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ETUDE
SUR LES
GESTA MARTYRUM
ROMAINS III
DU MEMIi AUTKUIl
Etude sur les Gesta Martyrum Romains (0 volumes).
I. Vue générale. Le Mouvement lèçiendaire ostrogotfiique. Paris, Fontemoing, in-S, 1900. Couronné par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1901. Prix Bordin.
II. Le mouvement légendaire lérinien. Paris. Fontemoing, 1907. in-8.
III. Le mouvement légendaire grégorien. Paris. Fontemoing, 1907. in-8.
IV. La Légende romaine et la Légende manichéenne (sous presse). Paris. Fontemoing, 1907. in-8.
V. La Légende romaine et la Légende grecque (sous presse). Paris. Fonte- moing, 1907. in-8.
VI. Les collections (paraîtra en 1908). Paris. Fontemoing. in-8. La Ghristianisation des Foules. Paris, Bloud, 3*^ édit., 1907.
Le Passionnaire occidental au VIT siècle. Mélanges d'archéolo- gie et d'iiistoire publiés par l'Ecole française de Rome. — Rome 1906.
Saint Irénée. (Collection La Pensée chrétienne). Paris. Bloud, 3^ édit., 1907.
Saint Irénée. (Collection Les Saints). Paris. Lecoffre, 2^ édit. 1905.
L'Avenir du Christianisme. Première partie : Le Passé chrétien.
Vie et Pensée. 3® édition revue et augmentée d'une bibliographie
(4 volumes). Paris. Bloud, 1907. I. — Vépoque orientale. Histoire comparée des religions païennes et de la religion juive (jusqu'à Alexandre).
II. — Vépoque syncrétiste. Histoire des origines chrétiennes (depuis Alexandre jusqu'au m® siècle).
i^Al^l-AMA^D (CHKR). IMPIUMEKIE BUSSlEKli
ÉTUDE
SUR LES
GESTA MARTTRUM
ROMAINS
TOME TROISIÈME
LE MOUVEMENT LÉ&ENDÂIRE GRÉGORIEN
PAR
Albert DUFOURCQ
PROFESSEDR -ADJOINT A l'umIVERSITÉ DE BORDEAUX DOCTEUR ES- LETTRES
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE THORIN ET FILS
ALBERT FONTEMOING, ÉDITEUR
Libraire des Jîlcoles françaises d'Atliènes et de Home,
de l'Institut français d'Archéologie orientale du Caire du Collège de France et de l'Ecole Normale supérieur©
4, RUE LE GOFF, 4
1907
241 7 8
PRÉFACE
DïL
PRÉFACE
Le mouvement légendaire qui s'exprime dans les Gesta mariyrum romains de Tépoque ostrogolhique, comme il continue le mouvement lérinien, se prolonge au temps de Texarchat de Ravenne et de la conquête lombarde. On le voit se propager lentement dans les pays qui entourent Rome; la date tardive des textes rappelle l'origine étrangère du mouvement.
La physionomie de Grégoire le Grand (+ 604) appa- raît dès lors dans un jour plus clair : saint Grégoire n'est que l'émule illustre de cent écrivains obscurs; son attitude montre quel chemin, depuis Damase, a parcouru l'église romaine. En le rapprochant de ses contemporains et de ses devanciers, on s'explique aisément l'origine, on apprécie plus précisément la portée de son œuvre hagiographique.
Et c'est ainsi que l'analyse du « mouvement grégo- rien » nous met à même de mesurer plus exactement les conséquences du « mouvement ostrogothique », comme l'étude du « mouvement lérinien » nous a permis d'en apercevoir plus distinctement les causes (1).
fl) Chercher en tête du tome II l'explication des principale abréviations. J'ajoute ici la mention de C. Diehl = Etudes sur V admininistration byzantine dans Vexnrohat de Ravenne (568-751) Paris, Thorin, 1888.
CHAPITRE PREMIER
TRADITIONS DE LA CAMPAGNE ROMAINE, LES SAINTS ALEXANDRE, HEDESTUS, AGAPET
La Légende romaine s'est épanouie à l'époque ostrogothique, à la fin du v^ et au début du vi^ siècle : tous les indices qu'on a relevés nous ramènent à cette date ^ Mais, passé cette date, qu'est devenu le mouvement littéraire que nous avons décrit? Venu du dehors à Rome, est-ce à Rome qu'il s'est arrêté et qu'il est mort? Ou bien de Rome, son nouveau centre, s'est-il propagé peu à peu dans les régions voisines ?
Justement, après l'expulsion des Goths^ certains pays se groupent autour delà Ville. C'est le temps où se forme l'orga- nisme qui s'appellera longtemps l'état pontifical : on le nomme alors le duché de Rome. Qui sait si l'étude des légendes qui y fleurissent ne montrera pas qu'elles sont solidaires des gestes romains et qu'elles en prolongent l'œuvre curieuse ? Aujour- d'hui comme autrefois, faisons rapidement le tour de Rome, non plus en visitant ses églises ^, non plus en descendant dans ses cimetières ^, mais en parcourant l'exarchat.
* G. M. R., 1, 287-321.
2 G. M. R., 1, 101-172, chapitre ii de la deuxième partie.
3 G. M. R., I, 173-264, chapitres m et iv de la deuxième partie.
III 1
TRADITIONS im LA CAMPAGNE ROMAINE
Les légendes des deux ports do Home et du petit bour^^ qui dotmo son nom à la voie Nornentane sont (Hroitement soli- daires, on l'a vu \ des légendes romaines. En nst-il de mAme de ces autres légendes dont on rencontre le point d'attache à la même distance environ de la Ville? Les gestes de Haccano, de Laurente et de Préneste présentent-ils le môme caractère que les gestes de Nomentum, de Porto et d'Ostie ?
Les gestes Au temps d'Antonin, le bienheureux évêque Alexandre, ^dre^fde' ^^^P^^ ^^ ^^ grâce de Dieu, combat les idoles et travaille à Baccaao 2) ramener les âmes dans le chemin de la vie. Comme on porte Luceius^ qui vient de mourir^ il dit aux parents : « Croyez au Père^ au Fils et à V Esprit-Saint, et votre fils ressuscitera ». Les parents se laissent persuader, V évêque implore Celui qui a ressuscité Lazare^ et V enfant ressuscite. Et le ressuscité s^ écrie: « Deux Egyptiens ^ pleins décolère et de fureur m'en- traînaient au désert: ils allaient me précipiter dans un puits scellé de sept sceaux *, lorsqu'un homme jeune, à V aspect éclatant, cria d'une voix forte : « Lâchez cet enfant, qu ap- pelle le serviteur de Dieu Alexandre » ; et les Egyptiens me ramenèrent dans mon corps. » Et l'enfant ajoutait : « Alexandre y mon seigneur, baptise-moi au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, pour que je ne revoie plus ce puits que j^ai vu : c''est là qu^on envoie ceux qui ne sont pas baptisés, ceux qui nont pas confessé le Christ ! » Et tous, sans hésiter, se firent chrétiens : et, comme on était au début du mois de mars, ils furent baptisés le saint jour de Pâques, Ils étaient
^ G M. R., I, 237-243 (Porto), 244-250 (Ostie), 212-213 (Nomentum). a B. H. L., 273. 21 septembre 230. Cf. Tillemout, ii, 319.629; AUard, ii, 169. Neumann : i, 306-308. 3 Le narrateur veut dire des diables, noirs comme des Egyptiens. * Souvenir des 7 sceaux de l'Apocalypse.
ALEXANDRE DE BACCANO 6
Antonin apprit ces merveilles et ordonna au premier palatin (primus palatinus) Cornelianus de lui amener Alexandre. Cor- nelianus nous trouva dans réglise, le jour du Seigneur, comme nous instruisions le peuple ; car les messes [missae] n avaient pas encore été célébrées. Effrayé par cette nombreuse assistance , il nous explique avec respect la raison de sa venue, a Je la connais^ lui dit Alexandre; mais allons. ï> Et il re- fuse de fuir, il empêche le peuple de lapider le palatin^ le bénit après avoir fini la messe et nous renvoie ; mais comme il m'avait ordonné prêtre, je V accompagnai à Rome avec ma femme — sa propre sœur — , avec Boniface et avec Vitalion. Or, Antonin était en Tuscie : il se faisait bâtir un mausolée sur la voie Claudia, au 18^ mille. Cornelianus arrive rapide- ment au Clivus Parralis, au priEtorium Fusci, où il comparaît devant le tyran : je r avais suivi jusque-là, mêlé aux soldats, curieux de connaître les gestes du martyr, Alexandre confesse le Christ, descendu du ciel pour nous délivrer de la mort; il brave les tourments du chevalet, et est reconduit en prison, Vange Michel vient délier ses chaînes ; puis il m'avertit de quitter l'arbre sous lequel je m'étais endormi, afin de 7i*être pas maltraité, et je suis la route comme un mendiant. Quatre jours après, dans /<?praedium des Nœviani, Antonin fait dresser son tribunal et préparer les jeux ; mais Alexandre fait lé signe de croix, repousse les avances de F empereur et méprise les supplices [chevalet, lames ardentes, ongles de fer), Lor s qu! An- tonin jure par Jupiter, par le Soleil Invaincu et par Apollon le grand de le traiter comme un frère s* il sacrifie, il feint de se laisser fléchir ; mais, arrivé au temple d'Apollon, il fait le signe de la croix, et sa prière jette à terre ridole et le tiers du temple. Et les ours et les lions lui lèchent les pieds.
Cependant le peuple proteste ; Antonin ordonne à son offi- cium qu'on prépare une fournaise. Ce qui est fait, par les soins des ministri, au bourg de Baccano, où il y avait des thermes publics. Or, à la prière d' Alexandre qui raille et in- sulte le tyran, la fournaise s'éteint ; pas un de ses cheveux n'a été brûlé. « Décapitons-le », conseille Cornelianus. C'est à ce moment qu'un des membres de /'officium, Herculanus, s'avoue chrétien ; il a reçu la grâce du Christ ; il est condamné . On ar- rive à la fontaine qui est à 130 pieds du bourg, à deux pieds hors du chemin, et là, le saint se lave les mains et la figure. Plus loin, au 20^ mille de la voie Claudia, là où se dresse
4 TKADITIONS DE LA CAMPAONF^ ROMAINE
sur de grandes pierres rinscriplion de marbre, à sept pieds de la route, au couchant, à 70 pieds de la borne milliaire, Alexandre aie sa tu)ii(/ne [de dessus {planète ou daltnatiquei], et, vêtu de sa timique de lin, après s'être bandé les yeux de V viole, orarium, f[uil a empruntée à une veuve reneontrée sur le chemin, il fait le signe de la croix, et il est décapité. La terre tremble ; les thermes et les maisons du bourg s'écroulent. — La nuit venue, f enlève le corps et Boni face va se procurer des aromates. Sur l'ordre d' Alexandre qui rn apparaît^ moi Cres- centianus, je V ensevelis, non dans la petite crypte que j'avais creusée avec mes compagnons et qu'il me réservait, mais à l'endroit oit il avait été mis dans la fournaise ; et. sur son ordre encore, je serrai soigneusement sa passion, afin qu'An^ tonin ne piit la brûler. Et je gravai cette inscription dans le mai'bre :
Ici repose le saint et vénérable martyr Alexandre, Evêque.
On célèbre sa déposition le il des kalendes tC octobre, tandis que règne Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.
Le texte qui est ici résumé se lit dans le Codex Vindobo- nensis 357 : je l'appelle le texte A.
JNous en connaissons deux autres, un peu plus longs. L'un, B, est imprimé par les Bollandistes et commence par les mots In diebus illis ^ ; il compte 14.1^^2 baptisés, non 125 ; place au dix-septième mille le mausolée d'Antonin, omet l'histoire de cette veuve qui donne au saint son étole, trans- forme le nom Luceius en in locello et ajoute l'épilogue sui- vant.
Quatre jours après le martyre d'Alexandre, sur Vordre d'Antonin, Herculanus est jeté à minuit au milieu du lac ; mais la pierre se détache de son cou, il sort des eaux, prie Dieu d'avoir pitié de lui \jans doute parce quil n'a pas reçu le baptême], et encouragé par une voix du ciel, il rend l'âme. — Les soldats, qui ont tout vu, racontent tout à Cornelianus. Comme celui-ci veut briser l'inscription, sa main se dessèche, et c'est au tombeau qu'il est guéri. Et il en informe Prota- sius, et c'est sous sa dictée ciue Protasius écrit cette histoire. Un homme juste et craignant Dieu, à la suite d'une vision,
i B. H. L., 273, 2i septembre 230.
TROIS VERSIONS D ALEXANDRE 5
ensevelit Herculanus dans son cimetière, le 6 des kalendes d'octobre. Après la mort d^Antonin, Cornelianus donne à Pro' tasius, qui a élevé sa filles le prsetorium Fusci ; Protasius y relève les thermes de Baccano ; il y construit, sur ma demande, une église au tombeau du martyr, en même temps qu^un ci^ meiière de 800 pieds de circuit. La dédicace de l'église est fêtée le 10 des kalendes d'avril [23 mars], Constantin et Crispus césar étant {consuls) pour la deuxième fois [321\
L'autre — que j'appelle le texte C — nous est accessible dans les longs résumés qu'en ont faits Adon et Flodoard *. Voici les traits qui le caractérisent : \ . Les convertis sont au nombre de 125 ; 2. L'ange qui apparaît à Crescentianus n'est pas nommé ; 3. La construction de la crypte est attribuée, 72on à Crescentianus^ mais au pape Damase ; 4. D amas e fixe la fête du saint au 2H novembre, date d'une translation du martyr ; 5. L'enfant ressuscité porte le nom du Luceius.
Vocabatur is Luceius.^ cum quo baptizati sunt alii centum viginti quinque [404J... Cuipapa Damasus postmodum cryp- tam condignam faciens, illic eum sexto Kalendas decembris transposuit quando et festiuitatem ei dicauit. Orarium porro illud sibi prœstitum unde sibi martyr oculos texerat, mox ut decollatus est mulieri per quendam puerulum, quem ange- lum fuisse non est dubium, reformatum est. Quod illa non sine grandi stupore recepit etvere martyrem confessa Alexan- drum Christo credidit [405].
On étudiera tour à tour la légende commune aux trois textes, puis les particularités de chacun d'eux.
Une idée domine la première partie de cette légende^ l'idée que le baptême est nécessaire pour être sauvé ^. N'est-ce pas un indice que la légende a pris forme au v® ou au vi* siècle, alors que s'opérait lentement la christianisation des foules ? Je remarque, d'autre part, le soin qu'apporte l'auteur anonyme à mettre en relief la sainteté d'Alexandre, et son crédit sur Jésus ^ Ce trait convient à merveille à cette époque où s'exalte le culte des martyrs. La langue politique, l'allure gé-
t p. Z., 123.403 et 135.645. — Cf. le Codex Ambrosianus, H. 224.
2 M Pateum... ubi mittuntur non baptizati aut quicumque noa fuerint Cbristum confessi. Unde iadubitatum est omnibus ut fièrent Christiani. Et... die sancti Paschae omnes sunt baptizati », § 2.
3 « Remittite puerum quia vocatur a famulo dei Alexandro. »
fi TRADITFONS DE LA CAMPAGNE ROMAINK
néralo ol les (l(UaiIs du (l('volop[)(!nieiit ' ra[)[)(;II(;nl précis/imrînt l(îs gestes romains iU) l'époque ostro;4ol}iif|ue.
Très netlenieut, enlin, deux df^tails nous dénoncent cette mAme époque, parce qu'ils rcflèlnnt l(!S controverses qui p;i^- sionnent alors l(;s esprits : je songe h. ce souci frauthentifirr ' qui pousse le pseudo-Crescentianus à feindre d'Atre un compa- gnon du saint et un témoin oculaire des faits ; et je vise aussi les passages où le saint refuse, de s enfuir ^ , où le narrateur sV.squive prudemment. Si j'ajoute que la mention de l'archange saint Michel nous rappelle le culte dont les Romains l'entou- raient, au moins dès le v° siècle *, on comprendra que nous rattachions cette légende aux v® et vi" siècles, et, plus particu- lièrement, à l'époque ostrogothique.
L'auteur avait quelques lectures : s'il n'est pas étonnant qu'à la mort d'Alexandre il imagine un tremhlement de terre, réplique évidente des miracles qui signalent la mort du Christ [Mt. XXVII. 51], je remarque qu'il se souvient de l'Apoca- lypse ^ et fait baptiser les nouveaux convertis, une fois au moins, au nom de Jésus seul : ce qui semble bien venir des Actes des Apôt.res « [II, 38 ; VIII, 12 ; X, 47 ; XIX, 5].
Le récit de la mort d'Alexandre est modelé sur le récit du martyre de saint Cyprien '.
La résurrection de l'enfant mort rappelle les résurrections
1 Officium ; la conversion conçue comme un marché ; le signe de la croix, signe magique; « les lapides muti... »; Alexandre vient d'Orient.
2 G. M. R., I, 289-290, et 62, 65. Cf. Potentienyie-Praxède, qui est précisé- ment datée du temps d'Antonin, comme Félicité.
3 G. M. R., 1, 331-336.
* Le Sacramentaire Léonien atteste une fête romaine de saint Michel, à la date du 30 septembre, célébrée sur la Via Salaria, au 6^ mille. Et le Liber Po7itificalis atteste l'existence d'une seconde église consacrée à l'archange, à l'intérieur de la ville : Symmaque l'a embellie [Cf. Kellner : trad. Mercati : L'anno ecclesiastico... (1906), 281-282; et Grisar : Geschichte Royn^, i, 154, note 5 et 181].
Saint Michel devint plus tard le saint protecteur des Lombards [Gotthein : Die Culturentwickelung Sud-Italiens. Breslau, 1886, 41-111, ne donne rien de précis].
s Cf. supra, p. 2, note 4.
6 G. M. R., 1, 361-362. — La môme formule baptismale est attestée aussi dans les gestes de Torpes [cf. infra\. Peut-être est-ce là que notre rédacteur l'a prise. — Sur cette question, cf. Turmel : Histoire de la théologie positive, 1904, p. 126, 249, 299, 419.
"î Acta proconsulnria, 5 [Ruinart, éd. 1859, p. 263] : « et, cura se dalmatica exspoliasset,... in linea stetit,... manu sua oculos sibi texit,... » Cf. 21 sept., §13 des gestes : « et explicavit se tunica, et in linea stetit, et de orario suo sibi oculos texit. » Noter que les actes de Félicité et Perpétue mettent en scène un jEgyptitts. Cf. infra.
LE THEME CENTRAL 7
que racontent les gestes d'Alexandre pape * ou l'histoire de Thècle.
L'attitude du peuple qui voudrait lapider le palatin nous fait souvenir de Pierre et Marcellin : dans cette légende, le peuple arrête les offlciales ' survenus au milieu de la messe, missœ.
L'ange qui délie les chaînes d'Alexandre semble une ré- plique de celui qui délie les chaînes de Pierre l'exorciste.
L'apparition d'Alexandre à Crescentianus rappelle l'appari- tion de Calliste à Calépode.
La feinte du saint qui laisse croire à sa prochaine apostasie est sans doute inspirée de l'épisode analogue qu'on lit dans Euplus B. ^
L'histoire de la veuve qui donne à Alexandre son étole est une évidente imitation de l'épisode Plautilla-Perpetua dans les gestes de Pierre et de Paul *.
Les gestes de Sérapie et Sabine présentent, avec notre lé- gende, quelques points de contact qui, peut-être, ne sont pas fortuits ^.
N'est-ce pas à des légendes grecques qu'elle emprunte l'idée d'une trinité païenne % et l'épisode du martyr qui, au moment de sa mort, demande à se laver les mains ' ?
Le personnage de Protasius semble un souvenir des gestes de Gervais et Protais ; d'autant que le rôle qu'il joue, et aussi
1 G. M. R., I. 220.
2 G. M. R., I, 327. « luniores de populo Dei tenuerunt (officiales)... quous- que missas faceret g. M. ». Un épisode analogue se lit aussi dans Clément [Sisinnius arrive au milieu de la messe, missse]. Comme Alexandre, Clément mentionne encore que les baptêmes sont conférés à Pâques.
' G. M. R., II, 179.
* « Gommoda mihi pannum quo caput tegis... ; ligabo enim mihi ocuios vice sudarii et... amoris mei... pignus relinquam » \Passio Pauli ps-Linus, §14. Cf. Lipsius : Acta Pétri, Acta Pauli... Lipsiae, 1891, p. 39; — et mes G. M. R., 1, 327] ; et tSwv aùxrjv ô IlaùXoç xXafoucrav, Xi-^zi auxT). Soc fJtot to topàptôv ffou xac uTToarpicptu, SiûWfi.? doi auxo. 'H Se XaSoôja to topàpiov Trpo0'j(jLW(; eStoxev [Acta Pétri et Pnuli. Cod. Reggiensis, § 80. Cf. Lipsius : op. cit., p. 213-314; et mes G. M. R., i, 326]. Ici et là, la femme recouvre son mouchoir.
5 Dans l'un et l'autre texte se lit le mot prœtorium signifiant maison de campagne, propriété à la campagne ; dans Tun et l'autre on saisit comme un reflet des légendes qui courent sur VEgypte (ici, ce sont les diables auxquels on donne la physionomie des Egyptiens ; là ce sont les débauchés qui doivent violer les deux saintes) ; l'un et l'autre appuient sur les seiitimenta de respect (« prœses reveritus illam : Gorneliauus cum reverentia cœpit dicere »).
6 {Euplus, etc.. Cf. G. M. R.. ii, 178), et G. M. R. V.
"> {Alexandre de Bergame, Florian) et G. M. R. V.
8 THy\I)ITIONS DF': r,A CAMPArîNR FiOMAINK
l'histoire de Cornolianiis, rappollonl fort Philippe et Cerelius, dans cotte même légenchî *.
Les « l'i^^^ypliens » qui entraînent aux. enfers h; jeune I^u- ceius ra[)pc'llent <les histoires anah)^^ues. .f'f*n citerai deux, (jrégoire le (irand conte ^ l'aventure d'un enfant de cinq ans, auquel son [)ère apprend à hlasphémer Dieu ; l'enfant est bientôt atteint d'une maladie mortelle; il voit venir à lui, trementibiis oculis..., mallgnos spirilus ; il prie son père de les écarter : « ohsta pater, ohsta palcr^^ . Qui damans dpcliuahat faciem ut se ab cis in suiu patris absconderet, Quain ciim ille Irenientem requireret quid iiidercty puer adjunxit dicens : « Mauri homines venerunt qui me tôlier e uolunt » . Ce sont ici des Maures ; c'étaient là des Egyptiens ; ces légères va- riantes dissimulent mal l'identité du trait.
On peut indiquer avec quelque vraisemblance le texte où notre rédacteur a pris ses « Egyptiens ». La légende de sainte Afra rapporte la conversion d'une courtisane, chez la- quelle s'est réfugié l'évèque Narcisse, sans savoir où il allait : il fuyait les agents de Dioctétien. Lorsque l'hôtesse lui a dit son métier et qu'il a commencé de la convertir, et qu'il prie le Seigneur afin que la grâce surabonde où abondait l'ini- quité, factum est. ..y ciim aidassent (episcopus et diaconus), appariât Aigyptius ^ quidam nigrior corvo, nudus et vul- neribus elefantiœ toto corpore plenus et dare cœpit mugitum et dicere : o sancte Narcisse episcope, quid tibi cum casa mea ? Quid tibi cum ancillis meis ?...
Voici enfin deux passages de saint Grégoire qui éclairent l'origine du thème. Un moine espagnol, Pierre *, meurt dans le désert d'Evasa, puis ressuscite aussitôt ; il raconte ce qu'il a vu aux enfers, les puissants brûlés dans les flammes où il va
1 G. M. R. Il, 37-39. — Noter encore, G. M. R. ii, 67, que, dans Nazaire C> Celse 7nort a vu Nazaire causer avec Dieu, et Isazaire ressuscite Celse ; et comparer avec le palatinus primus Cornelianus le miles primus Dentus [G. M. R., II, 64].
2 Bialofji, IV, 18, P. i., 77, 349.
3 Conversio et pa^sio A/rœ, § 6. [M. G. — S. R. M., m (1895). Passiones vitœque sanctorum œvi merovingici, edidit Bruno Krusch, p. 58]. — Rap- procher ce fait de ceux que nous avons notés au tome II, et qui prouvent que les gestes des martyrs du Danube étaient connus à Rome [cbap. x et xi].
Se représenter les démons comme de noirs Africains, Ethiopiens ou Egyp- tiens, c'est donc un trait commun à l'hagiographie chrétienne. Cf. Rufin : His~ toriaMonachorum, 29 [P. L., 21, 454] ; Geroutius : Vita Melaniœ junioris [Ram- poUa, 30, 1. 25] ; et les légendes apostoliques.
^ Diaiogi., iv, 36 [P. L., 77, 381].
TEXTES DE SAINT GREGOIRE ^
être précipité, lorsqu'il est sauvé par un ange, corusci hahi- tus ; ses membres se réchauffent, il se réveille : et, de peur, il vit saintement.
Quidam llliricianus monachus qui in hac iirbe in monastt-
rio mecum vivebat mihi narrare consuevèrat quia cûm
adhuc in eremo moraretur, agnoverit quod Petrus quidam monachus ex regione or tus Iheriœ, qui in loco vastœ soli- tudinis cui Evasa nomen est inhœrebat, sicut ipso narrante didicerat, priusquam eremum peteret^... defunctus est : proti- nus corpori restitutus inferni supplicia atque innumera loca flammarum se vidisse testahatur. Qui etiam quosdam hujus sœculi po tentes in eisdem fiammis suspensos se uidisse narra- bat. Qui cum iam ductus esset ut in illas et ipse mergeretur, subito angelum corusci habitus apparuisse fatebatur^ qui eum in igné mer g i prohiber et . Cui etiam dixit: Egredere, et qualiter tibi posthac vivendum sit cautissime attende. Post quam vocem paulatim recalescentibus membris, ab œternœ mortis somno evigilans^ cuncta quœ circa illum fuerant gesta narravit.
De même, un ami de saint Grégoire fait un court voyage aux enfers, au cours d'une mort momentanée, et raconte qu'il a été renvoyé sur terre par le Juge ^ : la Mort s'était trompée.
lllustris vir Stephanus... de semetipso mihi narrare con^ sueverat quia,,, in constantinopolitana urbe.., defunctus est... Qui ductus ad inferni loca^ vidit multa quœ prius au- dita non credidit. Sed cum prœsidenti illic iudici prœsentatus esset y ab eo receptus non est, ita ut diceret : Non hune deduci, sed Stephanum ferrarium jussi. Qui statim reductus in cor- pore est et Stephanus ferrarius,.. eadem hora defunctus est.
Est-ce à dire que les gestes dépendent de saint Grégoire et qu'il en faille abaisser la date jusqu'au début du vu* siècle? — Je n'en crois rien. Grégoire et l'auteur des gestes dé- pendent également des mêmes légendes qui^ depuis long- temps \ couraient sur la nature et sur la vie de l'âme. Ce thème est une réplique chrétienne du mythe de Minos et d'Orphée.
Mais, le plus souvent, c'est aux traditions locales que puise l'auteur anonyme. Les détails très précis, et sans doute très
1 Dialogi., iv, 36 [P. L., 77. 384].
2 Rohde : Psyché, £« Autlage, ii, 363. Cité par Delehaye : Légendes hagio graphiques, 210-211, note 2.
10 TnADlTKJNS DE LA CAMPAGNE ROMAINE
exacts, qu'il donno sur la topop^ra[)}iie loc.ilo l'indiquent avoc (évidence. Do I{ossi a relrouvf^ le point d'attache de la tradi- tion : c'est la villa de I^accano qui appai tenait à Fescennius Niger, le compétiteur de Sévère ', et qui, lors de la victoire de celui-ci, passa dans ses mains. Saint Alexandre est un martyr inconnu - qui était vénéré tout au[)rès ; on conçoit qu'il ait été rattaché au temps des Sévère ', s'il n'est pas réellement mort au début du m* siècle *.
La proximité de Haccano et de Rome explique la parenté des j^estes de notre maityr avec les gestes romains. Mais celte parenté peut s'expliquer encore par un fait précis : l'église romaine de Saint-Marc, fondé(î vers ^^36 par le pape qui porte ce nom, avait reçu de Constantin la propriété d'un fundiis Antonianus sur la voie Claudia ^. C'est peut-être un clerc romain de cette église qui a rédigé les gestes d'Alexandre de Baccano.
L'hypothèse aurait l'avantage de résoudre une question embarrassante. Selon le texte bollandiste, la dédicace de Féglise a été faite sous le second consulat de Constantin et de Crispus. Or, il se trouve que, en l'année 321, les consuls ont été Flavius Julius Crispus Constantini Aug. f. Nob. Caes. II et Flavius Claudius Constantinus Junior Constantini Aug. f. Nob. Caes. IL Une église a peut-être été réellement cons- truite à Baccano en 321 : l'événement aurait été commémoré par une inscription, datée des consuls de 321 ; notre anonyme l'aurait lue. Le fundus Antonianus était situé à Baccano,
1 D'où le nom de la propriété dans Ja légende, prœtorium Fusci : le père de PescenDius Niger s'appelait Anniiis Fuscus \BuUet. Arch. Christ. 1875, 150, et 18S8, 115]. Le nom devait être gravé sur une inscription. — L'inscrip- tion funéraire rapportée dans la légende n'était certainement pas de Damase [Ihm : Damasi epigrammata. Lippiae, 1895, n. 100, p. 100]. — Baccano est, près Népi, an 21» mille de la Via Cassia [Itin. Afitonini, 486, 4, 5, Wesseling] : notre texte écrit par erreur, Via Claudia [Neumann, i, 306].
2 Le férial hiéronymien l'ignore.
3 Septime Sévère et Caracalla portaient le surnom d'Antonin. — Cf. Tille- mont, II, 319. 629; Allard, ii, 169; Neumann, i, 306-308.
* Septime Sévère le premier persécuta systématiquement les chrétiens.
6 L. P., I, 202. — 11 est même vraisemblable que le mot Baccanas, à la ligne suivante, se rapporte au fundus Antonianus [Duchesne, L. P., i, 203*0] ; une erreur du même genre a égaré le fundus Orrea sur la voie Ardéatiue, tandis qu'il faut lire Voie Latine [P. L., i, 202-2031 1. — Jaffé : Reg. Greg. u, 2227], Le terme fundus Antonianus est peut-être en rapport avec la tradition locale qui rattache le martyre d'Alexandre à un empereur Antonin.
RAPPORT DES TROIS VERSIONS 11
proche l'église; comment le clerc d'une basilique propriétaire de celui-là n'aurait-il pas connu celle-ci ?
Quel est le rapport des trois versions qui nous sont par- venues?
Le texte de Vienne semble être un fragment de celui qu'a résumé Adon. Ici et là, le ressuscité est nommé ; ici et là, les baptisés sont au nombre de 125, non de 14.132. Si Adon ne nomme pas Michel, que mentionne le manuscrit de Vienne, le fait s'explique sans doute parce qu'Adon résume un texte développé. Adon et le Vindobonensis, enfin, mentionnent tous deux l'épisode de la veuve. Il est certain que A et G forment groupe contre B. — Néanmoins, on ne doit pas dire que A et G sont une seule et même version : ils se contredisent formel- lement sur un point précis. D'après A, Alexandre n'a jamais été enterré in crypta modica; il a été enseveli d'abord, comme il le voulait, in loco fornacis. D'après G, il a été en- seveli d'abord in loco fornacis, ensuite in crypta modica (grâce à Damase *).
Il est sûr que la version boUandiste, B, s'oppose à la fois au texte de Vienne, A, et au texte d'Adon, G, : elle ignore l'épi- sode de la veuve, elle ajoute l'épilogue de Protasius, à l'inverse du texte de Vienne ; elle ignore Damase à l'inverse d'Adon ; elle substitue surtout une fête de dédicace d'église, le 23 mars, à un anniversaire de translation, le 26 novembre. Elle a peut- être emprunté aux Quarante Martyrs l'histoire d'Herculanus jeté à l'eau, à Agathe ou à Lucie la guérison de Gornelianus au tombeau d'Alexandre.
La fête de la dédicace [B] s'appuie sur une date consulaire dont on constate l'exactitude ; le rédacteur l'a lue sur une ins- cription de Baccano ; peut-être l'église date-t-elle vraiment de 321. La translation attribuée à Damase par Adon s'appuie peut-être sur l'inscription, qui n'a rien de damasien *. — Mais la difficulté n'est pas résolue. Alexandre étant mort le 21 septembre, d'où vient cette seconde fête qu'on date, ici du 23 mars, là du 26 novembre ?
La fête du 26 novembre est mentionnée, d'après G sans doute,
1 Noter ce que dit C de ce puerulus, quem angelum fuisse non est du- bium. Cela rappelle fort ce qu'oa lit dans Agathe, G. M. R., n, 195. * Ihm, n® 100, p. 100, « iudcriplio uaui damasiano non conuenit ».
12 THAniTIONS DK LA CAMPAfiNK ROMAINE
par lo calendrier po[)ulaire, — ce qui en alteële l'existence, selon toutes les probabilil/;s*, au vu" siècle. — On y lit', en effet :
VI. K. decrm. El hcaii alexandri opiscopi et marlyris, passi XI. K. oct, a papa damaso VI /i. dec, translali, quando festivitatem ci dicauit.
Le fcrial hiéronymien l'ignore, — comme il ignore, du reste, les fêtes du 23 mars et du 26 septembre. — De ce côt(^, on se beurte à l'inconnu.
JMais je remarque que la translation dans la crypte que la version adonienne attribue à Damascest sans doute en rap[)ort avec ce passage de A où l'on voit que Crescentianus a creusé une crypte pour y ensevelir Alexandre; seulement, le martyr veut être enterré ailleurs, à l'endroit où il a souffert, dans la fournaise ; il donne la crypte à Crescentianus et à sa femme.
Fecimus criptulam modicam in qua ponerem corpus, Se- quenti aiitem nocte apparuit mihi Alcxander martyr per ui- siim et dixit mihi : Crescentiane locus iste tibi debetur...; cor- pus autem meum in loco fornacis ubi oravi dominum et non me tetigit ignis, ibi reconde. Tibi autem dominiis in loco isto gratiam donat [Vindob . 357, f* 198^].
La version bollandiste, B, et le texte de Vienne, A, ne disent rien là-contre. La version adonienne, au contraire, détruit aussitôt, si l'on peut ainsi dire, ce qui vient d'être avancé, et fait ensevelir Alexandre par Damase_, dans la crypte.
Cui papa Damasus postmodum cryptam condignam fa- ciens illic eum sexto Kalendas Decembris transposuit ^
Ainsi, les deux versions A-B et G nous parlent de deux tom- beaux, Tun in crypta^ l'autre in loco fornacis. Mais, tandis que, d'après la version adonienne G, Alexandre a reposé successive- ment dans les deux, — d'après les versions bollandiste et vien- noise, il n'a jamais reposé dans le premier.
Y eut-il vraiment translation?
Je suppose quil y avait deux tombeaux portant le même nom d Alexandre dans la catacombe de Baccano : l'un était dans une crypte toute petite, cryptulam modicam, où l'on voyait aussi le tombeau d'un Crescentianus ; l'autre était près
1 G. M. R., I, 372-375.
2 P. L., 123, 175-176.
3 P. L., 123, 405.
DATE ET ORIGINE DES TROIS TEXTES 13
d'un four. On disputait pour savoir lequel des deux tombeaux d'Alexandre était celui du martyr ; la dualité des versions re- flète la dualité des avis. De là, l'apparition du martyr, et la pré- cision avec laquelle il spécifie l'emplacement de son tombeau.
Mais, dira-t-on, Tinscription ne marquait-elle pas l'empla- cement exact de ce tombeau? 11 ne pouvait pas y avoir con- troverse. Le texte porte : (corpus) posuimus ubi mihi ab eo fuerat reuelatum et scrlpsi marmore et posui super eum hoc ordine continente... Le corps était certainement in loco for- nacis.
D'où vient alors le récit d'Adon? Et si Damase a transporté le corps, n'a-t-il pas aussi pu transporter l'inscription? L'ins- cription ne signifie rien.
Remarquons-en, du reste, la teneur.
HIC REQVIESGIT SANGTVS ET VENERABILIS MARTYR
L'évêque est qualifié de sanctus et de venerabilis : l'ins- cription ne date donc certainement pas du temps des persécu- tions ; elle remonte à une époque où le culte des martyrs s'est épanoui, elle provient sans doute d'une restauration entre- prise, soit au temps de Léon, soit même au temps de Vigile. Elle aura été placée au moment où l'on réparait le cimetière, où Ton rédigeait les gestes. L'auteur de l'inscription ne voulait pas — non plus que l'auteur des versions A et B — que le tombeau d'Alexandre fût le tombeau de la petite crypte : il agit en conséquence. — L'autre groupe, qui tenait pour la crypte, prit sa revanche quelques années après ; ne pouvant pas dé- truire le marbre, désormais connu, il imagina une translation : du tombeau du four, Damase aurait porté les reliques au tom- beau de la crypte ; de là le texte G. Et, sans doute aussi, on transporta sur le tombeau de la crypte, le marbre où était gravée l'inscription. Gomment admettre que les auteurs de la version adonienne enterrent saint Alexandre dans la crypte, alors qu'une inscription toute voisine atteste qu'il est enterré près du four ?
On peut donc admettre que la version bollandiste, B, est an- térieure à la version adonienne, G, qu'elle date du temps de Vigile ^ [d37-ooo], et qu'elle a pour auteur un clerc de la basi-
* Mais peut-être faut-il garder quelques leçons de A C, [luceius au lieu de in lucello ?]
^^ TRADITIONS DE LA CAMPAGNE ROMAINE
liqiie Saint-Marc à Home très vor.s(^. dans la litt/^raturo ha^no- f^rapliiquo ; son œuvre n'est qu'un centon. La version'' de Vienne, A, prt'icéda de peu, j'imagine, la version hollandiste : Protasius fait doubl(î emploi avec Crescentianus qui, déjà, aulhcnliquc suFfisamment le rr^cit ; il a été rajouté. On nous apprend que Dieu punit qui veut briser Tinscripiion : à bon entendeur salut. JMus encore que A, H veut montrer qu'Alexandre repose in loco fornacis. Peut-être même la ver- sion primitive de A insistait-elle à ce sujet moins que la ver- sion du Vindobonensis. Quant à la réalité de la translation, elle est extrêmement suspecte : peut-être a-t-elle été ima^nnée afin de justifier un remaniement du cimetière et une revision du calendrier ^ ; elle est, plus vraisemblablement, fictive, ainsi que la fête du 26 novembre. L'origine de la fête du 23 mars est telle, peut-être, que dit B.
Il
Gestes En ce temps-là V empereur Néron allait à Laurente sacrifier tus 2^ <2W^ démons : ses prêtres le lui avaient ordonné afin d'avoir
Nous connaissons, dans l'Italie du vi® siècle, des païatini : Grégoire le Grand nous parle d'un Joannes vir clarissimus palatinus [Epist. X, 26. — P. Z., 77, 1084] et d'un Muximus vir clarissimus palatinus privntaruni Epist., X, 9. — P. Z., 77, 1072]. Les païatini priuatarum [cf. cornes priva' iarum, Epist. XIII, 22, — P. X,, 77, 1276] administrent, sous l'autorité du préfet d'Italie, au temps de l'exarchat, le trésor privé [Diehl : p. 159]; ce sont d'aàsez gros personnages, puisqu'ils portent le titre de clarissimus. Mais je ne crois pas que le terme palatinus primus se lise ailleurs que dans notre texte : peut-êt^e a-t-il été suggéré par le titre donné aux consiliarii, comités primi ordinia [Code Theodos, 6, 15; Cassiodore : Var. éd. Mommsen, 144, 168, 247, 255. — Uiehl. 162]. Cf. aussi les expressions : primus miles, dans Nazaire; primus seyiator, dans V Anonyme de Valois^ 41 ; senatus prior dans Cassiodore, i, 12 [Neues Archiv., xiv, 489, n. 6].
^ Rapprocher cette seconde festivitas d'Alexandre de Baccano — qui ne coïncide pas avec l'anniversaire de sa mort [P. L., 123, 175-176] — , de la seconde festivitas de Sabinus de Spolète [P. Z., 123, 177-178], laquelle ne coïncide pas davantage avec l'anniversaire de la mort du martyr.
Noter aussi l'apparition du nom de Boniface dans le personnel de nos légendes.
2 B. H. L., 3765 [A. SS. auctarium ad tomum VI octobris (1853), 10-11, ou 3« éd. auct ad tomel, V, VI oct. 112* et 113*].
HEDESTUS DE LAU RENTE , 15
des victimes. Mais le peuple (gens) se souleva contre lui, ce qui l'obligea à rester longtemps dans la ville. Il venait, dans les courses qu'il faisait fréquemment, à Vautel de Diane quon trouve au point où jaillissent les eaux de trois nymphées ; il chassait, il se promenait avec ses soldats (milites), avec ses grands (^Toceres). L'u7i d'entre eux^ Hedestus (famatissimus armiger), qui était romaiii de naissance, et dont la beauté était remarquable^ avait toute sa faveur ; pourtant, il avait été baptisé par saint Pierre et était secrètement chrétien. Au moment où, ils soîit à Laureiiie, Hedestus apprend qicun saint prêtre Timothée *... {offre en secret des sacrifices à Dieu) ; il le cherche et, ne le trouvant pas, prie Dieu afin quil le rencontre et [entende) la messe quon adresse au Seigneur Jésus-Christ (missa D. J. C. celebraretur). Un jour que Néron allait à Vautel de Diane avec quelques tribuns et des prêtres, Hedestus, ciui cherche toujours, rencontre une jeune fille et une servante filant de la laine. Il devine la beauté de son cœur ; il lui de- mande chastement quelle est sa nation (qua natione) et voici qiCelle lui répond, intrépide : « je suis fille de Priscus, prêtre chrétien et de Thermantia ; je m^ appelle Christes [et celle-ci Victuria ». — « Appelle ton père », répond-il..,) A ces mots., Christes et Victuria vont prévenir Priscus et Thermantia : « Poussé par le désir du Christ, un noble (?) (electus) ^ veut te voir : cest un beau cavalier, brillamment monté. » Hedestus tombe aux pieds de Priscus, remerciant le Christ ; et Priscus l'embrasse quand il apprend qui Va baptisé ; et tous vivent en commun, dans un arénaire, près Vautel de Diane, Hedestus les faisant vivre et Priscus offrant secrètement [à Dieu) les messes et les hymnes. Hedestus a vu en songe saint Pierre c/ui lui a dit : c( Reste avec Priscus, tu seras couronné avec lui ». Cependant Hedestus devient maigre et pâle, <( Soigne-toi », lui dit Néron. — c< J'ai un bo7i médecin, répond Vautre : il n'use pas de médicaments ; il me soigne avec sa parole\yeûio\. » — (( Garde-le donc », repartit V empereur. Mais, comme il monte souvent le cheval du roi pour aller à Varénaire assister aux messes et aux sacrifices que Priscus offre au Seigneur
* Lacunes comblées par le Codex Paris, 11753 (du xiie) [Cat. Paris., m, 55, no 71].
2 Electus signifie peut-être, d'une manière plus générale, un homme dis- tingué. Mais, comme cette distinction vise surtout, sans doute, la distinction de naissance, je traduis electus par noble.
10 IHADIIIONS l)K I.A r;AMI'Af;Ni: FU)MAINK
Jêsiis-Chrisi — Vichiria et Clirisles se de (juis aient afin de sur- veiller et ddnnoncer sa venue ' — , un de ses esclaves remarque le vJiniujeinent ([ui est survenu dans sa rie', il veille^ il prie, il dit les hymnes^ bien que César n'ait donné aucun ordre. a Ou vas'tu donc, lui dit un soir l'esclave Florus comme il saute à cheval : tu nas pas ton esclave ni tes armes ni tes m- signes [sine arniis mililiae Iuor] ». — « Je vais oii Ion sauve mon âme. » — « El la mienne {ne sera-t-ellc donc pas sauvée) ? » — « Le Seigneur Jésus-Christ est puissant ; et il a pris la forme d'?m esclave ». Au nom de Jésus-Christ, Florus maudit son maître : « Tu veux donc être torturé avec les chris- ticoles ! » Mais Iledestus s'éloigne, remerciant Dieu comme il a coutume ; il reçoit des mains de Priscus le corps et le sang du Christ, et revient chez Néron.
Néron fait construire des thermes à Laurente, et il ahan- donne à Hedestus la direction complète des philosophes qui s occupent de la construction ^. Or, voici qu'en creusant l'are- naire, on arrive à la cachette de P?iscus ; Hedestus interdit à tous d'g mettre le pied, et tous se taisent, ouvriers et philo- sophes : ils ont peur. Et Hedestus nen continue pas moiyis d'y aller la nuit. Mais Florus le suit une fois ; il le voit parler à la vierge du Christ, et le lendemain, à table^ il lui dit : « De- puis dix ans que je te sers^ jamais je ne t'ai trahi. Pourquoi ne m aS'tu rien dit de cette jeune fille qui reposait sur ta poi- trine ?» — a Cette jeune fille, c est ma foi, répond Hedestus en larmes ; elle me pousse à la chasteté et non au plaisir ; elle aime mon Seigneur Jésus-Christ. » — « Elle est belle ; pour- quoi n obéit-elle pas à ton désir ? y) — « Tais-toi ; ou je te fais tuer à coups de bâton. » Alors, un soir, Florus suit Hedestus ; il le voit entrer da7is Varénaire ; il surprend les mystères de notre foi et raconte ce qu'il a vu au prêtre des démons. Libère. Néron, que Libère a averti, ordonne qu Hedestus soit enterré vivant dans Varénaire et que toute sa fortune soit donnée au traître. Et, comme Hedestus retourne chez Priscus, et que Florus l'aperçoit et le dénonce encore, et que Libère en réfère à Néron, celui-ci donne l'ordre d'enterrer Hedestus vivant ou qu'on le trouve. On obéit. Victuria, qui s'enfuit, est arrêtée sur la lisière de la forêt, à côté de l'autel de Diane, et égorgée.
^ (Priscus) « subornabat Christim et Victuriam. »
2 « Philosophi qui dictabant fabricam thermarum ». — Cf. Gesta IV Coro' natorum. G. M. R., ii, 287.
HISTOIRE DE LAURENTE 17
Priscus, Thermantiay Chris tes, Hedestus meurent dans Varè- naire, à côté de la route de Laurentè^ le IV des ides d'octobre, Néron étant consul pour la quatrième fois avec Cornélius, tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ^ à qui gloire
dans les siècles des siècles. Amen,
•
Cette légende charmante célèbre un martyr Hedestus, dont la fête est attestée, à la date même que disent les gestes, par le férial hiéronymien :
E. (IllI id oct). rom nt hedisti *.
Certains manuscrits (B et W) le rattachent à Ravenne ; et Adon % Usuard % Notker * reproduisent cette indication. Je ne sais pas trop d'où vient Terreur; mais il n'y a pas doute que ce soit une erreur.
Entre la voie d'Ostie et la voie Ardéatine, la voie Lauren- tine reliait Rome au vieux pays qui bordait la côte de ses fo- rêts giboyeuses : elle se terminait au 16° mille, à la ville de Lavinium (aujourd'hui Prattica). Ce pays semble avoir eu une grande importance à l'époque héroïque : on racontait que Lauréate, sa capitale, était antérieure à Enée. Mais, à l'époque historique, il était déchu de son ancienne splen- deur : si les consuls, et les préteurs, et les dictateurs allaient à Lavinium, lorsqu'ils entraient en charge, sacrifier à Vesta, Laurente tombait en ruines ; on l'avait réuni à Lavinium ; les inscriptions en font foi ^
Il semble qu'il y eut une renaissance à l'époque impériale : les forêts, la chasse, la proximité de la mer, la proximité de Rome, tout cela explique la construction des villas assez nom- breuses qu'on aperçoit ici au premier et au second siècle.
i P. 131. Voici le texte de B : INRAUENNA uialaiirenlina sciEdisti. — Les inscriptions attestent le nom d'Hedistus à Rome [vi, 19172, sq.], à Pouzzoles [x, 3006.17371 [et en Espagne, ii, 4551].
2 P. L., 123, 377, 12 octobre. « Apud Ravennam, uia laurentina, natalis sci Edistii ». — Adon n'a fait sans doute que copier le calendrier populaire : Ravennœ Hedistii [P. L., 123, 171-172], ou le Bernensis.
» P. L., 124, 565-566.
^ P. X., 131, 115S.
^ Strabon, v, 3, 2. — Denys, i, 16. — Mommsen : Die iiniergangenen Orts» chaften in Latium [Hermès, ivn, 1882, 42], et les travaux de Dessau au tome XIV du Corpus, ainsi que la carte. — Cf. aussi Duchesne : Sedi episco- pali dell* antico ducato... [Arch. xv, 1892] et ïommasetti : Bull. Comm.,lS9b, 132 ; et luug : passim.
III 2
18 TRADITIONS DE LA CAMPAGNE ROMAINE
Pline nous en parle ; lui-môme en possédait une de ce côté ^ ; et — chose qui, pour nous, est fort intéressante, — Com- mode, au dire d'H(^rodien 2, en possédait une autre à Lau- rente. On voit, enfin^ qu'un nouveau bourg se forme, le vi- CHS Laurentum vico Auguslano ^ ; passé le 111° siècle, ce vicus s'appelle Laurentum, tout court : c'est ce simple nom qu'on trouve dans la table de Peutinger et dans l'itinéraire d'Antonin *. Au iv°, au v®, et au début du vi« siècle, en effet, le pays n'était pas aussi désert qu'autrefois ni qu'aujourd'hui ; il s'était un peu repeuplé. Constantin donne à la basilique constantinienne la massa aiirianay ierrilurio LaurenlinOy prdsst. sol D^ ','\\ donne à la basilique sessorienne, sub ciuitate Laurentum possessio Patras prœst, sol. CXX ^ ; le pape Gélasc [492-49G] construit une église consacrée à sainte Marie in via Laurentina, in fundiim Crispinis "' , — A partir de Gélase, il semble que Laurente disparaisse : peut-être a-t-elle été ruinée au temps de la guerre gothique, au vi^ siècle ^
Je remarque que les gestes font de Laurentum une ciuitas ^ tout comme le Liber Pontificalis. Ce fait pose un problème fort délicat : la ciuitas Laurentum désigne-t-elle, au vi* siècle, la ciuitas Laurentium Lauiiiatium ou le vicus Laurentum uico Augustano ? Il est à noter que le Liber Pontificalis écrit une fois in territurio Laitrentino, une fois sub ciuitate Laurentum : est-ce à dire que la première formule désigne Laurentum vico Augustano^ et la seconde Laurentum Laui- natium^ — laquelle est attestée pour la dernière fois au
1 Epist. II, 17. Lettre à Gallus. « Miraris cur me Laurentinum uel si ita mavis Laureos meum tanto opère delectet [éd. Millier, 47j... et §26, p, 51. Suggérant adfatim ligna proximae siluae ; ceteras copias Ostiensis colonia mi- nistrat... »
2 Herodien, i, 12, 2 [éd. Bekker, 12]. Une épidémie ravage Rome. ToTE ô KofJLiJLOOOç au|JiSouX£'jaàvTwv auTcû TivILv taxptôv é; ttjv AaupEvxov àvE/^tôpr^asv £Ù'j^D)^£ax£pov yàp b'v to ^topiov xat ^LZ^^i^zoïci...
Peut-être ces événements se rapportent-ils à l'année 187 [Cf. Tilleraont : Empereurs , ii, 488].
3 C. I. L., XIV, p. 183.
* D'après le Corpus^ xiv, p. 187, n^ 1. B L. P , I, 174. 6 L. p., 1, 180. T L. P., I, 255.
8 Je n'ai trouvé aucun texte postérieur au Liber Pontificalis mentionnant Laurente. Ni Diehl, ni v. Hartmann n'en disent rien.
9 § 1. « In diebus illis pergente Nerone imperatore ad Laurentum ciuitatem ut sacrificaret dsemoniis... »
UNE VILLA IMPÉRIALE 19
IV® siècle par Symmaque * et par le Code Théodosien ^ ? — Il serait sans doute téméraire de l'affirmer. Des fouilles systé- matiques n'ont pas été entreprises de ce côté ; les inscriptions ne nous sont d'aucun secours. Il faut se résoudre à ignorer. Et peut-être, au temps où l'on rédigeait le Liber Pontifîcalis^ aux environs de Tan 515, les deux Laurente n'étaient-elles plus distinguées l'une de l'autre : n'étaient-elles pas voisines, et ne portaient-elles pas en partie le môme nom ?
La villa impériale, dont parle Hérodien^ est-elle la racine locale de la légende? Le fait est vraisemblable. Cette villa semble avoir été fort importante : on a conservé l'inscrip- tion funéraire d'un procurator Laurento ad elephantos ^ ; ce qui parait indiquer qu'il n'y avait pas seulement ici un simple rendez-vous de chasse. Qui sait même si les terres données par Constantin aux deux basiliques romaines n'ont pas été prises sur ces domaines? Quoi qu'il en soit de ce dernier point, le séjour de Néron à Laurente que suppose le rédacteur anonyme s'explique sans difficulté, si l'on admet qu'il connaît la villa où Commode alla passer les chaleurs ; et de même, ce qu'on nous dit de l'autel de Diane et des thermes s'entend fort bien, si l'on se souvient du frais domaine dont parle l'historien grec.
Si telle est l'attache locale de la légende, à quelle époque convient-il de placer le texte? — Dès le vi® siècle, Laurente semble disparaître. Je remarque, d'autre part, que le terme civitas Laurentum est commun au Liber Pontificalis et aux gestes : c'est peut-être que ceux-ci sont à peu près contem- porains de celui-là. — Ils racontent, encore, qu'une révolte populaire oblige Néron à demeurer à Laurente : ce détail n'a pu être imaginé qu'à une époque assez tardive ; et la dispari-
* I, 71, 65. Il recommande un certain a Ceecilianum... defensorem Lauren tium Lavinatium uirum booestum ».
2 Loi de 385, viii, 5, 46... « aut ad societatem consortiumque Lau- rentium... »
2 C. L L., VI, 8583.
D. M.
TI. GLAVDIO. SPEGLATORI
AVG. LIB. PROCVRATOU
FORMIS. FVNDIS. GAIETE
PROGVRATOR. LAVRENTO. AD
ELEPHANTOS
CORNELIA. BELLIGA. GONIVGI
B. M.
20 TRADITIONS DE LA CAMPAGNE ROMAINE
tion probable de Laurente au vi° siècle ne permet pas de recu- ler après ce temps une légende qui en célèbre le saint local. — « De quelle nation es-tu », demande lledestus à Ghristes : le terme (qua natione) semble dénoncer une époque où des Ro- mains et des Barbares vivent côte à côte. — Les détails tou- chant la virgo Christi^ la rnissa et les musx s'expliquent sans peine si l'on admet la date que nous proposons.
Je remarque, enfin, que les gestes d'iledestus rappellent parfois les gestes d'Alexandre de Baccano. L'une et Tautre lé- gendes sont attachées à un grand domaine impérial, qui semble voisin d'une terre possédée par une basilique romaine. — L'une raconte une révolte populaire qui retient l'empereur à Lau- rente ; l'autre montre que le peuple de Baccano est sur le point de se révolter* contre l'envoyé de l'empereur qui veut arrêter l'évêque. — Au rebours de ce que l'on voit dans la grande masse des traditions romaines, qui prêchent violemment l'ascétisme, les gestes nous présentent deux prêtres mariés, ici Priscus, l'époux de Thermantia, là Crescentianus, dont la femme est la propre sœur du martyr Alexandre. — L'une et l'autre légendes présentent une date consulaire exacte : on a parlé plus haut de celle qu'on lit dans les gestes d'Alexandre ; et voici que les gestes d'Hedestus, après avoir donné l'anniversaire de sa mort suh die IV id. oct., ajoutent Nerone quartum consule et Cornelio, Or, en l'an 60, pendant les six premiers mois, les consuls sont Nero Claudiiis divi Claudi f. Cœsar Augustus germanicus IV et Cossus Cornélius Cossi f. Lentulus, Cette date n'est certainement pas la date de la mort d'Hedestus. Qui sait si ce n'est pas celle de la dédicace d'un édifice quel- conque de la villa impériale, qui aurait été encore debout aux environs de l'an 500 ? Les villas fameuses d'Anzio et de Su- biaco remontent, elles aussi, peut-être, à Néron.
Il est donc permis de penser, jusqu'à plus ample informé, que le rédacteur du texte doit être cherché dans le clergé d'une de ces églises romaines qui possédait des terres sur la voie Laurentine : plutôt que par une influence proprement littéraire, les points de contact qu'on a notés entre Alexandre et lledestus s'expliquent sans doute par l'identité de milieu. On peut, sans difficulté, reculer jusqu'au temps de Vigile la rédaction de notre texte. — Et l'on s'explique, de cette ma-
* Cf. Pierre MarceUin, supra, p.. 7 Comme dans Clément, un païen (ici B'iorus, là Sisianius) surprend ici les mystères chrétiens.
AGAPET DE PRENESTE ^^^ 21
nière, qu'il s*y rencontre un terme (philosophï) et un person- nage (Thimotheus presbyter) qu'on retrouve dans les gestes des Quatre Couronnés * et dans les gestes de Secundianus *. Et Ton s'explique, enfin, l'originalité de la légende : ni par le style, ni par les idées, la légende d'Hedestus ne rappelle exactement la plupart des gestes romains : il semble qu'un peu de mystère l'enveloppe, et qu'avec le mystère un peu de poésie la pénètre.
III
Sous Aniiochus le paierie il y avait un enfant nommé, Agapet, craignant Dieu. Il renonce à tous ses biens, il étudie infatigablement la doctrine du Christ^ il s'offre en holocauste à Dieu, et dit à l'homme de Dieu Porphyrius : « Par ta cou- ronne (de sainteté), je fen supplie^ laissons voir ce que nous sommes, des soldats du Christ ; offrons-nous spontanément et reprochons au roi païen de rechercher, pour les maltraiter, les d'sciples du Christ. » Conduit devant le 7'oi qui lui rappelle ironiquement son imprudent bavardage, il ne se laisse ni effrayer ni séduire ; il se déclare chrétien et noble ; il ajoute qu'il a étudié le droit au forum, puis que ses parents Vont donné, dans un monastère, oii il a appris la vérité. Et il re- fuse de sacrifier à Jupiter invaincu, et il montre au roi que cest le diable qu'il a pour père. — La sagesse de cet enfant, qui Via pas quinze ans, étonne le roi, et aussi son courage dans les supplices. Lorsqu'on le ramène en prison, il résiste au corniculaire Attale, un apostat, qui essaye de le fléchir ; il raille les idoles muettes et sourdes. Il déploie la même fermeté
* G. M. R., 1, 158. Comparer encore comment on cherche, ici un prêtre, là un évêque ; comment on invoque, ici et là, afin d'obtenir communication d'un secret, les longues années de service, ou d'amitié [Simplicius et Glaudius]. Les prêtres mariés sont inspirés peut-être par Irénée. Cf. G. M. R. ii, 241-243.
> Cf. infra.
' B. H. L., 125. a Sub rege Antiocho pagano... » [Mombritius, i, 14].
22 TRADITIONS DE LA CAMPAGNE ROMAINE
devant le praeses, bieti que des charbons ardents soient placés sur sa tète et quon le suspende ensuite, la tète en bas, dans une épaisse fumée. Le corniculaire Anastase qui va le voir le quatrième jour le trouve vivant : le saint se promène sur les nuages de la fumée, et chante : « Je ne mourrai pas, m.ais je vivrai. » J'Jclairé par ce prodige, Anastase confesse devant le praeses qiiil n'y a pas d'autre Dieu que le Dieji d'Agapet ; et le martyr, joyeux, lève au ciel les yeux et les mains et re- mercie Dieu Sauveur, Fils Unique, Dieu de Dieu, Dévoré de rage, le prseses déchire ses vêtements et interpelle les dieux trop patients. Mais Agapet continue de lui dire la grandeur de Celui que servent les anges et les archanges ; lorsqu'on le rem- plit d^eau boiiillante, il en admire la fraîcheur et raille ses bourreaux : « Pour patron, dit'il, j'ai Dieu, qui me conforte. » Comme le prseses veut voir ce Dieu, et donc tente Dieu, il tombe de son siège et meurt, après avoir confessé le protecteur d' Agapet. L empereur, auquel les ministri apportent la nou- velle, ordonne que le saint soit livré aux lions. On le conduit à Frénésie, on prépare V amphithéâtre ; mais les lions le sa- luent avec respect tandis quil continue d"* exhorter le peuple à croire au Père, au Fils, à f Esprit-Saint. Alors il est mené aux deux colonnes, contra ciuitaiem ; il s'agenouille et est décapité, le XV des kalendes de septembre. Son corps est en- terré, la nuit, par des chrétiens, à un mille de la cité, dans un sarcophage neuf: « Dieu, disent-ils, a élu ce martyr pour faire bénir son nom (au pays) où florissait la religion des païens » . [En effet), beaucoup d'entre eux croient en Dieu par le serviteur de Dieu Agapet, et par le Christ Noire-Seigneur qui vit et règne avec Dieu le Père et avec l Esprii-Sahit dans les siècles des siècles. Amen,
Saint Agapet, protecteur de Préneste, est attesté par des documents très sûrs. Le férial hiéronymien place sa fête, de même que les gestes, au 15 des kalendes de septembre (18 août) \ Une inscription du iv° ou du v^ siècle, trouvée près de Palestrina, aile Quadrelle, témoigne du culte qui lui était alors rendu, et de l'existence d'une église à lui consa-
1 F. H., p. 107. E : xv.K., sep in penestre nt agapiti, — B : XU KL. SEPT. IN CIUIT. FINIS trina miliario xxxiii Agapiti.
CINQ VERSIONS DE LA LEGENDE
23
crée *. Le Liber Pontificalis, enfin, raconte que Félix III [483- 492] lui éleva une basilique, à Rome, tout près de saint Lau- rent 2.
C'est de ce saint de Préneste que les gestes prétendent ra- conter riiistoire. Ils ont été souvent remaniés et modifiés.
Le texte [Aj, qui a été résumé plus haut, est celui que pré- sentent le Codex Vindobonensis et Mombriiius.
Un manuscrit du Mont-Cassin supprime Anastase et ajoute à ce que nous savons un voyage en Ligurie du roi Antiochus qui confie le martyr au préfet Amas; Attale se convertit, c'était un ancien apostat ^ ; Agapet est ramené et tué à Pré- neste [B|.
Une troisième version suit B, mais fait d'Antiochus un préfet subordonné à l'empereur Aurélien : après avoir tor-
' C. I. L., XIV, 3415 [p. 348). — Mafucchi [Guida archeologica delVantica Prenesta (1885), p. 150] a proposé ces restitutions.
(Hœc domus Placid) lANNORVM. NVNGVPABIïVR
(Martyris introitus eccle) SI^QVE ATRIA. SANGTI
(luslitise sedes, fidei domus) AVLA PVDORIS (Cf. Gruter, 1163, 6)
RESSVS. LETABÏLI. TVMVLO. METAS
IMVS. INTERIORI. DEFESSI. PARENTES SANCTVS. EPISGOPVSQ. IVGVNDVS EPS. OBEVNTIA. FVNEBRI. PERAGTA AT. INSONTI. LVX ALMA. QYJE. CELSA RE SI NOS ATQVE INTIMA. TVTVM EM. PLACIDVM COMPONITVR GVR^ TVM HABEAS. AGAPITË SANGTE. ROGAMVS
(Hiac ven) (Et clerus). (Et cuncta (pi) (Rogat ac luce) (Quera tradimus) (Dulci per fratr) (Huoc accep)
(Sic pu)
ERVM PLAGIDIANVM MERENTER. VERSIBVS. DIXI.
' L. P., 1, 252. — Cf. Itin. Salzbourg : « Postea ascendes ad ecclesiam s. Agapiti martyris ; Epitome : « Juxta viam tiburtinam ecclesia est s. Agapiti inultum honorabilis martyrum corporibus ; Notitia : « Iq altéra parte viec illius est ecclesia Agapiti martyris [de Rossi : R. S., i, 178-179. — L. P., i, 253 6]. Il y avait encore un monastère consacré à Agapet, à Rome ; il est at- testé vers 800 [L. P., ii, 12]. — Sur Agapef, cf., indépendamment de l'article de Delehaye cité plus bas, Tillemont, iv, 350, Baillet, ii, 18 août, p. xvi et 18 mai, p. XIX, Allard, m, 25, et Delebaye : {'Hagiographie de Salone [Analecia, XXIII, 1904, 6, sq.].
' 18 août, 532. — Delehaye : S. Anastase martyr de Salo7ie [AnalectOy xvi, 1897, 490]. Un prologue montre que, comme l'Italie est à la tête des pro- vinces, ainsi les saints d'Italie sont à la tête des saints. On rappelle que Pré- neste Valerix interiacet provinciœ. Agapet veut se livrer. Antiochus... tyran- nico more nomen sibi regium usurpahat\^?>\. On met l'accent sur les richesses d'Agapet. Le paragraphe 12 est un curieux écho des controverpes qui ont donné naissance à la Ciiè de Dieu et au De gubernatione Dei : Trogue Pom- pée y est nommé; on démontre que le Christianisme favorise la prospérité des états. Au § 16, on trouve des traita augustiniens [(De us) ante constitutionem mundi elegit discipulûs] et une profeasion explicite de la procession ab utroque.
24 TRADITIONS DE LA. CAMPAGNK ROMAINK
turé Agapct, Antiochus tombe de son tribunal et meurt * [C].
Une (juatrièinc version, qui a éUi utilisée par Adon -, con- serve Aurolien et Antiochus, mais remplace Attale par Anas- tase (de Saloni)) [l)J.
C'est enfin une cinquième version de ces mc^mes f^^esles que présente la légende de saint Venant de Camerino ' : le seul changement notable que l'on constate, c'est que, ici, Agapet s'appelle Venant et l^réneste Camerino. J'ajoute qu'Anastase est juxtaposé à Attale, celui-ci étant prœconiarius, celui-là demeurant cornicularius ^ se convertissant et devenant à son tour martyr [E].
// est évident que A, D, E^ sont parents entre eux parce qu'ils s'intéressent tous à Anastase et qu'ils s'y intéressent seuls. Nos cinq versions se répartissent donc en deux classes.
[1 est très vraisembable que les trois textes de la seconde famille [A, D, E] ne sont pas sans rapport avec le fait qui a popularisé en Italie Anastase de Salone *. Le pape Jean IV [640-642], qui était dalmate, voulut sauver des invasions les reliques les plus vénérées de son pays ; il les fit transporter à Rome ^ et les déposa dans une petite chapelle, près du bap- tistère du Latran ; les principales mosaïques dont il orna la chapelle existent encore. Or, parmi les saints dalmates ir»r3or- tés à Rome, je relève un saint Venant et un saint Anastase -, et je remarque encore que le père du pape Jean IV s'appelle Venant. — Je suppose que cette translation mémorable attira l'attention des milieux romains sur Venant, sur Anas-
1 18 août, 537.
2 18, 20 et 21 août, P. i., 123, 333-334. Plus un mot précis sur la sponta- néité du martyre d'Agapet. — Flodoard [vi, 3, P. L,, 135, 691] paraît dépendre d'Adon.
3 18 mai, 138. — Le rôle de l'ange est plus développé. Le § 5 mentionne une Via Lata « quae ducit ad civitatem conlra Orientem ». La fin de la lé- gende semble originale ; Venant convertit les ministri qui s'épuisent à le tor- turer ; et, dirigés par Leontius et Euprepius, ceux-ci chassent Antiochus de son trône, se font ordonner par le pape Jean, proscrivent le Paganisme et organisent des églises.
'* Sur Anastase le foulon, martyr de Salone, avec lequel il faut identifier Anastase le corniculaire, cf. Delehaye : S. Anastase martyr de Salone \Ana- lecta, XVI (1897), 488].
6 L. P., I, 330. « loannes, natione dalmata, ex pâtre Venantio... Eodem tempore, fecit ecclesiam beatls martyribus Venantio, Anastasio, Mauro et alio- rum multorum... Cf. de Rossi : Inscr. Chr. Urbis. Uomx^ u, 148.
LE PAPE JEAN IV 25
tase et sur leurs compagnons : un des clercs de la cour du pape, afin de se concilier la bienveillance du maître, imagina sans doute de conter l'histoire du patron de son père. Sans se mettre en frais d'invention, il choisit au hasard une lé- gende, celle d'Agapet de Préneste, comme il aurait choisi telle ou telle autre, et il la démarqua consciencieusement \ Les deux légendes ainsi mises en contact, les saints dalmates ainsi mis en rapport avec le saint de Préneste, on s'explique aisé- ment qu'Anastase ait fait irruption dans les gestes d'Aga- pet — , au cas où un hasard inconnu ne l'y aurait pas déjà conduit avant ce temps ^
Peut-être aussi le martyre et la translation à Rome d'Anas- tase le Perse, martyrisé le 22 janvier 628 et transporté ad aquas Salvias vers 642 ' ont-ils contribué à attirer l'attention sur ce nom de saint.
Dès lors, comment concevoir le rapport des trois textes A, D, E, Tun avec l'autre? Il est certain que D est postérieur à A et à E : l'introduction de l'empereur Aurélien qui le carac- térise est motivée par le désir de supprimer cet Antiochus roi de Rome, dont nul n'entendit jamais parler. La suppression d'Attale atteste des préoccupations du même genre, l'auteur de D a voulu corriger la légende, la simplifier, la rendre plus homogène et moins absurde.
Quant à E et A, j'imagine que A est antérieur à E et lui a servi de modèle. — Mais comment expliquer la localisation de Venantius à Camerino qui caractérise le texte E? Le plus simple est d'admettre qu'on vénérait à Camerino un saint local qui s'appelait Venantius et dont l'histoire était ignorée : dans les milieux italiens et romains l'oubli des origines dal- mates de la nouvelle légende sera promptement survenu.
Peut-être aussi l'introduction du culte de Venantius à Ca- merino est-elle elle-même liée à la célèbre translation. Je re- marque que c'est au lendemain des victoires de Rothari
* La mention d'Agapet dans le Sacramentaire gélasien [Wilsou, p. 194"| at- teste sa popularité persistante au vu® siècle.
2 Le calendrier populaire donne au 21 août : Salonse^ Ânastasii martyris [P. £,., 123, 167-168]. Et le nom de Venant est fréquent en Italie au vie siècle: tout le monde connaît, par exemple, l'ami de saint Grégoire. — L'évêque et martyr de Salone, Venant, a succédé à Domnio avant 312 : c'est tout ce que l'on sait sur lui.
3 22 janvier, 426 ou 39. — P. L., 123, 147-148. — Cf. de Rossi : R. S., i, 144-145.
26 TRADITIONS DE LA CAMPAGNE ROMAINE
[()3()-G521 quo la paix a été rétablie dans l'Italie centrale et que les diocèses y ont été réorganisés ; en 041), nous voyons au concile de llome un évoque de Cainerino, ainsi que les évéques de Spolète, Assise cl Kieli ^ Je me demande si le culte de Venant n'a pas été instauré à Carnerino à ce moment où l'église se réorganisait; on l'y aurait bientôt considéré comme un saint indigène (à supposer toujours qu'il n'y ail pas trouvé un bomonyme local). Il est très remarquable que la légende, dans sa seconde partie, se présente comme l'bis- toire de l'établissement du Cbristianisme à Carnerino : d'après nos gestes [§§ 15-21], l'église de Camerino a été organisée par les anciens ministri convertis par Venantius, notamment par Leontius et par Euprepius que le pape Jean consacre comme archevêque et comme archidiacre. Dans ce mystérieux pape Jean, j'incline à voir un double ingénieux du pape Jean IV, fils du scholastique Venantius.
Si l'on admet que A date de 630-650, on pourra dater D et E, la correction et l'adaptation, de la fin du vn° siècle.
Il est très vraisemblable que les deux textes de la première famille, B et C, sont antérieurs à 630-650. Mais à quelle date faut-il les rapporter?
Trois faits m'invitent à penser à la fin du v* ou au début du vi° siècle, à l'époque ostrogothique en un mot.
Ils présentent tous deux, bien qu'inégalement marqués, des traits qui se rapportent aux polémiques touchant la spon- tanéité du martyre -.
A la fin du v® siècle et durant la première moitié du vi®, on devine que le culte d'Agapet s'épanouit avec force : la cons- truction que Félix IV [483-4921 dirige à Rome ^ en est une preuve décisive, et la vogue du nom d'Agapet à ce moment n'en est pas un indice moins clair. Au début du vi®, je trouvée Rome trois grands personnages qui portent le nom d'Agapet : l'un, consul en 517^ accompagne à Constantinople le pape
* Hartmann : Geschichte Italiens im Mittelalter, ii, 2, 269.
2 Cf. B. [18 août, 532, 1.] : il aspire à la vie éternelle ita ut desideraret ma- gis pro Christo mori... et plus loin, § 2 : Porphyre veut retenir eum ultro ad martyrii certamen accingere velle. — Cf. aussi C, [18 août, 537, ij : totum se OBTULiT JDeo holocaustuni. Il dit à Porphyre : ne nous cachons point du tyran, sed magis ultroneos o/feramus nos. Cf. § 5 : Attale dit : lubentissime cupio subir e sentenliam martyrii.
3 Sur l'église construite par Félix en l'honneur d'Agapet, cf. supra^ p. 23.
LE PAPE AGAPKT ' 27
Jean 1 [523-52G] lors de sa fameuse ambassade * ; l'autre est un patrice qui fait partie de cette môme ambassade ^ ; le troi- sième est le fils du saint prêtre Gordien, mort en défendant Symmaque : il devient pape en 535 et meurt en 53G ^ laissant un renom de sainteté et entrant aussitôt dans la lé- gende *.
Enfin, les gestes d'Agapet, B, rappellent par beaucoup de côtés les gestes romains. Le prologue insiste sur la valeur édi- fiante des gestes de martyrs ; — Agapet est un enfant martyr, comme Pancrace et V^itus; — le patrimoine d'Agapet semble aussi considérable que le patrimoine de Pancrace ; — il est as- socié, comme Donat, à un homme de Dieu dont la ferveur est pourtant moins grande que la sienne [comparer Porphyrius et Hilarianus] ; — il invoque, comme Cécile et d'une manière tout à fait analogue, la protection de Dieu '\ On peut croire que la légende a été formée dans les mêmes milieux augusti- niens que celle de Cécile, de Vitus, de Potitus ou de Pancrace.
Quel est le rapport de B à C? — C est caractérisé par Tin- troduction d'Aurélien ; comme tout à l'heure D — qui, sans doute, en est issu — C'est donc un texte corrigé.
Mais il ne s'ensuit pas que B soit le texte primitif : le voyage en Ligurie, le préfet Amas ne se rencontrent dans au- cune des versions postérieures. Le fait est très surprenant, si l'on admet que ces deux détails appartiennent à la première ver- sion. Il ne serait pas impossible que B représentât un remanie- ment postérieur, datant peut-être de la première moitié du 11® siècle, alors que s'élaborait la légende de Faustin et Jovitc.
1 Goyau : Chronologie de l'empire romain (1891), p. 632 et L. P., i, 275. C. I. L. X, 4495, Il a été prœfecius Urbi [Var. i, 6, 23, 27].
2 L. P., I, 275. Il meurt ea Orient. Eanodius l'a coqdu.
* L. P., I, 287, sq. Oq connaît encore, à ce moment, un sophiste alexan- drin et un diacre constaotinopolilain de ce nom : celui-ci adresse à Justi- nien, son ancien élève peut-être, 72 thèses sur les devoirs du prince chré- tien ; celui-là s'établit à Elusa [d'après Pauly-Wissowa].
* On raconte qu'il a guéri à Consiantinople, je veux dire in Grœciarum par- tibus, un muet et un boiteux [Grégoire le Grand : Dialogues, m, 3. — P.L., 77, 224]. — Le R. P. Delehaye [loco cHato\ rattache nos gestes à des gestes inconnus de Venant le Dalmate, dont rien .n'atteste J'existence. Je ne vois pas qu'ils soient nécessaires.
5 « Agapitus dixit : tôt tormenta quee sunt in terris in me compleantur, quia magnum babeo patronum deum qui me confortai »... [Vindob., 357, fo, I687]. — Dans Basilide^ qui est parent de Vitus, je retrouve, comme dans Agapet C, l'empereur Aurélien.
Cf. aussi l'expression unum e duobus elige [B.,§ 6J.
28 TRADITIONS DE LA CAMPAGNE ROMAINE
On peut donc croire que li et C reposent sur une version X datant du début du vi* siècle^ dont B nous donnerait, ré- serve faite d'Amas et de la Ligurie, l'image la plus fidèle \
* Cf. supra, p. 23, n. 3. — Peut-être aussi B est-il un remaniement fait dans Teutourage de Gésaire ou de Fulgence : on s'expliquerait mieux dans ce cas la mention de la Ligurie, les traits augustiniens qu'il présente. Le § 12 at- teste les mêmes préoccupations [cf. supra, p. 23, note 3| que certains pas- sages de Sébastien [cf. G. M. R. ii, 100]. Notre auteur devait conuaitre ce texte.
Sur l'oblation des enfants aux monastères, cf. Fustel de Coulange : Ori- gines du régime féodnly Bénéfice et Patroyiat, 408.
Le calendrier populaire mentionne au xiii des Kalendes de septembre [P. L,, 123, 167-168]. Porphyrius homo Dei.
CHAPITRE II
TRADITIONS D'OMBRIE LES SAINTS VALENTIN, CONGORDIUS, CONSTANTIUS, ANTHIME
Il n est pas de pays qui soit en rapports plus fréquents avec Rome que l'Ombrie : c'est la route vers le nord. Il est naturel, lorsqu'on quitte les environs immédiats de Rome, de cher- cher en Ombrie ^ les légendes sœurs des gestes romains.
La voie Flaminia unissait rapidement et commodément l'Ombrie à Rome; et Terni, la patrie de Tacite, communiquait
par un court chemin avec la voie Flaminia.
■I
^tes de £g prophète dit à Dieu : a Tu as multiplié les fils des irïrD?2 hommes conformément à la profondeur [de tes desseins). j>
» Sur la fféoffraphie de l'Ombrie ancienne, consulter la bibliographie de Jung, et surtout G. I. L., x,, 2, p. 601, Narni ; p. 608. Terni ; p. 636, Ame- ria; p. 664, Garsulœ ; p. 675, Todi ; p. 698, Spolète ; p. 731, Bevagna ; p. 7d3, Foligno et Forum Flaminii ; p. 782, Assise. — Malheureusement, les indices du tome XI n'ont pas encore paru (1906).
2 B. H. L., 8460-8461, 14 février 756 ou 757. — Il y a eu une autre version
30 TRADITIONS d'oMHRIP:
Mais ceux'là sont plus spécialement ses enfants r/ui lui ont voué leur vie. Tel Valentin de Ternie dont les miracles di- saient les vertus et répandaient la renommée , — Des nobles athéniens^ très versés dans les lettres des Grecs (scliolaslici viri apud Grœcos), Proculus, Ephebus et Apollonius étaient venus à Rome étudier le latin : ils logeaient chez leur conci- toyen Craton, orateur également habile dans les deux langues. Son fils unique Chœremon avait, depuis trois ans, la tête entre les genoux, tous les membres tordus et noués ; Une pou- vait plus dire une parole: les médecins de Home avouaient leur impuissance. C'est alors quhin certain Fonteius Tribuni- tius raconta à Craton que son frère, atteint des mêmes souf- frances, avait été guéri par un certain éveque Valentin , citoyen de Terni, Craton fait venir Valentin, il lui offre la moitié de sa fortune (substantiae meso) s'il guérit Chœremon. « Fais-toi chrétien, répond V éveque, et ton fils sera sauvé; cjuant à ton argent (census), donne-le aux pauvres afin ciu ils prient pour ion fils, )) — « Je connais mal votre religion^ dit Craton ; je croyais que chacun était sauvé par sa foi, non par la foi d'un autre. » — a II y a des circonstances, répond Va- lentin, oii nul ne peut faire à un autre ni bien ni mal ; il y a des cas contraires : le père peut obtenir la santé de son fils^ et r Ancien et le Nouveau Testament (nova et vetera sacra volu- mina) montrent que la foi de Vun peut secourir Vautre, Uinfi- délité de Vun nuire aux autres : voyez V histoire de PJiaraon, de Moïse, de Jésu Navé. » Craton se dit convaincu ; aux pa- roles il promet d'ajouter les actes, et de recevoir Veau baptis- male qui, par Vinvocation de la Tînnité, a mystérieusement en elle V Esprit-Saint, si son fils est guéri : étaient présents à cette scène Proculus, Ephebus et Apollonius qui connaissaient le grec à fond, qui étudiaient le latiii et que nous avons connus ^ {?), Valentin — qui a raconté V histoire du Christ — commande alors un jour et une mât de silence ; il ferme la porte ; il étend sur le cilice, sur lequel il a coutume de prier, Chœremon à dêmi-mori et il entre en prière. Au milieu de la nuit une vive lumière resplendit ; une heure après, V enfant guéri loue à haute voix le Seigneur; Valentin continue néan-
de la légende de Valentin, plug complète. Nous Tatteigaons dans Adon [14 et 15 février, P. L., 123, 228-229J. Elle achève l'histoire de Craton, que notre texte laisse en suspens : non midtis post diehus martyrio est conmmmatus. * ( Quoa cognovimus in grœco perfectos ad latina studiapervenisse.
VALENTIN DE TERNI 31
moins ses prières et ses hymnes jiisqicà ce quHl les ait ache~ vées. Craton se convertit ; Proculus^ Ephebus et Apollonius renoncent aux études de V humaine sagesse pour se consacrer aux études divines et attirent au Christ une foule de jeunes gens qui cultivent les lettres, entre autres Abundius, fils du préfet de la ville Placidus, Les sénateurs s^indignent ; Va- lentin dénoncé, flagellé, refuse de sacrifier et est mis à mort. ProculuSy Ephebus et Apollonius portent son corps à son église^ à Terni, pendant la nuity et V enterrent dans la ban- lieue, tout auprès ; livrés au consulaire Lucentius (ou Léon- tins), ils sont décapités au milieu de la nuit. Leontius dispa- raît on ne sait oiif tandis que Abundius enterre les trois amis auprès de Valentin, louant Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne avec Dieu.,, dans les siècles des siècles. Amen.
Ces gestes prétendent, évidemment, raconter l'histoire du saint local de Terni, Valentin, dont le férial hiéronymien mentionne l'anniversaire et dont ne parle aucun autre docu- ment authentique *. On peut affirmer néanmoins qu'une double parenté, littéraire et légendaire, les unissent à d'autres textes et à d'autres légendes.
Les gestes de Valentin rappellent les gestes d'Alexandre de Baccano : tous deux content soit une résurrection, soit une guérison miraculeuse d'un mourant ; — tous deux prêchent une idée religieuse, là la nécessité du baptême, ici le dogme de la communion des saints et la légitimité des intercessions mutuelles- ; — tous deux laissent entendre que le peuple est favorable aux chrétiens ^ ; — tous deux font une évidente
1 Le cimetière de Valentin a été retrouvé et étudié par M. Marucchi [Rom. Quartalschrift, i\, 1890, 151 ; et // cimitevo e la hasilica di s. Valentino e guida archeologica délia via Flaminia. Roma, 1890]. M. Ihm a publié trois débris d'inscription dont les caractères rappellent les philocaliens, mais qu'il n'ose pas rapporter à Damase [Damasi epigrammata^ 50, p. 53-54]. — Voici le texte du F. H. p. 20.
E. XVI Kal mar Inter aune via flammin nt valentini,
B. IN TUSGIA... INteramnes via Flaminia miliaro ab urbe Romœ LXIII Natl 8ci vincenti {lire Valentini).
Le calendrier populaire mentionne le même anniversaire au même lieu [P. Z., 123, 149-150]. — Sur Valentin, cf. Tillemont, vi, 679 ; Allard, m, 241.
'^ Même préoccupation dans Clément: «Theodorœ. . apparuit... uir... uene- randus et dixit ei : per te saluus erit sisinnius ut irapleatur quod dixit frater meus paulus apostolus : sanctificabitur uir infîdelis per mulierem lidelem ». [Codex Parisinus, 5299, f. 98«-].
" « Qui lucentius agnoscens quod proculum et esybus atquse apolloaius po-
32
TRADITIONS D OMBRIE
allusion à une relique vénérée qu'on montrait aux pèlerins (là, rorarlum ; ici, le ciiiciurn) ; — tous deux témoignent que le rédacteur est familier avec les actes apocryphes des Apô- tres : il leur emprunte, là l'idée de déguiser les diables en Egyptiens, ici le personnage de Graton; — tous deux enfin se présentent comme le récit d'un témoin oculaire. Et l'on s'explique ces rapports : la voie Cassia qui menait à J3accano et la voie Flaminia qui conduisait à Terni se confondent lors- qu'elles touchent le Tibre pour entrer dans Rome. Les tradi- tions qui suivaient l'une et l'autre route devaient nécessaire- ment entrer en contact.
Valcntin est encore apparenté à Getiiliiis — et je note que l'attache topographique de GetuUus n'est pas à Rome, mais aux environs de Rome, à Gabies de Sabine (Torri) * — : Getu- lius est aussi versé que Valentin dans la connaissance des lettres divines ; et son historien s'intéresse à la Grèce autant que le rédacteur de Valentin.
La légende de Terni est étroitement apparentée, comme il est naturel_, aux légendes romaines qui ont leur point d'at- tache sur la voie Flaminia : les légendes d'Abundius et de Maris. Il est très vraisemblable, en effet, que l'Abundius, fils du préfet de la ville, qui est converti par Proculus et ses amis, a été suggéré par le prêtre Abundius qui est torturé au qua- torzième mille, enseveli au vingt-huitième mille de la voie Flaminia ^ ; et sans doute notre narrateur a-t-il voulu faire
pulos multos quo8 cognoverant amatores haberenl, timens ne violenter ei a populo toUerentur, noctis medio suis eos iussit tribunalibus praeseatari... » \Valentin. Cod. Vindob. 357, P 124'"]. — « Gornelianus iavenit nos in secclesia die dominica populum dei docentes... Cumque ingressi fuissent qui esset alexander inquirere nolers, et uidens multitudinem populorum cepit timere et cum reverentia cepit dicere pro qua causa uenisset... Multiiudo populi lapidibus interfici (ère eos) cogitabant, cumque coguouisset cogitatum eorum dixit ad eos : filii et fratres, quod cogitalis inpedit mihi... > [Alexandre. Cod. Vindob. 357, f«, 194^1.
1 G. M. R., I, 227-228. — Valentin a été utilisé par l'auteur de Léopard : [30 septembre, 416] : Léeopard est présenté comme un élève de l'évêque de Terni; encouragé par celui-ci, qui le baptise dans les thermes de Dioclétien ad fontem... palatinutn, il refuse d'adorer Julien l'Apostat, ac si Deus esset \ et c'est Valentin qui l'enterre à Otricoli. Léopard uq souffle mot de Pigmenius ni du titulus Pasioris ; il insiste sur les septeni artes libérales: il mentionne une translation du corps à Aix-la-Chapelle, uhi hodie usque eius intercessio quseri- tur. Le texte date vraisemblablement de l'époque carolingienne.
^ G. M. R., 1, 220. — 16 septembre 300. — Sur les rapports de Valentin avec Abundius, Carpoforus, cf. infra.
TEXTES APPARENTÉS 33
croire que c'était le même personnage dont il racontait ici la conversion, et là la iin glorieuse.
Faut-il identilier de même Valentin de Terni et le véné- rable prêtre Yalentin qui, mêlé à l'histoire des Persans Maris et Mariha S convertit le princeps Astérius, est condamné par l'empereur Claude et décapité sur la voie Flaminia le 16 des kalendes de mars? Tillemont l'a pensé ^ : môme nom, même anniversaire, même route, autant de faits qui semblent lui donner raison. Mais il est certain qu'il y a un cimetière de saint Valentin à Rome ^ et un second cimetière à Terni * ; il est donc possible qu'il y ait eu deux Valentin, comme il y avait sans doute deux corps, que leurs traditions se soient mê- lées et que l'anniversaire le plus fameux ait supplanté celui qui était le moins célèbre ^
11 est curieux de constater que les gestes de Valentin rap- pellent les gestes de Césaire ; c'est à Terracine que Césaire est vénéré, de l'autre côté de Rome. Dans les uns et les autres se rencontre un consiilaris Leontius ; — les uns et les autres témoi- gnent que leurs auteurs — et leurs auditeurs — s'intéressaient à Byzance et à la langue grecque. Et l'on en vient naturelle- ment à penser que les gestes de Valentin ont été rédigés lors de la restauration impériale en Italie, à la veille ou au lende- main des grandes victoires de Bélisaire ®.
< G. M. R., I, 231-232.
2 IV, 679-680. — Marucchi : op. cit., 35.
s Itiner. Salzbourg. « Deinde intrabis per urbem ad aquiloneai donec per- venies ad portam flamioeam ubi S. Valentinus martyr quiescit via flaminea in basilicâ mapaa, quam Honorius reparavit... » fde Rossi: Roma Sotteranea, i, 176. — Cf. Epitome, ibid. ; et Notitia, i, 177].
* La localisation d'un Valentin à Terni semble attestée directement par les prestes eux-mêmes. Le cimetière renfermait beaucoup d'inscriptious du v^ et du vie siècle [de Rossi : Bull., 1871, 85 ; 1864].
^ De Magistris : Acta Martyrum ad ostia tiberina, p. 40-41, et G. M. R., i, 233. Sur les rapports de l'Ombrie avec Rome au vi« siècle, cf. G. M. R., i, 353 et 164-165. — Les gestes de'Félicien de Foligno [24 janvier 582| dépendent certainemeul de Valentin : mais ils présentent un autre caractère, cf. in- fra. p. 82.
Je relève, au S 6, l'attestation de la triple virginité de la Marie : « virginein concepisse, virginem peperisse, virginem post partum permansisse. »
6 Sur Césaire et ses attaches à l'époque byzantine, cf. G. M. R., i, 92, 140, 257-258 et 306-307.
Rien ne s'oppose à ce que notre texte date du milieu du vi^ siècle : ni la langue [« substantia ; census »] ; ni l'affirmation de la perpétuelle virgi- nité de Marie [§ 6], ni le souci de la régularité disciplinaire [§ 8, Valentin achève soigneusement statutum orationis numerum et hytnnorum]. Au temps de l'exarcbal, le scholasticus ^désigne un véritable conseiller juridique du
m 3
34 TRADITIONS DOMBRIE
Mais comment expliquer que le rédacteur de Terni ait eu l'idée de puiser aux gestes de Terracine?
Le fait est moins surprenant qu'il peut paraître d'abord. Los traditions de Terracine sont liées aux traditions de Home, comme aux traditions de Rome les traditions de Terni : les gestes de Nérée, de Césaire et de Montanus * l'attestent ; l'existence de la voie Appia l'explique. D'autre part, les gestes de Nérée unissent à des traditions de Terracine des traditions picénates touchant Victorinus d'Amiterne et Maro de Septempeda : et les gestes de Valentin de Terracine prou- vent que, à Terracine, on s'intéresse au Valentin de Terni.
Gestes de Valentin de Terraeine succedey malgré lui, comme evéque Vaientiu ^^ Terraciue à Avitus et est sacré par saint Silvestre rèfuqié
de lerra- _ , , , > • i /-, • -,
cine'^ au mont Soracte lors de la persécution de Constantin : il a été instruit par ses parents Clarus et Flavia dans les arts li- béraux et est très]versé dans les Saintes Ecritures ; son frère Sabricius administre les biens paternels. Lorsque l'apostat Julien^ r ancien sous-diacre de l'église romaine^ l'ancien élève du prêtre Pigmenius, persécute les chrétiens^ et envoie en Campanie le préfet Aufidianus, Valentin et son disciple le diacre Damien, fils de la veuve Prœla, sont dénoncés par Ur- sace et Irénée : ils lui résistent et sont torturés. Mais un ange délivre les athlètes de Dieu, les conduit dans le comté Val- vensis, à Corfinium, puis au Pont de Marbre sur la Pescara, puis à Interpromium, puis à Zappina ; ils guérissent d'un signe de croix beaucoup de malades, — dont les médecins mangent la fortune, sans guérir les affections, — ressuscitent le fils de Demetrius, procomul de Zappina ; ils détruisent les
gouverneur [Diehl. 153] ; mais le même terme s'emploie couramment pour dire un homme instruit, un lettré ; cf. Grégoire le Graud : Epist., ix, 12, P. L. n, 957 : precem quarn scholasticus composuerat. — Et je remarque que le nom de Valentin stimble jouir d'une certaine vogue au vi^ siècle : témoins le Valentin, évêque de Rufine et Seconde [L. P., i, 297], le notaire de Vigile [L. P., I, 303), l'abbé Valentin des Dialogues (I, 4.— P. L., 77, 176], le dé- feosor de Milan \DiaL, iv, 53. — L. P., 77, 416], l'abbé et le prêtre connus par les lettres de 'saint Grégoire fiv, 42; ix, 37].
C'est peut-être un des deux Valentin qu'on aperçoit dans l'entourage — à demi-t^rec — de Vigile, qui a rédigé nos gestes. L'idée centrale semble avoir été empruntée à Lucie [G. M. R. ii, 193], la sainte de Syracuse, qu'à son passage à Catane alla sans doute vénérer Vigile ; l'attaque contre les méde- cins s'y retrouve [Rien de semblable, au contraire, dans Alexandre ;pape.\
1 G. M. R., I, 251-261 et 12 mai, 3.
ï B. H. L., 8457, 16 mars, 423.
VALENTIN DE TERRAGINE 35
temples, incendient les bois sacrés, construisent des églises, ordonnent prêtres, diacres et autres ministres de VEglise, Fu- rieux, les pontifes des temples les conduisait dans la grande forêt de Zappina et les décapitent auprès d'une énorme pierre oii leurs bienfaits se multiplient jus qu^ à ce jour. Ils ont souf- fert le 16 des kalendes de mars, au temps de V empereur Ju- lien^ tandis que chez nous régnait Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui sont honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen^,
Le saint de Terracine-Corfinium et le saint de |Terni ont même nom et même anniversaire. Leurs légendes s'intéresent également à la science, profane et surtout sacrée, de leurs héros. Elles présentent toutes deux des points de contact avec les d'Alexandre de Baccano et les gestes de Donat : on a dit ce gestes qui touchait Valentin de Terni ; Valentiîi de Terracine ressuscite un mort et fait s'écrouler un temple d'Apollon aussi bien qu'Alexandre de Baccano ; il connaît, comme Donat, le prêtre Pigmenius et l'ancien sous-diacre devenu persécuteur^. Valentin de Terracine utilise aussi, du reste, les gestes de Sil- vestre, de même que Valentin de Terni puise aux gestes d'Abundius, de Maris et de Martha. Gomme les dévots de Valentin de Terracine s'intéressaient à Valentin de Terni et aux saints du même cycle, ainsi les pieux amis de Valentin de Terni se sont intéressés à l'homonyme de la côte tyrrhé- nienne et aux autres légendes de ces parages.
C'est dans les mêmes milieux, peut-être à la môme époque, qu'ont été rédigés les gestes des deux Valentin de Terracine et de Terni.
Le rapport de Valentin à Come-Damien confirme ce qu'on entrevoit de son origine : la science médicale et le désintéres-
i Un episcopus valvefisis eat attesté dès le temps de GMase Jaffé : Regesta, 1,86,648-649]. — Sur la géographie, cf. Jung: Géographie von Italien [3. Mûller : Géographie und politische Geschichte des Kl. Alterthums, 1889, p. 489 1, et M. Besnier : De regione Pxlignorum [1902, Parisiis] 95-96. Corameat s'explique le voyage de Valentin de Terni chez les Péligniens ? Par un saint local qui se serait appelé Valentin ? Cf. la double attache de Vitus.
2 Les gestes de Valentin de Terracine empruntent aux gestes de Donat : i. L'époque de Julien ; 2. Le personnage de Pigmenius ; 3. La consécration par l'évêque de Rome de l'évêque local ; 4. Le refus du futur évèque, qui se pré- tend indigne ; 5. Cette satire des médecins qui mangent la fortune des gens qu'ils ne savent pas guérir. Cf. Lucie.
Sur les rapports de Donat et à' Alexandre de Baccano, cf. infra.
3G
TRADITIONS D OM URIE
sèment des uns et des autres est tout pareil ; les trois compa- gnons de Valenlin, Kphebus, Proculus et Apollonius, rap- pellent fort les trois frères des anargyres, Anlhime, Leontios et lvu[)repios. — Or, la version G de Come-/)amien que nous visons ici semble dater de 520-550, et émaner d'un groupe où l'on connaissait à la fois les légendes grecques et les légendes latines ^ : je songe à l'entourage du pape Vigile. C'est à ce groupe et à cette date que je rapporterais volontiers Valentin.
II
Gestes de Derrière Terni, Spolète.
dius2je ^1^ temps de l empereur Ajîtonm, il y avait a Rome une '^^^^^^^^^^"^ grande persécution contre les chrétiens^ au point que nul ne pouvait acheter ou vendre sans avoir d'abord sacrifié. Il y avait alors à Rome un prêtre Concordius, de noble famillcy dont le père était Gordien^ le très saint prêtre du tilulus Pas- toris. Gordien élevait son fils dans la science des Ecritures; après r avoir fait sacrer sous-diacre par Pie, évêque de RomCy il s' adonnait avec lui aux jeûnes, aux oraisons, aux aumônes, demandant à Dieu la grâce d' échapper à la rage des persécu- teurs, Or^ Concordius lui dit : « Mon seigneur, laisse-moi aller auprès de saint Eutyches, et permets-moi de rester au- près de lui jusquà ce qu^ait cessé la rage d'Antonin. » —
< G. M. R., V. — Cf. supra, p. 34, n.
2 B. H. L., 1906, 1er janvier, 9. — [Cf. Adoa, P. L., 123, 208-209; et Flo- doard, P. L., 135, 649]. — Je reproduis le curieux passage qui touche à la question de la licéité de la fuite : «... die noctuque et elemosinis pauperum insistens, petebant a domino ut rabiem imperatorum potuisseat fugere. Tudc concordius dixit patri suo : domine meus si uis dimitte me ut uadam ad sanctum euticem et babitem cum eo paacis diebus donec cesset rabiem ini- mici autoûini imperatoris. Dicit ei pater suus: fili, magis hic habitemus ut possimuscoronari. Dicit ei beatus coocordius: Uadam si iubes, quia ibi coro- nabor ubi me christus iusserit coronari. Tune dimisit patrem suum * et abiit ad beatum euticen liabitum suum qui tuQc morabatur in prfediolo suo uia salaria iuxta ciuitatem tribulem... [Codex Vindob. 357, f», 202'".]
1 L'Âugiensis XXXII donue : « dimisit eum pater suus ».
CONCORDIUS DE SPOLÈTE ' 37
« Au contraire^ répond Gordien, restons plutôt ici afin de pouvoir recueillir la couronne, » — « Je ferai ce que tu or- donneras : je serai couronné où le Christ aura voulu que je sois couronné. » Mais son père le renvoie.
Alors ^ Concordius va auprès d'Eutyches^ son aïeul ma- ternel, qui demeurait à ce moment dans une petite propriété, sur la voie Salaria, à côté de la cité Tribulus ; Eutyches le reçoit avec joie\ ils habitent^ prient et jeûnent ensemblcy et ils guérissent les malades au nom de Jésus-Christ. — Le bruit en arrive à TorquatuSy comte de Tuscie, qui habitait la cité de Spolète. Concordius s^ avoue chrétien, refuse de sa- crifier, de devenir Vami du comte et même prêtre des dieux ; conduit à la prison publique., il est visité par Eutyches et par Vévèque Anthime : celui-ci, ami de Torquatus, a obtenu un délai de quelques jours, il va habiter avec Concordius, et, quand le moment en est venu (tempore opportune), il le con- sacre prêtre. Mandé une seconde fois par Torquatus, Concor- dius est torturé sur le chevalet ; mais il ne cesse de glorifier Dieu et un ange vient le réconforter la nuit. Deux gardes que le comte lui envoie trois jours après, au milieu de la nuit, avec une statuette de Jupiter sur laquelle il crache, le déca- pitent à la fin. Il est enseveli par deux clercs et des religieux, non loin de Spolète, à V endroit oîi jaillissent des eaux abon- dantes : son anniversaire est le jour des kalendes de janvier, son tombeau est le théâtre de nombreuses guériso7îs, obtenues par ses prières, grâce à Notre Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles. Amen.
Le saint local de Spolète, Concordius, nous est attesté au début du vn^ siècle par le calendrier populaire *.
La civitas Tribulus est sans doute Trebula Mutuesca qui reparaît dans Anato lie- Victoire.
Il est certain que les gestes sont parents du groupe Jean-Paul, Vibbiane — Donat — Alexandre — ■ Valentin, etc. ^... C'est un Concordius — le nôtre évidemment — , qui, d'après les gestes de Vibbiane, enterre le prêtre Jean, iuxta concilium martijrum (via Salara), le Vlll des kalendes de janvier ^ — L'auteur des
* M. R. P. « apud Spoletum, sci'Concordii martyris ». P. X., 123, 145-146.
* Cf. supra, et G. M. R.. i, 285. » G. M. R., I, 124.
'^8 TRADITIONS D*OMBRIK
gestes de Concordius, comme l'auteur des gestes de Donat, s'irit(5resse au iitulus Pastorisy aux. sous-diacres, à l'observa- tion des insterstices, aux droits de l'évéque de Rome. — Il place son histoire au temps d'Anloniri, comme font les gestes d'Alexandre de J5accano. — Si je n'y relève aucun trait qui rappelle les gestes de Valentin *, j'y remarque un détail qui dé- nonce, chez l'auteur, la lecture des gestes de Jean et Paul : la mise à mort en secret au milieu de la nuit pour avoir refusé d'adorer la statuette de Jupiter. Et l'on sait que l'auteur de Vibhiane a relouché Jean et Paul 2.
11 est certain que le Gordien, père de Concordius, est iden- tique au héros des Gesia Gordiani^ dont on plaçait la mort sous Julien ^ et dont certains textes, aujourd'hui perdus, fai- saient sans doute un prêtre du titulus Pastoris, Notre lé- gende est parente des légendes juliennes.
J'attire l'attention sur ce curieux passage, oii le saint de- mande à fuir auprès d'Eutyches afm d'éviter les persécuteurs, où il montre que la volonté de Dieu saura partout l'atteindre, si elle veut réellement qu'il succombe. Cela rappelle les textes où les rédacteurs mettent en scène des pios homines qui latitabant ; est-ce une discrète apologie de la fuite, est-ce une retouche manichéenne ? Baronius a connu d'autres versions * de notre légende ; mais, comme elles n'ont pas été retrouvées^ on ne saurait rien en dire. — Ce qui paraît assuré, c'est que notre texte date de la première moitié du vi^ siècle : l'hypothèse rend compte et du fait qu'il imite Jean et Paul, et de sa parenté avec le groupe Vibbiane-Donat , etc., et de l'intérêt qu'il té- moigne à la question de la spontanéité du martyre ^
Voici trois points obscurs ^ L'Eutyches de nos gestes, l'aïeul
1 II semble, que Valentin soit chronologiquement postérieur à Vibbiane.
3 G. M. R., I, 146, note 1.
3 G. M. R , 1, 194-195.
^ Tillemont, 11, 627 : « Les manuscrits qu'il en avait vus estant plus amples que les imprimés ».
3 Je remarque encore que sa chronologie s'accorde avec celle du Liber Pon- tificalis : ici comme là, Pie I est placé au temps d'Antonin [L. P., i, 132]. Mais nos gestes ne marquent pas qu'il s'agit d'Antouinus P2i**, comme le fait le L. P,, ; il ne font pas, comme le L. P., de Pastor un frère de Pie. Il semble donc qu'il n'y ait pas ici rapport de dépendance littéraire entre les textes. D'autant q\i'Alexandre de Baccano explique la chronologie de Concordius. — Je corrige ici ce que j'ai dit G. M. R., i, 371. Le Concordius dont on a trouvé le corps dans l'église de Sainte-Martine, le 25 octobre 1634, n'a laissé aucune tràce, et pour cause, dans la légende de cette sainte. * Je ne crois pas devoir insister sur les premiers mots du paragraphe 3,
CONCORDIUS ET NÉRÉE 39
maternel deConcordius, n'est-il pas à identifier avec l'Eutyches des gestes de Nérée, le conseiller de Domilille, le martyr qui a sa basilique au seizième mille de la Voie Nomentane ^ ? Dans ce cas, comment expliquer que Nérèe le fasse mourir sous Nerva, tandis que Concordius le fait vivre sous Antonin ; que Nérèe le localise voie Nomentane, Concordius voie Salaria ? Où est le tombeau? — Le férial hiéronymien mentionne voie Nomentane un cymiterhtm Eutijchii H le texte de Nérée doit donc ôtre pris en considération. Une inscription de Damase atteste un autre Eutychius voie Appia ^ au cimetière de Saint-Sébastien. Malgré la faible distance qui sépare la Voie Salaria de la Voie Nomentane, il est donc possible que ce ne soit pas le même martyr qui ait été mêlé tour à tour à la lé- gende de Concordius et à la légende de Nérée. Le contraire est aussi possible, je dirais môme probable : pour un narra- teur qui se place à Spolète,près de la Voie Flaminia, c'est une même région que desservent la voie Salaria et la voie Nomen- tane. Au vi^ siècle, les légendes locales sont encore en pleine croissance : plusieurs pensaient accaparer le même personnage et donc le placer à diverses époques. On semble dire, enfin, que le séjour d'Eutyches sur la voie Salaria était passager. Le Concordius qui est le héros de nos gestes doit-il être
qui placent Spolète sous la jaridiction du comte de ïuscie. D'abord, l'anonyme ne dit pas que Spolète était en Tuscie ; il dit que le comte de Tuscie habitait, alors Spolète. En oQtre. dès le m® siècle, la Tuscie a été unie à l'Ombrie, et, dès le cinquième, le vocable Tuscie semble chasser le mot Ombrie : cf. notam- ment le Férial hiéro7iymien^ le Liber Pontificalis, Proscope et saint Grégoire le Grand, la thèse de Diehl et l'ouvrage de von Hartmann. Je n'ai pas trouvé un texte attestant la survie au v«, vie et vn^ siècles d'une province d'Ombrie, dis- tincte de la Tuscie et du Picenum. Mommsen la retrouve dans la Provincia Caitellorum [« Uber die ravennat. Cosmogr. — Berichte der K. sâchsichen Ge- sellschaft der Wissenschaften, 1851.80] ; mais je crois, avec Diehl, que cette expression désigne le Picenum annonaire tout hérissé de châteaux-forts. — Cf. Crivellucci : Chiesa e Impero al tempo di Pelagio II e di Gregorio /... [Studi Storici, i (1892), p. 224, note 2].
1 G. M. R., I, 209. — Cf. 228, et Hans Achelis : p. 46. '
2 E. VIII, K. sep... rom euticetis... in capua rufina; euticee.
W. uni KAL. SEPTE (M) B... In capua civit campania nat sc*orum rufînee euticœ eu sociis eorumincimit eiusdem via numentana miliario XVIII Arelato nat scorum genesi mar...
B. Ullll, KL. SEP... IN CAPUA CIU, campanie Scorum Rufinae. Euticae. IN CIMITERIO euisdê mil XVIII, ROM^ nath sci Genesi... [Rossi-Duchesne, p. 110].
3 Ihm, 27, p. 32.
Eutychius martyr crudelia iussa tyranni. , .^qj,jj|.
40 TRADITIONS d'oMBRIE
identifié avec celui qui est mêlé à rhistoir(; do (^onslantius ? — L'évêque Aiilhime, que nos gestes font apparaître à Spo- lète, est-il distinct du héros des gesla Anlkimi'î
Dans les deux cas j'incline à croire qu'il y a identité de per- sonnage ; et que les désaccords que l'on surprend parfois entre les textes reflètent seulement la diversité des traditions martyrologiques à une époque où elles sont vivantes *.
III
Gestes de
CoDstan- Le Créateur a eu pitié du genre humain^ il s'est incarne, il
Pérouse et ^'^^^ anéanti lui-même pour revêtir la forme de V esclave ; Foiigno comme Adam nous avait livrés au mal, ainsi la Vierge et son Fils unique nous ont rendu ce que nous avions perdu. Après sa naissance, il a choisi douze Apôtres, grâce auxquels — comme grâce à Dieu, — le bienheureux Constantius, de Pérouse, servit le Seigneur. Il jeûnait ; il nourrissait les pauvres de ses richesses ; il guérissait l'aveugle Astasia en in- voquant sur elle le Dieu d' Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. Lorsque vient l'implorer Crescentius, qui ne peut marcher, il prie Jésus-Christ ; une lumière éclatante ap- paraît qui, durant une demi-heure, séjourne sur le malade, et le malade est guéri. Cent vingt païens se convertissent.
Mais la nouvelle en arrive à Charisius, primus civitatis. C'est le temps où l'impie empereur Antonin persécute les chrétiens : il a envogé à Pérouse Lucius de magnis consulibus Roma- norum. Les speculatores arrêtent les chrétiens qui sont dans la maison de Crescentius ; ceux-ci refusent d'adorer Jupiter, Mercure et Saturne, les autres dieux, surtout le Soleil et la Ijune. Tandis que Lucius et Charisius font battre Constantius, Constantius chante ; jeté avec ses compagnons dans les
* G. M. R., I, 369.
2 B. H. L., 1938, 29 janvier 925 ou 540. Je l'appelle le texte A; il débute ainsi : Conditor et formator omnium rerum omnipotens Deuit...
CONSTANTIUS DE PEROUSE ' 41
thermes qui se trouvent devant le palais de Maximien^ il fait comme eux le signe de la croix: et aussitôt les bains res- plendissent de lumière, comme eji plein jour ^ et les soldats se convertissent, avec leurs fils, leurs femmes et leurs filles ; et ils s'en vont avec les confesseurs du côté de la forêt qui s'ap- pelle la Colline, à r endroit quon nomme Monticellus \ et ils y demeurent auprès d^ Anastase, serviteur de Dieu. Mais Lu- cius apprend leur départ et ses soldats, guidés par un païen, accourent les arrêter de nouveau, les raillant d'adorer un cru- cifié qui 71 a pas pu se sauver, lui-même. Et les martyrs pro- testent : cest de son plein gré que Jésus a été à la mort. Cons- tantius, Anastase, Carpophore et les autres ne se laissent pas fléchir ; Constantius marche pieds nus sur les charbons ar- dents, il guérit tous les malades que lui apportent ses geôliers et, entraîné par trois d'entre eux qui se sont convertis, il prend la route qui mène en Campanie, passe le Tibre, et chemine sur la voie Salaria. « Ou vas-tu », lui demandent des émis- saires de l'empereur lancés à la recherche des chrétiens. — « J'ai quitté Pérouse, répond Constantius, pour voir mes frères Concordius et Pontien et m'entretenir avec eux des choses du ciel. » — « Tu es donc chrétien. » — « Oui. » — Constantius, conduit à la maison de Duritius, puis au fleuve Clasius, proteste quil ri est pas un mage ; il est finalement décapité au carrefour de Foligno, non loin de la ville, après avoir été réconforté par un ange. Prévenu par un songe, Le- vianus ensevelit le corps, dont la vertu merveilleuse guérit quatre aveugles, au lieu quon appelle Areola : ses bienfaits s y multiplient jusqu à ce jour pour l'honneur de Notre-Sei- gneur Jésus-Christ, à qui honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.
Trois faits sont certains. 11 est sûr, d'abord, que ce texte porte la trace des polémiques relatives à la licéité de la fuite et à la spontanéité du martyre. Les deux fuites de Constantius — toujours présentées comme d'ordinaires [départs — Taffir- mation que le supplice de Jésus a été volontaire sont à cet égard très caractéristiques et rappellent certains passages des gestes de saint Pierre * et des gestes romains ^ Cela
* Près Tivoli. Connu dans l'histoire des barons romains.
' G. M. R., i, 332. Cf. Processus Martinianus.
^ Noter encore qne le terme mdge appliqué à un martyr se lit dans Ale^
42 TRADITIONS DOMBRIE
nous fait souvonir des polémiques catholico-manichéennes.
Il est à peu près certain que le Concordius et le Pontien dont il est ici question sont, Tun le héros des ^^^estcs dont on a parlé tout à l'heure, l'autre le martyr de Spolète dont il sera question bientôt : ce sont tous des martyrs de la terre d'Om- bric *. Et je remarque que les gestes de Fontien présentent trois points de contact avec ceux de Constantius : 1. L'époque d'Antonin; 2. Le supplice des charbons ardents ; 3. L'impor- tance attachée au signe de la croix. Pareils traits, sauf le second, se retrouvent dans les gestes d'Alexandre de jjaccano où le terme ministri se lit sans cesse^ où apparaît aussi une Trinité païenne, où les martyrs sont également condamnés à griller dans les thermes, où une lumière surnaturelle brille sur un malade qu'elle guérit, où le peuple manifeste égale- ment des sentiments très favorables aux chrétiens, où l'on rapporte textuellement, sinon la sentence du juge, au moins l'épitaphc du martyr. Et je remarque que ces gestes d'Alexandre ont été influencés par les polémiques relatives à la fuite. Les légendes de Concordius, de Pontien et d'Alexandre sont parentes les unes des autres.
Il est enfin très vraisemblable que les gestes de Constantius sont encore parents des gestes d'Anthime. On va voir que le rédacteur de ceux-ci semble avoir lu saint Paul, dont il redit les touchants conseils à l'ami malade qui ne voulait pas boire de vin ; et l'on a pu se rendre compte que le début des gestes de Concordius a une saveur paulinienne parfaitement nette : on y trouve jusqu'àla fameuse expression chère à Fulgence Ferrand % exinanivit semet ipsum formam servi accipiens. Dans les deux légendes se présente ce même trait que le malade est guéri par une lumière céleste, laquelle demeure une demi-heure au- dessus de lui. Enfin, les gestes de Constantius nous conduisent sur la voie Salaria, centre de la légende d'Anthime. Ils datent sans doute, comme Alexandre et Pontien^ du milieu du vi^ siècle.
Mais, avant d'en venir à Anthime, il faut comparer avec notre texte de Constantius une autre version qui en est fort
xandre pape. — La rencontre de Constantius par les officiales rappelle l'épisode analogue qu'on lit dans Florian, texte romanisé [G. M. R. ii, 230 sq]
1 Pareillement, il est sûr que le Grescentius est le martyr de Pérouae que nous connaissons par ailleurs [14 septembre 352. — Cf. infra.]
» Elle se lit aussi dans Hedestus, cf. supra^ p. 16. — Cf. G.M= R. II, 204.
LA VERSION DU MONT-CASSIN 43
différente et qui prétend néanmoins conter, comme lui, l'histoire du martjT de Foligno et de Pérouse : je l'appelle la version B.
Cette version % qui nous a été conservée par un manuscrit du Mont-Cassin, de la fin du x* ou du début du xi® siècle [Codex 117], commence par les mots : cîim esset igitur temporihus antonini imperaloris, devulgata est iussio eius. Elle présente les points de contact suivants avec le texte A : 1. Il s'agit toujours d'un Constantius^ vivant à Pérouse, et martyrisé au carrefour de Foligno; 2. au temps de l'empereur Antonin; 3. alors que Concordius et Pontien sont eux-mêmes arrêtés ; 4. son cadavre guérit des aveugles ; 5. il est enterré par Levianus.
Mais B supprime \q?> passages suivants de A : 1. le pro- logue conditor et formatai^', 2. la guérison d'Astasia; 3. la formule Deus Abraham, Isaac et Jacob ; 4. la guérison de Crescentius ; 5. la persécution dirigée par Charisius et Lu- cius ; 6. la première fuite, à Monticelli ; 7. le personnage d'Anastase ; 8. la seconde arrestation et la seconde fuite sur la route de Campanie; 9. le supplice des charbons ardents; 10. la maison de Duritius où le martyr est conduit après sa troisième arrestation.
En revanche, B ajoute à ce que conte A : 1. Constantius a trente ans, et les événements sont datés de la troisième année du règne d' Antonin (ou du séjour du martyr à Pérouse) [? in tertio anno magniis in aspectu {?? Dei ?) erat... ; perfectus fac- tus estper D. J. C, {qui) uocaiiit eum in congregatione iiis- torum~\\ 2. le saint va à Assise, in civitate asesinatim, parce que la persécution y sévit ; 3. les émissaires païens le ren- contrent au lieu appelé Danabus^ l'arrêtent et le rouent de coups ; 4. un ange vient le réconforter et guérir ses plaies, à la stupéfaction de ses bourreaux ; 5. mais Constantius se méfie, il craint que le diable se soit déguisé en ange, il ne se confie en lui qu'après l'avoir vu faire le signe de la croix ; 6. Cons- tantius est conduit, en compagnie de Concordius et de Pon- tien, ad civitate metropolitana quœ appellatur spellum; 7. Constantius demande au Seigneur quel était l'ange guéris- seur, et l'ange lui répond : ego sum custos anime tue et ego tollam spiritum tuum et deducam in paradiso Dei; 8. lorsque Levianus arrive enterrer le cadavre de Constantius, il trouve in tribio angelum Domini custodientem eum ; anima vero
1 Bibliotheca Casinensis, m, flor. 54. — C'est le texte B. H. L., 1937.
44 TRADITIONS T)*OMBRIE
eius ante se tenehat\ 0. deux païens qui le rencontrent et raillent la foi du martyr perdent instantanément la vue ; 10. ce sont deux aveugles |A dit quatre] qui sont guéris en retour '. De cette version encore, je dirai : trois faits sont certains. La mention de l'ange gardien, l'insistance que met le rédac- teur à spécifier sa nature et son rôle nous font souvenir de Vitus: il connaissait sûrement ce texte, ou un texte analogue. La méfiance du martyr qui soupçonne, sous les traits de l'ange, le démon caché, nous rappelle les épisodes parallèles de Julienne ou de Cyprien- Justine : ici, les soupçons du mar- tyr sont déplacés ; mais on sait que Julienne et Justine avaient raison d'avoir peur*. — J'ajoute que l'attitude prudente et réservée du saint est assez semblable à celle que tient Agathe, (dont on sait comme les gestes sont parents de ceux de Vitus) : elle refuse de se faire soigner par cette apparition suspecte, où se cache le bon saint Pierre ^
Enfin, j'attire l'attention sur cette civitas metropolitana quœ appellatur spellum. On n'ouit jamais parler d'une métropole ni môme d'un évèché de Spello. D'autre part, on verra que l'évêque de Spolète, au cours du vu'' siècle, et, sans doute, dès le début, a tâché de se faire attribuer la dignité métro- politaine ; or, au point de vue paléographique, la con- fusion de Spoletum-Spellum est explicable. Je crois donc qu'il faut lire Spoletum au lieu de Spellum ; et qu'on doit rattacher la version B aux autres textes qui soutiennent les droits métropolitains de Spolète. — C'est dire que B date sans doute de la première moitié du vue siècle '\
* Nous connaissoQs une autre forme de la version B : c'est le texte B. H. L., 1939, que j'appelle B2 : il commence par les mots Beatissimi Constantii, fratres^ cuius hodie natalicia celebramus audiet dilectio vestra^ et se lit 29 jan- vier 929 ou 543. C'est un sermon, qui suit fidèlement B ; voici ses caracté- téristiques : 1. Gonstantius est évêque de Pérouse ; 2. A l'épisode de Levianus sont mêlés 24 aveugles ; 4, Le corps a été porté ad destmatum locum Perusinss civitatis. — C'est un remaniement de B, qui veut soutenir les prétentions de Pérouse à la possession des reliques (de Constaotius.
2 G. M. R., V.
3 G. M. R., II, 195.
<- Cf. tn/r«, chapitre m p. 77. — Je me demande après coup, pensant à Félix de Spello [p. 103], à Félicien de Foligno et à Juvénal de Narni [p. 81J, s'il ne faut pas conserver la leçon Spellum, et expliquer ce texte comme Juvénal et Félicien cf. infra p. 83. note 2].
s Mais peut-être a-t-il retenu certains traits — ceux qui rappellent Agathe — qui se lisaient dans la version primitive, aujourd'hui perdue, et qu'on ne trouve plus dans A. La légende a sans doute pris forme dans les cercles au- gustiniens, où se remaniaient Euplus, Vitus, Agathe, etc. A n'est pas, sang doute, pur de toute retouche.
LE TEXTE PRIMITIF PERDU 45
Et que peut-on dire de la légende, commune à la fois à A et B ; quelle en est la genèse ?
A et B supposent le culte d'un saint Constantius à Foligno ou à Pérouse. N'est-ce pas celui qui est attesté par le férial hié- ronymien :
E et L. IV Kal. feb. m Tnscia Constantini *.
Comme nous lisons ailleurs Gonstantia pour Constantina *, il est vraisemblable qu'il faut reconnaître notre Constantius dans ce Constantinus. D'autant que B ensevelit le martyr tertio KaL februariarum ; c'est à peu près la date du férial ; l'écart s'explique sans peine, paléographiquement ^ Nous te- nons le culte, racine de la légende *.
Elle vise, dans les deux versions, les saints Concordius et Pontien ainsi que l'époque d'Antonin. L'époque d'Antonin nous rappelle Alexandre de Baccano, lequel date du milieu du vi' siècle ; Concordius et Pontien semblent avoir été rédigés à peu près vers le même temps. On est conduit à penser que notre légende de Constantius a également cette date.
Mais a-t-elle eu une existence antérieure, où elle se serait exprimée dans d'autres textes, différents des nôtres ? La chose n'est pas impossible. L'auteur de A ne paraît plus guère com- prendre la portée des deux fuites de Constantius : pourtant il les mentionne. N'est-ce pas qu'il était guidé par un texte? — D'autre part, A nous reporte à un moment où la tradition de Constantius tend à s'agréger à celles de Concordius et de Pontien, d'Anastase et de Carpofore, sans néanmoins que Constantius perde sa place principale, sans qu'il soit subor- donné à Tun ou l'autre de ses deux émules. N'est-ce pas que
^ De Ros3i-Duche8ûe, p. 14. — Le calendrier populaire et Adon ignorent Constantius. Le Bemensis donne constanti.
2 Geates de Jean-Paul. Cf. Aldhelme : de laude uirg., 40. [P. L., 89, 274]. — Cf. G. M. R,, I, 148. Uéoéque de Narni, au temps de saint Grégoire, est appelé tantôt Constantius, tantôt Constantinus [P, L., 77, 1334, 1338, 1007. — Ep., ix, 72].
^ Le texte B2 donne IV Kal februarii [§ 29] .
*^ Les œuvres de saint Grégoire attestent la diffusion du nom de Constan- tius à la fin du vi® siècle, et, particulièrement, semble-t-il, en Ombrie. Cf. Epist., XII, 24 [P. L , 77, 1233] : les moines de feu l'abbé Glaudius veulent élire pour abbé le moine Constantius ; Dialogi., i, 9 [col. 189] ; — Tévôque de Ferentum. Boniface, a un neveu (Constantius, dont nous savons et la cupidité et l'ambition ; Epist., ix, 72 [col. 1007 ; cf. 1334 ; 1338] — enfin, l'évêque de Narni, au temps de saint Grégoire, s'appelle Conatautius.
46 TRADITIONS d'oMFîRIE
son autonomie, si jo puis ainsi diro, est sauvegardée par un texte, h l'heure où le cycle s'enchaîne * ?
IV
d^An-^ A^Ser^m^ Terentianiis^ homme illustre, préfet de lavitlepour thime 2 [a seconde fois, épousa Protina, petite-fille de Gallien Au- guste, fille de sa fille Gallia, qui lui donna trois enfants, Claudius, Pompeianus et Lucina, Lucina épousa Faltonianus Pinianus, envoyé en Asie comme proconsul par Dioctétien et Maximien augustes : Chœremon, conseiller sacrilège de Pi- nianus, persécutait les chrétiens ; mais il tomba de son char, et mourut, tourmenté par le diable^ invoquant ces saints quil avait poursuivis. Pinianus fut si fort effrayé de cette mort quil tomba malade. Lucine, sa femme, sachant bien que c'était le démon qui le souillait^ se fit amener les confesseurs du Christ qui étaient en prison, Anthime prêtre, Sisinnius diacre, et d^ autres hommes religieux, Maximus, Bassus, Fa- bius, Diocletianus et Florentins, a Guérissez m.on mari, leur dit~elle, et vous serez libres d'aller ou vous voudrez. » — « Exhorte-le à se faire chrétien, répond Anthime, et aussitôt il sera guéri. » Lucine est remplie de joie : tous les médecins (medici^ archiatri et diasophistœ) ont été impuissants à le
1 Je néglige le texte B. H. L., 1940 : Ses Constantius Perusinus cîvis simul et episcopus... [29 janvier 547]. C'est un développement très verbeux de B- — on pourrait l'appeler B^ — ; outre sa verbosité, ce qui le caractérise est la mention d'une nobilissima Barciorum familia à laquelle est rattachée l'évêque Constantius ; on en aperçoit par là même l'origine.
J'ajoute un fait plus intéressant : certains textes, qui sont vaguemeut si- gnalés par Galesinius et par les BoUandistes [29 janvier, 924, § 2] parlent d'un Constantius tué par les Goths sous Justinien en même temps que six pèlerins allant de Germanie à Rome. Peut-être aurions-nous ici un cas analogue à ceux que présente la légende des XII Syriaques : la fusion d'une tradition martyrologique avec le souvenir d'une ascète du vie siècle, tel que Jean ou Herculanus [cf. infra] ; le texte deGalesiuius fait précisément de Constantius un disciple d'Herculanus et un évêque de Pérouse.
2 B. H. L., 561-565, 11 mai 616 ou 614.
ANTHIME 47
guérir ; et voici des hommes qui ne demandent rien et ré- pondent de tout, ce // est bien sot, conclut Faltonianus Pi- nianus, celui qui ne croit pas au Dieu qui sauve un déses- péré. » — Entrés dans la chambre où Pinianus est étendu, à demi-mort^ Anthime et Sisinnius constatent quil est tout prêt à croire ; ils lui disent que croire : le Dieu unique, créateur ; les trois Personnes ; la chute de V homme et r incarnation du Verbe., les miracles, la résurrection et l'ascension de Jésus ; et ils lé baptisent au nom de Jésus. Puis, Anthime et Sisinnius se mettent en prières ; une clarté céleste apparaît qui dure une demi-heure, et Pinianus se lève, guéri. Il appelle les confes- seurs prisonniers : après avoir été instruite pendant sept jours, Lucine est baptisée ainsi que les esclaves de sa maison et sa descendance.
Depuis ce moment, Piniamis rappelle les chrétiens qui sont dans les mines, dans les ergastules et dans les prisons ; il leur lave les pieds, selon la doctrine d' Anthime et de Sisin- nius, il leur baise les mains, il leur fournit des voitures afin qu'ils rentrent chez eux. Puis il va à Rome avec plusieurs chrétiens; il les répartit dans ses propriétés du Picenum, qui sont proches d'Osimo ; il donne une terre à Sisinnius, à Dio- cletianus, à Florentius qui y vivent en paix, avec d'autres, durant trois années. Mais une idole qui parlait tous les trois ans ordonne à ses adorateurs de les contraindre à sacrifier : sinon, elle ne parlera plus. Les saints le fusent, sont lapidés; et leurs bienfaits durent jusqu à ce jour.
Anthime se cachait sur la voie Salaria, au 33" mille, aux alentours des propriétés de Pinianus. Un jour^ comme des paysans (rustici) sacrifiaient à Silvain, le président de la fête (auctor sacrificantium) est saisi par le diable, et massacre tous ceux qicil rencontre; mais Anthime court à lui, V enchaîne dans des liens spirituels, le guérit^ le convertit, et brûle le bois sacré de Silvain. — Le proconsul Priscus, qui V apprend, le fait jeter dans le Tibre, une pierre au cou ; et, quand un ange le retire du fleuve, le ramène à son oratoire sous les yeux des Gentils (gentilos) qui, émerveillés, se convertissent, le con- sulaire Priscus le torture trois jours et le fait décapiter. On Vensevelit à son oratoire ; ses prières y font du bien aux hommes pour la louange de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui soient honneur et gloire dans les siècles des siècles. Maximus, ami inséparable (amicus individuus) d' Anthime^
48 TRADITIONS d'oMBKIE
prend sa place dans le pays ; les ennemis de la foi chrétienne r annoncent à Priscus qui lui reproche de détourner les pro^ vinciaicx (provinciales) du culte des dieux et le fait décapiter iwie Salaria^ au fJ(f mille, à rendrait où il avait coutume de prier. On célèbre son anniversaire le 14- des kalendes de no- vembre^ Nôtre-Seigneur Jésus-Christ régnant dans les siècles des siècles. Amen.
Mais Bassus exhorte le peuple à la place de Maximus ; on se réunit au marché qui est à l'endroit appelé Forum Novum, où l'on sacrifiait à Liber Pater et à Cérès. Bassus refuse de sa' crifier, il fait tomber les idoles en soufflant sur elles ; on le livre, aux trois ([uarts assommé, au consularis Fabius, qui le fait décapiter. — Tous ces martyrs, Anthime, Maximus, Bassus et Fabius ont été ensevelis où ils priaient, le long de la voie Salaria qui conduit au Picenum, tandis que Sisin- nius, Diocletianus et Florentius sont ensevelis au même en- droit, où ils ont été lapidés, près de la ville d'Osimo qui est placée sur une hauteur : elle bénéficie de leur intercession et de leurs mérites *.
Après avoir fait beaucoup de bien et donné beaucoup de terres aux églises, Pinianus mourut et sa veuve, Lucina, vécut en toute sainteté et chasteté. Elle jeûnait trois jours. Mais saint Sébastien, martyr du Seigneur, lui apparut, lui révéla Vendrait où son corps avait été placé par des sacrilèges, lui dit de prendre un peu de vin^ selon le précepte de r Apôtre, et de se contenter de jeûner un jour. « Comme les prêtres fuient la persécution et se cachent, et ne peuvent célébrer les offices (facientibus missas) ni te réconforter par la bénédiction [qui les termine), accepte au nom du Christ la noix que Rapportera une coiiieille, et puis, mange comme tu as coutume. y> — ce Pourquoi une noix, demande Lucine? » — ((.Parce que^ dit saint Sébastien^ (cest du moins ce qu'elle assure), les deux Tes- taments enveloppait les quatre Evangiles sous une [double) coque d' amertume (?) — Bacontons maintenant ce miracle. Chaque dimanche, chaque anniversaire de martyr, ou chaque fête, vers la cinquième heure, la corneille apportait une noix d une grosseur et d^une saveur merveilleuses ; les autres jours, elle venait à none. C'est à ce moment quune vierge, Béatrice, la sœur de Simplicius et de Faustinus qui ont été décapités le
1 C'est ici que finit le texte court, A.
LUCINE 49
^ des kalendes d^août, à Sexie de Philippe^ sur la voie de Porto, se rendit auprès de Lucine après avoir enterré ses frères, et demeura sept mois auprès d'elle : deux corneilles apportaient aux saintes deux noix. Mais un certain Lucretius qui désirait une terre qu'elle avait en commun avec ses frères^ la fît ar- rêter et étouffer de nuit par ses esclaves : Lucine V enterra à côté de ses frères, à Sexte de Philippe; et, comme Lucretius banquetait avec ses amis dans la propriété volée, son enfant — quon allaitait — lui dit : « Ecoute, tu es livré à rennemi » ; et Lucretius pâlit, frémit ; Satan le tue en trois heures. Tous se convertissent, tremblants.
Cependant Lucine s'enfuit, effrayée par la cruauté des sup- plices (asperitate passionis territa) ; mais Béatrice lui ap- parut : c< Ne V éloigne pas, dit-elle : ce mois même, la paix sera donnée aux églises. » Ce qui arriva. La fille de Dioclé^ tien, Artemia, fut délivrée du démon par le diacre Cyriaque, qui reçut de l empereur la maison contiguë aux thermes de Dioclétien : les chrétiens s'y réunissaient. Le peuple criait : « A bas Cyriaque » ; Dioclétien le contint, et lui reprocha d'être insatiable [de sang^. Revenu de la Perse oit il avait été guérir la fille de Sapor, dans le corps de laquelle était entré le démon chassé d' Artemia, Cijriaque fut accueilli par Lu- cine : il ramenait les eunuques convertis Largus et Smaragdus et leurs maîtresses Memmia et Juliana. Comme celles-ci ne voulurent ni sacrifier, ni épouser leurs fiancés Tarpeius et Persius, elles furent tuées sur leurs terres, voie d'Ostie; Cy- riaque, surpris au lieu oii elles priaient, est de même massacré par eux, et Lucine Vensevelit auprès de Largus^ Smaragdus, Memmia et Juliana, Elle meurt enfin, à 05 ans, après une vie d'aumônes, de prières, d'Jiymnes, de chasteté et de foi, et elle va à Dieu, à qui honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.
On étudiera tour à tour la genèse de la légende, et les di- verses versions qui l'expriment.
Il est certain que ces gestes sont un texte cyclique où Fau- teur a cousu bout à bout diverses traditions dont quelques-unes nous sont parvenues, par ailleurs, sous forme isolée : tels, les gestes de Marcel \ et les gestes de Simplicius et Viatrix ~,
1 16 janvier, 5 ou 369. G. M. R., i, 132, 211, 311, 341.
2 29 juillet, 36 ou 47. G. M. R., i, 243.
III 4
50
TRADITIONS I) OMIIIUE
Il est ccrlaÎQ que les héros de l'Iiistoire sont ccux-l«^i mômes que meuiionne le férial hiéronyinifTi ', et qu'on ne connaît pas, du reste, autrement : le saint Antliime du 2:^'^ mille de la voie Salaria | v. id. maii|, les saints h'iorentius et Dio- cletianus d'Osimo dans le Picenum |xvii. kal. iunii|.
Il est certain que les personnages de notre légende, Lucina et Pinianus Faltonianus, sont des personnages historiques ah- sorbéSy si je puis ainsi dire, par les personnalités à demi-lé- gendaires de Mélanie la Jeune et de son mari Pinianus. On a trouvé, à Sainte-Agnès et au cimetière Ostrien, le sceau d'une Turrania Lucina imprimé sur le mortier de deux tombes ^ ; et les inscriptions attestent que, au iv° siècle, il y avait des rap- ports de parenté ou d'alliance entre les Turranii^ les Faltonii et les Anicii -^ ; or^ Notker appelle Lucina, Anicia \ C'est cette mystérieuse Turrania Lucina qui se cache sans doute derrière notre Lucine. Nous ne savons pas qui était son mari ; peut-être était-ce un Faltonius.
On sait, d'autre part, l'immense renommée de Mélanie la Jeune [h- 439] '^ et, par contre-coup, de son mari Pinianus [ -f- 435]. Or, il ne semble pas que ce Pinianus ait été un Faltonius : Paulin de Noie assure qu'il appartenait à la gens Valeria ^ Pour que son souvenir se soit confondu avec celui
1 De Rossi-Duchesne, p. 59 et 61. La topographie du texte n'offre aucune difficulté. Auximum est Osimo ; Forum Novum est cité par Pline, m, 12 [éd. Janus, 1870, tome I, p. 144J. M. Stevenson a découvert sur la voie Salaria la catacombe de saint Anthirae, [Nuovo Bullett. , IS96, 161 1. — Le Maxiaius, aniicus individuus d'Anthime est peut-être le saint dont le diacre de Ricti Paul demandait des reliques à saint Grégoire, Cf. Ep., ix, 15 [P. L., 77, 959-60].
(( Gregorius Ghrysanto episcopo spoletano. Paulus ecclesiBe reatiuœ diaco- nus, petitoria nobis insinuations poposcit ut ad foutes in basilica sanctte Marias semper uirginis geuilricis Dei et D. N. J. G., quse est intra ciuitatem reatinam posita, reliquiae bb. mm. Hermetis et Hyacintbi et Maxinii debeant collocari.
2 De Rossi : Bull. arch. crist., 1876, 151. — Armellini ; Le cripta di S. Emerezianay 76; Il cimitem di S. Agnese, p. 175. — AUard, iv, 397-399.
^ Orelli : Inscript., 1131. — Armelliui : // cimitero di S. Agyiese, 175-177. [Allard, loco citato].
•* VI, id., mai, P. L., 131, 1081. — M. Allard a conjecturé que Sergius Terentianus était une déformation de Turranius, préfet de Rome en 290 [iv, 398, n. 2], le père, peut-être, de Turrania Lucina. Le fait est très vrai- semblable. Aucun document authentique n'atteste une Lucina Anicia, ni un Faltonianus Pinianus [Cf. Pauly-Wissowa : R. E., articles Anicii, Faltonius, et de Vit : Onomasticon].
^ Je renvoie aux magistrales études de S. E. le Cardinal Rampolla del Tin- daro : Santa Mela7iia Giuniore Senatrice Bomana. Documenti Conlemporanei e Note [Roraa. Tipogratia Vaticana, 1905, in-folio].
6 XXI, 220. — La Vita Melariise ne nomme pas le père de Pinianus ; elle ap-
LUCINE ET MÉLANIE LA JEUNE 31
qu'aurait laissé Faltonius^, l'époux hypothétique de Turrania Lucina, il faut que Mélanie ait absorhé cette Lucine : car nous ne connaissons personne qui ait été, à la fois, un Pinianus et un Faltonius. Les grandes richesses que notre rédacteur attribue à Pinianus et à Lucine, les terres qu'ils donnent aux églises, ces deux traits paraissent refléter l'histoire ' de la sainte romaine. — Et ce fait nous permet d'entrevoir l'époque où se forme la légende : elle s'épanouit à un moment où le souvenir de ^lélanie n'était plus assez récent pour ne pas se déformer, n'était pas assez lointain pour avoir tout à fait disparu. Si je note encore l'incendie du bois sacré de Sylvain et Timage que nous donnent les gestes des luttes des mission- naires contre le paganisme persistant ; si je relève ces passages qui nous transmettent l'écho des polémiques relatives à la fuite et à la spontanéité du martyre : si je rappelle enfin que Lucine était connue, sans doute, comme une Anicia, et que les Anicii fournissent des consuls à l'Etat en 464, 483, 510, 523, 526 % on aura les faits qui nous autorisent à dater de l'époque ostrogothique la formation du fonds légendaire.
J'attire l'attention sur une page des gestes, qui semble sin- gulièrement parallèle à une autre page de la vie de Mélanie. L'auteur à'Anthime conte que saint Sébastien conseille à sainte Lucine l'usage du vin et le jeune d'un seul jour.
Hœc cum supra vires niteretur et triduana exerceret ieiunia appariât ei S. Sebastianiis martyr^ et indicavit ei locuni in quo eius corpus a sacrilegis missum fueral. Quod cum levas- set et sepelisset, referebat ipsa venerahilis Lucina quod ipse S, Sehastianus eam monuisset ut et vino uteretur modico, se- cimdum prœceptum apostoli Pauli, et quotidiano esset con- tenta ieiunio ^.
Si l'on en croit Gerontius, Mélanie la jeune ne prenait pas
pelle son frère Severus. Valerius Severe et Valerius Pinianus étaient fils de Valerius Severus, préfet de 382, et neveux de Valerius Pinianus, préfet de 386. Cf. Rampolla, 122-125.
* Mélanie parle \Analecta, viii, 27J des esclaves qu'elle a « in diversis pro- vinciis, id est in Hispania, Italia, Apulia, Campania, Sieilia et Africa vel ludia eeu Britannia aut procul in reliquis regionibus ». — A vrai dire, le Picenum n'est pas nommé. Mais on ne peut pas attribuer à cette liste — qui cite l'Inde — une valeur très précise. Cf. RampoUe, 180-184.
2 G. M. II., II, 220.
• Anthime, § 12 [11 mai 618]. On connaît les recommandations de saint Paul à son ami malade.
52 TRADITIONS d'oMBUIK
(le vin, et, de jeune en jeûne, elle en vint à ne manger qu'une fois la semaine.
Lt ipsa dlcehal hcatissima non passe se vino uti,,. quia sic educaniur fUiœ senalorum. Nec mullopost tempore cœpit posi biduiim sumere cibum, et sine oleo ; necnon et postea post quinque dies et post lotam septimanam semel sahbato et do- niinico edehat '.
Ne semble-t-il pas que les tenants d'une ascèse rigoureuse se soient appuyés sur l'exemple de Mélanie, et que, pour ri- poster, leurs adversaires lui aient opposé l'antithèse de J^u- cine, forte des conseils de saint Sébastien et de saint l*aul. La tradition des ascètes d'Egypte^ à laquelle sainte Mélanie se rattachait -, était discrètement repoussée d'Occident par saint Ambroise et par saint Jérôme lui-même :
Dispiicent mihi (c'est lui qui parle), in teneris maxime ae- tatibiis, longa et immoderata ieiun?'a, in quibus iunguntur heb' domades et oleum in cibo et poma vetantur ^
Il est certain, encore, qu'une autre influence s'est exercée sur Anthime concurremment à celle de Mélanie : c'est Sébas- tien que je veux dire '^.
Voici les principaux points de contact que j'ai notés entre Sébastien et AntJiime : 1. Débuts analogues [^Sergius Teren- tianus, illustins vii\ secundo Urbis prsefectus... ; Sebastianus vir christiajiissimus . . ,^ ; 2. Les personnages de Lucine et de Béatrice sont communs aux deux textes ; 3. Dans les deux textes, on raconte que Sébastien apparaît à Lucine et lui ré- vèle où se trouve son corps ; 4. On mande les chrétiens pri- sonniers, ici dans la maison de Lucine, là dans la maison de Nicostrate ; 5. Pinianus délivre les chrétiens prisonniers, Sé-
1 Mélanie, § 24 [Rampolla, 14, 25-26J.
2 « Hebdomadibus protelabant ieiunia » [Cassien : de cœnob. but., v, 5]. Le jeune de toute la semaine était, par exemple, pratiqué par l'abbé Elie et par l'abbé Helpidius [Palladius : Hist, laus., 51 et 106]. Pour plus de détails, cf. Rampolla, op. laud., 224-229.
3 Ep, 107, ad Lœtam, § 10 ; — cf. Ep. 22, ad Eustochium, §§ 17, 37; et Ep. 54, ad Furiam, § 10 [Rampolla, 226]. — Isioter qu'on ne dit rien des com- munions de Lucine, « quamquam et consuetudo Romanis sit per singulos dies communicare. Primitus enim apostolorum beatissimus Petrus episcopa- tum gerens, deinde beatus Paulus ibidem consummatus banc traditiouem fece- runt. » [Mélanie, 62. — Rampolla, 36, 19-21]. [Mélanie fut écrite entre 440 et 491, sans doute avant Chalcédoine].
* G. M. R.. I, 137, 186-189, 301 ; II. 97— III
ANTHIME ET SÉBASTIEN 53
bastien leur fait ôter leurs chaînes ; 6. Ici et là les prêtres chré- tiens se cachent; 7. La crainte de la persécution pousse à fuir Lucine (dans Anthimé) et Chrornatius ; 8. Comme Pinianus a des terres dans le Picenum, Chrornatius a des propriétés en Campanie ; 9. Grandes richesses de Lucine et de Sébastien;
10. Allusion à la paix de l'Eglise ; H. Les chrétiens guérissent gratis; 12. Anthime et Chrornatius recueillent les chrétiens pendant la persécution ; 13. Sisinnius, Florentius et Diocle- tianus sont lapidés aussi bien que Tranquillinus ; 14. Anthime est jeté au Tibre, comme le cadavre de Tranquillinus ; 15. Rôle des anges, ici et là; 16. On insiste sur l'unité de la Trinité [doxologie de Sébastien; discours à'Ant]iime\ ; 17. Exposé de l'économie de l'Incarnation ; 18. Clarté céleste qui persiste une demi-heure \AntJii7ne\, une heure \Séhastien\ ; 19. Haute noblesse de Lucine \^Anthime\ et de Chromatius [Sébastieri],
On sait que les gestes de saint Sébastien datent sans doute de la seconde moitié du v^ siècle et proviennent du groupe de Salvien et de ses amis. 11 est vraisemblable que la légende iX' Anthime, influencée à la fois par Mélanie et par Sébastien, s'est élaborée à la fin du v^ siècle K
Les gestes d'Anthime nous sont parvenus sous quatre formes dont il est très malaisé de fixer le rapport : derrière nos quatre versions il y a d'autres textes qui nous sont in- connus. Ces quatre versions peuvent être ramenées à deux : l'une courte % qui se borne à conter l'histoire d'Anthime, Maximus, Bassus, Fabius, Sisinnius, Diocletianius et Floren- tius ; je l'appelle A ; — Fautre longue % qui ajoute au texte pré- cédent l'histoire de Lucine, saint Sébastien, sainte Béatrice et saint Cyriaque ; je l'appelle B. Des deux autres que l'on a si- gnalées, l'une [B.H.L, 563] est un abrégé du texte long '\ la
^ Anthime, comme Sébastien, touche à Shnjolicius. Notre texte des gestes de Simplicius et Viatrix* est assez sec : peut-êlre repose-t-il sur les gestes d'Anthime; peut-être est-ce un résumé de queh^ue légende plus ample qui se sera perdue : il ajoute seulement au passage parallèle d'Anthime que Béa- trice a été aidée par Crispus et par Jean.
2 B. H. L., 561 11 mai 616 ou 614. « Sergius Terentianus illustris vir ».
3 B. H. L., 562, 11 mai 618 ou 616.
^ Conservé daus le manuscrit D Philipps 12461 du xii^ siècle \Cat. Bruxelles,
11, 522] et dans le Parisinus 12611, du xii^ 'siècle également [Cat. Paris, m, 154] : c'est la fin de l'appendice, l'histoire de CyriaquC; Artemia, Memmia, Juliana, Persius et Tarpeius qui est omise. B. H. L., 563.
* Sur S. Simplicius, cf. G. M. R., i, 243.
54 TRADITIONS l/0MT5RlE
seconde jlJ.lI.L. 504] est caractérisée par un prologue. On l'examincîra plus tard *.
Le texte long, B, a-t-il complété le texte court, A? Est-ce îiu contraire le texte court qui a abrégé le texte long ? — \/d première hypothèse s'od're d'elle-même à la pensée : au texte court, histoire des martyrs de la voie Salaria, on a ajouté une histoire de Lucine tirée des gestes romains ; ainsi est né le texte long.
Mais ce n'est pas dire que le texte court A soit primitif. 11 présente plusieurs doxologies avant la doxologie finale ; c'est donc qu'il repose sur des gestes antérieurs A', qu'il a fondus ensemble. Et peut-être n'est-il pas impossible de se représen- ter ce qu'étaient ces gestes primitifs, et quelle a été la portée du premier remaniement. Les gestes primitifs contaient seu- lement l'histoire des martyrs de la voie Salaria ; laideur du premier remaniement les aura groupés autour d Anthime et mis en rapport avec Lucine pour les tirer de leur obscurité ; quel personnage de l'histoire légendaire plus illustre que cette sainte ? Associer d'obscurs martyrs à l'histoire de Lucine, c'était du coup les sauver de l'oubli et comme garantir leur historicité. Et j'imagine encore qu'une fois ce but atteint, l'auteur du premier remaniement (notre texte court, A) se sera désintéressé de Lucine ; ainsi fait un rédacteur de Censu- rinus '. Et c'est cet oubli qu'aura voulu réparer un second ano- nyme, l'auteur de B ; il aura compilé les gestes de Marcel, de Sébastien et de Faustinus Beatrix, afin d'achever la légende. Ainsi est né notre texte long, B. Anthime et Lucine semblent se disputer le premier rôle ; chacun d'eux l'a tour à tour occupé, celui-là, dans le remaniement A, celle-ci dans le remaniement B.
Quelle date assigner, dès lors, à A, à B, à A'?
A et B présentent le même caractère : ils sont également ap- parentés à des textes de la fin du v^ et à des textes de la pre- mière moitié du vi® siècle ; c'est la preuve qu'ils doivent avoir sensiblement môme date et même origine. A rappelle, natu- rellement, Mélanie et Sébastien ; de même, la précision de sa doctrine théologique nous fait souvenir de Censurinus %
1 Cf. G. M. R., VI.
2 Cf. G. M. R., H, 118-119.
3 Qu'on en juge par ce passage :
« Prsepara pectus tuum ut credas ea quae dixero tibi et dum credideris sal- vus eris. Dixit ei Pinianus : Ego nisi credidissem toto corde, nou fecissem
DATE DE NOS TEXTES 55
comme le sacrifice à Silvain des gestes de Gervais et Protais. D'autre part, la répartition des confesseurs à travers l'Italie centrale, semble modelée sur l'histoire d'Eutychcs, de Victo- rinus et de 3laro telle que la raconte Nérèe ; Lucine, comme J)omitille, est une neptis Aiigusti. Surtout Anthime est appa- renté à Valentin : ici et là un même personnage au nom peu banal, Chœremo'n ; guérison d'un malade, ici et là, par le moyen d'une lumière céleste qui dure soit une heure, soit une demi-heure ; ici et là, l'incident est tourné en satire contre les médecins.
B_, d'autre part, rapporte, comme Lucie, une prédiction tou- chant la paix de l'Eglise. Les prétendants de Béatrix, de Memmia et de Juliana rappellent fort celui qui apparaît dans Agathe. Le rédacteur à^Hedestus attache le môme prix à l'as- sistance « aux messes » que celui auquel nous devons B ; et dans B, aussi bien que dans Alexandre de Baccano, il est question de la bénédiction solennelle qui termine celles-ci. Tous ces textes ont été rédigés dans la première moitié du VI® siècle, assez avancée sans doute.
Or, voici que la même version B puise largement à la lé- gende de Marcel : l'auteur de B, seulement, utilise une ver- sion différente de celles qui nous sont parvenues. Un tableau succinct rendra la chose sensible au lecteur.
vos ingredi ad me. Dixit ei Anthimus : Audiergo quod credas. Quem coliraus unus est Deus, qui fecit cœlum et terram, mare et omnia quBB in eis sunt. Hic Deus Verbum ex ore suo virtutis plénum protulit, quo Verbo firmati sunt cœlum et Spiritu oris élus omnis virtus eorum : a quo congregatae sunt ve- lut in utre aqua^. maris et positse in thesauris abyssi : Deus autem quem oportet nos credere, cum sit trinus, tamen unus est : Pater qui ex corde eructavit Verbum bonum a quo omnia ; Filius, qui est Sermo quem eructavit Pater per quem facta sunt omnia quae lacta sunt; Sanctus quoque Spiritus in quo universa animantur quaecumque a Pâtre per Filium creantur. Deus autem hominem similem sibi fecit cui legem imposuit, quam si servasset vi- lam consequeretur aeternam. Sed invidus angélus persuasione sua fecit ut le- gem impositam rumperet : unde factum est ut deveniret in mortem. Idcirco Verbum per quod facta sunt omnia, quod est filius Dei, dignatus est hominem assumere nascendo ex virginali utero ; qui homo factus, habens in se virtutem integram Patris omnipotentis, omnia tentamenta diaboli exsuperans, pervenit ad lignum crucis, ut lignum praevaricationis mortiferae ligno passionis suae excluderet, et vitam quam homo perdiderat moriendo pro peccatoribusrepara- ret. Hic ergo tertia die resurrexit a mortuis,... discipulis per XL dies se mani- festans, dédit eis potestatem... ut in eius nomioe expellererit dsemonia,... as- cendit in cœlum. — [^n/Ame, il mai, 616, § 3].
50 TRADITIONS D OMBRIE
Gestes de Marcel Gestes d*Anthime
1. Lorsqu'il guérit Arlemia, fille de Après avoir guéri Johia, fille de Dioclélien, Cyriaque délie le diable Sapor, Cyriaque...
d'entrer dans son corps.
2. Serena joue un rôle et semble Rien sur Sereoa. Être chrétienne.
3. Rien sur la fureur du peuple. Fureur du peuple lorsque Dioclé-
tien donne à Cyriaque une maison près des thermes de Dioclélien.
4. Largus et Smaragdus ne sont Largus et Smaragdus sont eu- pas eunuques. nuques,
5. Rien sur Tarpeius et Persius ; Turpeius et Persius fiancés à Mem- Meramia et Juliaua sont seulement mia et Juliana.
mentionnées à propos de leurs tom- beaux.
6. Lucine exilée par Maximien. Rien sur cet exil.
7. (;iyriaque tué par Carpasius dans Cyriaque tué par Tarpeius et Per- sa maison. gius au tombeau de Memmia et Ju- liana.
8. Rien sur la mort de Lucine. Lucine meurt à 95'an8.
Il semble donc que notre rédacteur des gestes d'Anlhime [ B, texte long] ait puisé à une version des gestes de Marcel différente de celle qu'ont imprimée lesBollandistes,et de celle, aussi, qu'a utilisée le Libe?' Pontificalis : Lucine est mariée, ici à Marcus \ là à Pinianus.
A quelle époque placer tout ce travail littéraire? C'est aux environs de Tan 500 que s'est épanouie la légende de Marcel. J'en ai, autrefois, noté un indice - : j'insiste aujourd'hui sur ce fait qu'elle est ignorée par le premier et utilisée par le second éditeur du Liber Pontificalis ^ ; et j'ajoute qu'il en est tout de même de la légende de Susanne * , qui lui est étroitement ap- parentée ^
1 L. P., I, 164, 165'. Cf. page XCIX de l'introduction. La version du L. P. était assez proche de l'histoire. Comparer les observations de Mgr Duchesne, loco citato, avec celles de Tillemont, iv, 558.
2 G. M. R., I, 311.
^ Voir les référence? de la note 1.
* L. P., I, p. XCVIIL — Cf. G. M. R., i, 130-132. — Les gestes de Susanne racontent que Thrason recueillait et ornait les gestes des martyrs f§ 21J.
s Ici et là, légende d'une église urbaine, où interviennent également Thra- son, l'impératrice Serena, femme de Dioctétien, Maximien Auguste fils de Dio- clétien, et le palais de Salluste ; ici et là, on note l'influence de la question manichéenne : Cyriaque est l'antithèse de Mânes [G. INI. R.. i, 341-343], et l'hor- reur dont Susanne fait montre à l'endroit du mariage — et des embrasse- ments de son cousin — n'a rien qui ne puisse ravir l'ascétisme exaspéré des hérétiques. Cf. aussi avec quelle insistance on appuie, ici et là, sur la spon- tanéité des martyrs. J'ajoute que les descriptions du baptême, ici et là, sont
LES TEXTES PRIMITIFS
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Le plus simple, je crois, est de dater les deux remaniements A et B du milieu du vi® siècle, d'en chercher les auteurs dans le groupe d'où sont issus Lucie B, Valentin, Alexandre, /7e- destusy et d'expliquer par une influence littéraire les rapports qu'offre AntJiime avec les textes antérieurs. Je remarque que Donat — dont on verra la parenté avec les gestes romains, avec Valentin et avec Alexandre — introduit un personnage qui est dénommé Anthimus et critique, aussi nettement qu'yl?2- thime^Xdi grande valeur que beaucoup attribuent aux exercices ascétiques.
Il est malaisé d'avancer quelque chose de précis touchant les textes A' que lisaient les rédacteurs de A et de B, et qu'ils ont utilisés. Certains célébraient les saints d'Ombrie, Maximus, Bassus, Florentins, etc. Mais n'y en avait-il pas un autre, célébrant Lucine et les Anicii, et présentant peut-être déjà le caractère d'une version cyclique ? La rédaction de Cantius B, semble dater de la fin du v' siècle et s'inspirer des ambitions de \digens Anicia. Qui sait même si notre texte A n'est pas de ce temps : ses rapports avec Valentin s'expliqueraient par la
très analogues : les nouveaux convertis sont faits catéchumènes sccundum consueiudinem^ ils professent qu'ils croient au Père, au Fils, à l'Esprit-Saiot, et à la résurrection de la chair (trait anti-manichéen) ; le baptême est suivi de la confirmation {uncti chrismate) et de la communion {participati sunt cor- pus et sanguinem D. N. J. G).
Il est sûr, néanmoins, que Susanne n'est pas du même auteur que Marcel : l'auteur de Susanne écrit d'un style très affecté, insiste curieusement sur les détails de politesse et de protocole, rappelle avec emphase la science et la noblesse de ses héros, appuie sur la rémission des péchés opérée par le baptême et sur le pouvoir qu'a Dieu de sauver tous les hommes [§ 5 et 15|. 11 s'inspire peut-être de Cécile [l'ange qui protège la vierge] et de Jean et Paul [la question du mariage, la mise à mort dans lu maison] ; il s'inspire certainement des gestes de saint Sébastien [mensonges des martyrs à l'enjpe- reur; Dioclétien, dupé par Serena comme par Nicostrate ; les prisonniers chrétiens relâchés ou bien traités; comparer le « Claudius commentariensis » de Sébastien avec le cousin Claudius de Susanne ; — Marcel ne note pas la renonciation aux pompes de Satan], mais avec précaution [Susanne ne souftle mot des parrains ni des marraines] [Susanne seul applique le terme mediclna au baptême, §§ 9 et 11. On le retrouve à Rome, dans la prière qui accompagne l'imposition du sel ; Duchesne, Culte, 286].
Sébastien, Susanne, Marcel, Anthime, on voit quels rapports unissent ces quatre légendes. L'augustioisme de leurs auteurs ne paraît pas aussi strict que celui que reflète Constantins, — bien que Susanne attribue à Dieu le pouvoir, non la volonté de sauver tous les hommes, [cf. Cassien : Collât. XIII. 7]. Les traditions lériniennes combattaient chez eux les traditions au- gustiniennes. [J'ajoute que l'ensevelissement de Cyriaque voie d'Ostie, que conte Marcel, dérive sans doute du Cyriaque vénéré ad ostia Tibe^-ina, qu'atteste la légende deCensurinus.réplique de Sébastien, G. M. R.,i,248-249et II. 113-117J.
r)8 TRADITIONS d'oMBRIE
(l(^.pen(lanco de Valenlin à son ('•f^^inl ; AntJiime \ s'int('rosse autant que Coinirinus à une thoolo^^if; oxacto, ot il se dosinto- resse aussi subitement du grand personnage qui a été associé au martyr \
1 Censurinus est associé à Chrysè, comme Lucine à Anthime. Censnrinus et Ântfiime ont fortement subi l'influence de Sébastien. Noter la couleur césa- rienne de la formule dum credideris salviis eris, et combien tout cet exposé doctrinal rappelle le discours théolof,'ique de sainte Cécile.
CHAPITRE [II
TRADITIONS D'OMBRIE LES DOUZE SYRIENS
Je Comme Jean sortait de la province de Syrie, il pria le Sei- \f' gneur en disant: « Seigneur, Dieu d'Abraham, Dieu disaac. Dieu de Jacob, Dieu de nos pères, envoie-moi ta lumière, pro- tège mon voyage et fais que, partout où je donnerai mon psautier, on me le rende seulement le lendemain (?) (et quon me retienne, et quon me fasse bon accueil) ^. » Arrivé en Italie, comme il passait près de la métropole, au cinquième
1 B. H. L., 4420 [19 mars 31, ou 32].
- Le texte est obscur, et peut-être troublé. L'édition] bollandisle donne psalterinm meum rfederoêt ipsa die illiJfd «non)) restituitur, ubi 7ne facias per- manere. Le Vindobonensis 357, folio 203, v n, supprime non et donne : prospe- rut7i... facias iter meum in quo nunc dirigo et hoc mihi signum sit nt ubicum- que ambiilauero et psallerium meum dedero, ipsa die illum mihi restituerit, ibi me facias perma7iere. Unde et factum est... On lit plus bas : [ancilla Dei) tenuit eutn in illa nocte et m,ansit in eodem loco. Et niemoratus est b'^atus iohannes orationeni quatn effuderat... et dixit in corde suo : uere hic est obsecratio mea et hic permanebo. Mane autem facto, recepto psalterio, per- re.vit inde... — Le Vindobonensis donne la date de sadepositio, sub die XIIII K. aprelitim. [C'est par erreur que nous avons imprimé, G. M. R., i, 87, vita s. iohannis penarensis martyris : le moi w.artyris n'existe pas].
00 TRADITIONS d'oMBRIE
mille environ^ il trouva^ a la Irrrr du Pclil Champ (in lnn<lo Agollo) une servante de Dieu telle que, dans sa prière, il la souhaitait rencontrer : lorsqu'il lui eut donné son psautier, elle lui dit : « Reste ici aujourd'hui, et ne pars que demain ». Ils causèrent, et Jean se rappela la prière quil avait adressée il Dieu ; et il dit dans son cœur : « C'est bien là ce que je de- mandais à Dieu. » — Le lendemain, il ri alla pas beaucoup plus loin, à quatre portées de flèche environ; car l'ange du Seigneur qui le précédait lui avait dit : a Arréte-loi ici ; cest ici que le Seigneur te commande de rester » ; et il lavait con- duit sous un arbre en lui disant : « Cest ici que tu grouperas une grande foule et que tu trouveras le repos. » Alors le bienheureux Jean, confesseur du Christ ^ s'assit sous l arbre ii cet endroit. On était au mois de décembre ; il gelait partout ; seul, Varbre sous lequel reposait Jean ri en avait cure. Des chasseurs viennent à passer ; ils prennent le saint pour un ra- batteur ; ils lui demandent d'où il est venu. Et Jean raconte comment il est ve72U en Italie ; les autres s'étonnent : jamais ils nont vu pareil accoutrement. Mais Jean leur dit : « Ne me faites pas de mal ; c'est pour le service de mon Seigneur Jésus 'Christ que je suis venu en ce lieu ». Cependant l'arbre brillait comme un Igs ; les chasseurs comprirent que Dieu était avec lui ; Vèvèque de Spolète, Jean, auquel ils contèrent la chose, arriva en hâte, et versa des larmes de joie, et de- manda au saint tout ce qui est ici raconté. Tous rendirent grâces à Dieu; le peuple construisit un monastère où^ après avoir vécu quarante-quatre ans, Jean mourut en paix et fut enseveli au son des cantiques et des hgmnes. Ses bienfaits s' g multiplient jusqu'à ce jour, les aveugles voient, les démo- niaques sont délivrés, les lépreux sont guéris grâce à Notre- Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne dans les siècles. Amen.
Cette histoire exquise est peut-être vraie. Nous connaissons un Jean, évèque de Spolète, à la fin du v^ et au début du VI® siècle ^
Et voici une page de saint Grégoire le Grand ^
1 Sa signature se trouve dans les actes des conciles de Rome, de 499, 501 et 502 au temps de Symmaque [Labbe, iv, 1315 ou Mommsen: AA, xii, 400, 434, 439]. Cf. B. H. L. 4437. Ferrarius déclare avoir lu une vie de Jean de Spolète dans un vieux manuscrit qui a disparu [19 septembre 28].
2 Dialogues, m, 14 [P. L., 11, 244], « Prioribus quoque Gothorum tempo-
JEAN PENARIENSIS 61
((Au temps desGoths, depuis le commencement de leur do- mination jusqu'à la fin, vivait à Spolète un homme vénérable qui s'appelait Isaac : beaucoup l'ont connu, et surtout la vierge Gregoria, qui habite en ce moment à Rome, à côté de l'église de Sainte-Marie. Mais c'est le vénérable Eleuthère qui m'en a principalement parlé : il l'avait familièrement connu. — Isaac était venu de Syrie à Spolète. Arrivé dans la ville, il demande aux gardiens de l'église la permission d'y prier à toute heure ; il prie un jour, deux jours, trois jours sans interruption. A la lin, un gardien s'élonne ; il traite l'inconnu d'imposteur, il le frappe pour le faire sortir. Mais l'esprit (mauvais) le saisit, et lui fait crier le nom du pèlerin, inconnu jusque-là. La foule accourt ; chacun veut entraîner le saint dans sa demeure, on lui oil're de l'argent pour construire un monastère. Par mal- heur, il refuse, sort de la ville ; et c'est un peu plus loin qu'il groupe ses disciples ' ».
Je soupçonne que Jean est un digne émule d'Isaac, — ou que, peut-être, c'est un ermite d'Ombrie auquel on aura attri- bué une origine syrienne qui l'égalât à Isaac, — ou encore, qu'il est un double légendaire d'Isaac. — Le parallélisme des deux
ribus fuit iuxla spoletanam civitatem vir vilae veuerabilis Isaac nomine... Milita de eodem viro, narrante venerabili paire Eleutherio, cognovi... Ciim primum de Syriae parlibus ad spoletanam urbein venisiset, iugressus eccle- siam a custodibus peliil ut sibi quantum vellet liceutia concederetur orandi eumque horis secretioribus egredi non urgeret. Qui mox ad orandum sletib diemque totum peregit in oralione, cui sequeutcm contiuuavit et noctem. Secundo eliam die, cuin nocte subséquent! indefessus in precibus perstitit, diem quoque tertium in oratione conjunxit. Gumque hoc unus ex custodibus superbiiE spirilu inflalus cerneret, unde proficere debuit, inde ad defeclus damna peruenit. Nam hune simulatorem dicere, et uerbo rustico cœpit im- postorem clamare qui se tribus diebus et noctibus orare ante oculos homi- num demonstraret. Qui protinus currens virum Dei alapa percussit, ut quasi rehgiosae vitse Simulator de ecclesia cuni contumelia exiret. Sed. hune re- pente ultor spiritus invasit et ad viri Dei vestigia stravit ae per os illius cla- mare cœpit : Isaac me ejecit. Vir quippe peregrinus quo censeretur nomine nesciebatur, sed eius nomen ille spiritus prodidit qui se ab illo posse ejici clamavit. Mox autem super vexati corpus vir Dei incubuit * et malignus spi- ritus qui eum invaserat abscessit. In tola urbe tune statim quid in ecclesia factura fuisset innotuit. Currere viri et feminîB nobiles atque ignobiles pari- ter cœperunl, certatimque eum in suis rapere domibus conabantur. Alii ad construendum monasterium praedia, alii pecunias, alii subsidia quaeque pote- rant otTerre viro Dei suppiiciter uolebant ».
* Au même endroit, S. Grégoire raconte trois miracles opérés par Isaac : comment les voleurs venus pour piller son champ sont convertis dès qu'ils y mettent le pied ; comment il devine la ruse des faux mendiants qui veu- lent se faire habiller par lui ; comment il devine le larcin d'un enfant.
Cf. l'altitude de Valentin de Terni tandis qu'il guérit Ghaeremon.
62
'1 FlADiTlO^S I) OMBIUU
légendes est frappant : ici et là, il s'agit de l'origine d'un nno- nastère près Spolète, fond(i au temps des Gotlis, par un saint voyageur, venu des lointains pays de l'Orient, et dont un mi- racle découvre la sainteté. Les deux liistoires sfjmblent être contemporaines; au début duvii^ siècle, le culte de Jean l*e- nariensis est, du reste, attesté par le calendrier populaire '. Jl est très probable que notre texte date du vi° siècle -.
Gestes de II y a 270 ans depuis la naiiviti- jusqiC au consulat de Dio' clètien et au pontificat de Gaius, moment où (souflrit) le bien- Jieureux Laurent in finibus Gcniolati, à S milles environ de SpoU'te ; — - du consulat susdit au consulat de Dèce le jeune ^ il y a 245 ans. — Vévêque susdit siège onze ans, quatre mois, huit jours, au temps de Carus etdeCarin, et {il est ordonné ?) le 15 des kalendes de mai, Dioctétien étant consul pour la
1 XIV. Kal. apr. « la Penareose civitate, B. Joanais, magnae sanclitatis viri » [M. R. P. — P. L., 123, 151-152]. Ces deruiers mots atteslent, me sem- ble-t-il, l'intérêt particulier qui s'attachait alors à Jean Penarlensis. Le ms. de Vienne donne 28 mars, non le 19. Il y a erreur paléographique, évidemment, ici ou là.
2 D'où vient le surnom Penariensis ? Est-ce une déformation de Panacen- sis, adjectif dérivé de Panaca, bourg signalé près Spolàte [19 mars, 31. Com- mentaire]. — Flodoard [xiv, 7. — P. L., 135, 857J résume la légende ; le texte d'Adon [19 mars, P. L,. 123, 240] dérive peut-être d'une version plus récente que la nôtre, et dont la couleur rappelle davantage la physionomie habituelle de ces récits. — Sur l'appellatioQ metropolis, attribuée à Spolète, cf. infra ; c'est peut-être une retouche.
3 Noua publions ici, in-extenso, le texte du Vindobonensis. Il est inédit. Incp uita sci lauren \ tii mense Febr. d. iiii | , A natiuiate dui nri ihu |
xpi. usq ; ad coosulem | dioclitianum annos | ce. lxx. temporibus gagii | pape ; suh cuius temporib ; | beatus Laurentius infini | bus geoio lati miliario I a ciuitate spolitina plus | minus, viu. et a consulato j suprascripto usque ad con | sulem decium iuniorem | anni. ce. xlv. Qui uero | supra scriptus aeps, sedit | annos. xi. et menses un | dies. viii, temporibus cari | et careni. sub die xv kalen | darum maiarum diocliti ] ano sexto consule. et con | stantino. secundo; hic fe | cit orationes oms utascen | deret ut siquisaeps esse I mereretur prius hosti | arius de inde lector. exor | cistasequens quod inter I preetatur acolitus. dein | de subdiaconus deinde | diaconus. de inde pbr. deinde eps fieri qui prpt \ hoc fugiens psecutionem | dioclitiani impris ; dies au 1 96v-203v depositionis sci laurenti [ confessoris sub die prid | nonarum februariaru | ibi praestantur bénéficia | eius usq ; in hodiernum j diem : Caeci ibiueniunt | et sanantur, lepsi mun | dantur a daemonio uexati peius hora- tionem | liberantur egri ueniunt | et curam sanitatis accipi | unt, et multas uirtutes | p eum dus in eodem loco | ostendere dignatus est ; | régnante dfio nro ihù xpo | cui est honor et gla laus | et imperium aeterna | potestas qui cum pâtre | et spu sco uiuit et régnât | in seecula sœculorum | amen incipituita sci \ ioh penarensis m \ ..,[Cod Vindob.SbI. f" 96''(203'') 96v (203O/.
LAURENT DE SPOLÈTE ^^^^^ 63
sixième fois et Constantin pour la seconde. Il a fait des prières et (décidé) que, pour devenir cvêque, il fallait être d'ahord portier, puis lecteur, exorciste, suivant — ce qui se dit acolyte — , sous-diacrc, diacre, prêtre, et.,, évéque. C'est pourquoi, fuyant la persécution de Dioclétien...
Le jour de la déposition de saint Laurent confesseur est la veille des nones de février. Ses bienfaits se multiplient jus- qu'à ce jour (au lieu où il a été enseveli) : les aveuy les voient, les lépreux sont guéins ; par lui le Seigneur daigne opérer bien des merveilles tandis que vit et règne Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui honneur et gloire, louange, empire et puissance éternelle, à lui qui vit et règne avec le Père et C Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen.
Ce texte étrange où semblent manquer les verbes et abonder les dates paraît être un résumé d'untexte plus ample : sa struc- ture elliptique et dense l'indique ; une phrase inachevée le dé- clare ouvertement : qui pr opter hoc fugiens persecutionem dioclitiani impcratoris,..
Parmi les dates qui se lisent au début, je relève celle-ci : et a consulato suprascripto usque ad consulem decium mino- rem anni ce. xlv. C'est évidemment une parenthèse, qui nous reporte au moment où fut rédigé le texte. Le'consu- lat de Decius Junior, en effet, n'est pas un consulat fictif : en 529,1e consul d'Occident s'appelle Flavius Decius Junior i. D'autre part, le premier consulat de Dioclétien date de 284*; et 529—245 = 284. Le texte complet que représentent nos gestes est donc explicitement daté de 529.
Que vaut leur chronologie? Ce que vaut la chronologie de la notice de Gams, dans le Liber Pontificalis : nos gestes ont copié cette notice, dans la première édition du Liber ^ La date du texte est confirmée. — D'autant que les gestes de*Te-
' Goyau : 633. - Eq 508. je trouve aussi un Decius Marius Basilius Venan- t.us lumor et, en 534, le dernier des consuls d'Occident est Flavius Decîus Paul.nus lun.or Venantii. Les termes du texte, Decius Junior semblent «expliquer plus aisément s'ils visent le consul de 529; et puis 529^5-284 date de Tavènement et du premier consulat de Dioclétien '
u "i ^■' ;^.^^,*' .* Gains,... Fuit autem temporibus Carini..., usaue in die X Kal. ma.., Dioclet.ano IIII et Constantio II. Ilic constituit u ord ne omnes m ecclesia sic ascenderetur : si quis episcopus mereretur, ut esset ostSs iector, exorcista, sequens, subdiaconus, diaconus, presbit;r et exinde en co' pus ord.naretur Hic fugiens persecutionem Diocletiani... martyr ocoro natur. - Peut-être même le texte primitif de Laurent n'avait-il pas Xs d^am^ i:::Zé:Z:.''''' '' ^^^"^- "^ ^'-P^^^I-alt mieux ainsIrhis^'iTé:
()i TRADITIONS d'oMT'.HIK
reiitianus \ dont lo début insiste avec autant de complaisance sur la chronologie de leur héros, présentent la doxologie in nnllale Sph'ilus Sancli, et nous ramènent également au pre- mier tiers du vi*^ siècle. Je remarque enfin que, en 290, les consuls sont Dioclclianus au«^^ustus VI et Caius Flavius Vale- rius Constantius (^œsar II ; ce qui, moyennant une correction très aisée \constanlinus-conslanlius\ s'accorde pleinement avec les gestes. En 529, on rédigea donc les gestes d'un saint Lau- rent de Spolète, qu'on croyait évèque et martyr de cette ville, en copiant la notice de Gains dans le Liber Pontificalis ; l'au- teur avait les mêmes préoccupations chronologiques que les vi^AdiCiQxxvs à' Hcdestus, à' Alexandre de Baccano et de Terentia- nus,\\ s'intéressait à la langue grecque comme l'auteur de Va- lentin ; il connaissait comme lui les textes lériniens qui visent Carinus et les Anicii. Laurent nous fait souvenir (ÏAnthime.
Les Spolétains jugèrent évidemment que cette histoire était un peu maigre : ils la remanièrent et rembellirent. Laurent fut associé au Syrien Isaac et à son compagnon légendaire Jean Penariensis ; et plus tard, au viii® siècle sans doute, on en lit le fondateur de la célèbre abbaye de Farfa ^ Nous ne nous arrêterons pas sur le dernier avatar du martyr inconnu ; mais on nous permettra d'insister sur la deuxième stade de la lé- gende en voie de développement. Cette étude achèvera d'éclai- rer ce que l'on peut connaître de Jean et de Laurent de Spolète.
Les Bollandistes ont trouvé, dans un passionnaire de Spo- lète, un texte dont ils ont publié le début ^ et analysé le reste.
1 1er septembre 112. Cf. infra.
2 Chronique de Grégoire de Câlina, de 1098; Pierre Damien, lettre IX à Nicolas II ; Catalogue des abbées de Farfa |Mabillon : Musâsum Italicum, i, 1, p. 65]. Cf. i^^ juillet, tr. prael. v, p. 25, § 4 et 5 et le récent article de H. Schus- ter : L'abbaye de Farfa et sa restauration au xi« siècle. [Revue Bénédictine, 1907.17]. — Dans la tradition de Farfa, Laurent a une sœur, Susanne.Ne se- rait-ce pas un souvenir de sainte Susanne qui est mêlée, comme on sait, à l'histoire de Caius [L. P.,i, 161, et G. M. R., i, 130].
3 Voici la partie qui a été publiée, i^^ juillet, i, tract, prael. p. 26, ch. v., §7].
€ Igitur dominicse Incarnationis anno ccxc, régnante Dioclitiano sacrilego, consulibus vero Caro et Carioo ', cum preedictus Laurentius, claro génère partium Syriee orlus, collecta infinita turba suorura affinium, pro Christi animas ponere per martyrium decreverunt..., et aggressi Italiam, Apostolorum
* Celte date est fausse : les consuls de 290 sont Dioclélien IV et Maximien III. C'est en 283 que Carus et Carinus ont été consuls.
I
LES REMANIEMENTS DE LAURENT 6S
L'auteur inconnu connaissait nos gestes; il les utilise, mais il y ajoute. Qu'on en juge.
|s de iDt et
nt et ^^"'"'"'^ "'^"^ "^^ Si/rie avec une troupe nombreuse de corn- Sy. peignons ; après avoir fait leurs dévotions, ils se dispersent s^es dans toute l Italie Lazare et Jean se cachent à Ferentillo, où „, le duc Faroald leur construit un monastère ; Isaac en cons- truit un a bpolete, où il meurt, ainsi quEuticius. Jean Pe- nariensis réunit des moines. Dricius vit dans le comté (de Spolele), et y opère les miracles que les gestes font voir. Lau- rent choisi parles évêques de Rome et par le souverain pon- tife Gaïus, est d abord repoussé par le peuple de Spolète, dont il ne veut pas, contra auctoritatem divinam et sanctorum Pa- trum, acheter l'assentiment. Après avoir gouverné son éqlise onze ans, quatre mois et huit Jours, il dépose ordinern pasto- i^lem et se retire dans le désert, à 8 milles de Spolète, au heu dit Peniolatim. Un riche chrétien lui lègue sa fortune ■ il groupe autour de lui un grand nombre de moines et, ordinata ecclesia m ordine canonioo, il meurt sub die III intrante fe- bruano. Ses disciples V enterrent avec honneur au chant des liymnes et des cantiques.
Ce texte ' adapte à Laurent de Spolète une grande légende ou, de même que Jean Penariensis, on l'avait introduit de bonne heure, mais où, au gré de .ses dévots, il ne tenait sans doute qu'un trop petit rôle.
Voici cette légende.
limioa devolissime flexis genibus adoraverunt. Deiode Urbem eeressi sprinfn paganorum martyrio, pro quo vénérant, cogente Apostol^o fanZ' P. ! L.nrent,um, primnm illorum, secum diutissime tenui CeterT ve?o viùm erem,l,can, el.gentes bini vel ainguli, pêne totam replevernnt unam
' Le Faroald dont il est ici question est sans dout» non n». „""'"■ ^ de l'Italie centrale à la ûo du v,. siècle [von Hart»aun n 1 ««T""*"?' ùs de Trasia>ond qu, à ,a fin d„ v„e siècle preïdTaVn't^f H ?L"no .^ 88J et devient moine. Le conflit q,:i oppose Spolète à son évêque ra^lV ' temps ou les municipalités italiennes se forment en hniVn^ L^^ °
évêques, où le parti grégorien lutte contre toutes 1 s formé, de la^im ,
rava,lle à restaurer le régime canonial. - Rapprocher "Il L H "
luh \$upra, p. 62, note 3\. FPiocuer femolahm de gemo-
III
(i(j TRAUrnONS D'oMBKlIi
II
Gestes
d'AbuQ- Passion et conversion de saint Anastase et des onze frères
pophorus ^^^^' partis de Syrie avec lui, sont venus à Rome au temps de Bricius et Julien, pontife. Julien devient empereur, puis, comme le ^riens i^" ^"^^^^^^ ^ ^^n vomissement, il revient au paganisme et persécute les chrétiens. Anastase s* est rendu à la maison d'un certain évêque Urbain, avec ses deux fils., Euticius et Bricius, et ses neveux Carpophore, Abundius, Laurent, Jean, Teudila, Isaac, Proculus, Herculanus et Barectalis. Urbain ordonne prêtres Bricius et Carpophore, et fait diacres Laurent et Abundius ; beaucoup de païens sont convertis par eux. Julie?!, averti, les fait venir ; ses ministri les battent, les laissent sans nourriture dans la prison, finalement décapitent Anastase in eodem loco {?). Ses fils et ses neveux, devant une si cruelle persécution, s^ enfuient, sortent de Rome par la voie Cornélia, vont au lieu dit a la Paix des Saints », s'embrassent et se sé- parent. Euticius va in partes ïiceni, du côté du lac Bolsène et y mène la vie d' ermite. Bricius va en Valérie, à Spolète ; Proculus à la colonie de Narai, au-dessous du Castrum Car- sulanum, ou vit le très saint Volusianus. Proculus, devenu prêtre, est si particulièrement béni de Dieu que, lorsqu'il achève les paroles du canon {sdincïv cdinoms verba compleret), il entend la messe qui se dit au ciel, le Jour de la résurrec- tion, avant le lever du soleil ; et les hosties quil immole le nourrissent. Mais le pape Eugène V apprend ; il ordonne à ses cubiculaiî^es de le lui amener et ceux-ci V abreuvent de coups et d'outrages, refusent de recevoir de ses mains la com- munion de la sainte Eucharistie ; pourtant, sur la route dOstie ^, comme ils meurent de soif, le saint ordonne à une
i B. H. L., 1620 [1er juillet, tr. prael. 9-15 ou 8-13]. Cf. aussi le Codex Pa- risinus latinus 5323 [du xiii^]. 2 Ou d'Orte fcf. B. H. L. 16221.
LES DOUZE SYRIENS
67
biche et à ses deux faons de s'arrêter et de les désaltérer de son lait. Et voici qu'on aperçoit des coureurs envoyés par Eugène; Fange du Seigneur Va flagellé pendant la nuit; Eugène fait ramener avec de grands honneurs saint Proculus au castruni Carsulanum.
Bricius, Abundius, Carpophore et les autres vont à Spo- le te finir leur vie; ils baptisent les païens au nom du Père, du Fils et de r Esprit-Saint, détruisent les temples et les bois sacrés. Mais les proconsuls Turgius, Leontius, Martianus, qui l'apprennent, les font arrêter dans la maison d'une femme très chrétienne, Sincleta : ils sont enfermés dans la prison et condamnés à mourir de faim. Bricius napas été pris : il- va donc du côté des faubourgs, au lieu dit Apianum et prie Dieu qiiil lui montre quelle conduite tenir. Alors l'ange du Sei- gneur lui dit : c( Viens, je te montrerai l'endroit oii tu seras sauvé (locain salutis, ubi salus prœstatur). » Et ils vont ; Bi^i- cius guérit l'aveugle Pisentius et parvient au lieu de son salut, sur la route du haut, au sommet de la colline (in supe- rioreni viam in verticem coUis). Eange disparaît alors, et Bricius comprend qui il était ; il prêche partout, au pied de la montagne Martulana, confère des baptêmes, construit un oratoire qu'il appelle Salustianum, parce qu'il y avait ob- tenu son salut. A leur tour Carpophore et Abundius reçoivent la visite de l'ange : il les fait sortir de prison, les conduit dans une crypte des faubourgs et là, les saints imposent le signe de la croix sur le front des fidèles, ordonnent des clercs et des ministres (minislros).
Dioclétien et Maximien reçoivent alors un decretum de Turgius et Leontius maîtres des soldats, et du proconsul Martiamis. a II y a eu une sédition de prêtres à cause des Galiléens ciui vénèrent le signe du Christ. Agissez. » Et les empereurs décident que, partout où Von trouvera des chré- tiens (animae christianae), on les punira. Védit est du 23 juil- let. Carpophore prêtre et Abundius diacre sont arrêtés dans la crypte; conduits devant les trois consuls ils refusent de sa- crifier et sont jetés en prison. Leurs compagnons sont chassés de Spolète et décapités le 25 juillet. Sincleta les enterre au cimetière Pontien, non loin de la ville, sur le flanc de la montagne, dans iine caverne et elle les y enferme. Quant à Abundius et Carpophore, ils comparaissent devant le tribunal de Martianus, sur le forum, devant le temple de Jupiter;
(18
THADITKJNS I) oMHlUE
tourmentés sur le chevalet^ ils sont conduits sur l'ordre de Leo7itius, maître des soldats y près de Foligno^ et sont là dé- capites, le 4f des ides de décembre. Mais, comme il revient rendre compte à Martianus consul de ce (pii s'est passé , un ours se jette sur Leontius et le dévore ; cependant que la très chrétienne Eustachia^ avertie par un ange, ensevelit les saints à un mille de Foligno^ au lieu dit IhanaritanuSy au pied du Mont Rotonde, dans un sarcopJiage.
Voici enfin que Bricius est repris à son tour : on annonce à Martianus quil se cache in civitate Marlulana et quil évan- gèlise toute la montagne. Les ministri l arrêtent à G milles de Spolète, in territorio Salustiano, sur le chemin du haut, au so7nmet de la colline, ou est son oratoire. Quand on le torture sur le chevalet, un tremblement de terre ébranle le palais de Martianus qui s'écroule, tuant Martianus et 120 païens (animas paganorum), et qui disparaît dans le sol. Et voici que Vange du Seigneur et saiiit Pierre apparaissent au seuil de la prison de Bricius, et lui disent : « La paix soit avec toi ; tu auras la victoire ! » Bricius se prosterne, embrasse les pieds de saint Pierre, salue le Seigneur dont il a suivi les traces depuis r Orient ; et saint Pierre le relève et le consacre dans l'ordre du pontificat afin qu'il puisse établir dans chaque cité un évèque. Puis, conduit par Vange, qui lui a été donné comme gardien jusqu'à son dernier jour et qui lui prédit en- core quarante-cinq ans de vie, Bricius revient à son oratoire ; il va, rempli de l'Espr^it-Saint, au lieu dit Marianus, il y construit un oratoire au nom de la sainte Vierge Mère de DieUf il consacre les sources [où l'on baptisera), il baptise, il instruit les foules de la montagne ci de la plaine à garder les jours du Seigneur (dies festos Doniini) et à célébrer la Pâques du Seigîieur ( ?jubileum Pascha) ; il ordonne les évêques, il consacre Jean évèque de la métropole de Spolète. Et Jean, à son tour, détruit les temples des dieux, élève une église à saint Pierre dans la banlieue de la ville, consacre comme évêques Vincent à Libania [Bevagna), Scipiodote à Victoria, Herculanus son neveu à Pérouse. Or, le perfide Totila assié- geait Pérouse, depuis sept années; la ville prise, il ordonna qu* Herculanus fût écorché, puis décapité sur les murs. Malgré ses ordres, le corps de l' évèque fut enseveli en secret par les chrétiens ; et, quand on ouvrit le tombeau une année plus tard, la tète était recollée au tronc, la peau au dos ; et l'en'
I
HERCULANUS DE PEROUSE
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jant qiCon ensevelit ce jour à ses côtés fut ressuscité le lende- main.
Cependant, Bricius creuse sa fosse dans son oratoire, de ses propres mains. Il chasse les démons et guérit les lépreux. Comme, un jour [anniversaire) de la Résurrection^ il louait Dieu, arrive Vange qui lui a été donné comme gardien : € Viens ^ lui dit-il, athlète de Dieu; reçois la couronne ». Et, dans un tumulte arrive V armée des anges, avec Piei^re et les Apôtres, qui chantent Vantiphone : Beati qui persecutionem patiuntur propter justitiam... ; et cest au milieu des chants que son âme sainte est délivrée de la chair ; elle s'envole sous la forme d'une colombe qu'ont vue tous les frères qui assis- taient à sa mort. Et les malades sont guéris, les démoniaques sont délivrés à son tombeau. Il a reposé en paix le 9" jour du mois de juillet, et ses bienfaits sont donnés [aux hommes) jusqu'à ce jour.
Ce texte représente une légende cyclique — telle qx^Anthime — où diverses traditions ont été plus ou moins heureusement combinées. On Tétudiera tour à tour au point de vue historique et au point de vue littéraire.
Des douze saints dont il prétend retracer l'histoire, deux sont absolument inconnus, Barectalis et Theudila. Mais nous voyons assez bien d'où viennent les dix autres.
Le cas d'Herculanus est très clair. C'est, ainsi que les gestes le racontent^ Tévêque de Pérouse que Totila fit tuer en 547, lorsqu'il fut parvenu à s'emparer enfin * de cette ville. Saint Grégoire nous fait connaître son histoire ; il y a avan- tage à comparer son récit avec celui de notre légende.
Texte bollandiste des Gesta Ahundii ier juillet I. tr., prael. p. 13, § 18.
Eodem vero tempore perfidus Tolila Rex septem annis eamdem obsessit civitatem, et famé captivavit eam, et quid de Hercalano episcopo esset facturas cogitabat. Tune jussit ei corrigiam a capite usque ad cal- caneum decoriari, caput eius super muros civitatis abscidi, corpusque eius, ue tuaaulo traderetur, foras projici. Sed occulte Christiaai eum
Texte de S. Grégoire le Grand, Dia- logues III, 13. [R L., 77, 241\.
« Nuper quoque Floridus venerabilis vitsB episcopus narravit... diceos : Vir sauctissiraus Herculanus nutritor meus Perusinae civitatis episcopus fuit ex conversatione monasterii ad sacerdotalis ordinis gratiam deduc- tus. Totilae'aulem perfidi régis teœpo- ribus, eamdem urbem annis septem coDtiauis Gothorum exercitus obsedit ex qua muiti civium fugeruut qui
> Hartmann, i, 311-320.
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TRADITIONS DOMRRIE
sepelierunt. Qui, cum post annnrn inlegrnm eiiiH tiuiiiilnm ChriHtiaii» aperireni,— cuinsdam orbata; mulieris Klius mortiius fiierat, couti^^it, — ut eum in eius tuniulo ponereiit : qui dum de corpore episcopi quod esset factum conspicerent, videruot cor- pus episcopi ac si nulla macula ferri abacissiouis in eius corpore fuisset, et evulsae corrigiae DuUum vestigium videretur ; qui humatum puerum reliquerunt. Die vero altéra eius parentes lugentes ad sepulcrum venerunt, sicut mos est honainis lu- gere mortuos suos ; qui, aspicientes in tumulum eius, sanum et incoiu- meai extra sepulcrum puerum inve- nerunt: nec putrescere membra cor- pusculi pueri iuxta membra potue- runt episcopi ; pro mortuo quem extra tumulum vivum projecit, ipsius iuiitatus est virtutem, cuius patibu- lum in Calvarife loco super feretrum impositum mortuum suscitavit. Re- quievit in Domino septimo idus no- vembris.
fairiis [jericulum ferre non poterant. Anuo septiixio noudum fiuito ob- sessam urbem Gothorura exercitua intravit. Tune comes qui eidem exercitui pru^erat ad regem Totilatn nuutios misil... Cui ille pritcepit, diceiis : Episcopo prius a verlice us- que ad caluaneum corrigiam toile et tune caput eius amputa ; omnem vero populum... gladio exstiugue. TuDc idem comes veiierabilem vi- rum Ilerculanum episcopum super urbis murum deductum capite trun- cavit eiusque cutem iam mortui a vertice usque ad calcaneum incidit... Moxqne corpus illius extra mu- rum proiecit. Tune quidam, huma- nitatis pietate compuisi, abacissum caput cervici apponentes, eum uno parvulo infante, qui illic exstinctus inventus est iuxta murum, corpus episcopi sepulturae tradiderunt. Cum- que post eamdem caedem die xl rex Totila iussisset ut cives urbis illius qui quolibet dispersi essent ad eam sine aliqua trepidatione remearent, hi qui prius famem fugerant, vivendi licentia accepta reversi sunt. Sed, cuius vitae eorum episcopus fuerat memores, ubi sepultum esset corpus illius qusesierunt, ut hoc iuxta hono- rem debitum in ecclesia beati Pétri apostoli humarent. Cumque itum es- set ad sepulcrum, efiossa terra, in- venerunt corpus pueri pariter hu- mati, utpote iam die xl tabe corruptum et vermibus plénum ; corpus vero episcopi ae si die eodem esset sepultum. Et... ita caput eius unitum fuerat corpori ac si nequa- quam fuisset abscissum, sic videlicet ut nulla vestigia sectionis appare- rent. Cumque hoc et in terga ver- terent, exquirentes si quod signum vel de alia monstrari incisione po- tuisset, ita sanum atque intemeratum omne corpus inventum est ac si nulla hoc incisio ferri tetigisset.
Les deux textes rapportent également que Totila assiège Pérouse durant sept ans et la prend par la famine; qu'il or- donne d'écorcher, puis de décapiter Herculanus sur les murs ; que, lorsqu'on ouvre le tombeau, le cadavre est intact ^ et ne porte pas trace d'écorchement ni de décapitation.
^ Cf. Rufine — Seconde. Plautilla trouve les corps sine fetorcy sine lesione.
DEUX TEXTES PARALLÈLES 71
L'accord cesse ici. Les gestes d'Abundius et desXïl Syriens se contentent d'ajouter qu'une année après ces événements, on ouvre le tombeau provisoire où a été placé Herculanus, et qu'un enfant qu'on y dépose apparaît le lendemain ressuscité ; il dit encore qu'Herculanus est mort sur le mont Calvaire, le 7 des ides de novembre. — Selon saint Grégoire et Floridus, le comte goth qui commande l'armée de Pérouse désobéit à Totila qu'il a consulté et fait tuer Herculanus avant de l'écor- cher ; la population de Pérouse fuit aux environs ; Hercula- nus est enseveli avec un jeune enfant, aussitôt après son exé- cution; le tombeau provisoire est ouvert 40 jours après, sitôt que Totila permet à la population de rentrer dans la ville ; le cadavre de l'enfant est, seul, en pleine décomposition ; le tom- beau définitif d'Herculanus se trouve à l'église Saint Pierre, à Spolète.
Les deux textes sont indépendants l'un de l'autre. Tous deux relèvent d'une tradition orale qui, dans les Dialogues, appa- raît plus simple et vraie que dans les gestes. Dans les gestes, l'épreuve qui manifeste la sainteté d'Herculanus dure un an, non quarante jours ; et l'incorruptibilité deTévèque s'est com- muniquée à l'enfant : ipsius Imitatus est virtutem ; enfin on fait venir Herculanus des merveilleux pays de l'Orient et on l'associe à la i^rande léi^ende ombrienne.
Le récit de Floridus n'est pas tout à fait l'histoire : Pérouse n'a pas été assiégée sept ans par les Goths. Mais il se tient tout près de l'histoire : aucun autre détail ne semble suspect. Et Floridus connaissait particulièrement Herculanus qui l'avait élevé.
Les gestes d'Abundius et des Xll Syriens n'ont pas absorbé la légende d'Herculanus ^ : elle a continué de se développer. Le nouveau progrès consiste en ce qu'Herculanus, comme tout à l'heure Laurent, tend à sortir de son rôle secondaire, à acca- parer toute la légende, à en devenir le héros principal, le per- sonnage centraP.
* Le calendrier populaire, au début du vu® siècle, donne; « Apud Perusi- nam, Herculani episcopi et marlyris » [M. R. P.,^vii, id. dov. — P. L., 123, 173-174]. — Adon se contente de le reproduire [P. L., 123, 391].
2 Ces développements sont sensibles dans les textes Temporibus Iuliani apostaUe [B. H. L., 3823. — ler-mars 51, §§ 18-23] et Ex prima conditione [B. H.L., 3824. — Pez : Thesaur., anecd., ii. 3.125 et Anulecta, xvii. 157] et sans doute dans les autres que semble viser Jacobillus.
Le texte 3823 [Temjporibus Iuliani apostatée...] offre à peu près le même
72 TRADITIONS d'oMKRIK
Saint (In'^goiio nous renscij^^ne oncore sur If!s origines d'un second personnaj^c do nos gestes : l'isaac qu'ils mettent en scène est évidemment ce Syrien établi en Ombrie dont nous entretiennent les Dialogues ^ J'en ai parlé tout à l'heure.
Bricius, Garpophorus et Abundius sont des saints locaux du pays de Spolèlo auxquels on a attribué — avec autant de rai- son qu'à llerculanus — une origine syrienne. Leur histoire constitue le corps de la légende cyclique ; elle a fourni à celle- ci les attaches topographiques qui lui ont donné des racines locales, et les épisodes principaux auxquels on a lié les sou- venirs épars dans l'imagination chrétienne.
Bricius, Garpophorus et Abundius sont mentionnés dans le le calendrier populaire ' : comme dans les gestes, Bricius y est appelé évêque, il y est rattaché à la civitas Martulana (Ala- ralana). La date du 8 juillet que donne le calendrier doit être lue, sans doute, 9 juillet : Adon a lu 9 juillet ; et la mention de Bricius précède immédiatement, dans le calendrier, les saints du 9 juillet : une erreur de copiste est quasi certaine. Gomme dans les gestes, Garpophore est prêtre dans le calen- drier, Abundius y est diacre.
D'autre part, Adon ^ connaît cette histoire ; elle semble identique à celle que content les gestes. Seulement Martianus y est qualifié de judex ; en outre, il ne dit mot d'aucun des autres Syriens ; d'Herculanus lui-même il ne connaît que le nom ; des autres, il ne sait rien du tout. Il est à croire que le texte où il puisait, antérieur à la légende cyclique et qui en a été
début que le texte 1622 [cf. infra, p. 78, n.], sur lequel il a sans doute été modelé: il supprime certains traits du texte iQ22 [locum, Pdcem Sanctorum: l'épisode d'Eugène; la fuite de Bricius] ; il ajoute, en revanche... [d'après 1620], que Bricius est in partibus Ternii avant d'arriver à Spolète, qu'il est metropolitmius spoletanœ sedis, qu'il consacre donc Herculanus à Pérouse. Herculanus, dès lors, est seul en scène ; on célèbre ses vertus ; le miracle a lieu in monte qui Calvarise dicitur in b. Pétri apostoli ecclesia ; un évêque Roger transporte le corps à Pérouse, un le"" mars.
Le texte 3824 [Ex prima condltione...], dont le début semble avoir été modelé sur les gestes de Conslantius, conserve l'épisode d'Eugène, mentionne l'église de Saint-Pierre au Mont Calvaire et se termine parle récit de plusieurs miracles.
Je ne saurais dire de quand datent ces textes. Le nom de Roger, qu'on lit dans B. H. L., 3823, ne semble pas très répandu en Italie avant le xi^ siècle. — L'église de Saint-Pierre est attestée par saint Grégoire [DtaZ., m, 29. — P. L.^ 77, 285] : elle se trouvait en effet sur une hauteur {cominus sita).
1 Bial. in, 14. [P. L., 77, 244]. — Cf. supra, p. 61
2 P. L., 123, 163-164. vin, id. iutii et 177-178, iv, id. nov.
3 P. Z., 123, 300 et 412. — Cf. Flodoard, vui, 11 [P. L., 135, 737-738].
BRICIUS, PROGULUS 73
la base, groupait Bricius, Abundius et Carpophore — et igno- rait les autres. A voir la précision des détails topographiques que fournissent les textes, on peut juger qu'ils furent les saints les plus populaires de Spolète.
Le Jean que Bricius consacre comme métropolitain de Spo- lète est le même évêque, évidemment, qui apparaît dans les gestes de Jean Penariensis.
Restent * trois saints Anastase, Euticius et Proculus dont l'origine est plus obscure, dont nos gestes disent peu de chose et qu'ils rapprochent curieusement avant de conter l'histoire de Bricius.
Proculus est un saint de Terni, qu'atteste le férial hiérony- mien ^ et dont saint Grégoire ^ et les gestes de Valeniin * disent la notoriété. On ne peut rien avancer touchant la localisation de Proculus à Narni, au castrum Carsulanum, auprès du pieux Yolusianus, sinon qu'elle semble dériver des légendes qui couraient sur le saint de Terni_, et qu'elle expliqué un passage d'Usuard ^ Mais, sans crainte d'erreur, il est permis de voir dans l'épisode de Proculus et du pape Eugène la copie d'un curieux passage de saint Grégoire : un abbé de Valérie, Equi- tius, qui avait une grande réputation de piété et d'éloquence fut mandé à Rome parle pape [peut-être Jean 111, 561-574], sur le désir du clergé romain désireux de juger par lui-même de sa science. Mais voici qu'une vision reproche au pape son audace ; il envoie un nouveau courrier à Equitius pour le prier de ne pas se déranger *.
1 Je fais abstractioQ de Laurent de Spolète dont j'ai parlé plus haut: j'y reviendrai tout à l'heure.
* Le férial atteste deux Proculus à Terni, dans deux groupes distincts, le xviu Kal. maii [Rossi-Duchesne, p. 43] et kal. maii [id. p. 53]. Qui dira si c'est une dittographie, ou s'il y a eu deux saints Proculus à Terni.
3 Dialog., i, 9 [P. L., 77, 192] : « beati Proculi m. natalitius appropinqua- bal dies..., » cf. encore plus loin.
* Proculus est, avec Ephebus et Apollonius, un des trois scolastici qui sont mêlés à l'histoire de Valentin de Terni. — Cette dernière légende connaît aussi Abundius : elle en fait tantôt un fils du préfet de la ville converti par Proculus, tantôt un propre frère de Valentin [d'après les Gesta Feliciani. Analecta, ix, 379, sq].
^ 1" décembre : « Proculi presbyteri Narniensis ». [P. L., 124, 755-756]. ^ Voici les textes parallèles :
Anastasius Abundius § 3-4 Vita Equitii monachi ex Gregorii
DialogiSy i, 4.
« ...Tantam in eo (Proculo) effudit « Tantus quippe illum fervor ad
Dominus gratiam ut, cum sancti ca- coUigendas... animas accenderat ut... noais verba compleret, missam in per ecclesias, per castra, per vicos...
74
TRADITIONS D OMBRIE
L'ori^ino d'Euticius est plus malaisée à citablir ; d'autant qu'on voit mal ce que peuvent si<^ni(icr les mots in parles Ti^ ceiù appliqués au lac Uolsène '. Dans l(;s j^^esles de Sévère, martyr de la Valérie, je relève un Eulicius qui est guéri par Sévère'; mais je préfère insister, celte fois encore, sur un passage des Dialogues \ Saint Grégoire conte qu'un saint personnage, Euticius, vivait avec un compagnon, Florentius, dans la province de Nursie, in Nursiie provinciae parti- bus : Florentius mena la vie érémilique, en compagnie d'un
cselo die sanctee resurrectionis... au- divit, et ipse sic Domino hostias im- molabat et reficiebatur. Quod cum niinciatum esset Eugenio, sanctae sedis apostolicse (praesuli) quod tali- ter ageret, jussit cubiculariis suis ut loris adstrictus et acrioribus verberi- bus ad se cum summa festivitate de- ducerelur... Cubicularii venerunt in castrum carsulaDura,... apprehende- runt eum et noluerunt accipere saoctee Eucharistiae communiouem ab eo... Igoifera... siti... fatigari coeperunt ita ut mortis culmine mi- nare (n) tur propter typum super- biae et quod noluerunt corpus et sanguinem Domini accipere. Respi- ciens autem Proculus ...vidit cervam cum hinnulis suis., cui dixit : Prae- cipio tibi... ut des potum sitientibus his. At illa stetit...; venerandus vir... mulsit eam et dédit potum... In nocte autem eadera Angélus Domini fla- gellavit Eugenium ; et perterritus misit velocissimos cursores ut, ubi- cumque obviarent homini Dei, cum magno honore ad castrum Garsula- num reducerent : quia ab angelo Domini commonitus audisset omnia vera esse quae Dei famulus Proculus peregisset. »
[l" juillet, « tractatus praelimina- ris. 9]
Inutile de rapprocher de notre Proculus le saint de Bologne.
1 Janning propose de lire lacum Fucini in partes Piceni. La route du lac Fucin ue conduit pas au Picenum. Cf. infra Euticius de Tuscie.
2 Analecta, xi, 241. — Dans les Gesta Secundi, qui expriment également des traditions ombriennes [Amena, Toscanella, Pergola, Gubbio ou Spolète], je trouve encore un Eutychius [1er juia^ 56, § 7]. — Cf. enfin l'Eutychius du 15 mai [15 mai 457. - Cf. Dialogi., m, 38, P. L., 11, 316J.
3 Dialog., m, 15, P. L., 11, 249-257].
* Cf. supra, p. 61, Isaac le Syrien et le sacristain.
circumquaque discurreret et corda audientium ad amorem patrise caeles- tis excitaret... Huius... opinio pra;- dicationis ad romanae urhis notitiam peruenit; clerici... quesli sunt.. ; consensum pontifex praebuit ut ad romanam urbem deduci debuisaet... (Juliano defensori) praecepit ut ma- gno cum honore eum deduceret... Ad eius monasterium curcurrit... (Julianu6)...,ex ipso habitu (viiissimo Equitium) despexit, eumque qualiter deberet alloqui proterva mente prae- parabat. xMox vero ut servus Dei protinus adfuit, Juliani animum in- tolerabilis pavor invasit * atque ad insinuandum hoc ipsum quod uene- rat, vix sufficere lingua potuisset... »
« In cursu fatigato ad Julianum puer cum epistola peruenit in qua praeceptum est ei ne servum Dei coatiugere uel movere de monasterio auderet... Nocte eadem in qua ipse exsecutor illuc missus est, per visum pontifex fuerat vehementer exterri- tus cur ad exhibendum Dei hominem mittere praBsumpsisset. »
[P. L., 77, 172-173J.
ANASTASE 75
ours, et opéra de nombreux miracles, tandis qu'Euticius, qui avait groupé des moines autour de lui, n'en opéra jamais au- cun ; tant et si bien qu'un beau jour, ses moines, furieux, allèrent tuer l'ours de Florentins. — Qui sait si le dépit de ces moines n'aurait pas encore forgé des légendes où Euticius était égalé à Florentins, et vivait comme lui de la vie des solitaires? Nous en aurions ici un écho \
D'où vient TAnastase de nos gestes? Anastase de Terni est plus que suspect : sa plus ancienne attestation est la seconde édition du martrjrologe romain ', et le plus clair de son his- toire trahit des préoccupations généalogiques ^ On doit passer outre. — D'autre part, aucun trait ne rappelle Anastase de Sa- lone. — J'imagine que notre Anastase est un double légendaire d'Anastase de Monticelli ou d' Anastase de Suppentonia et qu'il a été bientôt absorbé par Anastase le Perse. Les gestes de Cons- tantius, version A, parlent d'un Anastase, homme de Dieu, qui habite Monticelli : c'est sans doute notre héros sous une autre forme. Anastase, abbé de Suppentonia, monastère situé près de Nepi, est connu par saint Grégoire * : c'était un ancien notaire de l'église romaine qui avait embrassé la vie monas- tique, qui était très lié avec Nonosus du Mont Socrate et qui éleva un ami de saint Grégoire, le moine Laurion : il était mort avant 593 et dut naître entre 520-530. Anastase le Perse est le fameux martyr mis à mort par Chosrau I le 22 dé- cembre 627 ^ et dont les reliques furent portées à Rome, au monastère d'Aquas Salvias, en 642 : certains manuscrits des gestes, ceux notamment qu'a suivis Mombritius, portent qu' Anastase fut tué ad Aquas Salvias ^ ; et la Conversion d'Anastase, qui est indiquée par le titre de la légende cy- clique, s'explique par l'histoire du martyr persan, non par celle du chef des XII Syriens.
< Noter que, d'après Grégoire \Dial., m, 15 P. i., 77, 256], Euticius fait des miracles sitôt qu'il est mort. Qui sait si l'Equitius de Valérie [Dial. i, 4], n'a pas eu part à la transformation du personnage? Equitius, Euticius : les deux formes sont proches l'une de l'autre.
2 17 août 458.
^ Id, et Analecta, xvii, 337-340
* Dialog., I, 7 et 8 [P. L., 77, 181 et 185|.
"^ 22 janvier 429. Sur les circonstances de la conversion et du martyre d'Anastase, cf. Labourt: Le Christianisme et l'empire perse [Paris, 1904, p. 232 sq.] Cf. p. 25, note 3.
« Mombritius, i, 6 [B. H. L., 1622J. — M. R. P. [P. L., 123, 147-148J et Adon [P. L., \23, 220].
76 TRADITIONS d'oMRRIE
m
Si telle est l'origine des traditions locales, que dire de la mise en œuvre? — Il semble que le texte cyclique date de la seconde moitié du vu® siècle, et qu'il représente souvent des textes du vi®.
lie pape Eugène qui mande Proculus à Rome, et qui en est puni, semble devoir être identifié avec le pape Eugène 1 [654- 657]. Le Liber Pontificalis^ sans doute, atteste qu'il fut aimé du clergé romain *. Mais nous savons d'ailleurs qu'il fut élu après l'enlèvement de Martin T, avec le consentement des By- zantins ; évidemment il leur était favorable ; il paraissait être leur liomme. On devine quels sentiments nourrissait à son endroit le parti de la résistance ; dans l'épisode que nous vi- sons n'avons-nous pas un écho de ses antipathies? — D'autre part, Anastase le Perse a été transporté à Rome en 642 : cela nous reporte encore vers le milieu du vu® siècle. — J'ajoute que le terme consules appliqué aux grands personnages en général et la datation par le quantième du mois sont usuels à ce moment ^ et ne semblent pas apparaître au vi® siècle dans les textes italiens.
Voici enfin qui confirme la date proposée pour la rédaction cyclique et qui en explique l'origine. Je rapproche le chiffre douze qu'a voulu atteindre, évidemment, le rédacteur, de la théorie qu'insinuent nos gestes touchant les droits inètropoli- tains de Spolète ; et je soupçonne que noire auteur tenait à reprendre et à corroborer cette théorie. C'est saint Pierre lui- même qui donne à Bricius le droit d'instituer les évêques, et Bricius établit Jean dans la métropole de Spolète. On sait que les Lombards ont détruit l'organisation ecclésiastique dans
L. P., I, 341. Dau8 la? correspondance de saint Grégoire, noua trouvons deux Eugène [P. L., 77. 996 et 1250].
* L. P., I, 328 : « patricii et consules ». — Les gestes de saint Boniface datent par le quantième du mois. Consules se trouve dans Constantiusy sans doute à la suite d'une retouche.
LES PRÉTENTIONS MKTROPOLITAINES DE SPOLÈTE 77
tous les pays qu'ils occupaient *,que Spolète seule a gardé son évêché ^et que, au cours du vu" siècle, la conversion desLoni- bards couronnant les efforts de Grégoire le Grand et de Théo- delinde, l'organisation ecclésiastique a peu à peu reparu en pays barbare ^ L'évoque de Spolète avait été chargé de l'ad- ministration des évêchés désorganisés en qualité de visiteur'* ; n'est-il pas vraisemblable que, dès ce moment, il a voulu consolider, et, plus tard, consei'ver sa situation privilégiée en devenant métropolitain. Les Lombards eux-mêmes n'étaient- ils pas intéressés à la chose ? On s'explique ainsi, et qu'on nous montre l'évèque de Spolète consacrant l'évêque de Pé- rouse — qui était resté aux Impériaux, — et que saint Pierre soit venu en personne conférer à Bricius le droit d'ordonner les cvêques : que pourra donc dire l'évêque de Rome? Le chiffre de douze témoigne qu'on tend à rapprocher les XII Syriens des Apôtres, à leur attribuer l'évangélisation du pays et peut-être à les placer à l'époque du Christ : la légende est en route pour l'apostolicisation. On a vu plus haut que Cons- tantius de Pérouse est présenté comme un disciple des Douze ; et l'on verra bientôt que les gestes de Félicien tendent aussi à accroître les pouvoirs de Tévêché de Foligno.
On peut même indiquer dans quel milieu a été rédigé le texte cyclique. Le pape Eugène qu'il met en scène, et qui
1 Duchesne : Les évêchés d'Italie et l'invasion lombarde [Mélanges^ xxiu (1903), 83, sq.]
- Grégoire: Epist., m, 64; ix, 15, 37; xiii. 36. Sur les rapports des évêques subiirbicaires avec le pape, cf. Duchesne : Origines du culte, 3^ éditioû, p. 390, note 1.
3 Hartmann, ii, 1.269.
* Grégoire £'p., m, 64 [P. L., 11, 661] : « Aîite hoc biennium fraternitati tuée Mevaniensis ecclesiae visitationis deputaveramus officium... Hortamur... fraternitatem tuam ut si quidem talem potuerit reperire personam quœ digna ad episcopalis of6cii apicem valeat promoveri, hue eam cum solemnitate de- creti vestrarumque testimonio lilterarum celerius dirigatis ». Grégoire entend retenir le droit de consacrer les évêques en pays lombard. Nos gestes veu- lent priver Rome de ce droit. Il y a conflit, c'est pourquoi je fais remonter jusqu'au temps de saint Grégoire cette légende des droits métropolitains de Spolète. Chrysanthe étendait peu à peu sa juridiction sur les églises de terre lombarde: il créait les faits d'où sortirait le droit.
Faroald avait installé un évêque arien à Spolète ; un miracle l'empêcha de pénétrer dans l'église saint Pierre [Dialogi. m, 29. — P. L., 11, 285]. Cf. aussi Hartmann, ii, 1, 43, 47 48|. — Une constitution de 362 a été adressée à Spolète: là-dessus Godefroid conjecture que Spolète est métropole civile k la fin du iv^ siècle [Code Théodos., xiii, 3, — éd. Godefr. p. 35. — Cf. aussi Ammien Marcellin xiv, 6. éd. Gardthausen, i, 22]. Je dois cette indication à l'amitié de mon ancien collègue M. Jullian.
78 TIIADITIONS d'oMHKIH
semble une réplique du pape Eugène J [05i-G57J, nous remet en mémoire ce pape Jean, qui apparaît dans Venant- A f/apet et qui rappelle si curieusement le pape dalmate Jean IV |0iO- 642]. Les maîtres des soldats Turgius et Leontius persécutent les chrétiens d'après le texte cyclique, tout comme J^^uprepius et Leontius, d'après Venant- Agapel. Les deux textes veulent raconter l'origine des églises locales. On peut croire que Ve- nant-Agapet a inspiré le rédacteur de la version cyclique*,
^ Le raccord n'a pas été toujours adroitement fait par le r/^dacteur cy- clique : de là, les deux papes Urbain et Eugène, les deux empereurs Dioclé- tien et Julien, les deux systèmes de datation, quantièmes et kalendes (le ■voyage de Proculus allaut de Narni à Rome par la route d'Ostie est assez mystérieux); les magistrats de Spolète sont désignés tour à tour, assez con- fusément, par les termes de prooonsules et de magistri militum.
Après que les traditions locales se sont fondues dans la rédaction cyclique du milieu du vu® siècle, il est arrivé que les textes anciens où s'exprimaient ces traditions ont été chassés et supplantés par elle ; puis, on a trouvé que la légende cyclique était bien longue, certaines âmes pieuses ont voulu s'in- téresser seulement à tel ou tel saint : aiusi sout nés les démembremeuts de la légeode. C'est un texte de ce genre que reproduit Mombritius, I, 4-6 : Tem- poribus Juliani ssevissimi apostatœ... [B. H. L., 1622] ; réserve faite de cer- taines variantes paléographiques [Encleta, pour Sincleta ; Curtius, pour Tur- gius ; 3 juillet pour 23 juillet ; Orta, pour Ostia], et de certains traits qui con- servent mieux la physionomie du vi^ siècle [cf. sjipra], ce texte est presque identique au B, H. L., 1620 qui a été analysé plus haut ; seulement il s'arrête après l'ensevelissement de Garpophore et d'Abuudius, par les soins d'Eusta- chia, au lieu dit Thanaritanus, et supprime tout ce qui concerne la fin de Bricius. [Ce texte est sans doute celui-là que reproduisait le Codex Neapoli- tanus de Beatillo, l^r juillet, tract prselhn., §13|. Notre texte 1622 a-t-il été rédigé directement sur le 1620, ou est-il un fragment d'un texte presque iden- tique à 1620 et sans doute contemporain de 1620, je ne saurais le dire.
Le Codex Parisinus 5323, du xiii« siècle, conserve [f. 97"^| une version des XII Syriens nn peu différente de celle qui a été étudiée ici. Voir les traits qui la caractérisent : 1. Anastase est décapité extra muros urbis ad locutn qui dicitur ad aquas salvias miliario tercio procul ab urbe...^ in quo loco œdi- ficata est ecclesia super corpus sanctiim ibique monasteriiini viroruni usque (hodie) Gonstructuin permanet... Caput eius persévérât theca inclusum ar- gentea ut venientes illuc fidèles Christi martyris conlemplentur verticem et agonis eius pahnam imitari festinent: — 2. Volusianus est dit episcopus loci {Carsulœ) ; — 3. Dioclétien et Maximien sout poussés à la persécution par une sedicio pontificum et sacerdotum deorum ; on la raconte directement [folio 98^, 11], on ne dit mot d'un decretmn de ïurgius ; — 4. On ne donne pas la date de l'édit ; — 5. On ne précise pas la situation du cimetière de Pontien ; — 5. L'histoire d'Abuudius et de Garpofore est close par une doxologie j)7'<2?5- tante D. N. J. G. qui cum P. et Sp. S. vivit et régnât cutn Deo Pâtre in unitate Sp. S. Deus per..., — 6. On ne dit pas ouest arrêté Bricius; — 7. On n'écrit pas an'>'mœ paganorum ; — 8. Ni consecravit eu7n in ordine pontificatus ut per singulas civitates episcopos ordinaret, mais constitue episcopos per civitates ; — 9. L'oratoire est consacré in honorem Dni Salvatoris et Mariée...; 10. Bricius cnseigue à observer omnent ritum christianitntis, non pas dies festos Dni ; — 11. Spolète n'est pas appelée métropole ; — 12. A propos d'Her- culanus, on cite expressément le livre III des Dialogues qu'oa utilise en
LES DOUZE SYIUENS ET LES TEXTES PARENTS 79
et qu'il faut chercher celui-ci dans le monde de l'administra- tion pontificale.
Mais si le texte cyclique a cette origine, s'il date du milieu du vil*' siècle, on y retrouve des traditions du vi® qui ont gardé leur physionomie. Les récits qui concernent Herculanus [-1- 547] et Isaac [+ vers o3o], Euticius [-l-vers 535? jet Anas- tase [-h avant 593] Tattestent avec force ; et de même les pas- sages, où Bricius apparaît détruisant les temples et consacrant les sources. J'insiste particulièrement sur trois textes qui nous reportent au temps des polémiques catholico-manichéennes et sur les points de contact de notre légende avec trois légendes du VI® siècle.
Lorsqu'il est conduit devant Julien, Anastase confesse Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre,... et Jé- sus-Christ son fils unique..., et le Saint-Esprit, non in unius singiilaritate personœ, sed in unius trinitate substantiœ . On songe aux controverses provoquées par la question du Trisa- gion *, à Censurinus et à Anlhime.
effet [f. OQ"" 99' : « cornes venerabilem viram H. ep. super urbis muros deduc- tum capite truncauit eiusque cutem iam mortui a uertice usque ad calca- ueuin iaoidit] ; — 13. On ajoute le récit d'une translation d'Abundius, au temps de Louis et de Lotbaire. — Ce texte est unremaaieraent qui supprime les traita caractéristiques de nos gestes {Spolète métropole] ou les émousse [droit de consacrer les évê |uesj ; peut-êlre a-t-il été opéré sur une version plus procbe de Sabinus [cf. la sedicio des pontifes des idoles] que celle dont nous nous sommes servi ; il date certainement du temps où le monastère des Aquœ Salvix était très important. Telle est aussi, sans doute, sa patrie.
La légende des Douze Syriens semble avoir influencé les gestes de Félicien de Foligno et de Victorin d'Assise [cf. infra], ainsi que l'histoire de Maurus et (Je ses compagnons [16 juin 95| : celle-ci paraît être toute moderne. Maurus, origiuaire de Césarée de Syrie, abandonne sa femme Euphrosyne et vient en Italie chercher le martyre avec Félix son fils, Christophe et d'autres compa- gnons. De Rome, où ils fréquentent les églises, ils se dispersent en Italie : Maurus, Laurent, Jean et Isaac arrivent à Spolète ; Maurus et Félix s'éta- blissent dans la vallée du Naris et vivent dans le jeûne et la prière. IVIaurus tue un dragon de 90 pieds, Félix ressuscite un enfaut ; puis il meurt, ainsi que sa nourrice, après avoir été averti par un auge et avoir reçu de son père les sacramenta ecclesix. [Cf. Nérée et Lucie]. Il est enseveli près de Nar ; on y voit un temple ancien avec des sculptures de marbre qui représentent sa vie. — Ferrarius connaît cette légende. Pierre Damien parle d'un mystérieux Maurus de Césène [P. Z,., 144,945], qui est vénéré le 20 janvier.
^ Ce passage n'a été conservé que dans le texte de Mombritius, B. II. 'L., 1622, sur lequel cf. infra p. 78, u. Ce texte accentue beaucoup plus vivement la fuite de Bricius, thnore perterritus^ cherchant locun%.,in quo apersecuto- ribus...(pos5it) salvus commorari.
80 TRADITIONS d'oMI'JUE
Les conn[)agnons d'Anastase se dispersent après son martyre et fuient la persécution ; Bricius se cache et échappe aux ministri qui arrôtont Abundius ot Carpophorc. Ces traits nous rappellent tous ceux que nous avons notés déjà.
Et le soin que met Bricius à instruire le peuple qu'il doit observer le dimanche fait songer à cette lettre tombée du ciel dont la plus ancienne attestation remonte précisément au VI® siècle ' et qui s'intéresse à l'observation du dimanche.
Il a dùy avoir au vi® siècle des gestes d'Abundius, Bricius et Carpophore proches parents, peut-être, de Vitus B et de 6V- cile, etc.. : ici et là^ les anges jouent un grand rôle et les âmes qui s'envolent ont la forme des colombes ; le locus tha- naritanus où sont ensevelis Abundius et Carpophore rappelle le tanagritanum territorium où aborde Vitus.
Les gestes des Xll Syriens sont apparentés aux gestes d'An- thime, aux gestes de Constantius et aux gestes d'Alexandre de Baccano, qui, du reste, on l'a vu, présentent de communs caractères " et semblent sortir d'un môme groupe de rédac- teurs. Mais d'abord je note que l'expression animae pagano- rum... occisse semble avoir été suggérée par l'expression ana- logue septuaginta et très animœ curatae sunt : on la trouve dans les récits de l'invention d'Etienne protomartyr, en 415 ', et dans les gestes de Sébastien.
Voici les points de contact des gestes des Xll Syriens et des gestes d'Anthime : 1. Légende cyclique de structure tout à fait analogue ; 2. Fuite devant la persécution ; 3. Lutte contre le paganisme ; 4. Punition des persécuteurs ; 5. Utilisa- tion des gestes romains *; 6. Introduction inattendue de la voie d'Ostie (Orta?) ; 7. Liens invisibles arrêtant ici un for- cené, là une biche ; 8. Rôle des anges ; 9. Traditions de l'Ita- lie centrale.
Voici les points de contact des gestes des XII Syriens et des gestes de Constantius ^ : 1. Région Pérouse-Spolète ; 2. Pres-
* Licinianus de Garthagèoe à Vincent [P. L., 72, 699]. — Delehaye : Note sur la légende de la lettre du Christ tombée du Ciel [Bulletin de l'Académie royale de Belgique. Classe des lettres... 1899, d. 2, p. 171-213],
2 Cf. supra, p. 42.
3 P. L., 41,815, 8.
* Le Leontius de nos gestes qui est tué par un ours rappelle de très près le Léontius des gestes de Césaire et de Valentin. L'intervention de l'ours est toute naturelle en pays montagneux. Cf. supra l'histoire de Florentius.
•s Les gestes de Constantius ont sans doute été l'objet de remaniements
LES DOUZE SYRIENS ET LES TEXTES PARENTS 81
tige du nombre apostolique douze ; 3. Guérison d'aveugles (Astasia ; Pisentius) ; 4. Emploi du mol co)isules pour désigner les grands ; 5. Arrestation des chrétiens dans la maison d'un des leurs ; 6. Fuite devant la persécution ; 7. Un saint per- sonnage nommé Anastase ; 8. Mention deFoligno; 9. Quel- ques textes rapportent que Constantius a été tué au temps des Goths*.
Voici les points de contact des gestes des XII Syriens et des gestes d'Alexandre de Baccano : 1. Emploi du mot appli- cave : 2. Rôle des ministri ; 3. Souci de christianiser le peuplé (nécessité du baptême ; observation du dimanche) ; 4. Men- tion d'un saint personnage Herculanus ; 5. Intérêt porté à l'histoire apostolique ; 6. Citation d'un document (ici une ins- cription, là un édit); 7. Rôle des anges; 8. Edifice qui s'é- croule (ici temple, là palais); 9. Fuite devant la persécution; 10. Intérêt porté aux Gesta Martyrum\ 11. Mention d'un lac (ici Bolsène ; là, lac où est jeté Herculanus).
Les traditions de Spolète ont donc pris forme au cours du vi« siècle, dans les mêmes milieux peut-être où l'on rédigeait les gestes de Constantius et à'Antfiime, à' Alexandre de Bac- cano et de Valentin de Terni ^. — Les gestes de Laurent et les gestes de Jean Penariensis, nous permettent de juger de Tétat de ces textes avant qu'ils eussent été remaniés au vu" siè- cle et insérés dans la légende cyclique qui date de ce temps.
IV
11 faut rapprocher de la légende des douze Syriens les gestes de Félicien de Foligno et ceux de Ju vénal de Narni : ils tendent à insinuer que les évêques de Foligno (ou de Forum
parallèles à ceux des xii Syriens. — Le cimelière de Pontien est celui sans doute du héros des Gesla Pontiani.
* [29 janvier 924, § 2] comme Herculanus.
* Noter encore quelques points de contact entre les gestes des XII Syriens et les {gestes de Valentin de Terracine-Corfinium.
Sur Vincent de Bevagna [p. 68], cf. infra p. 112.
m 6
82 TRADITIONS D^OMimiE
Flaminiense) (»t de Narni peuvent avoir droit à la dignité que revendique l'évèque de Spolète.
Gestes de fuUicien, ïiè (Turœ famille ïMjhle de Forum Flaminiense y
Félicien de , t , -,, i r»
FoligQo» est remarquable par sa sagesse. Il se rend a Home pour étu- dier les lettres^ il sert Dieu dans les églises et les monastères, et voici quil attire l'attention de l'évèque EleutJtère, lequel ordonne à son archidiacre Victor de le recevoir parmi ses scholares. Comme il n'y apas d'èvèque dans la Tuscie et le Picenumy qui sont encore païens^ ses concitoyens devenus clercs le nomment évêque et il est ordonné par Victor, qui a remplacé Eleuthhre. Il évangélise avec succès sa patrie, puis Foligno^ Spello^ ou V on adorait Vesta et Mercure, Bevagnïa, Plesteas, Nuceria, la montagne, Nursie, ou le Judaïsme était vivant et où il ordonne prêtre Pisentius, dans la basilique Argentea; il prêche aussi dans la banlieue et visite souvent Trevi. Seules lui résistent Assise (Adsentina), où l'on adore Jupiter Capitolin, Pérouse qui adore Mars, Spolète où le culte de Diane est vivant. Félicien reçoit alors de Victor le privi- lège de porter autour du cou le palliuni (? ut extrinsecus lineo sudario circunidaretur collum eius), et, avec la permission de Victor, il ordonne évèque le diacre de Terni, Valentin, ainsi que des prêtres. Bientôt on célèbre le millième anniversaire de la fondation de Rome. Gordien est tué par Philippe ; Dèce, homme de Satan, fait venir de Perse Abdon et Sennen et ar- vête Félicien dans \di basilique palatine, à Forum flaminii, à cent milles de Rome: il est le premier de tous dans la pro- vince, de Rome aux Alpes ; il n'est aucun évêque qui passe avant lui. Enfermé avec Abdon et Sennen, puis arraché à leur prison, visité par la vierge Messaline, il est conduit à Rome ety après que ses miracles ont émerveillé la foule, il est décapité à Monte Rotondo, à 94 ans, dans la 56^ année de son épiscopat. On vient de partout se faire ensevelir pi^ès de lui, à Foligno, au-dessus du pont de César, où il a été enterré le 9 des kalendes de février et où se multiplient ses bienfaits jusqu'à aujourd'hui.
L'auteur semble connaître le Liber Pontificalis, les gestes de Valentin de Terni, < de Pontius de Cimiez, d' Abdon et Sennen,
1 B. H. L., 2846 [24 janvier 582].
FELICIEN DE FOLIGNO
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il rappelle le rédacteur de Terentianus de Todi par la précision de sa chronologie: Félicien, mort en 250, serait né en 156, et aurait été sacré évèque en 19 i, par Victor.
Les gestes veulent faire croire, le fait est certain, que Vévêque de Forum Flaminii a des droits métropolitains sur le Pice- num et sur la Tuscie, parce que c'est lui qui a évangélisé toutes ces églises et parce qu'il a reçu le pallium du pape Victor. J'attire l'attention sur ce dernier fait. Un texte cu- rieux nous apprend l'importance qu'on attachait aux distinc- tions de ce genre. C'est une lettre par laquelle saint Grégoire se rend, malgré ses mensonges, aux instances de l'évêque de Ravenne et lui accorde, pour quatre jours par an, le droit de porter le pallium ^ Aucune restriction de ce genre n'est ap- portée au privilège que Victor confère à Félicien. Félicien reçoit encore du pape le droit d'ordonner uq évoque -. C'est-à-dire que, en fait_, il est élevé à la dignité métropoli- taine. Et c'est-à-dire, encore, que les gestes de Félicien s^op~ posent aux gestes d'Ahundius ; les deux légendes se contredi- sent : Forum Flaminii' se dresse contre Spolète, dont notre auteur souligne l'attachement persistant au paganisme.
1 Ep., V, Il [P. I., 77, 732-733]. « Grejçorius Joanni episcopo ravenoati. Fra- terDÏtatem uestram ualde inuenio coQtristatam pro eo quod in litaniis induere pallium rationis censura prohibetur. Sed per excellentissimum patricium et per emioentissimum praefectum atque per alios civitatis suae nobiles uiros im- portuue expetit ut hoc debeat concedi. Nos autem sollicite requirentes ab Adeodato diacono quondam fraternitatis tuse, cognouimus quia numquam consuetudo fuerit decessoribus tuis ut in litaniis pallio nisi in sollemnitate beati Joannis Baplistae, beatri Pétri apostoli, et beati martyris Apollinaris uterentur. Cui quidem nequaquam credere debuimiis, quia raulti apud civi- tatem fraternitatis vestrse responsales saepius fuerunt qui se fatentur taie ali- quid numquam uidisse. Et de bac re multis potius credendum est quam uni pro sua ecclesia aliquid atlestanti. Sed quia nos fraternitatem uestram con- tristari nolumus et petitionem filiorura nostrorum apud nos minime frustrari, usum pallii donec subtilius aliquid cognoscamus in litaniis sollemnibus id est die natalitio beati Joannis Baptistae, beati Pétri apostoli et beati Apollinaris martyris atque in ordinationis uestrfB celebratione concedimus. In secretario uero secundum morem pristinum, susceptis ac dimissis ecclesifE filiis, induere uestra fraternitas pallium debeat, ad missarum solemnia ita proficisci et nihil sibi amplius ausu temerarise praesumptionis arrogare, nedum si in exte- rior habitu inordinate aliquid arripitur, ordinate etiam quae licere poterant amittantur. Data mense octobri, indictione xiu. [Cf. Ep.^ i, 19 et v, 56. — et Jean Diacre, iv, 3].
'^ Cf. la lettre 64 du livre IIÏ [P. L., 77-661J, citée p. 77,n. 4. Il est clair que cer- tains évêques tendaient à profiter du désordre produit par l'invasion lombarde pour s'arroger des privilèges auxquels ils n'avaient aucun droit. On s'explique très bien, dans ces circonstances, la tentative de Spolète. Elle était, jusqu'à ce jour, absolument inconnue.
' Forum Flaminii et Foligno sont attestés tous deux, comme évêchés dis-
81 TRADITIONS d'omijuif-:
Mais qui dira la date du texte? Kaiit-il rabaisser jusqu'à l'époque lornl)an]e, vu/' ou vin" siècle, aliu (Vitn faire Je eou- tempoiaiu de la tradition qui soutient Spolète ? Faut-il la faire remonter jusqu'au milieu du vi" siècle afin de rendre compte plus aisément du rapport qu'il soutient avec Teren» iianus et Valentin et Abdon et Sennen. .l'opte pour la première hypothèse : il me parait difficile d'admettre que les deux textes, que les deux théories no se combattent pas, et donc ne soient pas à peu près contemporaines. J'ajoute même que les gestes de Félicien ont peut-êlre précédé le texte cyclique d'Abundius Carpoforus : c'est afin de répondre au privilège du pape Victor dont parlent ceux-là que le rédacteur de celui-ci aura dérangé saint Pierre V
tincts, au concile roraaia'de 680 [Hartmann, ii, 1, 269], — Forum Flaminii, au- jourd'hui S. Giovan in Fiamina, est situé sur la voie Flaminienne entre Fo- ligno et Nocera [Dieiil. 68].
1 Le Pisentius ordonné prêtre par Félicien à Nursie est sans doute iden- tique à l'aveugle Pisentius rencontré et guéri par Bricius : cf. supra, p. 67.
On connaît deux autres versions de Félicien. La première jB. H. L., 2847. — Analecta, ix. 381j est un curieux remaniement des gestes ; elle commence ainsi : Igitur Felicianus Foris Fluminise , civitatis Umbrise provincia;, oriendus fuit, scilicet tempore Gordiœni [Codex Ambrosianus, F. S., i, 3, du xiv® siècle]. On y introduit un comes Gaudianus (issu peut-être d'une dittographie de Gor- dianus), on y omet ce qui toucrie à la question métropolitaine, on donne pour frère à Valentin de Terni ,1e martyr Habundius [le même, sans doute, qui apparaît dans les gestes des XII Syriens]; on sait que Pérouse a été dé- truite par Octavien Auguste pour avoir défendu Antoine et reconstruite par le même césar. Félicien prêche à Gubbio et Nocera ; puis il passe l'Apen- nin, évangélise le Picenum, Gittà di Penna, Ascoli, Fermo, Osimo, Ancône et Senegallia qui sont dans la Pentapole. Mais Dèce succède à Philippe et écrase les Perses à la bataille du mont des Mèdes ; puis la persécution se déchaîoe, Polycronius de Babylone est martyrisé, les chrétiens se cachent dans les ca- vernes comme les sept Dormants d'Ephèse. Dèce revient à Rome avec Abdon et Sennen, que Félicien visite et réconforte à leur passage: il est saisi et mis à mort. — Peut-être la date de ce texte est-elle celle du manuscrit qui nous l'a conservé-. (La bataille du mont des Mèdes est empruntée aux gestes de Polo- cronius de Babylone. Cf. Cod. Parisinus, 5312, 152^].
La seconde version [B. H. L., 2849J. — Bodemann : Zeitschrift, f. K. G., XII (1891), 78-81, se lit dans un missel de la Bibliothèque de Hanovre [i, 101, — in-4, — xiv^ s.] et débute par les mots Tempore quo Gordianiis csesar im- perii romani arcem tenebat. Le thème et les détails sont les mêmes que dans le texte analysé. Je note : 1. Des périphrases visant à l'élégance [loca sacra divino cultui mancipaia, § 1 ; csesar de partibus Eoys. §2] ; 2. Un contre sens : Spello devient un homme, Spetius |§ 3] ; 3. Félicien meurt le XIII des Kalendes de novembre, mil. III a civitate Egubio quae appellatur Julia. — Ce rema- niement a été, j'imagine, écrit à Metz après la translation du corps à Saint- Vincent de Metz, au temps de l'évêque Théodoric et d'Ottou, en 969 [24 jan- vier 589 ou 203, § 3J. Le détail touchant Gubbio atteste peut-êlre que la lé- gende y avait été transportée telle quelle : noter que Gubbio est le point d'attache de Secundus.
I
JUVÉNAL DE NARNI 85
De ces mêmes intrigues je trouve encore une trace dans une autre légende ; elle est évidemment parente de Félicien de Foligno, et de Valentin de Terni ; c'est Juvénal de Narni que je veux dire.
'^^ Conformément aux prophéties. Dieu séparait les siens des 1 pécheurs. Rome maîtresse des nations [domina gentium^ prin- ceps provinciarum] est confiée à Pierre et à Paul', Jésus leur donne aussi à évangéliser la Tuscie et la Campanie ; c'est donc à Rome que se fait sacrer l'évêque Juvénal y lorsqu'il a été élu par le peuple. Le Sauveur a réparti la terre entre les siens : Jean-Baptiste est à Sébaste ; à Jérusalem les deux Jacques, Mathias et Etienne ; A?idré à Pairas, Jean à Ephcse. Narni seule, l'ancienjie Nequina, restait profondément païenne, bien que Terentianus, et Félicien et Valentin V eussent visitée. IJ Africain Juvénal est plus heureux :c est un mé- decin. Devenu èvéque, il consacre un oratoire à saint Valentin, Il est soutenu par de grands personnages^ des Anicii et des membres de la famille impériale, tels que Philadelphia. Il déjoue la ruse d'un prèlre païen, qui îneurt subitement ^ et baptise 2.000 Narnioles à Pâques^ parmi lesquelles la noble Venantia. On montre encore le lit ou il couchait dans la tour, le calice où se multipliaient les espèces (sancta libamina), les ampoules où est recueillie Veau que son tombeau distille. Il est mort tranquillement après 7 années d'épiscopat, et a été enseveli à la Porte Supérieure, sur la Voie Ilaminia, au 5ô" mille de Rome, le 7 des ides d'aoïU: on célèbre pourtant sa fête le 5 des nones de mai, jour où Judas Cyriaque a trouvé la Croix du Seigneur. Il a sauvé un navire en danger de se perdre ; les passagers reconnaissants lui ont fait de telles offrandes quon a pu bâtir une superbe basilique, au temps de l'évêque Alaxime, sur l'ordre duquel ces gestes ont été écrits ^.
1 B. H. L.. 4614 [3 mai 387] .
- Dans les gestes se présentent deux digressions fort curieuses. Antiqiiam gestam enarremus occasionemque perditionis prxdictss urbis nosse cupientibus non negemus. Narui ayant refusé d'aider Auguste dans la guerre perse fut par lui donuée aux Carpes qni la détruisirent; mais, à son retour, il en eut pitié, et la fit restaurer et y construisit un pont superbe où étaient gravés ces mots: Cxsar augustus de ma m... nnrniens is pntronus •,i\ y édi&n. aussi un aque- duc dont il faut taire en ce moment la hauteur, et les détours, et les tuunels. — ...Delectat et hoo miracuiam reserare : quarante ans après la ruine de la ville, les Carpes et les Ligures dévastent le pays, pénètrent dans la vallée Tyria
Sn TRADITIONS d'oMBHIE
Tl est certain qu'il s'agit ici du saint de Narni que le ffîrial hiéronymicn mentionne au V des nones de mai \ et dont le monastère de Horla fonde par Bélisaire ', et les Dialogues de saint Grégoire '\ attestent la popularité au cours du VI® siècle. Noter qu'on n'en fait pas un martyr.
Il est certain que le rédacteur était assez instruit ; il dispo- sait de documents écrits, une version peut-être perdue du Liber Poniifîcalis, l'Invention de la Croix, saint.lérôme ( Vila Paului), d'autres textes inconnus où il s'est documenté sur l'histoire de Narni, les gestes de Terenlianus, de Valentin, d'Alexandre de Baccano et, peut-être, de Félicien.
Il est donc probable qu'il écrivait au temps de saint Gré- goire le Grand, à la fin du vi° ou au début du vii^ siècle. La popularité du saint à ce moment est établie par les textes cités plus haut; la mention des Anicii, et d'une Venantia, les trois allusions aux reliques de Juvénal (lit, calice, ampoules d'eau miraculeuse) s'expliquent aisément dans l'hypothèse ; et je re- marque que, en 598^ il y a eu, à Narni, un mouvement catho- lique notable : sur l'ordre de saint Grégoire, l'évêque de Narni Prœjectus profita d'une épidémie pour convertir païens et ariens \ Ne serait-ce pas à cette occasion que notre texte fut rédigé ?
Il est très probable aussi que le rédacteur voulait assurer à l'évêque de Narni un rang privilégié parmi les évèques du pays. Contre Spolète, Narni s'appuie sur Rome aussi bien que Foligno. Juvènal est parent de Félicien ^
suspecta qui sépare Narui de Terni, prenaent Terni et assiègent Narni : il y avait cinq ans que Juvénal était évêque. On était au mois quintilis^ qu'on ap- pelle maintenant juillet. On chante (en procession) autour des murs: Fiat Domine via illorum tenehrx... [Ps. 34, 6], tandis que Juvénal se met en prières : aussitôt le tonnerre gronde, le Très Haut lance ses flèches, malgré la sécheresse les sources vomissent des torrents d'eau, et 3.000 ennemis sont noyés près du temple d'Hercule. — L'auteur, qui semble faire un sermon [§6, illud, fratres Karissimi, non prsstermiUamus] s'intéresse aux problèmes étymologiques [§ 2, Nequina... a nequitia duxit nomen] [Naris, qui de 7iaribus sculpti quasi lituli lapidei egreditur] et connaît sa mythologie aussi bien que son histoire: § 3, le prêtre païen appelle au secours le vengeur de Briarée [même §, mention d'un temple Libéri Patris], — Les Carpes sont ce peuple batailleur dont Lactance [demorie pers. 9] et les Oracles Sibyllins [XIH, 141, RzachJ attestent la popularité. Cf. Pauly-Wissowa : R. E.
1 Rossi-Duchesne, p. 5S. Le texte est douteux. E n'a pas Juvénal.
2 L. P., I, 296, 308.
•^ Dialogi, iv, 12 [P. L., 77, 340J.
4 EpistoLv, 11, 2 [P. L., 77, 539j.
^ Ri«n ne rappelle l'histoire de Cassius. Dialogi, m, 6 [P. L., 77, 22S]. Sur 07istantius B, cf. supra p. 44. cote 4.
CHAPITRE IV
TRADITIONS D'OMBRIE, LES SAINTS SABIN, GRÉGOIRE, FÉLIX,PONTIEN ET VINCENT, VICTORIN,
AEMILIANUS.
L'ample légende des douze Syriens n'a pas absorbé toutes les traditions d'Ombrie^ ni même de Spolète. Les gestes de Sabin, de Pontien et de Grégoire, de Victorin, de Félix et dM^milianus l'attestent avec évidence.
^^ Celait le 15 des kalendes de mai ; Maximien Auguste bat- î et tait les Bleus dans le Circus Maximus, à la sixième course. '^ Et la plus grande partie du peuple criait : « A bas les chré- tiens^ vive la volupté/ Par la tête d'Auguste, qu'il n'y ait
* B. H. L., 7451-7453. — Baluze : Miscellanea, ii [Paris, 1679], p. 47. — J'ap- pelle ce texte, le texte A.
Je tiens à signaler ici l'étude que M. Lanzoni a publiée en 1903, dans la Rômische Quartalschrift [p. 1], [sous le titre de La passio s. Sabini o Savini. M. Lauzoni y a appliqué avec beaucoup d'exactitude et d'intelligence la méthode dont j'ai voulu donner un exemple dans le premier volume de cet ouvrage [cf. Lejay : R. H. L., U., vin (1903), 597].
88 TRADITIONS d'uMUFUE
plua de chrétiens. » El, douze fois il répéta ce cri. Lorsque parut le préfet de la ville Ilermogenianus, le peuple cria dix fois encore: « Toujours pareille victoire à toi, Au (jus te ! De- mande au pré /et ce que nous avons crie. » A la même époque, Maximien Auguste convoque le peuple au Capitole pour le 10 des kalendes de mai : « Citoyens^ dit-il, conformément à vos demandes, il nous paraît bon de fortifier notre religion. Pères Conscrits, je permets que, partout où vous trouverez des chré- tiens, vous les fassiez arrêter par le préfet de la ville ou par ses officiers et que vous les fassiez sacrifier. » Et la foule ré- pond : « Victoire à toi, Auguste ; à toi le bonheur des dieux ! » Quelqu'un vient alors annoncer à Hermogenianus quil y a un évêque qui, chaque jour, organise de petites réuiiions chrétiennes et y explique les livres. Il en rend compte à Maxi- mien lequel, tout heureux, envoie Vèdit % daté de la veille des kalendes de mai, à Venustianus, Augustalis Tusciee. Venus- tianus cherche, et trouve V évêque Sabinus, homme fort élo- quent et célèbre par son langage châtié. Il l'arrête à Assise, en même temps que deux diacres, Marcel et Exsuper antius, et beaucoup de clercs. — Le lendemain de l'arrivée de Sisinnius, Venustia7ius fait dresser son tribunal au >rnlieu du forum. Sabinus comparaît avec les deux diacres : « Je m'appelle Sa- binus, dit-il, rempli de la grâce de Notre Seigneur Jésus- Christ ». Comme Venustianus , vir clarissimus, lui demande s'il est libre ou esclave, « je suis esclave du Christ, répond-il, mais libre de la servitude de Satan... Je suis évêque, et ce sont mes diacres. » — « De deux choses choisis l'une : sacrifie, ou meurs... ; et, comme ton Dieu, libre à toi de ressusciter. » — c( Parfaitement. {Au lieu de railler), si tu connaissais la vérité, tu t'humilierais devant le Père, et Jésus-Christ son fils, et l'Esprit-Saint... Est-il juste d'abandonner le Créa- teur pour des pierres, pour des démons ? » — <( Alors, ce ne sont pas les dieux, ce sont des démons qui dirigent l'état »? — c( Oui, ce sont les démons qui détruisent la république » Et, quand Venustianus fait appointer son dieu, qu'il avait
1 En voici le texte : « Victor Maximianus Augustus Triumphator perpetuus Imperator parenli Venustiano augastali Tusciae. Suggestioûem patris uostri Herraogeniaui praefecti urbis apud nos claruisse cognosce. Quia iiista petilione letetur ideoqoe commonitus ut ubicumque christiani auditi fuerint vacua su- perstitione colentes aut sacrificare diis aut certis peois intereant ultionem fa- cultatibusque nudati fisci uiribus adpiicandis. Uale parens, pridie Kalendarum maiarum fVindobonensis 357],
SABiNus d'assise 89
toujours dans sa chambre à coucher [c^ètait un Jupiter de marbre de Coralhis, d'une facture admirable^ avec de beaux vêtements dores), Sahinus le prend dans ses mains, et, après avoir fait une prière, il jette l'idole à terre, et la brise. Ve- niistianus se frappe le front de désespoir, condamne Sabinus à être décapité, et., d* abord, hii fait couper les deux mains. A ce spectacle^ Marcel et Exsuperantius tremblent ; mais Sa- binus les réconforte, et ils maudissent les dieux des démons, tandis que Ventistianus ramasse les morceaux de son Jupiter et les fait mettre dans un coffre d argent. Torturés sur le chevalet, les diacres tiennent bon, grâce aux encouragements de Sabinus ; Marcel s'offre en sacrifice à Dieu et le prie de lui pardonner ses péchés ; tous deux glorifient le Seigneur et, après avoir eu les côtes déchirées par les ongles de fer, ils rendent l'âme. Leurs corps, fêtés au fleuve, sont recueillis, puis ensevelis par im pêcheur et par un prêtre, le long de la rouie, la veille des kalendes de juin.
Six jours après, Sabinus reçoit dans sa prison la visite de Serena : c'est une pieuse matrone de Spolète, veuve depuis trente et un ans, qui vit dans les jeûnes et les prières. Elle recueille les mains coupées de Sabinus, les embaume et les met dans un petit baril de verre [doliolum vitreum], et jour et nuit g tient les yeux attachés. Comme son petit-fils est aveugle, et que les médecins nont pu le guérir, et qu'elle l'aime par-dessus tout, elle l'amène à Vévèque, et le supplie de rendre la vue à l'enfant, Sabinus place ses moignons sur les yeux de l'aveugle ; il prie le Seigneur, lumière véritable, de donner la lumière à ceux qui espèrent en lui, et qui lui demandent selon ce qu'il a dit : « Tout ce que vous deman- derez en mon nom, vous le recevrez, » Et Priscianus recouvre la vue ; et tous ceux qui sont dans la prison se convertissent et reçoivent le baptême : ils étaient onze.
Trente-trois jours après, voici que Venustianus, vir claris- simus, prœses Tusciae, souffre vivement des yeux : il en perd l'appétit et le sommeil, et les médecins ne peuvent rien. C'est alors qu'il apprend le miracle de Sabinus ; il le fait venir avec de grands honneurs, reconnaît qu'il a péché, jette dans le fleuve les débris de son idole, déclare qu^il croit de tout son cœur et demande à être baptisé au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ. Sabinus s'agenouille, lui demande s'il croit
Au Dieu Père tout-puissant ;
90 TRADITIONS D*OMBRIE
Au Christ Jésus, son fils ;
A r Esprit- Saint ;
A Celui qui a souffert et qui est ressuscité ;
Qui est monté aux deux et qui reviendra juger les vivants et les morts et le siècle par le feu ;
Et à sa venue, et à son règne pour la rémission des péchés, et à la résurrection de la chair.
Venustianus croit tout cela ; alorSy lorsquHl se lève du bassin, ses yeux s'ouvrent^ les souffrances disparaissent. Et il prie Sabinus de demander à Dieu qu^il lui pardonne sa bar- barie d'autrefois ; et Sabinus l'assure que c^ est pour ses péchés quil a souffert, et ils vivent ensemble. Mais Maximien Au- guste rapprend, qui envoie aussitôt son tribun Lucius avec un ordre écrit (scriptionem) : ils sont condamnés à avoir la tête tranchée. Venustianus, sa femme et ses fils sont ainsi dé- capités à Assise ; leurs corps sont ensevelis par les chrétiens^ ils liront pu être retrouvés. Quant à Sabinus , il est conduit à Spolète et battu jusquà ce qu'il meure. Serena l'eiisevelit au deuxième mille environ, le 7 des ides de décembre ; et là se multiplient les bienfaits de Notre Seigneur et Sauveur Jésus- Christ : les aveugles sont illuminés, les malades guéris, pour la louange et V honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui toujours donne à ses fidèles la palme de la victoire, A lui em- pire, honneur et royaume dans les siècles des siècles. Amen,
L'auteur de Sabinus semble avoir quelques lectures. Le co- raliticus lapis, doat ^il parle, n'apparaît pas souvent dans nos gestes, ni môme dans les textes littéraires : radjectif, dérivé sans doute du nom d'un fleuve phrygien, Goralius, exprime la blancheur d'un ivoire ; on le retrouve dans un passage de Pline * et dans un autre d'Isidore -.
Il emprunte la date des ludi ceriales, qu'il donne ^ très exactement,à un calendrier ancien : qui croira que le souvenir en ait longtemps survécu, passé leur disparition, ou qu'ils aient persisté jusqu'au vi^ siècle ? — Telle est, on le verra^ la date du texte.
1 Pline, 36, 13, 1 .d'après Forcellini : Lexicon.
2 Orig., XVI, 59. — Le Coralius est mentionné par Pline, 6, 1, 3 [d'après de Vit: Onomasticon].
^ 17 avril. — Ils se célébraient du 112 au 19 [Marquardt: Rom Staatsv, m 357.551, d'après Aliard, iv, 358, n. 3].
VALEUR DE LA LEGENDE 91
Je ne crois pas, en revanche, que le début pittoresque par où il s'ouvre ait été emprunté à un texte antérieur. Les jeux du cirque, la pratique des acclamations étaient profondément enracinés dans les traditions romaines ; surtout, au cœur même du VI® siècle, les jeux continuaient de faire la passion du peuple. Une très curieuse lettre de Cassiodore l'atteste avec précision. Théodoric est obligé de rappeler aux Romains que l'amplii- théàtre n'est pas un champ de foire, que leur joie ne doit pas dégénérer en tumultueux vacarme ni se manifester par de grossières injures à l'adresse des sénateurs ^
Pareillement, ce n'est pas à des actes authentiques de Sa- binus que le rédacteur emprunte sont préfet Hermogenianus : on ne connaît pas de préfet de la ville qui se soit appelé Her- mogenianus ; en 304 — date à laquelle on serait tenté de rap- porter la scène du cirque — , deux personnages occupent suc- cessivement la préfecture urbaine, l'un se nomme Aradius llufmus, l'autre T. Flavius Postumius Titianus ^. Un texte écrit en 304 ne parlerait pas davantage d'un aiigustalis Tusciœ : on lirait corrector Tusciœ et Umbrise ^ Au v^ et au vi® siècle, on appelle augiistales les assessores togati des juges * ; Cassio- dore nous fait connaître un primicerius aiigustalium ^ ; notre
1 « Populo romane Theodericus rex (a. 507-511). Spectacula uoluptatum las- titiam uoluoius esse populorum, nec erigere débet motus iraruin, quod ad re- missioDem auimi constat inveutum, ideo enim tôt expensarum oaus subimus, ut conventus vester non sit seditionis strepitus, sed pacis ornatus, mores pe- regrinos abicite : Romana sit vox plebis, quam delectet audiri.... Atque ideo edictali programmate defioimus, ut, si atroces iniurias in querapiam senato- rum vox iniusta praesumpserit, uoverit se a prsefecto urbis legibus audiendum, ut pro facli qualitate discussa excipiat promulgatam iure senteuliam. Verum ut omne semen discordiae funditus amputetur, prœfiaitis locis pautomimos artes suas exercere praecipimus : quod vos poterit iustruere ad prœfectum urbis data prœceptio, tantum est, ut animis compositis peragatis laetitiam ci- vitatis... Soletis enim œra ipsa mellilluis implere clamoribus et uno souo di- cere, quod ipsas quoque beluas delectet audire : profertis voces organo dul- ciores... abicite furores laeti, iram gaudentes excludite ».
[M. G, — A. A, XII, p. 31-32, éd. Mommsen] Cf.Procope : Got/i,i,6 ; et Code Théodosien, vi, 9. 2 (avec le commeataire de Godefroidj. — Cf. aussi la sédi- tion Nika, et l'importance des jeux du cirque, à ce moment, à Gonstantinople.
Noter encore que les procès-verbaux du concile de Rome de 499 donnent le compte des acclamations : decies, ooties [Mommsen : M. G. — A. A. xii, 404].
2 Goyau, 368. — En 309-310, un préfet^de la ville se nomme Aurelius Her- mogenes[Goyau, 379].
^ JuUian : Transformations politiques de Vltalie... 174. — AUard : iv, 360, D. 3 ; de Rossi BuU.^ 1871, 81. Sur les autres « difficultés » du texte, cf. ïille- mont, V, 603.
* Marini : Giornale dei lelterati di Pisa, iv, 154-155; cf. x, 306; et de Rossi : Bull., 1871.89.
^ Variar, xi, 30, Mommsen, 348. — Cf. Neues Archiv., xix, 479, note 5. et
92 TRADITIONS I)'oMimiE
anonyme parle, sans y prendre ^^arde, la lan^ruo administra- tive de son temps.
Et peut-être, en dénommant son préfet, s'est-il souvenu de l'auteur du Code Ilermofjmieny ou de ces fameux Anicii qui prennent si souvent ce coi^nome/z '; peut-ôtre s'est-il rappelé ces deux proconsuls d'Afrique au temps de Julien, qui por- taient le nom d'Iïermogenianus ^ et qui ont pu être mêlés à la persécution. J'inclinerais plutôt, cependant, à penser que notre auteur relève ici des gestes pannoniens d' Hermoyène ^ : nous savons que les Romains connaissaient les gestes des martyrs du Danube *, et je trouve, dans le texte que je dis, un ïlermo- gène et un Venustus ; nous lisons, dans Sabinus^ Hermoge- nianus et Venustianus.
Le rédacteur anonyme appartient au même groupe que les auteurs à' Alexandre de Baccano, de Valentin et de Donat. Voici les points de contact de Sabinus et de Donat : 1. Mention inattendue d'un augustalis ; 2. Allusion à une relique ; 3. Gué- rison d'un aveugle ; 4. Ironique allusion à l'impuissance des médecins. — Gomme l'auteur de Valentin, VdiUXexxv àe Sabinus aime à faire valoir les mérites oratoires de ses héros ; l'un et l'autre visent une relique [les mains coupées, le cilicium] ; l'un et l'autre introduisent de la même manière l'épisode central de la légende : ici et là, c'est parce que le païen apprend les gué- risons merveilleuses du saint et qu'il a éprouvé l'impuissance des médecins qu'il recourt au martyr. — Nos gestes font écho aux polémiques touchant la spontanéité du martyre et rappor- tent un texte prétendu exact aussi bien que les gestes d'Ale- xandre. — L'épisode de la statue de Jupiter brisée par le saint
C. I. L., m, 3, H026. Les emplois inférieurs de l'admiDislration au temps des Goths nous sont très mal connus, comme le remarque Mommsen : Neues Ar- chiv.y XIV, 466-467.
1 Pauly-Wissova : R. E. article Anicii.
2 G. I. L,, VIII, 1860. L'un s'appelle Glaudius Hermogenianus Gaesarius, l'autre Cl. Olybrius Hermogenianus. — D'où vient le Sifinnius qui apparaît dans nos pestes ?.
3 G. M. R., II, 236.
* G. M. R., II, chapitres x et xi. Cf. aussi p. 20-21 les preuves de l'influence des IV Coronati sur Hedestus. Rapprocher encore les expressions lapis co- raliticus, sermo delimaius, christiani tollaniur \Sabinus\ de celles qui se li- sent dans la grande légende pannonienne : lapis thasus, delimare lapidem, toile magos (et autres acclamations populaires) ; ici et là, il s'agit do martyrs dont on n'a pas retrouvé les corps, et l'on joue sur l'idée de dieu de lumière îippliquée au Dieu des chrétiens. L'auteur de Sabinus utilise les gestes de Pannonie.
LE MIRACLE DE CAMERINO
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rappelle semblable exploit accompli par Concordius. — Je trouve dans les gestes de Constant'ms une sentence du juge textuellement reproduite et le même persécuteur Lucius, que délègue, ici et là, l'empereur. — Ces rapprochements — et je ne prétends pas en avoir épuisé la liste * — ne peuvent pas être fortuits : ils attestent une parenté certaine entre notre texte et le groupe Valentin Alexandre Concordius Constantiiis . Si l'on se rappelle l'épisode du cirque, on jugera qu'il a sans doute été rédigé vers le milieu du vi*' siècle.
Deux faits confirment l'hypothèse. Le duc lombard Ariulf, qui succéda à Faroald Y^y envahit l'Italie centrale à la fin du vi" siècle, et fut vainqueur des Romains à la batailte de Came- rino, grâce à une apparition de saint Sabinus : ce qui le décida à se faire catholique. Paul Diacre atteste le fait.
Sequenti anno [600] Ariulf us dux^ qui Farualdo aput Spo- letium successerat moritur. Hic Ariulf us cum bello contra Romanos in Camerino gessisset victoriamque patrasset, requi- rere a suis hominihus cœpit, quis vir ille fuerit^ quem ipse in illo bello quod gesserat tam slrenue pugnantem uidisset, Cui cum sui viri responderent, se ibi nullum aliquem fortius fa- cientem quant ipsum ducem uidisse, ille ail : « Certe multum et per omnia me meliorem ibi alium vidi, qui, quotiens me aduersœ partis aliquis percutere uoluit, ille vir strenuus me sempersuo clypeo proiexit, » Cumque dux ipse prope Spole- tium, ubi basilica beati martyris Savini episcopi sita est, in qua eiusdem venerabile corpus quiescit, advenisset, interrogavit, cuius hœc tam ampla domus esset. Responsum est ei a viris fidelibus, Savinum ibi martyrem requiescere, quem christiania quotiens in bellum contra hostes irenty solitum haberent in suum auxilium invocare. Ariulfus verOj cum adhuc esset gen-
1 Cf. dans Lanzoni, la parenté de Sabinus avec Jean de Spolète^ Torpes, Per- gentinus, Herculanus^ Grégoire, Laurent, Etienne, Restitutiis, Marins, Serapie, Processus, Susanne, etc.. c'est-à-dire avec les gestes de l'époque ostrogothique. — J'ajoute que le rédacteur connaissait saus doute des textes lériniens : il écrit animœ, si cognosceres, et il insiste sur la nécessité de briser les idoles {Sébastien) et sur l'action de Dieu dans l'histoire : « Yenustianus : ergononsuut dii gubernatores rei publicae. Sabinus... dixit : Non suntdii sed sunt daemones qui destruuût rem publicana ueslram. » J'ajoute encore que Sabinus a été mo- delé sur Terentianus A [ou a même auteur que lui ; cf. in/ra\ et sur Alexandre pape: Quiriuus a les mains coupés comme Sabinus [cf. G. JVl. R., ii, 20G, note 3] ; la boia d'Alexandre et les chaînes de saint Pierre semblent des re- liques aussi vénérables que les maies coupées de Sabinus ; comparer les deux citations érudites, sardamocus, lapis coraliticus ; comparer la conversioQ d'Uermes avec la couversiou de Veuustiaaus, etc..
94 TRADITIONS d'oMBBIE
tilis, lia rrspondil. « Rt potast fivri, ni korno morluus allfiuot vivcnll nuxilium pr,Tstet ? f> Qui ciimkoc dixissrl, equo dissl- lùms eamdc/ni basiUcam conspcctnrus intravil. Tune aliis oranti/jiiSj ipse picturas eiusdem basilicie mirari cœpit. Qui cum figuram beati martyris Sauini depictam conspexisset, mox cum iuramcnlo affirmamt dicens, talem omnino eurn uirum qui se in bello protexerat formam habilumque habuisse. Tune intellectum est, beatum marlyrem Sduinum eidem in prœlio adiutorium contulisse ^
Il n'y a rien, dans noire texte, qui rappelle de près ou de loin cette histoire : il est donc antérieur à l'époque oii elle naquit ^
Le culte de Sabinus paraît assez florissant dès les environs de l'an 600 ; le calendrier populaire le mentionne ; et la corres- pondance de saint Grégoire le Grand nous a transmis le sou- venir de deux dédicaces, l'une d'un monastère, l'autre d'une église, en l'honneur de saint Sabinus (593-604) ^ Dans
1 IV, 16 IPethmaun et Waitz. — M. G. — [S. R. L. 121|. Cf. Hartmann : Geschiohtn Italiens in Mittelalter, ii, 1 (1900), 101-104, 107-112. — Je ne crois pas qu'il puisse être ici question de Sabinus de Plaisance [P. L.,n, 236] ni de Sabinus de Canusium [P. £,., 77, 235].
2 II ne faut pas trop presser ce texte : le témoignage de Paul Diacre est tardif, sans doute à demi légendaire : il date d'une époque où 'tout souvenir a disparu de l'arianisme lombard. N'est-ce pas le miracle de Camerino qui a donné à Sabinus la physionomie d'un saint militaire [christiani, quotiens in bellum irent...]'!
' Gregorius Passivo episcopo Firmano. « Valerianus, notarius ecclesiae frater- nitatis tuse,... nobis suggessit... iuxta muros civitatis Firmanae oratorium se... fundasse, quod in honore beati martyris Savini desiderat cousecrari [Ep., ix, 70. — P. L.,11, 1007. Cf. Ep.f IX, 71]. — « Gregorius Passivo... Proculus, diaco- nus ecclesife asculanae... nobis... suggessit in fundo Gressiano juris sui monas- terium se... fundasse quod in honorem sancti Savini martyris desiderat cou- secrari... [Ep.,xiii, 16. — P. L., 77,1271].— Peut-être ces fondations sont-elles en rapport avec la victoire d'Ariulf et le miracle : la victoire d'Ariulf date en- viron de ce temps.
J'attire l'attention sur la forme du credo que présente le texte. Les trois Personnes sont groupées ensemble, puis on revient au Fils. — L'expression par le feu est, je crois, extrêmement rare: elle est sans doute en rapport avec les idées eschatologiques sous-jaceutes à iMathieu, m, 11 et Luc, IIL 16. Cf. S. Reinach : Cultes, Mythes et Religions. II (1906) p. 133. Où notre auteur l'a-t- il prise 1
Il est à peine besoin de faire remarquer que ce credo se rapproche du texte ancien plus que du textus receptus ?
M. Lanzoni a relevé des points de contact entre Sabinus, le sacramentaire pseudo-gélasien et l'ordo i^onanus primus. Y o'ici quelques exemples : 1. « Qui pedibus super mare ambulavit » [Muratori, 536], qui pedibus mare ambulauit [S. 4]; — 2. Qui nato caeco oculos aperuit [536], qui nato caeco oculos aperuit [S. 9]; — 3. credo in D. p. o. ? credo. Et in Xo. I. filio eius ? credo. Et in S. S '^ credo [S.llj. Gredis in D. p. o. ? credo, credis et in J.-G. filium eius
I
UNE SECONDE VERSION DE SABINUS 95
l'hypothèse proposée \ ces faits s'expliquent sans peine.
11 a existé certainement une version de Sabinus différente de celle que nous lisons.
Le calendrier populaire écrit, à la date du 30 décembre :
III. Kal. [ian), Apud Spoletum, Sabini episcopi, Exsupe- rantii et Marcelli et Venustiani cum uxore et ftliis : qui passi Vil idus decembris^ festivitatem sepulturx habent lll Kal. ianuarii -,
Notre version contredit le calendrier : 1. Elle fait mourir les deux diacres, Exsuperantius et Marcellus, à Assise, non à Spo- lète; 2. La veille des kalendes de juin, non le VII des ides de décembre ; 3. Elle fait mourir Venustianus, sa femme et ses lîls à Assise, non à Spolète (quelque quarante jours après les diacres, et non le Vil des ides de décembre) ; 4. Elle en- terre Sabinus, non pas apud Spoletu7n, mais au 2^ mille de Spolète ; 5. Elle ignore complètement l'anniversaire du III des kalendes de janvier ; 6. L'anniversaire du VIT des ides de dé- cembre commémore l'ensevelissement du seul Sabinus par Serena.
Le résumé d'Adon diffère aussi du texte que nous lisons ^ : 1. Il conte que les diacres, après avoir été déchirés par les ongles de fer, souffrent le supplice du feu, « ignern supponi » : notre texte n'en dit mot ; 2. Les diacres sont enterrés pridie kalendas ianuarias ; 3. Bien que Sabinus ait été enseveli sub die septimo idus decembris^ festivitas...eius et supranomi' natorum martyrum tertio kalendas januarii agitur *.
Enfm, il semble que Hermogenianus ait reçu parfois le prénom d'Eugenius ° : on le cherche vainement dans notre texte.
II est possible que la divergence Assise-Spolète ne tire pas à conséquence : par rapport à Assise, Spolète est une capi- tale ; on a dû y transporter le culte des martyrs qu'on véné- rait auprès.
D. N. Datum etpassum? credo, credis et in S. S., sec: ecclesiam, remissionem peccatorum, caroia resurectionem ? credo [570].
* Noter encore que la formule sub die, employée par les gestes, est très fréquente après 500. [G. M. R., i, 301].
» P. L., 123, 177-178. ' P. L., 123, 205-206.
* Flodoard suit Adon, comme de coutume [P. L., 135, 739-740]. ^ Baronius l'assure.
90 TRADITIONS n'oMi'.niE
L.a (lilïércnce des anniversaires : /// Kal. ian. — pridie Kal. iun. s'explique encore;, je crois, [)ar une erreur paléo- f^ra[)hiquc. On a lu ian à la place de iuriy 11 à la place de III. .l'imagine (jue l'anniversaire du 'M) décembre est apo- cryphe ; et que les deux dates authentiques sont le SI mai^ (veille des kalendes de juin) — mort des diacres — , et le 7 dé- cembre (Vil. id. dec.) — mort de l'évoque. Noter que la scène du cirque se passe le 17 avril |xv. Kal. maii], que la réunion du Capitole a lieu le 22 avril [x. Kal. maias] et que la lettre de Maximien à Venuslianus est datée du 30 avril [prid. Kal. maias] : la chronologie de l'histoire est parfaitement cohérente \
Restent à expliquer quelques faits : 1. Le supplice du feu qu*ont subiles diacres ; 2. Leprénom que reçoit llerraogenianus.
Le plus simple est d'admettre une seconde version des gestes, assez voisine, du reste, delà première. — Je crois la re- trouver dans le Codex Viîidohonensis 357, folio 198^. Le pré- fet y reçoit le prénom d'Eugenianus ; et les diacres y souffrent le supplice du feu :
Venuslianus uir consularis dixit : maceralê fuslibus amho in conspeclu Sabini.,.; et iussit ut unguibus raderentur et la- tera eorum, et ignem subponi, qui dum diu ignem ad latera eorum posuerunt, subito spiraverunt [f° 200''].
On a brûlé le flanc des martyrs après l'avoir déchiré. — La version du Vindobonensis présente quelques autres particula- rités : 1. Venustianus est appelé vir consularisy en même temps q\i' au g us ta lis tusciœ ; 2. Sisinnius n'est pas nommé ; 3. Huit jours après avoir fait emprisonner à Assise Sabinus et ses diacres, Venustianus se rend à Spolète, puis il revient à Assise ; 4. Les diacres sont ensevelis iuxta viam sub die pridie kalendarum ianuariarum ; 5. Les formules du baptême dif- fèrent ici et là :
A B
« Baptizavit eos dicens : Credis in « Baptizauit eos dicens : Gredis in
Deum Patrem omnipotentem ? Res- Deum Patrem omnipotentem et iu
pondit Venustianus : Credo. Et in J. X. filium eius et in S. S... Ule res-
Chrislo Jesu filio eius? Respondit: pondit : credo. Et ille dixit : Et ego
Credo. Et in Spiritu Sancto? Respon- te baptizo in nomine Patris et Filii et
dit Venustianus : Credo. Et in eum Spiritus Sancti, qui te inluminet in
qui passus est et resurrexit? Respon- uitam œternam et per ipsum qui
* Dans les gestes de Laurent, on retrouve des détails chronologiques du même genre. Notre auteur s'en souvient évidemment.
RAPPORT DES DEUX VERSIONS 97
dit Veuustianus : Credo. Et in eum qui ventiirus est iudicare vivos et uior-
asceûdit lu c(p1o3 et itenim ueuturus tiios et PfECulum per igoem in rc-
esl jiidicare vivos et inorluos et se- raissiouem peccatorum carnis resur-
culum per ignem ? Dixit : Credo. Et rectionem.UeDustianiis nir coosularis
lu adreulu eius et regourn eins iu respoudit : Credo Cliristum Deum
remissioneiu peccatorum et carnis Dei filium qui me iuliimiuet. Eadem
resurrectionem ? Venustiauus respou- hora de pelve... » [Vindob., 357,
dit : Credo ia Chris',;um Dei filium . 20lv]. qui me illuminet. Eadem hora vero levains a pelve,... [Slephani Balnzii Miscellaneorum liber secuodus... Pa- risiis, 1679, 54. — § llj.
Bien qu'il n'écrive pas vir consularis ni Eugenianns Her- mogenianus, c'est de cette seconde version A, qu'Adon dé- pend : les mots ignem supponi l'indiquent, l'anniversaire prid, kaL ian le prouve.
Quel est le rapport de x\ à B ? — A ignoi*e Tanniversaire apo- cryphe du 30 décembre, que mentionne B : il lui est donc an- térieur. Les détails que donne B, semblent présenter le carac- tère d'additions pseudo-précises : tels^ les iTïoi^ vir consula- ris^ le prénom Eugenianus. La suppression de Sisinnius est une évidente correction : que vient faire ici ce mystérieux personnage? Les formules du baptême sont plus originales dans A que dans B. — Mais je soupçonne que B a parfois mieux retenu que A la version primitive : le trait ignem supponi devait se trouver dans l'original ; le supplice infligé aux martyrs est, dans cette hypothèse, plus conforme au « canon » des rédacteurs ^
* Les BoUandistes ont rencontré une autre version de Sabinus dans le Codex Xa))iurcens:s 15 (qui date du début du xiiie siècle) : elle reproduit le texte de Baluze, mais avec beaucoup de variantes [Analecla, i, 501. B, H. L., 7454. Maximiano rcgbnine iniperiali]. Ils ne l'ont pas fait plus préci- sément connaître. — Cf. aussi Cat. Bruxelles, i, 121, n. 68; Octavius a San Francisco : Assisiensis ecclesiœ prima IV luminaria [Fulginei, 1715], 64, et Azevedo : Vêtus missale romanurn monasiicmn Lateranense [Romse, 1754], 467.
Une seconde légende de Sabinus s'est développée plus tard : Sabinus, né à Sulmona, va à Faenza, il mène la vie des solitaires à Silva Liba, près du château de Fusignano. Mais un ange lui apporte l'ordre d^évangéliser Assise. Il en devient l'évêque, ensevelit la martyre Serena à la Silva Liba, avec l'aide de sa sœur la vierge Mondina [B. Sabini... Vita, par Flarainio, écrite vers 1526-1534 ; Vita... Sabini d'Azzarini, 1610 ; Antiphonarium inaius Eccl. S, Pétri Faventini, à VArchivio Capitolare de Faenza] [d'après Laozoni : article cité).
III
98 TRADITIONS n'oMUiut:
11
lèle <
Gestes de ^^ lemps de Dioclétien et de Maximien empereurs , u)ie de Spo- fureur sacrilège appuie le règne de r idolâtrie à travers toute r Italie et fait persécuter les chrétiens. V impie hlaccus^ en- va gé par Maximien à Spolète, fait dresser son tribunal au milieu du forum ^ mais apprend de Tgrcanus que tout le monde adore les idoles^ et Jupiter^ Minerve et Asclepius : il congédie donc le peuple avec joie. Seulement le même Tgrca- nus lui annonce bientôt que le bienheureux Grégoire est à SpolètCy qu'il g guérit les malades et convertit les âmes. Arrêté par trente soldats^ Grégoire confesse Dieu qui a fait Chomme à son image, refuse de sacrifier à Jupiter, Minerve et Asclepius^ puisque ce sont des démons ; il aime mieux perdre son corps que son âme ; il ne désire pas V amitié des empereurs. Lorsque les ministres de Satayi le battent sur le visage^ sur le dos, puis sur le ventre, il lève les geux au ciel et implore le Dieu d'Israël; mis sur le gril, il invoque le dieu d* Abraham, le Dieu d'isaac et le Dieu de Jacob, le Dieu de nos Pères ; « si le persécuteur tue son corps, Dieu vivifie son âme [si totum corpus meum mortifetis, domiaus
animam meam viviQcatl. » Et aussitôt un tremblement de
j
terre jette à bas la région de la cité {[ui s'appelle Sumentem et fait périr trente-cinq païens (animae paganomm). Flaccus frémit comme un lion et fuit prudemment ; Tgrcanus fait enchaîner Grégoire et le renvoie à la prison ou le visite un ange du Seigneur , où resplendit une clarté céleste. Mais^ le surlendemain, Grégoire comparait de nouveau devant Flaccus, au milieu du forum', malgré les tortures qu'on lui inflige, il refuse de sacrifier, maudit les idoles et est décapité au milieu de r amphithéâtre, tandis qiiun ange lui parle, par le spa-
1 B. H. L., 3677. — Surias, éd. 1575, vi, 951 ; éd. 18S0, xii, 394 (collatioaaé avec l'Augieosis xxx[i et le Viadoboaeasis 357;.
I
GRÉGOIRE DE SPOLÈTE 99
taire Aquilon. Les bêtes que lâche Tijrcanus adorent le ca- davre; le peuple confesse la vérité et la grandeur du Dieu des chrétiens^ tandis que Flaccus, frappé par ran(je, ce même jour, vomit ses entrailles, et meurt. Cependant une chré- tienne^ Abundantia, achète le corps à Tyrcanus pour 35 aurei; elle l'embaume avec du baume, du nard et des aromates et l'ensevelit à côté du pont de pierre et du ruisseau le Sangui- naire, près des murs de la ville, le X des /calendes de janvier, au chant des hymnes et des cantiques, confessant que Dieu est admirable dans ses saints. A lui honneur et gloire, louange et empire dans les siècles des siècles. Amen.
Les mêmes gestes nous sont connus dans deux autres ver- sions presqu'absolument identiques à celle-ci : Tune ^ est ca- ractérisée par ce fait que la région qui s'abîme dans le trem- blement de terre n'est pas nommée et que le spataire est ap- pelé Aquilinus ; l'anniversaire est marqué non au dix, mais au neuf des calendes ; on donne d'autres chiffres [40 soldats arrêtent le saint ; 450 païens sont tués] ; — la seconde version^, qui nous est accessible dans Adon ^, insinue qu'Abundantia a tenté d'obtenir le corps sans payer.
Réserve faite de ces insigniliants détails, reste un texte qui semble dater de la seconde moitié du vi® siècle : le terme spatarius se lit dans saint Grégoire '\ et c'est au début du vu" siècle^ dans le calendrier populaire *, qu'apparaît la pre- mière attestation liturgique du culte de notre saint.
La scène du gril nous fait souvenir de saint Vincent.
La mention d'une trinité païenne, l'incident du tremble- ment de terre, l'emploi du terme ministri rapprochent notre texte ^Alexandre de Baccano,
L'invocation Deus Abraham, Deus Isaac, Deus Jacob, Deus patrum nostrorum rappelle les gestes de Gonstantius et ceux de Jean Penariensis qui reproduisent la même formule ;
* Mss. dont s'est servi Surius. Les variantes de cette version ont peut-être une origine purement paléographique.
- P. L., 123, 203. « Quia non potuit obtinere aliter, datis 35 aureis... » — Flodoard [P. Z,., 135, 737-740] suit Adon. — Baronius a connu une version qui contait un miracle survenu en 1037 [ïillemont, v, 133].
^ Dialogi, m, 6 [P. L.,11, 228] : « malignus spiritus... spatharium invasit eumque vexare crudeiiter cœpit ».
* « Apud Spoletum, Gregorii presbyteri et martyris » \P. Z,., 123, 177-178]. — Les lettres de saint Grégoire attestent la vogue de ce nom à ce moment.
100 TRAUl'IlONS d'oMBRIE
la punition du persécuteur Flaccus ot la curieuse expression animc-ff paf/a}îorum (= par/ani) raip])e\\ent aniin les f^estes do liricius, d'Abundius et de Garpophorc qui sont entrés dans la rédaction cyclique du vu" siècle : Leontius est aussi juste- ment frappé que Flaccus, et le palais de Martianus, en s'écrou- lant, tue 120 « âmes de païens ». Il est vraisemblable que le rédacteur de notre texte connaissait les gestes de liricius et les gestes de Jean. La Trinité païenne peut avoir été em- pruntée à Constantius aussi bien qu'à Alexandre.
11 est vraisemblable que le pons lapideus et le rivus Sangui- narius de nos gestes se rapportent au pont qui, dans les gestes de Pontien, est appelé pons sanguinarius : le nom d'un ruisseau est aisément appliqué au pont qui le traverse. Certains traits et certains termes rappellent encore cette même légende : 1. Princlpum contemptor ; 2. Après un mi- racle [P. douceur des lions; S. tremblement de terre], le mar- tyr est reconduit en prison ; 3. L'ange du Seigneur vient l'y réconforter; 4. Nouvelle comparution suivie de la mort; 5. Les bêtes adorent le martyr, vivant dans Pontien, mort dans Grégoire K
ÏII
Gestes do Comme Pontien, Félix, et F/nce/2/ sont parents de Grégoire,
Au temps de V empereur Antonin on persécute les chrétien» afin de les faire sacrifier aux idoles : les infidèles dressaient des embûches aux fidèles. Sur un ordre [ex imperio] de Uem- pereur Antonin^ le juge Fabianus arrive donc dans la cité de Spolète ; il siège au tribunal, il convoque le peuple, il an-
1 Cf. Vincent de Saragosse et le corbeau. — Cf. encore Lucie Geminien : ici et là, comme dans Pontien^ je relève l'expression fremuit ut leo [Pala- tinus 846. — f. 127 v. i]. — Le Codex Casinensis cxvii (du x® et xi^) reproduit [folio 694. — Cf. Bibl. Casin., iir, 58] un miracle inédit de Grégoire. Est-ce le texte visé par Baroniua?
2 B. H. L., 6891 [14 janvier 933 ou 216].
PONTIEN DE SPOLÈTE 101
nonce sa mission^. Et beaucoup consentent à sacrifier ; heau^ coup aussi restent fermes dans la foi et, supportant les tribu- lations, consacrent leîirs âmes au Seigneur ; Fabianus, furieux^ frémissait comme un lion. Il y aimit alors un homme établi dans la crainte de Dieu : c était Pontianus. Arrêté par les mi- nistri il dit son nom^ sa foi. — « Tu es bien né^ et ton Dieu a été chassé par la persécution de ville en ville ; cest un cru- cifié qui ne peut f arracher à mes mains ! » — « Tes idoles sont sourdes et muettes. » On le dépouille de ses vêtements ^ on le bat, on le fait marcher pieds nus sur des charbons ar- dents : Pontianus s^cst signé au front avant de marcher ainsi. Le chevalet y les dents de fer ne brisent pas son courage ; ce sont les ministri {brisés de fatigue ?) qui défaillent et les crocs de fer qui se rompent. Enfermé au fond de la prison, il reçoit la visite d'hommes religieux qui le confortent afin quil ne faiblisse pas. Lorsqu'il est conduit à V amphithéâtre, les lions l'adorent après quHl a imploré le Christ; et le peuple acclame son Dieu et réclame sa délivrance. Devant cette sédi- tion [uidens... seditionem in populo fieri], Fabianus le fait reconduire en prison pour quil y meure de faim ; mais fange du Seigneur lui apparaît au milieu de la nuit et le nourrit de mets célestes ; et les ministri qui viennent chercher son corps le douzième jour sont stupéfaits de le trouver chantant (psallentem). Le plomb fondu qu'on lui verse sur le dos glisse sur lui comme l'eau sur le marbre. Alors le Juge déclare: « Le contempteur des dieux, Pontianus, qui a refusé de sa^ cri fier, sera livré au spiculator et décapité *. » Le saint s* age- nouille et remercie Dieu qui lui a permis, dans son combat, de confondre le diable. Il est mort le 19 des kalendes de fé- vrier. Les chrétiens enlèvent le corps au Pont Sanguinaire et l'ensevelissent en paix non loin du mur de la cité, in fundo qui appellatur Lucianus, le 15 des kalendes de février ; et tous glorifient Dieu qui écrase ses ennemis et couronne ses saints. A lui honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.
* Voici son petit discours : « piissimus imperator antooinus direxit me in hanc civitatem ut si quis preceptum hoc non observaverit, capitali pu- nialur senteotia ».
2 Voici le texte : «contemptor deorum pontianus qui diis sacrificare noluit, spiculator! tradatur et caput eius ab eo abscidatur ».
J02 TRADITIONS D'OMlilUE
Le calendrier populaire ^ donne :
XIV kal. feh, El Spoleti, sanctl J*ontiam marlyris drcimo 710710 kal. passij decimo quinto sejjîilli, décima se.rlo (f(uarto) in sepulckro mulali^ quando œlebrior dies eius afjitur.
Adon -^ écrit pareillement, d'après le calendrier sans doute :
Consummauil.,, 'niarlyrium suum XIX Kal. /ehruarii. El suhlatum corpus eius a chrislianis sepullum esl XV kal. Ce- lehris uero dies ipsius agilur XVI (XIV) Kal. februariiy quando ilej'um sacrum corpus eius mutalum esl.
Ainsi le calendrier et Adon racontent qu'il y a eu une translation du corps de Pontien ; et que. c'est désormais l'anniversaire de la translation qui est devenu la fête du saint.
Les gestes de Pontien ignorent cette translation.
Ce fait rappelle deux autres faits du même genre : nous les avons notés ^ à propos de Sabin de Spolèle et d'Alexandre de Baccano, C'est un nouvel indice qu'il y eut, peut-être, après la guerre gothique, tandis que s'organisait l'exarchat, revision du calendrier et réorganisation des cimetières. Et c'est la preuve que nos gestes, antérieurs à ce travail, dont ils ne disent mot, ne peuvent guère être postérieurs au début de l'exarchat de Ravenne.
Nos gestes, d'autre part, rappellent la légende d'Alexandre de Baccano : même époque (Antonin), même attitude du peuple qui est favorable aux chrétiens [ij 5]. Les gestes de Pontien datent sans doute du milieu du vi^ siècle et font partie du môme cycle qu'Alexandre *.
Ils sont également apparentés, semhle-t-il, à Constantius et à Grégoire de Spolèle : on a vu que Conslanlius nomme ex- pressément Pontien, et que Grégoire connaît également sa légende. Enfin, la scène de la prison et des ministri fatigués rappelle Vincenl de Saragosse,
^ 19 janvier. P. L., 123, 147-148.11 faut, évidemment, lire ^warfo pour s^^fo.
2 19 janvier. P. L., 123, 217-218. — Je remarque que le Codex AugieyiHs xxxii écrit : quinto decimo Kal. septembris [ce qu'on corrige xiv... februarii]. Je ne saurais dire d'où vient cette fêle du mois d'août.
3 Cf. supra, p. 96 et 12-14..
* Cf. ïillemont, ii, 628. Certains détails rappellent aussi Agapet.
FÉLIX DE SPELLO 103
Ail temps de Dioclétien et de Maximien sévissait une per- sécution cruelle : tous les fidèles de la sainte religion cJfré- tienne qu'on pouvait trouver étaient punis d'atroces tour- ments. Maximien envoie un certain 1 arquinius qui doit les contraindre à sacrifier. Tarquinius trouve à Spello l'évéque Félix qui ne cesse de louer Dieu et de prêcher avec éloquence r unité de la Trinité ^. « Qui fa donné ce pouvoir, lui dit-il ; pourquoi séduis-tu le peuple et lui fais-tu adorer un Dieu que le sénat n a pas établi et que n adorent pas les empe- reurs. » — « f adore le Christ^ fils du Dieu vivant^ né de la Vierge Marie par le Saint-Esprit : pour nous arracher aux idoles il a daigné revêtir notre chair mortelle. » Et Tarqui- nius a beau le tenter ; Félix refuse d'abandonner le Créateur pour des idoles muettes ; une voix céleste le réconforte. Ra- mené un autre jour, il refuse encore d'adorer Apollon et Hercule et de devenir grand pontife. Tarquinius, alors, con- voque les majores civitatis, déclare que Félix est un mage, et, après que celui-ci a été réconforté par un ange et a re- mercié Dieu qui protège les croyants fidèles, il le condamne à périr sur le gril. Comme les ministri l'y étendent, le ton- nerre retentit et tue nombre de païens. Félix est alors con^ duit au forum, décapité par le spiculator Sevibus et recueilli par deux chœurs d'anges. Les chrétiens ensevelissent son corps à la louange de Notre Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-'il,
Félix de Spello, qui nous est attesté par Usuard % n'eut ja- mais aucune vogue : nous n'avons plus, semble-t-il, un seul manuscrit de ses gestes. L'obscure légende est datée des envi- rons de l'an GOO par les points de contact qu'elle présente avec Grégoire de Spolète [le gril], et surtout avec Sabinus d'As- sise. D'Assise à Spello la route n'est pas longue; on a placé les deux saints à la même époque, tous deux confessent qu'ils sont esclaves du Christ, tous deux s'entendent demander de quel droit ils prêchent, et c'est au milieu du forum qu'ils sont tous deux interrogés. Le texte rappelle également l'autre lé- gende d'Assise : Victorin, on le verra, prie le Dieu trine et un
« B. H. L., 2886, 18 mai 299.
- « Laudare Deum et unitatem Triaitatis prsedicare. » ' XV. Kal. « iunii. S. Felicis epi qui apucl Spellatensem urbem sub Maximo imperatore palmam martyrii adeptus est » \P. Z., 124, 65-66|.
104 TRADITIONS d'oMIUUE
que prôclio Kolix. VA, lorsqu'il parle de l'unité de la Trinité, luULr nous remet encore en mémoire Tcrniiiamis I) et toute une famille de ^^estes romains '.
Il ne rappelle nullement, en revanche, l'histoire de Dom- nius de Salone. Certains savants l'ont prétendu, qui s'ap- puient sur un mot de Pierre des Noels : dans le résumé de celui-ci, Spalalensis remplace Spellatensis. Ils font encorde valoir qu'il y a eu à Salone un martyr appelé Félix : lu petite chronique l'atteste. Ils insistent sur ce fait que les deux saints sont fêtés le 18 mai. — Nul ne p'eut montrer que la fête salo- nitaine du 18 mai soit d'origine ancienne. Le texte de Pierre des Noels ne prouve pas, puis qu'il a la date que chacun sait et que, du reste, il donne, non Salonitanus, mais Spalatensis. Surtout on voit très clairement que Félix est parent de Fîc- /r;rm et de Sahiniis: ses attaches ombriennes sont très so- lides -.
La légende de Bevagnaest également apparentée à »S«ôm2^5 ; mais elle s'inspire surtout de Vincent de Saragosse ; elle devait inspirer un jour... saint François d'Assise ^ v'i'ifceGt de Comme les ordres des empereurs déchaînaient la persécu- uevagua* tion, et qitc les proconsuls, les consulaires et les préteurs de Tuscie, de Valérie et du Picenum recherchaient les chrétiens, le préteur de Tuscie Capitolinus envoya de Pérouse le comte Mavortius rassembler les évêques voisins : Vincent, évêque de Bevagna, et son frère, le diacre Bénigne^ se trouvent parmi eux. Quand ils arrivent, enchaînés, les prêtres des temples les insultent : ils n^ adorent pas Jupiter, Hercule, Mercure, Saturne^ Neptune, Cyron, Minerve, Vénus, Jiinon, Apollon, Esculape, Mars, Bérécynthie, ni Diane ; et leur Christ a été tué par les Juifs. — ce II est ressuscité, réplique Vincent ; il
1 Le même terme, fidèles est employé de la même manière, à peu prè?, ici
et dans Pontien.
2 Pour plus de détails, cf. Zeiller : Les origines chrétiennes... de Dal- matîe, Paris, 1906, 22-23. On sait l'origine de ces efforts : Patriotisme de clocher.
3 L'épisode des oiseaux de Bevagna s'explique certainement par notre texte. La scène du démon chassé de l'idole a, pareillement, souvent inspiré les peintres.
* B. H. L., 8676, 6 juin 613. « Cum iussu principum impiissimorum perse- cutio... »
VINCENT DE BEVAGNA 105
viendra juger le monde par le feu (judicare... saeculum per i'>-neni)... Vos dieux ne peuvent même pas parler , » Le consu- laris Valerius trouve cette remarque fort juste, et, de même, les juges et les pontifes. On entre dans le temple où les idoles étaient dressées dans de nombreuses chapelles (ubi plures fedicula^. cum simulacris erant et maxime Martis) ; mais un tremblement de terre les renverse, 000 païens so7it tués, les chaînes des èvêques tombent et le diable sort de l'idole de Mars en criant : a le Christ remporte. » Mavortius se convertit ; mais Capitolinus fait massacrer les cvêques^ sauf Vincent, Eustasius ensevelit Bénigne à Bevagna, près du port {^oviwXo), le jour des kalendes de mai. — « Sacrifie au Soleil et à la Lune », dit Capitolinus à Vincent. — « Ils ne sont pas dieux, dit r évêque. Lis les psaumes (8 ; 15 (16) ; \.i^)et T Heptateuque au chapitre premier de la Genèse. » Humilié, moqué, Capitolinus fait infliger à Vincent le supplice complet de la question [ad legitimam qusestionem] ; il ne veut pas être vaincu. Mais le martgr reste souria7ït. On l'isole, on Venferme dans une prison ténébreuse ; Dieu rUlumine ; et cest le prisonnier qui rassure ses gardiens. Lorsqu'on le jette à l'eau, les anges le portent au rivage, a Tu as vaincu, Vincent, lui dit Capito- linus, parce que tu as un nom de victoire » ; et il meurt. Son successeur Porphyrius n'est pas plus heureux : les bêtes vé- nèrent, les oiseaux honorent le martyr, et Vincent chante: (( Bénissez, oiseaux, le Seigneur du ciel ! » La terre engloutit, avec le persécuteur, l'eau oi/ il veut noyer le saint. Et alors, en disant les messes, à l'oraison dominicale, il reçoit le corps du Seigneur en même temps que les fidèles (faciensque missas in dominica oratione percepit corpus Domini cum iidelibus) et meurt en paix le VI II des ides de juin, sous le consulat de Rufus et Gallus, Une noble matrone, Liceria, achète son corps une livre d'or, Vensevelit sur sa terre, le champ du salut (campus salutis), in novas nundinas augustales, inter Porti- lionem et Mevaniam, au 94^ mille de Bome; là, s'y multi^ plient les bienfaits de Dieu, tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ au ciel, sur la terre, sur la mer, sur les abîmes, lui qui viendra juger les vivants et les morts et te siècle par le feu. Amen,
Vincent et Bénigne sont les saints locaux de Bevagna * :
1 Sur Bevagna, cf. C. I. L., xî, 2, p. 731.
iO(J TRADITIONS n'oMBRIK
indépondamnriont de notre texte, les XII Syriens attestent leur culte, ou du moins le culte d(î Vincent. — Mais notre text(i (^st indépendant des XII Si/rlcns : il ignore le sacre de Vincent par Jean, le métropolitain de Spolète '.
li'auteur de Vincent semble connaître Grérjoire et Sabinus. Ici comme dans Grègoirey un tremblement de terre venge les martyrs, les betes vénèrent leurs corps, une pieuse femme achète leurs cadavres, le persécuteur est puni de mort. Ici comme dans SabmuSy se lit la curieuse formule iiidicare vivos et mortuos et sœculum per irjnem. — Mais Vincent n'est pas autrement apparenté à ces textes : aucune relique n'y est mentionnée, aucun augustalis ; on ignore la formule Deiis Abraham, Isaac et Jacob ; on ne donne aucune indication chronologique; l'énumération des dieux païens est, ici, beau- coup plus longue que là ^ ; on n'emploie pas les expressions ministri, animœ paganorwn.
L'auteur de Vincent connaît certainement Vincent de Sa- ragosse : on peut dire que la fin de son texte est copiée tout entière sur la fameuse légende espagnole ^
Tout cela donne à Vincent une physionomie assez particu- lière. Je l'explique par la personnalité de l'auteur anonyme plutôt que par une différence d'âge entre les textes. Le rôle des pontifes, l'intervention de l'ange nous font souvenir de ce qu'on voit dans Anthime et dans les XII Syriens. Vincent re- monte sans doute au vi^ siècle. Peut-être sort-il du même groupe que Juvénal de Narni : les rédacteurs des deux textes paraissent également érudits. Peut-être est-il apparenté à Félix, à Pontien et à Grégoire: ici et là je trouve la trace de l'influence de Vincent de Saragosse.
1 Cf. supra, p. 68.
2 BérécvDthie est Dominée dans Symphovien (VAutun [Ruinart, 125]. La source commune est évidemment saint Angnalin : Civil. Dei : ir, 4. Notre auteur a farci <oï\ texte de citations bibliques : c'est un savant.
^ G. M. R., II, 134-156. — La date consulaire est fausse, ou fictive. (En 298, il y a bien un consul Gallus ; mais son collègue s'appelle Anicius Faustus, non Rufus).
VICTORIN d'assise 107
IV
Vidorin et /Emilianus rappellent nettement, et la légende des Xll Syriens, et les légendes locales qui n'ont pas été ab- sorbées par celle-ci.
Donc, le bienheureux Victorin, né dans le ï^oijaume des As- syriens d'une illustre famille, apporta, avec l'aide de quel- ques compagnons, la religion chrétienne au peuple d'Assise. — Assgrie, en latin, signifie lumineuse ^. — C'était au temps de Gordien, qui reçut l empire en 240. Vidorin et ses compa- gnons étaient venus à Rome pour visiter la ville des Apôtres (limina Apostolorum) ; z7 était très savant dans les lettres clirétienncs, et le pape Fabien l'accueillit bien, l'ordonna prêtre, puis l'envoya, comme évéque d^ Assise, prêcher la pa- rote de Dieu en Ombrie, qu^on appelle aujourd'hui le duché de Spolète. Près du château de Spello, il guérit un enfant d environ cinq ans, qui était bègue ; et celui-ci le raconte à tous [ad civiuni turmasj. « Cest Jitpiter », disent les uns', « cest Hercule », disent les autres. On cherche, on trouve le saint sur les confins d'Assise, « Qui es-tu, d'où viens-tu ? » — « J'ai été renvoyé dans cette patrie, répond-il, afin de semer le verbe de Dieu ; il faut rejeter les faux dieux, croire en la sainte et inséparable (individuae) Trinité ; qui a été triplement baptisé connaît son créateur et recouvre le bonheur de son pre- mier père. » — « Mais pourquoi ne connaissons-nous pas ce Dieu-là ?» — a 11 na pas daigné vous envoyer les Prophètes ni les Patriarches ? » — Et, comme ils lui demandent la preuve de ce qu'il avance, Vidorin crache à terre, à l'exemple de son maître, enduit de cette boue les yeux d'un malheureux qui a perdu la vue^, invoque le Dieu trine et un: V aveugle voit, ils se convertissent, ils vont à Assise. Mais voici quà
» B. H. L., 8597 [13 juin, 669 ou 163].
■2 D'après saint Jérôme : Liber interp. hehr. nomimtm.
3 Souvenir de Jean, ix, 6. Cf. Marc, viii, 23.
108 TRADITIONS d'oMURIK
V entrée de la ville ^ ils trouvent le pré /et Dar/nns qui leur demande d'où ils viennent. « Nous venons dOrienl ; Dieu nous a envofjès chasser d'ici le vain culte des idoles. » Dagnus le frappe, V empêche de dire de qui il tient son pouvoir et, le liuitihne jour, il le fait comparaître devant son tribunal. (( Braves gens [? boni homines), déposez votre titre de chré- tiens ! » — « Nous n espérons rien de bon que par la foi en celui de qui on chante : et uidit Deas cuncta quae fecerat... » Un des conve7'tis ajoute: « Depuis que le serviteur de Dieu nous a enseigné la vérité, nous rejetons les idoles : ce sont des démons ». On le décapite près de la ville, non loin de la route qui mène au Tescio, et Victorin l'enterre, — « Cest toi qui séduis ces gens, lui dit Dagnus : reviens aux dieux, je f enrichirai ». Victorin refuse', on le jette dans un brasier y mais la flamme s' éteint ; il chante : Igné me examinasti. Ses amis battus de chaînes, déchirés par les ongles de fer, sont à la fin jetés dans un puits : la troisième nuit après leur mort, Victorin accourt et les ensevelit» Il continue de prêcher, et le préfet le croit parti. Mais un païen le dénonce ; on le trouve près du fleuve, dans un endroit clos, où il prie avec les chré- tiens ; on l'arrête brutalement, on le roue de coups : seulement, l'un des impies ne peut plus ouvrir le poing. « La piété que nous devons aux rois romains (pietas regam romanorum) nous engage à supporter les injures, lui dit le préfet ; songe à ta jeunesse et sacrifie ; sinon, tu mourras, » — « Dieu in a envoyé dans cette province, répond Victorin; que la volonté de Dieu soit faite. Mon Seigneur a, de lui-même, été à sa pas- sion ; nous, de même, nous marchons volontiers au supplice pour r amour de lui. Comment donc ne le sais-tu pas ? » — (( Ce sont nos dieux qui donnent le salut. » — c Je ne te croyais pas si sot ; c^est pour toi que David a dit : Appone Domine iniquitatem super iniquitatem. » — c Vous vous moquez de moi; eh bien, sacrifie à Mars, ou meurs ». On le conduit au temple; il chante, intrépide; à r endroit du supplice, il demande aux bourreaux un instant de délai, et prie le Dieu tout-puissant, qui vit et règne trine et un. Il re- fuse de sacrifier et est décapité au pied du mont de Jupiter, près du fleuve Tescium, dans la ville de Macerata, au début de juin, le 13,
Cette légende — dont le héros est inconnu au férial hiéro- nymien, au calendrier populaire, à Adon et à Usuard — • rap-
ORIGINES DE LA LEGENDE 100
pelle la légende des XII Syriens par son thème central : evangélisation d'une partie de l'Ombrie par des Orientaux. — Klle rappelle surtout les gestes de Félicien de Foligno : ici et là, même conception de la répartition des provinces entre les missionnaires chrétiens ; même insistance sur la science du saint, qui le fait distinguer du pape ; même époque, Gordien et Philippe ; même pays, Assise ; comme l'auteur de Félicien^ l'auteur de Victorin cite les gestes romains ou y puise |ici Abtlon et Sennen ; là Maris et Marthe, venus aussi de l'Orient ad limina apostolorum], — Je remarque, enfin, que les ex- pressions serere verbum Dei, divini verbi satores sont com- munes à Victorin et à Juvènal^ oij l'on voit aussi que la terre a été répartie entre les apôtres. Félicien et Jiivénal datent sans doute du début du vii^ siècle ; peut-être faut-il en dire au- tant de Victorin.
Je remarque que ces gestes présentent certains traits assez fréquents dans les textes grecs : le saint demande un délai pour prier, avant son supplice ; on parle de Dagnus, qui ap- paraît dans la légende de Christophe ; le terme de protoparens est à moitié grec *. Si Ton songe que le début du vif siècle voit s'épanouir en Italie la légende byzantine, on considérera comme très probable notre hypothèse. — L'expression duca- tus spoletanus 2, qui appartient peut-être au texte primitif, la datation par le quantième du mois, surtout, la rendent presque nécessaire.
Trois points restent obscurs. Pourquoi placer en 246 l'avè- nement de Gordien, qui mourut en 244. L'origine de Terreur est-elle purement paléographique ?
Où placer Victorin, à Macerala ou à Assise? On ne le voit pas clairement ^
Faut-il croire que notre texte est un remaniement d'un texte du vi^ siècle, ou faut-il expliquer par une inQuence litté- raire l'insistance de l'auteur sur le Dieu trine et un % et sur- tout sur la spontanéité du martyr?
^ Cf. dès le vi<^ siècle, dans Processus, tnellopvinceps^ Cf. G. M. R., 1, 303.
- Cf. Hartmann : Geschichte Italiens im Mittelalter^ 11, 1 (1900), 45, 110, 252, 269; 11, 2 (1903), 12, 34, 38, etc..
^ « Tune unus ex eis... decollavit eum sub monte Jovis, iuxta flumen quod Tescium dicitur in Macerata villa, intrante iunio die tertio decimo » [13 juin 671].
* Cf. Terentianus D, au chapitre suivant.
\{{} TRADITIONS D OMBRIE
Gestes U Arménie livra au supplice (? ad correptionem) les enfants dVEini- de la grâce {de Dieu) ; elle se choisit des martyrs qui montre- Spolète 1 raient jus qii oh allait leur charité, jusqu'à V effusion du sang. L'un d'eux est notre martyr yj^milianus^ dont on m'a or- donné d'écrire la vie. (Donc), il venait d'' Arménie (de JJer- minia regione) et arriva dans la cité de Spolète. Comme su sainteté éclatait aux regards, on chercha quelle ville avait besoin d'un évéc[ue ; on apprend que la civitas lucana rCen avait aucun, on l'y envoie. Il y trouve des nobles de la fa- mille des Anchi {? de Anchorum génère) qui le demandent pour évêque : et les Anchi vont à Rome et obtiennent gain de cause. Mais, tandis qu'il exhorte le peuple à abandonner les idolesy Maximien augustalis de Tuscie [? augustalis ïuscise?) fait rechercher soigneusement les chrétiens. « Tu es fou, » dit-il à yEmilianus, lorsqu'on le lui amène. — c Non, répond le saint ; il est éant que les dieux des nations sont les démons et que sera déraciné celui qui leur sacrifie. » // défie les prêtres, et guérit un paralytique qu'ils ont été inhabiles à sauver, malgré leurs invocations à Asclepius, à Hippocrate, à Jupiter, à Galien et autres dieux. Les médecins furieux grincent des dents et poussent l'empereur à le tuer. On rétend sur le chevalet, on lui brûle les côtes ; mais le Christ lui ap- paraît et le réconforte, et desséche les mains du bourreau, et éteint les lampes. Une seconde fois, le Christ vient le secourir lorsqu'on le jette dans une chaudière. Il accourt encore, lors- qu'on précipite le martyr, une pierre au cou, dans le fleuve Cleoton ; et lorsque, dans l'amphithéâtre, on lance sur lui les bêtes féroces. Mille habitants se convertissent, que Maximien met à mort. Mais le Christ sauve encore yEmilianus lors-
' 1 B. H. L., 107 [Bibl. Casinensis, m, flor. 49] : « Et enim Hermenia quidem tradidib... »
^MILIANUS DE SPOLÈTE 111
quon raccroche à la roue et le saint raille et maudit V empe^ reiir, fils du diable, u Comment sais-tu que nous sommes inaudits Dj demande Maximien, — « Je Vai appris de mon maître, le prêtre Hilarianus ». Maximien l'oivoie quérir ^ et, sur son refus de sacrifier, il le met à mort ainsi que ses deux frh'es, Denys et Ilermippe ; mais un tremblement de terre jette à terre les idoles.
a Hilarianus et ses frères ont sacrifié », dit Maximien à .Kmilianus. Celui-ci a appris par l'Espril-Saint qu'ils ont été couronnés ; il défie Maximien de les lui montrer et lui dé' clare ([uil ment comme un chien. Tandis qu'on le conduit à la mort, il convertit et baptise beaucoup de gens ; puis il sup- plie humblement Dieu de le recevoir par la main de ses anges et de donner à ceux qui se souviendront de lui une foi droite^ la guérison de leurs maux, la rémission de leurs pécJiés, Quand on veut le frapper ^ au 3^ mille de la civitas lucana, le glaive du spiculalor devient aussi mou que la cire : il implore son pardon ; yEmilianus le lui accorde et obtiejit la vie éter- nelle pour ceux qui célébreront sa fête. En lui annonçant cette faveur, une voix céleste ajoute : « on ne Rappellera plus ^Emilianus, mais le miséricordieux [iani non diceris yEmilia- nus, sed niisericors uocaberis] ». // contraint les spiculatores à le frapper, et ceux-ci, après avoir baisé ses membres, le frappent en effet. Aussitôt son corps prend la blancheur de la neige, son sang la blancheur du lait ; Volivier auquel on Va lié se couvre de fruits ; beaucoup se convertissent. Le bien- heureux yEtnilianus évéque a souffert le martyre au lieu qui est dit Carpiani, à un tiers de mille du fleuve Cleo ton \?? tertia pars miliarii de ipso llumine qui Cleoton ^ vo- caturj, et son corps est enseveli par les fidèles le cinq des /calendes de février, tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne, Dieu, dans tous les siècles des siècles. Amen,
Il est certain que cette légende est parente des XII Syriens et de Victorin d'Assise : ici et là, le héros présente la physio- nomie curieuse d'un apôtre de l'Ombrie originaire de l'Orient
* J'imagine que ce vocable désigne le Glitumne. Cf. les gestes de Crispo- lilus, 12 mai 22.
112 TRADITIONS d'oMKHIE
(Syrie, Assyrie, Arménifi) ; ici et là, le texte porte la trare des préoccupations eccl(;siastiques des Spolclains : ce sont les Spol(Hains qui cherchent en quelle viUe envoyer un aussi digne évèque ; mais — et ceci ra[)peMe Viclorin, — c'est le pontife de Rome qui confère à l'Arménien l'épiscopat de Lu- canie. Notre rédacteur ne favorise pas Spolète ; mais il té- moigne du prestige qui l'entoure. — Et trois faits de moindre importance confirment notre thèse. L'olivier auquel on at- tache /Emilianus se couvre soudain de fruits ; pareillement, dans Jea?i Penariensis^ on a vu soudain fleurir l'arbre sous lequel repose le saint \ Le Codex Casinensis CXVll (de la fin du x^ siècle) est, à ma connaissance, le seul ma- nuscrit où se lise le texte qu'on a résumé : la composition de ce manuscrit manifeste l'origine ombrienne de l'arché- type ^. Ici et là, on semble viser les Ariens : Viclorin insiste sur le Dieu trine et un, iEmilianus sur la rectitude de la foi.
Il est encore certain que la légende rappelle ASa^mi/^, Donat^ surtout Valentln. Gomme Sabinus, elle présente un augus- talis. — Le maître d'^Emilianus, Hilarianus (?), ressemble fort au maître de Donat, Hilarinus ou Hilarianus, d'autant que tous deux sont présentés comme des moines {domine pater, ainsi l'appelle iïlmilien). — Je remarque, enfin, la liste des dieux qu'invoquent les prêtres païens : deux d'entre eux ne sont autres que les fameux médecins Galien et Hippocrate ; et l'on assure que, lors de la guérison du paralytique, les méde- cins grinçaient des dents, abierunt medici stridentes dentibus. Le rédacteur à! JEmilianus s'intéresse aux choses de méde- cine : comme l'auteur de Valentln de Terni et de Donat^ il op- pose complaisamment à l'ignorance des médecins le pouvoir miraculeux de Tévêque.
Les gestes d*^milianus nous font souvenir encore de quelques textes du vue siècle. Leur auteur paraît être un moine, qui écrit sur l'ordre de son abbé : tel semble le cas de Victori7i-Séve)nn et de Cassien (qui nomme Asclépius). — L'au- teur est un poète qui fait parler en vers le martyr, tandis qu'il marche à la mort.
1 Cf. aussi le rôle de Tolivier dans Agathe [G. M. R., ii, 201, note 1]. - Bibliotheca Casinensis, iome III. — Cf. G. M. H., vi.
I
UN ASCÈTE ET UN MARTYR CONFONDUS 113
« Omiiipotens dominus, celi terreque creator, Jehsu Christe, deus roi^um, sumina potestas, Oninia qui iuste modéras nioderamine saucto 1 De celis ueniens natus de uirgine sacra, Postquam mille modis miracula sancta dedisti, lu cruce coiifixus salvasti sanj^uine mundum Unde luis famulis donasti forte trophœum Demoniacas fraudes par quod confringere possint... »
Oq voit pareille chose dans le remaniement de Félicité ^
11 est très assuré, enfin, que Tauteur subit rintluence delà Légende grecque. L'origine orientale qu'il assigne au martyr nous l'indique ; et Tartilice dont il use pour recommandera ses lecteurs le culte d'^^milianus le prouve plus clairement encore : il leur promet, par la voix de Dieu, toute sorte de bienfaits.
Precamur humiles,,., implorantes simul et pro omnibus qui memores extiterint nostri ad reverentiam noniinis tui. Trihuas eiSj quesumus, domine, fidei rectse constantiam, infirmanti- l)us medellam...; et si in delictis.., ceciderint . . , et clamaverint ex gemitu cordis..., exaudi in celo et propitiare impietati eorum... Quicumque colunt meam festivitatem et faciunt commemorationem (meam), habeant partem cum domhio,,., b. maria..., et b. michaele archangelo... in regno tuo. Vox de celo (respondit) : Quecumque petisti, ego exaudiam te.
Pareils traits sont communs dans les textes grecs K Nous sommes ainsi conduit à penser que la légende date du temps des Lombards et de l'exarchat de Havenne, plus préci- sément du vue siècle. L'auteur est évidemment à chercher parmi les moines de Spolète et d'Ombrie.
Restent deux points obscurs. Après avoir accordé à i'Emilianus ce qu'il demandait, la voix céleste continue ainsi :
lAM NON DICEBERIS .^MILIANUS^ SED MISERICORS UOCABERIS.
11 s'agit ici, semble-t-il, d'un changement de nom. Mais quelle est la portée de ce détail?
D'autre part, quelle est l'origine de la légende? Doit-on
' B. H. L., 1855 [10 juillet, i4 on 13 ; ou Kuastle : 133]. Là-dessus, cf. Kunetle, p. 124-133.
- Cf. Biaise, etc.. G. M. R., v. La prière qu'adresse le martyr à Dieu afia que son âme soit reçue par les anges, le sang blauc comme le lait rappellent aussi les textes grecs. Cf. Victorin d'Assise [délai pour prier] ; et Eiitychius,
m 8
114 TRADITIONS d'oMBRIE
(lire qu'elle dérive d'un culte, comme il arrive le plus souvent? Ou bien a-t-elle une autre origine mystérieuse ?
Voici, dans l'état actuel de nos connaissances, l'hypothèse qui semble le plus vraisemblable. Il y a eu, — c'est Gré;_^oire le Grand qui l'atteste \ — vers le milieu ou la fin du vi^siècle, un pénitent fameux nommé yEmihanus. On lui donne un se- cond nom ; il entre de bonne heure dans la lèrjende ; son his- toire témoigne de la miséricorde de Dieu. Notre ^milianus l'Arménien ne dérive-t-il pas d'une transhguration dVEmilia- nus le pénitent - ?
Et comment expliquer qu'on Tait qualifié de martyr? yEmilianus le pénitent n'est pas honoré comme tel. — Il y avait un martyr i^milianus dont l'histoire^ très authen- thique, avait été popularisée en Italie par Cassiodore. Dans le récit que fait celui-ci de la persécution de Julien, on lit cette phrase :
In Dorostolo vero, insigni Thraciœ civitate, A^milianus in- victissimus decertator, a Capitolino wiiversœ Thraciœ judice igni traditus esf^.
Les Romains s'intéressaient aux martyrs du Danube : peut- être lisaient-ils les actes d'^milianus comme ils lisaient les actes de Quirinus, d'Irénée ou de Pollion ^. Le souvenir du
1 P. i., 76, 1257, § 18. Cf. le texte cité tout au long, injra, chap. xi.
2 Où vivait et daûs quel monastère se réfugia ^milianus le pénitent? Gré- goire ne le dit pas; et nous connaissons trop mal la vie de Maximianus, sou auteur, pour suppléer à son silence. — Mais je remarque que les deux légendes où reparaît le souvenir d'^milianus-Victorinus sont attachées, l'une à rOmbrie, l'autre au Picenum. Le Picenum, l'Ombrie [on peut ajouter la Lucanie] sont régions voisines l'une de l'autre : c'est de ce côté qu'il faut chercher le pays de notre saint. ^H
Quel est le lieu que désignent ces mots : civitas lucana'? ^^^B
Je rapproche l'expression civitas lucana d'autres expressions analogues : civitas aurelia [Basilidé], civitas valeria [L. P., i, 317]. Cette expression est étrangère à saint Grégoire qui emploie couramment le mot provincia, pour signifier même un territoire urbain [Cf. DiaL, iv, 22. — P. L., 77, 353. G... provincia quœ Sura nominatur]. Mais l'usage de Grégoire montre combien le gens des mots provincia, civitas, se transformait vers l'an 600. Cf. Diehl : op. laud., 22.
Je ne crois pas qu'il y ait aucun rapport entre notre ^Emilianus, JErni- lianus de Pontgibaud [Grég, Tur. Vit. Pat., 12. — P. L., 71, 1061] ni .Emi- lianus l'Espagnol [Braulion : Viia JEm. P. L., 80, 701]. Mais saint Grégoire nous parle d'un notaire de l'église romaine appelé iËmilianus [Ep. xi, 15. — Hartmann, ii, 276J.
■^ Hist. Trip., vi, 16 [P. L., 69, 1040, C,]. Cassiodore dépend de saint Jé- rôme : Chronic. a. 266 : « ^milianus ob ararum subversionem Dorostori a vicario incenditur » [P, L., 27, 691-692].
* Cf. supra, ^i G. M. R., ii. 221.240 Chapitres x et xi. Noter que la citation
J
UN ASCÈTE ET UN MARTYR CONFONDUS 115
niarlyr de Doroslorum se confondit, j'imagine, avec celui qu'avait laissé iEinilianus le pénitent : ainsi naquit la légende d'-^Emilianus de Spolète.
On voit quelle est la richesse de la légende de Spolète et d'Assise, et combien étroite la parenté des textes où elle s'exprime, et combien forte l'influence qu'exercèrent sur elle les gestes romains et les traditions grecques. Ce fait est sans doute en rapport avec l'importance du pays à l'époque lom- barde : Spolète était capitale d'un duché très puissant dont les rapports avec Rome étaient assez intimes *.
qui sacrificant diis eradicahuntur se lit dans Quirinus et dans Irènéô [G. M. R,,ii, 221, 241] comme Ad^u?, yEmiliayius, et que les deux saints sont également jetés dans un fleuve, une pierre au cou. Noter que les mots : Hilaranus et 868 frères ont été couronnés s'expliquent peut-être par un souvenir des IV coronati. L'auteur connaît certainement les textes panuoniens.
Je me demande si, dans le mot Anohi, il ne faut pas lire Anicii, qui sont cités dans Juvénal [cf. supra p. 85]. On sait que saint Grégoire est un Ani- cius ; son notaire iEmilianus ne serait-il pas l'auteur de notre texte ? — Quant au locus Carpiani, cf. le « fundus Carpianus, in pago salutari », cité dans la Tnb. alim. Ligur. Braebianorum [Mommsen, 1534, col. 3, ligne 15, d'après de Vit : Onomasticon].
* Hartmann, ii. 1, 43, 48, 63, 245 — Les rapports de Rome et de Spolète au viii« siècle sont très bien connus [politique de Grégoire III et d'Hadrien I^i].
CHAPITRE V
TRADITIONS D'OMBRIE MA AMERINA LES SAINTS TERENTIANUS, CASSIEN, FIRMINA, SECUNDUS, CRESCENTIUS, CRISPOLITUS.
Dès la fm du vi" et durant tout le cours du vu"* siècle, deux grandes routes traversaient l'Apennin. L'une était aux mains des Lombards; c'était l'antique voie Flaminienne qui, fran- chissant le Tibre à Otricoli, par Narni, Bevagna, Foligno, No- cera atteignait l'Apennin, et, de la montagne, gagnait la mer. Quand les Lombards, en 571, avaient occupé Spolète, Foligno et Nocera, Rome s'était trouvée coupée de Ravenne ; d'autant qu'ils s'étaient emparés encore de Todi et de Pérouse.
L'exarque Romanus reconquit et sut garder Pérouse ' [590-597] et il organisa fortement la défense d'une voie stra- tégique impériale passant par ce point et reliant, parallèle- ment à la voie Flaminienne, le versant tyrrhénien au versant adriatique. « La nouvelle voie... quittait Rome par la Via Cassia, et, un peu au nord de Baccanœ (Baccano), empruntait
* € Dura reverteretur Raveona (Romanus) retiouit ciuitates quas a Lon- gobardis tenebantur. Sulrio, Polimartio, Hortas, Tuder, Ameria, Perusia, Luciolis et alia multa ». L. P., i, 312, 3133. — Cf. Paul Diacre. H. L., iv, 8 (M. G., p. 118) et Gregorius Magn. praef. Hbri II in Ezeohielem.
H8 TRADITIONS d'oMMRIE
la Via Amcrina. Par Nepe (Nepi) ot Gallcsium (Galleso), elle gagnait le Tihre qu'elle traversait à llorla (Orte), puis par Ameria {KmaXidi), /wûfer (Todi) et la vallée du Tibre, elle at- teignait Pérouse. De là, elle rejoignait par deux voies la voie Flaminienne, soit en gagnant par Guhhio le poste de ad Ense (Scheggia), soit en aboutissant à la place de Tadinum, recon- quise par les Byzantins en juillet 51)9. De là, par Lucioli, Gallium, Petra Pertusa, elle gagnait la Pentapole \ »
Quelles sont les légendes qui lleurissaient dans ces cités? Et dans quel rapport sont-elles avec les gestes romains?
Todi 2
Gestes de \^^ p^^g vieille est probablement la léorende de Terentianus.
Ter eu- *^ , , . ^ ^
tiauus de Confier à l'écriture et sauver de l oubli les triomphes des
saints martyrs est un digne (labeur) : celui qui veut adorer et imiter Dieu persévère avec plus d^ ardeur sHl lit les combats des martyres. Disons donc le martyre du bienheureux Teren- tianus, évéque de l'église tudertine. L'empereur Adrien, qui s'appelle aussi Helios, c'est-à-dire Soleil, apprit à connaître les miracles de Jésus-Christ tandis quil visitait V Orient ; il crut aussitôt [illico credidit], se mit à réédifier l'église du Seigneur^ restaura Jérusalem et envoya dans toutes les par- ties du monde un édit interdisant d' inquiéter aucun chrétien à cause de sa foi [per omnes mundi partes edictum proposait ut nullus christianus pro Ghristo, nisi causa alius criminis, in- ventus punireturj. Mais, à son retour à Rome, les sénateurs et les adorateurs des idoles crient que, si on ne tue les chré- tiens, c en est fait de la république. Le préfet de la ville, Marianus, rappelle à l'empereur qu'il lui a déjà donné pa-
■ 1 Diehl, 69-70.
2 B. H. L., 8000 [MoEûbritius, ii, 327] : « Sanctorum martyrum triumphos stilo memoriae comeadare digaissimum est... » — C'est le texte que j'ap- pelle A.
TEBENTIANUS DE TODI 119
reil conseil ; il ajoute que, dans un pays [pagus] 'proche la cite de Todi, un vieillard convertit tout le peuple. Ceci se passait dans le temple de Jupiter Capitolin^ le IV des kalendes d'août. Adrien entend ce conseil avec calme et or- donne de contraindre les chrétiens à choisir entre le sa- crifice et la mort. Lœtianus^ proconsul de Tuscie et Andréa togatus, qui Vassistent, tous les sénateurs et proconsuls acclament Marianus et crient: « Très clément empereur, que notre commune requête soit (approuvée par toi) et publiée partout )). L'empereur lance un édit * en consé- quence, que Lœtianus apporte à Todi et annonce aux nobles et aux magistrats ^. Le lendemain, les ennemis quont les chrétiens dans la Curie [de curiaj arrêtent saint Terentianus et les religieuses [sanctimoniales] et les conduisent au pro- consul Lœtianus > Lœtianus le fait entrer dans son palais et lui offre en vain l amitié d^ Auguste : depiiis qiiil prêche, les prêtres et les vierges n obtiennent plus de réponses des idoles et le feu s'' éteint dans les sacrifices. Terentianus expose la vé- rité: le Fils de Dieu engendré de Dieu le Père avant tous les temps et né d^une Vierge à la fin des siècles, et V Esprit-Saint qui procède du Père et du Fils ; le Fils incarné pour sauver l'homme trompé par le diable ; V Esprit-Saint égal au Père et au Fils ; qui croit en eux est sauvé, si credideris, salvus eris. — (( Et nos oracles ? » — « Dieu permet quelquefois que les démons disent vrai ». — « Sacrifie, » • — a Depuis que je suis prêtre, je sacrifie à Dieu une hostie vivante et sans tache dans le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ [sacriiico Deo hostiam vivam et immaculatam quiB corpore et sanguine 1). J. C. conficitur]. )) — « Cest donc souvent qu'on tue votre Christ [fréquenter occiditur Christus vester]. » — a Le diable, ton père, fa aveuglé. Le Christ n a souffert qu une fois ». On
* Ea voici le texte : « Adrianus Inclytus triurophator. Ratum et iustum est diis seruire omr.ipotentibus, per quos et nostra félicitas floret et respublica guberDatur. Ubicumque iuventus fuerit christianus sacrilegiis aut diis sacri- ficia olferut, aut tormentis diuersis intereat ». Propositutn est hoc edictum quarto Kalendas auguslas in foro Traiani.
- Voici le petit discours de Laetianus : « Viri patres et amici principum, co- gDoscite promulpatum a Gaesare augusto edictum ut cultores deorum floreaut et cliristiani nomiuis rei, si inuenli fuerint, pœois uariisque tormentis in- tereant ». — Les nobles de Todi sont appelés dans le texte maiores. Félix de SjM'llo p. 103. Eet-ce un équivalent de principales [Diehl : op. laud., 95] ? Les « magistrats » soni-ils leurs présidents, comme à Ravenne? Majores a sans doute un sens très général [Ewald. i, 213. Gregorii Ep. m, 54], comme ^^ri- ttiores, 'primates.
420 TRADITIONS d'oMHKIK
le bal, on le dépouille de ses vèle/tnejils et l'on découvre ses parties sexuelles |?secr(3ta illius] ; rnais^ quand on apporte les statues de Jupiter et d'Hercule avec un trépwd et de l'encens, Terentianus lève les yeux au ciel, et voici que le prince des prêtres devient aveugle^ que les idoles et le trépied se brisent. On le met sur le chevalet, on lui brûle les côtés, on lui coupe la langue, on lui broyé les pieds, mais L.xtianus devient m,uet et meurt subitement, quand on le rapporte chez lui. — Terentianus est renvoyé à la prison par Lucidius et Gabinius., maîtres des soldats ; puis, un autre jour, /e^ augustales Celsus et Leontius le font comparaître sur le forum. Mais le prince des prêtres, Flaccus, est éclairé par une vision ; il recouvre la vue à la prière de Terentianus , et confesse le Christ, Fils de Dieu. Dans le délai d'une heure qu'il demande et quit obtient, il est baptisé et meurt avec Terentianus , après avoir été condamné par Celsus et Leontius. Les deux martyrs sont décapités hors de la cité, près du fleuve. Le prêtre Exsupe^ rantius recueille les corps et les ensevelit au VIIF mille, au lieu Pierreux [in (oco petroso] qui est appelé Colonia. Ils ont souffert le jour des kalendes de septembre., tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.
Nous connaissons trois autres versions de cette légende. La première, qui est conservée dans un manuscrit d'Orvieto, commence parles mots ; Rediens Adrianus imperator de Hic' rosolymis... ; elle reproduit le texte A, moins ce qui a trait à la conversion d'Adrien. Je l'appelle texte B \
La seconde, C, se lit dans un manuscrit de la bibliothèque de l'Oratoire, à Rome ; elle débute ainsi : adhuc grauis erat persecutio christianorum per totam provinciam ut si quis non prostratus idolis immolaret pœnis cruciaretur ^
La troisième, D, a été imprimée intégralement par les BoUandistes "^ et s'ouvre par le prologue suivant :
Anno cœsaris augusti XLII, expletis secundum hebràicam
^ [B. H. L., 8001]. Legendarius Orbevelanus, cité l^f septembre, 111, § 13,
2 [B. H. L., 8002]. Codex romamis, cité eodern loco.
3 [B. H. L., 8003]. 1er septembre, 112. — Je néfzlige B. H. L , 8004 [Lectio- nnrium ecclesiœ Teanensis, 1533, 8i<j;n., I, 1. — i, 3. Ultra sopere qnain opor- tet...] : ce texte est un remaniement tardif, qui prétend raconter la translation d'un bras du martyr à Teano, au second siècle •,]\l est divisé en 18 leçons [l^"" sept, m, § 13; et B, H. L.].
QUATRE VERSIONS DE TERENTIANUS 121
iieritatem ab inilio miindi annis rlfJ52, Jésus CJmstus Dei Fi- lins mundum suo sacravit adventu, Tiberii autem cœsaris oc- tavo decimo anno passione sua mundum redemit^ h. Joannes apostolus sexagesimo nono anno post passionem Domini, œtaiis autem suœ nonagesimo septimo, temporibus Traiani Ephesi placida nnorte quievit. A passione vero Domiiii annus numeratur fere octogesimus quinlus, quando passus est s. Te- rentianus episcopus temporibus Adriani imperatoris.
Elle ajoi te au texte A : 1. L'édit contre les chrétiens est acclamé dix-sept fois par le peuple^ à Todi ; 2. Exsuperantius est assisté d'une pieuse chrétienne, Laurentia ; 3. Le rédac- teur de 1) insiste sur l'immanence du Christ dans la Trinité. La doxologie est ainsi formulée :
Régnante D. N. J . C, qui cum Deo Pâtre vivit et régna Deus in unitate Spiritus Sancti ; et Terentianus dit à Laitianus :
Credas Christum Filium Dei una cum Spiritu Sancto in ' Trinitate et in unitate persiste?item, et salvus eris,,. Dico D, J. C. Dei Filium et Spiritum Sanctmn in unitate semper et trinitate matière.
4. Après qu'on lui a coupé la langue, Terentianus crie : Glo- ria tibi, Deus,
Elle supprime dans le texte A : 1. L'histoire de la conver- sion d'Adrien ; 2. Le délai d'une heure que demande Flaccus ; 3. Les mots sécréta illius ; 4. La durée du délai demandé au moment du supplice ; 5. Le titre de magister militum donné à Lucidius et Gabinius.
Elle modifie le texte de l'édit :
Victor Adrianus augustus inclitus triumphator perpetuus^ generali honore et pietate prascelsus loto orbe romano sacris- que diis immortalibus decus honoris. Justum est enim dûs sacratissimis jugiter deservire per quos romana félicitas flo- ret et respublica gubernatur et dignum est, ut secundum sug- gestionem magnifici viri Marnani prœfecti justa postulatio non denegetur. Ideo volo ut ubicumque inventus fuerit chris" tianus., prius ad sacrificandum cornpellatur et, si hoc adim- plere renuerit, variis affligatur tormentis ut diis nostris per libationem sacrificiorum in omnibus honor augeatur, Proposita est denique hœc iussio IV Kal. aug. in Foro Traiani.
Elle fait de Marianus, non un préfet de Todi, mais un préfet
TRADITIONS I) OMBRIE
<lo la Ville, ù liomc. Il f3st roru par l'eniporour devant lo temple (le la ville de home, non dans le tem[)Ie d(; .Iu[)iter.
La légende — dans ses parties communes à A, H, C et 1) — apparaît comme étroitement apparentée à Sahinus d'Assise, Voici les points de contact que j'ai notés : 1. Un même per- sonnage, Exsuperantius ; 2. Même cadre administratif : le gouverneur de Tuscie et le préfet de Rome, les Aiifjuslalas ; 3. Môme origine de la persécution, envoi de Rome d'un ordre écrit; 4. Môme hostilité du peuple contre les chrétiens;
5. Môme allusion à une même relique, doliolum vitreum ;
6. Même miracle ohtenu par des moyens très analogues : la vue rendue à un aveugle, ici par le contact des mains, là, par le contact des moignons ; 7. Môme apparition d'un Lucius, ici magistrat local, là, envoyé de l'empereur ; 8. Scènes popu- laires analogues ; 9. Libellé analogue des deux édits ; 10. Même attitude du préfet de Rome, môme forme de la dénonciation.
Deux des particularités de D sont à retenir : elles portent chacune sa date, et ces deux dates coïncident. Le prologue chronologique nous reporte naturellement au temps de Denys le Petit et des gestes de Laurent de Spolète, c'est-à-dire à la première moitié du vi^ siècle : il prouve que notre auteur con- naissait sans doute la Chronique de saint Jérôme '. — L'inté-
1 On lit dans la Chronique de Jérôme : « Anno ab Abraham 2010 : Tertullianus in eo libro quem contra Judaios suscepit affirmât Chriatum 41 anno Augusti na- tum et 15 Tiberii esse passum » [P. L.,21, 557-558J. [Tertullien écrit en effet, op. laud., 8. « Videmus autem quoniam quadragesiuo^ et primo anno imperû Augusti, quo post morlem Gleopatrae imperavit, nascitur Ghristus. » — Cf. également Jérôme : Comm. in Isaïam, 2 : « Veteres revolvamus historias et inveniemus usque ad 28 annum Caesaris Augusti, cuius41 anuo Ghristus nalus est in Judae... »]. Ce passage est peut-être une glose : l'origine en serait donc antérieure au vie siècle. — Le compte de» années d'Auguste est fait depuis la mort de César. [P. G., 19, 531-532 : la naissance de Jésus est datée de la 43e année du règne]. — L'écart 41-42-43 s'explique sans doute paléographi quement.
Le compte des années à partir de la création est-il également fourni par Jérôme? On lit : P. L., 27, 569-570 : « Anno 15 Tiberii, compuiaotur... a se- cundo anno instaurationis templi... anni 548,... ab Abraham ;2044 ; a diluvio usque ad Abraham 942 ; ab Adam usque ad dihivium 2242 » [cf. P. G., 19 533-534]. — Or 2242 + 942 + 2015 [2044-29] = 5199 et non 3952. Cet écart de 1247 ans s'explique-t-il par une erreur paléographique ou par l'utilisa- tion d'une autre source? L'âge de saint Jean, qu'on donne plus bas (97 ans), semble emprunté à une version des actes de l'apôtre : Jérôme, dans sa Chro- nique, ne l'indique pas [cf. P. L., 27, 561-562, anno Ghristi 4|.
En revanche, on y lit la date de la mort de Jésus qui se trouve dans Te- rentianus. P. L., 27, 569-572. J. C... « ad passionem ueuit anno Tiberii 18 ».
[Cf. Gauchie : Revue d'histoire ecclésiastique]. On y trouve l'explication de la
INFLUENCE GRECQUE 123
rôt qu'il témoigne au problème de l'immanence de Jésus au sein de la l'iMnité nous rappelle les polémiques contemporaines d'Hormisdas et la décision de Jean H '. Le texte I), selon toutes les apparences, date du second quart du vi° siècle-.
Les particularités du texte A ne sont pas moins révélatrices : elles attestent l'érudition de son auteur et l'inlluence de la Lé- i^ende grecque. Hadrien, dit-il, s'appelle Hélios. C'est une évi- dente transformation du nom yElius, qu'a réellement porté Adrien. — Comme le conte notre texte, Adrien a réellement restauré Jérusalem, qu'il appelle yElla CapitoHna. — Adrien protégea les chrétiens ; il détendit qu'on les poursuivît en rai- son de leur croyance ; il se fit chrétien lui-même. Ceci est une évidente transformation du souvenir laissé par le rescrit d'Adrien à G. MinuciusFundanus. Les historiens de Vhistoire Auguste ont dû être consultés. J'attire l'attention sur ce pas- sage de Lampride :
Christo ternplum facere voluit {Alexander Severus) eumque inter deos recipere. Quod et Hadrianus cogitasse fertur, qui lempla in omnibus civitatihus sine simulacris jnsserat fiein, quie hodieque idcirco quod non habent numina dicuntw lia- driani, quae ille ad hoc parasse dicebatur ; sed prohitntus est ab /lis qui consulcntes sacra reppererant omnes chrisiianos fu- turos^ si id fecisset, et templa reiiqua deserenda ^.
Je rappelle encore deux curieux passages d'Epiphane : il voit dans certaines églises chrétiennes de son temps d'anciens « Kadrianées » ^ Tout cela témoigne du travail légendaire qu'a suscité la politique tolérante d'Hadrien et qui aboutit à nos gestes. Mais je ne saurais dire si le rédacteur a directement puisé à Lampride, ou s'il dépend d'un texte intermédiaire : d'où vient, en particulier, l'histoire delà conversion d'Adrien? Je ne serais pas surpris qu'on la rencontrât un jour dans un texte grec. Notre auteur s'intéresse aux choses de Grèce.
date assignée par les gestes à la mort de Jean : P. L., 27, 603-606, (anno), 2 (Trajaui), « Joannem aposiolum usque ad Trajani tempora Irenaeus episco- puf» permansisse scribit. »
iG. M. R., I, 313 318, ii, 207-210. C'est le 15 mars 533 et le 25 mars 534 que la formule VUn de la Trinité a élé crucifié a été approuvée par Jusii- nien, puis par Jean II [Code, i, 1, 16 ; Mausi, viii, 797, 8031,
- Peut-être D a-t-il subi quelques retouches. Je me demande si, primitive- ment, Laurentia n'était pas présentée comme la femme d'Exsuperantius ; elle ne se retrouve plus dans A. Pourquoi ?
3 Alex. Sever., 43 [Peter, i, 281].
* Hxres., 30, 12 : 69, 2.
124 TRADITIONS d'oMBRIE
Témoin son jeu de mots sur yElius-IIelios. Et je rappelle que Flaccus sollicite un délai d'une heure au moment de sa mort : trait fréquent dans les légendes grecques. Parmi les textes ombriens, nous en avons déjà rencontré plusieurs qui pré- sentent ce caractère, Viclorin d'Assise^ yEmilianus de Spolèlc, certaines versions des XII Syriens^ j'ajoute Valentin de Terni, Marcianus de Dracciano, etc.. N'est-il pas à croire que A est est un remaniement de D opéré dans la seconde moitié du VI® siècle? Le préfet de la Ville a survécu, on le sait, à l'in- vasion lombarde, et de même les curies municipales.
Et du même coup j'explique les rapports de Sabmus et de Terentianus. Terentiamis D est peut-être antérieur à Sabiniis : Sabinus aura été modelé sur lui ; ou bien, si Sabinus est con- temporain de D, il faut dire que les deux textes ont même auteur ou émanent du même groupe. Quoi de plus semblable, en efîet, que ces deux scènes où l'on voit Tempereur décréter la persécution, à la demande des sénateurs, aux acclamations de la foule ^?
On s'explique sans peine l'origine de B : son auteur a voulu alléger la légende de la conversion d'Adrien ; c'est donc qu'elle paraissait choquante, et qu'il écrivait à une époque de renais- sance des lettres. Qui. sait si B ne date pas du temps des Ca- rolingiens? Qui sait s'il n'est pas à peu près contemporain deD?
Je ne dirai rien de G : la description qu'en ont donnée les Bollandistes ne me permet pas de le faire.
Le culte qui supporte le développement légendaire est soli- dement attesté par le férial hiéronymien ; le férial donne la même date que les gestes.
B. liai. sep... et in tudertina tuscia Terentiani epi. Felicis Donati,
E. Kal. sep.., et in casino constanti aquinia soi prisai te- rentiani epi ^.
Peut-être un Félix et un Donat ont-ils souffert le martyre en même temps que Terentianus ; peut-être n'ont-ils aucun rapport avec lui. Mais si son histoire authentique est à jamais
i Terentianus rappelle encore, outre Laurent de Spolèle^ Grégoire : 1. Ici et là un païeQ Flaccus ; 2. Mort du persécuteur [Lsetianus, Flaccus] ; 3. Le saint, prie les yeux au ciel ; 4. C'est l'arrivée d'un envoyé impérial qui dé- chaîne la persécution locale.
'■^ De Rossi-Duchesne, 114.
CASSIEN DE TODI 125
perdue pour nous, on voit bien que sa légende a pris forme à l'époque gothique et qu'elle a été remaniée à l'époque grégo- rienne*.
II
Tu mexhorteSy vénérable Bassien, monphre^ à imiter Atha- nase et Jérôme et Sévère qui ont raconté la vie de Pauly df An^ toine et de Martin, et à conter à mon tour l'histoire de Cas- sie7i^ évéque de Véglise de Todi. Bien qu inégal à la tâche je t'obéirai. Donc, comme Dioctétien et Maximien reviennent triomphalement de Numerantia (? Nicomédie) à Bome, Abla- viuSy un brave, arrive avec eux à Todi. Il épouse malgré Chromalius, préfet urbain, sa fille, qui lui donne un enfant, Cassien ; celui-ci est élevé par le grand-père dans V étude des arts libéraux ; et sa science est telle quHl guérit les mala- dies; il est aussi fameux comme avocat. Sur quoi meurt Pan- crace, sans enfant : c était le proconsul de Tuscie. Dioctétien et Maximien donnent sa place à Aôlavius, avec Vassentiment de Chromatius. Comme Ablavius arrive à Todi avec V ordre des Augustes de tuer tous les chrétiens qu'il trouvera, on lui
• Je remarque, précisément, qu'à l'époque gothique et à l'époque grégo- rienne, les Romains devaient être au courant des choses de Todi. L'église romaine de Sainte-Croix possédait des terres sur le territoire de Todi, depuis Constantin \L. P., i, 180J. Les Impériaux reprirent Todi aux Lombards au temps de saint Grégoire, dont un defensor, nommé Julianus, était intimement lié avec l'évêque de Todi, Fortunat [L. P.,f, 312; — Dialogi, i, 10. — P. Z,., 77, 200] : et Grégoire raconte longuement, d'après Julianus, la vie et les mi- racles de Fortunat. Qui sait si la rédaction de D et de A n'est pas en rap- port avec ces deux faits ? [Noter que le pape Martin I était originaire de Todi, L P., I, 336].
Peut-être le premier rédacteur, D, connaissait-il les livres de Gésaire et les textes lériniens : cf. les expressions si vis salvui esse [l^r sept., 115, § 12], « si cognoscere vis » [§ 5, p. 113], « hoc te communeo ut... » [§ 7, p. 113, E], Tinsislance sur la Trinité et l'Unité |cf. le symbole Quicumque]. Noter les mots: diis per quos romana félicitas floret. — Cf. dans A, la formule si credideris salvus^eris. Cf. une formule analogie d^us Anthiiïie, supra, p. 54, note 3 et 58, note 1.
- B. H. L., 1637 [13 août, 27].
126 TRADITIONS D^OMBRIE
apprend que l'êvêque Pontien ophre beaucoup de conversions ; il le fait tirer de la citerne où il se cache et ècorcher de la tète aux pieds, Pontien déclare qu'il est chrétien, et écéque, malgré son indignité. « De quel droit prêches-tu secrètement ta doctrine j et fais-tu adorer un mort? » — « Cest qu'il est ressuscité. » — « Tache d'en faire autant ; car tu vas mourir. » — « C'est ce que fai toujours souhaité. » Mais des légats des empereurs arinvent à ce moment^ qui envoient Ablavius à Fano^ 0(1 il y a beaucoup de chrétiens ; Ablavius part^ et meurt en route, tué par son cheval,
Pontien^ conduit à Rome^ est emprisonné ; mais Cassien Vy vient trouver, — cest lui qui a tout raconté — il est baptisé au nom du Seigneur son Dieu, puis il est fait clerc. Nommé enfin évêque, il revient à Todi oit il organise des réunions pu- bliques et instruit de nombreux scho lares. Et cest alors que Maximien, ayant appris la mort d' Ablavius au pont de Ri- mini., qu'il déplore ainsi que tout le sénat, confère le procon- sulat à Cassien son fils aîné, a Donne à un autre, répond Cassien, le proconsulat ou la préfecture que tu ni* as attribué : j'ai une autre préfecture, et un autre consulat^ je sers sous un autre empereur. » Maximien comprend ce ciue cela si- gnifie ; et il écrit à Chromatius, qui est à Milan comme préfet, la mort de son gendre et la conversion de son petit- fils. Retenu à Milan, où il doit prononcer la peine capitale contre Sébastien, le plus noble enfant de la ville, Chromatius ne peut revenir à Rome ; il y envoie donc son autre petit- fil s Ve- nustianus pour qu'il reçoive le proconsulat de Tuscie et pU' nisse tous les chrétiens qu'il trouvera. Un troisième petit-fils de Chromatius, propre frère de Cassien, Flaccus, est mandé en même temps par Maximien et chargé par lui de faire élever une statue à Jupiter sur les places de toutes les cités. En s^ ac- quittant de sa tnission, Flaccus apprend qu'un certain Gré- g oire pervertit le peuple de Spolète; il le fait comparaître, mais, puni par Dieu qui venge ses saints, il meurt aussitôt sur le forum de la ville.
Venus tianus, cependant, aiTivé de Milan à Rome, s'était rendu à Todi pour y recevoir le proconsulat de Tuscie : il se fait présenter Cassien son frère qui, battu sur le dos puis sur le ventre, refuse néanmoins d'adorer Jupiter, précipite Uidole à terre et la brise. Jeté dans l'huile bouillantCy Cassien ne sent rien, et refuse encore d'adorer Jupiter, Mars, Asclepius
UN CENTON 127
et Minerve. Lorsqu'on relève de terre, un tremblement de terre ébranle la ville et tue S8 païens | animœ paganoram] ; et^ quand on le ramène en prison, les jeunes gens sont sevrés de renseignement de leur maitre. En vain un licteur les pousse à F apostasie ; Cassien ressuscite devant eux ^ par une prier cet un sigïic de croix, 2in enfant tombé de cheval^ et il raffermit l' finie de ses scholares. Or, tandis que Marc, Clet^ Tudinus et Leontius sont étendus sur le chevalet, arrive un messager de l'tmpereur : ordre à Vcnustianus d'aller à Assise lutter contre Sabinus, un autre séducteur. Il part, en effet, après avoir donné l'ordre quon laissât son frère mourir de faim. Mais les élèves de Cassien se révoltent contre leur maître, le frappent de leurs tablettes et de leurs stgles ; le geôlier les délivre et garde Vèvéque. Celui-ci, tout blasé, est maintenant en butte aux railleries ; enfin une lumière céleste resplendit : il va rejoindre Dieu. Son sang est recueilli par une noble ma- trone dans des ampoules de verre ; son corps est embaumé, puis enseveli in finibus arcis regiae. Il est mort le Î3 aoitt, grâce à Notre Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen,
Ce texte utilise manifestement les gestes de Sabinus * et les gestes de Grégoire -, ainsi que la tradition relative à Cassien d'imola, qu'a chanté Prudence ^ : c'est à ce dernier, sans doute, que Cassien de Todi a emprunté, avec son genre de mort, la date de son anniversaire.
Je crois aussi que notre texte est parent des gestes de Fir- mina, des gestes de Pontien *, des gestes d'Herculanus et des gestes de Valentin : les scholares, le personnage de Pontien dont on fait un évêque, mais non pas un évoque de Todi, le supplice d'écorchement qu'on lui inflige, certains détails tels que l'introduction d'un préfet urbain ou l'intérêt qu'on porte au sénat nous invitent à le croire.
J'ajoute enfm que les gestes empruntent à la légende de saint Sébastien le personnage de Chromatius, comme Firmina
' Cf. supra, p. 87. Venustianus ; Sabinus est expressément cité ; l'allusion ironique à la résurrection de Jésus : libre à toi de ressusciter.
- Cf. supra, p. 9(S. Le persécuteur Flaccus, les animx paganorum, le trem- blement de terre. — La formule : de quel droit... vient des Martijrs grecs (ou de Sabinus).
^ B. H. L., 1625 [Prudence : Péri Steph., ix. — Ruinart, 553].
* Rôle de Pontien. — Cf. Constantius, — LeoDtius vient de Terentianus.
128 TRADITIONS d'oMBRIE
em 1
un
emprunte Olympiades à Ahdon-Sennen, comme fait surtout la <3^endo d'Anlhiiiie : le rédacteur a voulu donner à son écrit ne apparence de vérité en la rattachant à une légende très célèbre; il veut qu'on voie dans son Cliromatius, c'est très clair, le grand personnage qui se convertit et devient l'ami de saint Sébastien.
Je remarque précisément que nous avons des traces du culte de Sébastien aux environs de Todi : une pieuse femme y avait consacré un oratoire à ce martyr \ et la consécration en avait été marquée par des incidents assez piquants : saint Grégoire nous les fait connaître. Il les a appris par un ami in- time de l'évêque de Todi, Fortunatus, un certain Jidianus, de- jensor ecclesice romanœ. On s'explique bien que la légende de Sébastien ait influencé une légende de Todi.
A quelle époque remonte notre texte? Le caractère compo- site de cette satura, la datation par le quantième du mois font songer au vu® siècle.
L'allusion aux écrits d'Athanase, de Jérôme, de Prudence et de Sulpice 'Sévère, montre que le rédacteur est digne d'être rangé parmi les scholastici. Le titre de père que l'anonyme donne à Bassien permet de croire qu'il est un moine et que Bassien est son abbé ^ Peut-être est-il contemporain de Te- renlianus A de Félicien et de Juvènal.
Mais je ne vois pas que, pour le moment, on puisse préciser davantage. On peut seulement craindre que Cassien de Todi ne soit un double légendaire de Cassien d'imola : celui-là a même anniversaire, même nom, et, en partie, même histoire que celui-ci; aucun calendrier ne le mentionne. Qui sait si ce n'est pas une relique du saint d'imola qui a suscité d'abord le culte, puis la légende de Todi?
1 Dialogi.y i, 10... « Fortunatus..., Tadertiaae autistes ecclesise... Huius vjri familiarissimus fuit Julianus nostrae ecclesiae defeasor, qui ante non longum tempus in hac urbe defunctus est ; cuius ego quoque hoc didici relatione quod narro... Matrona quaedana nobilis in vicinis partibus Tuscise nurum ha- bebat quae intra brève tempus quo filium eius acceperat, cuna eadem socru sua ad dedicationem oratorii beati Sebastiani martyris fuerat invitata... » jP. L., 77, 200, B. G.I.
' Comparer le début de Victorin Séverin. Qui sait si les textes ne sortent pas du même groupe de rédacteurs ?
I
FIRMINA d'aMELIA 129
III
^^^ Au temps de Dioclétien auguste le consularis Olympiades
a i reçut V ordre sacré , fit faire de longues recherches et apprit
que la vierge Firmina, fille du préfet urbain Calpurnius,
< Cette légende n'est jusqu'ici connue que par un texte qu'a retouché Su- rius, selon son habitude [éd. 1618, xi, 517]. — Il ajoute que les reliques ont été ignorées pendant plus de 500 ans, naais que Firmina apparut à l'évêque d'Amelia Pascal [vers 868-879]. Il puise à une vie de Firmina rédigée par Antonio Maria Graziani, évêque d'Ameria, du 17 février 1592 jusqa'au i^r avril
I 1611. — Voici la plus grande partie des gestes anciens de sainte Firmina :
I je les ai trouvés dans Je Codex A. 2. Arch. Cnpitul. S. Pétri in Vaticano [du xe-xie siècle].
j [f. 45|. « Incipit passio scee Firmine martyris raense ianuario die decimo. Temporibus Diocletiani augusti cu"'currit sacra praeceptio """''/ ad Olimpiadem
j quemdam consularem et cum diu inquisitio fieret, uuntiatum est ei quod esset puella uirgo nomine Firmina, filia Galpurni prsefecti urbis, in quodam fundo suo sedens et fervens in Spiritu Sancto ieiuniis et orationibus insis- tens. Et cum audisset hoc augustalis Olimpiades misit in fundum qui vocatur agolianura in uicum qui ponitur eruglo non longe a eivitate quœ vocatur
IAmerina quasi miliaro octauo et fecit adduci puellam nomine Firminam eo quod audisset quia ex senatoria dignitute descenderet... : « (Imperatoris prae- cepla sequere, ioquit) et ego te fruar in conuiuio meo »>. — Leuauit oculos ad cf>?luin (et dixit) : « habeo sponsum ». — « Kamns et manducemus quia hora est iam diei sexta. » Firmina respondit «: Jubeat sublimilas uestra prandium percipere quia nobis non licetlcum alienigenis accipere panem... ». « — (Vade) in cubiculum tuum... ». — Illa autem cadens in faciem in pauimentum et ado- rauit D. N. J. C... Olympiades satiatus (ingreditur, eam amplectitur; sed eius manus aridae fiunt)... Firmina iterum se jactauit in pauimentum : « ostende super incredulum istum misericordiam tuam ut cognoscat te deum creatorem omnium rerum... « (Et dixit Olympiadi) : « crede in D. J. G. et baptizare in no- mine dni nostri et in nomine trinitatis et salvus eris... « Eodem tempore misit ad quendam presbyterum nomine Felicem... ; audiens Félix de rogatu Firminse, uenit cum gaudio magno... Intrœunte eo facta est lux magna média nocte. Tune Olympiades augustalis mirari cepit in introitu eius et uoce clara dixit : « vere misit te Christus, quem domina mea Firmina praedicat. De qua re adiuro le ut baptizes me in nomine Ghristi filii dei. » Dicit ei Félix : « si credis ex toto corde et ex tota anima, dabuntur tibi omnia bona a domino nostro creatore omnium rerum... Ego credidi et sic spero quia in nomine Domini J. G. sal- uus ero ». Eadem hcra accepta aqua benedixit et baptizavit eum in nomine Trini- tatis « Credis in Deum patrem omnipotentera » — Et ille respondit : « credo.
— Et dixit ei : « Et in Ghristum Jehsum filium eius dominum uostrum uni- cuna ». — Et ille respondit: « credo ». — " Et in Spirilum sanctura » — Et
III 9
130 TRADITIONS D^OMRRIE
hahilait une terre et y vivait dans la prirre et le jeane. ()lijra- piades l'envoie donc chercher au furidus a^Miliauus, au hourt/ (l Eruiflo^ non loin de la cité ([u^m appelle Arnelia au hui- tième mille. Comme elle est de famille sénatoriale, il la re- roit honorablement^ lui communique les ordres des empereurs, et lui propose... de V épouser. « J'ai déjà un fiancé, répond- elle. » — « Viens donc ; nous mangerons ensemble ; voici la sixième heure. » — « // ne nous est pas permis de maarjer
respondit : « credo ». — ïunc cœpit claraare et dicere Olympiades ; « uere co- gnoui recuperationetn membrorum meorum. » Eadem hora suscepit eum de fonte b. Firmina sanum atque iocolumom alque optulit pro eo Félix presbyler sacrificium et participât! sunt omoes corpus et sauguiaem domini nostri et in doQio eius baptizati suât tere promiscui sexus animae centum quinquagiuta octo, et habitauerunt paucis diebus in unum.
« Nuntiatum est Diocletiano imperatori quia cbristianus fuisset Olympiades, In loco ipsius ordinauitMegetiuoi augustalem... Ueniens antem Megetius... te- nuit eum et presenlibus senatoribus curiaî iussit eum in ciuitatem quae uo-
calur amerinse in foro adduci « Sic stultus et amens factus es ut deosquos
a cunabulis adorasti, pro sexam fragilem deseras » — « ... Ego deserui uani- tates faisas et modo cognoui ueritatem integram » — « ... Utere claritatem senatoriam et divitias et sacrifica... » — Olympiades respondit dicens : « slul- tus effectus es... » (In equuleo suspensus Olympiades precatur J. C.) : « res- pice me peccatorem servum tuum I » Flammae ad latera... (Olympiades Deo gratias agit et spiritum reddit) ; (corpus a Firmina collecLum sepclilur) in prœdio suo in fundum agulianum sub die Kal. décembres.
« (Firminam jussu patris in domo clausam ut nihil de facultatibus distribuere posset, Megetius interrogat: « Nosti quod iusserunt invictissimi principes. Sa- crifica ». — Postquam negauit, quaestionarii eam caedunt, quorum unus a Fir- mina curatur et Gliristo crédit. Megetius iratus, frendens ut leo, uirgiuem caedi iubet. Firmina) gaudens et exsultaus cœpit dicere ; « Gloria tibi domine meus J. X. qui non reddis secundum peccata mea... » — « Infelix quse nata- les tuos perdidisti et exuta facultatibus : quare... non frueris divitiis tuis? » — « Quod bonum est quaesiui et inueni, quod est uita alterna perpétua " — « Sacrifica uel morieris » — Firmina subridens dixit ad Megetium : « Ego peccatrix semper hoc optaui et desideraui uidere ». — « Exlendite eam in pa- uimeuto et castigate eam fustibus... » Gum simulacrum Jouis (allatum est, exspuit) in faciem Jouis et continuo reliquatum est uelut lutum — Megetius exarsit dentibus sicut canis ; (virgo laetatur dicens : « gloria tibi domine... quia nihil sentio » — « Ut video uincunt magiee tuae carmina » — « Non ego te uinco, sed Dominus meus J. X. fîlius Dei uiui ipse te uincit » — (Capillis sus- pensa) Firmina clamabat uoce magna : « Domine J. C. filii dei uiui pro cuius amore omnia respui, adiuua me ancillam tuam. » Et benedicens emisit spi- ritum. Corpus jaclatur in uicum qui uocatur eruglo ad exemplum christiano- rum. Honorius quidam ilJud sepeliuit in fundo qui uocatur agolianum non longe miliario octauo a ciuitate quœ vocatur amerina sub die octaba K. de- cembris in pace. Amen. »
u Post dies autem xx exquisiuit facultates eius quas ardore cupiditatis inua- sit. Audiens haec quaestionarius nomme Ursianus (miltit) ad quemdaui presby- terum Valentiuum... a quo baptizatus... liauennani missus, capite truucatnr sub die ydus iauuarias, requieuit in pace gloriûcantes Deum Patrem omnipo- tentem et filium eius J. G. una eum Spiritu Sancto cui est honor et gloria in ssecula sseculorum. Amen. »
ORIGINES DE LA LEGENDE 131
avec des étrangers. » — « Va donc dans ta chambre. » Et Firmina tombe la face contre terre et adore Notre Seigneur Jésus-Christ. Tont à coup, Olympiades arrive; il a bien dé- jeuné, il veut embrasser la vierge. Mais ses mains se des- sèchent. Firmina se remet en prière ; elle dit à Olympiades de croire au Seigneur JésuS'Christ, de se faire baptiser en son nom et au nom de la Trinité : c'est ainsi quil sera guéri. Quand arrive le prêtre Félix quelle a fait quérir, une grande lumière éclaire la nuit ; Olympiades croit au Christ que prêche Firmina, il est baptisé et giœri, et Félix offre pour lui le (saint) sacrifice, et tous participent au corps et au sang de Notre Seigneur. 158 dmes de Fun et Vautre sexe sont bap- tisées en même temps : ils habitent tous quelques jours en- semble.
Dioctétien apprend la conversion d'Olympiades et donne sa fonction à /'augustalis Megetius. Megetius arrête Olympiades e/, en présence des sénateurs de la curie, il le fait conduire au forum d'Amelia. « Es-tu fou? Tu abandonnes les dieux de ton enfance, pour une femme! » — « J'ai abandonné les vaines erreurs ; je connais la vérité tout entière. » — « Re- prends ton rang et tes richesses : sacrifie. » — « C^est toi qui es fou ! » Et, quand il est suspendu sur le chevalet, il im- plore Jésus-Christ^ remercie Dieu et rend l'esprit» Firmina ensevelit le corps dans sa terre, in fundum agulianum, le jour des kalendcs de décembre. — Elle est bientôt interrogée à son tour y refuse de sacrifier, et guérit un des bourreaux qui la torturent. Megetius, grinçant des dents, la fait battre ; mais elle glorifie le Christ qui n'a pas égard à ses péchés. « Pour- quoi ne veux-tu pas jouir de tes richesses et de ta noblesse. »
— (( J'ai cherché et trouvé ce qui était boj2, la vie éternelle, »
— « Tu vas mourir, w — « C'est ce que j'ai toujours sou- haité. )) Elle souffle sur une idole de Jupiter, qui est aussitôt réduite en cendres. Elle ne sent pas les coups qui la fusti- gent ; et, comme Megetius s'irrite de ces artifices magiques, « c'est le Christ, dit-elle, cjui l'emporte sur toi ». Et, tandis quelle est suspendue par les cheveux et qu'on lui brûle les côtes, elle rend l'esprit. Son corps est jeté dans le bourg d'Eruglo afin d'effrayer les chrétiens. Ilonorius P enterre dans le fundus agulianus, au huitième mille d'Amelia, le H des ka- lendcs de décembre. Vingt jours après^ Megetius s empare avi- dement de ses richesses; Ursianus, un des bourreaux, l'ap-
132 TMADITIONS d'oMHRIF.
prend et se fait aussitôt baptiser par le prêtre Valentiîi. On le dénonce, et Megclius l'envoie à liavcnne où il est décapité le jour des ides de janvier. {Des chrétiens V ensevelissent), en glorifiant Dieu le Vere Tout-Puissant et son Inls Jésus-Christ avec le Saint-Esprit auquel honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.
Firmina d'Amelia est inconnue du forial iiiéronymien, du calendrier populaire, d'Adon et d'IJsuard: la seule Firnriina que signale le premier de ces textes [vii-vi, id., octobr. | ap- partient à un groupe africain.
Les gestes rappellent les gestes de Félicien, ceux de Gré- goire et ceux de Sabinus. Comme dans Félicien, on introduit ici un saint Valentin, qui est peut-être le patron de Terni, — tout en utilisant les gestes d'Abdon et Sennen : Abdon et Sennen eux-mêmes sont cités dans Félicien^ et j'imagine que rOlympiades que convertit Firmina a été suggéré par le com- pagnon des deux reguli persans. — L'expression animœ pro- miscui sexus semble avoir la même valeur que Texpression animœ paganorum des gestes de Grégoire. Les mots frendens ut leo rappellent l'expression analogue qu'on lit dans Grégoire, Pontien, Lucie-Géminien^ , — Crede et haptizare et salvus erisy cette exhortation nous fait souvenir des formules lériniennes qu'on rencontre dans Terentianus et Anthime -, — Le terme augustalis se lit également dans Firmina, dans .^milianus et dans Sabinus. — L'auteur connaissait sans doute les gestes de Cécile et les gestes de Gordien, ceux d'Agathe et ceux de Barbe, ceux où l'on insiste sur la spontanéité du martyre, et ceux où Ton confère le baptême, tantôt au nom du Christ, tantôt au nom de la Trinité, fl est clair que la question de la virginité ne l'inté- ressait pas et qu'il se plaisait à des imaginations plus pitto- resques : l'invitation à déjeuner que V augustalis adresse à la vierge le prouve.
Ces faits sont certains. Mais rien de plus difficile à fixer que la date du texte.
Firmina est nettement apparenté à Valentin-Hilaire : 1. Les deux légendes puisent aux gestes romains ; 2. Demetrius se convertit de la même manière qu'Olympiades ; 3. Denys met à mort Demetrius, comme Megetius Olympiades ; 4. Lesbour-
1 Cf. supra, p. 100, note 1.
2 Cf. supra, p. 125, note 5 p. 54 QOte 3, 58 note 1.
SEGUNDUS D AMELIA 133
reaux de Valentin se font baptiser par un prêtre aussi bien que le bourreau de Firmina ; 5. Eudoxia joue le môme rôle que Firmina ; 6. Un prêtre Valentin apparaît dans les gestes de Fir- mina : c'est peut-être Valentin de Viterbe, plutôt que Valentin de Terni. — Or, Valoitin-Hilaire' est proche parent des gestes de Secundus, qui est, en même temps que Firmina, le patron d'Amelia. Est-ce que notre texte de Firmina ne serait pas contemporain de Secundus et de Valentin-Hilaire et donc ne daterait pas du vii« siècle? Amelia avait une grande impor- tance au temps de l'exarchat \ Et peut-être, puisqu'il y eut une invention des reliques de Firmina par Tévêque d'Arnelia Pascal [868-879] \ a-t-il subi quelques retouches à ce moment. Les données topographiques de la légende sont vraisembla- blement exactes. Le nom de la sainte est assez rare : au temps de Dioclétien * et au temps d'Ennodius ^ nous connaissons deux personnages qui l'oHt porté. Il est possible que le culte date du temps des persécutions.
IV
Voici la seconde légende d'Arnelia.
Les gestes des saints profitent à Famé de ceux qui les étu- dient... : montrez donc que vous êtes des catholiques en lisant sans cesse, en écoutant avec complaisance les victoires du Christ. Au temps de Maximien César un édit fut lancé de
1 Cf. infra.
' Les Byzantins la reprennent en 598 et la perdent en 739 ; ils l'ont perdu une première fois en 592 [L. P., i, 312. Paul Diacre, iv, 8. Hartmann, ii, 1, i04, 138]. — Sur la curie, cf. supra, p. 124 Noter que Ursianus est envoyé à Ravenne.
2 Cf. supra, p. 129, n. 1. — L'évêque d'Amelia, Pascal, est attesté au temps de Jean VIII [872-882] par Pierre Guillaume \L. P., n, 221].
* Gode 50, 30, 1 et 1, 19, 1 [en 290 et en 296, d'après de Vit : Onomasticon]. ' Epist., VI, 38 ; Kp.. n, 46, 98 [d'après de Vil]. Firmiuus est un nom assez
commun au vi« siècle.
* B. H. L., 7558 [1er juin, 52 ou 51].
134 TRADITIONS d'OMHRIK
Rome à travers les provinces ^ les cités et les châteaux, portant que tous les chrétiens fussent punis sans être même entendus. Beaucoup ^ parmi eux ^ se cachaient donc^ notamment le hien^ heureux Secundus, qui était parent d^Aurclien: il était dans ta maison dune femme très chrétienne y hudoxia^ à Ouhbio (in ciuitate Julia quse Eugubia dicta est) : c'était un chrétien savant (?) dans la foi des apôtres, et très pieux. On le dénonça au proconsul de Spolète Denys : car, depuis qu'on connaissait l'ordre de Maximien César, les parents livraient les parents et les amis les amis. Les appariteurs arrêtent Secundus à la troisième heure dans la chambre d^Eudoxie et le conduisent ligotté à Spolète, Le saint se dit chrétien, parent d'Aurélien et ressuscité dans la foi en la sainte Trinité. — « Sacrifie et deviens un ami de César. » — « C'est moi-même que j offre à Dieu en sacrifice ; vos dieux sont de pierre, mon Dieu a fait le ciel et la terre. » On le dépouille^ on le bat, mais une voix céleste le réconforte et lui promet les joies du ciel. Un autre jour, il refuse pareillement de sacrifier à Hercule, « Par le salut de V empereur l je te tuerai donc », dit le juge. — « fils de perdition, sois maudit » , répond Secundus. Et, lorsqu'on le torture sur le chevalet, voici que, à sa demande. Dieu le se- court : un tremblement de terre renverse le temple d'Hercule. Et Denys, furieux du succès de cette magie, fait reconduire Secundus en prison, oit il mourra de faim. Mais le martyr se signe, et, comme s'il était invité à un banquet, il est dans les délices. Quinze jours après, lorsqu'il comparait de nou- veau et qu^on lui verse du plomb fondu dans la bouche, il prie Dieu, et un tremblement de terre met le proconsul en fuite. La sentence est prononcée, Secundus est conduit à la cité d'Amelia, où les bourreaux doivent le jeter dans le Tibre, une pierre au cou : ce qui est fait après qu'il a prié Dieu d'envoyer son ange pour l' accueillir, — Un ours se jette sur les bourreaux, en tue huit, blesse tous les autres qui, effrayés, se convertissent et se font instruire par le prêtre Eutychius : ils étaient douze. Cependant un pécheur Maurus trouve le corps sur la rive, — la pierre s'est détachée ; — il prévient Eudoxia, porte le corps à Gubbio, d'où le saint était origi- naire^ et l'ensevelit au 16^ mille, où ses prières font s'épa- nouir les miracles jusqu'en ce jour, pour F honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ à qui honneur et gloire avec le Père ei r Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen.
ORIGINES DE LA LÉGENDE 135
Ce texte rappelle certains gestes du vi" siècle : les chrétiens qui se cachent, la spontanéité du martyr qui s'olfre en sacrifice avec joie. La punition des bourreaux de Secundus, le rôle (l'Eudoxia et de Maurus \ tous les détails du récit produisent la nionie impression. On peut même se demander si l'auteur ne connaît pas, notamment, les gestes de Pancrace [^qiiasi.., ad epiilas invUaius], d'Alexandre de Baccano [tremblement de terre], de Félix de Spello et d'Abundius, d'Trénée ou de Florian [le martyr jeté à l'eau une pierre au cou].
Nous connaissons un second texte ' relatif à Secundus : il raconte la même histoire que le premier, mais en diiîère par trois traits. Il donne l'anniversaire du saint, kalendes de jan- vier. — Il resserre la légende, supprimant, avec le prologue, les §§ 3-4 de l'édition bollandiste et abrégeant les §§ 2, 6 et 7. — Il assure, enfin, que Maximien est le fils de Dioclétien^ dont la mort lui aurait donné le trône. Quel est le rapport des deux textes?
11 ne semble pas que le texte court soit un abrégé du texte long: le texte court donne, en partie d'après J/«rce/ ou Su- sanne ^ deux détails inconnus au texte long (l'anniversaire, Maximien fils de Dioclétien). Le texte court a précédé, sans doute, le texte long.
On verra plus bas ^ que le texte long date vraisemblable- ment du deuxième quart du lx° siècle. A quelle époque rap- porter le texte court?
Je remarque que le saint a une double attache topogra- phique, Gubbio et Amelia. Gubbio et Amelia sont situés aux deux extrémités de la voie Amerina. La voie Amerina, on l'a dit, a eu une grande importance au temps de la lutte des Lombards contre l'exarchat, au vii° siècle surtout. 11 est vrai- semblable que le texte court date de ce temps. N'est-ce pas aussi la date de Firmina ? Firmina et Secundus s'inspirent également des gestes romains de l'époque gothique. Les saints du nom de Secundus sont très nombreux, le
1 Peut-être y a-t-il un rapport entre ce Maurus et le héros des Gesta Mnnri. — Quelques traits rppellent JEmilianus,
- B. H. L., 7559. Codex Bruxellensis, 207-208, du xii® siècle, f» 28v [Cat. Brux., I, 135]. Le texte B.H.L., 7560 [Postquam. Domtnus et Salvator noster...] ne m'est connu que par fragments.
■^ Cf. supra, p. 56, note 5.
^ Cf. infra.
13(» THADITIONS o'oMBMIE
férial hiéronymion ratleste : peut-être y en avait-il un à (jubbio, un à Aineria.
Gestes de ^j^^ temps de Dioclétienet de Maximien, une grande persé- lius 1 cution fut dirigée contre les chrétiens. Un Romain Euthgme s'enfuit alors à Pérouse avec sa femme et son fils Crescen- iius : il avait été baptisé par le prêtre Epigmeniî4S. Il instruit son filSy dès quil a onze ans, dans la religion chrétienne, comme c'est V usage, mais meurt le IV des kalendes de sep^ tembre, ainsi que f apprend le texte sacré (sacra pagina) ; son fils r ensevelit. Cette nouvelle met en fureur le proconsul de Pérouse, Turpius : il le fait battre de verges et l'envoie à Borne, ainsi que sa m,ère, après avoir rédigé un rapport [le- gatio] aux empereurs. Chemin faisant, Crescentius prêche le Christ ; au pont Milvius il guérit une femme aveugle, après avoir salué Rome,
Les soldats le conduisent au tribunal de Salluste, hors de la pointe Salaria et remettent à V empereur le rapport de Tur- pius. « Jetez-le, dit Dioclétien, hors de la porte Salaria, et décapitez-lcy afin que tous les enfants de Rome puissent s'en amuser (ludant de islo). » Intrépide, l athlète de Dieu récite le verset du psaume : in capite libri scriptum est de me ; et, lorsqu'il est mort, V aveugle quil a guéri V ensevelit dans la crypte où reposaient beaucoup d'autres saints. Il a été mar- tyrisé le XVIII des kalendes d^ octobre. — Longtemps après, au temps du pape Etienne, vint Charles I auquel on rapporta ces choses ; Vévêque de Sienne Antifredus en entendit aussi parler, et transporta à Sienne le corps de Crescentius le IV des ides d'octobre : il l' ensevelit avec honneur, et là brillent ses miracles jus c^u^ au jour d'aujourd'hui,
1 B. H. L., 1986 [14 septembre 352].
GRESCENTIUS DE PÉROUSE 137
Etienne V [885-891] est contemporain de Charles 111 [881- 887] ; mais aucun évoque de Sienne ne s'est alors appelé An- tifredus. Comme un Ansfredus a été éveque de Sienne de ll')2 à 734, au temps d'Etienne II et d'Etienne 111, j'imagine que l'auteur a confondu Charlemagne, Charles Martel et Pépin : il écrivait donc à la fin du ix** siècle au plus tôt. Mais cet écri- vain a-t-il seulement rajouté le court épilogue qui concerne la translation à Sienne ; ou encore, s'il a écrit tout notre texte S disposait-il d'une version antérieure?
J'incline pour l'afQrmative. Ici comme pour Firminay je crois que les gestes ont été rédigés d'abord à l'époque lom- barde, alors que la voie Amerina avait une extrême impor- tance pour les Romains. Le proconsul de Pérouse rappelle les proconsuls dont il est question dans Cassien et dans Vin- cent.
Le calendrier populaire signale à Rome, au XV des kalendes d'octobre, Narcissus et Crescentianus - ; il est possible que ce Crescentianus soit identique à notre Crescentius vénéré le XVlll des kalendes d'octobre (?).
Il est également probable que notre Crescentius est iden- tique au malade Crescentius que guérit Constantius de Pé- rouse : c'est le même personnage inconnu et vénéré, que l'on aiïuble, ici et là, de deux différentes histoires.
Enfm le supplice que Dioclétien veut infliger à Crescentius est manifestement inspiré de celui où Cassien d'Imola trouva la mort et que Cassien de Todi a popularisé dans les pays de la Via Amerina. Or, Constantius B et Cassien de Todi datent sans doute du vu* siècle.
Turpius serait-il une déformation paléographique de Tar- peius [Anthime^ ou de Turgius, et Epigmenius de Pigmenius IDonatj etc...]? Le salut à Rome ne vient-il pas de Sophie ? La guérison de la femme aveugle n'est-elle pas un souvenir de l'épisode de Pisentius [A// Syriens^ ? — Notre légende est un centon.
' Cf. le trait curieux : Euthyme enseigne la religion à Crescentius lorsqu'il a oDzt; ans, ainsi que cest coutume. — Notre texte a peut-être été retouché beaucoup plus tard : cf. l'expression sacra pagina.
- P. L., 123, 169-170. « Item (Romae), Narcissi et Cresceutiani. »
138 TRADITIONS d'oMBRIE
VI
Gestes de jlu temps OÙ le Seigneur voulut sauver le genre humain, il tus de choisit les patriarches et les prophètes ; après leur écJiec^
Bettonai Jèsus-Christ vint racheter le monde: il prêcha, il fut cru- cifié, il ressuscita et envoya les douze Apôtres et les 72 [dis- ciples) porter la vérité aux hommes. Crispolitus était du nombre de ces derniers. Envoyé par saint Pierre avec Bri' dus y Heraclius [?) et plusieurs autres, il arriva de Jérusalem en Italie à Bettona et, après avoir guéri une démoniaque, il y fut sacré évêque par Bricius. Un espion des païens est guéri et converti par lui : comme il refuse de sacrifier à Mars, il est décapité. En revanche, bien quil guérisse Valerius, le neveu du persécuteur Austerius, celui-ci reste fidèle à Mars: mais tout le peuple devient catholique [verus catholicus], toute la province de Bettona [Bittoniae provinciaj embrasse la foi apostolique. E évêque chasse les loups qui la dévastent : il ar- rache à run d'eux le bouvier Barontius près de la fontaine du Sambron et du Cleoton, in campo Bucaronis ; il réconforte son collègue Vincent qui est emprisonné, brise ses fers d'un signe de croix, et la lumière céleste ciui les inonde est aperçue des veilleurs de Bevagna (qui inturre Bibaniae vigilabant). Le prseses Austerius envoie à son sujet un rapport à Maximien, cjui le fait arrêter. Mais, après avoir été battu et torturé sur le chevalet, il convertit ses compagnons de prison, un assassin, un malade (qui dextrum perdiderat latus ?) : ramené devant le juge, il lui expose, non plus la commune origine des hommes comme à sa première comparution, mais la chute du premier ange et l'origine de Vidolâtrie: les dieux sont fabriqués de mains d'hommes, Jupiter, Hercule, Mars, Mata, Vénus. Le feu s'éteint lorscjuon le jette dans la fournaise ; mais Baron- tius est décapité in campo Bucaronis à côté de la fontaine de
B. H. L., 1800, 12 mai, 22. « Tempore quo Dominns humanum genus.
I
CRTSPOLITUS DE BETTONE 139
CrispoUlus ; Crispolitus lui-même est coupé en deux in Castro imperiali ; douze femmes qui accompagnent Teutela, sa sœur, et viennent le voir, sont torturées et tuées. On les ensevelit à côté de la tour, entre les deux fleuves Cleoton et Snmbro, où le Seigneur multiplie ses bienfaits. On g bâtit une basilique en riionneur de Crispolitus, de la Vierge Marie et de tous les saints. Ceci se passait sous le règne de Maximien, le IV des ides de mai, tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ à qui honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.
La légende de Bettona * — entre Todi et Pérouso — est ap- parentée aux XI l Sgriens, à Constantius, à Victorin d'Assise, à Emilianus et à Vincent de Bevagna.
Crispolitus est sacré évêque par Bricius ; il est, comme Hi'icius et Anastase et emilianus, originaire de l'Orient et apôtre de l'Ombrie; il arrête un loup comme Proculus une biche. Notre texte est, peut-être, postérieur à nos versions des XII Syriens : il rattache explicitement Crispolitus et Bricius à Saint Pierre et à l'âge apostolique".
Le prologue de Crispolitus rappelle celui de Constantius : ici et là, l'auteur résume en quelques lignes l'œuvre créatrice et rédemptrice, rappelle la mission confiée aux XIT Apôtres et introduit ainsi son personnage.
Crispolitus et Victorin d'Assise parlent pareillement des prophètes et des patriarches, assignent au mart}^ ombrien la même origine orientale, attribuent à Mars le premier rang parmi les idoles, et assurent que la flamme s'éteint quand le martyr est jeté au feu.
Crispolitus et Vincent de Bevagna assignent à Mars le pre- mier rang parmi les faux dieux, dont ils donnent une liste assez longue ; Crispolitus mentionne Bevagna et Vincent lui- même ; et je me demande si le pieux consulaire Valerius dont parle Vincent n'est pas identique au neveu d'Austerius que guérit Crispolitus. J'ajoute que le Soleil et la Lune jouent le même rôle dans Constantius et dans Vi?icent ; et nous savons que Constantius et Crispolitus sont d'ailleurs apparentés.
J'imagine que l'auteur écrivait au vu^ siècle : la date qu'il
• Sur Bettona, cf. C. I. L., xi, 2, p. 731. — Noter que rinscription 5164 y atteste un temple dédié au Soleil.
- Cf. supra, p. 77. On pouvait deviner cette évolution de la légende de Bricius.
140 TRADITIONS u'oMHRIE
assigne àHricius, la mention qu'il fait d'une basilique, surtout d'une basilique consacrée à tous les saints ', empoche de re- monter plus haut. Mais peut-être travaillait-il sur une ver- sion antérieure à cette date.
Peut-être appartient-il au même groupe que l'auteur ïï y^milianus : le cadre des deux légendes est le même ; — toutes deux s'intéressent au fleuve Gleoton ; — et le terme civitas lucana n'est pas sans rappeler quelque peu la civilas Bettona de Crispolitus.
Peut-être, enfin, les mots verus catholicus s'expliquent-ils parce que l'auteur est hostile aux ariens, aux Lombards.
Quel est le culte qui supporte la légende? Crispolitus n'est pas un nom latin ni un nom grec. On a restitué Chrysopoli- tus % forme très bien attestée. Je me demande s'il ne faut pas lire plutôt Crispolus : le férial hiéronymien signale trois ou quatre saints de ce nom, en Sardaigne et à Rome notam- ment ^
1 Oq se rappelle que, en 609-610, Boniface IV consacra l'église du Panthéon à Marie et à tous les martyrs; de même ici. « Eodem tempore petiit [Bonifa- cius) a Focate principe templum qui appellatur Pantheum, in quo fecit ec- clesiam beatae Mariae semper virginis et omnium martyrum » [L. P. i, 317].
2 B. H. L.,1800.
3 De Rossi-Duchesne, p. 68 et 77 : m et iiii, Kal. {un. ; un et m id. iunii — Cf. deux évêques africains vers 400 dans de Vit : Onomasticon. — Faut-il apercevoir Crispolus de Bettona derrière le mystérieux Scipiodote de Vitto- ria (?), des XII Syriens 1 — On peut penser aussi à Chrysolitus [IV Coronati. Cf. G. M. R. Il, 289]. — Le nom Teutela cache certainement un nom de même type que Theudila, le fils de Sisebut, Theodelindo, la femme d'Agilulfe, etc.
CHAPITRE \I
TRADITIONS DE^TUSCIE
(VIA CASSIA)
LES SAINTS VALENTIN, GRATILIANUS, EUTYCHIUS
Passons d'Ombrie en Tuscie : depuis le temps d'Aurélien et de Dioclétien ', on sait que les deux pays ne forment plus qu'une seule province.
La voie Gassia mène de Rome à Arezzo et à l'Apennin par Veies, Baccano, le forum Cassii, Bolsène et Chiusi : elle monte lentement les pentes de la forêt Ciminienne en vue du Soracte, des monts de la Sabine et des monts Albains. Au delà du Ponte Molle, sur la gauche, elle se détache de la voie Fla- minienne, et lance bientôt sur sa droite, un peu avant iXepi, la voie Amerina.
On va voir que le pays où naît cette dernière, le pays de Nepi et de Falères, de Yiterbe et de Ferento, présente des lé- gendes étroitement apparentées l'une à l'autre et qui, toutes^, ont subi l'influence des gestes romains.
* Cf. de Rossi : Spicilegio rCArcheologia Cristiana nell' Umbria \Bull., 1871.81]. D'une manière générale, consulter sur ce pays G. I. L., xi, i, p. 454 Wiferbe et Ferento), p. 464 (Falerii) ; — et Desjardins : Table de Peutinger, p. 133-134 (Viterbe), et 142 (Falerii).
142 TRADITIONS DE TUSCIE
VaientiQ Au temps OÙ Maxiïïiien Auguste régna après la mort de son et d'Hi- p^^,f, Dioclétien Auguste^ il tua sa sœur Arthemia, fille de Vilerbe i Dioclétien, parce quelle était chrétienne, et lança un édit à travers les provinces, les cités et les châteaux : ordre de tuer tous les chrétiens qu'on trouverait. Les ministres du Christ (ministri Christi) Valentin, prêtre, et Hilaire, diacre y s'étaient réfugiés dans la maison d'une femme très chrétienne. Eu- doxie. Or, le proconsul Demetrius, qui était au château de Viterbe (in castello Viterbiensum), se mit à chercher soigneu- sèment les chrétiens ex iussione augustali afin de faire sa cour à Maximien Auguste: les amis livraient les amis, les parents leurs fils, les mères leurs filles. C'est ainsi qu'on ar- rête Valentin et Hilaire, on les conduit au château de Viterbe, devant le proconsul. Ils se disent chrétiens, nobles, orientaux d^ origine, u Sacrifiez, soyez des amis de César. » — <:< C'est nous-mêmes que nous offrons en sacrifice à Dieu en odeur de suavité', les dieux sont des démons ; notre Dieu, le Christ, a fait les deux. Vous nous tenez : nous sommes préparés aux supplices, selon ce qu'a dit V Apôtre : in contessione probabitur omnis vir. » — c( Sacrifiez au grand Dieu Hercule qu'adorent les princes, siiion vous mourrez. » — a Maudit sois-tu, fils d'iniquité, qui nous conseilles de telles choses ». On les tor- ture, mais ils invoquent le Christ, et un tremblement de terre jette à bas le temple d'Hercule, A cette nouvelle, Demetrius déchire ses vêtements et ordonne qu^on jette les saints dans le Tibre avec une pierre au cou. Les saints s* agenouillent, prient le Christ d'avoir pitié d'eux et d'envoyer son ange afin de re- cueillir leurs âmes ; et Vange accourt, en effet, dénoue leurs liens et les retire du fleuve, tandis qu'un ours immense se jette sur les bourreaux, en tue huit et blesse les autres ; et ceux-ci
1 B. H. L., 8469-70, 3 novembre, 626-629. Temporibus illis quo Maximianus augustus.
VALENTIN DE VITERBE 143
vont trouver le bienheureux Euticius prêtre, lui confessent leur crim€y et, après un jeûne de trois jours ^ reçoivent le bap- tême avec tous les leurs le saint jour du Seigneur [die sancto dominico... cum omnibus familiis suis].
Quant aux martyrs^ ils sont revenus trouver le proconsul, et le sommer de faire pénitence, et de se convertir au vrai Dieu, le Christ^ Fils de Dieu. On les bat, on les torture, on les décapite enfin au lieu dit Via Strata. Une pieuse femme, EudoxiCy enlève les corps la nuit et les ensevelit saintement au lieu qui est appelé Cavillarius ; Demetrius la fait mourir sous les coups de bâton. Les martyrs du Christ Valentin et Ililaire ont souffert le quatre des nones de novembre. — Peu de temps après, la maladie saisit Demetrius ', il implore les saints quil a tués ; et ceux-ci lui disent en songe d* aller trouver le prêtre Euticius. Ses soldats trouvent celui-ci en prière sur la montagne appelée Aureus, Euticius prie cette vraie lumière qiiest le Christ de guérir le païen ; et^ comme celui-ci se convertit, il le baptise; et aussitôt Demetrius est guéri, et le voici qui prêche les peuples : « Croyez, adorez le Dieu vivant qui est au ciel, qui ressuscite les morts et guérit les lépreux et qui, par l'intercession de ses saints^ m'a délivré du maL » Mais Maximien est averti et le fait décapiter par le vicaire Dionysius.
Les corps de Valentin et d' Hilaire ont reposé où ils avaient été ensevelis jusqu'au temps de Grégoire IV, Ils ont été trans- portés alors par Sicardus, abbé du monastère de Sainte Marie toujours Vierge en Sabine, à V oratoire qiCil avait construit à cet endroit même ; Sicardus opéra en même temps la transla- tion du corps de saint Alexandre, fils de sainte Félicité, que lui avait accordé ledit pape Grégoire pour la louange et la gloire de Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, à qui hon- neur et gloire dans les siècles des siècles. Ame?i.
Il s'en faut de beaucoup que Valentin et Hilaire soient aussi bien connus que Viterbo, la ville aux jolies fontaines : on ne trouve leur nom dans aucun calendrier, dans aucun martyro- loge *. Le plus ancien document autbentique qui les men- tionne est une constitution de Léon IV [817-855] citée par In-
* Réserve faite de quelques mss. qui descendent d'Usuard [codd. danici, Bru^ell., Aquicinctin.].
144 TRADITIONS DE TUSCIE
nocent HI *. Il est vraisemblable que ce sonl deux saints lo- caux inconnus.
Nous connaissons deux textes qui célèbrent leur gloire : l'un est celui qu'on a résumé; il provient d'un manuscrit de la Bibliothèque Victor Emmanuel, à Rome, et se retrouve, à quelques variantes près dans deux manuscrits du Mont-Cas- sin 2. — Le second texte ^, beaucoup plus court que le précé- dent, reproduit à peu près le début de celui-ci jusqu'à la pre- mière comparution des saints devant le proconsul ; puis, après qu'ils se sont olTerts à Dieu en sacrifice in odorem suavitatis et qu'ils ont rejeté les dieux-démons et confessé le Christ Dieu, ils sont aussitôt conduits au lieu qui est dit Via Strata, ils y sont décapités, et Eudoxie les ensevelit au lieu qui est dit Cavillarius (ou Camillarius). Pas un mot sur la translation de l'abbé Sicard.
Le texte long a-t-il développé le texte court, le texte court a-t-il abrégé le texte long ?
Deux traits caractérisent les récits propres au texte long. Ce texte coïncide avec les gestes de Secundus d'Amelia : ici et là un proconsul veut faire adorer Hercule, dont un trem- blement de terre renverse le temple ; ici et là, le martyr est jeté dans le Tibre une pierre au cou et les anges le dé- livrent et le sauvent ; ici et là^ une pieuse femme Eudoxia accueille et ensevelit les saints, tandis qu'un ours tue huit bourreaux et blesse les autres qui se convertissent aussitôt et se font baptiser par Euticius prêtre ; ici et là, enQn, un persé- cuteur s'appelle Dionysius.
Or, je remarque deux autres caractères communs à Secun- dus et à Valentin-Hilaire. L'un et l'autre utilisent les gestes romains : c'est le prologue de Potentienne Praxèdé que copie le rédacteur de Secundus ; c'est aux gestes de Marcel que le rédacteur de Valentin-Hilaire emprunte l'assassinat d'Artemia,
1 « In vico PaleDzano cum suis ecclesiis S. S. Hilarii et Vaîentini » [Baluze, Ep. 142 du tome 11] . — Palenzaoo a été donné à Viterbe par Barberousse en 1169 [Bus8i : Istoria di Viterbo, 1742.49], [d'après le commentaire bollan- diste, 3 novembre].
2 Le ms. de la Victor Emmanuel date du x^ [3 novembre, 614, § 6]. — C'est ce texte qui a été imprimé autrefois par Andreucci : Notizie istoriche de glo- riosi s. s. Valentino prête ed Ilario diacono [Roma, 1740], 61. — Cf. aussi les éditions de Pennazzi, 1721, de Bussi, 1742, et d'Assemani, 1745.
3 II est conservé dans le « Codex Vallicellanus », 16, p. 73 ; il est divisé en trois leçons. B. H. L., 8473. « Tempore quo Maximianus augustus — et sepulti sunt in locum... »
LES DEUX RECENSIONS 145
fille (le Dioclélien, par le fils de celui-ci, Maximien. D'autre part, nous avons également deux textes de Secundus, un texte long et un texte court, lequel, chose étrange, fait de Maxi- mien le fils de Dioclétieii, tout eomme le texte long de Valen- tin-IIilairc. On peut se demander si, malgré ce dernier détail, les deux textes longs de Secundus et de Valentin-liilaire ne seraient pas l'œuvre d'un même rédacteur ^ remaniant des textes antérieurs.
Voici justement — et c'est le second trait qui caractérise Vnloilin^ texte long — qu'on nous parie d'une translation opérée au temps de Grégoire IV [828-844] par l'abbé Sicar- dus. Cette translation n'aurait-elle pas été l'occasion d'où se- raient nés nos textes longs. Car cette translation semble bien réelle : elle est attestée d'autre part par le Clironicon Far^ fense ' ; c'est au monastère de Farfa qu'avaient été transpor- tés Valentin et Hilaire.
Le manuscrit de la Bibliothèque Victor Emmanuel, qui contient le texte long, vient précisément de Farfa. Le texte long serait contemporain de Sicard et de Grégoire IV.
Mais comment expliquer, dans cette hypothèse, la nais- sance de Secundus, texte long? Secundus n*a pas été trans- porté à Farfa. — Sans doute. Seulement nous savons qu'Ame- lia fut rebâtie % peu de temps après Grégoire IV, par Léon IV [844-(S5o]. On peut croire que la résurrection de la cité fut cause de la rénovation du culte, et la rénovation du culte cause du remaniement du texte. Léon IV, qui rebâtit Amelia, la ville de Secundus, est précisément le premier écrivain qui mentionne Valentin et Hilaire.
Or, Firmina est attaché à Amelia, aussi bien (\ViQ Secundus :
* Ou de deux rédacteurs apparlenaat à uq même milieu.
- « Oratorium hoc quod cernimus io honore Domini Salvatoris adjunctuin huic ecclesiee sanctae Mariae ipse (Sichardus) construxit ubi corpora sancto- rum Valentini et Hilarii martyrum de Tusciae partibus translata cum corpora sancti Alexandri sauctse Felicitatis filii quod de Roma adduxerat, concedeote Gregorio IV sedis apostolicae prœsule, honorifice sepeliuit » [Muratori : R. I. S., II, II, 381].
^ « Nam Hortance et Amerinaî valde antiquarum ciuitatum qiiarum mûri ac portas prœ nimia uetustate temporum usque ad solum ceciderant et funditua destitutae mariebant, in quibus modo fures modo latroues iogredi palenlibus aditis nullo resisteote custode facilius ingrediebantur, ipse adeo solertissimus praBâul laulaai civiiim prœdictarum urbium cognoscens i-icuria, eas quas prœ- titulavimus civitates liortatu suo ac studio mûris novisque portis, prioribiis minime dissimilibus, ad [irisciim locum slatuuique gralia corroboratas diviiia reduxil. .) jL. I'., ii, 127|.
III 10
146 TRADITIONS DE TUSCIE
il peut y avoir intérêt à rapprocher Firmina <Je Valentin-IH- laire. Voici les points do contact que je note : 1. L'auteur (le li'irmina utilise les gestes romains, comme l'auteur de Valentin-Ullaire ; 2. Olympiades se convertit comme Dcme- trius ; 3. Denys met à mort Demetrius, comme Mof^^otius Olympiades ; 4. Le bourreau de Firmina se fait baptiser [}ar un saint prêtre aussi bien que les bourreaux de Valentin ; 5. Firmina joue le même rôle qu'Eudoxia ; 6. Un prêtre \^a- lentin apparaît dans les gestes de Firmina : n'est-ce pas notre Valentin de Viterbe? — Aucun de ces faits ne va contre notre conclusion : les textes longs de Valentin- Hilaire et de Secundus proviennent sans doute d'un même groupe et datent du deuxième quart du ix^ siècle. Leurs rédacteurs sont des moines de Farfa, — tout comme les anonymes qui ont adapté à Laurent de Spolète la légende des XII Syriens *.
Notre texte long repose très vraisemblablement sur un texte antérieur. On y lit toujours, en effet, castellum Biterbiensum, jamais ciuitatem : or, le Libe?' Pontificalis appelle Viterbe castrum au temps de Zacharie [741-752], ciuitatem au temps d'Hadrien [792-795] ^ ; au temps de l'abbé Sicard, on appelait Viterbe ciuitas; si, à ce moment, un écrivain emploie l'expres- sion castelluîn, il est à croire qu'il se guide sur un texte an- térieur.
Ce texte antérieur est-il identique à notre texte court ? Je n'oserais pas l'affirmer catégoriquement ^ : la division en le- çons fait penser qu'il fut rédigé en vue des moines, et ce tra- vail a souvent donné naissance à des textes résumés? — Qui dira, d'autre part, que notre texte n'a pas la physionomie d'un résumé ? — Je remarque enfin que le texte court de Secundus a la même allure, peut-être plus nettement encore ; et je rap- pelle qu'il fait de Maximien le tils de Dioclétien, à la différence
1 Cf. supra, p. 64, n. 2, — On sait l'importance de Farfa à l'époque caro- lingienne. Et je rappelle le fameux conflit d'Ingoald, l'ami de Louis le Pieux, avec Grégoire IV.
2 « Per fines Langobardorum Tusciae quia de propinquo erat, id est per Castro Bitervo... » [L. P., i, 429]. — c Ipse Laagobardoram rex ilico cum magna reverentia a ciuitate Viteruenpe coDfusus ad propria reuersus est >». [L. P., 1. 494]. Le Liber Çarolinus cite Bitervo parmi les Tuscise ciuitates [Ha- driaous Carolo, 80. — éd. M. G. p. 613]. — [On sait les eiîorts du fameux An- nius pour prouver l'autiquité de Viterbe].
3 Comme le bollaodiste vaa deu Glieyu, 3 nov. (^omm, praeii. § 8. 11 y a un texte intermédiaire eutre le texte loor,^ et le texte court : B. H. L. 8471-72 ajoute à notre texte court un récit de trauslation. Cf. infra. p. 158.
GRATILIANUS DE FALÈRES 147
de Secundus texte long, à la suite de Valentin texte long. — La chose n'est pourtant pas impossible ; le texte court ignore la translation : il peut dater du viu° siècle.
Quoi qu'il en soit, il y a eu un texte antérieur au texte long. L'absence de Valentin et d'Hilaire dans le calendrier popu- laire invite à croire que ce texte primitif peut-être postérieur au début du \ii« siècle : il remonterait au milieu ou à la fin de ce siècle. L'auteur connaît les légendes d'^milianus ou des Xlï Syriens : ici et là, le héros qu'on célèbre est un Oriental qui évangélise une terre italienne *. Sans doute faut-il dire que tous ces textes émanent d'un même groupe de rédacteurs.
II
je En ce temps-lày dans la quatrième année de son règne, )'q. ^^^^'^^ César lança un èdit pour punir, sans seulement les <i2 entendre, tous les « Galiléens » qu on trouver ait. Gratilianus, '^^ plein d'espoir dans le Seigneur Jésus-Christ, accueillit la nou- velle sans trembler. C'était wn enfant unique, grand souci de . s'is parents ; mais il était pénétré de la doctrine du Christ, Il ouvre simplement V Evangile à V endroit où le Christ dit: Qui vult venire post me abneget semet ipsum... Puis, il va trouver le bienheureux Eutychius prêtre : a Je fen conjure par le Christ que tu prêches, dit-il: dis^moi la récompense de ceux qui confessent le Christ. » — « Ils ont la vie éternelle et la rémission de leurs péchés, » — « Je t'en conjure par les divines leçons (lectiones) des Evangiles, poursuit-il : explique- moi la foi du Christ, et baptise-moi. » Eutychius le fait ca- téchumène, trois jours après le baptise au nom du Père, du
* Comparer encore les mots Maximianus augusttus Tuscix [Mmilîanus, cf. supra, p. 110] avec les expressions ex iussione augustali [Valentin- Ht- I laire, cf. supra, p. 142] et nundinx aiigustales [Vincent de Bevagna, ' p. 105]. Le terme ruinistri Dei se lit dans les XII Syriens. — Les mots Vcrus Deus, Christus, Filius Dei dénoncent peut-être une intention anti- arienne. •^ B. 11. L., 3630 [12 août, '728].
148 TRADITIONS DE TUSGIE
Fils et de rEspril-Saint, le rcvèt des vêlements blancs et cé- lèbre les mystères du Christ : puis ils déposent leurs blancs vHemenls et participent au corps et au sang de Notre Seigneur Jésus-Christ,
Revenu chez ses parents, il leur annonce qu^il est chrétien et qu'il ne sacrifiera pas à leurs dieux. « Mon enfant, ré- pondent-ils, n'aie pas ces dédains pour nousy et ne perds pas la fleur de ta jeunesse; si le comte Trason savait ces choses, il te punirait, » — « Par le Christ Fils de Dieu, je nai pas peur : c est en lui quont espéré les trois Hébreux ; il me déli- vrera aussi; ne rna-t-il pas déjà enseigné la vérité , lui qui est la voiCf la vérité et la vie ? » Or, pendant que ses parents pleurent sa folie, il est arrêté par les appariteurs de Trason^ comte de la cité de Falères. « Toi aussi, dit le comte, te voilà devenu un mage ; sacrifie au grand Dieu Apolloii ; sois notre ami. » — a Je ne suis pas fou ; j'ai cru au Christ parce quil est la vérité; je ne crains ni vos menaces ni vos promesses; je n abandonnerai pas le Christ. » Trason V emprisonne, puis adresse un rapport à Claudius César sur le fils de Maxi- mÀanus. Il le fait comparaître^ et, sur son refus de sacrifier, le fait battre ; puis il le renvoie en prison pour organiser les supplices. Mais Gratilianus guérit les aveugles et les paraly- tiques, il ressuscite même les morts au nom du Seigneur Jésus- Christ. A cette nouvelle, une veuve, Fortunata (de opinione Gratiliani) lui amène sa fille unique qui est aveugle, Felicis- simtty et le prie de mettre ses mains sur les yeux de là vierge. « Crois de tout ton cœur, dit-il, et tu seras éclairée. » — « Eclaire4a, et elle croira ». Alors Gratilianus invoque Celui dont la salive mêlée à la poussière a guéri l'aveugle, fait le signe de la croix sur les yeux de l'aveugle : elle est aussitôt guérie. « Enseigne-moi maintenant à suivre le Christ, dit Felicissima. « // la baptise donc en présence de sa mère, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et V envoie à Eu- tychius qui Voindra du chrême salutaire afin de lui faire con- naître la parfaite vérité du Chnst. Ce qui est fait.
Mais les geôliers annoncent tout cela au comte. « Arrêtez- les », ordonne celui-ci. On les arrête chez Eutychius qui, saisi de peur, s'enfuit. « Ou as-tu pris ces maléfices qui séduisent le peuple ? » — a Ce ne sont pas des maléfices, mais des bienfaits du Christ (non maleficia sed benelîcia). » — Con- damnés à être décapités non loin de la ville Galaris (urbe Ga-
LA LéoENDE EST UN CENTON 149
Isirh), près du ruisseaUy Gratilianus et Felicissima prient le Dieu du monde d'envoyer son ange recueillir leurs âmes ; puis ils meurent. Le sang qui sort du corps de gratilianus est aussi blanc que la neige ; ses parents V enterrent dans le champ du bienheureux Gratilianus, que le père a acheté en son nom, la veille des ides d'août, au lieu appelé Maulanus, Trois jours après y les deux martyrs lui apparaissent, g our~ mandent son désespoir , lui annoncent que la paix est donnée à l'Eglise de Dieu : ce mois même Trason va être tué par Claude César. « Ne me pleurez pas, dit Gartilianus ; et croyez au Christ qui peut vous donner la vie éternelle, » Trois jours après le tribun Eleuthère, au nom de Claude César, arrête Trason comme concussionnaire ; et Trason meurt traîné et fracassé par un cheval indompté. Ainsi Notre Seigneur Jésus-Clirist défend les martyrs qui ont souffert pour son nom. Ses parents, éclairés par Tévénemefit, se convertissent, et cessent de pleurer V enfant qui partage la joie du Christ, du Christ qui vit et règne avec le Père et V Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen,
La ville de Falerii est voisine de Cività Castellana, qui lui a succédé. On voit que l'évêque de Nepi, Félix, qui signe les actes du concile de Rome de 499, est appelé, dans un bon ma- nuscrit, (episcopus) ecclesiœ Faliciscœ ^ ; et nous avons une lettre de Symmaque qui l'appelle episcopus ecclesiae nepe- sinœ et faliscse. Nous connaissons les évoques de cette ville depuis 595 jusqu'en 1033.
Les patrons de Falères sont moins bien connus. LTsuard est le plus ancien texte qui donne leur nom : item urbe Falari, passio Graciliani et Felicissimie uirginis quorum, ora primum pro Christo lapidibus contusa, dehinc gladio percussi optatarn martyrii suscepere coronam ^. Ce sont les saints locaux du pays.
L'auteur de leur légende semble l'avoir constituée par un ingénieux mélange de traits qu'il a pris ailleurs. Ce saint qui ouvre l'Evangile et nous lit ce qu'il y trouve se souvient cer- tainement d'Euplus \ — Thrason, l'annonce de la paix de
* C. I. L.,xi, 1, p. 465.
2 p. L., 124, 355-356. Noter une AsÎQia Felicissima, au cimetièrede Mustiola, à Cliiusi |C. I. L., X), 1, 2549] : elle semble mise sur le même rang que sainte Mu?tiola [cf. infra, p. 161]: serait-ce uotre sainte?
« Cf. G. M. R., II, 177.
V,)0 TRADITIONS DE TUSCIK
l'Eglise rappellent singulièrement Marcel ». — Cet enfant unique qui se converlit malgré ses parents ressemble heau- coup à Vitus K — L'apparition du martyr qui console ses pa- rents semble inspirée d'Agnès^. — Le terme de « Galiléens » se lit dans les gestes d'Abundius et de Carpopbore, et, enge- ndrai, dans les gestes des martyrs mis ci mort par Julien. — J^a mort de Thrason que fracasse dans sa course un cheval in- dompté ressemble assez au supplice dont la légende a gra- tifié saint Hippolyte *^. — Comme dans Alexandre pape le saint est appelé mage. — Gratilianus et Eutychius rappellent singulièrement Donat et Ililarinus. — Le sang des martyrs est aussi blanc que la neige : les actes de saint Paul •* et les gestes d'iEmilianus assurent qu'il est plus blanc que le |lait. — Qui sait même si notre grand liseur ne se souvenait pas de Lucie quand il accusait Thrason de concussion ?
Tous ces écrits sont plus anciens que le nôtre. Voici des emprunts faits à des textes relativement récents. Ici comme dans Victorin ^ d'Assise, on note les détails si pittoresques de la guérison de l'aveugle de Bethsaïda [Marc. 8, 23]. — Félix de Speilo est aussi qualifié de mage. — Le jeu de mots maie- ficia-beneficia se retrouve dans Paidiniis et dans Pergentinus- Laurentinus \ — Claude est aussi dur que Maximien : dans Secundus, on voit aussi que les chrétiens doivent être punis sans être entendus. — On parle ici du «grand dieu » Apollon, comme, dans Torpes ^, de la « grande déesse » Diane. — Les événements sont datés [quarto anno imperii eius) de la même manière que le martyre de Domninus ^. — Le nom d'Eleu- thère, appliqué au tribun qu'envoie Claude, est celui d'un personnage dont on parle beaucoup en Italie vers 620 ^^ ; la mission confiée à Eleutbère rappelle celle que donna l'empe-
1 G. M, R. 1, 132 et su:pra p. 56-57.
2 G. M. R., II, 165.
3 § 16. * Videte ne me mortuam lugealis sed congaudete mihi... » [P. L., 17, 741, D].
* G. M. R., I, 199, 207.
s Version liuienne [G. M. R., i, 327J § 16 — éd. Lipsius, p. 40 ; etc.. Cf. supra, p. m. c Cf. supra, p. 107. ''Cf. infra.
8 Cf. infra, — On le rencontre aussi dans Lucie [G. M. R. ii. 189]
9 Cf. infra.
10 G. M. R. I, 320 et L P., i, 319-322.
EUTYCHÏUS DE FERENTO lol
reur à Leontius en 598 ^ (Libertinus est un concussionnaire, tel Tiirason) ; — et le supplice de Thrason est aussi celui de Hrunehaut, (61 3) _ laquelle était très bien connue dans les milieux romains.
J'imagine^que'notre texte date du vii^ siècle ^, peut-être du début. Le titre de Thrason, comte de la cité de Falhes^ s'ex- plique très bien dans l'hypothèse. Au temps de l'exarchat, dans certaines villes, « le commandement est confié à des officiers militaires revêtus du titre de comte; c'est le cas à Misène, à Terracine, au castrum Apriitiensey près de Fermo, et dans certaines cités de la Corse. Il n*est point rare d'ailleurs de voir le même personnage réunir les deux titres de tribunus et de cornes ; on en trouve des exemples à Albenga en Li- gurie, à CentumcellaeMans le duché de Home^ » ; pareillement l'oflicier qui a grade de magùier militum porte parfois le titre de dux. Sans doute en va-t-il à Falères comme à Misère.
Peut-être aussi le rédacteur appartient-il au même groupe que ceux de Cassien de Todi^ de Secundus à!Amelia et de Victorin \ d'Assise : il connaît aussi familièrement l'Evangile de saint Jean que les gestes romains ; on a pu s'en apercevoir.
m
Au temps de Claude Auguste César, il y a une grande per~ t sèctdion dirigée contre les chrétiens afin de les faire sacrifier. A ce moment, le bienheureux Eutychius prêtre était revenu à Ferento sur V ordre d'un ange ; mais Vangc lui ordonne main- tenant d'aller ad civitatem Faleritanam auprès des martyrs
1 Gregorii Epist..'vin, 34,, Hartmann, ii, 37.
- On a signalé deux autres versions de la légende : l'une un peu plus courte [Codex Ultrajectinus Sci Salvatoris, 12 août 728, § 141; l'autre un peu plus dé- veloppée [Codex Bruxellensis 9289 (du xn^ s.) f^ 180''. — Gat. Bruxelles, ii, 295, n. 92.J Ce sont les textes B. H. L. 3631 et 3632.
' Diehl, 112-113. — Cf. Gregerii Epist., éd. Migne, ix, 51, 69; vin, 18 ; XII, 12; VII, 3; i, 13 ; C. I, L., v, 7793.
* B. H. L., 2779 et 2780 [15 mai, 460 ou 458J.
152 TRAniTIONF; DE TUSCIE
GratilianJis ri, h'c.licissima : il y cr.li'Jjrc/ra las divins myslf-rcs (lu corps et du sang de. Nuira Saif/ncur J(''sus-('hrisl, puis re- viendra (ad civitatern propriam Foreniinarii) à Verenlo^ ou il sera bienlâl couronné. EuUjchius se hâte donc d'aller au tom- beau des martyrs, il y fait les divins mystères^ il y reçoit les remerciements des parents de Gratilianus : cest lui qui l'a converti ; puis il s en retourne. Les appariteurs du tribun Maximus V arrêtent. « C est toi., lui dit Maximus, le séduc- teur des mages ; toi qui détruis les commandements du prince Claude. » — « Vos idoles sont sourdes et muettes ; vous adorez des créations de l'homme et vous ignorez mon Seigneur Jésus-Christ. » Le lendemain Cévéque de Ferento, Denys, se présente au tribun: {il a appris l'arrestation d' Eutychius), (( Pourquoi tuer, lui dit-il^ un serviteur de Dieu qui prie pour toi et pour Vétat ? » Maximus le fait battre et cliasser de la cité, puis il tâche de séduire Eutychius ; mais en vain : Eutychius raille les idoles de bois et de pierre dont le psal- miste a dit [IIS ou 115,8^: similes illis fiant qui faciunt et omnes qui confidunt in eis ; il rappelle la parole du Christ [Mt. lOy I9\ : dum steteritis ante reges... et les promesses qu'il a faites aux siens [Mt. 16. 25, et 19, 29] : qui perdiderit ani- mam suam propter me..., et qui reliqueritpatrem autmatrem ; il montre à Maximus qu'il y a une autre vie qui ne finit jamais. — « Sacrifie, et je f enrichirai ; sinon, par le salut de notre seigneur invaincu le pr'ince Claude, tu mourras. » — « Aban- donne le culte des dieux, sinon tu brûleras au feu éternel, et tous tes pareils avec toi. » Beaucoup se convertissent, mais Maximus fait battre le saint ; il le fait suspendre sur le che- valet, et lui fait broyer la figure; il ordonne enfin qu'on le décapite hors de la cité. Eutychius demande aux spiculatores un délai pour prier. « Dieu tout-puissant, dit-il en se jetant à terre, reçois mon esprit et compte-moi parmi tes saints martyrs ; que tous ceux qui invoqueront mon nom et se con- vertiront partagent notre récompense , et, en ce monde, de quelque ennui qui les accable, délivre-les, Seigneur ! » Il fut décapité d' un seul coup , le jour des ides de mai, c est-à-dire le 15 mai.
Passion des saints qui ont été couronnés ensemble, Euty- chius et Valentin prêtres, Hilaire diacre, Gratilianus et Feli- cissima, et les autres qu'il est trop long de dire.
L'évêque Denys, qui se cachait à cause de la persécution.
LE CULTE D*EUTYCH1US 153
emporta le corps pendant la nuit avec ses clercs et Vensevelit dans sa terre, dans sa crypte, à environ 15 milles de Ferento ; ils y firent vigile et jeûne, remerciant le Seigneur qui opère ici de miraculeuses guérisons.
Longtemps après, la paix fut donnée à V Eglise de Dieu ; la religion des chrétiens prit un grand accroissement ; on orna Vèglise qui avait été construite en cet endroit, on creusa très profondément la crypte, où jaillit une faible source : elle guérit les malades qui invoquent Eutychius. Dans cette crypte, à U intérieur de V église, à droite, vers r Orient, on e?z- sevelit le corps d Eutychius prêtre et les corps des autres saints sous des plaques de marbre blanc : le tombeau ressemble à une arca. Près du corps d^ Eutychius, il y a une seconde crypte qui a environ trente pieds de long : on y voit des sarcophages où reposent des (corps) saints ; une petite source y coule qui quèrit les malades y grâce à leur intercession. Dans la partie gauche [de l'église)^ on construisit un autel d^ Etienne proto- martgr et diacre et d'autres saints ; tout autour des colonnes de marbre, des chapiteaux dont les feuilles imitent des lys (?) et, au-dessus, des plaques de marbre : on dirait un arcus. Par toute V église, de place en place, on construisit des autels en r honneur des saints et des vierges qui régnent avec le Sei- gneur dans rèternité. Réjouissons-nous dans le Seigneur, mes très chers frères, en Vhonneur du bienheureux Eutychius prêtre et martyr, dont c est aujourd'hui la fête : il a méprisé le monde et ses richesses; il a lutté, pour T amour de Dieu, jusqu'à la mort; il est mort, il a été vers Celui dont le pou» voir dure à travers les siècles des siècles. Amen.
Ferentum (ou Ferentinum) est une ancienne ville très bien connue, au nord-ouest de Viterbe ; Tacite, Suétone et Vi- truve nous en parlent*.
Le bienheureux Eutychius, prêtre, est ignoré du férial hié- ronymien et du calendrier populaire, d'Adon et d'Usuard. Son culte est solidement attesté, néanmoins, par une page de saint Grégoire le Grand. La voici.
« Tu as bien connu, Pierre, l'évêque de Ferento, Redemptus, qui est mort il y a sept ans. 11 m'a raconté, lorsque j'étais en-
* Ne pas confoodre ce Ferentinum avec le Ferentinum heroique, qui est situé auprès d'Aialri. Ou ne sait auquel des deux se rapporteot les deux ci- talions du Liber Pontificalis, i, 187, 212.
!J)4 TRADITIONS DE TÎTSCIR
core dans le cloître, l'histoire suivante, qu'il tenait du doruier pa[)e Jean qui m'ait [irérYidé Mean lu, l\()\ 574). -- I{edeni[)tus, suivant la coutume, visitait ses paroisses ; il arrive à l'église du bienheureux Kutychius martyr, et, comme la nuit vient, so fait dresser son lit contre le tombeau. Au milieu de la nuit, tandis qu'il dort à moitié, voici que le bienheureux martyr l']u- tychius se dresse devant lui. « Redemptus, dit-il, es-tu éveillé ! » — « Je suis éveillé ». — « Toute chair va périr, toute chair va périr^ toute chair va périr ! » — ■ Après avoir poussé ce triple cri, la vision disparaît. Alors, l'homme de Dieu se lève, et, tout effrayé, se met en prière : car il a vu venir du ciel des signes terribles, comme des lances et des lignes de feu mena- çantes accourues du nord. Et bientôt, en effet, sont survenus les Lombards qui ont tout pillé, dévasté, désolé,... : ce n'est plus l'annonce de la fin du monde, c'est la fin du monde elle- même. »
Redemptum Ferentinai civitatis episcopum^... qui ante hos fere annosseplem ex hoc mundo migrauity tua dilectio cogni- tuYYi habuit. Hic sicut mihi adhuc in monasierio posito valde famiiiariter jungebatur,... a me requisitus mihiipse narrabat. Aiebat namque quia quadam die dum parochias suas ex more circuiret, peruenit ad ecclesiam beati Eutgchii martyris. Ad- vesperascente autem die stratum fieri sibi iuxta sepulchrum m^artyris uoluit aique ibi post laborem quievit ; cum nocte mé- dia ut asserebatnec dormiebat nec perfectevigilare poterat^sed depressus ut solet somno gravabatur quodam pondère vigi- lans animus atque ante eum idem beatus martyr Eutychiiis astitit^ dicens : Redempie,vigilas ? Oui respondit : Vigilo. Qui ait : Finis uenit uniîiersde carnis, finit uenit uniuersœ carnis, finis uenit uniuersœ carnis ! Post quam trinam iiocem uisio martyris quœ mentis eius oculis apparebat, euanuit... Mox effera Langobardorum gens de vagina suœ habitationis educta hi nostra ceruicem grassata est ...Nam depopulatœ urbes, euersa castra^...
Il est certain qu'il s'agit ici du mêine martyr que celui au- quel s'intéressent nos gestes. Sans doute, les gestes écrivent
* Dialogi, m, 38, P. L., 77, 316-317. — Je note le rythme ternaire du dis- cours d'Eutyclaius : il est inspiré saos doute par les récits de l'invention d'Etienne où je le retrouve : « Luciaoe, Luciane, Luciane,,.. (dixit Gamaliel)... Si est haec visio ex te (Deo) , fac ut iterum et tertio appareat... (Gamaliel dixit) :... acquiesce, acquiesce, acquiesce mihi [P, L., 41,809, § 2, 811 ; § 4].
ORIGINES DE LA LÉGENDE 155
Eutitius OU Euticius, Grégoire Eutychius. Mais ces trois voca- bles sont tout proches l'un de l'autre pour qui considère que la lettre c peut avoir le son dur ou le son doux, et qu'Euticius peut donc être orthographié Eutychius ou Eutycius. Aucune de ces formes orthographiques ne s'impose, du reste, à nous : nous n'avons aucune édition critique des gestes. Enfin, et sur- tout, les gestes attestent qu'Eutychius est un martyr de Fé- rento ; le récit de saint Grégoire nous invite à penser que l'Eu- tvchius qui apparaît à l'évoque de Ferenlo est le patron (le Ferento : car TEutychius qui visite l'évêque est évi- demment celui qui repose dans le tombeau auquel est accoté le lit de Redemptus ; et comment admettre que, dans le diocèse de Ferento, il y ait une église de saint Eutychius con- sacrée à un autre Eutychius que l'Eutychius de Ferento ?
Il est donc certain que l'Eutychius de saint Grégoire est identique au nôtre. — Il est certain, pareillement, que l'his- toire contée par les gestes n'a aucun rapport avec le récit de saint Grc'goire.
Est-ce à dire que les gestes soient antérieurs à saint Gré- goire? — Il semble assuré que les gestes ont subi l'influence des légendes grecques : ils montrent que le martyr demande au bourreau un délai pour prier, et, à Dieu, sa spéciale protec- tion pour ceux qui invoqueront son nom de martyr ^
Ce double trait se retrouve aussi dans Torpes : on le verra ^, Comme dans Torpes, on voit encore, dans Eutychius, que le martyr demande à Dieu de recevoir son « esprit )),et que l'au- teur donne des détails très précis sur l'église oii Ton vénère le martyr. Notre texte n'est-il pas parent de Torpes, et à peu près son contemporain, et, par conséquent, à peu près contempo- rain de saint (Grégoire lui-même? Tribun est, à ce moment, le nom qu'on donne d'ordinaire aux gouverneurs des villes ^ Saint Grégoire emprunte aux gestes des Martyrs Grecs le titre qu'il prend : servus servorum Dei'", et je me demande si, lorsque Févêque de Ferento, Denys va trouver Maximus pour lui reprocher de tuer un serviteur de Dieu, il ne se souvient
* Cf. infra. G. M. R. V. Pareil trait se lit dans JEmilianus. — Nous avons une épitaphe d'un martyr Eutychius rédigée par Damase : elle ne rappelle en rien notre légende.
2 Cf. infra.
3 Diehl, 111-118.
* Cl. infra.
156 TRADITIONS DE TUSCIR
pas (lu diacre Marcel dont les Marli/rs Grecs nous comptent précisément l'histoire. Prœcepil Valer'uinns ut prœsenta- renlur (sancti)... Audicns aiitcm Iioc Marcellus diaconus, currens oblullt se in conspectu Valeriani dicens : « quare le- nentur a te veritatis amici ? »
IV
On pourra préciser cette conclusion en comparant entre eux les trois gestes de Valentin-Hilaire, de Gratilianus-Felicissima et d'Eutychius.
Leur parenté n'est pas contestable. Tous les trois mention- nent le bienheureux Eutychius, prêtre. — Les attaches locales de tous les trois sont voisines Tune de l'autre (Viterbe, Falè- res, Ferento). — ■ Enfin les gestes d'Eutychius sont séparés en deux parties par la phrase suivante :
Passion des saints qui ont été couronnés ensemble,
Eutychius et Valentin prêtres, Hilaire diacre,
Gratilianus et Felicissima et les autres qu'il est (trop) long de dire.
Cette phrase survient après celle qui dit la mise à mort d'Eu- tychius les ides de mai; — elle survient avant le récit de son ensevelissement et la description de son église.
On soupçonne naturellement que les mots : passion des saints qui.., sont un eœplicit, ouïes débris d'un eœplicii; ils terminaient le texte primitif. Le récit de l'ensevelissement et la description de l'église sont un véritable épilogue, ajouté postérieurement.
Un fait confirme cette supposition : on lit dans ledit épilogue l'expression « mes très chers frères » ; nous ne la retrouvons nulle part ailleurs. L'épilogue a été rajouté par un prédicateur, qui avait lu d'abord les gestes des martyrs, le jour de l'anni- versaire d'Eutychius.
Est-il possible de dater l'épilogue ? — Il a, je crois, quelques
UN CYCLE LOCAL lo7
c
traits de parenté avec Paiilimis. Paulinus^ on va je voir *, est on somme un remaniement de TorpeSy — qui donne des dé- tails très précis sur l'église où sont déposés les martyrs, — et qui s'intéresse aussi au culte d'Etienne protomartyr. Or, les gestes de Paulinus datent sans doute du vu® siècle, se- conde moitié. N'est-ce pas à ce moment qu'aurait été composé l'épilogue d'Eutychius ?
L'^^/?/ic// pose encore d'autres problèmes. Il atteste l'exis- tence d'un texte cyclique où sont enchaînés bout à bout les gestes de Valentin-llilaire, de Gratilianus-Felicissima et d'Eu- tychius. Quel est le rapport de ce texte cyclique avec les textes que nous lisons?
11 est possible que nos textes à' Eutychius et de Gratilianus Felicissima aient fait partie du texte cyclique. La chose va de soi pour Eutychius : c'est notre texte à' Eutychius qui nous a conservé Vexplicit du texte cyclique. — D'autre part, Grali- linnus s'accorde avec Eutychius : ici et là, môme époque de Claude ; ici et là, citations de l'Evangile et citations analogues ^ ; ici et là, serments ou prières ce par le salut du prince » ou « par les divines écritures». Eutychius, enfin, cite les personnages de Gratilianus etde Felicissima, et fait une allusion précise à un passage déterminé de leur légende : après avoir célébré les mystères sur leur tombe, Eutychius^ d'après ses gestes, reçoit les remerciements des parents de Gratilianus ; l'auteur d'Eu- tychius vise évidemment l'apparition de Gratilianus à ses pa- rents, lorsqu'il les exhorte à ne pas le pleurer et leur dit son bonheur.
Il semble seulement qu'aucun des deux textes que nous avons de Valentin-llilaire n'ait fait partie de la rédaction cyclique. Le texte long est exclu, puisqu'il semble dater du ix^ siècle % et surtout parce qu'il place les faits au temps de Maximien Auguste. Cette même raison vaut pour le texte court; le texte court ignore Claude* aussi bien que le texte long.
' Cf. infra.
' Cf. Qui vult venire post me ahneget semet ipsum [Gratilianus | avec qui reliquerit patrem aut mntrem propter m".... [Eutychiusj.
' Cf. sup?'a, p. 145.
* Le rédacteur visait peut-être Claude I : le rédacteur de Paulinus place S')Q héros au temps de saint Pierre et de Néron (cf. aussi Torpes). Le milieu d'où ces textes sout sortis voulait donner aux suints la plus haute antiquité possible. — Noter pourtant que, dans Irénée, Claude est mis en rapports avec Aurélieu.
158 TRADITIONS DB TUSCIE
Les doutes que nous avions émis plus haut semblent donc justifiés : noire texte court n'est j)as antérieur à notre texte long, bien que notre texte long repose sur un texte antérieur'. J'imagine que ce texte antérieur perdu parlait de l'empereur Claude, et non de Maximien Auguste, — et qu'il commençait la rédaction cyclique doni Vexp lie il estconservé dans les gestes d'Eutycliius.
Eulf/chiuSf Gralilianus-Felicissima et le texte cyclique se- raient donc antérieurs à la fin du vu® siècle et postérieurs à Torpes^ ou ses contemporains : c'est-à-dire qu'ils datent du vu* siècle ^.
1 Notre texte court de Valentin-Hilaire est bien un résumé du texte long. C'est dire que sa vraie forme est B. H. L. 8471-72, où se lit le récit de la traaô- lation.
2 II ne me semble pas que ce texte cyclique ait utilisé des textes antérieurs dont Gratiliaaus, Felicissima et Eutychius aient été les personnages centraux.
Noter l'expression : saints qui otit ont été couronnés ensemble. — Elle se retrouve dans JEmilianus [cf. supra p. 11 1| qui a subi, autant que Torpes, l'influence grecque, et qui comme Eutychius, semble émaner de l'entourage de saint Grégoire le Grand [cf. supra p. 155. note 1 et appendice]. Tous ces textes sont apparentés.
m
CHAPITRE Vil
TRADITIONS DE TUSCIE
{VIA CASSIA),
LES SAINTS IRÉNÈE, DONAT, GAUDENTIUS, PERGENTINUS, DOMNINUS
Arezzo est le point d'attache de nombreuses légendes, appa- rentées aux gestes romains comme celles que nous avons ren- contrées sur la voieCassia : elles ont elles-mêmes porté assez loin l'influence des légendes de Rome.
Au temps d'Aurèlien Auguste, il y avait une grande perse-
^ cution contre les chrétiens. Ayant appris que leur religion
était florissante à Toscanella (civitas tuscana), il y envoya un
vicaire nommé Turcius auquel il donna la dignité de préfet.
Turcius, arrivé dans la cité de Falisque, se mit à chercher les
' B. H. L., 4456 [3 juillet 640 ou 562].
160 TRADITIONS DR ICSCIE
chrétiens ; lun d'eux, PrAix, les rassembla donc et les encou- ra(jea : « Ce nuage passera ; lâchons d'éviter les ténèbres êler' nelles ; mieux vaut un jour dans la maison du Seujneur (ia alriis domini) que des milliers (de pièces) d'or et d'argent. » — Félix est arrêté^ il comparait devant Turcius : « Quoique pé- cheur^ je suis prêtre du Christ, » — « Pourquoi réunis-tu le peuple^ pourquoi le séduis-tu et le détournes-tu d'obéir aux princes et à la tradition (disposiiio anliqua). » — « Cest notre vie de prêcher le Christ et d'arracher chacun aux idoles et de donner à chacun la vie éternelle. » — « Qu^ est-ce que la vie éternelle ? » — « Craindre et adorer Dieu., le Père et le Fils et l'Esprit-Saint. » On lui brise la bouche^ et il rend l'esprit ; son corpSy abandonné sur la place, est recueilli par un diacre Irénée et enseveli près des murs de la cité, au neuf des ka- Imides de juillet.
Turcius fait donc arrêter le diacre Irénée ; puis il va à Eu- sina, cité de Tuscie, où il reste plusieurs jours. Cependant la très chrétienne matrone Mustiola, une cousine (consobrina) de Claude, visite et secourt les chrétiens emprisonnés, les console^ leur lave les pieds, panse leurs blessures, les nourrit et les ha- bille. Torquatus la dénonce à Turcius, qui est très irrité de ce quelle est parente de l'empereur Claude. Il la fait pour- tant comparaître, admire sa beauté et l'interroge sur sa no- blesse : a ISlotre noblesse, répond-elle, c'est V humilité des saints; le diable a poussé nos parents à la mort\ Notre Sei- gneur Jésus-Christ a daigné m' appeler, et avec moi tous ceux qui espèrent en lui. » — « Ne renonce pas à la noblesse de ton origine, » — « Si tu savais le don de Notre Seigneur Jésus- Christ, tu,aurais la lumière éternelle, » — « Qu'est-ce que la lumière éternelle ? » — « E esprit et la vertu. » — « Pour- quoi visites-tu les prisonniers ? » — « Par amour pour Notre Seigneur Jésus-Christ. » — « Laisse cette folie ; obéis aux ordres du prince : sacrifie et jouis de tes richesses. » — « Tu blasphèmes sottement. » Turcius ordonne alors de décapiter tous les saints qui sont en prison et de suspendre le diacre Irénée sur le chevalet. Comme il l'invite à sacrifier, « es-tu donc devenu fou », lui répond le diacre ; et, tandis qu'on lui déchire les côtes avec les ongles de fer, il rend l'esprit en pré' sence de Mustiola. a Misérable, dit-elle à son tour à Turcius, pourquoi assassiner ainsi un innocent ? Ils vont à la gloire, toi au feu éternel. y> Turcius la condamne per inscriptionem,
1
IRÉNÉE DE CHIU8I 161
et elle meurt sous les coups le cinq des nones de juillet. Le serviteur de Dieu, Marc, la recueille et V ensevelit près des murs d'Eusinay où ses prières et ses miracles fleurissent jus- que ce jour, par le Christ Notre Seigneur,
Le férial hiéronymien donne ', au IX Kal. decemb., le la- terculus suivant :
E. in tuscia muscolœ felicis vitalis marociani bonœ facienti
W.in tusciascœ mustiolœ felicis vitalis marciani bonifaciani.
Il est très vraisemblable que cette sainte Mustiola est iden- tique à la nôtre : toutes deux paraissent associées à un même saint Félix ; les gestes rattachent la sainte à la Tuscie aussi bien que le férial ^
Les gestes, en effet, citent la civitas tuscana, la civitas Fa- lisci, la civitas Eusina. La civitas Falisci est évidemment la colonia Faliscorum qui est identique à Voppidum Falerii ^, dont il a été question plus haut à propos de Gratilianus-Feli- cissima, — Tillemont a identifié la civitas tuscana avec Sutri *, bien à tort. Il est sans doute préférable de songer à Tosca- nella qui s'appelait autrefois Tuscana : Pline, la table de Peulinger et l'Anonyme de Ravenne en font foi ^ — Il n'y a pas de doute, enfin, que Eusina doive être lu Clusina et d(^signe Cbiusi : quelques manuscrits ^ donnent Clusina ; d'autre part, on a trouvé dans une catacombe située à un mille environ de Chiusi, à Test de la porte di PaccianOj l'inscrip- lion suivante "' :
B ivLi^ M SANCTISSIME EX GENE RE MVSTIOLE SANCTiE ASINT^: FELICISSIMEQVE VIXIT ANNIS XXXVII POMPO NIVS FELICISSIMVS CONIV GI INCONPARABILl DEPOSl TA XIII KAL lANVARÏASDSOLIS
1 Rosai-Duchesne, p. 146. — Sur le Dom Mustiola, cf. Allard. II12. p.258.note 1
' Il n'est pas du tout sûr que Vitalis, Marcianus et Booifaciaous aient été associés à Mustiola. — Sur la date de l'anniversaire, cf. infra.p. 162.
3 G. I. L., XI, 1,464-465.
* IV, 351 et 682.
» Pline : H. N. 3, 52. — Anon. Rav., iv, 36 (Piader-Parthey, p. 284). — Des- jardins, p. 132 (via Clodia).
« C. I. L., XI, 1, p. 372.
T G. I. L., XI, p. 405, n. 2549.
ni 11
162 TRADITIONS DE TUSCIE
L'inscription remonte sans doute à la fin du iv* siècle : sainte Mustiola était donc vénérée à Cbiusi, en Tuscie, dès cette époque.
Sainte Mustiola semble avoir été, soit une martyre de la per- sécution dioclétienne, soit une grande dame chrétienne qui aurait accueilli ses frères dans son domaine. La catacombe où l'inscription a été découverte est importante et ancienne. Elle a été trouvée en 1634 par des chanoines réguliers qui étaient établis là, et qui voulaient forer un puits. On Ta souvent ex- plorée passé ce moment. Les plus anciennes inscriptions datées qu^on y rencontre nous reportent aux années 290 [n. 2373], 322 [n. 2548] et 338 [n. 2565] ; la formule D M n'apparaît qu'une fois [n. 2555]. Les plus récentes inscriptions datées nous conduisent à la fin du v^ siècle [n. 2584, 2585, 2586].
Est-ce de cette époque environ que date la légende ?
On peut être tenté de le croire puisqu'on se trouve à l'époque ostrogothique et que Cbiusi n'est pas fort éloigné de Home. — Mais un fait fieurte l'hypothèse : le férial biéronymien place la fête de Mustiola et de Félix de Cbiusi au JX des kalendes de décembre; nos gestes placent les anniversaires des deux saints le IX des kalendes de juillet et le V des nones de juillet. Le férial donne l'usage de l'époque ostrogothique. On ne voit pas qu'il puisse être ici question d'erreur paléograpbique, et qu'on puisse ainsi lever la contradiction des textes. On doit croire qu'ils reflètent l'usage de deux époques différentes. Nous avons déjà noté des faits du même ordre '.
En dehors du férial, aucun écrit daté ne mentionne nos saints, avant Usuard. Usuard écrit - :
Civitate clusina sanctorum martyrum Hirenœi diaconi et Mus- tiolœ nobilis matronœ qui passi sunt sub Aureliano principe.
11 est clair qu'il relève de la légende ; celle-ci est donc an- térieure à Charles le Chauve et postérieure à l'époque ostro- gothique.
Il est permis de préciser.
Ughelli ^ a conservé l'inscription suivante, que lui avait en- voyée révoque de Cbiusi Jean-Baptiste Piccolomini. Elle était gravée sur le marbre dans l'église de sainte Mustiola.
1 Cf. supra, p. 102. Mais je ne repousse pas absolument l'hypothèse d'une transposition paléographique.
2 P. Z,,, 124, 221-222. — Le calendrier populaire et Adon ignorent les saints.
3 II, 673 [cité 3 juillet, 561, § 7[.
LA CATACOMBE DE MUSTIOLA 163
1 Nobilis vasta nites rediviva an fabrica templi.
Egregia progenies ornarunt culmina pulchre. 3 Fulgidus vita plus Gregorius aptus ubique,
Hoc opus patrarunt Luitprandi tempore régis. 5 Tramite sat recto Ariadi pollet in alto :
Mustiola prœat, tu post gaudia illis 7 Celsus ubique suis concédât prospéra votis
Mox dabitur placide si nil dubitarit aberrans 9 Martyr, Arisebuti sis memor aima miselli.
Il s'agit, évidemment, de la reconstruction d'une église dé- diée à sainte Mustiola par Grégoire et Arisébut. Ariald était sans doute évèque de Chiusi au temps de Liutprand.
Or, cette inscription est parente de celle qu'on va lire, et dont le vers 9 suppose nos gestes : ici et là, il s'agit d'une res- tauration d'église et d'un pieux Grégoire, dévot de Mustiola ; ici et là, le style est également barbare ^
1 C f Christe fave votis Gregorio et aucte conde * docis
L Quod Mustiolae obtulerunt martyre Ghristi,
3 V Hoc Tec. Menciburii sublata uetustas,
S Quœ meliore cultu noviliore redit.
5 I Cedit novitati diruti antiquitas ligni,
0 Pulchrius ecce micat nitentes marmoreis decus. 7 D 0 Mustiolae mérita veneranda quse fedis
1 Roseis uirgineis crocis amore paratus
9 G Novilior prosapia, qui et de Claudii prolem,
I Guius aulae mœnia a fundaraentis dicavil 11 ï Gregorius armipotens et robustissimus do.
La légende semble être antérieure au début même du vm^ siècle.
Elle nous est parvenue dans deux textes : celui qu'on a ré- sumé a été imprimé dans les Acta Sanctorum ; l'autre, qui a été publié par Surius% et sans doute, comme il arrive d'or- dinaire, retouché par lui, présente les caractéristiques sui- vantes : 1. Turgius n'est pas appelé vicaire ni préfet: 2. La
^ La seconde fait peut-être suite à la première. Elle était gravée sur le tombeau de Mustiola. Sur le Grégoire dont il est ici question, cf. l'inscrip- tion d'un ciboire de l'église de sainte Mustiola, à Chiusi : Xpe fabe uotis Gregorio et Ausfreconde docis... Temporibus Dni Liutprandi catholico régis.... Arc.adi presoli tempore (= a, 17 Liutpraadi) [Pizetti : Antich.. Tosc. i, 268 ; Troya 485; etc.. d'après Bethmann : Langobardiche Regesten. Neues Ar- chiv., ni, 1878, 253]. Est-ce, ici et là, la même iuscription ?
2 B. H. L., 4455 TSurius, éd. 1573, iv, 76, ou 1618, vu, 75, ou 1877, vu, 105].
Lire Austreconde (?).
104 TRADITIONS DE TUSGIE
cité OÙ comparaît ot meurt Félix est citée ; on l'appelle Sutri ; 3. Irénée marche, enchaîné, depuis Sutri jusqu'à Chiusi, de- vant le char do Turgius ; 4. Torquatus n'apparaît pas.
Si l'on voit dans la civitas toscana de notre texte 4i.')0, la moderne Toscanella, on jugera sans doute qu'il est antérieur au texte de Surius : l'introduction de Sutri, qui caractérise celui-ci, dérive peut-être de l'erreur d'un copiste ; on se sera demandé quelle pouvait être cette civitas tuscana dont il était ici question, et Ton aura choisi Sutri au petit bonheur. — Il se peut aussi, du reste, que les deux versions soient à peu près contemporaines, et que Toscanella et Sutri se soient dis- puté le culte d'un compagnon de xMutiola. — Mais il se peut en- core que le rédacteur de la version 4455 ait écrit vers 728, au moment où Sutri, enlevé par Liutprand, puis donné par lui aux bienheureux apôtres Pierre et Paul, a joué un si grand rôle '
Quoi qu'il en soit, la plus grande partie de la légende est identique dans l'un et l'autre texte : par ce fond commun elle est parente à' Eutychius et de Secundus. Ici comme dans Se- cunduSy il est question d'Aurélien ; le saint est dit parent de l'empereur ; un chrétien reproche au persécuteur d'assassiner un innocent. — Ici comme dans Eutychius, le narrateur s'in- téresse à Faleri (Falisci) ; un personnage reproche au juge de massacrer les saints ; il est fait mention de l'empereur Claude. Ces coïncidences ne peuvent être un effet du hasard. Il est vraisemblable que 7rewee est à peu près contemporain àQ Se- cundus et Ôl Eutychius et qu'il est sorti du même milieu, au vu® siècle.
Il est très probable encore que le ou les rédacteurs de ces légendes étaient familiers avec les gestes romains d'origine lérinienne : n'est-ce pas là qu'il sont trouvé Turcius, et la for- mule si donum dei scirés ^ ? Mais peut-être ont-il pris directe- ment ce dernier trait à l'Evangile de saint Jean.
* Bethmann : Lang. Reg., 89. Neues Archiv.^ m, 253. Cf. Hartmann, II, 2, 96-97. Et noter Timportaoce de l'exarque Eutychius à ce moment. Peut-être Eutychius a-t-il été retouché alors.
2 G. M. R., I, 311, n.4. 11 y a un Turgius dans les XII Syriens. Si donum Dei scires se lit dans Censurinus, etc.. — Il se pourrait que notre texte fût un remaniement d'une version rédigée à l'époque ostrogothique. On aurait retouché, au vu» siècle, la date de l'anniversaire, afin de conformer le texte h l'usage courant.
Il
DONAT d'aREZZO 165
II
ZZQl
a de ^^ y ^^^^^ dans la cité de Rome un enfant^ nommé Donat, lat qui avait été élevé par Pigmeniiis, prêtre de la paroisse du Pasteur^ et était devenu lecteur ; il avait eu alors pour cama- rade Julien qui avait été fait sous-diacre de V église romaine. Mais Julien, lorsqu'il est empereur^ persécute les chrétiens^ emprisonne Pigmenius et fait tuer les parents de Donat qui s'enfuit dans la cité d'Arezzo. Recueilli par le moine Hilarin, Donat vit avec lui, lui enseigne la doctrine de Pigmenius, ety malgré ses avis, se consume dans les jeûnes et les prières : il opère de nombreux miracles.
Cest ainsi qu*il guérit et convertit une noble pcCienne, Su- rana, dont les médecins n^ont su que manger la fortuné sans lui rendre la vue {elle était aveugle depuis neuf ans); Vèvéque Satyrius la baptise après quelle a btHsé ses idoles, Jupiter et Junon. A cette nouvelle, moi, Apronianus, je lui conduis mon fils Asterius, qui est possédé du démon ; il est également délivré. Pendant ce temps, Donat vit avec Satyrius, qui lui donne le rang de diacre ; de nombreuses années après, — un long intervalle est nécessaire, — il lui confère la prêtrise. Mais voici qii Eustasius j recteur de Tuscie et collecteur du fisc [exaLC- iorïiscï) est saisi par les ennemis qui font invasion ; Euphrosyne, sa femme, cache V argent, mais meurt sans lui avoir dit ou elle Vavait enterré. Les principaux de la curie (principales curiae) décident donc d'envoyer Eustasius au supplice. Eustasius re- court aussitôt à Donat : Donat prie au tombeau d' Euphrosyne et une voix céleste lui révèle V endroit ^ Lorsque meurt Saty^
» B. H. L.,2289 [Mombritius, i, 234, sq]. — Le texte B. H. L., 2293 repro- duit noire texte 2289 en l'encadrant du prologue et du dernier chapitre de Donat d'Euria [Cat. BruxeL, ii, 433, 3»1.
* Un trait tout à fait analogue noua est conté par Grégoire de Tours, à pro- pos de Vitalis et d'Agricola. a Alius quoque tributa publica deferens sacculum pecuniœ dum iler ageret negligenter amisit. Appropinquans autem ciuilati recognoscit se amisisse sacculum publicum quod ferebat. Tune prostatus co-
166 TRADITIONS DE TUSCIE
rius, Donat est choisi pour le remplacer^ malr/ré sa résistance, par le peuple et le clergé qui le chérissent ; il va se faire con- sacrer à Rome par le bienheureux évèque Jules, et, de retour à Arezzo^ il offre le saint sacrifice de ordinatione sua. Un jour que le diacre Antime distribue au peuple le sang du Christ, les païens font irruption, le calice tombe et se brise ; une prière de Donat le répare, — seul^ un petit morceau na pas été re- trouvé — ; les païens confessent la divinité du Christ, 79 ^ ou 89) d'entre eux sont baptisés. Mais, vingt-huit jours après, Donat est arrêté, au temps de Julien, par /'augustalis Qua- dratianus ; il refuse de sacrifier à Junon, et, après qu^ llilarin, fustigé, est mort, il est égorgé, le 7 des ides d'août.
Cette légende porte la marque de deux époques parce qu'elle associe à une tradition martyrologique, remontant au temps des persécutions, une tradition monastique qui date du temps de la christianisation. Saint Donat est attesté (au 7 des ides d'août) par le férial hiéronymien * : VEpternacensis semble l'associer à sept autres saints qu'il ne nomme pas, et qui peut- être furent martyrisés avec lui ; les manuscrits des deux autres familles suppriment ces sept compagnons anonymes. — Mais ils appellent Donat episcopus et confessor : c'est peut-être qu'ils ont subi l'influence des légendes qui s'expriment ici dans nos gestes ; peut-être aussi Donat est-il un évêque ancien dont la lé- gende aura fait un martyr. — Si le moine Hilarianus ou Hilari- nus ne nous est pas autrement connu, quelques détails nous re- portent au temps qui a suivi les persécutions : à deux reprises, le rédacteur nous parle d'irruptions ennemies. i\'y faut-il pas voir un souvenir des invasions barbares, de l'irruption des Ostrogoths ou des Lombards? Justement, on nous dit que plusieurs reconnaissent la divinité du Christ (deitatem Christi) : c'est un indice que l'auteur vit au temps où des Ariens sont établis auprès de lui.
ram sepulcris beatorum cum laerymis depreeatur ut perditum eorum virtute reciperet ne ipse coojuxque ac liberi ob id captivitati subigerentur. Egressus autem foris in atrium, virum qui hanc pecuniam in via jacentem repérerai naetus est : scrutatusqae diligenter iliius horae tempore hic sacculum invenisse 86 dixil quo iste martyrum auxilium flagitauit. » [Gl. M. 44. P. L., 71, 745-46. ou Krusch.517]. — C'est la même iiistoire, évidemment, qui se présente dans les deux textes sous une forme un peu différente. L'histoire du « sac retrouvé » fait pendant à l'histoire du « calice réparé . Ce sont des thèmes banals.
1 Rossi-Duchesne, p. 102, E : t aritio donati et aliorum vu ; — B : IN TUSCIA ciuitate Aretie Donati epi et conf. »
DON AT ET VIBRIANE 167
Un autre fait, plus particulier, s'offre avec autant d'évi- dence: les gestes de Donat d'Arezzo sont étroitement appa- rentés aux gestes de Vibbiane de Rome *. C'est la même époque : Julien l'Apostat ; ce sont les mêmes détails sur Pig- nienius et le tiiulus Pastoris ; et, comme les gestes de Donat font partir Donat de Rome, les gestes de Vibbiane conduisent jusqu'aux Aquœ Tauranse, à égale distance de Rome et d'Arezzo, un ami de Vibbiane, Flavianus. J'ai déjà remarqué ^, enfin, que les gestes de Vibbiane se présentent comme l'œuvre d'un DoNATUs, « sous-diacre régionnaire du Saint-Siège apos- tolique, » et qu'il est naturel de supposer que c'est un Donat qui a voulu écrire Thistoire de son patron : les gestes de Vib- biane et les gestes de Donat seraient donc l'œuvre d'un même auteur. Comme les c:estes de V^ibbiane datent des dernières années du régime ostrogothique ^ c'est à ce moment qu'il faut donc reporter aussi, semble-t-il, la composition des gestes de Donat.
Les gestes sont encore apparentés à SahinuSy k Valentin de Terni et à Alexandy^e deBaccano. Comme chacun d'eux [S : doliolum mtreum ; V : cilicium ; A : orarium], ils illustrent une relique conservée dans une église. Ils parlent d'un Augiistalis comme Sahinus ; ils prétendent, comme Alexandre^ repro- duire le témoignage d'un témoin des événements; ils raillent les médecins, comme Valentin et Lucie. On peut sans doute préciser l'époque où ils ont été rédigés : ils datent du second quart du vi® siècle.
On s'explique fort bien dans cette hypothèse que notre texte semble refléter Tinsécurité d'une époque malheureuse et dénon- cer les polémiques soulevées entre Ariens et Catholiques par la divinité de Jésus. On s'explique encore les préoccupations de l'auteur : son souci de la régularité disciplinaire touchant les droits de Rome et l'observation des interstices : nous sommes au temps de Denys le Petit et de Césaire d'Arles et du Liber Poniificalis ^; — son souci de bien marquer l'authenticité du texte : s'il s'identifie avec le père d'un miraculé, c'est que nous sommes au lendemain du concile pseudo-damasien, en pleine
* G. M. R, I, 123-126 et 240-243.
2 G. M. R., I, 89-90 et 362. — Codez Casinensis 139, du xi« siècle.
3 G. M. R., I, 311 et 125.
* Notices de Gaius et de Silveatre ; décrets touchant la nécessité des inters- tices [L. P., I, 161 et 171-172].
168 TRADITIONS DE TU8C1K
controverse manichéenne ; — le soin qu'il prend de faire re- marquer les austérités du lecteur Donat qui soulèvent les ob- jections du moine Hilarinus * : notre auteur appartient au clr.- rus, et les lecteurs du Liber Pontifîcalis savent quelle rivalité oppose souvent moines et clercs. Le terme principales curiae n'a rien non plus qui puisse surprendre : il désigne, les papy- rus de Ravenne le font voir, une commission composée par les plus importants personnages de la curie et qui parfois la représente ^
On comprend enfin que Grégoire le Grand ait pu citer notre légende dans un passage de ses Dialogues ', et que Donat ait été de bonne heure vénéré à Rome *.
Voici un point obscur. Pourquoi le rédacteur anonyme prend-il soin de nous dire que Donat va se faire sacrer à Rome par le bienheureux évêque Jules? Comme je ne vois pas qu'il y ait eu, au début du vi' siècle, aucune polémique contestant les droits métropolitains de Rome, je ne crois voir, dans le
* Cf. supra, p. 51-52, les passages analogues à'Anthime.
2 Mariai : passim. — Cf. Diehl : 95-96 ; Fuslel de Coulanges : Invasion germanique, 37-38.
3 I, 7. — P. L., 77, 184. « Alio quoquo tempore ciim idem vir venerabiiis (Nonnosus, prœpositus monasterii in monte Soractis) lampades vitreas in oratorio lavaret, una ex eius manu cecedit, quœ per innumeras partes fracta dissiluit : qui... se... cum gravi gemitu in orationem dédit. Cumque ab oratione caput levasset, sanam lampadem reperit quam timens per fragmenta collegerat. Sioque in duobus mirncidis duorum Patrum virtutes imitatus est... in reparatione lampadis, virtutem Donati qui frac.tum calicem pristinœ incolumitati restituit. » — Un miracle tout à fait analogue (restau- ration d'un calice par la prière d'un diacre) est raconté par Grégoire de Tours [Glor. M. 46, P. L., 71, 747-748] comme s'étant produit à Milan, à l'église de Saint Laurent. Sur l'origine de ce thème mythologique christianisé, cf. G. M. R., 11, 279. Un autre calice merveilleux — il ne s'épuisait jamais — est mentionné dans les gestes de Juvénal de Narni [3 mai, § 5]. Cf. aussi dans la vie de saint Benoit l'histoire du vase de verre brisé d'un signe de croix [Dial., Il, 3. — P. L., 66, 134]. Il ne semble pas qu'il y ait entre les textes aucun rapport littéraire. Mais il est probable que les « histoires du calice brisé et miraculeusement réparé >, si je puis ainsi dire, étaient flottantes un peu par- tout, à le fin du vi® siècle, et s'intégraient dans les légendes suivant les fantai- sies des rédacteurs. Nous arriverons un jour à reconstituer les filons légen- daires qu'ils exploitaient. — Comparer l'histoire du « sac retrouvé » [supra p. 165, n.2].
Les guérisons d'aveugles se rencontrent dans nos textes avec une fréquence extrême : cf. Sabinus, Abundius, Viotorinus, Terentianus, Gratilianus, Cres. centius, Severus.
♦ L. P., Il, 24 (Léo m, 795-816) : « simili modo fecit et in monasterio sci Do- nati qui ponitur iuxta titulum scee Priscae canistrum ei argento. — On ne sait pas, à vrai dire, de quand datait le monastère. Le calendrier populaire romain [P. I., 123, 159-160] mentionne Donat.
GAUDENTIUS d'aREZZO 169
détail que j'ai rapporté, qu'un reflet de l'usage courant. — Peut-être pourrait-on soutenir que notre texte a été retouché aux environs de Tan 600, par l'auteur de Juvénal de Narni. Juvénal conte l'histoire d'un calice aussi merveilleux que le calice de Donat ; Juvénal se fait sacrer à Rome aussi bien que Donat : Juvénal insiste formellement sur ce point que la Tuscie a été confiée à l'église romaine *.
HI
Au temps ou /'Augustalis Quadratianus revint à Rome sur l'ordre de Julien César, le même Julien César envoya à Arezzo le prœses Marcellianus : la foule raccueillit bien, et, tout heureux y il sacrifia à Jupiter. Après la mort de Julien, Mar- cellianus reste à Arezzo, jusqu'au temps de Valentinien, roi très chrétien ; ce qui fait qu' Arezzo reste païen, bien que toute la Tuscie soit dès lors chrétienne. Mais févéque Gaudentius se cache près de la ville avec le prêtre Dicentius et le diacre Culmatus ; ils convertissent les païens. Ils sont arrêtés un jour tandis que Gaudentius participe au coj^ps et au sang du Seigneur, avant d'avoir achevé la messe. (( De quel droit prê- chez-vous ainsi ? » — « Nous sommes les serviteurs du Christ ; nous travaillons avec confiance pour quon abandonne les idoles et croie au vrai Dieu. » — « Je vous épargne en ce mo- ment ; allez, mais devenez raisonnables ! » Us vont alors à la villa quon appelle Tuta, parce qu'il y avait une fontaine ou l on célébrait le Pantheos selon le rite païen (?... ritu gentis)
^ Cf. iupra, p. 85 Certains traits de Donat rappellent aussi Victori?i- Séverin et Agapet qui, précisément, ont été écrits, ou remaniés, au début du vu» siècle. — Nos mss. de Donat présentent de nombreuses variantes ver- bales IB. H. L., 2289, 90, 91, 92]; le Palatinus 846 et VAugiensis ne font pas parler Apronianus à la troisième personne (au contraire du Vindobonensis 357), et ils l'appellent ex prsefecto urbis. — Je ne garantirais pas, du reste, l'homogénéité du récit: peut-être y a-t-il eu d'abord deux réoits indépendants et parallèles (Donat-Hilarin ; Donat-Satyrus) : nos gestes dériveraient de la fusion de l'un et de l'autre.
2 B. H. L. 3274, 19 juin, 848 ou 706.
170 TRAOITIONS DE TTISCIE
et que le. peuple^ en puisant à cette fontaine^ y puisait protec^ tion (tulamen) : ils habitent chez le chrétien Saccinus. Ceux qui vicyinènt sont baptisés et enduits (hi saint chrême^ et s'en retournent guéris, MarcellianuSy à cette nouvelle^ les fait arrêter de nouveau {Dicentius, absent, rCest pas saisi) et con- duire au théâtre oie le peuple accourt en foule fturmatim). Quand il a obtenu le silence, le prœses dit : « Quels sont vos maléfices? » — « Adorez Dieu, et non les démons. » On les bat et on les enferme sans nourriture sous bonne garde. Et voici qu'arrive au milieu de la nuity dans une grande lu- mière, Vange du Seigneur : il leur donne un pain céleste et tue les gardiens qui se jettent sur lui. Stupeur et fureur du peuple le lendemain matin : les martyrs sont roués de coups. « Par quel nouveau maléfice les avez-vous tués ))^ demande Marcellianus. — c< Ils ont vu Vange de Dieu et ne Vont pas honoré. Croyez en un seul Dieu (qui a fait le ciel et la terre), le Père, le Fils et r Esprit-Saint, et vous serez sauvés, et les geôliers ressusciteront. » Reconduits à la prison sur l'ordre du préfet, au milieu des moqueries du peuple, ils se prosternent à terre, invoquent le Dieu qui a ressuscité le fils de la veuve, qui est à la fois le père et le fils de Marie ; et les gardiens res- suscitent aussitôt disant : « // n^y a quun Dieu, le Christ, sur la terre et dans le ciel, celui que prêche saint Gaudentius. » Beaucoup croient, confessent leurs péchés et obtiennent la grâce du Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne dans les siècles des siècles.
Pendant quinze jours, Gaudentius demeure chez un certain vicaire de Quadratianus nommé André, qu'a baptisé Vévêque Gélase : il y guérit les malades. Marcellianus prévenu, et saisi de rage, y envoie ses licteurs avec ordre de tuer tout le monde : les licteurs massacrent, en effet, toute la maison d^ André, en tout 58 personnes ; les corps sont jetés dans un puits, au-des- sous de la maison (infra domum). Gaudentius et Culmatus sont conduits aux bains, à côté du théâtre et du nymphée du camp ; ils meurent sous les coups, puis on les décapite. Dicen- tius vient la nuit suivante et ensevelit les corps au lieu que j'ai dit, à côte des bains qui sont près de la cité et Arezzo, contre le théâtre et le fleuve Castro, Marcellianus est saisi par le diable et meurt, avant d'avoir pu tuer plusieurs chrétiens comme il y comptait, en dessous du palais (infra palatium). Le prêtre Dicentius est élu évèque (prœsul) par le peuple;
I
GAUDENTIUS, DONAT ET ALEXANDRE 171
toute la cité reçoit le baptême ; on élève une église en Ihon^ neur des saints martyrs Gaudentius et Ciilmatus, ou leurs prières procurent les bienfaits de Dieu, Ils ont souffert dans la cité d'Arezzo sous le prœses Marcellianus ; leur anniver- saire est le 13 des kalendes de juillet^ tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui honneur et gloire dans les siècles des siècles, Arne?!,
Gaudentius et ses compagnons sont parfaitement inconnus : on ne les trouve mentionnés ni dans le ferlai hiéronymien ni dans le calendrier populaire, ni dans Adon, ni dans Usuard, ni dans Notker.
11 est sûr que l'auteur connaît Donat, et il semble qu'il veuille présenter son texte comme la suite de Donat, Ici et là nous sommes à Arezzo, au temps de Julien : un saint évèque convertit les païens et guérit les malades au moyen du saint chrême. Selon Donat, l'évêque de ce nom est arrêté et mis à mort par V Augustalis Quadratianus ; et, selon Gaudentius, Y Augustalis Quadratianus est rappelé à Rome par Julien : on devine que le rédacteur de Gaudentius commence son récit au lendemain de la mort de Donat, d'autant qu'il nous montre le nouvel évèque caché dans les environs, crainte des païens. — Il ne semble pas, en revanche, que cette suite de Donat en soit contemporaine : on ne dit mot de Pigmenius, ni du titulus Pastoris, ni même de Julien ; c'est au roi très chrétien Valentinien, qu'on s'intéresse. Gaudentius doit être notablement postérieur à Donat.
Deux traits rappellent Alexandre de Baccano et Valentin de Terni ; l'évêque est arrêté avant la fin de la messe ; il opère une résurrection. — Chose plus intéressante : Texplication qu'on donne du nom de la villa Tuta rappelle l'explication^ qu'on lit dans Juvénal, de Nequina et de Naris ^ et celle que propose AbundiuS'Carpophorus du nom « territorium Salus- tianum ^ ». Abundius prétend aussi raconter la fin du paga- nisme aux environs de Spolète ; il nous signale aussi l'érec- tion d'une église comme l'œuvre qui couronne et qui confirme la christianisation. Comme Gaudentius souligne l'obstination païenne d'Arezzo, Juvénal insiste sur la fidélité de Narni au
* Cf. supra, p. 86. note.
"^ Cf. supra p. 67-68.— Rapprocher aussi Gaudentius de Victorinus (turmae, turmatim ; rex).
172 TRADITIONS DE TUSCIE
paganisme. Peut-être Gaudentius date-t-il du début du vu® sièlc ; peut-être la rédaction du texte n'est-elle pas sans rapport avec un remaniement de Donat k ce moment.
IV
rezzo
Gestes de ^^ temps de Dèce^ César de la ville de Rome (Decii caesaris Pergenti- urbis romse), les chrétiens étaient très persécutés. Comme il Laureoti- pci^'courait les villes et les régions avec ses conseillers et ses nus d'A- rninistri, il arriva à Arezzo. Un païen dénonce au conseiller liburtius, qui dirige la persécution, deux frères utérins. Par- gentinus et Laurentinus : ce sont des nobles, des chrétiens, qui vont chaque jour à V école s* instruire dans les lettres et étudier à fond les préceptes du Christ ; si on les laisse faire, toute la cité est perdue. On les arrête, a Notre combat s'ap- proche, dit Per gentinus à son frère... ; ne craignons pas ces tourm.entSy mais le supplice éternel: ils tuent le corps, ils ne peuvent tuer l'âme. Allons, parle le premier et réponds au juge : tu parles mieux que moi. »
— « Pourquoi abandonnez-vous les dieux qu adorent les très pieux empereurs, pour le Christ quont tué les Juifs? » — « Oui, nous ne connaissons d'autre Dieu que le Christ, fils du Dieu vivant, qui a fait le ciel et la terre ; vos dieux sont méprisables et sourds. » — « Quittez cette folie, ou vous mourrez dans les supplices. » Les saints, relâchés, prient chaque jour, convertissent beaucoup de païens, et, quand on les conduit de nouveau devant Tiburtius, déclarent qu'ils ne se soucient pas de plaire à César, mais seulement au Christ. Tiburtius, pris de colère, déchire ses vêtements et les fait battre; mais ils chantent, implorent le Christ et les bras des bour* reaux se dessèchent tout d*un coup, et ceux-ci supplient les saints de prier pour eux. Les saints prient, et les bourreaux guéris se convertissent. Tiburtius fait ramener en prison Per-
« B. H. L.. 6632 [3 juin ; 272 ou 266].
I
PERGENTINUS d'aREZZO 173
gentinus et LaurentinuSy qui chantent Domine Deus salutis nostrae ; un ange leur apparaît le troisième jour, et leur ap- porte un pain céleste ; toute la prison s'illumine, les geôliers dorment, les martyrs chantent. Bientôt les chrétiens viennent les visiter, et, parmi eux, leur sœur Pergentina : ils ont sou- doyé les gardiens. « Nos seigneurs et pères (domini patres), disent-ils, la prison est ouverte, sortez-en : votre vie nous est nécessaire l » — « Loin de nous cette idée : nous ne voulons pas perdre notre couronne. Du reste, il y a ici un prêtre, appelé Cornélius y qui se cache crainte de Tiburtius ; tâchez de le trou- ver, et dites'lui toutes les merveilles que le Christ a opérées en vous : il vous baptisera dans Veau et V Esprit-Saint, comme il nous a baptisés. » — « Priez pour nous, disent les chrétiens, afin que nos âmes soient sauvées » ; et, après avoir été signés par les saints, les chrétiens s^en vont, trouvent Cornélius, et 60 reçoivent le baptême, « Vous pervertissez la cité », dit Ti- burtius à Pergentinus et à Laurentinus, lorsquHl a appris la chose. — « Ce ne sont pas des maléfices, mais des bienfaits de Dieu (non maleficia, sed bénéficia Dei) qui ont produit ces conversions, » Lorsqu'on les met debout sur des charbons ar- dents, les charbons refroidissent aussitôt, et le peuple croit en Jésus-Christ ; lorsqu'on apporte un Jupiter, il s^ écoule à leur prière, comme du plomb fondu. Deux cents hommes se con- vertissent, mais les païens se précipitent sur les saints que Ti- burtius condamne. Conduits hors de la cité, ils demandent aux soldats un instant pour prier, adorent le Seigneur qui les protège et lui remettent leur esprit : on les décapite enfin» Per- gentina, aidée des chrétiens, les ensevelit près de la cité d'Arezzo, à environ mille pas, près du fleuve appelé Castro. Ils ont souffert le trois des nones de juin, tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ à qui louange et gloire dans les siècles des siècles. Amen.
Le calendrier populaire, an III des nones de juin, donne : Apud Aretium Tusciœ, martyrum Pergentini et Laurentini * .
Ce sont évidemment les héros de nos gestes : ceux-ci fixent à
leur anniversaire la même date que celui-là. A cette même date du III des nones de juin, on lit dans le
férial hiéronvnien ^ :
•/
^ P. L., 123, 159-160.
2 RoBsi-Duchesne, p. 73-74.
174 TRADITIONS DE TUSCIE
E. apud arenum tusciœ laurenti et aliorum CCCC.
15. apud areciû cudl. Tuscie Laurenti.
IV. apud areciû ciûit tusciœ Laurenti.
11 est très pou vraisemblable que le Laurent d'Arezzo, 3 juin, que connaît le férial, soit différent du Laurentin d'Arezzo, 3 juin, que connaît le calendrier. Alors, d'où vient Pergen- tinus?
J'ai montré * que les saints romains dont parle le calendrier et qu'ignore le férial se retrouvent tous dans les gestes des martyrs de Rome — et que, sans doute, c'est de là qu'ils viennent. J'applique au cas présent la même hypothèse.
Nous dirons donc que la légende de Pergentinus-Lauren- tinus est antérieure au calendrier, et que, peut-être en est-il de même de notre texte. Car un autre texte a pu exister d'où le nôtre dérive, d'où le calendrier dépende.
Notre texte est, par un point, parent de Gaudentius : les martyrs sont arrêtés deux fois et, la première fois, ils sont re- lâchés. — Un autre trait, non moins curieux, rappelle Valen- tin-Hilaire ; le juge, effrayé ou furieux, déchire ses vêtements. Et les textes parents de Valentin-Hilaire présentent aussi des points de contact avec Pergentinus-Laurentinus : le jeu de mots beneficia-maleficia [Gratilianus-Felicissirna^y la de- mande d'un délai pour prier et l'abandon à Dieu de leur « es- prit » \Eutychius]. Or, tous ces textes datent vraisemblable- ment de la première moitié du vii^ siècle. C'est sans doute aussi la date de notre version de Pergentinus-Laurentinus,
Mais je remarque encore l'intérêt que prend le rédacteur à la question de la licéité de la fuite : on songe aux gestes ro- mains, à Donat d'Arezzo, à Secundianus -. — Et j'attire l'at- tention sur le fait qu' Adon ^ résume un texte différent du nôtre : selon lui, le juge s'appelle Turtius *, non ïiburtius, et les deux frères sont tués, cum essent pueri. — ■ A rapprocher ces deux
1 G. M. R., 1,374-375.
2 Gomme dans Secundianus, l'auteur insiste sur la scieDce de son héros [Cf. aussi Valentin de Terni et Ch^ysanthe Darie]. — Rapprocher aussi le prêtre Cornélius de l'Antoine de Torpes.
3 P. L., 123, 279. « Apud Aretiam ciuitatem Tusciae, natalis sanctorum mar- tyrum Pergentini et Laurentini fratrum, qui persecutione Decii, sub indice Turtio, cum essent pueri, post dura supplicia tolerata, et magna miracula os- tensa, gladio csesi sunt, et apud eamdem urbem conditi. — Usuard ne nomme pas Turtius, mais dit cum essent pueri [P. L., 124, 117-118]. Notker parle comme Adon. [P. L., 131, 1097].
* Le rapprocher du Turtius d'Irenée de Chiusi.
U
DOMNINUS 175
faits, on se demande si notre texte du vu' siècle ne repose pas sur une version antérieure^ laquelle daterait du milieu du vi" : c'est elle sans doute que lisait et qu'utilisait Adon. Le prêtre qui se cache aux environs d'Arezzo et que cherchent les fidèles rappelle Priscus que cherche le pieux Hedestus : Hedestus date du milieu du vi^ siècle. Le jeu de mots maleficia-benefîcia se re- trouve dans Lucie : Lucie a la même date environ que Hedestus.
Au temps de V empereur Maximien il y eut une grande per- sécution dirigée contre la nation des chrétiens (gentem) ; il avait ordonné à ses préfets de torturer et de punir de mort tous ceux qu'on trouverait (si quis inventus fuisset ad invoca- tionem christianam colendam). Cependant, la sixième année de son empire,il vient de Rome à Milan et renouvelle ses ordres afin de ramener le peuple au culte de ses dieux ; puis il quitte IJtalie pour la Germanie^ suivi dune partie de son armée et trouve là-bas des serviteurs du Seigneur Jésus-Christ, « Nous sommes les esclaves du Christ, » — c< De ce Christ qui n'a pas pu échapper au supplice de la croix ?» — « Si tu savais le don de Dieu, cruel tyran, tu ne blasphémerais pas le Sei- gneur ! Notre Seigneur Jésus-Christ a été un homme, il a vécu sur terre, après être passé par le sein de la Vierge Marie, il a opéré de nombreux miracles. » — « Sacrifiez à mes dieux , sinon vous mourrez. » — u Nous n^ adorons pas tes dieux : ils ne peuvent même pas marcher ; nous nous sommes déjà donnés à Jésus-Christ, d Saint DomninuSy premier cubiculaire^ qui couronnait chaque jour V empereur et gardait sa couronne , était du nombre de ces cinq cents courageux chrétiens ; il les réconforte y il leur montre l'empereur., devant quis ouvre l'en-
^ B. H. L., 2264 [9 octobre, 991J. « Tempore Maximiani imperatoris... » C'est le texte que j'appelle le texte A, Le texte B. H. L., 2265 [Codex Barberi- nianus, cité 9 octobre, 988, § 5J ne s'en distingue, semble-t-il, que par des va- riantes verbales ; de même, la version du Codex Bruxellensis 9289 [du xiie s.J : cf. Cat. Bruxelles., ii, 286, n. 19.
176 TRADITIONS DK TUSCIK
fer, d'autant plus durement puni qu'il occupe un ranq plus élevé, « Ecoutez-moi^ mes chers frères ; fuyons ces embûches^ et cachons-nous. » El les cinq cents décident de fuir à Home.
« Nous sommes les serviteurs du Dieu tout-puissant ; nous n adorons pas tes dieux », répètent^ils à Maximien ^ qui en fait exécuter quelques-uns en sa présence. Puis le plus grand nombre se sauve avec Domninus, les uns par la voie Elaminia^ d'autre par V Aurélia^ d'autres par la Claudia, C^est cette dernière que suit Domninus : au douzième mille de la cité Julia Chrj/sopoliy près du fleuve Sis ter ioîi, il est arrêté, au mi- lieu de la voie publique, par les envoyés de Maximien, qui le décapitent. Mais Domninus prend sa tête, traverse le Sisterion et s'arrête à la distance d'un jet de pierre (ad jactum lapidis transtulit caput suum) : c'est là que repose son corps, intact (integrum). Grâce à Dieu, beaucoup de malades y recouvrent la santé jusqu'à ce jour.
A la nouvelle de ces miracles accourent beaucoup de chré- tiens de diverses provinces : Domninus les guérit. L'un d'eux, qui avait beaucowp prié et qu'avait guéri le saint, ne retrouve plus son cheval lorsqu'il veut partir : il Pavait attaché près du tombeau. Il revient donc se plaindre à Domninus ; mais, en s'en retowmant, il aperçoit le voleur qui saute aussitôt à terre., et lui abandonne la bête. Le chrétien remercie Dieu tout- puissant et saint Domninus. — Voilà ce que nous avons d'abord appris (haec nobis in principio comperta sunt) ; Dieu opérait bien d'autres miracles par son serviteur Domninus, qu'il serait trop long d'écrire un à un. Saint Domninus a été décapité le jour des nones de novembre, tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ^ à qui honneur et gloire.
La petite ville de Borgo San Donnino, à une vingtaine de kilomètres de Parme, du côté de l'ouest, s'appelait autrefois Fidentia * : c^est près de là que LucuUus fut vainqueur de
1 G. I. L., XI, I, p. 202. — Table de Peutinger : Desjardins, p. 120. — Ano- nyme de Ravenne, iv, 33 : Pinder-Parthey, p. 172. Le texte des gestes porte : « bealus vero Domninus perrexit via Claudia; qui cum uenisset quinto decimo milliario a Julia Ghrysopoli ciuitate a ministris imperatoris insecutus adpre- henditur, et circa fluvium Sisterionem nomine in média quae Claudia rocatur via publica capite plectitur ; qui statim uirtute diuinaabscissum caput e terra Bublevans et palmis portans, transiuit per médium Sisterionem, atque ad jactum lapidis ultra progrediens substitit ibique caput reposuit quo loca sa- cra eiu8 ossa seruantur. » Cluvier [Ital. antiq., i, 269-270J et Molossi [Vooabo-
i
FIDENTIA 177
Carbo (82 av. J.-C). Depuis, on n'en entend plus parler jusqu'au^temps des Staufen : seuls, les itinéraires donnent en- core'son'^no m. Elle reparaît aujourd'hui, sous le nom de saint'Domninus.
Saint Domninus ne nous est connu que par le texte qu'on a résumé plus haut et par le passat^e suivant d'Usuard * : apud Julianij via Claudia, sancti Domnini marUjris, suh Maximiaiio^ qui cum vellet persecutionis rabiem decli7iare, protinus insecutus et 7iihilominus gladio verberatus gloriose occubuit.
Il est donc certain que la légende est antérieure à Charles le Chauve ; peut-être doit-on ajouter qu'elle est parente des gestes de Tuscie, de Rome et de Gaule.
Le grand personnage, ami de Dioctétien, et qui est marty- risé par lui, rappelle singulièrement saint Sébastien. La for- mule si donum Dei scires se lit dans Censurinus^ et dans plu- sieurs gestes de Tuscie, tels qnhénée de Chiusi. C'est à Rome que veulent se réfugier les chrétiens. C'est enfin aux
lario topogr. dei ducati, 124J, trouvent le passage très obscur. Je crois, avec DesjardinB, que Julia Chrysopolis est cerLainement Parme, comme le déclare explicitement l'Anonyme de Ravenne [iv, 33, Pinder-Parthey, p. 272, « Julia Chrisopolis quse dicilur Parma »], comme l'explique l'envoi d'une colonie à Parme par Auguste [G. I. L., xi, i, n. 1059 ; col(onia) Jul(ia' Aug(usta) Parm(ensi8)], — Cf. Rolando : Geografla polilica e corografica delVltalia im- périale nei secoli IX e X [a Archivio storico italiano, série IV, tomo 5, auno 1880, p. 231 »]. Le même terme se retrouve dans la vie de Mathilde par Do- nizo, I, 10 [Muratori : R. I. S., v, 354, A]. L'inscription dont parle Jérôme Albertutius \De Urbibus Italiâs, a^pud Muratori, loco laud., note 108] et qui au- rait porté les mots Julia Chrysopolis, n'a jamais été retrouvée; peut-être est. elle fausse comme le veut Leaudre Alberlus.
Je crois, avec Desjardins, que la via Claudia désigne la via jEmilia. Beretti {^Dissertutio de tabula chorographica Italix medii œvi, apud Muratori : R. L S., X, 31-32] cile deux chartes où la via ^miVia, en ces parages, est également appe- lée Claudia : 1. Charte de Benoît, évêque de Mutina, qui donne au monastère de Nonantula une terre finissant a meridie slraia Claudia [1098] ; 2. Charte de Mathilde (8 mai 1112, ind. 5), qui donne à l'église de Saiut-Césaire (entre Mutina et Bologne) la curtis Vilzagara, limitée a septentrione ina Claudia. Mu- ratori semble connaître d'autres chartes analogues [R. I. S., v, 361, n. 203]. Je n'ai rien trouvé dans les Uvkunden zur Beichs-und Recktsgeschichte Italiens de Ficker [Innsbruck, 1874], ni dans les Diplomi de Gui, de Lambert t de Béranger I, qu'a publiés L. Schiaparelli. Roma. 1903-1906 IFonti per la Sto- ria d'It(dia].
I * P. L , 124, 555-556. — A la même époque, Uomninus est nommé par Wan- delberl [Domninoque Itali claro cum martyre tulgent\ et Rhraban : « eodem die Datale est Domnini martyris qui sub Maximiano imperatore propter fidem Christi decollatus est, jussu ipsius imperatoris. Hic post marlyrium
, suum mulla miracula fecit in sanitate infirmorum et debilium \9 octobre, 987, § 1].
III 12
^78 TRADITIONS DE TUSCIE
.restes ro.nains, .lirectemcnt ou indi.eclemcnl [/Vr^e«/«m.ç- Lmcrenùnml <iue le rédacteur a <M..i.runte 1 op.sod.; de la fuite par les voies iHmilia (Claudia), l'iainmia et Aurcl.a.
D'autre part, la formule anno sexto impcrii cius est 1res analo-ue h celles qu'on lit dans GrcUilianus : quarto anno imperii dus ; - dans Lucie Gèminien : anno tertio demao im- pevii corum ; - et dans Mennas : anno secundo imperu sut. Le récit du miracle survenu au tombeau nous invite a croire, comme la parenté des gestes avec Gratihanus, que le texte est contemporain d'un état de culte assez ancien deja : il ne peut guère être antérieur au début du vu" siècle \o.ci, du reste un fait qui semble dénoncer le vii° siècle même : Parme est appelée ciuitas Julia Chrijsopolis, et pare, le ap- pellation, très rare, se rencontre dans l'anonyme de Ua- venne, lequel date de la fin du vu'^ siècle '. Chrysopohs est un terme grec : il est naturel de penser que c'est au temps de i-eKarchat qu'il a été appliqué à la iviUe de Parnie ^ ious ces indices convergent : c'est le vu» siècle qu ils dénoncent. Un autre fait conllrme cette conclusion. Notre auteur con- naît la passion de saint Maurice et de la légion thébéetine ', amsi que certaines légendes nées de celle-ci, au vu- siècle précisé- ment. Celte campagne que conduit Maximien d Italie en Uer- manieet qui a pour but de ramener le peuple au culte des dieux est celle-là même dont parle Eucher ; saint Doramnus ioue le rôle de saint Maurice ; il est, comme saint Maurice, le chef d'une troupe nombreuse ; et cette troupe est a peu près décimée comme l'ont été les Thébéens. La légende de ban Domnino est une réplique de la légende d'Agaune.
Le rédacteur ajoute que Domninus, après avoir été décapite, porte sa tète, traverse le fleuve Sisterion et s'arrête a la dis- tance d-un jet de pierre. Et je lis dans une des légendes qua suscitées Maurice :
i n .uvra D 177 noie - Kubitscbek : Der Text de,- ravennatUcher,
KosZraken ion Raven'na. « Versuch eioer Rekonstrukt.oa der Kar e M . zwei KartensUizzen ». Kiel, 1886. - [Cf. Neumann : Bennes., xii., 160et U.eW.
^•^^âaratoli, U. I. S., v, 354, n. 108. - Cf. la construction de Christopolia à Corne (letti-e de Floriaous à Nieetius de Trêves. Bouquet, iv, 67J ° Cr. G. M. R., II. 9, sq. 11 est pourtant à noter que Maurice m les Thébéeo» De sont jamais no m mes.
DEUX AUTRES VERSIONS DE DOMNINUS 179
Vrsiis et Victor... non longe... a dicta ponte capita sua in manihus portantes fliimen egressi sunt et ad lociim ubi nunc in honore ipsoruin hasilica fahricata est pervenerunt '...
Les deux miracles sont tout à fait parallèles ^ Le rédacteur de Domninus connaissait, en même temps que Maurice, Ursus et Victor. L'origine du thème est sans doute la fausse interprétation d'une fresque : on y voyait le martyr portant sa tète comme pour Tolfrir à Dieu '\
Mombritius a public une seconde version de Domninus \ Elle utilise et cite expressément le texte remanié de Mau- rice ^ :
Amandus et Helianus duo factiosi uiri collecta rusticorum manu [excitant) clades perniciosas [in Galliis)... Maximia- nus..., sociata sibi il la pretiosa Theheorum legione... {in Gallias tendit, Thebei vero, diis sacrificare nolentes., capite plfctuntur)^ ut eorum verissime gloriosa gesta testantur... (k Cernitis^ [dit Mauricius^.., gloriosi milites Christi...; divina sacramenta maiora esse iniperialibus cogitemus.,. — Hacte- nus, imperalor, fuimus lui ; sed, quod et libère confitemur... nunc servi sumus Christi. . .
La version de Mombritius porte encore la trace de l'époque grecque : le discours de Domninus contient une profession de foi dont l'allure anti-nestorienne est frappante :
Unum Deum [colimus).,,; Deum ex Deo Paire unicum Fi- Hum coomnipotentem^ consubstantialem..., qui... uerum et integrum hominem assumpsit in unitate personne.,, natus sine
* Cf. G. M. R., II. 34 [B. H. L. 8588, 30 septembre, 291].
- Dans le Passionale Bodecense, on lit un sermon sur Ursicinus suivant le- quel ce saint aurait porté sa tête dans ses mains au lieu de son tombeau [16 juin, 673).
3 De Smedt : Principes de la critique historique, 188-192. Cf. les légendes de Fuscien d'Amiens [B. H. L. 3224-3229] et de Lucien de Beauvais [B. H. L. 5008-5014]. S. Jean Ghrysostome dit que les martyrs portent leurs têtes cou- pées en leurs mains et les offrent à Jésus-Christ. « Ou voit par l'exemple de S. Ferreol de Vienne, qu'en enterrant les martyrs, on leur mettait quelquefois la tête entre les bras. » [Tillemont. iv. 712]. Cf. Clermont-Oauneau : Mytho- logie ico?iographique, 1880, d'après S. Reiuach : Manuel de philologie clas- sique, 1 (1883) 3Ô7, note 3 et V. Bérard : De l'origine des cultes arcadiens, 1894, p. 36-37.
* B. H. L., 2266 [Mombritius, i, 235]. « Tempore quo Dioclicianus sumplo imperio contra auctoritatem senatus ab exercitu romano Augustus creatus est »... — J'appelle ce texte, B.
5 Qf. G. M. R., II, 16, sq.
180 TRADITIONS DE TUSCIE
peccalo in unitale personœ Verbi Dei et vert horninis, qui in assuntpta carne... probra suslinens.
Un troisièmo trait caractérise enlin cette version B : elle se termine par un épilogue qui raconte une double invention des reliques. Une première fois, c'est la forêt qui a recouvert le tombeau et en a fait perdre la trace : les anges en indiquent remplacement au temps de Constantin, le premier empereur chrétien depuis Philippe; on trouve, avec le corps, une ins- cription portant :
HIC REQUIESCIT CORPUS S. DOMNINI MARTYRIS
Et, dès lors, le pays s'appelle S. Domninus, exinde locus idem nomine s. Domnini vocatur.
La seconde invention est rendue nécessaire par l'agrandis- sement de l'église : on ne se rappelle plus en quelle partie re- pose Domninus ; il faut une révélation du ciel pour l'indiquer au gardien. L'évêque de Parme accourt, on trouve le corps, des miracles illustrent et certifient l'invention qu'on en fait, une nouvelle église est construite et ornée laquearibus... et darietibus vaino picture génère ^
Les Bollandistes ont signalé et partiellement analye^é une troisième version - de la légende. Voici, autant que j'en puis juger par leur travail, quels caractères la distinguent. 1. Avant sa mort, Domninus mène dans la forêt la vie d'un so- litaire, et c'est là qu'il reçoit d'un ange l'annonce du martyre qui l'attend : il distribue alors sesbiensaux pauvres. — 2. Dom- ninus est l'ennemi de la rage. Il guérit un pauvre atteint de ce fléau, en lui faisant boire, monitu vocis cœlestis, son scy- phits rempli d'eau. Lorsqu'à lieu la seconde invention^ une voix sort du tombeau et dit :
Quiciimque vénérait ad oratorium meo iiomini specialiter dedicatum atqiie coram altari prœcibus dévote prœmissis ca- liais mei poculum receperit reverenter, a prœdicto languore poterit liber ari.
1 Voici les caractéristiques moins importantes de B : c'est malgré le sénat que Dioclétien devient empereur ; la persécution de Dioclétien est la dixième qu'ait subie l'Eglise; l'empire est attaqué par Narreus, Persarum rex [Nar- sès ?] ; les voies Flaminia et Claudia ont été ouvertes par les consuls Flami- nius et Glaudius; si Domninus s'enfuit, ce n'est pas qu'il ait peur.
2 B. H. L., 2267 [Codex Florentinus, cité 9 octobre, 988-990, §§ 5, 9-12; 991, §§ 14-15, « Gloriosus miles et martyr Christi Domninus natione roma- nus...
I
l'époque carolingienne 181
3. Après avoir battu Didier, Charlemagne va à Home ; mais, passant près du tombeau de Domninus, son cheval s'arrête subitement ; un ange révèle à l'empereur la présence du martyr. Charlemagne est nommé empereur à Rome par la volonté des cardinaux et de tout le concile. — 4. Charle- magne fait faire un calice où il incruste une dent de Domninus : qui en boit est à l'abri de la rage. T^es voleurs qui le dérobent ne peuvent le briser, et les tortures qu'ils endurent les con- traignent à le rapporter.
Ces deux textes B et C attestent un état de culte notable- ment postérieur à celui que reflète A ; il est aussi évident que C est postérieur à Charlemagne. C'est dire que B et C re- montent au VIII® et au ix® siècle, peut-être au début et à la lin de l'époque carolingienne. Justement quelques textes semblent attester à ce moment l'épanouissement du culte de Domninus.
Un diplôme de Louis le Pieux, daté de823, montre qu'unora- toire lui est alors consacré à Chiusi ^ Odon de Beauvais (?) ra- conte, sous Charles le Chauve, que saint Lucien a été délivré par saint Domninus ^. C'est enfin sous le nom de saint Domni- nus qu'apparaît, semble-t-il, au début du ix^ siècle, comme le veut B, l'ancienne Fidentia ^ Si l'on rapproche ces faits des
1 Ughelli, II, 95-96 [9 octobre, 991, § 16].
2 Codex Sci Maximi [1er janvier, 8 janvier, 462 et 465, §§ 5 et 20]. Il est certain qu'Odon connaissait notre texte. Voici quelques passages du sien qui attestent cette dépendance.
« Qui simul pergentes ac prasdicantes..., antequam Ticinum appropin- quassent, quodam in loco non multum longe a civitate quae dicitur Parma, in via, visum est b. Luciano ut euaogelizaret populo eodem in loco verbum Dei... Sed homines loci illius, cum essent adhuc gentiles..., mox apprehendunt s. Lucianum et... posuerunt eum lu custodia publica quae adhuc hodie monstratur omnibus eo in loco transeuntibus... Orabat Domi- Dum... Erat enim ibidem iam Christi discipulus Domninus nomine, qui per- fectus adhuc hodie confessor Christi in eodem loco pro talibus huiusce modi operibus requiescit in corpore gloriosus. Nam et ipse locus ex eius nomine aocabulum sumpsit... (Cum Domnino)..., quidam christiaoi... uenerunt nocte ad eum in carcerem... et absoluerunt eum de ergastulo... Inde Ticinum ve- niunt ad regiam Italiae civitatem.
« Erigens se sancti viri corpus exanime apprehendit propriis manibus sanc- tum caput abscissum, stabili gressu Spiritus Sancti gratia..., una cum minis- terio angelico, ac si vivens..., iter plantis firmissimis carpere cœpit : portans- que pretiosum caput.,. a monte quasi millibus tribus, trausvadato fluminis alveo, pervenitad locum quem elegerat, uno a praedicta urbe dislantem ferme milliario... »
3 Charte de Louis le Pjeui, de 830, citée par Campius : Historia Eccles. Placentinx, i [9 oct., 990, § 13] ; diplôme de Charles le Jeune, de 880, à Wibold,
182 TRADITIONS DE TUSCIE
textes d'Usuard, de Rahan et de Wandalbert qu'on a citcîs plus haut, on pensera que^ d'une manic^re qui nous écliappe, la conquête du royaume lombard par Cliarlomagne a contribué à répandre en Gaule la gloire de Dormiinus. Qui sait si ce n'est pas de saint Domninus que saint Denys de Paris a appris à porter sa tète coupée ^ ? Mais nous ne pouvons pas bien démêler ce qui se cache derrière ces récits d'invention de reliques et de guérisons d'enragés.
évoque de Parme [Ughelli, ii, 186, D, ou 148] ; diplôme d'Othon de 1003 [Ughelli, ir, 203, B] ; Liutprand : de rébus Imp. et reg., i, 11.
* Noter que saint Denys et saint Domnin sont vénérés le même jour, 9 oc- tobre, et que c'est Hilduin qui raconta le premier l'épisode de la céphalo- phorie [Tillemout. iv, 712], — D'après les gestes de Fuscien et de Victoric, ces deux saints ont accompagné saint Denys de Rome en France, en même temps que Lucien de Beauvais, Crépin et Crépinien, etc.. [Tillemont. iv, 443]. Sur Lucien, cf. Tillemont, iv, 537 ; sur Denys, cf. Tillemont, iv, 439; Julien Havet : Questions Mérovingiennes, i, (1896). 191. Tous ces textes sont apparen- tés, au moins dans certaines versions.
Les diplômes de Gui et de Lambert reflètent Timportance persistante du Parmesan à la fin du ixe siècle [Schiaparelli : / JDiplomi di Guida e di Lam- berto. Roma, 1906. 9. 44, 76, 77, 105].
Rapprocher le calice miraculeux de Domninus des autres calices men- tionnés, supra, p. 168, note 'd.
I
CHAPITRE VllI
TRADITIONS DE L'ITALIE DU NORD LES SAINTS SECOND, FAUSTIN ET JOVITE, INNOCENTIUS
L'histoire de saint Domninus nous invite à pousser une pointe au nord, en pleine terre lombarde : au cours du vii^ siècle, terre lombarde et terre romaine sont trop intime- ment mêlées l'une à l'autre pour que le mouvement légen- daire reste strictement localisé sur le territoire normal de l'exarchat. De t'ait, au delà de Gènes, point terminus de la Voie Aurélia, dans les plaines de la Cisalpine, on aperçoit des légendes qui ont mômes caractères et môme date que celles dont on s'est occupé jusqu'ici.
Voici d'abord un texte qui relie, si j ose ainsi parler, de concert avec Domninus^ les légendes de l'Italie centrale aux légendes cisalpines.
184 TRADITIONS I)K r/lTALlI-: l)V NOHO
vSecundus Sous Dioclélien et Maximien, les empereurs très impies, il <^e y^°^^- y avait un certain Second, originaire de la province de Thé- haïde : sa famille était très noble, mais, par sa foi, il était plus noble encore ; si^ par Vâge, il était jeune, il avait la sa- gesse d'un vieillard... « Je serai martyr, disait-il, car les apôtres sont les premiers (de V armée céleste), et les « seconds » sont les martyrs ; puis, est-ce c/ue, (en latiii), secundus ne si- gnifie pas heureux ? » De fait, Dioclélien et Maximien ap- prennent qiiil travaille à convertir les âmes et le ^font venir. — Secundus prend avec lui f) 600 hommes — ce qui s* appelle une légion — et va trouver V empereur. « Tu mourras », lui dit Maximien. Mais, malgré cette menace, il refuse de sacrifier^ ainsi que ses compagnons ; Maurice le primicier les encourage tous ; cest lui qui sera martyrisé à Agaune avec cette sainte légion. Second les encourage de même : a qii est-ce que cette mort d'iminstant en comparaison de la mort éternelle ?» Lors- que certains prêchent l'apostasie, V athlète du Christ réfute leurs lâches conseils : « Le persécuteur peut tuer les corps, il est impuissant sur les âmes. Du reste, il est maintenant trop tard ; nous n échapperons pas à notre sort\ faisons de néces- sité vertu ! » Second est, en effet, décapité. Mais voici que, lorsque la tête roule à terre, sa langue continue de louer le Seigneur. Un ange recueille son esprit, Maurice emporte le corps, les chrétiens enterrent les traces de sang dans le champ d'un père de famille, Probus, à un mille du château de César appelé Victimolis par Hamiibal, parce que 15 000 ennemis, d^ abord vainqueurs, y ont été battus par lui. Le corps de Second est porté à Turin (ad urbem Taurinensein) et enterré à côté de la Doire ^iuxta fluvium qui Duria nuncupatur) : ses bienfaits s'y multiplient et les malades y guérissent. Ainsi, autrefois, le cadavre du prophète Elie ressuscitait les morts. Il en est de même dans V oratoire de la Vierge Mère de Dieu, et aussi au tombeau de la très chrétienne et sainte adoratrice de Dieu, Julienne, qui a enseveli les corps de saint Solutor et de ses compagnons. Quel nestldonc pas ton bonheur, cité de Turin, que couvre le patronage de saints si puissants! Second a souffert le 5 des kalendes de septembre, sous Dioctétien et Maximien empereurs, tandis que règne le Seigneur Jésus-
i B.;H. L., 7568 [26 août, 795]. « Sub Diocletiano et Maximiano impiissimis imperatoribus fuit vir quidam nomine Secundus... »
il
SECOND DE VINTIMILLE 185
Christ y à qui honneur et gloire avec Dieu le Père dans l'unité de l' Esprit-Saint y à travers les siècles des siècles. Amen.
Cette légende * est certainement antérieure à Adon ; il la résume :
Apud Vinctimilium castrum Italiée, natale beati Secundi martyris, viri spectabilis et ducis ex legione sanctorum The- bœoriwiy qui ante beatum Mauincium et caeteros post vincula et carceres martyrium capitis abscissione complevit ^.
Il est également certain qu'elle est une réplique de Mau^ rice ^ ; elle veut en être la préface. Nouvelle preuve de l'in- fluence exercée par la légende d'Agaune en Gaule Cisalpine : après Domninus, après Alexandre de Bergame, voici Second de Vintimille. Je me demande si cette influence ne s'est pas exercée par l'intermédiaire (ï Alexandre de Beryame\ Alexandre et Second sont vénérés au même jour, 26 août (V^II Kal. sept.) S et Alexandre semble remonter à l'époque ostrogothique.
Au contraire, il est vraisemblable que Second date du vu* siècle.
Le culte de Second de Vintimille est attesté au vu® siècle par le calendrier populaire.
Vn. Kal. (sep). Apud Victimilium Secundi marty ris '^ ,
Le miracle de la tête décapitée qui parle se retrouve dans Victor et Ursus^ qui se rattache également à Maurice et qui date aussi du vu® siècle *. — Domninus est, comme Second, une réplique italienne de Maurice : et Domninus date du vu' siècle. — Au vu* siècle, on parlait beaucoup, nous Talions voir % d'un Secundus, qui était vénéré non loin de Vintimille,
* Oq ea connaît une seconde version, B. H. L., 7569 : elle est contenue dans un manuscrit de saint Maurice de Magdebourg et caractérisée par un prologue [« gloriosa bb., mnj., gesla, pia quoque et admiranda certamina dé- bita veiieratione colentes »...], quelques détails sur la géographie de la Thé- baïde [« cuius principium est... civitas Syene »], et le tour homilétique du récit [26 août, 792-794, §§ 3, 4, 14].
> P. L., 123, 338, A. 3 Cf. G. M. R., Il, 9.
* Cf. G. M. R., Il, 162, — iNotre texte date l'anniversaire du v, et non du vu, des Kal. de septembre. Adon et le calendrier ne connaissent que la date du VII Kal. sept. — J'imagine que le texte de l'édition boUaadiste a reproduit l'erreur d'un ms.
« P. L., 123, 167-168.
* G. M. R., II, 34.
' Cf. infra, p. 190.
186
TRADITIONS DE L ITALIK DU NORD
h Asti : à supposer que le culte de Vintimillc ne dérive pas du culte d'Asti, n'ost-il pas à croire que la légende d'Asti a sus- cité celle de Vintimille : les dévots que S(;cundus avait ici ne pouvaient pas rester en arrière de ceux qu'il avait trouvés Ik. Pareillement, nous l'avons dit, une légende de Genève sus- cita une légende de Soleure. — Enfin, le culte et la hiérarchie catholiques furent réorganisés dans l'Italie du nord au cours du vu® siècle, au lendemain des conquêtes de liothari ^ : ce fut sans doute dans ces circonstances que notre texte vit le jour ^ L'auteur était un rhéteur ; le héros, un saint local, in- digène ou importé.
La légende de Secundus d'Asti est solidaire du cycle de Faustin et Jovite.
II
Gestes de
Faustin de Li7'e les actes des martyrs^ ccst nous arracher à la torpeur de nos désirs ; nous ne parviendrons à imiter leurs combats qiien étudiant leur histoire. Au temps ou Adrien trouble le monde, Faustin et Jovite, deux frères de Brescia, se font re- marquer de tous en prêchant le Christianisme. Le comte des Rhèties Italiens, accompagné du conseiller Tiberius, va aude- vant de F empereur jusqu'à VAdda, et le prévient de ce qui se passe. Adrien ordonne que les chrétiens sacrifient ou meurent.
1 Hartmann : Geschichte Italiens im Mittelalter, ii, 1 (1900), 265.
2 La doxologie in wiitate indique que le rédacteur connaissait les gestes romains aussi bien que les légendes gauloises. — Je ne saurais dire l'origine de la légende qui concerne Hannibal : peut-être a-t-elle été suggérée par une interprétation étymologique de Victimilium.
La légende est solidaire des gestes d'Adventor, Solutor et Octavius [Mom- britius, î, 12 : Multa et magoa sunt quse de b. b., m. m., A. 0., atque S. cer- taminibus », B. H, L,, 85] : ce sont des martyrs de Turin, — qui sont ratta- chés iU{i) ss. Agaunensium Thebeorum legion{i), seniorum traditione, — et qu'ensevelit notre sainte Julienne. Ils ont souffert leXIII Kal. feb. ; après s'être enfuis d'Agaune, ils ont été rejoints et tués près de Turin. — Le texte n'ajoute aucun détail. J'imagine qu'il est quelque peu postérieur au nôtre : il men- tionne l'érection d'une église en l'honneur des saints par l'évêque Victor [Sa- vio : Antichi Yescovi rCltalia. II Piemonte (1899). 283J. — Ennodius les cite.
él
FAUSTIN ET JOVITE DE BRESCIA 187
Le comte Italiens en informe Fanstin et Jovite par l'intermê- liaire de TiheriuSy et, comme ceux-ci raillent les dieux, il les miprisonnc en attendant l'arrivée d' Adrien. Conduits en sa oj'èsence, Faustin et Jovite persévèrent dans leur attitude y re- luisent en cendres une statue du soleil, bravent les hêteSy les lionSj les léopards, les ours, les lames ardentes. A cette nou- l'elhj une certaine Afra va se jeter à leurs pieds, ils Vinstrui- >ent de la religion et elle va se faire baptiser par Vévèque Apollonius. 8 000 personnes suivent son exemple, après qu'elles ont vu Faustin et Jovite dompter des taureaux par la puis- mnce du signe de croix : Apollonius les baptise et les tau- reaux adoucis retournent au pâturage sans toucher personne, i?/ Faustin et Jovite, ramenés dans leur prison, sont environnés d'une lumière céleste. Pourtant, Adrien les tente encore ; comme ils refusent d^ adorer les idoles sourdes et muettes, ils wnt jetés au feu, mais ils prient, les mains étendues, et le feu les respecte ; la grâce divine empêche les ministri de les écor- :her ; le duc des soldats (dux mililum) Calocère confesse alors le Christ. En vain on leur coule du plomb fondu dans la bouche^ en vain on les jette dans une fournaise: ils refusent le sacrifier ; enfermés dans un cachot scellé de Vanneau de l'empereur, ils en sont miraculeusement tirés par les anges )ui les mènent à Apollonius, et Apollonius confère à Faustin la prêtrise, à Jovite le diaconat, le baptême à une multitude innombrable, dont Calocère et ses bureaux (ofticiumj, Fu- \neux, Adrien livre Calocère à Sapritius, primicerius scholœ :andidatorum, afin que celui-ci le fasse supplicier lorsqu'il ira dans les Alpes Cottiennes ; et, de fait ^ Calocère est décapité -i Albenga où il repose et où il comble de bienfaits ses fidèles ; les employés de ses bureaux sont décapités hors des murs.
Cependant, Faustin et Jovite ont été reconduits par les anges dans leur cachot, sans que le cachet de r empereur fût brisé, et là ils reçoivent la vision d\i Christ lui-même. Antiochus , mr l'ordre d'Adrien, les condidt à Home, c'est-à-dire au pont Milvius au moment où Adrien réside à Lubras ; la vue de la foule qui se presse autour des saints l'exaspère, il ordonne au garnie Aurélien de les conduire à Vintérieur du palais ; mais \les chaînes de feu enlacent Aurélien lors ([u il veut contraindre les martyrs à venir et à sacrifier. Le lendemain, Adrien envoie, donc Calimère afiin quil amène cette fois les saints ; ceux'ci sont, en effet, conduits au palais et, quand le démon saisit
188 TRADITIONS DR t/iTALIK DÎT NORD
AiirHien, ils consentent à le chasser, à la prière d'Adrien ; ils chassent de même les démons qui ont saisi les ministri dAdincn, au moment où celui-ci offre un sacrifice au Capi~ tôle, ils les convertissent et les baptisent. Adrien pourtant reste impitoyable ; il fait mettre à mort les ministri, et expose aux bêtes Faustin et Jovite qui baptisent la foule de ceux qui se convertissent et les confirment et leur donnent le corps et le sang du Seigneur. Sur leur indicatiouy Calimère converti est ordonné évêque de Milan par le pape Télesphore qui, par crainte des païens, se cachait parmi les sépultures des mar- tyrs au lieu qui est dit Catacombe ; mais arrivent des ministri d'Adrien qui emmènent Calimère au palais. Adrien, cepen- dant, pousse jusqu'à Naples y torture en vain Paustin et Jovite, et, lorsqu'il veut les faire noyer en pleine mer, les voit mar- cher sur Veau et, à son retour, les trouve sur le rivage évan- gélisant le peuple. Il les fait alors conduire à Brescia par Aurèlien : au passage du Pô, une voix céleste les avertit qu'ils mourront dans sept jours. Apollonius leur donne le baiser de paix ; ils sont mis à mort hors de la ville, le long de la route de Crémone, le XV des kalendes de mars *.
1 Le texte ici analysé [B. H. L, 2838] est le texte que, d'accord avec le R. P. Savio, nous Dommons le texte B [15 février 813 ou 814]. Le R. P. F. Savio S. J. a publié une importante étude sur notre légende dans les Analecta Bol- landiana, tome XV (1896), p. 5, 113, 377 : pour lui, A et B sont des abrégés du lonf? texte cyclique C, et ce texte cyclique G a été rédigé aux environs de l'an 800, au temps du roi Didier.
Ces conclusions me paraissent très douteuses. Les raisonnements de Savio supposent qu'il n'y a jamais eu plus de trois textes, ceux qui nous sont par- venus. Je crois le contraire ; et c'est par ces autres textes dont je suppose l'existence, que j'explique, aussi bien que la rédaction de Cl, les obscurités et les particularités de A et de B. Voici pour quelles raisons j'admets l'exis- tence d'autres textes que A, E, G.
1 B utilise un poèm»?, à nous inconnu, qu'écrivit peut-être un certain Faustinus de Brescia, lequel aurait vécu entre 451 et 679. Savio lui-même le reconnaît [Analecta, xv, 16-19) *...
2. Walafrid Strabon (+ 849) a puisé à un autre texte que les nôtres. Savio lui-même le reconnaît encore (Anal., xv, 23) **.
* Dans la finale de B, on croit trouver les vestiges d'un poème ; de même en d'autres passages. En voici quelques-uns : « orationem fuderunt Domino gratias refereotes, moxqiie gladio pleoci,... mortis pro Domino debitum red- diderunt, sanctas quoque reddentes animas astris, corpora vero terris, de terrœ corpore sumpta ; purpureo namque suo sanguine passum Christum Dominum vénérantes gloriosi martyres effecti ; cum autem navigassent biduo, iam lucescente die tertia, requiescentibus navibus, cœperunt universa gênera musicorum clangoribus resonare. Tune quoque tuba rauca altaque reboans \ oce, /îstula etiam cum citharis clamantibus œthera pulsatit... » Le P. Savio a reconstitué quelques vers de cet hypothétique poème.
** Le petit poème de W. Strabon est édité dans les Mon.Germ. Hist. Poètes latini m^edii œvi, ii, 409, Walafrid célèbre Marcien de Tortone ; il dit
TROIS TliXTES 189
Nous possédons deux autres versions de la même légende : lune plus courte *, qui commence parles mots Beatissimi viri F. cl J, nobilissimis in civitate Brixiana orli parentibus et que nous appellerons A ; l'autre, plus longue-, qui débute par les mots lïi diebus illis venie)ile Adriano imperatore 'm par- tibus Italiœ et que nous appellerons C, désignant par la lettre B le texte que nous venons d'analyser : dum crebra ss, mm. acia revolvimus...
Notker et Usuard connaissent Faustin et Jovite ^
Angilbert II, archevêque de Milan (824-860), transporta le corps de Calocère entre Gôme et Lecco, au monastère de Ci- vate. Nos textes ignorent tous cette translation *.
L'évêque Rampert de Brescia (820-847) fait allusion à la lé- gende de Faustin et Jovite dans le discours qu'il prononce en 838 à propos de la découverte et de la translation du corps de Philastre : il oppose aux saints qui ont instruit la ville par leur prédication (Philastre), ceux qui l'ont édifiée par leur martyre (Faustin et Jovite ^).
3. A et B se contredisent deux fois : A fait d'Afra la femme du comte Ita- liens ; B nous la présente comme une mulier gusedam ; — A fait mourir Calocère à Milan ; B fait mourir le même Calocère à Albenga. Si donc A et B, comme le veut Savio, sont des abré-iés, ils ne peuvent pas dériver d'un même texte; il y a eu plus de trois textes.
4. Plus précisément, il faut dire que B ne peut pas être un abrégé de C : d'après C, Afra est lemme d'italicus; d'après B, c'est une mulier quœdam. Il semble que B et C dépendent indirectement d'une source commune qui men- tionne le titre de Sapricius primicerius scholœ candidatorum, la halte à Lubras, le voyage à Naples et le martyre de Calocère à Albenga. Il faudra donc user de prudence pour déterminer le rapport de nos trois textes : ils ne sont pas isolés, il y en a eu d'autres.
D'une manière générale, je considère comme assez improbable qu'un texte cyclique ne repose pas sur des textes antérieurs qu'il coud l'un à l'autre; d'une manière générale encore, j'estime qu'une légende ne peut pas s'être fixée du premier coup dans un texte arrêté et qu'elle s'exprime par des ré- dactions à peu près contemporaines et sensiblement divergentes : les textes vulgates qui nous sont parvenus ont éliminé et comme absorbé d'ordinaire ces autres textes.
' B. H. L. 2837. 15 février, 809 et 810.
■■i B. H. L. 2836. Savio : Analecta Bollandiana, xv, 65-72 et 113-159.
3« Civitate Brixia sanctorum marlyrum Faustioi et Joviae uirginis » \P. L., 123, 763 764. — Cf. P. Z,., 130, 1044]. — Le calendrier populaire et Adon ignorent ces saints.
* Chronicon extravagans (Geruti : Miscellanea di Stor. ital., vu, 562), d'après Savio, loco citato, p. 24-25. Cf. Analecta, xvii. 234.
s Brunali : Vita o Gesta dei santi bresciani (Brescia, Venturini), 1854-1856 ; cité par Savio, loco citato, p. 21-22.
qu'Adrien envoya Saprice de Rome (et non pas de Milan) et que Marcien est mort du tourment des fers rougis au feu (et non pas décapité).
100 TflADITlONS DF l'iTALIR T)TJ NORD
]i est probable que nos textes sont antérieurs à 838 ; — et il est très vraiscniblal)lc, également, qu'ils sont postciiieurs à ij.')3, et niôine à IjOS.
Le comte Italicus va au devant de l'empereur jusqu d l'Adda, mais pas au delà; au moment où écrivaient nos au- teurs, TAdda était donc limite de province. Or, au temps des Lombards, et peut-être auparavant ', l'Adda séparait la Neus- trie de l'Austrie.
D'autre part, nos textes mentionnent la province des Alpes Cottiennes et y font rentrer Albenga, Asti et Tortone. Or, nous savons que, lors de la restauration de l'autorité impériale en Italie, vers 552, le nom d'Alpes Cottiennes a été donné à une province qui comprenait toute la Li^^urie actuelle avec Gèn« et Savone, plus Bobbio et Tortone ^
Pour préciser davantage, il faut envisager nos trois textr séparément.
Le texte cyclique C est notablement plus long que B : il ac- croche à notre légende la légende des saints Marcien de Tor- tone et Second d'Asti^; il introduit l'épisode d'Orphetus, il appelle Antiochus/^r^^e^ Alpium Cottiarum ; il raconte qu'Ita-
1 Paul Diacre : Hist. Longob., ii, 14 (M. G. — Scr. r. lon^. 81). Cf. Ci- polla : Appunti sulla storia d'Asti (Venezia, Antonelli, 1891), p. 40; et Savio, loco citatOf p, 26-27.
2 Je n'ignore pas les polémiques provoquées par le fameux texte de Paul Diacre, ii, 16. Contre Mommsen (Corpus I, L. v, 2, 810), je crois avec Paul Fabre (Mélanges d'archéologie et d'histoire, 1884, 390) que Paul Diacre ue s'est pas trompé et que la province nouvelle date à peu près de la pragma- tique. Noter que, en 576, l'aucienoe province des Alpes Cottiennes (SubC, Embrun) est passée sous la domination des Francs.
3 Analectay xv, 133 et 30 mars 797. Sapricius envoyé par Adrien dans le? Alpes Cottiennes à la place d'Antiochus avec mission de tupr les chrétieDs arrive à Asti chez Secundus. Mais Secundus, qui visitait Galocerus daaa sa prison, est secrètement devenu chrétien de cœur; après avoir pris congé de lui, il accompagne Sapricius qui va à Tortone afin déjuger Martianus. Visitf'i par une colombe et par des anges, il passe le Reno, le Burmina (?j, arrive avec Sapricius à Milan, visite dans leur prison Faustin et Jovite qui le bap- tisent avec l'eau d'un nuage miraculeux, traverse le Pô et arrive à Tortone, toujours escorté par des anges. Il visite Martianus qui prend le corps et k sang du Seigneur et qui comparaît bientôt, au temple de .Tupiter, devant Sa- pricius : il refuse de sacrifier, il est décapité, et Secundus ensevelit soc corps. Sapricius l'apprend : Secundus reste ferme dans la foi ; s'il est tortur les auges le réconfortent et le fout échapper. Sapricius court alors à Asti oi il retrouve Secundus dans la prison de Calocerus : il envoie Calocerus à Al benga et l'y fait tii«r, il fait décapiter Secundus et il informe Adrien de le mort de Martianus, de Secundus et de Calocerus. — Il est possible, probabit même, qu'il a existé des gestes séparés de Marcianus. Cf. infra, les geste; d'Inaocentius.
ORIGINE DE LA VERSION CYCLIQUE 191
licus a été mangé par les botes qui ne touchaient pas les saints, que les onagres tiennent de pieux discours ; il donne aux ministri d'Adrien qui sont convertis par eux, puis mis à mort, les noms de Boniface, Donat et Félix.
Le texte G associe dos légendes de Brescia, de Milan, d'Albenga, de Rome et de iXapies; il n'a donc pu être rédigé qu'à une époque et dans un milieu où l'on s'intéressait à la lois à Naples, à Rome, à Albenga, à Milan et à Brescia. Or, il y a une époque où ce groupement très particulier a été très naturel : de 569 à 6i3 le clergé milanais a résidé à Gênes et a élé entretenu en grande partie par V église romaine. C'est durant l'été de 569 que les Lombards ariens ont pris Milan et que l'archevêque de Milan Honoratus s'est réfugié à Gènes * ; c'est en 643 que Rothari a conquis et annexé au royaume lombard toutes les villes du littoral tyrrhénien qui s'éche- lonnent depuis Luni jusqu'à la frontière franque, Gènes com- prise * ; c'est saint Grégoire le Grand ou ses prédécesseurs qui ont assigné les revenus du patrimoine sicilien aux clercs mi- lanais exilés 'K
Que cette situation politique et ecclésiastique ait mis en contact les traditions des diverses églises et pu susciter l'idée de les associer ou de les combiner,le simple bons sens le sug- gère, — ei deux passages des Dialogues le confirment.
« Liberius et l'évèque de Luni, Veaantius, m'ont raconté, dit saint Grégoire, la triste destinée d'un certain Valentin : c'était un « defensor » de Féglise de ÎMilan, qui vivait à Gènes ; mal- gré les désordres de, sa conduite, il fut enterré dans une église, celle de Saint-Syrus ; les démons vinrent l'y chercher une nuit, en faisant du vacarme, au grand efTroi des gardiens; ils le tirèrent dehors par les pieds *.
De même à Brescia : le patricien Valérien a gardé dans sa vieillesse ses habitudes de débauche, et lui aussi, il a obtenu d'être enterré dans une église. La nuit qui suit ses funérailles,
1 Harlmann : Geschichte Italiens hn MUtelalter (1900), ii, 1, 35. — Sur les tristes conséquences de l'invasioa lombarde au point de vue ecclésiastique, cf. Duchesne : Les évéehês d'Italie et l'Invasion lombarde [Mélanges... Ecole de nome, 1903, xxni, 83].
2 Hartmann : op. cit., ii, 1, 243.
3 Ep. XI, 4. P. L.,11, 1122. fM. G. xi, 6; tome IL p. 265J La. question mila- niiise joue un grand rôle dans les préoccupations, tient une grande place dans la correspondance desaiot Grégoire. CL;;a^stm, et Hartmann, op. cit.,i'.,i,l6S.
* iv, 53. P. L., 77, 413-416.
192 TRADITIONS DE l/lTALIR DU NORD
le bienheureux Faustin dit au gardien de prévenir l'évoque : qu'il jette dehors ce cadavre fétide avant trente jours, sinon il mourra. Le gardien n'ose faire la conunission : et le trentième jour, bien qu'il soit en pleine santé, l'évèque meurt, tout d'un coup \ »
Voici les textes de saint Grégoire : « Joannes quoque vir magni ficus, inhac urbe locum prœfectorumservans^cuius gra- vitatis atque veritatis sit novimus : qui mihi testatus est Vale- rianum patricium in civilate quœ Brixa dicilur fuisse de- functum. Cui ejusdem civitatis episcopus, accepto pretio, lo- cum in ecclesia prœhuit, in quo sepeliri debuisset. Qui videlicel Valerianus usque ad œtatem decrepitam levis ac lu- bricus exstitit modumque suis pravitatibus ponere conlempsit. Eadem vero nocte qua sepulius est, bealîis Faustinus martyr^ in cujiis ecclesia corpus illud fuerat hurnatum , custodl sua apparuiî. dicens : Uade et die episcopo... — Adest quoque in prœsenti veiierabilis frater Venantius Lunensis episcopus et maynificus Liberius vir nobilissimus atque veracissimus, qui se scire suosque homines interfuisse testantur ei rei quam narrant nuper in yenuensi urbe contiyisse. Ibi namque, ut dicunt, Valentinus nomine, ecclesiœ mediolanensis defensor, defunctus est y vir valde lubricus,.. cuius corpus in ecclesia beati martyris Syri sepultum est.
En une page de saint Grégoire, écrite vers 593, voici donc la preuve des rapports légendaires qui unissent, à l'époque lom- bai'de, Rome et Milan, Brescia et Gênes; et cette même paye nous apporte la preuve que la léyende commence de s'intè* resser à saint Faustin de Brescia ! N'est-il pas vraisemblable que c'est à cette époque qu'on a songé à rapprocher dans un même roman pieux ces mêmes villes, en racontant l'histoire de ce même saint?
Je remarque encore que le texte G s'occupe de Marcien de Tortone et de Second d'Asti ; or, Rothari a réuni aux vieux pays lombards d'Asti et de Tortone les pays liguriens de Gênes et d'Albenga. On s'expliquerait donc que G eût été rédigé au temps des conquêtes de Rothari, vers 640-630, alors que de nouveaux rapports s'établissent entre toutes ces églises désor- mais réunies sous le même joug, alors que ne se sont pas encore desserrés les anciens rapports noués avec Rome depuis 569.
1 IV, 52. p. L., 77, 413.
LE TEMPS DE ROTHARI ET d'aRIPERT 193
Prt^cisément Rothari était duc de Drescia ; sa femme Gonde- berge était très pieuse ; le frère de Gondeberge, Aripert, qui était aussi dévot qu'elle, qui régua de 652 à 661, était fils d'un duc ^Astiy Guiidoald \ Noter que les évêchés ont été, sans doute, réorganisés à ce moment. N'est-ce pas alors, vers le milieu du vu* siècle, que le texte cyclique aura été ré- digé-?
Je remarque enfin que les saints Boniface, Donat et Félix sont nommés ensemble et ensemble attachés à Rome. Ce sont, dit la légende, trois ministri d'Adrien qui, sur son or- dre, veulent ligolter les martyrs et sont aussitôt saisis par le démon ; délivrés par les prières des martyrs, ils se convertis- sent malgré Aurélien et malgré l'empereur; ils sont égorgés hors des murs de Rome. Leurs corps, gardés par des anges qui chantent les psaumes, sont ensevelis par Faustin et Jovite que d'autres anges ont guidés jusque là ; on nous présente Boni- face^ Félix et Donat comme des disciples des saints de Bres- cia\
J'ai montré ailleurs * que le monastère et le culte romains de saint Boniface datent sans doute du pape Boniface IV (608- 615) et que la version latine doit avoir été suscitée parle culte romain. Si l'auteur anonyme de notre texte s'intéresse à saint Boniface, si, d'autre part, il ignore la légende vulgate^ c'est peut-être qu'il écrit à un moment où le culte du saint de TAventin est dans la ferveur de ses débuts, alors qu'aucune tradition n'est encore bien soudée à son nom. Nous voici encore ramenés à la première moitié ou au milieu du vu* siècle.
1 Hartmann, op. cit., ii, 1, 244.
2 Savio ne veut pas en reculer la date au-delà de 750 (p. 30). Le Galocère d'Albenga, d'après lui, serait le Galocère romain volé par Astolphe en 753 et donné à Albenga ; malgré les efforts de Savio (p. 32), cela reste une pure hypothèse; Galocère d'Albenga est sans doute un martyr d'Albenga. Que pèse le témoignage de la chronique de saint Pierre de la Varatella, « écrite peut-être au xvii« siècle » ? N'y a-t-il pas des saints indigènes qui ont été ou- bliés, des saints importés dont le culte a prospéré dans leur nouvelle patrie ? Le silence d'Adon et des martyrologes s'explique sans doute par l'étrangeté (le certains épisodes : je crains que les onagres prêcheurs ne les aient effrayés- — Le mot Lubras se lit dans les gestes d'Abundius qui semblent dater du v«- vie siècle.
Nous avons un texte indépendant qui célèbre Secundus d'Asti, B. H. L., 566 ( [Secundus, civis Astensis, miles strenuus atque cornes palatinus...] » Ge texte n'est connu que par fragments [février, ii, 820-821 ou 821-822[. Peut, •ître est-il parallèle k Secundus de Vintimille.
3 Analecta, xv, 147-150, § 68-70. *0. M. R., I, 167- i68.
h
III 13
194 TRADITIONS DE l'iTALIR DU NORD
Lo texte B ignore Marcicn et Second, lionilace, Donat et Félix (en même temps qu'Orpliète). No serait-il pas antérieur à Tôpoque où les conquêtes de llothari ont ra[)proché sous une môme domination Alhen^^^a et Gènes d'Asti et de Tortone ; antérieur au temps où s'est répandu le culte et le prestige de Boniface? Ne remonterait-il pas au temps de Théodelinde et de saint Grégoire?
Le texte A paraîtôlre un abrégé : après avoir conduit à Home Faustin et Jovite^ Fauteur inconnu tourne court, brusque- ment ; quia longum est b. Christi marlyrum Fauslini et Jo- vitœ omnem « textum passionis » seumiraculorum exponere.ad gloriosum eorum exitum veniamus. Ce textus passionis sem- ble désigner un texte analogue àB ou G. — A quelle époque cet abrégé aurait-il été écrit? On peut songer au temps de Pe- tronax (720-751), l'abbé lombard du Mont-Cassin qui installa dans la grande abbaye le culte des saints de Brescia *. Mais c'est là une pure hypothèse; l'épisode de Galocère qu'on fait, ici, mourir à Milan, est en particulier très obscur. 11 est aussi probable que A date également de la première moitié du vu*^ siècle ^
En résumé, il semble que la légende de Faustin et Jovite date de l'époque lombarde, — et que, des trois textes qui nous sont parvenus, B remonte aux environs de 600, C au milieu du vii*^ siècle, A, peut-être à la première moitié du siècle sui- vant, peut-être à une époque antérieure et à peu près contem- poraine de celle qui ont vu éclore les deux premiers ré- cits.
* Paul Diacre : Hist. Longob., vi, 40. — Chronicon casinense, i, 4 [R. I. S., IV, 258]. Cf. Savio, op. cit., 34-35.
2 Le rattachement de Galocère à Milan peut avoir été tenté au temps où Milan réorganise son diocèse et relève son influence (Mansuetus). (Il semble que A soit plus près des gestes romains que B et C). (Noter que, dans les j^estes de Secundus et Marcien, Galocère semble rattaché à Asti).
Retrouver l'histoire de Faustin et Jovite est parfaitement chimérique. Est-il défendu de penser qu'ils se retrouvent au F. H., derrière les faustinianus et ioventia de Bretagne que le férial mentionne au xiv des K. de mars [éd. Rossi-Duchesne, p. 21] : les noms se ressemblent, les anniversaires se tou- chent ; Brixia est-il très loin de Brittanis ?
Ni dans son discours pour la dédicace du Concilium sanctorum [P. L., 20. 959], ni dans son éloge de saint Philastre [P. i., 20, 997, eq.], saint Gauden- tius [4- 410?] ne fait aucune allusion à nos martyrs. — De même, la lettre de saint Eusèbe de Verceil au clergé de Tortone ne souffle mot d'Innocen- tius.
LES SOURCES DE LA LEGENDE i^X)
ïll
Cette légende s'est élaborée, ces textes ont été ncrits, selon toutes les apparences, dans des cercles milanais où l'on était très au courant des choses de Rome et de la haute Italie. Cela résulte de ce que nous avons dit déjà ; cela ressort aussi des rapports qui unissent à nos textes certains gestes romains.
Il est probable, comme on ^ l'a déjà montré, que les gestes du pape Alexandre étaient connus dans les cercles qui nous occupent : c'est d'eux peut-être que vient notre comte Aure- lianus; c'est d'eux peut-être que vient le mot magus appliqué à nos martyrs par le peuple et par Adrien -. — C'est d'un texte analogue que dérive sans doute le synchronisme établi par l'anonyme entre le pape Télesphore et Adrien : noter que ce synchronisme ne se rencontre ni dans le Liber Pontifi- calis ^ ni dans les Gesia Gelulii * ni dans les G est a Symphe- rosœ ^ — Il est possible que nos auteurs aient connu les gesta Ahiindii ^, où se trouvent mentionnés un Martianus clarissi- mus et la localité de Lubras (Prima Porta) ; mais on ne voit pas qu'ils aient rien tiré des gesta Caloceri et Partheni \
On voit très bien, en revanche, qu'il y a des rapports entre notre légende et les gestes de saint Sébastien ^ Saint Sébas- tien, d'après ses gestes, a été élevé à Milan, qui paraît être le centre d'où rayonne la légende de Faustin et Jovite ; comme Apollonius et Télesphore, c'est un chrétien convaincu, mais qui se cache ainsi que Polycarpe et évite de se faire prendre ; comme Faustin et Jovite, Sébastien est enveloppé d'une lu-
* Savio. A7iatecta, xv, 39. — Cf. G. M. R., i, 220-221. 2 3 mai, 371.
' I, 128-129. Télesphore est placé sous Antonin et Marc, Sixte sous Adrien,
♦ 10 juin. 261. G. M. R., i, 227. M8 juillet, 350. G. M. R., i, 197.
« 16 septembre 293. G. M. R , i, 230.
' 19 mai, 300. G. M. R., i, 185.
» 20 janvier, 621. G. M. R., i, 18G et ii, 97.
190 TRADITIONS 1)K l'iTALII: DU NORD
mière cdleste; comme eux, il reçoit la visite du Christ et des anges ; dans les deux léj^^endes le signe de croix est un signe magique qui domple les taureaux, ou rend inofîensifs les char- bons ardents, ou rend la parole à Zoé; ce sont des milliers d'âmes que gagnent au Christ, ici Tranquillinus, là Faustin et son compagnon; ici et là, on fait mention du cimetière sou- terrain qui se trouve tout proche de Itome, ad cathacumbas ; le pape confère la prêtrise et le diaconat, ici à Tranquillinus et à ses enfants, là à Faustin et à Jovite.
De même, il y a des rapports entre les gestes des saints de Brescia et ceux de Nazaire et de Celse ^ Le rayonnement de Milan est plus sensible encore dans ceux-ci que dans ceux-là ; tous deux attachent leur héros à la fois à Milan et à Home ; tous deux s'intéressent à la Ligurie (Albenga; ad scm. Pere- grinum) ; tous deux racontent que les martyrs, jetés à l'eau, sont miraculeusement sauvés par Dieu.
Mais je remarque que les gestes de Faustin et Jovite ne pré- sentent pas un trait fort curieux qui se retrouve, inégalement marqué il est vrai, dans les gestes de Sébastien et dans les gestes de Nazaire, et qui les reporte tous deux au temps des controverses engagées entre catholiques et Manichéens. L'in- sistance avec laquelle Fauteur des premiers (§ 2, 6-7) appuie sur la spontanéité du martyre ne dénonce pas moins claire- ment ces controverses que la mention de Simon le Mage, et le souci d'authentitier et d'apostoliciser qu'on remarque dans les autres ^. — 11 faut donc que la question manichéenne ait perdu toute actualité, tout intérêt au temps où écrivaient les rédac- teurs de Faustin et Jovite ^ Les points de contact ne s'expli- quent pas par l'identité d'auteur ni même par l'identité de milieu, mais par une influence littéraire. Rien d'étonnant, du reste : Faustin et Jovite datent de la première moitié duvEi^ siè- cle, Sébastien, Nazaire et Celse du v^, seconde moitié.
Les rapports de notre légende avec les gestes de Sophie ^,et
1 G. M. R., II, 61.
2 G. M. R., 1, 331, et tout le chapitre iv de la troisième partie. — Noter que les gestes d'Alexandre ont été influencés par les mêmes polémiques, § 13. Cf G. M. R., I, 333.
3 En revanche, on ne voit pas qu'il y ait des rapports bien nets entre Faustin et Jovite, Gervais et Profcais, Vitalis et Valeria, Vitalis et Agricola, bien que le même orgueil milanais soit très sensible chez tous, surtout chez Vitalis et Valeria.
* En voici un bref résumé. Au temps d'Adrien, Sophie et ses trois filles,
LES SOURCES DK LA LEGENDE 197
ceux d'Anastasie * sont moins aisés à établir : on voit bien qu'ils existent, on discerne inpins bien ce qu'ils ont été.
Voici les points de contact des gestes de Sophie et des gestes de Faustin et Jovite * : 1. Prestige de Milan; 2. Epoque d'Adrien ; 3. Adrien poussé à la persécution, icipar Antiochus, là par Italiens ; 4. Voyage de JMilan à Rome ; 5. Massacres en masse; 6. Conversions en masse; 7. Sophie convertit Lucine que baptise le pape Anaclet, comme Faustin convertit Afra que baptise le pape Télesphore ; 8. On insiste sur la valeur édifiante delà lecture des Gesta înaitijrum; 9. Rôle des anges; 10. Apparitions de lumières célestes ; 11. Plomb bouillant versé dans la bouche des martyrs; 12. Colombes qui se posent sur la tête de Secundus ou sortent de la bouche d'Agape ; 13. Confiance dans la vertu magique du signe de croix; 14. Indé- pendance des deux gestes par rapport au Liber Pontiflcalls qui ne place au temps d'Adiien ni Anaclet ni Télesphore ; 15. Un Antiochus princeps apparaît dans les deux légendes.
Entre les gestes de Faustin et Jovite et les gestes d'Anastasie, je relève aussi quelques traits communs : 1. Une tradition de l'Italie du nord est mise en rapport avec Rome ; 2. On insiste sur la valeur édifiante de la lecture des Gesta martijrum\ 3. Chrysogone est réservé à Dioclétien, comme Faustin et Jovite à Adrien; 4. Offres tentatrices faites aux martyrs ; 5. Rôle des anges ; 6. Tentative faite afin de noyer les martyrs en pleine mer; 7. Délais {induciœ) donnés avant la mort; 8. Prier les mains étendues ; 9. Les textes ont ou veulent avoir la physio- nomie d'un abrégé (verum quia longum est...)
Mais, ici encore, je remarque que les gestes de Faustin et Jovite ne présentent pas un trait fort curieux qui se retrouve, inégalement marqué il est vrai, dans les gestes d'Anastasie - et dans les gestes de Sophie et qui les reporte tous deux au temps des controverses engagées entre catholiques et mani-
Elpis, Pistis, Agape voDt de Milan à Rome; accueillie par la veuve Thessa- minia, elle convertit une sœur de Prétextât, repousse Antiochus qui veut épouser une de ses filles, convertit Palladius et sa famille chez qui elle était gardée en prison. Ses amis, le prêtre Marcel et le diacre Decoratus sont dé- capités; ses filles sont martyrisées; elle meurt en paix et Palladius lui élève un mausolée splendide.
* G. M. R., 1, 137.
^ Plusieurs ont été indiqués par Savio.
^ Et dans les gestes de Cautius, qui leur sont apparentés, mais qui n'ont rien de commun avec les nôtres. Cf. G. M. R. ii. 212.
198 TRADITIONS DE l'iTALIE IJIJ NORD
cliéens : ils insistent sur la spontanéité du martyre, sur les circonstances qui expliquent la fuite des chrétiens persécutés, sur la rupture de la vie commune entre mari et femme ^ Il faut donc que la question manichéenne ait perdu son actualité lorsqu'on mettait par écrit l'histoire de Faustin et Jovite. Les points de contact ne peuvent s'ex[)liquer que par une influence littéraire. A cette conclusion, encore, rien de surprenant : les gestes d'Anastasie sont du v° ou vi*" siècle, comme aussi les gestes de Sophie ^.
J'ajoute que les gestes d'Eleuthère ^ semhlent aussi avoir été mis à profit par nos rédacteurs : 1. Même époque dans les deux légendes, Adrien ^ ; 2. Même rapport flottant avec Rome ; 3. Même croyance à la valeur édifiante de la lecture des Ge.sta ynartyriim ; 4. Même série de tourments : le feu d'abord, puis les bêtes, qui caressent les martyrs ^; 5. Rôle des anges : G. Vertu du signe de croix ; 7. Vains efforts pour séduire les saints ; 8. Eleuthère convertit Félix, comme Faustin et Jovite, Calocère ; 9. N'y a-t-il pas rapport entre les (munera) candida d'Eleuthère, et la schola candidatorum de Faustin et Jovite ** ? 10. Les bêtes féroces reçoivent l'ordre des saints de traverser la ville sans faire de mal à personne.
Il est donc clair que les rédacteurs des gestes de Faustin et Jovite connaissaient Eleuthère et surtout les quatre légendes de Sébastien, de Nazaire, de Sophie, d'Anastasie et qu'ils ne s'intéressaient pas aux questions auxquelles les controverses catholico-manichéennes avaient donné tant d'importance. Peut-être même doit-on dire que le merveilleux dont usent si libéralement nos auteurs, est destiné, dans leur esprit, à prouver l'origine divine de l'Eglise et la nature divine de Jésus ; l'arianisme n'était pas complètement abattu chez les Lombards, dans la première moitié du vu^ siècle : peut-être les miracles abracadabrants dont est semé notre texte devaient- ils le combattre, peut-être ont-ils contribué à le ruiner ^
1 Nos textes, retouchés par des Catholiques, le laissent entrevoir: Sophia détourne les femmes de manger et de boire avec leurs maris ; le texte pri- mitif devait aller plus loin (Cf. les gestes de saint Pierre [Linus] dont la diffu- sion en ces pays est attestée par les gestes de Nazaire) et interdire la vie conjugale.
2 La version A de Faustin Jovite présente une physionomie plus romaine que B et G [Cf. les versions cassiniennes de Sophie et d'Anastasie comparées aux versions mombrilienues de ces légendes]. Afra est sans doute un double de la sainte d'Augsbourg.
3 Texte de Mombritius, i, 250 [B. H. L., 2451].
INNOCENTIUS DK TORTONE 199
Voici, enfin, une autre légende évidemment apparentée, malgré les apparences, avec Faustin-Jovite ; elle s'est élaborée, elle a étc rédigée dans les mêmes cercles et au même mo- ment.
IV
A la louange et la gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ nous avons pris la peine de rapporter ce quil a fait de peur que CouoLi nètoufjdt Vœuvre de sa grâce. Dans la cité de lortoncy rUlustre Quintius, de souche romaine, avait épousé la lucanienne Innocentia : et tous deux avaient reçu de Valé^ rien, Gallien et des autres empereurs un privilège [auctori- tatem] portant quils 7i eussent à subir aucune persécution du fait de leur foi chrétienne, ni eux ni leur famille [genus]. // demeurait près du temple de Jupiter; mais, fuyant ce voisinage, il habitait souvent la villa appelée Jata^ non loin de Tortone, près du fleuve Golubus, qui était propriété d' Adrien [? sub polestate Adriani] ; on V appelle aujourd'hui le val de saint Innocentius. Au temps de Dioctétien et de Maximien, il était donc le seul que la persécution n atteignit pas. Il ensevelissait la nuit le prêtre Marcellin et ses compagnons cjui avaient été décapités^ et rédigeait le récit du combat qu'avait soutenu chacun. Il cachait chez lui les Ecritures divines. Mais (à la longue), tous les livres et toutes les églises furent brûlés ; le prêtre Jean, qu'il avait recueilli durant six mois, fut dénoncé au prœses Léon et décapité hors de la porte Ticinaise : Quin- tins l'ensevelit près du Golubus ; mais, bien c^ue le diacre Maliodore ait échappé aux recherches, Vépiscopat reste quinze ans vacant. — Le fils de Quintius, Quintius, reçut comme nom propre, en même temps ([ue la grâce du baptême {le 7iom) d' Innocentius, et sa fille le nom d' Innocentia. Quintius
1 B. H. L., 4281 [17 avril, 478 ou 482].
200 Ti{Ar)iTioNs i)i: i/italie du nohu
mourut à ce moment même et fut enseveli hors de la terre Ma- rinea ; et Innocentius^ qui avait alors 22 ans, fut arrête par Léon. Car les prêtres d is idoles veulent détruire les Quinlii afin de saliver Tortone, la fille de Home [Dorthona qu<'jb fuit filia RoiiiœJ ; « J'ai appris qui tu es, lui dit Léon ; tu vis comme un sacrilège. Livre-nous les trésors de ton père et les écritures qu'il faisait la nuit » ; et il ordonne qu'on confisque sa fortune, qu'on brûle les gestes de tous les chrétiens qu^on trouvera chez lui, et qu'on l'enferme à la prison de la porte Vercellina. Or, pendant la nuit, voici que Quintius apparaît à son fils : « Va à Rome, lui dit-il ; tu y seras sauf ; Diocté- tien nous ignore encore^ il mourra cette année, et la paix sera rendue à V Eglise. » Et les portes s'ouvrent, Imiocentius part, arrive dans sa maison de Floriaca, prend avec lui ses trois es- claves (pueros), confie sa sœur à ses tuteurs et se rend à Rome ou Vévêque Melchiade lui fait un honorable accueil. Et Dioclétien et Maximien moururent cette année même.
Maliodore^ créé évêque par V archevêque de Milan saint Ma- terne, demeura dans cette dignité jusquà la conversion de Constantin : celui-ci frappé de la lèpre pour avoir persécuté les chrétiens, avait fini, en effet, par se faire baptiser et tout restituer aiix chrétiens par un édit [auctoritate impérial!]. A la mort de Maliodore, Silvestre, le sicccesseur de Melchiade, en référa à Constantin ; il avait ordonné diacre Innocentius, dont il dit à C empereur toute l'histoire. Innocentius devient évêque, on lui restitue tous ses biens, il doit contraindre à la conversion Gentils et Juifs : il exilera ceux qui refuseront, et confisquera leurs biens au profit de son église. Innocentius retourne donc à Tortone, réorganise le culte, et commence son èpiscopat le VIII des kalendes d'octobre. Les Juifs de la porte Ticinaise refusent le baptême : on les exile dans les provinces et leur synagogue est détruite ; on construit deux églises et un baptistère ; une des églises s^ élève au lieu oh habitait Mar- cianus ; on renverse le temple de Jupiter et de Mars ; on élève la basilique de saint Etienne martyr et l'église des saints Apôtres. Au haut du premier camp [in vertice castri prions], on construit la basilique des saints Sixte et Laurent, un mo- nastère, des puits, une citerne, un égout, un aqueduc. Inno- centius opère de nombreux 7niracles au nom de Jésus-Christ, guérit les aveugles, renverse les autels, brûle les bois sacrés, établit des prêtres, fait tonsurer les cleixs suivant l'usage de
1NN0CI5NTIUS DK TORTONK 201
Silvestre ; et les habitants de Tortone combattent les Marco-' mans.
Innocentius trouva le corps de saint Marcianus, dont il Usait chaque jour les actes, les combats : c'était la dix-sep^ tième année de son épiscopat. Le prêtre Jacques avait eu un songe^ et, sur ses indications y les diacres Celse et Gaudentius avaient cherché sous un sureau. On lisait sur le tombeau : ici repose le corps de saint Marcien évèque ; 07î voyait à côté une éponge, et un vase de verre rempli de sang. Le jour de Vin- veiition est le XIII des /calendes de décembre. Une basilique fîit érigée en son honneur. — A la faveur de la paix des églises, r évèque alla à Rome pour prière et pour affaires : il avait des intérêts [pecuniasl à Rome et en différentes cités, à Lucques par exemple, et en pays lucquois (l): — V église de Tor- tone était très riche, — et son père, noble romain, avait épousé une lucquoise (?). C'est à Ravenne et en Pentapole qii étaient les biens des Quintii. Ln allant à Rome, en Etrurie et en Pe?ita- pôle, il ressuscita une veuve, Perpétua, qui demandait à Dieu de ne pas mourir avant de l'avoir vu, et qui était décédée pourtant avant son arrivée. Ce sont les témoins du fait qui le racontent.
Il opéra bien d'autres miracles. Nous avons pris soin d'en écrire quelques-uns , que nous avons lus dans le livre du diacre Celse: les ennemis [gentes] l'ont détruit', Dieu, pour nos pé- chés, les a lancés sur nous. Une sénatrice, fille de Prospère, et femme de Sabinus le scribe, vivait dans la chasteté et la piété; elle ornait les églises. Comme on V apercevait souvent, la nuit, avec V évèque, des clercs y virent la preuve que leur évèque était dompté par la concupiscence de la chair : on causait. Un dimanche, Innocentius fit signe à la servante du Seigneur pour qu'elle apportât des charbons ardents ; et, pendant une heure, il y tint ses pieds appliqués, sans même que son vêtement brillât. Quant aux clercs calomniateurs, ils fuirent emportés par la lèpre. Innocentius mourut le XV des kalendes de mai et fut enseveli diligemment par les chrétiens.
Ce texte présente des traits fort rares, qui paraissent dé- noncer une époque tardive: 1. En vertu d'un privilège de Valérien [auctoritatem a Valeriano^ qui est propre à leur {b.- m\\\Q\^generi illiusl^,\Q?> Quintii ont le droit de pratiquer le christianisme ; 2. À la mort de Maliodore, le nouvel évèque
202 TRADITIONS DK l'iTALIK DU NORD
de Tortonc, Innocl;nlius, somblc cv(t{i par rempereur, après avoir été (]6si<^n6 par l'archevêque de Milan ; ^1 L'évêque de Torlone est représenté comme ayant l'administration et la direction de tous les intérêts urbains; 4. l.e (ils de Quintius reçoit un nouveau nom à son baptême, Innocentius. On son^^^e à l'époque des Ottons.
Le culte de Marcianus et d'Innocentius est attesté à Tortone, à ce moment mémo, par un diplôme de l'évêque de Tortone Giseprandus, daté de 940. Giscprandus rapporte que l'abbaye de Vendersi,à demi-ruinée, a été donnée par le roi Hugo aux saints Marcianus, Innocentius et Laurenlius :
Abhaciam de Vender (si) in honore s. Pétri principis apos- tolorum constructam, ubi corpus s, Fortunati quiescit, qiiain Hugo serenissimus rex,., iam quasi profanatam et velut om- nino annullatam sancto Marciano sanctoque Innocentio atque Laurencio sancte derionensis ecclesie auctoribus.,. tradiderat '.
Notre texte remonte peut-être à ce moment. 11 cite Lau- rent, aussi bien que Innocentius et Marcianus. Mais, d'après notre texte, Laurent n'est pas aussi intimement associé aux deux autres saints que d'après le diplôme ; le Laurent du di- plôme semble un saint indigène ou naturalisé, le Laurent de la légende est certainement le martyr romain, diacre de saint Sixte. 11 est peu vraisemblable que les deux textes soient très exactement contemporains.
On doit ajouter que la légende est postérieure au diplôme : un Laurent inconnu vénéré à Tortone aura été facilement con- fondu avec son fameux homonyme; d'autant que, les gestes de Faustin-Jovite l'attestent, — et aussi les gestes d'Innocentius, nous Talions voir — , on connaissait très bien à Tortone les légendes romaines. On s'expliquerait difficilement, au con- traire, que le compagnon de saint Sixte, d'abord connu et vénéré comme tel, se fût peu à peu séparé de son compagnon traditionnel, — à supposer que ce Laurent de Rome ait jamais
1 M. H. P., Chart. i, 158, cité par Savio ; Gli antichi vsscovi d'Italia, i, (1899) p. 386.
Savio note qu'un diplôme de Giseprandus du 6 juin 945 ignore Marcianu? et ne cite, comme patrons de Tortone, que Laurent et Innocentius : ad siis- tentalioneyn et utilitatetn canonicornni in ecclesia s. Laurentii simulqiie Iiwoceniii Deo fartiulantium [Bottazzi : Monutnenti inediti, p. 1. — Cf. Savio : Gli antichi vescovi d'Italia, i, 379 n. 1]. — A la fin du x^ siècle, Lambert semble avoir possédé quelques terres près Tortone : cf. ses di- plômes IV et VII fScbiaparelli ^^: I Diplomi di Guido e di Laniberto Roma, 1906, 79-89J.
LES SOURCES DE LA LEGIN')!':
203
pu être appelé, au même titre que Marcianus et Inuocentvus, auctor dertoiiensis ecclesie. — La légende d'innocentius rellète une situation de culte qui est chronologiquement postérieure à celle qu'atteste le diplôme : on peut la dater approximative- ment de la fin du x® ou du début du xi^ ^
On peut se demander si ce texte récent ne repose pas sur un texte antérieur.
Notre texte signale deux fêles, l'anniversaire de la mort I XV kalendes de mai] et l'anniversaire de l'ordination épisco- pale [VIII des kalendes d'octobre] : ce détail nous fait songer au is^ et au v° siècle, il dérive peut-être des gestes du vi^ ou du vil' siècle ; il n'a sans doute pas été inventé par le rédac- teur du x^ siècle.
Notre texte emprunte plusieurs traits aux gestes du v® vi® et du vii^ siècle. Les noms de Celse, de Perpétue et des Marco- nians, le livre du diacre Celse qu'on allègue, l'invention mi- raculeuse du corps de Marcianus, tous ces traits paraissent empruntés au cycle Gervais-Protais et Nazaire-Celse, — De Sophia vient peut-être le titre de fille de Rome qui est donné à Tortone, ainsi que le voyage de l'évêque à Rome. — L'an- nonce de la fin de la persécution a été empruntée à Sébastien ou à Marcel ; — et l'histoire de Constantin atteint de la lèpre a été puisée aux gestes de Silvestre.
Innocentius est dit fils de Quintius et successeur de Ma- liodore. Or, je trouve que deux évêques de Tortone se sont appelés Quintus [en 451] et Maliodore [vers 649] -. J'imagine que les personnages de la légende ont été inspirés par ces per-
^ Le R. P. Savio [Analecta Bol., xv, 377] pense qu.' Innocentius emprunte à Vhistoire datiana la date du sacre de Maliodore de Tortone par Materne de Milan [avant 312|, et donc qu' Innocentius ne peut être antérieur à la Ou du XI» siècle. — Je suis moins aflirmatif et moins précis que lui : il ne faut pas presser les indications chronologiques des légendes, d'autant qu'ici Mirocles n'est pas nommé ; est-il impossible que Vhistoria datiana dépende d'un texte antérieur qu'aurait aussi utilisé le rédacteur d' Innocentius ? — Le R. P. Savio pense que le Marcianus de Tortone est identique à l'évêque de Ravenne Mar- cianus qui aurait été transporté à Tortone et confondu avec Marcianus de Dorostorum. Le texte d'Agnellus, si vague «oitil, est contraire à toutes ces hypothèses et la valeur de la vie de Probus de Ravenne est sujette à £au- tion. Pourquoi ne pas admettre, à Tortone, un pieux personnage dénommé Marcianus ?
- Quintus signe au concile de Milan de 451, Maliodore au concile du La- tran de 649 [Troya : Codice dipi. longoô., ii, 477[. Cf. Savio: op. cit., i, 381. — A propos des domaines de l'église de Tortone en Ligurie, se rappeler que la Ligurie a été conquise par Rotiiari au milieu du vii^ siècle.
204 i'RADlTIONS DE l'iTALIR DU NORD
sonnages historiques ; ce qui nous invite à dater de la fin du vil* siècle l'introduction de ces détails ou Torigine même du mouvement 16f:,^endaire.
Voici précisément qu'au milieu du vu* siècle, si l'on accepte la conclusion de notre enquête touchant Faustin et Jovite, apparaît le texte cyclique qui célèbre ces saints et qui, préci- sément, conte avec détail la mort de Marcianus. Los gestes d'ïnuocentius rappellent et attestent la gloire de Marcianus ^ : est-ce que ce n'est pas l'indice qu'ils connaissent la léirende cyclique des saints de Brescia ^? Et, puisqu'ils célèbrent Inno- centius qic ignore Faust'm-Jovite, est-ce qu'on n'est pas fondé à voir en eux comme un complément de la légende tortonnaise qui apparaît dans Faustin-Jovite'^ La légende d'Innocentius a peut-être été suscitée par la légende de Marcianus ; elle est sans doute apparue d'abord dans la seconde moitié du vil® siècle; de ce texte perdu viendraient tous les détails em- pruntés aux gestes romains qu'on lit dans notre version du xc et qui font songer aux traits analogues qu'on a notés dans Faustin- Jovite'^.
^ § 5. « Fecerunt baptisterium, et aliam ecclesiam secus baptisterium, quo in loco resederat Marcianus : § 6, cum uero legeret quottidie acta et certa- mina s. Marciani..., corpus inuenit...
2 loi et là apparaît le même temple de Jupiter.
3 Noter les points de contact de Domninus et d'Innocentius : ici et là, on cherche et Ton trouve des corps saints ; on reproduit le texte d'une ins- cription ; on conte des miracles, on s'intéresse à Rome, aux basiliques lo- cales, etc.
CHAPITRE IX
TRADITIONS DE TUSCIE {VIA AURELIA) LES SAINTS TORPES, PAULIN, AMSANUS, SECUNDIANUS, MARCIANUS
La Via Aurélia, commencée peut-être par le censeur C. Aurelius Gotta (242 av. J.-C), partait du Janicule, gagnait la mer et longeait la côte tyrrhénienne par Gività-Vecchia et Pise. Elle fut, deux siècles plus tard, prolongée jusqu'à Gènes. Plus tard entin, Marc-Aurèle donna à cette grande voie un nouvel accès à Rome, du côté du Vatican. Suivons-la en re- venant de Gênes à Rome. A Pise^ à Lucques, à Sienne, à Gi- vità-Vecchia et à Bracciano, nous trouverons des légendes parentes des légendes romaines.
En ce temps ^ là, comme Néron était le maître de toutes les provinces (?) et avait restauré en V honneur de son nom la
»B. H. L., 8037 ]17 mai, 7J.
205 TRADITIONS DE TTTSCIE (viA AURELIA)
ville de Plsc, en Tuscie, cl emheUl les ornemerUs du priUoira et le palais de TessellœÇ/?), ridée lui vint, à lui et aux siens, de construire un temple ou les dieux seraient adorés cJiaque jour. Ils trouvèrent le temple qui est à Ventrée de la porte Latine, à la tête du pont de l'Ausaris, et V ornèrent de tables de marbre rayées, et y dressèrent une statue de Diane, d'or pur et de perles, pour qu^on r adorât chaque jour : la statue était d'une grandeur étonnante, les traits, les yeux semblaient vivants ; et, sur V ordre de Néron, on la fixa sur le devant (? in vultu templi), en grande pompe. Un banquet joyeux cé- lébra la dédicace du temple, et chaque jour les prêtres ne cessaient d'ij célébrer les offices. Mais V empereur ne s* en tint pas là : il imagina de fabriquer un ciel et nul nosa le con- tredire. On fit donc au ciel d'airain, dressé (?) sur 90 colonnes de marbre à une hauteur de cent pieds et percé d'une (multi- tude) de petits trous. Ses (ministri) serviteurs firent tomber par là de l'eau sur la terre : il semblait cjue ce fut de la pluie ; et Narzius, gardien du lieu {? loci servatorj, s'écria : « Que tout le monde confesse la grandeur infinie du nom de Diane : c'est en son honneur que Néron fait ces prodiges. » Il y avait aussi une machine qui imitait le soleil : Néron faisait allumer des lampes le matin et les faisait éteindre le soir ; le soir, à la on- zième heure, il accrochait aussi dans la machine qui repro- duisait la lune, un grand miroir très clair, orné de pierres précieuses. Mais, une fois, le miroir tomba, et nul n'en trouva les morceaux. De même, comme il faisait passer un quadrige sur le ciel, afin d'imiter le tonnerre, Dieu envoya un grand vent, le quadrige fut jeté au fleuve, le cocher fut décapité et disparut. — Or, un jour, que l'empereur siégeait à son tri- bunal et proclamait la grandeur de Diane, mère des dieux, Torpes l'arrêta: il faisait partie de son ofQcium, mais l'Es- prit-Saint le remplissait, a II n'y a qu^wi Dieu, dit-il ; j'ap- partiens à la même famille que tes fidèles (fidèles tui) marty- risés à Rome : je les ai vus couronnés par la main des anges et recevoir la vie éteiiielle, » — « Quel est l'ordre de ta cons- cience qui te fait protester ainsi? » — « Une conscience hon- nête retire du mal, appelle à la vie; et puis, V Esprit-Saint souffle ou il veut. Tout ce que tu fais voir n'est qu'une fiction ; ton tonnerre est dans le fleuve; j'adore le Dieu vivant qui, seul, a fait les grands luminaires du ciel ». Mais lorsqu'il sort du palais, menacé par Néron, Torpes réfléchit qu^il na pas
TORPES DE PISE 207
le baptême du salut; comme il sait quily «, dans la mon- tagne, un prêtre Antoine, lequel s'y cache, il sort de la ville, au milieu de la nuit, par la porte de Lucques (? porta lucana) et, par le côté de V amphithéâtre, il va, il monte peu à peu, en criant: (C Antoine, père saint, ou es-tu? )> — « Qui es- tu, » répond Antoine de son oratoire. — € Je suis Torpes, ton esclave. » — a Malheur à moi, car tu es de /'officium. » — « N^aie pas peur ; laisse-moi embrasser tes mains, prie pour moi ; je veux adorer le Christ, mais je ne suis pas bap- tisé : baptise-moi. » — a Au nom de mon Seigneur Jésus-Christ, je te baptise », répond Antoine ; et ils descendent au pied de la montagne, à l'endroit ou ils trouvent de Veau vive, du côté de la storia leonum {??) ; Antoine bénit Veau, arrose V officier du baptême du salut et^ après avoir fait le signe du Christ, il lui dit adieu, l'embrasse en pleurant, disant : « Que l'ange du Seigneur t'accompagne ! » — Jorpes revient cette même nuit. Tout d'un coup, il entend qu'on lui parle, il se retourne et voit un ange resplendissant de lumière. « IS^'aie pas peur, dit l'ange : Dieu t'a couronné cette nuit par sa main ; n'aie pas peur des menaces de tes ennemis : je suis avec toi. Dans toute la ville, il n'a pas été trouvé un autre homme que toi qui, pour le Christ, consentît à recevoir un soufflet. Sois fort dans la vérité! Je sais cjue tu seras avec nous, dans le para- dis, avec la multitude des anges ; quant à ton corps, je le transporterai dans une autre province. » — Et Torpes se re- lève; il remercie le Seigneur qui lui a donné son ange et ([ui l'a choisi, lui seul, Torpes, pour lui donner la foi (me solurn clegisti in hac civitate contidere in te).
Rentré par la porte de pierre, il va au forum ou siège Né- ron. L'empereur le confie à l'un de ses conseillers et parents : le saint leur a annoncé qu'ils mourront avec Diane, la mère des dieux ; puis Néron a hâte d^ aller à Rome où les saints su- bissent d'atroces tourments. Et Torpes est mis en prison ; et Satellicus ordonne que les bêtes restent trois jours sans nour- riture. Le troisième jour, Torpes comparaît. « Sacrifie, lui dit Satellicus ; et tu conserveras tes honneurs (? antecedct te honortuus). » Torpes refuse ; Une veut pas renier l'ange qu'il a vu. On le frappe ; on l'attache à la colonne Habietina, son sang coule comme l'eau d'une fontaine. Mais le saint lève les yeux au ciel, il prie Dieu de le venger ; et la colonne tombe, tue cinquante impies, dont Satellicus. I^es ministrî furieux
208 TRADITIONS DE TUSCIE (viA ALHELIA)
mettent Torpcs sur' la roue^ et Silvinus, fils de Satellicus, grince les dents de rage. Il est vrai que le peuple mécontent s'agite : l'on se hâte de conduire le martyr à V amphithéâtre . Un signe de croix tue net le premier lion qu'on lâche sur lui ; le léopard qui vient après, courbe la tête et baise les pieds du saint. Ce que voyant, le conseiller de V empereur Evellius se convertit et s'enfuit à Rome, oh il est décapité le cinq des kalendes de mai. Lorsqu'il est conduit sous le ciel d'airain, Torpes, levant les yeux au ciel, prie Dieu de tout fracasser par son ange ; aussitôt un orage éclate, le tonnerre retentit, le ciel s'écroule ainsi que vingt'Ciuatre colonnes, tuant une multitude de païens, et jetant le doute au cœur de beaucoup d'idolâtres. Silvinus ordonne qu!on en finisse^ quon le déca- pite. Torpes est conduit à la porte de Rome, il passe devant la maison de son ami Andronicus, qu'il prie d'ensevelir son corps et qu'il exhorte à croire en Dieu. Mais les ministri em- pêchent Andronicus de venir : il fallait que s'accomplît la parole de l'ange, je transporterai ton corps dans une autre province. Le cortège franchit la porte Circensis ; il monte dans une petite barque oit les soldats tiennent le martyr de peur qiiil ne se jette dans le fleuve ; Silvinus avait donné ordre qu'on le décapitât en pleine mer afin qu'il ne pût ressusciter : car le Dieu des chrétiens faisait beaucoup de miracles. Puis un homme était accouru qui avait dit aux gardiens : « Déca- pitez-le sur terre, au bord de la mer y). En effet, lorsqu'ils furent arrivés (in graduni Arnensem (??) à l'embouchure de l'Arno., ils franchirent la rive du fleuve ; Torpes dit : « Reçois mon esprit », et, ayant levé les yeux au ciel, il fut décapité. Les ministri mirent le corps, avec un chien et un coq, dans une petite barque hors d'usage qu'ils trouvèrent là et, lors- qu'ils l'eurent perdue de vue, ils s'en allèrent. Mais l'ange survint, qui la conduisit au port de Sinus (en Espagne) : le chien était là pour veiller {sur les reliques), le coq pour les indiquer {aux chrétiens). La sénatrice Celernna, que Vange réveille, et à quiil promet le succès de toutes les prières quelle adressera à Dieu, réunit, en effet, une multitude de prêtres et un peuple innombrable : jeûnant, en grande pompe, ils vont au bord de la mer et ne trouvent rien. Celerina lève les yeux au ciel, et prie. Alors le coq chante ; au flanc d'un rocher on trouve la barque, le corps, le coq et le chien ; on enveloppe le corps dans des linges et on le porte à Sinus oh il est enseveli.
TEXTES APPARENTÉS 209
A ce moment le coq et le chien disparaissent. Or, Celerina régnait sur la moitié de f Espagne ; elle éleva au saint une église magnifique^ avec de superbes grilles (cancelli), où beau- coup de malades et de possédés furent guéris; et elle laissa à réglise beaucoup d'argent. — Quinze ans aprèSy on apprit que Néron était mort : ce qui remplit de j'oie toutes les pro- vinces, car toutes croyaient en Je sus- Christ, Cest alors qu'arriva à Sinus un membre de son officium, Artemius ; il demanda le nom du saint qui y était vénéré aux habitants de tendroit fcommanentes loci illius) et conta quil avait pris part à son supplice. Sur la demande qu*on lui adressa, il dicta les gestes de Torpes^ et dit comment il avait souffert. Le jour de sa fête est le trois des kalendes de mai. [Tous ceux qui rinvoquent en mer sont sauvés.)
Torpes est peu connu : si Adon % si Flodoard * résument ses gestes, on cherche vainement son nom dans le férial hié- ronymien, aussi bien que dans le calendrier populaire. Aucun texte ne peut éclairer notre enquête.
Torpes est un martyr, ou du moins un saint vénéré à Pise : nos gestes l'attestent par eux-mêmes. Pise était un centre ma- ritime important ^ : de là le trait qui les termine, au moins dans certains manuscrits.
11 me semble très probable qu'ils sont nés, comme les gestes d'Hedestus, autour des ruines d'une villa impériale. Tous les épisodes qui les composent ne l'indiquent-ils pas? C'est Torpes qui, pour punir l'impiété de Néron et glorifier le Seigneur, avait jeté à terre ces ruines mystérieuses qu'on voyait dans la campagne.
Il est, du moins, certain que les gestes sont apparentés aux gestes d'Alexandre de Baccano, lesquels, on s'en souvient, sont parents d'Hedestus, où Néron apparaît aussi bien que dans Torpes. Voici les points de contact des légendes : 1. Né- cessité du baptême de l'eau pour être sauvé; 2. Le baptême est conféré au nom du Christ; 3. L'auteur connaît les gestes des Apôtres [ici, physionomie de magicien de Néron] ; 4. Souci d'authentifier Thistoire, en la rattachant, ici et là, à un
^ P. L., 123, 267-268. 2P. i., 135, 661.
■^ Auguste établit une colonie à Pise [Pline, m, 5, 50]. On ne sait rien sur Pise au temps de Néron [C. I. L., xi, 1, p. 273].
m U
210 TRADITIONS DE TUSCIR (VIA AURELIa)
personnage acteur du drame ; 5. Insistance sur l'action sou- veraine do la grâce ; 6. Conversion d'un notable païen (11er- culanus, Evellius) ; 7. Tremblement de terre; 8. Echo des controverses touchant la fuite fAnloine se cache dans Ja montagne] ; 9. Le peuple est favorable aux martyrs.
Ces rapports s'expliquent-ils par une action littéraire s'exer- çant à une époque postérieure à la rédaction d^ Alexandre ; ou bien les textes sont-ils à peu près contemporains? Ici encore, on peut pencher pour la seconde hypothèse : elle paraît rendre compte sans difficulté de deux traits communs à Torpes et à deux gestes, eux-mêmes parents à' Alexandre : comme dans Donat, un ermite est mêlé à l'histoire de Torpes | ici, Antoine ; là, HilarinJ ; comme dans Erasme^ le saint prie Dieu de le ven- ger * et d'exaucer ceux qui le prieront en son nom. — Je croi- rais volontiers, néanmoins, que Torpes remonte à la seconde moitié du vi*" siècle : l'absorption de tous les dieux païens par Diane, mère des dieux, l'emploi des i^vm^s fidèles [% 2], honor [§ 6], comnianentes loci [§ 10], enfin l'idée qu'a le rédacteur de faire organiser par Néron un service religieux quotidien sur le modèle du culte chrétien, tout cela me parait déceler une époque un peu plus récente que celle d'Alexandre de Baccano. Pise accueillit sans déplaisir, semble-t-il, la restauration impé- riale ^ ; elle parait avoir été assez prospère à la fin du vi^ et au début du vii^ siècle '. C'est peut-être de ce moment que date notre version des gestes.
Je crois qu'il y a rapport entre la translation du martyr en Espagne où l'enterre cette reine inconnue qui s'appelle Ce- lerina et l'imitation des gestes de saint Vincent que trahit la légende '\ L'auteur connaissait l'histoire de saint Vincent : de là l'intérêt qu'il témoigne à l'Espagne.
^ Dans les gestes pseudo-ambrosiens de Gervais et Protais, le martyr rap- pelle l'exemple de Jésus qui priait pour ses bourreaux.
2 Pise ouvre ses portes à Narses, sans faire résistance [Hartmann, i, 339].
3 Sur l'importance que S. Grégoire attache à son appui, cf. Ep. xiii, 33 [P, L., 77, 1284]. — Papebroch pense que les gestes de Torpes faisaient par- lie de la collection martyrologique de Ceraunius de Paris. C'est fort possible ; mais la raison qu'il apporte ne me paraît pas suffisante [17 mai, 5, § 1]. Pour lui aussi, du reste, le texte date du vi» ou du vii^ siècle. — Nous ne sa- vons pas au juste de quand date l'appellation de S. Tropez en Provence : elle dérive sans doute d'un établissement pisan en ces parages à une époque postérieure.
* N'est-ce pas de Vincent que vient l'idée d'avoir donné pour compa- gnons au martyr, un coq et un chien, bêtes que l'on mettait dans lé sac des
PAULIN DE LUCQUES 211
Et d'où vient l'idée de la translation miraculeuse ? Peut- être de Vitus, peut-être d'Eleufhère ou de liestitiita. Notre auteur devait connaître les légendes d'origine grecque : il uti- WsQ^Erasme ; et les promesses de l'ange à Celerina rappellent des traits de ce genre qu'on trouve dans les textes grecs. Ce qui confirme la date que nous avons proposée pour Torpes.
1 de
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II
Le Seigneur miséricordieux a daigné descendre du haut des de deux dans le sein de la Vierge pour éclairer le monde; il revient des enfers et monte au ciel dans notre chair. Pourtant^ beaucoup de rois et de princes de la terre nient que Jésus- Christ Fils de Dieu soit le vrai Dieu et Sauveur du monde ; ils nient.,, la Trinité suprême et inséparable (màWxàwd). Parmi leur troupe impie, Néron s'élance, comme du carquois de Sa- tan, pour torturer les adorateurs de Dieu. Il fait construire en Tuscie, dans la cité de Pise, à Ventrée de la porte Latine^ à la tête du pont de VAuser, un très grand temple de Diane qu'il orne magnifiquement ; il fait faire une statue de Diane en or et en perles qu'on adorera tous les jours : les traits et les yeux semblent vivants ; elle est fixée au sommet du temple (?) (in vultu). Puis il ordonne quon construise un ciel d'airain supporté par 90 colonnes de marbrcy hautes de 100 pieds : il en tombe une eau qui semble être la pluie. Des lampes et des mi- roirs et des quadriges imitent le soleil et la lune et le tonnerre... Mais ces machines se brisent. Cependant V empereur veut faire reconnaître par tous la grandeur de Diane, mère des dieux^ et il envoie un édit dans toutes les provinces pour que les chrétiens sacrifient à DianCy ou meurent dans les supplices,
parricides ? — L'écroulement du temple fracassé par Dieu n'a-t-il pas été suggéré par l'histoire de Samson ? Cf. Bestituta, Amsanus et Tobit. — - Noter qu'Erasme rappelle parfois Vincent fies poids de fer dont on charge le mar- tyr], — Torpes rappelle encore Sabinus, Grégoire, etc.. Sur le mot com^ manere, cf. Zeumer, p. 476 et Fustel de Coulanges : Alleu et Domaine rural^ 418-453. » B. H. L. 0555 [12 juillet, 208 ou 256]. .
212 TRADITIONS DE TUSCIE (VIA AIIHELIa)
En ce temps'lày dans cette même province, dans la cité de LucqueSj il y avait un évêque Pauimus qui avait été ordonné par saint Pierre et qui amenait beaucoup [de païens) à la connaissance de Dieu: assisté des prêtres Sévère et Antoine^ il leur confère le baptême au nom du Seigneur^ et consacre sept églises et ordonne des prêtres et des clercs. Les appari- teurs de Néron^ quon a prévenus, le trouvent en compagnie de Sévère et du diacre Luc et du soldat Théobald : ils chantent des psaumes dans V oratoire [? cella) qui est dédié à la sainte et inséparable Trinité, à la Croix sainte et vivifiante^ à Marie im- maculée mère de Dieu, et à Etienne protomartyr, Paulin re- mercie le Christ et réconforte ses frères : « Déjà nous tenons la vie éternelle ; n ayons pas peur. » — « Vous adorez un crucifié, leur dit Néron, quand on les introduit en sa présence ; vous détruisez le culte des dieux qui chaque jour font pro- gresser Vétat. » — (( C^est sagesse de renoncer aux idoles et d adorer le vrai Dieu, qui s'est incarné. » — « Sacrifie à la grande Diane, » — « Je me sacrifie, en effet, moi-même, vic- time immaculée, au Seigneur mon Dieu Jésus-Christ que je sers en esprit. » On les frappe ; leur sang coule à terre ; et ils ne cessent de bénir Dieu tout-puissant. Père du Seigneur Jèsus-Christy qui leur a don7ié part, avec les saints martyrs, à la résurrection, à la vie éternelle, et à V incorruptibilité de l'âme et du corps. Enfermés sans nourriture au fond de la prison, ils chantent : propter hoc dilatatum est cor meum, et, trois jours après, bien que V empereur jure sur le salut des dieux de les livrer aux bêtes, ils refusent de se sauver en sa- crifiant. Ils font le signe de la croix {dans r amphithéâtre), lèvent les yeux au ciel et prient Dieu de ne pas livrer leurs âmes (animas^ aux bêtes ; et celles-ci, subitement adoucies, leur lèchent les pieds et les mains. « Que sont ces maléfices (maleficia), dit Néron, — « Ce sont des bienfaits (bénéficia; de Dieu : crois en lui, fais pénitence pour le sang des saints que tu as répandu et tu obtiendras la vie éternelle. »
Le comte Anolinus, à qui V empereur les a envoyés, les eni" prisonne, Paulinus prie Dieu de conserver et d^accroître la foi du peuple de Lucques (populus lucanus) et des églises qu'il a fondées, par JésuS'Christ, Sauveur du monde ^ qui est co- eternel au Père et au Fils, et vit, et règne dans les siècles des siècles, c( Ta prière est exaucée, lui dit un ange. Demain tu mourras martyr ; ton corps sera enseveli à Lucbues, dans
LES SOURCES DE LA LEGENDE 213
r église de la sainte Trinité que tes mains ont consacrée. Tu seras le patron de la cité ; grâce à toi les ennemis ne pourront jamais la détruire. Remercie Dieu. » — Le lendemain^ en effet, Anolinus le fait comparaître ; il refuse de sacrifier à ces démons que sont les dieux; et après qu'on a triplé ses tourments et qitil a prié Dieu de recevoir son esprit, il rend l'esprit, ainsi que Sévère ; quant à Théobald et aux autres, ils sont décapités ; et Anolinus, bientôt après envoyé à Milan^ y fait périr Nazaire et Celse, Gervais et Pilotais. Le lieu où sont morts Théobald, Luc et les autres n'est pas très éloigné de r endroit quon appelle latus historise leonum ; le glorieux confesseur du Christ, Antoine, l'apprend, et malgré la défense d^ Anolinus, il les ensevelit la nuit avec l'aide de Valerius et de Victor, de Lucien et de beaucoup d'autres. Les corps de Paulin, Sévère et Théobald reposent dans des sarcophages noirs à Lucques^ dans V église de la Trinité^ au midi, dans la partie de Porieiit ; les autres corps sont {conservés) à V endroit Gif ils ont été décapités. Us ont été martyrisés au pied de la montagne de Pise, par le comte Anolinus, sous V empereur Néron, le quatre des ides de juillet. La translation des saints a été opérée le jour des kalendes d'avril, tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ.
Le patron de Lucques, Paulinus, est plus mal connu encore que Torpes ; il n'est mentionné ni dans le férial hiéronymien, ni dans le calendrier populaire, ni dans Adon, ni dans Notker. C'est sans doute le saint local.
La légende est évidemment calquée sur Torpes ; à la fin, on a cousu quelques détails empruntés à Gervais-Protais^. Peut- être le rédacteur inconnu a-t-il pris certains traits à Secundia- nus [nosmet ipsos offerimus) et à Susanne (pénitence du sang des saints) et à Pergentinus, Gratilianus ou ÏMcie [bénéficia maleficia]. Noter q\ï£utychius précise, comme Pau li7îus,ïem- placement des sarcophages, etquelesdeux textes sont parents de Gratilianus et de Torpes : tous ces gestes forment groupe-.
A quelle époque écrivait l'auteur? — Puisqu'il utilise Torpes, il ne peut guère être antérieur au début du vu" siècle. Le nom de Théobald, l'église dont il cite le nom compliqué, ces deux faits nous invitent du reste à ne pas remonter plus haut.
J'attire particulièrement Tattention sur le nom de l'église :
* Cf. supra, p. 203, pareille observation à propos d'Innocentius. ^ L'auteur semble encore connaître Sébastien [utilité politique de la piété], Grégoire de Spolèle [animae].
214 TRADITIONS DE TUSCIE (viA AURELIA )
elle est dédiée ad honorem sanctœ et individus Trinitalisy sanclcB et vivifiCéE Crucis, ad honorem interner a tœ virginis Mariée genitricis Dei et Doniini Nostri Jesu Christi et sancti Stepkani protomartyris. Nous connaissons un texte latin, mo- delé sur les gestes de Ccsaire, qui conte la translation à Rome d'Etienne protomartyr ^ : il date sans doute du vu* siècle. Le culte de la sainte Croix a pris, à cette même époque, un no- table accroissement : on connaît les campagnes entreprises par Heraclius afin de la recouvrer et la fête de l'Exaltation de la Croix établie à Rome par le pape Serge [687-701 ] ^
La dernière phrase nous parle d'une translation opérée le jour des kalendes d'avril ; mais loin de nous apporter aucune lumière, elle pose un problème ; et je ne vois pas comment le résoudre. Peut-être avons-nous ici une trace de la réorgani- sation de l'église au temps de Rothari ^ Peut-être le texte est- il apparenté à Domninus : ici et là, l'hagiographe nous parle de certaines translations mystérieuses ; il parle, ici et là, une langue théologique d'une précision afîectée ; ici et là, le saint réconforte ses compagnons. Paulinus doit dater du vu® siècle.
Il est, à tout le moins, très certain que le texte remonte à une époque troublée. Dieu promet a Paulinus : te ibi existente pa- trono, ciuitas illa manibus hostilibus nullo tempore destruetur . Le patronage de Paulinus était alors considéré comme très utile à la ville de Lucques : c'est donc qu'elle en avait besoin.
Saint Grégoire nous conte une courte histoire qui, de son temps, courait à Lucques. C'est la preuve que, à Lucques aussi, dès ce temps, les légendes locales étaient en formation. C'est une confirmation de notre hypothèse touchant la date du texte.
Frigdia- Il y a deux ans, raconte saint Grégoire, Venantius, Vèvêque
nus de deLuna, m' a raconté le miracle suivant qu opéra Frigdianus,
évêque de Lucques, Le fleuve Auseris déborde souvent ; aussi
les habitants de la vallée tâchaient-ils de le dériver sur d'au-
* B. H. L., 7878,... \Cat. Brux., i, 70]. - Cf. G. M. R., i, 388.
2 L. P., 1, 374.— Cf. G. M. R. i, 373, n. 4. On ne sait rien de Lucques de- puis le siège qu'elle a soutenu contre Narses, en 553 [Agathias, i, 12-17]. Cf. Hartmann, i, 339 et C. I. L., xi, i, 296. — L'évêque de Lucques signe au con- cile de Rome de 649 [Hartmann, ii, i, 268].
3 irest peu vraisemblable qu'on ait attendu jusqu'au temps de la transla- tion de:i261 [B. H. L., 6556] pour démarquer Torpes. — Il y avait à Lucques, au vu» et au viii^ siècle, une école épiscopale [Hartmann, ii, 2, 27]. Serait-ce le berceau de ces légendes et des légendes apparentées.
* Dialogi, m, 9, [P. L., 77, 233). — Cf. Flodoard : xiii, 1 [P. L.,si35, 845].
AMSANUS DE SIENNE 215
très pays y mais en vain, malgré leurs efforts. Alors V homme de Dieu Frigdianiis se fit faire un petit râteau^ se mit en prière et commanda au fleuve de suivre son râteau^ partout où il le promènerait. Le fleuve quitta son lit, s'en creusa un autre ou le lui avait commandé Frigdianus et cessa d' endommager les récoltes. »
Ce saint cvêque Frigdianus est absolument inconnu. Le récit de Grégoire Je Grand a formé le fond d'une légende * qui célèbre ses vertus. Le saint est censé venir ex Hibernia Scotiœ insula ; est-ce un souvenir de Colomban et de ses disciples ? Lucques n'est pas fort éloigné de Bobbio. Un diplôme du 20 jan- vier 685 mentionne un monastère lucquois de saint Fricdianus- (sic) ; au temps de Charles et de Pépin, Tévèque de Lucques Jean a fait construire à Fricdianus un magnifique tombeau.
Le texte se rencontre dans des manuscrits du xi** siècle. — On n'y insiste pas davantage parce que la légende est de forma- tion récente et qu'elle est étroitement liée à celle de Finianus, episcopus iMagbilensis^, dont l'étude est extérieure à notre objet.
III
On raconte dans les gestes divins que, s'il est bon de cacher les secrets du roi, il est glorieux de révéler à tous les merveilles du Dieu tout-puissant. C'est pourquoi, dans la mesure de nos faibles forces^ confiant dans la miséricorde de Celui qui ré- compense les bons et rachète les péchés, je vais dire quelques- unes des merveilles que Dieu a opérées par le bienheureux AmsanuSy martyr. Comme Dioctétien commandait pour la
* Codex Ambrosianus, B. 55, inf. (du xi« eiècle) f» 228"^ \Analecta, xi, 262- 263] : c'est le texte B. H. L., 3175 {Summœ Trinitati..,] Cf. trois autres textes dans Golganus : Acta Sanctorum ueteris et maioris Scotise seu Hibernix, i, 634, 638, 640 (Louvain, 1645, in-f). [B. H. L., 3174, 3176, 3177].
2 BethmaDD : Lnngob. Regest. Neues Archiv., m, 239-240.
^ Noua Legenda Angliœ [Londre», 1516, 10-40]. fo 147. B. H. L. 2990.
* B. H. L., 515. Cat. Brux., i, 129. D'après le Codex Bruxellensis 206. du nue siècle ; fo 137.
216 THADITIONS DE TUSCIE (viA ATIRKLIA;
septième fois dans nome [imporante seplies], il y avait à Home un noble y Tranquillinus, dont le fils Amsanus servait Dieu depuis son enfance. Il était né à Rome et élevé parmi les scholares. Un jour, comme il avait douze ans, il s'enfuit à V église, cherchant un prêtre pour se faire baptiser. Le prêtre Protasius, prévenu en songe par un ange, se réveille^ va au secretarium oh jaillit, dans une odeur d'aromates^ une fon- taine d'eau pure ; il y célèbre les choses de Dieu [ea quae Dei sunt] et baptise Amsanus : la chrétienne Maxima, qui était du territoire anacritain % devint sa mère du baptême [mater de baptismo efîecta est], et y dès lors, ils n'ont qiiiine âme.
La treizième année de V empire [XI 11 anno imperii...] des- dits empereurs, une cruelle persécution survint : dans toutes les cités, tous les bourgs [vicus], toutes les demeures, on éle- vait des statues à Jupiter, on mettait à la torture quiconque nommait le Christ, A ce moment, Amsanus vivait chrétienne- ment, en secret, depuis sept ans ; il avait dix-neuf ans. Il se mit donc à réfléchir sur Dieu, et dit : a Tirai, je dirai aux empereurs que j e suis chrétien et que je désire mourir pour son nom [pro illius nomine mori desidero]. >) // va trouver Maxima, sa mère par le baptême ; comme elle partage son désir, ils vont tous deux se livrer. Mais ils guérissent un aveugle en route et sont dénoncés par un scélérat aux sérénissimes augustes, « Nous sommes nés de parents libres [ingenuis], comme Vatteste toute notre parenté de cette ville [affinitas nostra in hac urbe]. » — « Vous confessez le Crucifié, vous raillez nos dieux. Sacrifiez ou mourez, » — « Vos dieux ne sont propices ni à eux-mêmes ni à leurs fidèles. Jésus-Christ nous favorise, au contraire ; nous nous livrons aux supplices pour V amour de lui. Nous Vinvoquons pour quil nous ap- pelle à {partager) sa gloire... Votre Jupiter [Jovis] nest rien ; ce n'est pas lui qui a fait le monde ni l'homme, cest le Dieu tout-puissant, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ ; comme le prophète le dit, cest le diable qui a trompé l'homme et Va poussé à adorer des dieux en bois. » — « Vous n'êtes pas ici pour parler des prophètes, mais pour sacrifier. « — « Nous croyons en JésuS'Christ, l'ami de la chasteté et de la pudeur ; nous sommes prêts à souffrir le feu et les fers. :» 0?? les en- ferme ; mais ils prient le Seigneur '.VrohdisW, Domine, cor nostrûm...; une odeur suave emplit la prison, une voix leur
1 Faut-il lire tanagritain ? Cf. Vitus'B, G. M. R. II, 169,'176.
TEXTES APPARENTÉS 217
dit: Gaudete in Domino semper..., quia... meruistis accipere quod nec oculus uidit nec auris audiuit... Et les martrjrs s agenouillent et remercient Dieu et chantent avec David : Exaudi, Deus, orationem meam... ; ne derelinquas nos usque in line. Pendant leur sommeil un ange leur apparaît qui leur dit : « Confiance^ Notre Seigneur Jésus vous appelle à la vie éternelle. î)
Comme ils comparaissent le lendemain^ et persistait dans leur foi, on les sépare, AJaxima, restée seule, refuse de se laisser fléchir et rappelle David, qui dit : Simulacra gentiuni argentum et aurum ; elle rend Vesprit tandis quon la roue de coups de hdton. Amsanus s'enfuit de sa prison, arrdve à la ville [urbem] qui est appelée Balneum Regense, Là, le Sei- gneur lui apparaît et lui dit : c< Tu as rejeté les démons ; je ferai de toi une colonne de mon temple, une porte de la vie éternelle. » Deux mois après, il arrive à Sienne [in oppidum Senense] et ij opère beaucoup de merveilles. Le proconsul Lisias y érige les idoles d^ Hercule, Jupiter et Saturne et lui commande d'y sacrifier, ainsi que le lui ont ordonné les cm" pereurs, « Pourquoi ne sacrifies-tu pas ? » — c< Bon pour toi d'adorer des dieux qui ne peuvent rien pour eux ni toi. J'adore Jésus-Christ. Et qui donc tes statues représentent-elles ? Mé- ritent-ils le respect, ceux-là ? » — On le jette dans une {chau- dière) de poix et de résine bouillantes ; puis, comme il ne souffre pas, il est décapité près du fleuve Arbiam, le jour' des kalendes de décembre, et on V ensevelit là même. Ses bienfaits s'y multiplient jus qu à, ce jour, à, la louange et à la gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui honneur et pouvoir dans les siècles des siècles. Amen.
Amsanus est inconnu du férial hiéronymien, du calendrier populaire et d'Adon.
Le cadre topographique de la légende est facile à recon- naître : Rome, Bagnorea [Balnus regis^. Sienne \Colonia Julia Senensis *].
Certains détails de la légende attestent qu'elle est parente de différents textes du vu^ et du vi* siècle. Amsanus est un enfant de Page de Vilus et Maxima rappelle Modestus : il a le courage d'Agapet. Ici comme dans Secundianus, le martyr « désire mourir pour le nom » du Christ ; il reproche aux
^ C. I. L., XI, I, p. 332.
218 TRADITIONS DE TUSCIE (viA AUREUA)
païens les turpitudes de leurs dieux ; il refuse d'adorer Saturne ; à l'annonce de la persécution il reconnaît que « le temps est venu ».
Ici comme dans Cassicn de Todi (et dans Vnlentin) apparaît le terme scholarcs et Finfluencedes gestes de saint Sébastien : c*est de Sébastien que viennent, j'imagine, la marraine \ma- ter de baptismo] et le nom de Tranquillinus ; comme l'auteur de Cassien, le rédacteur d^Amsanus s'excuse de la médiocrité de ses moyens.
Ici comme dans Eupliis et dans Alexayidre de Jiaccano, le martyr est sommé d'adorer une trinité païenne ; et les deux légendes mettent en scène un personnage appelé Protasius, et toutes deux s'intéressent à la question de la fuite.
Ce dernier trait nous rappelle Domninus et Pergentiniis ; et, dans Domninus comme ici, les événements sont datés anno imperii [imper atorunï] ; et un ange vient réconforter le martyr, ici comme dans Pergentinus.
La guérison de l'aveugle, le jeune âge du saint et l'opposi- tion de ses parents, que laisse deviner le rédacteur, nous font ressouvenir de Gratilianus. — On pourrait citer encore quel- ques nouveaux points de contact entre nos gestes et d'autres ^ ; ils confirmeraient tous le fait que l'on voit déjà très clairement et l'hypothèse qui en dérive ; je veux dire la parenté d'^m- sanus avec les légendes du vii^ siècle, et l'attribution de ce texte à cette date.
Voici qui peut préciser cette conclusion. On a conservé une seconde version de la légende ^, qui ne s'écarte que très peu de la première : la plus notable difîérence qui les sépare l'une de l'autre, c'est que la première [A] écrit oppidum se- nense, la seconde [B] civitas senensis. J'imagine que le ré- dacteur du texte A distinguait une civitas d'un oppidum, et que le rédacteur du texte B avait perdu le sens de cette dis- tinction : A serait donc antérieur à B ^
On voit, d'autre part, que l'évêché de Sienne a été restauré au temps de Rothari, peu après 049 ; l'évêché avait sans doute disparu à la fin du vi^ siècle. La légende siennoise da-
1 Sabinus, Terentianus \septies\.
2 B. H. L., 516. [Baluze. Miscellanea : éd. Mansi, vi, 63-65] Ce texte écrit: 1. hnperante Diocletiano octies^ Maxhniano sep lies ; 2. Maxirna de territorio olymjphynato; 3. 18 ans au lieu de 19 ; 4. Il insiste sur l'oppositioQ qu'Amsa- nus rencontre chez ses parents [Cf. Vitus, Gratilianus, Nazaire... Barbé].
3 Hartmann, ii, 1.268-269. — Troya : Codex d. 400, 405, 406, 407, 408.
SEGUNDIANUS DE CIVITA-VECCHIA 219
terait donc du temps de Rothari et de la réorganisation de l'église locale, c*est-à-dire du milieu du vu® siècle ; il n'est pas impossible qu'on ait encore su distinguer à ce moment entre civitas et oppidum.
Je remarque qu'elle utilise un passage bien connu du livre de Tobit ^ et qu'elle reflète l'usage du temps lorsqu'elle nous montre le martyr faisant appel à ses parents pour prouver sa liberté -.
IV
Le cinq des ides d'août^ à Coloniacum qui est apptlé Co- lonia^ au temps de Dèce César et sous Valérien préfet, une grande persécution s* éleva contre les chrétiens. Il y avait alors un certain Secundianus ., togatus^ qui dirigeait le palais (? qui praesidebat palatio) : c'était un homme très éloquent et versé dans les sciences du siècle (in arte mundana), rhétorique, mu- sique, philosophie , arithmétique, astronomie ; il avait la fa~ veur de tous les grands (illustres) et animait Valérien contre les saints martyrs, « Pourquoi donc, se demandait-il en son cœw\ les chrétiens désirent-ils à ce point mownr pour le nom du Christ ? » Le sage Marcellianus, avec qui il discutait sou- vent philosophie et grammaire, avec qui il méditait parfois les vers de Virgile :
lam noua progenies cœlo dimittitur alto, lam uenit et uirgo, redeunt saturnia régna...
lui fit une fois cette réponse : « Si les chrétiens désirent mou- rir, c'est que y à les entendre, la mort est suivie du jugement
' XII, 7. — Ce même texte est utilisé dans l'histoire de l'inventioii d'Etienne 60 415 [P. L., 41.821, 833J, dans Justine, dans certains [miracles de Clé- ment, etc.. Cf. Restituta et Torpes {Tobit, higes, Habacuc).
2 Formulœ Lindenbrogianœ, 21 ; Senonenses, 2 e^ 5 ; Merkelianœ^ 28 ; etc., [Fustel de Coulanges : Alleu et domaine rural, 325J.
•' B. H. L., 7550 [juin I, 35 ou 341. Sur les textes B. H. L., 7551 et 7552, cl, infra, p. 223, n. 2. — Le texte de Mombritius, ii, 263, est un résumé.
220 TRADITIONS DE TDSCIE (viA AURELIa)
et de la résurrection. Mais, en somme, qu' est-ce' que le Christ » ?
— f( Au sens allégorique et pro'pre (? ad alle^oricum proprie- talis sensum), il est l Oint, » — « S'il est l'Oint dé Dieu, Dieu est donc connu. » — « Voilà bien ta sagesse. Tu as lu, on le voit, ses historiographes., Luc et Matthieu y d'après lesquels il a fait beaucoup de miracles, tandis que les démons le reçoit' naissaient pour Fils de Dieu ; si leur témoignage vaut, il est Dieu. On Va tué, mais il est ressuscité. Et comment pourrions- nous adorer nos dieux? Nous en savons toutes les turpitudes . »
— (( Tu dis vrai. » — « Reconnaissons donc, conclut Secun- dianus, que les chrétiens ont raison d aimer le Christ et de vouloir mourir pour lui. » A7Tive alors Virianus, commun ami des deux autres ; après les avoir salués y il se met à dis' cuter avec eux des sciences du monde, « Malheur à moi, dit Secundianus : f adore les idoles muettes ^ et fai torturé tous les saints! » — « Suis-j'e devenu fou, reprend Virianus : vous voilà prédicateurs de cette religion! » — « Croyons au Christ, Dieu et Seigneur, sur la foi de ceux qui désirent per- dre cette vie pour acquérir la vie éternelle. » — « Cest vraiy dit Virianus : s'il est quelque chose d'éternel, il faut le cher- cher. » Les trois amis envoient donc quérir le prêtre Tiniothée du tilulus Pastoris. Secundianus le salue, demande le baptême au nom du Seigneur Jésus-Christ et Marcellianus fait de même. Timothée les catéchise ; comme ils croient au Dieu Père tout puissant, — à Jésus-Christ son Lils Unique Notre Sei' gneur, — qui a été conçu du Sai?ît- Esprit et est ne de la Vierge Marie, Timothée les baptise au nom du Père et du F'ils et du Saint-Esprit pour quils croient à la rémission des pé- chés ; et le bienheureuob Sixte, évêque, les signe du signe de la croix. De ce jour, ils donnent aux pauvres leurs richesses.
Deux mois après, Secundianus togatus est demandé par Va- lérien qui a appris sa conversion, et celle des autres scholas- tici Virianus et Marcellianus. Il lui écrit : « A mon frère Se- cundianus togatus Valérien préfet. Pourquoi ne viens-tu pas à notre conseil : nous avons besoin de toi. » — « Mes frères, le temps est venu, dit Secwidianus à Marcellianus et Virianus. J'irai seul. » — « Nous t* accompagnerons . » Et tous les trois, au point du jour, vont au palais de Salluste, oii Valérien habite avec Dèce. Valérien siège dans la basilique dite dAscle- pius. « Eh/ bien, Secutidianus, qu'est-ce que j'entends? » — « Je ne dis rien. » — « Tu es devenu fou. » — « Je suis
SECUNDIANUS DE CIVITA-VKGCHIA 221
devenu sage. Si tu savais, si tu comprenais, tu désirerais m' imiter. Les martyrs, tu le sais, méprisent les richesses. Mal- gré mes crimes, je crois que le Seigneur Jésus-Christ me sau^ vera. » — « Alors, tu es chrétien. » — « Parfaitement » ; et il persiste, bien qu'il perde l'amitié de César, et que Valérien ne lui ait jamais fait de mal. Marcel lianus et Virianus se font arrêter avec lui.
Quand Dèce l'apprend, il refuse d'y croire ; puis, il fait venir Secundianus , qui arrive, le visage illuminé : « Souvietis^ toi, lui dit-il, de ta sagesse d^antan. » — « Elle est folie ; toi aussi, quitte ta folie. )) On apprend alors à Dèce que les autres schulastici sont encore en prison : il les envoie [avec Secun- dianus), escortés de quarante soldats, à Promotus, consularis Tusciae, qui est à Cività-Vecchia. Celui-ci les fait comparaître ù son tribunal, sur le forum, devant une idole de Saturne, « Pourquoi iiobeissez-vous pas ? » — « Nous obéissons aux ordres de Dieu, non à ceux du diable. i> — c( Sacrifiez. » — c( C'est nous-mêmes, si nous en sommes dignes, que nous offrons en sacrifice à Dieu, non au diable. » Tandis qu'on les bat et les déchire, ils glorifient le Seigneur et crachent sur l'idole qui tombe, fracassée, et lèvent les yeux au ciel, et re- mercient le Seigneur Jésus-Christ. Un valet des bourreaux (minister carnifîcum) tombe mort ; un autre implore les trois saints du Dieu tout-puissant qui le torture. Alors Promo- tus ordonne qu'on les décapite ; on les mène au lieu Colonia- cum, qui est dit Colonia, au 62'' mille de Rome, on les déca- pite et on les jette à la mer. La nuit suivante le serviteur de Dieu Deodat trouve les corps, puis les têtes, et les ensevelit où ils ont été tués, le cinq des ides d'août. Leurs prières fleurissent dans l'église du bienheureux Pierre, à Toscanella (in civi- late Tuscana), tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui honneur et gloire dans l'infini des siècles et des siècles. Amen.
Les héros de ces gestes sont attestés par le férial hiéro- nymien \ à la date du 9 août :
E. in tuscia veriani marcelliani secundiani romani largi.,.
1 Rossi-Duchesne, p. 103.
222 TRADITIONS DE TUSCIE (VIA AURELIa)
B. ET IN COLO{N)NI Tusciœ UIA AURELIA rniliario XV. I^ausiini. Uiriani^ Marcellianij Secundiani et Sixli,
W. et in colonia nat scorum faustini, uirianiy rnarcelliam secundiani xysti.
Nous ne pouvons pas définir le groupe auquel appartien- nent les saints : ni V Epternacensis ni surtout le Bernensis ne les isolent comme fait la légende. Ici comme ailleurs, on de- vine que l'histoire réelle a disparu.
Le thème légendaire suggère deux observations. La ques- tion de la spontanéité du martyre a fourni la matière du pre- mier développement : ce qui nous invite à penser que le texte peut dater du vi® siècle. — La mise en œuvre, d'autre part, atteste chez l'auteur la préoccupation suivante : comment s'est opérée la conversion au christianisme des gens instruits, des intellectuels, les scholastici * ? L'auteur a voulu répondre à cette question en racontant une histoire qu'il prétend au- thentique.
Et cette double remarque s'appuie des points de contact que l'on discerne entre nos gestes et deux autres. Les gestes de Terentianus de Todi, qui appartiennent presque certaine- ment au second quart du vi®, emploient, comme les nôtres, le terme de togatus et s'intéressent également à une mystérieuse colonia. Les gestes de Valentin s'intéressent autant que les nôtres à la question des scholastici convertis. Seciindianus date sans doute, comme Torpes, de la fin du vi^ siècle ou du début du vue siècle.
Je note encore que nos gestes ont été écrits dans les mi- lieux où l'on connaissait les gestes romains. Le prêtre Ti- mothée, qui baptise les trois amis, est attaché au titulus Pastoris, comme le Pigmenius de Donat. Tl est peut-être identique au prêtre Timothée à'Hedestus : Secundianus rap- pelle assez bien Hedestus. Lorsque les trois amis s'abordent, ils se saluent l'un l'autre [§ 3] avec un souci de l'étiquette qu'on trouve aussi nettement marqué dans Susanne, — où l'auteur inconnu insiste complaisamment sur la science de ses héros, — où il est également question du palais de Salluste, — où Ton appuie avec insistance sur la spontanéité des mar- tyrs, et la vénération qu'on doit aux saints, et la rémission
^ Cf. § 1. Secundianus est très versé dans Vars mundana, sive rhetorica, musica, philosophia, arithmetica, astronomia.
TEXTES APPARENTÉS 223
des péchés que procure le baptême. La formule si scires re- vient à plusieurs reprises ici aussi bien que dans Censur'inus, Irénée de C/iiusi,...
Notre auteur a quelque culture. Il sait que Sixte est à peu près contemporain de Dèce ; il connaît Marcianus Capella ; il connaît enlîn les vers fameux de Virgile où Constantin a montré comme une prédiction du Christ '.
Un point reste obscur.
Qu'est au juste cet endroit dit Coloniacum qiiod appellatur Colonia, qui est, d*après les gestes, à 62 milles de Rome, d'après le Bernensis au 15® mille de la voie Aurélia. Il faut sans doute le chercher aux alentours de Cività-Vecchia : mais quel point désigner précisément? La table de Peutinger men- tionne sur la voie Aurélia, entre Rome et Cività-Vecchia plusieurs colonies, Alsium et Pyrgos, Castrum Novum et Gravisca. Notre Colonia est peut-être une de celles-ci ; je n'oserais dire laquelle. — Civitas Tuscana est sans doute la moderne Toscanella ^
• Bucoliques, iv, 5, sq. « Magnus ab integro sœclorum nascitur ordo
lam redit et Virgo, redeunt saturnia régna.
Cf. Oratio Constantini ad sanct. cœfum, 19-20 [Eusèbe : Vita Const. sub tioej. — Lactance : Div. Inst. vu, 24. — Jérôme : Ep. 53. — CL S. Reinach : Cultes, Mythes et Religions, ii, QQ.
Sur la légende de Secundiauus, cf. Tillemont, m, 331 et 704 : et Allard. ii, 314-317. Le calendrier populaire et Adon l'iffoorent. Elle est utilisée par Usuard [P. Z.., 124, 315-316] et par Notker \P'. Z., 131, 1136]. Un évêque de Tuacana siège au concile de 649, Hartmann, ii, 1, 268.
- On connaît deux autres versions des gestes : Codex Bruxellensis 21 885 (de 1277) [Cat. Brux., n, 433] et Codex Parisinus 5360, du xiv« [Cat. Paris, 11, 337]. La version de Paris est une amplification verbeuse de notre texte: après avoir nommé Sixte, on ajoute : «qui tune quoque uigesimus quintus exliterat post beatum petrum apostolum fullus apostolicis honoribus >. — Je ne connais pas la version de Bruxelles.
On a conservé deux adaptations des gestes de Secundianus. L'une les attri- bue à Florentins, Julianus et leurs compagnons de Pérouse : c'est le texte B. II. L. 3052; les noms des saints sont seuls changés. — L'autre les attribue à Gratinianus et Felinus, qui sont également des saints de Pérouse: c'est le texte B. H. L., 3633 [le"- juin, 25-30]. Peut-être date-t-il de la translation de Gratinianus et Félinus, qui ont guéri Amizo (en 979), au monastère d'Arona que construisait à ce moment ledit Amizo. Peut-être remonte-t-il à une époque antérieure [cf. Paulinus avec Torpes].
224 TRADITIONS DE TUSCIE ^VIA ALRELIA)
Marcianus ^w temps de V empereur Maximien qui succède à Dioclétien^ et de Pro- '(^oici quel prodige sur Vint au Capitule : la tête de Jupiter Ca- de "sanLi-pitolin dont la statue est en or, et se trouve à V intérieur du
TH-èsBrac- l^^P^^y A^^ trouvée toute tordue. Maximien ordonna donc
[cianoj
1 Ce texte est inédit. Il est conservé par le Codex A. 2 de VArchivio du cha- pitre de Saint- Pierre au Vatican, folio 24^
Incipit passio Se. Mm. Marciani prbi, Macarii | f. 21^ et Stratoclini et Protogeni men. ianuario ii.
^ « Temporibus maximiani imperatoris qui regnauit post diocletianuna imp,
faolum est taie sigmim in Capitolio ut iouis capitolinus intra templum — cuius simulacrum erat aureum — subito capud eius extortum est, et iussit ut sacrifi- ciam {cor. cia) consueta offerrent in omnem [cor. te) ciuitatem [cor. ni) et omnes
5 xrianos ubicumque inuenti protinus ad sacrificia trahi. Deuulgata est eius praeceptio in toto orbe. Tune uicarius protogenis ueniens secundiim preceptum ad lacum qui dicitursabbatinum, iussit ut in termis aquarum sacrificia offerrent et sacrificauit in eisdem thermis. Tune iussit uicarius protogenis ut ubicumque inuenti fuissent Xriani cogerentus sacrificia offerre. Ueoustianus quidam ex
10 magistratu nomine siluius dixit ad protogenem : Uir prudentiae divee, hic est quidam prbr nomine marcianus qui doctrinis et suasionibus seducit populum et facit eos recedere | II a cultura deorum. Protogenis uicarius dixit : Currat praeceptio dnorum nostrorum ut ubicumque inuenti fuerunt prophani in hoc territorio ad meducinon tardentur. Tune siluius ex magistratu cucurit et te-
15 nuit Marcianum prbum cum macario exorcista et stratoclinium lectorem quos uinctos adduxit ad protogenem uicarium in foro cludi * et optulit ai eos in conspectu ciuium. Quoscum uidisset protogenis gaudio repletus dixit ad eos : Quare non obaudistis praecepta principum? Respondit marcianus presbyter et dixit : Non necesse est nobis de hac re loqui. Protogenis uicarius aixit : die
20 mihi in quo otficio estis. Respondit marcianus : ego peccator presbyter non meritus ; hii filii mei macarius exorcista et stratoclinius lector. Protogenis uicarius dixit : Audite me et deponite perniciem et uiuitse quia bona est uita quam mors. Respondit marcianus presbyter dicens : bene locutus es et ta- men ut scias quia melior est uita quam mors. Protogenis dixit : istam insa- niam non derelinquis, nisi una nocte mecum conflictum habueris ; ego enim factis pœnarum in te exercebor. Et iussit duci omnes très in custodiam domo sua. Alia nocte misit | 25'* et adduxit eum in conspectu suo et dicit ad eum: homo die mihi quse est prsedicatio tua. Respondit marcianus presbyter : Quia Xs deus dei filius ipse est deus. Protogenis uicarius dixit : Et quid dicis de io-
30 uem omnipotentem. Marcianus presbyter dixit : Turpis qui née sibi nec aliis
* Il faut lire évidemment Forum Clodii,
25
MARCIANUS DE SAN LIBERATO 225
qic^on offrit dans toute la cite les sacrifices accoutumés et quun obligeât tous les chrétiens à sacrifier. L ordre fut expédié dans le monde entier. Le vicaire Protogenis vint offrir un sacrifice
insania lasciuiarum pepercit ; uitara ipsius reqnire et iuuenies qualis fuerit. Protogenius uic&rias dixit : tu quidem uitaiu doi tui déclara nobis. Marcia- nus prb dixit : Audi me, haec est uita dui mei iliu Xri qui natus est ex maria uirgiue deus de deo, passus et mortuus est et post triduura resurrexit et in omnibus in se credentibus hoc promisit ut post mortem uitam aeteroaui me-
a
reantur habere. Protogenis uicarius dixit: Osteode mihi ipsam uitaui quem dicis eeteraam. Marcianus presbyter dixit : ut credas et baptizeris et peniteu-
e
tiam agas de sanguine sanctorum quem effudisti et uiuis in aeternum. Res- pondit protogenis uicarius : ergo noli tardare, fac quod scis esse uerum. Mar- ciauus presbyter dixit : audi uerba mea et uoli tardare baptismum percipere, Protogenis uicarius diiit : tu non tardare. Dicit ad eum marcianus presbyter : ieiuna hodie et cras quod | II dus uoluerit faciemus. Et indicto ieiunio prae- cœpit protogenis in domum suam quasi egrotum se hostendere, et post tri-
is ibus ae
duum facta omnia consueta dicit protoienis ad marcianum presbyterum : habeo simulacra ex parentum meorum precepto ; quid uis ut faciam ? Res-
ro atn
pondit marcianus presbyter dicens : si ego ea uidebam et dico quid fieri de- béant. Et introduxit eum in quoddam cubiculum suum ubi inuenit iouem et mercurium et iunonem et pallatem.Cui dixit marcianus presbyter : utostendas
«■e « - ..
te intègre crede dûm nrm ihm xrm, tu manibus tuis omnia ydola confringc.
e Eadem hora protogenis uicarius manu sua omnia ydola confregit et ignem ap-
0 e
poBitum in puluerem redigit. Eadem die baptizauit protogenem et omnem do- mum eius. Ab eadem die cœpit protogenis omnem facultatem suam uenundare etdare pauperibus. Audiens autem probatianus magistratus ueniens ad urbem romam, intimauit omnia maximiano imperatori.Tunc maximianus misit corne-
l a o
ium comitem et teouit marcianum presbyterum una eum macurium exorcista
0
et stratocliniu lectore. Quos eum uidisset dixit ad eos : Seducitis homines ut
e
non soUempnia offerant diis | f. 25v, etiam ad ritum christianitatis suadilis. Marcianus prbter dixit : nos ad ueritatem perducimus ut unusquisque non pereat sed habeat uitam eeternam. Tune cornelius iratus """ duci eos fecit in quoddam arenarium et ibidem eos capitalem iussit subire sententiam sub die quarto nonarum ianuariarum. Quorum corpora collegit quidam ex familia Protogenis nomine Narcissus et sepeliuit in eadem cripta miliario ab urbe
mo
roma XXVII ubi florent orationes sanctorum usque in hodiernum diem. Amen. Post uero dies quinque fugit protogenis in fundum suum in territorio
0
coranu (?) quod dicitur suplicianum : hoc audiens cornelius misit et tenuit
0 0 0
feum qui nec discussum eum seruis suis narcissum et argeum et marcellinum et papatem suo iussit ut ibidem decollarentur ia fundum supplicianum terri-
nio
torio corse miliario ab urbe XXX ubi hodie corpora eorum requiescunt in pace régnante dno nro ihu xpo cui est honor et gloria in s. s. Amen.
III 15
22f> TRADITIONS DE TTISCIK (v\\ AURICLIA)
dans les thermes du lac de JJracciano et ordonna d'y conduire les chrétiens. Cest alors qu'un ancien rnafjlstrat, Venustianns Silvius, dénonça à Protofjenis le prêtre Marcianus comme le sédiicteur du peuple. « Amenez-moi tous les chrétiens de ce territoire », répondit Protogcnis. Marcianus est donc arrêté , ainsi que V exorciste Macarius et le lecteur Stratoclinius. On les mène au forum Clodii (?), oii ils confessent la foi. Mais, la nuit suivante, Protogenis se fait amener Marcianus et se laisse convertir par lui : « Le Christ Dieu, fils de Dieu, est lui-même Dieu ; Jupiter est un être ignoble et lascif, tandis que le Christ, né d'une Vierge, mort et ressuscité, donne la vie éternelle à tous ceux qui croient en lui; la vie éternelle cest de croire, et d'être baptisé, et de faire pénitence pour le sang des saints qu'on a répandu, et de vivre éternellement. » Protogenis feint une maladie, jeûne deux jourSy brise lui-même ses idoles et se fait baptiser avec toute sa maison ; puis il vend ses biens et les donne au pauvres.
A cette nouvelle, le magistrat Probatianus court à Rome et avertit Maximien qui envoie le comte Cornélius. Marcianus, Macarius et Stratoclinius sont arrêtés {de nouveau), conduits dans un arènaire et décapités le IV des noues de janvier. Nar- cissus, un esclave de Protogenis, recueille les corps et les en- sevelit dans la même crypte au 28^ mille de Rome. Cinq jours après, Protogenis s enfuit dans son domaine Supplicien, sur le territoire de Cora ; mais Cornélius Varrête et le fait déca- piter avec ses esclaves Narcisse, Argée, Marcellin et avec son père nourricier [papate], dans ce même domaine Supplicien, sur le territoire de Cora, au 30' mille de Rome : aujourd'hui encore leurs corps y reposent en paix, tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ à qui honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen!
Les bords du lac de Bracciano * [lacus sabatinus'], qui soal aujourd'hui désolés par la malaria, au printemps du moins, étaient couverts, à l'époque romaine, de somptueuses villas; les anguilles du lac étaient fameuses ; non loin de là, les AqucB Apollinares attiraient les malades du fond même de
1 Sur la situatioa exacte du ForurrC Clodii, découverte par Desjardins, cf. Annali deW Istituto, 1859, p. 55, sq. ; Table de Peutinger, p. 131-132 et 139-140, et le Corpus, xi, 1, p. 496-507. — Cf. Anon. Ravenne, iv, 36, [Pinder-Parthey, p. 285].
INFLUENCE DES MARTYRS DE TOMES 227
l'Espagne. Lu Christianisme s'établit peu à peu dans le pays : aux: conciles romains <le 313 et de 41)5, nous voyons siéger un Donatianus et un autre évêque de Forum Clodil ^
A ces faits, qui sont certains, j'ajoute une hypothèse : Fo- rum Glodii eut son martyr, ou, du moins, son saint local, Marcianus ; et j'explique la légende.
Avec le nom du martyr, on avait gardé, comme il arrive, le souvenir de son anniversaire : IV non ian.y deux janvier. On voulait donner au martyr une histoire : le plus urgent était donc de lui trouver d'abord des compagnons. On chercha au début de janvier.
l^e férial hiéronymien fournissait un grand nombre de noms :
E. IlII non isiridoni epi antioc et in alio loco stratonici maccari abbani \.,
111 nona ianuar... Et in ciui Tomis Claudonis Eugenis
Uo(li trium iîrm argei narcissi et marcellini. Ces noms reparaissent dans le calendrier populaire : ÏV Non. Beati Macarii et Tomis martyrum Argei^ Narcissi et Marcellini ^
Les trois martyrs de Tomes Argée, Narcisse et Marcellin sont certainement les prototypes historiques * de ces doubles légendaires que sont les trois esclaves martyrs Argée, Nar- cisse et Marcellin ^ ; et, de même, les saints Stratoclinius [Stratonicus] et Macaire sont les prototypes de notre lecteur Stratoclinius et de l'exorciste Macaire. L'hypothèse est d'au- tant plus vraisemblable qu'à Tomes aussi il y avait un Mar- cianus, et que la légende de ce Marcianus était connue en Italie dès le v® siècle ^
* Optât: de Schismate Donatistarum, 1, 23. — Cf. de Rossi : Bull.^ 1887, 92, 1 [Thiel. 160J.
2 Rossi-Duchesne, p. 4-5. ^ P. L., 123, 145-146.
* Sur ce8 martyres de Tomes, dous sommes renseifçnés par un fragment Bubsistaot du martyrologe euaébien [fragment de Lorsch] [Rossi-Duchesne, p.
,5] : c'étaient trois frères, fils de l'évêque, qui, pris comme recrues, refusent le service militaire, au temps de Licinius ; on les noie ; les corps, rapportés par la mer, sont ensevelis dans la villa d'Amantius.
^ Je me demande même si le papas, qui meurt avec les trois esclaves, n'a pas été suggéré par le papatis des Kaleudes de janvier: « in africa Victoris Fe-
■ liais Narcissi Argiri et alioru IIII papatis primiani : [p. 4]. — Mais peut-
lêtie avons nous ici un souvenir de Vitus.
I • Cf. G. M. R., II, 248-251.
228 TRADITIONS DE TUSCIE (viA ATIREMa)
Les personnages trouvés, roslail à les faire a-ir. C'est dire qu'il fallait choisir un texte, et le démarquer. On s arrêta, U semble, à Sabinus. Ici, comme dans Sabinus, nous voyou un prêtre [évèque. S.] chrétien, assisté de ses deux clerc. [Marcel, Exuperantius. S.], comparaître devant un ma-istral \augustalis. S.], qui est le représentant d'un seul et même em- pereur, Maximien, ~ qui se convertit, - qui demande pardon de ses crimes passés, — et qui brise lui-môme ses idoles ; ici et là apparaît un magistrat païen appelé Venustianus ; ici et la, on lui donne deux noms [Venustianus Silvius ; Eugenianus Hermogenianus].
J'ajoute que les deux textes attestent chez leur auteur une connaissance assez exacte de la vie antique : la scène du cirque le prouve [S.] et aussi la mise en scène de Jupiter Capitolin, et de son temple, et de sa statue dorée. Il se pourrait que Sabi- 71US et Marcianus fussent l'œuvre d'un même auteur ; il est sûr, à tout le moins, que l'auteur de l'un et de l'autre appar- tiennent au même groupe et datent du même temps . rSoter que les anniversaires des deux saints sont tout proches lun de l'autre [III kal. ian. et IlII non ian.].
Et j'ajoute encore que notre auteur connaissait et utUisail Sébastien. La feinte maladie de Protogenis, le bris des idoles la distribution des biens aux pauvres, la fuite de Protogenis^ tout cela rappelle de très près les aventures de Nicostrale e de Chromatius ^ i ♦
Mais pourquoi Protegenis s'est-il caché et est-il mort c Gora, in fundo supplicianol Le plus simple est d'admettn que l'église de Forum Clodii possédait à Gora une propriété le fundus supplicianus. Nous savons que plusieurs église romaines ' avaient, dans ce même pays, des terres impor tantes. Peut-être en était-il de même de l'église de toron Glodii. Il est, du moins, très vraisemblable, que Protogem est un saint fictif, analogue aux doubles de Stratoclimus t de Macarios, d'Argée, de Narcisse et de MarceUin.
Je remarque la nature grecque de la plupart de ces nom^ Protogenis, Macarios, Stratoclinios : et je me rappelle qu
1 Cf. suprUt p. 87.
2 G. M. R., I, 301 et ii, 97. . ^ . »•,, . ,
3 Le titulns Equitii, le titulus Sihestri, le baptistère de Goûstaotia < môme l'église de saint Jean-Baptiste, h Albano [L. P., i, l?l>, i'^»
J871.
TEXTES APPARENTÉS 229
l'auteur de Valentin de Terni s'intéresse à la langue grecque et utilise Côme et Damien., tout comme le rédacteur de Mar- cianiis \ïi\\\?>e; Argèc et Narcisse. Les gestes des Martyrs Grecs font venir de Grèce Hadrias et Paulina sa femme, Martana et Yaleria sa fille ; si tous ces Grecs viennent à Rome, c'est afin de voir le temple de Jupiter Gapitolin, ut videremus temphim Capitolii invicti Jovis \ Marclaniis est parent des Martyrs grecs comme de Valentin et de Sabinus ^.
Certains mots du récit ^ permettent de croire que l'hagio- graphe visait et combattait Tarianisme.
1 R. S., ni, 203. — Comparer encore le rôle du dénonciateur, tenu ici par lin ancien magistrat, Venustianus Silvius, là par un préfet de la ville, Maxi- raus (Les martyrs grecs vivent cachés dans les grottes, un peu comme les héros à'Hefiestus).
2. Noter que Secundianus rappelle Terentianus et Valoitin, que Sabinus est parent de Terentianus et de Marcianus : tous ces textes forment groupe.
3 Cf. supra p. 224, note 1, ligne 29.
CHAPITRE X
TRADITIONS DE CAMPANIE
LES SAINTS FELIX, MAXIME, RESTITUTA, AMBROISE
MARCELLUS ET APULEIUS.
Continuant notre marche, descendons au sud, vers ces pays de l'Italie napolitaine qui sont la porte de l'Orient. Nous y re- trouverons rinfluence de la Légende romaine.
// arriva qu après la mort du bienheureux Félin ^ un autre Fèlix^ son frère cadet, qui était aussi prêtre^ fut conduit à Unique Draccus, préfet de la ville: celui-ci voulut le con- traindre à sacrifier . « Vous n aimez donc pas vos dieux, leur dit le bienheureux Félix : ceux auxquels vous me menez au-
* B. H. L., 2885, [14 janvier 951 ou 233]: « Factum est post completionem bb. Felicis... »
232 TRADITIONS DE CAMPANIK
vont aussi peu de chance que ceux à (jui on a conduit mon frère. Si vous voulez éprouver la force de mon Seigneur Jèsus' Christ^ menez-moi au Capitole : fy renverserai Jupiter lui- même ^ le prince de vos démfms. » JJraccus le fait battre et renvoie travailler aux carrières du Mont de Circée. Il y trouve une démoniaquCy la fille du tribun Probus, qui commandait là [qui prœerat loci] ; et^ comme il la guérit, Probus le pro- tège : ce Probus méritait son nom. C'était un citoyen de hole. Félix guérit encore Vhydropisie de sa femme et il le convertit. Son collègue le dénonce au consularis ; ma/^ les membres de /'offîcium qui viennent arrêter Probus sont aus- sitôt saisis d'atroces douleurs dans les mains ; elles cessent sitôt quils confessent le Christ et se font baptiser.
Lorsque Probus a fini son temps de tribun (expleto autem tribunitii tempore), Félix revient à Noie avec lui, met en fuite r idole d'un oracle païen et en convertit le prêtre ; il par- donne aux voleurs qui viennent, la nuit, voler les légumes de son jardin; il convainc d'impuissance Apollon qui ne peut deviner ce que cache son poing fermé {un petit Evangile)^ et le réduit au silence^ et brise sa statue. Les païens se conver- tissent ; on construit un oratoire au lieu même où Apollon était adoré. Le bienheureux Félix survit douze années (à ces événements) dans cette ville ; tous les païens qui voulaient at- taquer les chrétiens (? christianum rapere conareturj étaient saisis par le démon, puis guéris par Félix, et se convertis- saient. La douzième année, un dimanche, après avoir célébré les mystères, il s étend sur le pavé (projiciens se in pavi- mQXiixxm) pour prier et va vers le Seigneur Christ qui vit et règne avec Dieu le Père dans l'unité de F Esprit-Saint à tra- vers tous les siècles des siècles. Amen.
A la fin du vin'' siècle, il y avait à Rome, sur le Pincio — un peu en arrière, sans doute, et au nord, de la Trinité des Monts d'aujourd'hui — une église qui tombait en ruines et que reconstruisit le pape Hadrien, 772-795 : elle était dédiée à un saint Félix *.
De quelle époque datait l'église? Rien ne permet de le dire
1 L. P., 1, 500: « Basilicam vero beati Felicis positam in Pincis, quse in rui- nis erat et tectum eius distectum existebat, facto eodem tecto, noviter ipsam ecclesiatn renovavit et vestem super altare eiusdem ecclesise de quadrapolo faciens obtulit ».
FilAX DU PINCIO 233
avec certitude. Mais je lis, dans le calendrier populaire :
XIX Kal. Feb. Nolae^ Fèlicis preshyteri, in Pincis se- pulti ^
Les mots Nola?, Fèlicis^ in Pincis prouvent que le Félix du Pincio doit être identifie à saint Félix de Noie. Les mots in Pincis sepidti s'expliquent si Ton admet l'existence de Téglise consacrée à Félix de Noie, sur le Pincio, au temps où Ton compilait le calendrier : V église aura suggéré le tombeau. Dès lors, l'église du Pincio pouvait exister au début du vu^ siècle ; et le culte de Félix n'y devait pas ôtre établi depuis peu.
Le mart3Tologe d'Adon confirme ce qu'on a dit : s'il ne mentionne pas expressément l'église de saint Félix sur le Pin- cio, il rapporte que le corps de saint Félix a été enseveli sur le Pincio, près de Rome^ et que son tombeau est signalé par des miracles :
Sepultusque iuxta Urbem in loco qui dicitur Pincis^ ubi claris sernper fulget virtutibus, ab Helpidio venerabili et sancto viro ^.
C'est dire qu'zY y eut transfert de culte et romanisation du saint. Sans doute l'évolution de la légende s'est-elle achevée et a-t-elle abouti au dédoublement du personnage : le tom- beau fictif du Pincio n'a pas supprimé le tombeau réel de Noie. Paulin parle de ce dernier, il le place hors de la ville, en pleine campagne ^ :
Quœ mûris regio et tectis longinqua vacabat, fusus ibi laeto ridebat cespite campus^ uberius florente loco^ quasi prescia iam tune semper honorandi mundo uenerante sepulcri gaudebat sacro benedici corpore, seque veris amœna habitu, quo dignior esset humando martyre^ gramiiiibus tellus sternebat odoris.
Le texte qu'on a résumé d'abord présente ce curieux carac- tère qu'il reflète la légende au point moyen de son évolution, à mi-chemin, si je puis ainsi dire, de Noie et de Rome.
C'est Félix de Noie que notre texte célèbre : il l'associe étroitement à un tribun Probus, qui est civis nolanus ; après
i P. Z,., 123, 147-148.
2 P. I., 123, 215, D.
3 Car m. nat., vi, 132 [P. X., 61, 493, C, D].
234 TRADITIONS DE GAMPANIE
un court séjour au mont de Circée, c'est à Noie que V6\'\x et son ami l*robus viennent s'établir ; c*est là que, durant douze années, il lutte contre les païens et c'est là qu'il meurt.
Mais ce n'est pas là qu'il est enterré. Notre texte ne dit pas, sans doute, que le tombeau est hors de Noie ; mais il ne rap- pelle pas davantage, au contraire de ce que l'on attend, qu'on peut le vénérer à Noie : aucune allusion à ces miracles qui sont de style. Ce silence est significatif. Et voici qui l'est bien davantage : comme il se détache de Noie, saint Félix prend racine à Rome. On le transforme en un frère d'un autre Félix, martyr de Rome qui, associé à un saint Adauctus de Rome, est fêté à Rome le 30 août :
Factum est autem ut (post) completionem beatissimi Felicis presbyteri alius Félix germanus eius iunior nomine et actione et ipse presbyter. . .
Quelques vers de Damase ont été compris de travers et ont facilité l'équivoque :
0 semel atque iterum vero de nomine Félix.., Qui intemerata fide contempto principe mundi Confessus Christum cœlestia régna petisti. 0 vere pretiosa fides, cognoscite, fratres \
Damase joue sur le nom Félix ; il félicite semel atque ite- rum celui qui le porte, de Tavoir si bien mérité et d'avoir ga- gné le royaume du ciel ; Damase s'adresse ensuite à ses frères et leur montre par là le prix de la foi : c'est elle qui a valu à Félix son bonheur. Un lecteur... distrait a vu dans tout cela qu'il y avait eu deux frères du nom de Félix ^ : et voilà com- ment Félix de Noie s'agrégea à la troupe des martyrs romains î
On aperçoit d'autres traces encore de la « romanisation » de Félix : sa légende est compilée d'après les gestes romains. Le nom de Draccus est emprunté di Félix- Adauctus ^ — L'épreuve
1 Ihm. n. 7, p. 10-11.
2 L'hypothèse, présentée par Delehaye, est très vraisemblable : les saints du cimetière de Commodille [Analecta, xvi (1897), p. 22-28]. — Sur Félix et Adauctus, cf. G. M. R., i, 244.
3 « RoQicE, via Ostiensi, milliario secundo ab Urbe, natale beatissimorum martyrum Felicis et Adaucti, sub Diocletiano et Maximiano imperatoribus, prsefecto et judice Draco. » — Je cite d'après le résumé d'Adon \P. L., 12:^, 342, D. — 30 août]. — Les gestes de Félix et Adauctus sont explicitement vi- sés par notre texte : « B. Félix ait : puto quod inimici eslis deorum vestro-
LES SOURCES DE LA LEGENDE 235
imposée à Apollon est suggérée par Pierre-Paul *. — La guéri- son de la fille du tribun qui commande au lieu d'exil du mar- tyr est imitée de Nérée K — L'attitude du tribun qui délivre les chrétiens confiés à sa garde rappelle ce qui se passe dans Se- bastien \ — L'idée que le rédacteur se fait du Capitole apparaît déjà dans Calliste % Marcianus, les Martyrs Grecs, — Et Yalenlin s'étend sur le sol pour prier % aussi bien que Félix. Le Félix que nos gestes célèbrent s'appelle encore Félix de Noie ; il est plus qu'aux trois quarts romain.
A quelle date le texte remonte-t-il?
Les mots pagani et Jovem principem ddpmonioriim, le fait que Félix n'est pas présenté comme un martyr, tout cela nous défend de nous arrêter avant le vi® siècle, et même, sans doute,
rum effecti ; ad quoscumque enim me duxeritis in deorum templis, hoc eis eveniet quod illis evenit ad quos meum fratrem duxisse vos iam peni- tet » [Félix Romanus]. Or je lis: c Félix... perductus iuxtatemplumSerapis, dum cogeretur ad sacri Scan dum, exsufflavit in faciem statuœ aereae, et statim ceci- dit. Item ductus ad Mercurii statuam,... Item ad simulacrum Dianœ, quod pari modo dejicit {P.L., 123. 343, D. Félix Adauctus].
1 Pierre défie Simon de deviner ce qu'il pense : « Petrus dixit : Divi nitas in eo est qui cordis rimatur arcana; dicat nunc mihi (Simon) quid co- gito uel quid facio, quam cogitationem meam, antequam hic mentiatur, prius tuis auribus insinuo, et non audeat meutiri quee cogito. Nero dixit : Accède hue, et die mihi quid cogitas. Petrus dixit : lube mihi adferri panem orda- ceum ei occulte dari... Petrus benedixerat panem quem acceperat ordeaceum et fregerat et dextera atque siuistra in manica coUegerat. Tune Simon indi- goatus quod dicere non posset secrelum apostoli... » [Pseudo Marcellus, § 24-27. — Lipsius, 141-143]. — Cf. « Videns popuium iutrantem dixit eis (Félix) : Si vero diviuus est Apollo, dicat mihi quid ego clausa manu retineo. Erat autem in manu eius Evangelium brève iu quo eratscriptura orationis dominicae. Et cum non posset nullus indicare, nec sacerdosnec vates eorum... [Félix Romanus,5].
2 Eutyches exilé au 16» mille de la voie Nomeutane guérit la fille du con- ductor loci [G. M. R., i, 209] ; Victorious, exilé auGO® de la Voie Salara, guérit le vice dominus de l'endroit, qui est paralytique ; IMaro, exilé au 130^ mille, guérit le procurateur de Septempeda qui est hydropique [G. M. R., i, 228].
3 « Igitur cum omues ad domum priiniscrinii perducti starent catenarum nexibuâ vincti. hoc modo eos vir Dei Sebastianus alloquitur... Tune b. Sebas- tianus jubet eos omnes a vinculis calenarum exsulvi. » [Sebastien^ 30]. — «Tuuc Probus tribunus cum vidisset hoc miraculum factum..., exiude iam noo..- permisit penilus ut ibi injuriae (Félix) subjaceret ». [Félix Romanus, 2].
* « Temporibus macrini et alexandri iacendio divino coucremeta est pars capitolii a meridiano et intra templum iovis ruit manus sioistra aurea et re- liquata est [Calliste, 1]. — Cf. G. M. R., i, 135-136 et les gestes des Martyrs grecs : « Capitolium deeeritur et omois cultura templorum desolatur ». — «... ad capitolium me ire jubete ut ipsum jovem principem daemoniorum ves- trorum ruere faciam » [Félix Uomanus, § 1]. — Cf. supra p. 224.
' « Valentiûus... strato... humi cililio eleuauit puerum cerimouem de lecto et proiecit eum seminecem in eo cilitio in quo ipse orare consueverat... » [Valentin], — « Projiciens se in pauimeutum iu orationem... » [Félix Roma- nut, 6].
236 TRADITIONS DE CAMPANIR
avant le milieu ou la fin de ce siècle. Comme, d'autre part, nos gestes ignorent l'ensevelissement in Pincis, bien qu'ils y tendent ; comme cet ensevelissement in Pincis est aitest/3 dès le premier quart du vii^ siècle, sans doute, par le calendrier populaire, on doit croire qu'ils sont antérieurs à cette époque, ou qu'ils ne la dépassent guère : on peut les rapporter sans crainte d'erreur au début du vu" siècle ou à la fin du vi\
Quelques faits confirment cette impression.
Le rédacteur raconte une curieuse histoire de voleurs : ve- nus la nuit dérober des légumes, ils trouvent (des pioches et des instruments) de fer et, contraints par la force mystérieuse du saint, croyant le voler, ils travaillent pour lui, à la clarté de la lune, jusqu'au jour.
Cum autem ibi fuisset s. Félix et ortum sibi excoleret, uene- runt nocte qui olera râpèrent : et inuenientes ibi uangas^ tota nocte luna lucente laborauerunt. Videbatur autem eis quod furtum facerent, Illi autem mane inventi sunt laborantes, Q210S cum vidisset s. Félix, dit eis : adjuvet uos Dominus, filioli. Illi autem mittentes se ad pedes eius confessi sunt quid uoti eorum fuisset et quod Dominus procuras s et *.
Saint Grégoire raconte une histoire presque identique, qu'il rattache à saint Isaac, l'ermite syrien de Spolète ^ :
Die quadam ad uesperum in hortum monasterii fecit j acta- ri fer rament a, quœ usitato nos nomine uangas uocamus. Dixit itaque discipulis suis : Tôt uangas in hortum projicite et citius redite. Nocte uero eadem dum ex more cum fratribus ad exhi' bendas laudes Domhio surrexisset, prœcepit dicens : Ite et ope- rariis nostris pulmentum coquite ut mane primo paratum sit. Facto autem mane fecit deferri pulmentum quod parari jus- serat atque hortum cum fratribus ingressus, quot uangas iac- tari prœceperat tôt in eo laborantes operarios inuenit. Ingressi quippe fures fuerant, sed mutata mente per spiritum appre- henderunt uangas quas inuenerunt et ab ea hora qua ingressi sunt quousque uir Domini ad eos ueniret, cuncta horti illius spatia quœ inculta fuerant coluerunt. Quibus vir Domini mox ut ingressus est, ait : Gaudete, fratres, multum laborastis, iam quiescite. Quibus illico alimenta quœ detulerat prœbuit,
1 Félix Romanus 4.
2 Sur lequel, cf. supra, p. 61.
LE TEXTE d'aDON 237
eosque post tanti laboris faligationem refecit. Suf ficienter au- tem re fer lis ait : JSolite rnalum facere *...
Grégoire cite ses auteurs : ceux qui l'ont renseigné sur [saac sont des moines — multi nostroriuriy — principalement une religieuse Grégoria qui, au moment où il écrit, habite encore à Rome à coté de l'église de Sainte-Marie, — enfin le véné- rable Eleuthère ^
Il n'est pas tout à fait nécessaire, dès lors, d'admettre que le texte de Grégoire a influencé le rédacteur de Félix : celui-ci a pu connaître directement la tradition de Spolète, comme il a pu s'inspirer du récit de Grégoire. De toute manière, on ne risque pas de se tromper beaucoup en faisant de lui un con- temporain du pape, en datant son texte de d~ 600.
Les termes de la langue administrative dénoncent la même époque : je passe sur officium^ consularis , prœfectus Urhi ; j'insiste sur le tribunus. D'après Félix Romanus, le tribun est le commandant local, nommé pour une durée déterminée; il est assisté d'un collega. Or, au temps de l'exarchat, le tribu- 71US « est le commandant militaire de la ville où il réside et du district environnant M) ; il a reçu, en matière civile, des attri- butions très étendues ; il est le représentant de l'exarque, qui le nomme. Nous ne savons pas qu'il ait un collègue ; le dé- tail, pourtant, n'est peut-être pas fictif.
Reste un problème. Quel est le rapport de nos gestes au texte d'Adon qui raconte l'histoire de Félix de Noie?
Le récit d'Adon * se caractérise par les traits suivants : 1. Le culte est expressément rattaché à Noie :
XIX Kal. februarii. Apud Nolam Campauiœ, natale beati Felicis presbyteri.
2. Le corps est enseveli in Pincis, par un saint prêtre Ilel- pidius qui confesse la foi contre les hérétiques, et meurt mar-
1 Dialog.,\\\, 14, P. L., 11, 245.
^ Eodem loco. P. L., 11, 244. B. — Noter que la légende de Paulin, le chantre de Félix, conte qu'il cultivait des légumes en Afrique. Dial., m, 1. — P. L., 77, 217. Je me demande encore si l'épisode de l'oratoire construit par Félix au lieu même où était adoré Apollon, n'est pas inspiré par ce pas- sage de saint Grégoire: sur le mont Cassin, saint Benoît construit un oratoire consacré à saint Jean et à saint Martin ou lieu même où était adoré Apollon. [f\ L., 66, 152J.
3 Diehl, 113-123.
'' P. i., 123, 214-215.
238 TRADITIONS DR CAMPy\NIE
1}T. Adon croit, selon foules les vraisemblances, que le l^incio se lr()uv(; près de Noie. Voici le texte :
ScpuUiisque luxta urbcm in loco (/ni dicitur Pincis, ubi claris semper fulget virtulibiis, ab lloApidio.., Ilic. martyr et conf essor hœreticis invictissime restitit.
3. Maxime, évêque de Noie, le sacre prêtre : — 4. Félix est supplicié après qu'il a délié les dieux, mais l'ange de Dieu le délivre et l'envoie chercher son évèque ; — o. Félix trouve son évêque mourant de faim, le réconforte avec des raisins miraculeux et le porte à la ville chez une veuve ; — 6. Après qu'il a converti Probus, on vient l'arrêter ; on lui demande à lui-même où il est ; il se sauve et se cache dans un trou que dissimulent des toiles d*araignées ; une femme l'y nourrit trois mois ; — 7. Après qu'il a chassé Apollon, à Noie, il refuse l'épiscopat que lui offre le peuple.
Les gestes se caractérisent par les traits suivants : 1. Probus est dénoncé par son collègue au consularis ; mais les membres de Vofficiiim qui viennent l'arrêter sont miraculeusement saisis de douleur, et se convertissent ; — 2. L'épisode des vo- leurs de légumes ; — 3. L'histoire du petit évangile qu'il tient dans le poing et que ne devine pas Apollon ; — 4. La cons- truction d'un oratoire à la place du temple d'Apollon ; — 5. La doxologie in unitate spiritus sancti.
Les gestes et Adon ont en commun : 1. Le personnage de Félix de Noie; — 2. L'idée que Félix de Noie est le frère de cet autre Félix qui est le compagnon d'Adauctus : Adon ren- voie expressément à leurs gestes :
Hoc eis eueniet quod euenit illis ad quœ meum fratrem Fe- licem uos duxisse pœnituit ^
3. La comparution devant Draccus et le défi de Félix ; — 4. L'exil au mont de Circée et la conversion de Probus ; — o. La conversion du pontifex dœmonum de Noie, l'expulsion d'Apol- lon et la destruction de son temple ; — 6. La mort de Félix douze ans après.
11 n'est pas sur, comme on pourrait d'abord le croire, que la mention du tombeau in Pincis ait été empruntée par Adon au calendrier populaire : le calendrier ignore le confesseur et martyr Helpidius, qui est mis en étroite relation avec le tom- beau du Pincio. D'autre part, le récit d'Adon suppose les gestes
1 P. L. 123, 214. c.
MAXIMUS DE GUMES 239
(le F'elix-Adauctus. Le texte d'Adon témoi<>ne déjà de la ro- manisation de Félix ; il n'exprime pas la pure légende de Noie. Mais, dans Adon, la romanisation est moins avancée que dans les gestes : ceux-ci ii^norent complètement l'évoque de Noie, Maximus, qui tient une grande place dans le récit de celui-là ; ils ne soufllent mot de Tépiscopat de Noie, qui est olTert à Félix ; ils ignorent cette cachette où il s'est réfugié, et qu'on devait se montrer à Noie. Adon, de fait, récrit en prose les fameux poèmes de saint Paulin. Les traits propres aux gestes n'ont aucune couleur locale : ils se retrouvent dans d'autres légendes. J'imagine que le texte dont Adon s'est servi ^ est antérieur aux gestes ; que le rédacteur de nos gestes a re- tranché de la source d'Adon les détails qui avaient une physio- nomie nolasque ; et que, pour élotler son récit devenu un peu maigre, il y a introduit, d'après ses souvenirs, surtout d'après S.Grégoire, la quadruple histoire des soldats soudain torturés, des voleurs soudain convertis, du petit évangile caché dans le poing et de l'oratoire succédant au temple ^
II
es
de
3 3 Au temps de Dloclétien et de Maximien empereurs, sous le
préfet Antonin, on fit une grande persécution contre les chré- tiens : sur les places, dans les nymphées, autour des maisons, on élevait des idoles auxquelles chacun devait sacrifier avant de pouvoir acheter ou vendre. C'est alors que le praeses Fa- hianus est envoyé dans la cité de Cumes ; il convoque le peuple, lui dit sa mission, et tout le peuple se jette à terre et
1 II est très possible qu'AdoQ ait copié textuellemeat la plus grande partie de ce texte. Noter que, dans Adou, l'épisode du temple d'ApolloQ est très l.ref ; et que, dans les gestes, il est maladroitement coupé eu deux par l'histoire des voleurs.
* On ne peut pas dire la date exacte du texte que lisait Adon, ni de l'in- troduclion à Rome du culte de Félix de Noie.
3 B. H. L., 5846, 30 octobre, 319.
240 TRADITIONS DE CAMPANIK
adore les idoles. Il y avait alors^ à Cumes, un homme saint et chaste^ Maximiis ; il arme son front du trophée de la croix et se présente au prœscs. « Tu n échapperas pas à Dieu^ lui dit'il ; pourquoi pousser les hommes à adorer les idoles sourdes et muettes ? » — « Qui donc es-tu (cuius condicionis esj pour me parler ainsi ? )) — a Je crois au Christ. » — « Ne sais-tu pas que les empereurs invaincus m'ont confié cette province pour tuer ceux qui ne voudraient pas sacrifier ? if> — « Tais- toi, malheureux / » J^t, tandis quon le bat, les bras des bour- reaux défaillent de douleur : on reconduit M aximus en prison. Il y reste dix jours, sans eau ni pain. Mais le Seigneur le ré- confortait : range du Seigneur le visite au milieu de la nuit, la terre tremble, ses chaînes tombent. Les deux cents prison- niers qui sont les compagnons du martyr se convertissent, et Maximus remercie Dieu et lui demande un prêtre : crainte des embttches de Fabianus, les prêtres étaient dispersés. Or le Seigneur apparaît à Vévèque Maxentius et V envoie à laprison, porteur des mystères. Maxentius se tient devant les portes et crie: a Si quelqu'un désire se faire baptiser, quil vienne: je SUIS prêtre de mon Seigneur Jésus-Christ ». Tous se jettent à ses pieds, et il les baptise au nom du Père, et du Fils et de l'Esprit-Saint ; puis, il s'en va.
A la nouvelle de cette conversion, Fabianus laisse les pri- sonniers en prison, et fait venir Maximus : il sacrifiera, ou marchera pieds-nus sur des charbons ardents. Maximus arme son front du trophée de la croix, et marche, au nom du Sei- gneur Jésus-Christ, sans rien sentir : « Mets donc, au nom de ton Jupiter, ta main sur ces charbons : nous verrons s'il te délivrera. » — Quels sont ces maléfices, » dit Fabianus. — a JHgnore tout maléfice ; c'est mon Seigneur Jésus-Christ qui opère en moi ce prodige )). On le suspend sur le chevalet ; il prie le Seigneur et le chevalet se brise. On amène son enfant ; il a trois mois ; et V enfant confesse à haute voix que le Christ est le vrai Dieu, qui nous a rachetés par sa passion. Le ^vdèses, redoutant une sédition populaire^ le fait battre de coups; r enfant meurt après avoir demandé de Veau : « C'est Veau du ciel que tu vas boire, » lui répond sa mère, toute joyeuse d'avoir offert à Dieu, innocente hostie, le fruit de son sein.
c( Combien de temps useras-tu de tes maléfices, dit Fabianus au martyr. » — « Pourquoi m' interroger ? Je rends grâces au Christ qui a couronné mon enfant. » On le suspend la tête
I
MAXIME DE CUMES 241
en bas ; il perd tout son sang par le nez ; mais y sept jours après y il est vivant encore et invoque le Seigneur ; et les dix- huit soldats qui le voient sont aveuglés, et lorsqu'ils im- plorent le Seigneur Jésus-Christ, ils sont aussitôt guéris. On les décapite avec les deux cents prisonniers qui ont reçu le baptême; leurs corps sont ensevelis soigneusement par les chrétiens. — Cependant Fabianus veut toujours dompter Maximus ; mais les flammes qui lui brûlent les côtes ne r en- tament paSy tandis qu'elles tuent un des ministri ; beaucoup se convertissent^ et le martgr ne cesse de louer et d'implorer le Seigneur. Il refuse encore^ un autre jour, d'adorer Ascle- pins ; son sang rougit la terre^ qui ne l absorbe pas, et té- moigne ainsi contre le persécuteur. Il le défie et raille son impuissance. A la fin, Fabianus dicte la sentence : a T impie Maximus est rebelle aux dieux, blasphème les empereurs, refuse de sacrifier : qu'il soit mis à mort, et son corps aban- donné aux oiseaux. »
F^es soldats le conduisent à deux milles de la cité. Il chante le long de la route, et il prie, a Dieu tout-puissant, dit-il, ouvre les geux de tous ceux qui m' entourent , pour qu'ils sachent que tu es le seul Dieu, et quil ri y en a point d'autre hormis toi ». La terre tremble, beaucoup se convertissent, et reçoivent le baptême ; les soldats les imitent. On enterre Maximus au lieu qui est appelé Via Caballaria, où les miracles se multi- plient jusqu'à ce jour : les lépreux sont guéris, les démons chassés... Quinze ans après, comme les reliques de Maximus étaient cachées, le saint apparaît à une pieuse femme : « Ju- lienne, lui dit-il, avertis les prêtres afin quils transportent mes reliques. Je suis Maximus^ confesseur de Dieu, » — € Nous ne savons où tu reposes. » — « Cherchez dans le champ innocent ? au point où se dressé la croix [in agro inno- centi ubi uideritis Crucem]. » Toute la cité, chantant et bénis" sant le Seigneur, va chercher le corps: on le trouve, il est intact, blanc comme la neige ; on l'ensevelit avec des aromates, en glorifiant Dieu qui couronne ses saints. Le bienheureux Maximus a souffert le IV des kalendes de novembre, tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Chinst à qui honneur et gloire et empire dans les siècles des siècles. Amen.
III 16
242 TRADITIONS DE CAMPANIK
Cette légende nous est parvenue dans un autre texte ' fjul rappelle de très près le précédent, niais qui s'en écarte par deux traits : il remplace Cuines par Aparnée, il ignore la révé- lation du corps à Julienne.
Or, nous pouvons identifier avec certitude cette Julienne : c'est une sainte vénérée à Cumes et qui vient peut-être de Ni- coniédie ; l'efflorescence de son culte date de la seconde moitié du vi** siècle ^.
Cette sainte de Cumes tendait à s'associer à Maxime de Cumes : ils ont tous deux même attache topographique, et je rencontre à Naples, à la fin du vi® siècle, un monasterium sancti Archangeli quod Macharis dicilur atque sanctorum Ma- ximi, Erasrni et Julianœ ^ . On en vient à soupçonner que le développement de Maxime est parallèle au développement de Julienne et à* Erasme, que le culte et le texte datent de la se- conde moitié du vi® siècle.
Est-ce à dire que Maxime, comme Julienne et sans doute Erasme, repose sur un texte grec? Le contraire est tout à fait assuré. Maxime est copié sur Pontien de Spolète *. Voici les points de contact des deux légendes : 1. Mission du juge Fa- bianus ; 2. Le peuple se montre d'abord docile à ses volontés ; 3. Le martyr marche sans se brûler sur les charbons ardents après s'être signé au front ; 4. Les bras des bourreaux dé- faillent ; 5. Le martyr est enfermé en prison sans nourri- ture ; 6. Pourtant il ne meurt 'pas, car il est assisté par Dieu.
Le rédacteur a emprunté quelques traits secondaires à d'autres textes, latins ou grecs. Asclepius vient sans doute de Grégoire de Spolète, qui est apparenté à Pontien. — C'est Hedestus qui a suggéré, j'imagine, l'épisode de Maxentius, les prêtres dispersés, les fidèles qui les cherchent parce qu'ils ont besoin de leur ministère. — Et l'enfant qui parle et confond le juge a certainement été pris soit à Cyricus-Julitta % soit à
1 B. H. L., 5845. Bibl. Casinensis, m, flor. 147, ou 30 octobre 319.
2 Cf. G. M. R., V.
3 Grégorii Epist, x, 14, P. L., 77, 1076, B. [et ix, 170, 172; tome II. 167, 169, M. G.]. Ce monastère a été fondé, récemment semble-t-il, par une cer- taine Alexandrin. — Est-ce des reliques de ce Maximus qull est question danu une lettre de Grégoire à Chrysauthe de nov. 598 [M. G. ix, 49. — tome I1,76J?
4 Cf. supra, p. 100,
5 Cf. G. M. R., V.
SOURCES DE LA LEGENDE 243
Prudence ', qui conte une liistoire toute semblable. Saint Ro- manus interroge un enfant.
« Romanus ardeiis experiri innoxiam Lactantis oris indolem : « Filiole, ait, Die quid videtur esse verum et congrueiis, Unumne Christiim colère et iii Christo Patrem ; Au comprecari mille formarum deos. » Arrisit infans, nec moratus retulit : « Est quidquid illud quod ferunt homines Deum, Unuiïi esse oportet, et quod uni est unicum. Cum Christus hoc sit, Ghristus est verus Deus. Gênera deorum multa nec pueri putant.»
Dès lors, comment concevoir le rapport des deux versions qu'on a dites ?
Apamée est proche Antioche ; et notre texte est latin ; Maxime est évidemment un saint local de Cumes, ville latine ; son culte est attesté au temps de saint Grégoire, àNaples, ville latine. L*attache d'Apamée est donc, très certainement, fictive. J'imagine qu'elle a été suggérée par l'attache nicomédienne de Julienne. La version où apparaît Apamée est donc postérieure, de peu sans doute, à la version latine de Julienne.
L'ensevelissement de Maxime par une pieuse femme nommée Julienne suppose seulement qu'on vénérait à Cumes une sainte Julienne. Nul besoin de faire intervenir la légende de cette sainte : il est très possible que le culte local de Julienne à Cumes soit antérieur à la légende grecque et indépendant d'elle. La version ce Julienne » serait donc antérieure à la ver- sion « Apamée ».
Mais voici une difficulté. Comment admettre la disparition de Julienne dans la version c( Apamée » ; le rédacteur qui veut modeler l'histoire de Maxime sur l'histoire de Julienne a-t-il donc intérêt à séparer les deux saints que réunissait la légende de Cumes? — Je ne vois pas de réponse satisfaisante. Les faits sont tels : ils trahissent sans doute un caprice de nos rédac- teurs. L'époque à laquelle ils écrivaient reste, du moins, bien assurée : c'est la seconde moitié, peut-être la fin du vi® siècle.
' Péri Stgphanon, x, 661, sq. Ruinart, 395.
244 TRADITIONS DE CAMPANIE
TII
Gestes de Lorsque fut mort Vimpie empereur Adrien, dont la cruauté de Sora i avait désolé le monde, Aurélien monta sur le trône: il n était pas moins cruel. En ce temps-là brillait à Rome, dans la ré- gion qu^on appelle le Trastevere [in regione quœ transty- berim dicitur], une j eune fille appelée Restituta. Son père se nommait Ethel, sa mère Dabia. Elle était belle, noble, riche', aussi beaucoup voulaient-ils U épouser, et lui offraient de Vor et dés étoffes d'or. Restituta restait fidèle à V amour du Christ; elle priait nuit et jour, les mains au ciel: c( Seigneur, disait- elle, toi qui as envoyé V archange Gabriel à la très glorieuse vierge Marie, toi qui as converti Veau en vin à Cana de Ga- lilée et éclairé la Samaritaine, daigne m'envoyer ton ange afin de me garder continuellement [iugiter] / » Et l'ange du Seigneur apparut, le visage étincelant, dans une robe blanche : (( Je suis r archange Gabriel, un des sept qui se tiennent tou- jours devant le trône du Seigneur. » — « Mon cœur frémit, répond Restituta, lorsque je vois les chrétiens traqués et tor- turés comme des bêtes. » Et voici que sa frayeur redouble : le diable lui apparaît avec sa hideuse figure et la menace de lui faire couper la tête. Mais la sainte le chasse par la force du signe de croix ; et le Seigneur lui apparaît en personne, la rassure et V envoie à la cité ciui est appelée Sora : « Va, disait- il, à la porte du Latran ; tu y trouveras un ange qui te con- duira à Sora. »
Lorsqu'elle se réveille, Vange la saisit par les cheveux et, comme autrefois le prophète Abacuc de Judée en Chaldée, il la transporte de Rome à Sora. Une veuve avait son fils ma- lade; Restituta implore le Dieu qui a guéri Tobit et la belle» mère de Pierre, et la santé est restituée [restituta est] à V en- fant ; et quarante personnes se convertissent, bénissant le
1 B. H. L., 7192. Bibl. Casinensis, m, fl. 12-16.
RESTITUTA DE SORA 245
Seigneur qui a prédestiné Restituta, selon la signification de son nom [secundum nominis sui elliiinologiani], à sauver les habitants de Sor a ! .., La nouvelle de la guérison de Cyrille parvient au consul de la cité, V inique Agacius. Il veut épouser Restituta, bien qu'elle soit réponse du Christ^ et sa servante. Restituta refuse, confesse sa foi et est torturée. Mais Vange la visite, et le pieux créateur et rédempteur du genre humain Ipius conditor et redemptor huinani generis] vient dans sa prison lui apporter sa récompense et souper avec elle : que nul n^en doute. Les ministres d'iniquité tombent à ses pieds et sont baptisés par le prêtre Cyrille au nom du Père y et du Fils et du Saint-Esprit ; ils étaient au nombre de trente-neuf. On les conduit donc hors des murs au lieu qui est ditFoTus(?)près d'un très ancien temple, et ils y sont décapités. Au temps de la paix ^ on purifie cet endroit \impur~\^ et on y consacre un temple du Seigneur en Vhonneur de sa mère sainte Marie et de saint Pierre apôtre. Les ministri qui les ont mis à mort de- viennent aveugles^ et, dans leur détresse, ils implorent Resti- tuta : elle les guérit et les convertit. Agacius la fait compa- raître encore^ il lui offre le mariage, il la somme de sacrifier : mais en vain : a lu ri es que cendre et pourriture et ver de tombeau, lui dit-elle ; je ne veux pas de toi pour époux, je n'adorerai pas tes dieux ! » Décapitée près du fleuve Camellus, elle est ensevelie à côté de l'église du bienheureux Jean-Bap- tiste, au point où, plus tard, une église fut construite en son homieur, (Dieu) y opère beaucoup de miracles, aussi bien que partout où une église est placée sous son nom. — Sept jours après sa mort, elle apparut au vénérable Amasius, évéque de cette cité de Sora: il retrouva la tête de la sainte,
Restituta est inconnue du férial hiéronymien, du calendrier populaire et d'Adon : la seule Restituta que signale le premier de ces textes [18. 5 Kal. ian.] est la célèbre martyre africaine. C'est celle-ci, peut-être, qui fut vénérée à Sora comme elle l'était à Naples \ et qui, à la longue, fut considérée comme martyre de Sora. L'histoire de Sora est malheureusement peu connue : nous savons seulement que, à l'aube du vni® siècle, elle fut prise par Gisulf de Bénévent*.
' B. H. L., 7190 [17 mai, 20].
2 Paul Diacre, vi, 27. [Waitz. p. 174].
1
2iG TFtADITIONS ])R CAMPANlIî
La légende de Restituta et des guérisons merveilleuses qu'elle opère a été suggérée certainement — le rédacteur le laisse voir — par le nom de la sainte, secundum norninis... ethimologiàm. Et ce souci du sens étymologique des noms nous fait souvenir d'Abundius * et de Gaudentius 2. — Les offres des prétendants à la sainte sont un souvenir à* Agnès. — Les termes redemptor et conditor.., sont peut-être inspirés par Consta7itius. — Les livres canoniques de Tobit et de Ilabacuc sont manifestement connus de l'auteur.
La légende présente encore certains traits, quelquefois très rares, qu'on retrouve dans les textes du vu® siècle. Ici comme dans Firmina ', le persécuteur veut se faire épouser par la sainte ; et sans doute le dîner que Restituta partage avec le Christ n'est-il pas sans rapport avec le dîner qu'Olympiades offrait à Firmina, et que Firmina refuse : celui-ci aura sug- géré celui-là, à moins que ce soit l'inverse, ou que tous deux aient été imaginés par la même cervelle. — Les événements sont censés se passer au temps d'Aurélien, comme dans /r«?w6''e et Secu7idus. — Les constructions d'églises sont mentionnées ici, aussi bien que dans Gaudentius^ Abundius, Eutychius... — L'apparition du diable et la victoire de la sainte armée du signe de croix ont été empruntées sans doute à Julienne ^. — C'est de Lucie Geminien ^ que viennent sans doute la trans- lation miraculeuse à travers les airs, la mention duLatran, la visite que le Sauveur rend à sa martyre.
Restituta, enfin, est apparenté à la légende (ÏAmasius : les
1 Cf. supra, p. 67-68.
2 Cf. supra, p. 169. Je note aussi, dans Gaudentius, une fontaine sacrée.
3 Cf. supra, p. 129.
*■ Cf. supra, G. M. R., v.
s Cf. G. M. R., V. — Il est possible que le texte qu'on a résumé ne soit pas identique au texte du vu® siècle que dénoncent les points de contact dont on a parlé. Le passage sur l'archange Gabriel a peut-être été écrit à une époque plus tardive, lorsque s'épanouissait le culte du Monte Gargano *. — Noter que i^îVmtna rappelle aussi Lucie-Géminien. — On a signalé trois autres textes : l'un est abrégé, divisé en trois leçons, qu'on trouve dans le bréviaire ca()ouau de 1489; un autre, distribué en douze leçons, est attribué à l'évêque Joîinellus l27 mai, 656, § 7]; le troisième, enfin, est très probablement l'œuvre du moine Grégoire, plus tard évêque de Terracine, qui vivait à la fin du xi^ et au début du xu^ siècle ; il raconte que Restituta est décapitée en compagnie de Cyrille et de deux autres chrétiens ; il ajoute surtout au récit de la pas- sion un liber miraculorum [27 mai, 664 ou 658. — Cf. CaC. Paris, m, 254, n. 3].
* Noter cependant que Michel apparaît dans Alexandre de Baccanoel que le culte du Moule Gargano remonte au vii^ siècle, aemble-t-il.
AMASIUS DE SORA 247
deux saints ont môme attache topo^^ra[)liique, Sora ; ici et là apparaissent des périphrases analogues : conditor et redemptor miindi \I(estituta\, Salvator miindi [Amasliis] ; le même terme higiter ; Amasias, enfin, est expressément cite' par Restituta. Et les textes ne foisonnent pas qui connaissent Amasius !
IV
Amasius^ prêtre du Sauveur du monde [Salvatoris mundi sacerdos], était très instruit dans les dogmes salutaires de la foi : il brillait comme une lumière [dans U Eglise), Aussi dé- sirait-il voir les lieux vénérables [où son Maître avait vécu) afin d'instruire ceux qui ignoraient la foi catholique'. V hérésie arienne avait grandement souillé la Syrie, et la Libye et toutes les provinces, et même, un peu, l'Italie, tant que n^ avaient pas paru les très fameux docteurs Hilaire, Augustin, Ambroise et les autres orthodoxes. Mais racontons comment saint Ama~ sius même guérit un paralytique. Il arrive, chemin faisant, à la ville quon appelle Sora : la veuve qui V accueille a un fils malade; il le guérit. Au bruit du miracle, les habitants accourent : ils demandent continuellement [iugiter] à être ins- truits dans la foi orthodoxe. Amasius se rend à leurs prières ; Urbain, diacre de Vévêque de Teano, se joint à lui, et le fait élire évêque de Teano lorsque m.eurt révêc/ue [qui occupait d'abord cette dignité). Avec l'aide des citoyens de la ville, Amasius construit un portique à colonnes et un cimetière, oli, à sa mort, on V ensevelit en paix. De longues années après, les habitants de Sora qui, d'abord, avaient embrassé les erreurs de rhérésie, mais qui étaient revenus à la foi catholique, — je veux dire : leurs descendants — se ressouvinrent dumiracle qu avait opéré et de la doctrine qu avait prêchée Amasius : ils construisirent une basilique en son honneur, oii pendant de longues années se manifesta la vénération qu'il inspirait ; Vévêque s'y rendait le jour de la fête anniversaire [in amasii
1 B. H. L., 354 [fit*. Casiiiensis, m, fl. 3661.
248
TUAf)ITIONS I)K CAMPANIE
[solepnit<il(»] ; ci les Jiommes pieux y venaûml des pays (Hoiyni's^ apportant leurs offrandes, rendant yrdces au Dieu Père, et FiLs\ et Ksprit-Saintj à qui honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.
Gestes de
Paris de
Teaaum ^
Ce texte est apparenté à Restituta pour les raisons qu'on a dites ; et je crois qu'elles permettent de le dater jusqu'à nou- vel ordre du même temps que Restituta et de l'attribuer au même auteur. Peut-être l'intérêt qu'il témoigne à la lutte contre l'arianisme témoigne-t-il qu'il est contemporain de l'époque lombarde et révêle-t-il un incident inconnu de la conquête.
Amasius est encore mentionné dans un autre récit *, qui prétend également raconter son histoire [B]. Voici quels traits le caractérisent : 1. La persécution arienne chasse le saint d'Orient en Italie ; 2. C'est le pape Jules, romanœ sedis antisteSy qui l'envoie prêcher hors de Rome, au temps de Constance, successeur de Constantin ; 3. Le prédécesseur d'Amasius est nommé, c'est Paris ; 4. Jules consacre Amasius, cornu... gr alise salutaris super caput eius effundens.
Or, Paris de Teanum nous est connu par un texte légendaire dont voici l'analyse.
Comme le monde romain était encore la proie de Vidolatriey Paris ^ prêtre du Seigneur [sacerdos Domini], athénien d'ori- gine, vint d'Orient en Italie, et arriva dans cette ville de Cam- panie ciuon appelle Teanum : il avait été le compagnon de Libanius et de Basile le Grand \à Athèîies?], Or^ Teanum était la proie de t idolâtrie ; on y adorait surtout un dragon, — ce que le vulgaire appelle un boa [boam] ; — il habitait une source profonde à côté de la porte [subterior] inférieure de la cité ; on lui avait élevé un autel, on l'y Jiourrissait religieuse- ment. Mais Dieu a pitié des habitants ; il leur envoie Paris, qui trouve à la fontaine^ portant la nourriture du dieu, la fille du praeses Simpronius , Tranquillina. Il apprend ce ([ui va se passer ; et, fort de sa prière., lorsqii arrive le dragon, il touche la tête du monstre avec le bdton [virgaj qui est [appui de sa marche et le signe de sa force [quam levandi laboris et regiminis causa gestabat]. Le dragon s'endort, Paris le dé-
1 B. H. L., 355 [23 janvier 484 ou 98].
2 B. II. L., 6466 [5 août 73J.
PARIS DE TEANUM 249
pouille de son pouvoir et le jette dans le fleuve Saon. On le traîne devant le praeses : telle est bien lingratitude des hommes! Mais il soutient intrépidement la cause de Dieu, créateur de toutes choses ; il domptCy sans combattre, un ours et un lion gigantesques. Les citogens tombent à ses pieds : il les convertit, il les baptise, il les confirme en les faisant par^ ticiper au corps et au sang du Seigneur [dominici corporis et sanguinis eos participio solidavit]. Après avoir été élu évêque par Silvestre, qui habite le mont Siracte, il ordonne des prêtres et fait diacre le bienheureux Urbain, son troisième successeur ; il détruit les temples des idoles et les bois sacrés, se fait construire un ciinetière par les fidèles après ciue le Saint-Esprit lui a annoncé sa fin, et meurt, et est enseveli le jour des nones du mois d'août. On élève une église sur son tombeau et une basilique près de la source du dragon; ses bienfaits s'g multiplient, grâce au concours de Notre Seigneur Jêsus-Chîist à qui honneur unique, et unique empire avec le Père et l* Esprit-Saint.
Longtemps après V église tombe en ruines et est envahie par l'herbe. Mais les miracles la révèlent aux habitants du pags. Deux paralgtiques, Guiscard et Eustadia...^ et beaucoup d'autres sont guéris.
Il semble que ce texte soit parallèle à la version de Resti- tuta qui est attribuée à Grégoire de Terracine : ici et là, un récit de miracles est ajouté à une vie de saint ; et la légende d'Amasius A est parente à la fois de Restiluta et de Paris.
Voici les traits qui rapprochent Paris d'Amasius A et de Kestituta; 1. Le mot sacerdos [prêtre]; 2. La mention des grands personnages mêlés à l'histoire chrétienne, ici Hilaire, Augustin, Ambroise, là Basile et Libanius ; 3. La construction d'un cimetière et d'une église.
Voici les traits qui rapprochent Paris d'Amasius B : 1. Le personnage de Paris ; 2. L'origine orientale du saint; 3. L'in- troduction dans son histoire d'un pape romain ; 4. L'utilisa- tion du Liber Pontificalis : Amasius y puise ce qu'il dit de Jules et des Ariens et de Constance *, Pains lui emprunte Sil- vestre^ le mont Siractis [Siraptis, Soracte] et l'histoire du
' L. P., 1, 205. « Hic multas tribulationes et exilio fuit mensibus X. »
250 TRADITIONS DE CAMPANIE
dragon*; 5. Paris whoi Amasius sans le nommer: si le ré- dacteur voit dans Urbain le troisième successeur de Paris, c'est qu'il sait quel est le second, Amasius.
Je remarque que le calendrier populaire, au dfibut du vu® siècle, rappelle que le pape Jules eut à souffrir de l'arien Constance :
Via Aurélia, Julii pap^e et confessoris sub Constantio ariano '.
Le pape Jules est cité dans Victorin-Séverin parmi les grands papes.
On se souvenait donc, au vii% de ses démêlés avec les ariens : c'est peut-ôtre de ce temps que datent la légende de Paris et la version B des gestes à Amasius, Paris connaît ces démêlés ; et Amasius B est parent de Paris. Comme il arrive d'ordinaire, la légende d'Amasius s'est donc exprimée à la môme époque sous deux formes distinctes.
L'auteur à' Amasius B et de Paris, un même personnage sans doute, a peut-être emprunté aux gestes des douze Syriens l'idée défaire venir d'Orient ses héros. Peut-être s'est- il souvenu des moines grecs chassés en Occident par la persé- cution des empereurs monothélites : l'histoire de Maxime de Chrysopolis est fameuse.
Il s'inspire manifestement des mythes de Thésée ou de Persée.
Il aimait les réflexions morales : soient... nociva, dit-il,... majori reverentia excoli quanto contigit ca ah hominibus plus timeri ; ou encore : soient perversi homines pro bonis mala rependere, \\ connaissait peut-être les gestes de Donat d'Eu- ria : l'histoire du dragon de Paris est calquée sur celle du dragon de Donat plutôt encore, je crois, que sur le fameux épisode des gestes de Silvestre ^ — Il peut sembler surpre- nant de lui voir citer Libanius et saint Basile. Mais l'auteur de Cassien de lodi faisait de même, et l'on va constater des faits analogues à la même époque et dans le même pays.
1 L. P., 1, 170. « Hic exilio fuit ia monte Siracten,... cuius (Gonstantiai) persecutionem primo fugiens exilio fuisse cognoscitur. »
2 12 avril, P. L., 123, 153-154, — Noter que Donat d'Arezzo va aussi se faire sacrer à Rome par le pape Jules; Donat a peut-être été retouché au dé- but du vii^ siècle [cf. supra, p. 169].
3 Cf. Mgr Duchesne, L. P., i, p. cix. Peut-être aussi y a-t-il à l'origine de l'épisode le souvenir d'un culte païen aaimal.
AMBROISE DE FERENTINO
251
« Au temps des empereia^s Maximien et Dioctétien, il y avait un homme très chrétien, Ambroise, de famille noble, origi- naire de Ligurie, Revenant d'Espagne, le prœses Dacianus le fit entrer parmi ses soldais et le nomma centurion : il con- naissait son courage et sa force. Après avoir rendu compte des affaires dont il avait été chargé et reçu de toute la curie des remerciements et des présents, il fut envoyé en Campante pour détruire les chrétiens et pour s'occuper de diverses autres affaires. Il siégeait dans son consistorium^ à Ferento (in Fe- rentinae civitatis consistorio), lorsque des païens lui dénon- cèrent Ambroise comme chrétien. Il le fait venir: « Je t'ai donné, dit-il, mon amitié , de grands honneurs ; et tu rejettes nos dieux pour adorer un Crucifié ! » — u Oui, j'adore le Christ. » £ty comme il reste fidèle dans sa foi^ Dacia7ius lui fait ôter son ceinturon (balteum), sa chlamyde, son uniforme, son collier d'or : on l'enchaîne, on l'enferme^ sans painni eau. Mais les anges le nourrissaient et le consolaient. Un mois après, quand Dacianus le fait chercher, il n'est pas mort : * Aie égard à ta jeunesse, sacrifie aux dieux!)) — u Satan a endurci ton cœur. Je ne sacrifie qu'à Dieu tout-puissant qui règne dans les deux ! » Quand on le bat, il prie Dieu, il s'offre en sacrifice à lui ; le peuple accourt pour le regarder, et Dacianus, mécontent, le fait reconduire en prison. Quelques jours après, nouvel interrogatoire, nouvelles tortures : Am- broise est plongé dans la poix et la résine bouillantes, et il ne cesse de défier son bourreau : il ne sent rien. Le lendemain, Dacianus va à V amphithéâtre qui est contigu à la porte San^ quinaire, et il se fait présenter le martyr du Christ ; mais, à la prière de celui-ci, après qu'il a levé au ciel les yeux
* R. H. L., 375 \Cat. Paris, m, 546]. [Le texte vient du Codex Parisinus 3278, du xive siècle, f» 142]. — Sur la curie, cf. Diehl : p. 93, sq.
252 TRADITIONS DE CAMPANIK
et les mains, les idoles tombent en poussière^ et lui-même brise le Mercure que Dacianus lui ordonne d^adorer. « Je vengerai les injures de mes dieux », dit le Ujran, FA il fait jeter le saint de Dieu, ligotté, dans une chaudière ar- dente. Mais les Ferentinates qui viennent voir, le lendemain matin, trouvent intact le martyr. A la fin, on le jette, un rocher au cou, dans le fleuve Alabre ; et voici que lange du Seigneur le délie et le sauve : miracle qui convertit quatorze nobles de la cité [de nobilibus]. Dacianus quitte alors Feren- tum et fait dresser son tribunal au lieu quon appelle Vicus : comme Ambroise et les quatorze nouveaux baptisés persistent dans la foi, il prononce la sentence : c< Le centurion Ambroise qui méprise les édits de F empereur romain et prêche le Christ que les Juifs ont crucifié, sera décapité avec ses i4 compa- gnons. » Ce qui fut exécuté par les bourreaux le il des ka- lendes de septembre.
Voici un texte embarrassant. Le centurion Ambroise est in- connu duférial hiéron3^mienetdu calendrier populaire, d'Adon, d'Usuard et de Notker. Chose plus fâcheuse encore, il offre peu de points de contact très nets avec les gestes que nous connaissons.
Le saint jeté au fleuve et délivré par un ange, c'est un trait qu'on retrouve dans Valentin-Hilaire ; le saint qui s'offre lui- même à Dieu en sacrifice et qui fracasse les idoles, voilà peut- être un souvenir de Sabinus ; et c'est peut-être de Secundia- nus que vient cette idole s'effondrant d'elle-même. La porte Sanguinaire me rappelle ce pont et ce ruisseau Sanguinaires qui apparaissent dans Pontien et dans Grégoire de Spolète. J'imagine enfin — c'est ce qu'il y a de plus clair — que la mention de Dacianus et de l'Espagne indiquent des connais- sances et des préoccupations analogues à celle que trahissent la fin de Torpes, Vincent de Bevagna, etc. : par analogie avec Torpes, je daterais Ambroise des environs de l'an 600.
Ce dernier trait nous invite à penser que le rédacteur in- connu connaissait la littérature mart3^rologique : ce qui m'en- courage à proposer l'hypothèse suivante. Ambroise le centu- rion a peut-être été modelé sur Marcellus de Tanger ^. Ici et
1 B. H. L., 5253 |Ruinart (1859), 343]. Tillemont, iv, 575 et 768. Cf. Allard, iv, 132, sq.
MARCELLUS ET APULEIUS 253
là, le martyr est centurion * ; ici et là, le juge sièij^e i?i consis- torio "^ ; ici et là, le saint ôte son ceinturon [halllieum] ^ ; ici et là, on rapporte le texte de la sentence*. Le calendrier popu- laire cite, à la date du 30 octobre, Marcellus de Tanger, cen- turion et martyr ^ J'ajoute que, à cette même date, dans ce même pays %ona une preuve certaine de l'inQuence qu'exercent surles rédacteurs de nos légendes les actesdu martyr deTanger. Je vise la légende de Marcellus et Apuleius.
VI
fii-
ie Au temps de Julien Auguste, il y avait à Rome [in Urbe] un centurion ordinaire [centurio ordinarius], nommé Mar- cellus : il était riche et libéral. La grâce de Dieu qui veut sauver tous les hommes... fit quil se soumit à la religion chrétienne ; il secourait les pauvres et les indigents. Comme il se rendait en Apulie, et passait par Capone^ il fut arrêté par le praeses Dragontius sur l'ordre de César. Il refuse de sacri- fier, il est emprisonné y et quand, Dragontius mort, son suc- cesseur Fortunatus veut le séduire, il résiste avec fermeté. Le préfet de la milice [praelectus militiae] auquel on renvoie, Agricolanus, nest pas plus heureux : Marcel résiste aux me- naces et aux promesses. Lorsqu'il est condamné à m,ort il de-
* <t Marcellus quidam ex centurionibus legionis trajanse... » ["§ IJ. [Même époque aussi].
^ < Resideas in coasistorio preecepit iutroduci Marcellum... » [§ 2j.
^ « Quid tibi visum est ut... te disciogeres et baltheum et vitem proji- ceres... » [§ 2. — Cf. Mariuus, dans Eusèbe. H. E., vu, 15J. Noter que vitis manque dans Ambroise.
* a Ita dictauit senteatiam : Marcellum qui centuno ordinarius milltabat, qui abjecto publioe sacramento poliuisse se dixit... gladio animadverti placet » [§ 5].
5 « III Kal. aug., Tingitanse, Marcelli centurionis et martyris. » P. L,, 123, 173-174.
^ Le Fereotum dont il est ici question est, j'imagiue, le Fereutum le plus proche de la Campanie, Ferentino près Veroli et Alatri. — Il est vraisem- blable qu'Ambroise en était le patron.
' 13. 11. L., 5251 [7 octobre 828j.
254 TRADITIONS DE CAMPANIE
Dinnde un (Ulai pour prier ; il se prosterne si terre, remercie In Seigneur^ et se relève en lui dlsmit : u Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains » ; le speculator l'exécute. Mais, comme Apuleius^ l'esclave [faniulus| de celui-ci^ se déclare chrétien à son tour, il est exécuté immédiatemetit. Ces deux martyrs ont souffert sous Julien César, les nones d'octobre, tandis que règne Notre Seigneur Jésus- Christ, à qui honneur et gloire dans les siècles des siècles.
Le culte de Marcellus et Apuleius est attesté, à Rome, au cours et peut-être au début du vii^ siècle. C'est de ce temps, j'imagine, que date aussi la légende.
Le sacramentaire Gélasien * nomme nos deux martyrs :
Sanctorum tuorum nos, Domine, Marcelli et Apulei beata mérita prosequantur ! ... Sacramentis, Domine, muniamur ac- ceptis et sanctuorum tuorum Marcelli et Apulei... armis cœ- lestibus protegamur ,
Le calendrier populaire porte :
Nonœ [octobres^, Marcelli et Apuleii qui primo adhœserunt Simoni mago, deinde apostolo Petro : sub Aureliano consulari viro martgrio coronati ^ .
Bien que la légende de Marcellus et Apuleius que suppose ce texte diffère de celle qu'on a résumée, il est certain qu'il s'agit ici et là des mêmes personnages : le couple de noms est, ici et là, identique, aussi bien que la date de l'anniversaire.
Notre texte a conservé deux traits qui se lisent dans les gestes du vu® siècle, et qui semblent indiquer la date où il fut écrit : « reçois mon esprit », dit le martyr à Dieu avant de recevoir la mort ; et, lorsqu'il est arrivé au lieu du supplice^ il demande un délai pour prier. Ces deux détails se retrouvent le premier dans Victorinus, Eutychius, Pergeniinus Laurenti- nus, etc.. le second dans Torpes, Eutychius, Pergentinus Laurcntinus, Valentin Hilaire., etc.
Notre texte, d'autre part, s'inspire certainement des actes de Marcel de Tanger. Voici les points de contact que j'ai notés : 1. Ici et là le martyr est un centurio ordinarius ^; 2. Ici et là, deux des juges portent le même nom, Fortunatus et Agrico-
2 Ed. Wilson, p. 202, lxi, non. octobres, [éd. Muratori, i, 671]. i P. L., 123, 171-172.
2 (c Agricolanus dixit : centurio ordinarius railitabas ? » [§ 4].
MARCELLUS DR CAPOUE 253
laiius ' ; 3. Ici et là, le saint comparaît tour à tour devant deux tribunaux ; 4. Ici et là, un païen qui assiste le persécuteur se convertit à la vue du martyr et est exécuté après lui : Apu- leius est calqué sur Cassianus.
Il est donc très vraisemblable que Marcelliis Apuleius et Ambroise de Ferento ont été rédigés dans un même milieu, d'après les actes de Marcel de Tanger, au début du vu" siècle.
C'est dans le même pays, en Campanie, qu'Ambroise et Mar- cel étaient vénérés. On l'a dit pour Ambroise. Quant à Mar- cellus et Apuleius, il est vrai que nos textes ignorent Capoue et mentionnent Home. Mais leur culte est attesté à Capoue : et c'est de Capoue que vient la légende *. Dans l'église de Saint-Priscus, près Capoue, détruite en 1776 et qui datait peut-être du temps de Gélase ', il y avait une mosaïque absi- (J;do 011 l'on voyait un Marcellus rapproché d'un Agostinus. Le férial hiéronymien, enfin, donne * :
E : nonas oc. in capua marcelli quarti Marcellini.
B : JN CAPUA CAmpafi Quarti Marcellini.
Il est clair qu'il y avait à Capoue un saint Marcellus asso- cié, peut-être, à un autre martyr [Agostinus, Quartus ou Apuleius], et qui était fêté le jour des nones d'octobre : c'est ce saint Alarcellus qui est le héros de notre légende.
On voit moins bien, réserve faite de ce qui a été dit plus haut touchant le milieu où elle fut rédigée, quelle en fut la genèse.
Le texte qui a été analysé, A, place les martyrs au temps de Julien; le texte du calendrier populaire, B, les rattache à
^ « Anaatafiius Fortunatus praeses ei dixit.... Ipse sanus transmitteris ad do- mioum meum Aurelium Agricolanum » [§ 2J...
- Ruinart (1859j, 345. c Cum bealissimus Cassianus Aureliano Agriculano asenti vices praefeclorum praetorio militari exjeptor... ejusdem parebat offi- cio..., cum sententias exciperet..., ubi... capitalem viîlit ferire seateotiam, exsecrationem sui clara voce coutestaos, graphium et codicem projecit ia terra... Respoudit beatissimus Cassianus ; iniquam euui dictasse senten- tiam. I
2 Les deux textes imprimés qui les célèbrent sont tirés, l'un du Breviarium Capuanum de 1489 [B. H. L-, 5252], l'autre du Sancluarium Capanum de Mo- nnchus [1630, p. 137], [B. H. L., 5251].
^ De Rossi, Bullett., 1884, 106. et Garucci : iv, 254.
" Rosai-Ducbeene, p. 130.
2rîG TRADITIONS DE CAMPANIE
saint Pierre, et donc les fait mourir sous iWjron ' ; un Iroisièmo texte, que j'appelle C, en fait des contemporains du (Christ. Les vertus de Marcellus /ont son prestige dans la cité. IL donne à Pévêque Archelaûs tout l'argent qui est nécessaire pour racheter les captifs faits prisonniers par les 700 soldats qui gardent le camp ; et son désintéressement convertit beaucoup de ceuX'ci. A la fin^ il renonce au service, et il est décapité avec son esclave Apuleius, sous Aurélien consularis. On l'en- sevelit non loin de Rome, le jour des noues d'octobre ^
La version B, d'où dérivent Adon et le calendrier populaire, suppose, évidemment, que Marcellus de Capoue a été con- fondu avec le Marcellus des gestes de Nérée-Achillée^ ; de ces mêmes gestes vient pareillement l'Aurelianus vir consularis .
L'homonymie des deux Marcellus, le silence de Nérée sur la fin de Marcellus, le disciple de saint Pierre, ces deux faits auront introduit la légende de Capoue dans la tradition romaine. Apuleius aura suivi son compagnon. C'est peut- être au début du vu®, ou à la fin du vi®, que cette confusion se sera opérée. Il n'est pas sûr que, antérieurement à cette date, Marcellus de Capoue ait eu sa légende ; et c'est à cette date, précisément, que la confusion est attestée par le calen- drier populaire.
La version C, que caractérise la mention de l'évêque Ar- chelaûs, connaît Aurelianus consularis : elle est donc posté- rieure à celle dont on vient de parler. Mais le nom de cet éveque Archelaûs est remarquable. Hegemonios opposa, dans un texte fameux ^ l'hérésiarque Manès à l'évêque de Cascara, Archelaiis ; Archelaiis, d'après le récit d'Hegemonios, a pour ami un pieux chrétien, nommé Marcel ; c'est dans sa maison qu'Archelaiis discute avec Manès ; enfin ce pieux Marcel met à même l'évêque Archelaiis de délivrer 7700 captifs : la gar-
1 De même Adon, 7 octobre, P. £,., 123, 376. « Eodem die, S8., mm. Mar- celli et Apuleii qui quidem primo adhaeserunt Simoni Mago ; sed videntes mirabilia quee Dominus operabatur per... Petrum, relicto Simone, doctrinae apostolicae se tradiderunt... Aureliano consulari,... martyrii coronam reporta- runt. Sepulti non longe ab urbe Roma. »
B. H. L., 5252 [7 octobre, 829, § 13].
2 G. M. R., I, 251.
3 Traube : Acta Archelai^ Sitzungsber. d. k. bayer. Akad. d, Wissenschaf- ten. 1903. 533 ; HarnacK : Chronologie d. altch. Liiterat, ii, 193, 548 ; C. H. Beeson : Hegemonius. Acta Archelai. Leipzig. 1906. Traube a découvert le texte grec en avril 1902. La traduction latine semble dater des environs de 400 et provenir de Rome. Cf., aiissi P. G., 10, 1429. — Tillemont, iv, 387-399.
HEGEMONIOS 257
nison romaine a cru voir une agression dans un pèlerinage des habitants de Cascara demandant à Dieu le succès de leurs moissons, elle a massacr(5 les uns et emprisonné les autres. Si j'ajoute que le texte d'IIegemonios, dès l'antiquité, était traduit en latin, on admettra que la légende de Marcellus- xVpuleius est calquée sur l'ingénieux écrit d'Hegemonios.
Cela est certain autant qu'inattendu : voici qui est moins curieux et plus obscur. Archelaiis est dit, dans la traduction latme d'Hegemonios, episcopiis Mesopotamige ; et voici que les gestes de Sergius et Bacchus, qui font souffrir et mourir ces saints sur les bords de l'Euphrate [castelliim Terrapijrgum, Rhuzafatam], associent à Sergius et Bacchus, Marcellus et Apuleius. Et je note, dans la version latine de Sergius Bac- chus, certains traits qui rappellent fort Marcellus -Apuleius et Ambroise le centurion : ici et là, même emploi du mot fa- mulus, même cérémonie de dégradation militaire \ même renvoi des martyrs à un second tribunal, même reproduction du texte de la sentence. — Faut-il admettre (\\xq Sergius Bacchus, dans sa forme primitive, associait réellement unMar- cellus et un Apuleius à Sergius et à Bacchus? Faut-il admettre, au contraire, que Sergius Bacchus, dans sa teneur primitive. Ignorait Marcellus et Apuleius, et que ces deux saints ont été mtroduits dans la légende orientale au temps où celle-ci était mise en latin, alors que s'épanouissait le culte de xMarcellus et d Apuleius? — Ce qui serait une raison de dater la version la- tine de Sergius Bacchus du début du vii^ siècle.
Je penche pour la seconde hypothèse : Marcellus et Apuleius disparaissent aussitôt qu'introduits ; s^ils appartenaient aux couches les plus anciennes de la légende, aurait-on négligé de les associer complètement à Sergius et à Bacchus et de les faire périr avec eux?
^'^y^^^màQ Marcellus Apuleius et à' Ambroise le centurion connaissait 5er^m^^â!ccAw5 et la conférence fictive d'Arche- laus avec Mânes, aussi bien que les actes de Marcel de Tan- ger; il vivait dans le même milieu que les rédacteurs des gestes de Tuscie et d'Omhrie. Il a lui-même, selon toutes les vraisemblances, traduit Sergius Bacchus et introduit Mar- cellus et Apuleius dans ce texte.
nLlhfT""^ chlamydibus et militieE uestibus et torques aiireas... \Sernius III ,,
■
CHAPITRE XI
TRADITIONS DE VALÉRIE ET DU PICENUM
LES SAINTES ANATOLIE ET VICTOIRE, LES SAINTS SÉVÈRE,
VICTORIN ET SÉVERIN
Il nous faut maintenant, pour achever notre tour circulaire autour de Rome, faire une excursion en Valérie et dans le Pi- cenum.
// arriva qu^ Aurelianus , homme illustre, demanda en ma- riage, par r intermédiaire de matrones^ une vierge consacrée à Dieu, Anatholie. Celle-ci sollicite un délais afin de pouvoir distribuer ce quelle a aux pauvres et aux chrétiens ; puis elle se dit malade, Titus Aurelianus prie alors son ami Euqène
* B. H. L., 859i;et 417-420. — C'est ce texte que reproduit, en le dévelop- pant parfois, le Codex Augiensis ; le Codex Palatinus s'arrête avant d'en arri- ver là.
200 TRADITIONS DE VALERIE ET Di: PICENUM
(Tintervenir : qiiil envoie sa /lancée Victoire intercéder auprès (V Anatholie. Victoire montre, en effets à Analholie que Dieu ne condamne pas le mariage', mais Anatkolie lui raconte r angélique vision quelle a eue, et que, selon Vanfje, la virgl- nité remporte sur le mariage. Victoire se laisse convaincre ; elle prie Anatholie de faire revenir langCy et celui-ci reparait et réitère ses déclarations : « La virginité, la chasteté, le ma- riage ont chacun sa dignité ; mais la virginité est d'or, la chasteté d'argent, le mariage d'airain ». Victoire se consacre à son tour à Dieu. — Eugène, furieux, querelle Aurélien : il a tout perdu. Mais, sur le conseil de celui-ci, avec la per- mission de DècCy il part avec Anatholie et la conduit ad lerri- torium Torense, tandis que Aurélien conduit Victoire ad Tri- bulanuni territorium. Ils comptent venir à bout des deux vierges par la famine et la violence. Or, il g avait in civitate Tribulana un dragon très mauvais ; Domicianus, dominus civitatis, supplie Victoire de tuer le monstre, et aussitôt il se convertira avec tous les habitants. Assistée par lange, Victoire va à la caverne et chasse le dragon au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ ; et le peuple veut l'adorer comme une déesse. Elle se contente de faire construire un oratoire et d'g grouper une soixantaine de vierges, âgées d'au moins neuf ans : elle les instruit dans les hgmnes, les psaumes et les cantiques. Et Eugène nose rien faire savoir, crainte de voir confisquer par le fisc les biens de Victoire qiCil a occupés. Mais, la troi- sième année *, le cornes templorum Jaliarque tue la vierge sainte qui n'a pas voulu adorer Diane, Le peuple fuit et pleure sept jours ; les prêtres du Christ ensevelissent le corps dans un sarcophage, à V endroit d'où elle avait chassé le dragon, ou, abondent les prières de la martgre pour le salut de tous, dans tous les siècles des siècles. Amen. Les vierges {de Victoire^ persistent dans la virginité, tandis que le comte Taliarque devient lépreux dans les six jours et meurt rongé par les vers. Sainte Victoire a souffert le 10 des kalendes de janvier, avec les louanges du Christ à qui honneur et gloire, louange et domination dans les siècles des siècles. Amen.
1 Le texte de Namur [Analecta, ir, 159, § 8], dit qu'il appela ud pontificem Capitolii nomine JuUanum et misit ad eum... Taliarcum. — Je me demande si le texte n'est pas ici altéré; si Juliaaus n'a pas joué le rôle de déooDcia- teur.
I
ANATOLIE ET VICTOIRE 261
Anatolie et Victoire sont deux saintes vénérées en Sabine, que le fériai liiéronymien nous fait connaître, au VI des ides de juillet * :
Ë : safini anatholiêe victoriœ .
B: IN SAUINIS, anatoliss uictorii,
W : In sauinis anatholiœ ulcturide.
Cette localisation des saintes rend assez bien compte de la topographie légendaire : le territorlum Torense est sans doute Tiora, au diocèse de Rieti ; le territorium Tribulanum est cer~ tainement Trebula Mutuesca ^. Nous avons, enfin, un récit ^ suivant lequel les corps auraient été portés à Subiaco, au Sagro Speco de Saint Benoit, puis découverts au temps de Benoît VIÏ (974-983) et de l'évêque de Rieti, Anastase. Tous ces documents convergent : la racine de la légende est certai- nement un culte sabin.
Mais il est plus délicat d'en retracer la genèse. Dans la ba- silique de Sant, Apollinare Nuovo, à Ravenne, Anatolie et Victoire sont représentées côte à côte, à gauche : comme ces mosaïques datent du vi® siècle ^, c'est un indice que nos saintes étaient dès lors l'objet d'une considération particulière.
A la fin du vii^ siècle, saint Aldhelme ^ raconte leur his- toire dans son double Eloge de la Virginité : on la lisait à l'église le jour de leur lète. Il fait d'elles deux sœurs, dans le poème, non dans l'ouvrage en prose. Victoire, recherchée par Eugène, chasse un dragon malfaisant, du territorium trihnla- nurn ; Anatolie, la fiancée d'Aurelius, guérit un démoniaqueje fils du consul, et délivre un Marse des enlacements d'un ser- pent qu'il poussait à la piquer. Toutes deux sont égorgées.
> P. 89, 10 juillet. — Cette date eet celle que donne F [9 juillet, 673, § 12]. Cf. infra.
2 Jung., p. 485. — C. I. L., ix, p. 463. — H y a aujonrd'tiui de ce côté un village qui s'appelle S. Auatolia [G. 1. L., ix, 433], — Noter que Concordius mentionne la civitas Tribulus.
3 B. H. L., 417 et 421 : 9 juillet 677 et 681.
* On sait que le texte d'Aguellus est assez équivoque, — Cf. Bayet : Re- cherches... p. 98, n. 1.
* De laude virg., 45 [P. L., 89, 279, B-280] et De laudibus virginitatis, 52 [P. L., 89, 151, C-1521. — L'édition reproduite par Migue [P. L., 89, 280, D], contient une faute de texte évidente. A deux reprises elle donne morsum au lieu de Marsum : c'est Marsum qu'exige le seos et la comparaison de ce pas- sage avec le passage parallèle du De laudibus [P. L., 89, 152, Dj. — De même les LXK virgunculse [P. L., 89, 152, C], doivent être lues, sans doute, LX : cf. decies senas [P. L., 89, 280, B], — Cf. Eliwald : Aldhelma Gedicht de Vir- ginitate [Gotna, 1904, progr.].
262 TUAUITIONS Dli VALÉUJE ET DU l'ICENUM
A la lin du ix", Adon et Flodoard racontent également la légende, mais en la modifiant davantage. Adon ' \H\ rattache les saintes au Picenum, lait torturer Anatolia par un certain Faustinianus et assure qu'elle convertit un Marse nommé Audax : c'était un charmeur de serpents qui devait la faire piquer par ses bêtes et qui avait été piqué par elles. En re- vanche, il retranche de l'histoire de Victoire l'épisode de Domitianus et du dragon. — Et Flodoard "^ [C], comme il ar- rive d'ordinaire, suit Adon.
Nous avons enfin, indépendamment du texte qui a été ana- lysé [D], deux autres versions anonymes. La première ^ [EJ est assez longue : elle reflète curieusement les polémiques re- latives à la fuite *, elle joue sur le nom de Victoire ^ elle sup- prime l'épisode du dragon, conserve l'épisode du Marse Audax, et reproduit l'histoire d'Anianus, tils de Diodore consularis : Anatolie chasse le démon qui le tourmentait. J'ajoute encore que cette version fait allusion au baptême par le sang ^ et pré- sente Anatolie et Victoire comme deux sœurs de lait, collac- taneœ.
La seconde version [F] est très courte '^ : elle raconte seule- ment l'histoire d'Anatholie, du fils de Diodore et d'Audax ; mais elle ajoute ce trait curieux :
Cor]pus vero Audacis Marsi marlyris, quoniam de Oriente fueraty uxor et filii tulerunt et navigaverunt : ferentes sua omnia et gesta quœ in iUo libello scripta sunt h. Anatholiœ virginis et in finem Audacis martyris. Amen,
J'imagine que ce dernier texte est la suite et la fin du texte que nous avons résumé, D : celui-ci ne nous disait pas ce que devenait Anatholie, celui-là ne nous souffle mot de Victoire. Or, il n'y a pas de doute que ces deux saintes ne soient asso- ciées par la légende — comme du reste par le férial : — nos
1 p. L., 123, 299-300 et 417-418 [9 juillet et 23 décembre], a ir, 17. — P. L., 135, 669-672.
5 « Temporibus Decii Gaesaris erant Romae sacratissimae Virgines Christi... » [9 juillet, 676 ou 677. B. H. L., 417].
^ a t'amulatum Ctiristo clandestinum exhibebant ;... melius discentes oc- culte religioni... insistere ;... Doli te ultro morti ingerere:... audierant uamque a sacerdotibus Christi... cwn perseculi vos fuerint... »
B « De uominia tui vocabulo te exhortor;... diabolum vincas ut proberis vera Victoria. »
6 « Id sanguine baptizatus *, § 20.
•! B. H. L., 418, 9 juillet, 672-673, §§ 8-12. « S. autem Anatolia cum esset in ieiuuiis et oratiouibus aitenuata... »
LE TEXTE d'ALDHELME 263
deux textes sont donc incomplets. Mais ils se complètent ad- mirablement l'un l'autre. L'un et l'autre sont donc les deux parties d'un ensemble : les passionnaires ont démembré celte légende, comme ils démembrent les légendesde Sérapie-Sabine, de Potentienne-Praxède, etc. Les textes DF forment un même tout.
La comparaison du texte ainsi reconstitué avec le double récit d'Adhelmc confirme l'bypothèse ; c'est ce texte que lisait Aldhelme. Il connaissait un texte écrit, puisqu'il assure qu'on le lisait in piilpito ecclesiœ. Son récit, d'autre part, est tout à fait parallèle à celui de DF : il semble en faire le ré- sumé, éliminant les détails accessoires 'et gardant les épisodes centraux ^. Voici un court passage où Ton saisit aisément son procédé (il s'agit de la sommation adressée par Victoire au dragon) :
Texte cf Aldhelme . Texte des gestes.
P. L., 89, 152, B. Analecta, il, 159, lignes 22-25, § 7.
« la Domine, inquit, Jesii Christi « In nomine Domini Nostri Jesu
DoQiini Nostri exi hinc, draco ue- Christi, exi ex hoc loco, draco ne- quissime et da honorem Dec, vade quissime, et da honorer,! Deo vivo ubi non habitant homines. » et vero et Jesu Ghristo, Filio eius, et
vade ubi non habitant homines nec pecora, nec ea quee ad hominem per- tinent, ubi nec arator arat nex vox hominis personat. »
Il suit de là que DF, utilisé par Aldhelme [f 709], a été rédigé au plus tard dans la seconde moitié du vu® siècle envi- ron. Je remarque, du reste, que le calendrier populaire con- naît la légende =^ ; or, il a été composé au temps des Boniface [()08-615], et corrigé jusqu'au temps de Serge [701]; c'est encore au vii^ siècle que nous sommes ramenés *.
1 La vision de l'ange; l'intervention de Victoire auprès d'Anatolie ; le nom du pontifex Capitolii, le rôle du cornes templorum, le nom du père du pos- sédé guéri par Anatolie.
^ Exil de deux vierges qui ne veulent pas se marier; avidité de leurs pré- tendants ; Victoire chasse le dragon, Anatolie sauve le hls du consul et le marie; oratoire dans l'antre de la bête où Victoire réunit des vierges.
3 9 juillet. « In civitate Tyriae (Thoree), Analoli* et Audacis ; 23 décembre, Victoriae martyris » P. L., 123, 163-164. 177-178.
* Oui sait 81 le pape Eugène I [654-657] n'a pas un rôle dans la genèse de la légende? C'est le successeur de Martin I, c'est l'homme du parti byzantin : il devait avoir de nombreux ennemis. L'un d'eux n'a-t-il pas voulu lui jouer un vilain tour en montrant un de sea ancêtres, le prétendant d'Anatolie,
2()4 TUADITIONS DE VALKUIE LT JjU l'ICKNUM
Mais quel est le rapport de l> et de K à 1) F? Eet B ignorent l'épisode du dragon; j'y noie, d'autre part, certains traits qui rappellent les gestes de l'époque ostrogothique : insistance tou- chant la spontanéité du martyre et la licéité de la fuite ; baptême par le sang. B dérive sans doute de E. — DF présente aussi des particularités qui semblent dénoncer le même temps : l'his- toire du dragon ne serait-elle pas une réplique d'un passage fameux des gestes de Silvestre? le souci de marquer l'authen- ticité des gestes fait songer au décret pseudo-damasien. — Enfin dans DF et dans E je relève ces mensonges commis par Analolie afin d'éluder le mariage et de distribuer ses biens aux pauvres ; et surtout cet éloge de la virginité et cette horreur du mariage qui rappellent Nérée-Achillée^ Cécile, Calocère-Parthenius ^, et la trahison des sponsi qui rappelle Ru fine-Seconde et le vol des terres des vierges qui se re- trouve dans Agathe^ et l'intervention de Victoire qui rappelle l'intervention de Darie, et le monastère de vierges qui fait souvenir de Sophie^ ou à' Anastasie romaine.
On peut donc penser que E et D F sont des versions rema- niées et divergentes d'un texte de l'époque ostrogothique, ou plutôt de deux textes de cette époque différant eux-mêmes entre eux [l'un donnant, l'autre négligeant l'épisode du dra- gon]. :f Mais il est également possible que les traits qu'on a relevés" s'expliquent par influence littéraire ; que l'auteur de E, aussi bien que l'auteur de DF, ait lu les gestes romains. La ques- tion reparait : quel est le rapport de E à DF ?
11 est possible que E soit aussi antérieur à Aidhelme ; ici et là, je relève, dans les mêmes passages, l'emploi du verbe sa- tagere ; et c'est peut-être dans E, où Anatolie et Victoire sont collactane-e, que Aidhelme a pris l'idée de les présenter comme sœurs, lorsqu'il écrivait son poème. Aidhelme aurait pris con- naissance de E, après avoir écrit en prose le de laudibus, avant d'avoir écrit en vers le de laude ; et il l'aurait utilisé dans
soQs un jour fâcheux. Cf. la singulière histoire que content, sur un pape Eugène, les gestes des XII Syriens, supra, p. 66-67, 76. Bien que les noms d'Eugène et d*Anatolie soient antérieurs au vue siècle, ils semblent jouir de la vogue à ce moment. — La mention du bouclier de Miuerve, avec la tête de la Gorgone, vient sans doute û'Euplus C. Le Marse, quelque peu magi- cien, inspiré de même par des souvenirs d'auteurs classiques, se retrouve ailleurs.
1 On sait que l'héroïne de Galocère se nomme Anatolie. Cf. G. M. R. I, 185.
SKVÈRE DE VALÉRIE 265
celui-ci. K serait donc à peu près contemporain de DF ; et la divergence des deux versions serait une preuve qu'elles datent du temps où la légende était en pleine floraison, oii elle s'in- fléchissait diversement au gré des imaginations pieuses.
Il est donc possible que E et DF soient des versions rema- niées de deux textes datant de Tépoque ostrogothique ; il est possible que ce soit deux textes rédigés pour la première fois au vir siècle. Je ne vois aucun fait qui exclue avec quasi cer- titude l'une ou l'autre de ces hypothèses. Mais j^'incline vers la seconde : la légende a la physionomie d'un centon ; puis, l'épisode du dragon et le jeu de mot sur le nom de Victoire font souvenir de Resiituta^ tandis que le rôle de Diane rap- pelle Torpès,
11
^j® Au temps de Maximien, la persécution sévissait contre les chrétiens. Dans une de ces vallées que le parler populaire appelle Interocrina, un chrétien pieux, de famille préfecto- rale [de génère prsefectorum], originaire de Ravenne^ et qui y avait été élevé, Severus, faisait d' abondantes aumônes ; il était, du reste^ très instruit dans les lettres divines que lui avait enseignées à S. Vitalis de Ravenne son maître Corné- lius : tout jeune, il avait la sagesse d'un vieillard. Après avoir guéri un certain Euticius, qui depuis quatre ans était aveugle, Sévère alla à Rome, en pèlerinage, pour prier: re- venu [au pags), il fut ordonné prêtre à V église Sainte-Marie d'Interocrina, et ses vertus le rendirent célèbre. Un jour quun père de famille, sur le point de mourir, lavait envogé chercher, il arriva trop tard : travaillant à sa vigne, il avait voulu finir ce quil avait commencé ; mais, par là vertu de ses
• B. H. L., 76S5 [Analecta, xi, 241-42, d'après le Codex Ambrosianus, B. 40, inf , fo 80"", du xii8 siècle. Cf. 15 février, 827, §1 et 2. — Muratori : lîer . /ta/. Ss., 1, 2, 563].
266 TRADITIONS DK VALÉRIE liT DU PICENUM
prirres^ le saint homme ressuscita le mort. Et le ressuscité raconte comment les diables C emmenaient en le brûlant, lors- qu'un ange les arrêta, disant: « 1 1 amenez-le ; te prêtre Sévère le pleure amèrement. » Il fit pénitence et mourut joyeusement ^ sept jours après, battes attention^ mes frères très aimès^ je vous en prie, à ce témoignage. — Lorsqu'il apprit ce qui s'était passéy Maximien fit arrêter Sévère, et, sans jugem,ent, le fit décapiter dans la vallée. Deux anges^ sous la forme de deux colombes, vinrent chercher son âme, et, après avoir fait sur son corps la figure de la croiXf ils la portèrent au ciel. Le corps fut enterré à côté de la très forte place d*Orvieto, et là Notre Seigneur Jésus-Christ accomplit beaucoup de prodiges jusquà ce jour pour l'amour de lui. Il a souffert le jour des kalendes de février, tandis que règne Notre Seigneur Jésus- Christ à qui honneur et gloire avec le Père et l' Esprit-Saint dans r infini des siècles et des siècles. Amen,
laterocreum ( Androdoco) est situé sur le territoire de Rieti ' : c'est la station de la voie Salaria où s'embranche la route d'A- miterne et d'Aternum.
Le signe de croix que les colombes font sur le corps du saint rappelle un trait tout à fait analogue ^ qui se rencontre dans les gestes de Lucie et Geminien.
Le récit du ressuscité nous fait souvenir à' Alexandre de Baccano et des textes que j'ai cités à ce proposa Voici le pas- sage parallèle de Sévère :
Multi erant valde homines qui me per loca tenebrosa duce- bant, ex quorum, ore ac manibus ignis valde exibat quem to- 1er are nullo modo poteram. Cumque per obscur a loca diutius ducerent, subito pulchr se visionis juvenis cum aliis sodalibus suis juvenibus nobis euntibus obviavit qui me irahentibus dixit : reducite illum quia Severus presbyter amarissime eum plangit. Suis enim lacrymis et intercessionibus suis Dominus ei vitam reddidit.
1 Jung., 485.
2 Comparer Lucie Geminien et Sévère. Lucie Geminien raconte : « et dum inde sancta lucia concite pertrausisset, ecce columba alba ut nix descendens de cœlo super caput geminiani tertio figuram crucis fecit » [Codex Palatinus 846, f*' 1271", i]. Et je lia dans Sévère : « venerunt duo angeli in specie duarum colnmbarura qui figuram crucis super corpus eius facientes ferebaot animani illius in cœluui * Mutatori : R. I. S., i, 2, 562-63.
3 Cf. supra, p. 2 et 9.
- UNE PAGE DES DIALOGUES 2()7
Ce qui est également sur, c'est que notre légende est le re- maniement d'une page de saint Grégoire. Saint Grégoire ra- conte, en eiïet, la résurrection d'un chrétien qui avait envoyé chercher le pieux Sévère, à Interorina, en Valérie : Sévère était arrivé trop tard. Grégoire ne dit rien du martyre du saint, ni de ses origines ravennates, ni de la guérison d'Euticius, ni do l'époque à laquelle il vécut: j'imagine que, sur tous ces points, le rédacteur du vii^ siècle a tiré de son crû ce qu'il a ajouté à Grégoire.
Voici le passage :
In eo etiarn loco Interorina vallis dicitur quœ a rmiliis nerho rustico Interocrina nominatiir , in qua erat quidam vir vitœ valde admirabilis, nomine Severus, ecclesiœ h. Marise Dei genitricis seniper uirginis sacerdos. Hune euni quidam paterfamilias ad extremum uenisset diem, missis concile nuntiis, rogauit ut ad se quantocius ueniret suisque orationi^ bus pro peccatis eius intercederet, ut, acta de m^alissuis pœni- tentia, solutus culpa excorpore exiret. Qui uidelicet sacerdos inopinate contigit ut at putandam vineam esset occupatus at- que ad se uenientibus diceret : antecedite, ecce ego uos subse- quor ., , Paululum moram fecit ut opus, quod minimum resta- bat, expleret... Eunti uero in itinere occurrentes hi qui prius veneraiit, obviam facti sunt dicentes : Pater quare lardasti ?.., iam defunctus est. Quo audito ille contremuit magnisque uocibus se interfectorem illius clamare cœpit... Cumqiie uehementer fieret,... repente is qui defunctus fuerat ani- mam recepit,... [et)... ait : Tetri ualde erant homines qui me ducebant ex quorum ore et naribus ignis exibat quem tolerare non poteram. Cumque per obscura loca me ducerent, subito pulchrx uisionis juvenis cum aliis nobis euntibus obviam fac- tus est qui me trahentibus dixit : Reducite illum quia Severus presbyter plangit: eius enim lacrymis Dominus donauit ^ ...
Notre auteur est un prédicateur qui veut émouvoir lésâmes, les effrayer et les sauver.
Perpendite quseso.^ fratres dilectissimij quis est qui loqui-
tur Acta sunt haec ut fidèles ecclesicC Dei exemplum a
beato Severo accipiant.
1 Dialogi., i, 12. P. L., 11, 2i2-2l3. — Cf. supra, p. 201, une histoire assez analogue : Innoceutius el Perpétua. (Noter encore que les gestes de Victorin- Séveriu counaissenl un Innocentius). — Je n'ai rien pu tirer de l'histoire d'Orvieto qui éclairât la légeude.
208 TRADITIONS DE VALKHIK ET DU l>lCENUxM fl
J'imagine qu'il (écrivait vers le milieu du vu" siècle. Ainsi s'explique qu'il utilise Lucie-Gérninicn et Grégoire. Ainsi semble toute nalu relie l'idée (ju'il eut de rattacher Severus à Uavenne et à S. Vital de Ravenne.
III
Gestes Jusquici nous avoïis rapporté ce qu'avait dit Jérôme: que rin 1 le lecteur le remarque. Le reste de V ouvrage est notre œuvre : que votre charité m'écoute avec bieuveil lance. Tout ce que nous avons trouvé dans les auteurs exacts (fideli), nous V avons introduit dans notre histoire, afin de ne pas laisser ignorer aux hommes des vertus que Dieu na pas ignorées. Et d'abord, commençons par Victorin, qui était, nous l'avons lu, le frère de Séverin : sur ce solide fondement nous pourrons parfaire r édifice.
A la mort de leurs parents, se dirigeant F un Vautre, riva- lisant de bons offices l'un envers l'autre, ils s'offrirent à Dieu, {(y était des habitants de la province du Picenum, oii la Po' tenza — Flusor — arrose Septempeda), En lisant V Evangile et les malédictions qu'il lance contre les riches, ils se déta- chent des liens du siècle, donnent aux pauvres leurs richesses, et courent y ainsi allégés, à la suite du Seigneur, disant : Post te in odorem unguentorum tuorum currimus \Cont. i, 5]. Mais Victorin rêve d'une perfection plus haute, et gagne le désert, séjour des parfaits : il quitte sa hutte, et, dans la forêt Prolacem de la montagne voisine (vicini montis), s'ins- talle au fond d'une grotte qui surplombe un ruisseau et si étroite qu'un seul homme y peut trouver abri. Il en couvre Ventrée de feuillage, prie la nuit et s'occupe à ne rien faire (otiosum agens negotium), se donnant tout à Dieu seul. Van-
1 B, H. L., 7659-64. 8 janvier, 500. « Hue usque nos patris Hieronymi (îiota refereulos... » — Cf. Marangoui : Acta S. Victoririi episcopi... [Roaiae 1740J.
VICTORIN ET SÉVERIN 269
tique ennemi du genre humainpril alors la forme (Tune jeune fille y égarée à travers la forêt; elle implore la pitié de Vic^ torin : c^quil V arrache, inie nuit seulement^ aux sang lier s, aux ours et aux loups. » Victor in la fait entrer ; mais le pied de la jeune femme le touche et déchaîne en lui les désirs ; la dou- ceur de sa voixy la beauté de son visage, l éclat de son regard qui égale i éclat des ragons de la lune glissant à travers les feuilles, la solitude — Victorin oublie Dieu, — tout pousse le saint à céder. Il en arrive à V œuvre criminelle... et voici que le Brigand bondit sur le jeune homme : « Eh ! bien, lui dit- il^ ô le plus parfait des hommes!... Heste blesse, toi qui osais rêver de la couronne )>. Et il s'évanouit. — Peu à peu la lumière paraît, les astres s'effacent : Victorin fuit sa cellule^ témoin de son crime ; il court l'avouer à son frère et, pour se punir, se suspend par les mains à un arbre dont il a fendu le milieu. En vain Vévêque accourt, prévenu par Séverin : Vie- torin refuse d'être délivré ; il jeime toute la semaine, ne pre- nant cju!un petit pain et un peu d' eau le dimanche soir. Et Séverin jeûne en même temps que lui. Au bout de trois ans, Victorin n'a plus que la peau sur les os ; mais tout le monde connaît sa pénitence, on va trouver V évêque qui arrive au mo- nastère et, d'un ton rigoureux, ordonne au pénitent de s'ar- rêter : « Crois-moi, Victorin ; nous sommes les héritiers de saint Pierre : ce qui est délié sur la terre est aussi délié au ciel. Et nous vogons les parois de l'arbre s'écarter : le ciel fa pardonné ». Victorin demande une semaine encore de jeûne; puis, lorsciue l'évêque revient avec le peuple ciui grimpe sur les arbres et couvre le toit du monastère, et crie dhme même voix: ((Père, absous celui que Dieu a absous/ », l'évêque t'engage encore à interrompre ses souffrances ; Victorin adresse à Dieu une longue prière et lui demande de rompre ses liens, s^il a vraiment fini d'expier. Alors, bien que le ciel soit absolument pur, un coup de tonnerre retentit, qui pulvé- rise les liens du saint pénitent. Il est conduit à l'église ; bientôt il devient évêque d' Amiterne, et meurt plein de vertus, et entre dans le chœur des saints, tandis que règne Notre Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. Quant à Séverin, dont nous avons dit qu'il était le frère, il partage ses pénitences selon qu'il a été dit : frater fratreni ad- juvans exaltabitur [Proverb. 18, Î9ei 1G\ ; et il mérite l'épis- copat de Septempeda. Il mourut le VI des kalendes de mai,
270
TRADITIONS DE VALERIE ET DU PICENUM
futenseveli au lieu où était le monasû're et, mort, opéraplus de (juérisons merveilleuses qu'il n'en opérait lorsqu il était vivant. Je crois même ne pas devoir taire ce que nous avons appris touchant sa sainteté. On fête sa déposition le jour des ides de mai et son élévation à Vépiscopat le jour des kalendes de mai. Or, la veille, un certain Innocentius — qui méritait son 72omy — vit une grande lueur, au milieu de la nuit, dans la forêt, tandis qu'il gagnait Fabriano : il crut que c était un incendie. Comme il entend du bruit, il imagine que c'est le\ rector provinciae qui se met en route, de nuit» Et il voit quatreS personnages marcher devant, portant des torches: d'où la lu' mière qui éclairait la forêt ; puis venaient deux hommes vêtus d'une étolcy portant des baguettes ; puis, assis sur un cheval un autre dont les vêtements et les cheveux étaient plus blancs\ que la neige ; puis un autre, également à cheval, et qui étaitl tout chauve. Ils étaient suivis d^une foule immense, qui allaitl à pied. Comme l'un d'eux boitait et restait en arrière, InnoA centius lui demanda, non sans quelque cutnosité, ce que] c'était. Les quatre lampadaires étaient quatre évêques : Xgste,^ Marc, Marcel et Jules ; les deux qui portaient des baguettes, Etienne [protomartyr) et Laurent ; les deux autres, les deux\ Apôtres Pierre et Paul ; le reste, la foule des martyrs et des\ évêques ; on allait à Severino [Zypherinum?) (cura muta- toriis Pétri * ?) : Séverin avait prié saint Pierre de venir ce\ jour-là pour bénir et visiter le peuple. — Qui pourrait douter des mérites de Séverin, lorsque les Apôtres lui font un si\ grand honneur ?
Si quelqu'un voulait connaître la vie d^ Innocentius , voicil quelques mots à ce sujet. Innocentius court aussitôt à une] église, est fait catéchumène, est baptisé, devient clerc et' obtient mêm,e la grâce du sacerdoce (presbyterii benedic- tionem). Un jour, comme il va au monastère de S. Séverin, où il a été ordonné, il passe la Potenza grossie par les pluies, sur une poutre qu'ont jetée les bergers. La petite brebis qui le suit — c'est tout son bien (census) — l'interpelle : « Pour-\ quoi m! as-tu abandonnée? » — « Passe, répond Innocentius, comme j'ai passé moi-même au nom de Notre Seigneur Jèsus-^ Christ. » Et elle passe au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ\ qui vit et règne dans V unité de V Esprit-Saint à travers tousi les siècles des siècles. Amen.
Vêtements de rechange.
VICTORIN-SÉVERIN ET NÉRÉE 271
IV
L'explication de cette légende, attestée au vu" siècle, par le calendrier populaire *, tient tout entière dans la comparai- son du texte qu'on vient d'analyser avec deux autres textes de capitale importance.
Le premier de ces textes est un passage des gestes de Nérée et Achillée '. Leur amie, Flavie Domitille, est soutenue dans la foi et maintenue dans l'horreur du mariage, après leur mort, par Eutyces, Victorinus et Maro, trois amis d'Auspicius qui les a ensevelis. Aurelianus voulait épouser Domitille : il sévit donc contre les trois saints ^
Quasi servos per sua prœdia singulos divisit, Eutycen in sexto decimo ah (Jrbe lia N ornent ana ; Victorimim vero in sexagcsimo^ Maronem vero in centesimo trigesimo in eadem Salaria via : jussitque eos in terram fodere per totum diem, ad vesperum vero cantabrum manducare. Sed Deus omnipo- tens dédit eis gratiam in locis peregrinis. Nam Eutyces con- ductoris loci filiam a diabolo liberavit ; Victorinus auteni vicedominum loci paralyticum per très annos de lecto non surgentem fecit orando incolumem. Maro vero morbo hydro' pis laborantem procuratorem civitatis Septempedœ liberavit. Interea facientes sermonem ad populum docuerunt multos Christo credere et facti presbyteri populum credenlium am- pliavere. Tune diabolus replevit ira nientem Aureliani et misit qui vario génère pœnarum interficeret eos. Nam Euty- cen inmedia via diu caedi iussit quamdiu spiritum exhalaret : cuius corpus rapuit populus Christianorum et cum honore
* 8 janvier. « Neapoli, Severioi confessoris Viciorini fratris » ; et 5 sep- tembre. « Romee, Victorini martyris fratri» Severiai, qui post miraoi pœQitu- diuem Amiternae urbis episcopus et martyr factus est » [P. L., 123, 145 146, et 167-168].
2 12 mai, 6. — Cf. G. M. R., i, 251.
3 12 mai, 11, G, § 19. — 12, A, § 20.
272 TRAniTIONS DE VALKRIK KT DU PICENUM
macjno scpullo in CJirisli nomine super enrn hasilicam fahri- cdvll. VictoriHum vero apud eurn loi ara qui CotUlas appella- tur, uhl puientes aquœ émanant et sulpliureœ, in ipsis capiic deorsum per horas très teneri iussit et iterum suspendi. Hoc triduum pro nomine Christi passus Victorinus mifjravit ad Dominum. Jussit autem Aurelianus corpus eius non sepeliri. Et cum una die apud Cotilias jacuisset, venerunt Amiterncn- ses populi christianiet rapuerunt eian et in suum territorium transtulerunt atque ibi sepelierunt. Maronem vero...y (qui) immanissimam petram quam vix ad trochleam septuayinta homines pensare potuissent... quasi levés paleas poriavil.., per duo miliaria sanus et in eo loco posuit in que orare con- sueverat(et omnis provinciœ populum haptizavit), consularis.,. accepta ab Aureliano potestate inte.rjecit.., Populi autem ex- cavaverunt petram quam humeris portaverat et ibi sepelierunt eum et ecclesiam Christi fabricaverunt in nomine eius, in qua prœstantur bénéficia Domini ad gloriam nominis sui usque in hodiernum diem.
Certaines données sont communes aux deux textes ; non certaines autres.
Les deux textes attestent d'un commun accord qu'il y a à Amiterne un saint local appelé Victorinus ; — que ce Victo- rinus d'Aniiterne a subi un supplice de suspension, — que ce Victorinus d'Aniiterne est associé au saint de Septempeda (?).
La localisation de Victorin à Amiterne est confirmée par l'onomastique locale, par une inscription, et par le férial hié- ronymien. Aujourd'hui, sur les ruines d'Amiterne s'élève un bourg, qui s'appelle San Vittorino \ On y conserve un vieux sarcophage, où sont inscrites les lignes suivantes.
IVBENTE DEO CHRISTO NOSTRO SANCrO MARTVRI VICTORINO QVODVVLDEVS EPIS DE SVO FECIT \
1 Achelis : Die Acta Nerei et Achillei, p. 46. — Le village date, semble-t- il, du xiie siècle. On vient d'y retrouver une catacombe [Nuovo Bulletino, 1903, 187].
2 G. I. L., IX, 4320. — Amiterne paraît avoir été très florissant sous l'em- pire. Cf. l'inscription vi, 1772, qui mentionne Vordo splendidissimus Amiteminx civitalis, les ruines retrouvées [Notizie... Scavi., 1880, 290, 350, 379 ; — 1891, 96, 321 et (:. I. L., ix, 4209] : les habitants étaient municipes [d'après Pauij- Wissowal.
viCTORiN d'amiterne 273
Maningoni remarque ranalogie de ces caractères avec les lettres dainasiennes ; pour de Uossi, ils dénoncent le iv" ou le v^ siècle.
l^e férial liiéronymien porte au 26 juillet la mention sui- vante ^ :
b]. VIIII k ag... rom victorini militaris aciani capitonis silvani...
B. UllII KL, AGS. IN AMIT (ER) NINA ciuitate milites octoginta très. AB URBE Romana. Uia salaria. Natl Uic- torini,
W. VIIII KL. AG. In amiternina ciiii milites lxxx m ab urbe romana uia salutaria nat soi uictianni.
Ce texte confirme la localisation de Victorin à Amiterne. La mention des 83 soldats que donnent le Bernensis et le Wissemburgensis dérive évidemment d'une interprétation fautive de l'abréviation mil. lxxxiu : les mots ab urbe romana le prouvent sans contestation possible. — \J Epier nacensis ne contredit pas, autant qu'il semble, l'accord de tous ces témoignages : il indique que Rome est le lieu où l'on vénère le groupe des martyrs auquel appartient Victoiin; mais parla il prouve seulement que Victorinus fait partie d'un groupe de martyrs vénérés à Rome.
Le férial nous apprend en outre que Victorin est fêté le 24 juillet. Les gestes de Nérée ni ceux de Victorin ne donnent aucune date. Mais le calendrier populaire, qui semble dépen- dre d'une version perdue des gestes de Victorin *, place son anniversaire au 5 septembre. Peut-être y a-t-il eu deux Vic- torin ; peut-être une des deux dates se rapporte-t-elle à la depositio., l'autre à l'ordination épiscopale du saint. Pour le moment, nous ne pouvons, nous ne devons rien dire de plus.
Dans les textes, Victorinus a subi le supplice de la suspen- sion. Mais les conditions du supplice sont assez différentes, ici et là ; ici, le supplice est volontaire, le saint se suspend à un arbre, et la longueur de la torture n'entraine pas la mort ; là le supplice est involontaire et il entraine la mort, les émana- tions sulfureuses des eaux de Cotilias * aspbyxiant le martyr.
1 P. 95.
2 a Nonis sept. Romae, Vicloriai martyris, fratris Severini, qui post mi- ram poenitudinem Amiterna urbis episcopus et martyr factus est. » Cf. infra p. 275.
3 Les Aquas Cutilix^ près jRieti, avaient la vogue au temps des Flaviena |JuDg., p. 486].
ill 18
274 TRADITIONS DR VALERIB ET f)U fMCENUM
— Il n'y a pas lieu d'insister. Il est, au contraire, très intc^res- sant (le remarquer que Victorin d'Amiterne est également as- socié par les deux textes à un saint vénéré à Septempoda.
Septempeda et Amiterne (S. Severino et S. Vittorino; ne communiquent pas aisément l'une avec l'autre. Ce n'est pas seulement qu'une centaine de kilomètres les sépare, à vol d'oiseau : c'est encore que le massif des Monts Sibillins dresse entre elles ses pics de 2.000 mètres et plus ; c'est surtout que l'une, S. Severino, appartient à la région des Marches, pays ouvert qui gravite autour d'Ancône, tandis que l'autre se cache au fond des Ahruzzes. Amiterne communiquait par une route avec la voie Salaria ; mais la voie Salaria utilisait, sur le versant adriatique, la vallée du Tronto, non la vallée de la Potenza ; et les prolongements de la Salaria atteignaient Fermo et Potenza, non San Severino ^ Il n'en est donc que plus remarquable de voir nos deux textes établir un lien entre Septempeda et Amiterne.
Il faut ajouter, du reste, que le compagnon de Victorin porte, ici et là, un nom différent, et qu'il n'est pas, ici et là, dans un rapport identique avec Septempeda. Selon les gestes de Victorin, son compagnon est son frère, Séverin, qui meurt à Septempeda, dont il est évoque ; selon les gestes de Nérée- Achillée, ce compagnon s'appelle Maron, il opère un miracle à Septempeda, mais il n'y meurt pas ; le Bernensis, d'accord sans doute avec la légende qui s'exprime dans ces gestes, place sa tombe in Monte Aureo ^ qu'on doit chercher peut- être près de Cività Nova ^ — J'ajoute enfin que les anniver- saires ne coïncident pas : celui de Maron est le 15 avril, celui de Séverin est fort indécis, les gestes de Victorin indiquant trois dates possibles, le 26 avril, le 1®^ mai, le la mai.
Ces divergences — plus apparentes peut-être que réelles — ne peuvent nous faire oublier les remarquables coïncidences
1 Cf. les sept itinéraires indiqués au G. I. L., ix, p. 479 : le quatrième va de Castrum Truentinum à Septempeda, par Ascoli et Fermo.
2 XVII. KL. MAI. PICINO INAUREO MONTE Maronis.
^ Chroa. Farfeuse, « est ipsa curtis de castello iuter flumen Tuntum et prata et prope mare et prope castellum Montis Aurai [Muratori, R. I. S., ii, 423J ; dès 1510, OQ croit avoir, et depuis longtemps, le corps de S. Maron à Civitâ Nova [Massetani ; San Marone (Civitanova-Marche, 1898), p. 28, note 37 et passitn]. Si Maron, comme il est possible, était vénéré aussi à Septempeda, son culte aura sans doute cédé la place au culte de Séverin, peut-être à la suite de la destruction de la ville par les Lombards. — Le Corpus I. L., ix, p. 533-538 ne m'a rien donné.
IL Y A DEUX VIGTORIN 275
que nous avons notées. L'explication la plus simple qu'on puisse donner des unes et des autres est l'hypothèse que voici.
11 y a eu deux Victorin, chacun pourvu de son histoire, de sa légende ; et il y a eu contamination d'une légende par l'autre.
Victorin le martyr et Maron du Picenum, dont les gestes de Nérée-Achillée célèbrent la gloire à la (in du v" ou au dé- but du VI® siècle, ont servi de modèles aux deux « frères » que célèbrent les Gesta Viciorini.
Victorin était pourvu d'un compagnon vénéré à Septem- peda ; ce fait entraîne pareille association pour le second V^ic- torin. Et du coup l'on rend compte du double anniversaire : 24 juillet, 5 septembre. Mais l'hypothèse pose un double pro- blème. Comment admettre, dans la même Amiterne, deux saints portant le même nom de Victorin, et, s'il ne vient pas d'Amiterne, d'où vient le second Victorin? Comment expli- quer qu'un saint Séverin ait pu s'enraciner à Septempeda? Les saints dont s'occupe la légende ont le plus souvent une attache topographique que celle-ci respecte : comment expli- quer que, dans l'espèce, elle ait attribué au second Victorin et à son mystérieux compagnon, les attaches topographiques de Victorin le martyr et de l'apôtre du Picenum ? On résoudra ces difficultés en rapprochant des gestes un cu- rieux passage de saint Grégoire le Grand.
C'est, en effet, dans saint Grégoire qu'on rencontre le second texte dont la comparaison avec le nôtre achève de Téclairer. Le voici tout au long.
Tl s'agit d'un sermon prononcé par saint Grégoire dans la basilique des saints Jean et Paul, le troisième dimanche après
27G TRADITIONS DE VALÉRIE ET DU PIGENUM
la Pentecôte. Grégoire insiste sur la bonté de Dieu qui nous supporte malgré nos péchés *.
Rem, fratres, breviter refera quam vira venerahili Maxi- miano, tiinc paire monaslerii mei atque presbytero, nunc autem Syracusano episcopOy narrante coynovi... Ncjstris modo TEMPORiBUs ViGTORiNUS QUIDAM EXSTiTiT f/ui alîo quoque nomuie Aîlmilianus appellatus est, non inops substantiœ iuxta rnedio^ critatem vitœ; sed quia p 1er umque régnai in rerum opulentia Garnis culpay in quodam faginore lapsus est quod debuisset valde pertimescere ac de suae mortis immanitate cogitare.
ReATUS ERGO SUI GONSIDERATIONE G0MPUNCTUS,EREX1T SE CONTRA SE, MUNDIS HUIUS OMNIA DERELIQUIT, MONASTERIUM PETIIT. In qUO
nimirum monasterio tantœ humiliiaiis iantœque sibi disiric- tionis exsiitit ut cuncii fratres, qui illic ad amorem divini- taiis excreverant, suam gogerentur vitam despisgere dum iLLius pœnitentiam VIDERENT. Studuit namque ioto mentis adnisu cruciare carnem^ volunt aies proprias frangere,.. Hic itaque...^ quia nions in quo monasterio situm est ex uno la- lere in secreiiore parte prominebat, illuc consuetudineni fece- rat ante vigilias egredi, ut se quotidie in fletu pœnitentiœ... mactaret... Quadam vero nocte abbas monasterii vigilans hune latenier egredientem.,. secutus est. Quem cum in secreto montis cerneret in oratlone prostratum,,., cum subito cœlitus lux emissa super euin fusa est..., abbas... iniremuit et fugit. Cumque posl longum horae spatium idem f rater ad monas- terium rediissei..., videns se esse deprehensum (dixii) : « Quando super me vidisti lucem de cœlo descendere, vox
ETIAM PARITER VËNIT, DIGENS : DIMISSUM EST PECGATUM TUUM ».
Et quidam omnipotens Deus peccatum eius potuit tacendo laxare ; sed loquendo per vocem, radiendo per lumen, exem- plo suse misericordiœ nostra ad pœnitentiam voluit corda con- cutere,,. Habete ergo fiduciam, fratres mei, de misericordia conditoris nostri.
Il y eut donc, dans la seconde moitié du vi^ siècle, — en Italie S — un pénitent nommé Victorinus, — qu'avait rendu célèbre l'austérité de ses pénitences, — et dont Dieu lui-
1 P. L., 76, 1257, § 18.
■2 Je ne crois pas que Victoriaus iEtnilianus se soit réfugié dans le monas- tère de Maximianus, c'est-à-dire dans la maison de saint Grégoire. Saint Grégoire ne le donne pas à penser : il en parle comme d'une personne tota- lement iuconnue aux Romains.
VICTORINUS ^EMILIANTJS 277
même, par un prodige, avait voulu marquer qu'il avait obtenu sa grâce.
Tous ces traits caractérisent le Yictorin de nos gestes, qui apparaît ainsi comme le double légendaire de Victorinus ^milianus. Victorin le martyr, que célèbrent les gestes de Nérée et Achillée, Victorin le pénitent^ dont saint Grégoire nous conte Thistoire merveilleuse : voilà les deux personnages qui se sont superposés et confondus pour former, à la fin du VI® siècle, la figure de Victorin, frère de Séverin. On com- prend dès lors que certaines versions des gestes * le datent du temps de Justinien et de Vigile. La confusion des deux Victo- rin s'explique par leur liomonymie ; de là dérive aussi la lo- calisation de Victorinus ^Emilianus à Amiterne; cette attache était si solide, qu'elle a bientôt fait oublier le monastère de Victorin le pénitent, d'autant plus que saint Grégoire néglige d'en citer le nom. L'anniversaire du 5 septembre est celui de Victorinus ^Emilianus.
Mais ce n'est pas la seule lumière que saint Grégoire jette sur la légende. Une lecture rapide du texte montre qu'il tend à faire l'apologie du cénobUisme, à faire le procès de la vie solitaire. Et pareil souci occupe saint Grégoire. Relisons par exemple la lettre qu'il adresse à Secundinus ^
i\os enim qui vitam cwn pliiribus ducimiis, etsi fornii- dolosi ac timidi, tamen quia contra ardiquum hostem hélium proposuimuSy quasi in acie stamus ; vos autem, qui solitariam vitam ducitisy quid aliud quant monomachos di.xerim, qui fervore virtuiis etiam ante aciem exire festinastis ? Cur ercjo eum non singulariter hostis impetat, a quo se impeti singula- riler spectat ? Et nos quidem qui inter Jiom^ines vivimus, sœpe per homines a callido hoste temptamur ; vos autem, qui viam vitse prœsentis extra hominum frequentiam ducitis, tan- to majora certamina pati necesse est quanto ad vos ipse temp-
TATCONUM MAGISTER ACCEDIT... AutiqUUS VCrO kostis mOX Ut
oliosam mentem ^ invenerit, ad eam sub quibusdam occasioni-
* Celles qu'a utilisées Baronius [Martyr. Romain, 8 juin]. — L'histoire de Donnt doit avoir été assez analogue à l'histoire de Victorin.
2 IX, 52 [P. L., 11, 983] [M. G., ix, 147. — ii, p. 142]. —Cf. Dialog., m, 15- 16 \P. L., 77, 256-257].
' Cf. § 3 « otiosum agens negotium ». Cf. ce qu'écrit saint Grégoire dans la vie de saint Benoît : « Quamdam... aliquando feminam viderat, quam ma- lignus spiritus ante ejus mentis oculos reduxit ; tantoque igné servi Dei ani- mum in specie illius accendit,... [§ 2. — P. L. 66. 132. B]
278
TRADITIONS DIC VALKRIE RT DK PICKNUM
RUS LocuTURUS ACCEDiT, et quœclam ei de gestis pr,'pAeritis ad memoriam reducit, audlta quondam verba indecenier cogita^ tioni resonat et, si qua dudum turpiter acta sunt, eorum spe- cierti cordis oculis opponit... Sœpe quod niimquam fecimus^ per hostis callidi insidias cordis oculis videmus...
Si Grégoire le Grand ne connaissait pas les gestes de Victo- rin en écrivant cette lettre à Secundinus, il laut reconnaître que cette lettre et ces gestes révèlent la même préoccupation : au point que celle-là semble donner en vérité le programme et comme le schéma de ceux-ci ; c'est la même idée qui s'exprime ici en langage abstrait, qui se traduit là dans une histoire concrète. Notre texte a été écrit aux environs de l'an 600 S dans le groupe des amis de saint Grégoire.
Ainsi s'expliquent certainls traits de la légende, qui rap- pelle si souvent les Dialogues : la belle procession des papes romains fait songer à l'apparition de Juvénal et d'Eleu- thère au chevet de Probus de Rieti ^ ; la pénitence de Victo- rin semble modelée sur le supplice infligé par les Lom- bards à deux moines de la Valérie ^ qu'ils suspendent à un arbre.
Ainsi s'explique, sans difficulté, l'association d'un Séverin à Victorin. Le Séverin, frère de Victorin, n'est sans doute * quun double légendaire du fameux Séverin de Norique. dont les disciples apportèrent le corps à Naples à la fin du V® siècle. La preuve en est le texte du calendrier populaire, qui écrit à la date du 8 janvier :
Neapoli, Severini confessoris Victorini fratris.
1 La formule in unitate Spiritus sancti [§ 12], s'explique, sans doute, parce qu'elle se trouvait dans une version des gestes de Nérée, — ou parce que, dès ce temps, elle est entrée dans le fonds liturgique.
2 « Qui dum iecto jacentis assisteret, subito aspexit intrantes ad virum Del quosdam viros stolis candidis amictos, qui eumdem quoque candorem ves- tiura, vultuum suorum luce vincebant... lile autem tantae visionis novitatem non ferens, cursu concitato extra fores fugit... » [Dialog.^ iv, 12, P. L., 77, 337-340].
3 « Valentio qui... meo monasterio praefuit, prius in Valerise provincia suum mooasterium rexit. In qup dum Longobardi saevientes venissent, sicut eius narratione didici, duos eius monachos in ramis unius aboris suspende- runt, qui suspensi eodem die defuncti sunt » {^Dialog., iv, 21. — P. L., 77, 353]. — Noter qu'Etienne protomartyr est cité dans Paulinus : cf. supra p. 212.
* Il y a un Séverin de Tibur attesté par le M. R. P., l^r novembre et le
L. P., I, 324. — Il est possible que ce soit le nôtre. — La difficulté tient à
la date de l'anniversaire de ce Séverin, l^i" novembre : nos gestes l'igno- rent.
â
SÉVERiN DE NORIQUE 279
Il n'y a pas de doute, en effet, que le Séverin de Naples ne soit le Séverin de Norique : c'est à Naples, au caslellum Lu- cullanum, qu'a été déposé le corps de l'apôtre du Noricum Ri- pense, — Et le fait n'a rien qui puisse surprendre. Le culte de saint Séverin était florissant aux environs de l'an GOO : la preuve en est que c'est à Séverin que saint Grégoire veut con- sacrer l'ancienne église arienne iuxta domiim Merulanam * et que Jean, fermier de Venantius ^, veut dédier un oratoire ^ D'autre part, depuis la défaite du kouropalate Baduarios et l'agression de Faroald, tout le pays apennin jusqu'à Spolète et Amitorne *, et bientôt jusqu'à Bénévent et Crotone, est ra- vagé, puis occupé par les Lombards : ces événements sont favorables à l'installation ou au développement des culles des saints ; on ressent généralement le besoin de leur secours. 11 est très possible, du reste, que les disciples de Séverin soient passés par Septempeda " et que le culle de leur maître y re- monte à leur passage. De toute manière, l'origine du culte de Séverin à Septempeda n'a rien qui puisse élonner. Or, le populaire tend à matérialiser la présence du saint qui le pro- tège : le culte devait susciter la croyance de tous à la réalité d'un Séverin local. C'est cette croyance qui s'exprime dans nos gestes ^
1 Epist., m, 19 [P. L , 77, 618-619].
2 Est-ce le Venautius évêqiie de Pérouse ? — Noter qu'il y a un Severns- SeveriDus [cf. Secundus = Secundinn?, Epist., vi, 30 et ix, 52. — P. L., 77, 821 et 982], évêque dans le Piceoum [Epist., i, 57. — P. L.,11, 517-518] : qui sait s'il n^a pas eu part à ces évéuements ? Ce Severus est sans doute l'évêque d'Ancone [Episi., ix, 16, 89|.
■^ Epist., XI, 31 \P. L., 77, 1144]. Noter que le pape Severinus (+ 640) est natione rotnnnus [L. P., i, 328].
^ Hartmann, ii, 47-48. — Cf. les oestes de Cetheiis-Peref^riiius [13 juin, 183|. Je croirais volontiers qu'ils datent des environs de l'an 700, du temps du duc Alahis de Trente [Paul Diacre, v, 36. — Hartmann, ii, 256, <?66], — qu'ils ont été rédigés par un auteur connaissant des histoires authentiques, les gestes de Susanne et les gestes de Marcel ; ils racontent que Cetheus, évêque d'Amiterne, a été mis à mort par les Lomhards au temps de saint Grégoire et de Phocas et de Faroald.
° Ainsi s'expliquerait peut-être la diversité des dates de fêtes.
^ Du reste, la chose est remarquahle, la légende est très sobre de détails sur Séverin [Baronius avait peut-être un texte plus plein]. — La visite de saint Pierre et des papes est eu harmonie avec la gloire de l'apôtre du No- rique. — Je note que le rédacteur tient à souligner la grandeur de son hé- ros : comme Valérien de Cimiez, se heurtait-il à des sceptiques ?
Dans plusieurs msa., la légende s'arrête à la mort de V'ictorin [ainsi le Co- dex Angiensis] ; d'autres enrichissent l'histoire de Victorin,et elle seule [ainsi le Codex Bruxellensis , 18644-52. CataL, ii, 423] : c'est un souvenir des ori-
280 TRADITIONS DE VALKfUK KT DU PICKNIIM
Et, puisque l'auteur inconnu appartenait certainement au groupe (le saint Grégoire, nous pouvons, avec vraisenihlancf;, préciser sur ce point aussi la genèse de la légende. Dans une lettre adressée à Uusticiana, où Grégoire attaque la passion — suspecte — de beaucoup de moines pour la vie solitaire, je trouve l'histoire de deux frères, qui s'enfuient de leur mo- nastère et que Dieu fait miraculeusement reprendre '. iN'est-ce pas encore un passage de saint (jrégoire que l'hagiographe a pris pour modèle? N'est-on pas, vraiment, fondé à y voir comme une page détachée des Dialogues^ ?
gines de la légende. Je crois pourtant que notre texte est d'une seule teneur, quoi qu'il puisse sembler tout d'abord. Certains mas. [Codex Parisinus 11753. — Catal., m, 51] cousent aux gestes de Victorin le fragment des gestes de Nérée Achillée qui concernent le martyr. De même Adon \P. L., 123,346]. — Le texte B. H. L., 7664 est un remaniement postérieur à la révo- lution grégorienne.
1 Epist., XI, 44 [P. L., 77, 1155-1156J. a Alii quoque duo fratres de eodem monasterio fugerunt, atque aliqua prius colloquendo fratribus signa dede- runt... »
2 Sur les questions que pose le prologue, cf. G. M. R. vi. — U se pourrait que l'auteur appartint au personnel de l'administration du patrimoine. Cer- tains détails de la langue semblent l'indiquer.
Nous avonsvu, je le rappelle, que la légende d'-^milianus de Spolèle semble dépendre aussi des souvenirs qui couraient sur -dEmiliauus le pénitent et provenir aussi de l'entourage pontifical.
i
CHAPITRE XIJ
CONCLUSION LE MOUVEMENT LÉGENDAIRE GRÉGORIEN ET L'ŒUVRE HAGIOGRAPHIQUE DE SAINT GRÉGOIRE
Notre voyage à travers l'exarchat nous y a fait apercevoir toute une efflorescence légendaire : comme c'est à l'époque ostrogothique qu'ont été écrits les plus fameux gestes des martyrs de Rome, c'est au temps de l'administration byzan- tine que remontent la plupart des gestes de l'Italie centrale. Ces gestes ont donc même patrie et même date que les Dialogues où saint Grégoire a recueilli nombre de légendes italiennes. Quels sont les rapports de ces deux œuvres, l'une indivi- duelle, l'autre collective ; et d'abord quais sont les caractères de chacune ?
282 CONCLUSION
La légende du duché est solidaire de la légende de la Ville et la prolonge.
Ici et là, la légende enveloppe des traditions locales dont la valeur est nulle pour l'historien des persécutions \ très grande pour l'historien de la vie chrétienne après les persécu- tions ; mais la forme en est pareille ici et là, pareille la langue, pareils les sentiments, les idées, les croyances. Le lecteur bénévole qui voudra confronter tous ces textes s'en rendra compte aisément ^
Mais il y a plus et mieux que ces similitudes générales : certains faits précis manifestent la solidarité des deux mouve- ments littéraires. Rome tient une grande place dans la lé- gende italienne ; on croit apercevoir dans celle-ci le rayonne- ment de celle-là ; qu'on relise Sabinus, Terentianus^ les textes spolétains. — Alexandre ^i Torpes, etc.. témoignent du même souci d'authentification que Potentienne ou Nèrèe. — La ques- tion de la fuite et de la spontanéité du martyre est aussi appa- rente dans Domiiinu s, Secundiamis et Constantms^ etc.. que dans André ou Processus-Mariinianus . — Les rédacteurs de Terentianus, des Xll Syriens ou de Félix le prêtre insistent sur l'immanence de Jésus au sein de la Trinité autant que ceux qui écrivirent Gordien^ Processus ou Pancrace. — Con- cordius niDonatj etc.. s'intéressent dMtitulus Pastoris autant que Stéphane^ Laurent et Vibbiane, — ^milianus et Victo- rin d'Assise et les gestes des XII Syriens, etc.. n'attestent pas
' Je ne crois pas que celui-ci ait le droit à^ y rien prendre. Toutefois, il est vraisemblable que le ou les héros principtiux de chaque légende sont îles u)artyrs ; peut-être est-il arrivé qu'on ait donné ce titre à un saint local qui n'y avait nul droit. Quant aux personnages accessoires, de toute évidence, ils sont fictifs [Cf. G. M. R., i, 359-366].
2 Cf. G. M. B , I, première partie; vi, passim.
M
LE MOUVEMENT LEGENDAIRE GREGORIEN 283
moins fortement que Laurent^ Maris ou Marcel le prestige de rOrient sur les imauinations occidentales.
J'ajoute qu'on pourrait sans peine recueillir tous les traits, dispersés dans ce volume, qui révèlent l'inlluence de telle légende romaine sur telle autre légende italienne ^ Qu'il suftise de rappeler ici quelques faits. Antliime et Cassien témoignent clairement de Taction qu'exerça Sébastien ; de même, Domninus rappelle Maurice, Hedestus les Quatre Couronnés, Agapet Vitus, Doiiat Vibbiane ou Jean Paul.
Et le fait n'a rien qui puisse surprendre si, parfois, ce sont des clercs romains qui ont rédigé nos textes. Les églises de Rome possédaient des domaines - en divers pays d'Italie ; les clercs chargés de les administrer ont appris à connaître les lé- gendes qu'on y contait ; ils les ont rédigées sur le modèle de celles de Rome. Rome était la métropole religieuse et la ca- pitale militaire : l'inlluence dont nous relevons les traces ne pouvait pas ne pas s'exercer.
On discerne, pourtant, certaines nuances qui distinguent le mouvement grégorien du mouvement ostrogothique.
Le caractère édifiant des légendes tend à s'accentuer : par- fois môme, elles prennent la forme d'un sermon adressé au peuple (Eutijchius, Sévère de Valérie).
Les reliques tiennent une plus grande place qu'à l'époque antérieure [Valentin, Juvénal, Sabinus, etc.]
Les anges interviennent plus souvent [Constantius, les XII Syriens y Ambroise, Gratilianus..^],
On oublie, — ou l'on feint d'oublier — dans quelles con- ditions le Christianisme s*est répandu : le peuple prend le parti du martyr [Alexandre, Constanlius, Poniie?i, etc...].
En conséquence, Tidée de martyr et l'idée de saint tendent à se dissocier : des saints très vénérés ne sont plus conçus comme martyrs [Jean Penariensis, Laurent de Spolcte, etc...].
Plus elle oublie l'ère des persécutions, plus la légende se montre docile aux influences contemporaines : on y relève certains traits dont la tendance anti-arienne est sensible [Juvénal, Donat, etc.]
1 Cf. G. M. R., VI., iudices,
^ Sur les palriuaoiaes de l'église romaine, cf. infia appeadice v.
284 CONCLUSION
Elle s'infléchit^ parfois, suivant les ambitions d'une église locale : telle la légende de Spoiète.
Elle intègre souvent des fragments d'histoire très récente [A^^milianus y Victorin-Severin, Uerculanus, otc...|.
Elle prétend souvent raconter les origines de l'église locale [^Agapel^ Anthime, XII Syriens^ Victorin^ ALmilianus, /u;li- cien, etc].
Elle parle, enfin, une langu(î toute récente : consules, ma- jores ^ principales, dans Félix, ConstantiuSy Donat signifient les notables du bourg.
Et il arrive qu'elle s'égare dans les imaginations les plus cocasses : telles, ces invitations à dîner qu'adressent aux mar- tyres, ici le persécuteur [Firminà], là Jésus [Restiluta].
C'est dire que, dans les gestes qui constituent le « mouve- ment grégorien », il importe de distinguer les moments et les groupes. Mais combien, aujourd'hui, le travail est délicat!
On croit pouvoir discerner trois moments : avant Grégoire, Grégoire, après Grégoire.
Avant Grégoire, c'est le temps de la crise où sombre l'éta- blissement des Goths, où se réinstalle l'administration impé- riale : ce qui correspond, à peu près, au pontificat de Vigile, 537-555. Les textes rappellent beaucoup ceux de l'époque gothique *. C'est alors que se rédigent Alexandre , Hedestns, Valenti7iy Concordius, Constantius , Anlhime A et B_, Pontien, Sabinus, Grégoire, Donat, Seciindianus, Marciamis, etc...
Au temps de Grégoire, à la fin du vi® et au début du vu^ siècle, la popularité des ascètes et des moines influence les traditions martyrologiques ; et le prestige de la légende grecque, désormais très bien connue, n'exerce pas une ac- tion moins grande. On écrit alors Victor in- Séveinn, Cas- sien, yEmilianuSy Terentianiis A, Victorin d'Assise, Félix de Spello, Félicien, Juvénal, certaines versions des XII Sy- riens, Gratilianus, Eutychius, Irènèe de Chiusi, Gauden- tius, etc... L'attribution aux saints locaux d'une origine orien- tale est certainement en rapport avec l'affermissement de
1 Quelques-uns des gestes étudiés dans ce volume remontent à l'époque gothique : Âgapet BC, Terentianus D, Laurent de Spoiète [peut-être An- thime A et Jean Penariensis, réserve faite de certaines retouches : le mot metropolis...] Cf. encore Apollinaire. La rédaction des gestes de toute l'Italie centrale et de toute l'Italie alla, dès lors, se complétant et s'accélérant.
CARACTÈRES DU MOUVEMENT GREGORIEN 285
l'exarchat : peut-être les hagiographes visent-ils à réchaulfer le loyalisme impérial des populations italiennes ; peut-être doit-on dire qu'ils s'en inspirent et qu'ils en témoignent K
Après Grégoire, les deux traits proprement grégoriens s'ac- centuent, le type légendaire gothique se détériore, les miracles et les bizarreries se multiplieut ; surtout, les textes sont indi- rectement iulluencés par l'œuvre de Rothari et la restauration des évôchés. En outre des remaniements qui, parce que tels, rappellent les gestes antérieurs — Agapet A, D, E, X/I Sg- riens, etc.. — , on rédige alors des légendes dont la physio- nomie est assez particulière : Firmina, Amasius, P'austin et Jovite, etc.
Quoi qu'il en soit de ces classements provisoires, nos textes sont contemporains du Calendrier populaire, qui, rédigé au début et complété tout le long du vu* siècle, recueille les plus fameux saints dont la popularité s'est épanouie au vi'' ou éclôt au vii° siècle. Voici la liste de ceux qui sont, à la fois, men- tionnés par le calendrier et célébrés par nos Gestes :
Concordius [1 janvier], (Argée, Narcisse, Marcellin [2]), Séverin/Victorin [8], Félix prêtre [14], Pontien [19] ; — Va- lentin [14 février] ; — Jean Penariensis [19 mars] ; — (Maro, Eutyches, Victorin [13 avril |) ; — Juvénal [7 mai]; Torpes [17]. — Pergentinus et Laurentinus [3 juin] ; — Bricius [8juillet] ; Anatolia et Audax [9] ; — Donat [7 août] ; Agapet j 18] ; (Anastase de Salone [21]) ; Secundus [26] ; — Vic- torin [5 septembre] , (Maurice [22]) ; — Marcellus et Apuleius [7 octobre]; Hedestus [12]; — Herculanus [7 novembre]; Alexandre de Baccano [26] ; — Abundius et Carpophore [10 décembre] ; Victoire [23] ; Grégoire de Spolète [24] ; Sa- biaus, Exsuperantius, Marcellus et Venustianus de Spolète [30] ^
* Sur l'hellénisation religieuse de l'Italie à ce moment, je renvoie à Diehl, 251. ■'P. L , 123, 145-178. — G(. G. M. R., r, 372-375.
28(> CONCLUSION
II
En 593, le pape Grégoire le Grand entreprend un nouvel ouvrage *. A la demande de ses familiers, il se propose de recueillir et de raconter les plus beaux miracles opérés en Italie par les Pères, aliqua de miraculis Patrum quœ in Italia facta audivimus ^ Débordé par le travail, il regrette le temps où, dans le silence du monastère, il pouvait à loisir cultiver son âme et rivaliser avec les ascètes ses contemporains \ Ce sera pour lui une joie que de chanter leur gloire, et comme un dédommagement du chagrin qu'il éprouve à ne pouvoir les imiter. Et, pour les âmes de ses lecteurs, ce sera un puis- sant réconfort et un stimulant : beaucoup ne savent pas quels saints se cachent alors, et quels miracles ils opèrent \
Le livre se présente sous la forme d'un dialogue — d'oià son nom, Dlalogi — : le pape s'entretient avec son diacre Pierre, dont la physionomie, à peine apparente, semble unir à beaucoup de candeur un léger scepticisme ; Pierre n'inter- vient que pour suggérer à Grégoire une observation morale,
* Oq trouve de bonnes choses sur les Dialogues dans le récent ouvrage de F. Homes Dudden : Gregory the great, hU place in history and thought [London, 1905, 2 vol. in-8], tome I,' 321-356.
2 Epist., III, 51 (M. G. 50). a Gregorius Maximiano epo Syracusano. Fratres mei qui mecum familiariter vivuat, omni modo me compellunt aliqua de mi- raculis Patrum... sub brevitate scribere » [P. L., 77, 646, B]. — Cf. Dialog.^ m, 19, l'inondation du Tibre antehoo fere quinquiennium [P. L.,n, 268, G].
3 « Nimiis quorumdam ssecularium lumultibus depressus..., secretum locum petii amicum mœroris... Animus... meminit qualis aliquando in monasterio fuit...; quantum rébus omnibus quae voivuntur eminebat... Et cum prions vitae recolo.., suspiro... Nonnumquam vero in augmentum... doloris adjungitur quod quorumdam vita qui praesens sseculum tota mente reliquerunt, mihi ad aie- moriam revocatur... » [Dialogi, praef. — P. L., 77, 151-152J.
*^ « Petrus. Non valde in Italia aliquorum vitam virtutibus fulsisse cognovi... Et quidem bonos viros in hac terra fuisse non dubito, signa tamen atque vir- tutes aut ab eis nequaquam facta existimo, aul... silentio suppressa... Fit... plerumque audientis animo duple.v adjutorium in exemplis Patrum, quia si ad amorem venturae vitae ex praecedentium comparatione accenditur, etiam si se esse aliqui<i existimat, dnm meliora de aliis co'jnoverit, humiliatur » [prœf. — P. L., 77, 152-153].
l'œuvre hagiographique de s. GRÉGOIRE 287
ou, le plus souvent, amorcer un nouveau récit. Les histoires pieuses, en effet, se suivent l'une Tautre à travers les quatre livres qui composent l'ouvrage. Nul plan, d'aucune sorte. Le pape écrit au hasard de ses souvenirs, ou de ses sources. Pourtant, le livre 11 et le livre IV ont une certaine unité : la mystérieuse et douce ligure de saint Benoît domine Tun, la question de l'existence de l'âme après la mort remplit l'autre. Mais l'unité de ces deux livres est tout extérieure : ils se com- posent, comme les deux autres, d'histoires pieuses, qui se rattachent à des évèques ou à des solitaires d'Ttalie du yi^ siècle, et qui tendent à affermir et vivifier la foi.
11 est intéressant de marquer, autant que faire se peut, leur répartition géographique, leur cadre chronologique et les sources où les a puisées Grégoire. Voici, en trois tableaux, les résultats de ces trois enquêtes.
Répartition géographique des légendes contées par Grégoire.
\. — 1. In Samnii partibus... ; in eo loco qui Funditus di~ ciltir... ; 2. Eiusdem Fondensis monasterii... ; in eadem pro- vincia Samnii... ; fluvius Vulturnus... ; in Campanile parti- bus... : 3. In eodem monasterio [Fondensi) ; 4. Baineuni Cice- ronis... ; Valeriœ partes... ; Aniiternina civitas.., ; Nursiœ provincia... ; Reatina Ecclesia... ; Valerise provincia,.. ; 5-6, Anconitana urbs ; 7-8. Monasteriura Suppentonia iuxta Nepesinam urbem...; Mons Soractis ; 9. Tusciœ partes... ; Fe- rentum... ; Ravenna... ; 10. In eisdem partibus... ; Tudertina civitas...\ Valeriœ provincia ', 11. In eadern provincia,.. \ 12. Interorina vallisy in eodem loco.
W. — Prœf. provincia NursisSy Roma ; 1. Locus qui Enfide dicitur; deserti loci secessum petiit cui Sublacus vocabulurn est... ; — 8. Castrum... quod Cassinum dicitur ; — 16. Aqui- nensis ecclesia ; — 21. In eadem Campaniœ regione\ — 22. In... prœdio iuxta Terracinensem urbem \ — 28. Campania ; — • 3^j. In Campaniœ partibus ; Cassinum castrum ; Capuana urbs.
ni. — 1. Nolana urbs ; Africa ; — 2. Roma, Constantino- polis, Corinthus ; — 3. Roma, Grœcia ; — 4. Mediolanum ; — 5. Apulia, Canusium ; — (>. J\arnia ; — 7. Fundi ; — S. Aquina civitas ; — 9. Lucana ecclesia ; — 10. Placentina urbs ; — 11. Populonium; — 12. Utriculensis ecclesia \ — 13. Pc-' rusiuni; — li. Spoletum \ — 15. Regio eadem \ Nursiœ pro~
288 CONCLUSION
vincia ; — 10. Pars Campaniœ ; mons marsimis ; — 17. liu.rcji- tina ccclesia in einsdem Aureliae parlibus ; mons Argenlarius ;
— 18. Campani/i^ partes ; — 19. noma^ Verona ; — 20. Va- lérie provincia ; — 21. Spolelum ; — 22. Vakriœ provincia ;
— 23. Prseneslini montes ; — 24. Uoma ; — 20. Samnii pro- vincia ; — 29. Spoletum ; — 30. //orna ; — 31 . Ilispania ; — 32. Africa\ — 33. Spoletum; — 35. liburtina ccclesia \ — 30. Adriaticum ; Syracusana ccclesia ; Cotronense castrum ;
— 37. Nursiœ provincia ; — 38. Ferentina civitas.
IV. — 7. Capuana urbs ; — 8. 7 erracinensis urbs.., ; zwa:/a Capuana urbs... ; — 9. /n Samnio\ — 10. Locus... Cample..^ VI ferme milliarii... a vetere Nursiœ urbe ; — 11. Provincia Nursiœ ; — 12. Reatina Civitas ; — 13, 14, 15, 10, i^, Roma\
— 21. Valeriœ provincia; — 22. Provincia,,. Sura; — 23.
Marsorum provincia ; — 20. Roma ; portuensis civitas ; — 27.
Centumcellœ; — 30. Sicilia; Liparis; — 31. Roma ; — 32.
Valeriœ provincia ; — 35-30. Roma, Constantino polis ; — 30.
Iberia ; Evasa ; Constantinopolis ; — 38. Roma ; Isauria ; — 40. Roma ; — 51. Portuensis ccclesia : Sabinensis provincia ;
— 52. Civitas Rrixa\ — 33. Lunensis ccclesia; Genuensis urbs; — 53-54. Ecclesia mediolanensis; — 55. CentumceU lensis urbs... : locus Taurania ; — 50. Narnia ; — 57. Ustica insula (îles Eo Hennés) ; Romanus p or tus.
Ce tableau montre que la plupart des légendes racontées par Grégoire sont originaires de la Campanie, de la Valérie, du Samnium et de la Tuscie, c'est-à-dire des pays contigus à Rome et qui gravitent directement autour d'elle ; il puise quelquefois en Sicile et dans l'Italie du nord ; une ou deux fois en Orient, en Afrique, en Espagne. On peut dire que c'est, essentiellement, du duché de Rome que les Dialogues expriment la légende.
Répartition chronologique des légendes contées par Grégoire.
I. — 1. Venantius (Theoderici seu Gregorii temporibus^?) ; — 2. Tempore Totilse régis Gotliorum ; — 4. Eo tempore quo ma- lefici in hac romana sunt urbe (circa 510) ^ ; Langobardis intrantibus Valeriœ provinciam ; — 9-16. Gothi.
' Cf. Gassiodore : Variarum, ix, 23. 2 Cf. G. M. R., IV.
L'œUVRR IlAGlOriRAPHIQUE DE S. GREGOIRE 280
ïl. — Il il lus [Denedlcli)c(jo,.. qiialtuor disclpulis illlus rc- Icrentibus agnovi [prœf.)\ Goiliorum... temporibus^ cum rex eorum Totila sanctum virum prophetiie habere spiritum au- dlsset... 14, 15, 31.
IIL — 1. Vandalorum tempore ; — 2. Gothorum tempore\
— 3i. Justinianus \ — 5^ 6, 11, 12, 13. Tolila\ — 14. Go- thorum temporibus prioribus\ — 16. Vir vilm venerabilis Be- nedicius ; — 17. Nostris ternporibus ; — 18. TotlL-e tempore \
— 19. Autharici tempore ; — 20. Nunc... ; — 26-30. Lango- bard[\ — 31, 33. Nunc\ — 32. Justinianus \ — 37. Lango- bardi.
IV. — 13. Gothorum temporibus ; — 21-22. Langobardi : — 26. Narsse temporibus ; — 30. Theoderici temporibus ; — 31. Gothorum tempore ; — 32, 34, 35, 36, 37 (Nostris temporibus), 40-4Ï {Gothorum temporibus), PascJiasius..., Sgmmachus.., Laurentius \ — 47, 51, 52, 53 (Nostris temporibus).
Ce tableau montre que la presque totalité des légendes ra- contées par Grégoire se rapportent au vi^ siècle, le plus sou- vent à Vépoque lombarde, assez souvent à V époque gothique.
Sources de Grégoire.
Il semble que les sources de Grégoire soient de deux sortes : de fait, elles sont toutes semblables. La lettre qu'il écrit à Maxi- mianurt de Syracuse *, l'usage qu'il fait de ses Homélies ^
1 « Fratrea... me corapellunt aliqua de miraculis Patrum... scribere. Ad quam rem solatio vestree charitatis vehemoQter indigeo, ut ea quae vobis ia inemoriam redeunt, queeque cognovisse vos contigit, mihi breviter indicetis. De... Nonnoso abbale.... aliqua retulisse te meroini quae oblivioni mandavi. Et hoc igitur, et si qua suol alla, tuis peto epistolis imprimi... » [/?p.. m, 51. — P. L., 77, 646 [M. G. m, 50, tome I, p. 206]. — Grégoire a écrit sans doute d'autres billets du même genre : il a travaillé sur des documents écrits. [Cf. Dial., I, 7. — P. L., 77, 184, l'histoire de Noanosus].
' Voici la liste des emprunts faits par les Dialogues aux Homélies. Par malheur, la comparaison des uns et des autres ne jette pas beaucoup de lu- mière sur la genèse légendaire : Grégoire, le plus souvent, s'est copié lui- même. On en jugera par un seul exemple,
Somilix, i2. — P.L.,16, 1122. Dialogi., iv, 38. — P. L., 77, 392.
§ 7. < Quidam uir nobilis in Vale- « Chrysaorius... vir in hoc mundo
ria provincia nomine Chrysaorius valde idoneus fuit, aed tantum plenua
fuit quem lingua rustica populus vitiis... » Chryserium uocabat. »
m 19
290 CONCLUSION
montrent qu'il utilise des documents écrits, non pas seulement
15. — 1133.
« Id ea porticii quas euntibus ad ecclesiam b. Glementis est pervia, fuit quidam Servulus nomine quem multi vestruoi mecum cognove- ruDt... »
36.
1273, D.
« Nuper nainque lu eadem civilate Ti:ieophaniu8 comes fuit. »
37. - 1279.
§ 9. « Multi vestrum, ffr., c, Gas- sium Naroiensis urbis episcopum noverant, cui mos erat quolidianas Deo hostias offerre... Kius presbytère per visum Doaiiaus astilit, diceos : Vade et die episcopo : Age quod agis, operare quod operaris. »
37.
1279.
§ 8. « Non loDge a nostris ferlur temporibus factura quod quidam ab hostibus captus longe transductus est... Uxor... exstinctum putavit .. : pro quo iam velut mortuo hostias bebdomadibus... siugulas... curabat ofTerre. »
38. — 1290-1291.
§ 15. « Ter pater meus sorores ha- buit, quifi cuDctae très sacrae virgines fueraut : quarum uoa Tbarsilla, alia Gordiana, alia iEmiliana dicebatur. »
38.
1292.
§ 16. a Ante biennium frater qui- dam in monasterium meum quod iuxta b. b. m. m. Jobannis et Paali ecciesiam situm est, gratia conversa- tiouis venit... Quem frater suus... carnali amore secutus est;... longea vita eius ac moribus discrepabat. >
40. — 1310-1311.
§ 11. « Rem, f patres, refero, quam
IV, 14. — 341.
« In Homeliis quoque Evangelii ' jam narrasse me memini quod in ea porticu quae euntibus ad ecciesiam b. Clementis est pervia, fuit quidam Servulus nomine... ut quidem pauper rébus. »
IV, 27. — 364.
« Neque hoc silendum est quod de Theophanio Gentumcellensis urbis comité, in eadem urbe positus... »
IV, 56. — 421-422.
« Vir vitae venerabilis Cassius Nar- niensis episcopus, qui quotidianum offerre consueverat Deo sacriâ- cium..., mandatum Domini per cuius- dam sui presbyteri visionem susce- pit, dicens : Age quod agis, operare quod operaris. » i
IV, 57. — 424.
« Hoc quoque audivimus, quem- dam apud bustes in captivitate posi- tum... pro quo sua conjux diebus certis sacrificium offerre consueve- j rat. » b|
IV, 16.
348.
« Hoc quod de Tbarsilla amitamea in Homeliis Evangelii dixisse me re- colo, repiicabo.'OuseJnter duas alias sorores.... »
IV, 38. — 389.
« Theodorus nomine puer fuit qui in monasterium meum fratrem suum necessitate raagis quam voluntate se- cutus est. »
IV, 15. — 344-345. « In eisdem quoque homeliis rem
I
L ŒUVRE HAGIOGRAPHIQUE DE S. GREGOIRE
291
lénioignages oraux ^ Mais les uns et les autres dérivent traditions populaires. II nous en avertit lui-même :
is qui prsBsto est frater et com-
yter raeus Speciosus novit...
qiieedam,Redempta nomine...ia
hac iuxta b. Mariœ semper virgi-
:clesiam manebat. Haec illius He-
nis discipula fiierat qiioe... su-
rœnestinoB montes vitam eremi-
duxisse ferebatur. Huic duae in
a habitu discipulaeadhaerebant :
ïomiDB Romula, et altéra quse
adhuc superest, qnam quidem
scio, sed Domine nescio. Très
8 hae in uno habitaculo commo-
13, morum quidam divitiis ple-
sed tamen rébus pauperem vi-
duccbant. Hsec autem quam
itus sum Romula aliam quam
ixi condiscipulam suam magois
meritis anteibat. Erat quippe
patientise, summae obedieotiae,
s cris 9ui ad sileutium, studiosa
ad continuae orationis usum.
. Romula ea quam graeco uoca-
medici paralysin vocant moles-
trporali percussa est... Nocte...
am, Redemptam uocavit... Su-
cselitus lux emissa omne illius
lae spatium implevit... Gœpit...
U8 audiri... Quam lucem... miri
8 est fragrantia subsecuta...
cum petiit et accepit... Sancta
mima carne soluta est. d
narrasse me recolo quam Speciosus compresbyter meus qui banc nove- rat, me narrante, altestatus est... Auiis quœdam, Redempta nomine,... in urbe hac iuxta beatae Marife semper virginis ecciesiam manebat. Haec illius Herundinis discipula fue- ret, quse... super Praenestinos montes vitam eremiticam duxisse ferebatur. Huic autem Redemptae duae in eo- dem habitu discipulae aderant : una nomine Romula, et altéra quae nunc adhuc superest, quam quidem facie scio, sed nomiue nescio. Très itaque hae in uno habitaculo commanentes, morum quidem divitiis plenam sed tamen rébus pauperem vitam duce- bant. Haec autem quam praefatus sum Romula aliam quam praedixi condiscipulam suam magnis vitae me- ritis anteibat. Erat quippe mirae pa- tientiae, summae obedientiae, custos oris sui ad silentium, studiosa valde ad continuas orationis usum. Sed... Romula ea quam graeco uocabulo medici paralysin vocant molestia cor- porali percussa est... Nocte... qua- dam... Redemptam... uocauit... Subito caelitus lux emissa omne illius cellulae spalium implevit... Gœpit... sonitus audiri... Quam lucem... est miri odo- ris fragrantia subsecuta... Viaticum petiit et accepit... Sancta illa anima carne soluta est. >
— 3. Félix Gurvus ; — 4. Fortunatus a... et alii viri venerabiles ; Gastorius magister militum ; — 5 Epis. s quidam ; — 6. Maximianus episcopus et Laurion veteranus raonachus ; Gaudentius presbyter ; — 10. Julianus notarius ; — ii. pref. Constan- >, Valentinianus, Simplicius, Honoratus abbates ; — m. 6. Multi de nar- si civitate; —7. Habitalores... Fundi ; — 9-10. Venantius Lunensis ; — ilericus senex qui adhuc superest ;— 13. Floridus episcopus;— 14. 0 Gregoria et Eleutherius ; — 15. Sanctulus presb. ; — 16. Pelagius papa; 7. Quadragesimus subdiaconus ; — 18. Frater in monasterio ; — 19. mes Iribunus; - 20. Qui nunc nobiscum sunt ; — 21. Eleutherius pater ; 2. Valentio abbas meus ; — 23. Monachi Praeoestini ; — 24. Qui Theodo- noverunt; — 25. Nostri seniores; — 26. Multi nostrorum ; — 29. Boni- J8 monachus ; — 31. Multorum qui ab Hispaniee partibus relatione... ; — Senior episcopus; —33. Discipuli Eleutherii ; — 35. Floridus episcopus rlinus. — iv, 8. Benedicti discipuli; — 9. religiosus... vif ; — 10. Vene- lis vir; — 11. Stephanus abbas; — 12. Probus abbas; — 13. Matres mo- lerii Gallae; — 15. Speciosus compresbyter ; — 17-19. Probus; —21. Valen-
, 1. Venantius; — 2. Laurentius
292 CONCLUSION
Si depersonis omnibus iaucloribus meis), ipsa specinliter verba tcnerc voluissem, hœc ruslicano usa prnlala slt/lu^ scn- bentis non apte susciperet \
C'est le peuple chrétien qui parle par la bouclie des inomes, de Maximianus et de Grégoire. De là, l'importance de son livre ; il jette sur Tâme populaire italienne au vi« siècle les plus vives clartés.
III
Entre la légende qui s'exprime dans les Dialogues de saint Grégoire, et celle qui se déroule dans les Gestes à^ l'époque grégorienne, on aperçoit d'abord une différence notable, et trois ressemblances précises : la légende des Dialogues chante les confesseurs, la légende des Gestes célèbre les martyrs ;
tio ; - 22. Religiosi viri ; - 27. Viri fidèles ; - 31. Deusdedit senex; - 32. MaximiaûQB Syracusanus ; - 33. Religiosi viri ;- 35. Eleutherius ; - 36 Illiriciaaus monachus ; - 38. Athanasius Isaurise presbyter ; - 40. majores : — 51 Félix portuensis episcopus ; — 52. Joannes... locurn prœfectorum ser- vans • — 53. Venantius Luneusis episcopus et Liberius vir nobilissimus ; - 54. Tiactorum qui hic habitant plurimi ; - 55. Félix episcopus ; - 57. ReligioB)
"^'v'oilà la liste, à peu près complète, dos « autorité» » de Grégoire. Il est quasi certain que le témoignage du plus grand nombre lui a été transmu^ oralement. M Dudden, inquiet de tous les miracles rapportes par ces samtf nersonuagee, rabaisse la valeur de leur témoignage et conteste 1 exactitude de ces histoires prises en bloc. Cette méthode expéditive me paraît contestable A un point de vue purement rationnel, l'idée de fait miraculeux apparai' comme strictement solidaire de l'idée de fait naturel normal; beaucoup de faits jadis classés comme miraculeux - les stigmates par exemple - sem blen't aujourd'hui normaux, ou à peu près [Cf. G Dumas : la fj^7«^^;«^»^;' chez les mystiques chrétiens. Revue des deux Mondes, !«- mai 1907]. Et 1 idé£ de loi naturelle semble se transformer profondément sous nos yeux.
1 Prxf \P L 11, 153, B]. — H n'y a pas lieu de s'étonner que Grégoire et ses amis causent avec les rustici et apprennent à connaître leurs âmes. C( sont des moines ; et voici les conseils qu'ils trouvent dans Gassiodore : ï Ip- sos rusticos qui ad vestrum monasterium pertinent bonis moribus erudite.. Illud* quod familiare rusticis comprobatur, furta nesciant, lucos colen prorsus ignorent... Fréquenter ad monasteria vestra convemant... [De tn$t div. lit., 32. - P. I., 70, 1147].
s. GRKGOIRE ET LES GESTA MARTYRUM 293
l'une et l'autre ont même date, mômes racines locales, même caractère édiliant.
Grégoire le Grand cite explicitement un de nos gestes, ceux de Donat d'Arezzo :
In duohus miraculis diiorum Patrum virtutes imitatus est [Nonnosus) :.. in reparatione,.. lampadis, virtutem Donati qui fractum calicem pristinœ incolumilati restituit '^ .
Trois épisodes des gestes sont manifestement copiés sur trois passages de saint Grégoire : l'histoire de Proculus (gestes d'Abundius) est calquée sur celle d'Equitius de Valérie ^ ; l'his- toire des voleurs de Félix prêtre sur celle des voleurs d'Isaac le Syrien ^ ; l'histoire de Sévère de Valérie sur le récit que fait Grégoire des miracles de ce saint homme ^
Une page des gestes est exactement parallèle à une page de Grégoire: celle qui, ici et là, prétend raconter l'histoire d'Herculanus, Tévêque de Pérouse mis à mort par Totila ^ . On a vu que Grégoire semble plus près de l'histoire que les gestes.
Trois passages des gestes présentent avec trois pages de Grégoire un parallélisme moins frappant, mais aussi réel : je vise l'histoire d'Anastase dans les gestes d'Abundius (cf. Anastasc de Suppentonia) '\ l'histoire de Victorin dans les gestes de Victorin-Séverin \ l'histoire d'^milianus de Spolète dans les gestes de ce nom (cf. Victorin ^milianus) ^ Ce sont les mêmes personnages et les mêmes événements d'où dé- rivent nos doubles récits : mais les déformations légendaires ont sensiblement et diversement altéré, ici et là, la tradition primitive.
Deux fragments des gestes paraissent appartenir au même tronc légendaire que deux histoires des Dialogues : Jean Pe- nariensis est manifestement le fraternel émule dTsaac de Spo-
1 Dial, I, 7. — P. L., 77, 184. — Cf. supra, p. 168, note 3.
' Dial.. I, 4. — P. L., 77, 184. — Cf. supra, p. 172-73, note 6.
^ Dial., m, 14. — P. L., 77, 245. — Cf. supra, p. 236.
* Dial, 1, 12. — P. I., 77, 212. — Cf. supra, p. 267.
5 Dinl, m, 13. — P. L., 77, 241. — Cf. suj^ra, p. 69
Noter qu'lsaac le Syrien est précisément nommé Jans Ahundius ; mais on ue donne sur lui aucun détail. Il est probable que, ici encore, notre rédac- teur relève, non du texte de Grégoire, mais de la tradition orale.
^ Dialog., 1, 7. — P. L., 77, 181. Cf. supra, p. 75 Homil. in Evang,, P. L., 76, 1257. Cf. supra, p. 268.
8 Loco citato, P. L, 76, 1257. Cf. supra, p. 114.
2ÎJ4 CONCLUSION
lèle ' ; et j'incline à voir dans Euticius le rival malheureux de Floronlius '^
Deux gestes reflètent les préoccupations qui percent dans certaines lettres de Grégoire : Grégoire veut donner, Abun- dius veut retirer à Tévêque de Rome le droit de sacrer les dvèques d'Ombrie ^ ; Grégoire surveille de près l'exercice du droit de pallium, Félicien entend le conférer sans restriction à révoque de Foligno *.
Deux gestes semblent refléter la même situation politique, ecclésiastique et religieuse que certaines pages de Grégoire: comme l'auteur de Juvénal, Grégoire vise la conversion de [Varni au catholicisme ^ ; et les détails qu'il donne sur le culte des saints de Brescia et de Gènes éclairent opportunément la i genèse de Faustin-Jovite ^ |
J'ajoute que Grégoire atteste indirectement la popularité de plusieurs des héros de nos Gestes ; Proculus, Anastase, Ju- vénal^ Sabinus, Eutychius, Donat, Maxime, Faustin, ^Emilia- nus, Isaac, Herculanus, Sévère.
Les mêmes thèmes légendaires reparaissent dans Grégoire et dans les gestes : ce sont les Egyptiens qui entraînent les âmes, ou les ressuscites qui décrivent les enfers. On relève, ici et là, les mêmes intentions anti-ariennes ', les mêmes dé- ! tails empruntés aux légendes grecques % les mêmes incidents de la lutte que soutient obstinément contre le Christianisme le paganisme rural ^
On doit conclure qu'zV y a une étroite solidarité entre les Gestes et les Dialogues : ces deux séries de textes se complètent et s'éclairent l'une l'autre ; leur rapprochement permet de re- constituer l'ensemble du mouvement légendaire dont les Dia-
« Dialog., m, 14. — P. L., 77,244. Cf. supra, p. 61.
2 Eod. op., m, 15. — P. L., 77, 249. Cf. supra, p. 74.
3 P. L., 77, 661. Cf. supra, p. 76. * P. Z., 77, 732. Cf. supra, p. 82. 8 P. L.. 77, 539. Cf. supra, p. 86.
6 Dialog., iv, 52-53. — P. L., 77, 413-416. Cf. supra, p. 192.
■ï Grégoire a adressé les Dialogues à Theodeliade [Paul Diacre : H. L., iv, 5].
8 « Veoerandus vir... petiit ut sibi paululum orandi licenlia daretnr « [DiuL, III, 37. — P. L., 11, 312, A]. Rapprocher le miracle qui survient alors de ceux qu'on lit dans les gestes.
9 Dialogi, ii, 8, 19 [P. L., 66, 152 et 176]. « Castrum... Gassinum..., in quo... a stulto rusticorum populo ApoUo colebatur .. lUuc... vir Dei perveniens con- Irivit, idolum, subvertit aram, succendit lucos, alque in ipso templo Apoili- nis oralorium (?) b. Martini, ubi vero ara eiusdeui ApoUinis fuit oratorium(? s. Joauuis coustruxit... — Cf. Félix du Pincio, Anthime, XII Syriens), etc..
s. GRJ5G01RE ET LES GESTA MAR'IYHUM 295
logues ne donuaient qu'un fragment. Grégoire appelle du môme nom, respectueux et vague, Paler, un martyr des Gestes comme Donat % un confesseur des Dialogues comme Nonnosus ou Isaac ; il parle avec la même piété- des uns et des autres.
C'est que la sainteté des uns et des autres est égale et leur mérite pareil à ses yeux ; le confesseur d'aujourd'hui vaut le martyr d'autrefois. Ainsi apparaît l'unité profonde de ce mou- vement grégorien, ainsi se précise pour nous la nature du rap- port qui le lie au mouvement ostrogothique.
Saint Grégoire dit à Pierre :
Duo sunt... martgrii gênera, unum inocculto, alterum in publico. Nam etsi persecutio desit exterius, martyrii meriium in occulto estf cum virtus ad passionem prompta flagrat in animo. Quia enim esse possit et sine aperta passione marty- rium, testatur in Evangelio Dominus, qui Zebedaeifîliis adhuc prœ infirmitate mentis majora sessionis loca quœrentibus di- cit : « Potestis bibere calicem quem ego bibiturus sum » ? [Mt.y XX^ 22^. Cui videlicet cum responderent : « Possumus », ait utrisque : « Calicem quidem meum bibetis ; sedere autem ad dexteram meam vel sinistram, non est meum dare vobis ». Quid autem calicis nomen nisi passionis poculum signât? Et cum nimirum constet quia Jacobus in passione occubuit, Joan- nes vero in pace Ecclesiœ quievit, incunctanter colligitur esse et sine aperta passione martyrium, quando et il le calicem Do- mini bibere dictus est qui ex persecutione mortuus non est. De his autem talibus tantisque viris quorum superius mcmoriam feci, cur dicamus quia si persecutionis tempus exstitisset mar- tyres esse potuissent, qui, occulti hostis insidias tolérantes suosque in hoc mundo adversarios diligentes, cunctis carna- libus desideriis resistentes, per hoc quod se onmipotenli Deo in corde mactaverunt, etiam pacis tempore martyres fuerunt, dum nostris modo temporibus viles quoque et sœcularis vitœ personis, de quibus nil cœlestis gloriœ prœsumi posse videba-
1 P. L., 71, 184, C \Dialogi, i, 7].
- Noter avec quelle piété S. Grégoire parle des martyrs à la fia de la vie de S. Benoît, P. L., 66, 204. Il s'inspire des gestes de sainte Félicité, G. M. R. 1. 382. — On sait que saint Grégoire, dès avant 590, prenait le titre de servus servorum Dei [Ewald : Neues Archiv. m, 1878, 544] : je le retrouve dans les gestes des Martyrs grecs. « Valerianus dixit ad Hippolytum : dé- clara nobis, et tu, nomen tuum. » Hippolytus dixit : « Hippolyius servus ser- rorum Dei » [de Rossi : R. S. m, 203]. N'est-ce pas l<i le texte qui a inspiré directement S. Grégoire ?
29G CONCLUSION
tur, ohorla occasione , contigit ad martyrii coronias pervenisse ^ Aujourd'hui comme autrefois, le vrai chrétien peut témoi- gner de sa foi, sacrifier son égoïsme à son idéal, tuer la chair, parvenir à la vie éternelle : point n'est besoin de bourreaux pour ces martyrs de la charité, de la chasteté et de la foi. C'est le Seigneur lui-même qui égale à Jacques, le martyr de Jéru- salem, l'apôtre Jean dont la vieillesse indélinie semblait dé(if;r la mort et qui mourut dans la paix. Si donc les chrétiens doivent connaître, admirer, aimer, imiter les martyrs de la persécution, ils doivent aussi connaître, admirer, aimer, imi- ter les martyrs de la paix. Et peut-être ce fin psychologue qu'est Grégoire voit-il que l'exemple de ceux-ci sera plus pro- fitable aux fidèles que l'exemple de ceux-là : les épreuves qu'ont eu à surmonter ceux-ci se rapprochent davantage de celles qu'impose à chacun Thumble vie de chaque jour. Voilà comment et pourquoi l'auteur des Dialogues est contem.po- rain et parent des auteurs des Gesta ; voilà par où se touchent et se rejoignent les deux œuvres du pape illustre et des clercs obscurs ; et voilà comment, se prolongeant et s'élargissant au vi^ et au vue siècle, la légende des martyrs de Rome suscite la légende des martyrs et des confesseurs dltalie ^
1 Dialogî, m, 26. — P. L., 77, 281-284. — Cf. G. M. R., ii, 101, note 1, les textes de Salvien et de Gassiodore qui indiquent la même idée.
2 On traite au volume V [G. M, R., La Légende romaine et la Légende grecque] de certains textes qu'il peut d'abord sembler étonnant de ne pas trouver étudiés ici. On les considère comme de simples adaptations de lé- gendes grecques.
APPENDICES
I
APPENDICE I
SAINT ALEXANDRE DE BACCANO
Dans un article récent [Notes d'hagiographie toscane. — Revue Bénédictine, 1907.112], D. G. Morin se demande de quel endroit Alexandre fut évêque. Il écarte l'opinion de de Rossi, d'Allard, de la Cività Cattolica et de Duchesne, qui placent à Baccano le lieu de son siège comme le lieu de son supplice *. L'itinéraire qu'on fait suivre au martyre [de X... à Rome et de Rome à la villa impériale près Baccano] semble indiquer que le lieu où il est arrêté est éloigné de Rome ; et lorsque l'empereur l'interroge et lui dit : Tu es Atexander qui partent Orientis damnasti , ne semble-t-il pas indiquer que le siège de Tévè- ché d'Alexandre se trouve en Orient? Justement D. Morin ren- contre dans le Synaxaire de Constantinople, à la date du 22 octobre [éd. Delehaye, col. 1556], l'éloge d'un Alexandre, évêque et martyr qui convertit un soldat, Héracleioo, et quatre femmes, Anne, Elisabeth, Théodote et Glycérie ; il est décapité avec elles et avec lui ; on célèbre sa fête à Gonstantinople, dans
réglise qui lui est dédiée, i^Xr^atov xoù àytou recopYiou èv xôp KuTraptaji^.
La date du 22 octobre peut fort bien être une erreur et devoir se lire 21 septembre, anniversaire du martyr de Baccano. Le rédacteur du Sijnaxaire semble suivre et résumer notre texte latin : Héracleios est évidemment Herculanus. Le culte de
1 Bul. A. C, loco citato. — Revue des questions historiques, octobre 1905, p. 393, noie 1, — Civiltà... anno LV, iv, p. 203. — Archivio délia R. Società romana di storia patria, XV (1892), 493.
300 ALEXANDRE Dli BACCANO
Constantinople apporte « une confirmation inattendue de l'allu- sion... des actes latins aux relations qu'aurait eues avec l'Orient le martyr de Baccano ». Le martyr Alexandre, vénér«jà Haccano, était evêque d'une ville située en Orient.
A l'appui de l'hypothèse, on peut encore faire valoir que la lé- gende latine date sans doute du temps de Vigile \d, supra ] ; et que rien ne s'explique mieux, alors, que l'influence d'une tradi- tion grecque sur une tradition latine. D'autant que, on l'a vu [p. ()-13j, notre auteur ne se fait pas faute de puiser un peu partout les éléments de son récit, notamment dans des textes grecs.
A rencontre de l'hypothèse, on remarque que l'attribution à un martyr d'une origine orientale est un trait fort banal [cf. G. M. R., I., 345-346] ; — que les textes latins ignorent les quatre femmes martyres; — et que le texte grec ignore l'empereur Anto- nin, Crescentianus, Boniface et Vitalion, la résurrection de l'en- fant mort, l'épisode de Cornelianus et de l'archange saint Michel.
Je ne rejette pas l'hypothèse de dom Morin ; mais, avant de l'adopter, me permettra-t-il d'attendre qu'il déniche quelque fait nouveau ?
— Le diptyque de Lucques, dont P. Guidi vient de déchiffrer la colonne de gauche [Revue Bénédictiiie, \^01 , \22]àoxiï\^, ligne 18 : alexandri [les lignes 16 et 17 donnent felicis^ pan- crat [ii] ; les lignes 19 et 20 ambro \sï\, z^?7<2/2 5]. Peut-être s'agit- il du martyr de Baccano. — 11 est certain que ces noms corres- pondent au Communicantes du canon romain.
— Page 14, note (delà page 13). Des expressions /?nm?^5 /9«- latinus, primus milesy primus senator^ rapprocher encore l'expression primus \dux\ ? exercitus^ qui se lit dans la no- tice de Constantin (708-715) [L. P., i, 389. 393\].
— Comparer l'inscription delà page 13 avec cette inscription de Slano (district de Raguse), datée de 462.
DP ET REQVIES SGI AC VENERA ANASTASI PRB D. V. ÎD. MART INDICT. X. V. POST es SEVERINï YCT
|G.L L., 14, 623. Cf. diUSSiBulL Daim. ^xxiy (1901), p. 92. et N. B. A. C, vin (1901), 197 ; — d'après Zeiller : Les origines chrétiennes»., de Dalmatie, 130-131 et p. 101, note 1]. K
1. Les mots de l'inscriptioa sont séparés par quatre petites feuilles.
ALEXANDRE DE BACGANO 301
L'inscription d'Alexandre portait peut-être veiierandus, non venerabilis ; l'auteur du texte aura mal lu l'abréviation.
— Ajouter à la page 14, ligne 10, après le mot Vindohonen- sis ; « peut-être cette version primitive de A, que j'appelle A', ignorait-elle l'épisode de la veuve et de Tétole; c'est elle que re- manie l'auteur de B. » .
— De la résurrection de l'enfant par^ Alexandre, rapprocher une histoire assez analogue que raconte saint Grégoire, Bialogi^ ii, 32. F.L.,66, 192.
Quidam,., rusticus defuncti filii cor pua in idnis ferens..,, ad monasterium venitj Benedtctum patrêm qaœsivit... : « Redde filium meum,.., »... \ir Dei... flexit, gemia et super corpusculum in/antis incubiiit, seseque erigens ad cœlum palmas tetendit dicens : « Domine, non aspicias peccata mea, sed fidem liuius hominis... ; redde in hoc corpiisculo animam quem abstiilistù., » Regrediente anima... corpuscu^ lum piieri omne contremuii.
En rapprocher encore l'épisode du ressuscité de Mebros, qui avait fait d'abord un tour en purgatoire et en enfer, dans Bède : Bistoria Eccles.Anglonnn, v, 12.
I
APPENDICE II
SAINT AGAPET DE PRÉNESTE
M. J. Zeiller vient de reprendre et de développer l'hypothèse du R. P. Delehaye ' dans son travail suc Les origines chré- tiennes dans la province romaine de Dalmaiie [Paris, Cham- pion, 1906. — Bibl. de l'Ecole des hautes Etudes. Sciences his- toriques et philologiques, fascicule 155].
La légende de Venant n'a pas été calquée sur la légende d'Agapet [p. 68J, parce que plus logique et plus homogène que celle-ci. — La légende d'Agapet n'est pas homogène ; elle n'est elle-même qu'une adaptation d'un autre texte [p. 69], à savoir la passion de saint Venance de Salone [p. 72] . Car : i. Venant de Camerino donne des indications topographiques qui s'ap- pliquent assez bien aux environs de Salone ; 2. Les noms de Ve- nantius et d'Anastasius sont des noms de saints dalmates ; 3. Certains détails se réfèrent à des événements historiques réels [p. 72 et 74]. La légende de Venance de Salone était fa- buleuse, mais dérivait, en effet, d'un texte authentique [p. 74] : le roi Antiochus n'est autre que Flavius Antiochanus, consul de 270, préfet de Rome sous Aurélien ; si Aurélien n'a pas persé- cuté les chrétiens, un usurpateur dalmate nommé Septimius [Aurélius Victor : Epit. 35J a pu les persécuter, et martyriser Venance de Salone. Justement, une des versions d'Agapet conte
1 Cf. supra, p. 27. note 4.
304 AGAPÊT DR PR^:NE8TE
qn'Aiitiochus lut diass6 par ses sujets et tué : c'est un souvenir de la chute et de la mort de Septimius. Justement, encore, une inscription [C. L. I., m, 828] semble identifier Septimius et An-
tiochus. . .
Ce système paraît plus ingénieux que solide. L'inscription qu'on apporte n'a aucune attache topographique ou chronolo- gique assurée; l'interprétation ni la lecture n'en sont certaines.
— On ne sait rien de Septimius ni de ses rapports avec les chré- tiens. — Le nom d'Anastasius n'est pas spécifiquement dalmate.
— On n'est guère précis touchant les indications topographiques de Venant de Camerino qui s'appliqueraient « assez bien » aux environs de Salone. — Venant de Camerino est plus homogène, dit-on, ({xiAgapet de Préneste : j'en conclurais volontiers que Vena?it est postérieur à ^^a/^é»/. — Le roiAntiochus rappelle le persécuteur des Macchabées plutôt qu'un consul obscur. Le livre I des Macchabées raconte [1-6] les luttes d'AntiochusVl Epiphane [176-164] contre Mattathias, Juda et ses frères ; et l'on sait le retentissement de cette histoire dans l'imagination chrétienne : les Macchabées sont le type des martyrs '.
On oublie surtout que les versions d'Agapet se divisent en deux groupes ; et que celles qui ignorent Anastase sont aussi homogènes que le sont en général les textes de cette nature ; et que Thistoire du culte de Préneste aux environs de l'an 500 et les translations de Jean IV éclairent l'origine des unes et des autres. Inutile de faire intervenir un texte dont l'existence même est douteuse.
1 s E. Le cardinal Rampolla a soutenu naguère que les reliques des sept frères avaient été portées d'Antioche à Constantioople et de Constanti- nople à Rome au temps de Justinien. Del luogo del rnartirioedelsepolcro dei Maccabei. - Roma. Tip. Vaticana. 1898. -Cf. Analec ta iS9S. 3o6]. Quoiqu U en soit de la réalité de ces translations, la célébrité de 1 histoire des Maccha- bées en Occident dès le vi* siècle ne fait pas doute.
Il
APPENDICE m
SAINT LAURENT DE SPOLÈTE ET SAINT LAURENT
DE FARFA
J'ai publié (p. 72) un texte écrit en 529, qui prétend raconter Fhistoire d'un évêque de Spolète appelé Laurent.
Les Bollandistes ont analysé (p. 64-65) un texte qui adapte à Laurent de Spolète la légende des XII Syriens.
C'est ce Laurent de Spolète qu'on retrouve, probablement dans le Laurent auquel la tradition de Farfa attribue la fonda- tion de ce monastère. Voici, à ce sujet, quelques textes intéres- sants : je les emprunte tous à l'excellente édition du Chronico7i Farfense de Grégoire di Gatino que nous devons à Ugo Balzani [tome I, Roma, 1903, — dans les Fonti per la Slorta dltalia publiés sous la direction de c< Tlstituto Storico italiano »].
Grégoire cite un privilège accordé par le pape Jean VI (701-705) à Thomas de Maurienne ; on y lit ces mots :
Venerabile monasterium sanctœ Dei genitricis semperquc virgiiiis Marias quod Laurenthis quondam episcopus vene- randde memoriœ de peregrinis veniens in fundo qui dicitur Aciitianiis territorii Sabiyiensis constitnit ^ et pr opter religio- sam eius conversalionerriyet divini servitii sedulitatem^ ibi- dem secum co7iversantium,loca qiiœdam tam emptu quam ex ohlatione fidelium acquisivit [Balzani, p. 128. — Cf. le Reges- tum Farfense, doc. 2.]
Dans le Chronicoji Grégoire écrit :
... Pater noster Laiirentius, htdiis sacri cpenohii œdificator lU 20
306 s. LAURENT DK SPOLÈTE
primiis..,, quando de terre atque cofjnatione nua^ ft')C est de Siria exivit... in hanc Sabineiisem provinciam post beatissi- morum apostolorum venit adorata limina, in qua aliquantiH- percomrnoratuSy dura epnscopatus konore funger(Hiir... secidi sublimia sprevit,... episcopatimi deseruity et contemplât ivam vitam... et... monacfdcum liumile indumentum accepit..; cum... in quodam puteo, loco qui dicitur Aturianus Sabi- nensis provinrAœ^ imma?îissimus tune draco habitaret... Laurentius a dominis ipsius loci tam vendicione quam con- cessione eumdem locum accepit et... sevam pepulit Dornini virtute omnipotentis pestem... deinde in uno ex his quœ ei tradita vel viendita fuerant loca^ idest in sito cuius vocabulus est Acutianus, una cum sua germana Susanna monasterium hoc in honore sanctse Dei genitricis semperque virginis Ma- ride et sanctorum Johannis Baptiste et Johannis E rang élis tde^ idem vir Domini Laurentius, non de publico, conslruxit.. ; quod bene idem venerabilis Laurentius innotuit, cum in isiius ecclesiœ absida tituium posuit^ in quo refertur ab eo et Su- saniia eius germana hoc monasterium non de publico fuisse constructum.. ; cum autem... diu in hoc monasterio certamen bonum certassety... ex hoc luce migravit.
Dans son Floriger, Grégoire revient sur Thistoire de Laurent et livre le résultat de ses dernières recherches :
Quod de temporibus saiictissimi patris nostri Laurentii ante gestis beatorum Euticii et Ysaac aliorumque sanctorum qui eius collegae fuerunt repperimus, stilo iam veraci profe- ramus. denique temporibus Juliani imperatoris eratin partie bus Syriœ vir vitœ venerabilis Anastasius cum duobus fîliis siiis^ Bricio scilicet atque Euticio.. ipatriam relinquerunt..., cum his etiam se addiderunt plurimij maxime nepotes eo- rum et consanguinei circiter IX, videlicet: Ysaac, JohanneSy Laurentius y Proculus, Paractalis, Vincentius, Crispoiitus necnon et Herculanus. Cum quibus et Susanna germana... Laurentii... Romam causa orationis advenerunt.. \episcopus Urbanus.». Bricium et Carpo forum ordinavit presbiteros, Laurentium et Abu?idium constituit diaconos... Tune iniqui pagani nuntiaverunt Juliano . . ; prœcepit . . . in loco ubi dicitur Aquae Salviœ.,. caput beati Anastasii abscidi... Bricius et Euticius... venientes in viamCorneliam ubi dicitur Pax San- ctorum... Euiicius adBalzena locaprimo perrexit... deinde... ad locum qui Cample dicitur abiit... Bricius vero et Ysaac at-
ET S. LAURENT DE FA RFA 307
queJohamia^ad Spoletanamprofecti siint iirbem... et monas- terui ibidem constru {.rertint).. Vi?îce?ilws aiitem Mevanœ episcopus... Proculiis... sub oppido Carsulaiio monasterhim staluens... Crispolitus quoqiie Vectojiœ... Herculanus autem Perusinœ... Lafircnthis vero una cum sorore sua... Susarma Sabinesempetiti simt... ; episcopus.,., expulii draconem, in quo videcelct loco cni vocabtdum est Tnrianum, ecclesiam construens... post hoc autem locum reperiens remotiorem ubi... monasterium elegerit^ cuius vocabulum est casalis Acutianus... : construere cœpit, ut conici potest, temporibus Gratiani imperatoris.
Le récit du Floriger repose certainement sur une version cy- clique de Laurent qui ditTère sans doute de la version analysée par les BoUandistes [cf. supra ^ p. 65] : la version du Floriger paraît ignorer Gaïus. — Cette version mystérieuse avait été ré- digée d'après le texte du Codex Parisinus 5323 [cf. supra, p. 78], ou d'après un texte analogue : elle s'intéresse aux Aquds Salviœ et ne connaît aucune métropole. — Elle modifiait cette source : Euticius, dit-elle, quitte le pays de Bolsène pour locum qui Cample dicitur; eWe remplace l'énigmatique Sci- piodote de Victoria par Grispolitus de Bettona [cf. notre obser- vation, p. 140, note 3]. — C'est donc à cette version cyclique de Laurent utilisée par le Floriger que se rattache, selon toutes les apparences, notre texte de Grispolitus [cf. supra, p. 139] : les deux textes n'auraient-ils pas même auteur? La version du Floriger ne remonterait-elle pas au vu* siècle? (La chronologie, sans doute, est propre à Grégoire).
Le récit du Chronicon mentionne la Svrie et Susanne ; le texte que nous avons trouvé dans le Vindobonensis ignore l'une et l'autre ; la version du Vindobonens is n'est donc pas la source du Chronicon. — Cette source n'est autre, peut-être, que la tradition locale. Celle-ci est attestée, au seuil même du viii" siècle, par le diplôme de Jean VI ; elle semble appuyée par cette inscription de l'abside in {qua) refertur ab eo et Susanna eius germana hoc monasterium non de publico fuisse cons- tructum. Peut-être donc, — on sait la valeur du témoignage de Grégoire — Susanne a-t-elle une réalité historique. Mais il est permis de croire que l'épisode du dragon est emprunté à Sitvestre (ou à un texte analogue '.) ; que l'origine syrienne de
1 Anafolie-Victoire, Paris, Donat (TEuria.
308
s. LAURKNT DK SPOLETE
Laurent a été suggérée par l'histoire d'isaac ou de Jean [cf. mpra, p. 60-61 J ; et que le personnage est identique à celui que voulait célébrer l'hagiograplie de 529 *.
Cette tradition locale s'exprimait aussi dans la Consirutio Farfensis : Grégoire nous l'apprend. Lefjimus.., in autenticœ Constructionis illius prœmio^ quia temporibus Romanorum^ priusquam Hitalia gentUi gladio ferienda iraderetur, très viri de Siria advenerunt, scilicet Ysaac Johaniies atque Lau- rentius cum sua germana sorore Susanna de quorum primo duorum b. papa Gregorius... sic in Dialogorum libro tertio, capitula decimoquarto, mentionem faciens dit ;... ^
* Je m'explique mal, seulement, comment Geniolati (Peniolatim) s'appelle ci Acutianus. Feut-être Laurent de Spolète a-t-il absorbé un Laurent incounu, frère d'une Suzanne, et fondateur véritable du monastère.
Baizani a publié, loco citato, p. 103, un sermon inédit sur saint Laurent. — Cf. aussi Marino Marini ; Série croaologica degli abali del monastero di Farfa. Rome, 1836. Mabillon : A. SS. 0. S. B., i, 231, anno 576.
2 Cf. le Codex ParisinusbS23 [supra, p. 78-79, note 1].
APPENDICE IV
SAINT iEMILIANUS DE SPOLÈTR QUEL ENDROIT DÉSIGNENT LES TERMES « CIVITAS LUGANA »
Une lettre de saint Grégoire, adressée à Félix, évêque d'Agro- poli, en juillet 592, lui confie le soin de visiter les églises de Vélie (Gastellemare délia Brucca?), de Buxentum (Gapo sella Foresta?près Policastro) et de Blanda (Porto di Sapri) : Agro- poli est resté byzantin, tandis que les trois autres églises ont été conquises par les Lombards | Diehl, p. 75].
Qtioniam Velina, Buxentina^ et Blandana ecclesiœ^ qudetibi in viciiio sunt conslitutœy sacerdotis iioscuntiir vacare regi- miney proptevea fraternitali tuœ earum solemniter operam visitationis iniungimus [Hartmann, ii, 42. p. 141].
D'autre part, c'est à Agropoli que s'est réfugié l'évêque de Pœstum [Duchesne, Mélanges, 1903, 108J.
Enfin, voici comment s'ouvre la lettre de Grégoire à Fé- lix :
Gregorius Felici episcopo de Acropoli « visitatori provinciîe Lucanise ».
Ce titre de visita tor provinciœ ne se retrouve nulle part ailleurs [Hartmann, p. 141, note]. A-t-il une valeur authen- tique? A-t-il été formulé d'après le contenu de la lettre, connue pense Hartmann, par un scribe ?
En fait, il est certain qu'Agropoli est devenu le centre reli- gieux de la Lucanie ; j'ajoute : en fait et en droit, puisque c'est
310
s. TRMILfANUS
l'évêque d'Agropoli qui a mission, officiellement, de s'occuper des églises voisines. Sans doute Pa^stum, Potenza, Grumentum et Marcelliana ne lui sont pas officiellement rattachés au mo- ment oà écrit Grégoire, septembre 592. Mais combien de temps cette situation a-t-elle duré? Ktant donné la fuite de l'évêque de Paestum à Agropoli, on peut croire que, à la mort de cet évêque, son église fut confiée au titulaire d'Agropoli, qui est tout proche de Paestum. Depuis le temps de Pelage 1 | Jall'é, 1015, 1017], on ne sait rien ^ des églises de la Lucanie in- térieure : il est probable qu'elles furent détruites par les Lom- bards ; il est probable encore, mais non certain, qu'elles furent rattachées à Agropoli. Ne se trouvent-elles pas dans la même province que cette ville ; et n'en sont-elles pas aussi près que des églises de Tarente,... d'où les séparaient, de bonne heure, semble -t- il, les Lombards de Oénévent établis dans la vallée de Bradanus ?
Si le terme visitator provinciœ Lucanide ne remonte pas à l'année 592, il peut refléter une situation de peu postérieure à cette date. Le concile de 649 nous atteste, ici comme ailleurs, une résurrection des églises locales (Pœstum, Buxentum, Blanda).
On comprendrait donc bien que, entre 592 et 649, on ait désigné Agropoli par les mots civitas lucana. C'est Agropoli que dési- gnerait l'auteur ^ Mmilianus par les mots civitas lucana. 11 faudrait renoncer, alors, à reconnaître le Clitumne dans le mystérieux Cleoton des gestes.
Mais il est clair que la localisation d'^Emilianus à AgropoU est fictive : l'explication que nous avons donnée de la légende nous oblige à le croire ; ses rapports avec les textes ombriens, du reste, sont très apparents.
Et j'insiste sur le rapport qui raconte l'élévation du saint à lepiscopat. Les Spolétains l'envoient à Agropoli (?) ; sur le con- seil des Spolétains les Anchi (Anicii?) d'Agropoli (?) deman- dent la nomination à Rome ^, et cest Rome qui raccorde. Il y a donc, au moment où écrit l'anonyme, bon accord entre Rome et Spolète. — On sait, d'autre part, la politique de Gré- goire le Grand et de Théodeiinde (+628) qui, contrariée par. Maurice, triomphe quelque temps lorsque règne Adaloald, 616- ;
1 Une lettre de Grégoire [juillet 599. — Hartmauu, xi, 209. tome II, 195]1 atteste que, à cette date, uq serf de Téglise de Sainte-Marie, à Grumeutum,] réside eu Sicile. — Ce qui concorde bien avec notre liypotlièse.
^ Cf. Félicien, supra, p. 82.
ET LA CIVITAS LUC AN A 311
626 : paix entre l'empire et les Lombards préparant l'entrée des Lombards au sein de TEglise et de l'empire. Je renvoie à la correspondance de saint Grégoire et à ce passage de Paul diacre, iv, 41 :
Sfib /lis {Adaloald et Teudelinda matre) ecclesix restauratœ siint et midtse dationes per loca veiwrabilia largitse [Wailz, 133].
Qui ^2\X û ^milianus x\Q date pas du règne d'Adaloald?'
— P. 110. Rapprocher le dieu Galien, que mentionne JEmilia- 71U.S, du dieu Galenos (?) que Ton rencontre dans Euplus E [G. M. R., 11, 181]. Ici et là, il s'agit d'un dieu guérisseur, tel qu'Esculape, et qui n'est autre, évidemment, que le fameux médecin Galien [pareillement, jEmilianus nomme Hippo- crate]. Y aurait-il un rapport entre Euplus E et JEmilia- nusl
— Je ne crois pas qu'il y ait rapport entre notre saint et le con- sul ^milianus qui apparaît dans Calocère-Partfienius [19 mai 301, §)^ 1-2]. Noter pourtant que les héros des deux légendes sont Arméniens : n'est-ce pas en souvenir de Calo- cère et Parthenius qu'on a attribué cette origine au saint de Spolète ?
1 Je rappelle que Grégoire le Graod avait un notaire appelé jEmilianus [cf. supra, p. 114, note 2]. — Mais voici une difticulté. Comment expliquer que Maximien Augustics Tusciœ ait autorité sur la civitas lucanu ? L'auteur, qui écrit en Ombrie Tuscie, a eu, sans doute, une distraction.
Sur la réaction arienne et lombarde d'Arioald, cl. Hartmann, ii, 1.207-209, et Bethmauu Holder-Egger : Langobnrdische Hegesten [Neues Archiv., lu, 236].
I
APPENDICE V
DE L'INFLUENCE DES PATRIMOINES DE L'ÉGLISE ROMAINE SUR LES LÉGENDES ITALIENNES
On a vu plus haut, p. 10 et p. 48, que trois basiliques ro- maines possédaient des terres près Baccano et près Laurente : ce qui explique sans doute les points de contact des légendes de Laurente et de Baccano avec les gestes romains.
On a vu encore, G. M. R., ii, 177, 199, 201, que l'introduc- tion à Rome des cultes de Vitus et d'Agathe s'explique sans doute par les patrimoines lucanien et sicilien de l'église ro- maine * ; et de même l'introduction du culte de Vitus en Si- cile, et du culte d'Agathe à Palerme ^
On entrevoit quelques autres faits analogues.
Agapet B nous rappelle beaucoup Vitus [cf. supra, p. 27] et s'intéresse aux questions de patrimoine. Or, l'église romaine avait un patrimoine près Préneste [Jaffé, 951. — P. L., 09. 417. — Fabre, 77-79].
* Sur les patrimoines, je renvoie à l'excellent mémoire de Paul Fabre, De patrimoniis Romanx Ecclesix usque od selatem Curolinorum [IusuIîe, 1892J, et à Hartmann, ii, 1,137 ;i, 285, 293. 299; ii, 1,141; ii, 2, 112 et pas- sim.
2 Je n'ai pas indiqué, G. M. R., ii, 201, la date des versions latines qu'on est en droit de supposer derrière les deux textes grecs d'Agathe. S'il était as- suré que la division en deux cercles du patrimoiue sicilien date, comme il semble, de saint Grégoire, c'est de cette époque qu'on pourrait, presque sû- rement, dater ces versions [Cf. Tefflorescence du cuite à ce moment, G. M. R., Il, 198].
314 LES PATRIMOINES KT LES LEGENDES
Aiit/iime [s?/pra, p. 50, n° Ij et Victorin-Sttverin [supra, p. 278J nous conduisent près d'Osimo. 11 semble bien que l'é- glise romaine possédait de ce côté des terres qui faisaient partie du patrimoine picénate [Fabre, 8'i-84].
LesX/7 Syriens [supra^ p. 6G] nous parlent du GastrumCar- sulanum, à propos de Proculus [p. 73]. L'église romaine possé- dait justement un patrimonium Savinense atque Cartioianrun [Epist. Gregorii, m, 21 de février 593. — Hartmann, i, 179; cf. L. P., I, 428 et Fabre : 75-77J, qui fut fameux au temps d'Hadrien et de Charlemagne. — Les moines de Farfa y devin- rent très puissants, de bonne heure peut-être.
Gratilianus-Felicissima [supra, p. 147] nous rappelle la massa gratiliana qui est attestée au temps de Grégoire etd'Ho- norius [Jaffé, 1621 et 2031], et qui faisait certainement partie, au VII® siècle, du patrimoine de Tuscie.
Les légendes de Tuscie et d'Ombrie prolongent, au cours du vii^ siècle, je l'ai montré en détail, le mouvement légendaire ro- main. — On croit, d'autre part, noter un curieux essor du patri- moine de Tuscie au cours du vu® siècle ' : il fut tel qu'on dut en renforcer l'administration^ en dédoublant la circonscription. Les deux faits s'appuient mutuellement : chacun témoigne de la vi- vante influence del'égiise romaine à cette époque en ces pays.
Les patrimoines de l'église romaine ont exercé une action sur la légende italienne ; si nous ne pouvons pas encore en marquer l'extension, du moins pouvons-nous en apercevoir l'existence. Les membres de l'administration patriinoniale ont fait connaître au dehors les gestes romains, à Rome les cultes italiens : peut- être en ont-ils parfois célébré les héros.
1 Fabre : p. 73-74. Le dédoublement de ce patrimoine n'est attesté qu'au début du viiie siècle. Sans doute remonte-t-ii au siècle précédent.
APPENDICE VI
QUELQUES AUDITIONS ET CORRECTIOiNS
P. 17. — Hedestus, Une église consacrée à saint Hedestus, sur la voie Ardéatine, est signalée par le Liber Pontilicalis, notice d'Hadrien 1 [772-795] : Huius temporibus defunctus Leoni- nus consul et dux... très iincias masse Aratiane... sitas ab hac Romana urbe miliario XVI, via Ardealina^ in qno et eçclesia beati Edisti esse dinoscitnr... [Duchesne, i, 505].
Sur cette église, cf. Tomasetti : Arch. Rom., ii, 403 [d'après DuchesLie, L. P.» i, 519, note 75].
P. 82. — Graton, qui apparaît dans Valent in de Terni, est emprunté sans doute aux légendes apostoliques. N'en serait- il pas de même de cetteMygdonia qui intervient dansZ>^/??niV> [Zeiller : Origines chrétiennes.... de Dalmatie, 1906, p. 28] : le nom se lit dans les actes de l'apôlre saint Thomas ; c'est la femme de Gharisius [Lipsius, Die apokryphen Apostelges- chichten und Apostellegoiden, i, 143, 231,236, 239, 261, 334. j Et, à ce propos, est-il sur que Domnio date du x® siècle ?
P. 44. — Constantius. Supprimer les mots : « ni même d'un évêché » (ligne 9 ab imo, gros texte). Mgr Duchesne cite un évêchédeSpello qui disparut [)Our jamais, en même temps que celui de Bétonna, à l'époque lombarde[i/é/fl^«^^5,1903,94,95]. — Constantius B%^i dès lors à rapprocher de Félicien de Fo-
316 ADDITIONS
gno (ou de Forum Flaminii) ; Fidïx de Spello en est indé- pendant. Par malheur, nous ignorons tout de la ruine de Spello, comme de la ruine de Foligno, de Forum Flaminii et de Bettona. Nos légendes sont évidemment antérieures au temps oii ces ruines furent définitivement consommées ; elles re- flètent sans doute des efforts de restauration. Faut-il songer au temps de Rothari ?
P. 50. — Anthime. Une église consacrée à saint Anthime, sur le territoire de Cures, en Sabine, est attestée par une lettre de saint Grégoire à l'évêque de Numentum, Gratiosus [jan- vier 593] : Fî^aternitati tuœ curam gubernationemque sancti Anthemi eeclesiœ, Curium Savinorum territorio consti- tutae^ praevidimus commit endam, quam tuœ ecclesiœ ad- gregari unirique necesse ^^/...[Hartinan, ii, 178].
Sur Cures, cf. Balzani e Giorgi : Regesto di Far fa [Roma, 1880, sq.], Tomasetti : Arch, délia società romana^ xi, 150 ; Jung, Grundriss der Géographie.,. (1897), 40-43.
P. 61. — Jean Penarie/isis. De l'attitude d'Isaac et de Valentin [cf. p. 31] lorsqu'ils guérissent les démoniaques ou les morts, rapprocher celle de saint Benoît, Dialogi^UyS^f P. L., 66.192.
P. 69-70. — ^^rc^//a;2?/.9. Du supplice infligé à Herculaniis, rap- procher ce texte du Liber PonlificaliSy h peu près contem- porain : je le lis dans la notice de Vigile, 537-555. Quand Théodora charge Anthemus d'enlever \igile, elle ajoute : ?îam per viventem in sœcula excoriari te facio [L. P.,i,297].
P. 76. — XII Syrie?is, Noter qu'Eugène I s'est laissé « élire et consacrer, alors que Martin n'était ni mort, ni déposé, même irrégulièrement » [Duchesne, L. P.,i,342, note]. Mais il change bientôt d'attitude : dès septembre 656, on le menace de le traiter comme Martin, [P. L. 129. 653]. Peut-être s'est-il en- tendu avec Aripert, 653-661, le neveu de Théodelinde que les Lombards ont poussé au trône, afin, sans doute, de faciliter leur établissement à Rome, — comme Martin s'est entendu avec l'exarque révolté Olympius.
La rédaction cyclique serait donc antérieure au revirement d'Eugène et daterait par conséquent de 653-656.
ADDITIONS
317
P. 77. — XII Syîie?is.ï)es prétentions métropolitaines de Spolète, Spello, Forum Flaminii, en terre lombarde, rapprocher les pré- tentions (( autocéphales » de Uavenne, en terre impériale (et l'œuvre deMaurus, 642-660. — Cf. L. P., i, 348, 349, note). Des deux côtés, c est le diocèse suburbicaire qui est menacé. [Noter que Home soustrait à Milan et se rattache Pavie. L. P., 1, 395, note 27.]
Certains évêques — tel, l'évoque de Cagliari au temps de saint Grégoire — ont le titre de métropolitain et une certaine autorité sur les évêques d'un pays, sans avoir pour cela le droit de les ordonner [Epist. ix,8; x, 16, 17, Cf. Duchesne,L. P., i, 367, note 6].
Rapprocher encore des prétentions métropolitaines de Spolète, les aspirations de Lyon au patriarcat des Gaules [Duchesne : Fasles, i, 138], de Constantinople au titre d'église œcuméni- que [concile de 588 ; conflit de Grégoire le Grand et de Jean le Jeûneur ; décret de 607]. Il est très clair que saint Augustin de Cantorbéry, l'organisateur de l'Eglise anglaise, espérait obtenir juridictioii sur les Gaules aussi bien que sur l'An- gleterre [cf. la curieuse réponse de Grégoire, juillet 601. Hartmann, ix, 56'_, §7, tome II, p. 337]. L'anarchie politique qui s'étend un peu partout semble avoir indirectement affaibli l'autorité du pouvoir central, la papauté, solidaire de Tempire depuis tant d'années — et favorisé les ambitions ecclésiastiques locales. On sait quelles raisons particulières s'ajoutent à cette cause générale pour favoriser l'œuvre byzantine.
P. 78-79. — XI J Sy?ne?îs. y 3i[ dit que la rédaction cyclique de cette légende date du milieu du vii^ siècle environ et qu'il faut chercher son auteur dans le monde de l'administration ponti- ficale.
Voici un fait qui confirme l'hypothèse. Julien revenant au paga- nisme est comparé au chien revenant h son vomissement :
Qui Julianus post residuum iempus ad arma bellica imperiali sede resedit et reversas est sicut canis ad vomitum suum et persccutor factus est christianorum » [1*' juillet tract prœl.,
8, § 1]. Or,voici ce que je lis dans le Liber Po?itificalis, dans la notice du
pape Théodore, 642-649, le successeur de Jean IV le Daimate : Postea rursus more canis ad proprium impietatis voMrrUM
reppedavit {Pyrrhus) [L. P., i, 332J.
318
ADDITIONS
Or, Ip, rédacteur po72ti/îcal reprodinl texhfoll^wont ici une phrase du discours tenu par le pape Martin le .) octobre 6i!) flVIansi, x, 878; et Hardouin, m, 009; d'après Duchesnf^, L. P., I, 334, note?].
Cette citation semble être extrêmement rare dans les légendes italiennes.
On est donc en droit de penser que le rédacteur du texte cyclique des X//5î/r?>;?5Pa empruntée, soit au discours du pape Mar- tin, directement, soit au texte du Liber Pontificalis : puis- qu'il est hostile à Eugène, c'est donc qu'il est favorable à Martin ; rien d'étonnant à ce qu'il connaisse son histoire.
P. 87- — Sabinus. Deux traits analogues se lisent dans Sabinus et dans Eiisèbe et Pontien ; ici et là, l'anonyme retrace une scène populaire et donne le compte des acclamations qui saluent l'empereur ; ici et là, on fait allusion à une relique d'un martyr, recueillie de même manière [les mains coupées de Sabinus ; la langue coupée d'Eusèbe].
J'ajoute que Terentianus Z), qui nous a paru très étroitement apparenté à Sabinus, présente un détail qui se retrouve dans Eusèbe-Pontien ; après qu'on lui a coupé la langue, Teren- tianus crie : gloria tibi, Deus [cf. supra, p. 121] ; après que Vitellius a fait couper la langue d'Eusèbe, celui-ci s'écrie ; (jloria tibi Domine Jesu Christe [25 août, 116, § 8]. Com- parer le supplice des mains coupées [Sabi?îiis, Alexandre], avec le supplice de la langue coupée [^Eusèbe-Pontien, Fe- rentianus\.
Nouvelle preuve de l'influence des gestes romains sur la lé- gende ombrienne.
Noter encore que la dénonciation de Sabinus rappelle pareil in- cident qui se rencontre dans les Martyrs grecs.
P. 99. — Grégoire de Spolète. L'invocation Deus Abraham, Deus Isaac, Deus Jacob^ Deus Patrum, nostrorum qui se lit dans Grégoire, Jean Penariensis, Constantius A, Vit us, etc.. vient de la Genèse, xxviii, 13 ; xxxii^ 9 ; xlviii,15...], ou plutôt, sans doute [G. M. R., i, 361-362], des Actes des Apôtres [m, a3 ; vu, 32],
Les païens eux-mêmes lui attribuaient une valeur magique [Ori- gène : Co?itraCelsum,i, 22, P. G., 11, 698... ; de la Blan- chère : Collections du musée Alaoui, 1890, 103].
J
ADDITIONS 319
Les chrétiens l'ont inséi'ée dans leur liturgie. Si on la cherche en vain dans le Sacramentairc Léonien, on la trouve dans le Sacramentaire gélasien\^m^ion : Liturgia romana vetus^ I, 536], etc..
Pour plus de détails, cf. 1). A. G., i, 1, 121 (article de Cabrol). Le rythme ternaire de l'invocation, justifié plus tard par le dog'ne de la Sainte-Trinité, se retrouve ailleurs [cf. supra, p. 154, note IJ.
P. 106. — Vinceiit de Bevagna rappelle Sabbma et Grégoire. Rien d'étonnant à cela : c'est l'évêque de Spolète, Chrysanthe, qui est chargé du soin de visiter l'église de Bevagna [di. supra, p. 77, note 4. — Dans l'édition Marimann, la lettre de saint Grégoire porte le numéro 166 du livre IX]. -- Bevagna paraît au concile de 649 [Uuchesne : Mélanges... 1903 , 95]. Le texte date-t-il de ce temps ?
P. 125. — Cassien. L'anonyme invoque l'exemple d'Athanase, Jérôme et Sévère, qui ont raconté la vie de Paul, Antoine, et Martin. — Pareillement, je lis dans la vie de Golomban écrite par Jonas :
Quorum beatus Alltanasius Antoniijiieronimus Pauli et Hi- larionis vel ceterorum quos cultus bonss vitœ laudabiles reddebat, Postumianus vero, Severus et Gallus Martini egregide nostris eorum memoriam dimisere sœclis,,.\]Lv\x^ch S. R. M., IV, 65-66].
Je crois que cette coïncidence partielle s'explique par l'identité de situation des deux hagiographes. — Comparer encore les vers qu'on rencontre dRnsyEmitia?îus, cf. supra,]). 112, avec les vers qu'on lit dans la Vifa Columbani [Kausch, p. C)Q- 67].
P. 137. — Crescentius. L'anonyme confond Pépin le Bref et Gharlemagne. — Pareillement Jonas confond Sigebertet Chil- debert 11 [Vita Columbani, 6, 18].
P. ihi.- Eufgchius. La croyance que la fin du monde était toute proche était encore très vivante au temps de saint Grégoire, notamment dans son âme. Cf. à titre d'exemple, Hartmann, v, 39, tome l, p. 327 : sei in hac eius superbia quid aliud nisi propinqua iam Antickristi esse tempora designantur?
320 ADDITIONS
[lettre à Gonstantina, 1 juin 595]; v, 44, t. I, p. 341 : « Cerle olim clamalur per apostolum : Filioli^ novissina hora est, seciindum quod veritas prœdixit. Peatilentia et gladius mundum sœvit, gentes insurgnnf. gentibus.,. Omnia quœ prœdicta sunt fiunt. Rex superbix prope est... [lettre à Jean le Jeûneur]. — Pour plus de détails, cf. Galligaris : San Gregorio Magno e le paure del finimondo [Atti délia r. Accad. délie scienze di Torino. 5 janvier 1896, p. 264].
P. 12, 14, 96, 102, 162, 164. — Alexandre^ Sahinus, Pontien^ Irénée de Chiusi. Certaines particularités de ces textes sug- gèrent l'idée que les cimetières furent réorganisés après la guerre gothique. Cette idée trouve un appui dans le texte suivant du Liber Pontificalis^ notice de Jean II I^ 561-574 : Bic amavit et restauravit cymiteria sanctorum martyrum. [L. P., I, 305, 306, note 1 ; — de Rossi : R. S ,, i, 218 ; m, 527].
— Chap XII. Saint Grégoire fait naturellement penser à saint Be- noît. Y a-t-il quelques points de contact entre nos légendes et la fameuse Règle .^On retrouve, peut-être, son influence dans les faits suivants : 1. Vincent de Bevagna cite «l'Heptateu- que ))\ comme saint Benoit^ ch. xlii, p. 44. Wœlfflin ; — 2. L'emploi inattendu de correptio, da^us JîJmilianns {initio)^ rappelle que ce terme est fréquemment employé dans la Règle ; — 3. L'hostilité de l'auteur de Victorin Séverin pour les moines gyrovagues rappelle celle qui anime saint Benoît, comme saint Grégoire ; — 4. La Règle fait allusion, ch. lxi, Lxix, aux moines étrangers qui arrivent de longinquis provin- ciis. Cela nous rappelle nos apôtres de i'Ombrie, syriens, assyriens et arméniens. Nous avions déjà soupçonné, d'ailleurs, que certains gestes avaient été rédigés dans des monastères.
On sait, en revanche, que la phrase: voluntas habet pœnam, ?iecessitas parit coronam a été empruntée par saint Benoît à la passion d'Iréné [Ed. Schmidt : Studien aus dem bene. Orden.,i, 1884, 340]. La fréquence des expressions militaires [préface, p. 1, 4 ; ch. i, p. 8 ; ii,p. 10 ; LViii,p.56 ; lxi, p. 60] ne trahit-elle pas la lecture des actes des martyrs militaires, Jules, par exemple^ ou Marcien et Nicandre [G. M. R, ii, 243. Cf. Harnack : Mititia Christ, Tubingen, 1905, pour les trois premiers siècles].
1 Ce mol se retrouve daus S. Grégoire : Ep. ii. 38. p. 109. M. G,
1
TABLE DES xMATlEHES
Prbface
CHAPITRE PHEMIEH
TRADITIONS DE LA CAMPAGNE ROMAINE LES SAINTS ALEXANDRE, HEDESTUS, AGAPET
Le mouvement littéraire implanté à Rome s'est-il propagé dans le duclié de Rome p. 1 ? Les légendes de la campagne romaine, p. 2.
I. — Légende d'Alexandre de Baccano, p. 2 : analyse de la version de Vienne, p. 2. La version bollandiste, p. 4, et la version d'Adon, p. 5. — La légende commune aux trois textes, p. 5 : elle prêche la nécessité du baptême, insiste sur son authenticité, s'intéresse à la question de la fuite, Ses points de contact avec les actes africains, romains,' grecs et cisal- pins, p. 6. Les démons figurés par les Egyptiens, p. 8. Les récits des morts ressuscites, réplique des mythes païens, p. 9. — La tradition locale de Baccano, p. 9 ; la villa de Pescennius Niger ; le fundus Antonianus pro- priété de l'église saint Marc ; une église de l'an 321. — Rapports mutuels des trois textes, p. 11. La fête de la dédicace, p. 12. La dualité des tom- beaux, p. 12.
II. — Légende d'Hedestus de Laurente, p. 16 : analyse du texte. Histoire de Laurente, p. 17 : la civitas et le viens. La villa impériale, p. 19. Laurente et la guerre gothique, p. 19. — Rapport d'Hedestus avec Alexandre de Bac- cano, p. 20, avec les quatre Couronnés et avec Clément.
III. — Légende d'Agapet de Préneste : analyse du texte de Mombritius, p. 21. Les quatre autres versions, p. 23. Elles se divisent en deux classes, p. 24. Origine et date de la seconde classe de textes, p. 24 : le pape Jean IV et la translation des martyrs dalmates ; la réorganisation ecclésiastique au temps de Rothari, p. 25; la translation d'Anastase le Perse, — Origine et date de la première classe de textes, p. 24 : l'église romaine d'Agapet construite par Félix IV, le pape Agapet ; le texte primitif, p. 27.
m 21
322
TABLE DES MATIKFŒS
CIIAPITHE II
TRADITIOWS D OMBRIE LES SAINTS VALENTIN, COWCORDIUS, C0R8TAWTIDS ET AIfTHIME
I. — Légende de Valentin de Terni : analyse du texte, p. 29. Il est parent d'Alexandre de Baccano, p. 31, de Getulius, p. 32, de iMaris, p. 33, de Cé- saire ; gestes de Valentin de Terracinp, p. 34 ; Valentin et Cômc l)a- mien, p. 35. Son auteur est à chercher dans l'entourage de Vigile,
II. — Légende de Concordius de Spolète : analyse du texte, p. 36. Il est pa- rent de Jean-Paul, p. 37 et des gestes romains. — D'où viennent Eutyches, Concordius et Anthime, p. 38.
III. — Légende de Gonstantius de Pérouse : analyse du texte bollandiste, p 40. Il est parent des gestes romains, de Pontien et d'Anthime, p. 41. — La ver- sion du Mont-Cassin, p. 42 : ses caractéristiques ; elle s'inspire de Ju- lienne, p. 44, appuie ou combat les prétentions métropolitaines de Spolète. — Le culte local, p. 45 ; les textes primitifs perdus.
IV. — Légende d'Anthime : analyse de la version cyclique, p. 46. Genèse de la légende : le souvenir de Turrania Lucioa absorbé par le souvenir de Mélanie la jeune, p. 49 ; Lucine est opposée à Mélanie, les jeûnes, p. 51. Influence des gestes de Sébastien, p. 52. ~ Le texte long et le texte court, p. 53 ; origine récente du texte long ; le texte court suppose des textes au- jourd'hui perdus, p. 54. Les deux textes sont parents des gestes romains : leurs rapports avec Marcel, p. 55, et Suzanne, p. 56, note; Cantius B, et Censurinus, p. 57 : les Anicii.
CHAPITRE III
TRADITIONS D'oMBRIE LES DOUZE SYRIENS
I. — Légende de Jean Penarieosis : analyse, p. 59. L'évêque Jean de Spo- lète. Isaac le Syrien à Spolète à la fin du v^ siècle, p. 61. — Laurent de Spolète : un texte inédit, p. 62 ; il donne explicitement la date de 529, p. 63 ; il est modelé sur la notice de Gains. Ses rapports avec Hedestus, etc.. Evolution postérieure de la légende, p. 65.
II. — Légende des XII Syriens : analyse du texte cyclique, p. 66. D'où viennent les personnages ? Herculanus de Pérouse d'après les gestes et d'après Floridus, p. 69. Bricius, Abundius et Carpophorus, saints locaux de Terni, p. 72. Proculus de Terni modelé sur Equitius de Valérie, p. 73. Eu- ticius de Bolsène (?) et Euticius de Nursie, p. 74. Anastase modelé sur Anastase le Perse et sur Anastase de Monticelli (ou de^ Suppentonia), p. 75.
III. — La mise en œuvre de ces traditions locales, p. 76. Le temps du pape Eugène, p. 76. Les prétentions métropolitaines de Spolète, p. 77 : une page de saint Grégoire. Le texte cyclique et Venant Agapet, p. 78. Les résumés du texte cyclique, p. 78, note. Le remaniement de la légende au monastère des Aquœ Salviœ, p. 78, note. — Les textes antérieurs à la version cyclique p, 79 : traits qui rappellent le vi^ siècle, la lettre tombée du ciel, p. 80,
TABLE DES MATIÈRES 32
o
Vitus B , Anthime, Gonstantius, Alexandre de Baccano. Importance des textes de Laurent de Spolète et de Jean Penariensis. IV. — Textes apparentés, p. 81, Légende de Félicien de Foligno, p. 82 : ana- lyse du texte : Forum Flaminii s'oppose à Spolôte. Les deux remaniements de Félicien. — Juvénal de Narni : analyse du texte, p. 85 ; Narni soppose à Spolète. Les deux digressions du texte. Ces deux légendes puisent aux gestes romains et datent sans doute du début du vu* siècle.
CHAPITRE IV
TRADITIOIfS d'oMBRIE LES SAIHTS SABIN, GRÉGOIRE, FEUX, PORTIEN ET VINCENT, VICTORIN, iEMILIAKUS
I. — Légende de Sabin d'Assise, p. 87. Analyse du texte de Baluze. Les jeux à Rome à l'époque gothique : une lettre de Théodoric, p. 91 ; la sédition Mka. Les augustales, p. 91. Influence des gestes des martyrs pannoniens, p. 92. Le texte est apparenté à Donat, Valentin, Concordius, Constantius, p. 92. Il est antérieur à la légende du miracle de Camerino, p. 93. Impor- tance du culte de Sabinus au temps de saint Grégoire, p. 94. — Traces d'une seconde version de Sabinus, p. 95 : le calendrier populaire et Adon, Le texte du Codex Vindobonensis, p. 96. Rapport des deux versions : le texte de Vienne semble avoir été retouché, p. 97.
II. — Légende de Grégoire de Spolète : analyse du texte, p. 98. Il est appa- renté à Vincent de Saragosse, à Alexandre de Baccano, à Jean Penariensis et aux XII Syriens, è Pontien, p. 100.
III. — Textes apparentés : la légende de Pontien de Spolète, p. 100. Analyse du texte. Une seconde version reconnaissable dans le calendrier populaire et dans Adon ; une réorganisation des cimetières après la guerre gothique^ p. 102. La légende est apparentée à Vincent de Saragosse, à Grégoire, à Alexandre, à Constantius, p. 102. — La légende de Félix de Spello ; ana- lyse du texte, p. 103. Elle rappelle Grégoire, Sabinus et Victorin. Elle est étrangère au martyr de Salone, Félix, p. 103. — La légende de Vincent de Bevagna : analyse du texte, p. 104. Il rappelle les XII Syriens, Gré- goire et Sabinus ; il est modelé sur Vincent de Saragosse.
IV. — Légende de Victorin d'Assise : analyse du texte, p 107. Elle est pa- rente des XII Syriens, de Félicien et de Juvénal, p. 108. Elle puise sans doute à la légende de Christophe. Quelle en est la patrie ?
Y_ _ Légende d'yEmilianus de Spolète : analyse du texte, p. 110. Elle est parente de Victorin, des XII Syriens, de Jean Penariensis, et aussi de Sabinus et de Valentin. p. 112. Elle a puisé aux légendes grecques, p. 113. L'origine de la légende, sans doute, est double ; le pénitent vEmilianus, at- testé par saint Grégoire, a été combiné avec le martyr de Silistrie yEmilia- nus, p 114 Nouvelle preuve de l'influence des traditions martyrologiques danubiennes sur la légende italienne.
324 TAin,!': DKS MATliciŒS
CIIAl'lTRE V
TRADITIONS rj'OMÎJRIE
VIA AMEUIRA
LES SAINTS TERENTIANUS, CASSIEN, FIRMINA, SECDHDUS, CRESCEHTIU8
CRISPOLIT US
L'occupation de la Voie Amerina par l'exarque Uomanus, p. 117.
I. — Légende de Terentianus de Todi : analyse du texte, p. 118. Nos quatre versions et leurs caractéristiques, p. 120. Terentianus est parent de Sat)i- nus, p. 122. La version A date du second quart du vi^ siècle, p. 121. La version D s'inspire des légendes grecques, de celles surtout qui sont rela- tives à Adrien, et remonte au temps de saint Grégoire, p. 123. Le culte ra- cine de la légende, p. 124. Une hypothèse sur l'origine de A et de D. p. 125, note 1.
II. — Légende de Cassien de Todi : analyse du texte, p. 125. Son caractère composite, p. 127. L'oratoire de Sébastien à Todi, et l'influence de la lé- gende de Sébastien.
in. — Légende de Firmina d'Amelia : analyse du texte, p. 129. Reproduction du texte d'après un manuscrit de l'Archivio du chapitre de Saint-Pierre- p. 129, note. Les textes apparentés, p. 132. Firmina et Valentin-Hilaire.
IV. — Légende de Secundus d'Amelia : analyse du texte, p. 133. Un second texte court, ses caractéristiques, p. 135. Rapport des deux textes et leur date.
V. — Légende de Grescentius de Pérouse : analyse du texte, p. 136. Date de notre version, p. 137. Un texte antérieur de l'époque lombarde.
VI. — Légende de Grispolitus de Bettone : analyse du texte, p. 138. Il est ao- parenté aux légendes des Syriens. Sa date.
CHAPITRE VI
TRADITIONS DE TUSCIB
VIA CASSIA
LES SAINTS VALENTIN, GRATILIANUS, EDTTCHIUS
Les pays de la Voie Gassia, p. 141.
I — Légende de Valentin et d'Hilaire de Viterbe : analyse du texte, p. 142. Un second texte court, p. 144. Rapport des deux textes : la légende de Va- lentin-Hilaire et la légeode de Secundus; la translation à Farfa, 145; la lé" gende de Firmina, p. 146. Le texte du vii^ siècle est perdu.
II. — Légende de Gtatilianus et Felicissima de Falères : analyse du texte, p. 147. Le text^ d'Usuard, p. 149. La légende est un centon ; elle date du vue siècle, p. 151.
III. — Légende d'Eutychius de Ferento : analyse du texte, p. 151. Un texte de saint Grégoire, p. 153. Eutychius, Torpes et les Martyrs grecs...
IV. — Légende cyclique de Viterbe, p. 156. Les débris d'un explicit. L'épilogue d'Eutychius et sa date. Le texte cyclique et nos textes : aucun de nos textes de Valentin-Hilaire ne faisait partie du cycle local, p. 157.
TABLE DES MATIERES
325
CHAPITRE VII
TRADITIONS DE TDSCIB
VIA CASSIA
LES SAINTS IRÉNÉE, DOUAT, GAUDBNTIUS, rBRGERTrWUS, DOMNIWUS
Le pays d'Arezzo, p. 159,
I. — Légende d'Irénée de Ghiusi : analyse du texte, p. 159. La topographie de la légende, p, 161 ; la catacoinbe de Mustiola. Le texte d'Usuard, p. 162, et les inscriptions contemporaines de Luitprand, p. 163. Les deux versions de Toscanella et de Sutri ; Sutri en 728, p. 163-164. Les textes parents.
II. — Légende de Donat : analyse du texte, p. 165 : son caractère. Le thème du sac retrouvé : un texte de Grégoire de Tours, p. 165, note 2. Donat et Vibbiane, p. 167 ; autres textes apparentés. Confirmation des conclusions précédentes, p. 167. La légende est citée par Grégoire le Grand, p. 168. A-t-elle été retouchée ? Donat et Juvénal ; la version du Vindobonensis et la version du Palatinus.
III- — Légende de Gaudentius : analyse du texte, p. 169. C'est la suite de Donat : l'auteur utilise Alexandre et Valentin, Juvénal peut-être et les XII Syriens.
IV. — Légende de Laurentinus ; analyse du texte, p. 172. Textes du férial et du calendrier, p. 173. Les textes parents, p. 174. Notre version dérive-t-elle d'une version du vie siècle, p. 175?
V. — Légende de Domninus : analyse du texte, p. 175. Fidentia, p. 176 ; la via Claudia en Emilie, p. 176, note 1. Le texte d'Usuard. La légende est une réplique de Maurice d'Agaune, p. 178, et d'Ursus-Victor. — Deux autres versions de la légende, p. 179 ; elles datent de l'époque carolingienne, p. 181. Domninus, les légendes gauloises et saint Denys de Paris, p. 182.
CHAPITRE VIII
TRADITIONS DE l'iTALIE DU NORD LES SAINTS SECOND, FAUSTIN ET JOVITE, INNOCENTIUS
L'arrière -pays de Gênes, p. 183.
I. — Légende de Secundus : analyse du texte, p. 184. C'est une autre réplique de Maurice, p. 185. Le culte de Vintimille et le culte d'Asti, p. 186.
II. — Légende de Faustin et Jovite : analyse du texte, p. 186, les trois ver- sions. Discussion de la théorie du R. P. Savio, p. 188, note 1. La légende est antérieure au temps d'Usuard, p. 189, postérieure à la création de l'exar- chat, p. 190. Caractères de la version cyclique ; exil du clergé milanais h Gênes, p, 191. Influence de ce fait sur le travail légendaire : une page des Dialogues, p. 191. Les conquêtes de Rothari, sa femme, Gondeberge, son beau-frère, Aripert, p. 192 ; les saints Boniface, Donat, Félix. — Date des deux autres versions, p. 194.
m. — Les sources de la légende, p. 195 : Les gestes d'Alexandre. Abundius, Sébastien, Nazaire, p. 196, Sophie, p. 197, Anastasie, Eleuthère, p. 198.
VI. — Légende d'Innocentius : analyse du texte, p. 199. Son originalité, p. 201.
326
TABLE DliS MATIÈRES
Lo diplôme de 946 : le culte de Laurent. — L'auteur utilise Gervais Pro- tais, p. 203. Sébastien, Silvestre. Rapports d'Innocentius avecFaustin-Jovitfî (Marcianus) et avec Domninus.
CHAPITRE IX
TRADITIOHS DE TU8CIE
, VIA AURELIA
LES SAINTS TORPES, PAULIN, AMSARUS, SECUNDIANDS, MARCIAnUS
La voie Aurélia, p. 205.
I. — Légende de Torpes : analyse du texte, p. 205. Une villa à Pise, p. 209. Rapports de Torpes, d'Alexandre de Baccano et de Vincent.
II. — Légende de Paulin : analyse du texte, p. 211. Textes apparentés, p. 213 : c'est une réplique de Torpes.
III. — Légende d'Amsanus : analyse du texte, p. 215. Le cadre topogra- phique, p. 217. Influence de Vitus, Gassien, Sébastien, etc.. Une seconde version. La restauration de l'église de Vienne au temps de Rothari, p. 218.
IV. — Légende de Secundianus: analyse du texte, p. 219. Le texte du férial,p.221. Influence de Terentianus, de Valentin, de Hedestus et de Susanne, p. 222. Influence de Virgile, p. 223. Oii est Coloniacum?
V. — Légende de Marcianus : analyse du texte, p. 224, et sa reproduction, p. 224- 225, note. L'évêché de Forum Glodii, p. 226. Influence des martyrs de Tomes, p. 227, Marcianus est modelé sur Sabinus, p. 228. Marcianus et Valentin, p. 229.
CHAPITRE X
TRADITIONS DE CAMPANIE LES SAINTS FÉLIX, MAXIME, BESTITUTA, AMBROISE, MARCELLUS ET APULEIUS
I. — Légende de Félix prêtre: analyse du texte, p. 231. L'église du Pincio, p. 232 et le texte du calendrier populaire, p. 233. Le texte d'Adon ; le tom- beau de Félix est près de Noie. Romanisation de Félix de Noie, p. 234 ; Félix et Adauctus, Damase, Pierre et Paul, Nérée,... La légende utDise une page des Dialogues, p. 236. — Caractères du texte d'Adon, p. 237 ; son rapport à notre texte, p. 238. D'où vient Helpidius ?
II. — Légende de Maximus de Cumes : analyse du texte, p. 239. Rapports de Maxime et de Julienne, p 242 ; Maxime est copié sur Pontien et Cyricus- Julitta. La version d'Apamée, p. 243 : Julienne en est absente ; pourquoi ?
III. — Légende de Restituta de Sora . analyse du texte, p. 244. Le culte de la sainte africaine, p. 245; les sources de la légende, p. 246. Restituta est pa- rent de Firmina, de Lucie-Géminien et d'Amasius, p. 246.
IV. — Légende d'Amasius de Sora : analyse du texte, p. 247. Une seconde ver- sion s'intéresse à Paris : ses caractéristiques, p. 248. La légende de Paris de Teanum, p. 248 : ses caractéristiques. Le souvenir du pape Jules et la ques- tion arienne, p. 250 ; tendances de l'hagiographe.
TABLE DES MATIERES
327
V. — Légende d'Ambroise le Centurion : analyse du texte, p. 251. Textes pa- rents : Torpes et le groupe Vincent de Bevagna, etc.. La légende est mo- delée sur les actes de Marcellus de Tanger, p. 252.
VL — Légende de Marcellus et Apuleius : analyse du texte, p. 253. Textes du Sacramentaire Gélasien et du calendrier populaire, p. 254. La légende est modelée sur Marcellus de Tanger, p. 255 : Marcellus-Apuleius a même ori- gine qu'Ambroise. Marcel de Gapoue, p. 253. — Deux autres versions, p. 256 : l'une relève de Nérée et l'autre des Acta Archelaï d'Hegemonios. Marcellus-Apuleius et Sergius-Bacchus : la version latine de Sergius-Bac- chus a-t-elle même origine que Marcellus et Ambroise, p. 257 ?
CHAPITRE XI
TRADITIONS DE VALÉRIE ET DD PICENUM L£S SAINTBS ANATOLIE ET VICTOIRE, LES SAINTS SÉVÈRE, VICTORIN ET SBVERIN
I. — Légende de Victoire et d'Anatolie de Sabine : analyse du texte, p. 259. Le culte des saintes en Sabine, p. 261 ; les mosaïques de Ravenne. Le double récit d'Aldhelme, p. 261 ; les textes d'Adon et Flodoard, p. 262 ; trois ver- sions anonymes. D et F forment un même tout, p. 262 ; c'est la source d'Aldhelme, p. 263. Quel est le rapport de E à DF, p. 264. Textes parents. Nos textes remontent peut-être au vi^' siècle ; plus vraisemblablement, ils datent du \n^ : leur rapport à Restituta et à Torpes, p. 265.
II. — Légende de Sévère de Valérie: analyse du texte, p. 265. Il rappelle Alexandre de Baccano et Lucie-Géminien, p. 266 ; il remanie un passage de saint Grégoire, p. 267.
III. — Légende de Victorin-Séverin : analyse du texte, p. 268.
IV. — Victorin-Séverin et Nérée-Achillée : Eutyces, Victorinus et Maro, p. 271' Points de contact des deux légendes, p. 272 ; les ruines d'Amiterne ; le texte du férial, p. 273. — Les relations de Septempeda avec Amiterne. Séverin est évêque, Maro opère un miracle à Septempeda, p. 274 : les prétentions de Cività Nova. Il y a eu deux Victorin, p. 275.
V. — Victorin-Séverin et une homélie de saint Grégoire, p. 275 : Victorin iEmilien le pénitent. Confusion de Victorin le martyr avec Victorin Irt péni- tent, p. 277. — La lettre de Grégoire à Secundinus, p. 277 : une apologie du cénobitisme. Notre légende a été écrite dans le cercle des amis de Grégoire, p. 278. L'origine de Séverin : c'est un double légendaire de Séverin de No- rique, p. 2/9.
CHAPITRE XII
CONCLUSION LE AIOUVEMENT LÉGENDAIRE GRÉGORIEN ET l'oEUVRB DAGIOGRAPHIQUE DE SAINT GRÉGOIRE
Quel est le rapport des Dialogues aux Gestes, p. 281. I. — Caractères des gestes, p. 282. Ils prolongent les gesta martyrum ro- mains: leur valeur historique; leurs sources romaines; leurs tendances, p. 282. Rôle des clercs romains dans la rédaction des gestes italiens, p. 283.
328 TABLE DKS MATIÈRES
— Les traits qui distinguent les gestes de l'époque grégorienne des gestes de l'époque gothique, p. 283. Les phases du mouvement grégorien, p. 284. Les gestes de l'époque grégorienne et le calendrier populaire, p. 285,
II. — Caractères des Dialogues, p. 28G. Leur origine, p. 286. Leurs attaches to- pographiques, p. 287 ; leur cadre chronologique, p. 288 ; leurs sources, p. 289 ; les Dialogues et les Homélies, p. 289-291, note; les « autorités » de Grégoire, p. 291, note. Les Dialogues, les traditions locales et les moines, p. 292.
IIL — Comparaison des deux textes, p. 292. Une différence notable, trois ressemblances précises. Les points de contact des Dialogues et des Gestes, p. 293. Il y a étroite solidarité entre eux, p. 294. Piété de Grégoire envers les martyrs, p. 295 : origine du titre servus servorum Dei, p. 295 ; note. Une page des Dialogues, p. 295: saint Jacques et saint Jean, le martyr de la persécution et le martyr de la paix. L'hagiographie italienne au VII* siècle prolonge l'hagiographie romaine.
APPENDICES
I. — Saint Alexandre de Baccano, p. 299. Quel est le siège de l'évêché d'Alexandre ? D. Morin le cherche en Orient : un texte du Synaxaire de Constantinople et un passage des gestes. — Autre raison à l'appui de l'hy- pothèse. Quelles difficultés elle soulève.
Le diptyque de Lucques, p. 300. — L'expression primus palatinus, p. 300, — L'inscription. — L'auteur de B devait connaître A', non A, p. 301.
II. — Sahit Agapet de Préneste, p. 303. — M. Zeiller développe l'hypothèse de Delehaye. Difficultés de l'hypothèse : elle ne tient pas compte d'un fait (existence d'une classe de manuscrits qui ignorent Anastase) ; le roi Antio- chus s'explique par l'influence de la légende des Macchabées, non pas Fla- vius Antiochanus.
III. — Saint Laurent de Spolète et saint Laurent de Farfa, p. 305. Le pri- vilège de Jean VI. Textes de Grégoire di Catino, p. 306 : leurs sources et nos textes, p. 307.
IV. — Saint Mmilianus de Spolète p. 309. La lettre de saint Grégoire à Félix d'Agropoli et le titre de visitator provinciée Lucanix ; Agropoli de- vient le centre religieux de la Lucanie. N'est-ce pas cette localité que dési- gnent, dans iEmilianus, les mots civitas lucana? Difficultés de l'hypothèse La politique de Théodelinde et d'Adaloald. — Le dieu Galien.
V. — De l'influence des patrimoines de Véglise romaine sur les légendes ita- liennes^ p. 313. Hedestus, Vitus, Agathe, Agapet B, Anthime, XII Syriens, Gratilianus.
VI. — Additions et corrections, p 315. Une église de saint Hedestus sur la voie Ardéatine ; — influence des légendes apostoliques sur nos légendes ; — l'évêché de Spello et les gestes de Félix ; — une église de saint Anthime à Cures, p. 316 ; — les attitudes des saints guérisseurs ; — le supplice d'écor- chement ; — l'attitude du pape Eugène 1 ; — les prétentions métropolitaines de Spolète, p. 317 ; — la date des XII Syriens et le discours de Martin I^r du 5 octobre 649 ; — Sabinus, Terentianus D et Eusèbe-Pontien, p. 318 ; — l'invocation Deus Abraham, Isaac et Jacob, p. 319 ; — Vincent de Be-
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TARLE DES MATIÈRES 329
vagna, Sabinus et Grégoire ; — Gassien, Victorin-Séverin et Jonas ; — la croyance à la fin du monde, p. 320 ; — la réorganisation des cimetières après la guerre gothique ; — la règle de Saint-Benoit et les gestes des martyrs.
Table des matières, p. 321.
FIN DE LA TABLE
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Dufourcq, A. - Etude sur les Gesta Martyrum Romains. v. 3
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