j UNE DEUXIÈME CAMPAGNE LAÏQUE EMILE COMBES Ancien Président du Conseii des Ministres Une deuxième Campagne laïque VERS LA SEPARATION PRÉFACE PAR l'aUTEUR DES DISCOURS PARIS SOCIÉTÉ NOUVELLE DE LIBRAIRIE ET D'ÉDITION {Librairie Georges /iel/aif<) 17, Ul'E CCJAS, V' 1905 ^^3 /" PREFACE PAR L'AUTEUR DES DISCOURS L'éditeur de ce volume m'a demandé quelques lignes pour servir de préface à mes discours. Il a pensé qu'il ne sérail pas sans intérêt poui- le lecteur de connaître les sentiments actuels de l'auteur des discours relativement à ses paroles et à ses actes de ministre. Je n'avais aucun motif de lui refuser cette satisfaction, et j'ai déféré d'autant plus volon- tiers à son désir que je ne regrette rien de ce que j'ai dit ou fait comme président du conseil, n'ayant jamais parlé ou agi qu'avec la plus grande sincérité. Toutefois, bien que ma première Campaipic làique ait été honorée d'une préface de M. Anatole France ou plutôt, précisément, parce que cette pré- face, sortie de la plume d'un écrivain hors ligne, qui est, par surcroît, un penseur éminent, est restée dans la mémoire de tous ceux qui l'ont eue entre les mains, je me suis permis d'émettre un doute 11 PREFACE sur roppoilunité de celle qu'on nie demandait, ne voyant dans la publication de mes discours aucun iutérrt distinct de celui qui s'attache aux discours mêmes. Le volume reproduit dans un cadre aussi exact que possible quinze mois de luttes parlementaires, les plus vives, les plus âpres, les plus irritantes qui furent jamais. En replaçant devant les yeux du lecteur des scènes agitées et parfois émouvantes, dont il a été déjà témoin, il lui permet de revenir sur ses impressions premières, de les conlirmer ou de les modifier suivant ses propres convictions ou suivant la leçon des événements. L'auteur des dis- cours doit se tenir pour satisfait de ce résultat, quel qu'il soit. C'est même pour cela qu'il a consenti à laisser paraître ce volume. Il ne saurait avoir la prétention de convertir à ses idées les hommes de bonne foi qui les ont repoussées jusqu'ici. Tout au plus lui est-il loisible d'espérer que le temps et la succession des événements, dont aucune sagesse ne peut s'abstraire, opéreront en partie ou complète- ment un pareil changement dans un certain nombre d'esprits. Ce moment n'est sans doute pas encore venu. S'il doit arriver, ce sera quand l'inexorable fatalité des faits se sera traduite en mesures législa- tives définitives. Les rétlexions consignées dans une préface ne peuvent rien pour le hâter. l'Ali L AL TEIH UKS UISCOl US III Toutefois il n'est pas iiilerdit d'en apercevoir et d'en montrer des signes avant-coureurs, qui sem- blent présager des solutions très prochaines. Quand le dernier président du conseil, poussant toujours plus en avant la lutte sans trêve ni meici qu'il avait engagée contre le cléricalisme, a annoncé, dans son discours d'Auxerre, qu'il i)oserait ofliciel- lement devant les Chambres la question de la sépa- ration des Elglises et de l'Etat, la presse catholi(|ue l'a iJiis (le très haut avec lui, le i"aillant avec la lourdeur d'esprit qu'on lui connaît, l'injuriant de même suivant des habitudes acquises, qui sont devenues pour elle une seconde nature, et surtout le défiant de mettre son projet à exécution. Elle s'est dispensée d'émettre à ce sujet la moindre réserve, croyant répoudre par sa désinvolture et ses airs de matamore aux dispositions intimes du Vatican. Même elle s'exprimait avec une telle arrogance que beaucoup ont pu conjecturer, sans la moindre malice, qu'elle avait reçu d'en haut, sinon des ins- tructions et un mot d'ordre, du moins certaines communications indirectes et des demi contidences. Les journaux du centre, ainsi que les feuilles nationalistes, faisaient chorus avec les organes de droite, l'esprit clérical les animant tous à des degrés divers. Au reste, même en admettant que le Vatican ne IV PREFACE fùl pour rieu daus l'allitude prise par la presse catholique au sujet de la séparation des Églises et de l'État, on peut avancer en toute exactitude qu'il lui a laissé carte blanche de propos délibéré. Car il n'a pas jugé nécessaire tout d'abord de dire un mot ou d'ébaucher un geste pour la détourner de ses imprudentes sommations. Au su de tout le monde, son Secrétaire d'État semblait s'attacher à entretenir ses illusions, si tant est qu'il ne les partageât pas. Au sortir de ses réceptions, ses interlocuteurs, par des indiscrétions calculées, le montraient scei)ti(|ue et même souriant à la pensée d'une séparation pro- chaine. D'ailleurs, en hommes qui souhaitent de plaire, alors surtout qu'ils ne sont pas convaincus, ils s'empressaient d'entrer joyeusement dans les sentiments de tranquillité parfaite et tl'assurance hautaine dont les salles du Vatican leur avaient olïert le spectacle. S'il en était dans le nombre qui lussent moins enclins à s'en remettre d'une persiiec- live si sérieuse au jugement d'un jeune homme, ils se rassuraient, en portant plus haut leur attention et eu constatant la parfaite quiétude du |)ai)e, qui ne manquait pas une occasion de répondre chrétienne- ment aux inquiétudes émises devant lui que Dieu ne ferait pas défaut à son Église, quelle que fût la solution à intervenir. La même confiance s'était communiquée à nos l'Ali LAUTEUK DKS DISCOURS V évèques, qui se seraient jugés coupables envers le Saint-Siège, s'ils avaient entretenu quelques doutes sur sa clairvoj'ance. Les plus militants, les plus hostiles au gouvernement de la République, cri- blaient de railleries le ministère d'alors et redou- blaient d'injures à l'adresse de la majorité parle- mentaire. Les plus pacifiques et les plus discrets s'abandonnaient, comme le pape, à la volonté divine, chacun d'eux envisageant la séparation suivant la tendance de son esprit ou les espérances d'avenir |)ropres à son diocèse, quelques-uns même se réjouissant à l'idée de recouvrer leur indépendance et de n'avoir plus lien de commun avec un gouver- nement justement détesté. Ce langage et cette attitude n'ont eu qu'un temps. Dès que la volonté gouvernementale de séparer les Églises de l'État s'est afFirmée par des actes parle- mentaires, le sourire léger et moqueur a disparu des lèvres du secrétaire d'Étal. Il a été remplacé par un air des plus soucieux et. à tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique, on a paru comprendre que l'heure était passée de douter, encore plus de rire, encore plus de braver, la question se présentant avec un caractère d'exceidionnelle gravité. C'est tiui et bien fini de la résignation apparente d'autre- fois. Aussi on ne doute plus, on ne brave plus, on ne se résigne plus. On ne parle plus de la séparation VI l'UEFACF. que comme d'une doctrine détestable, dogmatique- ment condamnée, solennellement anathématisée. On dénie à l'État le droit de la faire, on le menace des pires émeutes, s'il persiste dans cette résolution. Il y a tel coin delà Bretagne où le haut clergé s'apprête à donner l'ordre de charger les fusils pour disi)uter à l'État et aux communes la itro])riété des édifices actuellement affectés au culte. ' Assurément il y a dans cette allure nouvelle du clergé et de la presse catholique autant de verbiage fanfaron, autant de prétention ridicule que jadis, quand des prêtres bretons prétendaient défendre leurs écoles congréganistes, en les entourant de fossés remplis de matières empruntées aux lieux d'aisance des bonnes sœurs. Mais il est intéressant de la signaler, parce qu elle dénote un état d'âme où domine incontestablement une soudaine et cruelle perplexité. vSi le monde catholique a été surpris à un tel point par l'imminence de la solution qui se prépare, c'est qu'il n'a rien compris depuis trente ans à la marche ascendante de l'esprit démocratique et au cours irrésistible des événements. La sé]iaratiou des Eglises et de l'État n'est nullement un accident de notre histoire,- comme la presse d'opposition s'in- génie à le soutenir, le caprice d'un gouvernement autoritaire, l'acte d'emporlemeul d'un parti vindi- * l'Ali L'AlTEUlt DKS DlSCOlltS Yll cafif ; c'est un simple résultat, le résumé d'une doc- trine procédant par dével()i>i)ements successifs, le terme fatal d'une évolution mettant les principes fondamentaux de la société en. concordance avec les faits. Lorsque Gambetta poussait son fameux cri de guerre « sus au cléricalisme ». il préi)arait, qu'il s'en doutât ou non, la séparation des deux sociétés, civile et religieuse. Et ne serait-ce pas faire injure à ce grand homme d'État de supposer qu'il ne se doutait pas de la portée linale de sa déclaration de guerre? S'il assignait un but immédiat à la lutte contre le cléricalisme, il savait bien que ce but ne pouvait se justifier que par le principe |ioliti(|ue supérieur qui veut la société civile absolument indé- pendante de la société religieuse. Lorsque Paul Bert et Jules Ferry unissaient leurs efforts pour débarrasser l'enseignement de l'Etat des ingérences cléricales, quand celui-là s'évertuait à chercher en dehors du pacte concordataire de nou- veaux moyens de répression contre l'immixtion du clergé dans la i)olitique, quand celui-ci éliminait du programme de nos écoles, avec la surveillance du clergé, la récitation de la i)rière et du catéchisme, ils obéissaient l'un eU'autre au même principe que Gambetta, au principe de la séparation des deux sociétés. VIII rRKFACK Bien des gens, sans doute, m'accuseront de tomber dans un paradoxe, si je montre dans Waldeck- Rousseau un précurseur de la séparation. Mais j'ai conscience de ne me rendre coupable d'aucun para- doxe, en avançant que mon éminent prédécesseur a continué la glorieuse tradition de son maître, en la confirmant. Il est vrai, et je le l'econnais, que Wal- deck-Rousseau s'est toujours déclaré de son vivant partisan convaincu du Concordat. Dans des écrits posthumes, dont l'authenticité cependant reste à démontrer, il continue d'invoquer les raisons les plus plausibles en faveur de la thèse qui a ses préférences. Mais qu'on le remarque : cette conviction visait les circonstances du moment ; ces raisons tiraient toute leur valeur d'une situation politique déter- minée, bien que sujette à changement. Rien ne prouve que Waldeck-Rousseau se fût tenu ferme aux mêmes raisons, s'il avait assistéaux événements diplomatiques qui sont survenus après sa mort, si sur- tout il avait pu se rendre compte du puissant mouve- ment d'opinion qui emporte le pays républicain vers une solution contenue en germe dans les luttes anté- rieures de la Républif|ue contre le cléricalisme. Quoi ([u'il en soit d'ailleurs de ces conjectures, il ne |)ouvait èti'e douteux i)our Waldeck-Rousseau que l'œuvre capitale de son ministère, sa loi des associations, conçue et votée en dehors de tout PAR LAUTEIK DES DISCOURS IX accord avec le pouvoir religieux, tendait à libérer la société civile dans l'exercice de ses droits les plus essentiels de toute intervention de ce pouvoir, de même qu'il était évident pour lui, comme pour tous les esprits attentifs à son action gouvernementale, qu'en brisant l'indépendance des congrégations, en les assujettisant à leurs évêques, contrairement à leurs propres statuts, en légiférant sur elles au même titre que sur les autres associations, il portait un nouveau coup et un coup décisif à la doctrine des Concordats en matière de politique religieuse. Les actes du dernier ministère prêtent à des réflexions analogues. Tous, du premier au dernier, relèvent de la même conception révolutionnaire, qui considère le contrat social comme un simple produit de la volonté humaine et le place légalement en dehors et au-dessus des dogmes et des communions religieuses. Je ne m'étendrai pas ici sur les principes directeurs de sa politique. On les trouvera tout au long exposés dans l'article de revue qui sert d'introduction à ce volume de discours et, mieux qu'exposés, on les trouvera réalisés dans les dis- cours. On pourra les juger ainsi en connaissance de cause, d'après l'application qui en a été faite. Une seule particularité, mais une particularité bien piquante, mérite en ce moment de retenir l'attention ; c'est que la séparation dès Églises et de X PnKFACE ri-^lat a i^^agiK' d'autant i)liis dans l'cipinidn i)iilili((MO que le Concordai a été plus loyalPiuenl el plus stric- tement appliqué par l'Etat. L'organisation religieuse qui paraissait être la plus [)ropre à garantir l'accord du pouvoir religieux et du j)ouvoir civil, a été l'ins- trument le plus efficace de leur désaccord et la cause la plus déterminante de leur rupture. Réclamer l'observation honnête et légale du Concordat équi- valait pour le dernier ministère à le faire déchirer par le pouvoir religieux. Car il n'est pas un seul article de ce contrat séculaire, j)armi ceux qui reconnaissent quelque droit au pouvoir civil, qui n'ait été enfreint des milliers de fois i)ar les représentants de l'autre pouvoir. Ces derniers s'estimaient tellement assurés de l'impunité pour toutes les transgressions qu'il leur arrivait de commettre qu'on aurait pu s'imaginer, en les voyant opérer avec tant de sans-gène, qu'ils met- taient une sorte d'amour-propre, une véritable émulation à les mulli|ilier. Ils étaient frappés à cet égard d'une sorte d'aveuglement, ne conce- vant pas ou ne voulant pas concevoir que chaque coup porté au Concordat, en faisant ressortir plus manifestement son impuissance, devait rejeter ses propres partisans, non moins que ses adversaires, vers la dénonciation d'un traité ainsi convaincu d'ineflicacité. PAR L Al'TErR DES DISCOURS XI C'est en assistant continuellement au s|)ectacle de CCS \iolations infatigablement répétées que la iloc trine de la séparation des Eglises et de l'Etat a recruté des adhérents chaque jour plus nombreux et s'est imposé à l'opinion publique avec une force maintenant irrésistil)le. Ainsi le pouvoir religieux, en traitant le Concordat en ennemi implacable, a contribué plus que les partisans les plus déter- minés de la séparation à la réalisation très pro- chaine de cette réforme. Je dis très prochaine et je ne crains pas de répéter le mot presque à la veille du jour où la Chambre des députés aura terminé la discussion de ce sujet impoitant entre tous. Vainement le })Ouvoir religieux, qui s'indignait jusqu'ici qu'on pût exiger de l'Église catholique qu'elle se soumît aux prescriptions concordataires, notamment aux fameux articles organiques qui consacrent certains droits imprescriptibles du pou- voir civil, s'est ravisé à la vue du péril imminent où ses insolentes prétentions ont jeté le Concordat. Vainement, il annonce ou, ce qui revient au même dans la circonstance, il laisse entendre qu'il compo- serait volontiers avec l'Etat sur la base de ces arti- cles. Vainement, pour se soustraire au reproche pourtant bien mérité d'avoir mis en pièces de ses propres mains le pacte concordataire, il accuse le MI PHEK.\(.K gouvernemeni Iraiwais d'avoir seul failli aux enj^a- gements de ce pacte, sans oser et, pour dire plus, sans pouvoir citer un seul manquement qui puisse être porté au compte du pouvoir civil. C'en est fait du Concordat et de son autorilé morale. 11 n'a pas |)lus de valeur ([u'un chiffon de papier représentant un ancien traité de paix anéanti par une récente déclaration de guerre. Il n'est pas de ministère, fùt- il composé des progressistes les i)lus inféodés au parti clérical, qui puisse rendre la moindre valeur à ce misérable chiffon de papier. Vainement encore le pouvoir religieux appelle-t-il à son aide tous les partis d'opposition pour retarder l'échéance fatale d'une solution qui le désespère. Vainement, par un reniement singulier de son système absolu de gouvernement et par un hom- mage inattendu rendu au système démocratique, réclame t-il une consultation générale du pays, afin que les Chambres ne se prononcent que conformé- ment à la sentence émise par le corps électoral. Vainement nous menace-t-il, comme il a été dit plus haut, d'insurrections locales, de coups de fusils, si nous n'ahandonnons pas aux paroisses, sans condition, les édifices du culte. Ces coali- tions d'hostilités, comme ces menaces impudentes, se heurteront à une résolution inéhranlablement arrêtée dans l'esprit de la inajoriti' républicaine PAU L AUTEUR DES DISCOURS MU des deux Chambres. Elles n'auront raison ni de sa fermeté à poursuivre une œuvre considérée par elle comme le couronnement de son système politique (l'affranchissement moral, ni de sa modération calculée dans l'élaboration des mesures destinées à passer sans secousses de la situation présente à la situation future. Vainement enfin les chefs autorisés de l'Eglise catholique, hantés de sombres appréhensions pour l'unité de leur communion et la pureté de leur symbole, s'efforcent-ils d'apitoyer les âmes dévotes sur les conséquences redoutées de la séparation. Vainement jettent-ils des cris d'alarme aux quatre coins de l'horizon, sous prétexte que des associa- tions cultuelles locales tiendront entre leurs mains le sort de leurs prêtres et l'entretien de leurs temples. L'État n'a pas à se préoccuper de ce genre de faits. Si le pouvoir religieux ressent réellement pour l'avenir du symbole catholique l'épouvante qu'il fait paraître, il n'a qu'à s'accuser lui-même de l'impré- voyance inexplicable dont il a fait preuve dans ses violations systématiques du Concordat. Il se peut que les associations cultuelles ne soient pas du goût du pape et des évéques. L'Eglise catho- lique, qui fut à ses débuts la démocratie la plus libre, la plus égalitaire, la plus fraternelle qui ait jamais été, s'est éloignée rapidement de son type XIV l'IlKlACK primilif. Elle a tendu progressivement à se consti- tuer en pouvoir absolu. Mais, gênée par son ambi- tion, qui l'a mise aux prises dans une longue série de siècles avec les em[)ereurs et les rois pour la possession de ses États, de ce qu'elle appelait par une audacieuse métaphore le patrimoine de Saint- Pierre, elle n'est parvenue à réaliser pleinement son idéal de gouvernement qu'après avoir été dépouillée de ce patrimoine. Aujourd'hui elle a tous les carac- tères d'une monarchie absolue, avec cette supério- rité en plus sur les monarchies de ce genre que son chef non seulement doit être aveuglément obéi, mais encore que, dans la doctrine qu'il [troinulgue, aussi bien que dans les ordres ([u'il donne, il doit être tenu pour infaillible. Une semblable organisation exclut le plus petit tempérament. Des associations cultuelles, pour peu qu'elles se forment librement, ne cadreront peut- être pas absolument avec elle. Mais c'est afïaire aux catholiques de se conduire en cette matière comme ils l'entendront. Nous ne voyons pas, s'il faut parler net, qu'ils puissent ni se soustraire eux-mêmes ni être soustraits d'en haut, une fois la séparation faite, à la nécessité de demander à des associations locales les ressources indispensables à l'entretien du culte. Même dans les systèmes qui leur sont les plus favorables, ces associations apparaissent comme des PAU I. .VITHUi; DKS IHSCOLUS \ V organes indispensables de cotisation et de propa- gande. Et, sans eotisalions, comment une commu- nion religieuse, qui n'émarge plus au budget de l'Etat, pourrait-elle continuer de subsister? Le réta- blissement de la main morte, la captation des héri- tages, l'acquisition frauduleuse de donations per- mettraient d'éluder la dilliculté. Mais à quelle date espérer le gouvernement des curés, qui fermerait les yeux sur de pareils abus? Il faudra donc que la communion catholique, ainsi que les autres communions religieuses, se résigne, bon gré mal gré, à la forme de Tassociation. Nous n'y apercevons, en somme, que des avantages et pour elle et pour l'Etat : pour elle, parce que cette organisation lui sera une condition absolue d'exis- tence; pour l'Etat, parce que l'association, limitée de sa nature à un objet spécial, sera forcément exclusive de tout autre objet, sous peine de perdre toute force ou même de se rendre impossible. Cette dernière observation peut être regardée comme une réponse directe aux menaces intention- nelles ou feintes du parti clérical, qui ne craint pas de recourir à l'intimidation la plus insolente pour détourner la majorité républicaine delà séparation. On nous fait entrevoir, si la séparation s'etïectue, un clergé et des associations enflammées de colère, qui se rueront avec une rage inouïe à l'assaut de la XVl l'IlEFACE rvé|>ublitiue. .Nous n'aurons g;ir(le de nous ai-rn dis- ciple. On m'a contesté ce dernier titre. Plusieurs membres de son cabinet m'ont accusé d'avoir faussé sa loi, en exagérant sa doctrine. Je n'accepte pas ce reproche. Ceux qui me l'adressent oublient volontai- rement le discours de Toulouse. Je n'ai fait que mettre en pratique les paroles de mon prédécesseur. Sur ce point, ma politique est bien la sienne, en dehors de certaines différences secondaires, de cer- taines variantes, qui tiennent au caractère de la personne, au tempérament, comme aussi aux cir- constances de temps. Sur un autre point, je ne me défends pas d'être allé plus loin que Waldeck-Rousseau avait peut-être l'intention d'aller. Je veux parler de mon attitude à l'égard de l'Église catholique. Et toutefois il me sera permis de faire observer que si Waldeck-Rousseau avait exécuté lui-même sa loi des associations, si par là même il s'était trouvé aux prises avec les difficultés sans nombre que le clergé catholique m'a suscitées, tout modéré qu'il fût d'opinion, peut-être se serait-il rendu compte de l'impossibilité de se cantonner plus longtemps dans la législation reli- gieuse qui nous régit. INTRODUCTION '^9 Car enfin la politique que j'ai pratiquée pendant deux ans et demi n'est autre que la politique recom- mandée par Gambetta, par le maître de Waldeck- Rousseau, la politique de lutte contre le cléricalisme, cet ennemi-né de la République. Sous Gambetta, elle était motivée par la partici- pation du haut clergé catholique au mouvement réactionnaire du 24 mai 1874 et du 16 mai 1877, et elle s'annonçait par des mesures à prendre contre cette intervention du haut clergé dans le gouvernement. Sous Jules Ferry, autre disciple du même maître, elle faisait porter ses principaux efïorts sur l'éduca- tion de la jeunesse, qu'il s'agissait d'arracher à là direction du clergé. Sous Waldeck-Rousseau, elle visait à débarrasser la société civile des ordres parasites, qui tendaient à faire un État dans l'État. J'ai cédé aux mêmes considérations, aux mêmes préoccupations dominantes. Comme Gambetta, j'ai combattu avec fermeté la prétention émise par le haut clergé d'intervenir dans la direction des affaires publiques. Comme Jules Ferry, j'ai soustrait pour jamais la jeunesse de France à un enseignement incompatible avec nos idées et nos mœurs. Comme Waldeck-Rousseau et par la simple appli- cation de sa loi, j'ai brisé entre les mains du clérica- lisme le principal instrument de son action, les 10 INTRODUCTION ordres monastiques, qui enserraient de plus en plus par l'enseignement, par la prédication, même par le commerce, la société civile, jusqu'alors sans défense, dans les mailles d'un filet patiemment et merveil- leusement tissé. D'autres iront plus loin dans la même voie, quand ils se seront procuré les ressources nécessaires pour remplacer les ordres religieux que nous ne pouvons à l'heure actuelle suppléer. Quelque temps est nécessaire pour compléter cette œuvre. Telle que je la laisse à mes successeurs, elle paraîtra sans aucun doute aux hommes de bonne foi assez avancée et assez féconde pour me mériter autre chose que les basses injures et les ignobles calomnies dont les feuilles religieuses accompagnent d'ordinaire mon nom. En tout cas, ce que je peux dire, en mettant qui que ce soit au défi de me démentir, c'est que pour accomplir cette œuvre républicaine, je ne suis jamais sorti de la plus stricte légalité. C'est le Con- cordat à la main que j'ai combattu le cléricalisme dans ses deux forces principales, les ordres religieux et le clergé séculier. Je n'ai eu recours à aucune loi d'exception ou de circonstance. 11 m'a suffi, pour procéder en toute tranquillité de conscience, de m'adresser à la loi religieuse qui est la nôtre depuis cent ans. Les partis d'opposition ont invoqué vainement le Concordat pour protéger les ordres religieux contre INTRODUCTION 11 les atteintes d'une loi nouvelle. Le Concordat est muet sur les congrégations et l'on chercherait inuti- lement dans son texte un seul membre de phrase qui, même largement interprété, fournît un semblant de preuve à ceux qui voudraient le tourner contre notre loi des associations. Or, répétons-le, le Con- cordat représente pour nous, Français, la constitu- tion de l'Église catholique, telle que l'État lui a donné place dans l'ensemble de notre organisation officielle. L'Église catholique sort de la légalité, quand elle sort du Concordat et des règlements de police qui ont fixé, en vertu du Concordat lui-même, son mode d'application. Ce que nous avançons là est tellement vrai que, lorsque le pouvoir religieux, croyant les circons- tances propices à une modification, à une améliora- tion des conditions stipulées pour son exercice, a voulu élargir normalement ses attributions et sa sphère d'action, il a dû négocier avec le pouvoir civil un nouveau Concordat dans un sens favorable à ses intérêts. Le fait a eu lieu sous Louis XVIII, en pleine réaction cléricale contre l'esprit de la Révo- lution. Mais cette tentative imprudente de conférer à l'Eglise catholique de nouveaux avantages s'est heurtée à un tel mouvement de résistance de l'opi- nion publique qu'elle a dii être abandonnée par ses promoteurs. Elle a simplement abouti à la création de plusieurs nouveaux évêchés que les Cliambres de la Restauration ont eu le tort de consentir et que 12 INTRODUCTION des motions, souvent renouvelées sous les gouver- nements subséquents et depuis quelques années surtout, ont i)roposé de supprimer pour revenir au chiffre primitif du pacte concordataire. Le Concordat de 1801 tiemeure donc le statut fondamental de l'Église catholique, et, comme il ne renferme aucune disposition relative aux congréga- tions, nous avons le droit d'avancer que les congré- gations sont en dehors du Concordat, conséquem- ment de l'Église catholique de France. Mais il y a mieux à dire à l'appui de cette thrse. Si le Concordat s'est tu au sujet des ordres reli- gieux, s'il ne les a pas compris dans l'organisation légale de l'Église de France, ce n'est pas par indiffé- rence ou par oubli. L'exclusion a été préméditée et voulue. Cela ressort très clairement des négociations engagées entre les plénipotentiaires des deux gou- vernements. Au début de l'échange de vues qui a fini par le Concordat, le pape se flattait d'obtenir du Premier Consul la reconnaissance publique, autant vaut dire la résurrection de quelques-uns des insti- tuts religieux anéafitis parla Révolution. Il en avait exprimé le désir en termes explicites. Aucune suite ne fut donnée par le gouvernement français à cette ouverture, qui se reproduisit encore dans le cours des négociations, toujours avec aussi i)eu de succès. Les lettres du plénipotentiaire papal, le cardinal Spina, en font foi. Il n'y a donc pas lieu de mettre au compte d'un oubli involontaire le silence du IiNTRODUCTION 13 Concordat relativement aux congrégations. C'est intentionnellement, par volonté bien arrêtée, que l'Église catholique de France a été réduite à l'orga- nisme concordataire. Le Premier Consul sentait fort bien que ni l'opi- nion publique ni les Chambres n'auraient souscrit à la renaissance des ordres monastiques, qui avaient laissé dans l'esprit des générations d'alors de détes- tables souvenirs. S'il a pu, quelques années plus tard, autoriser quelques instituts religieux, alors qu'il était dans tout l'éclat de sa puissance et de sa gloire, alors qu'il se regardait comme supérieur aux critiques des salons et de la presse, du moins il a eu le soin de les afïecter à des objets spéciaux et précis, qu'il estimait alors sans inconvénients pour l'ordre de choses issu de la Révolution et qu'il ne pouvait atteindre à l'aide d'autres associations. C'est ainsi qu'il engloba dans son Université les Frères des écoles chétiennes, en limitant leur action aux rudiments de l'éducation de l'enfance, lire, écrire et compter. C'est ainsi de même qu'il préposa les sulpiciens à la formation du clergé catholique nouvellement restauré et manquant d'hommes capa- bles de remplir cette tâche. Les autorisations ainsi concédées à quatre ou cinq ordres religieux sont une preuve de plus que l'auteur du Concordat a exclu systématiquement les autres ordres de l'orga- nisation légalement imposée à l'Eglise française. Donc les défenseurs des congrégations se moquent 14 INTRODUCTION du public, quand ils osent préfendre que la forma- tion de ces associations n'est pas contraire au Con- cordat, puisque le Concordat ne les a pas prohibées. Non, le Concordat ne les a pas prohibées. Mais il a refusé de les admettre. Le résultat devait être identique dans les deux cas. Les congrégations, ainsi laissées de côté, continuent d'être placées sous le coup des lois de la Révolution, qui les ont suppri- mées. Ces lois n'ayant pas été abrogées, les congré- gations ne pouvaient se prévaloir d'aucun droit à l'existence au moment où fut votée la loi du l^r juil- let 1991, et c'est tout à fait justement que cette loi leur a été appliquée. Est-il nécessaire que j'insiste encore pour dé- montrer jusqu'à la dernière évidence que, dans la pensée de l'auteur du Concordat, les congrégations ne faisaient pas partie intégrante de l'Église de France? Je rappellerai que, sous mon ministère, une suggestion fut faite par quelques prélats au gouvernement pour. un Concordat à conclure au sujet des ordres religieux. Ne convenait-il pas, disaient ces prélats, que, dans une matière mixte où l'État et la religion étaient intéressés, on ne modifiât pas l'ordre de choses existant sans une entente préalable entre les deux pouvoirs ? Cet appel n'a pas été entendu; il ne pouvait pas l'être. Parler de Concordat à propos des congréga- tions religieuses, c'était rappeler aux républicains, qui ne l'avaient pas oublié, que les congrégations INTRODUCTION IS n'avaient paru en France qu'en violation du Concor- dat. C'était leur rappeler aussi qu'à peine réins- tallées dans le pays elles s'élaient mises avec un empressement extrême au service des partis de réaction, et qu'elles avaient engagé contre les insti- tutions républicaines une guerre sans trêve ni merci, à telles enseignes qu'elles soudoyaient ou même rédigeaient les journaux les plus violemment, les plus insolemment agressifs contre les hommes et les choses de la République. Mais la suggestion d'un Concordat n'en est pas moins à retenir comme une ])reuve d'un genre par- ticulier établissant que la situation des ordres reli- gieux était illégale et qu'elle avait besoin d'un acte spécial pour être régularisée. Peut-on en conscience attribuer pareille inten- tion à la loi du !«' juillet 1901 ? Peut-on soutenir avec quelque apparence de raison que le législateur a voulu légitimer par la simple observation des formalités contenues dans la loi nouvelle l'existence de fait des congrégations ? Personne en France ne l'a pensé, personne ne l'a dit, jusqu'au jour où le minis tère qui m'avait pour chef annonça l'intention de faire repousser par le Parlement les demandes d'autorisation des congrégations enseignantes et prédicantes. C'est seulement quand on fut bien con- vaincu que ce ministère ne ferait grâce à aucune de ces congrégations et qu'il proi)Oserait à la Chambre des députés de les dissoudre, que leurs partisans 16 INTRODUCTION imaginèrent de s'abriter, pour les défendre, derrière la loi du 1er juillet 1901 et d'en restreindre la portée à une simple constalation de fait. Une semblable théorie aurait passé pour une simple gageure, si Waldeck-Rousseau ne lui avait prêté dans une circonstance mémorable l'autorité de sa parole. C'était à l'occasion d'un projet de loi sim- plifiant les formalités requises pour la construction des maisons d'école. Waldeck-Rousseau, appelé à la tribune du Sénat par un incident de séance visible- ment concerté, s'attacha à définir la nature de la loi du 1er juillet 1901, Il la présenta comme une simple loi de contrôle, destinée à donner un état civil aux congrégations religieuses, comme aux autres asso- ciations, sous la seule réserve qu'elles feraient preuve d'une véritable utilité. Sans doute, il n'alla pas, comme certains défenseurs des congrégations l'ont avancé, jusqu'à déclarer que toutes ces associations, ayant acquis depuis des années une existence de fait, ne pouvaient la perdre sans injustice, à moins de très graves raisons tirées de leur action sociale. Mais il était loisible d'inférer de son discours qu'il se serait montré beaucoup plus accommodant que son successeur dans sa façon d'apprécier l'attitude et les titres des congrégations. Loin de moi la pensée d'élever le moindre doute sur la sincérité des sentiments de mon éminent prédécesseur. Reste néanmoins à savoir si les senti- ments qu'il exprimait à cette heure concordaient INTRODUCTION 17 exactement avec les sentiments qu'il nourrissait à l'époque oii, président du conseil, il demandait aux Chambre l'arme légale qui lui était indispensable pour se défendre et défendre la République contre le travail de réaction des ordres religieux. Il est permis d'en douter. Non encore une fois que je perde de vue les différences intrinsèques de nos deux tempé- raments et l'influence latente du tempérament sur les dispositions morales de l'individu. Mais, si Wal- deck-Rousseau, à l'heure où il quitta volontairement le pouvoir, avait ressenti pour les congrégations cette indulgence de cœur ou cette bienveillance d'esprit qui semble percer dans son discours au Sénat, il se serait sans doute gardé de confier l'application de sa loi et la sentence à porter sur les ordres religieux à l'homme qu'il a désigné au choix du chef de l'État pour cette besogne. Il connaissait cet homme pour l'avoir vu à l'œuvre dans la commission sénatoriale chargée d'étudier la loi et dans les débats parlementaires, où son inter- vention s'était produite avec un succès marqué au sujet de l'article 14, qui fermait l'enseignement aux membres des congrégations non autorisées. Il l'avait applaudi au vu de l'assemblée tout entière, quand cet homme exposait du haut de la tribune, les raisons d'ordre politique et moral qui impliquaient la con- damnation sans réserve de l'enseignement congré- ganiste. Il l'avait félicité publiquement, quand cet homme avait regagné son banc, en le remerciant 18 INTKODUCTION d'avoir su conservera la discussion son caractère de noblesse et d'élévation. J'ai gardé pour moi jusqu'ici les conversations qu'il m'a été donné d'avoir avec Waldeck-Rousseau. Je les raconterai, s'il y a lieu, à mon heure. Je veux m'en tenir pour l'instant aux faits publics, et les deux faits publics qu'il est opportun de citer aujourd'hui, afin de mettre en garde l'opinion répu- blicaine contre une interprétation inexacte des sentiments de Waldeck-Rousseau, c'est, d'une part, l'approbation cordiale et manifeste donnée par lui à mon discours sur l'article 14 de la loi des associa- tions, et, d'autre part, mes déclarations explicites, consignées dans le journal Le Figaro à la date du 18 mars 1902, deux mois et demi avant ma prise de possession du pouvoir, sur ma manière d'entendre et d'appliquer aux congrégations enseignantes la loi des associations. Disons-le, pour en finir avec cette question : ni la commission sénatoriale, ni son président, ni la majorité du Sénat elle-même, pas plus d'ailleurs que celle de la Chambre, n'auraient consenti à voter la loi des associations dans sa teneur actuelle, s'il avait subsisté le moindre doute sur le parti que le gouvernement aurait à tirer de ses prescriptions. Pour la majorité républicaine, la loi des associations était bien autre chose qu'une loi de contrôle, c'était une loi de défense sociale, une loi d'expulsion des ordres religieux enseignants, prédicants etcommer- INTRODUCTION '19 çants ; des enseignants, parce qu'ils étaient jugés impropres à former des hommes libres et des citoyens; des prédicants, parce qu'ils dépouillaient le clergé concordataire d'une de ses fonctions essen- tielles, et que, sous couleur de prédications, ils pro- menaient partout de véritables croisades contre nos lois les plus libérales; des commerçants, parce qu'ils avilissaient l'idée jeligieuse dans des trafics indignes d'hommes de foi et de désintéressement. Le successeur de Waldeck-Rousseau n'a donc fait, en appliquant sa loi, que traduire en actes les aspi- rations du parti républicain et les dispositions intimes de Waldeck-Rousseau lui-même. Il aurait délaissé la politique traditionnelle de la République, il aurait trahi son parti, trompé l'attente de ses con- temporains, s'il n'avait pas accompli la même œuvre salutaire que la Révolution avait faite cent dix ans auparavant. Les congrégations religieuses se dres- saient insolemment, au mépris des lois qui les avaient dispersées, comme une menace vivante pour l'Etat laïque, ses idées et ses mœurs. Elles étaient même plus qu'une menace, elles avaient passé de la menace à l'action. Elle conspiraient, au su et vu de tout le monde, avec les partis monarchiques, la ruine de nos institutions. Echappant par leurs statuts à la juridiction des évêques, elles se donnaient elles- mêmes comme la milice du pape, opprimant évêques et clergé séculier. Malheur aux prélats qui s'offus- quaient de leur indépendance et s'avisaient de vou- 20 INTRODUCTION loir les surveiller ! L'archevêque de Paris, Darboy, qui s'était permis d'aller visiter, en qualité de supé- rieur diocésain, un établissement de Jésuites, apprit à ses dépens, par une censure humiliante du pape, que les congrégations religieuses n'ont d'ordre à recevoir que de Rome. La politique du Second Empire avait enduré cet atlront, qui retombait indi- rectement sur le gouvernement, et l'avait digéré mélancoliquement entre bien d'autres. Notre politique républicaine ne comporte pas de ces faiblesses, de même qu'elle n'éprouve pas le besoin de se concilier les bonnes grâces du Vatican par une abdication de ses droits. Les congrégations ne sont pas seulement à nos yeux des surperfétations inutiles d'un culte qui se suffît à lui-même. Elles sont les instruments pernicieux d'une doctrine monstrueuse, la doctrine théocralique, radicalement destructive de notre doctrine politique et sociale, qui a, pour un de ses premiers axiomes, l'indépen- dance absolue de l'Etat à l'égard de tout dogme et sa prédominance reconnue sur toutes les communions religieuses. Cette doctrine est la doctrine même de la Révolution, dont la République se fait gloire d'être l'héritière. L'expulsion des congrégations équivaut à l'anirmation de cette indépendance, que la séparation des Eglises et de l'Etat marquera mieux encore et ne tardera pas à compléter. Je me suis étendu à dessein sur la conformité parfaite de la politique républicaine, pendant les INTRODUCTION 21 dernières années, tant à notre législation civile qu'à notre législation religieuse. En France, cette confor- mité a été contestée et même niée par les partis d'opposition, qui, tous, à des degrés divers, se trouvent dans la dépendance du parti clérical. A l'étranger, où le jugement n'est pas offusqué par les passions ou les intérêts qui s'agitent au fond de nos querelles politiques, on se rend compte plus aisé- ment, pour peu qu'on se rapporte aux textes légaux, que mon ministère n"a pas plus transgressé les prescriptions concordataires qu'il n'a dévié de la ligne de conduite qu'il s'était primitivement tracée. Quand il s'est formé au mois de juin 1902, il s'est placé résolument en matière religieuse sur le terrain du Concordat. Ce n'est pas que personnellement je fusse hostile à la séparation des Églises et de l'État. Bien au con- traire, je professais cette doctrine, ainsi que la plupart des mes collègues du Cabinet, et j'étais en communion d'idées sur ce point avec tout le parti républicain, qui a considéré de tout temps la sépara- tion des Églises et de l'État comme le terme naturel et logique du progrès à accomplir vers une société laïque, débarrassée de toute sujétion cléricale. Mais je sentais, à cette époque, comme les collè- gues dont je parle, qu'il y aurait inopportunité et imprudence à inscrire dans la déclaration ministé- rielle une réforme de cette gravité, sans y avoir préparé suffisamment le pays. Toutefois j'avais 22 INTHODUCTION conscience de l'amorcer par les mesures que je me proposais de prendre. Si je me montrais décidé à observer le Concordat dans les dispositions qui procurent à l'Église catholique, avec la liberté du culte, de grands avantages matériels, je ne l'étais pas moins à le faire observer par l'Église catholique dans les dispositions qui garantissent à l'Etat ses droits de souveraineté. Or, il ne m'avait pas échappé, en examinant le texte du pacte concordataire, que ces droits du pouvoir civil étaient inconciliables avec la doctrine catholique, solennellement promulguée dans les encycliques papales, et je m'expliquais ainsi le perpétuel désaccord qui se remarquait, depuis l'avè- nement de la République, dans les relations de l'autorité civile avec l'autorité religieuse. 11 n'y avait, selon moi, qu'à prendre acte de ces désaccords inévi tables, à mesure qu'ils se produisaient, pour inciter naturellement le pays à se tourner vers la séparation de l'Église catholique et de l'État, comme vers le remède elBcace à un mal constitutionnel et chro- nique, qui ne pouvait être guéri autrement. De fait, les événements ont réalisé pleinement cette vue de mon esprit. Le Concordat n'a pas été plus respecté par l'Église catholique sous mon ministère qu'il ne l'avait été sous les ministères antérieurs. Bien plus, les transgressions ont crû en nombre et aussi en gravité, parce que la politique républicaine du gou- INTRODUCTION 23 verneraent a revêtu une couleur anticléricale plus accentuée et pris une allure de combat plus déter- minée contre les empiétements du cléricalisme. Cette politique, en s'attaquant aux forces les plus vives et les plus agissantes du parti clérical, aux moines ligueurs et aux moines d'affaires, ainsi qu'à toute la cohorte des nonnains et des nonnes, qui pénètrent journellement, sous prétexte de propa- gande pieuse, dans la vie intérieure des familles, enlevait à la papauté son principal moyen d'action et ses milices les plus dévouées. Probablement le bas clergé, s'il avait été laissé à sa liberté d'appréciation, aurait vu partir sans regret les ordres monastiques, qui, par l'ouverture de chapelles particulières, avaient détourné de ses paroisses la clientèle la plus riche et l'avait réduit lui-même, en fait de casuel, à la portion congrue. Mais il était dans la dépendance absolue des évêques, ayant perdu par le Concordat certaines garanties qu'il possédait avant la Révolution, et les évêques, tremblant de leur côté à la seule idée de déplaire aux supérieurs des congrégations tout-puissants à Rome, dépouillés d'ailleurs de toute initiative indi- viduelle par la promulgation du dogme de l'infailli- bilité papale, rivalisaient de zèle, pour le plus grand nombre, à qui ferait preuve en faveur des ordres religieux d'obséquiosité onctueuse et de servile complaisance. Aussi, dès que parurent les projets de loi tendant 24 INTRODUCTION à la dissolution des congrégations d'hommes non autorisées, l'épiscopat leva contre l'Étal l'étendard de la révolte. Les cardinaux donnèrent le signal. Ils furent suivis par la masse des archevêques et des évèques, à l'exception d'un petit nombre, qui refusa courageusement de partir en guerre ou se défila ingénieusement dans quelque semblant de ma- nœuvres. En violation d'un article formel du Concordat, qui prohibe les délibérations concertées sans permis- sion du gouvernement, l'épiscopat fit parvenir au président de la République une déclaration collective pour le pousser à désavouer son ministère. Des mandements vinrent ensuite, qui letentirenl dans toutes les églises, débités du haut de la chaire, comme autant de coups de clairon, appelant les fidèles au secours des congrégations. Déjà, quelques mois auparavant, de véritables émeutes avaient troublé les campagnes. Des paysans, excités par leurs curés et guidés par des notabilités locales du parti clérical, s'étaient réunis en bandes, armées de gourdins, pour s'opposer à la ferme- ture des établissements congréganistes. 11 avait fallu réquisitionner les troupes, afin que force restât à la loi. Si le sang ne coula pas, si des extrémités fâcheuses furent évitées, le mérite en revient aux autorités civiles et militaires, qui s'acquittèrent de leur tâche avec une prudence et, tout ensemble, avec une résolution admirables. INTKODUCTION â5 Le plus Iriste dans ces incidents déplorables, c'est que les excitations malsaines de l'esprit clérical agirent sur quelques olîiciers et provoquèrent des actes d'indiscipline jusqu'alors inconnus. Il serait trop long et d'ailleurs inutile pour le but que je poursuis de m'appesantir sur ces désordres. J'ai noté ces excès, parce que le clergé en est direc- tement responsable. C'est lui qui, par ses prédica- tions furibondes, a mis les armes à la main à des populations crédules et fanatisées. S'il s'est porté à de telles violences, on peut penser avec quelle désin- volture il a dû se dégager des obligations concorda- taires. Ce n'est pas exagérer de dire que la plupart des chaires chrétiennes ont servi, depuis deux ans, de tribune à des prêtres assez oublieux de leurs devoirs poui- insuffler aux catholiques la haine du gouvernement républicain. En vain ce gouvernement a essayé de ramener le pouvoir religieux à l'exécution loyale du Concordat. Il a échoué dans toutes ses tentatives pour imposer à l'Église catholique le respect du pacte qui la liait à l'État. Sauf les articles organiques qui assurent au clergé catholique un traitement fixe et la jouissance des édifices affectés au culte, il ne subsiste plus rien des engagements contractés par le clergé, qui se refuse systématiquement à les exécuter. Sans croire nécessaire de descendre dans les détails, je citerai comme exemple des empiétements du pouvoir religieux, en raison de l'importance du c. — r 26 INTRODUCTrON sujet, l'article du Concordat qui règle la nomination des évêques. L'importance de l'article tient au rôle prédominant de l'évêque dans son diocèse. Sous un évêque de caractère vraiment évangélique et d'atti- tude politiquement correcte, le clergé se dévoue exclusivement à son ministère religieux et ferme l'oreille aux excitations des factions. Sous un évêque batailleur et livré à l'esprit de parti, le désordre est prompt à naître et à se répandre dans tout le dio- cèse. D'après le Concordat, qui s'exprime sur ce point en des termes d'une clarté parfaite, le gouver- nement nomme les évêques. Naturellement il les choisit dans des conditions obligatoires de dignité et de capacité. Le pape entend subordonner celte nomination à son bon plaisir et n'investir canoni- quement que des prêtres qui lui agréent. Sous pré- texte de se faire juge de la dignité et de la capacité du sujet, il annule le droit de nomination du gou- vernement, sans même s'obliger à indiquer les motifs de ses refus. Le Concordat attribue aux archevêques le juge- ment des plaintes portées par le clergé inférieur contre les évêques leurs sutTragants. Le pape, sans s'inquiéter de ce droit des métropolitains, évoque les plaintes devant ses tribunaux romains et s'arroge une juridiction que les stipulations concordataires lui dénient. C'est à l'évêque qu'il appartient, en vertu du Concordat, de nommer ou de révoquer les desser- INTRODUCTION 27 vants des paroisses rurales. Ce droit lui est expres- sément retiré par le pape, qui charge, à la moindre réclamation des desservants, ses tribunaux du Vati- can de réviser les nominations ou les déplacements des desservants. Nous n'en finirions pas, si nous nous astreignions à énumérer en détail les articles organiques du Concordat qui sont quotidiennement violés, soit par le pape, soit par l'es évèques, soit par le r>lergé infé- rieur. Notons que, pour réprimer ces violations, le gouvernement n'est armé que de pénalités dérisoires, l'appel comme d'abus et la suppression du traite- ment. Il en use parfois, plutôt pour sauvegarder les principes que pour châtier les coupables. Car les coupables se rient de l'appel comme d'abus ou sont largement dédommagés par des souscriptions indi- viduelles de la perte du traitement. 11 résulte de tout ^cela que nous vivons dans un état de véritable anarchie religieuse ; le clergé foule aux pieds le Concordat, et le gouvernement est dans l'impuissance absolue de l'en empêcher. Aussi la séparation des Églises et de l'État, qui n'apparaissait jadis que comme un principe dont la réalisation serait lente à se produire, a-t-elle fait depuis deux ans des pas de géant et recruté une foule d'adhé- rents, même parmi les républicains modérés, qui en redoutaient si fort les conséquences politiques. Elle est devenue le cri de ralliement de tous les comités, de tous les groupements républicains. Elle 28 INTRODUCTION dispute le premier rang aux autres réformes du pro- gramme démocratique dans les préoccupations des Chambres françaises. J'avais prévu, comme je l'ai déjà dit, que nous serions rapidement conduits à cette solution après une expérience nouvelle et déci- sive du mauvais vouloir du clergé catholique à l'égard du pacte concordataire. Je ne l'espérais pas si prompte.- Un incident de politique étrangère l'a précipitée. Mes lecteurs comprennent que je fais allusion à la protestation du pape contre la visite du Président de la République au roi d'Italie. Il a fallu vraiment au Vatican une elïronterie extraordinaire ou une ignorance non moins extraordinaire de l'état des esprits en France pour s'imaginer que la République souffrirait humblement une pareille insulte. On a coutume de vanter la diplomatie du Saint-Siège pour sa finesse, sa prudence et son tact. C'est à croire que le dernier pape a emporté ces qualités dans sa tonibe. Nous avons répondu à l'insulte qui nous était faite par le rappel immédiat de notre ambassadeur et nous n'avons pas dissimulé que,dans notre pensée, ce rappel était définitif. D'autres incidents survenus presque en même temps ont achevé ce que l'insolence de la protes- tation avait si bien commencé. Deux évéques, l'évêque de Dijon et celui de Laval, faisaient tache aux yeux du pape dans le nombre des évéques, la presque unanimité, qui pourchassaient le gouverne- INTRODUCTION 29 ment de leurs imputations fielleuses et de leur haine évangélique. Ils avaient le mauvais goût de recom- mander aux prêtres de leur diocèse le respect de la loi et la soumission aux pouvoirs établis. Surtout ils avaient commis la faute impardonnable de sépa- rer la cause de la religion de celle des partis poli- tiques. Cette indépendance avait attiré sur eux la fureur de la réaction, qui avait juré leur perte. Dénoncés à Rome, l'un, comme entretenant une intrigue amoureuse avec une carmélite, l'autre, comme affilié à la franc-maçonnerie, ils furent sommés par la Curie romaine de comparaître devant une de ses congrégations pour y être jugés. La som- mation s'accompagnait d'une menace immédiate de la suspension de leurs pouvoirs épiscopaux, s'ils ne se hâtaient d'y obtempérer. Le plus grave était que le nonce du Saint-Siège, méconnaissant ses devoirs d'ambassadeur et vio- lant l'article du Concordat qui interdit au représen- tant du pape en France toute immixtion dans les affaires intérieures de l'Eglise de France, s'était fait auprès de l'évêque de Dijon l'agent d'exécution des menaces du Vatican. Il lui avait intimé, au nom du Saint-Siège, l'ordre de s'abstenir de toute fonction épiscopale. Pour se rendre à Rome, les deux prélats étaient tenus par la loi concordataire de demander et d'ob- tenir la permission du ministre des cultes. Naturel- lement, ce dernier, instruit de ce qui se passait, 30 INTRODUCTION refusa la permission demandée. Aussitôt les deux évèques se trouvèrent acculés par les procédés incorrects de la Curie romaine à Talternative de désobéir aux ordres du pape ou de manquer à des devoirs essentiels envers le gouvernement de leur pays. Ils hésitèrent quelque temps, comme il est aisé de le comprendre, tiraillés entre des sentiments contraires. Le Vatican s'ingénia par les moyens les moinsavouables à triompher de leur résistance, et il y réussit à force de peser sur leur conscience de prêtre. Les deux prélats partirent un beau matin pour Rome, malgré la défense de leur chef, le ministre des cultes, dans l'espérance bien téméraire d'apaiser la colère du pape par cet acte de soumission forcée. Une déception cruelle, qui ne surprit qu'eux-mêmes, les y attendait. Bien loin d'être admis amicalement à fournir des explications sur les griefs qui leur étaient imputés, ils furent invités sur un ton qui ne comportait pas de réplique à se démettre de leur siège épiscopal, moyennant la promesse d'une pré- bende ou d'une rente, et ils s'exécutèrent en hommes anéantis. Personne ne s'étonnera que cette conduite arbi- traire du pape, en i»leine opposition avec la légis- lation concordataire, qui réglemente le mode de nomination et consé([uemment, par manière impli- cite, le mode de dépossession ou de démission des évèques, n'ait été relevée, comme il convenait, par le gouvernement de la Républiijue. Le pape fut mis INTRODUCTION 31 en demeure de désavouer les agissements du nonce et de retirer dans les 24 heures les lettres écrites, tant par le nonce que par la Curie romaine, aux évèques de Laval et de Dijon : faute de quoi toutes relations diplomatiques seraient rompues entre le Saint Siège et la République française. Les 24 heures passèrent, sans que satisfaction fût accordée aux demandes, pourtant si justes et si modérées, du gou- vernement français. Dès lors tout fut dit. Le secrétaire d'ambassade qui expédiait les atïaires courantes depuis le départ de l'ambassadeur, reçut l'ordre de quitter le palais Farnèse, et l'ambassade française auprès du St-Siège fut supprimée de fait, en attendant qu'elle le fût par acte législatif, sous forme de suppression du crédit inscrit au budget pour son entretien. Cette série d'événements vint à point pour faire toucher du doigt aux plus réfractaires l'impossibilité de maintenir plus longtemps en vigueur la loi du 18 germinal an X. La séparation des Eglises et de l'État se présentait à l'esprit comme la seule fin possible du conflit. Elle fut posée en termes formels devant l'opinion publique par le président du conseil dans son discours d'Auxerre, et, trois mois plus tard, ofTiciellement devant la Chambre des députés à l'oc- casion d'une interpellation sur la politique religieuse du Cabinet. Enhn elle prit corps délînitivement dans le projet de loi qui fut déposé un mois plus tard sur le bureau de la Chambre des députés. 32 INTRODUCTION Que le Ministère actuel le veuille ou non, et j'ai pour ma part toute confiance dans le nouveau minis- tre des cultes, qui a déclaré le vouloir, la séparation se fera, parce qu'elle ne peut pas ne pas se faire, et elle se fera au grand bénéfice de la liberté publique et de la paix des consciences, au grand bénéfice par conséquent de la République, si elle s'accompagne des mesures de transition indiquées dans le projet de loi déposé et adopté avec quelques modifications heureuses par la commission. Les dimensions restreintes d'un article de revue ne me permettent pas de développer les deux points essentiels qui sont la conclusion logique de ce tra- vail, savoir, premièrement, que la séparation est devenue une nécessité inévitable, en raison de la contradiction fondamentale qui existe entre l'ensei- gnement dogmatique de l'Eglise catholique contenu dans le Syllabus et la doctrine politique et gouverne- mentale de l'État républicain français ; secondement, que cette séparation, conçue comme elle doit l'être, comme une libération réciproque des Eglises et de l'État, et pratiquée avec les ménagements indispen- sables quant aux personnes et aux édifices afïectés aux cultes, est éminemment propre à servir les intérêts des communions religieuses, dont la liberté serait pleinement sauvegardée, en même temps qu'elle restituerait à l'E^tat sa propre liberté et mettrait le dernier sceau à son caractère laïque et confessionnellement neutre. INTRODUCTION 33 Au surplus, je n'ai écrit cet article que dans le seul but d'exposer en toute vérité à mes lecteurs les deux événements principaux de mon ministère, la suppression des ordres religieux enseignants, prédi- cants et commerçants, au nombre de plus de cinq cents, et la défense des droits de l'État en matière religieuse. Ces événements, qui se sont déroulés suivant un ordre absolument logique et conformé- ment au plan adopté par le gouvernement, rentrent dans le cadre général de la politique républicaine depuis trente ans. Ils font partie intégrante du système qui a pour point de départ la souveraineté de l'État, pour caractère uniforme de sa législation, sa neutralité confessionnelle, et pour règle de con- duite, la liberté appliquée aux associations comme aux individus. Dans cette bataille incessante de deux années et demie, livrée par le dernier ministère au clérica- lisme et à ses alliés, le gouvernement n'a marcbé qu'appuyé sur les lois et les décisions des Chambres. Les journaux religieux, prodigues d'injures envers l'ancien président du conseil, l'ont accusé d'auto- ritarisme, de violence, de brutalité. Us l'ont dépeint comme un despote, incapable de supporter la contradiction. Ce prétendu despotisme a consisté pour lui sim- plement à dire ce qu'il voulait et à le vouloir obstinément. Les mêmes feuilles l'ont aussi représenté comme 34 INTRODUCTION un sectaire farouche, possédé de la haine de la reli- gion et dévoré de l'envie de la détruire. Ce sont là d'ineptes inventions, contre lesquelles protestent ses opinions philosophiques de tout temps connues et hautement avouées. Quoi que ses ennemis pensent et disent de sa personne, il s'en remet du soin de le juger aux hommes impartiaux, qui s'éclairent par l'étude des faits, avant de se prononcer sur leur moralité. Républicain ardent, il n'a travaillé que pour la grandeur et la prospérité de la République. S'il n'a pu réaliser jusqu'à la lin son programme, il a eu la consolation, en abandonnant volontairement le pou- voir, de le faire confirmer par la majorité de la Chambre et de le léguer, victorieux de tous les assauts, au cabinet qui l'a remplacé. K.MiLK COMBES. L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE LIBRE (SÉNAT : 12 NOVEMBRE IQoS) La session extraordinaire de 1903 fui marquée au Sénat, et dès son ouverture, par un débat d'une gravité exceptionnelle. La loi Falloux, œuvre de la réaction cléricale de 1850, allait-elle continuer à régir les destinées de l'enseignement? Le Gouver- nement ne l'avait pas pensé, et il avait déposé un projet de loi qui, abrogeant cette loi. organisait le régime des grades et des inspections dans l'enseignement secondaire libre, tout en main- tenant la liberté d'enseignement. De leur côté, M. Béraud et plusieurs de ses collègues avaient déposé une proposition plus rigoureuse, soumettant l'enseigne- ment libre au régime de l'autorisation. La discussion s'ouvrit le 5 novembre 1903. A deux reprises, M. Combes intervint devant la Haute Assemblée. Ce fut, la première fois, pour donner l'avis du Gouvernement sur un amendement de M. Girard (1). M. Combes, président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes. — Messieurs, à la dernière séance du Sénat, M. Girard développa, dans la discussion générale, un amen- dement portant qu'au nombre des pièces à produire pour l'ouverture d'un établissement libre d'enseignement secondaire figurerait une déclaration écrite, certifiant que le futur direc- teur de l'établissement n'avait pas fait de vœux de célibat ou d'obéissance. M. Clemenceau demanda à connaître l'opi- 1 . Journal officiel. Déb. Pari. Sénat. N" du 13 nov. 1903, p. 1356. 36 l'enseignkmknt skgondaiuk libhk iiion du Gouveruemeut au sujet de cet amendement. M. le ministre de l'instruction publique répondit que, le Gouverne- ment n'ayant pas délibéré sur l'amendement, il n'était pas eu mesure de déférer aux désirs de l'honorable sénateur. Le conseil des ministres s'est saisi de la question dans sa réunion de ce matin. Je vous apporte ses décisions. Le Gouvernement accepte en principe les deux idées maîtresses dont l'amendement s'inspire. M. Girard vise évidemment deux catégories de personnes, les membres des congrégations religieuses et les membres des clergés qui font des vœux de célibat ou d'obéissance. Mais la formule qu'il emploie ne nous semble pas juridi- quemeut acceptable. Elle serait d'ailleurs dans bien des cas inefficace. Outre que la loi ne reconnaît pas et n'a pas à reconnaître des vœux, nous avons trop expérimenté depuis quelques mois avec quelle facilité les congréganistes, usant de la méthode des restrictions mentales... {Très bien! très Ment à gauche. — Protestation à droite.) M. Halgan. — N'insultez pas vos victimes. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL aîusl quB le témoi- gnent de nombreuses pièces versées aux procès en cours, se déclarent d('liés de leurs vœux, alors qu'ils restent de fait rivés à leur ancienne obédience, pour nous contenter d'une simple déclaration que leur conscience se refuse à ratilier. A l'amendement de M. Girard nous avons l'ésolu de substituer un projet de loi spécial, que nous nous engageons à soumettre au Parlement avant la fin de cette session extraordinaire. Kl. tandis que l'amendement n'a pu concerner l'kNSEIGNE.ME.NT SliCONDAIRR LIBRK 37 et ne coucerne que l'enseignement secondaire, le projet de loi embrassera les trois ordres d'enseignement et s'appli- quera à tous les membres des diverses congrégations. Quant aux membres des clergés, il nous a paru opportun et logique de rési^rver la décision à prendre en cette matière, jusqu'à ce que le Parlement ait statué sur la question de la séparation des Églises et de l'État. Chacun sent, en effet, que la question particulière, soulevée par l'amendement de M. Girard, ne peut être envisagée à part de la question plus générale et plus haute des rapports à établir entre la société civile et les sociétés religieuses. Une commission de la Chambre des députés étudie acti- vement cette dernière question. Elle a poussé son travail assez loin pour qu'on ait le droit de s'attendre à ce que la question vienne en délibération dans le cours de la session ordinaire de l'année prochaine. Loin d'éluder la discussion, le Gouvernement aura à cœur de montrer qu'il est très désireux d'en finir avec une situation indécise et confuse, qui ne peut guère se prolonger beaucoup sans dommage pour la tranquillité morale du pays. De la solution qui inter- / viendra à cette époque sur la question de la séparation dépend à nos yeux la solution à donner à la partie de l'amen- dement Girard qui regarde les membres des divers clergés. En même temps que le Gouvernement arrêtait ses résolu- tions au sujet de l'amendement Girard, il a pensé qu'il devait et pouvait trouver un terrain d'entente pour toutes les fractions de l'opinion républicaine dans la délibération ouverte sur l'enseignement secondaire. Tout en maintenant le prin- cipe de son projet de loi. qui proclame la liberté de l'eusei- C. - 2, 38 l'enseignemknt secondaire libre gnoment secondaire, il s'est préoccupé de rassurer, plus qu'il lie l'avait fait jusqu'ici, la Frauce républicaine contre les abus possibles de ce principe, en armant le pouvoir exécutif du droit de fermer, par décret rendu en conseil des ministres, les établissements libres d'enseignement secondaire qui seraient convaincus i)ar les rapports de l'inspection de donner un ensei- gnement c(»nlraire à la Constitution, aux lois et à la morale. Le décret serait subordonné à une procédure léguliére devant deux conseils consultatifs, le conseil académique et le conseil supérieur de l'instruction publique. Cette procé- dure pourra être examinée et débattue, quand viendra eu discussion la dernière partie de l'article 2 de la proposition de loi dont M. Thézard est le rapporteur. Le Gouvernement espère que la majorité républicaine du Sénat appréciera la communication officielle que j'ai mandat de lui faire comme une marque non équivoque de son esprit de conciliation. C'est un appel direct qu'il adresse aux sentiments intimes des républicains de cette Assemblée. Ici, conmie à la.Chambre des députés, il entend vivre et marcher d'accord avec sa majo- rité. Ici, pas plus qu'à la Chambre des députés, il ne veut donner de gages à une majorité nouvelle, à une majorité de rechange. Que les deux groupes de la majorité se gardent de l'intransigeance. Leurs adversaires exploitent avec une satisfaction mal déguisée les dissentiments du moment comme le prélude et la promesse de dissentiments définitifs. Les membres do la majorité couperont court à leurs manœuvres, en répondant tous d'un même cœur à l'appel du Gouvernement. (Vifs apploudmemenis à yauctie.) Le S" iiaragraphe de l'arlicle 2 du projet portant réorganisa- tion de l'enseignement secondaire libre, exigeait, parmi les pièces à fournir par tous les directeurs d'établissements libres, « la déclaration ([u'il n'appartient pas à une congrégation non autorisée ». Par voie d'amendement, M. Delpech et certains de ses collè- gues demandèrent la suppression des mots non autorisée. C'était la condamnation, dans l'enseignement secondaire, des congrégations même autorisées. Au nom du gouvernement M. Combes donna son adhésion à l'amendement proposé (1). M. Combes, président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes. — iMessieurs, le Sénat appréciera mieux les observations que je me propose de lui présenter, s'il veut bien me permettre de le ramener de deux années environ en arrière, et je gagnerai moi-même à cette revue rétrospective de pouvoir préciser avec une netteté absolue la situation personnelle que j'ai prise dans ce débat. Dans la séance du 29 juin 1901, je suis monté à cette itri- bune pour y défendre, au nom de la commission des congré- gations et aux applaudissements de la majorité républicaine du Sénat, l'article 14 de la loi des associations. 11 s'agissait alors, si nous nous en tenons aux termes mêmes de l'article, de refuser la capacité d'enseigner aux membres des congrégations non autorisées. Mais la hauteur et la généralité des principes invoqués en sens contraires par les partisans et les adversaires de l'article avaient élargi i. Journal officiel. Déb. Pari. Sénat. N" du 21 novembre 1903, pages 1398 et suivantes. 40 l'enseignement secondaire LIBKE singulièreinent le débat. Pour les adversaires de la loi, il ne pouvait être question de situation particulière : c'était la liberté de l'enseignement qui était en jeu. La droite nous vantait, alors comme aujourd'hui, l'excellence de la loi Fal- loux. Elle s'adressait, alors comme aujourd'hui, à nos senti- ments de justice et d'égalité, comme pour émouvoir notre foi républicaine. C'était, disait-elle, l'esprit de secte — je crois même qu'elle conunençail à parler de l'esprit de la franc- maçonnerie — qui avait présidé à l'élaboration de cette loi. Les orateurs de l'opposition nous faisaient le tableau le plus sombre des conséquences qui devaient résulter du texte présenté par le Gouvernement. Ils nous montraient l'arbi- traire, l'odieux arbitraire contenu en germe dans cette viola- tion des droits du congréganiste. Comme président de la commission, je soutenais une doctrine absolument opposée. En même temps que je protes- tais de mon attachement à la liberté d'enseignement, en même temps que je déclarais mou intention ferme de la respecter et de la maintenir dans son expansion légitime, je faisais remarquer qu'à rencontre d'autres libertés, qui sont des libertés de droit, inhérentes à la nature intime de l'homme, liberté de conscience, liberté individuelle, liberté de la pensée, liberté de la parole, la liberté d'enseigner n'était et ne pou- vait être qu'une liberté de fait, susceptible de s'étendre ou de se restreindre suivant les époques, les mœurs et les intérêts vitaux de la société. (Très bien! à gauche.) J'en donnais pour preuve que la moindre atteinte portée aux libertés de droit mutile la personnalité humaine, tandis qu'il est universellement admis que l'Etat a le droit de subor- l'enseignement secondaire libre 41 donner la liberté d'enseigner à certaines garanties et même d'édicter à cet égard certaines incompatibilités. {Nouvelles marques d'approbatimi sur les mêmes bancs.) A l'appni de mes paroles, je reproduisais en substance ou textuellement les témoignages concordants des hommes les plus considérables, des grands libéraux de la vieille école, qui n'ont plus guère de. crédit auprès des libéraux de l'école nouvelle, prompte à abjurer des traditions qui gêneraient ses menées parlementaires. (Très bien! très bien! à gauche. — Murmures sur quelques bancs au centre.) Et j'insistais particulièrement sur ce fait que ces grands libéraux, les Broglie, les Portails, les Villemain, les Dupin, parlaient et agissaient, non pas en royalistes, mais en repré- sentants des idées et des mœurs de leur siècle, en défenseurs de l'ordre social nouveau, de l'ordre social créé par la Révo- lution. Toutefois, de peur qu'on ne m'accusât, moi républicain, de m'en référer .seulement sur ce point à l'opinion d'anciens ministres de la monarchie, je me plaçais temporairement sous le patronage d'un des chefs les plus illustres du centre gauche de cette Assemblée, et je lisais à la tribune ce passage de Jules Simon, que le centre gauche de nos jours aimera cer- tainement à entendre de nouveau (Sourires à gauche) : « J'admets la liberté d'enseignement. Je n'admets pas le droit d'enseignement considéré comme un droit naturel. Enseigner à qui ? Enseigner quoi ? Y a-t-il au monde quelque chose qui s'appelle le droit naturel d'enseiguer l'écriture, le droit naturel d'enseigner le latin? Rien absolument. Ce n'est pas là le moins du monde un droit naturel ; il n'y a pas de droit naturel de gagner sa vie en enseignant l'écriture, le latin, les mathématiques. » 42 l'kNSKICMvMK.NT SF^CONDAIHK LIBHK De [iliis. messieurs, je repoussais, toujours au uom de la commission, loutc assimilation entre le moine et le citoyen, cuire l'habitant du cloiln' (|ui. comme le disait Portails, a al)(li(iué la libre disposition de lui-même, qui ne vit et iVâgii i\w' par son cht^f, et le citoyen, né libre et resté indépendant, (jui manifeste cette liberté et cette indépendance dans tous les actes de sa vie publique et privée. Le compte rendu de la séance atteste, par les approbations réitérées du côté gauche de cette Assemblée, que mes paroles traduisaient lidèlement ses sentiments. Or, je vous l'assure, ce n'était pas une peinture fantaisiste que je traçais devant cette majorité, quand j'essayais de lui décrire les périls de l'enseignement coiigréganiste. J'étais obsédé à ce moment là, sans le dire, par des images attristantes qui me poursui- vaient depuis quelques années. Kn 1895, étant ministre de l'instruction publique, j'ai ordonné, au sujet de l'enseignement secondaire, l'enquête la plus étendue, mais une enquête discrète, et je l'ai faite discrète pour être bien certain de la faire sincère. J'ai demandé au\ recteurs de me renseigner aussi minutieuse- ment qu'ils le pourraient sur la situation scolaire de tous les établissements d'enseignement secondaire de leur ressort. Je leur ai reconnnandé expressément de ne reculer devant aucune révélation de fait, devant aucune citation de nom propre, leur promettant en échange — et j'ai tenu parole — de garder pour moi les faits et les noms. Messieurs, je n'ai eu qu'à me louer de l'empressement et du savoir-faire des recteurs, à une ou deux exceptions prés, mais j'ai été consterné par les résultats de l'enquête. Je L'fCNSEIGNEMENT SECONDAIRE LIBRE 43 soupçonnais que le mal était grand, jetais loin de le ciuire aussi général et aussi profond. Il s'est atténué depuis lors, je le reconnais, dans une certaine mesure. A la date dont je parle, il n'aurait pas pu aller plus loin sans compromettre irrémédiablement l'avenir de l'Université. La congrégation nous avait pris les trois quaits au moins des flls de famille. Grâce à un système de recommandations savamment hiérarchisé au sein do chaque administration, elle attirait à soi, parla perspective d'un avancement rapide et sûr, les enfants de la bourgeoisie, même ceux de nos fonc- tionnaires. {Très bien ! très bien ! à gauche.) Les pères et les mères de famille avaient tout intérêt à donner la préférence, pour l'éducation de leurs fils ou de leurs filles, à l'établissement congréganiste sur l'établissement de l'État. Dans certaines administrations, dans la principale — je dis « la principale » en cette matière, parce qu'elle est la plus redoutable — dans l'armée, les établissements de l'État étaient frappés d'une sorte d'interdit. {Protestations à droite. — Très bien ! à gauche.) M. BÉRAUD. — C'est très vrai ; nous en connaissons des exemples. M. l'amiral de Cuverville. — Monsieur le |)résident du conseil, voulez-vous me permettre de dire deux mots ? {Excla- mations à gauche.) Vous parlez de 1895. Eh bien, en 1892, je venais d'exercer, comme contre-amiral, un commandement à la mer, j'étais le seul officier général remplissant les conditions nécessaires |)our arriver au grade de vice-amiral, mais <-()iiuii(' j'étais 44 l'knskignkmknt secondaiuk libkk calholiquo, le cadro âoa vice-amiraux esl resic six mois incomplet, parce que M. liurdeau n'a pas voulu sif,Miei' ma promolion. (hruU à gauche.) iM. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je couslate (pie l'inter- iuj)li()n de mon honorable collègue M. l'amiral de Cuverville n'infirme en rien ce que je disais tout à l'iieure. Voulez-vous la preuve de ce que j'avance ? Je peu\ vous la donner sans inconvénient. A la distance où nous sommes du moment de l'enquête, il doit m'ètre permis de vous citer quelques extraits de rapports et quelques faits qui vous éclai- reront complètement sur le degré du mal et les moyens d'action de la congrégation. Dans une ville du Midi, où tenait garnison un régiment de cavalerie, le recteur signalait le cas d'un capitaine, nouveau venu, (lui avait placé ses deux fils au coUtl-ge communal. Ce petit événement avait causé une véritable stupéfaction, non pas seulement dans la garnison, mais dans la ville entière. Tant il était sans exemple, depuis des années et des années, qu'un officier eût donné à l'Université cette marque de con- fiance. {Rires approbatifs à gauche.) Tout le régiment s'était entendu, jusqu'alors, pour accorder la préférence à l'établis- sement congréganiste de la ville. M. Le PnovosT de Laun.w. — Il y a des collèges qui ne valent rien ! M. LE puÉsiDENT DU CONSEIL.— Co cas u'est pas isolé, croyez- le bien. J'ai rassemblé à la hâte, parmi cinquante cas que je pourrais citer, des faits analogues que je livreà votre contrôle. L'interdit dont je parlais à l'instant était pratiqué par le d05« régiment de ligne, à Hiom; par le 26<' dragons, à Dijon: l'enseignement secondaire libre 45 par le 43« de ligue, à Lille; par le régiment de dragons de Saiiit-Omer; par le lo" de ligne, à Castelnaudary ; par le 110* de ligne, à Dunkerque; par le 33' de ligne, à Arras. M. LE COMTE DE GouLAiNE. — Dites-iious donc combien vous avez frappé d'ofliciers pour n'avoir pas envoyé leurs enfants dans vos collèges! {Vive approbation à droite.) M. Le Provost de Lainay. — C'est de la basse police, de la police infâme! {Protestations à gauclie.] M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'cst de la policc lors- qu'un proviseur, questionné à ce sujet, déclare qu'il n'a pas parmi ses élèves un seul fils d'olficier? M. Ollivier. — £'est de la police que de le lui demander. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Jc souhaite quc les mœurs policières n'aillent jamais plus loin. {Rire'i et applaudisse- ments à gauctip.) Voici, du reste, messieurs, en dehors de tout nom propre, ce que m'écrivaient certains recteurs. Celui de Caen s'expri- mait ainsi dans son rapport : « Les fonctionnaires militaires s'adressent exclusivement aux établissements congrégauistes. Ceux qui viennent à l'Université sont de rares exceptions. Encore ont-ils à lutter contre des influences de toute sorte et à se défendre contre une pression parfois violente. C'est du côté de l'armée qu'est le véritable danger pour nos lycées et peut-être aussi pour l'État, les nouvelles générations d'officiers se pénétrant d'un esprit entièrement opposé à celui de nos institutions. » Écoutez, messieurs, le recteur de Nancy : « L'armée fait sécession, se détourne, de parti pris, des établissements de l'État. Les enfants forment avec ceux des 46 l'enseignement sf;condai»e libhk familles des anciens partis, de la noblesse de campagne el ceux di\'< familles ofi domint^ l'iiilUience dn clergf' la clientèle jnincipale des maisons congréganistes... La mode et le pré- tendu bon Ion agissent ensuite sur les autres... » Dans le iap])ort du recteur de Poitiers, on trouve ce passage: 0 Dans cette académie, presque tous les fils d'officiers vont cbez les congréganistes. Il n'en peut guère être autrement. La plupart des ofliciers généraux sortent de la rue des Postes. lis s'en vantent, et leurs subalternes, soit par crainte, soit par ambition, .soit par similitude d'idées, agissent comme eux et répudient l'enseignement universitaire. » Je relève cet autre passage dans le rapport du recteur de Bordeaux : « Les adversaires qui, par leur situation, sont le plus redou- tables pour le l.ycée, ce sont des fonctionnaires publics, les magistrats (Interruptions à droite), les officiers de la garni- sou, qui, presque tous, manifestent leui' antipathie à l'égard de l'enseignement de l'Ëtat, en choisissant, pour l'instruction de leurs enfants, les établissements religieux. » Enfin, le recteur de Lyon terminait son rapport par cette phrase : « 11 n'y a guère k espérer une modification heureuse de cet état de choses, mais plutôt une aggravation. » Messieurs, vous devinez quels devaient être les sentiments du ministre de l'instruction publique, quand il parcourait ces rapports. Or, bien que, dans la discussion de la loi de 1901, je ne me sois pas autorisé de ces faits convaincants, bien que je n'aie pas ulilisi' à ce nioment-lA une enquête si instructive et si intére-ssanlc... l'enseignement secondaire libre 47 M. l'amiral de Cuverville. — C'est regrettable. M. le président du conseil. — Je n'ai pas à le regretter vous allez voir pourquoi. . . Bien que je n'aie traité qu'au point de vue des principes la question, débattue, les applaudissements du Sénat m'ont donné raison et, quand a eu lieu le vote sur l'article 14, le Sénat l'a adopté à la majorité de 179 voix contre 93. Messieurs, je n'ai qu'à reprendre aujourd'hui mes argu- ments d'alors, en les appropriant mot pour mot au texte de ce jour. La seule différence entre les deux débats, c'est que nous avions autrefois en face de nous des congréganistes appartenant à des congrégations non autorisées, tandis que la discussion actuelle roule sur des congréganistes qui font partie de congrégations autorisées. Mais les principes du raisonnement sont les mêmes (Assen- timent à gauche), et ce sont les mêmes motifs de nous décider qui s'offrent à notre esprit. (Nouvelles marques d'approbation sur les mêmes bancs.) Le congréganiste autorisé n'est ni plus ni moins citoyen que le congréganiste non autorisé. L'un et l'autre ont immolé leur liberté personnelle à la vocation religieuse qui les a conduits dans le cloître. L'un et l'autre se sont dépouillés volontairement de leur personnalité morale. Ils ont renoncé volontairement au droit d'agir par eux-mêmes, de disposer d'eux-mêmes, de participer d'eux-mêmes à la société commune et au jeu de nos institutions. Quels éducateurs peuvent être des hommes qui ont perdu le goût, peut-être même la notion de la vie sociale par le seul effet de leur manière de penser et de sentir? ITrés bien! très bien!) La société peut-elle de 48 l'eNSEIGNEMICNT SF.CONDAirtE ITgRE bonne foi confier l'éducation de sa jeunesse à des inaities placés dans des situations si exceptionnelles? Peutclle consenti f à lui donner pour guides, à un A;;e où un contact prolongé produit sur l'àme des empreintes inefraçal)les, des lio.iimes étrangers à tous les devoirs de la famille et à toutes les néces- sités de la vie publique? {Très bien! très bien! à gauche.) Messieurs, ou bien c'est l'arbitraire, le pur arbitraire que voua avez sanctionné dans la discussion de la loi des associa- tions, quand vous avez voté l'article 14, ou bien ce sont les mêmes principes qui doivent aujourd'hui vous déterminer. Dans ce dernier cas, les mêmes principes doivent valoir pour la, délibération présente; les mêmes considérations doivent conserver toute leur force sur votre esprit. Non, messieurs, vous ne donnerez pas au pays le spectacle de législateurs variant au gré d'influences successives et contraires. L'opinion publique n'a pas changé; le sentiment national est resté ce qu'il était. (Marques d'approbation à gauche.) Vous en êtes les mandataires et vous n'avez du reste qu'à prêter une oreille attentive aux vœux qui se font entendre de toute part (Bniit à droite) pour être exactement renseignés sur les résolutions (pie le pays attend de son Sénat républicain. (Applaudissements à gauche.) On essaie de faire diversion à cette attente générale de l'opinion publique, en attirant votre attention sur les consé- quences financières du paragraphe que nous discutons. On les exagère à plaisir pour se donner un moyen CDmmode de mettre le Gouvernement en échec. 3Iessieurs, n'oublions pas que nous sommes en matière d'enseignement secondaire. Ouand nous aumiis à ti'aitcr de l'enseignement secondaire libre 49 l'interdiction d'enseigner dans l'ordre primaire, la qnestion des dépenses à effectuer pourra paraître sérieuse et réclamer, tant de la part du Gouvernement que de la part des Chambres, avec des délais assez larges, qui ne nous seront pas refusés, quelques mesures spéeiales. (Très bien! très bien! à gauche.) Entendez-le bien : du fait du paragraphe que nous discu- tons, la dépense est absolument nulle. Quand la Chambre des députés repoussa les demandes d'autorisation formées par les congrégations adonnées à l'en- seignement secondaire, on pouvait avoir quelque raison de craindre que le Gouvernement ne fût contraint de solliciter du Parlement des crédits extraordinaires. Messieurs, examinez le budget de cette année, vous ne relèverez à cet égard aucun accroissement de dépenses. Nos lycées et nos collèges ont pu recevoir sans effort la partie de la clientèle des éta- blissements congréganistes supprimés qui est venue à nous. Dans le cas présent, il n'y a nullement lieu de se préoc- cuper d'une éventualité de ce genre. Vous n'avez même pas à prévoir la fermeture d'un seul établissement congréganiste d'enseignement secondaire. Après le vote de la Chambre, il en existait sept ou huit, qui avaient été illégalement fondés par la congrégation des lazaristes et celle des pères du Saint- Esprit, autorisées à de toutes autres fins. J'ai rejeté les demandes d'autorisation que ces congrégations avaient fait parvenir au Gouvernement, et j'ai ordonné de fermer leurs établissements. A l'heure actuelle, il n'existe plus un seul établissement (le cet ordre. 50 LENSElUiNKMKNT SECONUAIHK LIBHI: Ce nVst donc pas le présent qui est visé par le paragrai)l)e; oesl l'avenir de l'enseignement secondaire, (''esl pour l'ave- nir que nous légiférons. Une question de principe est posée et résolue par l'amendement de M. Delpech. Voih'i tout. Nous voulons que, dans la loi nouvelle, qui régira désor- mais l'enseignement second.iire libre, notre volont»' de mettre fin à l'enseignement congréganiste se dresse, avec l'autorité souveraine d'un texte précis, comme une barrière infranchis- sable, devant une tentative quelconque d'un gouvernement quelconque de ressusciter cet enseignement. {Applnuflissp- ments à yauche.) Nous en avons trop souffert depuis cinquante ans, depuis trente surtout, en assistant impuissamment au spectacle de notre jeunesse coupée en deux par l'action congréganiste (nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs), pour laisser suspendue sur les générations futures la moindre menace d'un semblable état de choses. Quant à moi, messieurs, j'ai pleine confiance dans le républicanisme perspicace et prévoyant du Sénat, dans son patriotisme éclairé, dans la fermeté de ses convictions démo- cratiques. Non, vous ne commettrez pas la faute de redonner à l'enseignement congréganiste expirant l'espérance d'un avenir meilleur. Vous laisserez son destin s'accomplir, quelques subterfuges qu'il tâche de se ménager, de quelques influences qu'il se couvre, à quelques complicités qu'il ait recours. [Vifs applaudissements à gauche.) Le temps n'est plus où l'existence des congrégations ens(>i- gnantes dans l'oi'di'c scrdiidiiiie pouv;iit iHre lolén'c cninuic LKNSEIGNEMENT SECONDAIRE LIBRE 51 iuoffeiisive, où leur action, contenue dans un domaine restreint, pouvait sembler n'avoir rien d'inquiétant pour la société com- mune.oii leur humilité même pouvait leur servir de sauvegarde. Non, messieurs, ce temps n'est plus ; aujourd'hui, nous avons à nous défendre partout contre leur menées. Partout, depuis trente ans principalement, nous avons trouvé devant nous les congrégations comme des rivales, et non pas seule- ment comme des rivales, mais encore comme des ennemies, oui, des ennemies de nos idées, de nos sentiments, de nos institutions! {Très bien! sur les mêmes bancs.) Elles nous ont fait une France dans la France, une France du moyen Age dans la France des temps modernes (Applau- dissements à gauche), une France gouvernée par Rome dans la France gouvernée par la République ! M. Halgax. — Nous sommes meilleurs Français que vous! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Il était impossible — et telle est la raison d'agir du Gouvernement, telle est sa raison de vous demander le vote de ce paragraphe — il était, dis-je, impossible qu'une pareille coexistence se prolongeât... M. Dominique Delahaye. — Aussi il en périra ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ...saus danger pour notre unité morale. Or, sans unité morale, que peut être l'unité territoriale? Une simple expression géographique. Cette unité morale qui fait la force d'une nation et qui a été si mal décrite l'autre jour par un de nos collègues à cette tribune, cette unité morale exige impérieusement que tout, dans la nation, hommes et choses, s'imprègne de l'esprit fondamental de ses institu- tidiis et de SCS lois. {Très bien ! fi'f's hieii I à (laiiclii'.) 52 l'enseignement secondaiue libre Oseriez-vous avancer qu'il peut en être ainsi avec des associations formées sous les auspices d'un pouvoir éti'anger, dont les principes, les vues et les sentiments soni en opposi- tion complète avec nos vues, nos sentiments et nos prin- cipes? {Nouvelle approbation sio- les mêmes bancs.) Eh! messieurs, vous savez liien que non, et, si vous l'aviez ignoré, leur conduite véritablement séditieuse, depuis que les lois leur sont ;ippliquées, vous aurait ('difltîs sur la nature des mobiles qui les poussent. (Très bien! très bien! à O'uk'Ii''.) Leurs intérêts sont absolument distincts des intt'réfs de notre société. Ce n'est pas la France qu'elles servent, encore moins la Republique, c'est leur patrie spirituelle, leur foi religieuse, leur propre collectivité. Il n'est pas un de leurs livres, je le dis hautement, qui ne respire la haine de nos institutions, pas une de leurs œuvres qui ne soit destinée à les battre en brèche. Partout où ces gens-ia sont les maîtres, on peut être sûr que la réaction triomphe. Partout où ils réussissent à pénétrer, on peut s'attendre à voir naître aussitôt des divisions profondes et se former deux camps Irrémédiablement opposés l'un à l'autre. {.Applaudissements à (/auclie.) Messieurs les membres de la majorité, votez doncl'amende- ment qui vous est proposé. Votez-le avec la conviction intime que vous rendrez à la République un signalé service et, en le votant, quoi qu'on puisse vous dire, rendez-vous le témoi- gnage que vous détournez pour toujours de^la France une source funeslede (It-safleciions et dé dissentiments. {Applau- (tisKements répétés à (jaurlie. — M. le ininistre, en revenant à son banc, reçoit les félicitations de plusieurs sénateurs.) Vivemenl attaqué par M. Waldeck-Rousseau, dans un discours où, avec un rare talent, l'ancien président du Conseil critiquait la poiilique générale de son successeur, M. Combes remonta à la tribune. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Mpssieurs. jp voudiais répondre en quelques mots aux principales critiques élevées par l'honorable collègue qui descend de cette tribune. Et d'abord, je repousse très nettement le reproche de con- tradiction quïl a adressé au Gouvernement. M. Waldeck-Rousseau a mis le texte du projet de loi déposé par le Gouvernement en regard du nouveau texte fourni par l'amendement de M. Delpech. 11 s'est étonné que le projet de loi n'ait pas contenu, dès l'origine, le principe d'exclusion que nous y avons tout récemment introduit. M. Waldeck-Rousseau n'a oublié qu'une chose, c'est que le projet de loi a été déposé le 6 novembre, qu'à ce moment le Gouvernement était saisi de 34 demandes de congrégations non autorisées, que sur ces 34 demandes il y en avait 23 ou 26 qui visaient l'enseignement, et qu'il ne nous appartenait pas de prendre parti contre ces congréga- tions avant que le Parlement n'eût statué. (Murmures au centre. — Très bien ! Très bien t à gauche.) Il me semble que la raison est péremptoire. (Applaudisse- ments à gauche.) Nous ne pouvions pas prendre l'initiative d'interdire l'en- seignement aux congrégations non autorisées, parce que nous étions légalement tenus de porter la question devant le Parle- H4 l'enskignkment skcondaire librp: iiiciil. et do s.avoir de lui s'il entendait autoriser ces coufrre- fcfations aii\ (iiis qu'elles se proposaient. {Nourrau.v applaU' dissemenU nui' les nithries btiurs). Telle est la raison pour laquelle nous avons dil, à cette époque déjà lointaine, nous borner à exclure de l'enseignement les congrégations non autorisées. M. Waldeck-Rousseau, sentant tiés bien qu'il ne pouvait guère combattre efncacement le projet de loi en l'envisageant dans sa teneur actuelle, s'est efforcé de le rattacher à un projet de loi à venir. Il vous a dit : « Pourquoi le Gouvernement nous propose- t-il aujourd'hui d'insérer dans la loi en discussion une clause qui n'est que partielle et qui sera mieux à sa place sous une forme générale dans un projet de loi d'ensemble ? » Je réponds que le projet actuellement débattu constitue une loi organique de l'enseignement secondaire libre, que cette loi nouvelle doit remplacer la loi du lo mars 1830 et qu'il est tout à fait logique d'y inscrire l'interdiction d'ensei- gner pour les congrégations, si toutefois vous avez réellement l'intention d'appli(iuer cette mesure aux congrégations. {Approbation à gauche.) il se peut que certains membres de cette Assemblée trou- vent inopportun ou incommode de se prononcer aujourd'hui sur une question de principe. (Applaudissements sur les mêmes bancs.) Mais c'est d'une question de principe que vous êtes saisis; vous devez la trancher comme telle dans la loi organique ; car elle doit y figurer au même titre et pour la même raison que les autres questions de principe. Je comprends qu'il pourrait être agréable, pour qui ne .se l'enseignement SECONDxMRE libhe 3S pique pas de logique, d'écarter la question de principe à Taide de la question financière. Mais j'ai pris intentionnelle- ment les devants à cet égard, et je crois avoir démontré que la question fmancière était de nul effet dans cette discussion. L'acceptation de l'amendenient Delpech n'entraîne pour l'État aucun accroissement de dépenses. (Mouvements divers.) J'en al fourni la raison : c'est que tous les établissements cougréganistes d'enseignement secondaire ont disparu : il n'en existe plus un seul au moment où je parle. M. LE COMTE DE GouLAiNE. — La lol cst inutile, alors. M. LE PRÉsmENT DU CONSEIL — Mais la question se pose aujourd'hui de savoir si vous voulez que, dans l'avenir, il puisse s'en créer. A gauche. — C'est cela. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Voilà la vraie question. (Bruit.) M. TiLLAYE. — Vous avez le droit de les fermer ; vous voulez substituer la responsabilité du Parlement à la vôtre. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je u'al pas le droit de fermer des établissements qui n'existent pas. (Rires.) Votre interruption ne porte pas. (Bruit à droite.) Mais enfin, messieurs, il me semble que mon langage est clair. Toutes les demandes d'autorisation concernant des établissements congrégauistes d'enseignement secondaire ont été rejetées. Comme il n'en existait pas un seul qui fût léga- lement autorisé, nous vous demandons de mettre dans la loi qu'il ne pourra pas s'en former. (Très bien! à gauche.) Voilà la question ramenée à ^es itermes bien simples. D'autre part, il ne m'en coûte pas de m'expliquer à fond 56 l'enseignement secondaihe i.ibue sur cette question de dépeuses dont on a fait un ('pou vanta il. Je peux le faire sans que M. le ministre de l'instruction publique ait besoin de monter à cette tribune pour répondre à l'appel direct qui lui a été adressé. (Sourires à droite.) M. le comte de Goulaine — Vous l';ivez déjà mis en assez triste posture. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Messieui's, VOUS prètcz singulièrement le flanc à la critique, pour tout esprit impar- tial, avec ces interruptions. Vous ne \ous doutez pas de ce que je vais dire, à savoir que j'accepte les chiffres donnés par M. le ministre de l'instruction publique; je les accepte et, par conséquent, je peux me substituer à lui pour en rendre raison. (Très bien! à gauche.) Oui, messieurs, j'accepte ces chiffres, mais je vais les expliquer comme il les expliquerait lui-même. - L'explication n'a rien de bien malaisé. Des trois ordres d'enseignement, le primaire est le seul qui soit intéressé dans ce débat. On a évalué à 60 millions le chiffre de la dépense qui résulterait de la suppression des écoles congréganistes. M. Charles Riou. — C'est une erreur! M. LE président du conseil. — Je ne fais intervenir que pour mémoire la dépense afférente au personnel enseignant. Messieurs, personne n'a pu songer, et le Gouvernement moins que personne, à construire immédiatement pour (io millions do maisons d'écoles. Nous entendons bien demander au l'arlement les délais nécessaires. (Exclamations et t)ruit à droite.) Vous avez doue intérêt à m'empêcher de vous fournir des explications? (Applaudissements à gauche.) L'ENSEir.NEMENT SECONDAIRE LIBRE 57 Laissez-moi les donner. II y aura des délais. {Nouvelles interrup(io7is sur divers bancs.) {M. Momservin prononce quelques paroles qui ne parvien- nent pas au bureau). ^I. LE PRÉSIDENT. — Mousleur Monsservin, vous n'avez pas ia parole. {Bruit à droite.'^ Messieurs, je ferai observer le règlement; avec ces inter- ruptions, il n'y a pas de discussion possible. M LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nous aurous des délais à demander, soit pour la formation du personnel, soit pour les crédits. A cet égard, je l'ai déjà dit, mais je peux le répéter, il importe que toute préoccupation soit absente de vos esprits. Vous serez maîtres d'étendre ou de restreindre ces délais. Quant au chiffre des millions nécessaires, on les a calculés d'après le nombre des élèves fréquentant les écoles congréga- nistes, en supposant qu'il faudrait construire autant d'écoles qu'on en allait supprimer. Théoriquement, le calcul est légitime. Je n'en critique nullement la base. Mais, pensez-vous de bonne foi qu'il sera vraiment néces- saire de construire de nouvelles écoles partout où se ferme- ront des écoles congréganistes? M. Crémieux. — 11 suffira d'en louer. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — A l'aisouner de la sorte, on ferait preuve d'une singulière ignorance de l'état des choses dans nos communes. Lorsqu'une commune a construit son école publique, elle ne l'a pas construite pour les seuls élèves qui la fréquenlaieut au moment même; elle a tenu 38 LK.NSEIGNEMENT SECONDAIUK LIUHK compte dans ses plans de toute la population scolaire de la commune. C'est du moins ainsi que les choses se sont passées dans l'immense majorité de nos petites comiuunes. Pour celles-là donc, point de difficullés. Quant -aux com munes plus importantes, au lieu de construire uniformément partout, on louera de préférence partout où la location sera possible. M. Le Provost de Launay. — (iela se paie, la location. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ou agrandira, quand on ne pourra pas louer, si l'école se prête à cet agrandisse- ment. Ainsi la dépense prévue, théoriquement exacte, comme je le disais, ne l'est plus au point de vue de la pratique et du fait. {Très bien! très bien! à gauche.) Le loyer est à la charge des communes. L'Ktat n'intervient que pour l6s constructions ou les agrandissements. Dans quelle proportion i)eul-on estimer qu'il sera obligé d'apporter son concours? Messieurs, un coup d'œil sur le passé nous fournira quelques indications utiles. Nous avons fermé depuis un an dix mille écoles. L'opéra- tion n'a porté que sur les écoles congréganistes situées dans les communes où nous savions d'avance, par le rapport du préfet, d'accord avec l'inspecteur d'académie, que l'école publique possédait des locaux assez vastes pour recevoir tous les élèves de l'école congréganiste. Toutes les fois que nous nous sommes trouvés en présence d'une insuflisance de locaux scolaires, nous avons ajourné la décision k prendre au sujet de l'établissement congréganiste. l'enseignement secondaire libke 59 Or, messieurs, quelle a été la dépense nécessitée par la fermeture de ces dix mille écoles? Vous n'avez, pour le savoir, qu'à consulter le budget. La dépense a consisté pres- que uniquement en crédits nouveaux pour le personnel. Elle atteint environ 2 millions de crédits supplémentaires, y compris le ijudget en discussion. Voilà la dépense. Nous sommes loin de la fantasmagorie des millions (très bien ! très bien ! à gauche) qui fait si bien dans les déclamations de nos adversaires. 11 n'y a pas de raison sérieuse pour que l'avenir ne ressemble pas au passé. Quant à moi, je pose en fait que, si le Parlement nous accorde des délais pour cinq ans, avec l'inscription du crédit affecté d'ordinaire tous les ans aux constructions scolaires, '^oM une somme de 10 millions, nous serons en situation de parer à tous les besoins. Messieurs, voulez-vous me permettre de vous dire le fond de ma pensée ? Je souhaite que nous ayons besoin de ces 30 millions, mais je crains d'éprouver à ce sujet une déception, et j'ose l'avouer, bien que M. Waldeck-Rousseau ait paru la tourner en dérision... (Murmures sur plusieurs bancs au centre.) . M. Paul Le Roux. — Il l'a fait du moins avec esprit. xM. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL... avcc infiniment d'esprit, d'ailleurs. Cette déception, tous les républicains l'ont éprouvée comme moi. M. SÉBLiNE. — Alors, M. Waldeck-Rousseau n'est plus républicain ? 60 LKNSEIGNEMENT SKCONDAIHK LIBRE M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Oui, mossieurs, je crains que uous n'éprouvions une déception seniblaJjie, à l'occasion des établissenienls que nous aurons à fermer. Je crains que les établissemenls congréganisles ne soient remplacés en partie par des établissements libres laïques; tant je voudrais que leurs élèves vinssent à nous, au lieu de s'adresser à ces élaJjlissemeuts libres, qui n'auront le plus souvent de laïque que le nom. Mais, dans les cas heureux où cette clientèle scolaire nous arriverait eu masse et nous obligerait à cons- truire toutes les écoles dont on cherche à nous effrayer, nous trouverons les ressources indispensables dans les millions que nous porterons au budget en cinq exercices consécutifs. Je crois, messieurs, avoir répondu aux critiques les plus propres à faire impression sur vos esprits. Mais, avant de descendre de la tribune, je tiens à rappeler que ces critiques se sont produites à l'occasion d un projet de loi qu'elles ne concernent à aucun degré. Notre discussion roule sur l'ensei- gnement secondaire. La loi qui vous est proposée est la nouvelle loi organique de cet enseignement. {Très bien ! très bien ! à gauche.) Nous discutons pour savoir quels principes nous inscrirons en tète de cette loi. Y ferons-nous sa place légitime au principe de la laïcité ou bien frapperons-nous d'exclusion le principe le plus cher aux républicains ? (Applaudissements à gauche.) Eh bien, il faut que chacun pienue ici la responsabilité de son vote. (Très bien ! d gauche.) Le Gouvernement prend résolument la sienne. 11 ne peut consentir à un ajournement qui sembli^ la conclusion naturelle du discours que vous venez d'entendre. Nous demandons au Sénat de se prononcer l'enseignement secondaire libre 61 sans délai, nous lui demandons de dire en toute [sincérité si, aprt'S avoir affirmé à plusieurs reprises, pendant les quatre di^rniéres années, son ferme propos de laïciser les services publics, il recule tout à coup devant une laïcisation qui s'im- pose à raison même de la loi qu'il discute, alors que l'aban- don de cette mesure ne peut être motivé sur le plus léger accroissement de dépenses. {Vifs applaudusements à l'extrême (fauche et ù yauche.) L'amendement Delpech fut volé par 147 voix contre 136. n BANQUET DU COMITÉ RÉPUBLICAIN DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE (il JANVIER 1904) Le Comité républicain du Commerce et de l'Industrie ayant demandé à M. Combes, président du conseil, de présider son banquet annuel, celui-ci accepta l'invitation qui lui était faite. Un millier de convives étaient réunis au Grand-Hôtel Après les discours de M. Mascuraud et de M. Trouillot, ministre du Com- merce, M. Combes prit la parole en ces termes (1) : Monsieur le Président, Messieurs les Membres du Cdmib'. Ce n'est pas seulement avec un plaisir extrême, c'est aussi avec une lierté légitime que je me trouve encore une fois en votre compagnie. Votre adiiésion persévérante à la politique du Gouvernement n'a pu que resserrer les liens d'affection et d'estime qui ni'uni.ssent à vos personnes ainsi 1, Journal officiel. Partie non oOicielle. N" du mercredi 13 janvier 1904, pages 323 et suivantes. BANQUET DU COMITÉ RÉPUBLICAIN 63' qirà votre association. Et pourquoi ne seraié-je pas fier do présider un pareil banquet, où sont venus en foule de toutes les parties de la France les représentants autorisés du com- merce et de l'industrie, véritable élite de la nation agissante, qui honore la République autant qu'elle la sert par l'en- semble de ses qualités morales, sa loyauté, sa probité, son amour du travail et son intelligence des affaires? (Vifsapplau- flmeinents.) Messieurs, à cette fierté que j éprouve d'être entouré de pareils convives se joint un sentiment de profonde recon- naissance pour votre œuvre si éminemment républicaine, où le désintéressement de l'intention se révèle si nettement dans la hardiesse de la conception et les risques encourus. Il fallait plus que de linitiative, mon cher 3Iascuraud, il fallait du courage pour l'oser, il fallait aussi de la constance pour la conduire au point où vous l'avez menée. Vous pouviez craindre que l'opinion publique, mal préparée à voir des industriels et des commerçants se mêler aux luttes des partis, se détournât de votre comité. Vous pouviez appréhender aussi que des rivaux jaloux ne prissent texte de votre entre- prise pour discréditer vos maisons. Vous heurtiez manifes- tement les idées reçues. 11 était de tradition jusqu'il vous que le monde des affaires devait se tenir complètement à l'écart du monde de la politique, sous peine de participer h l'instabilité qui trouble cette dernière et aux divisions qui la déchirent. On admettait généralement que ces deux théâtres de l'activité humaine se rencontrent seulement en ce point que la prospérité des affaires dépend, en règle générale, de la bonne direction imprimée à la politique. 64 BANQUET DU COMITK KKPUBLICAIN Vous ne vous êtes pas laissé arrêter par les idées cou- rantes, et, loin de vous isoler de la politique, c'est sur elle, c'est sur la connnunauté des sentiments qu'elle engendre, que vous vous êtes appuyés pour rapprocher les industriels et les commerçants dans des comités inspirés par les convic- tions politiques les plus fermes et par le dévouement le plus entier à la Képublique. (Applauditmeinerits.) Il n'en est pas chez vous, à vos ban(]uets, comme dans les comités formés à votre imitation par les industriels et les commerçants de l'opposition. On peut y faire l'éloge de la République; on peut y port(U" des toasts à M. Loubet au milieu d'acclamations unanimes et sans que des voix discor- dantes éclatent en murnuues aussi malencontreux qu'in- décents. (Bravos.) Aussi, vous et vos collègues, mon cher Mascuraud, vous méritez plus que de banales louanges ; vous méritez la grati- tude de tout le parti républicain. Quant au Gouvernement, qui n'a cessé de suivre d'un œil attentif la marche continue de votre organisation, il puise dans vos progrès constants, comme vous le disiez vous-même tout à l'heure, un réconfort et, en outre, la conviction ferme que sa politique générale, si violemment attaquée par la réaction, si calomnieusement dépeinte connue étant néfaste au pays, n'a rien de compromettant pour la fortune publique, puisque les industriels el connnerçants, si déliants de leur nature et si mal disposés pour toutes les causes d'agitation, applaudissent aux actes du ministère et se groupent joyeu- sement autour de lui pour le seconder dans sa tâche r( • pu h) i ca i n (' . (.!/>/) lu Kdistiem t'u fs.) DU COMMERCE ET DE l'INDUSTRIE 65 Messieurs, je peux constater, après votre honorable pré- sident,, que les événements ont consacré votre association et couronné nos efforts communs. Jamais le crédit de la France, en dépit des crises économiques et flnancières qui sévissent depuis quelques années sur les deux mondes, ne s'est présenté sous un jour plus ra.ssurant. II dépend de nous que cette perspective garde toute sa sérénité. Ce n'est pas que l'opposition n'ait fait rage pour semer dans les milieux industriels et commerçants le trouble et l'inquiétude. A défaut de réalités menaçantes, elle a évoqué à tout propos les vieux spectres de la faillite financière, ces croquemitaines habituels de la polémique réactionnaire. Elle s'est attaquée tour à tour ou simultanément à la rente de l'État, à notre trésorerie, à nos caisses d'épargne. Les oscillations de la rente, si légères qu'elles fussent, lui ont servi de thème pour alarmer les porteurs de titres et répandre la panique dans le marché. Avec un peu de bonne foi. elle aurait trouvé l'explication de la lourdeur passagère des cours dans la surcharge des portefeuilles, à la suite de l'opération de la conversion. Mais l'opposition de nos jours n'a pas les scrupules des partis fortement organisés, qui se sentent faits pour le pou- voir et qui se gardent bien de l'avilir dans la personne de leurs adversaires, par crainte de le déconsidérer d'avance eu eux-mêmes. {Ai)plau(iissements.) Elle n'est pas un parti, elle est un ramassis de partis, un ramassis de partis déchus, qui n'ont de commun entre eux qu'un vieux fonds d'idées rétrogrades. {Applaudissements.) Il ne lui a pas suffi de mettre la baisse de l;i rente au compte 66 BA'NQÙET DU COMITÉ RKPUBLTCAIN du Cabinet ; elle a parlé des risques prétendus que ses titres couraient en termes calcuhis pour la desservir au prolit des valeurs étrangènis. Et là est l'explication de cet exode de capilauv dont s'applaudissait naguère un ministre italien, (|iii se félicitait de devoir à ce fait l'amélioration du change. ConcurremmcMit a\ec celle besogne si peu honorable, la môme opposition a entrepris de vider les caisses du Trésor, de les d(Mnunir des avances indispensables à la marche jour- nalière des services publics. Elle a donné pour mot d'ordre à ses adhérents, le refus de l'impôt. Ce moyen révolutionnaire de rendre impossible l'administration a paru tout naturel à des conservateurs, à des hommes qui se posent tous les jours en défenseurs des saines pratiques de l'administration. Que leur importait une contradictiondeplusou de moins, si l'effet devait en être de n'duire à l'impuissance un Gouvernement républicain? (Vifs applniidlsseinenta.) Le dénigrement des caisses d'épargne rentre aussi dans ce système, il n'est pas d'insinuations et de perfidies qui n'aient été dirigées contre cette institution si populaire et si utile. L'art des Hasiles s'est exercé contre elle avec une per- sévérance qui ne s'est pas rebutée un seul jour. (Bravos rë pétés.) L'œuvre était relativement aisée. Elle .s'adressait à la partie de la pni)ulation la plus ingénue et la plus crédule. Chacun de nous sali, en effet, avec quelle promptitude des craintes vagues, pnur ixmi (|u'elles soient habilemenl insi- nn('es. enliainenl les masses par une inq)nlsion irréfléchie. Le mou\ement une fois c(»mmencé se comnuuiiquede proche en proche. Il fani bien pins de temps à l,-i l'étlexion pour DU COMMERCE ET DE l'INDUSTRÎE 67 agir en seWs contraire. Car c'est le temps surtout et, avec le temps, llmproductivité des sommes retirées qui finissent par rétablir la proportion normale entre les dépôts et les retraits. En cette matière, les remords pour l'opposition, si toutefois elle en a, c'est que les petites bourses auront été les seules à souffrir des terreurs suggérées par les riches de la réaction. Quant au crédit public, quant à l'état général des affaires, il n'en a été nullement troublé. {Vifs applaudissements.) M. le ministre des finances, dans l'exposé si lucide et si convaincant qu'il a fait à la Chambre, lors de la discussion budgétaire, a \engé le crédit public des manœuvres odieuses qui tendaient à le déprimer. 11 a montré la rente de l'Etat se soutenant par sa vertu propre, tandis que toutes les valeurs baissaient autour d'elle, et même conservant sur les autres fonds, quand elle fléchissait momentanément, uiir incontestable supériorité. Nous n'attendons pas de la passion politique qu'elle désarme devant cet éloge mérité, rendu à la solidité de notre crédit par un juge de premier ordre, qui n'a jamais passé pour un charlatan de patriotisme. iBravos.) Mais, messieurs, à défaut de la justice des partis, nous renvoyons les hommes impartiaux aux chiffres officiels de notre commerce national, qui témoignent clairement de la bonne situation de nos affaires. Vous-mêmes, messieurs les membres du Parlement, vous avez pu en observer la réper- cussion dans les chiffres du budget, où les phis-values de l'année dernière se sont traduites en augmeiilalions, tant sur les prévisions budgétaiies que sur les iccettes effectuées pendant l'exercice antérieur. Je me reprocherais connue nue iinitililt' d'insister devrmt gg BANQUET DU COMITK RÉPUBMCAIN niic réunion do parlfMnenlairfis, de négociants et d'industriels, sur la baute sigiiilicalion de ces faits économiques. Il n'est pas jusqu'à la mauvaise humeur de l'opposition, jusqu'à ses \ aines tentatives pour amoindrir l'effet moral de ces consta- tations, qui iiVu rehaussent l'importance aux yeux des juges de bonne loi. [Applaudiasements.) L'opposition ne nous pardonne pas de faire honneur de (vt ('tal (le (iioscs à la République. Mais, messieurs, à (|ui donc et à quoi prétend elle l'attribuer? Aux qualités natives de notre race? à l'excellence de notre tempérament? à notre esprit d'initiative? à nos habitudes d'économie? Ah! messieurs, oui. il y a de tout cela dans l'état prospère que nous constatons. Oui. certes, nous souscrivons de tout cœur à l'éloge mérité de notre caractère national. Mais de quel droit exclurait-on de cet éloge un régime politique qui garantit à nos qualités originelles la plus large extension ? Quel régime a fait plus de place que la République à l'ini- tiative de l'individu, à la vigueur morale de la personne, à la liberté de ses mouvemenls, à la paisible jouissance des fruits de son travail? Quel régime a mieux réalisé que la Répu- bli(iue ces deux conditions fondamentales de la prospérité des nations, que M. le ministre du commerce signalait tout à l'heure, ces deux éléments essentiels d(^ lindustrie et du commerce, la tranquillité du dedans et la paix du dehors? ( Appla adiftsements prolongés. ) Notre tranquillité intérieure délie la comparaison avec tous les autres Ëlats. Elle est pleinement sauvegardée par le Jeu normal de nos inslitulions. Deux fois, à dix ans de distance, le nationalisme et h's partis monarchiques l'ont DU COMMERCE ET DE LINDUSTRIE 69 appris à leurs dépens. On peut regretter sans doute que l'exer- cice du droit de grève occasionne trop fréquemment quelque elTervescence passagère. xMais le même fait atteint dans les autres pays des proportions bien plus considérables. La France se fait peu à peu, sans s'émouvoir plus que de raison, à l'apprentissage des transactions nécessaires entre le capital et le travail. Quant à la paix, messieurs, cette paix dont vous avez tant besoin, voilà plus de trente ans que la France en jouit sans interruption. Certainement, on nous respecte, parce que nous sommes forts et déterminés à repousser toute atteinte portée à notre honneur et à notre territoire. Mais, messieurs, qu'on le sache bien — et c'est, pour qu'on le sache, que nous esti- mons indispensable de le dire et de le redire — la paix ne se confond pas pour nous avec le seul sentiment de notre force. Nous tenons la paix en même temps pour le premier besoin et pour le premier devoir des nations. (Bravos.) C'est pour nous, France républicaine, pays par excellence de la démocratie et de la solidarité, une obligation morale profondément sentie de tout faire pour procurer la paix aux autres, tout en la conservant pour nous-mêmes. (Vifs applau- dissements.) Les principes de notre Gouvernement .sont incompatibles avec cet égoïsme féroce qui l'ail considérer comme un bien amoindri le bien qu'on partage avec autrui. Au contraire, noire générosité naturelle Irouve sa satisfaction dans ce par- tage. M. Mascuraud vous le rappelait tout à l'heure, ces senti- ments se sont fait jour récemment dans deux traités d'arbi- trage. Ils s'étaient manifestés auparavant avec éclat dans 70 BANQUET nu COMITK RÉPUBLICAIN notre mauière à la foiscordiale et digne d'accueillir les visites des souverains amis. L'effet moral produit sur ropinion publique a été tellement intense que le nationalisme en est resté tout désemparé. 11 sonnait à pleine huucbe le clairon de la guerre et c'est une fanfare de paix (|ni lui a ivpondu joyeusement. {Vifs applaudissemenU.) D'ailleurs, me.ssieurs, il faut tout dire, ses allures de Capi- taine Fracasse, imitées du second Empire, Tout vieilli de trente ans. Il est vrai qu'elles ont séduit (inelques quartiers aristocratiques de Paris ou quelques liefs nobles de déparle- ment, ainsi qu'on voit parfois de vieux beaux séduire des dt)uairières. Mais le pays républicain est demeuré insensible à ses charmes. Ces airs de matamore n'ont plus de prise sur nos populations. La France est à la paix, entici'emeut à la paix; toutes ses pensées sont dos pensées de paix ; tous ses rêves, même les plus beaux, sont des rêves de paix. {Bravos répétés.) On égare le patriotisme, quand on lui demande autre chose que de travailler à la consolidation de la paix. Et ce n'est pas seulement le patriotisme qui est étroilement lié à l'amour dé la République. Cet amour de la paix est tellement ancré dans le cœur des générations coulemporaines que ceux-là seuls peuvent être tentés de l'ébranler (|iii iKnirrissent l'arrière-pensée d'ébranler la République. C'est là, messieurs, ce (jui condanme sans lémission le nationalisme ; c'est là ce qui fait de ce parti, en raison de ses provocations incessantes et de ses menées fanfaronnes, l'ennemi-né de la République. Au reste, il ne l'est pas seulement par les dangers (|u'il DU COMMERCE ET DE l'INDUSTRIE 71 fait courir à la paix ; il l'est aussi par sou expédieut du plébiscite, qui altère la vertu Intrinsèque du suffrage uni- versel, en le réduisant à n'être qu'un instrument de dictature, un recommencement de l'empire. Cependant, je dois le reconnaître, ce n'est pas tant du nationalisme et des partis monarchiques que nous avons à nous inquiéter en ce moment. Les partis monarchiques luttent en vain contre leur destinée. Us n'existent déjà plus que dans l'histoire. La royauté de droit divin, si noblement personnifiée jadis dans le comte de Chambord, s'est éteinte mélancoliquement dans l'exil, et il n'y a pas de fiction au monde qui puisse desceller la pierre tombale qui recouvre les restes de son dernier représentant. L'empire a fini comme il méritait de finir. Né d'un parjure et d'un soulèvement militaire, il a péri par la sagaie de quelques sauvages dans l'obscurité d'une aventure guer- rière. (Bravos.) Le sort de l'orléanisme n'est pas moins lamentable. A la grandeur du principe héréditaire il a voulu substituer le jeu de la ruse et du hasard ; il s'est fait l'humble auxiliaire du boulangisme et, de chute en chute, il est arrivé à n'être plus que le triste comparse du système plébiscitaire. (Assen- timent.) Ainsi, messieurs, le péril, en tant que péril il y a, vient d'ailleurs. Nationalistes et monarchistes se .seraient lassés déjà de leurs inutiles efforts pour arrêter la marche ascen- dante du progrès républicain, s'ils n'avaient pas eu, devant eux pour les guider et derrière eux pour les soutenir, toutes les forces de la réaction cléricale. (Applaudissements.) 72 UANQUET DU COMITÉ RÉPUBLICAIN Vous avez pu remaiviuer les caractères successifs que cette réaclion a revêtus depuis trente ans. Tant que les partis monarchiques ont pu se vanter d'avoir le pays avec eux, le cléricalisme, qui partageait leurs illusions, s'est effacé devant eux et s'est contenté de les servir au second rang. Mais il a pris hardiment la tète, et les antres partis lui ont abandomié le premier rôle, dès que leur impuissance a été démontrée par les laits. C'est lui maintenant qui mène la bataille contre la République; c'est lui (|ui traine à sa remorque tous les partis de l'opposition. (Bravos prolongés.) Ah! sans doute, ces partis se défendent de lui être subor- donnés; il leur déplaît d'être qualifiés de cléricaux. Tous ont la prétention de se dire, peut-être même de se croire libres, alors qu'ils ol)éissent docilement à la direction cléricale. Tous s'indignent ou feignent de s'indigner, quand ou signale leur situation humiliée. Mais l'opinion publique ne prend pas le change sur le trist<» sorl <|iii leur est échu. Elle sait parfaitement qu'ils tombeiaieul a plat dans leurs circons- criptions électorales, s'il leur arriverait un jour de s'aliéner par un acte, même irréfléchi, le patronage du cléricalismt*. D'ailleurs, messieurs, reportez-vous à leurs votes. C'est nu moyen infaillible de juger sans prévention les hommes qui les ont émis. Depuis que nous ai)pliquons aux congrégations les lois existantes, monarchisles et nationalistes se sont dressés contre nous dans une opposition intraitable. Leur langage, comme leur vote, a été la pure nt'gation des droits de l'État, la méconnaissance absolue des intérêts de notre .société. Toucher à la congrégation leur a iciiii un sacrilège La soumettre aux l(ii«; civiles. c'('t;iil usui'|)i'i' sur le domaine fie l;i conscience. DU COMMEKCE KT DK l'IiNDUSTRIE 73 Je rogniti; dètre obligé de dire qu"uiie portion des répu- blicains, les républicains qui sintitulent eux-mêmes libéraux, se sont joints ;i roppositiou de droite pour essayer de perpé- tuer le régne néfaste de la congrégation. [Applaudmements.) Je les plains, encore plus que je ne les blâme, d'avoir si mal interprété les sentiments du pays, et je laisse au pays le soin de juger leur conduite, ou, s'il en est temps encore, de les éclairer sur leur devoir, qui. dans l'espèce, se confond avec leur intérêt. Me.ssieurs, si je rappelle incidemment ces malheureuses défaillances, c'est pour mieux faire ressortir par le noml)re des difticultés surmontées la \ aillante attitude de la majorité républicaine. C'est à cette majorité qu'il faut reporter tout riKjnneur de la victoire que nous avons gagnée sur la réaction. Elle a inauguré sous le ministère de M. Waldeck-Roiisseau, elle a continué de pratiquer sous le ministère actuel un système d'action parlementaire que l'opposition s'évertue à discréditer, parce qu'il ruine de fond en comble ses espé- rances. Vous le connaissez, il consiste dans l'union des groupes de gauche, dans leur entente concertée en vue des délibérations à engager et des résolutions à prendre. Ce système garantit la majorité contre les entraînements iiré- fléchis. Il déroute ses adversaires, parce qu'il n'abandoime rien au hasard. C'était pour le (Jou\ernenient un motif déterminant de s'y associer, dût son action propre n'apparaitre que comme l'action de la majorité. Qu'importent les satisfactions de l'amour-propre, quand l'intérêt de la République est en jeu? J'y suis, pour ma i)arl. alisnlument insensible ci. pour nu- e. — A. 74 IJAiNuUKT I)i; CO.MITK H liPUBI.lCAlN tV'lifilcr (lu s.xsicmc. Je n'ai licsnin ((iic de riipprcrirr (l;ins ses résultats. Grâce à celle union. ;'i celle entente du (imivcnH'nicnl a\ec les firoupes de yauclie et des groupes de gauche entre eux. les di\-iiuil preniieis mois de cette Ii'gislalnre ligure- ront avec liouiieur iiarnii les périodes parJenientaires les plus utiles. Il ine^t facile de justilier cette assertion en m'arrètanl un instant, si \ous le permettez, aux deux faits principaux, l'un d'ordre politique, l'autre d'ordre linancier, qui ont ouvert et fermé la période dont il s'agit. Dans l'ordre poli(i{pie, nous avons livré au cléricalisme personnifié dans la congrégation la plus rude des batailles et nous pouvons dire d'ores et déjà que nous l'avons gagnée sur toute la ligne. (Vifs (ippUtudmements.) L'arme dont nous disposions au début était fort imparfaite. K(jrce nous a ele d'abord de l'approprier à sa destination. Le Ojuseil d'État, chargé expressément pai' la loi de lixer la procédure à suivre, s'est fait, dans .sa pleine indépendance, le ciillaboi'alenr du Gouxernement, avec uu respect des textes et une logique impeccable, que je me fais un devoir de louer. 11 faut croire que l'opposition avait escompté de ce (dh'-là des l'i'sistances. ])eul-ètre même des refus, ituisqu'elle englobe niainleiiani celle asscniblee dans le nn-pris affecte qu'elle |Mddigiie ,iii\ pdUMiiiv publics. A l'heure actuelle, loules les congrégations uuu autori- sées ont disparu, sauf les contemplatives et les hospitalières, dont le sort sera réglé ultérieurement. Quelques mois ont sufll pour délivrer la France de cette invasion monacale qui setendail de pi*oche en proche avec une rapidité efft'ayante. DU COMMEKCE ET DE l'iNDUSTRIE 75 Les postes fortiliés qu'elle occupait, je veux dire les cloî- tres et les couvents, sont maintenant entre les mains des liquidateurs, qui rendront bientôt aux usages de la vie commune ces vieux loyers de réaction. (Bravos répétés.) Pendant ce temps, le président du conseil, usant du pou- voir personnel que la loi lui confère, a délogé les congréga- tions autorisées des établissements illégaux qu'elles avaient disséminés sur tout le territoire. La France laïque, la France de la Révolution, reprend ainsi possession de son sol. Vainement les expulsés s'ingé- nient par des changements de costume à éluder les décisions des pouvoirs publics. Ce travestissement ne les sauvera pas. La Cour de cassation a commencé d'en faire justice. Sa ju- risprudence, qui s'affirme dans un sens conforme auxvolontés du législateur, s'imposera de gré ou de force aux tribunaux récalcitrants. Au besoin, nous en appellerons à la majorité parlementaire. {Bravos.) D'ailleurs, messieurs, le but principal est atteint. L'école congréganiste, eu perdant le prestige d'un genre particulier, qui s'attachait à la robe du bon frère ou à la cornette de la bonne sœur, a perdu le principal attrait qu'elle pouvait offrir à la pieuse crédulité des familles. Me sera-t-il permis d'ajouter que les mœurs perverses d'un monde profane opèrent leur effet naturel sur l'àme sen- sible de l'ancien religieux ou de l'ancienne religieuse? Le nouveau laïque, en se mêlant au monde, en adopte peu à peu les goûts. Déjà une moustache robuste et bien peignée ombrage s^ lèvre supérieure. La lèvre elle-même se ferme avec délice sur le bout d'une cigarette. Des nœuds de 76 HANQUET DU COMITÉ RÉPUBLICAIN ruban se subslituont à la guimpe sévère de raiicifiinr ihiiiih'. Le café lui-même n'est i)lus un lieu de perdilion pour l'ex- petit frère de Marie ou l'ancien frère de l'instruction chré- lieune de Ploërmel. Il y \a rire et s'amuser. Les yeux de la novice, accoutumés à la demi-obscurité du cloilic s'ouvrent avec avidité à la pure clarté du jour. Ils ne luicnt plus les regards : ils les accueillent el. peut-être sans le vouloir, les attirent. Gageons, messieurs — et si je parle ainsi, c'est que j'y suis autorisé par nombre de faits — qu'une année \w s'écoulera pas, sans que la vie sociale ait reconquis cette foule déjeunes hommes et déjeunes filles, qui s'en (îtaient isolés sous l'empire d'une trompeuse fascination. {C'est rrai ! — Bracos.) Voilà, messieurs, dans l'ordie politique, le travail des dix- huit derniers mois. Encore un effort, et nous aurons détruit en moins de deux ans l'œuvre d'asservissement moral de tout un siècle. (Applaudmements.) .le ne parlerai une dernière fois que pour mémoire du nationalisme, qui perd pied tous les jours, à mesure que recule le cléricalisme, sou allié et son soutien. Un avenir procliain inonli-era que Paris el les départe- ments rejettent avec dédain li^s matamores du chauvinisme. (|ui spéculent, pour tromper la i);ilrie. sur .ses plus iioiiles sentiments. Dans l'ordre financier, nous venons d'obtenir un résultat pratique, qui sera vivement goûté des contribuables. Nous avons rompu avec le régime presque traditionnel des douziè- mes provisoires, régime qui n'i'tait pas seulement inconciliable avec notre système budgétaire, mais qui allait encore à ren- contre des véritables intérêts du Trésor. DU COMMERCE ET DE l'inUUSTRIE 77 Kii outre, messieurs, le projfl de budget. Ici du moins (|ur l(^ Gouveruemeut Tavait présenté, réalisait uu parfait équilibre entre les recettes et les dépenses, sans aucune dis- simulation dans les dépenses, sans la moindre exagération dans l'évaluation des recettes. Si nous ajoutons que les plus- \;ilues do l'année dernière apportent aux prévisions budgé- I aires une recclte acquise de plus de 100 millions, nous serons fondés à dire que jamais exercice nouveau ne s'est ouvert sous une ])lus belle perspective. (Très bien! très bien!) Il n"a pas dépendu du ministre des finances que Je budget ne présentât toutes les dépenses normales en regard du chiffre exact des recettes normales. Car il avait compris dans le budget les garanties d'intérêt des compagnies de chemins de fer. La Chambre n'a pas goûté les moyens llnanciers qu'il proposait h cet effet. Je ne lui en fais pas uu grief. Elle a pré- féré laisser les garanties d'intérêt en dehors du budget. Mais, quelque jugement que nous émettions sur ce désaccord par- tiel, il n'est pas contestable que le budget de cette année soit un des meilleurs qui aient été votés depuis longtemps. {Ç'csf vrai ! — Jim vos.) iMes.sieurs, il semble que ce simple exposé contredit sufll- siiinnent les critiques de l'opposilioii. (juand elle accu.^e le ( il m vernement d'avoir leurré le pays d'espérances avortées, ou la représentation nalionale de s'être épuisée en agitations stériles. L'année qui commence continuera l'œuvre de Tannée qui linit. {lirnvos.) C'est en politique plus qu'ailleurs qu'il est vrai de dire que rien n'est tait quand il reste quelque chose à faire, car c'est là surtout que les phénomènes d'action et deréaclion se font 78 BA^Qu^:T du comitk képublicain sciilii' ;i\('<- une ^iramlc iulcusité au inoiiidri' chaugemeut (liiriciilalioii gouveruemeiitale. 11 importe clinic (juc les Clianibres se mcllcnt ;i l'œuvre, dès les premiers jours de la sessiou, pour traiter les questions actuellement pendantes devant elles. Il en est plusieurs, et non des moins intéressantes : la réduction à deux ans de la durée du service militaire, la diminution des Irais de justice par l'extension de la compétence des juges de paix, l'assistance aux infirmes et aux vieillards, les écoles de réforme pour les pupilles de lassislance publique et la suppression de renseigne- ment congréganiste. (Vifs applaudmeinents.) Nous hâterons de tous nos efforts le vote de ces lois, dont les trois dernières entrent comme éléments essentiels dans notre programme de laïcisation des services publics. Ou comprend, en effet, que nous ne pouvons discuter utilement la raison detre de certaines congrégations hospitalières, celles, notanunent, qui trafiquent du travail de leurs pen- sionnaires ou qui les traitent avec une inhumanité révol- tante, comme de récents procès l'ont montré, tant que nous n'aurons pas à notre disposition le personnel et les ressources indispensables pour les remplacer. Le personnel est en voie de formation. Depuis un an, nous avons tenu rigoureusement la main à la création d'écoles d'infirmiers et d'infirmièj'es dans tous nos hôpitaux. C'est au Parlement de nous fournir, quand le moment viendra, les moyens financiers d'utiliser ce personnel, et tel est l'objet des trois lois dont il s'agit. Ainsi, messieurs, la matière de discussions innnédiates ne fera défaut ni à l'une ni ù l'autre Chambre, et, telle que je viens de l'indiquer, elle s'harmonise de la façon la plus nu COMMEHCE ET DE l/lXDUSTRIE "79 méthodique avec li^ programme d'action parlementaire qui a été systématiquement suivi jusqu'à ce jour. En outre, d'autres délibérations se préparent, dans le sein des commissions, qui compléteront ce programme suivant un ordre d'idées approuvé par le Parlement. J'indiquerai, comme faisant partie de cette catégorie de discussions, la réforme des conseils de guerre, qui ramènera à des règles uniformes, dans le double intérêt de la justice et de l'armée, la procé- dure à suivre dans les deux justices civile et militaire : les propositions de loi sur les syndicats professionnels, lesquelles ont pour objet d'en étendre l'application, d'en accroître la capacité juridique et d'en garantir le fonctionnement par le retour au droit commun et la suppression de toutes les me- sures d'exception : les retraites ouvrières, qui nous apparais- sent comme le moyen de pacification par excellence pour contenir dans des bornes raisonnables les conflits si communs entre le capital et le travail; l'impôt sur le revenu, qu'il fau- dra bien voter avant la fin de la session ordinaire, si nous voulons qu'il trouve place dans la loi de recettes de l'année prochaine; enfin, les rapports entre les Églises et l'État, que le Gouvernement, autant que qui que ce soit, est désireux d'aborder pour mettre fin à un état de choses qui tend à devenir intolérable. (Vifs applaudissements.) Messieurs, je voudrais terminer c ï trop long discours ; mais, dussent mes objurgations vus paraître banales à force d'avoir été ressassées, je ne t 'rminerai pas sans appe- ler de nouveau et de la façon la plis pressante l'attention du parti répulilicain, représenté par les quatre groupes de gau- che du Parlement, sur lanécesr'.'é de se concerter en vue des 80 BANQUET DU COMITÉ RÉPUBLICAIN solutions pratiques à donner à des questions si graves et si délicates. Car, sans cette entente, elles resteraient insolubles. Mes objurgations tirent une force grandissante de l'exptj- rience également grandissante du passé. Si. dans ce banquet, j'ai jeté avec vous un regard satisfait sur le passé, ce n'était pas, croyez-le bien, pour en faire sortir, par vote indirecte, l'éloge du ministère. Car, encore une fois, c'est aux Cham- bres que nous devons en attribuer l'honneur. Ce sont les Chambres qui ont rendu possibles nos victoires sur la réac- tion par le soin persistant quelles ont mis à pratiquer l'union des gauches. Le mérite du ministère a été d'élever cette union à la hauteur d'un principe de Gouvernement. Aussi, messieurs, je demeure absolument convaincu que la majorit»' n'-publicaine ne voudra pas déserter ce principe, alois qu'il nous a donné de si beaux fruits et qu'il nous en piomet de non moins beaux. En l'aflirmant de nouveau dès demain sur Ir ikhh de rhoinmc (iiii est et restera l'honneur de la République, nous déjouerons les espérances tenaces d(; l'opposition, qui escompte déjà de coupables défections dans le premier scrutin de la session. Le moindre relâchement des liens qui rapprochent les groupes de gauche aurait des suites dt'plorables à la veille des élections conununales. Ce serait pour l'opposition une occasion inespérée de reconquéiir en quelques mois tout le terrain qu'elle a perdu pendant des • années. (Applamlmements.) Or, messieurs, elle s'organise en vue de cette éventualité : car, de quelque étiquette (la'elle s'affuble, en quelques grou- pements qu'elle se divise, les diverses fractions qui la com- posent continueront de faire cause commune dans toutes les DU COMMERCE ET DE l'iNDUSTRIE 81 élections. L'accord se conciliera dans la coulisse. C'est au dernier moment qu'il se manifestera dans les faits, au grand jour de la scène publique. Nous en avons eu comme un avant goût dans l'élection d'hier. La défaite que nous avons subie doit nous être un avertissement. Si nous n'en profitons pas, soyez convaincus que la victoire remportée par les coalisés, quelque humiliante qu'elle soit pour leur dignité, leur serait une incitation à renouveler un pacte où le désir du succès domine toutes les considérations morales. Restez donc unis plus fermement que jamais, vous tous, républicains, qui ne l'êtes pas seulement d'épithète, qui l'êtes aussi de conviction et qui le prouvez tous les jours par vos actes, par votre lutte incessante contre la réaction. Et vous tous, messieurs les membres du comité du commerce et de l'industrie, travaillez sans relâche, chacun dans votre sphère, à cette union si nécessaire des vrais républicains, en offrant à toutes les communes, comme une leçon vivante, l'exemple de vos comités. Messieurs, je lève mon verre pour boire à cette union des vrais républicains, et je suis sûr, eu portant ce toast, d'être l'interprète du pays républicain tout entier. Je bois à cette union, d'abord, parce qu'elle est la seule garantie de notre force en face de la coalition cléricale, monarchique et natio- naliste, ensuite, parce qu'elle est la condition essentielle des réformes démocratiques et du progrès républicain. (Longs applaudissements. Ovation prolongée.) m L'EXPULSION DE L'ABBE DELSOR (22 JANVIER 1904) F^'abbé De'.sor, représentant au Hcichstaf; la circonscription de Molsheim, étant venu à I.unéville pour y faire une conférence au cercle catholique, le (îouvei netnent apprit que celte conférence n'était qu'un prétexte. En réalité, c'était une manifestation clé- ricale et nationaliste, organisée par le parti réactionnaire, pour protester contre la fermeture de la chapelle du château. En conséquence, le 7 janvier, avant la conférence, un arrêté d'ex- puk.ion du territoire français fut signifié à l'abbé Delsor. Un certain nombre de Députés de la droite, MM. Corrard des Essarts, Louis Ollivier, Godefroy Cavaignac, Gauthier (de Clagny). le lieutenant colonel Rousset, Syveton, Grosjean et Ferri de Ludre, interpellèrent à ce sujet le Gouvernement dans la séance du 22 janvier. Voici quelle fut la réponse de M. Combes, Président du Conseil (1). M. ÈMii.E (loMHKS. président du comeil, minùtyr de l'inté- rieur et des cultes. — La Ciiamltii' iiif pcrmoltra. pour la ciai'ir'. la prccisin)! cl riKiiiinMcif' du dchal. de ramriicr la i. Journal ojpcicl. Déb. Pari. Chambre. Nodn 23 janvier 1904, pages 96 et suivantes. l'expulsion de l'abbé delsor 83 question qui nous occupe à ses termes les plus simples. Elle ne voudra pas, j'en suis sur, se rendre complice de la manfpuvre savamment imaginée, dès le début de cette affaire, à l'effet d'agir puissamment sur l'oijinioii publique et de redoimer au nationalisme décadent [exclamations an centre et à droite; — vifs applaudissements à gauche et à l'extrême (imirhe] uii regain de vigueur et de popularité. ("est une justice que je rends volontiers au parti naliona- lisle : il possède à fond l'art de la mise en scène et il a expé- rimenti; plus d'une fois, depuis le général Boulanger, jusqu'à quel point des décors ingénieusement conçus et artistement arrangés peuvent contribuer au succès d'une pièce à tableaux. {Applaudissements et rires à gauche et à l'extrême gauche.) Ici, son adresse habituelle a été vaillamment secondée par la foule des journaux de l'opposition, qui ont donné, avec un entrain merveilleux, pour enlever l'opinion et surprendre le patriotisme. {Humeurs à droite.) Au dire de M. Corrart des Essarts, dans ses premières communications ts (Rires 84 l'kx PULSION i)i: i/abbk dklsou t't fippiaufUssiewenh à umiche). M. Ollivicr se |)l;ii;:ii;iil [\\\v lo gomenicniciil cnl t(il('r(' (|iriiii (Ic'piili' sdciiilisic hcigc. M. Vandenclde, p;ircoiirùl rarroïKlissciiicnl df S;niit-I{rifMic. iiisiillaiit iKtIro diapcaii et pi(i\(»(Hiaiil à ce pi'opos des pid- teslations dans lasallf dcl'hôlol-di'-villt'. m il parlait poiii- la dornière fols. M. le préfet Robert, entoure de fonctionnaires, assistait Impassible sui' l'estrade à ces scènes de d('sordre et allait serrer la main du d('puté bel^^e à la fin de son discours. Depuis lors, je le leconnais, J'enthousiasme delà j)ieniièie heure a sensiblement baissé, le Ion de la polénuipie s"est singulièrement modifié dans les journaux réactionnaires, les personnalités des deux députés artlliciellement comparés ont été reJéguées au second plan dans une sorte de pénombre. L'arrêté même d'expulsion, j)ris contre l'un d'eux, a cessé d'être une mesure plus ou moins fâcheuse de l'autoiHV' pn;- fectorale. C'est le ministère qui a été i)rls à [)artie. A droite. — Paiblen! M. LK piuîsmENT m' CONSEIL. — On a espéré avoii- sufllsam- nient irrite la libre patriotique pour entraîner contre le cabinet bon nombre de défectlonnalres de la majorité répu- blicaine. On s'est livré' dans ce but à une stratégie parlementaire d(tiit on al tend les meilleurs n'snitafs. Vous avez pu vous- mêmes la suivre et constater que l'incldeid de Lunéville était devenu le bélier don! on avait besoin, non pour faire éclater la vt'rlté. niais pour Jeter bas un GouvtM-nement coupable d(^ j)rendre corps à corps et de faire leculer nKithodlqnement, depuis xiiifil mois, la r('aclion nationaliste el- clf'ricale. Applaiiflisscniciilx a icvlièinf' unuchc et à (/tnirlie.) l'expulsion HK I.'aBBK llKLSOR 83 Messieurs, j'ai émis toul ;i llieurc rcspérance que la Cliambre ne voudrait pas être dupe de la mise en scène cal- rulpe pour éjxarer ses seuliments. et qu'elle \oudrait s'en- (|uérir de la Aérité des faits. Or. cette vérité, la presse républicaine l'a déjà établie avec force détails, et je n'aurai pas beaucoup de peine à l'établir moi-même. La vérité, c'est (pie M. l'abbé Delsor n'a nullement été le triomphateur du prince de Hohenlolie. qu'il n'a pas été le protestataire déterminé contre les injustes arrêts du sort, ni le Français vaincu (jui lefuse de se résigner à son malheur. Il a été, ainsi qwr le journal le Temps nous l'avait appris après les dernières élections pour le Reichstag. le candidat clérical élu contre un concurrent socialiste el un concurrent libéral. Il y a plus : le prétendu protestataire ne consent pas à être présenté comme tel. C'est lui-même qui nous en avertit dans une interview de la Patrie. {Mouvements dirers.) « Gardez-vous bien, a-t-il dit. de me donner comme pro- testataire. » Et un de ses amis personnels, qui a été mêlé activement à ses luttes, insiste de la manière la plus catt>go- rique. dans une lettre que le journal la Croix a reproduite, sur le caractère vrai du rôle politique rempli par M. l'abbé Delsor. On craignait tout à llieuie ipie je ne m'abandonnasse à la tentation de discuter la vie parlementaire de M. l'abbé Del- sor. Je m'en garderai bien, el je ne m'en reconnais |)as le droit; mais j'ai le droit de m'élever contre nne réputation u.surpée et de lui dénier le ivnoni de pi-oleslataire qui lui est inexactenieni attribué. [Très bien! très hioi ! à (laiiclie.) C'est 86 l'expulsion DK L'ABBK OKLSOn nniqueiiioiit (l;ins ses écrils du (lauslt^st'cr'ils de ses ;iinisqii>? jovaischerchermesrenseijxiiciiit'iils. iiiiln-niptidiis/in cri)trr). Je no peux pas les (IciiiMiidcr ,i ses adversaires. Nous ne les accepteriez pas. M. LE MEL'TENANT-noLONEL RoussET. — C'esl la politiqiio des petits papiers. M. Dauzon. — C'est vous qui l'avez commencée. M. LE PRÉSIDENT DLT CONSEIL. — « Lcs joiirnaiix lïaiiçais, dit l'ami dont je pai'le, l'ont, ces derniers jours, frénéralement appelé député protestataire. Ce qualiticatif n'est pas exact et mieux vaudrait l'appeler député indépendant. » Sur divers bancs an cnUrc et à droite. C'est la même chose. M. Maurice Binder. — On ne peut pas en dire autant de votre majorité. M. LE président dit conseil. — « La protestation, en effet, telle qu'on l'entendait immédiatement après l'annexion, n a plus de raison d'être aujourd'hui, et nos députés du groupe alsacien-lorrain (int mieux à faire que de protester contre un état de choses qu'ils ne peuvent pas changer. « Au centre. — C'est évident. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — « Ail rcsto, la sottc poli- tique du Gouvernement français actuel (Très bien i très bien ! et rires à droite. — liniit à f/anche) semble avoir le dessein de leur enlever presque jusqu'au désir de rien changer. Ils se sont donc résolument placés sur le terrain des faits accom- plis et ils sont entrc's dans la maison pour la rendre habi- table, même pour les Alsaciens-Lorrains, donnant ainsi aux catholiques français l'exemple de ce qu'ils devraient faire pour assainir la Hepublique » (Rires à yauche.) l'expuf.sion rjK l'abbé DKLSon 87 :\r. LE (^ôMTE HE La Rochethulon. — Oupl rapport cela a l-il avec l'expulsion? M. Dauzon. — Ce n'est pas le président du conseil qui parle, c'est \otre ami ; écoutez-le. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Il cst impossible de dire en termes plus clairs que l'alibé Delsor et ses amis ne sont ni alsaciens, ni français, ni allemands : ils sont tout simple- ment romains. {Applaudissements à gauche. — Réclamations à droite et sur plusieurs bancs au centre.) Ce n'est ni pour la France ni pour l'Allemagne qu'ils travaillent: iJs opèrent uniquement pour la politique romaine. {Très bien! très bien! à oauche.) M. Lamendix. — Ce sont eux, les internationalistes ! M. LE président DU conseil. — Quaut au coutraste imaginé l)ar M. Ollivier. il me suffira pour en faire justice, de lire textuellement à cette tribune la courte dépèche que j'ai reçue du préfet des Côtes-du-Nord, aussitôt que M. Ollivier eut épanché son indignation dans les colonnes du journal Le Gaulois. La voici : « Je lis dans les journaux la lettre ouverte que vous adresse M. Ollivier, député. Je n'étais pas .sur l'estrade à la confé- rence Yandervelde et je n'ai pas félicité le député belge. Il n'a pas dit un mot du drapeau français. Les cléricaux l'ont interrompu dès ses premières paroles, uniquement parce qu'il avait assisté aux fêtes de Renan, à Tréguier. » (Applau- dissements et rires à (fnuclie.) .M. Lons Ollivier. — C'est absolument inexact. M. le président du conseil. —Ainsi M. le préfet des Côtes-du- Nord donne un diMuenti formel aux assertions de M. Ollivier. 88 l'kxpulsion de l'abbk dklsok M. LE COMTK DE La ROGHETHULOX, — Olî Sîlit CO (|IU' N.llll ce démeuti. M. Daizon. — Il %;iiil le \(Mn'. M. LE (]OMTE DE La Hochethulon. — Luii t'sl payô et l'autre pas. M. Dauzon. — L'autre est indemnisé ! M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL. — . Les membres de cette Chambre, et ils sont nombreux, qui connaissent M. le préfet des Côtes-du-Nord, le savent incapable de trahir la vériti'. 31. Louis Ollivier. — Voulez-vous me permettre de dire un mot ? M. LE PRÉSIDENT. — Monsieur Ollivier, vous réijondrez plus tard. JVl. Louis Ollivier. — Je maintiens mon afiirmalion. (l'est le journal même de M. le préfet qui signale sa présence à la conférence. (Bruit.) M. le président du conseil. — Admettons, monsieur Olli- vier, comme je l'entends dire de ce côté {la droite), que cette diversion ne prouve pas graud'chose. Si j'ai retenu l'inci- dent, c'est parce que vous l'aviez soulevé. Donc, messieurs, vous pouvez pressentir déjà (iiic ce n'est ni la réalité des faits, ni le caractère vrai des personnes, qui ont préoccupé M. Corrard des Essarts et ses amis; c'est l'unique désir d(! mettre à profit un incident malencontreux {Exclamations nu centre et à droite. — Applaudissements à iiauclic.) M. Jules Brice. — Vous nous jugez à votre aune. (Bruit.) M. Fernand de Hamkl. — \ ons avez le talent de labaisser tous les di'hats .-i un intt'rr! ministériel. l'expulsion de l'abbé delsor 89 M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'est vraiment une chose étrange que je ne puisse pas exprimer une seule fois ma façon (le penser sans qu'on m'interrompe du côté de la droite. Si ces messieurs attendent, pour me laisser parler, que j'abonde dans leur opinion, Ils attendront longtemps. {Bires et applaudissements à yanche et à l'extrèmi' yauche.) Je répète que ce qui a surtout préoccupé les interpella- teurs, c'est le désir de mettre à profit un incident plus ou moins malencontreux... {Exclamations et applaudissemeiHs ironiques à droite et au centre.) M. DE Baudry d'Asson. — Voilà l'aveu! Nous le retenons. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL pour placer la cause du nationalisme sous le i)atronage d'une émotion patriotique; car, messieurs, vous ne l'ignorez pas, les nationalistes s'arro- gent volontiers le monopole du patriotisme. (Très bien .' très bien ! à (lauclie.) On n'est patriote que si l'on consent à l'être à leur manière, et cette manière, vous la connaissez. Elle est aussi bruyante que fanfaronne ; elle n'a rien de la tristesse concen- trée, de la réserve liautaine et digne que recommandait Gambetta. (Vifs applaudissements à l'extrême (juuclie et à gauche.) M. Fernand de Ramel. — Nous portions les armes en 1870 et vous ne les portiez pas. M. de Baudry d'Asson. — Si Gambetta était dans cette Chambre, il vous renierait ! M. Maurice Binder. — Il y a une chose dont vous ne par- lez jamais, mais à laquelle vous pensez toujours, c'est votre portefeuille. (Bruit.) 90 i.'kxpiji.sion T)K i.'ahhi'; pkisok M. LE PHKsrnRNT or conseil. — I.o palriotisnie des nationa- listes éclate (Ml pMidles (•((lumiiiatoires et presque en provoca- lidiis an nioiiidre incident diploniatirine. 11 épie toutes les occasions de se taire valoir an\ déi)ens du ^(tn\ernement. k (|ni le respect des li'aité's iiderdil lonte manifestation de ce genre. On peut être patriote sons ostentation, et j(> prétends, (piant à moi, (pi'on l'f^st d'autant mieux ([u'on l'est sans tapage. {Applaudisnements à f/auche). J'ai parlé assez souvent à celte triliune et ailleurs de la torture morale qui nous poursuit depuis trente ans. de la plaie saignante que la France porte au liane, pour n'avoir pas à craindre que mes sentiments patriotiques puissent être suspectés. {Applaiidis- sementti à l'e.vtrème gauche et à gauche.) Je n'ai donu)' à personne le droit de croire que je pense sur ce point autrement (pie ta France elle-même, et ce que je dis de moi-même, je le dis dn Gouvernement tout entier. {Applaïufmements sur les mêmes hancu.) Mais si la France et son Gouvernement... M. Maurice Binder. — On ne peut pas associer la France et le Gouvernement. (Bruit.) M. DE Bai 1)1! Y u'Assox. — Il en viendra un qui sauvera la France! (Bruit.) M. LE F'nKsiDENT DU CONSEIL. — Si la Frauce et son Gou- vernement restent fidèles à des sentiments qui les honorent... M. w. HArniîY d'Asson. —Qui les déshonorent! (Exclama- tions ri bruit à gauclte et à l'extrême gauche.) M. LE PHKsiDENT DU coNSEii ce dernier a des devoirs impi'riêux qui lui commandent nue ciivonsix'clinn (>\trême. l'exfulsio.n de l'abbic dklsur Ul Le ualioiialisme iiïni a cuir. Il sciail ra\i d'embarrasser le Gouvernemeul. [Très bien ! très bien! à yaache.) Je saurai, quant à moi, déjouer ses calculs : je me bor- nerai à la relation des faits et, dans cette relation, je garderai la juste mesure qui m'est impost'e à la fui jiar le patriotisme et par le souci de mes autres obligations. {Ai/pluudissemenis () gauche et à l'extrême yauche.) Que s'est-il donc passé à Lunévilie ? Le rapport très détaille du sous-préfet de cette %ille \a nous le faire connaître. J'entends bien que M. Corrard des Essarts et ses amis récusent d'avance son témoignage. Mais j'ai le droit de m'y tenir jusqu'à preuve du contraire, et la preuve n'a pas été faite. Car ce n'est pas parce que M. Corrard des Essarts et M. de Ludre sont des hommes de parti, élus comme députés nationalistes par toutes les forces de la réaction, que je préférerai leurs assertions à celles dun fonctionnaire réputé jusqu'à ce jour par ses administrés pour un homme honnête et juste. {Nouveaux applaudisse- ments à yauche et à l'extrême yauche. — Humeurs au centre et à droite.) Je donne lecture du rapport adressé par le sous- préfet au préfet du département ; la pièce est un peu longue, mais elle est l'élément essentiel du débat. « Le 7 janvier dernier, M. l'abbé Delsor, députe au Reichs- tag, qui était venu à Lunévilie pour donner une conférence au cercle catholique, était expulsé du territoire français en vertu de votre arrêté en date du même jour. Les motifs de votre décision étaient basés sur ce que « cet étranger» devait prendre part à une réunion politique. Or, M. Delsor, au 92 LEXPULSION UK l'aBBÉ UELSOR moment où l'aiTêlé lui ;i été signifié, a protesté, en .'ifliimant qu'il n'était pas dans ses intentions de se livrer à une mani- festation, mais (lu'il se proposait de faire aux Alsaciens résidant à Lunéville une conférence sur les pays annexés. <. Il résulte de mes informations que la conférence orga- nisée au cercle catholique par le parti réactionnaire de\ait, au contraire, constituer une protestestation contre la ferme- ture de la chapelh» du château et contre l'interdiction en France du journal alsacien le Volksfreund... » M. Jules Brice. — Comment le sait-on ? M. LE PRÉsmENT DU CONSEIL. «... Le Véritable caractère de la réunion du 7 janvier découle des événements qui l'ont précédée. 11 convient donc de s'y reporter. A la suite d'un rapport dans lequel je vous faisais connaître qu'un journal édité cà Strasbourg en langue allemande, contenant les plus grossières injures contre les membres du Gouvernement, était vendu chaque dimanche à la sortie de la messe célébrée au château. M. le ministre de l'intérieur interdisait l'entrée en France de ce journal le VoUcsfrennd. Le correspondant de cette feuille à Lunéville était l'abbé Vary, vicaire non concordataire, chargé spécialement du service à la chapelle du château. Ce prètie recevait directement le Volksfreuml (lii'il faisait Acndiv par un colporteur et dont il effectuait lui-même le payement. Kn présence des agi.ssements de M. l'abbé Vary, vous avez cru devoir revenir sur la décision gracieuse par laquelle vous aviez laissé la chapelle du château ouverte au culte, bien qu'elle ne fût pas autorisée, et, le 29 décembre dernier, j'avisais M. le curé de Saint-Jacques de l'inlerdiction d'y célébrer dorénavant les. offices. Je me l'expulsion de l'abbé delsor 93 f;iisais leinëllrt'. en même temps, les clefs de reditlee. La chapelle du château était affectée principalement aux services dits tt allemands ». M. Tabbé Yary, qui est le porte-drapeau du i)aiti clérical de l'arrondissement et qui fait une active propagande, avait senti, dès son arrivée à Lunéville, tout le profit qu'il pouvait tirer au point de vue politique de sa qualité d'Alsacien et de sa connaissance approfondie de la langue allemande. Aussi, avail-il institué pour les Alsaciens à la chapelle du château une série d'offices au cours desquels il prononçait des sermons en langue allemande, ou, plus exactement, en patois alsacien. 11 se mettait d'autre part à la disposition de ses compatriotes en instance de naturalisation, pour leur faire la traduction des pièces qu'ils avaient à pro- duire,et cela sans exiger aucune rémunération...» (Mouveitieids divers) «...C'est ainsi qu'il a réussi à former un groupement qu'il tient dans la main et dont il dispose entièrement au moment des élections. >■ La fermeture de la chapelle du château portait un coup droit à lœuvre de l'abbé Yary; les directeurs du parti réactionnaire l'ont compris et ont résolu de ressaisir leurs lidèles par l'entremise du cercle catholique. La presque totalité de la clientèle de M. Vary fait partie de cette association, dans laquelle sont embrigadés les ouvriers, les employés et les petits commerçants... « Les organisateurs de la réunion avaient entrevu la nécessité de tenir absolument secret leur dessein, persuadés que le Gouvei'iiement, s'il élait avisé en temps utile, ne tolérerait pas la manifestation. C'est ainsi que M. l'aijbé Delsor esl descendu â la garo de Luii<''ville sans qu'aucun de 94 i,'i;.\puLsioN i)K l'abbiî delsok coiix qui lui ;iv;ii(Mit dcniaudé sou concours soit m'MU l'aUcndre et qu'il s'est reudu diivctenieut à ladressc qui lui avait été indiquée. « D'autre part, les convocations pour la conférence ont été remises le 7 au matin, alors que les ouvriers et employés étaient partis pour leur travail. La personne chai'gée de les distribuer aurait dit aune femme : « Vous ne remettrez cette lettre à votre mari que ce soir. Il faut garder le secret sur la réunion; car si M. le préfet l'apprenait, il ferait expulser M. Delsor. On va protester contre la fermeture de la chapelle du Château. » (( D'ailleurs, en dehors dee membres du cercle catholique, tous les Alsaciens qui, bien que n'appartenant pas à cette société, n'étaient pas considérés comme suspects avaient été convoqués. On ne saurait donc soutenir sérieusement que cette réunion entourée d'un si grand mystère, faisant suite à la campagne de presse dont j'ai parlé plus liant et au cours de laquelle devait prendre la parole M. Delsor, venu à Luné- ville dans les conditions que l'on sait, n'a\ait d'autre but que de célébrer les beautés de l'Alsace. « L'opinion publique est du reste lixée à ce sujet et les aflinnations de 31. Delsor et de 31. Corrard des Essarts lais- sent incrédules tous ceux qui peuvent manifester librement leurs sentiments. {Humeiir.'i et cxciamaiiom à droite et au centre. } <( 11 convient de remarquer que, contrairement à un usage courant, les cartes d'invitation ne portaient pas l'indication du sujet qui devait être traité par le conférencier. (Nouvelles exclamutioim à droite et au centre.) l'kxpulsion de l'abbé delsor 95 (' En lésuiiié, le \oyàge fait ;i Slrasbuuig par labbé \'ary, le secret gardé sur la réunion projetée, les circonstances dans lesquelles l'abbé Delsor est arrivé à Luuéville, les recoramau- datious faites par le distributeur des convocations, l'origine des personnes auxquelles elles s'adressaient, les sentiments |)ul»lics de ceux qui ont pris liiiiliative de la réunion, la pré- caution de w pas indiquci' sur les invitations le sujet que devait traiter .M. Delsor. les ternies violents employés par M. Corrard des Essarls dans son allocution permettent d'éta- blir que la réunion du 7 janvier n'était que la continuation do la campagne commencée le 3 jan\ier dans le Journal de Luné- ville, et que son but était d'exciter l'indignation des Alsaciens dont on ^oulait s'assurer le concours pour les élections nmnicipales. » {Exclamations à droite et au centre.) M. LE COMTE DE La Rochethulox. — Ylvc la liberté ! M. LE PRÉsmENT DU CONSEIL. — Voilà les faits. (Exclama- lions à droite et au centre.) M. LE COMTE DE PoMMEREU . — C'est le rapport d'un fonc- tionnaire ! M LE PRÉSIDENT DU CONSEIL — Yûus cûiitestez le rapport ? M. LE COMTE DE La Rochethulon. — Nous rc coutestons pas, mais il n'y a rien dans ce rapport ! ^1. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Viius ue coutesterez pas en tdul cas, la déclaration d'un des vôtres. Voici ce qu'a écrit M. Maurice Barrés : M. Henry Ferrette. — Je demande la parole. .M. LE président du conseil. — « Notre ami M. Corrard des Essarts et M. Delsor avaient l'intention de protester, au point de vue alsacien, contre la fermeture de la chapelle du 96 l'expulsion de l'ahbk uelsoh chàleaii àLunéville. » [Apphiadmements à t/ditclir et à l'ejc- trème gaiiche.) Messieurs, vous connaissez iiiainteuaiil les faits, lels qifiis se dégagent du iapi)ort (tu sous-prelVt. ils sont niés dans leurs parties essentielles — il fallait s"\ attendre — par la presse nationaliste. Ils sont al)solunienl coiiiiiiiies pai' la presse républicaine de la région. Tout se réduit eu substance à ceci : M. l'abbé Delsor est allé à Lunéville pour prolester contre la fermeture d'une chapelle non autorisée et lïnterdiction en France du journal le Volksfreitnd. M. DE Baudry d'Asson. — 11 a bien fait. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je retiens linteriuption. Il y est allé pour faire de l'agitation au cercle catholique parmi les Alsaciens-Lorrains, eu vue des élections munici- pales, " contre le maire républicain de Lunéville, (jui a été concurrent aux dernières élections législatives de M. Corrard des Essarts. (^Exclamatmis et rires ironiques à gauche.) M. le COMTE DE La Rochethulon. — N'ollà de la belle poli- tique, grande, généreu.se et lépublicaine! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Il CSt dOUC liatUI'el QUO M. Corrard des Essarts aspire à le déposséder de la mairie pour être plus assuré de le battre aux élections futures. {Applaudissements à yauclte. — Rumeurs ciu centre.) Les nationalistes auront beau dénaturer les faits, ils auront beau parler d'un projet de conférence douce et pacifique. S'ils sont dans leur rôle, en adoptant cette attitude, ils ne peuvent la prendie qu'à la condition de travestir absolu- ment le caractère du conférencier, bien connu pour sa farou- l'expulsion dk l'abbé DKLSOR 97 elle iiilraiisigeaiife, (|iii lui a \alii. ('ulit' aulivsdesaiUi'émenls, nue coudauiuatiou à trois uidis dr piisou. [Exclamations au centre et àjtroite.) M. Adrien La.n.nes ok Monïebellu. — Ku Allciuague. M. le comte de La Rochethilon. — Cr lauyaye esl inac- ceptable ! M. Geokges Leygles. — Je deuiaude la parole. {Applau- dissements au centre et a droite.] M. Dalzon. — Je la demande égaleuicul. .M. LE comte de Pomekel'. s'adressnnt a M. te président du conseil. — ('/est à Berlin qu'on lient ce laiiyajie-là ! Au centre. — C'est un argument allemand. (Hrnit.) .M. LE puésident du conseil. —Les défenseurs de M. labbé Deisur. qui le glorifient volontiers de ses trois mois de prison, ont imaginé de dire que la condamnation aNait été motivée pai- Tallure politique... M. Chaules Benoist. — Voulez-vous me permettre un mot, monsieur le président du conseil? (Exclamations à Vexirème (/(furlie et à (jauclie.) A Vextrème ucuclie. — Faites- vous inscrire! M. AiusTiDE Bbiand. — La Constitution n'est pas eu danger! (On rit.} M. i.E président du conseil. — Je disais que les défenseurs de M. l'abbé Delsor avaient imaginé de dire que lacondamnation avait été molivée par l'allure pijlitiquement indépendante du député. 11 n'en est absolument rien. Cette condamnation a été prononcée pour outrages à unautre culte. L'article poursuivi se n'sumait dans cette idée maitre.sse. (pie la |)rostitution est 98 l'expulsion de l'abbé delsor rabontissenieiit natmvl cl logique du protestantisme. (Mouve- iiiciih divers.) M. PRACHE. — (l'est t'iicoiv Mouthou (\n\ Vdus a glissé cette ealoinuie ! M. LE COMTE OE LA KOCHETHULOX. — ("/esl (lu >I()Ulll(lll enragé. {On rit.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je cite les deux dernières phrases de l'article. (Bruit à droite.) M. Maurice Binder. — Lisez-les en allemand ! M. DE Baudry d'Asson. — Oui, lisez en allemand, puisque, après avoir renié Dieu, vous reniez la France! (T/v'.s- hien ; très l)ien ! à droite. Bruit à gauche.) M. LE président du conseil. — Je cite les deux dernières phrases de Farlicle. {Nouvelles interruptions à droite.) Aux systèmes mis en pratique contre le Gouvernement, il faudra ajouter désormais celui qui consiste à l'empêcher de parler. « Les souteneurs et les courtisanes, dit textuellemeul l'abbé Delsor à la lin de l'article, ne sont pas de mauvais probes- tants : ils sont des protestants logiques ». A youche. — C'est honteux ! M. LE président du conseil. — Tel est rhomine dont les nationalistes ont voulu faire un conférencier animé par l'esprit de douceur et de paix. J'aborde le traitement infligé à M. l'abbé Delsor par l'au- torité préfectorale. Ouel(|ue méi'ité que fut ce traitement au regard de la personne qui l'a subi, on peut regretter que M. le Préfet de Meurthe-et-Moselle, au lieu de recourir immédiatement à l'expulsion de l'abbk delsou 99 l'expulsion, ne se soit pas arrêté — coinnie il eu avait niaui- festé l'inteutiou tout d'abord dans sa conversatiou téléphonique avec les employés de la sûreté générale — qui l'ont mise par écrit — à une menace d'expulsion. La menace aurait certai- nement produit le même eflet. celui d'empêcher fagitation projetée, et le préfet de Meurthe-et-Moselle ne se verrait pas accusé, tout Lorrain qu'il est et se glorifie d'être, d'avoir pris [)laisir à molester un habitant de cette Alsace, qui tient à notre vie morale par It^s libres les plus intimes du coeur. [AppUmdmoments à Vextrème yauche et à gauche). J'ajoute qu'il n'aurait pas été conduit non plus à laisser tomber de sa plume dans la rédaction de l'arrêté d'expulsion, des mots pénibles à écrire el tout aussi pénibles à lire [Tiès bien ! très biini !), parce qu'ils éveillent dans nos âmes un contraste douloureux entre les plus nobles sentiments et la réalité des choses. [Vif'^ (ipplaudmemenU à unuche et à Vextrèinr uinirhe). A (livitr. — Très bien I révoquez-le M. DAizdN. — C'est toute la Chambre qui devrait applaudir ! M. le comte de la Rochethulon. —Dites cela à M. Jaurès et à M. (le Pressensé ! M. PiiACHE. — Si le préfet avait été révoqué, nous aurions applaudi. M. lecomteuelaRochethulox. — Oui ! monsieur le prési- dent du conseil du conseil, révo(|uez-le. et nous applaudirons î M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Mais, uiessieurs, pour être jnsle, je dois déclarer que le libellé dont le préfet de Meurthe- et-Moselle s'est servi est le libelle traditionnel, la formule en usage depuis trente ans. 100 l'expulsion de l'abbé delsou 11 ïi'fsl t'k'M' dans la, prt'sse duppusilidii un xcrilal»!)' crtiicert de rccriiiiiiialioiis contre deux expressions cnipittyoes dans cel arrtMé : «sujet allemand)) et «étraniicr ». .1 droite. — H v a\ail dr quoi sMndi^ncr ! M. LE PHKSiDENT DU CONSEIL. — Cette indignation est Www tardive (Vifs applKudissemevh à (/aarlii' cl à l'e.ilihnf ((tmclie.) M. Jules BincK. — ('.oiiunnit ! Kllc ;i celait' des le Irudc- niain. M. LE PKÉsiDENT DU CONSEIL. — Pourquoi ne sVsl-t'Ilc i)as fait entendre plutôt? Voilà Ircnic ans que. i)oui' la icj^nlarilc des pièces olticielles. tons les arrêtés, d'expulsion iiortcnt ces deux expressions. J'ai consulté tous ceux qui son! cniancs dn ministère de l'intérieur. Il n'en est pas un seul dans UmiucI ne se trouvent ou les deux expressions ou tout au moins l'une de ces deux expressions. Ces arrêtés portent les signatures de tous les ministi'es qui se sont .succédé place Beauvau. (Aitplun- dmementH et rires à Vextrème yanche et à (/auclic.\ C'est M. Dutaure lui-même, dont, je pense, vous ne sns|»'(- terez pas le patriotisme, qui. en 1872, dans une circulaire adressée à tous ses procureurs généraux, a indiqut' cette expression •« sujet allemand» comme devant ligurer dans les pièces d'extradition. Tous les arrêtés pris depuis lors parle ministère de l'intérieur contre des Alsaciens-Lorrains men- tionnent la nalionalit(' allemande on la (|nalit(' d'étraujier. Sans renumler au delà de i«s7, je |)uis cerliller (|ue j'ai retrouvé au ])as do ces arrêtés les signatures de Ions les ministres: MM. Fallières. Sairien, Constans, Btmrgeois. Lou- l>et, Ril)ot {Ali! ah!}. Cliailes l)upu\ . Hartlion. IJrisson. l'expulsion di: l'abbé delsok 101 Leygues (Applaudissements et rires à i/auche) et Waldeck- Roiissean. Ainsi tous les ministres de liiitérieur se seraient rendus coupables d'un acte antipatriotique ! Mais j'ai plus à dire. Parmi ces ministres, il y en a un qui est all(' i)lus loin. 11 ne lui a pas suffi de se plier à la loi impi- toyable du sort et de se conformer à la letti'e inexorable d'un traité. De sa seule autorité il lésa aggravées. Sans hésitation, de son propre mouvement, il a effacé l'Alsace de la carte de l'Europe. D'après lui, les Alsaciens qu'il a expulsés ne sont plus des Alsaciens; ils ne sont plus nés, l'un, à Bischwiller (Alsace) et l'auliv. à AVeiterswiller (Alsace). Ils sont nés, l'un, à Bischwiller (Allemagne) et l'autre à Weiterswiller (Alle- magne). (ApiHaïulisseinents et exclamations à (janclte et à l'extrême gauche. — Mouvements divers.) Ce ministre de l'intérieur, pour qui l'Alsace, en tant que région, a cessé d'exister, c'est votre chef, messieurs de l'oppo- sition, c'est M. Ribot! {Applaudissements vifs et répétés à oauclie et à l'extrême gaucfie.) M. LE COMTE DE L.A. RocHETiii f.oN. — Et ce sout Ics inter- nationalistes qui applaudissent ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. —Ah ! jncssieurs, jecompreuds maintenant pourquoi M. Ribot était si pressé d'en finir avec l'expulsion de l'abbé Delsor. Je comprends pourquoi, jeudi de la semaine dernière, il me sommait de monter h cette tribune et de m'expliqiier sans plus ample inforuK'. (}snureauxapplan- dissements sur les mêmes bancs.— Bruit au centre et à droite). M. Maujan. — Et ce n'est pas à Berlin (pic \ous avez pris ce renseignement! C'est au ministère de l'inti'rieur. 102 l'expulsion dk l'abijk dki.sou M. K[U0T. — Je dcniaiulc l;i i);inil('. M. LK piuisinENT i)i; coNSKiL. — .M. Hihol s;iv;iit (juil y avail (iiii'l(iiic p.irt. ciiroiiis dans nu ("irtoii, deux arrêtés d'expulsion.... {Vifs (tiJiJlaïKliHs&ments à (lauclie et à Vextrème (/(iKClte. — Intt'n notions el hrnit (in cciilrc et a droite). M. RiHOT. — Oh! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — .... OÙ eelle \ieille terre d'Alsace, objet de nos souvenirs passionnés et de nos regrets amers... [Vifs (iiifddiuiissemenls à ((auciie, à l'extrême f/auclie et sur (tirers Ixnics. — liilerriii)tions à droite). M. GiNoux Defehmon. — Adressez-vous à M. de Presseusé. M. Mauiuce IJlnueu. — Vous vous y connaissez pour dou- ner le change ! M. LE PuiisiDENT DU CONSEIL. — .... a pcrdu inonientaué- nienl. sous s;i plume, le peu (pii lui restait de son passé, son nom et son expression géographi(iue. Ces arrêtés, il ne cou- \enait |)as à la sérénité du patriotisme de M. Ribot.... {Vifs opi)lnndii>taudissements à (lauctie et à l'extrême (jauclie. — Réclamatiun<, au ceuire et à droite.) Fermellez, messieurs! J'ai élc athupié. la semaine dernière, de la manière la plus outrageante et la |)lus injuste. (Apptau- dmemenls à l'extrêuie {/auclie et a ijauclici 104 l'expulsion de l'aube delsor Je m'adresse maintenant à M. Lemire. M. Lemire, dans nn accès d'indignation [Bruit adroite) que, par politesse, je veux croire sincère... M. LE COMTE DE LA ROCHETHILON. — Alli'Z \ DUS l'eXpulser aussi? (Brnif.) M. LE PRÉsmENT DU CONSEIL. — Il paraît qu'il n'y a ici que le président du ((Hiseil ((ul ifail pas le droit de parler. [Bruit à droite). ' • A droite. D'après le règlement, on interpelle les ministres, mais non les déimti's. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je m'adresse à M. Lemire, parce que M. Lemire, à cette triiiune. m'a demandé de l'air le plus sérieux du monde, avec une indignation que par politesse je veux croire sincèn\.. (Applaudissements et rires à gancfie. — Vires réclamations à droite et au centre. — Bruit prolonué). A droite. — A l'ordre ! M. LE PRÉSIDENT. — M. le président du (.-onseil dit qu'il veut croire et qu'il croit sincère Tindigiiation de M. Lemire. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je vcux aller plus loin ;ï l'égard d'un adversaire comme M. Lemire, et s'il se croit atteint par les mots (pie je viens de prononcer, je suis prêt à les retirer. M. Lemire m';) dem;ind(', sur un ton qui n'était p."- celui (le sou habituelle courtoisie, si, en expulsant Tabbé ' '.sor, j'avais vouhi atteindre et dc'chirer sa robe de prêtre. Ce ont i»ien là ses expressions, autant qu'il m'en souvient. ]\L Lemire, votre question vient trois ans trop tard. Tournez-vous du côté du centre, je \(His prie, et demandez l'expulsion de l'abbé delsor lOo aux ministres du cabinet Wakleck-Rousseau, ici présents, s'ils ont Youlu salir ou déchirer la robe du prêtre, lorsquils ont expulse un Lorrain, l'abbé Michel, curé de Vi()nvill(\ (Vifs applaudmemeiils à yancJic et à Vc.vlrèiiw (janche. — Jiriiit à droite.) Pour en revenir à la formule des arrêtés d'expulsion, regrettons, je la veux bien, (|u>lle ;iit pris naissance en 1872, au lendemain du démeml)i'eraentdu territoire et alors que la plaie était la plus cuisante... M. LE lieutenant-colonel Rousset. — Elle lest encore. ]\L Dauzon. — Qui dit le contraire ? M. LE PHKS1DENT DU CONSEIL. — ...regrettons, si vous vou- lez, qu'elle se soit maintenue jusqu'à ce jour. Mais, de bonne foi, y avait-il lieu d'y déroger pour M. l'abbé Delsor, alors (ju'on y a\ail dérogé pour des Alsaciens Ifieii plus méritants que lui, notamment pour le député Bueb? {Vifs applamlisse-_ ments à l'extrême gauche et à gauche.) M. LE COMTE DE La Roghethulon. — Il ii'était pas Alsa- cien ! A gauclw. — Si ! si ! M. LE coxMTE DE La Rochethulon. — Sou père était Alle- mand. M. Gérault-Richahd. — 11 était de Mulhouse. M. LE président du conseil. — Les journaux modérés de l'époque, qui mènent aujourd'hui contre le cabinet une cam- pagne si violente, ont pris gaiement leur parti de l'expulsion du député alsacien Bueb. - {lulerruiilidiis à ilroih'.} l'expulsion de l'abbé delsor 107 A vous, messieurs les boulangistes ! {Applaudissements à (jnuche et à l'extrême gaucfie). « Cette pourriture qu'on a enfouie à Bruxelles est sortie des entrailles mêmes de la République. C'est la majorité républicaine qui a élevé sur le pavois ce soldat menteur, ce ministre brouillon, ce patriote aliéné. Le suicide est toujours une tache. Boulanger l'a rendue plus honteuse. Il s'est affaissé dans la fange et, chose triste à dire, sa famille s'y est affaissée avec lui. Le fait qu'une fille ait osé déposer une couronne sur la tombe d'un pareil père est un outrage à la conscience publique. » {Bruit et exclamations à gaucfie.) M. Jules Auffbay. — C'est abominable ! M. le président du conseil. — « On se salirait en disant : Paix à ses cendres ! « Paix à cette boue ! » Voilà la seule épitaphe que mérite une tombe de cette espèce. » Je livre cet article aux méditations des députés nationa- listes. {Vifs applaudissements à gauche. — Interruptions au centre et à droite. — Bruit.) La France de Carnot est à peine moins maltraitée à propos du voyage du Président de la République à Nancy : « Le spectacle donné par les Français à cette occasion n'est guère celui d'un peuple libre et républicain; à voir ces masses se précipiter sur la route, ses généraux, ses préfets, ses ministres du culte aplatis devant le maitre et l'encensant comme une idole, on se croirait en plein Orient, en présence de cette race d'esclaves qui se prosternent pour avoir l'hon- neur de recevoir un coup de pied du cheval du pacha en pèlerinage vers la Mecque ». 108 l'kxhi LsioN i)i; l'abbk DKLSOII M. rahhc Dflsor se smpassf' on fait (liiisolcnct' ci de cynisme, (|ti;ni(l il iw^c Id'inic de Jules Ferry; « Le |)eiiple fi"iii(:;iis a la in('inuire (•(Hiile : .Iules Feri\ , aulrelbis ahlioiTi', es! m.iiiileiiant un lieids ci une liansse formidable s'est produite sur hs oijinons \umi lournii- toutes les larmes exifi'ees par la franc-maçonnerie gouveinementale. Les pleurs (pron verse sur lui me font rire, les éloges ipion en fait sont grotesques et, s'il fut le plus gi-and iionune de toute la clique, c'est donc que les autres sont bien petits! « On lappelle le « Père de la patrie ». Singulier papa, (|ni pendant le siège de Paris nourrissait ses enfants avec de la sciun^ de bois, pendant, (pie son compère (iambelta les chaussai! avec des souliers de carton et ()ue tons deux, ainsi que les Renan, les Dumas, les Goncourl et auti'es. se truffaient le ventre chez le roi des tiaiteurs de la capitale aflauK'^e. » {Exclamations à (fauche. — 1 nterniptions à droite et nu ceiiln'.) M. François Fouhmeh. — Voilà le patriote! M. (iusTAVE RouANEï. — Voilà le héros! M. Lamendin. — C'est cela le langage évangéli(pie ? M. LE PKÉsiDENT vv CONSEIL. — Veuillez écouter. Nous auriez tort de peidre une seule syllabe de cet article : « Une ce patriote hypocrite, adulé par les gens de Paris et des Vosges, tende l'oreille : il entendra les malédictions des mères alsaciennes réclamant leurs fils, les soldats de la légion étrangère, (jue. pour enrichir ses fivres et beaux- frères, il lit assassiner an Tonkin. » (Exclamntionxà gauche. Interruptions à droite.) Messieurs, rapprochez le langage que vous \enez d'en- (endre d(M-elui ([ne M. i'abbe Uelsor a tenu en flmuiieur de l'kxpulsion de l'abbé delsor 109 IVnipereiu- d'Allemagne, et concluez. Vous voyez ce que vaut le personnage. (Vifs applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.) M . Lucien Millevoye — 11 ne peut se défendre à la même tribune que vous ! A l'extrême gauche. — Défendez-le ! M LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Quaut au joumal le Volhsfreund, qui a mérité les félicitations de M. l'abbé Del- sor, c'est une feuille hebdomadaire, qui était expédiée par ballots au\ prêtres du département de Meurthe-et-Moselle et distribuée par leurs soins aux lidéles de la main à la main. Vous aurez une idée des passions haineuses qui inspirent ce journal par trois extraits, tous les trois fort courts. C'est d'abord un intitulé d'article qui vise le président de la République, un simple intitulé; mais il en dit long. Le voici : « Loubet le misérable. » {Exclamations à gauche. — Interruptions au centre et à droite. — Bruit.) C'est ensuite un article contre un membre du cabinet : «. Le socialiste Pelletan est un escroc. 11 y a quelque temps, il se laissait corrompre avec quelques milliers de francs. On l'a invité à se disculper. Jusqu'ici il n'y a pas réussi; son patron Loubet se tait également et signe l'insensé décret contre le vaillant amiral Maréchal. » (Bruit à gauche et à l'extrême gauche .) Voici le troisième extrait, dont la Chambre dégustera la saveur : « Le Volskfreund a été l'objet d'une grande distinction. Le fameux, le crapuleux persécuteur des chrétiens. Combes... M. DE Baudryd'Asson. — Bravo! bravo 1 (On rit., G. - 4. 110 l'expulsion de l'abbé delsoh M. LE PRÉSIDENT DU (CONSEIL. — << ... a iiitcrdit notre publi- cation en France... « Nous nous estimons heureux d'être devenus la victime de cet odieux oi satanique persécuteur. Ce Néron niod(!rnt^ verra lui aussi sa défaite. » A votre tour, messieurs de la gauche : « Un tas de vauriens, .socialistes et radicaux... » {Excla- mations et rires à gauche.) M. BussiÈRE. — C'est le langage évangélique. M, LE PRÉsn)EXT DU CONSEIL, s'adressttnt à la yaiiche. — Vous m'interrompez au moinenl le plus llatteur pour vous. {Rires à gauche.) «Un tas de vauriens socialistes et radicaux siègent ;i la Chambre et au Sénat, tyrannisant le pays. Ces crapules ont la liberté, mais non pas les bons... » M. DE Baudry d'Asson. — C'est \rai ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ((... Les luauvais jour- naux de l'étranger sont libres, et non le Volksfreund, parce que celui-ci est une bonne feuille catholique. (Rires à gauche.) « Jusqu'à quand les Français se laisseront-ils tyranniser par un aussi ignoble personnage ? » Cette lin est «'iicore poui' moi. {Nouveaux rires.) Voilà, messieurs, le journal dont l'abbé Delsor se propo- sait de faire l'apologie au cercle catholique de Lunéville. M. François Fournier. — C'est la mentalité catholique. M. le président du conseil. — Messieurs, après ces diverses citations du journal de M. Delsor et du Volksfreuud, la Chambre sans doute se jugera suflisammeut éclairée... A gauche. — Oui! oui ! l'expulsion de l'abbé delsok m .M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je l'evieiis, en fiiiissaiit, à l'objet direct des iiiterpellati(jiis et je fais remarquer à la Chambre que. si le préfet de Meurthe-et-Moselle est attaqué avec une violence inouïe par les feuilles de la réaction, ce n'est pas tant parce qu'il aurait manqué de mesure dans un acte administratif, c'est surtout parce qu'il s'est rendu odieux... M. JvLES Brice. — C'est le mot, M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... au parti clérical de son département par ses convictions fermement républi- caines... {Applaudissements à l'extrême (fauche et à yauciie) et par .son énergie à appliquer les décisions de la Chambre, relativement aux congrégations. [Afi ! ah .' sur divers bancs au centre et à droite.) M. Gervaize. — Votre préfet est le meilleur de nos auxi- liaires; c'est le roi des gaffeurs. M. LE président DU CONSEIL. — Rappelez-vous les mani- festations violentes, les commencements d'émeute qui ont eu lieu, à ce propos, dans les environs de Nancy. M. Corrard des Essarts et ses amis ne les ont pas oubliés. Les nationa- • listes de Meurthe-et-Moselle assouvissent en ce moment, sur le préfet de ce département, une rancune politique, qui se décore du beau nom de patriotisme. Cela dit. Je ne prolongerai pas davantage le débat. J'ai formulé, en ce qui touche nos sentiments, des réserves suggérées par le patriotisme et d'impérissables souvenirs. C'est à la Chambre de décider si elle veut suivre les interpellateurs dans leur stratégie à peine masquée contre un ministère qui a eu le tort impardonnable d'engager réso- lument, à la tète d'une majorité fidèle... (Exclamations au 112 l'kxpulsion de l'abbé delsor centre. — ApphmcUssemenls à gauche et à l'extrême ijanche] une bataille d('cisive conlie la rt'action cléricale ei le iialio- iialisme ! iApplau(li. tenir un relèvement de salaires, que la mévente des vins, en 1901 et 1902, avait singulièrement abaissés. DES OUVRIERS AfiRIGOLES DU MIDI 115 M. Maurice Binder. — Par Je temps qui court, tout le inonde demande des relèvements de salaires. {Exclamations à gauche.) M. le Président. — Veuillez garder le silence, monsieur Binder. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Par l'effet de cette mévente les salaires étaient descendus à un taux tel que les ouvriers ne pouvaient subvenir à leurs besoins. M. Jaurès. — C'est vrai. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Au licu des 3 fr. ou 3 fr. m et même o fr. qu'on payait autrefois, lorsque le Midi bénéfi- ciait de la destruction des vignobles dans d'autres régions, les propriétaires ne payaient plus que des salaires insuffi- sants, 2 fr., 1 fr. 7o et même 1 fr. 30. Ils n'avaient pas ren- contré de résistance de la part des ouvriers, 'qui sentaient très bien que leurs intérêts étaient solidaires des intérêts du patron. {Applaurlmements à gauche.) Si l'on tient compte, d'autre part, des journées où l'ouvrier du Midi ne fournit aucun travail, on ne s'étonnera pas que son gain annuel ne dépasse pas la somme de 300 ou 600 fr., avec laquelle il doit nourrir toute une famille. On comprendra que, lorsque cet ouvrier s'est aperçu que, grâce au prix élevé du vin, le propriétaire non seulement couvrait ses frais, mais réalisait des bénéfices importants, il ait eu la pensée de demander qu'on revînt sinon aux taux élevés d'autrefois, au moins à des taux raisonnables. (Très bien! très Ment à Vex- trème gauche et sur divers bancs à gauche.) M. Lamendin. —C'est de toute justice. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Uu inoyeii. uu seul .-^'offrait 116 LES GKÈVES à lui : c'était l'entente avec ses conipagnoiis df (ravail. Dr là la formation de syndicats locaux, et, partout où ces syndicats n'existent pas, la formation de groupements nommant des chefs et leur donnant mandat de négocier avec les patrons. Ceux-ci n'acceptant pas inniiédiatement les propositions des ouvriers, la grève fut déclarée. Elle commença par la petite comnuuiede Lésignan. Vingt ouvriers occupés dans une pro- priété annoncèrent au patron (jue.s'il ne décidait pas à relever les prix, ils cesseraient le ti-avail. De ce fait, ils se mirent en grève. Ce fut l'affaire d'un jour. Le pi'opriélaire céda au bout de vingt-quatre heures et consentit au relèvement demandé : 2 fr. f)0 pour six heures de travail. {Mouvements divers.) An centre. — Pour siK lienrcs ! M. Fh.\nçois Fournier. — Cela fait dix sous de l'heure; vous ne vous en contenteriez pas, messieurs. M. Jaurès. - Il n'y a rien là de surprenant. Lisez l'enquête du Musée social. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — On a parlé d'une organisa- tion préparée de longue date en vue de cette grève. Il n'en est lien. Jai indiqué connnent elle est née et j'indique pourquoi elle a di\ se propager. C'est par la contagion de l'exemple. La comparaison de la tache dhuilc trouve ici sa place. Les ouvriers d'une conunune ayant léussi à obtenir un relèvement de salaires pai' une menace de grève, ou par une grève de vingt-quatre heures, la conunune voisine les a imités et ainsi, de conunune en conunune, le mouvement s'est géné- ralisé. .Mais il s'est g(Miéralisé de la façon la plus pacidipie et DliS OUVRIERS AGRICOLES DU MIDI 117 la plus Innocente. Dans la i)]npart des conimunes. la grève a à peine duré deux ou trois jours. J'ai dit que, prise dans son ensemble, elle avait été paci- liqiie, autant que peut l'être une grève. Elle a été pacifique dans la pensée qui l'a fait naître, comme aussi dans ses moyens d'action. C'est la raison qui me faisait tout à l'heure souhaiter qu'elle servit de modèle aux autres. Ah! sans doute, je souhaiterais encore plus qu'il n'y eût jamais de grèves, et, s'il était possible de régler les conflits entre le capital et le travail, de concilier leurs intérêts sans cessation de travail, nous serions unanimes pour approuver toute mesure législative qui amènerait un pareil résultat. Je doute qu'il soit possible d'en arriver là. La grève est entrée dans notre législation avec la loi de 1884. Personne ici n'oserait proposer de re\enir sur cette loi qui a créé les syndicats. En les autorisant, vous vous êtes engagés à leur laisser leur liberté légitime d'ACiion. (Très bien I très bien !) M. Fernand Engerand. — La loi de 1864 la leur a^ait donnée. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La lol de 1884 a abrogé les lois antérieures sur les coalitions. Par conséquent, elle a permis l'action collective des syndicats. La grève est un résultat naturel de cette action collective. Nous sommes unanimes, je l'espère, à maintenir la loi de 1884. (Très bien! très bien!) Nous devons, par conséquent, envisager ses consé- quences et une de ses conséquences, c'est la grève comme moyen de défense des intérêts ouvriers. Encore une fois, je serai d'accord avec les plus timorés 118 LES GUÈVKS d'ontre vous pour souhaiter qu'il n'y ail plus de grèves. J'espère même que, lorsque la classe ouvrière, d'un C()U\, la classe patronale, de l'autre, auront fait pendant quelque temps encore l'apprentissage coûteux et pénible de ce moyen d'action, l'une et l'autre seront mieu\ disposées et s'iiahitueronl à discuter leurs intérêts sans aucun conflit, sans l'appauvrisse- ment commun qui est au bout d'une cessation de travail. {Applaudissements à (/anche.) Pour le moment, je dois me restreindre à l'objet même de l'interpellation. La grève agricole du Midi, en dehors de quelques faits sur lesquels je vais m'expliquer, se distingue par ce caractère d'être aussi modérée et aussi bien conduite qu'elle peut l'être, d'avoir un but nettement déterminé, dont M. Lasies a reconnu lui-même la légitimité, et de ne recourir qu'à des mesures normales et régulières. Permettez-moi, messieurs, de déclarer à ce propos que, dans cette grève, le rôle de l'autorité n'a pas été le moins du monde celui qu'on a prétendu. Dans un article que vous avez pu lire, sous la signature d'un ancien président du conseil, on fait un grief aux préfets d'être intervenus d'eux-mêmes dans le conflit. On leui' attritme une inmiixtion déplacée, des sentiments autoritaires, contre lesquels je proteste. On a prétendu qu'ils s'étaient imposés, par une sorte de coercition morale, aux propriétaires des vignobles. Messieurs, rien n'est moins exact. J'imagine que, pour se tromper ainsi, l'ancien président du conseil a été renseigné par un de ses anciens collègues, dont je vous ferai connaître le rôle véritablement extraordinaire. Les préfets n'ont d(»nné leur (•(Micmirs. s.iiis cxccplioii. DES OUVRIERS AGRICOLES DU MIUI 119 qu'à la demande expresse des ouvriers et des patrons et souvent des uns et des autres. Sans doute ils ont fait entendre — c'était leur devoir — par eux-mêmes ou par leurs délégués, des conseils d'apaisement et de conciliation. Va-t-on leur eu faire un griéf ? Quand M. Lasies me demandait d'intervenir d'une façon quelconque pour empêcher dans l'avenir les maux qu'il prévoit à tort, je l'espère M. Lasies. — Je souhaite d'avoir tort. M. LE président du conseil. . . .par cela môme il acceptait comme légitime l'intervention de mes agents, préfets et sous- préfets. Je le répète, les préfets n'ont fait sentir leur influence qu'à la demande des patrons ou des ouvriers. ( Très bien l très bien !) Voilà la vérité, tant sur la marche de la grève que sur l'attitude des autorités préfectorales. Il y a eu cependant quelques faits regrettables (Ah t ah l à droite] ; mais ils ont été singulièrement exagérés et quelques-uns tout à fait dénaturés. Je prends les trois ou quatre principaux, qui ont été cités par M. Lasies. M. Lasies a dénoncé des entraves apportées à la liberté du travail, et, parmi ces entraves, il a cité les fameux laissez- passer, exigés des personnes qui voulaient circuler librement. Le fait des laissez-passer est exact. Mais il n'est vrai que de certaines localités. Je ne pense pas que M. Lasies ait pu entendre dire qu'il avait eu lieu dans toutes les communes. M. Lasies. — Dans presque toutes. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'cst uue errcur, et je vais vous dire pourquoi il n'était pas possible que le fait se pro- duisit dans un grand nombre de communes : c'est que dans 120 LKS GUKVKS la très grande majorilo des communes la gviixo n'a dure qu'un Jour ou deux. M. Lasies. — Le lail sesl produit dans la plupart des communes où la grève a été déclarée. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Mals, mcssleurs, comme le fait est blâmable en lui-même, peu importe qu'il ait ('té plus ou moins commis. Je répète, en tout cas, qu'il a été une exception. Constituait-il vraiment une entrav<> siTieuse à la liberté de circulation ? A droite. — Pas plus que les ineendi(S. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous m'obllgcz, puisque vous ne vous contentez pas de mon affirmation, de produire devant vous un témoignage qui ne vous sera pas suspect. Je l'extrais du rapport du capitaine de gendarmerie de l'arron- dissement de Béziers. C'est cet officier qui était chargé de surveiller les communes où M. Lasies a relevé les actes, selon lui, les plus répréhensibles. Son rapport contient des renseignements détaillés sur toutes ces communes. Nous pouvons nous y tenir, puisqu'il les a fait visiter journellement par ses gendarmes. c< Le matin même du jour où la grève était déclarée et à la première heure, les grévistes se réunissaient, selon le cas, soit à la bourse du travail de Béziers, soit au siège du syndi- cat, soit sur la place de la mairie, et se formaient ensuite par groupes, dont la force variait selon le nombre des grévistes. Mais généralement les groupes se composaient de quinze à vingt ouvriers. Ces groupes, placés sous les ordres d'un chef, se rendaient ensuite aux abords des coinnuines en grève et .s'installaient sur les chemins aboutissant à ces communes DES OUVUIERS AGKICOLES DU MIDI 121 Les postes ainsi formés avaient pour mission : 1° de dissuader les ouvriers qui n'avaient pas encore adliéré à la grève de continuer à travailler aux anciennes conditions... » (Inter- raptions à droite.) M. Jaurès. — C'est un droit absolu. M. Lasies. — Je ne proteste pas contre cela 1 M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. - J'allais dire que c'était leur droit. (T)rs bien lires bierHà gauche et l'extrême gauche.) « 2° D'engager les ouvriers à faire cause commune avec les grévistes, de façon à donner plus de forces aux revendica- tions de ces derniers [Très bien .' très bleu! sur les mêmes bancs) . Mais ces postes n'étaient guère installés que pendant le premier ou le second jour de la grève et, souvent même, ils étaient retirés au bout de quelques heures. » [Interruptions à droite.) Messieurs, ce n'est pas un rapport de préfet que je lis, c'est un rapport de capitaine de gendarmerie. {Rires et applaudis- sements à gauche et à Vextrême gauche.) a Par suite delà présence de ces postes, 11 a pu se produire que des ouvriers, qui n'avaient pas au début l'intentiou de faire grève, y aient été moralement obligés. » [Exclama- tions à droite.) Messieurs, après avoir interdit aux grévistes l'action maté- rielle, voulez-vous leur interdire l'action morale ? (Applau- dissements à gauche.) M. Lasies. — Je ne leur ai rien interdit ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — « Mais il y a lieu d'ajouter que chaque fois qu'un de ces ouvriers, ou un charretier, ou luie i)ersonne, quelle qu'elle fût, a voulu passer quand même, 122 LES fi H KV ES il iiVst pas à ma ('onnaissancc (iirellc nail |)as pu passer, soil avec le conseil tenieiit des ouvriers composa ni ces postes, soit sur l'intervention des autorités locales ». On a mis en cause les autorités locales; aussi je lis celle (inale avec plaisir. « Les gendarmes de service dans les communes en grève ont déclaré qu'ils n'avaienl jamais constaté' de refus, de la part de ces postes, de laisser passeï' des (nniiers ou d"autres personnes. « Quelquefois cependant, mais très rarement, quelques personnes ont demandé l'assistance de la gendarmerie pour traverser les postes précilés. Mais les gendarmes n'ont même pas eu besoin d'intervenir pour faire passer les personnes qui le désiraient réellement. les grévistes agissant par la persuation et non par la force. (Applaudissements à Vextrème uaHChe.) « Ouelques incidents se sont produits devant ces postes, mais ces incidents, dont les plus importants sont signalés ci-dessous » — c'est là que se trouve un des cas cités par M. Lasies— « ramenés à leur juste valeur, n'ont pas l'impor- tance qu'on leur a donnée ». J'avais donc raison de dire que ces entraves à la libelle du travail n'ont |)as dépassé certaines limiles. Elles sont i-epréhensibles, je le répète, même dans res limites, mais elles sont loin d'avoir produit l'effet qu'on leui' a arbitraire- ment donné. M. Lasies a cité, dans le même ordre d'idées, un cas par- lirulier. survenu, si je ne m'abu.se, dans la propriété de Al. du Lac, à Villeneuve-les-Héziers. Des grévistes seiaienl DES OUVRIERS AGRICOLES DU MIDI 123 allés débaucher les ouvriers dans les vignes et, pour y parvenir, ils auraient usé de violence. Je répondrai encore à cette assertion par le rapport du capitaine de gendarmerie. • « Avant de se mettre eu grève, les ouvriers de Villeneuve avaient chargé une commission de faire connaître aux pro- priétaires leurs demandes, dont la principale était la sui- vante : « Gagner 2fr. oO pour six heures de travail «. C'était un relèvement de 50 centimes. Messieurs, je me suis trompé de feuillet. Ce que je lis ne se rapporte pas à M. du Lac, mais à un autre propriétaire, M™« Martin. Je continue néanmoins ma lecture, parce que M. Lasies vous a entretenus aussi de cet incident, et c'est à ce propos que je lui ai demandé le nom de la commune. 11 s'agit aussi là de l'entrave apportée par des grévistes au libre fonctionnement d'un ménage de propriétaires. (Excla- mations et rires.) Messieurs, je dois défendre toutes les libertés et celle qui vous prête à rire est certainement une des plus précieuses à tous les ménages. [Nouveaux rires et npplauilissem'ents.) « La plupart des propriétaires acceptèrent ces demandes. Mais seize propriétaires n'ayant pas, le 20 décembre 1903, fait connaître leur réponse, les ouvriers, au nombre de 350 sur 400, qui assistaient à une réunion qui eut lieu à cette date, décidèrent de se mettre en grève le leudemain 21 décembre. Le 22 décembre 1903, tous les propriétaires, sauf M"'' veuve Martin, adhérèrent aux demandes des ouvriers — » Voyez! Ce n'est même pas un ménage; il s'agit d'une veuve. (Hilarité.) 124 LUS GRÈVES (I (i le ti;i\;iil ;iiir;til pu icitrciidiv de siiilc. si l;i pluie r;n;iit pciiiiis. A riiciur .Kim'llc. M'"' \('(i\c .M;iiliii n'a pas eucoi'c adlici'c aii\ (Iciiiaiidcs des (niviicis cl on i^nioro la décision qu'elle prendra, et si le travail a icpiis dans toutes les campa^nies. il n'a |)as encore elT' repris dans la campagne de M""= Martin ». Dans ce rapport il n'y a pas un seul détail qui coidirme les laits narrés par M. Lasies. Cependant le capitaine de gendar- merie envoie tous les jours dans la connnune où il y a grcne luie partie des brigades. J'ai confondu celle affaire avec celle de M. du Lac. i'arlons de cette dernière. M. du Lac a tenu à démentir lui-même les rumeurs inexactes qu'on avait colportées sur le compte des grévistes. 11 a écrit à M. le sous-préfet de Béziers un(! lettre que j'ai en mains, dans laquelle il se déclare absolument .satisfait. {Mouvements divers. ) M. Lasies. — M. du Lac a écrit cela après la reprise du , travail. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je répète que M. du Lac écrit lui-même (jue ses ouvriers travaillaient en paix à leur satisfaction et à la sienne. M. Lasies. — A (pielle date ? 1\L l.E l'HÉSIDENT DI" COINSEIL. — Le 16. M. Lasies. — Je vous ai dit que le travail avait cessé le 8 et repris le 14 : nous sommes donc d'accord puisque la lettre est postérieure au 14. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La lellre est du 16. Avouez, en tous cas, que pour qu'un propriétaire ('crive une lettre DES OUVRIEKS AC.HICOLES VU MIDI 123 spniblable, il ne faut pas qu'il ait été molesté autant que vous l'avez dit. Au centre et à droite. — Lisez la lettre ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ou 3 piéteiidu aussi que, dans la commune de Capestang, les grévistes avaient arboré le drapeau rouge au clocher de l'église et sonné le tocsin. Tous les rapports que j'ai reçus sont unanimes sur ce point : le drapeau louge est la bannière du syndicat. (Exclamations au centre et à droite. — Applaudissements à l'extrême gauche.) M. Henry B.'^gnol. — IL y a le drapeau d'un parti comme il y a le drapeau d'un pays. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL.— Le prétendu drapeau rouge était la bannière du syndicat et portait en lettres d'or sur l'étoffe : « Bannière du syndicat ». C'était si peu un drapeau rouge que le juge de paix disait en goguenardant — c'est quelquefois permis aux juges de paix [Sourires] — h quelqu'un (lui lui faisait observer la couleur de la bannière : « Vous trouvez qu'elle est rouge ? Eh bien ! je vois tout ce qui se passe ici à travers du bleu ! » [Mouvements dii^ers.) Messieurs, il est tellement Mai que l'alarme qu'on a voulu .>. — " ...et. si lo renvoi en est demande en s«'ance. an niotnenl dn déijat, il ne sanrait être prononn'' (Mi \crln dn ivtiienieiil. (|ni n'est pas applicable à l'espèce. » Je dis qn'ij y a des pn-cédents qni contredisent d'avance la thèse de M. liipeit. 11 en est nn. en tonf cas, qui est cité par M. Pierre ini-niènie, c'est celui de M. le président Floquet (Ml 1892. Les paroles de M. Floquet send)lenl paia()hiaser le passage que je viens de vous lire. La même manière d'entendre le règlement ressort d'une observation analogue iiréseutée par M. le prt'sidenl du St'nat, le ix juillet 1HH2. A droite. — Nous ne sonunes pas le Sf'niat ! M. LE l'RiisiuEXT DU CONSEIL. — .le constate simplement que les deux Assemblt-es sont d'accord sur ce point. Ce n'est (pie lors(pril y a imputation actuelle de crédits. r('sultant de la proposition ou du projet de loi, (pie le renvoi à la commis- sion du budget est de droit. Nous ne sommes pas dans ce cas. Mais est-il vrai que les documents distribués, qui seraient exactement ceux qui serviraient d'éléments de calcul à la commission du hudgel. laissent subsister le moindre doute sur l'étendue des charg(îs assumées par r^:tat ou les commu- nes par suite du projet de loi ? Vous n'avez qu'à vous reporter aux annexes du rapport (le 31. Buisson, vous y trouverez indiquée, de la fai^on la plus explicite, la .somme total(^ de la (h'pense. .M. LE COMTE itE PoMEiiEu. — D'uiie t'a(;on insuftisante el erronée. Sir'l'HKSSION DK i/eNSEICNEMENT CONdltÉriAMSTE )ol{ M. LE pRi-siuENT DU CONSEIL. — Il n'v a pas d'erreur pos- sible, étant donnée la façon dont on a opéré. M. DE l'Estourbeillon. — Allons donc! M. Ollivieh. — En ce Mni concerne mon département, il y a des erreurs considérables dans ces annexes .M. LE PHÉsiDENT DU CONSEIL. — M. Ripcrt s'cst autorisé de ce qui s'est passé en 1882, lors de la discussion de la loi de l'obligation en matière d'enseignement primaire, pour nous lappeler qu'à cette date il s'était produit un très fort écart entre les prévisions du Gomernement et les indications fournies par la commission du budget. Les prévisions du Gouvernement à ce moment-l;i ne pouvaient être que très approximatiAcs. Il n'avait pas eu. comme le Gouvernement d'aujourdhui, les mêmes moyens d'évaluation. Nous, nous avons pu examiner, commune par commune, la dépense résul- tant de la suppression des établissements congréganistes. M. LE MARQUIS DE LA Ferronnays. — Li's tableaux sont faux ! M. LE Président du Conseil. — Nous avons fait ce travail de la façon la plus méthodique, et, quand \iendra la discus- sion générale, le Gouvernement vous prouvera que vous n'auriez pas besoin, pour faire face aux dépenses nouvelles, d'accroître les iO millions (|ui sont in.scrits habituellement au budget pour les constructions scolaires. En effet, lensemble des dépenses calculées pour toutes les écoles congréganistes qui vont disparaître par suite de votre projet de loi s'élève à «6 millions. .4 firoitc. Notre projet de loi? Le vôtre! {Hnrit à ooitche.) M. le PHÉSIDENT DU CONSEIL. — Messîeurs, permettez-moi de vous faire olwrver que. d'après les d('penses antérieures. 154 SUHPRKSSION DR l'kNSEIGNEV5KNT CONGRÉGANISTE sans excoptiou aiicuuo, la participation de l'Ktat dans cliaiiuc construction do maison d'écolo donne une moyenne deW p. 100 do la dépense totale. Si reiisomblf de l;i di-pciisc de constrnction s'élève h (iO millions. \ous poincz vous-mêmes voir quelle sera la part conlribnlive de l'État. Au centre. — Que ce soit l'État on la commune, ce sont toujours les contribuables qui payent ! M. DE l'Estourbeillon. — Et ce sont toujours dos dépenses inutiles. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — 11 y a OU plus â défalquer de cette dépense de 66 millions les 20 millions concernant la ville de Paris, qui ne reçoit rien de l'État. C'est donc une somme de 20 millions à déduire de la somme totale de 66 mil- lions. Ajoutez-y 4 millions relatifs aux écoles congréganistes de llUes. Vous aurez donc à opérer la répartition sur un total de 40 millions. Si la part de l'État est de 4;$ p. iOO, il ressort manifestement du rapprochement des chiffres que la dépense h notre charge sera inférieure h 20 millions. A droite. — Et celle à la charge des communes ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La dépense à la charge des communes sera de 24 millions. M. DE l'Estourbeillon. — D'une façon ou d'une autre, c'est toujours le contribuable qui payera ces dépenses inutiles dont on pourrait parfaitement se passer! Vous grevez le contri- buable pour asst)uvir votre passion antireligieuse. (Bruit.) M. le Président, s'(i(lrex.s:aiit à la droite. — Messieurs, vous demandez des explications; on vous les fournit, et vous ne voulez pas les entendre ! (Très bien ! très bien! ) M. le président du conseil.— J'apporte des chiffres et l'on SUPPaESSUtN ItE LKNSEKINKMK.NT peut déplaire h \)0\- sonne, je pense, que je rappelle des faits. Or il est de fait que SUPPRESSION DE L'ENSEIGNEMENT CONGRÉGANISTE 159 les républicains du centre ont mêlé leurs bulletins de vote aux bulletins de vote des membres de la droite et des natio- nalistes pour faire échec ;\ la volonté du législateur. (Appltm- ttissements à f/auche.) M. LE GÉNÉRAL JACQUEY. — Paice que C'était leur opinion; ils nVn sont pas moins républicains. M. Dejeante. — Ils n'ont jamais eu d'autres alliances. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je ual pas contesté aux républicains du centre leur qualité de républicains. M. Fabien-Cesbron. — A droite aussi, il y a des républicains. M. Lasies. — Il n'y en a même que là. (On rit.) M. LK PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je uc contestc même pas ce titre, si cela peut leur faire plaisir, aux membres de la droite qui veulent s'en parer. M. Lasies. — Très bien ! M. LE comte de la Rochethulon. — Ce n'est pas une raison pour qu'ils votent tous vos projets. M. le président du conseil. — Notre étonnement a redoublé lorsque nous avons dû sévir, en vertu des mêmes articles de loi. contre d'autres établissements, au nombre de 3,000 envi- ron, qui s'étaient opiniâtrement refusés à régulariser leur situation et à nous faire parvenir, comme la loi les y obli- geait, des demandes d'autorisation. M. Paul Bourgeois (Vendée). — Vous avez repoussé toutes celles qui ont été faites. M. le président du conseil. — Cette fois encore, ce n'est pas seulement l'opposition de la droite, ce sont les républi- cains du centre... 160 SUI'PHKSSIO.N l)K l'k.NSKICNKMK.NT C().\«;HK(!AMSTK IM. Aynaiii). — l)fj;i iioiniiK'S... CVst une (lisliildilinii (\o pii\. (Oi) rit.) M. LE PHKSIUKM lil CoNSEM.. — (Mli sc soul l'ails les (IcfV'Il- s(Mirs officieux des étal)lissenit!iits iel)e]les. Ce sont eii\ (lui ont mené la l)ataille contre le cabinet soutenu par les quatre groupes de gauche. J'entends encore à cette Irilnme l'hoiid- rable M. Aynaid... {E.niatuaiiou.'i ironiques à tlmitr et un centre). M. LE GÉNÉRAL jACQt'ÈY. — Prix d'excellence pour M. Aynard. M. DE Graxdmaison. — MM. HikIi et L;ic(inii»e (Mil p.ule contre, ainsi que M. Halitrand : ils font cependant partie du bloc. M. LE PRÉsiDEXT \)V CONSEIL. — Je l'entends encore ;icca- bler le présidiMit dn conseil de virulentes apostroi)lies. (jne les nationalistes et les droitiers saluaient d"applandi.ssenient.s unanimes. Dès lois, il t'talt facile déjuger quune alliance se nouait, sinon j)ar une convention expresse ou des concilia- bules, comme le di.siit l'honorable M. Renault-Morlière. . . M. RENAT'LT-MoRLiÈitE. — J"ai le second prix. Merci ! {On rit.) M. Aynaru. — La convention est peut-être déposée chez un notaire. M. LE PRÉsn)ENT. — Au coucs de cette discussion, tous les orattMus ont été écoutés. Voulez-\ons qu'à parti)' d'aujour- d'hui et parce que M. le président du conseil es! à la tribune on constate le contraire ? M. Gayraii). — Nons lecoutons. monsieur le Pr('sidenl. M. LE COMTE i)K La Rochetih lon. — Religieusement ! M. le Président. —C'est une religion biiiyanfe ! {Ou rit.) SUPPRESSION r»K l'eXSKIG.NEMENT r.O.NGHÉC.AMSTE 1 () I M. LE PRKSioENT DU CONSEIL. . . . Qu'iuie alliaiice se nouait, par un accorrl tacite, entre le groupe progressiste et les membres de la droite. Plus tard, il est ^rai. nous avons assisté,danscette enceinte. h la répudiation de ralliance. après que des consultations réitêrt'es du suffrage universel et du suffrage restreint ont montré aux républicains progressistes que le pays désap- prouvait leur attitude et .se détournait de leur politique. {ExcknndtiouK 'in centre. — ApplniuUasementfi à gauche et à l'extrême ijauche.) Mais cette résipiscence un peu tardive, qui fut jugée .'i l'époque singulièrement offensante par vous, mes.sieurs de la droite, n'a pas empêché l'alliance de suivre son cours et de produire ses effets, avec cette particularité caractéristique qu'à riieure actuelle les républicains progressistes ne pren- nent plus la i)eine de la dissimuler et quils acceptent allè- grement d'être élus sénateuis ou députés par deux tiers de voix réactionnaires et un tiers de voix républicaines. {Iiiter- riiptionx à droite. — ApplaiKtissements à gauclie.) M. Gayratjd. — 11 \ a des radicaux, et vous avez même dans votre ministère des sénateurs qui ont été ('lus dans ces conditions. M. Fabiex-Cesbron. — Si nous parlions un peu delà loi ! 31. LE président du conseil. — Nous trouvons en effet les républicains progres.sistes toujours unis de fait aux nationa- listes et aux droitiers dans la campagne entrepri.se par le ministère contre l'invasion cougréganiste. {Interruptiotm à (traite.) Reportez-vous à une des pha-^es les plus décisives de cette 162 SUPPRESSION DE l'eNSEIG.NEME.NT Cn.NGHÉGAMSTE campaguc, ;i ladisnissiou et au vole des projets de lui relalils aux demandes d'autoiisatiou formées par ]es congrégations enseignantes, les prédicantes et les Chartreux. Ici encore, connue dans les phases antérieures de notre action ministérielle, les républicains progressistes uni lait cause conunune avec leurs voisins de droite, ils ont voté en masse en faveur des congrégations. Ils ont allégué, pour se- disculper de leur vote, la procé- dure adoptée par la commission des congrégations. Ce n'titait pas par amour des congrégations, disaient-ils, qu'ils se sépa- raient de la majorité républicaine, c'était par respect de la procédure. Ils n'admettaient pas que la Chambre pût exa- miner et rejeter eu bloc les demandes des congrégations similaires. D'ailleurs, la Cour de cassation n'avait pas encore parlé; elle n'avait pas encore justitié la parfaite légalité de la procédure suivie par la Chambie. Eh bien! soit. Si j'ai rappelé ce passé, c'est pour mettre les actes du passé an compte de la procédure, bien que le vote rendu au sujet de la congrégation des Chartreux se prête assez mal à cette excuse conmiode. Mais j'admets l'excuse; je l'admets d'autant plus \olon- tiers, que des républicains sincères, membres des groupes de gauche et dont les sentiments de sympathie pour le cabinet ne font pas de doute pour moi, ont su concilier leurs scru- pules juridiques avec leurs convictions républicaines, en votant contre la congrégation commerçante des Chartreux. Messieurs, une occasion nouvelle s'offre aux républicains du centre d'établir nettement, et de manière à ne laisser aucun doute sur leurs sentiments, qu'ils sont eu cumnmniun SUPPRESSION" t)È l'ënseigNëmEnt congrf.ganiste 163 d'idées avec leurs voisius de gauche, ainsi qu'avec le parti n'publicaiu. La Chambre est appelée à reiidn* uu vote de doctrine. La procédure n'est plus en cause. C'est sur le fond que sa décision va porter. Le suffrage universel attend ses mandataires à cette éi)ve\i\e... {A pplaudissements à gauche et à l'extrême gaiictie. — Applaiidissemeuts ironiques à droite et au. centre) pour les juger définitivement sur ce qu'ils sont et non' sur ce qu'ils prétendent Hrê. (Tréa bien! 1res bien! à ijauche et à l'extrême gauche.) Pas un député du centre n'a. celte fois, de raison sérieuse, ni même de raison plausible {e.vclamatiom au centre) pour s'associer à la droite contre ses collègues de gauche. Qu'il envisage la question posé»' au point de vue de la doctrine ou du fait, comme une question d'orientation poli- tique ou comme une question de possiblité financière, l'hési- tation n'est pas permise. 11 faut être décidément, cette fois, avec la congrégation contre le parti républicain, ou avec le parti républicain contre la congrégation. (Très bien ! très bien! à gauche et à l'extrême gauche). Les issues sont fermées à toute échappatoire. Les congré- gations enseignantes ont fait leur temps. Uniquement formées j)our réagir contre les priucii)es de la Révolution, qui les avait supprimées, elles ont heureusement échoué dans leur tâche. Bien loin de ramener aux croyances traditionnelles les générations issues du grand mouvement de i789. elles ont dû le subir elles-mêmes eu partie, et s'en imprégner, du moins en apparence. M. Paul Lerolle. — Eh bien! alors:' M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Il \ ,1 Inili de Ifliscigne- 164 SUPPUESSION l)K l'eNSEKÎNEMENT CONCinÉGANISTE iiiciil (triyiiit'l (le ces ntii^rcj^alioiis ii Inirs prograïunies iniblics de lliciin' prosciile. On dirait, à comparer les deux «'poqiies. (pie le type |)riiiiilil. coiiit' dans un luoiiie rifîide, s'est niiKiidc dans ses cniiloiiis d'une fa(;()n saisissante. Los angles se sont arrondis; la s('vérilé des traits s'est adoucie. Visiblement l'eu.semljle a lail elTorl poiu' s'adapler à son uou- \eau milieu, aux systèmes d'enseiynemenl qui ont prévalu dans la société moderne. Prenez une de c(^s congrégations, dont il a été parlé à peu près à toutes les séances, la plus importante de toutes, celles des Irères des écoles chrétiennes. Autorisée, suivant les ternies du décret-loi de 1808, pour enseigner à lire, à écrire et à compter, elle représentait l'enseignement primaire à l'état le plus rudimeutaire. A mesure que le temps a marché, développant dans le peuple le goût et le besoin de l'instruction, la congrégation a étendu le cercle de ses cours (Très bienl à droite), elle s'est efforcée d'affiner son enseignement, elle est entrée en concuireuce avec les enseignements rivaux du même ordre. Plus elle a poussé avant dans cette voie, plus elle s'est éloi- gnée de sa conception primitive et du cadre de ses statuts. (Très bien! très bien! à droite et au centre.) 11 semble que l'esprit de progrés l'ait saisie et entraînée... {Applaudissements à droite et aw centre.) M. LE LIEUTENANT-COLONEL DU HaLGOUEÏ. — De qUOl VOUS plaignez-vous ? Vous devriez lui en faire un mérite. M. LE PRÉsmENT DU CONSEIL. . . . luals, hélas ! messieurs, ce n'est qu'en apparence... {Exclamations à droite et au centre.) I supi'REssiox DE l'enseigxement COMîRÉC.AXISTE 165 M. LE COMTE DE La Rochethulon. — Dinfliiyuo ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. . . . Car si le progTès se laisse apercevoir dans la partie extérieure de l'euseiguement, il n'a rien pu sur la partie morale, qui demeure aujourd'hui ce qu'elle a toujours été, une doctrine imnuiable, aveuglément soumise aux dogmes de la foi. (Très bien ! très bien! à droite.) Ainsi, quelque peine que la congrégation se soit donnée pour suivre la .science pédagogique dans son évolution... M. Paul Lerolle. — Elle l'a même précédée! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. ... et pouc mettre ses cours eu harmonie soit avec les règlements universitaires, soit avec les carrières sociales, il subsiste toujours une opposition irré- ductible entre la tendauce morale de ses leçons et l'esprit de notre société. {Mouvement divers.) Même cette opposition n'a fait que croître, à mesure que la société s'est émancipée de son ancienne sujétion au dogme religieux. Pour apprécier le véritable caractère de son enseignement, il faut le considérer dans ses résultats, dans les œuvres qu'il a produites, il faut létudier dans l'action publique de .ses patronages, de ses cercles, de .ses associations d'anciens élèves. C'est là que la réaction cléricale de nos jours a établi ses quartiers généraux. [E.cciamatiun.$ à droite.) C'est là que les partis hostiles à la République recrutent la plus grande portion de leur clientèle électorale. Lesprit de la congrégation est resté à travers les formes changeantes de la pédagogie ce qu'il était il y a quatre-vingts ans. C'était la haine de la Révolution qui l'animait alors. C'est un besoin de coutre-Ré^()lutiou qui la dirige aujour- d'hui. (Applnadiasements à ijdiirlie et n l'crtri'ini' yaurfte.) l(i(» SCIM»UESSION DE 1,'eNSEIGNEMENT CONCRÉGANISTE IJ \ a (Mille elle cl io siccle uue iiiooiniialihililc linida- iiifiitak' de priiK-ipos et de lendaiices. (Très Oieii 1 ivèa bien ! à (jf niche.) Messieurs, on pcul généraliser celle observalioii sans la moindre crainle d'erreur. La vie inlime des congrégations religieuses esl lice an respcci de leur i)ass(>, à l'immulabilitt' de leurs slaluls. ("/est bien inntilemcnl (|u"elles làcbcnl (U' s'accommodei' dans lenrs formes extérienies. dans Icnis procédés d'éducation, aux conditions générales de la profes- sion enseignante. C'est bien inutilement qu'elles sïugéuient à se moderniser', en se pliant de force aux nécessités inéluc- tables d'un système de pédagogie imposti. Le môme espril transpire de la leçon nouvelle, conmie il transpirait de la leçon ancienne, esprit de soumission à des traditions reli- gieuses, esprit de résislance aux doctrines rénovatrices de la Révolution. (Très hicii ! iri's bien ! à gauclii'.) Messieurs, en prenant acte de cet état de clios(^s, nous serions mal venus à le blâmer. Li's congrégations religieuses sont dans leur rôle, elles sont lidcles à leurs statuts, quand elles travaillent à soumettre les jeunes générations à un régime de foi ardente, qui n'a pas cessé, qui ne peut pas cesser de leur être cher. .'1 (lioilr. — lleurcnscnienl. Dieu merci ! M. M-: PFîKsiDENT \)\ coNSEU.. — ( Tcst uons, r('|)Ublicains. qui méconnaissons notre r(~)lc, cest lEtat laïque, né de la Révolution, qui perd de vue son devoir le plus essentiel en tolérant, sous prétexte de rendre hommage au principe de liberté, que des associations religieuses, basées précisément sur la, répudialidii de ce priiici|M'. en pervertissent la notion I SUPPRESSION DE l'enseignement congréganiste 167 dans des intelligences encore IroiJ faibles pour se défendre contre leurs soy)hisines. lAppInndissements à gauche et à l'ex- trême gauche.) Nous paraissons ignorer iiuc les mots ont un sens conven- tionnel, que celui de liberté senlend tout autrement derrière les murs d'un cloître et sur la place publique, et, très impru- demment, à la faveur de cette équivoque, nous donnons à riiabitaut du cloître licence absolue d'inculquer au cerveau de l'enfant des ifotions morales en contradiction complète avec ses devoirs et ses droits de futur citoyen. {Applaudisse- ments à gauche et à l'extrême gauche, — Vives protestations à droite et au centre.) M. Savary de Beauregaru. — Nous protestons énergique- ment contre vos paroles, vous n'avez pas le droit d'insulter les catholiques. M. Lasies. — Vous n'avez qu'à voir comment nous les accomplissons contre vous, nos devoirs de citoyens ! M. Fernand de Ramel. — II n'y a pas eu de meilleurs citoyens que les catholiques, quand il s'est agi de défendre la patrie ! M. le PRÉsmENT DU CONSEIL. — Nous souimes, nous répu- blicains, d'autant plus inexcusables de continuer indéfiniment ce jeu de dupes, oui, messieurs, nous sommes d'autant i)lus coupables de permettre aux ennemis nés de nos institutions de tourner contre elles une grande portion de notre jeunesse, que nous avons proclamé depuis plus de vingt ans, comme étant la première et la plus haute de nos obligations envers elle, celle de l'initier à la connaissance ainsi qu'à la pratique de ses devoirs et de ses droits. 168 SUPPRESSION DE l'eNSEIGNEMENT CONr.RÉGANISTE A (inoi Iciidcut nos lois scolaires, si péiiiblcm(Mil niiKiuises sur la rt'sislaiice achariUMi des défenseurs de l'enseignement congréi^aanste'? (Vifs applauômements à gauche et à l'extrême gauche.) A quoi tendent-elles, sinon, comme (Hi la dit s(»uvenl. à affranchir nos enfants d'une lulelle funeste, qui aurait consacré leur asservissement moral? {Applaudissemeiiis à gauche et à l'extrême gauche. — Réclamations à droite et au centre.) Quand Jules Ferry, quand les ministres de la Répul)lique alléguaient les oblijrations de l'État envers l'enfaul pour faire accepter du Parlement le nouveau code de fenseignenieni primaire, ils affirmaient le droit de TÈtat par cela même qu'ils affirmaient son devoir. C'est au nom de ce devoir, appuyé sur ce droit, que des écoles puliliques ont été édifiées dans toutes les conuuunes de France et que le gouvernement de la République a pu con- traindre les plus pauvres et les plus petites d'entre elles. tout en les aidant proportionnellement à leur petitesse et à leur pauvreté, d'aménager des locaux scolaires suffisants pour réunir l'universalité des enfants de la commune sous la direc- tion de l'instituteur public et de l'institutrice publique. Du jour où l'enseignement de l'État a été organisé sur ces larges biises, renseignement 'congréganiste a perdu sa principale, disons mieux : sa seule raison d'être. [Exclamations à droite.) Oui, messieurs, sa seule raisoiul'ètre. M. Paul Lerollk. — Ils existent tous deux en vertu de la môme loi ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — .l'insisle sur ce dernier anenient congréf;aiiisle... M. Paul Lkrolle. — Vous n'a\ez plus besoin de lui maintenant ! M. LE pRÉsu)ENT uu CONSEIL. — . . . si bicu qu'à raisonner d'après les données empruntées au passé, tout se résume, pour nous, dans la t[ueslion suivante : Quel besoin l'Étal peut-il avoir encore des congrégations enseignantes pour remplir sa làclie d'éducateur national? (Apiil'iudisxcnit'iits à gauche et à re.rtrème uaurhe. — Mouvements divers.) M. Louis Ollivier. — L'État n'a pas le droit d'absorber l'individu. M. LE PRÉ.SIDENT DU CONSEIL. — La répousc. je crois, n'est douteuse pour personne. Tant dans l'ordre primaire que dans l'ordre secondaire ou supérieur, l'État a constitué son ensei- gnement public dans des conditions telles qu'on peut avancer, sans redouter la moindre contradiction, qu'il a pourvu large- ment ou du moins (ju'il est en état de pourvoir largement à tous les besoins. S'agit-il, par exiunple, de l'enseignenieul si'condaire: il n'est pas possilile de contester que. lorsque la Chambre a rejeté les demandes émanées des congn'gatlons enseignantes, l'Université était en situation de recueillir du jour an tende- SUPPRESSION DE L'ENSEIGNEMENT CONGUÉGANISTE 171 main, dans ses lycées et collèges, la populalioii entière des établissements d'enseignement relevant de ces congrégations. M. Maurice Binder. — Et la liberté des parents, qn'en faites-vous? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Une partie de cette popula- tion, la plus forte, est allée à l'enseignement libre. Mais ce n'est pas le manque de locaux scolaires qui en a privé nos établissements. Or, nous n'avons pas à nous préoccuper de cette question relativement aux congrégations autorisées, puisqu'il n'en est aucune qui tienne de ses statuts le privilège de donner l'enseignement secondaire. On cite bien des pensionnats de frères et de sœurs qui font, sous ce rapport, concurrence à l'Université. En ce qui concerne les pensionnats de jeunes filles, il résulte des renseignements très précis qui nous sont parvenus que le plan d'études de ces pensionnats ne dépasse pas le niveau de l'enseignement primaire supérieur. Quant aux pensionnats de frères, il en existe, en effet, une trentaine dans lesquels, à l'aide de cours spéciaux, on prépare au baccalauréat de l'enseignement moderne. C'est là un abus que nous aurions déjà réprimé s'il ne devait disparaître avec le pensionnat lui-même. {Applaudissements à (jauche et à l'extrême gauche.) On objectera peut-être qu'il est malaisé de tracer les limites exactes qui séparent l'enseignement primaire supé- rieur de l'enseignement secondaire. C'est vrai, et les plus experts en cette matière hésiteraient peut-être à se pronon- cer. Mais il serait oiseux d'instituer un débat sur ce point, puisqu'il reste acquis, quelque jugement qu'on porte d'ailleurs 172 SUM'UESHIO.N DE I.K.NSKKi.NK.MK.NT (;o.\(i li ÉCAMSTE siii' le siijt'l de l;i cuntroNcrsc. (|uo les portes dt' nos Ivci-cs cl (le nos collcj^cs sont lar^rnit'iil oii\ crics s;ius ris(|U(' (l'encom- brement au\ élè\es. lilles et yan;oiis. des ctahlissements (•on;L!ri'yanlstes. en (|ucl(|nc nondirc (iiTils se présentent. Mettons les choses au pire: supposons (|iic ce nombre excède quelque peu les places actuellement disponibles, supposition admissible, Je le i-econnais. pour les pensionnats dits secon- daires des jeunes lilles.Toutedifticullé s évanouit avec les délais dapi)lication (pie nous nous sonunes ménag('s. il nier ni plions à dro'ili' et fin critlir.) Les \illes intéressées construiront avec empressemenl les établissements juyés nécessaires. M. BoHCiNET. — ("est absolument inevacl. La \ille de Kouen. (pie je représeide. proteste contre les consé<|uences linancières de votre loi (pii seront ruineuses pour elle. (E.rcUi- inafions à (//niche.) M. LE PUKSiuENT uv CONSEIL. — Nous cToirions. messieurs, vous faiie injure, en doutant de votre ferme volonté de pré- lever sur les crédits insciits aux budgets les sommes afférentes à cet objet. Nous pou\(jns aussi nous lier à Tinlérét i)ien ent(!ndu des nuuiicipalités et être certains d'avance (pi'elles ne reculeront pas devant les résolutions piopres à le sauve- garder. 11 y a donc lieu de baïuiir toute espèce de préoccu- ltation llnancière en matière d'enseignement secondaiiv. M. DE Borav. — Mais les contilbuables en ont. des pré- occupations! M. LE ruÉsiuENT ui co.NSEU.. — V/cA daus l'ordre jiriniaii'c seulement que les contribuables — jmisipie vous venez d'en parler — se trouveroid en présence de chilTres susc(q»tibles de les émouvoir. SUPPKESSln.N DE L'ENSEIGNEMENT CO.NUKÉGANISTE 173 Cominent apprécier la dépeuse avec exactitude? L'opposi- tion avait imaginé d'abord un moyen commode de l'évaluer, elle l'a même porté à cette tribune par l'organe de ses ora- teurs et, certes, elle aurait rallie à sa manière de voirie plus vulgaire des calculateuis. si la sinipliclle dune méthode dis- pensait de la souuKMtre à l'observation des lails. [Bires appro- bntifs à l'extrême umivUc et n (juiiclie.) Elle prenait comme doniuM^ fondamentale de sou calcul le chiffre global des dépenses inscrites au budget de l'enseigne- ment primaire: elle le divisait par le nombre des élèves de nos écoles et, s'emparani du quolii^nt. connue s'il représentait la somme individuelle ipie cluKiue élèsc nouveau devrait coûter à l'État, elle rappli(iuail à l'ensemble de la population des établissements congréganistes, sans tenir compte ni des frais généraux déjà etTectués. ni des crédits budgétaires incb^- pendants de tout accroissement dans le personnel des maîtres, le matériel ou les frais accessoires. C'est même sans sourciller qu'elle énonçait à cette tribune les centaines de millions qui étaient au bout de ce raisonnement. Messieurs, la polémique peut bien s'accommoder de celte façon d'argumenter, et peut-être est-ce lii toul ce que l'oppo- sition en espérait. [Mourcmnils diveisA Mais la Chambre comprendra que nous avons dû procéder (l'une toul antre manière. Nous aussi, nous avons admis, comme point de dépait du calcul, le nond)re des élèves nouveaux à recueillir dans nos écoles. Mais, au lien de nous livrer à des supputations theo- ri(iues sur le pajjier, nous avons recherché, région par région — ce n'esl |)as assez dii'e — commune |)ar commune, si nos 174 SUPPUESSION DE L'ëNSEÎGNEMF;nT CONGRÉGANISTE locaux scolaires se prêtaient à cette augmentation de clien- tèle ou si leur insuffisance nous contraignait à des dépenses nouvelles : location d'iinmenbles, agrandissement de l'école existante ou constrnction d'une maison d'école. Ces études, conduites avec la gravité et la probité d'un service public, qui se sait responsable devant le Parlement, nous garantissent contre des décepi ions inattendues. On peut les accueillir en toute confiance, en se donnant môme, si l'on veut se montrer difficile, un peu de marge pour les erreurs involontaires. M. Buisson les a fait figurer dans une annexe de son rap- port, et, pour défier l'opposition la plus tenace, il a indiqué le maximum de la dépense qui serait atteint, si nous avions à recueillir la totalité des élèves de l'enseignement cougréga- niste et si nous nous obligions nous-mème à construire par- tout de nouvelles maisons d'écoles. Le maximuin de la dépense atteint, pour les écoles de garçons, 46 millions et. pour celles des tilles, 17 millions. M. Maurice Bixder. — C'est pour rien! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Mais CCS chlffrcs doivent être diminués, en ce qui touche la part de l'État, le premier de 20 millions et le second de 4 millions au moins incombant à la ville de Paris sans subvention correspondante de l'État. M. Maurice Bindeu. — 3Iais c'est toujours le même résultat pour les contribuîibles p.irisicns. Il faudra bien qu'ils payent ces 24 millions ! M. Gayraud. — Beaucoup des chiffres donnés dans l'annexe sont erronés. M. LE COMTE de Pomereu. — Notauimcnt pour la Seine- Inférieure. SUPPRESSION DE l'enseignement gongrégaxiste 173 >[. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous vieiidrez le démou- tier à la Iribune. Je vous répète que l'étude- a été faite commune par commune, école par école. M. LE COMTE DE PoMEREU. — Nous VOUS répoudions. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La' défalcatlou dont je parle une fois opérée M. Maurice Binder. — Pourquoi faire cette défalcation ? M. LE Président. — Monsieur Binder. vous interrompez constamment. M. Maurice Binder. — Je n'interromps i)as, je pose une question à M. le président du conseil. M. LE Président. — Eh bien ! vous poserez cette question à la tribune. M. LE MARQUIS DE RosAMBO. — Nou. uous ne pouiTOUS pas répondre ; on prononcera la clôture ! M. Maurice Binder. — Je demande à M. le président tlu conseil qui payera ces 24 millions. M. LE Président. — Si tout le monde posait des questions... M. Maurice Binder. — Alors je demande la parole. M. le Président. — C'est entendu. Ji' \ous inscris. M. le président du conseil. — Si vous m'aviez laissé continuer, monsieur Binder, v(nis auriez compris la raison de la défalcation. M. Maurice Bfsder. — C'est que c'est plus commode pour votre argumentation. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Yous allez voir que mon argumentation ne souffre pas le moins du monde de cette façon d'opérer. La défalcation une fois opérée, il reste une sonune totale 176 SUPPRESSION DK I.KNSKKl.NKMKNT <:().\(; H KC.AMSTK de 39.770 ouo IV. (Ml chiffres ronds, dont 43 "/o, soit en chilï'res ronds 17 millions, .seront à la charge de l'État, et 57 7o, soit 22 millions, à la charge des comnuines. ilntrrniptiouK à firoitc.) .le (■ompi'cnds que ce raisonncincnl cl ces cliilTres vous yèncnl. car Aons avez compté sur une dépense six ou .sept fois plus forte pour effrayer l'opinion publique et le Parle- ment. (AppluiKlissemevls à (juache cl à Vextvème (jaavhc.) M. M.\uri(;e HiNDKit. — Vous avouez m millions. .M. G.WR.vLi). — Vous en dépenserez 200. .M. LE piiiisiDENT DU coNSEii,. — \i\\ admettant que tous les elé\es coufiréganistes passent dans nos écoles, l'État aurait à faire face pendant cinq ans à une dépense annuelle de 3.700 000 fr. et les communes à une dépense correspondante de 4.650,000 IV. Or. nous a\ons inscrit, comme prévision au budget de TKtat. une dépense annuelle de 10 millions et les communes n'auront pas à voter une dep(Mise plus forte que celle qu'elles ont \otée jusqu'ici annuellement pour la réfec- tion ou la construction de leurs maisons d'écoles. (Intemii)- tions II droite] .le demande à la majorité iéi)ublicaine de cette A.'^semblée si de pareilles prévisions peuvent être mises en balance avec la réalisation du progrés démocratique et social qui sei'a le résultat de la nouvelle loi. [Applaudissements à uauche et à l'exlrèuu' (/aurlie.) Il est vrai que, lorsque les cinq ans de délai seront révolus, les traitements du personnel enseignant de nos écoles pri- maires seront accrus d'une .somme de « millions, si toutefois nous sonunes assez heureux pour alliicr à nous runi\ersalilé SUPPRESSION DK l'exseig.xkaient co.ngrégamste 177 des enfants (Hii fréquenleiit en ce nidnimt les écoles confri'ê- nistes. Mais M. Denys Cucliiii. Iivs lo.xaleiiient et très honnête- ment — j'aime à lui rendre cette justice — a lenu à ne pas nous laisser d'illusions sur les intentions de son parti. Il nous a dit que tousseselïorts, ainsi que ceux de ses amis, tendraient à substituer des écoles libres aux écoles congréganistes actuelles. Nous pouvons être affligés de cette peispective. M. Maurice Bixder. — Vous en êtes enchantés ! M. LE présiuenï du conseil. — ... mais vous conviendrez quelle réduit à néant les objections qu<' vous tirez de la dépense incombant à l'Étal et au\ communes. {Applaudisse- inriils II (janche et à l'extrême (iimche.) M. le m.\ruuis de Ros.iMBO. —Mais vous stipi)rimerez bientôt après ces écoles-là; par conséquent votre argument ne porte pas! M. LE pRii.siDENT DU CONSEIL. — Messleurs, la seule objec- tion vraiment sérieuse \ient des pensionnats primaires des niles. 11 en coûte ;\ certaines localités de les perdre, en raison de la commodité qu'ils otTrent aux mères de familles pour l'éducation de leurs enfants. On peut parer aux inconvénients qu'on redoute de ce chef, en substituant aux pensionnats congréganistes soit des pensionnats laïques annexés aux écoles primaires, comme cela se pratique dans une foule de chefs-lieux de cantons, soit, dans les centres plus importants, des écoles primaires supérieures. (7'/r.s' tneu ! très bien! a gauche.) L'État favorisera ces créations, toutes les fois quïl lui sera dt;mon(r(' (|ii"elles satisfoiU à un besoin sérieux. 178 SUPPt\ËSSÎO>f DE l'enseignement CONOnÉGANISTE Nuus uuus soiiiines donné un délai de ciutj ans et im crédit annuel de cinq millions pour nous mouvoir à l'aise dans la mise l'ii i)rali(iue de cette loi. S'il faut prélever sur ce crédit un (lu deux millions par an. nous le ferons très volontiers pour seconder l'initiative des nuuiici pâli tés. (Applaudme- inenU à yatiche et à l'extrême gauche.) Au fond, messieurs, la conclusion à tirer de mes observa- tions, c'est que vous êtes placés surtout en présence d'une question de principe. Les ditficullés d'application, insolubles, jc! le reconnais, pour quiconque voudrait les trancher d'une année à l'autre, s'aplanissent à distance, quand elles se dessinent sur une perspective de cinq années. Ce qui importe sur l'heure, c'est de décider si vous vouiez supprimer l'action congréganiste dans renseignement, ou si vous préférez laisser la congrégation continuer encore sur une portion de notre jeunesse sou œuvre d'accaparement moral. N'en déplaise à AI. Raiberti et aux orateurs qui l'ont pré- cédé, la liberté d'enseignement n'est nullement intéressée dans la solution que nous vous proposons. {Interruptions à droite.) La liberté d'enseignement peut être réclamée par le citoyen, par l'homme jouissant de l'intégralité de ses droils, par l'homme apte h l'accomplissement intégral de ses devoirs ; elle ne peut être revendiquée eu toute justice par l'homme volontairement séparé du corps social et faisant profession de n'avoir rien de conninm avec lui. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche). Que penseriez-vous d'un esclave qui n'userait de sa SUI'I'KESSION DE L ENSKIGNTvMKNT DONdKÉC.AMSTE 179 liberté que pour se livrer à un nouveau inaiire? {Inlenui)- tîons à droite.) M. Paul Leholle. — Le père Lacordaire u'était pas uu esclave! Ou ne peut pas dire des choses pareilles. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL.— Vous estluieriez avec raison que ce prétendu droit esl un sophisme de raisonnement, de même que celte prétendue liberté esl une forme de la servi- tude. {E.rclnmatioiny à droilr.) La liberté du congréganiste et .sou prétendu droit d'en user pour l'anéanlir esl du même ordre de conceptions chimériques. Ou aura beau accumuler les raisonnements pour essayer de démontrer que la notion de liberté implique le droit de la détruire.- le bon sens le plus élémentaire proteste contre cet abus de la logique. {Applnudisseinents àuauche et à Vextrème (jauche). 11 y a contradiction dans les termes, comme dans la réalité des choses, à se prc'valoir d'une faculté qu'on a par avance abdiquée. [Très l)ien ! très bien! sur les mêmes bancs.) Dès que le citoyen disparait, toutes les prérogatives du citoyen disparaissent. {Applandissemenis a gauctie. — Inter- ruptions il (hi)ili'.) D'ailleurs, messieurs, n'est-il pas vrai que, pour apprendre à des enfants à être citoyens, et citoyens d'un pays libre, il faut être soi-même citoyen et homme libre? (Nouveaux applaudissements a gauche.) M. Gayraud. — Nous le sonuues autant que vous. M. LE président du conseil. — Réfléchissez impartiale- ment à ce que peut être, à ce que doit être une éducation faite par des hommes épris de l'idéal monastique. Pour peu qu'ils soient conséquents avec eux-mêmes, tous leurs efforts doivent 180 SUPPRESSION i)K l'enseignement coxohécamste lendra àorientprvcrs cet idéal la jeimesse qui suit leurs Ifçoiis. ].c mondf^ iiVst ;i leurs yeux qiran lieu de corruption. Ses niaxim(»s soûl d'aulant plus [)erverses qu'elles s'éloipuenl davautaye des uiaxiiiies eu liouueiir dans les ((uneuts. Il \ a, pour le coiifrrég:aiuste. une obligation de (-{uiscieiR-e. uik^ obligation impérieuse de détacher le plus qu'il peut ses élèves de ce lieu et de ces maximes. C'est là, messieurs, ce qui icud les congregalioMs mst'i- gnantes de femmes si daugereus(;s el si funestes. (Applaiiflis- semeuts à (/nuche et à l'extrême (janche.) Non seulement l'enseignement qu'elles donnent delermiiic parmi les jeunes filles qui le reçoivent une foule de prétendues vocations religieuses qui sont autant de pertes pour la socif'HV' {Nouveaux applaudissements sur les mêmes b(nics\. mais il est calculé pour inspii'er à la masse le dégoût des idées communes à cette société. Et, pour comble de mal, l'effet s'en accroît avec le temps. Au lieu que le jeune honune. soumis dans ses premières années à la discipline cengréganisle, en oublie plus lard les données dans un grand nombre de cas, lorsciu'il est forc(; de compter avec les nécessites de la vie {Applaudissemeuts à gauche et à l'extrêuie yaucUe. — Errlamatiniix à (Imite.) A droite. — Parlez pour vous ! M. Maurtck Bixdeh. — Tout le monde ne peut pas être défroqué. {Bruit.) M. le phésident du conseil. ... les impressions premières, celles de l'école, persistent et même .se fortifient dans l'càme d(» la jeune fille, qui \il plus en elle qu'en dehors d'elle, à la diifférence du jeune homme. SUPPRESSION DE l'enSEIG.NEMEXT CO.NGRÉGAMSTE 181 Puis l'iiiflueuce du prêtre se superpose à celle du couvent, elle en consolide les résultats. Ainsi s'explique la lutte d'opi- nions et de tendances qui a pour théâtre la famille. C'est la plaie intérieure d'une foule de ménages. (Applaudissements à gauche et à l'extrême (/auche.) 31. Paul Lerolle. — 11 est curieux de voir applaudir ces paroles par tant de maris ! M. Louis Ollivier. — Et ceux qui applaudissent ont presque tous leurs filles au couvent. M. le présipent du conseil. — Le mari et la femme se heurtent, à chaque instant, en dépit de leur affection réci- proque, dans un désaccord moral, qui a pour cause première et le plus souvent irrémédiable l'éducation du couvent. (Nou- veaux applaudissements à gauche et à l'extrême gauclie.) Messieurs, le rêve de la congrégation, rêve jusqu'ici menaçant, parce qu'il tendait de plus en plus à devenir une réalité, c'était de généraliser son action, de s'implanter dans toutes les communes et d'étendre à l'universalité des familles la discorde intestine dont elle nous rendait chaque jour davantage les témoins attristés et impuissants. (Très bien! très Ment à gauche.) La fermeté du Gouvernement, secondée par la majorité républicaine de cette Assemblée, a fait évanouir ce rêve. Elle a débarrassé 8.000 à 9.000 communes des écoles congréganistes qui s'y étaient établies indûment. Il ne tient qu'à vous, mes- sieurs, d'achever cette délivrance morale. {Applaudissements ,à gauclie et à l'extrême gauche.) M. Maurice Binder. — A votre heure dernière, vous serez bien heureux d'avoir un confrère curé à côté de vous. C. — 6. 182 SUPPRESSION DE l'enseicnement congréganiste M. LE président i)\] conseil. — Le président du conseil est allé jusqu'à 1 extrême limite de ses pouvoirs. C'est au Parle- ment qu'il api)arlieut d(! statuer dans les circonstances pré- sentes. Vous ne voudrez pas, messieurs, en repoussant le projet de loi. r.iiiiiiicr l'iiudace expirante; de la l'éaction cléricale. (Vifs (ipi)litu(iissemetils a ri'.rtrèiuc gauche et à gauche. — Interrui)lio)is à droite.) Ou vous a parle à cette tribune, on vous parlera peut-être encore de concorde et d'ai)aisement pour vous faire reculer devant le couronnement de votre œuvre. L'apaisement, nous le voulons aussi... [Exclamation.'i ironiques à droite.) Entendons-nous ! Nous voulons, non cet apaisement si faus- sement nommé qu'on sollicite de votre faiblesse et qui consis- terait dans l'abandon des droits et des devoirs de l'État, mais un apaisement véritable, fondé sur la suppression de la source principale de nos divisions. {Applaudiasements ù l'extrême gauche et à gauche.) M. Gayraud. — Sur l'exterminalion de vos adversaires ! M. le président du conseil. — Cet apaisement est le seul que vous tous républicains vous puissiez accepter, car c'est le seul qui convienne à la dignité et qui garantisse l'avenir de la Réi)ublique. (Applaudissements vifs et répétés à gauche el ù l'extrême gauche. — Bruit ù droite.) Le passage à h discussion des articles fut volé par 307 voix contre iJ45 (l). 1. Séance du 7 mars 190i. Journal ojflciel du 8 inai-s 1904. IX SUPPRESSION de; L'ENSEIGNEMENT GONGRÉGANISTE DEUXIÈME DISCOURS Le second paragraphe du projet du Gouvernement proposait le délai maximum de cinq ans pour la suppression des congré- gations autorisées à litre de congrégations exclusivement ensei- gnantes. MM. Caillaux et diriart d'Etchepare proposèrent de porter le délai maximum à dix ans, et le président du conseil fit à ce sujet les déclarations suivantes à la tribune de la Chambre (Séance du 15 mars 1904) (1). M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La Chambre me permettra, avant d'aborder le fond même du débat, c'est-à-dire l'amen- dement en discussion, de lui donner quelques explications au sujet de l'incident particulier que rappelait tout à l'heure l'honorable M. Colin. 1. Journal officiel. Déb. ParL Chambre. N» du 16 mars 1904, page 754 et suivantes. 184 l'enseignement congkéganiste C'est devant trois iiieiiibrcs de la cuiiiiiiissiuii,. devant suii président, son rapporteur et l'honorable M. (iouzy, que j'ai été appelé tout d'abord à l'aire connaître mon sentiment sur la proposition étendant à di\ ans le délai de l'application de la loi. J'ai dit alors que, si la commissidu croyait devoir se rallier à cette proposition, je ne me séparerais pas d'elle, pas plus sur ce point que sur tous les autres. (Très bien ! ti-ps Ment à gauche et à l'extrême (/niicfie.) Quand le débat sur le contre-projet de M. Colin est venu devant la Chambre, j'étais dans les mêmes dispositions des- prit. Vous n'avez pas oublié, messieurs, ce qui s'est passé au cours de la séance et comment du côté de la droite ou a voulu voir dans mes paroles une sorte de marchandage avec M. Colin. Je suis monté à la tribune pour me dégager, j'ai prié un membre de la majorité de reprendre le contre- projet, laissant l'Assemblée libre de le voter ou de le repous- ser, et déclarant^ quant à moi. que j'entendais ne prendre aucun engagement. A gauche. — C'est exact. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La déclaratlou que me prête M. Colin est antérieure aux paroles que j'ai prononcées à la tribune. Il est si vrai que mon langage à la tribune a eu la signification que j'indique que M. Colin et M. Caillaux ont essayé successivement de m'arracher une parole, qui me liât à accepter le délai de dix ans. J'ai refusé de prononcer cette parole, et mon refus a été si bien remarqué du centre et de la droite que, lorsque M. Colin, voulant interpréter ce silence comme un acquiescement, a ajouté 'ces mots : « J'ai accepté la parole qui m'a été donnée au nom de la commission et du DEUXIÈME DISCOURS 183 Gouvernement, je suis convaincu qu'au moment où la ques- tion se posera ni la commission ni le Gouvernement ne reviendront sur la parole qu'ils ont donnée », on lui a crié du centre et de la droite, comme en fait foi le Journal officiel : « Le Gouvernement n'a rien dit ! « {Très bien ! très bien ! à gauche et à Vextrème gauche. — Mouvements divers au centre et à droite.) C'est une question de bonne foi et c'est uniquement ainsi que je la traite en ce moment. Depuis lors, j'ai été appelé devant la commission tout entière. J'ai été questionné sur mes dispositions à l'égard du délai de dix ans. J'ai répondu que si la commission croyait devoir se ranger à ce délai, je m'y résignerais ; mais que, personnellement, je préférerais le délai de cinq ans. Il m'est donc loisible de m'opposer à l'amendement de M. Caillaux, sans manquer ni à ma parole, ni aux conve- nances (Très Ment Très bien I) et, si je le repousse, si je con- seille à la Chambre de le repousser, c'est pour des raisons de fond que vous allez apprécier. D'abord il a été beaucoup question d'arbitraire tout à l'heure ; on a dit, messieurs, à propos de l'amendement de M. Codet : « Mais c'est là l'arbitraire gouvernemental. » En ce cas, l'arbitraire est également inscrit en plein dans la proposition de M. Caillaux. M. Henri Laniel. — C'est évident. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ...si je u'ai h consulter pour fermer les écoles que l'opportunité ou la situation financière des communes. {Applaudissements à gauche.) 186 l'enseignement gonguéganiste Doue, Messieurs, l'acciisalioii d'arbitraire purte néces- sairement sur tous les anientlemenls qui (ixeront le délai quel qu'il soit, à moins de spécitier qu'il sera interdit de fermer plus d'un nombre déterminé d'écoles par année. Si cette réserve est dans la pensée de l'auteur de l'amende- ment, qu'il le fasse savoir'; ou pourra voter alors en toute connaissance de cause. Cela dit, sur la question d'ai'bitraire, je demande à la Chambre de ne pas s'etfrayer du fantôme sorti de l'imagina- tion de M. Caillaux. M. Paul Bertrand (Marne). — 11 est pourtant compétent. M. le président du conseil. — M. Caillaux nous a rappelé l'état de la dette communale. Je ne m'inscris ni contre le chiffre qu'il a donné, ni contre la gène bien connue d'un grand nombre de budgets communaux. Ce que je tiens à mettre en lumière, c'est que, lorsqu'on fait des calculs de ce genre, il faut distinguer eutre les communes, et cette distinc- tion n'a pas été apportée à cette tribune. D'où prenez-vous, monsieur Caillaux, que les communes les plus chargées sont précisément celles qui auront des écoles à construire? Qu'est-ce qui vous garantit que ce ne sont pas les communes les moins obérées qui auront à sup- porter les frais de construction ? Vous n'en savez rien. (Applaa- dmements à yaucfie et à Vextrème yauche.] M. Jules Galot. — Vous n'en savez rien, vous non pins. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — M. Calllaux, malgré sa compétence financière, est incapable de faire actuellement le départ que j'indique entre les conmiunes, et il me permettra de lui dire que. s'il n a pas à cet égard des renseignements plus DEUXIÈME DISCOURS 187 exacts que ceux qu'il possède sur son propre département (Mouvements divers), ie suis autorisé à tenir en suspicion et les chilîres qu'il nous a donnés et les raisonnements qu'il nous a faits. Il nous a dit qu'il ne pouvait se résoudre à croire que. dans son département, la Sarthe.le projet de loi n'abou- tit qu'à la construction d'une seule école pour remplacer les écoles des frères. M. Joseph Caillaux. — Je n'ai pas dit cela! A l'extrême gauche. — Si ! si ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous l'avez dit ; vous vous êtes étonné qu'on ne portât au compte de votre département qu'une seule école à construire.. . . M. Joseph Caillaux. — Comme charge maxima! M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL... comiuc couséquence du projet de loi. J'ai sous les yeux un document que je désire soumettre à la Chambre malgré le nombre des détails dans lesquels je vais être obligé û'enivev (Parlez! parlez! à gauche). C'est le tableau dressé, commune par commune, par les soins du ministère de l'instruction publique, de la situation scolaire de la Sarthe, au point de vue qui nous occupe. J'en donnerai lecture, tout eu l'abrégeant, car le tableau réduit à néant le? craintes de M. Caillaux pour l'avenir tinancier de son département. En retour, j'espère qu'il voudra bien lui-même étendre par analogie le renseignement que je lui fournis aux autres parties delà France. (Applaud'mementsà gauche et à Vextrème gauche et rires.) La statistique que j'ai sous les yeux indique, dans des colonnes distinctes, le nombre des frères enseignants dans les 18S l'enseignement congréganiste écoles do leur congrégation, celui des élèves externes, des demi-pensionnaires et des internes. Elle met en regard, pour l'enseignement puldic dans les écoles des mêmes localités, le nombre d'élèves de ces écoles et elle détaille aussi la nature des dépenses à prévoir pour les appropriations, les construc- tions, les acquisitions de mobilier et les emplois à créer. Par le soin avec lequel le tableau a été dressé, vous jugerez vous-mêmes qu'il doit être aussi approchant de la vérité que possible. Voici, commune par commune, les indications qu'il contient. A Saint-Symphorien, le tableau fait connaître que. si l'école privée de garçons était supprimée, l'école publique serait suffisante pour recevoir tous les enfants d'âge scolaire de la commune. M. Gaston Galpin. — C'est inexact. (ApplaïKlissements à droite.) M. DE l'Estourbeillon. — Les hommes du pays sont mieux renseignés que vous. Vos statistiques sont basées sur de simples hypothè.ses. M. le président du conseil. — Je ne sais pas quel est le membre de cette Chambre... M. Gaston Galpin. — C'est moi qui ai dit que c'était inexact ; je le maintiens. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Mousieur Galplu, je regrette que vous ayez deux fois jjrononcé cette parole, et vous allez voir que vous l'avez prononcée très légèrement. Protestations à droite.) M. Gaston Galpin. — Pas du tout ! Prouvez-le moi. M. LE président du conseil.— Vous allez le voir. Le nombre DEUXIÈME DISCOURS 189 tolal dosgar(;(nis de la commiino, cii âge defréquoulcr l'ccolo. n'est que de 53, et l'école est parfaitement en état de les recevoir. M. Gaston Galpin. — L'école communale laïque est si peu en état de recevoir les enfants des frères qu'actuellement la classe des garçons se fait dans la salle de mairie. (Applaudisse- ment à droile.) M. LE COMTE DE LÉvis-MiREPoix. — Voilà la r('ponse à \olre assertion ! M. DE L'EsTouRBEiLLON.— Voilà la valeur de vos renseigne- ments. iVI. LE COMTE DE PoMEREU. — Lcs cliiflivs Indiqués pour la Seine-Inférieure sont également inexacts. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — QwQ l'.école se ticune dans un local ou dans un autre, je n'ai pas à entrer dans cette con- sidération. [Exclamations à droite.] M. DE l'Estourbeillon. — On ne peut cependant pas faire la classe en plein vent ! M. LE président DU CONSEIL. — L'écolo cst en état de rece- voir 53 élèves. {Interruptions à droite). En tout cas, je serais fort étonné que le principal intéressé, que M. Caillaux, ajoutcît moins de foi aux déclarations d'un service public aussi sérieux que le service actuel de l'instruc^ tion publique qu'à la parole... [Protestations à droite.— Applaudissements à gauclie et à l'extrême gauche). A droite. — A l'ordre ! M. Gaston Galpin. — - Je vous en prie, ne demandez pas de rappela l'ordre. Je suis enchanté des paroles que M. le président du conseil vient de prononcera mon égard. Je m'en honore. [Applaudissements à droite.) 190 l'enseignement congréganiste M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Moiisieur Gcilpiii. après vos paroles, je ne terminerai pas la phrase au milieu de laquelle vous m'avez interrompu. {Bruit à droite.) C'est, du reste, une habitude de ce côté de l'Assemblée {la droite). Je n'ai jamais le temps de flnir une phrase {Exclamations à droiti']. Pour l'école de la conunune d'Kcommoy la dc'cla ration est exactement la même. M. Maurice Binder. — Aussi fausse ! M. Gaston Galpin. — Non, elle est exacte! M. le président du conseil. — Pour la commune de Téloche, voici l'observation placée en marge : «Si l'école privée de garçons de Téloche était supprimée, l'école publique serait suffisante pour recevoir tous les enfants d'âge scolaire de la commune. Avant 1897, il n'y avait qu'une école publi(|iie. » Pour les écoles du Mans, au nombre de cinq, nous retrou- vons la mèm.e observation : « Si les cinq écoles privées de garçons de la ville du Mans étaient supprimées, il serait possible de recevoir tous les enfants d'âge scolaire dans les écoles publiques de la ville, en construisant dix classes environ et en créant autant d'emplois. » {Exclamations à droite). Ces détails vous prouvent que le travail de statistique a été fait consciencieusement. Dans la commune de Sillé-le-Guillaume, il en est comme dans les communes précédentes. Dans la commune de La Suze, mêmes ob.servalions avec cette finale qu'avant 1900 il n'existait là que l'école publique. M. Gaston Galpin. — C'est exact ! M. LE président du conseil. — Dans la commune de Bon- DEUXIÈME DISCOURS 191 nétable, les locaux scolaires de l'école publique sont égale- ment suffisauts pour recevoir tous les enfants d'âge scolaire. Il suffirait d'y créer un emploi d'adjoint. Dans la commune de la Ferté-Bernard, il est encore établi que les écoles publiques de garçons .suffiraient à tous les besoins scolaires. Car, avant 1892. il n'y avait (|ne les deux écoles publiques actuelles. Dans la commune de Fresna,v-sur-Sarthe, la fermeture de l'école privée de garçons nécessiterait la construction d'une classe et la création d'un emploi d'adjoint à l'école de garçons. Même observation pour Mamers. Pour la commune de la Flèche, la suppression de l'école privée obligerait la connuune à agrandir l'école publique et l'administration à créer trois emplois d'adjoints. Enfin, messieurs, pour la comnuine de Sablé, je lis ceci : « L'école publique de garçons suftlrait à tous les besoins sco- laires. Il conviendrait de créer un emploi d'adjoint ». Je demande, messieurs — et je m'adresse à toutes les per- sonnes de bonne foi — s'il est possible d'avancer que, pour ce département, le projet de loi aggrave notaljlement la situation. M. Maurice Binder. — C'est un document fait pour les besoins de la cause ! C'est trop connnode, vraiment ! {Excla- mations à (fauche.) M. LE COMTE Ginoux-Defermon. — C'ésl évident ! Cela saute aux yeux. M. LE président du conseil.— l/;iggrave-t-il pour la France entière ? Ici, messieurs, je suis contraint de reproduire à la tribune les chiffres que j'ai déjà fait connaître. J'ai parlé après M. le rapporteur, après le ministie d<' 192 l'enseignement CONGHÉGANISTE rinslruclion publique, sur la foi de IViiriurlc oint-rlc à ce sujet, dune sonini(> de M) millions coiiiinc repn?seiilaul l;i dépense totale qui incomberait à l'Elal et aux communes du fait du projet de loi. en tenant compl(> tout à la fois descous- tructions, des agrandissements et du mobilier scolaire. On a contesté ces chiffres, car il est dans le rôle de l'oppo- sition de tout contester. A droite. — Comme il est dans celui de la majorité d'approuver sans enquête ! • M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Oij a |)rétendu, sans en fournir d'ailleurs aucune preuve, qu'il était au-dessous de la vérité. Ce qui n'est pas contestable, ce qui repose sur des données certaines, c'est l'expérience acquise, c'est le calcul moyen des dépenses faites depuis vingt ans par le minislère de l'instruction publique pour réaliser les vœux du législa- teur en matière d'enseignement scolaire. C'est sur celte expé- rience acquise, c'est sur le chiffre moyen de ces conslruclions d'écoles depuis vingt ans que le ministère de l'instruction publique s'est appuyé pour éclairer le Parlement sur la quo- tité de la dépense résultant du projet de loi. D'abord, en ce qui concerne les écoles de frères, il n'y en a que 354 pour lesquelles une construction sera indispensable. Calculant d'après les résultats acquis de vingt années, le ministère de l'instruction publique a estime que. si ces ;fô4 écoles dispa- rais.»;aieut, elles devraiefït être remplacées par autant d'écoles à cinq classes, dont le coût .serait de 60.000 Ir. ciiacune. Cette estimation est le résultai de l'expérience. L'Klat contribuerait à chaque construction pour une .somme de 27.0(Mî fi-. Sa paît (l;uis l;i dépense totale scr.'iit donc de 9,300.000 tV. en chiffres DEUXIÈME DISCOURS 193 ronds. Comme l'ensemble de la dépense atteint 2i millions, 1.1 différence, c'est-à-dire 12 millions. t(iml)erail ;i la charge des budgets communaux. M. DE l'Estourbeillon. — C'est déjà beaucoup trop ! Les contribuables s'en seraient bien passés ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous portcrcz Ic jugemcut qu'il vous plaira. En ce moment, je fournis des chiffres à la Chambre, afin qu'elle se prononce en connaissance de cause. Au sujet des 749 écoles qui appartiennent aux congréga- lions de femmes, j'ai volontairement forcé du tiers la moyenne de la dépense constatée depuis vingt ans. Au lieu des 20.000 fr. ordinaires, j'ai porté le coût de chaque école à 30.000 fr. 11 en résulte une dépense totale, en chiffres ronds, de 22 millions, dont 10 millions pour l'État et 12 millions pour les communes. Yoilà, messieurs, les chiffres exacts des dépenses qui incombent aux communes et à l'État. On a prétendu — et ce point paraît avoir été pour beau- coup de membres de cette Assemblée un sujet de préoccupa- tions — que les emprunts nécessités par ces constructions futures coïncideraient avec des emprunts de même nature qui sont en cours d'amortissement. J'ai de la peine à le croire, pour la raison bien simple que les emprunts contractés autrefois pour la construction de maisons d'école ont mis les communes qui les ont consentis à l'abri des dépenses qui sont demandées aujourd'hui. Les emprunts à prévoir tomberont, surtout si l'on excepte les villes et les ceniresimportauts, sur les communes qui, malgré U' \n[o des lois scolaires, sont restées dans la même situa- lion. ,. {Applauflissetnentft à gauche cl à l'extrême gauche.) 194 l'enseignement congréganiste .4 Vextrème gauche. — C/est la faute des réactionnaires. (Exclamations à droite.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL . . . gafdaiit à la fois l'école publique et l'école congréganiste. Assurément, messieurs, je voudrais pouvoir épargner à ces communes une dépense quelconque; mais j'ajoute que je me sens encore infiniment mieux disposé envers les communes qui, pour se mettre en règle à la fois avec la loi et l'esprit républicain, ont déjà construit les écoles indispensables à cette fin. {Applaudissements à gauche et à l'extrémp gauche.) Admettons que les unes et les autres doivent être traitées sur un pied d'égalité, M. DE l'Estourbeillon. — Cela devrait être sous une Répu- blique ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Quel est le nombre des communes atteintes? Avez- vous songé h faire cette recher- che?... Le Gouvernement a dû s'en préoccuper. En bien cherchant, il s'est arrêté au chiffre de 800 communes, ou un peu plus à peine, sur les 36,000 que comprend la France. Je ne veux pas dire que ces 800 communes ne sont pas dignes de ménagements. Je ne prétends même pas me .sous- traire complètement à la pensée qui a inspiré l'amendement de M. Caillaux. Mais je trouve cette pensée beaucoup mieux formulée dans l'amendement de M. Godet. Que veut cet amendement? Il veut que partout où les budgets comnuuiaux paraîtront beaucoup trop chargés pour subvenir dans un court délai h la dépense nouvelle, le Gouvernement puisse proroger de cinq ans le délai fixé pour l'application de la loi. DEUXIÈME DISCOURS 195 Vous renouvellerez, si vous voulez, à ce sujet, les accusa- tioDS d'arbitraire. Je vous ai démontré, dès le début, que l'arbitraire était forcément dans les deux amendements. M. LE COMTE DE Lanjuinais. — Il est dans les cinq ans ! M. Lemire. — Il est dans toute la loi ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'ajoute que toujours on a considéré le Gouvernement comme le tuteur naturel des communes... M. BoRGNET. — Dans ce cas, il eu est l'oppresseur! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL... quc toujours, daus les cas où il était impossible de fixer une récrie uniforme, on s'en est remis au Gouvernement du soin de les traiter suivant leur situation avec plus ou moins de bienveillance. Il est dans votre rôle, messieurs de l'opposition, de ne pas faire confiance au Gouvernement. M. del'Estourbeillon. — Assurément ! Et c'est réciproque! M. Villiers. — C'est notre droit ! M. Gaston Galpev. — Et c'est notre devoir. M. le baron Amédée Reille. — Avouez qu'il y a de quoi ! M. le président du CONSEIL. — Le Gouvernement s'honore de n'avoir pas votre confiance. 11 croirait avoir manqué à quelqu'un de ses devoirs essentiels le jour où vous voteriez avec lui. (Vifs applaudmements à gauche et à l'extrême gauche). 31. Gaston Galpin. — Vous engagez-vous à donner votre démission ce jour-là? M. Lucien Millevoye. — C'est un engagement ? M. BoRGNET. — Vous avez souvent deux majorités, mon- sieur le président du conseil ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — .le me-fiemiffs de croiro 196 l'enseignement congréganiste quf lu majorili'' rppuWicaino professe A l'égard do iikiii iiiiuis- tfTP d'autres soiitinicnts, et r'osi ;i cette iii.'ijorilf' que je m'adresse. {Applainlixscnit'iils à (janche.] M. AuDiGTER. — Alors nous n'avons plus (ju'à ikius en aller ! An centre. — Et vous appelez cela le régime parlementaire ? M. Lucien Millevoye. — Où conunence-t-elle et où finit- elle, votre majorit('^ ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Messieurs. J'ai dit que le choix d'un chiffre de délai, dix ans ou cinq ans, ne changerait en rien les dispositions du Gouvernement. Je m'explique. Les écoles qui doivent être fermées sont, en chiffres ronds, au nombre de 3.000. Sur ces 3.000 écoles, il en est 1,900 environ qui peuvent disparaître du jour an lendemain sans h^ moindre inconvénient financier, puisque les écoles publiques sont assez vastes pour recueillir tous les élèves dans les communes. J'ai l'intention, 'en ce qui me concerne, de fermer sans retard ces 1,900 écoles. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.) A droite. — Après les élections nniuicipales. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ouaut aux autres écoles, je m'inspirerai, pour les fermer, du texte de la loi. de son esprit et des conditions financières des communes. Le GouveruenKMit est le premier intéressé non seulement à ne pas irriter l'opinion publique, mais encore à lui accorder toutes les satisfactions h'gitimes. {Applaudissements à gauche. — Rires ironiques au centre.) M. Archde.^con. — Vous parlez dor ! M. Gauthier (de Clagny). — C'est du marchandage ! M. le président du conseil. — C'esl |e supposer inca- DEUXIÈME DISCOURS 197 pable de comprendre son propre intérêt qui, dans l'espèce, se confond avec l'intérêt des communes elles-mêmes, que de croire *qu'il mettra une comnuinc dans une situation finan- cière telle qu'elle soit hors d'état de faire face à l'ensemble de ses dépenses. Nous n'agirons dans la circonstance ni par caprice, ni, connue ou le disait de ce côté {la droite), par esprit d'oppression. A droite. — Au contraire ! M. DE l'Estourbeillon. — Nous eu savons quelque chose ! M. LE président du conseil. — Nous accorderons aux communes les délais réclamés par leur situation financière ; nous n'aurons garde de faire à cet égard acception de parti. {Exclamations à droite et an centre.) M. LE Président. — Messieurs, recueillez-en l'assurance, au lieu de protester ! ( Très bien ! Très bien !) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Mals, Messieurs, le parti républicain est aussi désireux de conserver les positions acquises dans les communes républicaines que d'attirer à lui les communes réfractaires. M. LE BARON Amédée Reille. — Alors vous acceptez mon amendement ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'cst SOUS l'empire de cet ordre d'idées et de sentiments que je me rallie à l'amende- ment de M. Godet, lequel réalise en somme, sous une forme plus acceptable, la pensée maîtresse de l'amendement de M. Caillaux. {Applaudissements à gauche et à Vextrcme (janche). L'amendement Caiflaux fut voté par 282 voi.x contre 271. LES RETRAITES OUVRIERES (17 MARS 1904) La Chambre discutait, nu mi'ieu des controverses les plus passionnées, la loi sur la suppression de l'enseignement congré- ganiste. Tout le parti républiciiin attendait avec impatience le vote de celte loi. Brusquement, à l'improviste, M. Millerand demanda, dans la séance de la Chambre du 17 mars, à interpeller le président du conseil sur l'exécution des engagements pris en ce qui touche les retraites ouvrières; celui-ci réclama la discus-* sion immédiate. Au cours de son interpellation, M. Millerand reprocha au Couvernement de « borner son horizon et ses ambitions à la lutte contre les congrégations ». M. Combes, président du conseil, répondit à ces accusations en montrant quelle diversion était tentée (1). M. EMILE Combes, président du comeil, ministre de l'inté- rieur et des cultes. — Messieurs, l'houorablt» Interpellateur vous a dit, avant de motiver sou interpellation, qu'il avait prêté jusqu'à ce Jour un concours continu au cabinet, dans la 1. Journal officiel. Déb. l'arl. Chami)re. N' du 18 mars 11)04. Pages 787 et suivantes. LES RETRAITES OUVRIÈRES 199 lutte entreprise contre les congrégations. Je le reconnais volontiers; mais j'exprime un regret, c'est qu'il ait cru devoir interrompre ce concours au moment où la bataille est devenue la plus vive et la plus dilficile. {Vifs applaudisse- ments à l'extrême gauche et sur im grand nombre de bancs à gauche.) M. Millerand prétend avoir entendu formuler sur divers bancs de la majorité républicaine certaines plaintes sur la longueur et la vivacité de cette lutte. Si son oreille perçoit si facilement des bruits qui ne sont pas parvenus jusqu'cà la mienne, il a pu saisir aussi, depuis un certain temps, nombre de bruits de couloirs qui ne sont que des intrigues sourdes, tramées contre le cabinet. (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs.) Je ne l'accuse pas d'y participer. Mais d'autres, plus soupçonneux, pourraient être tentés de le croire et assuré- ment sa conduite aujourd'hui n'est pas faite pour leur donner une autre impression. Sur quoi se fonde l'honorable M. Millerand, messieurs, pour déclarer que la lutte contre les congrégations a absorbé toute la sollicitude et toutes les forces du cabinet ? Comment ? Mais il l'a reconnu lui-même, nous avons pu pendant cette lutte faire voter des lois chères à la démocratie, les unes relativement peu importantes, je l'accorde, mais vivement réclamées par ceux-là même qui constituaient hier encore sa clientèle électorale. {Nouveaux applaudissements.) A l'une des époques les plus difficiles de notre ministère, à l'époque de la grève des ouvriers mineurs, au moment même où le ministre des finances avait toutes les peines du 200 LES RETRAITES OUVRIKUES monde à réaliser FéquiJibn' l)ii(ljj,étaire, nous avons consenti le sacrilice relativement lourd d'un million pour la bonifica- tion des retraites des ouvriers mineurs. Nous avons depuis lors obtenu de l'une ou de l'autre Clhambres qu'elles votassent la loi concernant les enfants assistés, qui entraîne pour les finances de l'État une dépense de 6 millions, la loi sur l'assis- tance aux infirmes et aux vieillards (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche), qui aboutit à un sacrifice budgétaire de près de 2U millions, et cela alors que, confor- mément à la volonté plusieurs fois réitérée de cette Chambre et à nos propres intentions, nous n'avons pas voulu demander à l'impôt de quoi subvenir à ces dépenses, alors que nous sommes contraints de les couvrir à l'aide de moyens finan- ciers difficiles à découvrir, mais que nous nous efTorçons de trouver par l'étude la plus attentive. Comment ! suivant M. Miilerand, nous sommes exclusive ment occupés à combattre les congi'égations. 11 l'affirme en ayant sous les yeux l'ordre du jour des deux Chambres, où figurent déjà deux réformes, qui seront accompagnées ensuite d'une troisième, les trois assez vastes et assez importantes pour remplir toute une législature et pour absorber l'activité d'un ministère. (Applaudissements à Vextrème gauche et à gauche.) M. Maujan. — Cette réforme doit précéder la loi des retraites. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Avous-nous réellement manqué à nos engagements, comme le soutient M. Miilerand ? Je n'ai qu'à lire la déclaration ministérielle qui contient le programme du cabinet actuel. Les réformes dont je viens LES RETRAITES OUVRIÈRES 201 de parler y sont indiqiit'cs dans un ordre que nous avons respecté. Nous avons mis en première ligne l'application de la loi des associations, dont je prétends que le projet de loi soumis à vos délibérations est un complément nécessaire (Applaudissements sur les mêmes bancs) ; nous avons placé eu seconde ligne la réforme militaire et nous vous avons promis ce que nous sommes toujours déterminés à vous donner, la réduction du service militaire à deux ans. [Nouveaux applau- disse menis.) Nous avons mis à la suilc de ces deux réformes la réforme fiscale par limptH général sur le revenu. A cet effet, le ministre des linances a déposé un projet de loi qui viendra naturellement en discussion quand vous aborderez, au mois de juin, la loi de recettes de l'année prochaine. {Applau- dissements à l'extrême gauche et à gauche). C'est postérieurement à ces trois réformes, qu'en raison de sa complexité avouée par M. Millerand lui-même, en raison aussi de la nécessité de faire œuvre sérieuse et non déclama- toire. . . [Applaudissements sur les mêmes bancs.) M. Maujan. — Il faut assurer d'abord les ressources de la loi. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — nôus avous prls l'en- gagement d'étudier, pour la résoudre, la question des retraites ouvrières. Eh! messieurs, qui ne comprend qu'à moins de leurrer les populations ouvrières, à moins de faire miroiter devant leurs yeux une espérance à jamais irréalisable, en même temps que le bilan des dépenses futures de l'État afférant à ce budget, la loyauté commande de pouvoir mettre, en regard 1502 LES RETRAITES OUVRIÈRES de la dépeuse allërciile ù cet objet, la ressource correspon- dante? {Applaudissements sur les mêmes bancs.) Comment osez-vous blâmer le ministre des lînances, qui a le devoir impérieux de ne pas engager à la légère les linances de ce pays, de n'être pas en situation de vous appoiter des chiffres précis, alors que vous-même avez réclamé du ministre du commerce de nouveaux renseignements susceptibles de modilier vos bases de calcul? (Très bien! très bien! à gauche.) Vous lui demandez un engagement ferme, définitif, à l'heure même où nous avons (ui perspective des dépenses plus ou moins fortes qu'il serait peut-être imprudent d'ajourner. Mais je n'insiste pas sur ce point. Messieurs, depuis que le ministère actuel siège sur ces bancs, le pays a pu, je l'espère, reconnaître et apprécier sa loyauté. {Très bien ! très bien ! à gauche et à l'extrême gauche.) La classe ouvrière en particulier lui rend justice. {Très bien ! très bien ! sur les mêmes bancs à gauche et à l'extrême gauche.) M. Albert Poulain. — C'est exact ! xM. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Elle Sait que, s'il u'a pas pu lui apporter plus tôt une de ces lois fondamentales qu'elle attend, il n'a pas renoncé le moins du monde à réaliser les promesses qu'il lui a faites. {Très bien! très bien! à gauche.) Il ne retire aucune de ses promesses et c'est véritablement abuser des circonstances que de ^ouloir, sur l'heure même et au moment où nous sommes en proie à tant de préoccupations et de soucis, nous absorber, à rencontre de l'ensemble de nos devoirs, dans une préoccupation unique. Celle préoccupation, nous l'avons assurément, nous la con- servons fidèlement. 11 ne dépendra pas de nous qu'elle prenne LES RETRAITES OUVRIÈRES ^03 corps, au lieu de s'évaporer par des paroles en l'air, ou de se concréter daus uu texte, dans une proposition de loi condam- née d'avance à rester indéfi niaient à l'état de lettre morte, si vous vous contentiez d'en voter la partie correspondant à la dépense, sans mettre à la disposition du Gouvernement la recette nécessaire pour la réaliser dans les faits. [Applaudisse- ments à yauche et à l'extrême yauctie.) Je demande à la majorité républicaine de nous faire crédit. Ce crédit, rendu encore nécessaire par les raisons que j'ai données, nous le raccourcirons dans la mesure du possible. (Nouveaux applaudissements à gauche et à l'extrême yauche.) Ce ne sera pas un délai iudéllni. Rien n'est plus loin de notre pensée. Et vraiment, il est étrange qu'alors que, depuis 1892, le projet des retraites ouvrières se traîne de législature eu législature, alors que l'interpellateur n'a pas pu, pendant qu'il était au pouvoir, le mener à bonne fin... [Vifs applau- dissements sur lés mêmes bancs.) M. MiLLERAND. — Je demande la parole. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... OU Vienne accuser le Gouvernement de manquer à ses engagements parce que le projet n'est pas encore voté, ou n'est pas eu étal d'être immé- diatement voté. Messieurs, cette interpellation ne surprendra personne. (Applaudissements sur les mêmes bancs à yauche et à l'extrême gauche.) Elle est purement et simplement une diversion à la lutte décisive que vous soutenez en ce moment. (Nouveaux et vifs applaudissements sur les mêmes bancs.) 204 LES UETKAITES OUVRIÈRES Oii a bit'U clioisi le iiioinciit pour leiitcr celle divcision. Reste à savoir sur quels auxiliaires on a complé. Le scrutin nous le dira toul h l'iieure. (Applnudissements vifs et répHés à gauche et à l'extrême gauche). Le président du conseil déclara accepter l'ordre du jour sui- vant de MM. Bienvenu-Martin et Guieysse : « L^ Chambre, ap- prouvant les déclarations du Gouvernement et comptant sur son énergie pour poursuivre l'œuvre de laïcité et de réformes sociales, et repoussant toute addition, passe à l'ordre du jour », qui fut adopté. XI SUPPRESSION • DE L'ENSEIGNEMENT GONGRÉGANISTE TROISIÈME DISCOURS M. Lemire ayant proposé de stipuler daas la loi qu'on ne frapperait que les établissements d'enseignement relevant du ministère de l'Instruction publique, le président du conseil inter- vint une fois encore dans le débat, à la séance du 2J mars 1904 (1) : M. EMILE Combes, président lUi conseil, ministre de l'inté- rieur et des cultes. — Messieurs, en écoutaul le débat qui vient d'avoii' lieu et les quelques interruptious qui se sont produites, j{î iin' suis aperçu qu'il s'est introduit dans quel- ques esprits une confusion, un malentendu, (pfil est de la probité du Gouvernement de dissiper. On a prétendu que l'amendement de M. Leygues, qui a exccplt' de la fermeture certains noviciats à déterminer pour renseignement congréganiste à l'étranger, retirait quelque 1 . Journal ojjlctel. Déb. Pari. Chambre. N"> du 24 mars 1904. Page 885. C. — G-. 206 L'ENSEIGXKMK.vr COMiKÉGANISTK chose à la suppression des (■oiiRrésations vol^'c dans l'ar- ticle 1"^' du projet de loi, et que ces congrégations, supprimées dans ledit article 1"', renaissaient à la faveur de l'anicndc- ment de M. Leygues. Je suis convaincu que telle n'a pas été la pensé'e de l'auteur de l'amendement. Eu tous cas, je suis non moins convaincu que telle n'a pas éU; la pensée de ceux (|ui l'ont voté. \Excln- mations sur divers bancs à droite et (lu centre. — Très bien ! très bien ! à gauche et à l'extrême (janctie.) M. Laurent Bougère. — C'est in.soutenabJe ! [Exclamations à Cextrème gauche.) M. Groussau. — Je demande la parole. \I. LE PRESIDENT DU CONSEIL. — Si les membres de cette Asseml)lée qui ont voté l'amendement de M. Leygues avaient expliqué préalablement à cette tribune (|ue le! était le .sens qu'ils y attacliaient, jamais un seul membie de ce côté de la Gliambre [la ganche) ne se serait rallie à l'amendement. .M. LE MARQUIS DE Diox. — Alors vous supposez qu'on \(ite sans savoir ce qu'on lait ! M. GuiLLOTEAUX. — Nc scniiez i)as les consciences! M. LE HARON DE BoissiEU. — N'ous Sommes des eito\ens libres. M. Laurent Bougère. — Nous ne lelevons (jue de nos f lecteurs. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. - NoUS a VOUS UU JUge commun, c'est l'Assemblt'e. M. Laurent Bougère. — Non! c'esl le .suffrage uni\ersel. M. LE PUÈ.siDENT DU CONSEIL. - (l'cst douc r.Xsseiubli'e.... M. Lauuent Bougère. — Le pays! TROISIÈME DISCOURS 207 M. F.E PRÉSIDENT DU CONSEIL. — MessieuFS, Ce n'est pas pour le pays seulement que je parle eu ce momeut, je m'adresse en particulier aux membres de cette Assemblée qui pourraient être troublés par le malentendu que j'ai signalé tout d'abord. Je dis que les deux textes ne sont nullement incompa- tibles, et puisque je suis amené à donner sur ce point quelques éclaircissements, je m'attacherai eu première ligne à rendre compte à l'Assemblée du motif qui avait conduit le Gomer- nemeut à introduire les mots « eu France » dans l'article l" du projet de loi. 11 existe des congrégations autorisées auxquelles nous ne touchons pas et qui ont été autorisées à avoir des établisse- ments à l'étranger. Je citerai notamment les frères du Saint- Esprit ; nous n'avons jamais eu la pensée d'interdire à cette congrégation renseignement à l'étranger, tel qu'elle le donne aujourd'hui. Elle a été autorisée à cette fin; mais les autres congrégations, si j'en excepte deux tout au plus parmi les congrégations de femmes, n'ont jamais été autorisées à donner l'enseignement à l'étranger. La congrégation des frères des écoles chrétiennes, notamment, n'a été autorisée qu'en vue de l'enseignement primaire en France. Par conséquent, le jour où vous lui avez interdit la seule chose que ses statuts lui permettaient, l'enseignement primaire en France, vous l'avez supprimée en tant que congrégation autorisée. (Applaudmements à gauche et n l'extrême gauche. — Bécla- matioiis à droite et au centre.) M. LE MARQUIS DE RosAMBO.— Lcs colouies, c'cst douc terri- toire anglais? 208 L'ENSEUiNEME.N'T CONGRÉGAMSTE >1. Jules (Jalot. — Les col(iiii(!S fiaïK'aiscs, ce u'cst pas rt'lraufjer! M. le président uu conseil. — Je le lepi'le, on a Irouvc; daus les statuts de certaines congrégations la mention qu'elles sont autorisées en France et dans les colonies ; pour (luelques- iiniis et notamment une que je connais, ou trouve aussi : » et en pays (Hranger ». Mais, quant aux frères des écoles chré- tieruies, ils n'ont reçu l'autorisation d'enseigufi' (luVii France et pour l'enseignement primaire. Cela vous expli(|ue pour- quoi nous n'avons pas cru nous-mêmes devoir mentionner la suppression de renseignement secondaire donné par les frères des écoles chrétiennes; ils n'ont jamais été autorisés à le donner; ils le donnent en dehors de leurs statuts, en maige de la loi. M. Fabien-Cesbuon. — Tout ce qui n'est pas défendu paj' la loi est permis ! M. le présument du conseil. — Nous n'avions donc pas à leui- retirer une autorisation que la loi ne leur avjiit jamais reconnue. (Applaiulissements à gauche et à l'extrême gauche.) Messieurs, qu'est-il arrive par le vote de l'amendement de M. Leygues? Il t>st arrivé ce fait — quant à moi, je ne le crois pas tout à fait régulier — que vous avez créé vous- mêmes, par un texte de loi, une congrégation nouvelle. Cette congrégation nouvelle qui aurait di'i, d'après la loi du {"'juillet 1901, qui régit cette matière, déposer elle-même une demande d'autorisation entre les mains du Gouvernement... A droite. — Qui l'aurait repoussée! M. LE président du conseil qui l'aurait instruite et Vaurjùt rapportée, cette congrégation nouvelle a bénéficié TROISIKME DISCOURS 209 d'un vole de la Chambre la dispensant de cette formalité et l'établissant, comme congrégation nouvelle autorisée, à ensei- gner à l'étranger. M. Massabuau. — Donc elle existe ! M. LE GÉNÉRAL Jacquey. — Elle exlste si bien qu'elle est dispensée du service militaire! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — 11 est tellement vrai que tel est le sens des prescriptions légales, telles qu'elles découlent et delà loi du 1" juillet I9ul et du texte que vous avez voté dans les deux premiers articles, que, l'année dernière, lors- qu'il s'est agi des congrégations enseignantes d'hommes et de femmes, auxquelles vous avez refusé l'autorisation, j'ai dû, en réponse à une demande qui m'était adressée par quelques membres de cette Assemblée touchant les établissements d'en- seignement ou les établissements hospitaliers qu'avaient ces mêmes congrégations à l'étranger, faire la réponse que j'avais indiquée, par une sorte de prévision, dans l'exposé des motifs. Cette réponse consistait à dire : a Si ces congrégations une fois supprimées par le refus d'autorisation déposent en nos mains une demande nouvelle limitée à ce point de vue spécial, nous l'instruirons avec l'esprit d'équité que réclame un sem- blable sujet et nous vous l'apporterons. » Eh bien ! messieurs, vous avez fait, pour les frères des écoles chrétiennes ou pour les congrégations dont certains noviciats pourront être maintenus, exactement ce que, d'après les indications tout à fait légales que j'avais données l'année dernière aux congrégations qui nous avaient saisi de demandes d'autorisation, auraient fait ces mêmes congréga- tions. . . 210 l'enseionemenï CO.NGHÉCAMSÏE M. Massabuau. — D'accord, mais alors elles garderont leurs biens comme les autres ? M. Lemh^e. — Je demande la parole. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous avcz placé Ics cougré- gations jadis autorisées — j'emploie le mot « jadis » pour indiquer que les deux premiers articles les suppriment — dans la même situatif)n où j'avais placé moi-même par ma réponse les congrégations non autorisées, avec cette difTé- rence que vous-même avez en (pichpie sorte fait la demande, l'avez inscrite, l'avez résolu dans le sens de l'amendement Leygues, ce qui revient à dire que les congrégations pourront conserver, pourront avoir, avec l'autorisation d'en- seigner à l'étranger un, deux ou trois noviciats, suivant leur nombre. (Très bien't très bien ! à gauche.) Il n'y a là aucune contradiction ; si une contradiction pouvait subsister, je serais le premier à mettre la Chambre en demeure de se prononcer. . . M. Jaurès. — Très bien ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL ct de dire si, en même temps qu'elle entendait supprimer les congrégations ensei- gnantes, elle entendait les conserver. M. LE RAPPORTEUR. — Tivs bien ! C'est bien là la question. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Or, la répouse n'est pas douteuse. La majorité veut suppiinici- les coiigrégalions ensei- gnantes A l'extrême (jauche. — l'arlaitemeul. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... la Chambre a voulu que, une fois cette suppression piononcée, il fût sursis à la TROISIÈME DISCOURS 211 fermeture de quelques établissements, appelés « noviciats », pour que la congrégation nouvelle, la congrégation autorisée par votre vote, messieurs, à enseigner à l'étranger, pût se recruter et envoyer à l'étranger les instituteurs ou les pro- fesseurs qu'elle croirait devoir y envoyer. .Voilà l'explication du langage du Gouvernement et, je le crois aussi, du vote de la Chambre. M. Lemire demande autre chose. M. le rapporteur vous l'a déjà dit; je uajouterai qu'un mot. M. Lemire, par sa rédaction, entend soustraire à la ferme- ture les établissements d'enseignement technique et profes- sionnel et déclare que la pensée du Gouvernement n'était pas de les fermer. Il me permettra de lui dire que je connais un peu mieux que lui la pensée dii Gouvernement; elle résulte d'abord de l'adhésion (iii'il a donnée à la formule plus explicite à adopter par la. commission, mais elle résulte aussi de cette considération, sur laquelle M. Lemire passe très légèrement et qu'il a peut-être perdue de vue, c'est qu'il n'y a pas une seule congrégation réellement autorisée pour l'enseignement technique et professionnel ; et que, s'il n'y a pas une seule congrégation autorisée pour l'enseignement technique et professionnel, nous n'avions pas à nous en préoccuper puisqu'il sufJisait de signifier à cette congrégation, sous peine de poursuites judiciaires, qu'elle était sortie de ses statuts et qu'elle donnait un enseignement qu'il ne lui était pas permis de donner de par la loi et de par ses statuts. Il était alors inutile de saisir la Chambre d'une formule la con- cernant. 212 l'enseignement congrkga.mste M. Laurent Bougèhe. — La Un peruiel l'enseignemeul à tout le monde ! M. Lemire. — C'était votre rédaction, je le reconnais, monsieur le président du conseil. M. LE PRESIDENT DU CONSEIL. — Oui, ('était iiiou textc et ma pensée. M. Lemire. — C'était le texte primitif. . . M. LE président du conseil. — Cétail le lexte du projet du Gouvernement. J'expli(iue que ce texte ne faisait pas mention de l'enseignement professionnel, parce que nous visions uniquement la suppression des autorisations données et que l'autorisation n'a jamais et(' donnée pour cet ensei- gnement. La commission a cru devoir, par une formule plus large et plus explicite, mentionner également, parmi les enseigne- ments interdits, l'enseignement professionnel. Je me suis rallié à son texte. Mais il n'existe aucune contradiction entre le texte primitif du Gouvernement et celui qu'il a adopté après la commission. Messieurs, je me résume. Jusqu'à présent, il resuite de vos votes que vous avez supprimé ferme toutes les congrégations enseignantes (Très bien là gauche) et qu'en même temps vous avez offert à ces congrégations le moyen de se former un corps nouveau, une congrégation nouvelle qui serait auto- risée à enseigner dans les colonies et ii l'étranger. (Mouve- ments divers.) Ces deux votes ne sont pas contradictoires, et je viens d'expliquer pourquoi. M. Albert Tournier. — Ils sont illogiques, mais nullement contradictoires. TROISIÈME DISCOURS 213 M. i.E PRÉSIDENT DU CONSEIL. — 11 lésiiUi' t'ii oulrc de vos votes que, d'uue mauière très explicite, vous avez voulu supprimer l'enseiguemeul professionnel eu même temps que les autres. {Dénégations à droite.) M. Laurent Bougère. — 11 n'eu a pas été question. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je VOUS Ueiuaude bien pardon. Le débat qui s'est engagé sur le premier paragraphe de l'article l", ainsi libellé : « L'enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit aux congrégations » a été suivi d'amendements exceptant de cette interdiction l'enseigne- ment professionnel. Ces amendements ont été rejetés ; il en résulte cette conséquence que l'interdiction générale visant 1' « enseignement de tout ordre et de toute nature» s'applique sans le moindre doute possible a l'euseiguement profes- sionnel. {Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.) M. LE Président. — La parole est à M. Groussau. M. Groussau.- — Messieurs, il y a deux choses bien distinctes dans le débat qui s'engage en ce uRiment : d'une part, l'examen de l'amendement de M. l'abbé Lemire; d'autre part, l'interprétation du vote qui a été émis par la Chambre sur l'amendement de M. Leygiies. Je ne viens pas insister sur les arguments en faveur de la proposition actuellement discutée ; mais je crois absolument indispensable de taire des réserves sur les déclarations de iM. le rapporteur de la commission et de M. le président du conseil. Un membre au centre. — Oui sont contradictoires ! M. Groussau. — J'estime d'abord qu'il n'appartient ni à l'un ni à l'autre de tixer la portée de la décision prise par la 214 l'eNSEIGxNEMK.NT conguégamsïe Chambre sur l'aineudenit'iil de noire lioïKJi.ilile cdllcgue M. Leygues. (Très bien ! liés bien à droite.) L'acte accompli par la Chambre est un acte (pii ne dépend plus des appréciations de M. le rapporteur, ni de celles de M. le président du conseil. [Applaudissementfi à droite et au centre.) M. LE MARQUIS DE Maussabhé. — Evidenuuent ! C'est aux juges qu'il appartient d'interpréter la loi. M. Groussau. — Si puissante (jue soit la parole de M. le président du conseil, elle n'est ipie celle du jwuvoir exécutif en présence d'une décision du ixinvoii' lej:islatif. [Très bien! 1res bien! à droite et au centre.) Ce que j'aurais conii)ris, c'est qu'avant le vote M. lo président du conseil vînt Irnir le langaiie (|u'il a tenu après. (Applaudissements à droite et snrdirers bancs au centre.) Alors ses déclarations auraient peut-être eu le pouvoir de donner au vote un sens (|iril n'a pas; nuiis les déclarations . faites après le \ole ne peuvent plus rien changer. (Nouveaux applaudisseweiits à droite et sur divers bancs au centre.) Non seulement ses déclarations ue chaugeni rien, mais elles sont eu contradiction al)solue avec les déclarations de l'auteur de l'amendemeut que la Chambre a adoptt'. (C'est vrai! — Très bien! à droite.) 11 sufiit de lire quelques lignes du discours prononcé par M. Leygues pour détruire abso- lument les aflinnationsde M. le président du conseil. (Apptau- dissements à droite et sur divers b/mcs au centre.) M. JuMEL. — Vous paraissez iuterpiéter, vous-même. M. Groussai . — Vous m'accorderez bien, monsieur Jumel, que je ne dé'passe pas mon droit — alors que M. le président TROISIÈME DISCOURS 215 du couseil a déclaré qu'il ue devait pas y avoir de confusion — eu faisant de courtes citations qui démontreront ce qu'il faut penser des argiuiieuts formulés tout à l'heure par M. le président du conseil et par M. le rapporteur de la com- mission. Dans son discours. M. Leygues disait : « Un dernier mot sur un point de droit, pour répondre aux observations par lesquelles M. le président du conseil a motivé son refus d'adhérer au maintien des noviciats pour les écoles hors de France, même dans la limite étroite que j'ai tracée. <' M. le président du conseil nous a dit : La congrégation enseignante autorisée frappée d'interdiction disparait et, si elle veut enseignera l'étranger ou aux colonies, il faut qu'elle se reconstitue et qu'elle présente une nouvelle demande d'au- torisation. » {Interruptions à gauche.) Et M. Leygues ajoutait : (* Non, c'est inutile... {Nouvelles interruptions ù l'extrême (/au elle.) Messieurs, la question est assez importante. . . M. Levraud. - Bien que rétrospective ! M. Groussau. — M. Levraud dit que la question est rétros- pective. Je voudrais bien savoir qui l'a introduite dans le débat! {Applaudissements à droite.) Ce que vous ne nous imposerez pas, c'est qu'après le vote (jui a ('té nettement émis, il y ait le lendemain une interpré- tation susceptible de le détruire, {("'est cela ! très bien ! à droite.) Est-ce notre faute, messieurs, si vous avez voté l'urgence 216 l'enseignement congréganiste delà lui et si vous n'avez plus uue secuude délibératiuu pour revenir sur des décisions contradictoires? Caries décisions c|ue M. le président du conseil prétend accorder sont tenues pour contradictoires par la commission. Je reprends donc ma citation du discours de M. Leygues lépondant à Tobjection de M. le président du conseil: « ... La question se pose eu d'autres termes. Des congré- gations ont été autorisées à enseigner en France: pailà même vous avez reconnu qu'elles étaient aptes à enseignei' à l'étran- ger et aux colonies. » M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — PaS dU tOUt ! M. Groussau. — Alors, il fallait contrediie M. Leygues! L'avez-vous fait? (Applaudissements à droite.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Jt^ VOUS demande pardon, monsieur Groussau ; vous nous attribuez ce langage ; ce n'est pas à nous que M. Leygues l'altribuail : il ne latlribuait qu'au décret-loi qui a autorisé la congrégation des frères des écoles chrétiennes et il n'a cité que celle-là. Le décret-loi autori.>aii- la moindre hésitation, s'ils en avaient lui ioiii- le |)ou^oi^. 224 LE BANQUET DK LAON Mais, messieurs, qu'importe que la forme républicaine subsiste, comme l'iutliciuail tout à l'heure mon ami M. Morlot, qu'importe qu'elle soit la faeade de nos institulicms, si l'esprit républicain en est banni ? Qu'importe l'instilulion elle-même, si son principe vivifiant est frappé à mort ? Ce n'est pas seulement la forme du Gouvernement que nous entendons maintenir, nous républicains, c'est l'ensemble des doctrines qu'elle recouvre sous une appellation (|ui nous est chère, ce sont précisément ces doctrines (|ue l'unicjn des groupes de gauche est destinée à sauvegarder, et ce sont les mêmes doctrines que les partis d'opposition, progressistes, nationalistes et droitiers, sont d'accord pour détruire ou, tout au moins, pour arrêter dans leur développement. Sans aller chercher la démonstration de ce fait plus loin que dans la question agitée depuis vingt-deux mois devant le Parlement, observez l'attitude des partis d'opposition, notamment des pro- gressistes, dans les débats relatifs aux congrégations. (Bravos.) Assurément, messieurs, s'il est un p('i'il propre à nous alarmer sur l'avenir de nos institutions démocratiques, c'est le péril clérical, qui se confond présentement avec le péril congréganiste. Nos chefs les plus vigilants et les plus éner- giques, dont M. Durozoy rappelait tout à l'heure les noms, Gambetta, Jules Ferry, — il faut y joindre Paul Bert, — l'ont signalé, dès la première heure. C'est à ce péril que leurs dis- ciples les plus fidèles ont tâché d'obvier par diverses mesures d'ordre politique et financier. Si l'on n'a i)as eu recours plus tôt à des résolutions extrêmes, la faute en est moins peut- être aux volontés des gouvernants qu'à l'absence de majorités 'fermement détf^rminées, [Braros répétés.) LE BANQUET DE LAON 223 Mais, dans le pays, il n'y a eu, il n'y a toujours qu'un sentiment sur la nécessité d'en finir avec une source de divi- sions intestines qui fait servir l'esprit religieux à la diffusion de doctrines incompatibles avec l'esprit démocratique. (Bravos.) La popularité du ministère de M. Waldeck-Rousseau lui est venue précisément de sa conformité aux désirs unanimes du pays républicain. Rappelez-vous, messieurs, avec quelle faveur, avec quels tressaillements de joie patriotique la France accueillit le célèbre discours de Toulouse sur l'oppo- sition des deux jeunesses, discours qui a été pour le minis- tère d'alors, comme pour celui d'aujourd'hui, le prélude des mesures soumises postérieurement au Parlement. Les élections législatives subséquentes traduisirent eu fait ces dispositions morales des esprits. On aurait pu penser que les progressistes, éclairés par la consultation du sufTrage universel, renonceraient à faire obstacle aux volontés du pays. Il n'en a rien été. Ces hommes aveugles ont renouvelé contre le ministère actuel l'opposition irréductible qu'ils avaient faite au ministère précédent. (Cris : Sus à la rèactiont) Il faut, messieurs, pour comprendre cette opposition acharnée, ne pas perdre de vue que, derrière les rivalités de l'urne et les luttes de la tribune, une question se dresse depuis de longues années, toujours la même, celle de savoir à qui appartiendra la direction de la société française, à l'esprit clérical, personnifié dans la congrégation, ou à l'esprit laïque, personnifié dans le régime républicain. C'est la \ieille antinomie qui se dessine de plus en plus entre les influences sociales s'exerçaut en sens contraires : d'une part le clergé et la noblesse, traînant à leur suite la haute bour- 226 LE BANQUET DE LAON geuisic, (|iii les imilc (r;iillt'iirs assez jiaucliciiient. cl s'acliai- iiant à retenir ce qui leur reste de privilèges ; d'autre pari, la démocratie tout entière, affranchie par la Révolution d'une sujétion odieuse et dévelopi)ant largement. ;i la faveur de la liberté conquise, les qualités généreuses de son caractère national. {BrfiroH répétés.) Il n'est donc pas étonnant que les hommes du clergé, de la noblesse et de la t)ourgeoisie, bien (pic groupés sous des appellations diverses de partis, et venus de régions en ;ippa- reuce étrangères les unes aux autres, se rencontrent dans une même opposition irréconciliable à la politique démocra- tique du Gouvernement. Le débat n'est pas un débat de pure forme. C'est un débat fondamental sur les conditions d'exis- tence de la société. Un même sentiment dirige ces hommes, de même qu'un même ciment les lie. Le senlinient. c'est la défiance, la peur de la démocratie. Le ciment, c'est l'ensei- gnement puisé aux pures sources du cléricalisme, le vieux ciment romain, ce ciment visqueux et tenace, qui agglutine les esprits dans des croyances immuables. [Applandmements.) Que gagnerions-nous. Messieurs, à ce que la forme répu- blicaine fût placée eu dehors du débat, si elle est minée dans les principes qui en constituent la base ou dénaturée dans les faits qui en sont l'application? [Bravos.) Les progressistes ont beau protester de leur attachement aux institutions démocratiques ; ils ont beau se réclamer d'une sincérité qui n'est pas en cause ; que deviendraient ces institutions le jour (tù le cléricalisme ;uiiail réussi à faire prévaloir ces doctrines, et que pouiiail celle sincérité p(nir empèchei' le pays d'clrc rcplaci' sons le joug iillrainoulaiii :' LE BANQUET DE LAON 227 Eu vain aussi les uationalistes se proclament républicains ; eu vain ils attestent le ciel et la terre qu'ils sont les plus fidèles tenants de la République. Que serait, je vous le demande, une République nationaliste avec un suffrage universel volontairement déchu et un pouvoir personnel tout-puissant ? Nous l'avons connue, la République nationa- liste, dans les régimes consulaires de notre histoire, dans les crimes de Brumaire et de Décembre, et nous avons pu la suivre dans ses conséquences fatales, dans les catastrophes inoubliables de Waterloo et de Sedan. (Bravos répétés.) Il est vrai, messieurs, que progressistes et nationalistes, faisant front ensemble contre la majorité républicaine, dénon- cent au pays ses prétendus méfaits. Au début, ils ont déclaré l'union des républicains de gauche impossible, à force d'être hétérogène. Ils se sont complu à détailler, à énumérer, à exagérer même les oppositions d'idées et de tendances qui existent eutre les divers groupes. Ils ont prédit à bref délai la lin de l'entente, qui devait être en même temps celle du ministère. iHires.) Les mois ont succédé aux mois cl fuuiou des gauches a survik-u à toutes les tentatives faites pour la rompre, à toutes les défaillances comme à toutes les trahisons, et le ministère, qui eu avait fait le pivot de sa politique, est toujours debout en dépit des Nostradamus parlementaires qui prophétisaient sa chute de.trois mois eu trois mois ; et les cabinets de rem- placement, dout les listes, ingénieusement variées pour ménager les amours-propres ou nourrir les espérances, ont défrayé quotidiennement l'avide curiosité des couloirs, atten- dent, morfondus, sous l'orme des champs, la fameuse pelure 228 LE llANQUKT I>K LAON d'oraiiifo qui doiL ouvrir une successiou ardciuiiieulcoinoitcc Messieui's, ces cabinets attendront longtemps peul-ètre. s'ils ne comptent que sur la pelure. La majorilis républicain»' a l'œil assez clairvoyant, même sans laide de binocles, pour distinguer à distance une pelure d'orange, quelque arliste- ment enguirlandée qu'elle soit de fleurs empruntées pour la circonstance au patriotisme ou à la démocratie. {Rires et bravos.) Messieurs, mon collègue et ami Vallé vous le disait tout ;i l'heure, ce n'est pas par ambition, par vaine satisfaction d'amour-propre que mes collègues et moi nous conservons un pouvoir singulièrement tempéré par les amertumes jour- nalières dont on nous abreuve. L'amour-propre serait bien exigeant, s'il n'était largement satisfait par une durée de vingt-deux mois. Mais nous avons entrepris, d'accord avec le pays républicain, une œuvre capitale, dont son avenir dépend, et nous nous sonunes engagés à la poursuivre jusqu'au bout, en collaboration avec la majorité répuljlicaine du Parlement. {Applaudissements.) Nous serons fidèles à nos engagements. Que la réaction redouble ses assauts sous sa bannière propre ou que, pour essayer de nous renverser par surprise, elle se range momen- tanément sous une l)annière républicaine, qu'elle entre en accords, avoués ou tacites, avec des transfuges de notre parti, nous ne reculerons pas d'une semelle, aimant mieux tomber à notre poste que de rendre à la réaction iTn pouce du terrain que nous lui avons pris, et, si nous tonil)ons, nous tomberons au beau milieu de Tarmée républicaine, laissant à nos vainqueurs l'honneur plus que douteux de leur alliance cl de leur xicloire. iljnif/s n/iitlaïKlissri/iriih.) LE BANQUET DE I.AO.X 229 Nos adversaires, quels qu'ils soient, peuvent se le dire, et ils le savent si bien que lout leur eff(jrt tend à diviser notre armée, en semant dans ses ranjis les jalousies et les défiances. Des cinq groupes qui la composent, il en est un qu'ils ont pris à tâche de désigner aux soupçons des autres : c'est le groupe socialiste. Ils dénoncent à la fois ses prétentions et ses doctrines. Ils le dépeigut^nl comme le dispensateur du présent et le maître de l'avenir. A les en croire, le socialisme com- mande à la Chambre, en tyrannisant le Gouvernement. C'en sera fait à jamais, disent-ils, de la dignité, de l'indépendance de la majorité, si elle ne se décide, par un acte de'virilité, à se séparer des socialistes. Messieurs, voilà vingt-deux mois que ces prophéties sinistres résonnent à nos oreilles. Elles ont été si souvent ressassées que personne, à l'heure actuelle, ne les prend au sérieux, et leurs auteurs, moins que personne. Nous avons mis vingt fois les prophètes au défi d'établir, avec pièces à l'appui, la prétendue tyrannie exercée par le groupe socialiste sur le Gouvernement et la majorité. D'ordinaire, une tyrannie de ce genre se démontre par des lois votées, des mesures prises, des actes accomplis. Où sont ces lois, ces mesures et ces actes? Sans doute, les socialistes n'ont pas laissé ignoier aux autres groupes qu'ils se tenaient ferme à leurs doctrines et qu'ils ne les sacrifieraient à aucune com- binaison parlementaire. Mais, cette réserve faite, ils sont entrés dans l'union des gauches avec le ferme propos, qu'ils ont loyalement observé, de coopérer sans arrière-pensée au progranune commun de défense et d'action républicaines proposé par le Gouvernement. {Approbations nnanimes.) 230 LE BANQUET DE LAO.X De son C(Mô, messieurs, le Gouveruemeiil n'a eu qu'.i se louer de ses relatious avec les groupes de gauche. Scrupu- leux observateur de ses engagenieuls. il a rencontré an sein de chaque groupe, si l'on excepte un i)i'lil nombre d'intri- gants incorrigibles, le même bon vouloir, la même lidélilé au pacte convenu. 11 leur devait à tons une égale confiance; il leur a témoigné une ('gale sympathie. Ce que l'opposition a dit de son penchant à préférer les uns et à négliger les autres n'est que du verbiage de polémique indigne de nous occuper. (Applaudissements.) Messieurs, pendant que les progressistes nous présentaient au pays comme les dociles instruments du socialisme, il était immanquable que les nationalistes nous montreraient comme abaissant la France devant l'étranger. Et, de fait, nous sommes toujours, dans leurs journaux, u le ministère de l'étranger » : mais les nationalistes, comme les progressistes, en seront pour leurs frais d'invention. La France d'aujourd'hui jouit auprès des autres nations d'une estime et même d'une sympathie universelles. 11 n'eu est pas une qui ne soit désireuse d'entretenir avec elle des rapports de cordialité; on l'écoute partout avec déférence, parce qu'on a la conviction qu'elle est fermement résolue à concilier en toute circonstance ses propres intérêts avec les intérêts légitimes des autres peuples. Personne au monde ne lui ferait l'injure de croire qu'elle est capable de manquer à son alliance avec la Russie ou de désavouer ses amitiés avec d'autres pays. Mais personne aussi ne doute qu'elle n'uti- lise son alliance et ses amitiés dans le seul intérêt de la paix. Et cet amour de la paix est si bien l'àme de sa diplomatie, LE BANQUET DE L.VO.X 231 qu'elle niultplio, sans se lasser, les couYentions d'arbitrage et s'en fait de puissants instruments pour prévenir les guerres futures et circonscrire la guerre présente. {Assentiment.) Laissons donc le nationalisme clabauder contre le Gouver- nement, parce que le Gouvernement répugne à des déclama- tions chauvines et à des aventures guerrières. Laissons-le gémir hypocritement sur la prétendue désorganisation de nos forces militaires, parce que nous organisons ces forces suivant des conditions nouvelles, qui, sans les affaiblir à aucun degré, donnent satisfaction aux besoins d'une démocratie laborieuse et pacifique. L'opinion publique, en deçà comme au delà des frontières, ne prendra le change ni sur les intentions du ministère ni sur les résultats bienfaisants de la politique gouvernementale. {Applaudissements.) Mais, messieurs, l'opposition élève contre nous un autre grief. Il paraît que notre politique intérieure est une politique d'anthropophages. Il paraît que, depuis deux ans bientôt. Chambres et Gouvernement ne sont occupés qu'à manger du moine et du curé. S'il en était ainsi, j'avoue, pour ma part, que je ne saurais dire ce qu'il faut le plus admirer, ou de la tolérance des estomacs ainsi repus ou de l'habileté des cuisi- niers qui leur font avaler ces mets indigestes. {Rires.) Fort heureusement, messieurs, manger du moine et du curé est une simple figure de rhétorique, dont la langue s'est enrichie dans ces derniers temps, pour faire entendre, par antitlièse, que la République ne veut plus être mangée par les moines et les curés. 11 n'y a que les moines et les curés pour s'en étonner et leurs clients, les députés cléricaux, pour iiDUs en faire un crime. iHiluiité f/(''iiémlr.\ 232 LE BANQUET DE LAON Oui, inpssioiiis, la Répuljlique veut niettro un terme à uue situation qui n'a que trop duré. Elle a contemph' trop long- temps avec une inipassibilitc étrange l'envahissement métho- dique et progressif des congrégations. Quand on réfléchit que le nombre des congrégations autorisées, au i" Juillet 1901, date de la pronuilgation de la loi des associations, s'élevait à plus de neuf cents, et celui de leurs établissements, autorisés ou non, à plus de (piinze mille, (luand on sait, en outre que six cents autres congrégations s'étaient formées sans autorisation, ce qui frappe le plus, ce n'est pas l'habileté cauteleuse de la congrégation, se faufilant à travers les mailles de notre légis- lation, c'est la tolérance insensée des gouvernements à régar.d d'institutions si contraires à l'esprit de la société moderne. Et dire qu'il se' trouve encore des républicains pour approuver ce foisonnement prodigieux d'ordres monastiques et pour blâmer le Gouvernement de concevoir à ce sujet de patriotiques intiuiétudes ! Que les hommes de la droite se félicitent de l'invasion cougréganiste, parce qu'elle prépare la voie h l'invasion de doctrines chères à la monarchie ; que les nationalistes fassent cause commune avec les hommes de la droite pour défendre la congrégation, parce qu'ils se sentent irrémédiablemenl perdus dans leurs circonscriptions électorales sans l'appui des ch'ricaux, il n'y a là rien que de naturel ou de logicpie. rien qui ne s'explique par la com- munauté des idées ou l'intérêt personnel. (Broros.) ]\Iais, messieurs, on reste confondu à la Ibis d'étonnement et de douleur, quand ou entend les républicains progressistes élever la voix eu faveur des congrégations et incarner la Libelle dans des institutions destructives de toute liberté. LE BANQUET DE LAON 233 Une seule explication s'offre à l'esprit. Comme les natio- nalistes et les droitiers, les républicains progressistes sont prisonniers de la réaction cléricale. Tous ces gens-là nous reproclient de manger du moine. C'est leur faute. Pourquoi donc ont-ils mis tant de soin ji l'engraisser? (Rires et bravos.) Pourtant, messieurs, il me semble bien que notre action gouvernementale ne se borne pas à cette cuisine parlemen- taire. Pour quiconque la juge impartialement, elle révèle d'autres soucis. Tenons-nous-en, si vous le voulez bien, aux seules discussions qui vont être à l'ordre du jour des Cham- bres dès la reprise de la session. Quand a-t-oii vu un minis- tère mener de front, comme le nôtre, trois réformes capitales, la réforme religieuse par l'application des lois aux congréga- tions, la réforme militaire par la réduction du service militaire à deux ans, et la réforme fiscale, sur laquelle M. Maguiaudé appelait votre attention, par l'impôt général sur le revenu ? {Vifs applaudissements.) La liste est longue des cabinets qui ont exercé le pouvoir depuis quinze ans. J'admets que tous ont fait de leur mieux pour r('pondre à l'attente du pays. Je leur rends volontiers cette justice. La mauvaise foi de l'opposition nous la refuse. Eh bien, qu'elle remonte le cours du temps et qu'elle compare notre action politique à celle de nos devanciers. Où trouvera- t-elle un ministère ayant à son actif de plus grandes réformes que celles qui sont en train de s'accomplir ? Tout récemment, dans une séance de la Chambre aussi impressionnante par l'imprévu que par la pertidie des attaques dont nous avons été l'objet, un ancien ministre du cabinet de M. Waldeck-Rousseau nous accusait, du haut de 234 LK BANQUKT I>K LAON l;i tribune, ;mx applîiudissciiiciils c-oiiccrtés do ses aucieus collègues et aviM- l'appui justenioril escompté du ceufre et de la droite, de uous désiulén^sser du sort des liumbles et des petits, sous prétexte que nous n'avons pas encore résolu le problème des retrait(\s ouvrières. Messieurs, ce problème est posé depuis douze ans. Tous les ministères qui se sont succédé dans cette période, y compris celui de >1. Waldeck- Rousseau, qui ne pourrait prétendre que le temps lui a manqué, pui.squ'il a duré trois ans, .se le soid transmis sans lui tronver une solution, parce qu'ils n'ont jamais en\isagé qu'une de ses faces, celle de la dépense, sans se préoccuper en même temps de l'autre face, celle de la ressource corres- pondante. {Approbation.) Nous n'avons pas voulu 'commettre la même faute. Avec une loyauté politique qu'on aurait dû reconnaître, au lieu de la calomnier, nous avons tenu, avant d'apporter aux Chambres un chiffre de dépenses aventureuses, ;i nous assurer le moyen financier d'y subvenir. Si nous ne .sommes pas entrés plus hâtivement dans cette recherche, c'est que d'autres objets plus pressants .s'imposaient à nous: en matière politique, la nécessité d'abattre le cléricalisme, cet éternel obstacle aux progrès de la démocratie; en matière financière, le rétablissement sincère et vrai de l'équilibre budgétaire alors si gravement compromis. [AppJaudmements répétés.) On parlait tout à l'heure de Gambetta et de son école. Nous sommes de cette école pratique qui a pour méthode absolue de sérier les questions, aliii de les mieux résoudre. I.e péril congréganiste disparu, l't'quilibre budgétaire couso- lidi'. la question t\i'< retraites ouM'ières arrivei'a à son htMiic. LE BANQUET UE LAON 235 et, pour avoir atteudu son moment, elle s'offrira dans des conditions rassurantes pour sa réalisation. (Bi-gtos.) C'est même pour être en situation d'aborder, sans autre retard, cette question si intéressante, ainsi que les diverses réformes comprises dans notre programme, que nous avons poussé rapidement et sans discontinuité la lutte contre les congrégations. On en a pris texte pour nous reprocher d'avoir fatigué l'opinion publique et surmené la majorité parlementaire. On a prétendu qu'il eût été plus habile, au point de vue de la durée du cabinet, et, en même temps, plus agréable au pays, de procéder par demi-mesures, par étapes alternées d'activité et de repos, de déclarations de guerre et de traités d'armistice. {Rires et bravos.) Nous sommes d'une opinion absolument contraire. Outre que nous dédaignons les moyens factices de nous maintenir au pouvoir, nous pensons que la politique de luttes intermit- tentes élit été la pire des politiques; qu'à vouloir la bataille, il fallait la livrer de suite et la faire décisive, pour permettre au pays de jouir, après la victoire, d'une paix assurée, au lieu de lui offrir en perspective des périodes échelonnées de paix et de guerre, qui auraient entretenu dans les esprits une agita- tion prolongée, aussi funeste à la tranquillité publique qu'à la bonne marche des affaires. {Salves d'applaudissements.) Une preuve éclatante que nous avons sagement calculé, c'est que le pays n'a cessé de nous approuver, de nous encou- rager par les interprètes les plus autorisés de ses sentiments ; c'est qu'il a multiplié ses adresses de félicitations dans la même proportion que nos adversaires multipliaient leurs attaques. {Approbations.) 236 LE BANQUKT DK LAON Une secoade preuve non moins éclatante, c'est que sa représentation parlementaire, organe ofliciel et souverain de la pensée nationale, nous a suivis jusqu'au bout dans les projets de loi que nous lui avons soumis en vue de la sécula- risation complète de notre société. (Applaudissements.) En vain l'opposition a mis en œuvre tous les moyens, licites ou non, pour détacher du ministère sa lidèle majoriti?. En vain de misérables intrigues de couloirs ont fomenté les passions les moins nobles, excité les appétits individuels et, par l'appât de portefeuilles, qui se décuplaient à mesure que les tentations semblaient réussir, relâché dans de petits groupes d'arrivistes le lien d'une discipline tout d'abord librement consentie. En vain des défections retentissantes, survenant au moment le plus critique de la bataille, ont essayé de jeter le désordre dans nos rangs et de changer en défaite une dernière et suprême victoire. L'union des gauches a résisté comme un bloc de granit aux assauts réitérés de la réaction cléricale et à la coalition des ambitions personnelles. C'est par elle, comme le disait M. Mcrlot, que nous avons vaincu, de môme que c'est par elle que nous avons gouverné et que nous continuerons de gouverner dans l'unique intérêt de la République. [Bravos répétés.) Mais, messieurs, cette union salutaire, sans laquelle il nous serait Impossible de réaliser la partie de notre pro- gramme qui va se présenter avec un caractère d'urgence, notamment l'impôt général sur le revenu et l'organisation des retraites ouvrières, cette union ne doit pas être seulement un moyen d'action parlementaire. Elle doit se reproduire en dehors du Parlement, comme une règle générale de conduite LE BANQUET DE LAO.N 237 pour le parti républicain. Si olle s'impose aux mandataires du suffrage universel, elle ne s'impose pas moins au suffrage universel lui-même pour le choix de ses mandataires. Qui ne voit qu'elle n'eût pas été possible aux élus, si les électeurs ne l'avaient pas d'abord pratiquée? {Bravos.) Il faut donc qu'elle se fasse méthodiquement, à tous les degrés de la représentation nationale, et au prix de conces- sions mutuelles. Il faut que, dans chaque commune, dans chaque élection municipale, tous les républicains sincères, j'entends encore une fois par là ceux qui font passer l'intérêt républicain avant leurs préférences personnelles, se concer- tent en vue d'une action commune pour le triomphe d'une liste commune. {Applaudissements prolongés.) Je n'ignore pas que, sur ce théâtre restreint de la vie publique, les questions de personnes tiennent une place fort large, qui rend parfois le concert singulièrement diflicile. Mais je sais aussi que les chefs locaux du parti républicain, conscients des devoirs particuliers qui leur incombent dans la phase critique que nous traver.'^ons, ne feront pas vaine- ment appel au dévouement de ce parti, dévouement exalté par cinq années de luttes et û'é\weu\e^. {Acclamations.) D'ailleurs, messieurs, ils n'ont pour exhorter leurs amis et pour s'exhorter eux-mêmes à une attitude désintéressée qu'à prendre exemple sur les partis d'opposition. Un mot d'ordre a été donné cà nos adversaires de tout genre qui sera fidèlement exécuté. Partout, on a constitué contre les républicainsdes grou- pements nouveaux, qui se parent de l'étiquette républicaine, afin de mieux tromper les électeurs républicains. {C'est vrai.) L'Action Libérale, ainsi dénommée par antithèse, parce 238 LE BANQUET DE LAOX qu'elle entend la liberté à la faœn du Syllabus, qui en est la négation, a pris la direction du mouvement électoral. Les ralliés, les nationalistes, et même, tout en rechignant, les pro- gressistes se sont enrôlés sous sa bannière. Celte coalition hybride, aussi dépourvue de principes communs que de scru- pules dans le choix des moyens, va marcher avec ensemble contre nos municipalités républicaines. Unissez-vous contre elle, vous tous, républicains sincères, qui vous rattachez par vos sentiments à un des groupes de gauche. Faites taire vos sympathies personnelles; sacriliez au bien public vos désirs propres, vos mécontentements acciden- tels ; élevez-vous au-dessus des considérations étroites pour ne songer qu'à la République. La République sera ce que vous la ferez par votre vote, puisque ce vote déterminera directe- ment le choix de vos futurs sénateurs, et indirectement le choix de vos futurs députés. (Vives acclamations.) Que cette réflexion soit constamment présente à vos esprits dans la période électorale qui vient de s'ouvrir, et qu'elle inspire à chacun de vous des résolutions viriles et désintéressées. Il n'y a pas de victoire qui ne coûte quelques sacrifices. Il n'y a pas de sacriïices qu'un vrai républicain ne soit prêt à faire pour procurer la victoire à la République. Républicains de l'Aisne, je lève mou verre pour célébrer d'avance cette victoire. Je bois à la République qui nous est chère. République de paix, de liberté et de progrès, seule capable de réaliser notre programme de réformes politiques et sociales, qui se résume dans l'amélioration du sort du peuple et dans son émancipation matérielle et morale. {Ovation prolongée. Cris de : Vive Combes! Vive la République ! > XIII LA CIRCULAIRE DU VATICAN (27 MAI 1904) A la suite du voyage du Président de la République à Rome, une note diplomatique avait été adressée par le Saint-Siège aux puissances européennes pour protester contre celte visite, qui n'élait qu'un acte de courtoisie en réponse à la visite faite à la République française pir les souverains italiens. Cette note, rédi- gée en termes otiensants pour notre pays, était encore aggravée par ce fait que celle adressée au gouvernement français ne con- tenait pas une phrase relative au rappel éventuel du nonce apos- tolique de Paris, phrase qui se trouvait dans les notes remises aux autres puissances. Le gouvernement de la République rappela aussitôt son ambassadeur au Vatican, M. Nisard. Le journal l'Hximanilè ayant publié intégralement ce docu- ment diplomatique, plusieurs demandes d'interpellation furent déposées sur le bureau delà Chambre (1). M. Combes, président du conseil, leur répondit par le discours suivant : M. EMILE Combes, présideul du conseil, ministre de rin- térieur et des cultes. — Messieurs, je crois que nous avons 1. Journal officiel. Déb. Par). Chambre, n» du 28 mai 1904. Pages 1180 et suivantes. 240 L.^ CIRCl'LAmE t)t' VATlC.AiN épuisé la série des interpellations; -c'est pour cela que je prends la parole. Je serai très liref. J'apporte à la tiibune une courte explication, le sujet, lel que je le comprends, ne comportant pas un long discours. Je demande à la Chambre de laisser au débat qui va se clore sa signification précise et sa portée réelle, sans y mêler des considérations d'un (irdre plus étendu, qui ne résultent pas directement des motifs invoqués à l'appui de la i<'solulion gouvernementale qui fait l'objet de celle inlerpellalidu. Le Saint-Siège, dans un document blessant pour la France... M. Groussau. — Ce n'est pas exact. M. LE PRÉsiDEXT DU CONSEIL. — . . a déuoncé à certaines puissances de l'Europe l'offense prétendue que le chef de l'État français aurait commise à son égard, en rendant au roi d'Italie, dans la capitale incontestée de son royaume. . . . ( Vifs applaudissements à gauche, à l'extrême gauclie et au centre), une visite amicale qu'il avait reçue de ce souverain, et eu refusant de se plier à la doctrine ultramontaine des préroga- tives imprescriptibles de la papauté. (Nouveaux applaudisse- ments sur les mêmes bancs.) Nous avons répondu à ce document comme il convenait, par le rappel immédiat de notre ambassadeur. Ce rappel signifie politiquement que nous ne pouvons admettre sous aucun prétexte que la présence de notre ambassadeur à Rome soit interprétée par le Saint-Siège dans un sens favorable à ses prétentions, et lui serve en quelque sorte de justification apparente pour une revendication de droits que nous repoussons de la manière la plus absolue. {Vifs applaudissements à gauche et à Vextrème gauche.) LA CIRCULAIRE DU VATICAN 241 Il indique également que nous n'avons pas voulu tolérer l'ingérence de la cour pontificale dans nos rapports interna- tionaux, de même que nous avons voulu en finir une bonne fois pour toutes avec la fiction surannée d'un pouvoir tem- porel disparu depuis plus de trente ans. (Vifs applaudisse- mentft à gauche et à l'extrême gauche.) Fallait-il pousser plus loin notre protestation légitime contre l'attitude prise par le pape et, par exemple, retirer tout le personnel de l'ambassade? Nous ne l'avons pas pensé . . . M. Georges Berthoulat. — Vous n'êtes pas logique. M. LE président du conseil. — . . car il ne faut pas perdre de vue qu'en vertu d'un traité qui nous lie, tant qu'il conserve force légale, en vertu du Concordat, nous sommes obligés d'entretenir auprès du Vatican. . . M. HuBBARD. — C'est une erreur ! M. le président du conseil. — . . . un fondé de pouvoirs de notre Gouvernement pour l'expédition des affaires. Au surplus, messieurs, on voudra bien convenir que nous ne pouvions pas supprimer et l'ambassade et le Concordat de notre propre autorité. C'est aux Chambres seules qu'il appartient de décider, quand elles le jugent à propos, une mesure de ce genre. Certains des orateurs que vous avez entendus vous pres- sent de procéder, sans plus tarder, à la dénonciation de ce traite. Mais, niessieuis, qui ne sent — surtuut après les dévelop- pements si éloquents de l'honorable M. Briand... [Très Ment très bien .' à l'e.rlrrmr gaurlir ri siii- divers baucs à gauche)... 242 LA CinCULAIHE DU VATICAN qu'un arto aussi gravo, qui forait disparaître touto une partie, la plus considérable peut-ôliv. dr noire organisation adminis- trative, doit être précédé de mesures propres à garantir l'État ré'ijublicain contre les risques politiques d'un cliaii^i'iiicid si radical dans sa législation et ses liabiludes ? Ce n'est donc i)as par voie d'un ordre du Jour ipic nous pomons régler cette question si délica[(>. M. Briand vous l'a rappelé : une de vos grandes commis- sions est saisie de propositions diverses tendant à la séparation des Églises et de l'État. Elle les étudie avec mélliode et dans un esprit de sage prévoyance. Elle vous apportera des conclu- sions motivées. C'est à ce moment que Chambres et Gouver- nement pourront s'expliquer eu toute liberté. M. Briand vous a indiqué une date approximative. Le Gouvernement l'accepte. [Vifs applaudissements à l'extrême (janche et à (jauche.) M. Magniaudé. — Mais voilà dix ans que le Gouvernement .dit la même chose pourrimpùt sur le revenue! un ne le voit jamais ! [Très bien ! très bien ! sur divers bancs.) M. GÉRAULT-RiCHARi). — Jamais un Gouvernement n"a tait une déclaration comme celle que vient de faire M. le président du conseil. M. Magniaudé. —Très souvent, dans les précédentes légis- latures, le Gouvernement a promis que l'on discuterait l'impôt sur le revenu et ce sont vos amis eux-mêmes qui l'ont aidé à ne pas tenir sa parole (Bruit.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — 11 dépcud de la Chambre seule que la question vienne immédiatement après le vote du budget dans la session de janvier prochain. (.Vo//)T/«^Hf.<;/7/»T/'.s-.) LA CIRCULAIRE DU VATICAN 243 Le Gouvernement est aussi pressé que le plus pressé d'entre vous d'aborder cette discussion. . . M. LE BARON Amédée Reille. — Daus quel sens? M. LE président du CONSEIL. ... Car, étant donnée la manière dont le Concordat est observé, je veux dire violé journellement, par les représentants de l'autorité ecclésias- tique... (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche), il est indispensable qu'une .solution intervienne. {Applandis- sements à l'extrême gauche et à gauche.) 31. LE BARON AxMÉDÉE Reille. — Laquelle ? M LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nous ne pouvous pas rester plus longtemps dans une situation qui (luirait par être sans issue. (Nouveaux applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.) J'ajourne donc à ce moment l'exposé des vues du Gouver- nement et je demande à la Chambre d'ajourner aussi à cette date un vote qui serait aujourd'hui sans efficacité. Je la prie de se restreindre, dans son ordre du jour, à la mesure gouvernementale qui a donné lieu à cette discussion, (Applaudissements à l'extrême gauche et u gauche.) L'ordre du jour suivant, accepté par le Gouvernement r « l-a Chambre, approuvant le Gouvernement d'avoir rappelé notre ambassadeur auprès du Vatican et repoussant toute addition, passe à l'ordre du jour », fut adopté par 427 voix contre 95. XIV LA SUPPRESSION DE L'ENSEIGNEMENT GONGRÉGANISTE (quatrième discours) Le projet de loi sur la suppression de l'enseignement congré- ganiste, ayant été voté par la Chambre, fut porté devant le Sénat. M. Halgan déposa une motion tendant à ajourner la discussion jusqu'à la prochaine session. Dans la séance du 23 juin 1904, le président du conseil monta à la tribune pour s'opposer à celle demande d'ajournement (1). M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Messlciirs, peii de mots m.' suffiront, je crois, pour déterminer le Sénat à repousser la motion d'ajournement. L'honorable M. Halgan s'autorise de trois motifs pour vous la proposer. « D'abord — a-t-il dit — nous sommes à la fin de la session parlementaire. » Et il a semblé insinuer que nous n'avions ni le temps, ni la tranquillité d'esprit nécessaires pour aborder un tel débat. 1. Journal officiel. Déb. Pari. Sénat. N» du 24 juin 1904, pages 60o et suivantes. l'enseignement gongréganiste 245 On lui a répondu, avec beaucoup de raison, du banc de la commission, que dix orateurs de la droite étaient inscrits dans la discussion générale pour exposer les idées de ce côté de l'Assemblée. C'est là un chiffre respectable, et je ne désespère pas de le voir grossir dans le courant de la délibération. Comme nous sommes disposés à ne pas mesurer aux orateurs le temps qui leur est indispensable, l'honorable M. Halgan se convaincra par lui-même que, sous ce rapport, ses scrupules sont mal fondés. {Très bien ! firs bien ! à gauche.) Le deuxième motif qu'il a donné en faveur de l'ajourne- ment vise la situation du ministère qui, d'après lui, n'est ni un ministère homogène ni un ministère fermement assis. Messieurs, ce n'est pas une nouveauté que cet argument. Le ministère n'a jamais eu la prétention d'être un mini.stère homogène, au sens étroit du mot. Le ministère est la repré- sentation exacte de la majorité républicaine des deux Cham- bres. (Trèa bien ! à gauche.) Cette majorité, composée de fractions qui professent, sur différents points, des opinions divergentes, est unie en un point essentiel : la nécessité abso- lue de combattre le cléricalisme et le nationalisme. (Vive approbation sur les mêmes bancs.) M. Hervé de Saisy. — Qu'appelez-vous le cléricalisme ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'cst l'opposé de ce que M. Halgan appelait la religion. {Très! très bien! sur les mêmes bancs.) M. Le Provost de Launav. — C'est parce que vous êtes religieux que vous le combattez ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'est le parti politique qui 246 l'enseignement congréganiste veut se faire de la religion un instrument de domination civile. (Nouvelles marques d'approbation à gauche.) M. Oluvier. — Ce parli-là n'est pas le nôtre. .M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Autaut nous sommos iesi)eclueux de la religion, autant nous sommes ennemis déclarés du cléricalisme. M. Halgan. — C'est pour cela que vous renvoyez nos pauvres frères des écoles chrétiennes, qui ne font pas de cléri- calisme ni de politique ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nous dlscuterons ce point, quand nous aborderons le fond du débat. M. DE Lamarzelle. — C'est cela ! M. le président du CONSEIL. — Je donne, pour le moment, les raisons que peut invoquer le Gouvernement, d'accord avec la commission, pour faire rejeter la demande d'ajournement. J"ai dit aussi que la majorité républicaine était unie pour mettre une barrière à ce dangereux courant qui a paru à un moment emporter certaines régions de la France vers une fausse idée de la patrie, par l'abus d'un sentiment national qu'on exploitait pour changer les institutions actuelles et y substituer le pouvoir personnel. Toutes les fois qu'une proposition ayant trait à l'un ou à l'autre de ces dangers, cléricalisme ou nationalisme, sera soumise aux deux Assemblées, on peut être certain que la majorité se trouvera compacte, quels que soient ses dissenti- ments sur d'autres points. [Applaudissemenisà gauche.) Ce^t en cela que réside son homogénéité, et elle se reflète dans la composition du ministère. A cet ('gard, il n'y a pas entre nous la moindre dissidence d'opinion. QUATRIÈME DISCOURS 247 Mais sonimes-DOUs un ministère plus ou moins fermement assis ? M. Le Provost de Launay. — C'est douteux ! M. LE COMTE DE Tréveneuc. — Vous VOUS cramponnez, dans tous les cas. {Rires à droite.) M. LE président du conseil. — A cet égard, je ne peux que me référer à l'expérience du passé. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on annonce noire chute prochaine. Il y a dix-huit mois que ces prophéties se sont produites, et à chaque fois que ceux qui les émettaient se croyaient près de les réaliser, une résolution spontanée de la Chambre des députés ou du Sénat leur montrait qu'ils pre- naient leurs désirs pour des réalités. M. Vidal de Saint-Urbain. — Vous êtes immortels ! M. le président du conseil. — J'entends parler d'immor- talité. Si l'on veut dire par là qu'il est impossible de substi- tuer au ministère actuel un autre ministère, sans changer l'axe de la majorité, on a raison. Mais aucun de mes collègues ne prétend à la continuation indéfinie du pouvoir qu'il exerce en ce moment. Nous savons fort bien que tous les ministères sont fragiles et peuvent être éphémères. Aussi n'est-ce pas pour la stabilité du ministère que je fais des vœux en ce moment, c'est pour h stabilité de la majorité, pour son union persévérante dans les mêmes idées. {Très bieni très bien! à gauclie.) J'aime à, espérer, ou plutôt je suis convaincu que cette majorité i^e maintiendra, jusqu'il la fin de la législature, dans le même courant d'opinion, et que c'est vainement qu'on essaie de lui imprimer une orientation nouvelle... iAppIaiidis- 248 l'enseignement congréganiste sements à gauche)... quel que soit, crailleurs, le sort dos hommes qui détiennent en ce moment le pouvoir. M. Le Provost de Launay. — M. Mascuraud est là pour y veiller. M. Victor Leydet, s'adréssant à la rfjot^p. — Parlez-nous de l'argent de la duchesse? (Très bien ! et rires à gauche.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Euflu. luessiours, comme motif d'ajournement, on nous demande de consulter les conseils municipaux. C'est une proposition qui nous a déjà été faite à la Chambre des députés, et nous n'avons pas cru devoir y adhérer, pour deux raisons : la première, c'est que les conseils municipaux sont incompétents pour traiter une question de principe comme celle qui fait le fond du projet de loi. M. Vidal de Saint-Urbain.— Ils sont tous réactionnaires!. M. le président du conseil. — Non, ils sont incompétents. Ils n'ont pas été choisis par les électeurs pour se livrer à des débats de politique générale. M. Vidal de Saint-Urbain, ironiquement. — Ils sont incapable? ! M. Brager de La Ville-Moysan. — 11 sont incompétents parce que vous vous en défiez. M. LE président du conseil. — C'est une question de politique générale qui se discute en ce moment. Ils n'ont de compétence que pour des questions locales. M. Le Cour Grandmaison. — Et pour vous voter des félicitations. M. LE président du CONSEIL. — M. Halgan peut prétendre que l'avis à émettre au sujet d'une école congréganisle est QUATRIÈME DISCOURS 249 simplement d'intérêt local. iMème en le tenant pour tel, je dois lui dire que je regrette, pour ma part, qu'on ait cm devoir consulter les conseils municipaux dans la préparation de la loi de 190i. . . {Marques d'assentiment à gauche] et leur demander leur avis au sujet des établissements congréga- nistes. (Très bien! très bien! à gauche.) On les a placés par là dans la situation la plus fausse. On les a mis dans la nécessité de paraître ou déserter leurs con- victions, ou manquer à des devoirs de sympathie envers les personnes. (Nouvelle approbation sur les mêmes bancs.) C'est ainsi que s'expliquent les votes de certains conseils municipaux très fermement républicains, mais reconnais- sants envers les congrégations de services antérieurement rendus. 11 n'est pas bon de mettre les convictions aux prises avec un sentiment respectable. Telle est ma seconde raison pour refuser de m'associer à la proposition de prendre l'avis des conseils nuinicipaux sur le projet de loi en discussion. En conséquence, nous demandons au Sénat de repousser la motion qui lui fst proposé'. [Vifs applaudissements à gauche.) La notion d'ajourneraenl fut repoussée par 195 voix contre 42. XV SUPPRESSION DE L'ENSEIGNEMENT CONGRÉGANISTE CINQUIÈME DISCOURS (24 JUIN 1904) La discussion générale du projet sur la suppression de l'enseignement congréganiste ne fut pas moins vive au Sénat qu'à la Chambre. M. Combes, président du conseil, intervint pour expliquera la Haute Assemblée, la nécessité politique de la loi proposée (1). M. EMILE Combes, président du conseil, ministre de l'inté- rieur. — Messieurs, je prends la parole moins pour répondre an très éloquent discours de l'honorable M. de Las Cases, que pour m'expliquer sur le principe fondanieulal et l'ohjel essentiel du projet de loi. Tout me parait, d'ailleurs, avoir été dit, dans des discussions antérieures, sur le sujet qui nous occupe. Les personnes ne sont pas en cause ;. je n'ai i. Journal officiel. — Déb. Pari. Sénat, n° du 2o juin 1904, page 628 et suivantes. l'enseignement congréganiste 251 pour elles dans le cœur aucun sentiment de malveillance. C'est aux institutions seules que mes critiques vont s'adresser. Les mêmes raisons qui m'ont conduit jadis, comme prési- dent de la commission sénatoriale des associations, à vous proposer d'inscrire dans la loi du 1" juillet I90i, pour les congrégations non autorisées, l'interdiction de prendre part à l'enseignement, et, plus récemment, comme président du conseil, à renouveler la même interdiction pour les congré- gations en général dans le débat sur l'enseignement secon- daire privé, s'appliquent avec la même force aux congrégations autorisées et entraînent, comme conséquence, la suppression (le ces congrégations. On peut en contester la solidité, on l'a fait tout à l'heure avec une éloquence à laquelle je rends hommage. Mais, à diverses reprises, les défenseurs des congrégations ont accu- mulé, pour les réfuter, toutes les ressources de leur dialec- tique. Quoi qu'ils aient pu dire, on ne saurait méconnaître que ces congrégations n'ont d'autre titre à donner l'enseigne- ment que celui qu'elles tiennent d'un texte fragile de législation et que ce qu'un texte a pu leur accorder, un autre texte peut le leur reprendre. M. SÉBLiNE. — Encore faut-il une raison ! M. BÉH.MD. — Attendez, on va vous la dire! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Rîeu u'est uiolus foudé que les motifs de droit qu'elles allèguent pour se soustraire à cette dernière éventualité. Ces motifs sont au nombre de deux. Ils ont été si souvent reproduits dans les discussions précé- dentes, que ce serait perdre inutilement du temps que de les exposer longuement. 252 l'enseignement congrkganistk L'un est empninté h la constitulion mc^mo do la personne humaine. L'auliv dérive des principes orjraniqnes de notre régime politique. Le droit d'enseigner, dil-on, est un droit inhérent ;i la personne humaine, tout comme le droit de penser. Car il se confond avec le droit de communiquer sa pensée. Je me souviens d'avoir entendu l'honorable M. Charles Dupuy soutenir k cette tribune, dans le débat sur l'(Mi.seigne- meht secondaire privé, cette thèse spécieuse de l'ideiilili' des deux droits. Je ne l'étonnerai pas en lui disant qu'il ne m'a nullement convaincu. M. Charles Dupuy. — Et vous non plus, vous ne m'avez pas convaincu ! {Très bien! iri's Mon ! et virrs nu centre.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je u'al pas eucore essayé, mon honorable collègue. Permettez-moi de le faire. (Trén bien! très bien! à gauche.) Certes, je tiens comme vous, mon cher collègiie, que le droit de penser est un droit essentiel de la personne humaine et qu'il ne peut être violé sans que cette personne soit atteinte dans un de ses éléments constitutifs. Je liens également, comme vous, que ce droit implique celui de communiquer sa pensée h autrui et que c'est même expressément dans ce .sens qu'il doit être entendu. Car on concevrait difficilement qu'on pût mettre en question la faculté pour un cerveau humain de former des pensées. Mais si le droit de penser, ainsi com- pris, est un droit naturel, il ne s'en.suit nullement, comme vous l'avez soutenu, qu'il .se confonde avec le droit d'ensei- gner, tel que ce dernier droit est en jeu dans cette discussion. Quand des constitutions p(tlili(iues ont pos(' le drnil de CINQUIÈME DISCOURS 2o3 IK'iiser an nombre de leurs ailirles toiidamciilanx. elles avaieut eu \ue la couuuuiiicatiou de la peusée de riionuue à d'autres liouunes par les moyens habituels de ce geure de li'ausmissiou, la parole et la presse. Or. messieurs, l'enseignement est un genre de comnnud- calion tout à fait spécial. Et celte distinction a si bien été admise de tout temps, qu'on pourrait citer des gouvernements où la liberté de la parole et celle de la presse ont existé dans une très large mesure, sans avoir pour corollaire le moins du monde la liberté d'enseigner, de même qu'où pourrai! cons- tater que, lorsque des coustitulions out voulu étendre le droit de penser au droit d'enseigner, elles ont marqué cette \ol(Hile dans des articles séparés, où la liberté d'enseignement a figiu'é à i)art des autres libertés, avec des conditions parti- culières à cet exercice spécial du droit de penser. ( Très bien l très bien! à gauche.) Que l'honnne ait le droit de conunuuiquer sa pensée à d'au- tres hommes, ses semblables dans l'ordre de la nature, ou ses égaux dans l'ordre social,c'est l'essence môme de sa liberté. Mais, messieurs, sou droit, ccnnme sou devoir, change, dès qu'il n'a, plus en face de lui que des enfants. ( Vive approbation àgauclic.) Alors, il n'est pas libre; il ne |)eut pas être libre de dire l'iiite sa pensée. M. TiLLAYE. — Où est-elle écrite, cette restriction? M. Eugène Lintilhac. — Dans le droit de l'enfant. M. LE puÉsiDENT DU CONSEIL. — Jc vais VOUS le dlie. M. Delcros. — On n'a pas interrompu M. de Las Cases. .M. LE PUÉsiDENT DU coNSEU.. — La ualuVe elle-même limite a cet égard lusage du droit eu question. Car c'est en verln c. — s 234 l'enseignement congiiéganiste (liiii (lidil ii.itiircl. le (lioil (!(■ IVuraiil ;i (■lie prolc^c cinilrc les alU'iutt's polices a son èlre moral, ([lie loiiles les socieles sans excei)U()ii (nil subordouné le droit d'enseigner à (U'^ prescriptions parliculières, écartant de l'exercice de ce droit certaines classes de personnes et certaines catégories de matières. (Très bien '. très bien I à gauche.) Messienrs, il nie paraît superflu de m'étendre sur ce jjoint, que je regarde comme en dehors de toute contestation, et je me hâte d'en faire l'application à notre régime politique, qui ne laisse pas d'être le plus libéral de tous les régimes, bien qu'il ait assujetti le droit d'enseigner à des obligations pro- fessionnelles ou morales, qui le différencient de la sorte du droit de penser, indistinctement reconnu à tous les citoyens. Il est vrai que, depuis quelque temps, un étranger qui ne connaîtrait la France que par les articles d'une certaine presse ou les déclamations de cerlains orateurs serait tenté de croire que nous sommes un peuple d'esclaves soumis au caprice de quelque despote. M. LE COMTE DE GouLAiNE. — il ne Se tromperait pas. Sur plusieurs bancs à droite. — C'est bien la véritt'! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — 11 s'imagluerait que toutes nos libertés ont disparu... Un sénateur à droite. — Elles disparai Iront. .\I. Destieux-Junca. — C'est sous les régimes qui vous sont chers qu'elles avaient dispaiii. Vous avez même le droit d'injurier la République; de qu(ji vous plaignez- vous? M. Clemenceau. — Ne criez pas avant d'être écorchés. M. Dominique Dèlahaye. — Nous crierons avant, pendant cl après. CINQUIÈME DISCOURS 255 M. Destieux-Junca. — Si on avait agi ainsi sous la monar- chie!... M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — L'iiomnic (loiit je parle pourrait s'imaginer que toutes nos libertés ont disparu, et que nous sommes revenus aux pires époques de notre histoire. Le plus bizarre est que les hommes qui se plaignent avec le plus d'amertume de ce prétendu retour en arrière, de cette destruction imaginaire de nos libertés, sont les mêmes qui ont applaudi les encycliques célèbres où les papes font litière de nos libertés naturelles et condamnent comme autant d'erreurs nos libertés publiques. (Vifs applaudissements à (jauche). iM. LE COMTE DE GouLAiNE. — Yous avéz luis le bon ver à l'hameçon ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ce sout Ics mêiues qui gloritieut la foi ardente des temps de l'Inquisition. M. SÉBLiNE. — Pas du tout ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ce sout Ics mènies qui .se complaisent tous les jours dans des distinctions subtiles entre la liberté du bien et la liberté du mal. M. DE Lamauzelle. — C'est vous qui faites cela ! M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Oui, uous eu soiunies là que les défenseurs des congrégations osent placer le Sylla- biis... (Ah! ah t à droite.) M. DE Lamerzelle. — Nous y voilà ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. ... cu faco dc uotre Consti tution républicaine comme un modèle de libéralisme. M. DuMLMuLE Delauaye. — Passoiis à l'Inquisition! 236 l'enseignement congréganiste M. DE Lamarzelle. — Nous allons rccoiiiiiUMiCfM-; je ne demande pas mieux. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEU,. — La tiicsc pciil NOUS seuihlri' (lifdcile à soutenir. J'ai conslalé (lu'elle n'avait décourajré aucune bonne volonté. |>uis(|u"il m\ a |ias longtemps je l'ai entendu développera celle liii»une par un des nienibres les plus distingut's de la droite. J'ajoute qu'elle a pris, dans sa bouche, une forme passablement ingénieuse. M. DE Lamarzelle. — Merci! M. le président du conseil. — Le SijUabas proscrit la liberté. Mais Une la proscrit, suivant M. de Lamarzelle, iiue pour ses adhérents. Seul, le catholique est tenu d'admettre que la liberté est de droit iKuir la vérité, ikhi pour l'erreur. Le libre penseur, le protestant, le juif, sont libres de profes- ser une autre doctrine. D'abord, je voudrais bien savoir comment le Syllabun s'y [)rendrait pour les en empècner. Mais ^are aux libres pen- seurs, aux protestants, aux juifs, le jour où les disciples du Syllabns, devenus les maîtres de la France... Sur plusieurs bancs ù (Imite. — Mais ce n'est pas la (iiies- tion! [Protesta tinns II gauctie.) M. LE Président. — Veuillez, messieurs, ne pas inter- rompre. \ous avez des orateurs de votre parti inscrits pour répondre. M. Dominique Delahaye. — Nous attendons le couplet sur la Saint-Barthélémy. M. DE Lamarzelle. — Nous ne craignons pas la discussion sur le Syllabus. M. LE Président. — Mais, monsieur de Lamarzelle, il peut CI-NULIEME DISCOUHS 20/ arriver à vous-même, je ue dis pas d'être en dehors de la question, mais. .. M. UE Lamakzelle. — Cela m'est arrivé, monsieur le Pré- sident, et vous m'avez souvent donné la liberté de le faire, et je vous en remercie. M. LE Président. — Alors, pourquoi vous plaignez-vous et pourquoi refusez-vous de faire bénélicier les autres de la doctrine dont vous vous réclamez ? M. DE Lam.\rzelle. — Je ne me suis pas plaint, monsieur le Président. J'ai dit au contraire que j'étais enchanté. Un membre à gauche. — Alors, laissez parler M. le prési- dent du cou.seil! 11 est mailre di» sou argumentation. M. LE président du conseil. — Messieurs, j'ai conscience d'être en plein dans le sujet. Oui, il s'agit de prouver que nous ne violons pas la liberté. M. Beaupin. — C'est pour cela qu'on ne veut pas vous écouter. {Très bien ! à gauche.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Jo dis que les libres- penseurs, les protestants et les juifs peuvent maintenant pro- fesser une autre doctrine, différente de la doctrine catho- lique. Mais le jour où les disciples du Syiiabus seraient les maîtres et eu situation d'appliquer à la société leurs croyances, ah ! c'est alors que le droit d'enseigner passerait un mauvais quart d'heure. {Très bien! très bien! à gauche.) Un sénateur à droite. — Qu'en sa^ez-vous ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'osc crolre que l'honorable M. Charles Dupuy persisterait encore, malgré la rigueur des temps, à le revendiquer comme un droit naturel. Mais M. de Lamaizelle, .son allié daujonidlmi d;ins la 258 L'ENSEKiNEMENT CONGRÉGA.NISTE campagne contre le projet de loi, ne manquerait pas de lui répoudre, le Syllabiis à la main, que c'est là une thèse de mécréant... [Exclamations à droite.) M. Charles Ddpuy. — C'est la thèse républicain»; ! M. LE PRKsiDENT DU CONSEIL. — Yous savcz bien, mou- sieur Dupuy, que nous sommes des mécréants au regard des catholiques. M. Charles Dupuy. — Je ne défends pas la liberté pour faire plaisir aux amis du Syllabus ; je la défends dans l'intérêt de la République, (ll'és bien! cl (iiiplandissemenh an centre et à droite.) M. le président du conseil. — Je ne vous reproche pas de la défendre dans un autre intérêt. J'estime que vous vous trompez, et je prends la liberté de vous le dire. M. le vicomte de Montfort. — Il faudrait lui prouver qu'il se trompe. M. le président du conseil. — Je dis qu'à ce moment-là, vous seriez vraisemblablement étonné d'entendre M. de Lamarzelle [Interruptions adroite) vous dire que cette doctrine nest pas la sienne et n'est pas la vérité. PlK^ii'Krs séiialenrs à droite. — Ne faites pas de person- nalités. M. DE Lamarzelle. — J"ai dit tout le contraire et j"ai cité l'exemple de gouvernements catholiques qui donnaient toutes es libertés. J'ai dit que je ferais comme eux, parce que ce serait non seulement mon devoir, mais mon intérêt de catholique. M. LE comte de Goulaine. — Défendez votre Gouverne- ment, Monsieur le président du conseil: M. de Lamarzelle saura bleu, plus lard, défendre le sien. CI.NQUIKMK DISCOURS 259 M. LE Président. — Vous u'avez pas la parole, monsieur (le Goulaine, et je vous prie de ne pas interrompre. iBriiU à droite.) Messieurs, vous Unirez ])ar rendre toute discussion impos- sible. Tout à l'heure, M. d^' Las Cases a fait son discouis et personne ne l'a interrompu. Un sénateur à fJrnitc. — Il n'avait pas l'ail de pei'sonna- lités ! M. Dominique Delahayk. — M. de Las Cases donnait des raisons ! M. LE Président. — 11 ne s'agit pas de comparer les discours, mais de comparer les droits. Un sénateur à droite. — On a bien le droit d'interrompre l'orateur ! M. LE Président. — Non, on n'a pas le droit d'inter- rompre l'orateur, c'est contraire au règlement, et vous voyez bien où on eu arrive avec ces interruptions continuelles; on allonge la discussion, sans profit pour personne. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je lalsse, puisqu'on le désire, au domaine de l'hypothèse cette controverse éven- tuelle entre le droit naturel et le droit divin d'enseigner. Du reste, la réalité me plaît davantage, et cette réalité, c'est notre état républicain, où l'enseignement, du consente- ment universel, est astreint à des garanties d'ordre public inscrites dans notre législation. Le seul fait de ces garanties établit induintablement que la société n'estime pas que le droit d'enseigner puisse être accordé indistinctement à tous les citoyens. Par l;i même, il défend le Gouvernement contre l'accusation de violer nu 260 l'enskkjnkmknt co.noréoamste principe de lii)erté, (piniifl il étenrt riiicapaeité d'enseigner aux niemltres des congrégations religieuses. Toute la question est de savoir si celle extension est justilii'e. Remarquons, tout d'abord, que la garantie jii'isc contre les congrégations est de même ordre (pic certaines garanties antérieurement édictées. En effet, auparavant la loi avait déclani incapable d'ensei- gnei' quiconque ne n'unit pas en sa personne toutes les qualités communes du citoyen. L'interdiction faite aux mineurs d'ouvrir une école, aux faillis non réliabilités d'exercer une fonction d'enseignement... {Murmures à droite.) M. TiLLAVE. — N'assimilez pas aux faillis ceux dont vous prenez les biens. {Applaudissemoits a droite et un centre.) M. Vidal de Saint-Urbain. — Ninsulttîz pas ceux que vous frappez. M. LE PRÉSIDENT Di' CONSEIL. — Cette Incapacité avait pour raison d'être l'inaptitude de ceux qu'elle frappait à exercer to.us leurs droits de citoyen. Nous ne raisonnons pas autrement, sans faire d'ailleurs entre les personnes cette assimilation qui indignait tout à l'heure notre honf)rable collègue, nous ne raisonnons pas autrement, au point de vue du principe, dans notre proposi- tion d'éloigner de l'enseignement les congri'galions religieuses. C'est parce (|ue les inend)res de ces congn^gations ont renoncé h la vie commune, parce qu'ils se sont affranchis des devoirs communs du citoyen... A droite. — Allons donc! c'est le contraire! M. LE Président. — Je répète, messieurs, (ju'il n'y a plus de discussion possil)le. si, à chatiue mot. \i)us inlcri'onqM'z. CINQUIÈME DISCOURS 261 M. Destieux-Juxca. — Nous verrons tout h l'heure. Qu'un de \os orateurs monte ;i la tribune, nous lui rendrons la pareille, soyez tranquilles ! M. LE Président. — Jïnvite tous mes eollèf>nes de la droite à prêter attention au discours de M. le président du conseil: il > a cinq ou six orateurs inscrits pour lui répondre. .M. LE PRÉSIDENT DU coNSEii c'est parce que les mem- bres des con^iréfiat ions se .sont affranchis des devoirs connnuns des citoyens que nous leur dénions le droit de se réclamer des avantages de la vie commune et des privilèges du citoyen. ( Très bien ! très bien ! à gauche.) Sans vonloii' reprendre ici des controverses philosophiques hors de saison sur le contrat social, il est bien certain cepen- dant que la société ne .se conçoit que comme une résultante de conventions es.sentielles entre les membres qui la forment. Plus elle se rapproche de l'idéal démocratique et plus aussi on y découvre une égale répartition de devoiis et de droits. Les congrégations en.seignantes dérogent à la règle comnume. Le religieux, comme la religieuse, s'exonère des devoirs les plus iinpoi'tants et des charges les plus lourdes. L'idéal (pii les attire n'a rien de conu)Uin avec l'idéal social. iProtestn- iinns à droite.) M. BÉRENGER. — 11 en est de même du prêtre. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je lie (lis rleii (pii soit blessant pour qui que ce soit. {Parlez ! parlez ! à ijaiirhc.i M. Dominique I)el.\h.\ye. — .Vu contraire ! >L LE PRÉsmE.NT DU CONSEIL. — S'il lie iiiesl |)as possible de porter à cette tribune des (piestions de |)riiicipe. à tpioi sert la di.scussion ? 262 l/ENfiETONEMENT CONr.RÉOANISTE M. Dominique Delahavk. — Vous .-ippclcz fv\:\ dos qiios- tioiis de principe! M. Eugène Lintilhac. — C'est le vieonite Laine qui. le premier, en 1825, a dénoiuM' a la liiliuiic de la Chambre des pairs l'antinomie e^ssentielle enlre les trois vieux du coiifin;- ganiste et la mission de foiiner des cilo.M'iis pour la \ie sociale. Voyez le Moniteur. C'est ce libérai (pii a dénonc»' cette incomi)atibilitt', et nullement la cougrégaticm des fraucs- maçous, comme on l'insinuait tout à l'heui'e. {Tii's birn ! Iirs bien I à gauche.) M. leProvost deLaunay. — Aristote en avait déjà parlé. M. Eugène Lintilhac. — Le trait est attif(ue. Il reviendra ; j'y répondrai quand il fera moins chaud ici. Mais cette fois, ce n'est pas dans Aristote, c'est dans le Moniteur, à la date du 8 février 1825, pour être précis. C'est de Laîné. un libéral, messieurs. Allez-y voir. M. LE Président. — Messieurs, -e vous prie de cesser ces interruptions; il faut savoir supporter la contradiction. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La vic évaugéliquc, quoi que vous en disiez, ne louche par aucun point à la vie réelle. Elle exclut la famille, et, par là, ruine "la hase fondamentale de la société (Fj/s applaudmemenU à gauche. — Interrup- tions à droite.) M. BÉRAUi). — J'ai entendu prononcer mon nom : je demande quel est celui de mes collègues qui l'a prononcé. M. Le Provost de Launay. — C'est donc défendu? M. BÉRAUD. — Vous dites, mon cher collègue? M. Le Provost de Launay. — Ce n'est pas moi qui ai pro- nonce votre nom : mais cela n'est pas interdit, que je sache. ciNonr.Mi: discours 263 M. LK PirisiDEXT. — Monsieur Béraïul, je ifai rien enli'iidii... M. BiÎHAiD. — J'ai entendu, moi ! [Rires.) M. LE Prksidext. — et je n"ai pas besoin de tous dire (|ue je ne tolérerais pas qu'une insinuation injurieuse soit adressée à aucun de nos coilèffues. M. Le Provost de Lauxay. — Les célibataires s'affranchis- senl aussi de la même loi ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Eu outre, la vic religieuse est incompatible avec les diverses variétés de l'activité humaine, commerce, industrie, productions de toute sorte, et, par là. i)ien loin de contribuer. . . M. DOMINIQUE Delahaye. — Cependant les chartreux ont unt' hoiine maison de commerce. iE.rclamations à (j anche.) M. LE Président. — Monsieur Delahaye, je vous rapi)elle à l'ordre. M. MÉRic. — Voilà comme on respecte la liberté de la trilnme! M. le Président. — Messieurs, j'ai rappelé M. Delahaye à Tordre, je vous prie de ne pas insister. .M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. ... bicu loiu de Contribuer à l'entretien de la société, elle lui soutire, pour vivre, une partie de ses produits, ir/v'.s bien ! très bien ! à (jaHclw.) La conscience religieuse a beau s'exalter dans la contem- plation de sa lin : elle a beau s'attribuer une supériorité d'ordre surnaturel sur la conscience dn simple citoyen ; nous devons la juger, nous législateurs, d'après ses avantages sociaux et. à ce point de vue. je vous prie d(> me dire s'il nous est i)ei'mis d'en encourager l'expansion. {Très bien! très bien ! et aiipliiiidissements à f/niicfte.) '264 l'enseignement congréc.aniste Je pourrais lo demander à IhoHorable iM. IMot {Soitriri'x], qui me paraît avoir donné dans ses vues philosophiques une trop petite i)lace à ce côté de la question. Mais je n'ai pas l»esoin d'attendre sa rçixHisc poui- (Mre bien convaincu ([u'il se prononcerait avec moi pour la supé- riorité de la vie sociale sur la vie monacale. Messieurs, s'il est reconnu que la contïrégation religieuse détourne ses membres de la vie commune jiar les principes qu'elle leur inculque et par le bul «m'ellc leur assigne, n'est-il pas évident qu'elle les rend impropres à enseigner à la jeunesse les besoins inséparables de cette vie? N'est-il pas évident du moins que l'enseignement ainsi donni' man- quera d'efficacité, parce qu'il sera formellement contredit par l'exemple de celui qui le donne? {Très bien! très hleiit à gauche.) Messieurs, je craindrais, en m'appesantissant sur ce sujet, de tomber dans des redites fatigantes. D'ailleurs, les opinions sont formées. Ce n'est pas un discours de i)lus ou de moins qui pourra les changer. (Marques d'assentiment.) M. TiLLAYE. — Pour cette fois, vous a\ez raison! M. DE Lamarzelle. — Nous sommes tous d'accord. M. Milliès-Lachoix. — Alors, votons tout de suite. M. le président du conseil. — Messieurs, je suis enchanté d'être au moins une fois d'accord avec l'honorable M. Tillaye. M. le rapporteur. — 11 n'y a que le premier pas qui coûte. • M. Le Provost de Launay. — C'est un homme de beau- coup d'esprit. CINQUIÈME DISCOURS 265 M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je suis le premier à le reconnaître. Je dis, messieurs, que ce point, qui a fait l'objet de discus- sions antérieures, me paraît délinitivement acquis. Et, c'est parce que le religieux et la religieuse sont élevés dans une discipline qui n'a rien de commun avec la discipline sociale, que nous les regardons comme inaptes à enseigner à la jeu- nesse les devoirs qui se lient à cette discipline. Ce n'est pas, croyez-le bien, ce n'est pas que nous méconnaissions ce qu'il peut y avoir de dévouement dans leur nature et dans leur rôle. Mais le dévouement ne suffit pas pour dresser la jeu- nesse aux occupations communes et aux nécessités de la vie. Ces devoirs, on ne peut les enseigner aux autres qu'à la condition de les pratiquer soi-même. (Très bien! très bien! à gauche. ) C'est là la raison de principe pour laquelle nous ne croyons pas qu'il soit possible de confier l'instruction de la jeunesse à des personnes qui ont fait profession de se séparer du monde. (Nouvelle approbation sur les mêmes bancs.) M. de Las Cases, après tant d'autres, s'élevait contre l'atteinte prétendue portée par notre projet de loi à la liberté. J'entends bien que la liberté dont il s'agit est celle du père de famille. Mais je voudrais bien savoir ce que fait cette liberté du droit de l'enfant et par quel sophisme elle entend supprimer l'obligation incombant à la société de protéger ce droit. Car, si le droit du père de famille est un droit sacré, tant qu'il s'exerce dans l'enceinte même du foyer domestique, il perd 2rifi i,'k.\sf.h;.\k\ik.\t coxciîécamstk . Ci' c.'iracti'rf'. di'S (jnc le icic de r.iiiiillc r,ili(li(|ii(' l'iilic les in;iiiis (le l'institiiU'iii'. O nVst plus .ilors le [>i'\v (|iii ;i,i;il. •et. puisqu'il se décharge sur autrui diin devoir essentiel, la société intervient en vertu diiii aiilre drdil pour iiHii(pii'r dans quelles conditions peu! cl doil se faiie la transmission du droit du père aux mains dautrui. J"ai déjà expliqué que les principes de la société actuelle nr lui permettent pas d'accepter connue lemplacant du pi-ie rinslituteur concrréganiste. Elle le peut d'autant moins que l'influence de cet instituteur se poursuit au delà de l'école. Avec une ténacité de soins qui dénote une fixité inébranlable de desseins, l'éducateur congréganiste se ménage la continuité de l'ascendant acquis par la création de sociétés locales ouvertes à ses anciens élèves, où se consolident les leçons théoriques de l'école jusqu'au jour où elles se traduisent en fait dans les actes de la vie civile. (Très bien / très bien à gauche.} A la faveur de ces écoles et de ces associations, il s'est formé dans le pays, depuis la loi de isrjo, un courant de réaction, grossi d'année en année par le développement des ordres monastiques enseignants. {Très bleu ! très bien! à l'extrême gauche et à gauche.) Il en est résulté, au sein de la société, des divisions presque irrémédiables, qui n'ont plus, connue autrefois, le caractère de classe et qui prennent naissance dans la communauté des idées. Les salons ne s'ouvrent plus aux personnes ; ils s'ouvrent aux opinions. Ce n'est |)lus la naissance, c'est l'opinion (|ui rassend)le les (Ménieids d'un même monde. Inutile d'ajouter que le cléricalisme y règne en maître et constitue la seule opinion qui y soit admise. [Très bien ! très bien ! èi gauche.) CINQUIÈME DISCOURS 267 M. Le Provost de Launay. — Et dans los yuIivs donc, il n'y a ([ue la franc-maconnerie qui y est admise. ^r. le PRÉsinENT nu co-NSEiL. — Tout Cela serait néiiligt'ai)!»*. s'il ne s'agissait qne de satisfactions données à la sympathie ou à la vanité. Malheureusement, la division est descendue des classes aisées aux classes lahorienses par ladi.sséminatiou daus les centres ouvriers d'écoles congréganistes qui reçoi- vent les entants du peuple. Elle a profondément entamé pour le présent, elle a terriblement compromis pour l'avenir l'unité morale de notre pays. (Protestation.'^ an centre et à droite. — Très bien ! très bien! à gauche.) M. Le Provost de Launay. — M. Chabert la rétablira. (Exclamations à Vextrème gauctie.) M. le président du conseil. — Pourquoi pronoucez-voiis ce nom ici ? M. Milliès-Lagroix. — Et la duchesse d'Uzès! M. LE Président. — iMonsieur Le Provost de Launay, je vous rappelle à l'ordre. Veuillez continuer, monsieur le président du conseil. M. le président du conseil. — Oh ! messieurs, je n'ai pas perdu de ^^le qu'on s'est raillé à cette tribune de l'unité morale. L'honorable M. Charles Dupuy... (Protestations au centre.) M. Clemenceau. — Alors, on ne peut plus nommer personne ? M. Milliès-Lacroix. — Ce sont les gens bien élevés qui font cela! (Bruit.) M. le Président. — Messieurs, c'est la première fois qu'il n'est pas possible à un orateur de continuer son discours. Je 268 i/kNSEIGNKMKNT r,0.\(;RKfiAMSTE me demande vc'iilablonioul ce (|iii, dans les paroles de M. le président du conseil, peut vous froisser. M. Charf.es Dri'i V. — .Monsieur le présideiil. Je \(iiis l'civii respectueusement remaicpier (|ue Je n"ai lien dil. {Souri rcxj M. LE Pré.sujext. — Monsieur (lliarles Dupu.\. je nie IkiIc de déclarer (jue ce n'est pas à vous que Je faisais allusion. J'ai entendu du liruil M. Dominique Delaiiayk. — 11 vtMiaif de la gauche. M. Milliès-Lachoix. — Non! il venait de votre coté. M. le Président.— .Mon observation est générale.- elle s'applique à tous les inleirupleurs. [Très t)ien!\ .M. LE PRÉsniENT ui coNSEU.. — L'iionorahle M. (Iharles Dupuy s'e^t inforuK' ironi(piemenl. à cette hjhune. si nous avions le dessein de faire l'unité intellectuelle, et l'honorahle M. Gourju. si j'ai bonne mémoire, nous a offert, comme .seule unité morale à réalisei. l'unité du i)atrioti.sme en face de l'ennemi. Non. messieurs, nous n"a\ons pas la prétenlion de faire l'unité des intelligences, pas plus que nous ne voulons restreindre l'unitt; morale à l'œuvre du champ de bataille. A côté de ces deux unités, l'une chimérique et l'autre limitée à lui senliment. il > a place pour une unit(^ plus large et plus haute, itonr Innion des esprits et des cœurs dans une inènie foi au\ |)rincipes de la démocratie et un même attachement aux institutions de la République. iAppluinlissewentu à gauche.] La France a connu autrefois ce geiu'<' d'unité. La fameuse devise : une foi. une loi. un roi. traduisait pn'risc'ment cette conuiuuiaule de toi et d'aspirations, bien cruellement déçue, C.I.NQI IKMF. IHSCOljRS 2fi9 dans la suite, par l'égoïsme et . l'orgueil de la monarchie. Pourquoi la France ne connaitrail-elle pas, sous la R('pu- blique. cette unité morale, qui a fait la force de la monarchie :' L'unité morale des siècles monarchiques est due justement à l'unité de principes politiques et sociaux qui dirigeait fédu- cation rudimentaire des générations d'alors. On sait, d'ailleurs, par quels procédés la monarchie, puissamment aidée par l'Église, se prémunissait contre les tentatives d'éducation divergente. (Très bi^n ! trèa bien ! a gauche.) Nous, messieurs, nous répudions, pour notre part, tout système de coercition. Nous nous confions à la liberté seule, à l'excellence de nos institutions démocratiques, à l'esprit de progrès qui s'affirme en elles, poiu' entraîner les générations républicaines dans un courant uniforme d'idées .sociales et de convictions politiques. {Très bien ! fi^ès bien ! aiir lex mèmex bcnics.) C'est par la lil)erté que nous voulons établir cette unité morale, qui aura pour caractéristique dominante l'amour et le respect de la liberté, non pas de cette fausse liberté que la réaction cléricale sous-entend comme étant la liberté du bien, mais de la liberté sans épithète. au sein de laquelle tous les esprits, conscients de leur indépendance absolue, comme aussi de la supériorité des in.stitutions qui la consacrent, développe- ront sans entraves leurs facultés natiu'elles. {Tréa bien ! très bien à l'extrême (/aitcfie et à (laiiche.) Non. messieurs, ce n'est pas manquer à la liberté que d'em- pêcher la formation, dans le corps sncial. d'institutions faites pour le détruire, d'institutions basées uniquement sur ral)()li- tioii de la lii)ertf individni'llr. . . {Très bien ! et ap/ilandis^e- 270 l'enseignement CONC;HÉL:ET DÉMOCIIATIUUK DE CAUCASSONNK 273 ^au(es des cleniiers mois, de se lelrouver face à face avec le pays, et celte satisfaclion es! au coiublr. (|uand il se voit ciittiure. comme aujourd'hui, de ses conipagnous d'armes les plus dévoués et les plus lidéles. {ÀpplauflUsemeiits.) Oui, électeurs de l'Aude et des déparlemeuls voisins, je dois à vos députés républicains ce témoijj;nafie public qu'ils out compté parmi les plus vaillants et les plus tenaces dans la guerre sans merci, comme sans nom. ^erital)le guerre au couteau, renouvelée des Peaux-Rouges d'Amérique, qui s'est terminée par la déroute de rennemi. 11 a fallu au Gouverne- ment, il a fallu à la majorité républicaine une force de résis- tance inébranlable, une prévoyance cl un sang-froid de toutes les heures, pour sui)porter sans faiblesse, sinon sans écœuremenl. les assauts quotidiennement réitérés d'une meute hurlante d'adversaires passionnés, à qui tout seml)lait bon pour déshonorer le pouvoir — et surtout pour le con- quérir. (Vifs applaudissements.) Heureusement, messieurs, le pays était là qui nous regar- dait et nous jugeait. Je suis resté, pour ma |)art, impassible devant h's attaques les plus violentes, les insinuations les plus venimeus(*s, les accusations les plus perfides, parce que je savais que j'avais derrière moi, et avec moi, tout le pays répu- blicain. Je sentais battre en moi ses aspirations et ses émo- tions. J'avais la conscience très ferme et très nette que, si j'étais (Ml butte à une avalanche de haines, de colères et de calomnies, ce n'était pas tant à ma personne qu'on en voulait, mais au président dn conseil assez osé, assez entreprenant et as.sez énergique pour expurger du sol français et repousser au delà des frontières celle invasion monacale ([ui menaçait 2?4 BANQUET DÉMOCRATIQtJK de subint'-r^icr. smis st\'< ll(i(s j;r;iiidiss;iiils, les idées, les iiKciirs elles instilutions de noire suciélé déniocralique. (Bravoa.) Oui, messieurs, je nie sentais fort, parce que je m'étais placé en pleiu cœur de la démocratie et que je ne pouvais me méprendre stii' ses véiitai)les sentiments. Les élections nuuii- cipales m'en étaient un sûr garant. Je ne m\ trompais pas, et mes advei'saires ne s'y trompaient pas davantage. {Braros.) Aussi, messieurs, quand un député nationaliste d(> Paris, pendant les vacances parlementaires d'avril et de mai. lit cojuiaitre sou intention de m'interpeller, dès la reprist; de la session, sui- la politique générale du Gouvernement, il n'y eut qu'un cri dans la presse de l'opposition contre i"opi)orluidté de cet acte. C'était, disait-on. un coup de fortune pour le pré- sident du conseil, qui allait retrouver dans cette rencontre iidempesli\e ses quatre-vingts voix de majorité. Peu s'en fallut qu'on ne me tînt pour moralement oi)ligéde t(MUoigner à mon interpellateur une vive reconnaissance. Qui sait même si les malins ne Je soupçonnaient pas vaguement d'uiie entente pn'alable a\ec le (iouvernement:' (HilarUf.) Je ne suppose pas (|iie je députt;' ail pu ivdouler de paraître donner un fondemenl à ce soupçon. Toujoui-s esl-il, cependant, qu'il se hâta, la session reprise, de retirer son interpellation. Je lai regretté, je ne m'en cache pas, dans lintéièt de la \erité politi(|ue. Car personne, si Ton excepte les gens de parti pris, ne jx'mI sclouuer qu'au lendemain (l'une consnllalion généi'ale du suffrage universel, les hommes politiques recliercbeul avec une curiosil»! légitime la siguili- cation précise du verdict qui a été rendu. Le suffrage nuiversel eianl noire mailre incontesté, il esl logii|iie que DE CARGASSO.N.NE 275 tous ceux (|ui recoimaisseiil .sa souveraineté, et le Gouver- uemeut tout le premier, s'inspirent de ses décisions et se guident d'après ses volonh's. Peut-être, messieurs, (juelques-uns peaseront que les élections numicipales .se prêtent moins que les autres à la manifestation des sentiments communs et des vues générales du pays, parce ({ue les questions de personnes y jouent un uraud rôle et relèguent la politique à l'arrière-plan. Il en était ainsi autrefois. Mais les choses ont bien changé, depuis que la loi constitutionnelle a fait des conseillers de la com- mune autant d'électeurs sénatoriaux. Depuis cette date, la politique a pénétré de plus en plus les élections municipales. Aujourd'hui elle les domine. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Toute discussion à cet égard serait oiseuse. C'est un fait ; il n'y a qu'à le reconnaître et à l'accepter. [Approbation.) C'est même une particularité à remarquer que les divers partis qui se disputent les suffrages de ce pays ont voulu, par une sorte d'accord prémédité, donner à la dernière consulta- tion un caractère de décision politique. Tous se sont entendus pour déclarer d'avance que les élections nmnicipales auraient la valeur et la portée d'un acte politique et qu'à ce titre elles seraient acceptées comme justifiant ou condamnant lapolitique générale du Gouvernement. J'ai même le droit d'avancer que les partis d'opposition se sont montrés les plus résolus à aiguiller- dans celte direction les élections municipales. (C'est vrai ! ) 11 est vrai, messieurs, que, par une subtilité de raisonne- ment dont nous ne sommes pas dupes, l'opposition s'est ménagé la ressource d'une échappatoire, en mêlant à ses excitations liabituelles contre le Gouvernement quelques 276 BANQUET DKMOCIlATIyllE l'cflexious accossoires, quehincs conseils inUirossf's sur l.i convenance de choisir, avant loiil, pour représentauls di^ la commune, les hommes les mieux placés, les plus considérés par leur situation sociale. De pareilles réserves peuvent bien l(Miiiiir matière à polémi(|u<'. Elles ii'altèrent |)as le caractère dominant de l'élection. En lin di' compte, l'opposition enten- dait bien que le Choix de l'électeur fût circonscrit aux candi- dats antiministériels. Sa maxime do piédilection litait qu'il fallait absolunnujl votei' contre le Gouvernement, {(l'est vrai!) C'était même i)onr donner an pays a\ant les élections un mot d'ordre général que le disputé nationaliste de Paris aiujon- çait, par la voie de la presse, son intention bien arrèt(;e de m'iuterpellcr. Dans ses prévisions, les élections devaient être antigouvernementales. Car je n'imagine pas qu'il voulût, de propos délibéré, quoi qu'en aient dit les journaux progres- sistes, préparer au cabinet un succès parlementaire. Aujouririini l'opposition ergote, parce (jue S(!s recomman- dations n'ont pas (Ué écoutées. Que nous importent ses subti- lités et sa mauvaise humeur? Le pays a prononcé. Sa sentencfs se traduit dans le langage le plus expressif et le plus clair, dans le langage de l'arithmétique. Pour le compiendre, il ne faut ancnn effort d'esprit. Il suflit de (îonnailnsla valeur des chiffres. C-onunent se r(!i)artissent au i»oint de vue polili(pie les (élections municipales? Voici quelle était à ce point de vue la composition des conseils municipaux avant les élections : Nombre de conseils à majorité ministérielle . . 16.078 Nombre de conseils ;i majorité antimiuistérielle. 18.441 Xombre de conseils douteux t . Tl'i Ensemble :w.24.'J DE CARCASSO.NNE 27' Après les élections, ces chiffres ont été niodiliés fie la façon suivante : Nombre de conseils ;i in;ij(iritt' ministérielle . . 18.101 Nombre de conseils à majorité antiministérielle. 13. 833 Nombre d(^ con.seils douteux 2.283 Ensemi)le 36.239 Des ;iiiiic\i()iis de (•(Hiiiiiiiul's aiib'iiciufs ;i la dernière (■'lection ont n'diiit df (|iit'l(|iies luiib's le rliillrc d'ensemble. C'est dune un cliiniv lotal de l.'.ws cmiscils nuniicipaux qui ont été gagnés à la politiiiuc uVwnMi'vh'Ur. iApplaudisse- iiients.) Quelque coMsideraliie (jne puisse paraître l"i'cart eiilreles chiffres comparés, ou a|)précierait mal la portée réelle du scrutin, si l'on ne lenail compte de la silnalion présente des partis. Les victoiies antérieures de la Republique sur la réaction onl el(' parf(»is plus brillantes, parce qu'elles étaient plus faciles. Mainlenanl la République tulle à la fois pour conquérir des postes plus solidement forlides el pour con- servei' les postes di'jà conquis, et. de plus, elle lutte en même temps contre ses adversainïs des anciens temps et contre (hss adversaires nouveaux, ([ui, tout en protestant de leur attachement à la foi'nie et mémo aux institutions répu- blicaines, se joignent à ses constants ennemis pour entraver .sa marche en avant. {Hrarosi proloiu/rxj Dans de pareilles condilions, le gain de 1.1188 conseils municipaux doil passer pour une victoire des plus éclalanles. L'op|)osilion a triomphe bruyamment du résultat des f'Ieclions dans quebpies grandes villes. Klle nous a montré 278 i!A.\nri;T dk.mdcisa iioi r. Bniileaiix. I.illc. I,c ll;i\iv. perdus lumr la iJolili(iiic fZnincr- iiomeiilîilc. .!<■ iiH' pcniicls de (It-iiiaïKltM- ;t (iiicllc i)()lili(iue ou doit les adjuiid-, C.r iiVsl assiiicim'iil pas a une i)olili(|U(' exclusiveuieni i'('pnlili(aiu(',puis([ue les sullVages des réaction- naires oui fil leur pari, une part considéra l)le dans l'élection. C'est donc à une polili(|ue de concessions déplorables, d'en- gagements iua\ouables el inavoués, de compromissions humiliantes. {Applfiuflmements.) Le déshonneur iiVsl jias iiccessairciiicnl dans la défaite. Il est dans la \icl(iire, quand elle a (Mé ac(piise i)ar des moyens ill(''gitiiii('s. .Mieux vaut alors être a\ec les vaincus qu'avecles xicloricnv. La conscience du génie Ininiaiii venge les premiers el ['('prouve les seconds. {Nokvi'uk.i- n/iplaudis- sements.) Mais, tiiessieiirs. si la coalition des partis hostiles au (iou- vernemenl nous a dépossédés de quelques grandes umni(i|ta- lités, elle a éh! manifestement battue dans l'ensemble du pays. Il n'est guère de département où la balance entre les gains et les pertes ne tourne à notre a\antage. Même dans les plus arriérés, dans les plus rebelles à la propagande républicaine, nous avons noté un réveil évident de l'opinion, (jui est plein de promesses pour l'avenir. De ce nombre sont le Finistère, rille-et-Yilaine, la Loire-lnféiieure, le Maine-et-Loire, la Ven- dée. Même dans ces départements nos progrès ne sont pas douteux. Un fait caractéristiqne, ipTil importe de niellre en l'elief. c'est, que dans l'immense majorité des communes où les lois votées par le l'ailemenl el les décisions prises jiar le président (lu conseil mil alleinl des coiigregalioiis on des elablisseiiieiils DR CARCASSOiNNE 279 congiégaiiisles, les élections ne se sont guère ressenties de la disparition des frères et des sœurs. Les organes de l'opposition nous avaient menacés d'un soulèvement de la conscience publique. Les députés du centre et de la droite s'étaient auto- risés des sentiments présumés des populations pour blâmer et combattre les mesures adoptées. La majorité républicaine ne s'est laissée arrêter ni par les menaces des Journaux ni par les affirmations aventureuses de l'opposition. Et l'événe- ment a confirmé ses prévisions, en infligeant à ses adversaires un éclatant désaveu. On a bien essayé de faire illusion à l'opinion publique, en organisant des manifestations sympa- thiques au départ de la congrégation. Mais à peine le bruit des adieux avail-il cessé que le souvenir s'en perdait dans une indifférence générale. J'ai fait relever très exactement les changements municipaux survenus dans les communes dont il s'agit. Ce recensement a donné les résultats que voici : Nombre de comnumes touchées par la loi sur la suppres- sion de l'enseignenienl congréganiste : 9.107. Nombre de conseils municipaux de ces communes gagnés à la politique ministérielle : 608. Nombre de conseils perdus pour cette politique : 216. Ainsi, alors que nous gagnons 608 conseils, nous n'en perdons que 216. {Bravos.) Tel a été le maigre bénérice dont se targue l'opposition. Mais, messieurs, ce bénéficia aurait-il été trois fois, quatre fois, dix fois plus considérable, que l'opposition n'aurait pas encore sujet de s'en glorifier, puisqu'il serait encore singuliè- rement dispropoilionne à l'effort gigantesque qu'elle a dû accomplir. 280 liA.N'oLKT DKMOCUATluli: Persoiiiif lit' se dissiimilc la grandeur murale comme aussi les diflicultés sans uomhre de la réforme i)o]iti(iue el sociale (|ue nous sommes en Irain d'elTecliier. 11 est \isihle pour loul le monde ((iie celle reforme loiiclie aH\ iiilérèls les plus élevés, aux condilions les plus vilales. KUe ai;ile la socielf' dans ses profondeurs par rt'branlemenl incsilable quelle imprime à ses habitudes et à ses sentiments. Elle est diript'e coidre une i)uissaiice formidable, celte puissance téni'brense de la congrégation qui a fait trembler les gouvernements monarchiques et (fui, à la faveur de la crainte irraisonnée (iu"elle a su inspirer aux gouvernements lépublLcains, esl parvenue à asservir les intelligences el les c(enrs. Ce ne sont pas seulement des ministères, d'ailleurs épliiMuères de leur nature, (pii ont échoué dans leurs elTorls pour l'enfermer dans certaines limites. Les lois elles-mêmes ont recule devant elle, i A I) 1)1(1 ud'Dsscmenh. ] (ïii s'e\pli(pie donc aisément (pie celle piiiss.iiice se soit dressée contre nous dans tout l'appareil de sa force, (piand elle s'est .sentie menac('e dans ses conquêtes illégales et .ses pi'iviléges usur|)es. Vous avez j)u mesurei' l'étendue de son action à la ténacité de la résistance (luelle a opposiie à la volonté souveraine du Parlement. Pour nous tenir en échec, elle a fait appel aux concours de toute nature dont elle dispose dans mm société façonnée de longue date à sa domination. Klle a nus en ligne contre nous tous les inleièls sociaux connexes a\ec les siens. {Nouveau.f iij)pliiu(lisHeincnts.) Ce sont ces concours et ces intérêt."? i)arlout i'é|)aii(lus iiui ont livré à la Répul)I(iue une bataille acharnée. Ouand même nous aurions iieidu du lerrain dans celle lutte colos.sale, nous I)K t;AKCASS(».\.M'. 281 ne (Icviioiis en être ni surpris, ni découragés. Un ne trans- lornie pas en deux ans un esprit puljjic empoisonné pendant un siècle. C'est déjà un résultat splendide que d'avoir préparé à la France ré'puljlicaine, par une législation réformatrice, un avenir affranchi des servitudes du passé. Et c'est un spec- tacle des plus réconfortants que celui d"une majorité répul)li- caine bravant les forces coalisées de la réaction, dédaignant ses menaces et puisant dans la seule conscience de ses devoirs la ferme volonté d'inunoler tous les intérêts privés et, au J)esoin, son propre intérêt à l'intérêt sui)érieur de la Répu- hli(iue. {Salves d'appIdKflissements.) Mais, messieurs, loin de perdre du terrai u. nous en avons gagné. Nous avons planté le drapeau répTiblicain dans des communes (pii avaient été jusqu'ici des citadelles de la réac- tion. Avec notn^ drapeau, nous y ferons pénétrer nos id('es. Nous arracherons les intelligences au joug .sf'culaire qui les déprime. L'enseignement, émancipé de la tutelle monacale, et rendu à des mains laïques, émancipera à .son tour les générations. Là. comme dans les comnuuies plus avancées, la démocrati(\ devenue maîtresse de ses destinées, marchera d'nu pas rapide et sûr dans les voies larges du progrés et de la liberté. (Noiiveaii.r applaudissements.) C'est effectivement en appelant la démocratie à la pratique de la liberté cpie n(jus avons triomphé des partis coalisés en faveur de l'esclavage moral et des ténèbres inlellectuelles. Nous avons \aincu par la seule force de la vérité. C'est .se moquer du bon sens populaire que d'attribuer notre victoire à rintimidation et à la pre.ssion. Parler de candidature ofli- cicllc a pro|)(ts d'cleclioiis niniiicipales. c'est inonircr une 282 BANQUET DÉMOCRATIQUE singulière méconnaissance des conditions paiticnlières ;i ce genre d'élections. Laissons ce genre d'argumentation à la polémique des journaux. Jamais élections municipales ne furent plus libres, plus di'gagées de toute intervention admi- nistrative. On a cité quehiues faits. Mais leur rareté et leur in lait a|>pel, {\c<, le début de noln^ ministère, à DE CAUCASSONXK 285 toutes les l)oniies xutoiités. Jeu atteste les ilépiités qui m'écouteiik iKius. n";noiis exclu de l'appel aucune des Irac- tious de lopiiiidii républicaine. Nous les avons invitées toutes éyaleuieiil. sans la nioindi-e réserve, sans aucune arrière- pensée, à entrer en colIat)oralion avec nous poui' l'accomplis- sement dune tâche essentiellement démocratique. iL'Vs? irait) Ce n'est pas notre faute, si les progressistes nous ont refusé leur concours. Les discussions diverses doid le Parlement a été le théâtre depuis cinq ans ont prouvé surabondanunent que cette fiaction du parti républicain est en désaccord de sentiments et de vues avec les groupes de gauche. Dés lors, il était naturel quelle se tînt en dehors d'une majorité dont elle désapprouvait les tendances, de même (pril était naturel que la majorité restât unie jusqu'au bout pour faire prévaloir ses doctrines. [Approbation (jéuérale.\ Comme U' pays n"a pas discontinue de ratifier d'une manière nnu e(|nivoque l'attitude de la majorité, les progres- sistes ont imaginé de persuader à l'opinion publique que, .s'ils se sont séparés de la majorité républicaine, ce n'est pas tant parce qu'ils étaient en dissentiment avec elle, que parce que majorité et Gouvernement sont opprimés par un des groupes de gauche, par le groupe socialiste, dont les exigences seraient devenues, parait-il, intolérables aux autres groupes. Us font dire par leurs organes qu'ils sont disposés à se cnncriicr avec les groupes prétendument fatigués de la tyrannie socialiste, pour former avec eux une majorité nouvelle sur la double base de la mise à l'index des socialistes et du renversement du ministère. - Messicui-s. sans examiner si celte double base peut 'suffire 28G BA.NQUKT DÉMOCHATIQlft: à la constilution d'une majorité et à l'ambition d'im cahin»^. je la prends pour ce qu'elle est dans la penstie de l'opposition, pour un expédient destiné à donner le chanitre au pays el à. faire passer le pouvoii' en daulres mains. Mais il est intéres- sant, il esl indis|)eiisaijle de rechercher publifpiemtMit. au moins par conjecture, ce (pie serait, connue composition et comme nombre, la majorité de demain. (Nouvelle approhalion.) Les progressistes pensent-ils vraiment que rexclusion. des socialistes de la majorité nouvelle laisserait indifférents les autres groupes de gauche? Pourtant il nie semble bien, si mes souvenirs ne m'abusent, que le groupe radical-socialiste n'a pas attendu cette heure pour déclarer catégoriquement qu'il ferait caus(^ commune avec les socialistes et se considé- rerait comme atteint par l'ostracisme qui les frapperait {Bravos.) Je revois en esprit un bon nombre de députés, l'immense majorité des députés appartenant au groupe radical, don! les sentiments me sont assez connus pour que je puisse avancer, sans crainte d'être démenti par eux. qu'ils ne consentiraient pas à rompre avec leurs collègues de gauche. {Applaudu- sements. ) Il n'est pas jusqu'à l'Union démocratique qui ne se divisât irrémédiablement dans l'hypothèse que j'examine. Vraiment, me.ssieurs, les progressistes en prennent un peu trop à leur aise dans les combinaisons qu'ils inventent, ils n'ont pas l'air de .se dernier que. si l'union s'est faite dans le Parlement entre les groupes de gauche, c'est (lu'elle s'était faite préalablement dans le pays entre l(?s électeurs des mêmes groupes. [C'est vrai !) Messieurs, c'est de ces électeurs que relèvent en toute pio- DE CAHCAS80N.\K 287 l)ité et en toute logique les membres de la majorité, et c'est aux mêmes électeurs qu'ils doivent compte de leur conduil(\ Issus de l'union répuljJicaine par des sutTrages républicains de nuances diverses qui se sont concentrés sur leurs noms, les membres de l'Union démocratique, les radicaux et les l'adi- caux-socialistes mentiraient à leur origine, ils se discrédi- teraient eux-mêmes, ils se suicideraient, s'ils brisaient au sein du Parlement l'union légitime et féconde qui fait leur force devant leurs commettants. iBravos répétés.) Que les progressistes s'avisent de rompre en \ isière nette- ment cl ouvertement avec les conservateurs, dont ils ont sollicite ou simplement obtenu les sufirages contre la candi- dature menaçante d'un radical, qu'ils opèrent à leur droite la coupure effective qu'ils conseillent aux radicaux de pratiquer à leur gauche, ce sera la fin de leurs espérances, l'échec fatal de leurs combinaisons. Pourquoi donc attendent-ils des radi- caux un acte inconsidéré qu'ils sont incapables d'accomplir eux-mêmes? {Applamlmements.) Messieurs, c'est un leurre, indigne d'honnêtes gens, de promettre au pays, moyennant la condamnation des socialistes, une majorité composée uniquement de républicains. Une majorité nouvelle, succédant à la majorité actuelle, qui est une majorité de concentration à gauche, serait forcément une majorité de concentration à droite. La conjonction des centres n'a pu survivre à la législature qui l'avait inventée. Tant que le cléricalisme ne sera pas complètement abattu, tant que le progranmie ministériel ne sera pas entièrement réalisé, cette conjonction des centres, tant rêvée par les fai- .seuis de cal)inets. n'aura que la valeur d'une cliimtre et 288 BANQUET DÉMOCRATIQtîF. (rime cliimcic fiiiiucmincnl (hiiigcrcnsc poiii' l;i Hcpiiljlifiuc De iiK'iiii' (|in' los iiilcrpcllalinns dirijit'cs en ccri diTiiicrs temps nmlic If iniiiisicn' ne pouvaient rt'iissir (pi'à la coiidi- liiili (le ^iidiipcr l'iisriiihle Ions les partis du (•ciiliv et de la droite a\ec un ceitaiii iionihre de nnronleiits de candie, de même le cabinet sorti de ces interpellations aiiiait ete forcé d(> s'appu.ver. itonr \i\re. sur les mêmes éléments. Kt cette considération Jui^f les lionnnes (pii ont ete on (\m seiaieid assez ambitieux ou assez peu clairvoyants pour être leidés d'escalader le pouvoir à laide de coud)iuaisons parlemen- taii'es doid la condition première, avouée on tacite, seiail labandon du i)rograuuue ^iouverueniental et une réaction plus ou moius déguisée ou plus ou moins violente coidre la ])olitique anticléricale des deux dernières anuc'es. iApplaïu/is- sewenls. ) Reste à savoir, messieurs,*si la majorité a eu raison de soutenir cette politique. Elles'y est engagée devant seselecteurs. Les faits constatés sont-ils de nature à lui faire ivgrelter cel engagement ? Assurément, messieurs, l'éloge d'une politique est toujours mal placé dans la bouche de l'homme qui la dirige. Mais, puis- que je suis dans. robligation de la jusiiller. je demande qu'on indique clairement sur quels points le ministère a méconnu les devoirs d'un gouvtM'nement. On déplore la direction donnée à notre action gouverne- mentale. Nous sommes, dit-on. les prisonniers des socialistes, ('/est entend n. Mais pourquoi s'arrêter à cette accusation si vague ? 11 serait intéressant d'entrer dans l'examen des mesures et des actes qui en soid la demon.stration. L'opposi- DE CARCASSOXNE 289 lion, pressée à cet égard, se dérobe. Et je le comprends fort bien : les faits lui manquent pour colorer ses critiques même d'une ombre de raison. (Applaïulissements.) En tout cas, je mets l'opposition au déll de contester que le ministère ait rempli en toute circonstance la tâche d'un gouvernement protecteur de l'ordre, respectueux de la liberté des citoyens, soucieux de la bonne gestion de nos finances et aussi jaloux que n'importe quel autre gouvernement du bon renom et de l'autorité de la France dans le monde. (Bravos.) Rappelez-vous, messieurs, les circonstances critiques que nous avons traversées, notamment tant de grèves formi- dables, qu'il nous a fallu endiguer. Nous déplorons, comme tout le monde, que ces phénomènes, inséparables de notre vie économique, se produisent avec une fréquence également préjudicialjle au bien-être des ouvriers et au développement de notre industrie. Nous sommes d'autant plus fondés à le déplorer devant vous, au milieu de vos populations jadis si paisibles, que vos grèves agricoles, commencées avec calme et sur un mode paciJique, ont dégénéré promptement sur quelques points eu mouvements désordonnés et même en attentats contre la liberté des travailleurs. Toutefois, obligés de subir cet apprentissage laborieux de la liberté des syndicats, nous pouvons nous féliciter de l'avoir contenu, autant que faire se pouvait, dans les limites de la légalité. Avec une mauvaise foi qui se retrouve dans la plupart des attaques dont nous sommes l'objet, l'opposition a prétendu que nous nous montrions pour les émeutiers d'une indulgence inépuisable. Messieurs, où et quand avons-nous laissé l'émeute se manifester impunément ? Ferait-on allusion, C. - 9. 290 HANQUKT DÉMOGRATIQUR |)ar hasard, aux soiilovomeiils ilh^gaux cl vidlciils tiiic les cougrégations et leurs défenseurs out provoqués syslémalique- ment dau>. cvnlaius déparlemenls à l'occasion de la fermeture des établissements cougréganistes ? Là, comme ailleurs, nous avons défendu l'ordre contre les gens qui le troublaient. (Mar- ques d'assentiment.) 11 est d'ailleurs, vous le savez, messieurs, un critérium infaillible du bon ordre et de la marche normale des affaires : c'est l'état financier du pays. Est-ce que notre crédit pul>lic ne supporte pas avantageusement la comparaison avec le crédit public de toute autre puissance ? Dans la crise continue (pii a sévi pendant quelques années sur le monde des affaires, la rente française a fait preuve d'une solidité hors pair. Elle a été beaucoup moins touchée par les baisses accidentelles que les autres valeurs. On n'a qu'à regarder les bons du Trésor, les obligations à terme et généralement les emprunts contractés par les autres gouvernements, par l'Angleterre, par exemple, pour s'apercevoir qu'on les a émis à des taux plus élevés que chez nous. [Bravos répétés.) Quand nous avons pris le pouvoir, nos budgets étaient en déficit par suite de réformes liscales qui avaient profondémeut ébranlé certains intérêts et restreint considérablement cer- taines consommations. Depuis loi's, nos linances ont été remises sur pied, autant par nos économies que par d'autres mesures, et l'équilibre budgétaire a été réalisé d'une façon effective sans le moindre artHice. [Très bien! très bien ! ) Messieurs, si notre politique intérieure, financière ou autre défie la critique impartiale, notre politique extérieure est un sujet d'envie, et j'ose dire d'admiration, pour l'univers entier DE CARCASSOX.XE 291 Ah ! sans doute, nous ne rêvons pas, comme d'autres, la gloire des batailles, nous ne courons pas après les aventures guer- rières et les conquêtes coloniales. Nous avons la modestie de penser que nous agissons sagement en utilisant les territoires conquis, avant de songer à d'autres agrandissements. (Brams.) Mais nous avons la joie patriotique de constater que jamais la France n'a joui dans le monde d'une plus grande considi;- ration et d'un plus grand respect. Jamais son alliance et son amitié n'ont été plus appréciées ni plus recherchées. Jamais la franchise et la loyauté de sa diplomatie n'ont été plus haute- ment reconnues. Jamais ses conseils, inspirés par le constant souci de la paix du monde, n'ont été écoutés avec plus de déférenœ. (Double salve (l'applaudissements.) Messieurs, je me garderai bien d'en faire honneur unique- ment, ni même, si vous le voulez, principalement au ministère actuel. Mais on me concédera bien que, si les ministères anté- rieurs ont eu une part légitime dans la situation que je signale, le ministère actuel estbien venu à revendiquer la sienue,et peut- être ne sera-t-il pas taxé de fatuité, s'il l'estime prépondérante. En tout cas, c'est lui qui a eu le mérite de signer les pre- miers traités d'arbitrage, qui ont donné corps aux doctrines de paix théoriciuement émises parla conférence de La Haye. Et, non content d'apposer la signature de la France au bas de ces traités, il en a pris occasion pour faire disparaître entre l'Angleterre et nous les causes anciennes et uouvelles de con- flits toujours à craindre. Si l'opposition nous refuse sou appro- bation, nous nous en consolerons facilement au spectacle de la joie sincère que les peuples témoignent de la tendance pacitiquede notre diplomatie. (Bravos répétés.) 292 BANgUKT DK.MOCUATIQUE Notre alliée, la Kiissie, conliaiile dans la solidité des liens qui nous unissent à elle, a (Me la première à se rtïjouir de nos efforts pour nous rapproclitM' d'autres puissances. L'Angleterre, reconnaissante de l'accueil di^ne et coi'dial que nous avons fait à son roi, a liatlu des mains à l'annonce de nos accords nouveaux avec elle. Nous avons encore dans l'oreille les acclamations enthousiastes qui ont salué dans la capitale de l'Italie le. Président \énéré de cette Répuljlique française que la réaction cliu'icale affectait de représenter aux Italiens comme une secrète ennemie de leur unité natio- nale. (Vifs applaudissements.) Ce qui nous charme le plus en tout cela, ce qui fait battre le plus vivement nos cœurs, c'est que les sentiments intimes des peuples sont en harmonie complète avec les vues de la diplomatie pour regarder les conventions nouvelles, non seulement comme des gages assurés, mais aussi comme des instruments efllcaces d'une paix universelle. Car, en dépit des bruits de guerre qui retentissent au loin, la paix demeure notre premier besoin comme notre ferme résolution. (Bravos.) Messieurs, en nous enorgueillissant à bon droit des résul- tats de notre politique, nous n'oublions pas que c'est à vous surtout, électeurs républicains, à la majorité formée de vos élus que nous devons en rapporter l'honneur. Votre union a fait notre force. (Assentiment (jènéral.) Vous avez fermé l'oreille aux alarmes feintes d'une oppo- sition systématique, qui se faisait un prétexte de nos luttes intérieures contre le cléricalisme, pour nous cojidaraner à l'impuissance en matière de politique étrangère. Les événe- ments vous ont donné ph^nemeul raison. Nous pouvez DE CARGASSONNE 293 aujourd'hui vous montrer fiers de votre œuvre. Quand l'impartiale histoire comparera la législature en cours aux législatures qui l'ont précédée, elle dira en toute justice qu'aucune période parlementaire ne présente à son actif un plus bel ensemble de résolutions viriles, de mesures géné- reuses et de triomphes pacitiques. {Triple salve d'applau- dissements.) Vous le direz aussi à votre manière, électeurs, vous le direz dans huit jours par votre bulletin de vole, en fermant à la réaction cléricale et nationaliste l'accès des assemblées départementales et en inscrivant une victoire démocratique de plus au livre d'or des victoires de la République. Messieurs, je lève mon verre en Thonneur de la ville de Carcassonne. Je remercie cette cité si ardemment républi- caine, si justement Hère du grand citoyen, à lesprit libre et vigoureux, à l'âme chaude, qui avait nom Orner Sarraut, un nom encore si bien porté aujourd'hui, de l'accueil enthou- siaste qu'elle a fait aux deux membres du cabinet qui repré- sentent le Gouvernement de défense et d'action républicaines. Je la remercie aussi de m'avoir fourni l'occasion de célébrer d'avance notre victoire de dimanche prochain. Et cette vic- toire, je la caractérise en deux mots : je bois à la prise de possession par la démocratie de celles de nos assemblées départementales que la réaction dispute encore désespéré- ment à lai.Ri'\m\)\ique. [Salves d'applaudissements. Crisrépélés de : Vive Combes ! Vive la République ! ) XVII BANQUET DEMOCRATIQUE D'AUXERRE (4 SEPTEMBRE I904) Le président du conseil avait été invité par la municipalité d'Auxerre à l'inauguralion d'un édifice municipal. Un banquet déuiocralique comprenant plus de deux mille couverts eut lieu à cette occasion. Le préfet de l'Y'onne, puis iM\L Siirugue, maire d'Auxerre, et Bienvenu-Martin, député, y prirent la parole. M. Emile Combes se vit acclamer, lorsque, dans son discour?, il apporta son adhésion publique à la séparation des Églises et de l'État, terme logique d'une politique de laïcisation et de progrès social (1). Messieurs, Quelque éloigné que je sois |)ai' habilude et par fjoùtde rechercher les occasions de me produire en public, je ne peux que ni'applaudii' aujourd'hui d'avoir cédé aux instances de mon excellent ami M. Bienvenu-Martin, et de vos autres représentants, et d'avoir accepté la présidence de cette fête 1. Journal officiel. Partie non oflicielle. N' du 6 septembre li;04, page 5502. BANQUET DÉMOCRATIQUE d'aUXERRE 295 locale. L'accueil si cordial qui m'était réservé, l'universelle et manifeste allégresse de la foule, la spontanéité des ovations vraiment enthousiastes dont je suis l'objet, toutes ces marques de la comnumauté de sentiments qui m'unit à vos populations si ardemment, si profondément républicaines, sont bien propres à échauffer l'âme la plus froide et à laisser dans l'imagination la moins impressionnable d'ineffaçables sou- venirs. ( Appla udissemen ts. ) 11 déplaît à certaines gens que j'invoque ces manifestations populaires. C'est, à leurs yeux, d'un très mauvais goût de faire état des adhésions publiquement données parle parti républicain à la politique du cabinet. La publicité n'est bonne, parait-il. que pour les protestations dirigées contre cette politique. Celles-là, le Gouvernement est tenu de les subir et de les enregistrer. Mais il lui est interdit de se com- plaire dans les démonstrations sympathiques. Il lui est interdit surtout de s'en autoriser pour persévérer dans une politique si malencontreusement encouragée. Qui sait si je ne donne pas moi-même, en la défendant, un détestable exemple de suffisance et d'indélicatesse? Peut-être même, n'ai-je pas le droit de faire observer que je suis obligé de me justilier, par ciila même qu'on m'accuse. Car on me répoudrait que le moi est haïssable et doit être banni de mes discours. (Rires.) Messieurs, au risque de m'exposer à des critiques encore plus acerbes, je ne me départirai pas de la règle générale que je me suis tracée. Si je me fais quelquefois un devoir et tou- jours un plaisir de participer à des fêtes populaires, ce n'est pas, croyez-le bien, pour la vaine et puérile satisfaction d'y 296 BANQUET DÉMOCnATIQUE l'aire acclanici' !»• président du conseil; c'est pour soumettre sa personne et ses actes à l'appréciation de ses juges natu- rels, les électeurs républicains, et ma règle absolue est de leur exposer en toute francliise ce que j'ai (ait et ce que je me propose de faire. {2'rès bien !) Il y a du moi forcément dans cette façon d'opérer. Mais je me permets de penser que ce moi n'est haïssable que pour ceux qui font n)(''lier de ha'ir la politique dont il est l'organe, politique essentiellement agissante, qui ne vise pas plus à la (inesse des aperçus et à l'élégance des formules qu'à la pompe des phrases, politique résolument réformatrice, qui puise sa raison d'être et ses motifs d'action dans les besoins reconnus et les aspirations constatées du parti républicain, politique de combat pour le présent et de paix pour (avenir, qui se ratta- che à la politique courageuse et prévoyante de nos chefs les plus honorés, Gambetta, Jules Ferry, Paul Bert. Waldeck- Rousseau, et se caractérise par la même lutte ardente, la même offensive vigoureuse contre le même ennemi, cette réaction cléricale au sein de laquelle se sont donné rendez- vous les convictions hésitantes et les factions hostiles à la Rf'publique. {Bravos répétés.) J'ai nommé Waldeck-Rousseau. Ce grand r('publicain nous appartient après sa mort, quoi que l'Église ait pu entrepren- dre sur soù cadavre, quoi que la Congrégation ait pu com- ploter contre sa mémoire, comme il nous appartenait de son vivant, nonobstant certaines divergences de vues, qui s'expli- quent facilement par la trempe de .son caractère et des détails encore ignorés ou mal connus des deux dernières aiiiK'cs de sa vie. iSensatioti.) d'auxerre 297 Messieurs, tant que sera nécessaire notre politique d'action r(''publicaine. nous serons condanuiés à entendre les mêmes accusations injustes, à supporter les mêmes attaques passion- nées, et nous serons conduits, comme contre-partie, à présen- ter des réfutations directes de ces attaques et de ces accusations. Le pays jugera les unes et les autres. Que dis-je ? Le pays a déj.à jugé, et il a jugé contre les attaques en faveur des réfutations. {C'est vrai!) Je me fonde pour le déclarer sur les deux dernières con- sultations du suffrage universel. Oui, messieurs, le pays est maintenant fixé sur le caractère véritable des élections muni- cipales. Il sait qu'elles ont procuré au Gouvernement un succès du meilleur aloi. {Applaudissements.) L'opposition, déconcertée par ce .succès, s'est bien ingéniée tout d'abord à nier sa signification politique et son étendue. Mais ses dénégations de la première heure n'ont pu tenir contre l'évidence des faits. Elles ont été promptement démen- ties par la nomination des municipalités, qui a mis en pleine lumière de la façon la plus saisissable la vraie composition des conseils numicipaux, avec cette particularité précieuse à relever, que nombre de conseils, classés d'abord douteux par les préfets, à qui le Gouvernement avait prescrit la plus scru- puleuse sincérité, .se sont révélés d'eux-mêmes, par le choix des maires, conmie nettement acquis à la politique gouverne- mentale. Puis, messieurs, sont arrivées place Beauvau les adresses de sympathie et de dévouement en nombre tellement considé- rable que les anciens fonctionnaires du ministère de l'inté- rieur ne se .souviennent pas d'avoii' assisté sous aucun autre 296 BANQUKT DKMOCIlATIorK cabinet, je uc dis pas à une lelle alflnence, je dis à quelfnie chose d'approchant. {Bravos.) Messieurs, la déconvenue n'a pas ét(' nu)ins cruelle i)()ur les adversaires du Gouvernement dans les élections départe- mentales. Au lendemain de cet autre scrutin, qui trompait leurs prévisions effrontément (>i)tiraistes, certains d'entre eux ont essayé de balbutier quelques réponses incohérentes, de se réfugier dans quelques réserves embarrassées. {Rires.) D'autres ont pi'is prétexte de quelques erreurs de noms commises par des correspondants mal informés d'une agence pour jeter de la suspicion sur les statistiques du ministère et révoquer en doute leur exactitude. Ce pitoyable échappa- toire a été dédaigné même par une partie de leurs amis. Car, si les journaux progressistes, remontés de leur premier désappointement à grand renfort d'audace par une associa- tion soi-disant nationale républicaine et. plus exactement, nationaliste républicaine, ont persisté à soutenir que le ministère avait essuyé un revers électoral, les organes d'une opposition plus accentuée et plus franche, sans être plus violente, ont avoué honnêtement, en face des résultats vérifiés, que le suffrage universel, en s'obstinant dans un engouement aveugle i)oui- le cal)inet. décourageait l'opposi- lion la v)lns intrépide. {Applai((li.ssemenls.\ Et pourtant, messieurs, jamais circonstances politiques n'avaient été plus propices à une «levée de boucliers contre le ministère. Le conflit du Gouvernement français avec la papauté avait atteint son plus haut point d'acuité. 11 venait d'aboutir à la rupture des relations diplomatiques. L'opposition s'attendait cette f(jis, du moins elle paraissait d'auxerrk 299 s'attendre à nue protestatiou générale du sufTrage populaire. Elle comptait que la France, témoin attristé des méfaits d'un Gouvernement sectaire, saisirait avec empressement l'occasion de lui signiOer qu'elle en avait assez de sa poli- tique irréligieuse et qu'elle allait châtier par sou bulletin de \ Ole les attentats journellement perpétrés contre le Dieu de ses pères. Hélas ! messieurs, le Dieu de nos pères, qui devait armer d'un papier vengeur la main de l'électeur, s'est montré d'une longanimité, d'une indifférence sans pareille. Nulle part ses éclairs n'ont illumint' le ciel politique. Nulle part sa foudre n'a pulvérisé les urnes criminelles. (Hilarité géné- rale.) Le scrutin s'est déroulé tout le long du jour dans une tranquillité parfaite. Catholiques et mécréants se sont cou- doyés devant l'urne sans éprouver la moindre envie d'en venir aux mains. Visiblement, ce jour-là, le ciel s'est désintéressé des choses de la terre, et peut-être, ce faisant, a-t-il voulu donner à ses croyants un exemple salutaire, dont nous souhaitons qu'ils se souviennent, quand les Chambres auront à instituer un nouveau mode d'existence pour les deux sociétés, civile et religieuse. (Bravos répétés.) Le dépouillement des votes et la pruclamaliou du scrutin se sont faits au milieu du même calme. Il en est sorti, à la confusion de ceux qui avaient spéculé sur une intervention céleste, une nouvelle approbation de la politique gouvernementale et un surcroît de force pour le cabinet. Toutes les Croix de France en ont tressailli 300 BANQFKT DKMOCIt A I lOI'K d'horreur. Tous les journaux do sacrisli(! en oui pousse des cris de colère. Mais tous ont f'té d'accord pour reconnaître à cette importante consultation le caraclère d'une épreuve éminemnienl douloureuse à l'àme des dévots et des dévotes. Au reste, messieurs, jamais douleur ne fui jdus jusIirK'e. 1.354 conseillers généraux étaient soumis au renouvelhnnenl. De ce nombre, 844 étaient ministériels, 673 anti-ministériels, 37 douteux. Après le renouvellement, le noml)re des minis- tériels monta de 844 à 978; celui des anti-ministériels bais.sa de 673 à 53d; celui des douteux fut de 41. Il faut bien supposer que les journaux progressistes ont été moins prompts dans la soumission due aux desseins impé- nétrables de la Providence, ou peut-être sont-ils restés quel- que peu voltairiens, en dépit de leurs accointances intimes avec les défenseurs de l'autel. Car ils ont continué de passer les opérations du scrutin au crible de leur incrédulité rechi- gnante. Ils ontdécouvert que cinq ou six députés du bloc ont succombé dans la journée du 31 juillet, par suite de circons- tance locales. Ils ont découvert en même temps que quarante-un con- seillers généraux ministériels avaient été battus, et ils ont opposé triomphalement ces défaites partielles à la victoire d'ensemble et aux cent soixante-onze gains des troupes gou- vernementales. Ou se console comme on peut. Les journaux progressistes se sont consolés, en donnant une vigoureuse entorse aux règles de l'arithmétique. Malheureusement pour eux, cette maigre consolation n'a pu les préserver d'un déboire final. Les conseils généraux se sont réunis. Les effets de l'élection ont apparu à ce moment d'auxerrk 301 sous la forme la moins discutable. Cliaque départemeut a pu les contrôler eu comparant les bureaux nouvellement élus avec les bureaux antérieurs. {Applaudissetue)its.) Avant le renouvellement, les bureaux des assemblées départementales se divisaient de la manière suivante : Bureaux ministériels 61 Bureaux antiministériels :26 Bureaux mixtes et douteux 3 Après le renouvellement, la composition des bureaux a été modifiée comme suit : Ministériels 62 Autiministériels 20 Douteux 3 En outre, les ministériels gardent la majorité, comme auparavant, dans les conseils généraux des Bouches-du- Rhône, des Alpes-Maritimes, du Gers, de la Corse et des Pyrénées-Orientales, qui ne se sont pas encore réunis. Ce qui porte à 67 le nombre des conseils généraux ministériels. Ainsi les ministériels ont déplacé à leur profit la majorité dans 6 conseils généraux. La plupart de ces conseils ont voulu corroborer par une manifestation expresse de leurs sentiments la signiflcation d'ailleurs non équivoque qui se dégageait de l'élection de leurs bureaux. Cinquante ont fait parvenir au ministère, sous forme d'adresses, l'assurance de leur sympathie et de leur concours. Messieurs, au simple énoncé des chiffres que je viens de citer, l'esprit le moins logique concluera nécessairement que 302 BANQUKT DKMOCUATigUE la poliliqiK! iniuislériolle est sortie victorieuse de la deruièie épreuve. (Applaudissemenls. ) La conclusion s'imposera d'autant plus riyoureusenienl ijue les partis d'opposition avaient fait ])orter tous leurs efforts, concentré lous leurs a|)pels aii\ électeurs sur le d('saveu de cette politi(jue. Aussi, n'est-ce plus (pie pour la tonne et du bout des lèvres (pi'lls iinpulcnl la victolie du cainnet à la pression administrative et à l'intimidation. Comme si nue telle pression était possible à un Gouvernement dépouivu des moyens de l'exercer! Comme si l'intimidaliijn pouvait se concevoir dans nue régime de libertés publiques, qui sous- trait le dernier des citoyens à l'autorité arbitraire du pouvoir! La vérité, messieurs, c'est que les élections des conseils généraux ont Jel(' l'opposition dans le plus comjjlet d('sarroi; c'est qu'elles ont attesté avec éclat la parfaite identité d'asin- rations et de vues qui existe entn^ le miinstére et le pays républicain. [Très hieit ! ] Certes, le cabinet ne saurait élre mal venu à s'en glorilier. Mais ce serait rapetisser misérablement le succès obtenu que de le restreindre aux proportions d'une satisfaction ministé- rielle, quelque légitime qu'elle puisse être. Le succès fait plus qu'honorer les honnnes qui d('tiennent le pouvoir. Il consacre un système politique pratiqué depuis plus de deux ans avec un esprit de suite que personne ne contestera, attaqué dans le même laps de temps par tous les partis d'opposition avec un acharnement qu'on ne contestera pas davantage, et cette consécration est d'autant plus imposante qu'elle s'ajoute <'i une consécration de même nature, (pii s'esl l)roduite dans des conditions identi(jues trois moisanpara\aiil. d'auxerre 303 Messieurs, le système politique en question consiste dans la subordination de tous les corps, de toutes les institutions, quelles qu'elles soient, à la suprématie de l'État républicain et laïque. {Applaudissements.) 11 a pour base, en thèse générale, le principe fondamental de la Révolution, la souveraineté nationale, pour formule dernière et pour conclusion, la sécularisation complète de la société. [Nouveaux applaudissements.) La République de 1870 a débarrassé la France de la dernière torme de la monarchie. Le ministère actuel entend que la République de nos jours l'affranchisse absolument de toute dépendance, quelle qu'elle soit, à l'égard du pouvoir religieux. Tous ses actes depuis son avènement au pouvoir ont été calculés vers ce but. C'est pour l'avoir poursuivi avec une opiniâtreté de tous les instants qu'il a ameuté contre lui les tenants de toutes les réactions; de la réaction royaliste, dont le représentant se morfond piteusement dans les intrigues impuissantes de l'exil ; de la réaction bonapartiste, qui guette inutilement derrière quelque caserne l'occasion d'un coup de force; de la réaction nationaliste. (|ui ne rougit pas de prostituer le patriotisme à la ré.-l approuvées par le Parlement, le ministère a dû négliger pour un temps, la dernière catégorie d'établissements et s'occuper d'abord des établissements d'enseignement, les plus dangereux sans contredit pour l'avenir de la République. Messieurs, vous lavez vu à l'onivre. C'est à vous de dire s'il s'est montré ci la hauteur de sa tâche. (Oui! Oui! ) Sans se lasser une minute pendant deux années consécu- tives, sans pr(Midre garde aux injures, aux calomnies et, ce qui devait lui être plus pénible, aux défections, il a continué méthodiquement la mission dont il s'était chargé. A l'heure actuelle, sur 16,904 établissements d'enseigne- nlent congrégauiste, 13,904, près de 14,000, ont été fermés. Nous nous proposons d'utiliser les crédits inscrits au budget de I90r). pour prononcer cinq cents fermetures nouvelles sur 3,000 établissements qui restent à supprimer. {Bravos.) Messieurs, c'est beaucoup, on en conviendra, pour un ministère forcé de combattre à tout instant pour son exis- tence propre, d'être parvenu à expulser de notre France les ordres religieux qui aspiraient à la subjuguer. Il nous reste un autre devoir k remplir pour répondre à l'attente du parti républicain, c'est de libérer la société française de la sujétion traditionnelle que font peser sur elle les prétentions ultra- montaines. (Sensation.) Depuis un siècle, l'État français et l'Église catho.'que vivent sous un régime concordataire (lui n'a jamais produit ses effets naturels et légaux. Ce régime a été présenté au monde comme un instrument de pacification sociale et reli- gieuse. C'est là. du moins, le caractère conventionnel que ses d'auxerre 307 partisans lui ont gratuitement attribut'. En réalité, il n'a jamais été qu'un instrument de lutte et de domination. Sous les gouvernements autoritaires, comme le premier Empire, l'Etat s'en est servi pour contraindre le clergé catho- lique à la soumission la plus humiliante, aux adulations les plus basses, môme à un rôle répugnant de policier, eu usant contre les ministres des cultes récalcitrauts de moyens coër- citifs violents. (C'est vrai f] Sous les gouvernements faibles et timorés, qui se piquaient de pratiquer l'alliance du trône et de l'autel, c'est l'Église qui s'est prévalu du Concordat pour assurer sa prépondérance, en supprimant de fait toutes les clauses des articles orga- niques qui gênaient son dogmatisme intolérant. La République, n'ayant pour elle ni la crainte résultant des habitudes violentes du pouvoir personnel, ni les bénéfices politiques corrélatifs d'une pieuse docilité, s'est débattue depuis plus de trente ans dans des difficultés inextricables pour régler, conformément au pacte concordataire, les rap- ports de l'autorité civile et de l'autorité religieuse. Toutes ces tentatives sont demeurées infructueuses. Ses ministres, même les mieux intentionnés, ont dû céder finalement, après d'inutiles efforts, au sentiment de leur impuissance. Ou peut dire que, depuis plus de trente ans, le pouvoir ecclésiastique a exploité le Concordat au profit de ses intérêts avec une hardiesse croissante. 11 Fa audacieusement violé, il l'a violé sans discontinuité dans toutes celles de ses prescrip- tions qui proclament les droits du pouvoir civil. [Bravos.) Et ce n'est pas là, messieurs, une affirmation sensation- nelle, une thèse de circonstance réservée à dessein pour une 308 BANQUET DKMOCRATIQUE roimioii populain". Je l'ai portt'o moi-mèmo, il y a dix-huit mois, à la Irihmic du S(Miat, ou lappuyaut df nombreux exemples, tous plus convaincants les uns que les autres, et le Sénat en a reconnu le bien fondé, puisqu'il a ordonné lafli- chage de mon discours. Mais, messieurs, sans même remonter à cette date, prenez les faits les plus récents. Qu'avez-vous vu hier? Que voyez- vous aujourd'hui ? Vous avez vu nos évêques, à très peu d'exceptions près, au mépris des prohibitions les plus certaines de notre législation concordataire, se concerter en vue de manifestations collec- tives, ou se livrer, tantôt isolément, tanlôt sinuiltanément, h des manifestations individuelles contre les actes les plus régu- liers du Gouvernement. (Approbation.) Vous les avez vus, vous les voyez tous les jours, en guise de bravade contre l'application de la loi des associations aux ordres religieux, ouvrir avec fracas les chaires de nos églises aux membres des congrégations dissoutes, qui n'ont jamais eu le droit d'y monter. (Bravos.) Vous les avez vus, vous les voyez s'insurger avec arro- gance contre les décisions des Chambres et l'autorité de la loi, prêcher l'insoumission à leurs fidèles dans des documents publics, en alléguant que la loi des hommes doit s'effacer devant la loi de Dieu, encourager, à l'occasion de l'exécution des mesures les plus légales, les mouvements les plus tumul- tueux, quand ils ne les provoquent pas eux-mêmes, et recevoir de Rome à ce propos des approbations explicites. (Bravos.) Rome, de son côté, sans nul souci de nos textes légaux les plus formels, donne pleins pouvoirs à son nonce et à u'auxkrre 309 ses tribunaux, l'irangers de correspondre directemeut avec nos évoques, de fausser la situation ofilcielle de ceux qui lui déplaisent, en les mutilant dans leurs attributions essen- tielles, de leur intimer des ordres manifestement contraires aux lois organiques du Concordat. (ApplaïuUssetnents) . Alors que le Concordat attribue au Gouvernement de la façon la plus nette la nomination des évèques, Rome refuse systématiquement lïnvesliture canonique aux prêtres promus à l'épiscopat par le Gouvernement, sous prétexte qu'elle doit être consultée préalablement à toute nomination. Elle s'ar- roge ainsi le droit d'écarter de l'épiscopat qui bon lui semble, en dehors de toute raison canonique de doctrine ou de moralité, sans même se croire obligée de fournir le moindre motif à l'appui de ces évictions arbitraires. C'est le bon plaisir remplaçant la légalité concordataire. (Bravos). Malheur à ceux de nos prêtres qui sont signalés là- bas par les meneurs de notre réaction ou par les jésuites dispersés dans nos villes, comme coupables d'une soumis- sion respectueuse au Gouvernement et aux lois de leur pays! Même les immixtions anticoncordataires dans nos affaires intérieures ne suffisent plus à la papauté. Qui de vous ne se souvient de son injurieuse protestation contre la visite rendue par le Président de la Republique au souverain de l'Italie? Qui n'a présente à l'esprit la circulaire envoyée à ce propos par la curie romaine aux puissances catholiques de l'Europe? (Vifs applaudissements). Ainsi, messieurs, nous devons l'avouer humblement, nous n'avons pas été plus heureux que nos devanciers dans nos 310 BANQUET DÉMOCRATIQUE efforts obligaloircs pour réfréner chez les représentants du pouvoir religieux le mépris ontrecuidaut du texte concor- dataire. Vainement, au dé) ml de notre ministère, avons-nous annoncé que nous nous placions sincèrement sur le teriain du Concordat. Vainement, avons-nous déclaré que nous ferions l'essai loyal de ce régime, estimant qu'il serait pré- maturé et impolitique de l'abandonner avant de l'avoir sou- mis à une dernière et décisive expérience. Loin de s'arrêter, les violations du Concordat par le pouvoir ecclésiastique ont suivi leur cours habituel. Je ne dis pas assez : elles se sont multipliées au delà do toute mesure, elles se sont en quelque sorte exaspérées, à la suite de l'application de la loi des associations aux ordres religieux. La curie romaine et l'épiscopat français n'ont plus observé le moindre ménagement dans l'exposi' public comme dans la mise en pratique de leurs prétentions. [Bravos.) Une heure est venue, où patienter encore et nous taire n'aurait pas été seulement une faiblesse insigne, mais une abdication avouée de nos droits, un manquement impardon- nable à nos devoirs. (Oui l Oui ! ) Force nous était, sous peine de trahison envers la Repu- blique, d'élever une suprême protestation. Nous avons mis eu demeure le pouvoir ecclésiastique, violateur ol)stiiié du pacte concordataire, de rentrer dans la vérité, dans le respect légal du texte, de nous faire savoir une fois pour toutes, par oui ou par non, s'il entendait se soumettre aux obligations du Concordat, comme le Gouverne- ment s'y était lui-même constamment soumis. n'AUXERRK 311 La mise en demeure restant sans effet, nous avons signifié au Vatican ta rupture des relations diplomatiques. {Bravos). Messieurs, aucun homme réfléchi n'a pu se méprendre sur la situation nouvelle qui est née tant des réponses évasives de la curie romaine que de la résolution prise par le Gouver- nement. Le pouvoir religieux a déchiré le Concordat. En ce qui me concerne personnellement, il n'entre pas dans mes intentions de le rapiécer. Ce serait perdre son temps et duper l'opinion républicaine que de l'essayer. (Acclamations.) En séparant délibérément la convention diplomatique des articles organiques qui avaient déterminé les Chambres fran- çaises à raccepter, le pape de l'époque et, après lui, ses successeurs, lui ont ôté son efficacité, par cela même qu'ils ont annulé les règlements de police destinés à l'appliquer. Faut-il rappeler, au surplus, que l'avant-dernier pape. Pie IX, l'a caractérisée expressément comme un don gracieux de la puissance pontificale, comme une simple concession motivée parla dureté des temps ? Tout aussi hardi et tout aussi franc, le pape de nos jours, qui certes n'a pas adopté le vocable qu'il porte pour renier les doctrines de Pie IX, ne se prêterait pas à une convention nouvelle qui ne serait pas la justifica- tion explicite de l'attitude antérieure delà papauté. {Bravos). Comme aucun ministère français, fùt-il composé des élé- ments républicains tes plus modérés, ne pourrait entrer dans une négociation de cet ordre sans revendiquer hautement les droits méconnus de l'État, il est évident que la .seule voie restée libre aux deux pouvoirs en conflit, c'est la voie ouverte aux époux mal assortis, le divorce et, de préférence, la divorce par consentement mutuel. {Rires et bravos,) 312' BANQUET DÉMOCRATIQUE Je n'jijdulc [Kis, i('inarquoz-k', pour cause d'iucompalibilitii d'iiiiineur. Car il ue saurait ôlro question dans l'espèce d'accès d'irritatiou et de mauvaise humeur, il sayil d'une cliose bien autrement sérieuse et grave; il s'agit d'une incompatibilité radicale de principes. Messieurs, je crois sincèrement que le parti républicain, éclairé enfin pleinement par l'expérience des (leu\ dernières années, acceptera, sans répugnance, la pensée du divorce, et je crois aussi, disons mieux, je suis sur (luil l'acceptei-a non dans un sentiment d'hostilité contre les consciences chrétiennes, mais dans uu sentiment de paix sociale et de liberté religieuse. C'est aussi sous l'empire du même senti- ment que la Chambre abordera la question de la séparation des Églises et de l'État, déjà étudiée avec beaucoup d(i soin par une des commissions dont les travaux, heureusement empreints d'un sincère désir de conciliation, serviront de base à une discussion également conciliante et sincère. Il importe que les républicains fassent preuve dans ce débat d'une largeur d'idées et d'une bienveillance envers les personnes qui désarment les défiances et rendent acceptable le passage de l'ordre de choses actuel à l'ordre de choses à venir. Qu'il s'agisse des édifices affectés au culte ou des pensions à allouer aux titulaires actuels des services concordataires, il n'est pas de concession raisonnable, i)as de sacrifice conforme à la justice que je ne sois disposé pour ma part à conseiller, afin que la séparation des Églises et de l'État inaugure une ère nouvelle et durable de concorde sociale, en garantissant aux communions religieuses une liberté réelle sous la souveraineté incontestée de l'État. (Bravos.) D AUXERRE 313 Messieurs, nous nous étions figuré, sur la foi de déclara- tions hautaines, que formulaient, au nom de l'Église, des organes réputés autorisés, que le pouvoir religieux, loin de répugner à une séparation, ne demanderait pas mieux que de recouvrer son indépendance sous une législation lui assu- rant le libre fonctionnement de son culte. 11 parait que nous nous triompions. Car on nous a prévenus que la doctrine catholique repousse tout système de liberté réciproque dans les rapports de l'Église et de l'État, et l'on a invoqué, à l'appui de cette thèse, l'encyclique fameuse de Pie IX, le Syllabus. C'est une singulière façon de restituer à Tidée concordataire la faveur qu'elle a perdue dans l'opinion que de la placer sous l'égide du Syllabus, cet effroyable répertoire des sentences les plus oppressives pour la conscience et la raison humaines. Heureusement, messsieurs, nous ne sommes plus au temps où l'on pouvait s'émouvoir des anathèmes perfectionnés que le Syllabus prodigue à ceux qui le méconnaissent, et nous ne ferons pas aux républicains, môme les plus timides, l'injure de croire qu'ils puissent se déterminer par des arguments de ce genre. {Bravos.) Nous pensons de même qu'aucun d'eux ne se laissera ébran- ler dans ces résolutions par la menace que des feuilles amies du Vatican nous ont faite de perdre, à la suite de la séparation de l'Église et de l'État, le protectorat des chrétiens dans les contrées orientales. D'abord, les deux questions ne sont pas nécessairement liées ensemble, Tune concernant uniquement nos rapports avec la papauté, l'autre nos relations diplomatiques avec d'autres puissances. Mais je veux, sans m'arrêter à cette 314 BANQUET DKMOCKATKH'l'- cousidéralioii. fiiNisaycr (liicflemnii l'i'viMiliialih' dmil un cherche à nous effrayer. Si la croyance des siècles passés a attach(^ au protectorat une idée de pieux dévouement et de grandeur chrétienne, si elle a servi notre influence à une époque de foi, il s'est trouve alors aussi, qu'on ne l'oublie pas, d'autres motifs très positifs et très humains, qui ont contribué largement à faire décer- ner à l'ancienne France un privilège glorieux, j'en conviens, dans resi)ril d(> ce lemps, mais parfois encore plus embarras- sant que glorieux. {C'est vrai !) 11 fallait, pour l'exercer, une puissance militaire et navale de premier (trdre. La France r('unissait celte double condi- tion. Notre pays a rempli honorablement les obligations découlant des capitulations et des traités, et il peut .s'étonner k bon droit de la menace dont il est l'objet. Mais, messieurs, la papautt' s'abuse, si elle s'imagine nous amener par ce procédé comminatoire à quelque acte de résipiscence. Nous n'avons plus la même prétention au litre de fille aînée de l'Église, dont la monarchie se faisait un sujet d'orgueil pour la France, et nous avons la conviction absolue que notre considération et notre ascendant dépendent exclu- sivement aujourd'hui de notre puissance matérielle, aiusi que des principes d'honneur, de justice et de solidarité humaine, qui ont valu à la France moderne, héritière des grandes maxi- mes sociales de la Révolution, une place à part dans le monde. Je me refuse donc à considérer le privilège dont il s'agit, comme un motif susceptible de nous détourner de la sépara- tion de l'Église et de l'État et, à plus forte raison, de nous faire passer sous les fourches caudines de la papauté. d'auxerre 315 J'observe, en outre, que les autres puissances n'ont pas attendu que la séparation fût votée pour substituer vis-à-vis de leurs nationaux, comme le suggèrent la raison et la nature des choses, leur initiative propre à celle de notre diplomatie. Messieurs, tout à l'heure, j'ai cru devoir résumer devant vous en quelques chiffres signiflcatifs les résultats de notre lutte contre la Congrégation, afin ([uc vous puissiez vous rendre compte de son importance et de ses difficultés. Qwand même une pareille lutte aurait absorbé entièrement notre action gouvernementale, nous estimons que nous aurions assez fait pour qu'on nous pardonnât d'avoir négligé momen- tanément d'autres alTaires, d'avoir ajourné temporairement d'autres solutions. IBravos.) Qui donc oserait soutenir que c'est trop de deux ans de travaux continus pour l'œuvre de sécularisation entreprise par le cabinet ? Mais, quoi qu'en disent des adversaires trop visiblement désireux de s'emparer du pouvoir pour n'être pas suspects de partialité, notre œuvre de sécularisation n'a pas été exclusive des réformes politiques et des améliorations sociales ; en même temps que nous arrachions la société française à l'acca- parement congréganiste, nous poursuivions l'exécution d'un programme bien défini, qui satisfait aux exigences les plus pressantes de la démocratie. Je l'ai si souvent exposé que je retomberais certainement dans les redites fatigantes, en l'exposant encore. Qu'il me suffise de rappeler que la réduction du service militaire y figure, à côté de l'impôt sur le revenu et des retraites ouvrières. (Vifs applaudissements.) 316 BANQUET DÉMOCRATIQUE Les éveiionieiils y ajouk'iil la .séparation des Églises et de l'État. J'ai eu l'occasioii d'indiquer à la tribune du Parlement suivant quel rang ces divers projets de première importauce me semblaient pouvoir venir en discussion. Je n'y trouve rien à changer. 11 a été décidé à la (Chambre que la .session d'octobic s'ouvrirait au Palais-Bourbon par la discussion de l'impùl suv le revenu. 11 a été aussi implicitement convenu qne la Chambre inscrirait en tête de son ordre du jour pour la session ordi- naire de 1905 la proposition de loi relative aux retraites ouvrières. tous les partis, je l'espère, seront d'accord pour demander, et, en tous cas, je demanderai instamment moi-même que le débat sur la séparation des Églises et de lÉtat conunence immédiatement après. {Bravos.) Dans le cours de la session extraordinaire de cette année, la réduction du service militaire, qui nécessite une nouvelle délibération du Sénat, devra être dérmitivement votée. Un crédit de quelques mois, fait au cabinet, permettra de liquider un ordre du jour ainsi arrêté. C'e.st beaucoup deman- der, je le sais, à des ambitions impatientes que de réclamer un crédit de quelques mois. Cependant j'aime à croire que, le premier moment de déplaisir passé, la solidité de leurs convictions républicaines reprendra le dessus et que, par l'ardeur généreuse qu'elles mettront à seconder l'action du cabinet, elles abrégeront elles-mêmes le temps d'épreuve que les circonstances actuelles imposent à leur dévouement. {Riirs.) d'auxerre 317 Messieurs, fussions-nous do(:us dans cette attente, nous comptons sur l'union persistante des groupes de gauclie pour nous aider à surmonter les difficultés. Nous comptons sur cette union et nous avons le droit d'y compter, tant que les raisons qui l'ont fait naitre n'auront pas disparu et tant que les groupes animés de l'esprit clérical s'uniront de lenr côtr- pour entraver la marche du progrès républicain. L'union des gauches s'est retrouvée résolue et compacte dans toutes les occasions critiques. Elle se retrouvera telle au début de la session prochaine pour achever de concert avec hr Gouvernement son œuvre de défen.se et d'action répui)li- caines. (Bravos.) Messieurs, un cabinet peut avoir toute confiance dans la lidélité de ceux qui le soutiennent, quand ses regards tomijent sur les hommes qui m'entourent, sur des collaborateurs anssi dévoués que mon ami Bienvenu-Martin, le président si haute- ment considéré de la gauche ladicale socialiste, et ses col- lègues républicains de la représentation de l'Yonne, sénateurs et députés, que j'ai à cœur de louer publiquement par une parole de justice, qui sera en même temps une parole de reconnaissance pour leur attachement inébranlable à la poli- tique du Gouvernement. (Bravos.) Messieurs, un de vos élus manque à cette fêle, un des plus appréciés, des plus laborieux et des plus fidèles, notre ami Merlou. Mais il est de cœur avec nous. Il n'avait pas besoin de m'en donner l'assurance. Néanmoins il a tenu à me l'ap- porter lui-même, avant de partir pour la station où l'appelait le soin de sa santé. Messieurs, je lève mon verre à la ville d'Auxerre, qui me 318 BANQUET DÉMOCRATIQUE d'aUXERRE reçoit avec un entrain si cordial et si (.lialeiireux. Je garderai de la visite que je lui fais un souvenir énui. J(^ bois aussi à la démocratie de l'Yonne, aux vaillants vignerons de ce département, qui s'est distingué de tout temps par l'indépen- dance du caractère et l'ardent amour de la liberté. (Applau- dissements prolongés. — Nombreux cris de : « Vive la République laïque! » ) XVIII LA POLITIQUE RELIGIEUSE (22 OCTOBRE 1904) A la suite des violations répétées du Concordat par le Saint- Siège, notamment en ce qui touchait la situation faite à deux évoques français, M. Geay, de Laval, et M. Le Nordez, de Dijon, le Gouvernement avait prononcé, durant les vacances parlemen- taires de 1904, la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège. Venant après cet acte décisif, les décla- rations très nettes du président du conseil à Auxerre avaient vivement ému les réactionnaires, qui, dès la rentrée des Chambres, chargèrent quelques-uns de leurs représentants d'interpeller à ce sujet le Gouvernement. D'autre part, certains républicains, désireux de faire aboutir le plus vite possible la séparation des Églises et de l'État, inter- pellèrent également pour permettre au président du conseil d'indiquer quelles étaient exactement ses intentions. A ces interpellations de MM. Boni de Castellane, Grousseau, Gayraud, Fernand Engerand, Hubbard, de Baudry d'Asson et Paul Deschanel, M. Combes, président du conseil, répondit en justifiant les mesures prises et en démontrant la nécessité, pour la République, d'organiser enfin un régime de liberté à la place du Concordat de 1801 (1). 1. Journal officiel. Déb. Pari. Chambre. N» du 23 octobre 1904. Pages 2128 et suivantes. 320 I^V l'OLITIQUK RELIGIEUSE ■M. EMILE Combes, président du conseil, minisln' de l'iiilr- rieîo' et des eiiltes. — Jo m'excuse d'avînice auprès de la Chambre si je retieus sou attiMilioii un p<'ti plus longtemps que je ne le voudrais. Mais uuedouble tàclie siinposeii moi. A la nécessit(' de justilier. i)ar uu expose de fails jns(|u'a |)ri'- senl assez mal coiimis. la rupture de ikis rt'l.iliuns (liplitinali- (|ues avec le Saint-Siège se Joiiil celle ;iiili-e uecessile de démontrer à la lois i)ar des raisons el des faits (|u'il n'est pas possible de maintenir plus lonahMnps le i-e^inie concorda- taire actuel ou de songer à instituer un reginu^ concordataire nou\eau. {Très l)ien ! très hien ! ii (jaiirlie et à l'e.itrèmi' (jaiiclie.) Messieurs, si nous nous reportons au iioinl initial de cette discussion, nous nous trouvons en présence de deux alTaires, de deux démêlés, dissemblables quant a la nature du litige, identiques quant au but poursuivi et aux moyens employés. A ne considérer les incidents qu'en eux-mêmes, le cas de l'évèque de Laval peut sembler dilTérer du cas de l'évêque de Dijon. Mais ces incidents n'ont joué qu'un rôle secondaire dans le procès intenté aux deux évèques par la curie romaine. Us n'ont occupé la scène qu'un temps voulu, le temps de bien mettre en lumière et de faire triompher la doctrine ultra- montaine, son incontestable toute-puissance dans le domain(> de l'administration leligieu.^^e. Ce résultat une fois atteint, ils se sont évanouis comme par enchantement. Les deux évêqiies, acteurs résignts dans cette pièce dun nouveau genre, qui constitue le persiflage le plus caractérisé de notre législation concordataire... {Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche) sont rentrés dans la coulisse aux applaudissements s LA POLITIQUE RELIGIEUSE 321 imauimes de leurs collègues eu épiscopat, qui se (lisent à l'envi heureux et fiers d'immoler au bon plaisir du Yatican leurs garanties concordataires les plus certaines. A Laval, un prélat, méchamment réputé par ses ennemis de mœurs légères, est accusé d'être un sujet de scandale... (Mouvements divers.) M. DE Baudrt d'Asson. — Examinez votre conscience, monsieur le président du conseil, avant de prononcer ces paroles. M. LE PRÉsiDEXT DU CONSEIL. — Peut-ètre a-t-il franchi plus souvent que de raison le seuil d'un couvent de carmélites. (Rumeurs à droite.) M. Cachet. — Ce ne sont pas des arguments à apporter à la tribune. .4 l'extrême gauche. — Ce sont les journaux réactionnaires qui l'on dil. M. le président du conseil. — Mais, messieurs, s'il n'y avait pas cela, il n'y avait rien. Pourquoi donc lui intenterait-on un procès à Rome ? (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.) Il a entretenu pendant quelque temps avec la supérieure du couvent un commerce épistolaire des plus suivis. (Rires à gauche.) On a discuté sur le caractère de ces lettres. Les uns ont cru y voir un caractère mystique, d'autres un caractère profane. .M. Maurice Dutreil. — Ce ne sont pas, encore une fois, des arguments à apporter à la tribune, du moins sous cette forme. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La charilé chétienne aurait 322 l.A POLITIQUE RELIGIEUSK voulu que l'iulerprclatiuii mystique l'emportât sur l'inter- prélatiou profane, et, de fait, c'est l'iuterprétation mystique qui a dominé dans l'esprit du pape défunt. Mais, messieurs, l'exégèse a changé avec un nouveau commentateur. (Rires à gauche.) Le pape actuel a cru discerner l'œuvre de Satan dans les élans épistolaires controversés. {Rires et iipplaudissements à yauche et à l'extrême gauche.) 31. Paul Lerolle. — Ou n'a jamais entendu un chef de gouvernement parler ainsi. M. le président du conseil — 11 a mandé l'évèque devant un tribunal romain, absolument inconnu de notre législation française. Ce n'est même pas le pape ni son secrétaire d'État, c'est un prélat, dépourvu à nos yeux de tout caractère officiel, le cardinal Yannutelli, secrétaire de la congrégation du saint- office, qui a écrit à l'iuculpé pour le sommer de comparaître devant la congrégation. Naturellement, l'évèque de Laval, obéissant <à son devoir le plus élémentaire de fonctionnaire de l'Ëtat français (Inter- ruptions à droite. — Applaudissements à gauche et à Vextrème gauche) a donné connaissance au ministre des cultes de la situation qui lui était faite, et il était d'autant plus fondé à lui communiquer la lettre du cardinal Vaunutelli, qu'aucune partie de cette lettre, qu'aucun membre de phrase ne présen- tait le caractère d'un ordre .secret, d'une conlidence. La lettre eût-elle été contidenlielle, que l'évèque ne pouvait se dispenser de s'en ouvrir à son ministre. Car il savait fort bien, ainsi que tous ses collègues en épiscopat, que la loi du 18 germinal an ■ X — une vraie loi française, monsieur Grousseau — iulerdil LA POLITIQUE RELIGIEUSE 323 expressément aux évêqiies rie quilter leur diocèse sans y être autorisés par le Gouvernement. Si, dans la pratique — une pratique trop souvent abusive — on s'est relâché du texte légal en territoire français, l'in- terdiction a été maintenue par tous les gouvernements, depuis un siècle, et, au besoin, appuyée de répressions dans la très faible mesure de nos moyens disciplinaires, pour tout dépla- cément au delà des frontières. Ainsi l'évèque aurait manqu»' à son devoir s'il était parti pour Rome sans la permission du Gouvernement. {Assenti- metil à udHchc et à l'extrême (jauche.) Mis au courant de ce ([ui se passait, nous avons défendu à l'évèque de Laval de s'éloigner de son diocèse, afin de bien établir que, comme tous nos devanciers de tous les temps, nous ne reconnaissions de juridiction sur nos évoques à aucune de ces congrégations cardinalices que tous les régimes politiques sans exception, soit avant, soit après la Révolution, ont voulu ignorer de la manière la plus absolue. [Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche et à (jauche.) En même temps nous avons protesté auprès du Saint-Siège contre l'interven- tion aussi audacieuse qu'insolite d'un tribunal étranger dans une question religieu.se qui intéressait au premier chef le droit .souverain de l'État français. Nous avions sujet d'espérer que notre protestation produi- rait un effet légal, quand nous avons été avisé que Tordre de se rendre à Rome avait été intimé derechef à l'évèque de Laval, sous peine d'encourir à jour fixe et par le seul fait de n'avoir pas désobéi à la loi française une suspension de ses pouvoirs ecclésiastiques. (Applaudissements sur les mêmes bancs). Et 324 LA POLITIQUE UELIGIEUSE cette fois c'était le cardinal secrétaire d'État qui avait adressé à révoque de Laval la nouvelle sommation. Vous convien- dn^z, messieurs, qu'il n'était pas possible de traiter plus légèrement le Gouvernement français, de lui marquer plus clairement une parfaite indifférence à l'endroit de sa protes- tation... M. Grousseau. — Et la lettre du 10 juin ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL... d'afliclier avec plus de désinvolture une insouciance allière pour nos droits concor- dataires. Tel est, messieurs, en ce qui concerne l'évèque de Laval, le véridique exposé des faits. Il en ressort que le Saint-Siège a méconnu nos droits et violé ses propres engagements : 1° en suscitant à l'évèque de Laval, devant un tribunal étranger, en dehors de toute entente avec nous, un procès pouvant aboutir soit à une démission forcée, soite à une sorte de dimi- nitio capitis, par suite de je sais quelle mesure disciplinaire ; 2» en passant outre à notre protestation et en renouvelant à l'évèque de Laval une menace sous condition, qu'il n'avait pas le droit de faire sans notre agrément ; 3» en arrachant à l'évèque sa démission par une pression morale indûment exercée sur sa conscience de prêtre. [Applaudissements à l'extrême gauche). M. LE GÉNÉRAL Jagquey. — Est-cc avaut ou après la rup- ture ? M. Paul Lerolle. — L'évèque de Laval a protesté lui- même contre ce que vous dites, monsieur le président du conseil, et affirmé la pleine liberté de sa décision. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'est dire, messieurs, que LA PULITKJUE HELKIIEUSE 32o la (|ualitt' d ovèque fraucais est à la merci diiii caprice ou (ruiir intrigue de la curie r(niiaiiie. {Applaudmementii à l'cr- irème gauche. — Interruptions à droite.) Il est plus facile de mïuterrouipre que nie réfuter. A Dijon, le bruit s'était répandu que lévèque de cette ville était affilié à une secte exécrable, la franc-maçonnerie. Yoiis sentez i)ien. nie,ssieurs, surtout après avoir entendu décrire à celle tribune les horreursépouvantal>lesdont les loges maçon- niques sont le théâtre à peine caché... [RircsàVextrème iimiche et à guHCtii'.) M. Prache. — Je n'ai parle ipie de leurs ridicules et \(»us ixjuvez en prendre voire large pari, car vous appartenez à cette congrégation. {Applnudisseiaents an mitri' ft à droih-.) il. LE puÉsiDENT DU CONSEIL. — \ ous uic permettrez alors de répondre que s'il y a eu que'lque chose de ridicule. (}'a (le le lésultat de votre interpellatioiL {Applaudissement.'^ cl rirrs n fjauclif ff à l'extrême gancfie.) M. Prache. — Vous oubliez de dire, monsieur le président du conseil, et vous savez mieux que moi qu'il y a dans cette Chambre i)lus de 250 francs-maçons lesquels ont été, à la fois, jng(!S cl partie. .AI. LE l'iîÉsmENï DU conseil. — Messieurs, il est visible qu'il y avait là de quoi soulever contre Févèque de Dijon la légi- time indignation des âmes pieuses et le perdre entièrement dans l'opinion de son clergé. On n'a jamais pu dire comment la iiimeur avait pris naissance. Elle n'était étayée d'aucun indice, autorisée par aucune induction. On parlait assez vaguement de visites 'ailes par l(;vi-i|ue chez un pliulographe, doinicilit: dau- le 11). 326 I.A POLITIQUE KELIOIEUSE jiièiue iimii(Mil)lr (iiic le (Tiaiid-Onoiil (\r Fr.incc. {liirrs à yauclie.) Au reste, ses eiiiiemis se préoccupaient très peu d'aller aux preuves. Le seul fait de passer pour franc-maçon ou d'avoir été pliotogiapbié par un franc-maçon équivalait pour eux à une condamnation morale. D'ailleurs, les curés et les vicaires delà cathédrale de Dijon sétaieut portés garants de l'indignité de l'évèque. Les professeurs sulpiciens de son grand séminaire, à l'exception du supérieur, homme timide et faible, avaient accrédité Faccusatiou auprès de leurs élèves et, parmi ces derniers, ceux qui devaient recevoir les ordres sacrés, redou- tant fort, s'ils les acceptaient des mains de l'évêque, de tomber avec lui dans un abîme d'indignité, imaginèrent de former un syndical d'espèce nouvelle, de se déclarer en grève et d'abandonner en masse l'établissement. Mais ils avaient compté sans le ministre de la guerre... (Rires et opplaudmements à gauche.) M. Dejeante. — Voilà le patriotisme clérical. M. Paul Lerolle. — C'est un roman que vous racontez là. M. Gatbaud. — Qu'il en fasse autant contre les inscrits maritimes. M. le président du conseil. — Le ministre de la guerre prescrivit au bureau de recrutement de constater la fugue des séminaristes et de les incorporer tout de suite dans leurs régiments respectifs. La grève cessa comme par enchante- ment. (Très bien! très bien! et rires à gauche.) M. LE GÉNÉRAL Jagquey. — Si VOUS pouviez employer un procédé analogue pour ai'rêter les autres grèves ! LA POI.ITIgUK UELKJIEUSE 327 .M. i,K pKiisiDENT J)r CONSEIL. — .Ahiis. messieurs, les oreilles des couseilleis du pape s'étaieiil dressées au seul uimi delà fr;mc-niaçonuerie. A aucun prix cette secte infâme ne devait a\(ur le dernier mot. Défense fut faite à l'évèque par la nonciature de Paris, agissant sur les ordres directs du i)ape, de procéder aux ordinations habituelles. Le ministre des cultes, instruit de ces incidents plus ou moins inexactement rapportés par la presse, invita l'évèque de Dijon à lui fournir ûc^ explications. L'évèque dut avouer l'intervention du nonce el conunnniciuer au niinistre le docu- ment otTiciel (|ui l'avait suspendu d'une partie de ses fonctions. Comme pour Laval, le Gouvernement protesta aussitôt auprès du Saint-Siège contre la démarche du n'once et exigea le désaveu dun acte aussi contraire aux u.sages diplomati- ques qu'à notre législation, (!t. comme pour Laval, le cardinal secrétaire d'Etat du Vatican répondit à notre protestation p.ir rinjonclion faite à l"è\è(iue de partir dans les quinze jours pour Rome : faute de (|uoi il serait suspendu de ses pouvoirs de prêtre el d'évèque. {Très bien I à droite.} Ainsi, dcii\ fois bravé dans l'usage le plus régulier (]<■ .'^t'> droits les plus légitimes, le (iouM'rnement ne pouvait licsi- li')-. Il mil il' Naticaiien tlcmeuie de rclircr i)iin'meni ci sim- pleniiMit dans les vingt-quatre heures les lettres écrites aux évèques de Laval et de Dijon, sous peine d'une rupture inuuèdiate de ses relations diplomatiques avec la France. [AjjpIdKdisxciiuutts a Vexlrèmt' (janclic et à (jaaclie.) M. LKOKNKRAL Jacquev. — C/est le train ia|)ide ! M. LK i'iU';su)ENT 1)1' CONSEIL. — N'axaul pa> uiilcnu satis- lai'lioii d;iii> li' di'laj indiiiuè, il mit a excculiou ^on ultinia- 328 LA POLITIOUK RELIOIEUSE tiiin. on lappclaiit de Roiiu? ce (iiii restait de I'anil)assade. {Très bien! très bien! à (lamhc et à l'extrême ynnche.) Messieurs, aucim desoi-ateurs qui ont pris iH)sitiou dans ce débat en faveur du Saint-Siège n'est eutré dans l'examen des faits qui ont servi de prétexte à la conduite irrégulière et anticoncordataire de la papaut»;. Nous-mêmes, nous n'avons pas été appelés à eu coimaitre, à en apprécier le bien ou le mal fondé. Car nous n'avons jamais été saisis par Rome. Que les deux évèques aient été des prélats indignes, comme la presse religieuse l'a pendant assez longtemps aftîrmé {Rires et /ipplaudisseitients sur les tnèities bancs à (luuche et à l'extrême (/(luclie) que la morale ait dû se voiler la face devant l'un et l'orthodoxie gémir devant l'autre, ce n'est pas notre alYaire. Le Gouvernement français n'a jamais entendu se rendre solidaire de leui' conduite privée. (Très bien! très bien! à gauche et à l'extrême yauche.) A droite. - Et alors ? M. LK PRÉSIDENT DU CONSEIL. ^ Cc qu'il a rclevé comme nu manquement aux stipulations du Concordat, ce que tout ministère républicain aurait relevé comme lui... A droite. — Non ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... C'était la prétention du Saint-Siège de disposer du sort des deux évèques, d'agir iso- lément, sinon en cachette, sans prévenir d'un signe le Gou- vernemenl français, bien que ces journaux t)ftîcieux aient soutenu faussement le contraire, sans engager avec le Gouver- nement français le plus petit pourparler. M. LK MARQUIS DE La Ferronnays. — Vous veucz de dire que cela ne; nous regardait pas ! LA POLITIQUK RELKJIEUSE 329 M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Et Cela, luessieurs, le Saint- Siège l'a fait iiitentiomielleineut, délibérément, rompant avec tous les piéct'dents, et pour ctalilir un précédent destruclifde nos droits concordataires. (Très bien! très bien t à gauche et à l'extrême gauclw.) M. DE Baudry d'Asson. — Il a bien lait ! M. Bernard Cadsnaï. — Et nous, nous allons mieux faire. M. Paul Lerollk. — \ ous passez sous silence la note du 10 juin par laquelle le nonce vousavait informé des dispositions du Saint-Siège. Cette note, vous l'avez écartée. A droite. — Vous l'avez escamotée ! M. LÉ président du conseil. — Jamais de la vie ! M. Paul Lerolle. — Comment ! le Saint-Siège vous a avisé dans la note du 10 juin que, s-il y avait lieu, selon lui, à déposition, il vous en informerait. M. le président du conseil. — C'est sur nos protestations que cette note a été envoyée. Elle est donc postérieure aux faits. M. Paul Lerolle. —Non ! Elle est antérieure à la rupture. M. LE président du conseil. — Dans ces conditions, nous n'avions pas à nous enquérir de la réalité des faits imputés aux deux évêques. Aussi pourrons-nous nous dispenser de nous prononcer à cet égard. Mais bien que nous ne nous soyons livrés là dessus A aucune étude spéciale, les suites données k ces deux affaires par la curie romaine nous autorisent d'émettre des juge- ments tout à fait impartiaux. L'évoque de Laval a été mis en cause pour des relations suspectes avec une carmélite. (E.vclamatinns à droite. — Assentiment et rires li i//iiirl)e l't à fe.rt renie iiaiietie.) 330 t.v l'oi.nKjri; ukligieuse M. Maurigk DiiTRKiL. — Cc ii'esl i)as vraiiiK'iil IVaiK-iis de, tenir un paroil lan^aji"»' <'i la trihiiin". .4 l'i'.virènic f/((uche.— C'est di; votre cOt('! (|iie (;ela a élti dit. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL — Ce griol'. vrai ou faux — je le tiens, quant à moi, pour faux — remoulc à une date rela- tivement ancienne. Vous ignorez ce détail. Le pape Léon XUl l'a connu en 1900, alors que les relation.s iut^riuiinées avaient cessé. Il .s'en est entretenu avec lévèque de Lavai, qui a fail à cette époque un voyage apostolique ad limuin, et il ue s'en est pas autrement inquiété, puisqu'il a classe l'affaire. En tout cas, (juclque jugement qu'il en ait intérieurement |)orté, le pape Léon Xlll a sagement passé là-dessus. Peut-èlre, messieurs, n'est-ce ))as de son plein gn'i (juc le pape actuel a réveillé une affaire réglée quatre ans aupara- \anl par son |)ri'(lécesseur. (]eux-là mêmes qni le repré.sentent comme un |)ape essen- tiellenicnl religieux, en opi)osition avec Ir itorliai! moral qu'ils Iraccnl ûo. Lcoii XIII. comme d'un ))aite emincmnienl politique, n'o.s(Maient avancer (|n'il a \oulu désavouer son j)rédéces.senr, en adoptant mie conduite différente vis-à-vis de IN'vèque de Laval. .M. LK (iÉNÉu.vL .lv:ui KV. — La (pieslion n'esl |)as là. M. LE PRKSU)E.\T. — .M. le président du conseil est cons- lainmenl inlerrompu. .le \ous prie de le laisseï- patier et d'écouler en silence. M. LE PRÉSIDENT DU coNSEH.. — Cc ([ui pnunf Cil soiniiie. que Pie X n'a pas pensé antremenl (pic Léon XIII sur les giiels dirigés couiic IV'\c(pic de La\al. c'csl (pTil a snfli à ce (Icniicr (rohicnipcivi' a la xolonli' du pape en se démetlant LA l'OLITIoUE RELIGIEUSE 331 de son siège pour rccijDquérir du uumui' coup l'eslime et les bonnes grâces de la papauté. En réalité, ce que Rome à poursuivi dans l'évêque de Laval, ce «pi'il a voulu cliàlicr. c'est sa snuuiissiou trop resix-c- tueuse au Gouverneuieiit et aux lois de sou i)ays... M. GnoussEAU. — Ce uest pas exact! y\. LE l'KÉsiDEiNT iJi CONSEIL. — ...c'csl SOU refus lullial (l(^ se plier à des exigences anticoncoi'dalaires et de reconiiaiti-e publiquement la suprématie du pouvoir religieux à l'égard du pouvoir civil. (Appldudissements à (lanchc.) M. Paul Lerolle. — C'est là une afflruiation que \ous ue basez sur rien ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ou lui a dit. à Rouie, quaiul il protestait de la pureté de ses mœurs : « Ah ! s'il n'y avait que cela ! » [Rires à f/iniche et () Vextrème (/anche. ) M. Paul Lerolle. — En avez-vous les preuves ? Montrez donc où il a dit cela ! 11 vous a écrit qu'il était allé à Rouie pour soulager sa conscience. M. LE Président. — Monsieur Lerolle, vous rendez le débat impossible ; je vous invite à garder le silence. M. Paul Lerolle. — Ou ne peut pas admettre qu'où jjorle à la trilnme des afflrmalious de ce genre sans les étayer de preuves. M. LE Président. — Monsieur Lerolle, vous répondrez si vous le voulez; mais vous n'avez pas la parole en ce moment, et je vous rappelle au silence. M. Fernand de Ramel. — ('/est une al'lirinaiioii dcuiiee de toute preuve. 332 I.A l'OLlTIQUK HEMC.IEl'SK iM. (U'NKt) d'Oknano. — Il nVst pas pciniis d'atliilmer au pappiiiio ppiis('e pan'illo! M. LE PiiKsiDKNT. — Eucorc uiic fols. M. Lerollo ri'pondra s'il le désire; mais gardez le silence. M. LE PRÉSIDENT Dt' CONSEIL. — Mais il y avait autre chose et une chose bien autrement grave: il y avait la correction de son altitude connue fonctionnaire de l'fitat : il y avalisa répugnance à enfreindre sur un signe du pape l'ordre de son gouvernement... M. Pail Leholle. — Donnez les preuves de ce que vous dites. M. LE PRÉSIDENT Di' CONSEIL. — Vous leiidez inexplicable la conduite du pape. A droite. — C-omment? M. Paul Lerolle. — Voulez-vous me permettn^ un mot?... Le pape cite devant le tribunal un évèque en sa qualiti'^ d'évèque. L'tivèciue donne sa démission : de ce moment même il échappe à la compétence du tribunal; par const'quent celui-ci n'avait pas à statuer; voilà pourquoi il n'est pas intervenu de condamnation et il n'y a pas de conséquence k en tirer. M. LE PRÉSIDENT lu' CONSEIL. — 11 y avait en tous cas, au .su et au vu de tout le monde, ces âpres et implacables ven- geances que l évèque a dt'peintes avec amertume dans ses épanchements plaintifs au sein d'un journaliste... M. Paii. Lerolle. — Vous .savez bien qu'il a dt'inenti par deiiv fois le récit du journalLste. {Bruit à gdiicfie.) .M. LE Préside.nt. — Monsieur Lerolle, voulez-vous donc rendre la di.scu.ssion impossible? • LA POLITIQUE RELIGIEUSE 333 .M. Pail Lerolle. — Je ne puis pas permettre... M. I E Président. — Vous n'avez pas le droit d'interrompre. Il y a des orateurs inscrits. Si vous voulez rendre le débat impossible. dites-le et montrez-le. {ApphiiKUxsciiietitHà gauche.) M. PaclLerolle.— 11 n'est pas admissible (pie l'on apporte à cette tribune un récit qui a été démenti. >r. DE Bai'dry d'Assox. — Monsieur le président du const'il, Je ne vous laisserai jamais insulter le i)ape. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je uapporteàla tribune — la Chambre peut m'en croire — que des faits que je connais parfaitement. tApplaiidisKenients à gauche et à l'extrême gauche. — Bruil ii droite.) Personne n'ignore que l'évèque de Laval s'est attiré, dès le début de son épiscopat, la haine de la faction royaliste de la Mayenne. (ApplaudisnemeutA à gauche.) Vu nieiuhre à gauclie. — Non ! pas la haine, le mépris ! (Bruit.) M. DE Baudry d'Asson. — Les royalistes valent mieux que vous, brigand! (Exclamations et bruit.) M. LE Président. — Monsieur de Baudry d'As.son, je vous rappelle à l'ordre. Il m'est impossible de vous laisser plus longtemps abuser de la tolérance que tous les présidents vous ont accordée jusqu'ici avec l'assentiment de la Chambie. Veuillez garder le silence. M. de Baidry d'Asson. — Je ne laiï^serai insulter ni les royalistes ni le pape ! M. LE PRÉSIDENT Di CONSEIL. — II a détaché son clergé de la politique. Il l'a confiné dans l'exercice de son mini.stére, 334 I.A Pdl.ITInrK. HKI.HîIKUSK et ce pays d'opinions arriérées... iE-rcloiiiations à riroilr ci an centre. — 7'r^.s bien ! très bien ! à l'extrême (faiicliej M. DÉRiBÉRK-DEsr.AUDKS. — Je rtemanfle la parole. .M. i.K PRKSiOKNT DIT coNSKU.. — (Iii sera peilKélli' l)lll< tolérant de ce côté (la droite) si je inodilie ma phrase. Je dis donc : « dans ce pays l'oyaliste »... M. |)HRn{KitK-l)Ksr,.\RDES. — Je ne puis pas laisser passer, sans protester, les paroles que M. le jjrésident du conseil \ieni de prononcer. M. LE Président. — Vous n'avez pas la parole. M. Déribéré-Desgardes. — Mais, monsieur le Pré.sidenI !... M. LE Président. — Faites- vous inscrire. M. LE ijeutenant-colonel du Halgouet. — On n'a pas le droit d'insulter un département. M. Déribéré-Desgardes. — M. le président du conseil a attaqué la circonscription que j'ai l'honneur de représenter. Je ne la laisserai pas insulter sans protester. (Applaudisse- ments an centre et à droile. — Bruit à ganclie.) M. Dutreil. — Je proteste au nom de tous mes éiecleurs et de 'toute la population de ma circonscription. M. le président du conseil. — Je m'étonne vraiment qu'un député républicain me conleste le droit de dire qu'un depart(,'menl qui élit trois députés royalistes est un dépar- tement dopinion arriérée. (Vives interruptions à droite. — Applaiidis.sements à f/nucfie.) .M. DuTiîKU.. — Je piolesle contre cette affirmation. Je ne me suis pas i)n'senlé comme royalisle. mais comme ri'puhli- caiii. Vous afiirmez là une clKise contre laquelle je ni"ele\e énergiquemenl. r.A l'ftl.niOCK UKLKHEUSE 335 M. |)kribkré-Des(;ardes. — Vous avez généralisé, monsieur le président du conseil. Vous avez une singulière façon de prt'parer le pays à la séparation de l'Église et de l'État. (Très bien! trèa bien! an rentre.) .M. LE PRÉSIDENT DL' CONSEIL. — C'CSt cette faCtiOH QUi il (IfMioncé l'évèque de Laval à la curie romaine ; c'est elle qui la dt'signé à la cougrégatiou du saint ofllce; c'est elle qui a fail ouvrir contre lui une instruction dépourvue de toute garantie sérieuse et d'ailleurs discréditée dans l'opinion l>ubli(iue par h* mystère dont elle s'entoure, non moins que par la façon dédaigneuse dont ou lécarte. après l'avoir mise en mouvement. (Applaudissements à (lauche et à l'extrême iiauche.) .M. P.\UL Leroli.e. — Quel singulier langage ! M. LE PRÉSIDENT OU CONSEIL. — Messieurs, le cas de l'évè- que de Dijon est tellement fantaisiste qu'on l'assimilerait volontiers à une pièce légère de théâtre, à un vaudeville, sans le st'rieux du dénouement. (Interruptions à droite.) Quelqu'un, on ne sait qui, entend dire et répète que l'évè- que est franc-maçon. Il ne fournit à l'appui aucun commence- ment de preuve, aucune probabilité, fût-ce la plus légère. Il en est de même de ceux qui s'en vont racontant et pro- pageant ce qu'ils ont entendu dire. C'est là une de ces rumeurs qui naissent on ne sait comment et qui font leui- chemin dans l'ombre, à la faveur de l'imbécillité des esprits. Et comme elles n'ont pas de racines, elles meurent un jour de leur belle mort sans qu'il soit nécessaire de faire le moindre effort pour les anéantir. Un mot leur a donné l'être; un mol W leur enlève. Dès (|ne rr mot a été prononcé' par l'évèque de Dijon. l;i ;{;}(; I.A I'OIITIOIK RELICIEUSK li'ficiidc lraiic-ina(;i)iiiii(Hi(' sVsl clciiilccl le rrcn- Ti'ois-l'uiiils. \o Iraiic-inaçoii ahlioiiV' des (l('V(»ls csl (Icncihi aussit(M. daiis l'ospiil fies mêmes gens. !r pirlal digix' pI resi)eclabl(' (iiii fera désoi-mais r('dili( ali(ui di's croyaids. \(iiis (•(Hiiiaisscz. iiicssicins. W uu\\ sarr.-imciilcl (|iii a cliaiigé en (ir \mv le pldiiih \il de Tt-MM'lic de Dijiiii : c'est celui de démission. Tant (iiic lY'viviiic de Dijon a refusé de s'associer à la vioialion de nos lois concordataires, il a ('It' poiii- le monde callioli(iue un (thjcl de rcprohalion cl t\r dou- liMii'. Mais à peine a-t-il eu pratiqué la maxime chère à quel- ques-uns des membres de cette Assemblée, qji'il vaul mieux obéir à la curie romaine (pi'au gouYeniement de son i)ays. qu'il a été jugé pur de toute souillure franc-maconnique et qu'il s'est même placé phis liaii! (pie jamais dans l'eslime du l)ape et de ses fidèles. 11 y a pourtant une explication au renom diabolique que les sulpiciens du sénUuaire de Dijon avaient lait à leur é\è- que, et cette explication, il est intéres.sant de la connaître. L'évêché de Dijon \erse annuellement .35.000 fr. aux sulpi- ciens pour rentretien du séminaire. Jamais, ju.squ'à l'année courante, l'évoque n'avait demandé compte de l'eniploi des fonds; mais son attention s'éveilla et des in(puétudeslui \in- reid. quand il apprit que le procureur de la congrégation s'était rendu acquéreur d'un petit domaine. Alor's il demanda aux religieux de lui soumettre leurs comptes. Évidemment, s(Md. un évêque francymaçon étail cai)al)le d'une pareille audace. On le lui lil bien \oir ! {liii'rs à uditchc.) .M. Paul Lkuollk. — Ce soni de simples insinnaiioiis. sans pr(!uves el déjà démenties. LA POLITIQUE RELIGIEUSE 'STI M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Si VOUS ajoutez à CG fait. •Idiit jo garantis la parfaite authenticité, que l'évèque de Dijon s'était tcini jusqu'alors en dehors des partis politiques, comme aussi des bravades lancées à tout propos et hors de propos par un très grand nombre d'évèques contre le Gouver- nemenl de la République, vous concevrez sans peine la haine féroce que la réaction cléricale lui avait vouée. {Appltnidis- xempiits à (jaiiche et à l'extrême gauche.) Messieurs, il est à remarquer que cette hostilité religieuse, qui s'est as.souvie avec délices sur les deux évêques de Laval et de Dijon, s'étend à la petite portion de l'épiscopat qu'elle soupçonne de tiédeur pour les doctrines les plus farouches de l'ultramontanisme. Et ce n'est pas d'aujourd'hui que je l'ai notée. En 1895, chargé du ministère des cultes dans le cabinet de M. Bourgeois, j'ai pu suivre l'expression de ce sentiment dans les manifestations de la presse religieuse. Alors aussi l'évèque était montré au doigt, dénoncé comme un faux pas- teur à la gent dévote, pour peu qu'il s'abstînt de comploter contre le régime républicain. Il y avait bien peu de prélats qui osassent affronter pareille réprobation. Je me .«souviens que, quand je faisais dans ma pensée le décompte de ceux qui tâchaient de concilier leurs devoirs envers l'État avec leurs devoirs envers l'Église, j'aboutissais péniblement au chiffre de quatorze ou quinze. [Mouvements divers.) Loin de s'accroître depuis lors, le chiffre s'est noiablemeiit réduit. Faut-il s'en plaindre ou s'en étonner? S'en plaindre? Non, si l'on préfère la réalité à l'apparence- [Applandhsements à gauche et à l'extrême gauche.) 338 I.A l'Dl.lTIOl i; lîKI.K.lKIlSK S't'ii tîUinncr? Moins encore, si Ton renechil (|M"nii seni- l)lable état de choses est la résultante loglcjne de la révo- lution iutérieure (jui s'est accomplie depuis trente-(|uatre ans dans le sein de l'Église catholique. C'est là. sans contredit, le côté le plus intéressant de la question (|ui se traite à l'heure présente dans cette enceinte. J'y viendrai tout à l'heure... M. VA.VL Lerolle. — Avec la même élévation ! M. LE PRÉSIDENT uv CONSEIL. — A l'aborder de suite, il nous ferait perdre de vue l'objet direct de l'interpellation, et je dois avant tout démontrer à la Chambre, par des textes précis, que la conduite du Saint-Siège à l'égard des évêques de Laval et de Dijon justifie amplement le retrait de notre ambassadeur, parce qu'elle Implique la violation syst('mati- quement voulue de notre droit public international et. dans des parties essentielles, de notre droit concordataire. (Applnn- tlhaements à gauche.) Messieurs, s'il est une maxime universellement admise eu droit public international, c'est que l'envoyé d'une puissance (juelconque. ambassadeur, ministre plénipotentiaire, chargé d'affaires, ne peut avoir de rapports officiels qu'avec le gou- vernement auprès duquel il est accrédité. Même la plus grande réserve lui est prescrite dans ses relations privées. La situation du nonce est celle d'un ambassadeur. M. Grousseau. — Ce n'est pas exact. .M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Elle ne lui confère aucun droit spécial ; elh? ne, le dispense d'auciiin' obligation (-(mm- miine. S'il a des instructions à transmettre delà pari de son gouvernement à des membres du clergé, c'est par l'intermé- LA POLITIQUE RELir.IKLSK 'XV.) (liaiiv (lu ministre des cultes qu'il doit les faire passer. Tout autre mode de procéder est incompatible avec son carac- tère officiel. Ai-je besoin, messieuis. de rappeler à l;i Chambre avec (jnelle fcimeti'. dans une ciiconstancc ((miiiie de \ous tous, un jit)U\erneinent modère, celui de M. Casimir-l'erier. a mainlemi ce principe essentiel de notre droit public, en menaçanl le nonce d'alors de lui remettre immédiatement ses passe-ports, s'il ne donnait pas au Gouvernement français la satisfaction désirée ? Or non seulement nous n'avons pas olitenu satisfaction par le retrait de la lettre du nonce à févèque de Dijon, mais le Saint-SièKe a aggravé sa faute {luteirupHons et bruit à droite. — Applaudissements à (jnuche et er à un dessci- v.nil. (|iri] avait déplact' itoiii' ddnner salisfactiun à l'opinion publique, une rente annuelle de 400 fr. pour le motif très posilif l'I très charnel que la nouvelle paroisse était d"nn rendement pécuniaire inférieur à lancienue. {Exclamât ions à (jiinchc) Messieurs, il n"est certainement dans cette enceinte aucun républicain qui napprouve le GouvernemenI d'avoir voulu tenir la main, autant qu'il était en lui. à l'ol)seivati(tii deces articles. J'espère donc qu'il ne se trouveia aucun répui)licain pour blâmer le Gouvernement d'avoir sifinitié au Vatican la rupture des relations diplomatiques eu manière de protesta- tion suprême contre Les violations systématiques et obstinées- du pacte, concordataire qui est le fondement et la raison même de ces relations. (Applaudissements à yauche et à l'ex- trême gauche.) On m'objectera peut-être que ce n'est pas la première fuis que de semblables violations ont lieu sans entraîner des suites aussi séiieuses, et, tout en faisant observer que c'est la pre- mière fois qu'elles offrent un caractère aussi grave, paicf^ qu'elles affectent l'article capital de l.i ((iiixciilidii d des arliiii's essentiels de la lui du 18 jicniiinat an \. je n'pondrai que plus ces violations ont été fréquentes dans le passé, plus enfin elles doivent nous paraître intolérables. {Applandisse- mcnts à Vexttème gauche et a gauche.) La République a supporté pendant trente-(piatre ans ce que les monaichies qui l'ont i)récédée n'auraient pas supporté la dixièmu [lai'tie de ce U'm[)<.iAiJj)laudissemenl^snr les mêmes bancs.) ;J44 I.A l'OUTKjUK llKLKilEUSE Il est vrai que le sysUMiic! do gouveiiienieiit des monarchies, |)lus (lu moins en harmonie avec les théories ulliamoiitaiiies, leur a valu de la pari du Vatican des niiuiagements que la i{éi)ui)li(iue n'a pas connus, {l'roiesidtions à droite.) Sous le régime politique aciuel, les violations du Concordat par le pouvoir religieux ont été, pour ainsi dire, incessantes. Kvèqueset prêtres semlilent s'èlre donne le mot pour lasser la patience du parti républicain. (Apjjldiulissementa à l'extrême ycuictie et d yduche.) Nous trouvons la main de l'épiscopat dans toutes nos crises politiques, depuis le 24 mai et le 10 m;ii jusqu'au boulan- gisme. [Très bien l très bien ! sur les mêmes bancs.) Nous relevons par centaines les lettres pastorales qui contiennent de véritables déclarai ions de guerre au Gou- vernement. Quant au clergé inférieur, j'en appelle à vous Ions, messieurs de la majorité, ne l'entendez-vous pas tonner tous les dimanches, du haut des chaires, contre nos institutions et nos lois? [Interruptions à droite.— Applaudissements à yaurhe et à l'extrême gauclie.) Ne le voyez-vous pas, à chaque renouvellement électoral, se lancer dans la lutte et mettre son crédit officiel au service de la réaction ? M. LK coMTK i)K L.\ BouRnoNNAYK. — .Méuio pour Ics pays les plus arriérés, c'est absolument inexact. M. Lucien Millevoye. — Ils n'ont pas fait voler pour vous? {Sourires au centre.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ah, luessicurs, ce n'est pas imi)unément que le régime politique actuel s'est inspiré des LA POLmyUE RELIGIEUSK 345 principes HiiiaiRipateurs de la Révolution! Ce n'est pas impu- iienieiil <|ii(' la République s'est appliquée à se séculariser, à se libérer de toute sujétion dogmatique, à diriger sa marche A ers l'idéal de la société laïque. M. LE GÉNÉRAL Jacquey. — L'idéal, ce sont les trois points. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Lc Cléricalisme, ce cléri- calisme raillé par M. Groussau, s'est dresse; toujours contre elle en ennemi implacable, usant et abusant de la situation officielle que nous lui avons donnée. Voilà deux ans surtout que nous assistons à un véritable dévergondage de manifesta- tions haineuses. (Exclmnatiom à droite. — Très bien! très bien ! ri ytincke et à l'extrême gauche.) M. GAYJtAUD. — Qui les provoque? M. Paul Lerolle. — ('/est sans doute le clergé qui ferme toutes les écoles municipales ! C'est par trop fort ! M. le président DU CONSEIL. — Nous avons eu la témérité d'appliquer aux ordres religieux la loi des associations. Aussitôt on a appelé à la rescousse tout ce qu'il y a dans le pays de fanatisme et d'ignorance. (Applaudissements à gaucfie et (I l'extrême gauche.) Un membre à droite. — Toute la science vous applaudit. M. Charles Benoist. — Vous avez contre vous toute l'élite intellectuelle du pays. M. LE président du conseil. — On nous a accusés, sous ce prétexte, de vouloir attenter à la religion. .Messieurs, je ne vous défendrai pas d'une pensée que vous n'avez jamais eue; ce serait inutile. (Interruptions à droite.) M. P.'^UL Lerolle. — On le disait ixiurtaiit assez claire- ment hier. 34(1 LA l'Ol.llliJLI. UKI.KUKl SI. M. i.K i'i(,::sii)icNT 1)1 CONSEIL. — 1)(' SDii (•("ilc. \i' S.'iiii t-Sii'';;('. sans se soucier le moiiis du iikhhIi' (r.'iccdrdcr ses propres COUCOplious a\ec les lois exislaiitt^s el la realile (les clioses, a l)ris fait el cause poui' les coii^frégalioiis. couiuie si elles faisaient parlie inleiiiaule de Tf^^lise de France. Alors (juo le (iouverneuienl consulaire selail rtdiisé péreniploirtimenl h faire enireidans le Concordat los inslituls relij;ieiix abolis par la Réxolulion. alors gue ceux de ces instiluts qui ont été autoiisi's par les ^oinei iieuienls sui).sé(iuenls u"out dû leur \ie loyale (pi à la \oloiile du iwuvoir ci\ il. le pouvoir reli- j.àou\ a dénié le droit de les dissoudre à la v(tloiile iiièiiie (pu les avait fait iiaiire el pai'Ioul ou ])res(pie paiioiil il s'esl insiirjié coiilre les décisions rendues à ce sujet |)ar laChanibre. Cardinaux, arch(m'(pies el (ïvèques se sonl concertés, en dépit des prohibitions les ijlus formelles de noire h'^fiislation, jKMir accomplir auprès du ciiet de l'f^lat el ;i reiicoiiliv (U\ ministère, en laveui' de ces insliliils autorises ou non. les démaiches les plus inconstitulionnelles. ils on! coiiveri de leur proleclion. lis oui encoura^ié dans uiu; résistance coupa- ble les cou)j,reyations rebelles à la loi. [ [iiplaiulisxriiinih n (luiiilir et (I rr.rhhiir (iniicliiw W. (iAVitu II. — C"esl n\\ coule bleu. \1. \.K i'i!,..sii)i'.\ I' m coNsiai., Kii Ibel.i^ne. monsieur (i,i.\ laiid, ils ont a|)piou\c. ils(»iil loiiedes souleveineiils pro\o(pii's par leiiis pailisans. de \eiilaliles i.'iilalivcs (reiiieiile coiilre raiiioiile civile. \ .\i>itlinnlis' de noire d loi 1 piililic. LA POLITIQUE RELIGIEUSE 347 Messieurs, le mal, quelque grand qu'il fût, au regard des rapports entre rÉglise calliolique et l'État, aurait pu se réparer, si le chef spirituel de l'Église avait interposé sou autorité supérieure dans les formes concordataires, s'il avait arrêté les emportements des évoques ou simplement s'il avait rappelé ces prélats au seutiment de leur devoir. M. Paul Lerolle. - Vous ne voulez pas qu'il communique avec eux. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'était trop attendre de lui. Non seulement le Saint-Siège n'a rien dit ni rien fait pour calmer les passions qu'il avait contribué à déchaîner ; mais il a tout fait pour les exciter encore. (Très Ment très bien! à l'extrême gauche et à gauche.) Je pose en fait qu'il n'est pas un seul journal fondé pour combattre la politique républicaine, pas une revue inspirée par la haine des principes fondamentaux de notre société qui ne puisse se vanter à l'heure actuelle d'avoir été honoré de l'ap- probation explicite du Saint-Siège. Même des distinctions spéciales sont résenées aux publi- cations les plus violentes, par exemple, à celte Croix qui fait métier de baver sur tout ce qu'il y a de respectable et d'hon- nête dans le parti républicain. {Exclamations à droite. — Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.) M. Paul Lerolle. — Comparez à cela les injures dont nous sommes couverts tous les jours et les idées que vous exprimez dans vos discours et que vous professez dans vos doctrines ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Le pape tout récemment a voulu se donner le plaisir de la féliciter de ses mains. Messieurs, une courte phrase peut résumer cette situation 348 LA l'OLlTlgUE RELIGIEUSE la jKipaiilc (Ml iisi! iii;uiil(!iiaiil av(3C la France coiiiiiic avec un pays coïKjuis. {lUres ironiques à droite.) M. IJejeantr. — Mais c'est la véiilé, iiialheurensciiHMil ! .M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Daiis Mil (le ses (Iciiiieis écrits, (3lle appelU^ ces façons cfayir : déleudre la liberh^ de lÉglise. Ali ! vraiment, c'est dtifendre la lil)eilé de rKglise tpu! de la dégager de toutes ses ohligations concordataiics einers l'État, en laissant Iranquillenient au compte de l'État toutes les charges généreusement assumées par ce dernier? (Mourc- ments divers.) Et notamment ce bndgtîl des ciillcs.... M. dh: Gailhaud-Bangel. — C'est une restiliilioii. M. Paul Lkholle. — Ce que vous dites là est d'une audace inouïe. M. LE PKiisiDENT DU C(jNSEiL. — Et uotammeiit ce budget desciilU's. délie prétendue de la. nation, an diiv de M. Knge- rand.... M. Feunand Enoeuand. — (>'esl très vrai. .M. LK PltKSIDENT DU CONSEIL. — ... eu r('alil(! Cl (laiis la pensée des deux ailleurs du Concordat. gag(^ d'alliance eiilr(! (Irii\ despotismes {liitfilaadissenienis à (i/iiirlic cl à l'exArènic Uiiiiche), ce budget des cultes ipii est inonle progressi\eiiieiit du chiffre inliinc de ses débuis à la .somiiK! roiideN.'lle de 40 millions ! Vraiment, c'est défendie la liberté de l'Église que de \oiiloii- régentei' noire politi(pie extérieure, comme le Saint- Siège a tenté de le faire à l'époque du voyage Cin Piésideiil de la République en llaiie? C'esl défendre la liberle de I.A POLITIQUE ItELIGIEUSE 349 TÉglise que de déiioiicer le chef de l'État français aux puis- sances de l'Europe connue coupal)le d'un crime? (Vifs applau- (Usaements à uanclie et à l'extrême gauche). Et c'est prohablemeut aussi cimeuter le Concordat que d'appeler l'animadversiou des catholiques sur le représentant de l'un des deux pouvoirs qui out signé le Concordat? "S'raiment, c'est défendre la liberté de rÉglise que de réclamer pour elle la direction tU' notre politique intérieure, sous forme d'un véritable dioit de veto en matière de légis- lation? (Intcrniptions aiir divers bancs à droite). M. (jRorssAU. — Conuncnt cela? .M. LE PuiôsiDENT Di CONSEIL. — Sous foinic d'uiic condam- nalinn de certaines de nos lois, si v(ms voulez. Messieurs, on comprend alors que. p(jur délcudie. avec chance de succès, une liberlc ainsi entendue, le Saint-Siège ait senti le besoin d'avoir la haute main sur le recrutement de l'épiscopal, alin d'être bien as.suré de grouper autour de lui .sans hé.sitation possible toutes les milices ecclésiastiques. Telle est. en effet, la raison de sa conduite, quand il viole Tarticle du Concordat qui garantit au Gouvernement la nomi- nation des évèques. De l'aveu de tout le monde, cet article est la pierre angulaire de 1 editice concordataire. Or, messieurs, (piand nous notifions au Saint-Siège la promotion à l'épiscopat d'un sujet connu tant .soit peu pour son libéralisme et choisi parmi les sujets les plus désignés par leur position, leurs mérites ou leurs services pour les fonctions épiscopales, Rome nous répond à peu près Inva^ riablement qu'elle ne peut adhérer à cette nomination, sans même motiver son refus, ou. par exception, en le motivant C. — il)- 31)0 LA l'Ot.ITlQfK ItKI.IC.lKlSK jKir rallt'galion banale (iii'cllc ne Jnj^o pas le prêtre apte à remplir la tbiiclioii (|iii lui est dcxuliie. Si, parfois, comme l"indi(iuail hier M. (iroussaii. |)our se soustraire à i'accusatiou de parti pris, il lui ,irri\e de se départir de sa rigueur systé- matique eu faveur du protégé de (pielque prélat bieu en cour, elle ne dissimule nidl les faire cesser : j'ai l'honneur de présenter à la Chambre et de déposer sur .son bureau, au nom de M. Loubet, Président de la République, un projet de loi sur la si'paration des Églises et de l'État. ir//s npplaudissemi'nta à rertrème oniiche et à fiavche). XXI LA DELATION DANS LA MAGISTRATURE (17 NOVEMBRE 1904). Les partis de réaction ne cessaient de remuer devant la Chambre la «scandaleuse» afiaire des fiches. L'occasion leur paraissait bonne de tenter de faire sacrifier les fonctionnaires républicains. Le 17 novembre 1904, MM. Flayelle et Charles Benoist demandèrent à interpeller sur l'attitude de certains magistrats et « leur aptitude à remplir les fondions de justice ». M. Combes demanda le renvoi de l'interpellation à la suite des autres, en invitant la majorité républicaine à prendre garde aux tentatives intéressées des partis hostiles à la République. M. EMILE Combes, wésident du comeil, ministre de l'in- térieur et des cultes. — Messieurs, les adversaires du cabinet (Exclamations à droite, applaudissements à Vextrême gaucfie et à (laiœfie) et le parti nationaliste en particulier se tromperaient singulièrement s'ils s'imaginaient que nous allons livrer à leurs vengeances les fonctionnaires républicains 1. Journal officiel. Déb. Pari. Ch. 1904, p. 2321. LA DÉLATION DANS LA MAGISTRATURE 377 dont les noms figurent dans les papiers qui vous ont été lus à la tribune. {Vifs applnudisi^ements à l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche.— Interruptions au centre et à droite.) Et quels papiers messieurs ? Le produit de la trahison, du vol ou de la corruption. {Applaudissements à l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche. — Exclamations ironiques au centre et à droite.) Il est déjà anormal qu'une assemblée ait consenti à laisser échafauder sur des papiers... (Nouveaux applaudissements à l'e.rtrême gauche et à gauche. — Interruptions et bruit au centre et à droite.) M, Henri Lamel. — Pourquoi avez- vous fait démissionner le ministre de la guerre ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je dis qu'il est anormal qu'on ait échaufaudé sur des papiers dont on ne peut même pas garantir l'authenticité... {Vives protestations à droite et au centre. — Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.) M. TouRNADE. —Pourquoi avez-vous renvoyé le général André ? M. LE GÉNÉRAL Jacquey. — Poursulvez l'interpellateur alors. M. Savary DE Beauregard. — Vous ne nous donnerez pas le change ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. ... tout uu ensemble d'atta- ques qui visaient moins à réprouver un système que nous avons blâmé... {Exclamations au centre et à droite.) M. Dujardin-Beaumetz. — Vous blâmez le système, mais vous vous refusez à sévir ! {Applaudissements au centre, à droite et sur divers bancs à gauche;.) 378 LA DÉLATION DANS LA MAGISTRATURE IVI. RinoT. — Je demande la parole. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. ... qu'à englober daus celte réprobation tout le parti républicaiiL Non, messieurs, nous ne voulons pas perdre, en une semaine, le travail de propa- gande républicaine decinq années. (ApplaudmemcnUà (fauche et à l'extrême gauche.) M. GuYOT DE Villeneuve. — Elle est jolie, votre propa- gande ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nous savons faire la part des fautes, des excès de zèle, des écarts de langage, et nous la ferons encore ; mais nous ne céderons ni aux injonctions, ni aux sommations du parti nationaliste. [Vifs applaudissements à l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche.) Eh quoi ! parce qu'un officier d'ordonnance a inventé, a imaginé un système de renseignements... {Rumeurs et bruit à droite et au centre.) . . . parce qu'un officier d'ordonnance a imaginé un système de renseignements détestable, éminem- ment répréhensible. faudra-t-il en faire rejaillir la responsa- bilité sur ceux qui ont pu se tromper en le suivant de très bonne foi ? (E.rclamatious et bruit au centre.) M. Ferdinand Buisson. — Non, mais il faut au moins décla- rer qu'on ne continuera plus. ( Vifs applaudissements au centre, à droite et sur divers bancs d gauche.) M. Georges Leygues. — Ce sont des mœurs césariennes, les plus abominables! [Applaudissements sur les mêmes bancs.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je u'ai pas entendu l'inter- ruption. M. LE PRÉSIDENT. — On a dit : Il faut au moins déclarer (ju'on ne conlinuera plus. (Mouvements divers adroite.) LA DÉLATION DANS LA MAGISTRATURE 379 M. Maurice Binder. — Ne cherchez pas à le sauver. (Bruit à gauche.) M. LE PRÉSIDENT. — M. le présldeiil du conseil me dit qu'il n'a pas entendu l'interruption et je la reproduits. [Très bien! très bien t ) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — 11 paraît quc nous avons besoin de déclarer que le système ne continuera plus. Mais cette déclaration ne résulte-t-elle pas de l'ordre du jour que nous avons nccepiéf (Dénégations sur divers bancs au centre.) Comment ! n'élait-elle pas contenue non seulement impli- citement, mais très explicitement dans cet ordre du jour? (Très bien ! très bien! à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) M. Ferdinand Buisson. — Très bien ! M. LE président du conseil. — Mais nous ferons une distinc- tion entre la condamnation du système et la condamnation qu'on voudrait nous faire prononcer de certains fonctionnaires républicains. Les fonctionnaires, trompés sur la nature du mandat de ceux-là mêmes qui leur ont demandé des renseignements et croyant les donner îi des agents chargés de les recueillir.... (Mouvements divers et interruptions au centre.) Permettez! Voulez- vous interdire par hasard au Gouver- nement de se renseigner sur les fonctionnaires ou les candi- dats aux fonctions publiques?... M. Alexandre Zévaès. — C'est son devoir. M. LE président du conseil. — Voulez-vous limiter le champ de ses informations à tels ou tels tiers?. N'est-il pas obligé, souvent, ne pouvant recourir à des 380 LA DÉLATION DANS LA MAGISTRATURE suballerues directs au préfet, par le préfet au sous-préfet et par celui-ci au niaiie, de s'adresser à des persouiies en qui il a conliance, à des conseillers généraux, des conseillers d'arrondissement, à des délégués? (Applaudissements à l'ex- trême gauche et à gauche.) Messieurs, autant nous avons condamné, — je l'ai dit à cette Iribune, — le système consistant à soumettre des listes de proposition, des tableaux d'avancement à une person- nalité sans mandat — et c'est là ce qu'on a fait, malheureu- sement — autant nous sommes décidés dans l'avenir à nous entourer de tous les renseignements que nous pourrons nous procurer par les voies licites, pour veiller à ce que nos lonctionnaires continuent à remplir leur devoir et à ce que les candidatslaux fonctions publiques nous offrent toutes les garanties désirables. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.) Or, messieurs, ce qu'on vise à établir en ce moment, c'est un régime d'intimidation (Exclamations au centre) dans les administrations publiques, qui serait de nature à décourager les bonnes volontés. [Très bien! très bieni à gauche et â l'extrême gauche.) M. Georgks Berthol'lat.. — A décourager Yadecard. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'est conti'e ce régime d'intimidation que je proteste à cette tribune (Applaudisse- ments sur les mêmes bancsj, et c'est pour rassurer le parti républicain contre la terreur qu'on veut faire peser sur lui... (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs). M. Déribéré-Desgardes. — N'associez pas le parti répu- blicain à ces manoeuvres. LA DÉLATION DANS LA MAGISTRATURE 381 i\I. LE pRÉsiDEîs'T DU CONSEIL. — ... quG je déclare résolu- ment que le Gouvernement accomplira jusqu'au bout son œuvre, œuvre de contrôle et œuvre de justice, s'il y a lieu, mais œuvre de justice éclairée, ne se ressentant en aucune façon des passions qui vous animent. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche). Après une réplique enflammée de M. Ribot, la Chambre renvoya à la suite des autres cette interpellation, par 296 voix contre 267. XXII LES RENSEIGNEMENTS POLITIQUES ET LES DÉLÉGUÉS ADMINISTRATIFS (19 NOVEMBRE I904) Dans son discours du 17 novembre 1904, M. Combes avait aflirmé le droit pour le Gouvernement de se renseigner sur l'atti- tude des fonctionnaires par 1 intermédiaire des préfets, des sous- prétels et des maires, et, dans les localités réactionnaires, des personnalités républicaines les plus dignes de sa conflance. L'opposition releva vivement ce qu'elle considéra comme une institution nouvelle, celle de délégués administratifs possédant l'estime des autorités politiques. Au cours de la discussion du budget de l'Intérieur, M. Gau- thier (deClagny) interrogea M. Combes sur l'attitude de ses fonc- tionnaires vis-à-vis de ces délégués (I). M. LÉ PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Messieurs, je n'éprouverais aucun embarras, croyez-le bien, à mettre d'accord les termes dont je me suis servi à plusieurs reprises dans cette enceinte pour indiquer quels étaient, dans l'opinion du Gouvernement, son droit et son devoir en matière de renseignements pour 1. Journal ojjlciel. Déb. Pari. Ch. 1904, p. 2560. LES DÉLÉGUÉS AUMIMSTRATIFS 383 toutes les fonctions publiques ; mais je néglige ce point pour aborder directement les deux questions que m'a posées l'hono- rable iM. Gauthier (de Clagny). M. Gauthier (de Clagny) me demande de préciser de la façon la plus nette l'opinion que professe le Gouvernement au sujet des renseignements qui lui sont nécessaires pour se prononcer sur l'avancemenl ou la nomination de ses fonctionnaires. Je croyais m'ètre déjà expliqué dans une circulaire qui date des premiers mois de mon arrivée au ministère ; je peux y ren- voyer M. Gauthier (de Clagny) et l'engager à la rapprocher du langage que j'ai tenu depuis lors dans cette enceinte, et il verra qu'il n'y a nulle contradiction entre ce langage et les termes de la circulaire dont voici la substance. Je pense que le Gouvernement, lorsquil doit examiner la demande d'un candidat aux fonctions publiques ou quand il se trouve dans l'obligation de s'assurer de l'attitude politique d'un fonction- naire, a le droit de s'adresser à tous ceux qui relèvent de son autorité. 11 a le droit non seulement de mettre à contribution le préfet et le sous-préfet — on ne l'a pas contesté — mais il a le droit de mettra à contribution tous ceux qui sont revêtus à un titre quelconque d'une fonction qui relève à n'importe quel degré du Gouvernement. (Interruptions au, centre et à droite.) M. QuiLBEUF. — Pas les maires, toujours I M. Jules Galot. — Vous n'avez qu'à me demander des renseignements, vous verrez ce que je vous donnerai. M. LE COMTE DE LANJumAis. — Les maires ne sont pas des agents de police secrète 1 384 LES RENSEIGNEMENTS POLITIQUES M. MiRMAN. — A\ez-voiis le droit de demander des rensei- gnements aux instituteurs? (Bruit.) M. LE PRÉSIDENT. — M. Gautliier ( de Clagny) a été écouté dans le plus grand silence. Je demande le même silence pour M. le président du conseil. [Très bien l très bien !) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je regarde les maires comme des intermédiaiies naturels du préfet et du sous-pré tel. {Bruit et interruptions à droite.) M. Jules Galot. — Les maires sont des élus. M. le PRÉSIDENT. — Eucore une fois, M. Gauthier (de Clagny) a été écouté. Écoutez M. le président du conseil dans sa réponse. Vous répondrez, mais laissez-le parler. M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL. — M. Gautliier (de Clagny) pourrait se plaindre encore plus que moi de vos interrup- tions ; car vous m'empêchez de lui répondre. Je dis que je n'exempte nullement les maires du devoir qui leur incombe, quand ils sont consultés par le prtUet, de répondre à ce fonctionnaire avec impartialité et vérité. Ne serait-ce qu'en vertu du titre et des fonctions d'officier de police judiciaire dont ils sont investis, ils ne sont pas libres de s'esquiver et de refuser leur concours. (Très bien! très bien! à l'extrême gaucfie et à gauclie. — Dénégations à droite.) Mais, messieurs, je parle des droits du préfet ; vous m'ob- jectez que les maires peuvent jusqu'à un certain point en être indépendants. Assurément ils peuvent se dispenser de répon- dre au préfet; mais le préfet a le droit de les consulter. Au-dessous des maires, j'ai nommé les délégués administra- tifs. Ces délégués sont de précieux auxiliaires. Dans mon département, nous avons pu apprécier l'avantage ET LES DÉLÉGUÉS ADMINISTRATIFS 385 pour le GouverDPmerit républicaiu d'avoir dans cliaqiK' coni- iminece qu'on appelle im délégué administratif... A droite. — Qu'est ce que cela ? M. LE^RÉsiDENT. — Attendez, M. le président du conseil va vous le dire. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je vais le dire en effet. C'est le notable de lacoinnume qui était investi de la confiance (les républicains et qui. à ce titre, les représentait auprès du Gouvernement, quand le maire était réactionnaire. {Applau- dissements à gauclie et à Vextrème gaactie. — Interruptions adroite.) M. Braud. — C'est très exact. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous serlcz bien aises, et je le comprends, de désarmer le Gouvernement, de lui enlever tous moyens d'information dans les communes réactionnaires. Mais le Gouvernement n'entend pas se démunir ainsi; le Gouvernement entend voir clair dans ces communes comme dans les autres. [Applaudissement s à gauciie et à l'extrême yauctie.) Je vous demande pourquoi vous voulez interdire à un s(jus-préfet de se mettre eu rapport avec les notables dont je parlais, sauf à répondre, sous sa propre responsabilité, des renseignements quil transmet ensuite à ses supérieurs. Qu'est-ce donc que la responsabilité du sous-préfet ? Doit-il se borner purement et simplement â communiquer à son préfet les notes qui lui parviennent? N'a-t-il pas le devoir de les vérifier et de Ifs contrôler? {Très bien! très bien! à yaurfie et à l'extrême gauclie.) C'est de ces ren.seignements, de ces notes ainsi vérifiées C— 11'. 386 LES RENSF.IONK.MK.NTS POLITIQIIES que le préfet a 1»^ droit de faire usage. Il a plu à M. Gauthier (de Clagny) de voir je ne sais quels mouchards derrière ces . délégués. M. Maurice Binder. — C'était très exact! Vous ne gouver- nez qu'avec ce monde-là. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, — A coHibien plus forte raison aurait-il appliqué cette épithète, à lorl suivant moi. si j'avais conservé un système que j'ai trouvt' en usage au ministère de l'intérieur, quand j'ai pris le pouvoir. A cette époque, ce n'étaient pas par les préfets, ni par les sous-préfets qu'on se procurait ces renseignements ; on envoyait de Paris des délé- gués, non pas des mouchards, mais des délégués ayant une situation oflicielle, des commissaires spéciaux, dans les circonstances graves et sérieuses, pour s'enquérir sur place de la vérité ou de la réalité des faits aiticiilés soit en faveur des fonctionnaires soit contre eux. M. LE COMTE DE La Roghethulon. — On les connais.sait, ceux-là. M. Jules Oalot. — C'('tait Ijeaucoup plus correct. M. LE président du conseil, ministie de l'intérieur. — On les connaissait, dites-vous! Connaissaient-ils eux-mêmes les personnes dont ils réclamaifMit le concours dans les communes? N'étaient-ils pas ol)ligés, eux aussi, de recueillir les ren.sei- gnements, de les vérifier, de les çonliiiler? Le point de dépari ûi'^ ivnseignements n'est pas toujours la personne autorist-e. la iiersdime pnhlliine (|ui peut en répondre. Celui (|(ii peut en ri'iti'ndre. c'est le fonctionnaire qui est chargé de Iransnieltre les renseignements. ET LES DÉLÉGUÉS ADMLNISTRATIFS 387 Donc, n'i'tablissons pas do oonfiisiou; le Gonveruemciit oiih'iid procéder, comme je l'ai déjà dit, par les voies régu- lières et normales; les voles régulières, ce sout ses foDction- iiaires de tous les degrés et le fonctionnaire responsable est c{Mui qui, placé à la tète du département, se rend en quelque sorte fauteur direct des notes en se les appropriant : c'est le préfet. {Très bien ! très bien ! à gauche.) Le préfet a toujours t'té et doit rester pour lé ministre de Tintérieur, pour le président du coust'il, l'organe naturel de tous ceux qui, dans les départements, sont en situation de lui fournir les rensei- gnements dont il a besoin. La circulaire que je rappelais tout à l'heure l'établissait clairement,, nettement ; une circulaire nouvelle fixera ce point avec la même netteté et avec plus (ji' force encore, parce que l'expérience douloureuse {|U(' nous venons de subir aura confirmé, je l'espère, pour toutes les administrations, la nécessité de s'en rapporter, en dernière ligne, à l'homme qui les repré.sente dans le départe- ment, c'est-à-dire au préfet. Mais M. Gauthier (de Claguy) a ajouté une seconde ques- tion à la première. Il m'a dit : Dans ces conditions, que pensez- vous des préfets qui adressent leurs notes au Grand-Orient? Le cas s'est piriduit. si j'ai bonne mémoire, pour deux préfets. M. Gauthier (de Claguy). — Pour trois préfets. M. Fabien-Cesbro.n. — Et un sou.s-préfet. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Les docuHients produits ne portent que sur deux préfets ; je ne peux parler des docu- ments que j'ignore. M. Gauthier (de Clagny) commet une erreur eu croyant qiw ces préfets ont adressé leurs notes au 388 LES RENSEIGNEMENTS POLITIQUES Grand-Orieut. Ils avaieul transmis, comme ils le devaient à la suite d'une demande qui leur avait tité adressée par M. le ministre de la guerre, certains renseignements sur quelques ofllciers au ministre de la guerre. Des indiscrétions que j'ai blâmées ont fait ronnaitre à des tiers les notes qu'ils avaient envoyées au ministre de la guerre. M. GuYOT DE N ILLENEUVE. — Le Graud-Orient a reçu les documents de première main, l'écriture en fait foi. [Applau- dissements à droite et sur divers bancs.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — 11 y a eu là, je le répète, une indiscrétion des plus regrettables; mais il n'y a eu qu'une indiscrétion. Les notes conservaient toute leur valeur, pui.s- qu'elles avaient été adressées d'abord au ministre de la guerre. M. GuYOT DE Villeneuve. — Jamais! {Bridt à Vextrême gauctie.) M. Maurice Viollette. — Vous n'êtes pas ministre de la guerre ! M. Dejeante. — Vous avez donc des mouchards partout ! M. Prague. — Nous avons le droit de d('!Couvrir les malfai- teurs ! M. Georges Berthoulat. — Alors c'est M. Vadecard qui est ministre de la guerre puisqu'on lui envoie les notes des officiers. M. LE président du conseil. — Je repète que ces notes avaient été demandées par le ministère de la guerre, que c'est au ministère de la guerre qu'elles ont été adressées et que c'est par une indiscrétion regrettable qu'elles ont été communi- quées au Grand-Orient. Voilà ce que je dis et ce que je répète, et c'est l'exacte \erité. ET LES DÉLÉGUÉS ADMLNISTRATIFS 389 J'ai blâmé cette indiscrétion. M. Gauthier (de Clagny). —Je demande la parole. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'en ai pris texte pour recommander de la manière la plus expresse aux fonction- naires de tout ordre de ne détourner, sous aucun rapport, même subsidiairement et par voie d'indiscrétion, les notes qui leur seraient demandées et de les conserver exclusivement pour leurs supérieurs hiérarchiques, pour les départements ministériels qui les leur demanderaient. Mais en même temps j'ai renouvelé aux départements ministériels la recommanda- tion de ne procéder jamais ni à l'admission d'une candida- ture ni à un avancement quelconque sans s'être assurés que le fonctionnaire ou le candidat en était digne par leur attitude politique. [ApplaïuVmemenU à l'extrême gauche et à gauche.) M. Minnan ayant exprimé l'appréhension que, dans certaines circonstances, des renseignements politiques fussent demandés aux instituteurs, M. Combes remonta à la tribune. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, ministre de l'intérieur. —J'ai parlé comme président du conseil et ministre de l'Intérieur, j'ai dit qu'en cette qualité, je me croyais le droit de m'adresser à tous mes subalternes. Si je suis arrivé jusqu'aux délégués, j'ai expliqué comment, dans mon département, nous avions été amenés à en établir partout où nous avions besoin d'être renseignés autrement que par un maire réactionnaire. On pensera de cette institution ce qu'on voudra : l'oppo- sition la jugera mal, la majorité l'approuvera; là n'est pas la question pour le moment. J'ai ajouté, et, en tout cas, si je n'ai pas ajouté, j'afflilne 390 LES RENSEIG.NEME.NÏS POLITIQUES pour chaque luiuistre le droit de s'adresser aux dilïéreuts l'ouctiounaires de leur admiuistratiou. M. MiRMAN. — Je demande la parole. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, ministre (le l'intérieur. — C'est l'intérieur qui fait les enquêtes politiques; mais à côté de ces enquêtes politiques, un' ministre peut avoir besoin d'être renseigné sur la valeur professionnelle. Gomment voulez-vous que le ministre des finances soit mieux renseigné par d'autres que par ses propres agents sur ses propres fonctionnaires ou «>ur les aspirants aux fonctions de ses services? M. LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DU BUDGET. — llS OUt des chefs ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, ministre de Vintérienr. — Ce sont, dans tous les cas, des questions d'espèce. Quant à moi, je n'ai pas connaissance qu'un seul de mes préfets se soit adressé à des instituteurs. (Exclamations à droite et sur divers bancs au centre). A droite. — Comment ! Ils ne font que cela ! M. Maurice Viollette. — Ceux qui vous interrompent non plus n'en ont pas connaissance. Ce sont là des exclama- tions hypocrites ! M. le président du conseil, ministre de l'intérieur. — Je reconnais, d'ailleurs, que la situation de ces humbles fonc- tionnaires est assez délicate dans les communes, pour qu'on ne les compromette pas dans des luttes politiques. (Très bien! très bien! à l'extrême gauche et à uauche). ■M. le lieutenant-colonel Rousset. — Nous prenons acte ET LES DÉLÉGUÉS ADMLMSTRATIFS 391 de ces paroles, Monsieur le président du conseil. {Exclamatiom h l'extrême gauche. — Bruit). M. LE PRÉSIDENT. — Mals enflu, messieurs, veuillez laisser parler! Ou pose des questions à M. le président du conseil et ou l'empêche de répoudre. M. Georges Berthoulat. — Pas du tout! M. LE président. — Je vous demande pardon. A droite. — Qui donc l'empêche de répondre ? M. LE PRÉSIDENT. — Vous tous, uiessicurs. Je vous invite à garder le silence et à laisser M. le prési- dent du conseil s'expliquer. [Très bien! très bien!) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, ministre de Vintèrieur. — Eu ce qui me concerne, je n'ai pas plus envie, pour avoir des renseignements, de m'adresser aux instituteurs qu'aux curés. [Applaudissements et rires à l'extrême gaucfie et à gauche.) XXIII LE BUDGET DES CULTES (24 NOVEMBRE I904) Le Gouvernement ayant déposé un projet de séparation des Églises et de l'État, la droite de la Chambre pensa, au moment de la discussion du budget des cultes, qu'elle mettrait le prési- dent du conseil en fâcheuse posture, si elle demandait la suppres- sion de ce budget, suppression réclamée d'autre part par un groupe de députés de l'extrême gauche. M. Combes monta à la tribune et déclara que, si les crédits de ce budget étaient sup- primés par la Chambre, il ne demanderait pas an Sénat de les rétablir. M. EMILE Combes, président du conseil, ministre de l'inté- rieur et des cultes. — Je n'ai nul besoin de le dire à la Chambre : je ne suis pas hostile à la suppression du budget des cultes ; car cette mesure fait partie du projet de loi sur la séparation des Églises et de l'État et c'est parce qu'elle y est comprise que je demande à la Chambre d'attendre pour l'adopter la discussion de ce projet. Mais je tiens à mettre h l'aise toutes les consciences. M. Lasies. — Il n'est que tfiinps! LE BUDGET DES CLLTES 393 M. LE COMTE DE Lanjuinais. — Cela no vous arrive pas souvent ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — M. Emost Roche faisait appel à la droite de cette Assemblée, l'invitant à voter la suppression de ce budget. Les journaux m'ont appris égale- ment que la droite nationaliste s'était rangée h la même résolution. Je crois devoir prévenir loyalement la Chambre que, si elle croit l'heure venue de supprimer le budget des cultes et si, par un vote, elle consacre cette manière de voir, je suis absolument résolu à ne pas demander au Sénat le rétablisse- ment de ce budget. (Applaudissements répétés à l'extrême ganctie et sur divers bancs à yauclie.) Je tirerai naturellement de ce vote l'induction que la Chambre est pressée de voter la séparation des Églises et de l'État et, dès lors, j'extrairai du projet déposé les trois ou quatre articles qui me paraissent plus particulièrement destinés à opérer la transition entre l'ordre de choses actuel et l'ordre de choses à venir et, comme nous avons devant nous, avant le 31 décembre, six bonnes semaines, j'inviterai la Chambre et le Sénat {Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs à yauche et n l'extrême gauche) à adopter d'ur- gence ces quelques dispositions légales, en attendant qu'ils en votent le complément, tel qu'il est indi(iué dans notre projet de .séparation. Et maintenant, si le cœur eu dit aux nationalistes, qu'ils y aillent gaiement. (Nouveaux applaudissements et rires à (lauclie et à l'extrême gauclie. — Mouiwmenfjt divers à droite et au centre.) 394 ^ LE BUDGKT DES CULTES Devant cette déclaration très nette, les nation;ilisles reculè- rent, et par 32a voix contre 232, la Chambre Liécida de main- tenir les crédits affectés au budget des cultes. M, Paul Meunier déposa alors un amendement tendant à réduire de 343.000 fr. les crédits du chapitre IV (Traitements des archevêques et évèques), afin de supprimer le traitement des archevêques et des évêqnes dont la situation n'est pas concorda- taire (1). M.- EMILE Combes, prési(f('iil du coiisril. ministre de riiitéricui et des cultes.— Mosiiieuvs. jai lniij(»iirs cpfouvé pour mou prédécesseur, l'houorable et regrelt(' M. Waldeck- Rousseau, des seutiiueuts de profonde esliuie et de sincère affection el je les ressens encore, en dépil de toutes les déclarations \erbalrs ou ci ri les (ju'ou s'est plu à publier pour laireconnaîlre ou accentuer les divergences d'opiuioiLs existant entre nous deux; mais j'ajoule (|U<' celle ariectlon et celte estime ne seraient pas snlTisanles pour me faire adopter une opinion (ju'il aurait professée sur un point spécial, si celte opinion n'est pas conforme à la realité des choses. (Très bien! trèsbiéii! (i grinclie.) Je suis obligé de convenir que. sur le poiid i»articnlier (jui nous occupe. M. WaidecK-ltons.seau a eu raison de dire (Très bien! très bien ! à droite el (tu centre) que les ôvêqiies et archevêques créés en veilu de la convention diplomatique de messidor an IX sont concordataires, s'ils ont ete elablis. comme le voulait cette convention, par suite d'un conccrl eidre l'aulorilé religieuse et l'aulorile ci\ile. Telle esl. en ellel. la siliialion nim seulenieni i)Our ceux 1. Journal officiel. Déh. Pari. (.iKutibrc N" du 2"t novem- bre 1904. Wiiie 2050. LE BUDGET DES CULTES 395 que l'auteur du Concordat a établis lui-même, mais encore pour ceux ultérieurement créés par le Gouvernement français La loi organique du Concordat, celle du is germinal an X. n'est pas la seule qui ait ce caractère. Le même caractère appartient aux lois postérieures, qui ont augmenté le nombre primitif d'évèchés. Ces créations se sont faites d'un commun accord entre le Gouvernement français et le Vatican. C'est déjà une raison pour nous de respecter, jusqu'à nouvel ordre, ce qui a été institué de cette façon régulière. L'honorable M. Meunier nous engage dans une voie où, en ce qui me concerne, je ne voudrais pas le suivre : la voie de l'amélioration du Concordat. J'entends supprimer le Concordat. {Applaudissements à (/anche e1 à l'extrême gauche.) Je n'entends pas l'améliorer. Ce serait, je le répète, préluder d'une façon fâcheuse à sa suppression que de commencer par en écarter ce que quelques-uns d'entre vous regardent comme des défectuosités. Il en est de l'administration ecclésiastique comme des autres administrations. L'autre jour, je vous ai demandé de repous.ser un amendement supprimant un certain nombre de sous-préfectures; je vous ai dit que ces suppressions ne pouvaient pas se faire par vole budgétaire. Et, en effet, j'aurais pu ajouter, si je ne l'ai fait — mes souvenirs ne sont pas précis sur ce point — qu'il ne m'appartenait pas. une fois les sous-préfectures supprimées, de décider à quelles autres sous-préfectures on pouvait rattacher celles qui auraient disparu. Il en est ainsi dans la situation présente... 39G LK lULXJET DES CULTES M. Charles Benoist. — Kl. de plus, il y a contrat. M. LK i'RKSidext Di CONSEIL, ininislic de Ci nié rieur cl des miles. — Siiiii)rim('i' des archovr'clK's et des L'\r'cii('s ce n'est |i;is dire à quel ('\(''cli(' iM à (iiiel airlievèclie nous allez rattacher la cii'coiisci'iiMioii eecl('siasti(ine disparue. Vous ne pouvez lais.ser les lidèles d'un diocèse suppilmii sans les lattaclier à un autre diocè.se. Ce di'oit, vous ne l'avez pas. vous u(^ pouvez pas le donner au Gouvernenienl. Vous m'obligeriez, si vous ('mettiez un vole dans le sens que sollicite M. Paul Meunier, à me concerter à cet effet avec la cour de Rome. Or. nous n'avons pas la possibilité de nous concerter, puisque nous avons rompu les relations diploma- tiques. Nous avons retiré notre ambassadeur et il n'entre pas dans nos intentions de le renvoyer là-bas. (Applaudissements à (jauche et à l'extrême gauche.) M. Charles Benoist. — Qu'en pense M. le ministre des affaires étrangères ? M. LE président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes. — Vous voyez dans quelle impasse vous entreriez, en adoptant la proposition qui est faite. Nous ue sommes pas si éloignés de l'époque où .nous aborderons la grande question de la séparation des Églises et de l'État pour avoir besoin de la devancer sur un point spécial. J'ajoute que celte question doit être envisagée dans des termes qui n'aient rien de mesquin et de tracassier {Très l)ient très bien! à droite et an ■centre)el je dis que le meilleur moyen de rallier l'opinion hési- tante d'un certain nombre de républicains, qui se préoccupent des suites de la séparation, c'est de faire preuve d'une largeui' d'idées (Exclamations ironiques à droite et au centre.) LE BUDGET DES CULTES 397 A droite. — Nous n'y sommes pas habitués ! M. LE pRÉsiDEXT DU GoxsEiL oui, (l'uue largeui' d'idées que je crois avoir réalisée dans le projet soumis à la com- mission. M. Groussau. — Nous protestons. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — MCSSiCUrS, plUS VOUS le contesterez, plus vous me confirmerez dans mou opinion. En tout cas, je vous donne reudez-vous à ce moment pour vous prouver la vérité de ce que j'avance. (Applatidt.'isements à gauche et à l'extrême gauclie. — Interruptions n droite et au centre.) L'amendement Meunier fut repoussé par 323 voi.x contre 223 M. Gayraud dénonça ensuite à la Chambre les actes de M. Combes, comme ministre des cultes. 11 refusait de donner des titulaires aux évècliés vacants; il supprimait illégalement les traitements de nombreux ecclésiastiques (1). M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, ministre de l'intérieur et des cultes. — L'honorable M. Gajraud a présenté quelques obser- vations que je vais examiner l'une après l'autre. Il a demandé d'abord au ministre des cultes pourquoi il tardait à donner des titulaires aux évêchés vacants. 11 en connaît la cause mieux que moi; il l'a dit d'ailleurs à cette tribune : le Saint-Siège s'est refusé, jusqu'à présent, à une exception près, îi agréer les nominations décidées en conseil des ministres. Je n'entrerai pas dans un débat sur la question de savoir jusqu'où va le droit de nomination du Gouvernement ; je 1. Journal ojiciel. Déb. Pari. Ch. 1904. Page 2652. C. - 12. 398 LK UUDGEÏ DES CL'LTKS constate simplement le fait. Nous avions choisi des prêtres pour les promouvoir à l'épiscopat. Le Saint-Siège a refusé de les agréer, à l'excepliou d'uu seul. Nous attendons t|u'il les agrée et, quand il les aura agréés, leur nomination suivra le cours ordinaire des choses: on nous enverra des huiles que nous ferons enregistrer par le Conseil d'I-llat. Mais M. Gayraud s'tHonne que nous ayons refusé d'insérer au Journal officiel le décret de nominalion du sujet qui a été agréé par la cour de Rome. 11 .\ avait là une question de principe que nous n'avons pas voulu laisser trancher inci- dennnent et par voie indirecte. Accepter d'insérer au Journal officiel le décret de nomi- nation de cet évoque, quand on nous refusait d'agréer les autres évoques, c'était convenir que Rome avait le droit de faire des choix, même sans nous donuci' les motifs de ses refus. Nous n'avons pas voulu nous y prêter et nous avons laissé uniformément, en raison de la question de principe, les sièges vacants. M. Lamendin. — Vous avez hien fait. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — M. Gayraud étend la même sollicitude aux curés. 11 se plaint que, dans certains diocèses, le Gouveruemeut se montre peu pressé d'agréer, comme il en a le droit en vertu des lois concordataires, les sujets choisis par l'évêque pour les cures vacantes. 11 a un peu exagéré, àcet égard, les refus du Gouveruemeut. Sur trois cents propositions environ qui ont été faites par les évêques pour leurs diocèses respectifs, nous n'en avons guère écarté qu'une trentaine et nous avons écarté ces candidats par des raisons extrêmement sérieuses, qui ue sont pas toutes; LE BUDGET DES CULTES 399 comme il le croit, empruntées à l'ordre politique, mais* dont la plupart, eu effet, tieuueut à cette nature de considérations. Des évoques semblent se complaire à ne proposer à l'agré- ment du Gouvernement pour les postes inamovibles que les prêtres les plus compromis dans les luttes politiques locales. (Très bien ! 1res bien ! à gauche. ] Il est naturel que le Gouvernement oppose un refus formel à ce genre de propositions. M. Empkueur. — Très bien ! Le Gouvernement est même trop confiant. [Exclamatiom a droite.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Quaud le cas se produit, nous invitons 1 evèque à faire d'autres propositions et dés que des propositions raisonnables nous sont soumises. . . A droite. — Raisonnables ! M. LE PRÉSIDENT. — Je dls laisounables en me plaçant au point de vue que j'indique; dès que des propositions raison- nables nous sont faites, nous les accueillons sans hésiter. Mais il arrive quelquefois, rarement, que Tévèque s'obstine à maintenir sa proposition première, et, si des cures deviennent vacantes ensuite, nous nous obstinons à notre tour à ne pas remplir ces cures jusqu'à ce que la proposition première ait été remplacée par une autre proposition. Ne disposant pas du droit de nommer des curés, nous avons ce seul moyen d'imposer à lévéque des choix que le Gouvernement puisse accepter. M. Jules Delafosse. — Et l'intérêt public? M. LE président du conseil. — Une seconde observation de M. Gayraud porte sur la conduite du Gouvernement à l'égard des prêtres se disant sécularisés. 400 LK BUDGKT 0F:S CUI.TKS Nous avons déjà discuté cette question à cette tribune, et à ce sujet, j'ai pu vous lire une lettre de mon éminent prédé- cesseur, dans laquelle il indiquait les conditions essentielles d'une véritable sécularisation. Je ne veux pas revenir longue- ment sur mes précédentes déclarations à ce sujet. Je me borne î'i vous donner lecture de la première de ces conditions. M. Waldeck-Rousseau écrit expressément ceci : « On ne peut admettre dans le clergé paroissial un sujet faisant partie d'une congrégation existant encore, (iiiel que soit le lieu où elle se soit transportée. » Ai-je besoin de vous faire observer qu'à l'heure actuelle, et à ma connaissance, la plupart des anciens jésuites sont encore en France? [Exclamations à droite.) M. Lucien Millevoye. — 11 y en a même quelques-uns qui se sont faits francs-maçons. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — lls sont dispcrsés dans les villes, ils vivent isolément, ils n'en restent pas moins jésuites et étrangers au clergé séculier. En réalité, ce que vous voudriez, ce que voudraient les défenseurs des congrégations, ce serait de remplacer à la longue, dans les postes les plus avantageux, les prêtres séculiers par des cougréganistes prétendus S(''cularisés. Ne vous étonnez pas que tant que je serai ministre des cultes, je défende les 40.000 prêtres séculiers contre les cougréganistes. (Très bien! très bien! à gauche. — Exclamations à droite.) M. Gayraud. — Veuillez continuer, monsieur le président du conseil. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — M. Gayraud s'est élevé en troisième lieu contre les entraves mises à l'exercice du culte LE BLKGET DES CULTES • 'tOl pour certains fouctiouuairos, et il nous a déclaré qu'il avait reçu à ce sujet de nombreuses plaintes. Je lui déclare que, quant à moi, jamais semblable plainte ne m'est parvenue. Nous respectons la liberté de conscience et la liberté du culte. (Vives réclamations à (imite et au centre). M. LE PRÉSIDENT. — Veuilloz lalsscr parler, messieurs. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nous respcctous, dis-je, la liberté de conscience et la liberté du culte, et nous pouvons à ce sujet vous mettre au détl de citer des exemples qui prouvent le contraire. 31. Archdeagon. — Et les fiches? M. Gayraud. — Nous ne pouvons pas vous livrer les noms des fonctionnaires catholiques, cependant ! M. Archdeagon. — Et la délation! M. LE président du conseil. — Oui, messieurs, la liberté de conscience et la liberté des cultes existent pleinement pour nos fonctionnaires. (Nouvelles exclamations à droite et au. centre). M. Savary de Beauregard. — Nous voyons le contraire tous les jours dans nos communes. M. Guilloteaux. — Vous savez manier l'ironie. Monsieur le président du conseil. M. le président du conseil. — Et ce n'est pas de notre côté qu'on voit une bourgeoisie intolérante mettre à l'index des fournisseurs ne partageant pas sa manière de voir. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche. — Excla- mations à droite.) Enfin, messieurs, M. Gayraud a contesté au Gouvernement le droit de supprimer le traitement des fonctionnaires ecclé- 402 l^K Bl IXiKT UES CULTES siastiques dans des conditions déterminées. Je lui réponds, le Concordat en main, que ce droit résulte d'un des articles de la convention diplomatique. Nous sommes, que vous le vouliez ou non, messieurs, les successeurs du roi très chrétien. (lUrea à droite.) M. Gayraud. — Gela vous sied à merveille. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nous l'éclamoiis le bénétice de l'article concordataire qui a transféré au premier consul, par conséquent aux successeurs de son pouvoir.... M. Gharles Benoist. — Sauf l'article i7. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... les prérogatlvcs exercées par le Gouvernement avant la Révolution. Et vous savez que parmi ces prérogatives figurait le droit de saisir le temporel des évoques. M. Groussau. — Vous oubliez un mot. Veuillez lire l'article tout entier. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je uc pcux pas tout dii'o à la fois. M. Groussau. — Veuillez lire le texte entier. (Exclama- tions à Vextrème gauche.) M. LE PRÉSIDENT. — M. le président du conseil le lira quand il le voudra. Laissez-le parler sans l'interrompre à chaque mot! M. Paul Lerolle. — Il ne faut pas défigurer le texte. M. Groussau. — Le texte dit le contraire, M. le président du conseil. Voulez- vous nie permettre une observation?... (.Yo/k' non! à gauche.) M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Laissez-mol terminer. Ce LE BUDGET DES CULTES 403 que je vais dire rendra sans doute inutile votre observation. Tous ne voulez pas vous en rapporter à l'opinion du prési- dent du conseil? Eh bien, je vous dirai comment le conseil d'État, à la date du 26 avril 1883, a justifié cette suppression. M. Groussau. — Je connais cet arrêt : le conseil d'État a eu tort. {Exclamations à gauche et à rextrème gauclie.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Voici Cet arivt . « Vu les articles l, 14 et 16 — c'e.st l'article 16 auquel je faisais allu- sion tout à l'heure — de la convention du 26 messidor au IX, ensemble les articles 68 et 70 de la loi df^. germinal an X, vu le décret du 17 novembre 1811. vu l'article 27 du décret du 6 novembre 1813; considérant que l'État po.ssède sur l'ensem- ble des services publics des droits supérieurs de direction et de surveillance qui dérivent de sa souveraineté; qu'en ce qui concerne les titulaires ecclésiastiques ce droit a existé à toute époque et s'est exercé dans l'ancien régime, notamment par voie de saisie du temporel ; qu'il n'a pas été abrogé par la légit^lation concordataire et que son maintien résulte de l'article 16 de la eonvention du 26 messidor an IX, qui a for- mellement reconnu au chef de l'État les droits et préroga- tives autrefois exercés par les rois de France; que depuis il n'a été dérogé à cette législation traditionnelle par aucune mesure législative ou réglementaire; qu'au contraire les Chambres en ont approuvé l'application toutes les fois qu'elle leur a été soumise, notamment en 1832, en 1861 et en 1881 ; « Considérant, d'autre part, que ni dans les discussions auxquelles le principe a donné lieu, ni dans les applications qui eu ont été faites il n'y a eu de distinction entre les difTé- reiils titulaires ecclésiastiques, que la modification apportée 404 LE BUDGET DES CULTES à l'intitulé du chapitre 4 du budget des cultes pour 1883 n'a eu ni pour but ni pour effet de changer l'état de choses antérieur: « Est d'avis que le droit du Gouvernement de suspendre ou de supprimer les traitements ecclésiastiques par mesure disciplinaire s'applique indistinctement à tous les ministres du culte salariés par l'État. » {Très bien! très bien! à gauche et à l'extrême gauche.) M. Groussau. — Voulez-vous me permettre une observa- tion, monsieur le président du conseil? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — VolOntiCrS. M. Groussau. —Le conseil d'État a oublié... [Exclamations à l'extrême gauche.) M. JuMEL. — C'est la faute de Voltaire ! M. Groussau. — Quand M. le président du conseil me permet de faire une observation, j'espère que l'extrême gauche voudra bien m'écouter un instant. C'est, en quelque sorte, une question de bonne foi, il s'agit de l'indication du texte. [Très bien! au centre et à droite.) Le conseil d'État, en citant l'article 16 du Concordat, a oublié deux ou trois mots qui changent absolument 1 e sen qu'il lui attribue. L'article 16 — vous n'avez qu'à le lire, monsieur le prési" dent du conseil — porte que vous, successeurs, comme vous vous plaisiez à le dire tout à l'heure, des rois très chrétiens, vous avez les mêmes prérogatives « auprès de Sa Sainteté ». Veuillez ne pas oublier cette limite précise. 11 ne s'agit pas le moins du monde, comme vous semblez le croire, des préro- gatives que l'ancien gouvernement s'est attribuées à l'égard du clergé, notamment en ce qui concerne la saisie du temporel. LE BUDGET DES CULTES 403 C'étaient des prérogatives d'ordre diplomatique qui avaient été débattues et qui ont été reconnues ; on y attachait la plus grande importance, parce que c'était la reconnaissance par le Saint-Siège du nouveau gouvernement. Mais quant à soutenir que cet article 16 a légitimé d'avance l'arbitraire dont vous usez et abusez vis-à-vis du clergé, c'est une prétention inad- missible. Non, certes, la convention faite avec le Saint- Siège ne vous reconnaît pas ce droit. (Applaudissements à (Iroite.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — « Mals, uous a dit M. Gayraud.. . M. Anthime-Ménard. — Alors vous ne répondez pas à M. Groussau. [Bruit à Vextrême gauche). M. le président du conseil. ...vous supprimez le traite- nient sans entendre la défense du prêtre que vouz allez frapper. » M. Gayraud est dans l'erreur la plus complète. 31. Gayraud. — Oh ! pardon. M. LE président du conseil. — Nous ne supprimons jamais le traitement d'un prêtre, sans en avoir d'abord référé à l'évèque ; nous demandons même à l'évoque, avant de sup- primer le traitement, s'il lui convient, par mesure discipli- naire, de déplacer le prêtre qui s'est rendu impossible dans la paroisse. Toutes les fois que cette satisfaction nous est donnée, nous nous en contentons. M. Gayr.u'd. — Pas toujours. M. LE président du CONSEIL. — Ce n'est que lorsque l'évèque se refuse au déplacement ou que, par exception, les faits sont beaucoup trop graves, que nous supprimons le traitement. Mais l'évèque est informé, il fait d'ordinaire une contre-enquête dont nous soumettons également les 406 LE BUDGET DES CULTES résultais au préfet, ot ce n'osl que lorsque le prf'fet a pu vérifier la vérité on l'iiiexaclitiide des l'ails n'vt'li's par la contre-enquête que nous nous prononçons. Tout se passe, par conséquent, de la façon la ])lus régu- lière. Nous n'y mettons aucuiio passidii : mais j'avoue <|iie nous y mettons, avec le seidiinent de la justice, la ferme volonté de défendre la République contre les prêtres batail- leurs. [Applaudissements à yriiirUe et h Vextrème f/nuche. — Interruptions à droite.) On nous a dit que. de même que nous supprimions les traitements, nous rendions l'arriéré au gré de notre caprice. Je ne sais pas quel est le fait particulier auquel M. Gayraud a fait allusion ; je ne le connais pas. M. DE l'Estourbeillon. — Toutes les suppressions de trai- tements pour de prétendus abus de la langue bretonne sont absolument injustifiées. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La (inestiou du l)relon a fait l'objet d'une interpellation dans cette enceinte. La Chambre s'est prononcée; je n'y reviens i)as. {Très bien! très bien ! à gauche et à Vextrème gauclie). M. DE l'Estourbeillon. — C'est une véritable tyrannie. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je counais effectivement un cas dans lequel nous avons jugé équitable de rendre à un prêtre l'arriéré de son traitement. 11 s'agissait d'un succur- saliste du diocèse d'Albi. Nous avons été conduits, ])ar un fait accidentel et nouveau, à rouvrir une enquête au sujet d'un prêtre déjà frappé. Nous avons constaté qu'il n'était pas coupable d'un des faits qui lui étaient attrilniés, et, pour bien marquer que nous ne l'avions frappé qu';i cause de ce LE BUDGET DES CULTES 407 fait qu'il nous paraissait impossiltlo de toléivr, nous lui avons rendu son traitement. En dernier lieu et par un projet de résolution, M. Gayraud nous demande d'insérer au Journal officiel les noms des prêtres ainsi privés de leur traitement. S'il s'en tenait là, je n'aurais rien à dire ; au contraire, j'y verrais un avantage. A droite. — Eh bien, alors ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL.— Laissez-moi finir, je vous prie. S'il s'en tenait là, je n'aurais rien à dire, et nous y verrions cet avantage de montrer à la France républicaine tous les soucis que nous donne le clergé à l'heure actuelle {Applaïulissements à l'extrême gauche. — Interriip- lioris n droite), par la manière dont il se conduit à l'égard des pouvoirs établis. Mais M. Gayraud nous demande de faire connaître en même temps les motifs de notre décision : il nous faudrait consacrer à chaque cas des pages entières du Journal officiel. M. Georges Grosje.^x. — Et c'est cependant ce qui intéresserait la France républicaine. M. DE l'Estourbeillon. — Vous n'avez pas de motifs, la plupart du temps. M. Archde.vcon. — Vous jugez à huis clos, section des inquisiteurs. M. le président du conseil. — Je viens de déclarer que chaque cas fait l'objet d'une enquête dont les résultats sont communiqués à l'ôvêque. Il n'y a rien là de secret. Je sais bien que depuis qu'on a prononcé le mot de « délation » dans cette enceinte, on l'applique volontiers à tous les actes du pouvoir. M. LE général Jacquey. — Parfaitement! 408 LE BIDGET DES CUETES M. Gaston Galpin. — C'est que maintenant on vous connaît. M. GuiLLOTEAux. — 11 n'y a qu'à lire votre circulaire, monsieur le président du conseil. M. Archdeacon. — C'est le code de la délation. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Eu dcliors des faits blâmés du haut de celle tribune, le Gouvernement actuel n'a fait que ce que faisaient avant lui les autres gouvernements. (Exclamations à droite.) M. Anthime-Ménard. — C'est d'ailleurs ce qu'on vous reproche. M. de l'Estourbeili.on. — Jamais la Bretagne n'a été tyrannisée comme aujourd'hui ! M. le président du conseil. — Je me charge de vous démontrer, quaud le moment viendra, que le Gouvernement n'a rien innové dans les mesures de défense qu'il a prises pour mettre la République à l'abri des mauvais choix de fonctionnaires. Mais je neveux pas anticiper cl je reviens à la dernière question de M. Gayraud. Je dis que nous ne pouvons pas insérer au Journal officiel de longs rapports ; il y aurait des inconvénients de différents genres. Si M. Gayraud veut se contenter du nom des prêtres frappés, je répète que j'y vois plutôt des avantages. Hors de là. je demande à la Chambre de repousser l'amendement. {Applaudissements à (jnuclie et à Vextrème gaucfie.) Un projet de résolution de M. Gayraud. invitant le Gouver- nement à faire paraître à VOfficiel les noms des ecclésiastiques frappes des suspensions de traitements, fut repoussé par 342 voix contre 166. XXIV LA FRANCE REPUBLICAINE ET LE PROTECTORAT DES MISSIONS (25 NOVEMBRE I904) La discussion du budget des affaires étrangères fournit à deux membres de la droite monarchiste, MM. Delafosse et Denys Cochin, l'occasion de criti(|uer amèrement la politique et les déclarations publiques de M. Combes au sujet du protectorat des missions catholiques en Orient et en Extrême-Orient. M. Combes démontra que le protectorat de la France sur les missions dépend de traités diplomatiques, et non de la seule volonté du Vatican (i). M. EMILE Combes, président du conseil, ministre de l'inté- rieur et des cultes. — Il est de mode dans cette enceinte et un peu au dehors de s'étonner ou de feindre de s'étonner que, dans un cabinet formé des représentants de toutes les fractions de l'opinion républicaine, il n'y ait pas toujours concordance dans la manière d'apprécier certaines questions délicates. Et 1. Journal officiel. Déb. Pari. Ch. 1904, p. 2671, 410 LA FRANCE RÉPUBLICAINE oepeudaiit ce n'est une nouveauté pour personne d'apprendre que ces ministres ont professé dans le passé, sur l(;s divers sujets qui vieunenl à l'oidie du jour, des opinions diver- gentes. Mais ce qui importe, c'est que la conduite des divers ministres soit uniforme el (luc leurs actes, je veux dire les décisions concertées en conseil, retlètent au dehors la même politique. Sur le point ([ui nous occupe, cette conduil(> n'a jamais varié et les actes n'ont jamais étt'- contradictoires. Si je suis monté à la tribune, c'est pour m'expliquer, en mon nom personnel, sur quelques déclarations que j'ai faites en dehors de cette enceinte et que les deux honorables inter- pellateurs viennent de rappeler. Messieurs, reportez -vous, je vous prie, à quelques mois en arrière. A peine avions -nous rompu avec le Vatican les relations diplomatiques, à peine avions- nous laissé com- prendre que nous n'étions nullement disposés à les renouer et que nous nous proposions d'orienter délibérément notre politique vers la séparation des Églises et de l'État, la presse religieuse, agissant avec un ensemble évidemment concerté, nous faisait entrevoir, comme une menace .•suspendue au- dessus de nos tètes, la perle du protectorat. A Rome comme h Paris, on nous montrait le pape libre de le conserver ou de l'ôtor à la France. On faisait étalage de ses sentiments- jusqu'ici bienveillants pour nous, sans nous dissimuler toutefois que des influences contraires commen- çaient à s'agiter et que des intrigues se nouaient pour trans- férer le protectorat à quelque autre puissance. La conclusion était celle que vous devinez : quelque bien ET LE PROTECTORAT DES MISSIONS 411 intentionné que fût le pape à l'égard de la France, la situa- tion pouvait devenir telle que la nécessité de songer avant tout aux intérêts de l'Église l'emportât sur ses dispositions personnelles et le déterminât à préférer un gouvernement plus zélé que le nôtre pour le bien de la religion. Cette éventualité, ajoutait-on, devait se réaliser presque fatalement à la suite de la séparation des Églises et de l'État. Messieurs, c'est à cette pri'diction malveillante que j'ai répondu dans mon discours d'Auxerre. Si je me réfère à ce discours, c'est que je ne puis admettre, chacun de vous le comprendra, que, lorsqu'on est en présence de paroles offi- cielles ou authentiques, ou chicane celui qui les a prononcées sur les termes plus ou moins bien ou plus ou moins mal reproduits d'une conversation particulière. Depuis que j'ai l'honneur d'être au pouvoir, il est arrivé des centaines de fois qu'on a mis dans ma bouche des décla- rations inexactes ou incomplètes et qu'on a annoncé comme de source sûre des intentions tellement bien arrêtées que je ne les ai jamais eues. Une fois, deux fois peut-être, j'ai demandé des rectillca- tions aux journaux. D'ordinaire, quand il m'a semblé que l'opinion publique courait le risque de prendre le change sur un point qu'il m'importait de préciser, j'ai saisi, pour le faire, la première occasion qui m'a été offerte à cette tribune ou dans une cérémonie publique. Je ne suis pas de ceux qui récriminent contre la presse. Le mi'tier de reporter d'un journal, par le temps qui court, par les nécessités impérieuses qu'une concurrence effrénée crée au journalisme, réclame de la part des honuues publics, 412 LA FRANCE RKI'UBLICAIXE quand il est fait avec conscience, une indulgence exlrôine. Je ne crois pas, messieurs, l'avoir oublié une seule fois. Vous trouverez bon, par conséquent, que je vous renvoie à mon discours d'Auxerre comme à l'expression exacte de ma pensée. Je n'y trouve rien à changer, après les discours des deux honorables interpellateurs, M. Delafosse et M. Denys Cochin. J'ai dit à Auxerre que la papauté se tromperait grande- ment, si elle croyait nous ébranler dans nos résolutions ou nous détourner de nos aspirations vers la séparation des Églises de l'État, en nous menaçant de nous enlever par voie indirecte le protectorat des chrétiens en pays infidèle. J'ai fait observer tout d'abord qu'il n'y avait pas lieu de présen- ter comme indissolublement liées les deux questions de la sé- paration et du protectorat, l'une étant une question de politique intérieure, dont la solution dépend exclusivement du Parle- ment français, l'autre une question de politique étrangère, qui suppose l'accord préalable du Gouvernement français avec des gouvernements étrangers. Même après que les Chambres auront voté la séparation, les traités conclus au sujet du protectorat garderont toute leur valeur — du moins quant à la lettre. Le pape n'a pas qualité pour en supprimer ou en altérer le texte ; car il- n'a pas participé aux négocia- tions qui en ont été le préliminaire. Ce n'est pas d'accord avec le pape que les traités ont pris naissance; c'est en dehors de lui. par des conventions directes avec les puissances signataires. Il eu résulte, messieurs, que le pape serait fort mal venu à nous proposer le maintien du Concordat concurremment ET LK PROTECTORAT DES MISSIONS 413 avec celui des traités ou la dénonciation des traités simulta- nément avec celle du Concordat. On est trop avisé à Rome pour commettre une pareill.» faute, (luelque comminatoire qu'ait été envers nous la presse religieuse à un certain moment. Elle a changé de ton depuis quelque temps. En tout état de cause, il reste acquis que les deux questions demeurent séparées et peuvent comporter des solutions diffé- rentes. La République peut n'avoir, avec la religion catho- lique, comme avec les autres cultes, que des rapports de police et cependant être tenue, par les traités conclus avec des puissances étrangères, de protéger, sur leur territoire, les personnes appartenant à la religion catholique, ainsi que leurs établissements. M. LE MARQUIS DE RosAMBO. — Elle protégerait là-bas ceux qu'elle proscrit ici. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Il cst bien certain cepen- dant—et je fais volontiers cette concession à M. Denys Cochin — que le pape exerce sur le protectorat une action qui, pour être indirecte, n'en serait pas moins décisive, s'il le voulait. M. Gayraud. — Très bien ! M. LE président du conseil. — 11 pourrait faire à ses mis- sionnaires l'obligation absolue de ne pas recourir au Gouver- nement français. M. Jules Delafosse. — C'est cela ! M. le ministre des affaires étrangères. — Ces mission- naires, alors, cesseraient d'être Français ! M. le pr isiDENT du CONSEIL. — 11 cst bicu clalr que le jour 011 les missionnaires se détermineraient <à laisser périr leurs 414 LA FRANCE RÉPUBLICAINE œuvres, en se privant de notre intervention, nous serions bien forcés de nous abstenir. Quoi qu'il en soit de cette supposition, je n'ai jamais con- testé que les traités du protectorat aient procuré à la France auprès des nations qui les ont signés un certain ascendant, un certain prestige, l'ascendant et le prestige d'une nation forte et redoutée. La France leur apparaissait naturellement comme la puissance prépondérante, puisqu'elle semblait agir au nom des autres et représenter des intérêts qui leur étaient connuuns. Mais, s'il faut dire ma pensée personnelle tout entière, il me parait excessivement douteux que son avantage matériel ait été en proportion de son autorité officielle. M. Delafosse me permettra d'être fort incrédule à cet égard. Il a parlé comme les hommes de son parti. . . iM. Jules Delafosse. — Ce n'est pas une question de parti, monsieur le président du conseil; il n'y a pas de parti au- delà des frontières. M. le président du conseil. — Les partis, en France, sont aux prises sur ce point; ils ont des vues opposées et se divi- sent sur cette question comme sur toutes les questions de poli- tique intérieure. A en croire M. Delafosse, nous devrions à notre rôle sécu- laire de puissance protectrice en Extrême-Orient le dévelop- pement de notre commerce extérieur. M. Jules Delafosse. — Oui. M. le président du conseil. — Je me permets d'être duii avis contraire. 11 est d'ailleurs facile de juger par une seule question de la valeur de l'afnrmation de M. Delafosse. S'il est vrai qu'un titre, si glorieux qu'il soit, consigné dans ET LE PROTECTORAT DES MISSIONS 413 des parcheinius, ait l'efficacité d'établir des relations com- nieiciales, comment se fait-il que la France qui, seule, possède eu vertu de ces parcliemius le droit de veiller à la protection des chrétiens de l'Extrème-Orieut, n'y soit pas la nation com- merçante par excellence? M. Jules Delafosse. — Je n'ai pas parlé de l'Extrême- Orient, je n'ai parlé que de l'Orient; ce sont deux situations toutes différentes. M. le président du conseil. — Je ferai tout à l'heure une distinction à ce sujet, si vous le voulez; je parle en ce moment de la Chine. Je dis que, si vous consultez les statistiques commerciales, vous constaterez que la France ne figure dans la statistique du commerce d'importation en Chine que fort loin après l'Angleterre, l'Allemagne, les États-Unis. M. Denys Cochin. — Dans le Levant? M. LE président du conseil. — Non, je parle de l'Extrème- Orieut. Je vous ai dit tout à l'heure que je parlerais plus tard de l'Orient proprement dit. M. Jules Delafosse. — Moi, je n'ai parlé que de l'Orient. M. LE président du conseil. — Pour que la thèse que je conteste fût fondée, il faudrait que le missionnaire catho- lique fût tout autre qu'il n'est. Chacun sait fort bien que les missionnaires catholiques, à la différence de missionnaires appartenant à d'autres cultes, ne sont à aucun degré des agents commerciaux. Ce sont des agents exclusivement reli- gieux. Ils ne travaillent que pour leur foi. Je ne vais pas jusqu'à dire que la gloire et la grandeur de leur patrie leur sont indifférentes ; mais elles n'o<;cupeut que la moindre partie de leurs desseins; elles ne viennent qu'à la suite et 416 LA FUA.NCi; RÉFUBLICAI.NE bieu loiu des soucis qui les agitent pour la gloire el la gran- deur de leur religion. C'est l'ardenr de leur loi qui h^s alliic vers les pays iulidèles. C'est uniquement pour les évaugé- liser qu'ils braveut fatigues et périls. Conunent la pensée d'iu; prdiit matériel, même envisagé avec un absolu désinté- ressement personnel, pourrait-3lle se glisser dans une âme toute remplie de visions surnaturelles? Messieurs, si vous doutez de cet état d'Ame du mission- naire catholique, interrogez les honmies qui le connaissent bien pour l'avoir vu de près, qui ont été les témoins de sou œuvre de prosélytisme. Vous serez renseignés même sans .sortir de cette enceinte. 11 y a sur ces baucs des hommes qui ont habité l'Extrème-Orienl, d'autres qui le représentent. Demandez-leur ce qu'ils pensent des dispositions morales du missionnaire, des mobiles que le poussent, du résultat qu'il poursuit. Tous vous répondront uniformément que le mi.s- siounaire catholique n'est mù que par l'amour de sa religion, qu'il ne songe qu'à lui recruter des fidèles et que c'est le méconnaître que de lui attribuer, môme accessoiremeni, d'autres pensées. El si vous recherchez les effets matériels de sa propa- gande, eu vous plaçant au point de vue spécial des avantages commerciaux ou autres qui eu découlent pour notre pays, les chiffres comparés de la statistique dont je vous parlais tout à l'heure éclaireront d'un jour lumineux ce côté de la question. J'ai môme le regret de vous rappeler que l'enseignement de la langue française est bauni des écoles fondées par les missions catholiques, comme préjudiciable à la lin de l'apostolat. ET LE PROTECTOHAT DES MISSIONS 417 M. Jules Delafosse. — Où cela ? M. Anthime Ménard. — Citez un seul exemple ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — M. le miuistre des colonies vous en a cité naguère dans la discussion du projet de loi sur la suppression de l'enseignement congréganiste. M. Jules Delafosse. — On ne parle que français en Syrie. M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je paiic de l'Extrême- Orient. Mais je ne veux pas m'appesanlir sur ce point. Au surplus, messieurs, on se méprendrait sur mes inten- tions, si l'on croyait découvrir une critique dans mes paroles. Ce n'est pas un blâme que j'émets ; c'est la vérité des senti- ments que je rétablis, quand je peins le missionnaire comme exclusivement dévoué à sa religion. C'est même un hommage profondément senti que je rends à ses convictions. Il n'y a rien de plus respectable au monde que la sincérité, rien qui émeuve l'âme autant que le dévouement vrai dans le conflit implacable d'intérêts qui divise les hommes. {Trè>< bien ! tvH bien ! ) Encore, messieurs, est-il indispensable que, même dans les choses religieuses, je devrais dire surtout dans les choses religieuses, la prudence tempère le zèle. J'ai indiqué d'un mot à Auxerre, je rt-pète devant la Chambre, que ce zèle nous a valu bien souvent des embarras. (Très bien ! très bien ! à ■gauche). Ces embarras sont la contre- partie du prestige qui s'attache au protectorat de la France. Ils n'ont pu échapper à l'attention de personne. M. Denys Cochin lui-même les a avoués. M. Denys Cochin. — Parfaitement. M. LÉ PRÉSIDENT DU CONSEIL. — En tout cas, uous aurious 418 LA l-RA.NCE Ui:i'n$LlCAINE tort do lie pas les laiiv outrer en ligne de compte dans la balance des avantages et dos inconvénients qui résultent pour nous d'une situalion privilégiée. On |)('Mt dinoror d'avis sur rinii)ortance des deux termes ainsi conipaies. Je tiens, (pianl à moi, que, si nous étions empêchés par une volonté étrangère, celle du pape par exemple, de nous mêler de choses souvent fort désagréables, notre ascendant moral n'en subirait pas nécessairement un dommage scrioux. [Très bien ! très bien! à gauche.) Messieurs, c'est surtout par l'idée qu'on s"eu l'ail i|Uf \;ml le prestige du protectorat. Or, c'est une vérité triste a dire, mais c'est une vérité, que le pouvoir de l'idée, au leiii|)s où nous sommes, n'est pas l'élément dominant dans la m'gocia- lion des affaires internationales. Dans tout le monde oriental surtout l'idée cède le pas à la force. On y est insensible, ou peu s'en faut, et les événements l'attestent tous les jours, à l'autorité morale qui ne s'appuie pas sur la puissance maté- rielle. M. Uenys Cochin croit-il par hasard (|iie, si la France n'était pas une puissance militaire et navale de premier ordre, elle serait écoutée eu Extrême-Orient avec le respect et la déférence qui lui sont dus légitimement de par la lettre des traités ? Assurément non. M. Anthime-Ménaiu). — ("/est la condanmatiou de \otro majorité. • M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Jo vais plus loiu : je dis que c'est précisément à cette pui.ssance malerielle que nous sommes redevables du protectorat. Sans doute nous ena\ons assumé autrefois la charge, .sous l'empiro du sentiment national qui faisait do la France, soit dit sans raillerie, ET LE PROTECTORAT DES MISSIONS 419 monsieur Denys Cochiu. la fille aînée de l'Église. Mais on nous eu a reconnu les droits, parce que nous étions au premier rang des peuples forts sur terre et sur mer. (Très bien ! très bien ! à (jaucfie.) Je ne m'attendais pas, en exprimant cette opinion à Auxerre, à ce que la presse religieuse en concluerait que la France avait cessé, à mes yeux, d'être une puissance militaire et navale de premier ordre. Mais c'est la logique des partis. La mauvaise foi ne recule devant aucune audace. (Très bien t très bien ! à gauche.) Je l'ai éprouvé depuis deux ans, plus qu'aucun autre chef de gouvernement peut-être. Messieurs, j'ai hâte d'arriver à la question du protectorat dans le Levant. Jusqu'ici dans les observations que je vous ai soumises, j'ai fait à dessein le départ des contrées de l'Extrême-Orient et des contrées du Levant, l'Egypte et l'Asie-Mineure surtout. C'est que, dans le Levant, notre protectorat revêt un caractère plus sérieux et plus fécond en résultats utiles. Là, nous rencontrons plusieurs grandes communautés chrétiennes, qui ont adopté notre langue et conçu pour la France des sentiments de sincère affection. Mais, messieurs, ai-je jamais proposé de leur retirer notre protection ? Nous y entretenons un grand nombre d'établissements où l'instruction se donne en français, où. du moins, le français est la langue obligatoire. Ai-je proposé d'effacer du budget les subventions habituelles ? Sans doute j'aimerais mieux que nos subventions allassent à des maîtres laïques. Malheureusement les maîtres laïques sont trop rares là-bas. Enfm, messieurs, notre ministère aurait-il par hasard à 420 • LA FRANCE RÉPUBLICAINE répondre de quelques criantes injustices qu'il aurait négligé de redresser, de quelques atrocités (ju'il n'aurait pas su ou voulu empêcher ? Si récemment il y a eu des pillages et des massacres en Arménie, je ne pense pas que l'honorable M. Denys Gochin songe à en rendre le Gouvernement responsable. 11 s'est élevé, dans le temps, avec force, avec éloquence, contre les horreurs sans nom dont l'Arménie a été le théâtre dans le courant des années 1894 et 1895. Tous les cœurs honnêtes, le mien comme les autres, se sont associés à son indignation. Remarquez, messieurs, que je ne condamne pas le ministère! qui était en fonctions à l'époque des grands massacres d'Arménie. Malgré l'admiration enthousiaste, presque fana- tique, que le ministre des affaires étrangères d'alors professait pour le caractère du sultan, je veux admettre et j'admets qu'il a fait le possible et l'impossible pour prévenir ces horreurs. Les capitulations ne lui conféraient sur ce point aucun droit propre. Il n'a pu faire entendre que le langage de la justice et de l'humanité. Eh bien, messieurs, la justice et l'humanité sont encore les deux seuls principes dont nous ayons à nous inspirer dans l'exercice de notre protectorat. Ce sont les seuls qui puissent être ratifiés par l'opinion publique de notre époque. Or la France séparée de Rome, la France de la Révolution, aurait bien plus d'autorité morale pour les revendiquer et les faire valoir que n'en avait jadis et que n'en pourrait avoir aujourd'hui la France, fille aînée del'Èglise. [Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.) Messieurs, gardons-nous des auachrouismes et, puisque ET LE PROTECTORAT DES MISSIONS 421 roccasiou nous en est ottcile, disons-le bien haut de cette tribune. Personne, ni en France, ni à Rome, ne doit se faire illusion sur les mobiles politiques et moraux de notre action gouvernementale. Ce n'esi pas d'un cœur chrétien ni d'un esprit soumis aux dogmes de la foi que nous mettons eu œuvre, le cas échéant, les clauses du protectorat. C'est par les maximes d'une philosophie plus humaine, plus haute et plus libérale que nous nous laissons guider. [Applaudissements à gauche et à Vextrème gauche. ) Si notre clientèle est chrétienne et si cette qualité même est la raison d'être de notre intervention, il ne s'ensuit nulle- ment que nous nous fassions les auxiliaires du prosélytisme. En allant au secours d-es chrétiens d'Orient, nous allons au secours de la liberté de conscience ou de toute autre liberté essentielle violée en leur personne. [Nouveaux applaudisse- ments à gauche et à l'extrême gauche.) Le respect de ces libertés se concilie fort bien avec le régime politique de la séparation des Églises et de l'État. Il est môme tout l'opposé du prosélytisme. Car, messieurs, c'est une particularité digne de retenir votre réflexion que la liberté de conscience, la liberté du culte et les autres libertés sont condamnées par la doctrine ultramontaine, comme radicale- ment incompatibles avec les maximes fondamentales de l'Église catholique... {Exclamations à droite. — Applaudisse- ments à gauche et à l'extrême gauche.) M. Gayraud. — Vous devez savoir que c'est inexact ! .4 Vextrème gauche. — Et le Syllabus ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... alors qu'elles sont inscrites avec toutes les libertés personnelles et publiques 12" 422 LA FRANCE RÉPUBLICAINE dans la Déclaration révolntiunnaire des droits de l'hoinnie et du citoyen. {Noin'eaux applamluaements sur les mêmes bancs.) M. Gayraud. — Respectez-la ! M. LE COMTE DE POMEREU. — VOIIS la ViolCZ lOUS leS JOUFS ; vous n'avez pas le droit d'en parler. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je lue doiHierai le plaisir, monsieur Gayraud, quand viendra la discussion du projet de loi sur la séparation des Églises et de l'État, de lire textuel- lement ici les anathrmes prononcés par le Syllabus contre nos libertés privées et publiques. M. Gayraud. — 11 n'y en a pas. A ce moment j aurai l'honneur d'expliquer, à la tribune où vous êtes, proposition par proposition, tout ce qu'il y a dans le Syllabus. {Exclama- tions à l'extrême tjauche. — Applaudissements et rires à droite.) M. Prague. — Soyez tranquille, monsieur le président du conseil, on demandera le huis clos! {Nouveaux rires.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Messleurs, une question se présente à moi. et je la pose : Qui pourrait dire que le pape attacherait le même prix au protectorat delà France, si nous en étendions le Ijénéflce aux églises schismatiques et n^foi'- lîlées? Mais j'avoue que la question est oiseuse, puisque les églises schismatiques ou réformées ont acquis par des trait<''s spéciaux le droit de s'adresser, dans la personne de leurs missionnaires, aux gouvernements dont ils relèvent. Ou a regretté — M. Denys Cochiu lui-même, dans un article que j'ai lu avec l'attention que mérite tout ce qu'il écrit — M. Denys Cochiu a regretté les restrictions successives apportées par le cours des événements à l'extension primitive de notre protec- ET LE PROTECTORAT DES MISSIONS 423 tuiat. Autaut vaudrait regretter le développement progressif du principe des nationalités, qui a amené la formation de grandes nations désireuses de manifester leur force et leurs droits. 11 y aurait plus que la naïveté à s'étonner queTAngle- terri' aime mieux réclamer elle-même justice pour ses natio- naux que d'abandonner ce soin a la France. M. Denys Cochin. — Je l'ai dit ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — On pourrait en dire autant de rAllemagne. Ouaud la Russie et l'Autriche, que M. Denys Cochin a citées tout à l'heure, ont conclu avec la Porte des conventions relatives à leurs nationaux, assurément elles comptaient bien pour leur mise k exécution se passer du consentement de la France. L'Italie ne peut invoquer pour agir comme elles aucun papier diplomatique, ce qui ne l'a pas empêchée de se conduire comme si ce papier existait. Je n'ai pas entendu dire que quelqu'un ait demandé qu'on tirât le canon pour lui remettre en mémoire les clauses du protectorat. (Mouvements divers.) Et qu'on ne prétende pas que je répudie le protectorat, en constatant, comme M. Denys Cochin, le déclin qu'il a suln. Non : je ik^ renonce nullement aux traités qui nous l'ont (loiiiic. eu taisant remarquei' que ce déclin s'est accentué avec le temps. Les organes de la |)resse religieuse nous montrent sa décadence comme devant al)outir à une ruine complète, si nous rompons le lien diplomatique qui nous attache au Saint-Siège. Ils n'ont môme pas attendu le moment présent pour nous prédire cet avenir; ils nous l'ont montré comme certain, quand nous avons expulsé de France les congréga- tions enseignantes et prédicantes. 424 LA FRANCE RÉPUBLICAINE 11 se peut, en effet, que l'aveuir des établissements cungré- ganistes français ;i l'filranger ait été mis eu péril à la suite des mesures adoptties contre les congrégations. Aussi est-ce pour nous une raison pressante d'en appeler au zèle de nos maîtres laïques et de les engager, par des subventions suffi- santes, à aller servir la France dans les pays lointains. Les écoles ne pourraient que gagner à êlre dirigées par des hommes animés de l'esprit moderne et dévoués de cœur à la France républicaine. {Applaiiflmements à onuche et à l'extrême yaache.) Mais, messieurs, si le recrutement des maîtres congréga- nistes semble maintenant bien diflicile, sinon impos.sible par les Français, à qui la faute? {Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.) M. LE MARQUIS DE ROSAMBO. — A VOUS ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ah! permettez! Vous perdez de vue, en ce moment-ci, un fait intéressant d'hisluiie contemporaine, qui ne remonte pas à une époque bien éloi- gnée. Laissez-moi réveiller vos souvenirs. Quand nous avons discuté les lois contre les congrégations enseignantes, on m'a demandé si le Gouvernement consentirait à faire un sort à part à celles de ces congrégations qui a\aieiit à l'étranger des établissements d'enseignement ou des établis- sements charitables. Si j'ai bonne mémoire, c'est M. Colin (|ui m'a posé cette question au nom d'un certain nombre de ses collègues. J'ai répondu, comme l'a indiqué tout à l'heure M. Cochin, que si ces congrégations limitaient leurs demandes d'autorisation à ce point de vue spécial, nous les examinerions ET I.E PROTECTORAT DES MISSIONS 42o avec la bienveillance et réqulté qui s'attachent naturellement à des demandes de ce genre. M. Denys (^ochin. — Très Itien ! M. LE PUÉsiDEXT DU CONSEIL. — Trols de ces congrégations, les dominicains, les franciscains et les capucins, s'emparant de nos paroles et de rengagement ({u'elles contenaient, nous ont fait parvenir presque aussitôt après des demandes d'auto- risation du genre que j'indiiiue. Nous en avons commencé l'examen sans tarder. Malheu- reusement on nous avait remis des dossiers incomplets. Le temps s'écoulait. Les Chambres allaient se séparer sans qu'il nous fût possible de les saisir des demandes que nous avions en mains. Il nous manquait une pièce essentielle, l'autorùsa- tion de l'ordinaire, c'est-à-dire de l'évèque du lieu de la congrégation. Je réclamai la pièce avec instance sans pouvoir l'obtenir. Un jour entln, je vis arriver dans mon cabinet les supé- rieurs provinciaux des trois congrégations. Ils venaient me prier de leur restituer les demandes d'autorisation. Questionnés par mi)i sur ce revirement dans leurs sentiments, ils m'avouè- rent avec tristesse, presque avec des larmes dans les yeux, que l'ordre leur était arrivé de Rome de retirer ces demandes. Je pose de nouveau la question : s'il résulte de cet incident quelque diminution de notre protectorat, à qui la faute? Et je réponds : la faute n'est pas au Gouvernement. {Applnadis- semeuts ù gauche et à l'extrême gauche. — Exclamations à droite et au centre.) XXV LA « DÉLATION » ET LES MAGISTRATS (8 DÉCEMBRE I904) M. Colin, député, demandait à la Chambre, dans la séance du 8 décembre 1904, d'inviter le Gouvernement à déférer ii la Cour de cassation les magistrats « délateurs ». M. Georges Leygues, ancien ministre du cabinet VValdeck-Housseau, insista vivement pour l'adoption de cette proposition. M. Vallé, garde des sceaux, puis M. Combes en montrèrent tous les dangers (1). • M. IvMiLK CoMHKS, président du conseil, iniitistre de l'inté- rieur et des rultes. — Messieurs, l'houorabie M. Leygues a raison : il laul ou (iuir avec une équivoque savamment et jouruellemenl entretenue dans ce pays ; il faut savoir ce qui se dissimule derrière ce mot de dt'lation qu'on apporte à cliaciue instant à cette tribune, .le vous demande la permis- sion de vous ramener au point initial de celte (piestiou si dimloureuse. A l'occasion d'une interpellation dont vous n'avez pas 1. Journal ojfiiciel. Déb. Farl. Ch. 1904. I^age 21)49, L.V « DÉLATION )) ET LES MAGISTRATS 427 perdu le souvenir, qui se ravive cliaque jour, nous avons appris l'existence d'un système organisé. {Mouvemmts divers,) M. Maurice Binder. — Vous voulez diie : Nous avons appris que nous étions pinces ! {Bruit à yaurtie.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, miiiistre (II' l'intérieur et des cultes. — Nous avons appris l'existence d'un système organisé {Bruit à droite) pour faire parvenir au ministère de la guerre des renseignements dont il croyait avoir besoin. M. le ministre de la guerre vous a dit lui-même : J'avais autorisé mon cabinet à demander et à recevoir des renseignements du Grand-Orient ; il a ajouté : Je ne l'avais pas autoris(' à communiquer au Grand-Orient ce qui se passait à l'intérieur du ministère de la guerre {Mouvements divers), et, dans cette déclaration du ministre de la guerre, nous avons trouvé tous les éléments de ce qui a été présenté plus tard comme un système de délation ouvert dans tout le pays. Il était naturel qu'une fois l'autorisation accordée de demander au Grand-Orient des renseignements politiques sur certains officiers, le Grand-Orient, par l'intermédiaire de son secrétaire général, cherchât à se les procurer. {luterrupiions d droite.) Je vous prie, messieurs, de ne pas m'interrompre, par la raison bien simple que. jusqu'à présent, j'expose simplement des faits. A droite. — Mais ou ne vous interrompt pas ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La Chambre a dit ce qu'elle pensait — et le Gouvernement a partagé son sentiment — de ce système de renseignements ; elle l'a blâmé dans un ordre du jour auquel nous nous sommes associés. Mais je ne vou- 428 LA « DÉLATION )) KT LES MAGISTRATS tirais pas qu'un pût inférer du jugement rendu dans cette ejiceinto. (iiie nous avons considéré comme des délateurs des personnes, très honorables d'ailleurs, à iiui le Grand-Orient s'adressait, en se disant autorisé par le ministre de la guerre, pour se procurer certains renseignements. Ou les mots de la langue française n'ont pas de sens, ou bien il ne vous est pas permis d'assimiler ces renseignements donnt's de bonne foi à des actes de délation. {Applandiaae- mcnU à (jaucUe. cl à Vcxtrèmi' (faïuiif.) Vous savez bien, messieurs, ce (jui cunslitue la délation. La délation, de tout temps, dans notre langue, a été la dénon- ciation secrète faite eu vue d'une récompense ou en vue d'un Intérêt. M. AuDiGiER.— Alors, pourquoi avez-vous nommé M. Vade- card chevalier de la Légion d'honneur f M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Puisquc VOUS protestcz, je suis bien obligé de vous renvoyer au lexique (élémentaire de la langue française. Il n'y a pas de délation, (|uand la personne qui fournit le rimseignement croit le donner à une personne normalement, légalement autorisée à le recevoir. Pouvez-vous qualilier de délateurs ces hommes ou publics ou privés ((ui, croyant répondre au di'sir d'un minislère. ont donné sur les actes publics, sur l'attitude politique de fonctionnaires au sujet desquels ils étaient consultés, des renseignements que tout le monde connaissait et pouvait fournir? {A))/)laH(lis.'ienie)it$ d (jauclie et d l'extrême gauche.) .J'ai dit à cette tribune qu'il y avait eu à ce sujet et des écarts de langage et des excès de zèle. Évidemment, les personnes qui ont commis ces écarts de LA « DÉLATION )) ET LES MAGISTRATS 429 langage et des excès de zèle, quelle que fût la bonue foi dont elles faisaient preuve dans les notes fournies par elles, sont blâmables. Elles sont blâmables d'avoir dépassé sans doute la pensée qui les dirigeait ; blâmables aussi d'être sorties de la sphère politique, de la sphère publique, dans laquelle elles devaient se confiner. Mais, hors de là, je déclare que c'est abuser des termes que de les traiter de délateurs. {Applau- dissements à l'extrême gauche et à uauche. — Mouvements divers.) Dans ces conditions, messieurs, je le déclare hautement, rien n'est plus légitime que le langage du garde des sceaux, quand il vous déclarait que c'étaient des cas à examiner espèce par espèce, que c'étaient des cas dans lesquels, selon leur plus ou moins de gravité, ou pouvait graduer la peine de la simple réprimande au blâme ou quelque chose de plus, s'il y avait lieu. (Mouvements divers.) Mais ce qu'il s'est refusé à faire, ce que, pour ma part, je me refuse également à faire. . . M. Carxaud. — Ce que M. Ribot également ne ferait pas ! M. RiBoT. — Je ne me mettrais pas dans la situation de donner des instructions aussi honteuses! Je m'en irais; mais je ne tiendrais pas le langage qui est tenu à cette tribune. (Applaudissements au centre, à droite et sur divers bancs à gauche.) M. VioLLETTE. — Tant pis pour vous ! Vous avez le bonheur d'être applaudi par la droite. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Monsieur Ribot, la Chambre va se prononcer, nous suivrons ses indications, soyez-en con- vaincu. .Mais laissez-moi dire à M. Leygues d'abord, à vous i'M LA « DÉtAÏIO.N » ET LliS .MACilSTUA'liJ ensuite, que vous abusez singulièrenieut du droil (jiii \ous a|)paitieut, je le, reconnais, de devancer l'iiderix'jlation. car, s'il m'était permis de V()U"s suivre sur ce terrain, je vous montrerais ([ue le système conlri' l(M|iiel M. Leygues s'est élevé tout à l'heure, en afJlrmant que ma circulaire le consacre, a été pi'atiqué de votre temps, monsieur \{\\nt\. iAiJplioiili^oie- moits d Ve.rirème gauche et à gauche.) M. RiBOT, — Jamais, monsieur! M. Chaules Bexoist. — Cette diversion ne réussira pas. M. Octave Chenavaz. — Dans le temps, le ministère de la guerre s'adressait au père du Lac. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'ai les maius pleines de preuves et il ne suffit pat' de me faire des gestes de dénéga- tion; il faudra, quand j'apporterai ces papiers à la tribune, que vous me répondiez. M. RiBOT. — Apportez-les tout de suite. M. Gaston Galpin. — Ne faites pas d'insinuations. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Si VOUS voulez, saus a\()ir (■'gard au conseil que vous donne en ce moment M. Charles Benoist... (luterruptiom au centre.) M. LE LIEUTENANT-COLONEL BoussET. — 11 cst déplorable (pie vous nous interpelliez ainsi successivement. Ce s(nil de singuli(!rs précédés. Nous n'avons donc pas le droit de parler ici f Nous voulons nous faire respecter. M. LE Président du conseil. — Si vous voulez ouvrir dès maintenant l'interpellation, j'y suis |)ièl. 11 faudra s'e\|)li- quer. Je répète que ma circulaire ne fait (pie reproduire et généraliser, s'il n'existait déjà partout, mais il était déjà LA « DÉLATION )) ET LES MAGISTRATS 431 général, le système pratiqué, quand M. Ribot était président du conseil, quand M. Leygues était ministre de l'intérieur. (Applaudissements à gauche- et à l'extrême gauclie.) M. Georges Leygues. — Nous discuterons. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'en ai les prcuves. Je ne les donnerai pas aujourd'luii. à moins que l'interpellation ne soit immédiatement ouverte. Je ne veux pas devancer le moment que j'ai fixé. Il dépend de ces messieurs de le devancer eux-mêmes. (Applaudissements sur les mêmes bancs.) M. RiBOT. — Comment ? M. J. Thierry. — Vous avez demandé l'ajournement de l'interpellation, monsieur le président du conseil. M. RiBOT. — M. le président du conseil oublie que nous avons voulu, l'autre jour, provoquer des explications sur cette circulaire. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je ne l'oublie pas. M. RiBOT. — Vous ne l'oubliez pas ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nou, ct je u'cu aurais rien dit. si M. Leygues, en montant à cette tribune, n'avait pas fait allusion à ma circulaire, qui, d'après lui, consacrerait le système actuel. M. RiBOT. — M. le président du conseil comprend que nous ne pouvons discuter cette circulaire par voie d'inter- ruptions. M. Gustave Rouanet. — Ni par voie d'allusions ! M. Ribot. — Parfaitement, monsieur Rouanet, ni par voie d'allusions. Je ne crois pas qu'à aucune époque un ministre ou un pré.sident du conseil, interpellé par les membres de l'oppo- 432 LA 0 DÉLATION )) ET LES MAGISTKATS sition, qui exercent leur droit, se soit refusé aux ex{jJicatiuiis (lu'oii sollicitait de lui. Si M. le président du conseil peut établir que des cabinets précédents ont donné des exemples déplorables, qu'il l'éta- blisse ! La Chambre sera juge. Mais qu'il ne procède pas par des insinuations qui ne sont pas dignes du Gouvernement de notre pays. (Très bien ! très Ment au centre.) Voulez-vous fixer cette interpellation h demain ? Voulez- vous la fixer à ce soir ? Nous sommes prêts à la discuter. (Vifs applaudissements au centre et à droite.) A l'extrême gauclie. — Discutons tout de suite! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'accepte la fixation à ce soir de la discussion de l'interpellation. (Applaudissements à l'extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au centre.) M. Georges Leygues. —11 faut liquider l'incident relatif aux magistrats. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Et d'abord si vous voulez, messieurs, nous allons terminer l'incident soulevé par M. Colin: nous passerons ensuite à l'interpellation. (Assentiment.) On a demandé à M. le garde des sceaux de déférer à la Cour de cassation les magistrats qu'on a qualifiés de délateui-s avec cette facilité qu'un succès apparent autorise et encourage. M. le garde des sceaux s'y est refusé. J'estime qu'il a bien fait. (Applaudissements à gauclie et à V extrême gauche.) lia pris soin lui-même d'apprécier les sanctions que méritaient et le langage et la conduite de chacun de ces magistrats. On m'a adressé une demande analogue et je me crois autorisé à rendre publiques et cette demande, et la réponse qiicj'N ai faite. LA « DÉLATION )) ET LES MAGISTHATS 43o M. le grand chancelier de la Légion d'honneui', saisi de la plainte d'un chef de bataillon eu retraite... M. Galpin. —Vous pouvez le nommer. Cette plainte est tout à son honneur. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL .. . coutre le maire du Maus^ M. Ligneul, à propos d'actes de délation — c'était le terme employé dans la lettre — contre des officiers... M. Jules Galot. — L'expression est bien exacte. M. LE président du conseil m'ademandémon sentiment à cet égard et m'a consulté sur la suite à donner à cette plainte. J'ai répondu k M. le grand chancelier par une lel tre que je vous demande la permission de vous lire; elle exprime bien ma pensée et elle indique la conduite que je tiendrai dans tous les cas analogues. {Trétablen! Très bien! à l'extrême gauche.) « Le président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes, à M. le général Florentin, grand chancelier de la Légion d'honneur. « Vous me faites l'honneur de me demander mon avis au sujet d'une plainte déposée entre vos mains contre M. Ligneul, maire du Mans, par un chef de bataillon en retraite, pour des actes de délation envers des officiers. « J'observe tout d'abord qu'il ne me paraît pas possible en droit de qualifler actes de délation les renseignements absolu- ment désintéressés fournis par M. Ligneul au secrétaire général d'une société dont il était membre, alors que le secrétaire général se disait autorisé à les demander pour le ministère de la guerre. J'ai dit à la tribune de la Chambre ce que je pensais du système organisé qui a donné naissance aux renseignements dont il s'agit. Mais je ne saurais m'associer, par un avis favo- C. — 13 4154 LA U DÉLATION )) ET LES MA(ÎISÏRATS lable, àrouverlure d'une information ou enquête qui tendrait k incriminer Ja bonne foi de M. Ligneul. (Très bien! Très bien! à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche). Je ne connais pas la personne de (lui émane la plainte dont vous êtes saisi. Xe que je vois clairement, c'est qu'on cherche à engager le con- seil de l'ordre dans la campagne actuelleraenl menée par la réac- tion contre les fonctionnaires républicains. {Applaiuli^'isements sur les mêmes bancs. —Rires ironiques à droite et au centre.) « J'espère que le conseil ne prendra le change ni sur la nature des accusations, ni sur l'intention des accusateurs. On veut à la fois déshonorer des fonctionnaires... » M. Massabuau. — Ils le sont assez. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — « ...et entretenir dans le pays une agitation funeste. J'ai le double devoir de défendre des ser- viteurs dévoués de l'État et d'épargner au pays, dans la mesure du possible, les effets pernicieux d'excitations malsaines que des publications journalières ont pour but exclusif de prolonger. {Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche). Aussi, je suis fermement d'avis qu'il n'y a pas lieu de donner suite à la plainte formulée contre M. Ligneul, maire du Mans. » Yous connaissez maintenant... M. Charles Benoist. — Le degré auquel nous sommes tombés. M. LE président du conseil. — . . . lelatigagH et laconduito qu'a tenus le Gouvernement; c'est à vous de décider. {Applau- dissements à l'extrême gauche et à gauche.) Le projet de résolution de M. Colin fut repoussé par 276 voix contre 274. M. Ribot, qui avait proposé de discuter sur le champ l'in- terpellation sur la circulaire aux préfets, vota lui-même le renvoi au lendemain de cette discussion. XXVI LA GIRCl LAIKE AUX PRÉFETS SUR LES RENSEIGNEMENTS POLITIQUES (9 DÉCEMBRE I904) M. Combes, dans une circulaire, traçait aux préfets (1) les règles que ces foûclionnaires devaient observer dans leur mission. Chargés de renseigner le gouvernement, ils avaient le devoir de se renseigner eux-mêmes auprès de leurs subordonnés, sous-préfets, maires, el, à défaut de ceux-ci, lorsqu'ils étaient réactionnaires, « délégués » ou personnalités nettement répu- blicaines choisies avec discernement et prudence. MM. Ribot, Millerand et Gauthier (de Clagny) demandèrent simultanément, par des interpellations séparées, à saisir la Chambre de cette question. Seuls, MM. Ribot et Millerand, dans la séance du 9 décem- bre 1904, menèrent l'assaut contre le cabinet de défense laïque et de réformes sociales. M. Gauthier (de Clagny), député nationaliste, déclara « n'avoir rien à ajouter » aux apostrophes de l'orateur progressiste et de l'ancien ministre socialiste (2). M. EMILE Combes, présideiil du conseil, ininisde de l'inté- rieur et des cultes. — La déclaratiou de M. Gauthier (de Cla- 1. V. aux Documents Justificatifs le texte de cette circulaire. 2. Journal officiel. Déb. Pari. Ch. 1904, p. 2961. tT' 436 LA ';lHGULAinK AI'X l'RÉFETS gny) ne m'éloniie on anciine façon. J'y étais pn'^parc'. O malin même, messicnrs, je lisais dans nne fenille très syinpatiiiqne aux iuterpellatenrs que la droite nationalisle et royal isle a;j;irait sagement en ne se nuMant |)as à riiilei'pellalidii et en eu laissant port(>r tout le p(tids aux: seuls membres du cciilre gauelie et aux radicaux dissidents. M. Dauzox. — 11 y en a d'autres, monsieur le président du cou.seil. M. Salis. — Et aux .socialistes dissidents. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Daus CBS coudiUons. il m'a paru tout naturel que M. Gauthier (de Clagny) renonçât à prendre la parole. • Le dépôt de l'interpellation n'eu ro^stait p;is ukuiis un t'ai! acquis, et c'est à ce touchant accord que je faisais allusion quand je parlais, dans la séance d'hier, employant une expression qui a un peu offusqué M. Ribot, de la coalition dressée contre le cabinet, non pas dans la seule pensée d'arra- cher les portefeuilles aux ministres cpii li^s détiennent — {Exclamations sur divers bancs au centre et à d voile.) M. LE PRÉSIDENT. — Vous VOUS plaigniez tout à l'heure, messieurs, que l'on interrompît vos orateurs. Au centre. — On ne dit rien ! M. LE PRÉSIDENT. — Commeut ! M. le président du conseil ne peut pas achever sa première phrase. Si un gouvernement a été attaqué avec vivacité et a le droit de répondre, c'est bien celui dont le président est à la tribune. {Applaudisse- ments à gauche.) Je vous prie de faire silence. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je dlsais que M. Ribot se trompe, s'il s'imagine que l'unique préoccupation qui se fasse SUR LES KË.NSEIGNEMENT.S POLITIQUES 437 jour dans les débats engagés est le souci de garder ou de perdre des portefeuilles, et je ne croyais pas méconnaître sa propre pensée en afflrniaut qu'il s'agit de bien autre chose dans toutes ces attaques que d'une mesquine substitution de personnes dans l'attribution de ces portefeuilles. Elles visent plus sûrement un rliangement de politique jugé aujourd'hui nécessaire. iApplaudmements à l'extrême (/anche et à gaucfie.) Le nierait-il d'ailleurs M. RiBOT. — Je ne le nie pas ! M. LE PRÉSIDENT DU cox>^EiL. .. .que toutc déuégatiou serait inutile à cette heure, puisque cette même coalition, bien antérieure aux incidents actuels, s'est révélée depuis plus de six mois, depuis un an bientôt, dans de graves circons- tances au cours desquelles nous avons vu uniformément et avec un ensemble parfait les bulletins de vote du centre s'unir aux bulletins des radicaux dissidents et de la droite nationaliste et royaliste. C'est donc, messieurs, indépendamment des faits contin- gents qui ont amené les interpellateurs à cette tribune, c'est donc bien d'un changement de politique qu'il s'agit. Et dès lors, je ne comprends pas de misérables querelles — car elles sont misérables et je vais le prouver dans un instant — à propos de circulaires qui, je ne crains pas le dire, auraient absolument passé inaperçues dans les circonstances ordi- naires de la vie politique. (Interruptions à droite et au centre. — A pplaudissement.s à gaucfie et à l'extrême gauche.) Il est connu de tout le monde, pour peu qu'on ait fréquenté l'enceinte parlementaire, que toutes les occasions sont bonnes pour faire échec à un gouvernement. Tous les terrains sont 438 LA cincuLAinE aux préfets propices à précipiter sa eiiiile, ([uaud il y a une majorité pour le renverser. L'opposition s'essaye à ce jeu toutes les fois qu'elle croit rencontrer une circonstance qui puisse lui per- mettre d'atteindre son but. Je soutiens, messieurs, et je vais démontrer que les circu- laires dont on me fait un grief, prises en elle-mêmes, sont absolument irréprochables. En ce moment, on feint de croire qu'elles repo.sent toutes sur un terme, le mot « délégué », et l'on s'empan? de ce mot sans se douter qu'il existe depuis vingt-cinq ans dans la pratique avouée et connue de ce pays. On se sert d'un mot auquel on attribue les sens les plus téné- breux et en même temps les plus menaçants pour discréditer un système de renseignements qui n'est pas seulement néces- saire et légitime, mais qui est le seul dont le Gouvernement puisse user, le seul dont il .ait usé jusqu'à présent, le seul dont il usera à l'avenir s'il veut voir clair dans les affaires communales, là où tout autre moyen d'information lui man- que. (Mouvements divers.) M. Dauzon. — Je demande la parole. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Jc uc dirai qu'un mot d'une de ces circulaires, celle que j'ai adressée à mes collègues. M. Ril»ot a fi'int de croire que la circulaire avait pour but de destituer les chefs de service de l'autorité légitime qu'ils doivent exercer sur leurs agents. Mais, monsieur Ribot, vous avez interprété la circulaire à contresens ; car je ne veux pas mettre en doute votre bonne foi. Quelle est la portée de ce document ? La circulaire tend précisément à justifier l'expression dont s'est servi l'autre jour mon collègue le ministre de? finances et dont M. Mille- SUR LES RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 439 rand vient de faire tout à l'tieure un conimentaire si inexact. J'ai dit dans cette circulaire qu'il me paraissait nécessaire d'interdire aux différentes administrations autres que l'ad- ministration préfectorale, les incursions dans le domaine de la politique, et je n'ai pas voulu que les ministres, mes collè- gues, consentissent à ce qu'on demandât à leurs agents, les Ingénieurs des ponts et chaussées, par exemple, ou les agents des finances, des renseignrdaieiit pas leur sens et leur valeur. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche. —Exclamations et rn)nenrs sur dirers bancs à droite et au centre). Vraiment, messieurs, c'est se jouer de cette Assemblée et croire à bien de la naïveté de sa i)art, api'ès (pi'oii a lu les circulaires ou qu'on est censé les avoir lues— puisiju'on les critique à cette tribune— de nous citer conmiedélégm'' possible d'un préfet le maître bottier d'un régiment. Monsieur Ribot, on vous a dit, et avec raison, qu'au point de. vue démocratiipie le maître bottier pouvait être un très digne homme. M. Ribot. — Je l'ai dit moi-même, monsieur. Et même an point de vue aristocratique. {Sourires au centre.) M. LE ri{Ksn)ENT DU CONSEIL. — C'cst ciitendu, monsieur Ribol. mais je me contente quant à moi — et je n'ai pas besoin, après mes précédentes explications, d'en fournir de nouvelles — je me contente, quant à moi. (|n'il s(tit un très digne homme et (in'il exerce consciencieusement sa très hono- SUR LES RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 441 rable profession. Je ne veux pas qu'il se mêle, lui aussi, pas plus que l'armée, de faire de la politique. (Mouvements divers.) M. RiBOT. — Très bien ! M. LE GENERAL Jacquey. — Nous n'avons jamais demandé autre chose. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Tout ceci ressort pleinement de ma circulaire, et je n'ai rien à ajouter. L'exemple de >1. Ribot était donc aussi mal choisi que possible. Ces principes une fois posés en ce qui concerne la circu- laire adressée à mes collègues du ministère, je passe à la circulaire bien autrement importante pour la discussion — puisqu'elle eu fait à peu près tous les frais — à la circulaire envoyée aux préfets. A ce propos, je demande à la Chambre la permission de ramener le débat à deux questions bien simples. J'espère ([ue nous serons tout d'abord d'accord sur la première; j'espère aussi qu'après m'avoir entendu les hommes impartiaux, ceux qui font passer même leurs sentiments politiques, même leurs passions politiques après l'équité, voudront bien déclarer qu'ils sont d'accord avec moi en ce qui concerne la seconde. La première question est celle-ci : Le Gouvernement a-t-il le droit de s'éclairer sur la conduite politique des fonction- naires en place ou des aspirants aux fonctions publiques? M. Ribot. — Qui le conteste ? M. LE présu)ent du conseil. — .V-t-il le droit de subor- donner, dans une juste mesure, les fa\puis (|u'il accorde à l'attitude politique de ses employés? Deuxième question : Par quels moyens, par (piels procéd('s est-il autorisé à s'enquérir de cette attitude? 442 lA CIRCULAIRE AUX PRÉFETS Sur le premier puiul, je ne ciois pas (lu'il puisse y avoir de discussion... Au centre. — Il D'y eu a pas eu. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... et, OU CC QUi 1116 COll- cerne, je déclare que je n'excepte aucune administration d(î la règle générale exigeant que le Gouvernement ait le droit de tenir un compte raisonnable de la conduite puhli(pie de s(?s fonctionnaires de tout ordre, qu'ils soient r'w ils ou militaires. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gaucfiej S'il y avait à ce sujet la moindre contestation. . . M. RiBOT. — Il n'y en a pas, évidemment. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. ... il iiie Suffirait d'aller cher- cher des exemples dans les gouvernements qui m'ont précédi'. môme les plus modérés, pour établir pièces en mains que sur ce point ils n'ont pas professé une autre doctrine (jue la mienne. M. RiBOT. — Certainement. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Douc il ii'y a pas contesta- tion. Je passe, dés lors, à la seconde question : Par quels procé- dés le Gouvernemcmt peut-il arriver à se renseigner sur le compte des aspirants aux fonctions publiques ou des fonction- naires ? Le point de départ de la circulaire qui fait l'objet de cette interpellation a été le caractère politique de l'administration préfectorale. Je lui ai réservt;, pour ainsi dire, le monopole des renseignements politiques. J'ai dû le lui réserver pour laisser aux autres administrations leur caractère puremeni technique et professionnel. SUR LES RENSEIGNEAIE.NTS POLITIQUES 443 De quoi et cl(> qui se compose radrninistratiou préfectorale? Au sommet de la hiérarchie, le préfet, et en prononçant ce nom j'ajoute, parce que c'est essentiel, que le préfet seul sera responsaljle des renseignements qu'il transmettra au ministère de l'intérieur. {Très bien l très bien ! à gauche et à l'extrême yauche.) Le préfet seul en sera responsable, car le ministre de l'inté- rieur n'a pas. après lui avoir tracé sa voie, à s'enquérir des pei'sonnalités d'où lui viennent les renseignements. S'il les ciioisit avec légèreté, il portera la peine de sa légèreté ; s'il les choisit avec intelligence, il en sera naturellement récompensé par la satisfaction (}ui devra lui être exprimée par sou chef. Au-dessous du préfet, messieurs, se présentent, comme ses collaborateurs immédiats, les sous-préfets. Ces fonctionnaires sont vis-à-vis des préfets, au point de vue de la responsabilité des renseignements qu'ils lui transmettent, ce que le préfet lui-même est à l'égard de sou chef, le ministre de l'intérieur. C'est vous dire que les sous-préfets sont responsables des ren- seignements qu'ils recueillent. Conuneul peuvent-ils aller à la source de ces renseignements? Notre organisation politique est assez complexe pour que différents moyens s'offrent à eux. Ils ont d'abord, comme je l'ai indiqué dans la circulaire, les personnalités politiques investies d'un mandat électif, conseillers généraux, conseillers d'arrondissement; si j'ajoute que ces personnalités ne peuvent lui iuspii'er conliauce qu'à la condition d'être républicaines, on comprendra que, là où il n'est pas possible de s'adresser à un conseiller général républicain ou à un conseiller d'ar- rondissement républicain, le sous-pn'fet soit oi)ligé d'aller un 444 LA CIRCULAIRK AUX PRÉFETS peu plus luiu dans la liiéiarchio et de s'adresser à ces di']cj:u('s ou à ces correspondants adminislralifs dont on nieconnai! étraugemeut eu ce luouient-ci le rôle et le caractère. Entre les deux J'ai inditpie. sinon dans la circulaire, du moins à cette tribune, les maires républicains de n(»s com- munes. (2'm bien l très bien t à (jonche et à l'extrême gauche.) Ou m'en a fait un grief, bien étrange en vérité, car ces personnalité.s-lA aussi sont investies d'un mandat ('lectif. Ces personnalités-là aussi se présentent dans la connmuie comme jouissant de l'autorité morale et de la confiance de leurs con- citoyens. Le mandat de maire serait-il donc pour ces hommes une tare? Par cela seul qu'ils sont maires, serait-il interdit aux préfets et aux sous-préfets de les consulter, soit sur les intérêts, soit sur les demandes émanées de leurs conununes ? Mais, messieurs, je trouve d'autant plus étrange l'affirma- tion de cette thè.se à la tribune, que lesmaires, connue je l'ai dit, sont libres de répondre ou de ne pas répoudre. S'ils esti- ment que les renseignements demandés peuvent entraîner pour eux un certain inconvénient moral, ils se refusent à les donner ; et le sous-préfet, non plus que le préfet, n'a aucun moyen de les y contraindre. Mais s'ils consentent à les fournir, leurs renseignements doivent passer pour d'autant plus auto- risés qu'ils émanent de personnes connaissant le mieux et les gens, et les intérêts, et les affaires de la comnmue. {Très bien / très bien I à gauche et à l'extrême gauche.) Aussi, messieurs, je n'attache aucune importance aux cri- tiques singulières visant les maires de nos communes. M. Millerand ;i m lieau Icui- contester le droit d'être des correspondants altilrfs du préfet ou du sous préfet, en réalité SUR LES RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 445 la natnrp des choses leur a conféré ce mandat avec une telle luice qu'eux-mêmes sont intéressés à le retenir : eux-mêmes sont intéressés à s'unir avec le sous-préfet et le préfet dans un sentiment commun de dévouement à la République, pour la défense des intérêts matériels et moraux des communes dont l'administration leur a été confiée. (Mouvements divers.) Eh ! messieurs, sans aucun doute. Je ne crains pas de répéter à cette tribune ce que d'autres ministres ont dit avant moi, que, si le Gouvernement doit la justice à tout le monde, il est cependant de son droit, quand il a une faveur à accor- der, de la dispenser à ceux (|ui lui témoignent le phis de sympathie et de dévouement. (2'/-^.s bien ! très bien !n l'extrême gauche et à gauche.) M. Antide Boyer. — C'est ce qu'ont fait nos adversaires, et toujours à notre détriment. M. LE PR^:sIDENT DU CONSEIL. — L'hoiiorable M. Millerand et, je le crois aussi, l'honorable M. Ribot ont fait une décou- verte qui m'a surpris : ils ont découvert que j'avais institué dans les communes des délégués administratifs : ils out découvert que ma circulaire établissait un ordre de choses nouveau et que rien d'analogue n'existait jusque-là. Je me demande véritablement si, lorsque M. Ribot était président du conseil, il a pu ignorer d'où lui venaient les renseigne- . ments transmis par ses préfets. M. Ribot. — Us venaient en général d'honnêtes gens. (Bruit à l'extrême gauche.) M. JuMEL. — Aujourd'hui, il en est de même. M. Albert Tournier. — Us sont aussi honnêtes maintenant. Et de plus Us sont républicains. Voilà toute la différence. 446 t,A CTHCULAIUK .Ui\ I'H>;FETS .M. LE PHKSIDENT DU CONSEIL. — Jc ICCOllliais là. IllCSSicillS, la superbe ordinaire de M. Rihot. Jl se réserve pour lui et ses amis le monopole de riionnèlelé ; il nous laisse le n^sle. {Applaudissements et rires à l'extrême (fauche et à (/aacfie.) Qu'il me permette à ce sujet de lui faire observer cpie l'honuèteté n'est le monopole de personne: le jour mi il aura établi, avec pièces à l'appui, (lue les délé^aiés de nos com- munes sont ces êtres méprisables dont il vient de parler, il aura le droit alors d'opposer ce (|ui se passait de son temps à ce qui se passe aujourd'hui. {Appltuitlisseineufs u ijumlie.) M. Albert Tournier. — C'est ce qu'il a négligé de démon- trer ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Mals, messicuis — et c'est là KÉFETS M. ViLLEjKAN. — AluiSj (Je (jiloi vous plaiynpz-vous? M. RiBOT. — Est-ce M. Joliel qui a sigué cette lettre? (Apj)laudisse7neiits l't rires au centre et à droite.) M. LE PHÉsiDENT DU CONSEIL. — M. Ril)ut 1116 demaude — je tiens à reproduire sa question : — « Est-ce M. Joliet ([ui a signé cette lettre? » Non, monsieur Riljol : le signataire de cette lettre, cVsl xoirc ancien sous-préfet de Saint-Omer... M. RiBOT. — CVst fnri hirii ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ...l'aucien directeur du personnel au ministère de l'intérieur de M. Leygues, quand VOUS étiez vous-même président du conseil. (Vifs applaudisse- ments et rires à ynache et à l'extrême uauclie.) M. RiBOT. — Je trouve cette lettre fort Itim. et ce préfet vous dit avec raison . . . M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Attendez ! je n'ai pas fini ! M. RiBOT. — Monsieur le président du conseil, voulez- vous me permettre un mot? {Réclamations à l'extrême gauche.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Non. mou.sieur Ribot, je n'ai pas fini. Le signataire de ce rapport, c'est le préfet de M. Renault- Morlière. (Applaudissements et rires à (jauctie.) M. Arnal. — Cela prouve que les fonctionnaires servent tous les gouvernements. M. Renault-.Morliére. — Permettez, monsieur le président du conseil . . . M. LE président du conseil. — Laissez-moi continuer M. Renault-Morlièhe. — Mon nom a été prononcé ; je désire m'expliquei'. M. le président. — Monsieur Renault-MorJière. vous n'avez SUR LES KEXSEIGNEMENTS POLITIQUES 449 pas la parole en ce moment ; M. le président du conseil ne vous la cède pas. M. Renault-Morlière. — Alors, je demande la parole. M. LE PRÉSIDENT DU co-NSEii et je sei'ais fort étonné d'entendre la protestation de .M. Ribot et de M. Renanlt- Morliére contre le langage et les actes de ce fonctionnaire, puisqnils en ont bénéficié comme dépntés républicains. Vous ne nierez pas — et sur ce point Je ne suis pas fâché d'ouvrir une petite parenthèse {Exckimatioua et mouvements divers) — vous ne nierez pas que, sous mou ministère, comme sous les ministères précédents, l'action pulilique de mes préfets s'est exercée dans le sens de la propagande républi- caine sans acception de personnes. (Exclamations iionitiiies au centre et à droite. — Mouvements divers.) Je mets au deli un seul membre du centre de porter ;i cette tribune une parole de moi. un écrit de moi adressé aux préfets et aux sous-préfets enjoignant à ces fonctionnaires de diriger leur administration contre les députés du centre. [Exclamations sur les mêmes bancs.) J'ai donc le droit de dire que les députes du centre — et dans le cas actuel ceux que jai nommé — ont profité, connue la République elle-même, de l'action politique des préfets et du système alors en vigueur. {Très bien ! très bien ! à l'ex- trême (/aucfie et à gauche. — Mouvements divers.) Je passe au rapport duu autre préfet : « Ainsi que je vous l'ai déjà fait connaître, les nouvelles instructions contenues dans votre circulaire n'apporteront aucun changement dans la manière de procéder existant dans le département, ni de ma pari, ni de celle de mes collabora- 450 LA CIRCULAIRE AUX PRÉFETS leurs. De tout temps. en effet, ces! aux peisdiinalités politiques — exclusiveiueut républicaines, bien entendu — telles que conseillers généraux, cous(Mllers darroutlissenient, maires, conseillers nmnicipaux, que mes prédécesseurs et moi nous sonunes loujouis adressés de prciférence. soit pour n(»us ren- seigner personnellement, soit pour vous fournira vous-même ou aux différents ministres les icnseignements qui nous étaient demandes sur les fonctionnaires de tous ordres et les candidats aux fonctions publiques. « A défaut, et en seconde ligne, comme partout d'ailleurs, il est fait appel à des personnes choisies en raison de leur autorité morale et de leur attacliement notoire à la Répu- blique et au Gouvernement, je veux dire les administrateurs des hospices, bureaux de bienfaisance et d'assistance, les délégués cantonaux, les délégués pour la révision des listes électorales, qui sont les correspondants indi(iués de l'admi- nistration préfectorale et qui, dans le département que j'administre, ont l'habitude de s'intituler eux-mêmes : le délégué de la préfecture. » (Mouvements divers.) Messieurs, le signataire de ce rapport, qui constate que mes instructions ne font que fortifier et consacrer ce qui s'est fait de tout temps dans le département qu'il administre, c'est le préfet de M. Leygues. {Bruit.) Messieurs, vous vous lassez peut-être de m'eutendre lire, moi je ne me lasserai pas de parler. (Très bien ! très bien ! à (/oucfie et à l'extrême gauclie.) Voici un autre rapport de préfet : « Par votre circulaire en date du 18 courant, vous avez bien voulu m 'adresser des instructions au sujet de la direction SUR LES RENSEIGNEMENTS POUTlyUES 451 politique que je devais imprimer aux fouctioniiaires ou ageuts du Gouveruement daus uioii départemeut. « Soyez assuré que je considère comme un des devoirs essentiels de ma charge, devoir auquel je u'al pas failli depuis vingt-cinq ans que j'appartiens à l'administration, de renseigner fidèlement le Gouveruement sur les fonctionnaires de tous ordres et les candidats aux fonctions publiques, non seulement au point de vue de leur houorabilitè et de leur compétence, mais encore au point de vue de la fidélité et du dévouement aux institutions républicaines. J'aurai soin de m'enlourer de toutes les gai-anties désirables pour (pie les renseignements que j'aurai l'iiouneur de fournir soient empreints d'une absolue impartialité et contrôlés avec un soin minutieux. « Je me permets à ce sujet de vous faire part. . . » M. Gauthier (de Clagny). - Comme par hasard ! {Rires au centre et à droite.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous paraissiez tout à l'heure attacher à ce débat la plus grande importance et un caractère des plus .<érieu\ : il n'y paraît guère maintenant ! \Très bien ! très bien! û tjdnche et à Ve.vl renie ganclw . — Parlez ! parlez !) «... Je me permets, à ce sujet, de vous faire part ilf l'étounemeut que m'ont causé les protestations et les polé- miques auxquelles ont donné lieu dans le Parlement et dans la presse [Exclamations et applaudissements ironiques an centre et a droite. — Mouvements divers) vos déclarations relatives aux délégués de l'administration dans les communes. Uu a affecté de voir dans ces délégués des mandataires 4.")2 I.A ClIUUIl.AIlii: AII\ PKÉFETS ri'comnKMil cnTs pour roiisoifjiiorsecrc'tcniciit l'admiiiislration et le Goiiverriemciil . . . » M. AunifiiEit. — C.'rsl bien l;'i votre styli» ! {Rirex au fciitrr. — Bridl.) M. LE PRÉSIDENT DU CO.NSEII,. — « ... îllOFS qUO de lOIlt temps ils ont été légalement et otTiciellemenl nommés pour le représenter dans toutes les communes. {Interruptions sur divers bancs.) A droite. — (l'est vous qui avez dicté cette lettre-là! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — A CIKCULAIHE AUX l'BÉFETS (lid.it ;i tint' loncliou publiqiio. nous nous ndressions dans chaqu(^ canton, dans chaque groupe de coinnuines ou dans chaque connnuue à une personnalité réputée pour son hono- rabilité, pour sa droiture et pour sa fidélité à la Républifiue. Le plus souvent, cette personnalité détient un mandat électif de conseiller général, de conseiller d'arrondissement ou de maire. Mais il arrive souvent que, dans les localités encore inféodées au\ i)ailis liostiles, cette personnalité, que vous avez apjtelée vous-mènic un « coirespondant », est privée de tout mandat électif. <. .Te dois d^iclarer d'ailleurs (lue.je n'ai jamais vu appli(|U(;r une autre méthode. J'ai été, après le 16 mai, de 1877 à 1881, chef de cal)inel iU\ piéfet et j'ai vu pratiquer' ce système. Lorsque j'ai été nonmié secrétaire général, mon préfet n'ac- cordait égalenienl s;i couliance, à l'exchrsiou des mair-es r'oyalistps. qu'il des rvpultiicaius exempts di^ toute fonction adminjsliatixe. Me confor'm.iiit a de telles traditions, j'ai api)li(|iie i>lus parliculièi-emenl celte méthode dans les dei)ar-- lements que j'ai administrés à des epocpies où les sièges («lectifs étaient occupés eu majorité par des réactionnaires. '< J'ai donc la satisfaction de vous déclarer, monsieur le président du conseil, que les prescriptions de volii^ ciiculairc lie sauraient lieii innovei' dans mon déj)artemeiit. >- L'auteui' de ce rappt;rl est M. Lutaud, préfet de la Gironde. \ Mo H ve m e n ts d i ve > .s . ) M. Chai'mkt. — Je pense (|ne les r'adicaux de Toulouse et les sdcialisles de Mar'seilie xcnoni a\ec i)laisir' M. le pr'ési- senl du conseil s'al)riter' (leiricre l'autornté de M. Lutaud, cli;is;*e de Maisriiic |»(iin a\oir ((iiiiballu le iiiiiiislare Combes, SUR LES RENSEIGNKMEiNTS POLITIQUES 4o5 [Applaudissements au centre et à droite. — Applaudissements ironiques à l'extrême gauctie.) M. Albert TouriMer. — A uns l'ortiliez l'argument du pré- sideut du couseil! M. SiMYAN. — Évideinrac'ul ! 11 est d'autant moins suspect! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL.— Je u'al Qu'uu mot à répondre à M. Chaumet : c'est que je n'ai besoin d'être couvert par personne; je couvre mes fonctionnaires quand je le dois, et les désapprouve, quand il lé faut. C'est toute la réponse que je veux faire. Messieurs, après ces lectures, qui vous paraîtront cou\ ain- cautes (Exclamations et rires ironiques au centre et à droite), après ces lectures qui prouvent tout au moins que le système formulé dans ma circulaire n'est que la reproduction exacte d'un système en vigueur depuis vingt-cinq ans, j'aurais le droit de me demander, sous forme d'hypothèse, si c'est une pièce sérieuse ou une comédie qui se joue en ce moment-ci. {Vifs applaudissements à l'extrême gaucfie et sur divers bancs à gauche.) Si c'est une pièce sérieuse, je dénie aux interpellateurs le droit de remplir le rôle qu'ils ont tenu à cette tribune. Si c'est une comédie, je la livre à l'appréciation de cette Assemblée. (Très bien! très bien! sur les mêmes bancs.) Le système que j'ai consacré par ma circulaire est destiné à remplacer celui que nous avons tous condamné. (Très bien t très bien t sur les mêmes bancs,) M. LE LIEUTEXANT-COLONEL DU HaLGOUET. — MaiS qUC VOUS avez employé. M. DE Largentaye. — Alors on désavoue Vadecard? 456 LA CIRCULAIRE AUX J'HÉFETS M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ce systcmo était ué de cir- constances fortuites et j'ai pu en inrti(iuer l'oilgine. J'ai rap- pelé qu'en 1900, à l'époque où le ministre de la guerre a pris le pouvoir, on s'est deraand(^ par quel procédé on pourrait se procurer des renseignements — sur l'armée seulement, rete- nez-le bien. On a essayé d'un autre système; on a employé, je vous l'ai déjà dit, des commissaires spéciaux, des agents de la sûreté qu'on envoyait dans les départements pour s'enquérir de l'at- titude, de la conduite politique de certains officiers. J'ai eu entre les mains les rapports de ces agents; ils por- tent sur un général, neuf colonels et deux commandants. On ;i (Im renoncer à ce système, bien que les missions aient été remi)lies avec une. |)arfail(' honnêteté, i)arce (jue les agents qu'on envoyai! sur place étaient obligés, pour obtenir les ren- seignements recherchés, de s'adresser un peu au hasard k différentes personnalités, d'aller chercher ces renseignements dans les lieux publics, dans des conversations particulières, dans les cafés. [Exclamatlom au centre et a droite.) Où vouliez-vous qu'on allât autrement? L'agent qui nrri- vait ne connaissait pas la localité, les personiuss; il se rensei- gnait un peu partout, et c'est par suite d'une conversation fort indiscrète, tenue dans un café, qu'au ministère de l'inliirieur on s'est décidé à ré|)udier le système. Mais dans les rappoi'ts (lue j'ai eus entre les mains on trouve cette phrase qui justifie pnrfaitement bien ce que j'ai dit moi-même des délégués administratifs ou des correspondants : « Les renseignements émanent de personnes autorisées dont la fidélité aux institutions républicaines et la discrétion s(nil à l'abri de tnut soupç^tn. » SUR LES RENSEIGNEMENTS POI.ITinUES 4^7 La discrétion n'a pas toujours été à l'abri drioui rcpioclK". Il s'est produit un fait des plus fâcheux, et l'on a couix- cdiut à la mission donnée aux agents de la sûreté. {lufeDiipiion^ sur divers bancs.) Le système actuel, longttîmps expérimenté, n'offre, quoi qu'on en ait dit, aucun inconvénient, si le préfet, si le sous- préfet, comme c'est leur devoir, savent choisir leurs délégués et leurs correspondants. Ils en répondent sous leur propre responsabilité, et je me deuiande vainement, à moins que vous n'ayez l'intention de désarmer l'administration centrale, quels autres moyens vous prétendez employer pour lui pro- curer les renseignements qu'il lui importe de connaître. Ah ! vous ne voulez pas, ah ! M. Millerand ne voulait pas — tout à l'heure il l'a dit expressément — qu'on allât au-delà du sous- préfet : mais je lui demande comment il fera que le sous-pré- fet connaisse assez les 20.000. 30.000, 40.000 habitants de son arrondissement pour pouvoir renseigner ses supérieurs. A l'extrême muche. — Et quelquefois les 100.000 habitants. M. LE PRÉsmENT DU CONSEIL. — Parfaitement ! La vérité, messieurs, c'est qu'on redoute la lumière pour les fonctionnaires ou pour les aspirants aux fonctions publi- ques qui nourrissent des sentiments hostiles à la République. {Applaudmements à l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche.) La vérité, c'est que lorsque nous réprouvons un système que nous trouvons répréheusible, lorsque nous vou- lons un système fait de responsabilité et d'honnêteté... {Excla- mations au centre et à droite. — Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche), nous rencontrons devant nous l'objec- tion facile ([ui consiste à dire: « Mais ceux qui vous ren- ia» 458 LA CIUCULAIHK AUX PRÉFETS s(3ij^aent, ces honinies des cuiiiinimes, ce sout des hommes dévorés d'ambilion el d'envie ! » De quel droit leuez-vous un pareil langage, si vous ne les connaissez pas? (Applaudissements à l'extrême gaucfic et à gauche.) De quel droit, après tout, atlriljuez-vous au système ce qui peut être, dans certains cas, la faute des hommes qui le mettent en usage ? Non, ce n'est pas un vain mot que la responsabilité du préfet ou celle du sous-préfet, et, lorsqu'il arrive que par imprudence, par légèreté, pai' manque d'informations suffi- santes, le sous-préfet induit le préfet en erreur ou que celui- ci trompe le ministre, le châtiment est alors facile et il ne se fait pas attendre. Mais la rareté de ces faits vous montre, messieurs, que l'immense majorité de nos administrateurs se conduisentdaus ces questions avec toute la prudence et toute la discrétion désirables. Vous ne pouvez les atteindre que par des accusa- tions en l'air, des suspicions indignes d'un honnête homme, qui ne doit pas attribuer à autrui des sentiments qu'il repousse lui-même. {Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.) Au fond, à quoi tendent toutes ces critiques? Car enfin, il faut bien le dire. M. Ribot me reprochera encore de parler de portefeuille à tout propos. (Exclamations à droite); mon âge et les travaux que j'accomplis depuis deux ans et demi devraient me mettre à l'abri d'un pareil reproche. Non, ce n'est pas mon portefeuille qui me préoccupe ; j'en ferais bon marché. M. LE COMTE DE La Rochethulon. — Yous ue parlez que de cela. SUR LES RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 459 M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je 110 parle que .de cela, dites-vous. Pourquoi donc? Parce que derrière ma personne il y a une p(>lili(|ue .. {Vifs applaudissements à gauche et à f'e.rtrème gauche), et si ma personne disparaît, vous le savez bien, cette politique s'évanouira avec elle. (Nouveaux applau- dissements sur les mêmes bancs. — Mouvements divers.) M. DE l'Estourbeillon. — Alors, vous êtes l'homme indis- pensable? M. LE président du conseil. — Vous imaginez-vous qu'en tenant ce langage, j'aie la fatuité de penser que j'incarne la politique ? Vous nio coruiaissez bien lual ; ce n'est point ma pensée, vous le savez bien : mais le jour où je disparaîtrais dans une de ces coalitions parlementaires, comme il s'en noue depuis un an... (Vifs applaudissements à gauche et à l'extrême gauclie), vous savez ce qui disparaîtrait en même temps ! Voix au centre et à droite. — Les mouchards ! M. LE président du conseil. — Ce qui disparaîtrait en môme temps, c'est la politique que je représente, parce que, eu même temps et par le même fait, disparaîtrait cette majorité républicaine... [Applamlissements à gauche et à Vextrême gauche. — E.vclamations au centre.) Oui, c'est la majorité elle-même qui se trouverait atteinte; car entîn, à moins de violer les règles coustitution- nelles, il faudrait bien appeler au pouvoir les représentants d'une autre politique. Eh bieu ! à ce moment, que devien- dront les groupes de la majorité ? {Rires au centre, à droite et sur divers bancs à gaucfie. — Applaudissements à l'extrême gauclie et à gauche). 400 LA CIHcriAlIiK AUX l'HKKKTS M. LI-: 1)1 (; DE Rouan. — Et les bui'(!aii\ de tabac? et les bous dîners ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — \'ous lie iii'tMiipôcherez pas, messieurs, par vos exclamations et vos rires, qui ont la pré- tention d'être ironiques, de dire ma pensée tout entière. {Parlez ! parlez t) On espère, par une conjonction des centres, arriver à la formation d'une majorité nouvelle. On se berce de cette douce illusion. Eh bien ! soit, messieurs. Quelle sera cette majorité de domain, quand vous aurez mis à l'écart... {Bruit et inter- ,rui)tions). • Au centre el à droite. — Vadecard ! M. LE PRÉSIDENT. — C'cst uii parti pris d'empêcher M. le président du conseil de parler. {Non ! non! au centre et à droite.) Je vous prie encore une fois de garder le silence. M. Gayraud. — M. le président du conseil interpelle le futur ministère. M. LE président du conseil. — Je ne m'adresse pas à la droite. Elle n'a que faire en ce moment dans ce débat. Elle aura tout à l'heure sa pari. {Mouvement.'i divers.) Quand vous aurez exclu de la majorité de demain — et vous le feriez certainement — un ou deux groupes de la gauche de cette Assemblée, vous figurez-vous qut^ les deux ou trois autres groupes resteront indifférents à cette exclu- sion ? Ils ne le peuvent pas, vous ne l'ignorez pas. {Applau- dissements à l'extrême gauche et à oauclie.) Les quatre fractions de Ja majorité se sont unies sur un programme commun et vous savez très bien que, seules, ces quatre fractions peuvent le faire triompher. Si vous en SUR LES RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 461 excluez uue ou deux, où prendrez- vous l'appoint qui vous sera nécessaire ? (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche et à gauche). M. Charles Bos. — Jamais ! M. MiLLERAND. — Vous SRYez bien que non. M. Alexandre ZÉVAÈs. - Tous les scrutins le prouvent. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Et kl droite le sent si bien qu'elle ne vous refuse son vote dans aucune circonstance. Elle a ses raisons pour agir de la sorte. Laissez-moi vous dire que, si elle attache de l'importance à toutes les questions politiques qui se débattent dans cette enceinte, il en est une qui la préoccupe beaucoup plus que les autres, et comme elle voit s'avancer le moment où celte question capitale pour elle viendra eu discussion dans cette Assemblée (Applaudisse- ments n l'extrême gauhe et sur divers bancs à gauche), elle «st d'autaut plus ardente à vous seconder dans toutes les atta- ques que vous dirigez contre le cabinet. Aussi, messieurs, je le répète, s'il in'arrive de faire allusion au pouvoir que j'exerce, ce n'est pas tant à cause du portefeuille que j'ai en mains... (Exclamations à droite et au centre). Non, messieurs ! ce n'est pas tant à cause du pouvoir lui- même — on en est rassasié après deux ans et demi d'un ministère exercé dans les conditions qui me sont faites (Applaudissemenls à l'cctrème gauche et sur divers bancs à gauche) — ce n'est pas à cause du pouvoir lui-même, c'est à cause de l'avenir que vous préparez au parti républicain, à la République elle-même. 11 est de votre intérêt et de votre rôle de couper ce parti en deux. Mais il est de l'intérêt de ce parti et de la République de ne pas se laisser diviser 462 I.A CIRCULAIRE AUX PRÉFETS (Applauflissemenh à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche. — Bruit au centre) ; il est de sou intérêt de persé- vérer dans une union faite de concessions réciproques et sans laquelle il faut dire adieu, sinon pour toujours, du moins pour longtemps, aux réformes démocratiques impatiemment atten- dues par le p^yi^j Exclamations ivnniqnesau centre et à droite. — Applaudis.mnents à Vcxtrème gauche et à gauche.) Je refuse, pour ma part, de prendre au sérieux les attaques dirigées contre une circulaire qui n'a d'autre tort que celui de confirmer une pratique suivie depuis plus de vingt-cinq ans par le parti répul)licain. Non, je neveux pas les prendre au sérieux, parce que vous savez l)ien que le système indiqué par la circulaire esl destiné à mettre Un à un autre système détestable que nous avons bl;\m('!. Celui que nous avons adopté ne jusiilie aucune des objections passionnées et violentes qu'on a dirigées contre lui. Ce que je prends au sérieux, parce que c'est bien là ce qui se dissimule derrière cette discussion, c'est un changement de politique auquel on voudrait vousconduire. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.) Quant à moi, messieurs, qui ai été attaqué avec une passion (lui a dépassé toute mesure [Très bien ! très bien!), j'ai con- liance dans la justice de la Chambre et si, par cas, la justice (le la Chambre me faisait défaut, j'en appellerais à la justice du pays. [Vifs applaudissements à i'e.rlrême gauche et à gauche.) A la suite du (i(^bat, la Chambre repoussa l'ordre du jour pur et simple, par 291 voix contre 280. Elle accorda ensuite la priorité, par 293 voix contre 274, à l'ordre du jour de confiance de M. Bienvenu-Martin. SUR LES RENSEIGNEMENTS POLITIQUES 463 Au moment du vote sur le fond, M. Mulac, député de la Charente, demanda au Gouvernement la condamnation délinitive du système des liches. M. Combes monta à la tribune pour faire une déclaration, qui provoqua une profonde satisfaction à gauche. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je ll'épi'OUVO lli dUliCUlté, ni hésitation à douiier satisfactioii à l'iiouorable M. Mulac. (Interrnptions à droite ri /tu centre. — Mouvements divers.) M. Maurice Binder. — Vous êtes d'accord ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je scrais effectivenieni enchanté d'être d'accord avec M. Mulac : car les seulimenls qu'il a, exprimés soûl ceux qui résultent de mou discours lui-même. J'ai condamné à plusieurs reprises, vous le savez, le système dont M. Mulac vient de parler. M. Maurice Binder. — Ne dites pas cela ! Vous en vivez ! ■ (Bruit à gauctie.) M. LE président du conseil. — Je répète très volontiers au nom de M. le ministre de la guerre, au nom du Gouver- nement tout entier, que nous réprouvons le système des fiches, que nous le condamnons, et que uous le condamnons pour toujours. [Applaudissements à yanctie.) M. Fabien-Cesbron. — C'est une comédie dont nous ne sommes pas dupes. M. Charles Benoist. — (^e n'est pas une comédie, c'est une farce ! {Bruit à gauche.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Il a pli être jout' tout à l'heure une comédie. . . (Très bien ! très bien t à gauche et à l'extrême gauche.) M. Maurice Binder. — C'(ïst vous qui la jouez ! (Bruit.) 464 LA CIRCULAIHE AUX PHKFETS M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'ajoult' qiu' \c Gouver- nemeat, couséquent avec lui-même, eu condaumaut le système des fiches et eu le coudamuaut à jauiais. . . M. LE COMTE DE Lanjuinais. — C'cst lul qui l'a iuveuté ! (Exclamations à l'extrême gaucïie.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... A décidé égaleuieut d'accepter uu article additionuel à la loi de finances déposé par uu membre de cette Assemblée et coudamuaut les notes secrètes. [Vifs, applamlissements à l'extrême gauche et à gauche.) M. Jean Bourrât. — Ou n'applaudit plus à droite. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nou Seulement le Gouver- nement ne fera pas d'opposition à l'acceptation de cet article, mais il le soutiendra. J'espère que ma déclaration donne à M. Mulac la satisfaction qu'il a demandée. {Nouveaux applan- (lissemenfs à rextrème gauche et à gauctie.) L'ordre du jour de M. BienvenuMarlin rénnil, sur le fond, 293 voix contre 265. XXVII LES FAITS DE « DÉLATION » REPROCHÉS A M. LE COMMANDANT PASQUIER (23 DÉCEMBRE I904) La campagne des fiches ne cessait d'amener une série d'inter- pellations à la tribune de la Chambre des députés. Le 23 décem- bre 1904, M. Lannes de Montebello, député progressiste de la Marne, y porta le cas de M. le commandant Pasquier, accusé d'avoir rédigé une flche relative à un officier d'ordonnance de M. le Président de la République. Après une réponse de M. Berteaux, ministre de la guerre, M. Combes dut lui-même intervenir, M. Georges Leygues, ancien ministre du cabinet Waldeck-Rousseau, ayant nié que l'organi- satioa du service spécial de renseignements au ministère de la guerre datât du ministère dont il faisait partie (1). M. EMILE Combes, président du conseil, ministre de l'inté- rieur et des cultes. — Je ue serais pas moulé à la tribuue pour dégager complètement la vérité eu ce qui me coucerne, 1. Journal officiel. Déb. Pari. Chambre 1904. P. 3284. 466 LES FAITS DE « DÉLATION » si jo n'avais h répondre qu'A M. Yazeille. Entre ses affirniatioiis et les miennes la Chambre décidera. {Applaudh- sements n gauche. — E.rclamatinns et rumcura nu rentre et à droite.) M. Vazcilie n'a connu les laits que par les publications de journaux ou les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte; mais un membre de l'ancien cabinet est venu déclarer à cette tribune, de la manière la plus positive, deux choses également inexactes. {Rumeurs au centre.) A Vextrème gauche. ^ Ce n'est pas la première fois. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La première, c'est que l'orga- nisation du système dont il s'agit date du cabinet actuel; la seconde, c'est que le président du conseil a été mis au courant du fonctionnement de ce système. M. Leygues abuse véritablement de la situation faite au président du conseil, qui se trouve dans l'impossibilité maté- rielle de tout 'dire, il le sait... (Exclamation.*; ironiques à droite.) M. Mauiuce Binder. — Ne nous parlez pas de vos scru- pules! [Bruit.) ■ M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL.... et, après avoir prié la Chambre de dégager M. le ministre de la guerre actuel de toute responsabilité, de toute solidarité ministérielle, je n'aurais pour justifier ce que je viens de dire qu'à iuNoquer sou témoignage. M. le ministre de la guerre sait que je ne peux pas tout dire. M. Anthime-Mknard. —C'est trop commode! (Interruptions au centre et à droite.) Au centre. — Alors c'est l'intérêt supérieur. LE COMMANDANT PASOL'IER 467 M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Et, eii parlant de la sorte, je fais seulement allusion aux circonstances ([ui mont permis de connaître ce système. M. DuGLAUX-MoNTEiL. — Dites donc tout ! M. Carnaud. — N'en provoquez pas trop. M. DucLAUX-MoNTEiL. — Cela ne me gène pas. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL . — Je dis Quc cc sjstème date de l'ancien cabinet. J'ai expliqué à la tribune — mais vos souvenirs s'évanouissent bien vite, quand ils viennent contra- rier vos désirs — j'ai expliqué à cette tribune comment, au moment où le général André est devenu ministre de la guerre, il a voulu se renseigner sur la conduite politique et publique de ses otTiciers. Ne possédant pas des moyens d'action et d'in- vestigation sufnsants. il s'était adressé au président du con- seil d'alors qui avait mis à sa disposition les agents de la sûreté générale, les commissaires spéciaux. J'ai raconté en peu de mots comment, par suite d'indiscrétions commises par ces agents, il avait fallu très rapidement renoncer à ce pro- cédé gros d'inconvénients et de périls. C'est alors qu'au minis- tère de la guerre a été instituée l'organisation incriminée; c'est alors que le système qui a été pratiqué depuis lors et que nous n'avons pas hésité à blâmer, a été mis en vigueur. {Bruit au centre et sur divers boncs.) On a cru tout à l'heure, en évoquant un souvenir, appor- ter à cette tribune et devant la Chambre un fait paraissant indiquer que le président du conseil avait été mis au courant de ce système par le chef du cabinet militaire d'alors. Messieurs, la conversation qui s'engagea dans mon cabinet entre le général Percin et moi, et que le général me rappelait 468 LES FAITS DE « DÉLATIO.T » r.'uitie jour, s'csl boriiôe très exactenionl aii\ f;)ils donl jt^ vous ai déjà donné connaissaucp. Le général Fércin — r\ non l'ancien i)i-(''sid(Mil du conseil. comme je l'avais cru un inslanl. car ce souvenir cliiil icsic lies iui|tr('cis dans ma uii'inoirc — le générât Fercin. dis-je, m'avait indi(|ut' rautagunisnn' fxis- laid alors au luiiiistère de la guerre dans la (lirecli(»n i\\\ cabinet au point de \ue des renseignements. Et pouniuoi ne le dirai-je jias :' 11 nra|i|)iil (ju'il .\ axait dans le cabinet une lutte dïntluence entre (|uel(|ues otiiciers. Deux d'entre eux — (|u"il est iiuitile de nonuner — se nioriuaient un peu du fanatisme de deux autres; ils n'étaient pas francs-maçons et ils riaient ensembledu zèle franc-macon- nique que mimtraient les deux autres (tfliciers. Mais, messieuis. lien dans la conversation du général Percin ue m'apprit Texisteuce du système : il me fit seulement connaitre lexisleuce des Jlches sur lesipielles je me suis déjà expliqué, et il me demanda d'intervenir auprès du ministre pour que ses fiches ue fussent pas mêlées aux autres lichesqui portaient les renseignements réguliers. (Moiivemcnh dircrs.) A droite. — Vous demandez l'absolution? M. LE PRESIDENT DU CONSEIL. — Je ue demande l'absolution de personne; je suis à la tribune pour (Mablir la véril(\: j'ai l'habitude de la dire et je la dis. Mais, messieurs, tout ii llieiiic M. Leygues faisait précisé- ment la même distinction. .M. Leygues disait : mais de tout temps on a demandé et reçu des renseignements de sources diverses. Entiv ces demandes de ren.seignements et l'organi- sation d'un système il y a une différence capitale. Cette orga- nisation, je le répète, — me croira qui voudra. — nous ne LE COMMAiNDA.NT PASQUIER 469 l'avons jamais conuue avaut les débats qui se sout engagés dans cette enceinte. M. Adrien Lannes de Montebello. — Et votre conversa- tion avec M. Waldeck-Rousseau ? M. le président du conseil. — Ces débats ont surpris mes collègues comme moi-même. Je ne sais à qui M. Leygues faisait allusion tout à l'heure, quand il disait que le système avait été révélé à un membre du cabinet. Je ne peux parler que pour moi bien entendu. (Exclamations à droite.) Voulez- vous mieux? J'affirme que tous les membres du cabinet ici pré- sents contestent la vérité de l'assertion de M. Leygues. [Bruit.) Je n'ai pas à entrer dans l'examen de la question qui a fait l'objet de l'interpellation. Vous avez entendu M. le ministre de la guerre, je n'ai rien à ajouter à ses déclarations, je suis monté à la tribune pour m'expliquer sur ce point une der- nière fois... [Exclamations au centre et à droite) et rétablir la vérité des faits. Je ne reviendrai plus sur cette question. J'affirme avoir ignoré jusqu'à la séance où M. Guyot de Villeneuve l'a dévoilé le système pratiqué au ministère de la guerre et ce n'est pas parce que j'ai fait l'intérim, un intérim dans mon cabinet, un intérim où je n'ai pas mis les pieds au ministère de la guerre, que j'ai pu apprendre l'organisation de ce système. J'ai donné des signatures, j'ai tâché de les donner à bon escient, et je nai pas fait autre chose. [Applaudissements à gauche et à V extrême gauche.) Par 298 voix contre 259, la Chambre adopta un ordre du jour de MM. Gouzy et Godet « approuvant les déclarations du Gouver- nement ». G. - 14. XXVIII INTERPELLATION LHOPITEAU SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE (l3 ET l4 JANVIER 1905) Dès la rentrée des vacances du 1" de l'an, la Chambre devait procéder à l'élection de son président. M. Henri Brisson, président sortant, semblait ne devoir rencontrer aucun opposant parmi les républicains. Sa haute impartialité et sa ferme conviction républicaine, attestées par de longues années d'inappréciables services, le désignaient sans conteste à la présidence. Une coalition des voix de la droite et du centre, unies à celles des dissidents avoués ou honteux, amena au fauteuil, contre M. Brisson, l'ancien gouverneur général de l'Indo Chine, M. Paul Doumer. M. Combes comprit que les défaillances individuelles, se greffant sur des animosités personnelles, pouvaient compro- mettre le sort des réformes promises par le Gouvernement et attendues avec une légitime impatience par la démocratie. Aussi, l'interpellation sur la politique générale, déposée par M. Lhopiteau, lui servit-elle surtout, en montrant l'œuvre accomplie et celle qui restait à faire, à grouper autour de ce programme de réformes une majorité de gauche, qui rendît possible la constitution d'un ministère nouveau s'appuyanl sur INTERPELLATION LHOPITEAU 471 les mêmes groupes, et capable de réaliser tout au moins la plus capitale des réformes préparées par son Gouvernement : la Séparation des Églises et de l'État (l). M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL, ministre (le l'intérieur et des cultes. — J'épargnerai à la Chambre la fatigue d'un long discours ; son esprit, dans les circonstances présentes, comme le mien d'ailleurs, ne s'en accommoderait guère. Ce n'est même pas un discours que j'apporte à cette tribune, ce sont quelques déclarations assez courtes, qui auront du moins le mérite d'être très nettes. Et d'abord, messieurs, j'écarterai de ce débat de politique générale les questions relatives à ce qu'on appelle la délation. (Exclamations au centre et à droite.) Le Gouvernement s'en est exptiqué plusieurs fois à cette tribune ; il a frappé, vous ne l'ignorez pas, d'une réprobation non douteuse (Exclama- tions sur les mêmes bancs) le système de renseignements inauguré en 1901 au ministère de la guerre. M. Germain Périer. — Mon conducteur des ponts et chaussées, qui envoie des fiches, est toujours à Autun ! (Très bien! très bien! au centre.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL.— lia fait plus que condamner ce système : il a répudié pour jamais les notes secrètes. En réponse à une question qui m'était posée, j'ai dit expressé- ment que ce sont surtout les notes secrètes politiques qui devraient être bannies du dossier des fonctionnaires. Mais, quant aux cas particuliers, le Gouvernement a pensé et il pense toujours qu'il y aurait de l'injustice à ne pas les 1. Journal officiel. Déb. Pari. Chambre 190o. P. 31. 472 INTERPELLATION LHOPITEAU apprécier suivant les couditions particulières à la persouae, au temps et au lieu. N'esl-il pas juste de tenir compte de la bonne foi de ceux qui ont participé à ce système et qui s'y croyaient autorisés? (Exclamations à droite, au centre et sur divers bancs à gauche.) M. Camille Krantz. — Je demande la parole. M. Jules Galot. — Et le général Peigné ? M. LE PRÉSIDENT. — Messlcurs, laissez M. le président du conseil s'expliquer ; il y a des orateurs inscrits pour lui répoudre. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'ai, pour tenir ce langage, une raison de principe que la Chambre doit surtout apprécier. L'organisation du système est un acte ministériel; elle engage par conséquent la responsabilité ministérielle. Celte responsa- bilité a été mise en jeu, vous le savez, messieurs. Par conséquent, on peut dire qu'au point de vue des ordres donnés, des instruclious envoyées, du système prali- qué d'en haut, la responsabilité est entièrement dégagée. (Exclamations ironiques à droite, au centre et sur divei's bancs à gauche.) M. LE GÉNÉRAL Jacquey. — Vous avcz dégagé le général André ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Eu tout cas, je le répète, pour le Gouvernement l'incident est définitivement clos. (Nouvelles exclamations et applaudissements ironiques sur les mêmes bancs. — Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) M. DE L'EsTouRBEiLLON. — Il n'est pas clos pour le pays. M. LE GÉNÉRAL Jacquey. — 11 u"est qu'aiiioicé. SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 473 M. Darblay. — Le pays se soulève contre vous. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Aussi, mcssieurs, je u'ai garde de prendre le change sur l'étalage de vertus qui orne quotidiennement les pages de certains journaux. Tous les jours on lit à travers leurs colonnes des kyrielles de noms de légionnaires appelant les sévérités du conseil de l'ordre de la Légion d'honneur sur les auteurs des fiches. (Interruptions à droite.) M. Darblay. — Ils ont bien raison. M. Plighon. — Ceux-là sont d'honnêtes gens. M. Jules Galot. — Ils ont le courage de leur opinion. M. Meslier. — Et le gendre de M. Eiffel? Et Esterhazy? M. Bepmale. — Et le général Ladoucette? M. LE PRÉSIDENT. — Messicurs, il n'y a qu'une façon d'ex- primer ici son opinion, c'est de la donner à la tribune. Veuil- lez vous abstenir de ces interruptions incessantes. M. le président du CONSEIL. — Quaud on a la curiosité de parcourir ces listes, on trouve à peine quelques noms de répu- blicains plus ou moins modérés qui se sont égarés. . . (Applau- (lisse7nents à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche. — Vives exclamations au centre et à droite). M. Henri Laniel. — Les membres civils du conseil de l'ordre sont-ils des réactionnaires? Et M. Forichon ? Et AI. Lozé? M. Charles Benoist. — M. Lozé est-il réactionnaire ? M. Jules Dansette. — Il y a de vos amis dans ces listes, monsieur le président du conseil. M. le président du conseil. — L'immense majorité des autres noms appartient aux partis de l'opposition. M. Jules Galot. — Naturellement. 474 INTERPELLATION LHOPITEAU M. Kmile ViLLiEHS. — M. Lozé, par exemple. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'6st uii mouvemeiit de réaction nationaliste et cléricale qui se dessine. {Applaudisse- ments à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche. — Rires ironiques au centre et sur divers bancs à gauche.) M. PuGLiESi-CoNTi. — C'est la revanche de l'honnêteté! M. LE PRESIDENT DU CONSEIL. — L'immenso majorité, la presque unanimité de ces noms de légionnaires appartient au parti qui applaudissait l'ancien état-major dénonçant à un mari l'infidélilé de sa femme. (Vifs applaudissements à l'ex- trême gauche et à gauche. — Interruptions à droite. — Bruit) M. DE Baudry d'Asson. — Quel est le nom de cet homme malheureux? (Rires â droite.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Qul douc, alors, parmi ces paladins de vertu, s'est avisé de signaler au conseil de l'ordre cet acte déshonorant ? (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) Ce parti, messieurs, ne l'oubliez pas, est le môme qui pro- diguait ses encouragements à Esterhazy et le couvrait de sa protection. (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs.) M. Lasies. — Esterhazy a été rayé de la Légion d'honneur. (Bruit.) M. Paul Coûtant (Marne).— Vous devriez demander vous- même la radiation de tous les délateurs. M. LE président DU CONSEIL. — Daus les listes qu'on publie tous les jours, on relèverait nombre de noms qui ont déjà flguré sur les listes de la souscription ouverte pour la glori- fication du faussaire Henry. (Vifs applaudissements à gauche et à Vextrème gauche. — Interruptions à droite.) SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 475 Messieurs, il existe, vous le savez tous, à côté des fiches du Graud-Orient, une autre catégorie de fiches, celles qui ont été recueillies par l'ancien bureau des renseignement? de l'armée. M. Jules Auffray. — C'est inexact ! Les fiches auxquelles vous faites allusion sont aussi bien l'œuvre de la sûreté géné- rale que celle du bureau des renseignements, et vous ne pou- vez en ignorer, comme chef du Gouvernement, ni l'objet ni l'utilité. {Bruit à l'extrême gauche et à gauche.) M. Li GSNÉRAL Jagquey. — Moutrez-les. M. LE PRÉSIDENT. — Mcssieurs, s'il y a des affirmations à contester, on ne peut les contester qu'à la tribune seulement. M. Jules Auffray. — Je demande la parole. M. le président du conseil. — Ces fiches ne portent pas seulement sur des hommes politiques ; elles portent sur des femmes. (Exclamations à gauche.) Je n'ai pas demandé à M. le ministre de la guerre de faire justice à cet égard, parce que j'approuve la pensée d'apaisement qui lui dicte sa conduite et ses circulaires. Mais il faudrait pourtant, quand on veut punir ce qu'on appelle la délation, ne pas avoir deux poids et deux mesures. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) Il faudrait surtout — c'est par là que je termine sur ce point — il faudrait surtout qu'une Assemblée parlementaire distinguât entre deux faits essentiellement difTérents, entre le fait de la fiche, pour laquelle, je le répète, la seule responsa- bilité ministérielle était engagée, et le contexte, la teneur de la fiche. (Interruptions à droite.) Mais, messieurs, je l'ai déjà dit à cette tribune... 476 INTERPELLATION LHOPITEAU !\l. Maurice Bixder. — Oiiaud vous aAez été découvert ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'ai blàiîié ce qui devait i^tre l)làmé ; je blâme ce qui doit être blâmé. Mais je ne suis pas de ceux qui ont sur la même question deux, pensées succes- sives et dilTérentes. Cela dit sur ce côté de la question, j'aborde le débat bien plus important {DénéoaUom à droite), bien plus intéressant en réalité, celui de la politique générale. {No)i ! non ! à droite et sur divers bancs an centre). Messieurs, je prends acte des exclamations qui se produi- sent. {Applaudissements à f/auche.) La politique générale importe peu à ces messieurs. {Très bien ! très bien / à gauctie.) M. Charles Benoist. — Vous n'avez jamais su ce que c'était que la politique générale. M. le président du conseil. — Ce qui leur importe... M. Paul Bourgeois (Vendée).— C'est la propreté politique. M. LE président du conseil... c'est de répandre dans l'ar- mée une agitation funeste par des publications quotidiennes. {Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à oauclie. — Exclamations au centre et à droite.) M. le général Jacquey. — Et la lettre du général Peigné? M. le président du conseil... Ce qui leur importe, c'est de semer dans les régiments des causes de discorde. . . M. TouRNADE. — Et Peigné ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL... Ce qul leuu importe, mes- sieurs, c'est de préparer en vue de coups d'État, heureuse- ment problématiques, une armée indisciplinée... {Applau- dissements à Ve.rtréme gauche et sur plusieurs bancs à gauche.) M. Prache. — Vous avez décoré Bouffaudeau. SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 477 M. Lamendln. — Ce qui leur importe surtout, c'est d'empê- cher le vote des lois ouvrières. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Notre poHtique générale est aujourd'hui ce qu'elle était hier, ce qu'elle était il y a deux ans et demi, une lutte, je ne crains pas de le dire, ardente et soutenue contre le cléricalisme... M. DE Baudry d'Asson. — Yoilà la diversion. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL... UUC pOUrSUltC UOU mOlUS ardente et non moins .soutenue, quoi qu'on en ait dit, des réformes démocratiques et sociales. (Interruptions à droite.— Applaudissements à gaucfie et à l'extrême gauche). M. Lamendin. — C'est la vérité. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nous uous cxpliqucrons tout à l'heure d'une façon plus détaillée. M. Lhopiteau a rappelé hier à cette tribune la déclaration ministérielle du 8 juin 1902, qui présentait à la Chambre le programme du Gouvernement. Ce programme comprenait cinq points principaux. En première ligne et comme une mesure immédiate, l'application aux congrégations religieu- ses de la loi des associations. . . M. Laurent Bougère. — Et Lourdes? Et la Salette? M. le président du conseil... concurremment l'abrogation de ce modèle de fausse liberté qu'on appelle la loi Falloux. . . M. d'Iriart d'Etchepare. — Il faudrait alors faire voter cette abrogation par le Sénat ! M. le président du conseil. . . l'impôt général sur le revenu la réduction du service militaire à deux ans et l'établissement des retraites ouvrières que le Gouvernement, suivant sa promesse, s'engageait à étudier. 478 INTERPELLATION LHOPITEAU M. Dauzox. — El le rachat du Midi et de l'Ouest ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Saus perdFB uu soul jour, le Gouvernement s'est mis à l'œuvre pour réaliser ce pro- gramme. Il a entrepris tout d'abord l'application de la loi des associations. Vous vous rappelez, messieurs, qu'il s'est trouvé immédia- tement en présence d'une difficulté des plus graves. Le règle- ment d'administration publi(|ne fait en vertu des prescriptions de la loi et en vue de son application, était conçu de telle façon qu'il la rendait illusoire et pour ainsi dire inapplicable. Il obligeait le Gouvernement à aller devant les deux Chambres pour refuser l'autorisation à des congrégations qui, d'après le texte même de la loi, devaient, pour vivre, l'avoir obtenue. C'était la contradiction la plus grossière; le Conseil d'État en a été si bien frappé que, sans la moindre hésitation, il a fait droit à la demande du Gouvernement, en réformant cette partie du règlement d'administration publique de manière à le rendre conforme à la législation, à la Constitution et à la nécessité des choses. Une fois en possession de l'instrument, nous nous en sommes servi suivant la volonté du législateur. Il a été dit à une certaine époque que la loi des associations devait être une loi de contrôle pour l'état civil des congréga- tions. Je ne crains pas de le dire : jamais la Chambre, jamais le Sénat — et je peux parler au nom de cette Assemblée, car j'étais président de la commission chargée d'étudier cette loi — jamais la Chambre, jamais le Sénat n'auraient voté une loi destinée ^ait en propres termes — vous pouvez vous reporter à la citation que j'en ai faite à la tribune du Sénat : « Grâce à cet enseignement, nous nous sommes rendus maîtres des administrations publiques », et il citait l'armée, la marine, la magistrature... M. Lamendin. — 11 disait la vérité malheureusement ! M. LE président du conseil. — ... et ses auditeurs l'applau- dissaient avec transport. Messieurs, j'insiste sur ces faits particuliers, alin de vous montrer à quel danger terrible la République a échappé, grâce à la collaboration du Gouvernement et des Chambres — au prix de quelles peines morales et physiques, vous le savez aussi. Vous avez présent à la mémoire le torrent d'injures SUR LA POLITIQUK GÉXÉKALE 487 immondes, de calomnies grossières (Vifs applandissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche] qui ont passé sur mes cheveux blancs depuis deux ans et demi ! {Nouveaux applaudissements à Vextrème gauche et sur divers bancs à gauche.) Ces injures, ces calomnies, je les prévoyais par avance: je m'en étais expliqué avec mes amis, je les ai accep- tées. Un jour, à cette tribune, M. de Mun qui ma pris à partie de la façon la plus violente, d'une façon que je n'attendais pas de son caractère, me prédisait que mon nom resterait dans l'histoire sous le poids des accusations dont il m'acca- blait. Je lui ai répondu : « Vous ne me surprenez pas, je l'ai prévu, je lai accepté, j'ai servi modestement la République à un poste où l'on m'a appelé malgré moi... » {Exclamations à droite. — Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) M. LE COMTE DE La Roghethulon. — Mais vous n'y restez pas malgré vous. M. CuNÉo d'Ornano. — Conmie au conseil d'administration des chemins de fer de l'État. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Oul, malgré moi — ce n'est un secret pour personne sinon peut-être pour vous seuls — malgré moi, je le répète, malgré moi qui aurais voulu servir à un rang inférieur. Mais quand j'ai eu pris ma résolution, je me suis soumis d'avance à toutes ses conséquences, et si vous me permettez de redire encore ce que j'ai dit un jour à cette tribune, je me suis inspiré à ce moment-là du souvenir et de la parole d'un républicain illustre, de ce fameux conventionnel qui disait, dans les circonstances tragiques que traversait alors la patrie : « Périsse ma mémoire pourvu 488 INTERPELLATION LIlOl'ITEAU que la République \ive ! » [Vif.'i applaudisseincnb a l'extrènte yuiiche et sur plusieurs bancs à gauche.) Eh bien ! messieurs, c'est pour la Republique {Interruptions sur divers bancs) que j'ai accepté voloutairemeut, de cœur, les épreuves douloureuses par lesquelles je suis passé ; c'est pour elle que j'ai souffert, que j'ai supporté vos injures, que je supporte ce que vous appelez vos tlétrissures.. . M. Jules Coûtant (Seine). — Vous êtes un honnête homme. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Et je suis fier du service que je lui ai rendu, quelque destinée d'ailleurs que l'histoire réserve à mou nom et à ma mémoire. (Noureaux applaudis- sements à l'extrême y auche et sur plusieurs bancs à gauche.— Interruptions à droite.) Messieurs, je disais tout à l'heure qu'après l'exécution de la première partie de son programme qui visait les congré- gations non autorisées, le Gouvernement, poussant plus loin son œuvre, avait pris à partie les congrégations autorisées. Je vous ai donné le chiffre... Au centre. — Nous le savons. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Le Chiffre de celles que, par un projet de loi, nous vous proposions de supprimer, nne congrégation d'hommes, la plus menaçante d'ailleurs, parce qu'elle pesait sur l'àme de notre jeunesse populaire, les frères de la doctrine chrétienne... [Humeurs à droite. ^ Applaudissements à l'extrême gauche.) M. Fernand DE Ramel. — Le rappoi'teur en a fait l'éloge à la tribune. Mettez-vous d'accord avec vous-mêmes. M. LE comte ue Pomereu. — N'insultez pas vos victimes 1 SLU LA POLITIQUE GÉNÉRALE 489 M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Et 384 congrégatioDs de femmes. M. LE GÉNÉRAL Jacquey. — Joli triomphe I M. LE COMTE de La Rochethulon. — Belle charrette ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Cb u'est pas saiis peine que nous sommes arrivés à voter cette loi. Vous avez présente à l'esprit l'obstruction systématique de la part de la droite nationaliste et cléricale. A chaque instant la marche de la discussion se trouvait arrêtée. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.) A droite. — Alors nous n'avons plus le droit de discuter ? M. LE président du CONSEIL. — Mais il est une particularité que vous avez peut-être oubliée. 11 est de mon devoir de la rappeler, puisque je suis à la tribune pour tout dire. Oui, au milieu de ces discussions âpres, qui ont commencé le 28 février pour se terminer le 23 mars, alors que la majorité républicaine de cette Assemblée avait toutes les peines du monde à obtenir qu'on voulût bien terminer certain débat pour voter successivement les articles, alors que nous avancions, lentement, avec tant de peine vers le terme de la loi, il s'est trouvé un républicain dissident (Ah t Ah! au centre et à droite) qui a compris, qui a senti que nous viendrons trop facilement à bout de l'obstruction ; alors, pendant un pointage que le parti républicain attendait avec inquiétude, brusquement, à cinq heures du soir, nous avons été saisis d'une demande d'interpellation. Et savez-vous ce qu'on me reprochait ? On me reprochait l'ardeur trop grande que j'apportais à défendre la République contre le cléricalisme ; on me reprochait de concentrer tous 490 IMERPELLATION MIOPITEAU mes efforts contre ce danger si re(lontal)li' pour notre pays. Ou prétendait qu'il était de l'intérêt de la République d'adou- cir la lutte que nous livrions et de faire porter nos efforts innnédiatement, sans plus tarder, sur les réformes écono- miques. Messieurs, je n'ai jamais mis en doute les sentiments répu- blicains de personne, quoi qu'on ait pu dire hier à cette tri- bune. On m'a dit que j'accablais les dissidents. I/expression a sans doute dépassé la pensée de M. Lhopiteau ; en tout cas elle n'est en rapport ni avec ce que j'ai dit, ni avec ce que j'ai fait. Je me suis plaint des dissidents; j'ai regretté, j'ai blâmé ce que j'ai appelé des défections [Applaudissemeiits à l'e.r- tvème gauche), mais je n'ai jamais prétendu, comme on me l'a fait dire, excommunier personne. (Exclnmatio)is et rires au centre et à droite). M. LE GÉNÉRAL Jacquey. — Vous u'ôtcs pas Ic papc ! M. Vazeille. — C'est un cas d'amnésie. M. TouRNADE. — Vous aimiez mieux les faire moucharder. M. le président nu conseil. — Je n'ai jamais prétendu retirer à qui que ce soit le droit de me juger, de me critiquer, de me blâmer. Je me suis plaint de l'inopportunité de ces attaques, qui semblaient faire de quelques membres de cette partie de l'Assemblée {la aauche).. . M. Vazeille. — Qui semblaient seulement. M. LE président du conseil... les collaborateurs et les auxiliaires de l'opposition. {Applaudissements à l'extrême yauclie et sur plusieurs bancs à gauche.) SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 491 M. AsTiER. — Je (leiiiaudc l;i parole. {Mouvements divers.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J 'admets que rinterpellateur de l'époque ait été poussé par un motif essentiellemeut digne, essentiellement noble. De bonne foi, je le répète, quel eût été le résultat de l'interpellation, si elle avait tourné contre le cabinet? Cest qu'actuellement le projet de loi n'aurait pas abouti. [Applaudissements n l'extrême Qrniclie. — Exclama- tions sur divers bancs.) M. Klotz. — Pourquoi n'avez-vous pas pris un décret? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — 11 Serait naïf de croire et ridicule de dire qu'au lendemain d'un vote où la majorité aurait été formée par tout le centre, toute la droite et vingt républicains dissidents, ces derniers auraient été libres de fausser compagnie à leurs auxiliaires de droite et de reprendre un projet de loi qui formait pour celle-ci l'objet d'une épouvante légitime, puisqu'il tuait l'enseignement con- gréganiste. {Exclamations au centre et à droite.) Si je me suis plaint, messieurs, c'est parce qu'on mettait en danger l'œuvre que nous avons entreprise, parce qu'on la rendait impossible; et puisque j'en suis là, je dois ajouter que j'aurais voulu que le silence se lit sur nos divisions. J'aurais voulu surtout... M. Lhopiteau. — Il fallait commencer. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. . . que de ce côté-là {la gauclie) on ne parlât de nos dissentiments qu'avec la réserve s'impo- sant à des républicains ; j 'aurais voulu qu'on s'épargnât et qu'on m'épargnât — bien qu'après tout je n'en aie cure — les expressions empruntées aux journaux les plus violents et par lesquelles l'interpellateur de l'époque me parlait naguère 492 IMEIU'ELLATION LHOPITEAU encore de ki iloniiualiou abjecte que je veux faire peser sur le pays. (ApphdKU^sements à rextrème gauche et sur plusieurs bancs à gauche. — Applaudissements ironiques au centre et à droite.) M. Paul Coûtant (Marne). — El Clemenceau ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — .1 al souri PII entendant ce langage, parce que ce terme de « domination abjecte » qui m'était appliqu(^ me rappelait un mol bien plus expressif, que l'un des organes les plus accrédités du parti modéré avait adressé à M. Millerand et à ses collaborateurs d'alors et que M. Waldeck-Rousseau nous faisait connaître dans une interpellation au Sénat. En réponse à la «domination abjecte» qui m'était reprochée, j'aurais pu, me levant de mou banc, rappeler à M. Millerand « qu'il avait conduit, plongé la France dans un bourbier infect ». [Exclamations et rires au centre.) M. Plighon. — C'est M. de Pressensé qui a dit cela. (Rires au centre.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — El pulsqull attache tant de prix au jugement de ses amis du centre, il me permettra de lui faire connaître ici comment le rédacteur en chef d'un journal appartenant à un des hommes autorisés de ce parti au Sénat, M. Lavertujon, parlait de M. Waldeck-Rousseau et de son ministère dans l'interpellation à laquelle je fais allusion. « Le Petit Centre, disait M. Waldeck-Rousseau, est un journal républicain modéré. Pour s'en convaincre, il suflit de lire la manchette. .. » (Bruit à droite.) A gauche. — Parlez-nous des réformes que vous aviez promises ! SUR LA POLITIQUE CÉNÛKALE 493 M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je Fepreud ma lecture : « Le Petit Centre, disait M. Waldeck-Rousseau, est uu journal républicain modéré ; pour s'en convaincre, il suffit de liie la niaucliette : « Préfets mouchards » ou encore le début du leuUiug article : H Dans quelle bourbier infect le ministère actuel a-t-il plongv la Republique ?. . . » M. Lamendin. — Fort heureusement ce journal est modéré. Qu'eùt-il dit sans cela ? 31. Gayraud. — « Domination abjecte » et « bourbier infect » se valent ! M. LE président du conseil, — M. Gayraud vous dit que « domination abjecte » et « bourbier infect » se valent. M. Gayraud. — Oui, parfaitement l M. LE président du conseil. — Eh bien, messieurs, n'en parlons plus ! (Rires au centre. — Applaudissements à gauclie et à l'extrême gauche.) M. Paul Coûtant (Marne). — Lisez les articles de M. Cle- menceau. M. LE président du conseil. — Malgré tout, malgré cette intervention inattendue qui s'est produite à une heure déci- sive, la majorité républicaine a vaincu. Elle a voté la loi, elle a sauvegardé l'avenir de la République, elle a arraché à la congrégation la jeunesse française. {Applaudissements à l'ex- trême gauche et sur plusieurs bancs à gaucfie. — Exclama- tions au centre.) M. Lamendin. — Les congréganistes enseignent que Jonas a été dans le ventre d'une baleine et que Josué a arrêté le soleil. [Interruptions et rires à droite.) H- 494 INTERPELLATION LHOI'ITEAU M. LE BARON Amédée Reille. — Mais le soleil ne marche pas ! (Nouveaux rires M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Il Bst de mode parmi les répuolicains dissidents de dénigrer cette œuvre sous prétexte qu'elle est incomplète, et cela parce que ces religieux et ces religieuses se disant sécularisés s'installent dans de nouvelles écoles. {Bruit à droite.) Je pourrais dire à la décharge du Gouvernement qu'il n'a jamais manqué de déférer aux tri- bunaux les délinquants. Les tribunaux ont été plus ou moins désarmés, parce qu'une loi que la Chambre avait votée n'a pas pu rencontrer dans la commission du Sénat une majorité pour la proposer à cette Assemblée. Néanmoins, si vous voulez bien vous rappeler et l'exposé des motifs et le dispo- sitif de la loi, vous pouvez voir qu'elle n'avait été proposée que comme un en-cas. Dans la pensée de ceux qui l'avaient présentée, elle n'était pas absolument nécessaire, parce que la loi du i" juillet 1901 interdisait dans un de ses articles les plus formels le réta- blissement déguisé d'un établissement congréganiste fermé. Messieurs, si nous sommes devant vous responsables de nos actes, nous ne pouvons l'être des actes de nos tribunaux. Mais, encore une fois, nous pouvons avoir quelque patience. Ce n'est rien en apparence; c'est tout, en réalité, d'avoir tari la source du recrutement congréganiste. [Applaudisse- ments à l'extrême gauche et â gauche.) Les établissements libres dirigés par d'anciens religieux ou d'anciennes religieuses ne tarderont pas à péricliter ; ils périclitent déjà. Les généreux protecteurs qui les soutiennent contemplent avec une terreur visible l'avenir préparé à leurs SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 493 bourses et ces bourses se resserrent. {Applnndmements sur les mêmes bancs.) M. LE COMTE DE LA ROCHETHULON. — IlS H'OUt paS leS fOlldS secrets. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Et. tous les luois, de nou- velles écoles se vident, parce que ceux qui les soutiennent ne veulent plus, ou ne peuvent plus, continuer leurs subventions. Donc, messieurs, un peu de patience; une année, deux années peut-être et nous aurons la satisfaction de constater que sur ce sol de France où circule dans tous les sens un souffle de Révolution [Applaudissements à l'extrême gauche), un souffle inspiré par les principes de 1789... {Exclamations au centre et à droite. — Applaudissements à l'extrême gauctie et à gauche.) M. Lamendin. — Vous reniez votre histoire de France? M. LE PRÉSIDENT. — Mcssieurs, toutes ces interruptions gênent M. le président du conseil. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... il n'y aura bientôt plus aucune place pour un autre enseignement que pour il'ensei- gnement laïque et national. [Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche. — Bruit à droite.) 31. Lhopiteau qui, à cette tribune, a passé au crible de la critique tous les actes du Gouvernement, m'a accusé hier d'avoir désagrégé la majorité. 11 oubliait, sans doute, la cir- constance que je signale, car c'est bien alors lui-même et ses amis qui se sont séparés de la majorité. Un tnembre à gauche. — Ce n'est pas exact I M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — 11 a prélcudu quc cette désagrégation venait d'une ab.^ence de méthode de la part du 496 INTERPELLATION LHOPITEAU président du conseil, d'un manque de direction. Il s'est même étonné que cette absence de méthode, ce manque de direc- tion, n'aient pas amené encore plus de défaillances. J'ai voulu comprendre et j'ai recherché avec la plus grande attention la pensée de M. Lhopiteau ; j'avoue que je ne suis pas parvenu à la saisir ou. plutôt, je crois avoir compris qu'il me reprochait d'avoir inauguré, en prenant le pouvoir, un système particulier de gouvernement. M. Lhopiteau m'a dit : « Votre devoir, c'est de diriger les groupes, ce n'est pas de les suivre. » D'autres avant lui m'avaient accusé d'opprimer les groupes, de trop les dominer, de trop leur imposer ma volonté. La vérité, messieurs, c'est qu'en effet la méthode gouverne- mentale que je pratique est fondée sur la collaboration intime des groupes. Elle suppose une entente préalable entre le Gouvernemeul qui propose et les groupes qui acceptent ; elle suppose une comnuniauté de sentiments et de vues qui rend après tout fort indifférente la question de savoir si l'idée vient du Gouvernement ou si elle vient de la majorité. (Applaudisse- ments à l'extrême gauche et mr divers bancs à ganctie. — Exclamations au centre.) Cette méthode était indispensable à un gouvernement placé en face des problèmes les plus difficiles à résoudre. Pour mener ;ï bon terme chacun des points de notre programme, il fallait que, par des conversations régulières avec les groupes, avec les dt'légués des groupes. . [Exclamations à droite et au centre.) Oui, messieurs, il fallait que, par des conversations régu- lières avec les délégués des groupes, je pusse obtenir de chacuu d'eux les concessions qui m'étaient indispensables pour pré- SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 497 senter des projets viables. (Très bien! très bien l à l'extrême gauche.) Il était nécessaire, par exemple, que le groupe le plus modéré de la majorité républicaine entrât en contact avec le groupe le plus avancé pour hii faire connaître jusqu'où il pouvait aller dans telle ou telle voie. 11 était indispensable dès lors que le Gouvernement, au lieu de se placer dans une sphère supérieure à tous les conseils, descendît au contraire dans ces régions plus humbles (Applaiidissemeuts à l'extrême (jauché. —Mouvements divers) de la pratique parlementaire où rien n'est efJîcace sans le concours assuré d'une majorité. Voilà pourquoi, messieurs, les projets que j'ai soumis à la Chambre ne sont pas marqués au coin de principes absolus. {Exclamations au centre et à droite.) Ils sont empreints d'une modération relative (Interrnntiom .s//r les mêmes bancs) qui les prédispose à la critique. Oh! il est facile de critiquer. Les républicains dissidents ne s'en privent guère. Il est facile, dans son cabinet, d'ima- giner un projet de loi complet, parfait, forgé de toutes pièces. Il est moins facile de le présenter avec quelques chances de succès à une assemblée parlementaire. {Très bien ! très bien ! à gaucfie et à Vextrème gauclie.) Parmi les républicains dissidents, ceux qui pratiquent journellement dans leurs journaux ou à cette tribune la surenchère sur les projets du Gouvernement se donnent un rôle bien commode, ils se dessinent aux yeux de l'opinion publique. Mais si le Gouvernement était assez faible pour se laisser entraîner par leurs critiques, il se condanmerait, vous le savez bien, à l'impuissance la plus absolue. 498 INTERPELLATION LHOPITEAU A droite. — C'est ce qui existe. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Son devoir est bien moins de poser des principes absolus que de son^rer ;i la réalisation de ses projets. Et ce devoir a toujours guidé le Gouvernement actni'l. l()rs([ue, préparant les réformes qui font rol)jel de son programme, il présentait des projets de Itii (lueii son àmccl conscience il croyait susceptibles d'être votés par cett(ï Assem- blée. (Applaudissements à ganclie et à l'extrême gauche.) Est-il vrai, messieurs, que les réformes comprises dans notre déclaration ministérielle aient pt'riclité depuis lors ? On nous l'a reproché. Ce reproche est-il fondé ? Une de ces réformes, de nature à la fois politique et reli- gieuse, je vous l'ai dit, était la dispersion des congrégations et la suppression de l'enseignement congréganiste. M. Fernand de Ramel. — Ah 1 vous avez l'art d'accommo- der les restes. M. le président du CONSEIL.— A l'heure actuelle, la réforme est réalisée. Ce n'est pas par la faute du Gouvernement, c'est par suite d'une nécessité financière exposée à cette tribune par nu membre de cette Assemblée que la Chambre a concédé au Gouvernement, qui ne le demandait pas, un délai maxi- mum de dix ans pour fermer tous les établissements. M. Joseph Caillaux. — Vous ne le demandiez pas, mais vous l'avez accepté. (Mouvements divers.) M. le président du conseil. — Ce n'est pas la faute non plus du Gouvernement si les congrégations hospitalières vivent encore. M. Fabien-Cesbron. — Nous savons ce dont vous êtes capable. SUU LA POLITIQUE (JÉNÉRALE 499 M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — M. Lhopiteau m'a para très disposé à voter loiir suppression immédiate. . . M. Gustave Lhopiteau. — Non ; j'ai dit : quand on pour- rait les remplacer ; et je vous ai invité à préparer leur rem- placement. {Interruptions ri l'extrême go nette.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — II a ajouté — c'est essentiel — qu'il blâmait le Gouvernement de n'avoir pas institué dans les hôpitaux des écoles d'inlirmiers et d'inlirmières. Mon- sieur Lhopiteau, avant d'apporter ces critiques, vous auriez dû vous informer et vous auriez appris au ministère de l'inté- lieur qu'il n'y a pas un seul département, pas un seul hôpital où le préfet n'ait été mis eu demeure, depuis plus d'un an, d'amener la commission de l'hospice à établir une école d'in- firmiers ou d'infirmières. (Applaudissements à gauclie.) M. LE COMTE DE La Rochethulon. — Combien y a-t-il d'élèves ? M. Devèze. — Quand on laïcise les hôpitaux, ou trouve des infirmiers et des infirmières. M. LE président du conseil. — Nous comptions si bien nous procurer le personnel indispensable que des écoles fonc- tionnent dans un très grand nombre d'hôpitaux et que nous avons préparé au ministère de l'intérieur un projet de loi portant suppression, dans un délai de cinq ans, des établisse- ments hospitaliers congréganistes : le projet n'attend plus que la signature du ministre des finances. {Exclamations au centre et à droite.) M. LE GÉNÉRAL Jacquey. — 11 HP la douuera pas. M. LE président du conseil. — Vous dites que le ministre des finances ne donnera pas sa signature. Vous avez raison, oOO INTERPELLATION LHOPITEAU si vous enlendez par là. impliciteuieiil, qu'avant de présenter un projet de ce genre, il l'aut s'assurer des ressources sulïl- santes pour le mettre en œuvre. M. Dauzon. — On ne l'a pas fait pour l'assistance aux vieil- lards. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — l)u icsti' conime l'indiquait tout à riieure M. Lhopiteau, ce n'est pas immédiatement, c'est quand on pourra la faire, qu'il proposera la suppression des établissements congrégauistes hospitaliers. A ce moment là, j'espère qu'il se trouvera dans cette Assemblée une majorité républicaine assez forte pour adopter le projet. (Très bien .' très bien ! à gauche et à l'extrême gauche.) Mais, messieurs, c'est affaire d'avenir et je reviens au présent. J'ai dit que l'étude des réformes comprises dans la déclara- tion ministérielle n'avait pas cessé un seul jour. Depuis l'épo- que où nous avons pris le pouvoir, le Sénat d'abord, la Chambre ensuite ont adopté la loi militaire. 11 est très fâcheux que l'accord n'ait pu se faire immédia- tement entre les deux Assemblées ; ce n'est pas au Gouverne- ment qu'il faut imputer la cause du désaccord. Franchement, j'ai trouvé que M. Lhopiteau abusait trop hier des effets de tribune quand il reprochait au président du conseil de n'avoir pas posé la question de confiance sur un certain article du projet de loi. M. le ministre de la guerre n'a pourtant pas hésité à mettre son portefeuille en jeu. . . MM. Dauzon et Klotz, ironiquement. — Pour le port du sabre ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL... daus uuc circonstance et à SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 301 l'occasion d'un article qui éveillait de nombreuses suscepti- bilités du côté gauche de l'Assemblée. M. Maurice Blnder. — Passons aux congrégations 1 Parlez- nous un peu des congrégations ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Daus uu discours qu'on a qualiliéde sensationnel, le discours d'Auxerre, j'avais annoncé que, dès la réunion de la Chambre, nous la saisirions du projet d'impôt sur le revenu. Pour lui fournir la possibilité de le discuter avant d'aborder le budget, nous avions avancé, contrairement à tous les précédents, la rentrée d octobre. Si je me reporte aux trois années qui ont précédé le ministère actuel, je constate que les Chambres ont été convo- quées par M. Waldeck-Rousseau, en 1899, le i4 novembre; en 1900, le 6 novembre; en 1901, le 22 octobre. En convoquant les Chambres le 18 octobre, j'étais donc fort en avance sur les dates que je viens d'indiquer. M. Vazeille. — Vous choisissez des dates exceptionnelles. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous savcz, messleurs, quelle cause fortuite — la maladie de M. le ministre des finances — a empêché qu'on abordât, en temps voulu, la discussion de l'impôt sur le revenu... A l'extrême gauche. — Reposez-vous. M. LE PRÉSIDENT. — M. Ic président du conseil, cà qui j'ai déjà posé la question deux fois, m'a dit qu il préférait conti- nuer. Je vous prie de l'écouter en silence et de lui permettre d'achever son discours sans l'interrompre. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — La dis<;ussion du budget n'a pu commencer que le 14 novembre. On a cm devoir la faire précéder de la discussion de trois projets de loi : le projet de 502 INTERPELLATION LHOPITEAU loi organisant le ivgime du gaz à Paris, le projet de lui sur la liberté et la sincérité du vote, et le projet de loi portant ratitîcaliou de l'accord franco-anglais. Et personu(^ na pro- testé contre la mise à l'ordre du jour de ces trois projets. C'est le 14 novembre seulement que la Chambre a été en mesure d'ouvrir la discussion du budget. Entre cette date et la fin de l'année, pouvait-on légitimement se tlatter que le budget pourrait être voté par les deux Chambres? C'eût été un leurre. 11 (Hait impossible d'aijoutir à la Chambre des députés du 14 novembre au 10 ou 12 décembre, date fatale à laquelle il eut fallu envoyer le projet au Sénat, pour cpie cette Assemblée pût le discuter eu temps utile. Jamais on ne le fera croire à personne. Par là, messieurs, tombe la critique de ceux qui nous reprochent d avoir mené de front pendant quelque temps la discussion de 1 impôt sur le revenu et la discussion du budget. Nous ne pouvions pas, je ne pouvais pas moi-même hon- nêtement me dérober à une discussion que j'avais prévue et annoncée pour la rentrée d'octobre. La Chambre, d'ailleurs, était libre de trancher la question; à une immense majorité elle a décidé de conduire parallèlement, pendant quelque temps au moins, la discussion générale du projet d'impôt sur le revenu et le vote du budget. M. Vazeille. — Sur votre demande et sur votre accep- tation. M. LE PRÉsroENT DU CONSEIL. — Je uc pouv;iis pas refuser, je le répète, mon assentiment à ceux qui me rappelaient mes paroles et mes promesses; mais j'ajoute que jamais l'accepta- tion du Gouvernement na lié la Chandjre. Et non seulement SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE o03 la majoriu:- républicaine, mais nombre de membres apparte- uaut à d'autres fractions de cette Assemblée ont adopté la proposition de M. Magniaudé. M. Gauthier (de Claguy). — Pour qu'on ne se moque pas de nous plus longtemps. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Pourquoi fais-je cette constatation, messieurs? C'est uniquement pour me laver d'un reproche qui m'a été pénible, parce qu'il me venait d'un ami du- cabinet, et même d'uu ami personnel, le rapporteur général de la commission du budget, qui m'a fait grief d'avoir empêché le vote du budget entre le 14 novembre et le 10 ou le 12 décembre, eu acceptant qu'on discutât aussi, pendant deux jours de la semaine, l'impôt sur le revenu. M. Eugène Reveillaud. — Et en tenant des séances supplémentaires. M. le président du conseil. — A ce reproche, on en a joint un autre, qui n'est, en réalité, que la conséquence du premier; j'avais rendu, disait-on, les douzièmes provisoires nécessaires. Ce n'est pas moi qui les ai rendus nécessaires, c'est la fatalité des circonstances, comme je viens de vous l'expliquer. (Interruptions à droite.) Les républicains dissidents n'ont pas été aussi sévères sur cette même question à l'égard du ministère de M. Waldeck- Rousseau. M. Astier. — Nous n'étions pas dissidents. (Interruptions d l'extrême gauche.) C'était le ministre actuel de la marine qui était dissident. i)04 INTEUPELLATION LHOPITEAU M. LE PRÉSIDENT. — MessleuFs, VOUS VOUS êtes implicite- meut engagés tout à l'heure à faciliter la tin du discours de M. le président du conseil ; n'interrompez plus, je vous prie. -M. LE PRESIDENT DU CONSEIL. — Savoz-vous. uiessleurs, A quoi s'est condamné le ministère précédent en retardant jusqu'aux dates que je viens de vous indiquer la convocation des Chambres ? Il s'est condamné à demander à la Chambre pour le budget de 1900 quatre douzièmes provisoires, car le budget n'a été voté que le 14 avril. Pour le budget de 1901, il a demandé deux douzièmes provisoires, le budget n'ayant été voté que le 26 février, et pour le budget de 1902 vous avez été contraints de voter trois douzièmes provisoires ; car c'est seulement le 30 mars 1902 qu.' le budget a été voté. Ce n'est pas une critique que j'élève contre le ministère qui m'a précédé. .. M. Joseph Caillaux. — Oui, monsieur le président du conseil... (Intenuptions et bndt à l'extrême gauche.) M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Mousleur Caillaux, ce n'est pas une critique que j'élève contre le ministère dont vous ftiisiez partie. M. Joseph Caillaux. — Je ne veux répondre qu'un seul mot. (Bruit â l'extrême gauche.) En effet il y a eu des douzièmes provisoires pendant les trois années où m'a été confié le portefeuille des finances, mais il y a eu trois grandes réformes d'accomplies; j'attends encore les vôtres. {Applaudissements au centre.) M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je ii'ai pas parlé tout à SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 305 l'heure d'une cause de retard que vous connaissez bien cependant, c'est l'obstruction faite par une série d'interpel- lations, de projets de résolution et de motions d'ordre joints à la discussion du budget. {Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) M. Lhopiteau, qui a fait à cette tribune le décompte des séances tenues depuis le 18 octobre jusqu'à la fin de décembre, a travaillé, paraît-il, sur un article de journal. Il aurait eu des renseignements plus précis, s'il avait consulté le Journal officiel lui-même. M. Gustave Lhopiteau. — C'est ce que j'ai fait. M. LE président du conseil. — Eh bien, nous serons d'accord. Mais les chiffres donnés hier ne sont pas exacts. Cinquante séances ont été tenues depuis le 18 octobre, sans compter les séauces du matin affectées à des objets particuliers. La discussion sur le gaz à Paris a • occupé trois séances ; la liberté et le secret du vote, une séance. . . M. Gauthier (de Clagny). — Mettez un taxamétre à J;i Chambre. M. LE président du conseil. . . . Faccord franco-anglais, cinq séauces ; le budget n'a eu pour lui que quinze séances complètes. Les interpellations en ont complètement absorbé douze, et dans neuf autres, une partie, quelquefois la plus forte, de la séance qui devait appartenir au budget, a été prise ou par des fixations d'interpellations dont on s'est servi pour développer l'interpellation elle-même (Applaudissements à l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche), ou par des interpellations déguisées sous forme de réductions de crédits à des chapitres du budget. 15. 506 INTEHPELLATIUN LHOPITKAI Voilà le bilan de nos Iruvaux. Je deinaude à tout iiouiine de buuue foi si l'ou peut de ce chef iiicrimiiitîr le Gouveiue- ment i (Applandmements à l'extrême gauche et à yauche.) Messieurs, celle perle de temps est-elle doue irréparable ? Ne pouvous-uous pas réaliser daus le cours de la sessiou 1905 ces réformes attendues par M. le ministre des finances de Tancien cabinet ? Je vous les ai énumérées : c'est d'abord le vote du budget, l'impôt sur le revenu, la réduction du service militaire... M. Maurice Blnder. — La protection de la délation. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL Ics retraites ouvrières. Mais à ces réformes primitives est venue s'ajouter une réforme non moins importante, plus importante peut-être et qu'il est nécessaire, dans une vue politique supérieure, de soumettre à cette Assemblée dans le cours de la session, je veux parler de la séparation des Églises et de l'État. ( Vifs applaudissements à gauche et à V extrême gauche.) Quelques membres de l'Assemblée m'ont fait observer qu'on pourrait ajourner celte réforme, parce qu'elle n'était pas comprise dans le programme primitif du Gouvernement. A ce propos, ou a prétendu que je m'étais montré, au début du minislére, bostile à la séparalitm. 11 n'en est rien, on peut lire tout ce que j'ai écrit ou dit sur ce point. J'ai toujours été partisan — comme tous les républicains ou comme l'immense majorité des républicains — de la séparation des Églises et de l'État. Mais, quand j'ai pris le pouvoir, j'ai jugé que l'opinion publique était insufti- sammeul préparée à cette reforme. J'ai juge qu'il était néces- saire de l'y amener. Le moyen le plus sur elait d'exiger SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 507 l'observaliou loyale du Concordat. Je savais, comme je l'ai expliqué dans l'interpellation sur la politique religieuse, que l'observation loyale du Concordat n'est pas possible à un pouvoir spirituel... M. Gayraud. — Ce n'est pas le vôtre. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. . . . que l'infaillibilité doctri- nale du pape et les conciles du Vatican ont placé au-dessus de tous les autres pouvoirs et qui, dans une encyclique fameuse, a condamné toutes les libertés du monde moderne. . . M. Gayraud. — Nous en parlerons. M. LE président du conseil. ... et par conséquent s'est rendu impossible toute espèce de contrat avec le pouvoir civil, à moins que ce dernier ne fasse volontairement abdica- tion de ses droits. (Très bien l très bien ! à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) J'ai donc Jugé, messieurs, qu'une expérience décisive était nécessaire pour que l'opinion française tout entière, sans distinction de parti... M. le général Jacquey. — Faites un référendum. M. le président eu conseil. ... se fît à celte idée que pour I honneur, pour l'intérêt des deux sociétés civile et religieuse, la séparation s'imposait. L'<'\péiience a été poursuivie pendant deux ans. J'ai mis ;iii déii, et dans cette Assemblt'e et dans l'autre, qui que ce soit de citer un seul article du Concordat que le gouverne- ment civil ait violé ; je mets au défi qui que ce soir d'indiquer une circonstance dans laquelle le pouvoir civil ait manqué à ses engagements envers le pouvoir religieux. J'ai établi, en citant les articles, que presque toutes les dispositions du O08 INTKKI'KLI.ATKJ.N MlUl'lTEAU Concordat, les articles organiques (i(( la loi concordataire avaient été systéniatiquemeut violés par le pouvoir religieux, (Applaudissements à Vextrème gnurhe et sur ftivers bancs à (jaaclie.) M. Gayraud. — Les articles organic^ues suut la violation du Concordat M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'ai lait pliis. J'ai établi — et si l'on est monté à cette tribune pour combattre la pensée de la séparation, on n'a pas pu me réfuter sur ce point — j'ai établi qu'il n'était pas possible à un gouvernement quel- conque, à un ministre quelconque, de renouer avec Rome des liens concordataires, défaire un Concordat nouveau ou môme simplement de faire observer le Concordat actuel que Rome n'a jamais voulu reconnaître eu fait et qu'elle a toujours violé. [Applaudissements à l'extrême gauche.) Ce sentiment, je crois, s'est fait jour dans la France répu- blicaine, et c'est pour cela que de toutes les parties du terri- toire doivent vous arriver à vous, mandataires du peuple, comme à moi, des adresses et des vœux à ce sujet. Applau- dissements à l'extrême gauclie. — Réclamations au centre et à droite.) Nous avons été singulièrement aidés dans la préparation de cette réforme par le pape actuel. Vous vous rappelez conuneut, par un oubli de toutes les convenances que se doivent les gouvernements et, en même temps, par une atteinte directe portée à votre droit de régler votre politique extérieure, le pape a osé dénoncer aux nations catholiques de l'Europe la conduite du Président de la Republique. {Applaudissements à l'extrême gauctie et sur sua LA POLITIQUE GÉNÉKALE 309 (lirers bancs à gauche.) Vous vous rappelez avec quelle unani- mité cette Assemblée a ratifié la déclaration du Gouverne- ment, quand il est venu lui dire qu'en face de cet attentat contre ses droits les plus élémentaires, il était résolu à rap- peler de Rome son ambassadeur et à rompre les relations diplomatiques. M. Charles Benoist. — Vous devriez nous dire si ce rappel est provisoire ou définitif. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Or, quaud deux pouvoirs en sont là, quaud un de ces pouvoirs maintient énergiquement ses droits, quand l'autre refuse de les reconnaître, quand le pacte concordataire qui était censé consacrer les droits res- pectifs des deux pouvoirs est violé systématiquement par l'un d'eux, quand les rapports diplomatiques doivent être rompus, que reste-t-il, sinou la reconnaissance formelle d'un état de choses sur lequel il est impossible de revenir et, dans l'espèce actuelle, la séparation des Églises etde l'ÉlâH (Applau- dissements à Vextrème gauche et à gauche.) Messieurs, cette séparation, je le répète, s'impose. C'est pour cela que nous l'avons envisagée comme une nécessité du moment, comme une nécessité impérieuse née des circons- tances et nous y avons procédé dans le projet de loi soumis à la commission et qui n'est, en somme, que la reproduction-, moins certaines vues nouvelles, des travaux de la commission. {Dénégations au centre.) M. Lefas. — C'est une erreur! C'est le contraire. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nous uous soiumes eflorcés, dans ce projet de loi, de nous inspirer vis-à-vis des Églises des seutiiuents de bienveillance et d'équité indispensables 5t0 l.NfEUfELLATIO.N LUOPITE.VU eu pareille matière. Sau.s doute, nous aurious peut-être paru plus hardis en supprimant d'uu coup pour TÈlat l'obligation de faire des pensions. {Interruptions et bruit à droite.) La droite me rend impossible la continuation de mon discours. M. LE PRÉSIDENT. — Messieurs, encore une fois, je vous prie de cesser ces conversations particulières. .M. Jules-Louis Breton (Cher). — Nous saurons le rappeler tout à l'heure à nos collègues. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — NOUS pCnSOUS, SUr CC polut- là, plus encore que sur les autres^ que l'absolu n'est pas possible. 11 est impraticable. Il serait très dangereux pour l'État d'aborder la question de la séparation dans des senti- ments qui révolteraient les consciences morales. Nous pensons qu'il y a lieu de prévoir des mesures de transition. Mais ces mesures n'impliquent pas le moins du monde une atténua- tion dans l'application des principes. Le projet comporte pour l'Ktat, pour les départements comme pour les communes, c'est-à-dire pour la France entière, l'interdiction de subven- tionner désormais le moindre culte. 11 indique pour les édifices consacrés au culte, jusqu'au moment où les associations auront pu se former et fonctionner utilement, un mode de location qui doit être certainement bien juste et bien équitable, puis- qu'il a obtenu l'approbation des esprits les plus ardents et les plus extrêmes de cette Assemblée. A droite. — Ce n'est pas la question ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Voilà douc, uicssleurs, une quatrième réforme qui se joint aux réformes déjà promises. Avons-nous le temps de les réaliser toutes les quatre :* Je le SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 311 crois, et. si vous voulez t)ipn me prêter une oreille attentive, je crois pouvoir vous le* démontrer. •Messieurs, avant tout, il s'agit d'acliever le vote du budget. Si la majorité républicaine de cette Assemblée veut volon- tairement .s'abstenir de longs discours, si l'opposition veut renoncer à la méthode d'obstruction qui lui est familière. . {Réclamations an centre et à droite. — Apptaudiaaements à Vextrème gauche et sur divers tyancs à gauche.) M. Maurice Binder. —C'est intolérable de nous accuser de la sorte. Nous n'avons jamais fait d'obstruction ! (Mouvements divers.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL . . . ct Qui 86 réalisc, depuis que je suis à cette trilnme. par la presque impossibilité qu'elle méfait de continuer... {Très bieni très bien! à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche. — Dénégations à droite.) M. Plichon. — C'est une provocation ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. . . si l'Assembléc veut faire un effort, un effort qui ne sera pas très pénible, il lui sera possible, étant donné l'état actuel des délibérations budgé- taires, du 15 janvier au 20 février, d'achever le vote du budget. L'impôt sur le revenu n'exigera guère que deux ou trois séances... (Exclamations et rires au centre, à droite et sur divers bancs à gauche.) M. LE PRÉSIDENT. — Lalsscz M. Ic président du conseil com- pléter sa pensée. M. Vazeille. — On a des illusions à tout âge. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — L'impôt sur le revenu ne demandera guère que deux ou trois séances pour qu'on arrive... (Nouvelles interruptions et bruit au centre et à droite.) 312 INTERPELLATION LHOPITEAT M. LE PRÉSIDENT. — Il lî'est pas possible découvrir ainsi la voix de l'orateur et de couper ses phrases par des inter- ruptions constantes qui leinpèchent d'achever sa pensée. M. TouRGNOL. — Parfaitement! yi. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je dis quc dcux ou trois séances suffiront pour que la Chambre se prononce sur larticle 1" du projet de loi. (Mouvements divers.) .M. LE COMTE DE Là Rochethulon. — Et le reuvoi A la com- mission ! M. le président DU CONSEIL. — Or il ressort des discussions antérieures qu'il se produira très certainement sur l'article 1" du projet de loi tel ou tel amendement de nature à provo- quer un remaniement du projet. (Applaudissements ironiques au centre, à droite et sur divers bancs à yauche.) M. Henri Laniel. — Vous pourriez même faire l'économie des trois séances. M. le PRÉ.SIDENT DU CONSEIL. — Messicurs de l'opposition, vous triomphez trop tôt. Tout le monde comprend qu'après les disciLssions qui ont eu lieu il y aura très certainement telle modification obligeant le Gouvernement et la commission à se mettre d'accord au point de vue de l'article l". Ce sera par conséquent un remaniement particulier ;Y faire: ce ne sera pas du tout, comme vos applaudi.ssements sembleraient l'indiquer, l'abandon, pour un temps indéterminé, du projet de \(A.(Applau- dissements à l'extrême gauctie et sur divers bancs à gauche.) A droite, ironiquement. — Au contraire ! M. le PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Le Gouvememeut est décidé à s(> prêter à tous les accommodements... (Nouveaiu applau- dissements ironiques au rfntrr rt à droite.) SUR I.A POLITIQT'E GÉNÉRALE S 13 M. Maurice Biader. — Vous êtes prêt à tout faire pour garder le pouvoir. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je dis QUé le Gouverue- meiit ne reculera pas devant les accommodements (jui lui paraîtraient compatibles aussi bien avec des principes qu'il ne peut abandonner qu'avec les nécessités financières. Et dès lors ce sera entre le Gouvernement et la commission un échange de vues dont nous profiterons et dont nous pouvons profiter du 26 février vers le 10 mars, par exemple, pour voter la loi militaire qui nous reviendra du Sénat. J'adjure cette Assemblée, pour mettre un terme au désac- cord qui la sépare sur ce point-là de l'autre Chambre, de faire abstraction de certaines préférences et d'en finir avec une loi si impatiemment attendue de la population ha.nc&\»e.{ApplnH- diasemenU sur un grand nombre de bancs.) Si, comme je l'espère, la Chambre se rend à cet appel, nous aurons, depuis le 10 mars jusqu'au 20 avril, trois jours avant les vacances de Pâques... (Interruptions à droite.) M. RiBOT. —Et le 1" avril, qu'est-ce qu'on fera? {Bires nu centre et à droite. — Bruit à l'extrême gauche.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je tleus il prendre acte tout d'abord des interruptions qui se produisent de ce côt('; {la droite) et qui montrent fort bien que de ce côté on est disposé à faire de l'obstruction systématique. {Applaudissements n l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche. — Dénéga- tions â droite.) M. LE COMTE DE La Rochethulon. — Il n'y a qu'à vous laisser faire : vous ne ferez rien ! M. LE PRÉSIDENT DÛ CONSEIL. — Du dO mars au 20 avril. 514 INTERPELLATION LHOPITEAII VOUS aurez plus d'iui mois pour (Hudier soit les retraites ouvrières, soit la séparation des Églises et de l'État. (Excta- matwnset rires an centre et n droite.) M. LK PRÉSIDENT. — Messieurs. il faut condamuer les iuter- ruplions; mais surtout il ne faut pas prolonger les incidents qui empêchent l'orateur de parler. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Puisquou protcstc de ce côté {la droite), quand je dis que du 10 mars au 20 avril vous pouvez mettre sur pied soit la proposition de loi relative aux retraites, soit le projet de loi relatif à la séparation des Églises et de l'État {Nouvelles interrnpiions à droite), je rappellerai qu'il lie nbus a même pas fallu ce temps, mais un mois tout juste, pour venir à bout d'une besogne bien autrement difficile, en présence de l'obstruction d'une partie de cette Assemblée, du projet de loi qui supprimait toutes les congrégations enseignantes. {Applaudissements à (/auche et à V extrême gauctie.) Après les vacances de Pâques... M. LE COMTE DE La Rochethulox. — Ou à la Trinité ! M. LE président du conseii il suffira au Gouvernement d'avancer un peu l'époque ordinaire de la rentrée d'été, de la fixer, par exemple au 15 mai, et du IS mai au 15 août, vous aurez devant vous trois longs mois pour délibérer ou sur les retraites ou sur la séparation des Églises et de l'État, suivant l'ordre que vous aurez adopté, et pour achever la discussion de l'impôt sur le revenu. Le Sénat marchera d'un pas égal et dans une voie paral- lèle... {Applaudissements et rires à droite et au centre. — Mouvements divers.) 8t R LA POLITIQUE GÉNÉRALE î51o M. Meslier. — Faites respecter le Sénat, monsieur le pn-- sident. (Bruit.) M. LE président du CONSEIL. — Je connals le Sénat beau- coup mieux que l'opposition de droite ne le connaît elle- même, et je .sais, puisque je suis un de ses membres, qu'on peut compter dans les circonstances sérieuses. . . M. de Baudry d'Asson. — Les sénateurs sont des vieux marcheurs. [HUarilé (/énérale.) M. le président du conseil. — Je sais, messieurs, et c'est pour cela que je m'engage au nom de la majorité républi caine du Sénat, qu'on peut compter en toute circonstance, aujourd'hui plus que jamais, sur son absolu dévouement à la cause démocratique. {Vifs applaudissemenU à gauche.) Mais, messieurs, pour aboutir, il faut le vouloir. {Applau- dissements à l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à u'iu- che.) Je demande à la Chambre, je demande surtout à la majorité républicaine, si elle le veut. Si elle le veut, il dépend d'elle de mettre un terme aux obstructions qui se produisent (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs) : il dépend d'elle de changer l'allure que semblent avoir prise nos débats ; il est impossible qu'ils continuent de la .sorte ; il est impossible, par exemple, que le président du conseil soit condamné par ses fonctions à être présent tous les jours, d'une façon régulière, et au commen- cement et à la fin des séances, afin de se prémunir contre des projets de résolutions brusquement déposés, contre des motions d'ordre, contre des demandes d'interpellation sans cesse renaissantes. {Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à f/auche.) 516 INTERPELLATION LHOPITEAlï M. RuDELLE. — Supprimez dune le régime parlementaire, ce sera bien plus simple ! M. Paul Coûtant (Marne). — C'est le ccsarismc 1 (Brait.) M. Gauthier (de Clagny). — J'ai un projet de constitution qui vous donnera satisfaction. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — 11 u.v a daus ces conditions, pour un président du conseil, ni direction gouvernementale possible, ni travail pratique efficace. Je défie, messieurs, qu'on puisse citer dans aucun pays un président du conseil... M. Maurice Binder. — Comme vous ! {Exclamations à (jauche.) M. le président du conseil... obligea ce surmenage. {Nou- velles interruptions à droite. — Mouvements divers.) Messieurs, je dispose heureusement d'une force de résis- tance que vous n'avez pu vaincre jusqu'à ce jour. (Vifs applaudissements à l'extrême gaucfie et à gauche.) Je dispose d'une santé, d'une bonne humeur qui me restera quand même. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.) Mais j'ajoute que vos manières de faire m'inspirent un profond écœurement. (Applatidissements à l'extrême gaucfie et sur divers bancs à gaucfie.) M. le baron Amédée Reille. —C'est tout à fait réciproque ! M. Maurice Binder. — Assurément. Nous ne nous com- mettons pas avec les délateurs ! (Bruit.) M. le président du conseil. — Je répète ma question. La majorité veut-elle ce que je lui demande ? ou plutôt je pose une autre question : La majorité existe-t-elle ? (E.Tclamations ironiques à droite. — Applaudissements à l'extrême gauche et à gaucfie.) SUR LA POLITIQUE GÉNÉRALE 517 On a prétendu à cette tribune que la majorité avait cessé d'exister, et on l'a inféré du fait de l'élection de M. le prési- dent de la Chambre. Eli bien ! messieurs, je ne veux parler qu'avec déférence du président de cette Chambre, quel qu'il soit [Interruptiom au centre) ; mais il est impossible de tirer, au point de vue qui nous occupe, la moindre induction d'un scrutin secret. {Mouvements divers.) M. Edmond Lepelletieu. — C'est un appel à la peur ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Il a été faclie, messieurs, à ceux des républicains qui ont voulu poignarder dans l'ombre un homme qui est l'honneur et la probité de la démocratie (Applaudissements vifs et répétés à l'extrême gauche et à gauctie), il leur a été facile d'accomplir cette œuvre néfaste dans les ténèbres d'uu scrutin secret . . M. RuDELLE. — Vous n'avcz pas le droit de commenter un vote de la Chambre relatif à la constitution de son bureau. M. TouRNADE. — Ce n'est pas contre M. Brisson, c'est contre vous qu'on a voté. [Très bien l très bien t ) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... mais pour le vote qui va être rendu tout-à-l'heure, il y a un scrutin public. (Vifs applaudissements à Vextrème gauche et sur divers bancs à gauche.) M. Paul COUTANT (Marne). — Montrez-leur la cravache! {Bruit.) M. Henri L.\niel. — Vous méprisez donc bien vos amis ! (Applaudissements au centre.) M. le président du conseil. — Ce n'est pas par le scrutin secret que vos mandataires peuvent vous juger. 318 INTKRPKI.LATION I.llOl'ITKA C M. Perruche. — (l'esl ainsi qu'ils nous nomment. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — O n>st pas par le scrutin secret qu'ils vous demandent de faire connaître vos sentiments, c'est par le scrutin public. {Applaudmemenis n l'e.ttvème gauche et sur plusieurs bancs à gauche.) A droite. — Quos ego!... M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — C'est par là seulement qu'ils peuvent vous juger. Le scrutin public, c'est l'acte accompli au grand Jour de la publicité. M. Edmond Lepelletier. — C'est la terreur. M. Le Hérissé. — C'est la cravache. M. LE président du conseil. — Le scrutin secret est le refuge de toutes les défaillances et de toutes les compromis- sions. {Vifs applaudissements à Ve.rtrème gauche et sur plu- sieurs bancs à gauche. — Interruptions et bruit à droite.) M. Aynard. — Ceux qui vous applaudissent ont de rudes estomacs! (Rires au centre.) M. le président du conseil. — Messieurs, sachez-le bien, l'heure est décisive. Ce n'est pas une crise de ministère, c'est une cris ' de majorité ! {Applaudissements à Vextrème gauche et sur plusieurs bancs à gauche. — Interruptions à droite.) M. le marquis de Dion. — C'est une crise de délation. {Bruit à l'extrême gauche.) M. le président. — Messieurs, le président vous prie de garder le silence. De bonne foi, ^ous savez bien que les conversations et les interpellations d(; collègue à collègue se sont produites sur tous les bancs; j'essaie de les empêcher. SUR LA POLITIQUE GKNÉRALE 519 M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Pour les satisfaclions que le pouvoir m'a données... (Exclamatiom nu centre et à droite.) Pliisieitn metnbres à droite. — Et Vadecard ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... je lie tieiis pas à le cou- .server, soyez-en sûrs. {Bnùt.) C'est moins le sort du ministère que celui de la majorité qui se trouve actuellement en jeu. J'ai en face de moi une coalition formée d'ambitions impa- tientes et de haines déguisées, i Applaudissements à l'extrême gaucfieet sur plusieurs bancs à gaucfie. — Bruit.) Ce sont les haines qui attisent et servent les ambitions. Pour ces ambi- tions impatientes il s'agit, en apparence... M. Gustave Lhopiteau. — Vous nous donnez toujours cet argument. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... d'uii Changement de personnel gouvernemental; en réalité, il s'agit de constituer une majorité nouvelle^, on l'a dit assez clairement, une majo- rité où les progressistes remplaceront l'extrême gauche, les socialistes. M. Gustave Lhopiteau. — On n'a jamais dit cela. M. LE président du conseil. — Je sais bien que, lorsque l'autre jour j'ai affirmé à la tribune ce que j'affirme en ce moment, l'honorable M. Charles Bos, avec l'autorité morale qui le distingue... {Applandissements ironiques à l'e.vtrème gauctie. — Mouvements divers.) M. LE baron Xavier Reille. — Vous auriez pu atleiidre qu'il fût là. M. le président du conseil. — Je ne dis rien d'offensant. ... l'honorable M. Charles Bos m'a interrompu fu me disant : « Il s'agit pour nous et nos amis de gouverner avec 520 INTERPELLATION LHOPITEAU la môme majorité ». C'est p('ul-(Mre une erreur de ma part, mais je ne crois pas à la naïveté de M. Charles Bos. Non. il ne ix'ul pas penser qu'un nouveau ministère pour- rait, sans un cliangemenl d'orientation politicpie. (•ontenlcr ses alliés et ses collal)orateurs nécessaires du centre et de la droite sans exclure de la majorité les partis avances. {Applau- dissements à l'extrême gauche.) M. LnoprrEAU. —Nous n'avons personne à contenler. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Moiisleur Llioi)ileau. vous êtes une unité dans cette Chamlire et vous ne pouvez parler que pour vous seul. M. Lhopiteau. — Oui. M. LE président du conseil. — 11 se peut (lue vous sou- haitiez au fond du cœur la disparition du ministère actuel et la prise de possession des affaires par un ministère animé des mêmes sentiments. Mais, comme vous avez besoin, pour ren- verser le ministère actuel, du concours de la droite et du centre (Applaudissements à l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche), sachez bien que ces messieurs seraient les premiers à vous rire au nez. si vous affectiez devant eux la prétention de tolérer qu'ils continuent avec un autre ministère la politique gouvernementale actuelle, et notam- ment la poursuite des réformes que j'ai énumérées (Rires â droite), impôt sur le revenu, caisse des retraites ouvrières, séparation des Églises et de l'État. (Interruptions à droite.) Oh ! je sais bien que. parmi les radicaux dissidents, on se flatte de pouvoir élaguer du progranune la question qui gêne le plus le centre, qui gène tout à fait la droite, la question de la séparation. (Déuégations au rentre.) Sl'H LA l'Ol.ITIlJl F. CKNKHALE 521 Au centre. — (".ctte quoslion ne nous gène pas du tout. M. Gustave Lhopiteau. — Non ! non ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — On a (lit à cette tribune : nous serons tous d'accord dans la Chambre, au centre comme à gauche, pour voter la loi sur les retraites ouvrières et l'on s'imagine que, parce que l'on fait miroiter aux yeux de la majorité ou aux yeux de l'opposition la loi sur les retraites ouvrières comme l'objet immédiat à atteindre, on va faire oublier à la majorité, faire négliger à l'opposition les autres parties du programme, notamment la séparation. Non, messieurs, si le calcul est fait, il peut être machia- vélique dans ses desseins, 11 est absolument naïf dans sa manifestation. {Applaudissements n Vextrème gauche et sur divers bancs à gauclie.) Un changement de majorité suivra nécessairement le changement du personnel gouvernemental et un changement de programme suivra fatalement le chan- gement de majorité. [Nouveaux applaudissements.) Le vote qui va intervenir dira nettement sur ce point les intentions de la majorité républicaine actuelle. Il dira si cette majorité, qui jusqu'à présent a soutenu le Gouverne- ment anticlérical et démocratique qui est au pouvoir depuis deux ans, si cette majorité... M. DE Baudry d'Asson. — De deux voix, y compris celle des ministres. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. . . veut elle-même la continua- tion de la marche en avant qu'elle a accomplii; jusqu'à cette heure (Interruptions à droite) ou si, au contraire, elle veut se prêter à un recul, par faiblesse ou par complaisance. (.4p/)/fl«- dissements à l'extrême gauclie et sur divers bancs à gauclie.) 522 INTERPELLATION LHOPITEAU Voilà ce que le vote va dire. Le Gouveniemeut a fait connaître son sentiment sur les quatre points du programme qui ont dicté sa ligne de con- duite depuis deux ans et demi. Nous attendons le vote de rAsseml)l('e. Si cette décision lui est contraire, il quittera le pouvoir. [Mouvements divers.) Il quittera le pouvoir, en s'en remettant avec confiance au pays du soin de juger son œuvre et avec la conviction intime de n'avoir, pendant les deux années qu'il a été aux affaires, prononcé une parole ou accompli un acte qui n'ait été et ne soit encore eu harmonie avec les principes et les sentiments de la démoci'atie. {Applaudissements répétés à Vextrème gait- rfie et à gauche.) L'ordre du jour pur et simple, proposé par M. Chaumet, fut repoussé par 291 voix contre 277. Plusieurs ordres du jour motivés avaient été proposés. M. Combes, au nom du Gouvernement, déclara se rallier seule- ment à celui de MM. Bienvenu-Martin, Aristide Briand, Thom- son et Albert Sarraut: « La Chambre, approuvant les déclarations et le programme du Gouvernement, décidée à écarter toute obstruction et repous- sant toute addition, passe à l'ordre du jour. » Par 289 voix contre 281, la Chambre accorda la priorité à cet ordre du jour. Au fondja division fut demandée. La première partie approu- vant les déclarations fut votée par 287 voix contre 281. La seconde réunit 380 voix contre 55. L'ensemble fut adopté par 289 voix contre 279. Une majorité, faible mais irréductible, aOirmait ainsi son attachement à une politique de défense contre le cléricalisme et de réformes démocratiques. M. Combes pouvait quitter le pouvoir. La Séparation ne pouvait être exclue désormais du programme du ministère quel qu'il fût, qui devait lui succéder. XXVIII LETTRE A M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE (19 JANVIEU 1905) M. Emile Combes donna sa démission le 19 janvier 1905. Sa lettre de démission, énergique appel à l'union des républicains contre les dissidents de tout acabit, était ainsi conçue (i) : Monsieur le Président de la République, J'ai l'honneur de vous remettre ma démission de président du conseil des ministres avec celle de mes collègues. Ce n'est pas sans un sentiment de profond regret que je nie vois forcé de renoncer à poursuivre la rcalisalion du programme de réformes politiques et sociales qui a reçu, en toutes circonstances, l'approbation explicite de la majorité républicaine des deux Chambres. Mais le chiffre de cette majorité, tel qu'il résulte des derniers votes de la Chambre des députés, ne me permet 1. Journal officiel. Partie non ofUcielle, 20 j-iuvier IWj. ,yj.'t I.KlTltK A M. I.i; l'KKSlDK.M liK LA KKl'UHUQUE pas d'espérer que je puisse conduire ce programme ;ï bonne lin. Je suis traqué depuis dix-huit mois par une coalition d'am- bitions impatientes et de haines cléricales ou nationalistes. Ces ambitions, ardemment et persévéramment servies par ces haines, ont mis tout en œuvre pour désagréger le bloc formé des groupes de gauche et émietter progressivement la majorité. Elles y sont enlln parvenues. Déjà, au mois de mars de l'année dernière, les coalisés ont failli, par une interpellation fameuse, sournoisement préparée, arrêter net le vote de la loi portant suppression de l'enseignement congréganiste, et il n'a pas dépendu d'eux que les 385 congrégations enseignantes d'honnnes et de femmes visées par cette loi échappassent à la dissolution. Ils n'ont rien négligé depuis lors pour rompre l'union des gauch(>s el augmenter le nombre des républicains dissidents. J'ai lutté pied à pied contre leurs manœuvres, sans lassi- tude et sans faiblesse. Si je ne prenais conseil que de mes sentiments, je serais tout disposé à lutter encore, certain d'ailleurs, en dépit des défaillances individuelles qui se .sont produites dans les rangs de la majorité, d'avoir avec moi la France républicaine. Mais il m'est facile de reconnaître que je suis exposé à être mis en minorité d'un instant à l'autre, à l'occasion de quelque incident de séance étranger à la politique générale du Gouvernement. Cette politique risquerait d'en être atteinte. LETTUE A A), LE PHÉSIUE.NT DE LA RÉPUBLlylE 525 J'ai donc le devoir de me retirer, au lendemain d'un vote qui a consacré solennellement encore une fois la politique et le programme du ministère que j'ai l'honneur de présider. Pour si réduite que soit la majorité parlementaire dans la Chambre, elle n'en est pas moins la majorité : elle n'en représente pas moins constitutionnellement la volonté du pays républicain. Ses décisions doivent faire loi pour le gouvernement de demain, quel qu'il soit, comme elles fai- saient loi pour le gouvernement d'hier. De quelque confiance présomptueuse dans l'avenir que se targue à l'heure présente la réaction cléricale et nationaliste, j'ai foi dans l'union des groupes de gauche pour défendre et continuer l'œuvre d'affranchissement intellectuel, de progrès social et de rapprochement entre les peuples que mon minis- tère a accomplie d'accord a\ec elle. Et, eu même temps, j'ai foi dans le pays républicain pour réconforter et soutenir la majorité, dans les circonstances critiques que nous tra- versons. Votre bienveillance, monsieur le Président, n'a jamais fait défaut au ministère. Je me plais à vous eu remercier eu mon nom et au nom de mes collègues. Agréez, monsieur le Président, l'hommage respectueux de notre reconnaissance et de notre dévouement. ÉMU.E CoMliKS. XXIX DISCOURS A LA GAUCHE DEMOCRATIQUE DU SÉNAT (2 FÉVRIER 1905) Le' 26 janvier 1905, veille du jour où le ministère nouveau, présidé par M. Maurice Rouvier, se présentait devant la Chambre (>t le Sénat, M. Emile Combes était élu, à la presque unanimité, .président du groupe de la gauche démocratique du Sénat. Le 2 février 1905, il prenait possession de ses fonctions et prononçait le discours suivant : Mes cheis collègues, A riicurc inèinp où jo descendais du pouvoir, vous avi?/. Miiilii. |)iii- un niduvenienl spontané, par une sorte d'élan du cceni- gui nra i)rol'ûudéni('iil toncln-. me coiilier, de iiou\eau. la présidence de la gauche déniocialique, gue j'avais dii abandonner, (juaiid j'ai été appelé a la direction du guu\er- nenienl. .le suis ceilain de nïire désavoué par aucnn de vous, en allrilmanl, pour nue l)oune i)arl, à des sentiments d aflecliou A LA GAUCHt l)É.\U»CRAÏly L E JOL SÉ.NAÏ 327 cette décision d'un groupe où jai le bonheur de compter presque autaut d'amis personnels que de collègues. Mais le clioi\ que vous avez fait de ma personne comporte une signilication plus importante et plus haute. J'ai été, comme président du conseil, le représentant fidèle de vos principes politiques. J'avais pris pour règle de m'en inspirer dans chacun de mes actes, dans chacune de mes paroles. Je me suis efforcé de les réaliser autant que les cir- constances me l'ont permis. Je laisse à l'avenir, d'ordinaire plus juste que le présent, le soin de juger la partie de ma lâche qui a été remplie la première et qui a consisté dans l'expulsion de toutes les con- grégations enseignantes ou prédicantes, au nombre de plus de cinq cents, et dans la suppression de l'enseignement con- gréganiste. Vous avez pu constater, mes chers collègues, que, pendant deux ans et demi de ministère, je n'ai reculé ni devant les travaux les plus fatigants, ni devant les attaques les plus passionnées ej. les plus injustes pour mériter la confiance inébranlable que vous m'avez témoignée de la première heure à la dernière. Vous vous en êtes .somenus, au moment même où je rentrais volontairement dans vos rangs pour y reprendre mon ancienne place; et c'est ma fidélité constante au pro- gramme politique qui est le vôtre, que vous avez voulu reconnaître et honorer eu m'élevaut pour la troisième fois à la présidence de notre groupe. Vous avez pensé en même temps qu'en me plaçant à votre tête, vous mauifesteriez de la façon la plus saisissante votre 528 A LA GAUCHE UÉMOCRAXlQUli DU SKNAT ferme volouté de poursuivre obstinément, à travers tous les incidents parlementaires, l'accomplisseinent de ce même pro- gramme qu(^ l'opposition bigarn-e contre laquelle je n"ai cessé de lutter se flatte maintenant d'avoir indéfiniment ajourné. Laissons-la se réjouir bruyamment d'une situation un peu confuse, que l'union des républicains de gauche saura débrouiller sans trop attendre. Les réformes principales qui composent notre programme s'imposent à la conscience des mandataires du pays et le pays ne pardoimerait pas à ses mandataires de se représenter devant lui, sans avoir consacré tous leurs efl'ortsàles effectuer. On pouvait discuter jusqu'ici sur le rang particulier quil convenait d'assigner à chacune d'elles dans la marche des travaux parlementaires. Au point de la législature où nous sommes arrivés, il nous semble que l'accord pourrait et devrait se faire entre les groupes de la majorité républicaine des deux Chambres pour inscrire la séparation des Églises et de l'État au premier rang des travaux parlementaires qui .suivront le vote du budget. Il est de tous points désirable, pour des motifs d'ordres divers, qui n'échappent à aucun de vous. (|ue celle question suit abordée et Iranchée dans le courant de la session pn'sente. Les discussions sur les autres réformes peuvent s'ouvrir et se développer sans inconvénient jusqu'à la dernière minute de la législature. Il n'en est pas de même de la réforme religieuse, qui doit être un fait accompli, (H, autant que pos- sible, accompli depuis plusieurs mois, quand arrivera la période du renouvellement législatif. A LA GAUCHE DÉ.MUGRATHJLE 1>L SÉNAT o29 Ce n'est pas à dire néaiinioius, uies cli'is cuilégiies, (nie les autres réformes : impôt sur le revenu, rfliaiics ouNii.Tes et agricoles, assistance ohli^atoire aux vieillards el a!i\ inlirmes, sans compter la réduction du senice militaire, (pii sera bientôt acquise, nous tiennent moins à cœur. Elles constituent avec la séparation des Églises et de l'État un programme accepte de tout le parti républicain, que nous maintiendrons énergiciucniciit cl ([ue nous .saurons défendre, le cas échéanl. envers et contre tous, amis et ennemis. Notre groupe en a fait son symbole polilique. Aucun de nous uesl d'iuuneur à eu sacriOer une partie. 11 existe d'ailleurs dans les deux Chambres une majorité de gauche pour s'emploj er activement à sa réalisation. Le nouveau ministère, si tant est qu'il en doute, en aura la preuve, (piand il voudra, pourvu qu'il le veuille résolument. 11 n'a qu'à dire un mot, qu'à faire un geste pour grouper autour de lui cette majorité. Mais il faut que le mot soit net et que le geste se dessine du bon côté. La majorité s'élargira aussitôt à gauche. On a pu croire, et tout au moins on a pu dire que ma présence à la tète du gouvernement mettait obstacle à cet élargissement et qu'un certain nombre de républicains dissidents, qui votaient systématiquement contre mon minis- tère, par pure hostilité contre le président du conseil, s'empresseraient, moi parti, de se rallier à la majorité restreinte qui me soutenait. Je l'ai cru moi-même et c'est parce que je l'ai cru que j'ai voulu rendre à la République un dernier .service, l'ii mi> démettant de mes fonctions de président iln conseil. C. — 1.J-. ;>îiO A I.A GArCllK DKAKlCItATIOlK DU SKXAT Le nouveau cabinet serait donc inexcusable de chercher ailleurs que du cùle gauche les soutiens d'uu programme politique qui n'a d'appuis sincères que de ce côté. 11 se perdrait inévitablement dans l'opinion des vrais républicains, s'il se laissait seulement suspecter d'une pareille intention, sans compter qu'il comprometterait le sort des réformes démocra- tiques et sociales qui sont son unique raison d'être, comme elles étaient la raison d'être du cabinet qui les lui a léguées. 11 aura donc à cœur, n'en doutez pas, de s'expliquer sur ce point essentiel et, par une déclaration lumineuse, de mettre fin sans plus tarder à une équivoque, certainement non voulue, mais qui est née de déclarations vagues, imprécises et par là même inquiétantes, que progressistes, nationalistes et droitiers exploitent à l'envi dans un sens injurieux pour sa sinc('rité. Attendons avec contiance la parole décisive qui raffermira la majorité républicaine ébranlée et confondra la réaction cléricale et nationaliste, en lui laissant pour compte ses avances et ses essais de marchandage. A cette condition, mes chers collègues, mais à celle condi- tion seulement, le concours de la gauche démocratique du Sénat sera acquis pleinement au nouveau ministère. J'en prends l'engagement en votre nom. {Applaudissements unanimes.) Le discours |)rononcé, M. Leytiet, ancien président, mit aii.x voix son approbation, qui fut votée par l'unanimité des membres présents. M. Combes, en aûirmant la nécessité pour le Gouvernement nouveau de j^ouverner à gauche, et d'elïeclner les réformes promises, et la Séparation des É-çlises et de l'Élat en premier lieu, rendait un nouveau et précieu.x service au parti répu- blicain. DOCUMENTS JUSTIFICATIFS LOI RELATIVE A LA SUPPRESSION DE L'ENSEIGNEMENT CONGRÉGANISTE Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté, Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit : Art. 1". — L'enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France aux congrégations. Les congrégations autorisées à litre de congrégations exclu- sivement enseignantes seront supprimées dans un délai maxi- mum de dix ans. Il en sera de même des congrégations et établissements qui, bien qu'autorisés en vue de plusieurs objets, étaient, en fnit exclusivement voués à l'enseignement, à la date du V' janvier 1903. Les congrégations qui ont été autorisées et celles qui demandent à lYtre à la fois pour l'enseignement et pour d'autres objets ne conservent le bénéfice de cette autorisation ou de cette instance d'autorisation que pour les services étrangers à l'enseignement prévus par leurs statuts. 532 VSE DKUXlivMK C.A MCVliiNK LAÏoni Art. 2. — A partir de la promulgation de la présente loi, les congrégations exclusivement enseignantes ne pourront plus recruter de nouveaux membres et leurs noviciats seront dissous, de plein droit, à l'exception de ceux qui sont destinés à former le personnel des écoles françaises à l'étranger, dans les colonies et les pays de protectorat. Le nombre des noviciats et le nomb>e dt-s novices dans chaque noviciat seront limilés aux besoins des établissements visés au présent paragraphe. Les noviciats ne pourront recevoir d'élèves ayant moins de vingt et un ans. Ces congrégations devront, dans le mois qui suivra cette promulgation, fournir au préfet, en double expédition, dûment certifiée, les listes que l'article 15 de la loi du 1" juillet 1901 les oblige à tenir. Ces listes fixeront ne varietur le personnel appartenant à chaque congrégation ; elles ne pourront comprendre que des congréganistes majeurs et définitivement entrés dans la congré- gation, antérieurement à la promulgation de la présente loi. Toute inscription mensongère ou inexacte et tout refus de communication de ces listes seront punis des peines portées au paragraphe 2 de l'article 8 de la loi du 1" juillet 1901. Art. 3 — Seront fermés dans le délai de dix ans prévu à l'article l'' : 1" Tout établissement relevant d'une congrégation supprimée par application des paragraphes 2 et 3 de l'article 1" ; 2" Toute école ou classe annexée à des établissements relevant d'une des congrégations visées par le paragraphe 4 de l'article 1'^', sauf exception pour les services scolaires uni- quement destinés à des enfants hospitalisés, auxquels il serait impossible, pour des motifs de santé ou autres, de fréquenter une école publique. La fermeture des établissements et des services scolaires sera elïectuée, aux dates fixées pour chacun d'eux, par un arrêté de mise en demeure du ministre de l'intérieur, inséré au Journal officiel. Cet arrêté sera, après cette insertion, notifié dans la forme administrative au supérieur de la congrégation et au directeur de l'établissement, quinze jours au moins avant la lin de l'année scolaire. DOCUMli.N'I's JUSTIFICATII-S 533 Il sera, en outre, rendu public par l'allichage à la porte de la inairiô des communes où se trouveront les établissements supprimés. Art. 4. — Il sera publié, tous les si.x mois, au Journal officiel, le tableau par arrondissement des établissements congréganisles, fermés en vertu des dispositions de la présente loi. Art. 5. — Par jugement du tribunal du siège de la maison mère, rendu à la requête du procureur de la Hépublique, le liquidateur, nommé aussitôt après la promulgation de la loi, sera chargé de dresser l'inventaire des biens des congrégations, lesquels ne pourront être loués ou affermés sans son consen- tement, d'administrer les biens des établissements successive- ment fermés et de procéder h la liquidation des biens et valeurs des congrégations dissoutes dans les conditions de la présente loi. La liquidation des biens et valeurs, qui aura lieu après la fermeture du dernier élablis>ement enseignant de la congré- gation, s'opérera d'après les règles édictées par l'article 7 de la loi du :J4 mai 18i5. Toutefois, après le prélèvement des pensions prévues jiar la loi de 1825, le prix des biens acquis à titre onéreu.x ou de ceux qui ne feraient pas retour aux donateurs ou aux héritiers ou ayants-droit des donateurs ou testateurs servira à aug- menter les subventions de l'État pour construction ou agran- dissement de maisons d'écoles et à accorder des subsides pour location. Les biens et valeurs atlectés aux services scolaires dans les congrégations viséf!» au dernier paragraphe de l'article 1"^' seront affectés aux autres seiviccs statutaires de la congrégation. Toute action en reprise ou revendication devra, à peine de forclusion, être formée con're le liquidateur dans le délai de six mois, à partir du jour lixé pour la fermeture de l'établis- sement. Passé l« dél'ii de six mois, le liquidateur procédera à la vente en justice de tous immeubles et objets mobiliers qui n'au- raient pas été repris ou revendiqués, sauf exception pour les immeubles qui étaient atïectés, avant la promulgation de la 534 UNE DEUXIÈME CAMPAGNE LAÏQUK présente loi, à la retraite des membres acluellomeot vivants de la congrégation, âRés ou invalides, ou qui seront réservés pour cet usage par le liquidateur. Toute action à raison de donations ou legs faits aux com- munes et aux établissements publics à la charge d'établir des écoles ou salles d'asile dirigées par des congréganistes sera déclarée non recevable, si elle n'est pas intentée dans les deux ans, à partir de la même date. Un décret d'administration publique déterminera les mesures propres à assurer l'exécution de la présente loi. Art. 6. — Sont abrogées toutes les dispositions des lois, décrets et actes des pouvoirs publics contraires* à la présente loi, et, notamment, l'article 109 du décret du 17 mars 1808. La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi d'État. Fait à Paris, le 7 juillet 1904. Emile Loubf:t. Par le Président de la République : Le président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes, È. Combes. Le ministre de l'instruction publique et des beaux- arts, J. Chaumié. rtocr.MKNTs .irsTiFic.Aiii-s 53S PROJET DE LOI RELATIF A LA SEPARATION DES ÉGLISES ET DE L'ÉTAT TITRE PHEMIER SUPPRESSION DES DÉPENSES DES CULTES. — RÉPARTITION DES BIENS. — PENSIONS Article l". — A partir du 1"' janvier qui suivra la promulga- tion de la présente loi, sont et demeurent supprimés: toutes dépenses publiques pour l'exercice ou l'entretien d'un culte; tous traitements, indemnités, subventions ou allocations accor- dés aux ministres d'un culte sur les fonds de l'Etat, des dépar- tements, des communes ou des établissements publics hospita- liers. Art. 2. — Pendant deux ans à partir du 1" janvier q^ui suivra la promulgation de la présente loi, la jouissance gratuite des édifices du culte sera laissée aux associations. Après cette période de temps écoulé, cessera de plein droit l'usage gratuit des édifices religieux : cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, ainsi que des bâtiments des séminaires et des locaux d'habitation, archevêchés, évêcbés, presbytères, mis à la disposition des ministres des cultes par l'État, les départements et les communes. .\rt. 3. — Les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses, fabriques, consistoires, conseils presbytéraux et autres établissements publics préposés aux cultes antérieurement reconnus, seront concédés à litr<' gratuit aux associations qui se formeront pour l'exercice d'un culte dans les anciennes circonscriptions ecclésiastiques où se trouvent ces biens. Ces concessions, qui n'auront d'effet qu'a partir du l" janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront faites, dans les limites des besoins de ces associations, par décr«t en Conseil d'État ou par arrêté préfectoral suivant que la valeur des biens s'élèvera ou non à dix mille francs, pour une période de dix années et à charge d'en rendre compte à l'expiration de celte période. Elles pourront être renouvelées dans les mêmes condi- 536' VSE DEl Xlt.MK CAMI'.Ui.M-: I-AIUIK lions pour des périodes de même longueur ou d'une longueur moindre. Ne pourront rire compris dans ces concessions : 1° les immeu- bles provenant de dotations de rÉlal, qui lui feront retour; 2° les biens ayant une destination charilable. qui seront attri- bués par décret en Conseil d'K.tat ou i)ar arrêté préfectoral, suivant la distinction précitée aux établissements publics d'assis- tance situés dans la commune ou dans l'arrondissement. Les biens non concédés dans un délai d'une année, àdaterde la promulgation de la loi ou dont la concession ne serait pas redemandée, seront attribués dans les mêmes formes entre les établissements d'assistance ci-dessus visés. Art. 4. — Les ministres du culte, qui. par application de la présente loi, cesseront de remplir des fonctions rétribuées par l'État, recevront les pensions et allocations suivantes : 1" Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines, Agés de plus de 60 ans, et comptant ^5 ans de services au moins. '. Fr. 901) Les vicaires remplissant les mêmes conditions. . . . 350 Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines âgés de plus de 50 ans et comptant au moins 20 ans de services ^^0 Les vicaires remplissant les mêmes conditions. . . . 300 3° Les curés et desservants, vicaires généraux et cha- noines Agés de plus de 40 ans et comptant 15 ans de services au moins 600 Les vicaires remplissant les mêmes conditions. . . . 250 4» Les curés et desservants Agés de moins de 40 ans, recevront pendant quatre ans une allocation de 400 Les ministres des cultes protestant et Israélite, les directeurs et professeurs des séminaires de ces cultes, auront les mêmes pensions et allocations que celles attribuées aux curés et desser- vants suivant les distinctions précitées et à des taux calculés dans les mêmes propgrtions que ci-dessus par rapport aux traite- ments actuels. Les archevêques et évêques, le grand rabbin du consistoire central auront une pension de 1.200 francs. Ces pensions et allocations cesseront de plein droit en cas de DOCUMENTS JUSTIFICATIFS 337 condamnation a une peine atllictive ou infamante ou pour un des délits visés par les articles 17 et 19 de la présente loi. Les conditions de paiement de ces pensions et allocations, ainsi que toutes les mesures propres a assurer l'exécution du présent article, seront déterminées par un règlement d'adminis- tration publique. Art. D. —Les édifices et autres biens afîeclés au.x cultes anté- rieurement reconnus, qui appartiennent à l'Etat, aux départe- ments ou aux communes, seront concédés, à titre onéreux, aux associations qui se formeront pour l'exercice d'un culte, dans les anciennes circonscriptions ecclésiasiiques où se trouvent ces biens. Ces concessions, qui n'auront detïet qu'à partir du 1" janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront faites dans les limites des besoins de ces associations, par décret en Conseil d'État ou par arrêté préfectoral, suivant que les biens appartien- dront soit à l'État, soit aux départements ou aux communes, pour une période de dix années, et à charge d'en rendre compte à l'expiratioh de cette période et de supporter les frais d'entre- tien et de grosses réparations. Elles pourront être renouvelées, sous les mêmes conditions, pour des périodes de même longueur ou des périodes moindres. Le prix de la concession ne pourra dépasser le dixième des recettes annuelles de l'association constatées d"après les dispo- sitions de l'article 9 de la présente loi. Des subventions pour grosses réparations pourront être accordées aux départements et aux communes dans les limites du crédit inscrit annuellement au budget du ministère de l'intérieur. Les biens non reconnus utiles pour les besoins des associa- tions d'un culte ou dont la concession n'aura pas été rede- mandée, pourront dans les mêmes formes être concédés à un autre culte ou affectés à un service public. Les conseils municipaux et les conseils généraux seront appelés à donner leur avis pour la concession des biens com- munaux ou départementaux. 538 t'iNE DEUXIÈME CAMPAGNE LAÏQUE TITRE II. Art. 6. — Les associations formées pour subvenir aux frais et ii l'entretien d'un culte devront être constituées conformé- ment aux articles o et suivants de la loi du I'' juillet 1901 ; elles seront soumises aux autres prescriptions de cette loi sous la réserve des dispositions ci-après : Elles devront avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte. Elles ne pourront employer aucun étranger dans les fonc- tions de ministre du culte. Leurs administrateurs ou directeurs devront être Français, jouir de leurs droits civils et avoir leur domicile dans le canton où se trouvent les immeubles consacrés à l'exercice du culte. Art. 7. — Outre les cotisations prévues par l'article 6 de la loi du i" juillet 1901, elles pourront recevoir le produit des quêtes et collectes faites pour les frais et l'entretien d'un culte, dans les édifices consacrés à l'exercice public de ce culte, per- cevoir des taxes ou rétributions, même par fondations, pour les cérémonies et services religieux, pour la location des bancs et sièges, pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices. Art. 8. — Ces associations pourront, dans les formes déter- minées par l'article 7 du décret du 16 août 1881, constituer des unions. Ces unions ne pourront dépasser les limites d'un dépar- tement. Art. 9. — Les associations tiennent un état de leurs recettes et de leurs dépenses : elles dressent chaque année le compte financier de l'année écoulée et l'état inventorié de leurs biens, meubles et immeubles. Elles pourront constituer un fonds de réserve dont le mon- tant ne devra pas être supérieur au tiers de l'ensemble de leurs recettes annuelles. Ce fonds de réserve sera placé soit à la Caisse des Dépôts et consignations, soit en titres nominatifs de rentes françaises ou de valeurs garanties par l'État. DOCUMENTS JUSTIFICATirS o3'J A défaut, par une association, de remplir les charges de réparations qui lui sont imposées par l'article 5 pour les immeubles concédés, le fonds de réserve pourra être employé, par arrêté préfectoral pris après mise en demeure restée sans effet, à réparer lesdils immeubles. Outre ce fonds de réserve, elles pourront verser à la Caisse des dépôts et consignations d'autres sommes, mais seulement en vue de l'achat ou de la construction d'immeubles nécessaires à l'exercice du culte. Elles seront tenues de représenter sans déplacement, sur toute réquisition du préfet, a lui-même ou à son délégué, les comptes et état ci- dessus prévus. .\rl. 10. — Sont passibles d'une amende de 16 à 1,000 francs et d'un emprisonnement de six jours à un an, ou de l'une de ces peines seulement, les directeurs et administrateurs d'une association ou d'une union qui auront contrevenu aux dispo- sitions des articles 6, 7, 8 et 9. TITRE III POLICE DES CULTES ET GARANTIE DE LEUR LIBRE EXERCICE .\rl. H. — Les cérémonies d'un culte, les processions et autres manifestations religieuses ne peuvent avoir lieu sur la voie publique ni dans aucun lieu public à l'exception des céré- monies funèbres, ni dans aucun édifice public autre que ceux qui sont concédés à un culte dans les conditions déterminées par la présente loi. Il est interdit à l'avenir d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public quo ce soit, à l'exception des édifices concédés pour l'exercice d'un culte, des terrains de sépulture privée dans les cimetières ainsi que des musées ou expositions publics. Art. 12. — Les réunions pour la célébration d'un culte ne peuvent avoir lieu qu'après la déclaration faite dans les condi- tions et les formes prescrites pour les réunions publiques, par l'article 2 de la loi du 30 juin 1881. Outre les noms, qualités 540 UiNK DEUXIÈME CAMl'AG-NE LAÏljUE et domiciles des déclarants, la déclaration indiquera ceux des ministres du culte appelés à exercer leur uiinistcre. Une seule déclaration suffît pour un enseini)!e de cérémonies ou assemblées cultuelles permanentes ou périodiques. Elle cesse de produire etiet à l'expiration d'une année. Toute réunion non comprise dan^i \h déclaration, toute modi- fication dans le choix du local ou des ministres du culte doivent être précédées d'une déclaration nouvelle. Les représentants ou déléj,'ués de l'autorité publique ont toujours accès dans les lieux de réunion pour l'exercice d'un culte. Art. 13. — Il est interdit de se servir de Tédifice consacré à un culte pour y tenir des réunions politiques. Art. 14. —Les contraventions aux trois articles précédents sont punis d'une amende de 50 à 1,00U francs, et les infractions à l'article 13 peuvent être en outre punies d'un emprisonne- ment de 15 jours à 3 mois. Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 12 et 13, ceux qui ont organisé la réunion, ceux qui y ont participé en qualité de ministre du culte, et ceux qui ont fourni le local. Art. 13. — Sont punis d'une amende de 100 à 1,000 francs et d'un emprisonnement de six jours à trois mois, ou de l'une de ces deux peines seulement, ceux qui soit par menaces ou abus d'autorité, soit en faisant craindre k autrui de perdre son emploi ou d'exposer à un dommaj,'e sa personne, sa famille ou sa fortune, auront tenté de contraindre ou d'empêcher une ou plusieurs personnes d'exercer un culte, de contribuer aux frais de ce culte, de célébrer certaines fêtes, d'observer tel ou tel jour de repos et, en conséquence, d'ouvrir ou de fermer leurs ateliers, boutiques ou magasins, et de faire ou quitter certains travaux. Art. 16. — Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d'un culte par des troubles ou désordres dans un édiflce consacré à ce culte conformément à la loi. .\rt. 17. — Sera puni des mêmes peines tout ministre d'un culte qui, dans l'exercice de ce culte, se rendra coupable d'actes pouvant compromettre l'honneur des citoyens et dégénérer contre eux en oppression, en injure ou en scandale public, notamment par des inculpations dirigées contre les personnes. DOCUMENTS JUSTIFICATIFS 541 Art. 18. — Tout ministre d'un culte qui, dans les lieux où s'exerce ce culte, aura, par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées en public, — soit outragé ou diffamé un membre du gouvernement ou des rtiambres, ou une autorité publique, — soit cherché à influencer le vote des électeurs ou à les déterminer à s'abstenir de voter, sera puni d'une amende de 500 à 3,000 francs et d'un emprisonnement de un mois à un an, ou de l'une de ces deux peines seulement. Art. 19. — Si un discours prononcé ou un écrit affiché, lu ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de 3 mois à 2 ans, sans préjudice des peines de la complicité dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile. Art. 20. — Dans les cas de poursuites exercées par applica- tion des articles 12, 13, 17, 18 et 19, Tassociation propriétaire, concessionnaire ou locataire de l'immeuble dans lequel le délit a été commis et ses directeurs et administrateurs sont civile- ment et solidairement responsables. ^ l'immeuble a été concédé en vertu de la présente loi, la concession en peut être retirée dans les formes où elle a été faite. La fermeture du local peut être immédiatement ordonnée par l'autorité judiciaire qui prononce une condamnation pour infrartlon aux articles 13, 17, 18 et 19. TITRE IV DISPOSITIONS GÉNÉR.\LES ET TRANSITOIRES .\rt. 21. — Un règlement, d'administration publique déter- minera les mesures propres à assurer l'application de la présente loi. Il réglementera en outre les sonneries de cloches. Art 22. — L'article 463 du Code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la présente loi édicté des pt^nalités. C. - 10. 542 UNK DEUXIÈME CAMPAGNE LAÏQUE Arl. 23. — Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois du 1" juillet 1901. du 4 décembre 1902 et du 7 juillet 1904. Art. 24. — La direction des cultes continuera à fonctionner pour assurer l'exéculion de la présente loi. .\rt. 25. — Sont abrogées toutes dispositions législatives ou réglementaires contraires à la présente loi et notamment : 1" La loi du 18 germinal an X, qui a déclaré que la conven- tion du 26 messidor an IX, entre le Gouvernement français et le Pape, ensemble les articles organiques de la dite convention seraient promulgués et exécutés comme lois de la République ; 2» Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1" août 1879 sui- tes cultes protestants ; 3" Le décret du 17 mars 1808 et la loi du 8 février 1831 sur le culte Israélite ; 4" Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal ; 5" Les articles 100 et 101, les §| 11 et 12 de l'article 136 de loi du 5 avril 1884. CIRCULAIRE AUX PREFETS SUR LES RENSEIGNEMENTS A FOURNIR SUR LES FONCTIONNAIRES DE LA RÉPUBLIQUE Paris, le 18 novembre 1904. Le président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes, à MM. les préfets. Par mes circulaires des 20 juin et 26 novembre 1902, j'ai eu l'honneur de vous adresser mes instcuctions au sujet de la direction politique que vous devez imptimer aux fonctionnaires et agents du gouvernement dans votre département. Des incidents parlementaires récents me font un devoir de compléter ces instructions et de préciser certains points, sur lesquels j'appelle plus particulièrement votre attention. Un des devoirs essentiels de votre charge, en tant que délégué du pouvoir central, est d'exercer, sous votre respon- sabilité, une action politique sur tous les services publics et de DOCUMENTS .TUSTIFICATIFS 543 renseigner fidèlement le gouvernement sur les fonctionnaires de tous ordres et les candidats aux fonctions publiques. En présence des assauts incessants dirigés par les partis d'opposition contre la République, il importe, aujourd'hui plus ([up i imai-', que tous ceux, sans exception, qui détiennent ou aspirent à détenir une parcelle de la puissance publique |»ré- sentent toutes les garanties désirables, non seulement au point de vue de l'honorabilité et de la compétence, mais encore au point de vue de la fidélité et du dévouement aux institutions républicaines. Vous répondrez, monsieur le préfet, à la confiance que le gouvernement a placée en vous, en l'éclairant en toute cons- cience à cft égard. Il ne m'appartient pas de limiter le champ de vos informations, mais il m'est permis de vous inviter à ne puiser vos renseignements qu'auprès des fonctionnaires de l'ordre politique, des personnalités politiques républicaines investies d'un mandat électif et de celles que vous avez choisies comme délégués ou correspondants administratifs en raison de leur autorité morale et de leur attachement à la République. Je crois superflu d'ajouter que ces renseignements, à cause de leur nature et de leur importance, doivent être empreints de la plus absolue impartialité et contrôlés avec un soin méti- culeux. Vous aurez à les fournir exclusireineuL, soit spontané- ment, soit sur leur demande, aux différents ministres, comme aussi, le cas échéant, aux chefs de service de votre département qui, seuls, sont qualifiés pour en prendre connaissance. Je ne me dissimule pas, monsieur le préfet, que la tâche qui vous incombe à cet égard est une des plus délicates de vos fonctions. Je compte que, soucieux de vos responsabilités, vous apporterez à son exécution toute la loyauté et tout le tact dési- rables, et que vous aurez à cœur de faciliter au gouvernement l'accomplissement de l'œuvre de contrôle et de justice impar- tiale et éclairée, qu'il est résolument décidé à poursuivre jus- qu'au bout dans l'intérêt supérieur de la République. Je vous prie de maccuser réception de la présente circulaire. Le président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes, Emile Comues. 644 UNE DEUXIÈME CAMPAGNE LAÏQUE CIRCULAIRE AUX PRÉFETS SUR LE ROLE DES INSTITUTEURS Paris, le 26 novembre 1904. En portant à la connaissance de mes collègues les instruc- tions que je vous ai adressées par ma circulaire du 18 novembre courant, relativement à la direction politique que vous devez exercer dans votre département, je définissais ainsi le rôle respectif de l'autorité préfectorale et des chefs de service des différentes administrations : « Le préfet, représentant du pouvoir central, qui a seul la responsabilité de la politique générale du département, dispose seul également des moyens d'investigation nécessaires pour faire procéder à des enquêtes sérieuses et obtenir des rensei- gnements présentant un caractère d'indiscutable authenticité. » De même qu'il y aurait les plus grands inconvénients à ce que le préfet s'immisçât dans l'examen des questions techniques pour lesquelles vos agents ont une compétence particulière, de même il serait fâcheux que les fonctionnaires des diflérenlea administrations fussent autorisés à se livrer à des enquêtes politiques parallèles qui n'entrent pas dans leurs attributions, et pour lesquelles ils ne disposent pas des mêmes moyens d'action. » Je tiens, monsieur le préfet, à appeler votre attention sur ce dernier point. En vous confiant le soin de procéder soit par vous-même, soit par vos collaborateurs politiques aux diverses enquêtes qui pourraient vous être prescrites, le gouvernement a entendu tenir rigoureusement à l'écart de ces investigations les fonctionnaires d'ordre exclusivement administratif dont les attributions ne sauraient se concilier avec des missions de cette nature. Au premier rang de ces fonctionnaires se trouvent les insti- tuteurs. Leur rôle social leur interdit toute participation aux luttes des partis. Le principe de la neutralité scolaire leur fait un devoir d'accorder un même dévouement et une même sollicitude h tous les enfants, sans distinction, dont l'éducation DOcrMKNTS .fLSTIFICATIFS o4ij leur est confiée, quelles que soient les opinions ou les croyances des familles auxquelles ils appartiennent. Charger l'instituteur de vous fournir des renseignements sur l'attitude politique de ses concitoyens serait lui assigner une tâche incompatible avec son devoir professionnel, et Tex- poser, sinon à perdre, tout au moins à voir diminuer cette aulorilé morale faite d'estime, de reconnaissance et de respect, qui lui est indispensable. Même dans les communes rurales où il joint ;i ses fondions d'instituteur celle-! de secnHaire de la mairie, j'cnlends qu'il demeure étranger à toute mesure susceptible d'altérer son véritable caractère : ce qui ne manquerait pas d'arriver, s'il se croyait autorisé, par ses fonctions accessoires, à substituer son initiative et son action à celles des magistrats municipaux aux- quels seuls il appartient, sous leur responsabilité exclusive cl sous leur propre signature, de correspondre avec vous et de vous fournir les renseignements politiques que vous auriez à leur demander. L'intérêt supérieur de la République exige que l'insliluteur no soit pas déto irné de sa mission. Son rôle d éducateur lui fait une obligation d'être, dans la commune, l'ami et le con- seiller de tous. Je suis persuadé, monsieur le préfet, que l'importance de CCS considérations ne vous échappera pas. Je compte aussi que vous les ferez prévaloir uniformément dans les rapports de vos collaborateurs politiques avec les instituteurs. Elles traduisent le sentiment réfléchi du gouvernement et du Parlement. Le président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes, Emile Combes TABLE DES MATIERES Préface par l'auteur des discours i Introduction. La politique républicaine et l'Eglise catholique sous le ministère de M. Comijes . . i I — L'enseignement secondaire libre (Sénat : 12 novembre igoS) 35 II. — Banquet du Comité républicain du Commerce et de l'Industrie (11 janvier 1904) 62 III. — L'expulsion de l'abbé Delsor (22 janvier 1904). S2 IV. — Les grèves des ouvriers agricoles du Midi (5 février 1904) iï3 V. — Discussion du budget des cultes (Sénat : 22 décembre 1903) i35 VI. _ Banquet de la Fédération des Sociétés de secours mutuels (21 février 1904) i39 VII. — Suppression de l'enseignement congréganiste (Chambre des Députés : 29 février-28 mars 1904). i5o VIII. — Suppression de l'enseignement congréganiste {Suite) 137 IX. — Suppression de l'enseignement congréganiste {3' discours) i83 X. — Les retraites ouvrières (i;; mars 1904). ... 198 348 TABLE DES MATIÈRES XI. — Suppression de l'enseignement eongréganiste (V discours) 2o5 XII. — Le banquet de Laon (lo avril 1904) .... 220 XIII. — La circulaire du Vatican (27 mai 1904). . 239 XIV. — Suppression de l'enseignement eongréganiste (4° (Uscours) 244 XV. — Suppression de l'enseignement eongréganiste (5"= discours) 260 XVI. — Banquet démocratique de Carcassonne (24 juillet 1904) 272 XVII. — Banquet démocratique d'Auxerre (4 sep- tembre 1904) 294 XVIII. — La politique religieuse (22 octobre 1904). . 3ig XIX. — L'affaire dite «des fiches » (4 novembre 1904). 36o XX. — Dépôt du projet de séparation (10 novembre 1904) 3-3 XXI. — La délation dans la magistrature (17 novem- bre 1904) 3:6 XXII. — Les renseignements politiques et les délé- gués administratifs (19 novembre 1904). . . . 382 XXIII — Le budget des cultes (24 novembre 1904) . 392 XXIV. — La France républicaine et le protectorat des missions (2a novembre 1904) 4^9 XXV. — La « délation» et les magistrats (8 décembre 1904) . 4-20 XXVI. — La circulaire aux préfets sur les renseigne- ments politiques (9 décembre 1904) 4^5 XXVII. — Les faits de « délation » reprochés à M. le conmiandant Pasquier (23 décembre 1904) • . . 4^»» XXVIII. — Interpellation Lhopileau sur la politique générale (i3 et 14 janvier 1900) 4"o TABLE DES MATIÈRES . i>49 XXIX. — Lettre à M. \c Président de la Republique (19 janvier 1905) 523 XXX. — Discours à la gauche démocratique du Sénat (2 février 1900) 026 Documents Justificatifs 53i Table des matières 547 Ce volume a été composé et tiré par des ouvriers syndiqués IMPRIMERIK \.r. UIGOT FRKHES « i J-^v. i "^ V /