., et les art. 957 et 960 du projet «iu Gode civil suisse de 1904. Nous ne citerons ici que le texte de l'article 854 Ju Code civil allemand : La possession d'une chose s'acquiert par roblenlion du pouvoir du fait sur cette chose. L'accord du précédent possesseur et de l'ac- «luéreur suffit pour Tacquisition lorsque ce dernier se trouve en situation d'exer- fer son pouvoir sur la chose. » Il est k remarquer que, bien que ce texte se rattache à la conception traditionnelle du corpus, M. Saleilles ne le critique pas <*! le considère comme pouvant comporter une interprétation des plus larges. (Revue critique, 1904, p. 48 et s.). Mais voy. dans Meulenaere, {Code civil alle- mand, p. 711 et s.), les critiques adressées par Ihering, lorsque le texte ci-des- sus était encore à l'état de projet, à la formule qui a maintenu l'idée ancienne : < Die Erlangung der thatsocchlichen Cewalt uber die Sache. » V. aussi Meule- naere, op, cit., p. 230 et 231.

182 DB hk PBESCBIPTION

Outre que le corpus implique nécessairement une certaine volonté^ la vérité est que Tinteniion de garder la chose à titre de propriétaire se manifeste par les actes mêmes qui constituent l'élément corporel de la possession : le corpus ne se présente pas, dans la réalité des faits, à l'état isolé, indépendamment de tout élément intellectuel; les actes d'appréhension que nous avons indiqués révèlent en même temps Texistence de Vanimus domini chez celui qui s'est mis en possession (^).

Ajoutons que les nombreux et difficiles problèmes con- cernant les éléments constitutifs de la possession et Tacqui- sition de la possession sont tous beaucoup plus du domaine de la théorie que du domaîae de la pratique : les juges appelés à se prononcer sur les actions possessoires ou sur les questions de prescription acquisitive n'ont pas, en géné- ral, à les aborder ; ils se bornent à rechercher s*il y a eu, de la part de celui qui se prétend en possession, des actes de maitre, et si ces actes se sont normalement reproduits dans les conditions légales et pendant le temps nécessaire pour assurer la protection que la loi accorde à la possession. La question de savoir s'il y a eu ou non possession dépend surtout des circonstances de fait. Domat a fait remarquer avec raison, après bien d'autres d'ailleurs, que les marques de la possession diffèrent suivant la nature des choses dont il s'agit (»).

227. On peut acquérir la possession par l'intermédiaire d'un préposé, agissant sur nos ordres et d'après nos instruc- tions, ou par l'intermédiaire d'un représentant qui l'aura acquise pour nous et en notre nom. C'est le cas des mineurs et des interdits qui peuvent posséder par leurs tuteurs, des personnes morales qui possèdent par leurs administrateurs légaux (^). C'est aussi le cas de toutes les personnes pour

(») V. Aubry et Rau, 5- éd., U, p. 111, § 179. Cpr. SaleiUes, p. 122 ; Cor- nil, p. 22.

(') Domat, Lois civiles^ liv. 3, tit. 7, sect. I, n. 4.

0> Troplong, n. 258 et s.; Aubry et Rau, éd., II, p. 112, § 179; Laurent, n. 267 ; Guillouard, n. 427. C. civ. esp. art. 439; a civ. port. art. 480;Code montén., art 817. - Cpr. Agen, 28 fév, 1870, D., 71. 2. 161; 4 mai 1870, S., 70. 2. 145. On admet que les communes acquièrent et conservent la posses-

DE LA POSSESSION 183

lesqoelles un mandataire, général ou spécial, dans les limi- tes de son mandat, aura acquis la possession d'une chose ('), Il faut que ce mandataire, lorsqu'il est entré en possession, ait entendu agir pour son mandant en vue de lui faire acqué- rir la possession directement, ou tout au moins n'ait pas déclaré l'intention d'acquérir la possession pour lui-même. Dans les cas il y a doute sur la volonté du représentant, la possession doit être considérée comme acquise directe- ment au représenté. Mais si le représentant a nettement déclaré acquérir la chose pour lui-même, et est entré en pos- session avec cette intention de posséder pour lui-même, il nous parait difficile d'admettre que le représentant acquière la possession (*). Lorsque le mandataire a agi pour son man- dant, celui-ci devient d'ailleurs possesseur avant d'avoir connu l'entrée en possession et même le fait de l'acquisition de la chose (').

Si le mandataire avait agi en dehors de ses attributions, ou s'il s'agissait d'un gérant d'affaires, on admet en général que la solution serait différente : La possession ne serait acquise à celui pour qui on aurait commencé à posséder qu'au moment l'acte de prise de possession aurait été connu et ratifié- par lui.

Pothier donnait de cette différence une raison que les textes droit romain indiquaient déjà : au premier cas, le mandat donné suppose la volonté d'acquérir la possession de la chose, et cette volonté suffit pour faire acquérir la posses- sion, quoique Tentrée en possession soit encore ignorée du possesseur ; au second cas, on ne peut acquérir la possession

sion non seulement ptr ceux qui les représentent, mais encore pur leurs habi- Unis. V. not. Cass., 3 janv. t872, S. 72. 1. 2i5, D., 72. 1. 93 ; 9 janv. 1872, S., 72. 1. 225 et le rapport de M. Rau, 6 août 1888, S. 89. 1. 215 ; 20 mai 1889, S.. 91. 1. 511, D. 9). 1. 247 ; 16 janv. 18^, S., 99. 1, 411, D. 95. 1. 241. - Manradé, sur Tart. 2228, n. 6; Laurent, n. 267 ; Hue, t. 14, n. 346; Ouillouani, n. 428.

(*) V. pour le droit romain Ihering, De la volonté dAns la poss,, p. 142; Cor- nil, p. 183 s. ; Girard. 2* éd., p. 265, note 4. Cpr. pour le droit allemand U^lsbeiiper, Uher Buitzerwerb darch MUieUpersonen dans IherintfM Jihrbûcher, 1902, p. 393.

(') V. cep. Lenel, Stellvertrelung und Vollmachi ; Gomil, p. 190 s.

(') V. Ck)mil, p. 184 s.

184 DE LA PRESCRIPTION

avant de l'avoir connue et approuvée ; car on n'a pu avoir plus tôt la volontâ de Tacquérir (*). Cette théorie est d'ail- leurs contestable, et on peut soutenir que, le représenté empruntant la volonté juridique du représentant, Teffet de la prise de possession se produira dans tous les cas ah ini- tio, sauf ratification ultérieure (*) .

On ajoute que le possesseur, dans le premier cas, peut commencer à prescrire dès que la possession lui est acquise, et non pas seulement à partir du jour il Ta connue (*).

Il est bien certain d'ailleurs qu'une personne acquiert la possession des choses qui entrent normalement dans son habitation ou sont au pouvoir de ses préposés, ouvriers, domestiques ou employés, par suite de l'exercice de leurs fonctions, avant même qu'elle ait connu le fait qui constitue la prise de possession. 11 y a une volonté générale préexis- tante d'acquérir la possession de pareils objets. Et la pos- session est acquise sans qu'il y ait à rechercher quelle a pu être la volonté des préposés lors de la réception ou de la prise de possession de la chose.

§ II. De la conservation de la possession.

228. La possession d'une chose mobilière ne se conserve que tant qu'on a la chose en sa puissance. Mais pour la con- servation de la possession immobilière, c'est une règle tra- ditionnelle que Vanimus suffit; animo retinetiir possession Cette règle qu'il ne faut pas prendre à la lettre et dont on a souvent exagéré la portée, signifie, tout simplement, que la possession, mie fois acquise, se conserve bien que le pos* sesseur n'ait pas fait d'actes de possession, si d'ailleui's il avait la possibilité de les faire, et même bien qu'il se soit trouvé temporairement dans l'impossibilité d'exercer son droit. 11 faut supposer d'ailleurs qu'un autre ne s'empare

('i Polhier, Possession, n. 53 ; Leroux de Bretagne, n. 247 ; (luillouaixl, n. 412 el 426; Cornil, p. 78, 185. V. C. civ. esp. art. 439. C. civ. Zurich, art. 67. V. cep. pour le cai du gérant d'affaires, Troplong, n. 261.

(-) Gpr. G. civ. holl. art. 596.

(>) Sic Aubry et Hau, éd. Il, p. 113, § 179, note 11.

DE LA. POSSESSION 185

pas de la chose et ne la possède pas pendant plus d'un an (C. civ., art. 2243 ; C. pr. eiv. art. 23). La possession, conservée par la seule intention, pourra manquer de con- tinuité et n'être pas susceptible de servir à la prescrip- tion, mais elle n'en existera pas moins. La possession légale d'un fonds immobilier, une fois acquise, se conserve par la seule intention du possesseur, aussi longtemps qu'elle ivà pas subi d'interruption venant d'un tiers ou qu'elle n'a l)as été volontairement abandonnée (*). » V. infra, n. 232 et s., 468 et s.

229. Pothier ajoute même, ce qui peut paraître plus con- testable, qu'il n'est pas nécessaire, pour conserver la pos- session, qu'on ait une volonté positive de la retenir ; il suffit, dit-il, que la volonté qu'on a eue de posséder ne soit pas révoquée par une volonté contraire ; « car, tant qu'elle n apas été révoquée par une volonté contraire, elle est toujours censée persévérer, et je retiens la possession, à moins que quelqu'un ne l'eût usurpée sur moi et ne m'en eût dépos- sédé (^). » Ainsi, si le possesseur devient fou, il ne perd pas IX)ur cela la possession (^). Cette dernière solution semble bien s'imposer; mais il n'est pas nécessaire, pour l'accepter, d'admettre le principe formulé par Pothier. Au surplus il est à peine besoin de faire remarquer que le défaut prolongé de jouissance d'un immeuble peut, après un certain temps, faire présumer la volonté d'en abandonner la possession.

220 bis. Dans le système d'Ihering dont nous avons doimé l'idée essentielle, la possession qui n'est autre chose que l'exercice normal du droit possédé, n'existe plus lorsque le droit n'est plus exercé : le possesseur cesse de se compor-

(') Gass., 12 fév. 1889, S., 90. 1. 13, D„ 89. 1.229 ; 11 dêc. 1889, S., 92. 1.132. -V. aussi Cass., 20 mai 1851, S., 51. 1. 812, D., 51. 1. 260; 27 ocl. 1891, S., î«. 1. 23, I)., 92. 1. 432 ; 30 nov. 1892, S., 93. 1 . 68, 1)., 93. 1. 247 ; 9 janv. 1901, D., 1901. 1. 449. - Orléans, 25 avril 1895, S., 98. 2. 214. - Polluer, n. 54 s. ; Dunod, p. 17 ; Troplong, n. 263 et 264 ; Aubry et Hau, 5* éd., 11, p. 115, § 179 ; Laurent, XXXÏI, n. 269 ; Guillouard, n. 184 et 435. - V. aussi C. civ. hoU. art. 598 ; Code montén., art. 813 ; Code civ. Zurich, art. 98. V. cependant, pour le droit romain, Girard, op. cit,, p. 267 et 268. V. aussi G. civ. P')rt., art. 474, § 2. - Cpr. Cass., 13 mars 1867, S., 68. 1. 33.

(*) Pothier, Poêêeêêion, n. 56,

C) Saleilles, p. 191 .

186

DE PRESCRIPTION

ter eomme propriétaire ; il perd la possession (*). La doc- trine traditionnelle repose d'après lui sur une fiction sans portée ; la règle d'après laquelle on conserve la possession solo anima n'a été faite et ne se justifie que pour les immeu- bles qu'on délaisse normalement, pendant un temps plus ou moins long. Ces critiques s adressent surtout, à notre avis, i ceux qui prennent à la lettre la règle d'après laquelle la possession se conserve solo animo ; elles perdent beau- coup de leur portée dès lors qu'on exige que le possesseur ait toujours la possibilité de se servir de la chose.

230. Au cas on possède par autrui, on retient la pos- session bien que celui qui détient la chose l'ait abandon- née (*), ou soit décédé, ou soit devenu incapable de volonté, si un tiers ne l'a pas acquise. On la retient aussi, bien que le détenteur ait changé de volonté et ait l'intention de pos- séder, non plus pour autrui, mais pour lui-même (*j. Cette dernière solution se rattache à une autre règle traditionnelle que nous aurons à étudier plus loin et d'après laquelle nul ne peut se changer à soi-même la cause de sa possession.

231 . C'est une question d'appréciation à trancher dans cha- que espèce que de savoir si la possession a été ou non con- servée ; on ne saurait sur ce point établir aucune règle géné- rale ; Dunod a soutenu que la possession peut se conserver par la seule intention pendant dix années, et qu'après ce terme elle est perdue. C est une solution arbitraire que per- sonne n'admet aujourd'hui (*).

»

(*) V. pour le droit romain. Girard, éd., p. 209, note 3 ; GornU, p. 257 ».

Gode Zurich, art. i03. Cette solution ne peut s'appliquer qu'aux immeu- bles. V. tn/ra, n. 235.

(*) Polhier, op. cti., n. 59 s. \\ cep. Code Zurich, art. lOi.

(•j V. aussi Cornil, p. 245, 247, 249 s.

(♦) TropJooç, n. 238 ; Bélime, n. 102 et 103 ; Aubry et Rau,5- éd.,. II, p. 115, § 179, note 17. V., sur les actes sudisants pour conserver la possession, Oass., 3 avril 18:38, S., 38.2.340, D., 38.2.166 ; 23 mai 1855, S., 56. 1.401, D., 56. 1. 57. Riora, 23 déc. 1854, D., 55. 2. 134. - Leroux de Bretagne, n.281.

En cas de jouissance commune d'une chose indivise, la possession par un des communistes conserve la possessûon à Tégard de tous. V. Gass., 29 juilL 1863, S. 64. 1. 20. - G. civ. Bas Canada, art. 2231, al. 8,

DK Lk POSSESSION 187

§ III. De la perte de la possession.

232. La possession se perd par notre volonté, ou si nous en sommes dépossédés malgré nous.

a) Elle se perd soit par le transfert volontaire, soit par Tabandon volontaire qu en fait le possesseur (^) . Elle se perd d*abord dans le cas le possesseur fait tradition de la chose à une autre personne ; peu importe que la tradition soit réelle ou qu'elle s'opère par les autres moyens que nous avons rappelés ; par exemple» le possesseur perd la possession si, vendant la chose, il est convenu qu'il la con- senre à titre de locataire ou de fermier ; il la perd même en général par Tefifet seul de l'aliénation, en ce sens qu'il doit, s'il garde la chose entre ses mains, être censé la pos* sèder pour le compte de l'acquéreur.

Pothier enseigne qu'il faut être capable d'aliéner pour perdre la possession par la tradition (*) ; mais cette solution iHHis parait inexacte ; il suffît d'avoir une volonté raisonna- ble pour perdre comme pour acquérir la possession ; la validité de l'aliénation est une chose différente et indépen- dante de la perte de la possession.

La possession est perdue, en second lieu, si la chose pos- sédée est l'objet d'un abandon pur et simple ; on peut eiter comme exemple d'abandon pur et simple de la possession < celui cjue nous faisons de la possession de certaines cho- ses mobilières que nous jetons dans la rue ou ailleurs, eomme choses qui ne sont bonnes à rien et que nous ne Toolons plus posséder C). » V. infra, n. 473.

233. b) La perte de la possession peut être forcée. La règle s'applique d'une façon différente suivant qu'il s'agit d'un immeuble ou d'une chose mobilière. Pour un immeu- Ue, la perte de la possession suppose qu'un tiers a acquis la possession, ou que la chose n'est plus susceptible de pos-

D a ciT. bca., art. 509 et 600. - Code civil Zurich, art. ^, 103. - Code Mootén.. art. 830. C. civ. alL, art. 856. O Pothier, Pofscat., d. 67. (') Pothier, op. cit., n. 70.

188 DE LA PRESCRIPTION

session. Ainsi un tiers s'empare de notre héritage à notre insu, ou bien nous en expulse et en chasse celui qui roccu- pait en notre nom, ou enfin nous empêche d'y entrer ; notre possession se trouve perdue, si nous ne parvenons à nous la faire restituer au moyen de Faction possessoire : cette action peut être exercée pendant un an ; il en résulte que la possession n'est définitivement perdue qu'autant que l'occupation du bien a duré plus d'une année (art. 2243) (*). V. infra, n. 468 et s.

234. Les obstacles naturels apportés à la jouissance d'une chose n'en font perdre la possession que s'ils ont un carac- tère définitif, comme si un héritage est submergé par la mer ou par une rivière. De simples obstacles accidentels, tels qu'une inondation, ne font pas perdre la possession du fonds (*).

236. Quant aux choses mobilières, nous en perdons la pos- session dès qu'elles cessent d'être sous notre garde, sous notre puissance ; cela se produit pour les choses qui nous sont dérobées, pour celles que nous perdons, avant même que quelqu'un ne les ait trouvées, pour les animaux sauvages qui se sont enfuis, pour les pigeons ou abeilles qui ont perdu l'habitude de revenir à la ruche ou au colombier (').

236. Pothier ajoute d'ailleurs avec raison : « Il ne faut pas confondre avec les choses perdues celles qui, n'étant pas sorties de ma maison, y sont seulement égarées ; parce que j'ai perdu la mémoire de l'endroit de ma maison elles sont, je ne laisse pas d'en conserver la possession. Par la même raison, je ne perds point la possession d'une chose tant qu'elle n'a point été déplacée du lieu je l'ai mise

>) Cass., 12 ocl, i8l4 ; 20 mai 1851, S., 51. 1. 812, 1)., 51. 1. 260 ; 13 inar-s 1867, S., 68. 1. 33 ; 12 fév. 1889, S., 90. 1. 13. - Polhier, op. cit., n. 73 s.

Cpr. Aubry et Rau, 5- éd., II, p. 115 et 116,Si79; Laurent, XXXII, n. 268s.

V. aussi Gass., 6 déc. 1832, 1)., 33. 1. 110, D. Rëp., v Prescr., n. 394. Code Zurich, art. 97 et 101 ; Code montén. art. 830.

(=•) Amiens, 17 mars 1825, D., 28. 1. 341, I). Rép., Prescr., n. 181. l^olhier, op. cit., n, 77 ; Bélime, n. 104 ; Aubry et Rau, loc.cit, ; Demolombt», X, n. 174 ; Leroux de Bretagne, I, n. 258. C. civ. hoU. art. 601 ; C, civ. esp. art. 460 ; Code montén., art. 830; C. civ. ail., art. 856. V. cep. Dunod, p. 54.

C) V. Pothier, op. cit., n. 79 s. V. aussi Cornil, p. 251 s. Cpr. C. civ. holl. art. 602. C. civ. Zurich, art. 97.

DE LA POSSESSION 189

pour l'y garder, quoique j'aie perdu la mémoire du lieu je l'ai uiise, et il n'importe pas que ce soit dans mon héri- tage ou dans celui d'autrui (*). »

SECTION III

DES EFFETS DE LA POSSESSION

237. La possession qui, nous l'avons dit, est protégée par (les motifs d'intérêt social et aussi à cause de la présomp- lioij de propriété qui y est attachée, produit des effets indé- peudanmient du hien fondé et de l'exactitude des prétentions <lu possesseur ; elle en produit même si celui-ci est de mau- vaise foi ; mais les effets ne sont pas invariablement les mêmes (*).

l** Li possession fait gagner les fruits au possesseur, lors- <iuil est de bonne foi (art. 549 et 550). On peut d'ailleurs observer que cet effet dérive, non de la seule possession, mais de la perception des fruits faite de bonne foi.

t La possession détermine dans une instance les rôles respectifs des deux adversaires qui se disputent la propriété J'un bien : c'est le possesseur qui sera défendeur ('). Avantage considérable, car au demandeur incombe la charge de la preuve, de sorte qu'en supposant deux adversaires qui ne sont ni l'un ni l'autre en mesure de prouver le droit de pro- priété qu'ils prétendent avoir, c'est le défendeur qui obtien- <lra gain de cause. Aussi les plaideurs se disputent-ils sou- vent, dans l'action en revendication, le rôle passif, qui est le plus commode, et par suite la possession qui permet de l'ob- tenir. Si l'un des deux n'a jamais possédé, aucune difficulté ne se produira : l'attaque devra nécessairement partir de son

(') Polhier, n. 81.

(*^ D'après Aubr>' et Rau (5- éd., H, 139 s., § 182), l'unique eiïet que la po.<4- •v»!i'iion produise immédiatement et par elle-même est d'engendrer en faveur du possesseur une présomption légale de l'existence du droit de propriété ; les autres^ ffTels qu'on indique se rattachent à celui-là ou exigent d'autres conditions en dehors de la seule possession. Sur la possession considérée comme preuve OQ comme présomption de la propriété, voy. supra, n. 30 et 31. Adde la note «leM. Wahl, S., 98. 1. 337. Sur Ténuméralion des effets de la possession, V. Cjode civ. hoU. art. 604 et 605.

(') V. Garsonnet. I, p. 538. § 130, note 11.

190 DE LA PRESCRIPTION

côté. Mais il se peut que les deux adversaires aient possédé à tour de rôle» aune époque voisine de celle la contesta- tion s'est élevée. Alors le fait de la possession actuelle ne sera pas toujours décisif; en effet, l'action possessoire permet à celui qui a possédé pendant plus d'un an et qui a perdu la possession depuis moins d'une année, de se la faire resti- tuer et d'obtenir ainsi le rôle de défendeur au procès.

3** Enfin, la possession conduit à la prescription. C*est son effet le plus considérable. Toutefois pour conduire à la prescription et aussi pour conférer le bénéfice de Faotion possessoire, la possession doit réunir certaines qualités ; l'article 2229 nous les fait connaître pour ce qui concerne la prescription.

4* La possession de bonne foi est même un titre d'acquisi- tion des meubles corporels, conformément à l'article 2279.

Ajoutons que, dans notre législation, les actions possessoi- res (*) n'existent que pour les immeubles, et non pour les meubles; on n'a pas jugé que, pour les meubles, il fût utile d'organiser un débat particulier sur la possession, indépen- damment de la question de propriété (*).

CHAPITRE IX

DE LA POSSESSION AU T>OINT DE VUE DE LA PRESCRIPTION

SECTION PREMIÈRE

DES QUALITÉS REQUISES POUR QUE LA POSSESSION CONDUISE

A LA PRESCRIPTION

238. Aux termes de rarticle*2229 : « Pour pouvoir près- « crire, il faut une possession continue et non interrompue,

(*) Les actions possessoires qui portent exclusivement sur la possession sans toucher au fond du droit ont pour objet de protéger cette possession en faisant maintenir le possesseur en cas de trouble et en le faisant réintégrer en cas de dépossession. Ces actions sont la complainte, la dénonciation de nouvel œuvre. et la réintégrande. La première protège celui qui, depuis un an, exerce ane possession avec les caractères requis par Tart. 222^ G. civ.

(*) V. en sens différent, G. civ. ail., §§ 854 s. ; Huber. Exposé des moUfslde Vav&nt-projel da Code civil fédéral snisse, 19Q2, p. 693 et s., 964 et s.

DE LA POSSESSION AC POWT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 191

< paisible, publique, non équivoque, et à titre de proprié- « taire (*). »

Les conditions énumérées par cet article sont requises pour toute prescription acquisitive, anssi bien pour la pres- cription de dix à vingt ans que pour celle de trente ans. Toutes, elles tendent à dénoncer au véritable propriétaire lasurpation qui a été commise contre lui, et à le mettre en demeure de la réprimer (*). De ces conditions, quatre seule- ment se réfèrent, d'une façon exacte, à des qualités de la possession, et à l'absence de vices de la possession : ce sont relies qui visent le caractère continu, paisible, public, et non équivoque de la possession. L'interruption est en effet la cessation de la possession, et n'en est pas seulement un TÎce ; quant à Tintention de se comporter comme proprié- taire, c'est, dans notre droit actuel, un élément essentiel de la possession. Les articles qui suivent (art. 2230 à 2235) ne font qu'expliquer et développer les diverses conditions de la prescription qu'il nous faut passer successivement en revue ; noiK aurons ensuite à revenir spécialement sur la précarité et sur l'interruption de la prescription.

§ I. La possession à V effet de prescrire doit être continue et non interrompue.

239. La possession est continue lorsqu'elle est sans inter- mittences, sans lacunes. Nous avons vu plus haut que la possession une fois acquise peut se conserver solo animo, sang actes matériels ; mais, dans ce cas, la possession n'est pas continue et ne peut servir à la prescription (^). D'ail- leurs, pour que la possession soit continue, il n'est pas nécessaire que le possesseur ait été en contact constant avec la chose; à ce compte, il n'y aurait pas de prescription pos- sible. Il suffit qu'il ait accompli régulièrement les divers

(') Cpr. C. civ. ilal., irt. 689; C. civ. esp., art. 444; C. civ. port, art. 517 et 581; C. civ, hoU., art. 1993; C. civ. Zurich, art. 70.

C) V. Dttnod, p. 16.

C) Sic Laurent, XXKII, n. 338. V^. cep. Dunod, p. 17 ; Leroux de Brela- pic, n. 288.

102 DE LA PRESCRIPTION

actes de jouissance dont la chose est susceptible, qu'il se soit comporté comme l'aurait fait un propriétaire soigneux ot diligent. La prescription transforme le fait en droit : la ])ossession qui y conduit doit donc être la manifestation régulière du droit que le possesseur prétend avoir sur la chose et que la prescription consolidera.

Il suit de que la possession peut être continue, l)ien que le possesseur n'ait accompli d'actes de jouissance qu'à inter- valles éloignés. « La possession, dit la cour de cassation, s exerce suivant la nature de l'objet auquel elle s'applique, et celle qui ne peut se manifester qu'à de certains interval- les, par des faits distincts et plus ou moins séparés, n'en est pas ]noins continue, par cela seul qu'elle a été exercée dans toutes les occasions et à tous les moments elle devait l'être (*). »

Ainsi la possession régulière d'un bois taillis s'exerce j)ar <les coupes faites conformément à l'aménagement du bois. Il suffît que, dans l'intervalle assez long qui sépare chaque coupe de la suivante, le possesseur ait affirmé le droit qu'il prétend avoir sur la chose en faisant ce que fait ordinaire- ment le propriétaire d'un bien de cette nature, c'est-à-dire qu'il ait entretenu les clôtures, élagué les arbres, fait dres- ser des procès-verbaux contre les délinquants, etc.

240. Mais, d'un autre côté, il faut rappeler, avec la cour de cassation, que, s'il est vrai que la continuité de la posses- sion n'ait rien d'absolu et doive s'apprécier plus ou moins rigoureusement suivant la nature du droit que l'on prétend avoir prescrit, et la jouissance dont il était susceptible, du moins faut-il toujours, pour que la possession puisse opérer

(*) Cass.. 4 juil. 1838, S., 38, 1. 882 ; 5 juin 1839, S., 39. 1. 621, I). ile/»., v- Prescr., n. 182; 12 déc. 1860, S., 61. l. 955, D., 61. 1. 303; 30 juin 1873. S., 73. 1. 296, 1).. 74. 1. 369; 19 juil. 1875, S., 76. 1. 159; 9 juil. 1877, S., 78. 1. 120; 14 mars 1881, S., 81. 1. 267 ; 19 mars 1884, S., 86. 1. 463, D., 85.1. 212. - Nancy, 23 avril ia34. S., 35. 2.458. -Limoges, 26 mare 1838, S., 39.2.79. - Troplong, n. 340 et 341; Laurent, n.276; Planiol. 2* éd., t. I, n. 886 ; Bufnoir. p. 200; Cluilloiiard, n. 442. - Le Code civil portugais (art. 531) dispose expres- sément qu'il suffit, pour l'acquisition par prescription des droits qui s'exereenl à intervaUes éloignés, qu'on les ait exercés sans opposition, toutes les fois qw cela a été nécessaire pour une jouissance normale et compIMe.

DE LA POSSESSION AU POINT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 193

la prescription, qu'elle se soit manifestée par des actes suffi- samment répétés pour avertir le propriétaire qu'elle menace son droit et le mettre en demeure de la contredire.

Il serait sans intérêt de rappeler les opinions anciennes qui ont voulu fixer un minimum de durée entre les actes de jwssession ; on ne saurait, sur ce point, établir aucune règle lise; tout dépend des circonstances et de la nature de la chose possédée (*) : il a même été jugé que la possession ne perd pas le caractère de continuité quand un obstacle physique est venu momentanément en paralyser Texercice (*).

Il serait peu utile aussi de rechercher s'il suffit, pour que la possession soit continue, qu'il subsiste des vestiges des actes précédemment faits par le possesseur ; il ne peut y avoir de solution générale à donner sur cette question ('). Nous aurons seulement à nous demander plus loin si les juges ont en cette matière un pouvoir souverain d'apprécia- lion ou si leur décision est susceptible de recours devant la cour de cassation. V. infra^ n. 297.

Rappelons d'ailleurs une judicieuse observation faite par plusieurs auteurs: le juge sera assez naturellement conduit à se montrer plus facile pour admettre la continuité de la pos- session, s'il s'agit, pour le légitime propriétaire, de défendre un droit depuis longtemps acquis, que s'il s'agit, pour un usurpateur, d'invoquer la prescription en vue de dépouiller celui qui avait acquis la légitime propriété (^).

241. La possession doit en outre être non interrompue. L'article 2229 entend ici parler des causes d'interruption de la prescription. La possession est interrompue soit naturel- lement, lorsqu'il y a eu privation de la jouissance delà chose (art. 2243), soit civilement, lorsque le possesseur a reconnu

(•) Troplong, n.338.

(*) Amiens, 17 mars 1825, précité. —Lyon, 18 nov. 1870, S., 71. 2. 276 : 3») janv. 1887, D., 89. 2. 46. TroplonK, n. 346.

H V. Gass., 14 mars 1854, S., 5i. 1. 396, D., 54, 1. 116 ; 4 fév. 1856, S., 56. 1.433 ; 5 juin 1860, S., 63. 1. 498, D. 60. 1. 252. - V. aussi d'Argenlré sur Hret., arl. 266, ch. IV, n. 11 ; Dunod, p. 19 ; Merlin, liép., Prescription, -^l. 1, § 5, art. 3, n. 3 ; Tmplong, n. 343 ; Leroux de Bretagne, n. 291 ; Guil- loaard, n. 444 et 445.

0) V. Troplong, n. 340 et 341.

PllESCR. 13

194 DE LA PRESCRIPTIOIf

le droit du légitime propriétaire (art. 2248)^ ou lorsque le véritable propriétaire a accompli, à rencontre du possesseur, un acte interruptî^ de la prescription (art. 2244 s.). Toute la possession antérieure à Tacte interruptif devient alors inu- tile au point de vue de la prescription. Suivant plusieurs auteurs, il s*agirait ici seulement de Finterruption naturelle résultant de la privation de la possession, soit dans les ter- mes de Tarticle 2243, soit même en dehors des conditions de cet article, par exemple au cas un meuble échappe à la garde du possesseur. Dans une autre doctrine, qui nous parait préférable, on pense que le code civil fait allusion d'une façon générale aux causes d'interruption de la pres- cription. 11 est plus exact d'ailleurs, dans cette théorie, de dire qu'alors la prescription et non la possession est inter- rompue : c'est à la prescription que s'applique Tinterrup- tion en l'empêchant de s'accomplir (*).

242. L'interruption ne doit pas être confondue avec la discontinuité (*). Elle est, sauf le cas d'abandon, de derelic- tio, l'œuvre d'un tiers, ou suppose tout au moins l'interven- tion d'un tiers ; la non continuité est imputable au posses- seur. L'interruption est tantôt un trouble juridique de la possession, tantôt un arrêt de la possession, une perte momentanée ; la non continuité implique que la jouissance n'a pas été normalement exercée.

Dans l'hypothèse, d'ailleurs peu pratique, un possesseur abdique momentanément sa possession, nous pensons qu'il y a interruption ; et il faut ajouter que l'interruption est immédiate (>). Cette solution a été contestée : on a soutenu qu'en pareil cas il y a seulement non-continuité. La discon- tinuité, en elTet, suppose aussi bien, dit-on, une possession momentanément abandonnée qu'une possession irrégulière- ment exercée ; l'interruption suppose au contraire une perte de la possession résultant de la possession d'un tiers ayant duré plus d'un an, ou de la reconnaissance du droit d'un tiers, ou de l'un des autres actes faits par un tiers et que

(*) Sur rintemiption de la prescription, v. d'ailleurs infra, n. 465 s. (*) V . cep. Cod, civ. pori., art. 522.

(») V. Golmel de Santerre, VIII, n. 350 bis, III s ; Bufnoir, p. 202 cl s. - V. supra, n. 232. V. aussi infra, n. 473.

DE LA POSSESSION AU POINT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 195

nous aurons à étudier comme constituant Tinterruption civile de la prescription (*).

243. Une possession peut ainsi cesser d'être continue sans être interrompue. En sens inverse, l'interruption civile de la prescription peut avoir lieu sans que les actes de jouissance au possesseur aient cessé ; mais l'interruption naturelle implique discontinuité.

La discontinuité n'est qu'un vice de la possession au point de vue de la prescription ; la possession, si elle n'est pas utile pour la prescription, n'en existe pas moins; Tinterrup- tion naturelle implique la cessation même de la possession, ('/est en se plaçant i ce point de vue qu'on a dit que la dis- continuité est une maladie de la possession et que Tinterrup- lion en est la mort (*). Cette antithèse est bien loin d'être tout âbit exacte. Car, d'une part, la discontinuité comme l'inter- mption rend la possession inutile au point de vue de la pres- cription, et d'autre part, la possession devient utile pour la prescription, soit à partir du moment elle cesse d'être discoDtinoe, soit à partir du moment elle n'est plus inter- rompue. Tout ce qui est vrai, c'est que, dans le premier cas, le possesseur commence, tandis que, dans le second, il reconunence à prescrire.

244. Le possesseur n'est pas obligé de prouver que sa possession est non interrompue. C'est à celui qui allègue le fait de l'interruption d'en rapporter la preuve.

245. Quant à la continuité, c'est le possesseur qui doit la prouver ; il invoque sa possession comme ayant amené la prescription ; il doit démontrer que sa possession a duré le temps voulu par la loi et satisfait aux conditions légales.

245 bis. Mais le législateur a compris que dans la plupart ^es cas cette preuve de la possession ayant duré avec con- tinuité tout le temps fixé par la loi aurait pu être d'une dif- ficulté très grande. Aussi a-t-il emprunté à Dunod et formulé I dans l'article 2234 une présomption ; « Le possesseur actuel

(') Si€ Letottx de Bretagne, n. 439 ; Unrent, XXXII, n. 80. - Dunod, p. 53, «l dana notre sens; mais i! confond constamment ce que nous appelons la non- foiitiDaiié et Hiitemiption.

(') Marcadé, sur l*art. 2229, n. 2.

196 DE LA PRESCRIPTION

« qui prouve avoir possédé anciennement est présumé avoir « possédé dam le temps intermédiaire sauf la preuve con- « traire, » C'est la consécration de l'ancienne règle : Proba- tis extremis fnedia prœsumuntur (*). Il suffit au possesseur de prouver qu'il possède actuellement et qu'il a possédé il y a dix ans, vingt ans, trente ans, pour qu'il soit présumé avoir possédé pendant tout le temps intermédiaire avec con- tinuité, sauf la preuve contraire de la part de son adversaire, qui aurait à démontrer soit que la possession n'a pas réel- lement duré pendant tout le temps légal, et a cessé par suite d'abdication ou d'interruption, soit qu'elle a duré tout ce temps, mais avec des lacunes, des intervalles entraînant discontinuité (•^), ou avec d'autres vices.

La règle posée dans l'article 2236 ne vise pas, on le voit, la seule question de continuité ; elle se rattache aussi à la preuve de la possession elle-même et des autres qualités exigées pour la prescription : elle crée une présomption de possession et en même temps une présomption de continuité de cette possession, de publicité, etc. pour la période inter- médiaire. Il s'agit d'une règle générale relative à la preuve de la possession. Elle est clairement indiquée par Pothier à propos de la question de preuve de la possession trentenaire invoquée par un possesseur. «Lorsque le possesseur a prouvé qu'il possédait déjà il y a trente ans et plus, soit par lui, soit par ceux aux droits desquels il est, l'héritage quifaitl'objet de la prescription qu'il oppose, il a suffisamment fondé et éta- l)li cette prescription, et sa possession est présumée avoir continué depuis sans interruption, tant qu'on n'établit pas le contraire. Si la partie à laquelle on oppose la prescrip- tion soutenait que la possession a souflfert interruption, ce serait à elle à en faire la preuve, aussi bien que des vices qu'elle prétendrait trouver dans cette possession ('). »

(') D'après la cour de cassalion (Gass., 14 fév. 18S8, S., 90. 1. 113), rart.2234 ne s'applique pas quand il y a eu suspension de la prescription par suite d'une instance. Nous aurons d'ailleurs à examiner, quand nous traiterons de la sas- pension et de Tinterruption de la prescription, la solution admise par la cour de cassalion sur l'efTct suspensif d'une procédure suivie en première instance ou en appel.

(») Ga>s., 30 mars 1874, S. 74. 1. 358.- Aubi-y et Rau, 5- éd., H, p. 540, .^ 217.

(») Pothier, Prescr., n. 178. V. Planiol, 2* éd., I, n. 1455. Cpr.

DE LA POSSESSION AU POINT DS VIE DE LA PRESCRIPTION 197

246. La loi ne dit pas ce qu'elle entend par possession ancienne, s'il faut une possession ayant dure un certain temps ou s'il suffit de quelques actes de possession. G*est une ques- tion de fait ; il faut qu'il y ait une possession ayant les caractères prescrits par larticle 2229 et par suite ayant duré quelque temps. On ne j^eut d'une façon absolue exiger qu'elle ait duré un an, comme le voulait d'Argentré. Il faut généraliser ce que disait Dunod : « Cette question se réduit souvent dans la pratique aux circonstances et à l'arbitrage du juge. »

247. Il a été décidé, d'un autre côté, que les juges du fait ont un pouvoir souverain pour apprécier si les faits articu- lés comme constituant la preuve contraire permise par l'ar- ticle 2234 doivent être admis en preuve (*). Cette solution serait très douteuse si on admettait, pour la cour de cassa- tion, le pouvoir d'examiner si en droit la possession a bien revêtu les caractères requis par la loi pour conduire à la prescription. Il serait logique, dans cette opinion, de dire (jn'elle peut exercer son contrôle sur l'appréciation des faits invoqués comme excluant toute possession pendant le temps intermédiaire. Mais nous verrons plus loin que, sauf quel- ques arrêts contraires, la jurisprudence est bien fixée en ce sens que les juges du fond apprécient souverainement si la possession réunit les caractères exigés par la loi pour la prescription. V. infra, n. 297.

248. La possession ancienne ne fait pas présumer la pos- session actuelle ; celle-ci doit être prouvée par celui qui l'in- voque. Xotre législateur s'est écarté sur ce point des tradi- tions de l'ancien droit, admises par Dunod et résumées dans cette maxime ; Ohm possesso?* hodie possessor praesumitiir, et n possessione de prœierito arguitur possessio pr/psentis et medii lemporis niai contrarium probetur (*). C'était l'opinion

C. civ. ilal., art. 691; G. civ. esp., arl. 459 et 1960; C. civ. porl., art. 517 el 552; C. civ. hoU., art. 1994 ; G. civ. ail., art. 938.

(')Caiï»., 30 mars 1874, S., 74. 1. 358. V. aussi Gass., 3 avril 1838, S., 38. 1. 340, 1). Rép,, Prescr., n. 316.

(')Gass., 6 fév. el 3 avril 1833, S., 33.1.161 et 579,1)., 33.1.176; 31 mars 1884, !>., 85.1.210. Marcadé, sur l'arl. 2229, n. 3 ,- Troplon», n. 423 ; Leroux de

108 DE LA PRESCBIPTION

généralement suivie au siècle dernier. « L'opinion commune, disait Dunod, est qu'il suffit de prouver que Ton a possédé anciennement^ pourvu qu'on allègue que Ton possède encore, quand même on ne le prouverait pas. » C*est une solution qu'on ne saurait certainement soutenir sous le code civil.

De même^ en sens inverse, la possession actuelle ne fait pas présumer l'ancienne. Sur ce point, le droit nouveau est conforme à l'ancien. Mais le projet de code civil, préparé en Tan VIII, ajoutait que « la possession actuelle ne fait point présumer l'ancienne, excepté que le possesseur n'ait un titre; auquel cas il est présumé avoir possédé depuis la date de son titre, si le contraire n'est prouvé (*). La plupart des auteurs reproduisent cette distinction très ancienne, et enseignent que celui qui produit un titre est présumé avoir été en possession depuis l'époque de ce titre, à moins que l'adversaire ne prouve, soit que l'auteur n'était pas en pos- session à la date du titre, soit que le possesseur actuel n'a pas fait après cette date d'acte de possession (*). Mais, à notre avis, cette règle ne peut être aujourd'hui considérée comme ayant une valeur positive quelconque ; le juge en tient tel compte qu'il croit convenable (').

249. Il n'est pas douteux que le défaut de continuité est un vice absolu qui peut être invoqué par tous ceux qui y ont intérêt. Quant au fait de l'interruption de la possession, il y a une distinction à faire ; l'interruption naturelle produit son effet erga omnes^eUe entraîne d'ailleurs discontinuité ; mais quant à l'interruption civile, l'opinion générale est que les actes qui la constituent ne produisent que des effets relatifs; seule, la reconnaissance du droit du propriétaire par le pos-

Breiagrne, n. 289; Guillouard, n. 448. Contra^ Aubry et Rau, 5* éd.. Il, p. 539, § 213 et note 15. Ces auteurs nous paraissent aboutir à une confusion entre la perte de la posses:«ion et la discontinuité. Gpr. Casg., 12 fév. 1889,

(*; Cette disposition se retrouve, textuellement reproduite, dans Tart. 692 du code civil italien.

(«) Dunod, p. 19 ; Poullain du Parc, VI, Prescr., n. 27 ; Merlin, flép., V Prêter,, sec t. I, § 5, art. 3, n. 3 ; Troplong, n, 424 et s. ; Leroux de Bretagne, n. 290 ; Aubry et Uau, éd., II, n. 540, g 217, n. 17 ; Hue, XIV, n. 349. Cpr. 3 avril 1838, S., 38. 1. 340, D. Hep., v Prêter n. 316.

t') V. aussi en ce sens Guillouard, n. 449.

DE POSSESSION AU POINT DS VU£ DE PRESCRIPTION 199

sesseur peut produire un effet absolu en constituant le pos- sesseur en état de précarité (9- V. infta^ n. 266 et 316.

250. Il est intéressant de £eure observer^ en terminant lexamen de cette première condition que doit remplir la possession invoquée comme fondement de la prescription^ que la question de la continuité se lie souvent d'une façon très étroite à celles de la tolérance ou de la clandestinité ; quelques actes de jouissance isolés peuvent presque toujours être considérés à la fois comme insuffisants pour établir la continuité, comme ne constituant pas une publicité suffisante^ et comme dus a la tolérance et à la familiarité.

^ II. La possession doit être paisible.

251 . L'article 2233 ne fait qu'expliquer et développer cette condition formulée d un mot par l'article 2229. D'après l'arti^ cle2233, « les actes de violence ne peuvent fonder non plus vne possession capable d'opérer la prescription. La possession titik ne commence que lorsque la violence a cessé. » Un indi- vidu s'empare d'un fonds par des moyens violents^ peu importe d'ailleurs que ce soit à l'aide de violences physiques ou par le moyen d'une violence morale résultant de menaces (*), peu importe aussi que ces moyens violents aient été employés contre le vrai propriétaire ou contre une autre personne, qu'ils soient le fait du possesseur lui-même, ou d'autres personnes agissant en son nom (Cpr. art. 1112 C. civ.). Ces actes de violence, dit la loi, ne pourront pas fonder à son profit une possession utile pour la prescription. Il n'y a pas à distin- guer non plus, à notre avis, suivant que les violences ont amené une dépossession brutale ou ont décidé le posses- seur i abandonner simplement sa chose : cette distinction, proposée par quelques auteurs (^), et qui est d'une extrême subtilité, n'est pas faite par le texte. Il est bien clair, d'ail- leurs, que de simples voies de fait accompagnant l'entrée

C) V. Golmet de Santerre, n. 339 bit, V.

(*) Cass., 28 déc. 1826, S. chr. V. aussi Gass., 4 déc. 1833, S., 34. 1. 335. n Troplong, n. 417; Leroux de Bretagne, n. 295. V. aussi PoUûer, n. 25; Dnnod, p. 29 ; Vazeille, n. 64.

200 DE LA PRESCRIPTION

eu possession ne constituent pas la \iolence ; autrement la prescription ne pourrait jamais s'accomplir au profit de l'usurpateur de la chose d'autrui ; son usurpation est forcé- ment accompagnée de voies de fait, ou plutôt est elle-même une voie de fait (*).

252. La loi ajoute que la possession deviendra utile pour la prescription à dater du jour la violence aura cessé ; il ne sera pas besoin qu'il y ait interversion dans la posses- sion. Sur ce point, le droit romain était différent. La pos- session acquise par violence était considérée comme vicieuse et on la déclarait, à ce titre, non susceptible de conduire à Tusucapion, tant que le vice dont elle était atteinte n'était pas purgé ; or il ne pouvait Têtre que par le retour de la chose dans les mains du propriétaire spolié ou par mi arrangement avec lui (*).

Cette doctrine était peut-être plus équitable que celle du code civil. Comme le dit Laurent, « légitimer la possession dès que la force a cessé, c*est légitimer la force môme, en ce sens du moins que les hommes ne reculeront pas devant la violence puisqu'ils peuvent espérer que, la violence ces- sant, ils verront leur entreprise illicite consacrée par la loi. » Mais on peut faire valoir des considérations pratiques d'une grande puissance en faveur du système du code civil ; il. empoche qu'on ne puisse être, après un très long temps, dépouillé de sa possession par cela seul qu'à une époque lointaine un ancien possesseur a eu une possession entachée de violence. Bigot-Préameneu s'est placé à ce point de vue dans son exposé des motifs. « La loi romaine, dit-il, excluait toute prescription jusqu'à ce que la personne ainsi dépouillée eût été rétablie en sa possession, et celui même qui avant cette restitution aurait acheté de bonne foi du spo- liateur ne pouvait pas prescrire. Cette décision ne pourrait se concilier avec le système général des prescriptions... La règle exclusive de toute prescription serait injuste à l'égard de ceux qui, ne connaissant point l'usurpation avec vio- lence, auraient eu depuis une possession que l'on ne pour—

(') Tioplonp, n. 416 ; Leroux de iJrelaKne, n. 294. («) TroploiiK, n, 419 et 420.

DE LA POSSESSION AU POINT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 201

rait attribuer à cette violence. Ces motifs ont empêché de donner aux actes de violence sur lesquels la possession serait fondée d'autre effet que celui d'être un obstacle à la prescription tant que cette violence dure. »

253. La violence dont use le possesseur pour se maintenir dans une possession paisiblement acquise n'empêche pas par elle-même et par elle seule la possession d'être utile au point de vue de la prescription. Bien entendu, nous suppo- sons qu'en fait le possesseur a réussi à se maintenir en pos- session, ou, s'il a été- dépossédé, qu'il est parvenu à se faire réintégrer par l'action possessoire ; car autrement il y aurait dans sa possession une solution de continuité qui la rendrait inutile au point de vue de la prescription (*).

M. Colmet de Santerre précise d'une façon très exacte cette théorie en disant que l'article 2233 « montre clairement que le vice de violence suppose des faits émanés du posses- seur et non pas de celui contre qui l'on prescrit ou d'un tiers, c'est-à-dire que le trouble violent subi par le posses- seur n'est point un obstacle à la prescription. Si la loi avait admis ces effets de la xiolence exercée contre les posses- seurs, elle n'aurait pas exprimé sa pensée dans la forme <[u'elle lui donne. 11 serait absolument inexact de dire que le possesseur, contrarié et troublé par violence, fonde sa possession sur la violence ; quand on parle d'actes violents dont le possesseur voudrait faire le fondement de sa posses- sion, on suppose éA-idemment qu'il a agi sur le fonds par violence, qu'il a par exemple expulsé violemment le déten- teur de l'immeuble pour l'occuper lui-même. » Quant à l'expression paisible de l'article 2229, elle a été employée comme synonyme de non violente (nec vi) ou équivalant à l'expression sans violence de l'ordonnance de 1667 (*).

254. On voit que, dans notre opinion, l'article 2229, en exi-

(') Sic Bélinie, n. 31 ; Garsonnet, I, p. 584 ; Aubry et Uaii. éd., II, p. 132, § 180 ; Colmet de Santerre, VIII, n. 336 bis, V et VI ; Planiol, éd., I. n. 888 ; Hue, XIV, n. 351. V. aus:*i l'exposé des motifs de BÎKot-Préameneu, Locré, XVI. p. 566.

(*) Colmet de Santen-e, VIII, n. 336 bis, VI, et 339 bis^ I. Gpr. Code Mon- tén., art. 818.

202 DE UL PRESaUPTION

géant que la possession soit paisible, et Tarticle 2233, en dis- posant que les actes de violence ne peuvent fonder ni posses- sion ni prescription, formulent une seule et même règle. Une autre théorie a été soutenue et semble avoir rallié la majorité des auteurs et avoir obtenu l'adhésion delà jurispra- dence. D après elle, Tarticle 2229 prévoit tout autre chose que Tabsence de violence au début de la possession; en disant que la possession doit être paisible, on veut dire qu'elle doit, pour conduire à la prescription, n'avoir pas été troublée, inquiétée ; il s agit d une condition qui a se réaliser pendant tout le cours de la possession, aussi bien que les conditions de continuité et de publicité ; une possessioii, d'abord entachée de violence, peut être ensuite une posscs- session paisible; à Tinverse, une possession qui n est pas violente au début n'est pas pour cela une possession paisible si elle est constanunent troublée par les entre- prises d'un tiers. Sans doute le possesseur peut repousser ces entreprises; en le faisant, il use de son droit : mais il n'en est pas moins vrai que la possession qu'il aura ainsi conservée ne pourra le conduire à la prescription ; on com- prend très bien, dit-on, qu'on ne puisse assimiler à l'exer- cice d'un droit la possession qui est sans cesse contestée (*). En un mot, dans cette théorie, une possession n est pas pai- sible quand des actes contraires, manifestant des prétentions rivales, se sont fréquemment renouvelés sans que le posses- seur ait eu recours à la justice pour les faire cesser. Cette théorie doit en effet être, à cet égard, bien précisée ; des troubles de fait isolés et dont le possesseur aurait obtenu justice n'empêcheraient pas la possession d'être paisible; une possession continue à être paisible lorsque le possesseur réprime le trouble apporté à la possession et fait reconnaître son droit par les tribunaux (').

(') V. Cass., IT avril 1848, S., 49.1.449; 10 mai 1865, S., 65. 1. 264. D., fô- i. 412; 26«oùt 1884, S., 86. i. 165. - Riom, t3 déc. 1854. D,, 55. 1. 134. - Vazeille, n. 44; Troplonf?, n. 350, 411 et 418; M«x5adé, sur Varticte 2229, n.4; Leroux de Bretaiçne, n. 293 ; Laurent, n. 280; Bourbeau, oontin. de Boocenne, VII, n. 313 8.; Wodon, Poss., n. 13; Boitard et Golmel Dla^, I, n. 629; Buf- noir, p. 208; Guillofiiard, n. 453.

(«) Gass., 22 juiU. 1856, S., 56. 1. 910, D., 56. 1..306; 24 mars 1S68, D., ©.!•

DE LA POSSESSION AC POINT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 203

Une troisième théorie' a été soatenae ; elle reproduit le système enseigné par Pothier, et, en s appuyant sur les textes de notre ancien droit, décide que les mots possession paisible veulent dire possession sans inquiétation, possession non interrompue civilement (^). Mais il nous parait difficile de nous ranger à cette opinion en présence des termes de l'article 2229, et de Texposé des motifs de Bigot-Préameneu.

255. Le Ance résultant de la violence est, d'après Topinion générale, essentiellement relatif, c'est-à-dire qu'il ne peut être invoqué que par celui contre lequel la violence a été pratiquée et non par un autre. Ainsi je m'empare par la violence d'un fonds que Pierre détient en qualité de pro- priétaire ; plus tard, Paul revendique ce même fonds contre moi, et je lui oppose la prescription. Il ne pourra pas réduire ce moyen de défense à néant en m'opposant l'article 2233 ; oa peut lui répondre que, quant à lui, ma possession n'a rien de violent, qu'il se prévaut du droit d'autrui, que son inaction n'a pas les mêmes excuses et les mêmes raisons d'être (*) .

256. Cette solution est contestée par Laurent et par Colmet de Santerre : le vice résultant de la violence existe, d'après eux, erga omnes. C'est une théorie séduisante. La prescription, disent-ils, tient à l'intérêt général ; c'est à ce point de vue que la question doit être examinée, et il faut, à cet égard, décider qu'une possession basée sur la violence est essentiellement viciée à Tégard de tous ; la spoliation violente ne doit pouvoir être invoquée contre personne ; la possession n'est pas utile, suivant les expressions de l'article 2233 : elle

W- - Limoges, 15 mai 1840, D., 41. 2. 12. Laurent, n. 282. A Vinverse, il >'est pas doutem qu'on ne puisse se prévaloir, pour la prescription, d'actes de possiessioo qui ont été repousses et réprimés à la suite d'une action possessoire de celui contre qui ils éUient dirigés. V. Cass., 31 aoàt 1842, S., 42. 1. 817. •* Aubry et Ilau, édîl., II, p. 111, S 179. - Cpr. Cass., 26 avril 1876, S., 75.1.304.

0 V. Pothier, PreêcripUon, n.38 s.; Brodeau, CouL de Paru, arL 113; «\lbert Des jardins, Nobv. rev. hUL, 1877, p. 534; FUndre judiciaire, note sous Trib. Gand, 29 avril 1903, année 1903, col. 388 et s. Cpr. la note de M. Bal- leydier dans Sirey, 90. 1.313.

(')Sîc Gass., 26 aoM 1884, précité. Leroux de Bretagne, n. 297; Marcadé, nir l'art. 2234, n. 4; Bufnoir, p. 209; Hue, t 14, n. 350; Guillouard, n. 456.

204 DK LA PRESCRIPTION

manque d'un élément essentiel. M. Colmet de Santerre fait très justement remarquer que « dans le conflit entre un pos- sesseur qui a commencé à posséder vi et un vrai proprié- taire qui n*a pas été violenté, il est vrai, mais qui n*a pas à se reprocher autre chose que son inaction, on comprend qu'elle (la loi) préfère le propriétaire négligent au posses- seiu» coupable d'actions défendues par les lois qui protègent la sécurité publique, » 11 ajoute aussi que cette solution ne peut avoir de bien graves conséquences, la possession utile commençant lorsque la violence a cessé (*).

§ III. La possession doit être publique.

257. « La clandestinité, dit Dunod, est un obstacle àJa prescription parce que, le possesseur cachant sa jouissance, les intéressés qui ne Tout pas connue sont excusables de ne s'y être pas opposés... L'on est possesseur clandestin lors- que, appréhendant une contestation, l'on entre en possession furtivement et par des actes obscurs, que l'on croit ne devoir pas venir à la connaissance des parties intéressées, parce qu'il est difficile qu'elles les sachent. » En se plaçant au point de vue inverse, il faut dire que la possession est publi- que lorsqu'elle a été exercée au vu et su de ceux qui l ont voulu voir et sravoir : ce sont les termes de la coutume de Melun (art. 170). La coutume d'Orléans disait de son côté : « Fouillement de terre, grattement... et autres œuvres faites clandestinement par l'un des voisins au desceu de l'autre n'attribuent par quelque laps de temps que ce soit droit de possession à celui qui aurait fait ladite entreprise » (art. 253).

258. Une théorie assez généralement suivie soutient que. pour que la possession puisse conduire à la prescription, il n'est pas nécessaire, ainsi que cela semblerait résulter du texte précité, qu'elle ait été exercée au vu et au su de tous; il suffit qu'elle l'ait été au vu et su de celui à qui la pres- cription est opposée. En d'autres termes, le vice résultant de la clandestinité de la possession, comme celui résultant

(«) Laurent, n. 285; Colmet de Sanlene, VIII, n. 339 Us, VI. Cpr. Tru- plong, n. 370.

DE L.i POSSESSION AU POINT DE VUE DX LA PRESCRIPTION 205

de la violence est essentiellement relatif ; il ne peut être invoqué que par ceux à l'égard desquels la possession a été clandestine (*). Ainsi, j'ai agrandi ma cave en creusant sous la maison de mon voisin ; si Texistence de cette usurpation est manifestée par un soupirail ouvrant dans le jardin de ce voisin, je pourrai, après l'expiration du délai de trente ans, lui opposer la prescription, sans qu'il puisse se prévaloir do ce que ce soupirail, visible pour lui, ne l'était pas pour les autres.

250. Cette doctrine n'est pas unanimement adoptée. Lau- rent enseigne que la clandestinité, aussi bien que la violence, est un vice absolu qui empêche de prescrire à l'égard de tous ; il s'agit d'une institution d'intérêt général ; la loi con- MsUde la possession qui, pendant plusieurs années, s'est uianifestée comme l'exercice normal d'un droit ; la posses- sion clandestine n'est pas l'exercice normal du droit de pro- priété ; elle ne doit pas servir à la prescription. On peut concevoir que, dans l'appréciation d'un litige portant sur le possessoire, le juge se montre moins rigoureux sur la publi- cité ; mais, pour arriver à la prescription, il faut que le possesseur ait agi comme un maître, comme un proprié- taire (^) .

2âO. Remarquons, d'un autre côté, qu'il n'est pas néces- saire que la possession de celui qui prescrit ait été connue m fait de celui contre lequel court la prescription ; il suffit qu'il ait été mis à même de la connaître par des signes exté- rieurs qui en révélaient l'existence. Dunod disait à cet égard très exactement : 4C Les personnes intéressées sont présu- mées avoir su ce qu'elles ont vraisemblablement pu savoir; il faut s'informer de ce à quoi l'on a intérêt; et, si on ne le fait pas, l'on doit s'imputer ce que l'on souffre ; si on ne l'a

(') V. en ce sens Aubry el Uau, éd., II, p. 131 ; Duranîon, n, 215 ; Leroux <le BreUicne, n. 300: Béliine, n. 51 el 52; Bufuoir, loc, cit.; Hue, XIV, n. 352 ; <iuiUouard, n. 460. Cpr. Troplong, n. 370. - V. aussi Cass., 26 juin 1822.

I') Uurenl, n. 289. M. Colmet de Sanlerre (VIII, n. 339 bis, 7) enseipne aussi celle solution el fail remarquer que la possession doil èlre publique, c'esl- à-dire connue du public ; or, le public, c'est tout le inonde ; dès que tout le monde ne peut avoir connaistsance de la possession, ceite possession n*a pas le caractère exigé, et la prescription est impossible.

1

I

206 DE LA PRESCBiraON

pas su, on a le savoir quand Tacte est public, ce qui pro- duit le même effet que si Ton en avait été informé, parce qu'on ne l'ignore que par une faute grossière qui ne mérite point de grâce (*). »

261. 11 n*y a pas à distinguer, comme le faisaient certaines lois romaines (*), suivant que la clandestinité a été intention- nelle ou fortuite ; en droit français, et en présence du texte de l'article 2229, toute possession clandestine ne peut être utile pour la prescription (').

262. II peut arriver que la possession, d'abord clandestine, devienne publique, ou qu'inversement, d'abord publique à son origine, elle devienne clandestine ; il faut dans ces deux hypothèses, appliquer cette règle que la publicité doit exister pendant toute la durée de la possession^ que, par suite, celle- ci devient ou cesse d'être utile pour la prescription si elle de^'ient ou cesse d'être publique. Dunod et Pothier ont émis une opinion différente (^) ; d'après eux, il faut se placer an début de la possession pour juger de sa clandestinité on de sa publicité ; cette solution^ qui parait bien résulter de plusieurs textes du droit romain que nous n'avons pas à rap- peler ici, est aujourd'hui généralement repoussée. Il faut dire, au contraire, que la possession qui a été clandestine à son origine devient utile i Teffet de prescrire à dater du jour ce vice a cessé ; ainsi, pour prendre l'hypothèse pré- Mxe par l'article 253 de la coutume d'Orléans, si j'ai possédé pendant cinq ans une cave sous la maison de mon voisin sans qu'aucun signe extérieur en révélât Texistence, et si j'ouvre ensuite un soupirail sur le jardin de ce voisin, à dater de ce moment ma possession deviendra utile pour la pres- cription. En sens inverse, la possession qui a été publique à son origine cesse d'être utile au point de vue de la pres- cription à dater du jour elle est devenue clandestine : cette hypothèse arrivera rarement et il faut noter que pour certaines choses qui, par leur nature, ne supposent pas une

(») Sic Cas«., 10 jmUet 1821, D. Bép., v Servit., n. 886.

-) V. not. L. 6 pr., et 1. 40, $ 2, 1). de stctf. vel amit. pots,, XLI, 2.

(^) Auhry ei Hat», 5' éd., II, p. 130, note 19; Guîllovard, n. 457.

(*) Dunod, p. 32; Polhier, PossêsêioH, n.2ê. ^ V. tussi Planiol, 2* éd., I, n. S95.

DE LA POSSESSION AU POINT DE ATE DE LA PRESCRIPTION 207

jouissance apparente et ostensible, comme un souterrain, une cave, la possession ne derra pas être réputée clandes- tine si, après la publicité des travaux faits au début, la jouissance s'exerce par des actes qui ne sont pas connus des

tiers (•).

263. La jurisprudence n'a eu que rarement à statuer sur les difficultés auxquelles donne lieu la condition de publicité de la possession requise pour arriver à la prescription. Il a été jugé que celui qui creuse une cave ou étend les fouilles d'une carrière sous le fonds de son voisin et à Tinsu de celui-ci ne peut se prévaloir de la prescription (*), et, qu'au contraire, celui qui fait de pareils travaux publiquement, avec des signes apparents de nature à les faire connaître aux intéressés, peut invoquer la possession qu'il a eue pendant le temps voulu par la loi (*).

On s'est demandé s'il faut considérer comme clandestines les anticipations de terrains que, progressivement et insen- siblement, des propriétaires, en cultivant leur champ, ont pu commettre à Tencontre des propriétaires voisins. La ques- tion ne se pose d'abord que si ces anticipations sont de peu d'étendue ; tous les auteurs sont d'accord pour considérer comme publique la possession d'une portion de terrain ainsi usurpée si l'étendue en est importante. Mais s'il s'agit d'une bande de terrain étroite, ne peut-on pas dire que le voisin n a pas connu l'usurpation ou a pu ne pas y voir un acte de possession véritable î La Cour de Paris Ta admis et a jugé que « les usurpations de terre qui se font graduellement en labourant sont presque toujours imperceptibles et ne donnent lieu qu'à une possession clandestine ; qu'une pareille pos- session, quelque longue qu'elle soit, ne peut jamais faire supposer, de la part du propriétaire, Fabaiidon de ses droits.

(») Troplong, n. 357 ; Bêliine, n. 43 ; Aubry et Rtu, éd., II, p. 131, § 180, noie 21 ; Colmet de Sanlerre, VIU, n. 336 bis,\li. - Gpr. Guillouard, n. 458 et 459.

(') Arrêt du Parlement de Paris, 16 juin 1755 ; Denizart, Prescription^ n. 25. - Paris, 17 mai 1825, P. chr. D. Rép., v Prescr., n. 322.

(»)Cas9., 22 oct, 1811, S, chr. V. aussi Cas»., 22 mai 1876, S., 76. 1. 455, D., 77. 1.64.

208 DE LA PRESCRIPTION

et servir de base à la prescription (*). » Cette opinion a été combattue et avec raison par tous les auteurs qui ont examiné la question ; une pareille possession n'a rien de clandestin, et le propriétaire, victime des usurpations, ne peut qu'im- puter à sa propre négligence de ne les avoir pas connues ; le fait de labourer et de cultiver une bande de terrain, si petite qu'elle soit, sur le fonds voisin, est un fait de posses- sion publique et peut conduire à la prescription (*).

§ VI. La possession doit être à titre

de propriétaire.

A. De la possession précaire,

264. Pour pouvoir prescrire, il faut posséder animo ftoniini, c'est-à-dire à titre de propriétaire ou, d'une façon plus générale, à titre de maître du droit qu'on prétend acquérir par prescription. Ce n'est pas seulement une simple qualité de la possession ; c'en est, à notre avis, dans le système qui a inspiré les législateurs du code civil, un élément constitutif. V. supra, n. 195 s.

265. Vajiiînijs domini existe chez celui qui possède en vertu d'un titre translatif de propriété, tel que vente, échange, donation... Il existe également chez l'usurpateur, j!>r<vrfo ; sans doute celui-ci n'ignore pas que la propriété du bien appartient à autrui ; il est de mauvaise foi ; mais cela ne l'empêche pas d'avoir Vanimm domiîii, il se dit propriétaire et agit comme tel. Au contraire le fermier, le commoda- taire, le dépositaire, le tuteur, le mari, et d'une manière générale tous les administrateurs du bien d'autrui, n'ont pas VanimHs domini; leur titre môme implique la reconnais- sance du droit du propriétaire. C'est donc pour le compte de celui qu'ils représentent en vertu de leur titre, et non pour eux-mêmes, qu'ils possèdent ; ou plus exactement ils ne possèdent pas, c'est celui dont ils sont les représentants

C) Paris, 28 fév. 1821 el 30 nov. 1825, S. chr.

i") Troplong, n. 352 el s. ; Laurent, n. 288 ; Loroux do Bretagne, n. 303 Hue, XIV, n. 352,* Ouillouard, n. 461.

DE LA POSSESSION AU POINT DE VL'E DE LA PRESCRIPTION 209

qui possède par leur intermédiaire et qui au besoin arrivera à la prescription par cette possession. Le code civil désigne d une manière générale sous le nom de possesseurs précaires ou détenteurs à titre précaire ceux qui possèdent pour autrui^ qui n'entendent pas avoir la chose pour eux et comme étant à eux, qui reconnaissent au contraire le droit d'un autre.

266. Le vice résultant de la précarité est un vice absolu ; il existe erga omnes ; celui qui détient pour autrui ne se comporte à l'égard de personne comme propriétaire de la chose : il ne peut invoquer la prescription à rencontre de qui que ce soit. A parler exactement, il y a là, nous l'avons dit, plus qu'un vice de la possession ; il y a absence com- plète de possession.

267. Nous verrons d'une façon plus détaillée, en étudiant l'article 2236, quels sont les possesseurs qu'il faut considérer comme possesseurs précaires et quelles sont les conséquen- ces de la précarité. Mais il faut dès maintenant remarquer qu'en donnant ce sens au moi précaire^ on l'a détourné de la signification qu'il avait en droit romain, il servait à qua- lifier la possession de celui qui avait reçu une chose avec autorisation d'en user, mais sous l'obligation de la restituer à première réquisition de celui de qui il la tenait. Preca- rium est quod precibus petenti utendum cojiceditur, >►

Le précariste romain était possesseur de la chose à Tégard de tout le monde, sauf celui de qui il la tenait; le vice de sa possession était purement relatif. Mais en droit romain on ne considérait pas comme possesseurs précaires ceux qui possédaient pour autrui ; on se servait, pour qualifier leur situation, d'expressions différentes : corporaliter tenere^ mturaliter possidere. C'est par suite d'une extension (*), ou Diême, d'après certains auteurs, d'une confusion mani-

(') Dunod, p. 34 ; Vazeille, n. 122 ; Troplong, n. 365. Pothier distingue CDcore la possession du précariste et celle du détenteur pour autrui {Possession, n. 13 et 15). V. aussi Domal, liv. III, tit. 7, sect. 1, n. 9 et 10, et Bourjon, ^roit eomm,, liv. IV, Ut. 6, sect. 3, n. 18. Cpr. de Folleville, De la posses- sion précaire, R3V, pra/., X\XVin, p. 385, n. 10.

PUESCR» ^4

210 DE LA PRESCRIPTION

feste (*), que les glossateurs et les canonistes ont étendu l'expression de possesseurs précaires à tous ceux qui possè- dent pour autrui et reconnaissent un domaine supérieur.

268. Quoi qu'il en soit, on doit distinguer aujourd'hui deux catégories de possesseurs précaires : ceux qui ne détiennent la chose qu'avec une seule qualité exclusive de Vanimus dominiy tels que les fermiers et dépositaires, et ceux qui, tout en détenant la chose en cette qualité, ont Vanimus domini relativement à un droit réel ou démembre- ment de la propriété, tels que les usagers ou usufruitiers et les emphytéotes.

260. Le possesseur précaire, tel que le droit romain le connaissait, se rencontre d'ailleurs, dans notre droit, dans deux hypothèses différentes qu'il est intéressant de mettre en relief. D'une part ceux qui obtiennent une concession sur le domaine public sont des possesseurs précaires dans le sens romain du mot; en pareil cas, en effet, le concessionnaire a un droit qui est révocable au gré du concédant (') ; mais, à l'égard des tiers, il peut invoquer sa possession; en d'autres termes, la précarité de sa possession vis-à-vis TEtat n'empê- che pas qu'il ne possède animo domini à l'égard de toute autre personne (').

. D'un autre côté, en matière de servitudes, celui qui accom- plit des actes sur un fonds voisin dans l'intérêt de son fonds par suite de la tolérance du propriétaire du fonds voisin, est

(») Aubi7 et Rau, éd., II, p. 123, § 180. V. Cass., 26 juin 1822, avec le iupporl du conseiller Poriquel, S. chr.. S., 22. 1. 362.

(«) Gpr. Pau, 23 avril 1891, rapporté avec Gass., 4 déc. 1894, S., 97. 1. 173.

(*) Cass., 5 nov. 1867, S., 67. 1. 417 et les arrêts antérieurs cités en note, I).. 68. 1. 117; 25 juill. 1887, S., 90. 1. 399. - V. aussi Cass., 26 août 1884, S., 86. 1. 165, D., 85. 1. 58 ; 9 déc. 1895, S., 97. 1.405.— Lerouxde BreUgne, n.239; (iuillouard, n. 486. 11 a été jugé cependant qu'une compagnie de chemins de fer, simple concessionnaire et par suite détenteur précaire, ne peut se prévaloir à l'égard des tiers de Tacquisition par prescription des immeubles compris dan> sa concession. Cass. 29 nov. 1899, S. 1901. 1. 287; D., 1900,1. 253. La solution peut paraître douteuse ; la compagnie n'est pas un détenteur précaire ; on admet qu'elle peut agir au possessoire pour protéger, à l'égard des tiers, l'exercice de son droit réel immobilier. Cass., 5 nov. 1867, S., 67. 1. 417. Vis-à-vis les tien», comme concessionnaire, on peut soutenir qu'elle a l'antmirs domini. Dans tou< les cas, il faut ajouter qu'elle peut, comme tout intéressé, en vertu de l'arti- cle 2225, invoquer la prescription qui a couru au profil de TElat propriétaire.

DE LA POSSESSION AU POLNT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 211

<lans la situation du précariste romain ; il ne détient pas pour le compta) d'autrui, mais pour feon propre compte, en vertu d'une permission essentiellement révocable . Suivant les expres- sions très exactes d'Aubry et Rau, « le terme précarité se prend ici dans le sens du precarium du droit romain, et ne saurait s'entendre dans le sens d'une possession appréhendée pour le compte d'autrui, puisqu'il est impossible qu'on exerce une servitude pour le compte du propriétaire ou du posses- seur du fonds assujetti (*). » Dans cette hypothèse, comme dans la précédente, on a conclu que le concessionnaire de la servitude peut opposer sa possession à Tégard de tout autre (jue celui dont il a obtenu la concession (^) . Cette conséquence nous parait d'ailleurs douteuse. C'est un point sur lequel nous aurons à revenir. V. infra, n. 284.

270. Le possesseur qui invoque la prescription doit-il prou- ver que sa possession est exempte de précarité ? ou bien, au fonlraire, est-ce à son adversaire à prouver que sa possession est précaire, qu'elle est sans valeur au point de vue de la prescription? Pour aider à résoudre ces questions qui, en pratique, offriraient de grandes difficultés, la loi édicté des présomptions qui étaient déjà admises et développées par tl'Argentré et par Dunod. D'une part, d'après l'article 2230, on est toujours présumé posséder pour soi, rt à titre de pro- < priétaire, s'iV n'est prouvé quon a conu?iencé à posséder « pour un autre i^). » Cette disposition est regardée par Ihe- ring comme une des meilleures et des plus heureuses de notre législation. « Les auteurs du code, dit-il, s'en tenaient «*ncore au dogme qu'il faut, pour la possession, une volonté de posséder particulière ; mais la présomption qu'ils ont éta- blie les a fait échapper à tous les dangers pratiques. Us ont ainsi montré une intelligence des difficultés de la théorie courante et un bon sens pratique que je ne saurais assez

(') Aubry el Rau, éd.. Il, p. 128, § 180. V. aussi Bufnoir, p. 228 et s.

0)Gas8.,6 mars 1855, S., 55. 1. 507, D., 55. 1. 82. Caen, 3 avril 1824, S. rhr. V. aussi le rapport du conseiller Poriquet, sous Caits., 26 juin 1822« -~ V. cep, Gass., 29 août 1831, S., 31. 1. 355.

(*) V. Dunod, p. 22; d'Argenliv, Coiil, de Brel,, art. 265, chap. 5, n. 12. Opr. G. civ. port., art. 481, 1 ; C. civ. hoU., art. 590 ; C. civ. iUl., art. 687.

212 DE LA PRESCRIPTION

louer. Cet article, à mes yeux, remporte sur tout ce que la littérature a produit, dans * notre siècle tout entier, sur la distinction entre la possession et la détention (*). » On pré- sume donc, en vertu de l'article 2230, que le possesseur est entré en possession avec animus domini ; et il faut ajouter qu'on ne pourrait prouver qu'ensuite cet animus a cessé, sauf les cas il s'agirait de prouver, soit l'abandon de la chose, soit une reconnaissance interruptive de la prescription (*).

271. Ainsi il existe au profit du possesseur une présomp- tion de non précarité qui le dispense de toute preuve. Mais cette présomption est susceptible d'être combattue par la preuve contraire; on peut prouver l'existence d'un titre don- nant à la possession le caractère de possession précaire ('). On peut aussi prouver simplement le caractère équivoque de la possession alléguée. Nos anciens auteurs ajoutaient avec raison qu'en cas d'existence de plusieurs titres, on est censé plutôt posséder en vertu de celui qui donne une pos- session efficace qu'en vertu des autres.

272. L'article 2231 ajoute ; « « Quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséderait même titre, s il n'y apreuve du contraire (*). » Les présomptions éta- blies par le texte précédent étaient en faveur du possesseur; celle-ci, que nous retrouverons formulée par l'article 2236, et que nous étudierons alors plus en détail, est contre lui. Bigot-Préameneu l'a expliquée ainsi : « La détention ne peut être à la fois pour soi et pour autrui : celui qui détient pour autrui perpétue et renouvelle à chaque instant la possession de celui pour lequel il tient, et, le temps pendant lequel on peut tenir pour autrui étant indéfini, on ne saurait fixer l'époque celui pour lequel on tient serait dépossédé. » Et il ajoutait plus loin : « La règle suivant laquelle on est toujours présumé posséder au même titre doit être mise au nombre des principales garanties du droit de propriété. »

(*) Ihering, Du rôle de la volonté^ p. 145. Cpr. Saleilles, op. cit., n. 77. (>) V. Bufnoir, p. 270.

(') V. not. Cass., 26 juin 1833, S-, 33. 1. 760, D. Rép,, V Presc, n. 853 ; 18 août 1884, S., 85. 1. 374. - Troplong, n. 373. (*) Cpr. Cod. civ. esp., art. 436; G. civ. port., art, 481, § 2.

DE LA POSSESSION AU POINT DE VUS DE LA PRESCRIPTION 213

273. •Gomme la précédente, cette présomption p«ut tom- ber devant la preuve contraire. Comment le possesseur prouvera-t-îl que sa possession précaire s'est changée en une possession à titre de maître ? Cette question est résolue parles articles 2238 à 2240 que nous retrouverons plus loin. 11 faut que la possession soit intervertie, et l'interversion ne peut résulter, comme nous le verrons, du fait du possesseur lui-même, mais suppose nécessairement le fait du proprié- taire ou celui d'un tiers. C'est la règle traditionnelle ; « Nemo nbi caiisam suœ possessionis miitare potest. » Elle a été reproduite par l'article 2240.

B. Des actes de pure faculté et de simple tolérance.

274. A la condition de Vanimus domini exigée par l'arti- cle 2229, nous pouvons rattacher la disposition de l'arti- cle 2232 ainsi conçu : « Les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescrip-- tim (*). »

La disposition de ce texte est fort obscure.

Avant d'en préciser le sens, il est indispensable de faire observer que le texte ne concerne que la prescription acqui- sitive. Cela résulte : 1* de la rubrique même du chapitre II : « De la possession » ; ce titre dit assez que la seule pres- cription dont il va être question dans le chapitre est celle cpii dérive de la possession ; 2' des dispositions qui précè- dent ou qui suivent celle de l'article 2232 ; en effet, elles sont toutes relatives aux conditions que doit présenter la possession pour conduire à la prescription ; cette dernière y est donc exclusivement envisagée comme un effet de la possession ; 3* des termes mêmes de l'article 2232 ; en rapprochant dans cet article les mots possession et prescrip- tion, le législateur a voulu manifestement exprimer cette pensée : que les actes de pure faculté et de simple tolérance ne peuvent servir de fondement à la possession, ni par con-

(M Cpr. C. civ. itol., art. 638 ; C. civ- esp., art. 444 et 1942 ; C. civ. port., art 474, § 2 ; C. civ. hoU., art. 1993 ; C. civ. Bas-Canada, art. 2196.

214 DE LA PRESCRIPTION

séquont à cette prescpiption dont la possession est la base, c'est-à-dire à la prescription acquisitive (*).

275. Pour déterminer maintenant le sens de notre dispo- sition; il est tout naturel, après l'observation que nous venons de faire, de prendre pour point de départ la théorie de la possession. La possession est un fait qui implique la préten- tion à un droit, car il se présente comme Texercice même de ce droit. Par suite, pour que des actes puissent engendrer à la fois la possession et la prescription, il faut qu'ils consti- tuent un empiétement sur le droit d'autrui, une violation de ce droit engendrant au profit de celui contre lequel l'usur- pation est commise une action en justice pour la faire ces- ser. La prescription est la transformation d'un état de fait en un état de droit ; cette transformation n'est possible, ou le conçoit, que lorsque le fait implique positivement la pré- tention à un certain droit (*).

Telle est l'idée d'où procède la double disposition de l'ar- ticle 2232. C'est celle qui paraît exprimée par Bigot-Préa- meneu dans l'exposé des motifs de notre titre : * Les actes de pure faculté, ceux de simple tolérance, ne peuvent pas ♦^tre considérés comme des actes de possession, puisque ni celui qui les fait n'entend agir comme propriétaire, ni celui qui les autorise n'entend se dessaisir f*). » Dunod formulait une opinion analogue : « On ne possède qu'improprement les servitudes ; on est censé les posséder par l'usage que l'on en fait dans l'occasion, avec intention d'en user conune d'un droit propre, et non par familiarité ou par faculté (*). »

276. De ce que les actes n'empiétant pas sur le droit d'au- trui ne peuvent constituer la possession ni conduire à la prescription, le législateur a donc déduit ces deux conséquen-

0) La règle, ou une vv^Xe analogue, peut cependant s'appliquer à la prescrip- tion exlinctive des servitudes (art. 700 C. civ.). Au cas d'un acte stipulant qu'à titre de pure tolérance le propriétaire d'un liérilage tenu d'une servitude pour- rait faire des actes contraire:: à la servitude, il a été décidé que les actes con- traires ne pouvaient servir de fondement à la prescription de la servitude par non usage. V. Nancy, 16 nov. 1889, S., 91. 2. 161, et la note de M. Bourcart.

(*)Cpr. de Loynes, Rev. cril., 1889, p. 388 s.

(') Locré, XVI, p. 566.

(*) Dunod, p. 15.

DE LA POSSESSIO>%At' POINT DE \TE DE LA PRESCRIPTION 215

ces : !• les actes de pure faculté ne peuvent fonder ni posses- sion ni prescription ; 2* il en est de même des actes de simple tolérance. C'est qu'en effet, les actes rentrant dans ces deux catégories ne constituent pas une usurpation, une violation (lu droit d'autrui ; ils ne sont pas assez énergiques, assez significatifs, pour supposer chez leur auteur une prétention à un droit.

Appliquons successivement cette théorie aux actes de pure faculté et aux actes de simple tolérance.

277. Les actes de pure faculté ne peuvent fonder ni pos- session ni prescription. La rédaction de l'article portait à Vorigine les mots actes facultatifs qui ont été remplacés ensuite, sans qu'on ait indiqué les motifs de ce changement, par les mots actes de pure faculté (*).

Ainsi, propriétaire exclusif d'un mur qui touche votre héritage, j'ouvre dans ce mur des jours de tolérance. C'est un acte de pure faculté : je n'ai fait qu'user de mon droit, ot vous n'avez pas contre moi d'action en justice pour me forcer à boucher mes jours. Au bout de trente ans, je n'au- rai acquis contre vous aucun droit par la prescription. Vous pourrez donc, comme auparavant, obstruer mes jours en construisant ou en plantant, ou me forcer à les boucher en achetant la mitoyenneté du mur.

Même solution si, usant du droit que lui confère l'arti- cle 657, le copropriétaire d'un mur mitoyen y a placé une poutre occupant toute l'épaisseur du mur à deux pouces près. Au bout de trente ans, il n'aura acquis par la prescrip- tion aucun droit à l'encontre du voisin, qui pourra, quand il le voudra, user du droit, que lui confère le même arti- cle 657, de faire réduire la poutre à l'ébauchoir jusqu'à la moitié du mur. De même, l'usage qu'un propriétaire infé- rieur fait de l'eau de ma source, sans accomplir d'ailleurs aucun travail destiné à faciliter la chute et le cours de l'eau tlans sa propriété, est un acte de pure faculté, qui ne pourra jamais engendrer contre moi aucune prescription. Même

(') V. Fenel, t. XV, p. 550 et 565.

216 DE LA PRESCRIPTION .

après trente ans, je pourrai donc détourner le cours de ma source au préjudice du propriétaire inférieur (*).

278. Ces divers exemples se ramènent à cette idée que lorsque les actes ne sont que l'exercice d'une faculté donnée par la loi ou que l'exercice normal du droit de propriété, ils ne constituent pas une possession diminuant les droits d'autres propriétaires, alors môme que ceux-ci n'ont pas, pendant plus ou moins longtemps, usé de leurs droits (*). Us peuvent être invoqués comme actes de possession du fonds sur lequel ils sont fait ; mais ils ne fondent aucune possession ni aucune prescription à l'encontre d'autres pro- priétaires. Dunod, qui d'ailleurs confond presque constam- ment les facultés imprescriptibles et les actes de pure faculté qui ne peuvent conduire à une prescription acquisitive, disait à cet égard : « Si quelqu'un n'a fait que de se conser- ver ce qui lui était acquis naturellement et indépendamment de toute convention et droit formé, comme d'aller à la fon- taine publique, d'user des communaux d'un lieu comme un autre habitant, d'aller à un moulin plutôt qu'à un autre, c'est une faculté dont l'exercice, n'acquérant aucun droit nouveau, ne produit point de possession propre ni par con- séquent de prescription ('). >►

270. Plusieurs théories ont voulu faire rentrer dans l'ar- ticle 2232 la règle que nous avons étudiée déjà, d'après laquelle les pures facultés ne peuvent s'éteindre par pres- cription (*). 11 y a là, à notre avis, une erreur de méthode certaine ; l'article 2232 se rattache étroitement à la théorie de la possession. Cette confusion ou tout au moins ce défaut de méthode s'expliquent un peu cependant en ce qu'il est des droits qui, à titre de pures facultés, ne peuvent s'étein-

(') V. pour plus de développements Bufnoir, p. 239 el s.

(*) V. Aubry et Rau, éd., II, p. 119,§ 179.

(>) Dunod, p. 88.

(*) Celte confu.sion, qui existait déjà dans Dunod, p. 80 s., est manifeste dans Vazeille, n. 56 s., 104. —Cpr. aussi Laurent, XXXII, n. 296; Gautier, Rev.crii.j 1877, p. 49 ; Poncet, Bev. crit., 1880, p. 450 ; de Loynes, loc. cit. - V. dans le sens indiqué au texte, Marcadé, sur l'art. 2232 ; Aubry el Rau, 5* éd.. Il, p. 119, § 179 ; Bufnoir, p. 238 ; Guillouard, I, n. 493 et s.

DE LA POSSESSION AU POIST DE VUE DE LA PRESCRIPTION 217

dre par prescription, et dont l'exercice ne peut rien faire acquérir au préjudice d autrui : comme le dit très bien Dunod, « on ne perd pas la liberté de se servir de ces sor- tes de choses, quoiqu'on n'en use pas, et l'on n'acquiert pas le droit d'en user à l'exclusion des autres, quoiqu'on en use seul. » Les hypothèses on ne perd pas son droit faute d'en user sont aussi celles où, en usant de son droit, on n'a rien acquis à l'égard d'autrui (*). Voyez sur rimprescripti- bilité des pures facultés, supra, n. 161 s.

280.M. Colmet de Santerre vaplusloin ; d'après lui, 1 article 2232 ne vise, en réalité, que l'acquisition par prescription des servitudes négatives ; il prohibe cette acquisition ; c'est son seul effet. La règle serait donc mal posée ; il faudrait dire que « les actes qui sont de pure faculté pour une per- sonne ou l'abstention ces mêmes actes ne peuvent fonder pouT une autre personne une prescription du droit d'empê- cher ces actes ou du droit d'exiger le maintien de l'état de choses produit par ces actes (*). » Cela ne s'applique qu'au cas d'une servitude négative, comme la servitude non œdifi- candi, non altius tollendi ; on n'acquiert pas une telle ser- vitude par cela seul que le voisin n'a pas, pendant trente ans, usé de la faculté de b&tir.

Mourlon enseigne la même opinion : « Celui qui profite indirectement de l'inaction d'une autre personne qui s'abs- tient de faire des actes de pure faculté ne peut point pres- crire contre elle à l'effet d'acquérir le droit de Tempêcher de faire ces actes à l'avenir. »

281. Cette théorie nous parait peu exacte ; elle laisse de côté et supprime cette règle, pourtant incontestable, que les actes de pure faculté ne peuvent engendrer de prescription acquisitive au profit de leur auteur parce qu'ils ne contien- nent pas de contradiction au droit d'un tiers. Restreint à Tacquisition des servitudes négatives, l'article 2232 serait inutile ; l'article 691 avait déjà dit que les servitudes non apparentes ne peuvent s'établir que par titre. Pour nous, il

0 Gpr. Gass., 28 juil. 1874, S., 75. 1. 404, D., 75. 1. 317. V. pour plus de <léveloppemenU Bufnoir, p. 257. («) Colmet de Santerre, Vlll, 338 but, 2. Cpr. Bufnoir, p. 258 et s.

218 DE LA PRESCRIPTION

s'applique sans doute à racquisition des servitudes, mais des servitudes positives, continues et apparentes, qui peuvent en principe s'établir par prescription ; il empêche, par exemple, que celui qui, pendant trente ans, a usé des eaux d'une source ou des eaux courantes passant sur son fonds, alors que le propriétaire du fonds supérieur n'en usait pas, puisse prétendre avoir acquis le droit d'obliger ce proprié- taire à laisser couler l'eau de la même façon et avec le même volume. Il est d'ailleurs exact de dire que l'article 2232 trouve surtout son application en matière de servitudes : il est le développement et la conséquence, à l'égard des ser- vitudes, de cette condition exigée par Farticle 2229, à savoir que la possession a être exercée à titre de maître. La loi n'a voulu parler ici que des actes qui se limitent à Texercico du droit de celui qui les accomplit, sans empiétement sur le droit d'autrui, sans appeler par suite de contradiction de la part d'autrui. Le riverain d'un cours d'eau non navigable ou flottable (art. 644 et 645), qui utilise l'eau à son passage, ne fait qu'user de son droit ; il n'acquiert rien contre les autres propriétaires riverains, bien que ceux-ci restent plus ou moins longtemps sans se servir de l'eau ; de même, de ce que mon voisin a ouvert une source sur son fonds, il n*a pas acquis le droit de m'empêcher de fouiller le mien. I^ possession invoquée pour la prescription acquisitive suppose le conflit de deux droits; celui qui se renferme dans l'exercice des facultés que Ta loi lui donne ne peut rien acquérir ; l'article 2232 veut donc dire que « l'accomplissement d'actes de pure faculté ne donne pas la posssession et par consé- quent ne peut conduire à la prescription )►. Ce sont au sur- plus des expressions fort exactes, au point de vue de l'article 2232, que celles dont se sert M. de Loynes quand il définit l'acte de pure faculté : « celui qui dépend de la volonté de celui qui l'accomplit et à l'occasion duquel les tiers ne peu- vent former d'action en justice à l'efl'et de l'empêcher ou de demander la destruction de ce qui a été fait (*). >►

(•) V. Gass., 29 aoiU 1831, S. 31. 1. 355 ; 24 juill. 1839, S., 39. 1. 919, D.. 39. 1. 355 ; 13 janv. 1891, S., 91. 1. 302.- Cpr. Agen, 28 févr. 1870, D., 71. 2. 162. Leroux de Brelaj,'ne, n. 308 s. ; Aubry el Hau, 5' éd., lï, p. 119; de

DE LA POSSESSION AU POINT DE Vli: DE LA PRESCRIPTION 219

282. b) Les actes de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription. Dunod confondait volontiers les actes de faculté et les actes de tolérance ; il présente comme actes de faculté le vain pâturage exercé par des commu- nautés sur les terres en friche ou sur les héritages des parti- culiers après les fruits levés ; « on n'en use, dit-il, que par faculté et par pei'mission tacite du propriétaire » ; il donne aussi comme exemple le cas où, par permission tacite du voisin, les propriétaires « font tourner leurs charrues et passent les uns sur les autres ; ce n'est toujours que par une faculté qui cesse quand elle vient préjudiciable (*). »

Il est cependant plus facile de définir les actes de simple tolérance que les actes de pure faculté. Ce sont ceux qu'un l)on voisin tolère, bien qu'ils portent une certaine atteinte à *on droit de propriété, parce que cette atteinte ne lui paraît pas assez grave pour constituer une usurpation proprement <lite méritant d'être réprimée, comme si mon voisin passe sur ma propriété ou vient puiser de l'eau à ma fontaine ou récolter des champignons dans mon bois. Il s'agit d'actes <I«i peuveat procurer un certain avantage à celui qui les accomplit sans causer un dommage appréciable à celui qui les souffre ; ce dernier aurait donc mauvaise grâce à s'y oppo- ^T. Mais la loi considère qu'il ne les tolère qu'à titre de loncession purement précaire, et en se réservant le droit par conséquent de les réprimer quand il le jugera à propos. Voilà pourquoi de semblables actes ne peuvent pas fonder •iu profit de celui qui les accomplit une possession utile pour la prescription, car la prescription exige une possession à iiire de propriétaire. Si la loi en eût autrement décidé, cha- que propriétaire aurait été conduit à réprimer les plus peti- l^'s atteintes portées à son droit de propriété, dans la crainte

'•«ynps, loc. cit.; Marcadé, loc. cU,, Guillouard, n. 499 et s. D'apiTs Tro- P^ong, n. 381 »., les actes de pure faculté visés dans rarlicle 2232 sont ceux lu'on exerce, non en vertu d'un dmit propre, mais en vertu d'une destination 'ïp U chose qui est à tous ou h plusieurs. C'est une notion insuffisante. M. Hue considère l'art. 2232 comme inutile en tant qu'il vise les actes de simple ïa«-uUé (t. 14, n. 361 et s.).

i^) ï>lte confusion n'a pas toujours été évilée par la jurisprudence. V. Dijon, ^•> déc. 1871, S., 72. 2. 72.

220 DE LA PEESCRIPTION

qu'elles ne fondassent une prescription contre lui, et les relations de bon voisinage en auraient été troublées. 11 a été jugé en ce sens que l'autorisation de pratiquer des ouvertu- res dans un mur mitoven, obtenue sous condition de les fer- mer et supprimer sur une simple invitation de celui qui les a autorisées, est un acte de simple tolérance ne pouvant con- duire à la prescription (*).

La jurisprudence nous fournit une autre application remar- quable du principe que nous venons de développer. Pendant plus de trente ans, un particulier avait souifert que son pré servît de champ de foire après la levée de la récolte ; quand il voulut s*opposer à la continuation de cet état de choses, la commune lui opposa la prescription. Il a été jugé qu'en autorisant ainsi l'occupation périodique de sa propriété pour la tenue des foires, le propriétaire n'avait fait qu'accomplir un acte de simple tolérance, qui ne pouvait fonder contre lui aucune prescription. En fait, d'ailleurs, la longue tolé- rance du propriétaire s'expliquait facilement, car son champ bénéficiait des engrais déposés par les bestiaux : il avait donc agi dans son intérêt autant que dans celui de la com- mune (*).

283. Le titre Des servitudea contient une application importante de la même idée. 11 s'agit de servitudes discon- tinues ; l'article 691 dispose qu'elles ne peuvent s'acquérir que par titres, jamais par la prescription. Le législateur n'a pas considéré l'exercice de semblables servitudes comme constituant un empiétement suffisant pour servir de base à

(') Dijon, 20 déc. 187i. précité. - V. aussi Nancv, 26 nov.1389. S., 91.2.161.

(*) V. Cass., 9 mai 1881, S. 82. 1. 456. - Iliom" 3 déc. 1844, S., 46. 2. 125. D., 46. 2. 88. - (ireiioble, 26 août 1846, S., 47. 2. 247. - Rennes, 15 déc. 1848, 1)., 51. 5. 405. Laurent, n. 298; Ouillouard, n. 488 et s. V. encore, sur l'application de notre règle, Cass., 15 déc. 1824, S. chr., D. Bép., Prêter., n. 360; 21 fév. 1827, S. chr.; 29 août 1831, S., 31. 1.535; 26 fév. 1838, S., 38. 1. 813, D. flep., V Commune, n. 1579; Il avril 1843, S., 43. 1. 798, D. Rép., V Prescr., n. 195; 8 avril 1850, S., 50. 1. 527, 1)., 50. 1. 155; 26 mars 1867, I)., 67. 1. 381; 9 janv. 1872, S., 72. 1. 225; 14 mai 1877, S., 78.1 451; 4 juiU. 1895, S. 96. 1, 292, 1). 96. 1. 31. - Limoges, 26 mars 1838, S., 39.2.79; 10 juin 1840. 1). Rép,, Prêter,, n.3U. - Gaen, 24 nov. 1856, S., 57. 2. 304. - Pau, 13 fév. 1877, D , 79. 2. 71. Besançon, 5 juin 1895, S., 97. 2.101. Orléans, 25 avril 1895, S., 98. 2. 214.

DE POSSESSION Ai: POINT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 221

la prescription. Le propriétaire qui les souffre est considéré comme accomplissant un acte de simple tolérance,

284. La jouissance exercée à titre de simple tolérance est entachée d'un vice au point de vue de la prescription; ce vice, à notre avis, est absolu comme le vice de la précarité. (]e n'est pas seulement contre celui de qui il tient la per- mission d'agir que le détenteur ne peut invoquer sa déten- tion, mais contre qui que ce soit; il n'a à l'égard de personne la possession voulue par la loi pour conduire à la prescrip- tion : bien que, comme nous l'avons dit, sa situation se rap- proche de celle du précariste romain, il nous paraît difficile d'appliquer ici la règle romaine qui considérait la posses- sion du précariste comme utile à l'égard de tous autres que le possesseur (*).

285. La question de savoir si les actes ont été faits ou non à titre de tolérance est particulièrement délicate quand il s'agit Je la prescription acquisitive de la propriété ou de la copro- priété d'un chemin. On sait qu'à la difiérence de la servitude de passage, la propriété ou la copropriété d'un chemin peut s'acquérir par prescription (*). Mais il faut que les actes de passage n'aient pas été le résultat de la simple tolérance. L'étendue et la généralité de la tolérance n'en détruisent d'aiUcurs pas le caractère ; il suffit, pour que la prescription soit impossible, qu'on n'ait pu se passer de l'agrément du propriétaire. Ainsi l'existence d'une grille, même toujours ouverte, est un indice que le passage ne s'exerçait qu'à titre de tolérance (') .

Il ne suffira pas toujours nécessairement que le chemin relie deux voies publiques, qu'on y signale des faits de cir- culation, qu'il soit d'une certaine utilité, qu'il ait le signe extérieur d'un chemin public ; il faut que les actes de pas- sage soient des actes de propriétaire ; qu'il y ait eu, par

0) V. Laurent, XXXII, n. 297; Guillouartl, n. 492. V. cep. en sens con- fire Aubry et Rau,5* éd., II, p. 129, § 180, note 16; et les aulorilés filées déjà pins haut, n. 269 Cpr. Bufnoir, p. 233 et s. j

i') Cas»., 17 fév. 1883, S., 84. 1. 320 et la noie ; 6 août 1888, S., 89. 1. 219.

(') Cass., 18 mai 1892, S.,92. 1. 357, D., 92. 1. 297; 12 fév. 1889, S., 90. 1. 13, ï>.,89. 1. 229. - V. cependant Cass., 24 fév. 1841, S., 41. 1, 492. - Trib. Cthors, 21 mai 1890, S.. 92. 1. 578.

222 DE LA PBHSCRIPTION

exemple^ des actes de voirie, de surveillance municipale, des arrêtés municipaux relatifs à Tentretien de la voie, à Féla- gage des haies, au curage des fossés ('). Il y aura d'ailleurs bien certainement possession légale et caractérisée si les iiabitants d une commune ont passé de tout temps sur un chemin et si ce chemin est classé comme rural (*).

286. Les actes d'abord exercés à titre de pure faculté et de simple tolérance peuvent-ils, par suite d'une interversion de titre analogue à celle que nous aurons à étudier avec Tarticle 2238, donner lieu à une possession susceptible de conduire à la prescription? La contradiction >'is-à-vis la personne à l'égard de laquelle on veut prescrire produit-elle ici le même effet qu'en matière de détention précaire ? II faut tout d'abord bien remarquer que l'interversion de la possession ne pourrait faire courir la prescription que dans les cas où, d'après la loi, la prescription est possible; il est certain que toutes les servitudes qui ne peuvent, d'après les articles 690 et 691 du code civil, s'acquérir par prescrip- tion, ne le peuvent jamais, même si une interversion s'opère dans la jouissance de celui qui exerce la servitude.

Cette réserve faite, il nous parait que, si l'article 2238 ne peut trouver son application dans notre hypothèse, car il est de droit étroit, il peut y avoir cependant une interversion de fait, indépendante des conditions requises par l'arti- cle 2238; la possession peut à un moment donné cesser de s'exercer à titre de simple faculté ou de tolérance ; elle devient alors utile pour la prescription, en supposant bien entendu qu'elle s'exerce avec tous les caractères légaux et notamment qu'elle n'ait pas un caractère équivoque. Le rive- rain, par exemple, qui aurait fait des actes supposant une contradiction au droit de son voisin, pourra acquérir une servitude d'écoulement des eaux ; la contradiction entraîne cette conséquence que l'acte n'est plus un acte de simple

(') Montpellier, 7 mai 1877, S., 79. 1. 471. - V. aussi Cass., 28 lév. 187T, S., 78. 1. 453, D., 77. 1. 455 ; 10 mai 1881, S., 83. 1. 397, D., 83. 1. 245 ; 12 août 1884, S., 87. 1. 201.

(») Cass., 9 janv. 1872, S., 72, 1. 225, D., 72. 1. 41 ; 20 mai 1889, S., 91. U 511, D., 90. 1.247.

DE LX POSSESSION AU POLXT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 223

faculté ni un acte de tolérance. 11 a été jugé en ce sens qu'un propriétaire non riverain peut prescrire à l'encontre d'un riverain Tusage des eaux pour Tarrosage de sa pro- priété, si sa possession est corroborée par des ouvrages extérieurs, constituant une véritable contradiction à Texer- cice des droits de ce riverain (*). Dans le cas d'actes consti- tuant l'exercice d'une servitude susceptible de s'acquérir par prescription, si une convention a donné à ces actes, d'une façon expresse, le caractère de tolérance, un nouveau titre peut ensuite contredire le premier et faire courir la pres- cription. Mais le titre émanant d'un tiers pourrait ne pas suffire ; il faut écarter ici l'article 2238, et voir si en fait il va eu interversion et contradiction (*).

§ V. La possession doit être non équivoque.

287. En disant que la possession doit être non équivoque, il n'est pas probable que la loi ait entendu formuler une condition particulière, distincte de celles que nous avons étu- diées jusqu'ici. C'est plutôt une précision de ces diverses conditions, un caractère qui leur est commun à toutes. Ce que Ion a voulu dire, c'est que les diverses qualités de la possession (animi/s rfo/wmi, continuité, publicité...) doivent ressortir d une manière claire, certaine, non équivoque, des faits allégués par le possesseur. Ainsi la possession d'un ^ communiste sera presque toujours équivoque au point de vue de l'animus domini. Si des faits bien significatifs ne viennent pas démontrer qu'il a eu la volonté de posséder pour son compte exclusif, il devra être considéré comme ayant possédé pour le compte de tous les intéressés et no pourra par suite opposer aucune prescription à ses consorts.

Il ne s'agit pas ici bien entendu, de restreindre la portée (les présomptions établies par la loi en matière de preuve

I (•) Cass-, 15 janv. 1835, D., 35. 1. 105 ; 4 avril 1842, S., 42. 1. 308 ; 25 mars

JS44, S., 44. 1. 602, D , 44. 1. 241. - Cass., 5 juillel 1882, S., 83. 1. 463. -

'^pr. Cass., 11 janv. 1881, S., 81. 1. 197, D , 81. 1. iU. - Lyon, 26 janv. 1881,

î^., 82. 2. 204. Leroux de Bretagne, n. 128 ; Troplong, n. 393.

^»)Cass., 26 juill. 1897, D. 97. 1. 616. Sic, Aubry et Rau, éd., Il,

i p. 127, § 180, note 17 ; Guillouard, I, n. 490 ; Une, XIV, n. 364. - V. aussi, k< développemenUi donnés par M. Bufnoir, p. 261 et s.

224 DE LA PRESCRIPTION

de la possession et de la prescription ; pour les qualités dont le possesseur doit faire preuve lui-même, il devra en étabbV l'existence d'une manière certaine et non équivoque ; pour les autres, elles sont présumées ; mais celui qui revendique peut établir qu'en réalité elles n'existent pas d'une façon suffi- samment précise et que les faits allégués sont équivoques.

288. D'après cette théorie qui est généralement adoptée par les auteurs, il y a donc possession équivoque quand la possession n'est pas suffisamment continue, publique, paisi- ble, exclusive, et à titre de propriétaire.

Une autre théorie a été présentée par Vazeille et par Lau- rent (*). D'après eux, la possession est équivoque quand on ne sait pas si elle est la manifestation d'un droit, quand les actes invoqués ont à cet égard un caractère douteux ;.la pre- mière théorie confond, disent-ils, les conditions requises pour la prescription et la preuve de ces conditions ; il n'est pas besoin de dire que la possession doit être suffisamment continue, publique, etc. ; il est évident que les conditions exigées par la loi doivent être établies d'une manière cer- taine. En réalité il s'agit ici d'un vice nouveau susceptible d'entacher la possession. Elle peut être équivoque quant aux faits allégués, au corpus possessionis:^ La possession doit être une manifestation extérieure et visible du fait que l'on pré- tend acquérir. 11 faut que le droit qu'il s'agit de prescrire se révèle aux tiers par l'exercice même qui en est réalisé (*) . » Elle peut être équivoque quant à Vanimiis domini. Sans doute Vaniînus est toujours présumé ; mais le revendiquant pourra, sans faire la preuve d'un titre précaire déterminé, démon- trer le caractère équivoque de l'intention du possesseur telle qu'elle s'est manifestée. Cette idée trouve des applications d'une grande importance en matière de possession mobilière pour l'application de l'article 2279.

280. Mais la controverse a, pour la théorie de la prescrip- tion, bien peu d'intérêt. Il paraît difficile de préciser le sens du mot employé par le code civil et dont Pothier et

(*) Vazeille, n. 50 ; Laurent, XXXII, n. 290 s. V. aussi les très intéressants développements donnés sur ce point"; par M. Bufnoir, p. 265 et s. (») Bufnoir, p. 267.

DK LA POSSÎISSION AU POINT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 225

Dunod ne parlent pas. « Il faut, a dit Bigot-Préameneu, qu'il ne puisse y avoir sur le fait même de cette posses- sion aucune équivoque. » Mais il est certain d'ailleurs que les espèces fournies par la jurisprudence se réfèrent en géné- ral au point de savoir si les actes invoqués apparaissent ou Jion comme Texercice manifeste d'un droit. Ainsi, si une per- sonne acquiert un immeuble de celui qui en est le fermier et lui laisse la jouissance de l'immeuble, les actes de posses-

sion auront un caractère équivoque et ne pourront servir à la prescription (*) . Si un individu, en labourant son champ ou en récoltant les produits de son champ, commet parfois «les anticipations légères sur le fonds voisin, on peut voir (les actes de possession équivoques (*). Des actes de jouis- sance qui ne porteraient que sur des produits isolés d'un fonds ou sur certains avantages d'un fonds ne constitueraient encore qu'une possession équivoque, insuffisante pour faire accjuérir par prescription la propriété du fonds ; tels seraient certains faits de passage, de puisage, de dépôt de maté- riaux ('). Celui qui, étant maire d'une commune, fait des actes <le jouissance sur un bien communal, ne peut plus tard s'en prévaloir ; ces actes ont un caractère équivoque (*). L'exclu- sion d'un terrain dans un acte de vente peut contribuer à rendre équivoque la possession de ce terrain que l'acqué- reur a eue à la suite de son acquisition (^). La possession est encore équivoque si elle a été exercée par un détenteur qui a possédé pour le compte de chacune des deux person- nes qui se prétendent propriétaires du fonds, par exemple par le fermier commun des deux héritages contigus appar- tenant à deux propriétaires différents (') .

0) Pau, 14 mai 1850. S., 31. 2. 284, D. Rëp., v* Prescr:, n. 250. Aiibiy et lUu. éiU, p. 137, ^ 181, elp 533, j^ 217.

(*) Paris 28 févr. 1821, S., chr., D., Rép,, verh, cit., n. 32 î ; 30 nov. 1825, S^. chr. Aubn- et Raii. 5* éd., H, p. 538, § 217. —V. ausî»i «iipra, n. 263.

(') V. Ca-is., 25 janv. 1842. S., 42. 1. 972, D. Rép,, verh, cit., n. 203; 23 mai 1855. S., 56. 1. 401; D., 56. 1. 57. - Besançon. 14 nov. 1844, S.. 45. 2. 645. - Anbn- el Rau, loc. cit. V. encore Cass., 8 mars 1897, 1)., 97. 1. 457.

(♦) V. Ca!«s., 3 août 1857. S., 59. 1. 319, I)., 59. 1. 211 ; 8 mars 1898, S., 99. i. 12, Nancy, 10 janv. 1863, S.. 63. 2. 92. Leroux de Bi-etagne, n. 317. V. fiipra, n. 189.

(') Ca5s., 22 juin. 1874, S., 75. 1. 17. î) , 75. 1. 175.

(•) Caî»s.. 3 avril 18S3, S., 90. 1. U. - Cpr. Lyon, 19 nov. 1895, 1)., 96. 2. 220.

PHE#CR. ^^

. 22() Di: LA PRKSCRIPTION

200. Deux hypothèses soulèvent, au pomt de vue du* carac- tère équivoque des actes de possession, des difficultés par- ticulières.

La première est celle de la possession d'un communiste : cette hypothèse comporte des distinctions très délicates. Pour prescrire, il faut, avons-nous dit, que la possession soit à titre de propriétair e ; ajoutons ici qu'il faut qu'elle soit exclu- sive, et non prom iscue ; la possession qui n'est pas exclusive n'est pas un e possession à titre de propriétaire ; elle ne peut conduire à la prescription de la propriété. Sans doute, celui qui fait des actes de possession commune pourra acquérir une partie indivise de la chose sur laquelle il a fait ces actes, ([uand il est d'ailleurs bien démontré qu'il a agi à titre de copropriétaire indivis et non par suite de tolérance ; on a jugé en ce sens qu'un individu peut acquérir par prescrip- tion une portion indivise d'un immeuble, et que, d'une façon générale, la possession à titre de communiste peut entraîner l'acquisition par prescription de la copropriété possédée ('). Ce que nous voulons dire ici, c'est qu'une personne ne peut, par prescription, acquérir la propriété exclusive de la chose sur laquelle elle n'a fait que des actes de comnmnistc ; vai- nement elle prétendrait que ces actes étaient dans son esprit des actes de maître exclusif ; on lui répondrait, avec l'ar- ticle 2229, qu'ils ont un caractère équivoque, et ne peuvent conduire à la prescription de la propriété entière du fonds, liln im mot, la possession promise ue, exercée simultanément par plusieurs personnes, est équivoque au point do vue de

(') Gass., 14 fév. 1857, S., 57. 1. 779; 22 fév. 1870, I)., 70. 1. 425. - Limo- j?es, 16 mars 1869,S.,fi9. 2. 290.— Laurent, XXXll, n. 295 ; Une, XIV, n.356. - V. aussi Cass., 23 nov. 1836, S., 37. 1. 532 ; !•' mai 1889, S., 90 1. 14. I>. , 90. 1. 475. Il paraît d'ailleurs généralemenl admis par la jurisprudence que, si des actes sont faits par un tiers concun-emment avec le propriétaire du fonds qui agit en vertu de son droit exclusif, ils no peuvent conduire h Tacquisi- lion de la copropriété; ils ont un caractère équivoque, soiit«réputés faits à titre de tolérance, la jouissance complète du propriétaire ne laissant pas place, de la part d'un tiers, à une possession ayant les caractères légaux. Sic Gass., 5 déc. 1877, S., 78. 1. 75, J)., 79. 1. 198; 12 nov. 1878. S., 79. 1. 474 ; 6 juin 1888, S., 89. 1. 157, D., 89. 1. 105. Paris. 23 janvier 1890, rapporté avec Ca5s., 20 fév. 1893, S., 96. 1, 70.- V. iraillenrs D. Rép., Supp.y \^ Prescr., n. 227?. ; Ihu', loct. cîL

DE LA POSSESSION AV POINT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 227

la prescription qu'un des communistes invoque à son profit exclusif (*) .

291. Le communiste peut cependant acquérii* par prescrip- . lion la propriété exclusive de la chose commune ; mais il faut pour cela qu'il en ait eu la possession exclusive pendant le temps requis pour prescrire ; il faut qu'il ait joui exclusive- ment et pendant trente ans de la chose commune ou d'une l)orlion de la chose commune ; l'article 816 fait une applica- tion de cette idée ; ce n'est d'ailleurs que le principe géné- ral de la prescription que le communiste peut invoquei* fouime toute autre personne (*).

292. La jurisprudence a fait plusieurs applications de la théorie que nous venons d'exposer au cas de propriété appar- tenant en commun a plusieurs^ par exemple au cas de la co« propriété d'un chemin, d'une cour, d'un canal ; il faut bien !* rappeler, disent les arrêts, que, l'exercice du droit d'un communiste ayant été restreint suivant ses convenances, cela lie fait pas que les autres aient possédé contre lui ; il aura usé de son droit suivant ses besoins et ses convenances : les actes des autres communistes ont un caractère équivoque ; il lie peut être facilement admis qu'ils aient eu une possession (oiitradictoire à celle de leur copropriétaire (^) ; ils n'ont ])os$édé que leur propre droit ; ils ne peuvent au delà invo- quer ni possession ni prescription.

293. La question délicate est maintenant de savoir s'il faut,

(') V. Cass., 13 déc. 1876, S., 79. 1. 469 ; 1«' déc. 1885, S., 87. 1. 358 ; » juin 1887, S., 87. 1. 358 ; 4 janv. 1888, S., 88. 1. 101, D.,88. 1. 54 ; 3 avril 1839, S., 90. 1. 14; 8 juin 1891, D. 92. 2. 402 ; 1" mars 1892, S., 92. 1. 228 ; 3 ivril 1895, S., 95. 1. 456, D., 95. 1. 242; 22 nov. 1895, S., 99. 1. 87 ; 19 déc. 1898, S.. 1901. 1. 414. Aubry et Uau, 5* éd., II, p. 536 s., § 217 ; Lauren!, XXXU. n. 290 ; Planiol, n. 897 ; Hue, loc. cit. ; Guillouard, n. 505.

(«) Caps., 26 août 1856, S., 57. 1. 28,1)., 56. 1. 340 ; 17 juin 1862, S. 62. 1.711 ; 19 fév. 1872, S., 72. 1. 336, D.. 72. 1. 272; 13 déc. 1886, S., 87. 1. 176, D., 87. i. 386; 3 avril 1895, précité. Lyon, 2 fév. 1871, S., 72. 2. 11. Pau, 5 mai 1890, D.,91.2. 213. Troplonj?, n. 361 ; Laurent, XXXII, n. 290 ; Aubry et Hau, 5* édit.. H, p. 538, § 217, note 10 ; Guillouard, loc. cit. V. aussi Gaôs., l* jnill. 1856, S., 57. 1. 676; 11 nov. 1867, S., 68. 1. 171 ; 30 mars 1897, I)., 9?! 1.569.

(') Ca.^s., 11 aoùl 1853, S., 61. 1. 65, D., 60.1.391; 29 juillet 1863, S., 64.1.20. !>., 61. 1. 293. - Laurenl, XXXII. n. 346.

228 DE LA PRESCBIPTIOX

pour que la prescription puisse s'accomplir, qu'il y ait eu interversion du titre du copropriétaire qui invoque sa pos- session exclusive. On verra plus loin que le possesseur pré- caire ne peut prescrire tant qu'il n'y a pas eu interversion par suite « d'une cause venant d'un tiers ou d'une con- tradiction opposée au droit du propriétaire » (art. 2238). Otte condition est-elle applicable au communiste qui prétend prescrire? Un arrêt de la cour de cassation a décidé à cet égard que le communiste devait opposer une « contradiction formelle » aux droits de ses copropriétaires (*). Mais il ne faut pas s'arrêter à ces expressions ; il est certain qu'on ne peut étendre en dehoi's de l'hypothèse qu'il prévoit la dis- position de l'article 2238 qui est de droit étroit ; le commu- niste n'est pas un possesseur précaire et l'article 2238 ne le vise pas. Aussi la Cour de cassation a-t-elle décidé dans d'autres arrêts, et c'est la règle exacte, que le communiste qui possède en cette qualité n'a pas besoin d'un titre nou- veau pour prescrire la totalité de la chose au regard et au l>réjudice des autres communistes ; il suffit que sa posses- sion ait existé pendant le temps légal, exclusive, sans actes de possession des autres copropriétaires (*). Ce qui est\Tai, c'est qu'il doit forcément y avoir une interversion de la pos- session, puisque de promiscue elle doit devenir exclusive ; mais c'est une interversion de fait qui n'est nullement sou- mise à l'article 2238. Pour emprunter les termes très exacts d'un arrêt de la Cour de Dijon, « il faut, de la part de celui ({ui prétend acquérir à titre privatif, des actes extérieurs et contradictoires, agressifs et persévérants, qui, par une mani- festation non équivoque, mettent l'associé en demeure de défendre son droit ; autrement il est censé représenter la communauté et jouir, en vertu de son titre, aussi bien pour elle que pour lui-même ('). »

204. La seconde hypothèse assez fréquemment il y

(') Cass., 16 dêc, 1873, S., 75.'1. 203, D., 76. 1. 76.

(«. Cass., 26 août 1856, précité ; 13 déc. 1886, ppécUé. l.aureiil, n. 291.

(») Dijon, 9 août 1867, I)., 70. 1. 151. - Laui-ent, n. 292 ; Bufnoir, p. 272 el 276. - V. aussi dans le même sens Cas»*., 9 déc. 1856, S., 57. 1. 588, D., 56. 1. 438,

DE L.V POSSESSION AU POINT DK VO: D'.: L\ PR'iiSGRIPTION 229

aura possession équivoque est celle d'une commune préten- dant avoir acquis par prescription la propriété d'un chemin. Il est nécessaire qu'elle justifie qu'elle en a eu la posses- sion trentenaire à titre de propriété ; or, les actes qu'elle invoque, s'ils n'ont été faits que par les divers habitants de la commune, peuvent avoir un caractère équivoque ; on peut se demander s'ils les ont faits en leur nom personnel et dans leur intérêt, ou au nom de la conmmne et dans l'intérêt de celle-ci : en pareil cas, ils ne peuvent servir à la pres- cription (').

294 bis. A l'inverse, lorsque les habitants d'une comnmnc prétendent acquérir par prescription la propriété de biens sur lesquels la commune a un droit d'usage, ils ne peuvent invoquer que des faits de jouissance indépendants des droits de la commune, et non des faits pouvant s'expliquer par les droits de jouissance réservés à chacun des habitants (*)• Ils ne peuvent non plus invoquer des actes de jouissance même faits animo domini par certains habitants, si, en même temps, les autres habitants de la commune ont usé des terrains sur lesquels ces actes de jouissance étaient exercés comme d'un terrain communal, si bien que les actes de jouissance invo- qués ont un caractère équivoque f).

SECTION II

DK L.V PREIVK DE LA POSSESSION

2§5. Celui qui invoque la possession pour établir l'accom- plissement à son profit de la prescription acquisitive doit, suivant le principe général en matière de preuve, établir qu'il a possédé pendant le temps fixé par la loi et que sa possession réunit bien les caractères voulus par l'article 2229. Nous avons vu déjà que la loi lui facilite cette preuve en établissant à son profit certaines présomptions qui mettent à

0) V. notamm. Cass., 4 déc. 1844, D., 45. 1. 44 ; 19 mars 1845, S., 45.,- 1.445, D., 45. 1. 139, Leroux de Bretagne, n, 322.

(')Gass., 16 janv. 1838, D., 38. 1. 92. Leroux del3relagne, loc. cil, Cpr. Ufts., 1*' juin 1892, S., 92. 1. 578.

(*) Cass., 20 mars 1899, S., 99. 1. 220.

230 DE LA PRESCRIPTION

la charge de l'autre partie le fardeau de la preuve contraire : ces présomptions sont celles des articles 2230, 2231, et 2234. (V. supra, n. 245 et s., 270 et s.). Il est nécessaire do rappeler ici que la présomption de l'article 2234 a un carac- tère général et vise, non seulement la question de la conti- nuité, mais la question de possession ayant duré le temps légal avec les qualités requises par la loi.

En dehors des règles posées par ces articles, on reste dans le droit commun.

206. Deux questions importantes doivent seules nous arrê- ter ici.

Tout d'abord comment et par quel moyen se prouve la possession? La réponse est facile. Il s'agit de faits matériels dont on n'a pas à fournir de preuve écrite ; la preuve testi- moniale est toujours admissible, quelle que soit Timportanco pécuniaire du procès ; les juges admettront la preuve des faits articulés s'ils les jugent pertinents et admissibles ; ils la repousseront dans le cas contraire (*)•

Ce n'est que quand le débat se trouvera porté sur un faii juridique qu'il sera nécessaire de produire un écrit, si, par exemple, l'adversaire de celui qui a possédé prétend qu'il y a eu interruption civile par suite d'une citation ou d'un commandement.

207. L'appréciation des faits de possession rentre-t-ello exclusivement dans les attributions des juges du fond ? ou bien est-elle soumise au contrôle de la Cour de cassation ?

On parait considérer, en doctrine et en jurisprudence, comme une règle certaine, que les juges du fait sont appré- ciateurs souverains des caractères de la possession alléguée.

A eux seuls il appartient de dire si les faits articulés doi- vent être admis en preuve, et si les faits établis constituent une preuve suffisante. « Lorsqu'il s'agit d'apprécier les faits constitutifs de possession susceptibles ou non de faire acqué- rir la prescription, les juges du fond ont un pouvoir dis- crétionnaire qui échappe à la censure de la cour de cassa-

(*) Polhier, Prescription, n. 177 ; Laurent, n. 343 ; Leroux de Bretagne, n. 340. - Cpr. Cass., 6 fév. 1872, D., 72. 1. 101.

DK LA POSSKSSION AU POINT DE VUK D:- LA PRESCRIPTION 231

tioii. » Telle est la solution généralement acceptée (*) . Ainsi on admet que c'est aux juges du fait à apprécier si la pos- session a été continjie (*) ; Dunod faisait déjà remarquer que « cette question se réduit souvent, dans la pratique, aux cir- constances et à l'arbitrage du juge ». C'est à eux aussi à apprécier si la possession a été paisible (*), si elle a été pré- caire (*), si elle s'est exercée à titre de tolérance, ne pouvant à ce titre entraîner aucune prescription p) .

De même aussi, le caractère équivoque ou non équivoque rie la possession est considéré comme une question de fait abandonnée à l'appréciation des juges; c'est notamment à eux qu'il appartient, dit-on, de déterminer si une possession a été exclusive ou promiscue (*). Il résulte de cette jurispru- dence que les juges du fond n'ont pas besoin de s'expliquer spécialement sur chacun des caractères de la possession invo- quée ; il a été jugé à cet égard que l'arrêt déclarant que, depuis plus de trente ans, une personne a eu d'un immeuble revendiqué une possession exclusive et réunissant les autres caractères de la possession requise pour prescrire, se réfère . virtuellement à chacune des conditions énumérées par l'arti- cle 2229 (^) .

(') V. Gass., Il mars 1868, S., 68. 1. 156; 30 juin 1874, S , 74. 1. 485, I).. 74. i. 477; 22 juill. 1874, S., 75. 1. 17, D,, 75. 1. 175; 1" août 1876, S., 77. 1. 155, D,, 77. 1. 88 ; 10 janv. 1877, S., 77. 1. 99 ; 9 mai 1881, S., 82. 1. 456, I)., 8t 1. 256 ; 10 mai 1881, S., 83. 1. 396 ; 13 juin 1881. S., 82. 1. 456, D., 82. J . 267; 10 avril 1883, S., 83,1. 248, D., 84. 5. 392 ; 7 déc. 1885, S., 88. 1. 252 ; 22déc. 1885, S., 86. 1. 196 ; 16 nov.1887. S., 90.1. 502, D., 89.1.276 ; 16 juill. 1888, S., 89. 1. 108 ; 9 déc. 1889, S., 90. 1. 414 ; 3 juill. 1889, S., 92. 1. 579 : 13 juin 1892. S., 93.1.196. Sic Leroux de Bretagne, n. 342 ; Laurent, n. 343 et 344.

(«) V. Gass., 12 déc. 1860, S., 61. 1. 955, D., 61. 1. 303; 19 mars 1884, S:, 86. 1.461. Lyon, 18 nov. 1870, S., 71. 2.270. Leroux de Bretagne, n. 283 H 284 ; Aubi-y et Rau, U, p, 376 ; Laurent, XXXIl, n. 276 et 277.

(') Cass., 4 juill. 1855, P , 56. 2. 61. - Leroux de Bretagne, n. 342.

(») Cass., 18 fév.lS^, D., 95. 1.168 ; 17 oet. 1899, D., 99. 1. 538.

0 Cass., 24 janv. 1876, S., 76. 1. 317 ; 9 mai 1881, S., 82. 1. 456, D., 86. 1. 256 : 25 juill. 1894. 1)., 95. 1. 167 ; 4 juill. 1895, S., 96. 1. 392.

(•) Cass., 21 janv. 1832, S., 82. 1. 376, I)., 82. 1. 196 ; 10 avril 1883, S., 83- I. 248, D., 84. 5. 392 ; 1" déc. 1885, S., 87, 1. 358 ; 9 janv. 1889, S., 89. 1. 118, D., 90. 1. 125 ; 17 janv. 1898, I)., 98.1.459; 19 déc. 1898, D., 1902. 1.95; 7 juin 1901, D., 1902. 1. 79 ; 28 avril 1902, D.,1903. 1.537. - Laurent, XXXll. u. 292. K) Caî's., 24 janv. 1888, S., 90. 1 452, l)., 88.1.246.

232 DE LA PRESCRIPTION

Une solution différente et, à notre a\'is, préférable paraît cependant avoir été admise par un arrêt, resté isolé, de la chambre civile de la Cour de cassation. Celle-ci a jugé qu'il lui appartient d'examiner si, des constatations des juges du fait, il résulte que la possession a été utile pour la prescrip- tion (*) ; il faut que les circonstances de la cause, constatées souverainement par le juge, donnent à la possession les caractères indiqués par la loi, et la détermination de Texis- tence de ces caractères dans chaque hypothèse est essentiel- lement une question de droit et ne peut rentrer, par suite, dans le pouvoir souverain des juges du fond.

11 n'y a là, en somme, que l'application de la règle géné- rale, souvent formulée par la Cour de cassation, et d'après laquelle, si les juges constatent les faits et les circonstances, laCour de cassation doit dire s'ils en ont tiré les conséquences juridiques qui en dérivent. Le résultat de cette solution, si elle venait un jour à triompher en jurisprudence, serait que les juges du fond devraient se prononcer expressément sur tous les caractères de la possession faisant l'objet du litige, le contrôle du la Cour de cassation ne pouvant autrement s'exercer.

Mais nous ajouterons que la jurisprudence de la cour de cassation est vite revenue à la solution admise en doctrine et qu'elle avait elle-même pendant longtemps suivie. Un arrêt récent de la chambre des requêtes a rejeté un pourvoi en disant simplement que « la cour d'appel a constaté en fait que les faits invoqués comme moyen de prescription ne présen- tent aucun caractère d'une véritable possession ('). » Un autre arrêt de la même chambre considère comme contenant une appréciation souveraine la décision des juges du fond d'après laquelle des faits hivoqués comme constituant une posses- sion n'étaient que des actes de tolérance (»).. La chambre civile a aussi décidé, postérieurement à la décision que nous

(') Cass., 18 mai 1892, S.. 92. 1. 357, D., 92. 1. 297. - Cpr. Cass., 7 nov. 1888. S., 90. 1. 461, D.,89. 1. 379 ; 7 avril 1894, D., 95. 1. 68. - V. aur«si la note dans S., 80. 2. 25, et la note dans D., 92. 1. 297. - Hnc, XIV, n. 348.

(«) Cass.. 20 fév. 1893, S., 96. 1. 70, D.. 93. 1. 404.

C) Cass., rej., 4 juil. 1895, S., 96. 1. 392. - V. encore Cass., 10 noV. 1896, D., 96. 1. 483 ; 26 juil. 1897, D., 97. 2. 616 ; 17 ocl. 1899, S. 1900. 1. 196.

DE LA POSSKSSION AU POIM DK VUK DE LA PRZSCRIPTIO.N 233

avons indiquée comme un changement apporté à sa juris- prudence, que les tribunaux apprécient souverainement si une possession a été précaire ou à titre de tolérance ; il n'en serait autrement que s'ils avaient dénaturé, sous couleur d'interprétation, le sens de certains actes sur lesquels leur décision serait basée (% La Cour de cassation n'exige même pas que les juges se réfèrent spécialement, pour en constater l'existence, à chacune des conditions exigées pour la pres- cription par l'article 2229 : il lui parait suffisant que les juges, après avoir exposé les faits de possession, ajoutent que le possesseur est fondé à invoquer la prescription (*) .

SECTION m

DE L'ÉTE>'DtE DE LA POSSESSIOiN ET DE LA PRESCRIPTION

298. La possession étant le fondement de la prescription acquisitive, il en résulte qu'elle lui sert de mesure; c'est la vieille règle : tantum prescriptum (/uantum possessum. Il est clair que je ne puis acquérir par la prescription que ce que j'ai possédé ; si, parmi les terres dépendant d'un domaine rural, il en est quelques-unes dont je n'ai pas pris possession dans les conditions légales, je ne les ai pas prescrites. Si les actes auxquels je me suis livré ne constituent que la jouissance d'un droit d'usage et de servitude, je ne puis prétendre avoir acquis la propriété ; a l'inverse j'ai pu acquérir la propriété, mais sans prescrire contre le maître dune servitude qui a continué à l'exercer pendant le cours de la possession qui m'a conduit à la prescription. Cette règle est traditionnelle : c'est une règle de bon sens et de raison. « Comme la prescription dépouille le propriétaire, «lisait Dunod, et qu'elle acquiert le bien d'autrui, elle doit t^tre resserrée dans de justes bornes, quelque favorable qu'elle soit d'ailleurs. C'est pourquoi l'on tient pour maxime «pi'elle ne s'étend qu'à ce qui a été précisément possédé. <^lle qui exige un titre n'acquiert que ce qui a été possédé

(') Cass., 25 juil. 1894, D., 95. 1. 167 ; 18 fév. 1835, D., 95. 1 168. n V, Gass., 20 avril 186S, S. 68. 1. 269 ; 24 janv. 1888, précilé; 7 juin 1901, î^., 1901. 1. 496.

234 DK LA PRESCRIPTION

relativement au titre, et à la jouissance de celui dont il vient, lorsq^u'on veut se servir de l'accession de son temps. Celle qui n'en exige point, telle qu'est la trentenaire, no donne que le droit qu'avait celui contre lequel on a pres- crit; si donc il n'avait que le domaine utile, elle n'en don- nerait point d'autre, et n'éteindrait pas les servitudes dont le fonds était chargé si celui à qui elles étaient dues en était demeuré en possession. » La règle Tantum prescriptunt quantum possessum avait, dans l'ancien droit, des applica- tions fréquentes en matière de droits seigneuriaux, de droits de justice, de dime, de péage, etc. Elle a aujourd'hui un empire plus restreint et oflfre moins de difficultés pratiques.

299. La possession peut avoir porté sur la partie souter- raine d'un fonds; elle peut, nous l'avons vu, porter sur des arbres pris isolément du sol dans lequel ils sont plantés ; des particuliers peuvent ainsi acquérir par prescription la propriété d'un souterrain sans avoir acquis celle du sol, ou la propriété des arbres indépendamment du terrain sur lequel ils sont placés (V. supra, n. 126).

En matière de servitudes, notre règle est strictement observée ; l'article 708 en fait une application à la prescrip- tion extinctive des servitudes; l'article 672, modifié par la loi du 20 août 1881, en tire cette conséquence que, si on peut par prescription acquérir le droit d'avoir sur son fonds des arbres à une distance moindre que la distance légale, le droit est restreint aux arbres qui existaient au moment il a été acquis. Si les arbres meurent ou s'ils sont coupés ou arrachés, le voisin ne peut les remplacer qu'en observant les distances légales.

300. L'application de la règle est parfois délicate. 11 a été jugé qu'une ville peut invoquer la prescription trentenaire pour conserver les ponts qu'elle a depuis trente ans sur un canal, mais qu'elle ne peut avoir le droit d'en établir d'au- tres (*). Cela parait certain. Mais, si j'ai acquis par prescrip- tion une prise d'eau ou une servitude d'aqueduc, m'est-il possible de changer l'usage de l'eau, ou suis-je astreint à ne

(') Cass., l (léc. 1888, D , 90. 1. 105, D.. 89. 1. 193.

DE LA POSSESSION AL* POLNT DE VUE DE LA PRESCRIPTION 233

l'employer jamais que de la même façon? Il y a une appré" fiation à faire, souvent difficile, du point de savoir si le changement qu'on veut faire subir à rexercice de la servi- tude en change le caractère, si bien que ce ne serait plus le droit acquis qu'on exercerait, ou tout au moins que ce ne serait plus le mode avec lequel la servitude a été acquise qui serait observé. Il a été jugé que celui qui a acquis par prescription un droit d'aqueduc sur le fonds voisin peut dis- poser de l'eau à son gré, et, après l'avoir employée trente ans à arroser sa propriété, l'employer à mouvoir une usine (*). Mais il a été, à un point de vue inverse, décidé que celui qui a ac(piis par prescription une prise d'eau pour senir au roulement d'un moulin à tan ne peut l'employer à un moulin à huile faisant concurrence à celui du proprié- taire du fonds servant (*).

30i. Il faut combiner d'ailleurs notre principe avec cette aatfe règle d'après laquelle la prescription du principal fait acquérir l'accessoire qui en est une conséquence nécessaire H inséparable. C'est en se plaçant à ce point de vue qu'en matière de servitudes on juge depuis longtemps que l'acqui- sition par prescription d'une vue entraîne le droit d'empê- cher le voisin de construire devant la vue acquise. Mais le droit accessoire qu'on dit avoir acquis doit être inséparable «lu droit principal ; en acquérant par prescription le droit de faire égouter mon toit sur le fonds du voisin, je n'ai pas acquis pour cela le droit de passer sur ce fonds pour les réparations qui peuvent être nécessaires (^). De même la pos- session d'une carrière de marbre par un propriétaire dans les limites de son héritage ne lui fait pas acquérir par pres- cription la propriété d'un banc de marbre qui s'étend sous k sol d'un propriétaire voisin (*). La possession d'un terrain

(')Cass.. 6 mars 1849, S., 49. 1. 499, D , 49. 1. 75.

(*) Cass., 15 janv. 1834, S., 34. 1. 491.

(') Bordeaux, 20 déc. 1836, S., 38. 2. 132, D , 38. 2. 69. - Leroux de Brçla- J,TJe, n. 332.

(*) Cass,, 22 fév. 1875, S., 75. 1. 149, avec les conclusions de M. l'avocat î.'énértl Babinet. Nîmes. 11 mars 1874, S., 74. 2. 172. V. encore, sur U principe, Ga«s., 13 nov. 1891, D., 92. 1. 83.

236 DE LA PRESCRIPTION

ne pourrait faire acquérir par prescription la propriété d'alluvions qui se sont formées depuis la prescription et qui se distinguent visiblement de la terre à laquelle elLes ont accru (% « La prescription même du principal^ disait Dunod, n'emporte celle de Taccessoire que quand ils sont insépara- bles^ que Taccessoire est d'une conséquence nécessaire au principal et qu*il ait été uni dans le commencement de la prescription ('). »

CHAPITRE X

DE LA PRÉCARITÉ

302. Les articles 2236 à 2241, qui s'occupent spécialement des possesseurs précaires, sont groupés, dans le titre de la prescription, sous le chapitre III, « Des causes qui empêchent la prescription ».

La rubrique de ce chapitre annonce plus qu'il ne contient. D'abord U est étranger aux causes qui empêchent la pres- cription libératoire ; comme le chapitre précédent, il n'a trait, sauf l'article 2241, qu'à la prescription acquisitive. Ensuite il ne s'occupe pas de toutes les causes qui empê- chent la prescription acquisitive, mais seulement de l'une d'elles, la précarité. Notre chapitre se trouve ainsi n'être qu'un développement de la dernière condition exigée par l'article 2229 pour que la possession puisse conduire à la prescription : qu'elle soit à titre de propriétaire. L'absence de cette condition constitue, nous le savons, la précarité. (V. supra, n. 264 s.)

Nous avons à voir ici, plus en détail, quels sont les pos- sesseurs précaires et quelles sont les conséquences de la précarité.

§ I. De ceux qui sont possesseurs précaires.

303. Nous avons donné une idée générale des personnes qui possèdent à titre précaire. Il est nécessaire de préciser

(*) V. Laurent, XXXU, n. 347. («) Dunod, p. 24.

DE LA PBÉCARITÉ 237

davantage. L'article 2236, § 2, dit à cet égard : « Ainsi le fer- mier, le dépositaire, Tusu fruitier, et tons autres qui détiemient précairement la chose du propriétaire ne peuvent la près-- frire. » Il faut compléter la liste des détenteurs précaires. Doivent être encore considérés comme tels tous gérants d'af- faires, mandataires, administrateurs : le mari administrateur des biens de sa femme (*), le tuteur administrateur des biens du mineur, le créancier gagiste ou antichrésiste, l'envoyé en possession provisoire des biens d'un absent, le séquestre judiciaire ou conventionnel, le preneur à bail emphytéo- tique, le capitaine de navire (art. 430 C. com.), etc., d'une façon générale tous ceux qui reconnaissent le droit d'autrui, qui détiennent en vertu d'un titre ou d'une qualité qui les oblige à restituer, ne leur attribue pas la propriété, et expli- que au contraire qu'ils possèdent pour autrui (*).

304 L'usufruitier est un possesseur à titre précaire, en €e sens que son titre même implique la reconnaissance des droits du nu-propriétaire. Mais il ne l'est pas quant au droit d'usufruit lui-même, car ce droit il l'exerce et, par suite, le possède à titre de maître, animo domini. C'est ce que dit la loi romaine : Fnndum fructuarius possidet alii, non sibi ; jus utendi sibi (*) .

Ce que nous venons de dire de l'usufruitier est vrai éga- lement de l'usager, de l'habituaire, et aussi de Temphytéote, si l'on admet qu'il a un droit réel (% ce qui a été établi définitivement par la loi récente du 25 juin 1902.

('; Cass., 23 mai 1838, S., 38. 1. 406. Aubiy et Haii, éd., II, p. 125, 5 180 ; Leroux de Bretagne, n. 383 et 384 ; Laurent, XXXH, n. 304 ; Guil- loiiard, n. 468. V. cep. Troplong, n. 483 et s.

(*) V. (iass., 27 mars 1812, S. chr., D. Rép,, Prescr,, n. 408; 26 juin 1822, S. chr. ; 23 mai 1838, S., 38. l. 406, D., 38. 1. 260; 2 juin 1858, D., 58. 1. 237. -Metz, 14 déc. 1858, S , 59. 2. 492. Aubry et Rau, 5" éd.. H, p. 124 et 125, .5 180. Il a été jugé que celui qui, après avoir été condamné au possessoire, a continué deposnéder, n'a qu'une possession précaire. Cass., 12 juin 1807. Celte <s)iution nous parait bien certainement inexacte. Sur le cas du grevé de subs- Utulion, V. infra, n. 408 s.

(») V. (jass., 14 déc. 1840, S., 41. 1. 237. Bélime, 1, n. 302 ; Demolombe, i'tnf.. Il, n. 337.

(•) Cass., 26 juin 1822 ; 14 nov. 1871, S., 71. 1. 217, D., 71. 1. 345. SU-. Bélime, n. 305 et 307 ; Garsonnel, 1, p. 560 et 564, § 132. V. encore sur l'usager, infra, n. 322 s., 355 s.

238 DK LA PRESCRIPTION

304 bis. Le créancier gagiste et antichrésisto, au contraire, d'après certains auteurs, n'a, à au'cun point de vue, dans notre droit français, la possession de la chose affectée à la sûreté de sa créance : son droit de rétention, bien qu'oppo- sable aux tiers, ne constitue pas une possession dans le sens juridique du mot; il n'a pas Yanimus domini^ ni pour la propriété, ni pour un démembrement de la propriété ; il n'est qu'un détenteur précaire (*). Cette opinion n'a pas triomphé et on admet généralement cjue le gagiste a la |>os- session du gage qui lui a été livré. V. infm, n. 868 s.

305. La jurisprudence a eu à faire des applications de ces règles aux communes usagères. D'après la loi du 10 juin \19\\ dont nous avons déjà parlé (n. 186), « tous les biens com- munaux, en général, connus, dans toute la République, sous les divers noms de terres vaines et vagues, landes, pacages, pàtis, bruyères, bois communs, vacants, marais, marécages, montagnes, et sous toute autre dénomination quelconque, sont et appartiennent, de leur nature, à la généralité des habitants ou des membres des communes ou sections de communes dans le territoire desquelles les communaux sont situés. » Mais cette loi n'a pu être invoquée comme titre de propriété par les conmiunes qui n'avaient autrefois que des droits d'usage : elle édictait une présomption de propriété qui ne pouvait subsister devant la preuve d'une détention précaire. La (]our de cassation Ta ainsi décidé à plusieurs reprises ('). La loi de 1793 n'a pas d'ailleurs amené d'inter- version dans le titre de la possession des communes et ne leur a pas permis de prescrire ; nous reviendrons plus loin sur ce point.

306. Le vendeur qui ne livre pas la chose à l'acquéreur, doit-il être considéré, quant à cette chose, comme détenteur il titre précaire, ce c[ui aurait pour résultat de le mettre

(') Aiibr\' el Haii, loc, cil, ; Wodun, Possession, n. 635 s. V. cep. Hélime, n. 312 ; D. Rép,, Acl. poss., n. 540.

(») Sic Laurent, XXXll, n. 3()7, 320. 330. V. sur les communes usagères, Oass., 18 juin 1851, S,, 51. 1. 731 ;3 janv. 1872, S., 72. i. 245, D., 72. 1: 93; 26 avril 1876, S., 76. 1. 472, I)., 76. 1. 379. -Pau, 9 mars 1892, I).,93 2.255. V. sur le cas des habitants ont exercé une possession différente de celle de la commune, supra, n. 291, el infwa, n. 322, el la noie.

DE LA PRÉCARITK 239

Jans rimpossibilité d'en prescrire la propriété ? Ainsi je vous vends un immeuble; vous mourez avant que je ne vous .lie fait la tradition ; votre héritier, qui ignore la vente, reste pendant trente ans sans réclamer, puis il découvre Texis- tence de la vente et il intente contre moi l'action en reven- dication. Puis-je lui opposer la prescription? C'est demander, conune nous venons de le dire, si ma possession est à titre précaire. Dans le cas de l'affirmative, le revendiquant doit obtenir gain de cause; il doit succomber dans le cas con- iiaire.

La question est controversée. Suivant les uns, le vendeur <[ui garde la chose n'est pas un détenteur précaire ; il ne détient pas en vertu d'un titre qui l'oblige à restituer; il n'y a pas de plein droit constitut possessoire (*). Suivant d'au- tres, le vendeur qui doit délivrer la chose et qui continue à la détenir la détient précairement; sa situation juridique implique obligation de délivrer et par conséquent détention précaire (*).

On peut résoudre la difficulté à l'aide d'une distinction. Si le contrat n'accorde, expressément ou tacitement, aucun terme au vendeur pour la délivrance, et si d'ailleurs le ven- ileur ne retient pas la chose en vertu du droit que lui confère l'article 1612 du code civil, on ne peut pas dire qu'il détienne la chose en vertu de son titre et pour le compte de l'ache- teur, donc précairement. 11 la possède contrairement à son titre et, par conséquent, sans titre, puisque son titre Tobli- .ïreait à une livraison immédiate ; par suite il possède animo flomini et, au bout de trente ans, la prescription se sera accomplie à son profit.

Si, au contraire, le contrat accorde, expressément ou taci- tement, un terme au vendeur pour la délivrance, ou si le vendeur garde la chose en vertu de son droit de rétention, alors il semble bien que le vendeur détienne la chose pré- Mirement ; car il la possède en vertu de son titre et bien

V) Sic Leroux de Brelagne, n. 394 ; Laurent, XXXII, n. 314 ; Hue, XIV. n. 373,

(•) Dumnlon, XXI, n. 243 ; Colmet de Sanlerre, VIII, n, 343 />«, II; (Jûil- louard, I, n. 470.

240 DK L\ PRi:SCRIPTIOX

évidemment pour le compte de Tacheteur dont il reconnaît le droit de propriété puisqu'il Ta rendu propriétaire par le contrat. Cette solution est incontestable pour le cas il est dit, dans Tacte, que le vendeur conservera la chose jusqu'à la livraison en qualité de locataire, fermier, dépositaire... (arjc. art. 2236), ou lorsque, le prix devant être payé comp- tant, le vendeyr conserve la chose jusqu'au paiement en vertu de son droit de rétention. Mais elle nous paraîtrait devoir être appliquée même lorsque le contrat n'indique pas le titre auquel le vendeur est autorisé à conserver la chose : il a nécessairement été sous-entendu qu'il détiendrait pré- cairement, puisque, par le titre môme qui l'autorise à déte- nir, le vendeur reconnaît le droit de propriété de Tache- teur (').

Si l'on objecte (ju'il est singulier que le vendeur, qui pos- sède la chose contrairement à son titre et par conséquent, sans droit, soit traité plus favorablement que celui qui a commencé par posséder en vertu de son titre et qui con- tinue à posséder après l'époque il aurait dft livrer la chose, nous répondrons qu'il est tout aussi singulier que la loi autorise le voleur ;i prescrire, et qu'elle n'accorde pas le même bénéfice à l'usager qui, dépassant la mesure de son droit, jouit à titre de propriétaire. La vérité est fjue le ven- deur, dans notre hypothèse, ne détient pas en vertu d'un titre l'obligeant à restituer ; il est sans titre; le détenteur précaire, au contraire, a un titre qui l'oblige à restituer; il est rationnel que le premier puisse prescrire et que le second ne le puisse pas.

307. Il n'est pas douteux que ceux (jui sont chargés d'ad- ministrer les biens d'une personne morale en sont détenteurs précaires et ne peuvent les acquérir par prescription. La Cour de cassation a décidé que cette règle devait s'appliquer même à ceux qui étaient déjà détenteurs avant leur entrée en fonctions ; leur possession est devenue précaire, tout au moins équivoque, à partir de cette époque. V. supra, n. 289 (*).

<^) V. Bufnoir, p. 213.

(») Gass., 3 aoiM 1857, S., 59. 1.319, D., 59. 1. 211.- Lamvnl, XXXU, n. 305.

DE LA PRÉCARITÉ 241

308. Nous avons vu plus haut que les concessions faites sur le domaine public étaient des concesssions précaires, dans le sens que le droit romain attachait à cette expression, yuant aux concessions faites sur le domaine privé de l'État, des communes ou autres personnes morales, il faut voir si elles constituent une aliénation de propriété ou si elles con- fèrent une simple jouissance; dans ce dernier cas seulement, les concessionnaires sont des détenteurs précaires, dans le sens attaché à ces mots dans notre droit. Il a été jugé qu'une concession de prise d'eau consentie par une ville sur un canal dépendant de son domaine privé, moyennant une rente annuelle, sans limitation de temps, n'a pas le caractère de précarité, alors même que le concessionnaire aurait à l'avance renoncé à toute indemnité d raison des dispositions que l'au- lorité pourrait prendre dans l'intérêt du commercé et de ViDdustrie (*).I1 a été jugé aussi qu'au cas de concession sur une fontaine avec clause de révocabilité pour le cas les eaux seraient nécessaires aux habitants, la possession des concessionnaires n'est ni précaire ni équivoque ; d'une façon générale, une possession n'est pas précaire par cela seul que le droit qu'on a acquis est subordonné à une condition réso- lutoire (*).

309. Le possesseur qui, ayant possédé pour lui, fait ensuite une reconnaissance du droit d'une autre personne, est-il un détenteur précaire ? Il semble bien qu'on doive le décider ; il n'a plus Yanimns domini, puisqu'il a reconnu qu'un autre est propriétaire; il n'est plus possesseur; comme le dit très bien M. Colmet de Santerre, « il arrive alors, en sens inverse, ce que l'article 2238 appelle l'interversion de titre ; de même qu'en opposant une contradiction au droit du propriétaire, le détenteur précaire devient possesseur propre- ment dit, de même, en reconnaissant le droit du proprié- taire, le possesseur manifeste un changement dans son ani- mm, il intervertit son titre et sa qualité ; de possesseur il

(») Cass., 2i fév. 1S74, S , 75. 1. 165, D., 74. 1. 468. n Cass., 15 mars 1881, S., 81. 1. 213, D., 81. 1. 355.

pREScn. 16

242 DE LA PRESCRIPTION

devient détenteur précaire (*). » Vainement on objectera que Tarticle 2248 considère la reconnaissance comme un acte simplement interruptif de la prescription, et qui n'ap- porte pas un obstacle absolu et définitif à ce que la pres- cription recommence à courir; on peut répondre que cet article vise à la fois la prescription acquisitive et la pres- cription extinctive, mais qu'en réalité il ne s'applique guère qu'à la prescription extinctive. Il peut facilement s'appli- quer au cas d'extinction des obligations ou de droits réels susceptibles de s'éteindre par le non usage, comme l'usufruit et la servitude ; il peut s'appliquer aussi au cas de la pres- cription de riiypothèque. Mais il ne s'applique que rarement à la prescription acquisitive ; il faut supposer pour cela qu'il y ait reconnaissance du droit du propriétaire sans que cette reconnaissance implique que le détenteur abdique pour l'avenir Vanimus domini; l'hypothèse est à peu près pure- ment théorique. Cela suffit pour écarter l'objection tirée du texte de l'article 2248. 11 reste exact de dire que la recon- naissance par le possesseur du droit du propriétaire sup- pose en général qu'il ne continue à posséder que pour ce propriétaire, et par suite qu'il est un détenteur précaire (V. infra, n. 527 s.).

310. La caisse des dépôts et consignations, étant un dépo- sitaire, un séquestre, est-elle un détenteur précaire quant aux sommes qui lui ont été déposées ? On doit s'étonner que cette question ait pu môme être posée. La caisse des dépôts et consignations emploie les sommes qui lui sont versées ; elle est obligée de rendre des sommes équivalentes. Son obligation est purement personnelle ; elle est tenue d'une action en paiement, non d'une action en revendication ; l'article 2236, qui vise la prescription acquisitive, ne la concerne pas. Comment dès lors a-t-on pu juger que la caisse des dépôts avait une détention précaire, qu'elle n'était pas une simple débitrice, qu'elle ne pouvait prescrire coa-

(') Colmel (le Sanlerre, VIII, n. 343 bis, III. - V. cep. Hue, XIV, n. 374 Y. aussi Guillouard, n. 473,

DE LA PRÉCARITÉ 243

tre son titre et changer le caractère de sa possession' (*} ? Comment un jurisconsulte tel que Laurent a-t-il pu appirou- ver une pareille doctrine ? Il est évident pour nous que larticle 2236 n'a rien à faire ici. Il ne s'agit pas de posses- sion. Il y a un dépôt irrégulier ; la caisse des consignuitions est propriétaire des fonds qu'elle touche, elle en dispoc»e ; elle doit rendre, non les mêmes espèces, mais une valeur pareille ; elle ne détient donc pas la chose du propriétaire ; elle détient sa propre chose; il ne s'agit pas de prescrip- tion acquisitive (*). Sans .doute, dans notre ancien droit, redit de février 1679, article 36, portait que m les derniers consignés peuvent être perpétuellement réclamés sans qu'en aucun cas les receveurs puissent alléguer prescrip- tion » ; et Pothier disait à cet égard : « la raison est que la qualité de receveur des consignations réclame perpétuelle- ment contre ces receveurs pour la restitution des deniers consignés à ceux pour et au nom desquels ils les ont reçus^ et envers lesquels ils sont rendus dépositaires. » Mais il faut se rappeler « qu'à cette époque le^ fonctions de rece- veurs se résumaient dans la garde fidèle des dépôts consi- gnés; on leur remettait scellés et cachetés les deniers des consignations et ils les rendaient dans leur identité. L'argent compté était l'argent rendu. Les ayants droit res- taient donc réellement propriétaires des deniers qui leur étaient destinés ('). » Aujourd'hui il en est tout autrement ; la caisse des consignations est débitrice, et doit être traitée comme tout débiteur (^) ; les déposants sont créanciers et non propriétaires. La cour de Rouen a affirmé le contraire ; elle a parlé de contrat innommé pour expliquer que la caisse ne de\'ient pas propriétaire des sommes déposées ; elle a

(') Rouen, 10 août 1872, S., 72. 2. 73, et la noie de Labbé, I)., 72. 5. 49. - Trib. du Havre, 27 janv. 1870, si, 70. 2. 56, D., 70. 3. 61. - .Sic Duménil, Caiwe des consignalions, § 493 ; Laurent, XXXII, n. 300.

n V. en ce sens Guillemet, Traité des consignations, n, 200 s.

(») GuiUeinel, n. 203.

(*) Sic sur le principe, Paris, 20 mars 1830, 7 janv. 1831, 30 déc. 1846, cités par Guillemet, n. 212, et par Labbé, loc. cit, Cpr. sur le principe, Cass., 22févr. 1893, D., 94. 1. 235.

244 DE LA PRESCRIPTION

commis, selon nous, une erreur certaine ; il ne peut s'agir ici que de prescription d'une action personnelle (*).

311. Cette prescription extinctive est-elle, dans notre légis- lation actuelle, soumise à des règles particulières ? La néga- tive est encore certaine : « Aucune loi spéciale ne prononce des déchéances contre les créanciers de la nouvelle caisse des consignations établie par la loi du 28 avril 1816 (*). » C'est le droit commun qu'il convient d'appliquer. La caisse peut invoquer la prescription de trente ans de l'article 2262 contre l'action personnelle en restitution qui lui est intentée. La loi de finances du 16 avril 1895 a fait l'application de cette solution incontestablement exacte. Avant cette loi, la question délicate était seulement de savoir quel était le point de départ de la prescription. M. Labbé avait proposé de dire qu'en cas de dépôt volontaire, la prescription ne courait que du terme fixé pour la restitution, ou du jour la restitution était demandée, s'il n'y avait pas eu de terme fixé ; au cas lie consignation judiciaire, de dépôt litigieux, la prescription ne devait, d'après lui, courir qu'à partir de l'exigibilité du dépôt, de la délivrance des titres nécessaires pour la resti- tution. Cette théorie, séduisante et équitable, nous paraissait difficile à admettre en l'absence d'un texte. A défaut de terme fixé, il nous semble que le dépositaire à qui on peut réclamer sans délai la restitution du dépôt peut se prévaloir de la prescription de trente ans à partir du jour du dépôt. L'article 2257 ne recule le point de départ de la prescription que pour les créances à terme ou sous condition. On ne peut dire que la prescription extinctive ne court pour le déposi- taire qu'après la demande de restitution du déposant ; ce n'est pas un terme ni une condition ; il dépendrait du créancier de rendre la prescription à jamais impossible et l'action personnelle contre le dépositaire pourrait être inten- j tée- après des siècles. La loi du 16 avril 1895 a, d'ailleurs, écarté cette opinion et fixé le point de départ de la pres-

(*) (jruillemel, loc» cil. ; Labbé, noie dans Siiey, S. 72. 2. 73. ('} Guilleinel, n. 204. Sur les déchéances quant aux dépuis anléiieui's, V. Guillemet, n. 201 s.

DE LA PRÉCARITÉ 245

cription au jour a eu lieu, soit la dernière opération de versement ou de remboursement, soit la signification à la (^sse des consignations de la réquisition de paiement prévue par l'ordonnance du 3 juillet 1816, soit Tun des actes prévus par l'article 2244 du Code civil (V. sur cette loi, infra les n. 603 s.).

312. Ce qu'on peut dire seulement, c'est que, en bonne législation^ si la prescription doit être possible, elle doit être plus longue que celle de l'article 2262. Étant donné la régu- larité des opérations et des écritures de cette administration, il n'y aurait rien d'injuste à étaljlir une prescription de cinquante ans ou peut-être même de cent ans seulement. Mais il est essentiel qu'il y ait une prescription afin de ne pas laisser perpétuellement la caisse chargée et encombrée de pièces et de dossiers, et afin de ne pas laisser indéfini- ment incertains les droits de l'État sur des sommes qui Jeviennent à la longue très importantes.

313. Ce n'est guère que relativement aux intérêts dus par la caisse que la question de prescription s'est posée devanjt les tribunaux avant la loi de 1835. Ici encore la caisse est souiiiise au droit commun. Les intérêts payables chaque année se prescrivent par cinq ans ; ceux qui ne sont exigibles qu'avec le capital se prescrivent par trente ans comme le capital lui-même. C'est une distinction générale que nous aurons à faire en étudiant l'article 2277. Elle s'applique aux intérMs servis par la caisse des consignations (*).

§11. Des effets de la précarité.

314. « Ceiiœqui possèdent pour autrui, ne prescrivent jamais, par quelque laps de temps que ce soit » (art. 2236) (*). C'est la reproduction, sous une autre forme, de l'article 2231, d'après lequel, quand on a commencé à posséder pour autrui,

(') GuiUemel, n. 209 s. ; Labbé, loc. cil. V. en ce sens un avis du conseil d'État du 24 mars 1809, rapporté par Guillemet, n. 213. et les arreU du conseil d'État des 23 mai 1838, S., 39. 2. 125, et 5 février 18il, S., 41. 2. 248. V. w/ra, n. 6)î et s , 783 et s.

(*) Gpr. C. civ. ital., art. 2115 ; G. civ. hoU. art. 1996.

246 DE LA PRESCRIPTION

on est toujours présumé possesseur au même titre. Dumou-, lin a pu dire que le possesseur à titre précaire ne prescrit pas etiam per tnille annos, et la jurisprudence nous offre des décisions qui ont déclaré inutiles pour la prescription des possessions dont la durée ne s'éloignait pas beaucoup de cette limite. Ainsi une commune, qui avait une possession de plus de sept siècles, n'a pu triompher contre le proprié- taire, auquel elle opposait la prescription, parce que celui-ci produisait un titre duquel il résultait qu'au début de sa pos- session la commune était usagère, donc possesseur à titre pr.écaire (*). Tous les commentateurs rappellent aussi l'arrêt du Parlement de Paris du 21 août 1551 ordonnant la resti- tution, par Tévêque de Clermont, de la seigneurie de Cler- mont, qui lui avait été donnée en garde à titre de séquestre trois siècles auparavant (^).

315. 11 faut d'ailleurs bien distinguer, quand il s'agit de détenteurs précaires, l'action personnelle en restitution de la chose qui peut être dirigée contre eux, et l'action en revendi- cation; la première se prescrit à partir du jour elle peut être exercée, sauf les cas légaux de suspension; la seconde ne peut être arrêtée par la prescription, puisque les détenteurs précaires ne peuvent jamais prescrire.

Cependant, il règne sur ce point parmi les auteurs une grande confusion. On soutient que les administrateurs, man- dataires, etc., qui, ayant cessé leurs fonctions, restent en pos- session de la chose, peuvent la prescrire ; ils ne sont plus dé- tenteurs pour autrui, dit-on, une fois leur qualité disparue ; le mari pourrait donc prescrire les biens de sa femme après la dissolution du mariage ('),le tuteur ceux de son pupille après la fin de la tutelle (^) ou tout au moins après la décharge du compte de tutelle (^), le créancier gagiste après le rembourse-

(') Nancy, 31 mai 1833, D. 7?ep., Prescr., n. 452.

(*) Gpr. Troplong, n. 523.

{?) Vazeille, n. 142. ~ Gpr. Troplong, n. 483 et s.

(♦) Vazeille, n. 143.

(*)Troplong, n. 487 et 490. « Gpr. Demolombe, VIII, n. 131. V. aussi l'art. 111 (liv. 2, lit. 3) du premier projet de Gode civil de la Gonvention : t I>ès que le tuteur commence à prescrire contre l'action en reddition de compte, il

DE LA PRÉCARITÉ 247

ment de ce qui lui est (*). Il y a une doctrine inexacte et qui ne distingue pas d'une façon suffisamment complète Fac- tion personnelle à laquelle sont soumis les détenteurs précaires et Faction en revendication ; la prescription acquisiti ve ne peut courir après la cessation du mandat en vertu duquel la chose était détenue, ni même après la prescription de Faction per- sonnelle en reddition de compte (*). Tous les détenteurs pré- caires, mari, tuteur, fermier, etc., sans distinction, ne peuvent commencer à prescrire qu'après la réalisation de Fune des causes d'interversion prévues par Farticle 2238 et que nous allons étudier plus loin. Les autres événements auxquels cer- tains auteurs veulent s'attacher n'apportent en réalité aucun changement dans le titre en vertu duquel se continue la détention de la chose. Sans doute si la chose avait été alié- née par le détenteur précaire, ou si elle avait péri, le déten- teur ne pourrait plus être tenu que d'une action personnelle, laquelle est susceptible de s'éteindre par prescription ; mais tant que la chose reste aux mains de celui qui Fa reçue à titre précaire, elle peut être revendiquée après un laps de temps quelconque, lors même que les circonstances qui ont occasionné la détention précaire ont depuis longtemps dis- paru. Cette solution peut être considérée comme étant géné- ralement admise en doctrine. Elle s'applique en matière mobilière comme en matière immobilière ; la prescription acquisitive ne peut être invoquée par le détenteur précaire, même après que la prescription a éteint Faction en restitu- tion ; Faction en revendication est toujours possible. Il en est ainsi notamment au cas du créancier gagiste ; le paie- ment de sa créance ne supprime pas le vice de précarité de sa possession. Et si le gage a été constitué par un tiers qui n'était pas propriétaire de la chose donnée en gage, la revendication sera toujours ouverte sans que le créancier

commence à prescrire aussi la propriété des choses commises k son administra- tion. »

(') TroploDK, 480. V. aussi Dunod, p. 92.

(») Orléans, 31 déc. 1852, S., 53. 2.712. ~ Pau, 9 fév. 1857, S., 59. 2. 372. - Cacn, 31 juill. 1858, S., 59. 2. 97. ~ Sic Aubry et llau,5* éd., II, p. 126,55180; Marcadé, sur Tart. 2236, n. 2 ; Leroux de Bretagne, n. 386 ; Laurent, XXXII, n.303 ; Bufnoir, p. 221; Hue, XIV, n. 371; Guillouard, n.470, V.

248 DE L.i PRESCRIPTION

gagiste puisse 'opposer la prescription. La jurisprudence Tadinet à invoquer l'article 2279 pour protéger son droit de gage ; mais après le remboursement de sa créance, il ne peut rien opposer à l'action en revendication (*).

316. La précarité constitue un vice al>solu, perpétuel et indélébile.

C'est d'abord un vice r7/>.so/?/,encesens que celui qui détient à titre précaire ne peut prescrire à l'égard de qui que ce soit. Ainsi j'ai pris un bien à ferme de quelqu'un qui n'en est pas propriétaire ; je le détiens en cette qualité pendant trente ans ; puis le véritable propriétaire exerce contre moi l'action en revendication. Je ne pourrai pas lui opposer la prescrip- tion, parce que mon titre implique l'absence de Vanimu^ domini.

317. En outre, le vice résultant de la précarité est perpé- tuel (2) : il subsiste, nous l'avons vu, même après l'arrivée de r époque fixée pour la restitution de la chose. Ainsi il sur- vit pour le fermier à la fin du bail, pour le mari à la disso- lution du mariage, pour le tuteur à la fin de la tutelle, etc. (v. supra, 11. 315). Il n'est pas purgé non plus par la mort du possesseur : « Les héritiers de ceux qui tenaient la choae « à quelqu\(n des titres désignés par Varticle précédent^ ne peuvent non plus prescrire », dit l'article 2237. Le vice de la précarité pourra donc être opposé au possesseur après plusieurs générations. Peu importe d'ailleurs que les héri- tiers connaissent ou non le vice de la possession de leur auteur ; peu importe aussi qu'ils aient personnellement Vanimus domini; peu importe, enfin qu'ils succèdent ou non à la qualité juridique en vertu de laquelle leur auteur avait la chose entre les mains; car la loi ne distingue pas (^). On peut d'ailleurs soutenir en législation qu'il y a une règle excessive et qui va à l'encontre du but de la prescription (v. n. 324).

(M V. Baulliy-Lacanlinerîc et de Loynes, Prh\ et hypoth,, I. n. 93.

(*) V. Cass., 19 févr. 1873, S., 73/l. 305, D., 73. 1. 200; 19 fév. 1889, S., 89. 1. 208, D., 89, 1. 347.

(») V. Gass., 19 févr. 1873, et 19 fév. 1889, précités. - Cpr. G. civ. ital., art. 2115; G. civ. esp., art. 15i0; G. civ. port., art. 510; G. civ. iioll., art. 1996.

DE LA PRÉCARITÉ 24$)

Il en est donc ainsi même des héritiers d'un usufruitier, bien que lusufruit ait pris fin et que les héritiers ne pos- sèdent évidemment pas à ce titre. Notre ancienne jurispru- dence était en ce sens. On a fait remarquer, il est vrai, que le texte primitif de Tarticle 2237 disait d abord « même les héritiers de l'usufruitier » et que ces expressions n'ont pas été maintenues. Mais le texte général, tel qu'il a été conservé, suffit bien ; il est opposable aux héritiers de l'usufruitier comme à ceux des autres détenteurs précaires (*).

318. Mais si le vice de la précarité se communique aux héritiers, ajoutons ou autres ayants cause universels du pos- sesseur, il ne se communique pas à ses successeurs à titre particulier. La raison en est que le successeur à titre parti- culier commence une possession nouvelle qui n'est point entachée de précarité, tandis que le successeur à titre uni- versel continue la possession de son auteur qui la lui a trans- mise avec le vice dont elle était atteinte. On lit à ce sujet, flans l'article 2239 : « Ceux à qui les fermiers^ dépositaires « et autres détpnteurs précaires ont transmis la chose par un « titre translatif de propriété, peuvent la prescrire. » Bigot- Préameneu a ainsi expliqué cette règle dans l'exposé des motifs : « Le successeur à titre universel et le successeur à titre singulier diffèrent en ce que celui-ci ne tient point son droit du titre primitif de son prédécesseur, mais du titre qui lui a été personnellement consenti. Ce dernier titre peut donc établir un genre de possession que la personne qui l'a trans- mise n'avait pas. Cette règle n'a rien de contraire à celle suivant laquelle nul ne peut transmettre plus de droits qu'il n'en a. Le titre translatif donné par celui qui n'est pas pro- priétaire ne transmet pas le droit de propriétaire, mais la possession prise en conséquence de ce titre est un fait abso- lument diflérent de la détention au nom d'autrui (^). » Ainsi celui qui achète un immeuble d'un fermier peut prescrire ; il pourra même prescrire par dix à vingt ans, s'il est de

{') Troplon,?, n. 499; Bufnoir, p. 217. Cpr. d'Argentré, Coût, de Brel., art. 265. ch. 4, n. 26; Dnnod, p. 46.

O Locré, XVI, p, 565. Cpr. dans le môme sens, C. civ. ital., art. 2117; C. civ. esp., art. 1950 et 1951 ; C. civ. holl , art. 1998.

ilS50 DE LA PRESCRIPTION

bonne foi ; car la vente qui lui a été consentie constitue un juste titre, et les deux conditions prescrites par l'article 2265 se trouvent ainsi réunies.

319. Cette règle, qu'on a critiquée comme très dange- reuse ('), n'est donc en somme que l'application pure et sim- ple des principes sur la prescription. Il n'y a pf\s, par suite, à rechercher si le propriétaire a eu ou non connaissance de la vente consentie par son fermier, si celui-ci a cherché à l'induire en erreur et à tromper sa confiance en continuant à payer les fermages ; dans tous les cas le détenteur a vendu la chose en s'en présentant comme maître, la prescription peut s'accomplir au profit de l'acquéreur (*). Peu importe que l'acquéreur ait connu le caractère précaire de la posses- sion de son auteur, du moment que son titre est translatif. 11 suffit, en d'autres termes, pour l'application de l'arti- cle 2239, que le possesseur précaire se soit présenté conune propriétaire de la chose {^). Ajoutons que dans le cas le détenteur précaire, après aliénation de la chose, s'en serait fait consentir un bail par Tacquéreur et aurait continué à payer les fermages au propriétaire, les juges pourraient déclarer la possession de l'acquéreur équivoque et refuser d'admettre la prescription (*). (V. supra, n. 289 et infra, n. 328).

320. Si le détenteur précaire a aliéné la chose sous une condition résolutoire et si cette condition se réalise, il n'est pas douteux que sa possession nouvelle est aussi précaire

(') Vazeille, n. 160 s.

(=») Troplong, n. 519 et 520 ; Marcadé, sur l'art. 2236, n. 3 ; Leroux de BreU- ^ne, n. 398 s. V. aussi le rapport du conseiller de Broé sous Gass., 12 janvier 1832, S. 32. 1. 81, D., 32. 1. 83.

(') V. cep Gass., 8 nov. 1880, S., 81. 1. 53, D., 81. 1. 28. Gel anêt nous parait mal motivé. l\ dit que « le vice de la précarité n'aurait pu ôlre transmis aux successeurs à litre singulier qu'autant qu'ils en auraient eu connaissance au moment de leur acquisition. » Mais le vice de précarité peut jamais Mre transmis à un successeur particulier qui commence une possession nouvelle et distincte ; la connaissance du défaut de propriété de son auteur constitue seule- ment la mauvaise foi qui empêche la prescription de dix à vingt ans. V. aussi la crilique de M. Guillouard, n 472.

(*) Pau, 14 nov. 1830, S., chr., D. Rép,, Prescr., n. 250. Béllme, n 132; Leroux de Bretagne, n. 400 ; Aubry et Uau, éd„ H, p. 139, notes 15 et 16.

DE LA PRÉCARITÉ 251

que rancienne ; il n'y a pas eu interversion dans son titre.

321. Mais si Tacquéreur décède laissant pour héritier le possesseur précaire qui lui a aliéné la chose ou, inversementi si celui-ci décède laissant pour lui succéder l'acquéreur, la prescription est possible ; au premier cas, l'ancien possesseur précaire reçoit la chose à un titre nouveau ; il peut en deve- nir propriétaire par prescription, sauf l'action personnelle en restitution qui peut l'atteindre pendant un certain temps (*) ; dans le second cas, l'acquéreur peut aussi être tenu, comme héritier, de cette action personnelle, mais sa possession con- tinue toujours à s'exercer au même titre qu'auparavant et peut le conduire à la prescription (*).

322. Enfin le vice résultant de la précarité est en principe indélébile. Du moins il ne dépend pas du possesseur de le puiser par sa seule volonté. C'est ce qui résulte de l'arti- cle 2240 ; a On ne peut pas prescrire contre son titre en ce « sens que Von ne peut point se changer à soi-même la cause « et le principe de sa possession ('). » Cette règle remonte à la plus haute antiquité. Illud a veterihus prœceptum est nemi- nem sibi causam suas possessionis mutare posse. Elle signifie que la volonté d'être propriétaire, et même la manifestation de cette volonté par des actes de jouissance que le proprié- taire seul a le droit d'accomplir, ne suffit pas pour interver- tir la possession de celui qui détient à titre précaire. Inuti- lement s'affirme-t-il propriétaire, inutilement se comporte-t- il comme tel ; sa possession demeure toujours infectée du vice dont elle est atteinte, et par suite inutile pour la pres- cription. Le vice résultant de la violence ou de la clandes- tinité peut cesser ; celui de la précarité ne le peut pas, tant qu'une des circonstances prévues par l'article 2238 ne s'est pas réalisée (*) .

Ainsi une commune a un droit d'usage dans une forêt ;

(') Cass., 24 août 1842, S., 42. 1. 860, D, Rép., loc. cit., n, 441. Leroux de Bretagne, n. 401.

0 Leroux de Bretagne, loc, cit.

(') Cpr. C. civ, hoU.,arl. 592 ; C. civ. ilaL, arl. 2118 ; C. civ. esp,, art. 1949 C. civ. port., art. 510 et 517 ; Gode Monlén., arl. 815.

nCass., 9 juin 1898, S., 1902. 1. 134.

252 DE LA PRESCRIPTION

son titre lui donne la faculté de couper toutes les basses essences, par exemple, tous les arbres ou arbustes autres que le chêne, le frêne, le hêtre et Tormeau, que le propriétaire s'est réservés ; pendant plusieurs siècles, la commune se comporte comme propriétaire : elle coupe tout le bois que produit la forêt, et le propriétaire ou ses ayants cause lais- sent faire. Pourra-t-elle invoquer la prescription? Xon, parce qu'elle n'a pas pu se changer à elle-même la cause et le principe de sa possession. Son titre la déclare usagère ; elle demeure telle, en dépit de ses prétentions à la propriété et de ses usurpations. Les ayants cause du propriétaire pourront donc faire valoir leur droit à quelque époque que ce soit, sans qu'on puisse leur opposer la prescription, et obliger la commune à restreindre pour l'avenir sa possession dans les limites de son titre : ce qu'on exprime en disant que la pos- session peut toujours être ramenée au titre primitif. Même après mille ans, le titre est la règle de la possession pour les détenteurs à titre précaire (*).

323. Si, modifiant un peu l'espèce que nous venons de proposer, nous supposons qu'une commune s'empare sans titre, et, par conséquent sans droit, d'une forêt qui m'appar- tient, et qu'elle la possède animo domini pendant trente années, elle pourra au bout de ce temps m'opposer la pres- cription. De sorte que le possesseur, qui, n'ayant aucun droit sur la chose, s'en est emparé en vertu d'une usurpation fla-

(') V. nol. Cass., 15 déc. 1847, S., 48. 1, 319, D., 48. 1. 53 ; 6 juin 1848, D., 48. 1. 197 ; 26 juin 1849, I) , 49. 5. 207 ; 23 déc. 1857, S., 58. 1. 741. Cpr. Lyon, 3 déc. 1838, S., 39. 2. 538. Toulouse, 13 avril 1832, S., 32. 2. 576 ; 25 mars 1833, S., 39. 2. 84S. Dunod, p. 50 : Laurent, XXXII, n. 329 el 3.30 ; Troplong, n. 524 ; Leroux de Bretagne, n. 377. V. cep. en sens contraire. Bourges, 6 août 1839, S., 40. 2. 52. Aubry et Uau, éd.. H, p. 536, § 217, note 6. D'après ces derniers auteurs, l'usager ne serait pas un délenteur pré- caire, son droit n'impliquant pas une détention quelconque de la chose. Mais celle opinion nous parait inexacte : l'usager ne peut exercer son droit qu'au moyen d'une détention partielle de la chose ; il doit Mre soumis à la règle géné- rale. Tout ce qu'on peut dire, c'est que certains habitants d'une commune usa- gère peuvent, par des faits de possession personnels, acquérir pour eux la pro- priété de tout ou partie du fonds possédé. Cpr. Cass., 19 mars 1845, S., 45. 1. 445, D., 45. 1. 139. Leroux de Bretagne, n. 377;GuiUouard, n. 466. W supraj n. 294.

DE LA PRÉCABITÉ 253

grante, est mieux traité que celui qui, ayant en vertu de sou titre le droit de se mettre en contact avec la chose, comme fermier, usufruitier, usager..., anticipe sur les droits du pro- priétaire. La loi est donc moins favorable à celui qui commet une demi-usurpation qu'à celui qui commet une usurpation complète. La raison de cette différence est que celui qui détient une chose précairement est, en vertu de son titre, le représentant du propriétaire, et il peut paraître plus cou- pable que le premier venu, qui s'est emparé sans droit de la chose. D'un autre côté, la négligence du propriétaire est plus excusable à Tégard du possesseur précaire, précisément parce qu'il se croit représenté par lui. Quoi qu'il en soit, il est certain que celui qui n'a pas de titre est mieux traité que celui qui a un titre vicieux ; ce qui fait dire : Melins est non habere titulum quam habere vitiosum.

324. Sans trop nous appesantir sur le mérite de la dispo- sition qui ne permet pas au détenteur précaire de prescrire, ftiam per mille annos, remarquons qu'elle est en opposition avec l'idée mère de la prescription, qui est une institution d'ordre social, établie en vue de mettre un terme aux procès. Admettons que le détenteur à titre précaire soit moins favo- rable que l'usurpateur : ce pouvait être une raison de lui imposer un délai plus long pour prescrire ; mais fallait-il décider qu'il ne pourra jamais arriver à la prescription, au risque de ressusciter, après bien des siècles, au moyen de longs et coûteux procès, des droits dont le souvenir est depuis longtemps effacé (*) ? Heureusement les règles sur l'inter- version de la possession précaire, à l'étude desquelles nous allons arriver bientôt, diminuent beaucoup le danger de cette disposition, parce qu'elles en rendent l'application fort rare. H faut ajouter que cette application est rendue plus rare encore par la règle de l'article 2239 ; ceux qui ont acquis

0) V. en ce sens Marcadé, sur l'art. 2241, n. 2 ; Laurent, XXXII, a 309. ^ V. aussi Béliine, Philos, du droit, II, p. 695. Le premier projet de Code civil de la Convention disposait dans son art. 110 que le changement de cause de la possession est présumé en faveur des héritiers « s'ils ne sont pas eux-mêmes entrés en possession à titre précaire » (liv. 2, lit. 3, art. 110, al. 2).

254 DE LA PRESCRIPTION

du possesseur précaire peuvent prescrire ; or il n'arrive guère aujourd'hui qu'un immeuble reste pendant de longues générations dans la même famille. Enfin il est bon de rap- peler que l'action personnelle en restitution, qui appartient, en même temps que l'action en revendication, au proprié- taire de la chose, s'éteint par la prescription de trente ans, à partir du jour elle peut être exercée. Malgré tout, la règle de l'article 2240 apparaît un peu comme une anomalie, surtout quand il s'agit de possession mobiLîère : on peut tou- jours revendiquer une chose mobilière déposée ou prêtée ; l'action personnelle en restitution a pu disparaître par suite de la prescription extinctive, mais l'action en revendication subsiste toujours.

L'article 2240 n'a trait, à notre avis, qu'au cas des posses- seurs précaires ; ils ne peuvent changer eux-mêmes la cause et le principe de leur possession. On lui a attribué souvent une portée bien plus étendue. Ainsi on a rattaché à l'arti- cle 2240 la solution, incontestable d'ailleurs, d'après laquelle celui qui possède en vertu d'un titre d'acquisition résoluble ne peut prescrire contre le droit de son auteur, tant que la condition est pendante (V. m/>a, n. 398 et 099). La solution est certaine, mais ne se rattache pas à notre texte. Il est également certain que la prescription de dix à 20 ans, basée sur un titre, implique une possession conforme au titre, cal- quée sur le titre qu'elle doit consolider : il y a possession sans titre pour tout ce qui est possédé contrairement au titre ou en dehors des limites fixées par le titre. En d'autres termes, on ne peut jamais prescrire par 10 à 20 ans contre son titre (V. infra, n. 606). Mais c'est encore une règle étran- gère à l'article 2240 (»).

325. Si l'on ne peut pas prescrire par 10 ou 20 ans au delà de sou titre, ou en dehors de son titre, on peut prescrire ainsi par 30 ans de possession. Cela est évident. \jii com-

(') Gpr.Troplong, n.529. V.poiir une inlerprélalion différente de Tari. 2240, Léger, Théorie générale de la. prescription extinctive, p. 211 el s. Sur riniluence du litre quant aux conditions juridiques de la possession et de la prescription, voy. les intéressants développements donnés par BuTnoir, op. ait,, p. 323 et s., 375 et s.

DE LA PRÉCARITÉ 255

muniste peut acquérir par prescription la totalité de la chose dont son titre ne lui donne qu'une partie. L'acheteur d*un domaine^ qui possède, outre ce domaine, des pièces de terre dépendant d'un domaine voisin appartenant à son vendeur ou à un tiers, peut en prescrire la propriété. L'acheteur qui possède au delà et en dehors des limites assignées par son acte de vente peut aussi prescrire. Mais la seule prescription possible sera la prescription de trente ans : en effet, ce que l'acheteur possède au delà ou en dehors de son titre, il le possède nécessairement sans titre, et le possesseur qui n'a pas de titre ne peut prescrire que par trente ans (art. 226i ci 2265) (*). La règle qu'on peut prescrire au delà de son titre, trouve aussi des applications nombreuses en matière de servitudes (*) .

326. Le fermier, qui possède des terres au delà ou en dehors de son titre, peut-il en acquérir la propriété par la prescription? Oui, si, sachant qu'elles ne sont pas comprises dans son titre, il les a possédées animo domini. Non, s'il les croyait comprises dans son titre ; car alors il les a possédées une animo domini, donc à titre précaire (').

§ III. De V interversion de titre.

327. La règle que le détenteur précaire ne peut jamais prescrire soulfre exception quand le titre de sa possession est interverti. L'interversion est un changement dans le titre de la possession : de précaire qu'elle était, elle devient non précaire, et par suite utile pour la prescription. Ce change- ment, ainsi que nous venons de le voir, ne peut pas s'accom- phr par le seul fait du possesseur, en ce sens qu'il ne lui suffit pas de se comporter conmie propriétaire pour trans-

(') V. Gass., 9 nov. 1826, S. chr. ; 2 janv. 1895, S., 95.1. 496, D., 95.1.48. Bordeaux, il janv. 1828. Aubi^ et Hau, II, p. 373 ; Troplons, n. 529 et 530; Laurent, n. 335; Leroux de Bretagne, n. 422 ; Hue. XIV, n. 380 ; Guillouard, n. 470, II.

(«) V. Cass., 6 fév. 1900, S., 1904. 1. 397.

(•) V. sur celle hypothèse. Douai, 5 déc. 1854, D. 55. 2. 139. Laurent, XXXII, n. 331 ; Guillouard, /oc. ciL

256 DE LA PRESCRIPTION

former sa possession précaire en une possession aniino domini. Mais le titre de sa possession peut être interverti par Tune des deux causes indiquées en larticle 2238 : « Néawnohis lea personnes énoncées dans les articles 2236 et « 2237 peuvent prescrire, si le titre de leur possession se « trouve interverti, soit par une cause venant dun tiers, soit « par la contradiction qu elles ont opposée au droit du pro- « prié taire (*)- » Il y a donc deux causes d'interversion, que nous allons successivement étudier. Faisons observer dès maintenant que ces deux causes d'interversion s'appliquent à tous les détenteurs précaires, et, d'autre part, peuvent être invoquées aussi bien contre celui de qui ils tiennent la chose que contre les tiers (*) ; le vice de précarité est puiyé erga omnes; les tiers pourront seulement exciper du défaut de transcription, si le titre qu'on leur oppose est de ceux que la loi du 23 mars 1855 soumet à cette formalité.

328. a. Le titre de la possession du détenteur précaire peut être interverti, nous dit la loi, par une cause venmt d'un tiers, c'est-à-dire si un tiers donne au possesseur pré- caire un titre de propriété gratuit ou onéreux ('). Cette solution était déjà admise dans rancien droit; on ne saurait contester qu'elle soit peu recommandable au point de vue de la pure morale, et d'une indulgence qui contraste avec la sévérité de la règle que nous venons d'étudier.

On peut citer comme exemple le cas celui qui détient un immeuble en qualité de fermier achète cet immeuble d'un tiers qui n'en est pas le véritable propriétaire ; à dater de ce moment, le fermier pourra prescrire la propriété de l'immeuble, même contre son bailleur si celui-ci en est le verus dominus. Mais il faut supjDoser, bien entendu, que le fermier cesse de payer ses fermages; car, s'il en continuait

(') Sic 1. 19, § 1, D., De acq. vel amUl. poss., XLI, 2. Polhier, n. 35 el 36. C. civ. ilal., art. 2116; C. civ. port., art. 510; C. civ. hoU,, arl. 1997.

(*) Dunod, p. 36; Leroux de Bretagne, n. 409; Laurent, XXXII, n. 322; Col- met de Sanlerre, VIII, n. 344 bis, IV; OuiUuuard, n. 482.

(') Il faut supposer un titre translatif de propriété ; un litre déclaratif, n'étant pas un litre nouveau, ne pourrait constituer Tinterversion exigée par la loi. Troplong, n. 516 ; Guillouard, n. 479. V. Ciss., 19 fév. 1873, S., 73. l. 305.

DE PRÉCARITÉ 257

le paiement^ sa possession serait équivoque, et par suite inu- tile pour la prescription. En effet, d'une part, son titre d'ac- quisition semble annoncer une possession à titre de proprié- taire, et, d'autre part, le paiement des fermages implique la reconnaissance du droit de propriété appartenant au bailleur, ce qui exclut Vanimus domini.

329. Eu un mot, pour que la possession soit intervertie, il ne sufGt pas que le possesseur acquière un titre nouveau, il faut de plus que sa possession soit conforme à ce titre et réunisse les qualités de larticle 2229 : il faut notamment qu'elle soit publique et non équivoque. Mais il n'est pas nécessaire, la loi ne l'exigeant pas, que le possesseur notifie son titre au véritable propriétaire ( ^) .

On a soutenu que cette dispense de notification rendait la règle de l'article 2238 tout à fait dangereuse. Il y a une grande exagération; les juges, devant apprécier si la posses- sion n'a pas été équivoque, pourraient ne pas tenir compte d*une possession dont le caractère aurait été insuffisant. Il est clair, d'un autre côté, que les juges ne peuvent prendre en considération l'acquisition faite par le possesseur précaire, si l'acte est le résultat de la fraude et de la simulation (*).

330. Il ne nous parait non plus nécessaire, comme on Ta soutenu ('), que le détenteur ait été de bonne foi, et ait cru à la possibilité de la transmission de la propriété à son profit; c'est une condition que la loi n'exige pas. Vainement dit-on que, s'il n'y a pas une cause qui explique et légitime dans la personne du détenteur la volonté de commencer à posséder pour son propre compte, il contrevient à la règle d'après laquelle le détenteur ne peut par sa seule volonté intervertir

(•; Cass., 24 août 1812, S , 42. 1. 86D, D. Rép,, \'* Prescr,, n, 441. - Sic Troplong, n. 507; Marcadé, sur l'art. 2236, n. 3; Leroux de Bretagne, n. 404 et 405 ; Laurent, XXXII, n 318; Aubry et Rau, 5*éd., H, p 127; Bufnoir, p. 226; Hue, XIV, n. 376 ; Guillouard, n. 476. Contra, Vazeille, n. 147 ; Dunod, p. 36.

(*) Vazeille, n. 148 ; Troplon^j, n. 503 ; Marcadé, loc. cit» ; Laurent, XXXII, n. 316.

(») Bélime, n. lU s ; Aubry et Rau, éd., II, p. 127 ; Guillouard, n. 475 ; Planiol, 2- éd., I, n. 936. V. dans notre sens Laurent, XXXII, n. 316 Bufnoir, p. 226 ; Hue, XIV, n. 376. V. aussi Troplong, n. 507.

PRESCR. 17

258 DE LA PRESCRIPTION

sa possession ; on fait ainsi une critique de la loi ; maïs on ajoute une condition dont le texte ne parle pas; on aboutirait à écarter dans notre cas la prescription de trente ans pow ne laisser place qu'à celle de dix ou vingt ans, ouverte à celui qui a un titre et qui est de, bonne foi.

331. Il est à peine besoin de faire remarquer que Tinter- version peut résulter d'un acte émanant de celui pour qui la détention précaire avait lieu ; suivant les expressions de Bigot-Préameneu « le titre peut être interverti par le posses- seur à titre de propriétaire s'il transmet cette espèce de pos- session à la personne qui ne tenait que précairement (*). » Il a été jugé sur ce point que TEtat a pu acquérir par prescrip- tion la nue propriété de bâtiments militaires réservés aux villes par la loi du 5 août 1818, alors qu'un procès-verbal a été fait constatant la prise de possession par 1 Etat et la renon- ciation par le maire à tous droits de propriété et autres, que le conseil nmnicipal n'a pas demandé la nullité de cette renonciation, et que TEtat a possédé trente ans ou même simplement dix ans à titre de propriétaire (*).

332. Nous avons vu plus haut (n. 188 et 305) que la loi du 10 juin 1793, qui attribue aux communes les terres vai- nes et vagues comprises dans leur territoire, n'a pas eu pour efiet de les rendre propriétaires des terres dont elles n'étaient qu'usagères ; elle a édicté une présomption de propriété qui tombe devant la preuve de la précarité du titre de la pos- session. Cette loi, à notre avis, n*a pas davantage interverti le titre de la possession des communes usagères ; ce titre est resté tel qu'il était auparavant ; les communes non usagères seules ont pu trouver dans la loi de 1793 un titre de pro- priété définitive, La jurisprudence s'est prononcée cependant, dans un sens contraire à notre solution ; elle a admis que les communes, usagères, lors de la Révolution, des terres vai- nes et vagues situées sur leur territoire, ont trouvé dans les lois des 28 mars 1792 et 10 juin 1793 « un titre nouveau qui,

(»; V. Dunod, p. 36 ; Aubry et Rau, loc, cil,; Troplong, n. 506 ; Laurent, loc. riL

(*) Gass , 2 mars 1870. S., 71. I. 161. Mais voy. la noie en sens conlraii'e •lans le recueil Sirey.

DE LA PRÉCÀBITÉ 259

sans iiitenertir de plein droit leur possession précaire, leur a permis de posséder ces biens a/itmo domini et de les pres- crire (*). » Certains arrêts paraissent d'ailleurs considérer qu'il n'y a eu d'interversion de la possession des communes qu'après contradiction aux droits des anciens propriétaires, ou après décision judiciaire rendue contre ces derniers.

Mais la jurisprudence n'admet l'interversion de titre résul- tant des lois de 1792 et 1793 en faveur des communes que pour les terrains situés sur leur territoire. Une commune qui avait des droits d'usage sur des. terrains dépendant du territoire d'une autre commune ne peut prétendre qu'il y ait eu interversion de titre à son profit par suite des lois ci- ilcssus et qu'elle ait pu prescrire ainsi la propriété (*).

333. k- Le titre de la possession du détenteur précaire peut être interverti par la contradiction qu'il oppose au droit du propriétaire. La loi ne dit pas quels sont les actes d*où. peut résulter cette contradiction. Ce seront des actes juri- diques ou des actes judiciaires ou extrajudiciaires, ou des actes matériels. La question de savoir si, dans telle circons- tance déterminée, le possesseur a opposé une contradiction suffisante aux droits du propriétaire est laissée à l'apprécia- tion du Juge, sous le contrôle de la Cour de cassation, d'après laquelle « il faut que le droit du propriétaire soit hautement méconnu et manifestement contredit. » Dunod a écrit en ce sens : « Il faut que les actes de contradiction soient formels et positifs, en sorte qu'il conste extérieurement qu'on a eu en dessein de posséder ce que l'on prétend avoir prescrit. » 11 n'y aurait certainement pas contradiction suffisante dans le fait du fermier qui continuerait à payer ses fermages tout en formulant sa prétention à un droit de propriété. On ne devrait pas voir non plus une contradiction suffisante dans

(MV. nol. Gass., 14 mai i850, S., 50. l. 622. D., 50. 1. 147; 7 dêr. 1852, S., ^1 1. 443 ; 29 nov. 1854, S., 55. 1. 821, D., 55, 1. 78 ; 15 juin 1858, S,, 58. 1. ÎU, [).,fi8. l. 245; 26 avril 1876, S , 76. 1. 472, D., 76 1. 379 ; 31 mai 1880, ^.,81. 1. 29, D., 81. 1. 329; 3 déc. 1895, S., 99. 1. 506, D., 96. 1. 23>. Guil- Kinard, n. 478. --' Contra Laurent, XXXII, n. 320. V. aussi sur celle que»- ïion,la noie dans Sirey, 51. 1.731.

(») GkPs., 3 déc. 1895, précité.

260 DE LA PRESCRIPTION

ce seul fait que le fermier aurait cessé de payer ses ferma- ges (*). 11 en serait autrement si, sur l'action en justice inten- tée contre lui par le bailleur, le fermier avait refusé le paie- ment des fermages en opposant son droit de propriété sur le fonds, ou, sans supposer une lutte judiciaire, si le fer^ mier avait notifié sa prétention au bailleur par acte extra- judiciaire, lui déclarant que désormais il ne payerait plus les fermages (*) ; ou même si le fermier, ayant cessé le paie- ment de ses fermages, avait réussi à se maintenir en posses^ sion au moyen d actes de violence dirigés contre le proprié- taire qui voulait reprendre son doiîiaine (').

334. Des abus de jouissance ne suffisent pas toujours non plus pour constituer une contradiction au droit du proprié- taire et entraîner une interversion de la possession. Il faut qu'ils aient eu le caractère d une contradiction formelle, évi- dente, manifeste, non équivoque (*). Un usager notamment ne peut, à Taide d'une possession abusive, acquérir un droit de propriété sur les choses qui font l'objet de son droit d'usage ; il faut une contradiction portée à la connaissance du propriétaire et ne laissant aucun doute sur les intentions de

lusager (=).

335. L'idée que l'usager ne peut prescrire contre son titre qu'au moyen d'une contradiction formelle doit être conciliée avec le principe que l'usager peut prescrire au delà de son titre. 11 faut voir d'abord si les actes abusifs ne constituent pas une simple extension du droit d'usage, et si, .par suite l'usager n'a pas ainsi, comme il le peut, acquis un droit

(*) Duiiod, p. 37 et 38 ; Troplong, n. 505, 512 ; Leroux de Bretagne, n. 410 ; Guillouard, n. 480.

(«) V. cep. Cornil, p. 103.

(») Gpr. Amiens, 4 aoûl 1875, S., 77. 2. 81, D., 77. 2. 189. V. aussi Gaen, 2 juin 1858, D., 58. 1. 237.

(*) V. Cass., 6 nov. 18?l, S. chr. ; 16 janv. 1838, S., 38. 1. 191, D. Rép., t* Prescr., n. 144 ; 27 juin 1854, D., 55. 1. 262 ; 11 nov. 1856, S,, 56. 1. 913, ])., 57. 1.90;28 déc. 1857, S., 58. 1.741, D., 58. 1. 113. - Monipellier» 26'avril 1838, S., 39. 2. 87. - Bourges, 6 aoûl 1839, S., 40.2.52. Troplong. n. 514 el s. ; Leroux de Bretagne, n. 412 ; Laurent, XXXII, n. 324 et 325#

V) Cass., 18 juin 1851, S , 51. 1. 731 ; Il nov. 1856, précité ; 28 déc. 1857, précité. - Pau, 30 avril 1894, S., 96. 2. 311. '

DE LA PRÉCARITÉ 261

d usage plus étendu que celui qu'il avait d'après son titre (*). Ce n est qu'autant que les actes invoqués ne constituent pas seulement l'exercice d'un droit d'usage, mais impliquent la prétention à un droit de propriété, qu'il faut voir si la con- tradiction a été suffisante et conforme à l'article 2238. Il a été jugé à cet égard, que le fait de payer l'impôt pour une forêt, d'avoir des gardes forestiers, de se faire autoriser à vendre des coupes de bois, de re des pi ^^ •^-•'- Jjdux d'aménagement, ne constitue pas une contradiction suffisante du droit du propriétaire qui a pu ignorer ous ces actes ; ils ne prouvent pas que son droit ait été, comme le veut la Cour de cassation, hautement méconnu, manifestement contredit (*). Les faits d'abus ignorés du propriétaire ne sont pas une contradiction ; les faits invoqués doivent manifester la néga- tion formelle du droit de celui contre qui on dit avoir pres- crit : ils doivent de plus avoir un caractère patent, non équivoque; il n'en est pas ainsi s'ils n'ont été qu une exten- sion du droit d'usage {% Des procès-verbaux de délimitation auxquels ont pris part les maires des communes usagère et propriétaire ne sauraient servir de base à une interversion de titre s'ils ont été le résultat d'une erreur commune et ne contiennent pas de revendication formelle de la part de la commune usagère (^).

336. En résumé, il faut qu'il y ait des actes ayant ce carac- tère d'être la preuve d'une prétention à la propriété et n'ayant pu être ignorés du propriétaire ; il faut que celui-ci les ait connus ou ait été à même de les connaître (*) .

A ce point de vue, il a été décidé que les héritiers d'un possesseur à titre précaire, tel qu'un preneur à domaine con-

OCass., 15 déc. 1847, S., 48. 1. 319, D., 48. 1. 53; 26 juin 1849, D..49.5. 207. - Laurent, XXXU, n. 332.

(')Gass.,7 mai 1839, D. Rép,, Prescr,, n. 445 ; 18 juin 1851, précité ; 6 déc. 1853, D., 54. 5. 583. Laurent, XKXU, n. 324. - V. aussi Gass., il nov. 1856, précité.

(')Gass., 27 juin 1854 et 28 déc. 1857, précités. Paris, 25 mars 1851, I)., 52. 2. 195. - Pau, 30 avril 1894,précilé. - Laurent, XXXII, n. 325.— V. encore Amiens, 4 août 1875, S.,77.2.8l, D., 77.2. 189, et Pau,9mai 1892, 1),, 93.2.255.

(♦) Pau, 30 avril 1894, précité.

{*) Pau, 9 mai 1892, 0. 93. 2. 255. - Hue, XIV, n. 377.

262 DE L.1 PRESCRIPTION

géable, ne peuvent prétendre avoir interverti le titre de leur auteur en comprenant Timmeuble revendiqué dans le par- tage de la succession ; il n'y a pas une interversion de titre pouvant servir de base à la prescription, alors surtout qu'il résulte de l'acte de partage qu'ils ont connu la nature de la possession de leur auteur sur l'immeuble en question (*).

Il a été même jugé que la déclaration, faite dans un inven- taire par un époux survivant usufruitier des biens laissés par son conjoint, et d'après laquelle cet époux se prétendait donataire en propriété, n'avait pu entraîner interversion du titre de la possession, si elle avait été, dans, l'inventaire, contestée par les héritiers ; la possession qui avait suivi cet inventaire avait un caractère au moins équivoque (*).

337. La preuve de l'interversion peut être fournie par témoins s'ils agit d actes matériels; dans le cas contraire, il faut appliquer le principe ordinaire sur la preuve ('). Le juge ne peut d'ailleurs, à notre avis, suppléer d office le moyen tiré de l'interversion de la possession (*).

La cour de cassation a le droit, à notre avis, de recher- cher si les actes invoqués constituent une contradiction suf- fisante et ont produit une interversion dans le titre de la possession. Il a été décidé plusieurs fois cependant que les juges apprécient souverainement si les actes allégués ont ou non interverti le titre de la possession (*) ; mais cette juris- prudence nous paraît peu sûre, et il a été jugé plus exac- tement, à cet égard, que les juges ne sauraient, pour écar- ter les actes invoqués à l'effet d'établir une interversion dans le titre de la possession, se borner à déclarer que les titres produits sont insuffisants pour détruire la présomption légale de précarité ; une pareille décision serait sans valeur

(') Gass., 19 fév. 1873, S.. 73. 1. 305, D., 73.1 200. - V. aussi Cass.. 16 déc. 1873, S., 75. 1. 203.

{*) Gass., 14 nov. 1871, S , 71.1.217, D., 71. 1. 345.

(») Troplong, n. 514 ; Aubrj- et Uau, 5- éd., II, p. 128, § 180 ; Lei-oux de Bre- tagne, n. 414. Guillouard, n. 481. Contra, Vazeille, n. 151.

(*) Cass., 29 janv. 1862, S., 62. 1. 356, D., 62. 1. 244. V. cep. Guillouard, I, n. 483; Hue, .XIV, n. 378.

(*) V. not. Gass., 4 mars 1873, S., 74. 1. 83. I) , 73» 1. 345; 3 df^c. 1895, IX, 96. 1. 235.

DK LA PRÉCARITÉ 2G3

légale, la cour de cassation ne pouvant être à même d'exer- cer son contrôle (*).

§ IV. De la règle qu'on peut prescrire contre son titre au cas de prescription extinctive.

338. Le chapitre du code civil que nous étudions^ et qui, jusque-là, ne s'est occupé que de la prescription acquisitive et des obstacles qu'elle peut rencontrer dans la précarité de la possession, se termine par une disposition relative à la prescription libératoire. La règle qu'on ne peut prescrire contre son titre ne s'applique pas en effet quand il s'agit de prescription extinctive. C'est en ce sens qu'il faut entendre l'article 2241 : « On peut prescrire contre son titre, en ce sens que Von prescrit la libération de l'obligation que Ion a contractée. » Prescrire la libération de l'obligation que l'on a contractée, ce n'est pas en réalité prescrire contre son titre ; en eifet, la prescription que le débiteur oppose à son créancier n'a rien de contraire au titre de celui-ci: c'est une cause d'extinction du titre. « S'il s'agit de la libération par la prescription, a dit Bigot-Préameneu, cette prescription devient la cause de l'extinction du titre et alors on prescrit contre son titre en ce sens qu'on se libère quoiqu'il y ait un titre. » La même règle s'applique à la prescription extinc- tive des charges réelles pesant sur un fonds; on peut, après trente ans de non usage, se prévaloir de l'extinction d'une servitude, bien que le titre constitutif ait édicté l'impossibi- lité de prescrire contre le titre (*). Une pareQle clause est sans effet comme contenant une renonciation anticipée à la prescription.

339. L'application de la règle de l'article 2241, rappro- chée de celle de l'article 2262 d'après lequel les actions se prescrivent toutes par trente ans, doit évidemment conduire à décider qu'au cas de contrat synallagmatique, l'une des parties peut invoquer la prescription pour se soustraire à

OCass., 19 fév. 1889, S., 89. 1. 203. Hue, XIV, u. 378. V. suprn, n. 33). ^(Jaâs. 16 mai 1904, I)., 1904. 1. 464.

264 DE LA PRESCRIPTION

rexécution de ses engagements, alors même que l'autre par- tie aurait déjà exécuté les siens: les obligations corrélatives n'ont rien d'indivisible ; une fois nées, elles sont distinctes et peuvent s'éteindre séparément (*). Tout ce qu'on peut dire, c'est que, si une partie agit pour réclamer réexécution du contrat, sa réclamation suppose le plus souvent la recon- naissance du droit de la partie adverse ; elle constitue une interruption de la prescription, ou une renonciation à la prescription, si celle-ci était accomplie (*).

340. Merlin a soutenu que dans l'ancien droit on suivait une théorie dififérente ; on y aurait admis qu'en cas de contrat bilatéral, une des parties ne pourrait être libérée par pres- cription tant que l'autre serait tenue de son obligation. Dunod, dont il critique la théorie, s'exprimait en ces termes : « Il faut excepter le cas de la réciprocité. En effet, si le contrat est réciproque et synallagmatique, tandis qu'il est exécuté par un des contractants, l'autre ne peut pas se défendre de l'exécuter de sa part, sous prétexte de prescription; car il n'en peut pas acquérir, en ce cas, contre le titre commun pendant qu'il en profite ; c'est par la règle des corrélatifs et parce que la possession de l'un conser\'e celle de l'autre ; ainsi, tandis que l'on paie la redevance promise pour un droit d'usage, on ne perd pas ce droit quoiqu'on n'en use pas. » Laurent a très exactement fait remarquer que Merlin a prêté à Dunod une théorie que celui-ci n'a pas soutenue avec toute l'étendue que Merlin lui a attribuée ; il y a plutôt, dans Dunod, un mauvais raisonnement ; la solution qu'il donne finalement, à titre d'exemple, s'explique, comme dit Merlin, « parce que le propriétaire du fonds grevé d'un droit d'usage ne peut pas recevoir annuellement la redevance qu'il s'est réservée pour prix de ce droit, sans reconnaître chaque année que ce droit existe et, par conséquent, sans renoncer

(')Gass.. 7 août 1833, S., 33. 1. 721 ; 14 mai 1834, S., 34. 1. 810, D. Hep., Prescr,, n. 460 ; 22 juill. 1835, S., 35. 1. 729, 1). Hép., ioc. cit., n. 463. Merlin, Quest,, V Prescr., § 16, n. 4 ; Troplong, n. 534 ; Leroux de Bretagne, n. 427; Hue, XIV, n. 381 ; Guiilouard, n. 632.

(*) V. Gass., 27 mai 1812, S. chr., I). Rsp, Ioc. cit., n. 463 ; 22 juill. 1835, prôcilé. Troplong, Ioc. cit, V. aussi le rapport du conseiller de Broé sous Cass., 7 août 1833, S., 33. 1. 725. Leroux de Bretagne, n. 428.

CONTINL'ATION ET JONCTION DES POSSESSIONS 265

chaque année à Texception qu'il pourrait tirer du long ^pace de temps pendant lequel l'usager s'est abstenu de Fexercer. » Ce qu'on a appelé la règle des corrélatifs tient donc simplement à ce que l'exécution du contrat à laquelle les deux parties concourent entraîne reconnaissance du droit qui résulte du contrat. Il est certain, dans l'hypothèse inverse de celle que nous avons vue, que l'usager qui con- tinue à jouir de son droit sans payer de redevance se libère par prescription de l'obligation de payer cette redevance ; il n'y a plus de reconnaissance du droit de l'autre partie ; la prescription court, bien qu'il s'agisse d'un contrat synal- lagmatique. 4C 11 n'y a point de contradiction, dit la Cour de Bourges, à présenter un titre comme établissant un droit en sa faveur et à se refuser aux charges qu'il impose et dont on se prétend libéré par la prescription. Les deux obhgations, bien que contenues dans le même titre, bien que corrélatives, n'en ont pas moins une existence distincte et particulière : l'une peut s'éteindre faute d'avoir été exécu- tée pendant trente ans, tandis que l'autre conserve toute sa force, n'ayant jamais cessé d'être exécutée (*). » (V. supra, n. 78et 169).

CHAPITRE XI

DE LA CONTINUATION ET DE LA JONCTION DES

POSSESSIONS

341 . La jonction des possessions est régie par l'article 2235 : ^ Pour compléter la prescription, on peut joindre à sa pos-

< session celle de son auteur, de quelque manière quon lui

< ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre

< lucratif ou onéreux. » Ce texte a été emprunté textuelle- ment à Dunod (*).

La loi désigne ici sous le nom A!auteur celui aux droits

(*) V. en ce sens Cass., 22 juillet 1835, précité. Bourges, 4 déc. 1830, I). Wp., Prescr., n, 462; 16 avril 1846, 1). Rép., Usage forestier^ n, 145. - Troplong, toc, cit, Laurent, XXXIi, n. 334 et 335.

{*) Dundtt, p. 19.

266 DE LA PRESCRIPTION

duquel se trouve le possesseur actuel, c'est-à-dire celui dont il tient médiatement ou immédiatement son droit, en vertu d'une cause légitime et juridique, celui auquel il a légalement et régulièrement succédé dans sa possession, celui aquojus vel causam habet ; d'où la dénomination A! ayant came qu'on oppose à celle d'auteur. L'héritier est un ayant cause ou suc- cesseur par rapport au défunt, qui est son auteur ; c'est un ayant cause à titre universel, parce qu'il succède in univer- siim jus vel causam. Il existe des relations d ayant cause auteur entre l'acheteur et le vendeur, le donataire et le dona- teur, le légataire et le testateur. L'acheteur est toujours un ayant cause à titre particulier. Le légataire est tantôt un ayant cause à titre particulier, tantôt un ayant cause à titre universel, suivant la nature du legs. Quant au donataire, il est ordinairement un ayant cause à titre particulier ; excep- tionnellement il peut être un ayant cause à titre universel, au cas de donation de biens à venir ou de biens présents et à venir (art. 1082 et s.).

342. L'auteur ne peut pas transmettre à son ayant cause plus de droits qu'U n'en a; mais il peut transmettre en entier le droit qui lui appartient : droit de propriété s'il est pro- priétaire, droits attachés à la possession s'il est possesseur. De la règle consacrée par notre article, qui permet au possesseur de joindre à sa propre possession celle de son auteur pour compléter la prescription. Ainsi j'achète un immeuble de quelqu'un qui n'en est pas propriétaire, mais qui le possède depuis vingt-cinq ans ; cinq ans après, le véritable propriétaire intente contre moi une action en reven- dication. Je pourrai lui opposer la prescription, en joignant à mes cinq années de possession, les vingt-cinq années de {possession de mon vendeur.

343. On dit souvent que l'auteur transmet aux ayants cause la possession ouïe droit de possession; cette formule suppose qu'on admet que la possession est un droit transmissible ('). Nous avons vu plus haut qu'un grand nombre d auteurs considèrent la possession comme un pur état de fait ; en

(*) V. dans le sens de la transmissibililé de la possession, Cornil, j^. 120 s.

COîîTLNlATION KT JONCTION DES POSSESSIONS 267

admettant cette conception, on est condnit à dire avec Aubry et Rau, que la possession, étant un état de fait, ne peut passer d'.une personne à une autre ; ce n'est que par suite (l'une sorte de fiction qu'on a pu dire que la saisine transmet la possession à l'héritier. Ce n'est pas la possession, mais seulement les avantages qui y sont attachés, qui peuvent être transmis, et notamment le droit de se prévaloir, en vue il'arriverà la prescription, de la possession qui a déjà existé. < Ces avantages passent ipso facto aux successeurs univer- sels ou particuliers du possesseur avec le droit probable riont la possession était l'exercice et la manifestation (*).» Ce raisonnement parait très exact. Mais il faut bien reconnaître, cependant, que, si on doit admettre qu'en principe la posses- sion ne se transmet pas, la loi s'écarte du principe en matière «le succession universelle ; la possession passe de plein droit nux successeurs universels : indépendamment de toute sai- sine, ils continuent la possession de leur auteur. V. infra, 11. 347 s.

344. L'usurpateur ne peut invoquer que sa propre pos- session, à lefifet de prescrire ; il ne peut pas y joindre la l)ossession de celui ou de ceux qui ont possédé avant lui, rar il n'est pas leur ayant cause.

345. Le nu propriétaire peut-il invoquer la possession de l'usufruitier pour par>'enir à la prescription? Oui, sans aucun floute ; mais il ne s'agit plus de jonction des possessions ; car l'usufruitier, ainsi que nous l'avons vu, est détenteur précaire quant au droit de. propriété ; c'est donc le nu pro- priétaire qui possède par son intermédiaire, et cette pos- session lui est utile pour la prescription. La théorie de Vacc€s$ion des possessions n'est pas ici en cause, l'usufruitier n'étant pas l'auteur du nu propriétaire (*).

346. L'article2235paraltn'établir,aupointdevue delajonc- tiou des possessions, aucune difiPérence entre les ayantscauseà

(') V. Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 133 s., § 181, notes 1, 2, 3. Contra^ tiuillouard, n. 510.

O Sic Aubry et Rau, éd., 11, p. 137, § 181, note 9; Demolombe, X, n.635; lîiîlime, n. 201; Leroux de Bretagne, n. 359; Guillouard, n. 513. Contra, ^:ajw., 6 mars 1822, S. chr.

268 DE LA PRESCRIPTION

titre universel et les avants cause à titre particulier. Latradi- tion et les principes u ^ .*i oitimposent pourtant une distinction essentielle entre ces deux classes de successeurs et la plupart des législations étrangères la font très nettement (*). Tandis que dans le cas du successeur particulier, il y a deux pos- sessions distinctes que le successeur peut joindre ou non, suivant son intérêt, au cas du successeur universel, au con- traire, il y a une seule et même possession que le succes- seur continue forcément ; on ne peut parler de jonction, de réunion, d'accession ; il n'y a qu'une possession, commen- cée par Tauteur, continuée par le successeur. Le droit romain et l'ancien droit faisaient cette distinction que les prin'ipes élémentaires commandent («). Elle résulte, dans le ide civil, des articles 2237 et 2239, que nous avons étudiés ; elle a été exprimée en ces termes par Bigot-Préameneu dans lexposé des motifs : « Le successeur à titre universel de la personne qui tenait la chose pour autrui n'a point un nou- veau titre de possession ; il succède aux droits tels qu'ils se trouvent ; il continue donc de posséder pour autrui, et con- séquemment il ne peut pas prescrire. Mais le successeur à titre universel et le successeur à titre singulier diffèrent en ce que celui-ci ne tient point son droit du titre primitif de son prédécesseur, mais du titre qui lui a été personnelle- ment consenti ; ce dernier titre peut donc établir un genre de possession que la personne qui Ta transmis n'avait pas ('). »

347. a. Ayant cause à titre universel. Les héritiers, aux- quels nous croyons qu'il faut assimiler les autres ayants cause à titre universel, ne commencent pas une possession nouvelle, distincte de celle de leur auteur. C'est la posses- sion de cblui-ci qui se continue à leur profit avec ses quali- tés et ses vices. On en donne cette raison qu'ils n'ont pas

V) V. not. (J. civ. ital., arl. 6d3; G. civ. Bas-Canada, art. 2200; G. civ. Zurich,

art. 69 et 124 ; G. civ. ail., arl. 221, 857, 943, 944. (') V. pour le droit romain, Girard, Manuel de droit romain, p. 303 et 304, (*) Celle diîstinction des ayants cause universels et des ayants cause particuliers

n'est cependant pas admise dans toutes les législations. V. G. civ. esp. arl. 442,

et 1960. V, aussi Alexandresco, Droit ancien et moderne de la Roumanie,

p. 500.

CO.NTINUATION ET JONCTION DES POSSESSIONS 269

d'autre droit que celui de Tauteur. Mais cette raison n'ex- plique pas grand'chose et n'est guère que la reproduction, avec une autre formule, de la règle admise. On a invoqué aussi ridée de continuation de la personne^ mais la conti- nuation de la possession s'applique dans des cas il sem- ble bien qu'il n'y ait pas continuation de la possession. 11 y a là, en réalité, une distinction qui a paru commandée par l'idée de transmission universelle du patrimoine. Remarquons bien d'ailleurs, que la continuation de la personne par les successeurs universels est indépendante de la saisine hérédi-^ taire et doit être admise, quelque doctrine. qu'on préfère sur le point de savoir si la saisine a ou non trait à la possession. Les Romains, qui ne connaissaient pas notre rè^le de la saisine héréditaire, admettaient la continuation de la posscS" sien. Us admettaient, en outre, que, jusqu'à ce que l'héri- tier eût recueilli la succession, la possession se continuait par 1 hérédité jacente (*). Les rédacteurs du code ont suivi la tradition romaine sur la continuation de la possession, sans se préoccuper des changements qui ont été opérés, en matière de succession, par l'abandon de la théorie de 1 hé- rédité jacente et par l'introduction de la règle coutumière de la saisine (*). « Lorsqu'il y a eu succession, le titre d'en- trée en possession ne se trouve pas chez l'héritier, mais chez le défunt, et, par suite, les caractères de la possession qui se révèlent par le titre ou qui dépendent du moment le titre est intervenu resteront imprimés à la possession tant qu'elle continuera au même titre, et par suite, lorsqu'elle aura passé à l'héritier ('). »

(') V. Pothier, Prc«r., n. 115,

(") V. Bufnoir, p. 283 ; Baudry-Lacanlinerie el Wabl, Sure, I, n. 1037 ; Dafourmanlelle, Saisine héréditaire (thèse), p. 243 s. Cpr. ihering Étud, eompUm. trad.Menlenaere, IV, p. 365 et 388. D'ailleurs, lorsqu'il y a un héri- tier saisi et qu'un successeur universel a ensuite obtenu Tenvoi en possession ou la déUvrance, il peut joindre à sa possession celle qu'a eue Théritier saisi jusqu'au jour de la délivrance ou de Tenvoi en possession. V. infra, n. 356.

(*) Bufnoir,p.281. Cpr. pour la règle que la possession se transmet au décès du possesseur à sed héritiers avec ses qualités et ses vices, C.civ. holl., art. 597; C. civ. iUl., art. 69^ ; C. civ. esp., art. 440 ; C. civil Zurich, § 69 ; C. civ. Bas-Canada, art. 2»)0 ; C. civ. port. art. 483 ; C. civ. ail , § 857. V. aussi Huber, Schureis» Priratrecht, IV, p. 669, et Motifs de Vavant-projet du Codé civil suisse, p. 702 et s.

270 DE LA PRESCRIPTION

Remarquons aussi dès maintenant qu'il faut, pour la con- tinuation de la possession, qu'il n'y ait pas eu d'interrup- tion dans le sens de l'article 2243, d'après lequel il y a interruption naturelle de la possession lorsque le possesseur est privé, pendant plus d'un an, de la jouissance de la chose, soit par l'ancien propriétaire, soit même par un tiers. Mais la possession ne laisse pas de continuer au profit de Ihéri- tier ou du successeur universel lorsqu'elle est simplement en fait vide, vacante, pendant quelque temps, même plus d'un an (*). Il restera à voir si cette possession est continue dans le sens de l'article 2229 ; mais l'héritier n'en aura pas moins une seule et même possession avec son auteur.

348. Nous avons dit que la possession du défunt passe à ses héritiers telle ([u^elle était avec ses qualités et avec ses vices.

Ainsi le défunt possédait un immeuble appartenant à autrui, avec juste titre et bonne foi ; il était donc en voie de prescrire par 'dix ou vingt ans. Sa possession se conti- nuera au profit de son héritier avec ces mêmes caractères, ct^ par conséquent, la prescription sera accomplie en faveur de l'héritier au bout de dix ou vingt années à dater du jour la possession du défunt a commencé (*). Peu importe que l'héritier ait été personnellement de mauvaise foi au moment la possession lui a été transmise ; cette circons- tance n'exercera pas plus d'influence sur la prescription que n'en aurait exercé la mauvaise foi du défunt, survenue pen- dant le cours de sa possession (art. 2260) ; car c'est tou- jours la même possession qui continue au profit de l'héri- tier. Pothier enseignait la solution contraire ; mais notre code est revenu sur ce point à la règle romaine.

Le résultat des vices de la possession sera aussi le même que si la i>ossession continuait toujoui»s au profit du défunt, U s'ensuit que le vice sera irréparable pour l'héritier s'il était irréparable pour le défunt. Si le défunt était de mau-

(»)TroplonK, n. 430; Aubry et Uau, 5- éd., II, p. 137, § 181 ; Baiidrv. Lacanlinerie et Wahl, loc, cU,

(«)Cass., 27 août 1835, S., 35. 1. 797, D. iJep., yo Pre,fcr,, n. 909. Troplong, n. 429 ; Aubiy el Ilaii, éd., II, p. 553, i$ 218, noies 34 et 35.

CONTINIATION ET JONITION DES POSSESSIONS 271

vaisc foi lors de son entrée en possession^ il faut dire aussi que son héritier, fùt-il personnellement de bonne foi, ne l)oarra prescrire que par trente ans.

Si la possession du défunt était entachée d'un vice répa- rable, il va de soi que ce vice sera réparable aussi pour son héritier, et réparable dans les mêmes conditions. Ainsi la possession du défunt était clandestine ; tant que la clandes- tinité durera, la possession sera inutile pour l'héritier comme elle Tétait pour le défunt ; mais, le jour la clan- destinité cessera, l'héritier commencera à prescrire.

340. Pour bien préciser la portée de la règle que nous étudions, il est intéressant d'observer qu'elle s'applique sur- tout au vice résultant de la précarité et qu'elle se confond alors avec celle que l'article 2237 nous a fait connaître. Les nces de violence et de clandestinité peuvent en effet se répa- rer et cesser dans la personne de l'héritier comme ils auraient pu cesser dans la personne de l'auteur. U en est de même si la possession de l'auteur était discontinue ou équivoque ; celle du successeur pourra ne pas avoir ces caractères. Tout •^ela est vrai, en dehors même de la règle de la continuation «les possessions. C'est dans le cas le défunt détenait la chose pour autrui, à titre précaire, sa possession devait être légalement intervertie pour servir à la prescription, que noire règle trouve sa principale application ; mais alors elle n'est autre que celle de l'article 2237 (*). VAle s'applique aussi, sans doute, en ce qui concerne la bonne foi ou la mau- vaise foi qu'avait l'auteur ; mais on peut observer que la mauvaise foi n'est pas un vice de la possession faisant obs- tacle à la prescription; c'est une circonstance qui entraine la nécessité d'une possession plus longue ; elle n'empêche pas de prescrire ; elle n'est un vice qu'au point de vue spé- cial de l'article 2265 sur la prescription par dix ou vingt ans. ZfSO.b. Ayant cause à titre particulier. Le successeur à titre particulier commence une possession nouvelle, tout à fait dis- tincte de celle de son auteur; nous avons donc ici deux pos-

i'iy. Orléans, 31 Uéc. 1852, S., 53. 2.7J2. Vazi'ille, n. 68; Aubrv et Rau '5'W., II, p. i:», § 181. '

272 DE LA PBESCRIPTION

sessions indépendantes Tune de l'autre. Elles sont suscepti- bles de s'unir pour fonder la prescription, si elles ont Tune et Tautre les caractères exigés par la loi pour la prescription que le possesseur actuel invoque ; mais elles peuvent aussi être dissociées, c'est-à-dire que Tayant cause peut invoquer l'une ou Tautre seulement, à son choix et suivant son intérêt.

En premier lieu, l'ayant cause à titre particulier peut invo- quer, à Tefifet de prescrire, la possession de son auteur. En effet, celui-ci lui a transmis tout le droit qu'il avait sur la chose, par conséquent le bénéfice de sa possession au point de vue de la prescription, caiisam usucapiendi (*).

Mais nous avons ajouté que Tayant cause à titre particu- lier ne peut joindre les deux possessions, celle de son auteur et la sienne, qu'autant que l'une et l'autre réunissent les conditions et les qualités requises par la loi pour la pres- cription qu'il invoque. Ainsi, c'est la prescription de dix à vingt ans que le possesseur actuel veut opposer, La jonction des deux possessions ne sera possible que si l'auteur et l'ayant cause ont eu l'un et l'autre juste titre et bonne foi (*); car cette double condition est requise pour la possession à l'effet de prescrire par dix à vingt ans (art. 2265), et pour pouvoir réunir l'une à l'autre des possessions distinctes, à l'efiFet de parfaire cette prescription, il faut évidemment que chacune des deux possessions, considérée isolément, réunisse les conditions exigées pour ladite prescription. D'ailleurs, pour l'ayant cause comme pour l'auteur, il suffira que la bonne foi- ait existé au début de la possession (art. 2269).

351. On voit que, dans cette théorie, il faut appliquer l'ar- ticle 2269 à chaque possession prise séparément (') . L'arti-

(») V, comme applications de la règle, Gass., 14 déc. 1840, S.. 41. 1. 237, D., 41. i. 32. Bordeaux, 31 août 1829, S. cbr. Gpr. G. civ. ital., art 693 ; G. civ. Bas-Ganada, art. 2200; G. civ. esp.,arU 1960; G. civ. Zurich, § 124; G. civ. ail., § 221, 943.

(») V. en ce sens Gass., 22 juillet 1874, S. 75. 1. 17, D., 75. 1. 175.

(V L. 25, § 17, D. 41, 4 ; Pothier, n. 120 ; Merlin, hép,, V Prescr., sect. ï, g 5, art. 3, n. 8 ; Leroux de Bretagne, n. 353 ; Taulier, VH, p. 456; Duranton, XXI, n. 241 ; Marcadé, sur Tart. 2233, n. 2, et Rev, cril., 1854, I, p. 472; Aubry et Rau, éd., II, p. 137, § 181, note U, et p. 554, § 218, note 37 ; Bul- noir, p. 282 et 342 ; Guillouard, n. 582. Gpr. G. civ. Zurich, art. 124 ; G. civ. Bas-Ganada, art. 2253, al 2.

CO.NTINUATION ET JONCTION DES POSSESSIONS 273

cle 2289 n'est pas contraire à cette opinion, il ne prévoit que le cas d'une possession unique ; d'un autre côté, les consi- dérations d'équité qui peuvent l'expliquer n'existent plus quand il s'agit d'un successeur qui, dès le début, a été de mauvaise foi, qui s'est rendu acquéreur sciemment de la chose d'autrui. La règle de l'article 2269 est d'ailleurs res- pectée en ce sens que le successeur profite de la possession antérieure, même si l'auteur, après avoir été de bonne foi au début de sa possession, avait cessé de l'être ensuite. Aller plus loin serait, comme le dit Laurent, « encourager et récompenser la fraude ».

Dans une autre théorie, qui nous araît peu exacte, et qui semble d'ailleurs abandonnée, l'article 2269 s'appliquerait de la même façon, au cas d'accession de deux possessions, qu'au cas d'une seule possession; il suffirait que, au début de la possession primitive, il y eût eu bonne foi, sans qu'il eût à rechercher si le successeur a été de bonne ou de mauvaise

foi(').

352. Nous avons supposé deux possessions successives; il pourrait y en avoir un plus grand nombre ; la règle est tou- jours que chacune doit avoir les qualités voulues pour la pres- cription invoquée; si la possession d'un seul des possesseurs intermédiaires a été viciée, cela suffit pour que la chaîne soit rompue et pour que l'accession des diverses possessions ne puisse se produire.

353. En second lieu, l'ayant cause à titre particulier peut dissocier les deux possessions et invoquer l'une d'elles seu- lement suivant son intérêt.

Si nous supposons tout d'abord que l'ayant cause soit de mauvaise foi, mais que son auteur ait eu juste titre et honne foi et que le temps fixé pour la prescription soit écoulé au moment de l'aliénation, il est clair que l'ayant cause pourra, laissant de côté sa propre possession, invoquer celle de son auteur et opposer la prescription qu'elle a engen- drée; il n'est pas question alors de jonction des possessions. On ne pourra pas lui dire : 4C Vous êtes un possesseur de

1») Limoges, 2 déc. 185«, S., 56. 2. 5i9. Vazeille, n. 496; Troplong, n. 432. Preîjcr. Id

274 DE LA PRESCRIPTION

mauvaise foi ; par conséquent il n'y a pour vous de pres- cription possible que celle de trente ans. » Il répondrait: « Je laisse ma possession de côté, comme c'est mon droit, et j'invoque exclusivement celle de mon auteur; or, au moment j'ai fait l'acquisition, la prescription étaitr accom- plie à son profit par dix ou vingt ans ; c'est cette prescrip- tion que j'oppose. »

Ou bien l'ayant cause était de bonne foi lors de son acqui- sition; mais son auteur était de mauvaise foi. Après avoir possédé pendant le temps requis par l'article 2265, il pourra se prévaloir de la prescription de dix à vingt ans, n'invoquant ainsi que sa propre possession et laissant de côté celle de son auteur. Dans cette même hypothèse, il sera quelquefois de l'intérêt de l'ayant cause, et ce serait certainement son droit, d'invoquer, pour parvenir à la prescription de trente ans, la possession de son auteur, en y joignant la sienne propre. Celle-ci, étant utile pour la prescription de dix à vingt ans, l'est à plus forte raison pour celle de trente ans. Ainsi j'achète un immeuble dont je crois mon vendeur pro- priétaire, et j'entre en possession: j'ai donc juste titre et l)onne foi. Quelque temps après, je découvre que mon ven- deur n'était pas propriétaire ; non seulement il n'était pas propriétaire, mais, il était, par hypothèse, possesseur sans juste titre ni bonne foi ; seulement sa possession durait depuis vingt-huit ans au moment de la vente. Deux ans après, je pourrai invoquer la prescription, complétant les vingt-huit ans de possession de mon vendeur par mes deux années de possession d'une qualité supérieure à la sienne.

En sens inverse, si l'auteur avait une possession utile pour la prescription de dix à vingt ans et que la possession de son ayant cause ne se trouvât utile que pour la prescription de trente ans (ce qui arrivera si l'auteur avait juste titre et bonne foi et que ces deux conditions ne se trouvent pas réunies dans la personne de l'ayant cause), celui-ci pourra joindre à sa propre possession celle de son auteur, mais seulement, bien entendu, pour parvenir à la prescription de trente ans.

354. En dehors du cas de mauvaise foi, qui, nous l'avons vu, n'est pas un vice de la possession dans le sens absolu

CONTINUATION KT JONCTION DES POSSESSIONS 275

du mot, mais seulement un vice au point de vue de la pres- cription par dix ou vingt ans, la règle que nous venons d'étudier concernant les ayants cause à titre particulier n'a guère d'intérêt pratique qu'au cas de possession précaire ; c'est dans ce seul cas qu'il est intéressant de permettre au successeur particulier de disjoindre les deux possessions ; et, ainsi précisée, cette règle se ramène à celle de l'arti- cle 2239.

355. Il est à peine besoin de dire qu'un auteur ne peut jamais ajouter à sa possession celle de son ayant cause ; il a été jugé à cet égard que le possesseur qui est exproprié pour cause d'utilité publique ne peut joindre à sa possession celle de Texpropriant pour réclamer l'indemnité à la place de celui qui justifie de son droit de propriété au jour de l'expropriation (*).

356. Nous devons insister sur l'indication des successeurs k titre particulier auxquels s'appliquent les règles qui pré- cèdent. Il faut entendre ici ces expressions dans un sens large et admettre à l'accession des possessions tous ceux dont la possession est unie par un lien de droit à une pos- session précédente ; nous rangeons donc, parmi ceux qui peuvent invoquer l'article 2235, tous ceux à qui la posses- sion d'un immeuble a été abandonnée par suite d'une obli- gation de délivrance quelconque, ou par suite de la résolu- tion, de l'annulation, ou de la rescision d'une aliénation précédente (*). L'adjudicataire sur saisie peut joindre à sa possession celle du saisi. Le copartageant peut joindre à sa possession celle que ses copartageants et lui ont eue pendant 1 indivision (*). Le légataire peut joindre à la sienne, outre celle qu'a eue le testateur, celle que l'héritier a eue entre le décès et la délivrance du legs (*). Le possesseur d'un

(»)Cass., 19 juin 1854, S., 54. 1.630, D., 54. i. 248. - Laurent, XXXII, n. 363 ; Guillouard, I, n. 517 ; Hue, XIV, n. 368.

(*) Troplong, n. 445 et s., 462 ; Aubry et Rau, 5- éd., If, p. 134, § 182 ; Buf- noir, p, 284 ; Hue, loc* cit. ; Guillouard, n. 514. V. eep. Saleilles, Code civil AlLy I, p. 324 et s., note sur Tari. 221, § H et s.

(>)Cass., 11 février 1857, D., 57. 1. 239. - Guillouard, n. 514.

(*) Aubry et I\au, éd.. Il, p. 135, § 182 ; Guillouard, n. 512 ; Troplong, n. 444.

276 DE LA PRESCRIPTION

droit d'usufruit peut joindre à sa possession celle du propriétaire qui possédait auparavant (*). Le vendeur ou le donateur peuvent profiter de celle que Tacquéreur ou le donataire ont eue avant que leur titre ne fût résolu ou révo- qué.

Quelques auteurs, et notamment Laurent, ont bien, au cas Taccomplissement d'une condition résolutoire a fait revenir un immeuble aux mains de Tancien possesseur, sou- tenu que la possession devait être considérée comme ayant été exercée pour le compte de cet ancien possesseur ; il ne pourrait, dit-on, souffrir de ce que le possesseur dont le droit a été résolu n'était pas dans des conditions aussi favo- rables ; il doit être remis dans la situation il aurait été s'il n'y avait pas eu d aliénation. Cette théorie, généralement rejetée, nous paraît peu exacte ; la possession de l'acqué- reur est un fait qui échappe à l'empire de la rétroactivité de la résolution ; il n'y a rien d injuste à ce que cette pos- session compte avec ses caractères, ses vices ou ses qualités propres (*).

Dans le cas un acquéreur tient son droit d'un auteur dont le titre se trouve annulé ou résolu, cet acquéreur peut, à notre avis, pour invoquer la prescription de trente ans, joindre à sa possession celle qu'avait eue son auteur avant la résolution de son titre. Cependant il ne le pourrait pas à l'égard du propriétaire antérieur qui, ayant contracté avec cet auteur dont le titre est résolu, agirait, après la résolu- tion, contre l'acquéreur, afin de reprendre son immeuble : l'acquéreur ne pourrait lui opposer que sa propre posses- sion et non celle de son auteur (') .

357. Mais une controverse des plus anciennes, et qui paraît remonter jusqu'au droit romain, s'élève sur le point de savoir si le possesseur qui a perdu sa possession par suite d'une usurpation qui a duré plus d'un an, et qui obtient,

(«) Cass., 14 déc. 1810, S., 41. 1. 237, D., 41. 1. 32.

(«) V. Dunod, p. 20 et 21 ; Vazeille, n. 69 s. ; Troplongr, n. 444 s. ; Marcadé, sur rarlicle 2235, n. 3 ; Aubry et Rau, éd., II, p. 134 el 135 ; Leroux de Bretagne, n. 360 s. ; Laurent, n. 364 s.

1») Bufnoir, p. 325 et 326.

CONTINUATION ET JONCTION DES POSSESSIONS 277

après un jugement ou nin délaissement volontaire, la resti- tution de la chose usurpée peut joindre à sa possession celle de l'usurpateur. Plusieurs théories ont été émises sur cette délicate question.

358. a. D'après une première opinion, il ne saurait y avoir place, en cette hypothèse, à jonction des possessions ; le revendiquant qui triomphe n'est pas layant cause du pos- sesseur qu'il évince ; le jugement qui intervient est décla- ratif et non translatif du droit ; l'interruption de la posses- sion qui résulte de l'usurpation se continuant plus d'un an ne peut être effacée par l'effet du jugement ; on ne saurait concevoir que ce jugement fût opposable aux tiers à l'égard desquels il n'a pas été rendu (*). La loi tient compte seule- ment de la possession personnelle à celui qui invoque la prescription, ou de celle qu'avait eue avant lui celui auquel il a succédé. « La loi n'a pas entendu que toute possession exercée en dehors du verns dominus et par d'autres que lui, dès qu'elle a duré trente ans, dût être ipso facto constitu- tive de droits : s'il y a simple succession de fait, la jonction ne se produit pas (*). »

359. b. Une seconde opinion admet la jonction comme possible ; elle part de ce principe qu'on peut être ayant cause quant à la possession sans Tétre quant à la propriété, parce qu'on peut avoir succédé juridiquement à la possession d'un autre sans lui avoir succédé quant à la propriété. « Il est bien certain que le revendiquant ne succède pas à la pro- priété du défendeur, il n'est pas son ayant cause quant à ce droit, mais l'article 2235 n'exige pas qu'on soit ayant cause quant à la propriété ; il dit en termes vagues qu'on peut compléter sa possession par celle de son auteur ; le rap- prochement de ces deux expressions permet bien de suppo- ser que le code a plutôt songé à l'auteur de la possession, et quand il ajoute : de quelque manière qu'on leur ait succédé,

(') V. Cass., 12 janv. 1832, S., 32. 1.81, D , 32. 1.83, avec le rapport de M. de Broé. Merlin, Rép., Prescr., sect. I, § 5, art. 3, n. 8 ; Aubry et Rau, 5* éd , II, p. 136, § 181, note 8 ; Laurent, XXXil, n. 365 ; de Castelnau, Aer. cri*., 1872, p. 648 ; Planiol, %• éd., I, n. 1448; Bufnoir, p. 286 et s.

(«) Bufnoir, p. 287. V. m/'ra n. 398,

278 DE LA PRESCRIPTION

il emploie une expression qui peut ti*s naturellement s'in- terpréter dans ce sens : succéder dans la possession. Succé- d>er à une personne comme ayant cause^ ce n'est pas seule- ment la remplacer, c'est avoir été avec cette personne dans une certaine relation juridique par rapport à l'objet auc[uel on succède. Or, dans Thypothèse que nous examinons, cette relation juridique a existé ; le défendeur à la revendication n'a pas, par sa volonté, abandonné la possession que l'au- tre partie aurait alors appréhendée, il a remis cette posses- sion en vertu d'un jugement ; il existe entre lancien pos- sesseur et le nouveau une cause juridique qui fait du nouveau l'ayant cause de l'ancien (*). » Cette manière de voir se recommande de la tradition : « Si jussti jtidicis res mihi « restitiUa sit, accessionem esse mihi dandam placuit », dit la loi romaine (*). C'est aussi la solution qui paraît avoir été adoptée par le plus grand nombre de nos anciens auteurs i^),

300. c, Troplong admet aussi cette opinion, mais seule- ment dans le cas le possesseur intermédiaire a été con- damné à restituer les fruits ; si les fruits restent au posses- sjeur évincé, il estime que l'article 2243 entraîne alors interruption de la possession. Dans le premier cas, « la puissance de la chose jugée rétablit le propriétaire dans tous ses droits, ordonne que le temps de sa dépossession ne sera compté pour rien, et veut que, pendant cette période plus ou moins longue, le fait se réunisse au droit, et que la pos- session retourne était le domaine reconnu par le juge- ment. » Mais dans l'autre hypothèse, dit Troplong, « il y a eu interruption plus qu'annale ; le possesseur a joui des fruits; il les a faits siens par sa bonne foi; il n'est pas tenu de les rendre. Le jugement rendu sur la question de pro- priété au profit du propriétaire consacre la légitimité de la possession intermédiaire qui est venue scinder en deux la

(*) Golmet de Santerre, VIII, n. 341 bis, III et IV. V. dans le môme sens Bélime, n. 202 et 203 ; Marcadé, sur l'art. 2235, n. 3; Guillouard, n. 515.

(') L. 13, § 9, D., De acquir vel amill poss , XLI; 2.

(') V. Dunod, part. I, ch. IV; Merlin, Rép, v* Preêcr., sect. I, § V, arl. 3. Voy. aussi les autres citations rapportées dans Troplong:, n. 448.

CO.MINUÀTION ET JONCTION DES POSSESSIONS 279

possessioa du propriétaire. Parler, dans ce cas, d'accession de possessions, ce serait proposer une fiction, et l^arti- cle 2243 doit conserver son autorité. »

361. Cette dernière distinction proposée par Troplong doit tout d*abord être écartée sans hésitation ; elle ne repose sur aucun fondement sérieux ; l'acquisition des fruits par le pos- sesseur tient uniquement à ce qu'il était de bonne foi ; elle ne peut empêcher la jonction de sa possession à la posses- sion de celui qui l'a évincé; dans les deux cas, il y a eu pos- session ; dans aucun d^eux, ce fait de la possession ne peut disparaître. La fiction consisterait à admettre que le posses- seur de mauvaise foi serait censé n'avoir jamais possédé et que celui qui Taurait évincé aurait possédé par son inter- médiaire. Au point de vue de l'accession des possessions, il n'y a pas à distinguer si la possession du premiet» ou du second possesseur était avec bonne ou mauvaise foi, du moment qu'il s'agit d'opposer la prescription trentenaire. La théorie de Troplong devient d'ailleurs tout à fait embarras- sante quand la bonne foi et la mauvaise foi se sont succédé.

362. La théorie qui admet l'accession des possessions nous paraît fortifiée par les principes et par la tradition ; sans remonter au droit romain, nous voyons que Dunod la formule expressément : « On peut employer la possession de celui que l'on a fait condamner à la désistance (*). * Or nous avons vu que l'article 2235 a été copié dans Dunod. Peu importe qu'il s'agisse d'un jugement qui est déclaratif; il est déclaratif au point de vue de la propriété ; au point de vue de la possession, ce jugement entraîne obligation pour le possesseur évincé de céder l'immeuble au revendi- quant ; il établit un lien juridique entre les deux posses- sions ; il peut, à ce titre, être opposé aux tiers, de même que tout acte de transmission volontaire peut leur être opposé, malgré les règles de l'article 1165, au point de vue de la jonction des possessions. La solution qui a prévalu devant la cour de cassation entraînerait cette conséquence singulière « que le demandeur, après avoir été rétabli dans

(*) Dunod, p. 20.

280 DE LA PRESCRIPTION

son héritage, n'aurait pas l'action en complainte pour se faire maintenir, en cas de trouble, jusqu'à ce qu'il eût pos- sédé pendant un an par lui-même. y> Serait-ce le rétablir complètement que de ne pas le mettre à même de repous- ser les attaques dont sa possession pourrait devenir l'ob- jet (') ?

363. La seule objection embarrassante est celle tirée de l'ar- ticle 2243, d'après lequel il y a interruption de la prescrip- tion quand le possesseur a été dépossédé plus d'un an. Tro- plong et Bélinie font bon marché de cet article; d'après le premier, il ne s'applique que si le possesseur condamné a été de bonne foi et garde les fruits perçus pendant sa pos-. session ; il ne s'appliquerait, d'après le second, que dans rhypothèse il n'y a eu ni jugement, ni restitution amia- ble, mais l'usurpateur délaisse l'immeuble dans lequel l'ancien possesseur se rétablit de nouveau (*). Il est difficile d'admettre que l'article 2243 soit restreint dans son applica- tion à une hypothèse aussi chimérique; il ne l'est pas moins d'admettre, comme l'enseigne Troplong, que l'interruption dont parle cet article disparaisse par suite du jugement qui en ordonnant la restitution de l'immeuble, attribue les fruits au possesseur évincé, à raison de sa bonne foi. Les textes n'autorisent pas une pareille solution. La seule con- ciliation possible nous paraît être celle enseignée par Mar- cadé et par Colmet de Santerre ; l'interruption aura été définitive quand la dépossession aura duré plus d'un an, que le possesseur condamné garde ou non les fruits. Mais cela « n'empêchera pas le revendiquant de compter en vue de l'avenir la possession de celui qu'il évince ; sa posses- sion commencera par conséquent au premier jour de la possession de celui qu'il évince et son ancienne possession ne comptera pas (').»

(*) Bélime, n. 202 ; Troplong, n. 463.

{*) Bélime, loc, cit,

(') Colmel de Santerre, VIII, n. 341 bis, IV ; Hue, XIV, n. 370. - V. aussi Marcadé, loc, cit,; Leroux de Brelagne, n, 363. Gpr. G. civ. ail., art. 221 el940.

POINT DE Départ' ET suspension de la prescription 281

i CHAPITRE XII

DU POINT DE DÉPART ET DE LA SUSPENSION DE LA

PRESCRIPTION

SECTIOiN PREMIÈRE

NOTIONS GÉNÉRALES

364. La première question à examiner, en étudiant les r^les auxquelles est soumis le cours de la prescription est relative à la détermination de son point de départ. Quand la prescription commence-t-elle à courir ? A cet égard, il faut distinguer entre la prescription acquisitive et la prescription extinctive. La première a en principe pour point de départ le jour la possession a commencé ; car elle est fondée sur la possession, qu'elle a précisément pour but de consolider. Quant à la prescription extinctive, son cours commence en principeà partir du jour est le droit ou l'action qu'elle est destinée à éteindre.

365. La prescription, une fois commencée, peut être arrê- tée dans son cours par une interruption ou par une suspen- sion. Ces deux institutions doivent être bien distinguées l'une de l'autre.

L'interruption a pour but et pour résultat de mettre d néant une prescription en cours. Tout le bénéfice du temps antérieur à l'acte interruptif est perdu pour celui qui avait commencé à prescrire ; mais il peut immédiatement com- mencer une prescription nouvelle, s'il n'a pas cessé de se trouver dans les conditions requises par la loi. En un mot, l'interruption agit sur le passé, mais elle est sans influence sur l'avenir. La suspension a un caractère tout différent ; le cours de la prescription est momentanément arrêté, mais pour reprendre lorsque la cause qui opère la suspension aura cessé : la prescription pourra alors se compléter par le temps qui restait à courir au moment la cause de sus-

.*fc

282 LA PRESCRIPTION

pension s'est produite; le temps antérieur est mis en réserve, pour être utilisé lorsque la cause qui produisait la suspen- sion aura pris lin. On voit que l'interruption anéantit une prescription commencée ; tout ce qui estpossible désormais, c'est une prescription nouvelle qui peut d ailleurs, suivant les circonstances, commencer à courir immédiatement. I^ suspension au contraire ne fait que paralyser la prescrip- tion ; c'est un temps d'arrêt : la prescription commencée pourra se compléter plus tard.

366. D'après l'article 2251, « la prescription court contre toutes personnes, à moins qu elles ne soient dans quelque exception établie par une loi (*). » Et nous avons déjà vu plus haut que, d'aj^rès l'article 2227, la prescription court contre l'Etat, les établissements publics, les communes, de la même manière que contre les particuliers.

L'article 2251 n'a pas eu seulement pour but de suppri- mer les nombreux privilèges qui protégeaient jadis certaines catégories de personnes au point de vue de la prescription. Suivant nous, il entend aussi d'une façon générale spécifier que les cas le point de départ de la prescription est retardé, et ceux le cours de la prescription est suspendu, sont limitativement déterminés.

367. Dans notre ancien droit, il en était autrement. La juris- prudence avait laissé sur ce point une grande place à l'arbi- traire du juge. On partait de cette idée que celui qui est menacé par la prescription peut agir pour en écarter l'effet ; il peut 1 interrompre ; la prescription le frappe parce qu'il a été négligent. On considérait qu'il était par suite logique et équitable de ne pas faire courir la prescription contre celui qui avait été dans l'impossibilité d'agir et n'avait pu faire d'acte interruptif. Telle était la règle exprimée par la maxime Contra non valentem agere non currit prœscriptio. Cette maxime se trouve formulée par Bartole dans plusieurs gloses sur des textes du Digeste ou du code de Justinien, et notamment dans la glose sur la loi 1, paragraphe 2, au code, de annali exceptione ; d'après ce texte, la prescription pour

0) Gpr. C. civ. esp., art. i932; G. civ. porl., arl. 548.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 283

les bieps adventices ne court contre le fils de famille que quandlelien de lapuissance paternelle a disparu ; « Quis enim incusare eos poterit si hoc non fecerint qnod, etsi maluerint, minime udimplere lege obviante valebant (*). » Cette solu- tion était d'ailleurs assez critiquable en elle-même ; le père ayant l'administration des biens adventices^ c'était à lui à empêcher la prescription de s'accomplir.

Les premiers auteurs qui formulèrent la règle semblent n'avoir eu en vue que le cas d'obstacle légal. Mais la doctrine et la jurisprudence ne tardèrent pas à aller bien plus loin; elles étendirent la règle à tous les cas il leur paraissait qu'il y avait un obstacle quelconque à l'action de celui contre qui courait la prescription; minorité, démence, dotalité,condition, terme, caractère éventuel du droit, absence, ignorance, force majeure et cas fortuit, toute circonstance considérée comme empêchant d'agir fut considérée aussi comme entraînant sus- pension de la prescription. Le droit canonique exerça une grande influence pour le développement de la règle (*). Il admettait son application dans tous les cas il y avait un obstacle quelconque, légal ou matériel, à l'exercice de Tac- tion. Ajoutons d'ailleurs que l'étendue d application de la règle donna toi\jours lieu à des controverses nombreuses; elle ne triompha jamais d'une façon complète ; jusqu^à la fin de l'ancien droit, les résistances furent très vives de la part d'un très grand nombre d'auteurs (^) .

368. Les rédacteurs du code civil, par l'article 2251, ont

0) V. encore L. 1, D. XVIII, 16 ,- L. 1, D., XLIV, 3 ; L. 1. C, Vi, 60 ; L. 2 3 et 4, C, VII, 35; L. 7 g 4, C. VII, 39, etc.- Bariole qui paraît avoir le premier formulé la règle disait m Non vnlenli agere non currit prœ«crip(io.» Avant lui Iroerius exprimait la même idée en ces ievmes :€Prœscriptio non currit in his qui si retint agere nonpossunt. » D'autres formules avaient été proposées. V. Clément, De la règle Contra non valentem agere (Thèse i902), p. 2, 30 s. En général on ne visait que les obstacles de droit ; les obstacles de fait ne pou- vaient donner lieu qu'à une in inlegrum restitntio. Mais cette solution n'était pis unanimement acceptée.

C) Gpr. Brissaud, p. 1274, note 6. V. aussi Clément, p. 129 s.

C) V. notamment Dunod, p. 62 s. Mais voy. dans le sens de la maxime, Pothier, Prescr., n. 22 s., et Oblig., n. 680 s. ; Domat, Lois civiles, liv. III, lit. VU, secL 5 ; Poullain du Parc, Princ. da dr, fr., VI, p. 299. V. au sur- plus les intéressants développements donnés par M. Clément, op. cit., et par M. Bonifaccy, De la règle Contra non valentem agere. (Thèse 1901)

284 DE LA PRESCRIPTION

entendu mettre fin à ces controverses ; ils n*ont pas repro- duit la maxime ; c'est qu'ils ont entendu la repousser. Ajou- tons qu'ils ont sagement agi : ils ont voulu supprimer une source intarissable de querelles, de procès et d mextrî- cables difficultés ; ils ont voulu empêcher le retour d'abus souvent signalés. Les cas la prescription est reculée ou suspendue vont à rencontre du but de la prescription : ils prolongent la durée de situations incertaines, entraînent des contestations portant sur des faits anciens et difficiles à connaître et à apprécier; il faut les restreindre très limitati- vement. La maxime Contra non valentem agere non currit prœscriptio est contraire à l'institution de la prescription ; en établissant les délais nécessaires pour que celle-ci s'ac- complisse, la loi a en général tenu compte des obstacles qui peuvent empêcher d'agir ; elle a attaché à certaines cau- ses particulières une suspension de la prescription ; U. ne faut pas aller plus loin. On se place, en admettant cette maxime, à un point de vue trop étroit ; on considère que la prescription n*est basée que sur une présomption d'abandon du droit, ou sur une idée de peine contre la négligence de ceux qui ne font pas valoir leur droit ; on oublie que la prescription se justifie surtout par des raisons supérieures d'intérêt social qui sont aussi fortes et aussi puissantes quand il y a eu empêchement d'agir pour celui que la prescription se trouve atteindre. Ces raisons conduisent à dire que la possession, ayant duré plus de trente ans avec les caractères légaux, doit être consolidée, qu'une action qui pendant trente ans n'a pas été exercée doit être éteinte. On invoque Téquité, mais la prescription n'est pas fondée principalement sur l'é- quité. On aurait pu concevoir que les causes de suspension de la prescription que nous trouverons plus loin ne fussent pas admises ; c'eût été même plus conforme au caractère et au but de l'institution. Mais, si le législateur s'est montré peut- être trop facile à cet égard, il faut s'en tenir à ce qu'il a admis, sans étendre des dispositions tout à fait exceptionneUes de leur nature. Admettre la règle Contra non valentem dans notre législation, c'est aller contre le texte même de l'arti- cle 2251 ; c'est faire renaître tous les abus signalés dans

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 285

notre ancienne jurisprudence : avec un peu de bonne volonté, le juge qui voudrait restituer un propriétaire ou un créancier contre les effets de la prescription trouverait pres- que toujours quelque impossibilité d'agir, absence, igno- rance, etc. ; les dispositions de la loi sur la prescription, qui ont pour fondement les plus puissantes considérations dïn- térét social, resteraient lettre morte (*).

369. Cependant telle est la force de la tradition que les tribunaux n'ont pu se résoudre à abandonner complètement la maxime ancienne. Deux auteurs qui ont eu sur la forma- tion et le développement de la jurisprudence une grande influence, Merlin et Troplong, ont notamment soutenu que cette règle était toujours en vigueur. La Cour de cassation a décidé, en ce sens, que « la prescription ne court point contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention, ou de la force majeure » ; et elle a décidé de plus que les juges du fait apprécient souverainement l'im- possibilité d'agir (*). C'est, à notre avis, le contre-pied de la loi, la violation de l'article 2251. On dit, à l'appui de la jurisprudence, que les dispositions du code civil qui déter- minent les cas de suspension de la prescription ne font que consacrer des applications particulières de l'ancienne maxime, ce qui suppose que le législateur la considère comme étant

(*) Le premier projet de code civil de la convention, après avoir admis la suspension de la prescription au profit des mineurs et interdits et entre époux, ajoutait : U n*y a pas d'autre cause de suspension. » (Liv. II, til. 3, art. 128).

0 Cass., 28 juin 1870, S., 71. 1. 137, D., 70. 1. 310 ; 3 janv. 1870, D., 72. 1. 22. - V. aussi Cass., 22 juin 1853, S., 55. 1. 511 ; 10 déc. 1855, S., 56, 1. 429, D., 56. 1. 304 ; 27 mai 1857, D., 57. 1. 290 ; 19 juill. 1869, S., 69. 1. 407, D., 70. i. 75 ; 20 janv. 1880, S., 81. 1. 201, D., 80. 1. 65 ; 18 nov. 1884, D., 85. 1. 101 ; 21 mai 1900, S., 1902. 1. 133, D., 1900. 1. 422. - Agen, 23 févr. 1858, 0., 58. 2. 139. Besançon, 26 déc. 1888, S., 89. 2. 141. - Pau, 15 mars 1892, S., 93. 2. 133. Sur l'application de la règle en matière pénale, v Cass., 4 juin 1891, S., 92. 2. 193, avec la note de M. Villey, et l'étude de M. Mornard, fiev. gén. du dr., 1886, p. 39 s. La jurisprudence italienne s est quelquefois prononcée dans ce sens. V.Clémenl, p. 181 . La règle est expressément admise, avec une portée très étendue, dans quelques législations. V. C. civ. Bas Canada, art. 2232; C. civ. Montén., art. 632 et 848. —Une règle analogue, donnant lieu, dans son application, aux mêmes difflcultés et aux mêmes controverses, existe en droit musulman. V. Morand, Revue alffér,, 1899, I, p. 37 s.

1

280 DE LA PRESCRIPTION

encore en vigueur ; Finterprète, dit-on, doit donc, dévelop- pant ridée qui a inspiré les dispositions des articles 2252 et suivants, admettre d*autres applications dans les cas analogues à ceux prévus par la loi. Il est facile de répondre qu'en supposant que le législateur ait consacré, comme on le prétend, quelques applications de la règle traditionnelle, les autres doivent par cela même être écartées, puisque l'ar- ticle 2251 nous dit que les dispositions de la loi sont limi- tatives ; admettre certaines applications seulement de la maxime, c'est bien manifestement vouloir exclure les autres. Mais il y a plus ; nous verrons plus loin que les diverses dispositions sur la suspension de la prescription ne doivent pas être considérées comme des applications de la règle Contra non valentem ; le législateur l'a donc rejetée (*). « Il est permis de s'étonner, a dit très bien M. Labbé, d'en- tendre invoquer ce brocard comme un principe sous l'em- pire d'une législation codifiée. Si toutes les maximes reçues autrefois en jurisprudence ont conservé la valeur de prin- cipes, que devient la codification ? Que devient l'avantage d'une législation constatée par écrit ? Que devient la défense d'invoquer les anciens monuments du droit et de la juris- prudence sur les matières réglées dans le code civil ? »

370. Il est intéressant de voir maintenant quelles appli- cations la jurisprudence a faites de la règle traditionnelle qu'elle admet malgré le silence des textes et contrairement à l'article 2251.

La première est relative au cas celui contre lequel la prescription court a été empêché de l'interrompre par quelque événement de force majeure : la prescription, (lécide-t-on, a été suspendue pendant tout le temps qu'a duré l'impossibilité de l'interrompre. Il a été jugé en ce sens

(M V., dans le sens de la jurisprudence, Merlin, -Rep., Prescr., secl.I, S 7^ arl. 2, quesl. 8 ; Troplong, II, n. 700 s. ; Zachariœ, Massé et Vergé, V, p. 305; Leroux de Bretagne, n. 586 ; Bonifaccy, op. cit,^ p. 63 et s. V. aussi la noie dan^ Sirey, 71. 1. 137. V. en sens contraire, Duranton, XXT, n. 286; Mar- cadé, sur lart. 2251, n. 1; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 479 s., § 213 el2i4 ; Gol- met de Santen-e, VIII, n. 358 Jbîj, II; Goin-Delisle, Rev. gén, de dr. fr, et étr., 1847, p. 285 ; Laurent, XXXII, n. 14, 38 s.; Mornard, Rev. gén. du dr., 1885,. p. 516 ; Labbé, note dans Sirey, 78. 2. 313 ;Huc, XI /, n. 415.

POINT DE DÉPART ET SI'SPE>'SION DE LA PRESCRIPTION 287

que le délai de la prescription ne court pas pendant la durée d'une guerre qui a empêché d'agir (*). On peut répon- dre, en ce qui concerne cette première solution, qu'elle est condamnée par les dispositions spéciales qui, à diverses époques, sont venues suspendre, pendant certaines guerres, le cours des prescriptions ; Dunod cite des mesures de ce genre prises au siècle dernier ; on peut citer aussi les lois des 28 août 1793, 22 frimaire an II, 6 brumaire an V et H décembre 1814. Plus récemment, les décrets des 9 sep- tembre et 3 octobre 1870 et la loi du 26 mai 1871 ont sus- pendu les prescriptions en matière civile pendant la durée de la guerre franco-allemande (*). Toutes ces dispositions seraient d'une inutilité manifeste, si la règle était que la guerre est une cause de suspension de la prescription quand elle arrête le cours de la justice (^).

371. Une deuxième application concerne le cas celui à qui la prescription est opposée avait une juste cause d'igno- rer son droit. La cour de cassation a posé en principe que la prescription ne court point « toutes les fois que le créancier

Cl Cass., 5 août 1817 ; 29 juin 1818. - Pau, 23 mai 1840. D. Bép., V Prescr., n. 791. Troplong, n. 727 et les autorités par lui citée!». Troplong l'isimile à la g'uerre les cas d'insurrection, de peste ou autres cas de force majeure. Pour l'ancien droit sur ce point, v. Clément, p. 117 s.Troplong ajoute d'ailleurs que les ju(;es ne doivent tenir compte de ces obstacles que s'ils sont survenus à une époque voisine de Tachèvement de la prescription (n. 728) Cpr. C. civ. ail., art. 203. V. aussi Ilossel, op, cit., p. 203.

(*) V. Clément, p. 108., 117 s., 140 ; Bonifaccy, p. 58 s.— V. aussi la loi du 20 déc. 1879 qui a supprimé pour l'avenir les efTets de la suspension établie par les décrets de 1870 et 1881. Sur les difficultés qu'a soulevées en jurbpnidence l'application de ces décrets, v. Dalloz, Rép,, SuppL, vo Prescr,, n. 484 s.

(')Stc Dunod, p. 63 ; Colmet de Sanlerre, VIU, n. 338 bis, III. Cpr. Caen, 24 juill. 1873, S., 74. 2. 164. V. encore sur cette question, Goin-Delisle,i?cr. de dr. fr., et éU 1847, p. 285, et Merville, Rev. pr&t,, XXXIll, p. 305 ; Bonif- faccy, p. 135 s. D'après l'art. 203 C civ. ail., la prescription est suspendue si par suite de TarrÔt du cours de la justice ou tout autre cas de force majeure, le titulaire de droit n'a pu agir pendant les six derniers mois du délai de prescription. V.Grome, System des deulschen bùrgerlichen Rechts, p. 514, g 116, et note 8; Saleilles, Cod. civil alL, I, p. 294, note sur l'art. 203. La ditflcuUé que les commentateurs du Gode civ. allemand éprouvent à délimiter la notion de force majeure {FalU hoherer Geicult) constitue une objection sérieuse contre celte ^)!utioD : c'est le maintien de Tarbitraire, des incertitudes et des interminables controverses de l'ancienne jurisprudence, V. Saleilles, loc, cit.

288 DE LA PRESCRIPTION

peut raisonnablement, et aux yeux de la loi, ignorer l'exis- tence du fait qui donne naissance à son droit et à son intérêt et par suite ouverture à son action (*). » Mais il est clair que cette solution va à rencontre de la prescription elle-même. En général, ce ne sont pas ceux qui ont connaissance de leur droit qui le laissent prescrire, ce sont ceux qui l'ignorent et, avec quelque bonne volonté, on peut presque toujours trou- ver une juste cause à leur ignorance. Que deviendra, dans de pareilles conditions, le principe tutélaire de la prescrip- tion ? Notre ancienne jurisprudence n'admettait pas, en général, que l'ignorance fût une cause de suspension de la prescription ou une cause de restitution contre la prescrip- tion accomplie (*). Dunod, au siècle dernier, critiquait net- tement la solution que nous combattons ici. « Les docteurs disent que ceux qui ignorent probablement qu'on prescrit contre eux, méritent la même faveur que les absents, parce qu'ils sont également excusables de ne pas agir, qu'ils ont l'équité pour eux et qu'ils ne doivent pas être punis comme négligents puisqu'ils ne le sont pas en effet... Ils font sur tout cela un grand nombre de questions avec un grand nom- bre d'ampliations et de limitations qui suffiraient seules poup faire comprendre les absurdités, les inconvénients et même le faux qu'il y a dans cette doctrine. Les lois décident que la prescription court contre celui qui l'ignore, et aucune ne dit qu'il en sera restitué ; celle qu'on accorde en cas d'igno- rance n'est donc qu'une invention des docteurs dans un cas prévu par la loi et auquel cependant elle n'a pas voulu pourvoir en y admettant la restitution. Le motif de la loi est d'éviter les procès que la discussion de l'ignorance et de la connaissance ferait naître. Or, ce serait aller contre cette fin, et retomber par une voie indirecte dans les inconvénients que la loi a voulu éviter, que d'admettre la restitution de la prescription pour cause d'ignorance. Les auteurs qui autori- sent la restitution pour cause d'ignorance n'ont considéré que l'intérêt de quelques particuliers auquel la certitude des

(') V. Cass., 27 mai 1857, i9 juill. 1869, 3 janv. 1S70, 20 janv. 1880, précilés. Besançon, 20 mai 1891, D. 94. 1. IbO. (*) V. Clémenï, p. 110 s. ; Bonifaccy, p. 48 s.

POINT D.^ PÉPIRT ET SUSPENSION DS L.i PRESCRIPTION 283

domaines et la tranquillité publique sont sans doute préfé- rables ; ils ont quitté la thèse pour l'hypothèse ; c'est cepen-^ dant la tranquillita publique et la thèse en général que les lois ont en vue en établissant la prescription, puisqu'elles ont passé, à cette considération, sur l'injustice qu'il parais- sait y avoir d'enrichir l'un aux dépens de l'autre, et de priver le maître de son domaine malgré lui. La loi veut que la prescription donne une sécurité pleine et entière. C'est le langage uniforme de l'un et de l'autre droit. Or, comment aorait-on cette sûreté, si, après la prescription acquise, on pouvait encore être inquiété par une restitution, sous pré- texte d'ignorance ? (*) »

372. On a jugé encore que la prescription ne peut courir contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'une convention qui paralyse son action (*). M. Guillouard ensei- gne à cet égard, d'une façon générale, •que « le cours de la prescription peut se trouver momentanément suspendu par la convention des parties. » D'après lui, l'accomplissement de la prescription entre deux particuliers est d'ordre privé ; ils peuvent convenir que le délai en sera suspendu pendant un ceilain temps ; aucun texte ne s'oppose à une pareille convention. Cette solution peut être admise sans qu'on fasse intervenir la règle contra non valentem, et en se plaçant sur le seul terrain de l'effet des conventions; celles-ci doivent être respectées dans la mesure elles ne vont pas à ren- contre des lois d'ordre public. V. supra, n. 63 et 64. Le plus souvent d'ailleurs les conventions relatives à la prescription constituent une renonciation ou une reconnaissance inter- ruptive, ou encore ont pour but de reculer l'exigibilité de la dette et par suite le point de départ de la prescription (')•

{*) Dunod, p. 65. V. dans le sens de celle théorie, Troplong, n. 714 ; Aubry cl Rau, loc. cit. ; Marcadé, loc. cil, ; Coin-Delisle, loc. cit, ; Colmet de San- lerre, VIII, n. 358 bis, II ; Laurent, loc. cit. ; Mornard, loc, cit. ; Guillouard, n. 67 el 163. V. aussi Bonifaccy, p. 128 s.

l*)Ga3s., 23 nov. 1863, S., 67. 1. 391, D., 67. 1. 225 ; 28 juin 1870, S., 71. 1. 137, D., 70. 1. 310. Toulouse, 18 nov. 1868, S., 71. 2. 156. Nancy, 16 nov. 1889, S., 91. 2. 161 avec la noie de M. Bourcart; 20 juin 1896, D., 97. 2.394. —Troplong, n. 591.

(') V. Bourcart, loc, cil,

PRE8CR« 19

290 DE LA PRESCRIPTION

On a décidé aussi qu'il y a suspension de la prescription pendant la durée d'une instance ou à la suite d'un jugement ordonnant de surseoir à une procédure, ou encore s'il y a des questions préjudicielles à faire trancher (*). Ce sont là, à notre avis, des solutions inexactes, ou du moins mal moti- vées ; sans vouloir rechercher s'il y a en pareil cas impossi- bilité d'agir, nous croyons qu'il faut écarter ici toute idée de suspension de la prescription. Il ne peut résulter des ins- tances relatives au droit pour lequel la prescription est invoquée qu'une interruption de la prescription, mais non une suspension (*). Nous aurons plus loin à voir quelle est la durée de linterruption qui résulte d'une instance.

373. On peut se demander, en présence de ces solutions, auxquelles il faut ajouter celles que la Cour de cassation a données sur l'article 2257 et que nous étudierons bientôt, pourquoi la jurisprudence n'est pas allée plus loin et n'a pas consacré les autres applications de la règle admise dans notre ancien droit. Elle n'a pas admis que l'état d'aliénation men- tale fût à lui seul une cause de suspension de la prescription. Elle n'a pas admis non plus que la suspension résultât de l'absence du possesseur ou du créancier. Plusieurs auteurs avaient soutenu cette dernière solution dans notre ancien droit ('). Dunod expose leur doctrine et conclut ainsi : « On connaît assez, par ce qui vient d'être dit, dans quelles dis- cussions jettent les restitutions potir cause d'absence; qu'elles sont une source inépuisable de procès et que rien n'est plus opposé cl l'esprit des lois qui ont introduit la prescription dans la vue du repos et de la tranquillité publique ; on le ferait encore bien mieux sentir si l'on rapportait tous les cas dans lesquels les docteure disent que ces restitutions doivent être accordées ; mais il faudrait un volume pour les tous comprendre. » C'est l'opinion de Dunod qui a triomphé

(») Cass., 26 mai 1856, S., 57. 1. 820, D., 56. 1, 194 ; 14*février 1888, S., 90. 1. 313. Leroux de Bretagne, n. 512, 592 s. Cpr. Troplong, n. 616, 670, 683. C. civ. aU., art. 200. V. cep. Cass., 20 janv. 1880, S. 81. 1. 202, D., 80. 1. 165. - V. infra, chap. XIII.

(*) Baileydier, noie sous Gass., 14 fév. 1888, précité.

\*f V. Clément, p. 99 s. ; Bonifaccy, p. 41 et s.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 291

SOUS le code civil, ea doctrine et en jurisprudence; et il n'y a pas d'exception à faire au cas il s'agit d absence causée parles exigences du service militaire (*). La jurisprudence n a pas admis, à plus forte raison, que l'émigration pût être considérée comme une cause de. suspension de la pres- cription (*).

374. Comment expliquer ces solutions de la jurisprudence après celles que nous avons rapportées plus haut? C est que la jurisprudence parait avoir une manière spéciale d'inter- préter l'article 2251. Argumentant judaïquement des termes de ce texte qui dispose que m la prescription court contre tou- tes personnes, à moins qu'elles ne soient dans quelque excep- tion établie par une loi », certains arrêts ont dit ; les causes de suspension de la prescription sont limitativement détermi- nées par le législateur en tant qu'elles sont fondées sur des considérations relatives à la personne de celui contre lequel la prescription court ; on a voulu supprimer les nombreux privilèges personnels admis, en matière de prescription, par notre ancien droit ; la prescription court contre toutes personnes; mais le code civil ne détermine pas limitative- ment les causes de suspension qui sont étrangères à la per- sonne. Si donc on ne peut admettre, sans violer la loi, une cause de suspension relative à la personne qui ne résulte pas d'un texte formel, par exemple, l'absence, on peut, au contraire, sans encourir le même reproche, admettre pour des raisons d'érjaité, un 3 caaie de suspension étrangère à la considération de la personne, par exemple celle résul-

(')Cass., 25 octobre 1313, S. chr.; 19 juill. 1869, S., 69. 1.407, D., 70. 1.75. -Grenoble, 22 die. 1821, S. chr.; 2i avril 1850, S., 51.2.93.- Rennes, 16miM 1862, S., 62.2 193.— Dunod, p. 63; Merlin, flép., V Prescr , sert. I, § 7. art. 2, quesl. 6; Troplon-ç, n. 708 et 709; Aubry et Rau, loc. cit. ; Laurent, loc, cil, ; Leroux de Bretagne, n 9J a.; Guillauard, n. 63 et 162. V. aussi C. civil Bas Canada, art. 22 Î2 al. 3. V. cep. G civ. port., art, 162; C. civ. aulr., art. U75. Le Gjde civil italien suspend la prescription au profit des militaires en temps de §fuerre (art. 2120). V. aussi en ce sens le Code civil poi*- tujçais, qui donne la môme faveur à ceux qui sont absents du royaume pour le service de la patrie fart. 551).

(•) V. Troplong, n. 7il.— Sur le point de savoir si la prescription avait couru conlreles émigrés pendant la darée de l'émigration, V. Clémenl, p. 108 s., 169 ; Boniraccy, p. 46 s.

292 DE LA PRESCRIPTION

tant de la suspension du cours de la justice par suite de la guerre (*)•

Troplong avait proposé une interprétation de l'article 2251 très peu différente, et conduisant, d'ailleurs, au même résul- tat pratique. Le texte, d'après lui, ne vise que les inca- pacités personnelles ; il veut dire qu'en matière de prescrip- ion, il n'y a d'incapables que ceux que la loi déclare tels. m Mais en ce qui concerne les impossibilités dérivant de cau- es étrangères à la personne, est-il nécessaire qu'elles soient expressément articulées dans une loi?... Cette interprétation conduirait à l'absurde et imposerait au magistrat une règle également antipathique à la raison, à la conscience et à Téquité... Le législateur n'a pas entendu rapetisser la mis- sion du jurisconsulte à un horizon si borné. Que ce qui tient à l'état des personnes et à leur incapacité soit réglé par des lois spéciales, c'est ce qui est logique et nécessaire ; mais, pour les obstacles résultant d autres causes, le législateur n'a pas une vue assez étendue pour avoir voulu les embras- ser tous dans des catégories complètes ; il n'aurait fait que susciter des entraves et des injustices, si l'article 2251 devait s'entendre d'autre chose que des incapacités person- nelles (*). »

375. Ces interprétations sont bien inadmissibles, à notre avis. Les distinctions proposées ne ressortent nullement des termes de l'article 2251. En définitive, toute prescription court contre une personne ; et, quand le législateur vient nous dire : <c La prescription court contre toutes personnes, à moins qu'elles ne soient dans quelque exception établie par une loi », cela signifie tout simplement qu'il n'y a pas d'autres causes de suspension que celles établies par la loi. Car, en théorie, comment expliquer que la loi ait éprouvé le besoin de déterminer limitativemcnt les causes de suspension fon- dées sur des considérations personnelles à celui que la pres- cription menace et qu'elle ait donné une énumération non limitative des autres causes de suspension ? Sans doute il

(') V. Leroux de Brelagne, n. 88. <«) Traplon», n. 701

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 293

y a bien quelque dififérence à établir en législation entre les cas d'empêchement provenant d une force majeure et aux- quels aucune résistance n'est possible et les cas d'empêche- ment qui viennent de la personne et qu'elle aurait pu éviter, comme son absence ou son ignorance. Mais c'est à la loi à faire cette différence. D'ailleurs en supposant fondée son interprétation que nous venons de combattre, comment se fait-il que la jurisprudence admette comme cause de suspension l'ignorance dans laquelle se trouve celui contre qui la prescription court, et qu'elle n'admette pas de sus- pension au cas d'absence? Est-ce que, dans Fun comme dans l'autre cas, la cause de la suspension n'est pas relative à la personne?

375 bis. Il semble d'ailleurs que la jurisprudence soit tel- lemept pénétrée de l'importance de la vieille maxime qu'elle veuille la faire intervenir dans des cas elle n'a certainement rien à faire. Ainsi, dans le cas d'un arrêt du 21 mai 1900, il s'agissait d'un prêt fait à un prodigue sans l'assistance de son conseil ; la Cour de cassation a décidé, en invoquant la règle, que la prescription du droit de récla- mer, après l'annulation du prêt, ce qui avait tourné au pro- fit du prodigue, n'avait pu courir avant cette annulation. La solution paraît bien certaine ; mais il ne s'agit pas d'une application à faire de la règle sur l'impossibilité d'agir. Jusqu'à l'annulation prononcée, il n'y a pas d'action en restitution de in rem verso ; c'est seulement après que Tin- capable a demandé l'annulation de son engagement que naît pour son créancier le droit de se faire rembourser ce dont cet incapable a profité: c'est un droit accordé par la loi, ayant sa naissance au jour la nullité est prononcée, et ne pouvant se prescrire auparavant (*).

376. Une autre distinction a été proposée, plus rationnelle, très acceptable même en législation, mais qui trouve peu d'appui dans les textes et qui nous semble devoir être repoussée. D'après Aubry et Rau,la règle Contra non valen- tem agere non currit pr,vscriptio ne peut recevoir d'appli-

(*) Cass., 21 mai 1900, S, 1902. 1, 133, et la note.

294 DE LA PRESCRIPTION

cation, en Tabsence d'un texte, lorsque lobstaele qui a empêché l'interruption de la prescription est un obstacle fait, tel que l'absence de celui contre qui la prescription court, l'ignorance il se trouve de l'existence de son droite la suspension du cours de la justice résultant de la guerre' Mais il en est autrement si c'est un obstacle de droit, un obstacle légal qui ne permet pas de recourir à des actes interruptifs. Alors il est logique d'admettre que la loi qui empêche d'agir arrête et suspend par même implicitement le cours de la prescription. Cette distinction est, dit-on, en harmonie avec les textes sur les causes de suspension de prescription ; on verra, en effet, que plusieurs d'entre elles ont pour base une impossibilité légale d'agir ; elle est équi- table, et elle est conforme à l'opinion des anciens auteurs qui ont les premiers formulé la règle Contra non valen-- tem (*). Elle n'est pas contraire au texte de l'article 2251, car ce texte n'a voulu supprimer que les solutions arbitrai- res, jadis admises eii cas d'obstacle de fait. « Sa véritable signification, disent Aubry et Rau, est que la condition personnelle d'un individu et les circonstances particulières de fait dans lesquelles il se trouve placé ne peuvent jamais autoriser à admettre une suspension qui ne serait pas établie par la loi. On forcerait le sens de cet article si l'on voulait «n conclure que la prescription court, en l'absence de dis- positions spéciales qui la suspendent, malgré l'existence d'un

0) V. dans le sens de celle théorie, Aiibr/ et llau, 5* éd., If, p. 499 s , § 214; Duranlon, XMI,p.522 ; Massé el Vergé, sur Zachariœ, /oc. cit ; Momard, Revue gén.du droit, 18S5, p. 516 ; Guillouard, Prêter., n.l53, 165 el s.iDidio, Revue du notariat et de Venregistr , 1873, p. 295 et s. ; Clément, De U régie : Contra non valentem agere non curril prsescriptio (Thèse), p. 136 el s.; Thiry, Cours de droit civil, IV, p. 533;Amlz, id., IV, n. t999 et s. V. aussi Paris, 28 janv.1828.— PourTancien droit, voy. les nombreux auteurs cilés parClément, p. 30 s., 127 et 128. La juiisprudence belge est en ce sens. V. les arrêts cilés par Clément, p. 174 et 175. Cpr. Laurent, X)CXU, n. 40. ~ La doctrine el la jurisprudence ilalienne se prononcent aussi, en général, dans ce sens. V. }e^ arrMs el les auleurs cilés par Clément, p. 182 et s.— Le Gode fédéral desobli- galions décide que la prescription ne court pas tant qu'il est impossible de faire valoir la prescription devant les tribunaux (art. 153). L'article 202 du G. civ, ail. suspend la prescription tant que le débiteur est dans le cas d'opposer, pour une cause quelconque, un refus d'exécution ; il en est autrement s'il dépend du créancier de supprimer Texception. Voy. Grome, op. cit,, p. 513, § 116,

POINT d:: départ et suspension de la przs<:biption 295

obstacle légal qui s'opposerait à l'exercice de toute action, ménie siiiipiement interruptives. » S'il y a impossibilité légale d'agir, on est « dans une exception établie par la loi ». En pareil cas, a-t-on dit, il faudrait un texte formel pour que la prescription pût courir.

377. Cette théorie trouve, d'après Aubry et Rau,uiieprei- mière application en cas de faillite. « La prescription resto suspendue au profit des créanciers du failli qui ont fait admettre leurs créances au passif de lamasse jusqu*au moment où, par l'effet d'un concordat ou de la clôture de runion^ ils auront recouvré Texercice de leurs actions individuel- les. » ('). , »

De même, dans cette théorie, il y aurait suspension de la prescription au cas où, par suite de la 'confusion, les qualités de créancier et de débiteur auraient été, pendant un certain temps, réunies sur la même tête (').

Enfin on a récemment admis que l'action en responsabilit?^ .contre les administrateurs d'une société anonyme est suspen- due, au cas des articles 43 et 44 de la loi du 24 juillet 1887, pendant la durée de l'instance correctionnelle : le criminel tenant le civil en état, la poursuite civile est suspendue et la prescription cesse de courir (') .

On peut trouver bien d'autres applications de la solution ; on peut soutenir qu'il y a obstacle légal et par suite suspen-^ sion de la prescription dans tous les cas légalement le titulaire d'un droit a été contraint d'arrêter ses poursuites, dans tous les cas il aurait agi contrairement à la loi s'il ayait signifip des actes de poursuite : il en est ainsi dans les cas une autorisation préalable est nécessaire, une.

(') Aubry et aau,ioc.ct7.;GuillouarcI, n. 16j.— Con/ra, Cis- , 23 février 1S32, S., 32. l. 537, D., 32. l. 178 ; 14 février 1833, S., 33. 1. 8U, D., 33. 1. 183. - Lyon, 2 février 1819, D., 51. 5. 198. Lyon-Gaen el HeriaiiU, IV, n. 4i9 ; Leroux de Bretagne, n. 103. V. infra, n. 461.

C) V.Oass., 18 fév. 1835, S., 35. 1. 722, D. Rép., v Prescr., n. 763. - Li- moges, 23 jnars 1810, D , 40. 2. 202. Cpr. Cass., 12 déc 1826 et 21 juillet 1829, S. chr. Troplong, n. 726 ; Aubry et Hau, loc, cit.; Lerou.x de Bretagne, D. 589; Guillouard, n. 167.

(•) Bourges, 25 fév. 1891, sous Cass., 28 juin 1892, S., 94. 1. 330. Cpr. Ciss., 4 déc. 1885, S., 86. 1. 140. - Leroux de Bretagne, n. 600 s.

296 DE LA PRESCRIPTION

interprétation administrative doit être donnée^ un procès engagé en première instance ou en appel entraîne l'inac* tion du titulaire du droit pendant la durée de l'instance et plus tard une péremption ou une nullité de forme entraine Tanéantissement de la procédure et de l'interruption qui en était résultée (*). On peut citer aussi le cas du créancier d'une rente pour le temps qui s'écoule avant l'échéance du premier terme d'arrérages. Rappelons que la jurisprudence avait admis que la prescription n'avait pu courir contre les créanciers des émigrés, porteurs de titres sous seings privés et qui n'avaient pu, d'après les lois sur Témigration, ag-ir contre l'Etat (*). ,

378. Nous ne croyons pas devoir admettre cette opinion. Au cas de confusion, -il est certain, sans qu'il soit besoin de faire intervenir la règle Contra non valeniem, que, le droit étant éteint par la confusion, la prescription ne court plus : si la confusion vient à disparaître avec les effets qu'elle avait produits, la prescription reprend nécessairement son cours.

Dans le cas de faillite, il y a une interruption de la pres- cription dont les efiPets sont susceptibles de se prolonger plus ou moins longtemps ; mais c'est, nous le verrons, le droit commun de l'interruption de la prescription qu'il s*a^t d'appliquer. Il en est de même dans les cas une instance est engagée et arrêtée par des incidents de procédure ou des questions préjudicielles à faire trancher.

Dans les autres cas, il n'y a pas impossibilité absolue de faire des actes conservatoires. Il ne suffit pas, en effet, que l'on montre qu'il y a un obstacle à l'action du créancier; il faudrait montrer l'impossibilité de faire des actes interruptifs de prescription, d'obtenir la reconnaissance volontaire ou forcée du droit. D'une façon générale, nous ne pensons pas qu'il faille s'attacher à la règle d'Aubry et Rau. C'est au législateur à prendre soin qu'il n'y ait pas de difficultés d'agir telles que la prescription soit susceptible d'atteindre des personnes dont les droits n'ont pu être exercés. L'inter-

f') Sur ce dernier cas, V, »n/ra, n. 507 et 508. (*) Troplong, n. 717.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 297

prête et le juge n'ont qu'à appliquer strictement Farticle 2251. La loi^ en fixant les délais de la prescription, a tenir compte des obstacles accidentels et des obstacles légaux qui peuvent parfois se présenter. La théorie proposée n'est pas conforme à la tradition ; elle n'a pas d'appui dans les textes ; elle distingue entre des hypothèses qui, équitable- ment, ne doivent pas être distinguées. Nous concluons que la règle Contra non valentem doit être absolument repous- sée ; un droit se prescrit dès qu'il est né, si la loi n'a pas dit le contraire (*).

370. Au cas d'obstacle de fait, Aubry et Rau n'admettent pas d autre suspension que celle résultant des textes. Et cependant ces éminents jurisconsultes formulent un étrange tempérament à cette solution : <c Le juge, disent-ils, serait aatorisé à relever le créancier ou le possesseur des suites de la prescription accomplie pendant la durée de Tobstaclc si, après sa cessation, il s'était immédiatement mis en mesure de faire valoir ses droits (*). »

Il est impossible de trouver une base juridique à une pareille faculté réservée aux juges ; cette solution restera, croyons-nous, isolée et ne peut être défendue. <c Ne dirait-on pas, écrit avec raison Laurent, que c'est le préteur qui parle et qui prononce une restitution, en se fondant sur l'équité contre le droit strict? (•'*). »

SECTION II

DU POINT DE DÉPART DE LA PRESCRIPTION

380. La prescription extinctive d'un droit ou d'une action court, en principe, dès que ce droit existe ou que cette action est née ; la prescription acquisitive commence, en principe, avec la possession. Ces deux principes doivent être étudiés

(') V. en ce sens Laurent, XXXII, n. 37 s. V, infra, n. 45i s. (*) Aabry et Rau, 5- éd., II, p. 500, § 21i.

(*; Laurent, XXXII, n. 41. V. aussi Marcadé, sur Tari. 2251, n. 1 ; Colmet de Sanierre, t. S, n. 353 bis, II; Guillouard, n. iôd.

208 DE LA PRESCRIPTION

séparément quant à Tapplication qu'ils doivent recevoir et aux tempéraments dont ils sont susceptibles.

§ I. Prescription extinctive.

381 . Toute action, tout droit, toute créance se prescrivent en principe à partir de leur naissance (*). S*il s*agit d'une créance productive d'intérêts, il n'y a pas à attendre l'échéance du premier terme des intérêts pour faire courir le délai de la prescription (*). Nous supposons bien entendu une créance pure et simple et non une créance à terme, pour laquelle il y aurait lieu d'appliquer l'article 2257.

382. La règle s'applique aux rentes perpétuelles et viagè- res ; le droit à la rente se prescrit après trente ans (^) ; c'est ce qui explique la disposition de l'article 2263. La prescription court dès l'existence du droit ; il n'y a pas à attendre l'échéance du premier terme des arrérages. De même si des termes sont payés, la prescription court avant l'échéance du terme suivant, bien que le créancier n'ait rien à réclamer d'ici et n'ait pas d'action (*). Cette proposition a cependant été fortement contestée ; on a mis en avant l'article 2257 qui, en matière de créances à terme, ne fait courir la pres- cription qu'après l'échéance du terme (^). Mais cette consi- dération est peu exacte. Nous ne sommes pas dans le cas de l'article 2257. Il ne suffit pas d'ailleurs de dire que le créan- ce) La Cour de cassation a ju^é que le droit des héritiers à une succession se

prescrit par trente ans à partir du jour de la succession, alors môme qu'il s'agit (riiériliers primés par d'autres héritiers plus proches. Cass., 20 juin 1898, S. 9d. 1. 513 el la note en sens contraire de M. Wahl. V. aussi sur la question, Léger, Théorie génér. de la prescr. extinctive (thèse 1897), p. 104.

(•) Aubry el Rau, 5- éd., II, p. 483; Laurent, XXXII, n. 17; Guillouard, n. 73.

i») Toulouse, 23 janv. 1828, S. chr., D. Rép., v Prescr., n. 847. - Tro- plong, n. 182 et 810; Marcadé, sur Tari. 2263, n. 2; Aubry et Rau, édit., IV, p. 533, § 391. Contra, Metz, 28 avril 1819, S. chr., D. Rép., toc. cit., n.2ll. Lyon, 5 avril 182 i, S. chr. V. aussi dans ce dernier sens, pour l'ancien droit, les autorités citées par Troplong, toc. cit.

1*) C. civ. esp., art. 1790. ; G civ port, art. 545.

(*> Bordeaux, 16 juill. 1851, 1)„ 55. 2. 253, P. 53. 1. 595. - Vazeille, n. 353 ; Colmet de Santene, VIII, n. 370 bis, IV. - Gpr. C. fédéral suisse des obUg., art. 152. - V. Uossel, Manuel du droit fédédal desoblig., p. 197 el 198. V. aussi Saleilles, Code civil àlL, I, p. 288, sur Tari. 201, noies IV el V.

POINT DK DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRr.SCRIPTION i\W

cier ne peut agir qu'après la première échéance ; si on se plaçait à ce point de vue, on devrait dire, comme on Tad- mettait autrefois dans quelques provinces, que la rente est imprescriptible, car on ne peut jamais agir pour le capital; il ne pourrait être question que de la prescription des arré- rages pour lesquels on peut agir ; la rente elle-même serait imprescriptible comme l'est une rente perpétuelle sur TEtat. 11 n'est cependant soutenu par personne aujourd'hui qu'on puisse, après cent ou deux cen^s ans d'inaction, demander les arrérages d'une rente ; il faut donc admettre que la pres- cription du droit à la rente est indépendante de celle des arrérages ; elle court dès que le droit existe, qu'il y ait ou non des annuités exigibles; il faut choisir entre la prescrip- tion dès le jour du titre ou Timprescriptibilité. C'est la pre- mière solution qui a été admise (').

Il faut d'ailleurs bien distinguer des rentes les créances payables par annuités ou en plusieurs termes ; il y a alors plusieurs créances distinctes, naissant et s'éteignant isolé- ment (*), donnant lieu par suite à autant de prescriptions particulières.

383. Dans certains cas la prescription ne court pas, bien que le droit soit ; il en est ainsi des prescriptions prévues par l'article 1304, § 2 et 3, et par l'article 39 de la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés.

Observons de plus que pour les droits de créance qui ont pour objet une abstention, une obligation de ne pas faire, la prescription ne peut courir, bien que le droit soit né, tant que le débiteur respecte son obligation, et s'abstient d'agir; ledrwt est exercé et ne peut s'éteindre par prescription. La prescription ne peut courir que si, après un fait contraire à l'obligation de s'abstenir, le créancier n'agit pas (*). Jusque- il n'a aucune raison pour agir.

(•) V. Penet, XV. p. 558 s., el Locré, XVf, p. 511. - V. d'ailleurs, dans le sens de celte théorie, Gass., 5 août 1829, S. chr., D* Rép. toc. cit., n. 869. Marcadé, sur l*art 2263, n. 2 ; Aubry et Rau, tor. cil. et 5««d., II, p. 483 ; Uurenl XXXII, n. 13 ; Hue, XIV, n. 439 ; Guillouard, n. 75.

i«)Cas.s., 21 mai 1355, S.. 57. 1. 30, D.. 56. 1. 352. Aubry et Rau, toc fit.; Laurent n. 19 ; Guillouard» n. 76, 137.

(') V. G. civ. ail., art. 198. Cpr. Grome, op. cit., p. oU, § 115.

300 DE LA PRESCRIPTION

384. La prescription ne peut évidemment courir quand le droit n'est pas encore né. Ainsi la prescription ne peut cou- rir contre une créance purement éventuelle. Ainsi encore l'action en reddition d'un compte ou en paiement du solde d'un compte ne peut se prescrire qu'à partir du moment le compte devait être rendu^ ou à la fin du mandat ou de la gestion d'affaires (*). L'action en restitution d'un gage ne se prescrit que lorsque la dette est payée et que le débiteur est endroit deréclamer l'objet remisen nantissement à son créan- cier. Si chaque personne a le droit absolu d'exiger de tous qu'ils ne lui causent aucun dommage illicite, la prescription ne peut courir que lorsqu'une action est née à la suite d^une atteinte commise par quelqu'un au droit de cette personne (■); et l'action en réparation d'un délit ou d'un quasi-délit ne commence même à courir que du jour le fait est devenu dommageable, et non du jour il a été commis, si le dommage ne s'en est pas suivi d'une manière immédiate (*).

11 en est ainsi de la prescription ordinaire comme de la prescription dont le délai aurait été abrégé par la con- vention des parties. Nous avons vu qu'on peut, dans une police d'assurance, limiter à six mois ou à un an la durée du recours. Mais, le droit ne pouvant être éteint avant d'être né, le point de départ du délai doit, sauf clause contraire, être reculé jusqu'à ce qu'on sache si l'accident a causé un préjudice (*). La situation juridique est la même que quand il s'agit d'un droit purement éventuel contre lequel la prescription ne court pas (*). Nous avons vu <jue

(') V. Gass., 6 janv. 1869, S., 69. l. 52, D., 69. 1. 224. Paris, 13 avril 1867, S. ,67. 2. 214, D., 67. 2. 49. - Aix, 25 juin 1868, D., 70. 2. 15. - G, civ. esp. art. 1972 ; G. civ. port., art. 510. V. aussi infra, n. 767 s., l'étude de l'art. 2277.

(*) V. Grome, op. cU,^ p. 509, § 115.

(') Gass., 19 lév. 18/2, D., 73 1. 85. - Giiambér>',9janv. 1884, D., 85.2.62. -- Pau, 15 mars 189 i, S., 9i. 2. 133 ; 16 janv. 1896, D., 97. 2, 206. - Nancy, 20 juin 1893, D., 97. 2. 291. Leroux de Brelaifne, n. 691, 718 et 719 ; Guil- louard, n. 140. V. G. civ. esp., art. 1968 et 1969 ; G. civ. ail,, art. 852 ; Grome, op, cU,, p. 512, § 115.

(♦) Nancy, 20 juin 1896, précité.

(') Sur la validité de la clause qui stipulerait expressément que le délai court, dans tous les cas, à partir de Taccident, voy. supra, n. 98 s.

POIXT "DE DÉPABT ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 301

la loi du 9 avril 1898 sur la responsabilité des accidents du travail avait cependant admis que la prescription d'un an par elle établie courrait du jour de l'accident ; mais elle a été modifiée par la loi du 22 mars 1902 reculant le point de départ, s'il y a eu enquête, au jour de la clôture de l'en- quête du juge de paix, et, s'il y a eu paiement d'indemnité temporaire, au jour de la cessation du paiement de cette indemnité (*). (V. supra, n. 98 et infra, n. 719).

L'article 2256 alinéa 1, que nous étudierons plus loin, se rattache à la même idée, quand il décide que Taction d'une femme commune en biens ne se prescrit qu'après la disso- lution du mariage, si son exercice est subordonné à une option à faire entre l'acceptation ou la renonciation à la commu- nauté. C'est à ce principe qu'il faut aussi rattacher la règle que l'action en garantie ne se prescrit qu'après l'éviction (*) et celle d'après laquelle les droits et actions subordonnés au décès d'une personne ne peuvent s'éteindre par prescrip- tion avant cette époque (V. infra, n. 411 s.).

384 bis. Toutes ces solutions sont rattachées en général à la règle Actioni non natœ non prœscribiUir, Pour qu'un droit se prescrive, il faut non seulement qu'il soit né, mais qu'il puisse être exercé, que le créancier ait un moyen d'agir ('). C'est une règle rationnelle et équitable, mais bien des dérogations peuvent y être apportées et il ne faut pas, à notre avis, en faire une règle absolue. 11 peut arriver

(') Sur la prescription en matière d accidenls du travail, V Baudr^-Lacantine* rie et Wahl, Traité de louage y t. IL

(''Il est intéressant d'observer qu'il y aune difTérenee & établir, quant au point de départ de la prescription, entre l'action en garantie pour cause d'éviction et raclioD en garantie des vices lédhibitoires. La prescription exlinctive de celle- ci court en principe, à notre avis, du jour du contrat, sans qu'il y ail à attendre It découverte du vice (V. infra, n. 709), La garantie pour éviction ne se pres- crit qu'après le jour de l'éviction (V. infra, n. 393% A cet égard, la garantie due, au cas de cession de créance, à raison de Tinexistence ou de la nullité du la créance, est une garantie d'éviction; mais la garantie de la solvabilité actuelle ressemble à la garantie des vices. V. Leroux de Bretagne, n. 684 ; Guillouard, Vente, Il,n. 851.

v") Pothier, Oblig., n.680 s. V. infra, n. 387. et 388 Sic G. civ. esp„ art. 1969; G civ. ail., art. 198; Code civ. Montén., art. 631. V. aussi Lehr, ^fem. de droit civil anglais, n. 823. L'aciiona^a correspond à peu près à VAnspruch du Code civil allemand. V. Rossel, op. cit., p. 197. V. supra, p. 18, note 1.

30i DK LA PRESCRIPTION

ê

<[ue la prescription soit parfois retardée ou suspendue par la loi bien que le droit dagir existe. A l'inverse il peut arriver que le droit se prescrive bien que le droit d'agir n'existe pas encore; c'est ce qu'on admet pour la rente ; la prescription court, dans l'opinion ordinairement suivie, avant la première échéance d'arrérages ou après chaque paiement d'arrérages (V. supra, n. 382). C'est aussi ce qu'on admet pour les créances qui ne sont exigibles qu'après un avertis- sement donné au débiteur. Sans doute, il serait trop absolu de poser en règle, comme on le faisait autrefois, la maxime: Totiens prœscribitur actioni nondum natœ quotiens nativitas fat in potestatp créditons. Mais il est des cas cette idée doit être exceptionnellement prise en considération (V. infra^ 11. 390)

385. D'après l'article 2257 : « La prescription ne court « point, à l égard dxine créance qui dépend dune cou-- « dition jusqu'à ce que la condition arrive ; à Végard « dune action en garantie^ jusqu'à ce que ^éviction ait « lieu ; à l'égard d'une créance à jour fixe^ jusqu^à ce « que le jour soit arrivé (*). » Ce texte a été classé parmi les causes de suspension de la prescription, et la formule dont il se sert est la même que celle des autres articles qui éta- ])lissent des causes de suspension : « La prescription ne court point,,. » (Cpr. art. 2252 s.). Mais c'est une vue inexacte. La condition et le terme empêchent la prescrip- tion de commencer à courir ; le point de départ est retardé ; le cours de la prescription n'est pas seulement suspendu, ce qui supposerait qu'elle a déjà commencé à courir. 11 faut bien distinguer les règles qui suspendent la prescription et celles qui en reculent le point de départ. La suspension suppose une prescription qui a coinmencô et qui pourrait continuer à courir, si la loi n'en arrêtait pas le cours; il s'agit au contraire, dans notre hypothèse, d'une prescription qui n'a pas commencé à courir (*).

(•) Cpr. C. civ. ail., art. 202; C. civ. ital., art. 2120; C. civ. esp„ art. 1969 ; G. civ. porl., arl. 536 ; Gode féd. oblig., arl. 149.

(•) Aubry et Ilaii, 5' éil., Il, p. 4SI et 4S4, § 213, noies 1 et 14 ; Laurent, XXXIII, n. 20.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 303

386. Quel est exactement le caractère juridique de cette règle? Quel est son fondement? Quelle est sa raison d'être ?

Ce sont des points délicats sur lesquels les commenta- teurs ne sont pas d'accord. L'exposé des motifs de Bigot- Préameneu ne peut nous éclairer en rien. 11 se contente de dire : « La prescription est, par la nature même des choses, suspendue jusqu'à l'événement de la condition, s'il s'agit d'une créance conditionnelle ; jusqu'à l'éviction, s'il s'agit d'une créance en garantie ; jusqu'à l'échéance, s'il s'agit d'une créance à jour fixe. »

387. Voici d'abord une théorie fort accréditée et que Lau- rent a très habilement soutenue. Pour savoir, dit-on, quand la prescription commence à courir pour les droits de créance, les seuls, comme nous le verrons tout à 1 heure, qui fassent l'objet de l'article 2257, en d'autres termes quel est le point de départ de la prescription d'un droit de créance, il suffit de rappeler la définition de la prescription extinctive.Nous avons dit qu'elle constitue un mode de libération, résultant de l'inaction du créancier pendant le temps déterminé par la loi. La prescription extinctive des droits personnels nous apparaît ici comme un mode particulier d'extinction des obligations ; elle a pour résultat d'anéantir l'action qu'avait le créancier pour obtenir l'exécution de l'obligation. Ration- nellement donc, elle ne doit pouvoir commencer à courir que lorsque l'action du créancier est née ; car on ne concevrait pas que la prescription pût exercer son influence sur une action qui n'existe pas encore. C'est cette vérité élémentaire qu'exprime l'ancien adage Actioni no7i natœ non privscri- bitur, et que la coutume de Paris avait consacrée dans son article 117 : <c En douaire et autres actions qui ne sont pas encore nées, le temps de la prescription ne commence à cou- rir que du jour l'action est ouverte. » De il suit que, si un droit de créance est conditionnel ou à terme, la pres- cription ne pourra commencer qu'à dater de la réalisation de la condition ou de l'échéance du terme. Jusque-là le créancier a bien un droit ; mais il n'a pas encore d'action, et par conséquent la prescription ne peut pas courir contre lui, parce qu'elle ne s'attaque qu'à son action. La prescrip-

304 DE LA PRESCRIPTION

tion, dit Laurent ne se conçoit point il n'y a pas d'ac- tion, parce qu'elle n'a été introduite que pour mettre fin aux actions. Les créances conditionnelles ou à terme ne sont donc pas susceptibles de prescription, tant que la condition n'est pas réalisée ou le terme échu, parce que le créancier, s'il a un droit, n'a pas encore d'action, et qu'on ne peut pas prescrire contre une action qui n'existe pas (*).

388. On s'est placé à un autre point de vue pour expliquer l'article 2257. 11 est douteux, a-t-on dit, qu'il soit tout à fait exact de poser comme règle absolue, sous le code civil, la vieille maxime Actioni non natœ non praBscribitur, Ne peut- on pas penser plutôt que le principe est que tout droit se prescrit dès qu'il est né, même si l'action qui le protège n'est pas encore née ? (*) D'ailleurs le terme et la condition n'empêchent pas d'agir et de faire des actes conservatoires. Il faut donc plutôt admettre que si, dans le cas de l'arti- cle 2257, la loi retarde la prescription bien que, nous allons le voir, le créancier ne soit pas dépourvu des moyens d'em- pêcher la prescription de courir, c'est quelle n'a pas voulu le contraindre à agir en reconnaissance de sa créance ; il est en effet équitable et rationnel de ne pas frapper le droit du créancier quand l'existence d'un terme ou d'une condition explique très légitimement son inaction.

389. Il nous paraît, dans tous les cas, bien certain que c'est à tort qu'on a prétendu que l'article 2257 est une application de l'ancienne règle Contra non valentem agerenon curritprspS" criptio. C'est une erreur. La règle Contra non valentem signifie que la prescription ne court pas contre celui qui est dans rimpossil)ilité de l'interrompre. Or telle n'est pas la situa- tion du créancier conditionnel ou à terme : en supposant que la prescription courût contre lui,il aurait le droit et les moyens de l'interrompre. Il en aurait le droit : car l'interruption de la prescription est un acte conservatoire, qui demeure permis d ce titre à un créancier conditionnel (arg. art. 1180) et à

(') Laurent. XKKH, n. 2) et 21. V. aussi Guillouard, n. 131.

{*) V. supra, n. 33 i bis, V. aussi Lé^çer, op. cit,, p. 165, 204 el s. Cpr. Loi suédoise du 4 mars 1862, Codes suédois, trad. française de M. de la Grasse- rie, p. 212; Lehr, EUm. de droit civil Scandinave, n. 343.

POIXT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 305

plus forte raison à un créancier a terme. Il en aurait les moyens; car, s'il ne peut pas, pendente conditione aut die, exercer contre le^ débiteur une action en justice tendant à obtenir une condamnation au paiement de la dette, il pour- rait du moins obtenir de lui une reconnaissance volontaire ou forcée de son droit (arg. art. 2173), et une semblable reconnaissance est interruptive de la prescription. L'article 2257 n est donc pas fondé sur la règle Contra non valentem. 11 s explique surtout en ce que l'inaction du créancier se jus- tifie tout naturellement puisqu'il n'a pas à demander encore l'exécution de l'obligation et que le débiteur ne peut se tromper sur les causes de son inaction (*).

390. L'article 2257 s'applique d'abord aux créances à terme («). Il doit conduire à décider que la prescription des intérêts d'une créance ne court qu'après leur exigibilité ; par suite, si les intérêts ne sont exigibles qu'avec le capital,' la prescription de cinq ans ne courra qu'après l'échéance commune (*).

11 ne faut pas d'ailleurs confondre avec les créances à terme celles qui sont exigibles à la volonté du créancier ; pour celles-ci, la prescription court dès que le créancier peut réclamer sa créance, et il en est ainsi alors même qu'on a stipulé que le débiteur aura un certain délai à partir de l'avertissement préalable que le créancier devra lui adres- ser 0). Dans cette dernière hypothèse il n'y aurait pas lieu à notre avis, de modifier le point de départ de la prescrip- tion ni d'en aUonger la durée ; le fait que, pour la facilité du paiement, un délai a été stipulé à partir de l'avertissement

('• Colmel de Sanlerre, VIII, n. 361 bis, I. - V. cep. Guillouard, n. T7, loi,

(*) V. au cas de sursis accordé par le créancier, Cass., 28 nov. 1865. S 67 1.391, I)., 67, 1. 225. - V. mpra, n, 63. " '

l*; l\ouen, 4 mai 1383, sous Cass , 2 fév. 1886, S., 87, 1. 5 et la noie de Ubbé. - Cpr. Cass., 19déc.l871, S., 72.1.211, D., 71. 1. 300; 17 mars 1880 î^., 82. 1. 405,- Nancy, 12 août 1874, S.. 76. 2, 22. - V. infra, n. 789.

O Aubry et Ilau, 5- édit., Il, p. 483, § 213, noie 8; Leroux de Bretagne n.674 s., 693; Guillonard, n. 72, 133. - C. féd. des oblig., art. 149. - Cpr! Cas».. 13 juillet 1816, S., 46. 1. 730.

Prescr. 20

306 DE LA PRESCRIPTION

donné au débiteur-, ne peut avoir d'effet sur la fixation de la durée de la prescription (*).

L'article 2257 s'applique au cas de terme incertain comme au cas de terme certain (*).

S'il a plusieurs termes successifs, il y a plusieurs pres- criptions avec des points de départ différents (').

391. L'article 2257 vise aussi les créances conditionnelles. 11 est à remarquer qu'il parle de créances qui dépendent d'une condition, par conséquent de créances dont l'existence est subordonnée à la réalisation d'une condition, c'est-à-dire de créances soumises à une condition suspensive ; sa dispo- sition demeure donc inapplicable aux droits de créance soumis à une condition résolutoire. Le créancier, dont le droit est résoluble sous condition, a dès maintenant un droit et une action ; la prescription doit donc commencer à courir immédiatement contre lui

392. 11 est incontestable que l'article 2257 s'applique à tous les droits de créance conditionnels ou à terme, à ceux qui ont pour objet des immeubles aussi bien qu'à ceux

(') D'après Aubi7 et Rau, il faudrait ajouter au délai ordinaire de la prescrip- tion le temps qui doit s'écouler entre Tavertissement et les poursuites : autre- ment le créancier n*aui*ail pas pour a^ir tout le temps légal ; cela revient à dire que Tavertissement doit ôtre donné avant les 3D ans à paMir du jour il a pu ôtre donné; les 30 ans de prescription sont augmentés du délai qui doit précéder la poursuite du débiteur. V. aussi dans ce sens Guillouard, loc, cit. G. civ. ail. art. 199 V. sur cet article Crome, op. cit., p. 510, § 115; Saleilles, Code civil allemand, I, p. 277 et s.,, sur l'art. 199. Gpr. supra, n. 63 et 372.— Dans cette opinion, il importe de préciser à quel moment se place le prolongement de la prescription : car le délai de prolongement n*esl pas un délai de prescription et ne seiait pas soumis aux causes de suspension de la pi'escription. L'art. 199 G. alL place le délai de prolongement avant le commencement de la prescription proprement dite. V. sur ce point Saleilles, op. cit., p. 282, sur l'art. 199, § VI.

(0 Aubry et Hau. édit., 11, p. 483, § 213, note 12; Laurent, XXKII, n. 24: Ciuillouard, n. 138. - Gpr. Nancy, 23 juill. 1895, D., 96.2.182. On peut rattacher à l'art. 2257 la solution diaprés laquelle en cas de constitution de grage l'action en restitution de l'objet donné en gage ne se prescrit qu'après que la dette a été payée. V. Gass., 24 août 1842, S., 42.1.. 860, D. Rép., Presc , n. 441. - Aubrj- et Rau, 4- édiU, IV, p. 714. - V. infrh, n. 539.

(») Cass., 17 août 1871, D. Rép., Presc, n. 771.- Aubry et Hau, 5«édU., Il, p. 484, § 213 ; Laurent, loc. cit.

POINT D>: DÉPART ET SUSPENSION DZ LA PRICSCEIPTION 307

ayant pour objet des choses mobilières (*). Du moment que le demandeur fonde son action sur un lien d obligation^ il est dans les termes de Farticle 2257^ et il peut s'en préva- loir: peu importe qu'il s'agisse d'un meuble ou d'un immeu- ble. Ainsi celui auquel un immeuble a été légué sous condi- tion peut exercer l'action personnelle en délivrance contre les héritiers ou autres débiteurs du legs pendant trente ans à compter de la réalisation de la condition (laquelle n'était pas encore accomplie^ on le suppose, au moment du décès du testateur) ; la prescription est retardée à son profit jusqu'à cette époque.

392 bis. La règle est d'ailleurs susceptiWe de s'appliquer à tous les droits menacés par la prescription extinctive : si leur naissance est suspendue par une condition, la prescrip- tion extinctive ne court qu'à l'arrivée de la condition. On a rattaché récemment à ce principe la solution d'une difficulté qu'avait fait naître la convention, assez fréquente, d'après laquelle le concessionnaire d'une mine s'exonère, à l'égard de l'acquéreur de la surface,de toute responsabilité à raison du préjudice pouvant être causé à la surface par les travaux d'exploitation de la mine. Ce droit acquis par le concession- naire est-il susceptible de s'éteindre par prescription avant qu'un préjudice ait été causé et une indemnité réclamée ? On a pu soutenir qu'un pareil droit a le caractère d'une ser- vitude grevant la surface et qu'il ne peut s'éteindre par pres- cription que s'il y a un acte contraire. A un autre point de vue, et en lui reconnaissant un autre caractère, on a pu dire aussi que c'est un droit conditionnel pour lequel la prescription ne peut courir que lorsque l'événement prévu est arrivé, c'est-à-dire lorsqu'un préjudice a été causé et qu'une répa- ration a été réclamée ('). On a dit encore qu'une pareille clause crée une exception qui dure autant que l'action qu'elle est destinée à paralyser. Le mieux n'cst-il pas d'ailleurs de dire que, par application de la convention qui a été faite, le droit à une indemnité ne natt pas au profit de l'acquéreur

{') V. Ciss , 2) nov. 1878, S., V.K 1. 413, I)., 7». 1. 30i (aolion en itvoca- Jion pour inexécution des charges^. Gaen,9 déc. 1867, I)., 70. 2. 47. l*) Dijon, 30 dèc. 189.5. sous Gass. 12 déc. 189^, S. 1901,1.107.

308 DE LA PRESCRIPTION

et qu'ainsi la question de prescription extinctive du droit du concessionnaire n'a pas à se poser ? Le concessionnaire n'a pas d'action à exercer, mais est seulement exonéré d'une responsabilité. Il y a eu pour lui non l'acquisition d'un droit prescriptible, mais l'exonération d'une dette, l'aifranchisse- ment d'une obligation; en d'autres termes, la clause a créé une exonération qui a été la condition nécessaire du droit transmis (*).

393. Le point de départ de la prescription de l'action en garantie est reculé jusqu'à ce que l éviction ait lieu. C'est qu'ici le droit d'agir ne naît qu'avec l'éviction.

D'ailleurs, le mot éviction nous paraît pris par la loi dans son sens le plus large, c'est-à-dire comme désignant, non seulement l'éviction proprement dite résultant d'une sentence judiciaire, mais aussi le trouble qui en est le pré- curseur. Ce trouble suffît pour donner naissance à l'action en garantie (arg. art. 1625 s. C. civ., et art. 175 s. C. pr. civ.) ; par conséquent l'action en garantie doit commencer immédiatement à se prescrire car la règle est que la pres- cription court dès que le droit est (*). Quelques auteurs cependant s'en tiennent à la lettre de la loi, et décident que la prescription ne court qu'à dater du jour l'éviction est consommée et le droit d'agir en garantie existe d'une façon définitive au profit de l'acquéreur; la Cour de cassa- tion s'est prononcée en ce sens ('). Dans cette théorie, l'éviction est considérée comme consommée à la date du jugement, ou, s'il y a appel, à la date de l'arrêt. On pour- rait même soutenir qu'il ne faut, d'une façon générale, faire partir la prescription que du jour il y a chose défi- nitivement jugée.

393 bis. La prescription extinctive en matière de droits éventuels ne court bien évidemment qu'après le décès qui fait naître le droit resté jusque-là purement éventuel.

C) V. Cass. 12 déc. 1899, précité. Gpr. supra, n. 169.

(«) Cass., 12 déc 1837, S., 38. 1. 16, D., Rép , V Prescr.^ n. 768. - Aubry et Rau, éd., Il, p. 48i, § 213.

(>) Cas3., 18 jiiill. 1876, S., 77. 1. 313. D., 77. 1. 232. Duranton, XXI, n. 333; Laurent. XXXII, n. 23; Leroux de Bretagne, I, n. 685; Guillouard, I, n. 135; Hue. XIV, ti, 424.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 309:

§ II. Prescription acquisitive.

394. La prescription acquisitive est fondée sur la posses- sion ; elle commence à courir dès que la possession com- mence. Telle est la règle générale.

Mais larticle 2257 est-il applicable aussi à la prescription acquisitive ? Protège-t-il les droits réels ? En d'autres ter- mes, celui auquel appartient un droit réel conditionnel ou à terme sur un immeuble (droit de propriété, d'usufruit, d'hj'pothèque) pourra-t^U voir Tusucapion courir immédia- tement contre lui au profit du possesseur de l'immeuble sur lequel porte son droit ? Ou bien le point de départ en sera-t-il nécessairement retardé jusqu'à la réalisation de la condition ou l'échéance du terme? Par exemple, un immeu- ble a été légué sous une condition suspensive ; Théritier vend Timmeuble objet de ce legs et le livre à Tacquéreur ; celui-ci pourra-t-il commencer à prescrire la propriété de Timmeuble contre le légataire avant la réalisation de la condition ?

Sur cette question, il existe un conflit nettement établi entre la jurisprudence et la doctrine.

395. La jurisprudence admet ici l'application extensive de Tarticle 2287 ;elle décide en conséquence que le possesseur ne commence à usucaper que lorque la condition est réali- sée ou le terme échu (*).

39 . La solution contraire triomphe dans la doctrine, qui nous paraît avoir raison dans ce débat (*). Elle se place, à

(') V. en ce sens Cass., 4 mai 1846, S., 46.1. 482,1)., 46. 1. 255;16 nov 1857, S., 58. 1. 397, D., 58. 1, 54 ; 28 janv. 1862, S., 62. 1. 236, D., 62. 1. 89;9 juill. 1879, S., 79. 1. 463 ; 30 déc. 1879, S.. 80. 1. 64, D., 80. 1. 338. Dijon, 3 janv. 1878, S., 78. 2. 85, D., 79. 2. 118 ; 9 janv. 1899, D., 1900. 1, 103 ; 8 jtnv. 1900, S., 1900. 1. 224. Montpellier, 10 janv. 1878, S., 78. 2. 213. - Bordeaux, 12 mai 1879, S., 79. 2. 199, D , 80. 2. 8. - Pau, 26 juin 1888, S., 89. 2. 215. Nancy, 10 nov., 1889, S., 91. 2. 161. Sic, Vazeille, II, p. 66 et 67; Planiol, 2 édit,, I, n. 1411 ; Arntz. IV, n. 2003. - Cpr. Thézard, Revue critique, VIII, p. 385. Gel auteur n'admet la prescription acquisitive contre les droits réels conditionnels qu'au profit des tiers détenteurs sans titre ou qui tien- nent leur titre a non domino,

(*) V. Merlin, Rép., v Prescr,, sect. III, § 2, art. 2, quest. 2, n. 12; Prou-

310 DE LA PRESCRIPTION

notre a vis, sur un terrain inexpugnable lorsqu'elle vient dire : I /article 2257 parle des droits de créance, expression qui est toujours employée dans le langage juridique pour désigner les droits personnels ; sa disposition^ que la loi nous pré- sente comme exceptionnelle (arg. art. 2251) doit donc demeurer étrangère à la prescription acquisitive basée sur la possession ; par conséquent^ il ne faut pas s*en préoccu- per quand il s'agit de déterminer le point de départ de cette prescription. Or, si on fait ici abstraction de la disposition de Tarticle 2257, on voit que la prescription acquisitive com- mence à courir à dater de Feutrée en possession, car elle a pour but de consolider la possession : elle doit commencer à courir dès qu'il y a une possession réunissant les caractè- res requis par la loi.

Le droit de celui qui est propriétaire sous condition sus- pensive existe dès maintenant ; le titulaire peut accomplir des actes conservatoires pour en assurer le maintien (arg. art. 1180) et, parmi ces actes conservatoires, figure préci- sément l'interruption de la prescription qui court contre lui. Sans doute, il ne pourra pas interrompre cette prescription en intentant une action contre le possesseur, puisque son droit d'action n'est pas encore ; mais il l'interrompra en obtenant du possesseur une reconnaissance volontaire ou judiciaire de son droit. On ne peut donc pas adresser à la solution admise par la doctrine le reproche d'être injuste à l'égard du propriétaire sous condition, en ce sens qu'elle Ferait courir contre lui une prescription qu'il ne pourrait pas interrompre.

D'ailleurs cette question de savoir s'il pourrait interrompre la prescription est secondaire; ce n'est pas un motif décisif.

(Ihon, r»»/*., IV, n. 2130 s.; Toullier, VI, n. 517 et 518 ; Duranlon, XXI, n. 323 ; Vazeille, ii. 297 ; Marcadé, sur rarl.2257, n 2; Troplong, n. 791 et s. ; riabriel Déniante, Revue critique, 186i, p. 455 ; Aubry et Rau, 5* édit., Il, p. 485, § 213 ; Larombière, sur l'art. 1181, n. 15 ; Leroux de Bretagne, n. 701 s.; ('.olmel de Sanlerre, VIIÏ, n. 364 bis, Ul s. ; Laurent, X^^ll, n. 25 s. ; Gau- Ihier, note dans Sirey, 58. 1. 397;Labbé noies dans Sirey,67.2. 33 et 78.2.313 ; Hourcart. noie dans Sirey, 91. 2. 161 ; Bufnoir, p. 399 et s.; Hue, XIV, n. 426 ; (juillouard, I, n. 142 el s. - V, pour l'ancien droit. Clément, p. 78 s. Cpr. C. ci'v. tlal., arl. 2121,2126.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 3H

puisque le créancier conditionnel est protégé par l'arti- cle 2257, bien qu'il puisse faire des actes interruptifs de pres- cription. Ce qu'il faut dire, c'est que, dans le cas de prescrip- tion extinctive,la prescription ne court pas parce que 1 inac- tion du créancier s'explique facilement; il ne peut demander l'exécution de l'obligation ; à vrai dire, il n'y a pas inaction, puisque le créancier n'a pas à agir. Au cas de prescription acquisitive, le fondement de la prescription est la posses- sion ; cette possession a eu lieu tout aussi bien quand 1 im- meuble possédé était grevé de droits conditionnels ; il n'y a pas de raison pour que l'usucapion ne soit pas accom- plie. La prescription commence avec la possession ; voilà la raison de décider. Ajoutons qu'au cas de prescription extinctive, le débiteur connaît les niodalités de la créance et les causes de l'inaction du créancier ; au cas d'usucapion, le tiers qui possède peut ignorer les droits concédés à des tiers à terme ou sous condition. Ajoutons enfin qu'au point de vue de l'intérêt social, il y a bien plus d'inconvénients à prolonger indéfiniment le délai nécessaire pour usucaper qu'il n'y en a à retarder celui de la prescription libératoire qui ne concerne guère que le débiteur et ses liéritiers ; on aboutirait, comme l'a très bien dit un arrêt de la cour de Pau que Laurent approuve justement, à « créer au tiers déten- teur une position à jamais incertaine, puisque, après de lon- gues années de possession de bonne foi, paisible, non inter- rompue, connue de tout le monde, il pourrait encore être recherché pour un immeuble que ses ancêtres auraient acquis en ignorant que la faculté, pour le vendeur, d'aliéner cet immeuble était subordonnée à une condition qui pour- rait ne se produire que longtemps après l'acquisition (*). >► M. Labbé a résumé toutes ces raisons d'une façon très précise : La prescription acquisitive repose sur la posses- sion ; la possession a les mêmes caractères, la même noto- riété, doit avoir les mêmes effets à l'égard de tous ceux qui ont des droits réels, actuels ou conditionnels, sur la chose.

(*; Grenoble, 10 mars 1827, S. chr. Bordeaux, 15 janv. 1835, S., 35. 2 218. - Toulouse, 13 fév. 1858. S., 61 1. 67. - Pau, 22 nov. 1856, S., 57. 2 286, D., 57. 2. 61.— V. aussi en ce sens un arrM récent de la Cour de Limoges du 17 juin 1905, non encore publié.

312 DE LA PRESCRIPTION

On comprend que, dans un intérêt général, pour tranquilli- ser les possesseurs qui remplissent d'ailleurs les conditions de la prescription, le législateur impose à tous ceux qui ont des droits réelsen opposition avec la possession exercéed'être vigilants ; il permet à ceux dont les droits sont conditionnels de faire des actes conservatoires. La prescription réalise ainsi son but de sécurité sociale sans injustice... Quand un texte, clair dans la rédaction, s'explique ainsi par la tradition et la nature des choses, il nous semble téméraire de le modifier par une interprétation extensive (*). »

397. Sur quoi se fonde la jurisprudence pour soutenir que la prescription ne doit pas courir contre le propriétaire dont le droit est subordonné à une condition, tant que la condi- tion n'est pas réalisée ?

On a dit que le mot créance dans l'article 2257 a le sens de droit en général, que ce texte, de plus, est placé parmi des dispositions communes à l'une et à l'autre prescription. Ce sont des raisons bien faibles. Le mot créance a un sens bien déterminé en droit ; et, d'autre part, il n'y a pas d'argument à tirer de la classification du code civil qui a mélangé les deux prescriptions et placé ensemble des textes communs à l'une et à l'autre et des textes spéciaux à chacune d'elles. En admettant d'ailleurs que le texte vise tous les droits, l'extension ne devrait se faire qu'aux droits susceptibles d'être atteints par la prescription extinctîve, basée sur la seule inaction du titulaire du droit, indépendamment de toute possession d'un tiers, mais il doit rester étranger à la pres- cription acquisitive basée sur la possession.

On dit surtout que l'article 2257, en tant qu'il dispose que la prescription ne court pas à l'égard d'une créance qui dépend d'une condition jusqu'à ce que la condition arrive, n'est qu'une application particulière de l'ancienne règle Contra non valentem agere non currit pr^escriptio, et que, le législateur ayant ainsi consacré implicitement cette règle, le juge doit accepter toutes les applications qu'elle comporte et notamment l'étendre aux droits réels conditionnels,

(») Labbé, note dans Sirey, 78.2. 313.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 313

Ce raisonnement pèche à deux points de vue. D'abord il n'est pas exact de dire que Farticle 2257 alinéa 2 soit une application de la règle Contra non valentem ; nous lavons démontré plus haut. Ensuite, en supposant que l'article 2257 alinéa 2 soit une application de l'ancienne règle, en résulte- rait-U que sa disposition, écrite seulement en vue des droits de créance, dût être étendue aux droits réels conditionnels ? Assurément non. Nous l'avons déjà dit, la règle Contra non valentem... avait enfanté dans notre ancien droit d'énormes abus, que notre législateur n'ignorait pas et qu'il a voulu faire cesser en posant un principe tout à fait contraire : « La « prescription court contre toutes personnes à moins qu'el- « les ne soient dans quelque exception établie par une loi » (art. 2251). Par conséquent, en supposant que, par déroga- tion à ce principe, notre législateur ait conservé quelques applications de Tancienne règle etque l'article 2257 alinéa 2 contienne une de ces applications, il est clair que cette dis- position devrait, à raison de sa nature exceptionnelle, rece- voir l'interprétation restrictive, et que, écrite en vue des droits de créance, elle ne saurait être étendue aux droits réels. La question de la prescription des droits réels condi- tionnels avait été discutée en droit romain et dans notre ancien droit ; le silence de l'article 2257 ne peut être inter- prété que dans le sens de la non-application à la prescrip- tion acquisitive de la règle posée pour la prescription libé- ratoire. Ce ne serait d'ailleurs que le maintien de la solution suivie par nos anciens auteurs (').

398. Nous allons indiquer maintenant quelques-unes des applications du système que nous avons admis avec la doc- trine et qu'on peut résumer ainsi : Tusucapion commence inunédiatement à courir au profit du possesseur, même con- tre ceux qui ont sur l'immeuble par lui détenu un droit réel conditionnel ou à terme.

(^) V. pour le droitromain, au Code, L. 3, §3, Comm. de leg.^ VI, 43; L. 1, |2, De stnn. exe, VII, 40 ; L. 7, § 3 et 4, Deprtescr, irig, veL qundr, ann., Vn, 30. V. pour l'ancien droit, Loyseau, Déguerpiss., ch. II, n. 13 s. ; Ser- res, Inslital. du dr. fr., p. 157 et 158 ; PouUain du Parc, Princ, du dr, fr,, VI, p. 303. - V. aussi Labbé, S., 78. 2. 313 ; Thézard, Rev. crit,, XXXUI, p. 385 s. ; Aubry et Rau, 5* édil., II, p. 487, § 213, note 21.

3i4 I>K LA PRESCRIPTION

Mais remarquons bien, tout d'abord, qu'il ne peut s agir de prescription dans les rapports de celui qui a conservé un droit conditionnel sur la chose aliénée et de son acquéreur, par exemple dans les rapports du donateur et du donataire, du vendeur et de l'acquéreur: Faction qui appartient à l'aliéna- teur en cas d'arrivée de la condition subsiste intacte quelque longue qu'ait était la possession de l'acquéreur; celui-ci n'a d'ailleurs possédé qu'un droit résoluble ; il n'a pas possédé contre le droit de son auteur (*). Il pourrait seulement pres- crire si, la condition étant accomplie, il restait en posses- sion : les articles 2236 et suivants du code civil, qui refusent au jxrécariste de prescrire même quand la cause de précarité a c^ssé, ne nous i>araissent pas pouvoir s'appliquer ici par cinalogie (*).

La question de prescription ne se pose donc que dans les rapports de celui qui a conservé un droit à terme ou sous condition, et des tiers qui ont acquis de son ayant cause, de ceux qui ont acquis a ?ion domino, ou enfin de ceux qui ont usurpé la possession, ^

399. a. Un immeuble est grevé d'usufruit ; un tiers s'en empare sans titre, ou en prend possession après l'avoir acquis soit de l'usufruitier, soit d'un tiers. 11 commencera à en prescrire immédiatement la propriété contre le nu pro- priétaire, bien que le droit de celui-ci, quant à la jouissance tout au moins, soit à terme, puisque cette jouissance ne lui appartiendra qu'à la cessation de l'usufruit (*).

400. b. Un immeuble a été donné avec stipulation du droit de retour (art. 951 et 952) ; le donataire l'aliène. L acqué- reur commence à en prescrire immédiatement la propriété contre le donateur, bien que le droit de celui-ci soit condi- tionnel, sul)ordonné ,qu'il est à sa survie au donataire (*). La

(«) V. Burnoir, p. 323 el s.

(') V. les inléressanls développements donnés sur celle question par Bufnoir, p.3l9els.

(») Proudhon, isuf,, IV, n. 2137 s. ; Laurent, XXXIl.n.29. ' C) Troplong, n. 798; Aubry et Uau, 5* éd , H, p. 4S7, el 4- éd., VU, p.375; Laurent, XXXII, n. 31. La jurisprudence, qui se prononce en sens contraire, a quelqueà'uis d'ailleurs qualifié d'éventuel le droit du donateur. V. Bonifaccy, p. 172 s. C'c'sl une erreur certaine.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 315

prescription court pendente conditione contre le donateur. On ne peut-dire qu'ayant acheté du donataire, propriétaire sous condition résolutoire, l'acquéreur ait exercé le droit du donataire tel quel ; il en serait ainsi s'il avait expressément déclaré acheter le droit résoluble qu'avait son auteur ; mais s'il a acheté l'immeuble purement et simplement, avec l'intention d'accjuérir la propriété ferme et définitive, il est dans la même situation que s'il avait acheté d'un tiers non propriétaire, ou s'il avait usurpé la possession de Timmeu- ble (').

- 401. c. Le tiers acquéreur d'un immeuble qui a fait aupa- ravant l'objet d'une vente ou d'un échange sous condition prescrit avant l'accomplissement de cette condition (*). Il prescrit avant l'ouverture de l'action résolutoire dont son vendeur peut être tenu (^), et notamment, au cas de défaut de paiement du prix, avant que le prix par son vendeur soit devenu exigible. Ici encore, il ne faut pas distinguer entre celui qui tient l'immeuble de l'acquéreur dont le droit est résoluble et celui qui l'a usurpé ou le tient a non domino 6e n'est pas le droit résoluble qui a été acheté et possédé ; c'est la propriété pure et simple de l'immeuble. .

402. d. Le tiers détenteur d'un immeuble hypothéqué, soit qu'U ait usurpé la possession, soit qu'il tienne le bien à non domino, soit que le débiteur le lui ait vendu comme Kbre d'hypothèques, commence immédiatement à prescrire contre l'hypothèque dont cet immeuble est grevé, bien que h créance pour sûreté de laquelle 1 hypothèque a été éta- blie soit conditionnelle ou à terme.

Cette solution est d'ajUeurs tput à fait indépendante de la question de savoirsile créancier conditionnel ou à terme a une

O V. Aubry et Rau, 5-éd., II, p. 487.— .V. cep. Théeûrti, flcu., cril , XXXIII, p. 3S5 s. ; Demolombe. XX^CII, n. 555; Labbé, loc, cil. V. d'ailleurs infra, n. 404 s.

(•) Paris, 22 nov. 1856, S., 57. 2. 286. - Aubry et Rau.. éd., II, p. 487 ; Uurent,n.-32. ^ConlrA. Giss., 28 janv. 1862, S., 62. l. 236, D., 63. 1. 81. Troplong, n. 791. Cpr. Marcadé, sur l'art. 2257, n. 2.

e)Toulous3, iSfévr. 1858, S., 60.1. 67. -Troplong, n. 797; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 438-, Laurent, n. 33. Contra, Cass., 28 jànv. 1862, précité. ^ Pau, -26 juin 1888, précité.- Cpr.Cass., 6 mars 1867, D. 67. 1. 436. - Cpr, infra, n.- 404. - - .. .

316 Dfi LA PRESCRIPTION

action en déclaration d'hypothèque ou en reconnaissance du droit d'hypothèque contre' le tiers acquéreur. Cette action était admise dans Fancien droit (*). Ladoctrine se prononce encore aujourd'hui en faveur de son maintien dans notre législa- tion (arg. art. 2173 C. civ.) (^). La jurisprudence paraît plutôt la proscrire (') . Mais on peut l'admettre sans que cela préjuge en rien la solution de la difficulté que soulève Farticle 2257 quant à l'hypothèque du créancier à terme ou sous condi- tion. Les créances conditionnelles ou à terme ne s'éteignent pas par prescription tant que le terme n'est pas arrivé ou que la condition ne s'est pas réalisée, et cependant le créan- cier conditionnel ou à terme peut interrompre la prescrip- tion ; on n'a donc rien prouvé en démontrant que le pro- priétaire ou le créancier hypothécaire dont le droit est à terme ou conditionnel peut agir pour empêcher la prescrip- tion de s'accomplir. La raison est celle que nous avons don- née plus haut : la prescription est fondée sur la possession et l'article 2257 est étranger à notre hypothèse. On peut dire seulement que, si on n'admet pas Faction en déclaration d'hypothèque ou l'action en reconnaissance du droit hypo- thécaire permettant au créancier de sauvegarder ses droits, on fournit au système de la jurisprudence qui étend ici l'article 2257 un argument d'équité assez sérieux,

403. La prescription courant contre ceux qui ont des droits conditionnels sur l'immeuble possédé, ils pourront se préva- loir des causes de suspension qui résideront en leurs per- sonnes, telles que la minorité et l'interdiction (^). Us ne pour-

(*) V^ not. Dumoulin, ConsiL XXVI, n. 34 s. ; Loyseau, Dëgnerpissemenl^ liv. III, ch. II, n. 10 s. ; Renusson, Subrogation, ch. V, n. 54; Polhier, Hyp.» ch. III, § 6 ; Denisart, Rép,, Déclar, dhyp,

(«) V. Persil, Rég. hyp,, art. 2180, n. 37; Grenier, Hyp , II, 518 ; Troplong. Priv. et hyp,, III, 78, et Iv', 8S6 ; Pont, id., n. 1255 ; Aubr>' et Rau, 5* éd., II, p. 4SS, § 213, note 2i ; Leroux de Bretagne, n. 703 s.; Baudry-Lacanlinei ie et de Loynes, Hyp,, Hl, n. 23)5, et les autorités par eux citées.

(*) V. en ce sens, Gass., lônov. 1857, S.,58. 1.397,0., 58. 1. 54. —Besançon» 19 déc. 1855. S., 56. 2 297. - Paris, 12janv. 1866, D., 67.2. 33. - V.cep.Cass., 6 mai 1811, S. chr. ; 27 avril 1812, S. chr.;2 mars 1830, S. chr.— Caen,28mar» 1847, S., 48. 2. 760. - Pau, 2Z nov. 1856, D., 57. 2.61.- Gpr.les observations de la Gour de cassation sur le code de procédure rapportées dans Sirey, 9.1. 4,

(♦) Thézai-d. toc, ci/. Contra Bertauld, Rev, crit., XXXI. p. 192 s,

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 317

raient pas, à notre avis, la condition accomplie, invoquer en cas d'aliénation a non domino ou d'usurpation, les causes de suspension qui auraient pu exister dans la personne de l'ac^ quérenr dont le droit a été résolu (*). (V. infra, n. 463).

404. Nous venons de parcourir une série de cas se manifeste la divei^ence des solutions de la doctrine et de la jurisprudence. Mais on peut ajouter, comme l'a justement fait observer M. Labbé, que, dans bien des espèces sur les- quelles les tribunaux ont eu à stçituer, et il s^agissait de la prescription de dix à vingt ans, ils auraient pu justifier leur décision en la basant sur ce que la possession n'avait pas eu lieu avec juste titre et bonne foi, le possesseur ayant connu la condition à laquelle était subordonné le titre en vertu duquel il possédait, ou Thypothèque qui grevait le bien par lui acquis (*).

M. Labbé nous paraît d'ailleurs aller trop loin quand il exige, pour qu'il y ait juste titre, que le possesseur ait expres- sément reçu la propriété comme libre, franche et complète, et quand notamment il considère que celui qui acquiert un bien que son auteur déclare tenir d'un partage d'ascendant doit forcément s'attendre aux causes de nullité spéciales à ce partage, et ne peut prétendre avoir été appelé par son titre à une propriété incommu table. Ace compte, il n'y aurait aucune prescription de dix à vingt ans possible contre les actions en nullité ou résolution (V. 5w/>ra, n.400 s., et infra, n. 411 suiv.) (').

405. Il nous parait surtout difficile de suivre M. Labbé quand il refuse le bénéfice de la prescription de trente ans au tiers acquéreur qui a connu les droits existant sous con- dition sur la chose par lui acquise ; l'article 2240, d'après lequel on ne peut prescrire contre son titre, ne s'applique qu'aux détenteurs précaires et ne peut être étendu à d'autres hypothèses. La connaissance du droit conditionnel ne peut faire obstacle qu'à la prescription de dix à vingt ans. 11 n'y

(*) V. cep. Thézard, loc, cit.^ ; Berlauld, loc, cil,

(»/ Labbé, notes dans Sirey, 67. 2. 33, et 78.2.313. Gpr. Thézard, loc, cil, BerUuld, loc. cil, (') V. enco.e infra, n. 698 8,

318 DE LA PRESCRIPTION

a pas à exiger^ comme dans le cas de précarité, une inter- version dans le titre du tiers acquéreur.

406. On s^est placé à un autre point de vue pour soutenir qu'il faut distinguer entre les possesseurs au point de vue de Tapplication de l'article 2257, que ceux qui ont acquis a non domino ou qui se sont mis eux-mêmes en possession pour- raient prescrire à rencontre des droits réels conditionnels, tandis que ceux qui ont acquis la chose de l'acquéreur sous condition ne le pourraient pas. « Celui qui acquiert une pro- priété soumise à une résolution conditionnelle, dit M. Thé- zard,n'a pas plus de droits que son auteur. Il reçoit la chose cumsua causa et par conséquent avec lobligation de souffrir, le cas échéant, l'exercice du droit conditionnel. Cette obliga- tion, toute personnelle qu'elle est, passe sur sa tête, parce qu'elle est attachée à son acquisition. Si, en efiet, les obliga- tions d'une personne ne peuvent pas atteindre le tiers, elles lient ses ayants cause, même à titre particulier, quant à lachose pour laquelle ils lui succèdent ; elles suivent la chose dont elles sont inséparables. Peu importe que l'acquéreur ait ou non une connaissance positive de la condition dont il est menacé : il remplace de plein droit son auteur quant aux avantages et aux charges de la propriété. L'action du titu- laire conditionnel a le caractère mixte contre le tiers acqué- reur aussi bien que contre son auteur, elle suppose une créance, une obligation, et par elle tombe sous l'applica- tion directe de l'article 2257 (*)• *

Cette argumentation n'est pas exacte ; le tiers acquéreur ne peut être atteint que par une action en revendication ; il n'y a pas contre lui d'action personnelle ni mixte ; il ne peut tomber à ce titre sous l'application de l'article 2257. Sans doute il reçoit la chose cum sua causa, il n'a pas reçu plus de droits que son auteur n'en avait. Mais il peut, par pres-*- cription, acquérir plus qu'il n'a reçu ; il peut acquérir ce que son auteur ne lui a pas transmis. On ne prouve rien en disant que les actes faits avec son auteur et qui ont réservé

(•; Thézard, Rev. crit., XXXIII, p. 394. - Cpr. Labbé, note dans S., 67. 2. 33.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSIO.N DE LA PRESCRIPTION 319

uii droit conditionnel lui sont opposables : ils peuvent lui être opposés, mais il faut pour cela que la prescription ne les ait pas atteints. Ce n'est, comme nous l'avons déjà dit, qu au cas la chose a été expressément transmise au tiers acquéreur avec stipulation de la même condition qui afiec- tait le droit de son auteur que la prescription ne peut être opposée ; le tiers acquéreur n'a alors exercé que le droit qu'avait son auteur. En dehors de ce cas, la prescription peut courir aussi bien que si laliénation émanait a non domino (^).

407. Dans le cas d'une donation soumise à la révocation pour cause de sui*venance d'enfants, la règle de l'article 966 fait exception à la théorie que nous avons développée ; les tiers détenteurs ne peuvent commencer à prescrire contre le donateur qu'après la naissance du dernier enfant et non à partir du jour de leur entrée en possession. Il est à noter que, d'après l'interprétation traditionnelle, la règle de l'ar- ticle 966 s'applique même aux possesseurs qui auraient usurpé la possession et qui tiendraient l'immeuble a non

domino (*).

408. La question de prescription, au cas d'un bien grevé de substitution, est fort ancienne; elle était dans notre ancien droit \dvement controversée; la jurisprudence paraissait plu- tôt admettre que la prescription ne pouvait courir avantl'ou- verturede la substitution ('). Cette solution doit, suivant nous, ^Ire écartée. Elle doit l'être d'abord si on admet que l'appelé est propriétaire sous condition suspensive ; il faut dire, en pffet, en appliquant la théorie que nous avons développée, que la prescription court au profit des tiers contre lui, même avant l'ouverture de la substitution (^), sauf à décider que la prescription a été suspendue par la minorité de l'appelé.

(S V. dans ce sens ïluc, X[V', n. 427.

(*) Aubi^' et ïtau, 4* éd., VII, p, 441 ; Tliêzard, op. cit., p. 3SJ.

0) V. Troplong, n. 795 ; Clémenl, p. 89 et suiv. Cpr. I. 3. S 3, C. VI, 4:^.

\')Sie, BriUon, Dictionn. des arrêts, p. 304, n. 22; Domal, liv. V, lit. III, "fct. lU, n. 13; Dunod, p. 261 ; Troplong, n. 795 ; Duranlon, XXI, n. 180 ; Marcadé, sur l'art. 1053, n. 2 ; Demolouibe, Don., V, n. 554 ; Leroux de Bre- tagne, n. 712 ; Aubi-y cl Hau, éd., II, p. 487 et éd., VII, p. 349 et 360 ; Uurenl, XXXII, n. 30. Contra, Tliévenol, SuhsUL, ch. 55 ; Chabrol, Coût.

320 DE LA PRESCRIPTION

On doit admettre la même solution en considérant plus exactement l'ai^pelé comme succédant au grevé. La pres- cription, une fois acquise contre le grevé, est opposable à rappelé qui prend le bien après lui ; et, en se plaçant à c^ point de vue, la prescription, pendant la vie du grevé, ne pourrait être suspendue que du chef de celui-ci, sans qu'il y eût à s'occuper de l'appelé.

409. Ainsi, tout d'abord, l'usurpateur ou celui qui aurait acquis a non domino, pourrait opposer la prescription à l'ap- pelé aussi bien qu'au grevé et à tous autres. Le cas de l'alié- nation par le grevé des biens soumis à la substitution est plus délicat. Cependant nous pensons, dans ce cas encore, que le tiers acquéreur peut prescrire contre l'appelé. Celui-ci a, sans doute, une action en restitution qui ne commence à courir qu'à l'ouverture de la substitution, car elle n'existera qu'à cette époque et ne peut se prescrire auparavant, de même que l'action en réduction ne peut se prescrire avant le décès du donateur. Mais les tiers acquéreurs pourraient, lors de Taction de l'appelé après l'ouverture de la substitution, avoir achevé de prescrire et opposer la prescription à la revendication exercée contre eux (*).

410. Cette question a été souvent discutée dans l'ancien droit. Elle faitlobjet dans le traité de Dunod,d une intéres- sante dissertation. Un grand nombre d'auteurs refusaient au

d'Anv., ch. 17, art. 3, secU 1, § 8 ; Leprand, ConL de Troyes, art. 71 ; Raviot et Périer, arréls du Pari, de Dijon, I, p. 127, et II, p. 734 ; Gre- nier, Don., I, n. 333 ; Vazeille, 1, p. 343 ; Delvincourl, !I, p. 103, n. 1 ; Coin-Delisle, sur Tari. 1048, n. 31. Il est bien certain d'ailleurs que le grevé ne peut prescrire contre l'appelé ; sa possession n*a rien de contradictoire au droit de l'appelé. Il en est du grevé comme de l'acquéreur sous condition qui ne prescrit pas contre Taliénateur (V. supra, n. 388). La Cour de cassiilion a admis cette solution, mais en qualifiant le grevé de délenteur précaire. Le motif n'est pas très exact. V. Cass., 1" février 1832, S., 32. 1. 201. Laurent dit aussi que le grevé est lenteur précaire. Il conclut que si le grevé ou ses héritiers gardaient l'immeuble après l'ouverture la substitution, ils ne pourraient jamais prescrire sans interversion de leur titre dans les termes de lart. 2238. Ni la règle ni la conséquence qu'on en tire ne nous paraissent devoir être admises. V. Laurent, XXXII, n. 330,

l') Sic Aubi7 et Ilau, loc. cit.. V. cependant en sens diiïérent, pour le c*s d'aliénation par le grevé, Demolombe. loc, ri7,, n. 555 ; Leroux de Bretagne, n. 714.

POLXT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 321

possesseur le droit d'opposer la prescription à l'appelé : ils invoquaient la prohibition d'aliéner le bien substitué^ le droit de revendiquer donné à l'appelé nonobstant toute exception ou fin de non recevoir, Tanalogie avec les créances à terme ou sous condition, l'impossibilité pour les appelés dont le droit n'est pas ouvert ou qui même ne sont pas nés de pouvoir se défendre. Dunod, après Dumoulin, répond à toutes ces rai* sons. La défense d'aliéner n'entraîne pas, dit-il, Timprescrip- tibilité : la loi n'a pas établi d'imprescriptibilité pour les biens substitués ; eUe exclut toute exception ou fin de non recevoir, « mais sauf la prescription trentenaire qui est toujours admise si elle n'est formeUement exclue. > C'est à celui qui est chai*gé du fidéicommis à agir contre les possesseurs de biens substitués ; il doit, sous sa responsabilité, sauvegarder les droits éventuels des appelés (*). D'ailleurs la prescription acquisitive opère, par le fait de la possession, indépendam- ment des vices de l'aliénation ; c'est l'argument essen- tiel : « La prescription a son effet par la seule autorité de la loi, sans le consentement de celui contre lequel on l'ac- quiert, puisqu'on peut l'acquérir contre ceux qui ignorent leur droit et le cours de la prescription. La raison pour laquelle on dit non valenti agere non currit prâsscriptio, c'est parce que celui contre lequel on prétend prescrire a un droit acquis et qu'il est empêché de le faire valoir par quelque obstacle de droit. Mais, outre qu'il n'y a parmi ces empêche- ments que ceux qui sont spécifiés par la loi qui résistent à la prescription trentenaire, les héritiers fidéiconmiissaires ne sont pas dans ce cas avant leur naissance. » Us n'ont alors en effet ni droit ni action; la prescription ne court pas con- tre eux à proprement parler ; elle a seulement son effet contre eux si elle s'est accomplie avant que leur droit ne soit ouvert.

Pothier disait dans le même sens : « En vain le substitué alléguerait-il qu'il était mineur pendant que cette prescrip-

(*) Sous le code civil, les droits éventuels de l'appelé sont sauvegardés par la nomination d'un tuteur qui est déclaré responsable < s'il n*a pas fait toutes les diligences nécessaires pour que la charge de restitution soit bien et fidèle- ment accomplie » (C. civ», art. 1056 s., 1073).

PRESCR. 21

322 DK LA PRESCRIPTION

tion a couru^ ou même qu'il n'était pas ni même conçu, et qu'ainsi la prescription n'a pu courir contre lui. La réponse est que ce n'est pas aussi contre lui qu'a couru ni courir la prescription de ces droits, puisque ce n'était pas en sa personne qu'ils résidaient ; qu'elle n'a couru et courir que contre la personne de l'héritier grevé, en la personne seule duquel ils résidaient (*). »

Si on dit que Tappelé tient ses droits du testateur directe- ment et non du grevé et qu'il ne peut souifrir des actes ou de la négligence de celui-ci, Dunod nous fournit encore la réponse, pleine de bon sens et de justesse. En fait, le grevé, possesseur des biens substitués, en a été le maître, le proprié- taire. « Quoique l'héritier substitué ne succède pas au pos- sesseur immédiat, il succède néanmoins au domaine qu'avait ce possesseur et il le prend tel qu'il le trouve, entier ou diminué par Tautorité de la loi qui a introduit la prescrip- tion dont l'eflfet est d'acquérir un domaine perpétuel et irré- vocable, et qui n'est pas relative au droit d'un particulier, mais à celui de tous ceux qui pourraient prétendre la pro- priété que Ton acquiert par possession. »

Invoquant enfin le caractère d'intérêt général et d'ordre public de la prescription, Dunod dit qu'on ne peut admettre rimprescriptibilité des biens substitués. « Tout ce qui vient de la disposition de l'homme ou de celle du droit positif est régulièrement siget à quelque espèce de prescription ; ce serait admettre un progrès à l'infini s'il fallait autant de prescrip- tions qu'il y a de personnes appelées au fidéicommis... Cène sont que quelques familles particulières qui profitent des substitutions, ce n'est pas le public, et leur utilité ne peut pas égaler celle que Ton tire des prescriptions qui favorisent le commerce, tranquillisent tous les possesseurs et servent à chacun sans exception, d'où il suit que, par rapport au l)ien public, les prescriptions sont préférables aux substitu- tions (*), »

(*) Polhier, Subalil.y »ecL V, art. 1.

(*) V, en ce sens que la prescription court d'une façon générale au profil deî< tiers contre l*appelé, même avant Touverture de la .substitution, sauf la suspen- sion pour minorité, C. civ. Has-Ganada, art. 2207 ; God. civ. Valais, art. 2012.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 323

4tt. D'après une théorie très accréditée, il faudrait bien se garder d'étendre aux droits réels éventuels, qu'on appelle encore droits présomptifs, ce que nous avons dit des droits à terme et conditionnels. Si un possesseur peut usucaper contre celui auquel appartient un droit réel, conditionnel ou à terme, il ne le peut pas, dit-on, contre celui qui n'a qu'un simple droit éventuel. On entend ici par droits éven- tuels ceux qu'on peut être appelé à exercer un jour en qua- lité d'héritier légitime ou contractuel, et ceux dont l'exer- cice est subordonné à une option à faire après le décès de celui de qui on les tient. II y a une très grande différence entre le droit conditionnel et le droit éventuel. Le premier figure dès maintenant dans le patrimoine ; son titulaire peut en disposer, en assurer le maintien par des actes conservatoires, tandis que le droit éventuel n'a pas encore d'existence ; c'est une simple espérance ; il ne peut être question d'en disposer, ni de lui appliquer des mesures con- servatoires. La prescription court contre le premier et non contre le second (*). Le droit, dit-on, n'existait pas encore, on ne peut lui opposer une possession qui n'a pas, en réa- lité, été exercée contre lui ; cette possession n'est pas plus une contradiction au droit éventuel que ne l'est un acte de pure faculté, dans le cas de l'article 2232, à l'égard du droit du propriétaire contre qui on prétend avoir prescrit.

412. L'application la plus remarquable de ce principe est faite à l'action en réduction de l'héritier réservataire contre les tiers détenteurs des biens dont son auteur a disposé par donations entre vifs. Tant que le donateur est vivant, son héritier réservataire n'a qu'un droit éventuel, une simple espérance ; par suite, aucune prescription n'est possible contre lui. Son action en revendication ne commencera à se pres- crire qu'après l'ouverture de la succession (*) (V. C. civ., art. 929 et 930).

(*)V. nol. dans ce sens, Gass., 11 janv. 1825, S., chr., D. Rép., Prescr., n. 762 ; 16 juiU. 1849, S., 49. 1. 622, D., 49. 1. 237. - Troplong, n. 800 ; Marcadé. sur l'art. 2257, n. 3 ; Aubry et Rau, éd., H, p. 481, § 213 ; Lau- rent, XXXII, n. 34 8. ; Leroux de Bretagne, n. 716 s. ; Pianiol, II, n. 1413 ; nonifaccy, p. 162 s.

(*) Aubry et Rau, 5- éd., II, p. 481 et éd., VU, p. 230 ; Demoloinbe,

324 DE LA PBESCRIPTION

4i3. On sait d'ailleurs que, par application de cette même idée, les actions en nullité, rescision ou réduction, contre un partage d'ascendant ou une institution contractuelle, ne se prescrivent qu'à partir du jour du décès du donateur (*) ; il en est de même de l'action en délaissement d'immeubles compris dans une donation cumulative de biens présents et à venir et aliénés par le donateur (*), ou de Faction en révocation de Taliénation à titre gratuit d'immeubles compris dans une institution contractuelle (').

4i4. La théorie que nous venons de résumer est, à notre avis, susceptible de critiques. Sans doute les actionsen réduc- tion, en nullité, rescision et autres, ouvertes en cas de dona- tions portant atteinte à la réserve, ou en cas de partages d'ascendants, ou d'institutions contractuelles, ne peuvent se prescrire qu'à partir du décès du donateur ; jusque-là il n'y a pas de droit prescriptible. Alors même qu'on n'admet- trait pas en principe la règle Actioni non naLv, etc., il n'en faudrait pas moins fixer le départ de la prescription extinctive au jour du décès; car avant ce moment il n'y a pas de droit qui puisse ^^ éteindre par prescription.

Mais cette solution, qui n'est d'ailleurs que l'application du droit commun, ne se réfère qu'au cas de prescription extinc- tive. S'il s'agit, au contraire, de la prescription acquisitive basée sur la possession, elle commence avec la possession, et une fois accomplie, elle est opposable aussi bien à ceux qui prétendent exercer des droits présomptifs, qu'à ceux qui avaient un droit à terme ou conditionnel. Il n'y a pas à oppo- ser la règle Contra non valentem, que nous avons écartée, ni la règle Actioiii non natœ, qui ne s'applique qu'A la pres-

XIX, n. 240 s. ; Deinanle, IV, n. 67 Jbw, IX. Cpr. Lyon, 12 juil. 1878, sous Cass., 5 mai 1879, S., 79. 1. 313. (*) Cass., 16 juin. 1849, S., 49. 1. 622, D., 49. 1. 237 ; 14 juil. 1852, S., 52.

I. 749, I)., 52. 1. 203 ; 28 fév. 1855, S., 55. 1. 785, l)., 55. 1. 81 ; 7 janv. 1863. S., 63. 1. 121, D., 63. 1. 226; 27 nov. 1865, S., 66. 1. 104, D., 66. 1. 217 ; 23 mars 1837, S., 87. 1. 152. Marcadé, Revue critique, 1851, p. 280, cl 1853, p. 72 ; Aubi7 et Rau, 5- éd., H. p. 482, et 4- éd., VIII, p. 25, 41 et 72.

(•) Cass , 4 mai 1846, S., 46. 1. 482, D., 46. 1. 255. Aubry et Rau, 5- éd.,

II, p. 482, et 4* éd., VIII, p. 97.

ej Aubi-y el Rau, 5- éd., II, p. 482 et éd., VIII, p. 83.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 325

cripiioa extinctive, et qui d'ailleurs, nous Tavons vu, ne parait pas non plus devoir être prise tout à fait à la lettre. Remarquons que précisément dans .le cas de l'article 930 du code civil, la prescription acquisitive court bien certai- nement avant le décès du donateur au profit de tiers qui , auraient usurpé la possession de l'immeuble donné ou de tiers qui l'auraient acquis a non domino ; il en est de même de ceux qui ont traité avec le donataire lui-même. La ques- tion est analogue à celle que nous avons vu au cas de l'arti- cle 2257 et au cas de biens grevés de substitution : c'est la possession qui conduit à la prescription; peu importe quels sont les vices du titre de Taliénateur.

En un mot, on peut dire qu'en principe il en est des droits éventuels comme des droits conditionnels, au point de vue de la prescription acquisitive ; ils ne sauraient met- tre obstacle à ce que celle-ci s'accomplisse avant que le droit éventuel ne soit ouvert (*). D'une façon générale, et à moins d'exception formulée par la loi, il est vrai de dire que « I usucapion, en consolidant la propriété, l'affranchit de toutes les chances d'éviction auxquelles elle se trouvait soumise à raison d'actions en nullité, en. rescision ou en résolution, ouvertes contre la personne dont l'acquéreur tient ses droits, et qui étaient de la nature à réfléchir con- tre lui (*). » Il n'y a pas, dans notre cas, d'exception établie formellement par la loi.

SECTION III

DES CAUSES QUI SUSPENDENT LE COURS DE LA PRESCRIPTION

4^5. La suspension, que nos anciens auteurs appelaient aussi dormiiion, est, avons-nous dit, une période d'arrêt pendant laquelle la prescription sommeille, pour continuer à courir aussitôt que la cause d'où résulte la suspension a cessé. Le bénéfice du temps antérieur à la suspension n'est

(*) V. en ce sens Thézard, Revue critique, XX.X, p. 400 ; Bertauld, Revue critique, XXXI, p. 192 s. (*) Aubry et Kau, 5* éd., II, p. 556, § 218.

326 DE PRESCRlPtlON

donc pas perdu pour celui qui a commencé à prescrire : la prescriptionc ommencée pourra se compléter plus tard. «On rejoindra le temps qui a précédé à celui qui a sui\a pour rendre la prescription complète ; on ne fait que déduire le temps intermédiaire pendant lequel nous disons que la prescription ne court pas et qu'elle est suspendue ('). » C'est la différence principale que la suspension présente avec l'interruption qui anéantit la prescription commencée, de sorte qu'il pourra bien y avoir lieu, après Tinterruption, à une nouvelle prescription, mais il ne pourra pas être question de compléter l'ancienne, dont le bénéfice est irré- vocablement perdu.

Ainsi je me suis emparé sans droit d'un immeuble que j'ai possédé pendant vingt-cinq ans ; à ce moment, le véri- table propriétaire, qui était, on le suppose, majeur et capa- pie au moment de mon entrée en possession, vient à mourir laissant un héritier mineur. Tant que durera la minorité de cet héritier, la prescription commencée à mon profit sera suspendue, c'est-à-dire provisoirement arrêtée dans son cours (art. 2252) ; elle continuera à courir aussitôt que la cause de suspension aura cessé, c'est-à-dire à partir de la majorité de cet héritier ; elle s'accomplira donc, dans l'es- pèce proposée, par cinq années à dater de cet événement.

4i6. La suspension suppose une prescription commencée. Mais elle peut se produire dès le début, auquel cas, la pres- cription n'ayant commencé que d'une manière nominale avant d'être suspendue, il n'y aura aucun temps mis en réserve pour être ajouté à celui qui courra après la cessation de la cause d'où résulte la suspension. Ainsi je m'empare d'un immeuble appartenant à un mineur; ma possession réunit tou- tes les conditions requises par l'article 2229. La prescription commence à mon profit ; mais elle est immédiatement sus- pendue, arrêtée dans son cours. A première vue, il semble qu'il vaudrait autant dire que la prescription ne commence à courir qu'après la majorité du propriétaire. Ce serait une erreur: il peut être très important de constater que la pres-

(») Dunod, p. 62.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRKSCRIPTION 327

cription a commencé, sauf à la déclarer immédiatement suspendue. Ainsi, dans Tespèce proposée tout à Theure, sup- posons que rimmeuble dont je me suis emparé appartienne à une jeune fille mineure, qui plus tard se marie sous le régime dotal en se constituant tous ses biens en dot. Si l'on reconnaît que la prescription a commencé lors de mon entrée en possession, mais qu*eUe a été immédiatement suspendue, il en résultera que la prescription courra à mon profit pen- dant le mariage, aussitôt que la femme sera devenue majeure; car larticle 1561 dispose que les immeubles dotaux sont prescriptibles pendant le mariage, lorsque la prescription a commencé auparavant. Tandis que, si Ton considère la pres- cription comme ne commençant que le jour de la majorité de la femme, son point de départ se trouvant ainsi reculé à une époque postérieure à la célébration du mariage, elle ne pourra commencer à courir qu'après sa dissolution {'). La question présente un intérêt analogue au point de vue de l'application de l'article 2281 (*).

4i7, On peut répartir dans deux groupes les causes de suspension énumérées par le code civil : 1* causes de sus-- pension tenant à Tincapacité de celui dont le droit est menacé par la prescription ; 2" causes de suspension fondées sur les rapports personnels existant entre celui contre qui la prescription devra courir et ceux au profit desquels elle devra courir, ou ceux contre lesquels pourrait réfléchir l'ac- tion tendant à l'interrompre.

Faisons observer dès maintenant que ces exceptions ne se rattachent pas, comme on l'a prétendu, à la règle Contra non valentem agere noîicurrit prœscriptioi^) ; elles s'expliquent par les raisons que nous venons d'indiquer sommairement et que nous allons préciser plus loin; il est facile de remarquer que, sauf dans le cas de l'article 2256, alinéa 1, il n'y a pas, à vrai dire, impossibilité d'agir; et, d'ailleurs, cet article 2256, alinéa 1, nous montre plutôt une hypothèse le point de

0 Sic, Pltniol, 2- éd., I, n. 1474. (•) V. Aubry et Rau, éd., H, p 481, § 213, noie 1. t») V. Attbry et Rau, 5* éd.. Il, p. 490, § 214 V. cep. Troplouf?, n. 700; Guillouard, n. 92.

328 DE LA PRESCRIPTION

départ de la prescription est retardé qu'une véritable suspen- sion de la prescription. Rappelons ici que certaines pres^ criptions échappent à l'application des règles sur la suspen- sion formulées par les articles 2252 et suivants. (V. supra, n. 39, et infra, n. 813 et s.).

§ I. Des mineurs et des interdits.

418. La prescription est-elle suspendue dans notre droit au profit des incapables? Le législateur a résolu cette ques- tion d'une manière peu satisfaisante, à notre avis : il sus- pend la prescription au profit des mineurs et des interdits ; il ne la suspend pas, en principe tout au moins, au profit des femmes mariées. C'est d'ailleurs une distinction tradition- nelle. Le droit romain et notre ancien droit admettaient déjà au profit des mineurs, tantôt une suspension de la prescrip- tion, tantôt une restitutio in integrum contre les effets de la prescription accomplie (*). On admettait aussi, en général, dans notre ancien droit, la suspension de la prescription au profit de linterdit (*).

La logique aurait peut-être exigé que la même situation fût faite sur ce point à tous les incapables. En quel sens l'assimilation aurait-elle être établie ? FaUait-il suspen- dre la prescription au profit de tous les incapables ou ne la suspendre en faveur d aucun ? C'est dans ce dernier sens à notre avis, que la question aurait être résolue ('). Sans doute l'intérêt des incapables doit éveiller la sollicitude du législateur ; mais après tout c'est un intérêt particulier, et l'intérêt privé doit ici s'incliner devant l'intérêt social qui est un intérêt général ; or l'intérêt social exige que la prescription suive son cours. D'ailleurs les incapables ont des représentants ou des protecteurs, qui sont chargés de

(^) Troplong, n. 6Î3 el s.

(*) V. Troplong, n. 638.

(*) Sic Marcailé, sur Tari. 2252, n. l ; Berriat Sainl-Prix, Séances tt Ir^v. de VAcad. des se. mor. el polit, , i^* série, VI, p. 329; Belime, Philos, du droit, II, n. 709 el s.; Dareste, loc, cil, - V. aussi Uurent, XXX[I,d. 45; Saleilles, Code civil allem., î, p. 297, sur Tari. 206, noie I.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 329

veiller sur eux et qui sont responsables envers eux du pré- judice qu'ils leur causeraient par leur faute en négligeant d'interrompre la prescription ; leurs intérêts se trouvaient ainsi suffisamment sauvegardés. La suspension de la pres- cription, établie en faveur de certains incapables, est d'au- tant plus regrettable qu elle peut avoir pour résultat d'arrê- ter indéfiniment le cours de la prescription ; il suffit pour cela qu'un second incapable succède au premier, mort en état d'incapacité, puis un troisième au second, et ainsi de suite.

419. Bigot-Préameneu a fait valoir, pour soutenir le sys- tème qui a prévalu, ce motif que « celui qui laisse pres- crire est réputé consentir à l'aliénation », et que « les mineurs et les interdits sont incapables d'aliéner ». Il a ajouté que « la règle générale est que les mineurs sont res- tituables en ce qui leur porte préjudice ; et, par ce motif, ik devraient l'être contre la négligence dont la prescription aurait été la suite. » Il a enfin soutenu que « le mineur et l'interdit sont réputés ne pouvoir agir par eux-mêmes pour exercer les droits que l'on voudrait prescrire contre eux. » 11 y a dans cette argumentation bien des inexactitudes : on ne peut dire, nous le savons, que la prescription implique aliénation tacite ; on ne peut dire, non plus, dans notre droit, que les mineurs sont restituables chaque fois qu'ils sont lésés ; on oublie enfin que les incapables ont des représentants légaux chargés de veiller à leurs intérêts.

Troplong et Leroux de Bretagne (*) disent que les incapa- bles n'ont rien à se reprocher et qu'on ne peut faire courir la prescription contre eux, puisqu'il leur serait impossible d'éviter les résultats de la négligence de leur tuteur ; mais on sait que la prescription ne repose pas, comme fonde- ment principal, sur une présomption de négligence ; notre législation n'a pas d'ailleurs admis en général, qu'il fallût suspendre l'effet ordinaire de la représentation des incapa- bles chaque fois qu'il n'y a pas d'autre moyen de venir à leur secours.

(') Troplong, n. 733 et s. ; Leroux de Bretagne, n. 606 et 607. V. aussi Guilloutrd, I, n.97. - Gpr. Hue, XIV, n. 418.

330 DE LA PRESCRIPTION

La Cour de cassation avait, avec beaucoup plus de rai- son, proposé de ne pas admettre la suspension de la pres- cription pour cause d'incapacité : « Quelque favorables que Koient les mineurs et les interdits, pourquoi leurs actions auraient-elles une plus longue durée au préjudice de la société entière ? Les incapables ont des administrateurs qui leur sont donnés par la loi ; ils auront contre eux un recours en cas de négligence (*). »

420. « La prescription, dit Tarticle 2252, ne court pas < contre les mineurs et les interdits, sauf ce qui est dit à l'ar- ticle 2278, et à ^exception des autres cas déterminés par la « loi. » Evidemment, bien qu'on ait souvent soutenu le con- traire, il n'y a pas une application de la règle Contra non valentem (*). Le mineur pourrait agir par son représen- tant ; le texte de l'article 2252 contient en réalité une mesure spéciale de protection, une sorte de restitutio in integrum contre le préjudice que la négligence du tuteur pourrait causer au pupille ('). Pothier dit à cet égard « une

(^) Le Gode civil italien admet cette cause de suspension, sauf, cependant, en matière de prescription acquisitive de 30 ans (art. 2120 et 2121).^ Le Gode civil portugais suspend la prescription au profil du mineur sans représentant, et décide de plus que les prescriptions ordinaires ne peuvent s'accomplir contre les mineurs qu*un an après la Hn de la minorité (art. 549 et 550*. Le Oode civil espagnol n'établit pas de suspension de la prescription au profit des incapables. Son art. 1932 dispose ainsi: «Les droits et actions s'éteignent parla prescription au préjudice de toutes personnes ; à celles qui sont privées de Tadministration de leurs biens reste toujours le droit d'actionner leurs représentants dont la .négligence a amené la prescription. »— Le Code fédéral des oblig. n'admet aucune cause de suspension en cas de minorité ou d'incapacité, sauf pour les créances des enfants et des pupilles contre leurs représentants. Le Gode civil alle- mand, art. 206, suit un système mixte ; il n'établit pas de suspension au proOt des mineurs ou des incapables qui ont un représentant légal ; mais si dans les six derniers mois, le mineur ou l'incapable se trouve avoir été sans représentant, la prescription est prolongée jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à partir de la nomination d'un nouveau représentant ou de la (in de l'incapacité : la loi veut que six mois s'écoulent après qu'un nouveau représentant a été nommé ou que le mineur est devenu majeur. Ce système de protection est très ingénieux et arrive à concilier fori bien Tintérèt général qui s'oppose aux suspensions de prescription avec la protection due aux incapables. 11 ne s'applique pas d'ail- leurs, aux personnes morales. Saleilles, op. cil.^ sur l'art. 206, note III.

(*) V. pour l'ancien droit, Clément, p. 54 et s., 95 et s. ; Bonifaccy, p. 27 s.

(») V. Colmetde Sanlerre, VIII, n. 359 bis, I. Sur les nombreuses discus- sions que soulevait dans l'ancienne jurisprudence la question de la suspension

POINT DE D^IPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 331

faveur que mérite cet âge a fait excepter les mineurs de la loi sur la prescription. »

42i. Ce texte étant conçu dans les termes les plus gêné'» raux, on doit en conclure que le bénéfice de la suspension qu'il établit appartient :

a) Aux héritiers mineurs d'un propriétaire ou d'un créan- cier majeur (*).

b) Aux mineurs émancipés aussi bien qu'aux mineurs non émancipés. Le besoin de la suspension se fait même plus fortement sentir pour les mineurs émancipés ; car ils n'ont pas de représentant légal (*).

La règle doit s'appliquer au mineur émancipé par le mariage comme à tout autre mineur émancipé. La femme mariée mineure peut donc invoquer non seulement^ comme femme mariée, les articles 2254 et suivants, mais encore, comme mineure, l'article 2252. Et elle pourrait invoquer, à notre avis, la suspension de prescription de l'article 2252 pour tous ses droits et actions, sans distinguer ceux dont l'exercice est attribué à son mari par son régime matrimo* niai et ceux dont elle a conservé l'exercice. Même en ce qui concerne les premiers, on peut dire que la femme mineure, réputée plus inexpérimentée, ne pouvant veiller elle-mêmo à ce que les actes interruptifs de prescription soient régu- lièrement faits dans;Son intérêt, a besoin de la protection delarticle 2252, comme les autres mineurs.

c) Aux interdits légalement, non moins qu'aux interdits judiciairement. On ne voit aucune raison pour distinguer entre eux, et les textes ne comportent pas de distinction (').

<Jp h prescription pour cause de minorité et celle de la restitution contre les i'Oelfl de la prescription dans l'intérêt des mineurs, voy. Dunod, partie III, ch. I, p. 231 et s. ; Merlin, Rép, Preêcr., sect. I, § 7, art. 2.— V. aussi Guillouard, n. 95.

(')Agen, 10 janv.lKSl,D., 51. 2. 53; Douai, 24 mai 1854, D.56. 2. 51.- Aubn et Rau, 5* éd., H, p. 492, § 214 ; Marcadé, sur Pari. 2252, n. 1 ; Leroux de Bretagne, n. 617 ; Laurent, XXXÏI, n. 47 ; Hue, XÏV, n. 417 ; Ouillouani, n. 106.

(MVoplong, n. 740; Marcadé, loc. cit, ; Aubry et Hau, 5" éd., II, p. 491, i2i4 ; Laurent, XXXH, n. 46 ; Guillouard, n. 98. V. cep. Code civ. liai., art 2120.

C) V. dans le sens de Tassimilatiou, Duranton, XXI, n. 296 ; Leroux de Brc-

332 DE PRESCRIPTION

Les règles sur la gestion du patrimoine de 1 interdit légal sont, en général, les mêmes que celles de la gestion des biens de l'interdit judiciaire.

422. 11 s'applique aussi d'un autre côté :

a) A la prescription prévue par l'article 475, soit que l'administration du tuteur cesse avant la fin de la minorité, soit que le pupille devenu majeur décède laissant des héri- tiers mineurs (*), et à celle de larticle 1304 (*), aussi bien qu'aux prescriptions ordinaires.

b) A l'action en nullité des actes passés par l'interdit avant l'interdiction, mais à une époque existait la cause notoire de l'interdiction. L'action ne naît qu'avec l'interdic- tion, et la prescription en est de suite suspendue jusqu'à la main-levée de l'interdiction ou le décès de l'interdit (') .

423. Mais, s'il fout donner à notre disposition le déve- loppement naturel qu'elle comporte à raison de la généra- lité de ses termes, il fout bien se garder de dépasser cette limite. Nous refuserons donc le bénéfice de la suspension :

a) Aux fous non interdits, eussent-ils été placés dans un établissement d'aliénés (^) ; la jurisprudence n'a pas étendu ici la règle Contra non valentem, et a maintenu stricte- ment le principe de l'article 2251.

tafjne, n. 610 ; Colmel de Sanlene, VIII, n. 85) hU, II; Hue, loc. cil. : Ouillouard, n. 9J. Contra, Pau, 19 aoùl 1850, S., 50. 2. 587. Aubry el Hau, 5- éd., H, p. 491, § 514 ; Planiol, éd , I, n. 1481. V. aussi Laurent, XKXII n.52.

(') Douai. 24 mai 1851, S , 5i. 2. 433. Aubry et Hau, 5' éd., 11, p. 492, § 214 ; Leroux de Brelaffrne, n. 622 ; Guillouard, n. 107 el 108 ; Laurent, XXXII, n. 49. - Contra, Duranton, XXI, n. 290.

(«) Gass., 8 nov. 1813, S , 44. 1. 129, D. Rép., Prêter., n. 630. - Agen, 10 janv. 1851, précité, Marcadé, loc. cit. ; Aubry et Hau, loc, cit. ; Laurent, XXXII, n. 44 ; Cohnet de Sanlerre. V, n. 265 bis, lli s., et VIII, n. 359 bU, VI; Larombière, Des oblig., sur lart. I30i, n. 32; Deinolombe, XXIX, n. 132 et suiv.; (iuillouird. n. lO'J —Contra, Angers, 22 mars 1834, S., 34. 2. 337. Duranton, XII, n. 548 ; TouUie:*, VII, n. 615.

(M Chamt)éi-y, 19 janv. 1886, S., 8S 2. 16.- Aubry et Hau, i* éd , IV, p. 280, §33); Laurent, V, n. 316.

(♦) Cass , 31 déc. 1866, S., 67. 1. 153 et la note de Boullanger, D , 67. 1. 350. Troplong, n. 738 ; Marcadé, loc. cit. : Aubry et Hau, 5* éd., II, p. 497 ; Laurent, XXXII, n. 52; Hue, loc cit.; Guillouard, n. 15i.— V. aussi Lacoste, S, 95. 2. 225. V. en sens contraire, Polhier, Oblig., n. 581.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 333

b) Aux prodigues et aux faibles d'esprit pourvus d*uii con- seil judiciaire {*).

424. Une double restriction tempère la faveur accordée aux mineurs et aux interdits.

La première est annoncée par ces mots de l'article 2252 ; sauf ce qui est dit à t article 2278. Ce texte, ainsi que nous le verrons, soumet les mineurs et les interdits au droit commun pour les prescriptions particulières dont il est question dans la section IV du chapitre V, et qui s'accom- plissent par cinq années ou par un délai de moindre durée ; on les désigne dans la doctrine sous la dénomination com- mune de courtes prescriptions. Chose singulière! c'est pré- cisément ici que le besoin de la suspension se faisait le plus vivement sentir pour les mineurs et les interdits, car la prescription est d'autant plus menaçante qu'elle est plus courte, et le législateur leur retire sa protection. Vaine- ment on fait valoir qu'il s'agit de créances modiques qu'on paye ordinairement assez vite, et que d'ailleurs, les sommes étant peu élevées, la responsabilité du tuteur est une garan- tie suffisante ; cela n'empêche pas qu'il y ait contradiction dans les dispositions du code civil. Nous ne critiquons pas l'article 2278 : l'intérêt social doit l'emporter sur celui des incapables. Mais alors il fallait laisser les mineurs et les interdits soumis dans tous les cas au droit commun en matière de prescription,

425. La deuxième restriction résulte de ces mots, qui ter- minent l'article 2252 : et â l'exception des autres cas déter- minés par la loi. Il n'y a pas de difficulté lorsqu'il existe une disposition expresse ; on en trouve un exemple dans l'arti- cle 1676. Mais la doctrine va plus loin et admet, l'arti- cle 2252 n'exigeant pas rigoureusement une exception for- melle et expresse, qu'une exception virtuelle suffit, et par exception virtuelle on entend celle qui résulte de l'esprit de la loi et des motifs qui l'ont inspirée. Comme exemples, on cite les cas prévus par les articles 559, 809, 880, 886, 957^

(«)Cass , 6 juin 1860, S., 60. 1. 593, D., 60. 1. 339. - Troplong, n. 741 ; Marctdé, loc, cit. ; Leroux de Bretagne, n. 611 ; Laurent, XXXII, n. 5) ; Hue, for. cit. ; Ouillouard, loc, cit.,

334 DE LA PR£SGRIPT10N

1047, 1622, 1648 du code civil et par les articles 64, 108 et 189 du code de commerce.

Nous n'avons pas à étudier ici les règles du droit comaier- cial en matière de prescription. Faisons remarquer simple- ment que, d*après Topinion générale, les règles de suspen- sion du code civil ne sont pas applicables aux presoriptions spéciales organisées par le code de commerce ; le droit com- mercial a des règles propres ; on peut admettre, sans qu'il soit besoin de texte formel, que le législateur y ait implicite- ment écarté les causes de suspension de la prescription (*),

Quant aux prescriptions particulières organisées par le code civil, on doit admettre aussi qu'il suffit d'une exception virtuelle pour qu'on puisse déroger aux règles de la suspen- sion de la prescription (*). Il est difficile de soutenir que les })rescriptions spéciales soient toutes nécessairement soumises aux mêmes règles que les prescriptions ordinaires. 11 faut voir, pour chaque prescription particulière, d'après son but et d'après les motifs qui l'ont fait admettre, si le législa- teur a ou non la suspendre en cas de minorité de celui contre lequel elle s'accomplit. (V. supra ^ u. 36 s. et infra, n. 710 et 815). Il paraît bien certain, d'ailleurs, que les prescriptions établies en matière fiscale ne sont pas soumises au droit commun de la suspension pour cause de minorité ou d'interdiction.

§ IL Des femmes mariées.

426. La suspension de la prescription forme le droit com- mun pour les mineurs et pour les interdits; c'est parexcep-

(') V. Pardessus, II, n 2i0, et IV, n. 1090 ; Bravard-Veyrièi'es,II, n.727; Au- bry et Rau, 5' éd.. II, p.491, § 214; Colmet de Santerre, VIII, n. 355 Ai», XV ; Lyon-Caen et Renault, IV, n. 447 ; Guillouard, n. 104.

(*) Sic Aubry et Rau, loc, cit.; Leroux de Bretagne, n 620 ; Guilloaanl, n. 102.— ConlrA, Colmet de Santerre, Vllt, n. 359 bis, XIV ; Laurent, XXXÏI, n. 48; Hue, XIV, n. 419. Cette opinion peut se prévaloir de l'exposé des motifs de Bigot- Préameneu qui, après avoir expliqué les motifs de notre dispo* sition, a ajouté : les règles générales à Tégard des mineurs et des interdits ne souffrent d'exception que dans les cas déterminés par la loi. »» (Locré, XVI, p. 570).

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 335

tioD seulement <jue la prescription court contre eux. La loi fait une situation inverse à la femme mariée : en principe^ la prescription court contre elle, c'est par exception seule- ment qu'elle est suspendue. Nous avons déjà laissé entendre qu^il est difficile de donner une bonne raison de cette diffé- rence; il faut se borner à la constater (^).

Nous disons qu'en principe la prescription court contre la femme mariée. On n'en peut douter, lorsqu'on lit rarticle2254 qui prend soin de nous dire que la femme mariée demeure soumise au droit commun quant à la prescription, dans lun des cas le besoin de la suspension semblait se faire le plus impérieusement sentir : <c La prescription court contre la « femme mariée^ encore qu'elle ne soit point séparée par con- t irat de mariage ou en justice, à regard des biens dont le mari a l'administration^ sauf son recours contre le mari. » Pothier écrivait de même que « le temps de prescription court pendant le temps du mariage contre les créances que la femme a contre des tiers. »

427. On le voit, le mari, quand il est chargé par la con- vention matrimoniale de l'administration des biens de sa femme, est t^nu d'interrompre les prescriptions qui mena- cent celle-ci ; car la loi le déclare responsable de celles qu'il aurait laissé s'accomplir. 11 faut supposer, toutefois, que le mari est en faute : ce qu'il appartiendrait au juge d'apprécier souverainement. Ainsi le mari devrait échapper à toute responsabilité à raison d'une prescription qui se serait accomplie à son insu contre sa femme à une époque tellement rapprochée de la célébration du mariage qu'il ne lui aurait pas été moralement possible de se mettre au cou- rant des intérêts de sa femme (*). On peut même supposer que, bien que le temps restant à courir fût encore long, le mari a été dans l'impossibilité de connaître l'existence du droit menacé par la prescription. Il échapperait aussi à toute responsabilité si la femme n'avait éprouvé, par suite

(») V. Laurent, XXXII, n. 54.

(*) Sic Troplong, n. 760 et s.; Marcadé,sur l'art. 2252, n. 2; Laurent, XXXII, n. 54 ; Aubry et Rau, éd., II, p. 495, § 214; (iuillouard, n. 122. - Cpr. L, 16, D. De fundo dolali.

336 DE LA PRESCRIPTION

de sa négligence, aucun préjudice, par exemple si le débi- teur était insolvable et s'il n'était pas revenu à meilleure fortune (*).

428. La règle de Tarticle 2254 s applique aussi aux biens dont la femme a conservé l'administration ; la prescription court contre elle comme contre toute autre personne (*).

429. La femme peut, du reste, dans tous les cas, que le mari ait ou non Texercice des actions relatives à ses biens personnels, faire elle-même des actes interruptifs de près* cription (^),

430. Par dérogation au principe que nous venons d'expo- ser, la prescription est suspendue au profit de la femme mariée dans plusieurs hypothèses (*).

On peut signaler en premier lieu le cas de l'article 1304, alinéa 2 in fine. Mais ce texte recule plutôt le point de départ de la prescription qu'il ne la suspend. (V. supra,

n. 383).

431. L'article 2255 contient une véritable exception au principe. « Néanmoins elle [la prescription] ne court point, pendant le mariage, à l égard de l'aliénation d'un fotids « constitué selon le régime dotalj conformément à l'arti^ * de 1561, au titre du Contrat de Mariage et des Droits res- « pectifs des époux. »

Ce texte se réfère à l'étude de l'imprescriptibilité du fonds dotal et à celle de la prescriptian des actions en révocation de l'aliénation du fonds dotal ; son commentaire se place au titre du contrat de mariage et se rattache à l'examen des articles 15(50 et 1561 du code civil.

432. « La prescription est pareillement suspendue pendant « le mariage. 1** Dans le cas Faction de la femme ne pourrait ^*tre exercée qu^ après une option à faire sur Faccep^ « tation ou la renonciation à la communauté... » (art. 225&

(*) Troplong, Marcadé, Aubry et Hau, loc. cit. ; Guillouard, n. 123.

(») Tpoplon;?, H, n. 716 ; Marcadé, loc. cit. ; Aubry el Rau, loc. eit,; GuU- louard, n. 111 et 112.

(») V. Golmet de Sanlerre, Vïll, n. 361 bis, II el IIÏ ; il excepte cependant le cas du ré{?inie dotal le mari a s?ul l'exercice des actions immobilières.

(*) V. Dunod, p. 251 s.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 337

al. l).Cc texte, nous l'avons dit, recule plutôt le point de départ de la prescription qu'il ne crée une véritable cause de suspension. Il se place dans une hypothèse la femme a un droit subordonné au parti qu'elle prendra à la dissolu- lion de la communauté. Le droit ne s'ouvrira qu'à cette épo- que (').

433. Il faut bien d'ailleurs, comprendre la portée limitée et exceptionnelle de l'article 2256, alinéa 1. « Il est certain, dit M. Colmet de Santerre, qu'il ne peut être question, dans cet aiiiicle, de suspendre la prescription relativement à tous les biens et à tous les droits de la communauté, en par- tant de cette idée qu'à la dissolution il apparaîtra si ces biens ont appartenu à la femme ou ne lui ont pas appartenu selon qu'elle aura accepté ou renoncé. Cette suspension de prescription serait l'anéantissement des pouvoirs du mari sur la communauté, si elle pouvait donner à la femme des droits contre les ayants cause du mari ; et s'il s'agissait de revenir sur des prescriptions accomplies parce que le mari aurait négligé d'agir, ce serait la destruction presque com- plète de l'article 2254, ce serait une restitution contre les omissions commises par le mari, restitution que la loi n'a pas voulu admettre en principe (*). »

434. Quelles sont les hypothèses exceptionnelles dans les- quelles notre texte pourra recevoir application ? Nous cite- rons comme exemple le cas un mari a fait donation d'un immeuble^ de la communauté, en violation de la prohibition de l'article 1422. On sait que la femme n'a le droit de deman- der la nullité d'une semblable donation que si elle accepte la communauté; car elle est sans intérêt à la faire prononcer, si elle renonce. L'action en nullité, appartenant à la femme, est donc subordonnée au résultat de l'option qu'elle fera plus t^ird entre l'acceptation et la répudiation de la commu- nauté ; par conséquent il y aura lieu à la suspension édictée par notre article : la prescription ne courra pas contre la femme tant que la communauté durera. On peut aussi don-

(*) V. pour une explication différente, Guillouard, n. 114, (V Golinel de Santerre, YIII, n. 36i bis, III.

338 DE LA PRESCRIPTION

lier comme application de l'article 2256^ alinéa l, le cas il s'agit pour la femme d'exercer son hypothèque légale sur un bien de communauté aliéné par le mari (*). M. Guil- louard cite encore comme hypothèse soumise à notre règle celle la femme, en ameublissant un immeuble^ se serait réservé le droit de le reprendre en renonçant à la communauté.

435. Nous avons dit que la prescription est suspendue tant que dure la communauté. Elle commence donc à courir dès que la communauté est dissoute, quelle que soit d'ail- leurs la cause de la dissolution, mort de l'un des époux, divorce, séparation de corps ou de biens (art. 1441). La loi dit, il est vrai, que la prescription est suspendue pendant le mariage, et le mariage dure encore après la séparation de corps ou de biens. Mais il est manifeste que le rédacteur de l'article ne s'est préoccupé que du cas qui se présente le plus ordinairement, celui la communauté se dissout par la mort de l'un des époux, et c'est en vue de cette hypothèse qull a déclaré la prescription suspendue pendant le mariage* Il sous-entendait certainement que la suspension cesserait avant la dissolution du mariage au cas de séparation de corps ou de biens ; car, le droit d'option entre l'acceptation, et la répudiation de la communauté étant alors ouvert pour la femme, la suspension n'aurait plus aucune raison d'être (*). Les mots pendant le mariage se trouvent, au contraire, fort ('\acts, en tant qu'ils s'appliquent à la seconde cause de suspension édictée par l'article 2256 et dont nous allons nous occuper maintenant.

436. « La prescription est pareillement suspendue pendant « le mariage..., i"" Dans le cas le mari, ayant vendu le bien « propre de sa femme sans son consentement, est garant de « la vente, et dans tous les autres cas Vaction de la « femme réfléchirait contre le mari (arL 2256 al. 2). Cette

(') V. encore Caen, 31 juill. 1858, S , 59. 2. 97. Colmet et Santerre, VIII, II. a63 bis, W s. ; Marcadé, sur Tari. 2252, n. 4; Aubry et Rau, 5* éd., [I, p. 493, § 214; Hue, XIV, n. 422 ; Guillouard, n. 115 et 116.

(•) Sic Troplong, n. 784 ; Aubry et Rau, loc. cit. ; Golmet de Santerre, VIII, u 363 bis, II ; Laurent, XXXIl, n. 58 ; Guillouard, v. 117.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 339

règle s'explique par des raisons analogues à celles qui jus- tiûent lariicle 2253 que nous allons trouver plus loin : la loi redoute Tinfluence du mari qui peut empêcher la femme d'agir ; elle veut protéger la paix du ménage sans compromettre les droits de la femme. Bigot-Préameneu s'est, en effet, exprimé ainsi à Toccasion de cette disposition : Si la femme exerçait contre un tiers une action par laquelle ce tiers serait fondé à mettre en cause le mari comme garant, il en résulterait une contestation judiciaire entre le mari et la femme. Ainsi la femme est considérée comme ne pouvant agir même contre cette tierce personne qu'il serait injuste de traduire en justice si elle ne pouvait exercer son recours contre le mari, et la prescription de l'action contre la tierce personne se trouve par ce motif suspendue. »

437. Le cas expressément prévu par la loi est celui de la vente d'un immeuble propre à la femme. Un mari vend un immeuble de sa femme sans le consentement de celle-ci. C'est une vente de la chose d'autrui, nulle aux termes de l'article 1599 ; néanmoins, elle engendre à la charge du mari l'obligation de garantie. Supposons que la femme revendique son bien contre l'acquéreur ; que va-t-il arri- ver ? Infailliblement l'acquéreur se retournera contre le mari ; il l'attaquera par l'action en garantie. La revendica- tion de la femme est donc de nature à réfléchir contre le mari, puisqu'elle aura pour conséquence une action récur- soire contre lui, et comme la femme, pour conserver la paix dans son ménage, se trouvera souvent dans l'obligation morale de ne pas intenter une action qui peut avoir de telles conséquences, la loi déclare la prescription suspendue à son profit pendant toute la durée du mariage.

438. Si, au lieu de vendre un immeuble propre à sa femme, le mari en a fait donation, le donataire commencera à pres- crire immédiatement. En effet, si la femme revendique son bien, le donataire ne pourra pas se retourner contre le mari, qui n'est pas ici tenu de la garantie, d'après la règle ordinaire en matière de donation. Ce motif même indique qu'il faudrait donner une solution différente, si la donation faite par le

340 DE LA PRESCRIPTION

mari l'obligeait exceptionnellement à la garantie ; ce qui arriverait notamment au cas d'une donation faite dolis causa (art. 1440). L'action en revendication de la femme serait alors de nature à réfléchir contre le mari et par suite aucune prescription ne courrait contre elle pendant le mariage, en vertu de notre disposition qui est conçue dans les termes les plus généraux.

439. On a remarqué que la théorie de la loi conduit à des résultats bizarres. Un mari a disposé de deux immeubles appartenant à sa femme, sans le consentement de celle-ci, du premier par donation entre vifs, du second par vente. Le donataire, fût-il de mauvaise foi, commencera à prescrire immédiatement contre la femme, tandis que l'acheteur, fût- il de bonne foi, ne pourra pas prescrire pendant toute la durée du mariage. Autre espèce. Un mari vend un immeuble appartenant à sa femme à un acheteur de bonne foi ; a la même époque, un usurpateur s'empare d un autre immeuble de la femme. Ce dernier pourra prescrire pendant le mariage, tandis que le premier ne le pourra pas; et cepen- dant quel est le plus favorable des deux ?

440. Après avoir prévu le cas d'une vente d'un propre de la femme, l'article 2236 alinéa 2 vise d'une façon géné- rale tous les cas l'action de la femme peut réfléchir contre le mari, peut exposer celui-ci à des poursuites que, sans elle, il ne subirait pas, ou à des poursuites pluà rigou- reuses et plus rapprochées que celles auxquelles il est déjà exposé.

441. Le texte s'applique à la prescription libératoire comme à la prescription acquisitive ; ainsi la prescription serait suspendue pour l'action de la femme créancière d'une dette dont son mari et un tiers sont codébiteurs solidaires ; elle le serait pour l'action en nullité d'une aliénation ou d'une obligation contractée solidairement ou non par le mari et la femme mineure alors que l'acte excède les bornes de la capacité de celle-ci (*).

(«) V. Troplong, n. 770et771, 774 et s.'; Marcadé, sur raplicle2252,n* 5 et 6, Aubry et Hau, éd., II, p. 494, § 224 ; Golmet de Santerre, VHI, n. 363 A<>, VIII ; Leroux de Brelagne, n. 631; Guillouard» n. 118.

POI>T DE DÉPART ET SUSPSNSION DE LA PRESCRIPTION 341

442. L'article 2256 alinéa 2 continue de s appliquer au cas de séparation de biens survenue pendant le mariage (*); il s applique même après la séparation de corps (^). Dans ces deux hypothèses, on peut dire qu'il est nécessaire d'évi- ter toute action qui troublerait Taccord des deux époux ou empêcherait leur réconciliation.

4i3. Logiquement, on ne voit pas d'ailleurs pourquoi l'article 2258 alinéa 2 a été restreint à la femme ; il semble qu'au cas laction du mari peut réfléchir contre la femme, la même raison aurait faire admettre la même solu- tion ; on peut supposer que le mari est devenu par succes- sion propriétaire d'un bien qui a été vendu par un auteur de la femme, ou créancier d'une dette dont la femme est débitrice solidaire ('). Ce sont, il est vrai, des cas tout à fait exceptionnels, et, sans doute aussi, on a moins craint Tinfluence de la femme sur le mari que celle du mari sur la femme.

§ m. Suspension de la prescription entre époux.

444. « Elle [la prescription] iie court point entre époux >, dit l'article 2253. Cette disposition est fondée sur une considéra- tion d'ordre moral et social, la nécessité d'assurer la paix au sem des ménages (*).Si les époux étaient demeurés soumis au droit commun en ce qui concerne la prescription, l'un des deux aurait pu se voir forcé d'intenter pendant la durée du mariage une action contre l'autre pour conjurer les efl'ets d'une pres- cription commencée par celui-ci. La paix conjugale en eût été

(') Cass., 24 juin 1817, S. chr., D. Rép., v" Prescr,, n. 729; 18 mai 1830, S, rhr.,D. Rép. loc. cit., n. 728;7 juill. 1833, S., chr.; 17 nov.l835,S., 35.1.902, 1>. Rép,, loc. cit., n. 72^. - Lyon, 14 juill. 1857, D., 57.2.219. - Troplong, n. 778 s.; Marcadé, sur Tari. 2252, n, 5 et 6; Aubry et Rau, loc. cit. ; Laurent, XXXU, n. 59; Leroux de Bretagne, n. 634; Guillouard, n. Il9.

0 Marcadé, Aubry et Rau, Laurent, Guillouard, loc. cit. ; Leroux de Brela- ffoe, n. 633. V. aussi Paris, 26 juil. 1852. S., 62. 2. 513.

I») Colmel de Sanlerre, VIII, n. 363 bis, IX.

(*) Elle est admise dans un grand nombre de législations. V. G. civ. ital.,art. 2119; God. civ. ail., art. 204; God. civ. port., art. 551; Gode fédéral des oblig. art 153.

342 LA PRESCRIPTION

inévitablement troublée. L'article 2253 prévient cette cause de discorde entre les conjoints^ en déclarant la prescription suspendue pendant la durée du mariage. « Il serait contraire à la nature de la société du mariage^ a dit Bigot-Préame- neu, que les droits de chacun ne fussent pas l'un à Tégard de l'autre respectés et conservés. L'union intime qui fait leur bonheur est en même temps si nécessaire à rharmonie de la société, que toute occasion de la troubler est écartée par la loi. » C'est le seul motif de l'article 2253. Bigot- Préameneu est moins heureux quand il ajoute : « Il ne peut y avoir de prescription quand il ne peut même pas y avoir d'action pour l'interrompre. >► Bien que Pothier ait aussi émis cette idée que la femme mariée ne peut se voir oppo- ser la prescription pour les créances qu'elle a contre son mari, parce qu'elle est empêchée d'agir, il est bien certain que c'est une raison peu sérieuse et qu'il est inexact de faire intervenir ici la règle Contra non valentem agere ; elle ne peut s'appliquer, puisque rien ne s'oppose à l'exercice de l'action (*). Les actes interruptifs, s'ils avaient eu lieu, produiraient d'ailleurs leur effet ordinaire et anéantiraient la prescription qui aurait commencé à courir.

445. La règle formulée par l'article 2253 est générale. Elle s'applique par conséquent à l'action en nullité du con- trat de mariage comme à toute autre action (*). Elle s'ap- plique à la prescription de l'article 2277 ('). On l'a même appliquée, nous le verrons, à l'action en divorce (*). Mais elle n'est point absolue et souffre des restrictions. (V. supra, n. 39).

446. La prescription est suspendue entre époux, bien que la séparation de corps ait été prononcée ; car la loi dit que

(^) On a aussi donné comme motif le principe de l'art. 1096 d'après lequel les donations entre époux sont essentiellement révocables ; ce principe, diUon, aurait pu être ici facilement enfreint. Planiol, 2* éd., I, n. 1483.

(«) Cas»., 13 juin. I8â7, D., 57. 1. 334. - Limoges, 15 mars 1895, D., 97. 1. 273. Laurent, XXXII, n. 62 ; Leroux de Bretagne, n 658 ; Gùillouard, n. 125.

(») Cass.26 mars 1902, S., 1902. 1. 328.— Bordeaux, 3 février 1873, S., 73. 1. 117, D., 73. 2. 162. Laurent, loc.cit, ; Guillouard, n. 125.

(*) V. infrà, n. 595.

POINT DE DÉPART ET SLSPEiSSION DE LA PRESCRIPTION 34S

la prescription ne court pas entre époux \ or le titre d'époux survit à la séparation de corps. Il faut éviter d'ailleurs toute action qui augmenterait le désaccord et serait un obstacles i la réconciliation. Ce que nous venons de dire de la sépa- ration de corps s'applique à plus forte raison à la séparation de biens (*) ; *ici le motif de l'article 2253 se retrouve tout entier.

446 bis. La suspension de la prescription cesse avec le mariage : au cas le mariage est annulé, le bénéfice de la suspension n'en est pas moins maintenu jusqu'au jour de lannulation. Il ne peut être question ici de rétroactivité ; le bénéfice de la suspension ne peut être supprimé dans le passé (*).

§ iV. De l'héritier bénéficiaire.

447. « La prescription ne court pas contre l héritier héné- < ficiaire, à l égard des créances quil a contre la succession », dit larticle 2258 alinéa 1 ('). Ainsi un héritier est appelé à une succession ; il avait contre le défunt une créance ; il accepte la succession sous bénéfice d'inventaire, ce qui empo- che sa créance de s'éteindre par la confusion (art. 801) ; il conserve donc contre la succession la créance qu'il avait contre le défunt. Supposons que cette créance fût sur le point de s'éteindre par la prescription au moment de l'ouverture de la succession ; la prescription coutinuera4-elle à courir contre 1 héritier bénéficiaire ? Non ; il pourra, même après Texpiration du temps fixé pour la prescription, se faire payer sur les biens de la succession du montant de sa créance ; car la loi suspend la prescription à son profit. Quel en est le

{*} V. dans le sens de ces solutions, Cass., 26 mars 1902, S., 1902. 1. 328. Paris, 22 juiUet 1862, S., 62. 2. 513. - Lyon, 7 janvier 1863, S., 68. 2. 170. - Rouen, 15 avril 186^, S , 70. 2. 149. Bordeaux, 3 février 1873, précité Caen, 22 janvier 1874, S , 75. 2, 80. Troplong, n. 742; Marcadé, sur l'art. 2253, n. 1 ; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 495, §214; Laurent, XXXIL n.6) : Hue, XI V^, u. 421 ; GuiUouard, n. 127.

\*) Saleilles, Code civil allemsLnd, I, p. 296, sur lart. 204.

\'j Cpr. Gode civ. ilal., art, 2119. G. civ. port., art. 551.

344 DE LA PRESCRIPTION

motif ? Bien que Pothier ait dit que « le temps de la pres- cription ne peut courir contre Théritier bénéficiaire pour les créances qu'il a contre la succession bénéficiaire, car il ne peut pas agir contre lui-^même >►, il ne faut pas voir là, comme on l'a prétendu (*), une application de l'ancienne règle Contra non valentein agere non currit prœscriptio; car précisément l'article 996 du code de procédure civile fournit à l'héritier, créancier de la succession, le moyen d'agir contre eUe et par suite d'interrompre la prescription. Il n'est pas non plus suffisant de dire avec Bigot-Préameneu, que « l'effet du bénéfice d'inventaire est de conserver à l'héritier ses droits contre la succession, et que la succession ne peut donc pas prescrire contre lui. » Il n'est pas encore exact de dire que l'héritier bénéficiaire est comme le créancier nanti d'un gage (*) ; l'héritier bénéficiaire, administrateur de la succes- sion, n'est pas un créancier gagiste, et d'ailleurs, l'héri- tier bénéficiaire n'a pas toujours l'administration de la succession. Il n'est pas exact enfin d'observer, avec Mar- cadé, que, l'héritier bénéficiaire n'ayant pas d'intérêt à agir, oii ne peut lui r.eppocher de rester inactif, et, que, par suite, son inaction n'est pas une négligence que la prescription doive atteindre ; nous savons que la prescription extinctive a sa base principale dans l'intérêt social qui veut que les actions aient une fin et non dans une présomption de négli- gence du créancier. Le législateur a sans doute jugé inutile, disent Aubry et Uau (^), de forcer l'héritier bénéficiaire à provoquer des condamnations contre la succession qu'il est chargé d'administrer tant dans son intérêt que dans celui des créanciers et des légataires ; il s'agit d'éviter des frais, et le silence du créancier qui est ici en même temps le repré- sentant du débiteur s'explique d ailleurs facilement. Peut- être peut-on dire aussi que l'article 2258 a été maladroite- ment reproduit de Pothier, et que la règle de l'article 996

(*) Troplong, n. 804.

(»; Duranton, XXI, n. 314. V. aussi Demolombe, Sacc, lU, n. 201 et 202. (») Aiibr}- et Rau, éd., H, p. 496, § 214, note 20. V. aussi Golmel de Sanlerre, Vlll, n. 365 bU, I ; Guillouard, n. 147,

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 345

du code de procédure civile lui a enlevé le fondement qu'il avait autrefois (*).

*48. L'article 2258 alinéa 1*' doit s'appliquer, à notre avis, ((u'il y ait un seul héritier ou qu'il y en ait plusieurs. Mais, remarquons-le bien, c'est seulement contre la succession que la prescription est suspendue au profit de l'héritier bénéfi- ciaire ; celui-ci ne pourrait donc pas invoquer le bénéfice (le cette cause de suspension contre ses cohéritiers qui auraient accepté la succession purement et simplement, pour les forcer à payer sur leurs biens personnels leur part dans la dette. Ainsi, supposons que deux héritiers soient appelés à une succession, que le défunt n'ait laissé aucun bien et que l'un des héritiers ait néanmoins accepté la succession pure- ment et simplement. L'autre héritier, qui a accepté sous bénéfice d'inventaire, ne pourra pas, s'il a laissé passer le temps fixé pour la prescription de sa créance sans accomplir aucun acte interruptif, invoquer le bénéfice de la suspension établie par l'article 2258 alinéa !•' contre son cohéritier, pour le forcer à payer sur ses biens personnels la moitié de la dette. Nous le répétons, la suspension n'est établie au profit de l'héritier bénéficiaire qu'à l'égard des créances qu'il a contre la succession, et non de celles qu'il a contre ses cohéritiers. Mais d'ailleurs il peut invoquer le bénéfice de cette disposition contre la succession pour la totalité de sa créance. Tel nous paraît être le sens de l'article 2258 alinéa 1" (*).

440. On a donné Jd'autres interprétations. M. Colmet de Santerre enseigne que, dans tous les cas il y a plusieurs héritiers, soit purs et simples, soit même bénéficiaires, l'hé- ritier créancier de la succession n'est pas dispensé d'agir contre les autres ; la prescription n'est suspendue que pour sa part (') .

0) Colmel de Santerre, loc. cil, ; Albert Wahl, note sous Cass. Rome, 13 juin 1831, S., 92. 4. 25 ; Planiol, 2* éd., III, n. 679.

(«) V. Aubry et Rau, 5* édit., II. p. 496, § 214 ; Guillouard, n. 151.

OColmel de Santerre, VIII, n. 365 /)w, II et lU. V. aussi Troplong, n- 805 ; Marcadé, sur l'art. 225S ; Leroux de Bretagne, n. 664 ; Laurent, XXXU, n. 66 ; Hue, XIV, n. 428.

346 DE LA PRESCRIPTION

450. Dans une autre opinion, on a appliqué larticle 2238 d'une façon absolue, sans distinguer s'il y a un seul héritier ou plusieurs, si les cohéritiers acceptent purement et sim- plement ou sous bénéfice d'inventaire, s'il s'agit de poursui- vre les biens héréditaires ou les biens personnels des débi- teurs (*). « Il est impossible, dit M. Albert Wahl, que le créancier bénéficie d'une suspension de prescription à Tég-ard seulement des biens héréditaires échus à ses cohéritiers et non pas à Tégard des biens personnels de ces derniers ; c'est en effet un principe absolu que la confusion s'opère entre les biens héréditaires et les biens personnels des héri- tiers purs et simples, et que ces derniers sont tenus mémo sur leurs biens personnels des dettes de la succession. »

451. La disposition de l'article 2258 est d'ailleurs évidem- ment étrangère à la prescription de laction en revendica- tion ou de toute autre action réelle que l'héritier bénéfi- ciaire pourrait avoir à exercer contre la succession (').

452. La suspension de prescription établie par l'arti- cle 2258 alinéa 1 prend fin avec l'administration de l'héri- tier bénéficiaire, lors de la reddition de son compte (•).

453. Comme toutes les dispositions qui édictent des sus- pensions de prescription, celles de l'article 2258 alinéa 1 doit être interprétée restrictivement. Nous en concluons que la

•prescription n'est pas suspendue au profit de la succession pour les créances qu'elle peut avoir contre 1 héritier béné- ficiaire; c'est l'espèce inverse de celle en vue de laquelle la loi établit la suspension. Et toutefois, c'est surtout pour l'honneur des principes que nous formulons cette déduction ; car, au point de vue pratique, on ne peut s'empêcher de reconnaître que la situation est à peu près la même que si la prescription était suspendue au profit de la succession. En effet l'héritier bénéficiaire, étant chargé, en sa qualité d'administrateur, d'interrompre les prescriptions qui cou- rent contre la succession, est en faute s'il ne satisfait pas à

(») Cass. Rome, 13 juillet 1891, précité, et la note de M. Albert Wahl. (•) Marcadé, loc, cit, ; Aubry et Rau, loc. cit. ; Golmet de Santerre, Vllf, n. 365 bU, IV -, Laurent, XXXII, n. 67 ; (Juillouard, n. 149. {*, Golmet de Santerre, VIII, n. 365 bU, V ; Guillouard, n. 152.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 347

cette obligation, et se trouve par suite non recevable à se prévaloir des prescriptions qu'il aurait laissées s'accomplir à son profit contre la succession ; car nul ne peut retirer un profit de sa faute (*) . L'intérêt de la question n'existerait guère que s'il y avait des cautions de la dette prescrite : elles sont libérées, ou du moins elles peuvent se prévaloir de la prescription.

453 bis. Il est d'ailleurs bien certain que l'acceptation sous bénéfice d'inventaire d'une succession n'entraîne aucune suspension de prescription au profit des créanciers do cette succession ; ils conservent l'exercice do leurs droits individuels (*).

§V. Hypothèses dans lesquelles la prescription

n'est pas suspendue.

454. Les cas que nous venons d'examiner sont les seuls la loi ait établi une cause de suspension de la prescrip- tion. C'est une énumération limitative. 11 ne faut admettre aucune autre dérogation aux règles ordinaires sur le cours de la prescription; l'article 2251 doit être strictement observé. Nous avons eu déjà l'occasion d'étudier certaines hypothèses on veut à tort faire intervenir l'ancienne maxime Contra non valentem. (V. supra, n. 366 s.).

455. Le code civil a prévu spécialement deux cas on aurait pu être tenté de soutenir que la prescription doit êtro suspendue ; mais il faut donner la même solution dans toutes les hypothèses qui ne rentrent pas dans les textes que nous venons d'examiner.

456. Aux termes de l'article 2258 alinéa 2, la prescription « court contre une succession vacante, quoique non pourvue de curateur. » S'il y a un curateur, il est tenu, sous sa

(»)Stc Colmel de Santerre, VIII, n. 365 bis, VI; Laurent , XXXll, n. 65 ; Aubry et Rau, éd., Il, p. 502, § 2U; Hue, loc. ciL Cpr. Cass., 13 nov. 1843, S., 43, 1.857; 3 août 1857, S., 53.1.319, U., 59.1.211. - V. Troplong, n. 805; Leroux de Bretagne, 1, n. 6ô2; Guîllouard, n 149.— V. infra, n. 458.

(«) Dijon, 12 juin 1894, D., 95.2.501.

348 DE LA PRESCRIPTION

responsabilité personnelle, d'interrompre les prescriptions qui courent contre la succession. Au cas il n'en existe pas, les intéressés, c'est-à-dire les créanciers de la succes- sion, peuvent en faire nommer un ; s'ils ne le font pas, ils n'ont pas à se plaindre, cax ils sont victimes de leur néçli— gence (*). Il n'y avait donc pas de motif pour suspendre la prescription qui court contre la succession vacante. Il n'y en avait pas non plus pour suspendre celle qui court à son profit, les intéressés pouvant l'interrompre en provoquant la nomination d'un curateur contre lequel ils agiront (*)- L'article 2258 alinéa 2 s'applique même au cas la suc- cession d'abord vacante serait ensuite acceptée par un héri- tier mineur ; Teflfet rétroactif de cette acceptation n'empê- che pas que la prescription ait couru pendant la période de vacance de la succession (').

457. « Elle court encore pendant les trois mois pour « faire inventaire, et les quarante jours pour délibérer » (art. 2259) (*). On suppose qu'après avoir mis à profit les délais qui lui sont accordés pour faire inventaire et délibé- rer, l'héritier accepte la succession. La prescription aura-t- elle été suspendue soit au profit de l'héritier, soit contre lui, pendant qu'il délibérait ? Non. En effet, d'une part, l'héri- tier peut, même pendant la durée des délais, interrompre les prescriptions qui courent contre la succession ; car il s'agit d'un acte conservatoire qu'il a par conséquent la

(») V. en ce sens Polhier, Oblig,, n. 68i ; Troplong, n. 807 ; Mareadé, sur l'art. 2258, n. 4 ; Laurent, XXXII, n. 68 ; Guillouard, n. 156.

(«) Troplong, loc. cit.; Mareadé, loc, cil, ; Laurent, XXXII, n. 65; Colmel de Sanlerre, VUL n.365 Jbw, Vil ; Guillouard, n. 157.

(», Sic GuiUouard. n. 153 Gpr. Limoges, 16 mars 1833, S., 38. 2. 42S, Nîmes, 16 janv. 1850, S., 50. 2. 167. - V. cep. Duranlon, XXI, n. 321 ; Leroux de Bretagne, I, n. 62 î.

(*) Bigot-Préameneu, dont l'exposé des motifs sur cette matière est souvent négligé et contient bien das inexactitudes, a commis à l'occasion de cet article une véritable méprise. Il a cru que l'art. 2259 disait le contraire de ce qu'il dit et créait une cause de suspension de la prescription. Aussi écrit-il que c lors> que la loi donne à l'ouverture d'une succession ou d'une communauté un délai pour faire inventaire et pour délibérer, il est indisp3nsable que la prescription de tous biens et droits soit suspendue pendant le temps que la loi elle-même pré- sume nécessaire pour les connaître. » Gela est si peu indispensable que la loi ne l'a pas admis et avec raii^on.

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE PRESCRIPTION 349

faculté d accomplir sans compromettre son droit d'option (*). D'autre part, les intéressés peuvent aussi, pendant la durée desdits délais, interrompre les prescriptions qui courent contre eux au profit de la succession, sauf à se voir opposer lexception dilatoire qui retarde seulement Tissue de la demande sans empêcher son effet interruptif. Il n'y avait donc pas de motif pour suspendre la prescription soit au profit de la succession, soit contre elle (*).

458. On a soutenu qu'il doit y avoir suspension de pres- cription, dans tous les cas il y a un administrateur légal, quant aux créances de l'administrateur légal contre la per- sonne dont les biens sont gérés, et quant aux droits réels et personnels de cette dernière à F égard desquels une pres- cription serait invoquée, contre elle, par l'administrateur légal. 11 en serait ainsi dans les rapports du tuteur et de son pupille, du père administrateur légal et de ses enfants, de la succession vacante et de son curateur, etc. (^). Cette généralisation de l'article 2258 alinéa 1 est arbitraire. Tout ce qui est vrai, c'est que ceux qui sont chargés d'adminis- trer un patrimoine ne peuvent se prévaloir dans leur intérêt d'une prescription qu ils étaient tenus d'interrompre, car ils doivent réparer le préjudice qu'ils ont causé et ce motif suffit pour écarter leur prétention. Ainsi le maire d'une

(') Sic Polhier, loc, cit, G. civ. esp., art. 1932.

(*) Sic Guillouard, n. 160. G. civ. esp. art. 1932. V. cep. en sens con- traire Tari. 207 G. civ. ail. Le législateur allemand a considéré que tant que rhériiier n'a pas accepté et que la succession n*a pas de représentant contre lequel on puisse agir, les créanciers ne peuvent en réalité exercer de poursui- tes: on ne peut les obliger à suivre toujours la procédure longue et coûteuse de la nomination d*un curateur. De même l'hériUer qui n*a pas encore accepté n'est pas obligé d*agir contre la succession pour interrompre la prescription qui le menace. On réserve dans les deul cas un délai de six mois à partir du jour les poursuites seront possibles contre un représentant de la succession. V. Saleil- les,op.ca.,p. 300, notes surl'art. 207.— V. aussi la loi norvégienne du 27 juil- let 1896.

(') Marcadé, sur Tari. 2250, n. 3 ; Leroux de Bretagne, n. 666 ; Guillouard, n.62ell7l.- Malpel, Delpech et Benech,S.,42. 2. 122.- V. Nîmes, 18 nov. 1892 D. 93. 2. 150, L*art.204 G. civ. ail., suspend la prescription entre parents et enfants pendant la minorité de ces derniers, et entre tuteur et pupille. V* aussi G. civ. ital., art. 2119 ; G. civ. port., art. 551 ; God« fédéral des oblig. art, 153; Loi norvèg., 27 juillet 1896.

350 DK LA PRESCRIPTION

commune ne peut pas invoquer contre celle ci une prescrip- tion qu'il aurait laissé s'accomplir pendant la durée de ses fonctions (*)•

On peut en dire autant des cas le débiteur aurait mis^ par son fait^ son créancier dans Timpossibilité de le poursuivre^ ou détournant ou dissimulant le titre de la créance (*).

459. Il est certain que Théritier pur et simple qui a des droits contre la succession ne jouit d*aucune suspension pendant que dure l'indivision ('). D'ailleurs cet héritier peut agir pour sauvegarder ses droits ; l'indivision n'est jamais une cause de suspension de la prescription.

460. Le créancier d'une succession^ fût-il en même temps usufruitier des biens qui la composent^ ne bénéGcie non plus d'aucune suspension ; il en est ainsi notamment de la femme survivante usufruitière des biens de son mari et en même temps créancière de ses reprises (^). C'est à tort qu'on a voulu l'assimiler à un créancier nanti d'un gage ; il y a ici deux droits très distincts qui n'ont aucune corrélation l'un avec l'autre (^).

461. L'état de faillite n'est pas une cause de suspension de la prescription des actions du failli contre les tiers et réciproquement de ces derniers contre le failli (*).

(') V. Cass., 13 nov. 1843, S., 43. 2. 857; 3 août 1857, S., 59. l. 319, D., 59. J . 24. Aix, 24 nov. 1841, S., 42. 2. 122. Aubry et Rau, éd., If. p. 501 ri 502 ; Laurenl, XXXU, n. 73 ; Colmet de Sanlerre, VUI, n. 365 bis, VI ; IJonifaccy, p. 97». V. encore Cass., 3 janv. 1870, D , 72. 1. 22. Nancy, 19 janv. 1863, S., 63. 2. 92. V. supra, n. 189, 289, 307.

(«) V. Cass. 14 janv. 1818 ; 3 janv. 1832, S., 32. 1. 352. - Leroux de Breta- gne, n. 587 ; Guillouard, n. 168.

(») Limoges, 15 jiiill. 1840, S., 40. 2. 519. Grenoble, 31 déc. 1846, S., 47. 2. 479. Troplong, n. 721 ; Aubry et Rau, éd., H, p. 497, § 214 ; Laurent, XXX n, n. 71 ; Albert Wahl, /oc. cit.; Guillouard, n. 155 ; Bonifaccy, p. 89 s. V. cep. Bordeaux, 15 mars 1843, S., 43. 2. 294.

(*) Cass., 17 août 1819, S. chr., B.Rép,, Preec, n. 747 ; 18 janv. 1843, S., 41. 1. 313, D. Rép., loc. cit., n. 747. Troplong, n. 722 ; Aubry et Rau, loc. cii, ; Leroux de Bretagne, n. 669 ; Laurent, XXXII, n. 72 ; Guillouard, loe, cit, Contra Toulouse, 27 mars 1835, S., 35. 2. 471. —Bourges, 13 janv. 1851, D.,5l. 2. 106. Vazeille, n. 377; Proudhon, Usuf., n 759 5.

(•)Sur le cas le créancierest nanti d'un gage, \,infraf n. 530.

(«) Cass., 23févr. 183e, S., 32. 1. 537, D., 32. 1. 178 ; 14 févr. 1833, S., 33. i, 814, D., 33. 1. 183. - Troplong, n. 713, 719 et 720; Aubry et Rau, éd.. H,

POINT DE DÉPART ET SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION 35 J

462. La subordination des fonctionnaires de TEtat ne peut être une cause de suspension de la prescription des actions qu'ils ont à exercer contre TEtat (*) . Il en est de même pour les créances des domestiques contre leurs maîtres. La prescription court même pendant le temps de leurs ser- \ices et malgré leur état de subordination (*).

§ VI. Effets de la suspension.

463. Nous avons indiqué plus haut quel est Feffet géné- ral de la suspension de la prescription. Il nous reste à ajoater que le bénéfice de la suspension^ dans les cas la loi l'admet, ne peut être invoqué que par les personnes au profit desquelles la loi Fa établi, et que contre les person- nes à regard desquelles la loi Taccorde.

Ainsi on a jugé que le cessionnaire des droits d'une femme mariée ne peut se prévaloir de la suspension de prescription que celle-ci aurait pu invoquer (^). On ne peut profiter de la suspension admise au profit de son copro- priétaire ou de son cocréancier solidaire (*). La suspension qui protège l'usufruitier ne profite pas au propriétaire, et réciproquement la suspension due à une cause existant dans la personne du nu propriétaire ne peut être invoquée par l'usufruitier (') La suspension pour cause de minorité qui s'est produite dans la personne d'un cohéritier mineur ne peut profiter au cohéritier majeur (®) Le créancier ne peut se prévaloir d'une cause de suspension de la prescription

p. 341 ; Lyon-Caen et Renault, IV, n. 449 ; Guillouard, n. 161 ; Bonifaccy, p. 94 9.— Mais v. supra, n. 377.— V. aussi loi norvég., 27 juill. 1896.

0) Besançon, 26 déc. 1838, S., 89. 2. 141. —Guillouard, n. 164.

(*) V. en sens contraire l'art. 153 du Code fédéral suisse des obligations, et Tart. 632 Code civ. Montén.

OCass., 25ianv. 1881, D., 81. 1. 246.

nGass.,5déc. 1826, S. chr. ; 14 août 1840, S., 40.1. 753, D. Rép., vPpeicr., n. 700. Troplong, n. 739; Aubry et Rau, éd.,ll, 502 et 503, 8214; Laorent, n. 74 bis ; Guillouard, n. 173. - Cpr. Cass , 2 déc. 1845, S. ^ô. l. 21, D., 46.1. 21. Marcadé, sur Tari 2252, n. 1.

(•) Aubry et Rau, loc. cit., ; Laurent XXXIl, n. 75 ; Guillouard, n. 174 et 175. V. cep . Montpellier, 7 fév. 1355, S., 56. 2. 280.

(*) Cass., 29 août 1853, S. 53. 1. 707, D., 53.1. 230. Marcadé, Rev. crit., J »', p. 525.

352 DE LA PRESCRIPTION

à rencontre d'un codébiteur autre que celui dont la qualité personnelle entraînait cette suspension (*). La suspension qu'aurait pu invoquer le propriétaire sous condition résolu- toire ne peut être invoquée, la condition réalisée, par celui qui avait un droit suspendu par cette condition (*). Au cas de prescription ayant couru contre un absent, il n'y a pas à tenir compte de la minorité des héritiers présomptifs (').

464. Les règles que nous venons de poser sur TefiFet rela- tif de la suspension de la prescription ne reçoivent excep- tion qu'en cas d'indivisibilité du droit contre lequel la pres- cription a couru (*). Voy. l'article 710 du code civil.

CHAPITRE Xill

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION

SECTION PREMIÈRE

DES CAUSES QUI INTERROMPENT LA PRESCRIPTION

§ I. Généralités^

465. L'article 2242 dispose que « la prescriptio7i peut être interrompue ou naturellement ou civilement. »

L'interruption naturelle est celle qui résulte de la perte de

(*) Gass., 23 fév. 1832, S., 32. 1. 937, D. Hép., Prescr.^ n. 742. - Aubn- el Rau, loc. cit,-^ V. d'ailleui-s, pour les développements de la question, Bau- dry-Lacanlinerie el Barde, Oblig, II, n. 1149, 1222.

(*) V. supra, n. 403.

(>) Gass., 21 ventôse an XI, S. chr. Rennes, 16 mars 1862, S., 62. 2, 193.

MeU, 18 août 1864, S., 65. 2. 64. - Guillouard, n. 176. - V. cep. Gass., 10 nov. 1824, S. chr. Il en est ainsi alors môme qu'il s'est écoulé 100 ans depuis la naissance de labsent. La présomption de décès résultant de cette cir- constance n'a pas d'effet rétroactif. Rennes, 16 mars 1862, précité. Y. cep. Merlin, Rép., Absence, n. 2 ; Demolombe, II, n. 139.

(♦) Aubry et Rau, loc. cil. ; Leroux de Bretagne, n. 613 ; Guillouard, n. 177.

Cpr. Gass., 25 mare 1861, 61. 1. 433.— V. encore, pour rapplicatlon de noire règle sur les effets relatifs de la suspension de la prescription, Thézard, Bev. crit., XXXIII, p. 401 ; Berlauld, id., XXXI, p. 192 s. - L'art. 2239 du Code civil du Bas-Ganada décide que les effets de la suspension de la prescription, en matière des créances solidaires, sont souis maux mômes règles que ceux de

DE L*INTERRUPTI0N DE LA PRESCRIPTION 353

la possession; l'interruption civile celle qui résulte d'un fait juridique constituant soit une interpellation adressée par le créancier ou le propriétaire, dans les formes prescrites par la loi, soit une reconnaissance, faite par le débiteur ou le pos- sesseur, des droits de celui contre qui la prescription avait commencé à courir.

466. L'origine première des textes du code civil sur Tin- terruption de la prescription remonte évidemment au droit romain. L*usucapion et la prœscriptio longi tefnporis étaient susceptibles de l'interruption naturelle résultant de la perte de la possession. Mais Tusucapion n'était pas interrompue civilement par la Hits contestatio ; le cours en pouvait con- tinuer au profit du possesseur poursuivi en justice ; le juge devait seulement obliger le possesseur à réparer les eiBfets de Tusucapion accomplie inter moras litis. La prœscriptio longi temporis supposait, au contraire, Taccomplissement, au mo- ment de la liiis contestatio, des conditions requises par la loi ; elle pouvait être interrompue civilement par l'action en justice. C'est d'ailleurs une question obscure et controversée que celle de savoir quelles règles furent suivies par Justinien sur l'interruption de la prescription acquisitive ; il semble bien cependant que la demande en justice fût considérée par lui comme interruptive (*). Quant à la prescription extinctive interdite par Théodose, elle ne pouvait être invoquée que si le délai de trente ans était expiré lors des poursuites ; elle était interrompue par la demande en justice ; elle était aussi interrompue par la reconnaissance du débiteur (").

467. Dans notre droit, la théorie de l'interruption de la prescription se développa peu à peu : les solutions de notre code civil, dans leur ensemble, reproduisent assez fidèlement l'ancien droit dans son dernier état (').

rmtemiptioD (V. infra n. 5d0 s.) La solution contraire prévaut dans la doctrine française. V. Baudry-Lacantinerie et Barde, Des oblig, II, n. 1149, et est con- sacrée par le Code civil italien, art. 2122. Le Code civil allemand admet pour les deux cas l'effet relatif. V. art. 425 et 429.

(*) L. 2 C. De SLnn, exe,

(•) Pour plus de détails sur l'interruption de la prescription en droit romain, V. Albert Desjardins, iVoac. re». histor,, 1877, p. 293 et 503 ; Maurice Colin, InUrr, de 2a preec, (thèse*.

(') Albert DeAjardins» loc, cit.

PR18GR. 23

354 DE PRESCRIPTION

Nos anciens auteurs admettaient l'interruption natureUe et l'interruption ci\âle. L'interruption naturelle paratt avoir toujours été reconnue. C'est pour l'interruption civile qu'il y eut le plus de difficultés : elle donna lieu à un dévelop- pement intéressant de doctrine et de jurisprudence.

La deinande en justice fut considérée comme étant înter- ruptive de prescription aussi bien pour la prescription acqui- sitive que pour la prescription extinctive. Quant à la pre- mière, il est intéressant de rappeler que quelques auteurs, en parlant d'une possession paisible, sans inquiétation, sans contradiction, visaient l'absence d'interruption civile : la possession n'est plus paisible, disaient-ils, lorsqu'il y a interpellation judiciaire (*). La plupart des coutumes ne précisaient pas le mode d'interpellation ; mais la jurispru- dence exigeait une demande en justice. « L'interruption de la prescription se fait civilement, dit Perrière, par voie civile d'action et contestation appelée inquiétation. »

Cette demande, pour la plupart des auteurs, avait d'ail- leurs pour eJBfet de placer le défendeur en état de mauvaise foi, et c'est aussi à ce titre qu'elle devait interrompre la prescription. Cette manière de voir, étant donné l'influence du droit canonique qui exigeait la bonne foi pendant tout le temps de la prescription, aida beaucoup à la généralisation de la règle de l'interruption ci\ile résultant d'une demande en justice.

Le commandement et la saisie furent aussi admis peu à peu comme modes d'interruption de la prescription ; les pays de droit écrit étaient en général moins disposés à étendre les causes d'interruption ; dans certaines provinces, on distinguait à cet égard suivant qu'il s'agissait de prescrip- tions plus ou moins favorables (*).

Le code civil a pris l'ancien droit dans son dernier état.

0) V. Beaumanoir, Coût, du BeauDoisis, éd. Beugnol, ch. VIII, n. 2 ; Domat, Lois civ., liv. lil, tit. VII, sect. 5; Pothier, Introd, au titre XIV de la coatame dOrléanSy n. 26 ; Ferrière, sur la coutume de Paris, 1, p. 269.

(') V. pour plus de détails l'intéressante étude de M. Desjardins et la thèse de M. Maurice Colin.

j

DE L*!NTERRTJPTI0N DE LA PRESCRIPTION 355

sans y rien modifier ; on peut dire que « ses dispositions sont plus équitables que savamment ordonnées (*j »

§ II. Interruption naturelle.

468. « // y a interruption naturellp, lors(p(e le possesseitr « est privé, pendant plus dun an, de la jouissance de la « chose, soit par r ancien propriétaire^ soit même par un « tiers (*) » (art. 2243). 11 résulte de ce texte que l'interrup- tion naturelle peut s'appliquer à la prescription acquisitive ou usucapion et à la prescription extinctive des ser\'itudes -; mais elle demeure sans application possible à la prescrip- tion extinctive des obligations, qui est fondée sur l'inaction du créancier.

469. Nous disons d'abord que l'interruption naturelle peut s'appliquer à la prescription acquisitive. Je suis en voie de prescrire un immeuble que je possède depuis un certain temps ; un tiers s'empare de la possession de cet immeuble, ou bien je suis privé de cette possession par le fait du propriétaire (et non, comme le dit inexactement la loi, de V ancien propriétaire, car son droit de propriété n'est pas encore brisé, puisqu'on suppose la prescription non accomplie). La prescription est-elle interrompue? La loi dis- tingue. Non, si je me fais restituer la possession à l'aide de l'action possessoire intentée dans l'année du trouble (quelle qne soit d'ailleurs l'époque à laquelle le juge aura statué sur ma demande); je serai alors réputé n'avoir pas cessé de posséder un seul instant, et la prescriptiou aura conti- nué son cours. Oui, au contraire, si j'ai laissé passer l'année sans intenter l'action possessoire; car alors j'ai perdu la possession, et par suite le bénéfice qu'elle m'avait procuré au point de vue de la prescription. On le voit, la simple occupation, soit par le propriétaire, soit par un tiers, de ta chose que j'ai commencé à prescrire ne suffit pas pour

(*) Desjardins, loc. cit.

(*) Cpr., G. civ. ilal., art. 2124. Code civ. esp., art. 1964. Codeciv. port., art. 552. Code civ. hott.. art. 2015. Code civ. ail., art. MO.

356 DE LA PRESCRIPTION

interrompre la prescription^; il faut une possession de plus d'une année. Cette solution était admise dans notre ancien droit (*).

470, C'est cette doctrine qu'a consacrée Tarticle 2243. L'exposé des motifs de Bigot-Préameneu dit à cet égard : « Il y a interruption naturelle lorsque le fait même de la possession est interrompu. Si, quand il s'agit d'un fonds, cette interruption ne s'est pas prolongée nij certain temps, on présume que c'est une simple erreur de la part de celui qui s'en est emparé. On présume aussi que celui qui était en possession s'en est ressaisi, ou a réclamé aussitôt qu'il a eu connaissance de loccupation et qu'il n'a aucunennent entendu la souffrir. On a considéré que si l'occupation momentanée d'un fonds suffisait pour priver des effets de la possession, ce serait une cause de désordre, q[ue chaque possesseur serait à tout moment exposé à la nécessité d'avoir un procès pour justifier son droit de propriété. La règle de la possession annale a toujours été suivie en France à l'égard des immeubles ; elle est la plus propre à maintenir Tordre public. D'ailleurs c'est pendant la révolution d'une année que les produits d'un fonds ont été recueillis; c'est pend|int une pareille révolution qu'une possession publique et continue a pris un caractère qui empêche de la confondre avec une simple occupation. Ainsi nul ne peut être dépouillé du titre de possesseur que par la possession d'une autre per- sonne pendant un an et, par la même raison, la possession q[ui n'a pas été d'un an n'a point l'effet d'interrompre la prescription. »

474. L'interruption naturelle de la prescription acquisi- tive suppose la perte de la possession ; par conséquent, en dehors du cas il a abdiqué sa possession, il ne suffit pas que le possesseur ait cessé d'accomplir des actes de jouis- sance sur la chose, il faut qu'un autre les ait accomplis à sa place ; peu importe d'ailleurs que ce soit le propriétaire ou un tiers. Il faut, en d'autres termes, mw dépossession com- plète et non une simple cessation de la jouissance ; celle-ci

(*) Dunod, p. B3. V. cep. Pothier, Post,, n. 73 s., et Preêcr., n. 40.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 357

pourra empêcher la possession d'être continue (*) ; elle pourra la rendre équivoque et, par conséquent, vicieuse au point de vue de la prescription ; mais il serait inexact de dire que ce fait constitue une interruption naturelle de la prescription (').

471 bis. La dépossession d'un an entraîne perte de la pos- session et interruption naturelle de la prescription sans qu'il y ait à rechercher si elle s'est opérée ou non à Tinsu du possesseur; son intention de posséder ne peut suffire à lui maintenir la possession lorsqu'un tiers s'est emparé de la chose et Fa possédée lui-même pendant un an ('). Peu importe dans quelles circonstances s'est opérée la mise en possession du tiers; peu importe même qu'après cette mise en possession, l'ancien possesseur ait continué à manifester son intention de posséder par des actes juridi<jues,et notam- ment par le paiement des impôts (*).

472. La cessation temporaire de jouissance tenant à un cas de force majeure n'entratne pas interruption de la possession ; la possession est alors conservée par la seule intention de posséder ; c'est une solution que nous avons déjà formulée et qui paraît d'ailleurs généralement admise (*).

473. Mais l'abdication momentanée de la possession impli- que, à notre avis, interruption de la possession et de la pres- cription.

Il peut y avoir, en d'autres termes, interruption naturelle par suite d'une perte quelconq[ue de lapossession,et,par con- séquent, au cas d'une dépossession qui ne correspondrait pas à l'usurpation d'un tiers. Il faut dire que toute abdication de la possession constitue une interruption de la possession

(')Gass., 11 juillet 1838, S., 38.1.747, D. Rép., v Prescr,, n. 467. Lau- renU XXXII, n. 82; Guillouard, n. 188.

(*) V. supra, n. 239 s.

C) Aubry et Rau, éd., ir, p. 116, § 179 ; Guillouard, n. 189. - V. Cass., i2ocl. 1814 ; 12 fév. 1889, S., 90.1.13.

0) Aubry et Rau, loc, ciL; Guillouard, loc, cil, V. Cass., 20 mai 1851, S., 51. 1. 812, V. supra, n. 228 s , 232 s.

(») Sic Laurent, XXXlI.n. 83; Marcadé, sur l'art. 2242, n. 1; Colmel de San- tcrre, VIII, n. 350 Aw, VI ; Guillouard, n. 190. V. en sens contraire, Dunod, p. 54. - V. supra, n. 234 et 240.

358 DE LA PRESCRIPTION

et par suito de la prescription. Quand lapertedela possession d'un immeuble est due à l'entreprise d'un tiers, elle n'est prise en considération que si, dans le délai d'un an, la pos- session n'est pas recouvrée ; mais, au cas la possession de rimmeuble est abandonnée par le possesseur, il y a inter- ruption sans condition de délai. Pour les meubles, il est vrai de dire que toute privation de la possession est, sans distinc- tion, une cause d'interruption de la possession. Pothier dit d'une façon générale : « 11 y a interruption naturelle dans la possession d'une cliose lorsque celui qui la possédait a cessé pendant quelque temps de la posséder. > De même, d'après Dunod, « la prescription est interrompue naturel- lement lorsque le possesseur, ne se regardant plus comme maître, cesse volontairement de posséder ou lorsqu'il est déjeté de sa possession (*). » Le code ci\dl ne vise que la dépossession d'un immeuble par un tiers et Bigot-Préame- neu ne s'occupe, dans son exposé des motifs, que de cette bypothèse. C'est que le cas d'abandon est à peu près pure- ment tliéorique. Cependant la règle peut avoir quelque inté- rê{ et quelque application pour les meubles : au cas un meuble ne p^ut être acquis que par la prescription de trente ans, nous disons qu'il y a interruption naturelle de la pres- crij)tion par suite d une perte quelconque de la possession résultant de l'abandon du possesseur ou de l'entreprise d'un tiers; sauf à apprécier s'il y a eu véritablement interruption dans riiypothèse le possesseur dépouillé aurait immédia- tement recouvré sa possession.

474. Mais de ce que la possession et par suite la prescrip- tion peut être interrompue, sans qu'un tiers se soit emparé de la chose, si en fait la possession a cessé et a été perdue, il ne résulte pas qu'il y ait interruption si celui qui détient pré- cairement cesse d'avoir la volonté de posséderpour autrui et a, au contraire, la volonté de posséder pour lui-même. Il ne peut, nous le savons, changer lui-même la cause de sa pos-

{'; Polluer, Prescr., n. 39 ; Dunod, p. 53 ; Leroux de Bretagne, n. 435 «l 43.) ; (iuillouard, I, n. 185. V. aussi siipray n. 242. Contra, Lauent, XXXII, n. 79 et 80 ; Colmel de Sanlerre, Vlll, n. 350 bis, V ; Hue, XIV, n. 38i,

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 359

session (art. 2240). « Quand même, dit Pothier, celui qui a commencé d'être en possession d'une chose pour moi et en mon nom changerait de volonté, et aurait la volonté de ne la plus détenir en mon nom, mais au sien, il serait toujours censé la détenir en mon nom et je continuerais de posséder parlai mon héritage (*)•>>

475. L'interruption naturelle peut aussi s'appliquer à la prescription extinctive des servitudes. Ainsi mon fonds a une servitude de puisage sur le fonds voisin; je cesse de puiser. A dater de ce moment, la prescription commence à courir au profit du propriétaire du fonds servant ; elle sera inter- rompue dès <jue je recommencerai à user de la servitude.

§ III. Interruption civile.

476. L'interruption civile est susceptible de s'appliquer soit à la prescription acquisitive,soit à la prescription extinctive, à la différence de l'interruption naturelle, qui, ainsi que nous venons de le voir, ne reçoit qu'exceptionnellement son appli- cation à la prescription extinctive. Les actes juridiques d'où peut résulter l'interruption civile sont limitativement déter- minés par la loi. Quels sont ces actes ? Il y en a toute une série, qu'on peut désigner sous la dénomination commune à actes d'interpellation (art. 2244). En outre, l'interruption peut résulter de la reconnaissance que fait le débiteur ou le possesseur du droit de celui contre qui il prescrit (art. 2248). Dans tous ces cas, on peut dire que la prescription est inter- rompue parce que le droit contre lequel elle courait est exercé ou reconnu, et que dès lors il n'y a plus, soit inaction du créancier, soit possession contraire au droit du propriétaire ; le fondement de la prescription n'existe plus (*).

(')Polhier, Pos«c««toji,n.69. V.dans le morne sens,6élime,n. l07;Troplong, n.268 el 269. - Cofi/ra, Marinier, Revue critique, XV,p. 5i8. - V. supra, n. 230 C) V. Leroux de Bretagne, n. 481 ; Laurent, n. 85 et 86.

360 DE Î.A PRESCRIPTION

A, Inlerruplion civile résnltani d'une inlerpeliaiion ,

477, L'article 2244 énumère les actes constituant une inter- pellation suffisante pour que la prescription soit interrom- pue. « Une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, « forment l'interruption civile » (art. 2244) (*).

Ainsi, pour interrompre la prescription qui court contre moi, je dois nécessairement interpeller le possesseur ou le débiteur, soit par une citation en justice, soit par un cowi- mandement, soit par une saisie. Cette énumération est limi- tative ('). La loi veut une interpellation extrêmement éner- gique, manifestant clairement la volonté du propriétaire ou du créancier d'exercer son droit et détruisant par suite l'in- duction tirée de son inaction plus ou moins prolongée.

478. On peut donner un grand nombre d'applications de cette idée. Ainsi tout d'abord il est certain qu'une simple som- mation ne suffît pas en général pour interrompre la prescrip- tion, parce que, comme dit Dunod,« on n'est pas obligé de répondre à une sommation ; on peut croire que la demande n'est pas sérieuse lorsqu'elle n'est pas faite dans la forme requise pour donner lieu à l'adversaire de se défendre, ou que celui qui a fait l'interpellation ne s'est pas cru fondé puisqu'il n'y a pas donné suite ('). »Sans doute nous verrons que la sommation de payer ou de délaisser, adressée au tiers

0) V. anal, C. civ. ail., art. 209; G. civ. ilal., art. 2125 ;C. civ. esp.. art. 1945 s., 1973 ; C. civ. holl., art. 2016 s. ;Code fédér. oblig., art.' 154 s. ; Code Mon- tén., art. 633 s.

(*) Gass , 10 décembre 1827, S. chr., D. Rép., V Prescrip,, n. 498 ; 10 niai 1876, S., 76. 1. 381, D., 78. 5. 113 ; 8 déc. 1880, S., 83. 1. 419, D., 83. 5. 94; 25 juin 1884, D., 85. 1. 77. Paris, 13 avril 1867, S., 67. 2. 214, el les arrdts antérieurs cités en note. Besançon, 24 nov. 1886, S., 87. 2. 225 cl la note. Sic Merlin, Bèp,, x^ Interr, de prescrip., n. 5 ; Troplong, n. 576 s ; Aubr3f et Ran, éd., If, p. 511, § 215 ; Laurent, XXXII, a, 110.

C) Cass., 10 déc. 1827, précité. Paris, 13 avril 1867, précité. - Troplong, n. 576 ; Leroux de Bietagne, n. 467 ; Labbé, note dans Sirey, 83. 1. 5 ; Guil- louard, n. 206. V. aussi G. civ. ail. art. 209 ; Gode féd. oblig.,arl.l54s.; Code Monlén., art. 633 s. V. cep. G. civ. ital., art. 2125 ; G. civ. esp., art. 1973 ; G. civ. port. art. 552 ; G. civ. Valais, art. 2002. V. aussi Lehr, Élém, de droU civil Scandinave, n. 339.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 361

détenteur conformément à l'article 2169, interrompt contre lui la prescription de l'hypothèque. Mais la raison en est que cette sommation équivaut à un commandement.

479. Toutes les mesures provisoires, tous les actes con- servatoires d'un droit qu'on n'exerce pas d'une façon actuelle et positive, ne peuvent interrompre la prescription. Il en est ainsi d'une réquisition d'apposition de scellés ou d'une oppo- sition à levée de scellés, d'une inscription d'hypothèque, d'une opposition à partage dans les termes de l'article 882 du code civil, d'une demande formée par une commune devant le conseil de préfecture à l'effet d'être autorisée à agir. Nous verrons plus loin qu'il en est encore ainsi d'une citation en référé. Il est certain aussi que l'action en bornage n'inter- rompt pas la prescription acquisitive de la propriété (*) et que l'inscription de l'hypothèque légale n'interrompt pas la prescription de l'action en reddition du compte de tutelle (*).

Une demande d'assistance judiciaire pour engager une ins- tance n'interrompt pas non plus la prescription (*).La pres- cription n'est pas non plus interrompue par la présentation d'une requête tendant à assigner à bref délai et sans pré- liminaire de conciliation (^).ll en est de même d'une requête adressée à l'autorité administrative par la voie gracieuse, sans qu'aucune instance soit introduite (*).

470 bis. Mais le principe que nous avons posé n'est plus vrai, à notre avis, quand il s'agit non de la prescription ordinaire, mais des courtes prescriptions fixées par contrats. Il faut alors rechercher quelle a pu être la volonté des par- ties. Si une police d'assurances contient une clause d'après laquelle la réclamation de l'indemnité doit être faite dans un délai fixé, on peut soutenir qu'il suffit d'une réclamation

(') Cass., 10 mars 1873, S., 75. 1. 310, D., 75. 1, 109. V. Leroux de Bre- tagne, n. 468 ; Labbé, note dans Sirey, 83. 1.5; Guillouard, n. 206.

{«)Cas8., 5 déc. 1900, D., 1901. 1. 213.

{*) Sic Laurent, n. 87 et 92 ; Guillouard, n. 199.

(♦)Gaen, 15 mars 185i, S., 54. 2, 699. GuiUouard, loc, cU,

(») Casa., 26 juU. 1864, S., 64. 1. 438, D., 65. 1. 70. - Aubry et Rau, éd., II, p. 596, § 215, note 7 ; Leroux de Bretagne, n. 502 s. ; Guillouard, n. 201.

362 DE LA PRESCRIPTION

quelconque. L'introduction d'une instance en référé peut notamment être considérée comme suffisante. V.f/i/ra n. 485.

480. Il faut conclure encore du principe que nous avons posé, que la signification d'un acte de cession au débiteur de la créance n'interrompt pas la prescription (*). Elle ne rentre certainement pas dans les termes de l'article 2244. On a jugé, il est vrai, que tout acte donnant connaissance au débi- teur cédé de la cession consentie par le créancier interrompt la prescription (*) ; mais c'est une solution absolument arf)î- traire.U ne faut pas admettre non plus l'opinion de certains auteurs -qui soutiennent que la signification de la cession interrompt la prescription lorsque la créance cédée a déjà fait l'objet de saisies-arrêts parce qu'alors elle vaut opposi- tion ('). Il est certain que vis-à-vis du débiteur la signification de la cession n'est pas une saisie. Elle pourra, à l'égard des créanciers saisissants, produire l'efiFet d'une saisie-arrêt ; mais, au point de vue de la prescription, il n'en est pas ainsi : d'une manière générale, la signification de la cession n'est pas un acte d'exécution, mais une mesure destinée à rendre la cession opposable aux tiers.

481 . La prescription n'est pas interrompue par la signi- fication d'un jugement à avoué ou à partie (*). Elle ne l'est pas non plus, nous le verrons plus loin, par la signification d'un titre exécutoire faite aux héritiers du débiteur en exécu- tion de l'article 877.

482. Un acte interruptif de prescription peut être signifié, soit à la requête du créancier ou du propriétaire menacé par la prescription, soit à la requête de leur mandataire ou gérant d'afiaires (^). Il peut l'être par un créancier exer-

(') Paris, 19 avril 1831, S., 32. 2. 25, D. Rép., v"» Prescr,, n. 495. - Nîmes 6 mars 1832, S., 32. 2. 324, I). Rép,, v Prescr., n. 665. Aubry et Rau, 5* éd., ir, p. 511. § 215 ; Golmei de Sanlerre, Vllf, n. 351 bis, VU ; Laurent, XXXII, n. 111; Guillouard, n. 207.

(*) Riom, 24 mars 1832, S. clir. Cpr. Gaen. 7 mai 1845, S., 45. 2. 534, D.. 49. 2. 24. V. aussi Merlin, Rep., v* Interr. de prescrip,^ n. 9.

(') Troplong, H, n. 571 et 572 ; Marcadé, loc, cit., n. 5 ; Laroiix de Breta- gne, n 526.

(♦) Pau, 20 juillet 1870, S., 72 2.267. - Guillouard, n. 206.

l*) Gass., 6 riov. 1832,S.. 32.1.824, D., 33.1.42; 3 avril 1845, S., 45. 1.666. Bordeaux. 24 nov. 1893, D., -95.2.63. Demolombe, Oblig,, VIIÏ, n. 109.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 363

çant les droits de son débiteur en vertu de l'article 1166 (^).

483. Mais Tacte signifié à un autre que celui qui est en voie de prescrire ne peut évidemment interrompre la prescription; ainsi la citation adressée à un fermier, qui détient pour le compte d'un tiers, n'interrompt pas la pres- cription (').

484. L'interruption de la prescription ne suppose pas nécessairement la capacité d'agir en justice; il suffit d'avoir la capacité de faire des actes conservatoires ; un mineur, une femme mariée non autorisée, un prodigue non assisté de son conseil peuvent interrompre la prescription qui court con- tre eux ('). Les administrateurs des personnes morales peu- vent, avant d'être autorisés à agir, faire des actes interrup- tifs de prescription. Il faut d'ailleurs supposer, bien entendu, que l'instance est ensuite régularisée par 1 intervention de celui qui représente ou assiste l'incapable ou par l'obten- tion des autorisations requises par la loi.

485. Nous avons vu plus haut que la jurisprudence admet la validité des clauses qui substituent à la prescription éta- blie par la loi des prescriptions conventionnelles dont le délai est beaucoup plus court que celui de la prescription du droit commun. C'est le cas de presque tous les contrats d'assurance. La question se pose de savoir si ces déchéances conventionnelles sont soumises aux règles du code civil sur les causes d'interruption. Cette question n'est pas susceptible d'une solution absolue.

Il peut être stipulé que la déchéance sera de rigueur, et ne sera pas arrêtée par l'un des actes que la loi considère comme interruptifs de prescription. 11 peut être stipulé, à l'inverse, que la déchéance sera couverte par une réclamation

Mais Tac le siKnifié par le créancier cédant après le contrat ne peut profiter au cessionnaire. Bourges, 6 mars 1828, S. chr.

(') Troplong, n. 645.

0 Gass., 21 déc. 1859, S., 60. 1.449, D., 59. 1. 26. - Laurent, XXXII,

D.91.

(»)Cass. 27 juin 1884, S., 87. 1.334, D., 85. 1. 135. - Leroux de Bretagne, n. 287;Troplong, n. 599 ; Aubry et Rau, éd., Il, p. 507, § 215; Laurent, XXXU, n. 96; Guillouard, n.215.— Cpr. la loi du 10 août 1871, art. 5i, et la loi du 5 avril I88i. arL 122.

364 DE LA PRESCRIPTION

quelconque, sans demande en justice. Il peut être stipulé enfin quune demande en justice dans les formes lés2^ales sera nécessaire (*). A défaut de clauses précises, il faut rechercher la volonté probable des parties. Les articles 2444 et suivants du code civil ne nous paraissent pas ici devoir être appliqués, du moins d'une façon nécessaire ; il y a une question d'interprétation; et 'dans le silence du contrat, on devra facilement admettre, suivant nous, que la déchéance n'est pas encourue s'il y a eu une réclamation quelconque, ou même simplement des pourparlers, une demande d'exper- tise, une citation en référé ou même une demande d'assis- tance judiciaire (*). Le plus souvent, les clauses du contrat n'admettent comme acte interruptif qu'une demande en jus- tice. Mais si elles n'ont pas nettement indiqué les modes d'interruption, il y a lieu non d'appliquer les articles 2244 et suivants du code civil, mais d'interpréter la volonté des parties. La règle a été posée en ce sens par M. Labbé : « Les causes d'interruption doivent être, en ce cas, fixées non rigoureusement d'après la loi, mais d'après la volonté probable des parties (^). » Il s'agit de prescription conven- tionnelle et non de prescription légale ; c'est la convention et non la loi qu'il faut appliquer. A ce point de vue d'interpré- tation large, pratique et équitable du contrat, il n'est pas douteux qu'on doive admettre comme suffisantes pour inter- rompre la prescription des réclamations, démarches, assis-

(») Nancy, 26 juin 1897, S., 98.2.173, D., 97.2.503. -V. lussi Cass , 26 mars 1902, D., 1902.1.248.

(«) Gass , 18 mars 1830, S., 93.1.139; 22 fév. 1899, S., 1901.1.265 et la noie de M. Naquel; 9 déc. 1903, Gaz, Pal,, 22 mai 1904. - Paris, 30 ocl. 1885, S., 86.2.49; 20 juin 1894, S., 95.2.168. Ai.\, 20 janv. 1890, S.. 91.2.77. Douai, 24 mars 1896, D , 97.2.255. -^ Nancy, 30 juin 1896, D., 97.2.294. - Nimes, 11 déc 189J, S., 1901.2.16S; 8 n'ov. 1901, Pand, fr., 1904.2.23. - V. encore les décisions citées dans la noie de M. Tissier, S., 1901.1.289. Sic Chavegrin, note sous Cass., 14 janv. 1890, S.. 91.1.17; Kœhler, note dans D., 97.1.5; Sarnit, noie dans D., 97.1.513. Cpr. Lyon, 5 mare 1887, S., 90. 2.77. V. aussi supra, n. 96 s. Contra Cass., 26 orl. 1896, S., 98.1.330, D., 97.1.5; 14 nov. 1899, S., 1901.1.289. - Nancy, 30 mai 1885, S., 86 2.125, Paris, 19 nov. 1896, D., 97.2.70. V. aussi les décisions en ce sens citées par M. Naquel dans la noie. S., 1901.1.265 et par M. Tissier dans la note, S., 1901.1.289. - Guillouard, I, n. 258; Hue, XIV, n. 385.

(») Labbé, S., 86.2.49.

DE l'iNTEKRUPTION DE LA PRESCRIPTION 366

tances aux expertises qui de droit commun n'empêchent pas la prescription de courir. Des arrêts de la Cour de cas- sation se sont prononcés en ce sens et ont décidé qu'il y a une question de fait et qu'il faut rechercher si on a fait dans le délai la réclamation visée par la clause de la police. Mais d'autres arrêts disent que dans le silence du con- trat, il faut appliquer les articles 2244 et suivants, ou bien s'appuient sur ce qu'une prescription conventionnelle, étant une prescription, reste soumise au droit commun des prescriptions. Ce sont des considérations inexactes ; il s'agit d interpréter les clauses du contrat; il faut rechercher la volonté des contractants, et la portée qu'ils ont entendu donner à la clause. Peu importe d'ailleurs que ce soit nne prescription, puisque c'est une prescription convention- nelle. C'est en ce sens que la jurisprudence de la Cour de cassation parait s'orienter. Un récent arrêt du 9 décembre 1903 dit très exactement : < 11 appartient aux juges du fait de déterminer, par interprétation du contrat d'assurance, le sens et la portée d'une clause instituant une prescription conventionnelle pour la réclamation d'une- indemnité, et de décider que cette clause n'exige pas, pour interrompre la courte prescription qu'elle édicté, lexercice d'une action judiciaire, mais ne vise qu'une simple réclamation d'indem- nité. »

Il faut aussi se demander si les clauses insérées dans les polices d assurance ne doivent pas être rejetées comme con- traires à Tordre public. Ainsi il nous paraît certain qu'une clause ne pourrait valablement, en exigeant strictement l'exer- cice d'une action dans un certain délai à peine de déchéance, écarter l'interruption pouvant résulter de la reconnaissance faite par l'assureur des droits de l'assuré. Autrement la compagnie pourrait, par des reconnaissances successives, endormir la confiance de son assuré et abuser de la clause insérée dans la police (*). (V. infra, n. 532).

(») V. Paris, 28 nov. et 21 déc. 1889, et Aix, 20 janv. 1890, S., 91.2.77 et 79. De Lalande et Couturier, Assur. contre Vinc.y n. 928 ; Tarbouriech, As$ur, conirt les »ecid., n. 98; Labbé, note dan» Sirey, 1886. 2.69. V. aussi la note dans Sirey, 1886, 2. 125. H a été Jugé récemment, et avec raison selon nous,

36tt DE LA PRESCRIPTION

1. Citation en justice.

486. Nous allons maintenant passer en revue les trois cas visés par Tarticle 2244, et tout d'abord, nous allons déter- miner quels actes peuvent rentrer dans les expressions cUa- tion en justice de cet article.

Bien que le mot citation soit consacré dans la langue juri- dique pour désigner l'assignation à comparaître devant un tribunal de paix, la loi emploie dans Tarticle 2244 l'expres- sion citation en justice pour désigner d'une manière géné- rale toute assignation à comparaître devant un tribunal, quel qu'il soit, et même toute demande en justice, qu'elle soit ou non formée par exploit d'huissier. Ainsi une demande incidente, reconventionnolle ou en intervention, serait cer- tainement interruptive de la prescription, bien qu'elle se forme par requête ou acte d'avoué à avoué ; c'est une cita- tion en justice dans le sens de l'article 2244. Peu importe comment la justice est saisie, pour\ii qu'elle soit saisie. « On comprend aisément, dit Dunod, que la demande for- mée par l'une des parties dans le cours d'une instance déjà commencée a le même effet que l'assignation pour l'interrup- tion de la prescription : comme si cette demande avait été forméepar manière de compensation ou de reconvention (*). »

487. Il peut y avoir interruption de la prescription par

que la déchéance de six mois stipulée par la compagnie à déiaut de réclamaUon dans ce délai n'est pas encourue si, un jugement ayant été obtenu contre la com- pagnie et celle-ci ayant fait appel, plus de six mois se sont passés sans poursui- tes. Paris, 11 août 1897, D., 98. 2. 142.

0) Gass., 12 déc. 18>6, S. chr., D. Rip,, Prescr,, n. 478 ; 25 janv. 1837, S., 37. 1. 225, D. Rép,, loc. cit. ; 19 juill. 1841, S., 41. 1. 763. D. Rép,, Prescr,, n. 479.— Dunod, p. 57 ; Merlin, Quest., v Interr, de prescr., § 2; Troplong, II, n. 562 s.; Marcadé, sur les art. 2242 s., n. 2; Aubry et Rau, 5" éd.. Il, p. 505, § 215; Colmet de Santerre, VIII, n. 352 bis, XI; Laurent, XX.XII, n. 92 et 93 ; Guillouard, n. 195. Devant le tribunal de commerce ou le juge de paix, la demande reconvenlionnelle pourrait être formée, à notre avis, par simples conclusions à l'audience, sans ajournement. Sur la demande recon- ventionnelle formée devant un arbitre rapporteur nommé par un tribunal de commerce, v. la note dans Sirey, 1879. 1. 442. Il a été jugé par la cour de cas- sation que Tinterruption résultant d'une pareille demande ne peut, en tons cas, se produire qu'à la date du dépôt du rapport de l'arbitre qui la constate. Cass., 13 janv. 1879, S., 79. 1. 441, D., 79. 1, 145.

DE l/lNTERRUPTlON DE PRESCRIPTION 367

suite d*une demande en justice non signifiée; il en serait ainsi d'une demande en déclaration de faillite, même non signifiée au débiteur (*), d'une demande en collocation formée dans une distribution par voie d'ordre ou de contribution (*), d'une demande à fin d'admission au passif d'une faillite {^), d'une requête devant une juridiction administrative au conten- tieux (*), d'une demande en taxe formée contre uii notaire à fin de restitution des honoraires indûment perçus (^).

Ces divers actes seront interruptifs de prescription avant même d'avoir été signifiés au débiteur. Ce n'est pas tant dans la connaissance qu'en aie débiteur que dans la manifestation de l'action du créancier qu'il faut voir le fondement de Fin- terruption de la prescription extinctive. M. Colmet de San- terre s'est cependant placé à un point de vue différent. Par- tant de cette idée que les trois adtes visés par l'article 2244 sont portés à la connaissance du débiteur, si bien que celui- ci ne peut pas alléguer qu'il a cru que l'inaction du créan- cier cachait un abandon de son droit, le savant auteur en conclut qu'il ne suffit pas, d'après l'article 2244, qu'un

0 CàS6., 13 janv. 1879, S., 79. 1. 441 et la note de Labbé, D., 79. 1. 145 et liDote de M. Boislel. Bufnoir, p. 415 ; Guillouard, n. 203. V. aussi code féd. suisse des obli^., art. 154 ; G. civ. ail., art. 209.

(') Rouen, 3 mars 1856, S., 57. 2. 742. Toulouse, 18 déc. 1874, S., 75. 2. 109. - Bordeaux, 18 mai 1890, D., 91. 2. 231 ; 2i nov. 1833, D., 95. 2. 63. - Trib. Seine, !•' avril 1896, Gaz. PaK, 96. 2. 525. - Merlin, Quest,, v Interr, de prêter., §2, n. 1; Troplong, n. 564 ; Aubry etRau, loc. cil,; Marcadé, loc, ciL; Laurent, XXXll, n. 93 ; Guillouard, t. I, n. 196 et s. ; Labbé, loc, cil, ; Girsonnet,IV,§ 812 ; Bufnoir, foc. ci/.— V. aussi Cass., 17 janv. 1893, S. ,94.1. 113.

i')Cass., 5 janv. 186i, S., 64. 1. 85. - Aix, 29 mai 1872, S., 74. 2. 273. - Piris, 11 déc. 1883, S., 84. 2. 105 et la note de M. Lyon-Caen. Troplong, II, 0.719 ; Aubry et Rau, loc, cit., ; Marcadé, loc. cU. V. aussi G. civ. ail., »rt. 209.

l*) V, Gass., 19 août 1834, S., 35. l. 432 ; 21 mai 1836, D. Rép., Emigré, n. 134; 24 avril 1850, D., 50. 1. 200. - Orléans, 28 mai 1842, D., 44- 2. 12. - Aobry etRau, loc, cit.; Leroux de Bretagne, n. 503; Bufnoir, loc. ciL ;Guil- lottird, n. 201.

(') Cass., 18 juin 1894, S.. 96. 1. 273. Getle solution paraît bien s'imposer en présence du texte de Tari. 2 de la loi du 24 décembre 1897. V. infra, n. «S».- V. en senscontraire, Rouen 25 mai 1898, S., 1901. 2. 163, D., 99. 2. 425 ; Albert Wahl, note sous Gass , 18 juin 1894, précité. Dans tous les cas, il n'y a certainement pas interruption de la prescription de l'action en restitution de ^19 payés à un notaire si la demande de taxe émanait du notaire et non de la H^lie. Rouen, 25 mai 1808, précité.

368 DE LA PRESCBIPTION

acte soit une citation pour interrompre la prescription^ il faut qu'il soit signifié à la partie, c'est-à-dire porté officiel- lement à sa connaissance. » Il soutient par suite que la pro- duction à ordre, n'étant pas notifiée au débiteur, n'est pas interruptive de prescription ; tandis que, dans la procédure de distribution par contribution, le débiteur est averfî de la sommation faite aux créanciers d'avoir à produire, ce qui constitue une signification anticipée des demandes en collo- cation,il n'y a dans la distribution par ordre aucune dénon- ciation de ce genre : le débiteur recevra de signification qu'après le règlement provisoire.

Cette doctrine aboutit ainsi à une différence bien peu ration- nelle entre les deux procédures de l'ordre et de la contri- bution. On peut ajouter qu'il serait tout au moins logique d'admettre l'interruption de la prescription par suite de la dénonciation du règlement provisoire qui portera à la con- naissance du débiteur saisi les demandes de ses créanciers. Mais il suffit de poser en principe que la demande en jus- tice n'a pas nécessairement besoin d'être notifiée au débiteur. L'application stricte et littérale de l'article 2244 conduirait à distinguer entre les demandes en justice, ce qui serait illo- gique et injuste. La saisie d'ailleurs n'est-elle pas interrup- tive de prescription avant même d'avoir été signifiée (^) ?

488. « La citation en conciliation devant le bureau de paix interrompt la prescription, du jour de sa date, lorsqu'elle 41. est suivie dune assignation en justice donnée dans les « délais de droit » (art. 2245). L'article 57 du code de pro- cédure civile contient une disposition analogue, et fixe en même temps la durée du, délai de droit dont vieijt de nous parler l'article précité : « La citation en conciliation inier-- rompra la prescription, et fera courir les intérêts ; le tout, pourvu que la demande soit formée dans le mois, à dater « du jour de la non-comparution ou de la non-concilia" « tion. > On sait que la citation en conciliation est souvent un pren-

ez) V. dans notre sens Labbé, note dans Sirey,79. 1. 441 ; Guillouard» n. 196 et 197. - Conlrt^. Golmet de Santerre,Vrn, n. 351 hU IV ; Hue, KIV, n. 387

DE L INTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION 369

minaire obligé de la demande en justice (C.pr.,art.48).Cela posé^pour qu'il fût possible à celui contre lequel court lapre&^ cription de Tinterrompre jusqu'au dernier moment, il fallait de toute nécessité faire rétroagir la demande au jour de la citation en conciliation. Les articles que nous venons de trans- iCfire ne font en définitive qu'édicter cette rétroactivité, sous la condition que la demande en justice soit formée dans le délai d'un mois au plus tard, à dater de la non conciliation. D'ailleurs il est juste que la loi, exigeant une citation en conciliation avant la demande en justice, assure à cette citation les mêmes avantages qu'à la demande elle-même au point de vue de l'interruption de la prescription, afin que le demandeur n'ait pas' à souffrir à cet égard des lenteurs la procédure (*).

489. Tels étant les motifs qui ont dicté cette disposition, («doit en conclure qu'elle ne recevra pas son application aa cas le préliminaire de conciliation n*est pas obliga* foire. En d'autres termes, il y a des demandes qui, par excep- tion, ne sont pas assujetties au préliminaire de conciliation ; si néanmoins une semblable demande a été précédée d'une citation en conciliation, donnée par erreur ou pour tout aatre motif, la demande ne sera pas nulle pour cela, mais }a prescription ne sera interrompue qu'à dater de la demande, et non de la citation en conciliation. Il n'y a plus ici néees* site de faire rétroagir la demande au jour de la citation, puisque la demande aurait pu et même être formée direc- tement; le motif de l'exception établie par l'article 2245 manque donc, et par suite l'exception ne doit plus s'appli- quer. L'article 57 du code de procédure civile, qui n'e^t qu'un développement de larticle 2245, ne laisse guère de doute à cet égard. Il est dit à la vérité, dans les termes les plus généraux, par les textes ci-dessus indiqués, que la cita- tion en conciliation interrompt la prescription ; mais il est manifeste, par la place qu'occupe l'article 57 du code de procédure civile, que la citation en conciliation dont il parle est celle que viennent de réglementer les articles précédents,

V) Garsonnel, Traiié.théor, ei pràL de proc^d.,.II,.§ 240,.p. Hft,. .. Prkscr. 24

'370 DE LA PRESCRIPTION

c'esti-à-dire celle qu'ils déclarent obligatoire. Il y a dans ce sen&un arrêt de la cour de cassation (*).

490. La solution contraire a été cependant soutenu par tm grand nombre d auteurs (*). On a mis en avant cette idée que, puisque l'assignation devant un tribunal incompétent interrompt la prescription, on peut, par analogie, accorder le même effet à la citation en conciliation signifiée dans les cas les articles 48 et 49 du code de procédure civâle ont été mal interprétés ; Terreur est, dit-on, aussi excusable dans un cas que dans l'autre. Mais il suffît de répondre que Tarticle 2246 est une exception à la règle générale, et qu'on ne peut l'étendre par analogie ; il n'y a pas ici erreur de compétence, mais une autre erreur pour laquelle la loi ne contient pas de restriction indulgente semblable à celle de larticle 2246.

491 . La comparution volontaire suivie de non conciliation doit être assimilée à la citation en conciliation : si elle est suivie d'instance devant le tribunal^ elle interrompt la pres- cription. On a soutenu qu'il n'y a pas alors une manifestation aussi énergique, une menace aussi formelle de la part du créancier. Mais l'article 48 du code de procédure civile met la comparution volontaire devant le magistrat èonciliateiir •sur la même ligne que la citation ; il faut en conclure que, comme cette dernière, elle est interruptive de la prescription. La solution contraire aurait pour résultat d'imposer aux parties des frais inutiles (*).

(«) Gass., 17 janv. 1877, S., 78.1.165, D., 78.1.19. - Golmet de'Santerre, Vill, n. 352 hU, I; Laurent, XXXII, n. 105 ; Planiol, «• éd., I, n. 1460; Bufnoir, p. 420; Guillouard, 1, n. 225; Hue, XÏV, n. 394.

(») Cass.,9 nov. 1809, S. chr., D. Rép,, ¥• Prescr., n. 535. Montpellier, 9 mai 183^, S., 38.2.492 D. Rép., loc. cit.— Sic Vazeille, n. 191; Troplonjç, n. 5*>2; Marcadé, sur l'art. 2245. n. 8; Chauveau sur Carré, Lois de la proc, qaesl. 248 /)«; Aubi*y et Rau, o* éd., Il, p. 509; Leroux de Bretagne, n. 473; Garson- net, il, p. 220, g 240.» On a même jugé que la solution doit être maintenue au cas l'objet du litige n'e.st pas susceptible de transaction. Gass., 9 novembre 1809, précité.— V. aussi en ce sens les auteurs précités à l'exception de Tro- plong, Chauveau, Leroux de Bretagne et Garsonnet, qui suivent ici 1 opinion contraire avec un arrêt de la Cour de Rouen du.l^ déc. 1812, S., 43.2.170. Nf aïs la distinction que font ces derniers auteurs est un peu arbitraire.

(*) Vazeille, n. 186; Troplong, n. 590; Chauveau sur Carré, op. cit., quesl, Si9; MarcadéyWoc. cil,, n. 7; Hodière, Procéd., I, p. 253; Aiibry et Rau, 5' éd. ,

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 371

492. Nous ajouterons que si, sur la citation en conciliation du créancier, le défendeur opposedevant le juge de paix une demande reconventionnelle, cette demande est aussi inter- ruptive de prescription (').

493. L'avertissement sans frais devant le juge de paix, bien qu'il doive précéder les actions intentées devant ce magistrat, n'est pas interruptif de prescription ; la loi n'en a pas disposé ainsi, et il serait peut-être difficile en effet d attribuer l'effet interruptif à un acte qui n'offre que peu de garanties au point de vue de la certitude de sa date et de sa conservation. En cas d'urgence, les parties menacées par la prescription doivent donc se faire dispenser du préliminaire de l'avertissement et interrompre la prescription au moyen d'une citation (*).

404. La citation en référé ne doit pas non plus, en l'ab- sence d'un texte qui lui attribue cet effet, être considérée «)iiime interruptive de la prescription. Elle ne tend qu'à des mesures provisoires en vue de faire valoir le droit ultérieu- rement ; il n'en résulte pas une réclamation énergique et précise du droit menacé par la prescription. Sans doute, le référé est une véritable instance, mais l'action principale peste en dehors du référé; le droit n'est pas déduit en just- tice. La citation en référé ne peut avoir plus d'efficacité qu'une simple sommation. La Cour de cassation a admis cette solution dans le cas d'une citation en référé ayant pour objet une expertise à l'effet de constater les vices d'une cons- truction; cette citation a été considérée comme n'ayant pu interrompre la prescription de l'action en garantie du pro- priétaire contre son architecte; elle ne contenait pas la demande en responsabilité, mais réservait seulement l'exer- cice de cette action. Il faut, dit la Cour de cassation, « une interpellation judiciaire portant réclamation du droit du

lï» p. 510, § 215; Laurent, XXXII, n. 104 : Hue, XIV, n. 393; GuiUouard, H. 230. - Contra, Ck)lmar, 5 juill. 1809, S. chr. - Duranlon, XXI, n. 26Ç ; Colmel de Santerre, VI, n. 352 bi$, II.

(') Sic Marcadé, loc. cit.

Ô Loi du 2 mai 1855, art. 2. V. Garsonnet, II, p. 235, § 244; GuiUouard, n. 231; Labbé, note dans S., 83.1.5.

372 DE LA PRESCRIPTION

deinandeur signifiée à celui qu'on veut empêcher de pres- crire. 3^ Une citation en référé ne peut constituer une pareille interpellation ( ') . La cour d'Amiens avait dit aussi très exactement que ^ l'assignation en référé ne saurait être regardée comme une citation en justice dans le sens de Tarti- cle 2244 du code civil; on ne doit tenir pour telle que l'acte par lequel le droit est réclamé, et non celui par lequel, comme dans l'espèce, les mesures provisoires sont deman- dées en vue de faire valoir le droit qui pourra découler des constatations à faire en exécution de l'ordonnance à inter- venir. »

495. Il semble bien qu'on doive admettre que si, par une erreur grossière, la demande en référé concluait à la con- damnation du défendeur, elle serait interruptive comme faite devant un juge incompétent (art. 2246) (*). La Cour de cas- sation paraît avoir réservé cette solution en disant, dans l'espèce qui lui a été soumise, que la citation « ne libellait point une demande en responsabilité ou en garantie contre r>architecte, et ne contenait point de conclusions au fond, mais réclamait seulement de simples mesures provisoires, en vue de faire valoir ultérieurement le droit qui pourrait découler des constatations à faire par les experts. » Mais en dehors de cette hypothèse assez étrange, il ne peut être dou- teux que la citation tendant à faire ordonner, en référé, des mesures provisoires, n'interrompt pas la prescription^ Elle ne l'interrompt pas alors même qu'elle contient un« affirmation du droit du demandeur, qu'elle manifeste par exemple l'intention de rendre une personne responsable d*un

(«) Cas8., 5 juin 1883, S., 84.1.49, et la note de Labbé, D., 83.1.373. Paris, 12 mai 1877, S., 77.2.195; 23 janv. 1890, D, Rép., Suppl , \- Prescr,. IV. 346 ; 16 juill. 1903, S.. 1905.2.68, D. 1904.2.392. Amiens, 16 mars 1880, S., 80.2.317.— Guillouard, I, n. 200; Hue. XIV, n. 389. Voy. aussi la noie de Labbé dans S., 83.1.5, et les conclusions de M. l'avocal général DesjaniiDs dans S., 79.1. 405. V. en sens contraire Aix, 5 janv. 1878, cilé en note dans S., 83.1.9. Berlin, U Droit du 27 août 1879. Cpr. Gai-sonnel, Procrfd., 1»« éd., VU, p. 288; BoiUrd, Colmet-Daage et Glasson, II, n. 1069.

(«) Gons. d'État, 19 janv. 1902, S., 1904. 3. 140, D., 1903.3.20. V. en ce sens les conclusions précilées de M. l'avocat général Desjardins et la note «le M. Labbé, dans S., 84. 1. 49. - Cpp. Paris, 16 julU. 1903, D., 1904.2.392. Aubry et Rau, éd.. Il, p. 505, § 215, noie 3.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 373

préjudice causé au demandeur et que celui-ci veut faire cons- tater; du moment qu elle n'ouvre pas Tinstance sur le droit prétendu, elle n'en interrompt pas la prescription. On peut seulement soutenir qu'il serait tout à fait juste et rationnel, en législation^ d'accorder à la citation en référé l'effet inter- raptif^ à la condition qu'elle soit suivie^ dans un certain délais d'une demande au principal (').

496. < La citation en justice, donnée même devant nnjuge incompétent, interrompt la prescription > (art. 2246) (*). Cette disposition est la généralisation d'une solution que nos anciens auteurs admettaient dans certains cas. Pothier ensei- gnait que la citation devant un juge incompétent était inter- raptive de prescription si la question de compétence était dou- teuse ('). Dunod fait remarquer aussi « qu'il y a des auteurs i'on grand poids qui tiennent que toute citation qui est libel- lée.quand même elle serait faite à comparaître devant un m^ incompétent^ suffit pour interrompre la prescription. Leur sentiment est équitable en certaines circonstances .H. » C'est à cette opinion que Bigot-Préameneu se référait quand^ dans son exposé des motifs, il disait que « l'ancien usage de France, contraire à la loi romaine, était qu'une action libellée interrompait la prescription, lors même qu'elle était intentée devant un juge incompétent. »

On n'a pas voulu qu'une erreur sur la compétence, erreur excusable quelquefois, pût avoir pour conséquence de faire perdre à la demande son effet interruptif. Il aurait pu en résulter un préjudice irréparable pour le demandeur ; car l'heure de la prescription est peut-être sonnée au moment où, son erreur étant découverte, il se met en devoir de la réparer. D'ailleurs, pour avoir été formée devant un tribu- nal incompétent, la demande ne témoigne pas moins énergi- cernent de la volonté chez celui qui l'a formée de ne pas laisser périr son droit (*).

(*)Labbé, notes dans Sirey, 83.1.5, et 84. 1. 49.

0 V. dans le même sens G. civ. ital., art. 2125; G. ctv. port., art. 552. ^ <''oiUra, G. civ. Bas-Ganada, art. 2225. (•) Pothier, Pre»cr„ n. 51, et Obliff., n. 696. {*) Sur l'ancien droit, v. encore Troplong, n. 596. C) L'art. 212 G. civ. ail. décide ici, avec sagesse, que Tinterruption en cas de

374 DE LA PRESCRIPTION

497. La loi ne distinguant pas, on doit en conclure que la prescription serait interrompue par la demande formée devant un tribunal incompétent ratione materiœ, aussi bien que par celle formée devant un tribunal incompétent ratione person<v (*). Peu importe d'ailleurs, pour l'application de l'article 2246, que la citation donnée devant un juge incompétent soit ou non suivie d'un jugement d'incompé- tence (').

497 bis. On a soutenu que, l'article 2246 étant excep- tionnel, la citation en conciliation devant un juge de paix incompétent n'interromprait pas la prescription ('). Cette solution semble cependant contestable, et l'analogie do motif a conduit un grand nombre d'auteurs à étendre ici l'article 2246 (*).

497 ter. Au cas un ouvrier, victime d'un accident dtt travail, a poursuivi le paiement de l'indemnité à lui due devant le tribunal civil en vertu de l'article 1382 du code civil, alors que le cas tombe sous l'application de la loi du 9 avril 1898, il a été jugé que la demande ainsi mal inten- tée et non recevable ne peut interrompre la prescription de l'action donnée par la loi de 1898 ; la demande étant reje- tée, il ne peut en résulter aucun effet interruptif ; elle

citation devant un juge incompétent n'est maintenue que si une nouvelle action est intentée dans les six mois du jugement dMncompétence ou du retrait de Taetion.

(») Gass., 9 mai 1838, S., 38. 1. 861, D. Rép, loc, cit.^ Orléans, 28 mai 1842, D., 44. 2. 12. - Vazeille, n. 194; Troplong, II, n. 596,- Duranton, XXI, n. 265; Garsonnet,V, n. 1213; Aubry et Rau,5« éd., II, p. 506, §215; Laurent, XX.KIL n. 97; Guillouard, n. 210. L*art. 2246 s'applique aux courtes prescripfions. Rouen, 27 mai-s 1858, S., 59.2.337. Caen, 2 mars 1862, D., 63. 2. 182.- Guillouard, loc. cit. Il s'applique notamment à la prescription d'un mois de l'art. 435; G. comm. Gass., 26 févr. 1900, S., 1902.1.437.— Sur l'application de Tart. 2246 en matière criminelle, voy. Gass., 10 août 1883 et 14 mars 1884, S., 86.1.389. Bordeaux, 11 déc. 1895, D., 96. 2. 425.

{*) Gass., 17 déc. 1849, S., 50. l. 122. Aubry et Rau, 5* éd.. Il, p. 506,. § 215; Guillouard, loc. cit.

(*) G'est la solution que nous avions donnée nous- mômes dans notre première édition.

(*) Rodière, Procéd., I, p. 282; Bioche, Dict. de procéd., V ConcH. n. 158; Ghauveau sur Garré, Lois de la procéd., I, qnest. 248 bis; Garsonnet, II, p. 220,. §240.

L^INTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION 37?'

s*appliquait d'ailleurs à un objet différent de celui de Tactian accordée par la loi (*). Cette solution vraiment chielle r(e nous parait pas commandée impérieusement par les prin^' cipes et par les textes. On peut penser que l'erreur a con-. sisté principalement' dans une erreur sur la compétence. L'ouvrier, victime d'un accident, a voulu réclamer une. indemnité; il s'est niépris sur la manière d'exercer son droit. et sur la juridiction à saisir de sa réclamation. Mais tous les motifs donnés pour justifier larticle 2246 se retrouvent ici. Il faut ajouter que le rapporteur de la loi du 22 mars 1902 sur les accidents de travail a formellement déclaré que l'article 2246 serait applicable en pareille hypo- thèse. • 498. L'article 2247 va maintenant nous indiquer toute une série de cas dans lesquels l'interruption résultant d'une demande judiciaire est considérée comme non avenue : « Si « Passignaiion est nulle par défaut de forme, Si le démons, < deur se désiste de sa demande, S*il laisse périmer Vins-^ « tance, Ou si sa demande est rejetée, V interruption est « regardée comme non avenue (*)«)►

Il n'y a pas d'interruption d'abord si l'assignation est nulle par défaut de forme ('). Cette disposition est marquée au^ coin d'une extrême sévérité, tandis que celle de l'arti- cle 2246, qui attribue l'effet interruptif à la demande formée devant un juge incompétent, peut paraître empreinte d'une indulgence excessive. « Lorsque les formalités exigées pour que le possesseur soit valablement assigné n'ont pas été rem- plies, dit Bigot-Préameneu, il n y a pas réellement de cita-» tion, et il ne peut résulter de l'exploit de signification aucun effet. > C'est à peu près textuellement ce que disait déjà

(«) V. Cass., 17 déc. 1902, U Droit du 30 déc. Sic, Gabouat, Lois nou- velles, 1903, !'• part., p. 104, note 2. V. au surplus Baudry-Lacanlinerie el Wahl, Tr. du louage, t. II.

{*) Cpr. Gode civil ital., art. 2128. G. civ. esp., arl. 1946.— Gode civ. port., art. 552 et 553. -^ Gode civ. hoU., art. 2018. Gode féd. des oblig., art. 158.

(>) V. noUmment Gass., 4 janv. 1881, S., 81.1.266; 12 juill. 1878, S., 79. 1-- 313, D.,80. 1, 145; 6 déc. 1876, S., 77. 1. 56, D., 77.1. 55.- Getle règle s'appU- que également h la citation en -conciliation.

37^' DE LA PRESCRIPTION

Potliier (*)• Il n'en est pas moins vrai que nous avons deux dispositions qui semblent peu concordantes ; il parait difficile au premier abord d'expliquer comment la loi relève ici le demandeur des conséquences d'une erreur sur la com- pétence, qui procède de son fait, tandis qu'elle le rend responsable d'une nullité d'exploit, qui est du fait de l'huis- sier (^). Il est vrai que l'huissier est civilement responsable de la nullité qui lui est imputable, mais il peut être insol* vable, et alors sa responsabilité serait illusoire.

Dunod, dans l'ancien droit, assimilait la citation devant un tribunal incompétent et la citation nulle: «L'assignation, quoique nulle, disait-il, est une preuve de la diligence de celui qui se pourvoit en justice. Les formalités des exploits sont si multiples et la diversité des juridictions est si grande qu'un particulier qui s'y trompe est excusable, j^ Le tribunal de cas- sation s'était aussi prononcé pour l'assimilation de l'assigna-^ tion nulle à l'assignation devant un juge incompétent, /c Lors- qu'elle est donnée, lorsqu'elle est parvenue, le réclamant a-t-il été négligent jusqu'au bout ? Le possesseur a-t-il cru jusqu'au dernier moment être tranquille détenteur ? »

On peut cependant faire observer que, si l'assignation devant un tribunal incompétent est une manifestation très ferme de l'intention du propriétaire ou du créancier d'exer- cer son droit, l'assignation nulle a pu n'être pas considérée comme un acte sérieux ; il est possible, d'ailleurs, que la nullité résulte précisément de la violation des règles qui ont pour objet de garantir la remise de l'acte au destina- taire. Dans certains cas, la solution de la loi sera peu équi- table, mais dans la plupart d'entre eux, il sera vrai de dire, comme Bigot-Préameneu : « Il n'y a pas réellement de cita- tion et il ne peut résulter de l'exploit de signification aucun effet (»). »

(») Polhie-, Ohliff., n. (m.

(-) C )r. M.ircadé, sur l'art. 2^i2, n. 3 ; Laurent, XXXH, n. 97 ; Albert Des- jai'duH. oj. r.U,, n. 43 ; Guillouanl, n. 209. V. cep. Hue, XIV, n. 396.

Cj Cpi'. Troplong, n. 598 ; Aubry et Rau, éd., Il, p. 506, § 215, note 9 ; Laurent, loc, cit. Sous l'ancien droit, le juge pouvait faire fléchir la règle fUns fi.lainscas favorables.' V, Desjardins, op. cit., n. 29; Maurice Colin, op.

tU,, p. 215. L'art. 158 du Cod. féd. suisse des obligations accorde un délai supplémentaire de soixante jours pour agir lorsque l'action a été rejetée comme prématurée ou à raison d*un vice de forme susceptible d'être couvert et que la preâcription 9*est accomplie dans l'intervalle. V. Hossel, Manuel du droit féd, du oblig., p. 209. L*art. 212 G. civ. ail. qui répute non avenue la prescrip- tion lorsque l'action est écartée pour une cause étrangère au fond du procès, notamment pour incompétence, ou lorsqu*elle est retirée, ajoute très équilable- nent que la prescription sera cependant censée avoir été interrompue par l'intro* doetion de la première action, si la seconde action est formée dans les six mois. V. Crome, op, cit., p. 516, § 116. V. des solutions analogues dans le Code civil port., art. 553, et dans la loi norvégienne du 27 juill. 1893.

0)Ga88 , 16 janvier 1843, S., 43. 1. 97, D., 43. 1. 49. - Sic Aubry et Hau, ^ éd., II, p. 507, § 215 ; Marcadé, loc. cit., n. 9 ; Laurent, XXXII, n. 103 ; Bofnoir, p. 419.— V. cep. Alx, 22 déc. 1843, S., 44. 2 268, D., 44. 2. 147.

(*) Cass., 30 mars 1814, S., chr.— Troplong, n. 600; Aubry et Rau, loc. cit, ; Uurent, XXXII, n. 95 ; Bufnoir, loc. cit, ; Guillouard, n. 214. Contra, Mircadé, loc. cit.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 377

499. L'article 65 du code de procédure civile dispose :

« 11 sera donnée avec l'exploit, copie du procès-verbal de

< non-conciliation, ou copie de la mention de non-compa-

ration, à peine de nullité. > Ainsi, pour que la demande en

justice soit valable, il ne suffît pas que le préliminaire de

conciliation requis par la loi ait eu lieu, il faut en outre que

l'exploit d'ajournement en contienne la preuve. 11 ne parait

guère douteux que la nullité résultant de l'inobservation de

cette disposition ne soit une nullité tenant à la forme ; par

conséquent la demande en justice nulle pour inobservation

de l'article 65 du code de procédure n'interrompt pas la !

prescription (*). 11 en est de même a fortiori de celle qui i

ua pas été précédée du préliminaire de conciliation j

requis par la loi ; on ne comprend guère qu'il puisse y avoir j

controverse sur ce point ("). C'est bien à tort qu'on a sou- *

tenu qu'en pareil cas il y avait non pas nullité de l'assigna- j

tioji, mais incompétence du juge saisi. 11 n'y a pas incompé- j

ience du juge saisi ; seulement la citation est nulle pour i

inaccomplissement d'une formalité exigée par la loi. Celui j

qui a agi devant le tribunal, sans préliminaire de concilia- !

tien, ne s'est pas en réalité trompé sur la compétence ; mais I

il a omis de satisfaire à une règle établie par la loi, et dont la

violation entraine la nullité. 11 serait choquant qu'il n'y eût

pas d'interruption au cas la citation est nulle pour défaut t

378 DE LA PRESCRIPTION

de mention d'une formalité accomplie, et qu'il y eût inter- ruption dans le cas la formalité elle-même n'a pas été remplie.

500. Nous en dirions autrement de la nullité résultant de Tabsence d'une autorisation requise par la loi, de Tautori- sation maritale par exemple, s'il s'agit d'une action en justice formée par une femme mariée. Ce n'est plus une nullité tenant à la forme, mais à l'incapacité ; elle ne tomberait donc pas sous le coup de l'article 2247 alinéa 1, et n'empêche- rait pas par suite la demande d'interrompre la prescription. (V. supra, n. 484.)

501. 11 faut d'ailleurs que la nullité ait été prononcée. La non interruption n'est définitivement acquise que quand la citation a été déclarée nulle. Et il faut rappeler que la nul- lité résultant d'un vice de forme est couverte, si elle n'est pas proposée avant toute exception autre que les exceptions d'incompétence (C. p., art. 173) (*). On ne peut pas la soule- ver plus tard sous prétexte d'invoquer la prescription qui peut être opposée en tout état de cause : l'acte interruptif ne pourra plus être écarté comme nul si sa nullité n'a pas été <}emandée in limine litis,

502. L'interruption est aussi non avenue si le demandeur se désiste de sa demande. Il s'agit du désistement dont il est question dans les articles 402 et 403 du code de procédure cî\'ile, c'est-à-dire du désistement ayant pour objet la pro- cédure, l'instance, et non la prétention elle-même. Un sem- blable désistement, quand il a été accepté par l'adversaire, entraîne l'anéantissement de l'instance et par suite efface son effet interruptif quant à la prescription {*). Les choses «sont remises de part et d'autre au même état qu'elles étaient avant la demande », dit l'article 403 du code de procédure civile. Il faut d'ailleurs ajouter que le désistement qui aurait

(»)Ga3<., i8 avril 1838, S., 38. 1.309, D., 38.1.210.— Sic Colmet de Sanlerre, VIII, n. 35i bis, II ; Aubi7 et Rau, loc, cit.; Laurent, XXXII, n. 94 ; Guil- louard, I, n. 216 ; Hue, XIV, n. 397.

(*) D*aprè8 le Code civil ail., art. 212, l'interruption résultant du désiste- ment est réputée non avenue, mais seulement si une nouvelle action n*est pas introduite dans les six mois. D'après la loi suisse, le désistement n'empêche pas l'effet interruptif de la demande. V. Rossel, op. cil,, p. 210.

DE l'iNTEKRUPTION DE LA PRESCRIPTION 379

pour motif rincompétence du juge saisi ne supprimerait pas reffet interruptif de la demande (*).

Le désistement qui aurait pour objet le fond du droit pour" rait peut-être aussi, dans certains cas, être invoqué comme ayant effacé l'interruption de prescription ; nous faisons allu- sion au cas l'interruption a produit son effet au profit de certaines personnes à T égard desquelles oh ne peut se pré- valoir du désistement quant au fond ; on peut avoir intérêt à leur opposer la prescription et par suite le désistement en tant qu'il a anéanti l'interruption de prescription.

503. L'effet interruptif de la citation n'a pas lieu si le demandeur laisse périmer rinstance. La péremption n'est qu'un désistement présumé ; elle doit donc produire les effets d'un désistement.

Cette disposition a été empruntée, comme presque toutes celles de cette théorie de l'interruption de la prescription, à notre ancien droit. L'ordonnance de Roussillon de 1563 por- tait que « l'instance intentée, bien qu'elle soit contestée, si par le laps de trois ans elle est discontinuée, n'aura aucun effet de perpétuer ou proroger l'action, mais aura la pres- cription son cours, comme si la dite instance n'avait pas été formée ou introduite et sans qu'on puisse prétendre pres- cription avoir été interrompue (*). » Cette règle fut repro- duite dans l'ordonnance de 1629. Le code civil l'a mainte- nue (»).

On sait que la péremption s'accomplit par la discontinua- tion des poursuites pendant trois années (C. pr., art. 397). Toutefois, la péremption n'a pas lieu de plein droit ; il faut qu'elle soit demandée (C. pr., art. 399 et 400). Si elle ne Test pas, l'effet interruptif de la demande durera pendant

Cass., 21 juin. 1903, D. 1903. 1: 536.-Caen, 8 fév. 1843, S., 43. 2. 242.— Bouen, 27 mars 1858, S., 59. 2. 337. Gpr. Cass., 10 août 1883 et 14 mars 1884, S., 86. 1. 389. Sic Marcadé, loc. cil,, n. 3 ; Laurent, XXXII, n. 99 ; Aubry et Rau, éd., Il, p. 507, § 215, note 12; Guillouard, n. 219.

C) V. Albert Desjardins, op. cit., n. 32,— Gpr.pour l'ancien droit, Troplong, n. 603.

(') V. en sens différent Tart. 211 C. civ. ail.

380 DE LA PRESCRIPTION

trente années à compter du dernier acte de la procédure (*). V. infrà n. 596.

504. Enfin la loi dit que l'interruption est regardée comme non avenue, si la demande est rejetée. Comment cela ? La demande étant rejetée, par hypothèse, il est jugé que le demandeur était sans droit, et par conséquent ce n*est pas la prescription que le défendeur lui opposera, mais Texcep tion de chose jugée, s'il y a lieu.

On a cité, comme application possible de notre texte, le cas un créancier solidaire intente une action en justice contre le débiteur. Cette demande profite aux autres créan- ciers solidaires (art. 1199) : ils peuvent invoquer l'interrup- tion de la prescription qu'elle a produite ; car un des créan- ciers solidaires est censé mandataire des autres pour tout ce qui peut améliorer la situation commune. Maintenant le demandeur succombe dans sa prétention. Le jugement rendu contre lui ne sera pas opposable à ses cocréanciers ; en effet il n'a pas mandat pour empirer leur situation ; ceux-ci pourront donc former une nouvelle demande, sans qu'oo. puisse leur opposer l'exception de chose jugée ; mais à la condition que la prescription ne soit pas encore accomplie, car l'interruption résultant de la demande formée par leiu* cocréancier est regardée comme non avenue, cette demande ayant été rejetée. Cette solution suppose, on le voit, qu'on admet la théorie d'après laquelle les créanciers solidaires ne sont pas toujours présumés mandataires les uns des autres ou du moins ne le sont pas pour les actes qui aggravent leur situation.

On pourra trouver une application analogue de l'arû- cle 2247 au cas de codébiteurs solidaires si on admet qu'ils ne se représentent pas au point de vue de la chose jugée ;

0) Gass., 19 avril 1831, S. 31. 1. 162. - Rlom, 3 déc. 1885, D. 86. 2. 219. Duranlon, XXI, n. 266 ; Aubry et Rau, éd., II, p. 507, § 215, noie 13 ; Lau- rent, XXXII, n. 100; Guillouard, n. 220. Si une nouvelle demande avait été formée avant que la première ne fût tombée en péremption, mais alors que plas de trente ans se seraient écoulés depuis la naissance du droit, la péremption une fois prononcée de la première demande rendrait la prescription opposable à la seconde. Cpr. cep. Gass., 6déc. 1876, D., 77. 1.257 et la note.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 381

le créancier ayant poursuivi un codébiteur, sa demande ayant été rejetée, les autres ne pourront invoquer la chose jugée ; mais ils pourront invoquer la prescription en faisant valoir qu'elle n'a pas été interrompue.

Enfin, au cas de débiteurs ou de créanciers de chose indi- visible, l'article 2247 pourrait encore s'appliquer, si on admet que l'interruption produit effet à l'égard des autres créanciers et des autres débiteurs^ et qu'ils ne se représen- tent pas d'ailleurs au point de vue de la chose jugée (*).

505. On peut trouver d'autres applications plus pratiques de notre solution. 11 suffit de supposer que la demande a été rejetée comme non recevable en l'état sans que le droit d agir ait été rejeté au fond (').Dans cette hypothèse, l'article 2247 présente un intérêt évident, l'action pouvant être reprise sans que l'exception de la chose jugée soit opposable ('). Il f aura intérêt à opposer la prescription et à écarter la cita- tion dont l'effet înterruptif se trouve anéanti. Il en serait ainsi par exemple si, le demandeur ayant fait/ défaut, la demande avait été rejetée par un jugement de défaut-congé (*). La Cour de cassation a encore appliqué notre règle au cas une demande en déclaration de faillite a été rejetée ('). Dans un autre arrêt, elle détermine nettement la portée générale qu'il faut donner à notre texte. « La disposition de l'article 2247, aux termes de laquelle l'interruption de la

(*) V. sur ce» questions de représentation le commentaire des art. 1197 s. C tb, ~ Gpr. Colmet de Santerre, VIll, n. 354 bis, Vllt s. ; Albert Tissier, notes diOflS., g3. 1.81, et 94. 1. 233.

(')D*aprè9 Fart .,212 C. civ. ail., Pintemiption est non avenue lorsque Taction est retirée ou qu'elle a été rejetée, par un jugement ne statuant pas sur le fond du procès; il en est autrement cependant si l'action est de nouveau introduite dans les six mois.

(») Casa., 5 mai 1834, S., 34. 1. 403, D. Rép., V Preser., n. 565 ; 14 juin 1837, S., 37. 1. 484, D. Rép., V Prescr.. n. 566 ; 7 juin 1869, S., 69. 1. 420, D., 70. 1. 54 ; 8 janv. 1877, S., 77. l. 14T, D., 77. 1. 81. Aubry et Rau, S* éd., H, p. 508, §215, note 16 ; Laurent, XXXII, n. 101 ; De Villeneuve, note dans Sirey, 37.1. 780 ;Labbé, note dans Sirey,79. 1. 442 ; Bufnoir, p. 422; Guil- louard,n. 221 et 222.— V. cep. Troplong, n. 610. Cpr.Gas»., 14 nov. 1860, S., 61. 1. 725, D,, 61. 1. 208 ; 4 juill. 1866, S., 66. 1. 315, D., 66. 1. 489. Lyon, i-* Uéc. 1864, S., 66. 2. 22.

(*) Colmet de Santerre, VIII, n. 354 bU, VI ; Laurent, loc, cil,

(*l Cas!«., 13 janv. 1879, S., 79. 1. 441 et la note de Labbé.

382 DE LA PRESCRIPTION

prescription résultant d'une citation efi justice est regardée comme non avenue si la demande est rejetée^ est absolue et ne comporte aucune distinction entre le cas la demande est définitivement rejetée par un moyen de fond et celui ..elle est repoussée^ soit par un moyen de forme, soit par une fin de non recevoir qui laisse subsister le droit d'action. » Dans Tune comme dans l'autre hypothèse, l'assignation ne saurait, après l'extinction de l'instance, continuer à produire aucun effet au profit du demandeur dont les conclusions n'ont pas été admises {*),

606 bis. Au cas de rejet d'une production à ordre à rai- son de l'insuffisance des fonds à distribuer, il semble cepen- dant plus exact d'admettre que l'effet interruptif persiste ; il ne s'agit pas d'un véritable rejet de la demande : elle n'est pas déclarée non recevable ni mal fondée : l'article 2247 ne s'applique pas (*).

606. Mais l'interruption ne serait pas considérée comme non avenue par cela seul que la demande aurait donné lieu à un sursis provisoire f*) ; en pareil cas, l'assignation, consentant tous ses effets juridiques, est interruptive de la prescription.

507. Au cas le jugement est suivi d'appel, il y a une nouvelle interruption de la prescription par suite de l'appel, s'il a été formé par la partie menacée par la prescription, ou par suite des conclusions de cette partie en réponse à l'appel de celui au profit de qui la prescription avait com- mencé à courir, La jurisprudence voit ici une nouvelle cause de suspension de la prescription ; elle fait dériver la sus- pension de la prescription de l'effet suspensif de l'appel ; elle invoque la règle Contra non valentem agere non currii prœscriptio (*). Mais c'est une théorie inexacte ; nous

(•) Cass , 8 janv. 1877, précité.

(«) V. Merlin, Quett, de dr„ Inierr. de prêter,; Troplong, n. 568.

(») Casa., 28 juin 1837, S., 37. 1. 780, 1). Rèp., V Preacr., n. 567. Cpr. Ca«s., 9 mai 1838, S., 38. 1. 861, D. Rép. loc. cit. ; 4 jjiiUel 1866, précité.; 6 déc. 1876, S., 77. 1. 56, D., 77. 1. 55. - Aubry et Rau, 5- éd., U, p. 509, I 215 ; Guillouard, n. 222.

(*) Cass., 20 fév. el 25 juill. 1839, S., 39. 1. 215 el 575 ; 26 mai 1856, S., 57. 1.820 ; 14 fév. 1888, S,, 90. 1. 313. Leroux de Bretagne, n. 512 ; Troplong, n. 6S4.

DE l'lNTERRCPTION DE LA PRESCRIPTION 383

avons repoussé la règle dont on veut faire. application, et il n'y a pas d'ailleurs ici impossibilité de faire des actes con- servatoires ; d'un autre côtéy il n'y a aucun lien juridique entre l'effet suspensif de l'appel et la suspension de la pres- cription. Il ne peut y avoir ici qu'une interruption dont l'ef- fet se prolonge jusqu'à la, fin de Tinstance^ comme nous le verrons plus loin (*) .

508. La jurisprudence admet d'ailleurs que, si Tappel tombe en péremption, les effets de Tappel subsistent au point de vue de la prescription (*). On fait remarquer que la péremption de Tinstance d'appel, d'après l'article 469 du £ode de procédure civile, a pour effet de donner au juge- ment la force delà chose jugée, tandis qu'en première ins- tance, l'article 401 éteint l'action. Nous pensons au contraire qu'd n y a aucune différence à établir entre la péremption de l'appel et la péremption de la procédure en première ins- lance ; l'interruption sera non avenue si l'instance est péri- mée. Sans doute le jugement aura force de chose jugée ; mais la prescription contre l'action qui en résulte n'aura pas été interrompue par l'instance d'appel. ^

500. Il a été jugé que l'action intentée par le débiteur contre son créancier à l'effet de faire déclarer nul ou en tous cas prescrit le droit de celui-ci, n'interrompt pas la prescrip- tion ; alors même que l'action du débiteur serait repoussée par les tribunaux, la prescription n'en continuerait pas moins à courir à son profit (^). Cette solution a été critiquée. par M. Labbé (^). Les juges, dit-il, ont déclaré l'existence du droit puisqu'ils ont repoussé l'action du débiteur. Cette reconnaissance judiciaire ne doit-elle pas constituer une inter* niption de la prescription, aussi bien que si elle était inter-

0) V. en ce sens Gass., 5 mai 1834, précité. BaUeydier, noie dans Sirey, 90. i. 313 ; Guillouard, n. 286. V. aussi Gass., 13 oct. 1813.

(*) Gass., 14 fév. 1888, précité. Nancy, 26 juin 1833, reproduit par Tro- plong, n. 684. Leroux de Bretagne, toc. cit, ; Troplong, toc. cil, V. aussi Carré et Ghauveau, Lois de la proc, quesl. 1689. M. Guillouard parait hési- ter entre les deux solutions qu'il adopte Tune et l'autre successivement (n. 220, 1, et 287).

(')Cass., 13 janv. 1879, S., 79. 1. 441. —Sic, Hue, XIV, n. 390.

n Labbé, note dans Sirey, 79. 1. 441. ~ V. aussi Guillouard, i, n. 204.

384 DE LA PRESCRIPTION

venue sur les poursuites du créancier? D'un autre côté, cette reconnaissance du droit du créancier, ainsi provoquée par le débiteur, ne doit-elle pas être assimilée dans ses effets à une reconnaissance volontaire ? Le tribunal a jugé que le droit existait, qu'il n'était pas prescrit: il semble bien qu'on doive admettre que le créancier était dés lors dispensé d'agir.

On pourrait, à notre avis, proposer une distinction. Nous croyons que Topinion de M. Labbé doit être admise quand le créancier a défendu à l'action du débiteur; en concluant au rejet des prétentions du débiteur, il a exercé son droit en justice. La solution qui a prévalu devant la Cour de cas- sation ne serait maintenue que si le créancier avait fait défaut et n'avait pas manifesté son intention d'exercer son action.

510. La déclaration de faillite n'est pas, nous l'avons vu, une cause de suspension de la prescription. Mais il y a interrui)tion par suite de la demande en déclaration de fail- lite, ou de la production à la faillite, ou de Tadmission au passif de la faillite. Dans les deux premiers cas, l'interrup- tion résulte de la demande en justice, et dans le dernier, de la reconnaissance des droits du créancier (*).

511. Au cas d'un compromis nommant des arbitres pour trancher un litige, il n'y a pas, à notre avis, suspension de la prescription, comme on Fa soutenu, et comme la jurispru- dence Ta parfois admis ; mais il peut y avoir interruption par suite de la demande formée devant les arbitres (*). Il en sera de Tinstance devant arbitres comme d'une instance ordinaire ; la prescription recommencera à courir quand la mission des arbitres aura pris fin ou quand la péremption sera acquise ; l'interruption sera non avenue s'il y a rejet de la demande, désistement, nullité de la demande ou de la sentence (^). Il pourra seulement subsister quelquefois une

(*) V. supra, n. 377, 461, 487, el infra, n. 529. Une solution différenle de celle proposée au texte parait résulter d'un arrôt de la cour de Paris 90 juilt. 1898, rappoi*té avec Cass., 8 Juill.1891, S., 95. 1. 485.

(») V. anal. G. civ. ail., art. 220.

(*) V. sur celte hypothèse, Paris, 9 janv. 1320, D. Rép,^ V PrescK^ n. 557.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 385

reconnaissance du droit par suite d'un des actes intervenus an cours de Tinstance.

2. Commandement.

512. Le commandement est un acte par lequel un huissier commande à un débiteur d'exécuter l'obligation dont il est tenu en vertu d'un titre exécutoire (jugement ou acte nota- rié), lui déclarant qu'en cas de refus il y sera contraint par les voies de droit, c'est-à-dire le plus souvent par la saisie de ses biens. En d'autres termes, le commandement est un acte extrajudiciaire, du ministère de l'huissier, constituant le préliminaire obligatoire de la saisie, et par suite suppo- sant nécessairement un titre exécutoire.

On voit que le commandement constitue une interpellation très énergique, et on conçoit facilement que la loi lui ait reconnu la vertu d'interrompre la prescription. Telle était déjà la solution dominante dans l'ancien droit (*). Il inter- rompt la prescription acquisitive, aussi bien que la pres- cription libératoire, si on suppose qu'un individu a été con- damné à délaisser un iurnieuble, et que commandement lui soit fait en vertu du jugement d'avoir à déguerpir, sous peine d'être expulsé parla force (*). On soutient même qu'il y aurait interruption de la prescription acquisitive par suite du commandement fait pour obtenir le paiement des astreintes auxquelles a été condamné le possesseur, au cas il n'exécuterait pas l'ordre à lui donné par le juge de délaisser l'immeuble (').

513. Le commandement supposant un titre exécutoire, il ne faut pas appliquer la disposition de notre texte à l'acte

-Grenoble, l"août 183 î. S., 34. 2. i9. Limoges, 29 avril i835, D., 37. 2. 132; 6 avril 1848, D , 48. 2. 120. - Toulouse, 4 juin 1863, S., 64. 2. 20, D., fâ. 2. 108 ; 18 mai 1868, S., 71. 2. 156. Troplong, n. 561 et 594 ; Aubry el Rau, éd.. II, p. 514, § 215 ; Laurent, XXXII, n. 119 ; Leroux de Bretagne. n.494; Guillouard, n. 202.

(*) Albert Desjardins, op, cii., n. 34. V. Polhier, Oblig,, n. 696. Cpr. Troplong, n. 573 el s.

0 Golmet de Santerre, VIII, n. 351 bis, IV ; Laurent, XXXII, n. 113 ; Guil- louard, n. 234. <- V. en sens contraire pour l'ancien droit, Desjardins, op. cit. n. 43.

(') Guillouard, lac, cit, V. infm, n. 522.

Prescr. 25

386 DE LA PRESCRIPTION

prévu par Tarticle 819 du code de procédure civile, et qui doit précéder la saisie-gagerie ; la loi l'appelle commande- ment ; mais ce n'est pas un commandement dans le sens- précis du mot ; il n'est pas fait en vertu d'un titre exécu- toire ; il ne tend pas à l'exécution immédiate (*).

514. Il n'est pas nécessaire que le commandement soit suivi d'une saisie dans un certain délai pour interrompre la. prescription ('). Son effet interruptif subsiste donc alors- même que la saisie qui l'a suivi a été déclarée nulle ('). Il dure trente ans ; il n'y a pas ici dej'péremption de trois ans.

515. Le commandement doit d ailleurs être régulier en la forme et fait en vertu d'un titre valable (*). On a jug'é quïl interrompt la prescription alors même qu'il n'a pas été pré- cédé de la signification prescrite par l'article 877 du code civil (*). Mais l'effet interruptif disparaît, en principe, si le commandement est annulé (^).

516. La signification faite en vertu de l'article 877 du code civil à l'héritier du débiteur, et qui doit précéder le commandement et en être séparée, n'interrompt pas, à notre avis, la prescription ; elle ne peut être assimilée à un commandement ; elle n'a pour but que de placer le créan- cier à l'égard de l'héritier dans la situation il était à l'égard du défunt ; c'est une simple notification, sans aucun caractère d'exécution. Du moment qu'on admet qu'une simple signification faite à la requête du créancier n'a aucun caractère interruptif, il faut en dire autant de la notification faite à l'héritier (^). On a cependant admis qu'elle est intep- ruptive si elle a été suivie de commandement (*) ; on a

(*) Colmet de Santerre, VIII, n. 531 bis, Vlll.

C) Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 510, § 215 ; Troplong, n. 575 ; Laurent^ XXXII, n. 108 ; Guillouard, n. 236.

(') Troplong, n. 530 ; Aubry et Rau, loc, cil. \ Laurent, loc, cit.

(♦) Gass., 8 juin 1841, S., 41. 1. 478, D. Rép., V Prescr., n. 486 ; 4 janv. 1842. S., 42. 1. 533, D. Rép., loc. cil. Laurent, XXXII, n. 167.

(») Cass., 22 mars 1832, S., 32. 1. 248, D. Rép., V Preacr., n. 782. - Riom, 3 déc. 1844, S., 45.2. 169.

(«) V. en ce sens G. civ. alK, art. 216.

C) Bordeaux, 11 janv. 1856, S., 56. 2. 721 et la note. - Pau, 20 juiU. 1870, S., 71. 2. 267, D., 72. 2. 70. Sic Troplong, n. 576 ; Laurent, XXXII, n. 112 ; Guillouard, n. 208.

(') Aubry et Rau, éd., II, p. 512, § 215.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 387

même jiigé qu'elle l'est dans tous les cas (*). Ce sont des solutions arbitraires et^ à notre avis, inexactes.

517. La sommation de payer ou de délaisser adressée par un créancier hypothécaire au tiers détenteur de l'immeuble hypothéqué interrompt aussi la prescription de l'action hypothécaire ; elle tient lieu de^ commandement. Suivant les expressions de la Cour de cassation, « cette sommation, quoi- que non assujettie à la forme particulière du commandement, n'en a pas moins, à l'égard du tiers détenteur auquel elle est signifiée, le but et les effets d'un commandement. (*) » Mais son effet ne peut durer que trois années et cesse si les pour- suites ne sont pas continuées (avg. art. 2176) (').

518. On a même considéré comme interruptive de la prescription la sommation adressée à l'acquéreur d'un im- meuble hypothéqué de se présenter à l'ordre ouvert pour la distribution du prix de vente de rimmeuble(*), cette somma- tion équivalant, a-t-on dit, à une demande en justice; on a décidé de même pour la notification de surenchère faite au débiteur par un créancier (*). Mais ce sont des solutions contestables.

3. Saisie.

5i9. La saisie, ainsi que nous venons de le dire, est néces- sairement précédée d'un commandement. Or, le commande- ment interrompt la prescription ; alors quelle utilité y avait- il à faire produire à la saisie elle-même l'effet interruptif ? Il est facile de répondre qu'il existe certaines saisies qui, par

0) Toulouse, 27 mars 1835, S., 35. 2. 471. - Riora. 14 janv. 1843, S., 43. 2. 93, D. Rép., V Prescrip., n. 492. - V. aussi Bourges, 11 mars 1844, S., 45. 2. 527.

(«)Cass., 27 déc. 1854, S., 54. 1. 113, D., 55. 1. 52. Toulouse, 18 déc. i874, S., 75. 2. 109 et la note. - Troplong, n. 579 ; Aubry et Rau, 5- éd., II, p. 511, g 215 ; Colmel de Santerre, VIII, n. 351 bis, IX ; Laurent, XXXII, n. 109 ; Guillouard, n. 237.

(>) Bordeaux, 12 août 1857, S., 58. 2. 101. - Troplong, n. 580 ; Aubry et Bau, loc. cit. ; Laurent, loc, cit. ; Guillouard, loc» cit, V. la note dans Sirey, 75. 2. 109.

(*) Riom, 2 janv. 1858, S., 58. 2. 188. Troplong, n. 567 ; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 511, § 215, note 24 ; Guillouard, n. 198. V. aussi Grenoble, 2 jïiin 1831, S., 32. 2. 622, D. Rép., v Prescr,, n. 479.

('/ Toulouse, 18 déc. 1874, précilé.

388 DE LA PRESCBIPTIO?! .

exception à la règle générale, peuvent être pratiquées sans un commandement préalable; telles sont la saisie foraine, la sàisie-gagerie, la saisie-revendication (C. pr. civ., art. 819, 822, 826). De plus, la prescription recommençant à courir aussitôt après le commandement, il n'était pas sans intérêt de disposer que la saisie l'interrompait de nouveau ; l'espace de temps écoulé entre le commandement et la saisie devient ainsi inutile au point de vue de la prescription.

520. La saisie-arrêt (C. proc. civ., art. 557 s.) interrompt ainsi la prescription comme toute autre saisie ('). Elle inter- rompt même à la fois et la prescription de la créance du saisissant contre le saisi et la prescription de la créance du saisi contre le tiers saisi ; le créancier exerce en effet Fac- tion du débiteur et conserve ses droits (*).

On a soutenu cependant que la saisie-arrêt n'interrompt la prescription de la créance du débiteur contre le tiers saisi que dans la mesure cela profite au créancier saisissant, et sans que le débiteur saisi puisse d'ailleurs se prévaloir de cette interruption ('). Cette solution nous parait peu exacte. La saisie-arrêt porte sur toute la créance et non seulement sur une partie ; c'est donc toute la créance qui se trouve soustraite à la prescription.

521. La saisie ne peut interrompre la prescription qu*au- tant qu'elle a été régulièrement dénoncée au débiteur dans les délais prescrits. Ce n*est pas que nous pensions que les actes interruptifs doivent tous d'une façon absolue être notifiés au

(») Gass., 25 mars 1874, S., 75. 1. 86, D., 74. 1. 367. - Lyon, 7 janv. 1868, S., 68. 2. 170, D., 68.. 2. 62. - Besançon, 28 avril 1875, D., 78. 2. 74. Tro- plong, n. 5";0 ; Marcadé, sur l'art. 2242, n. 5 ; Aubry et Rau, 5- éd., II. p. 512, § ?15 ; Guillouard, n. 240 ; Laurent, XXXII, n. 115.

(») Toulouse, 24 déc. 1842, S., 43. 2. 589 ; 18 déc. 1874, S.. 75. 2. 109 el la note. Besançon, 18 mars 1887, S., 90. 2. 77. VazeiUe, n. 2(» ; TropIonK, n.646 ; Leroux de Bretagne, n. 568 ; Aubry" et Rau, loc. cil, ; Guillouard, Zoc. cil, ; Garsonnet, Tr. de proc, U' éd., III, p. 776 et 777, § 616 ; Ghauveau, sur Garré, quesl. 1951 bis. Il a été jugé en ce sens que la prescription conven- tionnelle d'une action en indemnité est interrompue par la saisie-arrét faite aux mains de la Gompagnie d'assurances. Besançon, 18 mars 1887, précité. Douai, 4 déc. 189S. S.. 94. 2. 142. Mais il a été jugé qu'il en est autrement si la saisie est déclarée nulle. Gass., l*' mai 1897, S., 98. 1. 219.

C) Aubry et Rau, éd., II, p. 512, § 215, note 32 ; Uurent, XXXII, n. 116; Sarrut, note dans D., 97. 1. 513. V. aussi les arrêts cités à la note précédente.

DE L*INTERRTIPTIO?l DE LA PRESCRIPTION 389

débiteur: nous avons vu qu'il en peut être autrement. Mais c'est que la saisie devient nulle à défaut de signification, et, qu'étant nulle elle ne peut plus avoir d'effet interruptif (V. C. pr. civ., art. 513, 565, 601, 641, 677) (»). Son effet inter- ruptif, quand elle est régulièrement suivie de dénonciation, part d'ailleurs toujours du moment elle a été faite (').

522.11 faut avouer qn'on trouve difficilement l'application de la règle de l'interruption par suite de saisie au cas de pres- cription acquisitive. On peut cependant soutenir qu'une sai- sie faite pour avoir paiement des condamnations pécuniaires qui ont accompagné un jugement statuant sur une reven- dication interrompt la prescription qui court au profit du possesseur ('). Il a été jugé dans cet ordre d'idées, qu'un jugement d'adjudication sur saisie n'interrompt pas la prescription contre le possesseur du bien adjugé, alors qu'aucune signification ne lui a été faite (*), ce qui semble- rait impliquer que ce jugement signifié au possesseur aurait été interruptif de la prescription.

523. La saisie immobilière est interruptive de prescription à l'égard de tous les créanciers inscrits à partir du moment ils ont été joints à la procédure: ils deviennent eux-mê- mes, en quelque sorte, parties saisissantes ; il y a interrup- tion, non à partir du jour de la saisie, mais à partir du jour de la sommation qui leur est notifiée, ou, suivant une autre opinion, qui parait plus exacte et plus conforme à l'arti- cle 693 du code de procédure civile, à partir du jour de la mention de cette sommation en marge de la transcription de la saisie au bureau des hypothèques (^).

(^)G«ss., 25 mars 1874, S., 75. 1. 86., D., 74. 1. 367. - Lyon, 7 janv. 1868, Kécilé. Besançon, 28 avril 1875, précité. - G. jusl. Genève, 12 fév. 1883, S., 83. 4. 18. Aubry et Rau, 5* éd., U, p. 512, § 215 ; Colmel de Santerre, Vni, n. 351 bU, VI.- Gpr. art. 216 G. civ. ail.— Contra, Roger, Saisie-arrét, n. 474 ; Leroux de Bretagne, n. 523.

(•) Aubry et Rau, loc. cit, ; Guillouard. n. 241 et 242. V. cep. Vazeilft, 0. 204 ; Golmet de Santerre, loc, cit,

(») Uurenl, XXXII, n. 118 ; Mourlon, Rëp., III, n. 1878; GuiUouard, n. 243. D'après ces auteurs, il y a ici à la fois exercice du droit de créance et du droit de propriété ; la créance n^existe que comme sanction du droit de propriété. V. cep. Golmet de Santerre, VIII, n. 351 Jbi», V.

(•) C. justice Genève, 12 fév. 1883, S., 83. 4. 18.

{•) V. Grenoble, 2 juin 1831, précité. - Aubry et Rau, éd., II, p. 525, §215;

âdo

DE LA PRESCRIPTION

4. Hypothèses prévues par des lois spécUles,

524. Des lois spéciales ont établi d'autres causes d'inter- ruption de la prescription que celles indiquées par le code civil. C'est ainsi que l'action civile née d'un délit est soumise, nous le verrons, à des règles particulières. Il y a aussi des causes d'interruption spéciales en matière d'enregistrement. Il est encore important de rappeler que le dépôt du mémoii*e préalable exigé pour l'exercice des actions à intenter conti*e l'Etat, les départements et les communes, est interruptif de prescription s'il est suivi d'une demande en justice formée dans les délais voulus par les textes spéciaux à cette matière('). Il y a lieu d'appliquer ici par analogie les règles que nous avons exposées plus haut pour ce qui concerne le prélimi- naire de conciliation (*). De même que dans cette dernièpè hypothèse, nous déciderons que le dépôt du mémoire n'est

Leroux de Bretagne, n. 569; Laurent, XXXIl, n. 155 ; Troplong, n. 567,638 s.; Guillouard, n. 244.

(») Cass., 21 août 1882, S., 83. 1. 121, D., 82. 1. 409 ; 11 janv. 1886, S., 86. 1. 369, - Cpr. Cass., 18 juillet 1900, D. 1903. 1. 481. V. L. 28 ocL- 5 nov. 1790, lit III, art. 15 , L. 10 août 1871, art. 55 ; L. 5 avril 1884, art. 124. - La loi des 28 oct.-5 nov. 1790 ne subordonne pas, il est vrai, expressément Teffel interruptif du mémoire à la condilioji de Tinlroduction d'une demande dans un délai déterminé, et d'un autre côté la Cour de cassation a jugé, sous l'empire de la loi municipale de 1837 qui ne contenait non plus aucun texte sur ce poiill, qu'on ne saurait ajouter, pour l'interruption de la prescription, d'autre forma- lité à celle exigée par les textes (Cass., 13 janv. 1875, cité par Aubry et Rau, éd., II, p, 514, § 215, note 36). Mais celte solution semble bien inacceptable. On ne doit, au contraire, admettre Teffel interruptif du mémoire déposé préala- blement à la demande contre l'État qu'en complétant par analogie, à l'aide de Tart. 57 C. pr., la loi de 1790 quant à la nécessité d'une demande dans un délai déterminé. Comment, s'il en était autrement, justi(ierait-on ou môme explique- rait-on rinterruption de prescription attachée au dépôt du mémoire ? iîic Fou- cart, Dr, adm., Il, n. 839 ; Ducrocq, «/., II, n. 1046 ; Reverchon, Autoris, de plaid, y n. 72 s. ; Aubry et Hau, loc. cil, Aux termes de l'art. 210 du C. civ. ail., la prescription est interrompue par la demande préalable qui doit être adressée à une autorité ou à une juridiction supérieure, pourvu que l'action soit formée dans les trois mois qui suivent l'issue de cette demande. V. Crome, op. cil,, p. 517, § 116.

(•) Serrigny, Camp, adm,, n. 1024 ; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 513, § 215. V. cep. Cass., 21 août 188 2, S., 83. 1. 121, avec le rapport de M. le conseiller Féraud-Giraud et Tludication de la jurisprudence antérieure.

DE l'iNTëRBUPTION DE LA BRËSCRIPTION 301

pas interruptif de prescription s*il s*agit d'une instance «ette formalité n'est pas exigée (*).

525. Dans le cas de la loi du 0 décembre 1850 sur le par- tage des terres vaines et vagues, il a été jugé que la citation injustice est remplacée par des affiches et publications valant ajournement à Tégard des ayants droit et interrom- pant la prescription (*).

526. La loi de finances du 10 avril 1895 a admis^ comme interrompant la prescription trentenaire que peut invoquer la caisse des dépôts et consignations, soit une opération de versement ou de remboursement, soit la signification de la réquisition de paiement prévue par l'article 15 de Tordon- nance du 3 juillet 1810, soitTun des actes visés par Tarti- <île 2244 du code civil (V.infra, n. 007). La loi du 24 décem- bre 1897 sur la taxe admet aussi des causes spéciales d'inter- ^ption de la prescription au profit des notaires, avoués ou iuissiers (V. in/ra, n. 807).

B. Interruption civile résultant de la .reconnaissance de celui

qui prescrit,

527. « La prescription est interrompue par la reconnais^

< sance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui

< contre lequel il prescrivait » (art. 2248) {^). Cette recon- naissance emporte renonciation au bénéfice de la prescrip- tion conmiencée (^) : par conséquent elle interrompt la prescription. Suivant les expressions de M. Labbé, « elle rajeunit le droit en le démontrant ». Elle rend même le plus souvent la prescription acquisitive impossible pour Tavenir, parce qu'elle rend précaire la possession de celui dont elle émane (V. supra, n. 93 s.).

528. La reconnaissance de celui qui avait commencé à prescrire constitue un acte unilatéral ; elle ne suppose pas

(») Gass., 28 nov.i864, S., 63. 1. 32. I)., 65. 1. il2.

0 Cass., 2 déc. 1839, S., 91. 1. 3'.):.

(') Cpr., C. civ. ital., art. -212^; G. civ. csp., arl. 19iS ; G. civ. port., art. 552; <:.civ. hoU., art. 2019 ; G. féd. oblig., ail. 154; G. civ. ail., art. 208.

<♦) Gass., 6 janvier 1869, S., 69. l. 52, D., 6J. 1. 221 ; 28 janv. 1885, S., «6. 1.215, D., 85. 1.358.

'392 DE LA PRESCRIPTION

nécessairement pour sa perfection le consentement de celui à qui elle doit profiter. Le plus souvent, elle résulte d'une convention ; on l'appelle interruption conventionnelle. Mais on conçoit fort bien qu'elle puisse se produire sous une autre forme; C'est un simple aveu ; il ne faut pas Tassimiler à certaines renonciations qui exigent l'acceptation de celui qui doit en profiter ; cet aveu ne crée pas un nouveau lien de droit ; la reconnaissance prouve seulement que la dette n'est pas éteinte, que le créancier n'a pas été négligent, que le propriétaire a eu des raisons pour ne pas agir. Pothier disait très bien en ce sens : « Par quelque acte que le débiteur reconnaisse la dette, cet acte interrompt la prescription, soit que cet acte soit passé avec le créancier, soit qu'il soit passé sans lui (^). » Dunod, qui appelait cependant la reconnais- sance « une interruption conventionnelle », ne manquait pas d'ajouter que « toutes les fois qu'il se fait quelque chose entre le créancier et le débiteur, le possesseur et le propriétaire, qui emporte un aveu exprès ou tacite de la dette, du droit ou de la propriété, ce sera une interruption civile (*).» La juris- prudence a parfois jugé que l'aveu judiciaire n'est irrévocable qu'après l'acceptation de celui qui peut en tirer profit. Mais, dans le cas de reconnaissance interruptive de prescription, c'est une solution très généralement admise que la reconnais- sance une fois faite est définitive et ne peut être rétractée ; elle n'a pas besoin d'être acceptée. C'est la solution que nous avons déjà donnée pour le cas de renonciation à la prescription acquise. Il y a ici les mêmes raisons de décider; on peut même dire qu'il y a moins de raisons de douter, puisqu'il ne s'agit plus de renoncer à un droit acquis ('). Il s'agit là, dit M. Saleilles, de la pure manifestation d'une conviction, indépendante de la volonté de faire un

(*) Pothier, Obliff., n. 693.

(') Dunod, p. 58.

(») Cass., 20 août 1849, S., 49. i. 743 ; 25 févr. 1863, S., 64. 1. 439, D., 64. l. 283; 30 janv. 1865, S., 65. 1. 131, D., 65. 1. 235;27 janv. et 10 mars 1868, S., 68. 1. 105, D., 68. 1. 200. - Gaen, 19 mars 1850, S., 52. 2. 282. - Gre- noble, 24 juin 1855, S., 55. 2. 300. Douai, 28 nov. 1879, S., 81. 2. 32.— Leroux de Bretagne, n. 455; Laurent, XXXIl, n. 128 et 128 ; Hue, XIV, n. 401 ; Guillouard, n. 251. V. supra, n. 82 s.

DE L*INTetot;PTION DE LA PRESCRIPTION 3d3

acte juridique proprement dit. II suffit, mais il faut que le débiteur ait conscience de la portée de sa déclaration. Il faut qu'il ait conscience de faire une déclaration dont on puisse se prévaloir pour lui opposer l'existence de la dette ; il n'est pas nécessaire qu'il ait eu la Volonté de faire un acte juridique, en vue d'un effet de droit à réaliser. Cet effet de droit, la loi l'attache à sa déclaration, alors même que celle-ci ne l'aurait pas en vue ; c'est en ce sens que cette reconnaissance est conçue comme un pur fait de manifesta- tion de volonté et non comme une déclaration de volonté çp, vue d'un acte juridique (*). »

529. La reconnaissance interruptive de prescription Insulte de tout acte ou de tout fait contenant ou impliquant l'aveu de l'existence du droit (*). Elle peut être en effet eipresse ou tacite. Expresse, elle n'est soumise à aucune fonnalité spéciale. Elle peut être verbale, résulter d'une lettre f*) . 11 n'y a pas . à appliquer ici les règles de l'arti- cle 1337 du code civil sur les actes conflrmatifs.

11 a été jugé qu'elle peut résulter d'une déclaration de celui qui prescrit, consignée dans un inventaire fait après décès (*), ou même d'offres faites par le débiteur et non acceptées par le créancier (^), si du moins elles n'ont pas eu un caractère conditionnel ou transactionnel ('), ou encore de l'inscription d'une créance sur le bilan déposé par le

nSaleilles, op. cit., p. 303, sur l'art. 208, note 1.

{*) Cas»., 28 janv. 1885, précité. Gpr, Gass., 13 avril i8W, S., 1901. 1. 310.

l») Cas»., !•' mars 1837, S., 37. 1. 999 ; 11 mai et 29 juin 1842, S., 42. l. 712 et 980 ; 25 juin 1896. D., 97. 1. 79. - Montpellier, 15 mai 1872, D., 74. 1 165, Sic Troplong, n. 614 ; Marcadé, loc. cit., n. 10 ; Aubry et Rau, S* éd., II. p. 516, § 215 ; Laurent, XXXII, n. 126 et 128 ; Colmet de Santerre, VlU, u. 355 biâ, I ; Hue, XIV, n. 402; Guillouard, n. 247. - V. cep. Gass., 25 févr. 186;{, S., 64. 1. 439, D., 64. 1.283.

(•) Paris, 12 fév. 1853, S., 53. 2. 143. - Douai, 28 nov. 1819, S., 81. 2. 32. - Pothicr, Oblig., n. 692.

n Gass., 30 janv. 1865, S., 65. 1. 131, D., 65. 1.235. Gpr. Gass., H déc. 1883, S., 85. 1. 486, D., 85. 1. 30. Sic Leroux de Bretagne, n. 454 ; Anbry et Rau, 5* éd., H, p. 516, § 215; Laurent, XXXII, n. 127; Hue, loc.cit,; GuUlonard, n. 249.

(•) Gass., 4 janv. 1842, S., 42. 1. 533, D. Rép., V Prescr., n. 584. - V. Tfoplong, n. 617.

394 DE LA PRESCRIPTION

failli ou de Tadmission d'une créance au passif de la fail- lite (»).

Elle peut même résulter d'un acte passé avec des tiers par le débiteur ou le possesseur en dehors du créancier ou du propriétaire (*) ; il en est ainsi d'une vente contenant déléga- tion du prix au profit d'un créancier déterminé ou du man- dat donné par un débiteur à un tiers pour effectuer le paie- ment de sa dette (*), Il en est ainsi encore au cas de décla- rations faites dans un acte de liquidation ou de partage (^), ou au cas de conclusions prises dansunprocès le créancier n'était pas partie ('). Il ne s'agit pas de se prévaloir, con- trairement à l'article 1165, des effets d'un contrat passé entre des tiers; il s'agit seulement de prouver qu'il y a eu reconnaissance du droit qu'on prétend éteint par la pres- cription.

L'aveu résultant d'un acte juridique peut produire son effet interruptif alors même que cet acte serait entaché de nullité, si la nullité n'entache pas l'aveu lui-même et lui est étrangère (*).

D'ailleurs, au cas de reconnaissance comme au cas de renonciation, il y aura à tenir compte dés réser\'es faites par le débiteur, à moins qu'elles ne soient inconciliables avec l'acte lui-même, ou à moins qu'il ne s'agisse de réser- ves purement banales et de style (").

530. La reconnaissance tacite peut, en général, résulter de tous faits ou actes impliquant l'aveu de l'existence du

(') Gass., 23 fév.l83E. S., 32. i. 537, D. Rëp,, V Prescr., n. 743. Orléan:?, 11 mai 1861, S., 63. 2. 65.

(>) C;aen,19marsl850.S., 52. 2. 283,1)., 52. 2. 282; 25 févr. 1863, S., 64.1. 440, D., 64. 1. 284 ; 27 janv. 1868. S., 68.1, 105, D., 68. 1.200.- Grenoble, 25 jinv. 1855, S., 55.2.300.- Stc Pothier, loc, cit.; Troplong, n. 610 s. ; Aubry et Rw, loc, cit.; Laurent, XXXII, n. 121 bis el 122; Guillouard, n. 248.

(») V. Cass., 31 janv. 1872, S., 72. 1. 72, D„ 72.1. 246. - V. encore, pour d'autres applications de la rèKle, Gass., 10 avril 1889, S., 90.1.214. - Douai, 28 nov. 1879, précité.

(*) Gass., 25 févr. 1863, précité. - Poitiers, 30 juilU 1877, D., 78,2.60. Guillouard, loc. cit.

{*) Douai, 28 nov. 1879, D., 81. 2. 32. - Guillouard, loc. cit,

(«) Leroux de Bretagne, n. 458; Guillouard, n. 297.

(') Gass., 6 janv. 1869, S., 69.1.52, D., 69.1.224.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 395

droit sujet à la prescription (*). Les juges ont à cet égard un pouvoir d'appréciation souverain (*). 11 n'y aurait pas à tenir compte de la réserve vague et générale, faite dans un acte passé entre le débiteur et son créancier, des autres droits que celui-ci peut avoir à exercer contre son débiteur ; cette clause ne peut équivaloir à une reconnaissance (^).

Les principaux faits d'où peut s'induire la reconnais- sance tacite sont le paiement fait par le débiteur qui est, en voie de prescrire d'une partie de sa dette à titre d'acompte, le paiement par le débiteur des intérêts de sa dette (^), la demande qu'il fait d'un délai pour le paiement, T offre et à plus forte raison la dation de sûretés telles qu'une caution, un gage, une hypothèque ('). Nous dirons même que la prescription de la créance, quand un gage a été fourni, ne peut courir tant que le gage reste aux mains du créancier, le maintien du gage constituant une reconnaissance tacite (®).

{') Cass., 21 mai 1883, S., 84. 1. 422, D., 84. 1. 163; 28 janv. 1885, S , 86. 1. 215, D., 85. 1. 358 ; 10 avril 1889, S., 90. 1. 214; 3 juin 1893, S., 93. 1. 3Î1, a, 94. 1. 17.

(<) Cass., 5 mars 1894, S., 98. 1. 439. Guillouard, n. 251.

{*} Troplong, n. 619 et 620.

O Cass., 15 juiU. 1875, S., 77.1.351, D., 77. 1. 324; 12 mars 1883, S., 84.1. 3S2; 19 mai 188i, S., 85. 1. 113, D., 84.1.286. - Nancy, 23 juill. 1895,1)., 96. 2.182. Bordeaux, 31 déc. 1895, D., 97. 2. 97. Sic Dunod, p. 58; Laurent, XXXII, n. 129 ; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 516, § 215: Hue, XIV, n. 402 ; Guillouard, n. 250. V. aussi C. civ. ail., art. 208. V. cep. Troplong, I, 0.69, et U, n. 618.— Cpr. Cass., 14 janv. 1890, S., 91.1.17 et la note de M. Cha- vegrin.— Le paiement fait par un tiers n'interrompt pas la prescription, si ce liers n'avait pas qualité pour représenter le débiteur. Cass. Florence, 8 fév. 1902, I)., 190i. 2. 406. La preuve du paiement des intérêts ou d*un acompte ne peut résulter de la seule inscription mentionnée sur le titre par le créancier, y. a civil Neuchâtel, art. 1804. V. infra, n. 622.

(») Troplong, II, n. 618; Leroux de Bretagne, n. 460 et 462; Laurent, loc. cil, ; Aubry et Rau, loc. ciL; Golmet de Santerre, Vill, n. 355 Ai», I; Hue, loc, cil,: Guillouard, loc. cil, C. civ. ail., art. 208. 11 a été jugé qu'il n'y a pas reconnaissance interruptive de prescription dans le cas de réserves faite*» par le destinaire de marchandises et que la compagnie de transports a laissé mettre au dos de U lettre de voiture; la prescription de Vart. 108 C. com. n'en court pas moins au profil de la compagnie. Cass., 25 juin 1884, S., 86. 1. 181. La «impie déclaration faite dans un inventaire qu'une somme est réclamée par un tiers ne constitue pas, surtout si elle est faite en l'absence du créancier, une «connaissance de la dette interruptive de la prescription. Dijon, 12 juin 181^4, D., 95. 2. 501.

i*) Aubry et Rau, éd., IV, p. 714; Leroux de Bretagne, n. 668; Planiol,

306 DE LA PRESCRIPTION

Vainement on objecterait que le débiteur a pu, par négli- gence, s'abstenir, après avoir payé, de demander la restitu- tion de son gage; il serait injuste que, pour protéger ce débiteur négligent, on obligeât tous les créanciers nantis de gages à signifier des actes interruptifs de prescription ; le créancier qui a un gage et reste un temps plus ou moins long sans agir n'est pas négligent ; le débiteur qui a donné un gage au créancier ne peut se plaindre si la poursuite est plus ou moins tardive ; les motifs qui ont fait admettre la prescription ne se rencontrent plus ici ; c'est au débiteur à prouver sa libération.

La compensation qui éteindrait de plein droit une partie de la dette ne peut, comme le paiement partiel, interrom- pre la prescription pour le surplus; elle n'implique pas reconnaissance de la dette entière puisqu'elle s'opère de plein droit à l'insu du débiteur (*).

531 . La règle posée par l'article 2248 est susceptible d'une application très générale quant aux droits qu'il s'agit de prcs^ crire. Il a été jugé et nous verrons plus loin que la reconnais* sance est interruptive de prescription pour les obligations civiles résultant d'un délit aussi bien que pour celles naissant de contrats ou de quasi-contrats (*). L'article 2248 s'appli-

II, n. 2i62; Baudry-Lacantinerie et de Loynes, I, n. 102 ; Guillouard, n. 79. ~ V. en ce sens l'art. 146 du Gode fédéral des obligations, et l'art. 62S Gode civ. Montén.— Il en est de même au cas d*antichrèse. Gass., 27 mai 1812. Sic^ Pianiol, II, n. 2504; Baudry-Lacanlinerie et de Loynes, I, n. 187.

C) De simples pour|>arlers entre créancier et débiteur ne sauraient évidem^ ment impliquer dans tous les cas la reconnaissance de la dette. Gette Idée a été souvent appliquée en matière de prescription quinquennale de l'action eo détaxe ouverte cpnlre les compagnies de chemins de fer (art. 108 G. comaW. Gass., 19 Juin 1895, S., 9Ô. 1. 44.— Un simple accusé de réception adressé par li compagnie à laquelle des pièces ont été transmises à Tappui de la demande en détaxe n*est pas non plus une reconnaissance interruptive de prescription. Cass. 9 déc. 1901, S., 1902. 1. 147. Mais la jurisprudence a été quelquefois, dan» cette voie, beaucoup trop loin ; par exemple en refusaùt de voir une reconnais» sance de dette interruptive de la prescription dans la promesse faite par un chef de gare de régler l'affaire à Tamiable. Cass., 29 déc. 1874, S.. 75. 1. 448.— Des difflcultés analogues sont fréquentes en matière d'assurances. V. infra^, n. 531 bis,

(«) V. Cass., 3 juin 1893, S., 93. 1. 311, D., 94. 1. 17.- Poltier8,27 mai 1890. Loi du 11 juin 1890. V. d'ailleurs infra, n. 644 s., le développement de cette question.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 397

que aussi aux prescriptions établies par les articles 64 et 108 du code de commerce comme aux autres prescriptions (*). Enfin la cour de cassation en a fait l'application à Textinc- tion des servitudes par le non-usage (*).

531 bis. Les prescriptions conventionnelles abrégées sont aassi interrompues par la reconnaissance de la dette^ soit qu'on veuille leur faire application de l'article 2248^ , soit qu'on se place au point de vue de l'interprétation du con- trat ; les motifs qui expliquent la courte prescription conve- nue entre les parties n'existent plus quand le débiteur a reconnu l'existence de sa dette. 11 serait d'ailleurs trop facile au débiteur de se soustraire ainsi à ses obligations en procurant, par des reconnaissances successives, une fausse sécurité à son créancier (*). Toute clause écartant la règle ici posée serait nulle comme immorale et contraire à l'or- dre public.

II faut aller plus loin. Si le débiteur, sans reconnaître for- . mellement sa dette, a, par sa conduite et par ses agisse- ments, laissé croire à son créancier qu'il n'entendait pas , la contester, il faut décider qu'il a commis une faute enga- geant sa responsabilité et dont il doit réparation, ce qui le rend non recevable à invoquer la prescription (♦) .

532. On a jugé en matière d'assurances, et c'est une solu- tion qui paraît des plus équitables et des plus juridiques, que la déchéance de l'action en paiement de l'indemnité n'est pas encourue si des experts sont nommés par les parties

(')Gass., 19 janv. 1859. S., 60. 1. 565; 19 juin 1895, S., 96. 1. 44, D., 96. 1. 171. •> Bordeaux, 1" mars 1889, S., 92. 2. 76, et la note. •:- Il a été jugé par Mite, en ce qui concerne la prescription de l'art. 108 C. corn., que la prescription n'est pas interrompue par des démarclies, des pourparlers, des promesses vagues oa incertaines n*ayant pas le caractère de la reconnaissance exigée par l'art. 2i48. V. Cass., 19 juin 1895, précité.

{«)Gass., 10 avril 1889, S., 90. 1.214. ^ Golmet de Santerre, VIII, n. 562i»«, IV; Guillouard, n. 258.

{>) Paris, 28 nov. 1889, S., 91. 2. 77 ; 21 déc 1889, S., 91. 2. 79. - Douai, 4 déc. 1902, S., 1903. 2. 68. V. supra, n. 485.

(•) Paris, 28 nov. 1889, précité. Douai, 4 déc. 1902, précité. Dans Tes- pèce de ce dernier arrêt, il s'agissait d'ailleurs d'un contrat d'assurance frappant de déchéance l'assuré qui appellerait la compagnie en garantie alors que celle-ci ne déclinerait pas sa responsabilité :' c'était une raison- de plus pour ne pas admettre la prescription.

398 DE LA PRESCRIPTION

avant le délai de six mois^ pour estimer le dommage (*). Mais il y a, sur ce point, des dissidences dans la jurispru- dence, car on a admis aussi que la nomination d'experts n'empêche pas la déchéance de l'action en paiement de l'in- demnité (*). Cette dernière solution nous paraît peu exacte ; tout au plus peut-on admettre que la nomination d'experts ne met pas obstacle à la déchéance si des réserves expresses ont été faites sur ce point par la compagnie lors de la nomi- nation ('). S'il en a été autrement, la prescription n'est pas encourue, à notre avis, parce qu'il y a eu interruption ; il y a eu reconnaissance de la dette dans son principe. Sans doute, comme on l'a observé, l'adhésion à une demande d'expertise et l'assistance à une expertise amiable n'impli- quent pas nécessairement un aveu de la dette : mais il y a bien en général une reconnaissance de l'existence du droit. Il n'en est autrement que si l'expertise a pour but de faire connaître l'incendie a pris naissance et qui en est res- ponsable : le concours à l'expertise n'est pas alors un aven de la dette. Mais même dans cette hypothèse, il y a interrup- tion de la prescription conventionnelle ; à moins que celle- ci ne doive, d'après le contrat, être interrompue que par une demande en justice régulière, on doit en effet, nous

(») Nancy, 30 mai 1853, S., 56. 2. 617. Besançon, 18 mars 1887, S., 90. 2. 77. Cpr. Douai, 4 déc. 1893, S., 94. 2. 142. Paris, 20 juin 1894, S., 95. 2.

168.

(») Nancy, 30 mai 1885, S . , 86. 2. 125. V. aussi en ce sens It noie de M. Naquet, S., 1901. 1. 265 el les décisions par lui citées.

(») Toulouse, 4 juin 1888, S., 90. 2. 77. - Paris, 19 nov. 1896, D., 97. 2. 70. Alger, 18 mars 1895, S., 98. 1. 219. il paraît d'ailleurs certain, comme le décide le premier de ces deux arrêts, que Taction criminelle intentée contre rassuré n'empêche pas la déchéance d'être encourue. Nous ajouterons, contrai- rement à l'arrêt, que Tarrestation et Temprisonnement de l'assuré ne nouf paraissent pouvoir rien changer au cours de la prescription, et n'entraînent ni suspension ni interruption. L'arrêt de la couc de Paris du 20 juin 1894, précité, se prononce dans un sens difTérent sur ces deux points et décide que la prescrip- tion cesse de courir pendant toute la durée de l'information. Nous ajouterons encore qu'en faisant intervenir Tidée exprimée plus haut et d'après laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi, il est possible aux juges, loi'sque la Compagnie d'assurances a déposé une plainte contre son assuré et provoqué l'ouverture d'une information criminelle, de décider qu'elle ne peut se prévaloir de l'obstacle qu'elle a elle-même apporté à la demande en paiement d'indemnité.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 399

lavons vu, considérer toute réclamation comme suffisante ; il s'agit d'exécuter de bonne foi une clause de prescription conventionnelle ; les parties ont pu convenir que la pres- cription ne courrait pas pendant l'expertise, serait inter- rompue par la demande de nomination d'experts, faite d'une manière quelconque et indépendamment de toute reconnais- sance de la part de l'assureur ; cette convention, les juges peuvent l'admettre, alors même qu'elle n'a pas été expres- sément écrite, en interprétant la volonté des parties (*). (V. mpra, n. 485). C'est surtout à ce point de vue que la juris- prudence s'est placée ; elle a décidé que c'est aux juges du fond de décider si une demande d'expertise amiable, ou une introduction en référé à fin de nomination d'experts peuvent être considérées, au point de vue de l'interprétation de la volonté des parties, comme constituant une réclamation suf- fisante pour interrompre la prescription (*).

533. Pour interrompre la prescription, la reconnaissance doit émaner du débiteur ou du possesseur, qui est en voie de prescrire.

Quelle capacité le débiteur ou le possesseur doit-il avoir pour faire valablement une semblable reconnaissance ? C'est une question difficile et embarrassante.

Supposons d'abord qu'il s'agisse d'une prescription acqui- sitive. On dit, en général, que le possesseur ne peut vala- blement faire une reconnaissance interruptive qu'autant qu'il a la capacité requise pour disposer du droit que la prescrip- tion, une foi^ accomplie, aurait consolidé sur sa tète ; car, reconnaître le droit de son adversaire, c'est abdiquer le sien ('). On admet la même solution en ce qui concerne la prescription extinctive d'un droit réel, par exemple d'une servitude.

(') Douai, 4 déc. 1893, précité. - Paris, 20 juin 1894, précité. V. encore Douai, 24 mai 1896, D., 97. 2. 255.

n Gass., 18 mars 1890, S., 93. 1. 139 ; 22 fév. 1899, S., 1901. 1. 265 et la note de M. Naquet, D , 1902. 1. 153.

OCass., 19 janv. 1852, S., 52. 1. 326, D., 52. 1. 19. - Sic Aubry et Rau, 5* éd., U, p. 517, § 215 ; Colmet de Santerre, Vlll, n. 355 bis, V et VI ; Lau- renl, XXXII, n. 124 ; Hue, XIV, n. 403 ; Guillouard, n. 253. V. supra, n. 86 8., 93 s.

400 DE LA PRESCRIPTION

534. On peut cependant présenter quelques objections contre cette doctrine. Et tout d abord la reconnaissance du droit de celui contre qui on prescrit, de même que la renon- ciation à la prescription accomplie ou en voie de s'accomplir, a bien le plus souvent, il est vrai, pour effet de constater le caractère précaire de la possession et d'empêcher pour l'avenir la prescription de s'opérer, en ce qu'elle implique détention pour le compte d*autrui. Mais, à notre avis, la simple reconnaissance du droit de propriété d'une autre personne n'implique pas toujours nécessairement détention précaire ; on peut prescrire une chose qu'on sait, qu'on reconnaît appartenir légitimement à autrui ; on peut donc reconnaître à un moment donné le droit du propriétaire d'une chose sans qu'il y ait nécessairement précarité pour l'ave- nir (*). Si on ne veut pas admettre qu'il en puisse être ainsi d'une reconnaissance qui a été adressée au propriétaire lui- même, on ne peut douter que tel soit le caractère de la reconnaissance faite dans un acte le propriétaire n'a pas été partie ; il y a eu interruption de la prescription sans que la reconnaissance implique précarité, sans qu'elle suppose une convention obligeant le possesseur à restituer ; on peut citer l'hypothèse d'une déclaration faite dans un inventaire après décès ou au cours d'un procès {avec un tiers (*). Lors- qu'il en sera ainsi, est-il bien exact d'exiger, pour la recon- naissance, la capacité de disposer du droit qui serait acquis par la prescription ? On peut le contester.

535. D'un autre côté, pourquoi exiger, pour la reconnais- sance du droit du propriétaire et la renonciation à la pres- cription acquisitive qui a commencé à courir, la capacité de disposer de la chose possédée, et ne pas se contenter delà capacité d'acquiescer à la demande que le propriétaire pour- rait intenter (art. 464) ? On n'en voit guère la raison. M. Col- met de Santerre, en étudiant l'article 2248, enseigne que « renoncer à se prévaloir de la possession qui a duré un certain temps, c'est renoncer à une sorte de droit de pro-

(*) Contra Colmet de Santerre, VIII, n. 355 bis, VII, s. (-) Sic Colmet de Sanleire, loc, cit. ; Hue, XIV, n. 401.

DE l'iNTERRUPTIO?! DE LA PRESCRIPTION 401

priété conditionnelle, exposée il est vrai à des évictions, mais qui deviendrait inattaquable après un certain temps, ce qui nécessite la capacité ou le pouvoir d'aliéner la chose possédée. » Mais il a soutenu, dans une autre partie de son traité, qu'il n'est pas nécessaire au tuteur, pour renoncer au bénéfice d'une possession ayant duré plus ou moins long- temps sans créer le droit à la prescription, de remplir les formalités d'une aliénation (^). Cette dernière solution nous parait plus exacte.

Il est d'ailleurs certain que, dans la gestion des biens de l'incapable, le tuteur ou autre administrateur légal peut faire une série d'actes qui auront pour effet, sinon de cons- tituer une reconnaissance du droit du propriétaire, du moins de rendre la possession discontinue ou équivoque, ou de lui donner le caractère d'une simple tolérance.

536. S'il s'agit d'une prescription extinctive de droits de créance, il suffit que celui qui fait la reconnaissance ait la capacilé ou le pouvoir requis pour administrer le patrimoine grevé de l'obligation que la reconnaissance va consolider en interrompant la prescription qui allait bientôt l'éteindre. Ainsi im mineur émancipé, une femme mariée séparée de biens, une personne pourvue d'un conseil judiciaire peuvent valablement, en reconnaissant une dette, interrompre la prescription qui courait à leur profit ; ils pourraient certai- nement interrompre la prescription en payant partiellement la dette, ils doivent pouvoir l'interrompre aussi en la recon- naissant. De même, le tuteur d'un mineur non émancipé pourrait valablement reconnaître une dette de son pupille, et cette reconnaissance interromprait la prescription (*). Un acte pourrait donc être interruptif de prescription sans être pour cela valable comme acte récognitif ou confirmatif de l'obligation reconnue (*) .

0 Colmel de Santerre, VIII, n. 329 bis, II.

(*) V. Giss., 23 juin IS21, S, chr., D. Rêp., Prescr., n. 604. Nîmes, 26

jjill. 185>, S., 53. 2. 633, D., 53. 2. 247.- Paris, 19 janv. 1875, D., 77. 2. 214.

Polhier, Oblij,, n. 6dJ ; A'ibry et Rau, loc. cit.; Colmel de Santerre, VIII,

n. 355 bis, III ; Hue, loc. cit. ; Gailloaard. n. 252.— Contra Laurent. XXXII,

n. 125.

(')Calmet de Sanler»*e, VIII, n. 3555is, IV. Il a été jugé avec raison que le

PllESCR. 26

402 DE LA PRESCRIPTION

537. Laurent a pourtant contesté cette opinion, mais son argumentation est des plus fragiles. L'argument tiré de ce que la capacité ou le pouvoir d'administrer implique capacité ou pouvoir de faire un paiement interruptif ne lui paraît pas aussi décisif qu'il en a l'air ». Le droit de payer pour ceux qui ont le pouvoir d'administrer n'existe, dit-il, que si la dette est certaine ; la dette contre laquelle la prescription a commencé à courir est douteuse; il est alors du devoir de l'administrateur de la contester et de ne pas renoncer à un droit éventuel. D'un autre côté, les pouvoirs d'administration impliquent qu'il s'agit défaire des actes nécessaires et avan- tageux : or renoncer à une prescription commencée, n'est ni nécessaire ni utile. « Que l'administrateur laisse courir la prescription, sauf à celui dont il gère les intérêts à y renon- cer quand il aura la pleine capacité de ses droits. » Cette opinion repose, on le voit, sur des considérations bien fragiles et bien peu exactes. Une dette qui commence à se prescrire n'est pas pour cela une dette douteuse ; toute dette, quelle qu'elle soit, est une dette contre laquelle la prescription court depuis plus ou moins longtemps ; dans le système de Laurent, l'administrateur n'en devrait donc payer aucune. Renoncer à une prescription peut être d'ailleurs un acte nécessaire et utile s'il s'agit de reconnaître le droit certain du créancier. Enfin si la dette est douteuse en elle-même, la question de prescription étant mise à part, il ne s'agit plus seulement de faire un acte interruptif de prescription; il s'agit de confirmation, d'acquiescement, de transaction. La question est alors toute différente.

538. Quant à la preuve de la reconnaissance interruptive de prescription, le droit commun s'applique ici de tous points, la loi n'y ayant pas dérogé. Par conséquent celui qui allègue une reconnaissance interruptive de la prescription ne peut pas être reçu à en fournir la preuve par témoins en matière excédant 150 francs, sauf les exceptions prévues par les articles 1347 et 1348. Ainsi je suis créancier d'une

mandai tacite de la femme mariée lui donne le pouvoir de faire une reconnais- sance inlerniplive de prescription. Rouen, 5 juill. 1895 (Gais. Pa^, 22 mars 1896).

DE L*I?(TERRUPTION DE LU PRESCRIPTION 403

somme de 500 francs ; mon débiteur m'opposant la pres- cription, je réplique qu'à une époque le temps de la prescription n'était pas encore écoulé, il m'a payé une somme de 25 francs représentant l'intérêt du capital de la dette pendant une année ; ce qui emporte de sa part reconnais- sance tacite de la dette et, par suite, interruption de la pres- cription. Je ne devrai pas être admis à faire par témoins la preuve de ce paiement, parce que l'intérêt engagé est ici égal au capital de la dette, soit 500 francs, et dépasse par suite le taux fixé par l'article 1341 (*). Le créancier ne pour- rait pas non plus se prévaloir des énonciations de ses regis- tres privés pour établir les paiements par lui reçus (*). Le serment peut d'ailleurs toujours être déféré sur les faits interruptifs de prescription ; il ne s'agit pas ici du serment sur le fait de l'existence de la dette, comme celui qui est visé par l'article 2275, mais du serment sur le fait même de l'interruption ('). Le créancier peut aussi demander un interrogatoire sur faits et articles^ ou une comparution per- sonnelle des parties.

L'acte sous seing privé qui constate la reconnaissance interruptive de prescription doit d'ailleurs avoir date cer- taine suivant le droit commun, pour être opposable au tiers (^). Nous trouverons plus loin des applications de cette règle. V. infra, n. 583.

SECTlOxX II

DES EFFETS DE l'iNTERRUPTION

539. L'interruption, nous l'avons déjà dit, n'agit en prin- cipe que sur le passé, non sur l'avenir. Tout le bénéfice du

(«) Cass., 28 juin 185i, S., 5i. 1. 465, D., 5i. 1. 220 ; 17 nov. 1858, S., 59. 1. 905, D., 58 1. 459 ; 27 janv. et 10 mars 186S, S., 68. 1. 105, D., 68. 1. 200. Cour jusl. Genève, 14 mai 1892, S., 92. 4. 40. Sic Aubry et Rau, 5' éd., II, p, 517, § 215 ; Laurent, XXXII, n. 133 s. ; Leroux de Bretagne, n. 8i3 ; Bon- nier, éd. Larnaude, n. 153.

(*) Cass., 11 mai 1812, S.. 42. 1. 719,D. i?cp.,v Prescr., n. 608. - Troplong, n. 621 ; Aubry et Rau, loc, cil, ; Laurent, XXXII, n. 134.

0 5«c Pothier, Ohlig,^ n. 694 ; Marcadé, sur l'art. 2248, n. 10 ; Leroux de Bretagne, n. 459 ; Laurent, XXXII, n. 133.

(♦) Pothier, Oblig,, n. 633 ; Guillouard,n. 255

404 DE LA PRESCRIPTION

temps écoulé au moment s*est accompli Tacte interrup- tif est perdu pour le possesseur ; mais Tinterruption ne fait pas obstacle en général à ce qu'une nouvelle prescription puisse commencer à courir.

Nous devons étudier les effets de l'interruption à trois points de vue différents :

a) En ce qui concerne la nouvelle prescription qui va com- mencer à courir ;

b)En ce qui concerne les personnes qui peuvent se préva- loir de l'interruption qui a été faite ;

c) Enfin en ce qui concerne les droits auxquels s'étendra Teffet de cette interruption.

§ I. Du point de départ et des caractères de la

nouvelle prescription.

540. Il est intéressant d abord de fixer le point de départ et de déterminer la nature et le caractère de la nouvelle prescription.

En premier lieu quel en sera le point de départ? A cet égard, il faut distinguer entre l'interruption naturelle et Tin- terruption civile.

541 . L'interruption naturelle peut s'appliquer : 1* à la prescription acquisitive ; 2*" à la prescription extinctive, mais seulement à celle des droits réels et principalement des ser- vitudes.

Au premier cas l'interruption naturelle a lieu lorsque celui qui était en voie de prescrire soit la propriété, soit un droit de servitude, a été privé de la possession pendant plus d'une année; la prescription ne pourra recommencera courir à son profit qu'à dater du jour il aura recouvré la

possession.

Au second cas, l'interruption naturelle résulte de rexercice de la servitude dont la prescription extinctive était en voie de s'accomplir, et la prescription nouvelle commence à cou- rir à partir du moment cet exercice prend fin.

542. L'interruption civile peut résulter, soit d'une demande

DE l'interruption DE PRESCRIPTION 405

en justice, soit d'un commandement, soit d'une saisie, soit d'une reconnaissance.

L'interruption civile, résultant d'une demande en justice, se prolonge pendant toute la durée de l'instance ; tant qu'elle demeure liée, le demandeur est donc à l'abri de la prescrip- tion. En ce s«ns, il est vrai de dire avec la loi romaine: ^c- tiones quœ tempore pereunt^semel iîiclusœ judicio,salvœ per- manent (*). Maintenant quand l'instance sera arrivée à son terme, plusieurs cas pourront se présenter: ou elle aura pris fin soit par un désistement accepté, soit par la péremption prononcée, soit enfin par un jugement rejetant la demande, et alors l'interruption résultant de la demande sera considé- rée comme non avenue ; l'ancienne prescription aura continué son cours ; ou bien l'instance aura pris fin par un jugement consacrant en tout ou en partie la prétention du demandeur, et alors l'action nouvelle qui naît du jugement, «c^io jttdicati, ne s'éteindra que par une prescription nouvelle de trente ans (*) ; ou bien enfin, les poursuites ayant été discontinuées pendant trente années et l'instance étant par suite prescrite, l'interruption cessera son effet, et la prescription de l'action recommencera à courir f). Il faut supposer que trente ans se sont passés sans poursuites : en d'autres termes, la pres- cription de l'instance se trouverait interrompue par des actes de poursuite se rattachant à Tinstance. Par exemple, il a été jugé qu'une expertise ou même des actes administratifs faits en exécution d'un jugement au cours d'une instance ont

0) Cass., 19 avril 1831, S., 31. 1. 162, D. flcp., Prescr., n. 675 ; 2 août 1841, S., 41. 1. 176, D. Rép,, loc. ciL ; 17 décembre 1S49, S., 50. 1. 122, D. 50. 1. 80. Troplong, n. 683; Marcadé, sur Tart. 2248, n. 2; Laurent, XXXII, n. 162 ; Leroux de Bretagne, n. 507 ; Aubry et Rau, éd , II, p. 526, § 215 ; GaiUouard, n. 282.— V. anal, C. civ. ail., art. 211. V. cep. G. féd. oblig., art. 157.

C) Toulouse, 18 déc. 1874, S., 75. 2. 109. Laurent, XXXII, n. 163. Ar cas d*un jugement d'incompétence, TefTet interruptif s'arrêterait au jour du jugement. V. in/'rà, n. 546.

{^)Sie Cass , 12 mai 1829, S. chr., D. «ep., loc, ciL Laurent, XXXII, n. 162 ; Maurice Ck)Un, op. cit,, p. 285. Cpr. aussi Marcadé, sur Tart. 2262 ; Moarlon, Rev.crit,, VI, p. 270 ; Guillouard, loc, cit. Mais voy. Labbé, P., 68. 689. Sur la prescription de l'instance, v. mfra, n. 596. Cpr. C. civ. Bas-Canada, art. 2265.

406 DE LA PRESCRIPTION

eu un eflfet interruptif de la prescription de rinstancé (*). Remarquons que Tinstance est liée, au point de vue qui nous occupe, par le fait seul de l'assignation, sans qu'il soit nécessaire qu'il y ait eu un débat engagé (*) (ai^. art. 2274).

543. Au cas d'une instance, et nous verrons qu'il peut eu être parfois de même au cas d'une reconnaissance ou d'une saisie, l'effet interruptif dure ainsi un temps plus ou moins long pendant lequel la prescription s'arrête de courir ; il y a alors comme une suspension de la prescription succédant à l'interruption (') . On est tenté de dire qu'il y a à la fois une interruption anéantissant la prescription qui avait couru et une suspension empêchant la nouvelle prescription de courir. Mais c'est une façon de s'exprimer peu exacte : il n'y a pas, à vrai dire, de suspension.il y aune interruption dont les effets peuvent se prolonger, se maintenir pendant la durée de l'instance et empêcher la nouvelle prescription de courir. Il n'y a pas de suspension dans le sens juridique du mot. L'observation peut avoir son intérêt, les causes de suspension n'étant pas opposables aux mêmes 'personnes que les causes d'interruption (*).

544. La règle que la prescription ne court pas pendant rinstancé n'est pas appliquée par la jurisprudence à la prescription de l'article 189 du code de commerce ; la pres- cription spéciale de cet article recommence à courir dès la dernière poursuite, même pendant que l'instance est liée (*).

(») Cass,, 20 nov. 1895, S., 99. 1. 502.

(•) Troplong, loc. cit, j Aubry el Rau, loc, cit, ; Laurent, XXXII, n. 162 f Guillouard, loc, cit, Contra Rauter, Rev, de légisL, 1836, p. 133 ; Moor- lon, Rev, crU,^ VI, p. 258. Sur l'ancien droit, v. Desjardins, op, ci^, n. 28.

(') Sic, Saleilles, Code civil alL, I, p. 309, note sur l'art. 211, § 1 ; p. 3U, noie sur l'art. 214, § 1 ; p. 319, note sur l'art. 217.

(*) Cpr. les explications un peu différentes données par Marcadé,sur l'art. 2262, et par Mourlon, Rev. crit,, VI, p. 252 s.— V. cep. Hiom, 30 avril 1889, D., 90, 2. 166. -^ V. aussi supra, n, 372. Sur le cas le jugement est frappé d'ap- pel, V. supra, n, 507 et 508.

(») V. Cass., 12 juin. 1836, D. Rép,\'' Prescr., n. 1082 ; 27 nov. 1848, S., 49. 1. 253, D., 49. 1. 25 ; 24 déc. 1860, S., 61. 1. 364, D., 61. 1. 27. - Aubry et Rau, 5* éd.. Il, p. 527, § 215 ; Boislel, Dr. comm,, n. 850 ; Lyon-Gaen et

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 407

545. Mais il ne faudrait pas en dire autant des courtes prescriptions en général et notamment de celles prévues par les articles 2271 et suivants. L'effet interruptif de la demande introduite pourra se prolonger pendant trente ans si la péremption n'est pas invoquée. Le débiteur est-il digne d'être autrement protégé ? Pourquoi ne s'est-il pas occupé de se défendre, de faire statuer sur la demande^ et de faire pro- noncer la péremption ? Il n'a pas à se plaindre si après un long délai il peut être encore inquiété ; c'était à lui de hâter la solution (*).

546. Au cas de citation donnée devant un juge incompé- tent, l'effet de l'interruption se prolonge jusqu'à ce qu'il y ait un jugement déclarant l'incompétence ou un désistement. C'est alors que court la nouvelle prescription (*).

547. Au cas de faillite, l'effet interruptif peut aussi, à notre avis, se prolonger pendant la durée des opérations de la faillite, comme au cas d'une instance, pour les créanciers admis au passif . Une nouvelle prescription commence à cou- rir après la clôture de la faillite (') .

548. L'interruption résultant d'une saisie peut se prolon-

Henault, id., IV, n. 437. V. cep. Bravard et Démangeât, Dr, comm , Uï, p. 563; Laurent, XXXII, n. 162.

(*) Sic Mourlon, loc, cit. V. pour le cas de déchéance stipulée dans une police d'assurance, ParU, 21 déc. 1889, S., 91. 2. 77.

(«) Cass., 17 déc. 1849, S., 50. 1. 122, D., 50. 1. 80 ; 14 nov. 1899, S., 1901. 1.289. Sic Laurent, n. 161 ; Guillouard, I, n.211. —Cette règle est appliquée par la jurisprudence aux prescriptions conventionnelles abrégées. Cass., 14 nov. 1899, précité. Paris, 23 nov. 1901, S., 1903. 2. 229. Il a été jugé en sens difTérent que la prescription nouvelle ne court qu'après la signification du juge- ment. Trib. Seine, 12 fév. 1900, Rec. pér, des assnr, 1900, 118. On pour- rait même concevoir que le point de départ en fût retardé jusqu'au jour ce jugement dMncompélence est passé en force de chose jugée.

(») Orléans, 11 mai 1861, S,, 63. 2. 65, D., 61. 2. 96. Conlra Cass., 23 fév. 1832, S., 32. 1. 537, D. Rép.. V Prescr., n. 743. Labié, note dans le Jour- nai du Palais, 62. 689 ; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 526, § 215 ; Guillouard, n. 280. V. dans le sens de la règle formulée ci-dessus. Code féd. ol lig., art. 157. V. aussi C. civ. ail., art. 214. Ce texte ajoute que l'interruption est non avenue si la production est retirée. Mais M. Saleilles fait observer avec rai- son, et la mfme solution doit ^tre Bdn.ise en droit français, que si le jugement déclaratif de faillite est rapporté, sur la demande du débiteur, alors que la pro- duction a déjà eu lieu, celle-ci conserve néanmoins son effet interruptif {Code civil ail., I, p. 315, note sur l'art. 214, § I).

408 DE LA PRESCRIPTION

ger aussi pendant un certain temps, car la saisie est une pro- cédure dont toutes les parties sont solidaires. La prescrip- tion ne recommence à courir qu'à compter soit du dernier acte de poursuite fait en exécution de la saisie, soit de la clôture de l'ordre ou de la distribution par contribution qui en a été la suite (*).

549. 11 n'en est pas de même de l'interruption résultant d'un commandement ; elle ne survit pas au commandement lui-même; la prescription peut donc recommencer immédia- tement à courir. Aussi la loi dit-elle que la prescription est interrompue de nouveau par la saisie ;le temps écoulé entre le commandement et la saisie se trouve ainsi rendu inutile au point de vue de la prescription (*).

550. La reconnaissance n'empêche pas, en principe, une nouvelle prescription de s'accomplir. Mais nous savons qu'il peut en résulter précarité de la possession et obstacle à une prescription acquisitive ultérieure. Au cas de prescription extinctive, il peut y avoir aussi cessation du cours de la pres- cription, par exemple si le créancier est nanti d'un gage(*).

551. La nouvelle prescription qui commence à courir après Tinterruption conserve en principe le même caractère que l'ancienne et demeure par conséquent soumise aux mêmes règles (*). Ainsi une prescription, commencée dans les conditions requises pour pouvoir s'accomplir par dix à vingt ans ayant été interrompue, la nouvelle prescription s'accomplira par le même délai, alors même qu'au moment cette nouvelle prescription commence, le possesseur ne

(*) V. en ce sens, pour la saisie-arrôt, un arrêt de la cour de Riom rapporté par Dalioz, 52. 2. 285. Laurent, XXXII, n. 166 ; Guillouard, n.279 et 289. V. Troplong, n. 690 et s.

(^) Gaen, 3 juill. 1827, D. Rép., Frescr., n. 676. Nancy, 18 déc. 1837, S., 38. 2. 222, D. Rép., V Prescr., n. 677. Troplong, n. 687 ; Laurent, XXXIl, n. 165. V. cep. Dunod, p. 171.

(») V. Laurent, XXXII, n. 167 ; M. Colin, p. 287. Cpr. supra, n. 530.

(♦) Cass., 4 mars 1878, S-, 78. 1. 409, D , 78. 1. 168. Toulouse, 18 déc. 1874, S., 75. 2. 109.— Paris, 14 juin 1899, S., 1900. 2. 15. Troplong, n. 687, 695, 698 ; Aubry et Rau, 5* éd., II, p 527, § 215 ; Laurent, XXXIl, n. 168 ; Guillouard, I, n. 290

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 409

serait pas de bonne foi, et ne réunirait plus par conséquent les conditions requises par l'article 2265 (*).

II en est de même de la prescription extinctive; s'il s'agis- sait d'une prescription de cinq ans, c'est une prescription de cinq ans qui recommencera à courir. Dunod proposait une solution différente : « La reconnaissance de la dette par cédule, obligation ou autre contrat, la demande en justice, le simple commandement interrompent la prescription de cinq ans ; l'action est perpétuée et étendue jusqu'à trente ans par tous ces moyens. » Cette doctrine, paraît avoir été abandonnée ; elle est difficile à concilier avec les prin- cipes généraux de notre droit. On ne voit pas en principe comment, la créance ne changeant pas de nature, la pres- cription serait plus longue après l'interruption accomplie (*). Ce sont les mêmes règles qui reprennent nécessairement leur application. La prescription est la même qu'auparavant. Mais ce principe comporte des restrictions importantes. V.^ infrày n. 552, s.

551 bis. Lorsqu'un contrat établit une prescription abré- gée, et que celle-ci a été interrompue, on doit se demander si la nouvelle prescription est aussi une prescription abré- gée semblable à la première. Pour trancher cette question, il convient, à notre avis, de se placer au point de vue de l'interprétation de la convention. Dans le cas le contrat

(*) V. dans notre sens, Gass., 2 avril 1845, S-, 45. 1. 241, D , 45. 1. 131. Aubry et Rau, \oc, cit. ; Laurent, XXXII, n. 168 ; Guillouard, I, n. 294 ; Hue, XIV, n. 405. Contra, Troplong, n. 553. Aubry et Rau et Laurent donnent une solution difTérente au cas de reconnaissance faite par le possesseur du droit du propriétaire (Aubry et Rau, loc, cit. ; Laurent, n. 172. V. aussi Pltniol, 2* éd., I, n. 1470 ; Guillouard, n. 264 et 295). Mais, en réservanlle cas la reconnaissance implique précarité et met désormais obstacle à toute prescription, cette solution nous parait peu exacte. Les motifs que donne Lau- rent, n. 172, sont précisément ceux qu'il a combattus plus haut, n. 169. M. Guillouard étend la solution au cas où, la revendication ayant été admise P»r jugement, le possesseur condamné resterait en possession et commence- rait une nouvelle prescription. Le Code civil du Bas-Canada décide que la prescription ac^uisitive après interruption de la prescription de dix à vingt ans est de trente ans (art. 2255).

n V. Troplong, n. 687 et 697. C. civ. Bas-Canada, art. 2264. V. cep. Garsonnet, V, n. 1213. Cpr. Code féd. oblig., art. 156. Mais voy. les criti- ques de Rossel, op, cit,, p. 208. V. au surplus infra, n. 752 et suiv.

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410 DE LA PRESCRIPTION

laisse la question sans solution^ on ne doit pas en général présumer qu'une nouvelle prescription abrégée succède à la première ; il n*y a plus les mêmes motifs ; on comprend qu'une compagnie d'assurances ou une compagnie de trans- ports veuille être fixée rapidement sur les réclamations d'indemnité, que pour ses enquêtes, sa comptabilité, son budget, elle ait besoin d'être renseignée sans retard. Mais quand les réclamations ont été faites dans le délai fixé, pour- quoi ne pas appliqueras règles du droit commun? La période pour laquelle la clause avait été faite ayant pris fin, il est rai- sonnable de revenir aux règles ordinaires sur la durée de la l^rescription.Onpeut tirer argument d'autres solutions de la jurisprudence ; celle-ci, en matière de courtes prescriptions légales, applique, après l'interruption, la prescription ordi- naire, les motifs et la raison d'être de la prescription spé- ciale n'existant plus; en matière répressive, la jurisprudence, après interruption de courtes prescriptions exceptionnelles établies pour des délits spéciaux, applique la prescription ordinaire de trois ans. La Cour de cassation a cependant décidé en sens contraire que la nouvelle prescription qui court après interruption de la prescription conventionnelle abrégée, est de même durée que la première (*).

552. La règle que nous avons étabUe est sujette à de graves restrictions pour le cas il y a un jugement et pour celui l'interruption résulte de la reconnaissance, faite par le possesseur ou le débiteur, du droit de celui contre qui il prescrit. Lorsqu'il y a un jugement, c'est la prescription de trente ans qui seule court contre l'action qui en résulte (*). Les raisons d'admettre une prescription abrégée n'existent plus ; il y aurait même inconvénient à ce que le créancier fût poussé, par la crainte d'une courte prescription, à pour- suivre son débiteur avec trop de hâte et de sévérité. De plus, nous savons que la reconnaissance faite par le posses-

(^)Caa8., 14 nov. 1899, S., 1901 1. 2S9. - V. dans le sens de Topinion ci-des- sus, Lyon, 5 mars 18i7, S., 93. 2. 77. - Paris, 21 déc. 1889, S., 9l. 2. 79. - Cpp. Cass., 26 avril 1832, S , 92. 1. 334. - Paris, 23 nov. 1901, S , 1903. 2. 229.

(«) Sic Cass., 6 déc. 1352, S., 53. 1. 253, D., 53. 1. 50. - Leroux de BreU- gne, n. 507; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 528, § 215 ; Guillouard, n. 291. V, C. civ. ail., art. 218 ; C. civ. Bas-Ganada, art. 22 65.

DE l'lNTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION 411

seur peut avoir pour résultat de rendre dans l'avenir toute prescription impossible à son profit, si elle implique la précarité de sa possession. De même, la reconnaissance faite par le débiteur emportera quelquefois novation de l'obliga- tion dont il était tenu, et il pourra arriver ainsi que la nou- velle prescription, qui commence après l'interruption, ne puisse plus s'accomplir que par trente années, tandis que la prescription interrompue était soumise à un délai beaucoup plus court (V. C. com., art. 189) (*).

553. Ce résultat de la reconnaissance interruptive de prescription se produira s'il y a novation de la créance. Il n'en est pas ainsi de l'admission d'une créance au passif d'une faillite ; la prescription qui court après l'interruption est la même qu'auparavant ('). Eh ce qui concerne la pres- cription de l'article 2777 pour les intérêts, il a été jugé qu'au cas d'interruption par suite de commandement ou de recon- naissance, la prescription qui court après l'interruption est toujours celle de cinq ans ('). Il en serait même de l'in- terruption de la prescription d'une créance de loyers par suite d'un commandement, d'une saisie ou d'une reconnais- sance (^). Au surplus, dans le cas de reconnaissance, la ques- tion de savoir s'il y a novation est une question de fait et d'appréciation ; il faut que la reconnaissance crée un nou- veau titre. Il importe de rappeler ici que, d'après l'arti-' cle 1273, la novation ne se présume point, il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte. » La recon- naissance expresse semble bien devoir être, en général, interprétée comme impliquant novation; mais on devra, au contraire, en matière de réconnaissance tacite, appliquer

(•) Cass., 6 nov. 1832, S., 32. 1. 824;7 avril 1857, S., 57.1. 527, D. 57. 1.362; 30nov. 1897, D.,98.1. 189. Toulouse, 18 déc. 1874 précité et la note. Bor- deaux, 31 déc. 1895, D., 97. 2. 97. - Troplong, n. 697 et 698 ; Marcadé, Rev. criL, lU, p. 553; Aubry et Rau, loc. ciL, -Gpr. Cass., 15 janvier 1894, S., 95. 1. 89, et la note de M. Albert Tissier. V. aussi la note dans Sirey, 78. 1. 469.

n Cass., 5 janv. 186i, S., 61. 1. 85, D., 64. 1. 41. - Aubry et Rau, loccit.; Guilloaard, n. 293. V. cep. en sens contraire, C. civ. ail., art, 218.

C) Cass., 4 mars 1878, précité. Toulouse, 18 déc. 1874, précité. Mar- cadé, sur Tari. 2248, n. 2, V. en sens contraire G. civ. ail., art. 218. Gpr, SaleiUes, op. cit., p. 321, note sur Tart. 218, § II.

{*) Grenoble, 6 mai 1854, D., 56. 2. 124.

412 DE LA PRESCRIPTION

rigoureusement l'article 1273 et par suite on ne présumera pas la volonté de nover.

553 bis. Il serait d'ailleurs, à notre avis, plus exact de formuler autrement et d'une façon plus large la distinctioD.il s'agit en réalité de rechercher si les motifs qui ont fait éta- blir la courte prescription existent ou non encore après l'acte interruptif . Si ces motifs n'existent plus, c'est la pres- cription de droit commun qui doit désormais seule fonction- ner. C'est ainsi que dans les cas de l'article 2274, nous ver- rons qu'on fait courir la prescription de trente ans après l'interruption de la courte prescription qui courait aupara- vant. En matière de délits spéciaux soumis à de très courtes prescriptions, si des poursuites ont été exercées et ont inter- rompu la prescription, la jurisprudence décide que la pres- cription nouvelle est celle de trois ans et non la prescription exceptionnelle qui courait avant l'acte interruptif. Nous avons décidé de même en matière de prescription conven- tionnelle que l'interruption de la courte prescription établie par la convention devait, en général, à raison du but de cette courte prescription, amener l'application, après l'acte interruptif, de la prescription ordinaire. Il a été encore jugé avec raison, à ce point de vue, que la prescription de quarante-cinq jours établie par la loi du 31 juillet 1895 en 'matière d'action exercée par l'acheteur d'un animal atteint de maladie contagieuse faisait place, en cas de reconnais- sance parle vendeur, de sa responsabilité, à la prescription de droit commun (*).

554. Dans l'hypothèse d'une dette ordinaire soumise à la prescription de trente ans et qui viendrait à faire l'objet d'un billet à ordre, il semble logique de décider, à l'inverse de la règle posée plus haut, que la prescription nouvelle sera plus courte que l'ancienne et sera de cinq ans (*). Au sur- plus, il y a surtout une question d'interprétation.

(») Trib. Dijon, 31 déc. 1901, S., 1902. 2. 249. (*; Marcadé, loc. cit. V. cep. Hue, XIV, n. 406.

DE l'l\TERRUPTION DE LA. PRESCRIPTION 413

§ II. A quelles personnes s'étend V interruption

de la prescription

555. L'interruption naturelle profite à tout intéressé. En effet elle produit toujours ce résultat, que non seulement en droit, mais encore en fait, celui qui avait commencé à pres- crire ne se trouve plus dans les conditions requises par la loi pour que la prescription puisse avoir lieu : tout intéressé peut se prévaloir de ce fait. Ainsi un voisin qui avait com- mencé à prescrire la propriété de mon fonds a cessé de posséder ce fonds depuis plusd*un an par suite du fait d un tiers qui s'en est emparé. L'interruption de prescription qui résulte de cet état de choses, existe erg a omnes ; je pourrai donc m'en prévaloir, s'il y a lieu, contre l'ancien possesseur, par exemple si, prétendant que la prescription s'est accom- plie à son profit, il vient plus tard exercer contre moi l'action en revendication du fonds qui se trouve aujourd'hui entre mes mains.

556. L'interruption naturelle a donc un caractère de réalité ; elle opère in rem, c'est-à-dire generaliter. Au contraire, l'interruption civile est personnelle: elle ne profite qu'à celui dentelle émane, et ne nuit qu'à celui contre qui elle a été dirigée. La raison en est que l'interruption civile résulte d'un acte juridique, et les effets des actes juridiques se concen- trent ordinairement entre les personnes qui y ont été parties. Il ne s'agit plus ici d'une interruption résultant d'un fait, et par conséquent de la nature même des choses (interruption naturelle), mais bien d'une interruption purement juridique dont les effets sont nécessairement relatifs comme l'acte qui les produit (*). Notre ancien droit avait ainsi exprimé ce principe : De persona ad personam non fit interrtiptio

(')Cass., 15 avril 1828, S. chr., D. Rép., v Prescr,, n. 630 ; 28 nov. 1831, S., 32. l. 24, D. Rép., V Prescr,, n. 656 ; 4 avril 1838, S., 38. 1. 306, D. nèp., toc. cil., n. 619 ; 14 mars 190J, D. 1900. 1.525 ; 30 déc. 1901, Pand. fr., 1904. 1. 226. Golmar, 18 janv. 1859, S., 59. 2. 382. - Dunod, p. 61 et 62 ; VazeUlc, n. 232 ; Troplong, n. 611 et 6Z7 ; Aubry et Raii, éd., II, p. 520, S 215 ; Uurent, X>C^II, n. 115 ; Lei-oux de Bretag^ne, n. 540 s., 552 s.

414 DE LA PRESCRIPTION

civilis ; et Dunod disait : « rinterruption civile ne se fai- sant que par une espèce de fiction, elle n'empêche pas la continuation de la possession sur laquelle la prescription est fondée, ce n*est qu'un acte civil, et les actes de cette espèce ne servent qu'à ceux qui les font. » Ainsi, par exemple, la revendication contre celui à qui l'usurpa- teur d'un fonds a vendu ce fonds n'a pas d'effet contre le vendeur et n'interrompt pas l'action personnelle dont il est tenu ; l'action en réclamation de droits de vaine pâture ne produit pas d'efiets contre les propriétaires qui n'ont pas été mis en cause (*). La prescription de l'hypo- thèque étant interrompue par le créancier, la prescription de la propriété n'en continue pas moins à courir au profit du possesseur. Des poursuites judiciaires exercées contre des habitants d'une commime n'ont pu interrompre la prescrip- tion commencée par la commune elle-même (*). Il faut seu- lement rappeler que la reconnaissance faite par celui qui possède peut entraîner précarité de la possession et que c'est un vice absolu pouvant être invoqué par tous les intéres- sés (^). Il faut rappeler aussi que d'ime façon générale la reconnaissance faite par le débiteur du droit du créancier peut être invoquée par celui-ci alors même qu'elle résulte d'un acte auquel il n'a pas été partie (*).

557. La règle que les effets de l'interruption ne s'étendent pas d'une personne à une autre s'applique sans qu'il y ait à tenir compte de la communauté d'intérêts, de la copro- priété ou de l'indivision, ou à plus forte raison de l'analo- gie de situation qui peut exister entre plusieurs personnes (*). Il en est comme de la chose jugée, qui est strictement res- treinte aux personnes entre lesquelles le jugement a été rendu. Il a été jugé récemment qu'au cas de dette de deux

(») Sur ces deux hypothèses voy. Cas-*., 4 arril 18Î8, précité ; 19 nov. 183<, S., 38. 1. 1001 Laurent, XXXII, n. Itô ; Leroux da Bretagne, n. 510.

(•) Cass., 10 mars 1865, S., 65. 1. 261.

(») V. supra, n. 266 et 316.

(♦) V. supra, n. 528 s. (*) Pothier, n. 51 et 55 ; Troplong, n. 651 et s. - V. cep. Bourges, 28 juin 1825, P. chr., D. Rép , vo Prescr,, n. ùM,

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 415

époux au profit de leur enfant, la reconnaissance faite par Tun n'interrompt pas la prescription qui court au profit de l'autre (') (V. infra, n. 571 s.).

558. L'article 2240, que nous reproduirons tout à Theure, consacre implicitement Tune des applications les plus impor- tantes du principe que nous venons d'établir. L'interpella- tion émanée d'un héritier n'interrompt la prescription qu'en sa faveur, par conséquent pour la part qui lui appartient, et non en faveur de ses cohéritiers.

On a soutenu le contraire dans notre ancien droit. « Si, pour un droit appartenant à plusieurs personnes en com- mun, un seul agissait pour le tout, sa demande interrom- prait la prescription pour la totalité. Chacun de ceux qui possèdent un droit par indivis est réputé procureur fondé des autres et il peut agir pour la totalité (*).)»Mais cette solu- tion, qui était d'ailleurs combattue par Dunod, ne saurait être soutenue sous le code ci\'il. On a jugé très exactement en ce sens « qu'il est de principe que l'interruption civile ne profite qu'à celui dont elle est émanée : cette règle ne souffre exception que dans le cas de solidarité et d'indivisibilité : la loi laisse a chacun le soin de veiller à la conservation de ses intérêts qui sont entièrement distincts et indépendants de ceux de ses cohéritiers ('). »

559. En sens inverse, l'interpellation dirigée contre un liéritier n'interrompt la prescription que contre lui, non con- tre ses cohéritiers qui n'ont pas été touchés par l'acte d'in- terpellation. Cette conséquence de notre principe était admise par Dunod et Pothier. On demande, dit Dunod, si l'interrup- tion faite avec l'un des cohéritiers, nuit aux autres ; la néga- tive est fondée lorsqu'il s'agit d'une obligation personnelle ; car ils ne sont pas obligés correi debendi; comme ils ne sont tenus chacun que de sa part personnellement, les dettes de l'hoirie se di\isent de plein droit, et l'on ne peut demander

(•) Gass., 6 août 1894, S., 94. 1. 416. - V. cep. Nîmes, 26 juill. 1853, S., 53. 2.688.

(*) Chabrol, sur l'art, 218 de la coutume d'Auvergne. Cpr. G. civ. Bas- Canada, art. 2230, ai. 3, et art. 2231, al. 7 et 8.

(') Pau, Il mars 1861, D., 61. 2. 95. Troplong, n. 649. V. G. civ. esp., art.. 1974 ; G. civ. port., art. 555.

416 DE LA PRESCRIPTION

d Tun d'eux que sa portion virile. » Mais cette solution était rejetée par d'autres auteurs, qui admettaient que l'interrup- tion civile, opérée ou subie par l'un des héritiers, profite ou nuit à tous les autres. On fondait cette décision sur l'existence d'un prétendu mandat, en vertu duquel les héritiers se re- présenteraient respectivement au point de vue des inter- ruptions de prescriptions. « Il en est des héritiers du débi- teur, écrivait Chabrol, comme des coobligés mêmes, tant qu'ils n'ont pas fait le partage. Us sont censés mandataires les uns des autres à cet égard. Ainsi l'interruption faite contre l'un est réputée faite contre la succession même. » Il suffit de répondre que ce mandat ne pourrait être qu'un mandat légal, et par suite il est impossible de l'admettre dans notre droit actuel en Tabscnce d'un texte de loi qui l'établisse (*).

De même au cas de plusieurs colégataires, l'acte interruptif de la prescription signifié par l'un d'eux ne peut profiter aux autres.

560. Le mandat que notre ancien droit admettait à tort entre les cohéritiers existe, d'après une opinion assez géné- ralement admise, quoique contestable, entre les créanciers solidaires et les débiteurs solidaires. Le code civil dispose, dans tous les cas, que l'interruption civile provenant du fait de l'un des créanciers solidaires, profite aux autres ; d'après l'article 1199 « tout acte qui interrompt la prescription à l'égard de l'un des créanciers solidaires, profite aux autres créanciers (*). »

!S6i. De même, en sens inverse, l'interruption civile, résul- tant d'une interpellation dirigée par le créancier contre l'un des débiteurs solidaires, ou de la reconnaissance faite par l'un des débiteurs, nuit aux autres (*). « U interpellation faite y

0) Paris, 8 juin 1825, S. chr., D. lîc/)., v> Prescr,^ n. 630. Limoges, 8 janv. 18 )i^, S., ,19. 2. 263, D. Rép., loc. cit. - Pau, Il mars 1861, D., 61. 2. 95. Pothier, Obliff.^ n. 637, el Prescr,, n. 55 ; Dunod, p. 59 ; Vazeille, n. 213 el 219 ; Troplong, n. 6i9 ; Aubry et Hau, éd., n, p. 522, § 215 ; Uu- rent, X?C?C[I, n. 117 et 143; Marcadé, iijo. criL, l, p,533 ; Guillouard, n. 267. G. civ. Bas-Ganadi, art. 2231, al. 3. Contra Bourges, 28 juin 1825, D. Bép.fV" Prescr,, n. 631. G. civ. esp., art. 1974 ; G. civ. port., art. 555.

(*) Gpr. G. civ ital., art. 2131 ; G. civ. esp., art. 1974 ; G. civ. port., art. 558; G. civ. hoU., art. 2022. —V. cep. G. civ. ail., art. 429.

(') G;)r. G civ. i lai , art. 2130; G. eiv. esp., art. 1971; C. civ. port-,

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 417

« conformément aiix articles ci-dessus, à Viin des débiteurs « solidaires^ ou sa reconnaissance, interrompt la prescription « contre tous les autres, même contre leurs héritiers », dit Tarticle 2249 alinéa 1 (*).

L'article 1206 avait déjà dit que « les poursuites faites contre l'un des débiteurs solidaires interrompent la pres- cription à regard de tous. » Notons que Pothier expliquait cette règle sans faire intervenir l'idée de mandat. « Le droit que j'ai^ disait-il, contre plusieurs débiteurs solidaires est un seul et même droit personnel qui réside dans ma per» sonne. C'est pourquoi, en interpellant Tun des débiteurs, j use de mon droit pour le total et j'interromps le temps de la prescription, non seulement contre le débiteur que j'ai inter- pellé, mais contre les autres, car, le droit que j'ai contre eux n'étant pas un droit différent, mais précisément le droit même que j'ai contre le débiteur interpellé, en usant pour le total du droit que j'ai contre lui, j'ai usé de celui que j'ai contre eux ('). )► Dunod faisait au contraire appel à Tidée de mandat pour expliquer la solution ; « comme on peut exiger la dette d'un seul, l'interruption peut se faire avec lui par une juste conséquence, comme étant chargé du mandat des autres ('). »

562. La règle doit s'appliquer à toute reconnaissance interruptive faite par l'un des débiteurs. Il en sera ainsi, le texte ne distinguant pas, même si cette reconnaissance aboutit à substituer à une courte prescription qui courait une pres-p cription plus longue (*).

art. 554 el 555 ; C. civ. holl., art. 2120 ; Code féd. oblig., art. 155; Code Mon- lén., art. 951. V. cep. C. civ. ail., art. 425 ; Lehr, Élém. de dr. civil scan-^ dinave, n. 343.

C) Sur Tapplication de la règle au cas d'obligralion de la femme commune en biens avec rautorisalion du mari (aii. 1419 C. civ.), voy. Gass., 16 juill. 1902; D., 1903. 1. 401, et la note de M. Capilant. ^Sur l'applicalion de la règle aui codébiteurs de lettre de change tenus solidairement, V. Cass., 19 mai 1881, S.^ 84. 2. 105. - V. cep. Paris, 26 juin 1853, S., 59. 2 337. - Aix, 28 mai 1872, S., 74. 2. 279. - Orléans, 20 mai 1898, Gaz. Pai., du 14 juin 1898.- V. aussi la note de .M. Lyon-Gien sous Paris, 11 déc. 1833, S., 84. 2. 105.

n Pothier, Oblig., n. 698. V. aussi Troplong, n. 631.

{') Dunod, loc, cil. V. Guillouard, n. 26J. V. d'ailleurs en sens con- traire, pour le droit allemand, Crome, op. cit., p. 519, § 116.

(*) Rouen, 5 mars 1842, S., 42. 2.318, D. Rép., V Prescr., n. 623. - Conlrà,

PRESCR. 27

418 ' BE PRESCRIPTION

663. Il faut ajouter d'ailleurs que la reconnaissance sous seing privé émanée d*un des codébiteurs solidaires ne peut être opposée aux autres comme interruptive de prescription qu'autant qu'elle a acquis date certaine (*).0n a objecté que les codébiteurs solidaires ne sont pas des tiers, parce qu'ils se représentent les uns les autres ; mais cette idée de man«> dat est, à notre avis, arbitraire, et en principe, les codébi- teurs ne se représentent pas ; TeSet des actes de chacun d'eux ne s'étend aux autres que dans les cas et dans la mesure strictement déterminés par la loi. On a objecté à un autre point de vue que l'article 1328 ne protège que les ayants cause à titre particulier des signataires de l'acte ; mais 'C*est une idée trop absolue ; d'ordinaire, sans doute, il en est ainsi ; mais dans les cas exceptionnels des tiers qui ne sont pas des ayants cause d'une des parties y ont intérêt, ils peuvent invoquer l'article 1328; nous verrons qu'il en est ainsi du propriétaire à qui le possesseur oppose la prescrip- tion décennale basée sur un titre constaté par un acte sous seing privé sans date certaine. V infray n. 677.

664. La combinaison des règles que nous avons étudiées sur l'effet de l'interruption de la prescription entre cohéritiers et entre codébiteurs solidaires explique facilement les solu- tions de l'article 2249 relativement au cas l'un des codébiteurs solidaires vient à mourir, laissant plusieurs héritiers. « L interpellation faite à l'un des héritiers dnn « débiteur solidaire, ou la reconnaissance de cet héritier, nin- « terrompt pas la prescription à Fégard des autres cohéri- « tiers, quand même, la créance serait hypothécaire , si l'obli' gation n'est indivisible. Cette interpellation ou cette rec onnaissance n^ interrompt la prescription, à l'égard des 4 autres codébiteurs, que pour la part dont cet héritier est tenu. Pour interrompre la prescription pour le tout, à regard des autres codébiteurs, il faut r interpellation faite « à tous les héritiers du débiteur décédé, ou la reconnais*

M. Colin, op. cil., p. 269 ; Laurent, XVII, n. 309 ; Aubry el Rau, A* éd , IV, p. 30 ; Hue, XIV, n. 412.

(*) Bordeaux, 23 déc. 1861, S., 62. 2. 319. Conlrà, Leroux de Breta^e, n. 457 ;Guillouard, 1, n. 370 ; Hue, XIV, n. 413,

DE l'lSTEBRUPTION DE LA PRESCRIPTION 4i9

K mnce de tous ces héritiers. » De même, nous dirons que l'interruption faite au profit de l'un des héritiers d*un. créan- cier solidaire n'interrompt pas la prescription quant aux autres héritiers de ce créancier ; et, pour les autres créan- ciers solidaires, ils ne peuvent se prévaloir de la prescrip- tion que pour la part de cet héritier dans la créance (*).

565. Aux termes de larticle 2250 : « L'interpellation « faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance, inter^ « rompt la prescription contre la cautionij). » C'est une nou- velle exception à la règle Interruptio civilis non fit de per- sona êd personam ; elle est difficile à justifier et peu en har- monie avec le principe de l'article 2034 du code civil, d'après lequel l'obligation résultant du cautionnement s'éteint par les mêmes causes que les autres obligations ('). Bigot-Préa- meneu, reproduisant un des motifs avancés par Pothier, a dit que l'obligation accessoire de la caution dure autant que l'obligation principale et il conclut que « dès lors la caution ne peut opposer la prescription qui aurait été interrompue contre le débiteur. » Ce motif est bien peu exact ; l'obli- gation, quoique accessoire, est distincte et séparée. Dunod disait très bien que « comme ce sont réellement deux obli- gations et que l'accessoire peut en ce cas être séparé du principal, l'opinion régulière et la plus commune est que 1 interruption ne nuit pas à la caution. »

566. Il faut donc bien se garder d'étendre notre disposi- tion en dehors de ses termes. Nous en concluons que l'inter- pellation faite à la caution n'interrompt pas la prescription à l'égard du débiteur principal. Et, comme l 'obligation de la caution ne peut pas subsister quand celle du débiteur prin- cipal est éteinte, il en résulte que la caution pourra se pré-

(') Gpr. G. civ. ilal., arl. 2130 ;Ci. civ. Bas-Canada, arl. 2230, al. 3 el art.2231, M. 3.

(•)Gpr.C. civ. ilal., art. 2132 ; G. civ.esp., arl. 1975 ; G. civ. port., art. 556 ; G. civ. holl.,arl. 2021 ; G.féd. oblig., art. 155.

(') Pothier admettait la règle qui a passé dans le Gode civil {Obliff,, n. 698). Mais elle était combattue par Dunod, p. 60. V. aussi Aubry et Rau, 5' cd., II, p. 523, § 215, note 65 ; Laurent, XX:>CII, n. 151 ; Guillouard, I, n. 273. - V. cep. Hue, XIV, n. 414.

420 DE LA PRESCRIPTION

valoir de la prescription accomplie au profit du débiteur (M-

567. En matière indivisible, qu'il s^agisse de droits réels ou personnels, l'interruption de prescription opérée par ou contre un des intéressés profite ou est opposable aux autres (V. art. 709 et 2249, al. 2 C. civ.) («). C'était la solution admise par nos anciens auteurs, bien que quelques-uns paraissent ne viser que la possession d'un droit réel indivi- sible. On considérait que, l'objet ne pouvant être en partie, la prescription qui était interrompue contre un des débiteurs ou possesseurs devait l'être contre les autres. L'interruption produira même ici des effets plus étendus qu'au cas de solidarité ; il suffira qu'elle émane d'un seul parmi les héritiers d'un des intéressés ou soit dirigée contre lui pour avoir un effet absolu.

568. Il ne faudrait pas d'ailleurs appliquer cette règ-le dans toutes les hypothèses prévues par l'article 1221 du code civil ; dans ceux des cas prévus par ce texte il ne s'agit pas d'obligations nées indi\'isibles, l'interruption produite à l'égard d'un des héritiers n'empêchera pas la prescription de courir au profit des autres. La question est seulement de savoir si l'héritier vis-à-vis duquel la prescription aura été interrompue sera tenu de toute la dette ; nous pensons qu'il n'est tenu que pour sa part et que le créancier devra déduire la part des débiteurs au profit desquels la prescription s'est accomplie. Il en sera notamment ainsi dans le cas d'un héri- tier détenteur d'un bien hypothéqué à la dette; il ne sera pas tenu de toute la dette et pourra faire déduire les parts de ceux de ses cohéritiers qui auront bénéficié de la pres- cription. L'héritier ne doit pas être considéré comme repré-

(«) Sic Duranlon, XXI, n. 283; Marcadé, sur Tart. 2250, n. 2; Aubry el Rau, éd., II, p. 529,§ 215; Laurent. XXXlï, n. 152; Labbé, note dans Sirey, 87. 1,5; Hue, XIV, n. 414; Guillouard, loc. cil. -^ Contra, Vazeille, n. 256; Troplong, n. 635 ; Larombière, Oblig., sur l'art. 1206; Leroux de Bretagne, n. 578. V. supra, n. 106 et 108 bis.

(») Gass., 12 juill. 1869, S., 70. 1.82, D , 63. 1. 498.- Guillouanl, n. 271. Cpr.God. civ. Bas-Canada, art. 223), al. 2, et art. 2231, al. 2; Cod. féd. oblig., art. 155. V. la critique de celte règle dans Laurent, XVIÏ, n. 423, et dans Golrnet de Sanlerre, V, n. 161 bis, I. Sur Tapplication de la règle en matière de droits d'usage, voy. Gass., 23 juill. 1863, S., 61.1.20; 11 juiU. 1891, S.,9U 1.443. - Pau, 15 janv. 1836, S., 96.2.298, D., 97.2.105.

DE l'iMERRUPTION DE LA PRESCRIPTION 421

sentant le défunt pour toute la dette ; il n'est tenu comme représentant que pour sa part ; il ne doit le surplus que comme détenteur du bien hypothéqué (*).

568 bis. La Cour de cassation a récemment jugé que la taxe des honoraires d'un notaire est indivisible de sa nature, portant sur Tacte entier, étant une et absolue, et ne pou- vant être recommencée sur la demande d'une autre partie ; le résultat de la demande de taxe est opposable à tous les intéressés, et, par suite, chacun peut se prévaloir de Tinter- ruption de prescription qui en est la conséquence quant à laction en restitution des honoraires exagérés indûment perçus (*) ; nous verrons plus loin que la prescription de cette action est de deux ans à partir du paiement ou règle- ment. (V, infra, n. 739).

Cette solution a été l'objet, de la part de notre savant col- lègue, M. Wahl, de critiques qui nous paraissent exactes. La demande en taxe n'est pas indivisible ; elle a pour objet de fixer une dette d'argent ; on ne peut admettre le carac- tère absolu de la décision rendue sur la demande en taxe formée par une seule partie sans heurter le principe de Teffet relatif des jugements et des actes juridiques. D'ail- leurs, la taxe fût-elle indivisible, que la demande en resti- tution ne l'est certainement pas, et on ne voit pas comment l'interruption de la prescription dont profite une des par- lies, peut, à cet égard, profiter aux autres (^).

669. Il est généralement admis que la demande en garan- tie formée par le défendeur interrompt au profit du deman- deur la prescription de l'action qu'il aurait pu lui-même exercer contre celui qui est assigné en garantie (*).

(*) V. dans ce sens Polhier Oblig.^ n. 697 ; Dunod, p. 59 ; Troplong, n. 659; Marcadé, sur Tari. 2249, n. 1 ; Leroux de Brelagrne, n. 571 ; Colmet de San- lerrp, V, n 161 bU, III; Laurent, XXXII, n. 150 ; Guillouard, n, 272.— C. civ. Bas-Canada, art. 2231, al. 3. - Cpr. Cass., 12 fév. 182^. S. chr., D. JJep., V* Prtscr., n. 633. Contra Vazeille, n. 244; Aubry et Rau, éd., II, p. 528, 5 215, et 4* édil., IV, p. 59.

0)Gass., 18 juin 1894, S., 96. 1. 273.

('; V. la note de M. Wahl, sous Cass., 18 juin 1894, précité.

(♦) Cass , 16 fév. 1820, S. chr., D. Rép,, Prescr., n. 646 ; 27 mars 1832, S., 32. 1.650, D.iicp., (oc. cie. ; 13 janv. 18^0, S., 91. 1. 49. Vazeille,

422 DE LA PRESCRIPTION

570. On admet aussi généralement que Tinterruption de prescription faite par le nu-propriétaire contre le possesseur profite à Tusufruitier et que Tinterruption faite par l'usu- fruitier profite au nu propriétaire (*). Dans l'un et Tautre cas, l'interpellation ' adressée au possesseur implique con- tradiction à la prétention de ce possesseur dans son entier ; quant à lui, Tusufruit et la propriété ne constituent pas deux possessions séparées ; s*il est interpellé quant à Tune, il Test quant à Tautre ; sa prétention n*est pas divisée ; con- tester sa propriété, c'est contester sa jouissance et récipro- quement. Laurent dit très bien : Le droit dont la pres- cription est interrompue ne comporte pas de division ; c'est le droit de propriété en son entier qui se prescrivait, c*est le droit en entier dont la prescription a été interrompue. » Mais rinterruptîon signifiée au possesseur de l'usufruit ne peut produire d'effets quant à celui cpii possède comme proprié- taire (*).

Il est certain que l'interruption de prescription qui serait faite par un créancier gagiste ou antichrésiste quant au gage dont il est nanti, profite au propriétaire, si c'est le droit du propriétaire qu'il s'agit de conserver ; l'interrup- tion ne peut servir au créancier que si elle sert au proprié- taire (^). Ajoutons enfin que, dans la théorie communément suivie, on enseigne que l'interruption de prescription opé- rée contre l'héritier apparent ou à son profit est opposable ou profite à l'héritier véritable (*).

n. 236 ; Troplong, n. 642; Leroux de Brelagne, n. 570; Aubry et Rau, édil., II, p. 524, § 225 ; Laurent, XXXII, n. 156 ; Guillouard, n. 274.

(») Troplong, n. 656; Aubry et Rau, 5* édit.,IIp.525, § 215; Laurent, XXXII, n. 157 ; Proudhon, Usnfr,, n. 2160 ; Guillouard, I, n. 275 ; Hue, XIV, n. 410.

\*) Troplong, n. 654.

(^) Aubry et Rau, loc. cil, ; Laurent, XXXII, n. 158 ; Hue, XIV, n. 410 ; Guillouard, n. 276.

(♦) Vazeille, n. 249 ; Troplong, n. 650 ; Aubry et Rau, hc, cit. ; Guillouard, I, n. 277. Cpr. Gass., 10 mai 18il, D., 41. 1. 240. ContrtL Uurenl, XXXII, n. 159. V. encore Hue, XIV, n. 411.

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION 423

§ III. A quels droits s'étend V interruption

de la prescription.

571. On disait dansTancien droit : Non fit interruptio de re ad rem nec de quantitate ad quantitatem. Et Dunod écrivait dans ce sens : « L'interruption civile n*opère pas régulièrement d'une obligation ou d'une action à une autre. »

Ce principe comporte des applications évidentes qu'il est à peine besoin d'indiquer. Il est clair que, si je possède un champ dans les conditions requises pour prescrire, et que celui qui prétend en être propriétaire m'enlève la possession d'une moitié de ce champ et la possède lui-même pendant plus d'une année sans que j'intente Taction possessoire, la prescription sera interrompue pour la partie du champ que je ne possède plus, mais non pour l'autre que je possède toujours.

De même si, créancier d'une même personne pour deux dettes distinctes, je forme contre elle une demande en justice pour Tune des deux dettes seulement, la prescription de l'autre ne sera pas interrompue.

Mais il y a des cas plus douteux. La règle a besoin d'être bien précisée et elle comporte des restrictions.

572. Nous disons d'abord que, dans le cas de deux actions provenant de rapports juridiques différents entre les mêmes personnes, l'interruption de la prescription d'une des actions n'a aucun efifet sur la prescription de l'autre.

La jurisprudence nous fournit plusieurs applications de cette idée qui, en elle-même, n'a pas besoin de justification. L'action exercée en vertu d'un testament ne peut interrompre la prescription de l'action en partage des biens légalement dévolus ab intestat au demandeur (*), ou l'action en réduc- tion que celui-ci peut intenter comme héritier réservataire (*).

(») Nimes, 6 mare 1832, S., 32. 2. 924. Douai, 13 janv. 1865, S., 66. 2.61. Vazeille, n. 232; Troplông, n. 66i ; Aubry et Rau, éd., II, p. 519, § 215 ; Uurent, XXXll, n. 141; Guillouard, n. 223.

(«) Troplông, n. 671 s.

424 DE LA PRESCRIPTION

L'action exercée en qualité d'héritier ab intestat n'interrom- prait pas non plus à l'inverse l'action qu'on pourrait exercer comme héritier testamentaire (*). L'action en revendication n'interrompt pas la prescription d'un droit d'usage (*). L'action en bornage ou en observation de distances pour la plantation de bornes n'interrompt pas la prescription acquisitive qui court au profit du possesseur ('). Il en serait de même d'une action possessoire (*).

573. Lorsqu'un même rapport juridique donne ouverture à deux actions^ une action personnelle et une action réelle, et que ces actions sont exercées séparément contre deux person- nes différentes, l'interruption de la prescription de l'une ne peut encore avoir d'effet sur la prescription de Tautre. Par suite, la prescription de l'action personnelle peut être inter- rompue, tandis que la prescription de Taction réelle contre le tiers détenteur de Ijnmieuble hypothéqué continue à cou- rir (*)♦ Inversement, l'interruption de l'action contre le tiers détenteur n'empêche pas la prescription de courir pour l'ac- tion personnelle ; et, celle-ci une fois éteinte, Taclion hypo- thécaire cesse aussi par une conséquence forcée (*).

L'action en nullité ou en résolution exercée contre un acquéreur ne peut interrompre la prescription qui court au profit d'un tiers détenteur ("). Réciproquement l'action exer- cée contre le tiers détenteur ne peut interrompre la pres- cription de l'action résolutoire pour défaut de paiement du

(') Troplong, n. 665 et 666, - V. Cass., 3 août 1863. S., 63. 1. 541, D., 63. 1. 363.

(«) Dijon, Il déc. 1843, D., 45. 5. 292. Uurenl, XXXII, n. 83; Leroux de Bretagrne, n. 539,

(') Cass,, 10 mars 1878, S., 75. 1. 310, D., 75.1.109.

(♦) Dunod, p. 61 ; Troplong, n. 668.

(') iTe tiers détenteur ne peut d'ailleurs opposer que la dette est prescrite s'il y a eu reconnaissance du débiteur. Agren, 7 déc. 1857, S., 58. 1. 20.

(•) V. Cass , 25 avril 1826, S. chr., D. Rép., V Prescr,, n. 652; 7 nov. 1838, S., 39. 1. 428. - Toulouse, 18 déc. J874, S., 75. 2. 109. Troplong, n. 659 et 660 ; Aubry et Rau, loc. cit. ; Laurent, XXXII, n. 143. V. cep. Greno- ble, 2 juin 1831, S., 32. 2. 622.

(') Cass , 28 nov. 1831, S., 31. 1. 429,D.i?«p., Prescr., n. 656. —Bordeaux, 13 août 1829, reproduit par Troplong, n. 648. Troplong, n. 648, 661 et 662 ; Aubry et Rau, 5- éd., II, p. 520, § 215 ; Laurent, XXXIl, n. 141 et 146. C. civ. Bas-Canada, art. 2231, al. 5.

DE L^NTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION 425

prix ('). Nous croyons aussi qu^au cas de stipulation au profir d'un tiers, l'action en paiement exercée par le tiers n'inter- rompt pas la prescription de l'action résolutoire du stipu- lant (*).

574. Enfin il peut arriver qu'une personne ait contre une autre deux actions procédant d'un même rapport juridique. Ici encore, la règle est que l'exercice de Tune n'interrompt pas la prescription de l'autre ('), Mais il faut pour cela que les deux actions, quoique procédant d'un seul rapport juri- dique, se rattachent en réalité à deux droits différents ; car il nous parait exact de dire avec Laurent que la règle tradi- tionnelle non fit interruptio de re ad rem ne s'applique pas au cas un droit unique donne lieu à deux actions contre la même personne. Dans les cas la jurisprudence a refusé d'étendre les effets de l'interruption d'une action à une autre, il s'agissait de droits différents. Ainsi la prescription de l'ac- tion en reddition d'un compte de tutelle n'est pas interrom- pue par l'exercice de l'action en nullité d'un traité contraire aux exigences de l'article 472 du code ci\dl (*).

575. Mais l'exercice de Faction dont le succès est subor- donné à l'annulation d un titre interrompt, à l'inverse, la prescription de l'action en nullité de ce titre. Ainsi, la demande en reddition d'un compte de tutelle interrompt la prescription de l'action en nullité de l'article 472 (*) ; la demande en partage interrompt la prescription de l'action en nullité d'un partage déjà fait ou d'une cession de droits successifs faite antérieurement ou de la vente d'un bien héréditaire faite pendant la minorité du demandeur sans l'observation des formalités légales (').

(') Gass., 25 janv. 1831, cité par Troplong, n. 609. —V. aussi Troplong, n. 609 el663.

(*) CoTiira, Chambéry, !•' juill. 1903, La Lot du déc. 1903. V. aussi les observations de M. Demogue, iievue irim, 190 i, p. 187.

(') Gass., 21 avril 1863, S.. 63. 1. 303, D.. 63 1. 46. Vazeille, n. 225 s. Troplongr, n. 658 s. ; Aubry et Rau,.5- éd.. Il, p. 518, § 215 ; Laurent, XXXIl, n. 89, 137 s. Cpr. Pau, 25 janv. 1831, S., 31. 2. 252. - Nîmes, 6 mars 1832, S. 32. 2. 324.

(*)Gas9., mai 1850, S., 50. 1. 5i2, D., 50. 1. 151. - Aubry et Hau, loc, cit. ; Laurent, XKXll, n. 88 ; Leroux de Bretagne, n. 538.

(»)Gas9., 5 juin 1850, S., 50. 1. 714, D., 50. 1. 186.

(•) Gass., 2 mars 1837, S., 37. 1. 985, D., 37. 1. 280. Montpellier, 21 nov.

426 DE LA PRESCRIPTION

576. Notre règle générale ne s'applique pas, on le voit, dans les cas une demande est virtuellement comprise dans une autre (O-On a jugé à cet égard qu'une action en nullité de partage d'ascendant, bien que ne visant que la lésion et l'atteinte à la réserve, interrompt la prescription de Taction en nullité basée sur l'inégalité des lots ; ce moyen peut être invoqué au cours de l'instance, bien qu'au moment le demandeur s'en prévaut, plus de dix ans se soient écoulés depuis le partage ('). Mais cette solution nous parait peu exacte, et la Cour de cassation s'est prononcée plus récem- ment, dans une espèce analogue, dans un sens diiférent (').

La demande en justice d*une partie d'une créance entiè- rement exigible, impliquant l'affirmation du droit total du créancier, interrompt la prescription par le tout (*).

577 . Une action ayant un caractère universel, judicinm tmiversale, comme une action en partage de succession, com- prend tous les objets faisant partie de l'universalité à par- tager. Ainsi, une demande en partage interrompt la pres- cription pour toutes les réclamations de fruits, et tous les règlements de compte que les copartageants peuvent avoir à trancher (*).

578. La demande en justice formée pour les intérêts d'une dette interrompt la prescription non seulement pour lesdits intérêts, mais aussi pour le capital de la dette. Il en serait de même du paiement des intérê ts ou de la reconnaissance de la dette d intérêts (^). La raison en est que la dette des intérêts implique celle du capital ; en conservant mon droit

1872, S., 73. 2. 47. Leroux de Bretagne, n. 539. V. encore Cass., 23 dov. 1820, S., chr., D. Rép., Prescr., n. 657. V. cep. Cass., 5 déc. 1842, S., 43.1.27, D., 43. 1.124.

(*) Troplong, n. 676 ; Laurent, XXXII, n. 89 et 90 ; Gumouard,n. 223 el 266. V. Cass., 7 janv. 1863, S., 63.1. 121, D., 63. 1. 226.

(«) Cass., 7 janv. 1863, précité. - Laurent, XXXII, n. 89 et 142.

(») Cass., 7 avril 1873, D., 73. 1. 421.

(♦) Cass., Belgique, 28 mars 1901, S., 1902. 4. 7.

(») Cass., 6 déc. 1852, S., 53. 1. 253, D., 53. 1. 50. - Laurent, XXXII, n. 140. V. aussi Bruxelles, 11 mai 1871, D., Rép,,SuppL, y Prescr,, n. 314.

(•) Cass., 15 juin. 1875, S.,77. 1.351,D , 77. 1. 323;12 mars 1883, S.84.1.382, D., 84. 1. 111 ; 19 mai 1884, S , 85. 1. 113,. D., 84. 1. 286.

DU CALCUL DU DÉLAI DE LA PRESCRIPTION 4i7

quant aux intérêts, je le conserve donc nécessairement quant au capital.

Réciproquement, la demande du capital interrompt la prescription, non seulement pour le capital, mais aussi pour les intérêts qui en sont un accessoire (*) ; et même il faut décider que la demande d une partie du capital interrompt la prescription des intérêts du capital entier (*)•

CHAPITRE XIV

DU CALCUL DU DÉLAI DE LA PRESCRIPTION

579. D'après l'article 2260, «la prescription se compte par jours et non par heures ». La prescription se compte par jours, de die ad diem, c'est-à-dire par périodes de vingt- quatre heures de minuit à minuit ; elle ne se compte pas par heures, de hora ad horam. Quelle en est la raison? C'est qu'il eût été très difficile de déterminer exactement l'heure à laquelle une prescription a commencé. Consulte-t-on les actes î Us contiennent la date du jour, rarement celle de l'heure. A-t-on recours à la preuve testimoniale, qui est ici de droit puisqu'il s'agit d'un simple fait ? Ce sera déjà beau- coup que les témoins puissent préciser le jour la pres- cription a commencé, par exemple le jour de l'entrée en possession s'il s'agit d'une prescription acquisitive ; préci- ser l'heure eût été presque toujours impossible (*). D'ailleurs le délai de la prescription est en général assez long pour qu'on ne le calcule pas à une heure près.

Le principe posé par l'article 2260 engendre une double conséquence.

580. La première est formulée par l'article 2261 : « Elle (la prescription) est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli. » Il ne suffit donc pas que le dernier jour

{«) Cass., Belgique, 28 mars 1901, précité ; 26 juin 1902, Pasic, 1902. 1. 295. V. Leroux de Bretagne, n. 537 ; Laurent, XKXH, n. 139.

(*) Cass., Belgique, 28 mars 1901, précité.

(') Sic Laurent, XXXU, n. 350 ; Golmel de Santerre, VIII, sur l'art. 2260, n. 367Jbît, II.

428 DE LA PRESCRIPTION

du terme, dies ad qtiem, soit commencé ; il faut qu'il soit terminé.

Quant à la deuxième conséquence, la loi Ta sous-entendue, laissant à l'interprète le soin de la déduire. On peut la formu- ler ainsi : le jour pendant le cours duquel se place le point de départ de la prescription, dies a qtio, ne doit pas être compté dans, le calcul du délai. Ainsi je suis entré en posses- sion d'un immeuble le 15 janvier à midi ; le premier jour utile pour la prescription, le premier qui comptera sera le lendemain 16 janvier. On ne tiendra pas compte du 45, parce que ce jour-là je n'ai possédé que pendant douze heu- res, soit une demi-journée, et la loi ne veut pas qu'on compte les f Inactions de jours, mais seulement les jours complets, puisqu'elle dit que la prescription se compte par jours. 11 y a l'application d'une règle générale que Dumoulin formu- lait jadis en ces termes consiietudine communiter observa-- tur quod dies a qtio proficitur terminus non computatur in termino (*). »

581. 11 reste à dire pourquoi le législateur a exprimé l'une des déductions de son principe et sous-entendu l'autre.

Sur le premier point, des doutes auraient pu s'élever à raison des dispositions de notre ancien droit, qui établissait la distinction suivante : il faut que le dies ad quem soit accom- pli, s'il s'agit d'une prescription extinctive ; il suffît qu'il soit commencé, s'il s'agit d une prescription acquisitive. Cette dis- tinction était plus subtile que juste ; notre législateur, qui voulait la proscrire, a cru devoir s'expliquer formellement (*).

{*) Sic Cass., 3 mai 185i, S., 5i. l. 479 ; 27 juin 1854, S., 55. 1. 497, D., 55. 1. 261.. Toullier, XIII, n. 54 ; Vazeille, I, n. 317 ; Troplong, H, n. 812 ; Marcadé, sur l'art. 2231, n. 2 ; Aubry et Rau, 5* éd., I, § 49, et H, p. 479, §212, note 2 ,* Leroux de Bretagne, II, n. 726 ; Laurent, XXXII n, 352 ; Guilloaard, n. 83.— V. en ce sens G. civ. esp., art. i960; G. féd. suisse des oblig., art. 150. Wcep. Gass., Belgique, 27 ocl. 1834, Pas,^ 34. 1. 310. Bruxelles, 6juiU. 1833, S., 34. 2. 407. Merlin, Kép., Prescr., secl, II, § 2, n. 5.— Hureaux. Rev, de dr. fr. et étrang,y année 1846, III, p. 278.

(«) Sic Laurent, XXXII, n. 351 ; Golmet de Santerre, VIII, n. 368 bU. V. cep. dans le sens du maintien de la distinction ancienne, Duranlon, X.XI,n.338; mais son opinion est restée isolée. Pour le droit romain, v. L. 6 et 7, D., De usurp. et nsuc, XLI, 3 ; 1. 15, D., De div. temp. prœscr,, XLIV, 3; L 6, D., De oblig. et action., XLIV.7. Pour l'ancien droit, v. Pothier, Prêter.^ n. 102 ; Dunod, p. 115 et s.

Dt' CALCUL DL DÉLAI DE LA PRESCRIPTION 429

« Suivant la loi romaine^ a dit Bigot-Préameneu, lorsque la prescription était un moyen d'acquérir, l'expiration du temps n'était pas réglée de la même manière que quand c'était un moyen de se libérer. Dans le premier cas, lorsqu'il s'agissait d'une prescription de dix ans entre présents et vingt ans entre absents, pour laquelle la bonne foi était exigée, on regar- dait la loi comme venant au secours du possesseur, et il suffi- sait que le dernier jour du temps requis fût commencé pour que la prescription fût acquise. 11 en était autrement lorsqu'il s^agissait de la prescription de libération. Cette prescription était considérée comme une peine de la négligence, et, jusqu*à ce que le dernier jour du temps requis fût expiré, cette peine n'était pas encourue. C'était une distinction plus subtile que fondée en raison. L'ancien propriétaire contre lequel on prescrit un fonds n'est pas moins favorable que le créancier contre lequel on prescrit la dette. »

Au contraire, on admettait sans difSculté dans notre ancien droit que le premier jour du terme, (lies a qno, ne comptait pas dans le calcul du délai de la prescription ; aussi le légis- lateur a-t-il cru pouvoir se borner à poser le principe d'où cette proposition découle, sans l'exprimer d'une manière for- melle

582. On sait que le calendrier en vigueur à l'époque de la confection du code civil était le calendrier républicain. C'était donc d'après le calendrier républicain que devait se faire le calcul des prescriptions établies par le code civil. Cela posé, il y avait certains points de détail à régler à ce sujet. Le législateur l'avait fait dans l'article 2261, ainsi conçu Dans « les prescriptions qui s'accomplissent dans tm certain nombre « de jours, les jours complémentaires sont comptés. Dans ce l^ « les qui s'accomplissent par mois, celui de fructidor coîn^ prend les jours complémentaires, » Un sénatus-consulte du 22 fructidor de l'an XIII, décida que le calendrier grégorien serait rétabli à partir du 1*' janvier 1806. Résultait-il de cette substitution que le délai de la prescription devait se calculer désormais d'après le nouveau calendrier ? On pouvait en douter ; car les termes du sénatus-consulte ne manifestaient pas cette intention. Il n'était pas inutile que le législateur

430 DE LA PRESCRIPTIO.N

s*expliquât;il ne tarda pas à le faire. En 1807,1e gouverne- ment impérial soumit au corps législatif une nouvelle édition du code civil, qui fut décrétée le 3 septembre de cette même année. Or, dans cette nouvelle édition, Farticle 2261 fut supprimé, et pour ne pas changer l'ordre des numéros des articles, on dédoubla l'article 2260, dont la deuxième par- tie est devenue le nouvel article 2261 . De tout cela il résulte que le pouvoir législatif d'alors a implicitement substitué le calendrier grégorien au calendrier républicain pour le calcul du délai de la prescription. Mais nous ne croyons pas qu'il faille donner une portée plus grande à cette innovation ; à notre avis, elle doit se restreindre au domaine de la pres- cription en vue de laquelle elle a été établie, et ne pas être étendue au calcul des délais étrangers à la matière de la prescription.

Le calendrier grégorien servant de base au calcul de la prescription, les mois se comptent de quantième à ({uan- tième, sans égard au nombre de jours dont ils se composent ; ce qui s'applique au mois de février comme aux autres, que Tannée soit ou non bissextile (*). L'article 2261 ancien, que nous avons reproduit plus haut, fournit dans le sens des propositions qui viennent d'être énoncées un argument très sérieux; d'après ce texte, le mois de fructidor comprenait au point de vue de la prescription les jours complémentai- res ; cela prouve bien que les mois ne représentaient pas des réunions invariables de trente jours. Ainsi que le dit M. Col- met de Santerre, « il résulte de cet article que les mois et par conséquent les années constituent des unités dans le cal- cul des prescriptions, et il ne faut pas tenir compte des dif- férences que les inégalités entre les mois et les années appor- teront à la durée réelle des délais. »

583. Les jours fériés comptent comme les autres dans le calcul du délai de la prescription. Cette règle s'applique

(') V. en ce sens Merlin, Rép.^ y* Mois et Jour hUsextile ; Vazeille, l, n. 336 ; Troplong, II, n. 815 ; Aubry et Rau, 5* éd., I, § 49, et II, p. 480, § 212 ; Laurent, XXXll, n. 353 et 354 ; Golmel de Santerre, VUI, n, 367 bis, IV s. ; Planiol, n. 1417; Guillouard, n. 86 et 87. Cpr. Cass., 27 déc. 1811 21 juin. 1818 ; !•' mars 1876, S., 76. 1. 174.

j

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE 431

même lorsque le dernier jour du délai se trouve être un jour férié ; la prescription ne pourrait pas être interrompue le lendemain (').

CHAPITRE XV

DE LA PRE^RIPTION TRENTENAIRE

584. Aux termes de l'article 2262 : « Toutes les actions, « tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, « sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé « d'en rapporter un titre, ou qtionpuisse lui opposer l'excep' « tion déduite de la mauvaise foi. » Ce texte peut être ana- lysé de la manière suivante : Tous les droits en princi2)e sont susceptibles de se prescrire par trente ans, à moins que la loi n'ait fixé un délai plus court. La prescription tren- tenaire n'exige ni titre ni bonne foi.

Nous allons examiner successivement et développer ces deux propositions ; nous étudierons, à propos de la première, la question de savoir si la prescription extinctive de trente ans atteint les exceptions aussi bien que les actions.

SECTION PREMIÈRE

DES DROITS ET ACTIO^XS SOUMIS A LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE

585. Rappelons d'abord que tous les droits sont en prin- cipe prescriptibles. Le mot actions est pris dans l'arti- cle 2262 comme synonyme de droits ; l'article 2219 a précé- demment défini la prescription un moyen d'acquérir ou de se libérer, c'est-à-dire un mode d'acquisition ou d'extinction

(') Cass., 22 juil. 1828, S. chr. - Caen, 12 jrfnv. 1842, S., 42. 2. 530. Vazeille, I, n. 328 et 329; Troplong, II, n. 816; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 480, § 212 et noie 5; Marcadé, sur l'art. 2261, n. 3; Laurent, XXXII, n. 255 ; Guillouard, n.88. La loi du 13 avril 1895 modifiant Tart. 1033 C. proc. civ. et d'après laquelle : Toutes les fois que le dernier jour d'un délai quelconque de procédure, franc ou non, est un jour férié, ce délai sera prorogé jusqu'au lendemain >, est exclu- sivement faite pour les délais de procédure et doit rester étrangère aux délais de prescription. V. »npra, n. 37. - Voy. cep. le Code civil portugais, art. 563.

43i DE LA PRESCRIPTION

des droits. On a soutenu, il est vrai, que la prescription extinc* tive n'atteint les droits que par Tintermédiaire des actions, sauf les droits réels qui s'éteignent par le non usage. Mais cette idée nous paraît peu exacte, et nous préférons dire que les droits s'éteignent tous en principe par la prescrip- tion, qu'ils soient ou non munis d'actions. L'article 1234 dit nettement que les obligations s'éteignent par la prescrip- tion ; il emploie la même formule que les articles 617 (usu- fruit) et 708 (servitudes). (V.5i/pra, n. 24 s., 381 s., et infra, n. 612, 702 s.).

586. Cette règle, que nous avons déjà étudiée et que rap- pelle l'article 2262, établit l'harmonie et l'unité dans une matière qui était singulièrement confuse dans l'ancien droit ; en la combinant avec les règles des articles 2227 et 2251^ on voit que le législateur du code civil a entendu rejeter les multiples distinctions et les nombreux privilèges que l'ancienne législation avait admis.

Tous les droits, quels que soient ceux à qui ils appartien- nent, et ceux contre qui ils sont susceptibles de s'exercer, sont soumis à la prescription au point de vue de leur acquisition et de leur extinction.

Tous les droits peuvent d'abord s'acquérir par prescription si les conditions que nous avons vues plus haut sont remplies. La propriété, les droits réels susceptibles de possession, peuvent donc s'établir par la prescription acquisitive. Mais nous savons que les droits personnels, les créances, les ren- tes, ne peuvent s'acquérir par prescription (*). Une hérédité ne peut être acquise par prescription trentenaire. En matière de pétition d'hérédité, de prescription du droit hérédi- taire (art. 785), de prescription de l'action en partage, il ne s'agit, à notre avis, que de prescription extinctive. Cepen- dant il faut rappeler ici que dans ces trois hypothèses, la solution contraire est soutenue. Dans le cas de l'article 789, la jurisprudence, suivant les traditions de Tancien droit, admet une possession trentenaire de l'hérédité pouvant con- duire à la prescription ; elle fait même rétroagir cette pos-

(•) V. snpra, n. 130, 200 s.

la prescription trëntenaire 433

session au jour du décès pour les héritiers qui ont accepté la succession et s'en sont emparé bien que n'étant pas les plus proches (*). Dans le cas de l'article 816 aussi on paraît bien considérer que les biens formant la masse partageable sont, dans leur ensemble, susceptibles de possession et de prescription acquisitive (*). V. supra, n. 202 et infra, n.652 et 658.

La prescription extinctive atteint aussi en principe tous les droits. Elle s'applique à toutes les créances, à tous les droits réels autres que le droit de propriété, à toutes les actions autres que l'action en revendication. Elle s'applique notam- ment à l'action en pétition d'hérédité f*). Elle s'applique, nous l'avons vu, aux facultés conventionnelles, qui peuvent se perdre par le défaut d'exercice, à la dijfférence des facultés légales qui sont imprescriptibles (*).

587. Le délai de la prescription, ajoute l'article 2262, est en principe de trente années.

Cette règle, dans sa généralité, s'applique à la prescription soit acquisitive, soit extinctive; elle s'applique notamment à la prescription acquisitive des meubles, dans les cas l'arti- cle 2279 n'a pu être invoqué (^).

Elle reçoit de nombreuses exceptions en vertu de disposi- tions législatives qui réduisent la durée du délai de la pres- cription. Mais en aucun cas, la loi n'assigne à la prescription une durée plus longue que trente années. 11 n'y a plus, comme dans l'ancien droit, de prescriptions de quarante et de cent ans, ni de prescriptions immémoriales.

0) V. Cass., 23 janv. 1837, S., 37. 1. 393; 25 mai 1840, S., 40. 1. 625 ; 14 juiU. 1840, S., 40. 1. 590; 29 janv. 1862, S. 62. 1. 337; 28 fév. 1881, S., 81. 1. 343; 20 juin 1898, S., 93. 1. 513. V. au surplus Baudry-Lacantinerie el Wahl, 2- éd., II, n. 1877 et s.

(*)Ga9s., 14 nov. 1871, S., 71.1.217; 12 déc. 1876, S., 79. 1. 452. - V. au surplus Baudry-Lacantinerie et Wahl, op. cil,, n. 2205 et s.

(*) V. le traité Des Successions de MM. Baudry-Lacantinerie et Wahl, 2" éd., I, n. 902 et s.

(*) V. supra, n. 161 s.

l^) D'après le Gode civil allemand (art. 937), la prescription acquisitive en matière

mobilière est de dix ans dans les cas la possession de bonne foi n'a pas, à

elle seule, fait acquérir la propriété. Cpr, G. civ. esp., art. 1955; G. civ. port., art. 532.

PRESCR. 28

434 DE LA PRESCEIPTION

587 ,bi^. Il semble bien d'ailleurs que ce délai de trente ans soit beaucoup trop long, surtout en matière de prescription libératoire, et qu'on pourrait rabaisser à quinze ou vingt ans. On a conservé, par respect pour la tradition, les longs délais qui nous viennent du droit romain ; mais ils ne s'ex- pliquent guère dans notre société actuelle. « Les événements, les intérêts, ni les hommes, ni les communications de la pensée ne marchent aujourd'hui si lentement ('). »

11 est difficile, avec la complexité croissante des affaires, le genre de vie actuel et les déplacements fréquents qu'il comporte, de conserver pendant trente ans les pièces justi- licatives des paiements ; il serait bon surtout de ne pas lais- ser les héritiers d'une personne décédée exposés pendant trente ans à des réclamations dont il leur est, après un si long temps, impossible de vérifier l'exactitude. « Dans l'état actuel des relations sociales, dit M, Dareste, ces délais devraient être forcément abrégés. Les ancieimes ordonnan- ces avaient commencé cette réforme; ne serait-il pas temps de la reprendre et de la compléter ? » (*)

La plupart des législations étrangères ont conservé avissi pour la prescription acquisitive de droit commun le délai de trente ans {^). Mais en matière de prescription extinctive,il en est un grand nombre qui ont admis comme délai normal, celui de dix ans, ou celui de quinze ans, ou celui de vingt ans {^).

(•) Ortolan, Élém, de droit pénal, ô* éd., II, n. 1879.

(*) Daresle, op. cit., p. 16. V. aussi Bélime, Philos, du droit, H, p. 695 ; Guillouard, I, n. 22 s. ; Rossel, Manael du droit fédérRl des oblig., p. 201.

(>) V. C. civ. ilal., arl.2l35; G. civ.eap., art. 1959 ; G. civ. hoU.', art. 2000 ; G. civ. porL, arl. 523 ; G. civ. Zurich, arl. 123 ; G. civ. MonléD., art. 845 ; G. civ. ail , art. 900, 927. Quelques législations ont cependant admis le délai de vingptans pour la prescription acquisitive de droit commun, V. Lehr, Élém. de dr, civil scandin., n. Ii8 s. ; de la Grasserie, Les Codes Suédois, p. 217, V. encore Lehr, Élém. de dr. civil anglais, n. 361.

(*) La prescription exlinctive de trente ans a été admise par le Gode civil hollandais (art. 2004), le Gode civil italien (art. 2115), le Gode civil «llemaDd (art 695). V. aussi G, civ. port., art. 53) ; G. civ. Monién.,ari. 626. Mais elle a été abaissée à quinze ans pour les actions personnelles par le Gode civil espti^nol (arl. 1963) ; elle est de dix ans en Suisse (Gode fédéral des oblig., art. 146)b en Suède (Loi du 4 mars 1862). en Norvège (Loi du 27 juill. 1896); elle est de vingt ans eu iJauemark. V. de la Grasserie, Les codes suédois, p. 212 ; Lehr, Élém.

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE 43{S

Une proposition de loi a été récemment déposée à la Cham^ bre des députés en vue d'abréger les délais de la prescrip- tion ; ce serait une réforme utile (*).

Il serait très utile surtout d'abréger tout spécialement^ à l'exemple de plusieurs législations étrangères, certaines prescriptions particulières, telles que celles des actions en nullité pour incapacité ou rice de consentement, de Taction paulienne, de Faction en réparation du dommage causé par un délit ou un quasi-délit (*),et d abréger aussi, d'une façon plus générale, la durée de la prescription après le décès du débiteur, ou mieux encore de ménager aux héritiers d'une personne décédée une procédure leur permettant de procé- der à une sorte de piurge des créances inconnues de la suc- cession, au moyen d'une publicité et d'un délai imparti au^ créanciers inconnus sous peine de déchéance (^).

De pareilles réformes seraient en vérité, en partie du moins, un retour au très ancien droit. Car la durée de la prescription était très courte chez les peuples primitifs. Cela est vrai surtout de la prescription acquisitive, mais se constate aussi pour la prescription extinctive, dans la mesure plus ou

de dr.civ. scandin., n. 337 s. V. aussi Lehr, Élém. de dr. cit\ anglais, n. 823, el Élém, de dr. civil russe, II, n, 802. Le délai de vingt ans est celui qu'avait admis le premier projet de Code civil de la Convention (liv. 2, lit. 3, art. 117;. C'est aussi celui que proposait Laurent dans son avant-projet de Gode civil belge.

(*) D'après une proposition de loi déposée le 10 décembre 1904 h la Chambre des députés, la prescription de trente ans de rai't.2262 serait réduite à vingt ans; celle de dix à vingt ans des art. 2265 et 2266 serait dans tous les cas de dix an^. L'exposé des motifs insiste surtout sur les inconvénients multiples du long délai de la prescription extinctive, notamment sur la difficulté pour un débiteur de retrouver après de longues années les preuves de sa libération et à plus forte raison celles de la libération des personnes auxquelles il a succédé, et sur les embarras que crée pour les mandataires, dépositaires ou leurs héritiers, la néces- sité de conserver pendant un très long temps, que les causes de suspension peu- vent encore allonger indéfiniment, toutes les pièces et documents établissant leur

libération.

(*) L'action en réparation du dommage causé par un délil ou un quasi-délit se prescrit dans certaines législations par un an (C civ. esp.. art, 1908; C. féd. des oblig., art. 69), dans d'autres par deux ans (C. civ. Bas-Canada, arU 2261 j Lehr, Élém, de dr, civ, angl., n. 823), dans d'autres par trois ans (C. civ. ail., art. 852). Cpr. C. civ. port., art. 53) et 543. V. encore Daresle, loc. cit.

C) V. C. civ. ail., ai-t. 1970 et s. ; loi suédois3 du 28 juin 1895 ; Lehr, Elém. de dr. civil scandin., n. 355 s.

436 DE LA PRESCRIPTION

moins restreinte on Tadmettait. Les délais de prescription se sont allongés avec les progrès de la civilisation, et cela a été sans doute, pour une grande partie, à la facilité, qui s'est accrue de plus en plus, de conserver la preuve écrite de son droit (*). Aujourd'hui la multiplicité et la complexité des affaires ramènent la nécessité de prescriptions plus cour- tes ; et Tabréviation est d'autant plus facile à réaliser les droits sont mieux établis et mieux protégés par une légis- lation minutieuse et prévoyante.

Pour la réforme de cette partie de notre code civil, il n'est pas douteux que les lois étrangères peuvent être utilement consultées. La prescription est une institution d'un caractère en quelque sorte universel et cosmopolite ; dans les pays de civilisation analogue, il n'y a guère de raison pour que des divergences graves subsistent au point de vue de sa durée ou de sa réglementation.

588. Les prescriptions spéciales, s 'accomplissant par un délai différent du délai de droit commun, restent d'ailleurs, sauf dérogation, soumises aux règles que nous avons étudiées jusqu'ici.

L'article 2264 dispose à cet égard que « les règles de la 4( prescription sur d autres objets que ceux mentionnés dafis « le présent titre sont expliquées dans les titres qui leur sont « propres. » Ce texte est certainement inutile, quel que soit le sens qu'on doive lui attacher. La place qu'il occupe dans le chapitre intitulé Du temps requis pour prescrire pourrait d'abord donner à penser qu'il a été écrit uniquement en vue du délai de la prescription ; il voudrait dire que les pres- criptions réglées en dehors du présent titré ne sont pas sou- mises au principe du délai de trente années, lorsque la loi dit qu'elles s'accompliront par un délai plus court ; cette disposition ne serait pas seulement inutile, elle serait naïve à force d évidence. Il faut entendre la loi en ce sens que le titre De la prescription contient les règles du droit commun de la matière, que par conséquent ces règles sont applica— blés même aux prescriptions établies en dehors de ce titre,

(*) Tarde, Le : transform^lions da droit, p. 97,

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE 437

quelle que soit leur durée^mais bien entendu sauf les déro- gations résultant des dispositions spéciales qui organisent ces prescriptions . On peut voir des dérogations de ce genre dans les articles 690 et 691 sur la prescription acquisitive des servitudes, dans l'article 966, relatif à la prescription des biens compris dans une donation révoquée par la sur- venance d'enfants, dans l'article 1304, qui organise la pres- cription extinctive des actions en nullité et en rescision. On veut simplement dire ici que les règles spéciales posées ail- leurs ne sont pas abrogées par les règles générales du titre de la prescription ; les premières s'appliquent à l'exclusion des autres si elles sont inconciliables ; sinon il y a lieu d'ap- pliquer en même temps les unes et les autres (*). Notre texte se ramène donc en résumé à cette idée que les délais des diverses prescriptions spéciales sont indiqués dans les tex- tes qui les ont organisées, les principes sur la renonciation, le mode de calcul des délais, la suspension, l'interruption étant, sauf dérogation formelle ou tacite, applicables à tou- tes les prescriptions quel qu'en soit le délai (*)• Ainsi entendu, l'article 2264 ne présente encore guère d'utilité, car il en aurait été précisément de même, si le législateur n'avait rien dit.

589. Ces notions préliminaires étant posées, nous allons passer en revue quelques hypothèses l'application de la prescription trentenaire de Tarticle 2262 a pu soulever des difficultés sérieuses.

Nous nous demanderons d'abord si la prescription de trente ans est susceptible d'effacer toutes les nullités dont un acte peut être entaché. Il faut, pour répondre à cette question, faire des distinctions.

Tout d'abordj^ dans le cas un acte juridique est, non pas seulement nul, mais inexistant, c'est-à-dire manque de l'une des conditions requises pour son existence, telles que l'objet et le consentement pour la convention, la forme solennelle pour certains actes, nous dirons que le droit de se prévaloir de

(') V. en ce sensMarcadé, sur Tart. 226i ; Golmel de Sanlerre, Vlll, n. 371 biâ ; Laurent, XXXII, n. 374. («) Gpr. Labbé, S , 79. 1. 442.

138 DE LA PRESCRIPTION

eette inexistence et d'écarter Facte inexistant n*est pas sus- ceptible de se prescrire par trente ans (*). L'acte ne peut devenir efficace par un temps quelconque, si long qu*oii le suppose. Il n'y a pas même d action en nullité à exercer. « Et s'il n'y a pas lieu à action en nullité, il n'y a pas lieu non plus i prescription; le silence, Tinaction, quelque prolong'és qu'ils aient été, lie sauraient valider ce qui n'existe pas ; à quelque époque que la convention soit invoquée, la partie poursuivie pourra opposer son inexistence (*). »

La cour de cassation a admis la solution contraire dans rbypothèse d'une libéralité faite à une congrégation non autorisée; l'action en nullité, d'après elle, se prescrit alors par trente ans. Cette solution n'est pas exacte ; il y a un acte inexistant; le donateur peut revendiquer sans qu'aucune prescription trentenaire puisse donner à l'acte une force et une autorité quelconques ; il n'y a pas de nullité à faire pro- noncer ('). Il en est ainsi même si la donation a été faite au moyen d'une interposition de personnes ; il n'y a pas alors non plus d'action en nullité à intenter ; l'acte est toujours non pas nul, mais inexistant ; le revendiquant n'a (pi^â démontrer l'interposition (*).

Un arrêt plus récent de la Cour de cassation, intervenu dans le cas d un contrat de mariage passé en Tabsence d'un

(') Aubry el Hau, 5* éd., I, p. 180, § 37 ; Laurent. I, n. 71, II, n. 269, XIIl, II. 451 s.; Ueudant, note dans D., 80.1.145 ; Lyon-Gaen, note dans S., 96. 1.7 ; Sarrut, note dans D.,x97. 1. 5. V. aussi la note dans S., 79. 1. 313.— V.cep, Cass., 5 mai 1879, S., 79. i. 313, D,, 80. 1. 145, avec le rapport de M. Aime- ras Lalour et les conclusions de M. Robinet de Cléry.— Cass., 6 nov. 1895, S., %. 1. 5.

(*) Beudant, noie dans D., 80. 1. 145.

(^) Nous appliquons ici la doctrine généralement admise sur Tinexistence des libéralités faites aux congrégations non autorisées Cette»doctrine, que nous n'avons pas à exposer ici, est, on le sait, très vivement critiquée par plusieurs auteurs, notamment par M. de Vareilie-Sommières dans son intéressant ouvrais Du Contrat d* association. M, de Vareille-Sommières reconnaît qu'il n'y a pas de prescription possible en matière d^actes inexistants ou entachés d*une nullité d*ordre public ; mais il soutient que les associations non reconnues peuvent pos- séder et acquérir par prescription, « Tassociation n'étant autre chose que le» associés pris comme tels, seuls acquéreurs et propriétaires des biens sociaux, ayant tous les droits des propriétaires. »

(*) V. en sens contraire de Vareille-Sommières, op, cil.

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE 439

des époux, après avoir constaté qu'il y a une «nullité radicale et d ordre public qui enlève au prétendu contrat de mariage son existence légale »,et que le contrat de mariage i n'a ja- mais eu un commencement d'existence >, décide encore que la« seule prescription à opposer, comme dans Fespèce^au cas d absence d'acte par le défaut d existence légale, est la pres- cription de trente ans (% » Prise à la lettre, nous disons que cette formule est inexacte : il n'y a pas de prescription de laction qui tend à constater Tinexistence de Tacte.

Sans doute en fait il arrivera que les actions personnelles* tendant à effacer les conséquences de l'exécution de l'acte juri- diquement inexistant seront éteintes par la prescription tren- tenaire. Les demandes en restitution ou en répétition seront irrecevables comme prescrites, non parce que lacté sera devenu valable, mais parce que l'article 2262 s'opposera à l'exercice de ces actions (*).

Cette distinction ressort très nettement d'un arrêt déjà ancien de la Cour de cassation d'après lequel « la seule prescription à opposer au cas d'absence d acte par le défaut d'existence légale est la prescription de trente ans, non en ce sens qu'elle donne force à ce qui li'a pas existé, mais en ce sens que cette prescription met obstacle à toute action tant réelle que personnelle (^). » C'est une distinction un peu analogue en somme à celle qu'on établit entre les actions d'état imprescriptibles et les actions pécuniaires qui s'y rattachent, lesquelles peuvent s'éteindre par la pres- cription.

Ce que nous disons des actions personnelles basées sur l'inexistence de l'acte ne peut s'appliquer à l'action en reven- dication, qui ne s'éteint pas, nous le verrons, par le seul délai de trente ans, et qui ne peut disparaître qu'à la suite d'une prescription acquisitive; elle pourra ôtre exercée après n'importe quel délai s'il n'y a pas eu une possession légale ayant duré le temps fixé par la loi (*).

(S <AS8., 6 nov. 1895, S., 96. 1. 5.

{') Beudanl, toc. cU. ; Lyon-Caen, toc, cit. ; Samil, loc, cit. *»)Cass., 6 avril 1836, S,, 59. 1. 20. - V. dans le môme sens Nîmes, 13 janvier 18J7, S., 97. 2.U1, D., 97. 2. 128. Ci Contre Beudant, loc, cit.

440 DE PRESCRIPTION

500. On peut aussi sans condition de délai opposer les nullités d'ordre public. En pareil cas, suivant les expressions de Dunod, 4c la loi- résiste continuellement et par elle-même à l'acte qu'elle défend ; elle le réduit à un pur fait qui ne peut être ni confirmé ni autorisé et qui ne produit aucun droit. » La nullité peut toujours être opposée (*). Dunod, tout en étant d'avis de laisser la question à trancher aux juges, suivant les cas, constate que l'opinion la plus commune dans l'ancien droit était dans le sens de l'imprescriptibilité. C'est encore la solution qu'il faut suivre, à notre avis, malgré les termes en apparence absolus de l'article 2262. Mais c'est une solu- tion qui sera souvent purement théorique, car, comme dans le cas précédent, il faut voir si Tarticle 2262 n'a pas éteint les actions qui, l'acte étant écarté, tendraient à revenir sur son exécution après plus de trente ans. Après ce délai, la nul- lité ne sera pas prescrite, mais ce sera Faction en restitu- tion ou en répétition qui sera éteinte; l'acte ne sera pas devenu valable, mais son exécution sera en fait maintenue. En d'autres termes, on ne sera pas recevable à agir, non que la nullité soit éteinte, mais parce que les droits qu'on vou- dra exercer en la faisant valoir seront prescrits.

Dans l'important arrêt de 1879, que nous avons déjà cité, la Cour de cassation a jugé que la disposition de l'article 2262 est générale et s'applique particulièrement au cas il s'agit de nullité radicale et d'ordre public ; la prescription ainsi établie n'a pas pour effet de donner à la convention prohibée une existence légale, mais elle anéantit toutes les actions tendant à en faire prononcer l'annulation (*). » Cette formule est différente de la nôtre. Elle aboutit au même résultat s'il s'agit d'exercer, la nullité prononcée, des actions

0) Paris, 5 avril 1864, S., 65. 2. 100.— V. aussijiipra, n. 160.- V. cep. Cass. 8 nov. 18i2, S., 43. 1. 35 ; 11 nov. 1845, S., 45. 1. 782 ; 3 avril 1892, S., 93.1. 33 et la note de M. Meynial. Oriéans, 24 juin 1893, Gëx, P»L, du 3 juillet 1893 La loi du 1" août 1893, sur les sociétés par actions (art. 3), établit une prescription de 10 ans contre les actions en nullité fondées sur les vices de la constitution de la société, alors môme qu'il s agfirait de nullités d*ordre public.

(*) Voyez supra, n. 589 la formule différente de l'arrôt de la Cour de cassa- tion du 6 avril 1856, S., 59. 1. 17.

DE LA PRESCRIPTION TREiNTENAIRE 441

personnelles qui seraient prescrites ; seulement, d'après nous, ce n*est pas, à vrai dire. Faction en nullité qui est éteinte, mais l'action personnelle en répétition ou en restitution basée sur la nullité. Quant à l'action en revendication, comme elle ne se prescrit pas par le seul délai de trente ans, elle pourra être exercée à la suite d'une demande en nul- lité, si la nullité est d'ordre public ; la prescription acquisi- tîve serait seule de nature à l'arrêter. Sur ce point, nous 1 avons dit, la Cour de cassation s'eçt prononcée en sens con- traire (^). Mais nous allons voir plus loin que sa doctrine est inadmissible.

501. Dans le cas un acte est nul, sans que la nullité soit d'ordre public, le droit de demander et de faire pronon- cer la nullité s'éteint par trente ans, sauf dans les hypothèses qui font l'objet de dispositions spéciales, et sauf notamment dans les cas nombreux prévus par l'article 1304 du code civil. Rappelons que ce dernier texte ne s'applique pas aux nullités pouvant être invoquées par des tiers; il ne s'appli- que pas non plus à l'action paulienne, aux actions en résolu- tion ou résiliation, d la répétition de l'indu, aux actions en simulation (*). Dans ces divers cas, c'est, en général, la prescription trentenaire seule qui éteint l'action.

592. Les droits réels ne sont pas tous susceptibles de s'éteindre par la seule inaction de leur titulaire ; l'usufruit, les ser\'itudes, l'hypothèque s'éteignent par la prescription (art. 617, 706, 2180) . Mais le droit de propriété ne peut se per- dre par le non-usage ; la prescription acquise par une autre personne peut seule entraîner la perte de la propriété. Cette solution résulte d'ailleurs de l'article 544 du code civil : le propriétaire a le droit d'user et d'abuser; il a le droit de ne pas user; les facultés qui se rattachent à l'exercice du droit de propriété ne peuvent s'éteindre par ce seul fait qu'elles n'ont pas été exercées (art. 2232). Dans tous les cas la prescription acquisitive n'a pu s'accomplir, le droit du pro- priétaire ne s'est pas éteint. Si, par exemple, pour prendre

('; V. supra, n. 589, et infra, n. 592 s.

(M V. notamment Alger, 18 juin 1895, D., 96. 2. 308.— Limoges, 15 mars 1895, D., 97. 1. 273.— V. Baudry-Ucanlinerie el Barde, I, n. 726.

m DE LA. PRESCRIPTION

rbypothèse qui s'est présentée devant la Cour de cassation en' 1879/ un immeuble a été donné à une congrégation non autorisée qtii n'a pas la personnalité morale, la prescription ne s*étani pas accomplie, Tancien propriétaire n'a pas perdu $on droit par le seul non-usage.

593. Mais l'action en revendication peut-elle .être exercée par le propriétaire qui, dépossédé en fait de sa chose, est resté plus de trente ans sans agir ?

On a soutenu que Tactign en revendication peut se prescrire par trente ans ; le texte de l'article 2262, a-t-on dit, est for- mel en ce sens. Il en sera ainsi alors même que celui qui possède actuellement le bien n'en sera pas, pour une cause quelconque, devenu propriétaire par la prescription, par exemple si la possession n'a pas duré trente ans avec les caractères légaux ou si c'est une société ou association qui n'a pas la personnalité morale, et qui, par suite, n'ayant pas d'existence légale, ne peut acquérir un droit de pro- priété.

Quelques jurisconsultes ont enseigné, en faisant une dis- tinction séduisante, que, dans cette théorie, on doit conclure non pas à la perte du droit de propriété, mais seulement à la perte du droit de revendiquer. Le propriétaire aurait con- servé son droit de propriété, mais il n'aurait plus l'action en revendication qui le sanctionne {*). Le droit de propriété ne serait pas inutile ; d'après certains auteurs le propriétaire pourrait faire valoir son droit si le bien passait aux mains d'un tiers, ou simplement si le possesseur actuel qui aurait pu opposer la prescription extinctive, cessait de posséder (*); dans tous les cas, dit-on, le propriétaire qui se trouverait avoir été remis en possession de son bien pourrait invoquer son droit de propriété pour se faire maintenir dans cette pos- session et par exemple pour se défendre contre l'Etat qui réclamerait le bien comme vacant .et sans maître.

(^) Baudry-Lacanlinerie, Précis^ 8* éd.. H, n. 461,

(') Dan.s ce syslème on soutient que Taclion en revendicalion ne serait pa?* perdue d'une façon absolue ; elle ne le serait qu'à l'égard de celui qui se serait emparé de la chose depuis trente ans, sans avoir achevé de prescrire, V dans ce sens pour le droit allemand, Grome, op.' cil., p. 520, § HT ; Stlcillcs, Code civil alLf I, p. 2(50, noie sur l'art. 194, § iV et s.

DE LA FRESCRIPTION TRENTENAIRE 443

Mais les auteurs qui admettent l'extinction de Faction en reyendication paraissent en général c(«clure d'une façon absolue à la perte du droit de propriété (^). M. Robinet de Qér)' a soutenu cette théorie devant la Cour de cassation : f Celui qui, injustement dépossédé d'un immeuble, s'abs- tient pendant trente ans de toute réclamation, de tout acte interruptif de prescription, perd le droit de le revendiquer, sans qu'il y ait à rechercher quel a été pendant ce temps le sort de cet immeuble. Les droits de propriété et les autres droits réels sont assimilés, au point de vue de la prescrip- tion, à tous les droits personnels. Le législateur a exprimé, par les termes si clairs et si formels de l'article 2262, sa volonté de proscrire toute distinction et d'établir une règle yniforme pour la prescription extinctive des actions (*). » Cette doctrine est enseignée par des auteurs éminents. Lau- rent l'a soutenue et il a ajouté que, l'action en revendication étant prescrite sans que personne soit devenu propriétaire, les biens sont sans maître, donc ils appartiennent à l'Etat, et TEtat a le droit et le devoir de les revendiquer ('). > M.Beu- dant s'est aussi rallié à cette solution ; à propos de l'espèce jagée par la Cour de cassation, dans laquelle une congréga- tion non autorisée était poursuivie en revendication de biens à elle donnés plus de trente and auparavant, l'éminent pro- fesseur ajoute que « le bien qui ne peut plus être revendi- qué, qui n'appartient plus et qui ne pourra commencer d'appartenir à qui le possède, est un bien vacant et sans maître. Il y a lieu d'appliquer les articles 539 et 713 du code civil (*). »

504. La majorité des auteurs repousse cette opinion et refuse de distinguer, à propos du droit de propriété, une pres- cription acquisitive et une prescription qui éteindrait Taction en revendication sans que personne eût acquis la propriété. Si le droit n'a été acquis par personne, on ne saurait com- ,

l») Unrenl, VI, n. 106, cl XXVI, n. 207; Beudant,note sousCass ,5 mai 1879, D , 80.1.195^ Lacour, Rev, crit., X, 1881, p. dO.Opr. U note dans S-, 79. 1.313. .(*) Robinet de Cléty, coRclustons devant la Cour de cassation lors de l'arrêt du 5 mai 1879, D., 80. 1. 165.

(*) Uurcnl, Xï, n. 421.

(*)BeiMlmnt, n<»te ^as Ca^B., 5 mai 1879, D., 80 L 145.

444 DE LA PRESCfilPTION

prendre que raction soit perdue^ indépendamment du droit lui-même. L'action en revendication ne s'éteint pas par le non* usage ou le non-exercice; le seul fait de ne pas posséderne donne pas ouverture à l'action en revendication, tant que la jDossession exercée par un tiers n'apporte pas une atteinte au droit du propriétaire ; l'action en revendication ne fait donc pas l'objet d'une prescription séparée, car elle ne fait pas l'objet d'un droit distinct du droit du propriétaire qu'elle sanctionne et protège ; elle n'est autre chose que le droit poursuivi en justice, le droit exercé judiciairement. Les arti- cles 2236 et 2237 n'admettent pas les détenteurs précaires et leurs héritiers à opposer jamais la prescription; le droit de propriété, sauf le cas d'interversion, restera intact ; si on admettait la théorie que nous critiquons, ces détenteurs pour- raient, après trente ans, opposer l'extinction de l'action en revendication.

Si on exige que l'action en revendication ait été exercée depuis moins de trente ans par le propriétaire, contre qui entend-on qu'elle ait été introduite? L'immeuble, supposons- le, a été possédé successivement par deux personnes ; aucune d'elles^ne peut invoquer la prescription acquisitive. L'action intentée il y a de nombreuses années contre la première a-t- elle interrompu la prescription de l'action en revendication à l'égard du possesseur actuel, ou bien celui-ci pourra-t-il néanmoins invoquer l'extinction par prescription de l'action en revendication non exercée contre lui depuis moins de trente ans? On aboutit ainsi à des difficultés inextricables; si on admet qu'il y ait eu interruption, on étend au possesseur actuel l'eifet d'un acte dirigé contre un tiers ; si on ne l'admet pas, on sacrifie le propriétaire qui a cependant usé de ses droits depuis moins de trente ans.

La vé.rité est qu'il n'y a pas de distinction à faire entre le droit de propriété et l'action en revendication ; la prescrip- tion n'est possible contre l'un- et l'autre que si un tiers a pos- sédé pendant le temps requis et dans les conditions voulues par la loi (*). Autrement on arriverait, à l'aide de la près-

(«) V. dans le sens de cette théorie, Polhier, Prop., n. 276 ; Aubrj' et

DE LA PRESCRIPTION TRENTENÂ.IRE 445

eription extinctive de Taction en revendication^ à protéger un possesseur qui ne réunirait pas les conditions exposées plus haut^ qui posséderait à titre précaire^ ou dont la pos- session aurait été discontinue ; à moins qu'on ne préfère, en pareil cas, attribuer à TEtat les immeubles dont la pro- priété n'a pas été perdue par leur propriétaire, ni acquise par d'autres. Dans tous les cas, il y aurait de grandes injus- tices. La prescription imaginée pour consolider la propriété aboutirait à des effets absolument opposés à ceux qu'on en attend.

On oppose le texte absolu de l'article 2262 ; toutes les actions, dit-on, sont éteintes après trente ans ; on ne peut jamais remettre en question un état de choses remontant à plus de trente ans{*). Il y a beaucoup d'exagération. Nous avons vu plus haut qu'il y a des droits imprescriptibles. L'arti- cle 2262 ne peut être pris à la lettre ; sa formule doit être restreinte par de notables exceptions ; le législateur a voulu comprendre dans une formule unique les diverses applica- tions de la prescription de trente ans ; mais il y a bien des cas qui ont été tacitement réservés ; s'il fallait l'appliquer littéralement, «l'article 2262 bouleverserait toute la théorie de la prescription (*). »

505. On peut appliquer l'article 2262 aux actions en divorce ou en séparation de corps, en ce sens que des faits remontant à plus de trente ans ne pourraient être invoqués à l'appui d'une demande formée par un des époux (^). On a fait

Rau, 5* éd , II, p. 475, § 210, noie 4, et p. 563, § 219, et 4* éd., VIII, p. 420, S 772 ; Colmel de Sanlerre, VIII, n. 369 bis, V s. ; Bufnoir, Propr, et Contr., p. 179 el s.; Thiry, Cour» de dr. cir,, IV, n 634 ; de Vareille-Sommières, op. ciL, p. 107 s. ; Planiol, 2- édit., I, n. 1090 ; Hue, XIV, n. 434 ; Ouillouard, II, n. 612 et 633.

(') Beudant. loc. cit. ; Robinet de Cléi*y, loc, cit.

{«) Colmel de Sanlerre, VIII, n. 369 big, III.

{*)Sie Hennes,2d décembre 1825, S. chr.- Aubry et Hau,4« éd.,V» p. 187, § 492; Uurent, III, n. 205 ; Massé et Vergé, sur Zacharise, I, p. 252, § 139 ; Vraye et Oode, Divorce, I, n. 503; Curet, id., n. 122; Goirand, id., p. 107; Coulon, td., Iv', p. 249 s. Gpr. C. civ. ail., art. 1571. Contra, Trib. Albertville, 20 mai 1884, S., 85. 2. 168. - Trib. de Rambouillet, 3 août 1894, S., 95. 2. 55, 1) , 95. 2. 295. Massol, Sép, de corps, p. 1)3 ; Demolombe, Mariage, II, n. 409 ; Carpenlier, Divorce, n . 135 ; Frémont, id,, n. 378 ; Poulie, id,, n. 163; Moraèl, id , n. 146 el 147 ; Hue, H, n. 359 ; Guillouard, n. 6J8 el s.

446 DE LÀ. PRESCRIPnON

intervenir, pour soutenir l'opinion contraire, l'article 2253, d'après lequel la prescription ne court pas entre époux ; Faction en divorce pourrait par suite, pendant tout le mariage, être kasée sur des faits remontant à une époque quel* tronque. Cest une idée qui nous paraît pou exacte. L'action en divorce ou en séparation de corps ne peut être exercée que pendant le mariage, et larticle 2253 a en vue des actions qui peuvent être intentées après le mariage dissous. De plus larticle 2253 se propose de maintenir l'harmonie dans le ménage en permettant aux époux de laisser sommeiller^ sans préjudice pour eux, les actions qu'ils ont à exercer Tun contre Tautre. Il ne saurait attribuer à des faits qui peuvent donner lieu au divorce ou à la séparation un efiet d'une durée indéfinie. M. Planiol fait deux objections plus sérieu- ses. D'une part, l'article 2262 ne vise d'après lui que les actions relatives au patrimoine ; d'autre part, il s'agit i<^ plutôt d'une faculté que d'une action, et l'article 2262, à ce point de vue encore, ne s'applique pas (*). Cette dernière objection nous paraît devoir être écartée : il y a bien un droit naissant à l'occasion de faits déterminés, et ne se renou- velant pas d'une façon incessante comme les pures facultés. Mais la première considération invoquée est embarrassante. Sans aller jusqu'à dire d'une façon absolue que l'article 2262 ne s'applique qu'aux actions relatives au patrimoine, on peut penser que, visant les actions tant réelles que personnelles, soit les droits réels et personnels, il ne saurait s'appliquer au droit de demander le divorce. On peut penser aussi que la règle de la prescription n'a pas grand intérêt en cette matière le juge peut toujours apprécier le caractère des griefs invoqués et l'atténuation que le temps et l'oubli, en dehors même de la réconciliation, ont pu apporter à leur gravité primitive (*) .

596. La règle de l'article 2262 nous paraît s*appliquer aux instances ; une instance judiciaire s'éteint par la disconti- nualion des poursuites pendant trente ans. On sait qu'elle

(») Planiol, 2- éd., Ill, n. 570.

(«) V. encore en ce ssns Lé^er.Théorie générale de la prescr ext, (Thèse

1897), p. 124.

DE LA PRESCRIPTION TREMENArRK 447

peut s'éteiadre par la péremption bien ayant Texpiration (le ce délai ; mais la péremption n*a pas lieu de plein droit, il faut qu'elle soit demandée ; la prescription trentenaire conserve son utilité pour le cas la péremption n'aurait pas rempli son office (*). C'est à tort qu-'on a soutenu que les instances sont imprescriptibles (^); les actions dont parle larticle 2262, ce sont tous les droits qu'on peut vouloir exercer, toutes les réclamations qu'on peut avoir à adresser. Il est inadmissible qu'après cinquante ou cent ans, on puisse reprendre une instance dont la péremption n'a pas été demandée. La maxime Omnes actiones quœ iempore pereunt, semel inclusœ judicio, salvœ permanent ^ ne saurait être con- sidérée comme entraînant ce résultat. Sans doute, il parait exact de dire que l'instance relative à un droit susceptible de se prescrire par moins de trente ans ne se prescrit que par trente ans (*). Mais il faut dire avec Brodeau: « après trente ans, tout est perdu et prescrit, les assignations, les jugements, tout se prescrit par trente ans(*). » Cette pres- cription suppose d'ailleurs que trente ans se sont écoulés sans poursuites ; elle ne peut être invoquée si, au cours des trente années, il y a eu des actes d'instruction faits en exé- cution des décisions rendues dans l'instance (^)«

697. Le droit qui résulte d'un jugement, s'il n'est pas exercé, se prescrit aussi par trente ans à partir du jour du jugement (*). Mais il ne faut pas donner à cette règle un sens

l*) V. en ce sens Gass., 23 nov. 1831, S.. 32. 1, 67, D. Rép., v* Prescr,, n. 8i9 ; 2 août 1841, S., 41. 1. 776, D. Rép,, v" Suce, n. 1537 ; 6 mai 1856, S., 56. 1. 887, D.,56. i. 266 ; 31 mars 1869, D., 69. 1.405 ; 25 novembre 1895, S., 99. 1. 522, D., 96. 1. 37. Douai, 24 juillet 1850, S., 53. 1. 185, el îï novembre 1851, S.. 52. 2. 62. Toulouse, 11 août 1855, S-, 56. 2. l:î). Limoges, 8 mars 1856, D. Rép. SappL, v" Prescr,^ n. 363. Cpr. '>ss , 6 juillet 1842, S., 53. 1. 185, I)., 52. 1. 240. Merlin, Rép., V Prtscr,, *ecl.3, §8 ; Laurent, XXXII, n. 375 ; Marcadé, sur Tart. 2262, n. 3, et Rev. ml., IV, p. 521 ; Mourlon, Rev, crit., VI, .p. 258 ; Garsonnet> V, n. 1213 ; «imllouapd, n. 223, 593 el 600. V. supra, 542, 543 et 552.

(*) Trib. Toulouse, 12 mai 1853, S., 53. 2. 505. Chauveau sur Carré, Lois (U U procéd,, quest. 1413 ; Bourbeau, contin. de Boncenne, V, p. 617.

(*) Gaas., 21 nov. 1837, S., 38. 1. 76. D. Rép , V Prescr,, n. 544.

(*) Brodeau sur Louet, lettre P, § 10.

(*) Casa., 25 nov. 1895, précité. .(') Gaas., 17 août 1864, S., 61. 1. 493, I)., 64. 2. 370. - Pau, 20 juU. 1870,

448 DE LA PRESCRIPTION

trop absolu. Si le jugement est seulement déclaratif d'un droit de propriété, sa disposition doit produire son effet indépendamment de toute exécution et ne peut être écartée que par la preuve d'une prescription acquisitive contraire. Le droit de propriété, qu'il résulte d'un jugement ou d'un contrat, ne peut se perdre par le seul non-usage, comme nous Tavons vu plus haut. La Cour de cassation parait avoir jugé le contraire à l'occasion d'un jugement qui, ayant reconnu le droit d'une commune sur un chemin, était resté sans exécution pendant plus de trente ans (*). Elle a admis que les jugements sont périmés faute d'exécution dans les trente ans et que cette péremption met à néant toutes les (dis- positions ; « il n'est pas permis de les scinder et de consi- dérer comme subsistantes celles relatives à Texistence et à la publicité des chemins, sous prétexte qu'elles opèrent par elles-mêmes et ne nécessitent aucune exécution. » Cette déci- sion nous paraît peu exacte. Les jugements contradictoire- ment rendus et passés en force de chose jugée ne se péri- ment pas par le délai de trente ans ; l'action personnelle née du jugement peut seulement s'éteindre par prescription. Mais quand le jugement reconnaît Texistence d'un droit de propriété, il n'y a pas d'action personnelle à exercer, et il n'y a pas de prescription extinctive possible contre le droit de propriété que le jugement a reconnu. (V,supra,ïi, 592 s.). 598. Lorsqu'un jugement ou un arrêt rendu en dernier ressort n'a pas été signifié, le droit de se pourvoir en cassa- tion contre lui se prescrit par trente ans {*). La même solu- tion devrait être donnée, à notre avis, pour le droit de for- mer appel d'un jugement contradictoirement rendu en premier ressort et non signifié ('), et pour le droit de se pourvoir en requête civile.

s., 71. 2. 267, I)., 72. 2. 70. D'après ce dernier arrêt, la prescriplion ne court que du jour l'exécution du jugement est possible. V. cep. Leroux de Bretagne, n. 833.

0)Ca9S., 17 août 1861, précité.

(*) Gass., 31 mars 1869, D., 63. 1. 495. Guillouard, n. 603. - Cpr. Lau- rent, XXXIl, n. 375.

(») Bourges. 18 nui 1353, S., 60, 2. 335. Pau, 18 janv. 1871, S., 71. 2. 200. - Paris, 11 nov. 1896, S., 97, 2. 72. -^ Leroux de'BreUgne, II, n. 834 ;

L.i PRESCRIPTION TREiNTENAIRE 449

Au cas (l'un jugement par défaut susceptible d'opposition, la solution serait différente, ou plutôt ce serait, à l'inverse, à la partie qui a obtenu le jugement à en poursuivre l'exé- cution pour fermer la voie de l'opposition ; la seule expira- tion du délai de trente ans ne pourrait rendre définitif un jugement par défaut.

500. La prescription de l'article 2262 doit aussi s'appliquer au droit de faire tierce opposition à un jugement ; on ne voit aucun motif sérieux pour justifier la solution contraire que la Cour de cassation a cependant admise ('). Elle a décidé que cette voie extraordinaire est recevable sans limita- tion de durée. Plusieurs auteurs se prononcent aussi en ce sens, et Poncet décide que « la tierce opposition est une action perpétuelle par sa nature; car, quoiqu'elle soit originaire ou introduclive d'instance, elle n'a toujours pour objet que de repousser les inductions qu'on aurait tirées ou qu'on voudrait tirer contre nous du jugement rendu sans nous (*). » Cette opinion doit être repoussée; l'article 2262 est général. S'il s'agit d'un tiers, il est suffisamment protégé puisqu'il peut toujours opposer que le jugement lui est étranger et qu il n'y a pas été partie. S'il s'agit d'un créancier d'une des parties, victime d'un dol ou d'une fraude dans un jugement il a été représenté par son débiteur, la tierce opposition, qui n'est alors qu'une application de l'action paulienne, est prescriptible comme elle (^). Il n'y a pas d'ailleurs à distin- guer ici, suivant nous, la tierce opposition principale et la tierce opposition incidente (^). La tierce opposition incidente est comme l'autre une voie d'attaque contre un jugement ; en admettant même que les exceptions soient perpétuelles.

Rivière, De Vappel, n. 202 ;TaUndier, id., n. 163 ; Oépon, te/., n. 2100. V. au surplus, D. Rép., v* Appel, n. 1160 s. et les arrôls qu*il cite.

D Gass., 17 janv. 1870, S., 70. 1. 122. Contra Toulouse, 11 mars 1882, Cas. Pal , 82.2. 411. Albert Tissier, Tierce opposition, n. 163 ; Hue, XIV, n. 437 ; Guillouard, n. 604.

('/ Poncet, AcUonf, II, n. 429 et 430.

C) Sur la disposition spéciale de l'art. 873 C proc. civ. en ce qui concerne la tierce opposition contre un jugement de séparation de biens, v. Albert Tissier» op, cit., n. 166.

(*) V. Albert Tisisier, Tierce opposition, n. 163.

Prescr. 29

450 DE LA PRESCRIPTION

ce n'est pas ici le cas d'appliquer la théorie; le tiers oppo- sant n'est pas sur le terrain- de l'exception quand il agit pour faire rétracter, un jugement. L'article- 476 du code de procédure a dit très bien, à propos de cette tierce opposi- tion incidente, au cas elle est formée- devant un juge inférieur à celui qui a prononcé la décision attaquée, qu'elle « sera portée, par action jjrincipaie, au tribunal qui aura rendu le jugement (*). »

S99 bis, La prise à partie, lorsque le fait sur lequel eiie est basée n'est pas susceptible d'être poursuivi au criminel, n'est soumise aussi qu'à la seule prescription de trente

600. La prescription de trente ans étant celle de droit commun, c'est à elle qu'il faut revenir chaque fois qu'on n'est pas strictement dans l'hypothèse la loi a édicté quelque prescription plus courte. Nous verrons, par exemple, que la prescription de cinq ans de l'article 2277, quant aux inté- rêts ou prestations périodiques, doit être soigneusement limi- tée aux cas que le législateur a eus en vue ; notamment le tiers qui avancerait les fonds au débiteur pour payer les intérêts dus au créancier aurait une action durant trente années. De même, le tiers qui paye pour un contribuable l'impôt par celui-ci aurait une action en rembourse- ment pendant trente ans et ne pourrait se voir opposer la prescription plus courte que le contribuable aurait pu opposer à l'Etat ('). De même encore, il a été jugé par la Cour de cassation que, la loi du 30 octobre 1880 sur la laïcisation obligatoire de certaines écoles ne pou- vant être étendue aux laïcisations facultatives opérées antérieurement, l'article 19 de cette loi, qui établit une prescription de deux ans en ce qui concerne les actions en révocation des donations ou legs faits aux communes à

(') Sic Albert Tissier, op.cit,, n. 161.— V. cep. Caas., Il mars 1873, D., 73. 1. 54.

(') Gareonnet, Traité théorique et pratique de procédure, I, p. 23t.

(») Cass., 15 mars 1811, S., 41.1. 529, D. Rép., Prescr., n. 1046.— Leroux de Bretagne, n. 770; Laurent. XXXII, n, 377.— V. infra, n. 767 s., l'étude de rart. 2277.

DE LA PRESCRIPTIO.N TRE.NTExNAlUE 45i

charge d'établir des écoles ayant un caractère confessionnel, ne saurait s'appliquer à Faction en révocation d'un legs née d'une laïcisation antérieure à la loi de 1886 ;. cette action reste soumise à la prescription de trente ans qui est celle du droit commun (*).

601. La prescription de trente ans est celle qui est suivie, en général, en matière commerciale. Mais plusieurs excep- tions résultent des textes du code de commerce ou des lois spéciales. (V. not. les art. 64, 108, 189, 373, 432 et 433 C. corn., et l'art. 10 de la loi du 24 juillet 1867).

602. La prescription de l'article 2262 est applicable en principe en matière fiscale chaque fois que des textes spé- ciaux ne viennent pas y déroger. Les dettes de l'État sont soumises en général, nous le verrons, à la prescription quin- quennale. Mais les créances de l'Etat ne se prescrivent que par trente ans, sauf disposition contraire. Les créances et les dettes des départements, des communes, des établisse- ments publics, se prescrivent aussi en principe par trente ans. Il est à noter que des lois spéciales ont abrégé la pres- cription pour presque tous les impôts. Nous nous bornerons à signaler les principales, en étudiant les courtes prescrip- tions. Nous étudierons dans un chapitre spécial, à la fin de notre travail, les règles de la prescription en matière d'en- registrement.

602 bis. La loi du 7 mai 1853 (art. 4) avait établi une pres- cription de trente ans pour les dépôts faits aux caisses d'épargne; mais cette prescription n'atteignait pas toutes les sommes déposées. « Lorsqu'il s'est écoulé, disait la loi, un délai de trente ans, à partir tant du dernier versement que de tout achat de rente ou de toute autre oj)ération cfifcctuce à la demande des déposants», les sommes que détiennent les cais- ses d'épargne sont placées en rentes sur l'Etat, et les titres de ces rentes, comme ceux achetés sur la demande des dépo- sants ou d'office par application des lois sur la matière, sont

(») Cass., 21 juin 1897, S., ^8. 1. 173. La solulion conlraie avail clé admise par deux jagements, Tun du tribunal de Meaux du 2 mai 1883 (La Loi du 23 juin 1S8S), l'autre du tribunal de Monl-de-Marsan du 22 déc. 1887 (S , 89. 2, iî>6^.

452 DE LA PRESCRIPTION

remis à la caisse des consignations. Le service des arrérages est suspendu ; les caisses d'épargne acquièrent définitivement les reliquats des placements en rentes et les sonmies qui, à raison de leur insuffisance, n'ont pu être converties en rentes. Une publicité est prescrite par la loi avant l'expiration du délai de trente ans. La loi de 1853 faisait ainsi profiterrÉtat des arrérages des rentes et les caisses d'épargne des reliquats de compte. La loi du 20 juillet 1895 (art. 20) est venue décider que, à partir de sa promulgation, les sommes visées par l'ar- ticle 4 de la loi de 1853 et qui étaient placées en rentes et attribuées aux caisses d'épargne seraient prescrites à Tégard des déposants, et réparties entre les caisses d'épargne et les sociétés de secours mutuels ayant des caisses de retraites (*). L'interruption de cette prescription trentenaire résulte, d'après la loi de 1853, de toute opération effectuée à la demande des déposants ; la présentation du livret pour y faire inscrire le^ intérêts échus est suffisante (*).

603. La loi de finances du 16 avril 1895 (art. 43) a ordonné l'application de la prescription de trente ans aux sommes déposées à la Caisse des dépôts et consignations. Le texte de cette loi est ainsi conçu: « Les sommes déposées, à quelque titre que ce soit, à la Caisse des dépôts et consignations, sont acquises à l'Etat lorsqu'il s'est écoulé un délai de trente ans sans que le compte auquel ces sommes ont été portées ait donné lieu à une opération de versement ou de rembour- sement, ou sans qu'il ait été signifié à la Caisse des dépôts, soit la réquisition de paiement prévue par l'article 15 de l'ordonnance du 3 juillet 1816, soit l'un des actes visés par l'article 2244 du code civil. Six mois au plus tard avant l'échéance de ce délai, la Caisse des dépôts et consignations avise par lettre recommandée les ayants droit connus de la déchéance encourue par eux. Cet avis est adressé au domi- cile indiqué dans les pièces qui se trouvent en la possession de la Caisse ou, à défaut de domicile connu, au procureur de la République du lieu du dépôt. En outre, la date et

(*)V. le texte des lois de 1853 et 1895 dans Baudry-Lacanlinerieel \VahI,Sacc., 2- éd., I, n. 92. (') Cass., 7 janv. 1903, S., 1904, 1. 169 et la noie de M. Naquel.

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE 453

le lieu de la consignation^ les noms^ prénoms et adresse des intéressés qui n'auront pas fait notifier de réquisition de payement dans un délai de deux mois après cet avis, seront immédiatement publiés au Journal officieL Les sommes atteintes par la déchéance seront versées annuellement au Trésor, avec les intérêts y afférents. En aucun cas, la .Caisse des dépôts et consignations ne peut être tenue de payer plus de trente années d'intérêts, à moins qu'avant lexpiration des trente ans il n'ait été formé contre la Caisse une demande en justice reconnue fondée. A titre transi- toire, les prétendants droits aux sommes qui seront remises au Trésor public depuis la promulgation de la présente loi jusqu'au 31 décembre i899 auront un délai qui expirera le 3i décembre 1900 pour obtenir le remboursement de ces sommes en justifiant de leurs droits (*). »

604. Ce texte, en tant qu'il admet la prescription de trente ans, n'est que l'application du droit commun. Nous avons vu plus haut que la Caisse des dépôts peut, comme tout débiteur, invoquer après trente ans l'extinction de l'action personnelle existant contre elle. Il est vrai que M. Ribot, ministre des finances, a dit au Sénat qu'il s'agissait ici non d'une pres- cription, mais d'une déchéance ('). Cela nous parait inexact. Un dépositaire est un débiteur, et la Caisse des consignations est un dépositaire. Elle ne peut être libérée que par pres- cription. M. Ribot a dit aussi que jamais on n'avait parlé de prescription pour la Caisse des consignations ; mais cette assertion est encore peu exacte. Il a toujours été question de prescription; la difficulté a été discutée il y a déjà long- temps ('). Pour nous, il n'y a pas une déchéance, c'est-à-

(*) Il est à noler que la loi du 31 mars 1896 sur les objets abandonnés par les voya^urs dans les hôtels et auberges a établi une prescription de deux ans au profit du Trésor en ce qui concerne le prix provenant de la vente de ces objets et déposé à la Caisse des consignations V. aussi la loi du 7 mars 1905 modi- fiant et complétant la loi du 3L décembre 1903 relative aux objets abandonnés chez les ouvriers et industriels : cette loi fixe une prescription de cinq ans au profit du Trésor en ce qui concerne le prix de la vente de ces objets déposé \ la Caisse des consignations après prélèvement de la créance de Touvrier ou industriel.

(*) Journal off.. Sénat, Déh. pari., 1895, p. 493.

(') V, tupra, n. 310 s.

454 DK LA PRESCRIPTION

dire la privation d'un droit résultant du défaut d'accomplis- sement d'une formalité prescrite par la loi. Il y a une libé- ration du débiteur par suite de l'expiration du délai de trente ans. C'est bien une prescription. La loi nouvelle ne se justifie précisément que parce qu'elle est l'application droit commun en matière de prescription libératoire.

605.11 est nécessaire d'ajouter quelques observations rela- tivement au texte de la loi nouvelle. Tout d'abord, bien que la loi n'en dise rien, la Caisse des consignations peut toujours opposer la prescription de cinq ans quant aux intérêts qu'elle doit servir annuellement. Ce cas n'a pas été prévu par la loi. On n'a eu en vue que les dépôts et consignations ordinaires pour lesquels les intérêts s'accumulent et se paient avec le capital ; c'est dans cette hypothèse qu'il est vrai de dire que « la Caisse des dépôts et consignations ne peut être tenue de payer plus de trente années d'intérêts. »Mais en ce qui con- cerne les intérêts et arrérages à servir annuellement, l'ar- ticle 2277 s'applique à la Caisse des consignations comme à tout autre débiteur (*).

606. La prescription organisée par la loi nouvelle suppose non seulement l'expiration du délai de trente ans sans acte interruptif, mais encore l'accomplissement de certaines for- malités qui ont pour but d'appeler l'attention des personnes ayant droit aux sommes déposées pour lesquelles le délai de la prescription va expirer. (V. sKpra, n. 603).

607. La loi prévoit certains actes interruptifs de la pres- cription ; outre ceux indiqués par l'article 2244 du code civil, elle admet comme interrompant la prescription toute opéra- tion de versement ou remboursement, toute signification à la caisse d'une réquisition de paiement. Le texte ne parle pas de la reconnaissance du débiteur, qui est aussi un moyen d'interrompre la prescription libératoire. Il nous semblé cependant que si, sur une réclamation verbale ou écrite, la Caisse des consignations reconnaît le droit actuel ou éven- tuel du réclamant, il y a une interruption de la prescrip-

(*) \\ en ce sens l'instr. gén. du !•' déc. 1877, art. 129, et la circul. du direct, gén.de la Caisse des consign. du 30 juillet 1887, n. 29. V. aussi le Rép,gén. alph. du dr. fr,^ Caisse des dépôts et consiff nations, n. 788.

DK LA PilKSCRIPTION TRENTENAIRE " 455

tion très régulière, La loi nouvelle n'a pas entendu^ à notre avis, écarter la règle de droit commun de l'article 2248.

608. Cette prescription est-elle suspendue au profit dçs mineurs et interdits? Nous n'hésiterions pas à répondre affir- mativement si, dans la discussion de la loi devant le Sénat, un amendement préparé en ce sens n'avait été repoussé. En raison, nous ne voyons aucun motif pour écarter l'arti- cle 2252. On a surtout fait valoir qu'il s'agit non de prescrip- tion mais de déchéance; nous avons vu que cela n'est pas exact. Ce serait « une nouveauté » a dit M. Ribot au Sénat que d'admettre ici la suspension de la prescription au profit d*incapables. Mais c'est la règle admise par le Sénat qui est une nouveauté ; sans doute il y a certains dépôts spéciaux poyr lequels FEtat se libère de toute réclamation par un court délai, parce qu'alors on admet qu'on a voulu tacitement écarter toute suspension pour cause d'incapacité du créancier; il en est ainsi, par exemple, de la courte prescription établie quant aux sommes laissées dans les caisses de l'administration des postes. Mais aucun motif sérieux ne devait conduire à appliquer cette règle aux dépôts considérables qui peuvent se trouver à la Caisse des consignations. On a invoqué cet ai^ment que la Caisse devrait alors conserver indéfiniment les dossiers relatifs aux dépôts qu'elle reçoit. Il est facile de répondre qu'elle ne serait pas pour cela tenue de les gar- der tous indéfiniment; et d'ailleurs cet argument va plutôt à rencontre de l'article 2252 en général, que de l'application qu'il convient d'en faire ici. Qu'on abroge l'article 2252 ; ce sera une réforme très raisonnable ; mais il n'est pas juste de faire une situation privilégiée à la Caisse des consignations et de la placer en dehors de la situation commune de tous les débiteurs, notamment des sociétés comme la Ban- que, de France ou le Crédit foncier, qui reçoivent aussi de nombreux dépôts (*).

609. La prescription extinctive atteint-elle les exceptions aussi bien que les actions ? L'article 2262 ne parle que des

». »

(*» V. encore pour Tapplication de la' prescription Irenlenaire, Tari. 18 de la loi du 20 juillet 1886, relative aux caisses des retraites pour la vieillesse, et l'art. 20 d? la loi du 2) Juillet 1895 sur les caisses d'épargne.

456 DE LA PRESCRIPTION

actions. N'a-t-il pas entendu^ par suite, maintenir la règle ancienne : quœ temporalia sunt ad agendum perpétua sunt ad excipiendum ? Ne peut-on, par voie d'exception et pour se défendre, invoquer un droit qu'on ne pourrait plus exer- cer par voie d'action ? C'est une question depuis long- temps controversée.

On soutient, dans une première théorie, que l'adage ancien quœ temporalia su?it etc., exprime une règle aciuellement encore en vigueur. La prescription ne peut éteindre que les droits dont on a négligé d'user ; une action ne se prescrit qu'à partir du jour elle a pu être exercée. Cette idée con- duit à dire que l'exception ne se prescrit pas, car on ne peut opposer l'exception que si on est attaqué; elle dure autant que Faction contre laquelle elle sera opposée. Pourquoi obli- garait-on celui qui est sur la défensive, qui n'est pas privé du droit auquel il prétend, à attaquer et à faire valoir sa pré- tention dans un temps donné ? Il n'a aucune raison pour agir ; on ne peut lui reprocher aucune négligence ; son inac- tion est facilement explicable. Si on suppose un contrat de venie dont le prix est payable à terme, si ni l'une ni l'autre des parties ne demande l'exécution du contrat et si, plus de trente ans après, avant que l'action en paiement du prix soit prescrite, le vendeur poursuit l'acquéreur en paiement, celui-ci, dont l'action est éteinte, ne doit-il pas être admis à opposer par voie d'exception que le vendeur n'a pas exécuté son obligation ? Si un titre est nul et que, pendant le temps fixé pour agir en nullité, l'exécution n'en soit pas deman- dée, ne doit-on pas permettre à la partie contre laquelle Texécution est plus tard poursuivie d'opposer la nullité par voie d'exception ? « Quel reproche d'inaction, dit Troplong, peut-on faire à celui qui n'avait pas d'intérêt à agir ? Est-ce que la prescription court contre ceux qui possèdent ? »

Les raisons qui ser\'ent de fondement à la prescription et notamment la nécessité sociale de consolider l'état de fait qui a duré longtemps conduisent à décider que le défendeur doit pouvoir invoquer, sous forme d'exception, le droit qu'il ne pourrait plus invoquer sous forme d'action. « La prescription et la règle qiicB temporalia. . . sont donc deux moyens d'attein-

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE 457

dre un même but ; maintenir autant que possible à chacun, dans l'intérêt général, la situation qu'il possède ; Timprescrip- tibilité de l'exception se justifie par les mêmes raisons que la prescriptibilité de l'action (*). > Troplong a écrit aussi en ce sens : « La règle qtiœ temporalia est un hommage rendu à la raison. Elle n'est que l'expression de cette vérité cons- tante et palpable qu'on ne prescrit pas contre celui qui pos- sède et que, si l'on jouit d'un état ou d'une position quelconque, on n'a besoin que d'une exception pour s'y faire maintenir et nullement d'une action... Si l'exception était exposée à périr, tandis que l'action reste toujours menaçante, il n'y aurait plus de justice pour le défendeur, et c'est à tort que la loi de tous les temps aurait dit : favorabiliores sunt rei quant adores (*). »

La maxime qtiœ temporalia sunt... èiaii très généralement admise dans notre ancien droit. Henrys la donne comme d'une pratique courante. Nous citerons seulement ce qu'en dit Dunod dans deux passages de son Traité des prescriptions : « Les nullités peuvent toujours être opposées par voie d'exception. Ainsi, par exemple, lorsque l'héritier institué par un testa- ment nul a possédé la succession pendairt trente ans, on ne peut plus lui objecter cette nullité; mais on pourra s'en pré- valoir en tout temps contre lui s'il n'a pas possédé pendant le temps requis pour prescrire. De même, si une femme a vendu son héritage sans l'autorité de son mari, ou un mineur le sien sans celle de son curateur et que l'acheteur ait possédé en conséquence, on lui objecterait vainement le défaut d'au- torité après trente ans. Mais si la femme ou le mineur sont demeurés en possession, ou quelque autre de leur part, ils pourront se prévaloir à perpétuité de la nullité du titre pour se conserver la chose aliénée. Il en est encore de même s'ils se sont obligés sans autorité ; car, en quelque temps qu'on leur demande le paiement, ils seront en droit de proposer la nullité de l'obligation, et ainsi des cas semblables auxquels on peut appliquer la règle qui dit : quas sunt temjyoralia ad

(*) Giscard, thèse, p. 91 ; Crome, System des dentschen bûrgerlichen. Rechis, I, p. 504, § 114, note 3. («) Troplong, n. 828.

458 DE LA PRESCRIPTION

agendum sunt perpétua ad excipiendum (*). » Ailleurs, Dunod exprime encore la même idée: « Les exceptions peuvent être proposées en tout temps et durent autant que les actions contre lesquelles elles ont lieu ; cum actor quideni in sua potestate habeat quando utatur jure suo ; is autem cum quo agitur non habeat potestatem quando conveniaiur (*). >

Cette théorie, dit-on, est encore en vigueur ; les arti- cles 1301 et 2262 ne parlent que des actions; on ne peut pas les étendre. Sans doute la maxime ne peut être invoquée par celui contre lequel a couru une prescription acquisitive ou une prescription libératoire de créance ; il ne peut invoquer par voie d'exception un droit éteint ; mais elle trouve sou application dans des hypothèses nombreuses il n'en est plus ainsi, tout au contraire elle -permet à celui qui se tient sur la défensive d'attendre que la prescription éteigne Taction à laquelle il est exposé.

610. Cette théorie est admise par la jurisprudence et par le plus^grand nombre des auteurs ('). Elle n'est pas seulement

(*) Dunod, p. 79 ;Henrys, II, liv. IV, quest. 178;DenLsarl, >• A'xcep^ion,ii.4. Y. aussi Merlin, Rép., v NuUité, § Vlll.

(*) Dunod, p. 207.

(») Gass., 24 janv. 1833, S ,33.1. 268, D.,flép., Preêcr., n.858; 31 déc. 1843, S., 34. 1. 304, D. Rép., loc. cit., n. 859 ; 5 avril 1837, S., 37. 1. 435, D. flrfp-, loc, cil.,n. 856; 27 juin 1837, S., 38. 1. 426, D. Rép,, loc. cit., n.864; 12 août 1839, S., 39. 1,913, I). flcp., loc, cit., n. 857; !•• déc. 1846, S., 47. 1. 289, 0., 47. 1. 15; 7 janv. 186S. S., 68.1.150, D., 68. 1. 123; 21 juin 1880, S., 81.1.29T. D., 81. 1. 108.- Toulouse, 9 juillet 1859, S., 59. 2. 407. - Lyon, 20 août 1869, S., 70. 2. 124.- Bordeaux, 27 juillet 1871, S..72. 2. 221- Agen, 7 juillet 1886, S., 86. 2. 189. - Besançon, 14 nov. 1886, S., 87. 2. 225, et la note de M. Lyon- Caen. iCiiambéry, 25 juillet 1889, sous Cass., 9 avril 1892, S.; 93. 1. 33, et it note de M. Meynial.- De Savigny^ Tr,de dr. romain, trad. Guenoux, V §254; Merlin, Rép., Prescr., sect. II, § 25 ; Touiller, Vil, n. 600 s. ; Vazeille, P, n. 566; Troplong, n. 827 s. ; Aubry et Rau, éd., IV, p. 278, § 399, VI, p. 182. § 568 ter, et VIII, p. 424, § 571 ; Demolombe, XXIX, n. 136; Larombière, ObUg., sur Tart. 1304, n.«34 s.; Leroux de Bretagne, II, n. 761, 1109 s; Guillouaril, I, n. 53 et 54.— Gpr. Gass., 24 mai 1898, S., 1901. 1. 335.— La règle de la per- pétuité de l'exception parait admise en droit allemand. V. Grome, op. cit., p. 505, § 114 Le Gode civil du Bas-Ganada Tadmel expressément : « Celui qui possède comme propriétaire- une chose ou un'droit conserve, par le fait de cette possession, et peut opposer à toute demande en revendication à leur sujet les voies de nullité et autres moyens tendant à repousser cette demande, quoi- que le droit de les faire valoir par action directe soit prescrit. Il en est de m^nK* au cas de l*action personnelle; le défendeur y peut invoquer efficacement tous

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE i459

applicable aux nullités de larticle 1304 ; c'est son intérêt pratique le plus grand, mais ce n'est pas le seuL Elle peut s appliquer, par exemple, au cas d'une vente entachée de lésion, si le vendeur reste en possession et n'est pas actionné en délivrance par Tacheteur. Elle peut aussi s'appliquer au cas un testament annulable servirait de base après plus de trente ans à une action en délivrance contre un héritier qui a toujours été en possession et n'a pas agi en nullité. La jurisprudence Ta appliquée à l'hypothèse un héritier, actionné après plus de trente ans en partage par un cohéri- tiep> oppose un testament qui lui attribue la quotité disponi- ble; € La production du titre de Fauteur commun avait pour base, dit-elle, non de faire reconnaître un droit nouveau, mais de justifier une possession préexistante (*). » Elle a jugé de même que, plus de trente ans après l'ouverture d'une suc- cession, le représentant d'un héritier qui avait reçu une dona- tion avec clause de retour peut opposer la nullité de la clause en tant qu'elle porte sur la réserve de cet héritier (*).

611. Les partisans de cette théorie font d'ailleurs remar- quer que la perpétuité de l'exception n'existe plus dans tous les cas il s'agit d'un délai après lequel la loi a certainement entendu (ju'on serait déchu de tout droit ; on a cité à titre d'exemple le délai donné à l'acheteur d'un animal atteint de vices rédhibitoires pour agir en garantie (^).lls ajoutent que la maxime ne peut être invoquée à l'appui d'une réplique; celui qui réplique à une exception n'est pas en possession du droit réclamé; il ne se défend pas, il attaque; ni les motifs de la règle ni les précédents historiques ne permettent d'éten- dre à son profit le bénéfice de la maxime quée temporalia.. . (*) .

les moyens qui tendent à la repousser, quoique le temps de s'en prévaloir par «ctîon directe soit expiré... L'adoption des moyens opposés ainsi en défense ne Tait pas revivre i*aclion directe prescrite t (art. 2246t.

(') Cas»., 12 août 1839, S., 39, 1. 913, D., Hep., Prescr, n. 857.

(») Gass., 7 janvier 1868, S., 6a. 1. 150, D , 68. 1. 123.

Cj Agen, 7 juil. 1836, S., 36. 2. 539, D. Rep., v' Prescr,, n 860. Toulouse, 18 nov. 1836, S., 37. 2. 324, D. Bép., loc. cil , n. 861. V supra, n. 39.

(♦) Casa., 27 juin 1837, S., 38. 1. 426, D., Bép., Prescr,, n. 864 ; 5 avril 1837, S , 37. 1. 434, D. Rép. v Prescr., n. 856. - Bastia, 22 mars 1854. S., 54. 2. 389. Caen, 17 nov. 1855, S., 57. 2. 757. - Lyon, 20 août 1869, S , 71.2.124. - Bordeaux, 27.juillel 1871, S., 72.2.221. - Troplong, II, n. 832 s.;

460 DE LA PRESCRIPTION

Enfin elle ne peut non plus s'appliquer au cas d^une demande incidente ou d'une demande reconventioiinelle;le défendeur devient alors à son tour demandeur, il exerce une action; il doit agir dans les délais légaux. Il a été jugé à cet égard qu'à l'action d'une compagnie de transports en paiement du prix du transport de marchandises, le défendeur ne peut opposer que les marchandises ont été détériorées par la faute de la compagnie, si l'action en responsabilité pour avaries est pres- crite ; il n'y a pas une exception pouvant faire rejeter la demande en paiement du prix du transport, ce sont deux actions entièrement distinctes par leur objet et leur cause (*). Mais cette solution a été critiquée par M. Lyon-Caen ; l'ex- ception est tout moyen tendant à faire repousser une action, qu'il touche ou non au fond du droit (arg. art. 1208 à 2012); il ne s'agit pas ici du sens spécial admis en procédure pour le mot exception, et qui lui fait désigner seulement un moyen étranger au fond du débat (art. 266 s. C. proc. civ.). Les motifs de la règle s'appliquent aux exceptions dans le sens large du mot; autrement on retombe dans les inconvénients et les injustices qu'on prétend vouloir éviter.

612. Une autre théorie a été présentée qui nous parait plus exacte :1a maxime qiue temporalia sunl ad agendimn perpétua stmt ad excipiendum n'est plus applicable dans notre droit. « Dans l'esprit du droit français, écrit M. Colmet de Santerre sur l'article 1304, un droit existe ou n'existe pas; s'il existe, on le fait valoir soit par des actions, soit par des exceptions, et, si l'on n'a pas l'action, c'est que le droit n'existe pas; ce qui exclut l'idée qu'il puisse être invoqué même par voie d'excep- tion... 11 importe peu que le texte parle seulement de l'action, car se défendre en alléguant qu'une obligation est annula- ble, c'est bien demander la nullité de cette obligation, puis- qu'elle existe par sa nature tant qu'elle n'est pas annulée par les tribunaux... La décision que nous donnons sur la

Larombière, loc, cil, ; Demolombe, XXIX, n. 138 ; Aubry et Rau, 4* éd.. VUI. p. ilo,% 771: Giscard, op. cit., p. 153 s ; Hue, XIV, n. 436;GuiIlouard, n. 55 et 598.

") Cpr. Besancon, ti nov.' 13S6, S., 87. 2. 225. Mais voyez en sens con- Iroire de cel anôt la note d^ M. Lyon-Caen.— V. aussi Giscard, op. fiX, p. 165.

DK LA PRESCRIPTION TRËNTENAIRE 461

dorée limitée de Texception, si rassurante pour le crédit publie, puisqu'elle met un terme à l'incertitude des droits et à l'instabilité des propriétés, n'est certainement pas trop rigoureuse pour la partie dépouillée du droit d'invo- quer la nullité d'un acte. Il ne faut pas oublier que cette partie a toujours eu le droit, pendant dix ans, d'attaquer l'acte et de le faire annuler; son inaction est une négligence (le ses intérêts qui justifie suffisamment la perte du droit, puisque c'est toujours une négligence semblable qui est la base d'une prescription quelconque (*). » Ce raisonnement contient une réponse précise à l'argumentation adverse que nous avons résumée. Un droit se prescrit dès qu'il est ; voilà le principe ; peu importe que le titulaire de ce droit n'ait pas été, en fait, dans la nécessité de le faire valoir à un moment donné. Vainement on dit que celui qui fait valoir 1 exception n'a pu agir, et qu'il est d'une équité élémentaire de lui permettre d'opposer perpétuellement cette exception. Cette considération n'est guère décisive puisque l'impossibi- lité d'agir, nous l'avons vu, n'est pas un obstacle à la pres- cription. D'ailleurs, pour prendre le cas ordinaire se pré- sente l'intérêt pratique de notre question, rien n'empêche celui dont l'engagement est vicié de prendre l'initiative et de le faire mettre à néant avant toute attaque.

Le mot actions dans les articles 2262 et 1304 désigne les droits que les actions servent à faire valoir: les droits éteints ne peuvent servir de bases à des exceptions. Sans doute cette théorie aboutira à frapper injustement quelques personnes qui auront pu ignorer leur droit d'agir, ou qui auront pu le mettre en oubli. Mais la prescription ne court-elle pas en

(') V. en ce sens Duranlon, X[I, n. 519; Marcadé, sur l'arl. 1304, n. 3, el sur Tari. 2262, n. 2; Duvergier sur Touiller, loc. cil.; Colinet de Sant?rre, V. sur Tart, 1304, n. 265 bis, VI et VII ; Laurent, XIX, n. 57 s., et XXXH, n. 372 ; Albert Tissier, Tierce opp,^ n. 164. V. en ce sens Trib. d'Empire (Allema- Kne), 13 juin 1834, S., 86. 4. 17, avec la noie de M. Heaiichel. A{fen, 7 juill. 1836, S., 36. 2. 569. Toulouse, 18 novembre 1836, S., 37, 2. 324. - (iand, 2 fév. 1834. Pasic., 34. 2. 29 et 17 janv. 1841, S., 41. 2. 75.- Il n'est pas exact de dire, comme le soutiennent Aubry et Uau, que la règle est admise en règle générale el que la controverse ne porte que sur son application aux r*xcepllons de nullité ou rescision.

462 DE LA PRESCRIPTION

général aussi l)ien contre ceux qui ignorent leurs droits que contre ceux qui les connaissent ? C'est au législateur à voir dans certains cas s'il faut reculer ou retarder le point de départ de la prescription. Mais est le seul remède aux injustices qu'on oppose comme pouvant être la conséquence de notre opinion.

612 bis. 11 nous parait intéressant d'observer, en termi- nant rexamen des hypothèses dans lesquelles Tapplication de l'article 2282 a pu susciter des difficultés, que la pres- cription trentenaire, bien qu'en principe elle éteigne tous les droits, ne saurait atteindre les droits accessoires d'un droit principal régulièrement conservé. Cette idée générale est susceptible de conséquences nombreuses ; c'est ainsi tout d'abord que les droits de privilège et d'hypothèque accessoires de la créance qu'ils garantissent durent, à l'égard du créancier et du débiteur, aussi longtemps que la créance elle-même (art. 2180-4'*). II en est de même à l'égard des autres créanciers ; ils ne sauraient invoquer une prescrip- tion du privilège ou de l'hypothèque indépendante de la prescription de la créance ; tant que celle-ci existe, sous réserve des conditions de publicité, les sûretés existent éga- lement (% Il a été jugé aussi récemment que le droit pour le propriétaire de demander à l'usager sa part contributoire de 1 impôt foncier est, en lui-même, imprescriptible ; il est inhé- i^nt aux rapports des droits de propriété et d'usage (*).

612 ter. Dans l'hypothèse d'un legs fait aux pauvres avec indication d'une personne chargée d'en faire la distribution, on sait que le legs est délivré au bureau de bienfaisance, repré- sentant légal des pauvres, mais que la jurisprudence admet la validité de la clause désignant un tiers pour répartir les sommes léguées. Cette clause constitue une modalité

(') Douai, 4 avril 1895, S., 97. 2. 289 et la note de M. Albert Tissier, D., 97. 2,5 et la note de M. de Loynes. V. au surplus Baudry-Lacanlinerie et de Loynes, Privil, et %p.,III, n. 2270 s.— Il semble qu'il doive en ôlre deraéine (lu droit de séparation de patrimoines ; c'est un droit accessoire qui, sauf le cas de l'art. 880, ne se prescrit qu'en même temps que la créance elle-même. V.sur r«>lle question controvereée, Baudrj-Lacanllnerie et Wahl, Sacc, lit, n. 4U5 ; et la note au Sirey, 98. 2. 17. ^ V. encore supra, n. 571 s.

(S) Cass., avril 1900, D., 1901. 1. 268.

DK LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE 463

accessoire qui accompagne le legs et dure autant que lui : tant que le bureau de bienfaisance a des sommes à distri- buer provenant du legs, la distribution doit se faire do la manière indiquée par le testament, sans qu*on puisse oppo- ser ici de prescription extinctive (*). Cette solution qu'a admise récemment la Cour d'Agen peut être étendue à de nombreux cas analogues. V. supra, n. 169.

612 quater. La môme idée nous parait devoir interve- nir pour la solution d'une question délicate, récemment sou- mise à la Cour de cassation, celle de savoir quelle est la situa- tion du légataire universel ou à titre universel qui est resté plus de trente ans sans demander la délivrance de son legs. Dans riiypothèse d'un légataire universel, qui s'était mis en possession sans délivrance préalable, la Cour de cassation a jugé qu'après trente ans il n'avait pas perdu le droit d'agir en déli>Tance, la jouissance qu'il avait eue des biens de la succession ayant empêché la prescription de courir contre lui ('^), ce qui semble impliquer que, s'il ne s'était pas mis en possession et s'il était resté trente ans sans demander la délivrance, il aurait perdu le droit d'agir contre les héri- tiers (*). Cette solution nous paraîtrait peu exacte. La demande en délivrance est, à la fois, une obligation pour le légataire, à l'accomplissement de laquelle est subordonnée l'entrée en possession des biens légués, et un droit donné au légataire contre l'héritier et accessoire au droit au legs qui lui appar- tient dès le décès. Si le légataire universel se met en pos- session sans délivrance préalable et reste ainsi plus de trente ans sans être inquiété, il est libéré de son obligation de demander la délivrance. Si, n'étant pas en possession, il reste trente ans sans agir en délivrance, il peut toujours le faire tant que son droit au legs n'est pas éteint, c'est-à-dire, à notre avis, tant que la prescription de l'article 789 ne lui est pas opposable, eu admettant qu'elle puisse s'appliquer ici, ou

(') Apen, 22 mars 1899, S., 1900. 2. 11.

(*)Ca«s , 8 mai 1895, S , 96.1. 385 el la noie de M. Albert Tissier, D., 95.1. 425 et la note de M. Planiol . l') V. Limoges, 17 janv. 1895, D., 98. 2. 260.

464 DE LA PRESCRIPTION

tant qu'il n'y a pas eu de prescription accomplie contre lui à la suite d*une possession de trente ans (art. 816).

612 quinquies. Une distinction analogue doit être faite s*il s'agit du légataire particulier d'un immeuble. Resté en pos- session sans délivrance préalable pendant plus de trente ans, il s'est affranchi de l'obligation imposée par la loi. S'il n'est pas entré en possession, il peut agir en délivrance même après trente ans, du moment que son droit au legs subsiste ; et nous avons vu que son droit de propriété, acquis au jour du décès, ne peut s'éteindre par sa seule inaction non plus que l'action en revendication qui le protège; il ne pourrait se voir opposer qu'une prescription acquisitive accomplie contre lui (')^

612 sexies. 11 en est autrement du légataire d'une créance. S'il n'a pas réclamé son legs, il ne peut plus agir après trente ans, son droit de créance étant éteint et avec lui le droit d'agir en délivrance |(*).

SECTION II

DES CONDITIONS REQUISES POUR LA PRESCRIPTION DE TRENTE ANS

613. La prescription trentcnaire n'exige aucune autre con- dition que l'inaction du créancier pendant trente ans, ou la possession pendant trente ans avec les caractères voulus par la loi. Elle n'exige ni titre ni bonne foi.

614. Elle n'exige pas de titre. Cette proposition n'a pu être écrite dans l'article 2262 qu'en vue de la prescription acquisitive. Ainsi l'usurpateur peut prescrire par trente ans, le voleur lui-même peut bénéficier de cette prescription.

Il a été jugé à cet égard que la prescription trentenaire, n'exigeant pas de titre, ne peut être écartée par le motif que l'immeuble revendiqué ne ferait pas partie de la propriété acquise parle revendiquant d'après son titre (').

615. Si le possesseur a un titre émanant du véritable pro-

(*) Gass., 25 janv. 1835, S., 63. 1. 88.

(«) Paris, 21 aviil 1815.

(») Gass., 2 janv. 1895, S., 95. 1. 496.

DE LA PRESCRIPTION TRExNTENAIRE 465

priétaire, mais qui n'a pas été transcrit, il peut opposer aux tiers qui invoqueraient ce défaut de transcription la prescription résultant d*une possession trentenaire dans les conditions déterminées par la loi. Il n'est pas exact, comme le soutient Mourlon (^), de dire que Tacquéreur n'a pas pos- sédé vis-à-vis des tiers, qu'il ne s'est pas posé vis-à-vis d'eux comme propriétaire. Il ne s'agit pas d'un détenteur précaire auquel on puisse opposer qu'il a un titre vicieux et qu'il ne peut prescrire contre son titre. Il s'agit d'un acquéreur qui, laissant de côté son titre non opposable à défaut de transcrip- tion, invoque la prescription résultant d'une possession de trente ans à titre de propriétaire. Le défaut de transcription n'empêche pas qu'il ait possédé l'immeuble dans les condi- tions légales (*).

616. La prescription de trente ans n'exige pas non plus la bonne foi, et cela s'apjplique soit à la prescription acquisitive, soit à la prescription extinctive ; la bonne foi n'est pas plus nécessaire au possesseur qui invoque cette prescription à l'effet d'acquérir, qu'au débiteur qui l'invoque à l'effet de se libérer.

Le possesseur est de mauvaise foi, lorsqu'il a su dès le début que le bien par lui détenu appartenait à autrui. Ainsi j'achète un bien de quelqu'un que je sais n'en être pas pro- priétaire: j'ai donc un titre, mais je n'ai pas la bonne foi. Je pourrai prescrire par trente ans. L'usurpateur même peut prescrire sans titre ni bonne foi (').

Le débiteur est de mauvaise foi, lorsqu'il sait parfaite- ment qu'il n'a pas payé sa dette. Si néanmoins il invoquô la prescription trentenaire, il n'aura pas à craindre de se voir opposer l exception déduite de sa mauvaise foi. Le créancier ne pourra donc pas demander à prouver la mauvaise foi du débiteur, ni lui déférer le serment sur le point de savoir s'il

(') Mourlon, Aev. prat., XIV, p. 49 s.

(') Il peut même invoquer la prescriplion de dix àvin^l ans s'il a élé de bonne foi. V. m/ra, n. 674.

(») V. Cass., 8 fév. 1833, S-, 36. 1. 436, D. 36. 1. 93. - A?en, 27 avril 1830, D. Réç,, Prescr,, n. Si). Laurent, XXXH, n. 385 ; Aubry et Rau, 5' éd., iî, p. 534, § 216.

PRESCR. 30

460 DE LA PRESCRIPTlO^ï

a payé sa dette. Le débiteur peut dire hautement qu'il n'a pas payé sans perdre pour cela le bénéfice de la prescription qu'il invoque.

617. Le code civil a, sur ce point encore, heureusement supprimé les difficultés nombreuses qui s'élevaient dans noti-e ancien droit relativement au possesseur et au débiteur de mauvaise foi.

D'après le droit canonique, la bonne foi était nécessaire pour toutes les prescriptions et pendant toute leur durée. Le débiteur ne pouvait invoquer la prescription s'il savait n'avoir pas payé ; le possesseur de mauvaise foi ne pouvait jamais prescrire. On admettait seulement, au cas de prescription libératoire, que les héritiers ou débiteurs pouvaient invoquer la prescription quand ils n'avaient pas de raison de penser que la dette était impayée (*).

Le droit civil, issu des lois romaines, admettait aussi que la prescription acquisitive de dix à vingt ans avec titre suppo- sait la bonne foi du possesseur; mais il présumait cette bonne foi, c'est la mauvaise foi qui devait être prouvée; la bonne foi n'était d'ailleurs requise qu'au moment de l'entrée en possession. Pour la prescription de trente ans, la bonne foi n'était pas requise. Quant à la prescription extinctive, elle pouvait aussi profiter au débiteur de mauvaise foi, à qui on ne pouvait déférer le serment et qui ne restait tenu que dans son for intérieur. Ce sont les solutions que notre code civil a sagement consacrées.

618. 11 y avait de grandes discussions sur le point de savoir s'il fallait suivre les règles du droit canonique ou celles de la loi civile, comment devait être délimité le domaine des unes et des autres. Dunod analyse cinq opinions autrefois soutenues sur cette difficulté (*). Le droit civil l'emportait en général dans la jurisprudence, du moins pour la pres-

V) V. pour une élude détaillée du droit canonique en celle matière HufRni, Lu biiona fede in materia di prescrizione, Turin, 1892.

(*) V. Dunod, p. 38 s. ; Domat, Lois civ,, liv. III, ch. VH, secl. 4 ; Pothier, ObL, n. 678 ». cl Prescr., n. 27 s. ; Merlin, Rép,j Prescr., Secl. I, § V, ari. 4. Cpr. Albert Desjardins, Orig. hist, et causes d'inter. de la prescr.* n î3 ; Mornard, Rev. gén, du dr. fr., 1385, p. 518 et 519.

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRË 467

cription de trente ans; le droit canonique était suivi pour la prescription acquisitive de dix à vingt ans. Dunod résume très bien les raisons de cette jurisprudence en ce qui con- cerne la prescription acquisitive de trente ans; c'est la jus- tification de l'article 2262. « Les raisons de cette jurispru- dence sont que le titre et la bonne foi sont deux corrélatifs et qu'en conséquence, l'on ne doit pas exiger la bonne foi dans les prescriptions dans lesquelles le titre n'est pas néces* saire même suivant le droit canon ; que la preuve de la mau- vaise foi, qui réside principalement dans l'esprit et dans l'intention, est très difficile ; que la discussion qu'il faudrait faire pour y parvenir causerait un grand nombre de procès (juil est à propos d'éviter en conservant une espèce de pres- cription dans laquelle il ne soit question que de savoir si on a possédé et pendant quel temps, ce qui est facile à prou- ver ; que le bien public et celui des familles le demandent, et que l'on ne doit pas violer une règle si utile faite par des empereurs chrétiens, reçue et observée avec autant de suc- cès que d'applaudissement; que l'on ne juge point dans les tribunaux de justice de l'intérieur dans lequel la mauvaise foi est presque toujours cachée ; qu'on l'abandonne au fond de la conscience; que s'il en arrive quelques inconvénients, ce n'est que dans des cas particuliers, et que les inconvénients ne suffisent pas pour anéantir une règle générale dont l'obser- vation est absolument nécessaire pour conserver la tranquil- lité publique. »

dette jurisprudence était combattue par un grand nombre d'auteurs. Dunod lui-même n'ose pas tout à fait l'admettre. II écarte, suivant en cela la doctrine de Dumoulin et de Guy^ (Coquille, toute prescription acquisitive lorsque « la mauvaise foi est évidente, formelle et sans excuse, et que la preuve en est littérale, claire et certaine. » En pareil cas, on ne peut, dit-il, admettre la prescription parce que « la pureté de notre religion aurait peine à s'accommoder d'une loi qui semblerait autoriser un péché évident, et qui conserverait a l'auteur de ce péché le profit qui lui en reviendrait. » Au contraire, il admet la prescription libératoire sans condi- tion de bonne foi. « Il parait que les canons n'y sont pas

4£8 DE LA PRESCRIPTION

applicables et qu'ils ne parlent que de la prescription qui s'acquiert par la possession. Or celui qui s'acquitte par la prescription d'une action personnelle ne possède rien; il ne retient pas le bien d'autrui ; il ne fait rien en demeurant dans l'inaction qui puisse lui être imputé à péché, car ce n'en est pas toujours un que de ne pas payer ses dettes ; Ton n'est souvent pas en état de les payer ; la loi dégage elle- même le débiteur en limitant la durée de Taction qu'elle anéantit après le temps qu'elle a déterminé ; celui qui ne l'exerce pas dans ce temps la perd par sa faute ou il est censé la remettre. » On avouera que cette distinction de Dunod est singulière et d'une casuistique quelque peu sub- tile et fragile.

619. Pour nous, le code civil a bien fait de formuler les règles auxquelles, pour la prescription de trente ans,la juris* prudence ancienne s'était arrêtée ; seules elles donnent à la prescription toute son utilité et lui permettent d'atteindre le but d'intérêt social pour lequel elle est instituée. Un juris- consulte éminent, qu'on ne se serait guère attendu à voir reprendre la doctrine canonique, s'élève cependant avec force contre ce qu'il appelle « un relâchement moral ». D'après Laurent, « le bien public consiste avant tout dans Tordre moral ; or, l'ordre moral est profondément troublé quand la loi dit que le possesseur de mauvaise foi l'emporte sur le propriétaire; c'est donner gain de cause à l'usurpation con- tre le droit. Sans doute, le domaine du droit n'est pas celui de la morale, mais cela ne veut pas dire que la loi doive encourager et récompenser Timmoralité... Ce qui fait la fai- blesse de nos sociétés modernes, c'est précisément que le sentiment du droit s'affaiblit et il en est de même du sen- timent moral... Il y a un ordre moral supérieur aux con- fessions religieuses ; il importe à Tautorité des lois qu'elles ne se mettent pas en contradiction avec la voix de la cons- cience, et quand les consciences faiblissent, le devoir du législateur est de maintenir le principe moral dans ionie sa rigueur (*). » Ces critiques n'ont, à notre avis, rien de fondé;

(') V. Laurent, KXXI[, n. 3ô9 et 371. V. aussi Bélime, Philos, du droU, II, p. 695 et s. ; Ouillouard, I, n. 20, 24 et 25. 530; Hue, XIV, n. 432. Cpr. pour

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE 469

elles sont la critique de la prescription elle-même ; la pres- cription ne peut jouer le rôle bienfaisant et éjninemment utile qu'elle remplit qu'à la condition d'éteindre toute que- relle après un certain temps sans aucune condition ni réserve ; il ne faut pas qu'on rouvre la porte aux procès sur le terrain de la bonne ou de la mauvaise foi. Laurent Ta dit lui-même au début de son étude sur la prescription. Après avoir posé la question sur l'hypothèse du possesseur de mauvaise foi, il montre que l'intérêt social exige que la pos- session de trente ans s.oit consolidée ; il montre que la pres- cription doit éteindre toutes les actions après trente ans ; il rappelle ces paroles saisissantes de Bigot-Préameneu : « La justice générale est rendue, et dès lors, les intérêts privés qui peuvent être lésés doivent céder à la nécessité de maintenir l'ordre social. » (V. supra, n. 29.)

Les difficultés et les contestations aujcquelles donneraient lieu les questions de bonne et de mauvaise foi enlèveraient à la prescription une grande partie de son intérêt et de son utilité : en fait, ce sont des questions souvent impossibles à trancher. Il suffit de rappeler les multiples distinctions aux- quelles on se livrait sur le cas de celui qui est dans le doute sur la légitimité de sa possession ; plusieurs auteurs, dont l'opinion est rappelée par Dunod, faisaient observer avec une grande sagacité m que le domaine des choses est si incertain que tout homme prudent qui voudra faire réflexion à cette incertitude serk toujours dans le doute si ce qu'il a acquis, quoique à titre légitime, lui appartient ou à un autre; que si l'on estimait que le doute simple est un obstacle à la pres- cription, ce serait ôter ce moyen d'acquérir aux personnes avisées et prudentes et leur laisser moins d'avantage qu'à celles qui sont toujours pleines de confiance, ne doutant de rien (*). »

la prescription acquisitive, C. civ. Montén . art. 45, 46, 845 ; C. civ. Zurich, arl. 1».— Béfime ajoute d'ailleurs que, si on exige la bonne foi pour la prescrip- tion, il faut admettre que Théritier prescrit s'il est de bonne foi, sans qu'on puisse lui opposer la mauvaise foi de son auteur. (') Dunod, p. 40.

470 DE LA PRESCRIPTION

SECTION III

EFFETS DE LA PRESCRIPTION TRENTËNAIRE

620. Nous avons vu plus haut les effets généraux de la prescription soit acquisitive, soit extinctive (*). Il est essen- tiel d'ajouter ici une observation en ce qui concerne la pres- cription acquisitive de trente ans.

11 semblerait^ à ne s'attacher qu'aux expressions de Tar- ticle 2262, que le possesseur sans titre et de mauvaise foi n'a pas acquis la propriété après trente ans et peut seulement repousser l'action en revendicatioti au moyen d'une excep- tion (*) . Cela n'est cependant pas exact. Ce n'est pas seulement l'action de l'ancien propriétaire qui est éteinte après une possession de trente ans, c'est le droit possédé qui est acquis. Les articles 713 et 221& doivent se combiner ici avec l'arti- cle 2262. En droit vomain,\sL prœscriptiô longi temporis orga- nisée par le préteur ne donnait qu'une exception à celui qui avait prescrit ; mais il n'en est plus de même aujourd'hui. La prescription de trente ans, une fois accomplie, fait acqué- rir au possesseur le droit lui-même. Elle lui donne à la fois une action et une exception. Telle était la théorie de notre ancien droit : « La prescription de trente ans, dit Pothier, a les mêmes effets que celle de dix ou de vingt; elle fait, dans notre droit coutumier, acquérir au possesseur, de même que celle de dix ou vingt, le domaine de l'héritage ou autre droit immobilier qu'il a possédé pendant le temps requis pour la prescription. Plusieurs coutumes s'en soAt expliquées. Notre coutume d Orléans (art. 161), dit :4( Quiconque jouit, par trente ans... y il acquiert et est fait seigneur de f héritage », etc. Cette prescription de trente ans a aussi l'effet, aussi bien que celle de dix à vingt ans, de faire acquérir au possesseur

(') V. supra, n, 101 s.

{*) II en esl ainsi en droit musulman pour toute prescription résultant de U possession prolongée pendant le délai légal : il n'y a pas de prescription acquisitive dans le sens précis du mot. V. Morand, Revue algér,, 1899, I, p. 37

et s.

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE 471

rafirancbisseincnt des rentes, hypothèques et autres droits dont rhéritage est chargé, par la possession qu'il a eue de rbéritage qu il a possédé pendant le temps requis pour la prescription comme franc desdites rentes, hypothèques ou autres droits (*). »

Il est certain que cette théorie a été celle de Bigot-Préame- neu dans son ex{)osé des motifs. Il traite en même temps de la prescription acquisitive de trente ans et de celle de dix à vingt ans ; il ne distingue pas la prescription acquisitive de trente ans et la prescription extinctive de l'action en reven- dication ; elles se fondent pour ne faire qu'une seule et même prescription. « La première distinction qui se présentait, dit- il, est celle entre les droits personnels et les droits réels. Dans la prescription des actions personnelles, on présume qu'elles sont acquittées, ou on considère la négligence du créancier et on peut, sans inconvénient, lui accorder contre son débiteur le temps de la plus longue prescription, celui" de trente ans. Dans la prescription pour acquérir, on n'a point seulement à considérer l'intérêt du propriétaire ; il faut aussi avoir égard au possesseur, qui ne doit pas rester dans une étemelle incertitude. Son intérêt particulier se trouve lié avec l'intérêt général. Quel est celui qui bâtira, qui plantera, qui s'engagera dans les frais de défrichement ou de dessèchement, s'il doit s'écouler un trop long temps avant qu'il soit assuré de n'être pas évincé ? Mais cette consi- dération d'ordre public est nécessairement livrée à une seconde distinction entre les possesseurs avec titre et bonne foi et ceux qui n'ont à opposer que le fait même de leur pos- session. Quant aux possesseurs qui n'ont pour eux que le fait même de leur possession, on n'a point la même raison pour traiter à leur égard les propriétaires avec plus de rigueur que ne le sont les créanciers à l'égard des débi- teurs. L'importance attachée aux propriétés foncières pour- rait même être un motif pour ne les laisser prescrire que par un temps plus long comme on Ta fait dans

(') Polhier, Prescr.^ n. 1^9 el 180. - V. aussi Dunod, p. 107 ; Merlin, Hép., V Prtscr , sect. II, § 13.

472 DE LA PRESCRIPTION

quelques pays ; mais d'autres motifs s'y opposent. Si le possesseur sans titre ne veut point s'exposer à des dépen- ses, il est déjà fort contraire à l'intérêt général que toute amélioration puisse être suspendue pendant trente ans, et, après une aussi longue révolution pendant laquelle le pro- priétaire doit se reprocher sa négligence, il convient de faire enfin cesser un état précaire qui nuit au bien public (*). » On peut ajouter que le rapprochement des articles 690, 091, 2180 alinéa 4, avec l'article 2262, et que les expres- sions finales de cet article démontrent encore notre théorie d'une façon très nette. La formule un peu obscure de Tar- ticle 2262 s'éclaircit ainsi à l'aide des précédents hîstori- cpies, des travaux préparatoires et des textes que nous venons de citer (*). Elle n'a été insérée au code civil que parce qu'on a voulu comprendre dans une même disposi- tion les deux applications de la prescription de trente ans. Mais, comme nous l'avons déjà dit, il ne faut pas la pren- dre à la lettre ; autrement toute la théorie de la prescrip- tion serait bouleversée (V. supra, n. 594). M. Bufnoir a de plus fait remarquer que nos anciens auteurs se servaient parfois, pour désigner la prescription acquisitive de la pro- priété, de formules paraissant viser plutôt la prescription de l'action en revendication (').

SECTION IV

DU TITRE NOUVEL

621. « Après vingt-huit ans de la date du dernier titre, le « débiteur d'une rente peut être contraint à fournir à ses frais « un titre nouvel à son créancier ou à ses ayants cause y^ (art. 2263).

Les arrérages d'une rente se distinguent de la rente elle- même, comme les fruits se distinguent du fonds de terre qui

(') Locré, XVI, p. 576.

(«) Sic Aubi7 et Rau, 5" éd., II, p. 534, § 216 ; Laurent, XXXII, n. 383 et 384 ; Bufnoir, p. 174 ; GuiUouard, I, n. 529 ; Hue, XIV, n. 431. (') Bufnoir, p. 176.

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE 473

leur donne naissance. La rente est le droit, le nomen juris, le capital dont les arrérages sont le produit.

Les arrérages d'une rente soit perpétuelle, soit viagère, se prescrivent par cinq ans (art. 2277). Le crédi-rentier peut donc se voir opposer la prescription pour tous les arrérages remontant à plus de cinq années, si durant cet intervalle il n'a pas fait le nécessaire pour interrompre la prescription.

Quant à la rente elle-même, nomen juris, qui permet au créancier de demander périodiquement le paiement des arré- rages, elle est prescriptible également, mais seulement par trente ans d'après l'article 2262, la loi n'ayant pas ici fixé de délai plus court. On s'accorde, soit en jurisprudence, soit en doctrine, sauf quelques dissentiments, pour reconnaître que les trente ans courent à compter de la date du titre constitu- tif de la rente, et non à dater de la première échéance des arrérages; car le droit est au profit du crédirentier dès que la rente est créée, et d'ailleurs les arrérages échoient civilement jour par jour (V. supra, n. 382).

622. Cela posé, chaque paiement d'arrérages, qu'effectue le débirentier, interrompt la prescription delà rente, car il contient de sa part une reconnaissance du droit du- crédiren tier (art. 2248). Si donc, après trente ans, le débirentier refuse de continuer le service des arrérages, alléguant que la rente est éteinte par la prescription, il suffira au crédirentier de prouver que les arrérages ont été payés pour échapper à la prescription qu'on lui oppose (*). Mais comment fera-t-il cette preuve? Il sera soumis à cet égard au droit commun et pourra se prévaloir de l'aveu du débiteur ; il pourra provo- quer cet aveu par Tinterrogatoire sur faits et articles, par la comparution personnelle des parties ; il pourra déférer le serment ; enfin il pourra prouver par témoins le fait du paie- ment des arrérages si l'intérêt est inférieur à 150 francs. Ajou- tons d'ailleurs que, pour savoir si l'intérêt est inférieur à

(») Cass., 20 nov. 1839, S., 40. 1. 716, D. Hep., V Prêter., n. 609; 27 janv. cl 10 mars 1868, S., 68. 1. 105; 17 juin 1872, S., 73. 1. 82 ; 16déc. 189'^,^., 95. 1. 387.— Aubry et Rau, 5- éd , II, p. 518, § 215, noie 51 ; Marcadé. sur 1 art. 2263, n. 1; Golmetde Sanlerre, VIII, n. 370 Aw, I; Laurent, XXXri, n. 382; Lerou.v de BrcUgne, II, n. 862. V. aussi Paris, 19 juin 1866, S., 67. 2. 33.

474 DE LA PRESCRIPTIOxN

150 francs, c'est au point de vue du capital de la rente et non au point de vue des seuls arrérages qu'il faut se placer. Le litige roule en réalité sur le capital de la rente ; il s'agit de savoir si on doit déclarer la rente éteinte par la prescrip- tion. Laurent dit pour combattre cette opinion, que l'exis- tence de la rente n'est pas contestée, que c'est seulement l'exercice du droit qui est l'objet du litige : c'est une raison inacceptable, l'existence de la rente est bien en jeu puis- qu'on soutient qu'elle est éteinte; le défaut d'exercice du droit est le moyen par lequel on veut le faire déclarer pres- crit ; le litige porte en réalité sur la rente elle-même. La jurisprudence se prononce dans ce sens et repousse la preuve par témoins dès que les annuités réunies au capital de la rente dépassent 150 francs, à moins qu'il n'y ait un com- mencement de preuve par écrit (*). V. supra, n. 638.

623. On voit en somme que la situation du créancier de la rente pourra être souvent des plus difficiles. Les quittances constatant le paiement des arrérages sont entre les mains du débiteur qui se gardera bien de fournir une arme contre lui en les produisant. Il soutiendra que, pendant les trente années qui'se sont écoulées depuis la création de la rente, il n'a payé aucuns arrérages, et le crédirentier succombera devant cette injuste allégation à raison de l'impossibilité il se trouvera d'en démontrer la fausseté. Il y avait un danger sérieux pour le crédirentier. Mais rien ne lui est plus facile que de le prévoir à l'avance, et notre article, qui ne fait d'ailleurs que reproduire une solution de notre ancien droit (*), lui fournit les moyens de le conjurer. Lorsqu'il se sera écoulé vingt-huit ans depuis la date du titre constitu- tif de la rente, ou, dune façon plus générale, depuis la date

Ci Cas»., 14 mars 1827, S. chr. ; 20 nov. 18î9,précilé; 17 nov. 1858, S., 59. 1. 905, D., 53. 1. 453; 27 janv. el 10 mars 1868, S., 68. 1. 105, D., 68. 1. 200. Troplong, n. 622 ; Marcadé. loc. vit, ; Leroux de Bretagne, II, n. 863.— V.cep. Laurent, KXXIi, n. 382.— Un litre ayant plus de trente ans de date ne pourrait servir de commencement de preuve par écrit susceptible de rendre admissible la preuve cslimoniale. Ciss., 19 nov. 1815, S., 46. 1.609, D., 46.1. 38.-* Leroux de Bretagne, il, n. 816. V. sur les facilités de preuve qu'on donnait dans l'ancien droit au créancier, Dunod, p. 171 et 172.

(*) V. Loyseau, Du déguerpissement, liv. III, chap. V.

l

DE LA PRESCRIPTION TRENTËi^ÂIRE 475

du dernier acte constatant rengagement du débirentier (*), deux ans par conséquent avant l'époque fixée pour Taccom- plissement de la prescription, le crédirentier pourra exi- ger, par les voies de droit, que le débirentier lui fournisse à ses frais un titre nouvel. Ce titre, contenant une reconnais- sance de la rente, lui assurera une nouvelle durée de trente années. Quand il aura lui-même vingt-huit ans de date,, le crédirentier pourra en exiger un troisième, et ainsi de suite, de sorte qu'à l'aide de renouvellements successifs, opérés conformément aux prescriptions de larticle 2263, le crédi- rentier se mettra perpétuellement à Tabri des conséquences de la mauvaise foi du débirentier ou de ses ayants cause. On voit que l'article 2263 n'offre d'intérêt pratique que si le créancier n'a pas en main une preuve du paiement inter- rnptif de la prescription. Un créancier qui retirerait, lops 'du paiement des arrérages, une contre-quittance, n aurait pas à user de l'article 2263 ; son titre serait aussi efficace qu'au premier jour, même après un délai supérieur à trente ans. Il en serait de même si le créancier faisait dresser une quittancé notariée, dont il resterait minute (*).

624. Les causes de suspension de la prescription pour- raient d'ailleurs prolonger le délai de l'article 2263. Le débi- teur pourrait les invoquer pour éviter de payer les frais d'un titre nouvel qui ne serait pas encore nécessaire.

625. L'article 2263 est applicable aux rentes viagères comme aux rentes perpétuelles ; car il ne distingue pas, et, dans les deux cas, il y a les mêmes raisons de décider (^). Mais il n'est pas applicable à l'hypothèse de la dette d'un capi- tal exigible après un terme dépassant trente années, car alors la prescription ne commence à courir qu'après l'arri- vée du terme (*).-« Le créancier d'un capital, dit avec raison.

(') V. Cass., 23 fév. 1831, S., 31. 1. 184, D, Rép., Prescr., n. 871.- Col- mel de Sanlerre, VIII, n. 370 bis, UI ; Aubry et Rau. loc. cit.

(*)Pothiep, Oblig,, n. 695 ; Toullier, IX, n. 97 ; Troplong, n. 622. - Gpr. Planiol, éd., U,*n. 671.

(") Toulouse, 23 janv. 1828, S. chr. Duranlon, XXI, n. 348 ; Marcadé, sur l'art. 2263, n. 3 ; Ck)lmet de Sanlerre, VIII, n. 370 bis, It ; Laurent, XXXII, n. 380. - V. cep. Melz, 28 avril 1819, D. Rèp, Prescr., n. 847.

(*) Paris, 19 juin 1866, S., 67. 2. 33 et la note de Labbé.

47^ DE LA PRESCRIPTION

M. Labbé^ quelque reculé que soit le terme, n'a pas à redou- ter la prescription, au moins la prescription libératoire, tant que le terme n'est pas arrivé; il n'a donc pas d'intérêt à obte- nir de son débiteur, avant cette époque, une reconnaissance de la* dette. »

S'il s'agit d'un capital échu depuis près de trente ans et pour lequel la prescription soit sur le point de s'accomplir, le créancier peut, évidemment, interrompre la prescription ; il obtiendra le plus souvent du débiteur, en le menaçant de le poursuivre en paiement, une reconnaissance de la dette ; à défaut de reconnaissance, il lui est facile d'interrompre la prescription au moyen d'une action judiciaire ;il n*était pas nécessaire d'étendre ici la règle de l'article 2263 (*). Si le capital est productif d'intérêts, le créancier peut, d'ailleurs, se faire délivrer des contre-quittances lors du paiement des intérêts 0).

L'article 226Si ne serait pas non plus applicable à l'égard du tiers détenteur du fonds hj-pothéqué au service d'une rente ou à l'égard du propriétaire d'un fonds servant. En dehors des cas de l'article 22^3, il faut décider que le titulaire d'un droit qui redoute l'effet de la prescription ne peut se protéger que par une action interruptive (') ; l'article 2263 constitue une faveur exceptionnelle qui ne saurait être éten- <lue à d'autres cas que ceux expressément prévus.

(') Marcadé, sur Tari. 2263, n, 3 ; Troplong, II, n. 8i4 ; Aubry et Rau, (€>€. cil.; Colmel de Santerre, loc. cit.; Laurent, loc, cil, ; Guillouard, n. 261.

(«) V. Troplong, n. 837.

(») Toullier, lll, n. 722 ; Troplong, II, n. 842 et 844 ; Marcadé, loc, cit.; Col- mel de Sanlerre, ioc. ci7. ; Laurent, XXXII, n. 378, 380, 381 ; Leroux de Bretagne, II, n. 841. Cpr. Gass., 23 févr. 1831, précité. —V.Nancy» 14 juin 1837, S., 39. 2. 117. Pardessus, Servit., n. 669 ; Taulier, VU, p. 483*

PRESCRIPTION DE l'aCTION CIVILE NÉE d'uN DÉLIT 477

CHAPITRE XVI

DE LA PRESCRIPTION DE l'aGTION CIVILE NÉE d'uN DÉLIT

626. L'étude de Tapticle 2262 et de la prescription tren- tenaire que ce texte établit ne serait pas complète si nous ne faisions connaître l'importante dérogation au droit com- mun qui résulte des règles du code d'instruction criminelle en ce qui concerne la prescription des actions civiles nées de faits délictueux.

Il est important de préciser les restrictions que subit ici le droit commun, et d'en limiter strictement l'étendue.

627. Rappelons d'abord les règles toutes spéciales admi- ses quand il s'agit de l'action en réparation du dommage causé par un fait délictueux donnant lieu en même temps à une action répressive.

L'article 637 du code d'instruction criminelle porte que : l action publique et Vaction civile résultant (Ttin crime de < nature à entraîner la peine de mort ou des peines afflic- « tives perpétuelles y ou de tout autre crime emportant peine « af/lictive ou infamante, se prescrivent après dix années « révolues à compter du jour le crime aura été commis, « si dans cet intervalle il na été fait aucun acte dinstruc- tion ni de poursuite. S'il a été fait, dajis cet intervalle, des actes cTinstruction ou de poursuite non suivis de juge^ « ment, Vaction publique et Vaction civile ne se prescriront qu'après dix années révolues, à compter du dernier acte, à « regard même des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte cTinstruction ou de poursuite. » En ce qui concerne les délits, l'article 638 du code d'instruction cri- minelle dispose que « dans les deux cas exprimés en Tarti^ « de précédent et suivant les distinctions cTépoques qui y « sont établies, la durée de la prescription sera réduite à « trois années révolues, sHl s*agit dun délit de nature à être « puni correctionnellement. » Enfin, quant aux contraven- tions, l'article 640 du code d'instruction criminelle décide

478 DE LA PRESCRIPTION

que 4c r action publique et l action civile pour une contraven- tion de police seront prescrites après une année révolue à compter du jour elle aura été commise, m,éme lors- « qu*il y aura eu procès-verbal, saisie, instruction ou pour- « suite, si dans cet intervalle il iiest point intervenu de « condamnation ; s'il y a eu un jugement définitif de pre- « mière instance de nature à être attaqué par la voie de « rappel, l'action publique et Inaction civile se prescriront « après une année révolue, à compter de la notification de « l'appel qui en aura été interjeté. » Il y a de plus des lois spéciales qui édictent des prescriptions plus courtes ; on sait notamment que la prescription pour les délits prévus par la loi du 20 juillet 1881 sur la presse est fixée à trois mois, qu'il en est de même des délits forestiers (C. for., art. 185) et des délits de chasse (L. 3 mai 1844, art. 26), que la pres- cription est d'un mois pour les délits ruraux et pour les délits de pêche (L. 28 sept. 6 oct. 1791, tit. I, sect. 7, art. 8; 1. 15 avril 1829, art. 62) (%

628. 11 est clair qu'après l'expiration des délais fixés par ces dispositions, la personne lésée ne peut saisir de sa demande la juridiction répressive. Mais ne lui reste-t-il plus la ressource d'intenter son action devant la juridiction civile, comme s'il s'agissait du dommage causé par un fait dom- mageable non prévu par la loi pénale, c'est-à-dire pendant trente ans ?

Nos anciens auteurs avaient déjà agité cette question. Des criminalistes fort autorisés soutenaient que la prescription de trente ans était seule applicable à l'action civile en réparation d'un fait délictueux lorsqu'elle était intentée devant la juri- diction civile. Telle était l'opinion de Serpillon (*); telle était

C) En matière de contraventions de grande voirie, la junspnidence du con- seil d'Etat admet la prescription d*une année, tandis que la Cour de cassation applique la prescription de trois ans. V. Cass., 18 mars 1895, S., 95. 1. 169. Gons. d'Et., 7 juill. 1893, S., 95.3. 62 ; 9 août 1893, S., 95. 3. 80.- Mais il est certain que la prescription ne peut ôlre invoquée en ce qui concerne la restitu- tion du sol occupé et la suppression des travaux entrepris, le domaine public étant inaliénable et imprescriptible. V. Gons. d Et., 7 juill. et 9 août 1893, pré- cités.

{') Sorpillon, Code crim , I, p. 828. V. aussi .Tousse, Jnsl. crim,, l, p. 600.

PRESCRIPTION DE l'aCTION CIVILE NÉE d'uN DÉLIT 479

aussi la jurisprudence de plusieurs parlements. «Cette juris- prudence, disait Muyard de Vouglans, conforme à la disposi- tion du droit romain, est celle des parlements de Grenoble, de Dijon et de Franche-Comté (*). )► Mais Topinion contraire, défendue par Rousseau de la Combe et par Pothier (*), était celle qu'on suivait plus communément en jurisprudence, notamment au Parlement de Paris ('). « Cette jurisprudence, ditMuyard de Vouglans, comme la plus favorable à Taccusé, est aussi la plus suivie ; c'est entre autres celle des parle- ments de Paris, de Toulouse et de Bordeaux ; on trouve dans M. le Prêtre un arrêt de la cour du 22 janvier 1600, lors duquel M. le Premier Président avertit les avocats de ne plus douter de la certitude de cette maxime qui a été depuis confirmée par plusieurs arrêts. Poullain du Parc nous dit aussi « que le crime est prescrit tant pour l'intérêt public que pour Yintérêt civil (*). »

Dunod résume clairement, suivant son habitude, la contro- verse qui s'était élevée à cet égard. Il se prononce pour la prescription de trente ans, mais constate que c'est contrai- rement à l'opinion commune. « L'opinion commune est pour l'affirmative. Elle est fondée sur ce qu'on dit qu'on ne peut répéter ces choses du criminel sans le convaincre et qu'il serait absurde de pouvoir prouver le crime sans lepunir; qu'il résulterait une infamie de cette preuve et que ce serait une peine qu'il n'est plus permis d'infliger ; enfin que la prescrip- tion de vingt ans faisant présumer Tinnocencc en matière cri- minelle, comme celle de trente ans fait présumer le titre et la bonne foi en matière civile, il en résulte une présomption jitris et de jure qui exclut toute preuve contraire. Cette opi- nion est contre tous les principes de droit qui donnent une action principale qu'on peut exercer pendant trente ans par la voie civile pour répéter ce qui a été volé et usurpé. Ce n'est pas le crime que l'on poursuit, ni la peine du crime que Ton

(*) Muyard de Vouglans, Inst, du dr. crim., I, p. 32

(*) Pothier, Proc, crim.f p. 408 ; Rousseau de la Combe, Mat. crtm,, p. 170. (') V. à cet égard) Muyard de Vouglans, loc. cit.; Jousse, toc. cit.; F. Hélie, Inslr, crim., II, n. 1112. (*) Poullain du Parc, Prescr., n. 25i et 305.

480 DE LA PRESCRIPTION

demande, c'est la restitution de son bien. La loi dit à ht vérité qu'après vingt ans le criminel sera à couvert de la peine, mais ce n'est que par une fin de non-recevoir qui ne le décharge l)as de rendre ce qui ne lui appartient pas. Il ne doit pas être de meilleure condition que ceux qui se sont emparés du bien d autrui sans commettre un fait punissable et c'est assez pour lui d'éviter la punition qu'il méritait. C'est une grâce que la loi lui fait qui ne doit pas tourner au préjudice de la jjartie intéressée ni être étendue au delà de la disposition et des vues de la loi. La mort qui éteindrait le crime n'empê- cherait pas la restitution de la chose volée. La preuve qui ne tend pas à la punition du crime peut toujours être faite (*). » Ce passage montre clairement que, sous l'ancien droit comme aujourd'hui, la controverse portait bien, non pas seulement, comme ou Ta soutenu, sur l'action de la partie civile devant les tribunaux criminels, mais sur l'action en réparation civile devant la juridiction civile.

629. Sous le code d'instruction criminelle, la controverse a continué. Une première opinion, reprenant le raisonne- ment de Dunod, enseigne que devant les juridictions ci\iles on ne peut opposer que la prescription civile ; que le fait soit prévu ou non par les lois répressives, la victime du délit agit en vertu des articles 1382 et 1383 du code ci\il ; il ne peut, dans tous les cas, s'agir que de la prescription de trente ans ; on ne comprendrait pas que celui qui doit réparation d'un fait réprimé par la loi pénale fût mieux traité que celui qui a commis un fait non passible de peines^ et qu'il trouvât dans la gravité de l'acte dont il s'est rendu coupable un titre de faveur (*).

(») Dunod, p. 191.

(*)Cass., 17 décembre 183J, S,, 40. 1. 454. Ximes, 23 mars 1833, S., 33. 2. 243. Riom, 28 juin 1841, S., 41. 2. 537. Berlauld, Code pénal, p. 652 s, ; ))éliine, Philosophie du droit, II, p. 705 ; Grellel Damazeau, Diffamation^ n. 298 ; GoUet, Jiev. crit., 1868, p. 1. La distinction des deux actions au point de vue de la prescription parait d*allleurs devoir ôtre admise quant aux iiifraclions de la compétence des conseils de guerre. V. art. 184 G. de justice milil. ; Molinier, Élud, jur. et pr, sur le Code just, milit., p. 96 ; Garraud, Précis de dr, crim., p. 553, note 1. Le contraire a cependant été jugé par la coiir d'Aix dans un at-rèt du 23 nov. 1893, S,, 95. 2. 33.

PRESCRIPTION DE l'aCTION CIVILK NÉS d\'N DÉLIT 481

630. Cette opinion n*a pas prévalu. Les textes que nous avons reproduits sont formels ; l'action civile se prescrit comme l'action publique sans qu'il y ait à distinguer suivant qu'elle a été portée devant telle ou telle juridiction. Il n'était guère nécessaire de dire que l'action civile devant les juridictions de répression s'éteignait comme l'action publique ; l'intérêt des articles 637, 638 et 640 du code d'instruction criminelle a été surtout de viser l'action en réparation du dommage porté devant les tribunaux civils. On peut ajouter que l'article 2 du code d'instruction criminelle s'exprime en termes tout àfait généraux L'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu. L'action civile pour la répa- ration du dommage peut être exercée contre le prévenu et contre ses représentants. L'une et l'autre action s'éteignent par la prescription, ainsi qu'il est réglé au livre II, titre VII, chapitre V, de la prescription. » De plus, quand le législa- teur veut appliquer la prescription civile aux faits délic- tueux,il prend soin de le dire nettement, comme dans l'arti- cle 642 du code d instruction criminelle il décide que « les condamnations civiles portées par les arrêts ou par les juge- ments rendus en matière criminelle, correctionnelle ou de police, et devenues irrévocables, se prescriront d'après les règles établies par le code civil ».

Voilà pour les textes. Les précédents historiques sont en ce sens, nous l'avons dit ; et nous pouvons ajouter que la question n'eût pu être douteuse sous l'empire du code du 3 brumaire an IV ; les articles 9 et 10 de ce code, dont il ne semble pas qu'on ait voulu modifier les solutions, disposaient ainsi : « Il ne peut être intenté aucune action pubhque ni civile, pour raison d'un délit, après trois années révolues* Si, dans les trois ans, il a été commencé des poursuites soit criminelles, soit civiles, à raison d'un délit, l'une et l'autre action durent six ans. Après ce terme, nul ne peut être recherché, soit au criminel, soit au civil, si dans l'intervalle il n'a pas été condamné par défaut ou par contumace. »

Quant à l'argument tiré de ce qu'il est injuste que le cou- pable d'un fait délictueux trouve une source défaveur et de protection dans la gravité spéciale de l'acte qu'il a commis,

PRESCR. 31

482 . DE LA PRESCRIPTION

on répond qu'il y a une mesure d'ordre public et d'inté- rêt social. D'une part il faut, pour assurer une prompte répression, obliger la partie lésée à agir, sous peine de dé- chéance, dans un bref délai. D'autre part, après un certain temps, on a pensé que les preuves de l'accusation aussi bien que celles de la défense sont difficiles à produire ; les indi- ces de culpabilité se sont affaiblis, le souvenir du délit s'est amoindri, il est nécessaire que l'oubli se fasse; il ne se ferait pas si le caractère dommageable pouvait être allégué alors que le caractère délictueux ne peut plus être recherché, si l'action en réparation pouvait encore être exercée, après la prescription de l'action pénale, devant les juridictions civiles. « On ne peut, disait Muyart de Vouglans, obtenir réparation de l'accusé sans le convaincre de son crime ; on ne peut le convaincre sans se mettre dans la nécessité de le punir. » 11 en est de Tinfluence de la prescription criminelle sur la prescription de l'action civile comme de l'influence de l'ac- quittement prononcé au criminel, qui empêche que devant les juges civils on puisse déclarer la pei*sonne acquittée cou- l)able du fait dont elle a été accusée, à moins que les deux décisions puissent se concilier, qu'il n'y ait pas contradic- tion entre elles, qu'il n'y ait pas atteinte à l'autorité de la chose jugée au criminel.

631. Telle est la solution qui a i>révalu en doctrine et en jurisprudence (*). En législation elle paraît avoir plus d'in-

{') Gass., 29 avril 1846, S., 46. 1. 413, D., 46. 1. 143 ; 21 nov. 1851, S., 5i. 1. 725, D., 54. 1. 415 ; 6 mars 1855, S., 55. 1. 333, D., 55. 1. 84 ; 13 mai 1868, S., 68. 1, 356, D., 69. 1. 217 ; 13 janv. 1863, S., 69. 1. 99, D., 63. 1. 219 ; 1«' mai 1876, S., 76. 1. 445, D., 76.1. 400 ; 10 janv. 1877, S., 77. 1, 270,D.. 76. 1. 197 ; 1" fév. 1882, S., 83. 1.155,D , 82. 1. 454; 27 juiU. 1887, S., 87.1.297 ; 3 juinl893,S., 9î.l.3il,I)., 94.1.17;12 fév.l894,S.,94.1.168;18nov.l895,S.,98. 1.385; 13 déc.l833^S., 99.1.25; 18 juin 1901, S., 1902,1. 24.- Nancy, 3 janv. 1876, S., 77. 2. 133 ; 14 déc. 1883, S., 84. 2. 157 ; 6 fév. 1892, S., 92. 2. 109. Be- sançon, 15 juin 1881, S., 82. 2. 173. - Bordeaux, 16 avril 1886, S., 88. 2. 10. - Lyon, 30 juin 1887, S., 83. 2. 65. - Alger, 25 ocL 1893, S., 94. 2. 41 ; 2) fév. 1895, S., 97, 2. 196. - Aix, 23 nov. 1893, S., 95. 2. 33. - Cass. Bclg., 5 oct. 1893, S., 94. 4. 5; 1*' mars 1894, S., 95. 4. 30. Merlin, Hep., \'*Prescr,, sect. 3, § 4, n. 5; Sourdat, Respons,, I, n. 378; LKtomhiére, Obliff,^ sur l'art. 1382,. n. 48 i Mangin, Action pnbL, II, n. £63 ; Fauslin Hélie, Iiùir. erim,. II, n. 1113 ; Duranton, XXI, n. 102 ; Touiller, XI, n. 292 ; Vazeille, lî, H. 595 ; Colmet de Sanlerre, V, n. 364 />«, VI ; Aubry et Rau, éd., IV,

PRESCRIPTION DK l'aCTION CIVILE NÉE D*tN DÉLIT 483

convénients que d avantages ; elle unit deux prescriptions c|ui, par leur nature et leur objet, sont distinctes et devraient être séparées (*). Mais les textes sont trop formels pour ([u'on puisse la mettre en doute. Il nous faut en suivre Tapplication qui donne lieu à de grandes difficultés. L'idée principale qui doit guider dans cette application est que, l'article 2282 constituant le principe général en matière de prescription, il faut y revenir chaque fois qu'on n'est pas dans riiypothèse précise visée par les textes du code d'ins- truction criminelle et, en outre, chaque fois qu'on est en présence d'une action trouvant sa base et sa justification en dehors même du fait délictueux. Cette tendance parait bien être celle de la jurisprudence (').

d32. L'hypothèse directement prévue par les textes du code d'instruction criminelle est celle le fait puni par la loi pénale n'a donné lieu à aucune poursuite répressive ; il n'a pas été, par suite, qualifié et caractérisé par un juge cri- minel. Il faut décider que le tribunal civil a mission de

p. 751; Leroux de Bi'elagne, n. 814; Gan*aud, Précis dedr, crim., n. 429; Orto- lan, Drot/pena^ éd. J(, II. 1878.— L'art. 65de la loi duEQjuilI. 1881 sur la presse établit pour l'action publique et l'action civile une prescription de trois mois, f^tle prescription s'applique à l'action civile portée devant les tribunaux civils. Casà., 20 déc. 1899, S., 1900. 1. 459 ; 6 avril 1898, S., 1901. 1. 71; 7 nov. 1900, S., 1901. 1. 72. .

(*) < Notre esprit n'est pas satisfait, dit Ortolan (11, n. 1879) de voir assu- jetties aux mômes règles deux prescriptions dont le fondement est si divers. »

(*) L'article 41 du Gode rural (livre III, section II) modifié par la loi du 23 fév. 1905 nous fournit une hypothèse dans laquelle, contrairement au droit commun, la prescription de l'action publique est plus longue que celle de Faction accor- dée en l'absence de délit ; il s'agit de la nullité de la vente d'un animal atteint d'une maladie contagieuse. Il décide, comnio Tavait fait précédemment la loi du 21 juUIet 1895, que si la vente de l'animal atteint de maladie contagieuse donne lieu à des poursuites pénales, l'action en nullité et en restitution du prix ix)urra être exercée suivant les règles ordinaires fixées pour l'action civile résul- tant d'un délit. C'est, du moins, le sens que nous parait avoir le texte assez obs- cur de cette loi. V. Albert Tissier, Lois noavslleSf 13 J3, p. S'J. Une obser- vation analogue peut être faite à l'occasion de la loi du 9 avril 1898, sur la responsabilité des accidents du travail. V. infra, n. 719. V. aussi la loi du 12 mai 1871, art. 3, 2* et 3^*. —La Cour de cassation a décidé qu'au cas de dom- mage causé aux personnes par un abordage, laclion civile, s'il y a eu délit dure aussi longtemps que l'action publique et n'est pas éteinte par le délai ordi- naire de Tari. 435 C. comm. V. Cass., 13 mirs 1903, S. 1903. l. 257 et la note de M. Lyon-Caen.

484 DE LA PRESCRIPTION

déterminer son caractère délictueux pour en conclure que la prescription à appliquer est la prescription établie par la loi pénale (% lien est ainsi alors même que la partie lésée, demanderesse devant le tribunal civil en réparation du dommage qu'elle a souffert^ a fait abstraction du caractère délictueux de l'acte commis à son préjudice et s'est appuyée uniquement sur l'article 1382 du code civil ; le défendeur doit être admis en pareil cas à opposer l'exception de pres- cription en faisant ressortir le caractère délictueux de l'acte qu'on lui impute (*).

Le tribunal devrait même suppléer d'office la prescrip- tion et celle-ci pourrait être proposée pour la première fois, devant la Cour de cassation. 11 s'agit ici d'une prescription qui touche directement à Tordre public ; les articles 2220 et 2223 du code civil ne peuvent s'appliquer. La Cour de cassation a, il est vrai, admis une solution différente, et décidé que « le moyen tiré de cette prescription tend uni- quement à repousser des condamnations pécuniaires, sau- vegarder des intérêts purement privés et constitue Fexer- cice d'un droit auquel le défendeur est libre de renoncer et renonce en ne le proposant pas devant les deux degrés de juridiction (^). )► Mais il est facile de répondre que précisé- ment il ne s'agit pas d'intérêts purement privés, il s'agit de l'intérêt générai. On a pensé qu'il serait mauvais qu'on pût convaincre une personne d'un délit dont l'action répressive serait prescrite : c'est essentiellement une question d'or- dre public. Au surplus, la jurisprudence ne paraît pas très ferme ; des décisions récentes ont admis notre opinion et décidé que la prescription est toujours ici d'ordre public et

(») Cass., 7 mars 1877, S., 78. 1. 97, et la note de M. Villey ; 15 avril 1889, S , 91. i. 292. Aubry et Rau, éd., IV, p. 752 ; Leroux de Bretagne, loc, cit.

(«) V. notamment Cass., 21nov. 185i, précité ; 14 mai 1831, S., 84. 1. 314. Caen, 22 fév. 1876, S., 77. 2. 49. Paris, 19 mars 1885, S., 87. 2. 44. F. Ilélie, n. 1114 ; Garraud, p. 555. V. cep. Leroux de Bretagne, Icccil.

(») Cass., 28 fév. 186D, S., 60. 1. 106, D., 60. 1. 191; 5 janv. 1892, S., 92, U 88 ; 23 janv. 1901, S. 1901. 1. 457. Angers, 24 août 1865, S., 67. 2. 86. Lyon, 30 juin 1887, S., 89. 2. 65. - Sourdal, I, n. 407 ; Leroux de Bi-etagne, loc, cil, ; Le Sellyer, U, n. 445 ; IIuc, XI \', n. 331.

PRESCRIPTION DE l'aCTION CIVILE NÉE d'lN DÉLIT 485

doit être suppléée d'office, quelle que soit la jiM-idiction devant laquelle le procès a été porté, sans qu'il y ait à tenir compte de la renonciation à la prescription qui aurait eu lieu de la part des parties intéressées (*). Ce n'est pas que cette solution nous paraisse la meilleure en législation ; elle nous parait seulement commandée par le principe de Tunion des deux prescriptions ; le législateur n'a pas voulu que l'action civile pût survivre à l'action publique prescrite: appliquer ici l'article 2223 c'est admettre, au contraire, l'exercice de l'action civile quand l'action publique est éteinte par la prescription. Il y a là, comme dans d'autres hypothèses, une réaction de la jurisprudence contre les ejffets d'une règle injuste : mais la solution nous paraît ici difficile à justifier, une fois admis le principe de la solida- rité des deux prescriptions.

633. }ileis supposons que le fait délictueux ait été poursuivi et que plus tard l'action civile soit exercée. Si une condam- nation a été prononcée par le tribunal de répression, la pres- cription de Taction civile est-elle encore celle des articles 637 et suivants du code d'instruction criminelle ? La solution affirmative a prévalu {'). On a fait valoir les termes géné- raux de U loi et la règle spéciale de l'article 642, d'après lequel les condamnations civiles prononcées par les tribu- naux répressifs se prescrivent d'après les règles du droit ciril. « La prescription, disent Aubry et Rau, ne subira aucune modification quant à sa durée, et le jugement por- tant application de la peine ne la transformera pas en pres- cription trentenaire, s'il n'a pas en même temps statué sur les intérêts civils. » Le jugement rendu au criminel ne pro-

(•> Cass., 6 juill. 1878, S.,78. 1. 486 ; 16 déc. 1889, S., 91. 1. 108. - Nancy, 14 déc. 1883, précité. - ftiris, 25 fév. 1855, S., 55. 2. 409 ; 27 mai 1891 et 2 janv. 1892, D., 92. 2. 199 et 572. - Alger, 23 fév. 1895, S., 97. 2. 196. - Garraud, p. 558 ; Trébulien, Cour» de dr. crim., 2- éd., I, n. 803; Tisîjier, S. 1901. 1. 457 ; Guillouard, I, n. 305 et s., 313.

(«) Cass., 3 août 1841, S., 41. 1. 753 ; 6 mars 1855, précité ; 24 déc. 1878, S., 79. 1. 169, D., 79. 1. 80 ; 3 juiil. 1880, S., 81. 1. 481.— Aix, 23 nov. 1893, S.. 95. 2. 33. - Garraud, II, p. 559. - Contra Villey, Rev, cril,, 1875, p. 90 ; Labroquère, id,^ 1861, II, p. 166.

486 DE LA PRESCRIPTION

duit, dans cette théorie, à l'égard de Taction civile, qu un efiTet interruptif.

Nous ne croyons pas cette opinion exacte, bien que la juris- prudence Tait suivie. Et tout d'abord, il faut avouer qu'elle est, au point de vue rationnel, difficile à justifier. On a voulu, en liant les deux actions au point de vue de la prescription, que l'action civile ne pût être exercée à raison d'un fait qui ne fût plus susceptible d'être poursuivi pénalement.Mais pour- quoi, une fois la peine prononcée, ne pas permettre l'exercice de l'action civile dans le délai de l'article 2262? Les preuves ont été conservées et réunies par suite de l'instance crimi- nelle, et il n'y a pas à craindre le scandale résultant de la démonstration d*une culpabilité que l'on ne pourrait plus frapper. Les articles 637 et 638 ne disent pas ici ce qu'on leur fait dire ; l'article 637 alinéa 2, en parlant d'actes de poursuites non suivis de jugement, montre bien gu'il ne s'applique pas s'il y a eu un jugement; quant à l'article 642, il se réfère à un point différent. Il est certainement incon- séquent de permettre pendant trente ans l'action civile à raison d'un quasi-délit, et de laisser prescrire par trois, ans l'action en réparation d'un fait puni de peines correction- nelles et dont le jugement sur l'action publique a conserve les preuves ; et cette inconséquence ne s'explique par aucune raison d'ordre social : on peut dire, au contraire, que « le souvenir d'un crime que la justice a frappé ne peut avoir que d'excellents efiFets (*). »

634. La poursuite au criminel a pu se terminer par un acquittement ; la question se pose alors de savoir si l'action civile est encore possible, si la chose jugée ne fait pas obsta- cle à son exercice. Au cas l'acquittement peut se concilier avec une poursuite en réparation civile, il paraît certain que celle-ci, se trouvant dès lors dégagée de toute allégation de délit criminel, n'envisageant le fait que comme un simple dommage, ne se prescrit que par trente ans (').

(') Villey, loc. cit.

(*) V. nol. Cass., 10 déc. 1866, S., 67. 1. 108, I)., 66. 1. 448. - Gan-aud, p. 559 ; Villey, Bev. crit,, 1875, p. 89.

PRESCRIPTION DK l'aCTION CIVILE SÈE d'iN DÉLIT 487

Cette solution doit certainement aussi être admise ail cas de crime ou .délit suivi d'amnistie. Le fait est alors dépouillé de tout caractère délictueux. Le délit est considéré comme s'il n'avait jamais existé. Il ne s'agit que d'un dommage ordi^ naire dans les conditions des articles 1382 et 1383 du code civU (*).

635. Au cas une transaction est intervenue^ c'est bien cçrtainement encore la prescription de trente ans qu'il faut appliquer. L'obligation dérive alors de la transaction (*) ; c'est une obligation contractuelle qui tombe directement sous le coup de l'article 2262.

636. La prescription de l'action ci>T[le reste-t-elle fixée par les textes du code d'instruction criminelle si l'auteur du fait >âent à décéder et si l'action est exercée contre les héri- tiers ?

La solution affirmative a prévalu en jurisprudence et en doctrine. On fait valoir que l'article 2 du code d'instruction criminelle parait très net en ce sens^ en disposant que l'ac- tion civile peut être exercée contre le prévenu et contre ses représentants^ et en ajoutant que l'action publique et l'action civile s'éteignent par la prescription telle qu'elle est réglée dans le code d'instruction criminelle, au chapitre de la pres- cription. On ajoute que les articles 637 et suivants ne font pas de distinction ('). Nous sommes encore, quant à nous, partisans de la solution contraire. Jousse la considérait autre- fois comme incontestable. « On ne peut pas dire alors que Faction civile soit accessoire et dépendante de l'action cri- minelle, puisque l'action criminelle est éteinte par la mort de Taccusé ; les choses rentrent dans le droit commun. » Il n'y a plus, en eflFet, à craindre le scandale de la découverte

{') Cass., 19 mai 1818, S., 48. 1. 513, D.,48. 1. 102; 9 fév. 1849, S , 40. 1. 240, D , 49. 1. 125 ; 17 déc. 1869, D., 70. 1. 372 ; 22 déc. 1870, D., 71. 1. 192; 2 mai 1878, S., 79. 1. 48 ; 9 juin 1880, D.. 81. 1. 285.- ViUey, loc. ciL ;Gai-- reud, /oc. cit^

O Cass., 19 nov. 1835, S., 86. 1. 128, D., 86. 1. 416.

(>)Cass., 2mat 1864, S., 64. 1. 321, D., 64. 1.266 ; 4 déc.1877. S., 78.1. 419, D.,78. 1. 252. VazeiUe, II, n. 595 ; Aubry et Rau, IV, p. 752 ; Garraud, p. 558 et 559, Conira, Nîmes, 27 mars 1833, S., 33. 2. 243. Grenoble, 13 juin 1839, D. 40. 2. 153. - Labroquère, Rev, crit., 1861, p. 166 ; Villey, Rev. cril., 1875, p. 81.

488 DE LA PRESCRIPTION

d'un coupable qu'on ne peut plus punir. Le coupable est mort ; il n'y a pas de raison plausible pour restreindre après sa- mort la durée de la prescription de l'action en réparation du dommage qu'il a causé. Les textes n'ont pas en réalité réglementé cette hypothèse : ils ont en vue le cas ordinaire les deux actions existent en même temps. D'ailleurs les différentes règles de l'article 2 ne se réfèrent pas nécessairement aux mêmes hypothèses. Ce sont des principes généraux dont l'application comporte des distinct tions. L'auteur du délit étant mort, il n'y a plus, à notre avis, qu'une question de réparation de dommage ; c'est l'article 2262 seul qui doit s'appliquer.

637. 11 faut encore bien délimiter à un autre point de vue l'application des textes du code d'instruction criminelle. La règle que nous avons posée ne reçoit son application que quand il s'agit d'une action ayant sa source unique, sa cause exclusive dans le délit lui-même. Il ne peut être douteux que si la demande est formée en vertu d'un contrat anté- rieur au délit, dépôt, prêt, louage ou mandat, la prescrip- tion ne peut être que celle du droit commun (*).

L'obligation de restituer naît de la convention soumise au seul droit civil ; il est facile d'isoler le contrat du fait crimi- nel qui a suivi, de faire abstraction de ce dernier ; il y a conciliation possible entre l'extinction de l'action publique à raison du délit et la recevabilité de l'action civile résul- tant du contrat ; il n'y a pas plus de contradiction à admet- tre ce résultat qu'il n'y en a à admettre certains acquitte-

(») Cass., 28 août 1855,S., 56. i. 37, D.,55. 1. 407; 5mai 1803, S., 63 1.301, D., 63. 1. 195 ; 27 août 1867, S., 68. 1. 117 ; 9 janv. 1882, S., 83. 1. 395, D., 83. 1. 136 ; 8 juill. 1885, D., 86. 1. 104 ; 22 ocl. 1890, S., 90. 1. 529, D., 91. 1. 101 ; Il juill. 1892, S. ,93. 1. 39; 3juni.l895,S., 95.1. 331? 5 août 1895, S., 96. 1.22^ D., 96. 1. 157; 28 avril 1896, S., 96. 1. 312, D., 96. 1.380; 20 janv. 19U2, S., 1902. 1. 280. - Lyon, 30 juin 1887, S., 89. 2. 65.- Orléans, 24 juil. 1890, S., 91. 2. 154. - Trib. Nîmes, 10 mai 1880, S., 81. 2. 95. Trib. Langres, 30- janv. 1889, S., 89. 2. 94. Mangin, II, n. 367 ; Sourdml, I, B.376 ; Duianlon, XXI, n. 102 ; Vazeille, II, n. 587; Larombière, sur rarti- ele 1382, n. 49; Aûbry et Rau, IV, p. 753 ; Leroux de Bretagne, n. 817 ; Lau- rent, XX, n. 263, in fine ; Garraud, p. 555. Sur le cas le demandeur agit en vertu d'un droit préexistant résultant d*un testament qui aurait été détruit, V. Houen, 27 déc. 1875, S., 77. 2. 166.

PRESCRIPTION DE L ACTION CIVILE NÉE D*L'N DÉLIT 489

ments au criminel suivis de certaines condamnations civiles. En d'autres termes^ et pour emprunter les expressions très précises d'Aubry et Rau, la circonstance qu'une action fon- dée sur un droit préexistant à un délit est exercée à la suite ou à l'occasion de ce délit ne saurait avoir pour effet d'en altérer la nature et d'abréger le temps de la prescription à laquelle elle est soumise, y^

La jurisprudence est en ce sens. Mais nous ajouterons qu'elle ne donne pas au principe toute l'application qu'il pourrait comporter. Gela tient à la solution qu'elle a admise en matière de responsabilité des accidents du travail; on sait qu'elle fait dériver cette responsabilité de l'article 1382 et non du contrat de louage de services; il résulte de que si le fait dont se plaint l'ouvrier est un fait passible de peines correctionnelles, elle déclare l'action civile éteinte par le délai de trois ans (*). 11 en serait autrement si elle admet- tait que l'ouvrier exerce une action contractuelle. Il faudrait dire alors que cette action née du contrat ne comporte pas d'autre prescription que la prescription de trente ans (*). - La Cour de cassation de Belgique (*) a admis une solution contraire à celle que nous venons de soutenir. Le principe sur la prescription de l'action civile s'applique, d'après elle, « même au cas la réparation du préjudice résultant d*un fait qualifié délit par la loi, est demandée, non en vertu des articles 1382 et suivants, mais en vertu des règles d'un con- trat; ce fait ne perd pas son caractère délictueux parce qu'il constitue en même temps la violation d'un contrat ; dès qu'il est couvert par la prescription, il ne peut plus servir de base à aucune action civile pas plus ex contractit que ex delicto. >

Nous croyons cette doctrine inexacte ; lorsque la violation d'un contrat est considérée par la loi comme un délit, il

(«>Cass., 4 août 1886, S., 87. l. 169. Bruxelles, 12 nov. 1835, S., 87 4. 21. Poitiers, 27 mai 1890, la Loi du 11 juin 1890. Mais voy. en notre sens Labbé, note dans S., 87. 1. 169 ; Chausse, noie dans les Pand. françaises^ 95. 1. 1. Cpr. Cass., 9 janv. 1882, précité.

(«) V. Cass., 20 janv. 1902, précité.

(«) Cass. Belg., 1" mars 1894, S., 95. 4. 30, D.. 95. 2. 306.

490 DE LA PRESCRIPTION

n'en résulte pas que l'action née du contrat soit absorbée par Faction née -du délit; les textes qui étendent à Faction civile le principe de Faction publique ne visent certainement pas Faction contractuelle; celle-ci n'est pas Faction en réparation du dommage. Faction civile née du délit, seule visée par le code d'instruction criminelle, et nous avons dit que la solution des articles 637 et suivants du code dinstruction criminelle n'est pas de celles qu'on doive étendre par analo- gie. « L'action qui a son principe dans un contrat de droit civil, dit avec raison notre Cour de cassation française, ne peut être prescrite que par trente ans. »

La même règle doit s^appliquer à Fobligation pouvant résulter d un quasi-contrat; c'est ainsi qu'on a admis Faction en répétition de sommes indûment perçues par un receveur de deniers publics, bien que la perception constituât une concussion et que Faction publique fût éteinte (*).

638. La question devient délicate quand il s'agit de Faction en restitution d'une cbose volée. L'action dure-t-elle trente ans et peut-elle être exercée après la prescription de Faction publique ? Il faut admettre Faction civile en restitution pen- dant trente ans : la preuve de la mauvaise foi du possesseur n'implique pas nécessairement Fimputation d'un vol ; la revendication peut se dégager de l'allégation d'un fait délic- tueux ; en un mot, il y a un droit préexistant, indépendant du délit et qui sert de base à l'action (*). Le défendeur oppo- serait donc vainement que le fait allégué contre lui est un vol ; on peut séparer Faction en restitution de Faccusation du vol.

630. La jurisprudence paraît aujourd'hui bien fixée en ce sens que la prescription de Faction publique ne s'applique à Faction civile que si celle-ci a exclusivement pour base un crime, un délit, une contravention ; elle est inapplicable quand Faction, en' dehors d'un fait délictueux, a sa base dans un

(*) Cass., 7 juill. 1829, S. chr.— Aubry et Rau, loc. cit.; Leroux de BreUgne, n. 818 et 819.

(*) Dunod, p. 191; Duranton, XIII, n. 707 ; Larombière, sur l>rt. 1382, n. 50; Aubry et Hau, loc. cit ; Labbé, noie dans S,, 87. 1, 169; Bufnoir, p. 389. Cpr. Paris, 21 mars 1855, S., 55. 2. 391.— Angers, 15 juill. 1851, S., 51.2,491. Contra Bordeaux, 15 avril 1829, D. flép., v*» Prescr, crim,, n. 96.— VazeiUe, 11, n. 589; Leroux de Bretagne, n. 1336.

PRESCRIPTION DE l'aCTION CIVILE NÉE d'uN DÉLIT 491

contrat antérieur à ce fait ou dans une disposition du droit civil (»). La Cour de cassation a décidé qu'à ce point de vue la prescription de l'article 2262 est seule applicable à l'action exercée par une commune pour la réparation du dommage causé par des fouilles ou des travaux souterrains exécutés par un particulier sur le sol d'un chemin vicinal ou rural ; cette action a sa base dans les dispositions du droit civil puisqu'elle a pour but la réparation d*une atteinte à un droit de propriété; peu importe que lès faits ayant occasionné le dommage présentent le caractère d'une contravention ; Taction en elle-même est née du droit civil et a son principe dans ce droit, indépendamment de toute disposition des lois pénales (*) . Elle a décidé de même pour l'action intentée par un propriétaire en réparation du préjudice causé par l'exer- cice de la vaine pÀture dans son pré avant la fauchaison, cette action étant fondée sur l'atteinte portée à la propriété, et, bien que le fait commis puisse être considéré comme un délit, étant en réalité « une action exclusivement de droit civil, basée sur ce droit et indépendante de toute disposition des lois pénales ('). > Elle a jugé aussi que l'empiétement commis par l'exploitant d'une mine sur le périmètre d'une concession voisine est une entreprise sur la propriété immobilière d au- trui constituant un fait dommageable distinct du fait d'enlè- vement du charbon (^), et qu*un usinier peut, pendant trente ans, demander la réparation du dommage causé par lusage abusif qu'un autre usinier a fait des eaux du cours d'eau sur lequel ils sont l'un et l'autre établis (*).

Les articles 637 et suivants du code d'instruction criminelle ne s^appliquent ainsi que si l'action repose uniquement sur le

(M Cass., il juiUel 1892, S., 93. 1. 39;22ocl. 1890, S. , 90 . i . 529; 6 mars 1893, S., 95. 1. 483; 3 juillet 1895, S. ,95. 1. 331 ; 5août 1895, S.. 96. 1. 223; 28avril 1896, précité; 27 déc. 1897, S. 99. 1. 81 et la note de M. A. Le Poittevin. 10 janv. 1899, S., 1903. 1.522 ; 20 janv. 1902, S. 1902. 1.280.- Orléans, 24 juill. 1890, S., 91.2.151.- Bourges, 14 juin 1899, S., 1900. 2. 9.— Gpr. Cass., 22 avrril iS'JO, S., 90. i. 529 et la note, D., 91. 1. 101.

(*)Ca8S., 11 juiU. 1892, précité.- Orléans, 21 juin 1803, Gaz. Pal. du 3 juil. 1893.

(») Cass., 27 déc. 1897, précité. - Conir&y A. Le Poitlevin, loc, cil.

(*) Cass., 3 juill. 1895, S., 95. 1, 331, D , 96. 1. 302.

n Cass., 5 août 1895, S., 96. 1. 22), D., 96 1. 159.

492 DE LA PRESCRIPTION

fait délictueux, sans droit préexistant (*). C'est alors qu'on ne peut se borner à invoquer l'article 1382 en faisant abs- traction du délit. L'application la plus fréquente de la règle est ainsi restreinte aux dommages causés à la personne, à l'honneur ou à la considération (*). Lorsqu'un droit de pro- priété peut être invoqué, comme base de l'action en répara- tion, la situation est différente : il y a un droit préexistant : il n'y a pas seulement le texte de l'article 1382 ('). Encore faut-il ajouter que la jurisprudence parait tendre à séparer parfois la responsabilité de l'article 1382 de rinfraction pénale pour la soumettre à la prescription de droit commun (*), et que la Cour de cassation admet ainsi, en cas de blessures faites par imprudence, que le tribunal civil peut décider que l'imprudence ne constitue pas un délit dans le sens des arti- cles 319 et 320 du code pénal mais seulement une faut« au point de vue de l'article 1382 du code civil ('). La jurispru- dence décide de même que la prescription de trois mois de l'article 65 de la loi du 27 juillet 1881 ne s'applique que si l'action en réparation du dommage causé a exclusivement pour base un fait qualifié par cette loi crime, délit ou con- travention : cette prescription ne peut être opposée à l'action fondée sur une faute n'ayant aucun caractère criminel ou délictueux (^).

640. Les actions qui, nées du délit, n'ont pas pour objet la réparation du dommage causé, échappent à la prescription de Tactioii publique; ce ne sont pas des actions civiles dans

(') Plu.sieurs arrêts ont cependant jugé que l'action civile née d'un délit de contrefaçon se prescrit par le même laps de temps que raclion publique. -^ Paris, 27 mai 1891, D., 92.2. 573. Douai, 7 mai 1894, D., 95. 2. 15.

(*) Cass., i*' fév. 1882, S., 83. 1. 155 ; A nov. 1886. S., 87. 1. 165 el la noie de Labbé. Cass. belge, 5 ocl. 1893, S., 94. 4. 5. Bordeaux, 9 nov. 1892, S., 93. 2. 148.

(*) ConirHf A. Le Poiltevin, loc. cit.

<*) V. nol. Paris, 16 'janvier 1896, D., 97. 2. 206 ; 30 ocl. 1896, D., 97.2. 450.

l«) Cass., 15 avril 1833, S., 91. 1. 292 ; 13 déc. 1833, S. 99. 1. 25. Paris, 30 oct. 1896, D., 97. 2. 450. V. encore Cass., 6 mai 1893, S., 95. 1. 483. Cass. Belge 5 oct. 1893, S., 94. 4. 5 ; 1*' mars 1891, S., 95. 4. 30. V. cep. Cass. 2 fév. 1904, S.. 1904. 1. 526.

V*) Cass., 7 nov. 1900, S., 1901. 1. 195.

PRESCBIPTION DE l'aCTION CIVILE >ÉE d'uN DÉLIT 493

le sens des textes du code d'instruction criminelle ; telles seraient les actions en divorce, séparation de corps, désaveu, indignité successorale, révocation de donation pour ingra- titude, etc. (*) On est allé jusqu*à juger que l'action en nul- lité et en responsabilité contre les fondateurs d une société, même si elle a sa base dans des faits ayant le caractère de délits correctionnels, se prescrit par trente ans et non par la prescription de l'action publique (*).

On a admis, il est vrai, que l'action en répétition de som- mes versées pom» opérations^ de bourse faites sans concours d'agent de change se prescrit par trois ans, l'opération cons- tituant le délit d'immixtion dans les fonctions d'agent de change (') ; mais cette solution n'est pas très exacte. On peut soutenir, à notre avis, que ce n'est pas une action en répa- ration du préjudice causé par le délit, mais une action en restitution des sommes versées sans cause.

641. L'action en nullité ou en restitution intentée contre les tiers et qui a son point de départ dans un fait délictueux ne se prescrit donc que par trente ans ; il en serait ainsi de l'action contre un tiers en vertu d'un testament détruit frauduleusement, ou de l'action en rapport de sommes indû- ment touchées d'une société par suite des agissements frau- duleux de son gérant (*).

642. La prescription de l'action publique et par suite de l'action civile n'empêche pas non plus qu'on ne puisse par voie d'exception opposer la nullité d'une obligation arrachée par des manœuvres dolosives constituant une escroquerie, ou qu'on ne puisse s'inscrire en faux incident contre un titre produit dans une action contre laquelle on a à se défendre. D'ailleurs on peut ici faire valoir en outre qu'il s'agit d'excep-

0) V. Garraud, Précis, p. 555, n. 430.

(=) Cass., 4 juin 1883, S., 81. 1. lU ; 8 juillet 1835, S., 85. 1. 49i et la note, D., 86. 1. 104. - Paris, 14 nov. 1880, S., 82. 2. 17, et la noie de M. Villey. Paris, 4 avril 1881, S., 81. 2. 102. V. aussi la note de M. Villey, dans S., 78. 1. 97. Contra Cass., 7 mars 1877, S., 78. 1. 97. Labbé, Journ. des SociéUs, 1881, p. 169.

(>) Agen, 19 nov. 1885, S., 86, 2. 236.

(♦) Rouen, 2^ déc. 1875, S., 77. 2.166. - Alger, 24 mars 1867, S., 67. 2.287. V. aussi Gass., 5 mii 1S53, S., 63. 1. 301.

494 DE LA PRESCRIPTION^

lions, et que, suivant Topinion assez généralement admise^ la prescription ne les atteint pas (*). (V. supra, n. 509 s.).

643. Le principe que nous avons établi s'applique-t-il à Faction en responsabilité à raison du fait d'autrui ? Si on poursuit les personnes indiquées dans l'article 1384 du co<le civil à raison d'un fait commis par un de ceux dont elles doivent répondre, et si ce fait est réprimé par la loi pénale, peuvent-elles opposer que la prescription de Faction publi- que a éteint du môme coup l'action en responsabilité dont elles étaient tenues? La jurispr^idence s'est fixée en ce sens, et telle est aussi l'opinion générale des auteurs (^).

On a cependant combattu cette solution : il s'agit ici d'une action qui repose sur une présomption de faute, de négligence , de manque de surveillance de la part de la personne décla- rée par la loi civilement responsable. L'action en dommages- intérêts a sa base dans un quasi-délit civil. Ici comme dans les cas que nous venons d'étudier, on peut faire abstraction du caractère délictueux du fait commis. Les deux caractères de fait dommageable et de fait délictueux ne sont [>as con- fondus ; que le fait d'autrui dont elles ont à répondre soit ou non délictueux, cela ne change rien à la situation, à l'obli- gation des personnes civilement responsables ; leur obli- gation naît du quasi-délit consistant dans un défaut de sur- veillance ou un choix imprudent, de même que, dans les cas précédents, Taction naissait d'un droit indépendant du fait délictueux (^).

Ce système n'a pas prévalu. On a fait valoir que le but de la loi est d'cmpéchcr qu'après un certain temps le fait coni-

(«) V. Grenoble, 17 mai 1853, I)., 55, 2. 65. Gan-aud, p. 553.

(2) Gass., 13 mai 1868, S., 68. 1. 355, D., 69. 1. 217 ; 1" mai 1876, D , 76. 1. 400 ; 10 janvier 1877, S., 7?. 1. 270, D., 77. 1. 197 ; 4 août 1886, S., 87. 1. 169; 3 juin 1893, S.. 93. 1. 311 ; 12 février 1894, S., 91, 1. 163 ; 18 nov. 1895, S., 1)8. 1. 385 (action en responsabilité contre une compagnie de chemins de fer civilement responsable des fautes de ses employés) ; 13 déc. 1893, S., 99. 1. 25 ijd). - Paris, 10 juin 1838, S., 1931. 2. 265. Le Sellyer, H, n. 156 ; Sour- (lal, II, n. 809 ; Garraud, Précis, p. 554 ; Barbier, Code expliqué de la pre$$e, H, n. 83) et 1019. V. aussi Gass. belg., 5 oct. 1893, S., 94. 4. 5 ; 1«« mai 1894, S., 95, 4.30.

(3)Beudant, note dans D., 69. 1. 217. - V. aussi Collet, Rev. criL, 1868, p. 1.

PBESCRIPTION DE l'aCTION CIVILE NÉE d'uN DÉLIT 405

mis ne soit remis en discussion ; or, on serait amené à la constatation judiciaire du délit aussi bien que dans le cas de l'action civile en responsabilité personnelle. La responsabi- lité civile des personnes visées par l'article 1384 du code civil ne doit pas, au surplus, survivre à la responsabilité per- sonnelle de l'auteur ; il serait choquant que celui-ci ne pût être atteint, alors qu'on serait admis à poursuivre les per- sonnes qui ne seraient que civilement responsables.

La prescription de l'action publique est aussi celle qui sera opposable au recours que les personnes civilement responsa- bles, une fois condamnées, voudraient exercer contre Tauteur du délit (*).

643 bis. L'action civile résultant du fait délictueux se pres- crit par le même délai que l'action publique quand elle a sa cause exclusive dans ce fait. Et, en pareil cas, le point de départ de la prescription est nécessairement, d'après la juris- prudence, le même que celui de laction publique. Gela con- duit à des solutions dune grande injustice. C'est ainsi qu'on a décidé que Faction d'une veuve contre une compa- gnie de chemins de fer en réparation du dommage à elle causé par la mort de son mari se prescrit par trois ans à partir de l'accident qui a occasionné cette mort, alors même qu'il y a eu un long intervalle entre laccidcnt et le décès (*) : Taction peut se trouver éteinte avant que le dommage ait été causé. On invoque, pourjustifier cette solution. Tordre public et l'intérêt social ; il nous semble, cependant, qu'ils seraient mieux sauvegardés par la réparation du dommage.

644. L'action civile résultant d'un fait délictueux est, on l'a vu, soumise, quant à la prescription, tantôt aux règles du code civil, tantôt à celles du code d'instruction criminelle. Dans la première hypothèse, les causes d'interruption de la prescription seront celles des articles 2244 et suivants que nous avons étudiées ; dans la seconde, il faut dire que la pres- cription de l'action civile sera interrompue comme celle de l'action publique, suivant les règles des articles 637 et sui-

k') Cass^ 12 janv. el 13 mai 1868, S., 63. 1. 356, D., 69. 1. 217. (*)Cass., 13 déc. 1838, S., 99. l. 25.

496 DE LA PRESCRIPTION

vauts du code d'instruction criminelle. Nous n'avons pas à entrer dansTétude de ces règles, qui est du domaine exclusif du droit criminel. Rappelons seulement que la jurisprudence donne ici aux textes une large interprétation. Il y a, d'après elle, interruption de Faction publique dans tous les actes « qui ont pour objet soit de rechercher les preuves de l'exis- tence du crime et de la culpabilité du prévenu, soit de s'assu- rer de sa personne (*). » Il faut supposer un acte de pour- suite régulier ; mais il importe peu qu'il soit fait par un magistrat incompétent ; la règle de l'article 2246, d'après lequel la citation devant un juge incompétent interrompt la prescription est appliquée en matière criminelle (*). Il n'est pas nécessaire que la poursuite soit dirigée contre l'auteur même du délit ; il suffit qu'elle soit destinée à constater l'infraction ou à en rechercher les causes ('). L'appel du ministère public ou du prévenu interrompt la prescription (*). Il en est de même du pourvoi en cassation (•). La partie civile peut elle-même interrompre la prescription en saisis- sant les tribunaux répressifs par une citation directe ou en déposant une plainte avec constitution de partie civile (•). Elle interrompt ainsi l'action publique et l'action civile ; elle interrompt même les autres actions civiles que pour- raient intenter d'autres parties lésées (') .

645. La prescription de l'action publique et par suite celle de l'action civile ayant été une fois interrompues, une nou- velle prescription recommence à courir. C'est une question discutée en droit criminel que celle de savoir si la prescrip-

(')Cass., 14 juin 1816, S. chr., D. Rép. V Prescr, crim., n, 106. Sur l'interruption de la prescription des contraventions de police, voy. Garraud, p. 535.

(«) Gasd., 4 mai 1893, S., 93. 1. 392. Bordeaux, 1 Idée. 1895, S., 97.2.109.

(>) Cass., 3 juil. 1880, S., 81. 1. 481. - Garraud, p. 534.

(•) Gass , 31 déc. 1835, S., 87. l. 267, D., 86. 1. 317 ; 3 nov. 1887, S., 90. t. 550, D., 83. 2. 221 ; 23 mars 1893, S., 93. 1. 333. - Alger, 23 fév. 1895, S., 97. 2. 196.

^») Gass., 21 juin 1878, S., 79. 1. 83; 27 janv. 18S3, 1)., 81.1.311; 9 juin 18S8, 1).. 88. 1. 399.

(«I Cass., 23 mars 1893. S., 93. 1. 333, D., 95. 2. 491 ; 15 juin 1893, D., 95. 1.496.

n V. Cass., 8 fév. 1901, S., 1905. 1. 51.

PRESCRIPTIO:* DE L ACTION CIVILE NÉE d'uN DÉLIT 497

tîon nouvelle peut être indéfiniment interrompue. Le code pénal de 1791, et le code de brumaire an IV ne l'admet- taient pas ; TafiFaire devait être irrévocablement jugée dans le délai de la prescription après les actes interruptifs accom- plis durant le premier délai qui avait suivi l'infraction. Cette solution est soutenue par plusieurs auteurs qui font valoir que les articles 637 et 638 exigent un acte de pour- suite interruptif dans les dix ans ou dans les trois ans du crime ou du délit, et qui invoquent en outre ce motif qu'il faut éviter la poursuite d'un fait trop ancien dont le souve- nir est tout à fait effacé (*). Mais la jurisprudence est fixée en sens contraire.

646. La nouvelle prescription qui court après l'acte inter- ruptif est de même nature que celle qui courait auparavant; elle s'accomplit par les mêmes délais. Cependant il est à noter que la jurisprudence admet, quand il s'agit de délits spéciaux soumis à des prescriptions plus courtes, que la nouvelle prescription qui court après l'interruption est, non la prescription spéciale de ces délits, mais la prescrip- tion ordinaire des articles 637 et suivants du code d'instruc- tion criminelle. L'action civile se trouve ainsi prolongée en même temps que l'action publique bien au delà du délai •>rimitif. On l'a jugé ainsi notamment pour les délits de hasse, pour les délits de pèche, pour les délits forestiers, ; >ur les délits ruraux (*) .

La jurisprudence n'a pu étendre cette solution aux délits

presse; c'est que la loi du 29 juillet 1881 a expressément

^osé que la nouvelle prescription qui court après un

*. interruptif est de trois mois comme la précédente.

47. La demande formée par la partie civile devant la

. Jiction civile n'interrompt pas la prescription de l'action

(«) Garraud,p. 533 ; Ortolan, H, 1870. Conlra Villey, Précis de dr. crim., p. 261. Cpr. D. liép. Supp., Prescr, crim.y n. 191.

(«) V. Gass., 17 mars 1856, S., 67. 1. 47, D.. 66. 1. 509 ; 13 avril 1883, S., 84. 1. 360, D., 83. 5. 65; mars 188i,D., 85. 1. 183. Amiens, 2 janv. 1873, S., 73. 2. 1, et la note de M. Sourdal. Alger, 2'^ fév. 1895, Gaa. Pal., 21 avril 1895. V. cep. Gass., 16 juin 1855, S., 65. i. 387, D., 65. 1. 243 ; 28 juii. 1870, S., 71. 1. 261, D , 71. 1. 181. Albert Desjardins, Rw. crit., 1884, p. 82.

Phescr. 32

496 DE LA PRESCRIPTION

publique ni par suite celle de raction civile, quand celle-ci est liée à la première (*) . Il faut cependant observer que, la recevabilité de la demande devant s'apprécier au jour elle a été faite, le juge ne pourrait pas tenir compte de la prescription accomplie pendant Tinstance.

Mais la jurisprudence décide que la reconnaissance, par Fauteur du fait délictueux, de la responsabilité qu*il a encou- rue, est interruptive de la prescription (*)• Il faut bien s'as- surer du reste, en cas de reconnaissance tacite, que les faits allégués impliquent aveu certain de la responsabilité ; des soins donnés par humanité, par charité, ne constituent pas, au cas d'accident, un aveu de responsabilité (').

Cette jurisprudence a d'aiUenrs été critiquée en ce qu'elle ouvre une brèche dangereuse à la théorie qui lie intime- ment la prescription de Faction civile à celle de Faction publique (^). On peut se demander, en effet, du moment qu'on admet l'application de Farticle 2248 du code civil à la prescription de Faction civile, pourquoi on n'iriLÎt »^a« plus loin, et pourquoi on n'admettrait pas ici tout le systèi de l'interruption et de la suspension de la prescription que Fa établi le code civil. On se trouve alors bien loin c textes des articles 637 et suivants du code d'instruction ci minelle.

648. Il n'y a pas, à notre avis, de causes de suspension prescription de Faction publique, et par suite de la pn cription de Faction civile, quand celle-ci est soumise auxar clés 637 et suivants du code d'instruction criminelle. Il n ^ a pas notamment de suspension par suite de la minorité de la partie lésée (^). La prescription court aussi, bien que

OCass., 23 jalK 1870, S., 71. 1. 251, D., 71. 1. 184. Gamud, op. eiU, p. 557 ; Villey, Rei\ criL, 1875, p 86.

(*) Gass., 3 jain 1893, S., 93. 1. 311, D., 91. 1. 17. - Golaiar, 26 fév. 1867, S., 67. 2. 351. Nancy, 2) janv. 1876, S., 77. 2. 133. Besançon, 15 juin 1881, S., 82. 2. 173. - Bourges, 27 juil. 1885, D., 85. 2. 411.

(«)Colmar, 26 fév. 1867, précité. Douai, 24 janv. 1881, S., 83. 1. 1^. Boaiges» 27 juil. 1883, précité. V. encore Cass., 4 août 1886, S., 87. 1. 169.

(*) Villey, Hev. criL, 1875, p. 86; Planioi, note dans D., 94. 1. 17 ; Chausse, note dans les Pand. franc», 95. 1. 1.

(») Gass., 1" fév. 1332, S., 82. 1. 155, D., 82. 1. 454 ; 4 août 1886, S,, 87. 1.

PRESCRIPTION DE l'aCTION CIVILE NÉE d'uN DÉLIT 499

l'action n'ait pu être exercée par suite d'un cas de force majeure ('). Il y a plus de difficultés quant aux obstacles de droit qui peuvent se présenter, tels que la nécessité d'une plainte préalable, d'une autorisation, d'une demande préju- dicielle. La jurisprudence admet en pareil cas la suspension de la prescription et c'est l'avis de la majorité des auteurs (*). Nous préférons, comme nous l'avons fait pour la prescrip- tion organisée par le code civil, écarter toute cause de sus- pension non prévue par la loi.

640. La prescription de l'action civile n'est-elle pas du moins suspendue pendant la durée de l'instance criminelle? On paraît généralement Tadmettre, et on invoque l'article 3 du code d'instruction criminelle d'après lequel, quand l'action civile est poursuivie séparément, l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile. » Cette solution n'est peut-être pas très exacte. Si on est dans \m des cas l'action civile n'est pas soumise aux articles 637 et suivants du code d'instruction criminelle et ne peut se prescrire que par trente ans, nous dirons qu'alors la prescription, étant régie par les seules règles du droit civil, n'est ni interrompue ni suspendue parle procès criminel ; l'ar- ticle 3, en ordonnant qu'il sera sursis jusqu'au jugement de ce procès, n'empêche pas d'ailleurs les actes interruptifs de l'action civile. S'il s'agit de la prescription de l'action civile dans les hypothèses elle est liée à celle de l'action publi- que, nous dirons qu'elle peut être seulement interrompue par l'instance criminelle, l'effet interruptif pouvant du reste se prolonger pendant la durée de cette instance. Dans aucun cas, on le voit, il ne peut être question de suspension. V. supra, n. 542 et s.

169. Guillouard, n. 103 ; Garraud, p. 557. Bourges, 27 juillet 1885, D., 88. 2. 411.

(') V. cep. Cass., 9 déc, 1871, D., 71. 1. 358. - Trib. Lunéville, 13 juin 1871, D., 71. 3. 92.

(«)Cass., 4 juin 1891, S., 92. 2, 193 et les renvois à la note. V. aussi Mornard, Revue générale de droit, 1836, p. 39 s. Contra Garraud,p. 573.

500 DE LA PRESCRIPTION

CHAPITHE XVII

DE PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS

650. Le délai de la prescription des immeubles est consi- dérablement abrégé au profit du possesseur qui ajuste titre et bonne foi. Sa situation en effet est alors particulièrement intéressante. « Le possesseur avec titre et bonne foi, a dit Bigot-Préameneu, se livre avec confiance à tous les frais d'amélioration. Le temps après lequel il doit être dans une entière sécurité doit donc être beaucoup plus court. » Aussi l'article 2265 dispose-t-il que : Celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble, en prescrit la propriété « par dix ans, si le véritable propriétaire habite dans le res- « sort de la cour royale dans rétendue de laquelle Fimmeu- ble est situé ; et par vingt ans, s'il est domicilié hors dudit « ressort, >

La prescription qui va nous occuper est quelquefois appe- lée décennale. La loi Tappelle prescription de dix et vingt ans. Il serait plus exact de dire, comme on le fait générale- ment dans la doctrine, prescription de dix à vingt ans; car, ainsi qu'on le verra plus loin, cette prescription peut s'accom- plir, soit par dix ans, soit par vingt ans, soit par un délai variable se plaçant entre ces deux limites extrêmes. Cette prescription de dix à vingt ans se rattache directement '*^à Tusucapion du droit romain, telle qu'elle était organisée sous Justinien.

651. La prescription trentenaire forme le droit commun. La prescription décennale est donc une exception à ce droit commun ; par conséquent les textes qui lorganisent sont de stricte interprétation. Or la loi dit: Celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble... » La prescription dont il s'agit ne peut donc s'appliquer qu'à un immeuble déterminé : ce qui exclut la possibilité de cette prescription pour les meubles et pour les universalités comprenant des immeubles (*).

(•) Giss., 9 avril 1834, D. Rép., v Prêter., n. 873 ; 5 juill. 1897, Pund. fr..

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 501

652. Les meubles^ de quelque nature qu'ils soient^ ne sont pas susceptibles d'être acquis par la prescription de dix à vingt ans. Cette proposition n'oflfre d'intérêt qu'en ce qui concerne les meubles incorporels et les meubles quelconques dépendant d'une universalité; car, en ce qui regarde les meubles corporels envisagés comme objets particuliers, le possesseur qui ajuste titre et bonne foi peut invoquer une disposition bien autrement avantageuse que celle qui orga- nise la prescription de dix à vingt ans : la règle En fait de meubles la possession vaut titre lui permet de se dire immé- diatement propriétaire, sans qu'il soit nécessaire que sa pos- session se soit prolongée pendant un certain temps.

Les universalités comprenant des immeubles ne peuvent non plus être acquises par la prescription décennale. Ainsi je vous vends une succession immobilière, à laquelle vous me croyez appelé et qui ne m'appartient pas. Bien que vous ayez juste titre et bonne foi, vous ne pourrez pas prescrire par dix à vingt ans, mais seulement par trente ans, les immeubles dépendant de cette succession (*).

653. L'usufruit d'un bien immobilier est un immeuble (art. 526); il est donc susceptible d'être acquis par la pres- cription de dix à vingt ans. Il faut donner la même solution pour les droits d'usage et d'habitation portant sur un immeu- ble et pour les droits d'emphytéose. Il en est autrement des servitudes (art. 690) (').

>

SECTION PREMIÈRE

CONDITIONS REQUISES POUR LA PRESCRIPTION DE DIX A VINGT ANS

654. Outre la possession, qui doit ici comme ailleurs réu- nir les caractères définis par l'article 2229, la loi exige, pour la prescription de dix à vingt ans, deux conditions spécia-

97. 1. 499. Alger, 18 juin 1895, D., 96. 2. 308. Leroux de Bretagne, n.857 et 862; Guillouard, n. 538.

(*) Hue, XrV, n. 441. V. Bufnoir, p. 316 et s.

(>) Voy. sur ces différents points Baudry-Lacantinerie et Chauveau, Des Biens n. 458 s., 1113.

502 DE LA PRESCRIPTION

les, le juste titre et la bonne foi (art. 2265). Ces deux con- ditions réunies permettent d'abréger le délai ordinaire ; on se trouve alors, en eflfet, en présence non pas d'un usurpa- teur, mais d'un acquéreur dont le titre est inefficace et qui, étant de bonne foi, mérite d'être protégé contre Téviction qui le menacerait après un long temps (*).

§ I. Bu juste titre.

655. Le mot titre désigne ici la cause de la possession, c'est-à-dire le fait juridique servant de base à la possession, et non Técrit, instnimentum , qui constate ce fait juridique. En un mot, c'est du titre d'acquisition qu'il s'agit.

Le titre doit être juste. Il présente ce caractère, lorsqu'il est par sa nature même translatif de propriété; de sorte que, si celui dont le titre émane eût été propriétaire et capable d'aliéner, la propriété aurait été transmise à l'acquéreur et il n'aurait pas besoin d'invoquer aujourd'hui la prescription. En d'autres termes et pour emprunter la définition très exacte d'Aubry et Rau, « on appelle juste titre un titre qui, consi- déré en soi, c'est-à-dire abstraction faite du point de savoir s'il émane du véritable propriétaire et d'une personne capa- ble d'aliéner, est propre à conférer un droit de propriété. »

Pothier disait en termes un peu différents : « On appelle juste titre un contrat ou un autre acte qui est de nature à transférer la propriété par la tradition qui se fait en consé- quence, de manière que, lorsqu'elle n'est pas transférée, c'est par le défaut de droit en la personne qui fait la tradition et non par le défaut de titre en conséquence duquel la tradition est faite. Ces titres sont appelés justes titres parce qu'étant de leur nature translatifs de propriété, ils donnent un juste sujet à ceux qui acquièrent la possession d'une chose à ces titres de s'en croire propriétaires, n'ayant pu deviner que la personne de qui ils ont acquis la chose et qu'ils voyaient en possession de cette chose n'en fût pas propriétaire (*). »

(0 V. Boistel, Philoê. du droit, [, p. 401 et s

(«) Pothier, Prescr., n 57. - V. Cass., 9 janv. 1901, D., 1901, 1. 449.

LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS MS

656. Il n'y a pas^ on le voit, à se préoccuper des vices dh titre de Taliénateur; peu importe que ce soit un usurpateur, un détenteur précaire, qu'il soit de bonne ou de mauvaise foi, que son acquisition soit conditionnelle. Le titre sera juste, même si Tacquéreur connaît ces circonstances, sauf à voir alors s'il a été de bonne foi.

La doctrine contraire a cependant été suivie par plusieurs arrêts. La Cour de cassation a admis que le tiers qui a acquis d*un donataire dont la donation est déclarée inexistante n'a pas de juste titre. Il a été jugé aussi que le tiers acquéreur d*un immeuble compris dans une donation-partage n'a pas, si la donation-partage est annulée, un juste titre qui lui permette d'invoquer la prescription de dix à vingt ans (^). M. Labbé a donné à cette solution l'appui de sa haute auto* rite. Le tiers acquéreur en pareil casa consenti, dit-il, à être ayant cause d'un descendant apportionné dans un partage d'ascendant ; il ne peut dire que son titre l'appelle à une propriété incommutable ; il est appelé à une propriété affec- tée de toutes les causes de nullité que peut receler un partage d'ascendant. II aurait un juste titre si le vendeur s'était pré- senté comme héritier ab intestai ou comme unique héritier. Mais le tiers acquéreur savait que l'immeuble provenait d'un partage d'ascendant. Il pouvait être de bonne foi et ignorer les imperfections de son titre, mais il n'avait pas un juste titre. Il n'avait pas une possession à titre de plein proprié- taire. Celui-là a un juste titre qui achète a non domino; mais celui qui achète du propriétaire dont le droit est susceptible d*étre annulé ou rescindé ne peut prétendre échapper par la prescription de dix à vingt ans aux effets de la nullité ; son titre est soumis aux mêmes vices que celui de son auteur ; ce n'est pas un juste titre.

Bien que M. Labbé présente cette doctrine comme irréfuta- ble, nous préférons suivre une opinion différente. Il y a bien en pareil cas un juste titre ; l'acquisition faite par le tiers était

(*) Cass., 22 août 1877, S., 78. 1. 145, et la note de M. Labbé. - Riom,14 déc. 1886, S., 88. 2. 158. - Montpellier, 10 janv. 1878, S., 78. 2. 313 et la note de M. Labbé. Thézard, Rev» cril., XXXII, p. 3fib s. ; Labbé, note dans S., 67. 2. 33 ; Guillouard, n. 561.

504 DE LA PRESCRIPTION

de sa nature translative de propriété ; les vices du titre du vendeur n'empêchent pas le titre de lacquéreur d'être juste; si l'acquéreur a connu ces vices, il ne sera pas de bonne foi, mais il n'en aura pas moins un juste titre. « Celui qui traite de l'acquisition d'un immeuble, dit M. Bufnoir, sait bien que son droit dépend du droit de son auteur; mais la vali- dité formelle de son titre à lui ne dépend pas du titre de son auteur. Si celui-ci est invalidé, cela pourra bien influer sur le droit qui avait formé le contenu du titre d'acquisition . Mais ce titre reste un juste titre à l'effet de prescrire... Ou a le tort de confondre beaucoup trop souvent la validité du titre pris en lui-même, avec Texistence ou la validité du droit qui en était l'objet (*). » Les vices du titre de l'auteur ne peuvent vicier le titre de l'acquéreur. « Dire que le ven- deur était sans qualité ni droit pour vendre, c'est ne rien dire ; car il en est toujours ainsi quand il s'agit de prescrip- tion ; si le vendeur avait qualité et droit pour vendre, l'ac- quéreur deviendrait propriétaire et la prescription serait inu- tile (*).» La prescription de dix à vingt ans peut précisément servir à affranchir le titre de l'acquéreur des vices qui mena- cent le titre de son auteur. (V. supra, n. 404 s. et infra n. 672 6i5etn. 698 s.).

657. Le juste titre le plus usuel est la vente. L'échange ('), la dation en paiement, la donation, l'apport en société, le legs sont aussi de justes titres. Le paiement peut encore être un juste titre lorsqu'il est translatif de propriété ; ce qui est rare, puisque la propriété a été transférée en principe parla convention (*). Encore , faut-il ajouter que le paiement indu n'est pas un juste titre parce qu'il n'est pas translatif de propriété, même si la chose appartient à celui qui a fait le paiement ; il est en effet nul pour défaut de cause.

Le bail, le prêt, le dépôt et tous autres contrats non trans- latifs de propriété par leur nature ne sont pas des justes titres.

0) Bufnoir, p. 301.

(») Laurent. XXXH, n. 396; Bufnoir, p. 29S et s.

(») Gass. 18 janv. 1899, S., 1901.1.415.

(♦) V. Bufnoir, p. 292.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 505

658. Le titre d'héritier n'est pas un juste titre. L'héritier acquiert la possession telle que l'avait le défunt, avec ses qualités et ses vices. Son titre ne s'applique pas à un immeu- ble déterminé, mais à une universalité : il ne peut dire qu'il ait pour tel immeuble déterminé un titre spécial. Au point de vue du droite sa possession ne se distingue pas de celle du défunt ; il possède au même titre auquel possédait le défunt; si donc le défunt possédait sans titre, l'héritier con- tinuera de posséder dans les mêmes conditions, et par con- séquent il ne pourra pas prescrire par dix à vingt ans (*).

Une opinion contraire, suivie par nos anciens jurisconsul- tes, et se rattachant à leur théorie sur le juste titre consi- déré comme n'étant qu'un élément de la bonne foi, admet- tait l'héritier de bonne foi à prescrire lorsqu'il s'était mis en possession d'un objet qu'il croyait compris dans l'hérédité alors que le défunt ne l'avait jamais possédé. Cette opinion n'est plus soutenue aujourd'hui.

L'héritier putatif ne peut non plus opposer, pour les objets dépendant de la succession à laquelle il s'est cru appelé, la prescription de dix à vingt ans (').

650. Le partage, qui déclare la propriété sans la transférer {art. 883)^ ne rentre pas dans la définition que nous avons don- née du juste titre (') ; il a pour objet de faire cesser l'indi- vision ; il n'est pas par lui-même un titre spécial d'acquisi- tion ; le titre de propriété des copartageants est antérieur.

(*) Leroux de Bretagne, n. 889 ; Marcadé, sur l'art. 2265, n. 2 ; Troplong, n. 888 ; Laurent, XXXII, n. 300; Planiol, I, n.l424; Bulnoir, p. K3; Huc.XlV, n. 442; Guillouard, n. 555. V. cep. Pothier, op. cil,, n. 64 ; Dunod, p. Il et 12 ; Merlin, Rép. Prescripiion, sect. I, § V, art. 1. C. civ. autrichien, art. 1463. La succession à litre universel constitue aussi, dans le droit rou- main, un juste titre, comme la succession à titre particulier. V. Alexandresco, Droit stncien et moderne de la Roumanie f p. 500.

{*) Troplong, n. 895. Sur le cas de Théritier apparent et sur le point de savoir s*il peut acquérir par prescription les biens de Thérédité envisagés indivi- duellement, V. Bufnolr, p. 312 et s. Sur le cas de Tacheteur d'une hérédité, V. Bufnoir, p. 316 et s.

(*) Colmar, 9 fév. 1848, S., 50. 1. 513. Duranton, XXI, n. 370 ; Marcadé, sur l'art. 2265, n. 2 ,- Troplong, n. 886 ; Demolombe, XVII, n. 324 ; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 543, § 218 ; Laurent, XXXII, n. 401 ; Baudry-Lacantinerie et Wahl, III, n. 4416; Planiol, n.l422; Bufnoir, p. 293; Hue, XIV, n. 443 et 444 ; Guillouard, n. 551. - Cpr. Colmet de Santerre, VllI, n. 372 bis, V. s.

506 DE LA PRESCRIPTION

La seule croyance que les copartageants auraient eue que le bien partagé dépendait de Tindivision ne peut pas d'ailleurs constituer un juste titre, car nous verrons plus loin que le titre putatif ne peut être assimilé au juste titre de l'arti- cle 2265.

Mais le fait juridique qui a donné naissance à la copro- priété peut constituer un juste titre. Tel est le cas le gérant d'une société qui n'est pas une personne civile, achète un immeuble pour le compte de la société : si le vendeur n'est pas propriétaire, la vente constituera un juste titre, et l'associé dans le lot duquel 1 immeuble sera mis plus tard par le partage pourra l'invoquer comme base de la pres- cription de dix à vingt ans. Tel est aussi le cas de l'apport en société d'un bien n'appartenant pas à l'associé qui a fait l'apport.

Tel sera aussi le cas d'un acquêt de communauté mis dans le lot d'un des époux. Quant aux biens qui seraient tombés dans la communauté du chef des époux, la mise en communauté pourrait constituer un juste titre au profit de l'autre époux qui les recevrait dans son lot ; s'ils étaient mis dans le lot de l'époux du chef duquel la communauté les avait acquis, il n'y aurait rien de changé dans la situation de cet époux.

Dans ces hypothèses, c'est non pas à partir du partage, mais bien à partir du fait juridique qiii a donné naissance à la copropriété indivise, que le copropriétaire à qui l'immeu- ble est attribué peut faire courir le délai de la prescrip- tion (').

Il nous parait au surplus exact d'ajouter que lorsqu'une société qui a la personnalité ci\ale \'ient à être dissoute et que son actif est partagé, chaque associé trouve dans l'attri- bution qui lui est faite un juste titre lui permettant de pres- crire par dix à vingt ans à partir de la dissolution de la

(*) Cass., 10 déc. 1845, D., 46. 1. 45. Cpr. Colmet de Santerre, toc. cil, ;

Leroux de Bretagne, n. 880 ; Marcadé, sur l'article 2265, n. 2; Hue, /oc. cit, ;

Laurent, XXXII, n. 401 ; Guillouard, n 552 et 553.- V.aussi Gass., 28 déc. 1886, S.87. 1. 213.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 507

société - il peut d'ailleurs joindre à sa possession celle qu'a eue la société avant sa dissolution.

MO, La Cour de cassation a fait une application fort inté- ressante de ces principes dans Fespèce suivante. Un père, possesseur de mauvaise foi d'un immeuble^ l'avait donné en avancement d'hoirie à son fils, lequel Tavait reçu de bonne foi; après la mort du donateur, l'enfant rapporta l'immeuble à la succession paternelle, et cet immeuble fut mis dans son lot par le partage ; c'est alors que le propriétaire intenta Faction en revendication ; Fenfant, qui était en possession depuis plus de dix ans, opposa la prescription décennale. Était-il dans son droit? La Cour de cassation a résolu la question négativement. Il est vrai que le possesseur actuel de Fimmeuble l'avait reçu à titre de donation, et la dona- tion est un juste titre ; mais la donation avait été résolue par Fefiet du rapport, et, par suite, rétroactivement anéantie. Que restait-il donc ? C'est que Fenfant détenait Fimmeuble en qualité d'héritier, et en vertu du partage qui l'avait mis dans son lot; or, le titre d'héritier et le partage, nous venons de le dire, ne sont pas des justes titres ; donc il ne pouvait pas invoquer la prescription décennale, qui suppose néces- sairement un juste titre (0-

664. Un partage d'ascendant fait par donation entre vifs doit être considéré comme un juste titre, de même que toute autre donation ; les donataires sont des acquéreurs à titre particulier ('). Le partage d'ascendant fait par testament peut aussi être un juste titre; les copartageants sont des légataires.

662. Un acte de partage qui contient abandon par un des héritiers de biens à lui propres constitue quant à ces biens un juste titre; il y a un échange ou une dation en paiement, c'est-à-dire un acte de sa nature translatif de propriété.

663. Les jugements ne constituent pas, en règle générale.

(*)Cass., 27 août 1835, S., 35. 1. 797, D. Rép., V Prescr,, n. 909. Gpr. Laurent, XXXII, n. 401.

(«) Bourges, 25 janv. 1856, S., 59. 1. 921. Sic Aubry et Rau, 5- éd., II, p. 513, 9 218, note 4 ; Laurent, XV, n. 73 ; Guillouard, H, n. 554 ; Hue, XIV, n. 446. Contra Orléans, iZ juill. 1830, S., 60. 2. 55 ; Leroux de Bretagne* n. 858.

508 DE LA PRESCRIPTION

des justes titres ; car ils sont déclaratifs, et non transla- tifs de droits. Le jugement qui, sur une action pétitoire, donne gain de cause au revendiquant n'est donc pas un juste titre ; il ne fait que déclarer les droits des parties en cause ; il montre que le demandeur a prouvé sa prétention relative- ment au défendeur ; il ne lui transmet aucun droit. Quant au jugement qui repousse la revendication, il peut bien moins encore être présenté comme un juste titre ; il ne fait évidemment qu'écarter la demande sans donner au posses- seur un droit nouveau. Vainement on a essayé de faire inter- venir, pour soutenir le contraire, Tidée que le jugement est un contrat judiciaire ; cette idée ne doit pas être prise à la lettre. Il y a dans ces expressions de contrat judiciaire un moyen clair et ingénieux de faire comprendre l'effet du jugement ; mais il n'y a rien de plus ; le plaideur ne fait pas de contrat. Suivant l'expression très exacte de M. Valette, « les mots contrat judiciaire n'expriment chez nous aucune idée particulière. Ce n'est qu'une formule bonne pour faire entendre que le jugement oblige. Il n'en résulte nulle- ment que la partie ait donné son assentiment à la prétention de l'adversaire, se soit volontairement obligée (*)• >

La jurisprudence, en décidant que les jugements rendus sur les questions de propriété sont opposables à tout le monde, sauf tierce opposition, et en les mettant ainsi en dehors de la règle de la relativité de la chose jugée, enlève d'ailleurs beaucoup d'intérêt à cette question ; le plus sou- vent le jugement rendu sur la revendication peut être invo- qué, non seulement comme un titre pouvant conduire à la prescription, mais comme une preuve complète du droit de propriété (*).

Il y a exception à notre théorie pour les jugements d'ad-

{') V. en se sens Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 543, § 218, noie 5 ; Marcadé, loc. ciL ; Troplong, n. 883; Duranlon, XXI, n. 374 ; Albert Tissier, Tierce opposition, n 2, et p. 43, noie 2 in fine ; Colmet de Sanlerre, VIII, n. 372 bis^ IV ; Leroux de Bretagne, n. 875 ; Laurent, XXXH, n. 404 ; Bufnoir, p. 294; Hue, XIV, n. 447 ; Guillouard, n. 549.— ConirA Rauler, Frocéd. civile, §59, note h ; Rodicre, Rev. de UgUl., IV, p. 153. - Cpr. Cass., 21 fév. 1827. S. chr. ; 14 juill. 1833, S., 35. 1. 754.

(*) V. Albert Tissier, op. cit., n. 44 et 45.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 509

juAicatîoii, du moins pour ceux qui transfèrent la propriété et ne sont pas simplement déclaratifs.

664. Les transactions ne peuvent non plus être considérées comme des justes titres quant aux biens sur lesquels portait le droit litigieux^ elles ne peuvent constituer des justes titres que pour les biens non litigieux qui auraient été cédés comme conditions de la transaction (*).

665. Une loi qui attribue en bloc certaines masses de biens ne constitue pas un juste titre pour la prescription ; ainsi la loi du 4 ventôse an IX, qui a aflfecté aux hospices les domai- nes nationaux qui auraient été usurpés par les particuliers, a été considérée par la jurisprudence belge comme ne pouvant donner aux hospices un juste titre s'ils s^ mettaient en pos- session de biens n'appartenant pas réellement au domaine. Il est clair en effet que la loi n*a entendu donner de droits que sur les biens domaniaux. Pour les autres, elle ne cons- titue aucun titre pouvant servir de base à la prescription (*). Il en serait de même de toute loi qui incorporerait au domaine privé de l'Etat certaines masses de biens ; elle ne constituerait pas un juste titre que l'Etat pût invoquer.

666. Celui qui possède au delà de son titre doit être con- sidéré comme sans titre pour tout ce qui n'est pas compris dans son titre. Ainsi j'achète un domaine; pendant le temps requis par l'article 2265, je possède, outre les terres dépen- dant de ce domaine, des terres voisines, que je crois com- prises dans mon acquisition ; je ne pourrai pas opposer la prescription décennale au propriétaire de ces terres, parce que je les ai possédées sans titre (')• Pour la partie non comprise dans le titre, il n'y a alors qu'un titre putatif qui, nous le verrons, est insuffisant pour la prescription par dix à vingt ans.

(*) Cass., 14 mars 1809, S. chr., D., Rép., y* Prescr., n. 854. Troplong-, n. 882; Marcadé, loccil.; Leroux de Bretagne, n. 872 s.; Aubry et R8u,5* éd.^ II, p. 542, §218 ; Bufnoir, p. 295; Guillouard, n. 550. -- V. Colmel de San- lerre, VIJI, n. 372 bU, X et XI.

{*) V. Laurent, XXXII, n. 405 et les décisions belges par lui citées.

(») Cass., 3 avril 1881, S., 83. 1. 453, D., 81. 1. 353; 27 déc. 1882, S., 85, 1. 70. Limoges, 21 août 1811, D. Rép., y* Prescr., n. 883. Aubry et Rau, éd., II, p. 549, § 218 ; Uurent, XXXtl, n. 400; Hue, XIV, n. 459.- Cpr. (}renoble, 27 déc. 1892, D., 91 2. 429.

510 DE LA PRESCRIPTION

D'ailleurs le possesseur peut être admis à prouver autre- ment que par les énonciations de l'acte quelles sont les dépen- dances de la propriété qu'il a acquise et possédée (*). Il n'est pas nécessaire que l'acte désigne nominativement chacune des parcelles de la propriété vendue ; il suffit que la pro- priété soit indiquée d'une façon assez précise pour la distin- guer des autres ; l'acquéreur pourra prouver que telle pièce de terre en fait partie et a été comprise dans la vente ou dans la donation qui lui a été consentie.il faut bien distinguer le titre, qui est le fait juridique entraînant transmission, et l'acte écrit qui le constate ; il s'agit ici du titre ; peu importe que l'écrit qui a été dressé pour le constater ne mentionne pas ' toutes les parcelles de la propriété vendue ou donnée (*) . C'est au juge, en cas de contestation, à dire si le titre invo- qué s'applique à la parcelle de terre qui a été possédée (') .

667. Aux termes de l'article 2267 Le titre nul par défaut « de forme, ne peut servir de base à la prescription de dix ei « vingt ans.y> Cette disposition s'applique d'abord aux actes juridiques dont l'existence est subordonnée à des conditions de forme, forma dat esse r<?e; on les appelle 5o/^nne/5. Telle est la donation. Faits en toute autre forme que celle pres- crite par la loi, ces actes n'ont pas d'existence juridique ; il est donc tout simple qu'ils ne puissent pas servir de base à la prescription de dix à vingt ans, car cette prescription exige un titre (^). Tel serait aussi un legs contenu dans un testa- ment manquant des formes prescrites.

668. Il faut aller plus loin, Bigot-Préameneu a dit dans son exposé des motifs ; « Le titre doit être valable ; il ne serait pas valable s'il était contraire aux lois, et, lors même qu'il ne serait nul que par un vice de forme, il ne pourrait autoriser cette prescription. » Il y a donc d'autres vices que

(^) Leroux de Bretagne, n. 860; Laurent, XXXII, n. 400.

{') Cass , 2:3 janv, 1837 et 31 janv. 1837, S., 37. 1. 110 et 522, D. Rép., v Prescr,, n. 882.

(») Casa., 17 mai 1899, S., 1900. 1. 95.

(*) Mais celui qui viendrait à acquérir du donataire pourrait certainement invo- quer la prescription décennale, sans qu'on pût lui opposer la nullité de forme du titre de son auteur ; ce n'est pas le titre de Tauteur que la loi vise dans Tar- licle 2265. Sic Laurent, XXXII, n. 356. V. sapra, n. 656,

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 511

les vices de formes qui peuvent empêcher le titre de servir de base à la prescription décennale. En se reportant à l'opi- nion suivie dans l'ancien droit, on voit que d'Argentré et Dunod considéraient comme insuffisant pour la prescription soit le titre inexistant, soit le titre frappé d'une nullité absolue. C'est la solution qu'il faut encore suivre. Le titre frappé d'une nullité relative échappe seul à la règle que le titre nul ne peut donner lieu à la prescription de dix à vingt ans (^). Le propriétaire peut, comme tout intéressé, se prévaloir de la nuUit* absolue, mais non d'une nullité relative, qui ne peut être opposée que par celui dans l'intérêt duquel elle a été établie; quant à celui-ci, il peut opposer la nullité du titre tant que la prescription extinctive de son action en nullité n'est pas accomplie ; si la prescription a éteint cette action, il ne peut écarter le titre invoqué à l'appui de la prescrip- tion acquisitive de dix à vingt ans.

Telle est la théorie traditionnelle. Dunod l'expose longue- ment, en confondant d'ailleurs souvent les questions de titre et de bonne foi, et en mêlant aussi les deux théories de la prescription acquisitive basée sur un titre nul et de la pres- cription extinctive de l'action en nullité. « Le titre vicieux, dit-il, quand il paraît, prouve la mauvaise foi et empêche la prescription ; ce qui s'entend d'un titre capable par lui- même de transférer la possession, mais qui est nul dans l'hypothèse. Pour juger de l'effet de cette nullité, particu- lièrement en matière de prescription, il faut examiner la cause de la prohibition et si elle est fondée sur l'intérêt du public ou sur celui des particuliers. » En ce qui concerne la première hypothèse, Dunod dit que la nullité est absolue, qu'elle peut être opposée par toutes sortes de personnes, et qu'elle ne peut produire aucun droit, aucune action ou excep- tion: « Le titre nul d'une nullité absolue n'a jamais transféré le domaine, ni pu mettre le possesseur ou ses héritiers en bonne foi ; ainsi lorsqu'il paraît, l'on a aucun égard à la possession qui l'a suivi. > Quant aux nullités relatives au

C) V. en ce sens d'Argentré, sur Bret., ai*t, 266,chap. II, n. 2 ; Dunod, p. 13, 47 s. Gpr. Pothier, n. 8i s.

512 DE LA PRESCRIPTION

contraire, celui-là seul peut s'en prévaloir dans l'intérêt de qui elles sont prononcées; d'autres ne peuvent lesinvoquer. « Les actes dont la nullité n'est que respective sont transla- tifs du domaine lorsqulls ont été accompagnés de la tradi- tion, et il 3 forment du moins un titre putatif et coloré à Taide duquel Tacquéreur peut se croire le maître et possé- der de bonne foi (*). »

Cette distinction parait généralement admise parles auteurs qui ont écrit sous le code civil (*). Mais nous verrons que le désaccord existe entre eux sur le point de savoir si la connaissance d'une nullité relative empêche que l'acquéreur soit de bonne foi (').

Ainsi ce que la loi dit des actes inexistants pour défaut de forme doit être appliqué, à notre aWs, à tous les actes inexis- tants pour une cause quelconque ou frappés d'une nullité absolue que le propriétaire à qui on les oppose peut invo- quer. La raison est toujours la même : il faut un titre pour prescrire par dix à vingt ans et celui qui n'a qu'un titre inexis- tant ou radicalement nul n'a pas de titre. Ainsi une donation, entachée de substitution prohibée, ne peut pas former un juste titre pour la prescription décennale.

Une convention dont la cause serait illicite ne pourrait constituer non plus un juste titre. La jurisprudence a refusé aussi de reconnaître la qualité d'un juste titre à l'adjudication prononcée au profit de l'avoué qui poursuit une saisie, et même à l'aliénation consentie par un débiteur saisi après que la saisie a été transcrite (^).

669. Les actes dont nous venons de parler deviendraient- ils des justes titres s'ils avaient été confirmés ou exécutés volontaii'cment dans les cas exceptionnels on peut admet- tre la confirmation ou rcxccution volontaire ?

(') Duiiod. p. 47 el 48

(*) Duranton, X^I, ii. 333; Tropîong, n. 902 s. ; Laurent, XXXII, n, 391 s. ; Aiibry el llaj, 5' éd , II, p. 545, g 218 ; Golmel de Santirre, VIII, n. 374 bis» H ; Bufiioir, p. 302 ; Hue, XI v% n. 45S ; Guillouard, II, n. 55S s.

V*) V. in/ra, n. 681 s.

(*) Grenoble, 22 avril i86i. S., 61. 2. 247. - Paris, 5 avril 1861, S., 65. 2. 100.— Tioplong, n. 905; Marcadé, loc. cit. ; Leroux de Bretagne, n, 895; Guil- louard, n. 55S. - Gpr. Cass., 23 fév. 1857, S., 67. 1. 161; Il nov. 1887, S., 88. 1. 473 el la noie.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 513

Cette question se présente pour les donations nulles con- firmées ou exécutées dans les termes de l'article 1340 du code civil. On a soutenu que les donations, même après la confirmation ou l'exécution volontaire, ne sont pas des jus- tes titres. L'article 2267, dit-on, suppose apparemment un cas de ce genre ; c^est dans le cas d'exécution de la donation qu'il y a intérêt de décider qu'elle ne constitue pas un juste titre (*). Il nous parait difficile de suivre une pareille solu- tion. Il semble bien certain que l'acte, une fois confirmé ou volontairement exécuté, est considéré comme absolument régulier ; il n'y a plus alors de nullité ; le propriétaire à qui on oppose la prescription ne peut prétendre que le titre qui a servi de base à la possession soit un titre nul.

670. Le legs résultant d'un testament nul en la forme ne pourrait an contraire, même exécuté volontairement par l'héritier, être invoqué comme juste titre pour la prescrip- tion de dix à vingt ans. C'est qu'ici l'article 1340 ne saurait, À notre avis, être étendu par analogie et qu'aucun autre texte ne permet de couvrir le vice résultant de l'absence de for- mes légales. L'article 2267 s'applique donc toujours au legs contenu dans un testament nul en la forme (^). 11 resterait seulement à se demander s'il n'y a pas eu, de la part de rhéritier, exécution d'une obligation naturelle, et si le paie- ment fait par l'héritier ne peut être ainsi invoqué comme juste titre; la solution dépend de l'idée plus ou moins large qu'on se fait des obligations naturelles.

671. Mais il ne faut pas étendre la disposition de l'arti- cle 2267 aux titres constatés par des actes irréguliers en la forme, s'il s'agit d'actes non solennels ('), ni aux titres sim-

(«)Duranton, XXF, n. 379 et 380; Aubry et Rau, 5- éd., II, p. 514, § 218; Leroux de Bretagne, n. 893; Hue, XIV, n. 457. Conlra Vazeille, n. 484; Troplong, I, n. 901; Guillouard, II, n. 557. - V. Laurent, XXXII, n. 392 et 393.

(«) Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 544, § 218; Laurent, XXXII, n. 393; IIuc, XIV, n. 457 ; GuUlouard, n. 557. V. cep. Pothier, Prescr,, n. 88,

(*; Il a été jugé que Tacte sous seing privé constatant un échange peut ôtre invoqué comme preuve du juste titre, bien que la mention du double original ait été omise, si cette nullité a été couverte par la reconnaissance de Tac le et Jes actes d'exécution qui Tont suivi. Cass., 18 janv. 1899, S., 1901. 1. 415,

Prbscr. 33

514 DE LA. PRESCRIPTION

plement annulables^ la nuUité résultât-elle d'un vice de forme, comme il arriverait par exemple à Tégard d'une vente faite pour le compte d'un mineur sans Taccomplissement des formalités légales.

Les actes irréguliers en la forme, quand ils constatent des contrats qui ne sont pas assujettis à des formes solennelles, ne peuvent empêcher que ces contrats soit invoqués comme des justes titres ; ces actes ne sont que des instruments de preuves ; titre existe en dehors d'eux, si on peut le prouver. Le contraire a été soutenu et même jugé (*) ; mais c'est une erreur certaine, une confusion manifeste de la preuve du titre et du titre lui-même (*). Celui auquel serait opposée la prescription fondée sur un titre de cette nature ne serait pas recevable à contester à ce point de vue Tefficacité du titre en demandant à en faire prononcer la nullité ; les nullités relatives ne sont pas celles visées par l'article 2267 (»). Mais il faut ajouter que, si un immeuble est aliéné par un déten- teur précaire et si l'aliénation est annulable, le véritable propriétaire, agissant comme créancier de celui qui a aliéné son immeuble, pourrait, en vertu de larticle 1166, exercer l'action en nullité qui appartient à son débiteur et faire ren- trer rimmeuble dans les mains de ce dei1iier,pour le reven- diquer alors sans craindre la prescription (*).

672. Le titre soumis à une condition résolutoire forme un juste titre (arg. art. 1665) (^);mais il cesse d avoir ce carac- tère à dater du jour la condition résolutoire s'est réalisée,

D., 99. 1. 13&. A noire avis, rirrégularilé n'aurail pas ôlé couverte que Tari. 2267 n'eût pas été pour cela applicable; il ne vise que les actes solennels.

(*) V. Angers, 9 mars 1825, S. chr., D. Rép,y \* Prescr,, n. 900. Met*, 30 mai*s 1833, S. chr., D. ilep., loc. cit, Leroux de Bretagne, n. 894. .

(»; Laurent, XXXII, n. 39i ; Guillouard, n. 559.

(') Cass., 27 fév. 1856, S., 56. t. 799 ; 13 avril 1850, S., 51. 1. 641. - Paris, 8 juin 1825, D. Rép., V Prescr., n. 8Sl. Duranton, XXI, n. 383 et 385 ; Troplong, n. 902 s. ; Marcadé, loc, cit. ; Aubry et Rau, 5* éd., Il, p. 545, §218 ; Laurent, XXXll, n. 3^4; Bufnoir, p. 313 et 327 ; Guillouard. n. 550 Contni Vazeille, n. 430 s. Leroux de Bretagne, n. 894 et 896.

(♦) Troplong, n. 907.

(») Pothier, n. 92; Laurent, XXXd, n. 393 ; Troplong, II, n. 911 ; Duranton, XXI, n. 375 ; Aubry et Uau, éd , II, p. 516, § 218 ; Leroux de Bretagne, n, 899 s>. ; Hue, XIV, n. 418 ; Guillouard, n. 563. * V. aussi Cass., 31 janv. 1844, S., 41. 1. 521. Nancy, 4 mai 1812, S., 42. 2. 133. Conira Dunod, p. 11.

?

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 615

1

car alors le titre est censé n'avoir jamais existé. V. supra, \

n. 356 et 398. j

672 bis. Il s'agit ici^ bien entendu^ du titre du possesseur \

et non du titre de l'auteur de celui qui prétend avoir pres- crit; peu importe que ce dernier soit résolu ; l'auteur pourrait n'avoir aucun titre ; la loi ne s'occupe que du titre du pos- sesseur. Laurent nous parait commettre ici une confusion cer- taine quand il dit : « La résolution opère toujours rétroac- tivement, de sorte que le titre résolu est censé n'avoir jamais existé; partant le possesseur n'a pas de titre. Nous avons vu une application de ce principe au titre des Donations. La survenance d'enfants opère de plein droit la révocation de la donation ; dès lors le donataire possède sans titre, et, s'il a aliéné la chose, le tiers acquéreur est également sans titre; il suit de qu'il ne peut pas usucaper. » C'est une erreur, à notre avis; le tiers acquéreur n'est pas sans titre; la révo- cation du titre de son auteur pour cause de survenance d'en- fants ne peut avoir d'effet contre l'acquéreur au point de vue de la prescription que parce que telle est la disposition spé- ciale de l'article 986. C'est une solution tout à fait excep- tionnelle. Si un acquéreur ou un adjudicataire ne paie pas son prix et si la résolution de son acquisition est prononcée, elle n'aura pas d'effet à l'égard du sou-acquéreur qui, ayant acheté de cet acquéreur ou adjudicataire, a possédé le temps légal; celui-ci a un juste titre qui lui permet d'invoquer la prescription de dix à vingt ans (*). (V. supra, n. 656 et 668).

673. C'est l'inverse pour le titre dont l'existence est subor- donnée à une condition suspensive ; il ne peut être invo- qué pour la prescription de dix à vingt ans qu'à partir de la réalisation de la condition (*). Jusque-là, l'acquéreur mis en possession l'est d'une façon provisoire ; il sait que son acqui- sition est subordonnée à un événement qui n'est pas encore

\') Gass., 20 janv. 1880, S., 81.1. 101 ; l). 80. 1. 65. - Toulouse, 5 janv. 189î>, S., 99. 2. 103. V, encore en ce sens Bufnoir, p. 404 et s. ; Hue, loc, cit,

{*) Troplong, n. 910 ; Marcadé, loc. cil. ; Aubry et Rau, 5* éd., II, p. 545, S 218 ; Laurent, loc. cit. ; Guillouard, II, n. 562 ; Hue, XIV, n. 448. V. aussi la note sous CaHs., 20 janv. 1880, précité. Contra Daranloa, XX.!, n. 376 ; Bufnoir, p. 319.

516 DE LA PRESCRIPTION

réalisé ; il n'a pas encore de titre ; peu importe que plus tard la condition se réalise ; il ne peut y avoir d'effet rétroac- tif pour l'appréciation d'un élément qui est de fait et doit exister au début de la possession. Ce principe peut trouver son application dans l'hypothèse d'une aliénation faite par un tiers qui s'est porté fort pour Taliénateur; l'acquéreur peut prescrire qu'après la ratification. Mais celui qui trai- terait avec Tacquéreur sous condition suspensive pourrait prescrire aussi bien que s'il traitait avec un non-proprié- taire (*).

674. Dans le cas le titre d'acquisition du possesseur est soumis à la transcription^ Taccomplissement de cette formalité n'est pas nécessaire pour que le possesseur puisse prescrire la propriété par dix à vingt ans. La loi exige un juste titre, elle n'exige pas un titre transcrit. D'ailleurs le juste titre a été requis comme base de la bonne foi du pos- sesseur, et à ce point de vue il importe peu que le titre soit ou non transcrit. Enfin la transcription a été ordonnée dans l'intérêt des tiers (arg. art. 3 et 6 de la loi du 23 mars 1855) et non dans l'intérêt du propriétaire ; celui-ci ne peut donc se prévaloir de l'inaccomplissement de cette formalité (')• Vainement on invoque l'article 2180 qui donne une solution différente pour la prescription de Thypothèque ; c'est un texte tout spécial. Au point de vue du créancier hypothé- caire, le seul changement de personnes dans la détention de rimmeuble hypothéqué n'est pas une preuve certaine de

V^) V. cep. Guillouard, H, n. 564.

(*) Monlpellier, 18 fév. 1833, S., 70. l. 163, l) , 63. l. 478 ; 8 nov. 1881, S., 8i. 2. 169 et la noie. Ba^lia, 5 nov. 1830, S., 93. 2. 136. D., 90. 2. 263. Caen, 17 mars 1891, S., 91. 2. 118. Rivière el François, Transcr., n. 39 ; Rivière et iluguel, Transcr,, n. 248 s. ; Lesenne, Tranfcr,, n. 40 ; Mourlon, Transcr,, n. 512 ; Leroux de Bretagne, n. 907; Aubry el Rau, éd.. Il, p. 472, § 239 el p. 547, § 218 ; Bufnoir, p. 329 el s. ; Hue, XIV, n. 450 ; Guillouard, n. 568 ; Pillel, Revue algér., 86. 2. 1. ConlrA Alger, 15 nov. 1890, S., 91 . 2. 53. —Persil, II, V Prescr., § 6 ; Laurent, XXXII, n. 395 ; Golmel de San- terre, V, n. 55 bis; Ti'oplong, TrAnscr., n. 177 ; Verdier, Transcr,, n. 349 et 350 ; Demolombe, XXIV, n. 362 el 367. - Cpr. Planiol, I, n. 1429. - Cclv. ilal., art. 2137. La loi du 11 brumaire an Vlisur les expropriations forcées dis> posait spécialement dans son article 25 que Taction en revendication de la pro- priété ou de l'usufruit des biens adjugés se prescrivait par dix années à partir de la transcription du jugement d'adjudication.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 517

mutation^ il faut la transcription pour le prévenir. Il n'en est pas de même pour le propriétaire ; dans notre cas, la transcription n'a aucun rôle à jouer, elle est inutile pour avertir le propriétaire, qui doit être suffisamment prévenu par le fait de la dépossession ; elle ne lui apprendrait rien puisqu'elle ne s'opère pas sur l'immeuble. La transcription n'est pas faite pour rendre opposable au propriétaire la trans- mission de propriété faite par un non dominas ; il résulte des articles 3 et 6 de la loi du 23 mars 1855 qu'elle est faite pour trancher le conflit entre les ayants cause de l'alié- nateur. «Elle a pour but d'assurer la sécurité des tiers acqué- reurs ou des créanciers contre les dangers cachés résul- tant des droits qui auraient pu être conférés par le ven- deur ; elle n'a point pour but de protéger le propriétaire négligent qui laisse usurper pendant dix à vingt ans sans protestation la possession d'un immeuble lui appartenant ('). » Elle ne vise d'ailleurs que les titres qui doivent transférer par eux-mêmes la propriété et non ceux qui serviront seule- ment à la prescription de dix à vingt ans. Vainement encore on dit que le juste titre est celui qui est ^ de nature à trans- férer la propriété et que le titre non transcrit ne peut avoir cet effet ; le titre est de sa nature translatif de propriété dans les rapports du vendeur et de l'acquéreur indépen- danunent de toute transcription : « Le titre est juste en soi, disent Aubry et Rau, puisque la transcription n'est point une condition de la validité des titres translatifs de propriété; il l'est aussi au regard du véritable propriétaire, puisque ce n'est pas dans l'intérêt de ce dernier que la transcription a été prescrite. >

675. Il en est de même s'il s'agit des donations ; malgré les termes de l'article 941 du code civil, il ne nous parait pas douteux que le vrai propriétaire n'est pas compris parmi ceux qui peuvent invoquer le défaut de transcription de la donation présentée comme juste titre ; la donation n'est invoquée que pour colorer la possession ; ce n'est pas elle qui fait acquérir la propriété. La transcription n'a pas été

(») Cacn, 17 mars 1891, précité.

518 DE LA. PRESCRIPTION

d'ailleurs instituée pour protéger le vrai propriétaire contre les usurpations (').

676. Notre théorie ne s'appliquerait pas au cas d'un acqué- reur qui, ayant acheté du vrai propriétaire, n'aurait pas trans- crit et voudrait opposer la prescription à un ayant cause du même propriétaire ; nous retombons ici dans le conflit entre les ayants cause de Taliénateur ; celui qui n'a pas transcrit doit succomber ; la prescription de dix à vingt ans ne pourrait remplacer pour lui la transcription qui n'a pas été opérée (*) .

Il ne peut en pareil cas s'agir que de la prescription acquisitive de trente ans dont le point de départ est d'ail- leurs, suivant la règle ordinaire, placé au jour de l'entrée en possession, et non pas, comme on l'a soutenu, retardé jusqu'à la seconde aliénation (').

677. Le possesseur qui invoque la prescription de dix à vingt ans est admis à prouver, diaprés les règles du droit commun, l'existence du titre qu'il invoque à l'appui de cette prescription. Par exemple, s'il s'agit d'une vente, il pourra en faire la preuve par un acte sous seing privé. Mais, bien entendu, un acte de cette nature ne sera opposable au pro- priétaire qu'à dater du jour il aura acquis date certaine par l'un des moyens indiqués en l'article 1328; on ne pour- rait pas faire remonter à une date antérieure, même indi- quée dans l'acte, le commencement du délai exigé pour

V) Sic Agen, 24 nov. 1842, précité. Montpellier, 18 fév. 1866. précité. Leroux de Bretagne, n. 892 ; Aubry et Rau, éd., II, p. 547,'§ 218 ; Bufnoir, loc. cit. ; Hue, loc. cit. ; Guillouard, n. 569. V. en sens contraire Gaen. 20 juillet 1874, S., 74. 2. 305. —Laurent, loc. ciL Cpr. Cass., 26 janv. 1876, S., 76. 1. 217. Bordeaux, 26 fév. 1851, S , 51. 2. 244.

(») Trib. de Saint-Sever, 16déc. 1898, Gaz. Pal., 99. 1. 140.- V. en ce sens Rivière et François, op. cit., n. 54; Demolombe, XXIV, n. 463 ; Leroux de Bretagne, n. 908; Aubry et Rau, 5«» éd., II, p. 473, § 209; Bufnoir, p. 331 et s. ; Pillet, loc, cil. V. aussi Bordeaux, 26 fév. 1851, précité.— V. cep. Humberi, Revue histor., 1855, p. 485 ; Gharmont, Revue critique, 1900, p. 15. On sou- tient, dans cette seconde opinion, que la transcription ne peut se suffire à elle- même et doit se combiner avec les règles de la prescription acquisitive, et que d'ailleurs Tacquéreur qui n*a pas transcrit son titre doit être considéré à l'égard de celui qui a transcrit comme s'il avait traité avec un non-propriétaire.

(*) V. en ce dernier sens Mourlon, Transcr., n. 508, et Bev. prat., XIV, p. 49 s. Cpr. supra, n. 615,

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 519

Tusucapion (*). La preuve du titre peut se faire par témoins dans le cas le droit commun admet la preuve testimoniale.

La présomption de bonne foi de rarticle 2268 ne peut pas d'ailleurs évidemment dispenser de la preuve du juste titre (*).

677 bis. Les juges du fond, pour admettre la prescription de dix à vingt ans, doivent vérifier et préciser la nature et le caractère du titre invoqué. Dans notre droit actuel, la croyance à Texistence d'un titre ne suffit pas ; on n'y a pas admis la théorie du titre putatif. (V. infra, n. 688 et 689). Il est donc nécessaire, pour que la Cour de cassation puisse exercer son. droit de contrôle, que les juges constatent sépa- rément, d'une part, un titre de transmission s'appliquant bien à Timmeuble possédé, d'autre part, la croyance du pos- sesseur au droit de propriété de son auteur (').

§ IL De la bonne foi.

678. La bonne foi consiste dans la légitime croyance du possesseur que son titre Ta rendu propriétaire, justa opinio qiicesiti dominii; il a cette croyance légitime par cela seul qu'il a pensé traiter avec le véritable propriétaire. Dunod disait : « La bonne foi en matière de prescription consiste dans rignorance du droit d*autrui à ce que l'on possède », et Pothier définissait la bonne foi : « La juste opinion qu*a le j)ossesseur qu'il a acquis le domaine de propriété de la chose qu'il possède. » Ainsi j'achète un immeuble de quelqu'un que je crois propriétaire et qui ne Test pas, a non domino quem dominum esse credideram. J'ai la bonne foi requise par l'article 2265 pour la prescription de dix à vingt ans. Si, au contraire, j'ai la connaissance qu'un tiers a un droit sur

(') Alger, 15 nov. 1890, précilé. Caen, 17 mars 1891, précité Troplong, n. 913 ; Aiibry et lUu, éd., Il, p. 547, § 218 ; Leroux de Bretagne, n. 905 ; (îuillouard, n. 567 ; Planiol, 2* éd., I, n. 1433 ; Hue, XIV, n 451. - V. aussi Oass , 18 janv. 1899, S., 1901. 1. 415. V. cep. Pothier, n. 99.

(') V. en ce sens Cass., 22 juillet 1874, S , 75. 1. 17, D , 75. 1. 75. - G. civ. Zurich, art. 76. V. cep. G civ. autr., art 323.

(») V. Cass , 29 nov. 18)9, S., 1901. 1. 287, D., 1900. 1. 253.

K20 DE LA PRESCRIPTION

rimmeuble par moi acquis, je ne suis pas de bonne foi (*). 679. L'acquéreur doit croire non seulement que son auteur est propriétaire, mais encore que le titre de cet auteur est inat- taquable, à Tabri de toute cause de nullité, rescision ou réso- lution (*). Autrement il ne peut croire fermement avoir acquis la propriété, puisqu'il sait que son auteur n'est pas proprié- taire d'une façon ferme et certaine. La jurisprudence est en ce sens. Les >âces du titre du vendeur connus par lacquéreur sont donc exclusifs de la bonne foi de ce dernier ; il en est ainsi des nullités absolues, comme des nullités relatives ; il en est ainsi également des causes de résolution et notamment de la condition résolutoire tacite pour défaut de paiement du prix. L'acquéreur qui a su que son vendeur ne s'était pas libéré du prix de l'immeuble n'est pas de bonne foi et ne peut opposer la prescription de dix à vingt ans au précédent aliénateur qui exerce l'action résolutoire. Les seules énoncia- tions du titre d'acquisition peuvent n'être pas suffisantes pour établir la mauvaise foi du possesseur ; il y a une ques- tion d'appréciation pour le juge du fait (^). Observons d'ail- leurs qu'il ne peut suffire, pour qu'il y ait bonne foi, d'un doute dans l'esprit du possesseur; cette idée, jadis mise en avant par certains canonistes, est inadmissible. Le doute est

0) Gass , 8 août 1870, D., 72. 1. 17; 19 févr. 1873, D.,'Î3. 1. 200; 13 jiiiU.1897, D , d8. 1. 308. -^ V. Leroux de Bretagne, II, n. 909; Aubry et Rau, 5* éd , H, p. 5i9, §218; Guilloiiard, lU n. 572; Hue, XIV, n. 452. V. art. 550, al. 1, r. civ. Gpr. G. civ. ital., art. 701 ; G. civ. esp.. art. 413 et 1^0 ; G. civ. port., art. 476. Aux termes de l'art. 74 du Gode civil de Zurich, « n*est pas un possesseur de bonne foi celui qui, au moment de s'emparer de la chose, devait, avec une attention ordinaire, .concevoir des doutes sur la valeur de son titre, et qui s*est néanmoins mis indûment en possession sans autre vérification, »

(*) Gass., 31 janv. 1844, S. 44. i. 521, D., iîep., y'Prescr., n. 954. Limo- ges, 19 janv. 1824, S. chr' - Paris, 20 janv. 1826, S. chr., et 12 févr. 1844, S., 44. 2. 115. - Pau, 26 juin 1888, S., 89. 2. 215. Aubry et Rau, éd., IL p. 5i9, § 218 et éd., IV, p. 405; Troplong, n. 915; Laurent, XXXIÏ, n. 409 et 410; Leroux de Bretagne, n. 912 ; Guillouard, n. 572. V. aussi Gass , 10 juin 1812, D. Bèp , v Preser., n. 915 ; 8 janv. 1838, S., 38. 1. 646, D. 38. 1. 306.— V. cep. Orléans, 14 déc. 1832, S., 32. 2. 575.- Nîmes, 19 févr. 1839, S , 39. 2. 455. Bufnoir, p. 340; Hue, XIV, n. 453-

(») Gass., 13 juin. 1857, D. 98. 1. 308.- Laui-ent, XXXII, n. 4lO;GuUlouard, n. 572, I. V. les arrMs cil^s à la note précédente. V. aussi Gass., 30 juin 1845, S., 46, 1. 577.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET YLNGT ANS 521

exclusif de la bonne foi ; celle-ci suppose une croyance ferme et entière dans la légitimité et dans la régularité du titre de celui avec qui on traite (*).

680. La bonne foi peut consister dans une erreur de droit aussi bien que dans une erreur de fait. Il faut^ avons-nous dit, que l'acquéreur ait cru le titre de son auteur à Tabri de toute attaque ; mais il doit être considéré comme de bonne foi s'il s'est trompé ou s'il a été trompé sur la valeur juridi- cjue de ce titre ('). L'erreur de droit doit être en général, dans notre législation, assimilée à Terreur de fait quand la loi n'en a pas disposé autrement ; or, ici, aucun texte ne conduit à distinguer et on ne voit guère d'ailleurs de bonne raison pour le faire. La plupart des auteurs se sont décidés en sens con- traire par application des lois romaines ('),et il faut ajouter que Pothier suivait sans hésitation cette solution L'opinion cpie j'ai qu'on m'a transféré la propriété d'un héritage, opi- nion fondée sur une erreur de droit, n'est pas une juste opi- nion et^elle n'a pas par conséquent l'espèce de bonne foi qui est requise pour donner à ma possession le caractère de pos- session de bonne foi nécessaire pour la prescription. »Dunod disait aussi que « l'erreur de droit n'excusant pas, il ne suffi- rait pas de croire bon un titre qui serait nul (*). » Mais il est moins absolu dans un autre passage : « Si la matière est épi- neuse et difficile, celui qui erre est excusable, même dans le cas des prescriptions qui ne courent qu'avec un titre. Mais si le doute est sur un droit clair ou dont on peut facilement s'instruire, il faut distinguer entre les prescriptions qui exi- gent un titre et celles qui n'en exigent point (*). »

La vérité est qu'il ne s'agit pas, pour celui qui allègue une

(») Troplong, n. 927 et s.

(«) Aubry et Rau, loc, cit. ; Laurent, XXXII, n. 413; de Vareille-Sommières, De Verreur, p. 36) ; GuHlouard, II, n. 575 ; Hue. XIV, n. 45L Conira Douai, 15 juil. 1885, sous^Cass., i4nov. 1887, S,, 88. i. 473.— Duranton,XXI, n. 388 ; Troplong, n. 926 ; Leroux de Bretagne, n. 917. V. aussi Gass.^ 14 nov. 1887, précité.

(•) V. la loi 31 pr., D , De usiirp. ei u«ac., XLI, 3, et la loi 2, § 15, D., Pro empt.^ XLI, 4. V. aussi la loi 4, ï>.,De jur. et facl, ignor.^ XXII, 12.

(«) Dunod, p. 13.'

(*) Dunod, p. 40.

522 DE LA PRESGRIPTIOxN

erreur de droit, de se soustraire à l'application d'une loi obli- gatoire pour tous ; il s'agit seulement de justifier d'une cir- constance que la loi elle-même déclare vouloir prendre en considération pour abréger le délai de Tusucapion. A cet égard, on chercherait vainement pourquoi Terreur de droit sur une « matière épineuse et difficile » est moins digne d'in- dulgence qu'une erreur de fait. Notre législation n'a pas reproduit la distinction romaine, sauf dans les articles 1356 et 2052 sur l'aveu judiciaire et sur la transaction. Elle n'admet pas qu'on veuille se soustraire à la loi en alléguant son ignorance ; mais en même temps, elle vient au secours de la bonne foi ; et la bonne foi comprend l'erreur de droit comme l'erreur de fait (*).

681 . Est-il nécessaire que le possesseur ait cru son titre à l'abri de toute attaque de la part de celui-là môme dont il émane? Ainsi j'achète d'une femme mariée non autorisée un immeuble qui ne lui appartient pas. Il y a deux vices dans mon titre d'acquisition : l'absence du droit de propriété de l'aliénateur et l'incapacité de cet aliénateur. J'ai eu, suppo- sons-le, connaissance de ce dernier \'ice lors de mon acqui- sition; j'ai su que je traitais avec une femme mariée non autorisée; mais j'ai cru que cette femme était propriétaire de l'immeuble qu'elle vendait. Peut-on dire que je sois de bonne foi dans le sens de l'article 2265? C'est une ques- tion très controversée et sur laquelle la jurisprudence ne paraît pas nettement fixée.

On a soutenu et on a jugé que l'acquéreur, en pareil cas, peut se dire de bonne foi et prescrire par dix à vingt ans. Il faut et il suffit que, lors de son acquisition, le possesseur ait cru le titre de son auteur inattaquable : il n'est pas nécessaire en outre qu'il ait cru son propre titre à l'abri de toute attaque. Le vice que Tusucapion doit purger est celui qui résulte du défaut de propriété chez l'auteur du titre ; c'est ce vice qu'il doit avoir ignoré. Peu importe que son titre présente d'au- tres vices et qu'il les ait connus, puisque la prescription qu'il

(') Sic, Grome AUgemeiner Theil des modernen frHnsa6si9chen Privât- rechls wissenschaft, 1892, p. 49.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 523

invoque n'a pas pour objet de les réparer et de les effacer. La bonne foi exigée pour Tusucapion est ainsi différente de celle qu'on, exige pour l'acquisition des fruits par le posses- seur de bonne foi qui les a perçus.

La Cour de cassation a décidé en ce sens que celui qui acbète un immeuble d une personne incapable, connaissant son incapacité, peut usucaper par dix ou vingt ans, s'il a cru l'incapable propriétaire. Il faut en dire autant du titre enta- ché de nullité par suite du dol ou de la violence, du titre susceptible de rescision pour cause de lésion, du titre affecté d'une condition résolutoire. Dans toutes ces hypothèses, Tac- quéreur a pu croire à la confirmation ultérieure du titre, à la non réalisation de la condition résolutoire. Ce sont des nullités, des chances d'éviction qui sont d'ailleurs relatives et ne peuvent être invoquées par le légitime propriétaire à qui on oppose la prescription, sous réserve toujours de l'ar- ticle 1166 du code civil qui peut lui permettre d'exercer les actions de celui qui a fait l'aliénation résoluble ou annula- ble (').

682. Cette opinion est vivement contestée, tout au moins quant au titre annulable ou rescindable. On a répondu que la bonne foi doit être fondée sur un titre et ce titre doit être translatif de propriété ; or le titre ne peut être translatif de propriété si l'aliénateur n'avait pas la capacité d'aliéner (^). L'acheteur qui l'a su ne peut être de bonne foi, ne peut avoir cru être propriétaire. « Si l'auteur, dit Laurent, n'avait pas le droit d'aliéner et que le possesseur le sache, celui-ci n'a pas la bonne foi, car il ne peut se croire propriétaire quand il

(•) Sic Cass., 27 fév. 1856, S., 56. 1. 799, D., 56. 1. 189. V. aussi en ce sens Aubry et Rau, éd., II, p. 550, § 218;Colmet de Sanlerre, VIII, n. 372 Jbw, XÏII ; Planiol, éd., I, n. 1431 ; Bufnoir, p. 341 ; Gnillouard, II, n. 573 ; Hue, XIV, n. 454. Gpr. Dunod, p. 48 ; Duranlon, XXI, n. 334 el 385. I^ Cour de Dijon a étendu cette solution au cas de vente d'un bien d'absent par renvoyé en possession provisoire. Dijon, 3 janv. 1878, S , 78. 2. 85. V. encore Cass , 20 janv. 1880, S., 81. 1. 201, D., 80. 1. 65.

(«) V. Merlin, Rép,, Prescription, secl. I,§ 5, art. 1 ; Taulier, VII, p. 486; Troplong, II, n. 917 s. ; Marcadé, loc. cit, ; Leroux de Bretagne, n. 909 s. ; Laurent, XXXII, n. 406 s. V. aussi Pothier, n. 31.— Gpr. en ce sens Gass., 14 nov.. 1887, S , 88. 1. 473. Rennes, i\ juin 1841, S-, 41. 2. 573. -V. pour le droit romain, Girard, 2* éd , p. 298.

524 DE LA PRESCRIPTION

sait que son auteur n*a pas pu lui transférer la propriété. La bonne foi implique une croyance positive^ la conviction que Tauteur du titre était propriétaire et avait le droit d'aliéner la chose. » La loi n'a voulu protéger que les possesseurs qui, se croyant en pleine sécurité, se sont livrés avec confiance à Texploitation et à Tamélioration de leurs immeubles ; c'est ce qu'a dit Bigot-Préameneu. Celui qui sait que son titre est entaché d une nullité quelconque, absolue ou relative, ne peut croire à la stabilité de sa possession ; il ne peut se croire propriétaire. La nullité relative n'empêche pas le juste titre, mais la connaissance de cette nullité empêche la bonne foi; ce sont, dans notre droit, deux choses bien distinctes. L'ac- quéreur qui a su que son titre était vicié et avait besoin de confirmation n'a pu croire à son droit de propriété d'une façon ferme et certaine. « On ajoute, dit Laurent, que le ven- deur seul peut se prévaloir de son incapacité et demander la nullité de la vente; or c'est le tiers propriétaire qui oppose la mauvaise foi au possesseur quand celui-ci se prévaut de la prescription ; il argumente donc de Tincapacité du vendeur, c'est-à-dire qu'il invoque le droit d'un tiers. Non, il soutient que le possesseur ne réunit pas les conditions requises pour prescrire ; quand le tiers propriétaire oppose au possesseur qu'il est de mauvaise foi, il n'entend pas exercer un droit qui appartient au vendeur, il exerce un droit qui lui est propre en prouvant que le possesseur n'a pas pu prescrire contre lui par dix ans, puisque l'une des conditions requises par la loi lui fait défaut. La bonne foi n'est pas une condition relative comme on le prétend; cela ne se conçoit guère. Il s'agit d'une condition qui tient à la conscience ; or Thomme a-t-il deux consciences, l'une à l'égard du vendeur, l'autre à l'égard du propriétaire? » (*)

Cette argumentation, qui peut d'ailleurs invoquer l'autorité de plusieurs textes du droit romain,n'est pas^à notre a^'îs,très déterminante. Il est tout d'abord peu exact de dire, conmie Laurent, que le titre n'est pas translatif de propriété quand il y a défaut de capacité chez l'aliénateur. Nous avons vu que

{') Laurent, XXXII, n. 412.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 525

les nullités relatives n'empêchent pas le titre d'être juste au point de vue de l'article 2265. D'ailleurs il ne faut pas mélan- ger les deux questions de titre et de bonne foi. La bonne foi, pour nous, n'a trait qu'à la croyance dans le droit de l'aliénaieur ; quant aux vices du titre, ils sont intéressants à examiner pour savoir s'il y ajuste titre; ils n'ont rien à faire au point de vue de la bonne foi. Si la connaissance des nul- lités relatives du titre exclut la bonne foi, comment admet- tre que l'acquéreur sous condition résolutoire qui ne peut non plus prétendre à une propriété incommutable pres- crive cependant par dix à vingt ans contre le vrai proprié- taire ? Il ne s*agit pas de dire si la bonne foi est ou non relative, si le possesseur a ou non deux consciences ; toute la question est de savoir si la bonne foi est ou non requise au seul point de vue de l'existence du droit de celui qui a fait Taliénation. « La mauvaise foi, disait Dunod, est l'effet de la connaissance du droit d autrui (*). » C'est là, suivant nous, la solution exacte.

683. Aux termes de l'article 2268, « la bonne foi est tou- jours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver (*). » La preuve de la mauvaise foi se fera d'après les- règles du droit commun, puique la loi n'y a pas dérogé ; or le droit commun autorise la preuve testimoniale, car il a été impossible à celui qui allègue la mauvaise foi de s*en procurer une preuve écrite (art. 1348). Les présomptions seront, par cela même, également admissibles. Il y aura une question d'appréciation qui sera du domaine des juges du fait. Souvent les énonciations mêmes du titre prouveront que l'acquéreur a su ou savoir que Taliénateur n'était pas propriétaire ; ce sera par exemple un mari qui vendra seul un immeuble de communauté après le décès de sa femme ; ce sera un cohéritier qui vendra seul un immeuble dépen- dant de la succession à laquelle il n'a qu'un droit partiel ; en

(«) Dunod, p. 38.

(«) Cpr. G. civ. ilal., art. 702; G. civ. esp., art. 434; G. civ. port., art. 478 et 520; G. civ. holl., art. 2002 et 2003; G. civ. Zurich, art. 76.

526 DE LA PRESCRIPTION

pareil cas Tindication de Torigine de propriété montre bien que le vendeur n'avait pas le droit de vendre (*).

684. L'acquéreur qui invoque une erreur de droit sera-t-il aussi présumé de bonne foi ? Certains auteurs, en admettant Terreur de droit comme équivalente à l'erreur de fait, ensei- gnent la négative. « Quand la loi dit que la bonne foi se pré- sume, dit Laurent, elle entend parler de la bonne foi de fait, car la bonne foi est en général une question de fait. » Aubry et Rau soutiennent aussi que Tacquéreur, par suite de la maxime Nemojus ignorare ce?isetiir,Gst soumis à la nécessité de prouver son erreur de droit (•). » L'explication n'est peut- être pas très précise. Nous croyons qu'en général la bonne foi se présume aussi bien quant au droit que quant au fait; c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à prouver que l'erreur n'est pas plausible ; l'article 2268 ne distingue pas. Il ne s'agit pas d'échapper à la loi, mais de prouver sa bonne foi. La question a d'ailleurs peu d'intérêt pratique, le juge ayant toujours en définitive à apprécier si l'erreur est admis- sible ou non ; le possesseur ne manquera jamais de chercher à prouver le fait de Texcusabilité de son erreur, de peur que le juge ne décide que Terreur invoquée n'est pas plausible.

685. « // suffit que la bonne foi ait existé au moment de « racqimition », dit l'article 2269 ('). Si donc la bonne foi du possesseur vient à cesser, ce qui arrive s'il apprend que son auteur n'était pas propriétaire et n'a pu par suite lui transmettre la propriété, il conservera néanmoins le droit de prescrire par dix à vingt ans ; mala fides superveniens usu^ capionem non impedit. La découverte que fait le possesseur après son acquisition du vice de son titre est un accident

(») V. Cass , ISinai 1813, D,iîc/)., Préscr., n. 9il;22 février 1844. S., 44.1. 522, 1). Hép,, V Prescr., n. 952 el 951; 30 juin 1845, S , 46. 1. 577, t> , 45. 1. 338; 13 juiU. 1897, précité. Paris, 20 janvier 1826, S. chr. Rennes, 14 juil- let 1841, S., 41. 2. 573. Lyon, 29 juillet 1854, D., 55. 2. 175. Nîmes, 19 février 1833, S., 39. 2. 455, D., 39. 2. 92. - Leroux de Bretagne, n. 927 s ; Laurent, XX^CIl, n. 408; Mue, XIV, n. 459.

(*) Laurent, XXXII, n. 415; Aubry et Hau, 5- éd., II, p. 552, S 218, noie 30 ; Guillouard, n. 575.

(') Cpr. ^- civ. ital , art. 702 ; C civ. port., art. 478 et 520; G. civ. holl., art 2002 et 2003.^ Le Code civil de Zurich (art. 75) veut la bonne foi au début de la possession.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 527

qui ne doit pas influer sur la durée de la prescription. C'était la règle admise dans nos anciens pays de droit écrit, qui l'avaient empruntée au droit romain (*). En droit cano- nique et dans les pays de coutume, on suivait les inspira- tions d'une morale plus sévère; on exigeait que la bonne foi du possesseur eût persisté pendant toute la durée de sa pos- session pour qu'il pût prescrire par dix à vingt ans (*). Il est difficile de bien expliquer pourquoi cette règle, qui en légis- lation et en morale nous parait supérieure, a été abandonnée ; il semble que la protection extraordinaire des articles 2265 et suivants ne devrait pouvoir être invoquée que par ceux qui ont été constamment de bonne foi. Vainement Bigot- Préameneu fait valoir, dans son exposé des motifs, que la prescription de dix à vingt ans rentre dans les longues pres- criptions que la prospérité et la paix publiques rendent néces- saires, que c'est le laps de temps sans réclamation de la part du propriétaire et la possession à titre de propriété qui sont également le fondement de ces prescriptions, que la mau- vaise foi est un fait personnel à celui qui prescrit. Toutes ces considérations sont peu satisfaisantes pour la raison ; du moment qu'il y a une prescription de trente ans suffisante pour l'intérêt social, il n'est que logique d'exiger pour la prescription de dix à vingt ans la persistance de la bonne foi pendant toute la durée de la possession. « La loi civile, dit encore l'exposé des motifs, deviendrait purement arbitraire, incohérente si, après avoir posé des règles fondamentales, on les détruisait par des règles qui seraient en contradiction, l^e sont ces motifs qui ont empêché de conserver celle qu'on avait tirée des lois ecclésiastiques, et suivant laquelle la bonne foi était exigée pendant tout le cours de la prescription. » Mais il semble bien, comme le fait remarquer Laurent, que c'est la disposition de la loi qui est arbitraire et incohérente et que « maintenir la courte durée de la prescription tout en se relâchant de la condition sur laquelle elle se fonde, cela n'a pas de sens. » Nous avons défendu le droit romain contre

(') V., sur rapplication de la règle et les restriclions qu'elle comportait, Girard, Munuel de droit romain, p. 298, note 3. (*) Dunod, p. 39; Pothier, Prescr., n, 34.

5*28 DE LA PRESCRIPTION

le droit canonique quand il s'agissait de la prescription de trente ans, mais ici le droit canonique était préférable (*).

686. Ainsi donc, il faut et il suffit que la bonne foi ait existé au moment de racquisition. Entendez : au moment le possesseur aurait acquis la propriété, si son auteur eût été propriétaire.

Par conséquent, si le juste titre consiste dans un acte entre vifs, tel que vente, échange, donation, la bonne foi devra exis- ter au moment le contrat est devenu parfait par le con- sentement des parties, exprimé, s'il y a lieu, dans les formes prescrites par la loi ; c'est en effet à ce moment que la trans- lation de propriété s'opère, quand elle est possible, Taliéna- teur étant propriétaire. (Voy. art. 711, «38, H38 etl583)(«).

Au contraire, si le juste titre est une donation testamen- taire, la bonne foi du légataire devra exister au moment de la mort du testateur (du moins en supposant un legs pur et simple), car c'est à cet instant que la translation de la pro- priété s'accomplit au profit du légataire quand le testateur est propriétaire (art. 711 et 1014). Nous ne croyons pas qu'il y ait lieu de prendre en considération, comme le font quel- ques auteurs, l'époque de l'acceptation du legs ; le légataire devient propriétaire indépendamment de cette acceptation, qui ne fait que rendre irrévocable la translation de pro- priété opérée en vertu des seules dispositions de laloi(').

687. S'il y a eu interruption de la prescription de dix à vingt ans, et si, après l'interruption, quand la prescription recommence à courir, le possesseur n'est plus de bonne foi, pourra-t-il cependant prescrire de nouveau par dix à vingt ans? Nous avons dit plus haut, en étudiant la théorie de l'interruption de la prescription, qu'il suffit qu'il y ait eu bonne foi au jour de l'acquisition (*).

(*) V. en ce sens Polhier, n. 34; Troplong, n. 936.— Cf. C. civ. ail., art 937 : C. civ. esp., art. 435, 436, 1951. V. aussi Ouillouard, n. 577. V. cep. Hoistel, loc, cit,

(*) Duranton, XXI, n. 393 ; Aubry cl Rau, loc. cil.

(*) V. dans notre sens Laurent, XXXIII, n. 417; Guillouai-d, II, n. 579; Hue, XIV, n. 460. - Contra Aubry et Hau, 5- éd , H, p. 552 et 553, | tiS ; Planiol, 2- éd., 1, n. 1433-

(*; V, supra, n. 551

D2 LJl prescription PAR DIX ET VINGT ANS 529

Cependant s'il y a jonction de deux possessions différentes qui se sont succédé relativement au même immeuble^ cha- cune devant réunir les conditions légales^ il faut que l'acqué- peur qui veut joindre la possession de son auteur à la sienne ait été aussi de bonne foi lors de sa propre acquisition (*).

688. Dans notre ancien droit, le juste titre n'était requis pour la prescription de dix à vingt ans que comme un élé- ment, une qualité, si l'on peut ainsi dire, de la bonne foi. Il ne suffit pas, disait-on,* que le possesseur ait cru devenir propriétaire, il faut qu'il ait eu juste sujet de le croire, il faut que Terreur dans laquelle il est tombé soit excusable, invincible même, et cette condition ne se trouve réalisée que lorsque la croyance du possesseur, sa bonne foi est basée sur un juste titre. On avait été ainsi conduit à admettre que le titre putatif pouvait, suivant les circonstances, équivaloir à un titre réel. Le titre putatif est celui qui n'existe que dans la pensée du possesseur : il croit avoir un titre, et il n'en a pas en réalité. On peut citer comme exemple le cas de celui qui, ayant chargé un mandataire d'acheter pour lui un fonds, s'est mis en possession de ce fonds, dans la croyance il était que l'achat en avait été réalisé. On peut citer aussi le cas d'un legs délivré par erreur, ou celui d'un legs contenu dans un testament révoqué par un codicille dont l'existence, ignorée du possesseur, n'a été découverte qu'un certain temps après la mort du testateur. V. encore supra, n. 858.

Pothier exposait ainsi sa théorie : Ordinairement il ne suffit pas, pour donner ouverture à la prescription, qu'un pos- sesseur croie qu'il est intervenu un juste titre d'où sa pos- session procède, s'il n'est pas intervenu. Néanmoins, lorsque l'opinion qu'a le possesseur qu'il possède une chose à titre de vente, quoiqu'il n'y ait point eu de vente, a un juste fon- dement, cette opinion, qui est appuyée sur un juste fonde- ment^ équivaut à un titre et peut être comprise sous le titre général pro suo, et elle peut en conséquence donner ouver- ture à la prescription. La coutume de Paris en l'axticle 113, et les autres coutumes semblables n'ont entendu faire autre chose que d'adopter la décision du droit romain sur la pres-

(*) V. supra, n. 350 s.

Prescr. 34

630 DE LA PRESCRIPTION

cription de dix et vingt ans; les dispositions de ces coutumes doivent donc s'entendre et s'interpréter suivant les principes du droit romain, lorsque rien n'oblige de s'en écarter (*). »

Dunod est moins précis que Pothier ; cependant tout en exigeant que le titre soit certain, réel et prouvé, véritable, valable, il dit : « La loi met aussi au nombre des causes de la prescription le titre pro suo qui est ou général ou spécial. Il est général, quand on croij avoir un titre que l'on n'a pas; et il faut distinguer si Ton erre par le fait d'autrui ou dans le sien propre. Si l'on erre par le fait d'autrui. Ton pourra prescrire pro stw, comme si un héritier délivre à Titius un legs qui avait été fait à un autre Titius; le légataire prescrira en ce cas parce que son erreur est juste et qu'il y a été induit par l'héritier. 11 n'en est pas de même lorsqu'on erre dans son fait propre ; comme si on croyait avoir acheté ce que l'on n'aurait pas acheté en efifct. »

Cette théorie avait d'ailleurs été combattue : les articles 113 et 114 de la coutume de Paris exigeaient, comme aujourd'hui l'article 2265, qu'on eût possédé à juste titre et de bonne foi ». Et Pothier rappelle que Lemaître avait soutenu que ce texte impliquait un juste titre distinct de la bonne foi. Il écartait cette opinion en s'appuyant sur le droit romain ; mais on sait que les textes romains sont loin d'être d*accord sur la solution.

689. Cette théorie du titre putatif, qui, dans le droit romain classique, était d'ailleurs très controversée (2),queles Insti tû- tes repoussèrent formellement, et qui, dans notre ancien droit, avait encore été contestée, a été géné'ralement repoussée sous l'empire du code civil ; on a repris et accepté comme déci- sif l'argument vainement invoqué sous la coutume de Paris; on considère que le texte de la loi exige le juste titre comme une condition distincte de la bonne foi. « Celui qui €u:quierl de bonne foi et par juste titre », dit l'article 2265 (*). Et

(*) Pothier, Prescr., n. 95 s. V. aussi Dunod, p. ii. Gpr. la loi 4, D., Pro le(f., K\A, 8, et la loi 3, D., Pro hered., XLl. 5. V. cependanl en sens contraire, dans l'ancien droit, Lemailre, sur la Coutume de P*rw, lit. VI, ch 1, sect. l ; d'Argentré sur Bret., art. 2ô6, ch. I, n. 6.

(«) V. Girard, Manuel de droit rom.im, I, p. 2^9, note l ; Bufnoir, p. 304.

(»)Gaî^9 , 22 juiUet 1874, S., 75. 1. 17.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 631

l'article 2i67 écarte le titre nul par défaut de forme sans distinguer si l'acquéreur a été ou non de bonne foi. On ajoute que si, en droit romain classique, on s'est écarté parfois de notre règle dans des cas l'erreur était excusable, c'est que la prescription de trente ans n'existait pas alors comme ressource subsidiaire. Dans notre droit, celui qui possède en vertu d'un titre putatif n'est pas sans ressource au point de vue de la prescription, puisqu'il pourra prescrire par une possession de trente ans. En un mot, notre loi n'exige pas seulement la bonne foi soutenue par un juste titre, elle exige davantage : la bonne foi, plus un juste titre. Un simulacre de titre ne peut donc suffire : ce qui exclut le titre putatif qui est fictif (*).

Le titre putatif qui suffit pour faire acquérir les fruits au possesseur de bonne foi ne peut donc servir à l'usucapion par dix à vingt ans. Les termes de l'article 2265 sont d'ailleurs bien différents de ceux de l'article 550. D'après ce dernier texte, « le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire en vertu d'un titre translatif, etc. > L'article 2265 exige distinctement un juste titre et la bonne foi ; c'est le juste titre qui est la raison d'être principale de l'abréviation du délai de la possession.

SECTION II

DU DÉLAI DE LA PRESCRIPTION DE DIX A VINGT ANS

690. La loi dit que la prescription s'accomplit « par dix ans, si le véritable propriétaire habite dans le ressort de la Cour royale dans l étendue de laquelle ^immeuble est situé; « et par vingt ans, s^il est domicilié hors dudit ressort )► (art. 2265) H-

(M V. dans ce sens Troplong, n. 890 s. ; Duranton, XXI, n. 361 ; Marcadé, loc. cit, ; Aubry et Rau, éd., U, p. 518, § 218 ; Golmet de Santerre, Vllï, n. 372 bis, Xll ; Laurent, XXXtl, n. 400 ; Bufnoir, p. 305 el s. ; Guillouard, n. 570 el571.

(') La plupart des législations ont abandonné cette distinction ancienne qui D*a plus grande raison d'être, et un grand nombre d'entre elles fixent pour la prescription acquisitive avec titre et bonne foi un délai unique de dix ans. V. G. civ. ital- art. 2137 ; 0. civ. Zurich, art. 122 ; G. civ. Bas-Canada,

532 DE LA PRESCRIPTION

Ainsi donc il faut considérer, d'une part la situation de rimmeuble à prescrire, et de l'autre la résidence du vrai propriétaire ou de celui qui se prétend tel. La prescription s'accomplira par dix ans, si le véritable propriétaire habite dans le ressort de la cour d'appel de la situation de Timmeu- ble, par xingi ans s'il habite en dehors du dit ressort. Dans le premier cas, on dit que la prescription court entre présents, ilâns le deuxième, entre absents.

Il en était autrement en droit romain et dans notre ancien droit français, sauf dans certaines coutumes qui suivaient un système analogue à celui consacré par le code civil (*). On considérait, pour déterminer la durée du délai de la pres- cription, d'une part le domicile du possesseur, et d'autre part le domicile du propriétaire de l'immeuble : la prescrip- tion courait entre présents, s'ils demeuraient à proximité Tun de l'autre (dans la même province d'après le droit romain, dans le même bailliage, d'après notre ancien droit français), entre absents, dans le cas contraire. Nous pouvons remar- quer en passant que les expressions eîitre présents, entre absents étaient exactes dans ce système ; elles ont cessé de l'être et la doctrine les a conservées néanmoins dans le sys- tème du code civil, qui en\'isage la situation du propriétaire par rapport à l'immeuble que l'on prescrit contre lui et non par rapport à celui au profit duquel la prescription court, substituant ainsi à une relation entre les personnes qui sont enjeu dans la prescription, une relation entre l'une d'elles et la chose à prescrire, entre le propriétaire et la propriété (*).

Il reste à dire pourquoi le législateur s'est écarté ici de la tradition qu'il suit ordinairement. L'orateur du gouverne- ment va nous l'expliquer ; « Le but que l'on se propose est

arl. 2251 ; 0. civ. Montén.,arl. 45 et 845. V. en ce sens la proposition de loi déposée à la Çh. des dép. le 10 décembre 1904. V. aussi C. civ. port., art. 524 et s. Le Gode civ. holl. (art. 2000) admet le délai unique de vingt ans. Le G. civ. esp. (art. 1957 et 1958) fait une distinction analogue à celle du C. civ. fr.

(') V. not. Coat. de Sedan, art. 313. Gpr. Poihïer, Prescription, n. 106.

{*) Le Gode civil espagnol qui admet la prescription de dix à vingt ans en fai- sant la distinction traditionnelle désigne sous le nom d'absents ceux qui résident k l'étranger ou dans les provinces d*outre-mer (arl. 1958).

DE LA PRESCRIPTION PAR BIX ET VINGT ANS , 533

de donner à celui qui possède une plus grande faveur en rai- son de la négligence du propriétaire, et cette faute est regar- dée comme plus grande s'il est présent. Mais ceux qui ne se sont attachés qu'à la présence du propriétaire et du posses- seur dans un même lieu ou dans un lieu voisin n'ont pas songé que les actes possessoires se font sur Théritage même. C'est donc par la distance à laquelle le propriétaire se trouve de l'héritage qu'il est plus ou moins à portée de se maintenir en possession ; il ne saurait le plus souvent retirer aucune instruction du voisinage du nouveau possesseur. Ces lois ont été faites dans des temps l'usage le plus général était que chacun vécût auprès de ses propriétés. Cette règle a chan- ger avec nos mœurs, et le vœu de la loi sera rempli en ne regardant le véritable propriétaire comme présent que lors- qu'il habitera dans le ressort du tribunal l'immeuble est situé. >

691. Nous avons souligné, dans la dernière phrase que nous venons de transcrire, le mot habitera. Il prouve en effet que, dans la pensée de Torateur du gouvernement, c'est à la résidence du propriétaire, et non à son domicile, qu'il faut avoir égard pour résoudre la question de savoir si la pres;- cription court entre présents ou entre absents. La tradition d'ailleurs est en ce sens : « Pour que le temps de la prescrij)- tion, dit Pothier, soit censé courir entre présents, il suffit que tant le possesseur qui prescrit que le propriétaire contre qui on prescrit aient leur domicile de fait et de résidence dans le même bailliage, quand même ce domicile ne serait pas leur domicile de droit; et au contraire il ne suffirait pas que l'un et l'autre eussent leur domicile de droit dans le même bailliage, si Tun ou L'autre n'y avait pas sa demeure actuelle (*). »

Cette double autorité suffit, à notre avis, pour trancher le doute résultant des expressions indécises de l'article 2265, qui parait s'attacher d'abord à la résidence du véritable pro- priétaire et ensuite à son domicile pour résoudre la question de savoir si la prescription doit s'accomplir par dix ou vingt

(») Polhie.r, Prescr., n. 107.

534 LA PRESCRIPTION

r

années. Evidemment le législateur a pris ici le mot domicile dans le sens que lui donnait Pothier : domicile de fait, de résidence. Cette opinion paraît très conforme aux motifs de la disposition admise ; il s'agit de savoir si le propriétaire a pu surveiller facilement son immeuble ; or ce n'est pas de son domicile, mais de sa résidence que la surveillance effi- cace peut s'exercer. Quelques auteurs ont soutenu cependant qu'il fallait s'attacher au domicile réel (*).

692. L'article 2266 résout en fort mauvais termes une question qu'il était utile de prévoir. Le véritable proprié- taire a résidé successivement dans le ressort de la cour d'appel de la situation de l'immeuble et en dehors dudit ressort ; en un mot, il a été présent pendant un certain temps, absent pendant le reste du temps. On appliquera distributivement, pour fixer la durée du temps nécessaire â la prescription, les règles de la présence et celles de l'absence. Or, d'après le système de la loi, il faut deux années d'absence pour équi- valoir à une année de présence, puisque la prescription s'accomplit par vingt ans contre un propriétaire absent et par dix ans seulement contre un propriétaire présent. Donc, pour compléter une prescription commencée entre présents, il faudra ajouter au temps écoulé un nombre d'années d'absence double de celui qui restait à courir pour parfaire la pres- cription de dix ans ; et réciproquement, pour compléter une prescription commencée entre absents, il suffira d'ajouter au temps écoulé un nombre d'années de présence égal à la moi- tié de celui qui restait à courir pour parfaire la prescription de vingt ans.

En d'autres termes, la prescription sera accomplie lorsqu'il se sera écoulé un nombre d'années égal à dix, en comptant les années d'absence pour moitié ; ou, ce qui revient au même, la prescription sera accomplie lorsqu'il se sera écoulé un

(*) V. dans notre sens Nîmes, 12 mars 1834, S., 34. 2. 360. Pau, 6 juillet 1861, S., 61. 2. 433.— Marcadé, loc. cit. ; Golmel de Sanlerre, VIII, n. 372 bu, XVI ; Laurent, XXX II, n. 421; Leroux de BreUgne, n 942; Hue, XIV, n.455.— ConiriL Grenoble, 12 juil. 1834, S., 35. 2. 476.— Troplong, n. 865 s.; Diiranton, XXI, n. 377; Vazeille, n. 503 s.; Aubry et Rau, 5* éd , H, p. 555, § 218 ; Guillouard, II, n. 589.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 535

délai égal à vingt ans^ en comptant chaque année d'absence pour une unité et chaque année de présence pour deux unités.

Ainsi je possède un immeuble avec juste titre et bonne foi ; pendant les huit premières années^ le propriétaire a résidé d'une manière continue dans le ressort de la cour d'appel l'immeuble est situé, par conséquent la prescription a couru entre présents ; à dater de ce moment, le propriétaire change de résidence, il va habiter dans le ressort d'une autre cour d'appel, la prescription court donc désormais entre absents. Après combien de temps la prescription sera-t-elle accomplie à mon profit ? Au bout de quatre années ; il faut en effet quatre années d'absence pour équivaloir aux deux années de pré- sence qui restent à courir pour parfaire la prescription de dix ans. Dans notre espèce, il aura fallu douze ans au total pour parfaire la prescription.

603. Au cas où, de plusieurs co-propriétaires d'un immeu- ble, plusieurs sont domiciliés dans le ressort est situé Timmeuble et plusieurs en dehors de ce ressort, il a été jugé que, pour les parts indivises des premiers, la prescription s*accomplit par dix ans et, pour les parts indivises des seconds, par vingt ans ; les premiers ne sont pas admis à se prévaloir de la situation spéciale des autres (*) ; il n'y a pas ici d'indivisibilité, comme au cas de l'article 710.

694* Il est a peine nécessaire de faire remarquer que l'Etat est réputé présent partout, puisqu'il a partout des fonction- naires chargés de le représenter et de gérer ses biens ; on peut lui opposer partout la prescription de dix ans (*).

SECTION III

EFFETS DE LA PRESCRIPTION DE DIx' A VINGT ANS

695. La prescription de dix à vingt ans fait acquérir au possesseur la i)ropriété deTimmeuble auquel elle s'applique.

I*) G«f»9., 12 nov. 1833, S., 33. 1. 826, D. Bép., V Prescr., n. 947. - Tro- pIoDK, n. 868; Aubry et Rau, éd., II, p. 556, § 218; Laurent, XXXIl, n. 422 Guillouard, II, n. 590 ; Hue, XIV, n. 455.

(*) Bpuxelle.s, 8 mai 1821, S. chr., D. Rép., V Prescr., n. 949. Leroux de Breta(?ne, n. 944 ; Laurent, XXXII, n. 419.

536 DE LA PRESCRIPTION

L!article 2265 dit en effet ; « Celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété. » Celui au profit duquel cette prescription s'est accomplie peut donc, non seulement s'en prévaloir comme d un moyen de défense, ou exception péremptoire , pour repousser Faction en revendication du propriétaire, mais aussi l'invoquer pour triompher dans une action en revendication contre un tiers possesseur. (V. supra, n. 101.) Le possesseur qui a prescrit est à considérer comme ayant acquis la propriété en vertu du titre qui a servi de base à sa possession, avec toutes les conséquences juridiques que ce titre peut entraîner; si c'est une donation, le donataire qui a prescrit sera tenu aux obli- gations qu'entraîne la qualité de donataire. 11 en est autre- ment quand la prescription s est accomplie par trente ans ; su y a eu un titre, ce n'est pas ce titre que la prescription a consolidé. Le possesseur a acquis sans autre titre que sa possession trentenaire. Le donataire qui, après Tarrivée d'une condition résolutoire de la donation, serait resté en posses- sion plus de trente ans, aurait acquis l'immeuble par prescrip- tion et non comme donataire et en vertu de la donation (•) .

606. L'immeuble possédé avec bonne foi et juste titre pou- vait être grevé de charges, de droits d'usufruit, de servitudes ou d'hypothèques. Le possesseur va-t-il, par l'effet de la prescription, acquérir l'immeuble affranchi de toutes ces charges ? La question ne doit pas être résolue d'une façon absolue ; elle comporte des distinctions ; car, ainsi que nous l'ayons dit, la prescription ne fait acquérir la chose possédée qu'avec les charges qui la grevaientau début de la posses- sion, mais il faut voir si ces charges n'ont pas elles-mêmes été atteintes directement par la prescription.

S il s agit d'usufruit, nous pensons que le possesseur peut opposer la prescription à l'usufruitier; l'usufruit sera éteint par Teffet de la prescription accomplie après dix à vingt ans. Mais il faut supposer que le possesseur ait exercé le droit d usufruit ; en ce cas seulement U a acquis la pleine pro- priété de limméuble; et il a acquis cette pleine propriété à

(') Gpr. Léger, Théorie générale de la prescript, extinct., p. 211 et s.

\

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 537

rencontre de Tusufruitier en même temps que du nu proprié- taire. La prescription ne sera pas d*ailleurs nécessairement la même à Tégard de l'usufruitier et du nu propriétaire ; ce soiit deux prescriptions parallèles; Tune peut être accomplie alors que l'autre ne l'est pas ; il suffit de supposer qu'il y ait eu interruption ou suspension spéciale à Tun des intéressés, ou que la prescription soit entre absents quant à Tun d'eux, entre présents quant à l'autre (*).

S'il s'agit de servitudes grevant l'immeuble possédé, l'ac- quéreur qui a reçu et possédé le fonds conmie libre de servi- tudes peut-il opposer la prescription de dix à vingt ans au propriétaire du fonds dominant qui a négligé d'exercer la servitude? L'ancien droit l'admettait ('). Mais, sous le code civil, la doctrine et la jurisprudence se sont fixées en sens contraire. L'article 706 n'admet l'extinction des servitudes que par trente ans de non usage, ce qui est exclusif de l'ex- tinction pouvant résulter d'une prescription de dix à vingt ans; quand il s'agit du droit d'usufruit, on peut admettre cette extinction, car le possesseur de l'immeuble a possédé le droit d'usufruit à la place du titulaire qui négligeait de Texercer, et il acquiert cet usufruit par dix à vingt ans de possession avec titre et bonne foi ; il en est autrement ici, le possesseur de l'immeuble n'a pas possédé la servitude et il ne peut être question que d'extinction par non usage (').

697. En ce qui concerne les droits d'hypothèque, l'arti- cle 2180, dont nous n'avons pas ici à donner l'explication, tranche la difficulté : « Quant aux biens qui sont dans la main d'un tiers détenteur, elle (la prescription) lui est acquise par le temps réglé pour la prescription de la propriété à son profit ; dans le cas la prescription suppose un titre, elle ne commence à courir que du jour il a été transcrit sur les registres du conservateur. »

L'hypothèque peut donc disparaître par l'effet de la pres- cription de dix à vingt ans ; ici comme dans le cas du droit d'usufruit, la prescription est parallèle à celle du droit de

(') V. pour plus de développemenU le commenlaire de l'art. 617 G. civ.

i*) Coul. Paris, art. 114 et 186. Polhier, Prescr., n. 136 et 139.

(*) V. pour plus de développements le commentaire de l'art. 706 C. civ.

538 DE LA PRESCRIPTION

propriété ; elle ne se confond pas avec elle et peut durer plus ou moins longtemps.

698. La prescription de dix à vingt ans affranchit Timnieu- ble acquis des risques d'éviction pouvant résulter des actions en nullité, en rescision ou en résolution du chef d'un précé- dent vendeur ou de l'existence d'une condition à laquelle était subordonnée la résolution du titre du vendeur ou de Fac- tion en réduction exercée par des héritiers à réserve contre le vendeur qui tenait l'immeuble d'une libéralité faite au delà de la quotité disponible (art. 930) (*). « Par la possession de dix à vingt ans, a dit la Cour de cassation, le possesseur d'un immeuble en prescrit la pleine propriété à F égard de toute personne. » Toutes les actions que nous venons d'indi- quer ne peuvent en effet atteindre le possesseur que sous forme d'une véritable revendication succédant i la nullité ou résolution prononcée ; cette revendication échoue devant la prescription acquisitive accomplie. Selon les expressions de M. Bertauld, « l'acquéreur a domino peut invoquer la pres- cription acquisitive, puisqu'il lui importe de conquérir ce qui manque au titre de son auteur, Tincommutabilité. La prescri- ption fondée sur un juste titre et accompagnée de la bonne foi, est aussi puissante pour faire acquérir l'immutabilité, quand la propriété de l'auteur était commu table, qu'elle Test pour faire acquérir la propriété quand l'auteur n'était nul- lement propriétaire. >

690. Mais la prescription de dix à vingt ans n'affranchit pas l'immeuble des vices pouvant entratner la nullité, resci-

(») Cass., 12 janv. 1831, S., 31. 1. 129, D. Rèp,, V Prescr., n. 950; 31 jaiiv. 1844, S., 44. 1. 521, D. Rép., loc. ciL.n. 952 et 954 ; 20 janv. 1880, S ,81- 1.201. -Orléans,2l déc. 1852, D , 54. 2. 163. -Toulouse, 26 déc. 1875, S , 81. 1.201; 5 janv. 1899, S., 99. 2. 103, I): 1901. 2. 94. Sic Polhier, Prescr , n. iS6 ; Duranlon, XXI. n. 363 et 364 : Troplong, n. 797, 850 et s. ; VazeiUe, n. 517 ; Larombièie, Oblig , «ur l'art. 1184, n. 109 ; Ck)lmel de SanteiTC, V, n- 105 bis, VI ; Aubry elHaù, 5*éd., II, p. 556, § 218, et 4* éd., IV, p.405, 462, VII, p. 230, 375, et VIII, p. 83 ; Demolombe, XXV, n. 565 ; Leroux de Bretagne, n. 84a ; Laurenl, XXXH, n. 396 et 425; Bertauld, flev. criL, XXXI, p. 196; Hue, XIV. n. 461. - Contra, Paris, 4 déc. 1826 ; 4 mars 1835, S., 35. 2. 230, D. Bép,, loc. ci7., n. 953. - Agen, 28 août 1841, S, 42. 2. 119, D. flep.. loc. cit., n. 953. Thézard, Rev. crit., XXXIIl, p. 394 ». Opr. Labbé, notes dans S., 67. 2. 33, 78. 1. 145 cl 313. V. supra, n. 656 et 672 bU.

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS 539

sion OU résolution du titre en vertu duquel l'immeuble a été acquis ; il pourra arriver, si la prescription extinctive des actions personnelles existant contre l'acquéreur n'est pas accomplie^ qu'elles survivent à l'usucapion définitive. En pareil cas, le vrai propriétaire qui ne pourrait plus invoquer l'action en revendication pourrait, comme nous l'avons dit déjà, en agissant du chef du vendeur dont il est évidemment créancier, exercer ces actions contre l'acquéreur; et, comme le font très justement observer Aubry et Rau, cette solution enlève beaucoup d'intérêt à la question que nous avons exa- minée, de savoir si l'acquéreur peut invoquer la prescription de dix à vingt ans quand son titre est entaché de nullité ou de lésion (*).

700. Le possesseur ne pourrait pas non plus opposer la prescription de dix à vingt ans à l'action paulienne dirigée contre l'aliénation qui lui a transmis l'immeuble ; c'est par suite d'une obligation personnelle qu'il est alors poursuivi (*). « La prescription du droit de propriété établie par l'arti- cle 2263 en faveur du possesseur avec juste titre et bonne foi n'affiranchit pas l'acquéreur des obligations qui lui sont personnellement imposées. En vertu de l'action r évocatoire accordée au créancier par l'article 1167, les acquéreurs au profit desquels ont été passés les actes reconnus frauduleux sont personnellement obligés envers le créancier. »

Nous avons à peine besoin d'ajouter que, en toute hypo- thèse, celui qui a fourni le titre au moyen duquel la pres- cription de dix à vingt ans s'est accomplie, est toujours sou- mis à une action personnelle en réparation du préjudice qu'il a causé; cette action ne s'éteint que par trente ans (').

/') Aubry et Rau, 5* édit., II, p. 557, § 218 ;Msrcadé, foc. cil,; Leroux de Bre- tagne, n. 897 ; Planiol, 2* édit., n. 1490. Nous supposons que c'est le titre de l'acquéreur qui est infecté d'un vice. Laurent raisonne en supposant que c'est celui de l'aliénateur et il dit que « celui qui a acquis d'un auteur dont le litre était annulable ou rescindable, n*a aussi qu*nn droit sujet à annulation ou à rescision ; il est donc soumis à une action en nullité ou en rescision » (n. 428). Cela nous semble bien peu exact.

(«j Gass., 9 janv. 1865, S., 65. 1. 65, D.. 65. 1. 20. Sic Leroux de Breta- gne, n. 865 ; Colmet de Santerre, V, n. 82 bis, XVIII ; Demolombe, XXV, a. 243 et 244 ; Aubry et Rau, éd., IV, p. 145, § 313 ; Hue, loc. cil.

(') Cass., 4 avril 1838, S., 33. 1.306, D., 38. 1. 195 ; 20 juill. 1852, S., 52. 1.

540 DE LA PKESCRIPTION

CHAPITRE XVIII

DES PRESCRIPTIONS DE DIX ANS

701 . La prescription extinctive de dix ans a d'importantes applications dans notre droit. C'est la prescription de dix ans qui éteint toutes les actions en nullité ou rescision prévues par l'article 1304 du code civil. Nous avons vu qu'elle s'ap- plique à Faction civile née d'un fait qualifié crime. On la Retrouve encore quand il s'agit de l'action exercée par le mineur contre son tuteur relativement aux faits de la tutelle (art. 475 C. civ.). Parmi les prescriptions de dix ans établies par des lois spéciales, signalons celle de l'article H de la loi du 4 mars 1889, d'après lequel « les liquidateurs sont res- ponsables des titres, livres et papiers qui leur ont été remis, pendant dix ans, à partir du jour de la reddition de leurs comptes » (*) et celle qui vient d'être admise récemment en ce qui concerne les actions en nullité des actes constitutifs de société {*). Rappelons aussi celle qui atteint, en matière d'assistance judiciaire, l'action tendant au recouvrement de l'exécutoire délivré pour le paiement des frais, soit contre l'assisté, soit contre la partie adverse ('). L'étude de tous ces textes ne rentre pas dans le cadre de notre travail. Nous n'avons ici qu'à traiter, avec l'article 2270, de la prescrij)- tion de dix ans qui éteint l'action en responsabilité contre l'entrepreneur ou Tarchitecte.

702, D'après l'article 1792 du code civil: « Si V édifice corn- ^ truit à prix fait, périt en tout ou en partie par le vice de « la construction, même par le vice du sol, les architectes « et entrepreneurs en sont responsables pendant dix ans » ; et l'article 2270 au titre de la prescription dispose à son tour qu' « après dix ans,, t architecte et les entrepreneurs sont

639, D., 52. i. 248. Leroux de Bretagne, n. 864 ; Laurent, XXXU, n. 427.

(^) L'art. 20 de la loi du 4 mars 1889 déclare cette disposition applicable à l'état de faillite.

(») L, 1" août 1893. art. 3.

(») L. 22 janv. 1851, art. 25.

DES PRESCRIPTIONS DE DIX ANS 5il

4c déchargés de la garantie des gros ouvrages qu'ils ont faits < ou dirigés (*). » Ces deux textes ont leur origine certaine dans la loi 8 au code De operibus publicis, laquelle fixait une durée de quinze ans pour la responsabilité de ceux qui avaient été chargés d'ouvrages publics à raison des vices de la construction.

Ainsi il ne suffit pas, dans les cas prévus par nos deux arti- cles, que l'ouvrage ait été reçupour que l'architecte ou l'entre- preneur soit dégagé de toute responsabilité ; il est des vices qu'on ne peut découvrir qu'après un assez long intervalle ; sauf convention contraire, il est certain que les parties ont entendu que la construction à faire devait durer un certain temps ; on comprend que la responsabilité des architectes et des entrepreneurs soit prolongée pendant plusieurs années après la réception des travaux terminés. Si la loi n'avait pas fixé une durée déterminée, la garantie eût pu être due, sui- vant les circonstances, pendant des périodes variables et dont la fixation eût été difficile à préciser ; plusieurs auteurs ont écrit que de droit commun la garantie eût été due pendant trente ans ; devant la Cour de cassation, M. le procureur général Barbier a soutenu au contraire que, si aucun texte n'existait sur la matière, l'architecte serait quitte à l'égard du propriétaire dès après réception de l'ouvrage. La vérité est qu'on ne peut, à cet égard, rien formuler d'absolu ; s'il n'y avait pas de texte, il y aurait à rechercher l'intention des par- ties ; il faudrait interpréter le contrat et cela conduirait à admettre, dans des hypothèses différentes, des délais diffé- rents; sauf une convention contraire qui n'aurait rien d'illi- cite, la loi a établi une durée uniforme, qui est de dix ans {^) . Nous n'avons pas à étudier ici les conditions de cette res- ponsabilité. Dans quels cas existe-t-elle, à raison de quels \âces de construction, pour quels travaux, quelle est la preuve

(') Cpr. G. civ. ail., art. 638; G. féd. oblig., art. 362 ; G. civ. port., art. 1399; G. civ. esp.,apl 1591; G. civ. hoU., art. 1645; G. civ. ital., art. 1639. Dans les trois premières de ces législations, la prescription est de cinq ans ; dans les trois autres elle est de dix ans comme en droit français. Mais le Gode italien ajoute un second délai de deux ans pour intenter Tac lion.

O V. infra, n. 705.

5i2 DE LA PRESCRIPTION

à faire par le propriétaire contre l'entrepreneur ou Tarehi- tecte ? Ce sont des points qui rentrent dans l'étude du contrat de louage et que nous n'avons pas à reprendre. La question de prescription est la seule qui doive nous occuper.

703. Il est tout d'abord essentiel de rappeler que les arti- cles 1792 et 2270 ne visent que la responsabilité contrac- tuelle de rentrepreneur ou de l'architecte vis-à-vis du pro- priétaire. Dans les cas la responsabilité naîtrait de l'ar- ticle 1382;, par exemple à la suite de dommages causés a d'autres personnes que le propriétaire, il faudrait décider, d'après le droit commun, que la prescription de l'action est de trente ans, et qu'elle ne commence à courir que du jour de l'accident, à quelque époque qu'il soit survenu, même après dix ans depuis la réception des travaux. Nos textes ne visent que les rapports contractuels de l'architecte et du propriétaire (*).

Il faut ajouter que la loi, en fixant à dix ans la durée de la garantie, supplée à la convention des parties ; mais elle n'empêche pas que les parties fixent cette durée à un temps plus ou moins long. Le délai de dix ans limite l'étendue^de la responsabilité de l'architecte ; c'est une règle à laquelle les parties peuvent se soustraire ; l'ordre public ne s'y oppose pas {^). (V. supray n. 66).

704. D'ailleurs les articles 1792 et 2270 s'appliquent aux travaux publics comme à ceux des particuliers. Si, d'après le cahier des clauses et conditions générales du 16 novem- bre 1866 {^) , « à défaut de stipulation expresse dans les devis, le délai de la garantie est de six mois à dater de la réception provisoire pour les travaux d'entretien et d'un an pour les ouvrages d'art », il ne faut pas voir une dérogation aux dispositions du code civil. M. Guillouard fait très justement remarquer que « la garantie spéciale dont s'occupe ce texte oblige l'entrepreneur, non seulement à réparer les vices de

(') Guillouard, Louage, II, n 874. V. aussi Troplong, Loaajjre, III, n. lOU; Duvergier, II, n.363. V. cep. Aubi7 et Ilau, *• éd., IV, p. 533.

(•)C. d'Elat, 3 janv. 1881, S , 82. 1. 34. - Guillouard, II, n. 873. - G. civ. ail., art. 638.

\*) Y. aussi le cahier des charges du 16 févriCi^ 1892, modifié le 30 sept 1899.

DES PRESCRIPTIONS DE DIX ANS 543

eoiistructioii, mais à entretenir les travaux par lui faits pendant ce délai. » Après ce délais il est procédé à la récep- tion définitive qui forme le point de départ du délai de dixans des articles 1792 et 2270 (*).

705. Il est bien certain que si^ dans le délai de dix ans^ aucun vice ne s*est révélé, Tarchitecte ou Tentrepreneur est tout à fait et définitivement déchargé; il n'est responsable que des vices qui se manifestent pendant cette période. Un arrêt récent de la cour de Paris dit bien, d'une façon géné- rale, que la prescription ne peut commencer qu'après la découverte du vice, parce que « la faculté de prescrire ne commence qu'avec la faculté d'agir, et que la possibilité pour le propriétaire d'agir en responsabilité commence seulement au jour le vice se manifeste (^). » Le délai de dix ans ne s'appliquerait pas, d'après cette décision, à la durée de la garantie, mais à l'action à intenter une fois le vice découvert; il suffirait d'agir dans les dix ans de la manifestation du vice, la prescription de dix ans ne courrait que du jour de la mani- festation extérieure des vices de construction. Mais c'est une formule inexacte. Sauf convention contraire, les arti- cles 1792 et 2270 s'opposent à ce qu'un vice découvert après dix ans donne lieu à la garantie. La tradition, nous le ver- rons plus loin, est unanime en ce sens ; il faut que le vice ait été découvert dans le délai fixé par la loi ; sous le code civil, ce délai est de dix ans. La prescription de dix ans des articles 1792 et 2270 s'applique à coup sûr à la durée de la garantie. Nous discuterons plus loin la question difficile de savoir s'il y a un autre délai devant s'ajouter à ce délai de garantie et dans lequel Faction devrait être exercée; on peut hésiter sur ce second point et soutenir que, le vice ayant été découvert dans les dix ans, l'action en garantie est soumise à la prescription de droit commun. Mais ce qui est incon- testable c'est qu'en principe la responsabilité ne s'étend pas au vice découvert après les dix ans. Les textes, les travaux préparatoires et les précédents historiques ne sauraient sur ce point laisser subsister aucun doute et, lors de l'arrêt des

(*) Guillouard, II, n. 872. V. cep. les décisions citées t/i/'ra, p. 544, note 2, (») Paris, 6 janT, 1894, S. 95. 2.7.

544 DE LA PRESCKIPTION

chambres réunies du 2 août 1882, la seule difficulté soule- vée et tranchée a été de savoir s'il y aurait un second délai de trente ans pour la prescription de Faction en garantie. La Cour de cassation a, nous le verrons, décidé que le délai de dix ans s'applique à la durée de la garantie et à Texercice de l'action ; après dix ans, a partir de la réception des ouvra- ges, tout est terminé (*).

705 bis. Le point de départ de cette période de dix ans pendant laquelle le vice doit se manifester pour qu'il y ait ouverture de Faction en responsabilité est le jour même de la réception des travaux. Ce jour est constaté par un procès- verbal de réception ou par la simple prise de possession (*), ou tout au moins par le règlement du mémoire de l'entrepre- neur, qui implique le fait antérieur de la réception ('). S'il y a expertise judiciaire, le délai court du jour du dépôt du rapport de l'expert ou tout au plus du jour de la rédaction de ce rapport {^).

706. Mais, si un accident survient dans les dix ans de la réception des travaux et s'il est du à une des causes prévues par l'article 1792, on se demande pendant combien de temps va durer l'action en responsabilité. Plusieurs opinions ont été soutenues sur ce point ; la difficulté consiste à savoir s'il y a, pour exercer l'action en responsabilité, un second délai indé- pendant du délai de dix ans qui était fixé pour la découverte du vice, et à déterminer quel est ce second délai.

Trois solutions sont en présence. Il en est une d'abord qui est peu suivie aujourd'hui et qui paraît, en effet, difficije-

(') V. infra, n. 708 s.

(«) Paris, i5 juin 1874, S., 77. 1.204, D.,76. 1. 262. - Bourges, 14 mars 1884, S., 84. 2. 159. D'après deux décisions du conseil d'Etal des 20 avril 1883, S., 85, 3. 20 ell9 mai 1893, S., 95.4.40, le délai de dix ans, en matière detravaux publics communaux ou départementaux, court non pas du jour du procès-verbal de récep- tion des travaux, mais du jour de la prise de possession. D a été jugé aussi par le conseil d'Ëtat que la prescription de dix ans de lagarantie duepar un entre- preneur à raison des vices dans la construction d'une église paroissiale, court du jour de la prise de possession par la commune et non du jour du versement par celle-ci à la fabrique du soldede la subvention(G. d'Et.,3l mai 1895, S., 97.4.16).

(») Paris, 12 mai 1874, S., 76. 2. 240.

(*) Paris, 2ijanv. 188>, S.,8i. 2.159. - Cpr. Gass., 24 janv. 1876, S.. 77.1.204, D., 76. 1. 262.

DES PRESCRIPTIONS DE DIX ANS 54S

ment admissible : il y aurait dans les articles 1792 et 2270 deux délais différents, l'un et l'autre de dix ans ; le vice devrait se manifester, dans les dix ans pour qu'il y eût ouver- ture à l'action en responsabilité et l'action en responsabi- lité durerait dix ans à partir du jour elle serait née. On considère, dans cette opinion, l'article 1792 comme réglant la durée de la responsabilité de l'architecte, et l'article 2270 comme déterminant la durée de l'action née à la suite d'uA dommage survenu à une époque l'architecte était encore responsable {*). Mais il faut écarter cette théorie qui voit à tort dans les délais des articles 1792 et 2270 deux délais dif- férents ; les ternies de ces dispositions paraissent bien se référer à un seul et même délai; dans notre ancienne juris- prudence, il n'a jamais été question que d'un délai unique.^ L'exposé des motifs de Bigot-Préameneu indique qu'on -a. voulu maintenir le droit commun. Malle ville affirme que les deux dispositions des articles 1792 et 2270 se réfèrent à un seul et même délai {*).

707. La discussion n'existe guère, à vrai dire, qu'entre les deux autres théories ; l'une d'après laquelle, si l'accident qui donne lieu à la garantie surWent dans les dix ans, l'action à exercer par le propriétaire dure, suivant le droit commun, trente ans à partir du jour elle est née, l'autre d'après laquelle le délai de dix ans après la réception des travaux est le seul établi par la loi et pour la naissance de l'action et pour son exercice.

Dans la première de ces deux opinions, on soutient que la durée de l'action en responsabilité n'a pas été tranchée par le législateur; c'est un point qui est, dit-on, resté en dehors des prévisions soit de l'article 1792, soit de l'article 2270. L'article 1792 parle de responsabilité, l'article 2270 àe garan- tie, et le second comme le premier semble bien signifier que l'architecte cesse d'être responsable, d'être garant après les dix ans. L'action en responsabilité ne peut plus naître désormais contre lui parce qu'il a cessé d'être responsable ;

(') Duvergier, LouA(je, II, n. 360 ; Tesloud, Rew cril , 1880, p. 257 s. (*) AiiAlyse de la, discussion du Code civil, IV, p. 391.

PRESCR. 35

546 LA PRESCRIPTION

il ne Tétait que pendant dix ans : on a fixé à dix ans la durée de la garantie. <( On a fixé ce délai parce qu'au bout de dix ans, il est devenu certain que la construction est solide, au bout de dix ans, l'œuvre de Tarchitecte est jugée. Ce laps de temps écoulé, ce n est plus à lui qu'il faut s'en. prendre. Mais, si sa faute éclate auparavant, il est responsable (*). » Mais toute autre est la question de savoir pendant combien detemps l'action en responsabilité ou en dommages-intérêts, une fois née par suite d'un sinistre survenu dans les dix ans, peut être intentée contre Tarchitecte. La loi ne s'est pas préoc- cupée de cette seconde question ; par conséquent c'est le droit commun qui doit être appliqué ; l'action pourra être exercée pendant trente ans à dater du jour elle est née (art. 2262) (*). Admettre qu'il y ait un seul délai de dix ans après lequel l'action ne puisse plus être exercée, c'est violer le principe d'après lequel l'action ne peut être prescrite avant d'être née; il pourra arriver que Faction soit prescrite dès sa naissance, si l'accident survient à la fin du délai de dix ans ; on ne saurait admettre un pareil résultat sans une disposition formelle de la loi. Les articles 1792 et 2270 ont tranché un seul point, celui de savoir si la responsabilité de l'architecte serait indéfinie : ils l'ont limitée à dix ans ; ils n'ont pas statué sur l'action à intenter à la suite de la décou- verte d'un vice de construction dans les dix ans; le droit commun reste donc alors applicable. On peut ajouter que la loi est déjà très favorable aux architectes et. entrepreneurs en limitant à dix ans la période de garantie pour un édifice qui doit durer beaucoup plus longtemps ; il est difficile d'ad- mettre que cette faveur soit étendue au point de renfermer dans ce même délai de dix ans la durée de l'action à exer- cer, € D'après le droit commun, dit Laurent, l'architecte

eût été garant alors même que l'édifice serait venu à périr

«

0) Conclusions de M. l'avocat général Desjardins, rapportées avec Cass.,5 avril 1879, S., 79. 1.405.

C) Gass., 5 août 1879, S., 79. 1. 405, D , 80, 1. 17. Troplong, Lon»ge^ n. 1006 s. ; Marcadé, sur l'art. 1792, n. 1; Aubry et Rau, 4- éd., ÏV, p. 533, § 374. note 30; Colmet de Santerre, VII, n. 245 bù, V s., et VIIÏ, n. 377 bU, II s.; Laurent, XXVI, n. 58 et 59; Guillouard, iïeo. cril., 1880, p. 157 s.; Leroux de Bretagne, n. 811. - Cpr. Paris, 6 janv. 1894, S., 95, 2. 7.

DES PRESCRIPTIONS DE DIX ANS 547

après trente ans, et de plus laction, une fois née, aurait eu la durée ordinaire de trente ans. La loi déroge en faveur de rarchitecte au premier principe, elle ne déroge pas au second (*)• *

708. La jurisprudence s'est définitivement fixée dans le sens de la seconde opinion, d'après laquelle, après le délai de dix ans à partir de la réception des travaux, tout est éteint, Tobligation de garantie et Faction en responsabi- lité (*). La loi a confondu dans un seul délai la durée de la garantie et l'exercice de Faction.

On se fonde surtout sur la tradition pour le décider ainsi. 11 semble bien que telle ait été la solution romaine (^). Cujas du moins disait à cet égard : « De annis quindecim hoc notant Ht curatores operum publicorum risque ad annos quindecim teneantur, si opéra vitium fecerint. » Dans tous les cas, on ne voit pas que, dans notre ancienne jurisprudence, on ait Jamais discuté sur ce point. Devant les chambres réunies delà Cour de cassation, M. le procureur général Barbier a cité tous les auteurs qui, dans Fancien droit, ont examiné la question ; deux lui ont paru particulièrement décisifs, Pithou et Brodeau. D après Pithou, « ce que la loi Omnes préfinit quinze ans aux actions pour un édifice mal fait se pratique en France pour le regard des vices qui se trouvent es gros murs pendant ledit temps. Pour le regard des menus ouvrages, on dit qu'il faut agir contre l'ouvrier dedans trois ans ; autrement on n'est plus recevable. » De son côté, Brodeau enseigne que « comme Faction des maçons, charpentiers et ouvriers se prescrit par un an à compter du jour du bâtiment et ouvrage parachevé,

(•) Laurenl, XXVI, n. 60.

(*) Cass., ch. réun., 2 août 1882, S., 83. l. 5, avec les conclusions conformes du procureur général Barbier, et la noie de I^abbé, D., 83. 1. 5. Paris,

15 nov. 1836. S., 37. 2. 257, avec la noie de Devilleneuve; 17 fév. 1853, S., 53. 2. 157 ; 20 juin 1857, S., 53. 2. 50 ; 12 mai 1877, S., 77. 2. 195. Amiens,

16 mars 1881), S., 80. 2. 317, 1)., 80. 2. 227. - Bourges, 14 mai 1884, S., 84. 2. 159, D., 8i. 2. 216. Zachariaî, Massé et Ver;;ê, Iv', p. 413 ; Pavard de Lan- glade, Hép., Prescr.^ sect. H(, 5$ 2 ; Mourlon, ITT, n. 828; Bancelin, Rev, crit,, 1883, p. 65s. ; Perrin ei Rendu, Diclionn, des conslr,, n.l770 ; Guillouard, Louage, II, n. 863 s. Cette jurisprudence e-^t aussi suivie par le conseil d'Etal. V. C d'Etat, 31 mai 1835, S., 97. 4. 16.

(») V. la loi, 8, C , De operihus publicis, VIII, 12.

548 DE LA PRESCRIPTION

aussi raction que le bourgeois a contre eux pour les vices et malfaçons tombe dans la prescription. Elle est de quinze ans pour les gros murs par la disposition de la loi 8 du code. La pratique du Châtelet est de dix ans pour les murs et gros ouvrages, après lequel temps on n'est plus recevable et il n y a plus ni recours ni garantie (*). » On peut ajouter que sur Tarticle 114 de la coutume de Paris, Desgodets s'exprimait ainsi : « Les entrepreneurs, maçons et charpentiers sont garants des édifices qu'ils ont construits, chacun à son égard, pendant ledit temps de dix années après leur construction ; et les dix années expirées, ils sont déchargés de la garan- tie (*). * Enfin Dunod disait aussi : « Les architectes sont tenus pendant dix ans de la garantie des gros ouvrages et murs à l'égard des particuliers et pendant quinze ans à l'égard du public. » Il ne s'agit dans tout cela que d'un délai de libération définitive. Si on ajoute que d'après Bigot-Préame- neu, dans son exposé des motifs de l'article 2270, « le droit commun qui exige dix ans pour cette prescription a été main- tenu )>, et que, d'après le tribun Jaubert sur l'article 1792, « on retrouve dans ce texte toutes les règles consacrées par l'usage sur la garantie due par les architectes ou entrepre- neurs », on est amené à dire que le sens traditionnel de no& textes est qu'il n'y a qu'un seul et unique délai de dix ans après lequel aucune action ne peut être exercée ; cette considé- ration, a dit M. le procureur général Barbier, est renforcée par cette idée que la loi a voulu tarir la source des procès et ne pas en éterniser la durée.

Les travaux préparatoires fournissent encore un autre argu- ment des plus sérieux. Dans ses observations sur le projet de rédaction de l'article 2270,1a commission du tribunal de cas- sation proposait d'ajouter que la prescription serait aussi de dix ans pour l'action de Tarchitecte et de l'entrepreneur.* La commission a trouvé convenable, disait-elle, de renfermer l'action de l'architecte ou entrepreneur dans les mêmes limi-

(') Brodeau, sur l'arl. 127 de la Coût, de Paris.

(*) Desgfodels, Lois des bâtiments, !!• part , p. 96. V. aussi Perrière, sur l'arl. 113 de la Cont. de Paris, n. 23; Bourjon, Droit comm, de t* France, liv. VI, m. lî, chap. IX.

DES PRESCRIPTIONS DE DIX ANS 549

tes de temps qui ra£Pranchissent de la garantie des gros ouvra- ges par lui faits. » Cela prouve bien qu'après dix ans, dans l'opinion du tribunal de cassation, l'entrepreneur et l'archi- tecte ne pouvaient plus être soumis à aucune action. On peut ajouter aussi que, dans sa première rédaction, l'article 1792 ne déterminait aucun délai de garantie en renvoyant au titre de la prescription: « l'architecte est responsable pendant le temps réglé au titre des prescriptions » ; il ne pouvait s'agir dans ce texte de la seule durée de la garantie; on visait à la fois le délai de la garantie et la prescription de l'action.

Il faut au surplus remarquer que les textes ne disent pas: les constructeurs sont responsables des vices qui se mani- festent dans les dix ans. Ils disent : les constructeurs sont responsables pendant dix ans; ils sont déchargés après dix ans. Il semble par suite exact de penser qu'ils confondent, comme dans l'ancien droit, les délais de la garantie et la prescription de l'action en garantie.

709. L'arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation ne répond pas d'ailleurs à l'argumentation de l'opinion oppo- sée à laquelle s'étaient rangés la plupart des auteurs : il se contente d'affirmer que « de la combinaison des articles 1792 et 2270, il résulte que le législateur a voulu comprendre dans un délai unique de dix ans, à partir de la réception des ouvrages, la responsabilité que l'article 1792 établit à la chaîne des architectes et entrepreneurs, et l'action en garan- tie que cet article accorde au propriétaire de l'édifice qui, dans ce délai, a péri en tout ou en partie par le vice de la construction et même par le vice du sol, de telle sorte qu'a- près dix ans, l'architecte et les entrepreneurs sont déchar- gés de toute garantie tant pour le passé que pour l'avenir. » Évidemment on ne voit pas dans cet arrêt comment la Cour de cassation écarte les motifs de l'opinion adverse à laquelle s'était d'abord ralliée sa chambre civile.

On trouve cette réponse dans le réquisitoire de M. le pro- cureur général Barbier : on ne peut dire, fait-il remar- quer, que le droit soit prescrit avant d'être né. Il s'agit d'une créance qui, au moment de la réception des travaux, et alors que sa source peut être inconnue de l'une des parties.

550 DE LA PRESCRIPTION

existe d'ores et déjà,oun'existerajamais, suivant que les tra- vaux parachevés contiennent ou ne contiennent pas de vices de construction.

M. Labbé a soutenu que cette idée n'est pas exacte ; il n'y a pas, d'après lui, à rechercher si l'action en garantie a sa source dans le vice ou dans «l'apparition du vice; ce qui est certain, c'est que cette action ne peut être exercée que quand le vice est connu ou peut l'être ; si on n'accorde pas au propriétaire un délai à partir de ce moment, il est fondé à dire qu'on porte atteinte à larègle que la prescription ne doit être établie contre une action qu'après sa naissance « Le propriétaire dira avec raison : je ne peux agir qu'à partir du moment le vice est apparent et connu. Ne me comptez pas un temps qui s'écoule alors que je suis dans l'impossibilité d'intenter mon action. Donnez-moi pour saisir le juge un certain temps calculé du jour je sais avoir une action en justice. On pourrait raisonner de même en matière d'éviction par suite d'une revendication intentée. L'origine de la responsabilité du vendeur se trouve, non dans le fait de l'éviction qui fait apparaître le droit d'autrui, mais dans le fait que le vendeur a promis une chose dont il n'était pas pro- priétaire : cela n'a pas empêché le législateur de décider que la prescription de l'action en garantie ne court que du jour de l'éviction qui révèle le vice de la vente. »

On a répondu que c'est une solution que le législateur n'a pas reproduite ici. M. le procureur général Barbier a dit à cet égard que le principe est qu'un droit se prescrit quand il est né, et que le droit est dès le jour de rachèvement et de la réception des travaux. L'action, il est vrai, ne peut être intentée de suite ; mais aucun texte n'a [dit que la pres- cription n'atteint que les droits munis d'actions. (V. supra, n. 381 s. 393). Ce raisonnement au surplus n'est pas très sûr ; car on peut bien objecter que le droit d'agir en garan- tie ne naît pas à la réception des travaux ; il faut distin- guer le droit éventuel à la garantie des vices et le droit d'agir en garantie après que le vice s'est manifesté.

M. Labbé fait d'ailleurs remarquer avec raison qu'il sera tout à fait exceptionnel que le vice ne soit révélé qu'à une

DKS PRESCRIPTIONS DK DIX A>'S 551.

époque si proche de la fin du délai qu on ne puisse agir. On pourra, avec la permission du juge, assigner même un jour férié ou en dehors des heures légales (art. 1037 C, pr. civ.). Il fait remarquer surtout que la loi a très bien pu admettre qu'un même délai éteigne la garantie et Faction en garantie. N'est-ce pas ce qui se passe pour le cas des vices rédhibitoires en matière de vente d'animaux (art. 5 et 7 de la loi du 2 août 1884) ?N*y a-t-ilpas un même délai fixé pour la décou- verte du vice et pour Texerçice de laction? « Le législateur, qui aurait pu fixer neuf ans aussi bien que dix ans, a renfermé à forfait dans un même délai et la constatation du vice et l'exer- cice de l'action. Sa pensée peut se traduire ainsi; l'architecte n'est responsable que d'un vice qui apparaîtra dans la cons-^ traction de telle sorte que l'architecte puisse être actionné dans les dix années de la réception des travaux. » Ou peut ajouter qu'il en est ainsi pour toutes les actions en garantie basées sur des défauts cachés de la chose vendue ; quand l'article 1648 parle d'un bref délai pour agir en pareil cas, il vise à la fois la découverte du vice et l'exercice de l'action. C'est dans ce sens qu'on entend en général la garantie due ou promise par un marchand ou un fabricant pour vices et malfaçons de la chose vendue ou fabriquée ; il y a un délai unique après lequel aucuae réclamation n'est admise (*).

Notre solution n'est peut-être pas la meilleure en législa- tion. En fait, il pourra arriver quelquefois que, si l'accident survient peu de jours ou de semaines avant l'expiration du délai, le proprié taire n'ait pas la possibilité d'exercer l'action; il est possible qu'il soit éloigné, qu'il soit décédé et que ses héritiers ne soient pas présents, qu'il faille un certain temps pour retrouver l'architecte et l'entrepreneur ou leurs repré- sentants :1e système de la Cour de cassation peut entraîner, au point de vue pratique, des résultats injustes (*). 11 eût été sage

0) Mourlon, Rép,, III, n. 826 ; Devilleneuve, loc. cit.

{*) D'après l'art. 1639 C. civ. italien : Si dans le cours de dix années & par- tir du jour a été achevé un ouvrage considérable, le bâtiment présente un évident danger de ruine par défaut de construction ou vice du sol, 1 architecte et Tentrepreneur sont responsables. L*action en indemnité doit être intentée dans les deux ans du jour s'est réalisé le cas sus-énoncé. » M. Labbé fait remar-

552 DE LA PRESCRIPTION

de réserver un bref délai pour agir après Texpiration des dix ans de garantie'. xMais la doctrine qui a prévalu a sur la pré- cédente l'avantage de ne pas exposer les architectes ou entre- preneurs à être inquiétés après quarante ans, ou même, s'il y avait eu suspension de la prescription de Faction en garantie, après cinquante ou soixante ans depuis la réception des travaux. Ce qui me décide, a dit M. le procureur géné- ral Barbier, c'est la préoccupation de l'intérêt public auquel la justice est appelée à pourvoir avant tout. La vérité qui m'apparait avec le plus d'évidence, c'est que le législateur a vouloir, c'est qu'il a voulu tarir ou du moins rendre inoins féconde la source des procès ; il n*a pas entendu en éterniser la durée. »

709 bis. En exposant les motifs qui justifient à nos yeux la solution donnée par les chambres réunies de la Cour de cassation, nous avons par même écarté et rejeté celle qui paraît contenue dans l'arrêt de la cour de Paris du 6 juin 1894 d'après lequel la prescription de dix ans des arti- cles 1792 et 2270 commence à courir, non du jour de la réception des travaux, mais du jour de la manifestation des vices, ce qui implique l'existence de deux délais successifs, un premier délai dont la cour de Paris ne détermine pas la durée et dans lequel doit se produire la découverte du vice, un second délai de dix ans pour exercer l'action après que le vice a été découvert et auquel s'appliqueraient les arti- cles 1792 et 2270. Cette doctrine, contraire à celle qu'a fait prévaloir l'arrêt solennel de 1882, est doublement inexacte, el'une part en ce que, comme nous l'avons dit plus haut, elle n'applique pas les textes du code civil à la durée de la garantie, ce qui pourtant n'a jamais été contesté, d'autre part en ce qu'elle admet la succession de deux délais diffé- rents alors que notre législateur a entendu renfermer dans

«juer avec raison qu'une disposition de ce genre est susceptible de donner lieu h un grand nombre de difflcultés et de procès sur le point de savoir si les pre- miers symptômes du vice de la construction se sont manifestés dans le premier délai fixé par la loi. Il serait bon d'ajouter que dans ce premier délai, le vice doit Mre conslalé ou que tout au moins des diligences doivent être faites en vue de sa constatation.

DES PRESCRIPTIONS DE DIX ANS 553

un seul et même délai la durée de la garantie et l'action à intenter contre l'architecte (*).

7iO. Il semble logique, si on admet la théorie qui a triom- phé devant les chambres réunies de la Cour de cassation, de décider que le délai de dix ans des articles 1792 et 2270 ne peut être allongé par les causes ordinaires de suspension. Les auteurs qui veulent distinguer les prescriptions et les délais préfix disent volontiers que c'est un délai préfix. Nous <liroiis simplement que c'est une prescription qui, étant donné et le texte et les motifs qui l'ont fait admettre, échappe aux règles ordinaires de la suspension. Le texte dit en effet d'une façon absolue qu'après dix ans les architectes et entre- preneurs sont déchargés. De plus les motifs de la loi sont d'une part, que ce délai est suffisant pour que le vice de la constructioji apparaisse, d'autre part que Faction doit être intentée dans un bref délai. La cour de Paris a décidé en ce sens que « la rédaction absolue de l'article 1792 exclut par elle-même toute distinction entre le majeur et le mineur (*). »

711. Le cas l'architecte ou Tentrepreneur aurait dissi- mulé frauduleusement les vices de la construction est le seul on doive admettre que Texpiration du délai de dix ans avant la découverte de ces vices n'empêche pas la naissance de la responsabilité et l'exercice de l'action du proprié- taire (').

711 bis. La prescription de dix ans des articles 1792 et 2270 doit, suivant le droit commun, être opposée par les architectes ou entrepreneurs poursuivis en responsabilité ; et ils doivent prouver l'existence des diverses conditions aux- quelles son application est soumise. C'est un mode d'extinc- tion de l'obligation ; au débiteur d'en faire la preuve : ce n'est pas au propriétaire de prouver que le délai de dix ans n'est pas expiré (^).

V) V. «Dpr», n. 702 et 705.

(«) V. Paris, 20 juin 1857, S., 58, 2. 49. Aubry et Hau, 4* éd., IV, p. 533, § 374, note 29 ; Laurent, XXVI, n. 61 ; GuiUouard, II, n. 871.

(») Paris, 6 mai 1894, S., 95. 2. 7. GuiUouard, II, n. 873 ; Bonpaix, Code des architectes, n. 123 s. Cpr. Cons. d'Étal, 29 mai 1893, S., 95. 4. 40. 0. civ. ail., art. 638 ; Code féd. oblig., art. 259 et 362.

(♦) Cass. 17 fév. 1896. S., 1900. 1. 127.

554 DE LA PRESCRIPTION

CHAPITRE XIX

DES COURTES PRESCRIPTIONS

712. La doctrine désigne les diverses prescriptions dont le législateur s'occupe dans la section IV du chapitre V, au titre de la prescription, sous le nom de courtes prescriptions. La plus longue est de cinq ans, la plus brève de six mois (•).

Toutes les prescriptions dont nous allons nous occuper constituent des exceptions au droit commun, diaprés lequel la prescription s'accomplit par trente ans (art. 22G2). Les textes qui établissent ces prescriptions spéciales doivent donc recevoir l'interprétation restrictive. Nous mettrons souvent cette observation à profit.

Il est d'autres prescriptions, plus courtes encore, établies par des lois spéciales ou des textes particuliers du code civil, et dont nous n'avons pas à faire l'étude ici. Ainsi, certaines actions s'éteignent par le délai d'un mois. Telle est l'action en désaveu de paternité (art. 316 C. civ.). Telle est aussi l'action en réparation du dommage causé par certains délits spéciaux (*). D'autres actions se prescrivent par le délai de deux mois ; on peut citer l'action en désaveu lorsqu'elle est exercée par les héritiers du mari (art, 317 C. civ.). L'action en réparation du dommage causé par un délit de chasse ou

(*} Le Code civil allemand a simpliflé cette matière en n*admettant que des prescriptions de deux ans et de quatre ans. V. art. 196 et 197. Ces textes sont d'ailleurs plus complets et mieux rédigés, que les art. 2271 et s. G. dv,, qui lais- sent en dehors de leurs dispositions plusieurs cas pour lesquels la prescription de droit commun est certainement trop longue. Le Code espagnol (art. 1966 et 1967) a organisé deux courtes prescriptions de 3 ans et 5 ans. Le Code fédéral des obligations (art. 147) a établi une seule courte prescription de cinq ans.— C*est avec raison que Troplong signale ici « l'incohérence du Code civil qui, ayant sous la main d'excellents éléments pour mieux faire que Tancienne jurisprudence, a tout brouillé et a statué au hasard et sans suite. »(n. 945). Le système de notre Gode civil est suivi de très près par le Ck>de civil holl., art. 2005 et s., par le Gode civil italien, art. 2138 et s., par le Code civil port., art. 53S et s.

(*) V. pour les délits ruraux la loi des 28 sept, et 6 oct. 1791, 1, sect. 7,.art. 8, et pour les délits de pèche, la loi du 15 avril 1829, art. 62.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 555

par un délit forestier se prescrit par trois mois (*). Il en est de même de l'action en réparation du dommage causé par des délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la presse.

L'action ouverte au cas de vices rédhibitoires d'une chose vendue est soumise, par l'article 1648 du code civil, à la con- dition d'être exercée dans un bref délai cpii est variable sui- vant la nature des vices rédhibitoires et Fusage des lieux (*).

L'article 13 de la loi du 21 juillet 1881 modifiée par celle du 31 juillet 1896, déclarant nulle de droit la vente d'ani- maux atteints de maladies contagieuses, ajoute que la récla- mation de l'acheteur à raison de cette nullité « ne sera rece- vable que lorsqu'il se sera écoulé plus de quarante-cinq jours depuis le jour de la livraison, s'il n'y a poursuite de ministère public. Si Tanimal a été abattu, le délai est réduit à dix jours à partir du jour de Tabatage, sans que tou- tefois l'action puisse jamais être introduite après l'expiration du délaide quarante-cinq jours ('). »

SECTION PREMIÈRE

PRESCRIPTIONS DE SIX MOIS, d'uN AN ET DE DEUX ANS

§ I. Prescription de six mois.

713, Aux termes de Tarticle 2271: « Vaciion des maîtres « ri instituteurs des sciences et artSy pour les leçons qu'ils « donnent au mois; Celle des hôteliers et traiteurs, à rai* son du logement et de la nourriture quils fournissent ; « Celle des ouvriers et gens de travail, pour le paiement de

(') V. L. 3 mai 1814, art. 29. - Code forestier, art. 185.

{*) V. notamment pour les ventes d'animaux la loi du 2 août 1884.

(') V. Gode rural, liv. lïl, sect. II. Cette courte prescription est d'ailleurs assez étrange et difficile à bien expliquer, étant donné d'une part qu*il s'agit de la vente d*une chose mise hors du commerce et que la loi veut frapper comme contraire à Tordre public, étant observé d'autre part qu'il n'y a pas ici de pré- somption de maladie lors de la vente, comme en matière de vices rédhibitoires découverts dans le délai légal, et que c'est à l'acheteur à prouver l'existence au jour de la vente de la maladie contagieuse. V. au surplus, Albert Tissier, Lois nouvelles^ 1896, p. 25.

556 DE LA PRESCRIPTION

« leurs journées, fournitures et salaires, Se prescrivent < par six mois (*).».

714. L'action des maîtres et instituteurs des sciences et arts, pour les leçons qu'ils donnent au mois, se prescrit d'abord par le délai de six mois. Ceux qui donnent leurs leçons au cachet semblent devoir être, à plus forte raison^sou- mis à cette prescription (*). Mais il est certain que les pro- fesseurs qui donnent leurs leçons au trimestre ou à l'année échappent à notre texte ; leur créance se trouve comprise dans la disposition générale de l'article 2277 alinéa 4 : « et généralement tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts » ; la prescription de cinq ans leur est donc applicable ('). Il nous paraît impossible d'appliquer ici la prescription d'un an, comme on le faisait dans l'ancien droit; l'article 2272 ne vise que les maîtres de pension et non ceux qui donnent seulement des leçons.

Quant à ceux qui donnent des leçons pendant un temps plus ou moins long moyennant un prix fixé d'avance à for- fait, il semble juridique de décider qu'ils ne sont soumis qu'à la seule prescription de trente ans (*).

715. Les créances des hôteliers et traiteurs, à raison du logement et de la nourriture qu'ils fournissent, s'éteignent aussi par la prescription de six mois.

11 n'y a plus ici à distinguer si les fournitures ont lieu au jour, au mois ou à l'année ; le texte est tout à fait général (*).

(*) V. encore d'autres prescriptions de six mois établies par les art. 181 et 185 C.civ.,el373 G. com. V.aussi pour les actions en reprise ou en revendication, en matière de liquidation des biens des congrégations non autorisées, et pour les demandes de pensions formées par les anciens membres de la congrégation dis- soute, l'art. 18 de la loi du !•' juill. 1901, et l'art. 7 du décret du 16 août 1901. Il a été jugé que celte prescription de six mois ne s*applique pas à la reven- dication fonnée par celui qui a loué des immeubles à la congrégation. Douai. 3 fév. 1904. {Grz. Trih, du 29 mai 1904).

(*) V. dans notre sens Marcadé, sur 1 art. 2271, n. 1 ; Troplong, n. 947 ; Col- met de Santerre, VIII, n. 379 bU, I ; Guillouard, II, n. 745. Cpr. Laurent. XXXII, n. 504.

{') Cass., 12 janv. 1820, S. chr. Aubry et Rau, 4- éd., VIII, p. 444 ; Tro- plong, n. 945 ; Marcadé, loc. cii,\ Guillouard, loc, cit, ; Hue, /oc.ci/. Con'^ Ira, Laurent, loc. cit» ; Colmet de Santerre, loc, cit,

{♦) Marcadé, loc. cit. ; Laurent, XX.XII, n. 503 ; Guillouard,2oc. cit. ; Hue, loc. cit.

(»; Marcadé, sur l'art. 2271, n. 2 ; Guillouard, n. 747.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 557

Il n'y a pas à distinguer non plus si le client débiteur est ou non un marchand. La Cour de cassation a très bien jugé que « la disposition de l'article 2271, précise et absolue, ne fait aucune distinction entre les personnes qui peuvent avoir été Fobjet des fournitures faites par les hôteliers et les trai- teurs (*). > L'article 2272 n'a pas d'application à recevoir

ici (»). Mais il est bien certain que seuls les hôteliers et traiteurs

peuvent se voir opposer cette prescription spéciale. Elle est donc inapplicable à toute personne n'exerçant pas cette pro- fession, par exemple au chef d'établissement qui fournit le logement et la nourriture à ses employés (^). A plus forte raison Test-elle aussi à celui qui exceptionnellement a logé et nourri une personne moyennant un prix déterminé (♦). En pareil cas, il peut y avoir lieu d'appliquer l'article 2277 si on est dans l'hypothèse qu'il prévoit ; sinon la prescription sera de trente ans.

Nous ne voudrions pas appliquer non plus l'article 2271, bien que ce soit plus douteux, aux cabaretiers, cafetiers et marchands de vin au détail, même pour le prix des con- sommations prises chez eux ; d'autant plus que les fourni- tures qu'ils font ne sont pas relatives au logement et à la nourriture. Ce cas nous parait rentrer dans les prévisions de l'article 2272 alinéa 3, et par conséquent la prescription ne s'accomplirait que par un an ('). Enfin l'article 2271 ne vise

(') Cass., 20 juin 1838, S., 38. 1. 638, D. Rép,, Prescrip., n. 974. Mar- cadé, loc. cit. ; Laurent-, XXXU, n. 505 ; Guillouarcl, loc, cit,

\*) n a été jugé que la prescription (l*un an de Tart. 2272 s'applique au cas de fournitures d'aliments faites par un hôtelier ou restaurateur en dehors de son établissement à un client ou h un ménage recevant chez lui la nourriture de Thôtel. Paris, 14 juin iS'J9, S. 190d. 2. 15. La solution est bien douteuse, car ni le texte ni les motifs de la loi ne conduisent guère à cette distinction. V. Duranton, XXI, art. 415 et 416 ,- Aubry et Rau, édit., VIII, p. 434, J^ 774 ; Guillouard, n. 747. Les fournitures de matériel et de linge faites par l'hôte- lier doivent être d'ailleurs soumises à la môme prescription que les fourniture* d'aliments dont elles sont alors un accessoii'e. Paris, 14 juin 1899, précité.

O Besançon, 21 fév. 1844, D., 45. 4. 403. Laurent, XXXIl, n. 505 ; Hue, loc. cil, ; (iuillouard, n. 750.

(») Cass., 7 mai 1866, S., 65. 1. 280, D., 63. 1.390. Troplong, n. 970 et 971 ; Marcadé, loc. cit. ; Aubry et Rau, édit., VI II, p. 445 ; Laurent, XXXII, n. 505 ; Guillouard, loc. cit,

i*; Sic, Troplong, n. 951 ; Marcadé, loc. cit. ; Laurent, XX.XI1, n. 506 ; Hue,

538 DK LA PRESCRIPTION

pas ceux qui ont payé pour le compte du débiteur ; ils ont, pour recouvrer leurs avances, un délai de trente ans (*).

7i6. La prescription de six mois atteint encore les actions des ouvriers et gens de travail, pour le paiement de leurs journées, fournitures et salaires. Ceux qui louent leurs ser- vices à la journée, à la tAebe pu à la pièce, sont évidem- ment compris sous la dénomination d^ottvriers ou gens de travail ; peu importe qu'ils prennent le titre de contre-mal- , très, de patrons, ou de chefs d'ateliers (*) ; peu importe aussi qu'ils exécutent leurs travaux à tant le mètre, s'ils ne four- nissent aucuns matériaux et ne contribuent qu'à la main- d'œuvre (').

L'expression de l'article 2271 comprend également les artisam ; ordinairement ils font de petites fournitures, et voilà pourquoi notre disposition soumet à la courte pres- cription qu'elle établit la créance du prix des journèrs, fournitures et salaires (*).

Mais il est impossible de considérer oomme ouvriers ou (jens de travail les commis des marchands. Bien plus, nous dirons d'une façon générale que tous les ouvriers ouemployc^J payés au mois sont dans le cas de l'article 2277 et non dans celui de l'article 2271 (*) ; la prescription de cinq ans leur est seule applicable.

717. 11 est impossible aussi de considérer comme ouvriers

XIV, n. 463. V. en sens contraii*e et pour l'assimilation des cafetiers aux hôleliei*s et traileui-s, Merlin, Rép,, >• Prtscr.^ secl. 2, § 1, n. 1 ; Ouillouanl, H, n. 748 ; Aiibiy et Rau, loc, cit. ; Leroux de Bretagne, n. i292. Ces deux derniers auteurs ne font Tassimilalion que s'il s'agit de boissons prises chei le débitant.

0) Lyon, 10 mai 1861, D., 61. 2. 164. Laurent, XXXII, n. 505; Hue, loc, cit.; (juillouard, n. 751.

(*) V. Cass., 7 janv. 1824, S. chr., Rép., Prescr., n. 986. Bourv«?s 8 août 1865, S., 66. 2. 349. Gpr. Paris, 14 juin 1884, S., 85. 2, 198. - Uu- rent, n. 511 ; Hue, XIV, n. 464 ; Guillouard, n. 753. •— V. cep. pour les con- tre-maîtres ou chefs d'ateliers, Marcadé, sur l'art. 2271, n. 3 ; Laurent, XXXIl, n. 508.

(') Bourges, 8 août 1865, précité.

l') Cass., 27 janv. 1851 S., 51. 1. 247. Grenoble, 29 nov. 1861, S., 62. t 111, D., 62. 5. 202. Troplong, n. 958; Laurent, XXXII, n. 509 ; Hue, loc. ciL

(», V. Paris, 6 juil. 1887, S., 88. 2. 196. - Grenoble, 29 nov. 1861, précité. Troplong, n. 953 ; Aubry et Rau, éd., VIII, p. 444 j Laurent, loc. eit' ; Ifuc, XIV, n. 464 ; Guillouard, n. 754.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 559

OU gens de travail rentrant dans Farticle 2271 les entrepre- neurs qui dirigent et surveillent les travaux sans travailler eux-mêmes (*). Il en sera ainsi pour toute entreprise quelle qu'elle soit> quelle que soit son importance, alors même que l'entrepreneur n aura pas traité à prix fait (*) . De plus im ouvrier peut faire un marché à l'entreprise, entreprendre un travail, sans être employé à la journée ou à la tâche, et échapper à la prescription de Tarticle 2271 ('). Ce sera au débiteur à prouver que le créancier est, non entrepreneur, mais ouvrier ou marchand, et que l'article 2271 ou l'arti- cle 2272 lui est applicable (^).

Il faut reconnaître qu'il y a des solutions dissidentes dans plusieurs arrêts. Il a été jugé que les gens de travail n'ont la qualité d'entrepreneurs que s'ils ont traité à forfait, si les travaux ont l'importance qui caractérise une entreprise, s'il y a eu des devis et marchés et non seulement des travaux de main-d'œuvre et des fournitures faites au jour le jour ('). A défaut de ces conditions ce sont les articles 2271 et 2272 qui seuls sont applicables. « L'article 2271, dit la cour de Paris, s'applique à tous les travaux manuels, sans qu'il y ait lieu de distinguer s'ils ont été commandés à un compagnon qui devait les opérer lui-même ou à un patron exploitant la main-d'œuvre d'autres individus engagés à son service. »

Sans vouloir absolument concilier ces différentes solutions, on peut dire qu'il y a une distinction à étabir entre les tra- vaux exécutés par un entrepreneur de profession et ceux exécutés par un ouvrier qui accidentellement fait des entre- prises. Quand il s'agit d'un entrepreneur qui fait profes-

(•> Cass., 12 avril 1853, S , 53. l. 257, D., 53. 1. 141 ; 19 juil. 1882, S., 83. 1. 156 ; 13 juil. 1885, S., 85. 1. 431, l)., 86. 1. 308; 7 juin 1887, S., 87. 1. 268, 13 , 87. 1. 333 ; 4 juin 1889, S., 89. 1. 415, D., 89. 1. 344 ; 27 cléc. 1897, S. 1901. 1. 502, D , 1901. 1. 111. - Paris, 24 août et 16 nov. 1866, S., Gù. 2. 349. Guillouard, II, n. 756; Iluc, X{\\ n. 464.

(«) Cass., 17 juil 1882, 13 juil. 1885, 7 juin 1887, 27 déc. 1897, précités. - Paris, 24 août 1866, précité.

(») Cpr. Tpoplong, n. 954; Laurent, XXXII, n. 511.

(*)Cas9. 7 juin 1887, précité; 4 juin 1839, précité.— Ihic, loc, cil, Les énon- cialions de la patente n'ont à cet égard aucune valeur. Gass.,4 juin 1889, précité.

(•) Paris, 14 juin 1884 et 4 mars 1885, S., 85. 2. 198. Amiens, 27 avril 1886, S , 88. 2. 133 et la note.

/

560 DE LA PRESCRIPTION

sion de diriger les travaux de ses ouvriers sans travailler lui-même, il n'y a pas, à notre avis et contrairement aux arrêts qui viennent d*être rappelés, à distinguer suivant qu'il a traité à forfait ou non, ou suivant que Tentreprise est plus ou moins importante (*). S'il s'agit au contraire d'un ouvrier de profession qui d'ordinaire travaille à la journée, il faut dire qu'il ne devient entrepreneur, au point de vue de l'ap- plication de l'article 2271, que s'il a fait un marché portant en bloc sur une chose à entreprendre. On peut, dans ce cas, appliquer par analogie la règle de l'article 1799, qpii parait exiger, pour qu'un ouvrier soit qualifié d'entrepreneur, qu'il ait traité à prix fait (*).

718. Quand un individu vend des objets confectionnés par lui, il faut voir si c'est la qualité d'ouvrier ou celle de mar- chand qui, dans le contrat, a été prédominante ('). Un libraire- éditeur qui vend des livres, fabriqués ou non par lui, est un marchand (^).

On a jugé de même pour l'imprimeur, même au cas il ne s'occupe pas de l'édition et de la vente au public des ouvrages par lui imprimés, mais fait seulement des travaux d'impression pour le compte d'un auteur ou d'un éditeur (*). « L'imprimeur, dit un arrêt de la Cour de cassation, exerce une industrie qui le classe nécessairement parmi les négo- ciants et le soumet à toutes les conséquences qu'entraîne cette profession. L'imprimeur qui emploie des ouvriers pour l'ex- ploitation de son industrie n'est pas un ouvrier lui-même, mais il entretient ses ouvriers par ses capitaux, leur fournit la matière et les instruments de leur travail, et les dirige par son intelligence pour revendre ensuite à ses clients le pro-

0) Sic,- PUniol, II, n. 614 et 1905 ; Giiillouard, n. 756.

(») V. en ce sens Cass., 27 janv. 1851, S., 51. 1. 247, D-, 51. 1. 166. Lau- rent, loc. cil. ; Planiol, n. 644 et 1906 ; Guillouard, n. 757. V. cep. Colmar, 8 août 1850, D , 53. 1. 141. D'après M. Planiol {loc. cil.), la solution donnée au texte devrait s'appliquer à Touvrier qui aurait traité sur devis, alors même qu'il n'aurait pas traité à forfait.

(') V. Leroux de Bretagne, n. 1293; Troplong, n. 955; Aubry et Hau, édit,. VllI, p. 444, § 774 ; Guillouard, n. 732.

{*) Marcadé, loc. cil.; Laurent, XXKII, n. 510 ; (juillouard, n. 735.

(») Gass. 19 janv. 1853, S., 53. 1. 432, D., 5». 1. 61. Laurent, XXXII, n. 512; Aubry et Rau, loc. cil, Cpr. Agen, 5 juil. 1833, S., 34. 2. 46.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 561

doit de CCS divers éléments combinés ; les faits habituels le placent dans la catégorie des marchands et le rendent pas- sible de la prescription d'un an. » Cette solution nous parait bien contestable. Sans doute, on ne peut soutenir, comme l'a fait cependant Troplong ('), que 1 imprimeur est un ouvrier-, niais il n'est guère exact non plus de voir eh lui un mar- chand ; il ne tombe pas, à notre avis, sous l'application de la loi qui vise « les marchands, pour les marchandises qu'ils vendent aux particuliers non marchands ». L'impri- meur est en réalité en dehors des articles 2271 et 2272 ; c est un industriel, un entrepreneur, quelquefois un artiste. Il n'est atteint que par la prescription de trente ans (') .

718 bis. Une loi du 19 avril 1901 sur la réparation des dommages causés aux récoltes par le gibier a fixé, dans son article 5, à six mois à partir du jour des dégâts, le délai de prescription de l'action en indemnité. L'article 5 de cette Ici s'exprime ainsi: « Les aclians en réparation du dommage causé aux récoltes par le gibier se prescrivent par six mois à partir du jour oit les dégâts ont été commis. » Le délai de trente ans était évidemment trop long. Mais le délai de six mois nous parait à Tinverse d'une excessive brièveté.

§ II. Prescription d'un an,

719. « L'action des huissiers, pour le salaire des actes qu'ils signifient, et des commissions quils exécutent; Celle des « marchands, pour les marchandises quils vendent aux par- « liculiers non marchands ; Celle des maîtres dépensions « pour le prix de pension de leurs élèves, et des attires mat- in très, pour le prix de F apprentissage ; Celle des domes^ « tiques qui se louent à l'année, pour le paiement de leur a salaire, Se prescrivent par un an » (art. 2272).

Nous ajouterons à cette énumération certaines autres pres- criptions spéciales qui rentrent dans le droit civil : celle de Taction en réparation du dommage causé par une infraction

(»)Troplong, n. 963.

(') V. en ce sens, Marcadé, toc. cil,., et Rer, crit., IV, p. 519; Guillouaid, n. 735.

Prescu. 36

552 DE PRESCRIPTION

constituant une contravention, celle de Faction en nullité de mariage prévue par l'article 183 du code civil, celle de l'action en révocation d'une donation pour cause d'ingratitude (C. civ., art. 957), celle de l'action en supplément ou en dimi- nution de prix ou même en résiliation de la vente au cas de l'article 1022 du code civil.

719 bis. La loi du 9 avril 1898 sur la responsabilité des accidents du travail a fixé à un an la durée de l'action à exercer dans les cas et sous les conditions déterminées par elle (art. 18). On a tenu à ne pas laisser les chefs d'entre- prise exposés à des procès intentés après de longues années, alors qu'il est difficile de se rendre compte exactement des circonstances de laccident et des conséquences qu'il a pu entraîner. Cette considération est en effet déterminante dans le sens de labréviation de la prescription de droit com- mun. Mais le délai d'un an est bien court ; et il eût été à notre avis préférable de fixer «un délai de trois années ; le dommage causé peut ne se produire ou ne se manifester que longtemps après laccident ; le délai d'un an peut expi- rer sans qu'on ait eu le temps d'agir ('). La rigueur de Tarti- cle 18 de la loi de 1898 a d'ailleurs été notablement dimi- nuée par la loi du 22 mars 1902 qui a reculé le point de départ de la prescription au jour de la clôture de l'enquête du juge de paix ou au jour de la cessation du paiement de l'indemnité temporaire. Le jour de l'accident n'est plus qu'exceptionnellement le point de départ de la prescription. Cette importante réforme doit s'appliquera toutes les actions pour lesquelles la prescription n'était pas acquise à la date de la promulgation de la loi ; il n'y a de droit acquis que lorsque la prescription est accomplie (*).

719 ter. Nous n'avons pas à faire ici l'étude des graves difficultés auxquelles donne lieu la prescription de l'action en indemnité en matière d'accidents du travail ; cette étude se rattache au commentaire des lois de 1898 et 1902 ('). Nous

C) V. cep. Caboual, Lois nouvelles, 1933, 1" part., p. 103 et 104. (*) SiCf Cabouat, op. cit., p 1 14. V. au surplus pour l'étude de la question, Baudry- Lacan tinerie et Wahl, Traité du louage, t. II. (') V. à cet égard Baudry- Lacan tinerie et Wahl, op, cit.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 563

ne voulons ici que signaler une double limitation à apporter à l'application de cette prescription d'un an. D'une part^ ainsi que Ta dit le ministre du commerce au Sénats Faction en responsabilité ne sera prescrite qu'avec l'action publique dans le cas Taccident qui donnera lieu à responsabilité aura constitué un crime ou un délit. D autre part, on sait que la responsabilité établie par la loi nouvelle n'exclut pas la responsabilité de droit commun des articles 1382 et sui- vants, en ce sens qu'elle ne vise que l'action de l'ouvrier con- tre le patron ; elle ne s'Spplique pas aux autres actions qui peuvent être ouvertes par le droit commun contre d'autres personnes; l'ouvrier pourra donc avoir à demander à certai- nes personnes responsables d'après le droit commun ce qu'il n'aura pu obtenir du patron ; ces actions en responsabilité résultant du droit commun contre d'autres que le patron ne seront éteintes que par la prescription ordinaire de trente ans (*). Tout cela est quelque peu incohérent; l'action en responsabilité d'un accident durera, suivant les cas, un an, trois ans, dix ans, trente ans ; un même accident, en dehors de tout crime ou délit, donnera lieu à des actions dont les unes se prescriront par un an et les autres dureront trente ans.

719 quater. La prescription d'un an existe en droit com- mercial en ce qui concerne les actions contre les voituriers pour pertes et avaries (art. 108 G. com.), et en ce qui con- cerne un grand nombre d'actions résultant de contrats du droit maritime (art. 373 et 433 G. com.) .

Enfin la prescription d'un an se trouve aussi en droit fiscal pourlesdroitsdedouan3s,de contributions indirectes, et pour certaines condamnations à l'amende.

720. Nous n'avons à examiner ici que les prescriptions éta- blies par l'article 2272. Tout d'abord c'est par le délai d'un an que se prescrit l'action des huissiers, pour le salaire des actes qu'ils signifient et des commissions qu'ils exécutent. D'après la jurisprudence de la Gour de cassation, les débour- sés faits par l'huissier pour raccomplissement des actes de

(*) V. Gh. des députés, séance du 28 octobre 1897.

564. DE LA PRESCRIPTION

son ministèpe, tels que frais de timbre et d'enregistre- ment^ sont compris dans l'expression salaire, et tombent par conséquent sous le coup de la prescription spéciale qui nous occupe (^). Mais il n'en est pas de même des avances que rhuissier fait en dehors de cette hypothèse^ comme manda- taire ou negotiorum gestor, par exemple des frais de levée de jugement et d'inscription hypothécaire ; la créance qui appartient de ce chef à l'huissier demeure donc soumise à la prescription du droit commun (*).

L'article 2272 est d'ailleurs applicable à l'huissier alors même qu'il est resté détenteur des pièces de l'affaire dont il a été chargé^ bien que dans ce cas il soit très >Taisemblable que le paiement des frais ne lui a pas été effectué (').

721. Les avoués ont ordinairement un huissier attitré^ qui est chargé de signifier tous les actes de leur étude et auquel ils règlent périodiquement le montant de ses honoraires qu'ils encaissent eux-mêmes. L'action que l'huissier acquiert contre l'avoué dans ces circonstances est une action de man« dat, à laquelle s'applique la prescription du droit commun et non la prescription spéciale qui nous occupe. Cela est de jurisprudence (^). On a jugé qu'il en doit être ainsi même dans l'hypothèse un huissier a été chargé par un avoué dont il n'est pas le correspondant ordinaire de signifier des actes pour un client commun à l'avoué et à lui-même (•). Enfin on a même jugé que l'article 2272 n'est pas applicable au cas d un huissier chargé de signifier des actes pour le

(') Casa., 23 juin 1863, S., 63. 1. 349, D., 63. 1. 344; 18 fév. 1873, S., 73.

1. 120, D., 73 1. 60. Rouen, 14 déc. 1878, S., 80. 2. 298. - Aubry el Rau, éd., VIII, p. 443 ; Laurent, XXXII, n. 495; Guilloiiard, n. 721.

(*) Gass., 18 fév. 1873, précité ; 9 mars 1875, S., 75. 1. 272, D., 77, 1. 83; 25 fév. 18S4, S., 81. 1. 182, D , 81. 1. 400. Rouen, 14 déc. 1878, précité. - Trib. Besançon, 8 juin 1860, S., 63. 1. 349 en note. Aubry el Rau, toc. Cf7.; Laurent, loc, cit. ; Guillouard, n. 723.

(>) Gass., 10 mai 1834, S., 36. 1. 841, D. Rép,, V Preser., n. 997. Lau- rent, XXXII, n. 496 ; Guillouard, n. 724.

(♦) Orléans, 15 mars 1853, S., 56. 2. 551. Grenoble, 25 fév. 1857, S., 57.2. 5S0. Montpellier, 10 mars 1858, S., 58. 2. 672. Aix, 20 déc. 1861, S., 62,

2. 107. Trib. Tours, 12 fév. 1863, S., 68. 2. 233. Aubry et Rau, édit.^ Vlir, p. 443 ; Laurent, XXXIÏ, n. 497 ; Hnc, XIV, n. 466; GuiUouard, n. lU.

(•) Orléans^ 15 mars 1856, précité.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 565

client d'un agent d'affaires, si ce dernier s'est chargé de recouvrer le montant des frais dus à Thuissièr (').

722. L'action des marchands^ pour les marchandises qu'ils vendent aux particuliers non marchands^ est aussi prescrite par un an. Cette prescription concerne les marchands qui vendent des marchandises aux consommateurs. Elle vise notamment ceux qui vendent des objets de consommation journalière, les boulangers, pâtissiers, épiciers, bouchers, auxquels il ne faut pas appliquer l'article 2271, qui ne s'oc- cupe que des hôteliers et traiteurs.

L'article 2272, aussi bien que presque tous les textes qui organisent les courtes prescriptions, a son origine dans les anciennes coutumes et dans les anciennes ordonnances. L'or- donnance de Louis XII de juin 1510 portait que «les drapiers, apothicaires, boulangers, pâtissiers, serruriers, chausse- tiers, tavemiers, couturiers, cordonniers, selliers, bouchers, et autres gens de métiers ou marchands vendant ou distri- buant leurs marchandises en détail, demanderont dorénavant paiement de leurs denrées, ouvrages et marchandises par eux fournis dans les six mois à compter du jour auquel ils auront baillé ou livré la première denrée ou ouvrage, ensemble ce qu'ils auront livré ou baillé depuis icelui jour dedans six mois. » Ce texte reposait sur une présomption de paiement ; il s'agit de dettes qu'on est dans l'usage de payer vite et pour lesquelles on exige rareiiient une quittance. Les rédacteurs de la coutume de Paris firent une distinction. « Us ne don- nèrent, dît Bigot-Préameneu, que six mois aux marchands, gens de métier et autres vendeurs de marchandises et den- rées en détail, comme boulangers, pâtissiers, couturiers, sel- liers, bouchers,bourreliers, passementiers, maréchaux, rôtis- seurs, cuisiniers, et autres semblables; ils donnèrent un an aux médecins, chirurgiens et apothicaires, ainsi qu'aux dra- piers, merciers, épiciers, orfèvres, et autres marchands gros- siers, maçons, charpentiers, couvreurs, barbiers, serviteurs, laboureurs et autres mercenaires. » Cette distinction fut

(') Rouen, 14 déc. 1878, S., 80. 2. 298.

56G DE PRESCRIPTION

reproduite à peu près sans modifications par l'ordonnance de 1673 (*).

Les rédacteurs du code civil ont un peu changé cette légis- lation ; on a voulu mettre dans une même classe tous les mar- chands et on les a tous soumis à la prescription d'une année. « On a seulement excepté, dit Texposé des motifs^les hôteliers et traiteurs à raison du logement et de la nourriture qu'ils fournissent, parce qu'il est notoire que ce sont des objets dont le paiement est rarement différé. On a limité leur action à six mois^ et, par des considérations semblables, on a fixé au même temps Faction des maîtres et instituteurs des scien- ces et arts pour les leçons qu'ils donnent au mois, celle des ouvriers et gens de travail pour le paiement de leurs jour- nées, fournitures et salaires (*). »

723. Il faut d'abord^ pour que notre règle soit applicable^ que la fourniture soit faite par un marchand, c'est-à-dire par une personne dont ce soit la profession de vendre des marchandises pareilles. La règle s'applique à tous les mar- chands.

Nous avons vu que sur ce point le code civil a un peu allongé certaines prescriptions de l'ancien droit. S'il est quelques marchands en détail, dit Bigot-Préameneu, pour lesquels le délai d'un an soit long, il faut songer q^'il s'agit d'une déro- gation au droit commun, et qu'il vaut encore mieux éviter le reproche de distinctions arbitraires, et s'en tenir, dans une matière aussi délicate, à une règle générale sur la nécessité de laquelle il ne puisse y avoir aucun doute. »

Il n'y a pas lieu à cette prescription, mais bien à celle du droit commun, pour la vente qu'un propriétaire non commer- çant fait des produits de sa propriété soit à des consomma- teurs, soit à des commerçants^ ni même pour une semblable

(') V. d'ailleurs Pothier, Oblig,, n. 706 s.

(') Le premier projet du Gode civil de la Convention établissait ici une seule prescription de six mois : « Après six mois, tout marchand, tout , fournisseur en détail, les artistes, médecins, chirurgiens, hommes de métier, sont censés payés des fournitures et travaux faits à raison de leur commerce, art ou pro- fession, s'ils n*ont fait arrêter et signer leur compte. La continuité fourni- tures depuis moins de six mois n'interrompt pas la prescription pour ce qui est antérieur» ^liv. II, tit. III, art. 112).

DES COURTKS PRESCRIPTIONS 567

vente faite par un commerçant^ si elle ne constitue pas de sa part un acte de commerce^ car alors il est vrai de dire que la vente n'est pas faite par un marchand^ puisqu'il ne la fait pas en cette qualité. Ainsi la prescription d'un an n'est pas appli^ cable au banquier ou à Tarmateur qui vend^ comme le ferait tout autre propriétaire, le produit de ses récoltes.

S'il s'agit d'une personne vendant des objets fabriqués par elle, il faut voir si c'est comme ouvrier ou comme marchand qu'on l'a envisagée principalement dans le contrat ('). (V. sttpra, n. 718).

723 bù. La prescription d'un an de l'article 2272 a été appliquée» à tort à notre avis, à la créance du prix d'un abonnement à un journal ('). Il ne s'agit pourtant pas de fournitures faites par un marchand ; on comprend que l'ar- ticle 2272 soit appliqué au cas de fournitures de journaux faites par un marchand de journaux; on ne le comprend plus cpiand il s'agit d'un abonnement à un journal, payable en une fois et pour lequel on retire d'ordinaire une quittance (*).

La prescription d'un an ne peut être d'ailleurs opposée à un artiste qui' vend èes œuvres à des particuliers ou à des marchands; il ne peut être atteint que par la prescription de trente ans (*) .

724. L'entrepreneur qui fait acessoirement des fournitu- res a été, dans certains cas, assimilé à un marchand et sou- mis à la prescription de l'article 2272 (^). Laurent dit même, d'une façon générale, que « l'entrepreneur est un marchand, soumis, comme tel, à la prescription d'un an. » Mais c'est une solution qui nous parait peu exacte. En général, il faut dire.

(*) V. cep. Hue, XIV, n. 463; Guillouard, II, n. 732. D'après le premier de ces auteurs, Touvrier est toujours à considérer comme marchand quant à la matière qu'il fournit et qu'il travaille; d'après le second, il faut voir si c'est la valeur de la matière ou la valeur de la main-d'œuvre qui remporte.

i*) Trîb. civ., Auxerre, 29 avril 1899, G&z. Trib,, 25 juin 1899.

(') Jug^ que Part. 2272 ne s'applique pas à l'abonnement qu*un particulier contracte avec un coiffeur. Trib. Bordeaux, 9 nov. 1903, S., 1904. 2. 318.

(♦) Cass., 19 janv. 1853, S., 53. 1. 433 (solut. implic ). - Hue, XIV, n. 470.

(») Paris, 22 nov. 1833, S., 34. 2. 184; 4 mars 1885, S., 85. 2. 198. Tro- plongr, n. 955 ; Aubry et Rau,. 4- éiit., VIII, p. 4il ; Hue, XIV, n. 469.

568 DE PRESCRIPTION

suivant nous, qu'un entrepreneur ou un architecte ne peut être assimilé à un marchand et soumis à la prescription d'un an. L'expression de marchand n'a jamais compris les entre- preneurs et architectes ; et les motifs qui ont fait introduire la courte prescription de l'article 2272 ne paraissent guère s'appliquer dans l'hypothèse d'un mémoire d'entrepreneur ou d'architecte (*). (V. supra, n. 717).

Quant aux fournitures que l'entrepreneur fait à ses clients* elles ne sont que l'accessoire de son contrat d'entreprise et ne peuvent donner lieu à une prescription séparée (*)

L'article 2272 ne s'applique pas non plus à l'industriel pour le prix des objets de sa fabrication, à l'artiste peintre ou statuaire qui travaille sur commande, au photographe qui a fait les portraits à lui demandés par un client ('). La prescription d'un an ne pourrait leur être opposée que s'ils devenaient en fait marchands, c'est-à-dire s'ils avaient pour profession d'offrir au public des objets ayant le caractère de marchandises.

725. Il faut de plus, pour l'application de notre règle, que la fourniture soit faite à un particulier non marchand. La créance qu'un commerçant acquiert contre un autre commer- çant par suite d'une vente de marchandises, échappe donc à la prescription spéciale qui nous occupe pour demeurer soumise à la prescription de trente ans, qui est la prescription du droit commun en matière commerciale aussi bien qu'en matière civile (*). Dunod nous dit que c'est dans ce sens qu'était

(») Guillouard, H, n. 733. V. cep. Laurent, XXXIl, n. 511. Le Code civil du Bas-Canada, dans son art. 2260, admet une prescription de cinq ans en matière de louage d'ouvrage pour le prix du travail manuel, professionnel ou intellectuel, et les matériaux fournis.

(*) V. dans ce sens Cass , 7 juin 1887, S., 87. 2. 68, D. 87. 1. 338. Paris, 24 août et 16 nov. 1866, S., 66. 2. 349 et 350.

(') V. Guillouard, II, n. 734; Laurent, XXII, n. 510; Hue, XIV, n. 470. V. cep, Troplong, n. 956.

(♦) On peut trouver excessif ce délai de prescription. Le premier projet de Code civil de la Convention établissait une prescription de deux ans pour les ventes en gros de fabricant à marchand, et pour les ventes en gros ou en détail de marchand à marchand {liv. II, tit. III, art. 113). Le Code civil allemand (art. 196) établit pour ce cas une prescription de quatre ans. V. Saleilles, Code eivil allemand y I, p. 270, sur l'article 196, note 13.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 569

déjà appliquée la disposition de Tordonnance de 1673. Il se base notamment « sur ce que les paiements ne sont pas aussi facilement présumés entre eux dans un an^ particulière- ment entre ceux qui vendent en gros, qu'à l'égard d'un mar- chand qui aura vendu en détail à un particulier qui n'a souvent rien pour prouver son paiement au lieu que les mar- chands ont des livres de part et d'autre (*) . » Il faut supposer toutefois que les marchandises sont achetées en vue d'ali- menter le commerce de l'acheteur; car, si elles étaient desti- nées à sa consommation personnelle, la prescription d'un an serait applicable. Ainsi la créance de l'épicier, du boucher, du boulanger..., pour fournitures faites à un banquier ou à un armateur et destinées à être consommées dans sa mai- son, est prescriptible par un an : le banquier ou l'armateur n'agit pas en qualité de commerçant, en tant qu'il fait des achats de provisions pour les besoins de son ménage : il est donc vrai de dire que la fourniture a été faite à un particu- lier non marchand (').

En résumé, la disposition de l'article 2272 alinéa 3 ne s'applique qu'aux créances nées de fournitures ayant un caractère commercial chez celui qui les fait et un caractère non commercial chez celui qui les reçoit.

726. La prescription d'un an éteint encore les créances des maîtres de pension pour le prix de la pension de leurs élèves, et des autres maîtres pour le prix de l'apprentissage. Sous le nom de maîtres de pension, la loi désigne ceux qui don- nent l'instruction et accessoirement le logement et la nour- riture. Celui qui donnerait la nourriture et le logement à ses pensionnaires, sans leur donner en même temps Tinstruc- iion, devrait être assimilé à un traiteur, et sa créance serait prescriptible par six mois (art. 2271). Au prix de la pension, il faut d'ailleurs joindre les accessoires usuels, fournitures de livres, papiers, etc.

727. Enfin l'article 2272 vise l'action des domestiques

(»)) V. Dunod, p. 168.

\*) Orléans, 9 mars 1852, D., 52. 2. 219. - Duranton XXI, n. 409 ; Aubry et Rau, loc» eit, ; Leroux de Bretagne} n. 1281 ; Laurent, XXXU, n. 501; GuUlouard, n. 727 et 728.

570 DE LA PRESCRIPTION

pour le paiement de leurs salaires. L'expression domesti* ques comprend tous ceux qui moyennant salaire sont atta- chés à la personne d'un maître et au service de sa maison, tels que cuisiniers, portiers, valets de chambre, cochers ; elle ne comprend pas les commis» intendants, précepteurs, bibliothécaires, clercs, secrétaires, pour lesquels la pres- cription est de cinq ans, s'ils sont payés à Tannée ou à des termes périodiques plus courts (art. 2277) (*), de trente ans s'il s'agit d'une somme déterminée en une seule fois.

I/article 2272 ne vise d'ailleurs que les domestiques qui se louent à Tannée ; il nous semble qu'il doit être étendu à ceux qui se louent au mois ; mais ceux qui se louent i la journée paraissent bien rentrer dans Thypothèse de Tarti- clc 2271 («).

§ 111. Prescription de devx ans.

728. Le code civil contient des applications de la pres- cription de deux ans dans les articles 2272 in fine, 2273 et 2276 alinéa 2. 11 faut ajouter à ces textes Tarticle 2 de la loi du 24 décembre 1897 que nous citerons plus loin.

On trouve encore, au titre de la vente, une prescription de ce genre en ce qui concerne l'action en rescision pour cause de lésion d'une vente d'immeuble (art. 1676) (').

(•) Paris, 14 janv. 1825. - Bourges, 30 mai 1829. Grenoble, 29 nov. 1861, S., 62. 2. 111. Troplong, n. 975; Marcadé, sur Tart. 2272, n. 2 ; Aubry et Rau, loc, cil, ; Guillouard, n. 740.

(*) Marcadé, loc. cit.; Laurent, n. 503. - L*exposé des motifs de Bigot-Préa- ' meneu ne paraît pas cependant faire de distinction entre ceux qui se louent au mois et ceux qui se louent à la journée ; après avoir parlé de ceux qui se louent à Tannée, il dit: « Les autres sont dans la classe des gens de travail dont l'action se prescrit par six mois. »

{*) V. la loi du 30 oct. 1886 sur l'enseignement primaire; l*art. 19 de cette loi fixe à deux ans le délai dans lequel doivent être exercées, en cas de laTcisatioif ou . de suppression d'écoles congréganistes ou ayant un caractère confessionnel, les actions ouvertes à raison des donations ou legs faits aux communes pour la fondation ou Tentretien de ces écoles. Pour le commentaire de ce texte, voyex Baudry-Lacantinerie et Colin, Donations, 1, n. 143 et s. V. encore la loi dn 29 déc. 1892 sur les dommages causés à la propriété privée par rexécution de travaux publics ; Tari. 17 de cette loi soumet à la prescription de deux ans ' l'action en indemnité pour Toccupation temporaire de terrains. V. aussi la '

DES COURTES PRESCRIPTIONS 571

En droit fiscal, cette prescription atteint les demandes en restitution de droits de douane et de contributions indirectes. Elle atteint aussi l'action en recouvrement des droits et amendes établis par la loi du 28 avril 1893 en matière d opé- rations de bourse (art. 33). Nous la retrouverons enfin en matière d'enregistrement.

729. D'après l'article 2272 in fine, tel qu'il a été modifié par la loi du 30 novembre 1892, « r action des médecins, « chirurgiens, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et phar- « maciens, pour leurs visites, opérations et médicaments, se « prescrit par deux ans (*). » Le texte du code civil disait : < L'action des médecins, chirurgiens et apothicaires, pour leurs visites, opérations et médicaments se prescrit par un an. » Le texte nouveau innove tout d'abord en ce qu'il ajoute aux médecins et pharmaciens, seuls visés par Tancien texte, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes ; il fait ainsi disparaître à ces deux points de vue les discussions que soule- vait l'application du code civil (*). Il innove surtout en subs- tituant à la prescription ancienne d'un an celle de deux ans ; on a écarté la prescription de cinq ans proposée par le prqjet. Le délai de deux ans, dit le docteur Cornil dans son rap- port, est très suffisant pour que le médecin, même peu dili- gent, ait le temps de formuler ses réclamations et de les por- ter au besoin devant la justice. On restera dans le cadre de ce qu'on appelle les petites prescriptions, c'est-à-dire des prescriptions basées, non sur des motifs d'ordre public qui.

prescription de deux ans au profit du Trésor en ce qui concerne les sommes déposées à la Caisse des consignations et provenant de la vente des objets aban- donnés ou laissés par les voyageurs dans les hôtels ou auberges. Le 31 mars 1896, art. 6.

(*) V^. aussi G. civ. ail., art. 196.— La prescription est d un an dans le C. civ. port., art. S39; de trois ans dans le Code civil ital., art. 2140 ; de cinq ans dans le Code civil du Bas-Canada, art. 2260, dans le Code fédér. des oblig., art. 147, dans le Code du Montén., art. 627.

(*) V, à cet égard la noie dans Sirey, 96.2.179.— Il nous parait d'ailleurs bien certain, comme le soutient celte note, que la loi nouvelle vise tous les dentistes, diplômés ou non, et ne saurait être restreinte aux seuls dentisles pourvus du di- plôme de chirurgien-dentiste créé et exigé pour l'avenir par Tart. 2 de la loi du 30 nov. 1892. V. en ce sens Floquet et Léchopié, La nouvelle lègiêlation médi- cale, p. 111; GuUlouard, n. 720, VHI.

372 DE PEESCRIPTION

comme pour celles de cinq ans, excluent toute preuve con- traire, mais sur de simples présomptions de paiement, dans lesquelles larticle 2275 permet au réclamant de déférer le serment à ceux qui les opposent sur la question de savoir si la chose a été réellement payée et de le déférer aux veuves et aux héritiers ou aux tuteurs de ces derniers s'ils sont mi- neurs, pour qu'ils aient à déclarer s'ils ne savent pas que la . chose soit due. Dans une matière la créance se compose habituellement d'éléments multiples dont il n'est pas tou- jours gardé note et dont le paiement se fait souvent sans reçu régulier, la délation serment par le réclamant à son débiteur présente un tel avantage que les médecins per- draient, en y renonçant, bien plus qu'ils ne gagneraient en obtenant la prescription de cinq ans le serment ne peut être déféré (*) . » Il est bien facile de répondre à ce raisonne- ment ; on se demande pourquoi la prescription, si elle était de cinq ans, serait nécessairement soumise aux mêmes règles que celles de l'article 2277 et exclurait la délation du serment. Il est cependant bien évident que, dans le cas de l'article 2277, ce n'est pas parce que le délai est de cinq ans, mais parce qu'il s'agit de prestations périodiques, que le créancier ne peut déférer le serment à son débiteur ; on aurait pu admettre ici la prescription de cinq ans tout en permettant aux médecins de déférer le serment à Jeur client sur le fait du paiement des honoraires. L'article 2273 in fine établit une prescription de cinq ans dans laquelle le serment peut être déféré, et l'article 2276 alinéa 2 en admet une de deux ans pour laquelle on ne peut pas déférer le serment.

730. Le changement de rédaction n'a pas tranché toutes les questions qui se posaient sur l'article 2272 avant sa modi- fication. Le texte nouveau ne parle pas des médecins vétéri- naires ; la Cour de cassation a jugé que larticle 2272 leur est applicable. Le mot médecins comprend les médecins vétérinaires ; plusieurs dispositions législatives leur donnent

(*) V. pour plus de détails sur les discussions auxquelles cette réforme a donné lieu, l'étude de M. Roland, dans les Lois nouvelles, 1893, I, p. 118 s.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 573

ce titre, on ne comprendrait guère que la prescription fût pour eux de 'trente ans. « Les termes généraux de larti- cle 2272 comprennent toute personne exerçant légalement la profession de médecin ; cet article doit donc s'appliquer aux vétérinaires, qui pratiquent une des branches de la médecine et notamment aux vétérinaires brevetés, puisque^ eu 1804, époque à laquelle le titre du code civil sur la pres- cription a été décrété et promulgué, les vétérinaires breve- tés tenaient de la loi du 25 germinal au III le titre de méde- cin-vétérinaire (*). ».

731. La prescription de deux ans s'applique aux prix des visites, opérations et médicaments. La Cour de cassation a décidé que la prescription d'un an, qui était celle de l'ar- ticle 2272 ancien, ne s'appliquait pas à la créance du méde- cin pour le prix des appareils par lui fournis à ses clients (^) . Cette solution se trouve renforcée par suite de la rédaction nouvelle qui a maintenu Ténumération limitative de Tancien texte. Mais la Gourde cassation est allée plus loin: elle décide que la prescription de l'article 2272 ne s'applique pas aux médicaments qui auraient été fournis par les médecins ; elle ne viserait que ceux fournis par les pharmaciens (^). Cette distinction nous parait aller à rencontre du but de la loi et être contraire à son esprit ; elle n'est pas impérieusement commandée d'ailleurs par le texte.

Il semble dans tous les cas qu'on doive décider que la prescription s'applique à l'action en paiement des médica-

(*) Cass., 11 juin 1831, S.. 85. 1. 313, D., 85. 1. gOS.-Guillouard, n. 720,IX.

(*) Cass.. 19 juin 1882, S., 8i.l. 21, D., 83.1.256. Sic Pabon, Manuel juri- dique des médecins, n. 186; Rolland, Les médecins et la loi du 30 nov, iS9i,, n, 180. Contra Floquet et Léchopié, op. cit., p. lll; Hue, XiV, n. 472. n a été jagé, d'ailleurs, que l'article 2272 alinéa 3,édiclant une prescription d'un an pour Taclion des marchands en paiement des marchandises qu'ils vendent aux particuliers, ne peut s'appliquer non plus aux appareils fournis par les den- tistes. Trib. paix Paris, 20 sept. 1889, S., 89. 2. 218. Les dentistes quant à ces^ roumitures ne peuvent être assimilés aux marchands ni aux gens de travail ; il ne peut 8*agir que de la prescription de trente ans. > Mais on a appliqué la prescription d'un an de l'art. 2272 al. 3 aux marchandises que les dentistes achè- tent en gros pour les revendre au détail. Trib. Seine, 2i janv. H90, S., 90. 2^ 70, D., 98. 2. 15 ; 28 fév. 1831, S., 91. 2. 144 ; 7 nov. 1895, S., 96. 2. 179,0.,. 06. 2. 15. Contra Floquet et Léchopié, loc, cit,

{*) Cass., 19 juin 1882, précité.

574 DK LA PRESCRIPTION

ments fournis par le médecin, lorsqu'il est autorisé, à défaut de pharmacien, à vendre des médicaments (*):

732. L'article 2272 serait-il applicable, dans les rapports d'un pharmacien et d'un médecin, à l'action qu'intenterait un pharmacien en paiement de fournitures de médicaments faites à un médecin qui les aurait revendues à sa clientèle ? On sait que dans certaines localités il n'existe pas de pharmaciens, les médecins peuvent vendre eux-mêmes des médicaments. La cour de cassation a décidé que la prescrip- tion de l'article 2272 s'appliquerait à l'action du pharma- cien (*). C'est encore une solution peu en harnionie avec l'esprit et le but de la loi, si elle peut paraître conforme à son texte. On a voulu évidemment soumettre à la courte prescription de l'article 2272 les fournitures faites aux mala- des, non celles qui constituent chez l'acheteur comme chez le vendeur un acte de spéculation. A notre avis, c'est la prescription du droit commun qui devrait être appliquée.

733. La loi nouvelle n'a pas non plus éclairci la question ancienne de savoir quel est le point de départ de la prescrip- tion qui court contre les médecins, pharmaciens, dentistes et sages-femmes. Plusieurs opinions se sont fait jour sur ce point. Une première théorie, très rigoureuse, s'appuyant sur ce que le médecin peut réclamer ses honoraires après cha- que visite, et sur ce que l'article 2274 décide que la pres- cription a lieu dans les cas visés par les textes précédents, quoiqu'il y ait eu continuation de fournitures, livraisons, services et travaux, décide que la prescription courtgà par- tir de chaque visite ou de chaque fourniture de [médica- ment (*).

Une autre opinion, reconnaissant aussi le caractère dis-

(') Lyon, 15 nov. 1898, S., 99. 2. 101. lluc, XIV, n. 472 ; GuiUouard, U,

n. 720, V.

(») Cass., 9 jail. 1853, S., 53. 2, 213, D., 50. 1. 221, Hue, loc. cit. - Con- Ira Laurent, XXXII, n. 500; GuiUouard, II, n. 720, VI.

(») Cass., 29 oct. 1810, S. chr., D., Rép , V Prescrip., n. 1043. Limoges, 3 juill. 1839, S.. 40. 2. 57. - Trib. Gand, 28 janv. 1891, S., 91. 4. 20. - Vazeille, n. 733 ; Aubry et Rau, édiU, VIII, p. 442; Laurent, XXXU, n. 524 ; Hue, XIV, n. 473. V. aussi la note dans S., 62. 2. 97. G. civ. Bas-Canada, art. 2260.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 575

tinct delà dette à chaque visite^ fourniture ou opération, tient compte de cette considération que d'après l'usage le méde- cin ou le pharmacien ne peut réclamer son paiement qu'après un certain temps, à la fin de la maladie si c'est une maladie accidentelle ou aiguë, après un délai déterminé par l'usage, s^il s'agit d une maladie chronique (^).

La jurisprudence belge a proposé une solution très sim- ple qui consiste à tenir compte de Tusage qu'ont beaucoup de médecins de faire payer leurs honoraires à la an de cha- que année, et à faire courir par suite la prescription à partir du l*'janvier qui suit les visites faites (*).

En France la jurisprudence paraît s'être fixée pour une quatrième solution, d'après laquelle la prescription de Tac- tion en paiement pour visites ou médicaments ne commence à courir, même pour les maladies chroniques, que de la gué- rison du malade, ou de sa mort, ou de la cessation du traite- ment du médecin ou des fournitures du pharmacien ('). Cette opinion peut se recommander des précédents de notre ancien droit. « La prescription, dit Brodeau,ne peut avoir son cours pendant qu'un médecin ou qu'un chirurgien continue à trai- ter ou panser ses malades, quand la maladie durerait deux ou trois ans; n'étant pas raisonnable de les obliger de faire la demande de leur salaire tant qu'ils traitent le malade ». Dans cette opinion, on admet cependant une restriction. Si une maladie se divise en périodes entre lesquelles il y a une

(») Marcadé, sur Tari. 2274, n. 3 ; Mourlon, III, n. 1970. Gpr. Chambéry, 28 fév. 1873, S., 73. 2. 298. Certains auleurs semblent n*admeltre cette opi- nion que pour ce qui concerne les maladies aiguës et acceptent la solution de la première théorie pour les maladies chroniques. V. Duranlon, XXI, n. 413 ; Taulier, VII, p. 493. - Gpr. Troplong, II, n. 757.

<«) Bruxelles. 28 janv. 1892, S., 92. 4. 24. Trib. Gand, 16 janv. 1894, S., 94. 4. 32. Arnlz, IV, n. 2058. (Jpr. G. civ. ail, art. 201.

(»; Gaen, 21 avril 1868, S., 69. 2. 97. - Tnb. Seine, 15 janv. 1870, S., 72.2. 24. Poihier, ObUg,f n. 715 ; Brodeau, sur l'art. 125 de la coutume de Paris; Rousseau de la Combe, Recueil de jurisp., Prescr,, sect. V, n. 1 ; Troplong n.95^; Roland, Loû nouvelles, 1893. 1.126; Pabon, exercice de U médecine, n. 184 et 185; Planiol, II, n. 653 ; Guillouard, II, n. 720. G. civ. port. art. 539. > M. Guillouard ensei^^ne que la prescription de deux ans court, pour les pbarmicieas, à partir de chaque fourntture(n. 720, I\^;. V. aussi en ce sens Tro- plong, loc. eit.

576 DE LA PAESGRIPTIO.N

cessation de traitement ou de fournitures, la prescription court quant à chaque période^ du jour elle s'est terminée (^). On doit admettre aussi que si, sans que la maladie ait cessé à aucun moment, les soins du médecin ont subi une inter- ruption, et n'ont repris qu'après un assez long intervalle, la prescription de deux ans a couru, à partir de l'interruptioii des soins, contre la créance des honoraires dus à cette date(').

Cette théorie a été formulée, sans qu'il y ait eu de protes- tation, dans la discussion de la loi récente du 30 novembre 1892. c Ce n'est pas à partir de chaque visite que la prescrip- tion court, a dit au Sénat M.Morellet, mais bien à partirdu jour cessent les rapports multiples du médecin et du ma- lade qui ont donné lieu à la créance du médecin. A ce t égard, la doctrine à laquelle. s'est rangée la jurisprudence est très nettement indiquée en ces termes que je trouve dans un recueil d'arrêts : les visites d'un médecin pour le traitement d'une maladie ne donnent pas naissance à autant de créances distinctes qu'il y a de visites, mais à une créance unique qui^ devenue complète seulement au jour de la cessation des rapports du médecin et du malade, n'est également pres- criptible qu'à partir de ce jour. »

A l'objection tirée par les défenseurs de la première opi- nion de l'article 2274, on a répondu souvent, dans les autres théories, que, s'il y a autant de créances que de visites et de con- sultations, chacune de ces créances est à terme: il y a entre le médecin et son client une convention tacite en vertu de laquelle un délai est accordé pour le paiement des honoraires; la prescription ne court par suite qu'à l'expiration du terme accordé (art. 2257). Mais ce motif n'est pas rigoureusement exact. Il est préférable de décider avec plusieurs arrêts que « les soins du médecin ne donnent lieu qu'à une seule et même créance qui a été complètement et définitivement exi- gible lorsque les rapports du malade et du médecin ont pris fm. » Ce point de vue nous paraît plus exact que celui qui consiste à voir une série de créances avec termes tacites.

(«) Gaen, 21 avril 1868, précité. - Chambéi^, 28 fév. 1873, précité. - Guil- louard. loc, cit. (») Lyon, 15 nov. 1898, S., 99. 2. 101, D., 99. 2.371.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 577

Il est à peine besoin de faire remarquer que le décès du débiteur n*estpas une cause d'interruption de la prescription organisée par Farticle 2272 dans les cas que nous venons d'examiner (').

734. « L'action des avoués, pour le paiement de leurs frais < et salaires, se prescrit-par deux ans, à compter du juge- ra ment des procès, ou de la conciliation des parties, ou <K depuis la révocation desdits avoués, xi regard des affaires « non terminées, ils ne peuverit former de demandes pour «. leurs frais et salaires qui remonteraient à plus de cinq ans » (art. 2273).

Dans Tancien droit, la jurisprudence était assez variable sur cette question. PouUain du Parc enseigne que l'action des procureurs se prescrit par trois ans, et que « la conti- nuation de leur ministère soit pour la même instance^ soit en d'autres affaires pour la même partie, arrête le cours de la prescription pour les affaires jugées (*). »

Bigot-Préameneu a rappelé que le Parlement de Paris avait fixé, dans un arrêt du 28 mars 1692, une prescription de deux ans pour les affaires terminées et de six ans pour les autres. C'était l'opinion suivie par Pothier (^). Le Parle- ment de Normandie avait adopté ces dispositions dans un règlement du 15 décembre 1703, en limitant dans le second cas la prescription à cinq années. Ce sont les règles qui ont été suivies par le code civil.

Faisons d ailleurs remarquer dès maintenant que le texte de l'article 2273, qui ne vise que les avoués, ne saurait avoir aucune application en ce qui concerne les avocats, notaires, greffiers, agréés, experts, agents d'affaires (*).

(1) V. Gass., 29 oct. 1810, précité. Aubry et Hau, éd., VIII, p. 443 ; Guillouard, n. 720, VII.

(*) PouUain du Parc, Prescr., n. 272.

(») Pothier, Oblig., n. 724.

(*) Gass., 18 mars 1828, S. chr., D. Rép., V Prescr,, n. 1035. Trib. Lyon, 15 févr. 1902, D. 1903. 2. 139. Marcadé, sur Tari. 2273, n. 1 ; Troplong, n. 982 et s. ; Laurent, n.492, 493; Guillouard, n. 707. Il y a une solution; regrettable. V. en sens différent Tant. 19ô G. ail. qui soumet à la pres- cription de deux ans ceux qui, par profession, s'occupen de donner des soins aux affaires d 'autrui.

Prbscr. 37

tf78 DE LA PRESCRIPTION

735. Il s'agit, dans ce texte^ de laction que les avoués ont contre leurs propres clients pour obtenir le paiement de leurs frais et salaires. Il n*y aurait plus lieu à la prescrip- tion de deux ans^ mais bien à celle de trente ans, pour Fac- tion que lavoué a le droit d'exercer contre l'adversaire de son client, lorsqu'il a obtenu la distraction des dépens. C'est alors 1 action de son client qu'il exerce à son profit et non la sienne propre ; or cette action dure trente ans (*).

736. L'article 2273 ne vise que l'action des avoués pour le paiement de leurs frais et salaires. Le mot frais comprend toutes les avances ou déboursés que l'avoué a été obligé de faire pour Taccomplissement de son mandat ad litem, et notamment pour droits de timbre, d'enregistrement et de greffe, coût des actes d'huissiers, expéditions ou extraits d actes qui lui sont nécessaires, honoraires des avocats, du moins ceux qui entrent en taxe (*).

Le mot salaires désigne les émoluments de l'avoué pour les différents actes de son ministère.

La règle de notre article ne s'appliquerait pas aux hono- raires extraordinaires dus à raison des soins particuliers donnés à un procès, par exemple pour des mémoires publiés, ou des démarches faites. D'une façon générale, la prescrip- tion de l'article 2273 ne s'applique pas aux déboursés, avan- ces, honoraires qui peuvent être dus à un avoué en dehors de son mandat ad litem, comme mandataire ordinaire ou negoiiorum gestor (').

(») Cass., 16 juillet 1890, S., 90. 1. 436. Leroux de Bretagne, n. 1272; Laurent, XXX:U, n. 490 ; Hue, XIV, n. 474 ; GuiUouard, n. 712. V. 6«p. Trib. Lyon, 20 no?. 1869, S., 70. 2. 299. Paris, 20 nor. 18i7, S., 48. 2. 384.

(«) Ga«*s., 15 déc. 1316, S., 47. 1. 137, D., 47. 1. 133. - Dijon, 26 dôc. 1846, U.,47. 4. 3S). M'iPCidé, sur l'art. 2273, n. 1 ; Aubry et Rau, éd., VUI, p. 441 ; Laurent, XXXII, n. 491 ; Guillouard, n. 710. Il a été jugé que Tar- ticle 2273 s'applique aux frais et déboursé:) d'un avoué en vue d'une ad)udica- lion. Bordeaux, 19 mars 1932, S., 1904. 2. 229, D., 1903. 2. 117.- U a été jugé d'ailleurs que la prescription de trente ans est seule applicable au cas une tran- .saction intervenue entre les parties a mis à la charge de Tune d'elles les frais du procès commencé ; il y a alors novalion. As^en, 16 juin 18J0, D. 92. 2. 10. Sic, Guillouard, n. 713.

(») Giss., U juil. H3>. S., 35. 1. 484, D. Mp., V Prescr,, n. 1023.— Riom, 9 juin ISiO, S., 4'J. 2. 293, D. Rép., loc.cit., n. 1025. - Douai, 22 ina» 1863,

DES COURTES PKESCRIPTIONS 579

A plus forte raison ne pourrait-elle s'appliquer aux hono- raires payés à Tavocat et qui n'entrent pas en taxe ; Tavoué qui les a avancés peut pendant trente ans en demander le remboursement à son client (*). Si l'avoué est en même temps avocat^ ce qui arrive devant les tribunaux il n'y a pas de barreau constitué, la prescription, quant à ses honoraires de plaidoirie, ne peut être <jue celle de trente ans (•). Enfin, il en serait de même au cas d'un avoué non avocat, en raison des plaidoiries qu'il aurait pu prononcer devant le tribunal correctionnel pour un client (').

737. La prescription de deux ans contre les avoués court à compter du jugement du procès. Il s'agit du jugement défi^ nitif, c est-à-dire de celui qui épuise la juridiction du tribu- nal près duquel 1 avoué occupe ; un jugement avant faire droit, préparatoire, interlocutoire ou provisoire, ne ferait pas courir la prescription (*).

La prescription peut courir aussi du jour de la conciliation des parties ou du jour de la révocation de l'avoué. La juris- prudence étend cette disposition à toutes les causes qui mettent fin au mandat de l'avoué, mort, destitution ou sup- pression d'office (*).

La prescription de l'article 2273 court contre l'avoué alors

s., 63. 2. 186. - Colmar, 9 juin 1870, S.. 70. 2. 263. Trib. Lyon, 15 févr. 1902, précité. Troplong, n. 985 ; Aubrj- et Rau, 4- éd., VIII, p. 440 et 441; Hue, XI\', n. 474 ; Guillouard, n. 708.

(«) Grenoble, 30 juill. 182l,S. chr.- Pau, 7 juin 1828, S. chr.- Riom,21 mai 1838, S., 38. 2. 3S8. Aubry el Rau, loc. cit.; Guillouard, II, n. 710; Hue, ioe, cit,-^ V. cep. en sens contraire Riom,9 juin 1860, précité.— Dijon,26 déc. 1816, D., 47.4.379. Troplong, n. 979; Marcadé, loc, cit.; Laurent, XXXII,

n. 491.

(*) Cas5.,22 juill. 1835, précité. - Orléans, 30 juin 1842, D. Rép., v Prêter,, u. 1023. Leroux de Bretagne, n. 1275; Laurent, XXX.[I, n. 492; Hue, loc. vit. ; Guillouard, n. 709.

(») Sic Laurent, loc. cit. V. cep. Orléans, 30 juin 1842, précité Leroux de Bretagne, loc, cit.

{*) Il a été jugé que Tart. 2273 s'applique aux frais dus à l'avoué à raison des opérations de liquidation postérieures à un jugement de séparation de biens. Cass., 14 juill. 1875, S , 75. 1. 408.

(») Ca«8 , 18 mars 1807, S. chr., D., Rép., v Prescr., n. 1028 ; 19 août 1816, S. chr„ D, Hép,^ Ioe. c^. —Troplong, n. 93J; Marcadé, sur l'art. 2273, n. 1 ; Aubry et Rau» ^.ct^: Leroux de Bretagne, n. 1233; Laurent. XXX.Iï,n. 489; Guillouard» a. 7i4«

580 DE LA. PRESCRIPTION

même que les pièces de l'afiaire dont il avait été chargé sont vestées entre ses mains (').

Au cas un avoué a été chargé de plusieurs affaires différentes par un même client^ il y a lieu de rechercher si les parties n'ont pas convenu de comprendre les frais de ces diverses affaires dans un seul compte ; en pareil cas, la pres- cription ne courrait qu'à partir de la fin de la dernière affaire (•) .

738. Aux termes de l'article 2273 in fine^ les avoués < à « regard des araires non terminées^ ne peuvent former de « demandes pour leurs frais et salaires qui remonteraient 4t fl plus de cinq ans. » La prescription atteint donc tous les frais et salaires dus pour actes du ministère de Tavoué ac- complis par lui depuis plus de cinq ans. En combinant cette prescription avec la prescription de deux ans établie par l'article 2273 alinéa 1*% il parait logique de décider que la prescription de cinq ans pourra toujours être invoquée con- tre un avoué dont le mandat aura pris fin, alors même que moins de deux ans se seraient passés depuis cet événement: l'avoué qui n'est plus chargé d'aucun mandat ne peut être mieux traité que celui qui continue à s'occuper des intérêts de son client. En d'autres termes, il suffira qu'on puisse invoquer l'une des deux prescriptions de l'article 2273, celle de deux ans depuis la fin de Taffaire ou celle de cinq ans depuis que les frais ont été faits (').

739. Mentionnons ici l'article 2 de la loi du 24 décem- bre 1897, relative au recouvrement des frais dus aux notai- res, avoués, et huissiers. « Les demandes en taxe et les actions en restitutions des frais dus aux notaires, avoués et huissiers, pour les actes de leur ministère, se prescrivent par

(^) Cis8 , 2d mirs iâ5^ S-, 5i. 1. 528.— Aubi^ et Hau, loc, cit.; Guillouard, B. 715. V. gnpra, n. 720.

(*) Casa., 7 aoiU ld4S, S., 48. l. 702. - Paris, 7 déc. 1835, S., 48. 1. 703, en Bole. - Bordeaux, 2Z août 1871, S., 71. 2. 273. Marcadé, toc. cit,; Aubry el Rau, 4- éd., VIII, p. 442 ; Laurent, XXXII, n. 488 ; Une, lac. cit.

(>) Mapcadé, sur l'art. 2273, n. 2 ; Colmet de Santerre, Vïil, n. 381 biê ; Hoc, loc. cit.; GuiUouard, n. 717.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 581

deux ans du jour du paiement ou du règlement par compte arrêté, reconnaissance ou obligation (^). »

Cette loi maintient la solution résultant précédemment des articles 2 et 4 de la loi du 5 août 1881 et restreignant à deux ans la prescription de Faction des parties à fin de taxe et de restitution des frais déjà payés ou réglés. Il s'agit, à notre avis, d'une prescription courant même contre les mineurs et soumise, à cet égard, aussi bien que les prescriptions visées par les articles 2272 et 2273, à la règle de l'article 2278 (»). (V. supra, n. 35 s. et 425, et infra, n. 815).

730 6t6\ Cette prescription de deux ans ne s'applique qu'aux frais et non aux honoraires que la loi de 1807 a entendu laisser soumis au droit commun; l'action en restitution n'en serait pas admise en dehors des cas ordinaires de dol, de fraude ou de répétition de l'indu ; et, dans ces divers cas, elle serait soumise aux prescriptions établies par le code civil dans les ai-ticles 1304 et 2262 (').

740. Les huissiers, d'après l'article 2276 alinéa 2, ne sont responsables que pendant deux ans des pièces qui leur ont été remises par leurs clients, « Les huissiers, après deux ans, « depuis V exécution de la commission, ou la signification des « actes dont ils étaient chargés, en sont pareillement déchar- « gés. »

La prescription serait donc,semble-t-il, de trente ans, s'il n'y avait eu ni commission, ni signification confiée à l'huis- sier; p^r exemple un débiteur, après libération, demandant à l'huissier la remise des titres de créance, ne serait pas dans le cas de l'article 2276 (*).

L'action en restitution des sommes touchées par un huis- sier pour le compte de son client est d'ailleurs soumise à la seule prescription de trente ans et non à la prescription spé- ciale de l'article 2276 alinéa 2 (»).

(*) Sur rinterniplion de la prescription de celte action, V. Rouen, 5 août 1896, D., 98. t. 245; 25 mai 1»»8, D., 99. 2. 425.- V. aussi suprà, n. 487 et 568 fcw, Sur la renonciation à la prescription, V. Cass., 6 déc. 1899, D., 1901. 1 299.

(*) Sic Legrandi Comment, de U loi du 24 déc, iS97, n. 15.

(') Sic Legrand, op, cit,, n. 19.

(*) Paris, 20 déc. 1825, D. Rép,, Prescr,, n. 1031. Troplong, n. 999 ; Marcadé, loc. cil, ; Laurent, XXXIl, n. 486 ; Guillouard, n. 718.

(*) Rouen, l*- juill. 1828, S. chr., D. Kèp., Prescr., n. 1033. Troplong,

PSH DE LA PRESCRIPTION

§1V. Règles communes aux prescriptions établies . par les articles tili à 2273 dt^ Code civil.

741. Les articles 2274 et 2275 contiennent plusieurs dis- positions communes aux prescriptions organisées par les trois textes qui les précèdent.

Ces dispositions, relatives au serment que le créancier peut déférer à son débiteur, au point de départ et à l'interrup- tion des courtes prescriptions organisées par les articles 2271 et 2273, se rattachent à une idée commune : les diverses prescriptions établies par les articles 2271 à 2273 sont toutes fondées sur une présomption de paiement {*). Dans la pen- sée du législateur, elles sont destinées à suppléer au titre qui manquera souvent au débiteur pour établir sa libération, et à empêcher qu'il ne soit obligé de payer deux fois. En effet toutes ces prescriptions s'appliquent à des dettes non constatées par un titre, et que Ion paie le plus souvent sans retirer de quittance, un écrit pouvant paraître inutile pour constater Textinction d'une dette dont aucun écrit n'at- teste Texistence. La présomption de paiement qui sert de base à ces diverses prescriptions est d autant plus vraisem- blable qu'elles s'appliquent à des dettes dont le paiement est en général exigé très promptement, parce qu'elles repré- sentent pour celui à qui elles sont dues le revenu de la pro- fession dont il vit. Celui qui invoque l'une de ces prescrip- tions soutient donc en définitive qu'il a payé, puisque la prescription n'a pas ici d'autre fondement qu'une présomp- tion de paiement. « Cette présomption, dit l'exposé des mo- tifs de Bigot-Préameneu, résulte du besoin que les créanciers ont d'être payés promptement, de l'habitude des débiteurs d'acquitter ces dettes sans un long retard, et même sans exiger de quittances, et enfin sur les exemples trop souvent

n. 1000 ; Marcadé, loc. cii; Aubry el «au. A* éd., VIlI,p 442 ; Laurent, XXXH, n. 486 ; Guillouard, loc. cit.

(«) Cass., 22 avril 1891, S., 91. 1. 208, D., 91. 1.416; 4 nov. 1891, S., 91. 1. 519 ; 16 juin 1896, S., 96. 1. 400; 31 juill. 1899, S., 99. 1. 521. - Aubry el Hau, 4- éd., VIII, p. 447 ; Laurent, XXXIl, n. 513.

DES COL'RTES PBESCBIPTIONS .583

répétés de débiteurs et surtout de leurs hériliei^s contraiiUs en pareil cas de payer plusieurs fois. »

Ttt. Il faut d'ai)ord conclure de cette idée que les .courtes prescriptions des articles 2271 à 2273 ne sont pas applica- bles au cas un tiers, ayant payé pour le compte du débiteur, agit contre lui en remboursement de ses avances ; la prescription de trente ans seule pourra lui être opposée (').

743. Mais il ne faudrait pas, des motifs que nous avons rappelés, tirer cette conséquence que le débiteur soit obligé d*alléguer expressément qu'il a payé ; la loi ne l'exige pas ; -il lui- est loisible d'opposer la prescription, sans préciser davantage^ sans rien alléguer (*). Il peut invoquer la pres- cription après avoir contesté la demande au fond sans avoir allégué le fait d un paiement. Il peut opposer la prescrip- tion en appel suivant le droit commun (art. 2224) (').

Nous verrons seulement que la jurisprudence ne Tadmet pas à opposer la prescription quand il a invoqué un moyen de libération exclusif de Tidée de paiement, ou quand il a d'abord nié sa dette et par suite reconnu ainsi n'avoir rien payé. Il ne faut pas qu'il déclare n'avoir pas payé ; mais il n'est pas nécessaire qu'il allègue expressément avoir payé tant que le créancier ne lui défère pas le serment. En oppo- sant la prescription, il soutient implicitement avoir payé ; mais il n'a pas à émettre sur ce pointune allégation formelle.

743 bis. Les courtes prescriptions des articles 2271 et sui- vants reposant sur une présomption de paiement, le débiteur, qui affirme avoir payé une partie de la dette et se recon- naît débiteur de l'autre partie, peut invoquer la prescription pour la partie qu'il -soutient avoir payée (*).

744. Le créancier, dans les cas prévus par les arti-

(•) Lyon, 10 mai 1861, D., 61. 2. 164.- Laurent, XXXII, n. 505. - Jugré au^isl que la prescription, dans les cas des art. 2271 et 2272, n*est pas applicable à l'action de in rem ver$o intentée contre celui qui profite des travaux et four- nitures. Trib. rég. sup. de Darmsladt, 20 avril 1895, D., 96.2. 3;î2.

(*) Cas»., 27 juin 1855, S., 55. 1. 825, D , 55. 1. 290. Aubry et Rau, édil., Vin, p. 447 ; Laurent, XXXII, n. 517 ; Guillouard, II, n. 776 ; Hue, XIV, n. 480.

(*) Nancy, 21 fév. 1895, Gaz. PaK, 6 avril 1895.

(•) Cass., 4 mai 1898. S., 1900. 1. 271, 1)., 98. 1. 454.

584 DE LA PRESCBIPTION

des 2271 à 2273, peut exiger que le débiteur qui oppose la prescription et affirme ainsi implicitement avoir payé, confirme cette assertion par un serment. C'est ce que dit Farticle 2275. On lit dans cet article : « Néanmoins ceux « auxquels ces prescriptions seront opposées, peuvent déférer « le serment à ceux qui les opposent, sur la question de savoir si la chose a été réellement payée. » Cette disposition, qu'il fayt bien se garder d'étendre à d'autres prescriptions, se rattache à l'idée de présomption de paiement sur laquelle ces prescriptions sont basées. Dunod disait très bien k cet égard : « Cette prescription n'étant fondée que sur la pré- somption de paiement, en certains cas auxquels le débiteur paye ordinairement sans tirer quittance, cette présomption doit céder à la vérité ; on ne fait point de tort au débiteur en exigeant une preuve de sa bonne foi, et en le faisant juge dans sa propre cause* (*). »

L'article 2275 ajoute : « Le serment pourra être < déféré « aux veuves et héritiers, ou aux tuteurs de ces derniers^ s'ils 4a sont mineurs, pour qu'ils aient à déclarer s'ils ne savent « pas que la chose soit due. » C'est ce que l'on appelle le serment de crédulité, quelques-uns disent de crédibilité. Il doit être déféré et prêté dans les termes mêmes de la dispo- sition que nous venons de transcrire.

On voit que le serment peut être déféré par le créancier à toute personne qui lui oppose l'une des prescriptions établies par les articles 2271 à 2273. Mais il y a une nuance, suivant qu'il s'agit du débiteur lui-même ou de ses ayants cause.

La prescription est-elle invoquée par le débiteur lui- même ? Si le créancier lui défère le serment, il ne pourra échapper à une condamnation qu'en jurant qu'il a réellement payé. Il s'agit d'un fait personnel au débiteur et au sujet duquel il doit s'expliquer catégoriquement.

Au contraire il suffit à la veuve, aux héritiers ou au tuteur des héritiers mineurs à qui le serment est déféré, de jurer

(*) Cpp. C. civ. iUl., ai-l. 2142 ; G. civ. holl., art. 2010 ; G. civ. port., art. 542. L'art. 137 (liv. 2, tit. 3) du premier projet du Code civil de la Convention disposait, au contraire, qu'c on ne peut, dans aucun cas, exiger de celai qui a prescrit la déclaration qu'il a payé. »

DES COLRTES PRESCRIPTIONS 585

cpi'ils ne savent pas que la chose soit due. Le paiement, sur le fondement duquel ils invoquent la prescription, n'est pas leur fait personnel, et on ne pouvait pas exiger d'eux une affirmation aussi précise que. celle que Ton impose au débiteur.

744 bis. L'article 2275 ne parait bien autoriser la déla- tion du serment de crédulité au tuteur d'un mineur que si celui-ci est poursuivi comme héritier du débiteur originaire, et une interprétation littérale de ce texte exceptionnel doit conduire à décider qu'en dehors de ce cas Tarticle 2275 ne s'applique pas au tuteur d'un débiteur mineur (*). 11 ne peut être question, le cas de l'article 2275 excepté, que d'un ser- ment relatif à un fait personnel du tuteur, ayant eu lieu au cours de sa gestion ; la question n'est plus spéciale à la matière de la prescription (*).

745. Au cas la mère tutrice s'est remariée, le serment doit être déféré au mari co-tuteur en même temps qu'à la mère tutrice ('). Le co-tuteur concourt avec la mère tutrice à la représentation du mineur. La prescription d'un an ayant été invoquée par eux, c'est à tous les deux que le serment doit être déféré. Ils sont ensemble, dit M. Labbé, la représenta- tion du mineur. Il faut d'ailleurs, pour ce même motif, qu'ils soient d'accord pour prêter serment. Sinon la présomption est sans force. « Elle ne reçoit pas l'appoint de vraisemblance duquel son effet dépend. Donc le demandeur doit, en ce cas, obtenir gain de cause. La condamnation sera prononcée. Le mineur souffrira pécuniairement des scrupules de l'un de ses co-tuteurs; mais il est à croire que la sentence sera conforme à la vérité et à la justice (*). »

746. Le serment de crédulité pourrait-il être déféré à un

(') Jugé que, le texte ne prévoyant que le cas du tuteur du mineur héritier, le serment ne peut être déféré au tuteur d'un interdit. Trib. Bruges, Il fév. 1901, Pasic, 1901. 3. 192. Sur le caractère exceptionnel de l'article 2275, V. Gass., 14 nov. 1860, S. 61. 1. 949. Colmar, 23 août 1859, S., 60. 2. 425. - V. au surplus Baudry- Lacan tinerie et Barde, Oblig,^ III, n. 2738 et les auteurs qu'ils citent. V. cep. Labl)é, S. 84. 2. 69.

(•) V. Baudry-Lacantinerie et Barde, loc. cii,

(«) Trib. de Rennes, 4 janv. 1882, S., 84. 2. 69, avec la note de Labbé.

(•) Labbé, loc, ciL ; Guillouard, n. 784.

586 DE LA PHESCHIPTION

syndic de faillite, à un administrateur, à un curateur, à un liquidateur, un président d*association, un maire, un admi- nistrateur de syndicat professionnel ? Nous ne le pensons pas ; la loi énumère les personnes à qui le serment peut être déféré. L'article 2275 alinéa 2, est un texte limitatif (*). veuve et les héritiers peuvent avoir quelque connais- sance de la réclamation qui est faite. Mais à quoi servi- rait le plus souvent de déférer le serment à un syndic ou à un liquidateur (*) ? On ne pourrait songer à déférer le Ser- ment dans les cas que nous venons de prévoir que si le liquidateur, syndic, administrateur, etc., alléguait avoir fait lui-même le paiement.. Mais il s^agirait alors du serment de larticle 2275, alinéa 1, et non du serment de crédulité. Le serinent de l'article 2273, alinéa 1, peut-il être déféré à une autre personne qu'à la partie personnellement débitrice ? Peut-il l'être pour un fait personnel au représentant de la partie débitrice si les conséquences doivent nuire ou profi- ter à cette partie? La difficulté rentre dans la théorie géné- rale de la délation du serment (•).

Mais de ce que le serment ne peut être déféré dans les hypothèses que nous venons de prévoir, en résulte- t-il que la prescription de six mois, d un an ou de deux ans, ne puisse plus être invoquée ? On la jugé (*). C'est bien à tort, suivant nous. La loi veut avant tout que la prescription puisse être opposée; si le serment ne peut être déféré, la prescription pourra être invoquée sans restriction ; mais il serait tout à fait contraire à la loi de décider que la prescription ne pourra êt^e opposée par les représentants du débiteur auxquels

(M Cass., 17 juin. 1876, S., 77. l. 17, D., 77. 1. 217.

(*) Il a été jagé cependant que le serment peut î^li*e déféré au syndic de faillite. (Bordeaux, 31 janv. 18^7, D. Rép., Prescr., n. 1038) ou au curateur à sm- cessipn(Tnb. Perpignan, 13 juin 1899, La Loi du 12 août 1899). Mais voyez dans noire sens Grenoble, 22déc. 1898, D., 1903.5. 572; Lyon-Caen et RenauK, U\ n. 451; Laurent, XXXII, n. 516 ; Hue, XIV, n. 481 ;; Guillouard. n. 785 ; Baudr^'-T^cantinerie et Barde, loc. cit, - Il a été jugé aussi que le serment ne peut ôlre déféré à Tadministrateur d'une succession bénéficiaire. Trib. Seine. 7 fév. 1891, Le Droit du 10 mars 1893.

(*) V. Baudry-Lacanlinerie et Barde, loc, cil,

(•) Trib. Seine, 7 fév. 1893, précité.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 587

on ne pourrait pas déférer le serment de crédulité (').

747. Le créancier ne peut déférer le serment en termes diflérents de ceux indiqués par la loi (*).

Il est du reste nécessaire que le créancier prenne l'initia- tive de déférer le serment ; il ne pourrait, si le débiteur avait proposé spontanément de le prêter, sans que lui-même eût répondu à cette offre, se plaindre de ce que le débiteur n'eût pas en réalité prêté serment (').

748. Le créancier, auquel la prescription est opposée, pourrait-il combattre la présomption de paiement, sur laquelle cette prescription est basée, par une preuve autre que celle tirée du serment autorisé par l'article 2278?

La jurisprudence décide que l'aveu du débiteur rend aussi l'exception de prescription non recevable. La loi nous dit que le débiteur, s'il refuse de prêter le serment déféré par le créancier, ne peut plus opposer la prescription. Ce refus de prêter serment est, en effet, un aveu tacite de non-paiement. Il faut généraliser l'idée et admettre que tout aveu, exprès ou tacite, fait par le défendeur en justice, l'empêche d'oppo- ser la prescription (*). La jurisprudence a ainsi décidé que, si le débiteur a reconnu expressément devant le tribunal qu'aucun paiement n'a eu lieu relativement à la fourniture c[ui fait l'objet de la demande, il ne peut plus opposer la pres- cription (^). 11 ne sera pas non plus recevable à le faire s'il a avoué tacitement le fait du non paiement, par exemple en commençant par nier la dette et contester qu'il ait jamais été débiteur («), ou en reconnaissant qu'il a payé des

(») Sic Lyon-Gaen et Renault, loc. cit,

(•) Chambéry, 28 fév. 1873, D., 73. 2. 153. Laurenl, XXXII, n. 515 ; Huct XIV, n. 482. Cpr. Cass., 14 nov. 1860, D., 61. 1. 348.

(») Cass ,9 janv. 1861, S., 62. 1. 79, D., 61. 1. 375. Aubry et Rau, 4- éd., VII, p. 447; Guillouard, n. 789.

«•)Aubry et Rau, 4«édit.,VIII,p.447;Laurenl, XXXII, n. 517; GuiUouaM.n. 776.

(») Ciiss., 31 ocl. 1894, S., 95. 1. 29; 16 juin 1896, S., 96.1.400. D., 97.1.459.

(•)Cass.. 31 janv. 1872, S., 72. 1. 72, D., 72. 1 246; 30 juil. 1879, S,, 79. 1. 457, D., 79. 1. 434; 28 nov. 1889, S.,90. 1. 8, D., 90. 1. 60. -G. jusl. de Genève, 15 janv. 1883, S. 83 4. 16. - Trib. Annecy, 23 juil. 1887, S., 89 2, 45. - Bruxelles, 28 janv. 1892, S., 92. 4. 24. Si le débiteur a laissé plusieurs béri- liers, les aveux et déclarations de Tun d'eux ne peuvent être opposés aux autres. Cass., 22 juin 1830, S. chr., D. Rép,, Prêter., n. 630.

588 DE PRESCRIPTION

acomptes (*). Il ne le sera pas enfin s'il a commencé par invo- quer un moyen de défense exclusif de Tidée de paiement, par exemple une remise de dette (*), ou une compensation (*). Si le débiteur allègue une cause d'extinction autre que le paie- ment, c'est donc à lui à «n faire la preuve ; la prescription ne peut lui être d'aucun secours (^), puisqu'elle n'a pour fonde- ment que la présomption d'un paiement effectif fait sans que la quittance ait été retirée ou conservée. Ce ne serait pas, d'ailleurs, opposer un moyen exclusif de l'idée de paiement que de demander la justification du compte, de soutenir que le créancier ne prouve pas suffisamment l'exactitude de ses prétentions (•). On pourrait ensuite opposer la prescription. 749. Mais il ne faut pas aller plus loin. Le créancier ne pourrait repousser par aucun moyen autre que le serment et l'aveu l'exception de prescription. Il ne pourrait soutenir qu'il résulte des circonstances de la cause que le paiement n'a pas eu lieu. 11 ne pourrait, si le débiteur n'a pas expres-

(*) Gass., 31 janv. 1894, S., 96.1. 20. Jugé aussi que la prescription ne peut plus être opposée si le débiteur a reconnu implicitement n*avoir pas payé, soit en faisant des offres réelles de la somme totale qu'il prétend devoir «Paris, 29 juilL 1808; Marcadé, sur Tart. 2274, n, 4), soit en faisant des offres d'une partie de la somme réclamée. Casa., 31 juill. 1899, S., 99. 1.521, D., 99. 1. 536w Mais on a vu que le débiteur peut invoquer la prescription pour une partie de la dette qu'il affirme avoir payée et ne pas invoquer la prescription pour le reste V. supra, n. 743 bû. L'arrêt du 31 juill. 1899 ajoute que la reconnaissance (le la dette a pu aussi être induite des pièces versées au débat et émanant du débiteur (dans Tespèce il s'agissait de lettres de commande écrites à un mar- chand par son client). Ce dernier point est bien douteux : des lettres émanant «)u débiteur ne peuvent être une reconnaissance de dette que si eUes sont pos- térieures à la dette ; et de simples lettres de commande ne constituent pas d'ail- leurs un titre dressé lors de la naissance delà dette et qui exclut la courte pres- cription. V. supra, n. 754, 755 et 760. V. aussi la note au Sirey sous Gmm,, 31 juill. 1899, précité.

(>) Gass., 25 fév. 1863, S., 63. 1. 242; 28 janv. 1869, S., 69. 1. 104 ; 30 juîU. 1900, S. 1901,1.28. Aubry et Rau, 4* éd., VIH, p. 447; Laurent, XXXÏl, n. 518; Guillouard, loc, cit,

(») Cass., 31 oct. 1894, S., 95. 1. 29; 30 juill. 1900, S., 1901. 1. 28.— Conir», Arthuys, i?et>nc critique, 1902, p. 226.

(*) D'ailleurs la prescription des art. 2271 s. peut être opposée même si la chose due consiste non dans une somme d'argent, mais dans des denrées ou des marchandises; si tel a été à l'origine l'objet de la dette, sa prestation constitue bien un paiement. Amiens, 27 oct. 1886, S., 88. 2. 133. D., 87. 2. 156.

(») Bruxelles, 28 janv. 1892, précité.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 589

sèment ou tacitement reconnu le défaut de paiement^ pro- voquer un aveu par un interrogatoire sur faits et articles ou . par une comparution personnelle des parties. L'ordonnance de 1673 admettait Tinterrogatoire sur faits et articles : « Pourront néanmoins les marchands et ouvriers déférer les ferment à ceux auxquels la fourniture aura été faite^ le assigner et les faire interroger. » Mais le code civil n'a pas reproduit cette disposition, il a sans doute voulu l'écarter. Le créancier ne pourrait non plus, comme Tadmettait Pothier, demander à prouver par témoins, au-dessous de 150 francs, que le débiteur a verbalement reconnu sa dette (*).

L'article 2275 doit donc être interprété strictement ; sa rédaction parait en effet tr^s probante en ce sens. Sans doute on a fait remarquer que dans le cas de l'article 1715, alors que la loi refuse la preuve par témoins du bail sans écrit qui n'a encore reçu aucune exécution et dit que « le serment peut seulement être déféré à celui qui nie le bail », la jurisprudence a admis que, en dehors du ser- ment, l'aveu peut être provoqué par un interrogatoire sur faits et articles. Mais, sans vouloir discuter cette juris- prudence, nous répondrons que les deux règles sont loin d'être identiques. Nous sommes dans un cas la loi établit une présomption juris et de jure. Nulle preuve, dit l'article 1352, n'est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle dénie l'action en justice. C'est bien notre cas ; par suite de la présomption que la dette a été payée, la loi dénie au créancier l'action en justice ; car c'est bien en réalité lui dénier l'action que d'accorder au débiteur une exception péremptoire pour repousser cette action. On ne peut donc admettre d'autres preuves qu*- l'aveu formel ou tacite, et notamment celui qui résulte du relus de prêter serment. La jurisprudence est fixée en ce sens(*). Les juges ne peuvent,

(*) Aubry et Rau, 4* éd , VIII, p. 447, § 774, noie 85.

(•) V. dans ce sens Cass., 7 nov. 1860. S., 61. 1. 149, D., 60. 1. 485; 7 jan- vier 1861, S., 61. 1, 448, D., 61. 1. 23 ; 28 nov. 1876, S., 77. 1. 101, D., 77. 1. 62 ; 10 avril 1878, S., 78. 1. 396, D., 78. 1. 253 ; 26 janv. 1881, S., 81. 1. 112, D., 82. 1. 5'^ ; 22 avrill891, S., 91. 1, 208, D., 91. 1. 416 ; 4 nov. 1891, S., 91.

{(90 DE LA PRESCRIPTION

notamment, éoarter la prescription opposée ea s'appuyant sur les circonstaaces de la cause, ou sur la correspondance échangée entre les parties, si elle ne contient pas un aveu certain ; ils ne peuvent non plus se baser sur les contra* dictions relevées dans les explications données par le défen- deur qui invoque la prescription, ni sur les présomptions tirées de Texamen des livres de commerce du créancier (*)• 75p> En admettant queTaveu du débiteur Tempêche d'op- poser la prescription, la jurisprudence ne s*écarte-t-eUe pas déjà un peu de 1 article 2275? On l'a soutenu. Laurent critique sur ce point la cour de cassation : « Un arrêt récent, dît-il^ décide que Taveu du débiteur le rend mal fondé à opposer Texception de prescription. Est-ce un premier pas vers une doctrine moins sévère et qui se concilie mieux avec les exi- gences de la morale ? Il est certain que si 1 on admet une preuve autre que le serment, il n y a plus de motifs de s'arrêter à Taveu. Il y aurait contradiction à admettre l'aveu et à rejeter rinterrogatoire. 11 y a lutte entre le droit strict et l'équité ; à notre avis, le juge ne peut pas écouter l'équité quand le droit a prononcé j*).» On peut cependant concevoir que l'aveu soit admis comme écartant la prescription sans que la procédure de l'interrogatoire soit autorisée : la loi a pu vouloir, pour tous ces petits procès, éviter les frais et les lenteurs. Quant à admettre que, malgré son aveu qu'il n'a pas payé, le débiteur ait le droit d'opposer une prescription qui ne repose que sur une présomption de paiement, cela est bien impossible. Gom- ment soutenir qu à ce débiteur qui reconnaît n avoir pas payé le créancier soit seulement réduit à déférer le serment sur le point de savoir s il a payé? Il serait bien peu rationnel qu'un juge demandât à un débiteur, après qu'il a avoué n'avoir rien payé, de jurer qu il a payé. Laurent dit lui-même dans un

i. 519. t)., 9^. 1. 316; 17 mai 1904, S., 1904. 1. 328, D., 1904. 1. 455. - Tit>. plong, n.995; Leroux de Bretagne, n. 1293 ; Aubry et Eau, loc, cil. ; Laurent, XXXII, n. 519 ; Guillouard, II, n. 787 ; Hue, XI v^, n, 482. Contr» Duran- Ion, XXI, n. 426 ', Marcadé, sur Tart. 2274, n. 5. Cpr. la noie dans S , 79. 1. 457.

(«) Cass,, 17; mai; 1901, précité.

(') Laurent, XXXII, n. 420.

DKS COURTKS PRESCRIPTIONS 591

«autre passage ; « L'offre de prêter serment ne serait plus admissible s'il résultait des aveux et déclarations du débiteur qu'il n'a pas payé la dette ; le débiteur ne peut plus oppo- ser la prescription, puisqu'il avoue qu'il n'a pas payé (*).>►

751. La disposition de Tarticle 2275 doit être très limitati- vement appliquée. Elle se restreint d'une façon rigoureuse aux prescriptions prévues par les articles 2271 à 2273. Elle ne saurait être étendue à d'autres ('). Elle ne s applique pas notamment à- la prescription de deux ans de 1 article 2270 «ilinéa 2 que nous avons étudiée. Elle ne s applique pas à toutes les courtes prescriptions éparses dans nos codes ou dans des lois spéciales. Elle est étrangère à la prescription d'un an établie en droit maritime par l'article 433 du code de commerce pour l'action en paiement des gages et loyers des officiers, matelots et gens de l'équipage, pour l'action en paiement des fournitures nécessaires pour la construction et l'équipement du navire, pour les créances des salaires d'ouvriers et du prix d'ouvrages faits, enfin pour toutes demandes en délivrance de marchandises. Sans doute ces courtes prescriptions reposent aussi sur une présomption de paiement, mais le législateur n'a pas ici tiré de cette idée la conséquence qu'il a admise dans l'article 2275 : le juge ne peut y suppléer (').

752. En règle générale, la prescription court contre une créance dès que celle-ci existe. L'article 2274 alinéa 1 appli- ({ue ce principe aux diverses prescriptions spéciales organi- sées dans les articles 2271 à 2273. « La prescription, dans les cas ci^essus, a lieu, quoiquHlyait eu continuation de four- « nitures, livraisons, services et tratmux (*). » Ainsi la pres- cription, établie par l'article 2272 alinéa 2, court contre un huissier, pour le salaire d'un acte qu'il a signifié, à dater du jour de la signification, bien que postérieurement il ait signi- fié d'autres actes pour le compte de la même personne. Le

(*) Laurent, XXXU, n. 418.

(»)Ca88 , 13 fév. 1856, D., 56. 1. 77. - Laurent, XXXll, n. 514. e> Gass.y 13 féf. 1856, précité.

C) €^r. G. eiv. hoU.^ art. 2009 ; C. féd. obiif., «rt. i49. - V. cep. G. civ. esp , art. 1967 ; C. cit. port., art. 539.

592 DE LA PRESCRIPTION

mandat que reçoit l'Iiuissier de signifier un nouvel acte n'in- terrompt pas la prescription qui courait contre lui pour le salaire de l'acte précédent. S'il s'agit, non de signifier des actes, mais de remplir un mandat, la prescription court quand le mandat est accompli (*). La prescription court de même contre un marchand après chaque fourniture, contre un ouvrier à la journée après chaque journée, etc. (*).

C'est l'application du droit commun ; il est peu exact de dire, comme Dunod, qu'en général « la continuation de four- nitures ou d'ouvrages est une interruption de la prescription. » Pothier enseignait au contraire avec plus de raison que la créance du marchand ou artisan qui a fait plusieurs fourni- tures ou ouvrages est composée d'autant de créances parti- culières qu'il a fait de fournitures ou d'ouvrages, lesquelles produisent autant d'actions particulières qui commencent à courir du jour que le marchand ou l'artisan a fait la fourni- ture ou l'ouvrage . »

753. Ce principe doit être combiné avec la règle établie par l'article 2257 alinéa 4 ; La prescription ne court point à l'égard d une créance à jour fixe, jusqu'à ce que ce jour soit arrivé. » Cela est sans difficulté, quand il y a un terme fixé par une convention expresse. Ainsi un maître de pension fait avec les parents des élèves qu'il reçoit cette convention que le prix de la pension sera payé par trimestre. En suppo- sant qu'il n'ait pas été convenu que le paiement serait fait d'avance, le maître de pension n^a d'action pour le paiement de chaque trimestre que lorsqu'il est expiré, et la prescrip- tion d'un an ne court contre lui qu'à dater de ce moment; de sorte qull y a autant de prescriptions distinctes à con- sidérer que de trimestres en retard.

La règle s'applique-t-elle aussi au terme fixé par une con- vention tacite? L'affirmative est certaine, car l'article 2257 est

(*) Leroux de Bretagne, n. 1307 ; Laurent, XX.KH, n. 526.

(*) Pothier, Oblig., n. 680 ; Leroux de Bretagne, n. 1308 ; Laurent, XXXII, n. 527; Guillouard, lE, n. 763; Hue, XIV, n. 475. V. cep. Dunod, p. 168 et 170. Cet auteur donne notamment une solution contraire pour les salaires des domestiques. « La continuation des services des domestiques interrompt U prescription, cl j'ai toujours vu pratiquer de la sorte. >

DES COURTES PRESCRIPTIONS 533

conçu dans les termes les plus généraux. La difficulté est de savoir quand il y a terme tacite, et c'est là, on le conçoit, surtout une question de fait qui doit être résolue, en cas de contestation, par les juges d'après les circonstances de la cause, les usages locaux, les habitudes particulières du créan- cier et du débiteur. Si on a Thabitude de payer les domesti- ques par trimestre ou par mois, la prescription courra, après chaque trimestre ou après chaque mois, pour la somme échue. Si quelqu'un est dans Tusage de payer son épicier ou son boulanger chaque mois, ce n'est qu'après chaque mois que la prescription commence à courir ; s'il s'agit d'ouvriers qu'on ne paie d'ordinaire qu'à la fin de chaque année, la prescription ne courra qu'à la fin de l'année. Dans toutes les hypothèses que nous avons vues, il faut admettre que la loi réserve le cas d'un terme tacite ou d'usage (*). L'article 2274 est respecté en ce sens qu'après l'échéance du terme tacite la prescription commence à courir, encore que les fournitures et travaux continuent.

Cette doctrine est critiquée par Laurent qui veut appliquer plus strictement l'article 2274 et n'admet pas que lusage puisse être assimilé à une convention tacite ; du moment qu'il y a droit d'agir, la prescription court contre le créancier ; l'usage de ne réclamer qu'après un certain temps n'est pas une obligation, il n'y a pas un terme. Mais cette critique ne nous paraît pas exacte. Sans doute s'il y a cessation des travaux ou des fournitures, la prescription court de suite sauf convention contraire, et ici l'usage ne peut être consi- déré comme un terme dans le sens précis du mot ; nous avons admis cette solution pour les honoraires dus aux méde- cîns. Mais quand les travaux ou fournitures continuent, il n'y a rien de déraisonnable à dire que l'usage de ne payer qu'à chaque huitaine ou à chaque quinzaine constitue une conven-

(»)Marcadé, sur l'arlicle 2274, n. 2 ; Colmel de Sanlerre, V, n. 380 bis, iV et Y ; Guillouard, II, n. 765, V. cep. Laurent, XXXII, n. 521 ; Hue, II, n. 476. Cpr, art. 201, C. civ. ail., d'après lequel, pour toutes les courtes pres- cripiioDS de deux et quatre ans des art. 196 et 197, Je délai ne court qu*à la fin de Tannée au cours de laquelle se place le moment la créance est née, ou, si un terme pour le paiement avait été accordé, à la fln de l'année au cours de laquelle ce terme est échu.

pREScri. 38

394 DE LA PRESCRIPTION

tion tacite; il y a un terme et la prescription ne court pas. « On doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d'usage quoiqu'elles n'y soient pas exprimées » (art. 1160).

Il faut même admettre qu'en tenant compte des conven- tions tacites des parties, la prescription a pu ne commencer à courir contre un marchand qu'à partir de la dernière fouiv niiure et non à partir de chaque fourniture séparée. II s'agit, dit la Cour de cassation, d'un compte qui devait être apprécié dans son ensemble ; les dernières opérations com- prises dans ce compte ne remontaient qu'à quelques semai- nes et ne pouvaient être- atteintes par la prescription. (') »

754. L'article 2274 s'occupe de l'interruption des pres- criptions spéciales que nous avons étudiées. Elle (la pres- se cription spéciale établie par lefs articles précédents) ne « €esse de courir que lorsqu'il y a eu compte arrêté, cédide « ou obligation, ou citation en justice non périmée (*). > Il faut bien comprendre la portée de cette disposition, sur le sens de laquelle les précédents historiques ne laissent pas de doute. L'ordonnance de juin 1510 disait déjà, en ce qui con- cerne la prescription de six mois contre les marchands : « Les dits six mois passés, ne seront plus reçus à faire ques- tion ni demande de ce qu'ils auront fait, fourni ou livré dedans iceux, sinon qu'il y eut arrêté de compte, cédule ou obligation^ ou interpellation ou sommation judiciaire faite dans le temps susdit. » La coutume de Paris disait aussi que la prescription d'un an est opposable « s'il n'y a cédule, obligation, arrêté de compte par écrit ou interpellation judiciaire. » Enfin l'ordonnance de 1673, pour la prescrip- tion de six mois ou d'un an, ajoutait « si ce n'est qu'avaat l'année ou les six mois, il n'y eût un compte arrêté, somma- tion ou interpellation judiciaire, cédule, obligation ou con- trat. »

L'article 2274 reproduit la solution traditionnelle. La

(*) Gass., 8 août 1860, S., 61. 1. 535, D., 60. 1. 497. V. aussi Cass., 4 mai 1896, S., 1900. 1. 271, D , 98. 1. 454. Troplong, n. 987. V. cep. Bruxel- les, 28 janv. 1892, S., 92. 4. 24. Cpr. supra, n. 729 s.

(*> Cpr. G. civ. ilal., art. 2141 ; G. civ. holl., art. 2009 ; G. civ. Monlen , art. 630.

D2S COURTES PRESCRIPTIONS 595

prescription ne court plus s'il y a compte arrêté, c'est-à- dire, d'après Pothier, reconnaissance de la dette signée par le débiteur au bas du mémoire ou sur le registre du créan- cier, cédille ou obligation, c'est-à-dire reconnaissance par écrit, sous seing privé ou authentique, ou enfin citation en justice. Il ne suffit pas d'une sommation ou interpellation quelconque. L'article 2274 exige une citation en justice. C'était la solution donnée par Pothier.

755. L'article 2274 ne veut pas seulement dire que les divers actes dont la loi donne ici l'énumération interrom- pent la prescription, il veut dire aussi qu'ils l'intervertissent, c'est-à-dire que la nouvelle prescription qui pourra désormais courir au profit du débiteur ne sera plus celle qu'il pouvait invoquer auparavant, mais une prescription toute diffé- rente quant à sa durée et à ses conditions, la prescription de trente ans.

Quand il s'agit d'arrêté de compte, de reconnaissance de la dette dans un acte authentique ou sous seing privé, il est en effet juridique de dire que la créance est constatée par un titre nouveau qui a son existence et son efficacité propre et que la nouvelle prescription qui va courir doit être la pres- cription ordinaire de trente ans. Ainsi un marchand m'a fait pendant plusieurs mois des fournitures de provisions pour les besoins de mon ménage ; il me présente un compte que j'examine ; nous en arrêtons le montant d'accord à la somme de mille francs dont je me reconnais débiteur par une décla- ration arrêtée au bas du mémoire. Désormais, ma dette, qui auparavant était prescriptible par un an, ne le sera plus que par trente ans. De même la reconnaissance faite par le débi- teur, dans un acte authentique, dans un acte sous seing privé, même par une simple lettre, opère une interversion et subs- titue la prescription trentenaire à la prescription qui courait à l'origine. Ces solutions paraissent rationnelles. Les diverses prescriptions spéciales établies par les articles 2271 à 2273 sont fondées, ainsi que nous l'avons vu, sur ce que les dettes auxquelles elles s'appliquent sont en général payées dans un très bref délai, et le plus souvent sans que le débiteur retire une quittance, un écrit pouvant paraître inutile pour

596 DE LA PRESCRIPTION

attester le paiement d'une créance qui n'est pas elle-même constatée par un titre. Or, dans les divers cas prévus par l'article 2274 alinéa 2, l'événement a prouvé que le débi- teur n'était pas en mesure de payer sa dette pour le moment ; et très certainement quand il la paiera, il ne manquera pas de retirer une quittance, car le créancier a maintenant un titre contre lui. Le double motif qui a fait établir la pres- cription spéciale a donc cessé d'exister, et voila pourquoi la loi lui substitue désormais la prescription du droit commun.

On peut ajouter que la loi considère qu'il y a novation dans la dette et qu'on rentre dans le droit commun puisqu'il s'agit d'une dette nouvelle. « En général, disait à cet égard Poullain du Parc, les courtes prescriptions n'ont aucun effet lorsque le débiteur a consenti une obligation par écrit depuis la création de la dette sujette à la courte prescription, parce qu'alors le lien de l'obligation est le même que pour toutes les obligations personnelles ; et conséquemment il ne peut plus tomber que sous la prescription de trente ans » (*).

756. Il est plus difficile d'expliquer la solution de la loi quand il y a eu simplement citation en justice non périmée. Ici, dit M.Golmet de Santerre, on doit rentrer dans la règle ordinaire :1a prescription est interrompue, mais la nouvelle prescription qui courra après l'interruption est de mêntie nature que l'ancienne. Telle était, d'après lui, la solution de Pothier. Après avoir parlé de la créance établie par un acte écrit, reconnaissance ou arrêté de compte, et avoir dit qu'en pareil cas la créance n'est sujette qu'à la prescription de trente ans, il ajoute: « Ces prescriptions n'ont pas lieu si elles ont été interrompues par une demande en justice intentée avant que le temps de la prescription fût expiré et qui ne soit point depuis tombée en péremption: cela est commun à toutes les prescriptions ».I1 ne dit pas ici que la prescription nouvelle soit de trente ans, et on comprendrait difficilement que la citation à elle seule eût le pouvoir de remplacer la prescrip- tion de dix mois ou d'un an par la prescription trentenaire.

(*) Poullain du Parc, Prescr., n. 300. V. aussi Caen, 20 juill. 1874, S., 74. 2. 3J5 ; Aubi7 el Rau, loc. cii, Cpr. la noie de M. Alberl Tissier dans S., 95. 1. 89.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 597

Il ne pourra en être ainsi que s'il y a eu un jugement; alors seulement^ dit M. Colmet de Santerre, la créance résultant de la condamnation prononcée ne pourra, suivant le droit commun, se prescrire que par trente ans (*),

Cette distinction n'est peut-être pas très exacte. Nous croyons plutôt que la loi a voulu substituer la prescription trentenaire à la courte prescription dans le cas il y a demande en justice (^). La citation en justice à elle seule suffit pour écarter toute présomption d'un paiement qui n'aurait pas été constaté par une quittance. L'interruption sera non avenue si la citation est périmée. S'il y a jugement, la nouvelle prescription de trente ans courra à partir du jugement. Si l'instance reste pendante sans péremption, elle peut produire son effet pendant trente ans, et après l'expi- ration de ce délai courra la nouvelle prescription de trente ans. (V. supra, n. 542 et 545).

757. L'application de l'article 2274 donne lieu à d'assez grandes difficultés en ce qui concerne la portée exacte des expressions compte arrêté, cédule, obligation. L'opinion très générale des auteurs, admise par la jurisprudence, est qu'il faut, comme nous l'avons dit, un écrit pour que l'article 2274 puisse s'appliquer. On ne pourrait jamais demander à prouver par témoins ou par présomptions l'arrêté de compte ou la reconnaissance du débiteur. « Les prescriptions de six mois ou d'un an n'ont pas lieu, dit Pothier, lorsque la créance est établie par quelque acte par écrit (^). » Les auteurs modernes paraissent presque tous d'accord en ce sens. La cour de cassation a décidé par de nombreux arrêts» que l'article 2274 vise nécessairement un écrit; et elle repro- duit cette solution quand il s'agit d'interpréter l'article 434 C. com. relatif aux courtes prescriptions du droit maritime et rédigé dans les mêmes termes que l'article 2274 (*). Elle

\}) Pothier, Oblig., n. 710 et 711 ; Golmet de Santerre, VIII, n. 382 bis, II

et m.

(*) Leroux de BreUgne, II, n. 1311 ; Laurent, XXXU, n. 531 ; Guillouard, II, n. 785 ; Hue, XIV, n. 478.

(») Pothier, Oblig., n. 710. - V. Bourjon, Dr. conx., liv. VI, tit. VII, ch. IV, sect. 4.

(*) Gass., 27 juil. 1853, S., 53. 1. 705; 19 juin 1872, S., 72. 1. 159; 14 juill.

598 DE LA PRESCRIPTION

exige de plus toujours que la déclaration écrite par le débi- teur contienne reconnaissance de la dette.

Il a été jugé à cet égard par la cour de cassation que les tail- les visées par l'article 1333 C. civ. ne sauraient rentrer dans les ternies de Varticle 2274 (*), et que ce texte ne peut non plus s'appliquer au cas le débiteur a laissé aux mains de son créancier un livret sur lequel sont inscrites les fournitures par lui reçues (*). Une lettre écrite parle débiteur au créan- cier, dans laquelle il demande un délai en faisant allusion à la dette ou dans laquelle il s'excuse auprès du créancier de lui avoir fait attendre aussi longtemps l'argent qu'il lui doit, ne constitue pas un compte arrêté, une cédule ou une obli- gation. Il en est de même d'une lettre écrite à un avoué par un client dans laquelle celui-ci déclare qu'il « est prêt à payer après la remise d'un mémoire détaillé des frais et honorai- res » ou d'une lettre écrite par un client à un fournisseur dans laquelle il déclare être prêt à payer sous condition que certaines rectifications soient apportées au compte (').

758. Il faut un arrêté de compte ou une obligation nou- velle par écrit. Cette obligation peut résulter d'une simple lettre si la lettre contient reconnaissance de la dette (*). La reconnaissance peut émaner d'un mandataire du débiteur. Il a d'ailleurs été jugé, et c'est une solution qui paraît fort exacte, que la reconnaissance signée par une femme mariée pour des fournitures usuelles du ménage qu'elle achète en vertu d'un mandat tacite de son mari a le même effet que la reconnais-

1875, S., 75. 1. 408; 15 janv. 1894, S., 95. 1. 89; 23 janv. 1895, S., 95. 1 90, D., 95. 1. 398. - V. encore Gass., 31 janv. 1872, S., 72. 1. 72, D., 72. 1. 246. Agen, 16 juin 1890, D., 92. 2. iO.

C) Gass., 27 jiiil. 1853, précilé. - Laurent, XXXII, n. 534.

(«) Gass., 23 janv. 1895, précité.

(") Gass., 14 juillet 1875, précilé. - Paris, U juin 1884, S., 85. 2,198; 14 juin 1899, S., 1900, 2. 15. - V. encore Bordeaux, 19 mars 1902, S., 1904. 2. 229. Trib. Seine, 7 nov. 1895, S-, 96. 2. 179, D., 96. 2. 15. GuUlouard, n. 772.— V. cep. Gass , 28 juin 1842, S., 43. 1.712,D,, i?^p.,V Prêter., n. 1040.

(♦) Gass., 19 mai 1816, S. chr.,D,iîcp., v Prescr.,n. 1028; 12 mai 1834.S.,35. 1. 63; 29 juin 1842, S., 42. 1, 712, D. Rép., loc. cit., n. 1040; 19 juin 1872, pré- cité; 14 juil. 1875, précité. - Alger, 4 nov. 1870, S., 71, 2. 97.- Gass. 20 juilL 1874, S., 74. 2. 385.

DES COURTES PRESCBIPTIONS 599

sance qui serait signée du mari et interrompt la prescrip- tion {').

Ajoutons, pour bien préciser la portée de la jurisprudence, que, dans le cas elle écarte les reconnaissances qu'on oppose, comme ne rentrant pas dans les termes de l'arti- cle 2274, elle ne leur reconnaît même pas d'effet interruptif. L'article 2274 se trouve ainsi constituer un système à part eu ce qui concerne les causes et les effets de l'interruption des petites prescriptions. Le droit commun ne reprend son applir- cation qu*à partir du moment s'est produite l'une des circonstances prévues par l'article 2274; les articles 2244 et suivants redeviennent alors seuls applicables.

750. Cette jurisprudence ne laisse pas de soulever quelques critiques sérieuses. On peut tout d'abord se demander si les termes de l'article 2274 exigent bien nécessairement un écrit signé du débiteur : les mots arrêté de compte, cédule, obli- gation, impliquent-ils absolument qu'il y ait un écrit? La tradition de l'ancien droit est-elle suffisante pour imposer ce formalisme un peu étroit? Laurent ne paraît pas l'admettre : « Il a été jugé, dit-il, qu'un règlement de compte non signé n'avait pas l'effet d'interrompre la prescription; cela est tro|) absolu ('). »

De plus, l'article 2274 ne dit pas qu'il faille écarter le droit commun d'une façon complète. D'après le droit com- mun, la reconnaissance, même non écrite, interrompt la prescription; et si elle constitue novation, quoique non écrite, elle substitue une prescription de trente ans à la pres- cription qui courait auparavant. Doit-on admettre, en pré- sence des seuls termes de l'article 2274, que la loi entende ici écarter absolument les reconnaissances non écrites et ne leur attribuer aucun effet ? Pothier décidait que, quoiqi»e l'action qui naît du marché soit prescrite, celle qui naît de la promesse qui a été faite de payer, lorsqu'elle est prouvée comme elle peut l'être, est une nouvelle action, laquelle n'est pas prescrite. D'un autre côté, ne peut-on pas penser

(*)G. jusl. Genève, 4 avril 1881, S., 81. 4. 30. - Guillouard, n. 773. - V. sttprà p. 401, note 3. («} V. aussi Albert Tissier, noie dans S., 95. 1. 89.

* 600 DE LA PRESCRlPTiaW

que, le droit commun s'appliquant ici dans la mesure la loi ne Ta pas écarté, il y a lieu d'admettre la possibilité d'une reconnaissance interruptive ordinaire, sans novation, laissant subsister pour Tavenir les articles 2271 et suivants, c'est-à-dire n'opérant aucune interversion dans le titre et servant de point de départ à une nouvelle prescription de six mois, d'un an ou de deux ans? Aubry et Rau disent qu'en principe les courtes prescriptions sont soumises aux mêmes causes d'interruption que la prescription ordinaire. C'est aussi ce que dit Laurent (*).

On peut cependant répondre que précisément les articles 2274 et 2275 écartent le droit commun en matière d'inter- ruption de la prescription. L'article 2274 dit que les courtes prescriptions ne cessent de courir que s'il y a eu compte arrêté, etc., et l'article 2275 ne permet au créancier que de déférer le serment à son débiteur. Admettre comme Pothier qu'on pourra prouver par témoins la reconnaissance de la dette, c'est aller, nous l'avons vu, à rencontre de cette dis- position. 11 faut considérer que les articles 2244 et 2248 ne s'appliquent pas ici : l'article 2274 a organisé des causes d interruption spéciales qui seules doivent être admises (*)-

760. L'article 2274 n'a pas d'application à recevoir au cas dès le début un écrit a été dressé; cette solution paraît avoir toujours été admise. En pareil cas, il est à penser que le débiteur exigera une quittance et il n'y a pas lieu de présumer le paiement. Les articles 2271 à 2273 n'ont donc jamais eu d'application possible et il n'y a pas d'interver- sion à opérer dans la prescription ('). Remarquons seule-

0) V. Polhier, Oblig., n. 722; Aubry et Rau, 4- éd., VIII, p. 446; Laurent. XXXII, n. 533; Guillouard, I, n. 76S et 771; Hue, XIV, n. 478. - La Cour de Paris a admis en ce sens que la lettre écrite par un client à un mar- chand, et d après laquelle il ofTre de payer certaines reclifîcations du compte, laisse subsister la dette avec son caractère primitif, sans opérer de novation et sans constituer une étude ou obligation dans le sens de Tart. 2274. Il n*y aurait qu*une reconnaissance ordinaire interrompant la prescription; et la nouvelle prescription serait d'un an comme celle qui courait auparavant. Paris, 14 juin 1899, S. 1901). 2. 15.

(«) Gass., 23 janv. 1895, S., 95. 1. 90; 31 janv. 1894, S , 96. 1. 20.

(') V. Gass., 19 juin 1872, précité. Alger, 4 nov. 1870, précité. Polhier, Oblig,, n. 710; Troplong, n.989;Marcadé, surrart.2278, n.4;Laurenl, XXXn,. n. 532; Hue, XIV, n. 477 ; Guillouard, II, n. 774.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 601

ment que si l'écrit dressé dès le début constatait rengage- ment du débiteur pour des paiements fractionnés par mois ou par an, la question pourrait se poser de savoir s'il y a lieu d'appliquer la prescription de cinq ans de l'article 2277 et non celle de trente ns (*).

761 . Faisons observer, en terminant, que la règle de l'ar- ticle 2274 sur l'interversion de la prescription n'est pas une simple règle d'interprétation rentrant dans le pouvoir d'ap- préciation des juges du fond ; c'est une règle de droit dont la violation peut donner ouverture à cessation (*).

SECTION II

PRESCRIPTIONS DE TROIS ANS

762. Notre législation contient plusieurs prescriptions qui s'accomplissent par le délai de trois ans. On peut signaler celle de l'article 2279 alinéa 2 que nous allons retrouver bientôt, et celle de l'action civile en réparation du dom- mage causé par un délit, que nous avons étudiée plus haut. Ajoutons encore celle qui a été établie en matière de sépa- ration des patrimoines en ce qui concerne les meubles de la succession (art. 880). Notons enfin celle des arrérages des pensions civUes (').

La prescription en matière de recouvrement de contribu- tions directes et de taxes assimilées aux contributions direc- tes est aussi de trois ans(*). Il en est de même de la pres- cription des mandats-poste et des valeurs de toute nature confiées à la poste ou trouvées dans le service de la poste(^).

( ) Troplong, n. 991; Marcadé, loc. cit.; Laurent, n. 533. V. infra n, 773, 785, 789.

(«) Sic Cass., 15 janv. 1894, S., 95. 1. 89; 23 janv. 1895, S., 95. 1. 90.— Lau- renl,XXXII,n. 537.- V.cep. Cas»., 11 juill. 1820,S., chr., D.iîép., v<»Pre»cr., n. 1040 ; 6 fév. 1822, S. chr., D. Rép,, loc. cit.

C) L. 9 juin 1853, art. 30.

(*) L. 3 frim. an VII, art, 149 et 150/ arrêté du 16 Iherm. an VIII.

(*) Loi du 4 avril 1898.

002 DE LA PRESCRIPTION

SECTION III

DE LA PRESCRIPTION DE CINQ ANS

763. Le code civil contient plusieurs prescriptions impor- tantes qui s'accomplissent par le délai de cinq ans. Il en est aussi un grand nombre en dehors du code civil que nous indiquerons plus loin.

Nous avons d'abord à étudier ici les deux prescriptions de cinq ans établies par les articles 2270 alinéa!, et 2277 du code civil. Nous avons va plus haut celle de l'article 2273 alinéa 2. Rappelons aussi que l'article 880 établit une pres- cription de cinq ans en matière de garantie de partage, au cas d'insolvabilité du débiteur d'une rente.

§ I. De la prescription de Varticle 2276 alinéa 1.

764. Les juges et avoués sont déchargés des pièces cinq « ans après le jugement des procès » (art. 2270 al. 1). Les pièces qui ont été livrées aux juges et aux avoués dans le cours d'un procès leur devenant inutiles le procès une fois terminé, il est probable qu'elles seront restituées très promp- tement à leur propriétaire. De la courte prescription éta- blie par notre disposition.

Remarquez que le juge ou l'avoué qui aurait encore les pièces entre les mains, ne pourrait pis invoquer la prescrip- tion pour se dispenser de les restituer : ni celle de cinq ans établie par notre article, ni même celle de trente ans. Us en sont en effet détenteurs précaires et ne peuvent jamais à ce titre en acquérir la propriété par la prescription (art. 2230). L'article 2270 alinéa 1 signifie donc seulement qu'après cinq ans, le juge ou l'avoué qui aurait perdu les pièces ou les aurait égarées, échapperait de ce chef à toute responsabilité en invoquant la prescription.

765. L'article 2270 alinéa 1 doit être appliqué aux avoués d'une façon générale dans tous les cas ils ont terminé

DES COURTES PRESCRIPTIONS 003

une procédure. Il s'applique aux pièces communiquées à l'avoué par la partie adverse aussi bien qu'à celles qui lui ont été confiées par son client (*).

D'un autre côté, au cas de décès, de cessation de fonc- tions, on peut considérer l'afiaire comme terminée relative- ment au juge ou a l'avoué qui n'est plus en fonctions (')

Mais l'article 2270 ne doit pas être étendu au delà du cas précis qu'il prévoit. En ce qui concerne les affaires non ter- minées, nous déciderons donc que les juges ou avoués no pourraient invoquer que la prescription de trente ans. Pothier admettait en pareil cas la prescription de dix ans. Mais cette solution n'a pas été reproduite.

Cette prescription de trente ans est aussi la seule applica- ble aux avocats, notaires, greffiers, quant à la restitution des pièces qui leur auraient été confiées (^).

766. Après cinq ans, le client d'un avoué, si ses pièces sont égarées et s'il ne peut en demander la remise, est-il dans rimpossibiUté de demander la taxe des frais réclamés par l'avoué ? On l'a jugé (*). Mais c'est une solution qui nous paraît bien difficile à admettre. La taxe sera difficile à établir, sans doute ; mais ce n'est pas une raison pour obliger le client à payer un état de frais fixé arbitrairement par l'avoué. Le juge appréciera les chifires de l'état pré- senté.

Nous ne croyons pas d'ailleurs qu*on puisse, dans le silence du texte, déférer le serment à l'avoué sur le point de savoir s'il a encore les pièces entre le mains (*). Mais il serait tenu de les restituer, après n'importe quel délai, s'il clait établi qu'il les a encore entre les mains.

(») Caen, 8 août 1863, S., 64. 2. 13. - Aubry el Rau, éd , VIII, p. 433 ; Laarent, XXXII, n. 482; Leroux de Bretagne, n. 126^; Hue, XiV, n. 4&3;Guil- louard, n. 650. Conlra Bruxelles, 12 ocl. 1822, S. chr.

(») Pothier, Oblig., n. 726 ; Golmet de Sanlerre, VIII, n. 384 bis, I ; Guil- louard, II, n. 648 ; Hue, XIV, n. 483.

(>) Golmet de Santerre, VIIl, n. 384 bis, II ; Guillouard, n. 649. Dans Tancien droit on assimilait les avocats aux avoués. Pothier, Oblig,, n. 726 ; Dunod, p. 163. Quant aux huissiers, v. «iipra, n. 740.

(*) Trib. Seine, 23 avril 1839 et 6 juin 1840, D., 46. 3. 122.

(") Guillouard, II, n. 651 ; Hue, loc, cil, V. cep. Laurent, XXXII, n. 484.

604 DE LA PRESCRIPTION

§ II. De la prescription de Varticle 2277.

767. L'article 2277 établit une prescription de cinq ans pour les intérêts, arrérages, et d'une façon générale pour les prestations périodiques : « Les arrérages de rentes per- « pétuelles et viagères ; Ceux des pensions alimentaires ; « Les loyers des maisons, et le prix de ferme des biens « ruraux ; Les intérêts des sommes prêtées, et générale^ « ment tout ce qui est payable par année, ou à des termes « périodiques plus courts ; Se prescrivent par cinq ans > (art. 2277) (*).

L'origine première de cette importante disposition remonte à une ordonnance de Louis XII, en date de juin 1510, laquelle décida (art. 71) que les acheteurs de rentes consti- tuées (on sait que la constitution de rente était le prêt à intérêt d'alors), ne pourraient demander que les arrérages de cinq ans ; cette ordonnance constatait qu'à cause de ces contrats de constitution de rente, « plusieurs sont mis à pau- vreté et destruction pour les grands arrérages que les ache- teurs laissent courir sur eux, qui montent souvent plus que le capital, pour le paiement desquels faut vendre et distraire tous leurs biens, et tombent eux et leurs enfants en mendi- cité et misère. > Ilenrys disait de la règle posée par l'ordon- nance que « c'est une fin de non recevoir que le bien pubUc et le soulagement des débiteurs ont introduite. » Appliquée par le décret du 20 août 1792 aux rentes foncières, puis par le décret du 24 août 1793 (art. 156) aux rentes viagè- res dues par l'État, cette disposition a été généralisée par la règle importante et bienfaisante de l'article 2277, qui l'ap- plique, comme nous le verrons tout à l'heure, à toutes les prestations qui échoient civilement jour par jour et dont l'accumulation pendant un grand nombre d'années aurait pour conséquence inévitable la ruine du débiteur. Le code civil a ainsi réalisé un progrès que le chancelier Michel de

(*) Gpr. G. civ. ilal., art. 2U4 ; G. civ. esp., arl. 1966; G. civ. porU, art. 513; G. civ. holl , arU 2012 ; G. féd. oblig-, art. 147 ; G. civ. Monlén., aH. 628 : G. civ. aU., art. 197,

DES COURTES PRESCRIPTIONS 605

Marillac, devançant son temps, avait inutilement tenté dans son ordonnance de janvier 1629.

L'article 142 de cette ordonnance, qui soumettait à la prescription de cinq ans les loyers et fermages, fut reçu par quelques Parlements (*). Mais on ne semble avoir accepté nulle part l'article 150 d'après lequel < L'interpellation ou demande en justice des intérêts d'une somme principale, ores qu'elle eût été suivie de sentence, ou que les intérêts soient adjugés par sentence ou arrêt, n'acquerra intérêts pour plus de cinq ans, si elle n'est continuée et réitérée » (*).

A. Des caractères de la prescription de l'article 2277,

768. L'orateur du gouvernement, Bigot-Préameneu, dit, dans Texposé des motifs, que l'article 2277 n'est pas seule- ment fondé sur une présomption de paiement, mais plus encore sur une considération d'ordre public : on a voulu empêcher que les débiteurs ne fusjtent ruinés par l'accumu- lation des arrérages. « L'action pour demander ces arrérages au delà de cinq années a été interdite. »

Des deux motifs sur lesquels est fondée notre disposition, l'un est donc principal, l'autre accessoire.

Le premier réside dans une pensée d'humanité, de protec- tion pour les débiteurs. On n'a pas voulu que la négligence

(*) Poullain du Parc dit qu*en Bretagne l'article n*était appliqué que pour

les loyers des maisons de ville (Prescr,, n. 194).

(*) Poullain du Parc, Prescr., n. 197. Cependant Dunod enseigne qu'en Bourgogne la prescription a été réduite à cinq ans pour les arrérages de toutes les prestations périodiques. Il se réfère à deux ordonnances de. 1569 et 15S6 d'après lesquelles « nul ne sera admis à demander les arrérages des rentes ou autres prescriptions quelles qu'elles soient, pour plus de cinq ans » (p. 167, 174), Le premier projet de Gode civil de la Convention avait établi ici une pres- cription très courte : « Les sommes ou choses qui sont payables ou délivrablcs par année, semestre, trimestre, par mois ou quinzaine, telles que les intérêts des créanciers, les rentes foncières ou autres, les pensions, les gratifîcations, les loyers de maisons ou d*appartements garnis ou non garnis, les fermages des champs, les salaires des instituteurs, des compagnons de travaux et autres qui engagent leurs services pour un temps déterminé et h prix fixe, se prescrivent de la manière ci-après, savoir : qu'en arrivant à la troisième échéance, il y a prescription acquise pour la première, et aiifisi successivement, de manière que Taction ne soit jamais admise que pour deux échéances.... » liv. 2, tit. 3, art. 114).

600 DE LA PRESCRIPTION

d'un créancier, qui laisse s arrérager pendant de longues années les prestations périodiques dont son débiteur est tenu envers lui, pût avoir pour résultat de forcer le débiteur à faire un jour appel à son capital pour payer en une seule fois une série d'annuités, que normalement il devait prélever sur son revenu au fur et à mesure des échéances.

Voilà le motif fondamental de la loi. C'est en haine de la négligence du créancier qu'elle établit la prescription ; cette négligence ne doit pas avoir pour conséquence la ruine du débiteur; l'intérêt public ne le permet pas.

Voici maintenant le motif secondaire. Au bout de cinq années, il est probable que le créancier a été payé, car il s'agit de prestations qui constituent pour lui un revenu et dont il a le plus souvent besoin pour vivre. A ce point de vue, la prescription de l'article 2277 est destinée à fournir au débiteur qui s'est déjà libéré et qui a perdu sa quittance ou n'en a pas retiré le moyen d'échapper à la nécessité de payer une seconde fois.

C'est là, disons-nous, le motif accessoire de la prescrip- tion qui nous occupe. Elle est donc bien différente des pres- criptions établies par les articles 2271 à 2273, lesquelles sont fondées exclusivement sur une présomption de paiement.

M. Labbé a résumé sur ce point avec netteté et précision les motifs que nous venons de développer. « La prescrip- tion de cinq ans a été, dit-il, inspirée au législateur par la pensée que le créancier qui laisse s'arriérer et s'accumuler (les intérêts, des arrérages, des revenus passifs, cause au débiteur un tort des plus graves et commet presque une injustice à Tégard de ce dernier. Protéger le débiteur con- tre une incurie entretenue par le silence du créancier, stimuler la diligence du créancier dans l'intérêt du débiteur lui-même, punir par une déchéance le créancier dont l'inac- tion trop prolongée force le débiteur à prendre en une fois sur des capitaux ce que périodiquement il aurait pris sur ses revenus, tels sont les motifs, souvent exprimés par le légis- lateur lui-môme, de la disposition de l'article 2277 (*). »

(•) Labbé, noie dans Sirey, 70. 2. 221.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 607

769. De cette nature et de ce fondement de la rescpip- tion de cinq ans résultent d'importantes conséquences qu'il est nécessaire de préciser. La prescription de cinq ans cons- titue un mode de libération indépendamment du paiement présumé. Le débiteur peut reconnaître qu'il n*a pas payé sans se rendre non-recevable à opposer la prescription. « La prescription de cinq ans, dit un arrêt de la Cour de cassa- tion, instituée surtout pour punir la négligence du créan- cier, constitue, comme la prescription de trente ans, un mode spécial de libération indépendant du paiement effectif des sommes réclamées, et par voie de conséquence Taveu de non paiement ne met pas obstacle à l'application de cette sorte de prescription (*). »

C'était déjà la solution de l'ancien droit. Ilenrys dit à cet égard que le débiteur, « quand il avouerait de n'avoir rien payé, ne laisserait pas pour cela de se servir de la décharge introduite parle droit public et pour le repos des familles (*). » Il faut seulement réserver le cas l'aveu du débiteur serait fait dans des conditions telles qu'il impliquât renonciation au bénéfice de la prescription acquise ; mais on ne saurait facilement le présumer. La cour de cassation a même décidé que le débiteur qui, après avoir opposé la prescription, a déféré le serjnent à son créancier, n'a pas entendu subordon- ner la décision du procès à ce serment ; bien que le créan- cier l'ait prêté, l'article 2277 n'en doit pas moins recevoir son application (').

770. Le créancier, auquel est opposée la prescription de l'article 2277, ne peut pas déférer le serment au débiteur sur le point de savoir s'il a payé (^). En effet le refus que ferait

(') Gass., 12 mars 1833, S., 33. 1. 299, D. JRc'p., V Prêter,, n. 1081 ; 10 mars 1834, S., 34. 1. 800, D. Jiép,, loc, cit., n. 1051 ; 4 mars 1878, S., 78. 1.469, D., 78. 1. 16S ; 5 août 1878, S., 79. 1. 301, D., 79. 1. 71 ; 11 déc. 1883, S., 84. 1. 335, D., 85. 1. 30. - Amiens, 14 juin 1871, S., 71. 2. 207. - Aubi^ et Rau, 4- éd.. Vin, p. 433 ; Marcadé, sur l'art. 2277, n. 5 ; Laurent, XXXII, n. 433 ; IIuc, XIV, n. 487; Guillouard, n. 655. Contra Rouen, 5 mars 1842, S., 42.

. 318.

(«) Henrys, liv. IV, ch. VI, quesl. 74.

n Gass., 13 juin 1881, S., 84. 1. 22.

(♦) Sic Laurent, XXXII, n. 432 ; Guillouard, n. 653.

008 DE LA PRESCRIPTION

le débiteur de prêter ce serment ne constituerait qu'un aveu de Texistence de sa dette, et nous venons de voir qu'il peut faire cet aveu sans perdre le bénéfice de la prescription.

Sur ce dernier point, U en est autrement des prescriptions établies par les articles 2271 à 2273, parce qu elles sont exclusivement fondées sur une présomption de paiement. Le débiteur qui oppose Tune de ces dernières prescriptions dit : 4c J'ai payé, et j'invoque la prescription pour me tenir lieu de la quittance que j'ai perdue ou que je n'ai pas reti- rée. » C'est bien le moins que le créancier ait le droit d'exi- ger que cette assertion soit confirmée par un serment. Au contraire, le débiteur, qui oppose la prescription de l'arti- cle 2277, dit ou peut dire : « Je n'ai pas payé, mais je suis libéré par le résultat de la négligence de mon créancier, qui ne m'a pas poursuivi dans le délai voulu et qui voudrait aujourd'hui me forcer à payer un grand nombre d'annuités arriérées, au risque de me ruiner ; une raison d'ordre public s'oppose à ce que cette prétention puisse réussir ; voilà pour- quoi j'oppose la prescription. » Alors à quoi bon déférer le serment du débiteur ? C'est ce qu'admettait déjà Dunod au siècle dernier pour les mêmes raisons : « La prescription n'est pas tant fondée en ce cas sur une présomption de paie- ment que sur une raison de bien public et pour empêcher que le débiteur ne soit accablé par la cumulation d'une trop grande quantité d'arrérages... La loi en prive le créancier en punition d'une négligence qui ruinerait le débiteur... Il n'a pas le droit d'exiger le serment du débiteur, parce que, quand même il n'aurait pas été payé, il n'a pas droit de demander un paiement. »

D'ailleurs, la place qu'occupe l'article 2275, relatif à la délation du serment, et les termes dont il se sert ne permet- tent pas, nous l'avons vu, de douter qu'il ne s'applique qu'aux seules prescriptions des articles 2271 et 2273.

771. On voit qu'en somme la prescription de l'article 2277 se trouve soumise aux règles de la prescription trentenaire. Comme la prescription de trente ans, elle repose sur des considérations d'intérêt public (*).Elle peut être invoquée en

(')Cass., 13 juin 1881, précité.

!

i

DES COI'RTES PRESCRIPTIONS 609

tout état de cause tant que, le débiteur n'y a pas renoncé (*) ; et le fait de contester la dette, de prétendre qu'on a payé et qu'on a égaré la quittance, ne constitue pas une renoncia- tion (*). La prescription de l'article 2i77 peut être opposée pour la première fois en appel (^).

772. Mais il ne faut pas aller plus loin, et, en exagérant le caractère d'ordre public de notre prescription, la soumettre à des règles plus rigoureuses que celles de la prescription du droit commun. Il ne faut pas hésiter à dire qu'elle ne peut pas être suppléée d'office par le juge (*), qu'elle ne peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation (*). La prescription de l'article 2277 n'est pas plus d'ordre public que celle de l'article 2262 ; comme celle-ci, elle repose sur des considérations d'intérêt général, mais dans chaque espèce particulière il appartient au débiteur de l'opposer ou non; le juge ne peut la suppléer d'office (•). Et cette règle doit être appliquée dans tous les cas. Elle doit l'être alors même que le débiteur aurait fait défaut sur la pour- suite du créancier ; le créancier ne peut souffrir de la non comparution de son débiteur ; il n'y a pas de règles spé- ciales au point de vue de la prescription suivant que les plaideurs comparaissent ou ne comparaissent pas (^).

(M Gass., 5 mars 1878, précité ; il déc. 1883, précité. V. supra, n. 72 s.— Cpr. Laurent, XS.KII, n. 434 et 480.

(*} Cass., 11 déc. 1883, précité.— Gaen,20 mars 1859, D., 60. 2. 100.— Lau- rent, X>CX.II, n. 431 ; Guillouard, n. 311 et 656. Cpr. Bordeaux, 16 juil. 1851, D., 55. 2. 259.

\*} Cass., 11 déc. 1883,précité. - Rennes, 12 fév. 1880, S., 81. 2.53.- Caen, 20nov. 1859, précité. Guillouard, n, 311, l,

(•) Cass., 25 fév. 1891, S., 97. 1. 263 ad notant, D., 91. 5. 406; 20 déc. 1899, S., 1900. 1. 413. Contra Trib. de Wissembourg, 16 mars 1870, S., 70.2.221. Mais voy. dans notre sens Labbé, note sur ce jugement. V. aussi Cass., 2 janv. 1855 (motifs), S.,55. 1.11. Laurent, XXXII/n. 174 ; Guillouard, n. 303 et 693. V. encore supra, n. 47.

(») Cass., 28 fév. 1851, S., 61. 1.819; 20 juin 1881, S., 81. 1. 30 ; 20 ocl.1886, S., 87. 1. 195 ; 20 déc. 1899, précité. - Labbé, loc. cit.

(•» Cass., 25 fév. 18'J1, précité. Trib. de Saint-Élienne, 4 mai 1394, D.,95, 2. 244.

C) Labbé, loc, cit, Contra Trib. de Wissembourg, 16 mars 1870, précité.

PRE?CR. 3^

610 DE LA PRESCRIPTION

B. Des créances auxquelles s* applique Varlicle 2271.

773. Le législateur énumère dans Tarticle 2277 quelques créances auxquelles s'applique la règle de la prescription quinquennale; puis, pour nous montrer que cette énuméra- tion n'est nullement limitative, il généralise sa pensée dans une règle qui n'en est peut-être pas la traduction très fidèle, ainsi que nous le verrons tout à Theure, mais qui indique bien cependant la portée très étendue que la loi veut donner à la prescription de cinq ans. « D'une manière générale, dit l'article 2277 in fine, tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts, se prescrit par cinq ans.» Etant donné le motif principal qui a inspiré le législateur, on peut affirmer qu'il a entendu viser toutes les dettes qui, s'augmentant successivement, comportent une accumulation ruineuse pour le débiteur. Bigot-Préameneu a formellement déclaré, dans son exposé de motifs, que « la crainte de la ruine des débiteurs étant admise comme un motif d'abréger le temps ordinaire delà prescription, on ne doit excepter au- cun des cas auxquels ce motif s'applique. » Il ne faut donc pas s'en tenir strictement au texte de la loi qui, si on l'appli- quait à la lettre, atteindrait des cas que la loi n'a pas viser et pour lesquels la règle ne se comprendrait pas, et, à l'inverse, laisserait de côté des hypothèses qui rentrent manifestement dans les prévisions du législateur. Le but a été de prévenir la ruine qui peut résulter pour les débiteurs de l'accumulation d'un trop grand nombre d'années d'arré- rages. L'article 2277 embrasse dès lors, dans la généralité de sa disposition finale, toutes les créances de la nature de celles énumérées dans les dispositions précédentes de l'arti- cle, c'est-à-dire toutes celles qui ont pour objet non des capitaux, mais des produits et revenus périodiques (*). Etu- dions d'abord les cas particuliers que le législateur cite à titre d'exemples; ils nous aideront à découvrir la véritable

(') V. Douai. 4 janv. 1854, S., 51. 2. 542, D., 54. 2. 136. Nancy, 12 août 1874, S., 76. 2. 22, D., 77. 1. 352. - Laurent. XXXCI, n. 435.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 611

portée de la règle dont ils sont une application^ et à lui donner sa formule exacte.

774. Sont d'abord prescriptibles par cinq ans les arrérages de rentes perpétuelles et viagères. Cette disposition s'applique évidemment dans sa généralité même aux arrérages de ren- tes dues par l'Etat (*). Au surplus ce sont seulement les arré- rages des rentes qui sont prescriptibles par cinq ans; la rente elle-même, le nomen juris,àotL\> les arrérages sont le produit, ne se prescrit, nous le savons, que par trente ans (*)•

775. L article 2277 vise en second lieu les arrérages des pensions alimentaires ; bien que les motifs de la loi ne se ren- contrent pas ici avec autant de force que dans les autres hypothèses, ces arrérages se prescrivent aussi par cinq ans. 11 y a d ailleurs à rechercher, au cas le créancier d'une pension reste trois ou quatre ans sans réclamer d'arrérages, si cette inaction ne prouve pas qu'il n'est plus dans le besoin et ne le rend pas non-recevable à demander le paiement des termes échus de sa pension (').

L'article 2277 s'applique aux pensions dues par des com- munes à des hospices ou à des asiles pour l'entretien des indigents (*).

Il semblerait qu'on dût aussi l'étendre aux pensions ser- vies par l'Etat; ce serait l'application de l'article 2227, qui met l'État sur la même ligne que les autres débiteurs ; c'est la solution admise en Belgique (*). Mais en France, on a établi ici une prescription de trois ans; les pensions dont les arrérages n'ont pas été réclamés pendant trois ans, à compter de l'échéance du dernier paiement, sont censées éteintes (*).

776. D'après Laurent, les traitements des fonctionnaires publics doivent être assimilés à des pensions alimentaires. « Au fond, dit cet auteur, ces traitements sont calculés de

(•) V. C. civ., arl. 2227; L. 24 août 1793, art, 156.- V. aussi «n/ra, n.SlOs. (*) V. Cass., 13 mai 1823, S. chp.,D. Rép., v Prescr,, n. 101. V. supra, n. 332 et 621. (>) Caen, 27 janv. 1874, D., 76. 2. 53. —V. cep. Laurent, XXXri, n. 438. (*) Sic Laurent, XXXII, n. 439. (») V.. Laurent, XXXI î, n. 440. (•) Arrôté du 15 floréal an XI, art. 9 ; L. 9 juin 18j3, art. 30.

612 DE LA PRESCRIPTION

manière que les fonctionnaires comptent parmi les pauvres dans une société riche ; on peut donc hardiment les assimiler à des aliments (*), » Il n'est pas besoin de cette assimilation, cpii manquerait d'ailleurs de justesse à plus dun point de vue, pour déclarer applicable ici la prescription quinquen- nale ; on peut faire rentrer sans le moindre effort les trai- tements dont il s'agit dans la règle- formulée parFarti- cle 2277 alinéa 4 : « ^/ généralement tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts (*). »

777. Les loyers des maisons et le prix de ferme des biens ruraux se prescrivent aussi par cinq ans. C'est à dessein que la loi dit les loyers des maisons, et non d'une manière géné- rale les loyers. Il y a en efiTet des loyers qui se prescrivent par un temps plus court que cinq années. Tels sont ceux des chambres et appartements que louent les hôteliers : l'arti- cle 2271 alinéa 2 les déclare prescriptibles par six mois.

Sont comprises sous la dénomination de loyers et de ferma- ges toutes les obligations qui incombent au preneur comme prix de la jouissance que le bailleur lui procure, par exemple les menues prestations en nature qui sont imposées à un fer- mier à titre de charge accessoire ('), par exemple encore l'obli- gation de supporter la contribution foncière qui, d'après le droit commun, est à la charge du propriétaire (*). L'arti- cle 2277 s'applique aussi aux loyers dus par le locataire après résiliation pendant le temps nécessaire à la reloca- iion (5).

778. Mais il ne s'applique pas avant la fin du bail au

(*) Laurent, n. 441.

{*) Il a été jugé très exactement que Tindemnité de logement due par une commune aux ministres du culte est une créance payable par année et pres- criptible par cinq ans. Cons. d'État, 23 nov. 1894, S., 96. 3. 139. On ne saurait s'arrêter à cette objection qu*à raison de l'annualité des budgets cette somme est variable; la flxilé des prestations périodiques n'est pas nécessaire pour Tappli- cation de Tart. 2277. V. infra, n. 787 et 796.

(') V. cep. Guillouard, n. 663.

(*) Cass., 18 oct. 1809, S. chr., D. Rép.. V Preser,, n. 1066 ; 25 juill. 1827, S. chr., D. Rép., loc, cit,, n. 1070. Laurent, XXXII, n. 443 ; Guillouard, n. 662. Il en serait autrement du cas le propriétaire réclamerait au locataire Timpôt des portes et fenêtres qu'il aurait avancé pour lui. V. in/ra, n. 790 bis.

(») Grenoble, 6 mai 1851, D., 56. 2. 124. ^ Laurent, loc, cit. ; Guillouard, n. 661.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 613

terme de loyer stipulé payable d'avance et imputable sur le dernier terme de jouissance : ce terme, s'il n'a pas été payé lors de l'entrée en jouissance, doit l'être à la fin, sans que le locataire puisse invoquer l'article 2227 (*).

11 n'y a pas ici de prestations périodiques dont l'accumu- lation jusqu'à la fin du bail soit à craindre. Il y a une seule prestation dont l'exigibilité a été avancée à une date anté- rieure à l'échéance normale. Si le propriétaire n'use pas du droit qu'il s'est réservé, il n'a pas perdu pour cela le droit d'exiger le paiement de ses loyers lors de l'échéance régu- lière. Il n'y a pas de distinction à faire, à notre avis, entre le cas la clause du bail stipule le paiement d'avance avant l'entrée en jouissance et le cas elle se borne à dis- poser que le paiement d'avance aura lieu à première réqui- sition du bailleur (*). Dans tous les cas, le bailleur n'a pas perdu le droit de demander le paiement du loyer à l'époque du dernier terme ; il n'a pas abandonné son droit en stipu- lant qu'il pourrait l'exercer plus tôt. Nous ne disons pas que l'article 2277 ne s'appliquera jamais : mais la prescrip- tion de cinq ans pour le dernier terme qui aurait pu être exigé d'avance ne courra qu'à partir de l'échéance finale, lors de la dernière période de jouissance.

779. L'article 2277 ne s'applique pas aux dommages -inté- rêts dus par un locataire qui reste en jouissance, malgré l'achèvement du bail (^). Il ne peut pas non plus, ànotre avis, s'appliquer aux réparations locatives ou aux dommages-inté- rêts dus pour dégradations (^). Il ne s'agit pas de presta- tions périodiques ; l'article 2262 est seul applicable ; mais il faut voir d'ailleurs si le silence gardé par le propriétaire n'implique pas abandon tacite de son droit (*).

(*) Cass , 1" déc. 1883, S , 92. 1. 26. - Paris, 12 avril 1836, S., 88. 2. 39. Guillonard, II, n. 665. Contra, Hue, XIV, n. 490.

(*) V. cep. Guillouard, n. 665.

(') Laurent, loc. cit. ; Hue, XIV, n. 491.

(«> Orléans, 9 févr. 1889, S., 89. 2. 57, D., 90. 2. 221. Duvergier, Louage, n. 455 ; Guillouard, id., n. 214 el Prescr., n. 660 ; Hue, loc. cit. Contra. Orléans, 6 mars 1885, S , 89. 2. 57, en note. Leroux de Bretagne, n. 1237 ; Laurent, XXXU, n. 443.

(■) L'art. 2277 ne s'applique pas à la créance du propriétaire en rembourse- ment de l'impôt des portes et fenêtres. V. infra, n. 790 bis.

614 DE LA PRESCRIPTION

780. Enfin Tarticle 2277 s'applique aux intérêts des sommes prêtées. Cette règle comprend même les intérêts des som- mes que les compagnies de commerce ou d'industrie emprun- tent sous forme d'obligations. Les compagnies sont en droi* de refuser le paiement des coupons d'obligations échus depuis plus de cinq ans.

781 . Ce que la loi dit des intérêts des sommes prêtées est ?rai de tous les intérêts conventionnels en général, notam- ment des intérêts d'un prix de vente. Cela, nous parait abso- lument certain, quand l'intérêt est stipulé payable />ar année mi à des termes périodiques plus courts: par exemple si un acte de vente porte que l'acheteur aura un délai de dix ans pour payer son prix, et que jusque-là il en servira les inté- rêts à 5 0/0 payables chaque année \ car alors Thypothèse rentre littéralement dans les termes de la formule générale qui termine l'article 2277. Et nous n'y voyons guère de doute, si la convention ne fixe pas expressément les termes de paie- ment des intérêts,'comme s'il est dit purement et simplement dans l'acte que l'acheteur servira les intérêts de son prix à 5 0/0. 11 est alors sous-entendu que les termes seront paya- bles par aimée, et par conséquent l'hypothèse est la même que la précédente. Il faut dire avec la Cour de cassation: 4c L'article 2277 portant que la prescription de cinq ans est applicable à tout ce qui est payable par année ou à des ter- mes périodiques plus courts, il résulte de la généralité de ces expressions que les intérêts des prix de vente d'immeubles s'y trouvent compris ('). »

782. Si l'on admet que la prescription de cinq ans est ap- plicable à tous les intérêts conventionnels, il est difficile de ne pas la déclarer applicable aussi aux intérêts que la loi fait courir de plein droit par interprétation de la volonté des parties contractantes; car ce sont en réalité des intérêts

(•) V. dans notre sens, Cass., 7 fév. 1826, S. chr., D. Rép., v" Prescr.f ru 1085j 4 déc. 1827, S. chr., D. Rép., ycPreser., n. 1087; 9 juin 1829, S. chr, I). Rép., V Prescr., n. 1072; 14 juil. 1830, S. chr., D. Rép,, loc, cit., n, 1036; It) août 1853, S., 55.1.575, I)., 54.1.390. - Paris, 2 mai 1861, S., 61.2.383.- Troplong, n. 1023; Leroux de Bretagne, n. 1241; Marcadé, sur Tart. 2277, n. 4; Aubn' et Rau, k* édil , VIII, p. 435,§ 774; Laurent, XXXn,n. 449; GuiUouard, n. 677.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 615

conventionnels, puisque la disposition législative en vertu de laquelle ils sont dus n'est qu'une traduction légale de la pensée des parties contractantes, qui sont censées avoir sous-entendu la stipulation d'intérêts. Il en est ainsi notam- ment des intérêts du prix de vente d'une chose frugifère (art. 1652 al. 3) (*), et d'une manière générale, de tous les intérêts légaux compensatoires. Objectera-t-on que la loi ne les déclare pas payables par année ou à des termes périodi- ques plus courts, et que par conséquent, ils ne rentrent pas dans les termes de la formule générale qui termine l'arti- cle 2277 î Nous ferons la même réponse qu'en ce qui con- cerne les intérêts stipulés expressément par les parties sans indication des termes de paiement : la loi sous-entend qu'ils seront payables par année ; c'est en effet par année que se perçoivent les fruits de l'immeuble dont ils sont la contre- valeur ; ils sont donc en réalité compris dans la formule légale.

783. D'autres opinions ont d'ailleurs été émises sur cette question des intérêts du prix de vente d'une chose frugi- fère. Les uns, prenant en considération cette idée que les intérêts représentent l'équivalent des fruits perçus, soutien- nent que la prescription de cinq ans est inapplicable (*). Cette solution était volontiers suivie dans l'ancien droit. D'autres pensent que la prescription de cinq ans ne peut courir que si les intérêts de la chose frugifère ont fait l'objet d'une stipulation formelle (^). Ces deux solutions ne peuvent, à notre avis, se soutenir, si on tient compte du but et du fondement de l'article 2277. On peut considérer qu'el- les sont aujourd'hui abandonnées en jurisprudence.

784. Notre doctrine s'applique à tous les intérêts dus en vertu d'une disposition de la loi.

Se prescrivent donc par cinq ans : les intérêts établis par

(•) V. lesarrôts cités à la note précédente. Sic Troplong, n. 1023 ; Aubry el Rau, éd.. VIII, p. 435; Leroux de Bretagne, n. 1241 ; Laurent, XXXII, n, 449. 450 ; Hue, XIV, n. 495. La question était déjà controversée dans Tancien droit. V. Dunod, p. 173 ; Poullain du Parc,n. 196 et 197.

(«) Paris, 31 janv. 1828, S. chr. Metz, 15 fév. 1822, S. chr. Agen, <> mai 1824, S., chr., D. Rèp,, Prescr., n. 1088. Duranton, XXI, n. 433.

(>) Paris, 7 déc. 1831, S., 32. 2. 129;25 mai 1833, S., 33.2.335,0. Bép.,loc.cU.

616 DE LA PRESCBIPTION

la loi de plein droit après que le compte de tutelle a été apuré (art. 474), ceux dus en cas de non paiement de la dot (art. 1440 et 1548), ou de non restitution de la dot (art. 1570), ceux des récompenses après la liquidation de la commu- nauté (art. 1473), ceux des avances faites par le mandataire (art. 2001) (*). Les intérêts de la somme qu'un associé a promis d'apporter pour sa mise ou de celle qu'il a prise dans la caisse sociale (C. civ., art. 1846), sont aussi prescrip- tibles par cinq ans (*). Le motif de la loi se retrouve dans toutes ces hypothèses ; dans tous ces cas, il y a danger de ruine du débiteur par l'accumulation des intérêts ; il y a des prestations périodiques dont le paiement aurait pu être réclamé.

785. La prescription de cinq ans est enfin applicable aux intérêts moratoires, à la suite d'une demande judiciaire, ou même d'une simple sommation. Au surplus, faisons bien remarquer ici que les intérêts courus pendant Tinstance depuis l'acte qui en détermine le point de départ jusqu'au jugement échappent à la prescription de l'article 2277 par suite de l'effet interruptif de l'instance (^). Il faut laisser de côté cette hypothèse et supposer qu'il n'y a pas eu de juge- ment, ou qu'il s'agit des intérêts moratoires alloués par le jugement et courant à partir de ce jugement .

(*)Cass., 30 avril 1835, S., 35. 1. 555. - 26 mars 1902, D. 1904. 1. 171. Limoges, 26 janv. 1828, S. chr., l). Rép,, v* Prescr., n. 1094. Bordeaux, 8 fév. 1828, S. chr., D. Rép,,loc. cit. Agen, 18 mai 1830, S. chr., D. /Jep., /oc. cil, - Toulouse, 12 août 1834, S., 35. 2. 207, D. Hép., loc .cit. ; 14 déc. 1850, S., 51. 2. 102. Troplong, n. 1025 ; Aubr>' et Rau, A* éd., Vlïf, p. 434; Laurent, XXKII, n- 451 s. Dunod, dans Tancien droit, propose une solution différente pour les intérêts d*une somme due h titre de dot. Il en donne pour raison qu'ils « sont compensatoires et dus au mari à titre onéreux. »

(2) Cass , 17 février 186'J, S., 69. 1. 256, D., 69. 1. 143. Rennes, 31 déc. 1867, D , 70. 2. 14 ; 23 juin 1870, S., 70. 2. 274, D., 71. 2. 112. Aubry et Ilan, éd , VIII, p. 435 ; Laurent, loc. cil. M. Guillouard (n. 678) n'admet pas l'application de l'art. 2277 aux intért^ls des sommes prises par un associé dans la caisse sociale ; d'après lui il ne s'agit alors que de la prescriplion de trente ans. Cpr. Hue, XIV, n. 495.

(') Cass , 12 juill. 1836, S., 37. 1. 224, D. Rép., v Prescr., n. 1082. Aubry et Rau, 4* éd., VIII, p. 436 ; Guillouard, n. 680. V. aussi Cass., 29 avril 1863, D. 65. 2. 5 ; 17 mars 1880, S. 82. 1. 405. Bruxelles, 13 déc. 1900, Paris, 1901. 2. 186.

DKS COURTES PRESCRIPTIONS 617

Si on ne s'inspire que des motifs qui ont fait établir la prescription quinquennale, on ne doutera guère qu'elle ne soit applicable dans ces deux cas. La loi a voulu empêcher la ruine du débiteur par l'accumulation de nombreux inté- rêts; or le débiteur sera-t-il moins ruiné par l'accumulation d'intérêts moratoires que par l'accumulation d'intérêts con- ventionnels? D'un autre côté, le créancier qui laisse pendant de longues années s'arrérager des intérêts moratoires est-il moins négligent que celui qui laisse s'arrérager durant le même temps des intérêts conventionnels ? Rationnellement, on ne conçoit point ici de distinction entre les intérêts mora- toires et les intérêts conventionnels ; si ceux-ci tombent sous le coup de la prescription quinquennale, il doit en être de même de ceux-là; deux situations identiques ne sauraient être régies d'une manière différente.

L'esprit de la loi, c'est-à-dire les motifs qui l'ont dictée, ne laisse donc pas de doute. Alors comment se fait-il que la question soit controversée? C'est qu'il y a une objection de texte. Les intérêts moratoires, dit-on, ne sont pas compris dans les termes de l'article 2277 ; ils échappent donc à la prescription quinquennale, qui est une prescription excep- tionnelle. Les intérêts moratoires ne figurent pas sur la liste des cas particuliers que prévoit la première partie de Tarti- cle 2277; tout le monde le reconnaît. Peut-on les faire ren- trer dans la formulé générale qui termine l'article ? Pas davantage. Les intérêts moratoires ne sont pas payables par année ou à des termes périodiques plus courts; en effet le créancier peut, au moment qu'il lui plaît de choisir, exiger à la fois le capital et tous les intérêts moratoires courus jus- qu'alors. Les intérêts moratoires seront ainsi le plus souvent payés en une seule fois avec le capital de la dette. Il n'y a donc pas le paiement périodique dont parle l'article 2277 alinéa 4; ce texte est par suite inapplicable. On ajoute que Fexistence d'une condamnât! - 'i prouve bien que le créan- cier n'a pas été négligent, et que le jugement constitue d'ailleurs une interpellation en quelque sorte continuelle et permanente.

Cette argumentation, qui est d'ailleurs aujourd'hui à peu

618 DE LA PRESCRIPTION

près abandonnée en doctrine et en jurisprudence, n'est pas déterminante. Et tout d'abord, si le créancier a la faculté d'exiger le paiement des intérêts moratoires en une seule fois, au moment il réclamera le paiement du capital, il a cer- tainement aussi le droit d'en réclamer le paiement périodi- que pendant un certain temps, avant d'exiger le paiement du capital. Au bout d'une année à dater de l'événement qui a fait courir les intérêts moratoires, il sera au créancier, outre son capital, un vingtième en sus, en supposant les intérêts moratoires payables au taux de 5 0/0. Ce sont deux créances distinctes, bien que l'une, celle du capital, soit principale et l'autre accessoire, et le créancier a certainement le droit de demander le paiement de celle-ci sans exiger pour le moment le paiement de celle-là. Libre à lui de procéder de même les années suivantes. Il en résulte que les intérêts moratoires sont, dans un certain sens, exigibles et par suite payables par année : ce qui nous fait rentrer dans la lettre de la loi. Ajoutons que le créancier qui n'exécute pas le jugement qu'il a obtenu est certainement négligent ; il laisse le débiteur s'endormir dans une fausse sécurité. Qu'il y ait ou non un jugement, la négligence est la même. Affirmer que le jugement est une interpellation qui se continue d'une façon permanente est une idée inexacte ; la prescrip- tion recommence à courir, de droit commun, après le juge- ment obtenu ; il en est des intérêts comme du capital, avec cette seule diiBFérence que la durée de la prescription est abrégée.

Concédons d'ailleurs que les intérêts moratoires ne soient pas payables par année ou à des termes périodiques plus courts ; en résulterait-il qu'ils doivent échapper à la pres- cription quinquennale comme n'étant pas compris dans les termes de la loi? Nous ne le croyons pas; car il est manifeste que la formule employée par le législateur a trahi sa pensée. Il est facile de le démonta . '" Supposons une dette d'un capital résultant d'un prêt ou de luate autre cause ; les par- ties conviennent que le débiteur paiera sa dette par dixième, d'année en année. Voilà bien une dette payable par année ; elle est comprise par conséquent dans la formule qui termine

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Tarticle 2277. La prescription de cinq ans sera-t-elle appli- cable? Très certainement non, de l'avis de tous les auteurs. L'article 2277 se borne à consacrer la tradition en la déve- loppant. Ce qu'U a voulu, comme l'ordonnance de 1510, c'est prévenir la ruine du débiteur par suite de l'accumu- lation d'annuités qui vont grossissant indéfiniment le chiffre de sa dette, ainsi que cela a lieu dans tous les cas que le législateur cite à titre d'exemples ; il ne faut donc pas appliquer la règle au cas le chiffre de la dette est connu et arrêté à l'avance ; qu'importe qu'elle soit payable par annuités ? Une dette sera-t-elle plus lourde et plus ruineuse pour le débiteur, parce qu'elle est payable en dix annuités au lieu d'être payable en une seule fois ? La règle ne s'ap- pliquera donc pas, parce qu'il s'agit d'un cas en vue duquel elle n'a as été écrite et qu'on ne doit pas profiter d'un accident de rédaction pour défigurer la pensée du législateur. L'autorité qui s'attache à la formule légale se trouve ainsi fortement ébranlée, et, puisque nul n'hésite à faire un premier pas en refusant de l'appliquer à une hypothèse que sa lettre comprend, mais que son esprit repousse, nous croyons qu'il faut en faire un deuxième en sens inverse, en la déclarant applicable aux cas que son esprit comprend très certainement, fût-il probable et même certain que sa lettre les exclut. Or, nous l'avons dit, la pensée qui a dicté Tarticle 2277 comprend les intérêts moratoires aussi bien que les intérêts convention- nels. Le législateur a eu en vue toutes les dettes d'intérêts ou d'arrérages qui échoient civilement jour par jour et qui aug- mentent ainsi insensiblement mais indéfiniment la dette du débiteur, a mesure que le temps marche, jusqu'au point de l'écraser un jour. On ne saurait contester que le législateur ait voulu soumettre à la prescription quinquennale toutes les créances qui, ayant le caractère de fruits civils ou de revenus, peuvent, par leur accroissement successif, entraîner la ruine du débiteur. On devra donc appliquer la prescription quinquen- nale à tous les cas qui rentrent dans cette idée, alors même qu'ils ne rentreraient pas précisément dans la formule adop- tée par la loi. Ce n'est pas la périodicité des échéances qui constitue le danger qu'on veut prévenir, c'est Taccroissement

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continuel de la dette. La Cour de cassation a fait observer avec raison que les intérêts moratoires se calculent par année et s'accroissent chaque année. « La prescription établie par larticle 2277, embrassant tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts, s'applique néces- sairement aux intérêts moratoires accordés par le jugement. En effet, ces intérêts se calculent et accroissent les sommes adjugées chaque année. Il importe peu que le créancier ne puisse être contraint à les recevoir séparément du principal, et on ne peut rien conclure de ce qu'ik sont réunis et incor- porés au capital, puisque cette réunion n'est que fictive et éventuelle, et ne saurait empêcher que ces intérêts ne devien- nent payables à des termes périodiques et que le créancier ne puisse alors en exiger le paiement, puisque enfin ces intérêts ne sont réellement acquis au créancier que successi- vement au fur et à mesure de leur échéance (*). » Cela suffit pour que l'article 2277 leur soit applicable. xVjoutons qu'il serait étrange que ce fait que les intérêts sont constamment exigibles fût une cause de faveur pour le créancier, alors qu'en réalité il montre combien sa négligence a été plus grande encore. Il faut donc dire avec M. Colniet de San- terre : « Toute dette accessoire d'une autre qui \ient périodi- quement s'ajouter à la dette principale, doit être soumise à la prescription de l'article 2277 (*). » La solution que nous admettons sur les intérêts moratoires était d'ailleurs celle que donnait déjà l'ordonnance de 1629.

(M V. dans le sens de celte théorie, Cass., 12 mars 1833, S., 33. 2. 2^9, D. Ilép., Prescr., n. 1081 ; 12 mai 1835, S., 35. 1. 251, D. Rép., loc. cil,; 2 juin 1835, S., 35. 1. 960, D. Rép., loc. cit., n. 1078 ; 29 janv. 1838, S., 33 1. 350; 7 nov. 1838, S., 38. 1. 423. Merlin, Rép., V Intérêts, §§4 et 7, D. 31. 2. 63; de Valimesnil, Persil el Dupin, Consaltation rapportée dans Dalloz, 31. 2. 65 ; Troplong, n. 1003. 1013 s.; Aubry et Rau, 4- éd., Vtlï, p. 436; Leroux de Bre- tagne, II, n. 1239; Marcadé, sur l'art. 2277, n. 4; Golmel de Sanlerre, VIII. n. 385/)/a,II ; Laurent, XXXII, n. 435, 438 s. ; Planiol. lU, n. 6Î9; Guillouard, 11, n. 675; Hue, XIV n. 494. V. en sens contraire, Paris, 2 mai 1816, S. chr., D. Rép., Prescr., n. 1083; 21 dôc. 1829, S. chr.— Agen, 18 mars 1824. S. chr. ; 3 févr. 1825, S. chr. Rennes, 22 déc. 1834, S., 37 2. 88, D. 36. 2. 108. Duranton, XXI, n. 434 ; Ravez, Consultation rapportée dans Dallez, 31. 2. 65.

(*) Colmet de Sanlerre, loc. cit. Cpr. Amiens, 14 juin 1871, S., 71. 2. 217.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 621

786. Si maintenant nous recherchons quelle est la formule que le législateur aurait employer pour exprimer exac- tement ce qu'il voulait dire, peut-être pourrait-on proposer celle-ci : Sont prescriptibles par cinq ans toutes les presta-- tionsy susceptibles d'une durée indéfinie^ qui échoient civile- ment ou conventiomiellement par année ou à des termes périodiques plus courts.

Les mots prestations susceptibles dune durée indéfinie excluent le cas d un capital dont le paiement doit être effec- tué en plusieurs années (*); ils n'excluent aucune des créan- ces énumérées par l'article 2277, pas même les loyers et fermages, dont la prestation peut être due indéfiniment par suite de reconductions tacites successives. En outre, notre formule comprend les intérêts moratoires ; car ils échoient civilement jour par jour, et par conséquent à des termes périodiques plus courts qu'une année. Elle comprenait aussi, avant la loi du 18 juillet 1889, les prix des baux à colonage partiaire, qui échappaient peut-être à la lettre de l'article 2277, Elle comprend de même, aussi bien que la formule de l'article 2277, les salaires des ouvriers, employés aux écritures, commis, qui sont payables mensuellement (*), ceux des professeurs payables à l'année, des secrétaires, intendants, les salaires des gouvernantes ou des nourrices ('). On peut y faire entrer les primes d'assurances (*),du moins dans les assurances à primes fixes: nous verrons que la juris- prudence est difiérente pour le cas des sociétés d'assurances mutuelles. La. Cour de cassation a appliqué l'article 2277 au prix stipulé payable par année dans un contrat de louage d'ouvrage et ayant pour objet l'entretien d'un bâtiment C*).

787, On peut y faire rentrer les dividendes des actions

(*) V. cep. ifi/ra, n. 789.

(»j Paris, 6 juill. 1887, S., 88. 2. 196. Grenoble, 29 nov. 1861. S., 62. 2. ill. Laurent, XXXII, n. 509; Aubry et Rau, éd.> VIII, p. 444 ; Leroux de Bretagne, n. 1245 et 1293; Guillouard, n. 586.

t") Gand, 27 déc. 1850, Pa^ic., 51. 2, 34.— Alger, 13 juill. 1893, iJew. aifircr., 93. 2. 461. Troplong, n. 908 ; Laurent» XKXII, n. 456 et 503 ; Guillouard, ioc, eit,

(*) Bnixe]Ie9, 31 octobre 1855, Pasic, 56. 2. 268.— Laurent, XXXII, n. 457.

(») Cass., 2 juill. 1879, S., 80. 1. 101, D., 79. 1. 415.

622 BE LA PRESCRIPTION

dans les sociétés commerciales ; ils peuvent aussi d'ailleurs sans trop de difficulté rentrer dans les termes de la formule légale et une jurisprudence constante leur applique la pres- cription quinquennale (*). Peu importe que ces dividendes soient variables, qu'ils puissent certaines années ne pas exis- ter; la prescription de cinq ans est indépendante, à notre avis, du caractère fixe ou variable, certain ou aléatoire, des prestations périodiques qu'il s'agit d'atteindre : les motifs de la règle se retrouvent dans tous les cas. Laurent, qui approuve cette solution, croit devoir la critiquer au point de vue rationnel. « Nous voilà loin, dit-il, de Tédit de 1510 ; ce n'est plus le pauvre peuple qui profite de la prescription, ce sont de puissantes compagnies qui abusent de la pres- cription pour ne pas payer ce qu'elles doivent. Le législateur devrait établir une règle différente pour les divers cas. » Cette critique est bien peu juridique : faudrait-il donc dis- tinguer parmi les débiteurs qui invoquent l'article 2277, sui- vant l'état de leur fortune, suivant qu'en fait ils courent plus ou moins le risque d'être ruinés par l'accumulation des intérêts ou arrérages ?

788. Enfin la prescription de l'article 2277 peut être invo- quée par l'Etat quant aux intérêts des cautionnements des fonctionnaires ou officiers ministériels, aux traitements des membres de la Légion d'honneur ou des titulaires de la mé- daille militaire (*).

789. Mais la prescription de l'article 2277 ne s'applique pas, avons-nous dit, s'il s'agit en réalité de capitaux et non (le prestations périodiques; elle n'est pas faite évidemment pour le cas un capital est payable par fractions devant échoir annuellement. Un doute est possible cependant s'il s'agit d'annuités d'amortissement payables chaque année, pendant une longue durée, en même temps que les intérêts

0) Paris, 17 juiU. 1849, S., 49. 2. 712. - Douai, 4 janv. 1854. S., 54. 2. 542, D., 54. 2. 136. Trib. com. Seine, 6 mai 1870, D., 70. 5. 274. Aubry et Rau, 4«éd , VIU, p. 436; Marcadé, sur l'art. 2277, n. 5; Laurent, XXXIl, n. 445 ; Guillouard, n. 683.

(«) V. les avis du cons. d*Élat des 24 déc. 1808 et 8 avril 1809 et le décret du 31 mai 1862, art. 141. V. aussi cons. d'ÉUl, 28 mai 1838, S., 39. 2. 125, et 5 fév. ISil, S., 41. 2. 248. Laurent, XXXII, n. 447.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 623

(lu capital emprunté. Il nous semble qu'une pareille hypothèse ne peut se confondre avec celle du paiement fractionné d'un capital remboursable en un petit nombre d'années, et que l'article 2277 lui est applicable ; son texte est assez large pour la comprendre et le motif de la loi se retrouve ici tout entier (*).

789 bis, La prescription de cinq ans ne s'applique pas non plus si les prestations qui viennent successivement s'ajouter les unes aux autres ne sont pas exigibles, soit qu'il s'agisse d'intérêts d'un capital indéterminé, soit que les prestations périodiques constituent les éléments d'un compte à liquider, et ne puissent être réclamées qu'après le règlement de ce compte (*).

Dans l'une comme dans l'autre hypothèse, on est en dehors du texte de l'article 2277, et on n'est certainement pas dans l'un des cas que le législateur a pu prévoir. On peut ajouter que, le capital étant indéterminé, le compte n'étant pas réglé, le créancier n'a pas de droit à exercer quant aux intérêts qui peuvent lui être dus ; or la prescription ne peut commencer à courir que quand le créancier a un droit à fadre valoir. Enfin la règle de l'article 2257 d'après lequel la prescription extinctive des créances à terme ne court qu'après l'arrivée du terme doit encore nous conduire à décider que, lorsque les intérêts ne sont exigibles qu'avec le capital, la prescrip- tion ne peut en courir avant le moment de l'échéance com- mune. « D'une façon générale, a dit la Cour de cassation, la prescription quinquennale des intérêts d'une somme ne saurait être opposée par celui qui en est tenu qu'autant que le montant de cette somme est connu et que les intérêts en sont eux-mêmes dus et exigibles. » (V. suprà, n. 384 et 390).

790. L'article 2277 ne s'appliquera donc pas aux intérêts qui auraient été payés pour le compte du débiteur par un tiers qui en demanderait ensuite le remboursement ('). Il ne

(*) V. en ce sens G. civ. ail., art. 197.

(*) V. sur le principe Gas3., 19 déc. 1871, S., 72. 2.211, D., 71. 1. 300; 22 fév. 1886, S , 89. 1. 311 ; 26 mars 1902, S., 1902. 1. 328. - Rouen, 4 mai 1885, S , 87. 1. 5 et la note de Labbé, D., 86. 1. 233. Nancy, 12 aoûl 1874, S., 76. 2. 22, D , 77. 1. 352. - Guillouard, n. 674.

(^) Cass., 23 avril 1888, S., 89. 1. 25; 8 mai 1895, S., 96 1. 385; 6 déc. 1898,

624 DE LA PRESCRIPTION

s'appliquerait pas non plus à ceux payés par un codébiteur ou une caution auxquels la restitution en serait due (*). Enfin la prescription de cinq ans serait encore inapplicable au cas un tiers^ mandataire ou gérant d'affaires, aurait touché des intérêts pour le compte du créancier, spécialement au cas le mari, pour le compte de sa femme séparée de biens, aurait touché des intérêts et des fruits relativement aux biens dont sa femme lui aurait laissé Tadministration (')• Dans toutes ces hypothèses, il s'agit de rembourser des capitaux dont on doit compte; il ne s'agit pas d'intérêts.

Les mêmes motifs conduisent à décider que la prescrip- tion de cinq ans n'a pas d'application à recevoir quand les intérêts doivent, d'après la convention, se capitaliser au fur et à mesure de leur échéance et produire de nouveaux inté- rêts. La clause de capitalisation transforme chaque annuité d'intérêts en un capital : on n'est plus dans l'hypothèse de l'article 2277 f).

790 bis. En se plaçant au même point de vue, la jurispru* dence a décidé que la créance du propriétaire en rembour- sement de l'impôt des portes et fenêtres se prescrit, non par cinq ans, comme la créance des loyei^s, mais par le délai ordinaire de trente ans (*).

791 . La prescription de cinq ans ne peut être opposée non plus au cas il s'agit d'une restitution de fruits dus par un

s., 1900. 1. 463. Grenoble, 6 aoûl 1901, S., 1903. 2. 106. Ck)ns. d'ÉUl, 9 fév. 1900, S., 1902. 3. 50. Guillouard, n. 675.

0) Gass.,22 janv. 182S, S. chr.; 23 avril 18S8, S., 89. 1. 25. Limoges, 8 août 1835, S., 35. 2. 515, D. Rép,, Prescr,, n. 1060.- Cass., 7 août 18i0, S., 40. 2. 528. Rouen, 3 mars 1856, S., 57. 2. 742. Troplong, n. 1034 ; Leroux de Bretagne, n. 12&7; Âubry et Hau, loc, cil,; Laurent, XXXII, n. 461 ; Guil* louard, n. 675.

(*) Cass., 31 mai 1822, S. chr., D. Rép., v Prescr., n. 1058. Metz, 17 aoûl 1858, S., 59. 2. 49, D., 59. 1. 130. Dijon, 27 nov. 1893, S., 95. 2. 249. - Aubry et Rau. 4* éd., VIII, p. 438; Laurent, loc, cil.

{^f Bourges, 21 août 1872, D., 73. 2. 182. Bruxelles, 13 déc. 1900, Pasic, 1901.2. 186. - Laurent, XXXII, n. 460 ; Guillouard, H, n. 688 ; Hac, XIV, n. 492. Cpr. aussi Cass., 10 aoûl 1859, S., 6J. 1. 456, D., 59. 1. 441 ; 9 janv. 1S77, S., 7i. 1. 52, D., 79. 1. 210. - Nancy, 12 août 1874, S., 76. 2, 22, I)., 77. 1. 352. - V. infra n. 793.

(*) Cass., 26 bel. 1814, Caen, 14 aoûl 1863, S., 70. 2. 107. —Paris, 22 juin 1876, S., 78. 2. 259.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 625

possesseur de mauvaise foi^ ou d'une action en répétition de sommes indûment touchées et qui doivent être restituées avec les intérêts. L*article 549 oblige le possesseur de mauvaise foi à rendre les fruits avec la chose; l'article 1378 dit aussi que celui qui a reçu une somme de mauvaise foi doit resti- tuer tant le capital que les intérêts du jour du paiement. Dans ces hypothèses, il s'agit de la restitution à faire au véri- table propriétaire des fruits et intérêts perçus de mauvaise foi par celui qui n'y avait aucun droit ; nous sommes en dehors de l'article 2277 ; l'article 2262 seul est applicable («). Il en sera encore ainsi des intérêts des dividendes d*une société indûment perçus et sujets à restitution (*), et des inté- rêts des sommes sujettes à rapport d'après l'article 447 du code de commerce ('). On a très justement aussi décidé en ce sens qu'une commune qui a reçu un legs pour créer une école congréganiste et qui n'a pas fait emploi du legs doit, si la révocation en est prononcée, restituer tous les intérêts et arrérages perçus sans pouvoir exciper de la prescription de cinq ans (*).

792. On a donné la même solution pour les intérêts d'une somme soumise à un âroit d'usufruit et dont le nu-proprié- taire, resté détenteur du capital, devrait les intérêts à l'usu- fruitier. La Cour de cassation décide que, l'usufruit ne s'étei- gnant que par trente ans, l'usufruitier peut pendant trente ans se faire restituer les intérêts touchés et conservés par le propriétaire (*)• Laurent approuve cette décision et dit que l'usufruitier exerce alors un droit réel, et n'agit pas comme

('} Gass.,13cléc. 1830, S., 31.1.24, D. ilcp., V Prescr., n. 1105 ; 28 mai 1856, S., 56. 1. 587, D., 56. 1. 377 ; 17 mai 1865, S., 65. 1. 250, D., 65. 1. 273 ; 21 juin 1897, S., 98. 1. 173, D., 98. 1. 35. - Angers, 10 déc. 1853, S., 54. 2. 529.— Paris, 25 nov. 1856, S , 58.1.59, D., 58. 1. 117. MeU, 29 mars 1859, S., 59. 2. 540. Dijon, 27 nov. 1893, S., 95. 2. 249. Troplong, n. 1030 et s.; Aubry et Rau, éd , II, p. 396, VI, p. 291, VIII, p. 438 ; Laurent, XXXII, n. 462 et 465 : Leroux de Bretagne, II, n. 1248 ; Guillouard, n. 667 et 687.

(*) Douai, 24 mai 1879, S., 82. 1. 125 et la note.

(") Orléans, 27 nov. 1879, S., 82. 1. 202 et la note.

(«) Riom, 28 janv. 1895, La Loi du 26 avril 1895.

(>) Casa., 9 janv 1867, S., 67. 1.59, D., 67. 1. 101. - Laurent, XXXn> n. 467. Contra Nîmes, 24 mars 1890, S.,90. 2. 80. Guillouard, II, n. 682; Hue, XrV, n. 496.

Prescr. 40

626 DE LA PRESCRIPTION

un créancier à Tégard de son débiteur. L'article 2277 est, d'après lui, hors de cause ; « les intérêts appartiennent à Tusufruitier comme accessoires du capital et ils ne se pres- crivent qu'avec le capital par le non-usage, en vertu de l'ar- ticle 617. »

Cette solution est bien contestable. Il ne s'agit pas d'un droit réel, mais dune action personnelle en remboursement d'intérêts d'un capital; l'article 617 vise l'extinction du droit d'usufruit et non l'extinction du droit de réclamer des arré- rages échus. Les motifs de l'article 2277 ne se rencontrent- ils pas ici ? La négligence de l'usufruitier ne pourra-t-elle pas causer au nu-propriétaire un grave préjudice ? Il est plus exact, à notre avis, de ranger les revenus d'une créance* grevée d'usufruit parmi les prestations visées par l'arti- cle 2277.

793. L'article 2277 ne s'appliquera pas non plus, nous Tavons dit, quand il s'agira d'intérêts dont le paiement ne peut être exigé séparément du capital ou qui rentrent dans un compte à liquider (*).

D'une façon générale, les intérêts d'une créance dont la quotité n'est pas déterminée et ne peut pas l'être encore, ne sont pas atteints par la prescription ; il en est de même des intérêts de sommes figurant dans un compte non liquidé et dont la liquidation ne peut encore être faite (*).

Ainsi la prescription de cinq ans ne commence à courir pour les intérêts des sommes dues par compte courant qu'à dater du règlement définitif do ce compte ('). Il en est de même des intérêts des sommes comprises dans un compte de tutelle non encore apuré ; la prescription ne peut en courir

(») Rouen, 4 mai 1883, S., 87. 1. 5.— Amiens, 18 mai 1895, D., 98. 1. 321, el la noie de M. Boistel.

(>) Cass., 9 janv. 1867, S., 67. 1. 59; 19 déc. 1871, S., 72. 1. 211, D., 71.1. 300; 22fév. 1889, S., 89. 1.311; 6 déc. 1898, D., 99.1.606. - Lam-enl, X.KXII, n. 469. Cpr. Casd., 23 nov. 1897, D., 98. 1.321.

(>) Gass., 12 déc. 1838, S., 39. 1. 528, D. Rép., v Prescr,, n. 1096; 5 juin 1872, S., 72. 1. 260, D , 73. 1. 77; 11 mars 1896, S., 1900, 1. 515, n.,97.1. 405; 20 mail900. S., 1901. 1. 477. - Rennes, 24 mai 1898, D., 99.2.31.— Aubry el Ran; 4- éd., VIII, p. 414 el 437 ; Laurent, XXXII, n.472; Guillouai-d, n. 670.- V. cep. Ballol, Revue pratique, 1, p. 112.

DKS COURTES i>r::scriptions 027

avant le règlement de compte (*). Il en est encore ainsi de sommes comprises dans le compte à régler entre un manda- taire et son mandant, ou entre un gérant d'affaires et celui dont Taffaire a et 3 gérée ; la règle est la même, soit qu'il s'agisse des sommes touchées par le mandataire, par lui em- ployées à ses besoins personnels, et dont il doit les intérêts (*), soit qu'il s'agisse des sommes que le mandataire a avancées pour le mandant et dont les intérêts lui sont dus (') ; la pres- cription de cinq ans ne court dans les deux cas qu'après le règlement de compte.

794. Il se peut d'ailleurs que le mandat ou la gestion d'af- faires ait eu pour objet une opération isolée, ne faisant pas partie d'un compte à liquider, ou devant être réglée séparé- ment d'un autre compte existant entre le mandant et le man- dataire ; il est possible aussi qu'il y ait eu, non pas une série d'opérations formant un seul compte, mais plusieurs opéra- tions successives devant être liquidées séparément. Il n'y aurait pas alors à attendre de règlement ; la somme avan- cée par le mandataire ou le gérant d'affaires serait immédia- tement exigible ; les intérêts de cette somme seraient atteints par la prescription de cinq ans comme tous les autres inté- rêts que la loi fait courir de plein droit (*). Mais il ne faut pas aller jusqu'à dire que dans tous les cas les avances faites par le mandataire ont été constatées, les intérêts qui sont dus en vertu de l'article 2001 sont atteints par la pres- cription. Les avances font partie du compte général et ne

(')Gass., 30 avril 1835,S., 35.1.555, D.Rép,, loccit. -Bordeaux, 10 août 1849, S., 50. 2. 219. Douai, 22 avril 1857, S., 57. 2. 746. - Grenoble, 6 août 1901, S., 1903. 2. 106, D., 1902. 2 469. Troplong, n. 1027; Marcadé, sur l'art. 2277, n. 5 ; Aubry et Rau, éd., VIll, p. 437 ; Laurent, XXXll, n. 471 ; Guil-

iouard, n. 671.

(*) Cass., 22 mai 1822, S. chr., D. Rép., V Prescr,, n. 1358 ; 7 mai 1845, S., 45. 1. 6i4, D., 45. 1. 305; 7 mars 1887, S., 90. 1. 295, D., 87.1.403.- Anbry et Uau, loc, cit. ; Laurent, XXXH, n. 455 ; Hue, XIV, n. 495. V. Guillouard, n. 670; Leroux de Bretagne, n. 1252; Marcadé, sur l'art. 2277, n. 5.

(») Cass., 18 févr. 1836, S., 36. 1. 940 ; 7 nov. 1864, S., 65. 1. 74. D., 65. 1. 165. Rouen, 4 mars 1843, S., 43. 2 494, 0. Iiép.,loc. cit., n. 1096; 12 mars 1878, S., 81. 1. 71. Aubry et Uau, loc. cit ; Marcadé, loc. cit.; Leroux de

Bretagne, n. 1252. (») .Vmiens, 14 juin 1871, S., 71. 2.217. - Rennes, 12 févr. 1880, S., 81. 2.53.

028 DE LA PRESCRIPTION

peuvent être exigées séparément ; les intérêts n'en peuvent être non plus réclamés séparément (*). L'article 2277 ne peut s'appliquer que si l'avance, constituant un fait isolé, et étant à elle seule Taccomplissement entier d'un mandat déterminé, peut être immédiatement réclamée. Ce qui est vrai, c'est que dans tous les cas le créancier aurait pu agir en rem- boursement, la prescription de cinq ans peut lui être oppo- sée à partir du moment il aurait actionner le débi- teur ; on retombe dans l'hypothèse de l'article 2277, celle de prestations s'accumulant périodiquement avec danger de ruine pour le débiteur et négligence du créancier que rien n'empêchait d'exercer ses droits.

795. Au surplus, il faut bien admettre que le créancier ne pourrait rester indéfiniment sans provoquer le règlement du compte et laisser courir les intérêts sans danger de pres- cription. Il arrive un moment le compte est terminé ; le créancier peut alors agir et faire déterminer la quotité de sa créance. Il nous parait juridique de décider qu'à partir du moment le compte est terminé, le règlement pourrait, être fait et le reliquat CTcigé, les intérêts des sommes figurant dans le compte peuvent être atteints par la prescription (•). Sans cela un compte courant terminé, ou un compte entre un mandataire et son mandant, pourraient rester vingt et trente ans avec une accumulation d'intérêts qui serait rui- neuse. On rentre alors, a partir du moment le créancier a agir, dans l'hypothèse de Tarticle 2277 : les presta- tions sont exigibles, la prescription pourra les atteindre.

(') V. cep. Laurent, XXXII, n. 453 ; Guillouard, n. 672 ; Saleilles, noie sous Dijon, 27 nov. 1893, JarUtp, de l& Cour de Dijon, 1894, p. 26. V. aussi la noie dans S., 71. 2. 217.

(«) V. en ce sens Cass., 30 avril 1856, S., 56. 1. 897, D., 56. i. 395 ; 5 juin 1872, S , 72. 1. 260, D., 73. 1. 77. Il a cependant été jugé que d'une façon générale la prescription de cinq ans ne peut courir que lorsque le montant de la somme due est déterminé, et que le débiteur, lorsqu'il peut à son gré obtenir la liquidation de ce qu'il doit, ne saurait faire grief au créancier du retard qu'il a mis à faire liquider sa créance. Cass., 6 déc. 1898, S., 1900. 1. 463. V. aussi U note dans S. ,56. 1. 897. On oublie dans cette opinion que la prescription de Tar- licle 2277 est tout spécialement établie dans l'intérêt des débiteurs que l'accumu- lalion des intérêts et arrérages pourrait ruiner et comme peine contre Pinaction el la négligence du créancier. V. supra, n. 768.

DES COURTES PRESCRIPTIONS C29

Cette idée trouve facilement son application au compte courant. Il n'est pas nécessaire qu'il soit réglé par une con- vention séparée. Il est arrêté et réglé quand en fait il n'est plus alimenté. Dès ce moment le solde du compte constitue une créance dont les intérêts se prescrivent par cinq ans.

796. La jurisprudence parait d'ailleurs être allée quelque- fois trop loin dans cette application restrictive de l'arti- cle 2277. Elle a parfois admis comme principe général que Tarticle 2277 n'est pas applicable s'il ne s'agit pas de som- mes fixes^ si les prestations, quoique périodiques, sont sus- ceptibles de varier dans leur quotité (*). La Cour de cassa- tion a appliqué cette règle aux cotisations des sociétés d'assurances mutuelles ; ces cotisations étant essentiellement variables, subordonnées au nombre des associés et aux sinis- tres survenus chaque année, sont, dit-elle, éventuelles et indéterminées ; elles ne peuvent être atteintes par la pres- cription, alors même qu'en fait le taux de la cotisation se trouverait être uniforme (*) . Elle a, pour les mêmes raisons, -écarté la prescription de cinq ans en matière de redevances tréfoncières, quand ces redevances ne sont pas fixes, mais sont proportionnelles aux produits de l'exploitation de la mine et sont par suite « incertaines quant à l'époque de leur exigibilité, leur quotité et même leur existence ('). » Dans ces différentes hypothèses, il n'y a pas, disent les arrêts, le caractère de fixité et de périodicité voulu pour que l'arti- cle 2277 puisse s'appliquer (*) .

C'est une jurisprudence bien contestable à notre avis. Eu fait, il est bien certain que chaque année il est par les membres d'une société d'assurances mutuelles une cotisation; bien que variable, cette cotisation est une prestation qui est périodiquement exigible ; l'accumulation des cotisations peut, après plusieurs années, devenir ruineuse pour le débiteur,

(*) Rennes, 12 fév. 1880, S , 81. 2. 53.— Toulouse, 6 mars 1884, S., 87.2.187.

(«) Cass., 8 fév. 1843, S., 43. 1. 264, D. Jîcp., v Prescr , n. 1097 ; 17mars 1856, S.,56. 1.514, D., 56 1.99; 1" fév. 1882,S.,82. l. 194— Laurent, XXXII, n. 470.

(*; Gass., Il juin 1877, S., 78. 1. 20, D., 77. 1. 427 ; 27 cet. 1885, S., 87. 1. 252, D., 86. 1. 134.

(*) Y. Cass., 8 mars 1835, S., 96. 1. 385,

,630 DE LA PRESCRIPTION

Nous avons dit que les intérêts d'une créance dont la quo- tité ne peut être déterminée échappent à l'article 2277 ; mais il n'en est pas de même des prestations ou redevances pério- diques dont le chiffre ne peut, il est vrai, être déterminé à l'avance, mais peut l'être chaque année. L'article 2277 n'exige pas qu'à l'avance on puisse exactement déterminer le chiffre des prestations à exiger. Le fait que la quotité en est variable n'enlève rien à l'intérêt que présente la prescripti9n. Cette quotité est chaque année déterminée et le créancier peut alors agir. Nous avons vu d'ailleurs plus haut que la juris- prudence applique l'article 2277 aux dividendes des actions 1) ien qu'ils aient aussi un caractère variable et éventuel et que la quotité n'en puisse être connue à l'avance.

796 bis. C'est aussi en considérant qu'il s'agit non de prestations périodiques, telles que celles visées par l'arti- cle 2277, mais de créances distinctes, de capitaux séparés, que la cour de cassation déclare la prescription de cinq ans inapplicable à l'impôt sur le revenu des valeurs mobiliè- res (*), et d'hne façon générale aux impôts dont la prescrip- tion n'a pas été réglementée par des dispositions spéciales.

797. Les liquidations de successions, de sociétés et de com- munautés donnent lieu à des règlements de compte pour les- quels les mêmes principes doivent être appliqués. Les intérêts des sommes sujettes au rapport et, d une façon générale, €eux des sommes rentrant dans les comptes à faire entre les copartageants, ne sont pas soumis à la prescription tant que le partage n'est pas terminé et que les comptes ne sont pas arrêtés. Pour toutes les réclamations de fruits et d'intérêts qui sont subordonnées à la liquidation, qui font partie du compte général à régler, l'article 2277 ne s'applique pas. On peut ajouter avec Laurent qu'il s'agit de fruits qui accroissent la masse héréditaire et ne sont pas dus à titre do revenus pério- diques par un débiteur à son créancier ; ce sont des biens faisant partie de l'hérédité, composant la masse parta- geable (2).

(•) V. infra, n. 962.

(«) Gass., 26 juin 1839, S., 39. l. 555.- Colmar, !•' mars 1836, S., 36. 2. 573, D. Rép.^v^ Prescr., n. 1096.- Paris,24 nov. 1838, S., 38. 2. 480, D. Bep., Uc,

DES COURTES PRESCRIPTIONS 031

798. Dans Thypothèse pendant un certain temps un des cohéritiers a joui seul d'un bien dépendant de l'hérédité, est- il soumis quant à la restitution des fruits à la prescription de cinq ans ? Des distinctions nous paraissent nécessaires. S'il s'agit d'un cohéritier qui s'est emparé d'un bien sur lequel il n'avait qu'un droit indivis, il ne peut, pas plus qu'un posses- seur de mauvaise foi, opposer la prescription de cinq ans : o:i est dans le cas de fruits perçus par un possesseur qui n'y avait aucun droit et qui doit les rendre au légitime proprié- taire {*).Mais s'il s'agit au contraire d'une jouissance que l'un des cohéritiers a conservée du consentement de tous les autres, si un des héritiers a détenu pendant un temps plus ou moins long les biens indivis, les a administrés, en a joui pour le compte de ses cohéritiers en même temps que pour lui-même, la solution peut être toute différente ; il faut recher- cher si l'intention des parties était que le cohéritier investi seul de l'administration et de la jouissance d'un bien indivis tint compte périodiquement à ses cohéritiers de leur part dans cette jouissance, ou si au contraire c'était une situa- tion provisoire devant donner lieu ultérieurement à la liqui- dation générale d'un compte (^). Dans le premier cas, l'arti- cle 2277 trouvera son application. Dans le second, il s'agit d'un mandataire ou d'un gérant d'affaires devant rendre compte des sommes qu'il a reçues : ces sommes ont été de véri- tables capitaux qu'il doit rendre et qui font partie de la masse partageable ; les fruits et intérêts perçus par lui ne sont pas des prestations périodiques dans ses rapports avec ses cohéritiers ; ce sont les éléments d'un compte à rendre ; le paiement peut être demandé pendant trente ans (V. supra, n. 789 s., 793 s.).

ct7.— Bordeaux, 15 mars 1843, S., 43. 2.294, D. Rép.,^ Prescr,, n. 335; 21 mars 1856, S., 57.2. 173.— Dijon, 27 nov. 1893, S.,95.2. 249 et la noie de M. Albert Tissier, D., 96.2.218.— Troplong, n. 1032; Marcadé, loc, cil, ; Aubry et Rau, toc. ci'e.; Laurent. XXXII, n. 466; Hue, XIV, n. 496.— V. la noie dans Sirey, 87. 1. 195.

(») Gass., 13 déc. 1830, S., 31. 1. 24.

(*) V. Amiens, 26 juin 1826, S. chr., D. Rép,, v" Prescr., n. 1068. - Baslia, 5 nov. 1844, S., 46. 2. 6. - Dijon, 27 nov. 1893, précité.

632 DE LA PRESCRIPTION

C. Du calcul du délaiy de Vinterruption et de la suspension

de la prescription de r article 2277.

799. Les prestations auxquelles s'applique la prescription de l'article 2277 échoient civilement jour par jour; par con- séquent, toutes les prestations civilement échues depuis plus de cinq années sont atteintes par la prescription si le créancier n'a accompli aucun acte interruptif (M- En d'autres termes, la prescription, se modelant sur les prestations aux- quelles elle s'applique, remplit son office jour par jour. Il en résulte que le créancier qui forme une demande judiciaire ne peut exiger que les prestations correspondant aux cinq dernières années; le débiteur peut opposer la prescription pour toutes les prestations civilement échues à une époque antérieure. On remonte dans le passé jusqu'à cinq ans à par- tir de la date de l'assignation, sans s'occuper de la date de la dernière échéance (*). Il en est ainsi alors même que les intérêts ou arrérages ont cessé d'être dus; ainsi la mort du titulaire d'une rente n'empêche pas qu'on puisse opposer la prescription de l'article 2277 à la demande en paiement des arrérages échus avant le décès f*).

800. La prescription prévue dans l'article 2277 est sou- mise aux causes ordinaires d'interruption, et, après Imter- ruption, c'est une nouvelle prescription de cinq années qui commence à courir ; il n'en est pas de notre hypothèse comme de celles comprises dans les articles 2271 à 2273 ; l'article 2274 n'a pas à s'appliquer ici. Il faut revenir ici à la règle ordinaire sur les effets de l'interruption de la pres- cription (*). Au cas d.e reconnaissance cependant, il peut y

(») Gass., 5 février 1863, S., 68. 1. 173, D., 68. 1. 58. - Bordeaux, 21 fév. 1838, S., 38. 2. 255, D. Rép., Prescr., n. 1075. Aubry et Rau, 4* éd., VIII, p. 438.

(») Gass., 4 mars 1878, S., 78. 1. 469, D., 78. 1. 168. Leroux de Bretagne, n. 519 ; Guillouard, n. 689.

(») Gass., 5 fév. 1868, précité. Bordeaux, 21 mars 1846, D., 49. 2. 108. Troplong, n. 1003 ; Marcadé, sur l'art. 2277, n. 4 ; Aubry et Rau, éd., VIII, p. 439 ; Laurent, XXXII, if. 475. - ConlrA, Paris, X2 juillet J826, D. Rép., Prescr,,n, 1057,

(*) Nancy, 18 déc. 1837, S. , ?8. 2. 222, D. Rép,, V Prescr., n. 677.- Riom,

DES COURTES PRESCRIPTIONS C33

avoir lieu de rechercher sll n*y a pas eu novation dans la dette; en principe, la reconnaissance de dette interrompt la prescription, mais ne fait pas courir la prescription de trente ans ; il faut que le contraire apparaisse nettement de la con- vention (*). (V. supra, n. 552 s.).

801. L'interruption résultant d une citation en justice dure tant que dure Tinstance ; la prescription ne recommence à courir qu'après le jugement ('). La condamnation doit donc porter sur cinq années avant la demande et sur les intérêts courus pendant rinstance (^) (V. supra, n. 542).

802. L'article 2277 ne saurait, par suite de l'interruption de la prescription, s'appliquer ffux intérêts dus par Tacqué- reur d'un immeuble dont le prix est en distribution, ni aux intérêts dus aux créanciers inscrits jusqu'à la clôture défini- tive de l'ordre. Il ne suffit pas, à notre avis, pour écarter l'ar- ticle 2277, de dire qu'il s'agit d'intérêts qui ne sont pas payables périodiquement ; nous avons montré. l'insuffisance de cet argument en traitant des intérêts moratoires. Il n'est pas exact non-^lus de baser notre solution sur ce que la prescription de l'article 2277 ne court pas chaque fois que le créancier n'a pas été négligent, ni de poser en règle géné- rale que, le créancier trouvant un obstacle légal à son action, l'article 2277 ne lui est plus applicable. Ces prétendues règles ne nous paraissent pas plus exactes dans les cas de l'arti- cle 2277 que dans celui de la prescription ordinaire. Il est plus sûr et il est suffisant d'appliquer ici les règles du droit commun de l'interruption de la prescription (^). La pres-

18 juin 1852, S , 52. 2. 528, D , 52. 2. 285. - Grenoble. 6 mai I85i, D., 56. 2. 124. Toulouse, 18 déc. 1874, S., 75. 2. 109. Guillouard, n. 691. V. cep. Toulouse, 20 mars 1835, S., 35. 2. 418. Paris, 10 juiU. 1852, S., 52. 2. 529. « Dunod, p. 171.

(*) Cass., 4 mars 1878, S., 78. 1. 469, D., 78. 1. 168. Rouen, 5 mars 1842, S., 42. 2. 318, D. Rép,, Prescr., n. 62i ; 11 août 1893, S., 91. 2. 50.

(«) Cass , 12 juin. 1836, S-, 37. 1. 224, D. Rép., Prescr., n. 1082; 17 mars 1880, S., 82. 1. 405. Laurent, XXXII, n. 476.

(*) Cass., 29 août 1860, S., 61. 1. 145, D., 60. 1. 428. - Golmar, 29 avril 1863, D., 65. 2. 5. - Paris, 24 déc. 1880, D., 81. 2. 203. - Riom, 30 avril 1889, D., 90.2. 166. - Laurent, XXXII, n. 477.

(*) V.cep. Cass., 27 avril 1864, S., 64. 1. 399,D., 64. 1. 433. Aubry elRau, 4- éd., VIII, p. 439 ; Marcadé, loc. cit. ; Leroux de Bretagne, n. 1241 et 1253;

634 DE LA PRESCRIPTION

cription est interrompue et les effets de l'interruption se pro- longent pendant la procédure d'ordre ou de contribution (V. supra, n. 548).

803. En principe, notre prescription de cinq ans de Tar- ticle 2277 est soumise aux causes ordinaires de suspension. Il a été jugé qu'elle court contre les absents (*), mais qu'elle ne court pas entre époux (*). Si on admet que l'obstacle légal à l'action soit une cause de suspension de la prescription, il faut appliquer ici la règle générale ; il est d*ailleurs vrai de dire qu'en pareil cas le créancier n'a aucune négligence à se reprocher. La. jurisprudence est en ce sens (').Mais nous ne croyons pas que ce principe puisse être admis en thèse générale en dehors des cas prévus par la loi comme suspen- dant la prescription. (V. supra, n. 376 s.).

804. On est allé plus loin. On soutient que la prescription de cinq ans, étant une peine de la négligence du créancier, ne peut s'appliquer si en fait le créancier n'a pas été négli- gent. Laurent, que nous avons vu combattre la règle Contra non valentem, enseigne, sur l'article 2277, que la prescrip- tion ne peut pas courir contre celui qui a été dans l'impos- sibilité d'agir, et que « cette maxime banale que l'on appli- que si souvent à faux, peut être invoquée par le créancier quand il s'agit d une prescription qui n'a d'autre fondement que sa négligence. » La Cour de cassation a décidé à ce point de vue que la demande en nullité de son obligation formée par le débiteur met le créancier dans l'impossibilité d'agir et que 1 article 2277 n'est pas par suite applicable (*).

Cette solution nous paraît en principe aussi difficile à admettre que la règle Contra non valentem que nous avons

Laurent, XXXII. n. 458, 474, 477 s. ; Guillouard, n. 692. Gpr. la noie dans S., 93. 4. 25.

(')Gass., l'J juiU. 186J, S , 69. l. 407. Guillouard, n. 658.

(») Gass., m mars 1932, S,, 1902. 1. 328. Rouen, 15 avril 1869, S., TO.2.1 W.

Bordeaux, 3 fév. 187.^, S., 73. 2. 107. Caen, 22 janv. 1874, S., 75.2. 8).

Guillouard, II, n. 69i ; IIuc, XIV, n. 501. V. supra, n. 4i5 et 446.

(») V. en ce sens Gass., 9 juil. 1834, S., 34. 1. 504 ; 19 juil. 1869, précité. Grenoble, 20 janv. 1832, S., 32. 2. 617, D. Rép., V Prescr,, n. 1089 ; 30 août 1833, S., 34. 2. 529,D. Rép., loc.ciL Troplong, n. 1010; Aubry et Rau,4-éd., VIII, p. 439. Gpr. Ghenal, Revue pratique, X, p, 194.

(«j Gass , 5 juillet 1858, 1)., 58. 1. 413. - Laurent, XXXII, n. 474.

'

DES COURTES PRESCRIPTIONS 035

repoussée plus haut. La question est la môme : on retombe dans les mêmes inconvénients d'arbitraire si on laisse les juges b'bres d'apprécier le degré de négligence du créancier. Dans Tcspèce que nous venons de rappeler et sur laquelle s'est prononcée la Cour de cassation^ le créancier ne pouvait-il pas d'ailleurs interrompre la prescription ? Ne Tavait-il pas interrompue en concluant au rejet de la demande en nul- lité ? (V. supra, n. 509).

805. Les personnes morales auxquelles sont faits des dons et des legs peuvent se voir opposer la prescription de cinq ans pour les intérêts des sommes données ou léguées, alors même que ces intérêts ont couru avant que fût intervenue l'autorisation d'accepter la libéralité (*). L'autorisation pro- visoire a été instituée pour la plupart d'entre elles précisé- ment dans le but d'éviter les inconvénients et les injustices que pourrait entraîner l'application de la prescription.

L'article 2278 nous dit d'ailleurs que notre prescription de cinq ans n'est pas suspendue pour les mineurs et interdits. (V. infra n. 813 s.).

§ III. De la prescription de cinq ans en dehors

du code civil.

806. Le code de commerce contient plusieurs prescriptions de cinq ans en matière de sociétés (art. 04), de billets à ordre et lettres de change (art. 189), de contrats à la grosse et d'assurances maritimes (art. 432).

807. Plusieurs lois spéciales qu'il suffit de rappeler appli- quent aussi cette prescription.

Aux termes de l'article !•' de la loi du 24 décembre 1897 relative au recouvrement dus aux notaires, avoués et huis- siers. « Le droit des notaires au payement des sommes à eux dues pour les actes de leur ministère se prescrit par cinq ans à partir de la date des actes. Pour les actes dont Tefifet est subordonné au décès, tels que les testaments et les donations entre époux pendant le mariage, les cinq ans ne

(') V. cep. Laurent, XXXII, n. 539.

630 DE LA PRESCRIPTION

courront que du jour du décès de Fauteur de la disposition,

Il n*est pas innové, en ce qui concerne les huissiers et les avoués, aux dispositions édictées par les articles 2272 et 2273 du code civil. La prescription a lieu quoiqu'il y ait eu continuation d'actes de leur ministère de la part des notaires, avoués et huissiers. Elle ne cesse de courir que lorsqu'il y a eu compte arrêté, reconnaissance, ohligation ou signification de taxe, en conformité de l'article 4 ci-après.

Les articles 2275 et 2278 du code civil sont applicables à ces prescrigtions. »

L'article 4, alinéa 7, de la même loi porte que « la signi- fication de l'ordonnance de taxe, faite conformément aux prescriptions de la présente loi, à la requête des notaires, avoués et huissiers, interrompt la prescription et fait courir les intérêts. »

Enfin, aux termes de l'article 5 « les mêmes règles s'appli- quent aux frais, non liquidés par le jugement ou l'arrêt, réclamés par les avoués, distractionnaires des dépens, con- tre la partie adverse condamnée à les payer », etc. (*).

807 bis. Nous nous bornons à observer, sur la portée des textes qui viennent d'être reproduits ;

1' Que la prescription fixée par l'article 1*' ne s'applique pas à la condamnation aux dépens prononcées par un juge- ment au profit de l'avoué qui en obtient distraction contre la partie adverse (*).

2" Qu'elle ne s'applique plus aux dépens taxés après que l'ordonnance qui les taxe a été signifiée (').

3" Qu'elle ne vise que les frais et non les honoraires, modi- fiant à cet égard, en ce qui concerne les notaires, la loi pré- cédente du 3 août 1881 (*).

808. L'article 12 de la loi du 18 juillet 1881) porte : « Toute action résultant du bail à colonat partiaire se pres-

(») Voy. D. Bpp., Supp,, Xotaire, n. 216 s. V. aussi Cass., 9 mars 1898, D., 98. 1. 349. Celte prescription, reposant sur une présomption de paiemcnl, ne peut plus i^lre invoquée lorsqu'il y a eu reconnaissance de la dette. V, Guil- louard, n. 652.

(«) Lcgrrand, Comment, de U loi du U déc. i89l, n. 9 et 38.

(*) Legrand, loc. cil.^ V. supra^ n 542 s., 756.

(*) Legrand. op, ciLy n. 12.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 637

crît par cinq ans à partir de la sortie du colon». Cette pres- cription, à la différence de celle l'article 2277 du code civil, ne s'applique pas à chaque année du bail considérée isolément, mais seulement au reliquat du compte définitif auquel donne lieu la sortie du colon (*).

809. Une prescription de cinq ans est édictée pour les agents de change par les articles 15 et 16 de Tarrété du 27 prairial an X, en ce qui concerne les transferts de rentes sur l'Etat ; les agents de change sont responsables pendant ce délai de la validité des transferts quant à Tidentité du propriétaire, la vérité de sasignature^es pièces produites (*).

810. Enfin, en matière fiscale, nous trouvons encore que la prescription de cinq ans joue un rôle important.

La loi du 26 juillet 1893 portant fixation clu budgetgénéral de l'exercice 1894 fixe, dans son article 21, à cinq ans Faction du Trésor en recouvrement de la taxe établie sur le revenu des valeurs mobilières. Ce délai a pour point de départ l'exi- gibilité des droits et amendes, sauf certains cas spéciaux (sociétés non publiées légalement, ou non soumises aux investigations des agents de l'enregistrement). L'action des redevables contre le Trésor en restitution des taxes indû- ment perçues se prescrit aussi par cinq ans.

811. D'après l'article 9 de la loi de finances du 29 janvier 1831, sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'État, les créances non acquittées avant la clôture des cré- ilits de l'exercice auxquels elles appartiennent et qui n'ont pu être liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de cinq ans à partir de l'ouverture de cet exercice (*).

Cette prescription de cinq ans ne peut être invoquée par les départements, communes et établissements publics ; mais, en ce qui concerne l'Etat, elle est très générale: elle s'applique à toutes réclamations quelconques, paiement de fournitures, remboursement de taxes irrégulièrement établies, restitution

(t) V. sur la portée de cette prescription, Trib. Saint-Sever, 13 déc. i90E CPand. fr. 1904. 2. 266).

(•) V. pour les détails le Rép, gén, alph, de dr, fr, de Fuzier-Herman» Agent de change, n. 570 s.

(>) V. aussi le décret du 3i mai 1862. art. 136 s.

638 I)K LA PRESCRIPTION

(le sommes indûment perçues, etc. C'est la prescription de droit commun pour l'Etat débiteur; il y a d'autres prescrip- tions particulières plus courtes, qui d'ailleurs n'excluent pas, pour les hypothèses qu'elles visent, et comme ressource sub- sidiaire, la prescription de cinq ans (').

La jurisprudence paraît admettre quelques rares excep- tions à la règle de la prescription quinquennale au profit de rÉtat : elles se réfèrent à des cas il s'agit de dettes ne devant pas être payées sur un exercice déterminé. On a jugé que cette prescription n'atteint pas les cautionnements dont l'Etat est dépositaire, les successions en déshérence dont l'État s'est mis en possession et qui peuvent être réclamées par des héritiers plus proches {^).

La prescription de cinq ans établie par la loi de 1831 est soumise à des règles exceptionnelles quant à son point de départ, ses causes d'interruption et de suspension. Elle a son point de départ au jour de l'ouverture de l'exercice auquel elle se rattache ; elle n'est pas applicable aux créances dont l'ordonnancement et le paiement auraient été retardés par le fait de l'administration ou par suite d'un pourvoi en con- seil d'État {^), La jurisprudence du conseil d'État semble même admettre qu'elle est interrompue par toute instance suivie devant une juridiction quelconque. Mais elle décide aussi que cette prescription, étant d'ordre public, peut être opposée par TÉtat même après une décision reconnaissant la créance et ayant acquis l'autorité de la chose jugée (*).

812. Plusieurs lois spéciales établissent la prescription de cinq ans au profit de l'État dans des cas particuliers. Nous avons déjà cité, en étudiant l'article 2277^ les textes qui déclarent prescrits par cinq ans les arrérages de rentes et les intérêts des cautionnements. La même prescription s'appli- que aux arrérages des pensions servies par la Caisse natio-

(') V. Guillouard, n. 697.

\*) G. d'Ét., 26 juillet 18li, S., 44. 2. 602; 4 mars 1854, S., 54.2.6)0. Aubry elRau, éd., VIIÎ, p. 440; Guillouanl, n. 698. V. cep. pour les dettes de 5uccessions en déshérence le Dicl. dés fin, tX" Prescr., qui cite une décision du conseil d'État du 12 avril 1843.

i*> V. en ce sens Guillouard, n. 699 et les décisions qu'il cite.

(*) V. G. d'Ét., 27déc. 188.9, S. 92. 3. 35. - Guillouard, n. 701.

DES COURTES PRESCRIPTIONS 639

nale des retraites sur la vieillesse (*). Se prescrivent aussi par cinq ans les demandes de pensions (*).

SECTION IV

RÈGLES COMMUNES A TOUTES LES PRESCRIPTIONS COMPRISES DANS LES

ARTICLES 2271 A 2280.

813. Toutes les prescriptions exposées dans les arti- cles 2271 et suivants du code civil sont soumises aux causes ordinaires de suspension. Il y aurait lieu notamment de leur «appliquer la règle de la suspension de la prescription entre époux (*). Mais il y a une règle différente pour la suspension basée sur la minorité ou l'interdiction. Aux termes de l'ar- ticle 2278: « Les prescriptions dont il s'agit dans les articles « de la présente section courent cojitre les mineurs et les m interdits; sauf leur recours contre leurs tuteurs (^).

Cette disposition se justifie assez facilement, entant qu'elle s'applique aux prescriptions des articles 2271 et 2272. Comme l'a fort bien dit Bigot-Préameneu, dans l'exposé des motifs de la loi, si un mineur exerce une des professions en vue des- quelles ces prescriptions ont été édictées, il est juste qu'il demeure assujetti aux règles générales qui la régissent ; puis- qu'on le reconnaît capable d'exercer une profession déter- minée, il faut lui reconnaître par cela même la capacité requise pour toucher les créances que l'exercice de cette pro- fession fait naître à son profit et pour en réclamer le paie- ment ; s'il néglige de l'exiger, la prescription pourra lui être opposée à l'expiration du délai fixé parla loi. Il ne pour- rait pas exercer sa profession, a dit Bigot-Préameneu, s'il

(«) L. 20 juillet 1886, art. 33.

(«) L. 20 juin 1853, arl. 22. V. encore la loi du 7 mars 1905.sur la pres- cription au profit du Trésor du droit de réclamer le prix d'objets abandonnés chez les ouvriers ou industriels.

(») V. Golmet de Santerre, VIIÏ, n.386 bis, En ce qui concerne l'art. 2277/ voy. supraj n. 803.

(•) Cpr. G. civ. ital , art. 2145; C. civ. esp., art. 1932; C. civ, holl., art. 2013; G. féd. oblig., art. 153. -p- Sur les difficultés soulevées à cet égard dans notre ancienne jurisprudence, v. Dunod, p. 343 s.

G40 DE LA PRKSCRIPTION

n'obtenait le paiement de ce qui lui est à mesure qu'il le gagne : « Lorsqu'il a l'industrie pour gagner, il n'est pas moins qu'un majeur présumé avoir Tintelligence et l'activité pour se faire payer (*). »

Quant à la prescription de l'article 2277, il est très rai- sonnable d'admettre qu'elle échappe à la règle générale de la suspension au profit des mineurs, parce qu'elle est fondée sur des considérations d'ordre public au premier chef ('). Il est vrai qu'au fond de toute prescription on trouve toujours Tordre public, c'est-à-dire l'intérêt générsd ; à ce point de vue, on peut critiquer, comme nous l'avons déjà dit, le prin- cipe même de la suspension établie au profit des mineurs et des interdits. En bonne logique, il aurait fallu laisser ces incapables soumis au droit commun en ce qui concerne la prescription, sauf leur recours contre leur tuteur. L'intérêt des mineurs et des interdits est un intérêt privé, et tout inté- rêt privé doit s'effacer devant l'intérêt général. Pour le cas de l'article 2277, Bigot-Pr jameneu a ajouté cette raison spé- ciale que les mineurs « ont une garantie suffisante dans la responsabilité des tuteurs dont la fonction spéciale est de recevoir les revenus, et qui seraient tenus de payer person- nellement les arrérages quils auraient laissé prescrire. » Ne pourrait-on pas en dire autant de toutes les prescriptions ?

814. Si on admet que l'article 2279 alinéa 2, que nous étu- dierons plus loin, édicté une prescription, il faut dire qu'elle court contre les mineurs et les interdits ; car l'exception, établie par l'article 2278 à la règle générale de la suspen- sion au profit des mineurs et des interdits, comprend toutes les prescriptions dont il s* agit dans les articles de la présente section. Cette dernière exception se justifie d'ailleurs encore facilement par l'intérêt du commerce, qui exige que l'action en revendication d'une chose perdue ou volée soit limitée à un temps très court.

815. La règle de l'article 2278 n'est pas une règle isolée; on la retrouve dans plusieurs textes, par exemple dans l'ar-

(*) V. aussi Polhier, Oblig., n. 717. Cpr. Planiol, II, b. 583. (») V. Polhier, Constit, de rente, n. 139 et 140.

ExN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAIT TITRE 641

ticle 1676 du code civil pour Faction eu rescision basée sur la lésion (*)-Oji admet d*ailleurs qu'il peut y avoir des déro- gations tacites à Farlicle 2252. C'est ainsi notamment qu'on décide que les prescriptions spéciales du code de commerce ne sont pas, en général, suspendues au profit du mineur. (V. supra y n. 425), Il ne faudrait pas, à notre avis, poser en prin- cipe que toutes les courtes prescriptions échappent à l'arti- cle 2252, ni affirmer en thèse absolue que celles-là seules y sont soustraites que le législateur a expressément indiquées. La difficulté doit être appréciée dans chaque cas, d après les considérations de justice ou d utilité qui ont fait établir la courte prescription pour laquelle se pose la question de suspension à raison de la minorité du créancier.

CHAPITRE XX

DE LA REVENDICATION DES MEUBLES ET DE LA RÈGLE : EN FAIT DE MEUBLES LA POSSESSION VAUT TITRE

816. Nous avons à étudier, dans ce chapitre et dans les deux suivants, les règles qui protègent le possesseur de choses mobilières, soit en le mettant à l'abri de toute reven- dication, soit en établissant pour lui une prescription spéciale; ces règles sont contenues dans les articles 2279 et 2280* D'après le premier de ces textes, un des plus importants et des plus difficiles à bien connaître de notre code civil : « En « fait de meubles, la possession vaut titre, Néanmoins celui « qui a perdu ou auquel il a été volé une chose, peut la reven- du diquer pendant trois aw^, à compter du jour de la perte « ou du vol, C07itre celui dans les mains duquel il ta trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient, »

L'objet de ce chapitre est donc, en somme, l'étude de la maxime : En fait de meubles la possession vaut titre.

Avant d'étudier dans le code civil cette règle importante et obscure, il est essentiel de rappeler tout d'abord quels en sont les précédents historiques et quelles en sont les origines.

(«) V. encore art. 1663 G. civ., 398 et 444 C. pr. civ.

Prescr. 41

' 642 DE LA PRESCRIPTION

C'est un point d'histoire difficile et qui est loin d'être com- plètement éclairci.

SECTION PREMIERE

NOTIONS HISTORIQUES

817. Le droit de revendication des meubles^ sauf l'appli- cation de la prescription qui variait selon les pays, a existé dans la plupart des législations anciennes qui nous sont par- venues. On a vu plus haut que la législation romaine l'avait , consacré; l'usucapion était seulement restreinte pour les meubles à un délai plus court que pour les immeubles (*). Les coutumes franques et germaniques repoussaient, au con- traire, en principe la revendication mobilière: certains textes des lois des Visigoths, des Burgondes et des Ripuaires, « d'une clarté douteuse et d'une rédaction relativement récente », ont pu, il est vrai, être mis en avant à l'appui de Topinion contraire ; mais la loi salique et les coutumes lombardes ne paraissent pas laisser de doute sur la ques- tion (*). Un propriétaire dépossédé par perte ou par vol avait, sans doute, des actions pour recouvrer l'objet perdu ou volé ; ces actions n'étaient pas seulement personneUes, mais étaient réelles, et avaient de plus, à un autre point de vue, un caractère mixte, étant à la fois pénales et civiles. Mais, en dehors des cas de perte ou de vol, il n'y avait pas de droit de suite en matière mobilière ; celui qui avait donné sa ciiose en dépôt ou l'avait prêtée n'avait qu'une action personnelle contre celui avec qui il avait traité ('). On a beaucoup discuté sur l'origine première de cette règle. M. Jobbé-Duval la fait découler des principes de Tancienne procédure ; il n'y avait de droits que ceux résultant de cer-

(') V. Jobbé-Duval, De la revendication des meubles; Poincaré, De U reven- dication des meubles dans Vancien droit et dans le Code civil.

{•) Voy. les textes cités par M. Jobbé-Duval, op. ci7,, et par M. Poincaré, op. cit, V. not. Loi salique, tit. 39 et 49; Loi ripuaire, tit. 3b.

(') V. dans ce sens Jobbé-Duval, op. cit.; Poincaré» op. ci(,; Plaaiol» 8* éd , I, n. 1106 et s.; Guiilouard, n. 800 et 801 ; Brissaud, p. 1198 et s.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 643

laines procédures spéciales; rorganisation des actions limi- tait les droits à exercer. Le savant auteur prend comme point de départ de son étude cette idée de Summer-Maine;4(Il ne serait pas inexact d'affirmer qu'à un certain moment du déve- loppement des sociétés^ les droits et les obligations dépen- dent de la procédure; la procédure n'est pas simplement une sanction des droits et des obligations. » Il soutient qu'aux époques mérovingienne et carlovingienne « on ne connaît l)as la revendication des meubles proprement dite; mais la voie criminelle est ouverte au propriétaire d'objets volés ou perdus. Or, par suite de la procédure suivie, cette voie pou- vait amener à la reprise de l'objet même détenu par un tiers acquéreur de bonne foi (*). »

M. Ortlieb rattache l'absence de revendication des meu- liies aux idées germaniques sur la propriété et la posses- sion :« « En fait de meubles il n y avait pas de droit hors et contre la détention matérielle; un droit abstrait de propriété ne trouvait pas de place dans ce système ; seul le déten- teur actuel était protégé. Dans ces âges les relations étaient rares et fort restreintes, il était difficile que le fait (le la possession existât longtemps en dehors du droit de pro- priété contre le gré du propriétaire. D'ailleurs, la concep- tion d'un droit considéré en lui-même et indépendamment de son exercice, de même que toutes les abstractions, sup- pose des esprits arrivés déjà à un certain degré de culture dont on était fort éloigné alors (^). »

. Ces explications peuvent avoir Tune et l'autre leur part de vérité; on peut ajouter une autre'raison tirée de ce que celui qui a confié un meuble à quelqu'im qui l'aliène doit s'en prendre à lui seul si sa confiance a été mal placée ('), peut-être aussi l'idée que les choses mobilières paraissaient de peu d'importance (*).Ge qu'il nous suffit ici de constater,

(») Sur celle procédure, V. Brissaud, p. 1202 s.

(-) Orllieb, Effets de la possession des meubles.

{^) C'est ce qu'exprime le vieux proverbe de droil germanique : « \Vo du dei- nen Glauben gel&ssen h^st, musst du ihn suchen, >.

1*) V. Ortlieb, op. cit. ; Jobbé-Duval, op. cit. V. encore ChaufTour, Rev. de lég., X.KII, p. 371, et X^IH, p. 81 ; Poincaré, p. 85 et s.; Brissaud, p. 1201.

644 DE LA PRESCRIPTION

c'est le fait que la propriété mobilière ne donnait lieu à un droit de suite qu'au cas de perte ou de vol.

818. 11 faut ajouter que cette théorie n'est pas admise par tous les auteurs. Elle a été combattue récemment dans un fort intéressant ouvrage de M/VanBemmelen (•). D'après lui les prétendus principes germaniques n'ont pas existé et ce n'est que depuis le siècle dernier que la législation allemande et surtout la législation française ont porté atteinte à la reven- dication mobilière. « La théorie enseignant que le droit ger- manique repousse la revendication des meubles en principe et dans tous les cas de dépossession volontaire, et ne la souffre que par exception au cas de vol ou lorsque la possession en a été perdue contre le gré,du revendiquant, est historiquement fausse. L'ancien droit germanique a imposé quelquefois et tardivement des conditions onéreuses au revendiquant, mais il n'a jamais connu aucune limitation de la revendication des meubles, aucun cas elle ne peut être exercée contre les tiers, et Ton ne peut répéter la chose que de celui auquel on l'a confiée. La revendication fondée sur la propriété était la même pour les meubles et pour les immeubles. I/usucapion et la prescription de la revendication étaient étrangères à l'ancien droit germanique. Les dispositions des lois barbares qui introduisent une prescription, notamment de trente ans pour les immeubles, sont dus à rinflueuce romaine. )> A l'appui de cette théorie, M. Van Bemmelen invoque quelques textes des lois des Visigoths, des Bur- gondes et des Ripuaires qui nous paraissent peu péremp- toires, leur rédaction récente ayant pu se ressentir du droit romain ; quant au silence de la loi salique et des coutumes lombardes, il l'explique en disant que si elles ne donnent d'action qu'au cas de vol ou de perte, c'est que c'étaient les hypothèses les plus fréquentes ; « bien que la revendication de l'ancien droit germanique ne soit pas limitée, il ne faut pas s'attendre à y trouver une formule expliquant ce carac-

(*) Van Bemmelen, Le système de la prop, mobilière, M. Dareste, dans le compte rendu qu'il a fait de cet ouvrage, croit aussi que plus tard on fera jus- lice de la prétendue doctrine germanique, qui, d'après lui, est parement imagi- naire et a été « une grande solli^je ». Xauv. rcr. historique., 1889, p. 4i5.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 645

tère de généralité. Une semblable formule est contraire à la simplicité d'un droit primitif non moins que les divisions abstraites et les distinctions casuistiques. »

819. La règle admise par les coutumes franques et ger- maniques resta en vigueur au moyen âge jusqu'à ce que rinfluence du droit romain vint se faire sentir et amener l'in- troduction en France d'une règle toute contraire. Les vieux coutumiers ne reconnaissent d'action au propriétaire d'une chose mobilière qu'au cas de perte ou de vol (*). « Le pro- priétaire d un meuble prêté ou donné en gage, dit M. Jobbé- Duval, a seulement la faculté de contraindre soit l'emprunteur, soit le créancier gagiste, à lui restituer son bien et à lui en payer la valeur; il ne peut pas réclamer directement la chose à son détenteur actuel. Nos vieilles coutumes ne connaissent pas d'action en revendication mobilière, et si la victime du vol obtient pleine satisfaction, c'est grâce aux voies de recours de la procédure criminelle. » La règle Les meubles n'oi%t pas de suite s'était conservée par la tradition ; le peu d'impor- tance dès choses mobilières contribuait à son maintien ('). Mais on pouvait déjà pressentir son déclin: certaines coutu- mes avaient admis des restrictions et Beaumanoir expose une théorie qui est bien près de la théorie romaine (^).

820. Dès les xiv* et xV siècles, le droit romain, dont les principes avaient toujours été en vigueur dans les pays de droit écrit (*), est appliqué aussi en droit coutumier en matière de revendication mobilière ; le Grand-Coutumier et la Somme rurale de Jean Bouteiller nous en donnent des applications (') ; en même temps que la revendication, la prescription du droit romain était admise. Le triomphe delà

0) V. Jobbé-Duval, op» ci^ jPoincaré, op, cit.; Brissaud, p. 206 et s. ; Guil- Jouard, n. 802, 1, 80 i, 806 et s. V. aussi Huvelin, Essai historique sur le droit des marchés et des foires^ p. 454 s. V. en sens contraire Van Bemme- len, op. cit. V. sur l'action civile admise à la fin du xiii* siècle en cas de vol, Jobbé-Duval, op. cit., p. 237.

(*) V. Établiss. de saint Louis, liv. I, chap. 91 et liv. XII, chap. 17. V. sui'plus les textes cités par Brissaud, op. cit,, p. 1207, note 1.

(*) Beaumanoir, Cout.dnBeauvoisis, ch. Vl,n.29,ch. XXV,n. 22,ch. XXXIl, ch. XXXW, n. 47.

(*j V. Guillouard, n. 805, et les autorités par lui citées.

C') Gr. Coût., liv. II, ch. 33 ; Somme rurale, liv. I, tit. 43.

646 DE LA PRESCRIPTION

règle romaine ne fut toutefois pas immédiat ni absolu ; Bou- teiller nous fait connaître qu'il y eut de grandes discussions et que, pendant quelque temps, les deux systèmes furent appliqués côte à côte. Certains textes coutumiers combinent les deux théories (*). Mais le principe romain triompha. Les coutumes, il est vrai, ne furent pas d'accord sur le délai de Tusucapion des meubles ; les unes admirent, comme le droit romain, le délai de trois ans ; d'autres exigèrent dix ans, d'autres vingt, d'autres trente ans de même que pour les immeubles (*). Mais le principe même de la revendication était admis à peu près partout ; au xvr et au xvii* siècle, la théorie romaine l'avait définitivement emporté. I^ discus- sion ne subsistait plus qu'au Palais on luttait contre l'ap- plication de cette doctrine en cherchant à la restreindre le plus possible. Dans cette période la règle: « Meubles n'ont point de suite y> était employée pour limiter le droit des créaaciers. D'après nombre d'auteurs, elle était synonyme de cette autre maxime plus explicite : « Meubles n'ont pas de suite par hypothèque ('). » Cette dernière règle paraît avoir été admise même dans les pays de droit écrit (*).

821. Le succès de la doctrine romaine de la revendication mobilière ne dura que quelques siècles. M. Jobbé-Duval a émis cette idée que la législation romaine eût peut-être suffi et eût été conservée chez nous si on l'avait maintenue dans son intégralité ; mais on avait substitué à Fusucapion de trois ans, dans bien des provinces, une prescription de trente ans. On finit par trouver à cette législation de graves inconvé- nients; les transactions mobilières devenaient peu sûres ; un acquéreur de bonne foi pouvait se voir enlever non seulement '

(') V. les texlea cités par M. Van Beinmelen, p. 311 s.

(') V. BrissBud, p. 1211. V. aussi les indicationsde Van Beinmelen, p.340, el de Guillouard, n. 807. Dunod enseignait que les meubles se prescrivent par trois ans avec litre el bonne foi. PouUain du Parc nous dit qu'en Bre- lai;ne la revendication des meubles se prescrivait par cinq ans.

(') V. Guy Coquille, Questions et réponses surles coutumes de France, 1611, i.XlII ; Gharondas le (^aron, sur la Coutume de Paris ^ art. 170 el 172 ; Bro- deau. sur la Coutume de Paris, art. 178 ; Le^rand. sur la Coutume de Troyex, art. 72 ; Duplessis, Pre«fr., liv. I,ch. 1. Gpr. Planiol, op, cit., n 1109 el s.

i*) V. Guillouard, jî. 809 el les autorités qu'il cite.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 647 >

le meuble volé ou trouvé par son auteur, mais celui que ce dernier avait reçu à titre de prêt, de dépôt, de louage, etc. On s'occupa de protéger les possesseurs-; tout en maintenant le principe de la revendication, on chercha à en restrein- dre et entraver Texercice dans nombre de cas. Pour des rai- sons toutes nouvelles, et avec des règles toutes différentes, la situation du tiers acquéreur de meubles allait, comme dans l'ancien droit des coutumes franques, être mise à l'abri des attaques du propriétaire victime d'un détournement ou d un abus de confiance. L'article 2279 du code civil se rattache, pour nous, non pas à la \ieille théorie du droit germanique d'après laquelle les meubles n'ont pas de suite, mais à la pratique judiciaire qui s'est introduite eiï France à la fin de notre ancien droit, et notamment au Châtelct de Paris.

822. Au siècle dernier, deux auteurs ont spécialement étudié et exposé la question de la revendication des meubles, Pothier et Bourjon. Il est essentiel de rappeler et de résumer leurs théories.

Pothier admet en principe la revendication suivant la règle du droit romain. Les meubles peuvent être l'objet de revendication aussi bien que les immeubles (*). Le tiers acquéreur pourra prescrire, par trois ans s'il ajuste titre et s'il est de bonne foi, par trente ans dans le cas contraire. En cas d'exercice de la revendication, une fois le droit de pro- priété du demandeur établi, le possesseur qui prétendra avoir prescrit devra prouver sa possession; il sera présumé de bonne foi; il prouvera le juste titre par témoins et sans être restreint dans son mode de preuve par les termes de l'ordon- nance de 1687. Telle est la théorie exposée par Pothier dans son Traité de la prescription, « La prescription des meubles par la possession triennale étant l'ancien droit d'usucapion dont Justinien a seulement prolongé le temps, il faut, pour cette prescription, que le possesseur justifie d'un juste titre d'où sa possession procède et qu'elle soit de bonne foi. Mais comme il n'est pas d'usage de passer des actes par écrit de l'acquisition qu'on fait des choses meubles, il suffit au pos-

(») Polhier, De la propriété, n. 282.

G48 DE PRESCRIPTION

sesseur, pour justifier du juste titré d'où procède sa posses- sion de la chose pour laquelle il oppose la prescription, qu'il fasse reconnaître cette chose, soit par les personnes de qui il Fa achetée ou acquise à quelque autre juste titre, soit par d'autres personnes qui aient connaissance de Tacquisition qu'il en a faite. A Tégard de la bonne foi qui est requise dans le possesseur, le juste titre la fait assez présumer tant que celui à qui la prescription est opposée ue justifie pas le contraire (*). »

Mais ailleurs, dans son Traité des donations entre mari et femme, Pothier Va plus loin : le possesseur n'aura pas be- soin de prouver le juste titre, il n'aura à établir que sa pos- session de trois ans; « A l'égard des meubles, comme il est d'usage que les ventes, les donations et les autres genres d'aliénation des meubles s'exécutent et se consomment par la tradition qui s'en fait de lamain à la main, sans en dresser acte par écrit, le possesseur pour cette prescription doit être cru de ce qu'il alléguera du titre auquel il dit avoir la chose, pourvu que ce qu'il allègue soit vraisemblable (*)- )►

Ailleurs, enfin, dans l'introduction au titre de la coutume d'Orléans relatif à la prescription, Pothier, après avoir exa- miné le point de savoir si la prescription triennale existe dans les coutumes qui ne s'en sont pas expliquées, nous dit « qu'il est rare qu'il y ait lieu à la question, le possesseur d'un meuble en étant présumé le propriétaire, sans qu'il soit besoin d'avoir recours à la prescription, à moins que celui qui le réclame et s'en prétende propriétaire ne justifie qu'il en a perdu la possession par quelque accident, comme par un vol qui lui en aurait été fait; auquel cas il ne pour- rait y avoir lieu à cette prescription de trois ans qui, aux ternies du droit, n'a pas lieu pour les choses furtives ('). »

Ce passage, un peu obscur, aboutit ainsi à faire triompher le possesseur, même si sa possession n'a pas duré trois ans,

(') Polhier, De la prescription, n. 205.

(■"') Polhier, Des donalions entre mari et femme, n, 67.

('/ Pothier, Coutume d^Ovléans, Introduction au titre de la prescription, n. 4, V. d'ailleurs la critique de celle règle par Polhier dans son Traité de la pres- cription, n. 204.

KN FAIT DE MEUBLÏS POSS'^SSION VALT TITRE 649

à moins que le revendiquant n'établisse « qu'il a perdu la possession par quelque accident, comme un vol. »Si le reven- diquant prouve qu'il a donné la chose à titre de location, de dépôt, de prêt, à une persornne de qui la tient le possesseur actuel, devra-t-il l'emporter dans cette théorie de Pothier?On a soutenu que cette preuve n'eût jamais suffi; le possesseur est présumé propriétaire, dit-on ; il n'est pas seulement pré- sumé avoir le juste titre qu'il allègue. La fin du texte de Pothier,ajoute-t-on, paraît n'admettre la revendication qu'au cas de choses furtives. « La doctrine formulée par Pothier dans le dernier texte cité mène droit à cette conséquence : la revendication mobilière se brisera contre une présomption inéluctable, à moins qu'il n'y ait eu vol ou abus de confiance, c'est-à-dire à moins que la chose ne soit furtive dans le sens lai^e du terme (*). » La solution contraire nous paraît plus exacte ; le revendiquant triomphe s'il prouve le détourne- ment par celui à qui il a confié la chose ; le possesseur pourra succomber non seulement si la chose est furtive, mais môme, au cas elle ne serait pas furtive, si elle a été aliénée par celui qui la dètenaitprécairement. Autrement la question de la prescription triennale ne se poserait jamais et Pothier nous dit qu'elle peut se poser, rarement sans doute, mais quelquefois. On s'explique d'ailleurs qu'elle fût de nature à se poser rarement, les choses aliénées par celui à qui elles avaient été confiées à titre précaire étant presque toujours dans le sens romain des choses furtives; elle ne devait se poser que si le meuble avait été aliéné de bonne foi par celui qui le détenait précairement ou par son héritier. « C'est alors que le cas rare se présente pour le défendeur d'invoquer l'usucapion, s'il y a plus de trois ans qu'il a acheté la chose de bonne foi (*). » En un mot, suivant nous, dans le système de Pothier, le possesseur n'est jamais propriétaire par le seul effet de sa possession; sa possession fait présumer son titre; la règle « possession vaut titre » veut seulement dire

(') Poincaré, p. 155.

{^) Van Bemmelen, p. 377.

650 * DE LA PRESCRIPTIOxN

qu'il est dans la situation il serait s'il produisait le titre qu'il allègue; elle se réfère à la preuve (*).

823. La théorie de Bourjon a été différente et plus avancée. Certains passages qu'il est inutile Vie rappeler peuvent paraî- tre ne se référer qu'à la preuve, et signifier seulement que le possesseur est dispensé de prouver le titre qu'il allègue et que le revendiquant est tenu au contraire de prouver que la chose a été perdue ou volée ou aliénée par un détenteur précaire (*). Mais, dans d'autres passages souvent cités et qui nous semblent exposer la doctrine à laquelle se ratta- che Torigine de notre article 2279, il s'exprime en termes trèsprécis. « En matière de meubles, dit-il, la possession vaut titre de propriété. La sûreté du commerce l'exige ainsi. La base de cette maxime est qu'on ne possède ordinairement que les meubles dont on est propriétaire. Ainsi la possession doit donc, quant à ce, décider ; c'est le meilleur guide ; et quel autre pourrait-on prendre sans tomber dans la confusion? De il s'ensuit que dans la thèse générale les meubles en sont sujets à suite ('). » Et ailleurs il expose plus longuement la même idée : « La prescription n'est d'aucune considération, elle ne peut être d'aucun usage quant aux meubles, puisque, par rapport à ces biens, la simple possession produit tout l effet (Tun titre parfait; principe qui aplanit toutes les diffi- cultés que le silence que la coutume a gardé sur cette pres- cription faisait naître; en effet, quelques-uns prétendaient que, j^our acquérir cette prescription, il fallait une possession de trente ans; mais cela n'était pas raisonnable, vu que, pour les immeubles, lorsqu'il y a titre et bonne foi, elle ne requiert entre présents qu'une possession de dix ans; inconvénient qui avait conduit d'autres à dire que, conformément à la disposition des Institutes, il fallait, pour prescrire les meu- bles, une possession de trois ans. Ces contradictions cessent

(*) Cpr. Domat, !'• partie, liv. T, lit. vu, sect. 3, n. 16; Dunod,p. 150 el 196.

(*) V. not. Bourjon, Droit commun de la France, liv. III, Ut. Il, ch. I, n. 2: « Pour la preuve de cet achat, il n*est pas nécessaire de rapporter un litre, il suffit de posséder le meuble, parce qu'en matière de meubles la possession vaut litre ; il suffit donc de la possession pour la preuve de la translation de la pro- priété ; Tordre public Ta exigé ainsi indépendamment du laps de temps. »

(') Bourjon, liv. If, tit. I, ch. VI, sect. 1, n. 1.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 651

par le principe adopté et qu'on vient de poser, principe auquel il faut se tenir comme étant salutaire ; il est étrange qu'on ait tenté de s'en écarter... Suivant la jurisprudence du Chdtelet, la possession d'un meuble^ ne fût-elle que d un jour ^ vaut titre de proprié té, sau f t exception ci-après : mais hors ce cas, la possession quant à ce, vaut toujours titre de propriété... Duplessis estime qu'avec bonne foi il faut trois ans pour prescrire la propriété d'un meuble et trente ans lorsqu'il n'y a pas bonne foi. Brodeau est du même sentiment. J'ai tou- jours vu cette opinion rejetée au Châtelet l'on tient pour maxime qu'en matière de meubles la possession vaut titre, à moins que le meuble ne soit furtif. La jurisprudence con- traire serait préjudiciable au bien public puisque personne par rapport au meuble n'exige un titre qui soit tout ensemble justificatif et translatif de propriété, et sur ce, chacun se confie et se contente de la possession ; elle est donc suffisante. Ainsi je m'en tiens à cette jurisprudence comme étant salu- taire et conforme à l'ordre public et à la sûreté du commerce. Venons à l'exception qu'on a déjà annoncée. La chose fur- tive peut être revendiquée partout on la trouve ; c'est la seule exception qu'on puisse apporter à la règle ci-dessus posée (*). »

Ce passage ne peut laisser prise au doute ; il n'y a plus de droit de suite, plus de revendication en matière mobilière; la possession, et ourjon n'exige pas la bonne foi, est un titre de propriété ; elle ne fait pas présumer l'existence d'un titre, sauf au revendiquant à en détruire l'efficacité ; elle est à elle seule le titre. Bourjon fait ailleurs application de la théorie qu'il a exposée. « Si le dépositaire avait vendu le meuble, le propriétaire d'icelui ne peut le réclamer des mains de l'acheteur parce qu'en matière de meubles la pos- session valant titre, la sûreté du commerce ne permet pas qu'on écoute une telle revendication ; il faut donc en ce cas la rejeter; l'ordre et l'avantage publics l'exigent ainsi, telle est la jurisprudence du Châtelet ('^). » Au lieu de la présomp-

(*) Bourjon, liv. III, lil. XXII, ch. V, n. 1 et 2.

i*) Bourjon, liv. VI, lit. VIll, ch. ÏII, secl. 4, n. 18. - 11 faut ajouler, il est vrai, que Bourjon rattache cette jurisprudence k l'art. 182 de la Cuulume de

052 DE LA PRESCilIPTlON

tion sauf preuve contraire de Pothier, «'est la présomption sans preuve contraire; la possession exclut la revendication; elle rend l'usucapion inutile. L'exception de Bourjon au cas de chose furtive ne comprenait d'ailleurs, on Ta vu, que le cas de vol proprement dit, de soustraction frauduleuse, et ne s'appliquait pas avec l'extension que lui donnait le droit romain.

824. La doctrine de Bourjon fut admise par d'autres auteurs; elle ne resta pas isolée, comme le soutient M. Vau Bemmelen. Il est à noter d'abord qu'elle avait déjà, pour les mêmes motifs que ceux invoqués par Bourjon, été soutenue en Belgique et en Hollande, notamment par Voët. En France, Denizart, qui était procureur au ChAtelet, examine la question dans plusieurs passages : « La coutume de Paris, dit-il, n'a point réglé et je n'en connais point qui fixe le temps pendant lequel il faut posséder un meuble pour en acquérir la propriété. Nous tenons au Châtelet pour maxime certaine que celui qui est en possession de meubles, bijoux et argent comptant, en est réputé propriétaire, s'il n'y a titre au contraire (*). » Les derniers mots de ce passage ont pu prêter au doute sur la portée exacte de la doctrine; ils sont éclairés par d'autres extraits plus nets et plus précis ; « celui qui possède des meu- l)les en est présumé le propriétaire ; il ne faut pas d'autre titre que sa possession (*) » ; et ailleurs Denizart nous dit que « s'il s'agit de la vente d'une chose mobilière à autrui, celui qui l'aurait achetée de bonne foi pourrait la garder, sauf le recours du propriétaire contre le vendeur à moins qu'elle n'eût été dérobée ('). » Ce dernier passage présente cette particularité qu'il exige la bonne foi chez le possesseur qui invoque sa possession.

L'opinion de Bourjon se retrouve encore exposée par Valin

Paris, (raprès lequel n'a lieu la contribution en matière de dépôt, si le depôl se trouve en nature ». Mais ce rattachement semble bien peu exact : Tart. Id2 n'avait pas pour but de trancher la question de revendication du meuble dépose* cl vendu par le dépositaire. V. en ce sens Planiol, op. cit., n. 1116.

(*) Denizart, Coll. de jurisp.. Prescr., n. 40.

(') Denizart, Meubles, n. 32.

(»; Denizart, Vente, n. 5.

EiN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 053

dans son commentaire sur la coutume de la Rochelle ('). Cet auteur dit nettement que le propriétaire « n'a pas le droit de suivre sa chose dès qu'elle est hors de la possession du dépo- sitaire ; la raison est qu'il a entièrement suivi la foi de ce dépositaire, et que cette confiance ne peut pas nuire à un acheteur de bonne foi », et par de la Chenaye, d'après lequel « celui qui possède des meubles en est présumé le proprié- taire ; il ne lui faut d'autre titre que la possession, d'après cette maxime connue : en fait de meubles possession vaut titre (•). »

825. La jurisprudence du ChAtelet développée par Bourjon, qui refusait en principe au propriétaire dun meuble le droit de le i»evendiquer, et lui réservait simplement son recours contre celui à qui il avait remis la chose, devait avoir une singulière fortune ; elle aurait peut-être été passagère si la Révolution n'avait amené la rédaction de lois nouvelles ; elle passa sans discussion dans le code civil. 11 n'est pas exact, à notre avis, de dire avec M. Van Bemmelen que « c'est Bour- jon qui a inventé l'énormité juridique de la possession pro- duisant la propriété, comme c'est lui qui a porté à la lumière la formule: Possession vaut titre », et que « Bourjon a déna- turé la jurisprudence du Châtelet, soit qu'il Tait mal com- prise, soit qu'il ait été poussé par le désir de lui attribuer un sens conforme à ses propres idées, antipathiques à la reven- dication des meubles. » Sans doute les décisions du Châte- let n'ont jamais été bien mises au jour, et c'est une tâche intéressante qui reste encore à accomplir ; mais il parait cependant bien certain, par le témoignage de Denizart, de Valin, se joignant à celui de Bourjon, que la jurisprudence

\*) Valin, sur l'art. 60 de la coulume de la Rocl-elle.

(') De la Chenaye, EncycL, Jurispr.^ Meubles, 1786, VI, p 25. V. encore <iuyol, Rép,, Meubles; Merlin, Rép,, v" Revendicalion, § I, n. 5 ; et Quest. ile dr., V* DonsLiiofiy § VI, etv Revendication, § I. V. aussi Cass., 13 nivôse an Xn, reproduit par Merlin, Quesl. de dr, y Revendication. Dans les con- clusions par lui données devant la Cour de cassation lors de cet arrêt du 13 ni- vùse an XII, Merlin indique que la revendication contre le possesseur de bonne foi était écartée par les statuts de Luback, la coutume d*Anvers, les usagres sui- vis en IloUande»

654 DK LA PRESCRIPTION

avait dépassé la théorie de Pothier et que la possession n'était pas une simple présomption de titre. . 826. Quoi qu'il en soit^ les travaux préparatoires semblent prouver que la doctrine de Bourjon ne rencontra aucune con- tradiction. Un seul document important se réfère à notre ques- tion. C est l'exposé des motifs de Bigot-Préameneu au Corps législatif. A propos de l'article 2279, Bigot-Préameneu s'est exprimé ainsi : « On a regardé le seul fait de la possession comme un titre; on n'en a pas ordinairement d'autres pour les choses mobilières. 11 est d'ailleurs le plus souvent impos- sible d'en constater l'identité et de les suivre dans leur circu- lation de main en main. 11 faut éviter des procédures qui seraient sans nombre et qui le plus souvent excéderaient Li valeur des objets de la contestation. Ces motifs ont faire maintenir la règle générale suivant laquelle en fait de meu- bles la possession vaut titre. Cependant ce titre n'est pas tel qu'en cas de vol ou de perte d'une chose mobilière, celui auquel on l'aurait volée ou qui l'aurait perdue n'ait aucune action contre celui qui la possède. La durée de cette action a été fixée à trois ans; c'est le même temps qui avait été réglé à Rome par Justinien; c'est celui qui était le plus générale- ment exigé en France. Si le droit de Tancien propriétaire est reconnu, la chose volée ou perdue doit lui être rendue ; mais si ce possesseur prouvait l'avoir achetée sur la voie publique, soit dans une foire ou dans un marché, soit dans une vente publique, soit d'un marchand vendant des choses pareilles, 1 intérêt du commerce exige que celui qui possède à ce titre ne puisse être évincé sansindenmité. Ainsi l'ancien proprié- taire ne peut dans ce cas se faire rendre la chose volée ou perdue qu'en remboursant au possesseur le prix qu'elle lui a coûté. » On peut ajouter à ce passage de Bigot-Préameneu le discours préliminaire de Portalis disant : « On fait très sage- ment d'écarter des affaires de commerce les actions revendi- catoires, parce que ces sortes d'affaires roulent sur des objets mobiliers qui circulent rapidement, qui ne laissent aucune trace, et dont il serait presque toujours impossible de vérifier et de reconnaître l'identité (*). >► Enfin le tribun Goupil s'est

I») V. Locré, I, p. 179 et XVI, p. 586.

EN FAIT DE MEI'BLES POSSESSION VALT TITRE 655

borné à dire au Corps législatif: « Les meubles se transmettent par la seule tradition; ainsi en fait de meubles la possession vaut titre. Mais si le meuble a été perdu ou volé, le proprié- taire pourra le revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui qui en est saisi, sauf le recours de ce dernier sur celui duquel il le tient. Ce délai est le même que celui que la législation actuelle établit pour , prescrire les actions criminelles, correctionnelles ou de police, si pendant ce temps il n'a été fait aucune poursuite (*). »

SECTION II

DE LA PORTÉE ET DU FONDEMENT JURIDIQUE DE l'aRTICLE 2279.

827. La règle En fait de meubles la possession vaut titre .est laconique et obscure. Mais Tétude de ses précédents bis- toriques que nous venons de résumer et d'un autre côté Tex- ception que la loi lui fait subir éelaircissent beaucoup le caractère quelque peu énigmatique qu'elle paraît avoir au premier abord.

Si la règle est obscure, l'exception est en effet très claire : elle consiste en ce que, dans un cas particulier, celui de perte ou de vol, le propriétaire d'une chose mobilière est admis à la revendiquer contre celui dans les mains duquel il la trouve, même s'il est de bonne foi. Si l'exception est qu'on revendique, la règle est qu'on ne revendique pas, du moinj^ contre un possesseur de bonne foi ; l'exception est nécessairement de même nature que la règle, puisqu'elle a précisément pour objet de soustraire à son empire un cas qu'elle comprend.

Nous arrivons donc à dire, en interprétant la première partie de l'article 2279 par la seconde, que la règle En fait

(') Locré, XVI, p. 598, Le premier projet de Gode civil de la Convention contenait une règle différente : t La possession des meubles et effeta mobiliers tenus autrement qu'à titre universel, et hors le cas du vol, en opère la prescrip- tion par deux ans. » (liv. 2, lit. 3, art. 116). (ielte rèjçle se retrouve dans le second projet de Gode civil ; mais dans le troisième projet de Cambacérè s Tari. 688 porte que « la possession d'un meuble en fait présumer la propriété, hors à l'égard de celui qui a volé. »

056 DE LA PRESCRIPTION

de meubles la possession vaut titre signifie qu'on ne revendi- que pas les meubles, du moins contre un possesseur de bonne foi ; sauf le cas de meubles volés ou perdus, la pos- session de bonne foi d'un meuble équivaut à la propriété. L'article 2279produit au profit du possesseur d'un meuble uu double résultat. D'une part, le possesseur de bonne foi du meuble n'est pas tenu de justifier d'un titre d'acquisition ; d'autre part et s'il invoque un titre d'acquisition, il n'est pas tenu de prouver que celui qui lui a transmis le meuble en était propriétaire; il est devenu propriétaire, bien que son «auteur n'eût pas la propriété.

La tradition, qui a une grande autorité dans cette matière toute traditionnelle, confirme pleinement, nous l'avons vu, l'induction tirée du texte même de la loi. C'est Bourjon qui a donné à l'adage la formule que l'article 2279 a reproduite: il se sert de cette formule pour résumer la jurisprudence du Châtelet de Paris, dont nous avons parlé tout à l'heure; c'est donc à Bourjon que notre législateur l'a empruntée, et il n'y a pas, par conséquent, en dehors du texte, de plus grande autorité que la sienne pour en déterminer le sens. Or Bourjon, rappelons-le, nous dit : « En matière de meu- bles, la possession vaut titre de propriété ; la sûreté du com- merce l'exige ainsi. » Si la possession vaut titre de propriété, on ne peut pas plus revendiquer contre le possesseur que contre un véritable propriétaire.

Le passage de Bourjon que nous venons de citer indique en même temps le motif de la règle traditionnelle : « La sûreté du commerce l'exige ainsi. » Portalis n'a fait, nous l'avons vu, que paraphraser ces quelques mots dans son dis- cours préliminaire.

Nous ne disons pas que la loi écarte absolument la reven- dication en matière de meubles: ce serait inexact. Peut-être même serait-il plus vrai de dire qu'en principe on peut revendiquer les meubles comme les immeubles. Mais on ne peut revendiquer les meubles contre les possesseurs de bonne foi, sauf s'il s'agit de perte ou de vol, cas dans les- quels le principe de la revendication reparait. La règle de l'article 2279, alinéa 1", seramène-àcette idée qu'on a voulu

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAL'T TITRE 657

pendre propriétaire le possesseur de bonne foi bien qu'il n'ait pas traité avec le légitime propriétaire ; il peut repousser la revendication de ce légitime propriétaire ou l'action de qui- conque prétendrait avoir un droit du chef de ce dernier. La formule de la loi peut être ainsi traduite : aucune revendica- tion n'est admise contre l'acquéreur de bonne foi d'un meu- ble lorsqu'il a été mis en possession ; suivant la formule de M. SaleiUes, une possession non précaire, que l'on tient de celui que Ton croit être le propriétaire, équivaut à un titre émanant du propriétaire lui-même (*). On peut dire encore que le propriétaire d'un meuble n'est pas admis à le reven- diquer contre celui qui en a la possession à titre de proprié- taire et non équivoque et qui est de bonne foi. On a voulu pour la sûreté du commerce et la sécurité des affaires mettre les acquéreurs de bonne foi à Tabri de toute éviction. Maison est revenu à l'idée de la revendication contre les tiers acqué- reurs au cas de dépossession résultant de vol ou de perte.

On peut aussi dire, et ce serait peut-être le plus exact, qu'il n'y a, en matière de revendication des meubles, ni règle, ni exception ; il y a des hypothèses diverses avec des solutions différentes (^).

828. En un mot, la règle de l'article 2279 n'est que le maintien du principe déjà accepté et en vigueur à la fin de l'ancien régime; elle doit être interprétée comme elle l'était dans la pratique judiciaire de cette époque, telle que nous l'ont fait connaître Bourjon et Denizart. Il nous paraît inutile de discuter aujourd'hui la théorie de TouUier qui, reprenant les idées de Pothier, et seulement celles de Pothier dans son Traité de la prescription, soutient que l'article 2279 ne fait cjue dispenser le possesseur d un meuble de représenter un titre écrit quand il oppose la prescription triennale au pro- priétaire qui le revendique (').

. 829. Les passages que nous avons reproduits de Bourjon et

(') Saleille.«, Aliénation des valeurs mobilières (Thèse 1883), n. 92. (=)PIanioI, op, cit., n. 1120.

(') TouUier, XIV, n. 104 s. Voy. encore en ce sens que Pari. 2279 ne fait que trancher une question de preuve et ne réalise aucune acquisition de pro^

Pkescr. 42

658 DE LA PRESCRIPTION

de Bigot-Préameneu nous ont déjà expliqué comment il se fait que la loi admette la revendication des immeubles et qu'elle n'admette pas de même celle des meubles. La situation de l'acquéreur est loin d'être la même dans les deux hypothèses. Il est facile à celui qui fait l'acquisition d'un immeuble de vé- rifier les droits de l'aliénateur en examinant ses titres. L'ac- quéreur d'un meuble n'a pas la même ressource parce que celui avec qui il traite n'a pas ordinairement d'autre titre que sa possession, et, quand il se présente comme propriétaire, l'acquéreur est bien obligé de le croire sur parole. Dans le premier cas, l'acquéreur est donc victime d'une erreur qu'il aurait pu facilement éviter en prenant les précautions com- mandées par la prudence ; il subira les conséquences de sa faute ou de sa négligence : l'action en revendication du pro- priétaire réussira contre lui. Dans le second cas, au contraire, l'erreur de l'acquéreur a été invincible, parce qu'il n'avait aucun moyen de se renseigner; l'article 2279 aUnéa l**" vient à son aide, en lui permettant d'opposer à l'action en reven- dication du propriétaire une fin denon-recevoir péremptoire. Que celui-ci ne se plaigne pas ! La loi admet exceptionnel- lement son action en revendication, s'il a été victime d'une perte ou d'un vol. Quand donc la maxime En fait de meu- bles la possession vaut titre lui sera-t-elle opposable? Lors- qu'il se sera volontairement dessaisi de la possession de sa chose en la remettant entre les mains d'un locataire, d'un dépositaire, d'un emprunteur, qui l'aura aliénée comme sienne et livrée à un acquéreur de bonne foi. Dans le conflit qui s'engage alors entre le propriétaire et l'acquéreur nanti, la loi donne la préférence à ce dernier, parce qu'il n'est cou- pable d'aucune négligence, tandis qu'on peut reprocher au revendiquant d'avoir imprudemment accordé sa confiance a qui ne la méritait pas, ainsi que l'événement Ta prouvé. « Il s'agissait de savoir qui de ces deux personnes supporterait la perte résultant de l'acte accompli par le détenteur précaire qui a vendu la chose à lui confiée. La loi a imposé la perte à

priété au profit du possesseur de bonne foi, Moissenet, Étude sur le droit de suite en matière de privilèges mobiliers^ Thèse 1901, p. 87 et s.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 659

celle des deux parties qui par son imprudence a créé la situation et par sa confiance a presque autorisé l'autre à trai- ter avec le détenteur précaire (*). »

L'article 2279 a eu ainsi pour but, comme le disait Bour- jon, comme l'avait fait remarquer auparavant Voët,la sûreté du commerce, la facilité des transactions mobilières. Il n'en- court pas tous les reproches qu'on lui a adressés, et nous ne croyons pas qu'il soit appelé de sitôt à disparaître de notre législation, bien que, ^d'après M. Van Bemmelen, il soit con- damné aune rapide disparition: « Il est ^orti, dit-il, d'une mal- encontreuse évolution historique. Ce système, profondément vicieux, a besoin d'une revision radicale. Il ne faut pas craindre de le remplacer, au besoin, par tout autre système, ni de revenir dans une forte mesure au droit romain. Le système de la propriété mobilière romaine est, en effet, celui d'une condition économique et d'un droit pécuniaire privé plus avancé que le système germanique sur lequel les théo- riciens hostiles à la propriété mobilière ont prétendu asseoir leur conception nouvelle (*). » Nous allons voir, en étudiant le fonctionnement de notre législation sur cette matière, que, si elle est un peu obscure et difficile à préciser, elle ne mérite pas, quant à son principe, ni quant à ses conséquen- ces, des critiques aussi sévères (^).

830. Ce qui vient d'être dit nous a édifiés sur le sens de la maxime En fait de meubles la possession vaut titre et sur son fondement ra/ioww^/, c'est-à-dire sur les motifs qui l'ont fait établir et qui la justifient; recherchons maintenant quel est son fondement juridique, c'est-à-dire quel est le principe de droit auquel elle se rattache. Il faut bien saisir le sens de cette question. La loi permet à celui qui a acheté a non domino un objet mobilier corporel de s'en dire propriétaire. A quel titre ? Ce n'est pas à titre d'acheteur assurément ;

(*) Colmet de Sanlerre, VIII, n. 387 Jbw, IX.

(*) Van Bemmelen, p. 432. Gpr. Menger, Das burgerliche Recht und die; besitzlosen VolkskUssen, 1890, p. 120 et s.

(') V.pour la justification de la règle : en fait de meubles possession vaut titi*e, Kanl, Elém. mélaphys. de la doctrine de droit (trad. Barni) p. 149 et s. Bélime, Philos, du droit, II, p. 269; Boistel, Philos, du droit, p. 401 et a.

660 DE LA PRESCRIPTION

car la vente consentie par un autre que le propriétaire ne transfère pas la propriété, nemo dat quod non habet. Quel est donc le fondement juridique du droit de propriété que la loi lui reconnaît? C'est une question difficile et fortement controversée.

Dans une première opinion, on dit que le fondement juri- dique du droit que la loi reconnaît au possesseur est une prescription. U y a seulement ici cette particularité qu'un seul instant de possession suffit pour que la prescription soit accomplie ; la prescription est instantanée, tandis que dans tous les autres cas il faut une possession d'une durée plus ou moins longue.

La place qu'occupe l'article 2279 est, dit-on, significative: il est placé dans un chapitre intitulé Du temps requis pour prescrire et dans une section qui porte pour rubrique De quelques prescriptions particulières, et il nous apparaît ainsi comme venant couronner l'œuvre du législateur, en organi- sant la plus courte et la plus dure de toutes les prescriptions. Cette induction est fortifiée par les évolutions successives qu'a subies l'institution qui nous occupe. Rationnellement il n'y a pas de motif pour que la prescription ne s'applique pas aux meubles aussi bien qu'aux immeubles, et telle est, en effet, la règle qui a été suivie, soit en droit romain, soit dans notre ancien droit français. A mesure que le commerce s'est développé et que ses exigences sont devenues plus impé- rieuses, on a senti le besoin d'abréger de plus en plus le délai de la prescription quant aux meubles, pouD arriver enfin à le supprimer entièrement. La nature de l'institution a-«t-elle changé pour cela? Comprend-on que ce soit une pres- cription tant qu'il existe un délai, si réduit qu'il soit, et que ce soit autre chose à partir du jour le délai est supprimé ? Il est vrai que la prescription est, d'après la définition légale, « un moyen d'acquérir... par un certain laps de temps », et on a prétendu qu'il y a contradiction dans les termes à par- ler de prescription instantanée. Mais un instant est un laps de temps ; or, il faut une possession au moins d'un instant, pour invoquer la prescription instantanée, et par conséquent elle rentre parfaitement dans la définition de l'article 2279.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 661 »

Enfin la disposition, de Tarliicle 2277 alinéa !•' répond tout à; fait. à l'idée que nous nous formpns de la prescription acqui- . sitive, qui dépouille le propriétaire, au profit du possesseur, et cela pour des motifs d^ihtérêt général ou d'ordre public. On peut ajouter que les articles 2236 et 2239 supposent bien que les meubles sont susceptibles de prescription ; le second nous dit que « ceux à qui les fermiers, dépositaires, et autres détenteurs précaires ont transmis la chose par un titre translatif de propriété, peuvent la prescrire. » Il paraît diffi- cile d'admettre, comme on Ta dit, qu'on ait parlé des déposi- taires en faisant allusion à la prescription mobilière de trente ans, puisqu'on général celui qui tient le meuble du dépositaire peut se prévaloir de l'article 2279.

On fait, il est vrai, une objection d'une grande force. On dit que la maxime En fait de meubles la possession vaut titre est traditionnelle, et qu'il faut recourir à la tradition, non seu- lement pour en fixer le sens, mais aussi pour en déterminer le fondement juridique. Or que dit Bourjon, auquel a été empruntée la formule de l'article 2279 alinéa 1, et qui en est par conséquent le meilleur interprète ? « La prescription n'est d'aucune considération, elle ne peut être d'aucun usage, quant aux meubles, puisque, par rapport à de tels biens, la simple possession produit tout l'efifet d'un titre parfait. » Mais on a répondu que ces mots la prescription n'est dau-. cune considération font allusion, dans la pensée de l'auteur, au délai de la prescription, et qu'en somme il n'y a pas une aussi grande différence qu'on pourrait le croire entre dire, comme le fait Bourjon, que la prescription ne reçoit pas d'application aux meubles, ou, comme on le propose, qu'ils sont susceptibles d'une prescription instantanée. On peut ajouter que, quand même Bourjon aurait eu la pensée qu'on lui prête, il était bien permis ^ notre législateur de ne pas l'adopter, et qu'il paraît en avoir manifesté la volonté d'une manière non équivoque par la place qu'il a assignée à l'ar- ticle 2279. Au fond, dit-on, il a eu raison. En somme la prescription fait prévaloir le droit du possesseur sur celui du propriétaire ; qu'importe à ce point de vue que la pos- session soit longue, courte, ou même d'un seul instant ?

662 DE LA PRESCRIPTION

Enfin on a fait valoir que cette théorie rend compte avec une très grande facilité des diverses conditions exigées pour l'application de la maxime En fait de meubles possession vaut titte et qui ne sont que l'application du droit commun de la prescription acquisitive : on est beaucoup plus embar- rassé pour les expliquer dans les autres doctrines {*).

831. Cette première opinion n'a pas triomphé dans la doc- trine. Les auteurs se sont presque tous partagés entre deux autres théories. Tune qui voit dans l'article 2279 un mode spécial d'acquisition lege, l'autre qui le considère comme une présomption légale de propriété.

Un grand nombre d'auteurs, en écartant Tidée de la pres- cription instantanée, se rattachent à cette idée simple que nous sommes en présence d'un mode d'acquisition spécial établi par la loi : il y a acquisition lege. La place de l'arti- cle 2279 ne prouve rien sur la nature de Tinstitution : il est tout naturel qu'on place dans le titre de la prescription une règle qui a pour eflfet d'écarter la prescription quant aux meubles; d'ailleurs le principe qui repousse la prescription mobilière devait être forcément placé à côté de l'exception qui ne l'admet qu'en cas de perte ou de vol. Les passages des auteurs du xviir siècle que nous avons rappelés nous ont montré quel était le système en vigueur à Paris, à la fin de l'ancien droit : la possession y produisait Tefifet d'un titre, y faisait acquérir la propriété. C'est la doctrine que les rédac- teurs du code civil ont entendu suivre. Si on oppose que la possession n'est pas placée par le code civil parmi les modes d'acquisition dans les articles 711 et 712, il suffit de répon- dre que ces textes ne sont pas limitatifs ; ils ne donnent pas une énumération complète des modes d'acquisition de la propriété; ni la loi ni l'occupation n'y sont indiquées, et personne ne songe à les exclure ; l'article 2279 se réfère à un des cas la loi est elle-même une source directe d'ac-

(') V, dans le sens de ce premier système, Marcadé, sur Tari. 2279, n. 1 ; Demolombe, IX, n. 622 ; Grouzal, Revue gén, de droii, 1887, p. 1 ; Léger, Théorie génèr, de la prescr, extinct. (Thèse 1897), p. 325 et s. Ce système a élé suivi par le législateur roumain. V. Alexandresco, Droi7 ancien et moderne de la Roumanie, p. 497 et 498.

EN PAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 66 J

quisition (*). C'est la loi qui déclare propriétaire l'acquéreur d'un meuble, bien qu'il n'ait pas traité avec le légitime pro^ priétaire, mais avec un tiers à qui le meuble n'appartenait pas, du moment qu'il a été de bonne foi et qu'il est en pos- session : en d'autres termes, la loi veut que la possession d'un meuble corporel acquise de bonne foi en confère immédia- ment la propriété ; elle refuse la revendication au légitime propriétaire pour protéger l'acquéreur de bonne foi ; l'arti- cle 1141 paraît bien d'ailleurs, viser dans notre hypothèse l'acquisition d'un droit de propriété.

832. Enfin, une troisième doctrine a été proposée : la règle En fait de meubles la possession vaut titre est la con- séquence d'une présomption de propriété attachée à la pos- session. Elle n'a pas pour effet d'attribuer la propriété au possesseur ; mais elle établit à son profit une présomption devant laquelle échouera la revendication du propriétaire. En d'autres termes, sur le fondement de ce fait que je suis possesseur, la loi présume l'existence d'un droit de propriété à mon profit. Diaprés l'article 1350, la présomption légale est celle qui est attachée à certains faits ; tels sont les cas dans lesquels la loi déclare la propriété résulter de certai- nes circonstances ; l'article 2279 est une de ces hypothèses.

833. Les auteurs qui admettent ce point de départ consi- dèrent d'ailleurs pour la plupart la présomption qui sert de base à l'article 2279 alinéa 1^' comme absolue et irréfra- gable. Telle est l'opinion d'Aubry et Rau: « La possession, disent-ils, engendre instantanément et par elle-même en faveur du possesseur d'une chose mobilière une présomption de propriété, à l'aide de laquelle il peut repousser toute action en revendication, et qui est, en général, absolue et irré- fragable (*). » On peut tirer un argument en ce sens de l'ar- ticle 1352 d'après lequel nulle preuve n'est admise contre la

(*)V. not. Golmel de Santerre, VIII, n. 387/)w; Laurent, XXXn, n. 542; Van Bemmelen, p. 407; Bufnoir, p. 353 et s— V. aussi Duranlon, XXI, n.97; Troplongr, n. 1052 et s.

(*) Aubry et Rau, 2* éd., II, p. 145, § 183, note 4 ; Leroux de BreUgne,n.l320; Poincaré, p.*215 s.; de Polie ville, PoMeMio/i des meubles, n. 23; Planiol,2-éd., n, n. 1146; Guillouard, II, n. 818 et 819; Hue, XIV, n. 505.

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présomption de la loi, quand, sur le fondement de cette pré- somption, elle dénie l'action en justice: ici Tarticle 2279 dénie l'action en revendication. Cette manière de voir, qui écarte' toujours la revendication pour ne laisser subsister que les actions personnelles en restitution, se rapproche beau- coup de celle qui voit dans l'article 2279 un mode d'acqui- sition lege àe Isl propriété des choses mobilières (*)- Mais cette dernière nous paraît préférable. L'idée d'une présomp- tion légale nous semble arbitraire dans son point de départ et elle donne lieu à de grandes difficultés d'application. Elle est atrbitraire : rien n'autorise à rattacher l'article 2279 à l'article 1350 : la possession ne serait pas im titre si elle ne créait qu'une présomption. L'article 1350 vise d'autres cas, par exemple celui des présomptions de mitoyenneté des arti- cles 653 et 654, mais non le cas de l'article 2279. Ne fau- drait-il pas d'ailleurs, s'il n'y avait qu'une présomption légale, admettre le revendiquant à qui on opposerait l'arti- cle 2279 à provoquer l'aveu et à déférer le serment? Aubry et Rau décident qu'en général, sauf les cas cela serait contraire à l'ordre public, comme au cas de chose jugée, les présomptions légales, même absolues, peuvent être com- battues par l'aveu et le serment.

834. La jurisprudence admet plutôt qu'il y a une pré- somption susceptible d'être combattue par la preuve con- traire, même parla preuve testimoniale (*). C'est une solu- tion qui paraît encore bien plus en désaccord avec le but de l'article 2279 et avec les précédents historiques que nous avons rappelés ; elle est peu suivie en doctrine. N'est-ce pas supprimer l'article 2279 que d'y voir une présomption légale susceptible de preuve contraire? S'il s'agit d'une pré-

(*) M. Gény fait observer avec raison que cette controverse n'a pas grand inlé- rôt pratique \ Méthode d* interprétation et sources en droit privé positif, n. 72, p. 142). Il est, en efTet, bien certain que, dans Tapplication de l'art. 2279, on en fait à peu près complètement abstraction et on s'inspire surtout des motifs utili- taires de la règle.

(*) V. nol. Cass., 14 fév. 1877, S., 78. 1. 72, D., 77. 1. 320 ; 25 mars 1885, S., 88. 1. 148; 27 mars 1889, S., 89. 1. 199, D., 90. 1. 413 ; 8 mars 1898, S., 1902. 1. 523. Nancy, 30 déc. 1891, D., 92. 2. 441, et la note de M. Planiol.- Alger, déc. 1895, D., 97. 2. 453.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION! VAUT TITRE 663

Bomp tien légale, Farticle 1352 ne lui donne-t-il pas le carac- tère d'une présomption absolue? Bourj on disait: La posses- sion vaut titre; elle produit FefiFet d*un titre parfait. Il ne peut y avoir, on le voit, de preuve contraire- possible.

Il est vrai qu'il ne faut pas trop s'attacher à la formule dont on se sert en général dans cette théorie pour expliquer l'article 2279. La jurisprudence, en disant qu'elle admet la. preuve contraire, ne fait guère, en définitive, que réserver les. cas l'article 2279 ne peut, de l'avis général, recevoir d*applications. Il en est ainsi de bien des hypothèses que nous aurons à examiner et il y a une action personnelle en restitution contre le possesseur; il est certain que l'arti- cle 2279 ne peut être opposé à cette action. La jurisprudence a parfois expliqué cette solution en disant que c'est admet- tre la preuve contraire à la présomption de la loi ; c'est un moyen d'arriver au résultat généralement admis ; mais ce moyen repose sur la confusion de deux questions absolument distinctes, celle du caractère de la règle de l'article 2279, celle de savoir à quelles actions elle s'applique.

Nous dirons encore que notre règle ne peut s'appliquer s'il n'y a pas ime possession véritable, ayant les caractères voulus par l'article 2279. Certains arrêts arrivent au même résultat en décidant que le revendiquant peut faire la preuve contraire. Nous dirons, par exemple, que, le détenteur étant présumé posséder pour lui, le revendiquant aura à prouver qu'il détient précairement : il prouvera ainsi qu'il n'est pas dans le cas de la règle; la jurisprudence, expliquant les cho- ses autrement, dit que le revendiquant fera la preuve con- traire à la présomption légale.

D'une façon générale, la controverse que nous venons d'exposer n'aboutit pas, dans l'application, à une aussi grande divergence de solutions qu'on pourrait le croire au premier abord ; sur un grand nombre de points importants, la doc- trine et la jurisprudence sont d'accord quant à la solution, en ne différant que par la manière d'y arriver.

11 faut peut-être aussi observer qu'en jurisprudence on confond souvent plusieurs règles qu'on rattache indistincte- ment, à tort, à Tarticle 2279 : d'une part la règle d'après

666 DE LA PRESCRIPTION

laquelle le détenteur est présumé possesseur (art. 2230 et 2231), d'autre part la règle d'après laquelle tout possesseur, en cas de revendication, n'a aucune preuve à fournir, le revendiquant devant prouver sa propriété, d'autre part enfin la règle de l'article 2279 qui rend le possesseur de bonne foi d'un meuble propriétaire. Troplong faisait déjà remar- quer, dès les débuts de la formation de cette jurispru- dence, la confusion commise entre la présomption de l'arti- cle 2279 et celle que toute possession fait naitre dans tous les cas au profit du possesseur d'un objet quelconque; cette dernière, disait-il, est seule susceptible de preuve con- traire (*).

835. Mais quelle que soit la théorie qu'on admette, il nous paraît peu exact de vouloir la rattacher à travers l'ancien droit français aux vieilles règles des coutumes germaniques. Nous ne croyons pas qu'il faille, comme le disent Aubry et Rau, remonter au delà de la doctrine et de la pratique judi- ciaires de la seconde moitié duxviii" siècle pour trouver l'ori- gine de notre article 2279. M. Jobbé-Duval a très bien mon- tré que l'article 2279 repose, en définitive, sur des motifs qui n'auraient pas été compris des coutumiers du moyen âge, et que la doctrine qu'il consacre ne remonte pas au delà du xviir siècle.

835 bis. Plusieurs législations ont admis, à l'exemple du droit français, la règle qui supprime l'action en revendica- tion à l'égard du possesseur de bonne foi d'une chose mobi- lière. Le code civil hollandais reproduit dans son article 2014 la règle de notre article 2279. Le code civil italien, dans son article 707, la formule en termes un peu différents : « A l'égard des biens meubles par leur nature et des titres au porteur, la possession produit en faveur des tiers de bonne foi l'effet même du titre. » Le code fédéral suisse des obli- gations décide, dans son article 205, que « l'acquéreur de bonne foi devient propriétaire de la chose, bien que celui qui a aliéné ne fût pas propriétaire. » L'article 932 du code civil allemand décide aussi que l'acquéreur d'un meuble, s'il

(*) Troplong, n. 1046.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAL'T TITRE 667

est de bonne foi, en devient propriétaire, même si la chose n'appartenait pas à Taliénateur. Pour le cas cette règle ne trouverait pas son application, le possesseur de bonne foi peut invoquer une usucapion de dix ans (art. 937 et 945) (*). Mais d'autres législations ont, au contraire, conservé en matière mobilière, avec sa portée générale, l'institution de la prescription acquisitive. Il en est ainsi dans le code civil espagnol; la possession y équivaut à un titre, mais ne peut conduire à la prescription qu'après trois années s'il y a bonne foi ; c'est la solution qu'enseignait Pothier : le délai est de six années pour le possesseur de mauvaise foi (*). Le code civil portugais protège par la prescription acquisitive de trois ans l'acquéreur avec titre et bonne foi, en présumant d'ailleurs l'existence de ces deux conditions : il faut dix ans de possession si ces conditions ne sont pas remplies (art. 532). Le code ci>dl du Bas-Canada, dans son article 2268, a con- servé aussi les règles de notre ancien droit français (').

(*) V. aussi les art. 701, 718, 968 et s. du projet du Code civil suisse.

(-) V. G civ. esp., art. 464 et 1955 ; Manresa y Navarre, Comeniarios al codigo civil espanol, IV, p. 311 et s.

(^)Cet art.22ù8 est ainsi conçu : « La possession actuelle d'un meuble corporel à titre de propriétaire fait présumer le juste titre. C'est au réclamant à prouver, outre son droit, les vices de la possession ou du titre du possesseur qui invoque la prescription ou qui en est dispensé d'après les dispositions du présent article. La prescription des meubles corporels a lieu par trois ans, à compter de la dépossession, en faveur du possesseur de bonne foi, même si celte dépossession a eulieupar vol. Cette prescription n'est cependant pas nécessaire pour empo- cher la revendication si la chose a été achetée de bonne foi dans une foire, mar- ché, ou à une vente publique, ou d'un commerçant trafiquant en semblables matiè- res, ni en affaires de commerce en général, sauf l'exception contenue au paragraphe qui suit. - Néanmoins la chose perdue ou volée peut être revendiquée tant que la prescription n*est pas acquise, quoiqu'elle ait été achetée de bonne foi dans les cas du paragraphe qui précède; mais dans ces cas, la revendication ne peut avoir lieu qu'en remboursant à l'acheteur le prix qu'il a payé. - La revendication n'a lieu dans aucun cas si la cho^e a été vendue sous Tautorité de la loi. Le voleur ou autre possesseur violent ou clandestin et leurs successeurs à titre uni- versel sont empêchés de prescrire. »

688

DE LA PRESCRIPTION

SECTION III DES CAS AUXQUELS s'applique l'article 2279.

836. Nous avons vu plus haut le sens de la maximie : En fait de meubles la possession vaut titre ; elle signifie qu'on ne revendique pas les meubles: le possesseur peut l'invoquer comme une exception péremptoire pour repousser Faction en revendication du propriétaire. Le juge ne peut pas suppléer d'office lemoyen tiré de l'article 2279 pas plus que le moyen tiré de la prescription. Le vendeur actionné en garantie par son acheteur ne pourrait l'opposer, pour échapper à l'action en garantie, en soutenant que l'acheteur est ainsi à Tabri de toute éviction. Nous appliquons ici les mêmes solutions que nous avons données en matière de prescription (*). V. supra n. 109 bis.

Il devient facile maintenant de délimiter le domaine delà règle traditionnelle. Son application suppose une action en revendication exercée par le propriétaire d'un meuble; le possesseur ne peut donc pas l'invoquer, s'il est attaqué par toute action autre qu'une action en revendication (*).

837. Ainsi tout d'abord la règle est inapplicable toutes les fois que le possesseur d'un meuble est attaqué par une action personnelle en restitution ('). Telle est notamment la situa- tion du dépositaire ou de l'emprunteur àusage, recherché par l'action personnelle née du dépôt ou du prêt. Telle est aussi celle du vendeur resté en possession de la chose vendue et poursuivi en délivrance par l'acheteur. Celui qui a reçu une chose indûment, même de bonne foi, ne peut pas non plus échapper à l'action en répétition. Telle est, à plus forte raison, la situation du voleur auquel le propriétaire demande lares-

(*) Bufnoir, p. 386. Il cite à Tappui de celte solution un arrôl de la Cour de Paris du 27 novembre 1883.

(«) Troplong, il, n. 1043 et 1044 ; Aubry et Rau. éd., Il, p. 155, § 183.

(*) Gass., 5déc. 1893, S., 96. 1.79. - Aubry et Rau, 5«éd., Il, p. 155ell56. § 183 ; Laurent, WKU, n. 5U et 661 ; Colmet de Sanlerre, VIII, n. 3S7*«; Planiol, op. cit., n. 1121 ; Bufnoir. p. 372 et s. ; Guillouard, n. 869, 1. - Cpr. Gass., 5 août 1878, S., 80. 1. 294, D., 79. 1. 253.

E.N FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRÏ 669

titution de la chose volée par Taction personnelle née du vol, ex delicto (*). Celui qui a trouvé un objet est aussi tenu d'une action personnelle en restitution, s'il a encore Tobjet. entre les mains.

Dans les hypothèses que nous visons ici, le possesseur est tenu personnellement de restituer Tobjet qu'il possède, l'article 2279 est inapplicable, non seulement en ce qu'il laisse subsister l'action personnelle, mais en ce sens que la revendication est également possible ; nous verrons plus loin qu'il en est ainsi au cas de précarité ; mais il faut en dire autant des autres cas d'obligation personnelle de restitution existant à la charge du possesseur au profit du revendiquant ; l'article 2279 doit être ici exclu entièrement (*).

Il faut ajouter que l'article 2279, ayant pour but d'exclure la revendication et s'appliquant au cas celui qui a vendu le meuble n'était pas propriétaire, ne se réfère pas au cas il s'agit pour l'acquéreur d'échapper à une action person- nelle en nullité tenant à ce qu'il a traité avec un proprié- taire incapable ou avec un représentant légal, comme un tuteur, qui a irrégulièrement aliéné les meubles faisant par- tic du patrimoine qu'il a à administrer. Peu importent les vices du titre de Taliénateur ; ils n'empêchent pas l'acqué- reur de pouvoir invoquer l'article 2279 ('). Mais il n'en est pas de môme des vices du titre de l'acquéreur ; s'ils donnent lieu à une action en nullité, la règle En fait de meubles pos- session vaut titre ne peut faire obstacle à. cette action. « L'ar- ticle 2279, dit la Cour de cassation, a pour objet de proté- ger le possesseur d'un meuble contre une revendication intentée par. un tiers et non contre l'action de celui qui, ayant été par lui-même ou par son auteur partie à l'acte qui. est. la cause de la possession, attaque cet acte ou sou- tient que le possesseur est tenu de lui restituer le meuble

(•) Sic, Laurent, XXXII, n, 551. V. Gass., 20 juin 1881, S., 83. 1.447, D., 8^, 1. 111.'- Besançon,.4 juill. 1888, D., 89. 2. 182. - Pau, 1" avril 189l>, D.,92. 2. 232.

(') BHfnoir, loc. cit.

(») Aubry et Ilau, éd., Il, p. 158, § 183 ; Laurent, XXX.U, n. 594.

670 DE LA PRESCRIPTION

en vertu d'une obligation personnelle. » V. encore infra, n. 881.

838. Nous venons de dire que Tarticle 2279 laisse en dehors de son application les actions personnelles dont le détenteur peut être tenu. Mais il faut rappeler que la jurispru- dence, dans bien des cas, au lieu de dire qu'il s'agit d'action personnelle à exercer, décide qu'il s'agit de faire la preuve contraire à la présomption résultant de la possession. G est une solution que nous avons critiquée et que les auteurs paraissent d'accord pour combattre. « On commet, disent Aubry et Rau, une grave erreur quand on considère comme autant d'excep- tions à la règle En fait de meubles possession vaut titre les cas une personne peut réclamer, non par voie de revendication, mais en vertu d'une pure action personnelle, la restitution d'une chose mobilière ; c'est à cette erreur qu'il faut attri- buer les hésitations et les incertitudes qui se rencontrent dans la jurisprudence des arrêts. » V. supra, n. 834.

839. Nous rattachons au même principe cette proposition qu'on trouve formulée partout, à savoir que la règle En fait de meubles la possession vaut titre ne s'applique pas aux uni- versalités juridiques. Je détiens en qualité d'héritier une succession mobilière, une universalité juridique par consé- quent ; puis-je opposer l'article 2279 alinéa 1" à celui qui intente contre moi l'action en pétition d'hérédité ? Non, parce que le demandeur ne revendique pas contre moi ; l'objet du débat est de savoir, non qui est propriétaire, mais qui est héritier. Il s'agit d'une pétition d'hérédité; or, nous l'avons dit, la règle En fait de meubles la possession vaut titre ne peut être opposée qu'à celui qui revendique, puis- qu'elle signifie qu'on ne revendique pas (*). Les motifs de l'article 2279 ne trouvent pas du reste leur application quand il s'agit d'une hérédité ou autre universalité juridique à réclamer ; le possesseur de l'hérédité doit justifier de son droit héréditaire ou de la cession qui lui a été faite des

-(») (Jass.,10 fév. 1840, S., 40. 1. 572, D. Bép., V Sacc..n.i567. Trôplong, II, n. 1066 ; Renault, Rev. de légisL, I, 1845, p. 375 ; Aubry et Rau, 2* éd., II, p. 152, § 183 ; Laurent, XXXÎl, n. 545 et 565 ; Guillouard.n. 821; Bressol- les, Dons manuels, n. 77. G. civ. ilal. art. 707.

EN FAIT DE MEL'BLES POSSESSION VAUT TITRE 671

droits successifs de Théritier : la sûreté du commerce et la nécessité des transactions ne demandent pas que sa posses- sion soit équivalente à un titre. Enfin nous savons qu'une hérédité n'est pas, d'après notre droit actuel, susceptible d'une possession dans le sens juridique du mot, et c'est cette possession, nous le verrons, qu'exige l'article 2279. \ .supra^ n. 202.

Ajoutons d'ailleurs que si une personne est en possession de certains meubles dépendant d'une succession et ne se présente pas comme ayant recueilli l'universalité de la suc- cession, il s agit d'une question de revendication et non plus d'une pétition d'hérédité. L'article 2279 retrouve son entière application.

840. Enfin c'est également parce qu'elle ne constitue qu'une exception, destinée à repousser une action en revendication, que la règle En fait de meubles possession vaut titre de- meure inapplicable aux meubles incorporels, c'est-à-dire aux créances. On ne revendique pas une créance, à proprement parler : donc il ne peut être question d'opposer au sujet d*une créance la maxime En fait de meubles possession vaut litre. D'ailleurs les motifs qui ont fait établir la règle tradi- tionnelle sont tout à fait étrangers aux créances (*). A la dif- férence de ce qui a lieu pour le droit de propriété portant sur des meubles corporels, les droits de créance sont ordi- nairement constatés par des titres ; il est donc facile à celui qui fait l'acquisition d'une créance de vérifier si l'aliénateur en est bien le titulaire ; on peut lui reprocher une négli- gence grave, si, n'ayant pas fait cette vérification, il se trouve avoir traité avec un autre que le titulaire de la créance ; et il n'a pas droit, par suite, au bénéfice d'une protection spéciale. Enfin il faut dire que les créances, n'étant pas sus-

(«) Gass., 4 mai 1836, S., 36. 1.353, D. Rép,, v Prescr., n. 278; 11 mars 1839, S., 39. 1. 69, D. Réf., loc, cit. ; 14 août 1840, S., 40. 1. 753,D. iicp., loc, cit. ; 29 août 1849, S., 50. 1.193, D., 49. 1. 273. Douai, 3janv. 1873, S. 74. 1. 409, €t la note de Labbé,D., 74. 1. 145.— Vazeille, II, n. 670 ; Troplong, II, n. 1065. Renault, op. cit., p. 376; Marcadé,sur Tart. 2279, n. 4; Aubry et Hau, loc. cit.; Demolombe, XXIV, n. 386 ; Laurent, XXXII, n. 562, 566 et 567 ; Hue, XIV, II. 506 ; Guillouard, II, n. 824. V. cep. Rodière, -fier, de lég., Wl, 1837, p. 466.

G72 DE LA PRESCRIPTIOPf

ceptibles d'une véritable possession, ne rentrent pas dans la formule de larticle 2279. V. supra, n. 201.

L'article 2279 ne s'applique pas notamment aux valeurs nominatives ni aux effets de commerce, qui ne peuvent être transmis de la main à la main et dont la transmission sup- pose au, contraire, l'accomplissement de certaines forma- lités (').

841. Ce que nous venons de dire des créances en général ne s'applique pas à celles qui sont constatées par des titres au porteur. En pareil cas, le droit de créance est lié au titre qui le constate, et se transmet avec lui par une simple tradi- tion manuelle ; c'est par une véritable action en revendication que le propriétaire procédera, s'il y a lieu, contre le posses- seur des titres; la règle En fait de meubles la possession vaut titre devient donc applicable conmie s'il s'agissait d'un objet mobilier corporel. D'ailleurs il est impossible à l'acquéreur d'une créance, constatée par un titre au porteur, de vérifier si elle appartient bien en réalité à l'aliénateur et, par consé- quent,le motif de la loi se retrouve dans cette hypothèse (*).

842. L'article 2279 alinéa l^r s'applique aussi aux billets de banque. On peut revendiquer, contre un possesseur de mauvaise foi, un billet de banque comme un objet mobiher quelconque, en admettant, ce qui est rare, qu'on prouve l'identité du billet soustrait ou perdu et du billet qui est aux mains du possesseur (^). Mais il n'y a pas, dans aucun

(») Gass., 15 avril 1863, S , 63. 1. 387, D., 63. 1. 396 ; M déc. 1873, S., 74. 1. 409, D., 74. 1. 145 ; 4 juill. 1876, S., 77. 1. 105, D., 77. 1. 33 ; 4 nov. 1902, S., 1903. 1. 173. Paris, 26 nov. 1887, D., 87. 2. 110.

(*) Gass., 15 avril 1863, S., 63.. 1. 387, D., 63. 1. 396; 4 juill. 1876, D. 77. 1. 33; 5 déc. 1876, S., 77. 1.201, D., 77.1. 166; 14 fév. ISH, S., 78. 1. 72; lOdéc. 1877, D., 78. 1. 176 ; 20 juin 1881, S., 83, 1. 447, D., 82. 1. 111; 28 mars 1888, S., 88. 1. 265, D., 88, 1. 253 ; 27 mars 1889, S., 89. 1. 199, D., 90. 1. 413 : 15 avril 1890, D., 91. 1. 388 ; 25 mars 1891, S., 91. 1. 469. - Pau, 6 avrill886, S., 88. 2. 14. Douai, 20 juin 1892, S., 92. 2. 167. Merlin, QnesL de dr., V Revend,, § 1 ; Aubrj- et Rau, 5- éd.. if, p. 153 ; Laurenl, XXXH, n. 565 569 ; Wahl, Titres au porteur, n, 1416 s.; Hue, loc. cit. ; Guillouard,n. 825- Aux termes de l'art. 208 du Gode fédéral des obligations, on ne peut reven- diquer les coupons échus des litres au porteur; il ne peut s'agir que d'une action personnelle en restitution contre le possesseur de mauvaise foi.

(») Wahl, n. 1541. V. cep. Guillouard, n. 984. V. aussi G. féd. oblig., art. 208.

O FAIT DE MELBLKS POSSESSION VAUT TITR:- 673

cas, de revendication possible contre le possesseur de bonne foi (*) ; autrement la circulation de ces billets serait rendue impossible. Il en est des billets de banque comme des pièces de monnaie qu'on ne peut revendiquer que contre un pos- sesseur de mauvaise foi et en faisant avec certitude la preuve de l'identité. V. infra, n. 922.

843. L'article 2279 s'applique certainement aux manuscrits et aux correspondances envisagés comme objets mobiliers, sauf à examiner si, notamment au cas de lettres confidentiel- les, il n'y a pas mauvaise foi de la part du tiers non destina- taire cfui se trouve en possession, et si,par suite, l'article 2279 n'est pas inapplicable. Au surplus, il s'agit ici des manus- crits et correspondances envisagés comme objets matériels; la propriété littéraire consistant dans le droit de pul)lication est en dehors de l'article 2279 (*).

Quelques auteurs à la vérité ont soutenu que la propriété des manuscrits implique le droit de les publier et de retirer le profit de la publication. Mais cette théorie est bien inexacte. Entre la propriété du manuscrit considéré comme chose ma- térielle et la propriété littéraire de l'écrit, il faut établir une distinction absolue. Le possesseur du manuscrit n'a pas pour cela la propriété littéraire, qui reste à l'auteur de l'écrit. L'article 2279 ne s'applique pas aux meubles incorporels, et la propriété littéraire, consistant dans le droit de publica- tion, résiste à toute idée de transmission manuelle et doit faire l'objet d'une cession (').

(') Amiens, 5 mars 1884, D., 85. 2. 111. Lyon-Caen et Renault, IV, n. 764.

{*) Bordeaux, 4 mars 1843, Rec. des arrêts de Bordeaux, 1843, p. 316. Paris 4 juin. 1890, S., 94. 2. 17 et la noie de M. Appert, D., 95. 2.421. Aubry el Rau. 5* éd., II, p. 153, § 183; Uenouard, Droits d'auteur, II, p. 288; Ortlieb, n. 74; Poincaré, p. 159; Laurent, XXXII, n. 570; Pouillel, Prop. lUt,\ n. 377; Guillouard, II, n. 826; Hue, XIV, n. 507.

(») Sic Aubry et Uau, 5- éd., II, p. 153, § 183, et éd., VIII, § 659; Laurent, XXXII, n. 570; Paul Bressolles, op. cit., n. 214 s.; Poincaré, loc. cit. ; Ôrtlieb, loc. cit.; Tis3ier. La propriété et V inviolabilité du secret des lettres missives, p. 93; de Folleville, Posses.^ n. 69; Guillouard, loc. cit. ; Pouillel, loc. cit. ; Appert, S. 91.2.17. Cpr. Paris, 13 nov. 1841, S. 44.2.3; 10 déc. 1850, S., 50.2.626; 10 mars 1858, D., 58.2.217; 1-' déc. 1876, D., 78, 1. 73; 4 juill 1890, précité. Poiliei-s, 15 mars 1830, I) , 80.2.153. - Trib. Seine, 23 août 1883, Gaz. des Trib. du 24 août 1883. IIuc, loc. cit, V. cep. Troplong, Donat.,

pREfcCR. 43

674 DE LA PRESCRIPTION

Comment admettre d'ailleurs qu'un tiers quelconque, mis en possession d'un manuscrit, ait le droit si grave et si dan- gereux de publier des mémoires et des correspondances que l'auteur veut laisser inédits ? « Quand on écrit au courant de la plume, disait Diderot, tout ce qui peut être dit sur une question ne vient pas, ne se dit pas, ou ne se dit pas comme il devrait être dit. » S'il s'agit de correspondances et de ma- nuscrits relatifs à des travaux que l'auteur se propose d édi- ter, comment concevoir qu'il puisse se voir enlever le résultat et le profit de son travail? On peut considérer la jurispru- dence comme fixée en ce sens : à propos de la publication des lettres de Benjamin Constant, de Lamennais^ de Lacor- daire, de Sainte-Beuve, les tribunaux ont décidé que le droit de propriété littéraire est séparé delà propriété du manus- crit (').

843 bis. L'article 2279 est-il applicable aux fonds de commerce? Nous ne le pensons pas. Les fonds de commerce ne sont pas des choses mobilières corporelles ; de plus les motifs traditionnels qui expliquent la règle de l'article 2279 ne se retrouvent plus pour les fonds de commerce : on est dans l'usage de constater la vente d'un fonds de commerce par un écrit et de garder les quittances des sommes payées au vendeur: il est donc facile à un acquéreur de savoir s'il traite avec le légitime propriétaire. L'article 2279 ne s'appli- que qu'aux choses susceptibles de transmission manuelle ; or, les fonds de commerce ne le sont évidemment pas (*).

844. Rappelons d'ailleurs que l'article 2279 ne s'applique pas aux meubles qui font partie du domaine public ; notam- ment aux objets d'art, manuscrits, meubles, livres des mu- sées et bibliothèques. (V. svpra, n. 155 s. et infra, n. 910 s.)

n. 1053 s ; Massé et Vergé; III, p. 72, § 428. note 13; Renouard, Droits (Tao- teur, II, n. 167. V. aussi les conclusions de M. l'avocat général Meynard du Franc S-, 50.2 626 Il est à noter au surplus qu'en matière de propriél<^ artistique, la jurisprudence n'est pas aussi attachée à la distinction indiquée «u texte V. à cet égard D. Bép., Suppl., v" Prop, lillér, et artist., n. 99; Appert, loc. cil.

0) Albert Tissier, op. n7., p. 95.

{-) Sic, Paris, 2} mai 1901, S., 1905. 2. 121. - Contra, Paris, 22 nov. 1904, S.. 1905. 2. 121 et la note de M. Wahl. - V. aussi Paris, 27 juin 1904 (S.» ibiiL).

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 678

845. La règle En fait de meubles ta possession vaut titre souffre une véritable exception en ce qui concerne les navi- res et autres bâtiments de mer (Arg. art. 190, 195 et 196 C. com.).

L'article 2279 ne s'applique pas en effet aux navires : tous les auteurs sont d accord sur ce point. L'article 195 du code de commerce exige un écrit pour la vente du navire, et nous savons que l'article 2279 suppose des ventes qui se font sans écrit ou pour lesquelles l'écrit n est pas demandé par la loi (*). 11 est facile à 1 acquéreur d'exiger la justification de la propriété de son auteur. Le motif de larticle 2279 ne se retrouve donc plus. 11 faut ajouter que la seule prescription sera ici celle de trente ans, l'article 2205 ne s appliquant qu'aux immeubles, et le navire n'étant pas un immeuble (*). D'une façon générale, les meubles qui sont en dehors de l'article 2279 ne peuvent être prescrits que par trente ans.

846. L'article 2279 ne s'applique pas aux meubles qui sont attachés à perpétuelle demeure à un bâtiment et sont ainsi immeubles par destination (^). S'ils sont revendiqués en même temps que 1 immeuble, l'article 2279 ne peut être opposé à l'action en revendication. Il ne peut l'être non plus, au cas de revendication d'un immeuble contre un possesseur de bonne foi, en ce qui concerne les produits accessoire- ment revendiqués (*).Mais quand il s'agit d'objets qui, déta- chés dun immeuble, sont devenus meubles par suite de cette séparation, l'article 2279 doit reprendre son applica- tion ; il en est ainsi, à notre avis, pour les meubles immobi- lisés par destination et qui seraient séparément aliénés par un locataire ou un fermier; il en serait de même des objets

(») V. Cass., 18 juin 1870, S., 70. 1. 145 et la noie de Labbé, D., 70. 1. 127. Laurin, Précis de dr. marit., n. 15 ; Lyon-Caen et Renault, Tr, de dr, comm., V, n. 84 et 161 ; Laurent, XXXII, n. 573,- de Valrogei', Droit rnarit., I, p. 77 ; Desjardins, id,, I, n. 57 ; Guillouard, n. 831.

(-) Il a été jugé que la règle d'après laquelle l'art. 2279 ne vise pas les navires et bâtiments de. mer ne saurait être étendue u un yacht de plaisance de moins de dix tonneaux non susceptible de faire l'objet d'un acte de francisation et dont la saisie est soumise aux règles du droit commun. Bordeaux, 19 janv. 1894, D., 95. 2. 257. -— V, cependant la note de M. Levillain sur cet arrêt.

(») Sic. Aubry et Hau, éd., II, p. 152 ; Laurent, XXKII, n. 563.

(*) Guillouard, n. 822 ; Aubi^ et Hau, 5' éd., II, p. 418, § 206.

676 DE LA PRESCRIPTION

détachés de rimmeuble dont ils faisaient partie, par exemple des arbres aliénés séparément du sol et abattus par Facqué- reur (*). L'acquéreur d'une coupe de bois à abattre, mis eu possession réelle, pourrait donc invoquer l'article 2279 s'il avait cru traiter avec le propriétaire et s'il avait été trompe à cet égard. Cette dernière solution est d'ailleurs susceptible de controverse et a été contestée. On a fait valoir que les motifs de l'article 2279 n'existent pas quand il s'agit de choses qui, au moment de l'aliénation, faisaient partie d'un immeu- ble, parce que, à cette époque, les titres établissant la pro- priété de l'immeuble pouvaient servir à établir la propriété des objets détachés plus tard de l'immeuble. « Si le motif de la loi, quand il s'agit de choses mobilières, est qu'il n'y a pas ordinairement de titre, ce motif n'a pas lieu quand ce sont des choses qui font partie de l'immeuble même. L'article 2279 ne devrait être appliqué qu'aux meubles trans- mis comme tels, c'est-à-dire ayant la nature de meubles au moment de la transmission au tiers possesseur {*). » Cette considération n'est pas décisive. Le texte de l'article 2279 ne peut comporter une pareille distinction. On peut d'ail- leurs ajouter que, dans notre hypothèse comme dans les cas ordinaires, il s'agit de choses mobilières pour lesquelles il est important de simplifier la transmission de la propriété, d'en faciliter la circulation, d'éviter les revendications lon- gues et coûteuses.

847. Enfin, l'article 2279 ne s'applique pas au cas où, un immeuble étant revendiqué, il s'agit pour le possesseur de restituer ou de conserver les fruits par lui perçus ; les règles sur ce point sont posées par l'article 349, qui ne se rattache pas à notre règle. (V. infra, n. 879.)

(*) V. dans le sens de celle Ihéoric Ca.>>s., 21 juin 1820, S. chr. ; 9 août 1825, S. chr. ; 9 août 1831, S., 31. 1. 3S8. Laurent, XXXII, n. 564 ; Cliauveau, Des meubles par anticipation ^ n. 38, 40, 46 ; Guillouard, n. 827. Cpr. Hen- nés, 17 mars 1892, S., 94. 2. 73 el la noie de M. Albert Tissier.

(«) Uodière, Hev. de lé(j., XLII, p. 321.

EN FAIT DE MEUBLl-S POSSESSION VAUT TITRE 077

SFXTION IV i)::s CONDITIONS REQUISES POUR l'application DE l'article 2270.

848- La règle En fait de meubles possession vaut titre suppose, pour son application, la réunion de plusieurs con- ditions que le texte n'indique pas d'une façon expresse e* dont, par suite, la détermination précise soulève des diffi- cultés et des controverses nombreuses. Il s'agit de savoir quels caractères doit avoir la possession pour avoir l'efPet d'un titre ; il s'agit aussi de savoir si le possesseur doit être de bonne foi.

§ 1. Des caractères que doit avoir la possession.

849. 11 semble bien tout d'abord qu'on doive exiger, pour l'application de l'article 2279, une possession réelk. L'arti- cle 1141 qui entre deux acquéreurs d'un même meuble pré- fère celui qui de bonne foi a été mis en possession réelle est, d'après une opinion généralement admise, une conséquence de l'article 2279; il faut interpréter la règle à l'aide du texte qui en est une application. Il faut donc que le possesseur ait réellement la chose en sa main et sous sa puissance, que la possession soit effective.

Ainsi je vends à deux personnes successivement la môme marchandise, qui se trouve dans un magasin dont la gestion est confiée à un employé ; je remets au deuxième acheteur un ordre de livraison : ce qui constitue un cas particulier de délivrance. Ce second acheteur pourra-t-il opposer au pre- mier la maxime En fait de meubles possession vaut titre ? Oui, si l'ordre de livraison a été exécuté, car alors il est en possession réelle. Non, dans le cas contraire, car celui qui ne possède qu'en vertu d'un ordre de livraison n'est pas en possession réelle. Il y a une question de fait à apprécier quand on se demande si telle possession est réelle. Mais il est certain que les modes de délivrance prévus par les arti-

678 DE LA PRESCRIPTION

des 1602 et 1606 du code civil, qui peuvent en général suf- fire pour constituer une prise de possession, ne suffisent pas nécessairement pour créer ici la possession réelle ; la remise des clefs par exemple pourra constituer la possession réelle, mais il n'en sera pas toujours ainsi ; la marque faite à un objet pourra être un signe de possession réelle, mais ce ne sera pas toujours suffisant. 11 paraît bien d'ailleurs certain que dans le cas de constitut possessoire, le vendeur détient la chose pour le compte de l'acquéreur, on ne saurait parler de possession efiective donnant lieu à l'application de l'article 2279 (*). Cette condition se confond souvent au sur- plus avec celle d'après laquelle la possession ne doit pas être équivoque. (V. infra, n. 858 s.).

850. Faut-il en outre que la possession ait été acquise dans les conditions déterminées par l'article 2229, c'est-à-dire qu'elle soit paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire? Les auteurs qui considèrent notre règle comme une prescription instantanée sont tout naturellement conduits à l'admettre ; l'article 2279 alinéa 1*' se rattachant à une idée de prescription, on applique les règles générales de la prescription sauf les dérogations établies parla loi. Parmiles conditions requises par l'article 2229, il y en a d'ailleurs qui se rattachent à la durée de la possession, notamment la con- tinuité et la non interruption ; il est clair que ces conditions ne sont pas requises chez le possesseur qui invoque la maxime En fait de meubles possession vaut ^ùre, puisqu'il s'agit d'une prescription instantanée. Mais toutes les autres conditions doivent se retrouver ici. L'article 2279 ne pourra donc être invoqué par celui dont la possession aura été acquise à

(*) V. Gass., 6 juillet 18il, S., 42.1,33, D. Rèp., V Prescr., n. 267.- Lyon, 9 avril 1851, D., 55.2.6.— TropIong,n. 1062 et 1063; Laurent, XXXII, n. 555; Van Bemmelen, op, cit., p. 406; Paul Bressolles, n. 98 s.; Crouzal, Rev. gén. du droit, 1887, p. 134; Bufnoir, p. 366; Guillouard, n. 861 et 862. - V. cep. G. civ. ail., art. 933 et 934; G. féd. oblig., art. 209.— Rossel, Manuel du droit fédérsLl des oblig., p. 271, n. 258. Aux termes de l'art. 209 du Code fédéral des oblig., lorsque des marchandises sont représentées par un récépissé, un bulle- tin de dépôt ou de chargement, ou une autre pièce analogue, celui qui acquiert le titre de bonne foi est réputé propriétaire des marchandises, mais le tiers, possesseur de bonne foi des marchandises elles-mômes, lui est préféré. V. aussi l'art. 963 du projet de Gode civil suisse.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAiT TITRE 679

Taide de violences et de voies de fait^par celui dont la pos- session serait clandestine, par celui qui aurait une possession équivoque ou à titre précaire (*).« La règle En fait de meu- bles la possession vaut titre, dit la Cour de cassation, dispense le possesseur de toute preuve quant à son droit de propriété, lorsque cette possession a lieu animo rfomeViî, qu'elle est pai- sible, publique, exempte de précarité et d'équivoque (^). »

851. Dans les doctrines qui expliquent l'article 2279 par une idée d'acquisition lege, ou de présomption légale, on ne peut admettre l'application de l'article 2229. Aussi voyons- nous Laurent dire que par possession légale, on doit seule- ment entendre une possession à titre de propriétaire. « C'est en ce sens qu'il faut entendre la proposition . trop gén raie que la possession doit réunir tous les caractères énumérés par les articles 2228 et suivants. 11 ne s'agit pas de prescrire par un certain laps de temps, de sorte qu'il ne peut être question d'une possession continue, publique, ni des autres conditions spécialement requises pour la prescription. » La cour de Pau a décidé qu'il n'est pas nécessaire, pour l'ap- plication de l'article 2279, que la possession soit publique C*), et que, d'une façon générale, l'article 2229 n'est pas applica- ble à notre hypothèse.

852. Mais quelque doctrine qu'on admette sur le fonde- ment juridique de l'article 2279, il faut exiger une possession à titre de propriétaire. En disant que la possession équivaut àun titre, la loi fait nécessairement allusion à une possession à titre de propriétaire, à une possession analogue à celle qui résulterait d'un titre de propriété. « Le possesseur d'un objet mobilier, dit Laurent, s'en prétend propriétaire et il invoque à l'appui de sa prétention la possession; il suit de que cette possession doit être celle d'un propriétaire; il doit donc posséder à titre de propriétaire. » D'ailleurs, nous

(') V. Cass., 15 avril 1S90,S., 91. 1. 342, D., 90. 1. 388. - Amiens, 28 juil- let 1879, S.,80.2.207. - Nancy, 30 déc. 1891, D., 92. 2. 441. - Grou2al,Zoc cit.

(') Gas3., 18 déc. 1894, S., 95.1. 136, D., 95. 1. 364.

Cl Pau, 28 mars 1885, D., 86. 2.209.- Laurent, XXXII, n. 546; Hue, XÏV, n. 513. - V. cep. Dijon, 11 août 1893, S., 94. 2. 95. - Guillouard, II, n. 868 et 869.

G80 DK LA PRESCRIPTION

savons cfue Vanimus domini n'est pas seulement un caractère de la possession nécessaire pour conduire à la prescription ; c'est un élément essentiel de la possession elle-même. Celui qui est détenteur précaire n'a pas la possession; il ne peut donc se prévaloir de l'article 2279. Il faut une possession à titre de propriétaire et non équivoque (*).

Ainsi donc celui qui possède à titre de locataire, d'em- prunteur, de dépositaire, ou à tout autre titre précaire ne peut pas se prévaloir de la maxime En fait de nietibles la possession vaut titre (^). Il est soumis à l'action en revendi- cation.

853. On présume dans le doute que la possession est à litre de propriétaire: ceux qui voient dans l'article 2279 une prescription ne font qu'appliquer ici la règle de l'article 2230; les autres arrivent au même résultat par l'application des règles du droit commun. C'est à la partie qui excipe de la précarité de la possession à en fournir la preuve (*). Cette preuve se fait en observant les règles des articles 1341 et 1348 du ôode civil, c'est-à-dire que si le revendiquant allè- gue un dépôt, un bail, un prêt, un mandat qu'il aurait con- senti, il ne pourra prouver sa prétention par témoins au- dessus de 150 francs (*); il pourra au contraire prouver par tous les moyens possibles les actes de complaisance ou de familiarité qu'il alléguerait pour expliquer la détention des meubles revendiqués aux mains du défendeur (*). Les tribu-

(') Cass , 10 fév. 1810, S , 40. 1. 572. Troplong, loc. cit.; Guillouard, n. 863.

(=») Cass , 15 avril 1830, S., 91. 1. 342. D., 90. 1. 388; 5 août 1890, S., 91,1. 343, D., 91. 1. 21; 16 janv. 1901, S., 1902. 1. 85. - Nancy, 20 nov. 1369, IJ., 70. 2. 142; 30 déc. 1891, précité ;— Toulouse, 10 mai 1881, D., 82. 1. 433. Laurent, XXXII, n. 544 s.; Bufnoir, p. 353; Aubryel llau, ô* éd., II, p. 155, § 183; Planiol, n- 1121. - V, cep. Poincaré, p. 208.

(») Cass., 5 août 1S90, précité; 21 ocl 1902, S., 1904. 1. 31. - V. aussi Cass., 14 févr., 1877 S., 78. 1. 72, D., 77. 1. 320 ; 20 juin 1881, S.. 8^. l. 447, D.» 82. 1. 112 ; 15 nov. 1881, S., 82. 1. 259, 1)., 82. 1. 67; liJ août 1884, S., 85. 1. 374, D., Réf., Supp , Prescr., n. 143. Orléans, 6 mars 1895, D., 96. 2. 213. - Gpr. Laurent, XXXII, n. 547; Guillouard, n. 86i et s.

(») Paris. 19 déc. 1871, S., 71. 2. 274, D., 73. 2. 131. - Pau, 12 janv. 1874. S., 76. 2. 2, IJ., 75. 2. 113; 6 mai 1879, D., 80. 2. 197.

(*) V. Gass., 6 juin. 1841, S., 42. 1. 33, 1)., Rép,\* Prescr., n; 267; 2* avril 1866, S., 66. 1. 183, l)., 66. 1. 347; 27 mars 1889, S., 89. 1. 199, D., 90. 1. 413. V. infra, n. 861 s.

EN FAIT DE MKUBLES POSSESSION VAUT TITRE 081

naux «apprécient s'il y a simple, détention ou s'il y a réelle- ment possession permettant d'invoquer Tarticle 2279 (*).

854. Ainsi, outre l'action personnelle en restitution, le détenteur précaire est soumis à une action en revendication que l'article 2279 ne peut écarter; on est en dehors de l'hypo- thèse de ce texte. La jurisprudence aboutit à la même solu- tion, mais, nous l'avons dit, par un raisonnement différent, et en faisant une confusion d'idées ; elle décide que l'ar- ticle 2279 édicté une présomption sauf preuve contraire et cjue c'est fournir la preuve contraire que de démontrer la précarité delà détention de celui qui se prétend possesseur (*). On arrive en fait, sur le terrain pratique, aux mômes résul- tats, mais le raisonnement nous paraît peu exact au point de vue juridique. Laurent dit que les tribunaux belges se prononcent dans un sens différent ; la Cour de cassation de Belgique décide qu'il n'y a point de possession valant titre s'il y a détention pour autrui et non à titre de propriétaire (^) . C'est la solution .qui nous paraît seule exacte.

855. Plusieurs auteurs attachés à l'idée de présomption légale excluant toute revendication paraissent môme pen- ser, contrairement à notre théorie, qu'au cas de détention précaire l'action en revendication ne peut être admise. Il n'y aurait que l'action personnelle en restitution: l'arti- cle 2279 écarterait dans tous les cas la revendication (*) . Cette opinion n'est pas exacte ; la possession de l'article 2279 est, nous lavons dit, une possession dans le sens juridique du mot, avec animus domini. Les articles 1141, 1926, 2236, 2239 du code civil ne nous paraissent pas laisser de doute sur l'existence d'une action en revendication contre le déten- teur précaire, en dehors de l'action personnelle en restitu-

0) V. nol. Cas» , 30 mars 1898, S., 98. 1. 489. - Paris, 2 mai 1894, D., 95. 2. 259. Lyon, 8 août 1833, D., 95. 2. 374.

O V. Cass., 6 juin. 1811, précité; 15 avril 1863, S., 63. 1. 387, D., 63.1. 396; 27 mars 1889, précité. - Bordeaux, 19 mars 1868, I)., 68. 1. 222. Nancy, 22 fév. 1873, D , 73. 2. 26.- Aubry et Rau, II, éd., p. 155, § 183.- Contra Uurent, XKKll, n. 55J. - V. supra, n. 834.

(') Laurent, XXXII, n. 546.

(') Aubry et Rau, 5- éd.. If, p. 155, § 183 ; Poincaré, p. 199 s. Gpr. Lau- J-r'nl, XXXIÏ, n. 544 s., 551, 554.

682 DE LA PRESCRIPTION

tion. L'intérêt pratique de cette question se rencontre quand l'action personnelle est prescrite; il s'agit alors de savoir si la revendication est encore possible; dans notre théorie, le dépositaire ne peut prescrire par- aucun laps de temps con- tre la revendication.

Laurent, qui admet notre opinion, paraît le faire avec quel- que hésitation: il dit que la solution contraire peut se soute- nir dans la subtilité du droit. Dans certains passages, il dit lui-même, à propos du dépositaire, que « le propriétaire ne peut pas revendiquer et il faut qu'il agisse par une action personnelle (*). » A notre avis, ce n'est pas subtil, mais ine- xact. Le dépositaire est toujours détenteur précaire et la revendication est toujours possible.

856. Il faut en effet admettre que le détenteur précaire ne peut intervertir sa possession par son seul changement de volonté. Cette solution se justifie facilement si on voit une prescription dans l'article 2279; on est alors conduit à appli- quer les règles de l'article 2238 sur l'interversion de la pos- session. Mais, même en voyant dans l'article 2279 un mode légal d'acquisition, on doit encore appliquer la règle géné- rale d'après laquelle un détenteur précaire ne peut se chan- ger à lui-même la cause de sa possession. Ce n'est pas seu- lement une règle de prescription, c'est une règle qui s'ap- plique à la possession en général (*). Le détenteur ne peut invoquer l'article 2279 que si de bonne foi il a acquis d'un tiers et a ainsi légalement interverti sa possession (').

857. D'ailleurs les auteurs qui, comme Laurent, exigent la bonne foi du possesseur, ne devraient pas hésiter à admet- tre la revendication contre le détenteur précaire: il ne peut se prévaloir de l'article 2279, n'étant pas de bonne foi lors de son acquisition et de son entrée en possession; et, quant à la prescription acquisitive de trente ans, il ne peut certaine- ment l'invoquer, puisque la loi dit qu'il ne peut jamais pres- crire. Ne pouvant invoquer ni l'article 2279 ni l'article 2262,

(») Laurent, XXXII, n. 547, 551, 554.

(«) Cour d'assises des Landes, 7 avril 1900, sous Cass., 9 août 1900, S., 1901. 1. 59. Guillouard, n. 871. O Bufnoir, p. 382.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 683

comment pourrait-il échapper à Tactioii en revendication ? Nous pensons, quant à nous, que non seulement les déten- teurs précaires, mais aussi leurs héritiers, fussent-ils de bonne foi,ne peuvent invoquer Farticle 2279.11s ont la même pos- session que leur auteur et non une possession nouvelle ; or nous verrons que la bonne foi doit exister au moment de rentrée en possession par application de l'article 2279. D'un autre côté, ils ne peuvent invoquer la prescription acquîsi- tive de trente ans, puisque Farticle 2237 le leur interdit expressément.

858. La possession ne doit pas être équivoque. Elle doit se présenter comme Texercice manifeste d'un droit. Nous allons voir plus loin que la communauté d'habitation ayant existé entre le détenteur de valeurs mobilières au porteur et la personne décédée dont il prétend les tenir à titre de don manuel peut, suivant les circonstances, donner à la possession des titres un caractère équivoque, incertain et précaire (*). Celui qui achèterait un meuble d'un détenteur précaire et le laisserait aux mains de son vendeur qui le détiendrait désormais pour lui, peut être considéré comme ayant une possession équivoque. Les juges du fond apprécient souve- rainement le caractère équivoque ou non équivoque de la possession (*^).

859. Les domestiques qui habitent chez leur maître ont évidemment la possession des effets qu'ils détiennent dans les meubles réservés à leur usage. On ne peut dire que le ipaitre ait la possession légale de tout ce qui se trouve dans les chambres occupées par les personnes à son service (^). Tout au moins ne peut-on considérer le domestique comme possesseur précaire des choses qu'il détient, qu'autant que cela résulte des circonstances. Comme l'a très exactement décidé la Cour de cassation, il faut dire qu'un domestique ^ la possession utile des objets ou des sommes qui se

(') Pau, 1" avril 1890, D., 91. 2. 232.

(*) Gass.,3a mars 1898, S., 98. 1. 489 ; 7 juill. 1898, S., 1900. 1. 205. - V. GuiUouard, n. 869.

(') V. Cass., 18 fév. 1839, S., 39. 1. 447, D. Rép.,y^ Prescr., n. 272. Uu- rent, n. 549.

68t DE LA PRESCRIPTION .

trouvent chez son maître, mais dans une chambre ou dans un meuble aflfecté à son usage personnel, alors d'ailleurs qu'au- cun fa.it de soustraction n'est articulé contre lui (*).

860. Le possesseur par indivis d une chose mobilière, notamment l'héritier qui détient un objet trouvé dans la suc- cession à laquelle il a été appelé avec d'autres héritiers, ne peut invoquer l'article 2279; il faut une possession exclusive (*). 11 n'y a que l'application des règles générales de la pos- session que nous avons étudiées plus haut. Il faut dire, comme la Cour de cassation, que, « chacun des cohéritiers ayant sur les valeurs dépendant d une succession un droit semblable et de même nature en vertu du titre qui leur est commun, la possession de celui qui les détient ne peut être que précaire et équivoque, et ne lui permet pas d'invoquer contre son cohéritier la présomption établie par l'article 2279. »

861. Les principes que nous venons de poser ont trouvé leur application la plus fréquente en matière de dons manuels. On sait en eflfet que, si les dons manuels existaient avant que la règle « En fait de meubles la possession vaut titre )► eût prévalu, cette disposition a particulièrement facilité leur extension, en assurant et en consolidant la situation du dona- taire p). Sous le régime de la revendication mobilière, celui qui prétendait posséder un meuble à titre de don manuel devait en fournir la preuve ; l'article 2279 lui permet au contraire de garder la défensive ; soit qu'il se borne à allé- guer sa possession sans en indiquer Torigine,- soit qiiîl déclare posséder à titre de don manuel, l'article 2279 le dispense de toute preuve. Sans doute il doit prouver sa pos- session ; il doit aussi prouver que cette possession a les caractères requis par la loi ; mais il est présumé posséder à titre de propriétaire et sa bonne foi est également présu- mée ; il faut prouver contre lui que sa possession est pré-

(') Cass., 24 avril 1866, S., 66. 1. 189. D.. 66. 1. 3i7 ; 17 janv, 1898, Gàz. Paf., 98. 1. 227. Cour d'assises des Landes, 7 avril 1900, précité.- ^'• i/i/ra, n. 863.

(') Gass., 10 fév. 1840, S., 40. 1. 572, D. /?«>., y^Succ, n. 1567 ; 13 mai 1883, S., 90. 1. 12, D., 90. 1. 373. Sic, Leroux de BreUgne, n 1318.

(') V. Baudry-Lacantinerio et Maurice Colin, Donations^ n. 1145 s.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAIT TITRE . 685

caire, ou délictueuse ou é(juivoquo. C'est à tort qu'on a soutenu d'une manière absolue que Tarticle 2279 n'a pas d'application à recevoir quand il s'agit des rapports du pos- sesseur avec celui de qui il tient le meuble, et qu'il ne vise que les rapports du possesseur avec les tiers qui préten- draient avoir des droits sur le meuble possédé (*). C'est une erreur certaine ; le possesseur d'un meuble comme celui iYwn immeuble peut se prévaloir de sa possession, quand elle réunit les conditions légales, aussi bien contre celui de ([ui il a reçu la chose que contre tous autres (*) ; le texte ne distingue pas, et le but de l'article 2279, qui est de favori- ser les transactions mobilières qui d'ordinaire se font sans écrit, ne comporte pas de distinction ; les acquéreurs cour- raient le risque d'être évincés par les vendeurs ou donateurs (le mauvaise foi, si, sur la revendication de ces derniers, il leur fallait établir la preuve de la vente ou de la donation. Sans doute, s'ils sont tenus d'une obligation personnelle de restituer, s'ils détiennent pour autrui, ils ne peuvent invoquer l'article 2279 pour se défendre contre l'action en restitution ou contre la revendication de celui pour qui ils détiennent ; mais, sauf ces hypothèses, l'article 2279 peut être invoqué contre celui qui leur a remis la chose aussi bien que contre qui que ce soit (^).

862. La jurisprudence est nettement fixée en ce sens que le possesseur d'un meuble ou de valeurs au porteur peut se borner à alléguer sa possession, ou à alléguer le don manuel; en d'autr(\s termes, celui qui allègue le don manuel n'a à prouver que le fait de sa possession avec les caractères légaux ; le demandeur en restitution ne peut triompher que s'il jus- tifie de l'absence de libéralité, s'il prouve le prêt, le dépôt, le

(') Alger, 23 déc. i895, D., 97. 2.453. - Lyon, 23 juiH. 1897, D., 97 2. 343. - Sic Troplong, n. 1043 el 1045 ;Marcadt'. siir Tari. 2280, n. 3. V. aussi les molifs de l'arn^l de la Cour de cassation du 5 aoiU 1878. S., 80. 1. 29i, I)., 79. 1.253, elceux de Parrôt de la cour d'Amiens du 28 juill. 1879, S., 80. 2. 207. - V. encore Nancy, 30dêc. 1891, I). 92. 2. 441.

(«) Bufnoir, p. 274, 373 et s.

«') Sic Paul Brcssolles, Dons manuels, n. 253 ; ('olln, id., p. 83 >. ; Planiol, pôle dans l)., 92. 2. 441. —V. on ce son< lesanvls ciU-s dans les noies >uivanlc>.

686 DE LA PRESCRIPTION

détournement, Tabus de confiance (*). Il est vrai, nous ravons vu, que plusieurs arrêts formulent cette solution en disant que l'article 2279 crée une présomption admettant la preuve contraire; mais d'autres décisions affirment avec plus de rai- son et d'exactitude qu'en cas de détention précaire ou de détournement, le possesseur qui a reçu la chose à titre pré- caire ou qui est coupable de détournement n'est pas dans le cas de Tarticle 2279 et ne peut s'en prévaloir; en prouvant le fait de la remise à titre précaire ou du divertissement, on ne prouve pas contre la présomption de l'article 2279, on prouve qu'on est en dehors de la règle de cet article (*).

863. Au cas le demandeur veut établir la preuve d'un prêt, d'un dépôt ou d'un mandat, il ne peut faire cette preuve au-dessus de 150 francs que s'il y a commencement de preuve par écrit, sauf l'aveu ou le serment (') ; mais s'il veut prou- ver le détournement, l'escroquerie ou l'abus de confiance de la part du possesseur, il peut le faire par témoins, quelle que soit la valeur du litige (*).

En fait, au ca§ les héritiers d'une personne décédée attaquent un possesseur de meubles qui faisaient partie du patrimoine du défunt, ils cherchent le plus souvent à démon- trer que sa possession a un caractère équivoque, à raison

(') Gass., 15 nov. 1881, S., 82. 1. 259, 0. 82. 1. 67 ; 5 août 1890, D.,9l 1.21; 22 déc. 1891, S., 92. 1. 246, D., 92. 1. 510 ; 12 août 1891, S., 92. 1. 245, D, 92. 1. 623 ; 9 nov. 1893, D., 94. 1. 399 ; 5 déc. 1893, S., 96. 1. 79, D., 9i. 1. 43; 18 déc. 1894, S., 95. 1. 136, D., 94. 1. 364 ;17 janv. 1898, D. 98. 1. 479; 16 janv. 19t)l, S., 1902. 1 85 ; 10 avril 1904, 1)., 1904. 1. 267. ~ Paris, 19 déc. 1871, S., 72. 2. 274, D., 73. 2. 131 ; 17 avril 1894, D., 95. 2. 21S. - Nancy, 8 fèv. 1873, S., 73. 2. 205 ; 8 juill. 1893, D., 94. 2. 13. - Toulouse, 17 avril 1882, S., 82. 2. 200. - Dijon, 11 août 1893, I)., 94. 2. 13. Pau, 28mar* 1885, D., 86. 2. 209 ; 1t avril 1890, D., 91. 2. 232 . 21 mars 18J3, D., 94. 2. 438. Besançon, 3 avril lîK)l,n. 1902. 2. 191.- Aix, 3 fév.1902. S.. 1903.2.41 pl la noie de M. Ferron. V. cep. Cass., 21 avril 1866, S., 65. 1. 18.», D., 66. 1. 347. T- Bordeaux, 19 mars 1868, D., 63. 1. 222. Lyon, 23 juill. 1897, précilé. Laiirenl, .\X\II, n. 549.

n Cass., 24 avril 1866, précité; 16 janv. 1901, S. 1902. 1. 85. - Nan*cy, 2 nov. 1869, S., 70. 2. 112 Paris, 19 juillet 1875, ï^,. 76 2. 3 ; 6 mai 187y, S„ 81. 2. 67. Amiens, 28 juill. 1879, S., 80. 2.207. Toulouse, 10 mai 1S31. S., 82. 1. 214. V. d'ailleur.*» Paul Dres.^olles, op. cit., n. 255.

(') Paul Bressolles, n. 256.

(*) V. noî:im!nfîulToiilo;ise, 17 avril 1882, S-, 82. 2. 200. Paul BressoUe-s n 258.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 687

des circonstances qui Font entourée et qu'ils peuvent établir par tous moyens sans limitation. Us font valoir le plus sou- vent, pour démontrer le caractère équivoque, la communauté d'habitation ayant existé entre le défunt et le prétendu dona- taire. Ils soutiennent par exemple que le possesseur avait été tuteur du défunt et détenait encore en cette qualité des valeurs, ou que le possesseur, ayant vécu en concubinage avec le de cujus, avait la disposition de ses meubles, ou qu'il était son domestique et détenait à ce titre des choses lui appar- tenant ; ils peuvent mettre en avant cette circonstance que le défunt était plein d'aflection pour ses héritiers légitimes, qu'il n'avait pas de raison pour faire le prétendu don manuel, que ses papiers et livres domestiques n'en contiennent pas trace, que le possesseur actuel des objets revendiqués en a dissimulé la possession au moment du décès et de l'inven- taire,etc. (*). Les tribunaux se trouvent ainsi en définitive appe- lés souvent à apprécier les faits ; Us peuvent empêcher que l'article 2279 ne serve trop à abriter le détournement et l'abus de confiance ; le possesseur peut se trouver amené, en pré- sence des vraisemblances amassées contre lui, à être obligé de se justifier et de démontrer que sa possession réunit bien les caractères légaux. Il peut le faire, suivant nous, par témoins, sans limitation, et aussi par simples présomptions tirées des circonstances de son entrée en possession. La juris-

(•) V. notamment Cass., 24 avril 1866, S., 66. 1. 189, D., 66. 1. 347; 5 août 1878, S., 80. 1. 294, D.,79. 1. 253; 27 mars 1889, S., 80. 1. 199, D., 90. 1.413; 15 avril 1890, S., 91. 1. 312; 5 août 1890, S., 91. 1. 343, D. 91. 1. 21 ; 16 jan- vier 1901, S., 1902. 1. 85. Nancy, 20 nov. 1869, S., 70. 2. 112. Amiens. 28 juill. 1879, S., 80. 2. 207. - Paris, 3 juill. 1875, S., 76. 2. 140; 25 mars 1876. n., 77. 2. 9 ; 27 août 1881, S., 81. 2. 256. Toulouse, 10 mai 1881, S., 82. 1. 214, D., 82. 1. 433. - Lyon, 22 juill. 1897, I)., 97. 2 343. - .\ix, 3 fév. 1902, S., 1903. 2. 41. Guillouard, n. 869. V. d'ailleurs pour plus de développements, Paul Bressolles, n. 261. La cour de cassation a récem- ment décidé que le fait de la cohabitation du prétendu donataire avec le défunt n'imprime pas à elle seule un caractère équivoque à la possession; c'est un fait à apprécier par le juge du fond. V. Cass., 18 déc. 1894, précité.— Il en est de même si celui qui invoque sa possession et allègue qu'il a reçu l'objet à litre de don manuel, élait domestique ou s'occupait des affaires du défunt; ces circonstances peuvent ne pas paraître suffisantes au juge pour établir la précarité de la posses- sion.— Cass., 17 janv. 1898, Gaz, Pal., 98. 1. 227.— Paris, 5 janv. 1898, Gaz. Pal., 98. 1. 145. V. supra, n. 859.

688 DE LA PRESCRIPTION

prudence semble au contraire avoir admis qu'il ne peut dans tous les cas faire cette preuve que d'après les règles du droit commun (*). Mais c est une solution trop absolue et il faut distinguer suivant que le prétendu donataire, n'étant pas en possession ou ayant une possession dont on a démontré nette- ment le caractère précaire ou équivoque, veut prouver l'exis- tence du don manuel, ou que ce prétendu donataire veut seu- lement démontrer, en résistant à la revendication, que sa possession n'est pas précaire ni équivoque et qu'elle réunit au -contraire les caractères légaux. Il y a une distinction déli- cate à observer, mais qui nous paraît bien s'imposer (*). 11 est clair que le possesseur dont la possession est démontrée équi- voque doit prouver le don manuel suivant les règles du droit commun puisqu'il ne peut plus invoquer Tarticle 2279 et que le revendiquant a prouvé son droit de propriété : il ne peut échapper à la revendication qu'en démontrant l'existence du don manuel. Mais dans bien des cas il ne s'agit pas de cela : le possesseur veut seulement, pour résister à la revendication, se prévaloir de l'article 2279 et démontrer le caractère exclu- sif de sa possession, avec anirmis domini et bonne foi. Les tri- bunaux sont souverains appréciateurs du point de savoir si ceux qui agissent en revendication ou en restitution ont fait la preuve mise à leur charge par l'article 2279, c'est-à-dire si la possession invoquée manque ou non des caractères requis et peut abriter le possesseur actionné en revendication (*). 864. La situation du possesseur est la môme, soit qu'il se J)orne à alléguer sa possession, sans vouloir en préciser l'ori- gine, soit qu'il déclare posséder à titre de don manuel. Alors même que la preuve de sa possession ne résulterait que de son seul aveu, il ne faut pas croire que la règle de l'indivisi- bilité deTaveu i>uisse empêcher le revendiquant de contester l'existence du don manuel et de prouver, par des circons- tances prises en dehors de l'aveu, la fausseté des prétentions

C) Gass., 14 juin 1899, S. 1900.1. 225. - Aix, 3 févr. 1002, S. 1903. 2. 41.- C d'ass. des f^andes, 7 avril 1900, précilé. Baudr^'-LacaïUinorie et Colin, 11. 1196 et s. Conlrh Brcssollcs, n.26l. Cpr. Cass., 20 janv. 1881, S. 83. 1. 447, I). 82. 1. 111.

(') V. en co sens M. Fcrmn, noie sur Aix, 3 fôv. 1902, précité.

(») Gass., 17 janv. 1898, précilé.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 689

<lu possesseur ; la jurisprudence est nettement fixée en ce sens (*).

865. Malgré cette faculté réservée à celui qui revendique de prouver Tinéxistence du don manuel^ et les tendances de la jurisprudence à admettre assez facilement le caractère équivoque de la possession du prétendu donataire, il est per- mis de penser que notre législation sur ce point gagnerait à être modifiée ; l'article 2279, sous couleur de don manuel, couvre et protège un grand nombre de détournements. Il conviendrait peut-être d'en mettre la preuve à la charge de celui qui l'allègue. « La jurisprudence, dit M. Labbé, serait moins dangereuse si elle exigeait du possesseur se préten- dant donataire la preuve qu'il tient la chose ou le titre eu vertu d'une livraison volontaire ou Ubérale du proprié- taire (^). » Mais il est douteux que la jurisprudence puisse elle-même établir cette exigence ; il ne peut s'agir ici, à notre avis, que d'une réforme législative.

866. Au cas de saisie mobilière pratiquée sur un débiteur, le créancier saisissant peut invoquer l'article 2279 du chef du saisi, en cas de réclamation formée par des tiers. Mais il faut supposer que l'article 2279 soit applicable. Si des objets détenus précairement sont à tort compris dans la saisie, ils peuvent être l'objet d'une demande en distraction ou reven- dication du propriétaire ; celui-ci pourra prouver, à ren- contre des créanciers comme du débiteur lui-même, que la possession n'était pas à titre de propriétaire et que par suite l'article 2279 n'a pas d'application à recevoir, le débiteur étant déjjositaire, emprunteur, locataire, etc., des meubles saisis. L article 608 du Code de procédure civile n'autorise pas seulement une action personnelle en restitution qui serait

«

(') V. notamment Cass., 2-i avril 1866, S , 66. 1. 189, ]). 66. 1. 347 ; 5 aoùl 1869, S., 6(9. 1. 398, D., 70. 1. 84 ; 10 nov. 1879, S. 81. 1. 146; 16 janv. 1901. précilé. Nancy, 20 nov. 1869, S., 70. 2. 112. Amiens, 2S juill. 1869, S., 80. 2. 207. Baudry-Lacantineiie et M. Colin, n. 1208 s. ; Paul BressoUes, n. 270 ; Aubiy cl lUu, VIII, p. 178, g 751, noie 36 ; Gi.illouard, n. 867.

(*) Labbé, Uev. crit., 1884, p. 650. V. d'aillems Baudrj-Lacanlinerie cl M. Colin, n. 1145 s. ; Paul BressoUes, n. 312. Cpr. Besançon, 24 juin 1865, S., 63. 1. 18.). Nancy, 20 nov. 1869, S., 70. 2. 112. - Lvon, 23 juill. 1897, D., 97. 2. 343.

pREScn. 44

600 DE LA PRESCRIPTION

opposable aux créanciers^ comme le disent Aubry et Rau et Laurent. Il y a une véritable revendication. « Ce n'est pas une revendication^ dit Laurent^ ce qui rendrait applicable l'article 2279 ; celui qui agit en distraction demande que les choses lui soient délivrées ou restituées^ le débiteur saisi ne les possédant pas à titre de propriétaire^ mais à la charge de restitution ou de délivrance ; les créanciers sont soumis aux aeiions personnelles qui peuvent être intentées contre le débiteur. » Ce raisonnement est inexact. Que le débiteur saisi prétende ou non posséder comme propriétaire, la reven- dication peut être exercée contre lui. Or les demandes en di^straetion sont des revendications^ des actions par lesquelles le demandeur se prétend propriétaire des effets saisis (*) ; elles supposent^ d'après Tarticle 608, renonciation des preuves de la propriété de celui qui agit.

866 bis. Le revendiquant qui forme la demande en dis- traction peut d'ailleurs prouver sa propriété en invoquant Tarticle 2279, c'est-à-dire en démontrant que c'est lui qui est en possession des meubles saisis dans des conditions qui lui permettent d'invoquer sa possession comme un titre, (^e sera souvent la situation du propriétaire de rinimeuble dans lequel se trouvent les objets saisis : il pourra invoquer l'article 2279 pour établir son droit de propriété {*). La Cour

(') V. dans ce sens Boitard et Colmet d'Aage, sur Tart. 608, C. proc. civ. ; Garsonnel, 2* éd., IV, p. 295, § 1371; Glasson, Procéd., H, p. 184; Bufnoir, p. 361, 368. V. cep. Troplong, n. 1047 ; Aubry et Rau, éd., II, p. 15g, § 18'5 ; Laurent, XXXJI, n. 554. Cpr. Cass., 6 juil. 1841, S., 42. 1. 33. - Bordeaux, 3 avril 1829, S. chr., D. 7?ep., Prescr., n. 987. Nîme.-, 22 août 1842, S., 43. 2. 75. Guillouard, n. 872. Boarjon dit 1res nettement que « »i un meuble déposé ou mis en nantissement est saisi sui* celui qui Tavait en dépôt on en nantissement, le propriétaii*e d'icelui, le trouvant en nature, peut le revendiquer » (hv. 6, tit. 8, eh. 3, sect. 4, n. 1). II repousse d'ailleurs la revendication de Tacheleur du meuble lorsque celui-ci a été saisi sur le vendeur avant la délivrance, et invoque à l'appui de cette solution que la possession vaut litre (Uv. 2, tit. 1, chap. 6, sect. 3, n. Il et 12 ; liv. 6, Ut. 8, ch. 3, sect 1, n. 1). Nous croyons que sous Tempire du Gode civil, la solution contraire est seule vraie ; le vendeur du meuble resté en possession, qu'on le considère ou non comme un détenteur précaire (V. 9upru, n. 30$)-, ne peut invoquer Tari. 2279; il n'a pas une possession de bonne foi ; les créanciers subiront l'action en dis- traction. V. en ce sens Bufnoir, p. 364.

(*) Garsonnet, 2- éd., IV, p. 298, § 1371.

EN FAIT DE MELBLES POSSESSION VAUT TITRE 691

de cassation va plus loin et décide que le propriétaire, pro- tégé par Tarticle 2279, n'est même pas tenu de procéder par voie de demande en distraction ; il peut se borner à deman- der la nuUité de la saisie ; on ne saurait le contraindre à faire la preuve de ^a propriété en agissant en rev,endica- tion (*). Mais cette solution est bien contestable : le code de procédure paraît bien imposer au tiers qui se prétend pro- priétaire des objets saisis la voie de la demande en distrac- tion. Si on admet d'ailleurs que l'article 2279 peut être invo- qué par lui comme preuve de sa propriété, sa situation est aussi favorable dans un cas que dans l'autre ('). Pour trou- ver un intérêt pratique à la solution admise, Naquet suppose l'hypothèse d'un tiers détenteur des meubles saisis qui ne peut invoquer l'article 2279, mais veut seulement prouver la non propriété du débiteur saisi et par suite la nullité de la saisie. Mais si ce tiers détient pour le compte du propriétaire, il lui est facile d'agir en distraction en indi- quant ce propriétaire ; s'il détient pour lui et sans pouvoir s'abriter derrière l'article 2279, quel droit et quel intérêt légitime peut-il invoquer pour faire tomber la saisie ?

867. L'usufruitier d'un meuble qui a reçu ce meuble de bonne foi peut invoquer l'article 2279 : il n'est détenteur précaire qu'à l'égard de celui qui a concédé l'usufruit ; il a, quant à son usufruit, une véritable possession (V. supra, n. 268 et 304) .

868. Le créancier qui, de bonne foi, a reçu en gage de son débiteur une chose n'appartenant pas à celui-ci peut-il opposer la maxime En fait de meubles la possession vaut titre au véritable propriétaire exerçant contre lui l'action en revendication ? On peut dire pour l'affirmative que le créan- cier gagiste ne possède à titre précaire que dans ses rap- ports avec le débiteur ; autre est sa situation à l'égard du propriétaire de la chose engagée. En effet, si le titre du créancier gagiste implique la reconnaissance du droit appar- tenant au débiteur sur la chose donnée en gage, il implique

(•) Cass.. 31 janv. 1900, S. 1902. 1. 33 et la note de M. Naquet, D., 1900. 1. 281 et la note de iM. Poncet. Bordeaux, 31 août i831, S. 32. 2. 17. (}) Poitiers, 21 août 1832, S. 32. 2, 414. Poncet, loc, cil.

092 DE LA PRlilSCRirTION

au contraire la contradiction du droit qui peut appartenir à un autre sur cette même chose ; à l'égard de ce dernier, le créancier gagiste ne possède donc pas à titre précaire. Il a sur la chose un droit réel. C'est ce droit réel qu'il possède, et il le possède animo clomini : ce qui' rend l'article 2279 applicable. « L'article 2279, dit M. Lyon-Caen, s'applique à tous ceux qui exercent sur les choses mobilières d autrui un droit comme leur appartenant en propre. » On peut ajouter que les mêmes motifs se retrouvent pour protéger le gagiste et Tacquéreur ; le gagiste ne peut, pas plus que Tac- (juéreur, vérifier le droit de celui qui lui remet la chose en gage. En écartant l'article 2279, on porterait une grave atteinte au crédit ; les prêts sur titres au porteur, qui ont une grande utilité, se trouveraient entravés et restreints. Ces différents motifs ont entraîné la jurisprudence et la majo- rité des auteurs (*). Voyez d'ailleurs l'article 2102-1' et 4*. 860. Cette solution a été contestée et quelques auteurs, en petit nombre, l'ont combattue. Leur opinion nous paraît assez solidement étal)lie. Le gagiste, peut-on dire en eflfet,n'a qu'un droit précaire ; à l'égard du propriétaire comme à l'égard du débiteur, il n'est pas en possession : il doit être traité comme tous les détenteurs pour autrui. Aucun texte [du code civil ne permet de le mettre sur la même ligne que celui qui a acquis le meuble. Soit qu'on considère l'article 2279 comme édictant une règle de prescription, soit qu'on pré- fère y voir une acquisition lege, ou une présomption légale de propriété, on ne saurait en justifier l'application au créan- cier gagiste. Pourquoi d'ailleurs, au point de vue de l'équité, préférer le créancier qui a traité avec le mandataire ou le dépositaire infidèle et qui a eu confiance en lui, au proprîé-

0) Ga.«8., 23 janv. 1860, S., 60. 1. 543, D., 60. 1. 123 ; 12 mars 1838, S., 88. l. 204, D., 88. 1 . 404 ; 28 mars 1888, S., 88. 1. 265, D., 88. 1. 253 ; 6 juil. 1891, S., 95. 1. 403, U., 92. 1. 119 ; 2 mars 1892, S., 95. 1. 116, 1)., 93. 1. 198 ; 16 mai 1839, S., 1900. 1. 86 ; 25 mars 1901, S., 1901. 1. 305 et la noie dp M. Lyon-Gaen. Douai, 20 juin 1892, S., 92. 2. 161 et la noie de M. Lyon- i lacn, D , 92. 2. 375. Casare^çis, Disc. 187 ; Troplong, n, 1060 ; Aubry et Uau. 5* éd., Il, p. 159, § 183 ; Laurent, XXXIl, n, 575,* Valette, Priv. et hyp,^ p. 53 ; Baudi^'-Lacantinerie et de Loynes, Priv. et hyp,, I, n 31 ; Bufnoir, p. 387 ; Giiillouard, n, 878. V. snpra, n. 304 bis.

i:n fait de. meubles possession vaut titri: 01)3

taire qui avait de même traité imprudemment avec ce même mandataire ou dépositaire (*) ?

870. En admettant que l'article 2279 s'applique au créan- cier gagiste, la question se pose de savoir s'il est nécessaire que le nantissement soit régulièrement établi suivant les règles des articles 2074 et 2075. La cour de cassation a décidé à cet égard que le nantissement irrégulier ne peut conférer qu'une détention précaire insuffisante pour équivaloir à un titre et attril)uer le bénéfice de larticlc 2279 P). Il faudrait en notre hypothèse bonne foi et juste titre, c'est-à-dire titre constitutif de gage. A l'appui de cette opinion, on peut dire que le créancier doit prouver sa possession à titre de gagiste ; or, pour prouver cette possession à titre de gagiste, la loi est plus rigoureuse qu'elle ne Test quand il s'agit d'un acqué- reur possédant à titre de propriétaire ; il faut ici observer certaines formes, en l'absence desquelles on ne peut se dire nanti d'un gage. Cette solution est cependant contestable. La précarité de la possession ne peut dépendre de la plus ou moins grande régularité des formes employées pour la constitution du gage : c'est une question d'intention ; il y a précarité s'il n'y a pas anhmis domini, (Comment d'ailleui's le propriétaire peut-il invoquer une nullité qui a été établie dans le seul intérêt des créanciers et de celui qui a fourni le gage H?

§ II. De la bonne foi.

871. Pour pouvoir invoquer l'article 2279, le- possesseur doit être de bonne foi.

Nous induisons la nécessité de cette condition de l'arti- cle 1141. Ce texte contient une application particulière du principe consacré par l'article 2279 alinéa l'";or il ne la con-

('» Polhier, Nanliss,^ n. 27 ; Grenier, Hyp., Il, n. -^U : 0. Wcp., Prescr.-, n. 275 ; van Beinmelen, op. c.it.^ p. 425. V. aussi Cass., 11 aoill 1847, S., 47. 1. 641. Bruxelles, 4 juin 18Î3, S , 34. 2. 679.- Paris, 7 mai-s 18%. I)., 96. 2.502. - Tissier. S., 98. 1. 481. Cpr. Hue, XIV, n. 509.

{•) t:a8s , 5 juin 1872, S , 72. 1. 157 ; 28 mars i838, précité ; t mars 1892, pré- cilé. V. cep. Cass., janv. 1860, S., 60. l. 543.

(') Sic Wabl, Titres tm oorteiir, n. 1550, p. 318, note 5,

694 DE LA PRESCRIPTION

sacre qu'au profit du possesseur de bonne foi. Ce\sL d'ailleurs est fondé en raison. La maxime En fait de meubles la pos- session vaut titre a ses racines dans Tordre public, c'est-à- dire dans Tinté rêt général, en ce sens qu'elle protège le com- merce, dont la prospérité se lie d'une manière étroite à l'inté- rêt social ; il suffit, à ce point de vue, de venir en aide à la bonne foi. Accorder une prime à la mauvaise foi, ce serait aller en sens contraire de l'intérêt social et de l'intérêt du commerce lui-même qui vit de bonne foi autant que de cré- dit (»).

L^article 2279 est donc, à notre a>is, étranger à tous ceux qui sont de mauvaise foi ; en dehors de l'action personnelle à laquelle ils peuvent être tenus au cas de pert.e, de délit ou de quasi-déUt, ils sont passibles de l'action en revendication tant qu'ils n'ont pas possédé la chose pendant trente ans (*).

872. Dans une autre théorie, on soutient que Tarticle 2279 peut être invoqué même par le possesseur de mauvaise foi ; on se base sur ce que le texte n'exige pas la bonne foi, sur ce que la plupart des auteurs du siècle dernier auxquels le système a été emprunté ne l'exigeaient pas davantage, et enfin sur ce qu'en principe les effets de la possession sont indépendants de la bonne ou de la mauvaise foi. Les auteurs qui enseignent cette doctrine ajoutent d'ailleurs que « le tiers qui, de mauvaise foi et sachant que son auteur n'avait pas le droit d'en disposer, a reçu un objet mobilier, soit d'une personne qui ne le détenait qu'à titre précaire, soit d'un indi- vidu qui Tavait volé ou trouvé, étant soumis, à raison même de sa mauvaise foi et du déKt dont il s'est rendu coupable,

(») Class., 5 déc. 1876, S., 77. 1. 201, D., 77. 1. 166,

(') Gass., 9 janv. 1811, S. chr., D. Rép,, v Prescr., n. 268 ; 7 déc. 1868, S., 69. 1. 160, D., 6;^. 1. 83 ; 5 déc, 1876, précité; 22 juin 1885, S., 86. 1. 124; 6 jiiil. 1836, S., 87. 1. 452, D., 87. 1. 25 ; fév. 1893, S., 94. 1. 86 ; 7 juil. 1898, S. 1900. 1. 205 ; 16 mai 1899, S., 1900. 1. 86, D. 99. 1. 372. - Nancy. 30 déc. 1891, I)., 92. 2. 241 et la note de M. Planiol. - Troplong, n. 1061 ; Colmet de Sanlerre, V, n. 57 bis, 111 ; Laurent, XXXII, n. 559; Leroux de Bre- tagne, n. 1323 ; Bufnoir, p. 365 ; Guillouard, II, n. 874. V. G. civ. ail., art. 932 ; G. féd. oblig., art. 207. Gpr. Planiol, n. 1395. D*après cet auteur, la l'evendication mobilière se prescrirait par trente ans au profit du possesseur de mauvaise foi ; mais il s'agirait d*une prescription extinctive, n'exigeant pas une possession trentenaire.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 695

à une obligation de restitution ou d'indemnité, ne peut, pour se soustraire à Faction personnelle formée contre lui par Je légitime propriétaire de cet objet, en appeler à la disposi- tion de l'article 2279 (*). » Et c'est ainsi que ces auteurs expli- quent l'article H4l ; c'est par suite de l'obligation person- nelle résultant de sa mauvaise foi que le second acquéreur d'un objet mobilier, quoique en possession, peut être tenu de le restituer au premier acquéreur.

Cette explication de l'article 1141 nous parait peu conforme à celle que fournissait Bigot-Préameneu : « A l'égard des choses mobilières, disait-il, quoique respectivement aux par- ties le transport de la propriété s'opère à l'époque la livraison doit se faire, cependant on a considérer l'inté- rêt d'un tiers dont le titre serait postérieur en date, mais qui, ayant acquis de bonne foi, aurait été mis en possession réelle. La bonne foi de cet acquéreur, la nécessité de maintenir la circulation libre des objets mobiliers, la difficulté de les sui- vre et de les reconnaître dans la main de tiers possesseurs, ont faire donner la préférence à celui qui est en posses- sion, quoiqu'il y ait un titre antérieur au sien. » On peut dire d'ailleurs, contrairement à l'opinion d'Aubry et Rau, que le plus souvent la loi n'attache d'effets qu'à la possession de bonne foi. En dehors de l'article 1141, nous voyons qu'il en est ainsi pour l'acquisition des fruits par le possesseur,^pour l'usucapion des immeubles par dix à vingt ans. Le posses- seur de mauvaise foi ne peut prescrire l'immeuble possédé que par trente ans. Quand il s'agit d'une acquisition résul- tant de la possession d'un instant, n'est-il pas juste d'exiger la bonne foi du possesseur que notre ancien droit exigeait pour l'usucapion des meubles par plusieurs années de pos- session ?

873. De même que pour la prescription de dix à vingt ans, la bonne foi requise pour l'application de l'article 2279 con- siste dans la croyance que celui dont on tient le meuble en était propriétaire. Cette croyance peut provenir d*une erreur

(*) Aubry et Rau, II, p. 116; Poincaré, p. 186; van Beramelen, op. ct^., p.418; Rauter, Rev. de légisL, VII, p. 137 ; Ghauffoar, id., XXIU, p. 81 s. ; Ortlieb, n. 83 ; Poincaré, p. 186; Hue, XIV, n. 514 et s.

t

696 •DE LA PRESCRIPTION

de droit comme d'une erreur de fait. La connaissance^ par le possesseur, des vices de son acquisition n'est pas exclusive de la bonne foi, puisque celle-ci n'a trait qu'au droit de pro- priété de Taliénateur : elle n'empêche pas qu'on puisse oppo- ser l'article 2279 à l'action en revendication qui serait exer- cée contre le possesseur, celui-ci ne pouvant d'ailleurs, nous le savons, s'en servir contre l'action personnelle en nullité dont il est tenu. (V. supra, n. 837 s.).

La question de bonne foi est du domaine exclusif des juges du fait; c'est à eux qu'il appartient de l'apprécier (*); il suf- fit pour qu'il n'y ait pas bonne foi que l'acheteur d'un meu- ble ait eu de fortes raisons de croire que celui de qui il tenait le meuble n'en était pas propriétaire. Une négligence gros- sière est assimilable à la mauvaise foi (*).

874. C'est une question discutée que celle de savoir à quel moment le possesseur doit avoir été de bonne foi.

Dans une opinion soutenue par plusieurs auteurs, on ensei- gne qu'il faut et qu'il suffit que la bonne foi ait e^gisté au moment de l'entrée en possession.

Il faut que la bonne foi existe au moment la posses- sion commence; il ne suffirait donc pas qu'elle eût existé au moment de l'acquisition, par exemple au moment de Tachât, si elle a cessé d'exister lors de l'entrée en possession. On peut tirer en ce sens un sérieux argument des mots pourvu tou- te fois que la possession soit de bonne foi, de l'article 1141 in fine. On peut aussi ajouter que c'est la possession qui est le titre de propriété du possesseur d'après l'article 2279, c'est elle qui vaut titre (').

La jurisprudence s'est prononcée dans un sens différent. C'est au moment de l'acquisition que la bonne foi a exis- ter ; c'est à ce moment que le possesseur a eu à savoir si son auteur était bien propriétaire ; c'est alors qu'il a pu être trompé. On admet qu'il faut ici venir en aide à l'acquéreur

(') Cass., 6 juill. 1891, S.. 95. 1. 403, D,, 92. 1. 119; 16 mai 1899, précité : 25 mars 1901, S., 1901. 1.305. - V. encore Gass., 3 mars 1896, 1)., 97. 1.495.

(')C. civ. ali., art. 912. Sic, Rossel,op. cit,, p. 265.

\*) Laurent, XXXII, n. 56l; Demolombe, Ohlig.y I, n. 475.- V. aussi Labbé, S., 80.1.49; Lacour, l)., 97.2. 185; Rossel, op, ciL, p. 265.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 097

qui a pu être induit en erreur par suite de Timprudence du légitime propriétaire ; c'est lors de l'acquisition que cette erreur a pu se produire (*).

Il est certain, dans tous les cas, qu'il suffit que la bonne foi existe au début de la possession et au moment de l'acqui- sition : il importerait peu que le possesseur apprît plus tard que la chose appartient à autrui.

876. La bonne foi se présume. Ceux qui voient dans Tarti- cle 2279 une règlede prescription appliquent ici l'article 2268. Les autres admettent la même solution en appliquant les règles du droit commun sur la preuve (*).

876. La condition de la bonne foi est nécessaire à celui qui a directement acquis le meuble du détenteur précaire : elle n'est pas nécessaire à celui qui aurait acquis le meuble d'un tiers l'ayant acquis de bonne foi de ce même détenteur précaire ; ce tiers était devenu propriétaire, par suite de l'arti- cle 2279; le possesseur actuel, quoique de mauvaise foi, peut invoquer l'article 2279, non de son chef, mais du chef de son auteur : il invoque la propriété de son auteur. « On doit le comparer, dit très judicieusement M. Colmet de Santerre, à l'acheteur d'un immeuble, ayant cause d'un vendeur qui a acquis par dix ou vingt ans à cause de sa bonne foi ; cet ache- teur est certainement propriétaire, quoiqu'il sache que son auteur avait primitivement reçu la chose a non domino; s'il invoquait une prescription accomplie par lui-même, il aurait besoin de la prescription de trente ans ; mais puisqu'il invo- que la prescription accomplie par son vendeur qui était de bonne foi, il peut se prévaloir de la prescription de dix ou vingt ans. S'il en était autrement, le vendeur de l'immeuble ou du meuble, dans notre hypothèse, se trouverait exposé à une action en garantie pour avoir vendu une chose qui lui appartenait légalement au moment de la vente ('). »

877. Faut-il en outre que le possesseur ait un juste titre ?

(*) Cass., 5 déc. 1876, précité; 6 juillet 1886, précité. Golmet de Santerre, Vm, n. 387 bis, XU ; Larombière, sur l'art. 1141, n. 5.— C. civ. ail., art. 932. "- V. d*ailleur$ snprst, n. 685 s.

(*) Douai, 29 juin 1892, S , 92.2.161. - Golmet de Santerre, loc. ciL

l'; Golmet de Santerre, IX, n. 3i7 Jb«, XIII.

698 DE LA PRE8CMPTI0N

On Ta soutenu; Marcadé dit même que'cela est évident. C'est une solution peu exacte. Si Ton veut dire qu'en fait il n'arri- vera guère que le possesseur soit de bonne foi lorsqu'il n'aura pas acquis la chose en vertu d'un juste titre, tel que vente, échange, donation, nous n'avons rien à objecter. Mais, si l'on entend exprimer cette idée que le juste titre doit exister comme condition distincte de la bonne foi, de lùême que pour la prescription de dix à vingt ans, et que celui qui invoque l'article 2279 doit fournir la preuve qu'il a un juste titre, alors nous disons qu'on dépasse les exigences de la loi, qui ne parle que de la bonne foi (art. 1141). En d'autres ter- mes, le juste titre ne peut ici intervenir que comme élément de la bonne foi, et, si un possesseur se trouvait être de bonne foi sans avoir un juste titre, ce qui pourrait arriver notam- ment pour celui qui possède en vertu d'un titre putatif, il faudrait lui permettre d'invoquer l'article 2279 alinéa 1". D'une façon générale, le possesseur qui invoque l'article 2279 n'a rien à prouver en dehors de la possession : il est pré- sumé de bonne foi, et il n'a pas à fournir la preuve du juste titre (*).

878. Que si l'on compare les conditions exigées pour l'ac- quisition des fruits par le possesseur de bonne foi, et celles que requiert l'application de l'article 2279, on s'aperçoit qu'il y. a des diflérences notables entre les deux situations.

Il faut, pour l'acquisition des fruits, que le possesseur justifie d'un juste titre : l'article 2279 n'exige pas cette con- dition.

L'acquisition des fruits suppose que le possesseur a ignoré tous les vices de son titre ; l'article 2279 exige seulement qu'il ait cru traiter avec le vrai propriétaire. Si un acquéreur traite avec le vrai propriétaire, et en connaissant l'incapacité de ce dernier, il pourra être passible d'une action person- nelle en nullité, mais non d'une action en revendication : l'article 2279 serait opposable à cette dernière.

(») Sic Aubry et Rau, éd., Il, p. 144, § 183, note 3; Laurent, XXXU, n. 553 ; Ortlieb, p. 82 ; Bufnoir, p. 365; Guillouard, n. 8T7.— Conira Marcadé, sur Tart. 2279, n. 2 ; Demolombe, IX, n. 622, et XXIV, n. 469. Cpr. Van Bemmelen, p. 407.

EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE 699

L'acquisition des fruits par le possesseur de bonne foi cesse

. avec sa bonne foi. Quant à l'article 2279, il n'exige la bonne

foi qu'au début de la possession, au moment se produit

l'efifet de la règle ; la mauvaise foi ultérieure n'est d'aucune

conséquence.

A l'inverse, la bonne foi doit nécessairement exister au moment de la possession pour l'application de l'article 2279 ; celle qui surviendrait ultérieurement ne le rendrait pas applicable, comme si des héritiers de bonne foi succédaient à un possesseur de mauvaise foi : ils pourraient acquérir les fruits par eux perçus, ils ne pourraient se prévaloir de l'ar- ticle 2279.

SECTION V

DES EFFETS DE l'aRTICLE 2279

870. L'article 2279, lorsqu'on est dans les conditions qui permettent de l'invoquer, entraîne, à notre avis, acquisition d'une propriété entière qiii exclut non seulement l'action en revendication, mçiis aussi Faction d'un tiers qui prétendrait avoir un droit de gage du chef de l'ancien propriétaire, ou d'un créancier hypothécaire de ce dernier, au cas des immeubles par destination par suite de la perpétuelle demeure auraient été séparés du fonds auquel ils étaient attachés, ou enfin de tout créancier qui prétendrait à un pri- vilège du chef d'un précédent propriétaire (*). Il n'est pas besoin de dire que le possesseur peut, à l'aide de l'arti- cle 2279, se mettre à l'abri contre toute action en résolution, nullité ou rescision qui aurait triomphé contre le précédent possesseur ; l'action intentée contre lui par suite de la réso- lution, de la nullité ou de la rescision qui a anéanti le titre de son auteur n'est en réalité qu'une action en revendi- cation («).

O Laurent, XXXII, n. 574; Poincaré, p. 226 s. ; Aubry et Rau, éd., II, p. 158 et 159, § 183 ; Guillouard, n. 880.

(«) Aubry et Rau, éd., II, p. 158, § 183 ; Laurent, XXXII, n. 576. - Mais les droits des tiers sur le meuble possédé ne disparaissent que si l'acquéreur a été de bonne foi en ce qui les concerne. V. C. civ. ail., art. 936.

700 DE LA PRESCRIPTION

880. Mais nous savons que la règle En fait de metibles In possession vaut titre est étrangère aux actions personnelles dirigées contre le possesseur.

Ainsi l'article 2279 ne peut être opposé à l'action pau- lienne, qui est une action personnelle (*). Il n*affranchit pas le meuble des vices pouvant entraîner la nullité, la résolu- tion, la rescision du titre en vertu duquel il a été acquis ; un acquéreur ne pourrait Topposer à son vendeur s'il était actionné en nullité. (V. supra, n. 837 s.)

881. Cette théorie doit être appliquée au cas d'aliénation meubles frappés de dotalité. L'acquéreur de ces meubles ne pourrait, à l'aide de l'article 2279, échapper à l'action en nullité; il pourrait échapper à l'action en revendication de la femme (^j. Nous ne pouvons préciser ici dans quels cas il s'agira d'action en nullité, dans quels cas d'action en revendication ; cette distinction constitue une des plus diffi- ciles questions du régime dotal. Disons seulement que c'est se prononcer d'une façon peut-être trop absolue que de dire, comme le fait M.Guillouard,quc l'article 2279 peut toujours (Hre opposé par l'acquéreur de bonne foi de meubles dotaux corporels (') ; il faut voir par quelle action il est poursuivi. (>ette question peut dépendre du parti que Ton prend sur l'inaliénabilité de la dot mobilière, sur son imprescrîptibi- lité, sur les actions qui la protègent (*). Il a été jugé, à ce point de vue, que l'article 2279 ne peut être opposé par l'ac- quéreur, au cas d'aliénation par le mari et la femme d'une coupe de bois vendue sur pied dans un bois soumis à la dotalité (••).

(') Gpr. Colniel de Sanlerre, V, n. 82 bis, XIX.

(*) Cass., 14 aoùl 18jt> (inolifs), S., 57. 1.216.— Paris, 14 janv. là5l(nioUrs), S., 54. 2. 90.

(^ V. GiiilloiiarcI, CoiU. de mar., l\\ n. 2)6) et 206^. V. aussi Cass., Il aoiU 1356. S., 57. 1. 216. - RodiiTC el Ponl» Cont. de mar., lll, n. 1875. Contra, Joiiiloii, Réj. dot,, I, n. 379.

(*) Cpr. Colmel de Sanlerre, VI, n. 23î bis, VII à XXXH.

(*) lUninas, 17 iinrs 1S92, S., 91. 2.73 el la noie de M. Albert Tissier.-Voy. d'ailleurs «uyjrfl, n. 837 et 846.

REVENDICATION DES CHOSES PERDIES 01 VOLÉES 701

CHAPITRE XXI

DE LA REVENDICATION DES CHOSES PERDUES OU VOLÉES

SECTIOxN PREMIKHE

NOTIONS HISTORIQUES

882. Dans le droit romain, les choses volées, res furtiiw, échappaient à Tusucapion ; le fiirtum comprenait d'ailleurs, ou le sait, des hypothèses qu'aujourd'hui nous faisons ren- trer dans Tabus de confiance. Les choses perdues pouvaient être usucapées par celui qui les avait acquises de bonne foi (le la personne qui les avait trouvées.

I^es coutumes germaniques, qui, nous l'avons vu, n'admet- taient pas en principe la revendication des meubles, accor- daient en cas de vol une action pénale qui tendait à la fois à la reprise de Tobjet et à la punition du coupable; les textes anciens, sur la distinction du vol et de l'abus de confiance, ne sont pas d'accord et la règle paraît avoir été différente suivant les pays et suivant les époques ; toujours est-il que la notion du vol est tout à fait dégagée de l'abus de con- iiance dans la loi salique,dans la loi burgonde, dans les cou- tumes du moyen âge (*). La réclamation était admise aussi eu cas de perte. « L'inventeur est assimilé au voleur quand il ne remplit pas les formalités d'usage destinées à porter le fait de l'invention à la connaissance des tiers (*). »

Notre très ancien droit avait conservé ces principes : pas de revendication proprement dite, mais une action, d abord pénale, puis plus tard civile, organisée au cas de perte ou (le vol, et pouvant aboutir à la reprise de l'objet, le vol ne comprenant pas l'abus de confiance ('). Il faut observer de

\}) V. pour les textes Jobbé-Diival, op. cit. ; Poincaiv, o/j. cit. ; I3nî«îiaiul, p. 1202 s. !•) Urissaud, p. 1202. \^) V. les citalionis clans Brissaiiil, p. 1208- s.

702 DE LA PRESCRIPTION

plus qu'au cas de perte ou de vol^ on voit dans les Etablisse- ments de saint Louis et dans Beaumanoir^ apparaître Tidée que l'acquéreur évincé peut se faire, dans certaines hypo- thèses, restituer son prix par le revendiquant; les Etablis- sements de saint Louis accordent la restitution si l'objet a été acheté à la foire de Pâques ; Beaumanoir la donne d'une manière générale à celui qui a acheté le meuble dans un marché (*).

883. Vint le triomphe de la théorie romaine ; la revendi- cation fut admise, sauf usucapion; mais Tusucapion, d'après une solution assez généralement suivie, ne pouvait s'appli- quer aux choses furtives, cette expression devant être prise avec l'acception que le droit romain lui avait donnée ; les coutumes paraissaient être d'accord sur ces deux points (*). Au siècle dernier, Pothier enseigne que la prescription trien- nale ne peut avoir d'application aux choses furtives (') ; il ne distingue pas d'ailleurs le vol et l'abus de confiance (*) ; il n'impose pas au demandeur l'obligation de restituer le prix, alors même que le meuble a été acheté en foire {^). Sur ce dernier point, il parait cependant certain que l'opinion con- traire était, à la fin de notre ancien droit, généralement admise (*).

Bourjon, à qui l'article 2279 alinéa !•' a, en quelque sorte, été emprunté, nous dit ; « L'effet f urtif peut être revendiqué même des mains de l'acquéreur de bonne foi, pourvu que le furte soit constaté... Le meuble f urtif peut être revendiqué parce que le furte est un vice qui suit la chose dans les mains de tel possesseur qu'elle passe et qui fonde la revendication ;

(') Établissements de saint Louis, éd. Viollet, liv. Il, ch. XVIII; Beaumanoir, XXX, n. 22.— V. d'ailleurs sur ce point, des développements intéressants dans l'ouvrage de M. Huvelin, Essai historique sur le droit des marchés et des foi- res, p. 454 s. V. aussi Brissaud, p. 1210.

<«) V. Poincaré,p. 144; Bri8saud,p. 1211, note 2.

(=») Coût. d*Orléans, Introd. au titre de la prescription, art. prélim.,sect.,2, n. 4. Mais voy. la solution contraire donnée par Pothier dans son Traité de la prescription, 2* part., art. 3, n. 204 s.

(*) Des cheptels, sect. I, art. 4, § 3.

(*> Des cheptels, loc, cit. Pothier expose en détail la controverse qui, daiw Tancien droit, s'élevait sur cette question.

(•) Denizart. Coll. dejurispr., Vo/,n. 17.

REVENDICATION DES CHOSES PERDl'ES OU VOLÉES 703

mais pour cela il faut que le furte soit juridiquement cons- taté (*)... Le meuble volé peut être revendiqué et même des mains de Tacheteur de bonne foi, parce que le furte est un vice qui le suit partout; c*est une juste exception à la règle ci-dessus, le droit du spolié devant être conservé ; mais pour cela il faut que le furte soit constaté par une plainte et une information, et sans cela la possession déciderait de la pro- priété du meuble, le furte en ce cas, base de Texception, se trouvant sans preuve. Telle est la base de la jurisprudence du Châtelet sur laquelle la proposition a été formée ; et c'est droit commun. L'exception en reçoit une elle-même ; en effet, nonobstant cette preuve du vol, le droit de revendiquer des mains d'un légitime acheteur le meuble volé n'aurait plus lieu s'il avait été acheté d'un marchand ayant qualité pour le vendre ; la sûreté publique le veut ainsi; c'est exception à l'exception même que Tordre public fonde et quç l'usage confirme. Cette limitation est inviolablement suivie au Châte- let, le bien public la fondant (^)... La chose furtive peut être revendiquée partout on la trouve ; telle est la jurispru- dence du Châtelet cette exception est adoptée sur le fonde- ment de la maxime de la loi des Douze Tables... Pour don- ner ouverture à ce droit de suite et de revendication,il faut que le vol soit juridiquement constaté par une plainte et infor- mation ; autrement il y aurait fin de non-recevoir dans la demande en revendication, et dans ce même cas la posses- sion déciderait toujours. Telle est la jurisprudence de la Chambre civile du Châtelet ces sortes de contestations se présentent fréquemment (*). » Il peut sembler douteux que Bourjon prenne le mot furtif dans le sens ancien et y com- prenne l'abus de confiance (*). Dans tous les cas, il est cer- tain qu'il refuse toute revendication et revient a la règle ordinaire si le meuble a été acheté dans une vente publique ou à un marchand vendant des choses pareilles (*).

(*) Bourjon, liv. II, lit. I. chap. VI, sect. I. n. 2, et sect. II, n. 7. (^ Bourjon, liv. III, lit. II, chap. I, n. 3 et 4.

(*) Bourjon, liv. lU, lit. XXII, chap. V, n. 2 et 3. V. aussi liv. VI, lit. VIII, secl. rV, n. 19 et 20. (•) Bourjon, liv. VI, tit. VIII, sect. IV, n. 18 (passage reproduit *npra,n. 823). (») Sic, C. civ. Bas-Canada, art. 2268. .

704 DK LA PRESCRIPTION

Les rédacteurs du code civil n'ont pas suivi Bourjon pour les *cas de perte et de voIjUs assimilent ces deux cas comme on Tavait fait autrefois ; mais dans ces deux cas, ils se con- tentjent de donner trois ans au propriétaire dépossédé pour reprendre la chose aux mains des tiers acquéreurs de bonne foi; et ils ajoutent que Tacquéreur pourra exiger la restitu- tion du prix s'il a acheté le meuble revendiqué dans une foire ou un marché, ou dans une vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pareilles.

SECTION II

DE REVENDICATION EN CAS DE PERTE OU DE VOL.

884. Jîtudions d'abord la disposition de Tartitcle 2279 ali- néa 2 : « Néanmoim celui qui a perdu ou auquel il a été « volé une chose, peut la revendique?* pendant trois ans, à « compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans « les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours « contre celui duquel il la tient (*). »

I^e mot Néanmoins, par lequel cette disposition débute, indique qu'il s'agit d'une exception h la règle. Nous en avons dijà fait la remarque, et l'exception nous a môme servis à déterminer le sens delà règle. Il en résulte que notre dispo- sition doit recevoir l'interprétation restrictive ; nous tire- rons bientôt une conséquence de ce principe fondamental.

885. Cela posé, supposons que celui auquel appartient une chose mobilière en soit dépouillé par un vol, ou bien vienne à la perdre. Contre le voleur ou contre l'inventeur, il peut agir pendant trente ans, ni l'un ni l'autre ne pouvant invoquer la maxime En fait de meubles possession vaut titre,. <|ui est créée en faveur des acquéreurs de bonne foi et ne peut s'appliquer « dans les rapports du propriétaire et dtt

(») Cpr. C. civ. ilal., art. 708 et 2146 ; G. civ. hoU., art. 2014 ; C. civ. port., ait. 534 ; G. (éd. obliiç., art. 206 ; G. civ. ail., art. 935; G. civ. esp., arl. 1956; G. civ, Bas-Canada, arl. 2268. Sur les choses perdues et les épaves, t. "Haudry-Lacanlinerie et Wahl, Smcc.,*I, n.83 s.

rî:v::>dicatio>' dks choses pkrdies ou volé::s 703

possesseur primitif qui a volé la chose ou l'a trouvée (*). » Vainement on soutient qu'après trois ans il n'y a plus place pour la revendication et qu'il ne peut s'agir que d'une action personnelle en restitution (*). L'article 2279 ne s'applique qu'aux possesseurs de bonne foi : contre les autres la reven- dication ne peut s'éteindre qu'après une possession de trente ans (^) ; tout au plus pourrait-on réserver le cas de l'inven- teur, qui, de bonne foi, a pu croire que la chose par lui trouvée avait été définitivement abandonnée par son pro- priétaire, ('ette proposition est certaine, bien qu'elle ne soit pas exprimée dans l'article 2279alinéa2, qui a pu facilement se borner à la sous-entendre parce qu'elle résulte des prin- cipes généraux.

Outre Faction en revendication, le propriétaire dépossédé peut exercer contre le voleur ou l'inventeur une action per- sonnelle en restitution. (]ela est bien évident d'abord pour le voleur tenu d'une obligation de restituer née f\t delicto. Cette obligation ne peut s'éteindre que par la prescription de trente ans. Vainement on soutient que l'action civile contre le voleur doit s'éteindre en même temps que l'action pénale ; il s'agit ici d'une action en restitution ou en revendication basée sur la détention de mauvaise foi, indépendamment du vol (^). Cela nous parait devoir être admis également pour l'inven- teur. M. Planiol donne cependant une solution contraire, et considère comme contraire aux principes certains et élé- mentaires du droit « de voir dans le fait de ramasser l'ob- jet et de le garder un principe générateur d'obligation »;41 n'y aurait qu'un fait de possession de la chose d'autrui, non illicite, et ne faisant naître qu'une action en revendication (^). II nous semble cependant plus exact de dire que l'inventeur

Cj J>Ianiol, ('•il., I, n. 113Î.

(') Poinraré, p. 246; Van Hcmiiielen, p. 40l el 414.

(') Sic, Marcacié, loc, cit. ; Aiibry el Rau,4« éd., Il, p. 157, § 183 el p. 245, S 201 ; Deinolombe, Sncc, I, n. 71 ; Ilur, V, n. 19; Baudry-Lacanlinerie el Wahl, Smcc, 2- éd., I, n. 98. V. supra, n. 871.

(»; Marcadé, sur l'arl. 2271), n. 5. V. supra, n. 633. I/arl. 2268 C. civ. Has-Canada, décide que le voleur ou autre possesseur violent ou clandestin, el leni*s succesî»eur.s à lilre universel, sont emp(^chés de prescrire.

{*, Planiol, fip. cl^, n. 1134.

PuKscu. 45

706 DE LA PRESCRIPTION

d'un objet est obligé de le restituer. Celui qui trouve un objet est tenu à raison de son délit s'il s'en empare avec rintention de se l'approprier ; s'il se met en possession de cet objet avec Tintention de le rendre à son propriétaire au cas il viendrait à le découvrir, il se soumet à l'obligation éventuelle de le restituer; il est tenu d'une obligation quasi contractuelle. C'est une règle ancienne du droit- « Celui, dit Domat (dans son examen des engagements qui se forment sans convention), qui trouve une chose perdue doit la rendre à son maître, s'il sait à qui elle est ou s'il peut le savoir; et s'il la retient sans dessein de la rendre, ou sans tâcher de découvrir le maître, il commet un larcin... Celui qui a trouvé une chose perdue est obligé de la conserver et d'en prendre soin pour la rendre à son maître (*). » Si c'est une somme d'argent qui a été trouvée, il ne peut être question d'une revendication ; il y a bien cependant une action en restitution,

886. Supposons maintenant (c'est le cas prévu par notre disposition) que le voleur ou l'inventeur ne soit plus en pos- session de la chose : il l'a transmise à un tiers. La loi dit que, s'il ne s'est pas encore écoulé trois années à compter de la perte ou du vol, le propriétaire peut revendiquer la chose contre celui dans les mains duquel il la trouve. Peu importe que le possesseur, attaqué par l'action en revendication, tienne la chose immédiatement ou médiatement du voleur ou de l'inventeur. Sa bonne foi ne le mettra pas à l'abri de la revendication; elle sera prise en considération par la loi pour l'autoriser dans un cas particulier à réclamer du revendiquant le remboursement de son prix (art. 2280), jamais pour lui permettre de se soustraire à l'action en revendication. Le délai de trois ans est un souvenir du droit romain. « La durée de cette action, dit Bigot-Préameneu, a été fixée à trois ans ; c'est le même temps qui avait été réglé à Rome par Justinien; c'est celui qui était le plus généralement exigé en France. »

Il est facile de montrer le fondement de l'exception établie par l'article 2279 alinéa 2. La perte et le vol sont des cas for-

(') Domat, Lois civiles, liv. II, litre VU ; titre IX, sect. I, n. 1 et sect. I!, n. !•

REVENDICATION DES CHOSES PERDUES OU VOLÉES 707

tuits qui peuvent atteindre les hommes les plus diligents ; il n'y a donc en général aucune faute à reprocher à celui qui a été victime de Tun de ces événements. Ordinairement il n'en est pas de même du possesseur de la chose. Le plus fré- quemment il Taura achetée, c'est vrai; mais dans quelles con- ditions ? Souvent la profession et la condition sociale du vendeur, souvent aussi la modicité de ses prétentions, auraient lui inspirer quelque défiance. Un inconnu m'offre de me vendre à vil prix une montre en or; m'est-il bien dif- ficile de deviner qu'il s'agit d'un objet perdu ou volé ? Si je revends moi-même cette montre après l'avoir achetée, l'ache- teur, par cela seul que je ne suis pas horloger ou bijoutier de ma profession, ne doit-il pas concevoir des soupçons à son tour ? La situation du propriétaire dépouillé par le vol ou par la perte est donc en général plus intéressante que celle du possesseur, et voilà pourquoi la loi lui donne la préfé- rence, en l'autorisant exceptionnellement à revendiquer. La preuve que telle est bien sa pensée, c'est que nous allons voir bientôt l'article 2280 metti^e à la revendication du proprié- taire une condition qui équivaut presque au refus de l'action, lorsque le possesseur actuel a acheté dans des conditions qui ne lui permettaient pas de soupçonner le vice de la chose.

887. La revendication de Tarticle 2279 alinéa 2 est ouverte à celui qui était en possession au moment de la perte ou du vol; il n'aura d'autre preuve à fournir que celle de sa pos- session; cette preuve pourra être faite par tous moyens. On ne saurait imposer au revendiquant l'application des règles sur la preuve pour la justification de sa qualité de proprié- taire, il suffira qu'il démontre qu'il était en possession ; la loi autorise la revendication au profit de celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose (*). A ce point de vue, la cour de cassation a même admis que l'action en revendica- tion peut être exercée dans l'intérêt du propriétaire par un dépositaire à qui les meubles ont été soustraits (^).

(») Aubry el Uau, éd., II, p. 140, § 189 ; Laurent, XXXII, n. 584 ; GlîI- louard, n. 839.

(*) Cass., 28 mars 1888, S., 88.1.265. V. aussi Trib. Hazebrouck, 15 mars 1901, D. 1902.2.11.

708 DE LA PRESCRIPTION

Le revendiquant qui prétend bénéficier de l'article 2Î79 alinéa 2 doit aussi prouver le vol ou la perte qu'il allègue. Cette preuve peut encore être faite par témoins ou par pré- somptions, quelle que soit la valeur de la chose; car il a été impossible au revendiquant de se procurer une preuve écrite du fait à prouver (*).

888. L'action ne peut être intentée que contre celui qui a la chose entre ses mains^ en sa possession. Elle ne peut l'être contre celui qui, l'ayant achetée du voleur ou de l'inventeur, l'aurait ensuite revendue (*). Il ne pourra être question contre celui-ci que d'une action en dommages-intérêts et non d une revendication ; cette action en dommages-intérêts supposerait nécessairement l'articulation d'une imprudence ou d une né- gligence à la charge de celui qui aurait acquis la chose volée ou perdue et l'aurait à son tour aliénée (').

880. La revendication peut d'ailleurs être exercée contre quiconque détient la chose entre ses mains, même s'il n'en a pas une véritable possession; le revendiquant ne peut s'adres- ser qu'au détenteur, sauf à ce dernier à mettre en cause celui pour qui il détient (*).« Celui auquel une chose a été volée, dit la Cour de cassation, peut la revendiquer pendant ti'ois aniiées contre celui entre les mains duquel il la trouve; cette disposition est générale et il n'y a pas lieu dès lors de dis- tinguer entre celui qui détient les objets revendiqués à titre de mandat et celui qui les possède par suite d'un contrat de vente. »

800. Le délai pour la revendication admise exceptionnelle- ment par l'article 2279 alinéa 2 est de trois ans à compter de la perte ou du voL Après l'expiration de ce laps de temps, relui qui a été victime du vol ou de la perte ne peut plus invoquer le l>énéfice de la disposition exceptionnelle de

(') Paris, 18 aoùl 1851, S., 51.2. 475.— Aubrj' el Rau, loc. cil.; Laurenl, XXXII, II. 581.

(•) Dijon, 15 févr. 1891, Heviie Bourguignonne, 1391, p. 635.— V. cep. Ai.\, 17 mars 1859, S., 59.1.621.

^^^ (ii.'^s., 2i juin 1874, S., 75. 1. 168, D., 74. 1. 423. Ouillouard, n. 845.

(*) V. Cass., 5 mai 1874, S., 75. 1. 49 cl la noie de Labbé. Guilloiiai-d. H. 840. - V. aus-^i Paris, 10 aoùl 1891, I)., 95. i, 180 ; 7 mai iSm, 1)., 96. 2. 502.

Ri:VODlCAT10N DES CHOSES PERDUES OU VOLÉKS 709.

l'article 2279 alinéa 2 ; la règle reprend donc son empire. C'est dire que la revendication échouera contre un posses- seur de bonne foi. Et remarquez qu'il n'est pas nécessaire que le détenteur actuel possède depuis trois ans ; ne possé- dàt-il que depuis un jour, il peut invoquer la maxime En fait de meubles la possession tmut titre, s'il s'est écoulé plus de trois ans depuis la perte ou le vol (*).

891. Cela prouve que, malgré Fexposé des motifs de Bigot- Préameneuqui comparait cette prescription à l'ancienne pres- cription triennale pour l'acquisition des meubles, il ne faut pas considérer la fin de non-recevoir que l'article 2279 ali- néa 2 permet d'opposer après trois ans au propriétaire vic- time de la perte ou du vol, comme le résultat d'une pres- cription acquisitive qui se serait accomplie au profit du possesseur, car la prescription acquisitive exige une posses- sion qui se continue pendant toute la durée du délai fixé par la loi (*). Est-elle alors le résultat d'une prescription extinc- tive ? On peut le soutenir avec avantage et telle est notre opinion ; c'est une prescription extinctive basée sur des motifs d'intérêt général ; le droit de propriété se perd ici par suite d'une prescription extinctive, à la différence de ce que nous avons vu pour les immeubles. Dans son discours au corps législatif, le tribun Goupil compare la prescription de l'arti- cle 2279 alinéa 2 à la prescription des actions criminelles^ correctionnelles ou de police lorsqu'il n'y a pas de poursuite «Lins le délai légal (•% L'opinion commune s'est formée ce- pendant en sens différent: il s'agirait d'une simple déchéance résultant de la seule expiration du délai préfix établi par la loi ; l'article 2279 alinéa 2, dit-on, n'est pas basé sur une

(S Cass., 5 déc. 1876, S.. 77. 1. 201, D. 77. 1. 166. - On a jufçé (mais cela nous parait peu exact) que le propriétaire doit prouver non seulement le fait de la perte ou du vol, mais aussi que la date n'en remonte pas à plus de trois ans. Chambéiy, 20 mars 189*, I)., 95. 2. 342. Il semble plus juridique de décider que le possesseur actionné en revendication et qui invoque la prescription «le Pari. 2279 al. 2 doit prouver que cette prescription a couru et par suite la dale de la perte ou du vol.

(«) Aubi7 et Rau, 5- éd., II, p. 151, § 183; Marcadé, loc, cU,; Ort.ieb, n. 61 ; Golmet de Santerre, VIU, n. 3S7 bis, XVI : Laurent, XXXII, n. 583 : Poin- caréj p. 247. V. cep. Léjçpr. op. c»/., p. 357 et s.

0; Sic Laurent, XXXII. n. 583 ; Planiol, art. 1120.

710 DE LA PRESCRIPTION

présomption de négligence; on ne s'inquiète pas de savoir si le propriétaire dépossédé a ou non fait les diligences pour reprendre sa chose ; on retarde seulement l'application de la règle ordinaire ; après trois ans, on applique la maxime En fait de meubles.,, (*)«0n en conclut que cette déchéance peut être opposée même à un propriétaire mineur ou inter- dit. Nous croyons que le même résultat s'impose si Ton ad- met qu'il s'agit d'une prescription extinctive; c'est d'ail- leurs ce qui résulte de l'article 2278. (V. supra, n. 36 s.)

892. Le possesseur du meuble, quand il est évincé, peut recourir contre celui de qui il tient la chose perdue ou volée; son recours résulte du contrat et de l'obligation de garantie en cas d'éviction qui en dérive (*). Exceptionnellement cepen- dant il pourra arriver que le fait du possesseur rende son recours irrecevable : il en sera ainsi quand il aura laissé les choses arriver à un point tel que, par sa faute, son vendeur ne pourra lui-même exercer les recours qui l'auraient à son tour indemnisé. C'est en ce sens restreint qu'il faut admettre la solution donnée par la Cour de cassation, d'après laquelle « le détenteur d'objets mobiliers réclamés par leur légitime propriétaire ne peut avoir d'action récursoire contre le déten- teur de bonne foi de qui il les tient qu'autant que le préju- dice qu'il éprouve n'est pas le résultat de sa propre négli- gence. » Il ne faut pas faire de cette solution une règle absolue ; dans l'espèce tranchée par la Cour de cassation, le possesseur évincé avait par sa négligence rendu impossible le recours de son vendeur; il devait l'indemniser des consé- quences de sa faute, et, par suite, ne pouvait le faire condam- ner envers lui à des dommages-intérêts (').

803. L'exception ne s'appliquant qu'à ce qui est compris dans la règle, et la règle ne concernant que le possesseur de

(*) Aubry et Rau, 5* éd.. Il, p. 151, § 183 ; Leroux de BreUgne,n. 1331;Poin- caré,/oc.ctï.;Gaillouard,n.844. Jugéencesensque le délai de Tari. 2279 al. 2 est un délai prértx non susceptible d'interraption. Cass., 21 mai 1834, D. Bép., V Prescr,, n. 542. - Trib. civ. Seine, 14 mai 1895. D., 96. 2. 255.

(«) V. Cass., 8 déc. 1873, S.74.1. 104.- Laurent, XXXir,n. 586 ; GuOlouard, n. 843.

(») Cass., 5 mars 1874, S , 75. 1. 49, et la note de Labbé, D., 74. 1. 291. - Cpr. Laurent, XXXH, n. 586.

REVENDICATION DES CHOSES PERDUES OU VOLÉES 711

bonne foi, nous en concluons que c'est à ce même possesseur exclusivement que l'exception s'applique. Par conséquent, contre un possesseur de mauvaise foi, tenant la chose du voleur ou de l'inventeur, l'action en revendication pourrait être exercée pendant trente ans, de même que contre le voleur lui-même ou l'inventeur (*). Ce point a été contesté. On a soutenu qu'après trois ans il ne peut plus s'agir que d'une action personnelle en restitution et non d'une action en revendication. Nous avons déjà répondu à cette objec- tion. (V. supra, n. 871 et 885).

La question de savoir si la mauvaise foi est suffisamment prouvée est une question de fait à apprécier par le juge (*).

894. Lorsque le voleur, l'inventeur ou le possesseur de mauvaise foi s'est dessaisi du meuble volé ou perdu, il reste toujours passible d'une action en dommages-intérêts (^). Et au cas une condamnation a été ainsi obtenue par le pro- priétaire volé, l'action en revendication n'en est pas moins recevable ultérieurement contre le tiers possesseur : ce n'est pas le cas d'appliquer la maxime Una electa via non datiir recursus ad aller am (*). V. swpra n. 888 et infra n. 943.

895. Quant au possesseur de bonne foi qui est dessaisi des choses perdues ou volées, il ne peut, nous l'avons dit, être poursuivi en dommages-intérêts que s'il a commis une faute ; il ne peut être, dans le cas contraire, atteint par aucune action {^).

De même nous dirons que, dans le cas les meubles per- dus ou volés sont des choses qui ont été consommées par le tiers acquéreur de bonne foi, celui-ci ne peut être poursuivi en dommages-intérêts s'il n'a pas commis de faute ; il ne peut être non plus obligé de tenir compte au propriétaire, victime de la perte ou du vol, de la valeur des choses qu'il a consommées. Laurent soutient cependant qu'il s'est enrichi.

(*) Golmet de Santerre, VIII, n. 387 fcw, XVIT; Planiol, %• éd., I. n. 1135.

») Gass., 5 déc. 1876, S.. 77. 1. 201, D., T7. 1. 166. - Laurent, XXXII, n. 579.

(') V. «apra, n. 885. V. cep. Planiol, op. cit., n. 1136.

(*) Aix, 5 mars 1839, S., 90. 2. 225 et la note de M. Naquet. Guillouard, n. 842.

(*) V. cep. Aix, 17 mars 1859, S„ 59. 1. 621. V. «npra, n. 888.

712 DK LA PRKSCRIPTION

au détriment de l'ancien possesseur, d'une chose qu'il aurait restituer, et* qu'il doit être tenu en tant qu'il s'est enri- chi (*). Il faut répondre que, la revendicntion n'étant pas possible, il ne s'agit plus d'appliquer l'article 2279 alinéa 2 ; il ne peut être question que d'une action personnelle en dom- mages-intérêts, laquelle suppose une faute.

896. L'exception qui nous occupe n'est établie que pour le cas de perte ou de vol. C'est une disposition exception- nelle. Elle ne peut être étendue en dehors de ces deux hypo- thèses (').

Mais il faut bien préciser le sens de ces deux expressions. Et tout d'abord la perte peut résulter soit d'un cas fortuit, par exemple d'une inondation qui emporte au loin mes meu- bles, soit du fait du propriétaire, par exemple si je laisse tomber mon porte-monnaie dans la rue. La disposition de faveur de l'article 2279 alinéa 2 s'applique même dans cette dernière hypothèse, bien qu'il y ait alors ordinairement quelque négligence à reprocher à celui qui est victime de la perte ; la loi ne distingue pas, et peut-être a-t-elle bien fait de ne pas distinguer, parce qu'il s'agit de négligences dont tout le monde est susceptible ; suivant l'expression d'Aubry et Rau, ou doit considérer comme perdus « les objets égarés par suite d'une négligence directement ou indirectement iftiputable à celui qui les possédait. » Il faut aussi compren* dre parmi les choses perdues celles qui sont égarées par suite d'expédition à une fausse adresse (').

897. Que faut-il entendre par voit Ce mot a, dans notre langue juridique, un sens très précis, différent du sens du mot furtuni, et qui est déterminé par l'article 379 du code pénal : « Quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol (^). » Le vol consiste dans la soustraction frauduleuse d'une chose appar-

(*) Laurent, XXX.lI, n. 535. V. aussi Trib. coitim. Xaiiles, !•' sepL 1866, I)., 67. 3. 3.\

(-) Cass., 25 mars lS:n, S . 91. 1. 469, ï)., 92 1. SOI. Marcadé, sur Tarti- cle 2279, n. 5 ; Laurent, XXXII, n. 577.

('; V, Aubry et Rau, 5- éd., II, p. 147, § 183; GuUlouard, n. 833. Mai» v. on sens conlrairo Van Bernnielem, op. cit., p. 398.

(») V. Paris, 3 df^r. 1902, S., 1904, 2. 289.

REVENDICATION DES CHOSES PERDUICS OU VOLÉES 713

tenant à autrui ; et comme l'interprétation restrictive est ici (le rig^ueur, nous en concluons que l'article 2279 alinéa 2 no îiaurait être étendu aux autres délits présentant avec le vol plus ou moins d'analogie. Ainsi le propriétaire d'une chose mobilière qui a été dépouillé par suite d'un abus de confiance, d'une violation de dépôt ou même d'une escroquerie ^ pour- rait se voir opposer la maxime En fait de meubles la posses- sion vaut titre par un possesseur de bonne foi contre lequel il exercerait l'action en revendication. Dans toutes ces hypo- thèses, le propriétaire s'est volontairement dessaisi de la pos- session de la chose ; il a suivi la foi de celui à qui il Ta remise, et sa situation se trouve ainsi beaucoup moins inté- ressante que lorsqu'il a été dépouillé malgré lui par un vol. 11 sera réduit à une action personnelle contre celui à qui il a trop légèrement accordé sa confiance. Les tiers possesseurs de bonne foi ne doivent pas être victimes de l'imprudence qu'il a commise.

898. La solution que nous venons de donner est généra- lement admise quant à la violation de dépôt et à l'abus de confiance prévus par les articles '408 à 409 du Code pénal. Vainement on a soutenu que la distinction ne datait que du code pénal de 1810 et n'avait pas être faite par les rédac- teurs du code civil en 1804. Bourjon, nous l'avons vu, la faisait au siècle dernier; on peut dire que dans l'cirticle 1141 c'est un cas d'abus de confiance qui est visé et pour lequel la revendication n'est pas admise. Enfin on a fait justement observer que ce n'est (jue lentement et avec réserve que les cas d'abus de confiance se sont étendus dans notre législa- tion ; il suffit de comparer à cet égard l'article 29, au titre II du code pénal de 1791, l'article 408 du code pénal dans sa première rédaction, et les extensions successivement appor- tées par les lois des 28 avril 1832 et 13 mai 1803 (*).

(') V. dans le sens de celle opinion, Gass , 22 juin 1858, S , 58. i. 591, 1).> 53. 1. 2Î3; 23 déc. 1863, S., 65. 1. 187, D., 65. 1. 81; 28 lév. 1883, S , 83. 1. 353, avec la note d3 M. Lacoinla. I)., 8i. 1. 27 ; 6 juill. 1886. S., 87. 1. 452; 2 mars 1892, «., 95. 1. 116, D., 93. 1. 198, Rouen, 12 mars 1873, S., 73. 2. 80, D , 73. 2: 183. Bordeaux, 26 mai 1873, S., 74. 2. 5, D., 76. 2. 23. Amiens, 2 juin 1887, S., 87. 2. 231 ; 26 juill. 1894, D., 96. 2. 213. - ponai, 20 juin 1892, S., 92. 2. 101.- Paris, 3 déc. 1902, précité.— Sic Aubry el Hau,

714 DE LA PRESCRIPTION

899. Il y a des dissidences plus graves quant à l'escroque- rie ; Farticle 405 du code pénal considère comme coupable de ce délit « quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entrepri- ses, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, se sera fait remet- tre, etc. » On a soutenu que ce délit était, avant le code de 1810, confondu avec le vol, et qu'à la diflérence du cas de l'abus de confiance, la victime de l'escroquerie a été trom- pée quand elle s'est dessaisie de l'objet (*). Il ne faut pas s'arrêter à ces objections. L'escroquerie était déjà prévue par la loi des 19-22 juillet 1791 et on comprend aisé- ment qu'on fasse une diflFérence entre le propriétaire victime d'un vol qui a été dépouillé à son insu et celui qui est vic- time d'une escroquerie commise par celui à qui il a volon- tairement remis la chose. Il faut dire en un mot avec la Cour de cassation « que les exceptions sont de droit étroit et que leur application doit être renfermée dans le sens rigou- reux des termes employés par le législateur, que le vol ne peut être confondu avec l'escroquerie, vu qu'en fait d'es- croquerie, l'individu escroqué a suivi la foi de celui qui Ta trompé ('). »

5- éd., II, p. 147, § 183 ; Troplong, n. 1070; Marcadé, loc cit. ; Poincaré. p. 242; Colmet de Sanlerre, VIIÏ, n 387 bis, XV ; Laurent, XXXti, n. 594 ; Van Bem- melen, p. 411 ; Wahl, n. 1422; Bufnoir, p. 389; GuUlouard, n. 815. Con- tra Lyon, 15 déc. 1830, S., 32. 2. 348. TouUier, XIV, n. 118 et 119. - Gpr. Rossel, Manuel du droit fédéral des oblig,, p. 269 ; Huber, Code civil suisse. Motifs de V avant-projet, p. 701 et 709. G. civ. porU art. 533; G. civ. hoU., art. 2014, al. 2 ; G. civ. ail., art. 935. (*) Paris, 13 janv. 1834, S., 34. 2. 91. Dijon, 28 nov. 1856, S., 57. 2. 223.

Bordeaux, 3 janv. 1859, S., 59. 2. 452. Troplong, n. 1069. Laurenl, dans son avant-projet de Gode civil belge, proposait d'assimiler le cas d'escro- querie au cas de vol. V. aussi Rossel, loc. cit. Gpr. G. civ. holl., art. 2014; G. civ. port. art. 533 ; G. civ. ail., art. 935.

(*) Gass., 20 mai 1835, S., 35. 1, 321, D. Rép,, V Prescr., n. 287. Paris. 21 nov. 1835, S., 36. 2. 181, D. Rép., loc. cit.; 9 janv. 1862, 1)., 62. 5. 247.

- Rouen, 10 mars 1836, S., 36. 2. 193, D. Rép., loc. cit. - V. encore Dijon, 28 déc. 1856, S., 57. 2. 223.— Bordeaux, 3 janv. 1859, S., 59. 2. 452.-Aubrs' et Rau, loc. cil. ; Poincaré, p. 245 ; Marcadé, loc. cit. ; Laurent XXXÏI, u. -595 ; Van Bemmelen, loc. cit. ; Wabl, loc. cit. ; Lacointa, loc. cit. ; Bul-

REVENDICATION DES CHOSES PERDUES OU VOLÉES 715

900. Ajoutons d'ailleurs que, dans le cas de vol, l'arti- cle 2Î79 alinéa 2 doit s'appUquer alors même que l'auteur en reste inconnu, ou que, pour des raisons personnelles à l'au- teur du délit, et tirées de son âge ou de sa parenté avec la victime, le fait n'est pas puni par la loi; il n'en est pas moins un vol (*).

901. La loi du 30 mars 1887 relative à la conservation des monuments et objets d'art ayant un intérêt historique et artistique dispose, dans son article 13, que l'aliénation des objets appartenant aux départements, aux communes, aux fabriques ou autres établissements publics, si elle a été faite en violation de la loi, c'est-à-dire sans autorisation ministé- rielle, pourra être annulée, et les objets irrégulièrement aliénés, perdus ou volés, pourront être revendiqués pendant trois ans, conformément aux articles 2279 et 2280, par les propriétaires, ou, à leur défaut, par le ministre de l'instruc- tion publique et des beaux-arts. Sur l'application de ce texte, voyez supra, n. 146 et suivants, et infra, n. 910.

SECTION III

DE l'indemnité due AU POSSESSEUR DANS LE CAS DE l'aRTICLE 2280

902. En principe, le revendiquant n'est pas tenu de rem- bourser le prix qu'îf pu débourser le possesseur actuel de la chose perdue ou volée. Cela résulte de l'article 2280, qui n'impose ce remboursement que dans un cas particulier seu- lement, celui le possesseur de la chose Ta achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pareilles.

noir, loc. ciU ; Guillouard, n. 836. - Il a encore été jugé que Tart. 2279 al. 2 ^ est pas applicable au cas le détournement a eu lieu non par vol, mais par «sage de faux. Ghambéry, 20 mars 1894, D., 95. 2. 342.

^')Sic Aubry et Rau, éd., II, p. 148, §183; Laurent, XXXII, n. 581 ; GuiUouard, n. 837. - V. Paris, 25 janv. 1808, S., 68, 2. 42. Sur l'assimila- tion au vol de Tenlèvement, en cas de guerre, sans réquisition régulière, de cho- ses mobilières, voy.Gass., 25 déc. 1871, S , 72. 1. 44.— Besançon, 12 mai 1873, S-, 73. 2, 272. Guillouard, n. 38.

710 DE LA PRESCRIPTION

On s'expjique facilement qu'en règle générale le posses- seur n'ait droit à aucune indemnité ; le propriétaire reven- diquant ne lui doit rien; le droit du propriétaire est préfé- rable et l'emporte sur celui du possesseur. Le propriétaire victime d un vol ou d'une perte n'a d'ailleurs commis aucune faute ; l'acquéreur aura souvent été imprudent en ne s'infor- mant pas de Torigine de la possession de son vendeur.

003. Il n'en est plus ainsi si cet acquéreur a acheté la chose dans une foire, un marché ou une vente publique, ou chez un marchand vendant des choses pareilles. En sembla- ble cas, il était bien difficile au possesseur de soupçonner au moment de son acquisition le vice dont la chose était atteinte ; sa bonne foi est éclatante, son erreur a été invinci- ble, et c'est déjà beaucoup que la revendication soit auto- risée contre lui, même sous l'obligation de rembourser le prix payé, ce qui pourra avoir pour résultat de lui faire per- dre le bénéfice d'un bon marché ; l'intérêt du commerce exige d'ailleure qu'on vienne au secours de ceux qui traitent dans un marché ou chez un marchand.

Ces considérations expliquent et justifient très bien larti- cle 2280, d'après lequel; ^Si le possesseur actuel de la chose « volée ou perdue l'a achetée dans une foire ou dans un mar- « ché, ou dans une vente publique, ou d'un marchand ven- « dant des choses pareilles, le propriétaire originaire ?ie peut ^ se la faire rendre qu^en remboursant au possesseur le prix « quelle lui a coûté. » Nous avons vu que c'est une règle fort ancienne (*). Beaumauoir y faisait déjà allusion. Pothior indique les controverses qui s'étaient élevées sur son appli- cation (*}. 11 est vrai que Bourjon n'en parle pas; mais nous savons que dans notre hypothèse, il refusait la revendica- tion. On trouve notre disposition admise dans la loi des 28 septembre-0 octobre 1791 (art. 11). Le code civil s'est conformé à la tradition; il a seulement assimilé aux vente» faites dans les foires et marchés les ventes publiques et

(*) V. supra, n. 8i6, 882. s. Y. pour plus de détails Iluvelin, loc, cit. (*) Polhier, Des Cheplels, spcl. I, art. 4, § 3. - Gpr. Planiol, n, 1132,

^i:VK!SDICAT10X DES CHOSES PERDLKS Or VOLÉES 717

les ventes faites par des marchands vendant des choses pareilles (*).

903 bis. Le texte en visant« un marchand vendant des cho- ses pareilles » ne prévoit que le cas on a acheté d'une personne exerçant réellement la. profession de marchand, il ne suffirait pas que l'acheteur eût cru ou même eût pu croire traiter avec un marchand de choses i)areillcs ; il faut que telle soit la réalité. Pour soutenir la solution contraire, on peut, il est vrai, prétendre que le principe de cette matière est la protection de l'acquéreur de bonne foi, que l'arti- cle 2280 revient en quelque sorte et dans une certaine mesure à ce principe, que c'est un texte qu'on doit interpréter largement comme étant un retour à la règle ordinaire et en ce sens qu'il faut indemniser Tacquéreur de bonne foi auquel il n'a pas été possible de soupçonner le vol ou la perte. Cpr. infra, n. 905.

A notre avis, ce raisonnement n'est pas exact. Le texte de l'article 2280 est exceptionnel ; la règle est qu'on revendique les choses perdues ou volées; l'exception doit être restreinte aux cas indiqués par le texte. Souvent d'ailleurs, Terreur de l'acquéreur n'aura pas été invincible et on pourra lui reprocher son imprudence ; enfin les considérations décisi- ves tirées de la sûreté du commerce n'existent plus ici (*).

904. L'article 2279 alinéa 2 ne vise, nous le savons, que le cas du possesseur de bonne foi. C'est à cette même hypo- tlièse qu'a trait l'article 2280 et il faut décider sans hésita- tion que cette disposition ne peut jamais être invoquée par un acheteur de mauvaise foi (•'*). D'ailleurs le possesseur qui aurait commis une négligence pourrait être soumis à l'égard du propriétaire à la responsabilité du dommage causé par sa

(') Cpr. G. civ. port., art. 534 ; C. civ. holl., arl. 637 ; G. civ. ilal., aK. 7C9 ; G. féd. oblig., art. 206 ; G. civ. esp., art. 464.

.») V. Amiens, 14 mai 1895, D., %. 2. 468. Trib. Hazebrouck. 15 mars lîXH, D., 1902. 2. 11.

C) Cass., 26 nov. 1825, S. chr., D., Rèp., v Prescr.y n. 298.— Parts, 25 août 1855, D., 56 1,393. - Laurent, XXXII, n. 592 ; GuiUouard, n. 849. - Gpr. Gass., 20 août 1372, 0., 73. 1. 4SI.

718 DE LA PRESCRIPTION

faute ; cette responsabilité le rendrait non recevable à deman- der le prix par lui déboursé (*).

905. La détermination précise des cas rentrant dans les expressions de Tarticle 2280 a soulevé quelques difficultés sérieuses, notamment en ee qui concerne les valeurs au por- teur perdues ou volées. Il est bien certain que les bourses d'effets publics sont des marchés publics quant aux valeurs qu'on a coutume d'y négocier (*). Mais la boutique d'un chan- geur n'est pas un marché public; les valeurs achetées par lui dans sa boutique peuvent être revendiquées sans qu'il lui soit permis d'invoquer Tarticle 2280 (•*).

Si des valeurs sont achetées chez un changeur par un tiers, peut-il dire du moins qu'il les tient d'un marchand vendant des choses pareilles? La négative nous paraît préférable; la fonction des changeurs n'est certainement pas de vendre ou d'acheter des titres ; il y a sur ce point un usage, une tolé- rance, mais ce n'est pas la loi. Les changeurs, en vendant des valeurs, ne sont pas « marchands de choses pareilles » (^). Les tiers doivent savoir que la boutique d'un changeur n est pas le lieu normal des négociations des titres. En tout cas, l'article 2280 ne saurait plus s'appliquer aux titres acquis non chez un changeur, mais par l'intermédiaire d'un chan- geur ou d'un banquier (*).

(') Cass., 17 mars 1856, D., 56. 1. 393. V. aussi Amiens, 14 mai 1895, D.. 06.2.468.

{*, Paris, 9déc. 1839, S., 40.2.113; 9 avril 1864, 1)., 65.2.55.- Aubry elRau, éd., II, p. 149, § 183, note 14; Laurent, XXXIl, n. 590; Wahl, TUreiav porteur, n. 1423 ; Guillouard, n. 851.

(») Cass., 21 nov. 1877, S., 78. 1. 407, D., 78. 1. 424.- Paris, 6 juin, 26ao«l et 9 nov. 1864, S., 64.2.282 et 65.2.172, D., 65.2.55; 21 avril 1874, S., 74.2. 148. Trib. Seine, 9 nov. 1892, 7 juin et 20 nov. 1893, Gaz. Pal, du 14 juin 1894.— Aubry et Rau, loc, cil»; Laurent, loc, cit. ; Wahl, n. 1424; Guillouard, loc. cit.

(») Paris, 26 juill. 1895, S., 97.2.305 (avec une note de M. Wahl). - Vincenl, Hev. pral., XXIX, p. 475 s.; Poincaré, p. 262 ; Orllieb, n. 67. Contra Lau- rent, XXXII, n. 591 ; de Folleville, n. 143 ; Wahl, loc. cit. ; Aubry et Rau» loc. cit. ; Huben de Couder, VicL^ v* Changeur, n. 27 et 28 ; Guillouard, H, a. 852 ; Hue, XIV, n. 519. Cpr. dans ce dernier sens Paris, 9 nov. 1864, pré- cité; 5 mai 1876, S., 77.2.171.

(5y Paris, 15 janv. 1885, S., 98.1.481, en note, D.. 85.2.216. Albert Wahl, n. 1426. Hue, loc. cit. ; (îuillouard, loc. cit. ; Tissier, S., 98. 1. 481.- Con- tra Lyon-Caen et Renault, Précis, I, p. 192.

REVENDICATION DES CHOSES PERDUES Of VOLÉES 719

906. Le revendiquant doit rembourser le prix d'achat, les frais et loyaux coûts, les dépendes nécessaires, les dépendes utiles à concurrence de la plus-value (*) ; mais il ne doit pas les intérêts de ces différentes sommes, le possesseur ayant eu la jouissance de la chose dans Tintervalle qui s'est écoulé entre son acquisition et le jour de la revendication.

907. Après avoir remboursé au possesseur la somme que celui-ci avait payée, le revendiquant a un recours contre celui qui l'avait trouvée ou volée (*). Peut^il agir contre celui qui Tavait acquise du voleur ou de l'inventeur sans être dans les conditions de l'article 2280 et qui l'a ensuite reven- due dans un marché public ou à un marchand? Il nous sem- ble difficile qu'il puisse agir sans démontrer l'existence d'une faute ; il ne peut prétendre qu'il a acquitté une dette dont le vendeur était tenu et qu'il est subrogé à l'action qui aurait pu être exercée contre ce vendeur ; il n'y a jamais eu en réalité aucune action contre celui-ci du chef de l'acquéreur évincé (').

908. Au cas le possesseur aurait acheté le meuble dans des circonstances autres que celles prévues par l'arti- cle 2280, mais son vendeur était dans le cas prévu par cet article, le revendiquant serait obligé de rembourser lo prix d'acquisition si le vendeur, ayant été appelé en garan- tie, était condamné envers le possesseur évincé ; mais si le prix d'acquisition était supérieur au prix moyennant lequel le vendeur qui est dans le cas de l'article 2280 avait lui- même acheté, il nous paraîtrait logique de n'obliger le reven- diquant d payer que cette dernière somme (*).

906 bis. Il n'est pas douteux et il a été jugé par plusieurs décisions récentes que l'article 2280, étant exceptionnel, ne

(') V. Paris, 10 mai 1858, I)., 58. 2. 17. Orllieb, n. 63 ; Poincarê, p. 258 ; Guillouard, n. 856. V. aussi Besançon, 12 mai 1873, D. 73. 2. 147.

n Paris, 9 déc. 1839, S., 40.2.113. Aix, 17 mai 1859, S., 59.2.621. TroplonK, n. 1072; Marcadé, sur Tari. 2279, n. 5; Aubry et Ilau, 5- éd., II» p. 150, § 183, note 15. Cpr. Laurent, XXXIl, n. 589.

(») Lyon. 7 nov. 1885. S., 88. 2. 288, D., 88. 2. 228. - IIuc, XIV, n. 520 ; ('uiliouard, n. 854. V. en ce sens les autorités citées h la note pi^cédenle.

(*) Sic Marcadé. loc. cit.

720 DE LA PRESCRIPTION

peut, en principe, être invoqué que par un 'acheteur (*). On en a conclu qu'il ne saurait profiter à un créancier iiagiste (*) ; celui-ci, s'il a reçu en gage des objets volés, n'est pas fondé à exiger du propriétaire qui les revendique le remboursement des avances qu'il a faites sur le gage, cdors même qu'il a -consenti ces avances à un marchand vendant des choses pareilles à celles données en gage.

Il est certain que le texte de l'article 2280, aussi bien que les précédents historiques, ne vise que l'acheteur de meu- bles et laisse de côté le prêteur sur gage. Mais les règles de l'article 2279 ne sont-elles pas traditionnellement des règles faites pour les acheteurs et la jurisprudence n'a-t-elle pas étendu au gagiste de bonne foi la règle : « En fait de meu- l>les possession vaut titre > ? Nous avons dit plus haut qu'il serait peut-être plus exact de restreindre l'article 2279 au seul acquéreur de bonne foi. Du moment qu'on en a décidé autrement, et qu'on applique au gagiste l'article 2279, ne doit-on pas le faire avec le tempérament que le texte et la tradition lui apportent ?

L argument invoqué par la C.our de cassation repose sur une interprétation littorale sans grande portée. Les arti- cles 2279 et 2280 ne visent l'un et l'autre que l'acheteur : le législateur n'a pensé qu'à l'acheteur. Si on veut étendre la même protection au gagiste, on ne peut guère distinguer parmi les dispositions du code civil ; l'application de la règle En fait de meubles possession vaut titre entraîne l'ap- plication de l'article 2279 alinéa 2 ouvrant la revendication aux cas de perte et de vol, et de l'article 2280 qui apporte un tempérament à cette revendication quand le tiers a été trompé, sans qu'il lui ait été possible d'éviter l'erreur p).

909. D'après l'article 2084 du code civil, les maisons de prêts sur gage autorisées sont soumises aux lois et règle -

(') Ainsi il ne saurait Tôtre par l'a^^enl de change qui a reçu pour les vendre dos litres perdus ou volés el entre les main:* de qui les litres sont revendiqués. Paris, 26 juill. 1895, S , 97. 2. 305, et la note de M. Wahl.

(•) Cass., 11 mai 1898, S., 98. 1. 481, D., 98. 1. 501. - Paris, 2 août 1856, .'^., 57. 2. 177 ; 10 août 1894, I)., 95. 2. 180 ; 7 mai 1896, D., 96. 2. 502. - W Lyon-Caen el Renault, III, n. 291 ; liaudr^-J^acanlinerie et de Loynis, I, u. 31.

y*) Tissier, note dans S., 98 1. 481 ; (iuillouard, n.- 88U

REVENDICATION DES CHOSES PERDUES OU VOLÉES 721

ments qui les concernent. Sauf en cas d'imprudence mani- feste, bu si les règlements n'ont pas été observés, la juris- prudence, appliquant les textes spéciaux aux monts-de-piété, décide que celui qui revendique un meuble perdu ou volé est tenu de rembourser la somme avancée sur ce meuble à celui qui Fa remis en nantissement (*). *

910. La revendication des meubles faisant partie du domaine public, et, comme tels, inaliénables et imprescrip- tibles, est-elle soumise à la condition de remboursement imposée par Tarticle 2280 ? On peut se demander si Tarti- cle 2280 a un caractère exceptionnel et doit, par suite, être restreint aux hypothèses qui sont par lui strictement pré- vues, c'est-à-dire aux cas de revendication, dans les trois ans, d'objets perdus ou volés, ou bien si, la revendication étant elle-même exceptionnelle en matière de meubles, ce n'est pas revenir au droit commun que de la restreindre par Tobligation d'indemniser l'acheteur évincé.

On peut, à l'appui de l'extension de l'article 2280, faire valoir que son application est plus équitable encore s'il s'agit d'une revendication qui peut se produire un très grand nombre d'années après l'aliénation ; si l'intérêt général exige le droit de revendiquer à perpétuité, l'intérêt du cré- dit et ridée de justice veulent que l'acquéreur dépossédé soit indemnisé (*).

Cette théorie n'a cependant pas prévalu, Aubry et Rau en ont donné la raison d'une façon très précise ('). L'arti- cle 2279 ne s'applique pas aux choses qui sont hors de com- merce ; la revendication peut en avoir lieu quelles que soient les circonstances qui les ont fait passer aux mains d'un par- ticulier ; l'article 2280, qui se rattache à l'article 2279, n'a pas non plus à s'appliquer ici ; il prévoit des cas en prin- cipe la revendication ne peut avoir lieu et où, par exception.

(') V. Cass., 28 nov. 1882, S., 83.. 1. 402 ; 21 juill. i857. S., 57. 1. 681, 1)., 57. 1. 39i. - Auhry et Rau, éd., II, p. 153, § 183 ; Poincaré, p. 256 ; Giiil- louard< n. 855. *

(•) Saleillea, La loi du 30 mars iS87, n. 52 el 61.

(») Aubry et llau, 5* éd., H, p. 151, g 183. - V. aussi Trib. Seine, 22 juin 1877, D., 80. 2. 101.

PRESCR. 46 -

722 DE LA PRESCRIPTION

elle est permise pendant trois ans. Vainement M. Saleilles fait-il observer que l'article 2280 s'applique dans les cas qui échappent à Farticle 2279 ; la vérité est qu'il n a trait qu'à des choses pour lesquelles l'article 2279 est le principe et qui ne peuvent être revendiquées que dans des cas spé- ciaux ; il n'a pas trait aux choses hors du commerce, qui ne sont pas soumises à l'article 2279. Peut-être les considéra- tions d'équité qui ont dicté l'article 2280 se retrouvent-elles ici ; mais le texte ne parait pas pouvoir être étendu. Il faut ajouter que l'intérêt public, qui explique la faculté de reven- dication perpétuelle des choses du domaine public, impli- que aussi que la revendication ne doit pas être entravée ; l'obligation de payer une indemnité pourrait être un grave obstacle. M. Saleilles dit bien que « le prétendu obstacle apporté par l'article 2280 à la revendication pourra consti tuer un retard à l'exercice des droits de l'Etat, mais ne sau- rait jamais aboutir à un abandon de son droit. » Nous pen- sons que la revendication des choses du domaine public ne doit: pas subir le retard peut-être fort long qu'entraînerait la nécessité de payer l'indemnité.

La loi du 30 mars 1887 n'a pas tranché la question que nous venons de discuter; M. Saleilles reconnaît que la diffi- culté n'a été ni résolue ni même posée dans ses termes géné- raux lors de la discussion de cette loi. On ne saurait en tirer un argument quelconque. L'article 10 dit simplement que les objets classés appartenant à l'Etat seront inaliénables et imprescriptibles, et il est difficile de bien voir comment M. Saleilles peut canclure que « toute revendication, même celle fondée sur l'article 10 de la loi du 30 mars 1887, ne peut s'exercer que sous les conditions indiquées à l'arti- cle 2280 0). »

911. La loi du 30 mars 1887 a seulement, nous l'avons vu, quant aux objets classés appartenant aux départements, communes, fabriques ou autres établissements publics, qui auraient été irrégulièrement aliénés, volés ou perdus, réservé

(*) Saleilles, op. ciL, n. 64. V. dans notre sens Kau et Falcimaigne sur Aubry et Rau, 5* éd., I, p. 53, § i69, note 8 bis.

REVENDICATION DES CHOSES PERDUES OU VOLÉES 723

rapplication des articles 2279 et 2280; la revendication n'en pourra être exercée pendant trois ans qu'à charge de payer indemnité. Rappelons tout d'abord qu'à notre avis ce texte ne vise pas les objets du domaine public, qui étaient avant la loi protégés par Tinaliénabilité et Timprescriptibilité et qui pouvaient être revendiqués perpétuellement sans qu'il y eût d'indemnité à payer au possesseur évincé. Ces objets restent soumis aux mêmes garanties qu'autrefois ; la loi nou- velle n'a en rien diminué la protection établie dans l'inté- rêt du domaine public. Il ne s'agit que d'objets qui, f<aisant partie du domaine privé, n'avaient jusqu'ici aucune protec- tion spéciale; ils pouvaient être revendiqués au cas de perte ou de vol dans les conditions des articles 2279 et 2280 ; d'après la loi nouvelle, ils pourront de plus l'être en cas d'aliénation irrégulière pendant trois ans, à charge d'indem- nité, et la revendication, dans tous les cas, pourra être exer- cée concurremment par le propriétaire ou par le ministre. Quant aux objets du domaine public départemental ou com- munal, ils restent ce qu'ils étaient ; ils peuvent être reven- diqués sans charge d'indemnité (*). (V. supra, n. 146 s.).

912. Mais qui devra supporter l'indemnité si c'est le minis- tre qui revendique un objet ayant appartenu à une commune ou à un établissement public ? Pourra-t-il obliger l'ancien propriétaire à la payer ? Devra-t-il la payer lui-même ? Qu'arrivera-t-il si la commune ou le département ou la fabri- que ne veulent pas ou ne peuvent pas faire les frais de la revendication? A notre avis, le propriétaire pourra être tenu de payer ces frais ; c'est comme mandataire légal que le ministre revendiquera, et pour rétablissement public qui a indûment aliéné ou perdul'objet revendiqué :1e fait de l'alié- nation irrégulière, de la perte ou du vol doit rester, suivant le droit commun, à la charge du propriétaire et ne saurait être mis à la charge de l'Etat.

Le rapport fait au Sénat par M. Bardoux parait, à la vérité, s'inspirer de l'opinion contraire. «Nous ferons remar- quer, dit-il, que nous accordons le droit de poursuivre la

(') Contre Saleilles, it. 61.

724 DE LA PRESCRIPTION

nullité de l'aliénation au propriétaire intéressé aussi bien qu'au ministre de l'instruction publique et des beaux-arts ; le conseil d'Etat a fait, avec raison, observer que du moment que l'objet mobilier est classé, le propriétaire n'était pas complètement propriétaire, mais plutôt un administrateur représentant des personnes civiles... Quant au ministre, c'est comme représentant de l'Etat nu propriétaire qu'il intente l'action (*). » M. Saleilles a soutenu aussi que l'Etat a un droit propre, une sorte de domaine éminent sur le mobilier artistique des établissements publics (*). Ce sont là, il nous semble, des idées quelque peu conjecturales, qu'on ne trouve formulées dans aucun texte et pour lesquelles quelques mots d un rapport ne sauraient être une justification suffisante. L'Etat viendra en aide au département ou à la commune qui pourraient se trouver dans l'impossibilité de faire face aux frais de la revendication d'un objet précieux qui leur aurait été volé ; mais, dans tous les cas, la revendication aura lieu pour l'établissement public propriétaire ; il nous paraît diffi- cile d'admettre avec M. Saleilles que l'Etat revendiquant doive faire l'avance, qu'il soit obligé de restituer la chose à la commune, si celle-ci se déclare prête à rembourser, mais qu'il doive la garder pour lui si la commune s'y refuse (*) . 913. Une loi du 11 juillet 1892 a ajouté à l'article 2280 un paragraphe ainsi conçu : « Le bailleur qui revcîulique, en « vertu de l article 2102, les meubles déplacés sans son con- « sentementet qui ont été achetés dans les mêmes conditions^ « doit également rembourser à Vacheteur le prix qu'ils lui « ont coûté. » Ce texte a été admis pour assimiler la situation du bailleur qui revendique les objets garnissant les lieux loués et déplacés sans son consentement à celle du proprié- taire qui revendique les objets perdus ou volés. La Cour de cassation avait décidé que l'article 2280 ne pouvait s'appli- quer au bailleur (^). Le législateur a considéré qu'il y avait

(•) Journ, off„ 1886, Doc. parU, p, 140. (*) Saleilles», op. cU., n. 62. i^) Saleilles, op, ciï., n. 63.

(*) Gass., 30 oct. 1888, S., 89. 1, 321 el la noie de M. Meynial; 10 juillet 1889, S., 91. 1. 424.

REVENDICATION DES CHOSES PERDUES OU VOLÉES 723

analogie de situation et qu'il devait y avoir même solution. Nous nous contentons ici de signaler la règle adoptée par la loi ; son étude et son commentaire se rattachent à l'examen du droit de revendication du bailleur d'immeubles (*). Cette extension de l'article 2280 parait d'ailleurs tout à fait en harmonie avec les idées de Pothier et de Bourjon sur la matière (2).

SECTION IV

LOI DU 12 MAI 1871

914. Il est intéressant, à la suite de notre étude des arti- cles 2279 et 2280, de rappeler les règles posées par la loi du 12 mai 1871, qui a déclaré inaliénables < les propriétés publiques ou privées saisies ou soustraites à Paris depuis le 18 mars dernier. » Cette loi contient cinq articles; les trois derniers sont des dispositions pénales. Nous nops bornons à reproduire les articles 1 et 2.

« Article premier. Sont déclarés inaliénables jusqu'à leur retour aux mains du propriétaire tous biens meubles et immeubles de TEtat, du département de la Seine, de la ville de Paris et des commune suburbaines, des établisse- ments publics, des églises, des fabriques, des sociétés civi- les, commerciales ou savantes, des corporations, des com- munautés, des particuliers, qui auraient été soustraits, saisis, mis sous séquestre ou détenus d'une manière [quel- conque, depuis le 18 mars 1871, au nom ou par les ordres d'un prétendu Comité central. Comité de salut public, d'une soi-disant commune de Paris ou de tout autre pouvoir insur- rectionnel, par leurs agents, par toute personne s'autorisant de ces ordres ou par tout individu ayant agi, même sans ordres, à la faveur de la sédition.

(») V. d'ailleurs sur la loi du U juillet i892, la notice de M. Chaumat dans VAnnuaire de lég. franc,, publié par la Société de législ. comp.. année 189?, p. 110, et le commentaire publié par M. SchafThauser, Rev, des lois nouvelles^ 1892. I. 445.

(*) V. à cet égard la noie intéressante de M Meynial, S., 89. 1. 321.

726 DE LA PRESCRIPTION

« Art. 2. Les aliénations frappées de nullité par Farticle 1" ne pourront, pour les immeubles, servir de base à la pres- cription de dix ou vingt ans, et, pour les meubles, donner lieu à l'application des articles 2279 et 2280 du code civil. Les biens aliénés en violation de la présente loi pourront être revendiqués, sans aucune condition d'indemnité et con- tre tous détenteurs, pendant trente ans à partir de la cessa- tion officiellement constatée de l'insurrection de Paris. >

915. M. Bertauld, rapporteur de la loi, s'est exprimé ainsi sur la portée des textes que nous venons de reproduire :

« Les aliénations mobilières ne seront pas protégées par les articles 2279 et 2280rLe donataire et l'acheteur ne pour- ront pas se prévaloir de ce qu'il ne sera pas juridiquement démontré qu'ils ont connu la provenance de l'objet donné ou acheté pour repousser d'une manière absolue par une pres- cription de trois ans la revendication du propriétaire... L'action en revendication menacera les spoliateurs et leurs représentants pendant une période de trente ans, que les cau- ses d'interruption et de suspension de droit commun pourront prolonger encore. Pourquoi, en effet, garantir des négo- ciations aussi peu dignes de faveur et à vrai dire aussi suspec- tes contre des raisons d'alarme qui doivent les décourager ? Vainement objecterait-on que le commerce et spécialement le commerce des objets d'art souffrira de ces suspicions et des précautions qu'elles entraîneront. L'objection s'adresserait au principe même de la loi, et non pas seulement à une de ses dispositions. L'acheteur honnête qui voudra traiter en sécurité ne traitera qu'avec des vendeurs dont la moralité ou la solvabilité le rassurera (*). »

M. Bertauld ajoutait que le donataire et l'acheteur ne pourraient pas non plus se prévaloir de ce qu'il ne serait pas démontré qu'ils eussent connu la provenance de l'objet donné ou acheté « pour soumettre la revendication, quand elle sera faite avant le laps de trois ans, à la condition qu'ils rece- vraient le prix par eux payé. »

(*) Journal officiel, 16 mai 1871, D.. 71.4.52.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 727

CHAPITRE XXII

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS

016. Le droit commun, si on l'applique strictement aux titres au porteur, conduit à des résultats très préjudiciables aux propriétaires dépossédés. La revendication tout d'abord pourra bien avoir lieu pendant trente ans contre le posses- seur de mauvaise foi ; mais il est souvent difficile de démon- trer la mauvaise foi de celui qu'on trouve en possession. Les publications faites par le propriétaire ne sont pas exclusives de la bonne foi du possesseur ; il a été jugé aussi que le seul fait d'être resté plusieurs années sans toucher les arrérages ne dénote pas nécessairement la mauvaise foi (*). Le reven- diquant échouera souvent dans son action.

Contre le possesseur de bonne foi, la revendication ne pourra avoir lieu que pendant trois ans après la perte ou le vol, ces expressions devant être entendues dans le sens res- treint que nous avons déterminé. Le possesseur de bonne foi aura droit à une indemnité s'il a acheté les titres à la Bourse ou chez un agent de change.

Le propriétaire dépossédé ne peut, de droit commun, agir contre l'agent de change qui a fait la négociation des titres perdus ou volés que s'Q a commis une faute; les juges du fait ont à cet égard à apprécier sa négligence ou son impru- dence ('). C'était notamment, avant la loi de 1872 dont nous allons parler, une question difficile à trancher que celle de savoir dans quelle mesure l'agent de change avait à tenir compte d'une opposition signifiée au syndicat des agents de change.

A l'égard des établissements débiteurs du titre perdu ou

(') V. Cass., 5 déc. 1876, S., 77.1.201, et la note de M. Bourguignat.

(*) V. Cass., 21 nov. 1848, S., 49.1.38, D., 48.4.2i0; 10 juiU. 1860, S., 60.1. S31, D., 60.1.433; 2 janv. 1872,S., 72.1.157, D., 72.1.161 ;5 mai 1874, S., 75. 1.49, et la note de Labbé, D., 74.1.291; 24 juin 1874, S., 75.1.168. - Laurent, XXXII, n. 597 s.

728 DE LA PRESCRIPTION

volé, le propriétaire dépossédé ne trouve pas dans le droit commun de moyens efficaces lui permettant d'empêcher le paiement aux mains du porteur du titre, de contraindre ce débiteur à retenir le titre s'il lui est présenté, enfin de pou- voir lui-même, à défaut de présentation et si le titre n'est 13as retrouvé, toucher les dividendes ou intérêts et le capital de son titre.

Tels sont les motifs qui ont conduit quelques législations à protéger spécialement le propriétaire de titres dépossédé par une perte ou un vol (*).

917. En France, c'est la loi du 15 juin 1872 qui s'est pro- posé de fournir au propriétaire de titres au porteur perdus ou volés les moyens de se faire restituer contre la perte ou le vol. Le système de cette loi se résume en ce que, quand les formalités qu'elle édicté sont remplies, « elle défend au débi- teur de payer au porteur, défend aux agents de change de négocier le titre, défend même aux particuliers de Tache- ter (2). y>

Avant cette loi de 1872, la jurisprudence, tout en appli- quant les articles 2279 et 2280, avait cherché à remédier à la situation du propriétaire victime du vol ou de la perte des titres. Elle admettait qu'il pouvait signifier une opposition aux mains de l'établissement débiteur. Les effets de cette opposition étaient de sauvegarder les droits du propriétaire sans pourtant exposer le débiteur au danger de payer deux fois. Le débiteur du titre devait tenir compte de l'opposi- tion en s'abstenant de payer toute somme en capital ou intérêts. Mais l'opposant n'était considéré comme créancier qu'après que la prescription garantissait le débiteur contre toute action du porteur: il ne pouvait donc toucher les cou- pons que cinq ans après leur échéance, le capital qu'après

(•) On pourrait soutenir cependant que la meilleure solution serait de prohi- ber toute revendication de titres au porteur à l'égard de l'acquéreur de bonne foi. V. infra, n. 947 quater. Le système de la loi de 1872 a été très vivement critiqué par presque tous les rapporteurs ou orateurs lors du congrès internatio- nal des valeurs mobilières de 1900. V.BrilTaut, Comm, de la loi du 8 févr. I90i, p. 179 s., 318 s. V. aussi Huber, Code civil suisse. Exposé des motifs de V avant-projet, p. 708. Gpr. Thaller, Traité élém. de droit comm, n. 730 s.

(») Albert \Vahl,n. 1256.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 729

trente ans seulement ; dans Tîntervalle, il pouvait demander la consignation; on hésitait d'ailleurs à lui reconnaître le drpit d exiger, à ime époque quelconque, un duplicata de son titre. D'un autre côté, le propriétaire pouvait signifier des oppo- sitions entre les mains des agents de change pour s'opposer à la négociation des yaleurs volées ou perdues. Ces opposi- tions avaient au moins pour effet d'engager la responsabilité des agents de change qui les avaient reçues (*) .

918. La jurisprudence était aussi favorable qu'elle pouvait l'être au propriétaire dépossédé; mais on crut cependant avoir besoin d'une protection plus grande et plus efficace. En 1861, des pétitions déposées au Sénat furent suivies d'un rapport de M. Bonjean proposant des solutions très radicales et très favorables au propriétaire de titres, avec une procédure un peu compliquée et coûteuse (^). En 1868, une première com- mission fut chargée de la rédaction d'un projet de loi. A la suite des vols commis pendant les périodes troublées de 1870 et 1871, le besoin d'une loi se fit encore plus vivement res- sentir. L'Assemblée nationale adopta sans discussion celle qui lui fut proposée. Cette loi a réalisé deux améliorations con- sidérables. « D'abord elle a créé un système d'opposition collective qui permet au porteur dessaisi de son titre de met- tre obstacle à toute négociation postérieure à une insertion publiée dans un Bulletin particulier dont le syndicat des agents de change de Paris a la garde et la responsabilité. A partir du moment l'opposition est portée à la connaissance du public par une insertion au Bulletin, elle devient contra- dictoire et frappe le titre d'indisponibilité à l'égard de tous ceux qui pourraient en être possesseurs par suite d'une trans- mission ultérieure. C'est le premier avantage essentiel résultant de la loi. Il y en a un autre. La loi de 1872, sous des conditions réglées avec soin et de nature à sauvegarder les droits du propriétaire légitime, a permis au porteur dépos- er) V. sur la jurisprudence antérieure à 1872, Albert Wahl, n. 1257 s. ; Lau- rent, loc, cit. ; Lyon-Caen et Renault, IV, n. 626 s. ; Aubry et Rau, 5' éd., par O. Rau, Palcimalgne et Gault, II, p. 161, § 183 bis.

(') V. ce rapport reproduit par M de Folleville, De la possession des meu- bles et des titres an porteur, p. 281. M. Guillouard (n. 882 et s.) en donne <le nombreux extraits.

730 DE LA PRESCRIPTION

sédé, à l'expiration du délai d'attente, d'obtenir du juge le droit de percevoir les distributions périodiques affectées au titre, et même, lorsque le capital est devenu exigible, de toucher ce capital lui-même (*). »

L'expérience démontra cependant au bout de quelques années la nécessité de modifier sur certains points les règles admises par la loi du 15 juin 1872 et de les compléter par quelques dispositions nouvelles ; ce fut le but de la loi du 8 février 1902 qui remédie à plusieurs des inconvénients et des lacunes que la pratique avait signalés, fixe certains points sur lesquels la jurisprudence était incertaine, et, sans rien changer aux principes de la loi de 1872 quant à la protection des droits des porteurs dépossédés, établit certaines règles nouvelles favorables à la circulation des titres au porteur. Sous l'empire de la loi de 1872, un grand nombre d'opposi- tions étaient faites sans motifs sérieux et il y avait de grands abus ; on avait trop sacrifié les acquéreurs de titres aux propriétaires dépossédés. La loi de 1902 s*est montrée plus exigeante à l'égard des opposants et plus soucieuse des nécessités de la circulation. On lui reproche cependant encore de sacrifier injustement les tiers porteurs en les obli- geant à poursuivre eux-mêmes la mainlevée des opposi- tions, alors que les opposants ne sont astreints à aucune autorisation ni à aucun contrôle.

Précisons d'abord les cas d'application de la loi du 15 juin 1872 ainsi modifiée en 1902 (*). Nous verrons ensuite quelle situation elle fait au propriétaire dépossuié, d'une part à l'égard du débiteur du titre, d'autre part vis-à-vis des tiers.

SECTIOiN PREMIÈRE

DES CAS AUXQUELS s'aPPLIQUE LA LOI DE 1872.

919. D'après l'article premier « le propriétaire de titres au porteur qui en est dépossédé par quelque événement que

(») Rapport de M. Grivart au Sénat (/. off., Doc, parl.de juillet 1901. p. 241).

(•) V. pour le développement et Tapplicalion de la loi les règlements d'admi- nistration publique des 10 avril 1873 et 8 mai 1902.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 731

ce soit peut se faire restituer contre cette perte dans la mesure et sous les conditions déterminées dans la présente loi- » Les dispositions de la loi ne visent ainsi que le propriétaire de titres au porteur. Le dépositaire, le créancier gagiste, qui seraient dépossédés des titres au porteur qu'ils détiennent, sont-ils réduits aux ressources fournies parle droit commun? 11 semble que la revendication leur soit permise comme au propriétaire et dans les mêmes conditions: ils sont respon- sables de leur garde vis-à-vis du propriétaire ; ils doivent pouvoir exercer dans l'intérêt de celui-ci le droit résultant de la loi de 1872 (»).

920. La revendication organisée par la loi de 1872 peut avoir lieu à rencontre du créancier gagiste comme aux mains d'un possesseur à titre de propriétaire. D'après la jurispru- dence, nous l'avons vu, le créancier gagiste de bonne foi est protégé de droit commun par l'article 2279 : il peut être atteint par la revendication dans les mêmes cas que le posses- seur. La loi de 1872 ne vise pas expressément les constitu- tions de gage ; elle ne parle que de négociation et de transmis- sion. Mais on peut faire valoir l'esprit de la loi de 1872. « Cette loi a voulu donner aux propriétaires de titres au porteur un moyen aussi simple que pratique de se mettre à Tabri des conséquences dommageables de leur dépossession. Le but ne serait assurément pas atteint si, malgré l'oppo- sition du propriétaire dépossédé, une constitution de gage valable était encore possible à son préjudice. La constitution (le gage, sinon directement, au moins indirectement, prive- rait d'une façon définitive le propriétaire dépossédé de ses titres au porteur. D'ailleurs il serait bien singulier qu'un créancier gagiste fût à l'abri de la revendication des titres au porteur dans des circonstances <6%i 'un acheteur serait exposé à une éviction de la part du propriétaire (*>. »

921 . En ce qui concerne les titres auxquels s'applique la loi de 1872, l'article 16 décide que « Les dispositions de la

0) V. Cass., 28 mars 1838, S., 88. 1. 265. Guillouard, n. 899 et 974. - Cpr. cep. Albert Wahl, n. 1528 s. V, supra, n. 887.

(*) Lyon-Caen, note dans Sirey, 92. 2. 161 ; Guillouard, n. 975. Gpr. Cass.» avril 1874, S., 75. 1. 317 ; 2 mars 1892, S., 95. 1. 116. V. «iipra, n. 868.

732 DE LA PRESCRIPTION

présente loi sont applicables aux titres au porteur émis par les départements, les communes et les établissements publics, mais elles ne sont pas applicables aux billets de la Banque de France, ni aux billets de même nature émis par des éta- blissements légalement autorisés, ni aux rentes et aux autres titres au porteur émis par l'État, lesquels continueront à être régis par les lois, décrets et règlements en vigueur. Toutefois les cautionnements exigés par Tadministration des finances pour la délivrance des duplicata de titres perdus, volés ou détruits, seront restitués si, dans les vingt ans qui auront suivi, il n'a été formé aucune demande de la part des tiers porteurs, soit pour les arrérages, soit pour le capi- tal. Le Trésor sera définitivement libéré envers le porteur des titres primitifs, sauf l'action personnelle de celui-ci contre la personne qui aura obtenu le duplicata. »

Nous avons à peine besoin de dire que l'article 16 alinéa 1 ne fait pas une énumération limitative des titres auxquels s'applique la loi nouvelle : les titres émis par les sociétés, bien que non expressément visés, sont ceux auquels la loi est le plus fréquemment applicable. D'une façon générale, les valeurs de bourse, cotées ou non cotées officiellement, tombent sous l'application de la loi de 1872. Mais les billets, lettres de change, chèques, polices au porteur, récépissés ou warrants, ne sont pas visés par elle et restent sous la pro- tection ordinaire des articles 2279 et 2280 (*). Elle ne s'ap- plique pas non plus aux billets de loterie ni aux billets de chemins de fer (*).

922. La loi du 15 juin 1872 est, d'après son texte, inap- plicable aux billets de banque. D'ailleurs, d'une façon géné- rale, les billets de banque ne peuvent, à raison de leur des- tination et de leur assimilation au numéraire, être jamais revendiqués aux mains d'un possesseur de bonne foi ; ik

(») Lyon-Caen et Renault, IV, n.646 ; Aubry et Rau, 5- éd., par G. Rau, Fal- cimaigne et Gault, II, p. 173, § 183 bis : GuiUouard, n. 954. V. Paris, 12aoftl 1876, Le Droit du 5 octobre 1876. Trib. Seine, 7 mars 1889, Le Droit finan- cier, 1889, p. 276.

(«) GuiUouard. n. 961 et 962. V. Poitiers, !•' juin 1878, D., 79. 2. 23. - Trib. Seine, 6 nov. 1889, Le Droit du 7 nov.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 733

échappent aux articles 2279 alinéa 2 et 2280 (*). V. supra, n.842.

Cette loi n'est pas non plus applicable aux titres de rente sur rÉtat au porteur. Elle a bien un peu modifié la législa- tion antérieure sur ce point (art. 16 in fine), mais sans assi- miler les rentes sur TÉtat aux autres titres au porteur : elle ne leur est applicable ni à Tégard de l'Etat débiteur, ni à regard des tiers porteurs (*). A l'égard de ces derniers, les articles 2279 et 2280 sont seuls applicables.

023. Enfin il y a un troisième point de vue auquel il faut se placer pour déterminer l'étendue d application de la loi de 1872. Il s'agit de savoir à quelles circonstances s*étend exactement sa protection. A cet égard, il résulte du rapport qui a été fait à TAssemblée nationale que les termes géné- raux de l'article 1*' de notre loi ont voulu assimiler au vol l'escroquerie et l'abus de confiance. L'article 1*' de la loi donne le droit de revendication au propriétaire des titres au porteur quel que soit l'événement par lequel il a été dépos- sédé («).

924. Mais la loi de 1872 n'est pas applicable au cas de des- truction des titres au porteur. Cela résulte nettement des travaux préparatoires. M. de Marcère avait soutenu, à propos de l'article 15, un amendement d'après lequel « dans le cas le propriétaire de valeurs mobilières fournirait la preuve que ses titres ont péri dans un sinistre, il peut toujours récla- mer de la compagnie ou de l'établissement débiteur un titre nouveau ou duplicata. S'il y a contestation, les tribunaux peuvent ordonner la délivrance du nouveau titre. » On a répondu que le droit commun suffiradtpour le cas prévu, et

(') Lyon-Caen et Renault, IV, n. 764 et 765. Gpr. Cass., 8 juill. 1867, S., 67. 1. 317. Alger, 4 mare 1865, S., 65. 2.155. Wahl, n. 1541.— W.snpra, n.842.

i') y. Lyôn-Caen et Renault, IV, n. 648; Wahl, n. 1286 s., 1533 s. ; Gull- louard, n. 958, 959, 985.

(')V. Cass., 14 juill. 1874, S., 75. 1. 23; 13 fév.1884, S., 84. 1. 225. - Angers, 3 (iéc. 1873, S., 74. 2. 84. - Trib. Seine, 2 déc. 1887, Gas. Pal., 88. 1. 118. - Albert Wahl, n. 1235, 1433 s., 1522 ; Aubry et Rau, 5- éd., II, p. 177, § 18i ; Guillouard, n, 972. V. cep. Cass., 2 mars 1892, S., 95. 1. 116, D., 93. ^' 198; Deloison, Val. mob., n. 529.

734 DE LA PRESCRIPTION

le rapporteur a dit que « dans le cas il serait démontré d'une manière irréfragable, sans qu'il pût y avoir sujet à erreur possible, que le titre a péri dans un sinistre, la com- pagnie serait tenue de remettre un duplicata de ce titre au réclamant, duplicata qui aurait tous les avantages que pos- sédait le titre primitif vis-à-vis de la compagnie, soit au point de vue du paiement, soit au point de vue de la responsabi- lité. » Il en serait ainsi, à notre avis, alors même que la des- truction serait due à une faute du possesseur; son impru- dence ou sa négligence ne peuvent supprimer son droit de créance et Fempêcher de demander un titre nouveau en remplacement du titre détruit (*).

Mais nous supposons que la destruction est absolument prouvée; si elle était simplement vraisemblable, ou même probable, il faudrait suivre les règles posées pour le cas de perte et de vol (^j.

925^ La solution que nous venons d'admettre s'applique- rait-elle aux billets de banque? La cour de cassation a décidé qu'en cas de destruction démontrée d'un billet de banque, le porteur ne conserve aucun droit (') . Mais c'est une déci- sion des plus contestables et les principes du droit nous sem- blent conduire à une règle toute contraire (*). La monnaie d'or ou d'argent ne peut être remplacée par l'Etat, puisqu'elle a une valeur intrinsèque et qu'on ne peut faire supporter par r£tat le préjudice résultant de sa destruction accidentelle; mais il en est autrement des billets et ce qu*on a dit des titres au porteur leur est applicable. MM. Lyon-Caen et Renault (lisent très bien qu'une « exagération de l'idée selon laquelle le billet de banque est l'équivalent des espèces métalliques

(') Wahl, n. 1248 ; Guillouard, n. 947, 948, 950. V. cep. Larombière, sur rart. 13i8, n. 41; Demolombe, XXX, n. 203.

(*) V. Albert Wahl, n. 1235 s. ; Lyon-Caen el Renault, IV, n. 643; Aubi-y el Hau, éd., par G. llaii, Falcimaigne et Gault, H, p. 177, § 183 bis, note 46.

(») Cass., 8 janvier 1867, S., 67. 1.317. - Flandin, Revue critique, \IIU p. 421 ; Vincent, Revue pratique, XJX, p. 488 ; Le Gost, Des titres au por- teur, n. 59.

(») Alger, 4 mars 1865, S., 65. 2.155 et la note de Labbé. V. aussi M.Thier- oelin, noie sur Tarrôt de cassation précilé, D., 67, 1. 289; Albert Wahl, n.l240; Guillouard, n. 957.

DES TITRKS AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 735

a seule conduit la Cour de cassation à adopter une doctrine contraire. »

026. La loi du 15 juin 1872 ne s'applique qu autant que les formalités que nous allons préciser plus Ic^n ont été obser- vées. A défaut d'accomplissement de ces formalités, ou si elles sont postérieures à l'acquisition des titres au porteur par le possesseur poursuivi en revendication, ou à la constitution du gage, c'est le droit commun des articles 2879 et 2280 qui est applicable (*). L'article 14 de la loi de 1872 dispose nette- ment, dans cette seconde hypothèse, qu'il n'est pas dérogé au droit commun pour les transmissions antérieures à la publication de l'opposition prescrite par la loi. « A l'égard des négociations ou transmissions de titres antérieures à la publication de l'opposition, il n'est pas dérogé aux disposi- tions des articles 2279 et 2280 du code civil. »

027. Indépendamment de toute opposition, le propriétaire pourra donc revendiquer le titre contre l'escroc, le voleur, le dépositaire, l'acquéreur de mauvaise foi, etc., jusqu'à ce qu'il soit aux mains d'un tiers de bonne foi. En cas de vol ou de perte, la revendication peut avoir lieu pendant trois ans contre tout possesseur, même de bonne foi, sauf l'arti- cle 2280 (^). Mais en cas d abus de conjfîance ou d'escroque- rie, la revendication n'est plus possible, même avant trois ans, dès que le titre a été négocié à un acquéreur de bonne foi^)!

A cet égard, il est peut-être trop absolu de dire, comme le fait la Cour de cassation, que « l'opposition ne peut être maintenue à l'égard des titres dont la négociation ou la trans- mission aurait été opérée de bonne foi avant la publication (le cette opposition (*). » Car le droit commun permettra, dans le délai de trois ans, de revendiquer aux mains de tout possesseur de titres perdus ou volés, même de bonne foi, sauf l'article 2280 du code civil ; et il permet de poursuivre

(') V. nol. Gaî^s., 5 déc. 1876, précité; 25 mars 1891, S., 91. 1. 469. Guillouard, n. 977 et s. (^) V. Cass., 25 mars 1891, précité. - Labbé, S., 80. 1. 49. e) Cass., 14 juin. f874, S., 75. 1. 23. - Labbé, loc, cit. (*) Cass , 17 déc. 1878, S., 80, 1. 49.

736 DE LA PRESCRIPTION

même après trois ans, tout possesseur de mauvaise foi, bien qu'une transmission ait .été faite de bonne foi, si elle avait été faite dans le délai de trois ans (*). Il faut cependant ajou- ter que si un possesseur de bonne foi qui a acquis le titre dans les trois ans s'est trouvé, après l'expiration de ce déliai, à Tabri de la revendication, ceux qui acquièrent le titre ensuite, même de mauvaise foi, ne peuvent être pour- suivis ; ils peuvent invoquer les mêmes droits que leur cédant aurait pu invoquer lui-même.

Les règles que nous venons de poser s'appliquent d'ailleurs aux coupons, même échus, comme au titre lui-même (*) .

SECTION II

DES RAPPORTS DU PROPRIÉTAIRE ET DE L'ÉTABLISSEMENT DÉBITEIR

928. La loi du 15 juin 1872 a eu pour objet de permettre au porteur dépossédé, moyennant certaines formalités, d'em- pêcher tout paiement à un tiers porteur et de permettre au propriétaire de toucher les dividendes, intérêts ou capitaux devenus exigibles, après un délai plus court que celui admis par la jurisprudence antérieure. De plus, il peut se faire délivrer sous certaines conditions un duplicata de son titre.

929.D après larticle 2 de la loi du 15 juin 1872 modifiée par la loi du 8 février 1902 : ^ Le propriétaire dépossédé fera noti- fier par huissier, au syndicat des agents de change de Paris, un acte d'opposition indiquant ; le nombre, la nature, la valeur nominale, le numéro, et, s'il y a lieu, la série des titres, avec réquisition, sous la condition de paiement du coût, de publier, dans la forme qui sera ci-après déterminée, les numéros des titres dont il a été dépossédé, Il de\Ta aussi, autant que possible, énoncer : 1" l'époque- et le lieu il est devenu propriétaire, ainsi que le mode de son acquisition ; 2* l'épo- que et le lieu il a reçu les derniers intérêts ou dividendes;

(«)LabbLS S., 80. 1. 49.

(«) Paris, 23 déc. 1858, S., 59. 2. 25. - Laurent, XXXIl, n. 563 ; Wahl, 11. 1544 ; Lyon-Caen et Renault, IV, n. 542 ; Guillouard, n. 96D. V. cep. C. féd. oblig., art. 208.

DES TITRES XV PORTZUR PERDUS OU VOLÉS 737

3" les circonstances qui ont accompagné sa dépossession. Cet acte contiendra une élection de domicile à Paris. Notification sera également faite par huissier, au nom du propriétaire dépossédé, àFétablissement débiteur. L'acte contiendra les indications ci-dessus requises pour l'exploit notifié au syndi- cat des agents de change, et, de plus, à peine de nullité, une copie certifiée par l'huissier instrumentaire de la quittance délivrée par le syndicat, du coût de la publication prévue par Tarticle H ci-après. Cette quittance, soumise au seul droit de timbre de dix centimes, s'il y échet,'sera dispensée d'enregistrement. Il sera fait dans Tacte élection de domicile dans la commune du siège de rétablissement débiteur. La notification ainsi faite emportera opposition au paiement tant du capital que des intérêts ou dividendes échus ou à échoir, jusqu'à ce que mainlevée en ait été donnée par l'opposant ou ordonnée par justice, ou jusqu'à ce que déclaration ait été faite, par le syndicat des agents de change, à l'établissement débiteur, de la radiation de l'opposition. »

L'opposition est nulle si elle n'est pas faite par ministère d'huissier ou si elle ne contient pas les indications requises par le paragraphe l®"" de notre article. Les autres énonciations semblent devoir être considérées comme facultatives (*).

930. L'efifet de cette opposition est d'abord de mettre obs- tacle au paiement du titre et des coupons et à toutes opéra- tions sur le titre ; le débiteur qui paierait aux mains du porteur malgré l'opposition ferait un paiement nul vis-à-vis de l'opposant (*). Il ne pourrait même exiger, d'après la Cour de cassation, que l'opposant fit d'abord juger sa prétention à rencontre du tiers porteur : « Le paiement efiectué par la compagnie prive l'opposant de la garantie que lui assure l'article 10 et lui enlève le bénéfice d'un débat contradic- toire avec un tiers porteur qui, après le paiement des cou- pons par lui présentés, n'a plus d'intérêt à venir débattre devant la justice un droit de propriété devenu sans objet pour lui. »

V) Sic Albert Wahl, n. 1266 s. ; Lyon-Caen et Renault, IV, n. 631; Guillouard, fl. 897 et 898. (*) Gass., 29 déc. 1874, S., 75. 1. 289. - Wahl, n. 1271 ; Guillouard, n. 900.

Prsscr. 47

738 DE LA PRESCRIPTION

De plus, à partir du jour de Topposition, rétablissement débiteur doit retenir le titre qui serait présenté par un tiers pour une opération quelconque. C'est ce qui résulte de l'ar- ticle 10. « Si, avant que la libération de l'établissemenl débiteur soit accomplie, il se présente un tiers porteur des titres frappés d'opposition, ledit établissement doit provisoi- rement retenir ces titres contre un récépissé remis au tiers porteur ; il doit de plus avertir l'opposant par lettre char- gée de la présentation du titre en lui faisant connaître le nom et l'adresse du tiers porteur. Les effets de l'opposition res- tent alors suspendus jusqu'à ce que la justice ait prononcé entre l'opposant et le tiers porteur. » L'établissement débi- teur engage sa responsabilité s'il se borne à retenir les titres frappés d'opposition sans prévenir l'opposant (*). Celui-ci, lorsqu'il est prévenu par l'établissement débiteur de la pré- sentation des titres frappés d'opposition, agit en revendica- tion contre le tiers porteur ou attend que le tiers porteur l'assigne en mainlevée d'opposition.

930 àis. Dans le système de la loi de 1872, cette opposi- tion était tout à fait indépendante de celle que, d'après l'ar- ticle 11, le porteur dépossédé pouvait signifier au syndicat des agents de change en vue d'empêcher toute transmission du titre : il y avait bi deux oppositions distinctes, produi- sant leurs effets séparés. Il en résultait de graves inconvé- nients. Certains propriétaires se bornaient à signifier Top- position prévue par l'article 2 ; ils restaient ainsi sans protection contre les dangers de la négociation du titre, et, d'un autre côté, cette opposition n'étant pas rendue publique comme celle de l'article 11, les tiers couraient le risque d'acquérir, sans qu'aucune publicité les eût avertis, des titres frappés d'une opposition aux mains de rétablissement débi- teur ; sans doute ils pouvaient en obtenir la mainlevée ; mais cela occasionnait pour eux des difficidtés, des embar- ras et des frais ; le svstème nuisait ainsi à la bonne circu- lation des titres au porteur. La loi du 8 février 1902 exige que l'opposition au syndicat des agents de change soit signi-

('} Trib. civ. Seine, 20 mars 1894, S-, 95. 2. 81 el la note de M. Valérj-.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 730

fiée avant celle destinée à rétablissement débiteur : l'arti- cle 2, dans sa rédaction nouvelle, dispose que c*est tout d'abord au syndicat des agents de change que le porteur dépossédé doit signifier son opposition ; l'opposition signifiée à rétablissement débiteur devra, à peine de nullité, contenir une copie, certifiée par l'huissier, de la quittance délivrée par le syndicat du prix de la publicité faite au Bulletin des oppositions.

L'effet de l'opposition signifiée à l'établissement débiteur ne peut subsister après celui de l'opposition faite au syndicat des agents de change. Aux termes de Tarticle 2, cette opposi- tion fait obstacle à tout paiement « jusqu'à ce que mainlevée en ait été donnée par lopposant ou ordonnée par justice, ou jusqu'à ce que déclaration ait été faite, par le syndicat des agents de change, à l'établissement débiteur, de la radiation de l'opposition. » L'article H alinéa 4 organise la simulta- néité de radiation de l'une et de l'autre opposition.il ne peut plus y avoir d'opposition à l'établissement débiteur pour des titres dont les numéros ne seraient pas publiés au Bulletin des agents de change.

931. L'opposition fait courir certains délais à l'expiration desquels l'opposant peut rentrer dans la jouissance de son droit.

Et, tout d'abord, « lorsqu'il se sera écoulé une année depuis Fopposition sans qu'elle ait été formellement contre- dite par un tiers se prétendant propriétaire du titre frappé (l'opposition, et que, dans cet intervalle, deux termes au moins d'intérêts ou de dividendes auront été mis en distribu- tion, l'opposant pourra se pourvoir auprès du président du tribunal civil du lieu de son domicile, ou, s'il habite hors de France, auprès du président du tribunal civil du siège de l'établissement débiteur, afin d'obtenir l'autorisation de tou- cher les intérêts ou dividendes échus, ou môme le capital des titres frappés d'opposition, dans le cas ledit capital serait ou deviendrait exigible » (art. 3).

La loi de 1872 n'avait pas spécifié ce qui pouvait constituer , la contradiction à l'opposition. Elle se bornait à dire ; « Lorsqu'il se sera écoulé une année depuis l'oppo-

740 DE LA PRESCRIPTION

sition sans qu'elle ait été contredite... » Diaprés la juris- prudence suivie à Paris, la contradiction résultait d'un fait quelconque qui manifestait l'existence d'un tiers préten- dant avoir des droits sur le titre : il n'était pas besoin d'une notification régulière. Le point délicat était de déci- der si la présentation des coupons était une contradiction dans le sens de l'article 3 ; la jurisprudence paraissait hésitante. Dans le cas les coupons étaient présentés par un tiers se prétendant propriétaire du titre, il y avait bien contradiction (^) ; et la pratique des établissements financiers était bien de voir une contradiction au droit de Topposant et de prévenir ce dernier de suite de la présentation des coupons (*). Le point tout spécialement embarrassant était de. décider si la présentation de coupons par un tiers ne prétendant pas avoir de droit sur le titre pouvait être consi- dérée comme une contradiction : les tribunaux paraissaient exiger, pour qu'il y eût contradiction, que les coupons fus- sent présentés par un tiers affirmant son droit de propriété sur le titre ('). La loi du 8 février 1902 supprime la diffi- culté en disposant que la contradiction ne peut résulter que de la prétention élevée par un tiers à la propriété du titre frappé d'opposition ; il faut que la présentation des coupons soit accompagnée d'une affirmation formelle d'un droit de propriété. L'exposé des motifs indique que tel était déjà la jurisprudence. « Pour faire cesser toute controverse à cet égard, il est proposé d'interpréter le sens du mot « contre- dite » d'après l'opinion de la Cour de Paris (arrêt du 5 avril 1887) en ajoutant aux mots « sans qu'elle ait été contredite » ceux-ci : « par un tiers se prétendant propriétaire du titre frappé d'opposition. » Cette réforme se justifie aisément : la

(«) V. Paris, 5 avril 1887, D., 87. 2. 213, avec les conclusions de M. l'avocal général Sarrul. V. d'autres autorités en sens divers citées par Albert Wahl,

II, p. 196, note 8.

(«) V. en ce sens Aubry et Rau, éd., par G. Rau, Falcimaigne et Gault, II, p. 164, § 183 bis, noie 8 V. en sens contraire Wahl, loc, cit.; Lyon-Caeu et

Renault, IV, n. 633.

(>) Paris, 5 avril 1887, précité. V. aussi les décisions citées par M. Paul Magnin, Comm. de la loi du 8 février i902 {Lois nouv. 1902, 1- partie, p. AU) et par M. BrilTaut, Comm, de U loi du S févr. i90i (thèse 1901), p. 144 s.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 741

seule présentation des coupons n'est pas une contradiction : souvent les coupons circulent comme monnaie et sont pré- f sentes par des intermédiaires qui n'élèvent aucune préten- . tion à la propriété des titres. Comme on Ta fait observer aussi avec raison, si la présentation a été faite par un por- ^ teur qui, voyant le paiement refusé et les coupons retenus ' par l'établissement débiteur, n'a pas élevé de protestation et affirmé son droit à la propriété du titre, les présomptions en faveur du droit de Topposant sont plutôt fortifiées qu'af- faiblies.

931 bis. La loi de 1872 ne prévoyait pas le cas de la perte ou du vol de titres au porteur ne donnant pas droit à des intérêts ou dividendes ou dont les revenus ne sont pas ou , ne sont plus périodiquement mis en distribution. D'après l'article 3 (in fine) modifié par la loi du 8 avril 1902,1e por- teur dépossédé peut s'adresser au président du tribunal,mais seulement après qu'il se sera écoulé trois ans depuis l'opposi- ' tion sans contradiction ; le délai est alors plus long parce que l'absence de contradiction n'a pas la même portée quand il s'agit de titres ne donnant lieu à aucune distribution.

932. La procédure de la demande en autorisation n'est pas réglée par Ja loi ; lorsqu'il n'y a pas contradiction, on agit par requête d'avoué à l'appui de laquelle on remet l'ori- ginal de l'opposition et le certificat de non contradiction. En pratique, on s'adresse souvent directement au tribunal et non au président (*) ; ûiais d'après l'article 7, le tribunal ne devrait statuer qu'au cas de refus de l'autorisation par le président, lequel a un pouvoir d'appréciation discrétion- naire. « En cas de retus de l'autorisation dont il est parlé ; en l'article 3, l'opposant pourra saisir, par voie de requête, le tribunal civil de son domicile, ou, s'il habite hors de France, le tribunal civil du siège de l'établissement débiteur, lequel statuera après avoir entendu le ministère public. Le juge- ment obtenu dudit tribunal produira les effets attachés à l'ordonnance d'autorisation » (art. 7).

933. Le jugement du tribunal serait-il susceptible d'ap- is ) V. les conclusions de M. l'avocat général Sarrut, précitées.

742 DE LA PRESCRIPTION

pel ? C'est une question controversée, sur laquelle la juris- prudence ne paraît pas avoir été appelée à se prononcer ('). A notre avis, la décision rendue peut être critiquée devant le tribunal lui-même, qui, après un débat public et contra- dictoire, rapportera ou non la décision rendue sur requête. La décision ainsi rendue contradictoirement pourrait être l'objet d'un appel suivant les règles ordinaires.

tfà3 bis. Lorsqu'il y a contradiction, l'article 10 dispose que les effets de l'opposition sont suspendus jusqu^à ce que la justice ait prononcé entre l'opposant et le tiers porteur. » Le tribunal civil sera saisi par l'opposant ou par le tiers porteur. Le premier, s'il est demandeur, portera l'instance au tribunal du domicile du défendeur. Si c'est le porteur qui agit comme demandeur, on a admis qu'il peut aussi assigner l'opposant devant le tribunal du siège de l'établissement débiteur, au domicile élu par l'opposant conformément à l'article 2 (*).

934. L'opposant n'est admis, en vertu de l'autorisation donnée par le président ou par le tribunal, à toucher soit le capital, soit les intérêts ou dividendes, qu'à la condition de fournir à l'établissement débiteur une caution solvable ou un nantissement qui peut être constitué en titres de rentes sur l'Etat, ou en valeurs mobilières quelconques, ou même en une somme d'argent. Si l'opposant ne peut ou ne veut four- nir ces garanties, il a le droit d'exiger que l'établissement débiteur verse les intérêts ou dividendes et même le capital échu, afférents aux titres frappés d'opposition, à la caisse des dépôts et consignations, d'où il a le droit de les retirer après l'expiration d'un certain délai, si son opposition n'a pas été contredite.

Ces dispositions résultent du texte des articles 4, 5 et 0 de la loi de 1872 ; m Art. 4. Si le président accorde l'auto-

(*) V. dans le sens du recours possible Lyon-Caen et Renault, IV, p. 43(>, noie 1; Buchère, Tr. des valeurs mobilières^ n. 986; Deloison, Tr, des valeurs mobilières, n. 570; Guillouard, n. 913.— V. en sens contraire WaW, II, p. 198. n. 1276 et noie 3 ; Aubrj' et Rau, éd., par G. Rau, Falcimaigne et Gaull, II. p. 165, § 183 bis.

(«) Paris, 3 fév. 1887, D., 87. 2. 232. Guillouard, n. 904.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 743

risation, ropposant devra, pour toucher les intérêts ou divi- dendes, fournir une caution solvable dont l'engagement s'étendra au montant des annuités exigibles, et, de plus, à une valeur double de la dernière annuité échue. Après deux ans écoulés depuis l'autorisation, sans que l'opposition ait été contredite dans les termes de Tarticle 3, la caution sera de plein droit déchargée. Si l'opposant veut ou ne peut four- nir la caution requise, il pourra, sur le vu de l'autorisation, exiger de la Compagnie le dépôt, à la Caisse des dépôts et consignations, des intérêts ou dividendes échus et de ceux à échoir au fur et à mesure de leur exigibilité. Après deux ans écoulés depuis l'autorisation, sans que l'opposition ait été contredite dans les termes de l'article 3, l'opposant pourra retirer de la Caisse des dépôts et consignations les sommes ainsi déposées et percevoir librement les intérêts et divi- dendes à échoir, au fur et à mesure de leur exigibilité. Article 5. Si le capital des titres frappés d'opposition est devenu exigible, l'opposant qui aura obtenu l'autorisation ci-dessus pourra en toucher le montant, à charge de fournir caution. 11 pourra, s'il le préfère, exiger de la Compagnie que le montant dudit capital soit déposé à la Caisse des dépôts et consignations. Lorsqu'il se sera écoulé dix ans depuis l'époque de l'exigibilité et cinq ans au moins à partir de l'au- torisation sans que l'opposition ait été contredite dans les termes de l'article 3, la caution sera déchargée, et, s'il y a eu dépôt, l'opposant pourra retirer de la Caisse des dépôts et consignations les sommes en faisant l'objet. Article 6. La solvabilité de la caution à fournir en vertu des articles pré- cédents sera appréciée comme en matière commerciale. S'il s'élève des difficultés, il sera statué en référé par le prési- dent du tribunal du domicile de l'établissement débiteur. Il sera loisible à l'opposant de fournir un nantissement aux lieu et place d'une caution. Ce nantissement pourra être cons- titué en titres de rente sur l'Etat. Il sera restitué à l'expira- tion des délais fixés pour la libération de la caution (*). » 935. Les paiements faits par l'établissement débiteur con-

(') Sur ces textes, v. Guillouard, n. 914 et s.

744 DE LA PRESCRIPTION

fomiément aux règles ci-dessus le libèrent envers tout tiers porteur qui se présenterait ultérieurement, sauf le recours de celui-ci contre Topposant. L'article 9 dispose en eflfet que 4c les paiements faits à l'opposant suivant les règles ci-des- sus posées libèrent l'établissement débiteur envers tout tiers porteur qui se présenterait ultérieurement. Le tiers por- teur au préjudice duquel lesdits paiements auraient été faits conserve seulement une action personnelle contre l'oppo- sant qui aurait formé son opposition sans cause (*). »

936. Enfin l'article 15, modifié par la loi de 1902, s'oc- cupe de la délivrance du duplicata pour laquelle la loi est plus sévère encore que pour le paiement du capital; «Lors- qu'il se sera écoulé dix ans depuis l'autorisation obtenue par l'opposant, conformément à l'article 3, et que, pendant ce laps de temps, l'opposition aura été publiée sans être con- tredite dans les termes dudit article, l'opposant pourra exi- ger de l'établissement débiteur qu'il lui soit remis un titre semblable et subrogé au premier. Ce titre devra porter le même numéro que le titre originaire, avec la mention qu'il est délivré par duplicata. Le titre délivré en duplicata conférera les mêmes droits que le titre primitif et sera négo- ciable dans les mêmes conditions. Dans le cas du pré- sent article, le titre primitif sera frappé de déchéance, et le tiers qui le représentera après la remise du nouveau titre à l'opposant n'aura qu'une action personnelle contre celui-ci, au cas l'opposition aurait été faite sans droit. L'oppo- sant qui réclamera de l'établissement un duplicata paiera les frais qu'il occasionnera. »

La loi de 1872 avait ajouté ici la disposition suivante : « Il devra de plus garantir par un dépôt ou par une caution que le numéro du titre frappé de déchéance sera publié pen- dant dix ans, avec une mention spéciale, au Bulletin quoti- dien (2). » A Texpiration du délai de dix ans, ainsi fixé par l'article 15 in fine, le titre frappé de déchéance pouvait ainsi circuler, sans que les tiers pussent connaître sa nul-

(«jV. Guillouard, n. 920,1.

(*) Sur ce lexle, V. Guillouard, n. 934 s.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 745

lité. C'était un grave danger auquel pendant longtemps on remédiait en maintenant au delà de dix ans la publicité prescrite par la loi. La disposition nouvelle de l'article 15 est, à cet égard, d'après la loi de 1902, ainsi conçue : « 11 devra, de plus, payer à l'avance la publication à faire au bul- letin, à la rubrique des titres frappés de déchéance, pour le nombre d'années représenté par la feuille des coupons atta- chée au titre, sans que cette publication puisse, en aucun cas, être limitée à une durée inférieure à dix ans.» La durée de dix ans est maintenue d'une façon invariable pour les titres qui ne portent aucun coupon (art. 15 in fine),

937. Au cas les coupons seuls ont disparu, la loi (art. 2 in fine) n'exige pas de notification au syndicat des agents de change, et de publication au Bulletin ; il suffit d'une opposition à rétablissement débiteur; en effet les cou- pons ne sont pas, en général, négociables en Bourse. On a d'ailleurs fait remarquer que cette opposition sera rarement efficace: le porteur de mauvaise- foi ne présentera pas les coupons au guichet de l'établissement débiteur, mais chez un banquier ou un changeur, et le plus souvent la présenta- tion en sera faite par un acquéreur de bonne foi. Quoi qu'il en soit, l'article 8 dispose que « quand il s'agira de cou- pons au porteur détachés du titre, si l'opposition n'a pas été contredite, l'opposant pourra, après trois années à partir de l'échéance et de l'opposition, réclamer le montant desdits coupons de l'établissement débiteur, sans être tenu de se pourvoir d'autorisation. » Il faut ajouter d'ailleurs que le propriétaire dépossédé peut, s'il le veut, et il peut y avoir avantage au point de vue de la longueur des délais, user de la procédure ordinaire (^).

(') Albert Wahl, n. 1285; Aubry et Rau, 5" éd., par G. Hau, Falcimaigne et Gault, II, p. 167, § 183 bis, et les décisions par eux citées en note ; Guillouard, n. 920.

746 DE LA PRESCRIPTION

SECTION III

DES RAPPORTS DU PROPRIÉTAIRE ET DES TIERS PORTEURS

938. La loi du 15 juin 1872 déroge ici aux articles 2270 et 2280. EUe permet au propriétaire dépossédé d'empêcher la négociation du titre et de le revendiquer contre tout pos- sesseur quand les titres ont été négociés après Taccomplis- sement des formalités indiquées par la loi, et sans qu'il soit jamais besoin de prouver la mauvaise foi. De plus, le reven- diquant n'a jamais ici à rembourser le prix déboursé par le possesseur. Les articles 2279 et 2280 ne sont pas abrogés, mais sont modifiés dans un sens favorable au propriétaire; dans les cas la loi de 1872 n'est pas applicable, ces textes s'appliquent, nous Tavons vu, sans modification.

939. La dérogation la plus grave au droit commun est de toujours permettre la revendication les titres perdus ou volés aux mains des possesseurs qui en fait sont de bonne foi.

La loi de 1872 modifiée par celle du 8 février 1902 orga- nise l'opposition à la négociation des titres perdus ou volés ; cette opposition est réglementée par l'article 2 que nous avons reproduit plus haut ; Farticle 11 ajoute : « Sur le vu de l'exploit mentionné en l'article 2 et de la réquisition y contenue, le syndicat des agents de change de Paris sera tenu de publier les numéros des titres dont la dépossessioii lui est notifiée. Cette publication, qui aura pour ellet de pré- venir la négociation ou la transmission des dits titres, sera faite le surlendemain, au plus tard, par les soins et sous la responsabilité du syndicat des agents de change de Paris, dans un bulletin quotidien, établi et publié dans les formes et sous les conditions déterminées par un règlement d'adminis- tration publique (*). Lemême règlement fixera le coût de la rétribution annuelle due par l'opposant pour frais de publi- cité. Cette rétribution annuelle sera payée d'avance à la caisse du syndicat, faute de quoi la dénonciation de l'opposition ne

(') V. le décret du 10 avril 1873.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 7^7

sera pas reçue, ou la publication ne sera pas continuée à Tex- piration de Tannée pour laquelle la rétribution aura été payée. Un mois après l'échéance de la publication non re- nouvelée, le syndicat fera parvenir à l'établissement débiteur la liste des titres qui n'auront pas été maintenus au Bulletin des oppositions ; avis lui sera donné, en même temps, que cette notification lui tient lieu de mainlevée pour tous paie- ments de coupons, remboursement de capital, conversions, transferts, etc., et lui donne pleine et entière décharge, à con- dition que les numéros signalés comme rayés du Bulletin concordent bien avec ceux inscrits sur les registres de la com- pagnie comme frappés d'opposition (*). » Le tiers porteur à qui est révélée l'existence d'une opposition peut exiger qu'on lui donne le nom et le domicile de l'opposant et la date de l'opposition : il pourra ainsi, soit poursuivre la mainlevée de l'opposition, soit agir en garantie contre son vendeur.

940. L'opposition à négociation ayant été signifiée et publiée, il en résulte que le tiers de bonne foi, dont l'acquisi- tion est postérieure, n'est plus protégé par l'article 2279 (*). Le possesseur quia acquis le titre antérieurement, reste sou- mis au droit commun des articles 2279 et 2280 (') . Mais, quant à l'acquéreur dont le titre est postérieur, le conflit entre l'opposant et lui sera tranché par l'article 12 de la loi de 1872 : Toute négociation ou transmission postérieure au jour le bulletin est parvenu ou aurait pu parvenir par la voie de la poste dans le lieu elle a été faite, sera sans efifet vis-à-vis de l'opposant, sauf le recours du tiers porteur contre son vendeur et contre l'agent de change par l'inter- médiaire duquel la négociation aura eu lieu. Le tiers porteur

(*) Voy. sur les formes de cet avis et les conditions de sa validité le décret du 8 mai 1902.

{*) Il est dans la <^i^n;,'ion d'un possesseur de mauvaise foi qui ne peut invoquer l'article 2279 et ne peut prescrire que par 30 ans. Wahl, n. 1522; Guillouard, n. 908 et 987. - V p,. is,21 août 1882, S., 83.2.117. Suivant les expressions très exactes de M. I sbbé, *opposi on < empêche celui qui postérieuremen achète, croit acquérir et entre en possession, de se dire de bonne foi. Elle élève une présomption de connaissance de la réclama ion du propriétaire contre tous ceux qui reçoivent les litres postérieurement à la publication. » (S. 80. 1. 49).

(») Cass.» 14 juin. 1874,8, Î5.i.23. Guillouard, n. 929. V. supra n. 926 et 927.

748 DE LA PRESCRIPTION

pourra également, au cas prévu par le précédent article, contester l'opposition faite irrégulièrement ou sans droit. Sauf le cas la mauvaise foi serait démontrée, les agents de change ne seront responsables des négociations faîtes par leur entremise qu'autant que les oppositions leur auront été signifiées personnellement ou qu'elles auront été publiées dans le Bulletin par les soins du syndicat. » Il a été admis que la négociation faite le même jour que la publication de l'opposition pourra être non avenue si l'opposant démontre qu'elle est postérieure à la publication (*).

941 . Il est clair que les négociations postérieures à l'oppo- sition sont valables dès lors qu'il y a eu une première négo- ciation antérieure valable au profit d'un tiers de bonne foi. < Le tiers porteur, a dit le rapporteur de la loi, sera bien entendu fondé à exercer tous les droits de son cédant, et si ce dernier, tiers acquéreur lui-même, avait acheté les titres avant la publication de l'opposition, son cessionnaire, bien que n'ayant traité qu'à une époque l'opposition pouvait être connue, n'en sera pas moins recevable à combattre l'ac- tion du revendiquant au même titre que son vendeur l'avait été lui-môme (^). »

942.11 est important de bien préciser ce qu'on entend par les mots négociation et transmission. La loi de 1872 avait laissé ce point sans solution et de graves difficultés s'étaient présentées. L'article 13 disait simplement : « Les agents de change doivent inscrire sur leurs livres les numéros des titres qu'ils achètent ou qu'ils vendent. Ils mentionneront sur les bordereaux d'achats les numéros livrés.» Mais les textes ne disaient pas à quel moment il y avait négociation ou transmission. Dans une première opinion, on soutenait que l'acquisition de la propriété du titre était parfaite par la convention ou, pour les titres non individualisés, à partir du

(') Cass., 2 juin 1878, S., 80. 1. 49. Guillouard, n. 90.-

(«) Sic Wahl, n. l5l8 ; Buchère, n. 2021 ; Deloison, n. 5c»o, 615 ; Lyon-Caen

et Renault, IV, n. 638 ; Aubry et Rau, &• éd., par G. Rau, Falcimaigne et GauU,

II, p. 172, § 183 Jbû ; Labbé, note dans S., 80. 1. 49 ; Guillouard, n. 906, 930.

1009. - V. Gass., 14 juill. 1874, S., 75. 1. 23, D„,75. 1. 223. Paris, 27 déc.

1881, D., 82. 2. 99. - V. gupra, n. 926 et 927.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 749

moment cette individualisation avait été faite (% que, par suite^ l'opposition et la publication de cette opposition devaient avoir eu lieu avant ce moment. Mais on ajoutait que si les titres n'avaient pas été livrés, la revendication en était toujours possible, l'article 2279 supposant qu'on est en [pos- session. M. .Labbé disait: « Peu importe la tardiveté de l'opposition; tant que le tiers n'est pas en i)ossession, la revendication est possible. L'opposition ne regarde que la condition de bonne foi. La bonne foi parfaite ne sert de rien àcelui qui n'a pas encore été mis en possession (*).» La bonne foi doit exister, disait-on, pour l'application de l'arti- cle 2279, lors de la mise en possession et non seulement lors de la négociation. Or, l'opposition publiée après la négocia- tion et avant la tradition rend le porteur de mauvaise foi au moment il reçoit le titre ; il ne peut invoquer l'arti- cle 2279 (^).

Dans cette opinion l'acquisition se trouvait nulle si l'oppo- sition intervenait avant la livraison; il en résultait que l'agent de change vendeur qui avait reçu les titres alors qu'il n'y avait pas d'opposition se trouvait obligé de reprendre et gar- der ces titres, l'opposition étant survenue avant la livrai- son : il ne pouvait d'ailleurs souvent se retourner contre le donneur d'ordre et subissait ainsi les conséquences d'une situation qu'il n'avait pu connaître ; on lui refusait le droit d'opposer l'article 2280 au revendiquant, son rôle étant celui d'un simple intermédiaire et non d'un possesseur (*).

Dans une autre opinion, on soutenait que la revendication n'était plus possible dès que les titres avaient étô négociés et individualisés, alors môme que la livraison n'avait pas eu lieu ; il fallait s'en tenir à l'attribution faite sur ses livres

(') Cass., 17 déc. 1878, S., 80. 1. 49.

O Labbé, S., 80.1.49.

(») V. en ce sens Paris, 26 juill. 1895, S., 97.2. 305 ; 16 juin 1899, Gaz, PaL 1900. 2. 45. Trib. Seine, 4 déc. 1895, S., 97. 2. 305, D., 97. 2. 185, eilanole de M. Lacour. V. aussi Cass., 17 déc. 1878, S., 80.1. 49. Deloison,n.62i. V.d*autres décisions dans le même sens,cilées par M.Paul Ma^ninfloccit, i ei par M. BriiTaut, op. cit., p. 246 et s. V. encore snpra, n. 874.

(*) Paris, 26 juill. 1895, précilé. - V. supra, n. 908.

750 DK LA PRESCRIPTION

par l'agent acheteur (*). Des tribunaux avaient même déclaré non recevable l'opposition postérieure à la négociation résultant de l'inscription des titres sur les registres de Tagent vendeur au nom de Tagent acheteur ('). Quelques décisions avaient été jusqu'à s'en tenir, pour considérer la négocia- tion comme faite, à Tinscription des titres sur les regis- tres de l'agent vendeur après leur remise par le donneur d'ordre (').

On a considéré qu'il y avait une situation fâcheuse, et on a voulu faire cesser la controverse. On a pensé que tout ce qu'on peut exiger de l'agent de change vendeur, c'est qu'il vérifie le Bulletin des oppositions avant de recevoir les titres de son client. Aussi le nouvel article 13, alinéa 3, dis- pose que « la négociation qui rend sans efiet toute publica- tion postérieure de l'opposition sera réputée accomplie dès le moment aura été opérée sur les livres des agents de change l'inscription des numéros des titres vendus pour compte du donneur d'ordre et livrés par lui. » Il s'agit ici de l'inscription sur les registres de l'agent de change ven- deur ;la loi ne le dit pas expressément, mais cela semble bien devoir être admis, si on se reporte aux travaux préparatoires (*). M. Grivart, qui, déjà rapporteur à l'Assemblée nationale en 1872, avait fait observer que tout ce qu'on pouvait exi- ger était la vérification du Bulletin au moment de la remise des titres par le vendeur à son agent de change, a visé encore dans son rapport au Sénat en 1902 la situation a des agents de change qui au moment de recevoir le titre qu'ils étaient chargés de vendre et d'en régler le prix dans les délais fixés par les règlements de leur profession,

(') Paris, 10 déc. 1877, S., 80. 1. 49. - Walil, n. 1519 ; Lyon-Gaen el llenault, IV, n. 638; Aubry et Rau, édiU, II, p. 170, § 183 bis. V. aus^^i en ce sens Wahl, note dans S., 97. 2. 305 et plusieurs ju^^emenls du tribunal de la Seine cités par M. Magnin, op. cil,, p. 415

(«j V.Paris, 3 déc. 1902, S., 1904. 2. 289 et les autres décisions ciléés en note. Buchère, n. 327.

V») V. la note dans S., 1904. 2. 289 ; Briiïaul, op, cit., p. 148 s., 246 s.; Magnin, loc. cil, Cpr. le règlement des agents de change du 3 déc. 1881» art. 41 et 42, cl celui du 8 oct. 1890, art. 46.

(*) Gpr. Magnin, op, cit., p. 433.

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 751

avaient consulté soigneusement le Bulletin quotidien et cons- taté qu'il ne portait aucune mention d'opposition sur ce titre » ; il a dit encore que « la publication d'une opposition serait sans efiet à Tégard de l'agent de change lorsqu'elle ser<ait postérieure à la vente par lui faite des titres et à l'ins- cription de cette vente sur ses livres avec indication des numéros. » Il a bien précisé qu'il s'agissait de modiiîer la situation créée par la jurisprudence. « Il parait difficile, ti-t-il dit, de ne pas reconnaître qu'elle conduit à des résul- tats certainement contraires à l'esprit de la loi, au principe posé dans le dernier paragraphe de l'article 12. Un agent de change exempt de toute imprudence qui, avant do prendre livraison des titres à lui remis par son donneur d'ordre et d'en payer le prix, ainsi qu'il était tenu de le faire, d'après les règlements de sa profession, dans un délai maximum de deux jours, a constaté exactement qu'ils n'étaient l'objet <raucune mention au Bulletin se voit condamné, malgré tout, à subir les effets d'une opposition tardivement publiée et dont rien, en temps utile, ne lui permettait de soupçonner l'existence. Une si rigoureuse interprétation de la loi, que ne prévoyaient probablement pas ceux qui Pont élaborée, a paru nécessiter un changement dans le texte de l'article 13. »

Cependant l'opposition qui serait publiée après cette ins- cription et « avant la livraison ou attribution au donneur (l'ordre, ou à l'agent de change acheteur » n'est pas entiè- rement dénuée d'effet; « l'opposant pourra, sur la demande de mainlevée formée par l'agent de change ou par tout autre avant droit, réclamer les litres contre remboursement du prix, par application de l'article 2280 du code civil. » (art. 13, al. 4). M. Grivart, rapporteur au Sénat, a fait observer à cet égard toute l'importance qu'allaient prendre les livres destinés à l'inscription des titres vendus et livrés par les donneurs d'ordre. Eu exécution de l'article 19 de la loi, un règlement d'administration publique du 8 mai 1902 a déterminé les formes et conditions dans lesquelles ces livres sont tenus et le contrôle auquel ils sont soumis.

943. La négociation postérieui'c à la publication de l'oppo- sition peut être attaquée non pendant trois ans, mais pen-

752 DE LA PRESCRIPTION

dant trente ans (^); le possesseur ne peut réclamer le béné- fice de l'article 2280, puisque Topposition . régulièrement faite et publiée le constitue en état de mauvaise foi et que Tarticle 12 de la loi de 1872 déclare que la négociation postérieure à l'opposition est sans effet vis-à-vis de l'oppo- sant (*) .

Mais la présomption de mauvaise foi résultant de la loi de 1872 doit être entendue dans un sens tout à fait restreint ; il ne faudrait pas accorder au revendiquant le droit d'exei*- cer une action personnelle contre tous ceux qui ont été détenteurs des titres après l'opposition (').

944. L'opposition mettant obstacle à la négociation du titre, et l'affectant d'un véritable vice, l'acquéreur d'un titre déjà frappé d'opposition peut agir contre son vendeur, non seule- ment, comme l'admet la Cour de cassation, en alléguant le trouble ou Téviction (*),mais même en alléguant que la chose par lui acquise est entachée d'un vice caché qui la rend impropre à l'usage auquel elle est destinée ('). A notre avis, ces deux voies de recours ne s'excluent pas et, suivant les hypothèses, on peut suivre l'une ou l'autre. Il est incontes- table qu'il peut y avoir lieu à garantie pour trouble et é\ic- tion; mais Tacquéreur qui s'aperçoit qu'on lui a transmis des titres frappés d'opposition peut aussi, sans soutenir que sa possession a été troublée, considérer ce fait comme un vice caché et exercer une action rédhibitoire (*). La Gourde cassation a appliqué ici les règles du recours en garantie

(') Paris, 21 août 1882, S., 83. 2. 117. - Aix, 15 mai-s 1887, Pand. fr,, 87. 2. 276. - Wahl, n. 1522 ; Guillouard, n. 989.

(«) Paris, 21 août 1882, précité. Wahl, loc, cit. ; GuiUouard, loc. cil.

(») Wahl, n. 1523. V. «upra, n. 888, 894 et infrà, n. 944 s.

(*)V. Cas8.,8 déc. 1873, S., 74. 1.104; 11 juin 1877, S., 78. 1. 449; 3 juin 1878, S., 80. 1. 49, D., 79. 1. 25 ; 5 avril 1881, S., 83. 1. 367. .— Guillouard, n. 9W et s. V. aussi la noie de M. Wahl, S., 96. 1. 121. Cpr. Gand, 30 juH. 1874, S., 76. 2. 248,

(»» Lyon, 30 juin 1894, S., 96. 2. 121. - Paris, déc. 1894, S., loc. cil. - Trib. Seine, 26 févr. 1903, Ann. dr. comm,, 1904, p. 30. Trib. comm , Seine, 8 juin 1904, Cl„ 1904. 954. Wahl, n. 1001 ; Guillouard. Vente, l n. 429 ; Levé, Vente commerciale , n. 336.— V. aussi en ce sens plusieurs juge- ments cités dans la note de M. Wahl, S., 96. 2. 121.

(*) V. en sens contraire la note de M. Wahl, précitée.

DES TITRES AU PORTELR PERDUS OU VOLÉS 753

pour trouble et éviction, mais n'a pas eu à exclure, dans d'autres hypothèses, Taction en garantie pour vices rédhibi- toires. Dans une espèce il s'agissait de titres détournés par suite d'un abus de confiance et dont rétablissement débi- teur, victime du délit, refusait de payer les intérêts, la Cour de cassation a décidé avec raison que «les titres qui» avaient été livrés, étant sujets à une contestation qui ne permettait pas d'en percevoir les intérêts, se trouvaient afiectés d'uu vice caché qui les rendait impropres à l'usage auquel ils étaient destinés (*). > Rappelons au surplus que le décret du 8 octobre 1890 oblige l'agent de change à remplacer « tout titre frappé d'opposition entre ses mains et figurant au Bulletin (*). »

945. L'agent de change est responsable personnellement à l'égard du propriétaire dépossédé des négociations qu'il a faites des titres frappés d'opposition (*), sauf son recours con- tre celui de qui il tient ces titres (*). A l'inverse, il n'est pas responsable si l'opposition n'est survenue qu'après l'acqui- sition par lui faite des titres. Il ne peut être alors poursuivi que s'il a été de mauvaise foi, s'il a été de connivence avec le vendeur (V. supra,ii. 940). Le rapport fait à l'Assemblée nationale lors de la discussion de la loi de 1872 dit à cet égard: « Le concours prêté volontairement à la négociation de titres dont il connaissait les vices d'une manière certaine donnera lieu contre lui, au profit du propriétaire dépos- sédé, à Faction en responsabilité que la loi a fait justement découler de tous les actes à la fois dommageables et illici- tes. » L'agent de change vendeur peut aussi, d'après l'arti- cle 12 de la loi de 1872, être poursuivi par l'acheteur, sauf

(«) Cass., 7 nov. 1893, S., 97. i. 504. V. aussi Casa., 22 fév. 1897, S., 97. 1. 185.

(*) Sur le poinl de savoir si le recours peut avoir lieu contre le vendeur lui- même, au cas de vente faite par agent de change, V. les arrêts précités de Lyon, 30 Juin 1894, et de Paris, 13 déc. 1894, et la note de M. Wahl.

(>) Cass., 5 mai 1874, S., 75. 1. 49 et la note de Labbé. Wahl, n. 1056,— V. aussi Cass.. 5 fév. 1878, S., 78. 1.149 ; 14 juin 1892, S., 92. 1. 345. Lyon, 30 juin 1894, précité. Paris, 26 juill. 1895, S., 96. 2. 113.

(*) V. sur le recours de l*agent de change vendeur contra le donneur d'ordre, Paris, 3 déc. 1902, S., 1904. 2. 289 et la note.

Prbscr. 48

754 LA PRESCRIPTION!

son recours contre celui de qui il tient le titre. La loi mélange et confond dans les mêmes dispositions le droit de revendication du propriétaire dépossédé et le recours du tiers porteur évincé.

L'article 12 de la loi de 1872 exigeant, à défaut d'opposi- tion antérieure, la preuve de la mauvaise foi pour la res- ponsabilité de l'agent de change, il ne suffirait pas d'articuler ime imprudence ou une négligence ; il y a ici atténuation de la responsabilité du droit commun (*). Mais cette respon- sabilité ordinaire serait encourue si l'agent de change avait acheté des titres pour lui personnellement et dans son inté- rêt; une simple imprudence le rendrait alors responsable (*).

Au surplus l'agent de change qui a reçu les ordres de sou client acheteur reste toujours responsable en tant que man- dataire, dans les termes du droit commun (^).

946. L'agent de change, recevant une opposition relative à un titre qu'il détient, est tenu de le garder et ne doit pas le restituer au client qui le lui a remis. M. Labbé dit à cet égard que <c tout mandataire, tout dépositaire, ou tout déten- teur qui reçoit opposition de la part de celui qui se pré- tend propriétaire de l'objet détenu ne doit pas se dessaisir de la chose frappée d'opposition ; il ne doit pas en disposer, il doit attendre la décision de la justice. S'il se met hors d'état de rendre à qui par justice sera ordonné, il le fait à ses risques et périls (*). » Cette doctrine trouve un appui très

(») Trib. Comm. Seine, 8 juin 1904, Cl., 1904. 954.— Gaillouard,n. 996 et 999.

(*; Cass., 5 fév. 1878, S., 78. 1. 149. GuiUouard, n.l006. Un agent de change chargé d*opércr la négocialion de litres ne peut d'ailleurs être con:$idén' comme un possesseur en droit dinvoquer l'art. 2280. Paris, 26 juill. 1895, pré- cité. — V. aussi Paris, 3 déc. 1902, précité.

(S) GuiUouard, n. 1000, - V. Paris, 2 janv. 1890, D., 92. 2. 257. - L'art. 54 du décret du 7 octobre 1890 décide que c sauf convention contraire, l'agent de change qui effectue une négociation répond envers son donneur d'ordre de l'exé- cution de cette négocialion par l'agent de change avec lequel elle a été effec- tuée. »

(*) V. Labbé, noie dans S., 75. 1. 49.- GuiUouard, n. 988,1004,1010. Cpr. Cass., 13 fév. 1884, S., 86. 1. 419. - Aubry et Rau, éd., par G. Rau, Falci- maigne et Gault, 11, p. 169, § 183 bis, note 23. Le tribunal de la Seine a même jugé que tous les tiers ayant à opérer la transmission du titre et qui seraient avisés de ropposilion doivent garder le titre et engageraient leur rc?-

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 755

ferme dans les principes généraux du droit et dans les ter- mes de l'article 1938, du code civil. On a cependant souvent soutenu et décidé que Tagent de change chargé de vendre les titres et qui constate sur le Bulletin des oppositions que les titres sont frappés d'opposition n'est pas tenu de les con- server : il doit seulement s'abstenir de faire la négociation ; il peut rendre les titres à son client (*).

947. Les changeurs et banquiers sont dans la situation des détenteurs ordinaires: ils peuvent être passibles de l'ac- tion en revendication dans les mêmes conditions. En outre, et s'ils ont servi d'intermédiaires pour la vente de titres ou coupons, ils sont responsables comme mandataires à l'égard de leur client, et ils peuvent être responsables à l'égard du propriétaire en vertu des articles 1382 et 1383, s'ils ont commis une faute ; mais ils ne peuvent être poursuivis par le propriétaire s'ils n'ont pas commis de faute et s'ils ne sont plus détenteurs des titres (*). Il a été jugé à cet égard que le fait par un banquier de n'avoir pas exigé du ven- deur de titres la justification de son droit de propriété ne constitue pas à lui seul une faute (').

947 bis. La loi de 1872 n'avait rien fait pour faciliter aux tiers porteurs do titres frappés d'opposition le moyen d'ob- tenir la mainlevée de cette opposition : il fallait une ins- tance oi*dinaire, longue et coûteuse. Il était d'autant plus nécessaire d'organiser ici une procédure simple et rapide que l'expérience a montré qu'un très grand nombre d'op- positions sont faites sans droit. La loi du 8 février 1902 a

pousabilUé en le remettant à leur client. Trib. Seine, 8 fév. i902,Ga5. des Trib. di\ 13 mars 1902. V. aussi Buchère, n. 998 s.; Crépon, n. 158 s.

(') Trib. Seine, 30 jan? 1835, Le Droit du 12 mars 1885. Wahl, II, «..1058; Buchère, Opér. de bourse, n. 915; Deloison, Valeurs mobil., p.690.— V. aussi Lyon-Caen et Renault, IV, n. 633 ; Thaller, n. 736.

(•)V.sur ces difTérenls points Ca3.s..5 janv. 1872, S., 72. l. 157, D., 72.1. 161 ; 21 juin 1874, D., 75.1.168; 25 mars 1831. S., 91. 1 469. - Nancy, 3 juin 1882, S., 8i. 2. 101. - Lyon, 23 nov. 1882, S., 8i 2. ILO. - Douai, 20 juin 1892, S., 92.2. 161. - Paris, 26 juill. 1835, S., 96. 2. 113. - Rouen, 22 juill. 1896, S., 97. 2. U5. - Lyon-Gaen et Renault, IV, n. 653 et 660; Wahl, n. 1069, 1072 s. ; Guillouard, n. 1012 et s. V. supra, n. 888 et 895.

(3, Cass., 25 mars 1891, S., 91. 1. 469. - Douai, 20 juin 1892, S., 92. 2. 161 cl la note de M. Lyon-Caen. V. cep. Guillouard, n. 1015, I.

756 DE LA PRESCRIPTION

complété à cet égard la loi de 1872 en établissant, dans les articles 17 et 18, une procédure nouvelle de mainlevée plus favorable aux tiers porteurs. C'est le juge des référés qui devient compétent pour donner la mainlevée, le tribunal n'ayant à intervenir qu*en cas de contestation. Le tiers por- teur doit d'abord, d après rarticle 17, signifier à l'opposant sommation d'avoir à former, dans le mois, une demande en revendication ; la sommation doit contenir divers rensei- gnements et copies de divers documents indiqués par l'arti- cle 17 ; elle doit être accompagnée d une assignation à com- paraître en référé, à fin de mainlevée de l'opposition, à une date qui doit dépasser le délai d'un mois. A la date fixée, h juge des référés doit donner mainlevée si aucune demande en revendication n'a été formée ou si, bien qu'une demande ait été formée, le porteur justifie de Tantériorité de son acquisition, suivant les règles ci-dessus posées, ou si, dans le cas de l'article 13 in fine, l'opposant n'ofifre pas le rembour- sement du prix d'achat, ou encore, sans que le porteur ait justifié son droit de propriété, si l'opposant n'allègue à l'ap- pui de sa revendication aucun fait et ne produit aucune pièce de nature à rendre vraisemblable le bien fondé de sa prétention. Le juge des référés aura exceptionnellement le droit de statuer sur les dépens en prononçant la mainlevée. L'ordonnance du juge des référés ne peut d'ailleurs, sui- vant le droit commun, préjudicier au principal; elle ne contient pas une solution définitive : les parties peuvent se pourvoir devant le tribunal, suivant le droit commun ; le rapport de M. Grivart au Sénat le constate formellement : 4c il n'est pas besoin de dire que par ces décisions émanant d'une juridiction qui ne statue qu'à fins provisoires, le litige ne sera pas tranché au fond d'une manière définitive; c'est devant les juridictions ordinaires, et en suivant la procédure de droit commun, qu'il recevra sa solution définitive si l'op- posant, comme il arrivera assez rarement sans doute, per- siste, après la mainlevée de l'opposition, à en référer les causes à la justice. » L'ordonnance est, d'un autre côté, susceptible d'appel d'après les règles ordinaires. L'opposition doit être considérée comme nulle et non avenue après la

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLÉS 757

signification de l'ordonnance de mainlevée, avec certificat de non appel, à rétablissement débiteur et au syndicat des agents de change (').

947 ter. La loi de 1902 n'est certainement pas, dans son ensemble, une loi interprétative ; elle a apporté des modifi; cations importantes au système de la loi de 1872, elle ne saurait, pour les dispositions nouvelles qu'elle introduit,

(*) Voici aa surplus le Isxte des art. 17 et 18 nouveaux de la loi : Art. 17. Le porteur d'un litre frappé d'opposition peut poursuivre la main- levée de cette opposition de la manière suivante : Il fera sommation h l'oppo- sant d'avoir à introduire, dans le mois, une demande en revendication qui sera portée devant le tribunal civil du domicile du porteur actuel du titre. Cette som- mation sera signifiée au domicile de l'opposant et, si celui-ci n'a pas de domi- cile connu en France, au domicile élu dans l'opposition notifiée au syndicat des agents de change de Paris. Elle indiquera, autant que possible, l'origine et la cause de la détention du titre, ainsi que la date à partir de laquelle le porteur est à même d'en justifier; en cas d'acquisition par achat, elle indiquera le mon- tant du prix d'achat et contiendra aussi copie d'un certificat délivré par le syn- dicat des agents de change, mentionnant la date à laquelle les titres ont paru pour la première fois au bulletin, le dit certificat non soumis au droit d'enre- gistrement. Si la sommation est faite à la requête d'un agent de change dans les conditions prévues au § 4 de l'art. 13, elle devra contenir un extrait certifié conforme des livres de l'agent de change constatant l'inscription des numéros des titres sur ses livres avant leur publication au bulletin. Cette sommation con- tiendra, en outre, assignation à l'opposant à comparaître, dans un délai qui ne pourra pas être moindre d'un mois, à l'audience des référés, devant le président du tribunal du domicile du porteur, pour y entendre, dans les cas qui vont être ci-après spécifiés, prononcer la mainlevée de l'opposition.

Art. 18. Si au jour de l'audience fixée par l'assignation pour la comparu- lion en référé, l'opposant ne justifie pas avoir introduit une demande en reven- dication, le juge des référés devra prononcer la mainlevée immédiate. Il en sera dp même, quoique l'opposant ail introduit sa demande en revendication, si le porteur justifie, par un bordereau d'agent de change, ou par d'autres actes pro- bants et non suspects ,antérieurs à Topposilion, quMl est propriétaire des valeurs revendiquées depuis une date antérieure à celle de la publication de l'opposi- tion et si l'opposant n'offre pas le remboursement du prix d'achat dans les con- ditions prévues par l'art. 2280 G. civ. Le juge des référés pourra prononcer la mainlevée même en dehors de toute justification de propriété de la part du por- teur, si l'opposant n'allègue à Tappui de sa demande en revendication aucun fait, ou ne produit aucune pièce, de nature à rendre vraisemblable le bien fondé de sa prétention. Dans tous les cas la mainlevée sera prononcée, le juge des référés aura le droit de statuer sur les dépens. Sur la signification de l'ordon- nance à l'établissement débiteur et au syndicat, accompagnée d'un certificat de non appel délivré conformément aux dispositions de l'art. 5i8 C. proc. civ.,réta- blissement débiteur et le syndicat devront considérer l'opposition comme nulle et non avenue. Ils seront quittes et déchargés, sans pouvoir exiger d'autres pièces ou justifications. »

758 DE LA PRESCRIPTION

recevoir d'application aux faits antérieurs à son applica- tion (*). Il en serait autrement pour les règles nouvelles de procédure et de compétence des articles 17 et 18 (*). Il en serait autrement aussi pour celles de ses dispositions qui seraient, par exception, purement interprétatives, telles que celle qui a précisé le sens du mot « contredite » de l'arti- cle 3 ('). Mais le changement apporté à l'article 13, pour déterminer le sens du mot « négociation » de l'article 12 lorsque la vente a lieu par intermédiaire d'agents de change, n'est pas une interprétation du texte précédent. C'est une véritable innovation que la loi n'a d'ailleurs introduite qu'en organisant en même temps toute une réglementation nouvelle sur les formes et la tenue des livres des agents de change {♦).

047 quater. La plupart des lois étrangères sur les titres au porteur suivent un système différent de celui que nous connaissons ; plus soucieux des intérêts des porteurs de titres, elles excluent la revendication. Le code civil allemand (art. 935) protège tout possesseur de bonne foi de titres au porteur, même perdus ou volés, contre la revendication du propriétaire dépossédé. Le code de commerce et le code de procédure (art. 1003 s.) organisent aussi d'ailleurs, en Allema- gne, des moyens de protection pour les propriétaires dépos- sédés, d une part une publicité qui peut entraîner la res- ponsabilité des intermédiaires, d'autre part une procédure provocatoire à la suite de laquelle l'établissement débiteur doit délivrer un nouveau titre. Le principe de Texclusion de toute revendication contre le possesseur de bonne foi du titre est aussi admis en Italie, en Autriche, en Hongrie, dans la juris- prudence anglaise et dans la jurisprudence américaine (*).

(*) Paris, 3 déc. 1902, S., 1904. 2. 289. Trib. Seine, 19 nov. 1903, Gaz. Trib., 30nov.-l" déc. 1903.

(*) Ord. réf. trib. Seine, 26 avril 1904, Gûz. Trib. du 5 mai. Briffaul. p. 260 s.

(», Briffaul, p. 269.

(*) Paris, 3 déc. 1902, précité. Trib. Seine, 15 mai 1902, Le Droit du 24 août 1902. Briffaul, p. 269 s. Les termes des rapports de M. Grivart au Sénat et de M. Cruppi à la Chambre paraissent cependant favorables à l'opinion contraire.

(*) V. aussi Tart. 974 du projet de Gode civil suisse.

DISPOSITION TRANSITOIRE DE L ART. 2281 759

Le système de la loi française a été imité cependant par la loi roumaine du 18 janvier 1883, par le code de com- merce espagnol (art. 547 s.), par la loi luxembourgeoise du 16 mai 1891. Certaines législations suivent tout simplement pour les titres au porteur perdus ou volés, dans les rap- ports du propriétaire et du tiers porteur, les règles de droit commun de la revendication mobilière ; il en est ainsi en Belgique, en Hollande, en Portugal (*).

CHAPITRE XXIII

DISPOSITION TRANSITOIRE DE l'aRTICLE 2281

948. Le code civil aurait pu soumettre immédiatement aux règles qu'il a établies toutes les prescriptions commencées sous Tempire de la législation antérieure : une pareille déci- sion n'eût eu rien de contraire au principe de la non rétro- activité des lois, car on sait que la prescription ne constitue pas un droit acquis tant qu'elle n'est pas accomplie ; elle se règle par les lois envigueuret peut être modifiée tant qu'elle n'est pas acquise (*). Les articles 691 et 2281 alinéa 2 contiennent d ailleurs à deux points de vue spéciaux une application des règles nouvelles aux prescriptions déjà com- mencées lors de la promulgation du code civil {^).

Mais les rédacteurs du code ont eu la crainte, peut-être excessive, de paraître donner un eflet rétroactif à la législa- tion qu'ils venaient d'admettre sur la prescription : aussi le principe posé dans l'article 2281 est-il que les prescriptions en cours lors de la publication du titre de la prescription

(*)Voy. pour plus de détails sur les lois étrangères, Walil, Titres au porteur, n. 1298 s., 14338. ; Briffaut, op. cit., p. 287 s.

(*) Cass., 20 juin 1904, Gaz. des Trib. du 22 juin.

(3) V. Merlin, Bép.,^ Prescriptiouy seci. 1, § 3;Troplong, n. 1075; Laurent, XXXIl, n. 608 ; Guillouard, n. 348 et s. ; Baudry-Lacanlinerie et Houques Fourcade, I, n. 171 et les autorités qu'ils citent; Mercier, Prescr. liber, en dr, int. priv,, p. 148. Le contraire a été soutenu, bien à tort, dans l'exposé des motifs de Bigot- Préameneu. Sur les conflits dans. le temps des disposi- tions législatives relatives à la prescription, v. Mercier, op. cit.^ p. 147 s.

760 DE LA PRESCRIPTION

seront réglées d'après les lois anciennes. « Les prescriptions « commencées à Pépoque de la publication du présent titre « seront réglées conformément aux lois anciennes, Néan- « moins les prescriptions alors commencées, et pour lesquelles « il faudrait encore, suivant les anciennes lois, pltis de trente ans à compter de la même époque, seront accom- <c plies par ce laps de trente ans. »

La règle de Tarticle 2281 alinéa! est générale; elle s'étend aux prescriptions acquisitives et extinctives. Elle s'applique aux conditions de durée comme aux autres conditions requises pour l'accomplissement de l'une ou de l'autre de ces prescriptions. Elle s'applique aux prescriptions du titre XX (lu code civil comme à celles qui sont réglées dans d'autres dispositions de ce code (*). La jurisprudence l'a même décla- rée applicable aux prescriptions organisées par le code de commerce {*).

040. Comme il serait aujourd'hui bien exceptionnel que la disposition de l'article 2281 pût encore recevoir une applica- tion pratique, nous ne .donnerons que des indications très sommaires sur les solutions auxquelles la doctrine et la juris- prudence se sont arrêtées. Il a été décidé :

1* Que les prescriptions qui, sous l'ancien droit, exigeaient un délai plus long que celui du code civil, n'ont pu s'accom- plir que par l'achèvement de ce délai f) ;

2* Que celles pour lesquelles à l'inverse la durée était plus courte que celle admise par le code se sont accomplies par l'achèvement de ce délai plus court (*);

Que les prescriptions commencées sous l'ancien droit n*ont pu être suspendues ou interrompues par les causes nouvelles de suspension ou d'interruption établies par le

{') Sur la portée générale d*» l'art. 2281, voy. Gass., 1" août 1810 et 10 mars 182S, S. chr. Merlin, Rép., v* Prescr., sect. I, § 3, n. 9 et 10 ; Troplong, n. 1076, 1082 à 10S5 ; Marcadé, sur l'art. 2281 ; Aubry et Rau, h* éd., H, p. 529 s-, § 215 bU ; Laurent, XXXII, n. 608 i'.

(«) Gass., 12 juin 1822, 21 juill. 1823,20 avril 1830, S. chr. ; 26 févr.1833, S., 38.1.257.— Aubry et Rau, loc. cil, Contra Troplong, n. 1077.

(») Gass , 21 déc. 1812, 28 déc. 1813, 12 fév. 1816, 10 mars 1828, S. chr. - Merlin, loc, cit. : Aubry et Rau, loc. cit.: Laurent, XXXII, n. 610.

(*) Aubry et Rau, loc. cit. ; Laurent, XXXII, n. 610.

DISPOSITION TRANSITOIRE DE i/aRT. 2281 701

code civil, et qu'à l'inverse elles ont continué à l'être par les causes anciennes non maintenues par la législation nou- velle (*) ;

4" Enfin que sont restées soumises à l'ancien droit les prescriptions qui, dès leur commencement, avaient été sus- pendues par une cause qui existait encore lors de la mise en vigueur du droit nouveau (*) ;

050. Il faut apporter à cette règle générale de l'arti- cle 2281, alinéa 1, deux restrictions. Tout d'abord, au cas la loi nouvelle admet rimprescriptibilité, on ne saurait tenir compte de la prescription qui a commencé à courir sous Tancien droit ; en d'autres termes, pour employer les expres- sions très précises d'Aubry et Rau, « le principe posé par le premier alinéa de l'article 2281 suppose que le droit ou Taction, faisant l'objet d'une prescription commencée sous la loi ancienne, est resté susceptible de prescription sous le code civil ('). »

De plus, d'après l'article 2281, alinéa 2, les prescriptions qui, d'après l'ancien droit, auraient exigé pour leur achève- ment plus de trente ans après la mise en vigueur du code civil se sont définitivement accomplies par ce laps de trente ans (*), la loi ancienne restant d'ailleurs applicable pour tou- tes les conditions légales autres que celles du délai.

(M Cass., 26 juin 1827, S. chr. - Nancy, 31 juill. 1834, S-, 35.2.458.- Gaen, 20févr.l838, S.,38.2.383.- Aix, 14 juin 1838, S., 38.2.495 - Troplong,n 1082 et ».; Marcadé, loc. cit. : Aubr)' et Rau, loc, cit. ; Laurent, XXXll, n. 611. Contra, Nîmes, 20 fév. 18:«, S., 38.2.496.

{i) Cass., 15 déc. 1825, S. chr.; 20 juin 1848, S., 48.1.497 ; 18 juil. 1853, D., 53.1.290.- Aubry et Rau, loc. cit.; Laurent, XXXII, n. 613. - Contra, Tro-

plong, n. 1087.

(3) Aubry et Rau, loc. cit. V. en ce sens Cass-, 13 août 1810, 10 fév. 1812, 31 août 1825, S. chr.; 8 août 1837, S., 37.1.679 ; 25 janv. 18 8, S., 58.1.351.- Merlin, loc. cit.; Troplong, n. 1088; Demolombe, XII, n.799; Uurent, XXXIL

n. 612. (') V. Cass., 5 avril 1837, S., 37.1.702— Troplon{ç, n. 1089 à 1091; Aubry et

liau, loc. cit. ; Laurent, XXXIT, n. 614 s.

762 DE LA PRESCRIPTION

CHAPITRE XXIV

DE LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE D 'ENREGISTREMENT

061. On ne saurait, dans une étude de la prescription, laisser de côté les difficiles questions qu'elle fait naître en ce qui concerne les droits d'enregistrement. Il est essentiel de résumer ici, sans entrer dans les nombreuses difficultés de détail, les notions principales de cette matière.

Rappelons tout d'abord que Taccomplissement de la pres- cription soit acquisitive, soit libératoire, ne donne pas lieu à la perception de droits d'enregistrement.

La prescription acquisitive ne rend exigible aucun droit de mutation. Mais il est intéressant d'ajouter que ce droit est encouru par la possession de quelques mois seulement. D'après Tarticle 12 de la loi du 22 frimaire an VII « la muta- tion d'un immeuble en propriété ou usufruit sera suffisamment établie, pour la demande du droit d'enregistrement et la pour- suite du paiement contre le nouveau possesseur, soit par Tiiis- cription de son nom au rôle de la contribution foncière et les paiements par lui faits d'après ce rôle, soit par des baux par lui passés, ou enfin par des transactions ou autres actes cons- tatant sa propriété ou son usufruit. » La possession, quand elle est ainsi constatée par l'un des moyens indiqués dans la disposition que nous venons de reproduire, donne donc lieu à elle seule à la perception du droit de mutation (*).

La prescription libératoire ne constitue pas une transmis- sion réelle de valeur et ne donne pas non plus ouverture à la perception du droit proportionnel de libération (*).

052. Les droits d'enregistrement sont susceptibles de diver- ses prescriptions que nous avons à indiquer* 11 est essentiel de bien observer d'abord que la prescription de droit com- mun est celle de l'article 2262 ; à défaut de dispositions spé-

(*) V. Demante, Principes de Venreg., I, n. 80 s. (*) Démaille, II, n. 537 et 539.

PRESCRIPTION EN MATIÈRE D'ENREGISTREMENT 763

ciales et chaque fois qu'on n'est pas strictement dans l'une des hypothèses prévues par les textes, la prescription est de trente ans (*). Les textes spéciaux nous font connaître des prescriptions d'un an, de deux ans, de cinq ans, de dix ans et de trente ans.

053. En ce qui concerne la prescription d'un an, nous nous bornerons à citer l'article 17 de la loi du 22 frimaire an Vil, d'après lequel : « Si le prix énoncé dans un acte translatif de propriété ou d'usufruit de biens immeubles, à titre onéreux, paraît 'inférieur à leur valeur vénale à l'épo- que de l'aliénation, par comparaison avec les fonds voisins 'de même nature, la régie pourra requérir une expertise pourvu qu'elle en fasse la demande dans l'année, à compter du jour de l'enregistrement du contrat. »

9^4. La prescription de deux ans a une grande importance en matière d'enregistrement. D'après l'article 61 de la loi du 22 frimaire an VII : « Il y a prescription pour la demande de droits, savoir; après deux années, à compter du jour de Fenregistrement {*), s'il s'agit d'un droit non perçu sur une disposition particulière dans un acte, ou d'un supplément de perception insuffisamment faite, ou d'une fausse évaluation dans une déclaration, et pour la constater par voie d'exper- tise. y> Cette prescription a été étendue aux droits de greffe et d'hypothèque {').

955. L'article 61 alinéa 1 vise tout d'abord le cas de droits non perçus sur une disposition particulière dans un acte. Ici se présente une difficulté sérieuse. La prescription de deux ans s'applique-t-elle au cas un acte qui n'a pas été pré- senté à la formalité est mentionné dans un acte postérieur présenté à Tenregistrement? La jurisprudence paraît avoir subi sur ce point une évolution intéressante. Après avoir d'abord admis l'application à cette hypothèse de la prescrip-

(») V. Gass., 4 fév. 1901, S-, 1903. 1. 49;9 nov. 1903, S., 1904.1. 529et la noie de M. Wahl.

(*) La Gour de cassation a décidé qu'en principe renregislremenl mAme, c'est- à-dire la présentation de Tacte ou la déclaration, est nécessaire pour faire cou- rir le délai de prescription. Gass., 24 avril 1901, S.. 1902. 1. 289. V. en sens contraire la note de M. Wahl.

(*) V. D., 12 juillet 1808, art. 6; L. 24 mars 1806.

704 DE LA PRESCRIPTION

tion biennale, elle a décidé par de nombreux arrêts que la prescription de trente ans est seule applicable en ce qui con- cerne du moins le droit simple. M. Demantc explique clai- rement les motifs de cette solution. « La mention, dit-il, ne fait pas que ce premier acte devienne une disposition parti- culière du second, que la réclamation des droits encourus sur ce premier acte constitue un supplément de perception insuf- fisamment faite sur le second. Il est vrai que cette mention met les préposés à portée d'agir et que le délai pour la prescription commence à partir de ce moment ; mais comme le cas n'est prévu par aucun texte des lois fiscales, ce délai est celui du droit commun, c'est-à-dire trente ans (').

La prescription biennale ne pourrait être appliquée que si Tacte présenté à l'enregistrement constituait un titre pour le fait juridique qu'il mentionne (*).

056. En second lieu, larticle 61 de la loi de frimaire vise, pour appliquer la prescription de deux ans, le cas une perception a été insuffisante, il s'agit de supplément de perception insuffisamment faite. 11 y a perception insuffi- sante lorsqu'un droit fixe a été perçu alors qu'un droit pro- portionnel était exigible ou lorsqu'on a perçu un droit pro- portionnel moindre que celui qu'on aurait pu percevoir.

A cet égard l'article 61 ne s'applique pas, d'après une jurisprudence depuis longtemps constante, au cas un évé- nement ultérieur démontre l'insuffisance d'une perception ; il ne s'applique qu'au cas d'erreur ou d'omission du rece- veur quand un acte a été présenté à l'enregistrement. Le droit ne peut être prescrit avant d'être né. L'article 61 ali- néa 1" n'entend parler que des faits accomplis et connus au jour l'acte est présenté à la formalité, non des faits pos- térieurs que l'administration n'a pu connaître qu'après Icn- registrement. La prescription n'a pas été insuffisante quand

(') Déniante, II, n. 835. V. Cass., 8 avril 1903, S., 1904. i. 361 et la note de M. ^Vahl.

(•) Cass., 2déc. 1873, S., 74. 1.225, D.,74. 1.108; 7 mars 1888, S. 88. 1. ISU 1)., 88. 1. 268. V. encore Cass., 13 mars 1895, S., 95. 1. 465, el la note de M. Wahl ; 30 janv. 1895, S., 9'o. 1, 529, et la note de M. Wahl; 8 avril 1903, S. 1904. 1. 361 et la note de M. Wahl. Gpr. D. Bep., SappL, V Enrtg., n. 3210 s. Mais voyez infra^ n. 956.

PRESCRIPTION EN MATIÈRE D*£NREGISTREMENT 765

.olle a été. ce qu'elle devait être ; si plus tard Tarrivée d une condition donne lieu à une perception nouvelle, ce n'est c[u'à ce moment que la prescription commence à courir. Cette règle trouve son application au cas d'actes dont l'effet est subordonné à une condition suspensive, et d'une façon géné- rale au cas un événement ultérieur quelconque donne lieu à un supplément de droit, par exemple, si l'importance d'un marché n'a pu être déterminée lors de Tenregistrc- ment du couiiat (*). « L'article 61 de la loi du 22 frimaire

. an Vil, dit la Chambre des requêtes, n'a entendu parler que des faits accomplis et connus au jour l'acte est soumis à la formalité et non des faits postérieurs et qui n'ont été et n'ont pu être connus delarégiequ'aprèsrenregistrement(*).» En pareil cas, le délai delà prescription sera de trente ans à moins que le fait nouveau ne soit constaté par un acte ser- vant de titre et présenté à l'enregistrement : il ne suffirait pas, dans notre hypothèse de même que dans la précédente, que ce fait fût mentionné simplement dans un acte posté- rieur présenté à l'enregistrement ; on ne pourrait dire que ce soit une disposition particulière de cet acte, ni qu'il s'agisse

. d'un supplément de perception insuffisamment faite sur ce second acte. La solution contraire a cependant été admise par la Cour de cassation dans un important arrêt du 27 décembre 1892 d'après lequel la présentation à Tenregis- trement d'un acte qui détermine le montant d'une hypothè- que dont la valeur était jusque-là incertaine, fait courir la prescription de deux ans ; les actes présentés, ayant mis l'administration à même de constater la réalisation de la créance garantie par l'hypothèque étaient, dit cet arrêt, de nature à servir par eux-mêmes et indépendamment de toute recherche ultérieure, à la perception du droit proportionnel

. d'inscription d'hypothèque; c'était à l'administration qu'il appartenait de transmettre au conservateur les renseigqe-

('} V. Cass., 18 fév. 18^5, S , 96. 1. 51— Demante, n. 835; D., Rép,,Sapp., V" Enreff.y n. 3216 s.

(*)Ca8s., 18 fév. 1895, S., 96. 1. 51. V., aussi Cass., 29 dc'^c. 1875, S., 76. 1. 127.

766 DE Lk PRESCRIPTION

ments suffisants pour assurer la perception des droits (*). M. Wahl a contesté avec raison l'exactitude de cette solu- tion ; d'après lui, la prescription de deux ans ne peut jamais s'appliquer qu'aux droits dus stir un acte et non aux droits dus an vu d'un acte.

Dans notre cas, comme dans le cas d'omission de perception, il ne peut s'agir, en effet, pour la prescription de deux ans, que des droits dus sur les actes présentés à l'enregistrement, dans les cas ces actes servent de titres aux faits qui donnent lieu à la perception de droits complémentaires, mais non si ces actes ne font que mentionner les faits sur lesquels s'appuie l'administration. La jurisprudence paraissait depuis longtemps bien fixée en ce sens ; déjà, en 1873, M. Tavocat général Blan- clie disait à la Cour de cassation : « C'est un point bien cons- tant aujourd hui que les droits principaux, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas pu et être perçus lors de la présentation d'un acte à la formalité de l'enregistrement, ne se prescrivent que par trente ans {*). » M. Garnier a aussi développé cette idée. C'est attribuer à ces mots perception insu ffisarmnent faite, une acceptation trop compréhensive que de les appli- quer à tous les cas l'administration peut réclamer des droits complémentaires en vertu de faits inconnus au moment de sa première liquidation. La loi n'a entendu par- ler que de faits accomplis et connus au jour l'acte est soumis à la formalité, et non de faits qui n'ont pu être con- nus que postérieurement. Une perception n'a pas été insuffi- sante lorsqu'elle a été ce qu'elle devait être et qu'il survient un fait postérieur donnant lieu à une perception ou entière- ment nouvelle ou supplémentaire. Ce droit nouveau consti- tue une créance principale ayant, il est vrai, sa cause origi- nelle dans le contrat antérieur, mais créée et mise au jour par un événement ultérieur indépendant. La constatation de ce fait dans un acte enregistré a sans doute pour résultat

(') Gass., 27 déc. 1892, S., 93. 1. 209. - V. aussi Gass., 16 juin 1894, S., 95. 1. 97 ; lév. 1894, S., 95. 1. 1J2 ; 1 J maPi 1835, S,, 95. 1. 405; 30janT.1895, S., 96. 1. 529, el les iioUis de M. Wahl sous ces difTérenls arrêts. Cpr. Cas:?., 8. juin 1875, S , 75 1. 380.

(*) V. not. Gass., 7 mus et 18 juill. ISSS, S., 9). 1. 181 el 182, et lA noie île M. W'M.

PHESCRIPTION EN MATIÈRE d' ENREGISTREMENT 767

d'ouvrir raction en répétition du Trésor et de faire courir la prescription contre lui ; mais^ à défaut de dispositions par- ticulières dans la loi, cette prescription ne peut être que celle de trente ans, conformément au droit commun (*). »

Postérieurement à l'arrêt du 27 décembre 1892, la Cour de cassation est revenue, en partie du moins, sur la solution que nous venons de critiquer. Dans un arrêt du 16 janvier 1894 (^) elle s*est placée sur le terrain de la doctrine anté- rieurement suivie par elle et d'après laquelle la prescription biennale n'est applicable que s'il est présenté à Fenregis- trcment un acte formant le titre de la réalisation de la con- dition et sur lequel par erreur les droits dus par suite do <*ette réalisation n'auraient pas été perçus (^). Cet arrêt décide eu effet que « le délai de la prescription biennale court du jour où, par la présentation à la formalité de l'enregistre- ment de lacté sujet au droit, l'administration a été mise en situation de percevoir le droit exigible dans son intégrité, et a néanmoins perçu moins que ce qui était à percevoir. » II semble aussi que tel soit le point de départ des arrêts des 30 janvier et 13 mars 1895 (^). Remarquons aussi qu'un autre arrêt du 26 février 1894 parait avoir réuni les deux idées bien différentes, sinon contradictoires, auxquelles s'étaient placées les précédentes décisions de la Cour de cassation. On y lit en effet d'une part que la prescription biennale court (lu jour de l'enregistrement d'un acte de société parce que cet acte « fournissait la preuve complète de la mutation effectuée, sans qu'il fui besoin, pour le découvrir, que Tad- iiiinistration se livrât à aucune recherche ultérieure. » D'autre part, l'arrêt constate que cet acte a été le titre de la transmission, que la transmission s'est accomplie à la date de cet acte {^).

(') Oarniei', Rép, pér. enreij,^ arl. 2737. V. aussi la note de M. Wahl souji Gass., 27 déc. 1892, précité, et D. Rép., Snppl., y* Enreff., n. 3216 s.

(^) Ca5s., 16 janv. 1894, S., 95. 1. 97 el Ja note de M. Wahl.

(*) M. Wahl, sous (iass., 16 janv. 1894, précité.

(*) Cass., 13 mars 1895, S., 95. 1. 465, et la note de M. Wahl ; 30 janr. 1895. S., 96. 1. 529 el la note de M. Wahl. V. aussi Cass., 21 janv. 1901, S., 1902. 1. 417 el la note de M. Wahl ; 28 janv. 1902, S., 1903, 1. 151.

V-) Ca<s., 26 février 1894, S., 95. 1. 102. V. pour la critique de cet arrêt la

768 DE LA PRESCRIPTION

La chambre des requêtes persiste d'ailleurs dans la juris- prudence ancienne. Dans un arrêt du 24 mai 1804, elle a admis que « la prescription biennale n'est établie contre le Trésor par larticle 61 alinéa 1, de la loi du 22 frimaire an VII, que lorsque les redevables ont résenté à Tenregis- trement l'acte sujet aux droits et que l'administration, mise ainsi en situation, par la présentation de l'acte à la forma- lité, de réclamer dans leur intégralité les droits exigibles, a omis de les percevoir ou a perçu moins que ce qui était à percevoir » ; en dehors de là, on ne peut appliquer que la prescription trentenaire (*).

057. L'article 61 alinéa 1 vise en troisième lieu le cas d'évaluation fausse dans une déclaration. Il faut supposer que l'évaluation était définitive et non provisoire. C'est la prescription de trente ans qui court quand la valeur, objet de la déclaration, « dépend d'événements ultérieurs dont la réalisation peut seule permettre de la déterminer (*). » 1^ prescription trentenaire a son point de départ pour chaque, supplément de droits du jour il est devenu exigible (*). Mais la prescription biennale courra si un acte est ultérieu- rement présenté qui puisse servir de titre pour la percei>- tion d'un supplément de droits, ou qui tout au moins puisse fournir la preuve que l'évaluation a été dépassée (*).

La cour de cassation a décidé que la prescription est de deux ans au cas où, dans une déclaration de succession, l'administration n'a pas exigé ou a modéré la perception à raison de créances douteuses ou irrécouvrables, et il y a

note de M. Wahl sous Cass., 16 janv. 1894, précité. V. aussi Cas.-»., 4 févr. 1901, S., 1902. 1. 49 et la note de M. Wahl ; 8 avril 1903, S., 1904. 1. 36i et la note de M. Wahl.

(*) Cass , 24 mai 1894, S., 95. 1. 289 et la noie de M. Wahl ; 21 avril im» S., 99. 1. 53. - V. aussi Gass., 29 janv. 1900, S., 1900. 1. 417 et la Qolcde M. Wahl. - Trib. de Bordeaux, 19 mars 1900, S., 1902. 2. 86. Trib. Seine, 30 mars 1901, S. 1903. 2. 183. - Trib. de Reims, 24 juiU. 1901. S. 1904. 2. 222.

{*) Dict. des droit d'enreg,, n. 640. V. Cass., 18 févr. 1893, S. 96. 1. 51 î 12 janv. 1897, S., 98. 1. 49 et la note de M. Wahl.

(•; CaHS., 12 janv. 1897, précité et la note de M. Wahl.

(*) Cass., 30 janv., 1895, S., 96. 1. 529 cl la note de M. WaM. V. Wahl, S., 98. 1. 40. V. aussi supra, n. 956.

PRESCRIPTION EN MATIÈRE d'eNREGISTREMENT 769

lieu ultérieurement de réclamer un supplément de droit par suite du recouvrement de ces créances (*).

058. L'article 14 de la loi du 26 juin 1824 dispose que « La prescription de deux ans s'appliquera tant aux amen- des de contravention aux dispositions de ladite loi, qu'aux amendes pour contraventions aux lois sur le timbre et sur les ventes de meubles. Elle courra du jour les préposés auront été mis à portée de constater les contraventions, au vu de chaque acte soumis à renregistrement, ou du jour de la présentation des répertoires à leur visa. Dans tous les cas, la prescription pour le recouvrement des droits simples d'en- registrement et de timbre qui auraient été dus indépendam- ment des amendes restera réglée par les lois existantes. » Ici il suffira évidemment, pour faire courir la prescription, qu'un acte non présenté à la formalité soit mentionné dans un acte postérieur soumis à cette formalité. D'une façon générale, la prescription court dès que l'administration a été à même de constater, sans autres recherches, la contraven- tion commise (*).

060. La loi du 22 frimaire an. VU dit encore qu'il y a pres- cription « après trois années, aussi à compter du jour de Ten- registrèment, s'il s'agit d'une omission de. biens dans une déclaration faite après décès » (art. 61 al. 2). Le délai de la prescription a été étendu à cinq années par la loi du 18 mai 1850 (art. 11). Cette prescription ne concerne que les biens qui étaient dans l'actif du défunt au moment de la déclara- tion, non ceux qui y sont rentrés plus tard par l'arrivée d'une condition ou par suite de toute autre circonstance, ou ceux dont la propriété, lors du décès, était éventuelle ou incertaine (^).

(•) Cass., 4 mai 1890, S., 90. 1. 33 et la note de M. Wahl, D., 90. 1.203. Cpr. D., Rép. Suppl., v* Enreg.y n. 3242.

(•) Sur l'applicalion de celle règle, voy. D. Rép, SuppL, v Enreg,, n.3234 s. V. aussi Cass , 18 juili. 1888, S., 90. 1. 183 el la note de M. Wahl; 26 fév. 1894, S., 95. 2. 102 el la noie de M. Wahl; 24 mai 1894, S., 95. 1. 287 el la noie de M.\Vahl;2;j janv. 1900, S., 190O. 1. 417 el la note de M.Wahl;4 fév. 1901, précité; 7 mai 1901,8., 1902. 1. 97; 23 déc. 1903, S., 1904. 1. 465.— Trib. ï^eine, 30 mars 19Dli» précité.

(') V. Cass., 4 mars 1890, S.. 91. 1. 33, et la noie de M. Wahl. Sol. Régie, 22 avril 1899, S., 1900. 2. 255. Demanle, II, n. 835, D. Rép. SuppL, \o En^

PRESGR. 49

770 DE LA PRESCRIPTION

960. Il y a enfin prescription,d*après Tarticle 61 de la loi du 22 frimaire an VII, « après cinq années à compter du jour du décès, pour les successions non déclarées. » Le délai de la prescription a été ici étendu à dix années par la loi du 18 mai 1850 (art. 11) (').

061. La prescription de trente ans est expressément visée par la loi du 8 juillet 1852 : « Les droits de mutation par décès des inscriptions de rente sur l'Etat, et les peines encou- rues en cas de retard ou d'omission de ces valeurs dans la déclaration des héritiers, légataires ou donataires, ne seront soumis qu'à la prescription de trente ans » (art. 26).

061 bis. La loi de budget du 25 février 1901, en ce qui concerne la déduction des dettes dans Tactif des successions, contient, dans son article 5, la disposition suivante : «Toute dette au sujet de laquelle l'agent de Tadministration aura jugé la justification insuffisante ne sera pas retranchée de Tactif de la succession, sauf aux parties à se pourvoir en restitution, s'il y a lieu, dans les deux années, à compter du jour de la déclaration. Néanmoins toute dette constatée par acte authentique et non échue au jour de Touverture de la succession ne pourra être écartée par l'administration, tant que celle-ci n'aura pas fait juger qu'elle est simulée. L'action pour prouver la simulation sera prescrite après cinq ans, à compter du jour de la déclaration. Les héritiers ou léga- taires seront admis, dans le délai de deux ans à compter du jour de la déclaration, à réclamer, sous les justifications prescrites à l'article 4, la déduction des dettes établies par les opérations de la faillite ou de la liquidation judiciaire ou par le règlement définitif de la distribution par contribution postérieure à la déclaration, et à obtenir le remboursement des droits qu'ils auraient payés en trop. » Aux termes de l'ar- ticle 10 de cette même loi : « L'action en recouvrement des

regr.,n. 3238 s.— Celle soîulion a été appliquée au cas de biens délournés d'unt* succession : le droit de mutation sur ces biens ne se prescrirait qu'à partir du jugement qui en ordonne la restitution, si les héritiers n*avaient pas connu le détournement dès le décès. Trib. de Versailles, 29 déc. 1893, sous Cass-,23 Tév 1898, S., 98. 1. 373. V. en sens contraire la note de M. Wahl. V. aussi Sol. Régie 1*' avril 1901, S., 1903,2.224. i») V. D. Rép. SuppL, V Ënreg., n. 3243 s.

PRESCRIPTION EN MATIÈRE D 'ENREGISTREMENT 771

droits et amendes exigibles par suite de Tinexactitude d'une attestation ou déclaration de dette se prescrit par cinq ans à partir de la déclaration de succession. »

962. Dans tous les cas qui ne rentrent pas strictement dans les termes des textes que nous avons rappelés, c'est la pres- cription de trente ans qui est seule applicable. Il en est ainsi pour les actes non présentés à la formalité de Tenregistre- ment, pour les droits dus sur les actes produits en justice, pour les mutations secrètes ; nous avons vu que la règle' s'applique notamment aux mutations qui n'ont pu être cons- tatées lors de la présentation dun acte à l'enregistrement et n'ont pu l'être qu'ultérieurement (*). Il en est encore ainsi eu cas de déclarations inexactes faites par les particuliers (^). l^es droits de timbre sont aussi en général soumis à la pres- cription de trente ans, à défaut de texte spécial (').Il en est de môme de la taxe des valeurs mobilières établie par la loi du 29 juin 1872, à laquelle la Cour de cassation a déclaré inapplicable la prescription de deux ans de l'article 61 de la loi du 22 frimaire an VII, celle de trois ans établie en matière de contributions directes, et celle de cinq ans de l'article 2277 (*). Il en est de môme aussi de la taxe annuelle établie par la loi du 16 avril 1895 sur la valeur des biens possédés par les congrégations et associations (^).

963. Le délai de la prescription, dans les cas les textes n'indiquent pas expressément son point de départ, ce qui ne s'applique guère qu'à la prescription de trente ans, court du jour le droit de l'administration a pris naissance, c'est-

(') V. Cass., 6 juin 1832, S., 83. 1. 3D ;23 juillel 1883, S-, 85. 1. 39 ; 21 déc. 1887, S. ,89. 1.129 ; 4 mai 1892, S., 92. 1. 421 ; 27 déc. 1892, S., 94. 1. 209, cl la noie; 24 mai 1894, précilé ; 13 mars 1895, précité.

K*) Cass., 18 janv. 1888, D., 90. 1, 179.

(») Gasd., 28 juiUel 1875, S., 76. 1. 87, D., 75. 1. 425 ; 17 juillet 1895, S., 96. 1. 467, D., 95. 1. 431. V. la loi de finances du 28 avril 1893.

(♦) V. Cass., 18 avril et 12 juin 1853, S., 84. 1.395,1)., 84. 1.131 ; 9 nov.1886, S., 88. 1. 33 ; 8 nov. 1887, S., 83. 1.38J ; 17 juillet 1895, S., 96. 1. 467, avec une noie de M. Wahl, D., 95. 1. 431.

(») Trib. Morlaix, 26 avril 189J, S., 1903. 2. 220 cl la note de M. WahU - Contra Trib. de Troycs, 23 janv. 1901, S.,loc. oU, Trib. Seine, 17 mai 1902, S., loc, cil.

772 DE LA PRESCRIPTION

à-dire du jour du fait générateur de Imipôt (*). La jurispru- dence admet d'ailleurs que le point de départ peut être retardé et que la prescription peut être suspendue, s'il y a eu impossibilité légale d'agir ; d'après certaines décisions, la prescription ne commencerait même à courir que quand l'administration a eu connaissance du fait donnant ouver- ture à la perception du droit (■).

Nous nous bornerons à reproduire, en ce qui concerne le point de départ de la prescription, l'article 62 de la loi du 22 frimaire an VII, d'après lequel, « la date des actes sous signature privée ne pourra cependant être opposée à la République pour prescription des droits et peines encourus, à moins que ces actes n'aient acquis une date certaine par le décès de Tune des parties ou autrement. »

964- L'article 61 de la loi du 22 frimaire an VII consacre sa disposition finale à l'interruption des prescriptions spé- ciales qu'il organise : « Les prescriptions ci-dessus seront suspendues par des demandes signifiées et enregistrées avant l'expiration des délais ; mais elles seront acquises irrévoca- blement, si les poursuites commencées sont interrompues pendant une année, sans qu'il y ait d'instance devant les juges compétents, quand même le premier délai pour la pres- cription ne serait pas expiré. » Cette disposition déroge gra- vement au droit commun. Les demandes signifiées n'inter- rompent la prescription (car il s'agit d'interruption et non de suspension comme le dit à tort le texte), que si elles sont enregistrées avant l'expiration des délais. De plus, elles sont périmées par le délai d'un an et Teffet de cette péremption est d'éteindre l'action, même si le délai dje la prescription n'est pas encore expiré. Cette disposition n'a,du reste, qu'une application assez restreinte ; elle ne s'applique plus dès que l'instance est engagée ; elle ne vise guère que le cas des contraintes sont signifiées à la requête de l'Administra-

(') Trib. BoiiiK, 24 ocl. 1902, S., 1905. 2. 88.- Wahl, Tr, de Dr. fiscal, U, n. 437.

(«) V. D. Rép, SuppL, V Prescr., 11.3272, 3280 s.; S., note sous Trib. Bourg, 24 ocl. 1902, précité. V. supra, n. 956 el 957.

PRESCRIPTION EN MATIÈRE D*ENREGISTRS.M?:NT 773

tion ; à défaut d'instance, elles doivent être renouvelées dans Tannée.

La prescription peut d'ailleurs être interrompue par toute espèce de demande signifiée ; contrainte, commandement, requête à fin d'expertise {*). Elle peut l'être aussi, suivant le droit commun, parla reconnaissance du débiteur (*).

Elle ne peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation {^).

965. L'article 61 de la loi du 22 frimaire ajoute que « les parties seront également non recevables après le même délai, pour toute demande en restitution de droits perçus. » Cette règle applique ainsi la prescription de deux ans à toute demande en restitution, soit qu'il s'agisse de percep- tion irrégulière, soit qu'il s'agisse de perception régulière soumise à l'éventualité d'une restitution sous certaines con- ditions. La Cour de cassation a récemment décidé que la prescription court du jour de l'enregistrement de l'acte et non du jour de la perception, l'article 61 devant être litté- ralement interprété (*). Il nous paraît plus exact de déci- der que les deux ans courent du jour de la perception des droits dont la restitution est demandée ; d'après la jurispru- dence, il n'y a pas à tenir compte de ce que, à raison d'obs- tacles divers, les parties ont pu être empêchées d'agir en restitution pendant un temps plus ou moins long (^).

Les textes et la jurisprudence paraissent étendre cette solution au cas le droit à la restitution est subordonné à

(')Cass., 12 nov. 1901, S., 1902.1.152.

(') Un arrôt de la Cour de cassation du 21 avril 1893, S. ,99. 1. 152, a vu une reconnaissance inlerruptive dans le paiemenl fait uUérieuremcnt, sans protesta- lion, h l'occasion d'un autre acte, du droit non perçu. V. en sens contraire la note de M. Wahl.

(») Ciss., 26 nov. 1832, S., 93.1.321; 17 mars 1806, S., 97.1.102.

(•) Cass., 24 avril 1901, S., 1902.1.289. V. en ce sens contraire la note de M. Wahl.

(») V. la note de M. Wahl, S., 99.2.182. H a été jugé cependant que la prescription de deux ans. au cas de demande en restitution de Texcédent d'une somme versée ppur droits de mutation à litre d'acompte, ne court paà du- jour du' paiement, mais du jour la déclaration régulière des droits de mutation a été faite. Trib. Seine, 27 mars 1893, S., 99.2.181. V. en sens contraire la note de M. Wahl.

774 DE LA PRESCRIPTION

un fait ultérieur; la règle est alors cependant tout à fait injuste, du moins quand le fait ultérieur ne consiste pas dans des formalités ou des justifications à fournir par les parties intéressées (*).

Il faut ajouter que l'Etat peut subsidiairement opposer la prescription de cinq ans organisée par la loi du 29 jan- vier 1831. (V. supra, n. 811).

CHAPITRE XXV

DE LA PRESCRIPTION EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

966. Il nous reste à examiner les difficiles questions que peut soulever le conflit des législations en matière de pres- cription. Nous ne pouvons entreprendre de retracer ici les différences qui existent entre les diverses législations sur la réglementation de la prescription ; l'aperçu que nous en don- nerions serait forcément incomplet et par suite aurait peu d'utilité. La prescription existe partout, mais elle peut être soumise à des règles variables : Texposé complet de ces règles nous entraînerait dans des développements considéra- bles. Nous nous bornerons à préciser les principes devant servir à déterminer, en cas de conflit, quelle législation doit être appliquée. Rappelons d'ailleurs que les étrangers peu- vent en France se prévaloir de la prescription au même titre que les nationaux.. (V. supra, n. 33).

Les règles que nous devons exposer et dont nous avons à suivre l'application sont différentes suivant qu'il s'agit de la prescription acquisitive ou de la prescription libératoire.

SECTION PREMIÈRE

PRESCRIPTION ACQUISITIVE

967, En matière immobilière, il parait aujourd'hui incon- testé que les immeubles sont régis, au point de vue de la

(») Demante, II, n. 835— V. L. 22 frim. an VII, art. 48 el 69; L. 3 mai 1341, art. 58; L. 25 juin 1841, art. 14. V.cep. L. 28 avril 1816, art. 40.

PRESCRIPTION 'kN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 775

prescription^ par la seule loi du lieu de leur situation. On sait que les immeubles sont soumis à la loi du pays ils sont situés pour ce qui a trait aux droits dont ils sont sus- ceptibles et aux modes d'acquisition de ces droits. Il s'agit de l'organisation de la propriété foncière; or, dans chaque pays, cette organisation a un caractère d'intérêt général, elle se rattache étroitement à la souveraineté territoriale de

r

l'Etat. La prescription acquisitive notamment a certaine- ment, nous l'avons vu, un caractère d'intérêt général- Au point de vue économique, son organisation dépend dans cha- que pays de circonstances spéciales, mais elle a partout un caractère d'intérêt social; elle doit s*appliquer à tous, natio- naux et étrangers, avec les règles admises dans le pays l'immeuble est situé : la loi de ce pays est seule apte à assu- rer la stabilité et la certitude de la propriété. Cette solution est traditionnelle. D'Argentré et Dumoulin l'admettaient l'un et l'autre. Au siècle dernier elle était enseignée par Bouhier, Boullenois etPothier.Ce dernier auteur l'expose clairement: « Les lois qui concernent les prescriptions par lesquelles nous acquérons la propriété des choses étant des lois qui ont pour objet les choses, ces lois sont des statuts réels, lesquels, suivant la nature des statuts réels, exercent leur empire sur toutes les choses qui y sont sujettes, à l'égard de toutes sortes de personnes. La loi qui doit régler la pres- cription qui nous fait acquérir la propriété d'un héritage ou d'une rente foncière, doit donc être la loi du lieu l'héri- tage est situé; il n'importe soit le domicile tant du pos- sesseur qui acquiert que du propriétaire qui est dépouillé par la prescription (*). » Dunod nous dit aussi « qu'il n'y a pas de doute que pour juger de la prescription des immeu- Ides, on doive suivre les lois et les coutumes des lieux les choses sont situées (^). »

La jurisprudence s'était aussi prononcée en ce sens (*). C'est actuellement une règle banale et unanimement admise.

(*) Pothier, Prescr,, n. 247. V. aussi Boullenois, Dissertations, p. 63 s, Boubier, Observ, sur la coutume de Bourgogne, cii. XXW, n. 3 et 4. («) Dunod, p. 114. (') Merlin, liép., Prescr,, secl. I, § 3, n. 7.

776 DE LA PRESCRIPTION

Laurent dit très bien que «la certitude de la propriété est une nécessité sociale; c'est TEtat les biens sont situés qui a intérêt à mettre fin à l'incertitude de la propriété; c'est son existence qui serait menacée si la propriété restait incer- taine ; partant, c'est la loi territoriale qui doit régler la prescription, la durée et les conditions de la possession (*).

968. Le principe s'applique à toutes les règles et conditions de la prescription acquisitive, en ce qui concerne la durée de la possession, le titre, la bonne foi {*). Il s'applique aussi au point de vue de la distinction des choses prescriptibles ou imprescriptibles. Enfin il sert à déterminer le point de départ, les causes de suspension et d'interruption de la pres- cription. En ce qui concerne notamment la suspension de la prescription, elle aura lieu ou non suivant que le décidera la loi de la situation, sans qu'il y ait à appliquer la loi per- sonnelle de celui qui invoque cette faveur. Un mineur étran- ger ne peut par exemple invoquer la suspension de la pres- cription, si elle n'est pas admise par la loi du lieu de la situation de l'immeuble, et, à l'inverse, U peut invoquer la suspension établie par cette loi alors que sa loi personnelle ne l'admet pas (^). La loi de la situation s'applique aussi sur le point de savoir si on peut renoncer à la prescription, et c'est elle qui détermine qui peut s'en prévaloir. Cependant il faut se reporter à la loi personnelle pour ce qui concerne la capacité d'aliéner et à la lex fori pour la question de savoir à quel moment la prescription doit être invoquée et si elle peut être appliquée d'office.

La loi de la situation de l'immeuble est aussi celle qui s'ap- plique d la prescription des droits réels autres que la pro- priété, soit qu'il s'agisse de les acquérir, soit qu'il s'agisse de les éteindre (*).

(') V. Laurent, Dr, civ. intern., VIII, n. 224 s.

(«) Cass., 12 juill. 1821,1). Hep., Prescr., n. 227.- Cpr.Cass., 26 juill. 1894. S., 96. 1. 4i9, D., 95. 1, 5 ; 18 mars 1895, S., 96. 1. 449, D., 95. 1. 336. V. encore Cl., 98. 378, 99. 803 ; Rolin, Princ. du dr. inlern, privé, Ifl, n. 1477 s.

(>) BouUenois, op. cit., p. 89 s.; Laurent, op. ci7., VIII, n. 239; Despagnet, Dr.int, prit., n. 646. V. cep. Rolin, op. cit., n. 1484.

(*) Gass., 13 juill. 1829, S. chr. Laurent, VIII, n. 247.

. PRESCRIPTION EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 777

La cour de cassation a même jugé, te qui est fort contes- table, quelles immeubles étant régis par la loi du lieu ils sont situés, il en est de même des impôts et charges publiques dont ils peuvent être grevés et des obligations imposées aux propriétaires en cette qualité. « Par suite, dit-elle, c'est àcette même loi qu'il faut recourir pour savoir si les annuités de Timpôt foncier sont prescriptibles et dans quel délai (*). >.La vérité est que Timpôt est une obligation personnelle née à l'occasion d'un immeuble et non une charge réelle ; c'est à la loi qui a établi l'impôt à en établir la prescription extinc- tive ; on ne concevrait pas à cet égard l'application d'une autre loi. Au point de vue pratique, la question a peu d'im- portance, car c'est la même loi qui régit l'immeuble et qui établit l'impôt; cependant on a observé avec raison que notre question n'a pas un simple intérêt théorique; les arrêts delà cour de cassation ont été rendus à l'égard de l'impôt foncier tunisien quant à des immeubles situés en Tunisie et soumis à la loi tunisienne ; or, il y a en Tunisie d'autres immeubles soumis, non à la loi française ou à la loi musulmane, mais à la loi foncière du 12 juillet 1885; pour eux il n'est pas sans intérêt de dire que l'impôt est régi, quant à la prescription, par la loi qui Ta établi et non par la loi qui régit l'immeuble et les droits réels immobiliers (*) .

969. C'est le même principe qui doit s'appliquer aux meu- bles corporels. Ils sont régis par la loi du lieu de leur situa- tion quant aux droits réels dont ils sont susceptibles et quant au mode d'établissement de ces droits. Les lois qui réglemen- tent la propriété mobilière sont aussi des lois d'ordre écono- mique et d'intérêt général. Il en est ainsi particulièrement de celles qui déterminent les effets de la possession des meu- bles et organisent la prescription acquisitive des meubles, ou admettent des règles telles que celles de nos articles 2279 et 2280 du code civil. Ce sont des lois qui s'appliquent à tous, étrangers ou nationaux.

0) Cass., 26 juill. 1894 et 18 mars 1895, précités.

(*) V. en ce sens la note de M. Audinet, S., 96. 1. 4i9. V, aussi la note de M. Despagnet, D., 95. 1. 5.

778 DE LA PRESCRIPTION

La solution que nous venons de poser n'est pas unanime- ment admise. Pothier, dans Tancien droit, voulait que les meubles fussent régis par la loi personnelle du propriétaire: « Le propriétaire ne peut être dépouillé des choses qui lui appartiennent que par une loi à l'empire de laquelle il soit soumis (*). > Actuellement, plusieurs jurisconsultes ensei- gnent aussi qu'il faut en principe suivre la loi personnelle du propriétaire, et c'est le système admis par quelques législa- tions étrangères. Mais la jurisprudence française paratt se ranger à la règle que nous avons posée (*).Elle est suivie en France par de nombreux auteurs. A Tétranger, elle parait admise assez généralement (^).

970 . Les meubles seront donc acquis par la prescription établie dans le pays ils sont situés. En France, les arti- cles 2279 et 2280 leur seront appliqués sans qu'il y ait à tenir compte de la nationalité du possesseur ni de celle du propriétaire dépossédé ; ces textes seront appliqués à tous de la même façon, aux mêmes conditions, avec la même éten- due et avec les mêmes effets. Les règles des articles 2279 et 2280 sont des règles d'intérêt général, elles ont été admises dans rintérêt du commerce ; elles s'étendent à tous et peu- vent être invoquées par tous.

L'application de cette règle peut seulement soulever de graves difficultés si le meuble vient à changer de situation. L'idée générale est qu'il faut tenir compte de la situation la plus récente, de celle qui existe au moment la pro- priété du meuble se trouve débattue, pourvu qu'il n'y ait pas d'ailleurs de droit acquis au possesseur par suite de l'ap- plication antérieure de la loi du pays le meuble aurait été situé. C est ainsi que, si un meuble qui se trouve acquis au possesseur par la loi d'un pays il est situé est transporté

(*) Polhier, Prescr., n. 251.

(3) Cass., 19 mars 1872, S., 72. 1. 233, D., 74. 1. 465.- Sic Laurent, Dr. cit. intern.. Il, n. 273Aw,et Vni, n. 2U ; Savigny, VIII, § 366 ; Piore, Dr.intern. privé, II, n. 81S ; Aubry et Rau, édit,. I, p. 135, § 31 ; RoUn, n. 1503 s. ; Fiore,trad. Pradier Fodéré, p. 347; de Vareilles-Somiïiières,U,n. 922 bis, V. Pillel, Princ. de dr,int. privé t p. 562.

(») V. Reichspericht, G ocl. 1837, Cl., 98. 378.- V. d'ailleurs les ciUUons dw* Wahl, Titres au porteur^ II, p, 342.

PRESCRIPTION E>' DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 779

dans un autre pays la législation est moins favorable au possesseur, celui-ci n'en a pas moins un droit acquis qui doit être respecté partout. Par exemple, un meuble a été acquis en France dans des conditions telles que l'article 2279 était applicable ; le possesseur qui le transporte dans un autre pays pourra opposer partout le droit antérieurement acquis en France, bien que la loi du pays nouveau le meuble se trouve n'admette qu'une usucapion de plusieurs années pour les meubles (*).

971. L'hypothèse inverse est plus délicate. Si un meuble a été acquis dans un pays la seule possession de bonne foi ne suffit pas pour faire acquérir la propriété mobilière, et si ce meuble est transporté en France, le possesseur peut- il alors invoquer l'article 2279 ? Les auteurs enseignent volontiers l'affirmative que le tribunal de la Seine a lui- même admise ('). Cette opinion s'appuie sur ce que la pos- session est essentiellement territoriale, que l'article 2279 est très général, que c'est une règle qui protège tous les pos- sesseurs. Cette solution a été pourtant contestée. On oppose que l'article 2279 n'organise pas une prescription véritable, qu'il ne peut s'appliquer qu'aux transmissions faites sous l'empire de la loi du pays il est en vigueur, que si le propriétaire a eu un droit de revendication à la suite de la transmission faite à l'étranger, il ne peut en être privé par le déplacement de la chose. « Les droits du propriétaire sur sa chose, dit M. Fiore, doivent être respectés toutes les fois qu'ils ont été acquis tandis que la chose se trouvait en pays étranger, en vertu d'une opération juridique qui y a été accomplie avant que la chose ait été soustraite à l'empire (le cette loi et transportée dans un lieu soumis à l'empire d'une autre loi (^). »

La première opinion nous parait cependant devoir être

(') Savigny, VIII, § 367 ; Laurent, op. cit., Vni, n. 245 : Rolin, n. 1504.

(*) Trib. Seine, 17 avril 1885, CL, 86. 593; 122 déc. 1895, CL, 96. 1032. - Sic Laurent, loc. cit. ; Savigny, loc. cit.; Despagnet, n. 649 ; Weiss, Dr, intern. privéj p. 594 ; Surville et Arlhuys, id., n. 174 ; Rolin, n. 1505. V. aussi Amiens, 15 mars 1900, Gaz. pa/., 5 juin 1900.

(») Fiore, H, n. 819. - V. aussi Brocher, Dr. int. privé. II, n, 271 ; Pillel, p. 563 s.

780 DE LA PRESCRIPTION

suivie. S'il fallait s attacher à cette idée que les droits de revendication du propriétaire doivent être respectés tels qu'ils existaient à 1 étranger, on serait conduit à admettre que c'est la législation du lieu de la situation primitive qui doit toujours s'appliquer au point de vue de la prescription à Texclusion de celle de la situation la plus récente, lorsque la première est plus favorable au propriétaire ; c'est uiie solution qu'il nous paraît difficile d accepter ; l'intérêt géné- ral du pays le procès est débattu doit l'emporter.

972. C'est aussi la loi de la situation qui s'appliquera à la revendication des choses volées ou perdues. Et ici encore, en cas de déplacements successifs, il faudra tenir compte de la loi de la situation actuelle, pourvu qu'il n'y ait pas de droit antérieurement acquis. Bien que l'article 2279 alinéa 2 soit considéré comme établissant une prescription extinctive, il faut dire qu'il y a une protection de la propriété, une dépendance de la règle En fait de meubles possession vaut titre, qui, comme la règle elle-même, s'applique en France à tous les meubles qui s'y trouvent (*).

973. Les mêmes principes doivent être appliqués aux titres au porteur perdus ou volés, en cas de conflit des législations sur les droits du propriétaire dépossédé.

Supposons tout d'abord qu'il s'agisse de titres étrangers négociés en France. La loi du 15 juin 1872 ne sera guère applicable en ce qui a trait aux rapports du propriétaire dépossédé et de l'établissement débiteur : la loi française ne peut prétendre contraindre un établissement étranger à payer sur une autorisation de magistrats français, alors qu'elle ne saurait d'ailleurs le garantir contre les réclamations des tiers porteurs qui se présenteraient plus tard (*).

Encore faut-il ajouter cependant que si l'établissement étranger a un représentant en France, on doit admettre que celui-ci, s'il a reçu une opposition, doit prévenir l'opposant

(») Laurent, VIII, n. 246 ; Despagnet. n. 648 ; Weiss, p. 594 ; Sunille el Arthuys, loc, cil,; Rolin, n. 1506.

(») Paris, 30 déc. ISH, Cl., 78. 165. - Trib. Seine, 3 juin 189D, Le Droit du 19 juin 1890. Lyon-Gaen et Renault, Dr, comm,, II, n. 652 ; Guillouard. n. 965 ; Wahl, n. 1597 ; Buchère, n. 943 ; Valéry, D., 95. 2 81.

PRESCRIPTION EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 781

de la présentation des titres (*). On peut même aller jusqu'à décider que ce représentant doit être contraint de retenir les titres présentés et de refuser le paiement aux tiers qui se pré- senteraient pour toucher (*).

Mais la loi de 1872 sera applicable aux titres étrangers négociés en France pour ce qui a trait aux effets de la négo- ciation et aux conditions de la revendication. A ce point de vue, la loi de 1872 est une loi d'intérêt général, une loi de police et de sûreté qui s'applique à toutes négociations fai- tes en France. Elle a la même portée que les articles 2279 et 2280. La jurisprudence est constante en ce sens (•■*). « La loi du 15 juin 1872, dit la cour de cassation, a édicté diver- ses dispositions ayant le caractère de mesures de police et de sûreté qui .protègent aussi bien les propriétaires de titres étrangers que. les propriétaires de titres français ; ni ses ter- mes ni son esprit ne permettent de distinguer entre eux. Si quelques-unes de ses dispositions, envisageant le titre dans ses rapports avec l'établissement débiteur, ne peuvent rece- voir d'application lorsque cet établissement est étranger et échappe à la loi française, il ne s'ensuit pas que ses autres dispositions et notamment celles qui concernent la négocia- tion et la revendication en France des titres frappés d'oppo- sition ne soient pas applicables aux valeurs étrangères comme aux valeurs françaises. »

974. La cour de cassation a même décidé que la loi de 1872 s'applique aux titres déclarés insaisissables à l'étran- ger (*); en exceptant les rentes françaises, la loi de 1872 n'a pas excepté les titres de rente étrangers; la règle d'insaisis-

OTrib. Seine, 3 juin 1890, CL, 90. 703; 20 mars 1894, D., 95.2. 81 el la noie de M. Valéry. Buchère, n. 945.

(*) Valéry, loc. cit. ; Wahl, n. 1599. Contra, Paris, 30 déc. 1877, prc^cilé. Buchère, n. 948.

(3) Cass , 13 fév. 1884. S., 8t. 1. 225, D., 84. 1. 265. - Paris, 21 août 1882, S., 83. 2. 117; li déc. 188 î. S., 2. 184. Trib. Seine, 17 nov. 1890, Cl., 95. 129. -r Lyon, 19 nov. 1902, Cl., 1903. 651. Lyon-Caen el Renault, II, n. 653; Weiss, p. 594; Wahl, II, n. 1576, 1587 s.; Buchère, n. 945; Aubry Rau, éd , II, p. 170, § 183 Jbis ; Guillouard, n. 968. V. aussi les décisions citées dans S., 1904. 2. 290.

(*) Casa., 13 fév. 1884, précité. Lyon-Caen et Renault, II, n. 654 ; Wahl, II, n. 1596; Aubry et Rau, 5- éd., II, p. 174, § 183 bis\ Guillouard, n. 969.

782 DE LA PRESCRIPTION

sabilité ne peut les protéger en France. « L'article 16 énumé- rant les seuls titres au porteur qui échappent à son applica- tion, il n'est pas permis d'étendre l'exception formulée par cet article à des valeurs qui n'y sont pas comprises. En excep- tant des dispositions de la loi les rentes sur l'Etat, le légis- lateur n'a entendu parler que des rentes sur l'Etat français, et les motifs qui ont déterminé cette exception ne peuvent s'appliquer aux rentes étrangères, lesquelles restent dès lors sous l'application de ladite loi. »

975. S il s'agit à l'inverse de titres au porteur français négociés à l'étranger, la loi du 15 juin 1872 sera applicable àrégard de l'établissement débiteur qui est évidemment sou- mis à la loi française. Elle ne peut au contraire être appli- quée pour ce qui concerne la revendication et les effets delà négociation à l'étranger. Vainement la jurisprudence a-t-elle, pour étendre à notre hypothèse la protection de la loi de 1872, fait valoir que cette loi ne distingue pas, que les titres sont censés situés au domicile du débiteur, qu'il s'agit de mesures de police et de sûreté, et qu'il serait trop facile d'élu- der la loi en allant négocier à l'étranger les titres volés eu France (*). Cette jurisprudence est certainement inexacte. La loi de 1872 ne peut s appliquer aux titres négociés à l'étran- ger ; elle suppose évidemment, en organisant la publicité des oppositions, qu'il s'agit des effets de la revendication en France; le bulletin qu'elle organise ne peut avoir une publi- cité universelle. D'un autre côté, les titres au porteur, comme les meubles corporels, sont juridiquement situés au lieu ils se trouvent matériellement. Les lois de police et de sûreté ne peuvent enfin s'appliquer que sur le territoire. Il y a contradiction à vouloir étendre la loi de 1872 à la fois aux négociations de titres français à l'étranger et aux négo- ciations de titres étrangers en France (*).

('/ V. not. Trib. Seine,3 juin 1830, 13nov. 1891. 1" fév. 1892, 10 janT.1893, Cl., 90, p. 703, 92. p. 492 el 727, 93, p. 596. - Trib. de Marseille, 14 aoûl ISA La //)! du 14 jaiiv. 1894. ~ V. aussi d'autres décisions citées par M. Wahl^H, p. 347, note 3.

{*) Lyon-Caen el Renault, II, n. 655; Wahl, n. 1574 s. 1580 s. ; (luillonard, ». 971; BuclK^re, Cl., 83. 263; Deloison, n.6l7; Pillel, p. 333 el 390, 56) s. - Cpr. Reichsgerichl, 19 mars i89S, Cl , 1909. 633.

PRESCKIPTION EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 783

976. La jurisprudence est allée jusqu'à appliquer la loi de 1872 aux titres étrangers négociés à l'étranger (^). Il est cependant bien certain qu'ici elle ne saurait recevoir aucun eflet, soit à Tégard de l'établissement débiteur, soit à l'égard des tiers. La solution qu'ont admise certains tribunaux ne s'appuie sur aucune considération sérieuse (*).

SECTION II -

PRESCRIPTION LIBÉRATOIRE

.977. Plusieurs opinions ont été émises sur la loi applica- ble, en cas de conflit, à la prescription libératoire. C'est une des difficultés classiques du droit international privé. Les auteurs et les tribunaux des diflérents pays se partagent entre la loi du domicile du débiteur, sa loi nationale, celle du lieu l'action est poursuivie, celle qui régit 1 obligation, celle du lieu l'obligation doit être exécutée. La plupart des auteurs qui ont écrit sur le droit international privé exposent en outre, pour en faire une réfutation facile, une sixième opinion qu'ils attribuent à Pothier: d'après eux, Pothier aurait enseigné que la prescription doit être réglée par la loi du domicile du créancier (»). On prête, à notre avis, à Pothier, une opinion qu'il n a pas soutenue ; au passage indiqué par ces auteurs, Pothier dit que la prescription des rentes constituées et des meubles « est régie par la loi qui régit la personne de celui qui en est le propriétaire, c'est-à- dire par la loi de son domicile (*). »Mais il ne s'agit pas de la prescription extinctive des créances. Dans son Traité de la prescription, Pothier ne traite pas de la prescription extinctive des obligations, mais de la prescription qui résulte

{') Paris, 14 déc. 1887, U Loi du 28 janv. 1888. - Aix. 15 mars 1887 Cl

89, p. m, - Cpr. Trib. Seine, 17 nov. 1890. Cl., 95, p. 129; 12 nov. 1891 U

Droit du 28 nov. 1891; 10 janv. 1893, Droit fin., 93. 280.

OTrib. Seine, 15 juiU. 1885, Cl., 85, p. 150. - Guillouard, n. 967- Wahl p. 1600. ' ' *'

{>)Fiore, I, n. 159 ; Brocher, n. 275 ; Despagnel, n. 035; Weiss, p. 643 «Sur- ville et Arlbuys, n. 271 .: Laurent, VIII, n. 249. ' (*) Pothier, Prescr., n. 251.

78i DE PRESCRIPTION

de la possession. Il n'examine les coMits de lois que relati- vement aux « prescriptions par lesquelles nous acquérons le domaine de propriété des choses, et raifranchissement de leurs charges. » Il s'agit, dans le passage cité, de la pres- cription acquisitive des meubles et de la prescription qui permet au possesseur d'un héritage de l'affranchir des rentes constituées non déclarées lors du contrat (*).

978. En France, l'opinion traditionnelle, admise par pres- que tous nos anciens auteurs, et à laquelle parait s'attacher la jurisprudence, est que la prescription extinctive est sou- mise à la loi du domicile du débiteur. « L'opinion la plus commune et celle qui paraît la plus régulière, disait Dunod, est que l'on doit suivre en ce cas la loi du domicile du débi- teur, parce que c'est le lieu il doit être convenu, que c'est la loi du domicile qui règle ce qui lui est personnel, qu'il est censé s'être obligé suivant cette loi, et que ce qui nous est est réputé être dans le lieu du domicile de nos débi- teurs. » C'était aussi l'opinion de Bouhier et de Boulleliois(*).

C'est aujourd'hui celle de la jurisprudence française, dont de nombreuses décisions répètent que le débiteur, poursuivi en vertu de la loi de son pays, a le droit de se prévaloir des dispositions de cette loi qui peuvent le protéger contre l'ac- tion dont il est l'objet (').

Quelques auteurs se sont aussi ralliés à cette solution. Us font surtout valoir que c'est par la loi du lieu le débiteur doit être actionné que la prescription doit être déterminée. Ils ajoutent que la créance a en quelque sorte sa situation au domicile du débiteur (*). « Si c'est bien le débiteur qui doit

(*) Polhier,- op. cit., n. 206 s.

(«) Dunod, p. 114 ; Boullenois, I, p. 364 s.; Bouhier, ch. XXXV, n. 3; Mer- lin, Rép, y* Prescr,, secl. 1, § 3, n. 7.

(*) Gass., 13 janv. 1869^ S,, 69. 1. 491 et la note de Labbé, D., 69. 1. 135 ; 28 juillet 1894, D., 95. 1. 300. Paris, 28 février 1881, Cl., 81. 266 ; 26 janv. 1888, Cl., 88. p. 390. Besançon, 11 janv. 1883, S., 85. 1. 113. Trib. Seine, 28 nov. 1891, Cl., 92. 712 ; 11 déc. 1893, CL, 94. 145. V. aussi Haute-Cotfr des Pays-Bas, 2 avril 1874, Cl., 74, p. 141.— Trib. du canton de Vaud, Il janv. 1882, S., 82. 4. 41, et. la note de M. Lehr. Trib comm. de Copenhajirttts 30 juin 1898, Cl., 99. 1043.

(•) Marcadé, sur l'art. 2219, n. 6; Brocher, n. 275 ; Surville et Arthuys. n. 271 ; de Vareilles-Sommières, La synthèse du dr. iniern. prîo., I, p. 255.

PRESCRIPTION EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 785

être protégé, dit M. Brocher, ne faut-il pas se demander doit se produire le danger qui le menace? quelle est la loi la plus naturellement appelée à remplir cet office? celle du domicile n'est-eUe pas revêtue d'une importance prépondé- rante à cet égard? >

079. Les partisans de cette solution se divisent quand le débiteur a changé de domicile dans l'intervalle de la nais- sance de l'obligation et de la poursuite. Les uns veulent que Ton s'en tienne au domicile du débiteur lors de la naissance de la dette. C'était l'opinion de Dunod;«Que si le débiteur avait changé de domicile depuis le contrat, il semble qu'il ne pourrait pas en cela faire la condition de ses créanciers plus mauvaise, parce qu'il ne doit pas dépendre de lui d'abréger à son gré le terme de la prescription au préjudice de son créancier. » BouUenois était d'un avis contraire ; il appor- tait seulement à son opinion cette restriction que la loi du domicile, si elle édictait une prescription plus courte, ne pourrait être prise en considération que pour les années postérieures au changement de domicile. Sous le code civil, la controverse a continué. On a soutenu que c'est dans tous les cas le domicile au jour de la poursuite qu'il faut consi- dérer et la jurisprudence paraît être en ce sens ; il n'y aurait à réserver que le cas de changement frauduleux. (*) D'autres auteurs veulent au contraire qu'on ne tienne pas compte des changements successifs de domicile et qu'on reste atta- ché au domicile du débiteur au jour de la naissance de l'obli- gation (2). Enfin on a enseigné qu'il faut tenir compte des changements successifs de domicile, en combinant les diffé- rentes prescriptions et en calculant le temps écoulé sous l'empire de chaque loi conformément à cette loi (').

080. Une seconde opinion, très voisine de celle que nous venons d'exposer, et qui le plus souvent se confond avec

(') V. de Vareilles-Sommière, I, n. 422 el s. D'après lui, on appliquerait la loi du domicile du débiteur lors de la poursuite, sous réserve des droits acquis au créancier.

(*) Surville et Arthuys, n. 271. SurvIUe, Revue critique, 1899, p. 224.

(»j Bertauld, Questions, I, p. 116 et 117 ; Brocher, loc. cit. ; Marcadé, sur

art. 2219, n. 7.

Prescr. 50

786 DE LA PRESCRIPTION

elle, si bien qu'on peut dire que la jurisprudence Tadmet aussi bien que la première, veut qu'on suive la loi du lieu le débiteur est poursuivi. En faveur de ce système, géné- ralement suivi par la jurisprudence anglo-américaine, on invoque Tun des motifs mis en avant par les partisans de la première théorie. La prescription est un moyen d'extinc- tion de l'obligation que le débiteur doit opposer à l'action du créancier ; c'est la loi de l'action qui détermine la pres- cription. Comme le dit la Cour de cassation, la loi en vertu de laquelle on poursuit est celle qu'il faut suivre pour la prescription. C'est à l'exercice de l'action que se rattache le moyen de la prescription. Vainement on dit que ce n'est pas un moyen de procédure, mais une question de fond. 11 n'en est pas moins vrai que le créancier n'a droit de poursuivre que suivant les lois du pays il poursuit ; la prescription établie dans ce pays, pour des motifs d'intérêt général, doit y protéger tous les débiteurs poursuivis, y être opposée à tous les créanciers poursuivants.

C'est bien en effet, à notre avis, ce motif d'intérêt général, d'intérêt social qu'il faut considérer comme déterminant et auquel il faut rattacher la solution cherchée ; ce motif con- duit à dire que c'est au législateur du pays la poursuite a lieu qu'il appartient de déterminer quelle sera la prescrip- tion admise dans ce pays; c'est une règle que les tribunaux de ce pays doivent appliquer à tous. Qu'on ne dise pas que le créancier pourra ainsi, dans certains cas, faire varier à son gi'é la prescription, en poursuivant devant l'un ou l'autre des tribunaux compétents, quand il y en a plusieurs, comme dansle cas de l'article 420 du Code de procédure ci\'ile. Nous répondrons que le débiteur a su à l'avance, en pareil cas, qu'il pourrait être poursuivi devant des tribunaux autres que ceux de son domicile ; ce n'est pas le caprice du créancier qui fait varier la compétence ; le débiteur a s'attendre à être poursuivi devant le tribunal la poursuite a le plus d'avantages pour le créancier (*).

(<) Montpellier, 31 mai-» 1873, Cl., 74, p. 29.— Alger, 17 janv. 1889, S , 89. 2. 104. -^ Trib. sup. de Leipzig, 18 mars 1875. Cl., 77, p. 244. Trib. Seine, 28 noy. 1891, CL, 92.713. - Rennes, 30 mai 1899, Cl.. 99 998, avec les conclu-

PRESCRIPTION EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 787

981 M. Labbé^ qui a consacré à cette question une de ses meilleures dissertations^ a développé ce point de vue en termes excellents. « La loi sous Tempire de laquelle Faction s'exerce, la loi qui accorde un juge au créancier, est celle qui doit déterminer les conditions légales de Faction et elle est maîtresse de fermer au créancier, par la prescription, Faccès qu'elle lui avait ouvert devant un tribunal. Dunod Favait bien compris et la loi du domicile du débiteur lui paraissiiit applicable à la prescription parce que, disait-il, c'est le lieu ce dernier doit être convenu ; et si Dunod n'avait pas poussé la logique jusqu'à faire varier la loi de la prescrip- tion suivant les changements de domicile postérieurs au con- trat, c'est seulement et uniquement parce qu'il était frappé des inconvénients pratiques de cette solution. Mais ces incon- vénients ne sont peut-être pas aussi considérables qu'il se Fimaginait. Un changement de domicile, une expatriation est un fait grave, difficile à accomplir, et il est peut-être chimé- rique de supposer que le débiteur transportera le siège de ses affaires d'une contrée dans une autre uniquement pour faire tomber son créancier sous Fempire d'une prescription plus courte. Si les juges reconnaissaient que le transport du domi- cile avait été simulé et non sérieux, ils n'en tiendraient pas compte. La loi qui octroie la faculté d'agir en justice limite Fexercice de cette faculté. Le créancier qui sollicite d'une autorité une condamnation doit respecter les limites du temps l'intervention de cette autorité est, de crainte d'erreur, renfermée par la loi de son institution. »

Cette argumentation est en principe très exacte. On peut seulement observer que la réponse à l'argument tiré du pré- judice injuste que peut causer au créancier le changement de domicile du débiteur n'est pas fort probante ; car même au

sions de M. l'avocat général Mahondeau ; 28 janv. 1902, Cl., 1903.137. Cour d'appel de Bois-le-Duc, 21 mars 1882, S., 89. 4. 9, et la note de M. Esmein. Trib. comm. Tricste, 24 juin 1900, Cl., 1901. 845. Labbé, note dans Sirey, 69. 1. 49 ; Martin, Rev, de dr. intern.y 87, p. 202 s. ; Aubry, Cl , 96, p. 474 s. et 1901, p. 263 ; Rolin, op. cit., I, n. 388 s., et IH, n. 1486 s. V. encore Cl., 94.145 et 541; Westlake, CL, 82. 14 et Rev. dr, M. 1882, p. 294; Mercier, Prête, liber, en droit intern. pr ^ (Lausanne, 1897) p. 52 s., 118 s., et les autorités qu*il cite.

788 DK LA PRESCRIPTION

cas ce changement provient, non pas du désir d'obtenir le bénéfice d'une prescription plus favorable, ni d'un caprice quelconque du débiteur, mais d'une cause absolument sérieuse et détachée de tout calcul, le créancier n'en subit pas moins un dommage auquel il n'avait pu s'attendre : il peut être frappé par une prescription contre laquelle il lui était difficile de se prémunir. M. Labbé, à cet égard, ajoute après Boullenois, que le créancier pourra toujours agir pen- dant quelque temps puisque le délai de la prescription plus courte établi par la loi du domicile nouveau ne peut courir qu'après l'acquisition du nouveau domicile. Nous ne croyons pas cette dernière idée bien exacte ; il faut tenir compte de l'inaction du créancier depuis la naissance de son droit,, en quelque lieu qu'elle se soit produite.

S'il y a eu plusieurs juridictions successivement compé- tentes dans des pays différents, il faudrait, d'après certains auteurs, tenir compte proportionnellement du temps qui s'est écoulé dans chacun de ces pays. On a même soutenu que si, d'après la loi du domicile primitif, le temps de la prescription était accompli, il y aurait un droit acquis qu'on ne pourrait contester au débiteur en lui opposant la loi de lieu de la poursuite '(*). Mais ces solutions nous paraissent bien arbitraires et sans fondement sérieux.

982. Mais nous ajouterons que la durée de la prescrip- tion de la loi française n'est pas, dans tous le^ cas, tellement d'ordre public qu'elle ne puisse jamais être modifiée par la convention des parties. Il nous semble juridique de décider que si une obligation a été contractée dans un pays étranger, on pourra tenir compte de la loi de ce pays en tant que la loi française peut admettre une pareille convention. S'il s'agit par exemple d'une des prescriptions des article 2271 à 2273, qui à l'étranger se trouve être plus longue qu*en France, rien n'empêche d'admettre qu'on puisse tenir compte de la loi étrangère pour les fournitures faites à l'étranger ; l'ordre public ne s'y oppose pas ; les parties peuvent en France

(') V. dans le c:s deux soldions, Mercier, op. cit., p. 15& el 155.

PRESCRIPTION EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 789

établir en pareil cas une prescription plus longue que la prescription du code civil (*). (V. supra, n. 62 s.).

D'un autre côté, les parties peuvent abréger la durée de la prescription. L'ordre public ne s'oppose pas à ce qu'on tienne compte d'une loi étrangère sous l'empire de laquelle les parties se sont volontairement placées et qui admet une prescription plus courte que la prescription française (*).

Ajoutons enfin qu'en cas de changement de domicile, le débiteur pourrait se prévaloir de la prescription accomplie à son ancien domicile, alors même qu'elle serait plus courte que celle établie par la loi du domicile nouveau : il invoque- rait alors un droit qui était acquis avant son changement de domicile et auquel il n'a pas renoncé.

Ainsi, en résumé, nous pensons qu'en principe c'est la loi du pays le débiteur est actionné qui indique la prescrip- tion applicable. Mais nous apporterons à ce principe une restriction ; en tant que les parties peuvent déroger à la loi sur la prescription, qu'elles peuvent l'abréger ou l'allonger, il y a lieu d'appliquer la loi du pays sous l'empire de laquelle elles ont pu placer le contrat qui a donné naissance à l'obli- gation (').

983. C'est encore une théorie très voisine des opinions qui viennent d'être exposées que celle d'après laquelle il faudrait suivre la loi du lieu le paiement doit avoir lieu, l'obli- gation doit recevoir son exécution (*). On a fait valoir à l'ap- pui de cette solution que la prescription se rapporte à Texé- cution, a trait à l'exécution ; on ajoute qu'elle est une peine de la négligence du créancier ou une présomption de paie- ment ; c'est au lieu le paiement doit avoir lieu, le

(•) Gpr. Méri{?nhac, flei». cWf., 1884, p. 133 s.; Aubry, loc, cU.; Ilolin, op. cil. ^ 11. 1497 ; Iloguin, consulL analysée par Mercier, op. cit., p. 130 ; Aubry et Ilau, 1, p. 108 ; Weiss, p. 645.

(*) Cpr. Aubry et Ilau, I, p. 108 ; Weiss, p. 654 ; Mérijjnhac, loc. cil,

(^) Gonlra, Pillel, Prescr. de dr. inl.pr., p. 457.

(♦) V. Paris, 29 mars 1836, S., 36. 2. 457 ; 19 fév. 1889, Le Droit du 24 avril 1889..— Trib. Tunis, 2 nov. 1888, La Loi du 7 déc. 1888. V. aussi diverses décisions citées par Vincent et Penaud, Dicl. de dr. inl. privé, n. 23 s. Troplong, I, n. 38 ; Massé, Dr. comm., 1, n. 559 ; Lehr, Rev. de dr. inl., 1881, p. 516 et Fr. jad., 1S8>, I, p. 103 s. ; Picard ,G1., 81, p. 476.

790. DE LA PRESCRIPTION

créancier devait se montrer diligent, que la prescription doit être fixée.

Mais ce ne sont pas des raisons bien déterminantes. La prescription se rapporte au droit et non à l'exécution de l'obligation. La négligence du créancier, la présomption de paiement sont des motifs de la prescription ; mais le fonde- ment essentiel Ja raison d'être est l'intérêt social qui ne peut être apprécié que la poursuite a lieu, le procès est jugé. D'ailleurs la négligence du créancier que punit la pres- cription est le défaut d'action; c'est donc l'action devait être exercée que le créancier a été négligent.

984. Une quatrième opinion, très suivie en Allemagne et en Suisse, veut que ce soit la loi qui régit l'obligation qui détermine la prescription extinctive de cette obligation : la prescription, dit-on, aflfecte la substance de l'obligation ; elle a trait au fond du droit ; les règles doivent en être stables et certaines aussi bien que celles qui ont présidé à la création de l'obligation, qui déterminent ses condi- tions et ses eflfets. Le droit du créancier est Umité à une pé- riode déterminée ; cette période est fixée par la loi qui régit l'obligation ; elle ne peut dépendre du domicile des parties, du lieu de la poursuite ou du paiement ; les parties se sont tacitement soumises à la loi du lieu l'obligation est née (^).

(*) Alger, 18 août 1848, S., 49. 2. 264, D., 49. 2. 130. - Chambéry, 12 fév. 1869, S., 70. 2. 9. - Lyon, 17 mars 1881, S., 83. 2. 66, D.,82. 2. 198. Trib. Seine, 2 juin 1881, S., 81. 1. 218 ; 14 nov. 1890, Cl., 92. 987. - Bordeaux, 1" mars 1889, S., 92. 2. 76. - Trib. de Tunis, 26 déc, 1889, a., 98. 557 ; 15 juin 1891, CI., 91. 1238.- Sénat de Varsovie, 23 nov. 1873, Cl., 74, p. 333. -Trib. d'Anvers, 9 juin 1884, Q., 86. p. 373. V. aussi Trib. de l'Empire (Allema- gne) 6 juillet 1900, S., 1902. 4. 16.- Cour civ. de Genève, 20 janv. 1890,0., 91. 1036. Cour civile de Lausanne, 15 fév. 1899, et Trib. fédéral Suisse, 14 juill. 1899.C1., 1900.848.- Trib. d'Hfov (Roumanie), 11 déc. 1895. Cl.,97.879 et 99.424. -Trib. rég. Hambourg 21 juin 1901, Cl., 1904.410. -Cpr. Cass., 22 janv. 1849, D., 49. 1. 5. V. encore de nombreuses décisions citées par Mercier, op. cîl., p. 89 s., et quelques autres citées par Martin, fletj. dedr. intern., 1887, p. 268 s. - Savigny, Dr, rom,, VIII, § 374 ; Aubry et Rau, I, p. 108 ; Uurent, VIII, p. 360; Fiore, I, n. 165; Ballot, Rev. prat., VHI, p. 333; Démangeai, Cond. des étr.y p. 358; Weiss, p. 645; Renault, Rev. crit., 1882, p. 723 ; Laine, BalL de la 8oc.de législ. comp,, 1890, p. 551 ; Flandin, Cl., 81, p. 230; Asser el Hivière,p. 84; Despagnet, p. 505; Chausse, Rev. crit.y 1893, p. 483 ; Guillouard, n. 356 el s.; Donnedieu de Vabre, Évol. de U jnrisp. en malière de conflits de

PRESCRIPTION EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 79 1

Si robligation juridique, dit Fiore, vaut autant en subs- tance que le droit pour le créancier de contraindre le débi- leur à Taccomplissement du fait convenu,la durée de Faction se lie avec la force de l'obligation et doit être conséquem- ment régie par la même loi qu'elle. Quand deux personnes s'obligent^ on doit considérer comme convenu entre elles que le terme dans lequel Tune peut agir contre l'autre pour la contraindre à l'accomplissement, doit dépendre de la loi même sous l'empire de laquelle est née l'obligation, aussi bien que le droit d'action qui y est relatif, p

985. Cette opinion a, suivant nous, une part de vérité ; elle peut être admise, nous l'avons dit, en tant que la pres- cription peut dépendre de la convention des parties ; mais en principe l'intérêt social du pays l'action est exercée s'oppose à ce qu'on tienne compte d'une prescription plus longue que celle admise dans ce pays. Ajoutons d'ailleurs qu'au point de vue de la stabilité du droit du créancier, cette théorie n'est pas toujours satisfaisante, car le plus souvent il s'agit d'appliquer la loi de la formation du contrat, et c'est une question parfois difficile que de savoir un contrat s'est formé. Savigny dit qu'il faut suivre le droit local de l'obli- gation. Mais le droit local peut, d'après lui, varier beau- coup suivant les circonstances : son système aboutit à une grande incertitude.

Laurent, qui admet cette dernière opinion, prétend se pla- cer surtout au point de vue de l'intérêt social, et il dit que c'est le pays l'obligation a pris naissance qui est le plus intéressé à la solution de la question de prescription (*). Mais cet argument n'est pas exact : le juge du tribunal saisi ne peut prendre en considération, pour déclarer une action prescrite, que l'intérêt général du pays il exerce sa fonc- tion : il n'a pas à se préoccuper de l'intérêt général d'un

lois, Thèse 1905, p. 458. Cpr. Vincent et Penaud, op. cil., v* Prescr., n. 261. D'après Aubry et Rau, un Français poursuivi en France pourrait d'ailleurs toujours opposer la prescription de la loi française comme lui étant plus favorable. V. aussi Weiss, loc, cit. Celle concession détruit à peu près tout le système. (*) Voy. Georges Dreyfus, L'acte juridique en droit pricé inlern. p 376 s.

792 DE LA PRESCRIPTION

autre pays ; c'est bien d'ailleurs le pays l'action est exer- cée qui est le plus intéressé à sa prescription (*).

986. On a proposé enfin d'appliquer en principe, pour déterminer quelle prescription peut être opposée, la loi natio- nale du débiteur. M. Pillet a soutenu cette solution, et a ajouté cependant, à titre de tempérament, que le tribunal saisi de l'action devrait admettre aussi la prescription la plus longue de la lex fori, la bonne administration de la justice s'opposant à ce que des actions puissent être exercées après un délai plus long que celui déterminé par cette loi ; sauf cette réserve, c'est la loi nationale qu'il faudrait appli- quer, la protection du débiteur étant l'objet principal de la prescription extinctive (*). Nous ne croyons pas que le point de départ de cette opinion soit exact ; en matière de pres- cription, il n'est pas rationnel de recourir à la loi nationale du débiteur. L'objet de la prescription n'est pas principa- lement de protéger les débiteurs, mais d'éteindre, dans un but d'intérêt social, les droits et actions non exercés pendant un certain temps.

(*) La convention internationale de Berne du 14 octobre 1890 a déterminé la prescription applicable en matière de transports internationaux.^ V. les art. 12 et 45 de cette convention. (S. Lois ann,, 11* série, p. 602).

O Pillel, Gl., eC.n, et Princ. de dr. inlern, privé, p, 457,

FIN

'■it '

TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS CE VOLUME

CHAPITRE PREMIER

NOTIONS HISTORIQUES

(N"») Pages. i-2. Origines de notre législation sur la prescription 1

SECTION PREMIÈRE

DROIT ROMAIN

§ I. Prescription acquisilive.

3. De Tusucapion en droit romain 3

4. Première application. Transformation de la propriété bonitaire

en propriété quiritaire 4

5. Seconde application. De Taoquéreur a non domino avec juste

titre et bonne foi 4

6. Effets de l'usucapion 5

7 . Hypothèses restées en dehors de Tusucapion ancienne 5

8. PriescripUo longi temporis. Ses règles 5

9. Ktteis de prsescripUo longi temporis 6

10. Fusion de Tusucapion et la prϐcriptio longi temporis 7

11. Législation du Bas-Empire sur la prescription acquisitive 7

12. Possession immémoriale en droit romain 8

§ II. Prescription extinctive,

13. Prescription extinctive en droit romain. Constitution de Théo-

dose en 424 8

14. Législation de Justinien sur la prescription extinctive. 9

SECTION II

ANCIEN DROIT FRANÇAIS

15. Lois romaines et lois barbares

16. Pays de droit civil et pays de coutumes.

17. Prescription en matière mobilière

18. Ordonnances royales

19. Droit canonique

20. Privilèges en matière de prescription.. .

21 . Prescription immémoriale ,

22-23. Travaux préparatoires du Code civil

0

794 DK LA PRESCRIPTION

chapitre: II

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

§ L Définition. (N»«) Pages.

24.-25. Définitions de la prescription acquisitive et de la prescription

extinctive 16

26. Définitions différentes. Critiques 18

§ II. Fondement de la prescription.

27-29. Du fondement de la prescription, soit acquisitive, soit extinctive.

Sa nécessité sociale 20

30-31. La prescription est, en droit français, la preuve normale du droit

de propriété 26

32. Du fondement de la prescription extinctive dans certaines hypo-

thèses spéciales 28

33. Controverse ancienne. La prescription est-elle de droit naturel

ou de droit civil ? 29

§ III. Distinction de la prescription acquisitive et de la prescrip- tion extinctive.

34 . Règles communes aux deux prescriptions 30

35. Différences entre les deux prescriptions,. 31

§ IV. Distinction de la prescription et des déchéances.

36. Difficulté de distinguer les prescriptions et les déchéances 32

37. Des délais qui ne constituent pas des prescriptions 33

38. Des prescriptions qu'on a considérées, à tori, comme consti-

tuant des déchéances 34

Sd. Intérêt pratique de la controverse 36

40. Résumé des solutions proposées 40

§ V. A quel moment et comment la prescription peut et doit

être opposée.

41. La prescription doit ôtre opposée et n'opère pas de plein droit. . 41

42. Il n*y a pas de formule sacramentelle pour Topposer 43

43. Il suffit que le moyen résulte de Tensemble des conclusions

prises. Applications 43

44-45 II faut qu*il résulte des conclusions d'une manière non équivo- que. Applications 45

46. Le moyen tiré de la prescription ne peut ôtre suppléé d'office au

profit des mineurs et interdits 46

47. Application de l'article 2223 à toutes les prescriptions 47

48-50. De la règle d'après laquelle la prescription peut être opposée en

tout étal de cause, si on n'y a pas renoncé 47

51 . Elle peut l'être pour la première fois en appel 49

52. Elle ne peut l'être pour la première fois devantla Cour de cassation. 49

TABLE DES MATIÈRES 795

CHAPITRE m

DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION

(No.) Pages

53. On ne peut d*avance renoncer à la presciiption. 50

54. On peut renoncer à la prescription acquise 51

SECTION PREMIÈRE

DE LA RENONCIATION ANTICIPÉE A LA PRESCRIPTION

55. Caractère peu pratique des renonciations anticipées à la prescrip-

tion acquisitive 51

56. Leur distinction d'avec la reconnaissance par le possesseur de

la précarité de sa possession 52

57. Une renonciation anticipée à la prescription acquisitive peut être

interprétée comme une reconnaissance de précarité 52

58. Quelques applications de l'art. 2220 àla prescription acquisitive. 53 59-60. Importance de Fart. 2220 en matière de prescription extinctive. 54

61 . Application de l'art. 2220 à toutes les prescriptions 55

62. On nepeutconvepir que la prescription s'accomplira par un temps

plus long que celui flxé par la loi 55

63-64 />(>. Exceptions et tempéraments à apporter à cette règle. On peut

retarder le cours de la prescription 55

65-66. On. peut convenir, dans certains cas, d'une prescription plus

longue 58

SECTION II

DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION ACQUISE

§ I. Des cas il y a renonciation à la prescription.

67. Toute personne peut renoncer à la prescription acquise ........ 60

6:$. La renonciation peut être expresse ou tacite. De la renonciation

expresse 60

69. De la renonciation tacite. Appréciation souveraine des juges du

fond 61

70. Il faut que les faits invoqués impliquent nettement renonciation

à la prescription 62

71-73. Hypothèses de renonciation tacite en matière de prescription libé- ratoire 63

74. Application de la règle aux personnes civiles 64

75. Son application aux prescriptions abrégées stipulées parles com-

pagnies d'assurances 65

76-78. Hypothèses dans lesquelles il n'y a pas renonciation tacite à la

prescription libératoire 65

79. n peut y avoir renonciation à la prescription dans les actes de

procédure 66

80. Hypothèses de renonciation tacite en matière de prescription

acquisitive 67

81. Plypothèses dans lesquelles il n'y a pas renonciation tacite à la

prescription acquisitive 67

796 DE LA PRESCRIPTION

(N") Pages.

§11. Des car àclèr es juridiques de la renonciation à la prescription,

82. La renonciation à la prescription acquise ne constitue pas une

aliénation 6S

83. Conséquences de la règle 69

84. Il n'y a aliénation que si la prescription a été invoquée antérieu-

rement 63

85. Exposé de la théorie contraire •• . . . 69

85 bis. Critique d*un arrôt de la Cour de cassation dans ce dernier sens. 71

§111. Capacité nécessaire pour renoncer à une prescription acquise.

86. De la règle d'après laquelle il faut avoir la capacité d'aliéner

pour renoncer à la prescription acquise 72

87. Application au mineur et à l'interdit 72

88-89. Application à d*autres incapables 73

IK). Application d'une règle analogue aux mandataires 74

90 bis. Renonciation tacite au nom d'un incapablo 75

§ IV. Des effets de la renonciation à la prescription.

91 . EiTet relatif de la renonciation à la prescription acquise. 75

92. De la nouvelle prescription qui peut commencer h courir 75

SECTION III

DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION EN COURS

93-95. La renonciation à la prescription en cours équivaut à une recon- naissance inlerruplive de la prescription 76

CHAPITRE IV

DES CONVENTIONS QUI ABREGENT LE DELAI DE LA PRESCRIPTION

96-96/)i«. Validité des clauses qui abrègent le délai de la prescription.

Jurisprudence 77

96 ter. Il s'agit de prescriptions conventionnelles et non de déchéances. 80

97. Clause stipulant la déchéance du droit au remboursement des

titres sortis au tirage 80

98. Des clauses des contrats d'assurances fixant au jour de l'accident le point de départ du délai de prescription de Paction en

indemnité 81

99. Des clauses analogues en cas d'assurance de responsabilité des

accidents 82

100-100 fer. Des réclamations qui interrompent le cours de la prescription

abrégée 84

iOO quater. Dispositions du projet de loi sur le contrat d'assurance ...••• . 86 100 quinquies. On pourrait concevoir en législation la prohibition des

clauses abrégeant la prescription . 87

TABLE DES MATIÈRES 797

CHAPITRE V

DES EFFETS DE LA PRESCRIPTION

(^'") Pages.

i01-103/)w.Laprescriplion, mode d'acquisition ou de libération, opère

rétroactivement. Conséquences 88

104 . Elle laisse subsister une obligation naturelle. Renvoi 90

i05-109/)w. Elle peut être opposée par tout intéressé, alors même que le

possesseur ou débiteur y renonce. Applications de la règle. 92

liO* Des droits des créanciers du débiteur ou du possesseur 96

Jil-il2. Ils peuvent opposer la prescription si le débiteur néglige de le

faire 96

113-120. Peuvent- ils attaquer la renonciation à la prescription faite par

leur débiteur ? Controverse. Exposé des divers systèmes. . . 97

121 . Application de l'art, 2225 aux courtes prescriptions 102

CHAPITRE VI

DES BIENS ET DES DROITS SUSCEPTIBLES DE PRESCRIPTION

122. On ne peut prescrire que les choses dans le commerce 103

123. Corrélation entre la prescriptibililé et raliénabililé. Exceptions. 103

124. La règle s'applique à la prescription acquîsitive et à la prescrip-

tion extinctive 103

. SECTION PREMIÈRE

PRESCRIPTION ACQUISITIVE

125-129. La prescription acquisitive s'applique aux choses susceptibles de

possession. Applications 104

130. Elle ne s'applique pas aux droits personnels 106

131-132. Elle ne peut s'accomplir contrairement aux lois d'ordre public. 107

133. Elle ne s'applique pas aux minutes des actes notariés 108

134. ^ Elle ne s'applique pas aux noms patronymiques 108

134 Jb»-13i qninquies. Du rôle de la possession en matière d'acquisition

des noms. Examen de la jurisprudence 108

135. La prescription ne s'applique pas aux choses communes 114

136-143. Elle ne s'applique pas aux choses du domaine public. Appli- cations de la règle ..... 115

144. Suite. Bâtiments affectés aux services publics. Églises 118

145-145 bis. Suite. Objets mobiliers du domaine public 110

146-147. Règles de la loi du 30 mars 1887 (ari. 10, 11, 13), sur la condi- tion juridique des objets mobiliers présentant un intérêt

national au point de vue historique ou artistique 121

148-149. Des objets auxquels s'applique cette loi 122

150, Elle n'a pas modifié les règles précédemment admises par la

jurisprudence, quant à la domanialité des objets mobiliers

affectés à l'usage public ^ 124

151-152. Des effets du classement prescrit par la loi nouvelle 127

153. La loi du 30 mars 1887 n'a pas d'effet rétroactif.. 128

798 DE LA PRESCRIPTION

^Tvjo.j Pages.

154-155. Commenl cesse rimprescripUbilité du domaine public i2S

156. Les particuliers ne peuvent l'invoquer entre eux 1^

SECTION II

PRESCRIPTION EXTINCTIVE

157-158. Les droits qui sont hors du commerce ne peuvent s'éteindre par

prescription *^

159 . Application aux noms patronymiques 130

160. Les obligations imposées par des lois d'ordre public ne peuvent

s'éteindre par prescription ^31

161-165 bU. Les pures facultés ne peuvent s'éteindre par prescription.

Difficulté de préciser la notion de pure faculté i3i

.166. Les droits conventionnels «ont au contraire prescriptibles 138

167-168 bis. Il en e?t autrement s'il s'agit de facultés légales réservées par

une convention 133

169. Des droits procédant de l'essence ou de la nature du contrat. .. 140

170-172. Les pures facultés ne peuvent devenir prescriptibles à la suite

d'une interversion 1*1

173. Imprescriptibilité du droit du porteur d'un billet de la Banque

de France •• 1**

174. Renvoi à l'art. 2262 pour l'examen d'autres difficultés sur la

prescriptibilité de certaines actions 143

CHAPITRE VII

DES PERSONNES QUI PEUVENT INVOQUER LA PRESCRIPTION ET DBS PERSONNES CONTRE LESQUELLES ELLE COURT

175. La prescription, acquisitive ou libératoire, court contre toutes

personnes ou au profit de toute personne ; application aux personnes morales du droit public 143

§ I. UÉlal.

176-177, L'Étal est soumis aux prescriptions de droit commun et peuts'en

prévaloir 144

178-182. Application au o maine privé de l'État. Distinction du domaine

privé et du domaine public 144

183. De l'ancien domaine de la couronne 147

§ II. Les communes.

184-185. Application du droit commun aux communes 148

185 bU. Elles peuvent se voir opposer la prescription par l'Étal 148

186-187. Terres vaines et vagues. Lois de 1792 et 1793 148

188. Application du droit commun aux sections de commune 151

189. Le maire d'une commune ne peut prescrire contre elle les biens

communaux 151

TABLE DES MATIÈRES 799

(N") Pageâ.

§ III. Les éUblissemenls publics,

190>i91 . Application du droit commun aux établissements publics et d'uti- lité publique 151

CHAPITRE VIII

DE LA POSSESSION.

SECTION PREMIÈRE

NOTIONS GÉNÉRALES

§ I. Définitions.

192-195 . Déflnitions de la possession 152

196. Il n'y a pas à distinguer la possession et la quasi-possession.... 154

197-198. La possession suppose ranimai domini 155

199. Caractère traditionnel de cette solution en droit français 157

199 bis, ' Théorie contraire d'Ihering 159

199 ter. Théorie de M. Saleilles 159

199 quaier. Indication sommaire des dispositions des lois étrangères.... 160

199 qninqnies. Projet de Code civil suisse 161

199 «exies. Conclusion en faveur de la solution traditionnelle 162

§ II. Des droits susceptibles de possession.

200. La possession ne s'applique pas à tous les droits 163

201 . Elle ne s'applique pas aux créances 164

202. Elle ne s'applique pas aux hérédités 164

§ in. Z)e la nature juridiqne de la possession.

203. La possession est-elle un fait ou un droit ? 165

204-205. Il n'y a pas à distinguer, comme en droit romain, plusieurs

espèces de possession 167

206. Une chose ne peut Hre possédée par deux personnes* chacune

pour le tout 168

§ IV. Du fondement de la possession.

207-211. Controverse sur le fondement de la protection accordée à la pos- session. Exposé des opinions émises à ce sujet 169

212. Solutions proposées. 172

SECTION H DE i/acolisition, de la con'sebvation et de la perte de la possession

213. Caractère Iradllionncl des règles de celte théorie 173

8 DE L^ PRESCRIPTION

(N»') Pages.

§ I. De Vacqnisilion de la possession et des éléments constitutifs

de la possession.

214. Des deux élémenls de la possession 173

215-216. De VAnimn» domini 174

217-226. De rélément corporel de la possession. DisUnctions et contro- verses sur ce point 175

227. On peut acquérir la possession par l'intermédiaire d*une autre

personne 182

§ II. De la conservation de la possession.

228-231. Distinction de la possession mobilière et de la possession immo- bilière. Wanimus suffit pour la conservation de la posses- sion immobilière. Sens et applications de cette règle 184

§ III. Z)e la perte de la possession.

232.. Perte volontaire de la possession 187

233-234. Perteforcée 187

235. . . Perte de la possession des choses mobilières 1$8

236. Choses éjçarées 188

SECTION UT

DEi' EFFETS DE LA POSSESSION

237. Avantages attachés à la possession 189

CHAPITRE IX

DE LA POSSESSION AU POINT DE VUE DE LA PRESCRIPTION

SECTION PREMIÈRE

DES gUALIÏiîS REQUISES PUUIl QUE L.\ POSSESSION CONDUISE A LA PHESCRIPTIOX

238. Des qualitésdela possession requises pour la prescription acqui-

sitive..... 190

§ I, La possession a V effet de prescrire doit être continue et non

interrompue.

239-240. De la continuité 191

241 . La possession doit être non interrompue 193

242-243. Distinction de la discontinuité et de Tinterruplion 194

244-247. Preuve en matière de discontinuité et d'interruption. Présomp- tion établie par la loi. Elle s'applique en réalité à la preuve

de la posse.ssion elle-même w . . 193

248. La possession ancienne ne fait pas présumer la possession

actuelle ni inversement 197

TABLE DES MATIÈRES 801

(N") Pages.

249. Caractère absolu du vice .de discontinuité. Distinction en ce qui

concerne Tinterruption 198

250. Le vice de discontinuité se lie aux vices de tolérance et de clan-

destinité , 199

§ II. La possession doit être paisible.

251. Les actes de violence ne peuvent fonder une possession utile.. 199

252. . La possession devient utile quand la violence a cessé 200

253- . La violence dont use le possesseur pour se maintenir en posses- sion n*empéche pas la possession d*étre utile 201

254. Théories différentes 201

255-256. Caractère relatif du vice de violence. Controverse 203

§ 111. La possession doit être publique,

257. De la clandeslinilé 204

258-259. Caractère relatif du vice de clandestinité. Controverse 204

260-261 . Il suffit que la poî^session ait pu èlre connue \ 205

262. La possession devient utile quand la clandestinité a cessé 206

263. Examen de la jurisprudence 207

§ IV. La possession doit être à litre de propriétaire ,

A. De la possession précaire.

264-265. Des possesseurs précaires 208

266. Le vice de précarité est absolu 209

267. Notion différente de la précarité en droit romain 209

268. Distinction à faire parmi les détenteurs précaires 210

269. De ceux qui sont possesseurs précaires dans le sens romain.. . 210 270-271. Preuve de Tanimn» (fomini. Présomption établie par la loi.... 211 272-273. Celui qui a commencé h posséder pour autrui doit être présumé,

sauf preuve contraire, posséder au même titre 212

B. Des actes de pure faculté et de simple tolérance.

274. . La règle de l'art. 2232 sur les actes de pure, faculté et de sim- ple tolérance vise la prescription acquisiti ve 213

275-276. Sens de la règle 214

277-278. Applications de la règle d'après laquelle les actes de pure faculté

ne peuvent fonder la possession ni la prescription 215

279. L'art. 2232 est étranger h la règle de rimprescriplibililé des pures

facultés 216

280. Théorie qui restreint l'art. 2232 aux servitudes négatives 217

281 . Critique de cette théorie 217

282. Les actes de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni

prescription 219

283 . Application aux servitudes 220

284. Caractère absolu du vice de tolérance 221

285. Application de la règle en matière de possession des chemins.. 221

PRSSGR. 51

I

802 DE LA PRESCRIPTION

(N»") Pa§res.

286. Peut-il y avoir interversion de la possession exercée à titre de

pure Taculté ou par suite de simple tolérance f 222

§ V. La possession doit être non équivoque.

281, Cette condition n*est pas distincte des précédentes 1^23

288. Autre théorie 224

289. L'intérêt pratique de la règle apparaît surtout au point de vue de

Vanimus domini 224

290. La possession d'un communiste est équivoque •. . . 226

891 . Le communiste peut prescrire si sa possession a été exclusive.» 227

292. Applications de cette règle par la jurisprudence 227

293. L'interversion de fait de sa possession n'est pa8 soumise k

l'art. 2238 227

294 . La possession des chemins est souvent équivoque 228

SECTION II

I

DE lA PREIA'E DE LA POSSESSION

295. Preuve mise à la charge de celui qui invoque la preecciptlon... 229

296. Preuve de la possession 230

297. Appréciation des faits de possession. Pouvoir des juges du fond^ 230

SECTION ni OK l'Étendue de la possession et de i.a presciuptiok

298. La possession sert de mesure à la prescription 233

299-300. Applications 234

301 4 La prescription du principal fait acquérir Taccessoire 235

CHAPITRE X

DE LA PRÉCARITÉ

302. IjC chapitre III du titre De 2a prescription n'a trait qu'à la pré-

carité 236

^l. De ceux qui sont possesseurs précttires.

303. Knumération des possesseurs précaires 236

304. De l'usufruitier, de l'usager, de l'emphytéote 237

304 bis. Du gagiste et de l'antichrésiste 238

305. Des communes usagères 238

306. Du vendeur qui conserve la chose après paiement du prix 238

307. Des administrateurs des biens des personnes morales 240

308. Des concessions faites par l'État ou les communes 241

309. Du possesseur qui a reconnu le droit de propriété d'un tiers. ... 241

310 . De la caisse des dépôts et consignations 242

311-313. Elle peut opposer la prescription de droit commua soit pour les

capitaux, soit pour les intérêts. Loi du 16 avril 1895 244

TAfiLE DES MATIÈRES 803

{S**) Pages.

§ II. Des effets de la. précarité,

314. Les déienleurs précaires ne prescrivent jamais 245

315. L'aelion en revendication est possible contre eux après la pres-

cription de Taction personnelle en restitution 246

316. La précarité est un vice absolu 248

317. La précarité est un vice perpétuel et est opposable aux ayants

cause universels 248

318. Klle n'est pas opposable aux ayants cause \i titre particulier. . . . 249 319-320. Applications de la règle 250

321 . Cas le détenteur précaire siireède à son acquéreur ou inver-

sement 251

322. La précarité est un vice indélébile. Applications 251

323. Celui qui n'a pas de titre est mieux traité que le possesseur pré-

«aire 252

324. Oitique de la règle qui fait de la précarité un vice perpétuel et

indélébile 253

325-326» On peut prescrire an delà ou en dehors de son titr(> ^ . . . 254

§ m. De l'interversion de litre,

327. Des causes d*interversion du titre du possesseur précaire 255

328. a). Cause venant d'un tiers 256

329. Il n'eat pas nécessaire que le titre nouveau soit notifié 257

330. n n'est pas nécessaire que le détenteur soit de bonne foi 257

331. Le titre nouveau peut émaner de celui pour qui le possesseur

précaire détenait la chose ^ '256

332. La loi du 10 juin 1793 n'a pas inter\'erti le titre des communes

usagères 258

333. h). Contradiction opposée au droit du propriétaire 259

:)34-336. Applications de la règle. Des abus de jouissance ne sont pas tou- jours une contradiction au droit du propriétaire 260

337. Preuve de l'interversion 262

§ IV. JJe h règle qu^on peut prescrire contre son titre au cas de prescription extinctive,

338. Kn matière de prescription libératoire on prescrit contre son litre. 263

339. Au cas de contrat synallagmatique, chaque partie peut invoquer

la prescription alors même que Tautre partie a^ exécuté son obligation ; 263

340. Tbéorie contraire de Merlin. Règle des corrélatifs 264

CHAPITRE XI

DE LA CONTINUATION ET DE LA JONCTION DBS POSSESSIONS.

341-343. Règle de la jonction des possessions. En quoi elle consiste... 265 344. L'usurpateur ae t>eut invoquer que sa propre possession.,,..,. 267

804 DE LA PRESCRIPTION

345. Le nu propriétaire peul invoquer la possession qu'il a eue par

rintermédiafre de l'usufruitier 267

346. Distinction des ayants cause à titre universel et des ayants cause

à litre particulier au point de vue de la jonction des possessions 267

347. a). Ayants cause à titre universel. Ils continuent la possession

de leur auteur, pourvu qu*il n*y ait pas eu dMnterruption . . 268

348. Ils la continuent avec ses qualités et ses vices 270

349. Cette règle n'a d'intérêt que quant à la précarité et se confond

avec une règle précédemment étudiée •• 271

350. . b). Ayants cause à titre particulier. Il y a deux possessions indé-

pendantes que l'ayant cause joint s'il y a intérêt 271

351. Pour la prescription de 10 à 20 ans^ il faut .que la bonne foi ait

existé au début de chaque possession. Controverse 272

352. Il peut y avoir jonction de plus de deux possessions 273

353. L'ayant cause particulier peut dissocier les deux possessions et

n'invoquer que l'une d'elles 273

354 . Cette solution dérivait déjà d'une règle précédente 274

355. Un auteur ne peut joindre k sa possession celle de son ayant

cause 275

356. Des successeurs à titre particulier auxquels s'applique la règle . 275 357-363. Le possesseur qui a perdu la possession par suite de l'usurpation

d'un tiers et qui s'est fait restituer la chose usurpée peut-il joindre à sa possession celle de l'usurpateur ? Examen des divers systèmes 276

CHAPITRE XII

DU POINT DE DÉPART ET DE LA SUSPENSION DE LA PRBSCBIPTIOX

SECTION PREMIÈRE

NOTIONS GÉNÉRALES

364 . Point de départ de la prescription . Distinction 281

365. - Interruption et suspension « 281

366. La prescription court contre toute personne, sauf les exceptions

établies par la loi 282

367. Règle différente de l'ancien droit : Contra non valenlem agere

non curril pnescriptio 282

368 . Les rédacteurs du Gode civil l'ont repoussée 283

369. La jurisprudence continue à l'appliquer. Critique 285

370. Applications de la règle en jurisprudence. Cas de force majeure. 286

371. Ignorance de ses droits par le propriétaire ou le créancier 287

372. Convention mettant obstacle à l'action 289

373. Des applications anciennes de la règle écartées par la jurispru-

dence 2^

374 . I>a jurisprudence distingue les causes de suspension relatives à

la personne et les causes étrangères à la personne 291

375. Critique de cette distinction t 292

TABLE DES MATIÈRES 805

(N-) Pages.

375 bis. Prêt fait à un incapable. Prescription de l'action de in rem

verso 293

376-377. Distinction proposée des obstacles de fait et des obstacles de droit. 293

378. Critique de cette seconde distinction 296

379. Le juge ne peut relever le créancier ou le possesseur des suites

de la prescription accomplie 297

SECTION II

DU POINT DE DÉPART DE LA PRESCRIPTION

380. Du point de départ des prescriptions acquisitive et libératoire.. 297

§ I. Prescription extinctive.

381. Tout droit se prescrit dès qu'il est né. 298

382. Application aux rentes 298

383. Exceptions à la règle 299

384. La prescription ne peut courir quand le droit n*est pas 300

384 bis. De la règle Actioni non naiae non prœscribitur 301

385. Le point de départ est retardé en cas de condition, de terme, et

pour l'action en garantie 302

386-389. Fondement de la règle. Elle ne repose pas sur la maxime Con-

trà non vAlentem agere 303

390. Application aux créances à terme 305

391-392 bis. Application aux créances conditionnelles 306

393. Application aux actions en garantie 308

§ II. Prescription acquisitive.

394. Elle commence avec la possession. Cette règle s'applique-t-elle

h regard de celui qui a un droit réel à terme ou suspendu

par une condition ? Controverse 309

395. La jurisprudence étend ici la règle de Tari. 2257 309

396. Exposé de la théorie contraire 309

397. Critique de la jurisprudence 312

398. Applications de la théorie exposée 313

399. Suite. Immeuble grevé d*usufrait 314

400. Suite. Droit de retour réservé par le donateur 314

401. Suite. Vente ou échange sous condition 315

402. Suite. Hypothèque conditionnelle ou à terme 315

403. Ceux qui ont des droits conditionnels ne peuvent invoquer de

causes de suspension du chef de Tacquéreur dont le droit

est résolu 316

404. La théorie admise s'applique alors mt^me que l'acquéreur n'a pas

reçu la propriété expressément comme libre et complète.. 317

405. Le tiers acquéreur peut invoquer la prescription de trente ans alors

même qu'il a connu les droits conditionnels existant sur la chose 317

406. Il n'y a pas à distinguer entre l'usurpateur ou l'acquéreur a non

domino et l'acquéreur qui tient ses droits du propriétaire sous coniUlion résolutoire 318

806 DE LA PRESCRIPTION

(No.) Pages .

407. Cas exceptionnel de la révocation des donations pour cause de

surveoance d'enfanis 319

408. Cas d'un bien grevé de substitution 319

409-410. La prescription acquisitive court contre Tappelé, même avant

l'ouverture de la substitution 320

411. Théorie d'après laquelle la prescription acquisitive ne court pas

contre ceux qui ont un droit éventuel sur la chose 323

412-413. Applications de la théorie 323

414. Critique de la théorie , 324

SECTION in

DBS CAUSES QUI SUSPENDENT LE COURS DE LA PRESCRIPTION

415. Suspension de la prescription. Notions générales 3fô

416 . La suspension peut se produire au début de la prescription 326

'417. Classement des causes de suspension admises par le code civil. 327

§ I. Des mineurs et des interdits.

418-420 . La prescription est suspendue au profit des mineurs et interdits.

Motifs et critiques de la règle 328

421-422. Applications de la règle •• 331

423. La règle ne s'applique pas aux aliénés non interdits, aux prodi-

gues et faibles d'esprit pourvus d'un conseil 332

424 . La règle ne s'applique pas aux courtes prescriptions 333

425. Autres cas exceptés par la loi 333

§ IL Des femmes mariées.

426. La prescription court contre les femmes mariées 334

427. Le mari doit interrompre la prescription 335

428. La règle s'applique aux biens dont la femme a l'administration. 336

429 . La femme peut toujours interrompre la prescription 336

430. Cas exceptionnels de suspension au profil de la femme mariée.. 336

431 . Femme mariée sous le régime dotal. Renvoi 336

432-433. Cas la femme doit opter entre l'acceptation et la renonciation

k la communauté. Portée exceptionnelle de la règle 336

434. Applications de la règle 337

435. La prescription court après la dissolution de la communauté... 338

436. Cas l'action de la femme réfiéchirait contre le mari 338

437-440. Applications de la règle 339

441 . La règle s'applique à l'une et à l'autre prescription 340

442\ Elle s'applique après la séparation de biens et la séparation de

341 corps ***■■

443. Il n'y a pas de règle analogue pour le mari 34i

§ III. Suspension de la prescription entre époux.

444. Suspension de la prescription entre époux. Motifs 341

445. Applications de la règle. , 342

TABLE DES MATIÈRES 807

(N") Pages

446. Elle s'applique après la séparation de corps 342

446 bis. Cas le mariage est annulé » « . 343

§ IV. De V héritier bénéficiaire.

447. Suspension de la prescription au profit de rhéritier bénéficiaire

pour sa créance contre la succession 343

448. Elle a lieu pour toute la créance contre la succession, mais non

contre les cohéritiers de l'héritier bénéficiaire 345

449-450. Autres théories 345

451 . La règle ne s'applique pas aux actions réelles 346

452. La suspension cesse lors de la reddition du compte 346

453-4532)». Il n*y a pas de suspension au profit de la succession ni ded

créanciers de la succession acceptée sous bénéfice d'inven- taire 346

§V. Hypothèses dans lesquelles la prescription n^ est pas suspendue.

454-455. L*énumération des causes de suspension est limitative 347

456. La prescription court contre une succession vacante. ^ 347

457. Elle court pendant les 3 mois et 40 jours pour faire inventaire

et délibérer 348

458. La prescription n'est pas suspendue pour lesijdroits des adminis-

trateurs légaux contre les personnes dont ils administrent les biens ni inversement 349

459. Elle n'est pas suspendue pendant Tindivision au profit des héri-

tiers 350

460. Elle n'est pas suspendue au profit du créancier d'une succession

usufruitier des biens qui la composent 350

461 . La faillite n*est pas une cause de suspension de la prescription. 350

462. La prescription court pour les actions des fonctionnaires contre

TÉtat 351

§ VI. Effets de la suspension de la prescription. 463-464 . Effet relatif de la suspension de prescription 351

CHAPITRE XIII

DE l'interruption DE LA PRESCRIPTION

SECTTION PREMIÈRE

DES a\lJSBS QUI INTERROMPENT LA PRESCRIPTION

§ I. Généralités.

465 . Interruption naturelle et interruption civile 352

466. Droit romain ,.. 353

467. Ancien droit. 35i

808 DE LA PRESCBIPTION

(N<»«) Pages

§ II. Interruption naturelle.

468. A quelles prescriptions elle peut s'appliquer 355

469-470. Prescription acquisitive. Dans quel cas il y a interruption de la

prescription par le fait d*un tiers... 355

471-472. II faut une dépossession complète et non une simple cessation de

jouissance 356

473. Interruption par suite d'abdication de la possession 357

474. La possession n*est pas perdue si le délenteur précaire cesse de

posséder pour autrui et prétend posséder pour lui-même . . . 35&

475. Interruption naturelle en matière de prescription extinctive des

servitudes 359

§ III. Interruption civile,

476 . Notions générales 359

A. Interruption civile résultant d*une interpellation.

477. Des actes constituant interpellation interruptive de prescription. 360

478-481. L'énuméralion est limitative. Applications de la rèfçle 360

482-484. Par qui peut être signifié l'acte interruptif. A qui il doit rétre.. 362

485. De l'interruption des prescriptions conventionnelles abrégées... 363

1. Citation en justice. 486-487. Toute demande en justice est interruptive. Applications de cette

règle 366

488. La citation en conciliation est interruptive 368

469-490. .Cas le préliminaire de conciliation n'est pas obligatoire. Con- troverse 369

491. Comparution volontaire suivie de non-conciliation 370

492. Demande reconventionnelle en conciliation 371

493 . Avertissement devant le juge de paix 371

494-495. Citation en référé 371

406-497 . Citation devant un juge incompétent 373

497 bi$. Citation en conciliation devant un juge de paix incompétent.... 374

498. LMnterruplion est non avenue si la citation est nulle en la forme. 375 409. Cas il n'y a pas eu préliminaire de conciliation ou mention

de la tentative de conciliation dans Tassignation 377

500 . Nullité pour défaut d'autorisation requise 378

501 . 11 faut que la nullité soit prononcée 378

502. L'interruption est non avenue en cas de désistement 378

503 . 11 en est de môme au cas de péremption d'instance 379

504-505 Ai». Il en est de môme si la demande est re jetée. Intérêt de celte

règle. Applications 380

506. Cas il y a jugement de sursis 382

507. L'appel est interruptif, mais non suspensif 382

508. Effets de la péremption de l'appel 383

509. Action intentée par le débiteur en nullité du titre de créance... 383

510. Y a-t-il interruption en cas de faillite? 384

511. Y a-t-il interruption en cas de compromis? 384

TABLE DES MATIÈRES 800

(N**) * Pagres.

2. Commandement.

512. Notion générale du commandement 385

513. La règle ne s'applique pas au commandement précédant la sai-

sie-gagerie 385

514. n n'est pas nécessaire que le commandement soit suivi de saisie. 386

515. Le commandement doit être régulier 386

516. La signification de Tart. 877 G. civ. n*est pas assimilable à un

commandement 386

517. La sommation de payer ou délaisser est un commandement. . . . 387

518. Hypothèses douteuses 387

3. Saisie.

519. Utilité de Tintemiption par suite de saisie 387

520 . Saisie-arrêt 388

521. La saisie doit être dénoncée 388

522. L'interruption par suite de saisie s'applique-t-elle en matière de

prescription acquisitive ? 389

523. L'effet interruptif de la saisie-immobilière s'étend à tous les-'

créanciers inscrits Joints à la procédure 389

4. Hypothèses prévues par des lois spéciales.

524-526. Indication de certaines causes d'interruption de la prescription

établies par des lois particulières 390

B. Interruption civile résultant de la reconnaissance de celui qui prescrit.

527. Motif de la règle 391

528. La reconnaissance interruplive de prescription est un acte unila-

téral 391

529. De quels actes et de quels faits elle résulte. Reconnaissance

expresse 393

530. Reconnaissance tacite 394

531. Application de la règle à toutes les prescriptions 396

531 bis. Application aux prescriptions conventionnelles 397

532. Prescriptions abrégées en matière d'assurances. Nomination

d'experts; 397

533-535. Capacité requise pour la reconnaissance interruptive de pres- cription. Prescription acquisitive 399

536-537. Suite. Prescription extinctive 401

538. Preuve de la reconnaissance 402

SECTION II

DES EFFETS DE l'iNTERRVPTION

539. DifTérents points de vue à envisager 403

§ I. Du point de dépari et des caractères de la nouvelle prescription,

540. Distinction 404

54i . Interruption naturelle 404

810 DE LA PRESCRIPTION

(N*-) Pages.

542. Interruption civile résultant d'une demande en justice 404

543-544 . Durée de Teffet interruptif d'une instance 406

545. Application de la règle aux courtes prescriptions 407

546. Cas de la citation devant un juge incompétent , 407

547. Cas de la faiUite 407

548. Interruption par suite de saisie 407

549 . Interruption par suite de commandement 408

550. Interruption par suite de reconnaissance 408

551. La nouvelle prescription a le même caractère que l'ancienne... 408 551 hi» . Examen de la question pour les prescriptions conventionnelles . . 409 552-554. Exceptions à la règle 410

§ II. A quelles personnes s*élend t interruption de la prescription.

555 . Caractère absolu de Tinterruptlon naturelle 413

556-557 . Caractère relatif de l'interruption civile 413

558. L*fnterruption faite par un héritier ne profite pas à ses cohéritiers. 415

559. L'interruption dirigée contre un héritier ne nuit pas aux autres. 415

560. L'interruption émanée d'un créancier solidaire profite aux autres

créanciers 416

561-563. L'interruption dirigée conlre un débiteur solidaire nuit aux

autres débiteurs 416

564. Cas un des codébiteurs solidaires a laissé plusieurs héritiers. 418 565-566. L'interruption dirigée contre le débiteur principal produit effet

contre la caution 419

567-568 bis. L'effet interruptif s'étend aux autres intéressés en cas d'indi- visibilité 420

569-570 . Autres hypothèses dans lesqueHes l'effet interruptif â'étend à d'au- tres personnes 42î

§ III. A quels droits s^étend rinferruptiofi de la prescription.

571 . Elle ne s'étend pas d'une action à une autre 423

572. Cas de deux actions provenant de deux rapports juridiques dif-

férents *,. 423

573. Cas de deux actions provenant d*un même droit contre deux per-

sonnes différentes 424

574. Cas de deux actions provenant d'un môme rapport juridique con-

tre une même personne 425

575-576. Cas une demande est virtuellement comprise dans une autre. 425

577. Action ayant un caractère universel 426

578. La demande d'intérêts interrompt la prescription pour le capital

et inversement » 426

CHAPITRE XIV

DU CALCUL DU DÉLAI DE LA PRESCRIPTION

579. La prescription se compte par jours 427

580-581 . Du dies a qao et du dies ad quem 427

TABLE DES MATIERES 811

(N«») Pages.

582. Substitution du calendrier grégorien au calendrier républicain en

1807 A29

583. Jours férié» 4^

CHAPITRE XV

DE LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE

584. Principe de l'art. 2262 431

SECTION PREMIÈRE

DES DROITS EN DES ACTIONS SOUMIS A LA PRESCRIPTION TRENTENAIRE

5fô-586. Tous les droits sont en principe soumis à la prescription 431

587. Le délai de la prescription est en principe de trente ans 433

587 bis. Critique decette règle. Législations étrangères. Projets de réforme 434

588. Les prescriptions spéciales sont soumises, sauf dérogation, aux

règles de droit commun 430

589. La prescription ne s*applique pas à Taction ayant pour objet de

faire constater l'inexistence d'un acte 437

590. Elle ne s'applique pas aux nullités d'ordre public 440

591 . Les autres nullités se prescrivent en principe par trente ans. . . . 441

592. Le droit de propriété ne peut s*éteindre par non usage 441

593-594. L'action en revendication ne s'éteint pas par la prescription de

trente ans. Controverse 442

595. Application de Tart. 2262 aux actions en divorce et en sépara-

lion de corps 445

596. Inscription des instances 446

597. Prescription du droit résultant d'un jugement 447

598. Prescription du droit d'appel ou du droit de se pourvoir en cas-

sation. Quid du droit d'opposition ? 448

599 . Prescription du droit de faire tierce-opposition , 449

599 bi" Prescription de la prise à partie 450

600- .. La prescription de trente ans est celle du droit commun. Appli- cations , 450

. bis. Prescription des sommes déposées aux caisses d'épargne 451

.J3. Prescription des sommes déposées à la caisse des consignations. 452

604. C'est une prescription et non une déchéance 453

605. Prescription des intérêts 454

606. Formalités à remplir par la caisse des consignations 454

607. Interruption de la prescription 454

608. Cette prescription est-elle suspendue au profit des mineurs et

interdits ? 455

609. Théorie d'après laquelle la prescription n'atteint pas les excep-

tions aussi bien que les actions 455

610. Jurisprudence en ce sens 458

611 . Restrictions apportées à la théorie « 459

612. Théorie contraire 460

612 Jbis-612 ter. La prescription n'atteint pas les accessoires d'un droit

principal régulièrement conservé. Applications 462

812 I)£ LA PRESCRIPTION

(N««) Pages.

612 quater. Du légataire universel resté plus de trente ans sans demander

la délivrance de son legs 463

612 quinqnies. Même question pour le légataire d*un immeuble 464

612 sexies, Quid pour le légataire d'une créance ? 464

SECTION II

DES CONDITIONS REQUISES POUR LA PRESCRIPTION DE TRENTE ANS

613. La presciiption Irentenaire n'exige ni litre ni bonne foi 464

614. Elle n'exige pas de titre *^

615. Cas il y a un titre non transcrit 464

616. La bonne foi n'est pas requise *"^

617-618. Difficultés soulevées à cet égard dans l'ancien droit 466

619. Justification de la règle admise par le Gode civil *^*

SECTION III

EFFETS DE LA PRESCRIPTION TREXTEN.URE

620. La prescription de ti*ente ans fait acquérir la propriété 470

SECTION IV

TITRE NOUVEL

621 . Prescription de la l'ente 472

622. Difficulté de prouver les paiements interruptifs 473

623. Droit pour le créancier d'obtenir un titre nouvel 474

624-625. Cas d'application de l'art. 2263.. . , 475

CHAPITRE XVI

DE LA PRESCRIPTION DE l'aCTION CIVILE NEE d'uN DELIT

626-627. Règles spéciales sur la prescription de l'action civile née d'un

fait délictueux « 477

628. Ces règles s'appliquent-elles à l'action civile portée devant un

tribunal civil ? Controverse dans l'ancien droit 478

629-631 . Examen de la question dans la législation actuelle 480

632. Cas le fait n'a pas été l'objet de poursuite criminelle 483

633 . Cas le fait délictueux a été poursuivi au criminel 485

634. Cas il y a eu acquittement 486

635. Cas il y a eu transaction 487

636. Cas l'action civile est exercée contre les béritiers 487

637. Cas l'action civile n'a pas sa source dans le délit lui-m^me. . 488

638 . Suite. Action en restitution d'une cbose volée A90

639. Examen de la jurisprudence. . . s 490

640-642. Des actions nées du délit qui n'ont pas pour objet la réparation

du dommage. 492

643 . De l'action en responsabilité à raison du fait d 'autrui 494

643 bis. Point de départ de la prescription de l'action civile 495

TABLE DES MATIÈBES 813

(N"") Pages. 644-645. Des actes de poursuite qui interrompent la prescription de l'ac- tion civile 495

646. De la nouvelle prescription qui court après rinterniplion 497

647. Autres causes d'interruption 497

648-649. Y a-t-il des causes de suspension i 498

CHAPITRE XVII

DE LA PRESCRIPTION PAR DIX ET VINGT ANS

fôO. Idée générale de la prescription par dix et vingt ans 500

651-652. Elle ne s'applique qu'aux immeubles 500

653 . Elle s'applique k l'usufruit d'un immeuble 501

SECTION PREMIÈRE

CONDITIONS REQUISES POUR IJV PRESCRIPTION DE DIX A VINGT ANS

654 . Juste titre et bonne foi 501

§ I. Du juste titre,

655. Notion du juste titre 502

656. Il n'y a pas à s'occuper des vices du titre de raliénalciir 503

657. Hypothèses il y a juste titre 50

658. Le titre d'héritier n'est pas un juste titre 505

659-660. Le partage n'est pas un juste titre 505

661-662. Partages qui constituent des justes litres i 507

663. Des jugements 507

664 . Des transactions 50l>

665. Lois spéciales attribuant des masses de biens 509

666. De celui qui possède au delà de son titre 50i>

667. Du titre nul par défaut de forme 510

668-671 . Des autres causes de nullité du titre 510

672-672 bis. Titre soumis à une condition résolutoire -, 514

673. Titre soumis à une condition suspensive 515

674. La transcription du titre n'est pas nécessaire 51G

675. Application aux donations non transcrites 517

676. Cas l'acquéreur qui n*apas transcrit ne peut opposer la pres-

cription de dix tt vingt ans 518

677-677 bis. De la preuve du juste litre 518

§ IL De la bonne foi,

678-679. En quoi doit constituer la bonne foi 519

680. De l'erreur de droit 521

681-682. Du cas l'acquéreur a connu les causes de nullité de son acqui- sition 522

683. La bonne foi est présumée 525

684. Quid au cas d'erreur de droit ? 526

685-686. Elle doit exister lors de l'acquisition 526

814 DE LA PRESCRIPTION

(N") Pages.

687. Cas la prescription a été inteiTompue 528

088. Du titre putatif dans Tancien droit 529

689. Il ne suffit iws pour la prescription de dix à vingt ans 530

SECTION If

DU DÉLAI DE LA PRESCRIPTION DE DIX A VINGT A^'S

690-691 . Gominent se détermine le délai de la prescription 531

^92. Cas le propriétaire a eu plusieurs résûlenees successives..... 534

693. Cas de plusieurs copropriétaires 535

694. Cas de TÉtat propriétaire... 535

SKGTION III

BFFKTS DE LA PRESCRIPTION DE DIX A VINGT AîiS

695. Elle fait acquérir la propriété 5^

696-697 . Cas Timmeuble possédé était grevé de droits réels 536

698. Des actions en nullité, rescision, résolution du chef d'un précé-

dent vendeur , . -538

699. Des actions en nuURé, rescision ou résolution du titre du posses-

seur ..^ 538

700. De ractioR paultenne 53«

CHAPITRE XVIII

DBS PRESCRIPTIONS DE DIX ANS

701 . Appltsations diverses de la prescription de dix ans^. 54#

702. IVeseription de dix ans<ie Taction contre les arckitectes et enàrc-

preneui*s 54^

703 . M s*agil de la responsabilité contractuelle 642

704. La prescription de dix ans s'applique aux travaux publies 542

705. L'architecte est déchargé si aucun vice n'e^t i-évélé dans tes

dix ans 543

705 bis. Point de dépari de ce délai 544

706-709 bis. Quelle est la durée de l'action si un vice est constaté dans les

dix ans ? Examen des diverses théories. Jurisprudence 544

710. Il n'^ a pas lieu d'appliquer les causes ordinaires de snspeanoa. 553

71 1 . t^s de dissimulation frauduleuse des vices , 553

711 bis. Preuve à la oliarge des architectes et entrepreneur». 553

CHAPITRE XIX

DBS COURTES PRESCRIPTIONS

712 . PrescFiplions inférieures à six mois 554

TABLE DES MATIÈRES 815

(N*") Pages.

SECTION PREMIÈRE

PRESCRIPTIONS DE SIX MOIS, D*UN AN KT DE DEUX ANS

§ I. Prescription de six fnois.

713. Énumération 555

714. Action des maîtres et instituteurs 556

715. Créances des hôteliers et traiteurs 556

716. Actions des ouTriers et gens de travail 558

717. La règle s 'applique- t-elle aux entrepreneure? 558

718. De celui qui vend des objets confectionnés par lui 560

718 bis. Réparation du dommage causé aux récoltes par le gibier 561

§ IL Prescription cTun an,

719 . ÉaunératioD 56i

719 719-<er. Prescription d'un an de la responsabilité des accidents dn

travail; loi du 9 avril 1898 562

719 quêter. Prescription d'un an en droit commercial et en droit fiscal... . 563

720-721. Actions de« huissiers , 563

722. Actions des marchands contre les particuliers 565

723-723 JbM. La règle s'applique à tous les marchands, mais t^eulemeot a«x

marchands , ^ . . 566

724. S'applîque-t-elle aux entrepreneurs ? 567

725. N faut que les fournitures aient été faites k des particuliers 568

726. Créances des maîtres dp pension 569.

727. Salaires des domestiques 569

§ III. Prescription de deux ans.

728. Enumération 570

729. Actions des médecins, chirurgiens, elc 571

730. La règle s'applique aux médecins-vétérinaires 572

731. S'applique-t-eUe aux médicaments et appareils fournis par le»

médecins? 5T3

732. Des médicaments fournis aux médecins par les pharmaciess. . . . 574

733. Point de départ de la prescription ^ 574

734-736. Actions des avoués. Applications de la prescription de deux ans. 577

737. Son point de départ f,19

738. Prescription de cinq ans pour les affaires non terminées 58t

739-739 bis. Prescription de deux ans des demandes en taxa ou en realitn-

tion de frais « 589

740. Prescription de deux ans pour la restitution des pièces remises

aux buismers ^ 581

§1V. Régies communes aux prescriptions établies par les art tÊ7i

à 2273 C, civ.

741-742. Caractère des dispositions communes aux cotiries preacriplioos

des art. 2271 k 2273 ; présomption de paielneut ^2

81C DE PRESCRIPTION

(N") Pages.

743. Le débiteur n*esl pas obligé d'alléguer expressément qu*il a payé. 583

744-744 bis. Le créancier peut déférer le serment 583

745. Cas de la mère tutrice remariée 585

746. Le serment de crédulité peut-il être déféré dans les cas non pré-

vus par la loi ? 585

747. En quels termes le serment doit être déféré 587

748. Le créancier peut se prévaloir de l'aveu du débiteur pour écarter

la prescription 587

749. 11 ne peut invoquer d'autre preuve que le serment ou l'aveu. . . . 588

750. Appréciation de la jurisprudence 590

751 . Caractère limitatif de la règle de l'art. 2275 501

752. Point de départ des courtes prescriptions 591

753. Cas il y a terme. Terme tacite 592

754 . Interruption des courtes prescriptions 594

755. De la prescription nouvelle qui court après l'interruption 595

756. Cas de la citation en justice 596

757-759. Dans quels cas il y a compte arrêté, cédule, obligation. Examen

de la jurisprudence 597

760. Cas un écrit a été dressé lors de la naissance du droit. ...... 600

761. Caractère de la règle de l'art. 2274 601

SECTION II

PRESCRIPTIONS DE TROIS ANS

762. Énumération ' 601

SECTION III

DE .T.A PRESCRIPTION DE CINQ ANS

763 . Enumération ^^

§ I. De la prescription de VarL 2276 al. /.

764 . Restitution des pièces remises aux juges et avoués 602

765. Application de la règle en ce qui concerne les avoués 602

766. Après cinq ans le client peut-il demander la taxe des frais récla-

més ? 603

§ II. De la prescription de d'art. 2211.

767. Origine historique de cette prescription 601

A. Des caractères de la prescription de l'art. 2277.

768. Motifs et fondement de cette prescription 605

7Ç9. Elle peut être opposée malgré l'aveu de non paiement 607

770. Le créancier ne peut déférer le serment 607

771 . Elle peut être invoquée en tout état de cause 608

772. Elle ne peut être suppléée d'office 609

TABLE DES MATIÈRES 817

t-^'") 4>agês.

B. Créances auxquelles s'applique l'art. 2277.

773. Créances de revenus ou prestations périodiques 610

T74. Arrérages des rentes g^l

775. Arrérages des pensions qh

776. Traitements des fonctionnaires 511

777-778 . Loyers et fermages 5j[2

779. Autres dettes des locataires 513

780 . Intérêts des sommes prôtées 514

781 . Application de la i-ègle à tous les intérêts conventionnels 614

782-783. Intérêts que la loi fait courir de plein droit en cas de vente 614

784 . * Autres intérêts légaux compensatoires 515

7fô. Intérêts moratoires 515

786. Formule proposée pour l'application de Tart. 2277 621

787. Dividendes des actions , 621

788. Hypothèses dans lesquelles l'Etat peut invoquer celle prescription. 622

789. La prescription de cinq ans n'atteint pas les dettes de capitaux. . 622 789 bis, Klle n'atteint pas les prestations successives qui ne sont pas exi- gibles 523

790-796 bis. Applications nombreuses de ces règles. Eîxamen de la jurispru- dence 523

797-798. Dettes dMntérôts et defniits dans les comptes entre copartageants. 630

C. Du calcul du délai, de l'interruption et de la suspension de la

prescription de l'art. 2277.

799. Calcul du délai 632

800-802 . Interruption de la prescription 632

803. Causes de suspension 634

W4-805. La prescription court, bien que le créancier n'ait pu agir 634

§ III. De la prescription de cinq ans en dehors du Code civil,

806. Prescriptions de cinq ans du Code de commerce 635

807-807 bis. Lois spéciales. Recouvrement des frais des notaires, avoués,

huissiers 635

808. Bail à colonat parliaire 636

809. Agents de change 637

810. Taxe sur le revenu des valeurs mobilières 637

811-812. Prescription quinquennale au profit de l'Etat 637

SECTION IV

llteLES COMMUNES A TOUTES LES PRESCRIPTIONS COMPRISES DANS

LES ART. 2271 A 2280.

813. Ces prescriptions ne sont pas suspendues au profit des mineurs

et interdits 639

814. Application à la prescription de l'art. 2279 al. 2 640

815. Autres hypothèses s'applique une règle analogue 640

PRESCR. ^^

818 DE LA PRESCRIPTION

CHAPITRE XX

DE M RÈGLE : EN FAIT DE MEUBLES LA POSSESSION VAUT TITRE

816. Idée générale de la règle 641

SECTION PREMIÈRE

NOTIONS HISTORIQUES

817-8i8 . Droit romain . Coutumes franques et germaniques 642

819-820. Ancien droit français. Application de la règle romaine 645

821-825. Doctrine et jurisprudence au siècle dernier. Pothier et Bourjon.

Adoption de la règle : Possession vaut litre 646

826. Travaux préparatoires du Code civil 654

SECTION II

DE LA PORTÉE ET DU FONDEMENT JURIDIQUE DE l'aRT. 2279

827-828. Sens de la règle En fait de meubles possession vaut titre 655

829. Motifs de la règle 657

830 . Fondement juridique de la règle. Doctrine d*après laquelle elle

contient une règle de prescription ^0

831 . Théorie de Tacquisition lege 66St

832-833 . Théorie de la présomption de propriété 663

834. Examen de la jurisprudence 664

835. La règle se rattache à la jurisprudence du siècle dernier 666

835 bis. Indications sommaires de droit comparé 666

SECTION m

DES CAS AUXQUELS s'aPPIJQUE l'aRT. 2279

836 . I^ règle suppose une revendication 66S

837. Elle ne s'applique pas aux actions personnelles en restitution. . . . 668

838 . Solution différente en jurisprudence » 670

839. La règle ne s'applique pas aux universalités juridiques 670

840.. Elle ne s'applique pas aux créances 671

841. Elle s'applique aux titres au porteur 672

842. Elle s'applique aux billets de banque 672

843. Son application aux manuscrits 673

843 bis. Elle ne s'applique pas aux fonds de commerce 674

844. Elle ne s'applique pas aux meubles du domaine public 674

845. Exception à la règle en ce qui concenie les navires 675

846 . Des meubles détachés d'un immeuble 675

847. Pas d'application de la règle aux fruits perçus par le possesseur

d'un immeuble : 676

SECTION IV

DES CONDITION? REQUISES POUR l'aPPLïCATION DE L'aRT. 2279

848. Idée générale 677

TABLE DES MATIÈRES 819

N** Pages

§ I. Des caractères que doit avoir la possession.

W9. Possession réelle 677

850-851 . La possession doit-elle réunir les conditions indiquées par Tarii-

cle 2229? 678

S52. Elle doit être à litre de propriétaire 679

853. Elle est présumée être à litre de propriétaire 680

854. Le détenteur précaire est soumis à l'action en revendication. . . . 681

855. Théories différente» 6^

856. Le détenteur précaire ne peut inler\ertir la cause de sa posses-

sion 682

857. Il ne peut invoquer aucune prescription 682

858. La possession du meuble ne doij pas être équivoque 683

859. Cas des domestiques habitant chez leurs maîtres 683

860. Cas du possesseur indivis 681

861. Application de^ règles précédentes au cas d*allégalioii de don

manuel 684

862. Examen de la jurisprudence 685

)$63. 13e la preuve que doit fournir le revendiquant qui conteste le don

manuel 686

864. Le possesseur ne peut invoquer rindivisibilité de son aveu 688

865. Réforme législative nécessaire 689

866-866 bù. Demande en distraction d'objets mobiliers saisis 689

867. L'acquéreur de l'usufruit d'un meuble peut invoquer l'art. 2279, 691

868-870, Le créancier gagiste peut-il l'invoquer ? Controverse 691

§ II. De la bonne foi,

871 . Le possesseur du meuble doit être de bonne foi 693

872. Théorie contraire 694

873. En quoi consiste la bonne fui 695

874. A quel moment elle doit exisler ^96

875. Elle se présume 697

876. Du sous-acquéreur de mauvaise foi qui a acquis le meuble d'un

acquéreur de bonne foi 697

877. Le juste titre n*est pas exigé 697

878* Comparaison avec la théorie de l'acquisition des fruits par lepos*

sesseur de bonne foi 698

SECTION V

DES EFFETS DE L*ART. 2279

879. L'art. 2279 lait acquérir la propriété libre de toutes les charges. 699

880. Les actions personnelles subsistent 700

881 . Cas d'aliénation de meubles dotaux 700

820 DE LA PRESCRIPTION

CHAPITRE XXI

DE LA REVENDICATION DES CHOSES PERDUES OU VOLEES

SECTION PREMIÈRE

NOTIONS HISTORIQUES

IN-) Pa»e*

882 . '. Droit romain. Coutumes germaniques , 701

883. Ancien droit français ''OX

SECTION II

DE LA REVENDICATION EN CAS DE PERTE OU DE VOL

884. Exception à la règle de l'art. 2279 al. 1 704

885. L'action dure trente ans contre le voleur ou Tinventeur 704

886. Motifs de l'exception contenue dans l'art. 2T79 al. 2 706

887. Qui peut revendiquer la chose. perdue ou volée ? 707

888-889. Contre qui la revendication peut-elle être formée ? ... * 708

890. Délai de la revendication contre le possesseur de bonne foi 708

891 . Caractère de la prescription de Tari, 2279 al. 2 709

892. Recours du possesseur évincé 710

893-894. L'action en revendication dure trente ans contre le possesseur

de mauvaise foi 710

895 . Du possesseur de bonne foi dessaisi des choses volées ou perdues . 711

89^897. L'art. 2279 al. 2 ne prévoit que les cas de perte et de vol. Sens

de ces expressions. Interprétation restrictive 712

898-899, Il ne s'applique pas au cas d'abus de confiance ni au cas d'escro- querie .... 713

900 . Cas du vol non puni par la loi pénale 715

901. Extension de la règle au cas d'aliénation d'objets ayant un intérêt

historique ou artistique 715

SECTION m

DE l'indemnité due AU POî^tîESSEL'R DANS LE CAS DE l'aRT. 2280

902. En principe, le revendiquant n'a rien à remboui*ser 715

903-903 bis. Cas exceptionnels il en est autrement 716

904 . L'exception ne vise que le possesseur de bonne foi 717

905. Application de l'art. 2280 aux titres au porteur perdus ou volés. 718

906. Ce que doit rembourser le revendiquant 719

907. Recours qu'il peut exercer 7H»

908. Quid si le possesseur poursuivi en revendication tient le meuble

d'un acquéreur qui se trouvait dans l'un des cas derar(.2280 ? 719

908 bis . Le créancier gagiste peut-il invoquer l'art. 2280 ? , 719

909 . Monls de piété 720

910. L'art. 2280 s'applique-t-il en cas de revendication de meubles du

domaine public ? 721

911. Application de Tari. 2280 au cas d'aliénation d'objets classés en

exécution de la loi du 30 mars 1837 722

TÀBLIi: DES MATIIAI^S

821

(N") Page»

912. Qui devra supporter Tlndemnité ? ''^S ,

913. Extension de l*art. 2280 au cas de revendication par le bailleur. 724

SECTION IV

I^I DU 12 MAI 1871

914-915. Texte et motif» de la loi du 12 mai 1871 72»

CHAPITRE XXII

DES TITRES AU PORTEUR PERDUS OU VOLKS

916. Insuffisance du droit commun 727

917-918. Système de la loi du 15 juin 1872. Jurisprudence antérieure. Loi

du 8 février 1902 728

SECTION PREMIÈRE

DES CAS AUXQUELS S* APPLIQUE LA LOI DE 1872

919. Oui peut invoquer les dispositions de la loi de 1872 730

920. Contre ijui la revendication peut avoir lieu 731

921-922. Des titres auxquels s'applique la loi 731

923-925. Des circonstances dans lesquelles elle s'applique 733

926-927. Le droit commun reste applicable à défaut des formalités requises

par la loi 735

SECTION II

DES RAPPORTS DU PROPRIÉTAIRE ET DE L'ÉTABLISSEMENT DÉBITEUR

928. Objet de la loi 736 .

929. De Topposition que doit signifier le propriétaire 736

930-930 />û. Effets de celte opposition 737

931-931 bû. Demande afin d'Mre autorisé à toucher les capitaux et interdis

des litres perdus ou volés 739

932-933 bis. Procédure, compétence, voies de recours 741

934. Garanties à fournir par l'opposant 742

935. Libération après paiement par l'établissement débiteur 743

936. Délivrance d'un duplicata 744

937. Cas de la perte des coupons 745

SECTION III

DES RAPPORTS W PROPRIÉTAIRE ET DES TIERS PORTEURS

938. Dérogation au droit commun 746

939. Opposition & la négociation des titres volés ou perdus 746

940. Fïiïets de cette opposition 747

941. Cas il y a eu négociation, antérieurement à Topposition, au

profit d'un tiers de bonne foi 748

1

822 DE LA PRESCRIPTION

(N-) Pages.

945. Ce qu*il faut entendre par négociation et transmiteion 748

943. La négociation postérieure à Topposition peut être «ttaquée pen-

dant trente ans 751

944. L'acquéreur |de titres -frappés d'opposition peut recourir contre

JoniPWiARur ! 7S2

^45. .Responsabilité de l'agent de change 753

946. Obligation pour Tagent de change de garder les titres frappés

d'opposition 754

947. Responsabilité des changeurs et banquiers 755

947 bi$ . Procédure de Taction en main-levée d'opposition 755

947 1er . La loi du 8 février 1902 est-elle inteipréUti ve ? 757

947 qnater. Notions sommaires de droit comparé ^ 758

CHAPITRE XXIII

DISPOSITION TRANSITOIRE DB l'aBT. 2281

948 . Maintien des lois anciennes pour les prescriptions en cours lors

du Code civil 759

949. Conséquences de la règle 760

950. Exceptions à la règle 761

CHAPITRE XXIV

* DB LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE D*ENRBGI8TRBMRNT

951. La. prescription ne donne pas lieu à des droits d'enregistrement 762

%2. Prescriptions diverses en matière d'enregistrement 762

953. Prescription d*unan 763

^4 . Prescription de deux ans 763

955. Cas de droits non perçus sur une disposition particulière d*un

acte. 763

956. Cas de supplément de perception insuffisamment faite 764

957. Cas d*éV4luation fausse dans une déclaration 76S

958. Preaonplion de deux ans en matière de contraventions 769

959^960. Prescription de cinq ans 769

961-962. Prescription de trente ans 770

963. Point de départ de la prescription 771

964 . Interruption de la prescription 772

965. Prescription de l'action en restitution de droite perçus 773

CHAPITRE XXV

DE LA PRESCRIPTION EN DROIT INTERNATIONAL PRIYB

t

966. Conflits de lois en matière de prescription 774

TABLE DES MATIÈRES 823

SECTION PREMIÈRE

PRESCRIPTION AGQUISITIVE

(N**) Pages.

967-908. Prescription acquisitive en matière immobilière. Loi de Untiia-

Uon T74

969. Xes meubles corporels sont aussi régis par la loi de la situation

au point de vue de leurs modes d'acquisition 777

970-971 . Applications 778

972. ReTendication en cas de perte ou vol 780

973-97S6, Titres au porteur perdus ou volés 780

SECTION II

PRESCRIPTION LIBÉRATOIRB

977. Indication des théories en présence 783

978-979. Système de la loi du domicile du débiteur 784

980-981. Système de la loi du lieu de la poursuite 785

982. Restrictions à apporter à ce système 788

983. Système de la loi du lieu de Texécution de robligation 789

984-985. Système de la loi de l'obligation 790

986. Système de la loi nationale du débiteur 792

TABLE

DES TEXTES DE LOIS

EXPLIQUÉS DANS CE VOLUME

I. CODE CIVIL

Articles 1

2219.

2220.

2221.

2222.

2223.

2224.

2£fô.

2226.

2227.

2228.

2229,

2230.

2231.

2232.

2233,

2234.

2235.

2236

2237;

2238.

2239. 2240. 2241. 2242. 2243, 2244. 1^245. 2246. 2247. 2248.

2249. 2250. 2251.

i

Numéros

24 s., 82, 85, 585 s.

53 8., 96 s.. 632.

68 s., 82, 85.

85 s.

37, 41 s., 77, 82, 632.

48 s., 82.

85, 105 s.

122 s.

175 s.

193 s.

199, 238 s., 850 s. 198, 270 s. 198, 272 s. 161 s.. 274 s. 251 s. 245 s,. 295. 341 s.

194 s., 264 s., 303 s., 855. 317, 346 s., 857.

56, 286,293,309,315,327 s.,

856.

318 s., 346 s., 855. 273. 322 s., 405, 474. 338 8.

241 s., 465 s. 228,233.241 8.,360 s. ,4688. 476s.,603,607,644s ,754s. 488 s.

40, 198, 495 s. 498 s. 309. 527 s., 607, 622, 647,

754 s. 91, 558, 561 s. 91, 565 s. 175 s., ,366 s.

Articles

2252

2253

2254

2255

2256

2257

2258

2259

2260

2261

2262

2263

2264

2265

2266

2267

2268

2269

2270

2271

2272

2273

2274

2275

2276

2277

2278

2279

2280

2281

Numéros

420 s., 608, 813 s.

444 s., 595.

426 s.

431.

432 s.

372 s., 385 8, 753,789.

447 s.

457».

579 s.

580 s

161 s!, 311, 339, 584 s ,

626 s., 951 s. 382, 621 s. 588

341 s., 398 s., 551, 650 s. 692 s. 667 s. 683 s.

348 s , 685 s. 66, 702 s. 32.44,51,65,77,92,713 s.»

714 s. 47, 715,717, 719s., 741 s. 7,34 s.

553 bit. 733, 741 s., 800. 121, 741 s., 770. 740 764 s 32,4.3,47.51,78,313,445,

5.53,600,605,729,76?».,

813. 39, 424, 739, 813 s. 17, 22, 38, 146 s., 288,.

587. 816 s., 969 ». 902 s. 416, 948 s.

TABLE DKS MATIÈRES

825

II. CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Articles

48

57

65

397

399.......

AOl

403

Naméros

488 s.

488 s.

499.

503.

503.

508.

502.

Articles

469. 557. 608. 693. 819. 822. 826.

Numéros

508.

520.

866.

523.

513, 519.

519.

519.

III. CODE DE COMMERCE

Articles

64

108

189

Numéros

39, 425, 531, 806. 39, 425, 531. 32.39,47,92,106,425,544, 552, 554, 806.

Articles

195

432

433

Numéros

845. 96. 806.

•;5i.

757.

Articles

379, 405.

884 s. 897 s.

IV. CODE PÉNAL

Numéros Article

408.......

Numéro

897 8.

V. CODE D'INSTRUCTION CRimNELLE

Articles

2... 637. 638,

Numéros

626 s. 626 s. 626 s.

Articl es

Numéros

626 s, 630.

VI. LOIS SPÉCIALES

Numéroii

I^i des 28 ociobre-5 novembre 1790 (biens nationaux) » 524

Loi des 22 noyembre-l"« décembre 1790 (biens nationaux). . . . . ^ . 179, 182

Loi des 28 septembre-6 octobre 1791 (code mral) 627, 712, 903

Ix>i du 28 août 1792 (biens communaux» 126, 186, 332

Loi du 10 juin 1793 (biens communaux) 186 />i«, 305, 332

I^i du 3 frimaire an VU (contributions directes) 762

Loi du 22 frimaire an VU (enregistrement) 951 s .

Loi du 14 veotôse an VII (domaine de l'État) 180

Loi du 4 ventôse an iX (biens nationaux) 665

Arrêté du 27 prairial an X (agents de change) 809

Loi du 25 mars 1817 (loi de finances) 181

Loi du 12 mars 1820 (domaine de l'État) 180

Loi du 16 juin 1824 (enregistrement) : 958

Loi du 15 avril 1829 (pèche) 627, 712

Loi du 29 janvier 1831 (prescription quinquennale) 96, 811> 965

Ijoï da 30 juin 1838 (sur les aliénés) 383, 423

Loi du 3 mai 1844 (chasse) 627, 712

Loi du 18 mai 185:) (enregistremenl) 959 s .

826 DE LA PRESCRIPTION

Numéios

Lot du 6 ééeembrè 1850 (terres vaines et vagues) 525

Loi db 22 JMiviet tfl&l (assistance judiciaire), 701

I^i du 8 juillet ia52 (rentes sur TÉUt) 961

I^iduT mai 1853(cai89es d'épwinie) 602 bU.

Loi dndjnin 1853 (pensions) 762, 775, 812

Loi du 23 mars 1355 (transcription) 327, 615, 674

Décrets des 9 septembre et 3 octobre 1870 (suspension de la prescriptioa) 370

Loi du 12 mai 1871 (suspension de la prescription) 914 s .

Loi du 26 mai 1871 (suspension de \& prescription) 370

Loi du 10 août 1871 (conseils généraux) 524

Loi du 15 juin 1872 (litres au porteur) 916 s., 973 s.

Loi du 29 juin 1872 (taxe des valeurs mobilières) 962

Loi du 20 décembre 1879 (suspension de la prescription) 370

Loi du 21 juiUetl881 (police sanitaire) 712

I^i du 29 juillet 1881 (délits de presse) 627, 639, 646, 712

Loi du 20 août 1881 (chemins ruraux) 141

Loi du 5 avril 1884 (organisation municipale) 524

Loi du 2 août 1884 (vices rédhibitoires) 38. 709

Loi du 20 juillet 1886 (caisse des retraites pour la vieillesse) 812

Loi du 30 octobre 1886 (enseignement primaire) 600, 728

Loi du 30 mars 1887 (conservation des objets d*art) 146 s., 901, 910 s.

l^i du 4 mars 1889 (liquidation judiciaire) 701

l^i du 18 juillet 1889 (code rural) 786, 808

Ivoi du 29 décembre 1892 (dommages causés par Texécntion de travaux

publics) , 728

Loi du28 avril 1893 (loi de finances) 728, 962

Imï du 26 juillet 1893 Ooi de finances) 810

Loi du 1" août 1893 (sociétés par actions) 97, 701

Loi du 16 avril 1895 (loi de finances) 311 s., 526, 603 s.

Loi du 21 juillet 1895 (caisses d'épargi. 602 Aw.

I^i du 31 juillet 1895 (police sanitain 553 ii», 631, 712

Loi du 31 mars 1896 (vente des objets abandonnés dans les hôtels) 728

Loi du 24 décembre 1897 (frais dus aux notaires, avoués, huissiers \

487, 526, 728, 739, 807 s.

J^i du 4 avril 1898 (loi de finances) 762

Loi du 8 avril 1898 (cours d'eau non navigables ni flottables) 135

Loi du 9 avril 1898 (responsabilité des accidents du travail)

98, 384, 497 ter, 631, 719 bis.

Loi du 25 février 1901 (loi de finances) 41, 101, 961 bis.

Loi du 19 avril 1901 (dommage causé par le gibier) Î18 bis^

Loi du 1" juillet 1901 (contrat d'association) 71S

Loi du 8 février 1902 (titres au porteur) 916 s.

Loi du 22 mars 1902 (responsabilité des accidents du travail)

98, 384, 497 ter, 719 bU^

Loi du 25 juin 19D2 (code rural) 304

Loi du 7 mars 1905 (objets abandonnés chez les ou "^rs et industriels). 812

Mayenne, Imprimerie Cii. Coux.

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