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TAYLOR

INSTITUTION

LIBRARY

STGILES- OXFORD

Veb. f-r.JUL. 33. 4Z^é

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OEUVRES

DE

X J.ROUSSEAU.

TOME DIX-SEPTIÈME.

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DE L'IMPRIMEKIE DE P. DIDOT L'àlNÊ»

CHEYALlEa DE l'oBDRE ROTAL DE SAIITT-UIGHEL ^

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OEUVRES

DE

J. J. ROUSSEAU

CITOYEN DE GENÈVE.

NOUVELLE ÉDITION

ORNEE DE VINGT GRAVURES.

TOME DIX-SEPTIÈME.

A PARIS

CHEZ DETERVILLE, LIBRAIRE,

BCB BÀUTEFEVILLE, H* 8,

ET LEFÈVEE, RUE DE L'ÉPERON, N? C.

M D CGC XVII.

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MODERN LANGUAOM

f ACULTY LIBRARY

OXFORD.

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CORRESPONDAJSCE.

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CORRESPONDANCE.

A M. LE MARÉCHAL h^ LUXEMBOURG.

Motiers, le ao janvier 1763.

Vous Touleï, monsieur le maréchal, que je vous décrive 1^ pays que j'habite. Mais comme tit fedre? Je ne sais voir qu autant que je suis ému ; les objets indifférents sopt nuls à mes yeux ; je n ai éK Vattention qu à proportion de l'intérêt qui Vcxcite : et quel intérêt puis-je prendre à ce que je retrouve si loin de vous? Des arbres, des rochers, des Biaisons, d^s hommes mêmes, sont autant d'objets isolés dont chacun en particu* lier donne peu d'émoAon à celui qui le regarde : mais l'impression commune de tout cela ^ qui le réunit en un seul tableau , dépend de l'état nous sommes en le contemplant. Ce tableaii, quoique toujours le même, se peint d'autant de manières qu'il y a de dispositions différentes dans les cœurs des spectateurs; et ces diffé- rences , qui font celles de nos jugements , n'ont pas lieu seulement d'un spectateur à l'autre, mais dans le même en différents temps. C'est ce que j'éprouve bien sensiblement en revoyant ce pays que j'ai tant aimé. J'y croy ois retrouver ce q».mavoit charmé dans ma jeunesse : tout est cbsaxQé} c'est un autre paysage, un autre air^^

•»

4 catKi^ç^a^&AiiÇB^

|iu autr4( çiâty d*autres hommes; et, ne voyanr plus mes montagnons avec des yeux de vingt 9is , je les trouve beaucoup vieillis. On regrette le bon temps d autrefois ; je le crois bien : noi^s attribuons aux choses^ tout le changement qui s est fait en nous, et lorsque le plaisir nous quitte nous croyons qp il n est plus nulle part* D'autres voient les choses comme nous les avons vues y çt les verront comme i^ous If^fl^ vo^^Q^i aujowd'h\ii- ^M Çf $ont des des^ip^i^mst que vqu3 ^9 dewap^^z , uon de^ réflei^ipns ^ et le9 inien,nea mentraiuent ç<imm^ Jfxk vieux enfant qui rçgrçtteepcore>e« anciens jei^ji^. Les di^çrs^^ iaipi:esS;i,Qi;^s que ce. yays a faites suf no^pi à àftSr %ents. âges 9xç fpnt çoxiçlure qve qo^ i^liojds 89 r^pgrte^t topîftfffis p^vis ^ api^ qu a^3l cjbo- sçs„ et qqe, cpjftime nç^\il ^^cJfWçiM l^^ pïl4» W <pjie vfi»^^ ^f ^ton^ qi^iç ce fai, ç^tf, i^ faudrojit s^ voir cp;]?^<a^nt;çtoit ^^ç^ jl;flJilte^r du» \Qy«^ en. Içc^-iyai^^ , pftur juger dî? cçaeaJi)ij3Q ç^s pein-, tures spijt ^u-^ç?^ ou ^jM^ ^ viîipi SÛç 09 prinjcipÇL n^^ vou^ étqs^ç^. pas voir, d^çv^njur s^ridç çt fcpid apus ina pli*inç ^n piays^ }adÂ9 si xerdoyaù^ , ai vivaçiA , % ifiam à bmmoi gué : vous 8;pQ,t,i^. trop aisémeip^t daii»% ç^ l^ttce eu quel temp^. de ma vi|ç ft «n qu^Uç. saison» de l'année elie a été éçritç.

Je s^is , nj^onsiçur le çiaréçh^l;, q^., jpour vous parler d'au y^J^g^y il. mi ^^% f9â coimuencer pajT you$. décrire %q}H^ 1^ Sim»^ , cpttun^si h po- ^it coin qi^e JL^haJ^itfr^vpiil^Miii d'ét^ circou^

Vcrit d'an si grand espacé. Il y a pdurâ'iit dè^ choses génëHBiiei qui ne éë disVhliéttt poinl, et qu il faut savoir ponr juger dfeê objets particu- liers. Pour connottre Motièrs , il fbut avoir qtièt- 4uè idée dti comté de Netichutel^ et pour cottv ^naître le comté de Neucbatèl, il faut en atôil* de la Suisse entière. ^

Elle o&n à-peu-prèd par-tout lèft thènles a^ pect« , des kies , deé prë3 , des boid , deè tnbki^ tagnes; et tes Suisses ôm âtkssi tobà à-pèu-]^rèk lés mêmes mœurs , mêlées die Fimitation dés a oh ires peuples et de leur atitiq:ùe simplicité. Us ont des manières de vivre qui he changent point , pBrceqn*èi4es tiennent pour ainsi dire au sol climat , aux besoins divers , et qu en cela les ha^ bitants sont toujours forcés de se confol*iner à ce que la nature des lieux leur pY*escrit. TeHe ^St, par exemple, la distribution de l'ears habitatix^ns^ beaucoup moins réunies ékl viltes et en bôûrgs qu^en France ^ mais éJ^aï-S^i et diè]pêrééés <;à et sur le telhrain avec beaucoup ^Ins d'égalité. Àin^i \ quoique la Suisse soh en jg^i^itéif^at jplûs peuplée i pk*o^ortion que la France ^ glle à de ittôlhé ^Hû 0^3 vâles et de mofiiis grùs^inagéâ : en IrevAncM ^n y trouve par- t<^ut de« ttlâfe&ni; te tillé^ couvre toute la pai^oisisé, et fa Vflite ë^étènd *U<^ tout U pays. La Snisse entière est ebteMë \jh\é griande ville divisée en trëii^ quartier^, dotit lêà uns sdnf sûr les vallées , d'autres Sur ïék cbtéayi^ ^ d'autres sur les montégoeè^. Genève , SàîA1>^6àl ; lïetibhatel sont cotiitoe lis fetibourg^ : il f A de»

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$ C0RRÉ8H:0NDÀNCÉ.

quartiers plus ou moins peuplés, mais toualé sont assez pour marquer qu'on est toujours dans la ville : seulement les maisons, ail lieu d'être alignées, sont dispersées sans symétrie' et sans ordre , comn^e on dit qu etoient celles de l'ail- cienne Rome. On ne croit plus parcourir des déserts quand on trouve des clochers parmi les sapins, des trôupeauit sur des rochers, des ma- nufactures dans dés précipices , des ateliers sur des torrents. Ce mélangé bizarre a je ne sais quoi daniiné, de vivant, qui respire la liberté, le bien-être, et qui fera toujours du pays il se trouve un spectacle unique en son genre, mais fait seulement pour des yeux qui isachent voir. I

Cette égale distribution vient du grand nom- bre de petits états qui divisent les capitales, de la rudesse du pays , qui rend lés ti^ansports dif- ficiles ; et de la nature des productions , qui , consistant pour la plupart en pâturages, exige que la consommation s'en fasse sur les lieux mêmes , et tient; les hommes aussi dispersés que . les bestiaux. Voilà plus grand avantage de *la Suisse I avantage que ses htibitaiits regardent peut-être comme un malheui* , mais qu'elle tient d'elle seule, que rie^i ne peut lui ôter, qui , mal- gré'eux ^contient ou retarde le progrès du luxe et des mauvaises mœurs , et qui réparera tou- jours à la longue l'étonnante déperdition d'hom- mes qu elle fait dans les pays étrangers. .

Voilà. le bien : voici le mal amené par ce bien

c

ANNÉE 1763, 7

même. Quand lesiSuî'sses, qui jadia vivant ren- ifermés daçs leurs montagnes se suffispient à eux- mêmes^ ont commencé à communiquer avec jd autres nations , ils ont pris goût à leur manière de vivre, et ont voulu Timiter ; ils se sont aper- çus que largent étoit une bonne chose, et ils «it voulu en avoir ; sans productions et sans dustrie pour lattirer, ils se sont mis en com- merce eux-mêmes., ils se sont vendus en détail aux puissances ; ils ont acquis par^là précisé- ment assez d argent pour sentir quils étoient pauvres ; les moyens de le faire circuler étant presque impossibles dans un pays, qui ne pro-- duit rien .et qui nest pas maritime, cet argent leur a porté de nouveaux besoins sans augmen- ter leurs ressources. Ainsi leurs premières aliéna* tions de troupes les ont forcés d en faire de plus grandes et de continuer toujours. La vie étant devenue plus dévorante, le tnême pays n a plus pu nourrir la même quantité d'habitants. C'est la raison de la dépopulation quon commence à sentir dans toute la Suisse. Elle nourrissoit ses nombreux habitants jquand ils ne sortoient pas de chez eux^ à présent qu'il en sort la maitié, à peine peut-elle nourrir Fautre.

Le piê est que de^ cette moitié qui sort il en rentre ass^z pour corrompre tout ce quf reste par Timitation des usages des autres pays ; et sur- tout de la France , qui a plus de troupes suisses qu aucune autre nation, Je dis corrompre ^ésm& entrer dans la question si les mœurs françoises

ê COltAESPefIBAmCE,

sont bonàea ou mauvaises en Franee, .pâvèe^ que cette question est hora de doute <[Uant à la Suisse y et qu il n'est pas possible ^iie le» méipes usages convieni^ent à des peuples qui^ n 'ayant pas les mêmes ressources et ii'faabitant ni le lïiême climat ni le mçme sol , seront toujours forcés da yiyrfs différemment. ^

Le concours de ce^ deux cause| , Tune boâ^ #t latitre mauvaise y ^e fait sentir en toutes chù* #es ; il rend raison de tout ce qu on reinç^rque da , particiilier dans les mœurs des Suisses, at si|iv lout de ce contraste b^rre de recherche et d^ sim^plicitié qu on sent dans toi^tes leurs mfiniè^t res. Us tournent à cantretsens tous les usages^ qu ils prennent , non pas faute d esprit , niais pai^ la fôi^ce des choses* £n transportant dans kur$ bois les usages des grandes villes, ils les appli^ quent de la façon la plus comique ; ils ne saveftf ce que cest qu habits de campagne ; ils sont parés dans leurs rochers comme il^ Tétqient à Paris ; ils portent sous leurs sapina tous les pam^ pons dii Palais^royal , et j en pii vu revenir de faim leurs foins en petite veiste ^ f^bala de mousse-^ ]ine. Leur délicatesse a toujot^^ quelque chose^ de grossier, leur lu:(e a toujours quelque cihose^ de rude. Ils ont dès entremets , lôais ils mangent du pa£Q noir; ils sènnsnt des vins ^t<ranget*s , ^ boivent la piquette; des rag^^ùtd fins açcoln-? ^ pagnent leur lard ranee et leurs ebôux ; ilis voua affrironi ji d^eùiier du eaféét du frdâlôgé; %

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ÀKNIÈË 1763; 9

goèter du thé atec do jambon ; les iemmes ont de la dentelle et de fort gros linge , des robes d^ goût*ayec des bas de couleur : leurs Talets, bU lematÎTemeiit laquai$ et bouvières, ontThabilf de Urrée en servant à table, et mêlent rt)deur du' fumier à celte des mets.

Comme on ne jouit du luiçe quen le mon- trant , il a rendu leur société plus familièr% sans leur ôter potirtant le goût de leurs demeures isolées. Personne ici n*est surpris de me voir pas*^ «er l'hiver en- campagne; mille gens monde en font tout jutant. On demeure donc toujours séparés -, mais on sa rapproche par de longues et fréquentes visites. Pour étaler sa parure et ses meubles il fieiut attirer ses voisins et les aller voir, et comme ces voisins sont %|t>nvent assez éloi- gnés, ce sont des voyages continuels. Aussi ja-^ mais n^airjeTU de peuple «i allant que les Suisses ; les Fran^ois^ n A approchent pas. Vous ne ren-* contreasde toqt^ p^rt que Voitures ; il n y a pas yne niaison quin^oit la sienne, et )es chevaiv^, dom la Suisse abonde, ne sont rien moins quMm litilesdans le pgys. Mais comme ces courses ont couvent pour objet de$ visites de femmes , quand on monfe à cheval , ce qui commence à devenii^ rare 9 on y monte en jolis bas blancs bien tirés, et Ton fait à-peu-près pour courir la poste la inénie toihetie que pour aller au bal. Aussi rien n'est si brillant que les chemins de la Suisse; on f reké(ïu%r^ êT (ofUt moment de petits messieurs

lO C01«1Ë6P^NDANGE.

et de 1)eUe8 dames; ou ny voit que bleu,, vert, couleur de rose; on se croiroit au jajrdih du Lu- xismbourg.

4 Un effet de. ce commerce est d avoir presque été aux hommes le goût du vin ; et un effet cpn- traire de cette vie ambulante est d'avoir cepen- daôt rendu les cabarets fréquents et bons dans toute* la Suisse. Je ne sais pas pourquoi Ton vante tant ceux de France; ils napprocheiit sù- reçnent pas de ceux-ci. Il est vrai qu'il y fait très cher vivre ; mais cela est vrai aussi de la vie do- mestique , et cela ne sauroit être aqtrejnent dans un pays qtii produit peu de denrées, et où. l'ar- gent ne laisse pas de circuler.

I^s trois seules marchandises qui leuren aient fourni jusqu'ici sc^t les fromages, les chevaux, et les hommes ; mais depuis l'introduction du luxe, ce commerce ne Jeur suffit plus, et ils y ont ajouté celui des manufactures dpnt ils sotit redevables aux réfugiés françois : ressource qui cependant a plus d'apparence que réalité ; car , comme la cherté des denrées augmente avec les espèces, et que la culture de la terre se néglige quand on gagne davantage à d'autres travaux , avec plus d'argent ils n'en sont pas plus riches ; ce qui se voit par la comparaison avec les Suisses catholiques , qui, n'ayant pas la même ressour- ce, sont plus pauvrçs d'argent et ne vivent pa& moins bien.

, Il est Fort singulier qu'un pays si rude et dont Ic;^ habitants sont si enclins à sortir, leur inspire

' ANNÉE 1763. ' tl

'pourtant un amour si tendre, que le regret de 1 avoir quitté les y ramène presque tous à la fin , et que ce regret donne à ceux qui n y peuvent revenir une maladie quelquefois miortdie, quih appellent , je crois , le benwé. H y a dans la Suisse un air célèbre appelé le ranz*-des-va(^es , que les bergers sonnent sur leurs cornet» et dont ils font retentir tous les coteaux du pays. Cet air qui est peu de chose on lui-même , mais qui rap- pelle aux Suisses ipiille idées relatives au pays natal, leur fait verser des' torrents de larmes quand ils lentendent en terrie étrangère. Il en a même fait mourir de douleur un si grand nonv bre, qu'il a été défendu p# ordonnance du roi de jouerleranz-des-vaches dans leS' troupes suis- ses. Mais , monsieur le maréchal ^ vous savez peut-être tout eda mieux que nioi, et les té* flexions que ce fait présente ne vous auront pas échappé. Je ne puis m empêcher de remarquer seulement que la France est assurément le meil- leur pays du monde, toutes les commodités et tous les agréments de Is^ vie concourent au bien-être dés habitants. Cependant il n'y a ja- mais eu , que je sache , de hemvé ni de ranz-des- vaches qui fît pleurer et mourir de regret un François en pays étranger ; et cette maladie di- minue beaucoup chezîes Suisses depuis quon vit plus agréablement dans leur pays.

Les Suisses en général sont justes, officieux, charitables, amis solides, braves .s§ldats, et bons citoyens «, mais, intrigants ', défiants , jaloux , €u^

13 C0fili«SPbi9I)ANCE.

rieux ,• ava^ea, et leur avarice contient phis leur luie que ne fait leur simplicité. Ils sont ordinaî*- remait graves et flegmatiques ^ mais ils sant fu* riêux dans la colère^ et leup»jt>ié est une ivrefse. Je n'ai rien vu dt si gai que leurs jeux. Il est éton^ jQànt que le peuple franco is danse tristement^ Janiguissamment , de mauvaise grâce ^ et cj[iie leb dalieed suisses soient sautillantes et vives. ^ Lés, hommes y montrent leur vigueur naturelle , et tes filles y ont une légèi^eté ô|^armanie ;. on dii^oit que la terre leur brûle les pieds.

Lès Suivies sont adroits et rudes dans les afw {aires : les François qui les jugent groséiers âônt bîeft moins déliés qffeux^ ils jugent jdé leur es«- pHt prpr leur acceût. cour de Frailce a toU«> j.ours voulil ieùr envoyer des gens fins y et seH toujours trompée. A ce genre d^aserhne ils bat«» tent eommonément les Fran<;oi$ : mais envàyeb- leur des gend droits et fermes , vous ferez d'eux ce que vous voudrez, car naturellement ils vou9 aiment. Le marquis de Bonnac , qui avoit taiit desprit, mais qui jfasséit pour adroit, na rien lait en Suisse; et jadis le maréclial de Baisscnh^ pierre y faisdit tout ee qu il voulbit , parceqo il étoit franc, ou qui! passoit cHezeîixpourrétre; lAf» Suisses négocieront toujours avec avantagé :, è moins qu'ils soiest vcaidus par kiurs nia^^* gistrats , attendu qu'ils peuvent nâdéux se passer d'argent que les puissances ne peuvent se passer d'hommes ; ç^, pour votre Ué, quand ils voù^» ^ont il» s'en awoiit jpas besoin. Il faut avpiiér

ausM qye^ ^^ilsfoni bien leurs traités^ ils leéf exé*" cuteat encore mieux : fidélité qWoa pe se pique pas de leur rendre.

Je ne vous dirai rien , monsietir le maréchal , de kur gouvernement et de leur politique , par« ceque cela me méneroit trop loin , et que je ne veux vous parler que de ce que j'ai vu. Quant ai^ comté de ^eucbatel j'habite, vous savez qu il appartient au Voi de Prusse. Cette petite princi*' pauté, apr^s avoir été démembrée du royaume de Bourgogne et passé successivement dans les liaisons de Qiàlons, d^Hochberg, et de Lon- gueville^ tomba enfin, en 4707, dans celle de SraAdebour^; par la décision des états du pays^ ^ugea naturels des droits des prétendants. Je V^'entrerai poin^ dans Texamen des raisons sur lesquelles le roi de JPrusse lut préféré au prince de Conti ^ ni des influences que purent avoir d autres puis^iamces dans cette affaire ; je me con- tenterai de remarquer que , dans concurrence entre ces deux princes, cetoit un honneur qui Ite pouv<^t manquer au^ Neuchatelois d appar-» tiOiftir un jonr à lui gra^nd^ capitaine. Au reste , ils ont conservé sous leurs souverains à'-peu^près \k mepie liberté qu ont les autres Suisses : mais peuVetre eu spnt-ils plus redevables à leur posi-« iioi^ qu à leur habileté ; car je les retrouve bien remi^nts^ pour des gens sages.

Tout ce que je viens de remarquer des Suisses^^ on général y caractérise encore plus fortement ce peuple-^ci } et le contraste du naturel et de Tir

l4 CORRESPONDANCE.

mitation s'y fait encore .mieux sentir, avçc cette- différence poui^ant que le naturel a moins d'é-. toffe , et qu'à quelque petit coin près la dorure couvre tout le fond. Le pays, si Ton excepte la ville et les bords du lac, est aussi rude que le* reste de la Suisse : la, vie y est. aussi rustique ; et |es habitants, accoutumés à vivre sous des prin« ces, s'y sont encore plus afifei^tionnés aux gran- des manières; de^sorte qu'o» trouve icidu jar^ gon , des airs , dan^ t*e^s les états ; de beaux par- leurs labourauif les champs, et des courtisans- en souq[uenille. Aussi dppelle-t-Qûles Neucha- telois les Gascons d& la Suisse. Ils ont de l'esprit, et ils se piquent de vivacité; ils lisent , et la.lec-^ ture leur profite : les paysans mémespsont in-, struits; ils ont presque tous un petit recueil de livres choisis qu'ils appellent leur bibliothèque; ils sont même assez au courant .pour les nou- veautés; ils font valoir tout cela dans la conver- sation d'une manière qui n'est point, gauche , et ils ont presque le ton du jour comme s'ils vi- voient à Paris. Il y a quelque temps qu'en me promenant je m'arrêtai devant une maison des filles faisoient de la dentelle ; la mère ber-. çpit un petit enfant , et je la regardois faire quand ^e vis sortir de la cabane un gros paysan , qui^, m'al^rdant d'un air aisé , me dit : F'ous voyez qtion ne suit pas trop bien vos préceptes; mais nos. femmes tiennent autant aux vieux préjugés quel- les aiment les nouvelles modes. Je tombois desi

polis pàrceqU'ils &ont façonnier», et gais parcie'« qu'ils sont turbulents. Je crois qu il n y a que les Chinois au monde qui puissetit rem|>orter sur eux à faire dçs cOmpliiiients. Arrivez*TOUS fati^^ gué, pressé, ci'importe, il fkut d abord prêter le flanc à laldn^ue bordée; tant que la marine est tnontée elle jeue , et elle se remonta toujours à chaque arriva nL La politesse françoise est de mettre les gens à leur aise, et même de s y inet-fe tre.au^i : la politesse neuchateloise est de gên^ et soi-même et les autres. Ils ne cotisultent j^^ mais ce qtij toUs convient» mais ce qui peut étà'^ 1er leur prétendu savoir-vivre. Leurs offres exa« gérécis ne tentent point; elles ont toujours je ne sais^quel air de formule, je ne sais quoi de seij et d apprêté qui VQUS invite au refus. Ils sont pourtant obligeants , officieux, hospitaliers très réfdlement, sur-tout pour les gens de qualité : on est toujours sûr detre accjaeilli d*e«x en se donnant pour marquis ou comte ; et comme une ressouirce aussi fadk ne manque pas aua; aven*^ turiers, ils en ont souvent dans leur vilk, qui ;^ur Vordinaire y sont très fêtés : un sim|^ honnête homme avec des malheurs et des ver^ tus ne le seroit pas de même ; on peut y porteiî tmgrandxfomsans mérite, mais non pas un grand mérite sans nom. Du reste, ceux qui servent une fois ils les servent bien« Ils sont fidèles à leurs promesses, et n'abandonnent pas aisément leurs protégés, tl se peut même quils soient aimants et sensibles; mais rien nest plus éloigné dutoK

Année 1763. t-j

an sentiâièïit que celm qu ils prennent; tout ce quils foat par humanité semble être fait par ostentation , et leur vaoité cache lenr bon cœur ^

Cette vspiité est leur vice dominant ; elle perce par-tout, et d autant plus aisément quelle est maladroite. Us se croient tous gentilshommes ^ quoique leurs souverains ne fussent que desgen^ lilshon^mes etix-mêmes. ils aiment la chasse , moins par goût que parceque c est un amuse-^ ment noble. Enfin jamais on ne vit des bopr-« geois si pleins de leur naissance : ils ne la van- tent pourtant pas, Inais on voit quils s en oc-» cupent ; ils nen sont pas fiers , ils n en sont qu'en-* tétés.

Au défaut de dignités et de titres de noblesse ils ont des titres militaires ou municipaux en telle abondance , qu il y a plus de gens titrés que de gens qui ne le sont pas« C est monsieur le colo-^ nel , monsieur le iftajor, monsieur le capitaine, monsieur le lieutenant, monsieur le conseiller, iiftonsieur le châtelain , monsieur le maire , mon* sieur le justicier, monsieur le professeur, mon- sieur le docteur , m^onsieur Fancien : si j avois pu reprendre ici mon ancien métier , je ne doute pas que je n'y fusse monsieur le copiste. Les femmes portent aussi les titres de leurs maris ; madame la conseillère , madame la ministre : j ai pour vcûsine madame la major ; et comme on n y Romnoie les gens que par leurs titres , on est em- barrassé comment dire aux gens qui n'ont que leur nom , c'est comme s'ils n'en ayoient point.

! »7'

l;8 CORUBSPONPiNCE.

Le sexe u y est pas beau ; on dit qu il a d^gé^ néré. Les filles ont beaucoup de liberté et en font usagé. Elles se rassemblent souvent en société , eu Ion joue , Ton goûte, Ton babille , et Ton attire tant qu on peut les jeunes gens ; mais par malheur ils sont rares, et il faut se les arra-^ cher. Les femmes vivent assez sagement : il y a dans le pays d assez bons ménages, et il y en auroit bien davantage si cétoit un air de bien vivreavec son mari. Du reste, vivant beaucoup en campagne , lisant moins çc avec moins de fruit que les hommes, elles n ont pas Fesprit fort orné ; et ^, dams le désoeuvrement de leur vie , elles n ont d'autre ressource que de faire de la dentelle, d-épier curieusement les affaires des autres , de médire, et de jouer. Il y en a pourtant de fort ai- mables ; mais en général on ne trouve pas dans leur entretien ce ton que la décence et rhonnê- teté même rendent séducteifr , ce ton que les Françoises savent si bien prendre ^uand elles veulent , qui montre du sentiment^ de lame ^ et qui promet des héroïnes de roman. La conver^ sation des Neuchateloises est aride ou badine ; elle tarit sitôt qu on ne plaisante pas. Les deux sexes 9e manquent pas de bon naturel ; et je crois que ce n est pas un peuple sans mœurs , mais cest un peuple sans principes , et le mot de vertu y est aussi étranger ou aussi ridicule qu en Italie. La religion dont ils se piquent sert plutôt à les ren- dre hargneux que bons. Guidés par leur clergé^ tis épilogueront sur le dogme j mais pour la mo-

ANNÉE 1763, I9

fale, ils ne savent ce que c'est; car quoiqu'ils ))arlent beaucoup de charité , celle qu'ils ont ti est assurément pas l'amour du prochain , c'est seulemçnt l^fFectation de donner l'auméne. Un chrétien pour eux est un homme qui va au pré- t)fae tous les dimanches ; quoi qu'il fasse dans i'intervaHe, il n'importe pas. Leurs ministres, qui se sont acquis un ^and crédit sûr le peuple tandis que leurs princes étoîent catholiques, voudroient conserver ce crédit en se mêlant de tout , «n chi- tanant surlout , en étendant à tout la juridiction de l'église : ils ne voient pas que leur temps est passé. Cependant ils viennent encore d'exciter dans l'état unefermentation qui achèvera de les perdre. L'importante affaire dont il s'agissoit étoit de savoir si les peines des damnés étoient éternelles. Vous auriez peine à croire avec quelle chaleur cette dispute a été agitée ; celle du jan- sénisme en France n'en a pas approché. Tous les corps assemblés , les peuples prêts à prendre les armes, nxinistres destitués, magistrats inter- dits ; tout marquoit les approches d'une guerre civile ; et cette affaire n'est pas tellement finie qu'elle ne puisse laisser de longs souvenirs. Quand ils se seroient tous arrangés pour aller en enfer , ils n'auroient pas plus de souci de ce qui s'y passe.

Voilà les principales remarques que j'ai faites jusqu'ici sur les gens du pays oii je suis. Elles voijs paréitroient peut-être un peu dures pour un homme qui parle de ses hôtes, si je vous lais-

U0 GOAR^SPONDAHGE.

sois ignorer que je ne leur suis redevable d*attr cune hospitalité. Ce n est point ^ messieurs d^ Neuckatel que je suis venu dèonander un asile quils ne mauroient sûrement pas accordé y c'est à milord-maréchal , et je ne suis ici que chez le roi de Prusse. Au contraire , à mon arrb- vée sur les terres de la principauté , le magistrat de la ville de Neuchatel s est , pour tout accueil , dépêché de défendre mon livre sans le connoi*** tre ; la classe des ministres Fa déféré de même au conseil detat: on na jamais vu de gens plus pressés d'imiter les sottises de leurs voisins. Sans la protection déclarée de milord-maréchal, on ne meut sûrement point laissé en paix dans ce village. Tant de bandits se réfugient dans le pays , que ceux qui le gouvernent ne savent pas distinguer des malfaiteurs poursuivis les inno- cents opprimés , ou se mettent peu en peine den faire la différence. La maison que j'habite appartient à une nièce de mon vieux ami M. Ro« guin. Ainsi , loin davoir nulle obligation à messieurs de Neuchatel , je n ai qu a m'en plain- dre. D'ailleurs je n'ai pas mis le pied dans leur ville, ils me sont étrangers à tous égards ; je ne leur dois que justice en parlant d eux , et je la leur rends.

Je la rends de meilleur cœur encore à ceux d'entre eux qui m'ont comblé de caresses , d'of- fres , de politesses de toute espèce. Flatté de leur estime et touché de leurs bontés, je^me fjrai toujours un devoir et un plaisir.de leur marquer

ANNÉE 1763. ai

mon attachement et ma reconSoissance ; mais I accueil qu'ils m^otit fait n*a rien de' commun avec le gouvernement neucfaatelois , qui m'en eût fait un bien différent s'il en eût été le maître. Je dôi^ dire encore que ^ si la mauvaise volonté du corps des ministres n'est pas douteuse , ]uil^ beaucoup à me louer en particulier de celui donit j'habite lei paroisse. Il me -vint voir à moniarri^ Vée, il me fit mille offres de services qui n etoient point vaines , comme il me Ta prouvé dans une occasion essentielle il s'est exposé à la mau-^ vaise humeur de plusd'ub de ses confrères , pour s'être montré vi*ai pasteur envers moi. Je m'atten-» dois d'autant moins de sa part à cette justice qu'il âvoit joué dans ks précédentes brouilleries un rôle qui n'annonçoit pas uu ministre tolérant. C'est au surplus un homme assez gai dans la so-» ciété , qui ne manque pas d'esprit , qui fait quel- quefois d'assez bons^ermons , et souvent de fort bons contes.

Je «n'aperçois que cette lettre est un livre ^ et je n'en suis encore qu'à la moitié de ma relation. Je vais , monsieur le maréchal , vous laisser re*» prendre baleine , dt mettre le second tome à une autre fois;(i).

(t) Pour apprécier les divers jugements portés dans cette lettre , le lecteur voudra bien faire attention à Té- po^ue de sa date et au lieu c^u'habitoit Fauteur.

^2 dORBESPOKDANCf.

A M. LE MARÉCHAL DE LUXEM60CRG.

/ Motiers, le 38 janvier 1763.

n faut , monsieur le maréchal , aveir du cou- lage pour*décrire en cette saison le lieu que j ha- bite. Des cascades , des glaces , des fochers tius ^ des «lopins noirs couverts de neige y sont les ob- jjets dont je suis entouré ; et à Timage de l'hiver le pays ajoutant Taspect de Taridité ne promet^ à le voir , qu'une description fort triste. Aussi a-t^il l'air asisez nu en toute saison ^ mais il est presque effrayant dans celle-ci II faut donc voua le représenter comme jej'ai trouvé en y arrivant^ et non comme je le >ois aujourd'hui^ sans quoi l'intérêt que vous prenez à moi m'eaipêcheroit de vous en rien dire.

Figurez-vous donc un vallon d une bonne de-« mi-lieue de lairge et d'environ deux lieues de long, au milieu duquel passe une petite rivière appelée laBeuse, dans la direction du nord-ouest au sud- est. Ce vallon , formé par deux chaînes de mon- tagnes qui sont des^branches du Mont-Jura et qui, se resserrent par les deux bouts , reste pourtant assez ouvert pour laisser voir au loin ses prolon- gements , lesquels divisés en rameaux par les bras des montagnes oiFfrent plusieurs belles perspec- tives. Ce vallon, appelé le Val -de-Travers, du nom d un village qui est à son extrémité orien- tale, est garni de quatre ou cinq autres villages à peu de distance les uns des autres : celui de

' ANNÉE 1763. 23

Motîers, qui fotme le milieu, est domibé par un* Tieuïchàteau désert^ dont le voisinage et lasitu a* tion solitaire et sauvage m'attirent souvent dans mes promenades du matin, d-antant plus que je puis sortir de ce cèté par une porte de derrière s^ns passer par la rue ni devant aucune maisoi^ On dit que les bois et les rochers qui environ* nent ce château sont fort remplis de vipères ; ce-* pendant , ayant beaucoup parcouru tous les en* viron^et m'étant assis- à toutea sortes de places^ je n'en ai point vu jusqu'ici.

Outre ces villages on vok vers le bas des mon- tagnes plusieurs maisons éparses ; qu'on appelle des prises , dans lesquelles on tient des bestiaux et dont plusieurs sont habitées par les proprié- taires ^ la plupart paysans. Il y en a une entre autres à nii*c6te nord, par conséquent exposée au midi , sur uneterrasse naturelle , dans la plus * admirable position que j'aie jamais vue , et dont le difficile accès m'eût rendu l'habitation très commode. J'en fus si tenté, que dès la première fois je n^'étoîs presque arrangé avec le proprié- taire pour y loger ^ mais on n^'â depuis tant dit de mal de cet homme, qu'aimant encore mieux la paix et la sûreté qu'une demeure agréable^ j'ai pris le parti de rester je suis« La maison que j'occupe est dan&un^ moins belle position, mais elle est grande , assez commode ; elle a une ga- lerie extérieure je me pïroméne dans les mau- vais temps , et , ce qui vaut mieux que tout le re&te ^ c est un asile offert par lanxitié.

•X

©4 CORRESPONDAHCE,

La Reuse a sa source au-dessus 4'qn village ap^ pelé SamtrSulpice, à rextréipaiië occicleatale du vallon ; elle ^^ sort au village de Trav^^rs » à l'awtrf extrémité ^ elle commence ^ se creuser un lit, qui devient bientôt précipice , et la^condiiit enfiii ^ans le lac de Neuchatel. Cette Reuse est une très jolie rivière, daire et brillante comme de Fargent , les |;ruites ont bien de la peine à m cacher dans des toiiffes d'heï'b^s* On la voit sort tir tout d'un coup de terre àsa source ^ noivpoint en petite fontaine ouruisseau, mais toulfi grande et déjà rivière , comme la fontaine de Vaucluse, en bouillonnant à travers les rochers. Comme luette source est fort enfoncée dans les roches es- carpées d'une montagne , on y -esl; toujours à l'ombre ;.et la fraîcheur continuelle , le bruit, les phutes, le cours de leau , m attirant leté à tra-«- 'vers ces roches brûlantes, me font souvent mettre en nage pour aller chercher le frais près de ce murmure, ou plutôt près de oe fracas, plus flatteur à n^on oreille que celui de la rife Saint-ir Martin,

L'élévation dés montagnes qui forment le val- lon n'est pas excessive, mais le vallon même est mctntagne , étant fort élevé au-dessus du lac ; et le lac, ainsi que le sol d^ toute la Suisse, est en«- core extrêmement élevé sur les pays de plaines, élevés à leur tour au-dessus du niveau de la mer. On peut juger sensiblement de la pente totale par le long et rapide cours des rivières , qui , de$ montagnes de Suisse, vont se rendre les unes

ÀKNÉÊ 1763. 25

dans la Méditerranée et les antres dans FOçéan, jA^insi, quoique la Reuse traversant ie vallon soit sujette à de fi*équei|ts débordements , qui font des bords de son iit une espèce de marais, on hY sent point marécage , Fair ny est point htmtide et malsain , }a vivacité qu il tire de son élévation Tempéchant de rester iong-temps cfaar^ de vapeurs grossières ; les brouillards , assez fi'équents i«s matins , cèdent pour Fordinaire à^ Faction du soleil à mesure qu'il s'élève.

Comme entre les montagnes et les vallées I9 vue est toujours réciproque, celle dont je jouis éci dans un fond n'est pas moins vaste que celle <}ue j'avois sur les hauteurs de Montmorency, ^ mais elle est d'un autre genre ; elle ne flatte pas , f elle frap^^e ; elle est plus sauvage que riante ; Fart n'y étale pas ses beautés, mais la majesté de la nature en impose; et, quoique le parc de Vejp^^ '? sailles soit plus grand que ce vallon , il ne pâr^U jtroit qu'un colifichet en sortant d'ici. Au pre-^ mier coupHol'oeil , le spectacle , tout grand qu'il est\ semble un peu nu; on voit très peu d'arbres dans* la vallée ; ils y viennent mal , et ne donnent presque aucun fruit ; l'escarpement des monta* gnes, étant très rapide, montre en divers en^ droits le gris des rochers ; le noir des sapins coupe ce gris d'une nuance qui n'est pas riante, et ces sapins si grankls , si beaux quand on est dessous, ne paroisèenr au loin que des arbrîsw seaux , ne promettent ni Fasilej'ni l'ombre qu'ils jionnent ; le fond du valloA^presqne au niveç^ii

25 CORBBSPONDiLNGEr.

de la rivière, semble n ofïrir à ses deux, bords; qu un large marais Ton ne sauroit marcher; la réverbération des rochers n annonce pas dans fin lieu sans arbres une promenade bien fraîche quand lesoleil luit ; sitôt qu il se couche^ il laisse à peine un crépuscule, et la hauteur des monts, interceptant toute la lumière, fait passer pres- que à Finstant du jour à la nuit.

Mais , si la première impression de tout cela n est pas agréable, elle change insensiblement par un examen plus détaillé; et,, dans un pays Ton croyoit avoir tout vu du premier coup- d'œil , on se trouve avec surprise environné d'ob- jets chaque jour plus intéressants. Si la prome* nade de la vallée est un peu uniforme, elle est en revanche extrêmement commode ; tout y est du niveau le plus perfait, les chemins y sont «mis comme des allées de jardin ; les bords de la rivière offrent par places de larges pelouses d'un plu« beau vert que les gazons du Palais-Royal , et. Ton s'y promène ayec délices le long de cette belle eau , qui dans le vallon prend un cours pai- sible en quittant ses cailloux et ses rochers qu'elle retrouve au sortir du Val-de-Travers. On a pro- posé de planter ses bords de saules et de peu- pliers, pour donner, durant la chaleur du jour^ de l'ombre au bétail désolé par les mouches. Si jamais ce projet s'exécute , les bords de la Beusa deviendront aussi charmants que ceux du Li^ gnon , et il ne leur manquera plus que des As?»^ trées , des Silyandres , et un d'Urfé^

* ANNÉB 1763, 27

Comme la direction du vallon coupe oblique- ment le cours du soleil , la hauteur des monts jette toujours de l'ombre par quelque côté sur la plaine, de sorte quen dirigeant ses prome- nades , et choisissant ses heures , on peut aisé* ment faire à 1 abri du soleil tout le tour du val- lon. D^ailleurs, ces mêmes montagnes, intercep- tant ses rayons, font qu il se lève tard et se couche de bonne heure , en sorte qu'on n'en est pas long- temps brûlé. Nous avons presque ici la def de l'énigme du ciel de trois aunes, et il est certain que les maisons qui sont près de la source de la Reuse n'ont pas trois heures de soleil même en été.

Lorsqu'on quitte le bas du vallon pour se pro- mener à mi-c6te, comme nous fîmes une fois, monsieur le maréchal , le long des Champeaux , du côté d'Andilly, on n'a pas une promenade aussi commode ; mais cet agrément est bien compensé par la variété des sites et des points de vue, par les découvertes que l'on fait sans cesse autour de soi, par les jolis réduits qu'on trouve dans les gorges des montagnes , le cours des torrents qui descendent dans la vallée, - les hêtres qui les ombragent , les coteaux qui les entourent , ofïrent des asiles verdoyants et frais quand on suffoque à découvert. Ces réduits , ces petits vallons, ne s'aperçoivent pas tant qu'oia regarde au loin les montagnes; et cela joint à l'agrément du lieu celui de la surprise , lorsqu'on vient tout d'un coup à les découvrir. Combien .

s8 CORRESPOND^iNCE.

de fois je me suis figuré, vous silivatit à la pro- menade et tournaût autour d'un rocher aride, vous voir surpris et charmé de retrouver des bosquets pour les dryades , pu vous n aurieï; cru trouver que des antres et des ours !

Tout le pays est plein de curiosités naturelles quon ne découvre que peu-à-peu, et qui, par ces découvertes successives , lui donnent chaque jour lattrait de la nouveauté. La botanique of«* fre ici ses trésors à qui sauroit les connoître; et souvent, en voyant autour de moi cette profti^ sion de plantes rares , je les foule à regret sous le pied d un ignorant. Il est pourtant nécessaire d'en connpître une pour se garantir de ses ter^ ribles effets ; c'est le napel. Vous voyez une très belle plante haute de trois pieds , garnie de jolies fleurs bleues , qui vous donnent envie de la cueil* Uï; mais, à peine Va-t-oa gardée quelques mi-* nutes, qu'on se sent saisi de maux de têt^, de vertiges, d'évanouissements, et Ton périroit si l'on ne jetoit promptement ce funeste bouquet. Cette plante a souvent cause des accidents à des enfants et à d'autres gens qui ignoroieut sa per* ificjeu«e vertu. Pour les bestiaux, ils n'en appro- cheiit janit&is, et ne broutent pas même l'herbe qui l'entoure. Les faucheurs l'extirpent autant qmils:pieuvent ; quoi qu'on fasse, l'espèce en reste, et je ne laisse pas d'en voir beaucoup ep mp prbmena&t sur les montagnes ; mais on l'a dé^ fruité à-peu-près dans le «vallon.

A une petite lieuéde Motiers , dans la seigneui»

ANNÉfi 1763. 2g

rîe de Travers, est une mine d asphalte, qu'on dit qui s étend sous tout le pays : les habitants lui attribuent modestement la g^aieté dont ils se vantent, et quils prétendent se transmettre nifème à leurs bestiaux* Voilà sans doute une belle vertu de ce minéral ; mais, pour en pouvoir sentir^fefificace , il ne faut pas avoir quitté le efaâteau de Montmorency. Quoi qu i}en soit des merveilles quils disent de leur asphalte, jaî donné au seigneur de Travers un moyen sur d'en tirer la médecine universelle; c e§t de foire Une bonne pension à Lorry ou à Bordeu.

Au-dessus de ce même village de Tra#?rs, il se (ît il y a deux ans un avalanche considérable, et de la façon du monde la plus singulière. Un homme qui habite au pied de la montagne avoit son champ devant sa fenêtre , entre la montagne et sa maison. Un matin, qui suivit une nuit d'orage, il fut bien surpris, en ouvrant sa fenêtre, de trouver un bois à la place de son champ ; le terrain , s'éboulant tout d'une pièce , avoit recouvert son champ des arbres d'un bois qui étoit au-dessus ; et cela , dit-on , fait entra les deux propriétaires le sujet d'un procès qui pour- voit trouver place dauè le recueil de Pitaval. L'espace que l'avalanche a mis à nu est fort grand et paroit de loin; mais il faut en appro- cher pour juger de la force de Féboulement, de Vétendue du creux, et de la grandeur des ro- chers qui ont été transportés. Ce fait récent et certain reijd croyable ce que dit Pline d'une

3o CORRESPONDANCE.

\igne qm avoit été aÎDsi transportée d'un côté du chemin à lautre. Mais rapprochons-nous de mon habitation. /

J'ai vis^-vis de mies fenêtres une superbe cas- cade , qui ^ du haut la montagne^ tombe par l'escarpement d'un rocljer dans le vallon, avec un bruit qui se fait entendre au loin, sur-tout quand les eaux sont grandes. Cette cascade est très en vue^ mais ce qui ne l'est pas de même , est une grotte à côté de son bassin , de laquelle l'entrée est difficile, mais qu'on trouve au-de- dans assez espacée^ éclairée par une fenêtre na- turell^n cintrée en tiers-point , et décorée d'un ordre d'architecture qui n'est ni toscan , ni do^ rique, mais l'ordre de la nature qui sait mettre des proportions et de l'harmonie dans ^es ou- vrages les moins réguliers. Instruit de la situa-' tion.-de cette grotte , je m'y rendis seul l'été der-» nier pour la contempler à mon aise. L'extrême sécheresse me donna la facilité d'y entrer par une ouverture enfoncée et très surbaissée, en me traînant sur le ventre, car la fenêtre est trop haute pour qu'on puisse y passer sans échelle. Quand je fus au-dedans, je m'assis sur une pierre , et je me mis à contempler avec ravis-- sèment cette superbe salle dont les ornements sont des quartiers de roche diversement situés , et formant la décoration la plus riche que j'aie jamais vue , si du moins on peut appeler ainsi celle qui montre la plus giiande puissance, celle qui attache et intéresse, celle qui fait penser, qui

ANNÉE 1763. 3l

^lëv^ Tame, ceile qui force rhomfxie à oublier sa petitesse pour ne penser qu'aux œuvres de la nature. Des divers rochers qui meublent cette caverne, les uns détachés et tombés de la voûte, les atitresencore pendants et diversement situés» marquent tous dans cette mine naturelle lefifet de quelque explosion terrible dont la cause pa« roit difficile à imaginer^ car même un tremble- ment de terre ou un volcan n expliqueroit pas cela d'une manière satisfaisante. Dans le fond de la grotte^ qui va en s élevant de même que sa voûte, on monte sur une espèce d*estrade , et de , par une pente assez roide , sur un rocher qui mène de biais à un enfoncement très obscur par Ion pénétre sous la montagne. Je n ai point été jusque-là, ayant trouvé devant moi un trou large et profond qu'on ne sauroit franchir qu'a- vec une planche. D'ailleurs, vers le haut de cet epfoncemént , et presque à l'entrée de la galerie souterraine , est un quartier de. rocher très im- posant ; car , suspendu presque en l'air , il porte à faux par un de ses angles , et penche tellement^ en avant qu'il semble se détacher et partir pour écraser le spectateur. Je ne dcAite pas cependant qu'il ne soit dans cette situation depuis bien des siècles , et qu il n'y reste encore plus long-temps : mais ces sortes d'équilibres , auxquels les yeu^ ne sont pas faits, ne laissent pas de causer quel-, que inquiétude , et quoiqu'il fallût peut-être des forces immenses pour ébranler ce rocher qui: paroit si prêt h tomber, je craindrois d'y tou-

\

32 COURÉSPOISDANCÈ.

cher du bout du doigt , et ne voudrois pas pïuâ tester dans la direction de sa chute que sous le-* pée de Damoclès^

La galerie souterraine ^ à laquelle cette grottd sert de vestibule, ne continue pas daller en uiontaat ; mais elle prend sa pente un peu vers le bas, et suit la niième inclinaison dans tout 1 espace qu on a jusqu'ici parcouru. Des curieuî^ s y sont engagés à diverses fois avec dés doraes"* tiques , des ftanibeaux et tous les secours néeels*^ saires; mais il faut du courage pour pénétrer loin dans cet effroyable lieu, et de la vigueur pour ne pas ay trouver mal. On est allé jusqu a près de demi-lieue en ouvrant le passage il est trop étroit, et sondant avec précaution le» gouffres et fondrières qui sont à droite et à gauche : notais on pvétend , dans le pays , qu on peut aller par le mênoje souterrain à plus de deux lieues jusqu a lautre côté de ^a montagne , Ton dit qu il aboutit du coté du lac, non loin de lembouchure de la Reuse.

Au*dessous du bassin de la même cascade est une autre grotte plus petite , dont Fabord est embarrassé de plusieurs grands cailloux et quar. tiers de roche qui paroissent avoir été entraînés par les eaux. Cette grotte-ci n étant pas si prajticable que Fautre , n'a pas de même tenté ]es curieux. Le jour que j en examinai Fou* \:erture il faisoit une chaleur insupportable; ce- pendant il en sortoit un vent &i vif et si froid , que je nosai rester long*temps à Feutrée, et

(

l

ANNÉE 1763. 33

toutes les fois que j y suis retourné j'ai toujours ^Dti le même vent; ce qui me fait juger quelle a une communication plus immédiate et moins embarrassée que Tautre.

A louest de la vallée , une montagne la sépare en deux branches , lune fort étroite , sont le village de Saint-Sulpice, la source de la Reuse» et le chemin de Pontarlier. Sur ce chemin , fou voit encore une grosse chajine y scellée dans le rocher, et mise jadiis par les âWîsses pour fermer de ce côté-là le passage aux Bourgui- gnons.

L autre branche, plus large , et à gauche de la ' première, mène par le village de Butte à un pays perdu appelé la Côte aux Fées y qu'on aperçoit de loin parcequil va en montant. Ce pays n étant sur aucun chemin , passe pour très s^u wge et en quelque, sorte ^pour le bout du monde. Aussi pi:*étend-on que c etoit autrefois le séj our des fées , et le noni lui en est resté : on y voit encore leur.salle d'assemblée dans une troisième caverne qui porte aussi leur nom , et qui n est pas pi oins curieuse que les précéden- tes, Jç n'ai pas vu cette grotte aux Fées', parce- qu'elle est assez loin d'ici ; mais on dit qu'elle .étoit superbement ornée, et l'on y voyoit en- core il n'y «a pas long-temps un trône et des sièges très bien taillés dans le roc. Tout cela a été gâté et ne paroit presque plus aujourd'hui. D'ailleurs, l'entrée de la, gratte est presque en- tièrement bouchée par les décombres , par les

17. . 3

34 CORKESPONDANCE.

broussailles; et la crainte des serpents et des bêtes venimeuses rebute les curieux dy vouloir pénétrer. Mais si elle eût été praticable encore et dans sa première beauté, et que madame maréchale eût passé dans ce pays , je suis sûr quelle eût voulu voir cette grotte singulière, n eût-ce été qu'en faveur de Fleur-d'Épine et des Facardins.

Plus j exajnine en détail l'état et la position de ce vallon, plus je me persuade qu'il a jadis été sous l'eau ; que ce qu'on appelle aujourd'hui le Val-de-Travers fut autrefois un lac formé par la Reusé, la cascade, et d'autres ruisseaux, et con- tenu par le^ montagnes qui l'environnent , de sorte que je ne doute point que je n'habite l'an- cienne demeure des poissons ; en effet le sol du vallon est si parfaitement uni qu'il n'y a qu^un dépôt formé par les eaux qui puisse l'avoiiprinsi nivelé. Le prolongement du vallon, loin de des- cendre, monte le long du cours delà Reuse, de sorte qu'il a fallu des temps înftnis à cette rivière pour secaver , dans les abymes qu'elle forme, un cours en sen^contraire à l'inclinaison du terrain. Avant ces temps , contenue de ce côté , de même que de fous les autres, et forcée de refluer sur elle-même , elle dut enfin remplir le vallon jus- qu'à la hauteur de la première grotte que j'ai dé-* crite, par laquelle elle trouva ou s'ouvrit un écoulement dans la galerie souterraine qui lui servoit d'aquéduc.

Le petit lac demeura donc constamment à cette

ANNÉE 1763. 35

hauteur jusqu à ce que par quelques ravages, fr^ queûts au pied des montagnes dans les grandes eaux , des pierres ou graviers embarrassèrent tel- lemeiltle canal que leseauxn eurentplus un cours suffisant pour leur écoulement. Alors s étant ex- trêmement élevées , et agissant avec une grande force contre les obstacles qui les retenoient, elles s'ouvrirent enfin quelque issue par le côté le plus foibleet le plus bas. Les premiers filets échappés ne cessant de creuser et de s agrandir, et le niveau du lac bftssant à proportion , à force de temps le vallon dut enfin se trouver à sec. Cette conjecture, qui m est venue en examinant la grotte Ton voit des traces sensibles du cours de leau , s est confirmée premièrement par le rapport de ceux qui ont été dans la galerie souterraine , et qui m ont dit avoir trouvé des eaux croupissantes dans les creux des fondrières dont j ai parlé , elle s est confirmée encore dans les pèlerinages que j ai faits à quatre lieues d'ici pour aller voir mi- lord-maréchal à sa campagne au bord du lac , et oii je suiyois, en montant la mo/itagne, la ri- vière qui descendoit à côté de moi par des pro- fondeurs effrayantes, que^ selon toute apparence, .elle n'iâ pas trouvées toutes faites , et qu elle n'a pas non plus creusées en un jour. Enfin , j'ai pen- que Fasphalte, qui nest quun bitume durci, étoit encore un indice d'un pays long*temps im- bibé paroles eaux: Si j'osois croire que ces folies pussent vous amuser , je tracerois sur le papier une espèce de plan qui pût vous éclaircir tout

3.

36 CORRESPONDANCE.

cela : inais il faut attendre qu une saison plu9 favorable eX un peu de relâche à mes maux m^ lai:ssent en état de parcourir le pays. . On peut vivre ici puisqu'il y a des habitants. On y trouve même les principales commodités de la vie , quoiqu'un peu mt)ins facilement qu'en France. Les denrées y sont chères , parceque le pays en pt^oduit peu et qu'il est fort peuplé , sur- tout depuisrqu'on y a établi des manufactures de toile peinte, et que les travaux d'horlogerie et de dentelle s'y multiplient. Pour y avoir du paib «naiiçeable, il faut le faire chez soi; et c'est parti que j'ai pris à l'aide de mademoiselle ht Vasseur; la viande y est mauvaise > non que le pays n'en produise de bonne ; mais tout le bœuf va à Oenève ou à Neuchatel , et l'on ne tue ici que <le la vache. La rivière fournit d'excellentlfe truite , mais si délicate qu'il faut la manger sor-*- tant de l'eau. Le vin vient de Neuchatel , et il est très bon, sur-tout le rouge : pour moi, je m'en tiens au blanc, bien moins violent, à meilleur marché, et s^lon moi beaucoup plus sain. Point volaille, peu de gibier, point de fruit, pas même des pommes ; seulement des fraises bien -parfumées , en abondahce et qui durent long- temps. Le laitage y est excellent , moins pourtant que le fromage -de Viry, préparé par mademoi- -selle Rose ; les eaux y sont claires et légères : ce n'est pas pour moi une chose indifférente que de bonne eau , et je me sentirai long-temps du mal que m'a fait celle de Montmorency. J'ai sôii^

AÎTNÉE 1763, - >7

ma fenêtre une très belle fontaine dont le bruit fait une de mes délices. Ges fontaines , qui sont élevées et taillées en colonnes ou en obélisques , et coulent par des tuyaux de fer dans de grands, bassins, sont un des ornements ^e la Snisse. Il ny a si chétif village qui nen ait au moins deux ou trois , les maisons^cartées ont presque cha- cune la sienne, et Ion entfouve même sur lesche- . mins pour la commodité des passants, hommes et bestiaux. Je ne saurois exprimer combien Tas- pect de toutes ces belles eaux coulantes est agréa- ble au notilieu des rochers et des bois durant les chaleurs ; Ton e^ déjà rafraîchi par la vue , et Ton est tenté d en boire sans avoir soif. / Voilà, monsieur le maréchal, de quoi vous former quelque idée du séjour que j'habite , et auqud vous voulez bien prendre intérêt. Je dois Faimer comme le seul lieu de la terre la>vérité ne soit pas un crime, ni 1 amour du genre humaià une impiété. Jy trouve la sûreté sous la protec- tion de milord-maréchal et lagrément dans son comnxerce. Les habitants du lieu m y montrent de la bienveillance et ne me traitent point en proscrit. Gomment pourrois-je n'être pas tour- ché des bontés qu on m'y témoigne , moi qui dois tenir à bien%it de la part de^ hommes tout le mal qu'ils ne me font pais ? Accoutumé à porter depuis si long-temps les pesantes, chaînes de la nécessité , je passerois ici sans regret le reste de -ma. vie , si j'y pouvois voir quelquefois ceux qui me la font encore aimer.

38 CORRESPONDANCE,

A M. MOULTOU.

«

, Motiers, le ao janvier 1763.

Je suis en souci, cher ami, de ce que vous^ m avez marqué que ma lettre par le messager vous est arrivée malcacheffee. Je cachette cepen- dant avec soin toutes 1^ lettres que. je vous écris. Cela m'apprendra à ne plus me servir du naessa- ger. Mais ce n est pas assez , il faut vérifier le fait ; coupez le cachet de ma lettre, et me l'envoyez; je verrai bien si Ton y a touché. Si on la fait, je crois que eest ici , le messager ^yant différé soa départ de plusieurs jours , durant lesquels -il avpit ma lettre, dont il ai:^ra pu parler, et que les curieux auront été tentés de lire. Quoi qu'il en soit , j'estime que, dans le doute, si la lettre a été ouverte, vous ne devez point donner votre écrit , du moins quant à présent.

Comment avez-vous pu imaginer que si j'a-^ vois écrit des mémoiresdema vie,j'aurois choisi M. de Montmollin pour l'en faire dépositaire? Soyez sûr que la reconnaissance que j'ai pour sa conduite envers moi ne m'aveugle pas à ce point ; et quand je me choisirai un confesseur, ce ne sera sûrement pas un homme d'é|^ise; car je ne regarde pas mon cherMoultou comme tel. H est certain que la vie de votre malheureux ami, que je regarde comme finie, est tout ce qui me reste à faire , et que l'histoire d'un homme qui aura le

ANNÉE. 1763. 3^

courage de fe montrer intus et in ente peut être de quelque iixstruction à se^ semblables ; mais •cette entreprise a des difficultés presque insur- montables; car, malheureusement ^ n ayant pas toujours vécu seul, je nesauroisme peindre sans peindre beaucoup d autres gens; et je n'ai pas droit d être aussi sincère pour eux que pour moi| du moins avec le public et de leur vivant. Il y auroit peut-être des* arrangements à prendre pour cela qui denpian'deroient le concours d un homme sur et d'un véritable ami : ce n est pas d aujourd'hui que je médite sur cette entreprise, qui n çst pas si légère qu elle peut vous paroître ; et je ne vois qu un moyen de Texécuter , duquel je voudrois raisonner avec vous. J'ai une chose à vo«s proposer. Dites-moi , cher Mpultou , si je reprenois assez de force pour être sur pied cet été , pourriez-vous vous ménager deux ou trois mois à me donner pour les p^ser à-peu-prè^ tête à tête? Je ne voudrois pour cela choisir ni Motiers ^ ni Zurick , ni Genève, mais un lieu au- quel je pense, et les importuns nevieijdroient pas nous chercher, du moins de sitôt. Nous y trouverions un hôte et un ami, et même des so- ciétés très agréables, quand n&us voudrions un peu quitter notre solitude. Pensez à cela , et di- tes-m'en votre avis. Il ne s'agit pas d'un long voyage. Plus je pense à ce projet , et plus je le trouve charmant. C'est mon dernier château en Espagne y dont lexécutipn ne tient qu'à ma sau-

4o ^COftRïSPONDAACE.

et, à VOS afiPaires. Pensez-y, et nie répondez* Cher artii, que je vive encore deux mois, et je meurs content.

Vous me proposez d'aller prés de Genève chercher des Recours à mes maux ! Et quels se- cours donc? Je n'en connois point d'autres quand je soufFre que la patience et la tranquillité : mes amis même alors me sont insupportables , pàrce- quil faut que je me gêne pour ne pas les affliger. Me croyez-vous donc de ceux qui méprisent la médecine quand ils se portent bien , et l'adorent quand ils sont malades? Pour moi, quand je le suis , je me me tiens coi, en attendant la mort ou la guérison. Si j'étois malade à Genève, c'est ici que je viendroi^ chercher les secours qu'il me faut. *

J'écris àRoustan pour lui conseiller d'ajouter quelque autre écrit au sien , pour en faire une espèce de volume dont il sera plus aisé de tirer quelque parti que d'une petite brochure. Don- nez-lui le même conseil. Si son ouvrage étoit de nature à pouvoir être imprimé à Paris ( oh paye mieux les manuscrits qu'en Hollande , rieii ne met à l'abri des contre-façons), je pourrois le lui négocier bien plus aisément; mais cela n'est pas possible. Tandis qu'il travaillera , le temps du voyage de Rey viendra, et je lui par- lerai. Je lui ai pourtant écrit; mais il ne m'a point encore répondu. Si Roustan veut s'en te- nir à ce qu'il a fait , il y'a un Grasset à Lausanne qui peut-être pourroit s en charger : cela seroit

* ANNÉE 1763. 4».

bien plue commode, et épargneroit des embar- ras et des frais. Il n y a pas lons^emps que Rey ma refusé un ezcelleat manuscrit au profit d'une pauvre T«uve, et duquel milord-maréchal est dépositaire. Gela me fait craindre qu il n'éft feisse autant de celui-ci.

Adieu; je vous .embrasse. Mon état^est tou- jours le même : mais cependant Thiver tend à sa fin : nous vendons ce que pourra faire une saison moins rude.

Savez-vous qu'on entreprend à Paris une édi- tion générale de mes écrits avec la permission du gouvernement ? Que dîtefr-vous de cela ? Sa- vBz-vous que Timbécille Néaulme et l'infatigable Formey travaillent à mutiler mon Emile, qm- quel ils auront l'audace de laisser mon nom, Bprès l'avoir rendu aussi plat queux?

A M. PETIT-PIERRE, ^

PRO'cun,JEUR A NEUCHATEL.

r

Motiers, 1763.

Je n'ai point , monsieur, de satisfaction à faire au christianisme., parceque je ne l'ai point of- fensé ; ainsi je n'ai que faire pour cela du livre de M. Denise.

Toutes les preuves de la vérité de la religion chrétienne sont contenues dans la Bible. Ceux qui se mêlent d'écrire ces preuves ne font que les tirer de et les retourner à leur mode. Il vaut mieux méditer l'original et les en tirer soi-

42 ÇORRESPONDAIÎCE.

même , que de les chercher dans le fatras de ce$ auteurs. Ainsi , monsieur ^ je n'ai que faire en^ core pour cela ou livre de M. Denise.

Cependant, puisque vous m'assurez qu'il est lion , je veux bien le garder sur votre parole pour le lire quand j en aurai le loisir, à condition que vous QLWjpz la bonté de me faire dire ce que vous a coûté lexemplaire que vous m avez envoyé, et de trouver bon que j en remette le prix à votr^ commissionnaire; faute de quoi le livre lui serqi rendu sous quinze jours pour vous être renvoyée

Je passe, monsieur, à la réponse à vos deux questions. i >

Le vrai christianisn^e n est que la religion na- turelle mieux expliquée, comme vous le dites vous-même dans la lettre dont vous m'avez ho- noré. Par conséquent , professer la religion na-^ turelle n'est point se déclarer contre le christia- nise.

Toutes les connoissances humaines ont leurs objections et leurs difficultés souvent insolu- bles. Le christianisme a les siennes , que l'ami de la vérité , l'homme de bonne foi , le vrai chré- tien , ne doivent point dissimuler. Bien ne me scandalise davantage que de voir qu'au lieu de résoudre ces difficultés on nie reproche de les avoir dites. pi^enez-vous , monsieur, que j'aie dit que mon motif à professer la religion chré- tienne est le pouvoir qu'ont les esprits de ma sorte d'édifier, et de scandaliser? Cela n'est ^ssu-

ri

rément pas dans ma lettre à de Montmollin^

ANNÉE 1763. 45

ni rien d'approchant, et je n'ai jamais dit ni écrit pareille sottise.

Je n ainie ni n'estime les lettres anonymes , et je n y réponds jamais ; mais j ai cru , monsieur , vous devoir une exception par respect pour votre âge et pour votre zèle. Quant à la formule que vous avez voulu m'éviter en ne vous signant pas , c'étoit un soin superflu; car je n écris rien (|ueje ne veuille avouer hautement, et je n'emploie jamais de formule.

A M. MOULTOU.

Mo tiers , le 1 7 février 1763^.

Je ^e suis hâté de brûler votre lettre du 4 j comme vous le désiriez ; je ferai plus , je tâcherai de l'ouWier. Je ne sais ce qui vous est arrivé ; maisivous avez bien changé de langage. Il y a six mois que vous étiez indigné conU*ç M. de Voltaire, de ce qu'il me supposoit capable du quart des bassesses que vous me conseillez main- tenant. Vos conseils peuvent être bons , mais ifi ne me conviennent pas. Je sais bien qu'après avoir donné le fouet aux en£aints , très souvent à tort , on leur fait encore demander pardon \ mais outre que cet usage m'a toujours paru extrava- gant, il ne va pas à ma barbe grise. Ce n'est point à l'offensé à demander pardon des outrages qu'il a reçus ; je m'en tiens là. Ce que j'ai à faire est de pardonner , et c'est ce que je fais de boa coeur ) même sans qu'on me le demande^ mai9

44 -CORRESPONDANCE.

quej*aille, à mon âge, solliciter, comme tm éco- lier, des certificats de consistoire, il me paroit singulier que vous Tayez imaginé possible. Vos ministres et moi sommes loin de compte i ils ont cru , sur ma lettre à M. de MontmoUin , avoir trouvé une occasion favorable de me faire rarm* per sous eux. Ils auront tout le temps de se dés- abuser. Puisqu'ils se sont ôté mon estime , ils s'accommoderont , s il leur plait, de mon mé- pris. Je leur ai donné des témoignages publics de cette estime ; j'ai eu tort , et voilà le seul tort qu'il me reste à réparer.

Mon cber, je suis, dans ma religion^ tolérant par principes, car je suis chrétien : je tolère tout , hors l'intolérance ; mais toute inquisition * m'est odieuse. Je regarde tous les inquisiteurs comme autant de satellites du diable. Par cette raison , je ne voudrais pas plus vivre à G«néve quà Goa. Il n'y a que les athées qui pmssent vivre en paix dans ces pays-là , parceque toutes les professions de foi ne coûtent rien à (pii n'en a dans le cœur aucune; et, quelque peu que je sois attaché à la vie, je ne suis point curieux d'aller chercher le sort des Seryet. Adieu donc, messieurs les brûleurs. Rousseau n'est pas votre lipmme ; puisque vous ne voulez point de lui y parcequ'il est tolérant , il ne veut point de vous par la raison contraire.

Je crois, mon cher Moultou^ que, si nous nous

étions vus et expliqués , nous nous serions épar*

: gué bien des malentendua dansaxo&lettres. Yous

ANNlÈE 1763, 4d

Ile poiAT^z pas vous mettre à ma place > ni voir les choses daûs mon point de •vue. Genève reste toujours sOus vo? yeux, et s'éloigne des miens tous les jours davantage; j'ai pris mon parti.

J ai peur que mon état, qui empire sans cesse, ne m'empêche d'exécuter notre projet : en ce cas il faudra que vous me veniez voir; et à^tout événement ce seroit toujours un préliminaire qui me feroit grand plaisir. Adieu.

J'approuve très fort que vous ne songiez point à publier ce que vous avez fait. Tout cela ne ser- viroit plus à rien-, et vous ne feriez que vous i compromettre. ,

« A M. DAVID HUME.

Motîers^Travers, le 19 février i763.

Je n'ai reçu qu'ici, monsieur, et d^pyispeu ,. la lettre dont vous m'honoriez àLondres 2 juil- let dernier, supposant que j'étois dans cette ca- pitale. C'étoit sans doute dans votre nation et le plus près de vous qu'il m'eût été possible que j'aurois cherché ma retraite, si j'avois prévu l'accueil qui m'attendoit dans ma patrie. Il n'y avoit qu'elle que je pusse préférer à l'Angleterre; et cette prévention, dont j'ai été trop puni, m'étoit sdors bien pardonnable; mais à mon grand étonnement, et même à celui du public, je n'ai trouvé que des affronts et des outrages j'espérois , sinon de la reconnoissance , au moins des cAisolations. Que de choses m'ont fait re-

46 CORRESPONDANCE.

gretter Tdsile et Thospitalité philosophique qui mattendoient près de vous! Toutefois mes maU heurs m en ont toujours rapproché en quelque manière. La protection et les hontes de milord- maréchal , votre illustre et digne compatriote , m'ont fait trouver ^ pour ainsi dire , FÉcosse au milieu de la Suisse : il vous a rendu présent à nos entretiens , il ma fait faire avec vos vertus la connoissance que je n'avois faite encore qu'avec vos talents ; il ma inspiré la plus tendre amitié pour vous, et le plus ardent. désir d obtenir la vôtre avant que je susse que vous étiez disposé à me l'accorder.; Jugez, quand je trouve ce pen- chant réciproque , combien j'aurois de plaisir à m'y livrer! Non, monsieur, je ne vous rendois que la moitié de ce qui vous étoit quand je n'avois pour vous que de l'admiration. Vos gran- des f ues , ^votre étonnante impartialité , votre génie, vous élèveroient trop au-dessus des hom- mies, si votre bon cœur ne vous en rapprochoit. Milord^maréchal, en m'apprenant à vous voir encore plus aimable que sublime, me rend tous les jours votre commerce plus désirable , et nour- rit en moi Fempressement qu'il m'a fait naître de finir mes jours près de vous. Monsieur , qu une meilleure santé , qu'une situation plus commode ne me met-elle àportée de faire ce voyage comme je le desirerois ! Que ne puis-je espérer de nous voir un jour rassemblés avec milord dans votre commune patrie qui deviendroit la mienne! Je bénirois, dans une société si douce, les malheurs

ANNÉE 1763. 4?

j>ar lesquels j'y fus conduit, et je croirois n avoir icommencé de vivre que du jour quelle auroit commencé. Puissè-je voir cet heureux jour plus désiré qu espéré ! Avec quel transport je m'écrie- rois en touchant Theureuse terre sont nés David Hume et le maréchal d'Ecosse !

Salve, fati& mihi débita tellus !

Hic«doinus , haec patria est.

J*

A M. MOULTOU.

^ Motiers, 26 février 1763.

Je nai point trouvé, cher Moultou, dans la lettre de M. Deluc celle que vous me marquez lui avoir remise ; je comprends que vous vous ^tes ravisé. Je puis avoir mis de l'humeur dans la mîpnne, et j'ai eu tort : je trouve, aucon«- traire, beaucoup de raison dans la votre; mais j'y vois en même temps un certain ton redressé, cent fois pire que l'humeur et les injures. J'aime- rois mieux que vous eussiez déraisonné. Quand j'aurai tort, dites-moi mes vérités franchement et durement , mais ne vous redressez pas , je vous en conjure : car cela finiroit mal. Je vous aime tendrement , cher ami , et vous m'êtes d'autant plus précieux^ que vous serez le dernSbr et qu'a- près vous je n'en aurai plus d'autres; miais, à mon âge, on a pris son pli; c'est au vôtre qu'on en prend un. Il faut vous accommoder de moi tel que je suis, ou me laisser là.

48 GORRESPONDANGlf.

J admire, avec reconnoissance et respect, le$. infatigables soins du bon M. Deluc ; mais, en . vérité , je suis si excédé de toutes leurs tracasse-* ries genevoises que je ne puis plus les souffrir. Je ne leur dis rien^ je ne leur denjiande îrien , je ne veux rien avoir affaire avec eux. Je les ai lais- sés brûler, décréter, censurer tdut à leur aise: .que me veulent -ils de plus? Et ces imbécilles bourgeois, qui regardent tout cela haut de leur gloire, cpmme si cela ne les intéressoit point; et, au lieu de réclamer hautemisnt contre ' la violation des lois, s amusent à vouloir me ^ire dire mon catéchisme, et à se demander ce que je ferai tandis quils demeurent les bras croisés, que me veuJent-ils?je ne saurois le com- prendre. Je croyois que les Genevois étoient des hommes, et ce ne sont que des caillettes. Je sens que mon cœur s Intéresse encore un peu à eux , parle souvenir de mon bon père, qui certaine- ment valoit mieux qu eux tous. Mais Tintérét devient bien foible quand lestim.e ne*le soutient plus. Dans letat je suis, ennuyé de tout, et sur-tout de la vie , le repos et la paix sont les seuls biens que je puisse goûter encore. Voulea&- vous que j y renonce pour aller chercher des cor- rections , des leçons , des réprimandes et de nou- veaux affronts parmi des gens que je méprise? Oh ! par ma foi , non.

J'avois barbouillé une espèce de réponse à larchevêque de Paris, et malheureuseâûient , dans un moment d'impatience , je len voysii à Rey . En

' ANNÉE 1763. 49

y mieux pensant, je Tai voulu retira : i) ù'étoit plus temps; il In'a marqué, en réponse, quil avoit déj^ commencée J en suis très fâché. Il n'est pas perm^ de s'échauffer en parlant de soi ; et , sur des chicanes de doctrine^ on ne peut que vétiller. L'écrit e^t froid et plat. 'J'en prévois l'effet d'avance; mais la sottise est faite : il est inutile de se tourmenter d'un mal sans remède^ Bonjour^

A M. DELUG.

. *

Motiers , le 26 février 1763.

Je n'ai point , mon cher ami , de déclaratioil à faire à M. le premiei» syndic , parcequ'ôn a com- mencé par me juger sans me lire ni m'entendre^ et qu'une déclaration après coup ne sauroit faire que ce qui a été fait n'ait pas été fait. C'est pour-* tant par-là qu'il faudroit commencer pour re-» mettre les choses dans le cas de la déclaration que vous demandez^

Je ne puis dire que je suis fâché d avoir écrit ce qu'il n'est pas vrai que je sois fâché d'avoir écrit , puisque au contraire , si ce que j'ai écrit et publié étoit à écrire ou à publier , je Técrirois au- jourd'hui et le publierons demain.

Je pourrois dire , tout au plus , que je suis fâ-' ché qu'on ait pu tirer de mes écrits des prétextes pour me persécuter ; mais jamais ce mot dUani-^ mads^ersion du conseil ne me conviendra. Il faut iniquité; et violation des lois. Je ne sais nommer les choses quâ par leur nom «

17. 4

5o COIVRESPO^DANGE.

Je ne piys ni ne veux rien dire f ni rien faire , en quelque manière que ce soit , qui ait Fair de réparation ni d excuses , p^rcequ il est infâme et ridicule que ce soit à loffensé de faire satisfaction à Foôenseuf.

Les éc|iaii:Gisseme«|t$ que vous me proposez $ont bop$ et b{en tQurnjés. Je les aurois pu don« per silon neùt pas voulu m y contraindre ; maiâ je suis las de faire lenfant , et indigné de voir des Genevois faire si sottfement les inquisiteurs. Les éclaircissements nécessaires sont tous dans mes écrits et dans ma conduite : je n en ai plus d'au- tres à dojiner.

YQ^Q^ip^voift, dites-rVjQtift, redemandent Qu6 fera RonàmÇ'U ^ Je tiîQUve qun ceux qui disest , // nef^m rim* parlant très sensément, pai»> qu en e£Pet il; i^'a rien à fiiire. Qudnt à ceux qui disent , // s^f^ra CQmiQUrè , j'ignore ce ils ait tendent ; inaÂ$ J4 3ais Jbden que si cela n'esi^ paa fait cela ne se fera jamais. Moi aussi je diB-^ mandois , Queferani lei Genevois? Je répondbis , Ils se feront QQrmotfre. Ce^t ajussice qu Uaont lait»

Je syi§ surprij^ que moft aroi Deluc puis^ç mo conseiller feir^ k Berne <ks kas8e$se$. que je nq veux pas faire, à Genève- J^ vous jure que lea procédés des Peri)Ois;iie me touchent guère : ce 3pnt ceux des G/&nevoi3 qui m ont tts^vcé, S'ife veulent être le§ derniers à réparer leurs tojcts., j^ les en dispense.

Je ne suis nullement en état d'aller à Qenéve; je nen ai pas la moindre envie^ et si jamais j y

/

ANNÉE 1763. ' ^1*

Tais (ce qîiî, vu le sort qtii m'y attend , nest à désirer , ni pt)Ur mon repos , ni pour ma sûreté , ni pour rhonxuetir des Qenevois) , ce ne sera sû- rement pas en suppliant.

J'ai été citoyen tant qtie j'ai crû avoir une pa-* trie. Je metrompois; je suis désabusé; L'insulté' «jui m'a été faite m'est commune , comme vous le dîtes fort Kién , avec le^ lois et la religion : les affronts qu'on partage avec elle sont des triom-* phes. Cependant lès membres de l'état restent traniquilles spectateurs dans cette affaire, comme* si elle ne les regaMoit pas. A la bonne heure. Pour moi , je vous déclare que désormais elle me regarde encore moins. Si je m'obstinois à faire âeol le don Quichotte , ce qui fut jusqu'ici le zèle â'vm patriote devîendroit l'entêtement d'un fou^ Personne ne ssïit mîieux que les Genevois si je leui* suis btm à quelque chose : pour moi , je sais pai* expérience qu'ilsFUé me sont bons à rien*

Voilà vos livres, cher afhî î je me suis efforcé de les Ki*e ; maïs je vous avoue que votre Ditton accable ma pauvre tête. îl me noie dans une mer de paroles dont je ne puis me tirer. Tout ce qu'iï me seniHe d'apercevoir c'est qu'il tient en l'aii* tine grosse massue qu'il reniue sans, cesse , d'un air forft terribfe et menaçant ; et quand il vient a frappei* , ce qu'il fait rarement et pour cause , on rfetit que ïa massue n eât que du coton.

Bonjour, homme de bien : je vous embras-» se ; et , Genevois ou non, je serai toujours votr^

•ini /S^''^

5a GORBESPONDANCE.

A M* BEAU-CHAfEÂU. /

Motiers, a6 février 1^65.

Je, ne sais , mon cher Beau-Chàteau , comment TOUS faites ; vous me louez, et vous me plaisez, Oest sans doute que vos louanges parlent au cœur; et j en porte un qui ne sait point résistera cela. Je me souviens qu avant de prendre la plume je disois à mes amis : Je ne voudrois savoir écrire que pour me faire aimer des bons et haïr des méchants. Maintenant je la pose, avec la gloire d'avoir bien rempli mon objet. Combien de fcifis, entrant dans une assemblée , je me suis applaudi de voir étinceler la foreur dans les yeux des fri- pons, et Tœil de la bienveillance m accueillir dans les gens de bien! Non quil ny ait beaucoup de ces derniers qui trouvent mes livres mal faits et qui ne sont pas de mon avis , mais il n y en a pas un qui ne m aime à cause de mes livres. Voilà ma couronne, cher Beau-Château; quelle me pa- roit belle ! elle est parée sur ma tète par les jnains de la vertu. Puissé-je être digne de la porter !

Je nai fait ni ne ferai Tapologie delà Profes- sion de foi du vicaire :.j espère, comme vous, le dites , qu elle n en a pas besoin. Je laisse bourdon- ner à leur aise les comparets et autres insectes ve- nimeux qui me vont picotant aux jambes. Leur» blessures sont si peu dangereuses , que je ne dai- gne pas même les écraser dessus. Mais quant aux gens en place qui ont la bassesse de mlnsul^r ,

ANNÉE 1763. ^ 53

je puis avoil" quelque chose à leur dire: ils ont si grand besoin de leçons , et si peu d'hommes leur en oseBt donner, que je me crois spécialement appelé à cet honorable et périlleux emploi. Mal- heureusement je n ai plus de talents 9 mais je me sens du courag^e encore.

Vous faites bien , cher Beau-Ghàteau , de m'ai- mef , vous et vos compagnons de voyage ; ce n'est qu'une dette que vous payez. Quand vous pourrez me revenir voir, soit ensemble, sôit séparément, vous me ferez du bien ; et j^éspère que plus nous nous verrons plus nous nous aimerons. Je vous enii>rasse de tout mon cœur,

A M. ***.

Motiers, 1763.

Il est, dites-vous , très^ cher ami, quatre cents citoyens et bourgeois qui ont paru mécontents de ee qui s'est passé. Il s'en est donc trouvé |cinq ou six cents autres qui en ont été contents. Que voulez-vous que j'aille faire parmi ces gens-là?

Vous me proposez un voyage dans une saison je ne puis pas même sortir de ma chambre : c'est un arrangement que mon état rend impos- sible. Il y a vingt ans que je n'ai fait une lieue en hiver. Si jamais j'entreprends un voyage en pareille saison > ce sera sûrement pas pour al- ler à Genève.

Vous me demandez le compliment que je fe-^ rois à M. le premier syndic. Je serois fort embar- rassé de vous le dire . Jeii'aurois assurément qu'un

$4 CORRESPONDÂIÎCE,

fort mauvais compliment à lui faire. Ce n'est p^ ]a peine d aller si loin pour cela.

Depuis quand est-ce à Toffensé de depaai^der excuse ? Que Ton commence par me faire la satisr faction qui m est due ; je tàcheraii d'y Fépoiidre convenablement.

Tous vos messieurs se tourmentent beaucoup çle savoir pourqjuoi M. de MontmoUin ne ms^ pas excommunié, Je les trouve plaisants. Çt de quoi se mêlent-ils ? Je pense avoir autant de droit spr eu:|: qu ils en oiit sur m.oi , cependant je pe vais point m'iaformer curieusement s'ils di-? ^ent bien leur catéchispi^ et s il$ ont biefi fait leurs Pâques.

Que je sëis, du moins quant à présent , ortho*? doxe^ juif^ païen, athée, que leur importe? ce n est pas de cela qu'il sagit ; la question est de ,savoir si les lois ont été violées , et si , quel que je sois , on m^a traité injustement : voilà ce qui leur importe , et sûrçmeqt beaucoup plus qu'é^. moi ; car, par rapport à moi, la chose est f^ite : on ne me fera pas pis ; mais les conséquences les l^egardent. Tandis qu'ils traitent cette affaire di:^ haut de leur grandeur, faut-il donc que j'en fasse pour eux tous les frais y et que je vienne en sup- pliant demander qu'on me pardonne les affront^ que j'ai reçus? Ce n'est pas mon avis. Que les choses en restent là, puisque cela leur convient. On verra q^ui dans la suite s'en trouvera le pluij mal i d'eux ou de moi.

Cher ami, je vous l'ai dit, et je vous le répète

l

ANNÉE 1763. 55

de bon cœur: j*aime encore mes compatriotes; je sens vivement, dans mes malheurs, l'atteinte qui a été portée à leurs droits et à leur liberté. Quoi qu'il arrive , je ne veux jamais demeurer à Ge- nève ; cela est bien décidé. Mais , s'ils avoient vu le tort que leur fait celui que j'ai reçu , et combien ils ont d'intérêt qu'il Mit réparé , j'aurois agi de concert avec eux dans cette affaire , autant que mon honneur outragé l'eut permis. Alors , après avoir commencé par remettre les chose^dans l'é- tat où elles doivent être , s'ils ont tant d'envie de me régeliter , ils m^auroient régenté tout leur 8oùl, Mais comment ne voient*ils pa^ qu avant cela l'inquisition qu'ils veulent établir s^rntoi est impertinente et ridicule? Slls sont assez fous poui^ exiger que je m'y prête , je ne suis pas assez sot pour m'y prêter. Ainsi je n'ai rien à dire à M. de MontmoUin, attendu que ni M. de Montmollin ni moi n'avons pas plus^de compte à \eûr i^endre que nous tien avons à teUr^ demander:

Les affronta qui m'ont été faits ne peuvent être suffisamment repaires que par ùâe invita- tion honnête et formelle de retourner à Genè- ve. Si l'on peut se résoudre à une démarche si décente et si convenable , si due , il faudra qu'on âoit bien difficile si l'on n est pas contentde la ma- nière donf fy répondrai. Alors on pourira s'en- quêter de ma fei , et je serai toujours prêt à en rendre coilieipte. Satis cela*, ne parlons plus de cette- aflbire , car nul autre expédient ne peut me convenir.

56 conn^spo^BmCE,

A. M, M***,

Motiersjle i^mars 1763.

J*ai lu , monsieur , avec un vrai plaisir, la lettre que vous m'avez fait rhouneur de m écrire , et jy ai trouvé, je vous jure, yne des meilleures critiques qu'on ait faites de mes ^crjts. Vous êtes, élève et parent de M. Marcel ; vous défendez votre maître , il n'y a rien que de louable ; voua . professez un art sur lequel vous me trouves^ in-, juste et mal instruit, et vous le justifiez ; cela est assurément très permis : je vous parois un per-*^. sonnage fort singulier tout au moins , et vous avez la bonté de me le dire plutôt qu au public. On ne peut riçi^ de plus honnête , et vous me , mettez , par vos censures , dans le c^s de voua devoir des remerciements.

Je ne sais si je m'excuserai fort bieii près de vous, en vous avouai^t que les singeries dont j ai taxé M, Marcel tomboient bien moins sur son art que sur sfi manière de le faire valoir. Si j'ai tort même ei\ cela , je l'ai d autant plus que ce n'est point d après autrui que je lai jugé, mais cj'après moi-même. Car, quoi que vous en puis- siez dire, j'étois quelquefois admis |i Thonneur. de lui voir donner ses leçons; et je me souviens que, tout autant de profanes que nous étions, la , san3 excepter son écolière, nous ne pouvions . Qous tenir de rire à la gravité mjsigistrale avec laquelle il prononçbit ses savants apophtegmes^

ANNÉE 1763. 57

Encore une fois, monsieur, je ne prétends point in excuser en ceci; tout au contraire, j'aurois ntauvaise grâce à vous soutenir que M. Marcel fai^oit des singeries , à vous qui peut-être vous trouvez bien de limiter ; car mon dessc^in n es( assurément ni de vous offenser ni de vous dé-* pls^re. Quant à Fineptie .avec laquelle j'ai parlé de votre art , ce tort est plus naturel qu excusa- ble; il est celui de quiconque se mêle de p(;irler de ce qu il ne sait pas. Mais un honnête homme qu on avertit de sa faute doit la réparer ; et c*est ce que je crois ne pouvoir mieux faire en cette occasion quen publiant franchement vôtre let- tre et \os corrections, devoir que je m'engage à JT^mplir en temps et lieu. Je ferai , monsieur , avec grand plaisir cette réparation publique à la danse et à M. Marcel , pour le malheur que j'ai. eu de leur manquer de respect. J'ai pour- tant quelque lieu de penser que votre indigna- tion se fut un peu calmée si mes vieilles rêveries eussent obtenu grâce devant vous. Vous auriez vu que je ne suis pas. si ennemi de votre art que vous m'accusez de l'être , et que ce n'est pas une grande objection à faire que son établisse- ment dans mon pays^ puisque j'y ai proposé; moi-même des bals publics , desquels j'ai donné Ifi plan. .Monsieur, faites grâce à mes torts en faveur de mes services ; et quand j'ai scandalisé pour vous, les gens austères, pardonnez - moi quelques d^raisonnements sur un art duquel j'iii 3i bien mérité, , -

58 GOR&ESPONDANGE.

Quelque autorité cepeùdaut qu aient sur moi vos décisious^ je tiens encore un peu, je lavoue ^ à la diversité des caractères dont je proposoû^ ^introduction d&ns la danse. Je ne vois pa^ bien encore ce que vous y trouvez d'impraticable, et il me paroit moins évident qn a vous qu ^'en- Huieroit davantage , quand les danses seroient plus variées. Je n ai jamais trouvé que ce fàt un amusement bien piquant pour une assemblée , que cette enfilade d éternels âienu^s par l6S-^ quels on commence et poursuit un bal , et qui ne disent tous que la même chose, parcequ'ils nont tous qu un seul caractère; au lieu qu'en leur en donnant seulement deux , tels , par e:&emo pie , que ceux de la blonde et de la brune ^ on; le» eût pu varier de quatre manières qui les eus«* sent fendus toujours pittoresques et [plus sou-* vent intéressants. La blonde avec le himn , la brune avec le Mond, la brune avec le brun, et la blonde avec le blond. Yoilà Tidée ébauchée : il est aisé de la perfectionner et de Tétendre; car vous comprenez bien, monskur, qu'il ne jaut pas presser ces différences de blondie et de brune; le teint ne décide pas toujours du tem- pérament ; telle brune est blonde par Tindolen-» èe; telle blonde est brune par la vivacité, et l'habile artiste ne juge pas d}h caractère, par leà cheveux.

Ce que je dis du menuet ^ pourquoi ne le di*^; rois-je pas des contredanses et de la plate symé» trie sur laquelle elles sont tout^dessbiées? Pbur^

ANNÉE 1763. 69

quoi n'y introduiroit^on ps^s de savantes irrégu- larités, comme dans une bonne décoration ; des oppositions et des contrastes , comme dans les parties de la musique? On fait bi^n chanter eçkr semble 6érsiclite et Démocrite ; pourquoi ne les jPeroit-on pas danger?

Quels tableaux charmante, quelles scènes va* piées ne pourroit point introduire dans la danse un génie in-venteur, qui sauroit la tirer de sa froide uniformité, et lui donner un langage et des sentiments comme en a la musique ! Mais votre M. Marcel n*a rien inventé que des phrases qui sont mortes avec lui ; il a laissé son art dans le même état il Ta trouvé : il leût servi plus Utilement , en pérorant un peu moins , et dessi-* ipuint davanlfige; et, au lieu d'admirer tant de choses dans ce menuet ^ il eût mieux fait de les Y mettre.. Si vous vouUçk faire un pas de plus , vous , monsieur , que je suppose hon^me de gé-* nie , peut-être , au lieu d^ vous amuser à censurer mes idées , chcrcheriesj-vous à étendre et recti- fier les vue* q|a ell^ vous offrent ; yo^us devien- driez créateur daxm votre art ; vous rendriez ser- vice aux hommes qui ont tant de besoin qu oa leur apprenne a ;^vair du plaisir ; vous, immor- taliseriez votre nonpi, et vous auriez cette obli- gation à un pauvre ^solitaire qui ne vous a point offensé, et que vous voulez haïr sans sujet.

GrQye:^moi, monsieur, laissez des critiques qui ne conviennent qu'aux gens sans talents, ificap^bles d€ rien produire d'eux -* mêmes., e(

6o CORRESPONDANCE.

qui ne savent chercher de la réputation qu aux dépens de celle d'autrui. Échauffez votre tête , et travaillez; vous aurez bientôt oublié ou par- donné mes bavardises , et vous trouvère? que les prétendus inconvénients que vous objectez aux recherches que je propose à foire seront des avantages quand elles auront réussi. Alors , grâce à la variété des genres, lart aura de quoi con- tenter tout le monde , et prévenir la jalousie en augmentant lemulation. Toutes vos écôlîères pourront briller sans se nuire, et chacune se consolera d en voir d'autres exceller dans leurs genres , en se disant , J excelle aussi dans le mien ; au lieu qu en leur faisant faire à toutes la même chose , vous laissez sans aucun subterfuge Ta- mour-propre humilié ; et comme il n'y a qu'un modèle de perfection , si l'une excelle dans ie genre unique , il faut que toutes les autres lui cèdent ouvertement la primauté.

Vous avez bien raison , mon cher monsieur , de dire que je ne suis pas philosophe. Mais vous qui parlez , vous ne feriez pas mal de tâcher de l'être un peu. Gela seroit plus avantageux à votre art que vous ne semblez le croire. Quoi qu'A en soit, ne fâchez pas les philosophes , je vous le conseille ; car tel d'entre eux pourroit vous don- ner plus d'instructions sur la dansé que vous ne pourriez lui en rendre sur la philosophie ; et cela ne laisseroit pas d'être humiliant pour un élève du grand Marcel.

Vous me taxez d'être singulier ,• et j'espère. qua

' ANNÉE 17^3. 6f

"VOUS avez raison. Toutefois vous auriez pu, sur ce point , me faire grâce en faveur de votre maî- tre ; car vous m'avouerez que M. Marcel lui-mê- me étoit un homme fort singulier. Sa singulari-> , je lavoue , étoit plus lucrative que la mienne ; et, si cest ce que vous me reprochez, il faut hien passer condamnation; mais quand vous m accusez aussi de n être pas philosophe , c est comme si vous m accusiez de n être pas maître à danser. Si cest un tort à tout homme de ne pas savoir son métier , ce n en est point un de ne pas savoir le métier d'un autre. Je n ai jamais as-^ pire à devenir philosophe; je ne me suis jamais donné pour tel ; je ne le fus , ni ne le suie, ni ne veux 1 être. Peut-on forcer un homme à mériter malgré lui un titre qu'il ne veut pas porter ? Je 8.ais qu'il n'est permis qu'aux philosophes de par- ler philosophie; mais il est permis à tout homme de parler de la philosophie; et je n'ai rien fait: de plus. J'ai bien aussi parlé quelquefois de la danse, quoique je ne sois pas danseur ; et , si j'en ai parlé mênie avec trop de zélé , à votre avis , mon excuse est que j'aime la danse , au lieu que je naime point du tout la philosophie. J'ai pourtant eu rarement la précaution quC' vous me prescrivez, de danser avec les filles, pour éviter, la tentation; naais jgçi eu souvent l'audace de courir le risque tout entier en osant les voir danser sans danser moi-même. Ma seule précaution a été de meli^^ yrer moins aux impressions des objets qu'aux 'i^éflexians qu'ils me faispient naître.» et de rêirer

CO&BÉStONDAÏf£Ë.

quelquefois, pofur n'être pas séduit. Je suis fftch^^ mon cher monsieur, que mes rè?eries aient eu le malheur de vous déplaire^ Je vous assure qtié ce ne fut jamais mon intention ; et je Vous sakitf de tout mon cœur.

A m. RÈIt.

MotîerSyie 17 inai*s i^6â. *

Si jeune, et déjà Marié! Monsieur, vous aveai isntrepris de bonne heure une grande tache. Je sais que la maturité de le^rit peut suppléer à lage , et vous m'atez paru promettre ce supplé- ment. Vous vous coanoisseas d ailleiirs en mérite, et je compta sur celui de 1 épouse que vOtis voué êtes cboisiCé II n en feut pas moins , cher Rèit , pour rencire heureux un établissement si pré-^' coce. Votre âge seul itit'alarme piour vous ; tout le reste me rassure. Je suis toujours persuadé que le vrai bonheur la vfe est dans un mariage bien assorti ; et je ne le suis pas moins que tout le succès de cette carrière dépend de la façon de kk commencer. Le t<Mr cpie^ vont prendre vos oc-^ cupatidns, vossoins , vos» manières, vos aflRèctions domestiques^ dui^atitla première année , décidera 4e toutes les antres. C'est maintenant que le sort de vos jours est entre vos mains; plus tard, il dépendra de vos habitudes. Jeunes époux , vous êtes perdus , si vdusn êtes qu'amants ; mais soyeàs amts de bonne heure pour Têtre toujours. La con- fiance , qui vaut mieux que l-amour , lui survit et"

AURÀE 1765; ^ 13

le tem{i}aee; Si TOtis a^wz FétaHir entre vous ^ irotre naiMoi voiu plaira plus qu'aucune autre; et, dè9 qu nue fois vous seveas mieux chez vous que par-tout ailleurs, je vobs^ promets du bon- heur pour le reste de votre vie. Mais ne vous met-' tez pas dans Vesprlt d'en chercher au loin, ni dans la célébrité , ni dans les plaisirs y ni dans la fortune. La véritable félicité ne se trouve point au<lehors ; il £Biut que votre maison vous suffise^ eu jamais rien ne vous suffira.

Gonséquemment à ce principe , je crois qu il Q^e^t pas temps, quant à présent, de songer à l^sécution du projet dont vous m'avez parlé. La société conjugale doit vous occuper plus que la société lielvétiquè : avant q^ de publier les an- nales de celle-ci , mettez-vous en état d'eniburnir le plus bel article. Il f^ut qu'en rapportant les ac- tions d'autrui vous puissiez dire comme le Gor- rége, Et moi aussi je suis homme.

Mon cher Keit , je crois voir germer beaucoup de mérite parmi la jeunesse suisse ; mais la ma- la4k^ uni ver^eUe vous gagne tous. Ge mérite cher- cha ài s«$ bire impirimer ; et je crains hien que , eetti^ manie dans les gens de votre état , il ne 9^ulle m; jour à la^ tête de vos républiques plus 4# petkfi auteurs que de grandshèmmes. Il n ap- partJMtt pas à tous d'être des Haller.

Vous nxavez. envoyé un livre très précieux , et de fort belles icantes ; oomme d'ailleurs vous avez acheté Tun et l'autre , il n'y a aucune parité à ÏE|ire ea aucun sens entre ces envois et- le bar-

64 GOHRESPOlirDANGE.

bouillage dont vous faites mention. Déplus vbiM vous rappellerez, s il vous plaît, que ce sont des commissions dont vous avez bien voulu vou9 charger , et qu il n est pas honnête de transfor-^ mer des commissions en présentSi Ayez donc la bonté de me marquer ce que vous coûtent ces emplettes ,, afin qu'en acceptantla peine qu elles vous ont donnée , d aussi bon cœur que vous Ta** vez prise ^ je puisse au moins vous rendre vo» déboursés, sans quoi je prendrai le parti de vous renvoyer le livre et les cartes. . Adieu, très bon et aimable Reit; faites, je vous prie, agréer mes hommages à madame vo- tre épouse ; dites-lui combien elle a droit à ma reconnoissance en faisant le bonheur d un honw me que^j en crois si digne et auquel je prends ua si tendre intérêt.

A M. D. R.

Mo tiers, mars 1763.

Je ne trouvé pas , très bon papa , que vous ayez interprété ni bénignement ni raisonnable-» ment la raison de décence et de modestie qui m^empêcha de vous offrir mon portrait, et qui mempèçhera toujours de Toffrir à personne. Cette raison n est point , comme vous le préten- dez, un cérémonial, mais une convenance tirée de la nature des choses, et qui ne permet à nul homme discret de porter ni sa figure ni sa per-* 9onne elles ne sont pas invitées , comme s il

étdit shtâe faire en cela un cédeatl ; âU lieiiquë ceti dùH être un podr Itiî ^ qtiand oti lui ténioi-^ gne là-desdtis quelque empreâsement. Voilà le sentiment que je vous ai manifesté , et au lieii duquel Vottô nie prêtez rintéhiiôn de ne voUloij^ accorder tm tel présent qu'aui prières. O'ëst wpposer un motif de fatuité j'en mettais un de modestie» Cela ne me parolt pas dand Tordre ordinaire de votte bon esprit*

Vou« m'ailëgue^ que les rois et les prince! donnent leurs portraits. S$ns douté iU les don-" nent à leurs inférieurs comme un honneur une récompense ; et c'est préciaémeïit pour cela quHl est iniipertinent à de petits particuliers de croire honorer leurs égaux , coknmé lés rois ho-^ notant leurs inférieurs; Plusieurs rois donnent aussi leur main à baiser en signé faveur et itistjnction. Dois-^je vouloir faire à UièS amis même grâce? Cher papa , quand je serai roi , je ne manquerai pas, eu superbe monarque, de vdus olftir mon portrait enrichi de diamiânts. Eu attendant , je nït*ai pas sottement m'imagi^ aer quem vous ni pèrsomré soit empressé de ma ntinee êjgtàte; et il n'y à qu'Un témoignage bien pi^liltMdé la part ceux qui sVn soucient^ cfui puisse me permettre de le supposer , SUr-tout n'âyaot pud lepasse^port déà diamants pour ac-^ t^mpâj^er lé' p4>rtruit.

y&mmechet SéfmUei IBÎe^nàrd. €?ést Je vous Ta^oué) tËifi fing^iér modèle que vous me p^o- pdses& à ittiH^r t J'au^ûiô bien dru que vous me

17, ^

66 CORRESPONDAN^CE.

desiriez ses millions , mais non pas ses ridiculegf Pour moi, jciserois bien fâché de les avoir avec sa foFtunje ; elle seroit iSeaucoup trop chère à ce prix. Je sais quil avoitTimpertinenced offrir ^on portrait ^ même a gens fort au-dessus de lui. Aussi^ entrant unjour en maison étran(];ère dans la garr de-roï^e, y trouva-t-ii ledit portrait qu'il avoit ainsi donné, fièrement étalé au-dessus de la chaise percée. Je sais cette anecdote , et bien d autres plus plaisantes , de quelqu'un qu'on en poqvoit croire , car c'étoit le président de BdUlainvil*- liers.

. Monsieur *** donnoit son portrait? Je lui epi fais mon compliment. Tout ce que je sais , c'est que si ce portrait est l'estampe fastueuse que j'ai vue avec des vers pompeux au-dessous , il fallpit que,^pour oser faire un tel présent lui-même^ ledit monsieur fût le plus grand fat que la terre ait porté. Quoi qu'il en soit , j!ai vécu aussi qiiel- que^peu avec des gens à ^portraits, et à portraits recherchables ; je les ai vus tous avoir d'autf^s maximes : et, quand, je ferai tant que de vouloit: imiter des modèles , je^ous avoue que ce n^e sera ni le juif Bernard , ni monsieunrff*^ Si^^ j^ choisi- rai pour cela. On n'inûtp que les gens à qu^j^'oa Voudroit ressembler.

Je vous dis , il est vrai , que le portrait que je vous montrai étoit le seul que j'avois ; n^ats j'a- joutai que j'en attendois d'autres , et qu'oik le gra- voit encore en arménien. Quand je Bie rappelle qu'à peine y daignâtes-vous jeter les yeux ^ que

ANNÉE 1763. 67

VOUS ne m'en dites pas un seul mot, que voùi marquâtes lèt-'desstis la plus profonde indifféren-^ ice, je ne puis m'cmpêcher de vous dire quil au^ Voit falïu que jcT fusse le plus extravagant de» hommes pour crrfire vous faire le moindre plai** ' sir en vous le présentant- et je dis , dès le même soir, à mademoiselle Le Vasseurla mortificationt que vous m'aviez faite ; car j^sÉvoûe que j avôis attendu j et mênïe mendie quelquemot obligeant qui me itiît en droit de faire le reste. Je suis bien persuadé maintenant que ce fut discrétion et non dédain de votre part; mais vous me permettrez de vous* dire que cette discrétion étoit pour nïoi un peu humiliante, et que c^étoit donner un ]gra'ndprix aux' deux sous qu'un tel portrait peut valoir: :. .

A MILORD-MARÉCHAL.

«

Le 21 mars 1763.

Il y a dans votre lettre du 19 un article qui m'a donné des palpitations ; c'est celui de TÉcosse. Je nervôus dirai là^dessus qu un mot , c'est que ye donnerois la moitié des jours qui me restent pour y pa!ssej: l'autre avec vous. Mais , pour Go- lom]>iier^ ne comptez pas sur moL Je vous aimey milord ; mais il faut que mon séjoui) me plaise, et je ne puis souffrir ce pays-là. jj

Il n'y a riefn d'égal à la position JFVédéric. Il , paroîit qu'il en sent tous les avantages ; et qu'il saura bien les faire valoir. Tout le pénible et le difficile est fait ; tout ce qui demandoit le con-

5.

çpgfs 4^ lafQft^vne ept f»it. M w lai nQSte à pré* sent à recaplk qye cl6$ soh^^ «gréable^ > at dont rpffei: dépend 4(3 Iw» C'«3t decemPltteat quil va I çi^ vpr , s'il yput , d^ps 1«^ pp^térité moi^umeot u^iqw; car il n'a travailla j ^qu'ici quepimr^an liédb. ie 8çul piège dpngc^reil)^ qvl déa^irmaîl lui

Tpsip à évii^er est celui de U flatterie ; $'il ae laiMe Jpu^r , il est perdu. Qu'il ^nche qu il n'y a plus ^'éloges dignes de lui qua eeuK qui ^o^îrôntdM ^^abanes de ses paylaus*

SavçT^Qus , mijord , que Voltaire efaévdie à a^ r%cçp?nHipdef ayip? moi? H a au sur mon compte i|inJong entretien avec M**^ , dans lequel il a supérieurement joué spu r6)e : il n'y en a point détrapgerau talent de ce grand comédien , dolif instructus et arte pelasgâ. Pour moi , je ne puis lui promettre unç estime qui ne dépend pas de moi ; mais , à cela près, je serai , quand il le voudra, toujours prêt à tout oublier; car je vous ^ure , milord , que de tontes led vertos ckrétien- nés il n y en a point qui me eoàte moina que le pardon dçs injures. Il est certain que , si la pro«- tection des Galas lui a fait grand honneu» , les persécutions qu'il m'a fiiit essuyer à Genève hij çn ont peu fait à Paris ; elles y ont excité un cri universel d'indigaaiitm. J'y jouis, malgré mes malheurs , d'un honneur qu'il n'aura jamais nulle part^ c'est d'avoir laissé ma ipémaîre en estime 4ans le pa^a j'ai vécu. Bonjour , milord»

^ A M. MOULTOI).

Motiersr^ le 21 mars 1763,

Voilà, cker Mo.1». , fa>«^ T<n» te »«l», un exem|»kttre de ma lettre à M. de Betattwmitv Jlren ai remis dent autreé au mésm^ àeipaU^ plumiira fonxn ; mais il diffère* 9(m départ dUvm jour à Fautse , et se partira y je croftâ , iftie tnef ^ eredi. J'aurai aoiu de venas eil^ fitirid përtenir d^ ^paiïtige. Efi dttendaiit ^ ne met te« ces ditut^lâi qu'en det makis sores' ^ jusqu'à der que VouTi^g^ péreissè ^de peur de ooittrelaetieu.

J'aifitteadÉ^ pemil^ju^ lesGeiievéis, quejlf Sislsae, sang froid. Ife août ju^i'. J'àumAs* déjsù fait la dànsavche dont i^oi» UM ptfflea} si jntte^rd-^ maréchal ne m'avoit engagé à différer ^ et je vef{^ que voua pensca conmie: kiL J'attendrai donc ptmvla^CnredevcnrrefiiBtdela lMt««q|uejeveu^ en^voie x-mt» quand cet eSkt les rarArèmffôM et leur devoir, j'en serais ,. je v(»k» juré f ttè$ médi^iM QceaaettC fliMté. Ha stcmt d sms? et 9v ro^ùes^ qm lé^ bàsR HiÀm^nelm'intércsfe9oi)Ddié8él'0fai8 èff lê\3f j^t guèkirp4naque lemal; 0»ne lient plua^èfiâr aus gensr^ii'eiMaépriae; : M. deVoltatre voua 9 pam m'aimer ynraei{|t^it sait que vous m'aimez ; soyez persuadé qu a^e^ les gens de son parti il tient un autre langage. Cet habile comédien , dolis instructus et artepe* lasgâ^ sait changer de ton selon les gens à qui il a affaire. Quoi qu'il en soit, si jamais il arrive

V

JO C0RRE9P01IIIAVGE.

qu il revienne sincèrement, j'ai déjà les bras ou- verts ; car , de toutes les vertus chrétiennes , lou- bli des injures est, je vous jure, celle qui me coûte le moins. Point d avances , ce seroit une làcl^té ; ;mais comptez que je serai toujours prêt à répondre aux siennes d'une manière dont il sera content. Partez de là, si jamais il vous en reparle. Je sais que vous ne voulesrpas me coni- promettre, et vous savez, je crois , que vous pou- vez répondre de votre ami en toute chose hon- nête. Les manœuvres de M. de Ydltaire qui ont tant d approbateurs à Genève ne sont pas vues du même œil. à Paris : elles y ont soulevé tout le monde, et balancé le bon ^et de la protection des Calas. Il est certain que ce quil peut faire de' mieux . pour sa gloire est de se raccommoder avec moi. m.

Quand vous voudrez venir il faudra nous con- certer. Je dois' aller voir milord-^marédial avant son départ pour Berlin : vous pourriez; ne pas me trouver ; d ailleurs, la saison nest pas assez avan- cée pour le voyage de Zurich, ni même pour la promenade. Quand je vous iiurar, jevoudrois vous tenir un peulongrtemps. J aime mieux di#- ' férer mon plaisir et en jouir à mon aise. Dou^ tezivous que tout œ qui; vous accompagnera ne soit bien reçu? . :

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> ' » > .

ANNÉE 1763., 71

A M. J. BUflNAND (1).

Motiers^ le ai mars 1763.

La réponse à votre objection, monsieur, est .dans le livre méipe d vous la tirez. Lisez plus attentivement le texte et les notes ^ vous trou verez cette ol>jeêlion résolue, ' Vous voulez que j'ôte de mon livre ce qui est* contre la religion- : m^s il ny a dans mon livre rien qui soit contre la relifjion.

Je voudrois pouvoir vous complaire en fai- sant le travail que vous me prescrivez. Monsieur, }e suis infirme, épuisé; je vieillis*; j ai fait ma ta- .che, mal sans*doute, mais de mon mieux. J ai proposé mes idées à ceux qui conduisent les jeunes gens; mais je ne sais pas écrire pour le^ jeuneâ gens.

Vous m apprenez qu il faut vous dire tout , ou que vous n entendez rien. Cela me fait désespé- rer , monsieur, que vous m entendiez jamais; car je n ai point , moi^ le talent de parler aux gens à qui il faut twit dire.

* Je vous salue , monsieur, de tout mon cœur.

(1) M. Bumand , à qui ces lettres sont adressées , a voit reprocbé à M. Rousseau la publication de la Profession de foi du vicaire savoyard contre cette maxime expresse du vicaire lui-même : .

. tt Tant quUl reste quelque bonne croyance parmi le» « hommes, il ne faut point troubler les âmes paisibles, ni « alarmer la foi des simples par des difficultés qu'ils ne

* peuvent résoudre, et <jui les m<iiûétent sans les éclairer; i>.

/

y:^ co;rrespondan.ce,

Le ay mars 1763.

Q^yotvG lettre, ipadaioe^ ma donné de- PijQtioQS diyer^e^ ! Ah. ! p«tte pauvte madame 4?"**.., ! PardQpfte» si je commeace jpar «lie. Tant de malheurs.... , une amitJC de traise anS'..^ f ^mme aifi^s^l)!^ et injSo.nunéa... yaus la plai^ (griiL€2|, madaPP^; vous ^ve^ bJien. Faison : son mé- rita doit vous int.ére^ser pour ^Ue ; mais vous la

plai^dri^ ki^p davantage si vous avieas vu com- me mpi toute â>a résistance à ce fatal mariage^ U semble qu'eue pré voypit soa sort^ Pour celle-là , tçs éçj^s »e Tont pas éUouie ; on fa Imujseojà»^ mi^I^t^ureuse malgré ell^^ Hélas ! f Ue a eat pi^ i^ §^^lç. De combien de .maa;^ j ai à gémir l J^ ne suisfe point étonné des bons procédés de madaitie*** ;, tim 4^ bien n^e me surpre«i,4ra de sa p^aurt ; je /ai toujonçs estimée et bonorée ; mais ayec tout cela elte n^'a pas Farnse d^e madame de***. Dites-^moi ce quç^t deyçnu misérablf ^ je n,ai plus,!?a-s tendu parler de lui, ^

Je pense bie^comme vous^m^damie;)^ n-'aîsmê point que vous soyez à Paris. Paris, le si^ge du gpùt et de la politçss^ , convient à voitre esiprit, à, votre ton., à vps manières; mais- fe séjonv du vice ne convient point à vos mœwf^, et une vilie Familié ne résiste ni à ladversité ni à Tab- sence ne saurpit plaire à ^fotre cœur. Cette con- tagion ne 1^ çagneca pas ; n est-ce pas > madame?

Que ne liseinrous dans le mien laitendrissenient avec lequel il ma dicté ce mot-là 1 L'heureux ne 3ait sHl est aimé , dit un poëte latin; et -moi j a- joute, L'heureux ne sait pas aimer. Pour moi, grâces au ciel , j ai hien fait toutes mes épreuves ; jfi sais à quoi m en tenir sur le ceeur des autres et sur le mien. U est bien constaté quil ne me jreste que ^ous seule en France , ex quelqu'un qui nest pas encore jugé, mais qui ne tardera pas à l'être,

, S'il faut ntoins regretter les amis que l'adver** site nous ôte que priser ceux qu elle nous donne , j'ai plus ga^abé que perdu ; car elle m'en a donné un qu ^sûrement elle ne m'ôterapas;. Vous cofn- prenez, que je veux parler de milord-«marécbaL II m'a accueilli , il nit'a honoré dans^ mes disgrâ- ces^ plus peuat-ètre qu'il n'eût fait durant ma prospérité. Les grandes âmes ne portent pas seu- lement du respect au mévite , eiles en porteml eni^oge au malheur. Sans lui j'étoisi tout awsi mal reçu ^daiis ce pays qiie dans; lea autresi, et je ne voyoi^plais dWik autour de moK Mais» tna )»en£ant plus précieux cpie sa proitf ction esc l'ah mitié dont IL m'honoce ,. et qu'assorâRpcitt je ne perdrai pjDinl. Bme restera celui4à, j'en réponds. Je suis bien aise que Tous*m'drj%2n»avqiié ceqo'en^ pensoîft M. àiA*^^ : cela me prouve qu'il se coïii- noit en honuneâ ; et qui s'y coanote est de leur classe. Je compte atter voir ce digne proteeteui» avant son départ pour Bsrlin : je hii parlerai d^ M, d'A*** et de vous , madame ; U n'y a rien d^ si

74 CORRESPONDANCE.

doux pour, moi que de Toir ceux cpd maim'ent s aimer entre eux.

. Quand des quidams sovs^ le nom de S^^^ ont voulu se porter pour juges de mon livre, et se soBt aus$i bêtement qu'insolemment arrogé le droit de me censurer, après. avoir rapidement parcouru leur sot écrit je lai jeté parterre et j'ai craché dessus* pour toute réponse^ Mais je n al pu lire avec le mèmie dédain le mandement qu a donné contre moi M. rarehevèque de Paris; premièrement parceque Touvrage en' lui-jnèn\is est beaucoup moins inepte , et parceque.malgré les travers de lauteur, je lai toujours estimé et respecté. Ne jugeant donc pas cet écrit indigne d'une réponse, j en ai fait une qui a été impri- mée en Hollande, et qui, si elle nest pas en- core publique, le sera dans peu. Si elle pénètre jusqu'à Paris et que vous en entendiez parler,^ mtadame, je vous prie de me marquer naturéK lement ce qu'on en dit ; il m'importe de le sa^ voir. Il n'y a que vous de qui je puisse appren- dre ce qui*se passe à mon égard dans u«x pays j'ai passé une partie de naa vie, j'ai eu des amis, et qui ne peut me devenir indifférent. Si vou$ n'étiez pas à portée de voir cette lettre im- nrimée, et. que vâns pussiez m'indiquer quel- qu'un de vos amis qui eût ses ports francs, je vous, l'enverrois d'ici ; car quoique la brochure soit petite, en vous l'envoyant directement elle vous coûteroit vingt fdis plus de port que ne. ^valent Touvrage et l'auteur. '

ANNÉE 1763-. 75

Je sois bien touché des bontés de mademoi- selle L*** et des soins queHe veut bien prendre pour moi ; mais je serois bien fâché qu'un aussi joli travail que le sien^, et si digne d'être mis en vue , restât caché sous mes grandes vilaines mandhes d'Arménien; en vérité je'ùe' sauroîs me résoudre à le profaner ainsi , ni par consé- quent à l'accepter , à moins qu'elle ne m'or- donne de le porter en écbarpe' ou en collier, comme un ordre de êhevalef ie inistitué en son honneur. j ^ . .

Bonjour, madame; recevez les hommages de votre pauvre voisin. Vous venez de me faire passer une âcmî^hêure délicieuse , et en vérité j'en avois besoin ; car depuis quelques mois je souflFre presque sans relâche de mon mal et de mes (ohagrins. Mill^ choses , je voUd suppKe , à monsieur le marquis.

A M. J. BURNAND.

Motiej^9 , le 28 mars 1 763.

' Solution de Tobjection de M; Burnand:

Maù^ quand une fois toui'est ébranlé , on doit conserver le tronc aux dépend des branches^ etc. Fc4làj fe croii f ce que le bon vicaire pourroit dire à présent au public.

M. Burnand m'assure quëtout le monde trouve qu'il y a dans mon livre beaucoup de choses con- tre la religion chrétienne. Je ne suis pas sur ce point comme sur bien d'autres de l'avis de tout

76 GOR'B&S.POIPDAN^ÇE.

le monde, et d autant mains quQ, parmi tout ce monde-là , ^e ne vois pa» un chrétien.

Un homme qui chercbe des explication» pour compromettre celui qui les donne eét peu fçé^ néreux ; mais Topprimé qui n'oise le» donner ^t un lâche , et je n ai pas peur de passer pour tel.' Je ne crains point les-^expiicatiotis^; je craâl^ discours inutiles^ Je crains siiir^tout les dé^eeu*^ vrés , qui , ne sachant à quoi passw leu# temps ^ \eident disposer du snien.

Je prie M. Burnand dingréer mes salut «tknm.

A M. MONTIiJlOLLmy

Ma lui envoyant ma Lèttsip MÊ. uh BfitVMtîAM

Motiers , le 2^ mars 1 763^

Voici, moQsiei^r, un écrit de^nu* nécestatrew Quoique mes agresseurs y soiccirt' un peu meà menés , ils le seroient davantage si je ne vous trou vois pas en cptelqiie sorte entre eux et moi. Comptez , monsieur , que, si vous cessiez de leur servir de sauvegarde , As ne s'en tireroient pas à si bon marché. QuoiquiL eii soit, j'espère que vous serez coauent de cUsse^ à part 0k jtsà tâ- ché de vous mettre^ et ft ne tieaide» q»àr voiw^ de çûnnoiij?e,.et aaascet.écpii et dans toitte i^à vie , qu en usant avec moi de» preeédéii hocinÀ^ tes vous uav«z. pas oMi^ ua ingjErétu

âNNiE 1763. 7^

A M. MOULTOU.

Mo tiers-Travers, ce a avril iy6i*

Ce ïxétiH% f9^^ cher ami, que je désapprou- WVi9»9 l'epvoi d'uDt exemplaire en France que je pe yom f»i fi9» répondu sur-le-cfaamp ; mais len*^ Olii, kg yicos, le» souffrauees, les importuns^ ui^ n^ddui paresseux : lexactitude est \jn tra- y^ii qui pa^^e ma force actuMle. Faites ce que VQUS Yauikez ; votre envoi ne sera qu'inutile ; voilà tout Vou? navez que trois exemplaires; j atieud» d'en avoir davantage pour vous en en- voyer; encolne ne sais^je pas trop comment.

Yemet eat un fourbe. Je n approuve point qu on lui fa^se lire Fbuvrage , encore moins qu on « h Im prête. U ne veut le voir que pour faire décrier par les petits vipereaux qu'il éleva à Ta iHtN^hette^ et par lesque^ il répand contre moi %Qn &ide poiflon dans les Mercures de Neu-

Vous devez comprendre qu un carton est im- possiUe 4^ quune fois un ouvrage est sorti de la lioiitique du libraire. Si vous voulez en faire un pourGenéve en particulier, soit, j Y consens: mais jeM^ veux pas m'en mêler, et soyez per- suadé que cdbt ne sendra de rien. Quand on ^^rch/e des prétextes on en trouve. Les G*ene- vois m'ont trop &it de mal pournepas me' haïr ; et moi y je les connois trop pour ne les pas mé- priser. Je prévois ixïieUx que vous l'effet de la

9fh COHRESPOKD4^NC£.

lettre. Tai honte de porter encore ce mêm^titre dont je ip'honorois cirdevant : dans six mois d'ici je compte eirêtre délivré. *

Votre aventure avec la compagnie tae m étonne .point; elle me confirme dans le jugement que j ai porté de toute cette prètraille. Je ne douté point qu en effet votre amitié pour moi n'ait produit voire exclusion : mais loin dl||i être £à- .ché je vous en félicite. L'état d'homme d'église lie peut plus con^nir à un homme de bien ni à un croyant. Quittez-moi ce coHet qui vous avi- lit ;, cultivez en paixles lettres , vos amis , la vertu ; soyez libre, puisque vous pouvez l'être. Les mar- chands de religion n'en sauroient avoir. Mes malheurs m'ont instruit trop tard; qu'ils vous instruisent à temps. *

. Je souffre beaucoujp , cher ami : je me suis % remî^ à l'usage des sondes pour tâcher de me procurer un peu çle ^elàche quand vous serez avec moi. Je me ménage ce temps comme le plus précieux de ma vie, ou du moins le plus doux qui me reste à passer. Ménagez - vous la liberté de venir quand je vous écrirai ; car mal- heureusement je suis encore moins maître de . moA temps que vous du vôtrel . J'ai toujours oublié de vous, dire que j'^ii à Yv.erdun un cabriolet que je ne serois pas fâché de. trouver à vendre. Po5rroit-il vous servir, en attendant , dans nos petits pèlerinages ? Pour moi , vous savez que je n!aime aller qu'à pied. Si 'VOUS ayez des jambes , nous xidus servirons ,

A9NÉE 1763. Yb

xuaid à petits pas, car je ne saurois aller vite, iii faire de longues traite^; mais je vais toujours. No^s causerons à notre aise ; cela sera délicieux. Je vous «mbrassQ.

. .Si vous 'amenés quelqu'un , tâchez au moins que nous puissions un peu nous voir seuls.

A M. DE LA PORTE.

Motiérs, le 4 avril 1763.

. Vous pouvez savoir , monsieur , queje n'ai ja- mais concouru ni consenti à aucun des recueils de mes écrits qu'on a publiés jusqu'ici; et , par la manière dont ils sont faits, on voit aisément que lauteur ne s'en est pas mêlé. Ayant résolu d'qn faire mpi-mème une édition g^^nérale , en prenant congé du public , jf le vois avec peine inondé d'éditions détestables* et réitérées , qui peut-être le rebuteront aussi de la mienne avant qu'il soit ^n état d'en juger. En apprenant quon en préparoit encore une nouvelle vous êtes , je ne pus m'empêcher d'en faire des plaintes; ces plaintes , trop durement interprétées, donné"- rent lieu à un avis de la gazette de Hollande , que je n'ai ni dicté ni approuvé, et dans lequel on suppose que le sieur Rey a seul le droit de faii:e cette. édition générale: ce qui n'est pas. Quai;id il Sn a fait lui-même un recueil avec privilège , il l'a fait sans naqn aveu ; et au contraire ,.enlui ce-, dantwes manuscrits, je me suis expressément réservé le droit de recueillir le tout , et de l^pu-

ÀO COAIlKSI»0NOl]!ICE.

bUer et quand il me plairait. Voilà , inOAsiettf* ^ la vérité.

Mais, puisque cea éditions furtires sont nyivU tables , et que vous voulez bien présider à celle** ci, je ne doute point , monsieur , que vos soins ne la mettent fort au-dessus des autres t dwaiè cette opinion^ je prends le parti de différer la mienne , et je me félicite que vous ayez fait. assez de cas de mes rêveries pour.daigner vous en oc* cuper. Malheureusement le public , toujours de mauvaise humeur contre moi, se plaindra que vou» m'honorez à ses dépçns. Il dira qu'un édi- teur tel que vous lui rend moins qu'il ne lui dé- robe; etquand vous pourriez lui plaire et réclairer par vol écrits , il regrettera le temps que vous prodiguez aux miens.

Je vous remerciç , monsieur , d'avoir bien voulu m'envoyer la note des pièces qui devront entrer dans votre recueil : vous êtes le premier éditeur de mes éorits qui ait eu cette attention pour moi. Entre celles de cea pièces dont je ifè suis pas Fauteur , j y en trouve une qui nie doit .être d'aucune manière ; c'est le Petit Prophète. Je vous prie de le retrancher , si vous êtes à temps ; sinon de vouloir bien déclarer que cet ouvrage n'est point de moi, et que je n'y ai pas la moindre part, ^

Receveaî , monsieur , je vous supplie, mon res- pect et mes salutations.

ÀIÏNÉÉ 1763; "St

«

A M. J. BURNAND.

^ Motiers , le 4 avril 1 763*

' Je suis très content , monsieur, de votre der-* tklète lettre ^ et je me fais an très grand plaisir vous le dii*e; Je vois avec regret que je vous avois mal jugé. Mais de grâce mettez- vous à ma place « Je reçois des milliers de lettres , sous prétexte de me demander des explications , on ne cherche qu'à me tendre des pièges. Il me faudroît de la santé , du loisir et des siècles pour entrer dans tous les détails qu on me demande; et, pénétrant le motif secret de tout cela, je réponds avec fran- chise ^ avec dureté même à Fintention plutôt quàlecrit. Pour vous, monsieur, quemonàpreté u a point révolté , vous pouvez compter de ma part sur toute lestime que mérite votre procédé honnête , et sur une disposition à vous aimer , qui probablement aura son effet si jamais nous nous connoissons davantage. En attendant, re-' cevez, monsieur, je vous supplie, mes excuses et mes sincères salutations.

AM. WAtELEt.

Motiers, 1763.

Vous me traitez en auteur , monsieur ; vous me faites des compliments sur mon livre. Je n*ai rien à dire à cela , c'est Tusage. Ce même usage veut aussi qu'en avalant modestement votre en-

«7. ^

Ç3« CORRESPONDANCE.

cens je vous en renvoie une bonne partie. Voilà pourtant ce que je ne ferai pas ; car^ quoique vous ayez des talents très vrais, très aimables, les qualités que j'honore eiï vous les effacent à mes^yeu^ ; cestpajr^Ulçs qu« vous suis att^acbé; cestpv elleaqi^e jai, toujours désiré votrei bi,en- yeiUance ;. e.t FoU; u&, ma, jauQ^is^ vu. i:eqhercher les gens à talents qw ^avoient que d^s talents. Je m applaudis pourtant de ceux auxquels voua l)[^ assurez que. je do^s. votre estii^e, puisqu ils:me procurent uii bieA» dont je fais tant de cas. Les çiieps tels; qu^ o|9Lt çepend^njt si peu dépendu <^e.ma volonté., ils mJoata^ttivé t£|nt de maiix, ils. m!ont s^^f)y(ib;)imé si vite, que j'auroiâ bien voulu t^nir cel,te^nfiti^dp9tv.ou3periQ€tttezqiie j^ njfi flptjtedequelftuj? çl>fts«q)»i mieùt ^té neim funeste, que. jps.pufi;a€^dîi2^iA^re pj^;s à>n»pif

Ce ser^ m,qnsj[(sur^ pouc votr;e^loifie^a^in&i^ je le desi^^ et, J€^ l^spijyee:, cff^ j'aurai bllmé merveilleu^L- de To^^^a* Sir j^ai ei^ tort , cqmmf^ cela pçut très b^en èti^e, vi>u$ ni'aurez i\éf|4ié pan le fait ; et si j'ai. raJÂOti ^ Ife succès ; dajx^ un^rnsm-^ vais genre n en rendra, votre. triompbi^.qcne^plua éclatant. Vous voyez, monsieur, par lexpérience constante du théâtre^, qnp ce ii'iesit jamais le choix du genre bon ou mauvais qui décide du sort d'une pièce. Si la vàtre-est intéressante malgré les ma- chinas „ sopteniie d ^nebqnne m^s^vif^ c^le doit réuç^; et.vqus.aurez eu, comme QaiMiiault, 1q mérixe de 1^^ difficulté, vaincue. Si ,. par supposi* tiqu , elle, ne. l!e^ti pas , votre goût , votre air^

ANNÉE 1763. S3

nidUepoésiie , Tauront ornée au moîas dedétaih charmaQts qui la fendront agréable ; et g en est assez pour plaire à Topera fran<;ois. Monsieur , je tiens beaucoup phis , je vous jure , à votre sue éès qu à mon opinion , et non seulemelit pour vous, mais aussi pour votre jeune musicien ;• car le grand voyage que Fameur de Tart lui-a fait en- treprendre, et que V'Ous avez encouragé , m-est garant que son talent nest pas médiocre. H faut en ce genre ainsi qu en bien d'autres avoir déji^ beaucoup en soi*-méme pour sentir combien on .a besoin d acquérir. Messieurs , donnez^ biefntât votFe pièce, et, dussé^-je être pendu, je^Fiiiai voir ^•j^ptti& ^

A M. MOULT OU.

Motiers, ce samedi. 16. avril 1763;

Voici, .cIb^f Moultoii, puisque vous le voulez, encore deux^ exenïplaires de la lettre ; c'est tout ce qui me reste avec le n)i0n. Je n entends, pas dire^ c|u'il s-'en smt népandu daQ^ le public aucun autr*e que ceux que j'ai donnés, et je nai pkïs «aieune nouvelle de Bey : ainsi il se pourroit très biesx^ que quelqu'un fut ventt à bout de suppri- inei? Tédi^ion^ En ce cas, il ifnpoi*teroit de pla- cer très bien ces exemplaires, puisqu'ils serbient difficiles et peut^^trie iias^ossibles à remplacer. Si vous trouviez à propos d'en dbtmfer un à Me le colonel^ Pictet , lequel ma écrit des lettres très bonnétes , vous me feriez grand plaisir.

Je comprends quel est l'endroit M. Deluc

6.

84 COftRESPONDANCE.

croît se reconnoître. Il se trompe fort. Moiï Ca- ractère nest assurément pasMe tympaiiîsermes amis ; tnais le bon homme, avec toute sa sagesse, .n'a pu éviter un piège dans lequel nous tombohs tous : c'est de croire tout le Ynonde sans cesse occupé de nous en bien du en mal , tandis que souvent on n'y pense guère. . Quand vous viendrez , je vous montrerai dans des centaines de lettres une rame des lourds ser- ^mons dont je me suis plaint; et quels sermons, •grand Dieu ! Il m'en coûte , depuis que je suis ici, dix louis en ports lettres pour des répriman- des, des injures, et des bêtises; et , ce qu'il y a de plaisant, c'est qu'il n'y a pas un de ces sots- qui ne pense être le seul et ne prétende m'oc- cuper tout entier.

Il est certain que j'ai mieux prévu que vous l'efFet de la lettre à M. de Beaumont. Tout ce que je puis faire de bien ne fera jamais qu'aigrir la rage des Genevois. Elle est à un point inconce- vable. Je suis persuadé qu'ils viendront à bout de m'en rendre enfin la victime. Mon seul crime est de les avoir trop aimés : mais ils ne me le pardonneront jamais. Soyez persuadé que je les vois mieux d'ici que vous d'où vous êtes. Je vois qu'un seul moyen d'attiédir leur fureur ; cela presse. Envoyez-moi, je vous prie, le nom* et l'adresse de M. le premier syndic.

Venez quand vous voudrez, je vous attends. Mes malheurs, à tous égards, sont à leur der-

ANNÉE 1763. 85

nier terme; mais seulement que je vous em- brasse , et tout est oublié.

A M. LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG.

Motiers-Travers , le 23 avril 1763.

' Pardonnez- moi , monsieur le maréchal , une nouvelle importunité : il s*agit d un doute qui me rend malheureux, et dont personne ne peut me tirer plus aisément ni plus sûrement que vous. Tout le monde ici me trouble de mille vaines alarmes sur de prétendus projets contrer ma liberté. J aipour voisin depuis quelque temps, un gentilhomme hongrois, homme de mérite, dans lentretien duquel je trouve des consola- tions. On vient de recevoir et de me montrer un avis que cet étranger est au service de France,; et envoyé tout exprès pour m attirer dans quel- que piège. Cet avis a tout lair d une basse ja- lousie. Outre qne je ne suis assurément pas un. personnage assez important pour mériter tant de soins , je ne puis reconnoître lesprit François à tant de barbarie, ni soupçonner un honnête homme sur des imputations en Fair. Cependant on se fait ici un plaisir malin de m effrayer. A les en croire, je ne suis pas même en sûreté à la promenade, et je n'entends parler que de pro jets de m'enlever. Ces projets sont-ils réels? Est il vrai qu on en veuille à ma personne ? Si cela est, 1 exécution nen sera pas difficile » et je suis

86 CORRESPONDANCE.

prêt d'aller me reikire moi-même Ton voa-^ dra ; aimant mille fois lïiieux passer le reste de Aies jours dans les fers que dans les agitations continuelles je vis, et en défiance de tout le monde. Je ne demande ni faveur ni grâce, je ne demande pas même justice; je ne veux qu'être éclairci sur les intentions du gouvernement. Ce n'est nullement pour me mettre à couvert que je désire en être instruit, comme on le connoî- tra par ma conduite ; et si Ton ne pense pas à moi, ce me sera un grand soulagement d'en être instruit. Un mot d'ëclaîrcîssenient de vous nie rendra la vie. Je ne puis croire que ma prière soit indiscrète. Je n'entends pas pour cela que yous me répondiez de rien-: marquez-moi sim- plement ce que vous pensez et je suis content ; le doute m'est cent fois^ pire que le mal. Si vous connoissiez de quelle angoisse votre réponse telle qu'elle soit peut me tirer , je connois votre cœur, jnonsieur le maréchal , et je suis bîen sur que vous ne tarderiez pas à la faire.

A M. MOULTOU.

Moti^rs , le 7 mai 1763.

Pour Dieu , cher ami , ne laissez point courir cet impertinent bruit d'une résidence auprès des Cantons. Je parieroiy que c'est une invention de mes ennemis , pour me faire regarder comme un homme abandonné quand on saura combien ce bruit est faux. Vous savez que je viens de perdre

ASNÉE 1763. 87

milord-mdréchal y mon protecteur^ mon ami, et le plus digne des hommes ; mais vous ne pou- vez savoir quelle perte je lais en lui. Pour me mettre en sûreté autant qu'il, est possible contre la mauvaise volonté des gens de ce pays , il m en- voya avant son départ des lettres de naturalité : c'est peut-être ce fait augmenté et déîBguré qui a donné lieu au sot bruit dont vous me paHez. Quoi quiîl en soit, jugez si dans mon accable- ment j'ai besoin de vous. Venez, ne laissez ]pas plus long-temp3 en presse lin cceur accoutumé à 8 épancher et qui n'a plus que vous. Marquez-rhoi à-peu -près le jour de votre arrivée, et venez tomber chez moi : vous y trouverez votre cham- bre prête.

Comme M. Pictet tti a toujours écrit sous le couvert d'autrui , je Vous adresse pour lui cette lettre, dans le doute s'il il y a point dans une correspondance directe quelque inconvénient que je ne sais pas.

Ne vous tournientez pas beaucoup de ce qui se fait à Geûéve à mon égard ; cela ne m'inté- resse plus guère. Je consens à votis y accompa- gner, si vous voulez , mais comme je férois dans une autrfe vîfle. Mon parti est pris; mes arran- gements sont fàïu. Kous en parlerons.

88 CORÏiESPOÏÎDAISCE.

A M. FAVRE,

fUEMIEn SYNDIC DE REPUBLIQUE DE GEHÂTE^

Motieps-Trayers , le i2 mai 1763. M0NSIE;UIi,

Revenu du long étonnement ma jeté de ls( part du magnifique conseil le procédé que j ca devôis le moins attendre , je prepda çnfip le parti que rhouneur et la raison me prescrivept , quel- que chçr qu'il en coûte à mon, cœur.

Je vpus déclare donc, monsieur, et je vous prie de déclarer au magnifique conseil que j'ab^ dique à perpétuité mop droit de bqurgeoisie et de cité dans la ville et république de Genève, Ayant rempli de mon mieux les deyoirs atta- chés è^ ce titre s£^ns jouir d'aucun de aes avan? tages , je ne crois point être eu reste avec l'état ^n le quitti^nt, J'ai t^ché d'honorer le nom ge^ nevois; j'ai tendrement aimé mes compatriotes; je n'ai rien oublié pour me faire aimer d'eux; on ne sauroit plqs mal réussir : je veux leur cona^- plaire jusque dans leur haine. Le dernier sacri- fice qui me reste à faire est celui d'un nom qui me fut si cher, Mais , n(ionsieur, ma patrie , en me devenant étrangère, ne peut me devenir in- différente ; je lui reste attaché par un tendre souvenir, et je n'oublie d'elle que ses outrages.. Puisse-t-elle prospérer toujours et voir augmen-. ter sa gloire ! Puisse-t-elle abonder en citoyens meilleurs , et sur-tout plus heureux que moi!

ANNÉE 1763. 89

Recevez , je vous prie , monsieur , les assuran-» ces de mon profond respect.

A M. MARC CHAPPUIS.

Modéra, le ai mai 1763.

«

Vous verrez , monsieur, je le présume , la let- tre que j'écris à M. le premier syndic. Plaignez- moi, vous qui connoissez mon cœur, d être forcé de faire une démarche qui le déchire. Mais après les affronts que j ai reçus dans ma patrie , et qui ne sont ni ne peuvent être réparés, m'en recon- noltre encore membre seroit consentir à mon désbonneur. Je ne vous ai point écrit, monsieur, durant mes disgrâces : les malheureux doivent être discrets. Maintenant que tout ce qui peut m'arriver de bien et de mal est à-peu-près arri- vé , je me livre tout entier aux sentiments qui me plaisent et me consolent ; et soyez persuadé^ monsieur , je vous supplie , que ceux qui m att£^^ chent à vous ne s'affoibliront jamais,

AU MÊME,

Motiers, le 26 mai 1763.

Je vois , monsieur , par la lettre dont vous m avez honoré le 18 de ce mois, que vous me jugez bien légèrement dans mes disgrâces. Il en coûte si peu d accabler les malheureux , qu on est -presque toujours disposé à leur faire ua oriine de leur ms^lheur,

90 CORRESt>ONDANCE.

Vous dites que vous^ ne comprenez rien à hia démarche : elle est pourtant aussi plaire que triste nécessité qui m*y a réduit. Flétri publique* ment dans ma patrie sans que personne ait ré- clamé contre cette flétrissure ; après dix mois d'at- tente j ai prendre le seul parti propret conser- ver mon honneur si eruellemeut offensé. C'est avec la plus vive douletlr que je m'y suis diéter^ miné : mais que pouvoîs-je faire? Demeurer vo- lontairement membre de l'état après ce quî^'étoit pa^sé , n'étoit-ce pas consentir à mon déshon- neur?

Je ne comprends point comment vous m'osez demander ce que m'a fait la patrie. Un homnré aussi éclairé que vous ignore-t-il que toute démar- ché publique faite par le magistrat est censée faite par tout l'état lorsque aucun de ceux qui ont droit delà désavouer ne la désavoue. Quand le gouver- nement parle et que tous les citoyens se taisent, apprenéÉ que la patrie a parlé.

Je ne dois pas seulement compte de moi aux Genevois, je le dois encore à moi-même, au pu- blic , dont j'ai le malheur d'être connu , et à la postérité, de qui je le serai peut-être. Si j'étqis as- sez sot pour vouloir persuader au reste de l'Eu- rope que les Genevois ont désapprouvé la procé- dure de leurs magistrats ^ s'y moqueroit-on pas de moi? Ne savons-nous pas, me diroit-on, que la bourg^eoisie a droit de faire des représen- tations dàJùs toutes les occasions oii elle croit \ei lois lésées et elle imprôuve la coùdaite dei

ANNÉE 1763. 91

Magistrats ? Qu^a-treile fait ici depuis près d un an que vous avez attendu ? Si cinq ou six bourgeois seulement eussent protesté , Ton pourroit vous croire sur les sentiments que vou$ leur prêtez. Cette démarche étoit facile, légitime ; elle ne trouWoit point Tordre public : pourquoi donc ne Va-t-on pas laite ? Le silence de tous ne dément- il pas vos assertions? Montrez-nous les signes du désaveu que vous leur prêtez. Voilà , mon- sieur , ce qu'on me diroit et qu'on auroit raison de me dire. On ne juge point les hommes par leurs pensées , on les juge sur leurs actions.

Il y avoit peut-être divers moyens de me ven- ger de l'outrage , mais il n y en avoit qu'un de le l'epousser sans vengeance ; et c'est celui que j'ai pris. Ce moyen qui ne fait de mal qu'à moi doit- il m'attîrer des reproches au lieu des consolations que je devois espérer ?

Vous dites que je n'avois pas droit de deman- der l'abdication de ma bourgeoisie: mais le dire n'est pas le prouver. Nous sommes bien loin de compte ; car je n'ai point prétendu demander cette abdication , mais la donner. J'ai assez étu- dié mes droits pour les connoître, quoique je ne les aie exercés qu'une fois seulement et pour les abdiquer. Ayantpourmoi l'usage de tous les peu- ples , l'autorité de la raison , du droit naturel , de Grôtius , de tous les jurisconsultes , et même l'a- veu dû: conseil, je ne suis pas obligé de me ré- gler sur votre erreur. Chacun sait que tout pacte dont une des parties enfreint les conditions de-

92 CORHESPONDANCE.

vient nul pour Tautre. Quand je devois tout à la patrie , ne me devoit-elle rien ? J'ai payé ma dette} a-t-elle payé la sienne ? On n a jamais droit de la déserter, je lavoue; mais, quand elle, noua rejette , on a toujours droit de la quitter ; on le peut dans les .cas que j'^ spécifiés , et même on _Je doit dans le mien. Le serment que j'ai fait en- vers elle , elle la fait envers moi. En violant se» engagements , elle m'affranchit des miens ; et , en me les rendant ignominieux , elle me fait un devoir d'y renoncer.

Vous dites que si des citoyens se présen- toient au conseil pour demander pareille chose vous ne seriez pas surpris qu'on les. incarcérât. Mi moi non plus, je n'en serois pas surpris , par- ceque rien d'injuste ne doit surprendre de la part de quiconque a la fprce en main. Mais hien qu'une loi, qu'on n'ohserva jamais , défende au citoyen qui veut demeurer tel de sortir sans congé du territoire ; comme on n'a pas besoin de demander l'usage d'un droit qu'on a , quand Un Genevois veut quitter tout-à-fait sa patrie pour aller s'établir en pays étranger, personne ne songe à lui en faire un crime , et on ne l'in- carcère point pour cela. Il est vrai qu'ordinaire- ment cette renonciation n'est pas solennelle , mais c'est qu'ordinairement ceux qui la font ^ n'ayant pas reçu des affronts publics, n^ont pa8> besoin de renoncer publiquement à la société qui les leur a faits.

ANNÉE i^63. qJ

Monsieur, j*âî attendu, j ai mëdité , j'ai cher- ché long-temps s'il y àvoit quelque moyen d'évi- ter une démarche qui m'a déchiré. Je vous avois confié mon honneur, ô Genevois , et j'étois tran- quille ; mais vous avez si mal gardé ce dépôt que vous me forcez de vous l'ôter.

Mes hons anciens compatriotes , que j'aimerai toujours malgré votre ingratitude, de grâce , ne tae forcez pas , par vos propos durs et malhon- nêtes , de faire publiquement mon apologie. Épargnez-moi, dans ma misère, la douleur de me défendre à vos dépens.

Souvenez-vous, monsieur, que c'est malgré xnoi que je suis réduit à vous répondre^ur ce ton, La vérité, dans cette occasion, n'en a pas deux. Si Vous m'attaquiez moins durement , je ne cher- fcherois qu'à Verser mes peines dans votre sein. Votre amitié me sera toujouï^s chère , je me ferai toujours un devoir de la cultiver; mais je vous conjure, en m'écrivant , de ne pas me la rendre si cruelle, et de mieux consulter votre bon cœur. Je vous embrasse de tout le mien.

I

A M. MODLTOD.

Motier8,le4jtiiti 17Ô3..

J'ai si peu de bons moments en ma vie, qu'à peine espérois-jed'en retrouver d'aussi doux que ceux que vous m'avez donnée. Grand merci j cher ami : si vous avez été content de moi , je l'ai été

j^4 GOlTRE^PeNDANGE.

-encore plus de vous; cette simple vérité vautbien vos éloges. Aimons-nous assez Tua lautre pour n avoir plus à nous louer.

Vous me donnez pour mademoiselle C... une conmiission dont je m acquitterai mal , préciser- ment à cause de mon estime pour elle. Le refroi-*

dissement de M. G me fait mal penser de lui;

j ai reyuson livre , il y court après Tesprit ; il s y

guindé : M. 6 n est point mon. homme : je

ne puis croire qu il soit celui de mademoiselle G.... : qui ne sent pas son prix n'est pas digne d elle; mais qui la pu sentir ^ et s en détache , est un homnïe'à mépriser. Elle ne sait ce qu elle veut; cet homme la sert n^ieui^ que* son propre cœur» j'aime cent fors mieux- qu il la laisse pauvre et libre au milieu de vous , que de lemmener être malheureuse et riche en Angleterre. Eo: vérité, je souhaite que G..*... ne vi^ine pas; Je voudrois me déguiser, mais ji3 ne8aurois;J6^r(>ud rois bien faire , e^ je sens> que je gâterai tout.

Je tombe des^n^es^au juggBiiieiitdeM.de Mon- clar. Tous les hommes^vulgaires , tous les petits littérateurs sont faits pour crier toujours au pa- radoxe, pour n^neproeker< d'être outré; mais lui que jecroyois philosophe, et du moins Ipgi-* cien, qimiJ c^estn ainsi qu'il m'a lu! c'est ainsi qu'il me jug^! U ne m'a donc pa^ entendu ! Si mes principessont. vrais, tout est vr-ai; s'ils- ^nt faux , tout est faux; caa? je n'ai.tiré que des con-^ séquences rigoureuses et nécessaires. Que veut-il donc dire? je n'y comprends rien. Je suis assuré-

ment comblé et honoré de ses^ éloges, mais au- tant seulement que je peux letre de ceu]^: d'un homme de mérite qui ne m'entepd pas. Du reste , usez de sa lettre comme il vous plaira ; elle ne peut que mètre honorable dans le pu- blic. Mais , quoi qu'il dise , il sera toujours clair entre vous et moi quil ne m'entend point.

Je suis accablé de lettres de Genève. Vous ne sauriez imaginer à^larfois la. bêtise et la hauteur de ces lettres. Il n y en a pas une lautenr ne se porte pour mon juge, €it ne me cite à son tri- bunal pour lui rendre compte de ma conduite. Un M. B...t, qui m'a envoyé toute sa procédure, prétend que, je n'-ai point reçu d affront . et que le conseil avoit droit de flétrir mon livre , sans cominencer.par oitep l'auteur. Il me dit, au sujet de n^on. livre, brûlé par le bourreau , qt^ J'hon- ^çxk^ ne souffre poin?t dtL fait àlufi tiers* Ce qui ^gf|tiSe( au^ moins, si. ce mot de iiers veut dire ici quelque chose )qu!un.lmi|imé qui reçoit un souf- flet d'un autre ne doit poi^t^e tenir pour indui- te. J^ai pourtant , parmi tout ce fatras , reçu une lettre qui m'a attendri jusqu'aux larme» : elle e^t apQfiryiQ^ , et , par une simplicité' qui m'a tpuché encore en. tne faisant lûre, l'auteur a eu soin d^ r,eAferiper le.port,

Jq .sou)%ajite de. tout mon. cœur que les choses sfii^ijiLt 1-aissées comme elles sont , et que je puisse jpui;^ tranquillement du plaisir de voir mes amis à Oenév^, sans affaires et sans tracas ; je partir rai sitôt que j'aurai reçu de vos nouvelles. Je voust

^6 GORRËSt^ÔNDANCE. .

manderai le jour de notre arrivée, et je vous prie- rai de nous louer une chaise pour partir le lende- main matin. Adieu, cher ami, mille respects à monsieur votre père et à madame votre épouse; elle n'a point à se plaindre, j espère, de votre sé- jour à, Motiers ; si vous y avez acquis le corps d'Emile, vous n'y avez point perdu le cœur de Saint-Preux , et je suis bien sûr que vous aurez toujours l'un et l'autre pour elle.

Voici des lettres que j'ai reçues pour vous. Mille amitiés à Le Sage. Je vous embrasse de tout mon cœun

A M. MOULTOU.

Motiérs-Travers , ce lundi ri^ juin lyôS.

Je suis en peine de vous , mon cher Moul- tjOu ; seriez-vous malade ? Je le demande à tout le monde , et ne puis avoir de réponse. Vous qui étiez si exact à m'écrire dans les autres temps , comment vous taisez-vous dans la cir- constance présente? ce silence a quelque chose d'alarmant.

Je viens de recevoir une lettre de M. Marc Chappuis , dans laquelle il me parle ainsi : Vous tt avez envoyé dans cette ville copie de la lettre « que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le tf 36 mai dernier... Cette copie, que je n'ai point « vue, est tronquée, à ce que m'a assuré M. Moul- « tou , qui m'est venu demander lecture de To- (••riginal. »

; A:NNÉE= 1,763. , yj

Cet étrange passage demande expUeàtion. Je Tattends de vous , mon oher Moùltou ; et ce n'est qu'après avoir reçu votre réponse que jejferai la mienne à M. Chappuis. M. deSautern vous fait mille amitiés ; recevez les. respects de made* moiselle Le.Vasseur, et les embrasaements de Yotre aim,

A M. MOULTOU. Motiers-Travers, ce 7 juillet 1763.

Yotre avis est honnête et sage. J'y reconnois la voix d'un, ami : je vous remercie,. et j'en pro- fite. Mais avec aussi peu de crédit à Genève, que puis-je faire pour m'y faire écouler, sur-tout dans une affaire qui n'est pas tellement la mienne, quelle ne soit aussi c^lle de toqs? Re-r noncçr, au. moins pour ma part, à l'intérêt que j'y puis avoir, en déclarant nettement, comme J6. le fais atiJQurd'hui, qu'à quelque, prix que ce soit je n'a€cept;erai jamais la restitution de ma bourgeoisie, et que je ne rentrerai jamais dans Genève. J'ai fait serment de l'un et de l'autre : ainsi me, voilà lié sans retour; et tout ce qu'on peut faire pour me rappeler est par conséquent inutile et vain. J'écris de plus à Deluc une lettre très forte ^ pour l'engager à se retirer; j'en écris autant à mon cousin RousseauVV^oilà tout ce que je puis faire, et je le fais de très bon cœur : ri^^tde plus, ne dépend de moi. L'interprétation qu'on donne à ma lettre à .Ghapp.^is , est aussi raisonnable que si , lorsque j'ai dit non , 1 on en

-7. 7

g8 CORRESPONDANCE.

concluoit que j'ai vquIu dire oui. Voiileas-voiia que je me défende devant des fourbes ou des stupides? Je n'ai jamais rien su dire à ces gens-* ^ et je ne veux pas commencer. Ma conduite est , ce me semble , uniforme et claire ; pour Tin* terpréter il ne faut que du bon sens et un cœur droit. Adieu, cher Moultou. J'aurois bien quel- que chose à vous représenter sur ce que vous avez dit àChappuis, que j'avois tronqué la copie de sa lettre ; car, quoique cela ait été dit à bonne intention, il ne faut pas déshonorer ses amis pour les servir (i)« Voua m'avouez , à la vérité, que cette copie n'est point tronquée; mais il croit lui qu'elle l'est : il le doit croire , puisque vous le lui ayez dit ^ et il part de pour me croire et me dire un homme capable de falsifi- cation. Il ne me p,arott pas avoir si grand tort , quoiqu'il se trompe.

Au reste , quoi que vous en puissiez dire , je ne lui éKsrirai point comme à mon ami , puisque je sais qu'il ne l'est pias. J'écris à M. de Gauffe- court. O ce regpectàUe Abauzit ! je suis donc condamné à ne le révoir jamais ! Ah ! je me trompe; j'espère le revoir dans le séjour des justes I En attendant que cette commune patrie nous rassemble , adieu ^ mon ami.

Le pauvre Aron est parti en me chai^eant de

(i) Il ne m^aVoit pas compris , et vit bien que je savois aussi bien que |tti cette maxime. \

(Nvts de M. Moultott^)

« ANNÉE 1763. 99

mlHê choses pouir vous. Je sUis resté seul , et ddnë quel moment !

A M. ÙELtC.

* Motierê , l6 ^ juillet i j%i.

Je crains , mon cher ami , que Vôtre zèle pa- triotique n aille un peu trop loin dans cette oc- casion, et que votre amour pour les lois n ex- pose à quelque, atteinte la plus important^ de toutes , qiii est le salut de Téiat. J'apprends que vous et vos dignes t;ont:itoyeîis méditez de nou- velles Représentations; et la certitude de leut inutilité me ftiît craindre quelles ûfe compro- mettent enfin vis-à-vis lesuns des autres,- bu la bôurgieoisie, ou les magistrats. Je ne prétends pas me donner dans cette «affait^e une impor- tance, qu'au surplus je ne tiendrais que de mes malheurs : je sais que vous avez à redresser des griefs qui , bien que relatifs à de simples parti- culiers , blessent la liberté publique. Mais , soit que je ôoilbidère cette démarche relativement à moi, ou Relativement au corpà la bourgeoisie, je la trouve également inutile et dangereuse ; et j'ajoute même que la Solidité de Vôô raisoJîs tournera toute à votre commun préjudice, en te qu'ayant tdis en poudre les sophismes de sa ré- ponse , Vous forcerez le conseil à ne pouvoir pluâ répliquer que par un sec il 71 j a lieu y et par con- séquentde rentrer, par le fait, en possession «on prétendu droit négatif, qui réduiroit à rien •celui que vous avei de faire des représentations.

.ît)0 CORRESPONDANCE. ^

Que si, après cela , vous. vous iobstinez^ à; pour- suivre le redressement des griefs (que très cer- tainement vous n obtiendrez point), il ne vous reste plus quune seule voie légitime, dont Fef- fet n est rien moins qu assuré*, et qui , donnant atteinte à^ votre souveraineté, établîroit une planche très dangereuse, et seroit un mal beau- coup pire que celui que vous voulez réparer.

Je sais qu une famille intrigante et rusée , s'étayant d un grapd crédit au-dehors , sape à grands coi^ps les fondements d^la république, ,et que ses membres , j ongleurs adroits et gens à deux envers, méhent le peuple par Thypocri- sie , et les grands par l'irréligion. Mais vous et vos concitoyens devez considérer que c'est vous- mêmes qui l'avez établie.; qu'il est trop tard pour, tenter de Fabattre , et qu'en supposant .même un supcès qui n'est pas à présumer, vous pourriez vous nuire encore plus qu'à elle, et vous détruire en ^'abaissant. Croyez-moi, mes amis, laissez-la faire; elle toucbe à ^n terme, et je prédis que sa propre ambition la perdra , sans que la bourgeoisie s'en mêle. Ainsi, par isipport à la république, ce que vous voulez £siire n'est pas utile en ce moment; le succès est impossible, ou seroit funeste, et tout reprendra son cours naturel avec le temps.

Par rapport à moi, vous connoissez ma nxa- nièredepenser, et M.'d'Ivernois, à qui j'ai ou- vert mon cœur à son passage ici, vous dira^ comme je vous ai écrit, et à tous mes jimis, que,

ANNÉE 1763. lôt

loin de désirer en cette circonstance des re- présentations , j^aurors voulu qu elles n eussent point été faites, et que je désire encore plus qu elles n aient aucune suite. Il est certain , comme je Tai écrit à M. Chappuis , qu'avant ma lettre à M. Favre, des représentations de quel- ques membres de la bourgeoisie, suffisant pour , marquer quelle improuvoit la procédure , et mettant pair conséquent mon honneur à cou- vert, eussent empêchéuné démarche que je n ai faite que par force, avec douleur, et quand je ne pouvois plus m en dispenser sans consentir à mon déshonneur. Mai^ une fois faite, et mon parti pris, ce t(e démarche ne me laissant plus qu un tendre souvenir de mes anciens compa- triotes, et un désir sincère de les voir vivre en paix, toute démarche subséquente, et relative à celle-là, ma paru déplacée, inutile; et je ne lai ni desiré€i4M approuvée. J'avoue toutefois que voé représentations m'ont été honorables, en montrant que la procédure faite contre moî étoit contraire aux lois, et improuvée par. la plus saine partie de l'état. Sous ce point de vue, quoique je n'aie point acquiescé à ces représen- tations , je ne puis en être fâché. Mais tout ce que vous ferez de plus maintenant n'est propre qu'à en détruire le bon effet, et à faire triom- pher mes ennemis et les vôtres , en criant que vous donnez à la vengeance ce que vous ne don i nez qu'au maintien des lois. Je vous conjure donc,' mon vertueux ami, par

102 CORRESPONDANCE.

votre amour pour la patrie et pour la paix , d€ laisser tomber Cette afFai^e, ou même d en abaq^ clou nçr ouvertement lapoursuitç^ au moins pour ce qui me regarde , afiïi que yotre exeinple en- traîne ceux qui vous honorent de leur confiance ^ et que les griefs dun particulier qi|i n est plus rien à 1 état n en troublent point Je repos. Ne soyez en peine , ni 4p jugement qu on porterai de cette retraite, ni du préjudice quçn pourroit soufFrir la liberté. La réponse du conseil, quoi- que tournée avec toute l'adresse imaginable^préte le flanc de tant de côtés , et vous donne de si grandes prises, qu'il n y apoint d'homme un peu au fait qui ne sente le motif de votre silence, et, qui ne juge que vous vous taisez pour savoir trop à dire. Et quant à la lésion des lois, comme élk» en deviendra d'autant plus grande qu on en aura plus vivement pours\iivi la réparation a^^ns Tob- tenir , il v^ut n^ieux fermer les yeux dans une occasion le manteau de Fhypocrisie couvr^e Ifes attentats contre la liberté , que de fournir aux usurpateurs le moyen 46 consommer, au nom de Dieu , Touvrage de leur tyrannie.

Pour nioi , mon cher ami , quelque disposé que je fusse à me prêter à tout ce qui pouvoit complaire à mes anciens concitoyens , et à re- prendre avec joie un titre qui ma fut si cher, s'il m'eût été restitué de leur gré , d'un commua accord et d'une manière qui me lent pu rendre acceptable , vos démarches en cette occasion , et les maux qui peuvent en résulter , me forcent à

4NNÉE 1763. •lo?

changer de résolulion wr poipt, et à ep pren- dre une dont , quoi qu il arrive , rien i^e ipe f^r£| départir. Je vous déclare doi^c , et ]^n ai fait le 3erment,.que de me$ jour^ remettrai I9 pied dans vos mur$, et que, content de QoiirHr dans mon cœur les aentimentsd'uavrai citQyex^ de Genève , je n'en reprendrai jamais le titre ;. «insi toute démarche qui pourrpit tepdre à ipq le rendre eAt inutile et vaine. Après s^vikir saçri^ fie mes droitsplea plus chers à Vhonneur , je ^-> erifie aujourd'hui mes espérances à la paix. Il ne me reste plus rien à faire. Adieu.^

A M. DE GAUf FECOURT.

IVfpUers, le 7 juillet 1763.

J apprends, cheAps^pa, que vpus ête^ à 6e^ nève ; et cela redouble won regret de i^e pou-; voir passer dans cette ville , cptnme je çpmptoia faîfe après toutes ces tracasseries , pour aller à Ghambéri, voir mes ancieQS «imis. Forcé de ren noncer à ma bourgeoisie y pour Qe p^s consen-^ tir à mon désbonueur , j awois pas;sé çpnfiine ui^ étranger; et avec quel plaisir jeus^e oublié , dans les bras ducher Gauffecourt > tpus lesmaun^ qu oi) rassemble sur m^ tête ! Mais les démarches tar-? dives et déplacées de la bourgeoisie , et letrange i^éponse du conseil^ me forceut , de peur d atti^ *er le feu par ma présence , ^ m'^^bstepir d*ua voyage que je voulois faire en paix. Après s'être tu quand ilfalloitpa^rler^on parle quand il faut

lO^ corhespôndance.

se taire , et que tout ce qu'on peut dire n'est plus bon à rien,

L'affection que j'aurai toujoursjpour ma pa-^ trie me fait désirer sincèrement que tout ceci, qui s'est fait contre mon gré , n'ait aucune suite , et je l'ai écrit à mes amis. Mais nein'ayant-ni défendu dans mon malheur , ni consulté dans leur Jémarche, auront-ils plus d'égards âmes représentations , qu'ils n'en eurent à mes inté-i rets lorsqu'ils n'étoient que ceux des lois et les leurs? Dans le doute de mon crédit sur leur es- prit , j'ai pris dernier parti que je devois pren- dre , en leur déclarant que, quoi qu il arrivât, et quoi qu'ils fissent, je ne reprendrois jamais le titre de leur citoyenu et ne rentrer ois jamais dan» leurs murs. C'est à quoi je suis aussi très déter- miné , et c'est le seul moyedhjuime restoit d'as- soupir toute cette affaire, autant du( moins- que mon intérêt y peut influer. Ce seroit, }en conviens , me donner une importance bien rigli- cule , si on ne l'eût rendue nécessaire , et dont je ne saurois d'ailleurs être fort vain, puisque je ne la dois qu'à mes m^alheurs. Ainsi rien ne manque à mes sacrifices. Puissent-ik être aussi utiles que je les fais de bon cœur,* quoique dé- chiré!

Ce qui m'afflige le plus dans cette résolution*^ est l'impossibilité oii elle me nj(ét d'embrassef' jamais mes amis à Genève , ni vous par consé- quent qui êtes le plus ancien de tous. Faut-il donc renoncer pbu^ toujours à cet espoir? Chei^ ^

ANNÉE 1765. I05

pa{>à, j espère que votre sàmé raffermie ne vous rend plus les bains d'Aix nécessaires ;niais jadis cétoit pour vous un voyage de plaisir plus que de besoin. S'il pouvoit Fètre encore , quelle con- solation ce seroit pour moi d'aller vous y voir ! Je crois que je mourrois de joie en vous serrant dans mes bras. Je traverserois le lac, le Chablais , le Faucigny, pour vous aller joindre. L'amitié me donneroit des forces ; la peine ne me coûte- roit rien.

On dit que les jongleurs ont acheté Marc Ghappuis avec votre emploi. Je les trouve biea prodigues dans leurs emplettes. H est vrai que celle-là se fait à vos dépens, et c'est tout ce qui m'en fâche. Assurément, si je n'ai pas une belle statue, ce ne sera pas la faute des jongleurs ; ils se tourmentent furieusement pour en élever le piédestal. Donnez-moi* de vos nouvelles. Je vous embrasse de tout mon cœur.

A M. USTERI,

PROFESSEUR A ZURICH,'

Sur le chapitre VIII du dernier livre du Contbat social.

Motiers, i5 juilleti763.

Quelque excédé que je sois de disputes et d'ob- jections , et quelque répugnance que j'aie d'em- ployer à ces petites guerres le précieux com- merce de l'amitié, je continue à répondre à vos difficultés , |)uisque vous l'exige/ ainsi. Je vous dirai- donc , avec» ma franchise ordinaire, que-

Io6 GORHESPQNDANCE.

TOUS ne me paroissez pas avoir bien saisi ¥ê* tat de la question. La grande société, la société humaine en général , e$t fondée sur rhumanité, sur la bienfaisance universeUe, Jedis , et j!ai tour jours dit que christianisme est favoraUe à ceUe4à.

Mais les sociétés partiçulièi^s , leiisodétés po^ litiques et civiles^ ont un to^t aqtre principe ; C0 sont des établissements purement hppiains » dont par conséquent le vrai christianisme nous détache» comme de tout ce qui n'est qne terres^ |re. Il n'y a que les vices des^ hommes qui reur dent ces établissements nécessaires , et il n y a que les passions humainea qui les conservent. Chez tdius les. vices à vos chrétiens , ils n auront plus besoin de magistrats ni de lois ; oi,ezrleur toutes lés passions humaines, le lien civil perd à Finstant tout son ressort; plus d'émulation, plus de gloire , plus d'ardeur pourJes préfèrent ces. L'intérêt particulier e*st détruit; et, faute d'un soutien convenable , l'état politique tombe en langueur.

Votre supposition d'une société politique et rigoureuse de chrétiens^ tous parfaits à la ri- gueur , est donc contradictoire ; elle est encore outrée quand vous n'y voulez pas admettre un seul homme injuste , pas un seul usurpateur. Se- ra-t-elle plus parfaite que celle des apètres? et cependant il s'y trouva un Judfis... Sera-t-elle plus parfaite que celle dea anges? et le diable, dit-on, en est sorti. Mon cher ami, vous oubliez quotas

ANNÉE 1763. 107

chrétiens seront des hommes, et i|ue la perfeo-i lion que je leur suppose est celle q^e pfht com- porter rhumanité. Mon livre n est pas fait pour les dieux.

Ce n est pas tovit. Yous donne* à vos citoyens un tact moral, ui^e finesse exquise: el pourquoi? parcequ'ils sont bons chrétiens. Comment ! nul peut être bon chrétien à votre compte sans être n^ La Rochefoucauld , un La Bruyère ? A quoi pensoit donc notre maître , quand il béniS"» soit les pauvres en esprit ? Cette assertion-là » premièrement , n est pas raisonnable , puisaue la finesse du tact moral ne aacquiert qu a force de comparaisons, et s exerce même infiit^iment mieux sur les vices que Ton eaohe que sur les vertus qu'on ne cache point. Secondement , cette mênoie assertion çst contraire à toute expérience, et Ton voit cpustamment que e est dans les plus grandes villes , chez les peuplas les plMS carrom-i pus qu on apprend à mieux pénétrer dans les, cœurs 9 à mi^ux obsçrvçr les hommes , à mieux interpréter leurs discours par leurs sentiments y à mieuj^ distinguer la réalité de Tappar^nce. Nie- rez-vo.i|i^ qu'il n'y ait d'infinitnept mçill^urs oh* servateurs mor^ui^à Paris qu'en Suisse? oucoiw clurez-vqus de qu on vit plus vertueusement à Paris qi;ie çheap voi^s ?

Vous dites que vos citoyens seroient infiniment choqués de la première inju8rtice. Je le crois; mais^ quand ils la verroient , il ne seroit plus; temps d'y pQuryoir, et d autant mieux qu'ils ner

îo8 CORRESPONDANCE.

se pepihettr oient pas aisément de mal penser de leur pr<fthdin , ni de donner une mauvaise in- terprétation à ce qui pourroit en avoir une bonne. Cela seroit trop contraire à la charité. Vous n ignorer pas que les ambitieux adroits se gardent bien de commencer par des injustices ; au contraire , ils n épargnent rien pour gagner d abord la confiance et l'estime publique par la pratique extérieure de la vertu; ils ne jettent le masque et ne frappent les grands coups que quand leur partie est bien liée, et quon^n'en peut plus revenir. Gromwel ne fut connu pour un tyran qu après avoir passé quinze ans pour le vengQur des lois et le défenseur de la religion. Pour conserver votre république chrétienne ,' voas rendez ses voisins aussi justes qu elle : à la bonne heure. Je conviens qu elle se défendra tou- jours assez bien pourvu qu elle ne SQi% point atta- quée. A legard du «ourage que vous donnez à ses soldats , par le simple amour de la conservation^ c'est celui qui ne manque à personne. Je lui ai donné un motif encore plus puissant sur des^ chrétiens; savoir, l'amour du devoir. Là-dessus, je crois pouvoir, pour toute réponse-, votis ren- voyer à mon livre, ce point ^st bien discuté. Gomtnent ne voyez-vous pas qu'il n'y a que de' grandes passions qui fassent de grandes choses?- Qui n'a d'autre passion que celle de son salût ne fera jamais rien de grand dans le temporel. 3i' Mutins Scœvola n'eût été qu'un saint , croyez-" vous qu'il eût fait lever le siège de Rome? Vous^

- ANNÉE 1763. 109

me citerez peut-être la magnanime Judith. Mais nos chrétiennes hypothétiques , moins barbare- .ment coquettes , n iront pas , > je crois , séduire .leurs ennemis, et puis coucher avec eux pour les massacrer durant leur sommeil.

Mon cher ami, je n aspire pas à vous con* .vaincre. Je sais qu'il n'y a pas deux têtes orga- nisées de même , et qu'après bien des disputes , bien des objections , bien des éclaircissements , chacun finit toujours par tester dans son senti"* ment fcomme auparavant. D'ailleurs , quelque philosophe que vous puissiez être, je sens qu'il faut toujours un peu tenir à l'état. Encore une fois , je ,vous réponds parceque vous le voulez ; mais je ne vous en estimerai pas moins pour ne pas penser comme moi. J'ai dit mon avis au pu- blic , et j'ai cru le devoir dire , en choses impor-^ tantes et qui intéressent l'humanité. Au reste, je puis m'être trompé toujours , et je me suis trompé souvent sans doute. J'ai dit mes raisons ; c'est au public , c'est à vous à les peser , à les ju- ger , à choisir. Pour moi , je n'en sais pas davan- tage, et je trouve très bon que ceux qui ont d'au- tres sentiments les gardent , pourvu qu'ils me laissenj; en paix dans le mien.

A SON COUSIN.

Juillet 1763.^

Une absence de quelques jours xnjà empêché, mon très cher cousin , de répondre plus tôt à votre letue, et de vous marquer mon regret sûr

110 CORRESPOlfï&ANGE.

la pertc^e mon cousin votre père. Il a vécu eit homme d'honneur, il a supporté la vieillesse avec courage, et il est mort en chrétien. Une carrière ainsi passée est digne d envie : pul^siohs- nous , mon cher cousiii, vivre et mourir comme luil

Quant à ce que vous marquez deô repré- sentations qui ont été faites à mon sujet , et aux*- quelles vous avez concouru , je reconnois , mon cher cousin , dans cette démarche le zèle d*uEli bon parent et d'un digne citoyen; mais j'ajoute- rai qu'ayant été faites à mon Insu , et dans un temps elles tie poùvoient plus produire au- cun effet utile , il eut peut-être été mieux qu'elles n'eussent point été faites , ou qtie mes smiis et parents n'y eussetit point acquiescé. J'avoue que l'affront reçu par le conseil est f leinetnent ré- paré par le désaveu authentique de la plus saine partie de l'état : mais comme il peut naître de cette démarche des semences de mésintelligence, auxquelles, même après ma retraite , je serois au désespoir d'avoir donné lieu , je vous prie , mon cher cousin , vous et tous ceux qui dai- gnent s'intéresser à moi ? de Vouloir bien , du moins pour ce qui me regarde , renoncer à la poursuite de cette affaire, et vous retirer du nombre des représentants. Pour moi , content d'avoir fait en toute occasion mon devoir en-» vers ma patrie , autant qu'il a dépendu de moi , j y renonce pçur toujours, avec doujeur, mai^ sans balancer; et afin qiie le désir de mon réta-

ASRÉE 1763. III

blissement n^ troul^ jamais la paijt publique , je déclare que , quoi qWil arrive , je ne repren- drai de mes jours le titre de citoyen de Genève, ni ne rentrercd dans ses murs. Croyez que mon attachement pour mon pays ne tient ni aux droits, ni au séjour, ni au titre, mais à des nœuds que rien oe sauroit briser ; croyez aussi , mon très cher cousin , qu en cessait d'être votre concitoyen je n en reste pas moins pour la vie votre bon parent et véritable ami.

»

^A M. DUCLOS.

Motiers, le 3o juillet 1763.

Bien arrivé , mon cher philosophe. Je prévoyois votre jugfement sur TAngleCevre. Pour df s yeux comme les vôtres , \^ê hommes sont les mêmes par tout pays ; les nuances qui les distinguent sont trop superficielles, le fond de Tétoffe domina toujours» Tout éompéré , vous vous décidez pour votre pays : oe choix est naturel. Apnès y avoir pasifé les plus bdiles années de ma vie j'en ferois de bon cœur autant. Je crois pourtant qu en gé-^ néral j aimerois mieux que mon amt fÙt Anglois que François* J avois beaucoup d'amis enFrance; mes disgrâces sonjt venues , et j en ai conservé deux. En Angleterre , j en aurois eu moins peut*^ être, mais je n'en aurois perdu aucun.

J'ai liait pour mon pays ce que j'ai fiiît pour nfts atnis. J'ai tendrement aimé ma patrie , tant que j'ai cru en avoir une. A l'épreuve , y ai trouvé

It2 COBftESPONl>ANCE.

que je me trompois.En me détachant d'une cb^ mère , j'ai cessé d'être un homniie à visions ; voilà- tout. Vous voudriez que je fisse un manifeste; c'est supposer que j'en ai besoin. Cela me paroît bizarre qu'il faille toujours me justifier de Fitti- quité d'autrui , et que je sois toujours coupable, "^ uniquement parceque je suis persécuté. Je ne yia point dans le monde , je n'y ai nulle correspon- dance, je ne sais rien de ce qui s'y dit. Mes en- nemis y sont à leur aise ; ils savent bien que leurs discours ne me parviennent pas. Me voilà donc, comme à l'inquisition, forcé de me dé- fendre sans savoir de quoi je suis accusé.

En parlant delà renonciation àma bourgeoi- sie vou§ dites que beaucoup.de citoyens ont réclamé ea ma faxe^r ; que j'avois donc des ex- ceptions à faire. Entendons-nous , mon cher . philosophe: les réclamations dont vous:parlez, payant été Élites ^qu'après ma déips^rche , ne pou voient pas; me fournie, un motif pour m'en abstenir. Cette démarche n'a point, été précipi- tée; elle n'a été faite qu'après dix mois d'attesté^ durant lesquels personne n'a dit un mot en pu- blic , si ce n'est cc^ntre moi Alors le consente- ment de tous étant présumé de leur silence, rester volontairement inem,bre d'un état j'a- vois été flétri , n'étoit-ce pas consentir moi-même à mon déshonneur? Et me restoit-il une voie plus honnête , plus juste , plus modérée de pro- tester contre cette injijre, que de me retirei: pfi^ çiblement de la société elle m'avoit été faite?

ANNÉE 1763. Il3

Nos lois les plus précises a|^ant été, de toutes manières , foulées aux jpieds à mon égard , à quoi pouvois-je rester engagé de Inoti côté , lorsque les liens de la patrie n etoient plus rien envers tnoi que ceux de Tignominie , de Fitijustice et delà violence?

Cette retraite fit ouvrir les yeux à la bourgeois sie : elle sentit sop ^tort , elle en eut honte ; et , selon le retour olrdinaire de lamour-propre ^ potir s'en disculper, elle tâchiade mërimputer. On m'écrivit des lettres dt reproches. En réponse ^ j'exposai n^s raisons : elles étoient sans réplique. On vouluttrop tard réparer la faute et revenir sui* une chose faite. On n avoit rien dit quand il fal- Idit parler; on parla quand il ne restoit qu'à se taire , et que tout ce qu'on pouvoit dire n'abou- tissoit plus à rien. bourgeoisie fit des repré- sentations ; le conseil les éluda par des réponses dont l'adresse ne put sauver le ridicule : mais il y a long-temps qu'on s'est mis au-dessus des sifflets. La bourgeoisie voulut insister; les esprits s'échauffoient , la mésintelligence alloit devenir brouillerie, et peut-être pis. 'Je vis alors qu'il me restoit quelque chose à faire. Mes amis savoient que , toujours attaché par le cœur à mon pays » je reprendrois avec joie le titre auquel j'avois- été forcé de renoncer, lorsque d'un commun accord il me seroit convenablement rendu. Le désir de mon rétablissement paroissoit être le seul motif de leur démarche : il falloit leur ôter cette source de discorde. Pour leur faire aban-

1 14 CORRESPONDANCE.

donner la poursuite d uq^e affaire qui pouyoit les mener trop loin , je leur ai donc déclaré que i^aia43 , quoi qu'il privait , je ne rentrerons dans leurs uiur$} que jamaîs je ne reprendroisla qua- f jité M leur cojacitoyen , et qu'ayant confirmé « par serment cette résolution je n étois plus le mattre d'f p chçiiigçï*, Qomme ^ ai votilu con- server auoupç correspondance suivie à Genève, j'i|;nore ab3oIup]^ent ce qui s^'y est passé depuis tewps-l^ ; m^is voUà que j'^ti fait. Aprè$ avoir sacrifié mes droits les plus chers à xpoa bonne vir putr^gé, j'^ sacrifié à la paix mes der^ nières espi^r^nces. T^ls sont mes torts dw$ cette af&^iS'e ; je ne m'çn connois point d'autres.

V<xu.s voiJ^4riez , çl^tes-yous , que je fisse voir à touU^ inonde çojpçwwt? étam mal avec ^fm- coup, de ceps , j|^ devroi? ê^re Juen avec tous : mais je sçjçôi^ ^o^rt eniharirass^ moi-même ^. dire pourquoi je s^is wa] avec quelqi^'iin; car je défie qui que ce soit au iMonde d'oser dire que j,e lui aie j^a,mais fait ou voulu le moindre mal. Ceux qw roe per^cuieç^t ne me persécutent qjti^ pour le seul plaisir de nuire: ceux qui xi^çi Jiaïssent peuvent me ba'û;' qu a cause du qi^L qu'ils m,'ont fait. Ils se çojçpplaisent dw» leur ouvrage* ils ne me pardonneront javi^îs Içur, propre mécl^nceté. Or, qu'ils fass^i^t donc tout à leur^ai^ ; bieni^Qt pourrai les mçttr« au pi$» Cepe^d£^nt ils auront heaum'accablerdemau^;, il leuy en reste un pour ma vengeance que je leur défie do m^ fai^e éprq^ver ; c est le tt^^nient

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ANNÉE 1763. Il5

de la haine , avec leq\iel je les tiens plus mal- heureux que moi. Voilà tout ce que je puis dire sur ce chapitre. Au reste ^ j'ai passé cinquante ans de ma «vie sans apprendre à faire mon apo- logie ; il est trop tard pour, commencer.

M. Cramer n'est point du conseil. Il est le li- braire , même Tami de M. de Voltaire ; et Ton aait ce que sont les amis de Voltaire par rapport à moi ; du reste , je ne les connois point du tout. Je siBiis seulement quen général tous le»Gene vois du grand air me haïssent , m^ qu'ils savent se pUer aux goûts de ceux qtii leur parlent. Ils on( 90m de ne pas perdre leurs coups en lair ; ils ne les lâchent que quand ils portent.

ASe voici au hout de mon papier et de mon ba« vardage sans avoir pu vous parler de vous.

Une réflexion bien simple , mon cher philoso- phe , et je finis. Je vou» ai tmidrement aimé dans lés jouns brillants de ma vie, et vous savez que ladversité n'endurcit pas le cœur. Je vous em- brasse.

A M. DUCLOS.

Motiers, k i«r août 1763.

I>e{)uistti% lettre écrite , ma situation j^ysiqua 9 teSesMat emparé et s est tellement déterminée, que mes douleurs, sans relâche et sans ressource, «le mettent absolument dans le cas de t exception marqiaéa par milord Édoiiard en répondant à Sakit-PFeux : Usque adeo ne mori misemm est? J'ignore eaeûre qu^ parti je prasdraiT si j en

s.

Il6 CORRESPONDANCE.

prends un ^ ce sera le plus tard qu'il me sera pos- sible , et ce sera sans impatience et sans désespoir,^ comme sans scrupule et sans crainte. Si nies fau-- tes m'effraient, mon cœur me rassure. Je parti- rois avec défiance, si je connoissois un homme meilleur que moi; mais je les ai bien vus , je les ai bien éprouvés, et souvent à mes dépens. Si le bonheur inaltérable est fait pour quelqu'un de mon espèce, je ne suis pas en peine de moi: je ne vois qu'uœ alternative, et elle me tranquillise; n'être rien,, ou êlie bien.

Adieu , mon cher jphilosophe : quoi qu'il arrive, voici probablement la dernière fois que je vous écrirai ; car mes souffrances ^ ne pouvant qu'aug- menter incessamment, me délivreront d'elles ou m'absorbjBront tout entier.. Souvenez-vous quel- quefois d'un homme qui vous aima tendrement et sincèrement , et n'oubliez pas que dans les der- niers moments sa. tête et son cœur furent li- bres il les occupa de vous.

P. S. Lorsque vous apprendrez que mon sort sera décidé, ce que je ne puis prévoir moi-même, priez de ma part M. Duchesne de vouloir bien, tenir à majdemoiselle Le Vasseur ce qu'il m'a pro- mis pour moi. Elle, de son côté, lui enverra le papier qu'il m'a demandé.

Quelle ame que celle de cette bonne fille! Quelle fidélité , quelle affection , quelle patience ! Elle à fait tojute ma consolation dans mes nial- heurs \ Hic me les a fait bénir. Et maintenant ,

. ANNÉE 1763. 117

pour le prix vingt ans d'attachement et de sbins, je la laisse seule et sans protection, -dànâ un pays elle en auroît si grand besoin ! J espère que tous ceux qui m'ont aimé lui transporte- ront les sentiments qu'ils ont eus pour moi : elle en est digne ; c'est un cœur touFsemblable au mien.

A M. MARTINET,

CHEZ LUI.

t

"Vous ne m'aimez point , monsieur, je le sais: mais moi je vous estime; je sais que vous êtes un homme juste et raisonnable : cela me suffit pour laisser en toute confiance mademoiselle Le Vasseur sous votre protection. Elle en est digne; elle est connue et bien voulue de ce qu'il y a de plus |^rand en France : tout le monde approuvera ce que vous aurez Jftiit pour elle , et milord-maréchal en particulier vous en saura gré. Voilà bien des raisons , monsieur , qui me rassurent contre l'efFet d'un peu de froideur en- tre nous. Je vous fais remettre un testament qui peut n'avoir pas toutes les formalités requises;^ mais s'il ne contient rien que de raisonnable et de juste, pourquoi le casseroit-on ? Je me fie bien encore à votre' intégrité dans ce point. Adieu, monsieur; je pars pour la patrie dès âmes justes. J'espère ^ trouver peu d'évêques et de gens d'église, mais beaucoup d'hommes comme vous et moi. Quand vous y viendrez à votre tour, vous arriverez en pays de connois-

\

1 18 GORBESPDÏ^BAHCE,

sance. Adieu donc derechef, monsieur; du té-* voir,

A M, MOtJLTOU.

MotierS) lundi ler août 1763.

Je vous remercie, mon cher' Moultou, du livre de M. Vernes que vous m'avez envoyé: letat oii je suis ne me permet pas de le lire , encore moins dy répondre; et , quand je le pôurroîs , je ne le ferois assurément pas. Je«ne réponds jamais qu a des gens que j'estime. *

Je suis persuadé que ce que M. Vernes me pardonne le moins , est d avoir attaqué le livre d'Helvétiqs, quoique je Taie fait avec toute la décence imaginable^ en passant, sans le nom- mer, ni même le désigner, si ce tiedt en ren-^ dant honneur à son bon caract'ère. Dans les

Eages 71 et 7a dfe M. Vernes, qui me sont tom- ées sous les yeux, il me fait un grand crime d'avoir employé ce qu'il appelle le jargon de 1$ métaphysique; et il suppose que j'ai eu besoin de ce jargoii pour établir la religion naturelle ; ^ au lieu que je n'en ai eu besoin que pour atta- quer le matérialisme. liC principe fondamental du livre de l Esprit est c^e juger est sentir; d'où il suit clairement que tout n'est que corpà. Ce principe, étant établi par des raisonnements métaphysiques; ne poilvolt être attaqué que par de semblables raisonnements. Cest ce que M; Vernes ne me pardonne pas. La métaphysi-»

AN«'éB 1763. 119

que ne Tédifie que dans le livre d'Helvétius ; elle le scandalise dans le mien.

Je n'approuve pourtant pas que le {itlblic vbie Farticle de ma lettre qui le regardé ; j^exigë inètne que vous ne le monirieas à perâdUiië, quâ lui deiil si vous voulet. Je n eue jaôlslid pbnchâtit à la haine , et je crois qu'à tua pla^e Thôtaitiie du monde le plus haiùèux s attiédirôii fort dur la vengeance. Mon ami, laissdUs tous ceâ getiâ-là triompher à leur aise ; ils ne feriGUèrotit pas la patrie des aities justed , dans laquelle j'espère parvenir dans peu.

J'avoue que dans de eertaiud mômëûts j au- rois g^rand besoin de quelque consolation. En proie à des douleurs sans relâche et MUS res- source « je suis dans le cas de l'exception felté par çiilord Edouard, en répondant à Saint-^ Preux , ou jamais homme au monde n y fut. Toutefois je prends patience; mais il est bien cruel de n'avoir pas la main d un ami pour me fermer lés yeux, moi à qui ce devoir a tant coûté , et qui l'ai rendu de si bon cœur. Il est hien craél de laisser ici, loi ti de son pëys, cette pauvre fille sans amis, sans protectiôU, et rié ptmtoir pas jt^tné lui clssUrer la possèsëititi de mes gUenille^our prit vingt ans soins et d'attachetâëut. Elle a dès défauts, cher Mofaltdu; Étais e est. une belle aine. J'ai fort de ïhe4]rîaln- dré èe mattquer de eôfnsalétititts; je leè trouvé etk eMe; qvaokâ ndU^ atôn^ déploré filés tîiâl-*

1 20 CORRESPONDANCE.

beurs ensemble, ils sont presque tous oubliés : cependant leur sentiment revient et s'aggrave par la continuité des maux du corps.

Je ^voulois écrire au cher GaufFecourt; je aen ai pour aujourfl'hui ni le temps ni la force; dites lui, je vous prie, que j'ai un extrême re- gret de ne pouvoir l'accompagner ; je le desirois trop pour devoir l'espérer. Qu il ne manque pas d'embrasser pour moi M. de Consié , comte des pharmettes , et de lui témoigner combien j'étois disposé à me rendre à son invitation ; mais

Me anteit saeva nécessitas Clavos trabales çt cuneos manu Gestans ahenâ.

Mademoiselle Le Vasseur persiste à vous prier de lui renvoyer sa robe , si vous ne l'avez pas vendue. Bonjour,

A M. D'IVERNOIS.

Motiers, le 22 août 176?.

*

Recevez, monsieur, mes remerciements des attentions dont vous continuez de m'honorer, et des peines que vous voulez bien prendre en ma faveur. Sans M. Deluc et sans vous, j'ignore- rois ab3olument l'état des chos^, ne conser- vant plus aucune relation dans Genève par la^ quelle j'en puisse être informé. Je vois, par ce que vous avez la bonté de* me marquer, qu'après toutes ces démarches les choses resteront, corn-» jne je l'avois prévu, dans Te même état elles

t

ANNÉE 1763. 121

étoîeat auparavant. Il peut arriver cependant que tout cela rendra, du moins pour quelque temps , le conseil un peu moins violent dans ses entreprises; mais je suis trompé si jamais il re* nonce à son système, et s'il ne vient à bout de lexécuter à la fin. Voilà, monsieur, puisque vous le voulez , ce que je pense de Tissue de cette affaire, à. laquelle je ne prends plus,. quant à moi, d'autre intérêt que celui que mon tendre attachement pour la bourgeoisie de Genève m inspire, et qui ne s'éteindra jamais dans mon coeur. Permettez, monsieur, que je vous adresse la lettre ci-jointe pour M. Deluc. Mademoiselle Le Vasseur vous Remercie de l'honneur que vous lui faites^ et vous assure de son respect. Toute votrç. famille se porte bien, au respecta- ble docteur près, qui décline de jour en jour. Il faut toute la force de son ame pour lui faire supporter avec courage le poids de la vie. Quelle leçon pour moi , qui souffre moins et qui suis moins patient ! Je vous embrasse , monsieur , et vous salue de tout mon cœur»

A M.

•jf**

Motiers-Travers , le 25 août 1763.

. . Vos bontés , monsieur , pour ma gouvernante et pour moi sont sans cesse présentes à mon cœur et au sien. A force d'y penser , nous voilà tentés d'en user encore , et peut-être d'en abuser. |1 faut vous communiquer notre idée , afin que

122 COltBESPOND AH CE.

VOUS voyiez8i elle ne vous sera point importune, et si vous voudrez bien porter rhumanicé jusqtià y acquiescer.

L'état de dépérissetnent oii je suis ne peut du- rer ; et , à moins d un changement bien imprévu , je dois naturellement , avant la fin de l'hiver , trouver un repos que les hommes ne pourront pius troubler. Mon unique regret sera de laisser cette bonne et honnête fille sans appui et sàtis amis , et de ne pouvoir pas même lui âissurer la possession des guenilles que je puis laisser. Elle s eh tirera cotnme elle pout*ra : lln:ie faut pas lut- ter inutilement contre la nécessité. Mais , comme elle est bonne catholique , ette ne veut pas res* ter dans un pays d'une autre seligion que la sienne , quand son attachetnent pour mdi ne l'y retiendra plus. Elle ne voudroit pas non plus re- tourner à Paris ; il y fait trop cher vivté , et vie bruyante de ce pays-4à n'est pas de soti goût. Elle voudroit trouver dans quelque province re- culée , l'on vécût à bon compte , un petit asile, soit dans une commuliauté de filles, soit en prenant son petit ménage dans un village , ou ailleurs , pourvu qu'elle y soit tranquille.

J'ai pensé y monsieur , au pays que vous habi*- tez , lequel a , ce me semble , les avantages qu'elle cherche, et n'est pas bien éloigné d'Ici. Voudriez- vous bien avoir la charité de lui adcordei* votre protection et vos conseils, deveiiir son patron^ et lui tenir lieu de père? Il me semble qde jd serois plus en peine d'elle en la laissant soué

ANNÉE 1763. 123

Vafre gardé; et il me semble aussi quun pareil soin n est pas moins digne de votre bon cœur ijue de votre ministère. C est , je vous assure , une bonne et honnête fille , qui me sert depuis vingt ans avec lattaelietnent d'une fille à son père , 'plutôt que d un domestique à son maitre. Elle a des défauts , sans doute ; c est le sort de rhumanité : mais elle a des vertus rares , un Cd^ur ^xceUent, unehonhèteté de moeurs , une fidéliié et un désintéressement à toute épreuve. Voilà de cpiol je réponds après vingt ans d'expérience. D'aÔleurd elle n'est plus jeune et ne Veut d'éta- blissement d'aucune espèce. Je souhaite qu'elle passe ses jours dans une honnête indfépendance , et qu'elle ne serve personne après moi. Elle n'a pas pour cela de grandes ressources, mais elle saura se contenter de peu. Tout son revenu se borne à une pension viagère de trois cents francs , que lui a faite mon libraire. Le peu d'argent que je poUfttii lui laisser servira pour son voyage et |>our son petit etnménâgement. Voilà tout , mon- ♦ieuf: voyez si cela pourra suffire à cette pauvre fille pour subsister dans le pays vous êtes , et si , par la connoissance que vous avei du lo- cal, vous voudrez bien lui en faciliter les tubyens. 8i voué consentez, je ferai ce qu'il ||Ut; et je n'aurai plus de souci pour elle , si ^ puis flatter qu'elle vivra sous vos yeux. Un mot de réponse, monsieur, je vous en supplié , afiti que je prenne mes arrangements. Je vous demande pardon du désordre de ma lettre j mais^ je sou£fr6

124 CORRESPONDANCE.

beaucoup, et, dans cet état, ma main ni ma tète ne sont pas aussi libres que je voudroîs bien.

Je me flatte , monsieur , que cette lettre vous atteste mes sentiments pour vous ; ainsi je n'y ajouterai rien davantage que les assurances de mon respect.

P. S. Je suis obligé de vous prévenir, monsieur, que par la Suisse il faut afifranchir jusqu'à Pon- tarlier. Quoique votre précédente lettre me soit parvenue , il seroit fort douteux si j'aurois ce bonheur une seconde fois. Je sens toute mon in- discrétion ; mais , ou je me trompe fort , ou vous ne regretterez pas de payer le plaisir de faire du bien.

A M. ***.

Mo tiers-Travers, le II septembre 1763.

Je ne sais, monsieur, si vous vous rappellerez un homme autrefois connu de vous ; pour moi, qui n'oublie point vos honnêtetés , je me suis rap- pelé avec plaisir vos traits dans ceux de M. votr^ fils , qui mest venu voir il y a quelques jours. Le récit de ses malheurs m'a vivement touché ; la tendresse et le respect avec lesquels il m'a parlé de vous ont achevé de m'intéresser pour lui. Ce cjfÊli lui rend ses maux plus aggravants est qu'ils lui viennent d'une main si chère. J'i- gnore , monsieur , quelles sont ses fautes , mais je vois son. affliction ; je sais que vous êtes père ^ et qu'un père n'est pas fait pourêtre inexorable.

ANNÉE 1763. 125

Je croîs vous donner un vrai témoig^nage d atta- chement en vous conjurant de n user plus envers lui d'une rigueur désespérante , et qui , le faisant errer de lieu en lieu sans ressource et sans asile, n'honore ni le nom qu'il porte, ni le père dont il le tient. Réfléchissez, monsieur, quel seroit son sort si , dans cet état , il avoit le malheur de vous perdre. Attendra^-t-il des parents, des collatéraux , une commisération que son père lui aura refusée? et si vous y comptez, comment pouvez-vous laisser à d'autres le soin d'être plus humains que vous envers votre fils? Je ne sais point commeqt cette seule idée ne désarme pas votre hon cœur. D'ailleurs de quoi s'agit-il ici ? de faire révoquer une malheureuse leftre-de- cachet qui n'auroit jamais être sollicitée. Votre fils ne vous demande que sa liberté , et il n'ell veut user que pour réparer ses torts s'il en a. Cette demande même est un devoir qu'il vous rend : pouvez-vftus ne pas sentir le vôtre? Encore une fois, pensez y, monsieur, je ne veux que cela, la raison vous dira le reste.

Quoique M. de M. ne soit plus ici , je sais , si vous m'honorez d'une réponse , lui faire pas- ser vos ordres ; ainsi vous pouvez les lui donner par mon canal. Recevez, monsieur, mes saluta- tions et les assurances de mon respect.

126 GOHRfiSPONDANGE.

. .■ -

A M. G.,

LIETJTSNAST-COLONBI..

Septembre 1763. ;

Je crois , mou8ieur, que je serois fort aisé de vou$ copuQUre ; mais on me fait faire tant de CQ^noi^sauces par force , que j ai résolu de n eu pliis faire volbmtairement : votre franchise avec mpi mérite bien que je vous la rende*, etvous ^ coi^sentez de si h^nae grâce que je ne vous ré- ponde paf , que je ne puis trop tôt vous répon*- dre ; car si jamais j^ètois tenté d'abxiscr de la li- berté, ce seroit n(iQins de celle quo^ me laisse que de celle qu ou voudroit m'ôier. Yoxks êtes lieu- tenant-colonel , DPipnsieur , j en suis fort aisa i mais futsiez^vous prince , et , qui plus est , la-» bouleur y eomme je n ai qu un ton avec toi# le monde , je n en prendrai pas un autre avec vous. Je vou$ sialuc. ^ monsieur d^ tout mmk cœur,

f - k

Motîers, le. 39 septembre 1763.

Vous me faites > monsieur le duc, bien plus d'honneur que je. n en mérite. Votre ahesse séré- nissime aura pu voir dans le livre qu elle dai- gne citer que je n'ai jamais su comment il faut élever les princes , et la clameur publique me persuade que ne sais comment il faut élever

personne. > D'ailjleurfi les disgraced et les maut* m'ont afFecté ie cœur et QfiToiblila tête. Il ixe me reste de vie (jue pour souffrir , je n'en ai plus pour p^tiser. A Dieu ne plaise toutefois que je me refuse au:s: vues que vous m'exposez dans votre lettre. Elle me pénéti:e de respect et d ad- miration, pour VOU9, Vous me paroissez plus qu'un faoïnn^ , puisque vous savez l'être encore dans votre çang. Disposez de moi , monsieur le duc } marquez-moi yos doutes , je vous dirai iqeis idées; vous pourrez me convaincre aisé* ment d'insuffisance , mais jamais de mauvaise volonté.

Je sa;^plie votre altesse sérénissime d'agréer le^ assurances de mon profond respect.

A Mt LE PAINCE t. E. DE WIHTEMBÉRG.

Motien, I9 17 octqbre 1763.

J'atiei^doisi y ngionaimr le duc , pour répondre à 1^ lettre dont m'ahooQkoré Y. A. S. le 4 octobre, d'avoir reqn eelle'où elle m'annonçoit des ques- tjbo^s que j'^urois tliché de résotidre. L'objet du epmm^Bi^ qu^ vous daigne^ me proposer ma paru (rap iBtéresaant pour devoir y mêler rien d^ super£l¥( ; ^t je suis bien éloigné de ^oire qiffd ^ hççs cet 9bjet si dig^e de tous vos soins ^ m^ lettres f^ elles - mêmes puissent mériter VQttre ^ttenti^A.

Sur cf principe , j'ai cru , monsieur le duc , que le respect le mi^ux entendu quoe}^ pouvois vous

128 CORll^SPdNDARCE.

témoigner étoit de m'en tenfr exactement à Yexé^ cution de vos ordres, derépçndre à vos ques-f tions le plus précisément et le plus clairement qu'il me seroit possible, et d'en rester là, sans m'ingérer à mêler du verbiage ou des louanges aux devoirs que vous m'imposes. Je n'ai donc> point répondu d'abord à Votte précédente lettre, parcequé vous ne me demandiez rien. Lorsque vous m'honorerez de vos ordres vous seifez conr tent , .sinon* de mes efForts^ au moins de mou zèle. J'ai toujours cru qu'obéir etlse taire étoit la manière la plus convenable de faire sa cour aux grands. , ,

^Té dois vous prévenir encore qu'une certaine ^ exactitude est désormais* au-dessus' de mes for- ces. Les maux qui m'accablent, les importuns qui m'excèdent , m'ôtent la plus grande partie de mon temps; la nécessité de ma situation en ab^ sorbe une autre ; enfin le découragement me re- jette insensiblement dans^toute l'indolence pour laquelle j'étois né. Je ne vous promets donc point des réponses ponctuelles ; c'est un engagement qui passe mes forces et que je serois hors d'état de tenir.' Mais je vous promets bien , et mon cœur m'atteste quecette promesse ne sera point vaine, dcm'occuper beaucoup du respectable obje£ de vos lettres, d'y réfléchir, d'y méditer , et de ne vous répondre qu'après avoir fait tous mes ef- forts pour ne pas me tromper dans mes vues. Ainsi, lorsque je passerai trois mois sans vous écrire, ne présumez pas, je vous supplie, que ces

AN]»ÉË 1763; f2$

trois mois sbietit perdus pour les soins que vous in'imposez; Ce que je dirai pas ne sauroit nuire , mais je ne puis trop penser à ce que jeî dirai.

Si cet arrangement vous convient, j attends vo« ordres , et je m'en acquitterai de mon mieux; s'il tievous convient pasje déplorerai mon impuis-^ sance , et resterai pénétré toute ma vie de n'avoir pu iliieux répondre à là, confiance dont vous aviez daigné m'honorer.

Au reste, la lecture du papiei* qiie vous m'âve^s envoyé m'a mis dans une sécurité bien parfaite sur. le sort de cet heureux enfant. Sôus les yeux de M. Tissot , sous les vôtres , le plus difficile est ' déjà fait; et pour achever votre ouvrage il suffit de n'y rien gâter«

Agréez^ monsieur le duc, je vous supplie , lea assurances de mon profond respecta

AM. RÉGNAULT,

A LYON,

Âa sujet d'ane o£Bre d'argent dont il étoit chargé de U part d'un inconnu qui , ayant appris que M. Rousseau relevoit d'une ma- ladie dangereuse , atoit supposé que ce secours pouvoit lui étro utile.

Motiers, lis 2C octobre 1763.

J'ignore , monsieur , sur quoi fondé l'încomîu dont vous me parlez se croit en droit de me faire des présents ; ce que je sais, c'est que , si jamais j'en accepte , il faudra que je commence par bien con- noître celui qui croira mériter la préférence , et que je pense comme lui sur ce point.

17. , 9

j3o CORTIESPONDANCE.

Je suis fort sensible aux offres abligeàntes que vous me faites. N'étant pas , quant à présent , cbfi^ le cas de m en prévaloir, je voua en fois mes re* merciements , et vous salue, monsieur, de tout looncœur.

I

Motiers^ le 2 novembre 1763.

Pour me venger , madame de vos présents y ^*ai résolu de ne voua ea i^emereic^ que quand ils seroieat maâgrés ; et , grâces aiux hôtes cpri me sont venus ,.la vengieaace aé^^lus courte q«i'eUe n'eût Tètre* Yôus aveai eru qu ayant tant de droits sur i»ei vous- deviez^ avoir aussi celui: de me faire des présents , même san* m^en prévenir') à la bonne hewe : liiaî» tei^ présenta ^ que le oles- sager qui les apporta diseh tenir d'une autra main , m'ont coûté bien des tourments avant de remontera leur sôutisé , ^t jîft les ai un peu ache- tés à force de recherchés et de lettres. Je vous en remercie enfin , madame, et j'ai trouvé les rai- sins et les biscuits excellents ; mais , comme je crains encore plus la peine que je n aime les bon- nes choses , je vous supplie cependant de ne pas m eiivoyer souvent des eâdeaitx au raêtne prix.

Agréez-, madame,^ qu6 je fasse me^ aahitation^ à M. de- |iU^ t ^^ %^^^ j^ viâts. assure de tant niion iespéct.

ANNÉE 1763. i3l

AU PRINCE L0C1&E06ÈNE DE WIRTEMM»6.

Motiers, le 10 novembre 1763.

Si j avois le malbenr d'être prince , d être encfattinépar le» convenanced de mon état, que ye fusse contraintd aToirxm train , une^uite , des domestiques^ cest-à-*dire des maUres, et que pourtant j: eusse une ame assez élevée peur vou- loir être boBuiDe malgré mon ran^^ pour voii-^ loir remplir les grands devoirs de père , de mari ^ de citoyen de la république humaine, je senti- rois bientôt les difficultés de concilier tout cela,; ceHe sui-tout. d'élevier meâ enfants pour Tétat les plaça la nalure, en cEépit de celui quils ont p^fcriBi leurs é^tiif..

Je €omiBienjc»ois doonc par me dire. Il ne faut pas vouloir des cboses contaradictoires ; il ne faut pas vouloir être et n être pas. La difficulté que je veux vaincre est inhérente à la chose; si Vétat de la chose ne peut dianger , il faut que la difficulté reste. Je' dois* sentir que je n'obtiendrai pas tout ce que je veux : mais n importe , ne nous décou- rajB^ons point. De tout ce qui est bienje ferai tout ce qui est possible ; mon zélé et ma vertu mea répondent : QBe partie de la sagesse est de porter le j(rfs»g de la nécessité : quand le sage fait le reste il a tout fait. Voilà ce que je me dirois si j'étois prince. Après cela j'irôis en avant sans me rebu- ter , sans rien ciraindre ; et , quel que fat mon suc-

l3% COBRÊSPONDANCE.

ces , ayant fait ainsi, je serois content de moi. Je ne crois pas que j eusse tort de l'être.

Il faut , M. le duc , commencer par vous bien mettre dans l'esprit quil^'y a point d'œil pater- nel que cekii d'un père , ni d'œil maternel que ce,- lui d'une mère. Je voudrois employer vingt rame» de papier à vous répéter ces deux lignes, tant suis convaincu que tout en dépend.

Vous êtes prince, rarement pourrez-vous être père, vous auirez trop d'autres soins à remplir: il faudra donc que d'autres remplissent les vô- tres. Madame la duchesse sera dans le même cas

à-pcu-près.

De suit cette première règle. Faites «n sorte que votre enfant soit cher à quelqu'un.

Il convient que ce quelqu'un soit de, son sexe. L'âge est très difficile à déterminer. Par d'impor- tantes raisons illafaudroit jeune. Mais une jeune ^ personne a bien d'autres soins en tête que de veil- ler jour et nuit sur un enfant. Ceci est un incon- vénient inévitable et déterminant.

Ne la prenez donc pas jeune, ni belle par coû- séquent; car ce seroit encore pis. Jeune, c'est elle que vous aurez à craindre; belle, c'est tout ce qui rapprochera. ^

Il vaut mieux qu'elle soit veuve que fille. Mais si elle a des enfants , qu'aucun d'eux ne soit autour d'elle , et que tous dépendent de vous.

Point de femmes à grands sentiments , encore moins de bel esprit. Qu'elle ait assez d'esprit pour

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VOUS bien entendre, non pour raffiner sur vos instructions.

Il importe qu elle ne soit pas trop facile à vi- vre j et il n'importe pas^ qu elle soit libérale. Au contraire , il la faut rangée , attentive à ses in- térêts. Il est impossible de soumettre un prodi- gue à la règle^ on tient les avares par leur propre défaut. '

Point d'étourdie ni d'évaporée ; outre le malde la chose, il y a encore celui de l'humeur , car tou- tes les folles en ont , et rien n'est plusàcraindfe que l'humeur : par la même raison les gens vifs, iqiioiqUe plus aimables , me sont suspects à cause de l'emportement. Gomme nous ne trouverons pas une femme parfaite, il nefaut pas tout exiger: ici la douceur est de précepte; mais , pourvu que la raison la donne , elle peut n'être pas dans le tempérament. Je l'aime aussi mieux égale et froide qu'accueillante et capricieuse. En toutes choses préférez un caractère sur à un caractère brillant. Cette dernière qualité est même un in- convénient pour notre objet ; une personpe faite pour être au-dessus des autres peut être gâtée par le mérite de ceux qui Félévent. Elle en exige ensuite autant de tout monde , et cela la rend injuste avec ses inférieurs.

Du reste ,' ne cherchez dans son esprit aucune culture ; il se farde en étudiant , et c'est tout. Elle se déguisera , si elle sait ; vous la connoîtrez bien mieux, si elle est ignorante : dût-elle ne pas savoir lire, tant mieux j^ elle apprendra avec sou élévç.

r34 GOARESPOi^DANGE.

La seule qualité d esprit qu'il faut exiger , c^est an seus droit.

Je ne parle point ici Aes qualités du cœur ni des mœurs, qui se .supposent ; parcequ on se contre- fait là-dessus. On n est pas si en garde sur Le reste •du caractère^ et cest par-là (fue de bons yeux ju- igent du tout. Tout ceci demanderont peut-êtrede plus grands détails ; mais ce n'est pas maintenant de quai il s agit.

Je dis^ et cest ma première régie., qti'il faut que Tenfant soit cberii cette persoane<4à. Mais comment faire ?

Vous* ne lui ferez point aimer lenfant en lui disant de Taimer ; et avant que Fhabitude ait fait naître rattachement , on s'amuse quelquefois avec les autres enfants ^ mais on nAîmjeque les siens.

Elfe pourroit laimer si elle aimioit le père ou la snère ; maïs dans votre rang on n a point d amis , et jamais , dans quelque rang que ce puisse être , on n a pour amis les ^ens qui dépen- dent de nous.

Or laffection qui nenatt pas du sentiment y d'où peut-elle naître^ si ce n est de l'intérêt?

Ici vient une réflexion que le concours de mille autres confirme , c'est que les difficultés que vous ne pou^^z ôter de votre condition,, vous ne les éluderez qu'à force de dépense.

Mais n'allez pas croire, conime les autres, que l'argent fait tout par lui-même , et que^ pnourvu qu'on paye , on est fiervi. Ce n'est pas cda.

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ANNÉE 1763. i35

Je ne connois rien de si difficile» quand on est riche 4]iie de ^ire usage 4e sa richesse pour aller à ses fins. L'argent est un ressort dans la méca- nique moraie , mais il repousse toujocii^ la n^ain qui le fait agir. Faiso«is quelques observations nécessaires pour notne 4»fajet.

Nous yottlons que l!«»fftnt soit eher à sa goù^ vernante. H faut pour cela que ie sort de ia gou* vernante sott lié à celui de lenfant. U ne faut pas qu elle dépende seulement des «oins quelle lui rendra , tant parcequ on naime {[«ère les cens qu on sert , que parceque les «oins payés ne sont qu apparents : les soins réels se négligent; et n<!His cherchons ici des soins réels.

n fiiivt qu'elle dépende non de ses «oins mais de leur succès , et que sa £(M*t«iné soit attachée à leffet de Téducation qn die aura donnée. Alors seuleoAent elle %e «verra dans s^n élève et ^affec- tionnera nécessairement à elle ; elle ne lui rendra pas un senvice de parade ^et de montre , «nais tin service réel; ou plutôt, en la servant, elle ne servira qu elle - même ; elle ne travailler^ que pour soi.

Mais qui sera juge de ce succès? La foi d'un père équitable , et dont la probité est bien éta* blie, doit suffire : la probité est un instrument sur dans les affaires, pourvu qu'il soit joint au discernement.

Le père peut mourir. Le jugement des femmes n est pas reconnu assez sûr , et Tamour maternel fst aveugle. Si la mère étoit établie juge au dé-

j 36 COHRESPTOlSrDANCE.

faut du père , pu la gouvernante ne s'y fiêpoh paa, ou «elle s oGcuperoit plus, à plaire jt la mère quu bien élever lenfant.

Je ne metendrai pas sur le choix des juges de leducation; il faudroit pour cela des, connois-^ sances particulières relatives aux personnes. Ge qui importe essentiellement , c'est que la gou- . vernante aitia plu$ entière confiance dans l'in- tégrité du jugement, qu'elle soit persuadée qu'an ne la privera point du prix de ses soins si elle a réussi { et que, quoi qu'elle puisse dire,. elle ne l'obtiendra pas dans le cas contraire. Il ne faut jamais qu'elle oublie que ce n'est pas à sa peine que ce prix sera , niais au succès.

Je sais bien que, soit qu'elle, ait fait son devoir Ou non, ce pris^^ne sauroit lui ruanquer. Je ne $uis pas sissèz fou , moi qui cannois les bommes, pour m'imaginer que ces juges, quels qu'ilssoient, iront déclarer siolennellement qu'une jeune prin-f cesse de quinze à vingt ans a été mal élevée. Mais cette réflexion que je fais , la bonne ne la fiera pas; quand elle la feroit, elfe ne s'y fierpit pas tellement qu'elle en négligeât des devoirs dont dépend son sort, sa fortuiie, son. existence. Et ce qu'il importe ici n'est pas que la réçom-. pense soit bien administrée, mais réduca,tion qui doit robtenir.

Comme raison nue a peu de force, l'intérêt seul n'en a pas tant qu^'ori croit. L'imagination seule est active. C'est une passion que nous vout Ions donner à la gouvernante ; et l'on n'excite les

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passions queparrimagination. Une récompense promise en argent est très puissante, mais la moitié de sa force se perd dans }e lointain de l'avenir. On compare de sang froid Fintervalle et l'argent , on compense le risque avec la for- tune, et le cœur reste tiède. Étendez pour ainsi dire lavenir sous les sens, afin de lui donner plus de prise ; présentez-le sous des faces qiii le rapprochetit ^ qui flattent Fespoir et séduisent Tèsprit. On se perdroit dans la multitude sup- positions qu'il faudroitpapcourir,selonles temps, les lieux, les caractères. Un exemple est un cas dont on peut tirer l'induction pour cent mille autres, >

Ai7Je afBatire à un caractère paisible , aimant rindépendance et le repos: je mène promener cette personne dans une campagne: elle voit dans une jolie 4||uation une petite maison bien ornée, une basse -cour, un jardin, des terres pour J'entretien du maître , les agréments qui peuvent lui en faire aimer le séjour. Je vois ma gouvernante enchantée ; on s'approprie toujours par la convoitise ce qui convient à notre bon- heur. Au fort de son enthousiasnie , je la prends à part; je lui dis. Élevez ma fille à ma fantaisie; tout ce que vous voyez est à vous. Et afin qu'elle ne prenne pas ceci pour un mot en i'àir , j'en passe l'acte conditionnel : elle n'aura pas un dé- goût dans ses fonctions sur lequel son imagina-» Ûon n'applique cette maison pour ei^jplâtre.

^core uij coup, ceci n'est quun exemple.

l38 CORRESPONDANCE.

Si la longueut* du temps épuise et fatigue Tim^ gination , Ton peut partager lespace et la récomr pense eu plusieurs termes , et même à plusieurs personqes : je ne vois mi difficulté ni inconvé- nient à cela. Si dans $ix ans mon enfant est ainsi, vous aurez telle dbose. Le terme venu, si la condition est remplie on tient parole, et l'on est. libre de deux côtés.

Bien d'autres avantages découleront de lexpé*- dient que je propose ; mais je ne peux ni ne dois tout dire. L'enfant aimera sa gouvernante , sur- tout «i elle est d abord sév<ère et que Tenfant ne soit pas encore gâté. L'effet de Thabitude est naturel et sûr ; jamais il n'a manqué que par la faute des guides. D'ailleurs la justice a sa mesure et sa règle exacte ; au lieu que la complaisance qui n'en a point rendues enfants toujo«iirsexi-> géants et toujours méconten^ L'enfant donc qui tsûme sa bonne sait que le «ort de cette bonne est dans le succès de ses soins ; jugée de ee qcie fera l'enfant à mesure que son intelligence et son coeur se formeront.

Parvenue à certain âge , la petite fille esteapri* cieuse ou mutine. Supposons un moment criti- que, important y elle ne veut rien entendre ; ce moment viendra bien rarement , on smt pour- quoi. Dans ce moment fâcheux la bonne man- que de ressource : aïors elle «'attendrit, en regar- dant son élève et lui dit , (7^/i est donc fait , tu niâtes le miin de ma vieillesse !

Je suppose que la fille d'un tel pèite ne sera

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pas un monstre : cela ëtant, T^et de ce mot «6t sur ; mais il ne faut pas qu il ^oit dit deux fois.

On peut faire «n sorte que la petite <se le dise à toute heure; et voilà d'où naissent miHe biens a-la-fois. Quoiqu'il en soit , croyez-^ous qu'une femn^qui pourra parler ainsi à son élève ne s'af- lectionliera pas à elle? On s'affectionne aux cens sur la tète desquels a mis des fonds ; c'est le mouvement de la nature , et un mouvement non moins naturel est de s'affectionner à son propre ouvrage , sur-tout quand on en attend son bon- heur. Voilà donc notre première recette accom- plie.

Seconde rèjjle.

Il faut que la bonne ait sa conduite toute tra- cée et une pleine confiance dans le succès.

Le mémoire instructif qu'il faut lui donner est une pièce très importante. Il faut qu'elle Té- tudie «ans cesse; il faut qu'elle le sache par cœur, mieux qu'un ambassadeiar ne doit savoir ses iri- stru£tion«. Mais ce qui est plus important en- core, c'est qu'elle soit parfaitement convaincue quil ny a poiiit d'autre route pour aller au but qu'on lui marque , et par conséquent au sien.

H ne faut pas pour cela lui donner d'abord le mémoire. 11 faut lui dire premièrement ce que vous voulez luire, lui montrer 'Fétat de corps et d'ame vous exigez qu'elle mette votre enfant. Là-dessus toute dispute ou objection de sa part est inutile : vous n'avez point de raisons à lui

l4o CORRESPONDANCE.

rendre votre volonté. Mais il faut lui prou- ver que la chose est faisable , et qu elle ne lest que par les moyens que vous proposez : c'est sur cela qu il faut beaucoup raisonner avec elle : il faut lui dire vos raisons clairement , simple- ment, au long, en termes à sa portée. Il faut écouter ses réponses , ses sentiments , ses objecr tions, les discuter à loisir ensemble, non pas tant pour ces objections mêmes, qui probablement seront siiiperficielles , que pour saisir Toccasion de bien lire dans son esprit , de la bien convain- cre que les moyens que vous indiquez sont les seuls propres à réussir. Il faut s'assurer que de tout point elle est convaincue , non en paroles , mais intérieurement. Alors seulement il faut lui donner le mémoire , le lire avec elle, l'examiner , Féclaircir , le corriger peut-être , et s'assurer qu'elle l'entend parfaitement. . Il surviendra souvent , durant l'éducation , des circonstances imprévues; souvent les choses prescrites ne tourneront pas comme onayoitcrU: les éléments nécessaires pour résoudre les pro- blêmes moraux sont en très grand nombre , et un seul omis rend la solution fausse. Gela de- mandera des conférences fréquentes , des discus- sions, des éclaircissements, auxquels il ne faut jamais se refuser, et qu'il faut même rendre i^gréables à la gouvernante par le plaisir avec lequel on s'y prêtera. C'est encore un fort bon moyen de l'étudier elle-même. . Ces détails me semblent plus particulièrement

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la tâche de la mère. Il faut qu elle sache le mé-^ moire aussi bien que la gouvernante ; mais il faut quelle le sache autrement. La gouvernante le saura par les régies , la mère le saura par led principes; car premièrement ayant reçu une éducation plus soignée , et ayant eu resprit plus exercé , elle doit être plus en état de généraliser ses idées , et d en voir tous les rapports ; et de plus , prenant au succès un intérêt plus vif en- core, elle doit plus s'occuper des moyens dy parvenir.

Troisième régie. La bonne doit avoir un pou*» voir absolu sur lenfant.

Cette régie bien entendue se réduit à celle-ci , que le mémoire seul doit tout gouverner; car, quand chacun se réglera scrupuleusement sur le mémoire, il s ensuit que tout le monde agii^a toujours de concert , sauf ce qui pourroit être ignoré des uns ou des autres ; mais il est aisé de pourvoir à cela.

Je n ai pas perdu mon objet de vue, mais j ai été forcé de faire un bien grand détour. Voilà déjà la difficulté levée en grande partie; car no- tre élève aura peu à craindre des domestiques quand la seconde mère aura tant d'intérêt à la surveiller. Parlons à présent de ceux-ci.

II y a dans une maison tiombreuse des moyens généraux pour tout faire, et sans lesquels on ne parvient jamais à rien.

D abord les mœurs , l'imposante image de la vertu, devant laquelle tout fléchit, jusqu'au

l4a CORRESPaNJ>AWCE.

vice même ; ensuite Tordre , la vigilance, eûfin Fintérèt, le dernier de tous : jajouterots la va«^ nité ; mais 1 état sérvile est trop près de la mir- sère ; la vanité n a sa grande force que sur les gens qui ont du padn.

Pour ne pa» me répéter ici, permettez, mon-^ sieur le duc, que je vou» renvoie à la cinquième partie de rHéloïse, lettre dixième. Vous y trou-. vere2 un recueil de ma^iimes qui me paroissent fondamentales pour donner daod une maisoa grande ou petite du ressort à Fautorité; du reste, je cottviens de la difficulté de Fexécution , parceque , de tous les ordres d'iiommes imagi-* nables , celui de% valets laisse le moins de prise pour le nr/sner Fou veut. Mais tous les rai*« donttemients du monde ne feron^t pas quune ckose ne soit pas ce quelle est,, quô ce qui ny est pa^ fli'y trouve, que des valets ne soient pota des valets.

Le train d un grand seigneur est susceptible de plus et de moins y san» eesser d être eonve- nablé. Je pars poftr établir m^t prexuièré maxime.

i^ Réduises votre suite au moindre nôtftbr^

>

de gen» qu'il soit possible ^ vous aureas tnoina dennemis , et vous en seret m:ieux servi. Si\ y a dans votre maison un seul homme qui ny 9oit pas nécessaire, il y es% nuisthle , soyea-^n sûr.

2** Mettes, du choix dans eeux que voua garde- rez , et préférez de beaucoup un service exact à

(

ANNÉE 1763. ï43

un service agréable. Ces gens qui aplanissent tout devant leur raaiître sont tous des fnpons. Sùr-tout point de dissipateur.

Soumette:&*lcs à la règle en tonte chose , Hiême au travail , ce qu ils^ feront dùt-il n'être bon à rien.

4^ Faites qu'ils aient un grand intérêt à rester long-tetnps à votre service , qu-its s'y at- tachent à mesure qu'ils y restent , qu'ils crai- gnent par conséquent d autant plus d'en sortir f|uils y dont restés plus long-temps. La raisan et les moyens de cela se trouvent dans le livre iadiqué.

Ceci sont \t9 dosi^uées que je peux supposer , p&reeqMe', lïiexi quelles demandent beaucoup de petite, enfin dQes àépeûdent de tous. Cela j>osé :

Qu^lqiue temps avant qife de leur parler, vous avez quelquefois des entretiens à table éttr l'édu- cation d« Votre enfant ^ et sur ce que vous vous proposez de ^re, sur les difficultés que voud auréa à vaincre y et sur la ferme résolution ycHibs êtes de n'épargner aucun soin pour réus- sir. Probablement vos gens* n'auront pas man^ ^ûé de critiquer entre eux la manière extraor- dinaire d'élever l'enfant ; ite y aruronfl trouvé de kl bizarrerie : il Ira faut justifier, mais simple- ment et en peu de mots. Du rfeste, il faut mon- trer votre objet beaucoup phis du côté moral et pieux que du c6té philosophique. Madame la l^ineesse , eh ne (Consultant qite $on cœur, peut

î44 -CORRESPONDANCE.

y mêler des mots charmants. M. Tissot peut ajouter quelques réflexions dignes de lui.

On est si peu accoutumé de voir les grands avoir des entrailles , aimer la vertu, s'occuper de leurs enfants , que ces conversations courtes et bien ménagées ne peuvent manquer de produire un grand effeti Mais sur-tout nulle orfibre d'af- fectation; point de longueur. Les domestiques ont l'œil, très perçant : tout seroit perdu s'ils soupçondoient seulement qu'il y eût en cela rien, de concerté j et en effet rien ne doit l'être. Boa père, bonne mère, laissez parler vos cœurs avec simplicité : ils trouveront des choses touchantes d'eux-mêmes; je vois d'ici vos domestiques der- rière vos chaises se prosterner devant leur maî- tre au fond de leurs cœurs. Voilà les disposi- tions qu'il fiant faire naître, et dont il faut pro- fiter pour les régies que nous avons à leur prescrire*

Ces règles sont de deux espèces^ selon le juge- ment que vous porterez vous-même de l'état de votre maison et des mœurs de vos gens. . Si vous croyez pouvoir prendre en eux une confiance raisonnable et fondée sur leur intérêt , il ne s'agira que d'un énoncé clair et bref de la manière dont on doit se conduire toutes les fois qu'on approchera de votre enfant, pour ne point contrarier son éducation.

Que si , malgré toutes vos précautions , vous croyez devoir vous défier de ce qu'ils pourront dire ou faire en sa présence, la règle alors sera

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plus simple, et se réduira à n'en approcher ja- mais sous quelque prétexte que ce soit.

Quel /le ces deux partis que vous choisissiez , il faut qu il soit sans exception , et le même pour vos gens de tout étage ^ excepté ce que vous destinez spécialement au service de l'enfant , et qui* ne peut être en trop petit nombre ni trop scrupideusement choisi.

Un jour donc V9us assemblez vos gens, et, dans un discours igrave et simple , vous leur di- rez que vous croyez devoir en bon père apporter tous. vos soins à bien élever lenfant que Dieu vous a donné : « Sa mèr% et moi sentons tout ce u qui nuisit à la nôtre. Nous l'en voulons pré- tt server; et, si Dieu bénit nos efforts, nous n au- u rons point de compte à lui rendre des défauts « ou des vices que notre enfant pourroit con- « tracter. Nous avons pour cela de grandes pré- « cautions à prendre : voici celles qui vous re- « gardent, et auxquelles j'espère que vous vous « prêterez en honnêtes gens, dont les premiers « devoirs sont d'aider à remplir ceux de leurs « maîtres. »

Apt^ l'énoncé de la régie dont vous prescri- vez l'observation, vous ajoutez que ceux qui seront exacts à la suivre peuvent compter sur votre bienveillance et même sur vos bienfaits. «Mais je vous déclare en même temps, pour- « suivez-vous d'une voix: plus haute, que qui- « conque y aura manqué une seule fois , et en « quoi que ce puisse être , sera chassé sur-le- 17. 10

l46 CORRESPONDANCE.

u champ et perdra ses gages. Comme c est la a condition sous laquelle je vous garde , et que « je vous en préviens tous , ceux qui n y veulent u pas acquiescer peuvent «ortir. »

Des régies si peu gênantes ne feront sortir que ceux qui seroieot sortis sans cela : ainsi TOUS ne perdree Hen à.leur mettre le marché à la main , et vous leur en imposez beaucoup. Peut^re au commencement quelque étourdi «n sera-t-il la victime', et il faut qu'il le soit. Fût-ce le maître d'hôtel , s'il n'est chassé comme ^n coquin, tout est manqué. Mais s'ils voient une fois que c'est tout âe bon , et qu'on les- sur^ veille, on aura désormais peu besoin de les sur- veiller.

Mille petits moyens relatifs naissent de ceux- : mais il ne faut pas tout dire , et ce mémoire est déjà trop long;. J'ajouterai seulement un avis très important et propre à couper cours au mal qu'on n'aura pu prévenir ; c'est d'examiner tou- jours l'enfant avec le phis grand soin , et de sui- vre attentivement les progrès de son corps et de son cœur. S'il se fait quelque chose autour -de lui contre règle , l'impression s'en mcrrquera dans l'enfant même. Dès que vous y verrez un sigtie nouveau, cherchez-en la cause avec soin; vous la trouverez infailliblement. A certain âge il y a toujours remède au mal qu'on n'a pu pré- venir, pourvu qu'on sache le connoître et qu'on s'y prenne à temps pour le guérir.

Tous ces expédients ne sont pas faciles , et je

ANNÉE 1763. 147

ne réponds pas absolument de leurs succès , ce- pendant je crois qu on y peut jirendre une con- fiance raisonnable , et je ne vofc rien d'équiva- lent dont j en puisse dire autant.

Dans une route toute nouvelle il ne faut pas chercher des chemins battus ^ et jamais entre- prise extraordinaire et difficile ne s exécute par des moyens aisés et communs.

Du reste ce ne sont peut-être ici que les dé^ lires d un fiévreux. Lu comparaison de ce qui est à ce qui doit être n^ a doioné 1 esprit roma- nesque et jna toujours Jeté loin de tout ceqi» se Élit. Mais vous ordonnes , monsieur le duc , j obéis. Ce sont mes idées que vous demandez ^ les voila. Je vous tromperois si je vous donnois la raison des autres pour les folies qui sont à moi. %n les ibisaat passer sous les yeux d'un si bon jng^^je ne Jcrains pas lemaî qu ejles peuvent causer.

A M. L'A. DE***.

MiHiers-Travérs , le 27 novembre 1768.

J'ai reçu, monsieur , la lettre qjbligeante dans laquelle yotrehonnête cœur s'épanche avec moi. Je sui^ touché de vos sentiments et reconnois- sant de votre zèle ; mais je ne vois pas bien sur quoi vous me consultez. Vous me dites , J aide la naissance dont je dois suivre la vocation , parcèque mes parents le veulent; apprenez-moi ce que je dois faire : je suis gentilhomme ,. et veux vivre comtme tel ; apprenez-moi toutefois à vivre

10,

^48 CORRESPONDANCE.

en homme: i'âi des préjugés que je veuxTespee^ ter; apprenez-moi toutefois à les vaincre. Je vous avQue, monsieiA*, que je ne sais pas répondre à

cela. ; L

Vous me parlez avec dédain des 'deux seuls métiers que la noblesse connoisse et qu elle veuille suivre; cependant vous avez pris un de ces métiers. Mon conseil est, puisque vous y êtes, que vous tâchiez de le faire bien. Avant de prendre unvétat , on ne peut. trop raisonner sur son objet ; quand il est pris , il en fant remplir les devoirs, cest alors tout ce qui reste à faire.

Vous vous dites sans fortune , sans biens; TOUS ne savez comment , avec de la naissance ( car la naissance revient toujours), vivre libre et mourir vertueux. Cependant vous offrez ua asile à une personne qui m est attacKée; vous m assurez que madame votre m.ère la mettraà son aise : le fils d'une dame qui peut mettre une étrangère à son aise doit naturellernent y^être aussi. Il peut donc vivre libre et mourir ver- tueux. Les vieux gentilshommes , qui valoient bien ceux d'aujourd'hui, cultivoient leurs terres et faisoient du bien. à leurs. paysans. Quoi que vous en puissiez dire , j^e ne crois pas que ce fût déroger que d'«n faire autant. . Vous voyez, monsieur, que je trouve dans votre lettre même la solution des difficultés qui vous embarrassent. Du reste excusez ma fran- chise; je dois répondre à votre estime par la mienne , et je ne puis- vous en donner^ une

ANKÉE" 1763.. «49

preuve plus sûre qu en osant, tout gentilhomme que vous êtes, voua dire la vérité.

Je vous salue, monsieur, de tout mon cœur,

A MADAME DE B,

Pçceiçbre 1763.

Je naî rien, madame, à vous dire sur le juge^ ment que vous avez porté de la probité deJM. de Voltaire ; je vous dirai seulement quef je n-ai point reçu la lettre que vous lui avez adressée pour moi, et que je nai envoyé ni à vous ni à personne l'imprimé intitulé : Sermon des cin-z quanta, que je n'ai même jamais vu. Du reste il me paroit bizarre que , pour me faire parve-? nir une lettre , vous vous soyez adressée au chef de mes persécuteurs.

A l'égard des doutes que vous pouvez ayair , madame , sur certains points de la religion., pourquoi vous adressez-vous , pour les lever , à un homme qui n'en est pas exempt lui-même? Si malheureusement les vôtres tombent sur les principes de vos devoirs^ je voys plain^; niaiîi sïlsn'y tombent pas , de quoi vous mettt?z-vous en peine? Vous avez une religion ,qui dispense de tout examen; suivez-la en simplicité de. cœur. C'est le meilleur conseil que je puis vous don- ner, et je le prends .autant que je peux pour *mol-même. .

.Recevez, madame, mes salutations et mpi^ respect.

l5ô CORRESPONDANCE.

A M.

Mo tiers , . . . décembre 1 763.

La vérité que j'aime, monsieur, nest pas tant métaphysique que morale : j aime la vérité, par- ceque je haJK le mensonge ; je ûe puis être in- conséquent là-dessus que quand je serai de mauvaise foi. J'aimerois bien aussi la vérité mé-» taphysi^ue si je croyois qu elle fat à notre por- tée ; mais je n'ai jamais vu qu elle fut dans les livres; et, désespérant de l'y trouver, je dé- daigne leur instruction, persuadé que la vérité qui nous est utile est plus près de nous, et qu'il ne faut pas, poui* l'acquérir, tm si grand appareil de science. Votre ouvrage, monsieur, peut donner cette démonstration promise et mancfuée par tou& les philosophes ; mais je ne puis changer de principe sur des raisons que je ne connois pas. Cependant votre confiance m'en impose; vous p^omette^ tant et si hautement; je trouve d'ailleurs tant de justesse et de raison - dans votre manière d'écrire , que je serois sur- pris qu'il n'y en eût pas dans votre philosophie ; et je devrois peu l'être , avec ma vue courte , que vous vissiez je n'avois pas cru qu'on pût voir. Or ce doute me donne de l'inquiétude, par- ceque la vérité que je connois , ou ce que je prends pour elle, est très aimable , qu'il en ré- sulte pour moi un état très doux, et que je ne conçois pas comment j'en pourrois changer

ANNÉE 1763. ï5i

^ans y perdre. Si mes sentiments étoient dé- montrés Je mliiquiéterois peu des vôtres ; mais, a parler sincèrement, je suis allé jusqu a ]a per- suasion sans aller jusqu ala conviction. Je crois, mais je ne sais pas ; je ne sais pas même si la science qui me manque me sér£^ bonne quand je Faurai , et si peut-être alors il ne faudra point que je dise, jilto quœsmtcœla/ucem , ingemuit- querepertâ^

Voilà, monsieur , la solution, ou du moins 1 eclairdssement des inconséquences que vous m avez reprochées. Cependant il me paroi t bi- zarre que , pour vous avoir dit mon sentiment quand vous me lavez demandé , je soit réduit à faire mon apologie. Je n ai pris la liberté de vous juger que pour vous complaire ; je puis mètre trompé, s^ns doute, mais se tromper n est pas avoir tort.

Vous me demandez pourtant encore un con- seil sur un sujet très grave , et je yais peut-être vous répondre encore tout de travers; mais heu- reusement ce conseil est de ceux que jamais au- teur ne demande que quand il a déjà pris Son parti.

Je remarquerai d abord que la. supposition que votre ouvrage renferme la découverte de la vérité ne vous est pas particulière ; et si cette rai- son vous engage à publier votre livre, elle doit de même engager tout philosophe à publier le sien. J'ajouterai qu'il ne suffit pas de considérer bien qu un livre contient en lui-même , mais le

4 5i CORRESPONDANCE.

mal auquel il peut donner lieu ; il faut songer qu'il trouvera peu de lecteurs judicieux , bien dis- posés, et beaucoup de mauvais cœurs, encore plus de mauvaises têtes. Il faut, avant de le pu- blier , comparer le bien et le mal qu'il peut faire , et les usages avec les abus. Pesez bien votre livre sur cette règle , et tenez-^vous en garde contre la partialité ; c est par celui de ces deux effets qui doit l'emporter sur l'autre , qu'il est bon ou niau- vais à publier.

Je ne vous connois point , monsieur; j*ignorc tjuel est votre sort , votre état , votre âge ; et cela pourtant doit régler mon conseil par rapport à vous. Tout ce que fah un jeune homme a moins de conséquence , et tout se répare ou s'efface •avec le temps. Mais si vous avez passé la matu- rité , ah ! pensez-y cent fois avant de troubler la paix de votre vie : vous ne savez pas quelles an- goisses vous vous préparez. Pendant quinze ans, j'ai ouï dire à M. de Fontenelle que jamais livr^ navoit donné tant de plaisir que de chagrin à son auteur : cétoit l'heureux Fontenelle qui di- soitcela. Monsieur, dans la question sur laquelle vous me consultez , je ne puis vous parler que par «mon exemple : jusqu'à quarante ans je fus sage; quarante ans je pris la plume, et je la pose avant cinquante , malgré quelques vains succès , mau- dissant tous les jours de ma vie celui oii mon sot orgueil me la fit prendre , je vis mon bon- heur, mon repos, ma santé s'en aller en fumée^

ANNÉE 1763. l53

sans espoir de les recouvrer jamais. Voilà Thom- me à qui vous demandez conseil. Je vous salue de tout mon cœur.'

À M.

^ 11 faut vous faire réponse , monsieur , puisque vous la voulez absolument, et que vous la de^ mandez en termes si honnêtes. Il me semble pourtant qu a votre place je me serois moins ob- stiné à l'exiger; me serois dit , J écris parceque jai du loisir, et que cela m'amuse : l'homme à qui je m'adresse peut n'être pas dans le même cas , et nul n'est tenu à une correspondance qu'il n'a point acceptée : j'offre mon amitié à un hom- me que je ne connois point , et qui me conhoît encore moins ; je la lui offre sans autre titre au- près de lui que les louanges que je lui donne et que je me donne, sans savoir s'il n'a pas déjà plus d'amis qu'il n'en peut cultiver , sans savoir si mille autres ne lui font pas la même, offre avec le même droit ; comme si l'on pouvoit se lier ainsi de loin sans se connoitre, et devenir in- sensiblement l'ami de toute la terre. L'idée d'é- crire à un homme dont on lit les OMvrages,. et dont on veut avoir une lettre à montrer, est-elle donc si singulière qu'elle ne puisse être venue qu'à moi seul? Et si elle étoit venue à beaucoup de gens, faudroiWl que cet homme passât sa vie à faire réponse à dés foules d'ù-

l54 CORRESPONDANCE.

mis ineonnus, et qu il nég'ligeât pour eux ceux qu'il s est choisis ? On dit qu'il s'est retiré datis dans une solitude; cela n'anboncepas ui> grand penchant à faire de nouvelles connoissances. On assure aussi qu'il n'a pour tout hien que le fruit de son travail ; cela ne laisse pas un grand loisir pour entretenir un commerce oiseux. Si, par- dessus tout cela, peut-être il eut perdu la santéf, s'il étoit tourmenté d'une maladie cruelle et dou- loureuse qui le laissât à peine en état de vaquer aux soins indispensables , ce setroit une tyrannie bien injuste et bien cruelle de vouloir qu'il passât sa vie à répondre à des foules de désœuvrés qui, ne sachant que faire de leur temps , user oient très prodiguement du sien. Laissons donc ce pauvre homme en repos dans sa retraite; n'augmentons pas le nombre des importuns qui la troublent chaque jour sans discrétion , sans retenue , et même sans humanité. Si ses écrits m'inspirent pour lui de la bienveillance , et que je veuille cé- der an penchant de la lui témoigner, je ne lui vendrai point cet honneur en exigeant de lui dfeà réponses, et je lui donnerai sans trouble et sans peine le plaisir d'apprendre qu'il y a dans le mon- .de d'honnêtes gens qui pensent bien de lui , et qui n'en exigent rien.

Voilà, monsieur, ce que je me seroisdit si j'a- vois été à votre place; chactm a sa manière de penser : je ne blâme point la vôtre, mais je crois la mienne plus équitable. Peut-être si je vous con- noissois me féliciterois-je beaucoup de votre

ANNÉE 1763. l55

amitié ; mais 9 coûtent des amis que j ai , je vous déclare que jeu en veux point faire de nouveaux; et quand je le voudrois, il ne seroit pas raison*^ nable quej^allasse choisir pour cela des inconnus si loin de moi. Au reste je ne doute ni de votre esprit , ni de votre mérite. Cependant le ton mi- litaire et galant , dont vous parlez de conquérir mon coeur, seroit, je crois , plus de mise auprès des femmes qu'il ne le seroit avec moi.

f

A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBER6. Mo tiers, le i5 décembre 1763.

Vous m avez tiré , monsieur le duc , d'une gran- de inqcfiétude, en m apprenant la résolution vous êtes d'élever vous-même votre enfant. Je vous suggérois des moyens dont je seutois moi- même Finsuffisance ; grâces au ciel , votre vertu les rend superflus. Si vous persévérez, je ne suis plus en peine du succès. Tout ira bien , par cela seul que vous y veillerez vous-même. Mais j'avoue que vous confondez fort toutes mes idées : j'étois bien éloigné de croire qu'il eicist&t dans ce siècle un homme semblable à vous ; et , quand j^aurois soupçonné son existence, j'aurois été bien éloi- gné de le chercher dans votre rang. Je n'ai pu lire sans émotion votre dernière lettre. Est-il donc vrai que j'ai pu contribuer ailx vertueuses résolutions que vous avez prises? J'ai besoin de le croire pour mettre un.contre-poids à mes af- flictions. Avoir fait quelque bien sur la terre est

l56 CORRESPONDANCE.

une condolation qui manquoit à mon cœur } je vous félicite de me lavoir donnée, et je me glo- rifie de la recevoir de vous.

Vous voyez votre enfant précoce : je n'en suis pas étonné ;, vous êtes père. Il est vrai qu'un père que la philosophie a conservé tel a bien d'autres yeux que le vulgaire. D'ailleurs le témoignage iie M. Tissot légalise le vôtre; et puis vous citez des faits. De ces faits , il y en a que je conçois , d'au- tres non. Les enfants distinguent de bonne heure les odeurs comme différentes , comme foibles ou fortes, mais non pas comme bonnes ou mau- vaises : la sensation vient de la naCure ; la préfé- rence ou l'aversion n'en vient pas; Cette observa- tion , que j'ai faite en particulier sur l'odorat'^ n'est pas applicable aux autres sens : ainsi le ju- gement que la petite porte sur cet article est déjà une chose acquise.

Elle a changé de voix pour témoigner ses de- sirs : cela doit être. D'abord ses plaintes, ne mar- quant quel'inquiétude du malaise, réssembloient à des pleurs. Maintenant l'expéûence lui apprend qu'on l'écoute et qu'on la soulage. Sa plainte esl donc devenue un langage ; au lieu de pleurer, elle parle à sa manière.

De ce qu'elle voit avec le même plaisir les nouveaux venus et les vieilles connoissances , vous en concluez qu'elle aura le caractère ai- mant. Ne vous fiez pas trop à cette observation ; d'autres en tireroient peut-être un signe de co- quetterie plutôt que de sensibilité. Pour moi,

ANNÉE 1763. 157

l'en tire un indice différent de tous les deux , et qui n'est pas de mauvais augure ; c'est qu'elle

.aura du caractère : car le signe le plus assuré d'un cœur foible est l'empire que l'habitude a sur. lui.

Si réellement votre enfant.est précoce, il vous

.donnera beaucoup plus de peine; mais il vous en dédommagera bien plus tôt: ainsi gardez cepen- dant de vous prévenir au point de lui appliquer avant le temps une méthode qui ne lui seroit pas convenable. Observez, examinez , vérifiez , et ne gâtez rien ; dans le doute , il vaut toujours mieux attendre. , Au reste, quoi que vous fassiez, j'ai la plus

. grande confiance dans votre ouvrage, et je suis persuadé que tout ira bien. Quand vous vous

, tromperiez , ce que je ne présume pas, ce ne sç- roit jamais, en chose grave ; et les erreurs des pères nuisent toujours moins que la négligence

, des instituteurs. Il ne me reste qu'une seule in- quiétude, c'est tjue vous n'ayez entrepris cette grande tâche sans en prévoir toutes les difficul-

. tés et qu'en s'offrant de jour en jour, elles ne >jous rebutent. Dans. une première ferveur, rien

. ne coûte, mais un soin continuel accable à la fin ; et les; nieilleures résolutions^ qui dépendent de

,Ja persévérance , sont rarement à l'épreuve du temps. Je yous supplie , monsieur le duc , de me pardonner ma franchise; elle vient de l'admira- tion que vous m'inspirez. Votre entreprise est

, .trop bielle pour ne pas éprouver des obstacles , et

lS9 G0RBI&SPOMBANGE.

il vaut mieux vous y préparer d avance que tfeii rencontrer d'imprévus.

Ce que vous me dites de la manière dont vous voulez acquérir des amis m apprend combien vous méritez d en faire; mais seront les hom-* mes dignes que vous soyez le leur.

Je supplie V. A. S. d'agréer mon profond res- pect.

A M. M***.

Motiers-Travers,le i5 décembre 1763.

Si je ne me f^isois une peine de vous impor- tuner trop souvent, monsieur, dune correspon- dance dont vous seul faites tous les frais ,jenau- rois pas tardé si long-l;emps à vous remercier de la réponse fia vorable que votre charité vous a £aiit faire à ma proposition ausujetdemademoiselU Le Vasseur. Je ne pnévois pas encore quand elle se trouvera dans le clis de profit»* de vos bontés» J'ai été fort mal leié dernier; mais l'automne ma donné du relâche avi point de pouvoir faire, dans le pays , quelques voyages pédestres , ^rè$ utiles à ma sa^jLé. M^stle iretour de l'hiver a pro* duit son effet .ordinaire^ en me remettant alussi bas que j'étois^u primfemps.Si je puis atteindre la belle saison, j'en eapère.le xn^e soulagement qu'elle m'a souvent procuré. Mais si dans la vie ordinaire on doit compter sur si peu de chose , la mienne est telle .qu'on n'y peut compter sur rien. Dans <:ette {position , j'aiinstruit mademoi- selle Le Vasseur de toutes vos bontés, dont elle

ANNÉE 1763» iSg

est pénétrée : je lui ai donné votre adresse afin quelle vous écrive en cas d'accident. Tandis qu'elle seroit occupée à recueillir ici nies {^[uenil- les , vous pourriez concerter avec elle le moyen de faire son voyage avec le plus d économie et le plus commodément. Je pense qu'elle pour-* roit prendre une voiture à Neudaatel pour Ge- nève, et que vous pourriez lui en envoyer une qui la conduiroit mieux que celle qu elle pour- roit prendre à Genève même. Quoi qu'il en soit, je suis tranquillisé par vous sur le sort de cette pauvre fille. Je n'ai plus rien qui m'inquiète sur le mien , et je vous dois en grande partie la paix dont je jouis dans mon triste état.

Bonjjour, monsieur; je suis plein vous et de vos ibontés , et je voudrois être un jour à, portée de voir €t d'aembrasser un aussi digne officier de morale. Vous savez que c'est ainsi que l'abbé de Saint-Pierre appeloit ses collègues les gens d'é- glise. Agréez , monsieur, mes salutations et mon respect.

A M. D'ÏVERNOIS. '

Moûers, le 17 décembre je 763.

Je reçois à l'instant, monsieur, une lettre de v:otre compagnoai de voyage , par laquelle j'ap-« piTends qu'il l'a aussi bien fini que commencé, et qu'il s'est mieux trouvé de vos auspices que des suiens. Je m'en réjouie de toiut mon cœur , et je voudrois bien être à portée de me sentir de la même influence; car j'en ai encore plus besoin

i6q corhespoSdance.

que lui, et le remède ne plairoit pas moins* Quant à votre querelle avec madame votre fem- me , vous m^'avez bien Fair de me prendre pour arbitre honoraire , et de m'avoir dëja soufflé le raccommodenaent. Quoiqu'il en soit^ je vais remr plirmonof&ceen vous condamnant touslesdeux; elle pour réclamer, après quatorze enfants, les droits de Sophie; car en ce point il vaut mieux jamais que tard ; et vous pour lui reprocher sa paresse en vrai paresseux vt)us-même , qui vou* droit faire à-la-fois beaucoup d'ouvrage pournY pas revenir si souvent.

Je vous salue , monsieur , et votn honore de tout mon cœur. .

Mille amitiés et compliments de votre aima- ble cousine. Monsieur son frère a enfin reçu son brevet , et je m'en réjouis de tout mon t^œur.

A M. L'A. DE***.

Mo tiers, 6 janvier 1764.

Quoi, monsieur, vous avez renvoyé vos por- traits de famille et vos titres ! Vouis vou^ètes dé- iait de votre cachet! voilà bien plus de prouesses que je n'en aui:ois faites à votre place, «f'aurois laissé les portraits ils étoient ; j'aurois gardé mon cachet parceque je l'avois ; j'aurois laissé moisir mes titres dans leur coin , sans m'imagi- ner même que tout cela valût la peine d'en faire .un sacrifice : mais vous êtes pour ks grandes ac- tions : je vous en félicite de tout mon cœur.

ÀNNÊÎE 1764. î6i

À force de me parler de vos doutes , vou^s m*eu donnez d'inquiétants sur votre compte; vous me faites douter s'il y a des choses dont vous ne dou- tiez pas : ces doutes mêmes ^ à iHesure quils croissent ,'vous rendent tranquille; vous vous y \

reposez comme sur un oreiller de paresse. Tout cela meffraieroit beaucoup pour vous, si vos grands scrupules ne me rassuroient. Ces scrupu<- ^

les sont assurément respectables comme foddés sur la vertu ; mais l'obligation d'avoir de la Ver- tu, sur quoi la fondez-vous ? Il seroit bon de sa- voir si«vous êtes bien décidé sur ce point': si vous l'êtes , je me rassure. Je ne vous trouve plus si sceptique que vous affectez de l'être ; et quand on est bien décidé sur les principes de ses devoirs, le reste n'est pas une si grande affaire. Mais, sji vous ne l'êtes pas , vos inquiétudes me semblent peu raisonnées. Quand on est si tranquille dans le doute de ses devoirs , pourquoi tant s'affecter dlu parti qu'ils nous imposent?

Votre délicatesse suj^l'état ecclésiastique est sublime ou puérile , swon le degré de vertu qtfe vous avez atteint. Cette délicatesse est sans doute un devoir pour quiconque remplit tous les au- tres ; et qui n'est faux ni menteur en rien dans ce monde n^ doit pas l'être même en cela. Mais je ne connois que Socrate et vous à qui la raison pût passer un tel scrupule, car à nous autres hommes vulgaires il seroit impertinent et vain d'en oser avoir un pareil. Il n'y a pas un de nous qui ne s'écarte de la vérité cent fois^le jour dans

l6a CORRESPONDANCE. /

le commerce des hommes en choses claires , im- portantes , et souvent préjudiciables ; et dans uu point de pure spéculation dans lequel nul ne voit ce qui est vrai ou faux , et qui n'importe ni à Dieu ni aux hommes, nous nous ferions un crime de condescendis aux préjugés de nos frères^ et de dire oui nul n est en droit de dire noti. Je vous avoue qu un homme qui , d'ailleurs n étant pas un saint, s'aviseroit tout de bon d^un scrupule que labbé de Saint-Pierre et Fénélon n ont pas eu , me» deviendroit par cela seul très suspect. Quoi! diroi&je en moi-même , cet homm^ refuse d'embrasser le noble état d officier de morale , Un état dans lequel il peut être le guide et le bien-- faiteur des hommes ^ dans lequel il peut les in- struire, les soulager, les consoler, les protéger, leur servir d exemple , et cela pour quelques énig- mes auxquelles ni lui ni bous n entejpdons rien , et qu'il n'avoit.qu'a prendre et donner pour ^t qu'elles valent, en ramenant sans bruit le chris- tianisme à son véritabl^objet ! Non , conclurois- je , cet homme ment , ^nous trompe , sa f&usse vertu n'esfc point active , elle n est que de pure o»^ tentation; il faut être un hypocrite soi-même pour oser taxer d'hypocrisie détestable ce qui n'est au fond qu'un formulaire indifférent en lui- même , mais Consacré par les lois. Sondes bien votre cœur , monsieur , je vous en conjure : si vous y trouvez cette raison telle que vous me la don*- nez, elle doit vous déterminer , et je vous admire. Mais souvenez -vous bien qu'alors si vous n'êtes

ANNÉE 1764. l63

le plus digne des hommes, vous aurez été le plus fou.

A la manière dont vous me demandez des pré- ceptes de vertu , l'on diroit (jjae vous la regardez tomme un métier. Non, nflonsieur , la vertu n'est que la force de faire son devoir dans les occasions difficiles ; et la sôgesse , au contraire , est d'écarter ia difficulté de nos devoirs. Heureux celui qui , se contentant d'être homme de hien , s'est mis dans une position à n'avoir jamais besoin d'être vertuèuxl'Sî vous n'allez à la campagne que pour y porter le faste de la vertu , restez à la ville. Si vouis voulez à toute force exercer les grandes vertus , l'état de prêtre vous les rendra souvent nécessaires ; mais si vous vous sentez les pas- sions assez modérées , l'esprit assez doux , le cœur assez sain pour votls accommoder d'une vie égale, simple et laborieuse, allez dans vos terres , fai- tes-les valoir, travaillez vous-même, soyez le père de vos domestiques, l'ami de vos voisins, juste et bon envers tout le monde : lotissez vos rêveries métaphysiques , et servez Dieu dans la simplicité de votre cœur ; vous serez assez ver- tueux.

Je vous salue , monsieui^, de tout mon cœur. " Au reste, je vous dispense, monsieur, du se- cret qu'il vous plaît de m'ofPrir, je ne sais pour- quoi. Je n'ai pas , ce me semble, dans ma con- duite , l'air d'un homme fort mystérieux.

ir,

l64 CORRESPONDANCE.

A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG.

^ Mo tiers, le 21 janvier 1764.

Je m'attendois bien, monsieur le duc, que la manière dont vous élevez votre enfant ne passe- roit pas sans critique et sans opposition , et je vous avoue que je sais quelque gré au révé- rend docteur de celle qu'il vous a faite; car ses objections étoient plus propres à vous réjouir qu'à vous ébranler ; et moij ai profité de la gaieté qu elles vous ont donnée. On ne peut rien de plus plaisant que lexposé de ses raisons, et je crois qu'il seroit difficile qu'il en fût plus content que moi : je crains pourtant qu'il ne les trouvé pas tout-à-fait péremptoires ; car s'il a pour lui les chardonnerets , les chenilles , les escargots , en revanche il a contre lui les vers, les lima- çons , les grenouilles, et cela doit l'intriguer fu- rieusement.

Je ne suj^ pas fort surpris non plus des petits désagréments qui peuvent rejaillir à cette occa- sion sur M. Tissot ; je crains même que l'accord de nos principes sur ce point n'ajoute au chagrin qu'on lui témoigne; l'influence d'un certain voi- sinage nourrit dans le canton de Berne une fu- rieuse animosité contre moi, que les traitements qu'on m'y a faits aigrissent encore. On oublie quelquefois les offenses qu'on a reçues , mais ja- mais celles qu'on a faites ;* et ces messieurs ne me pardonnent point le tort qiS'ils ont avec moi :

ANNÉE 1764. i65

tels sont les hommes. Ce qui me rassure pour M. Tissot c'est qu'il leur est trop nécessaire pouf qu'ils ne lui passent pas de mieux penser qu eux : c'est aux rêveurs purement spéculatifs qu'il n'est pas permis de dire des vérités que rien ne rachète. Le bienfaiteur des hommes peut être vrai impu- nément , mais il n'en faut pas moins, je l'avoue; et s'il étoit moins directement utile il seroit bien- tôt persécuté.

Permettez que je supplie votre altesse séré- nissime de vouloir bien lui remettre le barbouil- lage ci-joint, roulant sur une métaphysique as- sez ennuyeuse, et dont par cette raison je ne, vous propose pas la lecture^, ni même à M. Tis- sot; mais la bonté qu'il a eue de m'envoyer ses ouvrages m'impose l'obligation de lui faire hom- mage des miens. J'ai même été deux fois l'été dernier sur le point d'employer à lui aller ren-« drq sa visite un des pèlerinages que mes bons intervalles m'ont permis ; mais quelque plaisir > que ce devoir m'eût fait à remplir , je m'en suis abstenu pour ne pas le compromettre, et j'ai sacrifié mon désir à son repos.

Vous mlnspirez pour monsieur et madame de GoUovirkin toute l'estime dont vous êtes pé-> nétré pour eux; mais^ flatté de l'approbation qu'ils donnent à mes maximes, je ne suis pas sans crainte que leur en£ant ne soit peut-être un jour la victime de mes erreurs. Par bonheur je dois, sur le portrait que vous m'avez tracé, les supposer assez éclairés pour discerner le vrai et

t66 CORRESPONDANCE.

ne pratiquer que ce qui est bien. Cependant il me re&te toujours ^une frayeur fondée sur Fex- trême difficulté d'une telle éducation; c'est qu'elle n est bonne que dans son tout, qu'autant qu'on y pei;sévère , et que , s'ils viennent à se re- lâcher ou à changer de système, tout ce qu'ils auront fait jusqu alors gâtera tout ce quUls vou- dront faire à l'avenir. Si l'on ne va jusqu'au bout , c'est un grand mal d'avoir commencée

J'ai relu plusieurs fois votre lettre, et je ne l'ai point lue saps émotion. Les chagrins, 1^ maux^ les ans ont beau vieillir m:a pauvre machine y mon cœur sera jeuae jusqu'à la fin , et je sens . que vous lui rende? sa première chaleur. Ose*- rois-je vous demander ci nous ne nous sommes jamais vus? N'est-ce point avec vous que j'ai eu l'honneur de causer un quart d'heure , il y a huit ou dix ans, à Passy^ chez M. de La Popli- nière? Je n'ai pas, comme vous voyez, oub^é cet entretien ; mais j'avoue qu'il m'eût fait une autre impression si j'avois prévu la correspon- dance que nous avons maintenant, et le sujet qui l'a fait naître.

Qu ai-je fait pour mériter les bontés de ma- dame la princesse ? Rien n'est si commun que des barbouilleurs de papier^: ce qui est si rare, c'est une femme de son rang qui aime et rem- plit ses devoirs de mère ^ et voilà ce qu'il faut admirer.

ANNÉE 1764. 167

 MADAME LA MARQUISE DE V N.

MQtierf , le 98 j«pviar 1 704-

Vos reg[ret8 soot (>ien légitimes, madame ;• ce que vous me marquez de» derniers moments de

M. de V , prouve qU'il vous ë^oit sinc^e-

ment attaché. Et combien ne devoit-il pas Têtre! Cependant , comme dans l'état il étoit , il a plus gagné que vous n'ave» perdu , les senti- ments qu il vous laisse doivent être plus relatSs à lui qu à vous. D ailleurs moi qui sais combien vous êtes bonne mère, et qu'en le perdant vou« avez pour ainsi dire acquis vos enfants; tout ce que je puis faire en cette circonstance , par res- pect pour votre bon cœur et pour sa mémoire, est de ne vous pas féliciter.

Il est vrai , madame, que, m'étant trouv4|i^Ius mal cet été , j'ai écrit à un curé qui avoit fait la route avec mademoiselle Le Vasscur pour la lui recommander, sachant qu'elle ne se soucioit pas de retourner à Paris , elle ne manqueroit pas d'être tyrannisée et dévalisée de nouveslu par toute son avide fanrille. Sur les attentions qu il avoit eues pour elle , sur les discours qu'il lui avoit tenus , j'avois pris la plus grande opi- nion de cet honnête homme, et je la lui recom*- mandois,'non jpas pour lui être à charge , com- me il parolt par ma lettre même , puisqu'elle a-, par la petision de mon libraire , de quoi vivre en Jp^rèViBLce avec économie, mais seulement pour

|68 GOIlKESPOnDÀNCË.

diriger sa conduite et ses petites affaires dana un pays qui lui est inconiiu. Mais le bon homme est parti de pour supposer que j'iuiplorois ses charités poui" elle , et pour faire courir ma lettre par tout Paris,. au point de proposer à un li- })raire de Timpriiner, J'ai gagné par-là detrcî instruit à temps et de pouvoir prendre d autres mesures. J'ai la plus grande confiance en vous , Tnadame, et l'intérêt que vous daignez prendre à elle et à moi fait la consolation de ma vie. Mais connoiss£(ut ses fa^^ons de peqser, son état , . ses inclinations, x^c ^l^i convient à soii bonheur, je ne lui conseillerai jamais d'aller vivre à Paris ni dans la maison d'autrui , bien çonvaiacu par ma propre expérience qu'où n'est jamais libre que che^ soi. Du reste, je compte si parfaitement sur votre souvenir, quen quelque lieu qu'ellq viv|pe ue doute point que vous n'ayez lOt bouté^ de la recommander, de 1^ ^protéger, de vous in^ téresser à elle; et j'avois si peu de doute là-des-r sus,, que, sans ce que vous m'en dites dans votre dernière lettre , je ne naç çerois pas pieme avisé de vous en parler.

Garderez^vous Soisl, madame, ou vivrez-vous toujours à Paris? Lesquelles de vos filles pren-? drez-vous auprès de vous? Resterez-vous à l'hô^ tel d'Aubeterre, ou prendrez^vous une maison à vous? Le voyage de Xaintonge, que vous médi-»* tez, sera, selon moi, bien inutile; quelque teu<r dresse qu'ait pour vous monsieur votre père, à ^OU âge Qn n'aime guère ^ se déplacer, J'éprouve

ANNÉE 1764. V69

bien cette repug^nance, moi que les infirmités ont déjà rendu si vieux. Je suis ici Fhiver au milieu des glaces , l'été en proie à mille impor* tuns , très chèrement pour la vie; en toute sai* son ma demeure a ses incommodités. Cependant je ne puis me résoudre à me déplacer ; le moin* dre embarras m effraie ; et je crois que j'aurai moins de peine à déménager de mon corps que de ma maisoiï. Bonjour, madame.

A MADEMOISELLE JULIE BONDELL

* Mo tiers , le 28 janvier 1764.

Vous savez bien, mademoiselle, que les cor- respondants de votre ordre font toujours plaisir et n'incommodent jamais; mais je ne suis pas assez injuste pour exiger de vous une exactitude dont je ne me sens pas capable, et la mise est si peu égale entre nous, que, quand vous répon- driez à dix de mes lettres par une des vôtres , vous seriez quitte avec moi tout au moins.

Je trouve M. Schulthess bien payé de son goût pour la vertu par l'intérêt qu'il voys inspire ; et , $i ce goût dégénère en passion près de vous , ce pourroitbien être un peu la faute du maître. Quoi qu'il en sQât , je lui veux trop de bien pour ti- rer de votre djirection en le prenant sous la Hiienne, et jamais , ni pour le bonheur, ni pour la vertu , il n'aura regret à sa jeunesse , s'il la coç- 9acre à recevoir vos instructions. Au reste , si , qqnune vous le pensej^, les passions sont la pe«

tfJO CORRESPONDANCE.

tite vérole de Famé, heureux qui, pouvant la prendre encore , îroît s inoculer à Kœnitz ! Le mal d une opération si douce seroit le danger de n'en pas guérir. N'allez pas vous fâcher de mes- douceurs , je vous prie, je ne les prodigue pas à toutes les femmes; et puis on peut être un peu vaine.

Je ne puis, mademoiselle, répondre à votrcr question sur les lettres d'un citoyen de Genève , car cet ouvrage m'est parfaitement inconpu, et je ne sais que par vous qu'il existe. Il est vrai qu'en général je suis peu curieux de ces sortes d'écrits , et , quand ils seroient aussi obligeants qu'ils sont insultants pouf l'ordinaire , je n'irois pas plus à la chasse des éloges que des injures. Du reste , sitôt qu'il est question de moi , tous les préjugés sont quen effet l'ouvrage est une satire; mais les préjugés sont-ils faits pour l'em- porter sur vos jugements? D'ailleurs , je ne vois pas que ce livre soit annoncé dans la gazette de Berne; grande preuve qu'il ne m'est pas inju- rieux.

Je n'ose vous parler de mon état, jl contris- teroit votre bon cœur. Je vous dirai seulement que je ne puis me procurer des nuits suppor- tables qu'en fendant du bois tout le jour, malgré ma foiblesse , pour me maintenindans une trans- piration continuelle, dont la moindre suspen^- sion me fait cruellement souffrir. Vous avez rai- son toutefois de prendre quelque intérêt à mon existence : malgré tous mes maux, elle m'est

ANNÉE 1764. 171

chère encore par les sentiments d'estime et d'at- fection qui m attachent au vrai mérite ; et voilà, mademoiselle , ce qui ne doit pas vous être in*- difFérent.

Acceptez un barbouillage qui ne vaut pa» la peine den parler , et dont je n ose vous propo- ser la lecture que sous les auspices de lami Pla- ton.

A M. D'ESGHERNY.

Motier9, le 2 février i764<

Je ne suis pas si pressé, monsieur, de juger , et sur-tout en mal , des personnel que je ne con- nois point ; etjaurois tort, plus que tout homme au monde , de donner un si grand poids aux im- putations du tiers et du quart. L estime des gens de mérite est toujours honorable, et, comme on vous a peint jk moi comme tel , je ne puis que m applaudir de la vôtre. Au reste , si notre goût commun pour la retraite ne nous rapproche pas l'un de l'autre , ayez-y peu de regret ; j'y perds plus que vous, peut-être: on dit votre commerce fort agréable, et moi je suis un pauvre malade, fort ennuyeux ; ainsi , pour Tamour de vous , demeurons comme nous sommes, et soyez per- suadé , je vous supplie , que je n'ai pas le moindre soupçon que vous pensiez 4u mal de moi , ni par conséquent que vous en vouliez dire.

Recevez, monsieur, je vous supplie, mes re- merciements d% votre lettre obligeante , et mes salutations.

17a CORàESPOîfDAN€E.

A M. PICTET.

Motiers, le i^r mars 1764*

J^ suis flatté, monsieur, que, sans un fréquent commerce de lettres, vous rendiez justice à mes. sentiments pour vous : ils seront aussi durables que l'estime sur laquelle ils sont fondés; et j es- père que le retour dont vous m'honorez ne sera pas moins à l'épreuve du temps et du silence. La seule chose changée entre nous est l'espoir d.'une connoissance personnelle. Cette attente, monsieur , m'étoit douce ; mais il faut y renon- cer , si je ne puis la remplir que sur les terres de Genève ou dans les environs. Là- dessus mon parti est pris poTur la vie ; et je puis vous assurer que vous êtes entré pour beaucoup dans ce qu'il m'en a coûté de le prendre. Du restp je sens avec surprise qu'il m'en coûtera moins de le tenir que -.je ne m'étois figuré. Je ne pense plus à mon an- cienne patrie qu'avec indifférence; c'est même un aveu que je vous fais sans honte, sachant bien que nos sentiments ne dépendent pas de nous; et cette indifférence étoit peut-être le seuL qui pouvoit rester pour elle dans un cœur qui ne sut jamais haïr. Ce n'est pas que je me croie quitte envers elle, on ne l'est jamais qu'à la mort. J'ai le zèle du devoir encore , mais j'ai per- du celui de l'attachement.

Mais est-elle cette patrie ? Existe-t-elle en- core? Votre lettre décide cette question. Ce ne

ANNÉE 1764. 173

sont ni les murs ni les hommes qui font la pa- trie ; ce sont les lois, les mœurs, les coutumes , le ^gouvernement , la constitution , la manière d être qui résulte de tout cela. La patrie est dans les relations de Fétat à ses membres : quand ces relations chane^ent ou s'anéantissent, la patrie s évanouit. Ainsi, monsieur, pleurons la nôtre; elle a péri , et son simulacre qui reste encore ne sert plus qu a la déshonorer.

Je me mets, monsieur, à votre place, et je comprends combien le spectacle que vous avez sous les yeux doit vous déchirer le cœur. Sans contredit on soufFre moins loin de son pays que de le voir dans un état si déplorable ; mais les affections , quand la patrie n'est plus , se resser- rent autour de la famille , et un bon père se con- sole avec ses enfants de ne plus vivre avec ses frères. Cela me fait comprendre que des intérêts si chers , malgré les objets qui nous affligent , ne vous permettront pas de vous dépayser. Cepen- dant, s'il arrivoit que par voyage ou par dépla- cement vous vous éloignassiez de Genève, il me seroif très doux de vous embrasser ; car , bien que nous n'ayons plus de commune patHe, j'au* gure des sentiments qui nous animent que nous ne cesserons point d'être concitoyens ; et les liens de l'estime et de l'amitié demeurent toujours quand même on a rompu tous les autres. Je vous salue , monsieur , de tout mon cœur.

174 CORRESPONDANCE.

A M. L'A. DE***.

Motiers , le 4 mars 1764*

J ai parcouru , monsieur , longue lettre VOU8 m'exposez vos sentiments sur la nature de lame et sur Fexistence de Dieu. Quoique j eusse résolu de ne plus rieh lire sur ces matières , j'ai cru vous devoir une exception pour la peine que vous ayez prise , et dont il ne m est pas aisé de démêler le but. c'eis.t d'établir entre nous un commerce de dispute, je ne saurois en cela vous complaire; car j^ ne dispute jamais, persuadé que chaque homme â sa manière de raisonner qui lui est propre en quelque chose ^ et qui n'est bonne en tout à nul autre que lui. Si c'est de me guérir des erreurs vous me jtLgez être, je vous remercie de vos bonnes intentions, mais je n'en puis faire aucun usage, ayant pris depuis long-* temps n>on parti sur ces choses^^là. Ainsi, mon«- sieur, votre zèle philosophique est à pure perte avec moi, et je oe serai pas plus votre prosélyte que votre missionnaire* Je ne condamne*point vos façoks de penser, mais daignez me laisser les miennes, car je vous déclare que je n'en veu3t pas changer*

Je vous dois encore de6 remerciement^ du soin que vous prenez dans la même lettre de in'ôter l'inquiétude que m'avoîent donnée les premières sur les principes de la haute vertu dont vous faites profiession. Sitôt que ces principes vous parois-

ANNÉE 1764. 176

$ent sdlides , le devoir qui en dérive doit avoir pour vous la même foix:e que s'ils letoient en effet : ainsi ones doutes sur leur solidité n ont rien d'offensant pour vous ; mais je vous avoue que, quant à ipoi, de tels principes me paroi- troient frivoles ; et sitôt que je nen admettrois pas d autres, je sens que dans le secret de mon cœur ceip-là me méttroient fort à Taise sur les vertus pénibles qu'ils paroitroient m'imposer : tant il est vrai que .les mêmes raisons ont rare- ment la même prise en diverses tètes, et qu'il ne faut jamais disputer de rien !

D'abord l'amour de l'ordre, en tant que cet ordre est étranger à moi , n'e^t point un senti*^ loaeut qui puisse balancer en moi celui de mon intérêt propre; une vue purement spéculative ne sauroit dans le cœur humain l'emporter sur jies passons ; ce seroit à ce qui est moi préférer £e qui m'est étranger : ce sentiment n'est pas i|ans la n£M:ure. Quant à l'amour de l'ordre dont je fais partie, il ordonne tout par rapport à moi; et comme alors je suis seul le centre de cet ordre, il seroit absurde et contradictoire qu'il ne me fit pas rapporter toutes choses à mçn bien particulier* Or la vertu suppose un combat contre nous-mêmes, et c'est la diffî*> culte de la victoire qui en .fait le mérite ; mais, dans la supposiûon , pou|wuoi ce combat ? Toute rai^pn^ tout motif y manque. Ainsi point de vertu possible^ar le seul amour de Tordre. Le sentiment intérieur est un motif très puCë-

176 GOAËESPONDANGE.

sant sans doute ; mais les passions et Forgueli l'altèrent et letouffent de bonne heure dans presque tous les cœurs. De tous les sentiments que nous donne une conscience droite , les deux plus forts et les seuls fondements de tous les autres sont celui de la dispensatiôn d une pro- vidence et celui de l'immortalité de lame : quand ces deux-là sont détruits , je ne vois p]|is ce qui peut rester. Tant que le sentiment intérieur me diroit quelque chose , il me défendroit, si j'avois le malheur d'être sceptique , d'alarmer ma pro- pre mère des doutes que je pourrois avoir.

L'amour de soi-même est le plus puissant , et, selon moi, le seul motif qui fasse agir les hom- mes. Mais comment la vertu , prise absolument çt comme un être métaphysique, se fonde-t-elle sur cet amour-là ? c'est ce qui me passe. Le crime , dites- vous , est contraire à celui qui le commet; cela est toujours vrai dans mes prin- cipes , et souvent très faux dans les vôtres. Il faut distinguer alors les tentations , les posi- tions , l'espérance plus ou moins grande qu'on a qu'il reste inconnu ou impuni. Communé- ment le crime a pour motif d'éviter un grand mal ou d'acquérir uft grand bien ; souvent' il parvient à son but. Si ce sentiment n'est pas naturel, quel sentiment pourra Têtre? Le crime adroit jouit dans y tte vie de tous les avantages de la fortune et même de la gloire. La justice et les scrupules ne font ici -bas que des dupes. Otez la justice éternelle et la prolongation de

ANNÉE 1764* 17-^

inon être après cette vie , je ne vois plus dàiis la vertu qu'une folie à qui Ton donné un beau nom. Pour un matérialiste lamour de soi-même n est que Famôur de son corps. Or quand Ré- gulus alloit , pour tenir sa foi , mourir dans les tourments à Carthage , je ne vois point ce que l'amour de son corps feisoit à cela.

Une considération plus forte encore confirme les précédentes; c'est que, dans votre système , le mot même de vertu ne peut avoir aucun sens; c'est un son qui bat l'oreille, et rien de plus. Car enfin , selon vous , tout est nécessaire : tout est nécessaire , il n'y a point de liberté ; sans libeHé , point de moralité dans les actions ; sans la moralité des actions , est la vertu ? Pour moi , je ne le vois pas. En parlant du sen- timent intérieur je devois mettre au premier rang celui du libre arbitre , mais il suffit de l'y renvoyer d'ici.

Ces raisons vous paroitront très foibles , je n'en doute pas ; mais elles me paroissent fortes à moi ; et cela suffit pour vous prouver que , si par hasard je devenois votre disciple, vos le- çons n'auroient fait de moi qu'un fripon. Or un homme vertueux comme vous ne voudroit pas consacrer ses peines à mettre un fripon de plus dans le monde; car je crois qu'il y a bien autant de ces gens-là que d'hypocrites , et qu'il n'est pas plus à propos de les y multiplier.

Au reste je dois avouer que ma morale est bien moins sublime que la vôtrç , et je sens que

/

I ^8 CORRESPONDANCE.

ce sera beaucoup même si elle me sauve de votre mépris. Je ne puis disconvenir que vos imputa- tions d'hypocrisie ne portent un peu sur moi. Il est très vr^i que sans être en tout du senti- ment de mes frères , et sans dédaigner le mien dans l'occasion, je m'accommode très bien du leur : d'accord avec eux sur les principes de nos devoirs, je ne dispute point sur le reste, qui me paroit très peu important. En attendant que nous sachions certainement qui de nous a rai- son , tant qu'ils me souffriront dans leur com- munion je continuerai d'y vivre avec un véri- table attachement. La vérité pour nous esf couverte d'un voile , mais la paix et l'union sont des biens certains.

Il résulte de toutes ces réflexions que nos fa^ çons de penser sont trop différentes pour que nous puissions nous entendre , et que par con- séquent un plus long commerce entre nous ne peut qu être sans fruit. Le temps est si court et nous en avons besoin pour tant de choses , qu'il ne faut pas l'employer inutilement. Je vou^^ souhaite , monsieur, un bonheur solide, la paix de l'ame , qu'il me semble que vous n ayea^ p^^r et je vous salue de tout mon cœur.

A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBÇRG.

II mars 1764.

Qui, moi, des contes? à mon âge et dans mon état? Non, prince, je ne suis plus dans

ANNÉE 1764. 179

fenfance, ou plutôt je n'y suis pas encore; et malheureusement je ne suis pas si gai dans mes itiaux que Scarron Tétoit dans les siens. Je dé- péris tous les jours ; j'ai des comptes à rendre et point contes à faire. Ceci m'a bien l'air d un bruit préliminaire l'épandu par quelqu'un qui veut m'honorer d'une gentillesse de sa façon. Divers auteurs , non contents d'attaquer mes sottises, se sont mis à m'imputer les leurs, f^aiis est inondé d'ouvrctges qui portent tnôn nom , €t doiit on a soin de faire des chefs-d'œuvre de bêtise , sans doute afin Mieux tromper le» lecteurs. Vous n'imagineriez jamais quels coups détournés on porte à ma* réputation , à mes mœurs , à mes principes. En voici un qui vous fera juger des autres.

Tous les amis de M. de Voltaire répandent à Paris qu^il ^'intéresse tendrement à mon sort ( et il est vrai qu'il s'y intéres^ ). Ils font en^ tendre qu'il est avec moi dans la plus intime liaison. Sur ce bruit, une femme qui ne me çon« nott point me demande par écrit quelques éclair- ' cisseménts sur la religion, et envoie sa lettre à M. de Voltaire, le priatit d^ me la faire passer. M. de VoHaire garde la lettre qui m'est adressée ^ et renvoie à celte daime , comme en réponse , le Serteo^n des cinquante. Surprise d'un pareil en- voi de ma part , cette femme m'écrit par une autre voie ; et voilà comment j'apprends ce qui s est passé.

Vous êtes sui^pris que ma lettre sur ta Pro-

la.

^

l86 GORKESPONDANGE.

vidence n'ait pas empêché Candide de nattre 1^ C'est elle, au contraire , qui lui a donné nais- sance ; Candide en est la réponse. L auteur m en fit une de deux pages., dans laquelle il battoit la campagne , et Candide parut dix mois après. Je voulois philosopher, avec lui ; en réponse îï m'a persiflé. Je lui ai écrit une fois que je le haïssois , et je lui en ai dit les raisons. Il ne m'a pas écrit la même chose, mais il me l'a vive- ment fait sentir. Je me venge en profitant des excellentes leçons qui sont dans ses ouvrages , et je le force à continuer de me faire du bien malgré lui.

Pardon, prince : voilà trop de jérémiades ; mais c'est un peu votre faute si je prends tant^ de plaisir à m'épan cher avec vous. Que fait ma-^ 4ame la princesse? Daignez me parler quelque- fois de son état. Quand aurons-nous ce prë-^ cieux enfant jieJ amour qui sera Téléve de lav vertu ? Que ne oeviendra-t-il point sous de tels auspices? De quelles fleurs charmantes, de queU fruits délicieux ne couronnera-t-il point les liens deses dignes parents? Mais cependant quels- nouveaux soins vous sont imposés ! Vos travaux vont redoubler; y pourrez-vous suffire? aurez- vous la force de persévérer jusqua la -fin? Par- don , monsieur le duc ; vos sentiments connus* me sont garants de vos succès. Aussi mon in-^ quiétude ne vient-elle pas de défiance, mais du; vif intérêt que j y prends.

ANNÉE 1764. 181

A MADAME DE LUZE.

Mo tiers, le 17 mars 1764*

Il est dît, madame , que j aurai toujours be- soin de votre indulgence y moi quivoudrois mé- riter toutes vos bontés. Si je pouvois changer une réponse en visite , vous n auriez pas à vous plaindre de mon inexactitude , et vous me trou- veriez peut-être aussi importun qua présent vous me trouvez négligent. Quand viendra ce temps précieux je pourrai aller au Biez ré- parer mes fautes , ou du moins en implorer le pardon? Ce ne sera points madame, pour voir ma mince figure que je ferai ce voyage ; j'aurai . un motif d'empressement plus satisfaisant et plus raisonnable. Mais permettez-moi de me plaindre de ce qu'ayant bien voulu loger ma res- semblance , vous n'avez pas voulu me faire la faveur tout entière en permettant qu elle vou^ vînt de moi. Vous savez que c'est une vanité qui n'est pas permise d'oser offrir son portrait ; mais vous ayez craint peut-être que ce ne fût une trop grande faveur de le demander ; votre but étoit d'avoir une image , et non d'enorgueil- lir Fôriginal. Aussi pour me croire chez vous il faut que j'y sois en personne , et il faut tout l'accueil obligeant que vous daignez m'y faire pour pas me rendre jaloux de moi.

Permettez , madame, que je remercie ici ma- dame deFaugnes de l'honneur de son souvenir

l8a CORREfiPOKDAKGE.

et que je Tassure de mon respect. Daignez Qgtéer pour vous la même assurance et présenter mes salutations à M. de Luze.

A MILORD-MABÉCHAL.

*

. Enfin, milord , j ai reçu dans son temps, par M* Bougemont , votre lettre du 2 février , et cest de toutes les réponses dont vous me par- lez la seule qui me spit parvenue* J'y vois , par votre dégoût de l'Ecosse , par Tincertitude du choix de votre demeure , qu une partie de nos châteaux en Espagne est déjà détruite , et je crains bien que le progrès de mon dépérisse^ ment, qui rend chaque jour mon déplacement plus difficile, n achève de renverser lautre. Que le cœur de Fhomme est inquiet 1 Quand j etois près de vous , je soupirois , pour y être plus à mon aise, après le séjour de rÉcqsse; et main*^ tenant je donnerois tout au monde pour vous voir encore ici gouverneur de Neuchatel. Mes vœux sont divers , mais leur objet est tou-» jours le même. Revenez à Colombier, milord ^ cultiver votre jardin , et faire du bien à des ingrats , même malgré eux ; peut-on terminer plus dignement sa carrière ? Cette exhortation de ma part est intéressée , j en conviens ; mais, si elle offensoit votre gloire , le cœur de votre enfant ne se la permettroit jamais, . J ai beau vouloir me flatter ^ je vois , milord^

ANNÉE I7&4. l83

qtf il faut, renoncer à vivre auprès de vous ; et malheureusement je n -en perdrai pas si facile- ment le besoin que lespoir. La circonstance vous m^avez accueilli m'a fait une impression que les jours passés avec vous ont rendue in- effaçable : il me semble que je ne puis plus être libre que sous vos yeux , ni valoir mon prix que dans votre estime. L*imagpnation du moins me rapprocheroit , si je pou vois vous donner led bons moments qui me restent: mais vous m'a-*' vez refusé des mémoires sur votre illustre frère. Vous avez eu peur que je ne fisse le bel esprit ^ et que je ne gâtasse la sublime simplicité du probus vixity fortis ohiiL Ah , milord l fiez-vous à mon cœur ; il saura trouver un ton qui doit plaire au vôtre pour parler de Ce qui vous ap- partient. Oui, je donnerais tant au nionde pour que vous voulussiez me fournir des matériaux pour m'occuper de vous, votre famille, pour pouvoir transmettre à la postérité quelque té- moignage de mon attachement pour vous e( de vos bontés pour nioi. Si vous avez la corn*» plaisance de m envoyer quelques mémoires , soyez persuadé que votre confiance ne sera point trompée: d'ailleurs vous serez le juge de mon travail ; et comme je n'ai d'autre objet que de satisfaire un besoin qui me tourmente , si j'y parviens j'aurai fait ce que j'ai voulq. Vous dé- ciderez <iu reste , et rien ne sera publié que de votre aveu. Pensez à Cela , milord , je vous con* jure , et croyez quç vous n'aurez pas peu faii

j84 correspondance.

pour le bonheur de ma vie, si yous me mettes à portée d en consacrer le reste à m*OGcuper d^ vous.

Je suis touché de ce que vous avez écrit à M. le conseiller Rougemont au sujet de mon testament. Je compte , si ye me remets un peu , Faller voir cet été à Saint-Aubin pour en confé^ rer avec lui. Je me détournerai pour passer à Colombier : j y reverrai du moins ce jardin , ces allées , ces bords du lac se sont faites de si douces promenades , et oii vous devriez venir les recommencer, pour réparer du moins, dans un climat qui vous étoit salutaire , laltération quç celui d'Edimbourg a faite à votre santé.

Vous me promettez , milord , de me donner de vos nouvelles et de mlnstruire de vos direc-^ tions itinéraires. Ne Toubliez pas , je vous en supplie, J ai été cruellement tourmenté de ce long silence, Je ne craignois pas que vous meus-» siez oublié, mais je craignois pour vous la ri-* gueur de l'hiver. Leté je craindrai la mer, les fatigues, les déplacements, e( de ne savoir plu^

pii vous écrire.

<

A MII^ORD. MARÉCHAL.

3i mars 1764.

, Sur l'acquisition , milord, que vous avez faite, et sur l'avis que vous m'en avez donné , la meil-: leure réponse que j'aie à vous faire est de vous transcrire ici ce que j'écris sur ce sujet à la per-r

AKNEE 1764. l85

sonne que je.prie de donner cours à cette lettre , en lui parlant des acclamations de vos bons compatriotes. .

Tous les plaisirs ont beau être pour les mé* chants^ en voilà pourtant un que je leur défie de goûter. Il na rien eu de plus pressé que de me donner avis du changement.de sa fortune : vous devinez aisément pourquoi. Félicitez-moi de tous mes malheurs^ madame; ils m^ ont donné pour ami milord^maréchal.

Sur vos offres qui regardent mademoiselle Le Vasaeur et moi , je commencerai , milord , par vous dire que, loin de mettre de l'amour-propre à me refuser à vos dons , j en mettrois un très itoble à les recevoir. Ainsi là-dessus point de dispute ; les preuves que vous vous intéressez à moi, de quelque genre. quelles puissent être, sont plus propres à m enorgueillir qu a m'humi- lier , et je ne m'y refuserai jamais ; soit dit une fois pour toutes.

Mais j ai du pain quant à présent ; et , au moyen des arrangements que je médite, j'en aurai pour le reste de mes jours. Que me servi- roit le surplus ? Rien- ne me manque de ce que je désire et qu'on peut avoir avec, de l'argent. Milord, il faut préférer ceux qui ont besoin à ceux qui n'ont pas besoin , et je suis dans ce der- nier cas. D'ailleurs je n'aime point qu'on me parle de testaments. Je ne voudrois pas être , moi le sachant^ dans celui d'un indifférent: ju- ^ez.ii jcivoudrois me savoir dans le vôtre,

t86 CORRESPONDANCE.

Vous savez , milord ^ que mademoiselle Le Vasseur a une petite peDsion de mon libraire avec laquelle elle peut vivrç quand elle ne m au^ ra plus. Cependant j'avoue que le bien que vous voulez lui faire m'est plus précieux que s'il me regardoit directement ^ et je suis extrême- ment touché de ce moyen trouvé par votre cœur de contenter la bienveillance dont vous m'honorez. Mais s'il se pouvoit que vous lui as^ signassiez plutôt la rente de la somme que la sotame même , cela m'éviteroit l'embarras de chercher à la jJacer, sorte d'affaire je n'en- tends rien.

J'espère , milord , que vous aurez reçu ma précédente lettre. M'accordere2>-vous des mé- moires? Pourrai-je écrire l'histoire de votre mai- son? Pourrai-je donner quelques éloges à ces bons Êcossois à qui vous êtes si cher , et qui par me sont chers aussi ?

A MILÔRD-MARÉGHAL.

Avril 1764-

J'ai répondu très exactement , milord , à cha- cune de vos deux lettres du 2 février et du 6 mars , et j'espère que vous serez content de ma façon de penser sur les bontés dont vous' m'ho- norez dans la dernière. Je reçois à l'instant celle du 26 mars , et j'y vois que vous prenez le parti que j*ai toujours prévu que vous prendriez à la fin. En vous menaçant d'une descente , le roi Fa

ANIQÉË 1764. 1S7

effectuée ; çt , quelqtie redoutable qu'il soit , il vous a encore plus sûrement conquis par sa let«- tre (1) quil n'auroit fait par ses armes. L*asile qu il vous presse d'accepter est le seul digne de vous. Allez, milord, à votre destination ; il voua convient de vivre auprès de Frédéric comme il m'eût convenu de vivre auprès de George Keith. II n'est ni dans l'ordre de la justice ni dans celui de lai fortune que mon bonheur soit préféré au vôtre. D'ailleurs mes maux empirent et devien- nent pt*esque insupportables : il ne me reste qu'à soufiFrir et mourir sur la terre ; et en vérité c'eut "été dommage de n'aller vous joindre que pour cela.

Yoilà donc ma dernière espérance évanouie.... Milord , puisque vous voilà devenu si riche et si ardent à verser sur moi vos dons , il en est un

(i) Voici cette lettre, que la version qu^en a publiée M. d'Argenson dans son éloge de lord-maréchal d'Ecosse nous autorise à donner ici.

tt Je dispoteroÎB bien avec les habitants d'Edimbourg « l'avantage de voUs posséder ; si j'^vois des vaisseaux, je « méditerois une descente en Ecosse pour enlever mon tt cher milord, et pour l'emmener ici; mais nod barques M de l'Elbe sont peu propres à une pareille expédition. Il « n'y a que vous sur qui je puisse compter. J'étois ami de « votre frère, je lai avots des obligations; je suis le vôtre* u de cœur et d'aine ; voilà .mes titres ; voilà les droits que «j'ai sur vous. Vous vivrez ici dans le sein de l'amitié, « de la liberté , et de la philosophie : il n'y a que cela M dans le monde, mon cher milord; quand on a passé par « toutes les métamorphoses des états , quand on a goûté « de tout, on en revi^it là. n

i88 GORRESPONDAIfCE.

que j ai souvent désiré , et qui malheureusement me devient plus désirable encore lorsque'je perds lespoir de vous revoir. Je vous laisse expliquer cette énigme; le çceur d'un père est fait pourra deviner.

Il est vrai que le trajet que vous préférez vous épargnera de la fatigue; mais si vous n étiez pas bien fait à la mer elle pourroit vous éprouver beaucoup à votre âge , sur-tout sll survenoit du gros temps. £n ce cas le plus long trajet par terre me paroitr oit préférable, même au risque dua peu de fatigue de plus. Comme j espère aussi que vous attendrez pour vous embarquer que la saison soit moins rude, vous voulez bien , m^ilord , . que je compte encore sur. une de vos Ij^ttres ayant votre départ.

A M. A.

Mo tiers-Travers , le 7 avril 1764.

L'état j'étois, monsieur, au moment votre lettre me parvint, m'a empêché de vous en accuser plus tôt la réception , et de vous remer- cier comme je fais aujourd'hui du plaisir que m'a fait ce témoignage de votre souvenir. J'en suis plus touché que surpris; et j'ai toujours bien cru que l'amitié dont vous m'honoriez dans mes jours prospères ne se refroidiroit ni par mes dis- grâces ni par mon exil. De mon côté, sans avoir avec vous des relations suivies , je n'ai point ces- sé, monsieur , de prendre intérêt ,aux change-»

ANNÉE 1764. 18g

ihënts agréables que vous avez éprouvés depuis nos anciennes liaisons. Je ne cloute point que vous ne soyez aussi bon mari et aussi digne père de jBsimille que vous étiez homme aimable étant garçon ; que vous ne vous appliquiez à donner à vos^nfants une éducation raisonnable et ver- tueuse , et que vous ne fassiez le bonheur d une femme de mérite qui doit faire le vôtre. Toutes ces idées, fruits de lestime qui vous est due , me rendent la vôtre plus précieuse.

Je voudrois vous rendre compte de moi pour répondre à l'intérêt que vous daignez y prendre: mais que vous dirois-je? Je ne fus jamais bien grand'chose ; maintenant je ne suis plus rien ; je me regarde comme ne vivant déjà plu;». Ma pau- vre machine délabrée me laissera jusqu'au bout, j'espère , une ame saine quant aux sentiments et à la volonté ; mais , du côté de l'entendement et des idées, je suis aussi malade de l'esprit que du corps. Peut-être est-ce un avantage pour ma si- tuation. Mes maux me rendent mes malheurs peu sensibles. Le cœur se tourmente moins quand le corps souffre , et la nature me donne tant d'af- faires que l'injustice des hommes ne me touche plus. Le remède est cruel , je l'avoue; mais enfin c'en est un pour moi r car les plus vives douleurs me laissent toujours quelque relâche , au lieu que les grandes afOiction^ne m'en laissent point: II est donc bon que je souffre et que je dépérisse pour être moins attristé ; et j'aimerois mieux être Scarron malade que Timon en santé. Mais si Je

igô CORRESPONDANCE.

suis désormais peu sensible aux peines je le suis' encore aux consolations; et cen sera toujours une pour moi d'apprendre que vous vous portez? bien , que vous êtes heureux , et que vous conti-^ nuez de m aimer. Je vous salue , monsieur , et vpus embrasse de tout mon cœur.

A. M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG.

Motiers, le i5 avril 1764.

Ne vous plaignez pas de vos disgrâces , prince. Gomme elles sont l'ouvrage vôtre courage et de vos vertus , elles sont aussi rinstrument de votre gloire et de votre bonheur. Vaincre Fré- déric eut éxé'beaucoup, sans doute; mais vaincre dans son propre cœur les préjugés et les passions qui subjuguent les conquérants comme les autres hommes est plus encore. £t , dites la vérhé, combien de batailles gagnées vous eussent donné dans l'opinion des hommes ce que vous donne au fond de votre cœur une heure de jouissance des plaisirs de lamour conjugal et paternel ? Quand vos succès euss^it fait aux hommes quel- que vrai bien , ce qui me paroît fort douteux ; car qu'importe aux peuples qui perde ou qui ga-^ gne? vous auriez méconnu les vrais biens pour vous-même, et, séduit par les acclamations pu- bliques , vous n'eussiez plus mis votre bonheur que dans lés jugements d'antrui. Vous avez ap- pris à le trouver en vous , à en être le maître , et à en jouir malgré la reine et malgré les jaloux.

, ANNÉE 1764* »9t

Vous lavez conquis pour aiusi dire; e'étoit la meilleure conquête à faire.

La fumée de la gloire est enivrante dans mon métier comme dans le vôtre. J'ignore si cettQ fumée ma porté à la tète , mais elle m'a souvent fait mal au cœur; et il est bien difficile quau milieu des triomphes un guerrier ne sente pas quelquefois la même atteinte ; car si les lauriers des héros sont plus brillants , la culture en est aussi plus pénible , plus dépendante, et souvent on la leur fait payer bien cher:

I^a manière de vivre isolé et sans prétention que j'ai choisie , et qui me retid à-peu-près nul sur la terre, ma mis à portée d observer et compa- rer toutes les conditions depuis les paysans jus-* qu aux grands. J ai pu facilement écarter Tappa-» rence ; car j ai été par-tout admis dans le com- merce et mèinedanslafawiliarité. Jemesuispour ainsi dire incorporé dans tous les états pour les bien étudier. J ai vu leurs sentiments, leurs plai- sirs , leurs désirs , leur manière interne d'être : j'ai tou^urs vu que ceux qui savoient rendre leur situation , non la plus éclatante ^ mais la pIu$indépendaqte,étoient les plus près de toute la félicité permise à Thoflime ; que les sentiments libres qu'ils cultivoient, tels que l'amour, l'ami- tié , étoient tout autrement délicieux que ceux qui naissent des relations forcées que donnent l'état et le rang ; que les affections enfin qui te-« noient aux personnes et qui étoient du choix du cœur étoient infiniment plus douces que celles

tgH CORRES^PONDANCE.

qtii tenoient aux choses et que déterminoit Id fortune.

Sur ce principe il m'a semblé, dès les premiè- res lettres dont vous m'avez honoré , et toutes les suivantes confirment ce jugetnent, que vous aviez fait le plus grand pas pour arriver au bonheur; que , de pritice et de général , se faire père , mari^ véritable homme , n'étoit point aller aux priva- tions ^ mais aux jouissances ; que vos présentes occupations marquoient 1 état de votre ame de la façon la moins équivoque ; que votre respect pour le sublime Rliog montroit combien voua en méritiez vous-même ; qu enfin vous pouviez avoir des chagrins , parceque tout homme en a; mais que, si quelqu'un dans le monde dppro- choit par sa situation et par ses sentiments du vrai bonheur, ce devoit être vous; et que, sur la disgrâce qui vous avoit conduit à cet état simple et désirable, vous pouviez dire, comme Thémistocle, Nous périssions, si nous n'eus- sions péri. Voilà, prince, ma façon de penser sur votre s^ituation présenté et passée.iSi je me trompe , ne me détrompez pas.

Une femme du pays de Vaud, qui se prétend grosse, m'a écrit pour me demander des conseils sur l'éducation de son enfant. Sa lettre me pa- roît un persiflage perpétuel sur mes chimériques idées. J'ai pris la liberté de lui citer pour réponse votre petite Sophie, et la manière dont vous avez le courage de l'élever. J'espère n'avoir point

ANNÉE 1764. 193

tomtnis en cela d'incUscrétion ; si je Tavois fait , je vous prier ois de me le dire afin que je fusse plus retenu une autre fois.

Si vous approuviez que nos lettres finissent désormais sans formule et sans signature, il me semble que cela seroit plus commode. Quand les' sentiments sont connus , quand Fécritureest connue , il reste à prendre sur cet article que des soins qui me semblent superflus : en atten-* dant que votre exemple m^'autorise avec vous à cet usage , agréez , monsieur le duc , je vous sup- plie^ lés assurances de mon profond respect.

A M. LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG.

Motiers, k 21 avril 1764.

Je sui« alarmé, monsieur le maréchal, d ap- prendre à Tinstant que vous n'êtes pas allé ce printemps à Montmorency. Je crains que la suite d'une indisposition, qu on mavoit décrite comme légère , et dont je vous croyois rétabli , n'ait mis obstacle à ce voyage. Permettez que je vous supplie de me faire écrire un mot sur votre état pi'ésent» Je sais qu'il fau droit toujours sa- voir se retirer avant que d'être importun , et qu'on y est obligé , du moins quand on sent qu'on l'est devenu. Mais, monsieur le maré- chal, comme lès sentiments que vous daignâtes cultiver ne peuvent sortir de mon cœur, je ne puis perdre non plus les inquiétudes qui en sont

17. i3

|.-

194 GORRESPONBAT^GE.

inséparables. Je serai disent désormais sikr tout autre article; mais je ne puis me résoudre à le-' tre , quand je suis en peine 4^ votre santé.

A M. D'IVERNOIS.

Motiers, le ai avril 1764.

Je me réjouis , monsieur , de yous savoir heu- reusement de retour de votre voyage ; et je me réjouir ois bien aussi^de celui que vous aves la bonté de me proposer, si j'étois en état de lac- cepter; mais cest à quoi ma situation présente ne me permet pas de penser. D'ailleurs je vous avouerai franchement qu il^entre dans mes ar- rangements de ne dépendre que de ma volonté dans mes courses , de n en faire par conséquent quavec gens qui n'okit point d affaire, et qui n'ont une voiture ni devant ni derrière eux* Mais si je ne puis, monsieur , avoir le plaisir de vous suivre, j attends du moins avec empressement celui de vous embrasser ; ce seroit un bien de plus dans ma vie d en pouvoir jouir plus sou-* vent.

Oseroi&je vous charger d'une petite commis* sion ? M.. Deluc laîné a eu la bonté de m envoyer un baril de miel de Çhamouni, comme je len avois prié. Je lui ai écrit là-dessus sans recevoir de réponse. Vous m'obligeriez beaucoup , mon** $ieur, si vous vouliez bien solder avec lui cette petite affaire , en y ajoutant quelques affranchis- sements de lettres que je lui dois aussi , et je vous

ASII9ÉE 1764* igi

rembourser ois ici le tout à votre passage* Je y oui connois trop obligeant pour croire avoir là-dés^ sus d excuse à vous faire. Recevez les remercie-^ ments et respects de luademoiselle^^e Vassettr^ et faites , je vous supplie , agréer les miené é^ m^ dame dlvernois. Je vous salue, monsieur, dd tout mon cœur.

A MADEMOISELLE D. M.

«

7 mai. 1764.

' Je ne prends pas le <!hangfe , Hetiriette , sur f objet de votre lettre, non plus que sur votre date de Paris. Vous recberehe2 moins mon avis aur le parti que vous avez à prendre que mon approbation pour celui que vous ave« pris. Sur chacune de vos lignes je lis ces mots écrits en gros caractères : Foyons si vous aurez le front de condamner à ne plus penser ni lire quel* q^un qui pense et écrit ainsi. Cette interpréta- tion n'est assurément pas un reproche, et je ne puis que vous savoir gré de me mettre au notiff hve de ceua dont les jugements vous importent. Mais en me flattant, vous n'exigea p^s, je crois , que je vous flatte ; et vous déguiser mon senti- ment , quand il y va du bonheur de votre vie , aeroit mal répondre à rhonneur que vouô m'a* vez fait.

Commençons par écarter les délibéra tfdU^ inutiles. Il ne s'agit plus de vous réduire à cou- dre et broder. Henriette, on ne quitte pas sa tête

i3.

196 GORRESPOlSrDÂNCE.

GommË son bonnet , et. Ton ne revient pas pkis^ à la simplicité qu a Fenfance; lesprit une fois eçr effervescence y reste toujours, et quiconque a pensé pensefa toute sa vie. Cest le plus grand malheur de letat de réflexions : plus on en sent les maux, plus on les augmente ; et tous nos ejB- forts pour en sortir ne font que nous y embour- ber plus profondément.

Ne parlons donc pas de changer d!état , mais du parti que vous pouvez tirer du vôtre. Cet état est malheureux, il doit toujours letre. Vos maux sont grands et sans remède; vous le sen- tez , vous en gémissez ; et , pour les rendre sup- portables, vous cherchez du moins un palliatif. N est-oe pas l'objet que vous vous proposez dans vos plans d études et d occupations?

Vos moyens peuvent être bons dans une autre vue^ mais c'est votre fin qui vous trompe, par- ceque ne voyant pas la véritable source de vos. n^aux, vous en cherchez l'adoucissement dans la cause qui les fit naître. Vous les cherchez, dans votre situation, tandis qu'ils sont votre ouvrage. Combien de personnes de mérite nées dans le bien-être, et tombées dans l'indigence, l'ont supportée avec nM)ins de succès et d^ bon- heur que vous , et toutefois n'ont pas ces réveiU tristes et cruels dont vous décrivez l'horreur, avec tant d énergie? Pourquoi cela? Sans doute elles n'auront pas, direz-vous, une ame aussi ^tcnsible. Je n'ai vu personne en ma vie qui n'en dît autant. Mais qu'est-ce enfin que cette sensH

">

ANNÉE 1764. 197

kilité si vantée? Voiile»-vqp& le savoir, -Hen- riette ? ces t en dernière analyse un^amour-pro-* pre qui se compare* J'ai mis le doigt sur le siège du mal.

Toutes vos misères viennent et viendront de vous être affichée. Par cette manière de cher- cher le honheur il est impossible qu'on le trouve. On n'obtient jamais dans Fopinion des autres la place qu'on y prétend. S'ils nous l'accordent à quelques égards , ils nous la refusent à mille autres, et une seule exclusion tourmente plu^ que ne flattent cent préférences. C'est bien pis encore dans une femme qui, voulant se faire homme, met d'at)ord tout son sexe contre elle , et nàest jamais prise au mot par le nôtre ; en sorte que son orgueil est souvent aussi mor- tifié par les honneurs qu'on lui rend que par ceux qu'on lui refuse. Elle n'a jamais précisé- ment ce qu'elle veut , parcequelle veut des choi- ses contradictoires, et qu'usurpant les droiQ d'un sexe sans vouloir renoncer à ceux de l'autre, elle n'en possède aucun pleinement.

Mais le grand malheur d'une femme qui s'af- fiche est de n'attirer , ne voir que des gens qui font comme elle , et d'écarter 9 mérite solide et modeste, qui ne s'affiche point, et qui ne court point s'assemble la foule. Personne ne juge si mal et si faussement des hommes que les gens à prétentions; car ils ne les jugent que d'après eux-mêmes et ce qui leur ressemble; et ce n'est certainement pas voir le genre humain par son

•-»'

198 CORRESPONDANCE,

beau jcéié. Vous étgs i!nécontente de toutes vos 80ciét^6 : je le crois bien ; celles vous aves vécu étoient les moins propres a tous rendre heureuse; vous n'y trouviez personne en qui TOUS pussiez prendre cette confiance qui sou^ lage. Gomment lauriez-vous trouvée parmi les gens tout occupés deux seuls, à qui vous de- mandiez dans leur cœur la première place , et qui n en ont pas même une seconde à donner? Vous vouliez briller, vous vouliez primer, et vous vouliez être aimée : ce sont des choses in-* compatibles. Il faut opter. Il n y a point d ami« tié sans égalité, et il ny a jamais d égalité re- connue entre gens à prétentions. Il ne suffit pas d avoir besoin d un ami pour en trouver , il^aut •ncore avoir de quoi fournir aux besoins d'ua autre. Parmi les provisions que vous avez faites ^ vous avez oublié celle-là. La marche par laquelle vous avez acquis des d^nnoissances n en justifie ni Tobjet ni Fusage. Vous avez voulu paroître philosophe; cetoit re- noncer à Têtre ; et il valoit beaucoup mieux avoir lair d'une fiUe qui attend un mari, que d'un sage qui attend de lencens. Loin de trouver le bon- heur dans lefïetfkes soins que vous navez don- nés qua la seule apparence, vous n y avez trou- vé que dcç biens apparents et des maux vérita- bles. L'état de réflexion vous vous êtes jetée vou$ a fait faire incessamment des retours dou* loureux sur vous-même; et vous voulez pour*-

ANNÉB 176II. 199

tant bannir ces idées par le même genre d occu- pation qui vous \ei donna.

Vous voyez l'erreur de la route que votre avez prise, etv croyant en changer par votre projet, vous allez encore au même but par un détour. Ce n'est point pour vous que vous voulez reve- nir à l'étude, c'est encore pour les autres. Vous voulez faire des provisions de connoissances pour suppléer dans un autre &ge à la figure : vous voulez substituer Tempire du savoir à celui des charmes. *

Vous ne voulez pas devenir la complaisante d'une autre femme , mais vous voulez avoir des coTi|plaisants. Vous voulez avoir des amis , c'est* à-dire une cour. Car les amis d'une femme jeune ou vieille sont toujours ses courtisans ; ils la servent ou la quittent ; et vous prenez de loin des mesures pour les retenir, afin d'être toujours le centre d'une sphère , petite ou grande. Je crois sans cela que les provisi#bs que vous voulez faire sçroient la chose la plus inutile pour l'objet que^Ous croyez bonnement VOU3 proposer. Vous voudriez, dites-vous, vous mettre en état d'entendre les autres. Avez-vous besoin d'un nouvel acquis pour cela? Je ne sais pas au vrai quelle opinion vous avez de votre intelligence actuelle; mais, dussiez-vous avoir pour amis des OËdipes , j ai peine à croire que vous soyez fort curieuse de jamais entendre les gens que vous ne jpouvez entendre aujourd'hui.

/•

200 GOlMtESPOKDAHGE.

Pourquoi donc tant de soins pour obtenir ce que vous avez déjà? Non, Henriette, ce Brest pas cfla; mais, quand vous serez une sibylle, vous voulez prononcer des oracles; votre vrai projet n'est pas tant d écouter les autres que d'avoir vous-même des auditeurs. Sous prétexte de travailler pour Findépendance , vous travail- lez encore pour la domination. C'est ainsi que j loin d'alléger le poids de l'opinion qui vous rend malheureuse, vous voulez en aggraver le joug. Ce n'est pas le moyen de vous procurer des ré- veils plus sereins.

Vous croyez que le seul soulagement du sen- timent pénible qui vous tourmente est de lous éloigner ^e vous. Moi, tout au contraire, je crois que c'est de vous en rapprocher.

Toute votre lettre est pleine de preuves que jusqu'ici l'unique but de toute, votre conduite a été de vous mettre avantageusement sous les yekx d'autrui. Comment , ayant réussi dans le public autant que personne , et en rapportant ?i peu de satisfaction intérieure , n'avez-vpus. pas s^ti que ce n étoit pas le bonheur qu'il yous falloit , et qu'il étoit temps de changer de plan ? Le vôtre peut être bon pour la gloire , mais il est mauvais pour la félicité. Il ne faut point chercher à s^éloigner de soi, parceque cela n'est pas possible , et que tout nous y ra- mène malgré que nous en ayons. Vous conve- nez d'avoir passé des heures très douces en m'é» crivant et me parlant de vous. Il est étonnant

ANNÉE 1764* 2(tl

que cette expérieDce ne vous mette pas sur la voie^ et ne vous apprenne pas voys deve* chercher, sinon le bonheur, au moins la paix.

Cependant , quoique mes idées en ceci dif- fèrent beaucoup des #&tres , nous sommes à* peu-près d accord sur ce que vous devez faire. L étude est désormais pour vous la lance d'A- chille , qui doit g[uérir la blessure qu'elle a faite. Mais vous ne voulez qu anéantir la douleur , et je Voudrois ôter la cause du mal. Vous voulez vous distraire de vous par la philosophie; moi, je voudrois quelle vous détachât de tout et vous rendit à vous-même. Soyez sûre que vous ne serez contente des autres que quand vous n'aurez plus besoin d eux , et que la société ne peut vous devenir agréable quen cessant de vous être nécessaire. N'ayant jamais à vous plaindre de ceux dont vous n'exigerez rien , c'est vous alors qui leur serez nécessaire ; et , sen^ tant que vous vous suffisez à vous-même , ils vous sauront gré du mérilè que vous voulez bien mettre en commun. Ils ne croiront plus vous faire grâce; ils la recevront toujours. Les agrénients de la vie vous rechercheront par cela seul que vous ne les rechercherez pas ; et c'est alors que, contente de vous sans pouvoir être mé- contente des autres, vous aurez un sommeil paisible et un réveil délicieux.

Iiest vrai que des études faites dans des vues si contraires ne doivent pas beaucoup se ressem- bler , et il y a bien de la différence entre la cul-

»oa CORRESPONDAIfCE.

ture qui orne l'esprit et celle qui nourrît l'amç . Si vous aviez le courage de goûter un projet dont lexScution vous sera d abord très pénible^ il faudroit beaucoup changer vos directions. Cela demanderoit d y bjkn penser avant de se mettre à Touvrage. Je suis malade , occupé , abattu, jai lesprit lent; il me faut des efforts pénibles pour sortir du petit cercle d'idées qui me sont familières, et rien nen est plu»- éloigné que votre situation. Il nest pas juste que je me fatigue à pure perte ; car j ai peine à croire que vous vouliez entreprendre de refon- dre , pour ainsi dire , toute votre constitution inorale. Vous avez trop de philosophie pour ne pas voir avec effroi cette entreprise. Je désespè- rerois de vous , si vous vous y mettiez aisément. ]S[ allons donc pas plus loin quant à présent; il suffit que votre principale question est résolue; suivez la carrière des lettres; il ne vous en reste plus d autre à choisir.

Ces lignes que je vous écris à la hâte , distrait

et souffrant, ne disent peut-être rien de ce quUl faut dire : mais les erreurs qq.e tnsr précipitation peut m avoir fait faire ne sont pas irréparables. Ce qu il falloit avant toute chose étoit de vous faire sentir combien vous m'intéressez; et je crois que vous n'en douterez pas en lisant cette lettre. Je ne vous regardois jusqu'ici que comme une belle penseuse qui , si elle avoit reqn un caractère de la nature , avoit pris soin de l'étouf- fer, de l'anéantir sous l'extérieur, comme un^

ANNÉE 1764. 30^

de 0€8 chefs-d'œuvre jetés en bronze, quon ad- mire par les dehors et dont le dedans est vide« Mais si vous savez pleurer encore sur votre état, il n est pas sans ressource ; tant qu il reste au cœur un peu d'étoffe , il ne faut désespérer de rien.

i MADAME V

*

Motiers, le i3 mai 1764*

Quoique tout ce que vous m'écrivez, ma- dame , me soit intéressant , l'article le plus im-» portant de votre dernière lettre en mérite une tout entière, et fera l'unique sujet de celle-ci. Je parle des propositions qui vous ont faithâtec votre retraite à la campagne. La réponse né- gative que vous y avez faite et le motif qui vous l'a inspirée sont , comme tout ce que vous faites , marqués au coin de la sagesse et de la vertu; mais, je vous avoue, mon aimable voi- sine, que les jugements que vous portez sur la conduite de la personne me paroissent bien sé« vères ; et je ne puis vous dissimuler*que , sachant combien sincèrement il vous étoit attaché, loin de voir dans son éloignçment un signe de tié<^ deur , j'y ai bien plutôt vu les scrupules d'un cœur qui croit avoir à se défier de lui-même ; et le genre de vie qu'il choisit à sa retraite montre assez ce qui l'y a déterminé. Si un amant quitté pour la dévotion ne doit pas se croire oublié , l'indice est bien plus fyt dans les hommes; et , comme cette ressource leur est moins aaturelle^

Ôo4 CORRESPONDANCE.

il faut quun besoin plus puissant les force d^ recourir. Ce qui ma confirmé dans mon senti- ment c'est son empressement à revenir du mo- ment qu'il a cru pouvoir écouter son penchant sans crime ; et cette démarche , dont votre dé-- licatesse me paroît offensée , est à mes yeux un© preuve de la sienne , qui doit lui ftériter toute votre estime , de quelque manière que vous en- visagiez d'ailleurs son retour.

Ceci, madame, ne diminue absolument rien de la solidité de vos raisons quant à vos devoirs envers vas enfants. Le parti que vous prenez est sans contredit le seul dont ils ti'aîent pas à se nlaindre et le plus digne de vous; lEiais ne gâtez pas un acte de vertu si grand et si pénible par un dépit déguisé , et par un seatimeot injuste envers un homme aussi digne de votre estime par sa conduite que vous-même êtes par la vôtre digne de l'estime de tous les honnêtes gens. J'oserai dire plus, votre motif fondé sur vos devoirs de mère est grand et pressant; mais il peut n'être que secondaire. Vous êtes trop jeune encore , vous avez un cœur trop tendre et plein d'une in«^ clination trop anciennç pour n'être pas obligée à compter avec vous-même dans ce que vous devez sur ce point à vos enfants^ Pour bien remplir ses devoirs , il ne faut point s'en imposer d'insuppor- tables : rien de ce qui est juste et honnête n'est illégitime; quelque chers que vous soient vos enfants, ce que vous leur devez sur cet article n'est point ce ique vous deviez à votre mari« Pesez;

ANNÉE 1764. 2o5

ck)tic les choses en bonne mère, mais en personne libre. Consultez si bien votre cœur que vous fas- siez leur avantage , mais sans vous rendre mal- heureuse , car vous rie leur devez pas jusque-là. Après cela*, si vous persistez dans vos refus , je vous en respecterai davantage ; mais si vous cé- dez , je ne vous en estimerai pas moins.

Je n'ai pu refuser à mon zèle de vous exposer mes sentiments sur une matière si importante et dans le moment vous êtes à temps de délibé- rei^. M. de*** ne m'a écrit ni fait écrir^ je n ai de ses nouvelles ni directement ni indirectement ; et quoique nos anciennes liaispns m'aient laissé de l'attachement pour lui , je n'ai eu nul égard à son intérêt dans ce que je viens de vous dire. Mais^ moi qqe vous laissâtes lire dans votre cœur, et qui en vis si bien la tendresse et l'honnêteté ; mpi qui q.uelquefois vis couler vos larmes, je n'ai point oublié l'impression qu'elles m'ont faite, et je ne suis pas sans crainte sur celle qu elles ont pu vous laisser. Mériterois-je l'amitié dont vous m'honorez, si je nég)igeois en ce moment les devoirs qu'elle impose?

A MADEMOISELLE GALLÉY,

En lai envoyant un lacet.

i4 mai 1764.

Ce ^présent, ma bonne amie , vous fut destiné du moment que j'eus le bien de vousconnoitre, it , quoi qu'en pût dire votre modestie ,j'étois sûr qu'il auroit dans peu sou emploi. La récompense

3o6 CORRESPONDANCE.

suit de près la bonne œuvre. Vous étiez cet hiver garde-malade , et ce printemps Dieu vous donne un mari : vous lui sereiz charitable ^ et Dieu vous donnera des enfants ; vous les élèverez en sage mère , et ils vous rendront heureuse un jour.. D'avance vous devez letre par les soins d un époux aimable et aimé, qui saura vous rendre le bonheur qu il attend de vous. Tout ce qui promet un bon choix m'est garant du vôtre ; des liens d amitié formés dès lenfance, éprouvés pat* le temps , fondés sur la connoissance des carac- tères ; lunion des cœurs que le mariage affermit , mais ne produit pas ; 1 accord des esprits ded deux parts la bonté domine , et la gaieté de Tun , la solidité de Vautre se tempérant mutuel- lement , rendront douce et chère à tous deux laustère loi qui fait succéder aux jeux de Fado** lescence des soins plus graves, mais plus ton*- chants. Sans parler d autres convenances, voilà de bonnes raisons de compter pour toute la vie sur un bonheur commun dans Tétat vous en* trez , et que vous honorerez par votre conduite. Voir vérifier un augure si bien fondé sera , chère Isabelle , une consolation très douce pour votre ami. Du reste la connoissance que j ai de vos principes et l'exemple de madame votre sœur, me dispensent de faire avec vous des conditions. Si vous n aimez pas les enfants , vous aimerez vos devoirs. Cet amour me répond de l'autre ; et votre mari, dont vous fixerez les goûts sur divcrt articles, saura bien changer le vôtre dur celuMà.

ANNÉE 1764. 207

' En prenant la plume j'étois plein de ces idées. Les voilà pour tout compliment. Vous atten- diez peut-être iflle lettre faite pour être mon- trée ; mais auriez-vous me la pardonner , et reconnoitriez-vous lamitié que vous m avez inspirée, dans une épitre je songerois au pu- blic en parlant à vous?

A M. DE SAUTTERSHAIM.

Mo tiers, le ao mai 1764*^

Mettez-vous à ma place , monsieur, et jugez- vous. Quand , trop facile à céder à vos avances , j epanchois mon cœur avec vous, vous me trom- piez. Qui me répondra qu'aujourd'hui vous ne me trompez pas encore ? Inquiet de votre long silence, je me suis fait informer de vous à la cour de Vienne : votre nom n'y est connu de per- sonne. Ici votre honneur eflk compromis , et , depuis votre départ, une salope, appuyée de cer- taines gens, voUs a chargé d'un enfant. Qu'êtes- vous allé faire à Paris? Qu'y faites-vous mainte- nant., logé précisément dans la r^ue qui a le plus mauvais renom ? Que voulez-vous que je pense ? J'eus toujours du penchant à vous aimer; mais je dois subordonner mes goûts à la raison , et je ne veux pas être dupe. Je vous plaiùs ; mais je ne puis vous^rendre ma confiance^que je n'aie des preuves que vous ne me trompez plus.

Vous avez ici des effets dans deux malles dont une est àc moi. Disposez de ces effets , je vous

2o8 CORRESPONDANCE.

prie, puisqu^ik vous doivent être utiles, et qu'ils la embarrasseroient dans le transport des miens si je quittois Motiers. Vous nîe paroissez être dans le besoin; je ne suis pas non plus trop à mon aise« Cependant , si vos besoins sont pres- sants,, et que les dix louis que vous n acceptâtes pas l'année dernière puissent y porter quelque remède, parlez-moi clairement. Si je connois- sois mieux votre état , je vous préviendrois ; mais je voudrois vous soulager, non vous offenser.

Vous êtes dans un âge Tame a déjà pris son pli , et les retours à la vertu sont difficiles. Cependant les malheurs sont de grandes leçons: puissiez-vous en profiter pour rentrer en vous- même ! Il est certain que vous étiez fait pour être un homme de mérite. Ce seroit grand dom- mage que vous trompassiez votre vocation. Quant à moi,, je n oublierai jamais l'attache- ment que j'eus po^r vous; et si.j'achevois de vous çn croire indigne , jie m'en consolerois dif- ficilement. •

A M. DE P.

23 mai i764*

. Je sais, monsieur^ que, depuis deux ans, Pa- ris fourmille d'écrits qui portent mon nom ,, mais dont heureusement peu de gens sont les dupes. Je n'ai ni écrit ni vu ma prétendue lettre à M. larchevêque d'Auch , et la date de Neucha- tel prouve que l'auteur n'est pas même instruit de ma demeure.

ANNÉE 1764^ 205

' 3e n'dYOis pas attendu, les exhortations à^s ^protestants de France pour réclamer contre les mauvais traitements qu'ils essuient. Ma lettre à M. larchevêqiie de Paris porte un témoignage assez éclatant du vif intérêt que je prends à leurs peines : il seroit difficile d'ajouter à la force des raisons que j'apporte pour engager le gou-» vernetnent à lés tolérer, et j'ai même lieu de présumer qu'il y a fait quelque attention. Quel gré m'en ont-ils su ? On diroit que cette lettré qui a ramené tant de catholiques n'a fait qu'a- chever d'aliéner les protestants ; et combien d'entre eux ont osé m'en faire un nouveau crime? Gomment voudriez-vous; monsieur, que je prisse avec succès leur défense^ lorsque j'ai mdi-niême à me défendre de leurs outrages? Opprimé, per- sécuté, poursuivi chez eux de toutes parts com^ me un scélérat, je les ai vus toué réunis pour ache- ver de m^accabler i et lorsqu'enfin la protection du roi a mis ma personne à couvert , ne pou- vant plus autrement me nuire , ils n'ont cessé de Hi'injurier. Ouvrez jusqu'à vos Mercures, et vous verrez quelle façon ces charitables chré- tiens m'y traitent :• si je cdntinuois à prendre leur cause , ne me demanderoit-on pas de quoi je me in^le? Ne jugeroit-on pas qu'apparem- ment je suis de ces braves qu'on mène au com* bat à coups de bâton ? « Vous avez bonne grâce « de venir nous prêcher la tolérance, me diroit-^ « on , tandis que vos gens se montrent plus in- « tolérants que nous. Votre propre histoire dé-

17. »4

2Ï0 CORRESPOltDA^GE.

(c prient vos principes , et prouve que les réfbf<-

« mes, doux peut-être quand ils sont foiUes,

u sont très violents sitôt qu ils sont les plu9*.forts«

a Les uns vous ^décrètent, les autres vous ban-

u nissent , les autres vous reçoivent en rechi-*

« gnant. Cependant voua voulez que nous lea

« traitions sur des maiiinies de douceur qu ils

a n'ont pas eux-naêmea! Non; puisqu'ils persécu-p

tt tent , ils doivent iètre persécutés ; c est la loi de

« 1 équité qui veut qu on fasse à chacun comme

¥ il fait 9iV% autres. Croyez-nous, ne vous mêlez^

« plus de leurs affaires, car ce ne sont point les

tt vôtres. Us ont grand soin da le déclarer tous les

tf jours en vous reniant pour leurirère, en pro-^

tf testant que votre religion n'est pas la leur. »

Si vous voyez, monsieur, ce que j'aurois de solide à répondre à ce discours , ayes la bqnté de rae le dire ; quant à moi je ne le vois pas. Et: puis que saisrje encore? Peut? être , en voulant les défendre , avanceroisvje pa^ mégarde quelque* hérésie , pour laquelle on me feroit saintement brûler. Enfin , je suis abattu^ découragé , souf--. frant , et Ton me donne tant* d'affaires à moi-^^ ïnème que je n'ai plus le temps de me mêler celles d'autrui.

Recevez mes salutations , monsieur , je vous supplie , et les assurances de mon respect.

A M. LE PRINCE DE WIRTEMBERG.

Mo tiers, le mai 1764*

Je reçois avec reconnoidsance le livre que vous avcE eu la bonté de m'euvoyer; et lorsque je relirai cet ouvrage , ce qui , j'espère j m arri- vera quelquefois encore , ce sera toujours dans Teiiemplaire que je tiens de vous. Ces entretiens sont point de Phociqn^ ils sont de Tabbé de Mably , frère de labbé de Gondillae , célèbre par dexcdlents livres de métaphysique, et connu lui«^méme par divers ouvragés de politique^ très bons QusM dan» leur genre. Cependant on re^^ trouve quelquefois dans ceux-ci de ces principes de la politique moderne , qu il seroit à désirer que tous les hommes de votre rang blâmassent ainsi que ybùs.' Aussi , quoique Tabbé de Mably soit un honnête homme rempli de vues trèg sained , j'ai pourtant été surpris de le voir s'éle- ver, dans ce dernier ouvrage, à uûe morale si pure et si sublime. C'est pour cela sans doute qae ces entretiens , d'aitleuts très bien faits , n'ont eu qu'un succès médiocre en France; maisr ils en ont eu un très grand en Suisse, je vois avec pli||sir qu'ils oi^t été réimprimés. '

J'ai le cœur plein de vos deux dernières lettres. Je n'en reçois pas une qui n'augmente mon res- pect , et , si j'ose le dire , mon attachement pour vous. L'homme vertueux , le grand homme élevé par les disgrâces , me fait tout-à-fait oublier le

14.

/

:2I2 GOHRESPONDj&NGE.

prince et le frère d'un souverain ; et , vu rantipa* thie pour cet état qui m est naturelle , ce n'est pas peu de m avoir amené là. Nous pourrions bien cependant netre pas toujours de même avis en toute.chose ; et, par exemple /je ne suis pas trop convaincu qu il suffise ^ pour être heu^ reux, de bien remplir les devoirs de son emploie Sûrement Turenne , en brûlant lePalatinatpaF Tordre de son prince, ne jouissoit pas .du vrai bonheur ; et je ne crois. pas que les fermiers-g[é^ néraux les plus appliqués autour de leur tapis vert en jouissent davantage : mais si ce senti- ment est une erreur, elle est plus belle en vous que la vérité même ; elle, est digne de qui sut se choisir un état , dont tous les devoirs sont des vertus.

Le cceur me bat à chaqueiordinaire dans Fat- tente du moment désiré qui doft tripler votre être. Tendres époux, que yoné êtes heureux 1 Que vous allez le devenir encore, en voyant mul* tiplier des devoirs si charmants à remplir! Dans la disposition dame je vous vois tous les deux, non, je n'imagine aucun bonheur pareil au vôtre. Hélas ! quoi qu'on en puisse dire., la vertu seule ne le donne pas, mais elle seule nous le fait connoltre , et nous apprend à le goûter, .

ANNÉE 1764. 2l3

A M. ***.

Motiers, le 28 mai 1764-

Cefit rendre un vrai service à un solitaire éloi- gné de tout, que de l'avertir de ce qui se passe par rapport à lui. Voilà, monsieur, ce que vous avez très obligeamment fait en m envoyant un exemplaire de ma prétendue lettre à M. l'arche- vêque d'Auch.

Cette lettre, comme vous l'avez deviné, n'est pas plus de moi que tous ces écrits pseudonymes qui courent Paris sous mon nom. Je n'ai point vu le mandement auquel elle répond , je n'en ai même janitais ouï parler, et il y a huit jours que j'ignorois qu'il y eût un M. du Tillet au monde. J'ai peine à croire que l'auteur de cette lettre ait vt)ulu' persuader sérieusement qu'elle étoit de itiôi. N'ai-je pas assez des affaires qu'on me sus- cite sans m'aller mêler de celles d'autrui? Depuis quand m'a-t-on vu- devenir homme de parti? Quel nouvel intérêt m'auroit fait changer si brusquement de maximes? Les jésuites sont-ils en meilleur état que quand je refusois d'écrire contre eux dans leurs disgrâces? Quelqu'un me connoit-il assez lâche, assez vil pour insulter aux malheureux? Eh ! si j'oubliois les égards qui leur sont dus j de qui pourroient-ils en attendre? Que m'importe enfin le sort des jésuites , quel qu'il puisse être ? Leurs ennemis se sont-ils mon- trés pour moi plus tolérants qu'eux? La triste

!2i4 GORRESPOiNDÂNGE.

vérité délaissée est-elle plus chère aux uns qu aux autres? et, soit qu'ils triomphent ou quils suc- combent, en serai-je moins persécuté? D'ail- leurs , pour peu qu'on lise attentivement cette

lettre, qui ne sentira pas comme vous que je n'en suis point l'auteurr Les maladresses y sont

entassées : elle est datée de NeUchatel je n'ai

pas mis le pied ; on y emploie la formulé du très

humbie serviteur ^ dont je n'use avec personne ;

on m'y fait prendre le titre de citoyè^n de Genève

auquel j'ai renoncé : tout en commençant on

s'échauffe pour M. de Voltaire, le plus ardent,

le plus adroit de mes persécuteurs^, et qui se

passe bien , je crois , d'un défenseur tel que moi:

on affecte quelques imitations de mes phrases ,

et ces imitations se démentent Finstant après :

le style de la lettre peut être meilleur que le

mien ; mais enfin ce n'est pas le mien : on m'y

prête des expressions basses ; on m'y fait dire

des grossièretés qu'on ne trouvera certainement

dans aucun de mes écrits : on m'y fait dire vous

à Dieu ; usage que je ne blâme pas , mais qui

n'est pas le nôtre. Pour me supposer l'auteur

de cette lettre , il faut supposer aussi que j'ai

voulu me déguiser. Il n'y fsîlloitdonc pas mettre

mon nom, et alors on auroit pu persuader aux

sots qu'elle étoit de moi.

Telles sont , monsieur , les armes dignes de

mes adversaires dont ils achèvent de m'accabler.

Non contents de m'outrager dans mes ouvrages ,

ils prennent le parti plus cruel encore de lii^at-

ANNÉE 1764. ai5

tribuer les leurs. A la vérité le public jusqu'ici n'a pas pris le change, et il faudrait qu'il fut bien aveuglé pour le prendre aujourd'hui. La justice que j'en attends sur ce point est une con- solation* bien foible pour tant de maux. Vous savez la nouvelle affliction qui m'accable : la perte de de Luxembourg met le comble à toutes les autres; je la sentirai jusqu'au tom* beau. Il fut mon consolateur durant sa vie, il sera mon protecteur après sa mort : sa chère et honorable mémoire défendra la mienne des in- sultes de mes ennemis; et quand ils voudront la souiller par leurs calomnies , on leur dira : Comment cela pourroit-il être? le plus honnête homme de France fut son ami. r Je vous remercie et vous salue, monsieur, de tout mon cœur.

A M. DELEYRE.

Métiers, 3 juin 1764.

J'avois reçu toutes vos lettres , cher Deleyre, et j'ai aussi reçu celle que m'a fait passer en dernier lieu M. Sabattier. Je tie crois pas vous aVôit* pro- posé d'établir entre nous une correspondance suivie ; non qu'elle ne me soit agréable , niais par- ceque ma paressé naturelle , moii état languis- sant, içs lettres dont je suis accablé, les Surve- nants dont ma maison ne désemplit poidt, m'em- pècheroient de la suivre régulièrement. Mais, eonmie je yous aime et que je désire que vous

2î6 I CORRESPONDANCE.

m aimiez, je recevrai toujours avec plaisir les^ détails, que vous voudrez me faire de Ja situation de votre ame et de vos affaires, des marques de. votre confiance et de votre amitié. Je me mena-

gérai aussi par intervalles le plaisir de vous écrire; et quand j'aurai le temps d épancher mon cœur, avec vous, ce sera un soulagement pour moi. Voilà ce que je puis vous promettre; mais je ne vous promets point dans mes réponses uneexac^ titude que je n'y sus jamais mettre. On n a que trpp de devoirs à remplir dans la vie sans s en imposer encore de nouveaux.

Vos deux dernières lettres me fourniroient ample matière à disserter, tant sur vos disposi- tions actuelles que sur votre manière d'envisa-? ger rhistoire grecque et romaine : comme si , commençant cette étude, vous y eussies^ cherché ^ d'autres êtres que des hommes , et que ce ne fût pas hien assez d'y ep trouver de meilleurs dans leurs étoffes que ne sont nos contemporains. Mais , mon cher , l'accahlement oii me jettent les maux du corps et de l'ame , et tout récemment la perte de M. de Luxembourg , qui n^'a porté le dernier coup, m'ôtent la force de penser et d'é-». crire. Vous le savez, j'avois pour amis tout ce qu'il y avoit d'illustre parmi, les geps de lettres :, je les ai tous perdus pleins de vie; aqcun, pas^ même Duçlos , ne m'est resté dans mes disgrâ- ces. J'en fais un parmi Içs grands : c'est celui qui se trouve à l'épreuve, et la mort vient me l'ôter. Quel renversement d'idées ! Sur queU

ANNÉE 1764 217

pouveaux principes faut*ii donc remonter ma raison ? Je suis trop vieux pour supporter un- tel bouleversement; je suis trop sensible pour philo- sopher uniquement sur mes pertes. Ma tète n'y est plus ; je ne sens plus que mes douleurs ; je ne vois plus qu'un chaos. Cher Deleyre , j'ai trop vécu.,

. Avant de finir , reparlons de la m^anière de lier notre correspondance , au moins telle que je puis l'entretenir. Puisque vous avez reçu la lettre que je vous ai écrite directement, et que j'ai reçu la vôtre, nous ne sommes point fondés. par notre expérience à nous défier des postes d'Italie. La médiation de M. Sabattier, plus embarrassante, lie fait qu'augmenter la peine et la dépense puis- qu'il faut multiplier les enveloppes , lui. écrire à lui-même , affranchir pour Turin comme pour Parme, payer des ports plus forts encore. En tout nia peine me coûtle plus que mon- argents Ainsi je suis d'avis que nous revenions au plus simple , en nous écrivant directement. Si. l'on pnvre t^os lettres , que nous importe ? nous ne tramons pas des conspirations. Si nous trouvons^ qu'elles se perdent , il sera temps alors de prendre d'autres mesures, Quant à préfient, contentons- nous de les numéroter, comme je fais celle-ci ; Cfi sera le moyeu de reconnoître si Ton en a inter*: cepté quelqu'une, Je ne croyois vous écrire qu'un mot , et me voilà à ma troisième page. La consé-. quence est facile à tirer. Mon respect , je vous prie, à madame Deleyre, et mes salutations à

2t8 CORRESPONDANCE.

M. labbé de Gondillac. Je vous embrasse de tout mon cœur.

A MADAME LA MARÉCHALE DE LUXEMBOURG.

Motiers , le 5 juin I764.

C est en vain que je lutte contre moi-même pt)ur vous épargner les importunités d un tnal- faeureux ; la douleur qui nie déchire ne conjioit plus de discrétion. Ce n'est pas à vous que je m adresserois , madame la maréchale, si je côn- noissois quelqu'un qui eut été plus cher au digne ami que j'ai perdu. Mais avec qui puis-je moins déplorer cette perte qii'avéc la personne du mon- de qui la sent le plus? Et comment ceux qu il aima peuvent-ils rester divisés ? Leurs cœUi^s ne de- vroient-ils pas se réunir pour le pleurer ? Si le vôtre ne vous dit plus rieïi pour tûoi , prenez du moins quelque intérêt à meâ misères par celui que vous savez qu'il y prenôit. ' Maïs c'est trop me flatter , sans doute : il àvoit cessé d'y en prendre; à votre exemple il m'avoit oublié* Hélas! qu'ai-je fait? Quel est mon crime, ai ce n'est de vous avoir trop aimés l'un et l'autre, et deïn'étre apprêté ainsi les regrets dont je suis consumé ? Jusqu'au dernier instant vous avez joui de sa plus tendre affection ; la mort seule a pu vous l'ôter : mais moi , je vous ai perdus tous deux pleins de vie ; je sm$ plus à plaindre que vous.

ANNÉE 1764. '219

A MADAME LA MARÉCHALE DE LUXEMBOURG.

Motiere ^ le 1 7 jùiû 1 764.

Que mon état est affreux ! et que votre lettre ma soulagé ! Oui , mctdame la maréchale , la certitude d'avoir été aimé de M. le maréchal , sâtis Consoler de sa perte, en adoucit l'amen- tùme , et fait succéder à mon désespoir des lar- mes précieuses et douces dont je ne cesserai d*honorer sa mémoire. tous les jours de ma vie. J-ose dire qu'il me la devoit cette amitié sincère que vous m'assurez qu'il eut toujours pour moi; car mon cœur n'eut jamais d'attachement plus vrai, plus vif, plus tendre, que celui qu'il m'a- voit inspiré. C'est encore un de mes regrets que les tristes bienséances m'aient sauvent empêché de lui faire cotinôître jusqu'à quel point il m'é- toit cher. J'eû puis dire autant à votre égard , madame la maréchale , et j'en ai pour preuve bien cruelte les déchirements que j'ai sentis dans la persuasion d'être oublié de vous. Mon dessein n'est point d'entrer en explication sur le passé. Vous dites m'avoir écrit dernière : nous som- mes là^Ieèsus bieû loin de compte; maiâ vos bontés me sont si précieuses , que , pourvu qu'elles me sdient rendues , je me chargerai vo- lontiers d'un tort que mon cœur n'eut jamais, et qu'il saura bien vous faire oublier. Je consens que vous ne m'àccordîez rien qu'à titre de grâce. Mais , ^i je n'ai point mérité votre, amitié , son^

!220 G0KRE8P0NDANCE.

gez, je vous supplie, que , de votre propre fiveu, M. le maréchal maccordoit la sienne. G*est en son nom, c'est au nom de sa mémoire qui nous est. si chère à tous deux, que je réclame de votre part les sentiments, qu il eut pour moi ,et que,.demon côté, je voue à la persoime qu'il ai- ma le plus tous ceux que j avois pour lui. Il est impossible de dire davantage. Je ne demande ni de fréquentes lettres , ni d^s réponses exactes ; mais quand vous sentirez que je doisêtre inquiet ( et, quand on aime les gens, cela se devine) , faites-moi dire un mot par M, de La Roche, etje suis content.

A M. DE SAUTTERSHAIM.

Motiers, 21 juin 176^.

"'9

Je suis honteux d'avoir tardé si long-temps , monsieur, à vous répondre. Je sais mieux que personne quels privilèges d'attention méritent les infortunés; mais , à ce même titre, je mérite aussi quelque indulgence , et je ne différoisquc pour pouvoir vous dire quelque choses de pomif sur les dix louis dont vous craignez de vous pré- valoir , de peur de n'être pas en état de me les rendre. Mais soyez bien tranquille sur cet arti- cle, puisque ma plus constante maxime , quatid je prête (ce qui, vu ma situation, m'arrive rare- ment), est de ne compter jamais :sur la restitu-. tion, let niême de ne la pas exiger. Ce.qui retarde, à cet égard l'exécution de ma promesse est uix

ANNÉE 1764. ^2f

lévénement malheureux qui ne me laisse pas <]is^ poser* d$tns le moment dun argent quim'appàr*' tient. Sitôt que je le pourrai je n'oublierai pas qu'une chose offerte est une chose due , quand il B y a que Timpuissance de rendre qui empêche d'accepter.

J'ai du penchant à croire que pour le présent vous me pariez sineèretnent ; mais à moins d'en être sûr ^ je ne puis continuer avec vous une cor- respondance qui ^ aux termes nous avons été, ne pourroit qu'être désagréable à tous deux sans une eonfiance réciproque. Malheureusement ma santé est si mauvaise , moù état est si triste , et j'ai tant d'embarras plus pressants, que je ne puis vaquer maintenant aux fecher^hes* néciessaires pour vérifier votre histoire et votre conduite, ni demeurer avec vous en liaisons que cette vérifi- cation ne soit faite; ce qui etnporte de votre côté laiH^essité de disposer de ce que vous avez laissé chez moi , et que je souhaite de ne pas garder plus longrtemps. Je voudrois donc , monsieur , vous faire acheter une autre malle à la place de la mienne , dont j'ai besoin , et que vous trouvassiez un autre dépositaire qui se chargeât <le vos effets, ou que vous me marquassiez par quelle voie je dois vous les envoyer.

Mou dessein n'est pas d'entrer eii discussion sur les explications de votre dernière lettre. Yoxis demandez, par exemple, si la servante de li» maison-de^ville a des preuves que l'enfant qu'elle vous donne .est (jkt vous : ordinàirétlient on ne

11^^ CORRESPONDANCE.

prend pas des témoins dans ees sortes d'affaires,? Mais elle a fait ses déclara tioQS.juridiq^aes, et prêté serment au moment de raccouchement ^ selon la forme prescrite en ce pays par la loi ; et cela fait foi , en justice et dans le public ^ par dé- faut d'opposition de votre part.

Quelles qu aient été vos mçeijirs j usqu ici , vous êtes à portée encore de rentrer en vous-même ; et Vadversité , qui achève de perdre ceu* qui ont un» penchant décidé au mal , peut , si vow en faite» un bon usage , vqus raniener au bien , pour lequd il XXX ^ toujours paru que vous étie* né. L'épreuve est rude et pénihli^ ; mais quand Iq mal est grand le remède y doit être proportionné. Adieu, mon- sieur. Je comprends que votre situati<m deman-^ deroit de m^ pcirt autrç cbose quq des disooura ;^ mais la tienne vw tient enchaîné pour pres- sent, Prenez, s'il est possible, un peu de patien-^* ce, et soye? piçr<^uf^dé qu'au moment que je pour^ rai disposer de 1^ bagatelle en question vous au*- rez de mtes nouvelka, Je vous salue ,. iqionsiçuf ,

d^ tpvït mo» ço^nr.

A M. i>B QHAMFORT.

>

J'ai toi^onrs désiré, monsieur, d'être oublié de lOr tourbe insoljin^ ei vile qui ne songe aux in- fortunés que poujf iesulter à leur niisère^ mais Testime d^S bomm^* de mi^rics est un pitéoieux dédomniag^^Qient de ses outrages, et je ne pui»

ANNÉE 1764* àal

qu'elle flatté de Thônneur que vous m'avez fait en m'envoyant votre pièce. Quoique accueillie du public j elle doit l'être des counoisseurs et des gens sensibles auK vrai^ charmes de la nature. L effet le plus $ûr de mes maximes, qui est de m attirer la haine des méchants et lafifeotien des gens de bien , et qui se marquis autant par mes malheurs que par mes succès , m'apprend , par lapprobation dont vous honorez mes écrits , ce qu on doit attendre des vôtres, et me fait désirer, pour Futilité publique, qu ils tiennent tout ce que promet votre début. Je^vous salue, mon-^ sieur I de tout mon cœur.

A M. D'IVEilNOIfi.

é

\

MQtier^ , 6 juillet 1 764,

J'^pprQi^ds, monsieur, avnc grand plaisir votre heureuse airrivée à Genève , et je vous remercie de l'inquiétude que vous donne ma sciatique naissante. Des personnes à.qui je suis attaché , et qui me marquent quelles me viennent voir, m'ôtent la liberté de partir pour Aîx. Je vous prie df? i^e pa3 cjnvçyciP la flanelle, dont je vous re- mercia ^ «P^i? dout il me aeroit impossil^le de' fi^iire UA U3ag9 ^^çeai çttivi pour m'en ressentir. L^^ %çm% qui gênant et qtû dujrent m'importu- niSQt pl^$ que Içs niaux, ^t en toule chose j'aime mieux «pwffw qu'agir.

\k% r^pon^fi du conseil aui^ démises repré- sf nt^tions n€^ m'étonne point \ mais ce ijui m'é^^

424 CORRESPONDANCE.

tonne c'est la persévérance des citoyens etboUi*- geois à faire des représentations.

La brochure que yous inavez envoyée me paroît dxin homme qui a trop d étoffe dans la tête pour n'en avoir pas un peu dans cœur. Si jamais il prend part à quelque affaire^ il fera poids dans le parti qu'il embrassera.

Celui à qui je me suis adressé pour les airs mandoline ma marqué qu'il les feroit graver. Ainsi, il ne me reste qu'à vous remercier pouf cela de la peiné que vous avez bien voulu pren-* dre.

Mademoiselle Le Vassettr Vous retoeircîè l'honneur de votre souvenir , et vous assure de son respect. Je vous prie' d'assurer du mien ma- dame d'Ivernois. J'embrasse M. Deluc , et vous salue, monsieur, de tout mon cœur. ' Je reçois à l'instant la flanelle, et vous en re- mercie , en attendant le plaisir de vous voir.

A M. H. D. P.

«

. l^çtier», le 1 5 juillet 1764*

Si mes raisons, monsieur, contre la prèposi-' tidn qui m'a été faite par le canal M. P*** vous paroissent mauvaises , celles que vous m'ob* jectez ne me semblent pas meilleures ; et dans ce qui regardé ma conduite, je crois pouvoir rester juge des motifs qui doivent me déterminer. - Il ne s'agit pas , je le sais , de ce que tel ou tel peut mériter par loi du talion , mais il s'agit

ANNÉE 1764. 225

robjection par laquelle les catholiques me fer- meroient la bouche en m accusant de combattre . ma propre religion. Vous écrivez contre les per- sécuteurs, me <liroient-ils, et vous vous dites protestant ! Vous avez donc tort ; car les protes-< tants «ont tout aussi persécuteurs que nous , et cest pour cela que nous ne devons point les to- lérer, bien sûrs que, s'ils devenoient les plus forts , ils ne nous tolëreroient pas nous-mêmes. Vous nous trompez, ajouteixHent-ils , ou vous vous trompez en vous mettant en contradiction avec les vôtres , et nous prêchant d autres maxi- mes que les leurs. Ainsi , Tordre veut qu avant d'attaquer les catholiques je commence par at- taquer les protestants , et par leur montrer qu'ils ne savent pas' leur propre religion. Est-ce , monsieur, ce que vous m'ordonnez de faire? Cette entreprise préliminaire rejetteroit l'autre encore loin; et il me parott que la grandeur de la tàdbe ne vous effraie guère, quand il n'est question que de l'imposer.

Que si les arguments â^ ^;n//t^m<}u'on m'ob- jecteroit vous paroissent peu embarrassants , ils me le paroissent beaucoup à moi ; «t , dans ce cas , c'est à celui qui sait les résoudre d'en pren- dre le soin.

Il y a encore, ce me semble, quelque chose de dur et d'injuste de compter pour rien tout ce que j'ai fait , et de regarder ce qu'on me prescrit comme un nouveau travail à faire. Quand on a bien établi une vérité par cent preu-

17. i5

226 GOHBBSPONDÂNGE.

ves invincibles*, ce n'est pas un si grand .crime , à mon avis^ de ne pas courir après la cent et unième , sur-tout si elle n'existe pas. J'aime à dire des choses utiles , mais je n aime pas à les répé- ter; et ceux qui veulent absolument des redites n ont qu a prendre plusieurs exemplaires du même écrit. Les protestants de France jouissent maintenant d un repos auquel je puis avoir con- tribué ,^non par de vaines déclamations comme tant d'autres , mais par de fortes raisons politi- ques bien exposées. Cependant, voilà qu'ils me pressent d'écrire en leur faveur : c'est faire trop de cas de ce que je puis faire , ou trop peu de ce que j'ai fait. Us avouent qu'ils sont tranquilles ; mais ils veulent être mieux que bien, et c'est après que je les ai servis de toutes mes forces qu'ils me reprochent de ne les pas servir au-delà de mes forces.

Ce reproche , monsieur, me paroit peu recon- noissant de leur part , et peu raisonné de la vôtre. Quand un homme revient d'un long combat , hors d'haleine et couvert de blessures, est -il temps de l'exhorter gravement à prendre les ar- mes, tandis qu'on se tient soi-même en repos? Eh! messieurs, chacun son tour , je vous prie. Si vous êtes si curieux des coups , allez en chercher votre part: quant à moi, j'en ai bien la mienne ; il est temps de songer à la retraite : mes cheveux gris m'avertissent que je ne suis plus qu'un vété- ran ; mes maux et mes malheurs me prescrivent le repos , et je ne sors point de la lice sans y avoir

' ANNÉE 1764» ^^^

|)ûyé«de ma jpersonne. Sut patniB Priamoque datum. Prenez mon rang, jeunes gens^ je vous le cède ; gardez-le seulement comme j ai £siit , et après cela ne vous tourmentez pas plus des ex- hortations indiscrètes et des reproches déplaces que je/ ne m'en tourmenterai désormais.

Ainsi , monsieur , je confirme à loisir ce que vous m'accusez d'avoir écrit à la hâte ^ et que :Vous jugez n être pas digne de moi ; jugemetit auquel j'éviterai de répondre , faute< renten*^ dre suffisamment*

Recevez , monsieur , je vous, supplie , les assu^ rances de tout mon respect*

A MADAME DE C:|IÉQUL

Motiers-TraVers, le 21 juillet 1764*

Vous ' ne m'auriez pas prévenu, madame, si > ma situation m'eût permis de vous faire sou ver- nir de moi ; mais si dans la prospérité l'on doit aller au-devant de ses amis, dans l'adversité il n est permis que d'attendre. Mes malheurs , l'ab- sence et la mort, qui- ne .cessent de m'en ôter , me rendent plus précieux ceux qui me restent. •Je n'avois pas besoin d'un si triste motif pour faire valoir votre lettre; mais j'avoue, madame , que la circonstance elle m'est venue ajoute encore au plaisir qu'en tout autre temps j'auroie eu de la recevoir^ Je reconnois avec joie toutes vos anciennes bontés pour moi dans les vœux que vous daignez faire pour ma conversion. Mais,

iS.

228 CORRBSPONDARCfi.

quoique je rois trop bon chrétien pour *ètire jamais catholique , je ne m en crois pas moins de la même religfion que vous : car la bonne re* ligion consiste bemicoiip moins dans ce qn on croit que dans ce qu on fait. Ainsi , madame , restons cbaune nous so^imes; et quoi que voué en puissiez dire , nous nous reverrons bien plus purement dans lautre monde que danscelui-cf. £'eùt été un très grand honneur pour votre {[ouvernement que J. Rousseau y vècdt et mourût tranquille, mais lesprit étroit de vok petits pieirlèmentaires ne leur a pas permis de voir jusque-là; et, qilanfl ils i'auroient vu , l'in^ térêt particulier ne leur eût pas permis de cher- cher la gloire nationale au préjudice de leur vengeance jésuitique et des petits moyens qui tenaient à ce projet. Je connois trop leur portée pour les exposer à ftiire une seconde sottise': la première ^ suffi pour ssie l'endre sage. L'air de 0e lieii^ci me tuera, Je le sais : mats n importe; J'ftme mieuxmourir sons iautorîtéydes lois que de vivre éternel jouet des petites passions des hommes. Madame, Paris ne me reverra jamais ; voilà, sur quoi vous pouvez compter, ie suis faien fâché que cette eâi:itude m'ote Fespoir de vous revoir jamais quen esprit; car je crois qu^avec toute votre dévotion vous ne pensez pas quW 4e revoie autrement dans lautre vie. Becevez , madame, mes salutations et mon respect, et soyez bien persuadée , je vous supplie , que, mort ou vif, je ne v€«is oublierai jamais.

ANNÉE 1764» 229

AM

«■»«

22 juillet i764^

Je crains, monsieur, que vous n alliiez uu peu vite bedogne dans vos projets; ilfaudroit, quand rien ne vouâ ptesse, proportionner la maturité des délibérations à rknportance des résolutions. Pourquoi quitter si brusquement Tes- tât que vous aviez embrassé, tandis que vous pouviez à loisir vous arranger pour en prendre, un autre y 91 tant est quon puisse appeler un état le genre de vie qoe voqs vous èies c&oisi, çt 4pnt vous serez peut-être àussitèt rebuté que du premier? Que risquiez-vous à mettre un peu moins d'impétuosité dans vos démarches, et à tirer parti de ce retard , pour vous confirmer dans vos principes, et pour assurer vds résolu- tions par ilne plus mûre étude de vous-^mème ? Vous voilà éeul sur la terre dans l'âge Thom* me doit tenir à tout; je vous plains , et c'est pour cela que je ne pui» vous approuver, puisque vous avez voulu vous isoler vous-même au mo- ment cela vous convenoit le moins. Si vous croyez avoir suivi mes principes, vous vous tronifpez^ vous avez suivi l'impétuosité votre ège; une démarche d'un tel éclat valoit assuré-^ ment la peiise d'être bien p^sée avant d'en venir à rexécutiou. C'est une chose faite, je le sais : je vei|x seulement vouS' feiire entendre que la ma- nière de la soutenir ou den revenir demande

33o CORRESPONDAN€E.

un peu plus d examen que vous n en avez mis à la faire.

Voici pis. L effet naturel de çcttte conduite a été vous brouiller avec madame votre mère. Je vois, sans que vous me le montriez, le fil de tout cela ; et , quand il n y auroit que ce que vous me dites , à quoi bon aller effaroucher la conscience tranquille d'une mère, en lui mon" trant sans nécessité des sentiments différetits des siens? Il falloit, monsieur, garder ces senti-* nxents au^dedans de vous pour la régie de votre conduite, et leur premier effet devoit être de vous faire endurer avec patience les tracasseries de vos. prêtres, et de ne pas changer ces tracas- series en persécutions , en voulant secouer hau* tenxent le joug de la religion vous étiez né, pense si peu comme vous sur cet article, que quoique îe clergé protestant me fasse une guerre ouverte, et que je sois fort éloigné de penser comme lui sur tous les points, je^n en demeure pas moins sincèrement uni à la communion de notre église, bien résolu d'y vivre et dy mourir s'il dépend de moi : car il est très consolant pour un croyant affligé de rester en commu- nauté de culte avec ses frères, et de servir Djieu conjointement avec eux. Je vous dirai plus, et je vous déclare que si j étois catholique , je demeurerois catholique, sachant bien que vo- tre église met un frein très salutaire aux écarts de la raison humaine qui ne trouve ni fond ni rive , quand elle veut sonder Fabyme des cho^

ANNÉE 1764- 23l

8çs; et je suis si convaincu de Futilité de ce frein, que je men suis moi-même imposé uq seni- blable , en me prescrivant , pour le reste de ma vie , des règles de foi dont je ne me permets plus de sortir. Aussi je vous jure que je ne suis tran- quille que depuis ce temps-là , bien convaincu que , sans cette précaution , je ne laurois été de ma vie. Je vous parle, monsieur, avec efFusion de coeur , et comme un père parleroit à son en- fant. Votre brouillerie avec madame votre mèfe me navre. J'avois dans mes malheurs la conso- lation de croire que mes écrits ne pouvoient faire que du bien; voulez-vous m'ôtef encore cette consolation ? Je sais que s'ils font du mal , ce n*est que faute d'être entendus ; mais j'aurai toujours le regret de n'avoir pu me faire enten- dre. Cher***, un fils brouillé avec sa mère a tou- jours tort : de tous les sentiments naturels , le seul demeuré parmi nous est lafFection mater- nelle. Le droit des mères est le plus sacré que je connoisse; en aucun cas, on ne peut le violer sans crime : raccommodez -vous donc^avèc la vôtre. Allez vous jeter à ses pieds ; à quelque prix que ce soit , apaisez-la ; soyez sûr que son cœur vous sera rouvert si le vôtre vous ramène à elle. Ne pouvez-vous sans fausseté lui faire le sacrifice de quelques opinions inutiles , ou du moins les dissimuler? Vous ne serez jamais ap- pelé à persécuter personne; que vous importe le reste? Il n'y a pas deux morales. Celle du chris- tianisme et celle de ]a philosophie sont la même;

23^2 CORRESPOItDA^NGE.

luae et l'autre tous impose ici le même deToir^ TOUS pouvez le remplir, yotts le devez; la>raiw 3oa, l'honneur, votre intérêt, tout le veut; iixoi je lexige pour répondre aux sentiments dont vous m'honorez. Si vons le faites , comptez sur mon anûtié, sur toute mon estime^ sur tù€9 soins , si jamais ils vous sont hons à qiselque chose. Si vous ne le faites pas, vous navezi qu'une mauvaise tèté; ou, qm pis est^ votre c«eur vous condkiitmal, et je ne veux conserver de liaisons qu'avec des gens dont la tète et le cœur soient sains.

A M. D'IVEHNOIS.

y Verdun , le i^» aoAt 1764-

Le voyaçe , monsieur ^ <}ui doit me rapprocher de v-ous est commencé; mais je ne tsU quand il s'achèvera , vu les pluies qui tombent actuel- lement, et qui rendent les chemins désagréables pour un piéton^ Toutefois supposant que la pluie cesse et que le chemin se ressuie passsdde- ment dici à demain après-diné , je me propose d'aller coucher à Goumoins , après-^demain à Morges j'attendrai peut-* être un jour ou^ deux. Comme j'en crois les cabarets m^uvs^ et? le séjour ennuyeux, je tâcherai de trouver ùst^ bateau pour traverser àThonon,t^ti je séjour^ nerai quelques jours attendant de vOS: nouvelles. Je vous marque ma marche up peu en détail , afiqi que, si vous vouliez me joindre k Morges^

. ANNÉE 1764 ^3

TOlis -ptuis^ii^ savoir quand m y trouver : mais enci^e une fois^ ma manière de voyager fait que tous ine$ arrangfemeut» dépendent du temps. Je serai charmé de vous voir et no4 amis , à cou* ditioa que je oe serai point gêné dans ma ma* nière de vivre, et quon n amènera point de femme, quelque plaisir que j eusse en tout autro ^mps de faire connois«ance a,veo madame àth- vernois. Je lui présente mon respect , et vous ^alue , monsieur , de tout mon eœur.

A ft&D'IVERNOIS.

Motiers, le 2K>«out 1764.

En arriva^ ici avant^kîer , monsieur , en iné* dîocre état, jfe reçus aveedttscQntaiMs de lettres la vôtre pour m'en eonsoler , mais à iaqueSe rimportusnité des autres m'ea^pécké de répondre en détail an}oiwd'hm«

Je suis, très sensible à la grâce qoe veut me £aâre M. Guyot ; cesevoit ea abuser que de pren- dre toutes ses bougies au prix auquel il vc^t bien Hie les passer. DaiEeurs, itnemeparoitpafsque oelle qiie vous m avez envoyée soit exactement semblable auxm^nnes ;^lfaudr oit, poiaiT en faire Tessai convenaifaliemeiit , et phis de loisir et ua ftus grand nombre; A tout événement , si de ces cinq douzaines M. Guym vouloit bien en céder deux y. je pouvrois , sur ces vingts-quatre bougies ^ faire oet hiver des essais qui me décideroient sur ce xjpi pourroit lui en rester au printemps ;

13$ GO&RESPQNPANCE.

et, si pour ce nombre il permet le choix, J6 les aimerpis mieux grises ou noires que rouges, et sur-tout des plus longues qu il ait , puisque je suis obligé de meftre à toutes des alonges qui m'incommodent beaucoup , mais qui sont né- cessaires pour que la bougie pénétre jusqu'à Fobstacle.-

Vous aurez la Nouvelle Hiloîse ; mais, comme* je suppose que vous n'êtes pas . pressé , j'atten- drai que les tracas me laissent respirer. Du reste , ne vous faites pas tant valoir pour m'avoir de- mandé cette bagatelle ; votre intention se pénè- tre aisément. Les autres donnent pour recevoir; vous faites tout le contraire , et même vous abu- sez de ma facilité. Ne m'envoyez point de l'eau d'Auguste, parçequen vérité je n'en saurois que îaàve , ne la trouvant pas fort agréable , et n'ayant p9S grand' foi à ses vertus. Quant à la truite , l'assaisonnement et la main qui l'a préparée dpivent rendre excellente une chose naturelle- ment aussi bonne; mais mon état présent m'in- terdit l'usage de ces sortes de mets. Toutefois ce présent vient d'une part qui m'empêche de le refuser, et j'ai grand' peur que ma gourmandise ne, m'empêche de m'en abstenir.

Je dois vous avertir, par rapport à l'eau d'Au-; gusfe , de ne plus vous servir d'une aiguille de, cuivre , ou de vous abstenir d'en boire ; car la liqueur doit dissoudre assez de cuivre pour ren- dre cette boisson pernicieuse et pour en faire- même un poison. Ne négligez pas cet avis,

ANNÉE -1764. 235

JTâuroisiceiit choses à vaus dire; mais le temps me presse , il faut finir ; ce ne seroit pas sans vous fairetqusles remerciements que je vous dois, si dés psiroles y pouvoient suffire. Bieù des respects à madame , je vous supplie; mille choses à nos amis; recevez les remerciements et les saluta- tions de mademoiseUeLe Vasseur, et d'un honi^ dont le cœur est plein de vous.

Je ne puis m empêcher de vous réitérer que l'idée d'adresser D k Best une chose excellente ; c'est une mine d'or que cette idée entre des mains qui sauront l'exploiter,

A MILORD-MARÉCHAL.

Mo tiers, le ai août i764-

plaisir que m'a causé , milord , la nouvelle de votre heureuse arrivée à Berlin par votre lettre du mois dernier , a été retardé par un voyage que j'avois entrepris , et que la lassitude et le mauvais temps m'ont fait abandonner à moitié chemin. Un premier ressentiment de sciatique, mal héré- ditaire dans ma famille , m'effrayoit avec raison. Car jugez de ce que deviendroit cloué dans sa chambre un pauvre malheureux qui n'a d'autre soulagement ni d'autre plaisir dans la vie que la promenade, et qui n'est plus qu'une machine am- Bidante? Je m'étois donc mis en chemin pour Aix dans l'intention d'y prendre la douche et aussi d'y voir mes bons amis les Savoyards, le meilleur peuple , à mon avis, qui soit sur lac

a36 GORftESPONDANCE.

terre. J*ai fait la route jusqu'à Morgës pédestre^ ineut , à mon ordinaire , as^ez c^ress^ par-^tout* En traversant le lac ^ et yofyant de loin les clo-^ cbers de Genève , je me suis surpris à soupirer aussi lâchement que j'auroisfait jadis pour une perfide maîtresse. Arrivé à Thonon , il a fallu ré- trograder, malade et sous une pluie continuelle. Enfin me voici de retour , non cocu à la vérité, mais battu , mais content , puisque j apprends votre heureux retour auprès du roi , et que mon protecteur et mon père aime toujours soa enfant.

Ce que vous m'apprenez de TafFranchissement des paysans de Poipéranie , joint à tous les au- tres traits pareils que vous m avez ci-devant rap- portés , me montre par-tout deux choses éga- lement belles; savoir, dans lobjet le génie de Frédéric, et dans le choix le cœur de George. Oa feroit une histoire dig^ d'immortaliser le roi sans autres méoioires que vos lettres.

A propos, de mémoires, j'attends avec impa- tience ceux que vous m'avez promis. J'abandon-^ nerois volontiers la vie particulière de votre frère si vous les rendiez asse& aai;nples pour en pouvoir tirer l'histoire de votre luaison. J'y pourrais par- ler au loQg de TÉçosse que vous aimez tant ,.et de votre illustre frère et de son illustre frère , par lequel tout cela m'est devenu cher. Il est vrai que cette .entreprise seront immense et fort au-- dessus de mes forces /sur-tout dans l'état je suis i mais il s'agit moins de f^ire un ouvrage que

ANNÉE 1764. iSjr

^ m^oocuper de vous, et de fixer mes indociles idées qui voudroient aller leur train malgré moi. 3i vous voulez que j'écrive la vie de l'ami dont vous liiç parlez , que votre volonté soit faîte ; la Mienne y trouvera toujours son compte, puis-* qu'en vousobéissant je m'occuperai devons. Bon- jour , miJord.

A MADAME LA C, DE B.

Motier8,}e 8:6 aoàt 1764.

Après les pr^çuves touchantes, madame, que j'ai eues de vpti^ amitié dans les p]us cruels mô- meiits de ma vie , il y auroit à moi de l'ingratitude de n'y pûS -comptier toujours ; mais il faut par-* idon^er beaucoup à mon état : la confiance aban- donne ies malheureux , et je sens , au plaisir que lû'a fait votre lettre , ^ue j'ai besoin d'être ainsi rM%urè qudquefois. Cette consolation ne pou- voit we venir plus à propos : après tant de per- tes irréparables , et en dernier lieu celle de M. de Luxembofi^g , il m'importe de sentir qu'il me reste des biens assez précieux pour valoir 1^ ppine de vivre. Le moment j'eus le bonheur de le jeonntoltre res^embloit beaucoup à celui je l'ai l^erdu ; dans l'un et dan^ l'autre , j'étoîs affligé , idëlaissé, inalade : il nte consola de tout ; qui me consolera de lui ? Les amis que j'^voîs avant de le perdre j 43ar mon cœur usé par les maux , et déjà durci par les ans, est fermé désormais à tout nouvel attachement. ^

238 CORRESPONDANCE.

Je ne puis penser , madame , que dans \e% cri- tiques qui regardent l^ducation de monsieur votre fils , vous compreniez ce que, sur le parti que vous avez pris de lenvoyer à Leyde, j'ai écrit au chevalier de L***. Critiquer quelquun^ c est blâmer dans le public sa conduite ; mais dire son sentiment à un ami commun sur un pareil sujet, ne s'appellera jamais critiquer, à moins que Famitié n'impose la loi de ne dire ja- mais ce qu'on pense , même en choses les gens du meilleur sens peuvent n'être pas du mê- me avis. Après la manière dont j'ai constamment pensé et parlé de vous, madame , je me décrie- rois moi-même si je m'avisois de vous critiquer. Je trouve à la vérité beaucoup d'inconvénient à envoyer les jeunes gens dans les universités; mais je trouve au^si que, selon .les circonstan- ces , il peut y en çivoir davantage à ne pas le faire, et l'on n'a pas toujours en ceci le choix du plus grand bien , mais du maindremal. D'ailleurs une fois la nécessité de ce parti supposée , je crois, comme vous qu'il y a moins de danger en Hol- lande que par-tout ailleurs.

Je suis ému de ce que vous m'avez marqué de messieurs les comtes de B*** : jugez, madame, si la bienveillance des hommes de ce mérite m'est précieuse , à moi , que celle même des gens que je n'estime pas subjugue toujours. Je ne sais ce qu'on eût fait de moi par les ca- resses : heureusement on ne s'est pas avisé de me gâter là-dessus. ^On a travaillé sans relàohe

ANNÉB 1764* 2^g

à donner à mon cœur , et peut^^t re à mon génie, le ressort que naturellement ils n a voient pas. J'étois foible ; les mauvais traitements m'ont fortifié : à force de vouloir m'avilir , on ma ren- du fier.

Vous avez la bonté , madame , de vouloir des ^

' détails sur ce qui me regarde. Que vous diraî-je? rien n est plus uni que ma vie , rien n est plus borné que mes projets ; je ^s au jour la journée sans souci du lendemain , ou plutôt j'acbëve de vivre avec plus de lenteur que je n avois compté. Je ne m en irai pas plus tôt qu il ne plaît à la na- ture ; mais ses longueurs ne laissent pas de m em- barrasser, car je n'ai plus rien à faire ici. Le dé- goût de toutes choses me livre toujours plus à Findolence et à Foisiveté. Les maux physiques me donnent seuls un peu d activité. Le séjour que j'habite 7 quoique assez^ain pour les autres hom- mes ; est pernicieux pour mon état ; ce qui fait qtie, pour me dérober aux injures de Fair et à Timportunité des désœuvrés , je vais errant par le pays durant la belle saison ; mais , aux appro- ches de lltiver, qui est ici très rude et très long, il faut revenir et souffrir. Il y à long-temps que je cherche à déloger : mais aller? comment m'ar- rànger? J'ai tout à-la-fois Fembarras de Findi- gence et celui des richesses: toute espèce de sain m effraie ; le transport de mes guenilles et de mes

' livres par ces montagnes est pénible et coûteux : c'est bien la peine de déloger de ma maison , dans 4'altente <le déloger bientôt de mon corps ! Au

24o GORRËSPOJ^DAIlfCE.

lieu que , restant je suis , j'ai des journées déli^ cieuses , errant sans souci y sans projet, sans af-^ faires , de bois en bois et de rochers en rochers, rêvant toujours et ne pensant point. Je donne* Tois tout au monde pour savoir la botanique; , cest la véritable occupation d un corps ambu- lant et d'ua e&ptit pare8$eux : je ne répondrois pas que je n'eusse la folie d'essayer de i'aj5pren- dre , si je isavoîs pareil commencer. Quant à ma situation du côté des ressources, n'en abyezpoint en peine; le nécessaire, même abondant, ûe m'a point manqué jusqu'ici , et probablement ne me manquera pas sitôt. Loin de vous gronder de vos offices, madame, je vous en remercie; mais vous conviendrez qu'elles saroient mal placées si je m'en prëvalois avant le besoin «

Vous vouliez des détails ; V4$U8 devez être con- tente. Je suis très content des vôtres , à cela près que je n'ai jamais pu lire le nom du lieu que vous habitez. Peut-être le connois-je; et il me seroit bien doux de vous y suivre , du moins par l'ima-^ gination. Au reste , je vous plains de n'en être encore qu'à la philosophie. Je sais bien plus avancé que vous , madame ; sauf mon devoir et mes amis , vne voilà revenu à rien.

Je ne trouve pas le chevalier si déraisohnable puisqu'il vous divertit ; s'il n étoit que déraison- nable , il nY pdrviendroit sûrement pas. Il est bien à plaindre dans les accès de sa goutte , car on soufiFre cruellement; mais il a du moins l'a* vantage de souffrir sans risque. Des scélérats ne

ANNÉE 1764. 241

Tassassineront pas , et personne n'a intérêt à le tuer. Étes-vous à portée, madame, de voir sou- ▼en| madame la maréchale? dans les tristes cir- constances où elle se trouve, elle a bien besoin de tous ses amis, et sur-tout de vous.

A M. LE PRINCE R E. DE WIRTEMBERG.

Motiers, le 3 septembre^ 764*

J'apprends avec plus de chagrin que de sur- prise l'accident qui vous a forcé d'ôter à votre second tnfiyit sa nourrice naturelle. Ces refus de lait sont assez communs ; mais ils ne sont pas tous sur le compte de la nature, les mères pour lordinaire y ont bonne part. Cependant , en cette occasion , mes soupçon^ tombent plus sur le père que sur la mère. Vous me parlez de ce joli sein, en époux jaloux de lui conserver toute sa fraîcheur , et qui , au pis-aller , ai(pe mieux que le dégât qui peut s y faire soit de sa façon que de celle de lenfant :' mais les voluptés con- jugales sont passagères , et les plaisirs de Tamant ne font le bonheur ni du père ni de Fépoux.

Rien de plus intéressant que les détails des progrès de Sophie.. Ces premiers act^s d autorité- . ont été très bien vus et très bien réprimés. Ce qu'il y a de plus difficile dans l'éducation , est de ne donner aux pleurs des enfants ni plus ni moins d'attention qu'il n'est nécessaire. Il faut que l'en- fant demande , et non qu'il commande ; il faut que la mère accorde souvent , mais qu'elle

17. ï6

i

%^2 CORRESPONDANCE.

cède jamais. Je vois que Sophie sera très rusëe ; et tant mieux -, pourvu qu elle ne soit ni capri-r cieuse ni impérieuse; mais je^vois quelle fyira grand besoin de la vigilâpce paternelle et mater- nelle, et de l'esprit de discernement que vous y joignez. Je sens, au plaisir et à Finqiiiétude que me donnent toutes vos lettres ,'que le succès de léducation de cette chère enfant m'intéresse pre$que«autant que vous.

A M. DUPEYROU..

12 septembre 1764.

Je prends le parti , monsieur ^ suivant votre idée , d'attendre ici votre passage •- s'il arrive que vous alliez à Gressier, je pourrai prendre celui de vous y suivre , et c'est de tous les arrangements celui qui me plaira le plus. En ce cas-là j'irai seul, c'est-à-dire , sans mademoiselle Le Vasseur, et je resterai seulement deux ou trois jours pour essai , ne pouvant guère m!éloigner en ce moment plus long-temps d'ici. Je comprends , au temps que . demande la dame Guinchard , pour ses prépara- tifs, quelle |ne prend pour un sybarite. Peut- , être . aussi veut-elle soutenir la réputation du cabaret de Gressier ; mais cela lui sera difficile , puisque les plats , quoique bons , n'en font pas la bonne chère, et qu'on n'y remplace pas l'hôte par un cuisinier. Vous avez à Moulezi un autre hôte qui n'est pas plus facile à remplacer , et des hôtesses qui le sont encore moins. Monlezi doit

ANNÉE 1764. a43

être une espèce de mont Oiympe pour tout ce <jui l'habite en paveille Compagnie. Bonjour ^ monsieur : quand vous reviendrez parmi les m^ortels, n'oubliez pas, je vous prîe, celui de tous qui vous^ honore le plus, et qui veut vous o£Frir^ au lieu d'encens , des sentiments qui le valent bien. «

A M. D'IVERNOIS.

Motiers^ le iS septembre i764.

La difficulté, monsieur, de trouver un loge- ment qui me convienne me force à demeurer ici cet hiver; ainsi vous m y trouverez à votre passage. Je viens de recevoir, avec votre lettre du 1 1 , le mémoire que vous m'y annoncez : je n'ai point celui de jE* à G , et je nSi aucune nou- velle de C; ce qui me confirme dans l'opinion j'étois sur son sort.

Je suis charmé , mais non surpris , de ce que vous me marquei de la part de M. Abauzit. Cet homme vénérable est trop éclairé pour ne pas Voij mes intentions , et trop vertueux pour ne pas les approuver.

* Je savois le voyage de M. le duc de Bandan ; deux carrossées d'officiers du régiment du roi ^ qui l'ont accompagné , et qui me sqnt venus voir, m'en ont dit les «détails. On leur avbit assuré à Genève que j'étois un loup - garou inabordable. Ils ne. sont pas édifiés de ce qu'on leut a dit de moi dans ce pavs-là.

J'aurai soin de mettre une marque distinctivc

16.

r

244 CORRESFONPANGE.

aux papiers qui me viennent de vous ; mais je vous avertis que, si j en idoi^ faire usage ^ il fau- dra qu Us me restent très long-temps , aussi bien que tout ce qui est entre mes mains et tout ce dont j'ai besoin encore. Nous en causerons quand j aurai le plaisir de vous voir, moment que j'at- tends avec^un véritable empressement. Mes res- pects à madame dlvernois et mes salutations à nos amis. Je vous embrasse.

Je croiâ vous avoir marqué que j'avois ici la harangue ds M. Chouet.

A M. DANIEL RofiuiN. . *

Motiers, le 32 septembre 1764-

^ Je suis vivement touché, très cher papa ,dela perte que nous venons de faife ; car, outre que nul événement dans votre famille ne m est étran- ger , j'ai pour ma part à regretter toutes les bon- tés dont m'honoroit M. le banneret. La tranquil- lité de ses derniers moments nous montre bien que rhorreur qu'on y trouve est moins dat^ la chose que. dans la onanière de lenvisager. Une . vie intégre est à tout événement un grand moyen de paix dans ces ioioments-là ; et lasérénité avec laquelle vous philosophez sur cette matière vient autant de voire cœur que de\otre raison. Cher papa , nous n'abrégerons pas , comme le défunt, notre carrière à force de vouloir la prolonger ; nous laisserons disposer de nous à la nature et à son autour sans t;rQubler notfe vie par l'efBKki

i

Année 1764. 245

de la perdre. Quand les maux ou les ans auront mûri cfi^ruh éphémère nous le laisserons tom- ber çans murmure ; et tout ce qu'H peut arriver de pis en toute supposition est que nous cesse- rons alors, moi d'aimer le «bien, vous den faire.

A M. DEC***.

* ' Motiers, le 6 octobre 1764*

Je vous remercie , monsieur, de votre der- nière pièce et du plaisir que ma fait sa lecture. Elle décide le talent quannonçoit la première, et déjà lauteur m'inspire assez destime pour oser lui dire du mal de son ouvrage. Je n'aime pas" trop qu'à votre âge vous fassiez le grand père f que vous me donniez lin intérêt si tendre pour le petit^fils que vous n'avez point , et que , dans une épttre vous dites de si belles choses^, je sente que ce n'est pas vous qui parlez. Evitez cette métaphysique à la mode, qui depuis quel- que temps obscurcit telFement les vers françoîs qu'on peut Jes lire qu'avec contention d'es- prit. Les vôtres ne sont pas dans ce cas encore ; mai$ ils y tomberoient si la différence qu'on sent "entre votre première pièce et la seconde alloit en augmentant. Votre épitre abonde , non seu- lement en grands sentiments , mais en pensées philosophiques, auxquelles je reprocherois quel- quefois de l'être trop. Par exemple, en louant dan& les jeunes gens la foi qu'ils ont et qu'on floit à Ifif vertu, croyez-vous que leur faire eu-

fl46 CORHESPONDAnCE.

tendre que cette fyi n est qu'cine erreur oe leur âge soit un bon moyen de la leur consftrer? Il ne faut pas, monsieur, pour paroitre au-dessus des préjugés, saper les fondements la morale. Quoiqu'il n y ait auc\ine parfaite vertu sur la terre , il n'y a peut-être aucun homme qui ne surmonte ses penchants en quelque chose ,• et . qui par conséquent n'ait quelque vertu ; les uns 'en ont plus , les autres moins! Mais êi la mesure est indéterminée , est-ce à dire que la chose n'existe point ? C'est ce qu'assurément vous ne croyez point , et que pourtant vous faites enten- dre. Je vous condamne , pour réparercette faute, à faire une pièce vous prouverez que , malrr gré les vices des hommes , il y a parmi eux des vertus, et même tïe la vertu , et qu'il y entaurioi toujours. Voilà, monsieur, de quoi s'élever à la plus haute philosophie. Il y en a davantage à combattre les préjugés philosophiques qui sont nuisibles qu'à combattre les préjugés populaires qui sont utiles. Entreprenez hardiment cet bu* vrage; et, si vous le traitez commue vous le pou- vez faire, un prix ne sauroit vous manquer.

En vous pariant des gens qui m accablent dans mes malheurs et qui me portent leurs coups en' secret, j'étois bien éloigné, monsieur, de songer à rien qui eût le moindre rapport au parlement de Paris. J'ai pour cet illustre corps les mêmes j| sentiments qu'avant ma disgrâce, et je rends ^ toujours la même justice à ses membres , quoi- qu'ils me l'aient si mal rendue. Je veux même

ANNÉE 1764- 247

penser qu'ils ont cru faire envers moi leur de- voir d'hommes, publics ; mais c'en étoit un popr , eux de mieux lappfendre. On trouverpit diffi- cilement un fait le drcyt des gens fût violé d'autant de manières : mais quoique les suites •de cetft affaire m'aient plongé dans un gouffre de malheurs d'où je ne sortirai de ma vie, je n'en sais nul mauvais gré à ces messieurs. Je sais que leur but n'étoit point de me nuire , mais seulement d'aller à leurs fins. Je sais qu'ils n'ont pour moi ni amitié ni haine , que mon être et mon sort est la chose du monde qui les inté- resse le moins. Je me sull trouvé sur leur pas- sage comme un caillou qu'on pousse avec le pied sans y regarder. Je connois à-peu-prèsleur portée et leurs principes, rlls ne doivent pas dire qu'ils ont fai^ leur devoir^ mais qu'ils ont fait leur métier.

Lorsque vous voudrez m'honorer de quelque témoignage de souvenir et me faire quelque part de vos travaux littéraires,je les recevrai toujours avec intérêt et reconnoissance. Je vous salue ,

monsieur^ de tout mon cœur.

A M. MARTEAU.

*

le 1 4 octobre 1764»

J'ai reçu, monsieur, au retour d'une tournée que j'ai faite dans nos montagnes, votre lettre du 4 août, et l'ouvrage que vous y avez joint. J'y ai trouvé des sentiments^ de Thonnêteté , du

2JiS CORRESPONDANCE.

goût ; et il ma rappelé avec plaisir notre ^a- cienne counoissauce. Je ne voudrois pourtant pas qu'avec le talent que ^ous paroissez avoir vous en bornassiez l'emploi à de pareilles baga- telles.

Ne songez pas , monsieur , à venir ici atec une» femme et douze cents livres de rentre viagère pour toute fortune. La liberté met ici tout le mond^ à son aise. Le commerce qu'on ne gêné point y fleurit ; on y a beaucoup d'argent et peu de denrées ; ce n'est pas le moyen d'y vivre à bon marché. Je vous conseille aussi de bien songer ^ avant de vous marierf à ce que vous allez faire. Une rente viagère n'est pas une grande ressource pour une famille. •Je remarque d!ailleurs que tous les jeunes gens à marier trouvent des So- phies 'y mais je n'entends plus parler de SophieS: aussitôt qu'ils sont mariés. , ,

Je vous salue, monsieur, de tout mon cœUr.

A M. LALIAUD.

Motiers, le i4 octobre 1764.

Voici, monsieur, celle des trois estampes que vous m'avez envoyées qui , dans le nombre de» gens que j'ai consultés, a eu la plyiralité des voijc- Plusieurs cependant préfèrent celle qui est en habit françois ; et l'on peut balancer avec rai- son, puisque l'une et l'autre ont été gravées sur le même portrait , peint par M. de La Tour, Quant à l'estampe oti le visage est de profil , elle

ANNÉE 1764. 249

Va pas la moindre resseaiblance : il paroit que celui qui la faite ne m'avoit jamais vu , et il s'est * même trompé sur mon âge:

Je vottdrois, monsieur, être digne de Thon- neur que vous me faites. Mon portrait figure mal parmi ceux des grands philosophes dont vous me parlez ; mais j ose croire qu'il n est pas déplacé parmi ceux des amis la justice et de la vérité. Je vous salue, Inonsieur , de tout mou cœur.

A M. LE PRINCE DE WIRTEMBERG.

Moliers,le 1 4 octobre 1764*

C'est à regret, prince, que je me prévaux quelquefois des conditions que mon état et la nécessité plus que ma paresse m'ont forcé de faire avec vous. Je v.ous écris rarement; mais j'ai toujours le cœur plein de vous et de tout ce qui vous est cher. Votre constance à suivre le genre de vie si sage et si simple que voils avez choisi , me fait voir que vous avez tout ce qu'il faut pour l'aimer toujours ; et cela m attache et m'intéresse à vous comme si j'étois votre égal ^ ou plutôt comme si vous étiez le mien ; car ce n'est que dans les conditions privées que 1 on connoit l'amitié.

Le sujet des deux épitaphes que vous m'avez envoyées est bien moral ; la pensée en est fort belle; mais avouez <iue les vers de l'une et de l'autre soa|; biçn mauvais. Des vers plats sur.

aSo CORRESPONDANCE.

une plate pensée font du moins un tout assorti^ au lieu qu a mal dire une belle chose on a l^ double tort de mal dire et de la gâter.

Il me vient une idée en ^ écrivant ceci : ne seriez-vous point l'auteur dune de ces deux pièces? Cela serait plaisant , et je le voudrois utt peu. Que navez-vous fait quatre mauvais vers , afin que je pusse vous le dirç , et que vous m'en aimassiez encore plus ! *

A M. DE LA TOUR.

MotierSjle i4 octobre 1764.

Oui, monsieur, j'accepte encore mon second portrait. Vous savez que j'ai fait du premier un usage aussi honorable à vous qu à moi et bien précieux à mon cœur. M. le maréchal de Luxem- «bourg daigjna l'accepter : madame la marécbale a daigné le recueillir. Ce monunient de votre amitié , de votre générosité , de vos rares talents-^ occupfe une place digne de la main dont il est sorti. J'en destine au second une plus humble , mais dont le même sentiment a fait choix. Il ne me quittei'a point, monsieur, cet admirable portrait qui me rend en quelque façon l'original respectable, il sera sous mes yeux chaque jour de ma vie ; il parlera sans ces^e à mon cœur; il sera transmis après moi dans ma famille: et' ce qui nie flatte le plms dans cette idée est qu'on s'y souviendra toujours de nrotre amitié.

Je vous prie instamment de vouloir bien do»-

. ANNÉE 1764. 25ï

ner à M. Le Niep^ vos directions pour lembal*- lage. Je tremble que cet ouvrage , que je me réjouis de faire admirer en Suisse ^ ne souffre

quelque atteinte dans le transport.

A M. LE NIEPS.

Motiers,Ie i4 octobre 1764*

Puisque , malgré ce que je vous avois marqué ci-devant , mon boû ami , vous avez jugé à pro- pos de recevoir pour moi mon second portrait de M. de La Tour, je ne vous en dédirai pas. L'honneur qu'il m'a fait , l'estime et l'amitié ré- ciproque, les consolations que je reçois de ^n souvenir dans mes malheurs , ne me laissent pas écouter dans cette occasion une délicatesse qui , vis-à-vis de lui , seroit une espèce d'ingratitude. J'accepte ce second présent , ekil ne m'est point pénible de joindre pour lui la ^econnoissance et l'attachement. Faites-moi le plaisir, cher ami , de lui remettre l'incluse, et priez-le , comme je fais, de vous donner ^es avis sur la manière d'emballer et de voiturer ce bel ouvrage , afin, qu'il ne s'endoinmage pas dans le transport. Employez quelqu'un d'entendu J30ur cet embal- lage, et prenez ^ peine aussi de prier MM. Ro«i- gemont de voi|s indiquer des voituriers de con- fiance à qui l'on puisse remettre la caisse pour qu'elle me parvienne sûrement et que ce qu'elle contiendra ne soit point tourmenté. Comme il ne vient pas de voituriers de Paris jusqu'ici,

352 CORRESPONDANCE.

il faut l'adresser, par lettre de •rôîture , à. M. Ja- net , directeur des postes à Pontarlier , avec prière de me la faire parvenir. Vous ferez , s'il vous plaît; une note exacte de vos déboursés , et je vous les ferai rembourser aussitôt. Je suis impatient de m'hônorer en ce pays du travail

^ d un auss) illustre artiste , et des dons d'un homme aussi vertueux.

^ Le mauvais temps ne permit pas de suivre cet été ma route jusqu'à ^x, pour une misé- rable sciatique dont les premières atteintes , jointes à mes autres maux, m'ont effrayé. Je vis à Thonon quelques Genevois , et entre autres celui dont vous parlez, et en ce point vous avez été très bien informé , niais non sur Le reste , puisque nous nous séparâmes tous fort con- tents les uns des autres. M. D. à des défauts qui sont assez désagréables; mais c'est un honnête homme , bon citoyen , qui ,. sans cagoterie , a de la religion et des mœurs sans âpreté. Je vous dirai qu'à mon voyage de Genève, en 1754, il me parut désirer de se raccommoder avec vous; mais je n'osai vous en parler , voyant l'éloigné*- ment que vous aviez pour lui : cependant il me seroît fort doux de voir tous ceux que j'aime s'aimer entre eux. ^

Après avoir cherché dans tout le pays une habitation qui me convint mieux que celle-ci, j'ai par-tout trouvé des inconvénients qui m^ont retenu et sur lesquels je me suis enfin déterminé à revenir passer l'hiver ici. Bien sûr que je ne

J

ANNÉE 1764. 253

trouverai la santé nulle part, j'aime autant trouver ici qu ailleurs la fin de mes misères. Les maux, les ennuis, les années qui s accu- . mulent me rendent moins ardent dans mes désirs, et moins actif à les satisfaire ; puisque le bonheur n est pas dans cette vie^ n y multiplions pas du moins les tracas.

' Nous avons perdu le banneret Rogûin , homme de grand mérite, proche parent de notre ami , et très regretté de sa famille , de sa ville et de tous les gen^ de bien. C'est encore, en mon par- ticulier , un ami de moins ; hélas! ils s'en vont' tous , et moi je reste pour survivre à tant de pertes 'c;j pour le* sentir. U ne, m'en demeure plus guère à faire , mais elles me seroient bien cruelles. Cher ami , conservez-nous.

A m; MOULTOU.

Motiers, le i5 octobre 1764*

4

. Voici la lettre que vous m'avez envoyée. Je suis.peii surpris de ce qu'elle contient , «mais vous paroissiez avoir une si grande opinion de^ celui à qui vous vous adressiez, qu'il peut vous être bon d'avoir vu ce qu'il en étoit.

Vous songez à changer de pays ; c'est fort bien fait , à ïnon a^s ; mais il eut été mieux encore de commencer par changer de robe , puisque celle que vous portez ne peut plus qute vous déshonorer. Je vous aimerai toujours, et Je n'ai point cessé de vous estimer j mais je veux

354 CORRESPONDANCE.

que mes amis sentent ce qu'ils se doivent , et quils fassent leur devoir pcrtir eux-mêmes aussi bien qu ils le font pour moi* Adieu, cher Moul- teu ; je vous embrasse de tout mon cœur.

* A M. DELEYRE.

le 17 octobre 1764-

. J'ai le cœur surcharçié de mes torts, cher De- leyre ; je comprends piar votre lettre qu'il m'est* échappé dans un moment d'humeur desexpres- •sions désobligeantes , dont vous auriez raison d'être offensé , s'il ne falloit pardonner beaucoup^ à mon tempérament et à ma^^situation. Je sens que je me suis mis en colère sans sujet et dans une occasion vous méritiez d'être désabusé et non querellé. Si j'ai plus fait et que je vous aie outragé , comme il semble par vos reprodKes, j'ai fait dans un emportement ridicule ce que dans nul autre temps je n'aurois lait avec per- sonne , et bien moins encore avec vous. Je suis inexcusable , je l'avoue , mais je v#us ai offensé ^ans le vouloir. Voyez moins l'action que l'in- tention, je vous en supplie. Il est permis aux autres hommes de n'être que justes , mais les amis doivent être cléments.

Je reviens de longues ^^urses ijue j'ai faites dans nos montagnes, et même jusqu'en Savoie, jecomptois aller preçidre à Aix les bains pour une sciatique naissante qui , par son progès , môtoit le seul plaiisir qui me reste dans la vie^#

ANNÉE 1764. . a55

savoir la promenade. II a fallu revenir sans avoir été jusque-là. Je trouve en rentrani^ chez moi des tas de paquets et de lettres à faire tourner la tête. U faut absolument répondre au tiers de tout cela pour le moins. Quelle tâche! Pour sur- croît , je commemce à sentir cruellement lès ap- proches de l'hiver, ^souff^ant, occupé, sur-tout ennuyé : jug^s de ma situation ! N'attendez donc de moi jusqu a ce qu ellechange ni de fréquentes ai de longes lettres ; mais soyez bien convaincu que je vous aime , que je suis fâché de vous avoir offensé, et que je ne puis être bien avec moi- même jusqu a ce que j'aie fait ma paix avec vous.

A M. FOULQUIER,

Au sujet dfu MsHOiirs de M. de J . , sur lesMaitiaoes

^ " r »>E8 PftOTESTAHTS.

Motiers, le 18 octobre 1764.

^ Voiqi., monsieur, le mémoire que ^ptis avez eu la bonté de m'envoyer. Il ma paru fort bien fait ; il dit assez et ne dit rien de trop. Il y auroit seulement quelques petites fautes de langue à corriger, silon youloitledonner au public: mais ce n'est rien; l'ouvragé est bon, et ne sent point trop son théologien. ^ f

Il meparoit que depuis quelque temps le gou- vernement de France , éclairé par quelquies bons écrits , se rapp coche assez d'une tolérance tacite en faveur des protestants. Mais je pense aussi que le moment de l'expulsion des jésuites le force

256 CORRESPONDANCE.

à pluff de circoi^spection que dans un autre temps, de peur qu# ces pères et leurs amis ne se- préva- lent de cette indulgence pour confondre leur cause avec celle de la religion. Cela étant , ce mo- ment ne seroit pas le plus favorable pour agir à la cour ; mais^ en attendant quil vînt , onpour^ roit continuer d'instruire et d'intéresser le publie' par des écrits sages et modérés , forts de raisons d'état, claires et précises, et 'dépouillées de tou-^ tes ces aigres et puériles déclamations trop or-* dinaires aux gens d'église. Je crois même qu'on doit éviter d'irriter trop le clergé catholique : il faut dire ces faits sans les charger de réflexions offensantes. Concevez, au contraire, un mémoire adressé aux évèques de France en termes déq^nts et respectueux, et oti, sur d^s, principes qu'ils n oseroient désavouer , on interpellerait leur équité , leur charité , leur commisération , leur patriotisme, et même leur christianisme. Ce mémoire , je le sais bien , ne changeroit pas leur volonté , mais il leur feroit honte de la montrer, et les empêcheroit peut-être de persécuter si ou- vertement et si durement nos malheureux frè- res. Je puis me tromper ; voilà ce que je pense. Pour moi je n'écrirai point , cela ne m'est pas possible ; mail par-tout oii mes soins et mes conseils pourront être utiles aux opprimés, ils trouveront toujours en moi , dans leur malheur, Fintérêtet le zèle q^e dans les miens je n'ai trou- vé chez personne.

ANNÉE 1764. 157

A M. LE COMTE CHARLES DE ZINZENDORFF.

Motiers , le 20 octobre 1 764.

J'avois résolu, monsieur, vous écrire. Je suis fâché que vous m ayez prévenu ; mais je n ai pu trouver jusqu'ici le temps de chercher dans des tas de lettres la matière du mémoire dont vous vouliez bien vous charger. Tout ce que je me rappelle à ce sujet, est que Thomme en ques- tion s'appelle M^de Sautrershaim , fils d'un bour- guemestre de Budè , et qu il a été employé du- rant deux ans dans une des chambres dont sont composés à Vienne les différents conseils de la reiïie. C est un homme d'environ trente ans, d une bonne taille, ayant assez d embonpoint pour son &ge , brun , portant ses cheveux , d un visage assez agréable, ne manquant pas d'esprit. Je ne sais de lui que des choses honnêtes , et qui ne sont jpoint d'un aventurier.

J'étois bien sûr^ monsieur, que lorsque vous auriez vu M. le prince de Wirtemberg , vous changeriez de sentiment sur son compte, et je suis bien sur maintenant quevousn'en changerez plus. Il y a long-temps qu'à force de m'inspirer du respect il m'a fait oublier sa naissance ; ou si je m'en souviens quelquefois encore, c'est pour honorer tant plus sa vertu.

Les Corses , par leur valeur ayant acquis l'in- dépendance , osent aspirer encore à la liberté. Pour l'établir , ils s'adr^sent au saul ami qu ils

17. > 17

lS8 CORRESPONDANCE.

lui connoissent. Puisse-t-il justifier rhonneur de leur choix !

Je recevrai toujours, monsieur, avec empres- sement , des témoignages de votre souvenir , et j'y répondrai de noiême. Ils ne peuvent que me rappeler la journée agréable que j'ai passée avec vous, et nourrir le désir den avoir encore de pareilles. Agréez, monsieur , mes salutations et mon respect.

Je suis bien aise que vous connoissiezM. Deluc ; c est un digne citoyen. Il a été Futile défenseur de la liberté de sa patrie ; maintenant il voudroit courir encore après cette liberté qui n est plus : il perd son temps.

«

A MADAME Pf**.

Mo tiers, 24 octobre 1764.

J'ai reçu vos deux lettres, madame ; c est avouer tous mes torts : ils sont grands , mais in volon-* taj^'es; ils tiennent aux désagréments de mon état. Tous les jours jcTOulois vous, répondre , el tous les jours des réponses plus indispensables ven oient renvoyer celle-là ; car enfin, avec la meil- leure volonté du monde, on ne sauroit passer la vie à faire des réponses du matin jusqu'au soir» D ailleurs je n en connois point de meilleure, aux sentiments obligeants dont vous m'bQnorez,qu< de tâcher den être digne , et de vous rendre ceux qui vousr sont dus. Quant aux opinions ^sur les- quelles vouk me marquez que nous ne sommc^

ANNÉE 1764. 259

pas d*accorcl , qu'aurois-je à dire , moi , qui ne dispute jamais avec personne, qui trouve très bon que chacun ait ses idées , et qui ne veux pas plus qu on se soumette aux miennes que me sou- mettre à celles d autrui ? Ce qui me sembloit utile et vrai, j'ai cru de mon devoir de le dire ; mais je n eus jamais la manie de vouloir le faire adopter, et je réclame pour moi la liberté que je laisse à tout le monde. Nous sommes d accord , madame, sur les devoirs des gens de bien , je n en doute point. Gardon^ au reste , vous vos sentiments , moi les miens , et vivons en paix. Voilà mon avis. Je vous salue , niadame , avec respect et de tout mon cœur.

A MADAME DE LUZE.

Motiers, le 27 octobre 1764.

Vous me faîtes , madame , vous et mademoi- selle Bondely , bien plus d'honneur que je n'en mérite. Il y a long*temps que mes maux et ma barbe grise m'avertissent que n'ai plus le droit de braver la neige et les frimas pour aller voir les damés. J'honore beaucoup mademoiselle Bon- dely , et je fais grand cas de son éloquence ; mais elle me persuadera difficilement que , parce- quelle a toujours le printemps avec elle, l'hiver et ses glaces ne sont pas autour de moi. Loin de pouvoir en ce moment faire des visites, je ne suis pas même en état d'en recevoir. Me voilà comme une marmotte , enterré pour sept mois

«7-

26o CORRESPONDANCE.

au moins. Si j'arrive jusqtl^à ce temps , j'irai vo- lontiers ^ madame , au milieu des fleurs et de la verdure , me réveiller auprès de vous ; mais main- tenant je m engourdis avec la nature : jusqu à ce qu elle renaisse , je ne vis plus.

A MILORD-MARÉCHAL.

Motiers-Travers, le ig octobre 1764*

Je voudroîs, milord^ pouvoir supposer que vous n* avez point reçu mes lettres , je serois beaucoup moins attristé ; mais outre qu il n est pas possible qu il ne vous en soit parvenu quel- qu'une , si le cas pouvoit être , les bontés dont vous m'honoriez vous auroient à vous-même in- spiré quelque inquiétude; vous vous seriez infor- mé de moi; vous m'sluriez fait dire au moins quelques mots par quelqu'un : mais point ; mille gens en ce pays ont de vos nouvelles , et je suis le seul oublié. Cela m'apprend mon malheur; mais , qui m'en apprendra la cause ? Je cesse de la chercher , n'en trouvant aucune qui soit digne devons.

Milord , les sentiments que je vous dois et que je vous ai voués dureront toute ma vie ; je ne penserai jamais à vous sans attendrissement ; je vous regarderai toujours comme mon protec- teur et mon père. Mais comme je ne crains riei^ tant que diêtre importun , et que je ne sais pas nourrir seul uae correspondance , je cesserai de

ANNÉE 1764. 261

TOUS écrire jusqu'à ce que vous m'ayez permis de continuer.

Daignez , milord, je vous supplie, agréer mon profond respect.

A MADEMOISELLE D, M.

Motiers , le 4 noTembre 1 764.

Si votre situation , mademoiselle , vous laisse à peine le temps de m'écrire , vous devez conce- voir que la mienne m'en laisse encore moins pour vous répondre. Vous n'êtes que dans la dé- pendance de vos affaires et des gens à qui vous tenez ; et moi je suis dans celle de toutes les af- faires et de tout le monde , parceque chacun , me jugeant libre, veut par droit de premier occu^ pant disposer[de moi. D'ailleurs , toujours harce- lé , toujours souffrant, accablé d'ennuis , et dans un état pire que le vôtre , j'emploie à respirer le peu de moments qu'on me laisse; je suis trop oc^ cupé pour n'être pas paresseux. Depuis un mois je cherche un mpment pour vous écrire à mon aise : ce moment ne vient point; il faut donc vous écrire à la dérobée , car vous m'intéressez trop pour vous laisser sans réponse. Je connois peu de gens qui m'attachent davantage , et per- sonne qui m étonne autant que vous.

Si vous avez trouvé dans ma lettre beaucoup de choses qui ne cadroient pas à la vôtre , c'est qu^elle étoit écrite pour une autre que vous, U y

202 CORRESPONDANCE.

a dans votre situation des rapports si frappants avec celle dune autre personne, qui précisément étoit à Neuchatel quand je reçus votre lettre, que je ne doutai point que cette lettre ne vînt d elle; et je pris le change dans l'idée qu on cherchoit à me le donner. Je vous parlai donc moins sur ce que vous me disiez de votre caractère, que sur ce qui m etoit connu du sien. Je crus trouver dans 9B, manie de a afficher, car c'est une savante et un bel esprit en titre , la raison du malaise intérieur dont vous me faisiez le détail : je commençai par attaquer cette manie , comme si c'eût été la vôtre, et je ne doutai point qu'en vous ramenant à vous*» même je ne vous rapprochasse du repos , dont rien n'est plus éloigné , selon moi, que l'état d'une femme qui s'affiche.

Une lettre faite sur un pareil quiproquo doit contenir bien des balourdises. Cependant il y avoit cela de bon dans mon erreur , qu'elle me donnoit la clef de l'état naoral de celle à qui je pensois écrire ; et , sur cet état supposé , je croyois entrevoir un projet à suivre pour vous tirer des angoisses que vous me décriviez, sans recourir aux distractions qui, selon vous, en sont le seul remède , et qui , selon moi , ne sont pas même un palliatif Vous m'apprenez que je me suis trom- pé, et que jen'ai rien vu de ce que jecroyois voir, (Comment trouverois-je un remède à votre état , puisque cet état m'est inconcevable? Vous m'êtes line énigme affligeante et humiliante. Je croyois coilïioitre le cœur humain, et je ne connois rien

ANNÉE 1764. 263

ûti vôtre. Vous souffrez , et je ue puis vous sou- lager.

Quoi ! parcequè rieu d étranger à vous ne vous contente, vous voulez vous fuir; et, parcequè vous avez à vous plaindre des autres , parcequè vous les méprisez , qu'ils vous en ont donné le droit, que vous sentez en vous une ame digne d estime , vous ne voulez pas^vous consoler, avec elle du mépris que vous inspirent celles qui ne lui ressemblent pas ? Non , j e n entends rien à cette bizai*rerie , elle me passe.

Cette sensibilité qui vous rend mécontente de lout ne devoit-elle pas se replier sur elle-même ? ne devoit*elle pas nourrir votre cœur d'un senti- ment sublime et délicieux d amour-propre? na- t-on pas toujours en lui la ressource contre Tin- justice et le dédommagement de Tinsensibilité? Il est si rare, dites-vous^ de rencontrer une ame«. Il est vrai^, mais comment peut-on en avoir une, et ne passe complaire avec elle? Si Ion sent , à la sonde , les autres étroites et resserrées , on s en rebujte , on s en détache ; mais après s être si mal trouvé chez les autres, quel plaisir na->t^on pas de rentrer dans sa maison ? Je sais combien le besoin d attachement rend affligeante aux cœurs sensibles l'impossibilité d en former , je sais com- bien cet état est triste ; mais je sais qu il a pour-> tant des douceurs : il foit verser des ruisseaux de larmes ; il donne une mélancolie qui nous rend témoignage de nous-mêmes et qu on ne voudroit pas ne pas avoir j il fait rechercher la solitude

:264 COARESPONDANGE.

comme le seul asile Ion se retrouva avec tout ce qu on a raison d aimer. Je ne puis trop voua le redire , je ne connois ni bonheur ni repos dans leloignement de soi-même ; et , au con-r traire, je sens mieux, de jour en jour, quon ne peut être heureux sur la terre qu a proportiou qu on s éloigne des choses et qu on se rappro-*- che de soi. S'il y a quelque sentiment plus doux que lestime de soi-même, s'il y a quelque oc- cupation plus aimable que celle d'augmenter ce sentiment , je puis avoir tort ; mais voilà comme je pense : jugez sur cela s'il m est possi-* ble d'entrer dans vos vues, et même de concevoir votre état.

Je ne puis m'empêcher d'espérer encore que vous vous trompez sur le principe de votre malt- aise, et qu'au lieu de venir du sentiment qui ré- fléchit sur vous-même , il vient au contraire de celui qui vous lie encore à votre insu aux choses dont vous vous croyez détachée , et dont peut-être vous désespérez seulement de jouir. Je voudrois quece]afut,jeverrois une prise pour agir; mais., si vous accusez juste, je n'en vois point. Si j'avois actuellement sous les yeux votre première lettre, et plus de loisir pour y réfléchir, peut-être par-^ viendrois-je à vous comprendre, et je n'y épar- gnerois pas ma peine, car vous m'inquiétez vérir tablement ; mais cette lettre est noyée dans de^ tas de papiers ; il me faudroit pour la retrouver plus de temps qu'on ne m'en laisse ; je suis forcé

* AUNÉE 1764- 265

de renvoyer cette recherche à d autres moments. Si Tinutilitéde notre correspondance ne tous re* butoit pas de m'écrire, ce seroit vraisemblable- ment un moyen de vous entendre à la fin. Mais je ne puis vous promettre plus d exactitude dans mes réponses que je ne suis en état d y en met-^ tre ; ce que je vous prornets et que je tiendrai bien , cest de.m'occuper beaucoup de vous et de ne vous oublier de ma vie. Votre dernière lettre^ pleine de traits de lumières et de sentiments pro^ fond», m affecte encore plus que la précédente. Quoi que vous en puissiez dire, je croirai toujours qu'il ne tient qu a celle qui la écrite de se plaire avec elle-même, et de dédommager par-là des rigueurs de 9qq §ort,

A M. D***-

Motiers, le 4 novembre 1764-

* Bien des remerciements , monsieur , du Dic- tionnaire philosophique. Il est agréable à lire ; il y règne une bonne morale ; il seroit à souhai- ter qu elle fut dans le cœur de Fauteur et de tous les hommes. Mais ce même auteur est presque toujours de mauvaise foi dans les ex- traits de récriture; il raisonne souvent fort mal: et lair de ridicule et de mépris qu'il jette sur des sentiments respectés des hommes , rejaillis^ sant sur les hommes mêmes , me paroît un ou- trage fait à la société. Voilà mon sentiment , et

266 CORRESPONITANCE.

peut-être mon erreur, que je me crois permis de dire , mais que je n entends faire adopter à qui que ce soit.

Je suis fort touché de ce que vous me marquez de la part de M. et madame de Buffon. Je suis bien aise de vous avoir dit ce que je pensois de cet homme illustre avant que son souvenir ré- chauffât mes sentiments pour lui, afin d-avoir tout l'honneur de la justice que j'aime à lui ren- dre, sans que mon amour-propre s'en soit mêlé. Ses écrits m'instruiront et me plairont toute ma vie. Je lui (i) crois des égaux parmi ses contem- porains en qualité de penseur et^de philosophe; mais en qualité d écrivain je ne lui en connois point : c est la plus belle plume de son siècle ; je ne doute point que ce ne soit le jugement de la postérité. Un de mes regrets est de n'avoir pas été à portée de le voir davantage et de profiter de ses obligeantes invitations; je sens combien ma tète et mes écrits auroient gagné dans sdh commerce. Je quittai Paris au moment de son mariage ; ainsi je n'ai point eu le bonheur de oon- noitre madame de Buffon ; mais je sais qu'il a trouvé dans sa personne et dans son mérite l'ai- mable et digne récompense du sien. Que Dieu les bénisse l'un et l'autre de vouloir bien s'intéresser à ce pauvre proscrit. Leurs bontés sont une des consolations de ma vie : qu'ils sachent , je vous

(i) Quand M. Rousseau écrivoit ceci , M. le comte de Bu£Fon n'avoit pas encore publié les Époques de la Na* turc.

AIHNÉE 1764. 267

en supplie, <]ue je les honore et les aime de tout mon cœur.

Je suis bien éloigné, monsieur, de renoncer aux pèlerinages projetés. Si la ferveur de la bo- tanique YOU8 dure encore , et que Vous ne rebu- tiez pas un élève à barbe grise, je compte plus que jamais aller herboriser cet été sur vos pas. Mes pauvres Corses ont bien maintenant d'au- tres affaires que d'aller établir TUtopie au milieu d'eux. Vous savez la marche des troupes fran- çoises : il faut voir ce qu'il en résultera. En atten- dant, il faut gémir tout bas et aller herboriser.

Vous rae rendez fier en me marquant que ma* demoiselle B*** n'ose me venir voir à cause des bienséances de son sexe, et quelle a peur de moi comme d'un circoncis.II y a plus de quinze ans que les jolies femmes ine faisoient en France l'affront de me traiter comme un bon homme sans conséquence , jusqu'à venir dîner avec moi tête à tête dans la plus insultante familiarité , jusqu'à m'embrasser dédaigneusement devant tout le monde, comme le grand-père de leur nourrice. Grâces au ciel , me voilà bien rétabli dans ma dignité , puisque les demoiselles me font Vhonneur de ne m'oseï* venir voir.

A M. L'A. DE***. Motiers-Travers, le 11 novembre 1764*

Vous voilà donc , monsieur , tout d'un coup devenu croyant. Je vous félicite de ce miracle^

368 GORRBSPOI^^DARGE.

car c en est sans doute un de grâce , et la rai- son pour Fordinaire n'opère pas si subitement. Mais , ne nie faites pas honneur de votre conver- sion , je vous prie ; je sens que cet honneur ne m appartient point . Un homme qui ne croit guère aux miracles n est pas fort propre à en faire ç un homme qui ne dogmatise ni ne dispute n est pas un fort bon convertisseur. Je dis quelquefois mon avis quand on me le demande , et que je crois que c est à bonne intention ; mais je n'ai point la folie d en vouloir faire une loi pour d'autres , et quand ils m en veulent faire une du leur , je m*en dé- fends du mieux que je puis sans chercher à les convaincre. Je n ai rien fait de plus avec vous : ainsi, monsieur, vous avez seul tout le mérite de votre résipiscence , et je ne songeois sûrement point à vous catéchiser.

Mais voici maintenant les scrupules qui s'élè- vent. Les vôtres m'inspirent du respect pour vos sentiments sublimes , et je vous avoue ingénu- ment que , quant à moi , qui marche un peu plus terre à terre, j'en serois beaucoup moins tour- menté. Je me dirois d'abord que de confesser mes fautes est une chose utile pour m'en corriger , parceque, me faisant une loi de dire tout et de dire vrai , je serois souvent retenu d'en com- mettre par la honte de les révéler.

Il est vrai qu'il pourroit y avoir quelque em- barras sur la foi robuste qu'on exige dans votre église , et que chacun n'est pas maître d'avoir comme il lui plaît. Mais de quoi s'agit-il au fond

.ANNÉE 1764* 269

dans cette afïaire? du sincère désir de croire, d^une soumission du coeur plus que de la raison : car enfin la raison ne dépend pas de nous, mais la volonté en dépend ; et c'est par la seule vo- lonté qu on peut être soumis ou rebelle à Féglise. Je cbmmencerois donc par me choisir pour con* fesseur un bon prêtre, un homme sage et sensé, tel qu on en trouve par-tout quand on les cher- che. Je lui dirois : Je vois locéan de difficultés nage 1 esprit humain dans ces matières; le mien ne cherche point à s y noyer ; je cherche ce qui est vrai et bon ; je le cherche sincèrement; je sens que la docilité qu exige leglise est un état désirable pour être en paix avec soi : j*aime cet ^^^9 j V veux vivre ; mon esprit murmure, il est vrai , mais mon cœur lui impose silence , et mes sentiments sont tous contre mes raisons. Je ne crois pas , mais je veux croire , et je le veux de tout nion cœur. Soumis à la foi malgré mes lu- mières , quel argument puis-je avoir à craindre? Je suis plus fidèle que si j etois convaincu.

Si mon confesseur n'est pas un sot , que vou- lez-vous qu'il me dise? Voulez-vous qu'il exige bêtement de moi l'impossible ; qu'il m'ordonne de voir du rouge je vois du bleu? Il me dira. Soumettez-vous. Je répondrai , C'est ceque je fais. Il priera pour moi , et me donnera l'absolution sans balancer; car il la doit à celui qui croit de toute sa force, et qui suit la loi de tout son cœur. Mais supposons qu'un scrupule mal entendu le retienne , il se contentera de m*exhorter ea se«*

a7P CO)[lRi:SPONDANGE.

cret et de me plaindre ; il m aimera mêiùe : je êtiis HÙr que ma bonne foi lui gagnera le cœur. Voud supposez qu il mira dàfioncer à loffîcial ; et pour- quoi? quar-t-il à me reprocher? de quoi voulez* vous quil m'accuse? d avoir trop fidèlement rempli mon devoir? Vous supposez un extrava- gant , un frénétique ; ce n est pas Thomme que j ai choisi. Vous supposez de plus un scélérat abominable que je peux poursuivre , démentir , faire pendre peut-être , pour avoir sapé le sacre- ment par sa base , pour avoir causé le plus dan- gereux scandale, pour avoir violé sans nécessité^ sans utilité , le plus saint de tous les devoirs y quand j'étois si bien dans le mien , que je n'ai mérité que des éloges. Cette supposition, je l'a- voue , une fois admise , parott avoir ses diffi- cultés.

Je trouve en général que vous les pressez en homme qui n çst pas fâché d en faire naître. Si tout se réunit contre vous , si les prêtres vous poursuivent^ si le peuple vous maudit , si la dou- leur fait descendre vos parents au tombeau , voilà, je Favoue, des inconvénients bien terribles pour n avoir pas voulu prendne en cérémonie un morceau de pain. Mais que faire enfin? me de<^ mandez-vous. Là-dessus voici , monsieur, ce que j ai à vous dire.

Tant qu on peut être juste et vrai dans la so- ciété des hommes, il est des devoirs difficiles sur lesquels. un ami désintéressé peut être utilement consulté..

ANNÉE 1764. Û'Ji

Mais qliànd une fois les institutions humaines sont à tel point de dépravation qu'il n est plus possible d y vivre et d y prendre un parti sans mal faire, alors on ne doit plus consulter per-* sonne ; il faut n écoutée que son propre cœur, parcequ'il est injuste et malhonnête de forcer un honnête homme à nous conseiller le mal. Tel est mon avis.

Je vous salue, monsieur, de tout mon cœur.

A M. HIRZEL.

II novembre 1764*

, Je reçois, monsieur, avec reconnoissance , la seconde édition du Socrate rustique , et les bon-» tés dont EbL'banore son digne historieih Quelque étonnant que soit le héros de votre livre , lau-^ leur ne Test pas moins à mes yeux. Il y a plus de paysans respectables que de savants qui les res-^ pectent et qui Fosent dire. Heureux le pays oti ées Klyiogg^ cultivent la terre, et des Hirzela cultivent les lettres ! labondance y règne et les. vertus y sont en honneur.

Recevez, monsieur, je vous supplie , mes re«- mereiements et mes salutations.

A M. DE MALESHËRBES.

Motiers-TrayerSfparPontarlier, le 11 oovembre 17S4*

J'use rarement , monsieur , de la permissioa que vous m avez donnée de vous écrire ; mai»

2^2 CORBESPONDANCE.

les malheureux doivent être discrets. Mon cœur nest pas plus changée que mon sort, et, plongé dans un abyme de maux dont je ne sortirai de ma vie , j ai beau sentir mes misères , je sens tou*- jours vos bontés.

En apprenant votre retraite , monsieur , j ai plaint les gens de lettrés ; mais je vous ai félicité. En cessant d'être à leur tête par votre place, vous y serez toujours par vos talents ; par eux , vous embellissez votre ame et votre asile. Occupé des charmes de la littérature , vous n êtes plus forcé d en voir les calamités : vous philosophez plus à votre aise et «votre cœur a moins à spuf- frir. C'est un moyen d'émulation, selon moi, bien plus sur, bien plus digne d accueillir et dis- tinguer le mérite à Malesherbes que de le pro- téger à Paris.

est-il , est-il , ce château de Malesher- bes , quje j'ai tant désiré de voir ? les bois , les jardins , auroient maintenant un attrait de plus pour moi dans le nouveau goût qui me gagne. Je suis tenté d'essayer de la botanique; non comme vous , monsieur , en grand et comme une branche de l'histoire naturelle , mais tout au plus en garçon apothicaire, pour savoir faire ma tisane et mes bouillons. C'est le véritable amusement d'un solitaire qui se promène et qui pe veut penser à rien. Il ne me vient jamais une idée vertueuse et utile, que je ne voie à côté de iDoi la potence ou l'échafaud : avec un Linnseus dans la poche et du foin dans tête , j'espère

ANNÉE 1764. H'j'i

quon ne me pendra pas. Je m'attends à faire les progrès d'un écolier à barbe grise : mais qu'importe ? Je ne veux pas savoir , mais étudier ; et cette étude , si confof'hie à ma vie ambulante, m'amûsèra beaucoup et me sera salutaire : oh n étudie pas toujours si utilement que cela.

Je viens, à la prière de mes anciens conci- toyens, de faire imprimer en Hollande une es- pèce de réfutation des Lettres de la campagne ; écrit que peut-être vous, aurez vu. Le mien n a trait absolument qu'à la procédure faite à Ge- nève contre moi et à ses stiite^ : je n'y jiarle des François qu'avec éloge, de la médiation de' la France qu'avec respect j il n'y a pas un mot contre' les catholique^ ni leur clergé ; les rieurs y sont toujours po^ur lui contre nqg niiillstres. Enfin cet ouvrage ailroit pu s'imprimer à Paris atee privilège du roi , et le gotiverneÉttetit auroit en être bien aise» M. de Ssirtine en d défendu l'èritrée. J'en suis fâché, pdrceqae cette défense me met hors d état de faire passer sous vOvS yeux cet èérit dans sa nouveauté , n'osant satis vôtre pémiission v6ùs le ftire etïvoyèf pd^ la poste.

Agréée , tiio^nsiefùr , je voiis supplié, ïiion pro- fond respect.

On dit que rai^ôii potl^ laqtteïlé M. de Sar- tine a défendu l'entrée de mon ouvragé est que j'ose ni y justifiée contre l'àceusàttiofl d'avoir re- jeté' les ihiracles. Ce M. de Sôff^tirté m'a bien l'air d'frtt homme qui ne ^evàii pals fâché de nie faire pendre , uniquement pouf avoir prouvé que je

17, 18

274 CORRESPONDANCE.

ne méritois pas d*être penda. France, France, vous dédaignez trop dans votre gloire les hom^ mes qui vous aiment et qui savent écrire ! Quel- que méprisables qu'ils vous paroissent, ceseroit toujours plus sagement fait de ne pas les pous- ser à bout.

A M., LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBËRG.

Motiers, le i5 novembre 17CI.

Il est certain, que vos vers ne sont pas bons , et il est certain de plus , que , si vous vous pi- quiez d'en faire de tels ou mênfe de. vous y trop bien connoître , il faudroit vous dire comme un musicien disoit à Philippe de Macédoine qui cri- tiquoit ses airs de flûte: A Dieu ne plaise, sire, que tu sacKes ces choses-là mieux que moi ! Du reste, quand on ne croit pas faire de bons vers, ;il est toujoilîrs permis d'en faire, pourvu qu'on ne les estime que ce qu'ils valent, et qu'on ne les montre qu'à ses amis.

Il y a bien du temps que je n'ai des nouvelles de nos petites élèves, de leur digne précepteur, et de leur aimable gouvernante. De grâce, une petite relation de l'état présent des choses. J'ai- me à suivre les progrès de ces chers enfants dans tout leur détail.

Il est vrai que les Corses m'ont fait proposer de travailler à leur dresser un plan de gouver- nement. Si ce travail est au-dessus de Qies forces

«

ANNÉE 1764* 275

^ n est pas au-d^sus de mon zèle. Du reste cest uûe entreprise à méditer long-temps, qui de- mande bien des préliminaires ; et avant d'y son-^ ger il faut voir d abord ce que la France veut faire de ces pauvres gens. En attendant , je crois que le général Paoli mérite lestime et le respect de toute la terre , puisque étant le maître , il n a pas craint de s adresser à quelqu'un qu'il sait bien, la guerre exceptée , ne vouloir laisser personne au-dessus des lois! Je suis prêt à consacrer ma vie à leur service ; mais , pour ne pas m'exposer à perdre mon temps, j'ai débuté par toucher Fendroit sensible. Nous Terrons <}p que cela pro- duira.

A M. D'iVERNOIg*

Mo tiers > le 29 novembre 1764.

Je m^aperçois à 1 instant, monsieur , d'un qui-^ proquo que je viens défaire, en prenant dans votre lettre le 6 décembre * pour le 6 janvier. Cela me donne l'espoir de vous voir un mois plus tôt que je n'avois cru , et je prends le parti de vous l'écrire , de peur que vous n'imaginiex

S eut-être sur ma lettre d'aujourd'hui que je vou- rois renvoyer aux roië votre visite, de quoi je 8erois bien fâché. M. de Payraube sort d^ici , et m'a apporté votre lettre et vos nouveaux ca- deaux. Nous avons pour présent beaucoup de comptes à faire, et d'autres arrangements à prendre pour l'avenir» D'aujourd'hui eti huit

18.

276 COBRESPOnDA5CC.

donc, j*attends, moDsieur, Ic^ plaisir de tou^ embrasser; et en attendant je tous soohaite un bon voyage et vous salue de tout mon cœur,

AM. DUPETROU.

Motiers , le 39 noYcmbre 1764.

Le temps et mes tracas ne me permettent pas, monsieur, de répondre à présent à votre der-- nière lettre, dont plusieurs articles m*ont ému et pénétré : je destine uniquement celle-ci à vous consulter sur un article qui m'intéresse , et sur lequel je ik)US épargnerois cette importu- nité, si je connoissois quelqu'un qui me parût plus digne que vous de toute ma confiance.

Vous savez que je médite depuis long-temps de prendre le dernier congé du public par une- édition générale de mes écrits , pour passer dans la retraite et le repos le reste des jours qui! plaira à la Providence de me départir. Cette en- treprise doit m assurer du pain , sans lequel il n'y a ni repos , ni liberté parmi les hommes : le recueil sera d'ailleurs le monument sur lequel je compte obtenir de la postérité le redressement des jugements iniques de mes contemporains. Jugez par-lâ si je dois regarder comme impor- tante pour moi une entreprise sur laquelle moti indépendance et ma réputation sont fon- dées.

•Le libraire Fauche, aidé d'une société, jugeant que cette affaire lui peut être avantageuse , de-

ANNÉE 1764. 277

sire de s'en charger; et, présentant l'obstacle qqe vos minîstraux peuvent mettre à son exé-» cution , il projette, en supposant l'agrément du conseil d'état , dont pourtant je doute, d'établir son imprimerie à Motiers , ce qui me seroit très commode; et il est certain qu'à considérer la chose en hommes d'état, tous les membres du gouvernement doivent favoriser une entreprise qui versera peut-être cent mille écus dans le * pays.

Cet agrément donc supposé (c'est son affaire), il reste à savoir si ce sera la mienne de consentir à cettie proposition , et d^me lier par un traité en forme. Voilà , monsieur, sur |quoi je vous con- sulte. Premièrement , croyez-vous que ces gens-là puissent être en état de consommer cette affaire avec honneur, soit du côté de la dépense, soijt du côté de l'exécution? car l'édition que je pro- pose de faire , étant destinée aux grandes biblio- thèques , doit être un chef-d'œuvre de typogra^- phie , et je n'^épargnerai point ma peine pour que c'en soit un d^orrection. En second lieu , croyez- vous que les engagements qu'ils prendront avec moi soient assee sûrs pour que je puisse y comp- ter, et n'avoir plus de souci là-dessus le reste de ma vie?En supposant que oui, voudrez-vous bien m'aidèr de vos soins et de vos conseils pour éta- blir mes sûretés sur un fondement solide? Vous sentez que mes infirmités croissant , e^ la vieil- lesse avançant par dessus le nâarché , ibrîe faji^t pas que , hors d'état de gagner mon pain , j^

278 CORRESPONDANCE.

m'expose au danger d en manquer. Voilà 1 exa*- men que je soumets à vos lumières, et je vdus prie vous en occuper par amitié pour moi. Votre réponse , monsieur, réglera la mienne- J ai promis de la donner dans quinze jours. Marquez- moi , je vous prie, avant ce temps-là » votre sen- timent sur cette affaire , afin que je puiss^ nciç

déterminer.

A M. DDCLOS.

Mo tiers , le a décembre 1764*

Je crois, mon cher ami, quau point nous en sommes , la rareté des lettres est plus unç marque de confiance que de négligence : votre silence peut m'inquiéter sur votre santé , mais non sur votre amitié, et j'ai lieu d'attendre de vous la même sécurité syr la mienne. Je suis er- rant tout Tété , [malade tout Fhi ver , et en tout temps si surchargé de désœuvrés , qu'à peine aï- ' je un moment de relâche pour écrire à mes amis.

Le recueil fait par Duchesne est en effet in- complet, et, qui pis est, très^ fautif; mais il n'y manque rien que vous ne çonnoissiez , excepté ma réponse aujç lettres écrites dfe la campagne , qui n'est pas encore publique. J'espérais vous la faire remettre aussitôt qu'elle seroit à Paris ; mais on m'apprend que M, de Sartine en a dé^ fendu l'entrée, quoique assurément il n'y ait pas un n^ot dans cet. ouvrage qui puisse déplaire à la France ni aux François , et que le clergé catho- lique y ait à son tour les rieurs ciux dépens du

^ ANNÉE 1764. 279

hôtre. Malheur aux opprimés , sur-tout quatid ils le sont injustement , car alors ils n'ont pas même le droit de se plaindre ; et je ne serois pas * étonné qu'on me fît pendre*uniquement pour avoir dit et prouvé que je ne méritois pas d^êire décrété. Je pressens le contre-coup de cette dé- fense eu ce pays. Je vois d'avance le parti qu'en vont tirer mes implacables ennemis , et sur-tout ipse doU fahricator Epeusif^

J'ai toujours le projet de taire enfin moi-même un recueil de mes écrits, dans lequel je pourrai faire entrer quelques chiffons qui sont encore en mainuscrits, et entre autres le petit conte (i) dont vous parlez, puisque vous jugez qu'il en vaut la peine. Mais outre que cette entreprise m'effraie, sur-tout dans l'état je suis , je ne sais pas trop la faire. En France il n'y faut pas songer. La Hollande est trop loin de moi. Les libraires de ce pays n'ont pas d'assez vastes débouchés pour cette entreprise, les profits en seroient peu de# ch^e , et je vous avoue que je n'y songe que pour me procurer du pain durant le reste de mes malheureux jours, ne me sentant*plus en état d'en gagner. Quant aux mémoires de ma vie , dont vous parlez, ils sont trop di^ciles à faire sans compromettre personne; pour y songer il faut plus de tranquillité qu'pn ne m'en laisse , et que je n'en aurai probablement jamais : si je vis toutefois , je n'y renonce pas. Vous avez toute

(i) La Reine fantasque.

28q correspondance.

ma confiance , mais vous sentez qu il y a des choses qui ne se disent pas de si loin.

Mes courses dans nos niontagnes, si riches en plantes, m'ont dohné du goût pour la botani- que : cette occupation convient fort à une mar chine ambulante à laquelle il est interdit de pen* §er. Ne pouvant laisser ma tête vide, je-la veux empailler; c^st de foin qu'il fout l'avoir pleinç pour être libre et vrq^sans crainte d'être décrété. J'ai l'avantage de ne connoître encore que dix plantes , en comptant l'hysope ; j'aurai long- temps du plaisir à prendre avant d'en être aux arbres de nos forêts.

J'attends avec impatience votre nouvelle édi- tion des Considérations ^ur les moeurs. Puisque vous avez des facilités pour tout le royaume, adresse? le paquet à Pontarlier , à moi directe- ineiît, ce qu\ suffit, ou à M. Junet, directeur des postea; il me le fera parvenir. Vous pouvez ^ aussi le remettre à Duchesne, qui me le fera pas- ser avec d'a,utres envois. vous dei^tanderai même, saps façon, de faille relier l'exemplaire, ce que je ne puis faire ici sans le gâter ; je le pren- drai secrétenient dans ma poçh,e ep allant herbo- riser, et, q^an.d je ne yerrfi^i point d'archers au- tour de moi,* j'y jetterai les yeux à la dérobée. Mon cher g,nii, cornaient faites-vous pour pen- ser, être honnête homme, et ne vous pas faire pendre? cela me paroit difficile, en vérité. Je vous embrasse de tout mon cœur.

ANNÉE 1764. - 281

A MILQ^. MARÉCHAL.

8 décembre 1 764*

Sur la dernière lettre, milord, que vous avez rtcevoir de moi, vou^ aurez, pu juger du plai- sir que m'a causé cçUe dont vous m avei; honoré le 24 octobrt. Vpu^ m'avez fait sentir un peu cruellement ^ quel point je vous suis attaché , et trois mois de silence de votre part m'ont plus affecté et navré que ne fit le décret du conseil de Genève. Tant de malheurs ont rendu mon cœup inquiet, et je crains toujours de perdre ce que je désire si ardemment de conserver. Vous êtes mon seul protecteur, le seul homme à qui j aie de véritables obligations , le seul ami sur lequel je compte, le dernier auquel je me sois attaché, et auquel il n en succédera jamais d autres. Jugez sur cela si vos bontés me sont chères , et si votre oubli m'est facile à supporter.

Je suis fâché que vous ne puissiez habiter votre maison que dans un an. Tant qu'on en est encore aux châteaux en Espagne , toute habitation nous est bonne en attendant; mais quand enfin Fex- périence et la raison nous ont appris qu'il n'y a de véritable jouissance que celle de soi-même, un Ipgem^ent commode et un corps sain devien- nent lea seuls biens de la vici^ et dont le* prix se fait sentir de jour en jour, à mesure qu'on est détaché du reste. Comrme il n'a pas fallu si long- temps pour faire votre jardin , j'espère que dè^

a8l X^ORRESPONDANCE.

à présent il vous amuse , etvque vous en tirez déjà de quoi fournir ces ÉÊM^s si savoureuses , que, sans être fort gourmand, je regrette -tous les jours.

Qiie ne puis-je m'instruire auprès devons dans une culturje plus utile*, quoique plus ingrate! Que mes bons et infortunés Corses nepeiivent- îls , par mon entremise , profiter dfe vos longues et profondes observations sur les hommes et les gouvernements ! mais je suisloin de vous. N'im- pof te ; sans songer à l'impossibilité du succès , je m'occuperai de ces pauvres gens comme si mes rêveries leur pouvoient être utiles. Puisque je suis dévoué aux chimères, je veux du m^ins m'en forger d'agréables. En songeant à ce que les homnies pourroient être, je tâcherai d'ou- blier ce qu'ils sont. Les Corses sont, comme vous le dites fort bien , plus près de cet état désirable qu'aucun autre peuple. Par exemple , je ne crois pas que la dissolubilité des mariages, très utile dans le Brandebourg, le fût de -long-temps «i Corse , la simplicité des mœurs et la pauvreté générale rendent encore les grandes passions inactives et les mariages paisibles et heureux. Les feimmes sont laborieuses et chastes; les hommes n'ont de plaisirs que dans leur maison: dans cet état , il n'est pas bon de leur faire en- visager comme possible une séparation qu'ils n'ont nulle occasion de désirer.

Je n'ai point encore reçu la lettre avec la tra- duction'de FletcKer aae vous m'annoncez. Je

r

I

ANNÉE 1764^ 283

1 attendois pour vous écrire ; mais , voyant que le paquet ne vient point , je ne puis diflPérer plus long -temps. Milord, j ai le cœur plein de vous sans cesse. Songez quelquefois à votre fils le cadet.

A M. LALIAUD.

*

Motiers, le 9 décembre 1764.

Je voudroîs, monsieur, pour contenter votre obligeante fantaisie^ pouvoir vous envoyer le profil que vous me demandez ; mais je ne suis pas en lieu à trouver aisément quelqu un qui le sache tracer. J espérois me prévaloir pour cela de la visite qu'un graveur hoUandois , qui va s'établir à Morat , avoit dessein de me faire ; mais il vient de me marquer que des affaires indis- pensables ne lui en laissoient pas le temps. Si M. Liotard fait un tour jusqu'ici, comme il pa- roît le désirer, c'est une autre occasion dont je profiterai pour vous complaire , pour peu que letat cruel je suis m'en laisse le pouvoir. Si cette seconde occasion me manque , je n'en vois pas de prochaine qui puisse y suppléer. Au reste, je prends peu d'intérêt à ma figure , j'en prends peu même à mes livres; mais j'en prends beau- coup à l'estime des honnêtes gens , dont les cœurs ont lu dans le mien. C'est dans le vif amour du juste et du vrai, c'est dans des penchants bo»s et honnêtes , qui sans doute m'attacheroient à vous , que je voudrois vous faire aimer ce qui est véritablement moi , et vous laisser mon

284 COBR^SPOIÏDABCE.

effigie intérienre un souvenir qui vous fut inté- ressant. Je vous salue , monsieur , de tout mon cœur.

A M. DE MOrfTPEROUX,,

-RÉSIDENT DE FRAKCE A GEHÈVE.

Motîers, le 9 décembre 1764.

L'écrit , monsieur , qui vous est présenté de ma part contient mon apologie et celle du nom- bre d'honnêtes geus'ofFensés dans leurs droits par Finfraction des miens. La place que vous remplissez , monsieur, et vos anciennes bontés pour moi, m'engagent également à mettre sous vos yeux cet écrit. Il peut devenir.une des pièces d'un procès au jugement duquel vous prési- derez peut-être. D'ailleurs, aussi zélé sujet que bon patriote, vous aimerez me voir célébrer dans ces lettres le plus beati monument du régne de Louis XV , et rendre aux François , mal- gré mes malheurs , toute la justice qui leur est due. 0

Je vous supplie, monsieur , d'agréer mon resr pect.

A M. D***.

Mbticrs, le 1 3 décembre 1764.

V

Je vous parlerai maintenant, monsieur, de mon affaire (i), puisque vous voulez bien vous charger de mes intérêts. J'ai revu mes gens : leur

(i) L^édition générale de ses ouvrages.

ANNÉE 1764. l85

socjf^té est augmentée d'un li^aire de France , homme entendu, qui aura llnspection de par- tie typographique. Us sont en état de faire les fonds nécessaires sans avoir besoin Soiiscrip- tion, et c'est d'ailleurs une voie à laquelle je ne consentirai jamais , par de très bonnes raisons , trop longues à détailler dans une lettre.

En combinant toutes les parties de l'entre- prise, et supposant un plein succès, j'estime qu'elle doit donner un profit net de cent mille francs. Pour aller d'abord au rabais., réduisons- le à cinquante. Je crois que , sans être déraison- nable, je puis porter mes prétentiofis ^u quart de cette somme ; d'autant plus qud cette entte- prîse demande de ma part un travail assidu de trois ou quatre ans, qui sans doute achèvera de m'époiser, et me coûtera plus de peine à prépa- rer et revoir .mes feuilles que je n'en éu^ à les composer.

Sur cette considération , et laissant à part celle du profit, pontr ne songer qu'à mes besoins, je vois que ma dépense ordinaire depuis vingt ans a été , Fun dans lautre , de soixante louis par an. Cette dépense deviendra moindre lorsque absolument séquestré public je ne serai plus accablé de ports de lettres et de Visites, qui, par la loi de l'hospitalité, me forcent d'avoir; une

tble pour les survenants.

Je pars de ce petit calcul pour fixer ce qui Hl'est nécessaire pour vivre en paix ïe reste de. mes jours , sans manger le pain de personne j

«

a86 GORRESPOlSDANGE.

résolution formée depuis long-temps , et dont ^ quoi qu'il arrive , je ne tne départirai japiais.

Je compte pour ma part sur un fonds de dix à douze mille livres ; et j'aime mieux ne pas jfaire l'entreprise s'il faut me réduire à moins, parce- qu'il n'y a que le repos du reste dermes jours que je veuille acheter par quatre ans d'esclavage.

Si ces messieurs peuvent me faire cette somme , mon dessein est de la placer en rentes viagères'; et, puisque vous voulez bien vous charger de cet emploi , elle vous sera comptée, et tout est dit. Il convient seulement , pour la sûreté de la chose, que tout soit payé avant que l'on com- mence l'fmpression du dernier volume , parce- que je n'ai pas le temps d'attendre le débit de l'édition pour assurer mon état.

Mais comme une telle somme en argent^ comp- tant pourroit gêner les entrepreneurs, vu les grandes avances qui leur sont nécessaires , ils aimeront mieux me faire une rente viagère ; ce qui , vu mon âge et Tétat de ma santé , leur doit probablement tourner plus à compte. Ainsi, moyennant des sûretés dont vous soyez content,, j'accepterai la rente viagère , sauf une somme en argent comptant lorsqu'on commencera Tédî- tion ; et , pourvu que cette somme ne soit paS: moindre que cinquante louis , je m'en contepte^ en déduction du capital dont on me fera la rente. W

Voilà , monsieur , les divers, arrangements . dont je leur laisserons le choix si je traitois di-

ANNEE 1764. 287

rectement avec eux : mais , comme il se peut que je me trompe , ou que j'exige trop , ou qu'il y ait quelque meilleur parti à prendre pour eux ou pour moi , je n'entends point \(fùs 'donner en cela des régies auxquelles vous deviez vou^ tenir dans cette négociation. Agissez pour moi comme un bon tuteur pour son pupille; mais ne chargez pas ces messieurs d'un traité qui leur soit onéreux. Cette entreprise n'a de leur part qu'un objet de profit , il faut qu'ils gagnent ; de ma part elle a un autre objet, il suffit que je vive; et, toute réflexion faite, je puis bien vivre à moins de ce que je vous ai marqué. Ainsi n'a- busons pas de la résolution ils paroissent être d'entreprendre cette affaire à quelque prix que ce soit : comme tout le risque demeure de leur côté , il doit être compensé par les avan- tages. Faites l'accord dans cet esprit, et soyez sûr que de i^ part il sera ratifié.

Je vous vois avec plaisir prendre cette peine: voilà, monsieur, le sçul compliment que je vous ferai jamais.

A M. D'IVERNOIS.

Motiers, le 17 décembre 1764.

Il est bon , monsieur , que vous sachiez que , depuis votre départ d'ici , je n'ai reçu aucune de vos lettres , ni nouvelles d'aucune espèce par le canal de personne , quoique vous m'eussiez pro*- mis de m^annoncer votre heureuse arrivée ^ Ge-

!î88 COllRESPOjîftANCÊ.

néve, et de m écrire même auparavant. X^oUâl pDtfvez coùcevoir mon inquiétude. Je sais bien que c*qst l'ordinaire quon m'accable de lettres inutiles , et que tout se taise dans les moments essentiels; je metois flatté cependant qu'il y auroit dans celui-ci quelque exception en ma faveur. Je me suis trompé. Il fatit prendre pa- tience , et se résoudre à attendre qu'il tous plaise de me donner des nouvelles de votre santé, que je souhaite être bonne de tout mon cœur. Mes respects à madame , je vou3 supplie. *

A M. D'IVERNOIS.

«

Motters, le 29 déôeiùbré ï^64*

J'ai reçu, monsieur, toutes les lettres que vous m'avez fait l'amitié de m'écrire , jusqu'à celle du 25 inclusivement. J'ai aussi reçu les estampes que vous avez eu la bonté de m'eilvoyer ; mais le messager de Genève n'étant point encore de retour , je n'ai pas reçu , par conséquent , leâ deux paquets que vous lui avez remis , et je n'ai pas non plus entendu parler encore du paquet que vous m'avez envoyé par le voiturier. Je prie-y rai M. le trésorier de s'en faire informer à Neu- chatel , puisqu'il y ^oit être de retour depuis plusieurs jours.

Leà vacherins que vous m'envoyez seront dis- tribués en totre nom dans votre famille. La caisse de vin de Lavaux, que vous m'annoncez,» ûe sera reçue qu'en payant le prix , sans quoi

j

ANNÉE 1764. 289

elle restera chez M. dlvernois. Je croyôîs que vous feriez quelque attention à ce dont nous étious convenus ici : puisque vous n y voulez pas avair égard, ce sera désormais mon affaire; et je vous avoue que je commence à craindre que le train que vous avez pris ne produise entre nous une rupture qui maffligeroit beaucoup. Ce quily a de parfaitement sûr , c'est que personne au inbnde ne sera bien reçu à vouloir me faire des présents par force; les vôtres, monsieur ^ sont si fréquents , et, j'ose dire^ si obstinés, que de la part de tout autre homme , en qui je re- qonnottrois moins de franchise , je croirois qu'il cache quelque vue secrète qui ne se découvriroit qu en temps et lieu.

Mon cher monsieur , vivons bons amis , je vous en supplie. Les soins que vous vous donnez pour mes petites commissions me sont très pré- cieuxi Si vous voulez que je croie qu ils ne vous sont pas importuns ) faites-moi des comptes si exacts qu'il n'y soit pas même oublié le papier pour leè paquets , ou la ficelle des emballageis ; à cette condition j'accepte vos soins obligeants, et toute mon affection ne vous est pas moins acquise que ma reconnoissance vous est due. Mais, de grâce, ne rendez pas' là-dessus une troisième explication nécessaire , car elle seroit la dernière bien sûrement.

Je suis €[t, serai même plusieurs années; hors d'état de m'occuper des objets relatifs à Fdm- primé! qu'une personne vous a remis pour me

17. »»

le prêter; aiusi, s'il faut s en servir, prompftf- ment , je serai contraint de le renvoyer sans en faire usage. Mon intention étoit de rassembler des matériaux pour le temps éloigné de me» loisirs, si jamais il vient, de quoi je doute: ainsi ne m envoyez rien là-dessus qui ne puisse rester entre mes mains , sans autre condition qtie de l'y retrouver quand on voudra.

Vous trouverez ci^jointe la copie de la lettre de remerciement que M. G....r m'a écrite^ Com- ment se peut-il qu'avec un coeur si aimant et si tendre , je ne trouve par-tout que haine et que malveillants ? Je ne puis là-^dessus me vaincre v l'idée d'un seul ennemi, quoique injuste, me fait sécher de douleur. Genevois, Genevois, il faut que mon amitié pour vous n^e coûte à la fin la vie.

Obliges(-moi , mon cher monsieur , ea^ m en^ toyant la note de Targent que vous avez dé« bourse pour toutes mes commissioits , et d'en tirer sur moi le montant par lettre^de-ohange, eu de me marquer par qui je.doi» vous le faire t^nir. N'omettez pas ce qu'a fourni monsieur Deluc. Je vous embrasse de tout nion eœur.

A M. DUPEYROU.

3 1 décembre fjSl^.

Votre lettre m'a touché jusqu'aux larmes. Je vois que je ne me suis pas trompé , et que vous avez une ame honnête. Vous serez un homme

ÀSNéfe 1764. igt,

pi*écîeux à mon cœun Lisez Fimprimé ci-joînt (i). Voilà , monsieur , à quels ennemis j ai affaire ; Voilà les armés dont ils m'attaquent. Renvoyez» moi cette pièce quand vous l'aurez lue ; ejle en-» trera dans les monuments de l'histoire de ma vie. O! quand un jour le Voile sera tiré, que la postérité m'aimera ! quelle bénira ma mémoire I Vous , aimez-moi maintenant , et croyez que je n'en suis pas indigne. Je vous embrasse»

A M. D^ÎVERNOIS.

Motiers) le 3i décembre 1764^

Jfc re^is , mon cher monsieur, vatre lettre du 28 et les feuilles de la réponse; vous recevrez aussi bientôt la musique que vous demandez* J*ai reçu par ce même courrier un imprimé in- titulé , Sentiments des citàjens. J d'abord re- connu le style pastoral de monsieur Vernes , dé- fenseur de la foi , de la vérité , de la vertu, et de la charité chrétienne. Les citoyens ne pouvoient choisir un plus digne organe pour déclarelr au public leurs sentiments» Il est très à souhaiter que cette pièce se répande en Europe; elle achè- vera ce que le décret a commencé.

Tout ce qu'on me marque de monsieur le Premier est d'un magistrat bien sage. Si les autres Fétoient autant , tout seroit bientôt pacifié , et les choses rentreroient dans l'état douteux

(i) Le libelle intitule, «fen/i/wenfy des Citoyens.

19.

292 CORRESPONDANCE.

peut-êti*eîl seroit à désirer quelles fussent en-* core. Mais fiez-vous aux sottises qUe ranimosité leur fera faire : ils vont désormais travailler pour

vous.

Les deux exemplaires que demande M*^*sont sans doute pour travailler dessus: mais n'im- porte; je les lui enverrois avfec grand plaisir, si j'en avois Vpccasion , sur-tout s'il vouloit pren- dre le ton de monsieur Yernes. Si par hasard cétoit en effet par goût pour l'ouvrage , M*** se- roit un théologien bien étonnant : mais, laissez- les faire. La colère les transporte : comme ils vont prêter le flanc 1 O, monsieur, si tous ces gens-là, moyis brutaux, moins rognes, s'étoient avisés de me prendre par des caresses , j'étois perdu , je sens que jamais je n'aurois pu résis- ter ; mais , par le côté qu'ils m'ont pris , je suis à l'épreuve. Ils feront tant qu'ils me rendront illustre et grand , au lieu que j'étois fait pour n'être jamais qu'un petit garçon. Je vous em- brasse de tout mon coeur.

A M. ***,

Au «UJet d'un MiMOIRS en faveur des PROTBflTAIITfl,

que Ton devoit adresser aux évéques de France.

1765.

La lettre, monsieur, etle mémoire de M***, que vous m'avez envoyés, confirment bien l'es- time et le respect que j'avois pour leur auteur. Il y a dans ce mémoire des choses qui sont tout-à- fait bien ; cependant il me parott que le plan et

ANNÉE 1765. 293

Fexécution demanderoient une refonte confor- me aux excellentes observations contenues dans votre lettre. L'idée d'adresser un mémoire aux évêques n'a pas tant pour but de les persuader eux-mêmes , que de persuader indirectement la cour et le clergé catholique, qui seront plus portés à donner au corps épiscopal le tort dont on ne les chargera pas eux-mêmes. D il doit arriver que les évêques auront honte d élever des oppositions à la tolérance des protestants , ou que , s'ils font ces oppositions, ils attireront .contre eux la clameur publique , et peut-être les rebuffades de la cour.

Sur cette idée il paroît qu'il ne s'agit pas tant , comme vous le dites très bien , d'explications sur la doctrine , qui sont assez connues et ont été données mille fois , que d'une exposition politi- . que et adroite de l'utilité dont les protestants sont à la France; à quoi l'oii peut ajouter la bonne remarque de M***, sur l'impossibilité re- connue de les réunir à l'église, et par consé- quent sur l'inutilité de les opprimer; oppression qui, ne pouvant les détruire, ne. peut servir qu'à les aliéner.

En prenant les évêques, qui, pour la plupart, sont des plus grandes maisons du royaume, du côté des avantagés de leur naissance et de leurs places, on peut leur montrer avec force com- bien ils doivent être attachés au bien de l'état à proportion du bien dont il les comble, et des privilèges qu'il leur accorde; combien il seroit

294 CORRESPOND ANCP.

horrible à eux de préférer leur intérêt et leur ambition particulière au bien général d'une so- ciété dont ils sont les. principaux membres; on peut leur prouver que leurs devoirs de citoyens , loin detre opposés à ceux de leur ministère V en reçoivent de nouvelles forces ,, que Fhumanité , la religion, la patrie, leur .prescrivent la même conduite et la même obligation de protéger leurs malheureux frères opprimés plutôt que de les pour3uivre. Il y a mille choses vives et sail- lantes à dire là-dessus , en leur faisant honte d'un côté de leurs maximes barbares, sans pourtant les leur reprocher , et de l'autre en excitant con^ tre eux l'indignation du ministère et des autres ordres du royaume , sans pourtant paroître y tâcher,

. Je suis , monsieur , si pressé , si accablé , si surchargé de lettres, que je ne puis vous jeter ici quelques idées qu'avec la plus grande rapi- dité. Je voudrois pouvoir entreprendre ce mé- moire, mais cela m'est absolument impossible ^ et j'en ai bien du regret; car, outre le plaisir de bien faire, j'y trouverois un des plus beaux sujets qui puissent honorer la plume d'un aur- teur. Cet ouvrage peut être un chef-d'œuvre de politique et d'éloquence, pourvu qu'on y mette le temps; mais je ne crois pas qu'il puisse être bien traité par un théologien. Je vous salue, monsieur , de tout mon cœur.

I

ANNÉE 1765. ^95

A M. MOULTOU.

Motiers, le 7 janvier 1765.

Il étoit bien cruel , monsieur, que chacun de nous désirant si fort conserver 1 amitié de Tau- tre , crut également I avoir perdue. Je me sou- viens très bien, moi qui suis si peu exact à écrire , de vous avoir écrit le dernier. Votre si- lence obstiné me navra Famé , et me fit croire que ceux» qui vouloient vous détacher de moi avoient réussi ; cependant , même dans cette supposition , je plaignois votre foiblesse sans ac- cuser votre cœur; et mes plaintes, peut-être in- discrètes , prouvoient , mieux que n eût fait mon silence, lamertume de ma douleur. Que pou- voit faire de plus un homme qui ne s est jamais départi de ces deux maximes, et ne s en veut ja^ mats départir : lune de ne jamais rechercher per- sonne, Tautre de ne point courir après ceux qui s'en vont? Votre retraite m'a déchiré : si vous revenez sincèrement , votre retour me rendra la vie. Malheureusement , je trouve dans votre let- tre plus déloges que de sentiments. Je n'ai que faire de vos louanges, et je donnerois mon sang pour votre amitié.

Quant à mon dernier écrit, loin de l'avoir fait par animosité , je ne l'ai fait qu'avec la plus grande répugnance, et vivement sollicité : c'est MU devoir que j'ai rempli sans m'y complaire : mais je n'ai qu'un ton ; tant pis pour ceux qui

2q6 courçspokdahce.

irie forcent de le prendre, car je n'en changerai sûrement pas pour. eux. Du reste, ne craignez rien de leffet de mon livre ; il ne fera du mal qu'à moi. Je connois: mieux que vous la bour- geoisie dç Genève; elle n ira. pas plus loin qu'il ne faut , je vous en réponds,

Hi ipotus anîmorum atque haeç certamjna taqts^ Pulveris exigui jactu compressa quiescent.

Moultou^ je n'aime à vous voir , ni D>inistre , ni citoyen de Genève. Dans l'état sont mœurs, les goûts, les esprits dans cette ville, y pjus n'êtes pas fait pour l'habiter. «Si cette, dé- claration vous fâche encore, ne nousxaccom- modons pgs , car, je ne cesserai point de vous la faire. Le plus mauvais parti qu'un homme de votre portée puisse prendre est celui de se .par-» tag^r. Il faut être tout*à-fait comme leâ^^tres, ou toiit-à-rfait comme soi. Pensez-y. Je vous em- brasse. ; Saluez de ma part votre vénérable père.

A M. D'IVERNOIS,

Motiers, le 7 janvier 1765.

J'ai reçu, monsieur, avec vos dernières Jet-» très, comprise celle du 5 , la réponse aux Lettres écrites de la .campagne.. Cet ouvrage est excel- lent, et doit être en tout temps le manuel: des citoyens. Voilà, monsieur, le ton respectueux, mais ferme et, noble, qu'il faut toujours pren-

ANNÉE 1765. 297

dre, au lieu du ton craintif et rampant dont on n'o^pit sortir autrefois ; mais il ne faut jainais passer au-delà. Vos magistrats n'étant plus pies supérieurs, je puis, vis-à-vis deux, prendre un ton qu'il ne yous conviendroit pas d'imiter, > Je vous remercie derechef des soins sans nom- bre que, vo.us ave^bien voulu prendre pour mes petites commissions , mais qui sont g^randes par la peine continuelle qu'elles vous donnent ; car il semble, à votre activité, que vous ne pouvez être occupé que de moi. Vos soins obligeants , monsieur, peuvent m'être aussi utiles que votre amitié me. sera précieuse ; et , lorsque vous vou- drez bien observer nos conditions, une fois à mon aise de ce coté , bien sur de. vos bontés , je n'épargnerai point vos peines.

Je n'ai point encore donné le louis de votre part à ma pauvre voisine ; premièrement, parce- que sa santé étant passable à présent , elle n'est pas absolument sous la condition que vous y avez .mise ; et , en second lieu , parceque vous exigez de n'être pas nommé, condition que je ne puis admettre , parceque ce seroit faire pré- sumer à ces bonnes gens que cette libéralité vient de moi, et que je me cache par modestie ; idée à laquelle il ne me convient pas de donner lieu. . Bien des remerciements à M. Deluc fils , de sa bonne volonté. Je ne vous cacherai pas que l'op- tique me seroit fort agréable; mais, première- ment , je ne consentirai point que M. Deluc , déjà . §i chargé d'autres occupations , s'en donne la

29B CORRESPONDANCE.

peine lui*inême , et je crains que cette fontaisie ne coijte plus d-argept que je n y en puis mettre pour le présent. Mais il m a promis de me pour-* ¥oir d*un microscope; peut -^ être mième eafau- droit-il deux. Il en sait lusa^e, il décidera. Je se- rois bien aise aussi d avoir, en couleurs bien pures , un peu d'outremer et de carmin , du vert de vessie, et de la gomme arabique.

II est très à désirer que la fermentation causée par les derniers écrits n ait rien de tumultueux. Si les Genevois sont sages, ils se réuniront, mais paisiblement ; ils ne se livreront à aucune im- pétuosité , et ne feront aucune démarche brus- que. Il est vrai que la longueur du temps est contre eux; car on travaillera fortemei^t à les desunir, et tôt ou tard on réussira. La combi** saison des droits , des préjugés , des circonstan- ces , exige dans le& démarches autant de sagesse que de fermeté. Il est des moments qui ne re- viennent plus quand on les néglige ; mais il faut autant de pénétration pour les connottre, que d'adresse à les saisir. N y auroit-il pas moyen de ipé veiller un peu le Deux-cents ? S'il ne voit pas ici son intérêt, ses membres ne sont que des cru* ches. Mais tenez-vous sûrs qu'on vous tendra des pièges , et craignez les faux frères. Profitez du zèle apparent de M. Ch. , mais ne vous y fiez pas, je vous le répète. Ne comptez point non plus sur l'homme dont vous m'avez envoyé une réponse. S'il faut agir, que ce soit plus loin. Du re^te, je commence à pepser que , si Ton se conduit HeUf

ANNÉE 1765. 299

cette ressource hasardeuse ne sera pas nécessaire.

Vous voulez une inscription sur votre exem'« plaire. Mes bons Saint-Gervaisiens en ont mis une qui se rapporte à Fouvragfe : en voici une au- tre qui se rapporte à Fauteur : jilto quœsivit cœlo lucem , ingemuitque repertâ.

Je suis fâché de vous donner du latin : mais le françois ne vaut rien pour ce genre ; il est mou, il est mort, il n a pas plus de nerf que de vie.

MiUe remerciements , je vous prie , à madame dlverftois , pour la bonté qu elle a eue de prési- der à lâchât pour mademoiselle Le Vasseur. Son goût se montre dans ses emplettes comme son esprit dans ses lettres. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Voici une lettre pour M. Moultou : la sienpe ma fait le plus grand plaisir, et mon cceur en avoit besoin.

Je m'aperçois que l'inscription ci-dessus est beaucoup trop longue pour lusage que vous en voulez faire. En voici une de Imvention de M. Moultou , qui dit à-peu-près la même chose en moins de mots : Luget et monet] *

J oubliois de vous dire que le premier de ce mois messieurs deCouvet me firent prier par une députâtion de vouloir bien agréer la bourgeoisie de leur communauté, ce que^je fis avec recon- noissance ; et , le lendemain , un des gouverneurs avec le secrétaire, m'apportèrent des lettres con- çues en ternies très obligeants et trèshonorables, et dans le cartouche desquelles, dessiné en mi-»

3oo CORRESPONDANCE.

niature , il8 avoient eu Fattention de mettre ma dévide. Je leur dis , car je ne veux rien vous taire, que je me tenois plus libre , sujet d un roi juste, et plus honoré d être membre d'une commu- nauté où régnoit légalité et la concorde , que citoyen d une république les lois n etoient qu un mot , et la liberté qu un leurre. Il est dit dans les lettres que la délibération a été unanime aul suffrages de cent vingt-cinq voix. I

Hier labbaye de Tarquebuse de C!ouvel| me fit offrir le même honneur, et je lacceptai de lùême. Vous savez que je suis déjà de celle de Mo tiers. Je vous avoue que je suis plus flatté de ces mar- ques de bienveillance, après un assez long séj^our dans le pays pour que ma conduite et mes mœurs y fussent connues , que si elles m'eussent été pro- diguées d*abqrd en y arrivant.

A M. DE GAUFFECOURT.

Motiers-Travers, le 12 janvier 1765.

Je suis bien aise, mon cher papa, que vous puissiez envisager , dans la sérénité de votre pai- sible apathie , les agitations et les traverses de ma vie, et que vous ne laissiez pas de prendre aux soupirs qu elles m'arrachent un intérêt digne de notre ancienne amitié.

Je voudrois encore plus que vous que le moi parût moins dans les Lettres écrites de la mon- tagne ; mais sans le moi ces lettres n auroient point existé. Quand on fit expirer le malheureux

ANNÉE 1765. 3ot

Calas €ur la roue, il lui étoit difficile d oublier qu il étoit là.

Vous doutez qu on permette une réponse.' Vous vous trompez, ils répondront par des li- belles diffamatoires : c est ce que j attends pour achever de les écraser. Que je suis heureux qu'on ne se soit pas avisé de me prendre par des ca- resses ! j'étois perdu, je sens que je naurois ja- mais résisté. Grâce au ciel , on ne ma pas çkté de ce côté-là, et je me sens inébranlable par ce- lui qu on a choisi. Ces gens-là feront tant qu'ils me rendront grand et illustre , au lieu que na- turellement je ne devois être qu'un petit garçon. Tout ceci n'est pas fini : vous verrez la suite , et vous sentirez, je l'espère, que les outrages et les libelles n'auront pas avili votre ami. Mes saluta- tions , je vous prie, à M. de Quinsonas : les deus lignes qu'il a jointes à votre lettre me sont pré- cieuses ; son amitié me paroit désirable , et il seroit bien doux de la former par un médiateur tel que vous.

Je vous prie de faire dire à M. Bourgeois que je n'oublie point sa lettre , mais que j'attends pour y répondre d'avoir quelque chose de positif à lui marquer. Je suis fâché de ne pas savpir son adresse.

Bonjour, bon papa, parlez-moi de temps en temps de votre santé et de votre amitié. Je vous embrasse de tout mon cœur.

P. S. Il paroit à Genève une espèce de désir

3o2 CÔRtlESI*ÔNBÂN<ÎÈ.

de se rapprocher de part et d'autre. Plût à DîetI que ce désir fat sincère d'un côté , et que j'eusse la joie de voir finir des divisions dont je suis la cause innocente ! Plût à Dieu que je pusse con-* tribuer moi-même à cette bonne œuvre par toutes les déférences et satisfactions que Thon- neur peut nie permettre ! Je n'aurois rien fait de ma vie d'aussi bon cœur , et dès ce moment je me tairois pour jamais.

A M. DUCLOS.

Motiers, le i3 janvier 176$.

J'attendoîs , mon cher ami , pour vous remer-» cîer de votre présent que j'eusse eu le plaisir de lire cette nouvelle édition et de la comparer avec la précédente; mais la situation violente me jette la fureur de mes ennemis ne me laisse pas un moment de relâche ; et il failt renvoyer les plaisirs à des. moments plus henreux , s'il m'est encore permis d'en attendre. Votre portrait ti'avoit pas besoin die la circonstance pour me causer de l'émotion ; mais il est vrai qu'elle en a été plu^ vive par la comparaison de mes mi- sèfes {présentes avec les temps j'avois ïe boti-" heur de vous voir tous les jours. Je voudroi^r Ken que vous me fissiez l'amitié de m'en donner une seconde épreuve pour mon porte-feuille- Les vrais amis sont trop rares jpour qu'en effet la planche ne restât pas long-temps neuve, si Vous n'en donniez qu'une épreuve à chacun des

ANiïÉE 1765. 3o3

vôtres; mais j*o^e ici dire au nom de tous qu'ils sont bien dignes que vous Fusiez pour eux.

Quoique je sache que vous n êtes point fait pour en perdre, je suis peu surpris que vous ayez à vous plaindre de ceux avec lesquels j'ai été forcé de rompre. Je sens que quiconque est un faux ami pour moi n en peut être un vrai pour personne.

Ils travaillent beaucoup à me faciliter lentre-* prise d'écrire ma vie, que vous m'exhortez de reprendre. Il vient de paroître à Genève un li- belle effroyable , pour lequel la dame d'E y a

fourni des mémoires à sa manière, lesquels me mettent déjà fort à mon aise vis-à-vis d elle et ce qui lentoure* Dieu me préserve toutefois de I imiter même en me défendant ! Mais sans révéler les secrets quelle m'a confiés, il m'en reste assez de ceux que je ne tiens pas d'elle pour la faire ccmhoître autant qu^il est nécessaire en ce qui se rapporte à moi. Elle ne me croit pas si bien instruit; mais, puisqu'elle m'y force, elle apprendra qudqiiejôur combien j'ai été discret. Je vous avoue cependant que j'ai peine encore à vaincre ma répugnance , et je prendrai du moins des mesures pour que rien ne paroisse de mon vivant. Mais j'ai beaucoup à dire , et je dirai tout ; je n'omettrai pas une de mes fautes , pas même une de mes mauvaises pensées. Je me peindrai tel que je fus, tel que je suis: le mal of&isquera presque toujours le bien ; et, malgré cela , j'ai peine à croire qu'aucun de mes lec-

3o4 CORhESPOîÎDANCE.

teurs ose se dire , je suis méilletir que ne Ait Cet homme-là.

Cher ami, j ai le cœur oppressé , j ai les yeux gonflés de larmes ; jamais être humain n'éprouva tant de maux à-'la-fois. Je me tais^ je souffre, et j'étouffe. Que ne suis-je auprès de vous! du moins je respirerois. Je vous embrasse.

«

A M. D'IVERNOIS.

Mo tiers, le 17 janvier lyfô

Votre lettre , monsieur , du 9 de ce Brois n^ m est parvenue qu'hier, et très certainement elle avoit été ouverte.

Il me semble que je ne serois pas de votre avis sur la question de porter ou de ne pas porter au conseil général les griefs de la bourgeoisie, puis- qu'en supposant de la part du petit conseil Je refus de la satisfaire sur ses grieé , il n'y a nul^ autre moyen de prouver qu'il y est obligé : car enfin de ce que des particuliers, se plaignent, il ne s'ensuit pas qu'ils aient raison de se plain- dre , et de ce qu'ils disent que la loi a été violée il ne s'ensuit pas que cela soit vrai , snr^iout quand le conseil n'en convient pas. Je vois ici deux parties; savoir , les représentants et le pe- tit cotiseil. Qui sera juge entre lés deux?

D'ailleurs la grande affaire en cette occasion est d'annuler le prétendu droit négatif dans sa. partie qui n'est pas légitime; et rien n'est plus important pour constater cette nullité que l'ap-'

ANNÉE 1765/ 3o5

pel SLVk conseil général. Le fait seul, de cette as- semblée donneroit aux représentants gain de cause quand même leurs griefs n'y seroient pas adoptés.

Je conviens que par la diminution du nombre cette souveraine assemblée perdra peu-à-peu son autorité ; mais cet inconvénient ^ peut-èf re inévitable ^t encore éloigné , et il est bien plus grand en renonçant dès à présent aux conseils généraux. Il est certain que votre gouvernement tend rapidement à laristpcratie héréditaire ; mais il ne s ensuit pas qu on doive abandonner dès à présent un bon remède, et sur-tout s'il est unique ^ seulement parcequ'on prévoit qu'il per- dra sa force un jour. Mille incidents peuvent d'ailleurs retarder ce progrès encore ; m^is si le petit conseil demeure seul juge de vos griefs, en tout état de cause vous ^tes perdus.

La question me paroit bien établie dans nia. huitième lettiy. On se plaint que la loi est trans- gressée. Si le conseil convient de cette transgres- sion et larépare j tout est dit, et vous n avez rien à demander de plus; mais s'il n'en convient pas, x>u refuse de la réparer , que vous ireste-t-il à demander pour l'y contraindre? un conseil gé- néral.

L'idée de faire une déclaration sommaire dei griefs est excellente; mais il faut éviter de la faire d'une manière trop dure qui mette le con- seil trop au pied mur. Demander que le ju- gement contre moi soit révoqué c'est demander 17. 20

3o6 GQRRE&PONDANGE.

une chose insupportable pour eux, et au^ipar-* faitement inutile pour vous que pour moi. Il n est pas même sur que Taffirmative passât au

' conse^ général , et ce seroît m exposer à un nou- vel affront encore plus solennel. Mais demander si Farticle 88 de Tordonnance ecclésiastique ne s applique pas aux auteurs des livres ainsi qu a ceux qui dogmatisent de vive voii^c est exiger une décision très raisonnable , quinaris le droit aura la mêm^force, en supposant l'affirmative , que si la procédure étoit annuléq , mais qui £auve le conseil deTaffront de lannuler ouver* tement. Sauvez à vos magistrats des rétracta- tions humiliantes, et prévenez les interpréta- tions arbitraires pour Fayenir. Il y a cependant des points sur lesquels on doit exiger les déda- rations les plus expresses ; tels sont les tribu*- naux sans syndics , tels sont les emprisonne-

, inents faits d'office , etc. Laissez , messieurs , le petit poipt cl'honneuret allez ^ solide. Voilà mon avis.

J'ai re<;u les couleurs et le microscope ; mille remerciements, et à M. Deluc. N'oubliez pas, je vous supplie, de tenir une note exacte de tout. Dans celle qi^e vous m'avez envoyée vous* avez oublié la flanelle; je vous prie de réparer cette omission.

Tai fait donner le louis à ma voisine; Digne homme , que les bénédictions du ciel sur vous et sur votre famille augmentent de jour en

ANNÉE 1765. 307

jour une fortune dont vous faites un si noble usage !

Le messager doit partir la semaine prochaine. Je voudrois que Vous attendissiez les occasions de vous servir de lui plutôt que d'importuner incessamment M. le trésorier pour tant de pë^ ttts articles qui ne pressent point du tout , et m dont fexpédhion lui donne encore plus d'incom- modité qu a moi d'avantage.

Ne faites rien me^re dans la gazette. Le gazé- tier, vendu à mes ennemis, altéreroit infailli- blgmept Votre article , ou lempoisonneroit dans quelque autre. D'ailleurs à quoi bon? Que ne suis^îe oublié du genre humain! Que ne puis-je, aux dépens de cette petite gloriole, qui ne me flatta de ma yit , jouir du repos que j'idolâtre , de cette paix si cfhère à mon cœur , et qu'on ne goûte que dûtiê l'obscurité ! O si je puî^ faire une fois mes dentiers adieux au public!... Mais peut- être avant cet heureuiL moment faut-il les faire à la vie. La volonté de Dieu soit faite. Je Vous embrasse tendrement.

Je vous prie de vouloir bien donner cours à cette lettre pour Ghambéry. Je ne puis faire la proauration c(ue vous demandez que dans belle saison , voulant qu elle soit légalisée à Yverdun ou à Neudhatel, par des^aisons que je TOUS expliquerai et^ui n'ont aucun rapport à la chose.

ai>.

3o8 GORRESPONDâNÛE.

A M. PICTET.

Motierft, le 19 janvier 1765^

Vous auriez toujours , monsieur, des répan* ^es bien promptes si ma diligence à les faire étûit proportionnée au plaisir que je reçois de vos lettres : mais il me semble que , par égard pour ma triste situation , ^us m'avjez promis sur cet article une indulgence dont assurément mon cœur n a pas besoin, mais que les tracas des faux empressés , et Imdolence de mon, état ilie rendent chaque jour plus nécessaire. Rappe- lez-vous donc quelquefois, je vous supplié, les sentiments que je vous ai voués, et ne concluez rien de mon silence contre mes déclarations.

Vous aurez pu comprendre aisément, mon- sieur, à la lecture des Lettres de la montagne y combien elles ont été écrites à contreK^œur. Je n'ai jamais rempli devoir avec plus de répu- gnance que celui qui mlmposoit cette tâ(;^e ; mais enfin c en étoit un tant envers moi qu'en- vers ceux qui s'étoient compromis en prenant ma défense. J aurois pu , j'en conviens , le rem- plir sur un autre ton : mais n'en ai qu'un ; ceux qui ne l'aiment pa^. ,u^ dévoient pas me forcer à le prendre. Puisqulla s'étudient à m'o- bliger de leur dire leur vérité , il faut bien user du droit qu'ils me donnent. Que je suis heu- reux qu'ils ne se soient pas avisés de me gâter par des caresses ! Je sens bien mon cœur, j'étois

ANNÉE 1765. 309

perdu s'ils m'avbieat pris de ce coté-là ; mais je me crois à l'épreuve par celui qu'ils ont préféré.

Ce que j'ai dit à la page 202 est si simple que vous ne pouvez m'en savoir aucun gré; mais* vous pouvez m'en savoir un peu de ce que je n'ai pas osé dire, et vous n'ignorez pas la raison qui m'a rendu discret.

Puisque vous avez cependant , monsieur, le courage d'avouer dans ces circonstances l'amitié dont vous m'honorez , je m'en honore trop moi- même pour ne pas vous prendre au mot. Jus- qu'ici je n'ai point indiscrètement parlé de notre correspondance, et je n'ai laissé voir aucune de vos lettres ; mais par la ' permission que vous m eu donnez j'ai montré la dernière. Par les ta- lents qu'elle annonce , elle mérite à son auteur la célébrité ; mais elle la lui mérite encore à %ieilleur titre par les vertus^qui s'y font sentir.

«

A M. D.

* Motiers, le 24 janvier 1765.

\ Je VOUS avoue que je ne vois qu'avec effroi

l'engagement (i) que je vais prendre avec la compagnie en question si l'affaire se consomme ; ainsi quand elle manqueroit j'en serois très peu puni. Cependant, comme j'y trôuverois 4l|^s avan- tages solides, et une commodité très grande pour l'exécution d'une entreprise que j'ai à

(i) Pour une édition générale de ses ouvrages.

3iO CORRESPONDANCE.

cœur , que d'ailleurs je 0e veux , pas répandre malhonnêtement aux avances de ces messieurs, j^ désire, si lentreprise se rompt, que ce ne soit pas par ma faute. Ou reste, quoique je trouve les demandes que vous avez faites en mon nom un peu fortes; je suis fort davis, puisqu'elles sont faites, qu'il u'en soit rien ra- battu.

Je vous reconnois bien, monsieur ,. dans Tar* rangement que vous me proposez au défaut de celui-là ; mai* , quoique j'eu sois pénétré de re- çonnoissance , je me rcconnoitrois peu moi^ même si je pouvois l'accepter sur ce pied4à : toutefois j'y vois une ouverture pour sortir, avec votre aide, d'un furieux embarras je suis. Car, dans l'état précaire sont ma santé et ma vie, je mourrois dans une perplexité bien cruelle en songeant que je laisse mes papiers , mes ef-* fets , et ma gouvernante , à la merci d'un incon- nu. Il y aura bien du malheur si l'intérêt que vous voulez bien prendre à moi , et la confiance que j'ai en vous ne nous amènent pas à quelque arrangement qui contente votre çoour san^ faire souffrir le mien« Quand.vous serez une fois mon dépositaire universel, je serai tranquille, et il me semble que le repos de mes jours m'^n sera plus do^ quand je vous en serai redevable. youdrois seulement qu'au préalable nous pus-^ sions faire une connoi^sauoe enporç plus intime. J'ai des projets de voyage pour cet été. Ne pour- rions-nous en fiiire quelqu'un ensemble? YQtre

ANNÉE 1765. 3ll

Mtiment vous 6ccupera-t-il si fort que vous ne Jouissiez le quitter quelques semaines, même quelques mois, si* le cas y échoit? Mon cher it)ODsieur , il faut commencer par beaucoup se connottre pour savoir bien ce qu^on fait quand on se lie. Je m attendris à penser qu'après une vie si inalheureuse , peut-être trou verai- je en- core des jours sereins près de vous, et que peut- être une chaîne de 'traverse ma-t-elle conduit à rhomme ^que la Providence appelle à nie fermer les yeux. Au reste je vous parle de mes voyages , parceqrfà force d'habitude les déplacements sont devenus pour moi des besoins. Durant toute la belle saison il m'est impossible de rester plus de deux ou trois jours en place sans me con- traindre et sans souffrir.

A M. LE COMTE DE***.

Motiers, le 16 jtiiQvieiC r^G&.

fe suis pénétré, monsieur, des téiïibîgnages destime et de confiance dont vous jii'bdnorez : mais , comme vous dites fort bien , laissons les compliments', et , s'il est possible , allons à

fe

Je ne çroispas que ce que vous désire^ de moi se prisse exécuter avec succès d'emblée dans une seule lettre , que madame la comtesse seh- tîi^a d'abord être vôtre ouvrage. H vaut mieux , ce me semble*, puisque vous m'assurez qu'elle est portée à bieti penser de moi, que je fasse avec

3l4 ^ CORRESPONDANCE.

d'dppartenir à votre sang par des devoirs (i)w .

En voilà plus quil ne faut, madame ^ pour m'attacherpar le plus vif intérêt au bonheur d'un soigne couple, et l^ienaSsezJ espère ,pourm-ffa- toriser à vou^ marquer ma reconnôissânce pour la part qui me vient de vous des bontés qu Maour moi M. le comte de***. J ai pensé que Fheureux événement qui s'approche pou voit ^ selon vos ar« rangements , me mettre avec vous en correspon- dance; et pour un objet si respectables je sens du plaisir à la prévenir.

Une autre idée me fait livrer àrmbn zèle avec confiance. Les devoirs de M. le comte de*** tap- pelleront quelquefois loin de vous. Je rends' trop de justice à vos sentiments nobles pour douter que si le charme de votre présence lui faisoit ou- blier ces devoirs , ibus ne les lui rappelassiez vous-même avec courage. Gomme un amour fondé sur la vertu peut sans dangerbraver lab- sence, il n'a rien de la mollesse du vice; il se renforce par les sacrifices qui lui coûtent , et dont il s'honore à ses propres yeux.* Qae vous êtes heureuse , madame , d'avoir un mérite qui vous çlet au-dessus des craintes , et un époux qui sait si bien ^n sentir le prix ! Plus il aura de com- pars^isons à faire, plus il s'applaudira de son bonheur. DiMfts ces intervalles vous* passerez un temps

(i) Madame la G. de B. avoît paru souhaiter que M. Rotisseau Toulût être le parrain de l'enfant dont elle étoit.surie point d'accoucher.

ANNÉE 1765. 3l5

très àowL à v6us occuper de lui, des chers gages de sa tendresse , à lui en parler dans vos lettres^ à en parler 4. ceux qui preimeot part à votre i:imo0. Dans ce nombre oserois^e, madame, me cojmpter auprès de y ous pour quelque clft>se? J'en ai le droit par mes sentynents : essayez si j en^ tends les vôtres, si je sens vos inquiétudes , si qu^uefois je puis les calmer. Je ne me flatte pas d adoucir vos peines ; mais cest quelque chose que les p£^rtager , et voilà ce que je ferai de tout mon cœui*. Recevez , madame , je vov^ supplie , les assurances de mon respect.

A MILORD<MAR£GHAL.

26 janvier 1765.

J'espérois, m^ilord, finir ici mes jou*enpaix; je sens que cela n est pas possible. Quoique je vive en. toute sûreté dans ce pays aous la protection du roi , je suas trop près Genève et de Berne qui ne me laisseront point en repos. Vous savezà quel usage ils jugent à propos d employer la religion: ils en font un gros torchon de paille enduit de- boue , quils me fourrent dans la bouche à toute force *pour me mettre'en pièces tout à leur aise y sans que je puisse crier. Il faut donc fuir malgré mes maux, malgré ma paresse; il faut chercher quelque endroit paisible je puisse i^spifer. Mais aller ? Voilà , milord , sur quoi je vou9 QonMt^*

Je ne vois quer deux pays à choisir j TAngleterre

3lé CORRESPONDANCE.

OU ritalie. L'Angleterre seroît bieû plus^elon inon humeur , mais elle es{ iAoins convenable à ma santé , et je ne sais pas la langue : grand incon- vénient quand oi^ s'y transplante seul. D'ailleurs il y fait sPchcr vivre , qu'un homme qui manque de grandes ressources ^'y doit point aller , à moins qu'il ne veuille s'intriguer pour s'en pro- curer, chose que je ne ferai de ma vie; cela est plus décidé que jamais.

Le climat de l'Italie me conviendroît fort , et moa état^ à tous égards , nte le rend de beaucoup préférable. Mais j'ai besoin de protection pour qu'on m'y laisse tranquille : il faudroit que quel- qu'un des princes de ce pays-là m'accordât un asile dans quelqu'une de ses maisons , afin que le clergé ne nût me chercher querelle si par hasard la fantaisie lui en pr^ioit ; et cela me paroit ni bienséant à demander ni facile à obtenir quand on ne connott personne. J'aimerois assez le séjour de Venise, que je connois déj$ ; mais quoique Jésus ait défendu la vengeance à seis apôtres , S. Marc ne se pique pas d'obéii^'SUr ce point. J'ai pensé que si le roi ne dédaignoit pas de m'honorer de quelque apparente commission , ou de quelque titre sans fonctions comme sabs^ppointenients, et qui ne signifiât rien que l'honneur que j'aurois d'être à lui, je pourrois sous cette sauvegarde^ soit à Yienise soit ailleurs, jdulr^en sûreté du respect qu on porte à tout ce qifi lui apjpartient. Voyez , milord , si dans cette occurrence votre sollicitude paternelle imagineroit quelque chose

. ANNÉE 1765. 317

pour me préserver daller.»., (i), ce

qui seroit finir assez tristement une vie bien malheureuse. C'est une chose bien précieuse à mon cœur que le repos , mais qui me seroit bien plus précieuse encore si je la tenois de vous. Au reste , ceci n'est qu'une idée qui me vient , et qui peut-être est très ridicule. Un mot de votre part me décidera sur ce qu'il en faut penser.

. A M. BALLIÈRE.

Motier8| le a8 ja^nvier;[765.

Deux etivois de M. Duchesne, qui ont de- meuré très long-temps en route , m'ont apporté:, monsieur , l'uu votre lettre et l'autre, votre li^ vre (2). Voilà ce qui m'a fait retarder si long^ temps à vous remercier de l'une et de l'autre. Que ne donnerois-jepas pour avoirpu consulter votre ouvrage ou vos lumières il y a dix ou douze ans, lorsque je travaillois à rassembler les articles mal digérés que j'avois faits pour l'Encyclopédie! Aujourd'hui que cette collection est achevée, et que tout ce qui s'y rapporte est entièrement ef- facé de mon esjprit , il n'est plus temps de re- prendre cette longue et ennuyeuse besogne, malgré les erreur^t les fautes dont elle foui^miîle.

(i)^ Cette lacune est indéchiffrable dans le brouillpn ^e Velilteur. Il paroit quHl y a sans ou bien sous les plombs^ expression que je ne comprends pas.

(Note de FÉditeur.)

/ . ^a). Un exeiûplaire de la Théowde la^Musùjue,

3l8 CORÏlEBPONDANCE. v

J'ai pourtant le plaish* de sentir quelquefois que j'étois , pour ainsi dire , à la piste de vos décou- vertes, et qu'avec un peu plus d'étude et de mé^ ditation j'aurois pu peut-être en atteindre quel- ques unes. Car, par exemple , j ai très bien vu que l'expérience qui sert de principe à M; Rameau n'est quune jpartie de celle des aliquotés, et que cest de cette dernière , priâe dans sa totalité , qu'il faut déduire le système de notre harmonie; mais je n'ai eu du reste que des demi-lueurs qui n'ont fait que égarer. Il est trop tard pour "re- venir maintenant sur mes pas , et il faut que mon ouvrage reste avec toutes ses fautes , ou qu'il soit refondu dans une seconde édition par une meil- leure main. Plût à Dieu , monsieur^ que cette main fut la vôtre! vous trouveriez peut-être a^sséz de bonnes recherches toutes faites pour vous lépargner le travail du manœuvre , et vous laisser seulement celui de l'architecte et théoricien. Recevez, monsieur, je vous supplie , mes très humbles salutations, ^

À M. DUPEYROU.

'.*"■■ - - •.'•••

l^otiersyle 3i janvier 1765.

Voici , monsieur , deux exe4||||)Iaires de la pièce qjue vous avez déjà yue , et que j'ai fait imprimer à- Paris. C'étoit; hi meilleur(ç réponse qu'il me convenoit d'y faire.

Voici aussi la procuration sur votre dernier modèle; je doute qu'elle puisse ^avoir son Usage.

j

ANNÉE 1765. 311^

Pourvu que ce ne soit ni votre faute ni la mienne, i] importe peu que laffaire se rompe; naturelle^ ment je dois m y attendre, et je m'y attends.

Voici enfin la lettre de M. de Buffoù, de la- quelle je suis extrêmement touché. Je veux lui écrire; mais la crise horrible je suis ne me le permettra pas sitôt. Je vous avoue cependant que je n entends pas bien le conseil qu il me donne de ne pas me mettre à dos M. de Voltaire; c'est comme- si Ton conseilloit à un passant , attaqué dans un gnand chemin , de ne pas se mettre à dos le brigand qui Tassassine. Quai -je fait pour m attirer les persécutions de M. de Voltaire ; et qu ai - J6., à craindre de pire de sa part ? M. de Buffon veut-il qi|e je fléchisse ce tigre altéré de mon sang ? il 'sait bien que rien n apaise ni ne fléchit jamais la fureur des tigres. Si je rampois devant Voltaire , il en triompheroit sans doute , piais il ne m'ei^ égorgeroit pas moins. Des bas-ir êesses me déshonoreroient^ et ne me sauveroient pas. Monsieur, je sais souffrir; j'espère appren- dre à mourir ; et qtii sait cela n'a jamais besoin d'être làohe.

Il a fait jouer les pantins de Berne à l'aide de

son ame damnée le jésuite B dr il joue à pré<^

sent le même jeu en Hollande. Toutes les puis* sances plient sous l'ami des ministres tant poli^ tiquôs que presbytériens. A cela que puis-je faire? Je ne doute presque pas du sort qui m'attend sur le canton de Berne, si j'y mets les pieds ; cepen» dant j'en aurai le cœur net , et je veux voir jus-

3;aid CORRESPONDANCE.

quoùy dâ^s ce siècle aussi doux qu'éclairé , la philosopliie etrhumanité seront poussées.Quand l'inquisiteur Voltaire m'aura fait brûler, cela ne sera pas plaisant pour moi , je l'avoue ; mais avouez aussi que, pour la chose, cela ne sauroit l'être plus.

Je ne sais pas eifcore ce que je deviendrai cet été. Je me sens ici trop près de Genève et de Berne pour y goûter un moment de tranquillité. Mon corps y est en sûreté , mais mon ame y est incessamment bouleversée. Je voudrois trouver quelque asile je pusse au moins achever de vivre en paix. J'ai quelque envie d'aller chercher en Italie une inquisition plus douce , et un climat moins rude. J'y suis désiré, et je suis sûr d'y être accueilli. Je ne ndie propose pourtant pas de me transplanter brusquement ^ mais d'aller ^ule-» ment reconnottre les lieux, si mon état me le permet , et qu'on me laisse les passages libres , de quoi je doute. Le projet de ce voyage trop éloigné ne me permet pas de songer à le* faire jBivec vous , et je crains que l'objet; qui me le fiai- soit sur-tout désirer ne s'éloigne. Ce que j'avoîs besoin, de connottre mieux n étoit assurément pas la conformité de nos sentiments et de nos principes , mais cellç de nos humeurs, dans la supposition d'avoir, à vivre ensemble comme vous aviez eu4'bpnnèt été de mêle proposer. Quel- que parti que je prenne, vous connoitrez, naon- sieur, je m'en flotte, que vous n'avez, pas jooon

ANNÉE 1765. 321

estime et ma coofiance à demi; et, si vous pou- vez me prouver que, certains arrang[ements ne Vous porteront pas un notable préjudice , je vous remettrai , puisque vous le voulez bien , rembarras de tout ce qui regarde tant la collec- tion de mes écrits que Thonneur de ma mémoire; et , perdant toute autre idée que de me préparer au dernier passage, je vous devrai avec joie le l*epo8 du reste de mes jours»

J'ai l'esprit trop agité maintenant poUr pren- dre un parti ; mais ^ après y avoir mieux pensé ^ quelque parti que je prenne, ce ne serd point siEins en causer avec vous, et sans vous faire en* trer pour beaucoup dans mes résolutions der* nières. Je vous embrasse de tout mon cœun

A M.SAINT^BOORGEOlS;

;...i 2 février 176$^

. Jaî reçu, monsieur^ avec la lettre que vous m ave& fait l'honneur de m'écrire le 29 janvier ^ l'écrit que vous avez pris la peine d'y joindre; Je VOUs*remercie de l'une et de l'autrci

Vous m'assurez qu'un grand nombre de lec- teurs me traite d'homme plein d'drgUeil , de pré« somption , d'arrogance ; vous avez soin d'ajouter que ce sont leurs propres expressions^ Voilà ^ montteur , de fori^vilains vices dont je dois ta-* chef de me corriger. Mais sans doute ces mes-» sieurs ^ qui usent si libéralement de ces termes ^

17^ àl

322 CORRESPONDANCE.

sont eux-mêmes si remplis d'humilité , de dou- ceur et de modestie ^ qu'il n'eSt pas aisé d'en avoir autant qu'^x.

Je vois , monsieur ^ que vous avez de la santé , du loisir 9 et du goût pour la dispute: je vous en fais mon compliment ; et pour moi, qui n'ai rien de tout cela , je vous salue, monsieu^, de tout mon cœur.

A M, P. CHAPPUIS,

Motiers, le i février 1765.

J'ai lu , monsieut* , avec grand plaisir la lettre dont vous Hï'àvez honoré le 18 janvier. J^y trouvé tant de justesse , de sens , et une si honnête fran-. chise, que j'ai regret de ne pouvoir vous suivre dans les détails vous y êtes entré. Mais , de grâce , mettez-vous à ma placé ; supposez-*vous malade , accablé de chagrins , d'affaires , de lettres , de Visites , excédé d'importuns de toute espèce qui, n)e sachant que faire de leur temps , absorberoientimpitoyableiilientle vôtré^ et dpnt chacun voudroit vous occuper de lui s<eul et de st9 idées. Dans cette position ^monsieury car é*est la mienne , il me faudroit dix têtes , vingt mains^; quatre secrétaires , et des jours de quarante-huit heures pour répondre à tout ; encore ne pour- rois-je contenter personne, parceque souvent deux lignes d'objections denr^ndeùt vinglll|^ages de solutions.

Monsieur, j'ai dit ce que je savois , et peut'-être ce que je ne savois pas ; ce qu'il y a de sûr , c'est

ANNÉE 1765. 3îî3

que je n en sais pas davantage; ainsi je ne ferois plus que bavarder, il vaut mieux me taire. Je vois que la plupart de ceux qui m'écrivent pensent comme moi sur quelques points , et différem- ment sur d autres : tous les hommes en sont à- peû-près ; ilneâiut point se tourmenter de ce$ différences inévitables, sur-tout quand on est d*açcord sur 'Fessentiel , comme il me parott que nous le sommes vous et moi.

Je trouve les chefs aui^quels vo«is réduisez les éclaircissements à demander au conseil assezVai- sonnables. Il n'y a qu^le premier qu'il faut re- trancher comme inutile, puisque, ne voulant ja- ?mais rentrer dans Genève, il m'est parfaitemei^t égal que le jugement rendti contre moi soit ou ne soit pas redressé. Ceux qui pensent que l'intérêt ou la passion m'a fait agir dans cette affaire , lisent bien mal le fond de mon cœur. Ma conduite est une , et n'a jamais varié sur ce poinjt : si mes con- temporains ne me rendent pas justice en ceci, je > m'en console en me la rendant à moi-même , et je l'attends de la postérité, Bonjour , monsieur. Vous croyez que j'ai fait afyec vous en finissant ma lettre ; point du tout, ayant oublié votre adresse , il famt maintenant la retourner chercher d«n^ votre première lettre , p<erdue dans cinq cents autres , il me faudra peut-être une dtemî-joumée pour la trouver.. Ce qui achève de te'étowriîir, est que je manque d'ordre : mais le déccfuragement 'et la paresse m'abBorbent, Éti'anéantisâent ; et je suis trop vieux

ai.

â24 CORRESPONDANCE.

/ pour me corriger de rien. Je vous salue de tout mon^œur..

A MADAME LA M. DE V.

Motiers^ le 5 février 1765.

Au milieu des soios que vous donne , mada- me , le zélé pour votre famille , et au premier moment de votre convalescence , vous vous oc- cupez de moi; vous pressentez les nouveaux dangers. vont me replonger les fureurs de mes ennemis, indignés que j'uie osé montrer leur in- justice. Vous ne vous trompez pas , madame ; on ne peut rien imaginer de pareil à la rage qu ont excitée les Lettres de kt montagne. Messieurs de Berne viennent de défendre cet ouvrage en ter- mes très insultants : je ne serois pas surpris qu on me fit un mauvais parti sur leurs terres , lorsque j y remettrai le piedt II faut en ce pays même toute la protection du roi pour m y laisser en sûreté. Le conseil de Genève, qui souffle le feu tant ici qu'en Hollande , attend le moment d'a- gir ouvertement à son tour, et d'achever de m'é- craser, s'il lui est possible. De quelque côté que je me tourne , je ne vois que gri|fes pour me dé- chirer , et que gueules ouvertes pour m'englou- tir. J'fspérois du moins plus d'humanité du côté de la France : mais j'avois tort ; coupable du crime irrémissible d'être injustement opprimé , je n!en dois atteindre que mon coup de grâce. Mon parti est pris , madame y je laisserai tout

,^ ANNÉE 1765. ' 325

faire , tont dire , et je me tairai : ce n'est pourtant jpas faute fl avoir à parler.

Je sens qu'il est impossible qu'on me laisse res-» pirer en paix ici. Je suis trop près de Genève et de Berne. La passion de cet te heureuse tranquil-* iité m'agite et me travaille chaque jour davan-* tage. Si je n'espërois la trouver à la fin , je sens que ma constance achéveroit de m'abandonner. J ai quelque envie d'essayer de l'Italie , dont le dimat et l'inquisition me seront peut-être plud doux qu'en France et qu'ici. Je tâcherai cet été de me traîner de ce cÔté*là pour y chercher un gîte paisible; et, si je le |>uis trouver ; je vous pro- mets bien qu'on n'entendra plus parler de moi. Repos,» repos, chère idole de mon cœur, te trbuverai*je? Est-il possible que peraonne n'en veuille laisser jouir un homme qui ne troubla ja- mais celui de personne ! Je ne serois pas surpris d'être à la fiû forcé de me réfugier chez les Turcs, et je ne doute point que je* n'y fusse accueilli avec plus d'humanité et d'équité que chez les chrétiens.

^ On vous dit donc, madame, que M. de Vol- taire m'a écrit Ibus le nom du général Paoli , et que j'ai donnédans le piège. Ceux c^ui disent c^Ia ne jFont guère plus d'honneur, ce me semble , à ]a*probité- de M. Voltaire qu'à mon discerne ment. Depuis la réception de votre lettre , voici ce qui m'est arrivé. Un chevalier de A|alte , qui a beaucoup bavardé dans Genève , et qui dit venir d'Italie, est venu me voir, il y a quinze jours, de

326 GORRESPONDAIKCE.

la part du général Paoli ^faisant beaucoup Teni*» pressé des commissioi^s doat il se'diiSt>it charge près moi , mais me disant au fond très peu de chose , et m étalant , d un air important , d'as- sez chétives paperasses fortpochetéea. Acha'que pièce quil me mojitroit, il^^oit tout étonné me voir tirer d un tiroir la même pièce ^ et la lui montrer à mon tour. J'di vu qu«f cela le nikorti- fioit d autant plus , qu ayant fait tous ses efifortff pour savoir quelles relations je pouvois avoir eues en Corse , il na pu là^des^us m arracher , un seul mot/ Gomme il ne nu'a point apporté de lettres , et qu il n'a voulti ni se nolnmer , ni me donner la moindre notion de lui , je lai remercié des visites qu il vouloit continuer de me faire. Il n a pas laissé de passer .encore ici dix ou douze jours sans me revenir voir. J'ignore ce qudl y a fait. On m'apprend qu'il est reparti

jd'hiei?- * j.

Vous vous imaginez bien, madame, qu'il n'est plus question pour moi de la Corse, tant à cause de l'état je me trouve , que par mille raisons qu!il vous est aisé d'imaginer. Ces messieurs don]t vous nue parlez (i) ont de la saffté, du pain , du repos; ils ont la tête libre , et le cœur épanoui par le.hien-rètre^ils peuvent méditer et travailler à leur aise. Selon toute apparence les troupes frdn- çoises ,: Viis yont ^ dans «le .pays y ne. maltraiteront

(ï) 'Messiairs Helvëticis et Didetot, auxquels les Cor- ses, disoit-bn, ^étoîé&t adressés pour avoir u{i plan de législation»

ANNÉE 1765. 327

point leura parsoapes , .et , s ils ny vont pas, n etnpèdbieront poiat leur travaiL Je désire pas* sionnément v<>ir une législation de Jq\ir façop^ maisj'avoue que j ai peine à voir quel fonçlepient ils pourroient lui donner en Corse , car malheu- reusement les fenptmes de ce pays-là sont très laides, et très chastes, qui pis est.

Que mon voyage projeté n aille pas, mada- me , vous faire renoncer au vôtre. J ep ai plus besoin que jamais , et tout peut très biep ^ arran- ger, pourvu que vou^s veniez au commencement ou à la fin de la belle saison. Je compte ne paiv tir qu a la fin de mai , et revenir au mois.de sepr tembre.

A MADAME 6UIENET.

. . Ç février 1765.

Que j'apprenne à ma bonne amie mes bonnes nouvelles, l^e 22 janvier , on a brûlé mon livre à la Haye ; op doit aujourd'hui lebrûlei'à Genève^ on le brûlera, j'espère^ encore ailleurs. Voilà )^ par le froid qu il fait , des gens bien brûlants. Que de feux de' joie brillent à mon honneur dans FEurope ! Qu ont donc fait pies autrep écrits pour n être pas aussi brûlés ? et que n'en ai«je à faire brûler encore ! Mais j ai ^fini pour ma vie ; il faut savoir mettre des bornes à sç>n orgueil. Je n'en mets point à mon attachement pour vous , et vous voyez qu au milieu de mes triomphes je n'oublie pas mes amis. Augmen- tez-en bientôt le nombre^ chère Isabelle; j'en at-^

3a8 GORRESPONJOÀNCE.

tends rheureuse nouvelle avec la plus vive im* patience.] Il ne manque plus rien à ma gloire; mais il manque à mon bonheur d^être grand*^ papa(i),

A MADAME DE GHENONGEAUX4

Motiers , le Ç février 1765.

Je suis entraîné , madame , dans un torrent de inalheurs qui m'absorbe et m'ôte le temps de vous écrire. Je me soutiens cependant assez bien. Je n'ai plus de tète; mais mon cœur me reste encore.

Faites-nioi Famitié , madame , de faire tenir cette lettre à M. Tabbé de Mably , et de me faire passet* sa réponse aussitôt qu'il se pourra. On fait circuler sous son nom, dans Genève, une lettre avec laquelle on achève de me traîner par les boues ^ et toujours vers le bûcher. Je serois sûr que cette lettre n ^st pas de lui , par cela seul qu elle est lourdement écrite ; j en suis encore plus sûr , paroequ^elle est basse et malhonnête^ Mais à Genève, oii Ton se con'noît aussi mal en style qu en procédés , le public s'y trompe. Jçs crois qu il est bon qu'on le désabuse , autant

Î^our rhonneur de M. T^ibbé de Mably que poiir e niien. . ' >

(i) Madame^Oaienet appeloit Rousseau son papa.

ANNÉE 1765. 329

À M. L'ÀBBÉ DE MABLT.

t

/ Motiers , le 6 f lévrier tj^iS»

Voici, monsieur, une lettre quon vous at^ tribue, et q\ii circule dans Genève à la faveur de votre nom. Daignez me marquçr^ non ce que j'en dois croire, mais ce que j'en dois dire, car je n'en puis parler comme j'en pense que quand vous m'y aurez autorisé.

Si mes malheurs ne vous ont point fait ou- blier nos anciennes liaisons , et Famiiié dont vous m'honorâtes, con^ervez-la , monsieur, à . im homme qui n'a point mérité de la perdre , et qui vous sera toujours attaché (i).

(i)% la suite decette lettré, Rousseau a transcrit celle attribuée à Tabbé de Mably. Elle est du 1 1 janvier 1766, et l'extrait lui en fut envoyé de Genève , le 4 février suivant, par un anonyme. Voici cet extrait:

M Une chose qui me fâche beaucoup , c'est la lectui^e « que je viens de faire des Lettres de la montagne; et voilà A toutes mes idées bouleversées sur le com{>te de Rous- ' u seau. Je le crpyois honnête bomme; je croyois que sa u morale étqit sérieuse , qu'elle étoit dans son cœur, et « non pas au bout de sa plume. Il me fait prendre malgré « moi une autre façon de penser, et j'en suis affligé. SMl ^f s'étoit borné à prétendre que son déisme est un boti « christianisnîe , et qu'on a eu tort de brûler son livre et « de décréter sa personne , on pourroit rire de ses sp- « phismes^ de ses paralogismes , et de ses paradoxes; et u on auroit dit qu^il est fâcheux que l'homme le plus élo- « quent de son siéole n^ait pas le sens commun. Mais cet ^ homme finit psir être une espèce de conjuré. Est-ce

33p GORRESPONDirNGE.

A M. D***.

Motiers , le 7 février 1765.

Je ne doute point, monsieur, quhier^ jp^^ de Deux-cent& , on naît brûlé mon livre àGe-

M Erostrate qui veut brûler le temple d^Éphèse? est-ce un a Gracchus? Jie sais bîeki que les trois dernières lettres, « dans lesquelles Rousseau attaque votre gouvernement, « ne sont remplies que de déclamations et de mauvais « raisonnements ; mais il eat à craindre que tout cela ne u paroisse très juste, très sage ,'et très raisonnable ,là des u têtes échauffées , et qui ne savent pas juger et goûter u leur bonheur. Je croirois que votre gouvernement est il aussi i>on qu'il peut l^tre, eu égard h éa situation; et, « dans ce cas, c'est un crime que d'en troubler l'harroo- « nie. J'espère que cette aflEatire n'aura aucune suite fà- tt cheuse; et l'excellente tête qui a^fait le% Lettres de la u campagne a sans doute tout ce qu'il feut pouj^ Atrete- fi nir l'ordre au milieu delà fermentation , ouvrir les yeux u du peuple, et lui faire, connoitre ses erreurs, ou plutôt u celles de Rousseau. Que voulez-vous ! il n'est point de a bonheur parfait pour les hommes, ni de gouvei:nement u sans inconvénient. La liberté veut être achetée , elle u est exposée à 4gs ippo^ents d'agitation et d'inquiétude. u Malgré cela , elle vaut n|ieuxque le despotisme. Je. vous u demanderois pardon, madame, de vous. parler si gra- it vement, si vous étiez Parisienne; mais vous êtes Gene- « voise, et des choses sérieuses vous plaisent plus que tt nos colifichets. »

L'anonyme avoit accompagné cet envoi du biUet.sui- vant :

ti O toi, le plus vertueux et le plus modeste de tous les «hommes, sur-tout pour les statues et .les médailles, M juge à présent lequel les mérite le mieux de celui-ci ou u de toi ! n

ANNÉE 1765. 33l

nève ; du moins toutes les mesures étoient prises pour cela. Vous aurez ûu qu'il iiit brûlé le 22 à la Haye. Rey me marque que l'inquisiteur (1) a écrit dans ce pays-'là beaucoup de lettres , et que le ministre Ch*** de Genève s'est donné de grands mouvements. Au surplus , on laisse Bey fort tranquille. Tout cela n'est-il pas plaisant? Cette affaire s'est tramée avec beaucoup' de secret et de diligence; car le comte de B***, qui m'écrivit peu de jours auparavant , n'en savoit rien. Vous me direz , Pourquoi ne l'a-t-il pas empêché au moment de l'exécution? Monsieur , j'ai par-tout des amis puissants, illustres, et 'qui, j'en suis très sûr, m'aiment de tout leur cœur; mais ce sont tous gens droits , bons , doux , pacifiques , qui dédaignent toute voie oblique. Au con- traire, mes ennemis sont ardents, adroits, in- trigai^ts ^ rusés , infatigables pour nuire , et qui manœuvrent toujours sous terre, comme les taupes. Vous sentez que la partie n'est pas égale. L'inquisiteur est l'homme le plus actif que la terre ait produit; il gouverne em quelque façou toute l'Europe.

Tu dois régner; ce monde est fait pour les méchants.

Je suis très sûr qu'à inoins que je ne lui survive je serai persécuté jusqu'à la mort.

Je ne digère point que M. de B*** suppose que c'est moi qui m'attire sa haine. Eh ! qu'ai-je donc

(i) M. de Voltaire. *

33â C0RKE&P0NDA19GE.

fait pour cela? Si Ton parle trop de moi /ce n'est pas ma faute ; je me passerois d'une célébrité acquise à ce prix. Marquez à M. de B*** tout ce que votre amitié pour moi vous inspirera ; et , en attendant que je sois en état de lui écrire , parlez-lui , je vous supplie , de tous les senti- ments dont vous me savez pénétré pour lui. . M. Vernes désavoue hautement, et avec hor- reur, le libelle j'ai mis son nom. Il m a écrit Ià<-dessus une lettre honnête , à laquelle j'ai ré^ pondu sur le même ton , offrant de contribuer, Autant qu'il me seroit possible , à répandre son désaveu. Malgré la certitude je croyois être que l'ouvrage étoit de lui, certains faits récents me font soupçonner qu'il pourroit bien être de quelqu'un qui se cache sous son manteau.

Au reste , l'imprimé de Paris s'est très promp- tement et très singulièrement répandu à Genève. Plusieurs particuliers en ont reçu par la poste des exemplaires sous enveloppe , avec ces seuls mots, écrits d'une main de femme, Lisez\ bonnes gens! Je donnerois tout 'au monde pour savoir qui est cette aimable femme qui s'intéresse si vivement à un pauvre opprimé , et qui sait mar- quer son indignation en termes si brefs et si pleins d'énergie.

J'avois bien prévu , monsieur, que votre caU cul ne seroit pas admissible, et qu'auprès d'un homme. que vous aimez votre cœur feroit dérai- sonner votre tête ennlatière d'intérêt. Nous cau- serons dd cela plus à notre aise, en herborisant

ANNÉE 176s- 333

ùei été; car loin de renoncer à nos caravanes ^ même en supposant le voyage dltalie, je veux bien tâcher qu il n y nuise pas. Au reste, je vous dirai que je sens en moi, depuis quelques jours , une révolution qui m'étonne. Ces derniers événe- ments , qui dévoient achever de m accabler ^ m'ont y je ne sais comment, rendu tranquille, et même assez gai. Il me semble que je donnois trop d'importance à des jeux d enfants. Il y a dans toutes ces brûlerfes quelque chose de si niais et de si bête , 'qu'il faut être plus enfant qu'eux pour s'en émouvoir. Ma vie morale est finie. Est-ce la peine de tant choisir la terre oti je dois laisser mon corps ? La partie la plus pré- cieuse demoi-même est déjà morte : les hommes n'y peuvent plus rien , et je ne regarde j>lus tous ces tas de magistrats si barbares y que comme autant de vers qui s'amusent à ronger mon ca* <]pvre.

La machine ambulante se mbntera donc cet été pour aller herboriser ; et , si l'amitié peut la réchauffer encore , vous serez le Prométhée qui me rapportera le feu du ciel. Bonjour, mon* sieur.

A M. LE NIEP8.

>.

8 février 1765.

Je commeûçois à êlre inquiet de vous , cher ami ^ votre lettre vient bien à propos me tirer de peine. La violente crise je suis me force à ne vous parler, dans celle-ci , que de moi. Vous

334 CORRESPONDANCE.

nurez VU quW ^ brûlé le 2 a mon livre à la Haye; Rey me marque que le ministreOhais s'est donné beaucoup de mouvements, et que rinquhiteur Voltaire a écrit beaucoup de lettres pour cette affaire. Je pense qu avant-hier le Deux-cents en a fait autant à Genève ; du moins tout étoit préparé pour cela. Toutes ces brûleries sont si bètes qu elles ne font plus que me faire rire. Je Yous envoie ci-joint copie dune lettre (i) que j écrivis avant-hier là-dessus, à une jeune fenimé qui m'appelle son papa. Sfla lettre vous paroît bonne, vous pouvez la foire courir, pourvu que les copies soient exactes.

Prévoyant les chag^rins sans nombre que m'at- . tireroit mon dernier ouvrage , je ne le fis qu'avec répugnance, malgré moi, et vivement sollicité; Le voilà fait, publié^ brûlé. Je m'eiî tiens là. Non seulement je ne veux plus me mêler des affaires de Genève, ni même en entendre pârlev^ mais, pour le coup, je quitte tout-à-fj^it la plume; et soyez. assuré que rien au nH>nde ne me la fera reprendre. Si l'on m'eût laissé faire, il y a long-temps que j'aurois pri^ ce parti ; mais il est pris si bien que , quoi qu'il arrive , rien ne m'y fera renoncer. Je ne demande au ciel que quelque intervalle de paix jusqu'à ma dernière heure , et tous mes malheurs seront oubliés ; mais, dût^n me poursuivre jusqu'au tombeau, je cesse de me défendre. Je ferai comme les en- . t

(i) C'est ceBe ci-derrière du 6 février. § '

ANNÉE 1765. â35

fants # les ivrognes , qui se laissent tomber tout jbo0nement quand on les pousse, et ne se font aucun mal; au lieu qu'un homme qui veut se roidir, n'en tombe pas moins, et se casse une jambe ou un bras par dessus le marché.

On répand donc que c'est l'inquisiteur qui ma écrit au nom des Corses, et que j'ai donné dans un piège si subtil. Ce qui me paroit ici tout-à-fait bon , est que l'inquisiteur trouve plaisant de se faire passer pour faussaire , pour«« vu qu'il me fasse passer pour dupe. Supposons que ma stupidité fût telle que , sans autre infor- mation , j'eusse pris cette prétendue lettre pour argent comptant, est*il concevable qu'une pa- reille négociatiion se fàt bornée à cette unique lettre , sans instructions, sans éclaircissements^ sans mémoiires, sans précis d aucune espèce? ou bien M. de Voltaire aura*t-il pris la peine de fa- briquer aussi tout cela? Je veux que sa pro^ fonde érudition ait pu tromper, sur ce point, mon ignorance ; tout cela n'a pu se faire au moins sans avoir de m^ part quelque réponse , ne fiit-ce que pour savoir si j'acceptois la propo- sition, n ne pouvoit mèfue avoir que cette ré- ponse en fue pour attester ma crédulité; ainsi son premieip soin à être de se la faire écrîre : qu'ii montre , et tout sera dit. I Voyez éaâ^ment ces pauvres gens accordent leurs flûtes. Au premier bruit d'une lettre que j a vois reçue, 6n y mit aussitôt pour emplàti'e que méssieui^s Heïvétiu^ et Diderot en atoient

^63 CORRESPONDANCE.

TièqvL de pareilles. Que sont maintenant dqpenUê^ ces lettres? M. de Voltaire a-t-il aussi voulu se moquer d'eux? Je ris toujours de vos Parisiens, de ces esprits si subtils ^ de ces jolis faiseurs de« pigrammes , que leur Voltaire mène incessami-» ment avec des conte;s de vieilles , qu on ne feroit pas croire aux enfants. J ose dire que ce Voltaire lui-même, avec tout son esprit, n'est quune bête, un méchant très maladroit. II me.pour-^ suit , il m'écrase , il me persécuta ^ et peut*-être me fera-t-il périr à la fin : grande merveille ^ avec cent mille livres de rente , tant d amis puis- sants à la cour , et tant de si basses cajoleries contre un pauvre homme dans mon état 1 J'ose dire que si Voltaire , dans une situation pareille à la mienne, osoit m'attaquer, et que je dai-» gnasse employer contre lui ses propres armes ^ il seroit bientôt terrassé. Vous ailes juger de la finesse de ses pièges par un fait qui peut-être sL donné lieu au bruit qu'il a répandu , comme s'il eût été sur d'avance du succès d'une ruse si bien conduite. ^

Un -chevalier de, Malte ^ qui a beaucoup ba« vardé dans Gçnéve , et d'y venir dltalie , est venu me^voir , il y a quinze jours , de la part du général Paoli, faisant beaucoup lempressé des commissions dont il se disoit chargé près de moi, mais me disant au fond très peu de chose, et m'étalant d'un air important d'assez chétivej paperasses fort pochetées. A chaque pièce qu'il me monU*oit, il étoit tout étonné de me voii'

ANNÉE 1765. 337

tirer dun tiroir la même pièce, et la lui mon- trer à mon tour. J'ai vu que cela le mortifioit d autant plus , qu ayant fait tous ses efforts pour Savoie quelles relations je pouvois avoir eues en Corse, il na pu là-dessus marrachet" un seul mot. Ck)tyim^ il ni à point apporté de lettres^ tt qu'il voulu ni se nommer, ni me donnei^ la moindre «lotion de lui , je Fai remercié des vîr sites qu'il vôulôit continuer de me faire. Il pas laissé passer enoore ici dix ou douze jours sans me reveuir voir.

Tout ceJa peut être une chose fort sitiiple. ÎPeut-être , ayant quelque envie de me voir, n'a-^ Ml cherché qu un prétexté pour s'introduire , et peVLt-^re est-ce un galant homme ^ très bien in- tentionné , et qui n'a d'autre tort , dans ce fait ^ que d'avoir fait un peu trop lempressé poui* Hen.*Mais comme tant de malheurs doivent m'avoir appris à me tenir sur nies g^ardes , Vous m'avouerez que si «est un piège, il' n est |>âsfin.

M. Verues m'a écrit une lettré honnête pour* (ôiésavouer avec horreur le libelle. Je lui ai ré- pondu très honnêtement , et je suis obligé de contribuer , autant qu'il m'est possible , à ré- jpandre son désaveu, dans le doute que quel-* qu'un {^uâméchant ^ue lui ne ^e cache sous sori manteau i

i'j^. Mal

338 CORRESPONDANCES

AU LORD MARÉCHAL D'ECOSSE.

.Motiers, le ii février 1765.

Vous savez , milord , une partie de ce qui m'arrive, la brûlerie de la Haye^ la défense de Berne , ce qui se prépare à Genève ; mais vous ne pouvez savoir tout. Des malheurs si cons- tants, une animosité si universelle, coromen-» çoient à maccablef tout- à -fait. Quoique les mauvaises nouvelles se multiplient depuis la ré- ception de votre lettre, je suis plus tranquille, et même assez gai. Quand ils m'auront fait tout le mal qu'ils peuvent, je pourrai les mettre au pis. Grâces à la protection du roi et à la vôtre , ma personne est en sûreté contre leurs atteintes; xpais elle ne lest pas contre leurs tracasseries , et ils me le font bien sentir. Quoi qu il en soit, si ma tête s affoiblit et s'altère, mon cœur me reste en bon état. Je l'éprouve en lisant votre dernière lettre et le billet que vous avez écrit pour la commutiauté de Gouvet. Je crois que M. AI euron s'acquittera avec plaisir de la commission que vous lui donnez : je n'en dirois pas autant de l'adjoint que vous lui associez pour cet effet , malgré l'empressement qu'il affecte. Un des tourments de ma vie est d'avoir quelquefois à me plaindre des gens que vous aimez, et à me louer de ceux que vous n'aimez pas. Combien tout ce qui vous est attaché me seroit cher s'il vouloit seulement ne pas repousser mon zèle!

. ANNÉE 1765. 339

mBÎs VOS bontés pour moi font ici bien des ja- loux; et j dans Poccasion, ces jaloux ne me ca- chent pas trop leur haine. Puisse-t-elle aug- menter sans cesse au même prix! Ma bonne sœur EmetuUa, conservez-moi soigneusement notre père: si je le perdois, je serois le plus malheureux des êtres.

Avez-vous pu croire que j'aie fait la moindre démarche pour obtenir la permission d'impri- mer ici le recueil de mes écrits, ou pour empê- cher que cette permission ne fût révoquée? Non , nxilord, j'étois si parfaitement là-dessus dans vos sentiments sans les connoître , que dès le commencement je parlai sur ce ton aux associés qui se présentèrent , et à M*** qui a bien voulu se charger de traiter avec eux. La proposition est venue deux, et je ne -me suis point pressé d y consentir. Du reste , je n'ai rien demandé , je ne demande rien, je ne demanderai riçn, et, quoi quil arrive, on ne pourra pas se vanter de m avoir fait un refus, qui , après tout, me nuira moins qu'à eux-mêmes , puisqu'il ne fera qu'ôter au pays cinq ou six cent mille francs que j'y aurois fait entrer de cette manière , et qu on ne rebutera peut-être pas si dédaigneusement ail- leurs. Mais s'il arrivoit, contre toute attente, que la permission fût accordée ou ratifiée , j'a- voue que j'en serois touché comme si personne n'y gagnoit quç jnoi seul , et que je m'attacherois au pays pour le reste de ma vie.

Comme probablement cela n'arrivera pas , et

aai

34o CÔRRE$P0JSPA1SCÈ*

que le vpisinagjs Genève me devient de jour en jour plus iubupportablç , je jchercbd à m'^n éloîr gner à tout prix : il ne me reste à choisir que deuJ^ asiles , TADigleterrç ou Tltalie. Mais TAngleterr^ çst trop éloignée, il y fait trop cher vivre , et rapQ corps ni ma bourse n'en supporteroient p^as ^ trajet. Reste lltalie, et sur-tout Venise, dont le climat et Tinquisition sont plu$ doux qu an Suisse; mais saint Marc , quoique apôtre^ ne pardonne guère, et jai bien dit du m^l de ses enfants. Toutefois je crois qu'à la fin j en courrai les ris*? ques , car j'aime encore mieux la prison et lc( paix , que la liberté et la guerre. Le tumulte oij je suis ne me permet encore de rien résoudre; jt; vous en dirai davantage quand mes sens serpn^ , plus rassis. Un peu de vos conseils me seroit bien nécessaire ; car je suis si malheureux quand j'agis de moi-même , qu'après ^voir bien raisonné , détériora sçquor.

, A^tf. DE LEYRÏL

Motiers, le ii février i^ôS*

Je répondis, cher deLeyre , à votre lettre (n° 4} par un gentilhonime écossais nomméM. Bosvrell , qui, devant s'arrêter à Turin^ n'arrivera peut-être pas à Parme aussitôt que cette lettre. Mais une bévue que j'ai faite est d'avoir mi.s ma lettre qi^ verte dans celle que je lui écrivis en la lui adr^ s* sânt à Genève. Il m'en a remercié comme d'un^ marque de confiance : il se trompe, ce n'est

ANNÉE 1765. S41

ji^u tine ittar({ue d etotirderie. J'ôâpère, au reste , que le mal ne sera pas grand; car quoique je ne ftlé gouvletïne pas ce que contenôit ma lettre, je suis sûr âe n avoir aucun secret qui craigne îes yeux d'un tiers.

' Vôttà ne sauriez £^voîr d'idée de l'orage qu ex- ôite contré tttoi la publication dçs Lettres écrites môntagke, (Test utré défense que je dieyois à mes anciens concitoyens , et que je me devoisi à 'rtc>i-niétiic : tnâi» comÈtte j'aime encore mieux Jiïôn repoâ qne ma justification , ce sera mon dérfticr écrit , quoi qtf il arrive. Si je puis faire le recueil gféttéràl que je projette, je finirai par , et , grâces au ciel , l€ puMîc n efrtendra plus par- ter de rodî. Si M. Bos^^ell étôlt parti d'ici hui< loursi plue tard,* je lui aurois remis pour vous un exemplaire d^ ce dernier éérh, qui, au reste, n'intéresse que Genève et les Genevois ; mais je ne le reçus qu'après SK>n départ.

Une amie de M. l'abbé de Condillac et de moi me marqua I^aris sa maladie et sa guérison dans la m-ême lettré ; ce qui tne ^uval l'inquié- todé d'appi*éudré le préroière nouvelle avant Fî^titré. îe vois cepéndaiit, eh rejirenânt Votre l**tre , cfue vous? m'aviez nïarqué cette première rionvelle , m:a'îs dan» le post-scrtptutn , si séparé du reste, et en si petit caractère , qu'à m'a voit éit»happé dans une fort grande lettré que je ne pus lire que très à la hâté dana la cît'constancé je la reçus. La même amie me ttiarque <fai\ doit refôurfi^er en FrsÉrice Famléé prochaine, et que

34^^ CORRBSPOHDANCB.

peut-être aurai -je le plaisir de le voir. Ain^ soit-il.

Je sayois déjà par les bruits publics ce que je savois des triomphes du jongleur Tronchin dans votre cour. La pierre renchérira s'il faut un buste à chaque inoculateur de la petite vérole ; et je trouve que Tabbé Gondillac méritoit mieux ce buste pour lavoir. gagnée y que lui pour l'avoir guérie.

Donnez-moi de vos nouvelles , cher de Le^re y et de celles de madame de Leyre. Vous m'appre- nez à connoître cette digne femme , et à vous ai- mer autant de votre attachement pour elle, que je. vous en blâmois avant votre mariage , quand je ne la connoissois pas. C'est une réparation dont elle doit être contente, que celle que la vertu arrache à la vérité. Je vous embrassç^

A M. DUPEYROU.

Motiers, le i4 février 1765.

»

Voici , monsieur y le projet que vous avez pris la peine de dresser : sur quoi je ne vous dis rien , par la raison que vous savez. Je vous prie, si cette affaire doit se conclure , de vouloir bien décider de tout à vQtre volonté ; je confirmerai tout, car pour moi j'ai maintenant l'esprit à mille lieues de ; et , sans vous , je n'irois pas plus loin , par le seul dégoût de parler d'affaires. Si ce que les associés disent dans leur réponse, ar- ticle premier de mon ouvrage sur la Musique y

ANNÉE 1765. 343

s'entend du dictionnaire , je m^en rapporte \k^ dessus à la réponse verbale que je leur ai faite, J ai sur cette compilation des engagements an- térieurs qui ne me permettent plus den dispo-- ser ; et s'il arrivo'it que , changeant de pensée , je le comprisse dans mon recueil , ce que je ne pro- mets nullement , ce ne seroit qu après quil au^ Foit lété imprimé à part par le libraire auquel je suis engagé.

Vous ne devez point y s-'il vous plaît , passer outre que les associés n aient le consentement formel du conseil d état, que je doute fort qu ils obtiennent. Quant à la permission qu'ils ont de,- mandée à la cour, je doute encore plus quelle^ leur soit accordée. Milord-maréchal connoitlà>- dessus mes intentions ; il sait que non seulement je ne demande rien , mais qtie J€ suis très déter- miné à ne jamais me prévaloir de son crédit à la cour, pour y obtenir quoi que ce puisse être , re- lativement au pays je vis, qui n'ait pas l'agré- ment du gouvernement particulier du pays même. Je n'entends me mêler en aucune façan de ces choses-là , ni traiter qu'elles ne soient dé- cidées. ^

Depuis hier que ma lettre est écrite, j'ai la preuve de ce que je spupçonnois depuis quel- ques jours , que l'écrit de Vernes trou voit ici parmi les fqmmes autant d'applaudissement qu'il a causé d'indignation à Genève et à Paris , et que trois ans d'une conduite irréprochable sous leurs yeux mêmes, ne pouvoient garantir la pauvre

344. CORRESPONDANCE.

mademoiselle Le Vasseur de 1 effet don libelle venu d un pays ni raoi ni elle n avons reçu. Peu surpris que ces viles âmes ne se conmoissenl pas mieuir en vertu qu en mérite , et se plaisent à insulter aux malh^eureux, je prends enfin la ferme résolution de quitter ce pays, ou du moins ce village , et d'aller chercher une habitation Ton juge les gens sur leur conduite, et non sur les libelles de leurs ennemis. Si quelque autre honnête étranger veut connoitre Moiiers , qu il y passe ,, s'il peut , trois ans, cofiune j ai fait , e| puis quil en dise des nowelles.

Si je trou vois à ]^euehatel ou aux environs uni logement convenable, je serois homme 9 Tallef occuper eii attendant. > .

A U. DAJSTIER,

Motlers., le 17 février 176S,

. Les malheureux jours, que je passe au milieu des tempêtes memf>êchent, monsieur, d entre- tenir avec vous une correspand9Cice aussi iré^ quente qu il seroit à désirer pour mon^ instrno- tion et pour ma consolation. Les bruits pitl^ies ë^iront peut-être porté jusqu'à \0v» Yidée des nouvelles persécution» que m'attire Fouvrage auqudi vous ave;^ daigtié vous intéresser. J*ai cherché tous les moyens de vous en faire panrve- nir un exemplaire; mais U m en est venu si peu de Hollande , si lentement , avee tant d embar-» ras, jen suis si peu maître, e|le$€»eeasionsf.

ANIMÉE 1765. 345

pbiilr aller jusqu'à vous sont si rares , qu appre» nant qu oh a imprimé à Lyon cet ouvrage ,| je doute poiat qu*îl ne vous parvienne beau- coup plus tôt par cette voie , qu'il ne m'est pos-» sibJe de vous le faire parvenir d'ici. Ainsi ma des- tinée est d'être en tout prévenu par voff bontés , ?ans pouvoir remplir envers vous aucun des de- voirs qu'elles m'imposent. Acceptez le tribut des malbeureux et des foibles, la reconnoissance et f intention.

Les éclaircissements que vous ave^ bien voulu me donner sur les affaires de Corse m'ont abso- lument fait abandonner le projet d'aller dans ce pays-^là, d'autant plus que, n'en recevant plus de nouvelles, je dois juger, parles empressements suspects dequelques inconnus , que je suis circon- venu par des pièges dont je veux tâcher de me garantir. Cependant on m'a fait parvenir quel- ques pièces dont je puis tirer parti, du moins pour mon amusement , dans la ferme résolution je sais de me tenir en repos pour le reste de ma vie , et de ne plus occuper le public de moi. Bans cette position, monsieur, je souhaiterois fort que vous voulussiez bien , dans vos plus grands loisirs, continuer à me communiquer vos observations et vos idées , et m'îndiquer Tes sources je pourrois puiser les instructions re- latives à cet objet. Ne pensez-vous pas que M. de Gurzaî doit avoir là-dessuis de fort bons mémoi- res, et'que, s'if voùloit les communiquer à un bomniezélé, mâ|s discret, ilane pourroient que

346 CORRESPONDANCE.

lui faire honDeur, sans le compromettre ^ puis- que rien ne resteroit écrit de ma part là-dessus que de son aveu ^ et'qu il ne seroit nommé qu au- tant quil consentiroit à l'être? Si vous approu- vez cette idée , ne pourriez-vous point m'aider à découvrir est M. de Curzai , me procurer exac- tement son adrese , et me mettre même en cor- respondance avec lui ?

Me voici bientôt à la fin d'un hiver, passé ua peu moins cruellement que le précédent quant au corps, mais beaucoup plus quant à lame. J'ignore encore ce que je deviendrai cet été. Je suis ici trop voisin de Genève pour y pouvoir jamais jouir d'un vrai repos. Je suis> bien tenté d'aller chercher du côté de l'Italie quelque asile le climat et l'inquisition soient plus doux qu'ici. D'ailleurs, mille désœuvrés me menacent de toutes parts de leurs importunes visites , aux- quelles je voudrois bien échapper. Que nesuis-je plus à portée , monsieur, de recevoir la vôtre, et que j'en aurois besoin! mais, en vérité, l'on ne fait point un si long trajet par partie de plaisir: et moi , dans ma vie orageuse , je ne suis pas as* sez maître de l'avenir pour pouvoir faire un plan fixe, sur l'exécution duquel je puisse compter. Un de ceux qui me rient le plus est d'aller passer quelques semaines avec un gentilhomme sa- voyard, de mes très anciens amis, dains une de ses terres. Seroit-il impossible d'exécuter de l'ancien projet d'un rendez-vous à la grande chartreuse ? Si cette idée vous plaisoit , je sens

ANNÉE 1765- 347

qu elle auroit la préférence. Je n'ai point écrit à madame de La Tour du Pin. Le nombre et la force de mes tracas absorbent tous mes bons des* seins; Si vous lui écrivez, quelle apprenne au moins* mes remords , je vous en supplie. Si ma fauté m attiroit sa disgrâce , je ne m en console-- roi» pas.

Vous ne me parlez point, monsieur, du petit Compte de Thuile et du café. Il n est pas permis d être aussi peu soigneux, pour les comptes , quand on l'est si fort pour les commissions. Je vous salue, monsieur, et vous embrasse avec le plus véritable attachement.

AM. MOULTOU,

Motiers , le 1.8 férricr 1 765 .

Ce qui arrive. ne me surprend point; je l'ai toujours prévu , et j'ai toujours dit qu'en pareil cas il falloit s'en tenir là. Au lieu de faire tout ce qu'on peut , il suffit de faire tout ce qu'on doit , et cela est fait. On nesauroit aller plus loin sans exposer la patrie et le repos public, ce que le sage ne doit jamais. Quand il n'y a plus de li- berté commune , il reste une ressource, c'est de cultiver la liberté particulière , c'est-à-dire la ver- tu. L'homme vertueux çst toujours libre , car en faisant toujours son devoir, il ne fait jamais que ce qu'il veut. Si la bourgeoisie de Genève savoit remonter ses principes, épurer ses goûts, pren- dre des mœurs plus sévères, en livrant ces mes-

34^ COBRESPÔNDJCSIGE.

sieurs à laTilisTsemeiit des leurs , elle leordevién-^ droit encore si respectable , qu avec leur morgue apparente ilstremUeroient devant elle; et corail nie i^s jongleurs de toute espèce «t leurs amis ne vivront pas toujours, tel dutogement de circon^ stances étrlEmgères pourroit les mettre àportée de faire examiner enfin par la justice ce que la seule force décide aujourd'hui.

Je VOU9 prie de vouloir bien saluer fnes9ieut*9 Delqc de ma part , et leur dire que je ne puis kur écrire. C!eanme cela n'est plu» nécessaire ni utile, il ïtest pa» raisonnable de lexiger. On ne dmt pas" m envier, le repos que je demande , et je crois Y 9^ voir assez payé.

Tâchez de m'en voryer , avant votre départ , ce dont vous m'ayez parlé, non pour eu faire à pré- sent aucun usage, mais pour prendre d'avance tous lés arrangements nécessaires pour en fkire uâage un jour. J'aurois même aotrechose , et ef un^ genre plus agréable, à vous proposer ;; maid nou^ en parlerons à loisir. Je vous embrasse.

A M. LE PftïNCE DE WIRTEWEERO.

Moders, le 18 février 1765.

A l'arrivée de M. de Schlieben et de Mattzaii, je les reçus pour vous, prince; ensuite je lesgaif- dai pour eux-^mêmes, et j'achetai une jbuméè agréable à leurs dépens. J'en ai si rarement de' telles , qu'il est bien naturel que j'en profite ; et, sur les sentiments d'humanité que je leur

ANîiÉfe i^Gf)* 34g

Cit>anois, ils doivent être bien aises de me lavoir doQU^e.

Us sont attaçWs au vertueux, prtoce Hei^ri par des sentiments qui les honorent : pleins tout ce qims venoient de voir av^près de vous , ils ont versé dans mon cœur attristé un baume de vie et de consolation. Leurs discours y por^ toient un peu de ce feu qui brille encore dans de grandes âmes ; et j ai presque oublié m^ mi- sères en soU{]^eant de qui j avois Thonneur d être aimé.

En tout autre temps, je ne craindrons pas nue brouillerie avee la princes^ pour j»e inréBager lavantagedun raccommodenieut ; mais, en vé^ rite , je suis aujourd'hui si maussade , que , n ayiant

{>oint mérité la quercille , à peii^^ osè-je espérer e pardon. Dites-lui toutefois , je vous suppUe 9 que Tamour paternel nes< pas ei^clusif comm^ lamour conjugal; quun cœur de père, sans se partager, se multiplie, et quordinah^ement, les cadets nont pas. la plus mauvaise part. Mon Isabelle est laînée , et devait êt,re la seule; mais «a soeur est bien ingrate d'oser me traiter de vo** lage , elle qui d abord ma forcé de 1 être , et qui me force à présent de ne Têtre plus.

Si j'ai fait quelques vers dans ma jeunesse , comme ils ne valpientpas mieux quç lei vôtres , j aiprispourmoile conseil que je vous ai donné. Les Benjamîiesj ou le Léi^ite dEphraim, est une espèce de petit poëme , en prose , de sept à huit pages , qui n a de mérite que d avoir été fait pouf

35o CORRESPONDANCE.

me distraire quand je partie de Paris ; et qui n est digne en aucune manière de paroitre aux yeux du héros qui daigne en parler.

A M. D'IVERNOIS.

Motiers, le 22 février 1765.

êtes-vous , monsieur? que faites-vous? comment vous portez^vous? Votre absence et votre long silence me tiennent en peine. G*est votre tour d'être paresseux : a la bonne heure, pourvu que je sache que vous vous portez bien, et que madame dlvernois , que je supplie d a- gréer mon respect-, veuille bien m en faire infor- mer par un bulletin de deux lignes.

Le tour qu*6nt pris vos affaires, messieurs, et les miennes , la persuasion que la vérité ni la justice n ont plus aucune autorité parmi les hommes, Fardent désir de me ménager quelques moments de repos sur la fin de ma triste car- rière, m'ont fait prendre Tirrévocable résolution de renoncer désormais à tout commerce avec le public, à toute correspondance hors de la plus absolue nécessité , sur-tout à Genève, et de me ménager quelques douleurs de moins, en igno^ rant tout ce qui se passe, et à quoi je ne peux plus rien. Les bontés dont vous m avez comblé, et l'avantage que j ai de vous voir deux fois Tannée , me feront pourtant faire pour vous , si vous 1 agréez, une exception, au moyen de la- quelle j aurai le plaisir d avoir aussi y de temps

ANNÉE 1765. 35l

en temps , des nouvelles de nos amis , auxquels je ne cesserai assurément point de m'intéresser.

Votre aimable parente , la jeune madame Guyenet, après une couche assez heureuse, est si mal depuis deux jours, qu il est à craindre que je ne la perde. Je dis moi, car sûrement de tout ce qui l'entoure, rien ne lui est plus vérita- blement attaché que moi; et je le suis moins à cause de son esprit , qui me paroit pourtant d autant plus agréable qu elle est moins pressée de le montrer ) qu à cause de son bon cœur et de sa vertu; qualités rares dans tous les pays du monde, et bien plus rares encore dans celui-ci.

Pour moi , mon cher monsieur , je ne vous dis rien de ma situation particulière ; vous pou- vez Fimaginer. Cependant , depuis ma résolu- tion, je me sens lame beaucoup plus calme. Comme je m attends à tout de la part des hom- mes, et quils m ont déjà fait à-peu-près du pis quils pouvoient , je tâcherai de ne plus nVaffliger que des maux réels , c est-à-dire de ceux que ma volonté peut faire, ou de ceux que mon corps peut souffrir. Ces derniers me retiennent actuel- lement dans des entraves que je tiens de votre charité , mais qui ne laissent pas d'être fort pé- nibles. J attends avec empressement de vos nou- velles , çt vous embrasse, mon cher monsieur, de tout mon cœur.

3^3 COttfiËSPÔNDAiiCËi

»

A MM. DELUC.

24 février 1765.

J appl^ends, messieurs^ que vous êtes en peiné des lettres que vous m avez écrites. Je les ai toutes reçues jusqu'à celle du i5 févrîet* inchi'^ siveiBe9t. Je regarde votre situation comme dé^ cidée. Vous êtes trop gens de bien pour pousseï' les choses à lextrêmé^et ne pas préférer la pais à la liberté. Un peuple cesse d être libre quand les lois ont perdu leur force; mais la vertu ne perd jamais la sienne ^ et Thomme vertueux de-« tujeure libre toujours. Vôilà désormais , mes-^ sieurs , v^tre ressourcé : elle est assez {prahde ^ assez* belle pour vous consoler de tout ce que vous perdez CQmme citoyenSi

Pour moi, je prends le seul parti quimei^sté y et je le prends irrévocablement. Puisque avec dea intentio;xs aussi pures^ puisque avec tantd amoui^ pour la justice et pour la vérité ^ je nai fait qu€^ du mal sur la terre $ ^e n en veuk plus faire , et je me retire au-dedans de moii Je ne veux plus* entendre parler de Genève ni de ce qui s'y passée ici finit notre correspondance. Je vous aioterâi toute ma vie , mais je ne vous écrirai plus. Eni-^ brassez pour moi votre père. Je vous> embrasse ^ Inessieurs , de tout mon cœuri

ANNÉE 1765. 353

AM. MEURON,

PBOGDREUR-GÉMÉRAL.

25 février 1765.

J'apprends , monsieur , avec quelle bonté de cœur et avec quelle vigueur de courage vous avez pris la défense d'un pauvre opprimé. Poursuivi par la classe, et défendu par vous, je puis bien dire comme Pompée, Victrix causa diisplacuit\ sed vicia CatonL

Toutefois je suis malKeureuic , mais non pas vaincu ; mes persécuteurs , ai;i contraire , ont tout fait pour ma gloire , puisqtie c est par eux que j ai pour protecteur le plus grand des rois , pour père le plus vertueux des hommes , et pour patron Fun des plus éclairés m'agistrats.

A M. DE P.

25 février 1765.

Votre lettre , moùsîetir , m'a pénétré jusqu'aux larmes. Que la bienveillance est une douce cho- se 1 et que n€ donnerois-j« pas pour avoir Êelle tous les honnêtes gens! Puissei^t nïesi nou^ veatix patriotes ih'accorder la leur à votre exem- ple! puisse le lieu de mon refuge être aussi ce- lui de mes attachements! Mon cœur est bon ; il est ouvert à tout ce qui lui ressemble ; il n'a be- soin, j'en suis très sûr, que d'être connu pour êirè aimé. Il reste, après la santé, trois biens t[ui rendent sa perte plus supportable,, la paix, la liberté , l'amitié. Tout cela, monsieur, si je le

17. 23

-N

354 CORRESPONDANCE.

trouve 9 me deviendra plus doux encore lorsque l'eu pourrai jouii^ près de vous^

1 ' A M. DE G. P. A. A.

Février ijôS*

J^attendois des réparations ^ monsieur, et vous jen exigez ; nous sommes fort loin de compte. Je veux croire que vous navez point concouru, dans les lieux vous êtes, aux iniquités qui sont Touvrage de vos confrères; mais il falloit, monsieur, vous élever contre une manoeuvre si opposée à Tesprit du christianisme , et si déshonorante pour votre état. La lâcheté n est pas moins répréhensihle que la violence dans les ministres du Seigneur. Dans tous les pays du monde il est permis à Tinnocent de défendre son inuocence : dans le vôtre on len punit ; on fait plus , on ose employer la religippà cet usage. Si vous avez protesté contre cette profanation , vous êtes excepté dans mon livre , et je ne vous dois point de réparation : si vous n avez pas protesté , vous êtes coupable de connivence , et. je vous en dois encore moins.

Agréez , monsieur , je vous supplie ^ mes salu- tations et mon respect.

A MADAME LA GÉNÉRALE SANDOZ,

/ Mo tiers, aS février 1765*

L admiration me tue, et sur-tout de votre part. Ah ! madame , un peu d'amitié , et , parmi

ANNÉE 1765. 355

tant d'affronts ^ je serai le plus glorieux des êtres. Votre patrie (i) est injuste^ sans doute; maïs avec le mal elle a produit le remède. Peut-elle me faire quelque injustice que votre estime ne puisse réparer? La lettre que vous tnavéz en- voyée est d*un homme d'église j c'est tout dire ^ et peut-être trop, car il paroit assesÈ modérée Mais , vu traitement que je viens d'essuyer à l'instigatiou de ses confrères , j'attendois des parations, et il en exige î vous voyeii que nous sommes loin de compte. Gonservei-moi vos bontés , madame; elles mci seront toujours pré^ cieuses, et j'aspire au bonheur detrè à portée les culiver.

A M. DUPËYftOtJ.'

4.... 4 mars 1765^

Je vous dois une réponse, monsieur, je sais. L'horrible situation de corps et d'ame je me trouve m'ôte la force et le courage d'é- crire. J'attendois de vous quelques mots de consolation ; mais je vois que vous comptez à la rigueur avec les malheureux. Ce procéda n'est pas injuste, mais il est unpeu dur dan0 l'amitié.

(i) La HoUand4> .

»i.

356 CORRESPONDANCE.

AU MÊME.

Motiers , le 7 mars lyôS-

Pour Dieu ^ vous fâchez pas , et sachez par- donner quelques torts à vos amis dans lenrs mi- sères. Je n ai qu un ton , monsieur, et il est quel- quefois un peu àuK : il ne faut pas ine juger sur mes expressions, mais sur ma condiiite. Elle ' vous honore quand mes teriaes vous offensent. Dans le besoin que j'ai des consolations de la* mitié 9 je sens que les. vôtres me naanquent , et je m'en plains: cela est-^il donc si désobligeant?

Si j'ai écrit à d'autres , comment n'avez-yous pas senti l'absolue nécessité de répondre, et sur-, tout dans la circonstance, à des personnes avec qui je «n'ai point de correspondance habituelle^ et qui viennent au fort de mes malheurs y pren- dre le plus généreux intérêt? Je croyois que, sur ces lettres mêm^s , vous yous^ diriez , il n'a pas le temps de m* écrire ^ et que yons vous souvien- driez de nos. conventions. Falloiti-il donc , dans une occasion si critique, abandonner tous nies intérêts , toutes mes affaires , mes devoirs mê- mes, de peur de manquer avec vous à l'exacti-^ tude d'une réponse dont vous m'aviez dispensé ? Vous vous seriez offensé de ma crainte , et vous auriez eu raison. L'idée naême , très fausse assu- rément , que vous aviez de m'avoir chagriné par votre lettre, n'étoit-elle pas, pour votre bon cœur, un motif de réparer le mal que vous sup-

j

ANNÉE 1766; 357

posiez m avoir fait ? Dieu vous préserve d'afflic- tion ! mais, en pareil cas, soyez sûr que je ne compterai pas vos réponses. En tout jautre cas , ne comptez jamais mes lettres , ou rompons tout de suite, car aussi bien ne tarderions-nous pas à rompre. Mon caractère vous est connu , je ne saurois le changer.

Toutes vos autres raisons ne sont que trop bonnes. Je vous plains dans vos tracas , et les approches de votre goutte me chagrinent sur-^ tout vivement, d'autant plus que, dans l'extrê- me besoin de me distraire, je me promettois des promenades délicieuses avec vous. Je sens en- core que ce que je vais vous dire peut être bien déplacé parmi vos affaires; mais il faut vous niontrer si je vous crois le cœur dur, et si je manque de confiance en votre amitié. Je ne fais pas des^ compliments , mais je prouve.

Il faut quitter ce pays , je le sens ; il est trop près de Genève; on ne m'y laisseroit jamais en repos. Il n'y a guère qu'un pays catholique qui me convienne; et c'est de là, puisque vos minis- tres veulent tant la guerre , qu'on peut leur en donner le plaisir tout leur soûl. Vous sentez^ monsieur, que ce déménagement a ses embar- ras. Voulez^vous être dépositaire de mes effets en attendant que je me fixe ? voulez-vous ache- ter mes livres, ou m'aider à les vendre? voulez- vous prendre quelque arrangement, quant à mes ouvrages , qui me délivre de l'horreur d'y penser, et de m en occuper le reste de ma vie ? Toute

358 CORRESPONDANCE.

cette rumeur est trop vive et trop folle pour pouvoir durer. Au bout de deux ou trois ans, toytes les difficultés pour Tinipression seront levées , sur-tout quand je uy serai plus. Su tous cas, les autres liçu^, même au voisinage^ ne Inanq^eront pas« Il y a sur tout cela <les détails qu il seroit trop long d'écrire, et sur lesquels, sans que vous soye^ marchand , sans que vous me fassiei^ laumôue , cet arrangement peut m'être utile, et ne vous pas être onéreux. Cela demande den^ conférer. Il faut voir seulement si vo8£|fFaires présentes vq\is permettent depen-.- ser à celle-là.

Vous saivez donc le triste état do la pauvre' madame Guienet, femme aimable, dun vrai mérite, dun esprit aussi Bn que juste, et pour qui la vertu n étoit pas un vain mot : sa faimillç est dans la pliis graudt désolation , son mari est au désespoir, et moi je suis déchiré. Voilà ,. monsieur , l'objet que j ai sous les yeux pour me consoler dun tissu de malheurs sans exemple,

J ai des accès d'abattement , cela est assez na-» turel dans Tét^t de maladie, et ces accès sont très sensibles, parcequ ils sont les moments je cherche le plus à m'épancher^ ms^is ils sont courts , et n 'influent point sur ma ^conduite. Mon état habituel est le courage; et vous le verrez peut-^être dans cette affaire, si l'on me pousse à bout \ car je me fais une loi d'être pa-- tient jusqu'au moment l'on ne peqt plus l'être sans lâcheté. Je ne sais quelle diable de mouche

ANNÉE 1765. 35g

a piqué vos meçsieufs ; mais il y a bien de lex* travagance à tout ce vacarme ; ils en rougiront «itôt qu'ils seront calmés.

Mais, que dites-vous^ monsieur, de 1 etour- derie de vos ministres , qui devroient trembler qu on n aperçut qu ils existent, et qui vont sotte- ment payer pour les autres dans une affaire qui ne les regarde pas ? Je suis persuadé qu ils s'ima* ginent que je vais rester sur la défensive, et faire le pénitent et suppliant : le conseil de Genève le croyoit aussi ; je Tài désabusé ; je me charge de les désabuser de même. Soyea^moi témoin , monsieur, de mon amour pour la paix, et du plaisir avec lequel j avois posé les armes : s'ils me forcent à les reprendre , je les reprendrai , car je he veux pas me laisser battre à terre, t'est un point tout résolu. Quelle prise ne me don- nent-ils pas ? A trois ou quatre près , que j'ho- nore et que j excepte , que sont les autres? quels mémoires n'aurai-je pas sur leur compte ? Je suis tenté faire ma paix avec tous les autres cler- gés, aux dépens du vôtre; d'en faire le bouc d'expiation pour les péchés d'Israël. L'invention est bonne , et son succès est certain. Ne seroit- ce pas bien servir l'état , d'abattre si bien leur morgue , de les avilir à tel point , qu'ils ne pus- sent jamais plus ameuter les peuples? J'espère ne pas me livrer à la vengeance; mais si je les tou- che, comptez qu'ils sont morts. Au reste, il faut, premièrement attendre l'excommunication ; car, jusqu'à ce moment , ils me tiennent ; ils sont

36o CORRESPONDANCE.

mes pasteurs , et je leur dais du respect. J ai là- dessus de$ maximes dont je ne me dépar|;irai ja- mais , et c est pour cela même que je le^ trouve bien peu sages de m'aimer mieux loup que bre- bis.

A M. MOULTOU. î

9 mars 1766.

Vous ignorez , je le vois , cje qui S(B pas^e ici par rapport à moi. Par des manœuvres souterraines, que j'ignore , les ministres , Montniollip à leur tète ^ se sont tout-à-coup déchaînés contre moi y mais avec une telle violence que, malgré milord- maréchal et le roi même , je suis chassé d'ici sai^s savoir plus trouver d'asile sur la terre; il ne m'en reste que dans son sein. Cher Moultou, voyez mon sort. Les plus grands sçéléraM trou- vent un refuge; il n'y a que vptrç ami qui ^'ea trouve point. J'aurois encore l'Angleterre ; mais quel trajet , quelle fatigue , quellç dépende ! En- core si j'étois seul !... Que la nature est Içnte 4 ipe tirer d'affaire ! Je ne sais ce que je devieQdr^i j mais , en quelque lieu que j'aiUa terminer ma misère , souvenez-vous de votre ami.

Il n'est plus question de mon édition généjrale. Selon toute apparence, je ne trouverai plus à la faire; et, quand je le pourrois, je ne ^aissije pourrois vaincre Thorrible aversion q^iie j'ai con- çue pour ce travail. Je ne regarde auoun de mes livres sans frén^ir, et tout ce qiiç je désire au

ANNÉE 1765. 36l

Monde est un coin de terre je puisse mourir en paix, sans toucher ni papier ni plume.

Je sens le prix de ce que vous ave2& fait pen- dant quç nous ne nous écrivions plus. Je me plaignois de vous, et vous vous occupiez de ma défense. On ne remercie pas de ces choses-là, on les sent,. On ne fait point d excuse, on se cor- rige.

Voici la lettre de M. Garcin : ^1 vient bien no- blement à moi au moment de mes plus cruels malheurs. Du reste , ne m'instruirez plus de ce qu'on pense ou de ce quon dit ; succès , revers , discours publics, tout m est devenu de la plus grande indifférence, Je n aspire qu a mourir en repos. Ma répugnance à me cacher est enfin vain- cue. Je suis à-peu-près déterminé à changer de nom , et à disparoitre de dessus la terre. Je sais déjà quel nom je prendrai; je pourrai le pren- dre sans scrupule; je ne mentir|ii sûrement pas. Je vous embrasse. :

En finissant cette lettre, qui est écrite depuis hier, j etois dans le plus grand abattement 0(1 j aie été de ma vie. M. de MontmoUin entra, et , dans cette entrevue , je retrouvai toute la vi- gueur que je croyois m avoir tout-à-fait aban- donné. Vous jugerez comment je m'en suis tiré par la relation que j'en envoie à Ibomme du roi , et dont je joins ici copie , que vous pouvez mon- trer. L'assemblée est indiquée pour la semaine prochaine. Peut-être ma contenance en impo-

362 CORRESPONDANCE.

sera-t-elle. Ce qu il y a de sûr, c'est que je ne flé- chirai pas. En attendant qu on sache quel parti ils auront pris , ne montrez cette lettre à per- sonne. Bon voyage.

A M. MEURON,

COUSEILLER d'ÉTAT ET PRDGUREÛR-céNÉRAL A NEtCHATEL.

Motiers, le 9 mars 1765.

Hier , monsieur , M. de Montmollin m'honora d'une visite , dans laquelle nous eûmes une cqu- férence assez vive. Après m'avoir annoncé l'ex- communication formelle comme inévitable , il me proposa , pour prévenir le scandale, un tem- pérament que je refusai net. Je lui dis que je ne voulois point' d'un état intermédiaire; que je voulois être dedans ou dehors, en paix ou en guerre, hrebis ou loup. Il me fit sur toute cette affaire plusieurs objections qye je mis en pou- dre^ car, comme il n'y a ni raison ni justice à tout ce qu'on fait contre moi , sitôt qu'on entre en discussion je suis fort. Pour lui montrer que ma fermeté n'étoit point obstination , encore moins insolence , j'offris , si la classe vouloit rester en repos, de m'engager avec lui de ne plus écrire de ma vie sur aucun point de reli- gion. Il répondit qu'on se plaignoit que j'avois déjà pris cet engagement , et que j'y avois man- qué. Je* répliquai qu^on avoit tort ; que je pou- voir bien l'avoir résolu pour moi, mais que je »e Tavois promis à personne. Il protesta qu ^

ANNÉE 1765. 365

n étoit pas le maître , qu il craignoit que la classe n eût déjà pris sa résolution. Je répondis que j en étois fâché , mais que j avois aussi pris la mienne. En sortant , il me dit qu il feroit ce qu'il pour- ront ; je lui dis qu'il feroit ce qu'il voudroît ; et nous nous quittâmes. Ainsi, monsieur, jeudi prochain , ou vendredi au plus tard , je jetterai ï'épée ou le fourreau dans la rivière.

Gomme vous êtes mon bon défenseur et pa-<- tron , j ai cru vous devoir rendre compte de cette entrevue. Recevez , je vous supplie , mes saluta-» tions et mon respect.

A M. LE PROFESSEUR DE MONTMOLLIN.

Par déférence pour M. le professeur de Mont* mollin , mon pasteur, et par respect pour la vé- nérable claâse, j'offre, si on l'agrée, de m'enga* ger^ par un écrit signé de ma main, à ne jamais publier aucun nouvel ouvrage sur aucune ma- tière de religion , même de n'en jamais traiter incidemment dans aucun nouvel ouvrage que je pourrois publier sur tout autre sujet ; et de plus, je continuerai à témoigner , par mes sentiments et par ma conduite , tout le prix que je mets au bonheur d'être uni à l'église.

Je prie M. le professeur de communiquer cette déclaration à la vénérable classe.

Fait à Motiers , le 10 mars 1 766.

364 COURESPONDANCE.

A M. D.

Motîers,le 1 4 mars ijGS.

Voici, monsieur, votre lettre. Ea.la lisant j etois dans votre cœur : elle est désolante. Je vous désolerai peuV^tre moi-même en vous avouant que celle qui l écrit nie paroît avoir de bons yeux, beaucoup desprit, et point d'ame. Vous devriez en faire, non votre amie, mais votre folle, comme les princes avoient jadis des. fous, c est- à-dire d'heureux étourdis , qui osoient leur dire la vérité. Nous reparlerons xle cette lettre dans un tête-à-tête. Cher D. , croyez -moi, continuez d'être bon et d aimer les hommes ; mais ne comp- tez jamais avec eux. 4

Premier acte d ami véritable , non dans vos offres , mais dans vos conseils ; je les attendpis de vous : vous n avez pas trompé mon attente. Le désir de me venger de votre prêtraiDe étoit dans le premier mouvement ; c etoit un efiPet de la colère; mais je nagis jamais dans le premier mouvement , et ma colère est courte. Nous som^ mes de même avis, ils sont en sûreté, et je ne leur ferai sûrement pas Thonneur d'écrire contre eux.

Non seulement je n ai pas dessein de quitter ce pays durant Forage , je ne veux pas même quitter Mo tiers, à moins qu on nuse de violence pour m en chasser, ou qu'on ne me montre un ordre du roi sous l'immédiate protection duquel

ANNÉE 1765. 365

j'ai l'honneur d'être. Je tiendrai dans cette affaire la contenance que je dois à mon protecteur et à moi. Mais , de manière ou d'autre , il faudra que cette affaire finisse. Si l'on me fait traîner de- hors par des archers, il faut bien que je m'en aille; si l'on finit par me laisser en repos, je veux alors m'en aller , c'est un point résolu. Que voulez-vous que je fasse dans un pays l'on me traite plus mal qu'un malfaiteur? Pourrai-je ja- mais jeter sur ces gens-là un autre œil que celui du mépris [et ûc l'indignation ? Je m'avîlirois aux yeux de toute la terre si je restois au milieu d'eux.

Je suis bien aise que vous ayez d'abord senti et dît la vérité sur le prétendu livre des Princes : mais savez-vous qu'on a écrit de Berne à l'impri- meur d'Y Verdun de me demander ce livre et de l'imprimer, que ce seroit une bonne affaire ? J'ai d'abord senti les soins officieux de l'ami Ber- trand ; j'ai tout de suite envoyé à M. Péliee la lettre dont copie ci-jointe, le faisant prier de l'imprimer et de la ifépandre. Comme il est livré à gens qm ne m'ain^nt pas , j ai prié Roguin, en cas d'obstacle , die vous en donner avis par la poste;.et alors je vous serôis bien, obligé si vous vouliez: la donner \out de suite à Fauche, et la lui faire imprimer bieu.correctement. H femqu il la verse, le plus promptement qu'il sera possible, à Berne, à Genève ^ et dams le parys de Vaud ; mais avant qu'elle paroisse ayez la bonté de la relire sur l'imprimé, de peur qu'il ne s'y glisse quelque

366 COBbËSPONDANGË.

faute. Yous sentez qu il ne s agit pas ici d'uil p<3 * tit scrupule d'auteur, mais de ma sûreté et de mal liberté peut-être pour le reste de ma vie. En at- tendant l'impression vous pouvez donner et ew voyer des copies.

Je ne serai peut-être en état de vous écrire de long-temps. De grâce mettez-vous à ma place, et ne soyez pas trop exigeant. Vous devriez sentir qu'on ne me laisse pas du temps de reste ; mais vous en avez pour me donner de vos nouvelles^ et même des miennes : car vous savez ce qui se passe par rapport à moi , pour moi je Tignore parfaitement.

Je vous embrasse.

A M. LE P. DE FÉLIGË.

Motlers , le i4 mars 1766.

Je n ai point fait, monsieur, Fouvrage intitulé des Princes; je ne lai point jVu; je doute même qu il existe. Je comprends aisément de quelle fa-^ brique vient cette invention , comme beaucoup d'autres , et je trouve que mes ennemis scf rendent bien justice en mattaquant avec des armes si dignes d eux. Gomme je n'ai jamais désavoué au-» cun ouvrage qui fût de moi ^ j*ai le dlroit d'en être cru sur ceux que je déclare n'en pas être. Je vous prie , monsieur , de recevoir et de publier cette déclaration en faveur de la vérité , et d'un hom-^ me qui n'a qu'elle pour sa défense. Recevez me9 très humbles salutations.

ANMÉE 17661 367

A M. MEURON,

t^ROCtJRECR-OEHÉRAL A MEUCHATEt.

Motiers, le 2Z mars 176S.

Je ne sais, monsieur , si je ne dois pas bénir mes misères , tant elles sont accompagnées de con&Q- lations. Votre lettre m en a donné debien douces, et j'en ai trouvé de plus douces encore dans le pa- quet qu elle contenoit. J avois exposé à milord- maréchalles raisons qui me faisoient désirer de quitter ce pays pour chercher la tranquillité et pour ly laisser. Il approuve ces raisons , et il est , comme moi, davis que j eh sorte : ainsi , mon- sieur, cest un parti pris , avec regret, je vous le jure, mais irrévocablement. Assuirément tous ceux qui ont des bontés pour moi ne peuvent désapprouver que , dans le triste état je suis, j^aille cherchçr une terre de paix' pour y déposer mes os. Avec plus de vigueur et de santé je con» sentirois à faire face à mes persécuteurs pour le bien public ; mais accablé d'infirmités et de mal- heurs sans exemple, je suis peu propre à jouer unjrôle , et il y auroit de la cruauté à me Fimpoi ser. Las de combats et de querelles , je n en peux plus supporter. Qu on me laisse aller mourir en paix ailleurs , car ici cela n est pas possible , moins

Î>ar la mauvaise humeur des habitants, que par e trop grand voisinage de Genève; inconvénient qu avec la meilleure volonté du monde il ne dé- pend pas d eux de lever.

368 CORRESPONDANCE.

Ce parti, monsieur, étant celui auquel on vouloit me réduire , doit naturellement faire tomber toute démarche ultérieure pour m'y for- cer. Je ne suis point encore en état de me trans- J)orter, et il me faut quelque temps pour met- tre ordre à mes affaires , durant lequel je puis raisonnablement espérer qu on ne me traitera pas plus mal qu'un Turc , un Juif, un païen , un athée, et qu'on voudra bien me laisser jouir, pour quelques semaines , de l'hospitalité qu'on ne refuse à aucun étranger. Ce n'est pas, mon- sieur , que je veuille désormais me regarder com- me tel ; au contraire, l'honneur d'être inscrit parmi les citoyens du pays me sera toujours précieux par lui-même, encore plus par la main dont il me vient , et je mettrai toujours au rang de mes premiers devoirs le zélé et la fidélité que je dois an roi , comme notre prince et comme mon protecteur. J'avoue que j'y laisse un bien très regrettable, mais dont je n'entends point du tout me dessaisir. Ce sont !es amis que j'y ai trouvés dans mes disgrâces , et que j'espère y con- server malgré mon éloignement.

Quant à messieurs les ministres, s'ils trouvent àpropos d'aller toujours eh avant avec leur (con- sistoire , je me traînerai de mon mieux pour y comparoître, en quelque état que je sois, puis- qu'ils le veulent ainsi ; et je crofs qu'its trouve- ront , pour ce que j'ai à leur dire , qu'ils auroient pu se passer de tant d'appareil. Du reste ils sont fort les maîtreé de m'excommunjer, si cela les

ÀNtiiÊË iiS^i 369

atnusfe t étiré éxdommtinié de la façoii de M.^e Voltaire m'amusera fbrt aussi*

Permettes^ ^ monsieur, que cette lettre soit commune aux deux messieurs qui ont eu la bonté de m'ëcrire avec un intérêt si généreul* Vous sentez que , dans les embarras je me trouve, je n ai pas plus le temps que les termes pour exprimer combien je suis touché de vos soins et des leurs. Mille salutations et res*- pectSb

A MADAME D*IVÈRNaîS.

»

Motiers^ le a5 mars 1765.

Je âùis comblé de vos bbnté3 , madame , et èonfus de mes torts : ils sont tous dans ma situa- tion, je vous assure; aucun n'est dans mies sen- timents. Vous avez trop bien deviné , madame , le sort de notre aimable et infoHunée amie. M. Tissot lU'a fait Famitié de venir la voir; sous sa direction elle est déjà beaucoup mieu^^ Je ne doute point qu il n achève de rétablir son cdrps et sa tète, mais je crains que son Cœur Ue soit plus long-temps malade , et que Famitié même ne puisse pas grâud'chose sur un tnal auquel la mé- decine* ne peut rien;

Pourquoi , madame , u'avez-vous pas ouvert ma lettre pour monsieur votre mari ? j'y avois compté ; une médiatrice telle que vous ne peut que rendre notre commerce encore plus agréable. Dites-lui, je vous supplie, mille choses pour moi que je n^ai pas le temps de lui dire; j ai le temps

17. a4

Syo CORRESPONDANCE.

seulepient de Taimer de tout mon cœur , et j'em* ploie bien ce temps-là : poiir remployer mieux encore , je voudrois que vous daignassiez en usur- per une partie. Il faut finir, madame. MîUe salu^ taiipp^ et respects.

AU CONSISTOIRE DE MOTIERS.

Mo tiers, le 29 mars 1765.

Messieurs,

Sur votre citation j'avois hier résolu , malgré mon état, de comparoitre aujourd'hui par-de- vant vous; mais sentant quil me seroit impos- sible , pp^gré toute ma bonne volonté , de soute- nir unç longue séiance ; et 3ur la matière de foi qui fait Tunique objet de cette citation , réfl^r cbissant que je pouvons également m'explique»^ ps^r écrit, je tx^i point douté, messiçura, que U| douceur de la charité ^e s'alliât çn vous, au zéki de la foi, et quje yoi^s, u agréas^^ dans cette^ let- tre la mxèxw rép,0A3e.que } awois pu ùiixede bou- che aux questions d^Mfde ISiftontmAlliu, queUea^ quelles soient.

Il m^ pj^04t donc, qu a moins^ que la rigueur dont la vénérable classe juge àprppos d'useï: cqu^ tre moi ne soit fondée sur uae loi positive, <^on m.'^ssui:e ne pas es^ister dan^ cet état , rien « esA pj.us. nouveau, plus, ir régulier ,. plus, attentatoire à la liberté civile et s^ur-^tout plus contcaire^ 4 lesprit de la religion^ qu'une pareille- prc^durQ en puxe matière, d^ foi.

ANNÉE 1765. 371

Car, messieurs, je vous supplie de considérer que, vivant depuis long-^temps dans le sein de Téglisé, et n étant ni pasteur, ni professeur, ni chargé d'aucune partie de l'instruction publique, je ne dois être soumis, moi particulier, moi simple fidèle, à aucune interrogation ni inquisi- tion sur ta foi ; de telles inquisitions , inouies dans ce pays , sapant tous les fondements de la réfor- mation, et blessant à-la- fois la liberté évangé- lique, la charité chrétienne, l'autorité du prin- ce, et les droits des sujets , soit comme membres de Féglise, so^it comme citoyens de l'état. Je dois toujours compte de mes actions et de ma con- duite ailx lois et aux hommes ; mais puisqu'on n^admet poinf parmi nous d'église infaillible qui ait droit de prescrire à ses membres ce qu'ils doivent croîi^e, donc , une fois reçu dans l'é- glise , je ne dois plus qu'à Dieu seul compte de ma foi.

JPajoufe à cela que lorsque après la publication de l'Emile je fus admis à la communion dans cette paroisse , il y a près de trois ans, par M. de MontmoUin , je lui fis par écrit une déclaration dont il fut si pleinement satisfait ,- que non seu- lement iï n'iexigea nulle autre explication sur le tfogme, mais qu'il me promit même de n'en point e:iiger. Je me tiens exactement à sa pro- messe, et sur-tout à ma déclaration. Et quelle conséquence, quelle absurdité, quel scandale ne 6eroit-ce point de s'en être contenté, après la publication d'un livre le christianisme sem«

24,

372 CORRESPONDANCE.

Hoit si violemment attaqué , et de ne s'en paa contenter maintenant , après la publication d'un autre livre Fauteur peut errer , sans doute , puisqu'il est homme, mais du moins il erre en chrétien , puisqu'il ne cesse de s'appuyer pas à pas sur l'autorité de l'évangile? C'étoit alors qu'on pouvoit m'ôter la communion ; mais c'est à présent qu'on devroit me la rendre. Si vous faites le contraire, messieurs , pensez à voscon-- sciences; pour moi, quoi qu'il arrive, la mienne est en paix.

Je vous dois , messieurs , et je veux vaus ren- dre toutes sortes de déférences , et je souhaite de tout mon cœur qu'on n'oublie pas assez la protection dont le roi m'honore pour me forcer d'implorer celle du gouvernement.

Recevez , messieurs , je vous supplie , les assu- rances de tout mon respect.

Je joins ici la copie de la déclaration sur la- . quelle je fus admis à la communion en 1 762 , et que je confirme aujourd'hui.

A M. D***.

Le 6 avril 1765.

Je souffre beaucoup depuis quelques jours, et les tracas que je croyois finis , et que je vois se multiplier, ne contribuent pas à me tranquilli- ser le corps ni l'aine. Voilà donc de nouvelles lettres d'éclat à écrire , de nouveaux engagements à prendre , et qu'il faut jeter à la tête de tout le monde, jusqu'à ce que je trouve quelqu'un qui

ANNÉE I7G5. 373

les daigne agréer. Voilà , toute chose cessante , un déménagement à faire. II faut me réfugier à Couvet , parce(jue j ai le malheur d'être dans la disgrâce du ministre de Motiers : il faut vite aller chercher un autre ministre et un autre consis- toire ; car , sans ministre et sans consistoire , il ne m*est plus permis de respirer; et il faut errer de paroisse en paroisse, jusqu'à ce que je trouve un ministre assez bénin pour daigner me tolérer dans la sienne. Cepetidant M. de P*** appelle cela le pays le plus libre tfe la terre ; à la bonne heure : mais cette liberté-là n'est pas de mon goût. M. de P*** sait que je ne veux plus rien avoir à faire avec les ministre^; il me l'a con- seillé lui-même; il sait que naturellement je suis désormais dans ce cas avec celui-ci ; il sait que le conseil d'état m'a exempté de la juridiction de son consistoire : par quelle étrange maxime veut- il que je m'aille refourrer tout exprès sous la ju- , ridiction d'un autre consistoire dont le conseil d'état ne m'a point exempté , et sous celle d'un autre ministre qui nve tracassera plus poliment , sans doute, mais qui me tracassera toujours ; voudra poliment savoir comme je pense, et que poliment j'enverrai promener ? Si j'avois une habitation à choisir dans ce pays , ce seroit celle- ci, précisément par la raison qu'on veut que j'en sorte. J'en sortirai donc puisqu'il le faut ; mais ce ne sera sûrement pas pour aller à Couvet. Quant à la lettre que vous jugez à propos que j'écrive pour promettre le silence pendant mon

374 CORRESPONDANCE.

séjour en Suisse , j'y consens , je desirerois seu- lement que vous me fissiez l'amitié de m'envoyçr le modèle de cette lettre, que je transcrirai exac- tement, et de me marquer à qui je dois Tadres- ser. Garrottez-moi si bien que je ne puisse plus remuer ni pied ni patte ; voilà mon cœur et mes mains dans les liens de Famitié. Je suis très dé«- terminé à vivre en repos , si je puis , et à ne plus rien écrire, quoi qu'il arrive, si ce n'est ce que vous savez, et pour la Corse, s'il le faut absolu- ment , et que je vive assez pour cela. Ce qui me fâche encore un coup , c'est d'aller offrant cette promesse de porte en porte, jusqu'à ce qu'il se trouve quelqu'un qui la daigne agréer: je ne sache rien au monde de plus humiliant; c'est donner à mon silence une importance qu^ per<- sonqe n'y voit que moi seul.

Pardonnez, monsieur, l'humeur qui me ronge; j'ai onze lettres âur la table, la plupart très dés- agréables, et qi:ii veulent toutes la plus prompte réponse. Mon sang est calciné, la fièvre me con- sume, je ne pisse plus du tout, et jamais rien ne m'a tant coûté de ma vie que cette promesse authentique qu'il faut que je fa^se d'iiine chose que je suis bien déterminé à tenir ^ que je la pro- mette ou non. Mais, tout en grognantfort maus- sadement , j'ai le cœur plein des sentiments les plus tendres pour ceu^ qui s'intéresaent si gêné-* reusement à mon repos , et qui me donnent lea meilleurs ccm^eils pour l'assurer. Je sais qu'ils ne me çonsçîUçnt que poiir mon bien, qu'ils ne

ANNÉE 1765. 375

prennent à tout cela d'autre intérêt que le mien propre. Moi, de mon côté, tout en murmurant, je veux leur complaire, sans songera cequim est bon. S'ils me demandoient pour eux ce qu'ils me demandent pour moi«-méme , il ne me coûteroit plus rien ; mais comme il est permis de faire en rechignant son propre avantage , je veux leur obéir, les aimer, et les gronder. Je vous em- brasse.-

P. S. Tout bien pensé, je crois pourtant qu'a- vant le départ de M. Meuron je ferai ce qu'on désire. Ma paresse commence toujours par se dépiter, mais à la fin mon cœur cède.

81 je restois , j'en reviendroîs , en attendant que votre maison fût faîte , au projet de cher- cher quelque jolie habitation près deNeuchatel, et de m'abonner à quelque société j'eusse à- ,la*foîs la liberté et le commerce des hommes. Je n'ai pas besoin de société pour me gâtrantiip de l'ennui , au contraire ; mais j'en ai besoin pour me détourner de rêver et d'écrire, Tatlt que je vivrai seul , ma tête ira malgré moi.

A MILORD-MARÉCHAU

Le 6 avril 1765.

Il me pai^oît , mitôrd , que , grades aux soins des honnêtes gens qui vous sont attachés , les projets des prédicants contre moi s'en iront en fumée , ou aboutiront tout au plus à me garantir

376 GOBBESPONDAlSïGE.

de lennui de leurs lourds sermons. Je n'entrerdl point dans le détail de ce qui s est passé, sachant qii'on vous en ^ repdu un fidèle comptç; tnais il y auroit l'ingratitude à moi de ne vous rien dire de la c|i£ileur que M^ Ch^illet ^ mise à.toute cette affaire , et de Tactivîté pleiijLe à-rla*fois de prudeucç et vigueur ^yec laquçUe M, Meuro^ ÎV conduite. A portée , dansi la place vous Ta^ vez mis, d'a^jir et pç^rler au nom du roi et; a.u vôtre , il s'est prévalu de cet avantage avec tant de dextérité, que, s^ns indisposer persopne^ il a ramçné tout le conseil d'état à son avis ; ce qui p'étoit pas. peu chose , vu l'extrême ferment tation qu'on avoit trouvé le inoyen d'çxcîter dan$ les esprits. La n^^nière dont il s'est tiré de cette affaire prouve qu'il est très en état d'çn pianier de plus grandes. ;

Lorsque je reçus votre lettre du 10 mar&ayeç les petits billets numérotés qui l'accompagnoient, je me sentis le cœur si pénétré de ces tendres SQin§ de votre part , que je m'épanchai là-dessus avec M.. ïç prince Louis de Wirtemberg, homme d'un mérite rare , épuré par lea disgrâces., et qui m'ho^ nore de sa correspondance et de son amitié. Voici là-dessus sa réponse ; je vous la transmets mot à mot : a Je n'ai pas douté un moment que le roi de K Prusse ne vous soutint ; mais vçus me faites « chérir milord-maréchal : veuillez lui témoigner M toute la vivacité des sentiments que cet honune « respectable m'inspire. Jan^ais personne avant

ANNÉE 1765. 377

« lui lie s'est avisé de faire un jouriial si hono-^ « rable pour rhumanité. n

Quoiqu il me paroisse à-peu-près décidé qué^ je puis jouir QU ce pays de toute la sûreté possible, sous la protection du roi, sous la vôtre , et grâces à vos précautions , comme sujet de Tétat (i), ce- pendant il me paroît toujours impossible qu on m'y laisse tranquille. Genève n'en est pas plus loin qu'auparavant, et les brouillons de ministres me haïssent encore plus à cause du mal qu'ils n'ont pu me faire. On ne peut compter sur rien de so-* lide dans un pays les têtes s'échauffent tout d'un coup sans savoir pourquoi. Je persiste.donc à vouloir suivre votre conseil et m'éloigner d'ici. Mais comme il n'y a plus de danger , rien ne presse ; et je prendrai tout le temps de délibérer et de bien peser mon cboiic, pour ne pas faire une sottise, et m'aller mettre dans de nouveaux lacs, ToutiBS mes raisous contre l'Angleterre sub* sistent ; et il suffit qu il y ait des ministres dans ce pay^là pour me faire craindre d'en approcher. Mon état et mon goût m'attirent également vers l'Italie; et si la lettre dont vous m'avez envoyé copie obtient une réponse favorable , je penche extrêmement pour en profiter. Cette lettre , mi- lord , est un chef-d'iœuvre ; pas un mot de trop , si ce n'est des louanges ; pas une idée omise pour

,(i) Lord-marécbal lui avoit. obtenu des lettres de natu« rMiaation^

378 GORRBSPONDAKGE.

aller au but. Je compte si bien sur son efïet , que , sans autre sûreté qu une pareille lettre, j'irois volontiers me livrer aux Vénitiens. Cependant , comme je puis attendre ;, et que la saison n*est pas bonne encore pour passer les tnonts , je ne prendrai nul parti définitif sans en bien consul- ter avec vous.

Il est certain, milord , que je n ai pour le mo-- ment nul besoin d argent. Cependant je vous Fai dit, et je vous le répète , loin de me défendre de vos dons je m'en tiens honoré. Je vous dois les biens les plus précieux de la vie ; marchan- der sur les autres seroit de ma part une ingrati- tude. Si je quitte ce pays , je n oublierai pas qûll y a dans les mains de M. Meuroii cinquante louis dont je puis disposer au besoin.

Je n'oublierai pas^ non plus de remercier le roi de ses grâces. C'a toujours été mon dessein si jamais je quittois^ses états. Je vois milord , avec une grande joie, qu'en tout ce qui est cdiiVéna- ble et honnête nous nous entendons sans nous être conftmunjqùé. ' '

A M. D'ESCHEftRY.

Aloders , le 6 avril 1765.

Je; n entends pas bien, monsieur, ce qu'après sept ans de silence M. Diderot vient tout-à-coup exiger de moi. Je ne lui demande rien. Je n'ai nul désaveu à faire. Je suis bien éloigné de hii vouloir du mal , encore plus de lui en faire ou

ANNÉE 1765. 379

à'en dire de lui ; je sais respecter jusqu'à la fin les droits de i amitié , même éteinte , mais je ne la rallume jamais ; cest ma plus inviolable maxime.

J'ignore encore m'entraînera noua destinée. Ce que je sais, cest que je ne quitterai qu'à re- gret un pays , parmi beaucoup de personnes que j estime , il y en a quelques unes que j aime et dont je suis aimé. Mais , monsieur , ce que j'aime le plus au monde, et dont j ai le plus de besoin , c est la paix : je la chercherai jusqu'à ce que je la trouve ou que je meure à la peine. Voilà la seule chose sur laquellie je suis bien décidé.

J'espérois toiijours vous rapporter votre mu- sique ; mais , malade et distrait , je n'ai pas le temps dy jeter les yeux. M. deMontmoIlinajugé à propos de m occuper ici d autres chansons bien moins amusantes. Il a* voulu me faire chanter ma gamme , et s'est fait un peu chanter la sienne ; que Dieu nous préserve dépareille musique! Ainsi soit-il. Je vous salue, monsieur, de tout mon cœur.

AM. LALIAUD.

Métiers , la 7 avril 1 765.

Puisque vous le voulez absolument, monsieur, voici deux mauvaises esquisses que j'ai £eiit faire , faute de mieux , par une manière de peintre qui a passé par NeuchateL La grande est un profil à la silhouette, oit j'ai feiit ajouter quelques trait» en crayoQ pour mieux déterminer la posiliou

38o GORHESPONDÀNGE.

des traits ; l'autre est un profil tiré à la vue. On ne trouvé pas beaucoup de ressemblance à 1 un ni à lautre : j'en suis fâché , mais je n ai pu faire mieux ; je crois même que vous me sauriez quel- que gré de cette petite attention, si vous con- noissiez la. situation j'étois quand je me suis ménagé le moment de vous complaire. '

U y a un portrait de moi très ressemblant dans lappartement de madame la maréchale de Lu^iembourg. Si M. Lemoine prenoit la peine de s y transporter et de demander de ma part M. de La Boche, je ne doute pas qu il n'eût la complai- sante de le lui montrer. *

Je ne vous connois , monsieur , que par vos lettres ; mais elles respirent la droiture et l'hon- nêteté ; elles me donnent la plus grande opinion de, votre ame ; l'estime que vous m'y témoignez rae flatte , et je suis bien aise que vous sachiez qu'elle fait une des consolations de ma vie.

i «

A M. D'IVERNOIS.

Mo tiers I le 8 avril 1765.

Bien arrivé , mon cher monsieur; ma joie est grande , mais elle n'est pas complète , puisque vous n'avez pas passé par ici. Il est vrai que vous y auriez trouvé une fermentation désagréable à votre amitié pour moi. J'espère , quand vous vien- drez, que vous trouverez tout pacifié. La chance eonunence à tourner extrêmement. Le roi s'est si hautement déclaré , milord-maréçhal a si vi^

ANNÉE 1765* 38t

vement écrit » les gens eu crédit ont pris taon parti si chaudement , que le conseil d'état s'est unanimemept déclaré pour moi, et m-a ^ par un arrêt , exempté de la juridiction du consistoire ^ et assuré la protection du gouvernement. ' Les ministres sont généralement hués : Thûmme à qui vous avez écrit est consterné et furieux ; il ne lui reste plus d'autres ressources que d'ameu- ter la canaille , ce qu'il a fait jusqu'ici avec assez de succès. Un des plus plaisants bruits qu'il fmt courir, est que j'ai dit dans mon dernier livre que les femmes n'avoient point d'ame ; ce qui les met dans une telle fureur par tout le Val-de-Travers , que, pour être honoré du sort d'Orphée, je n'ai qu'à sortir chez moi. C'est tout le contraire à Neuchatel, toutes les dames sont déclarée» en ma faveur. Le sexe dévot y traîne les ministres dans les boues. Une des plus aimables disoit , il y a quelques jours, en pleine assemblée, qu'il n'y avoit qu'une seule chose qui la scandalisât dans tous mes écrits , c'étoit i'éloge de M. de Montmollin. Les suites de cette affaire m'opcti- pent extrêmement. M. Andrié m'est arrivé de Berlin de la part de milord-maréchal. H me sur- vient de toutes parts des multitudes de visites. Je songe à déménager de cette maudit^aroisse pour aller m établir près de Neuchatel, tout le monde a la bonté de me désirer. Par-dessus tous ces tracas , mon triste état ne me laisse point de relâche , et voici le septième mois que je ' nq suis sorti qu'une seule fois , dont je me suis

383 GORRCSPONDA^GE.

trouvé fort mal. Juges d'après tout cela si je snis en état de recevoir M. de Servant, qciél'que désir que j en eusse; dans tout le cours de ma vie il n auroît pas pu choisir plus mal son temps pour me vctiir voir. Dissuadez-l'en , je vous supplie , 0u qu il n^e s en prenne pas à moi s'il perd ses pas.

Je ne crois pas avoir écrit à personne que peut-être je serois dans le cas d'aller à Berlin. Il m'a tant passé de choses par la tête que celle-là pourroit y avoir passé aussi; mais je suis près* que assuré de n'en avoir rien dit à qui que ce soit. Ija mémoire que je perds absolument m'em* pêche de rien affirmer» Des motifs très dou:x, trèsi pressants , très honorables, m'y attireroient sans doute; mais te climat me feit peur. Que je cherche, an n»€Mms la hénigmté dn soleil, pnis^ ^e^je n'en dois point attendre des hommes^! J'o^père que eeUe de Famhié me suivra par-tout. Je conttcâa la vôtre, et je m^'èn prévaudrois au be5c»n;:mais ce n'est pas l'argent qui me man- que ^ et si )''en avoisbesom , cinquante fouis sont àNetiditateià mesonk^s , grâce à la prévoyance db: miWd-maréefaal.

§MIM)EA£OÏSfibLE 6ALLET.

MoiieFs ,. le 9 a^rii 1763^.

Au moins:, mMlemoiselle , n'allez pas m^àccu:- aer afnssi de croire que les femmes n'ont poinl( d ame ; car r <n* cowiraire , je* snia persuadé' que

ASNÉE 1765. 383

touled cdles qui vous ressemblent en ont ati moins deux à leur disposition. Quel dommage qae la votre vous suffise ! J en cannois une qui ^e plairait fort à loger en m^e lieu. Mille res- pects à la chère maman et à toute la famille. Je vous prie,. mademoiselle, d'agréer les miens.

A M. MEURÔN, FRocnaEini-GÉBréiuL a heuchatel.

Motiera, le 9 avril i^ôS.

Permeitest , mtonsieur , qu avant votre départ jfi vous aupplie de joindre à tant de soins obli- geants pour moi celui de faire agréer à mes^ sieurs du c€»nseil d état mon profond respect et mu vive reconnaissance. Il n^est extrêmement conaofent de JQuir, &ouaragrément du gouverne^ vc^xkt de Oel état, de la protection dont le roi m'honore , et des hontes de milord-maréchal ; de %l pré9eîeu& àictea; de bienveiUance m'imposent de nouveaux devoirs que mon cœur remplira tou- jours avec zèle , non seulement en (idéle sujet de Tétat , mais en homme particulièrement obligé à l'illustre corps qui le gouverne. Je me flatte qu'on a vu jusqu'ici dans ma conduite une sim- plicité stfftcère , et autant d'aversion pour la dis- pute ^ue d'amour pour la paix. J'o^e dire que j«miaîs komme iie- chercha moins à répandre ses QfMWQpç , et ne lut moins auteur dans la vie pri- \é^et s^ocialer: si, dans la chaîne de mes disgra* ce«i, le^ ^U'icitisubîons., le devoir ^Jhonneur mè-

384 GORitBSPO]!<rOANCE.

me m'ont forcé de prendre la plume pour ma dé« fense et pour celle d aulrui , je n'ai rempli qu*à regret un devoir si triste , et j'ai regardé cette cruelle nécessité comme un nouveau malheur pour moi. Maintenant , monsieur ^ que , grâces au ciel ^ j en suis quitte , je m'impose la loi de me taire , et , pour mon repos et pour celui de Fétàt j'ai le bonheur de vivre, je m'engage libre- ment , tant que j'aurai le même avantage , à ne plus traiter aucune matière qui puisse y dé-* plaire , ni dans aucun des états voisins. Je ferai plus , je rentre avec plaisir dans l'obscurité j'aurois toujours vivre, et j'espère sur aucun sujet ne plus occuper le public de moi. Je vou<- drois de tout mon cœur offrir à ma nouvelle pa* trie un tribut plus digne d'elle : je lui sacrifie un bien très peu regrettable, et je préfère infini- ment au vain bruit du monde l'amitié de ses membres , et la faveur de ses chefs.

Recevez , monsieur, je vous supplie, mes très humbles salutations.

r

A M. DDPEYROD.

Vendredi i% anil 1765*

Plus j'étois touché de vos peines , plus j'étoîs fâché contre vous; et en cela j'avois tort; le com- mencement de votre lettre me le prouve. Je ne suis pas toujours raisonnable, mais j'aime tou-* jours qu'on me parle raison. Je voudrois con- nottre vos peines pour les soulager, pour

ANNÉE I765. 38a

partager dii' moins. Les vrais épanch^ments du coqur veulent non seulement Faniitié , mais la familiarité; et la familiarité ne vient que par Fhabitude de vivre ensemble. Puisse un jour cett€ habitude si douce donner entre nous à lamitié tous ses charmes ! Je les sentirai trop bien pour ne pas vous les faire sentir aussi.

Au train dont la neige tombe, nous eu au- rons ce soir plus d'un pied : ,cel€i et mon état encore empiré m'ôtera le plaisir de vous aller voir aussitôt que je lespérois. Sitôt que je le pourrai,. comptez que vous verrez celui qui vous aime.

AU MÊME.

.*..é 22 avril 17^5.

* .

Lamitié est une chose si sainte que le nom n en doit pas même être employé dans lusage ordinaire : ainsi nous serons amis , et nous ne nous dirons pas mou ami. J'eus un surnom ja-^ dis que je crois mériter mieux que jamais. A Paris on ne m appeloit que le Citoyen. Rendes moi ce titre qui ip'est si cher et que j ai payé si cher \ faites même en sorte qu'il se propage , et que tous ceux qui m'aiment ne m appellent js^- mais monsieur ) mais en parlant de moi, leCi-^ tqyen , et en m'écrivant , mon cher Citoyen. Je vous charge de faire connoître ce que je désire, et je crois que tous vos amis et les miens me fe- ront volontiers ce plaisir. En attendant , com- mencez par donner. l'exemple. A votre égard,

17, a5

386 CORRESPONDANCE.

prenez un nom de société qui vous plaise et que je puisse vous donner. Je me plais à songer que vous devez être un jour mon cher hôte, et j ai- merois à vous en donner le titre d avance: mais celui-là ou un autre ^ prenez-en un qui so^ de votre goût , et qui supprime entre nous le maus- sade mot de monsieur, que lamitié et la familia- rité doivent proscrii'e.

Je souffre toujours heaucoup. Je vous em- brasse.

A M. D'IVERNOIS.

Mo tiers, le 22 avril 1765.

J'ai reçu 9 monsieur, tous vos envois, et ma sensibilité à votre amitié atigmente de jour en jour : mais j'ai une grâce à vous demander; cest de ne me plus parler des affaires de Genève, et PC plus m'envoyer aucune pièce qui s'y rap- porte. Poiu*quoi veut-ôn absolument par de si tristes images me faire finir dans laflliçtion le reste des malheureux jours que la nature m'a comptés , et m'ôter un repos dont j'ai si grand besoin, et que j'ai si chèrement acheté? Quel- que plaisir que me fasse votre correspondance , si vous continuez d'y faire entrer des objets dont je ne puis ni ne veux plus m'occuper, vous me fprcerez d'y renoncer.

Parmi ce que m'a apporté le neveu de M. Vies- âfux, il y avoit une lettre de Venise, celui qui l'écrit a eu l'étourderie de ne pas marquer son adresse. Si vous savez par quelle voi^est ve-

ANNÉE 1765. 387

nue celte lettre, informez-vous de grâce si je ne^ pourrois pas me servir de la même voie pour faire parvenir ma réponse.

Je vous remercie du vin deLunel; mais, mon cher monsieur, nous sommes convenus , ce me semble, que vous ne m'enverriez plus rien de ce qui ne vous coûte rien. Vous me paroissez n'a- voir pas pour cette convention la même mé- moire qui vous sert si bien dans mes commis* sions.

Je ne peux rien vous dire du chevalier de Mal- te ; il est encore à Neuchatel. Il ma apporté une lettre de M. de Paoli qui n'est certainement pas supposée : cependant la conduite de cet homme- est en tout si extraordinaire que je ne puis prendre sur moi de m'y fier ; et je lui ai remis pour M. Paoli une réponse qui ne signifie rien, et qui le renvoie à notre correspondance ordi- naire, laquelle n'est pas connue du chevalier. Tout ceci , je vous prie, entre nous.

Mon état empire au lieu de s'adoucir. Il me vient du monde des quatre coins de l'Europe. Je prends le parti de laisser à la poste les lettres que je ne connois pas , ne pouvant plus y suffire. Selon toute apparence je ne pourrai guère jouir à ce voyage* du plaisir de vous voir tranquille-' ment. Il faut espérer qu'une autre fois je serai plus heureux.

La lieutenante est à Neuchatel. Je ne veux lui faire votre commission que de bouche. Je crains qu'elle ne pût vous aller voir seule , et que la

390 CORRESPONDANCE.

laquelle sa plaie setoit refermée ; il avôit à la jambe un trou fort profond; elle étoit en&ée , il soufFroit beaucoup et ne. pou voit se soutenir. Eu cinq ou six heures, avec une simple application de thériaque , plus d enflure , plus de douleur, plus de trou , à peine en ai-je pu retrouver )a place: il est gaillardement revenu de son pied à Mo tiers , et se porte à merveille depuis cetemi^- là. Comme vous avez des chiens, jai cru quil étoit bon. de vous apprendre Tfaistoire de mon spécifique ; elle est aussi étonnante que certaine. Il faut ajouter que je lai mis au lait durant quel- ques jours; c'est une précaution quil faut tou- jours prendre sitôt qu un animal est blessé.

Il est singulier que depuis tro^s jours je res- sens les mêmes attaques que j ai eues cet hiver : il est constaté, que ce séjour ne me vaut rien à aucun égard. Ainsi mon parti est pris ; tirez-moi d'ici au plus vite. Je vous embrasse.

A M, D'IVERNOIS.

Motiers, le 3o mai 1765.

Je suis très inquiet de vous , monsieur. Suivant ce que vous m'aviez marqué, jai suspendu mes courses et mes affaires pour revenir vous atten- dre ici dès le 20 : cependant ni moi ni personne n'avons entendu parler de vous. Je crains que vous ne soyez malade; faites-moi du moins écrire deux mots par charité.

Il m'est impossible de vous attendre plus long-

ANNÉE 1765. ' 391

temps que deux ou trois jours encore ; mais je ne serai jamais assez éloigné d'ici pour que, lorsque vous y viendrez , nous ne puissions pas nous join* <lre. On vous dira chez moi je serai; et, selon vos arrangements de route, vous viendrez, ou Ton m enverra chercher.

Voici, monsieur, deux*lettres pour Gênes, auxquelles je vous prie de donner cours en fai- <sant affranchir s il est nécessaire. J attends de vos nouvelles avec la plus grande impatience , et vous embrasse de tout mon cœur.

AM. KLUPFFEL.

Motiers, 0191 1765.

Ce n est pas, mon cher ami, faute d'empres- sement à vous répondre que j'ai différé si long- temps; mais les tracas dans lesquels je me suis trouvé, et un voyage que j'ai fait à Vautre extré- mité du pays, m'ont fait renvoyer ce plaisir à un moment plus tranquille. Si j'avois fait le voyage de Berlin , j'aurois pensé que je passois près <l'un ancien ami, et je me serois détourné pour aller vous embrasser. Un autre motif encore m'eût attiré dans votre ville, c'eût été le désir d'être présenté par vous à madame la duchesse de Saxe-Gotha , et de voir de près cette grande princesse, qui, fût-elle personne privée, fcroit admirer son esprit et son mérite. La reconnois- sance m'auroit fait même un devoir d'accomplir ce projet après la manière obligeante dont il a

3^2 CORRESPONDANCE.

plu à S. A. S. d çcrire sur mon compte à mîlord- maréphal ; et , au risque de lui faire dire, N et oit- ce que cela ? jaurois justifié parmon obéissance à ses ordres mon, empressement à lui foire ma cour. Mais, mon cher ami, ma situation à tous égards ne me permet plus d'entreprendre de grands voyages y et ifn homme qui huit mois de Tannée ne peut sortir de sa chambre n est guère en état de faire des voyages de deux cents lieues. Toutes les bontés dont milord-maréchal m'ho- nore, tous les sentiments qui m'attachent à cet homme respectable, me font désirer bien vive- ment de finir mes jours, près de lui : mais il sait que c'est un désir qu'il m'est impossible de satis- feire; et il neme reste pour nourrir cette espé- rance que celle de le revoir quelque jour en ce pays. Je voudrois , mon cher ami , pouvoir nour- rir par rapport à vous la même espérance : ce se-^ roit une grande consolation pour moi de vous .embrasser encore une fois en ma vie , et de re- trouver en vous l'ami tendre et vrai près duquel j'ai pasisé de si douces heures, et que je n'ai ja- .mais cessé de regretter. Je vous embrasse de tout mon cœur.

BILLET A M. DE VOLTAIRE.

Motiçrs,le 3i mai 1^65.

Si M. de Voltaire a dit qu'au lieu d'avoir été secrétaire de l'ambassadeur de France à Venise j'ai été son valet, M. de Voltaire en a menti comme un impudent. .

ANNÉE 1765. 393

Si dans les années 1 743 et 1744 j^ n*^^ P^s ^^^ premier secrétaire de Tambassadeur de France , si je n ai pas failles fonctions de secrétaire d'am- bassade, si je n*en ai pas eu les honneurs au sé- nat de Venise, j en aurai menti moi-^même.

. A M. D'ESCHERNY.

Motiers, le !«' juin 176$.

Je suis bien sensible, monsieur , et à la bonté que vous avez de penser à mon logement, et à celle qu ont les obligeants propriétaires de la maison de Gornaux, de vouloii'bien m'accorder la préférence sur ceux qui se sont présentés pour rhabiter. Je vais à Yverdun voir mon ami M. Bo- guin, et mon amie madame Boy de La Tour , qui est malade ^ et qui croit que je lui peux être de quelque consolation. J espère que dans quel- ques jours M. Dupeyrou sera rétabli, et que, vous trouvant tous en bonne santé , je pourrai consulter avec vous sur le lieu oii je dois plan- ter le piquet. Cette manière de chercher est si agréable qu il est naturel quejenesois pa« pressé de trouver. Bien des salutations, monsieur, de tout mon cœur. ^

A M. DUPEYROU.

%

Mardi 11 juin 1766.

Si je reste un jour de plus je suis pris : je pars donc, mon cher, hôte, pour la Perrière, je

394 GORRESPONDAKGE.

VOUS attendrai avec le plus grand empressetnetit , mais sans mlmpatienter. Ce qui achève de me déterminer est quon m apprend que vous avez commencé à sortir. Je vous recommande de ne pas oublier parmi vos provisions ^ café , sucre , cafetière, briquet, et tout Fattirail pour faire, quand on veut, du café dans les bois. Prenez Linnceus et Sauvages, quelque livre amusant, et quelque jeu pour s amuser plusieurs , si Ton est arrêté dans une maison par le mauvais temps. Il faut tout prévoir pour prévoir le désœuvré* ment^et Fennui.

Bonjour : je compte partir demain matin, s'il fait beau , pour aller coucher au Locle, et diner ou coucher à la Perrière le lendemain jeudi. Je yous embrasse.

AM-DCPEYROU.

A la Perrière, le 16 juin 1765.

Me voici , mon cher te , à la Perrière , je ne suis arrivé que pour y garder la chambre , avec un rhume affreux , une assez grosse fièvre , et une esquinancie,mal auquel jetois très sujet dans ma jeunesse , mais dont j espérois que l'âge mauroit exempté. Je me trompois , cette attaque a été violente : j'espère qu elle sera courte. La fièvre est diminuée , ma gorge dégage, j avale plus aisément , mais , il m est encore impossible de parler.

Au peu que j'ai vu sur la botanique, je com-

ANNÉE 1765. 395

prends que je repartirai d'ici plus ignorant que je n y suis arrivé, plus convaincu du moins de mon ignorance, puisquen vérifiant mes con* noissances sur les plantes , il se trouve que plu* sieurs de celles que je croyois connoître je ne les oonnoissois point. Dieu soit loué ! c est tou- jours apprendre quelque chose que d apprendre quon ne sait rien. Le messager attend et me presse; il faut finir. Bonjour, mon cher hôte; je vous embraie de tout mon cœur«

A M. DUPEYROU.

A Brot, le lundi i5 juillet 1766.

Vos gens , mon cher hôte , ont été bien mouil- lés,, et le seront encore , de quoi je suis bien fâ- ché : ainsi trouvant ici un char à banc, je ne les mènerai pas plus loin. Je pars le cœur plein de vous et aussi empressé de vous revoir que si nous ne nous étions vus depuis long-temps. Puissè-je apprendre à notre première entrevue que tous 'VOS tracas sont finis et que vous avez lesprit aussi tranquille que votre honnête cœur doit être content de lui-même et serein dans tous les temps! La cérémonie de ce matin met dans le mien la satisfaction la plus douce. Voilà , mon cher hôte, les traits qui me peignent au vrai lame de mi- Ibrd-maréchal , et me montrent qu il connoît la mienne. Je ne cùnnois personne plus fait pour vous aimer et pour être aimé de vous. Comment ne verrois-je pas enfin réunis tous ceux qui m ai-

396 CORfiESPONDAUCE.

ment ? ils sont dignes de s aimer tous. Je vous embrasse.

A M. BTIVERNOIS.

Mo tiers le 20 juillet lyôS»

J'arrive il y a trois jours, je reçois vos lettres, vos envois, M. Chapuis, etc. Mille remercie- ments. Je vous renvoie les deux lettres^ J ai bien les bilboquets ; mais je ne puis m'en servir ^par- ceque, outre que lescordons sont trop courts, je n'en ai point pour changer et qu'ils s'usent très promptement.

Je vous remercie aussi du livre de M. Claparède. Comme mes plantes et mon bilboquet me lais- sent peu de temps à perdre, je n'ai lu ni ne lirai ce livre que je crois fort beau. Mais ne m'envoyez plus de tous ces beaux livres ; car je vous avoue qu'ils m'ennuient à la mort et que je n'àime pas à m'ennuyer.

Mille salutations à M. Deluc et à sa famille. Je le remercie du soin qu'il veut bien donner à l'op- tique. Je n'ai point d'estampes. Je le prie d'en faire aussi l'emplette, et de les choisir belles et bien enluminées; car je n'aurai pas le temps de les enluminer. Une douzaine me suffira quant à présent : je souhaite que l'illusion soit parfaite, ou rien.

Mademoiselle Le Vasseur a reçu votre envoi , dont elle vous fait ses remerciements , et moi mes reproches. Vous êtes un donneur insupportable; il n'y a pas moyen de vivre avec vous.

ANNÉE 1765. 397

J'ai passé huit ou dix jours charmants dans File de Saint-Pierre, mais toujours obsédé d'im- portuns : j'excepte de ce nombre M, de Graffen- ried , bailli de Nidau*, qui est venu dîner avec moi ; c'est un homme plein d'esprit et de con* noissances, titré, très opulent, et qui, malgré cela , me paroit penser très bien et dire tout haut ce qu'il pense.

Je reçois à l'instant vos lettres et envois des 16 et 17. Je suis surchargé, accablé, écrasé de visi* tes , de lettres et d'affaires , malade par-dessus le marché ; et vous voulez que j'aille à Morges m'aboucher avec M. Vernes ! Il n'y a ni possibi- lité ni raison à cela. Laissez-lui £edre ses perqui- sitions ; qu'il prouve , et il sera content.de moi : mais en attendant je ne veux nul commerce avec'lui. Vous verrez à votre premier voyage ce que j^ai fait; vous jugerez de n^ea preuves, et de celles qui peuvent les détruire. En attendant je n ai rien publié ; je lie publierai riien sans nou- veau sujet de parler. Je pardonne de tout mon cœur à M. Vernes, même en le supposant cou- pable : je suis fâohé de lui avoir nui ; je ne vaux plus lui nuire à moins que je n'y sois forcé. Je donnerois tout au monde pour le croire inno-« cent , afin qu'il connût mon cœur et qu'il yît comment je répare mes tort«. Mais avant de le déclarer innocent il faut que je le croie ; et je crois si décidément le contraire, que je n'ima- gine pas même comment il pourra me déper- suader. Qu'il prouve et je suis à ses pieds. Maïs,.

398 C0RRESP0I9DÀNCE.

pour Dieu , s'il est coupable, conseillez-lui de se taire ; c'est pour lui le meilleur parti. Je vous em- brasse.

Notre 'archiprêtre fait imprimer à Yverdun une réponse que le magistrat de Neucbatel a re- fusé la permission d'imprimer à cause des per- sonnalités. Je suis bien aise que toute la terre connoisse la frénésie du personnage. Vous savez que le colonel Pury a été fait conseiller d'état. Si notre homme ne sent pas celui-là il faut qu il soit ladre comme un vieux porc.

Ma lettre a par oubli retardé d'un ordinaire. Tout bien pensé j'abandonne l'optique pour la botanique : et si votre ami étoit à portée de me faire faire les petits outils nécessaires pour la dis- section des fleurs je serois sûr que son intelli-' gence suppléeroit avantageusement à celle des ouvriers. Ces outils consistent dans trois ou quatre microscopes de différents foyers, de pe- tites pinces délicates et minces pour tenir les fleurs , de ciseaux très /^ns , canifs et lancettes, pour les découper. Je serois bien aise d'avoir lie tout à double, excepté les microscopes, parce- qu'il y a ici quelqu'un qui a le même goût que moi et qui a été mal servi.

A M. D'IVERNOra

Mo tien, le i«' août 1765*

Si vous n'êtes point ennuyé , monsieur, de mé- riter des remerciements, moi je suis ennuyé d'en

ANNÉE 176S. 3^9

faire ; ainsi n'en parlons plus. Je suis , en vérité ^ fort embarrassé de lemploi da présent de made* moiselle votre fille. La bonté qu elle a eue de s'oc* * cuper de moi mérite que je m en fasse honneur, et je n ose. Je suis à-la-fois vain et sot : c'est trop ; il îaudroit choisir. Je crois que je prendrai le parti de tourner la chose en plaisanterie , et de dire qu'une jeune demoiselle m'enchaîne par les poignets.

Je suis indigné de l'insultante lettre du minis- tre : il vous croît le coeur assez bas pour penser comme lui. Il est inutUe que je vous envoie <^e que je lui écrirois à votre place ; vous ne vous en serviriez pas. Suivez vos propres mouveiûents ; vous trouverez assez ce qu'il faut lui dire, et vous le lui direz moins durement que moi.

M. Deluc est en vérité trop complaisant de se prêter ainsi à toutes mea fantaisies; mais je vous avoue qu'il ne sauroit me faire plus de plaisir que de vouloir bien s'occuper de mes petits in* struments. Je raffolé de la botanique, cela ne fait qu'empirer tous les jours; Je n'ai plus que du foin dans la tête : je vais devenir plante moi- même un de ces matins , et je prends déjà racine à Motiers , en |dépit de l'archiprêtre qui conti- nue d'ameuter la canaille pour m'en chasser.

J ai grande envie de voir M. de Gonzié ; mais

je ne compte pas pouvoir aller à sa terre pour

cette, année : j ai regret aux plaisirs dont cela me

|>r^Ye; nkais il &ut céder à la nécessité.

c h^$ lettrea de l'archiprêtre sont , à ce qu'on

^OO CORRESPONDANCE.

dit, imprimées : je ne sais pourquoi elles ne pa- roissent pas. U est étonnant que vous ayez cru * que je lui ferois Thonneur de lui répondre ; serea- vous toujours la dupe de ces bruits-là ?

Mes respects à madame dlvernois. Receye:r ceux de mademoiselle Le Vasseur, et les saluta- tions de celui qui vous aime.

A MADEMOISELLE D'IVERNOIS.

Motiers, le i^^' août ,176s.

Vous me remerciez, mademoiselle, du pré- sent que vous me faites ; et moi je de v rois vous le reprocher : car si je vous fais aimer le travail, vous me faites aimer le luxe : c est rendre le mal pour le bien. Je puis, il est vrai, vous remercier d un autre miracle aussi grand et plus utile ; c est de me rendre exact à répondre et de me donner du plaisir à Fètre. J en aurai toujours , mademoi- selle, à vous témoigner ma reconnoissance et à mériter votre amitié.

' Mes respects, je vous en prie, à la très bonne maman.

A M. D.

Motiers-Travars, le 8 août 1765.

Non, monsieur; jamais, quoi que Ton en dise, je ne me repentirai d'avoir loué M. deMontmol-. lin. J'ai loué de lui ce que j'en cdnnoissois, sa conduite vraiment pastprale enverg moi ; je n ai point loué son caractère que je ne connoissois

ANNÉE 1765. 4oï

pas; je n point loué sa véracité, sa droiture. J'avouerai mêmeque son extérieur, qui ne Jui est. pas favorable, son ton , son air, son regard si- nistre^ me repoussoient malgré moi : j'étois étonné de voir tant de douceur, d'humanité, de vertus, se cacher sous une aussi sombre physio- nomie; mais j'étouffois ce penchant injuste. Fal- loit-il juger d'un homme sur des signes trom- peurs que sa conduite démentoit si bien ? falloit-il épier malignement le principe secret d'une tolé- grance peu attendue? Je hais cet art cruel d'em- poisonner les bonnes actions d'autrui, et mon cœur ne sait point trouver de mauvais motifs à ce qui est bien. Plus je sentois en moi d'éloigné- ment pour M. de ^MontmoUin , plus je cherchoîis à le combattre par la reconnoissance que je lui devois. Supposons derechef possible le même cas, et tout ce que j'ai fait je le referois encore.

Aujourd'hui M. de MontmoUin lève le masque et se montre vraiment tel qu'il est. Sa conduite présente explique la précédente. Il est clair que saprétendue tolérance, qui le quitte au moment qu'elle eut été le plus juste, vient de la même source que ce cruel zèle qui l'a pris subitement. Quel étoit son objet, quel est-il à présent? je l'i- gnore; je sais seulement qu'il ne sauroit être bon. Non seulement il m'admet avec empresse- ment , avec honneur à la communion , mais il me recherche, me prône, me fête, quand je pa- rois avoir attaqué de gaieté de cœur le christia- nisme : et quand je prouve qu'il est faux que je 17. 26

403 CORRESPONDANCE.

Taie attaqué, qu'il est faux du moins que j aie eu ce dessein, le voilà lui-même attaquant brus- quement ma sûreté, ma foi, ma personne ; il veut tn excommunier , me proscrire ; il anieute la paroisse après moi , il me poursuit avec un acharnement qui tient de la ra]g[e. Ces disparates sont-elles dans son devoir? non; la charité nest point inconstante , la vertu ne se contredit point elle-même , et la conscience n'a pas deux voix. Après s'être montré si peu tolérant il s'étoit avisé trop tard de Têtre; cette aflectation ne lui alloit point : et , comme elle n abusoit personne , il a bien fait de rentrer dans son état naturel. En détruisant sou propre ouvrage , en me faisant plus de mal qu'il ne m'avoit fait de bien, il m acquitte envers lui de toute f econnoissance ; je ne lui dois plus que la vérité , je me dois à moi-même ; et , puisqu'il me force à la dire , je la dirai.

Vous voulez savoir au vrai ce qui s'est passé entre nous dans cette affaire. M. de M ontmoUiu a fait au public sa relation en homme d'église , et trempant sa plume dans ce miel empoisonné qui tue il s'est ménagé tous les avantages de son état. Pour moi, monsieur, je vous feraila mienne du ton simple dont les gens d'honneur se parlent entre eux. Je ne m'étendrai point en protesta- tions d'être dncère; je laisse à votre esprit sain , à votre cœur ami de la vérité , le soin de la dé- mêler entre lui et moi.

Je ne suis point, grâces au ciel, de ces gens

ANNÉE 1765. 4o3

qu on fête et que 1 on méprise ; j ai Thonneur d être de ceux que 1 on estime et qu on chasse. Quand je me réfiigrai dans ce pays je n y appor- tai de recommandations pour personne, pas même pour milord-maréchal. Je n ai qu une re- commafidation q&eje porte par-tout , et près de milord-maréchalilnen £Elut point d autre. Deux ' heures après mon arrivée , écrivant à S. E.' pour len informer et me mettre sous 3a protection ^ je vis entrer un }iomme inconnu qui, s étant nom- mé le pasteur du lieu, me fit des avances de tpute espèce, et qai, voyant que jécrivois à milord- inaréchai, nd offrit d'ajouter de sa main quel- qties Hgnes po«ir me recommander. Je n accep- tai point cette offre; ma lettre partit, et j'eus laecaeii que peut espérer l'innocence opprimée par-tout régnera Id vertu.

Gomme je ne m'attendois pas dans la ciition- stanceà trouver un pasteur si liant, je contai dès le même jour cette histoire à tout le monde , et entre autres^ à M. le colonel Rdguin, qui, plein pour moi des bontés les plus tendres , avoit bien voulu m accompagner jusqu'ici.

Les empressements de M. de Montmollin con- tinuèrent : je crus devoir en profiter; et, voyant approcher la communion de septembre, je pris le parti de lui écrire pour savoir si malgré la ru- meur publique je pouvois m'y présenter. Je pré- férai une lettre à une visite pour éviter les expli- cations verbales qu'il auroit pu vouloir pousser trop loin. C'est même sur quoi je tâchai de le

36.

4o4 COBRESPONDANGE.

prévenir ; car déclarer qne j6 ne voulois ni dés- avouer ni défendre mon livre, cetoit dire assez que je ne voulois entrer sur ce point dans au- cune discussion. Et en effet, forcé de défendre mon honneur et ma personne au sujet de ce livre , j ai toujours passé condamnation sur les erreurs qui pouvoient y être , me bornant à montrer quelles ne prouvoient point que lau- teur voulût attaquer le christianisme , et qu'on avoit tort de le poursuivre criminellement pour

cela. . /

M. de MontmoUin écrit que j allai le lende- main savoir sa réponse : cest ce que j aurois fait s'il ne fût venu me l'apporter. Ma mémoire peut me tromper sur ces bagatelles; mais il me pré- vint , ce me semble , et je me souviens au moins que par les démonstrations de la plus vive joie il me marqua combien ma démarche lui faisoit de plaisir. Il me dit en propres termes que lui eft son troupeau s'en tenoient honorés , et que cette démarche inespérée alloit édifier tous les fidèles. Ce 'moment, je vous Favoue, fut un des plus doux de ma vie. Il fa^ut connoitre tous mes mal- heurs, il faut avoir éprouvé les peines d'un cœur sensible qui perd tout ce qui lui étoit cher, pour juger combien il, m'étoit consolant de tenir à une société de frères qui me.dédommageroit des pertes que j'avois faites , et des amis que je ne pouvois plus cultiver. Il me sembloit qu'uni de Cœur avetce petit troupeau dans lin culte affec- tueux et raisonnable , j'oublierois plus aisément

ANNÉE 1765. 4o5

tous mes ennemis. Dans les premiers temps je mattendrissois au temple jusqu'aux larmes. N^ayant jamais vécu chez les protestants, je m é- tois fait d'eux et de leur clergé des images angé- liques : ce cuFte si simple et si pur et oit pré- cisément ce quil falloit à mon cœur; il me sein- * bloit fait exprès pour soutenir le courage et Icspoir des malheureux ; tous ceux qui le parta- geoient me sembloient autant de vrais chrétiens unis entre eux par la plus tendre charité. Qu'ils m'ont bien guéri d'une erreur si douce ! Mais en- fin j'y étois alors , et c'étoit d'après mes idées que. je jugeois du prix d'être admis au milieu d'eux.

Voyant que durant cette visite M. de Mont- moUin ne-me disoit rien sur mes sentiments en matière de foi, je crus qu'il réservoit cet entre- tien pour un autre temps ; et sachant combien ces messieurs sont enclins à s'arroger le droit qu'ils. n'ont pas de juger de la foi des chrétiens, je Jui déclarai que je n'entendois me soumettre à aucune interrogation nia aucun éclaircissement quel qu'il put être. Il me répondit qu'il la'en exi- geroit jamais ; et il m'a là-^dessius si bien tenu parole, je l'ai toujours trouvé si soigneux d'éviter toute discussion sur la doctrine, que jusqu'à la dernière afïaire il ne m'en a jamais dit un seul mot , quoiqu'il me soit arrivé de lui en parler quelquefois nroi-méme;

Les choses se passèrent de cette sorte tant avant qu'après la communion j toujours même

4o6 CORRESPONDANCE.

empressement de la part de M. de Montmollîn, et toujours i»ême silence sur les matières théo- logiques. Il portoit même si loin Icaprît de to- lérance et le uiontroit si ouvertement dans ses sermons, quil mmquiétoit quelquefois pour lui'4nême. Comme je lui étois sincèrement at- taché je ne lui déguisoîs poîat mes alarmes ; et je me souviens qu'un jour qu'il prèchoit très vive- ment contre l'intolérance des protestants^ je lus très effrayé de lui entendre souteair avec chaleur que l'église réformée avoit grand b^oin d'une ré- formation nouvelle tant dans la doctrine que dans les mœurs. Je n'imaginois guère alors qu'il fourniroit dans peu lui-même une si grande preuve de ce hesoin.

Sa tolérance et l'honneur qu^eUe Ini faisoit? dansie monde excitèrent la jalousie de phtsieurs de ses confrères , sur-tout à Genève. Ils ne cessé- rent de le hanceler par des reproches , et de lut tendre des pièges il est à la fin tombé. J'en suis fâché, mais ce n'est aseurétnent pas ma faute. Si M. de MontmoUin eût voulu soutenir une conduite si pastorale par des moyens qui en fussent dignes , s'il se fut contenté pour sa dé- fense d'employer avec courage , avec franchise , les seules armes du christianisme et <ie la vérité , quel exemple ne donnoit-il point à l'église , à r£urope eikdèi^ ? quel triomphe ne s'assoroit-il point ? Il a préféré les armes de son m^étier , et les sentant mollir contre la vérité , pour sa dé- fense , il a vouliJi les rendre offensives en m'at^

ANNÉE 1765. 407

taquaut. II sesttrpmpé ; ces vieilles armes, falo- tes contre qui les craint , foibles contre qui les bravé , se ^oat brisées. Il s'étoit mal adressé pour réussir.

Quelques mois après mon admission , je ris entreivui) soir M. de MoutmoUm dans ma cham- bre : il avoit lair embarrassé; il s assit et garda loog-temps le silence; il le rompit enfin par un de ces longs exordes dont le fréquent besoin lui a j(ait uii talent. Venant ensuite à son sujet, il me dit que le parti qu il avoit pris de m admettre à la communion lui avoit attiré bien des cha«* grins.^t le blâme de ^es confrères, quil étoit ré- duit à se justifier là-dessus d une manière qui pût leur fermer la bouche, et que si la bonne opinion qu il avoit de mes sentiments lui avoit fait supprimer les explications qu a sa place un autr^ auroit exigées , il ne pouvoit , sans se com- proQi^ttre» laisser croire qu il nen avoit eu au-* cunev

Là-dessus , tirant doucement ua papier de sa poche, il set mit à Ike, dans un projet de lettre à un ministre de Genève , des détails d entretiens qui n avoient jamais existé , mais il plaçoit à la vérité, fort heureusement,, quelques mots par-* ci par ^ là., dits à la volée et sur un tout autre ohjet. Juge? , monsieur , de mon étonnement : il fut tel que j eus besoia de toute la longueur de cette lecture pour me remettre en lecoutant. Dans les endroits la fiction étoit la plus forte , il s interrompoit. en me di§aat : f^om sentez ta

4o8 CORRESPONDANCE.

nécessité.., ma situation.., ma place:., il faut bien, un peu se prêter. Cette lettre, au reste, étoit feite avec assez d adresse, et, à peu de chose près, il avoit grand soin de ne m'y faire dire que ce que j aurais pu dire en effet. En finissant il lïie demanda si japprouvois cette lettre, et-s'iïpou- , voit renvoyer telle qu elle étoit. '

Je répondis que je le plaignois d être réduit à de pareilles ressources ; que , quant à moi , je ne pouvois rien dire de semblable ; mais que, puis- que c étoit lui qui se cbargeoit de le dire , c étoit son affaire et non pas la mienne ) que je n y voyois rien non plus que je fusse obligé de dé- mentir. Comme tout ceci, reprit -il, ne peut nuire à personne , et peut vous être utile ainsi qu à moi , je passe aisément sur un petit scru- pule qui ne feroit qu empêcher le biep ; mais dites-moi, au surplus, si vous [êtes content de cette lettre, et si vous n'y voye» rien à changer pour qu'elle soit mieux. Je lui dis que je la trou- vois bien pour la fin qu'il s'y propoaoit. Il me pressa tant , que , pour lui com{>laire , je lui isk^ diquai quelques légères corrections qui ne signi* Soient pas grand'chose. Or il faut savoir que la manière dont nous étions assis , i'écritoi^e étoit devant M. de MontmoUin ; mais durant tout ce petit colloque il la poussa comme par hasard devant moi ; et comme je tenois alors sa lettre pour la relire, il me présenta la plume pour faire les changements indiqués ; ce que je fis avec la simplicité que je mets à toute chose*.

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ANNÉE 1765. 4<>9

cela fait, il mit son papier dans sa poche , et s'en alla.

Pardonnez-moi ce long détail , il étoit néces- saire. Je vous épargnerai celui de mon dernier entretien avec M. de Montmollin , qu'il est plus aisé d'imaginer. Vous comprenez ce qu'on peut répondre à quelqu'un qui vient froidement vous ^ dire : Monsieur , j'ai ordre de vous casser la tête ; mais si vous voulez bien vous casser la jambe y peut-être se contentera - 1 - on de cela. M. de Montmollin doit avoir eu quelquefois à traiter de mauvaises affaires ; cependant je ne vis de ma vie un homme aussi embarrassé qu'il le fut vis- à-vis de moi dans celle-là : rien n'est plus gênant en pareil casque d'être aux prises avec un homme ouvert et franc, qui , sans combattre avec vous de subtilités et de ruses , vous rompt en visière à tout moment. M. de Montmollin assure que je lui dis en le quittant que , s'il venoit avec de bonnes nouvelles , je l'embrasserois , sinon que nous nous tournerions le dos. J'ai pu dire des choses équivalentes, mais en termes plus hon- nêtes ; et quant à ces dernières expreissions , je suis très sur de ne m'en être point servi. M. de Montmollin peut reconnoltre qu'il ne me fait pas si aisément tourner le dos qu'iri'àvoit cru.

Quant au dévot pathos dont il use pour prou- ver la nécessité de sévir , on sent pour quelle sorte de gens il est fait, et ni vous ni moi n avons rien à leur dire. Laissant à 'part ce jargon d'in- quisiteur , je vais examiner ses raisons vis-à--vi3

»

'4l6 CORRESPONDANCE.

de moi, sans entrer dans celles quil pouvolt avoir avec d'autres.

Ennuyé du triste métier d auteur^ pour lequel j^étois si peu fait , j*avois depuis long-temps ré- solu d y renoncer ; quand l'Énïile parut j avois déclaré à tous mes amis à Paris , à Genève et ail- leurs, que c etoit mon dernier ouvrage , et quen Fachevant je posois la plume pour ne la plus re- prendre. Beaucoup de lettres me restent Ton cfaerchoit à me dissuader de ce dessein. En arri- vant ici j avois dit la même chose à tout le monde , à vous-même ainsi qu à M; de Mont- mollin. Il est le seul qui se soit avisé de trans- former ce propos en promesse , et de prétendre que je .m etois engagé avec lui de ne plus écrire, parceque je lui en avois montré Finteiition. Si je lui disois aujourd'hui que je compte aller de^ nf ain à Neuchatel , prendroit-il acte de dette parole , et si j y manquois m'en feroit-il un pro- cès? C'est la même chose absolument , et je n'ai pas plus songé à faire une promesse à M. de Montmollin, qu'à vous d'une résolution dont j'informois simplement l'un et l'autre. '

M. de Montmollin oseroit-il dire qu'il ait en-* tendu la chose autrement? oseroit-il affirmer, comme il l'ose faire entendre , t[ue c'est sur cet engagement prétendu qu'il m'admit à la ^commu- nion? La preuve du contraire est qu'à la publia cation de ma lettre à M. l'archevêque de Paris , M. de Montmollin , loin de m'accusér de lui avoir manqué de parole^ fut très content de.c^f oi^^

ANNjÉE 1765. v/ 4"

V4rage , et qu'il en fit FélQge à moi-même et à tout le monde, sans dire alors un mot de. cette fabu*- leùse promesse quil m accuse aujourd'hui de lui avoir faite auparavant. Remarques pourtant que cet écrit. est l>ien plus fort aur les mystères et même sur les miracles que celui dont il fait main- tenant tant de bruit; remarquez encoi^ que j y parle de même en mon nom , et non plus au nom du vicait^. Peut -on chercher des sujets d'excommunioa^tion dans ce denlier qui n ont pas mêmie été des sujets de plainte dans Tautre? Quaiid j aurois fait à M' de MontmoUin^ cette promesse, à laquelle je iie songeai de ma vie y prétendroit «- il quelle fut si absolue quelle ne supportât pasja moindre exceptiofoivP^s même d'imprimer un mémoire pour ma défense, lors-^ que j aurois ui| procès ? Et quelle exception m e- toit mieux permise que celle où, me justifiant , jiQ le justifiais lai-même , je montrais qu il étoit faux quil eut admis dans son église un agresseur, de Ja religion ? Quelle promesse pou- vait m'acquitter de ce que. je devois à d autres et à moi-même? Comment pouvois-je aupprimer un écrit défen^if pour mon» honneur v pour celui de mes anciens compatriotes ; un écrit que tant de grwtd^ motifs rendaient nécessaire et j a- yéis à remplir de si saints devoirs ? A qui M. de Montm^Uin fera-t^il croire que je lui ai promis d endurer Tignominijeen silenoe?Âpréaent même qiifô j ai pri^ avec un corp» respectable un ejoga* gement. for^iel > qui est-<^e dans ce corps qui,

4ia CORltESPONDANGE.

maceuseroit d'y manquer, si, forcé par les 01^- ti^es de M. de MontmoUin , je pfenoîs le parti de les repousser aussi publiquement qu il ose les faire? Quelque promesse que fasse un honnête homme , on n'exigera jamais , on présumera bien moins encore , qu elle aille jusqu'à se laisser déshonorer.

En publiant les Lettrées écrites de la montagne, je fis mon devoir et je ne manquai point à M. de MontmoUin. Il en jugea lui-même ainsi , puis- que après la publication de l'ouvrage, dont je lui avois envoyé un exemplaire , il ne changea point avec moi de manière d'agir. Il le lut avec plaisir, m'en parla avec éloge; pas un mot qui sentit l'objection. Depuis lors il mie vit long-temps en- core , toujours de la meilleure amitié; jamais la moindre plainte sur mon livre. On parloit dans ce tempS'là d'une édition générale de mes écrits ; non seulement il approuvoit cette entreprise, il desiroit même s'y intéresser : il me marqua ce désir, que je n'encourageai pas, sachant que la compagnie qui s'étoit formée se trouvoit déjà trop nombreuse , et ne vouloit plus 4'au^<*c as- socié. Sur mon peu d'empressement , qu'il re- marqua trop, il réfléchit quelque temps après que la bienséance de son état ne lui permettoit pas d'entrer dans cette entreprise. C'est alors que la classe prit le parti de s'y opposer , et fit des, représentations à la cour.

Du reste , la bonne intelligence étoit si parfaite encore entre nous, et mon dernier ouvrage y

ANNÉE 1765* 4l3

mettoit si peu d'obstacle, que, long^temps après sa publication , M. de Montmollin causant avec mol, me dit quiLvouloit demander à la cour une augmentation de prébende, et me proposa^ de mettre quelques lignes dans la lettre qu'il écriroit pour cet efFet à milord-maréchal. Cette forme de recommandation me paroissant trop familière, je lui demandai quinze jours pour en écrire à milord-maréchal auparavant. Il se tut^ et ne m'a plus parlé de cette affaire. Dès-lors il commença de voir d un autre œil les Lettres de la montagne , sans cependant en improuver ja- mais un seul mot en ma présence. Une fois seu- lement il me dit : Pour moi, je crois aux mira-' des. J aurois pu lui répondre : jy crois tout aU'^ tant que vous.

Puisque je suis sur mes torts^avec M. de Mont- mollin, je dois vous avouer, monsieur, que je m en reconnois d'autres encore. Pénétré pour lui de reçonnoissance , j'ai cherché toutes les occa- sions de la lui marquer, tant en public qu'en particulier : mais je n'ai point fait d'un senti- ment si noble un trafic d'intérêt; l'exemple ne m'a point gagné , je ne lui ai point fait de pré- sents , je ne sais pas acheter les choses saintes. M. de Montmollin vouloit savoir, toutes mes af- faires , connoitre tous mes correspondants , di- riger , recevoir mon testament , gouverner mon petit ménage : voilà ce que je n'ai point souf- fert. M. de Montmollin aime à tenir table long- temps ; pour moi c'est un vrai supplice. Rare-»

4l4 CORRESPONDANCE.

inent il a ïùangé chez moi , jamais je n ai mange chez lui. Enfin j ai toujours repoussé avec tous les égards et tout le respect possible Fintimité qu il vouloit établir entre nous. Elle n est jamais un devoir dès quelle ne convient pas à tous deux.

Voilà mes torts , je les confesse sans pouvoir m'en repdntir : ils sont grands si Ion veut, mais ils sont les seuls, et j'atteste quiconque connoit un peu ces contrées , si je nfe m y suis pas sou- Vent rendu désagréable aux honnêtes gens par mon zèle à louer dans M. de Montmollin ce que j*y trouvois de louable. Le rôle qu'il avoit joué précédemment le rendoit odieux, et Ion n'ai- moit pas à me voir effacer par ma propre bis-» toire celle des maux dont il fut Fauteur.

Cependant , quelques mécontentements se- crets qu'il eut contre moi , jamais il n'eut pris pour les faire éclater un moment si mal choisi, si d'autres motifs ne l'eussent porté à ressaisir Foccasion fugitive qu'il avoit d'abord laissée é-* chapper : il voyoit trop combien sa ccmduit^ alloit être choquante et contradictoire. Que de combats n'an-il pas sentir en lui-même avant d'oser afficher une si claire prévarication ! Car passons telle condamnation qu on voudra sur les Lettres de la montagne , en diront-elles , en*- fin, plus que FÉmile, après lequel j'ai été, non pas laissé, mais admis à la table sacrée? plus que la I^ettre à M^ de Beaumont , sur laquelle on ne m'a dit un seul mot ?' Qu'elles ne soient , si

ANNÉE 1765* 4*5

Ton veut , qu'un tissu d'erreurs , qtie s'ensuivra^- t-il ? qu elles ne m'ont point justifié , et que FaU-- teur d'Emile demeure inexcusable , mais jamais que celui des Lettres écrites de la montag[ne doive en particulier être condamné. Après avoir fait grâce à un homme du crime dont on lac- cuse , le punit-on pour s être mal défendu ? Voilà pourtant ce que fait ici M. de Montmollin ; et je le défie, lui et tous ses confrères, de citer dans ce dernier ouvrage aucun des sentiments qu ils censurent , que je ne prouvé être plus fortement établi dans les précédents. Mais, excité sous main par d'autres gens, il saisit le prétexte qu'on lui présente , sûr qu'en criant à tort et à travers à l'impie , on met ton-* jours le peuple en fureur ; il sonne après coup le tocsin de Motiers sur un pauvre homme pour s'être osé défendre chez les Genevois ; et sentant bien que k succès seul pouvoit lesau ver du blâme, il n'épargne rien pour se l'assurer. Je vis à Motiers: je ne veux point parler de ce qui s'y passe, vous le savez aussi bien que moi ; personne àNeucha- tel ne l'ignore ; les étrangers qui viennent le voient, gémissent, et moi je me tais.

M. de Montmollin s'excuse sur les ordres de la classe. Mais supposons-les exécutés par des voies légitimeis; si ces ordres étoient justes, comment àvoitr-il attendu $i tard à le sentir? comment ne les prévenoit^l point lui-même que cela regar- doit spécialement? comment, après avoir lu et relaies Lettres de la montagne, n'y avoit-il j^-

4l6 CORRESPONDANCE.

mais trouvé un mot à reprendre , ou pourquoi ne m'en avoit-il rien dit, à moi son paroissien , dans plusieurs visites qu'il m'avoit faites? Que* toit devenu son zèle pastoral ? Voudroit-îl qu'on le prtt pour un itnbécille qui ne sait voir dans un livre de son métier ce qui est que quand on le lui montre? Si ces ordres étoient injustes, pour- quoi s'y soumettoit-il? Dn ministre de l'évangile, un pasteur , doit-il persécuter par obéissance un homme qu'il sait être innocent? Ignoroit-il que paroltre même en consistoire est une peine igno- minieuse, un affront cruel pour un homme de mon âge, sur-tout dans un village l'on ne con- nott d'autres inatières consistoriales que des ad- monitions sur les mœurs ? Il y a dix «ans que je fus dispensé à Genève de paroître en consistoire dans une occasion beaucoup plus légitime , et , ce que je me reproche presque , contre le texte formel de la loi. Mais il n'est pas étonnant que l'on connoisse à Genève des bienséances que l'on Ignore à Motiers.

Je ne sais pour qui M. de MontmoUin prend ses lecteurs quand il leur dit qu'il n'y avoit point d'inquisition dans cette affaire ; c'est comme s'il disoit qu'il n'y avoit point de consistoire ; car c'est la même chose en cette occasion. Il fait enten* dre, il assure même qu'elle ne devoit point avoir de suite temporelle : lecontraire est connu de tous les gens au fait du projet ; et qui ne sait qu'en surprenant la religion du conseil d'état, on l'àvoit déjà engagé à faire des.démarches qui ten? ;

' ANNÉE 1765. H 4i'y.

doient à m^5ter la protection du roi ? Le pas né^ cessaire pour achever étoit lexcommunication; après quoi de nouvelles remontrances au conseil d état auroient fait le reste : on s y étoit engagé ; et voilà d'où vient la douleur de n avoir pu réus- sir. Gard ailleurs qu'importe à M.deMontmoUin? Craint-il que je. ne me présente pour commu- nier de sa main? Qu'il se rassure ; je ne suis pas aguerri aux communions comme je vois tant de gens l'être : j'admire ces estomacs dévots toujours si prêts à digérer le pain sacré; le mien n'est pas si robuste. '

Il dit qu'il n'avoit qu'une question très simple ^ me faire de la part de la classe. Pourquoi donc eu me citant ne me fit-il pas signifier cette ques- tion ? Quelle est cette ruse d'user de surprise , et de forcer.les gens de répondre à l'instaut même sans leur donner unmomeptpour réfléchir? C'est qu'avec cette question de la classe dont M. de Montmollin parle, il m'en réservpit de son chef d'autres dont.il ne parle point, et sur lesquelles il ne vouloit pas que j'eusse le temps de me pré- parer. On sait que son projet étoi^absolument de me prendre en faute , et de m'embarrasser par tant d'interrogations captieuses qu'il en vînt à bout; il savoit combien j'étois languissant et foible. Je ne veux pas l'accuser d'avoir eu le des- sein d'épuiser mes forces ; mais quand je fus cité j'étois malade-, hors d'état de sortir, et gardant la chambre depuis six mois : c'étoit l'hiver; il faisoit froid, et c'est, pour un pauvre infirme, un 17. 37

étrange spécifi^fœ qu'une séftnce de pludièurs heures , debout , interrogé san» relâche dur des matières de théologie, devant des andens dôût Jes plus» instruits déclareut n*y rien entendre. N'importe ; on ne s'informa pas même si je pou- vois sortir de mon lit, si j'avois la force daller, s'il faudrôit me faire porter ; on ne s'embarras- soit pas de cela : la charité pastorale , occupée des choses de la foi , ne s'abaisse pas aux terres- tres soins de cette vie.

Vous savez , monsieur, ce qui se passa dans le consistoire en mon absence, comment s'y fit lecture de ma lettre ; et les propos qu'on y tint pour en empêcher l'effet ; vos mémoires là-des- sus vous viennent de la bonne source. Concevet- vous qu'après cela M. de Montmollin change tout-à-coup d'état et de titre , et que s'étant fait commissaire delà classe pour solliciter FaUfaîre, il redevienne aussitôt pasteur pour la juger. y*a- gissôù, dit-il, comme pasteur, comme chef du consistoire, et non comme représentant de la i^t^érable classe. R'étoit bien tard changer de xèAt après en avoir fait jusqu'^alors un si diffë* i?ê*it. Craignons, monsieur, fes gens qui font si volontiers deux personnages dans }a même af- faire ; il est rare que ces deux en fassei^t un bon. Il appuie la nécessité de sévir sur le scandale causé par mon livre. Voilà des scrupules tout nouveaux , qu'il n'eut point du teriips de FÉmrle*. ïiC scandale fut tout aussi grand.pour lemoms ; fes gens d'église et les ga2etiers ne feient pas

ANNÉE 1765. 4^9

tiiolDé de htnk ; du brûlolt , on brâyôît , on tu ïnsuUoit pdr toute lEurope* M. de MontmoU lin trotiv Aujourd'hui des raisons de m excom- nauniet' dans celles ()ui ne letnpèchèfent pas «lors de m admettre. Son zèle, suivant le ptë* tepte, prend totiteë les formes pour agir selon les temps et led lieuis. Mais qui est-^ce, je voué prie , qtii excita dans sa paroisse le scandale dont il se plaint ô«t sujePde mon dernier livre? Qui è0t-ce qui aflfectôit dcn fai^B un bruit affreux, et par soi^^mème et par des gens apostés? Qui esc-^e^ parmi tout ce peuple si saintement for-- cené , qui auroit su que j'avois commis le crime énorme de prouver qnê le conseil de Genève m'avoit condamné à tort, si Ton neût pris soin de le leur dire en kur peignant ce singulier crime avte couleurs que chacun sait ? Qui d'entre eux est même en état de lire mon livre et d'entendre ce dont il s'ggit ? Exceptons , si ïon veut ^ lardent satellite de M* de Montmoï- Un , ùe groâd màfréchal qu'il cite si fièrement , l^mnd elere 5 le Boirude de son église , qui se eon- pofolf êi bien en fers de chetaux et en livres théologie. Je veux le croire en état de lire à jeuri et ssms épeler tme ligne entière , quel autre des ameutés en peut faire autant ? En entrevoyant Èùt tMê pages les mots S évangile et de miracles^ il0 â«roiètl4 cru lire un Irvrè de dévotion , et me ftaeha^t bon hômrm^lîls ttu-roient dit : Que Dieu h bén^6j ilnôîiâ édifit. Mai» c^n leu^r a tant as- mrè qoÉ j'éf «d» hfotiMie abernirinàblG , un im-

27.

420 CORRESPONDANCE.

pie, qui disoit qu'il ny avoit point de Dieu, et que les femmes n avoient point d ame , que , sans sobger au langage si contraire qu'oiÉk^ur tenoit ci-devant, ils ont à leur tour répété : Cest un im- pie, un scélérat, c'est Vuéntechrist; il faut tex^ communier^ le brûler. On leur ar charitablement répondu : Sans doute; mais criez, et laissez-nous faire ; tout ira bien.

La marche ordinaire d# messieurs les gens d église me paroit admirable pour aller à leur but : après avoir établi en principe leur compé- tence sur tout scandale , ils excitent le scandale sur tel objet qu'il leur plaît , et puis", en vertu de ce scandale qui est leur ouvrage , ils s'emparent de l'affaire pour la juger. Voilà de quoi se ren- dre maîtres de tous les peuples, de toutes les lois, de tous les rois, et de toute la terre sans qu'on ait le moindre mot à leur dire. Vous rappelez- vous le conte de ce chirurgien dont la boutique donnoit sur deux rues , et qui sortant par une porte estropioit les passants , puis rentroit subti- lement, et pour les panser ressoftoit par l'autre? Voilà l'histoire de tous les clergés du monde , excepté que le chirurgien guérissoitdu moins ses blessés , et que ces messieurs , en traitant les leurs , les, achèvent. .

N'entrojns point, monsieur , dans les intrigues secrètes qu'il ne faut pas mettre au grand jour. Mais si M. de MontmoUin n'eût voulu qu'exécuter l'ordre de la classe, ou faire l'acquit de sa con- science, pourquoi l'acharnement qu'il a mis à>

ANNÉE 176(1.. 42Ï

cetite affaire? pourquoi ce tumulte excité dans le pays? pourquoi ce^ prédications violentes , pourquoi ces conciliabules? pgurquoi tant de sots bruits répandus pour tâcher de m effrayer par les cris delà populace? Tout cela n est-il pas notoire au public? M. de MontmoUin le nie; et pourquoi non, puisqu'il a bien nié d*avoir pré- tendu deux voix dans le consistoire? Moi, j en vois trois , si je ne me trompe : d'abord celle de son diacre, qui netoit que comme son repré- sentant; la sienne ensuite qui formoit légalité; et celle enfin qu'il vouloit avoir pour départager les suffrages. Trois voix à lui seul, c'eût été beau- coup, même pour absoudre; il les vouloit pour condamner, et ne put les obtenir: étoît le mal? M. de MontmoUin étoit trop heureux que son consistoire , plus sage que lui , l'eût tiré d'af- faire avecla classe, avec ses confrères , avec ses correspondants, avec lui-même. J'ai fait mon devoir, auroit-il dit , j'ai vivement poursuivi la chose ; mon consistoire* n'a pas jugé coitime moi , il a absous Rousseciu contre mon avis*. Ce n'est pas ma faute; je me retire; je n'en puis faire davantage sans blesser les lois, sans dés- obéir au prince, sans troubler le repos public; je suis trop bon chrétien, trop bon citoyen, trop btjn pasteur pour rien tehter de semblable. Après avoir échoué , il pouvoit encore, avec un peu d'adresse , conserver sa dignité et recouvrer sa réputation; mais l'amour-prôpre irrité n'est pas si sage; on pardonne encore moins aux autres

4^2 G0RR£SP0I«]>4NCE,

le mal qu pn leur £| voulu fwre que celui quoti leur a fait en effet. Furieux de voir mauquer à I9 fa^e de l'Europe ce gr^iyl crédit doat il aimie à 8e vanter , il ne pçut quitter lu partie , il dit eu classe qu il ne$% pat sans espoir de la renouer ; il le tente dans un autre consistoire : mais pour ce montrer moins à découvert , il ne la propose pas lui-même f il la fait proppier par son maré^ chai, par cet instrument de sesmenécis, quil appelle à témoin qu il n en a pas fait. Cela n'étoit- il pas finement trouvé? Ce n est pas que M* de Montmollin ne soit fin ; mais un homme que la colère aveugle n^ . fait plus que des sottises quand il se livre à sa passion, , Cette ressource lui manque encorç. Vous croi- riez qu'au moins alor^ ses efforts s arrêtât : point du tout; dans l'assemblée suivante de la classe, il propose un autre expédient, fondé sur l'impossibilité d'éluder l'activité de l'officier du prince dans sa paroisse ; c'est d attendre que j'aie passé dans une^ autre, et de recommencer les poursuites sur nouveaui^i^ frais. En conséquence de ce bel expédient 9 les sermons emportés rC"- commencent; on met derechef le peuple en ru- meur, comptapt à forç^de désagrément me for» cer enfin de quitter la paroisse. En voilà trop , en vérité , pour un homme aussi tolérant que M. de Montmollin prétend letre, et qui n'agit que par Tordre de son corps.

Ma lettre s'allonge beaucoup, mon^ur, mais il le faut, et pourquoi la couperois-^je ? seroit-ce

ANNÉE 1765. 423

IVbrége^ qM den loultiplier les formules? Lais-i- «cms à M.VJIe Mo«ttmolUn le plaisir de dire dix foi» de suite: JDJnaaard^^m^scpar^dprmez-vausi^

Je Q ai j^oiot eotam^ la questioo de droit ; je me suis interdit cette matière* Je me s^is borné dans la seconde partie de cette lettre à vous prour vff que M, d^ MontmoUiti^^ malgré le ton béat qu'il afFécte-, ua point élé conduit dafis cette affaire par le xélo de la foi» Dti par aon devoir , maif qu il a , selQU Tusage y fait servir Dieu d'in- strument à$es. pa$$ioos. Or juge«d pour de telles fine on. emploie des moyens qui soient honnêtes , et dispensesrmoi d entrer dans des, détails qui feroient gémir la vertu- Dans la prenaière. partie de ma lettre je rap- porte des faits oppo$és à ceux qu avance M. de MontmoUin, Il avoit eu 1 art de se ménager des indices auxquels je n ai pu répondre que par le récit fidèle de ce qui s est passé. De ces asser-» tions contraires de sa part et de la mienne vous conclurez que lun des deux est un menteur; et j avoue que cette conclusion me paroît juste.

En voulant finir ma lettre et poser sa bro-* chure, je la feuillette encore. Les observations se présentent sans nombre ^ et il ne faut pas toujours recommencer. Cependant comment passer ce que j aidan& cet instant sous les yeux? Quçforont nos ministres ? se disoit^on publique- ment, défendront'-ils Fés^angile attaqué si vuver^ tementpar sfis ennemie P C est donc moi qui sui^ lennemi de levangile, parceque je mlndigne

424 CaRRESPONDANCE.

qu on le défigure et qu'on Favilisse? Eh! que ces prétendus défenseurs n imitent-ils Fusage que j en voudrais faire ! que û'en prennent-ils ce qui les rendroît bons et justes , que n'en laissent-ils ce qui ne sert de rien à personne^ et qu'ils n en- tendent pas plus que moi ! Si un citoyen de ^cepdjs n^oit osé dire ou écmre quelque chose d'âpprok)hant à ce qu'avance M. Itousseau^ ne séi^iwit*6n pas contre iuiPHon assurément; j'ose Je croire pour l'honneur de cet état. Peuples de Net^ehatel , qtrelles seroient donc vos franchises si y pôut* quelque point qui fournrroit matière de chicane awx ministres, ils pouvoient poursuivre autniliéu devons Fauteur d'un factum imprimé à Fautre bout de'FEurope , pour sa défense en pays étranger? M; c(e Mont- môllin m'a choisi pour vous imposer en moi ce nouveau joug: mais serois-je digne d'avoir été reçu parmi vous , si j'y taissois , par mon exem- ple , une servitude que je n'y ai point trouvée? Monsieur Rousseau , nouveau citoyen , ^^-/-^7 donc plus de privitéges que tous les anciens ci^ toyens? Je ne rédame pas même ici les leurs ; je ne réclame que ceux que j'avois étant homme , et comme simple étranger. Le correspondant que M. de MontmolIiVi fait parler, ce merveil- leux correspondant qu'il ne nommé point / et qui lui donne tant de louanges , est un singulier raisonneur^ ce me semble. Je veux avoir, selon kii, plus de privilèges que tous les citoyens , par-

ANNÉE 1765. 425

ceque je résiste à des vexations que n endura ja- mais aucun citoyen. Pour moter le droit de dé- fendre ma bourse contre un voleur qui voudrait me la prendre J il n auroit donc qu'à me dire : P^ous êie^s plaisant de ne vouloir pas que je vous h)ole! Je volerais bien un homme du pays s'il •passoit au lieu de vous.

Remarquez qu'ici M. le professeur de Mont- mollin est le seul souverain, le despote qui me condamne, et que la loi , le consistoire , le ma- gistrat, le gouvernement, le gouverneur, le^roi même , qui me protègent, sont autant de rebellés à Faute ri suprême de M. le professeur de Mont- ra ollin, ;

L'anonyme demande si je ne me suis pas sou- mis "comme citoyen aux lois de Vétat et aux usages; et de ] affirmative, qu'assurément on ne lui contestera pas , il conclût que je me suis sou- mis à une loi qui n'existe point, et à un usage q\ii n'eut jan^ais lieu.

M, de MontmoUin dit à cela que cette loi existe à Genève, et que. je me suis plaint moi- même quori l'a violée à mon préjudice. Ainsi donc la loi qui fîxiste à Genève,'et qui n'existe pas à Motiers, on la viole à Genève pour me dé- créter, et on la suit à Motiers pour m'excommu- nier. Convenez que me voilà dans une agréable position! C'étoit sans doute dans un de ses mo- ments de gaieté que M. de MontmoUin -^fit ce raison ncraent-là. - i

426 GORRESPONQAISCE.

U plai$aQte à-peu^près sur le même ton daa^ une note sar l-oiïre (i), que je voulus bien fair^ à la classe, à condition quQU me laissât ^Q re* pos; il dit que cest se moquer, et qu'on ne fait pas ainsi la loi à ses supérieurs.

Premièrement il se moque lui-même quand il prétend qu offrir une satisfaction très . obsé^ . quieuse^ et trèi» raisonnable à gens qui se plai- gnent qupiqu a tort, cest leur faire la loi.

Mai9 ]a plaisanterie est d'avoir appelé mes^ sieurs de la classe mes supérieurs , comme si j'é-» jtois homme d e^j^lise. Car qui ne sait.que la classe, ayant juridiction sur le clergé seulement, e% n ayant a<u surplus rien à commander à qui que ce soit, ses membres ne sont comme tels les su- périeurs de personne (2)? Or de me traiter en homme d église ist une plaisanterie fort déplacée à mon avis. M, de MontmoUin sait très bien que je ne suis point homme d église, et que jai mê-

^ (i) Offre dont le secret fut ci bien gardé , que personne n'en sut rien que quand je le publiai; et qui fut si niai- honnêtement reçu, qu'on ne daigna pas y faire la moin- dre réponse: il fallut même que je fisse redemander k M. de MontmoUin ma déclaration, qu'il s'étoit doace» ïpent appi)opriée.

(2) Il faudroit croire que la tête tourne à M. de Mont* moUin , si Ton lui supposoit assez d'arrogance pour vou- loir sérieusement donner à messieurs de la classe quel- que supériorité sur les autres sujets du roi. Il n'y a pas cent ans que ces supérieurs prétendus ne signoient qu'»^ près tous les autres corps.

ANNÉE 1765. 4^7

me 9 grace^nu ciel, très p^u de vocation pour 1q devenir.

Encore quelques mots sur la leure que j ecri* vis au çoosistoire , et j'ai 6ui, M. de MontmolUa promet peu de commentaire sur cette lettre. Je crois qu'il fait très bien , et qu'il eut mieiHL fait fUGore de.n en poiut donner du tout. Permettes que je passe en revue ceux qui me regardent : lexamen ue sera pas long*

Comment répondre^ dit --il, à des questions qiCon ignore? Comme jaî fait, en prouvant d'avance qu on n a point \t droit de question-» ner.

Une foi dont on ne doit compte quà Dieu ne se publie pas dans toute l'Europe. 1^

Et pourquoi une foi dont on ne doit compte qu a Dieu , ne se publieroit-elle pas* dans toute l'Europe ?

Bemarquez Tétrange prétention dempécher un liomme dé* dire son sentiment , quand on lui en prête d'autres, de lui fermer la bouche et de le faire parler*

Celui qui fsrre en chrétien redresse volontiers 4es erreurs. Plaisant .sophisme !

Celqi qui erre en chrétien ne sait pas quil erre. S'il redressoit ses erreurs sans les connot-^ tre, il nerreroit pas moins et de plus il menti*» roit. Ce ne seroit plus errer en chrétien.

Est^ç^ s'appuyer sur d'autorité de tévangile que de rendre douteux les miracles? Oui, quand

428 CORRESPONDAI^CE.

c'est par Fautorité même de levarigae qu on rend douteux les miracles.

Et d'y jeter du ridicule? Pourquoi non , quand, «'appuyant sur l'évangile, on prouve que ce ridicule n'est pas dans les interprétations àe^ théologiens?

Je suis sur que M. de Montmollin se félieitoit ici beaucoup de son laconisme. Il est toujours^ aisé de répondre à de bons raisonnements par des sentences ineptes.

Quant à la note de Théodore de Bèze , il na pas voulu dire autre chose , sinon que la foi du chrétien n'est pas appuyée uniquement sur les miracles.

Prenap garde, monsieur le professeur; ou vous n'entendez pas le latin, ou vous êtes un homme de mauvaise foi.

Ce passage , non satis tuta fides eorum qui mi- raculis nituntur^ ne signifie point du tout, conjL- me vous le prétendez, que la foi du chrétien ri est pas appuyée uniquement sur les miracles.

Au contraire , il signifie très exactement que la foi de quiconque /appuie sur les miracles est peu solide. Ce sens se rapporte fortbienau pas- sage de saint Jean qu'il commente, et qui dit de Jésus que plusieurs crurent en lui, voyant ses miracles, mais qu'il ne leur confioit pointpotir cela sa personne ^parcequil les connoissoitbien. Pensez-vous qu'il auroit aujourd'hui plus de con- fiance en ceux qui font tant de bruit de la même foi?

r ANNÉE 1765. 429

îfe croiroif^on pas entendre M. Rousseau dire^ dans sa Lettre à V archevêque de Paris ^ qiion devrait lui dresser des statues pour son Emile ? ISotez que cela se dit au moment où, pressé par la comparaison d'Emile et des Lettres de la montagne , M. de Montmollin ne sait comment s échapper ; il se tire d affaire par une gambade.

S'il falloit suivre pied à pied ses écarts, s'il falloit examiner le poids .de ses affirmations , et analyser les singuliers raisonpements dont il nous paye, on ne Bniroit pas ; et il faut finir. Au bout de tout cela, fier de s'être nommé,- il s'en vante» Je ne vois pas trop de quoi se vanter. Quand une fois on a pris son parti sur certaine chose j on a peu de mérite à se nommer.

Pour vous , monsieur, qui gardiez par ména*^ "'gement poui* lui l'anonyme qu'il vous reproche, nommez-vbus puisqu'il le veut ; acceptez des honnêtes gens l'élage qui vous est ; montrez* leur le digne avocat de la cause juste , l'historien de la vérité, l'apologiste des droits de l'opprimé, de ceux du prince , de l'état et des. peuples , tous a^ttaqués par lui dans ma personne. Mes défen- seurs , mes protecteurs sont connus; qu'il mon- tre à son tour son anonyme et ses partisans dans cette affaire : il en a déjà nommé deux , qu'il achève. Il m'a fait bien du mal : il vouloit m'en faire bien davantage \ que tout le monde connoisse ses amis et les miens ; je ne veux point d'autre vengeance.

Recevez, monsieur, mes tendres salutations.

J^3ù CORRESPONDANCE.

A M.DMVBRN01S.

Mpliers , te i & ftoài i y&i*

J'ai veqti tous vos envois , inonsieur, et je vôtfi remercie deê commissiofis ; elles sont fort bien , et je vous prie anussi d en faire mes remerciements à M. Deluc. A Tégàrd des abricots , par respect pour madame d'Ivemôis , je \tux bien lie pas les renvoyer ; mais j ai là^dessus detfx choses à tûtts dire ^ et je vchis les di^ polir la defnière fois; ïvtM qu à faire aux gens des cadeaux malgré eù% , et à les servie à notre mode et non pas à la leoi* , je vois plus de vanité que d'amitié ; Tàutre^' que je suis très déterminé à secouer toute espèce de joug qu on peut vouloir m'iinposer malgré ttioi^ quel qu'il puisse être ; que quand cela Ae peu* * se faire qu en rompant je romps , et que quand une S&M j ai rompu je ne renoue jamais , c^eM pour la vie« Votre amitié , mdtïSietii', m'est tmp prcdkuse pour que je vous pardoti^nasse jamaiir de m y «voir fait reaoncier.

Les cadeaux sont un pefit cîommeree d'âmitlé fart agréable quand ils sont réciproques : m^i9 ce c<K»mercc denisnde de part et d autre de ht peîae et des aoins; et la peine et ks soins sont le fléau de vie ^j Mme mieux un quâfrt d'tieure dfoisiveté que toutes bs coiïfltui^es de tetre. VouJea^YOTis me faive de% piésent^ qtà soiefiV pour mon cœur d'un prix ihe^mâiblé , pwcti^

A5IIÉË !765. 43i

f esÈ-BFioî des loisirs , sauvez-moi des visites , four-^ tiissez-moi des moyetis de n^écrireà personne; alors je vous devrai le bonheur de ma ^re , et je reconnaîtrai les soins du véritable ami ; autre- ment non.

M. Marepard est venu lui cinq on sixième t j c- tois malade, je n ai pu le voir ni lui ni sa compà-^ . gnie. Je suis bien aise de savoir que les visités que vous me forcez de faire m'en attirent. Main- tenant que je suis ayertî , si jY snjs repris ce sera ma faute.

Votre M. de Fburtiière , qui part de Bordeaux pour me venir voir, ne s'embarrasse pas si cela me convient ou non. Comme il faît tous ses pe- tits arrangements sans moi , il ne trouvera pas mauvais , je pense, que je prenne les miens sans hiî.

Quant à M. Lîotard, son voyage ayant un but détermina qui se rapporte plus â moi qu a lui, It m^ite utte exception, et il laura. Les grands térfents^ exigent des égards. Je ne réponds pâ« qu'il me troUMB en état de me laisser peindre, ipraîs je réponds qu'il aura lieu d être content de la réception que je lui ferai. Au reste, avertissez- que pour être sûr de me trouver , et de me trou- ver Ubte, il ne doit pas venir avant le 4 ou le ^ se^etnbre.

Je suis étonné du front qu'a eu le sîeur Durey de se présenter chez vous, sachant que vous m'ho- norez de Vôtre amitié. Je ne sais s'il a fait ce qu'il

43ft CORRESPONDANCE.

VOUS a dît : mais je suis bien sûr qu'il ne vous a pas dit tout ce qu'il a fait. C'est le dernier des misérables. ."

J ai vu depuis quelque temps beaucoup d'An- çlois^; mais M. Wilkes n'a pas paru , que je s^che. Je vous embrasse de tout mon cœur.

A M. DE SAINT-BRISSON.

1765.

J ai reçu., monsieur, votre lettre du 27 décem- bre ; j'ai aussi lu vos deux écrits. Malgré le plai- sir que m'ont fait l'un et l'autre^ je ne me repens point du mal que je vous ai dit du premier, et ne doutez pas que je ne vous en eusse dit du se- cond si vous m'eussiez consulté. Mon cher Saint- Brisson , je ne vous dirai jamais aâséz avec quelle douleur je vous vois entrer dans une carrière couverte de fleurs et semée d'abymes , l'on^ne pjBut éviter de se corrompre ou de se perdre ,pii l'on. devient malheureux ou méchant à mesure qu'on avance , et très souvent l'un et l'autre avant d'arriver. Le métier d'auteur n'est bon que pour qui veut servir les passions des gens qui méneût les autres , mais pour qui veut sincèrement le bien de l'humanité c'est un métier funeste. Au- rez-vous pliis de zèle que moi pour la justice, pour la vérité , pour tout ce qui est honflête et -bon ?aurez-vous des sentiments plus désintérçs- ses , une religion plus douce , plus tolérante , plus pure , plus sensée? aspirerez- vous à moins chor ses? suivrez-vous une route plus solitaire? irez-

ANNÉE 1765. 433

Vous âiir leoh^min d^ moii^s de geas ? choquçrez- vous moins de nvdux fst de. concurrents? évite- çez-vousavec plus de soin de croiser les intérêts de personne? Et toutcifois vous voyez ; je ne s^s comnient il existe. dans le moinde un seul hpn* n^ête homn^e à qui mon^ exemple ne fasse pas tomber la plume des mains. Faites du bien , mon cher Saint-Brjsson , mais non pas des livres ; loin de corriger les .méchants ils pe font que les ai- grir. Le meilleur livre fait très peu. de bien ai^j^ . hommes et beaucoup de mal à son auteur. Je vous ai <iéj,a vu aux champs pour une brochure qui n etoit pas même fort m^:lhQnnête ; 4 quoi devez-vo^s vous attendre si ces choses vous bles- sent déjii?

. Copixa^nt pouvez-yous croire que je v/euiUe passer, en Corse j sachant qi^e les troupes fran- çoisesy sont? Jugez- vous, que je n'aie pas assez de mes malheurs sans en aller chercher d autres? Non, monsieur; dans raccablement.oùjç suis j'ai besoin de reprendre hc^teii^^ j'ai besoin d'al- ler plus loin de Genève cherj^her quelques mo- ments de repos ; car on ,nje m'en* lais^^ra nulle part un lopg sur terre ; je ne pui^ plus Te^péiier q^e dans son sein. J'ignore, encore de quel côté j'irai, il ne m'en reste plus guère à choisir ; je vou- drois^vchcnûn faisant, me chercher quelque re- traite fixe, pour m'y transplanter tout^à-fait, l'on eût l'humanité de me recevoir, et de me laisser mourir en paix,. Mais oii la trouver par- mi le^ chrétiens ? La Turquie est trqjj Iqip d'icL

17. a8

434 COHRCSrcyNII^NGE*

Ne douter pas , cher Siânt-brisson , qu'il fat fort doux de vous avoir pour compagi^on de Toyage, pour consolateur, pour garde-malade; mais j ai contre ce mime voyage de grandes ob-^ jections par rapport à vous. Premièrement, ôtej^ TOUS de TeSprit de me consulter sur rien , et d*a^ voir la moindre ressource contre Tennui dans mon entretien. L'étourdissement oh. me jettent des agitations sans relâche m'a rendu stupide ; ma tête est en léthargie, mon cœur même est mou ; je ne sens ni ne pebse fJus. H me reste un seul plaisir dans la vie; j'aime encore à marcher, mais en marchant je ne rêve pas même; j ai les sensations des objets qui me frappent et rien de plus. Je voulois essayer d'un peu de botanique pour m'amuserdu moins à recontloltre en che^ min quelques plantes ; mais ma mémoire est ab* solument éteiî&të^ elle i|^' peut pas nïème aBer jusque-là. Imaginez le plaisir de voyager avec un pareiîautbtiratè!' ^

Ce n^st pas tout. Je sens le mauvais effet que votre voyage ici fera J)0Ur vous-^même. V<)us n'êtes déjà pas t¥dp bien auprès des dévots ; vou- lez-vous afchêver de vous perdre? Vos Cotopa- triotes mêmes j en général , ne vous pardonneùt pas de me consulter ; comment Vous pardonne- roiènt-ilsde M'ai'mer? Je suis très fâché que vous mayezucmmé à la tête de vôtre Ariste : ne fai- tes plus pareille sottise, ou je me brouille avec vous tout de bon. Dites-'moi sur-tout de quel œil voua cf oyez que votre famille verra ce voya-

J

ANNÉE 1765. 43s

ge : madame votre teère en frémira ; je frémis moi-même: à penser aux frinestes efiets quil peut produire auprès de vos proches. Et vous voulez que je vous laisse faire ! c est vouloir que je sois le dernier des hommes. Non , monsieur ; obtenez 1 agrément de madame votre mère ^ et venez. Je vous embrasse avec la plus grande joie ^ mais sans cela n*en parions plus.

A M. MOULTOU.

Mo tiers., le i5 août 1765.

J'ai tort, cher Moultou , de ne vous avoir pas accusé sUT'^le-champ la réception de l'argent et de fétoffe. Je nai que mon état pour excuse; mais cette excuse n est que trop bonne malheu- reusement. Cet état est toujours le même ; et ma seuleconsolation est qu il ne peut plus guère changer en pis. Il n'y a plus aucune apparence au voyage dTÉcosse. C'étoit que j aurois voulu vivre ; mais tout pays est bon pour mourir , ex- cepté toutefois celui'-ci , quand on laisse quelque chose après soi.

Je crois que vous avez bien fait de vous déta*» cher de V....s« Les gens faux sotlt plus dange- reux, amis qu ennemis : d'ailleurs c est une petite perte ; je lui ai toujours trouvé peu d'esprit avec beaucoup' de prétention : mais je l'aimois, le croyd[nt bon homme. Jugei^eomment j'en dois penser aujourd'hui que je sais qu'il n'est qu'un méchant sot. Cher ami, ne me parlez plus de

28.

436 CORRESPONDANCE.

lui, je VOUS prie, ne joignoift pas aux sentiments douloureux des idées déplaisantes : la paix de Tame^est le seul bien qui reste à ma portée iet le plus précieux dont je puisse jouir ; je m y tiens. J-espère qu à ma dernière heure le scrutateur des cœurs ne trouvera dans le mien que la justice et Tamitié.

Puisque vous n avez pas voulu déduire ni rue marquer le prix de la laine, comme je vous en avois prié , j'exige au moins que vous ne vous mêliez plus des autres commissions de mademoi- selle Le y asseur , qui me charge de vous présen- ter ses remerciements et ses respects. Pour moi^ dans Tétat oii je suis , à moins qu il ne change, il ne me fieiut plus d'autres provisions que celles quon peut emporter* avec soi. Bonjour^ mon ami ; je vous embrasse.

A M. D'IVERNOIS.

Motiers, le iS août 1765.

I

Ei^agez, monsieur, je vous en prie, M. Lio- tard non seulement à venir seul , à moins qu il ne lui soit extrêmement agréable de venir avec M. Wilkes, mais à difiGérer son départ jusqu'au moisr doctobre : car en vérité , Iqu' ne me laisse plus respirer. Il m'est absolument jjécessaire de reprendre haleine; et lorsqu'une compagnie que j attends à la fin du mois sera repartie , je serai forcé de partir moi-même pour quelque temps, pour éviter quelques unes des bandes qui -me

J

ANNÉE I^GS. ' 4^7;

tombent , non plus par deux ou trois , cocanie autrefois, mais par sept ou huit à-la*fois.. .

VouSî avez eu bien tort d'imaginer que je voun lusse> cesser de vous écrire , puisque r^xceptioa* est faite pour vous depuis long-temps. Il est virai que je voudrois que cela ne devint une tâche oné-: reuse ni pour vous ni pour moi. Écrivons à notre' aise et quand nous en aurons la commodité. Mais y si vous voulez m'asservir régulièrement à. vous écrire tous les huit ou quinze jours, je vous^ déclare une fois pour toutes que cela ne m est pas possible; et^ quand vous vous plaindrez de m avoir écrit tant lettres sans réponse , vous voudrez bien vous tenir pour dit une fois pour toutes : Pourquoi m'en écriyez-vous tant ?

To«t en vous querellant j abuse de votre com- plaisance. Voici une réponse pour Venise : vous m'avez dit que vous pourriez la faire tenir; ainsi Je vous renvoie, sans savoir l'adresse. Ceux qui ont remis la lettre à laquelle celle-ci. répond y suppléeront. Je . vous , embrasse de tout mon

cœur.

A M. D'IVERNOIS.

Neuchatel, ce lundi lo septembre 1765.

Les bruits publics vous apprendront , mon- sieur , ce qui s'est passé , et comment le pasteur de Motiers s'est fait ouvertement capitaine de coupe-jarrets. Votre amitié pour moi m'engage à me presser de vous tranquilliser sur mon compte. Grâces au ciel je suis en sûreté, et hors

438 - GORRESPONDANGE.

de Motiers , je compte ne retourner de ma vie : mais malheureusement ma gouvernante et mon bagage y sont encore ; mais j espère que le gouvernement donnera des ordres qui contien- dront ces enragés et leur digne chef. En atten- dant que vous soyez mieux instruit de tout y je VOtis conseille de ne pas vous fier à ce que vous écriront vos parents , et je suis forcé de vous dé- clarer qu'ils ont pris dans cette occasion un parti qui les déshonore. Aimez-moi toujours ; je vous aime de tout mon coeur et je vous embrasse.

Adressez tout simplement vos lettres à M. Du- peyrou à Neuchatel; et, pour*éviter les enve- loppes , mettez simplement une croix au-dessus

de Fadresse; il saura ce que cela veut dire.

A M. DUPEYROU.

Ue de Saint-Pierre, le 17 octobre 1765. .

On me chasse d'ici , mon cher hôte. Le climat de Berlin est trop rude pour moi ; je me déter- mine à passer en Angleterre , j'aurois <|'a 1 bord aller. JTaurois grand besoin de tenir con- seil avec vous ; mais je ne puis aller à Neuchatel : voyez si vous pourriez par charité vous dérober à vos affaires pour faire un tour jusqu'ici. Je vous embrasse.

f

ANNÉE 1765. 4^

!a m. de GRA-FFENRIED,

BAILLI A. HIDAC.

' 4

Ile de Saint-Pierre^ le 17 octobre 1765,

Monsieur, .

J obéirai à Tordre de LL. £E. ayee le regret de sortir de votre gouvernement et de votre voi- sinage, maisaveclaconsblation d emporter votre estime et celle des honnêtes gens» Nous entrons dans une saison dure , sur^-tout pour un pauvre infirme : je ne suis point préparé pour un long voyage , et mes affaires demanderoient quelques .préparations. J aurois souhaité, monsieur , qu'il vous eût plu de me marquer si Ion m'ordon- noit de partir sur*]ie<-champ , ou si Ton vouloit bien m'accorder queiques-semainespour prendre les arrangements néœssaires à ma situation. En attendant qu il vous plaise de me prescrire un terme , que je m'efforcerai même d'abréger , je supposerai qu'il m'est permis de séjourner ici .jusqu'à ce que j'aie mis ï'prdre le plus pressant à mes affaires. Ce qui me renà ce retard presque indispensable , est que , sur les indices que je croyok sûrs , je me suis arrangé pour passer ici le reste de ma vie avec l'agrément tacite du sou- verain. Je voudrois être sûr que ma visite ne vous déplairoit pas ; quelque précieux que- me «oient les moments en celle occasion , j'en déro- berai de bien agréables pour aller vous renou- vel», mimsieur, les assurances de mon respecf.

\

44o COHRESPONDAKCE.

A M;DE GRAFFENRIED.

Ile de Saint-Pierre , le no octobre 1765.

MONSIEUR,

Le triste état je me trouve et la confiance que j'ai dans vos bontés , me déterminent à vou» iupplier de vouloir bien faire agréer à leurs ex- c^Iences une proposition qui tend à me délivrer une'fois pour toutes des tourments d une vie ora- geuse j et qui va mieux , ce me semble , au but de ceux qui me poursuivent que ne fera mon éloignement..J'ai consulté ma situation, mon âge , mon humeur , mes forces ; rien de tout cela ne me permet d'entreprendre en ce moment et sans préparation de longs et pénibles voyages, d'aller errant dans des pays froids , et de me fa- tiguer à chercher au loin un asile, dans une sai- son où mes infirmités ne me permettent pas même de sortir de la chambre. Après ce qui s est passé je ne puis me résoudre à rentrer dans le territoire de Neuchatel , la protection du prince «t du gouvernement ne sauroitme garan- tir des fureurs d une populace excitée qui ne con- noit aucun frein; et vous comprenez, monsietir, qu aucun des états voisins ne voudra ou n'osera donner retraite à un mailheureux si durement chassé de celui-sci.

Dans cette extrémité , je ne. vois, pour: mm ^ qtiWe seule ressource, et, quelque eJSbayante V quelle paroisse, je laprendmi noiaî^ealemenA

AH NÉE 1765. 44l

saûs répug[naace, maiis avec empressement, si leurs excellences veulent bien y consentir; c'est qu il leur plaise que je passe en prison le reste de mes jours dans quelqu'un de leurs châteaux pu tel autre lieu de leurs états qu'il leur semblera bon de choisir. J'y vivrai à. mes dépens, et je donnerai sûreté de n'être jamais à leur charge ; je me soumets à n'avoir ni papier, ni plume, ni aucune communication au«dehors, si ce n'est pour l'absolue nécessité et par le canaLde ceux ^ui seront chargés de moi ; seulement qu'on me laisse , avec^l'usage de quelques livres , la liberté de me promener quelquefois dans un jardin , et je suis contenu .

Ne croyez point , monsieur , qu'un expédient si violent en apparence soit le fruit du désespoir; j'ai l'esprit très calme en ce nloment : je me suis donné le temps d'y bien penser , et c'est d'après la profonde considération de mon état que je m'y détermine. Considérez , je vous supplie, que si ce parti est extraordinaire , ma situation l'est encore plus : mes maKieurs sont sans exemple; la vie orageuse que je mène sans relâche depuis plusieurs années seroit terrible pour un homme en santé ; jugez ce qu'elle doit être pour un pauvre infirme épuisé de maux et d'ennuis , et qui n'as- pire qu'àntourir en paix. Toutes les passions sont* éteintes dans mon cœur ; il n'y reste que l'ardent d«;sir du repos et de la retraite; je les trouverois dansç rfiabitatioa'que je demande. Délivré des importuns, à couvert de AftuveUescatastriophea»

44^ CORRESPGtNDAIfCE.

j attendrois tranquillementla dernière , etn'ëtant plus instruit de ce qui se passe dans le inonde , je ne serois plus attristé de rien. J'aime la liberté, «ans douter, mais la mienne n est point au pou- voir des hommes , et ce ne seront ni des murs ni des clefs qui me loteront. Cette captivité, mon-* sieur, me paroit si peu terrible , je sens si bien que je jouirois de tout le bonheur que je puis encore espérer dans cette vie , que cest paMà même que , quoiqu'elle doive délivrer mes en- nemis de toute inquiétude à mon égard , je n ose espérer de l'obtenir : mais je ne veux rien avoir À me reprocher vis-à^vis de moi , non plus que vis-à-vis d'autrui : je veux pouvoir me rendre le témoignage que j'ai tenté tous les moyens pra- ticables et honnêtes qui pouvoient m'assurer le repos,' et prévenir les nouveaux orages qu'on me force d aller chercher.

Je connois , monsieur, les sentiments d'humar nité dont votre ame généreule est remplie: je sens tout ce qu'une grâce de cette espèce peut vous coûter à deitiander f mais quand vous au- rez compris que, vu ma situation, cette grâce en seroit en effet une très grande pour moi, ce» mêmes sentiments qui font votre répugnance ^me sont garants que vous saurez la surmonter. J'attends pour prendre définitivement mon parti qu'il vous plaise de m'honorer de quelque ré*- ponse.

' Daignez ^ monsieur , je vous supplie , agréer mes çxcuses^ et mon respect.

A M. DE GRAFFENRIED.

Le aa octobre 1765.

Je puis, monsieur, quitter samedi prochain nie de Saint-Pierre , et je me conformerai en cela à Tordre de LL. EE. ; mais , vu Fétendue de leurs états et ma triste situation , il m est absor<- lument impossible d,e sortir lemême jour de len- eeinte de leui* territoire. J'obéirai en tout ce qui me sera possible. Si LL. EE. me veulent punir de ne lavoir pas fait, elles peuvent disposer à leur gré de ma personne et de ma vie : j ai appris à m attendre à tout de la part des hommes ; ils ne prendront pas mon ame au dépourvu, ' Recevez, homme juste et généreux, les assu- rances de ma respectueuse reconnoissance , et d'un souvenir qui ne sortira jamais de mon cœur.

A M. DE GRAFFENRIED.

Bîenne, le 25 octobre .1765.' .

Je reçois, monsieur, avec reconnoissance les nouvelles marques de vos attentions et de vos bontés pour moi : mais je nen profiterai pas pour le présent ; les prévenances et sollicitations de messieurs de Sienne me déterminent à passer quelque temps avec eux , et , ce qtii me flatte , à votre voisinage. Agréez, monsieur, je vous sup- plie, mes remerciements, mes salutations, et mon respect.

444 CORRESPONDANCE. ,

A M.-DUPEYROt.

Sienne /le 27 octobre 176$.

J ai cédé , mon cher hôte , aux caresses et aux sollicitations ; je reste à Bienne, résolu dy pas- ser l'hiver ; et j'ai lieu de croire que je l'y passe- rai tranquillement. Cela fera quelque change- ment dans nos arrangements , et mes effets pouvant me venir joindre avec mademoiselle Le Vasseur, je pourrai , pendant l'hiver , faire moi- même le catalogue de mes livres.. Ce qui me flatte dans tout ceci, est que je reste. votre voi- sin, avec l'espoir de vous voir quelquefois dans vos moments de loisir. Donnez-moi de vos nou- velles et de celles de nos amis. Je vous embrasse de tout mon cœur.

^ A M. DUPEYROU.

Bienne, lundi 28 octobre 1765.

On m'a trompé, mon cher hôte. Je pars de- maiiïmatin avant qu'on me chasse. Donnez-moi de vos nouvelles à Basic. Je vous recommande ma pauvre gouvernante. Je ne puis écrire à per- sonne, quelque désir que j'en aie; je n'ai pas taéme le temps de respirer, ni la force. Je voua embrasse. ,

ANNÉE 1765. 445

' A< M. D, L. G.

. Il faut , monsieur, quç vous ayez une grande opinion de votre éloquence , et une -bien petite du discernement de Thomme dont voUs vous dites enthousiaste , pour croire Fintéresser en votre faveur par le petit roman scandaleux qui remplit la moitié de la lettre que vous m'avez écrite, et par l'historiette ^qui' la suit. Ce 'que j'apprends de plus sûr dans cette lettre, c'est que vous êtes bien jeune et que vous me croyez bien jeune aussi.

Vous voilà , monsieur, avec votre Zélie, com- me ces saints de votre église, qui, dit*on, cou- choient dévotement avec des filles et atdsoient tous leû feux des tentations pouij; se mortifier en combattant le désir de les éteindre. J'ignore ce que vous prétendez par les détails indécents que vous m'osez faire ; mais il est difficile jde les lire sans vous croire un menteur ou un imi-

puissant.

L'amour peut épurer les sens , je le sais; il est cent fois plus facile à un véritable amant d'être sage qu'à un autre homme : l'amour qui respecte son objet en chérit la pureté ; c'est une perfection de plus qu'il y trouve , et qu'il craint de lui oter. L'amour-propre 'dédommage un amant des pri- vations, qu'il s'impose iotUtUii «montrant l'objet ^u'il convoite p{i§s digne, des^ sientiments qu'il a pour lui; mais si sa i)iaitress.e^ une fois. livrée à

Â

446 . CORRESPONDANCE.

ses caresses , a déjà perdu toute modestie, si son corps est en proie à ses attouchements lascifs ; si son cœur brûle de tous les feux qu ils y portent ; si sa volonté même , déj^ corrompue , la livre à sa di^rétiqn Je voudrois bien savoir ce qui lui reste à respecter en elle.

Supposons qu après avoir ainsi souillé la per* sonne de votre maîtresse vous ayez obtenu sur vous-même Tétrangevictoiredont vous vous van^ tez , et que vous en ayez le mérite , I ave2*vous ob^- tenue sur elle, sur ses désirs , surses sens même ? Vous vous vantefe de 1 avoir fait pâmer entre vos bras : vous vous êtes donc ménagé le sot plaisir de la voir p&mer seule? Et cétoit.là l'épargner selon vous? non , c'étoit lavilir. Elle est plus mé- prisable que si vous en eussiez joui. Voudriez- vous d une f^mme qui sèroit sortie ainsi des mains d un autre? Vous appelez pourtant tout cela des sacrifices à la vertu. Il feut que vous ayez d'étranges idées de cette vertu dont vous parlea, et qui ne vous laisse pas même le moin- dre scrupule d'avoir déshonoré la fille d'un hom- me dont vous mangiez le pain. Vous n'adoptez pas les maximes de THéloï se , vous Vous piquez de les braver ; il est faux , sejon vous , qu'on ne doit rien accorder aux sens quand ô'n veut leur refuser quelque chose. En accordant aux vôtres tout ce qui peut vous rendre coupable, vous ne leur refusiez que oe qui pouvoir vous excuser. Votre exemple supposé vrai ne fait point contre la maxime , il la confirmie.

: AtiiriE 1765, 44?

joli conte est suivi d'un autra plvs vraisem- blable , mais que le premier me rend bien suspect.. Vous ^roulez avec lart de votre âge émouvoir mon amour-propre y et me forcer, au moins par Henséance , à m'io téresser pour vous. Voilà, mon-^ sieur, de tous les pièges qu on peut me tendre, ce-^ lui dans lequel on .me prend le moins, surrtout quand on le tend aussi peu finement. Il yauroit de rbumeur à vous blâmer de la manière dont vous dites avoir soutenu ma cause ^ et même une sorte d'ingratitude à ne vous en pas savoir gré. Cependant , monsieur, mon livre ayant été con-* damné pai^ votre - parlement , vous ne pouviez, mettre trop modestie et de circonspection à le défendre, tat vous ne devez pas me faire unq obligation .pers^pnnelle envers, vous d une justice que vous avez vendre à la vérité, ou à 'Ce q^i Vious a paru Yétrè. Si j'étois sûr que les choses sei jftissent passées cpmm^ voua me le mfarquez , jet oroirois dfevolr vous dédommager , si je pouvois^ d^un préjudi«edontjeserois en quelque manière kl ea^se ; «nais /c^ m/engagerbit pas à voud re^mmandei^ sans vous êoimoterje, préiS^reble-^ m^tki' à beaucou)^<fe j^tts de mérite «^ue je cou-» nois sans pouvoir le^» servir , et je m», garderois vous procvrendes» élèves, sur-tout s -ils inroieni dessœtirs , skns àtitiregarant de leur-bonnezéducat tion que ce que voiks mWess «appris de -vous et ia pièce de vers qiie^v^us m'a vefe envoyée; Leli- braille à qui Vou6 ' if àttez présentée a eu tort de you#iré)^ndf« «assi brutalement qu'il la fait, ei

4 i8 CORRESPONDANCE.

) ouvrage 9 du côté de la ^composition , n'est pa^ aussi mauvais qu il Fa paru croire : les vers sont fiiits avec facilité; il y en a de très bons parmi beaucoup d'autres foibles et peu corrects : du reste il y réçne plutôt un ton de déclamation qu une certaine chaleur d ame. Zamon se tue en acteur de tragédie : cette mort ne persuade ni ne touche; tous les sentiments sont tirés de la nou- velle Héloi(se;on en trouve à peine un qyi vous appartienne , ce qui n est pa^s un grand signe de la chaleur de votre cœur ni de la vérité de Thi»- toire. D ailleurs , si le libraire avoit tort dans un 3ens , il avoit bien raison dans un autre, auqudl vraisemblablement il nesongeoit pas. Comment un homme qui se pique de vertu peut-il vouloir publier une pièce d résulte la plus pernicieuse morale , une pièce pleine d'images licencieuses que rien n épure , une pièce qui tend à persuader aux jeuneB personnes que les privautés des amants sont sans conséquence , et qu-on peut -toujours 8 arrêter Ion veut; .maxime aus^i £au8se. que dangereuse , et . propre à ; déitrviire toute pudeur, toute honnêteté, toute retenue entre les deuxrS^ces? MonsAsur, si vousruétea pas un homsne sanstmoeurd, sans priinâpê^, vous ne ferez jamais imprimer vos vers, quoi- que passables , isans un corvectif. suffisant p<mr en empêcher le numvaîs «fFeÉ. . /

Vous avez des talents , sjmis doute^ mais voua n en faites pas un usage qi|i pqirte à les enooiira- ger. Puissiez-vous , monsieur, en &ire un nskoâr

ANMÉE 1765. 44g

leur dans la. suite) et qui ne vous attire ni re« f[retâ à vous-mèmç, ni le blâme des honnêtes ^ens. Je vous salue de tout mon cœur.

P. 5. Si vous aviez un besoin pressant des <leux louis que vous demandiez au libraire, je jpourrois en disposer sans m 'incommoder beau- coup. Parlez-moi naturellement : ce ne seroit pas vous en faire un don , ce seroit seulement payer vos vers au prix que vous y avez mis vous^ même.

A M. DE LUZE.

Strasbourg, le 4 novembre 176$.

J'arrive, monsieur , du plus détestable voyage à tous égards que j aie fait de ma vie. J arrive excédé , rendu ; mais enfin j arrive, et, grâces à vous, dans une maison je puis me remettre et reprendre haleine à mon aise , car je ne puis songer à reprendre de long-temps ma route ; et si j en ai encore une pareille à celle que je viens de faire , il me sera totalement impossible de la soutenir. Je ne me prévaux point, sitôt de votre lettre pour monsieur ZoUicofFre ; car j'aime fort le plaisir de prince, de garder l'incognito le plus long- temps qu'on peut. Que ne puis-je le garder le reste ma vie ! je serois encore un heureux mortel. Je ne sais au reste comment m accueil- leront les François ^ mais s'ils {ont tant que de me chasser, ils ne choisiront pas le temps que je suis malade, et s'y prendront moins brutale-

45p GOARESPORDANGE.

ment que les Bernois. Je suis dune lassitude à ne pouvoir tenir la plume. I^ cocher veut repartir dès aujourd'hui: Je n'écris donc point à M. Du- peyrou : veuillez suppléer à ce que je ne puis faire; je lui écrirai dans la semaine infaillible- ment. Il faut que je lui parle de vos attentions «t de vos bontés , mieux que je ne peux faire è Vous-'-mème. Ma manière d en remercier e^ d en profiter; et , sur ce pied, Ton ne peut être mieux remercié, que vous l'êtes : mais il est justç que je lui parle de l'effet qu'a produit sa recommanda- tion. Bonjour, .monsieur; bonne foire et bon voyage. J'espère avoir le plaisir de vous embras- ser encore ici.

 M. DUPEYROU.

Strasbourg, le 5 novembre 1765.

Je suis arrivé, mon cher hôte, à Strasbourg samedi, tout-à-fait hors d'état de continuer ma route , tant par l'effet de mon mal et de la fati- gue , que par la fièvre et une chaleur d'entrailles qui s'y sont jointes. Il m'est aussi impossible d'aller maintenant à Potzdam qu'à la Chine, et je ne sais plus trop ce que je vais devenir; car •probablement on ne me laissera pas long-temps ici. Quand on est une fois au point je sais , on n'a plus de projets à faire; il ne reste qu'à se résoudre à toutes choses, et plier la tête sou3 le pesant joug de la nécessité.

J'ai écrit a mUord-maréchal ; je voudrois at-

ANNÉE 1765. ^it

tendre ici sa réponse. Si Ton me chasse, j'irai chercher de Fautré côté du Rhin quelque huma- nité, quelque hospitalité; si je nen trouve plus nulle part, il faudra bien chercher quelque moyen de sen passer. Bonjour, non plus mon hôte, mais toujours mon ami. George Keith et vous m'attachez encore à la vie ; de tels liens ne se rompent pas aisément. Je vous emibrasse*

AM. DUPEÎROU. Strasbourg, le 10 novembre 1765.

' Rassurez-vous , mon cher hôte , et rassurez nosr amis sur les dangers auxquels vous me croyez expoèé. Je ne reçois ici que des marques de hien« veillance, et tout ce qui commande dans la ville et dans la province paroit s accorder à me fa-« voriser. Sur ce que ma dit M. le maréchal^ que je vis hier, je dois me regarder comme aussi en sûreté à Strasbourg qu a Berlin. M. Fischer m'a servi avec toute la chaleur et tout le zélé d un ami; et il a eu le plaisir de trouver tout le monde aussi bien disposé qu il pouvoit le désirer. On me fait apercevoir bien agréablement que je ne suis plus en Suisse.

Je n ai que le temps de vous marquer ce mot pour vous rassurer sur mon compte. ' Je vous embrasse de tout mon cœur.

39-

452 C0BRËSP0JNDÀI9CE.

A M. DUPETROU.

Strasbourg , le 1 7 novembre 1 765*

Je reçois, mou cher hôte, votre lettre. Vous aurez vu par les miennes que je renonce ahso* lument au voyage de Berlin , du moins pour cet hiver , à moins que milord-marécfaal , à qui j'ai écrit , ne lut d'un avis contraire. Mais je le con- nois ; il veut mon repos sur tonte chose , ou plu- tôt il ne veut que cela. Selon toute apparence , je passerai l'hiver ici. On ne peut rien ajouter aux marques de hienveillance, d'estime , et même de respect qu'on m'y donne , depuis M. le maré- chal et les chefs du pays, jusqu'aux derniers du peuple. Ce qui vous surprendra est que les gens d'église semblent vpuloir renchérir encore sur les autres. Ils ont l'air de médire dans leurs ma- nières : Distinguez-nous de vos ministres; vous voyiez que nous ne pensons pas comme eux.

Je ne sais pas encore de quels livres j'aurai besoin; cela dépendra beaucoup du choix de ma demeure; mais , en quelque lieu que ce soit y je sais absolument déterminé à reprendre la bo- tanique. En conséquence, je voUs prie de vou- loir bien faire trier d avance totis les livres qui en traitent , figures et autres , et les bien encais-* ser. Je voudrois aussi que mes herbiers et plan- tes sèches y fussent joints; car, ne connoissant pas à beaucoup près toutes les plantes qui y sont, j'en peux tirer encore beaucoup d'instruc-

ANNÉE 1765. 453

fion sur les plantes de la Suisâe, que je ne trou- Terai pas ailleurs. Sitât que je serai arrêté , je consacrerai le goût que j ai pour les herbiers , à Tous en faire un aussi complet qu il me sera possible, et dont je tâcherai que vous soyez content.

Mon cher hôte, je ne donne pas ma confiance A demi ; visitez , arrangez tous mes papiers , lisez et feuilletez tout sans scrupule. Je vous plains de Tennùi que vous donnera tout ce fatras sans choix , et je vous remercie de Tordre que vous y voudrez mettre. Tâc];iez de ne pas changer les numéros des paquets, afin quils nous servent toujours d'indication pour les papiers dont je puis avoir besoin. Par exemple, je suis dans le cas de désirer beaucoup de faire usage ici de deux pièces qui sont dans le numéro 1 2 ; 1 une est Pjrgmalion etlautre \ Engagement téméraire. Le directeur du. spectacle a pour moi mille at-» tentions; il ma donné pour mon usage une pe« tite loge grillée ; il ma fait faire une clef d'une petite porte pour entrer incognito; il fait jouer les pièces qu il juge pouvoir me plaire. Je vou- drois tâcher de reconnottre ses honnêtetés ; et je crois que quelque barbouillage de ma fa*^ çon , bon ou liiauvais , lui seroit utile par la bienveillance que le public a pour moi , et qui 8 est bien marquée au Devin du village. Si j osois espérer que vous vous laissassiez tenter à la pro- position de M. de Luze, vous apporteriez ces pièces vous-même , -et nous nous amuserions- à

454 GORITESPOMDANCE.

les hire répéter. Maiscomineilny a nulb copte de PygpnaUcm, ilea faudroit faire faire une par précaution, sur-4out si, ne venant pas voust même , vous preniez le parti d envoyer le paquet par la poste à l'adresse de M. Zollicoffre ^ on par occasion. Si vous venez, mandez-le*-mai à î avance , et donnez^moi le temps de la réponse, ^elon les réponses que j attends, je pourrois^ $i la chose ne vous étoit pas trop importune ^ vous prier de permettre que mademoiselle Lo Vasseur vint avec vous. Je vous embrasse,

A RLDUPEYROU.

- *

Strasbourg, le 25 novembre 1 765.

J'ai, nion cher hôte, votre numéro 8 et tous }e& précédents. Ne soyez point en peine du passe» port ; ce n est pas une chose si absolument né* cessaire que vous le supposez , ni si difficile à renouveler au besoin ; mais il me sera toujours précieux par la main dont il me vient et par les soins dont il est la preuve.

Quelque plaisir que j eusse à vous voir , le chant gement que j ai été forcé de mettre dans ma ma-» nière de vivre, ralentit mon empressement à cet égard- Les fi^équ^iits dinés en ville, et la fréquien-t tation dés femmes et desg:ens du monde, à quoi je m'étois livré d abord, en retour de leur bien-? vaillance, m'imposoient une g;ène qui a tellement pris sur ma santé, quil a fallu tout rompre et redevenir ours par nécessité. Vivant seul ou avec

jlnnéb 1765. 455

Fischer , qui ^t ua très bon garçon y je'në serois & portée de partager aucun amusement avec Taua , et vous iriez sans moi dans le monde ; ou bien, ne vivant quavec moi, vous seriez, dans cette ville sans la connottre. Je ne désespère pas des moy^is de nous voir plus agréablement et plus à notre aise ; mais cela est encore dans len futurs contingents*: d'ailleurs , n étant pas encore décidé siu* moi-même , je ne le suis pas sur le voyage de mademoiselle Le Vasseur. Cependant , si vous ivenez ^ vous êtes sûr de me trouver en- core ici , et , ^ans ce cas , je serois bien aise d en être instruit d avance, afin de vous faire prépa^ rer un logement dans cette maison; car je ne suppose pas que vous vouliez -que nous soyona séparés.

L'heure presse, le monde vient; je vous quitte brusquement , mais mon cœur ne vous quitte pas.

AM.DELUZE.

Strasbourg , le 37 novembre 1 765.

Je nie réjouis , monsieur , de votre heureuse arrivée à Paris , et je suis sensible aux bons soinà dont vous vous êtes occupé pour moi dès Tins- tant même.: c est une suite de vos bontés pour moi , qui ne m étonne plus , mais qui me touclie toujours. Jai di£Pérédun jour à vous répondre^ pour vous envoyer la copie que vous demandez, et que vous trouverez ci^jointe : vous pouvez la à qui il vous plaira ; mais je vous prie de ne

456 CORRESPONDANCE.

la pas laisser transcrire. Il est superflu de pren« dre de nouvelles informations sur la sûreté de mon passage à Paris : j ai là-dessus les meilleures assurances; mais j'ignore encore si je serai dans le Cas de m en prévaloir, vu saison , vu mon état qui ne me permet pas à présent de me mettre en route. Sitôt que je serai déterminé de manière ou d autre je vous le manderai. Je vous prie de me maintenir dans les hons souvenirs de madame de Faùgnes , et de lui dire qne lem-*^ pressement de la revoir , ainsi que M. de Fau- tes , et d'entretenir chez eux une connoissance qui s est faite chez vous, entre pour beaucoup dans le désir que j ai de passer par Paris. J ajoute de grand oœur, et j espère que vous n eh doute» pas , que ma tentation d'aller en Angleterre s'aug-- mente extrêmement par lagrémeat de vous y suivre , et de voyager avec vous. Voilà quant à présent tout ce que je puis dire sur cet article :, je ne tarderai pas à vous parler plus positive- ment ; mais jusqu'à présent cet arrangement est très douteux. Recevez mes plus tendres salu- tations; je vous embrasse, monsieur, de tout mon cœur.

Prêt à fermer ma lett^re , je reçois la vôtre sans date , qui contient les éclaircissements que vous avez eu la bonté de prendre avec Guy : ce qui me détermine absolument à vous aller join-^ dre aussitôt que je serai en état de soutenir le voyage. Faites-moi entrer dans vos arrange^, ments pour celui 4^ Londres ; je me réjouJ|s beau^

ANNÉE 1765. 457

coup de le faire avec votis. Je ne joins pas ici ma lettre à M. de GrafFenried , sur ce que vous me marquez qu'elle court Paris. Je marquerai à M. Guy le' temps précis de mon départ ; ainsi vous en pourrez être informé par lui. Qu'il ne m'envoie personne, je trouverai ici ce quil me faut.'Rey m'a envoyé son commis , pour m'em-^ inener en Hollande : il s'en retournera comme il est venu*

AM. DUPEYROU.

Strasbourg, le 3o novembre 1765.:

Tout bien pesé, je me détermine à passer en Angleterre. Si j'étois en état , je partirois dès de^ main ; mais ma rétention tourmente si crueV* lement , qu il faut - laisser calmer cette attaque. Employant ma ressource ordinaire , je compte être en état de partir dans huit ou dix jours; ainsi ne m écrivez plus ici , votre lettre ne m y trouveroit pas ; avertissez , je vous prie , made*- moiselle Le Vasseur de la même chose : je compte marrêter à'Paris quinze jours ou trois semaines; je vous enverrai mon adresse avant de partir. Au reste vous pouvez toujours m écrire jpar M. de Luze , que je compte joindre à Paris , et faire avec lui le voyage. Je suis très fâché de navoir paa encore écrit à madame de Luze. Elle me rend bien peu de justice si elle est inquiète de mes sentiments ; ils sont tels qu elle les mérite , et «est tout dire. Je m attache aussi très véritable» ment ^ son ipari. Il a lair froid et le cœur chaud j

.>

458 CORUBSPONDANCE.

il ressemble en cela à moa cber hôte : viûlà les gens qu'il me faut,

J approuve très fort d'user sobrement de la poste, qui en Suisse est deveoueun brigandage public : elle est plus respectée en France; mai^ les ports y sont exoii>itants, et f ai, depuis mon arrivée ici , plus de cent francs en porte de let-' très. Retenez et lisez les lettres qui vous viennent pour moi , ne m'envoyez que celles qui Teidi gent absolument ; il sufiBt d un petit extrait des autres.

Je reçois en ce moment votre, paquet n*^ n>. Vous devez avoir reçu une de mes lettre je vous priois d'ouvrir toutes celles qui vous ve** noietit à mon adresse : ainsi-vos scrupdbs sont fort déplacés. Je ne sais si je vous écrirai encore 9vant mon départ ; mais ne m'écrivez plus ici.- Je vous embrasse de la plus tendre amitié,

A M. D'IVERNOIS.

<

Strasbourg, le a décembre 1765*

. Vous ne doutez pas , monsieur , du plaisir avec lequel j'ai reçu vos deux lettres et celles de mon* «ieiir D^luc» On s'attache à ce qu'on aime à pro* portion des maux qu'il nous coûte. Ji^^oe par^là $i mon cœur est toujours au milieu de vous. Je suia aiïivé dans cette ville, malade et rendu de ÊUigues. Je m*y repose nvec le plaisir qu'on a de se retrouver parmi des humains , en sortant du milieu des bêtes féroces. J'ose dire que d^nîs le

AUNÉE 1765. 4%

commandant de la province jusqu au derAiêr bourgeois de Strasbourg , tout le monde desiroit de me voir passer ici mes jours : mais telle i^^est pas ma vocation. Hors d'état de soutenir la routé da Berlin , je prends le parti de passer en Angle* terre. Je m arrêterai quinze jours ou troi^ se^ mainesà Paris, et vous pouvez m'y donner de vos nouvelles chez la veuve Duchesne, libraire^ rue Saint-Jacques,

Je* vous remercie de la bonté que vous avez eue de songer à mes commissions. J*ai d'autres prunes à digérer; ainsi disposez des vôtres. Quant aux bilboquets et aux mouchoirs , je voudroià bien que vous pussiez me les envoyer à Paris i car ils me feroient grand plaisir ; mais, à cause q[^e les mouchoirs sont neufs , j ai peur que cela ne aoit difficile.. Je suis maintenant très en état d acquitter votre petit mémoire sans m'incom*^ knoder. Il n en sera pas de même lorsque après les^ frais d'un voyage long et coûteux , j'en serai à ceux de mon premier établisseihent en Angte^ terre : ainsi , je voildrois bieti que vous Voullis* aiez tirer sur moi à Paris à vue, le tnontsint du

m

mémoire en question. Si vous voulez absolu*' ni.e9.t remettre cette afïkire au temps je séraf plus tranquille, je vous prie au moins de marquer à combien tous vos déboursés se tnàn^ tent , et permettre que je vous en fasse mon bil- let. Considérez , mon bon ami , que vous avez une nombreuse famille à qui vous devez compte de l'emploi de votre temps, et que le partage

46p CORRESPONDANCE.

^e votre fortune , quelque g^rande qu'elle ptiisse être, vous oblige à nen rien laisser dissiper, pour laisser tous vos enfants dans une aisance honnête. Moi , de mon côté , je serai inquiet sur cette petite dette , tant qu elle ne sera pas ou payée ou réglée. Au reste , quoique cette violente expulsion me dérange , après un peu d'embarras je me trouverai du pain et le nécessaire pour le reste de mes jours, par des arrangements dont je dois vous avoir parlé ; et quant à présent rien ne me manque. J ai tout largent qu'il me faut pour mon voyage et au-delà, et avec un p^u d'économie , je compte me retrouver bientôt au courant comme auparavant. J'ai cru vous devoir ces détails pour tranquilliser votre honnête cœur sur le compte d'un homme que vous aimez. Vous sentez que dans le désordre et la précipitation d'un départ brusque , je n'ai pu emmener inade* mpiselle Le Yasseur, errer avec moi dans cette saison , jusqu'à ce que j'eusse un gîte; je l'ai lais- sée à l'île Saint -Pierre, elle est très bien et avec de très honnêtes gens. Je pense à la (aire venir ce printemps , en Angleterre , par le bateau qui part d'Yverdun tous les ans. Bonjour , mon^ sieur ; mille tendres salutations à votre chère fa- mille et à tous nos amis; je vous embrassé do

tout mon cœur.

ANNÉE 1765. 46i

AM. DAVID HUME.

Strasbourg , le 4 décembre i yGiSm

Vos bontés, monsieur, me pénétrent autant qu elles m'honorent. La plus digne ï*éponse que je puisse faire à vos offres, est de les accepter, et je les accepte. Je partirai dans cinq ou six jourà pour aller me jeter entre vos bras ; c'est le con- seil de milord-maréchal , mon protecteur, mon ami , mon père ; c*est celui de madame de ***» dont la bienveillance éclairée me guide autant quelle me console; enfin j*ose dire cest celui de mon cœur , qui se plait à devoir beaucoup au plus illustre de mes contemporains , dont la bonté surpasse la gloire. Je soupire après une retraite solitaire et libre je puisse finir mesr jours en puix. Si vos soins bienfaisants me la pro* curent , je jouirai tout ensemble et du seul bien que mon cœur désire , et du plaisir de le tenir de vous. Je vous salue , monsieur , de tout moi^ cœur*^

A M. DE LUZE.

Paris, le 16 décembre 1765.

J arrive chez madame Duchesne plein du de- sir de vous^voir, de vous embrasser, et de con- certer avec vpus le prompt voyage de Londres , sll y a moyen. Je suis ici dans la plus parfaite sûreté j j'en ai en poche l'assurance la plus pré-

^6% GO&HESPOIÏBAIICE.

cise (i). Cependant , pour éviter d'être accablé \ je veux y rester le moins i);u'il.iùef.sera possible, et garder le plus parfait incognito , sll se peut : ainsi ne me décelez , je vous prie, à qui que ce soiti Je voudrois vous aller voir; xns^is, pour ne pi^s promener mon bonnet dans^ les rues (2), je dçsire que vous puissiez venir vous-^m^ne plus tôt qu il sepourra« Je vous cambrasse , monsieur, de tQut mon cœur.

A M. UUPEYROD.

Paris, le t? décembre 1765.

J arrive d'bier au solr^. mon aimable bète et ami. Je suis venu en poste , m^ais aveo une bomn^ cbaise, et à petites journées. Cependant j'ai failli mourir en route : j'ai été forcé de marrêtei^ à Épemay, ^^ JY ^^ passé une telle nuit, que je u espérois plus revoir le jour : toutefois voici à Paris dans un état assez passable. Je n'ai vu personne encore, pas même M. de Luze, mais je lui ai écrit en arrivant. J'ai le plu« grand besoin de repos ; je sortirai le moins que je pourrai. Je ne veux pas m'exposer derechef aux dinés et aux fatigues de Strasbourg. Je ne sais si M. de Luze est toujours d'humeur de passer à I>6ndres; pour mol , je suis déterminé à partir le plus tôt qu'il me sera possible , et^ tandis qu'il me rôste

(1) n avoit un passe-port du ministre bon poujT trois mois.

(2) U portoit encore l'habillement d^Armënîeà.

. .anhée i7â5« ^ 4^3

encore des forces , pour arriver enfin en lieu de repos.

^ viens en ce moment d'avoir la visite de M. de Luae , qui m'a remis votre billet du 7 ^ daté de Berne. J*ai écrit en effet la- lettre de M. le bailli de Nidau; mais je ne voulus point voué en parler pour ne point vous affliger : ce sont , je crois, les seules réticences que lamitié per* mette.

Voici une lettre pour cette pauvre fille qui est à rUe : je vous prie de la lui faire passer le plus promptement qu'il se pourra ; elle sera utile à sa tranquillité. Dites , je vous supplie , à mada-- me ** combien je suis touché de son souvenir, et de rintérèt qu elle veut bien prendre à mon sort. J'aurois assurément passé des jours bien doux près de voUs et d'elle, mais je n etois pas appelé à tunt de l»en. Faute du bonheur que je ne dois plus attendre, cherchons «du moins la tranquillité. Je vous embrasse de tout mon oceur.

A M. D'IVÉRNOIS.

Paris , le 1 8 décembre 1 766 *

Avant-hier au soir, monsieur, j'arrivai ici très fatigué, très malade, ayant le pins grand besoin de repos. Je n'y suis point incognito, et je n'ai pas besoin d'y être : je ne me suis jamais caché, et je ne veux pas commencer. Comme j'ai pris ^mon parti -sur les injustices des hommes , je les mets au pis sur toutes choses, et je m'attends à

464 CORRESPONDANCE.

tout de leur part, même quelquefois à ce qui est bien. J ai écrit en efFet la lettre à M. le bailli de Nidau ; mais la copie que vous m'avez envQi^ée est pleine de contre-sens ridicules et de fautes épouvantables. On voit de quelle boutique elle vient. Ce nesi pas la première fabrication de cette espèce , et vous pouvez croire que des gens si, fiers de leurs iniquités ne sbnt guère hon- teux de leurs falsifications. Il court ici des co- pies plus fidèles de cette lettre , qui viennent de Berne , et^ qui font assez d effet. M. le dauphin lui-même , à qui on Ta lue dans son lit de mort, e^n a* paru touché , et a dit là-dessus des choses qui feroient bien rougir mes persécuteurs , s'ils les savoient , et qu'ils fussent gens à rougir de quelque chose.

Vous pouvez m'écrire ouveistement chez ma- dame Duchesne je suis toujours. Cependant j'apprends à l'instant que M. le prince de Conti a eu la bonté de me faire préparer un logement au Temple, et qu'il désire que je l'aille occuper. Je ne pourrai guère me dispenser d'accepter cet honneur ; mais , malgré mon délogement , vos lettres sous la même adresse me parviendront également.

A M. D'IVERNOÏS.

Paris, le 20 décembre 1765.

Votre lettre, mon bon ami, m'alarme plus qu'elle m'instruit. Vous me parlez de milord- maréchal pour avoir la protection du roi; mais

ANNÉE Ï765. 465

de quel tùi énten^ezrVùti^ pàtiér? Je pvds me^ fiaire fort de iîeHe ^n tùi de Prtidse ; rnais.de quoi vous serviroît-elle auprës de la médiation? Et s'il' est question du roi de France, <juel crédit mi- lord-maréchal a-t-il à sa cour? employer cette voie seroit vouloir tout gâter.

Mon hoû axm, lai^^ez fmte vo$ amis, et soyez tranquille. Je vous donne ma parole que si la médiation a lieu , lea misérsibleé qui vous me-^ ' notent ne toug feront aucun mal par cette voié^ là. Voilà sw quoi voud pouvez compter. Cépen*» dant ne négliges^ pas^ locea^ion de- voir M. le résident ^ pour parer e^ux préventione quott peut loi donner côntf e vous : du reste ^ je vous le Vé-' pëte, soyez tranq;tiille> Ist Médfialion ne, vous fér» aucun mal.

Je déloge danis deux heCffés pëUf aller occuper au Tewbpt^ lappariemiént qui m y est destiné. Vous pourrez m'écrire â l'hôtel de St:-^Simon , au Temple^ à Paris. Je vous embrasse de la plus tendre amitié.

A M.. DE LUZE.

aa décembre 1765.

L'afflictîott, mottsieu^r, la perte d'ufit père tendrement ainvé plonge en ce moment mada-» me de: Y^rdelin , ne me permet pa»' de me livrer à dea amusements , t^ndis^ qu elle est darrd les larn^es. Amsi nous n'auroni» point de inûsitjué aujourd^bm^ Je serai cependamf ébé2î moi ce soir comme à l'ordinaire; et, s?il entre 'danâ. vos

17. 3o

4^6 CORRESPONDANCE.

.arrangements dy passer, ce changement ne m'ôtera.pasie^pkitsfr'4e vous y voir. MiUe/saliH tations.

A M. DE LUZJE.

26 décembre 1765.

Je, ne saurais ^ monsieur, durer plus long- temps sur ce théâtre public. Pourriez-vous , par dbarité) accélérer un peu notre départ? M. Hume consent à partir le jeudi 2 à midi pour aller cou- cher à Senlis. Si vous pouvez vous prêter à cet arrangement, vous me ferez le plus grand plai- sir. Nous n aurons pas la berline à quatre; ainsi vous' prendrez votre chaise de poste, M. Hume la sienne , et nous changerons de temps en temps. Voyez , de grâce , si tout cela vous con- vient, et si vous Voulez m'envoyer quelque chose à mettre dans ma malle. Mille tendres «a^ lutations. 1 .

A M. D'IVERNOIS.

Paris, le 3o décejnbre 1765.

Je reçois, mon bon ami , votre lettre du 23. Je suis très, fâché quevousn ayez pas été voir M. de Voltaire: Avez-vous pu penser que cette démar- <^he me feroit.de la peine? que vous conrnoissez niai mon cœur ! Eh , plût à Dieu qu une heureuse réconciliation entre vous , opérée par les soins de cet homme illustre, me faisant oublier tous ses torts, m^e Uvràt sans mélange à mon admira- tion pouriui ! Dans les temps il m'a le plus

. ANNÉR 1765* . 467

crueUeto^nt' traité , j'ai toujours eu beaucoup moins d aversion pour lui que d'aniour pour mon pays. Quel que soit Thomme qui vous ren- dra la paix et la liberté, il me sera toujours cber et respectable. Si c'est Voltaire , il pourra du reste me faire tout le mal qu il voudra ; mes vœux coAStants, jusqua mon dernier soupir, seront pour son bonheur et pour sa gloire.

Laissez menacer les jongleurs ; telfiert qui ne tue pM.Yotre sort est presque. entreJes mains de M* de Voltaire; s'il. est pour vous, les jongleurs vous feront fort peu de mal. Je vous conseille et vous exhorte , après que vous Faurez suffisam- ment sondé , de lui donner votre confiance. Il n est pas croyable que , pouvant être l'admiration. . de l'univers, il veuille en devenir l'horreur : il sent trop bien l'avantage de sa position pour ne pas la .mettre à profit pour sa gloire. Je ne puis pen- ser qu'il veuille , en vous trahissant , se couvrir d'infamie. En un mot , il est votre unique res- source : ne vous l'ôtez pas. S il vous trahit /vous ê^es pei'du , je l'avoue ; mais vous l'êtes également s'il ne se mêle pas de vous. Livrez-vous donc à lui rovdenient et franchement ; gagnez son cœur par cette confiance ; prêtez-vous à tout accom- modemerit«raisonnable. Assurezles lois. et la li- berté ; miais sacrifiez l'amour-propre à la*paix. Sur-tout aucune mention de moi , pour ne pas aigrir ceux qui me haïssent ; et si M. de Voltaire vous sert comme il le doit, s'il entend sa gloire, comblez-le d'honneurs ; et consacrez à Apollon

3o«

L

^6.8 GO&RESPONDÂNGE.

pacificateur , Phœbo pcLcatpri , la médaille que isous m'ai^iea^ destiuée.

A madame: DrË CRÉQUI.

Au Temple, ]e 3 jftçyier i^ôS.^

Je reçois votre lettre, madame, en arrivant d'une cauF$e , et j'y réponds à la hâte , en repar- tant pour une autre. L'air malsain pour moi de ^ mon bakitation , et fimportunité des désoeuvrés de toi:i:^ les coiDs du moâde, me forcent à cher- dbeff le soulagement ^ la solitude dana de» pèle- »na^& continuela.

A LA Ail^ME.

Au Temsie^ la 3 îaoTier ^7^

Le désir de vons revoir, madame, formoit un de ceux cpii m'altirc4ent à I^ris. La'nécessité, la duce nécessité, qui gouverne toujours ma vie, m.'enipâ(^ dele satisfaire. Je pars avec la cruelfe certitude de voms^ revoir jamais : mais IP091 sort a'a point changé ii^n ame ; l'attachement, le respect , la reconnoi^ance, tous les sentiments que j'eias. pour vous dans les moments les plus heureux, màccompagneront daçs me3 fiehessed ' jusqju^'ài mon dernier soupir.

N^ÉE 176S. 4^

A, MADAME DE CRÉQUI.

Ce dimanche matin.

Je sens , madame I après de vains efforts , 4^e traduire m est impossible ; tout ce que je puis faire pour vous obéir , c'est de vous donner une idée de lepftre désignée, en récrivant à-peu-près comme j'ims^gine qu'Horace auroit fait s'il avoit voulu la mettre en prose françoise , à la différence près de l'iafériorité du talent et de la servitude de l'imitation. Si vous montrez ^e. barbouillage i monsieur l'ambassadeur^ il â'en moquera avee raison î et j'en ferois de hotx cœur autant: nkais je n<e sais pas dire mieux d'api^ès aùti^è) ûi besmcettp mieux de tnoi^ntème.

A LA MÊME.

Ce mercredi matin/

^ene vaispoiût voul voir^ madame , pa^rceque j'ai tort av^ vous ^ et que je n'aime {la» à £âir« mayvaise ooqtenfitice ; je sens pourtant qu'éprè» livoiir ^u Vbopineui* de youè cônnoître ^ je pcmV' rai me passer long-temps çb.o^ui île yOus: voit*; et quand je vous aurai fait oublier mes mauvais procédés , je comptiif bien Ae me plus mettre dan* le tû^ d'en avoir d'autres à réparer.

470 CORRESPONDAifCE.

Je commençai la traduction immédiatement en sortant de cJhea vous; je l'ai suspendue parce- que je souffre beaucoup , «t ne suis point en état de travailler : je l'achèverai durant le premier calme, et m'en servirai de passe-port pour me pré^eqter à vous, ^

A MADAME DE GRÉQUI.

Ce samedi.

J'ai travaillé huit jours , madame, c est-à dire huit matinées. Pour vivre , il faut que je gagne quarante sous par jour : ce sont donc seize francs qui me sont dus , et dont je prie votre exactitude de dififiérer le paiement jusqu'à hion retour de la campagne. Je n'ai point oublié votre ord'i^e; mais moiisieur l'ambassadeur étoit pressé, et vous m'a^ vez dit vous-même que je pouVois égalementfaire à loisir ma traduction sur la copie. A mon retour de Passy j'aurai Thonneur de vous voir : le copiste recevra son paiement; Jean -Jacques recevra, puisqu'il le faut,"le«t compHmênts qticf vétiè lui destinez ; et nous;ferons , sur Thonrieùr qUé veut me faire monsieur l'ambassadeur, t^t 'ce qu'il plaira à lui et à voui^. .. i

» / ) M

-A LA MÊME. -- '. -/'

Ce; m^riji l6i« .

Je vous remercie , madame, des injustices que vous me faites ; elles marquent au moins un inté* rêt qui m'honore et auquel je suis sensible. J*^(

ANNÉE 1765. 47Ï

un ami dangereusement malade , et tous mes soins lui sont dus : avec une telle excuse , je ne nxé croirois point coupable d avoir manqué à ma parole, quelque scrupuleux que je sois sur ce point. Mais, madame, j ai promis que vous ver- riez avant le public ma lettre sur M. Gautier , et c'est ce que j'exécuterai ; j'ai promis aussi de vous porter mon opéra , et je le ferai encore : nous n'avons point parlé du temps; et, pour avoir dif- féré de quelques jours, je ne crois pas être hors de règle à cet égard.

Si vous vous repentez de la confiance dont vous m'avez honoré , ce nie peut être que pour ne m'en avoir pas trouvé digne.A l'égard de la dé* fiance dont vous me taxez sur mes manuscrits, je vous supplie de croire que j'en suis peu capa* kle, et que je vous rends sur-tout beaucoup plus de justice que vous ne paroissez m'en rendre à moi-même. En un mot, je vous supplie de croire que, de quelque manière que ce puisse être, ce ne sera jamais volontairement que j'aurai tort avec vous.

Je suis avec un profond respect^ madanpie^ votre , etc.

I

A Madame de créqul

Ce lundi 21.

I^on , madame, je ne dirai point , qu'est-ce que ce\a me fait? je serai , comme je l'ai toujours été, touché , pénétré de vos bontés pour moi : mes

472 CORRESPONDANCE.

.sentini^i^ti 71'ozit jamai$ eu de part à inçB i^iai^ .vais procédés , et je veu^. travailler à vpu$ eu convaincre.

.. Lp discours de M. Bordes , tout bien {^^se^ restera saqs réponse : je le trouve, qnant àmx)!, fprt au-dessous du premier j catp , il faut wpore mieux se montrer bon rhéteur d^ coll^^ q?i? mauvais Logicien. J'aurai pei}t-^tr^ ocp^siop de mieu^ développer me i^es lians- répondra di^ recteipenj.

Voici , madame , le livre que vous den^andez^ Je ne sais s'il sera facile d'en reçouv^-er qvie)que exemplaire ; mais vnu^ m'obligerez seq^iM^iilimi de qe me rendre celui-là que quftpd je y^^a ?iit aurai trouvé im autre.

Adieu y.ipadame : je nose plii3 vous p^lpr de ^e$ résolutions i tpm^ vous aggravez ^i fort 1^ poids paes torts epvers vou^, qup je sei^ bien qu'il ne p[) est plus possible de les supporter.

A MADAME.»^ CBÉqUI.

Ce mercredi matin 23.

Je compte les jours, madame, et je^f^ns.p^e^ torts. Je voudrois que vous les sentissiez aussi; je voudrois vous las fa/re q^bï^ar. Oi>^est bien en peine quand on est coupable et qu'on veut cesser de l'être. Ne me félicitez donc point de ma for- tune, carjçtmaisjenefus ^imisér^^le^iued^j^is que je suis riche. . '

ANNÉE. 1765. .473

A MADAME DE CRÉQDI.

' Ce mercredi 33. '

Vous mo force? « modame , de vûus faire un refus pour la première fois de ma vie. Je me suis bien étudié , et j'ai toujours senti que la recon- noisâaDc^ et r^niiiif aesauroient compatir dans mon ïQceur, Permettez donc que je le conserve tout entier pour un gentiment qui peut faire le ))onhear de ma vie, et dont touâ V03 biena ni ceux p^r^OQap ne pom*roieni jamais me dé^ domiiia0er. . .

Jetoi3 ^U^ hiep à Passy, et ne reviàs que le soir ; ce qui m'empêcha de yous aller voir. De-* main , m^daqa^ , je dînerai chez voi^s avec d'au- tant plus de plaisir, que vous voulez bien vous passer d un troisième.

. A LA MÊME.

Le meilleur moyen , madame, :de me -faira rougir de me^ %oH^ et de nae contraindre à kg réparer, c^s% de. rester telle, que wo*is étes.^Je pourrai, madan^e,- avoir Thonncurde dîner >di« ma^cbe avec Yom ; mais ce sont pQinI; mtfs rjU^he^B^ qui 3oat cause de ce refu& , puisqu'on prétend quelles ne sont boohM qu'A nous prov curer 0^ qi*e noUs desinons. J'espère avoir Tbon-i neur ypus voir la semaine prochaine ; et s.'H ne fgiut , pour mériter le retour de votre .estime

474 CORRESPONDANCE.

et de vos bontés , quie jeter mon trésor par les fenêtres , cela sera bientôt fait ; et je croirai pour le coup être devenu usurier.

A MADAME DE CRÉQUI.

Ce samedi matin.

J'ai regret , madame , de ne pouvoir profiter lundi de Fhonneur que vous me faites : j ai pour ce jour-là Tàbbé B^ynal et M. Orimm à diner chez moi. J aurai sûrement Thonneur de vous voir dans le cours de )a sçniiaine , et je tâcherai de vous convaincre que vous ne sauriez avoir tant de bonté pour moi que je n aie encore plus de désir de la mériter.

- Je suis avec un profond respect , madame , votre, etc.

A LA MÊME.

Ce samedi 6.

Je viens, madame, de relire votre dernière lettre, et je 'me sens pénétré de vos bontés. Je vois quejejoûe un rôle très ridicule, et* cepen- dant je puis vous protester qu'il ny a point de ma faute: mron malheur veut que j'aie l'air de chercher des défaites dans le tétnps que je vou- drois beaucoup faire pour cultiver l'amitié que vous daignez m'offrit*. Si vous ti'êtes point rebu- tée de mes torts apparents , donness-moi vos ordres pour jeudi ou vendredi prochain , ou pour pareils, jours de l'autre semaine /qui sont les

A'NNÉE 4765. '■' 475

seuls o*Èi je sois sur de pouvoir disposer de moi. J'espère qu'une conférence entre nous éclaircira bien des choses, et sur-tout qu'elle vous dés- abusera sur la mauvaise volonté que vous avez droit de me supposer. Je finis, madame, sans cérémonie , pour vous marquer d'avçmce com- bien je suis disposé à vous obéir en tout.

A MADAME DE CRÉQUI.

Ce dimanche matin.

Non, madame, je n'ai point usé de défaite avec vous; quant au mensonge, je tâche de n'en user avec personne. Le dîner dont je vous ai parlé^ est arrêté depuis phns de huit jours; et, si j avois cherche à éluder pour lundi votre invi- tation , il n'y a pas de raison pourquoi je l'eusse acceptée le jeudi ou le vendredi. J'aurai l'hon- neur de dîner avec voiis le jour que vous ine prescrirez, et nous discuteronis nos griefs; «àr j'ai les miens aussi, et je trouve dans vos lettres un ton de louanges iDeaucôup pire que celui de cérémonie que vous me reprochez, et dont je n'ai peut*éttfe qUè trop de facilité à me corriger. »

Ce n est pas sérieusement , sans doute , que vous parlez de venir -dans mon galetas ; non que je ne vous croie, as&ez de philosophie pour me faire cet honneur, mais parceque n en ayant pas assez moi-nséme pour vous y refcevoir sans quel* <|iie embarr^ ) jf ne vous suppose pas la malice

476 COBRESPONDANGE.

d*ejQ vouloirjooir. AufturpIaS) je dois Vous after-

tir qu à Theure dont tous parlez y vous pourriez trouver encore mes convives; quilsne manqùe- roient pas de soupçonner quelque intelligence entre vous et moi ; et que, s'ils me pressoient de leur dire la vérité sur ce point, je naufois ja<- mais la force de la leur cacher. U âiUoit vous prévenir là-dessus pour être tranquille sur l'é- vénement. A vendredi donc, madame, car j en- visage ce point de vue avec plaisir.

A MADAME DE CBÉQOL

••

Ce dimanche matio^

Tous m'affligez , sÀadftme , en désirant de moi une chose qui m est devenue impossible. Elle peut un jour cesser Tètre» Tous les obscurs complots de3 hommes, leurs* longs succès, leurs ténébreux triompher , lEie me feront jamais dés**» espérer de la Providence; et?, si soq oeuvre se fait de moi^ vivant, je n'oublierai -pas votre de^ mande, ni le plaisir qiie j aurai dy .acquiescera Jusque*-là, permtettesi madame,, que je vdus conjure de m pxen j^\m$ reparler.

Ma femme est comblée de l'honneur que vous Ju^ faites diç penser À.dW ^ et d^ votre obligeatite invitation.. 3i;eUeéto^t un peu pln^ allante , elle en pro&teroU bieû vite, moins pourvoir le jar- )lin que pour faire sa révérence a^la «saièresàe; i^ais elle çst d'ui^e paresse incrOî^aJMè à sortir de sa chambre , jet j'ai toutQf Içs peines du monde

ANNÉE 1765. 477

à oy^nir , cinq ou six fois ) année , qu'elle TeuiUe bien i^emt promener avec moi: au reste, elle partage tous mes sentiments, madame , et sur- tout ceux de respect et d^attaekement dont mon eceur est et sera pénétré pour vous jusqu'à mon dernier soupir.

Je me proposoisde vous porter ma réponse HKNhmèBie , mais des contrariétés me font pren- dre 1^ parti d envoyer toujours ce mot devant.

A MADAME DB CRÉQUL

Ce Vendredi matin.

Vous^ ne m'imposez pas, madame, une tâche aisée^ en m'ordonnanï de vous montrer Emile datts cette île l'on est vertueux sans témoins et courageoK sans o^teni^ation. Tout ce que j'ai pu saiiïoiir de cette lie étrangère , est qu'avant d'y ahord^ on n'y voit jamais personne, qu'en y arrivant on est encore fort sujet à s'y trouver seul; nfeais qwators on se console aussi sans peine du petit malheur de n'y être vu de qui que ce soit. En vérité, madame, je crois que pour voir les habitants de cette île, il faut les cher- cher soi-même , et ne s'en rapporter jamais qu'à soL le VOUS! ai montré mon Emile en chemin pour y Mfiver; reste de la route vous sera bien moins* difficik à foire seule , qu'à moi de liions y guider.

Je.vousrsmeitcie, madame, de la ebanson que voua .acre» eu la bonté de, m'envoyer , et je vous'

478 CORRESPONDANCE.

demande pardon de ne lavoir pas trouvée , à ma propre lecture , aussi jolie que quand vous nous la lisiez : la versification m'en paroît contrainte; je n'y trouve ni douceur ni chaleur : le pénul- tième couplet est le seul je trouve du natu- rel et du sentiment : dans le premier couplet, le premier vers. est gâté par le second : les deux premiers vers du quatrième couplet sont tout- à^fait louches ; il falloit dire : Si fon ne pairie décile à tout moment, on parle une langue qui m est étrangère. S'il faut être clair quand on parle , il faut être lumineux quand on chante. La lenteur du chant efface les liaisons du sens , à moins quelles ne soient très marquées. Je ne renonce pourtant pas à faire lair que vous de- sirez; mais , madame, je voudrois que vous eus- siez la honte de faire faire quelques corrections aux parole^ , car pour moi cela m'est impossihle ; et même , si vous ne trouvez pas mes observa- tions justes , je les abandonne , et ferai l'air sur la chanson telle qu'elle est. Ordonnez , j'obéirai.

A MADAME DE CRÉQUI.

Ce mardi matin.

Ma besogne n'est point encore faite, mada- me; le temps qui me presser, et le travail qui me gagne , m'empêcheront de pouvoir vous la montrer avant la semaine prochaine. Puisque^ vous sortez le matin , nous prendrons l'après- jjûdi qu'il vous plaira ^ pourvu que^ce ne soit pas

ANNÉE. 1765. 4^^

plus tôt que de. demain en huit, ni jour d'opéra italien. Gomme la lecture sera un peu longue , si nous la voulons faire sans interruption , il fau- dra que vQus ayez la bonté de faire fermer votre porte. Jai tant de torts avec voud, madame y que je nose pas me justifier, mèmp quand jai raison; cependant je sais bien que ^ sans mon travail, je naurois pas mis cette fois si long- temps à vous aller voir.

A MADAME DE CRÉQUI.

Ce vendredi.

Il est vrai , madame , que je me présentai hier à votre porte. L'inconvénient 'de vous trouver en compagnie , ou , ce qui est encore pire , de ne vous pas trouver chez vous, fait hasarder de vous demander permission de me présen- ter dans la matinée au lieu de Taprè&dnidi , trop ^redoutable pour moi , à cause des visites qui peuvent survenir.

Il est vrai aussi que je suis libre : cest un bonheur dont jai voulu goûter avant que.de mourir. Quant à la fortune, ce neût pas été la peine de philosopher pour ne pas apprendre à m en passer. Je gagnerai ma vie, et je serai homme : il n y a point de j^ortune au-dessus de cela. '

: Je ne puis , madame , profiter demain de rhonneur que vous me faites ; et , pour vou5 prouver que ce nest pgint M. Saurin qui m en

48o GORRESPONDABICE.

détourne 9, .je suis prêt à accepter ttd dî^ sn^ec lui y tout autre jour qu'il vous plaira de me pres- crire. .

Jai Fhonnenr d'être avec un profond respect, niadaïae^ votre, etc.

élmadélme de gréqui.

Ce mardi 7.

Rousçeau peut assurer madame la marquise de Créqui que, faut qu'if croira trouver chez elle les sentiments qu il y porte , et dont le retour Ipii est , loin de compter et regretter se$ pas poiir avoir Tbonneur delà voir, it se croiria hien dédon^magé de cent courseoi inutiles ]p^ snc-^ ces d'une seuie. IViais , en tout autre cas , il dé^ dare quil regarderait un seul pïB comme îndi^ goenient perdiu ^ et ses visites reqmtB cofinine une frande et mi vpL, pui^pie V estime- réciprcique eèt la condition sacrée et indispensable sans la- quelle , hors la nécessité des affaires , il est bien détedminé 'à; nlen jamais honorer vo4<>nfiaire- ment qui que. ce sbit.

Je reçois chez moi , j-^en conviens, des geâs pour ({ui je n ai nulle estime; mais je ies^ recjôi^i par force : je ne leur cache point mon dédeén ^ etcomme'illi sont accommodants ,.ils lesuppo^r- tent pour aller à leurs fins. Pour mpi, qui ne veux tf omper ni trahir personne , quand je fais tant que d'aller chez quelqu'un , c'est pour Tho- norev et en être honoré. Je lui témoigne mon

ANNÉE 1766. 48ï

estime en y allant ; il me témoigne la sienne en {

me recevant : s'il a le malheur de me la refuser, i

et qu il ait de la droiture , il sera bientôt dés-^ abusé , ou bientôt dëlivlré de moi. Voilà mes sen-* 1

timents : s'ils s'accordent avec ceux de madame j

la marquise de.... , j'en serai comblé de joie; s'ils !

en diffèrent , j'espère qu'elle voudra bien me 1

dire en quoi. Si elle aime mieux ne me rien dire , ce sera parler très clairement. Je la supplie d'agréer ici mes sentiments et mon respect.

ROUSSEAU.

N, B* Ce billet fut écrit à la réception de celui que ma- dame la marquise de Gréqui m^a fait écrire ; mais, ne vou** lant pas le confier à la petite poste , j^ai attendu que je fusse, en état de le porter moi-même.

A M. D'IVERNOIS.

Ghiswick , 29 janvier 1 766.

Je ëûîs arrivé heureusement dans ce pays : j'y ai été accueilli , et j'en suis très content : mais ma santé, moti humeur, mon état , demandent que je m'éloigne de Londres ; et , pour tie plus ^ entendre parler, s'il est possible, mes mal-' heurs , je vais dans peu me confiner dans le pays de^ Galles. Puissé-je y mourir en paix ! c'est le seul vœu qui me reste à faire» Je vous embrasse tendrement.

17.

3i

482 COBRESPONOINCE.

A M. D'tTERNOIS.

(Siiswick) le 23 février 1766.

3 fi reçois , monsMir , votre lettre du premier de ce iuois. Je sens la douleur qu a tous cau- ser la perte de madame votre mère ^ et Famitié me la fait partager. G est le cours de la nature , que 1^ parents meurent avant leurs enfants , et que les enfants de céox-ci restent pour les cou-* soler. Vous avez dans votre famille et dans vos amis de quoi ne vous laisser sentir d une telle perte q'uè ce que votre bon naturel ne lui peut tefuser.

Vous n'avez pas du penser que je voulusse être redevable à M. de Voltaire de mon rétablisse- ment. Qu'il vous serve utilement , et quil con- tinue au surplus ses plaisanteries sur mon compte ; elles ne me £srom pas plus de cbagrin que de mal. Jaurois pu m'honorer de son amitié s'il eti eût été capable ; je n'aurois jamais voulu de sa protection : jugez si j'en veux, après ce qui s'est passé. Son apologie est pitoyable; il ne me croit pas si bien instruit. Parlez-lui toujours de ma part en termes honnêtes ; n'acceptez ni ne refusez rien. Le moins d'explication que vous aurez avec lui sur mon compte sera le mieux , à moins que vous n'aperceviez clairement quH révient de bonne foi : mais il a tous les torts, il faut qu'il fasse toutes lès avances ; et voilà ce

J

ANNÉE 1766. /g3

qu'il ne fera jamais. Il veut pardonner etproté- çer : nous sommes fort loin de compte

Je ne connois point M. deGperchi, ambassa- deur de France en cette cour; et , quand je le connoitrois, je doute «Jne sa recommandation nr celle d an autre iùt de quelque poids dans vos attaires. Votre sort est décidé à Versailles M de Bauteville^ fera qu'exécuter l'arrêt prononcé. Toutefois je tente de lui écrire, quoique je sois très peu connu de lui. Je voudrois qu'il vous connût et qu'il vous aimât, ce qui est à-peu- près la même chose. Une lettre sert au moins à laire connoissance : vous pourrez donc lui rendre la mienne après l'avoir cachetée, si vous le iupez a propos. Je vous l'envoie à Bordeaux pour plus de iùreté; mais sur-tout n'en parlez ni ne la montrez à. personne. Je vous en ferai peut-être passer à Genève un double par duplicata pour plus de sûreté.

Je vous suis obligé de votre lettre de crédit je serai peut-être dans le cas d'en faire usage! Selon mes arrangements avec M. Dupeyrou il à écrit à son banquier de me donner l'argent que je lui demanderois. Je lui ai demandé vingt-cinq louls' il ne m'a fait aucune réponse. Je ne suis pas d'humeur de demander deux fois : ainsi quand j'awrai découvert l'adresse de MM. Luca* don et Drake, que vous ne m'avez pas donnée , je les prierai peut-être de m'avancer cette somme' et j'en ferai le reçu de manière qu'il vous serve

3i.

4^4 COHRESPOKDâNGE.

d^assignation pour être remboursé par M. Da*- peyrou.

J'aurois à vous consulter sur autre chose^ J'ai chez madame Boy de La Tour trois mille liTres de France , et mademoiselle Le Yasseur , quatre cents. L'augmentation de dépense que le séjour d'Angleterre va m'occasioner , me fait désirer de placer ces sommes en rentes viagères sur la tête de mademoiselle Le Yasseur. Le petit revenu de cet argent doubleroit de cette manière, et ne seroit pas perdu pour cette pauvre fille à ma mort. Il se fait , à ce qu'on dit, un emprunt en France ; croyez-vous que je pourrois placer mon argent sans risque? y serois-je à temps? pourriez- vous vous charger de cette affaire? à qui faudr oit-il que je remisse.le billet pour retirer cet argent , et cela pourroit-il se faire convena- blement sans en avoir prévenu madame Boy de La Tour ? Yoyez. Dans l'éloignement je vais être de Londres , les correspondances seront lon- gues et difficiles; c'est pour cela que je voudrois, en partant , emporter assez d'argent pour avoir le temps de m'arranger. D'ailleurs , j'écrirai peu ; j'attendrai des occasions pour évijter d'immenses ports de lettres , et je ne recevrai point de lettres par la poste. J'aurai soin de donner une adresse à M. Casenove avant de partir; ce que je compte faire dans quinze jours au plus tard. Boa voyage, 'heureux retour. Je vous embrasse.

Je suppose que vous avez reçu la lettre que je.

J

ANNÉE 1766. 485

VOUS 'ai écrite de Londres, il y a environ trois se- maines ou un mois.

Il me vient une pensée. Une histoire de la mé- diation pourroit devenir un ouvrage intéressant.* Recueillez, sir se peut, des pièces, des anec- dotes, des faits , sans faire semblant de rien. Je regrette plusieurs pièces qui étoient dans la malle , et qui seroient nécessaires. Ceci n est qu un projet qui , j'espère , ne s'exécutera jamais , au moina de ma part. Toutefois, de ma part ou dune autre, un bon recueil de matériaux auroit tôt ou tard son emploi. £n faisant un peu cau- ser Voltaire , l'on en pourroit tirer d'excellentes choses. Je vous conseille de le voir quelquefois ; mais sur-tout ne me compromettez pas.

Je ne comprends pas ce que j'ai pu vous en- voyer à la place démette lettre que je vous écri- voisi, en vous envoyant celle pour M, de Baute- vlUe. Je me hâte de réparer cette étourderie, Voici votre lettre. Vous pourrez juger si ce que j^al pu vous envoyerà la place demande de m'être renvoyé. Pour moi , je n'en sais rien,

A M. LE CHEVALIER DE BAUTEVILLE.

Cbiswick, le a3 février 1766.

Monsieur,

- C'est au nom 9 cher à votre cœur, de feu M. le maréchal de. Luxembourg, que j'ose rappeler à votre souvenir un homme à qui l'honneur de

486 CORRESPONDANCE.

son amitié valut celui d être connu de vous. Dana la noble fonction que va remplir V. E.*. vous en tendrez quelquefois parler de cet infortuné. Vous 'connoitrez ses malheurs dans leur source , et vousj ugerez s'ils étoient mérités. Toutefois, quel- que confiance qu'il ait en vos sentiments intégres et gjénéreux, iL na rien à demander pour lui^ même ; il sait endurer des torts qui ne seront point réparés; mûis il om s monsieur > préseater à y> Ë..un boinme de bien, son ami, cl digne de letre de tous les honnêtes gens. Vous voudrez connoitre la vérité , et prêter à ses défenseurs une oreille impartiale. Mw dlvernois est en étal de vous la dire et par lui***même et par sfes amis 4 tous estimables par leurs mœurs , par leurs vert tus et par leui" bon sens. Ce ne liont poiot des hommes brillants, intrigant^ , versés dates lart de séduire ; mats ce sont de aignes citoyens^, dis-» tingués autant par une conduite bage et m^su-^ réCi, que par leur attachement à la constitution et au9 lois. Daignez^ monsieur « leur accorder un accueil favorable ^ et les écouter aveè hoiité* Us vous exposeront leurs raisons et leurs droits avec toute la candeu» et la simplicité de leur ca- ractère , et je m'assure que vous trouverez en eux mon eicuse pour la liberté que je prends de vous les présenter.

Je supplie votre exjcellence li'agréer mon pro-' fond respect.

ANNÉE 1766. 4*7

A M. HUME.

Wootton , le ^2 mars 1766.

Vous voyes déjà, mon cherpatroa, par la date de ma lettre q/m je raie arrivé au lieu de ma destination ; mais vous ne pouvm Toir tous les i^armes que j y trouve; il fàudroit ccmnottre le li^u et lire daQS mon cœur. Vous y devez lire au moins les sentiments qui vous regardent , et que vous avez si bien mérités. Si je vis dans cet agréa- ble asile aussi heureux que je J'espère , une des douceurs de ma vie sera de penser que je vous les dois. Faire un homme heureux, c'est mériter de Tétre. Puissies^vous trouver en vous-même le prix de tout ce que vous avesE fait pour moi ! Seul, j auroia pu trouver de rhodpitaiiié peut-être; mais je nelaurois jamais aussi bien goûtée quen ta tenant de votre amitié. Ooviservez'Ja'-aMiiaur- jours, moQ içlier pati^on ; fùmez^moi poor 0101 qui vous dois taoi; , pofir v^ii»'màme ; aimez<* moi pour le bien que vous m'dve^ fait. Je saps tout le prix de votre sincère amitié ; je la désire ardemjcaea^t ; j y veux répondre par tmi^ la mienoa , et Je sens dans mau cœur de quoi yous convaincre un jour quelle nest pas non plus 4saas quelque prix. Comme , pour des raiwns ^lont nous avons parlé , je ne veux rien recevoir piar la p^ste, je vou3 prie^ l^r^qMe vous leees la boiwe amrm de m'éçrîre , d^ remettre votre let^ tre à M. Davenport. L'affaire de ma voiture n est

488 couresponbange.

pas arrangée, parceque je sais quon m*en a im« posé : c'est une petite faute qui peut n'être que l'ouvr^ige d'une vanité obligeante , quand elle ne revient pas deux fols. Si vous y avez trempé, je vous çonaeille de quitter , une fois pour toutes , ces petites ruses qui ne peuvent avoir un bon principe , quand elles se tournent en pièges con- tre la simplicité. Je vous embrasse ^ mon cher patron , avec le même cœur que j'espère et désire trouver en vous,

.A M. HUME,

Woptton, le 29 mars 17ÔÔ.

Vous avez vu , mon cher patron , par la lettre que M. Davenport a vous remettre , combien je tiae trouve ici place seloQ mon goût. J'y serois peut-être plus à mon aise si Ion y avoit pour -moi moins d'attentions ; mais les soins d'un si galant homme sont trop obligeants pour s'ea •fâcher ; et , comme tout est mêlé d'inconvénients dans la vie, celui d'être trop bien est un de ceux qui se tolèrent le plus aisément^ J'en trouve un plus grand h ne pouvoir me faire bien entendre des domestiques, ni sur-tout à entendre un mot de ce qu'ils me disent. Heureusement mademoi- selle Le Vasseur me sert d'interprète , et ses doigts parlent mieux que ma langue. Je trouve même à mon ignorance un avantage qui pourra fairç compensation, c'est d'écarter les oisifs en les en-^ ^nuyant. J'ai eu hier la visite de M. le ministre.

ANNÉE 1766. 489

qui, voyant que j^ ne lui parlois que françoiâ, n a pas voulu me parler anglois ; de sorte que l'entrevue s'est passée à-peu-près sans mot dire. J'ai pris goût à l'expédient ; je m'en servirai avec tous mes voisins , si j'en ai ; et , dussé-je ap- prendre l'anglois , je ne leur parlerai que Fran- çois , sur-tout si j'ai le bonheur qu'ils n'en sa- chent pas un mot. Cest à-peu-près la ruse des singes qui, disent les Nègres, ne veulent pas parler , quoiqu'ils le puissent , de peur qu'on ne les fasse travailler.

Il n'est point vraf du tout que je sois convenu avec M. Gosset de recevoir un modèle en présent. Au contraire, je lui en demandai le prix , qu'il me dit être d'une guinée et demie, ajoutant qu'il m'en vouloit faire la galanterie, ce que je n'ai point ac- cepté. Je vous prie donc de vouloir bien lui payer le modèle en question J dont M. Davenport aura la bonté de vous rernbourser. S'il n'y consent pas, il faut le lui rendre et le faire acheter par une au- tre main. Il est destiné pour M. Dupeyrou , qui depuis long-temps désire avoir mon portrait , et en a fait faire un en miniature qui n'est point du tout ressemblant. Vous êtes pourvu mieux que lui; mais je suis fâché que vous m'ayez ôté par une diligence aussi flatteuse le plaisir de remplir le même devoir envers vous. Ayess la bonté, mon cher patron , de faire remettre ce modèle à MM. Guinand et Hankey, Little-Saint-Héllen's Bîs- hopsgatc-Street, pour l'envoyer à M. DM|eyrou p£ir la pretnière occasion sùrè. Il gèle OTciepuis

49^ CORRESPONDANCE.

que j y suis ; il a neigé tous les jours ; le vent coupe le visage; malgré cela, jaiiûerois mieux habiter le trou dun des lapins de cette garenne quele plus bel appartement de Londres. Bonjour, mon cher patron ; je vous embrasse de tout mon cœur.

AU ROI DE PRUSSE.

Woottoi^, le 3o mars 17G6.

Sire,

Je dois au malheur qui me poursuit deux biens qui m'en consolent : la bienveillance de milord- maréchal , et la protection de votre majesté. Forcé de vivre loin de letat je suis inscrit parmi vos peuples , je garde lamour des devoirs que j'y ai contractés. Permettez, sire, que vos bontés me suivent avec ma jreconnoissance , %t que j'aie toujours Thonneur d'être votre proté- gé 9 comme 3e serai toujours votre plus fidèle sujet.

A M. LE CHEVALIER VÈO^

Wootton, le Si'mars 1766.

J'étois ,* monsieur, à la veille de mon départ pour cette province , lorsque je reçus le paquet que vous m'avez adressé ; et^ ne l'ay^ant ouvert qu'ici^ je n'ai pu lire plus tôt la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Je n'ai xaêsaae €Qcorepu que parcourir rapidbment vos Jmémoi- res. ^i^iest assez pour confirmer l'opinion que j avonBs rares talents de Fauteur , mais non ]>as

ANNÉE 17^6. 49'

pour juger du fond de la querelle entre vous et de Guerehi. J avoue pourtant, monsieur, que, dans le principe , je crois voir le tort de votre côté;. et il ne me parolt pas juste que , comme ministre^ vous vouliez, en votre nom et à ses frais, faire la même dépense quil eût faite lui- même; mais, sur la lecture de vos mémoires, je trouve dans la suite de cette affaire àts torts beaucoup plus graves du côté de M. de Guer- ehi ; et la violence de ses poursuites n aura , je pense, aucun de ses propres amis pour approba- teur. Tout ce que prouve lavantàge qu'il a sur vous à cet égard, cest qu'il est le plus fort, et que vous êtes k. plus foible. Gela met contre lui tout le préjugé de l'injustice ; car le pouvoir et l'impunité rendent les forts audadeux ; le bon droit seul est l'arme des foibles; et cette arme leur, crève ordinairement dans les mains. J'ai éprouvé tout cela comme vous , monsieur ; et ma vie est un tissu de preuves en faits que la justice a toujours tort contre la puissance. Mon sort est tel que j'ai du l'attendre de ce principe. J'en suis accablé sans en être surpris; je sais que tel est l'ordre ^ pas moral , mais naturel des choses. Qu'un prêtre huguenot me fasse lapider par la canaiUe , qu'un ConseU ou quSm parlement -me déeréte., qu'un sénat m^outrage de gaieté de coQur,^ qu'il me chasse barbaremeat ^ au cœttr de rhiver, moi malade , sans ombre de plainte , de justice, ni de raison, j'en soufire sans doute; mais j6 ne m'en fâche pasphis que de voir dét9>

49^ CORRESPONDANCE.

cher un rocher sur ma tète , au moment 'que je passe au-dessous de lui. Monsieur, les vices des hommes sont en grande partie Fouvrage de leur situation; l'injustice marche avec le pouvoir. Nous, qui sommes victimes et persécutés^ si nous étions à la place de ceux qui nous poursui- vent, nous serions peut-être tyrans et persécu- teurs comme eux. Cette réflexion , si humiliante pour rhumanité , no te pas le poids des disgra*- ces , mais elle en ôte Findignation qui les rend accablantes. On supporte son sort avec plus de patience , quand on le sent attaché à notre. con- stitution.

Je ne puis qu applaudir , monsieur , à Tarticle qui termine votre lettre. Il est convenable que vous soyez aussi content de votre religiop queje le suis de la mienne , et que nous restions cha- cun dans la nôtre en sincérité de cœur. La votre €st fondée sur la soumission , et vous vous sou- mettez. La mienne est fondée sur la discussion, et je raisonne. Tout cela est fort bien pour gens qui ne vieulent être ni prosélytes, ni mission- naires, comme je pense que nous ne voulons Fétre, ni vous ni moi. Simon principe me paroit le plus yrai, le vôtre me paroît le plus cocn- mode; et un grand avantage que vou^ avez, est que votre clergé s y tient bien , au lieu que . le nôtre, composé de petits barbouillons, à qui Farrogance a tourné|la tête, ne sait nfce qu'il veut ni ce qull dit , et n ôte l'infaillibilité à le- glisè qu afin de Fusurper chacun pour soi. Mon--

ANNÉE 1766. 4gf3

sieur , j'ai éprouvé , comme vous , des f racasse^ ries d ambasstadeurs : que Dieu vous préserve de celles des prêtres ! Je finis par ce vœu salutaire , en vous saluant très humblement ^ monsieur, et de tout mon cœur.

A M. D'IVERNOIS?.

Wootton, le 3i mars 1766^

Je vous écrivis avant-hier^ mon ami, et je re- çus le même soir votre lettre du i5. Elle avoit été ouverte et recachetée. Elle me vint par mon- sieur Hume, très lié avec le fils de Tronchin le jongleur, et demeurant dans la même mai-^ son , très lié encore à Paris avec mes plus dan-^ géreux ennemis, et auquel, s'il n'est pas un fourbe, j aurai intérieurement bien des répa^ rations à faire. Je lui dois de la reconnois- sance pour tous les soins qu il a pris de moi dans un pays dont j'ignore la langue. Il s'occupe beaucQup de mes petits intérêt*, mais n^a ré- putation n'y gagne pas ; et je ne sais comment il arrive que les papiers publics ^ qui parloien t ' beaucoup de moi, et toujours avec honneur avant notre arrivée , depuis qu'il est à Londres , n'en parlent plus , ou n'en parlent que désavàn- tageusement. Toutes mes affaires , toutes mes lettres passent par ses mains ; celles que j'écris n'arriyent point; celles que je reçois ont été ou- vertes. Plusieurs autres faits me rendent tdtit suspect de sa part jusqu'à son zèle. Je ne puis

494 gorkespondaï^ce!.

voir encore quelles sont ses intentions, mais je ne puis m empêcher de les croire sinistres; et je . suis fort trompé si toutes nos lettres ne sont éventées par les jong^leurs qui tâcheront infailli^ blement d'en tirer parti contre nous. En atten- dant que je sache mieux sur quoi compter, voyez de cacheter plus soigneusement vos lettres, et je verrai de mon côté de m'ou vrir avec vos corres-* pondants une communication directe , sans pas- ser par ce dangereux entrepôt.

Puisqu'un associé vous étoit nécessaire , je crois que vous ave:e bien fait de choisir M. De-* lue. Il joint la probité avec les lumières et Tac-» tivité dans le travail : trouvant tout cela dans votre association, et Fy portant Yous-même, il y aura bien du mialbeur si vous n avez pas lieu tousdeus d'en être contents. J'y gagnerai beau-^ coup moi-omême si elle vous procure du loisir pour me venir voir. J'imagine que si vous pré^ veniez de ce 4e6seîn M* Dupeyrou , il ne «eroit pas impossible que vous fissiez le voyage en^ semble , en l'avançant ou retardant ^oû qu'il caiiviendr<^it à tous deux. J ai grand besoin d'é« pancher mon cœur, ^t consulter de vrais amis sur ma situation. Je croyois être à la fin mes malheurs, et ils ne font que de comineh* cer. Livré sans re^ource à de faux amis, j'ai ^rand besoin d'en trouver de vrais qui me con-i soient et qui me conseillent. Lorsque vous vou^ drez partir avertissez-m'en d'avance , et mandea> moi si vous passerez par Paris ; j'ai des commisr

ANNÉE 1766, 495

fions pour ce pays-là que des amis seuls peu- vent faire. ne ss^urois , quant à présent, vous envoyer de procuration, n ayant point ici aux environs de notaire , surtout qui parle françois , et ^tant bien éloigné de savoir assez d'anglois pour dire des choses aussi compliquées. Gomme lafitaire ne presse pas, elle s'arrangera entre nous lors de votre voyage. En attendant , veillez à vos affaires particulières et publiques. Songez bien plus aux intérêts de l'état qu'aux miens. Que votre constitution se rétablisse , s'il est pos- sîMe ; oubliez tout autre objet , pour ne songer qu'à celui-là; et du reste pourvoyez-vous de tout ce qui peut rendre votre voyage utile autant qu'il peut l'être à tous égards.

Vous m'obligerez de communiquer à M. Du- peyrou cette lettre , du moins le commence* ment. Je suis trè^ en peine pour établir de lui à moi une correspondance prompte et sûre. Je ne eonnois que vpus en qui je me fie, et qui soyez posté pour cela; mais un expédient aussi indis- cret ne se propose guère, et ne peut avoir que a nécessité pottr excuse. Au reste, nous som- mes sûrs les uns des autres; renonçons à de fré- quentes lettres que Téloignement expose à trop de frais et de risques ; n écrivons que quand la inécessité le requiert ; examinons bien le cachet avant de l'ouvrir, létat des lettres, leurs dates ^ les mains par elles passent. Si on les inter- cepte encore , il est impossible qu'avec ces pré-f cautions ces abus durent long-temps. Je ne se-

i

49^ Correspondance.

rois pas étonné que celle-ci fût encore ouverte et même supprimée, parceque la poste étant loin d'ici, il faut nécessairement un intermé-* diaire entre elle et moi; mais avec le temps je parviendrai à désorienter les curieux ; et , quant à présent, ils nen apprendront pas plus quils nen savent. Je vous embrasse de tout mon cœur.

A MILORD STRAFFORD,

Wootton, 3 aviril 1766.

Les témoignages de votre souvenir, milord^ et de vos bontés pour moi, me feront toujours autant de plaisir que d'honneur. J'ai regret de n avoir pu profiter à Chiswick de la dernière promenade que vous y avez faite. J'espère répa- rer bientôt cette perte en ce pays. Je voudrois être plus jeune et mieux portant, j'irois vous rendre quelquefois mes devoirs en Torkshire; mais quinze lieues sont beaucoup pour un pié- ton presque sexagénaire ; car dès que je.suis une fois en place , je ne voyage plus pour mon plai- sir autrement qu'à pied. Toutefois je ne re* nonce pas à cette entreprise , et vous pouvez vous attendre à voir quelque jour un pauvre garçon herboriste aller vous demander l'hospi- talité. Pour vous , mil^rd , qui avez des chevaux et des équipages , si vous faites quelque pèleri- nage équestre dans ce canton , et quelque sta- tion dans la maison que j'habite , outre l'hon- neur qu'en receyra le maître du logis ^ vous fe«

ANNÉE 1766. 497

re2 une œuvre pie en faveur d un exile de la terre ' ferme ^ prisonnier, mais bien volontaire , dans le pays de la liberté. Agréez , milord , je vous

supplie*, mes salutations et mon respect.

' * .. .' ' »

« A MILORD***.

* *

.Le 7 ayril 1766.

Ge n'est plus de mon chien qu'il sagit^iDdi- lord , e'eet de moi*mémel Vous verrez par la lettre ci*joint€; pourquoi' je souhaite qu'elle pa- roisse dans les papiers pubiicis , sur-tout dans le Saint James Ohroniçle, s'il est possible. Gela ne sera pi^ aisé ,. selon moli opinion , ceux cjui' m'entourent de leurs embûches ayant ôté* à- jîies vrais anïis et à moi-même- tout moyen de feire entendre la voix de vérité. Cependant il convient que le public apprenne qu'il y a des traîtres secrets qui , sous le maisque d'une amitié' perfide, travaillent sans relâcl^ à me désho- norer. Une fois averti , si le public veut entore être trompé, qu'il le soit ; je n'aurai plus rien à lui dire. J'ai cru , milord , qu'il ne seroit pas au- dessous de vous de m'accorder Votre assistance en cette occasion. A notre première entrevue, vous jugerez si je la mérite, et si j'en ai besoin. En attendant , ne dédaignez pas ma confiance; on ne m'a pas appris à la pl*èdiguèr ; 'lés trahie Sons que j'éprouve doivent li!ii' donner quelque piix.

I

»7'

50O CORRESt'ONDANGE.

affectant , pour Tatâour de lui, de vouloir mê' faire la charité plutôt (Ju'honnêteté , sans le moiîi- dre témoignage d'affection ni d estime^ et comiïae ptei^uadé qu'il n'y a que des services d'argent qui soient à l'usage d'un homme comme moi. Du- rant le voyage il m'avoit parlé du jongleur Tron- chin comtne d'un homme qui avok fait près de lui des avances traîtresses , et dont il étoit fondé à se défier : il se trouve cependant qu'il loge à Londres avec le fils dudit jongleur, vit avec, lui dans la plus grande intitaité , et vient de le pla^ oer auprès d^ Mi Mitchel , ministre à Bwlin , ce jeune homme va, sans doute, chargé d'in- structions qui me regardent. J'ai eu le malheur déloger deux jours <;hez M. Hume, dans cette xnème maison , venant de la campagne à Lon- dlres. Je ne puis vous exprimer à. quel point la haine et lellédain se sont manifestés contre moi dans les hètesses et les servantes , et de quel accueil infâme on y a régalé mademoiselle Le Yasseur. Enfin je suis presque assuré de recon- nottre, au tob haineux et méprisa;nt, tous les gens avec qui M. Hume vient d'avoir des confé- rences ; et je l'ai vu cent fois , même en xnapré-- sence, tenir- indii^ctement lès propos qui pou- Yoient le plus indisposer contre moi ceux à qui il parlôit. Deviner quel est son but c^est'ce qui ito'est difficile^ d'autant plu^ quêtant à sa' dis- crétion et dans un pays dont j'i^ore la langue, toutes nîes lettres ont passé jusqu'ici* par ses mi^ns, qu'il a toujours été très avide de les voir

" ANNÉE 1766. :-. Soi

et de Ms avoir; que d!e xeltes que j'ai écrite» , peu sont paryeaues; qiie presque toutes celles que j.ai reçues avpieut.ëié ottvejrtes ; et celles d j aurois pu tireir quelque, éclaireisaemeat , probablement suppring^^» Je lie dois, pas oublier deux petites remarques ; Tune, que le premier soir depuis notre départ de Paris , étakit couchés tous trqis dans la mème^^bamldrev j'Ien tendis au milieu de la nUit David Hume s'éorier plusieurs fois à pleine voix. Je tiens, /.]/. Aows^au; Qe quejenepus alor3 interpréter que £giyoraI^}e- ipent ;!cependant il y ay oit dans le. ton^je.ne sais quoi d. effrayant et de sinistre que }ie n'oublierai jamais. La seconde remarque vient d'une espèce 4^p^ncbçTQent que j ep& avfsç \pfi apr^s i^ne^uti^e o.cca^^on,de4^ttre,que|je ,v^^ .vous ,dir^.. lavois écrit le 3oi^( sur sa taille à madamqde Çb/çnon- .ceaux. M ç^oit, très inquiet de «^v.oir..ce :qiie> j'ç- crivois^ et ue pouvoit presi^e s abstq[iic|d y ^rjç. Je fériifejtna, ijettre san$4^^^if ipQO^rer : il IftflçH i^f^n^e avidemçm^ cysant^q\:|fl^^ demain jp^r la poste; Ufat^tfl^i/^îlajClOtnn^r; elle .rç§te sur sa taj)le., L|ord Newnbajn çirriye ; David sort un n^opieut, je ue sais pQurq;npi. Je re>- prends. ma lettre en disant qu|s j'afif:f4 1^ te^ps de reuypyer le lendemain LxnilQr4 N|Q)y^^ïam s'offre de l'ejavoyer par le paquet ^e Tapal^assa- deur de France; j acçeptq. David rentre j.^açjdis que lord.NeVnham fait son enveloppe, il. tire son^çaçhet;; David pffre le sien- avec tant d em- pressement qu il faut s'en servir. par préférence;

5oa ÇOnRESPONDANCÉ.

On sonne; lord Newnbam donne la lettre au domestique pottr fen'vtjyer Sur-le-champ chez l'ambassadeur. Je me dis en moi-même, Je suis ,shr que David va suivre le domestique. Il n^ manqua pas ^ et je pdrierois tout au monde que ma lettre n a pas été rendue , ou qu-elle avoit été /décachetée. -^

A ^oUper il fixôit alternativement sur made- moiselle Le Vassëur et sur moi des regards qui m'ieffVâyèreilt et qU^ùu honnête homme n*est guère assez mialheureux pour avoir i'eçus de la nature. Quand elle ftit montée pour s'aller c6u- - cher dans le chénfl-qtfôu" lui avoit destiné, nous restâtnéls quelque temps sans rien dire : il me fixa de nouveau dii même air : je voulus ^essayer de le fixer à mohioUr, il me fut impossible de soutenir son affreux regard. "Je sentis mod ame se troubler jj'étois dans une émotion horrible ; enfin le remords de mal juger dW si grand homhiesur des apparetices prévalut ; je me pré- cipitai dans' ses bras tout eh larmes, en m'é- ' oriarit : Non [ David ^Hume n'est pas Un traître , 'cela n'est pas possible ; et s'il n'étoit pas le meil- leur des hbmtnes , il fàudroit qu'il en Fut le plus noir. A cela mon hotnme , au lieu de ^'attendrir avec nibi, de seihettre en colère, au lieu Ttie demander des explications , reste tranquille , répond à inès transports par quelques caresses froîdès',' en me frappant de petits coups sur le dos , et s'écrîant plusieurs fois , Mon cher mon- sieur !' Qutu donc , mon cher monsieur ? J'avooé

ANlfÉË 1766» io^

que celte mai»ièrede reee^oir xnûti é]panchein«nt me frappa pkift: que tout le l-edte. parais le len^ demain pour cette province /où j*ai i^asëemblë de nouveaux faite, réfltéchl, c6inbMé,êt rôncki^ en attendant que je meb ré.

l'ai toute» mes fatuités dans uri boûl«vet««^ itoent qtii ne tue perniet pas de vous parler dW^ tte chose. Madame , Vous rebutez pas par mes Aiisèreis , et 5iaignefe m*aimer encore, quoique le fk^^ xbalhie^urchtix des Hommes. * J'aÏT^rie docteur Gatti en grande liaisom avec notre homme : et deux seules enti^evues m'ont appris certainement que, quoi que vous en puis- siez dire, le docteur Gaui ne m aime pas. Je dois vous avertir aussi que la boîte que vous m'avez envoyée par lui avoit été ouverte, et qu'on y avoit mis un autre cachet (ope le v6tre. il y a presque de quoi rire à penser combien mes cu^ fieux ont été punis.

'* . . . . »

i A MM. BEC«ET ET DB HONDT.

•')'-••" . »

Woottan, le 9 avril ijÇô.

J'étois sunpris , messieurs , de ne point voir paroitre la traduction et Timipression des lettces de M. Dupeyrou , que je vous ai remise et dont vous tne paroissiez si empressés : mais en lisakit dans les papiers publics une prétendue lettre du roi de Presse à moi adressée , j'ai d'fibord coin«* pris pourquoi celles de M, Dupeyrou ne parois soient point. A ta boni|e heure , mes^^urs , puis*-

5o4 GORRISPQIIDANCE.

qme le p^ubHç veut être trompé , qn-on Àe tromp?^ jy pnsd^s^ quâqt: à. moi: ibn peu diutérèt, et j'espère, qpe le^. poire»; .vupeurs quoa ei&tûte à Loiudre» ne tfô^blerq|tt pais ]A âéréoité de lair que je respire ici. M^isjl me paroit qu^^ ne fai« saut auquD.tisag^ 46 cet exemplaire, y ou& auriez du songer ànielç rendis avant que jq^yous ca fi^se souvenir- Aypïilfi^ hm$4 % soesf ienrs, je, voua prie, de faire remettre cet exemplaire à -moa adresse, cliezM. DaivenpHft, demeurant. près du lordEgrem.ont , en PiçcadiUy, Jq votas fai^ , mes^ sieura , mes très humbles salutations. ^

A M.F. BLJaOUSSEÂU:

f

y/ . ' t I t » f ' »

Wootton, le lo avril 1766.

Je me reprobherois , mon cher cousin , de taiy der plus long*temps à yxïnë remercier des visites et amitiés que vous m'avez faites pewlant mon séjour à Londres et au voisinage. Je n ai point oublié vos offres obligeantes^^ et je.iaen-prévau* drai dans l'occasion avec confiance, sûr de trou- ver^ toujours ek tous un bon parent, comme vous Je trouvères toujours ei^iliqi.^iJe^'t^aipas oubUé non plus .que: javois comptée ^rler.d^ vosvues à un çertain^hoi^me au sujet duk^o^gë dltalie. Sur la conduite extraordinaire et peu nette de cet hoxnme, il m est d'abord veiiu<le3 soupçôna, et ensuite des lumières ^uii nbont empêché de lui parleç, et qui , je^Orois , vouS' en empêcheront de même^quand vous «aurez q^<6

ANNÉE 1766. > 5o5

cet' homnoe , : à Tabri^ d'une amitié traîtresse , a fbriué ai^i deux ou trois . eomplices rbonnête |>r0Je|.de'dé9bonoi*er votre parent; quil est ea train dexécutiei^ ce projet, si on le laisse faire. Gfi qm me ft^pe le plus en cette occasion , c est la légèreté, et', jose dire, l'étourderie avec la- quelle Iqjs lÂngloiis , sur la foi ^de deux ou trois fourbes dont la conduite doublé dt traîtresse de- vrdit >leâ saisir d'borreur, ju^nt du caractère et des xnceufs d'iûi étrangler qu ils ne connoissent l^oint, et. quils savent être estimé, honoré et respecté daaâ les lieux 011 il a passé sa vie. Voilà ce singulier abrégé de mon histoire , l'on me donne entre autres pour fils d'tin musicien . cou- rant Londres comme une pièce authentiqué. Voilà /qu'on îniprîtrie effrontément dans leurs leuilles:qae M.* Hume a été moxi protecteur en Fran^, et que€<eat Irii qtti ma obtenu lepassé- «port avée lequel j'ai pasâéîd^nièifement à Paris. Voilà dette prétendue lettre roi de Prusse , imprimée dans. kurs. «feuillet 7<éi le&^voiiàveuxi, «te doutant) pas que cette 'lettre v-^l'^'^f'^^^euvre •de gaiimat^aft et: d'imperlinènce;, ii'ait: fc^éellè^

- I99eat éijé lécrlto par ce pciticei, > saiis que , paè ua j9e«d s'aiyiae. de. penser qu'il ser oit pourtant boR de^ rul'e'ntimidpe ei d^ savoir! ce que j'ai à dire à tout cela. Bn^ viérité v 4^ ^1 uautais jugés de la j^^titationne nftéritfintr|)^Sfqtt'ikii homme sensé mfmhite^ fert;ea>tpbixie de celle qu'il peut avoir

. ^pélteii :eiix : ainsi ^ les laisse dire ; en attendant 19U9 le momenu v^eabe de. les faire rougir. Quoi

5o6 COURESPON'DAKCË.

qu il en soit , s'il y a des lâches et déê traîtres dans oe pays , il y a aussi des gans d'bc^nnenr et d une probité sûre auxquels un honnête hèmme peut sans honte avoir obligatiolK Cest à eux que je veux parler de vous si Toç^asionsen pré^ sente, et vous pouvez compter que je ne la lais- serai pas échappen Adieu, mon <Âier cousin; portez - vous bien et soyet' t<yiijour6 |[ai. Pour moi , je n'ai pas trop de quoi Vêéte*; mais j'es^ père que les noires vap^rs de Londres ne trou^ bleront pas la sérénité de Tair que jp respilne ici Je vous embrasse de tout mon cœur.

À LORD**».

* I

Wootton, leigaviril 1766.

Je ne saurois, milord^ attendre votw^retour à Londres «pourirouS' faire les remerdements que je Vous dois. Vos bontés m'ont €onvain<m' que j'avois eu raison de compteriur votre générosité. Pocnr excuser rindiscrétion qui m'y à fait recdu^ rir, il suffit de jeter un coup d'œil sur ma situ»- •tion. Trompé par des traîtres qui^ ne pouvant me déshonorer dans l«s lieux j'atois ^eu , ^'oM «ntratné dans un pays oji je suisiiscott&u et <)onC j'ignore la4angue , afin d'y exècMer plus aisément Jeur abominabie projet^ji^^me trouve jeté â^tàé cette Ile après des malheurs isa«is exemple. Seul , sans appui , saps amis , sans défense , alxauidôni^ à la témérité des jugements publics > et aux effel» .qui en ^ontiaâuite ordiittâW) .sar«tout-chex cm

AWWÉIS 1766. 507

peuple qui naturellement n aime pas les étran*^ çers ; j'avois le plus grand besoin d un protecteur qui ne dédaignât pas ma confiance, et foa^ vois-je mieux le chercher que parmi cette illustre noblesse à laquelle je me plaisois à rendre hon* neur , avant de penser qu'un jour j'aurois besoin d'die pour m aider à défendre le mien ?

Vous me dites, milord, qu'après s'être un peu amusé votre public rend ordinairement justice ; mais c'est un amusement bien cruel , ce me sem- lÀe , que celui qu'on prend aux dépens des infor- tunée , et ce n'est pas assez de finir par rendre justice quand on commence par en manquer. J'apportois au sein de votre nation deux grands -droits qu'elle eut respecter davantage ; le droit sacré de l'hospitalité, et celui des égards i^ueTon doit aux malheureux : j'y apportais l'estime uni- verselle et le respect même de mes ennemis. Pour€|(uoi m'a-t-on dépouillé chez vous de tout cela ?" Qu'ai -je ftiit pour mfériter un traitement •si cruel? En quoi me suis^je mal conduit à Lon- dres , l'on me traitoit si favorablement avant qiie jY fusse arfîvé? Quoi ! mîlord , des diflama- tions seûrétes , qui ne devroient produire qu'une juste horreur pour les fourbes qui les répandent, -suffiroient pour détruire l'efifet de cinquante ans d'honneur et de mœurs honnêtes ! Non ; les pays je suis connu ne me jugeront point d'après votre publie mal ihst-ruît ; l'Europe entière con- tinuera de me rendre la justice qu'on me refuse en Angleterre; et FécIsAdUlt accueil que, malgré

5o8 CpRRE^PONDAIVGE.

le décret, .je yiem de. recevoir à Paris à mon.pa»*' jBagfe , prouve qu^ pat-tout où. mau conduite est connue elle m'attire VJaiQnneur qm m est du. Ce- pendant si lepublic fraaçois eut été aussi prompt à mal juger que le vôtre , il en eût ea le même «ujet. L^année dernière on fit courir à Genève un libelle (i) affreu): sûr ma conduite à Saris. Pour toute réponse , je fis imprimer ce libelle à Paris même. Il y fut veqix comme il :mériioit de Têlre, et il semble que tout ce que les deux sexes onit d'illustres et de vertueux dans :cetite capitale ait Vjoulu me venger par les plusigrandes^ marques d estime ,dcs outrages de mes vilsiem^iemis.

Vous dij^ez, milord^ quon me eonnptt à Paris jet qu'on ne me coUBott pas à Londres : voilà pré- cisément de quoi je^iQiC^p Wns^ 0a note point ^ ua hommç d'bpnneur, san^ teconAoUrç et sans Teiv .teiidre , lestime publique dppt iljjouit.. Si jamais je v^s en AAgletetre ^ussi long-temps que j!ai v;éc|i en France, il;£^qdra;))ien qu'Cpfin yotre public ine repde;sp0,estime; mais quel gré lai en<s94*- r^iî-j/e lorsque je, l'y aurai fbrqé ? .

Pardonnez; m|lord , cette Idogite lettre : me pardonneriez-vous mi^ux d'être indifférent àma réputation dan$ vouq, paysj h^ Anglois valent bien qu'on soit facM de les voir injustes ^ et qu'ur fin qu'ils cessent de l'être on leur fasse seatir combien ils le som. Milord , Us malbeureux sont malheureux par^tout.^ |^n Fran^^ie on les décrète,

. * 1

. (f) Sentiments des oitayieDs*

ANNÉE 1766. 5o9

*n Suisse on les lapide , en Angleterre on les dés- honore : c'est leur vendre cher Vhospitalité. ^

A M

Avril 1766.

J-apprends, monsieur, avec quelque surprise de quelle manière on me traite à Londres dans un public plus léger que je naurois cru. Il me semble qu*il vaudrpit beaucoup mieux rciFuser aux infortunés '• tout asile que de les accueillir pour les insulter ; et je vous avoue que Thospita- lité vendue au prix du déshonneur me paroit trop chère. Je trouve aussi que pour juger un homme qu'on ne connoît point il faudroit sen rapporter à ceux qui le connoissent ; et il me pa- roit bizaife queinportant de tous lés pays j'ai vécu restime et la considération des bonne* , tes gebs et du public , l'Angleterre , j'arrive ^ soit le seul l'oii me la refuse. C'est en ïnême temps' ce qui me console : l'accueil que je viens de recevoir à Paris, j'ai passé ma vîe, me' dédommage de tout ce qu'on dit à Londres. Gomnie le^ Anglqis, un peu légers à juger, ne sont pourtant pas injustes, si jamais je vis en; Angleterre aussi long-temps qu'en France, j'es- pèi:e à la fin n'y pas être moins estimé. Je sais que tout ce qui se passe à mon égard n'est point i^aturél, qu'une nation tout entière ne change pas immédiatement du blanc du noir sans cau- se, et que. cette cause secrète est d autant' plus dangereuse ^u'on s'en défie moins : c'est cela

5ia GORRESPONDAKCE.

même qui devroit ouvrir les yeux du public Bur ceux qui le mènent ; mais ils se cachent avec tropl d adresse pour qu il s avise de les chercher ils sont. Un jour il en saura davantage, et il rou- gira de sa légèreté. Pour vous , monsieur, vous avez trop de sens et vous êtes trop équitable pouc être compté parmi ces jugçs plus sévères que ju- dicieux. Vous m'avez honoré de votre estime , je ne mériterai jamais de la perdre ; et comme voua avez toute la mienne, j y joins 1^ confiance que vous méritez.

)' ' ' ' '■ '

^ MADAME DE LUZE.

Wootton^ le lo mai 1766.

SuiS'-je assez heureux , madame , pour que vo^s pensiez quelquefois a mes torts et pour qu^ vous me sachiez mauvais gré dun si long silence? J'^n serois trop puni si vous n y étie& pus sensible. Dans le tumulte d une vie ora-» geuse, qombien jai regretté les douces heures que je passois près de vous ! combien de fois les premiers moments du repos après lequel je sou-« pirois ont été consacrés d avance au plaisir de vous écrire ! J'ai maintenant celui de remplie cet engagement , et les agréments du lieu que j'habite m'invitent à m'y occuper de vous, ma- dame , et de monsieur Luze , qui m'en* a fait trouver beaucoup à y venir. Quoique je n'aie point directement de ses nouvelles , j'ai su qu'il étoit arrivé à Paris en bonne santé; et j espère

.: ANȃE 1766. 5ii

qiil'au momefit-où j'écris cette lettré, il est heu-- reusemem de retour près de vous. Quelque in-* térét que je prenae à ses Avantages^, je ne puis m empêcher de lui envier celui-là, et je vous jure , madanie , que cette paisible retraite perd pour moi beaucoup de son prix quand je songe, quelle est à trois cents lieues de vous. Je vou- drois VQUS la décrire avec tous sès^ charmes,' afin de vous tenter, je nose dire de m'y venir voir^ mais de la venir voir; et moi j'en profi- terois.

Figure2-vous , madame , une maison seule . non fort grande, mais fort propre, bâtie à mi* côte sur le penchant d'un vallon , dont la pente est assez interrompue pour laisser des prome* nadcs de plain pied sur la plus belle pelousç de l'univers. Au devant de la maison régne une grande terrasse , d'où l'œil suit dans une demi* circon£érei;ice quelques lieues d'un paysage for- mé de prairies, d'arbres, de fermes éparses , de maisons plus ornées , et bordée en forme de bas- sin par des coteaux élevés qui bornent agréable- ment la vue quand elle ne pourroit aller au-delà. > Au fond du vallon, qui sert à-la-fois de garenne et de pâturage, on entend muV'murer un ruis- seau qi|i , d'une xûontagtie voisine , vient couler parallèlement à la maison , et dont les petits dé->' tours , les cascades sont dans une telle direction que des fenêtres et de la* terrasse l'œil peut assez long-temps fifuiVi^e son cours. vallon est garni p^r places de rochers et d'arbreb Ton trouve

5 12 COBRESPONDANGE.

des réduits. délicieux, et qui ne laissent pas de seloigner assez de temps en temps du ruisseau pour offrir .sur ses bords des promenades corn-* modes , à labri des vents et même de la pluie ; ea sorte que par le plus vilain temps dn monde je vais tranquillement herboriser sous lés roches avec les moutons et les lapins ; mais hélas, ma- dame , je n y trouve point de scordium! A bout de la terrasse à g^auche sont les b&ti-' ments rustiques et le potager ; à droite sont desf bosquets et un jet-d eau. Derrière la maison est un pré entouré dune lisière de. bots , laquelle^ tournant au-delà du vallon , couronne le parc , si l'on peut donner ce nom à une enceinte à la- quelle on a laissé toutes les beautés de la nature. Ce pré mène, à traders, un petit village qui dé- pend de la maison , à une montagne qui en est à une den^i-4ieue , et dans laquelle sont diverses mines de plomb que Ton exploite. Ajoutez qu'aux environs on a tle choix des promenades, soit dans des prairies charmantes, soit dans les bois, soit dans dea jardins à Tangloise , moins pei- gnés , n^is de meilleur ^ût que ceux des Fran- çois.

La maison., quoique petite, est très logeable et bien distribuée. Il y a dans le itiihëu de la fa- çade un avantHCorps à rangloisê, par lequel la chambre du maitne de lai maison^ et la mienne, qui est au-dessus, ont une vue de trois côtés. Son appartement ts% composé de pkisi|eùl*s piè- ces sur le devant , ^et d'un grand saioi» inïr le dek^-i

ANNÉE 1766: Sl3

rière : le luien €»t distribué de même, excepté <}iie je n'occupe que deux chambres , entre les<r quelles et le salou est une espèce de vestibule ou d'antich^tfnbre fort singulière , éclairée pat «ine large lanterne de vitrage au milieu du toit.

Aveo cela , madame , je dois vous dire qu on fait ici bopne chère à la mode du pays , c est-à- dit« simple et saine , précisément comme il me la faut. Le paya est humide et froid; ainsi les léi- gumes ont peu de goût , le gibier aucun ; mais la viande y est excellente, le laitage abondant et bon, U maîtl^ de cette maison Ja trouve trop aanvage et s y tient peu. Il en a de plus riante qu'il lui préfère ^ et auxqu^les je la préfère , mot, par la même raispn. J y ëuis no% seulement le maître , mais mon maître , ce qui est bien plus* Point de grand village wix environs : la ville la plus voisine en e9t à deux lieue» ;^par <^onsé<- quent peu de voisins désoeuvrés. Sans le minis- tre, qui m'a pris dans une affection singulière, jeserois ici dix mois de lann^ absolument seuK

Que pensTea^vous de mon habitation , mada^ jmie? la tronvea-vous assez bien choisie, et ne eroyez-^ous pas que pour en préférer une aiitre il fisiiiie âtm ou bien*sage ou bien Ibu ? bien , madame, il s en prépare une peu Ibin de Bies, plus près du Tertre , que je regretterai sans cesse^ et .011, malgré Fetivie, mon cœur habitera tou- jours. .Je ne la regretterois pas moins quand celle-ci m* offriroit tous les autres biens possibles, excepté celui de vivre avec ses amis. Mais au reste,

17. 33

5l4 COBR£SPONDANGE«

après Vous avoir peint le beau côté , je ne yeux pas vous dissimuler qu il y en a dautres , et que, comme dans toutes les choses de la vie , les avan- tages y sont mêlés d'inconvénients. Ceux du cli- mat sont grands , il est tardif et froid ; le pays est beau , mais triste ; la nature y. est. engourdie et paresseuse; à peine avons-nous déjà des vio- lettes, les arbres nont encore aucunes feuilles ^ jamais on ny entend de rossignols^ tous les signes du printemps disparoissent devant moi. Mais ne gâtons pas le tableau vrai .que je viens de faire ; il est pris dans le point da vue je veux vous montrer ma- demeure, afin que vos idées s'y promènent avec plaisir. Ce nlest^quau* près de vous ,;piadame, que je pouvois trouver une société préférable à la solitude. Pour la for- mer d^ltns cette province il y faudroit transpor- ter votre fjEftnlUe entière, une partie.de Neucha- tel , et presque tout Yverdun. Encore après. cela, comme l'homme est insatiable, rae.faudroit-il VQS bois , vos monts, vos vignes , enfin tput.jus* qu'au lac et ses poissons. Bonjour, no^adame, mille tendres salutations à M. de Luze. Parlez quelquefois avec Inadame de Froment et mada- me de Sandoz de ce pauvre exilé. Pourvu qu'il ne. le soit jamais de vos cœurs, tout autre exil lui sera supportable.

ANNÉE 1766. 5l5

A MADAME DE GRÉQUI.

. . .

Bfei'1766.

Bien loin de vous oublier, madame , je fais uu ile mes plaisirs dans cette retraite de me rappeler les heureux temps de ma vie. Us ont été rares et courts^ mais leur souvenir les multiplie : cest le passé qui me rend le présent supportable, et j'ai trop besoin de voua pour vous oublier. Je ne vous écrirai pas pourtant , madame, et je renonce à tout commerce de lettres , hors les cas d absolue . nécessité. Il est temps de chercher le repos , et je sens que je n en puis avoir qu'en renonçant à toute correspondance hors du lieu que j'habite. Je prends donc mon parti trop tard, sans doute, mais assez tôt pour jouir des jours tranquilles qu on voudra bien me laisser. Adieu , madame. L'amitié dont vous m*avez honoré me sera tou- jours présente et chère; daig[nez aussi vous en «ouvrir quelquefois.

 M. DE M4LESHERBES.

Wootton, le 10 mai 1766.

Ce uest pas d'aujourd'hui, monsieur, que j'àime à vous . ouvrir mon cœur et que vous permettez, La confiance que vous m'avez inspirée m'a déjà fait sentir près de vous que l'affliction même a quelquefois ses douceurs ; mais ce prix de l'épanchemetit me devient bien plus sensible

33.

I i

5l6 GORRESPONPARGE.

depuis que mes maux, portés à leur comble, ne me laissent plus dans la vie d'autre espoir que des consolations , et depuis qua mon dernAr voyage à Paris j ai si bien achevé de vous con- noître. Oui , monsieur , ayouier un tort, le décla- rer , est un effort de justice assez rare ; mais s'ad- cuser au malheureux qu on a perdu , quoique innocemmeat , et nei'en aimer que davantage, est un acte de force qui n'appartenoit qu'à vous. Votre ame honore Thumanité, et la rétablit dans mon estime. Je savois qu il y avoit encore de fsh mitié parmi les hommes; mais sans vous j4giaK>^ rerois qu il y eût de la vertu.

Laissez *<moi donc vous décrire mon état «nt seconde |bis en ma vie. Que mon sort a ebailgé depuis mon séjour de Montmorency ! Vous ma- vez cru n^alheureux alo^s, et vous vous trom*^ piez ; si vqus me croyez heureux -maintenant , vous vous trompez davantage. Vous alleii éon*- noiire un-^nre de malheurs digne couronner tous les autres; et quen vérité je n'fiurors pas cru fait pour moi.

Je vivois etx Suisse en homme doux et paisible, fuyant le monde, ne me mêlant de rien, ne dis- putant jamais, ne parlant pas même de mes opi- nions. On m en chasse par des persécutions , sans sujet, saus motif, sans prétexte, les [4us vio* lentes 3 )es moins méritées quii soit posdibk^ «^'imaginer , et quon a la barbarie de me repro- cher encore , comme si je me les étois attirées p^r v9uûté. Languissant y malade*, aiBigé , jq mV

ANNÉE 1766. 5l7

cheminois à leatrée de Vjhiver vers Berlin. A Strasbourg je reçois de M. Hume les inVitaiions les phis tendres de me livrer à sa cokidulte , et de le suivre ^ Angleterre , il se charge de me procurer une retraite agréable et tranquille. J'avois eu d^a le projet de ni y retirer; milord-* maréchal me lavoit toujours conseillé; M. le duo d'Aumont afvoit , à la prière de madame de Vçr- delin , demandé et obtenu pour moi un passe** port. J en fais usage ; je par^ cœur plein du bon * David, je cours à Paris^me jeter entre ses bras« M. le prince de Conti m'honore d^ laccueil plus convenable à sa générosité qu a ma situation , et auquel je me prête par devoir , mais avec ré- pugnance, prévoyant combien mes ennemis, m'en feroient payer cher 1 éclat. . Ce fut un spectacle bien doux pour moi que Taugmentation sensible de bienveillance pour M. Hume , que cette bonne œuvre produisit dans tout Paris : il devoit en être touché comme moi ^ je doute quil le fût de la même manière. Quoi qu il en soit, vo^à de ces compliments à la fran- çoise, que jaime, et que les autres nations ne savent guère imiter.

Mais ce qui me fit une peine extrême fut de voir que M. le prince de Conti m'accaUpit en sa prései^ce de si grandes bontés , qu elles auroient pu passer pour railleuses si j eusse été moins à plaindre, ou que le prince eût été moins géné- reux : toutes les attentions étoient pour moi ; M. Hume étoit oublié en quelque sorte , ou in«*

5l8 CORRESPONDANCE.

vite à y concourir. Il étoit clair que cette préfé- rence d'humanité dont j'étois l'objet en liion- troit pour lui une beaucoup plus flatteuse : c*étoit lui dire : Man ami Hume , aidez-m^i à marquer de la commisération à cet infortuné. Mais son cœur jaloux fut trop bête pour sentir cette dis- tinction4à,

Nous partons. Il étoit si occupé de moi qu'il en parloit même durant son sonoimeil : vous sau- * rez ci-après ce qu'il dit à la première couchée. En débarquant à Douvres , transporté de tou- cher enfin cette terre de liberté , et d'y être amené par cet homme illustre , je lui sautai au cou , je l'embrassai étroitement sans rien dire , mais en couvrant son visage de baisers et de pleurs. Ce n'est pas la seule fois ni la plus remarquable il ait pu voir en moi les saisissements d'un cœur pénétré. Je ne sais pas trop ce qu'il fait de ces souvenirs, s'ils lui viennent, mais j'ai dans l'es- prit qu'il en doit quelquefois être importuné.

Nous sommes fêtés arrivant à Londres ; dans les deux chambres , àia cour même , on s'em- presse à me marquer de la bienveillance et de l'estime. M. Hume me présente de très bonne grâce à tout le monde; et il étoit naturel de lui attribuent comnoie je faisois, la meilleure partie ce bon accueil. L'afïluence me fait trouver le séjour de la ville incommode : aussitôt lés mai- sons jie campagne se présentent en foule: un m'en offre à choisir dans toutes les provinces. M. Hume se charge des propositions ; il me les

ANNÉE 1766. 5l^

feit , il me conduit même à deux ou troîs^çam- pagnes voisines ; j'hésite long-temps.sur le choix; je me détermine enfin pour cette province. Aus- sitôt M. Hume arrange tout, les embarras s'a- planissent ; je pars ; jlarrive dans une habitation commode, agré^le et solitaire : le maître pré* voit tout, rien ne me manque ; je suis tranquille, indépendant. Voilà le moment si désiré tous mes maux doivent finir : non , c'est qu ils com- mencent ,• plus cruels que. je ne les avois encore éprouvés*

Peut-être n ignorez-vous pas , monsieur , qu'a- vant mon arrivée- en Angleterre elle étoit un des pays de l'Europe oix j'a vois le plus de réputation , j'oseroîs presque dire, déconsidération; les pa- piers publics étoient pleins de mes éloges , et il n'y avoit qu'un cri d'indignation contre mes per- sécuteurs. Ce ton se soutient à mon arrivée; le» papiers l'annoncèrent en triomphe ; l'Angleterre s'horioroit d'être mon refuge, et elle en glorifiât avec justice ses lois et son gouverneraeat. Tout- à-coup , et sans aucune cause assignable , ce ton change , mais si fort et si vite que. dans tous le» caprices du public on n'en vit jamais un plus étonnant. Le signal fut donné dans un certain magasin, aussi plein d'inepties que de menson- ges , et l'auteur bien instruit me donnoit pour fils de musicien. Dès ce moment tout paft avec un accord d'insultçs et d'outrages qui tient du prodige ; des foules de livres et d'écrits m'atta- > quent personnellement , sans ménagement, sans

$20 GOBBfiBPOADAiNCE.

discrétion , et nulle feuille n oserait parottrd si elle neconteuoit quelque malhonnêteté contre moi. Trop accxiutnmé aux injures du publicpour m en afïecter encore , je ne laissois pas d être Bor^^ pris de ce chang^emént si brusque , de ce concert si parfaitement unanime , qu# p^ un de ceui» qui m avoient tant loué ne dit un seul mot pour ma défende. Je trouvois bizdrre que précisément après le retour de M. Hume , qui a tant dio-< fluence ici sur les gens de lettres et de si grancl^ liaisons avec .eux , sa présence eut produit un effet si contraire à celui que j en pouvois atten- dre , que pas un de i^ amia ne se fut montré le mien ; et Ion voyoit bien que les gens qui me traitoient si mal n étoient pas ennemis y puis-« qu en faisant sonner haut sa qualité de ministre , ils disoient que je n avois traversé la France que sous sa protection ; qu il m avoit obtenu ua passe* port de la cour de France ; et peu s en fallait qu'ils n'ajoutassent que j avois fait le voyage à ses frais^ Une aulre chose nietonnoit davantage. Tous m'a voient également caressé à mon arrivée; mais à mesure que notre séjour se proloi^eoit , je Toyois de la façon la plus sensible changer avec moi les manières de ses amis. Toujours , je la-* voue , ils ont pris les m:èmes soins en ma faveur; mais , loin de nie marquier la même estime, iU accompagnoient leurs services de lair déskii- gneux le plus choquant : on eût dit qu'ils oe cherchoient à m obliger que pour avoir droit de me marquer du mépris. Malheuireusement ûf^ #

A«NÉ15 1766. 521

s'étoient 6mparé6 de mqi. Que foire, livré à leur merci dans un pays dont je ne ravoia pas la lan- gue? Baisser la têt^ et ne pas voir les affronts. Si quelques Anglois ont continué à me marquer de lestime , ce sont uniquement ceux avec qui M. Hume na aucune liaison.

Les fls^gorneries m ont toujours été suspectes. U m en a fait des plus basses et de toutes les fa- çons ; mais je n ai jamais trouvé dans son lan- gage rien qui sentit la vraie amitié. On eut dit même <{u en voulant me faire des patrons il cherchoit à m'ôter leur bienveillance; il vouloit plutôt que j'en fusse assisté qu aimé ; et cent fois j ai été surpris du tour révoltant qu il donnoit à ma conduite près des gens qui pouvoient s en offenser. Un exemple éclaircira ceci. M. Pen- neck, du muséum, ami de milord* maréchal, et pasteur d'une paroisse Ton vouloit m éta- blir, vient me voir , M. Hume, moi présent, lui fait mes excusés de ne l'avoir pas prévenu. Le docteur Maty, lui dit-il , nous avoit imntés pour jehdi. au muséum , M. Rousseau déçoit vous voir,, mais il préféra d* aller avec madame Gar-* rick à la comédie : on ne peut pas faire tant de choses en un four.

On répand à Paris une fausse lettre du roi de Prusse, qui depuis a été traduite et iju primée ici. J apprends avec étonnement que c'est un M. Walpole , ami de M, Hume , qui fait courir cette lettre : je lui demande si cela est vrai , au lieu de me répondre , il me demande froidement

5aa CORHE^PONDANGE.

de qui je le tiens ; et queV]ues'jonrs après , il veut que je confié à ce même M. Walpole des papiers qui m mtéressent et que je cherche à faire venir en pureté. Je vois cette prétendue lettre du roi de Prusse , et j'y reconnois à Finstant le style de M. d'Alembert , autre ami de M. Hume , et mon ennemi d autant plus dangereux qu il a soin de cacher sa haine. J apprends que le fils du jon- gleur Tronchin , mon plus mortel ennemi , est non. seulement un ami de M. Hume, mais quil loge avec lui; et quand M. Hume voit que je sais cela , il m'en fait la confidence , m'assurant que le fils ne ressemble pas au pèie« J ai logé deux ou trois nuits avec ma gouvernante dans cette même maison , chez M. Hume; et à l'accueil que nous ont fait ses hôtesses, qui sont ses amies, j'ai jugé de la façon dont lui , ou cet homme qu'il dit ne pas ressembler à son père , leur avoit parlé d'elle et de moi.

Tous ce& faits combinés , et d'autres sembla- bles que j'observe, me donnent insensiblement une inquiétude que je repousse avec horreur. Cependant les lettres que j'écris n'arrivent pas; plusieurs de. celles que je reçois ont été ou- vertes, et toutes ont passé par les mains M. Hume : si quelqu'une lui échappe il ne peut cacher r#rdente avidité de la voir. Un soir je vois encore chez lui une manœuvre de lettre dont je suis frappé. Voici ce que c'est quecette manœuvre, car il peut importer de la détailler. Jevous l'aidit, monsieur; dans un fait je veux

ANNÉE 1766. 53 J

tout jdire. Après soupe, gardant tous deux le si* lence au coin de son feu , je m aperçois qu'il me regarde fixement, ce qui lui arrive souvent et d'une manière assez remarquable. Pour cette fois son regard ardent et prolongé devînt pres- que inquiétant. J essaie de fixer à mon tour ^ mais en arrêtant mes yeux sur les siens je sens un firémissement inexplicable, et je suis bientôt forcé de les baisser. La physionomie et le ton du bon David sont dun bon4)omme; mais ilfaut que pour me fixer dans nos tétes-à-tètes ce bon homme ait trouvé d'autres .yeux que les siens.

L'impression de ce regard me reste : mort trouble augmente jusqu au àaisissement. Bientôt un violent remords me gagne; je m'indigne de moi-même. Enfin, dans un transport, que je me rappelle encore avec délices, je me jette à son cou, je le serre étroitement, je l'inonde de mes larmes ; je m'écrie: Non^ non^ David Hume n^ est pas un traître; s'il ri était le meilleur des hommes j il faudrait qu il en fût le plus noir, David Hume me rend mes embrassements , et , tout en me frappant de petits coups sur le dos , me répète plusieurs fois d un ton tranquille : Quoi! mon cher monsieur! Eh! mon cher mon- sieur! Quoi donc! mon cher monsieur! Il ne me dit rien de plus; je sens que mon cœur se f es- serre ; notre explication finit là; nous allons nous coucher, et le lendemain je pars pour la province.

Je reviens maintenant à ce que j entendis à

5^4 coaRï:spoNDÂKCE.

Roye la première nuit qui suivit notre départ. Nous étions couchés dans la même chambre, et plusieurs fois au milieu de la nuit je l^nten- dis s écrier avec une véhémence extrême : Je tiens /. /• Housseau. Je pris ces mots dans un sens favorable qu assurément le ton n indiquoit pas; cest Un ton dont il m^est impossible de donner Fidée, et qui n a nul rapport à celui quil a pendant le jour, et qui correspond très bien aux regards dont j ai parlé. Chaque fois qu il dit ces mots , je sentis un tressaillement *d effroi dont je n etois pas le maître : mais il ne me fal- lut quun moment pour me remettre et rire de ma terreur; dès le lendemain , tout fut si parfai* tement oublié, que je ny ai pas, même pensé durant tout mon séjour à Londres et au voisi** nage. Je ne m en suis souvenu que depuis mon arrivée ici en repassant toutes les observations que j ai faites, et dont le nombre augmente de jour en jour; mais à présent je suis trop sûr de ne plus Toublier. Cet homme, que mon mau- vais destin semble avoir forgé tout exprès pour moi-, n est pas dans la sphère ordinaire de Thu* Hianité 9 et vous avez assurément plus que per- sonne le droit de trouver son caractère incroya* ble. Mon dessein n est pas aussi que vous le ju- gie#^ur mon rapport, mais seulement que vous jugiez de ma situation.

Seul dans un pays qui m est inconnu , parmi des peuples peu doux , dont je ne sais pas la langue, et quon excite à me haïr, sans appui >

ANNÉE 1766, 525

sans ami, sans moyen de parer lès atteintes qu'on me porte , je pourrois pour eela seu! sem* bler fodrt à plaindre. Je vous proteste cependant 4|ue ce n'est ùi aux désagréments que j'essuie , ni aux dangers que je peux courir que je suis sen- sibtt : j ai même si bien pris mon parti sur ma réputation , que je ne songe plus à la défendre ^ je Tabandonne sans peine , au moins durant ma vie 9 à mes infatigables ennemis. Mais de penser qu un homme avec qui je n'eus jamais aucun démêlé, un homme de mérite^ estimable par ses talents 9 estimé par son caractère, me tend les bras dans ma détresse, et m étouffe quand je m^ suis jeté; voilà, monsieur, une idée qui m'attirre. Voltaire , d'Alcmbert , Tronchin, n'ont jamais im instant affecté mon ame; mais quand je vivrois mille ans, je sens que jusqif à ipa der- nière heure jamais David Hume ne cessera de m'^éti^ présent. *

Gependan t j'endure mes maux avec assez de patience, et je me félicite sur-tout de ce que mon naturel n en est point aigri : cela me le» rend moins insupportables. J'ai repris mçs pro* monades solitaires , mais au lieu dy rêver j'hçr- borise; cest une distraction dont je sens le be- so^in : malheureusement elle ne m'est pas ici d'une grande ressource; nous avons peu de beaux: jours; j'ai de mauvais yeux, un mauvais micros* eope-; je suis trop ignorant pour herboriser sans livres, #t^,je n'en ai point encore ici : d'ailleurs mes nuits sont cruelles , mon corps souffre en-

526 CORRESPONDANCE.

core plus que mou cœur; la perte totale du som- meil me livre aux plus tristes idées ; Tair du pays joiut à tout cel^ sa sombre influence , et je com- mence à sentir fréquemment que j^i trop vécu» Le pis est que je crains la mort encore, non seur lement pour elle-même , non seulement pour n'avoir pas un de mes amis qui puisse adoucir mes dernières heures /mais sur-tout pour laban- don total je laisserois ici la compagne de mes misères, livrée à la barbarie, ou, qui pis est, à Tinsultante pitié de ceux dont les soins ne son( qu un raffinement de cruauté pour faire endurer Topprobre en silence. Je ne sais pas eh vérité quelles ressources la philosophie offre à ub homme dans mon état. Pour moi , je n ^ voi$ que deux qui soient à mon usage, Fespérance et la résignation.

Le plaisir, monsieur, que j'ai de vous écrire est si parfaitement indépeAlant de Tattente d une réponse , que je ne vous envoie pour cela aucune adresse , bien sûr que vous ne vous servirez pas de celle de M. Hume, avec qui j'ai rompu toute communication. Vos sentimepts me sont con- nus , il ne m'en faut pas davantage ; j'aurai l'é- quivalent de cent lettres dans l'assurance je suis que vous pensez à moi quelquefois avec in- térêt. Je prends le parti de supprimer désormais tout commerce de lettres, horslescas d absolue nécessité , de ne plus lire ni journaux ni nou-^ velles publiques , et de passer dans l'igadrance

ANNÉE 1766. - Sa-)

de ce qui se dit et, se fait dans le inonde les jours tranquilles qu on voudra me laisser.

Je fais, monsieur, les vœux les plus vrais et les plus tendres pour votre félicité.

AM. DELUZE.

WoottQD, le 16 mai 1766.

Quoique ma longue lettre à madame de Luze soit, monsieur, votre intention coiJEime^à la sienne, je ne puis m empêcher ||[kj oindre un mot pour vous remercier et des nBs que vous avez bien voulu prendre pour réparer la ban* queroute que j avois faite à Strasbourg sans en rien savoir et de votre obligeante lettre^u i oavril. J ai senti , à lextrême plaisir que ma fait sa lec- ture , combien je vous suis attaché et combien tous vos bons procédés pour moi ont jeté de res- sentiments dans mon ame. Comptez , monsieur, que je vous aimerai toute ma vie , et qu un des regrets qui nie suivent en Angleterre est d y v>- vre éloigné de vous. J'ai formé dans votre pays des attachements qui me le rendront toujours cher, et le de^ir de m'y revoir un jour, que vous voulez bien me témoigner, n est pas'moins dans mon cœur que dans le vôtre : mais comment espérer qu'il s'accomplisse? Si j'avois fait quel- que faute qui m'eût attiré la haine de vos corn*- patriotes , si je m'étois mal conduit en quelque chose , si j'avois quelque tort à me reprocher^ j'es*

SaS CORRESPONDANCE.

|>èrerotô en le réparant parvenir à le leur faire oublier et à obtenir leur bienveillance ; mais quai-je fait pour la perdre? en quoi me suis-je mal conduit ? à qui ai-je manqfié dans la moin- dre chose? à qui âi-je pu rendre service que je ne Taie pas fait? Et vous voyez comme ils m*ont traité. Mettez- vous à ma place , et dites-moi s il est possible de vivre parmi des gens qui veulent assommer un homme sans grief , sans motif, san^ plainte contre sa personne , et uniquement paroeqnll egMnalheureux. Je sens qu'il seroit à désirer pou^Ronneur de ces messieiirs que je retournasse finir mes jours au milieu d'ieux : je sens que je le desirerpi« moi-même ; mais je sens aussi qxie «e seroit une haute folie à laquelle la prudence ne me permet pas de songer. qui me reste k espérer en. tout ceci est de conserver les amis que j ai eu le bonheur dy faire , et d'être twijoiirs aimé d eux quoique absent. Si quelque chose pouvoit me dédommager de leur com- merce, ee seroit celui du galant homme dont j'habite la maison , et qui n'épargne rien pour m'en rendre le séjour agréable; tous les gentils- hommes des environs, tous les m uistres des pa*- roisses voisine^ ont la bonté me marquer des empressements qui me touchent en ce qulls me montnént la disposition générale du ]>ays : le peuple même , tnalgré mon équipage, erublie en ma ftiveur sa dureté ordinaire envers les étran- Ifers. Madame de Luze vous dira comment est;. !e pays; enfin j y trouverois de quoi n'en regretter

ANNÉE 1766. 529

aucun autre si î'étois plus près du soleil et de jnes amis. Bonjour, monsieur; je vous embrasse de tout mon cœur.

A M. LE GÉNÉRAL CONWAY.

Le 22 mai 1 766.

Monsieur,

Vivement touché des grâces dont il plaît à sa majesté de m'honorer , et de vos bontés qui me. les ont attirées, j'y trouve dès à présent ce bien précieux à mon cœur d'intéresser à mon sort le meilleur des roi^ et Tbomme le plus digne d être aimé de lui. Voilà, monsieur , un avantage que je ne mériterai point de perdre. Maisil faut voua parler avec la franchise qv^ vous aimez : après tant de malheurs je me croyois préparé à tous les événements possibles ; il m'en arrive pour- tant que je n avois pas prévus, et qu'il n'est pas même permis à un honnête homme de prévoir. Ils m'en affectent d'autant plus cruellement, et le trouble oii ils me jettent m'ôtant la liberté d'esprimnécessaire pour me bien conduire . tout ce que médit la raisoa,)ilapsuqétat aussi triste, est de suspendre ma résolution sur toute affaire importante , telle qu'çst pour moi celle dont.il s'agit. Loin de me refuser au^ bienfaits du roi par l'orgueil qu'on m'impute, je lemettroisà m'en glorifier ; et tout, ce que j'y vois de pénible ^t de ne poi^voir m'en honorer aux yeux du pu- yic comme aux miens propres. Mais lorsque je les recevrai je veu?t pou voir me livrer tout entier 17. 34

53o GOÀBE8PONDANCË.

aux sentiments qu'ils m'inspirent ^ et n'avoir le coeur plein que des bontés de sa majesté et des vôtres : je ne crains pas que cette façon de pen- ser les puisse altérer. Daignez donc, monsieur , me les conserver pour des temps plus heureux : vous cohnoltrez alors que je n'ai difFéré de m'en prévaloir que pour tâcher de m'en rendre plus digne. Agréez , monsieur, je vous supplicf , mes très

humbles salutations et mon respect.

A M. lyiVERNOIS.

Wootton, le ^i mai 1766.

Monsieur Lucadiu aura pu vous marquer, monsieur, combien j'étois en peine de vous ; et votre lettre du 28 avril m'a tiré d'tiniâ grande inquiétude. Je- suis dans la plus grande joie du projet que vous avez formé de me venir^ voir cette année ; je suis fâché seulement que ce soit trop tard pour jouir dès charmes du lieu que \ j'habite : il est délicieux dans cette sais Ai , mais en novembre il sera iriôté; il aura grand besoin que vous veniez en égayer l'habitant. Il faudra préveilir M. Dupeyrou de votre voyage au cas qu'il ait quelque chose à m'ebvoyfef. J'aurois souhaité que vous pussiez' Venir ensemble pour que le voyage fût plus agréable à tous les deux-, mais je trouverai mon compté à vouis voir Tun après l'autre ; je serai tout entier à chacun des deux , et j'aurai deux fois du plaisir.

AN«É8 Î766. ^3i

Si mes vœux pouvolent contribuer à rétablir parmi vous les lois et ]a liberté, je crois que vous iie douiez pas que Genève ne redevînt une répu- blique ; in^is , messieurs , puisque les tourments <jue Vôtre sort futur donne à mon cœur sont à put^ perte , permettez que je cherche à les adou- cir en pensant à vos affaires le moins qu'il est possible. Vous avez publié que je voulois écrire rhistôirê la médiation : je serois bien aisé sedletnetit d'en savoir Fhistoire ; mais mon iti- tentiou n'est assurément pas de l'écrire ; et, quand Je récriroTis , je me {jarderoîs de la publier. Ce- pendént , vous voulez îne rassembler les pièces fet mémoires qui regardent cette affaire , vous èente:fc qu il n'iest pas possible qu'ils me soient ja- mais indifférents ; mais gardez-les pour les appor- ter'avec votks^, et nem'fen envoyez pluspar la poste, car les ports en ce pays sont si exorbitants, que Vott*e paquet pi'écédentm'd coûté de Lôtidres ici 4 1. io s. de France. Au reste, je vous préviens , poxiT ïa dernière fois, que je ne veux pllis faire ^ouvétiir le public que j'existe ] et que de ma part 51 n'entendra plus parler de trioi durant ma vie. Je ^ik en repos, je veux tâcher d'y rester. Pat iitkè suite du désir me faire oublier , j'éôris le ïnoins die lettres qu'il rii'est possible; hors trois amis'^ énr vous comptant , j''aî rompu toute autre tortésponââncé , et , potfr quoi que ce puisses être, je n'en renouerai plus. Si voiis voulez que je con- tinué à vous écrîi^ , mxîtitrez plu« riies lettres et fae pàriiefz plus dfe mai personne , ce ti'est

34.

53^ . CORRESPONDANCE.

pour les commissions dont votre ^imi^ié me per^ met de vous. charger.

Je voudrois bien que votre associé ,qife je sa* lue, eût le temps den faire une avant yotre dé'- part. J'ai perdu presque tous mes niicroscppe^; et ceux qui me restent sont ternis et incommor des , en ce qu il me faudroit trois mains pouf m en servir : une pour tenir le microscope , une autre pour tenir plante en étçit à. son foyer, et la troisième pour ouvrir la fleur avec une pointe , et en tenir les parties soumises à Tinsr pection. N'y auroit-il point moyen d'avoir un microscope auquel on pût attacher rpl:get dans la situation qu'on voudroit , sans avoir, besoin de le tenir, afin d'avoir au moins une main libre et que l'objet ne vacillât pas tant? Les ouvriers de Londres sont si es^orbitamment chers ^ et je sqis si peu à portée de me faire entendf^e , q.ue crois qu'il y auroit à gagner de. toutes manji^es à faire faire mespj^tits instrun^en|s a Genève, sur*tout sous des yeux comme ceux^d^momsiisur Deluc : il faudroit plusieurs verres, au microsr cope, et tous extrêmement, polis. II. me ipanque aussi quelques livres de botianique,;, c^^^is ];lpus serons à temps d'en parler quand vous seifça^^nr votre départ, de même que de quelq\ie^ çpmEuisr- sions pour Paris, oii je supppse qu^r^9uS)p,^ssey rez , à moins que vous n'aimief& liriieux yp^s c;ni— barquer à Bordeaux. , ,^ ,, , . . . ,

Yoltairç a £Eiit imprimer et traduire ici par sea amis ime lettre à moi adressée, l'arrogance

ARNÉE 1766. 533

et la brutalité sont portées à leur comble, et i] s'applique , avec une noirceur infernale , àr m at- tirer la haine de la nation. Heureusement la sienne est si maladroite , il a trouvé le secret d'ôter si bien tout crédit à ce qu il petit dire, que cet écrit ne sert qu a augpaienter le mépris que Ion aici pour lui. La sotte hauteur que ce pauvre hohime affecte est un ridicule qui va toujours en augmentant. Il croit faire le prince, et ne fait en effet que le crocheteur. Il est si bête qu il ne fait qu apprendre à tout le monde combien il se tourmente de moi.

L'homme dont je vous ai parlé dans ma précé- dente lettre a placé O fils chez Thomme de B^ qui va près de C, Vous comprenez de quelles commissions ce petit barbouillon peut être char- gé; j'en ai prévenu Z>.

Vos offres au sujet de l'argent qui est chez madame Boy de La Tour sont assui:ément très obligeantes ; le mal que j'y vois est qu'elles ne sont pas acceptables : on ne place point au dix pour cent sur deux têtes. Sur celle de mademoi- selle-Le Vasseur passe, cela se peut accepter. A cette condition , je vous enverrai le billet pour retirer cet aident ; ou bien nous arrangerons ici cette affaire à votre voyage. Je vous embrasse de tout mon cœur..

/

534 COBfiEaPOÏ«0*NCE.

A M. DUPStROU. ,

31 juio i7€6.

«

J ai reçu , mon cher h6te, votre n^ 26 qui ma £9iit fifrand bien. Je me corrigerai damant plus diffioilement de Tinquiétude que votis me repro* chez , que vou« ne vous en corrigez pas trop bien vous*même quand mes lettres tardent à vous ar- river ; ainsi , médecin , guéris-toi toi-même; mais non, cher ami, cette tendre inquiétude, et la cause qui la produit , est une trop douce mala? die pour que ni vous ni moi nous en voulions guérir. Je prendrai toutefois les mesures que votis m indiquez pour ne pas me tourmenter mal-à-r-propos ; et /pour cammencer , j'inscris au* jourd'hui la date de cette lettre en commençant par n*^ i, afin de voir successivement une suite de numéro bien en ordre. Ma première ferveur d'arrangement est toujours une chose admirable; malheureusement* elle dure peu. ,

J auFois fort souhaité que vous n eussiez pas fait partir mes livres ; mais c est dne affairefaite: je sens que l'objet de toute la peine que vous avez prise pour cela n'étoit que de me fournir des amusements dans ma retraite; cependant vous vous êtes trompé. J'ai perdu tout goût pour la lecture, et hors des livres de botanique il m'est impossible de lire plus rien. Ainsi je prendrai le parti de faire rester tous ces livres à Londres , et de m en défaire comme je poi#rai , attendu que

ASNÉE I766, 535

. leur transport jusqu'ici me coûteroit beaucoup au-delà de leur valeur , que cette dépense me j^* roit fort onéreuse, que quapd ils seroient ici je ne saurois pas trop les mettre ni qu en fairei Je. suis charmé qu au moins vous n'ayez pas en* voyé les papiers.

Soyez moins en peine de mpn humeur, mon cher hôte , et ne le soyez ppint de ma situation. l^e séjour que j'habite est fort de mon goût ; le mattre de la maison est un très galant homme , pour qui trois se.maines de séjour qu'il a fait ici avec sa famille ont cimenté l'attachement que ses bons procédés m'avoient donné pour lui. Tout ce qui dépend de lui e^t employé pour me rendre le séjour de sa maison agréable. Il y a des inconvé- nients^ mais où. n'y en a^t-il pas ? Si j'avois à choisir de nouveau dans toute l'Angleterre je ne choisirois pas d'autre habitation que celle-ci : mnsi j'y. passerai très patiemment tout le temps qi^e j'y dois vitre; et si j'y dois mourir, le plus grand mal que j'y trouve est de moUrir loin de vous, et q^eThôte de mon cœur ne soit pas aussi celui de mes cendres, car je me souviendrai tou- joùins avec attendrissement de notfe premier pro- jet ; et les idées tristes mais douces qu'il me rap- pelle valent sûrement mieux que celles du bal de votre foJle amie. Mais je ne veux pas m'engager dans cçs sujets mélancoliques qui vous feroient mal augurer de monr^tat présent , quoique à toxt : et je vous dirai qu'il m'est venu cette semaine de la compagnie de Londres, •hommes et femmes,

!>36 GORRESPONDANOE.

qui tous, à mon accueil, à mon air, à ma ma- nière de vivre, ont jugé, contre ce qulls avaient pensé avant de me voir, que j etois heureux dans ma retraite ; et il est vrai que je n ai jamais vécu plus à mon aise, ni mieux suivi mon humeur du matin au soir. Il est certain que la fausse lettre du roi de Prusse et les premières clabauderie^ de Londres m'ont alarmé dans la crainte que cela n'influât sur mon repos dans cette province, et qu'on n'y voulût renouveler les scènes de Mo- tiers. Mais sitôt que j'ai été tranquillisé sur ce chapitre , et qu'étant une fois connu dans mon voisinage j'ai vu qu'il étoit impossible que les t^hoses y prissent ce tour-là, je me suis moqué de tout le reste, et si bien , que je suis le premier à rire de toutes leurs folies. Il n'y a quô la noir- ceur de celui qui sous n^ain fait ailer tout cela qui me trouble encore: cet homme a passé mes idées ; je n'en imaginois pas de faits comme lui. Mais parlons de nous. Il me madque de vous re« voir pour chasser tout souvenir cruel de mon ame. Vous savez ce qu'il me. faudroit de plus pour mourir heureux , et je suppose que vous avez reçu la lettre que je vous ai écrite par M. d'I- vernois : mais comme je regarde ce projet com- me une belle chimère , je ne me flatte pas de le voir réaliser. Laissons la direction de l'avenir à la Providence. En attendam j'herborise , je me promène ^ je médite le grana projet dont je suis occupé , je compte même, quand vous viendrez, pouvoir déjà vous remettre quelque chose; mats

A»»*» 1766. 537

la douce paresse nfie gagne chaque jour davan* tage , et j'ai bien la peiûe à me mettre a Tou^ vrage ;j'ai pourtant de rétoffe assurément et bien du désir de la mettre en œuvre. Mademoiselle Iie< Yasseur est très sensible à votre souvenir : elle n'a pas appris un seul mot d anglois ; j'en avois appris une trentaine à Londres , que j'ai tous ou- bliés ici , tant leur terrible baragouin est indé*^ chifFrable à mon oreille. Ce qu il y à plaisant est que pas une ame dans-la maison ne sait un mot de François : cependant sans s'entendre, on va et Ion vit. Bonjour.

A M. HtJMË.

Le a3 juii^ 1766.

Je croyois que mon silence, interprété par votre conscience , en disoit assez ; mais , puis- qu'il entré dans vos vues de ne pas l'entendre , je parlerai.

Je vous connois, monsieur, et vous ne l'igno- rez pas. Sans liaisons antérieures, sans querelles, sans démêlés, sans nous connoître autrement que par la réputation littéraire, vous vous em- pressez à m'offrir dans mes malheurs vos amis et vos soins ; touché de vQtre^énérosité, je me jette entre vos bras: vous m'amenez en Angleterre, en apparence pour m'y procurer un asile, et en effet pour m'y déshonorer: vous vous appliquez à cette noble oeuvre avec un zèle digne cle votre cœur, et 2it'ec un art digne de vos talents. Il n'en failoit pas tant pour réussir ; vous vivez dans le grand

X

538 GOKRESPOKBAIGE.

monde , et moi dans la retraite : le public aime à être trompé , et vous êtes fait pour le tromper. Je connois pourtant un homme que vous ne tromperez pas , c*est vous-même. Vous savez avec quelle horreur mon cœur repoussa le. premier soupçon de vos desseins. Je vous dis , en vous^ embrassant les yeux en larmes, que sr vous ne- tiez pa$ le meilleur des hommes , il faudroit que vous eh fussiez le plus noir. Ëq pensant à votre conduite sécrète , vous vous direz quelquefois que vous n êtes pas le meilleur des hommes ; et je doute qu avec cette idée vous en soyez jamais le plus heureux.

Je laisse un libre cours aux manœuvres de vos amis et aux vôtres , et je vous abandonne avec peu de regret ma réputation durant ma vie , bien sûr quun jour on nous rendra justice à tous deux. Quant aux bons offices en matière d mté-* rèt, avec lesquels vous vous masquez, je vous en remercie et vous en dispense. Je me dois de n avoir plus de commerce avec vous, et de n'ac- cepter, pas même à mon avantage, aucune af- faire dont vous soyez le médiateur. Adieu, mon* sieur : je vous souhaite le plus vrai bonheur ; mais , comme nous ne devons plus rien avoir à nous dire , voici la dernière lettre que vous rece- vrez de moi.

ANÏ«ÉE 1766. 53g

À M. D'IVERNOIS.

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^ Woptton, le 28 juin 1766.

Je voisiy monsieur, par votre IeUI^e du 9, qu'à cette date vtius 11 avies^ pas reçu ma précédente^ quoi<{u elle dût vous être arrivée , et que je vous I eusse adressée par vos correspondants ordinai* rès , comme je fais celle-ci. Letat critique de vos affaires me nsivre lame ; mais nia situation me force à me borner pour vous à des soupirs et des vœux inutiles. Je n aurai pas même la té- mérité de risquer des conseils sur votre conduite^ dont le mauvais succès me feroit gémir toute ma vie si les choses venoient à mal tourner, et je ne vois pds assez clair dans les secrètes intri- gues qui décideront de votre sort, pour juger des moyens les plus propres à vous servir. Le vif in- térêt même que je prends à vous vous nuiroit si je le laissois paroitre; et je suis si infortuné que mon malheur s étend à tout ce qui m'intéresse. J ai fait ce que j'ai pu, monsieur; j ai mal réussi; je réussirois plus mal encore : et, puisque je vous suis inutile , n'ayez pa3 la cruauté de m af- fliger sans cesse dans cette retraite , et , par hu- manité, respectez le repos dont j'ai si grand besoin.

Je sens que je n'en puis avoir tant que je con- serverai des relations avec le continent. Je n'en peçois pas une lettre qui ne cqçtienne des choses affligeantes ; et d'autres raisons , trop longues à

54o CORRESPONDANCE.

déduire , me forcent à rompre toute correspon- dance même avec mes amis, hors les cas de la plus grande nécessité. Je vous aime tendrement , et j'attends avec la plus vive impatience la visite que vous me promettez ; mais comptez peu sur mes lettres. Quand je vous aurai dit toutes les raisons du parti que jte prends, vous lés approu- verez vous-même ; elles ne sont pas nature à pouvoir être mises par écrit. S'il arrivoit que je ne vous écrivisse plus jusqu'à votre départ, je vous prie d'en prévenir dans le temps M. Dupey- rou , afin que , s'il a quelque chose à m'envoyer, il vous le remette; et, en passant à Paris, vous m'obligerez aussi d'y voir M. Guy , chez la veuve Duchesne , afin qu'il vous remette ùe qu'il a d'im- primé de mon Dictionnaire de Musique, et que j'en aie par vous des nouvelles, car je n'en ai plus depuis long-temps. Mon cher monsieur, je ne se- rai tranquille que quand je serai oublié : je vou- drois être mort dans la mémoire des hommes. Parlez de moi le moins que vous pourrez, même à nos amis ; n'en parlez plus du tout à **, vous avez vu comment, il me rend justice; je n'en at- tends plus que de la postérité parmi les hommes, et de Dieu qui voit mon cœur dans tous les temps. Je vous embrasse de tout mon cœur.

A M. GRANVILLE.

1766.

Quoique je sois fort incommodé, monsieur, depuis deux jours, je n'aurois assurément pas

: AKNÉE 1766. 54i

bijEirt^hjaadé ave0 ipa! santé , pour la faveur que vous vouliez me faire , et je me préparois à en profiter ce soir y mais voilà M. Davenport qui m arrive ; il a Thonnéteté de venir exprès pour me voir : vous, monsieur, qui êtes si plein d'hon- nêteté vous-même , vous n'approuveriez pas qu'au WQineiit.de son arrivée je commentasse pai: ni'élo^aer de luÂ.. Je.r^^grette beaucoup l'a*^ vantage> dont je ^uis privé ; mais du reste je ga- gnerai peviM^^. A ^^ P^s me. montrer. Si vous daigniez parler de moi à madame la duchesse de Portlfin4 siyeç la piême bonté dont vous m avez dx>nné tant de, marques, il vaudra; mieux pour jaxçà qu'elle me voie par vos yeux que, par les siens , et je^ me consolerai par le .bien.queUe pensera de moi de celui que j aurai perdu mojr même. . . .:•);.

Je dois une réponse à un charmant billet : mais l'espoir de la^ porter me fait différer à la faire. Recevez, monsieur, je vous supplie , mes très : humlJes . ^lut^tions.. . , , ^ , î - . . . ; i

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A M. GRANY^^I^E. , :

Puisque M. Granville m'^terdit .(^ liii rendre des, visites au milie^d^s ijieige^^iil permettra dft moins qi^e j'envoie savoir de^ s^s n<)Uvelles, é% comment il s'jçst^ tiré de. ses ^erribles chemin^^ 3 espère quç.la nçîge qui r,eçQypm.ejqi9eypoujçr|af^ tàrdier asçez spjçi d^pç^rtjpipu^jque jp, puisse) t^<?j|i* ver le moment d'aller lui souhaiter un Jb9n

S43 COBRE9PON0i;i»CE.

voyage. Mais», jque j aie <m ûotl te plaisir de le re^ voir avant qu'il patte ^ iûe$ phi^ tendres vœux laccooipagcieroat toujotiirb.

A M. GRAN VILLE.

Voici ) monsieur , un petit mdrceau d^ pois- son de montagne qm ne vaut p^è celui que vbué m'avez envoyé ; audsi je vous roflfire en hommage et non pas en Change, sathaïit bien que toutes vos bontés pour moi ne' peuvent s'acquitter qu'avec les sentiments que vods mi'àvez inspirés*. Je me faisoié nne fête d'aller vous prier de me prés^njter ^ madame vôtre sœur, mais le tehips me cpntrarie. ;Je' suis malheureux en beaucoup de dhe^ses, car je de puis palis dire en tout^ ayant un voisin tel que vous.

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Je suis fâché, monsieni',^ qtreie temps ni' ma santé ne me permettent pas d'aller vous rendre mes devoirs et vous faire hies remerciements aussitôt que ie le desirerois : mais en ce moment, ëxtrêmemeM^ îîiëbtiMibdë V'jé' ûé âerai de quel- tjùes jours' eik'éfesÉi'dfë'iRaiiié'ii^'mêin^ de t-ecevoir 8ës Vrsitëéï -Sôyèr'^ei-fexiad^i'tàôtiéfcuf , je vôtIS ^fié , qûè sîtlôt'iîilfe'riîtes'^îéaè ^t^A-fàm ih^ por- ^t- itft(lti%-^btfs;'fci& Vdltttoté ffiY cbhdtiifa. Je vHtt*fâis/'ifcaii3fëùr/,"riieS|Hï'èâ humbles saluw-

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. . ANSES 1766* . 543

JVL OHANYtLLB. . '' . -

^ Je Mis très sensible à vos honnêtetés, mon- sieur, et à vos cadeaux ; je le serois encore plus s'ils revenoîent moins souvent. J'irai le pins tôt que le temps me le permettra vous réitérer mes remeroiemeats .et mes reproches. Si je pouvois m'entretenir avec votre domestique je lui de- manderois des nouvelles de votre santé; mais j'ai Heu de présumer qu'elle continue d'être nieil- leure. Ainsi soit-il.

. . .. , ./' AU MÊME.

J'ai été ^ monsieur^ assez incommodé ces tro|ç jour^ , et je ne suis pas fort bien aujourd'hui. J'appreijids avec g^and plaisir que vous vous portez bien ; et si le plaisir donnoit la santé , ce- lui de votre bon souvenir me , procureroit cet avantage. Mill|e très humbles salutations. . .^

A MADEMOISELLE DEWES, , ,,^

aujourd'hui MADAWte P0,RT. ^{

f . . . U ^ . /...^ . . .• . ..«7^.

, -Ne soye» jpas eti peines de santé , ma belle voisine} elle »6€râ^tM;(j durs a^s^t et ttop boni»i tant que 'jé^ vonë^aurai ]^our mëd^id. J'aiurois pourtant ^adide fenvife d'être tnal^de pour enga- ger , pa^ ^baritév o^daiiie la comtesse efvousrà ne pk^ piÊLti»3i*6f€,^itf^^€^ïÉ^t9 ailer luad} ,s'A

544 CORHESPONDANGE.

fait beau, voir s'il d y a point de délai à esj^érer, et jouir au moins du plaisir de voir encore une fois rassemblée la bonne et aimable compagnie de Calwick , à laquelle j offre en attendant mille très humbles salutations et respects.

I

«

« RÉPONSES

AUX QUESTIONS FAITES PAB M. DE CHA17VEL.

. '766.

Jamais , ni en 1 759 ni en aucun autre temps , M. Marc Ghappuis ne m'a proposé^ de la part de M. de Voltaire , d'habiter une petite maison appelée l'Ermitage. En 1 755 , M. de Voltaire , me pressant de revenir dans ma patrie, m'invitoit d'aller boire du lait de ses vaches : je lui répon- dis. Sa lettre et la mienne furent publiques. Je ne me ressouviens pas d'avoir eu sa part au- cune autre invitation.

' Ce que j'écrivis à M. de Voltaire en 1760 n'étoit point une réponse. Ayant retrouvé par hasard le brouillon de cette lettre , je la trans- cris ici y permettant à M. de Ghauvel d'en faire l'usage qu'il lui plaira.

Je ne me souviens point exactement de ce que j'écrivis il y a vingt - trois ans à M. du Theîl ; inais il est vrai que j'ai été doip^tiqiie de M. de Montaigu , ambassfH^eur de France à Venise ,. et que j'ai mangé ëon piin comtes ses gentils- hommes étoient ses doicpestiques et.niangeoient paîo) avéa o^m ci4fi(erq>6« tiiie.j>v<û«par-

ANNÉE 1766. 545

tout le pas sur les gentilshommes , que j'allois au sénat, que j'assistoisaux oonfiérences , et que j'allois en visite chez les ambassadeurs et minis- tres {étrangers , ce qu'assurément les gentils- hommes de lambassadeur n'eussent osé faire. Mais bien qu'eux et moi fussions ses domesti- ques il ne s'ensuit point qué*nous fussions ses valets.

Il est vrai qu'ayant répondu sans insolence mais avec fermeté aux brutalités de l'ambassa- deur, dont le ton ressembloit assez à celui de M. de Voltaire , il me menaça d'appeler ses gens et de me faire jeter par les fenêtres. Mais ce que M. de Vo||aîre ne dit pas , et dont tout Venise rit beaucoup dans ce temps-là, c'est que, sur cette menace , je m'approchai de la porte de son. cabinet , nous étions , puis l'ayant fermée et mis la clef dans ma poche , je revins a M. de Montaigu , et lui dis : Non ptis^ s'il vousplatt^ M. l'ambassadeur ; les tiers sont incommodes dans les explications; trouvez bon que celle^ise passe entre nous. A l'instant Son Excellence de- 'Vint très'polie; nous nous séparâmes fort hon- nêtement ; et je sortis de sa maison . non pas honteusement, comme il plaît à. M. de Voltaire de me foire dire, mais en triomphe. J'allai loger chez rabbé'Patizel , chancelier du consulat. Le lendemain M. Le Bloi^ , consul de France , fne donna un dîner M. de Saint-Cyr et une partie de la nation framjoise se trouva. Toutes les bourses me &rent ouvertes , et j'y pris l'argent

17. ' 35

/

546 GORKESPONDANGE.

dont j avais besoin , n ayant pu être payé de mes appointements. Enfin je partis accompagné et fêté de tout le monde, tandis qtie Fambassadeur, seul et abandonné dans son palais, y rong[eoit son frein. M. Le Blond doit être maintenant à Paris , et peut attester tout cela : le chevalier de Carrion, alors mdlï confrère et mon ami, secré- taire de Fanxbassadeur d'Espagne , et depuis se- crétaire d ambassade à Paris , y est peut-être en- core, et peut attester la m^me chose; des foules de lettres et de témoins la peuvent attester: mais qu'importe à M. de Voltaire?

Je nai jamais rien écrit ni signé de pareil à la déclaration que M. de Voltaire dit que M. de MontmoUin a entre les mains signée de moi. On peut consulter là-dessus ma lettre du 8 août I ^65 ; adressée à M. D**.

Messieurs de Berne m ayant chassé de leurs états en 1766 à leutt-ée de Thiver, le peu d es- poir de trouver nulle part la tranquillité dont j'ayois si grand besoin , joint à ma foiblesse et au mauvais état de ma santé qui m'ôtoit le cou- rage d'entreprendre un long voyage <jans une saison si rude , m'engagea d'écrire à IVL le bailli de Nidau une lettre qui a couru Paris , qui a ar- raché des larmes à tous les honnêtes gens , et des plaisanteries au seul M. de Voltaire.'

M. de Voltaire ayant dit publiquement à huit citoyens de Genève qu'il étoit faux que j'eusse jamais été secrétaire d'un ambassadeur, et que je n'avois été» que son valet, un d'entre

ANNÉE 1766. 547

eux m'instruisit de ce discours ; et ; dans le pre<^ mier mouvement de mon indignation , j envoyai à M. de Voltaire un démenti conditionnel dont j'ai oublié les termes y mais qu il avoit assuré- ment bien mérité.

Je me souviens très bien d avoir une fois dit à quelqu'un que je me sentois le cœur ingrat, et . que je naimois point les bienfaits; mais ce ne- toit pas après les avoir reçus que je tenois ce discours^ cétoit au contraire pour men défen- dre; et cela , monsieur , est très différent. Celui qui veut me servir à sa mode et non pas à la mienne cherche l'ostentation du titre de bien- faiteur, et je vous avoue que rien au monde ne me touche moins que de pareils soins. A voir la multitude prodigieuse de mes bienfaiteurs on doit me croire dans une situation bien brillant#; j'ai pourtant beau regsu'der autour de moi , je n'y vois point les grands monumélits de tant de bienfaits. Le seul vrai bien dont je jouis est la liberté ; et ma liberté , grâce au ciel , ,est mon ouvrage, ti^uelqu'un s'ose-t-il vanter d'y avoir contribué? Vous seul , ô George Keith, pouvez le faire , et ce n'est pas vous qui m'accuserez d'in- gratitude. J'ajoute à*milord-maréchal,înQn ami Dupeyrou ; vpilà îbes vrais bienfaiteurs , je n'en connois point d'autres. Voulez^vous donc me lier par des bienfaits , faites qu'ils soient de mon choix , et non pas du vôtre , et soyez sûr que vous ne trouverez de la vie un coeur plus vrai- ment reconnoissant que le mien. Telle est ma

3â.

55o CORRESPONDANCE.

gletérre, il me promettoit 1 accueil le plus agréable , et plus de tranquillité que je n'y en ai trouvé. Je balançai entre Fancien aîni et le nou- veau , j eus tort ; je préférai ce dernier, j'eus plus grand tort; mais le désir de çonnoitre par moi- même une nation célèbre, donjt on me disoit tant de mal et tant de bien , l'emporta. Sur de ne pas perdre George Keith , j'étois flatté d'ac- quérir David Hume. Son mérite, ses rares ta- lents, l'honnêteté bien établie de son caractère me faisoient désirer de joindre son amitié à celle dont m'honoroit son illustre compatriote; et je faisois une sorte de gloire de montrer un bel exemple aux gens de lettres dans l'union sincère de deux* hommes doût les principes étaient si différents.

Avant l'invitation du roi de Prusse et de mi- lord^maréchal, incertain sur le lieu de ma re- traite, j'avois demandé et obtenu par mes amis un passe-port de la cour de France, dont je me servis pour aller à Paris joindre M. Hume. Il vit, et vit trop peu t-êt|p, l'accueil que je reçus d'un grand prince, et, j'ose dire, du public. Je me prêtai par devoir, mais avec répugnance , à cet éclat, jugeant combien l'envie *de mes ennemis en seroit irritée. Ce fut un spectacle bien doux pour moi que Taugmentation sensible de bien- veillance pour M, Hume, que la bonne œuvre qu'il alloit faire produisit dans tout Paris. Il de- voit en être touché comme moi; je ne sais s'il 1^ fut de la même manière.'

ANNÉE 1766. 55l

Noud partons avec un de mes amis qui pres- que uniquement pour moi faisoit le voyage d'Angleterre. En débarquant à Douvres , trans- porté de toucher enfin cette terre de liberté, et d y être amené par' cet homme illustre, je lui saute 9u cou, je lembrasse étroitenient sans rien dire , mais en couvrant son visage de bai- sers et de larmes qui parloient assez. Ce n est pas la seule fois ni la plus remarquable il ait pu voir en moi les saisissements d'un cœur pé- nétré. Je ne sais ce qu'il fait de ces souvenirs , s'ils lui viennent; j'ai dans l'esprit qu'il en doit quelquefois être importuné.

Novis sommes fêtés arrivant à Tiondres; on s'empresse dans tous les états à me marquer de la bienveillance et de l'estime. M. Hume me présente de bonne grâce à tout le monde : il éjtoit naturel de lui attribuer, comme je faisois, la meilleure partie de ce bon accueil : mon cœur étoit» plein de lui, j^en parlois à tout le monde, j'en écrivois à tous mes amis ; mon attachement pour lui prenoit chaque jour de nouvelles for- ces : le sien paroissoit pour moi des plus ten- dres, et il m'en a quelquefois donné des mar- ques dont je me suis $enti très Ibuché. Celle de faire faire mon portrait en grand ne fut pour- tant pas de ce nombre -, cette fantaisie me parut trop affichée , et j'y trouvai je ne sais quel air d'ostentation qui ne plut pas. C'est tout ce que j'aurois pu passer, à M. Hume , s'il efit été homme à jeter son argent par les fenêtres , et

553 CORRESPONDâNCE.

qu il eût ea dans une galerie tous les portraits ' de ses amis. Au reste, j avouerai sans peine quen cela je puis avoir tort,

Mais ce qui me parut un acte d amitié et de générosité des plus vrais et des plus estimables ^ des plus dignes en un mot de M. Hume, œ fut le soin qu'il prit de solliciter pour moi de lui-même une pension du roi , à laquelle je n avôis assuré- ment aucun droit d aspirer. Témoin du zèle qu'il mit à cette affaire , j en fus vivement pénétré : l*ien ne pouvoit plus me flatter qu un service de cette espèce , non pour l'intérêt assurément , car^ trop attaché peut-être à ce que je possède, je ne sais point désirer ce que je n'ai pas,. et ayant par mes amis et par mon travail du pain suffîsahi-^ ment pour vivre , je n'ambitionne rien de plusu mais l'honneur de recevoir des témoignages di^ bonté , je ne dirai pas d'un si grand monarque , mais d'un si bon père, d'un si bon mari , d'an si bon maître, d'un si bon ami , et sur-tout 'd'un si honnête homme, m'affectoit sensiblement; etquandjeconsidérois encore dans cette grâce, que ^e ministre qui Tavoit obtenue étoit la pro- bité vivante , cette pr<^ité si utile aux peuj^es ; et si rare dans^on état, je ne pouvpis que me glorifier d'avoir pour bienfaiteurs trois des hom** mes du monde que j'aurais le plus désirés pour amis* Aussi, loin de me refuser k la pension of- jerte , je ne mis pour l'accepter qu'une condi-k tion l|écessaire, savoir , %m consentement dont ,

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AîtNÉE 1766. ^ 553

êans manquer à mon devoir, je ne pourois me passer.

Honore des empressements de tout le monde, je tàchois d'y répondre convenablement. Cepen- dant ma mauvaise santé et Thabitude de vivre à la campagne me firent trouver le séjour de la ville incommode : aussitôt les maisons de cam- pagne se présentent foule ; on m'en offre à choisir dans toutes les provinces. M., Hume se charge des propositions, il me les fait, il me conduit même à deux ou trois campagnes voi- sines : j'hékite long-temps sur le choix ; il aug- mentott cette incertitude. Je me détermine en- fin pour cette province ; ^ d'abord M. Hume ar- range tout; les embarras s'aplanissent ; je pars; j'arrive dans cette habitation solitaire, commo- de , agréable : îe maître de la maison prévoit tout, pourvoit à tout; rien ne naanque; je suis tranquille, indépendant. V^oîlà le moment si dé- siré on tous mes maux doivent finir; non, c'est qu'ils commencent , plus cruels que je ne les àvois encore éprouvés.

Jaî parlé jusqu'ici d'abondance de cœur, et rendant avec le plus grand plaisir justice *aux bons offices de M. Hume. Que ce qui me reste à dire n'est-il même nature! Rien ne me coûtera jamais de ce qui pourra fhonorer. Il n'^est per- mis ^e marchander sur le priit des bienfaits que quand on nous accuse d'ingratitude ; et M. Hume m'en accuse aujourd'hui. J'oserai donc faire une

554 CORRESPONDANCE.

observation qu il rend nécessaire. En appréciant ses soins par la peine et le temps qu ils lui coù- toient , ils étoient d un prix inestimable , encore plus par sa bonne volonté : pour le bien réel qu'ils mont fait, ils ont plus d apparence que de poids. Je ne venois point commie un mendiant quêter du pain en Angleterre , j'y apportais le mien ; j'y venois absolument cbercher un asile, et il est ouvert à tout étranger. D'ailleurs je n'y étois point tellement ipconnu , qu'arrivant seul j'eusse* manqué d'aseistaq,ce et de services. Si quelques personnes m'ont recherché pour M; Hume , d'autres aussi m ont recherché pour moi ; et, par exemple, quand M. Davenport voulut bien m'offrir l'asile que j'habite , ce ne fut pas pour lui, qu'il ne connoissoit points et qu'il vit seulement pour le prier de faire et d'appuyer son obligeante proposition. Ainsi ^ quand Hume tâche aujourd'hui d'aliéner de moi cet honnête homme , il cherche à m'ôter ce qu'il ne m'a pas donné. Tout ce qui s'est fait de bien se seroit fait sans lui à-peu-près de même, et peut-être mieux; mais le mal ne se fût point fait. -, Car pourquoi ai-je des ennemis en Angleterre? pourquoi ces ennemis sont-ils précisément les amis de M. Hu- me? qui est-ce. qui a pu m'attirer leur inimitié ? Ce n'est pas moi, qui ne les. vis dema.vie, et qui neles connois pas; jenen aurdfc.aucun si j'y étois venu seul. , . . ,

, J ai parlé jusqu'ici de faits publics et notoires, qui , par leur nature et par ma reconnoissance,

ANNÉE 1766. *555

ont eu le plus grand éclat. Ceux qui me restent à dire sont, non seulement particuliers, mais se- crets, du moins dans leur cause, et l'on a pris toutes les mesures possibles pour qu'ils restassent cachés au public; mais, bien connus de la per- sonne intéressée, ils n'en opèrent pas moins sa propre conviction.

Peu de temps après notre arrivée à Londres^ j'y remarquai dans^les esprits, à mon égard, un changement sourd qui bientôt devint très sen- sible. Avant que je vinsse en Angleterre, elle étoit un des pays de l'Europe oti j'avois le plùs^de ré- putation , j'oiserois prasque dire de considération; les papiers publics étoient pleins de mes éloges, et il n'y avoit qu'un cri contre mes persécuteurs. Ce ton se soutint à mon arrivée ; les papiers l'an- honcèrent en tripmpbe ; l'Angleterre s'bonoroit d'être mon refuge, die en glorifioit avec justice ses lois et son gouvernement. Tout-à-coup , et sans aucune cause assignable, ce ton change, mais si fort et si vite que dans tous les caprices du public on n'en voit guère de plus étonnant. Le signal fut donné dans un certain magasin , aussi plein d'inepties que de mensonges , l'au- teur, bien instruit, ou feignant de l'être, me donnoit pour fils de musicien. Dès ce moment les imprimés ne parlèrent plus de moi que d'une manière équivoque ou malhonnêie : tout ce qui avoit trait à mes malheurs étoit déguisé , altéré, présenté sous un faux jour , et toujours le moins à tnon avantage qu'il étoit possible : loin de par-

556* CORBESPOîîDANCE.

1er de Taccueil que j avois reçu à Paris ^ çt qui n avoit fait que trop de bruit , on m sqppoçpit pas même que jeusse osé p^roitr^ d^ns c^it^ ville 9 et uu des ^mis de M. Hwm fut très surprii quaud je lui dis que j y ^yoi» passé.

Trop acçoutui»é à Ti^constauçe d^ publie pour m en affecter encore , je.ue laissoiiS pas dè^ ||re étonné de ce cbangçjDemt si brusque > de ce concert si singu^ièreroent unMÛine, que pas de ceuj^ qui mWvoient t^pt loué ab^éat ne pa-^ rut, mbi présent, se souvenir de mou ^sistea**- ce» Je trou vois bizarre que préeifiémdeiait après le retour de M. Huxne , q|ii a tant de lenédit i Londres , tant d'influence sur les gens de lettres et les Jibraires , et de si graudes liaisons avec eux, sa présence eût produit uu effet si contrçiire à ce^ lui qu on en pouyoit attendre y.que , p^rmi tant d écrivains de toute e^péçeii pas un de ses amis ne se n^ntràt 1^ iviien ; ^ Ton voyoit bîta que ceu4: qui parloient de moi n etoient pas ses en^ nemis, puisquen faisant sonner, sopi çarac^tère public 9 ils disoient que j'^voîs traversera Fiance sous sa protection , la faveur d'ua passe*port qu il m avoit obtenu de la cour; et jpeu s*<en faJioit qu ils ne^ssfsntentendreque j avois&iit le voyage à sa suite et à ses fr^is.

Ceci ne signifioit rien encore et n éioit quisiâin^r gulier ; xuais ce qui letoit davantage fut . quo le ton de ses amis ne cbaogea pas isnoios avec mm que celui du public : toujours Je me fois luaplai^ ^ir de le dire^ leurs soins, leurs bons offices ont

ANNÉE.I766. 557

été les mêmes , et très grands enr ma faveur ; mais^ loin de me marquer ]a même estime , celui sur- tout dont je yeux parler, et chez qui nous ëtion(| descendus à notre arrivée, accompagnoit tout cela de propos si durs , et quelquefois si cho- quants , qu on eût dît qu'il ne cherchoit à m*ohli- ger que pour avoir droit de me marquer du mé- pris. Son frère , d*abord très accueillant , très honnête , changea bientôt avec si peu de mesure qu'il ne daignoit pas même dans leur propre maison me dire un se&l mot , ni me rendre le àialuf , ni aticun des devoirs que Ton rend che2 soi aux étrangers. Rien cependant n'étoK sur- Venu de nouveau que l'arrivée de J. J. Rousseau et de David Hume ; et certainement la cause de tei changements ne vînt pas de mol, à moins que trop de simplicité , de discrétion , de mo- destie , ne sôit un moyen de mécontenter les Attgldis.

Pour M. Hume, loin de prendre avec moi un ton révoltant , il donnoît dans l'autre extrême. Lês flagorneries m'ont toujours été suspectes : il m'en a fait de toutes les façons (i), au point de me forcer, n'y pouvant tenir davantage , à lui en

dire mon sentiment. Sa conduite le dispeosoit

(t) J'dA dirai seulèmânt une qui mjfi fait rire; c'étoti A9 faire en sorte ^ quand je vtnois le Toir, que je trou- vasse toujours sur sa table un toibe de rHëloïse: comme si je ne connoissois pas assez le goût de M. Hume pour être assuré que, de tous les livres qui existent, THéloise doit être pour lui le plus ennuyeux?

558 CORRESPONDANCE.

fort de s étendre. en paroles ; cependant , puis* qu il en vouloit dire, j aurois voulu qu'à toutes ces louanges fades il eût substitué quelquefois la Toix d'un ami : mais je n'ai jamais trouvé dans son langage rien qui sentit la vraie amitié, pas même dans la façon dont A parloit de moi à d'autres en ma présence. On eût dit qu'en voulant me faire des patrons il cherchoit à m'ôter leur bienveillance; qu'il vouloit pjutôt qtie j'en fusse assisté qu'aimé ; et j'ai été quelquefois surpris du tour révoltant qu'il donitoit à ma conduite près des gens qui pouvoients'en offenser. Un exemple éclaircira ceci. M. Pennech du muséum /ami de milord-maréchal , et pasteur d'une paroisse l'on vouloit m'établir, vient nous voir. M. Hume, moi présent , lui fait mes excusés de ne l'avoir pas prévenu. Le docteur Maty, lui dit-il , nous avoit invités pour jeudi au muséum M. Rous- seau de voit vous voir; mais il préféra d'aller avec madame Garrick à la comédie : on ne peut pas faire tant de choses en un jour. Vous na'a- vouerez, monsieur, que c'étoit une étrange façon de me capter la bienveillance de M. Pen- nech.

Je ne sais ce qu'avoit pu dire en secret M. Hume à ses connoîssances ; mais rien n'étoit plus bizarre que leur façon d'en user avec moi , de son aveu, souvent même par son assistance. Quoique ma bourse ne fût pas vide , que je n'eusse besoin de celle de personne , et qu'il le sût très bien, Fou eût dit que je n'étois que pour vivre aux dé-

ANNÉE 1766* 559

peils du public , et qu'il n étoit question que de me faire Faumône , de manière à m en sauver |Ui jpeu J'enibarras. J/e-puis dire que cette affec- tation continuelle et choquante est unedes cho- ses qui m'ont fait prendre le plus en aversion le séjour de Londres. Ce nest sûrement pas sur ce pied qu'il faut présenter en Angleterre un hom- me à qui l'on veut attirer un peu de considéra- tion : mais cette charité peut être bénignement interprétée , et je consens qu'elle le soit. Avan- ' çons.

On répand à Paris une fausse lettre du roi de Prusse à moi adressée , et pleipe de la plus cruelle malignité. J'apprends avec surprise que c'est un M. Walpole , ami de M. Hume , qui ré- pand cette lettre ; je lui demande si cela est vrai; mai^, pour toute réponse , il me demande de qui* je le tiens. Un moment auparavant , il m'avoit donné une carte pour ce même M. Walpole, afin qu'il se chargeât de papiers qui m'importent , et que je veux faire venir de Paris en sûreté.

J'apprends que Je fils du jongleur Tronchin, mon plus mortel ennemi , est non seulement Fa- mi, le protégé de M. Hume, mais qu'ils logent en- semble ; et quand M. Hume voit que je sais cela, il m'en fait la confidence , m assurant qu^e fils ne ressemble pas au père. J'ai logé quelques nuits dans cette maison chez M. (C[ume avec ma gou- vernante ; et à Fair, à Façcueil dont nous ont ho- norés ses hôtesses , qui sont ses amies , j'ai jugé à' la façon dont lui , ou cet homme qu iF.dit ne pas

56o COaRESPORDAHCE.

ressemUer à son père, ont pa leur parler d'elle et de moi.

Ces £aiits combinés entre eux et dvec une^M** taine apparence générale me donnent insensîMe* ment une inquiétude que je repousse avec hor- reur. Cependant les lettres que j'écris n arrivent pas ; j'en reçois qui ont été ouvertes, et tontes ont passé par les mains de M. Hume. Si quelqu'une lui échappe, il ne peut cacher l'ardente avidité de la voir. Un soir , je vois encore chez lui une manœuvre de lettre dont je suis frappé (i). Après le souper, gardant tous deux le silence au coin de son feu , je m'aperçois qu'il me fixe , comme il lui arrivoit souvent , et d'une manière dont l'idée est difficile à rendre. Pour cette fois, son regard sec, ardent ^ moqueur et prolongé, ' devint plus qu'inquiétant. Pour m'en débarras* ser, j'essayai de le fixer à mon tour; mais en arrêtant tues yeux sur les siens , je sens un fré-

(i) U faut dire ce que c'est que cette manfleavre. J^écn- vois sur la table de M. Hume, en^son absence, une ré- ponse à une lettre que je venois de recevoir. U arrive, très curieux de savoir ce que j^écrivois , et ne pouvant presque s'abstenir d'y lire. Je ferme ma lettre sans la lui montrer; €t« éomme je la mettois dans ma poche, il la itematidjf avidement, disant qu'il l'enverra le lendemain, jour de poste. La lettre reste sur sa table. Lord Newnham arrive, M. Hume sort vÊà moment^ je reprends ma lettre, disant que j'aurai le temps de l'envoyer le lendemain. ,Lord Néwnham m'offre de l'envoyer par le paquet de *M. l'ambassadeàrde FVsnee; faiècepte. M.. Hume tentre tandis quelord Newnham ftiit son 9âWl<^p^$ U tire son

ANNÉE 1766. 56l

tnissement inexplicable , et bientôt je suis forcé de les baisser. La physionomie et le ton du boa David sont dun bon homme, mais où, grand Dieu ! ce bon homme emprunte-t-il les yeux dont il fixe ses amis ?

L'impression de ce regard me reste et m agite ; mon trouble augmente jusqu'au saisissement ; si 1 epanchement n eût succédé , j etoufFois. Bientôt un violent remords me gagne ; je m'indigne de moi-même ; enfin , dans un transport que je me rappelle encore avec délices, je m élance à son cou , je le serre étroitement ; suffoqué de san- glots , inondé de larmes , je m écrie d une voix entrecoupée : Non^ non , David Hume n'est pas un traître; s'il n'étoit le meilleur des hommes , // faudroit qu'il en fût le plus noir. David Hume me rend poliment mes embrassements , et , tout en me frappant de petits coups sur le dos , me répète plusieurs fois d'un ton tranquille : Quoi!

cachet: M. Hume offre le sien avec tant d^empressement, qu'il faut s'en servir par préférence. On sonne; lord Newnham donne la lettre au laquais de M. Hume pour la remettre au sieii,qui attend en bas avec son carrosse, afin qu'il la porte chez M. l'ambassadeur. A peine le laquais de M. Hume étoit hors de la porte, quQ je me dis, Je parie que le maître va le suivre : il n'y manqua pas. Ne sachant comment laisser seul milord Newnham , j'hésitai quelque temps avant que de suivre à mon tour M. Hume; je n'aperçus rien; mais il vit très bien que j'étois inquiet. Ainsi, quoique je n'aie reçu aucune réponse à ma lettre, je nie doute pas qu'elle ne soit parveQue; mais je doute un peu, je l'avoue, qu'elle n'ait été lue auparavant.

17. 36'

562 €ORREspo:ndange.

mon cher monsieur! Ehl mon cher monsieur! Quoi donc! mon cher monsieur! Il ne me dit rien de plus ; je sens que mon cœur se resserre ; nous allons nous coucher, et je pars le lende- main pour la province.

Arrivé dans cet agréable asile j etois venu chercher le repos si loin , je devois le trouver dans une maison solitaire , commode et riante , dont le maître , homme d esprit et de mérite , n'épargnoit rien de ce qui pouvoit m'en fîoûre aimer le séjour. Mais quel repos peut-on goûter dans la vie quand le cœur est agité? troublé de la plus cruelle incertitude , et ne sachant que penser d'un homme que je devois aimer , je cher- chai à me délivrer de ce doute funeste en ren- dant ma confiance à mon bienfaiteur ; car , pourquoi , par quel caprice inconcevable eût-il eu tant de zèle à l'extérieur pour mon bien-être, avec des projets secrets contre mon honneur? Dans les observations qui m'avoient inquiété, chaqtie fait. en lui-même étoit peu de chose, il n'y avoit que leur concours d'étonnant , et peut-être , instruit d autres faits que j'ignorois y M. Hume pouvoit -il dans un éclaircissement, me donner une solution satisfaisante. La seule chose inexplicable étoit qu'il se fu^ refusé à un éclaircissement que son honneur et son amitié pour moi rendoient également nécessaire. Je voyois qu'il y avoit quelque chose que je ne comprenois pas , et que je mourois d'envie d'en- tendre. Avant donc de me décider absolument

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1

"• ANNÉE 1766. 563

snr son cotripte, je voulus faire un dernier ef- fort et kri écrire pour ïe ramener , s'il se laissoit séduire à tries ennemis , ou pour le faire expli- quer de manière ou d'autre. Je lui écrivis une lettre (i), qu'il dut trouver fort naturelle s'il ëtoit coupable , mais fort extraordinaire s'il n9 l'étoit pas ; car quoi de plus extraordinaire qu'une lettre pleine à-la-fois de gratitude sur ses ser- vices et d'inquiétudes sur ses sentiments, et où, mettant pour ainsi dire ses actions d'un côté et ses intentions de l'autre , au lieu de parler des preuves d'amitié qu'il m'avoit données , je le prie de m'aimer à cause du bieiï qull m'avoit fait ? Je n ai pas pris mes précautions d'assez loin pour garder une copie de cette lettre ; mais , puisqu'il les a prises lui , qu il la montre ; et quiconque la lira , y voyant un homme tourmenté d'une peine secrète qu'il veut faire entendre et qu'il n'ose dire, sera curieux, je m'assure, de savoir quel éclaircissement cette lettre aura produit , sur- tout à suite de la scène précédente. Aucun , rien du tout : M. Hume se contente , en réponse, de me parler des soins obligeants que M. Daven- port se propose de prendre en ma faveur; reste , pas un seul mot sur le principal sujet de ma letti^e , ni sur l'état de mori cœur dont il de- voit si bien voir le tourment. Je fus frappé de ce silence , ericore plus que je ne l'àvois été de soa

(i) 11 paroit, par ce qu'il m'écrit en dernier lieu, qu'il est très content de cette lettre, et qu'il la trouve fort bien.

V

564 CORRESPONDANCE. .

flegnXf à notre dernier entretien. J a vois tort, ce silence étoit fort naturel après Tautre , et j au* rois m y attendre ; car quand on a osé dire en face à un homme : Je suis tenté de 'vous croire un traitre , et qu il n a pas la curiosité de de- mander sur quoi , Ton peut compter qu il n aura pareille curiosité de sa vie ; et , pour peu que les indices le chargent, cet homme est jugé.

Après la réception de sa lettre , qui tarda beau- coup, je pris enfin mon parti , et résolus de ne lui plus écrire. Tout me confirma bientôt dans la résolution de rompre avec lui tout commerce. Curieux au dernier point du détail de mes moin- dres affaires , il ne s etoit pas borné à s'en infor- mer do moi dans nos entretiens , mais j appris qu'après avoir commencé par faire avouer à ma gouvernante qu elle en étoit instruite , il n avoit pas laissé échapper avec elle un seul tête-à-tête sans linterroger jusquà limportunité sur mes occupations , sur mes ressources , sur mes amis, sur mes connoissances , sur leur nom , leur état, leur demeure ; et , avec une adresse Jésuitique , il avoit demandé séparément les mêmes choses à elle et à moi. On doit prendre intérêt aux affaires d'un ami; mais on doit se contenter de ce quil veut nous en dire , sur^tout quand il est aussi ouvert , aussi confiant que moi ; et tout ce petit cailletage de commerce convient, on ne peut pas plus mal , à un philosophe.

Dans le même temps, je reçois encore deux lettres qui ont été ouverte^; lune de M. Boswell,

ANNÉE 1766. 565

'dotit le cachet étoit en si mauvais état queM.Ca- vehport, en la recevant, le fit remarquer au la* quais de M. Hume; et Vautre de M. d'Ivernois , dafis un paquet de M. Hume, laquelle avoit été recâchetée au moyen d'un fer chaud qui , mal- adroitement appliqué , avoit brûlé le papier au- tour de Fempreinte. J'écrivis à M. Davenport pour le prier de garder par-devers lui toutes les lettres qui lui seroient remises pour moi , et de n en remettre aucune à personne , sous quelque prétexte que ce fût. J'ignore si M. Davenport , bien éloigné de penser que cette précaution pût regarder M. Hume, lui montra ma lettre ; mais je sais que tout disoit à celui-ci qu'il avoit perdu ma confiance , et qu'il n'en alloit pas moins son train sans s'embarrasser de la recouvrer.

Mais que deviqs-je lorsque je vis dans les pa- pier's publics la prétendue, lettre du roî de Prusse, que je n'a vois pas encore vue , cette fausse lettre imprimée en François et en augloîs , donnée pour vraie , même avec la signature du roi , et que j*y reconnus la plume de M. d^Alembert ^ aussi, sûre- ment que si je la lui avois yu écrire ^

A l'instant un trait de lumière vint m éclairer sur la cause secrète du changement étonnant et pronlpt du public anghois à man égard, et je vis à Paris le foyer du complot qui s^exécutoit à Londres.

IVI. d'Alembert, autre ami très intime de M. Hu- me, étoit depuis long-temps mon ennemi caché, et n'épioit que les occasions de me nuire sans se

566 GOBRESP0NDAI7CÉ.

commettra ; il étoit le seul des gens de lettre? d un certain nom et de mes ançienpes coiinoiS'' sances qui ne me fût point venii^ voir , pu qui ne m'eût rien fait dire à mon dernier pa^sageà Paris. Je connoissois ses dispositions secrètes , mais je m'en inquiétois peu, me content £|iit d'en avertir mes amis dans loccasion. Je me souviens qaun jour , questionné sur son compte par M. Hume , qui questionna de même ensuitç ma gouvernan- te, je lui dis que M. d'Alembert étoit un homme adroit et rusé. Il me contredit avec une chaleur dont je m'étonnai , ne sachant pas alors qu'ils étoient si bien ensemble , et que c éf oit sa propre cause qu'il défendoit.

La lecture de cette lettre ni'als^ri^ia beaucoup; et sentant que j'avois été attiré en Angleterre en vertu d'un projet qui commençoit à s'exécuter^ mais dont j'ignorois le but, je sentois le péril sans savoir il ppuvoit être ni de quqi j'avois à me garantir : je me rappelai alors quatre mots effrayants de M. Hunie, que je rapporterai ci- après. Que penser d'un écrit Ton me. fisiisoit un crime de mes misères , q^i tepdoit à n^'ôtçr la commisération de tout le mpnde d^ps me» malheurs, et qu'on donnoit sous le no^ du prince même qui m'avoit protégé , pour çn ren- dre l'effet plus cruçl ençpre? Qi;e devpis-je au- gurer de la suite d'un tel début ? peuple an- glois lit les papiers publics, e.t n'ç^t déjà pas trop favorable aux étrangers. Un vêtewçnt qui n'est

ANNÉE 1766. 567

pas le sien spffît pour le mettre de m^uvaiçe humeur; qu en doit attendre un pauvre étranger dans ses proiqpenades champêtres, le seul plaisir de la vie auquel il s'est horné? quand ou aura persuadé à ces bonnes gens que cet homme aime qu'on le lapide, ils seront fort tentés de lui en donner lamusemçnt. Mais mat douleur, madou- leur profonde et cruelle , la plus amère que j'aie jamais ressentie, ne veuoit pas du péril auquel j'étois exppsé ; j en avois trop bravé d'autres pour être fort ému de celui-là : la trahison d'un faux ami, dont j'étois la proie , étoit ce qui por- tqitdans mon cœur trop sensible l'acciablement , la tristesse et la mort. Pans l'impétuosité d'un premier mouvement, dont jamais je ne fus le maître , et que mes adroits ennemis savent faire naître pour s'en prévaloir , j'écris des lettres plei- nes de désordre , je ne déguise^ni mon trou- ble ni mon indignation.

Monsieur , j'ai tant de choses à dire qu'en che- min faisant j'en oublie la moitié. Par exewiple , une relation en forme de lettre sur mpû séjour à Montmorency fut portée p^r des libraires à M. Hume, qui me la montra. Je consentis qu'elle fût imprimée ; il se chargea d'y veiller : elle n'a jamais paru. J'avois apporté un exemplaire des lettres de M- Pupeyrou contenant la rejation des affaires de Neuchatel, qui me. regardent ; je les remis aux mêmes libraires à leur prière, pour/ les faire traduire et réimprimer ; M. Hume se

568 CORRESPONDANCE.

chargea d'y veiller : elles n'ont jamais paru (i). Dès que la fausse lettre 3u roi de Prusse et sa traduction parurent, je compris pourquoi les autres écrits restoient supprimés, et je l'écrivis aux libraires. J'écrivis d'autres lettres qui pro- bablement ont couru dans Londres ; enfin j'em- ployai le crédit d'un homme de mérite et de qualité pour faire mettre dans les papiers une déclaration de Timposture : dans cette déclara- tion , je laissois paroître toute ma douleur et je n'en déguisois pas la cause.

Jusqu'ici M. Hume a semblé marcher dans les ténèbres ; vous l'allez voir désormais dans la lu- mière et marcher à découvert. Il n'y a qu'à tou- jours aller droit avec les gens rusés, tôt ou tard ils se décèlent par leurs ruses mêmes.

Lorsque cette prétendue lettre du roi de Prusse fut publiée à Londres , M. Hume , qui certaine- ment savoit qu'elle étoit supposée , puisque je le lui avois dit , n'en dit rien , ne m'écrit rien , se tait , et ne songe pas même à faire , en faveur de son ami absent , aucune déclaration de la vérité. Il ne falloit, pour aller au but, que laisser dire et se tenir coi ; c'est ce qu'il fit.

M. Hume ayant été mon conducteur en Angle- terre, y étoit en quelque façon mon protec- teur, mon patron. S'il étoit naturel qu'il prît ma défense, il Fétoit pas moins qu'ayant uae

(i) Les libraires viennent de me marquer que cettQ édition est faite et prête à paroître. Cela peut être, maia c'est trop tard, et , qui pis est, trop à propos.

ANNÉE 1766. 56c>

protestation publique à faire, je m'adressasse à lui pour cela. Ayant déjà cessé de lui écrire, je n avois garde de recommencer. Je m'adresse à un autre. Premier soufflet sur joue de mon patron : il n'en sent rien.

En disant que la lettre étoit fabriquée à Paris , il m'importoit fort peu lequel on entendit de M. d'Alembert ou de son prête*nom, M. Wal- pole ; mais , en ajoutant que ce qui havroit et dé- chiroit mon cœur étoit que l'imposteur a voit des complices en Angleterre, je m'expliquois avec la plus grande clarté pour leur ami qui étoit à Londres , et qui vouloit passer pour le mien ; il n'y avoit certainement que lui seul en Angle- terre dont la haine pût déchirer el navrer mon cœur. Second soufflet sur la joue de mon patron : il n'en sent rien.

Au contraire , il feint malignement que mon affliction venôit seulement de la publication de cette lettre, afin de me faire passer pour un homme''vain, qu'une satire affecte beaucoup. Vain ou non, j'étois mortellement affligé ; il le savoit et ne m'écrivoit pas un mot. Ce tendre ami qui a tant à cœur que ma bourse sôît pleine se soucie assez peu que mon coeur soit déchiré. I

Un autre écrit paroît bientôt dans les mêmes feuilles de la même main que le premier, plus cruel encore , s'il étoit possible , et l'auteur ne peut déguiser sa rage sur l'accueil que j'avois reçu à Paris. Cet écrit ne m'affecta plus ; il ne m'ap- prenoit rien de nouveau; les libelles pouvoièpt

570 CORRESPONDANCE.

aller leur traia sans m émouvoir, et le volage public lui-même se lassoit d être long-temps oc- cupé du même sujet. Ce n est pas le compte des comploteurs qui , ayant ma réputation dlion- nête homme à détruire^ veulent de manière ou d'autre en venir à bout. Il fallut changer de bat- terie,

L affaire de la pension n etoit pas termiaée : il ne fut pas difficile à M. Hume d'obtenir de rhumanité du ministre et de la générosité du prince qu elle le fût : il fut chargé de me le mar- quer, il le fit. Ce moment fi|t, je 1 avoue, un des plus critiques de ma vie. Combien il m en coûta pour faire mon devoir ! Mes engagements précé- dents, Tobligation de correspondre avec respect aux bontés du roi, l'honneur d'être l'objet de ses attentions , de celles de son ministre , le désir de marquer combien j'y étois sensible , même l'avantage d'être un peu plus au large en appro- chant de la vieillesse accablé d'ennuis çt de maux, enfin l'embarras trouver une excuse honnête pour éluder un bienfait déjà presque accepté ; tout me rendoit difficile et cruelle la nécessité d'y renoncer , car il le falloit assuré- ment, ou me rendre le plus vil de tous les hom- mes en devenant volontairement l'objigé de celui dont j'étois trahi.

.Je fis mon devoir, non sans peine ^ j'écrivis directement à M. le général Conwai , et avec au- tant de respect et d'honnêteté qu'il me fut pos- sible, sans refus absolu; je me défendis pour le

ANNÉE 1766. 571

présent d'accepter. M. Hume avoit été le négo- ciateur de 1 affaire, le seul mèjne qui en eut parlé; non seulement je ne lui répondis «points quoique ce fut lui* qui naeut éprit, mais je ne dis pas un mot de lui dans ina lettre. Troisième soufflet sur la joue de mon patron ; et pour celui- là, s'il ne le sent pas, cest assurément sa faute : il n en sent rien.

Ma lettre netoit pas claire, et ne pQuvoit letre pour M. le général Gonwai, qui n^ savôit pas à quoi tenoit ce refus; mais ellp Tétoit fort pour M. Hume qui le savoit très bien : cependant il feint de prendre le change , tant sur le sujet de ma douleur, que sur celui de mon refus , et , dans un billet qu il m écrit, il me fait entendre qu on me ménagera la continuation des bontés du roi, si je me ravise sur la pension. En un mot il pré- tend à toute force , et quoi qu'il arrive , demeu- rer mon patron malgré moi. yQ\\^ j^^^ ^^^^ > monsieur, qu'il n'fittendoit pas c^e réponse, et il p'en eut point*

Dans ce même tçnips à-peu-près, car ae * sais pas les dates, et cette exactitt^d^ Ici n'est pas nécessaire , parut une lettre de M. de Voltaire k moi adressée, avec une traduction angloise qui renchérit encore sur l'original. Le noble objet de ce spirituel ouvrage est de m'attirerle ^népris et la haine de ceux chez qui je me sws réfugié. Je ne doutai point que mon ohfsr patroi> n'e\it été un des instruments de cette publication, sur-tout quand je vis qu'en tâchant d'aliéner de moi ceux

572 CORRESPONDANCE.

qui pouvoient en ce pays me rendre la vie agréa* ble , on avoît omis de nommer celui qui m y avoit conduit. On savoît sans doute que cetôit un soin superflu , et qu'à cet égard rien ne restoît à faire. Ce nom si maladroitement oublié dans cette lettre me rappela ce que dit Tacite du por^ trait de Brutus omis dans une pompe funèbre^ que chacun l'y distinguoit précisément parce- qull n'y étoit pas.

On ne nommoit donc pas M. Hume , mais il vit avec les gens qtfon nommoit; il a pour amis tous mes ennemis , on le sait : ailleurs Jes.Tron- chiù, ies d'Alembert, les Voltaire; mais il y a bien pis à Londres, c'est que je n'y ai pour ennemis que ses amis. Eh pourquoi y en aurois-je d'autres? pourquoi même y ai-je ceux-là? Qu'ai-je fait à lord-Littletonquejeneconnoismêmepas?Qu'ai- je fait à M. Walpoleque je ne connois pas davan- tage? Que savent-ils de moi, sinon que je suis malheureux et l'ami.de leur ami Hume? Que leur a-t-il donc dit, puisque ce n'est que par lui qu'ils me connoissent? Je crois bien qu'avec le rôle qu'il fait, il ne se démasque pas devant tout le monde; ce ne seroit plus être masqué. Je crois bien qu'il ne parle pas de moi à le général Gonwai nia M. le duc de Richemond comme il en parle dans ses entretiens secrets avec M. Walpole et dans sa correspondance secrète avec M. d'Alembert; mais qu'on découvre la trame qui s'ourdit à Londres depuis mon arrivée, et l'on verra si M. Hume n'ea tient pas les principaux fils. .

ANNÉE 1766. 573

. E^ifin le moment venu quon croit propre b frapper le grand coup, on en prép^fe leffet par un nouvel écrit satirique qu on fait mettre dans les papiers. S'il metoit resté jusqu'alors le moin* dre doute, comment auroit-il pu tenir devant cetécrit , puisqu'il contenoit des faits qui n etoîent connus que de M. Hume, chargés, il est vrai, pour les rendre odieux au public ?

On dit dans cet écrit que j ouvre ma porte aux grands, et que la ferme aux petits. Qu est-ce qui sait à qui j ai ouve|*touferméma porte, que M. Hume , avec qui ]ûi demeuré et par qui sont venus tous ceux que j ai vus? Il faut en excepter un grand que j ai reçu de bon cœur sans le con- noitre, et que j aurois reçu de bien meilleur cœur encore si je lavois connu. Ce fut M. Hume qui me dit son nom quand il fut parti. En l'appre- nant , j eus un vrai chagrin que , daignant monter au second étage, il ne fût pas entré au premier*

Quant aux petits , je n ai rien à dire. J aurois désiré voir moins de monde; mais, ne voulant déplaire à personne , je me laissois diriger par M. Hume , et j ai reçu de mon mieux tous ceux 4JU il ma présentés , sans distinction de petits ni :de grands.

On dit dans ce même écrit que je reçois mes parents froidement, pour ne rien dire de plus. Cette généralité consiste à avoir une fois reçu assez froidement le seul parent que j'aie hors, de Genève , et cela en présence de M. Hume. C'est nécessairement ou M, Hume ou ce parent qui 4

/

$74 CORRESPONDANCE.

fouroi cet article. Or «/Oioii eousiii ^ qtie j ai tou^ jours coiiA%pour bdd pateht et poili* hontiète homme, nest point capable de fournir à des sa-^ tires publiques contre moi; d'ailleurs ^ borné par son état à la société des gêna de commerce , il ne vit pas avec lés gens de lettres, ni avec ceux qui fournissent des ar tidaÉi dans les papiers , encore moins avec ceux qui s occupent à des satii*es : ainsi larticle ne vient pas de lui. Tout au plus puis-je penser que M. Humé auf*a tâché le luire jaser, ce qui n'est pad sibsolu.meàt difficile, et qu'il aura tourné ce qu il lui a dit ,- de la ma- nière la plus favorable à ses vues. Il é^ bon d'a- jouter qu'après ma ruptui^e avec M. Hume j'en avois écrit à ce cousin-là.

Enfin on dif dans ce même écrit que je suis «ujet à câiang^r d'amis. Il ne fi&ut pas être biea fin ponr comprendre à quoi cela prépare.

Distinguons. J'ai depuis vingt-cinq et trente ans des amis trèd solides. J'en ai de plus nou- veaux , mais non moins sûrs , que je garderai plus long-temps d je vis. Je n'ai pas en général trouvé la mêtne dureté chez ceux que j'ai faits parmi les gens de lettres : aussi j'en ai changé quelquefois, et j'en changerai tant qu'ils me se-^ ront suspects ; car je suis bien déterminé à ne garder jamais d'anils par bienséance: je n'en veux avoir que pour les aimer. '

Si j'amais j'eus uùe convictioh intime et cer- taine , je lai que M. Hume afoumi lesf matériaux de cet écrit. Bien plus , non seulement j'ai cette

\

4

ANNÉE 1766. 575

certitude, mais il m'est clair qu il a voulu que je 1 eusse; car comment supposer un homme aussi fin , asses mâlddroit pour se découvrir à ce point , voulatnt se cacher.

Quel étoit son but? Rie^ U'est plus clair en* core; c'étoit de porter mon indignation à son dernier terme , pour amener avec plus d'éclat le coup qu'il me préparoit. 11 sait que, pour me faire faire bien des sottises, il suffit de me mettre en colère. Nous sommes au moment critique qui montrera s il a bien ou mal raisonné.

Il faut se po^sséder autaint que fait M. Hume, îl faut atôir son flegme et toute sa forcé d esprit pour prendre le parti qu'il prit, après tout ce qui s'étoit passé. Dans l'embarras j'étois, écri- vait à M', le général Gtoîjwai, je rie pus remplir ma lettif'e que de phrases obscures dont M. Hume fit , cdmm« mon ami , l'interprétation qui lui plut. Supposons donc ,^ quoiqu'il sût très bien le contraire, qUe cétoit la clause du secret qui nie faisoit de la peine , il obtient de M. le général qu'il voudroit bien s'employer pour la foire lever. Alors cet homme 'stoïque et vraiment insensible m'écrit la lettre la plus amicale, îl me mar- que qu'il s'est employé pour faire lever la clause , mais qu'avàM toute chose il faut savoir si je Veux accepter sans cette condition , pour ne pas exposer sa majesté à vm second refus.

Cétoit ici le àioiïrent décisif, la fin , l'objet de tous ses travaux ; il lui falloit une réponse, il la voUloitvPour que je ne pusse me dispenser delà

576 CORKESPONDANCE.

faire 9 il envoie à M. Daveoport un duplicata de sa lettre , et, non content de cette précaution , il m écrit dans un autre billet qu'il ne sauroit res* ter plus long-temps à Londres pour mon service. La tête me tourna presque en lisant ce billet. De mes jours je n ai rien trouvé de plus incon- cevable.

Il la donc enfin cette réponse tant désirée, et se presse déjà den triompher. Déjà, écrivait à M. Davenport, il me traite d'homme féroce et de monstre d'ingratitude : mais il lui faut plus ; ses mesures sont bien prises, à ce qu il. pensé; nulle preuve contre lui ne peut échapper. U yeut une explication; il l'aura, et la voici. . Rien ne la conclut mieux que le dernier trait qui l'amène. Seul, il prouve tout et sans'répliquê.

Je veux supposer, par impossible, quil n'eàt rien revenu à M. Hume de mes plaintes contre lui: il n'en sait rien, il les ignore aussi parfaite- ment que s'il n'eût été faufilé avec personne qui en fut instruit , aussi parfaitement que si durant ce temps il eût vécu à ]a Chine : mais ma con*- duite immédiate entre lui et moi, les derniers mots si frappants que je lui dis à Londres , ia lettre qui suivit pleine d'inquiétude et de crainte, mon silence obstiné plus énergique que des pa-, rôles , ma plainte amère et publique au sujet de la lettre de M. d'Alembert, ma lettre au ministre , qui ne m'a point écrit , en réponse à celle qu'il m'écrit lui-même, et dans laquelle je ne dis pas. un mot de lui, enfin mon refus , sans daigner

. ANNÉE 1766. 5-77

m*adre8ser à lui, d'acquiescer à unfe affaire qu il a traitée en ma faveur, moi le sachant, et sans opposition de ma part; tout cela parle seul du ton le plus fort, je ne dis pas à tout homme qui auroit quelque seûtimient dans lame , mais à tout homme qui n est pas hébété*

Quoi! après* que jai rompu tout commercé avec lui depuis près de trois mois, après que je nai répondu à pas une de ses lettrés, quelque important quen fût lesujet, environné des mar- ques publiques et particulières de Fafïliction que son infidélité me cause, cet homme éclaii^, ce beau génie, naturellement si clairvoyant, et vo-^ iontairement si stupide, ne Voit rien, n'entend rien , ne sent rien , n est ému de rien , et sans un seul mot de plainte, de justification , dexplica^ tion , il continue à sQ donner, malgré moi , pour Inoi les soins les plus grands , les plus empressés ; il m eérit affectueusement qu'il ne peut rester à Londres plus long- temps pour mon service; comme si nous étions d'accord qu'il y restera pour cela! Cet aveuglement , cette impassibilité^ cette obstination , ne sont pas dans la nature; il faut expliquer cela par d'autres motifs. Mettons cette conduite dans un plus grand jour, car c'est

un point décisif.

Dans cette affaire , il faut nécessairement que M. Hume soit le plus grand ou le dernier des hommes; il n'y a pas de milieu. Reste à voir le- quel c'est des deux*

Mîilgré tant de marques de dédain de ma part , 17. 37

578 GORBESPONDANGE.

M. Hume avoit-iLrétonnaDte géûérosilé de Vou- loir me servir çiacèrement ? il sixvolt quil m'iét^it impossible d accepter ses boj^s pffîces , tant que jaurois <jl^ lui les sentimeuts que j^vois coc^^s; il avoit éludé lei^plication luirO)èi;oe. AUm ipe servant sans se justifier, il reiidoit ses fioip^ inu- tiles : il n etoit dpnc pas géjaéreiix.

S'il supppspit quen cet état .jaGcept-erois ses soins , il supposoit doue qii,e j'étois up inlapae. G etoit dope pour un homme quil jugeipH être un in&ipe quil soUicitoit aveic tapt d ardeur une pension du roi. Peut-on rien pepser de plus .e;^- travagant ?

Mais que M. Hume , suivant toujours son plan, se soit dit à lui-qiên^e, Voici le, moment de lexécution ; car , pressant Rou^sef^u id'i^ccep- ter la pension, il &udrj^ quil r^^p);^ X]|U qjut'i} la refuse. S'il 1 accjeptfs , ^y^c les pi^pyes qu,e j ai en maip, je le déshqnorie copipl|&f^ip,ept; 9'iLl^ refuse après lavoir acceptée, on a jievé topt pf^ texte , il faudra qu il dise pourqilpi ; c'^t que je Fattepds : s'il m accuse il esjt p^r^o.

Si, dM*je , M, Hume a rai^nné ^is^i vil ^. 64^ une chose fort cQn9équente à son plan , et pair* nxême ici fart paturelle; et il ny. a que. cette unique façon d expliquer sa conduire dan^ cette affaire, car elle est inexplicable dap# toute autre supposition : si ceci n est pas démontré jamais rien ue le sera;

L état critique oii il ma réduit me rappelle bien fortement les quatre mots doP)t j ai parlé

ANNÉE 1766. 579

ci-devant et que je lui entendis dire et répéter dans un temps je n'en pénétrois guère 1^ force. Cétoit la première nuit qui suivit noti*ç départ de Paris. Nous étions couchés dans 1a même chambre , et plusieurs fois dans la nuit je len tends s écrier en françois avec une véhé-* menée extrême: Je tiem J. J. Rousseaul Tignore s'il veilloit ou s il dormoit ; lexpression est rer marquable dans la bouche d'un homine qui se^it trop bien le françois pour se tromper sur la force et le choix des termes. Cependant je pris,. et j^ ne pouvois manquer alors de prendre ces mots dans un se^^ fwprable , quoique le ton Tindir quàt encore mpms que Texpression ; c est un ton dont il m'est impossible de donner lidée, et qui correspond très bien aux regards dont j ai parlé. Chaque fois qu il dît ces mots je sentis un tressail- lement d'effroi, dont je n'étois pas le maître; mais il ^e me fsMxxt qu'un moment pour me remettre et rire de ma terreur : dès le lendemain tout fut

si parfaitement oublié , que je n'y ai pas même p^n^ durant tout mon séjour à Londres et au voisinage. Je ne m'en suis souvenu qu'ici, tant de choses m'ont rappelé ces paroles, e% me les rappellent, pour ainsi dire, à chaque instant.

Ces mots dont le ton retentit sur mon coeur icomncie s'ils venoient d'être prononcés; les longs et funestes regards tant de fois lancés sur moi ; les petits coups sur le dos avec des mots de mon cher monsieur^ en répônâe au soupçon d'étn^ un

37.

58o coii:r£spôndanc£.

traître; tout cela m affecte à un tel point après ie reste , que ices souvenirs , fussent-ils les seuls , fermeroient tout retour à la confiance; et il n'y B pas une nuit ces mot8,/e tiens /. /.* Rous- seau^ ne sonnent encore à mon oreille comme ^i je les entendois de nouveau.

Oui^ M. Hume , vous me tene^, je ie sais , mais seulement par des choses qui me sont exté- rieures; vous me tenez par Topinion^ par les jugements des hommes ; vous me tenez par ma réputation i par ma sûreté peut-être; tous les préjug[és sont pour vous: il vous est aisé de me faire passer pour un monstre .^mxae vous avez commencé, et je vois déjà Texultation barbare de mes implacables ennemis. Le public, en gé- néral, ne me fera pas plus de grâce: sans autre examen* il est toujours pour les services rendus,, parceque chacun est bien aise d'inviter à lui en rendre en montrant quil sait les sentir. Je pré- vois aisément ia suite de tout cela ,' sur-tout dan$ le pays vous fn avez conduit^ et où, sans amis^ étranger à tout le monde , je suî^ presque à votre merci. Les gens sensés comprendront cependant que , loin que j'aie pu chercher cette a£Faire , elle 'étoit ce qui pouvoit m'arriver de plus terrible dans la position je suis ; ils sentiront qu'il n y ^ <)ue ma haine invincible pour toute fausseté et l'impossibilité de marquer de l'estime à celui pour qui je Fai perdue, qui aient pu m empê- cher de dissimuler quand tant d'intérêts m'en fatsoient une loi: mais les gens sensés sont en

ANNÉE 1766. . 58l

petjt nombre , et ce ne sont pas eux qui font du bruit.

Oui, M. Hume, vous me tenez par tous les liens de cette vie ; mais vous ne me tenez ni par ma vertu ni par mon courage , indépendant de vous et des hommes, et qui me restera tout en- tier malgré vous. Ne pensez pas m effrayer par la crainte du sort qui m attend. Je connois les jugements des hommes ,. je suis accoutumé à leur injustice, et j ai appris à les peu redouter. Si votre parti est pris , comme j ai tout lieu de le croire , soyez sûr que le mien ne lest pas moins. Mon corps est afibibli, mais jamais mon ame ne fut plus ferme. Les hommes feront et diront ce , qu ils voudront , peu m'importe ; ce qui m'im-* porte est d achever, comme j'ai commencé, d'ê- tre droit et vrai jusqu'à la. fin , quoi qu'il arrive , et de n'avoir pas plus à me reprocher une lâ- cheté dans mes misères , qu'une insolence dans ma prospérité. Quelque opprobre qui m'attende et quelque malheur qui me menace , je suis prêt. Quoiqu'à plaindre, je le serai moins que vous , et je vous laisse pour toute vengeance le tour- ment de respecter , malgré vous , l'infortuné que vous accablez.

En achevant cette lettre je suis surpris de la force que j'ai eue de l'écrire. Si Ton mouroit de douleur , j'en scrois mort à chaque ligne. Tout est également incompréhensible dans ce qui se passe. Une conduite pareille à la vôtre n'est pas dans la nature; elle est contradictoire, et cepen-

Séa CORRESPÔNDAI^CE.

dant elle m est dëmontrée. Abynie des deux cô- tés ! Je péris dans Tun ou dans Fautre. Je suis le plus malheureux des humains si vous êtes cou- pable ;jVn suîà le plus vil, si vous êtes innocent. Vous me faites désirer detre cet objet méprisa- ble. Oui, Fétat je me verrois prosterné, fouW éous vos pieds , criant miséricorde et faisant tout pour l'obtenir, publiant à haute voix mon in- dignité , et rendant à vos vertus le plus éclatant bommagîëy sèroit pour mon ciœur un état d'é- panouissethènt et de joie après Fétat JétoufFe- ment et de mort vous lavez mis. 11 rie me reste qu'un mot à tous dire. Si vous êtes coupa- ble, ne ni'ëcrîvèz'* plus ; cela seroît îhittire, et sûrement vouis rie ine tromperez pas. Si vous êtes innocent , daignez vous justifier. Je côrinôis mon devoir , je Faime et Faimèrài toujours, quel- que rude qu'il puisse être. Il n'y à poîiit d'abjec- tion dont un coeur qui n'est pas pour elle ne puisse revenir. Encore ùri coup , si vous êtes innocent, daignez vous justifier: si tous rie Fêles pas, adieu pour jamais.

A IviltÔRD-MÀRÉCHAL.

Le ad juillet 1766^

La dernière lettre , niilord , que j'ai reçue de voiis étoit du 25 mai. Depuis ce temps, j'ai été forcé de déclarer mes sentiments à M. Hume: il à voulu une explication, il la eue; j'ignore l'u- sage qu'il en fera. Quoi qu'il en soit, tout est dit

ANNÉE 1766. 583

dëtormaiii «ntre lui ef moi. Je ^oudrois vo^s en- voyer copie des lettres, mais cest ttn livre pour la grosseur. Milord , le sentiment cruel que nous ne nous verrous phis charge mon eœur d'un poids insupportable ; je donnerois la moitié de mon sang pour vous voir un seul quart d'heure encore une fois en ma vie : vont suivez combien te q^art d'heurr e me seroit doux, niais vous igno- rez combien il me seroit important.

Après avoir bien réfléchi sur ma situâtiop présente, je n'ai trouvé quun seul moyen pos- sible de massurer quelque repos sur mes der- niers jours; cest de me faire oublier des hommes aussi parfaitement que si je n'existois plus , si tant est qu'on puisse appeler existence un reste de végétation inutile à soi-même et aux autres, loiti de tout ce qui nous est cher. En consé- quence de cette résolution j ai pris ceHé de rom- pre toute correspondance hors les cai d'absolue nécessité. Je cesse désormais d'écrire et de ré- pondre à qui que ce soit. Je ne fais que deux seules exceptions , dont l'une est pour M. Du- peyrou ; je crois Superflu de vous dire quelle eht lautre: désormais tout à l'amitié , n'existant plus que par elle, vous sentez que j'ai plus besoin que jamais d'avoir quelquefois de vos lettres.

Je suis très beureux d'avoir pris du goût pour la botanique: ce goût se change insensiblement en une passion d'enfant, ou plutôt en un rado- tage inutile et vain , car je n'apprends aujour- d'hui qu'en oubliant ce que j'appris hier ; Inais

584 GORRESPONDAHGE.

n'importe : si je n ai jamais le plaisir de savoir^ j aurai toujours celui d'apprendre , et c'est tout ce qu'il me faut. Vous ne sauriez croire combien Tétudedes plantes jette d'agrément sur mes pro- menades solitaires. J'ai eu le bonheur de me conserver un cœur assez sain* pour que les plus simples amusements lui suffisent , et j empêche, en m'empaillant la tête, qu'il n'y reste place pour d'autres fatras. i

L'occupation pour les jours de pluie, fré- quents en ce pays , est d'écrite ma vie ; non ma vie extérieure comme les autres, mais ma vie réelle, celle de mon ame, Thistoire de mes sen- timents le^ plus secrets. Je ferai ce que nul homme n'a fait avant moi , et ce que vraisem- blablement nul autre ne fera dans la suite. Je di- rai tout, le bien , le mal , tout enfin ; je me sens une ame qui se peut montrer. Je suis loin de cette époque chérie de Î762, mais j'y viendrai., je l'espère. Je recommencerai du moins en idées ces pèlerinages de Colombier, qui furent les jours les plus purs de ma vie. Que ne peuvent*- ils recommencer encore et recommencer sans cesse ! je ne demanderois point d'autre éternité.

M. Dupeyrou me marque qu'il a reçu les trois cents louis. Ils viennent d'un bon père qui, non plus que celui dont il est l'image, n'attend pas que ses enfants lui demandent leur pain quor tidien. t' -

Je n'entends point ce que vous me diteâ d'une prétendue charge que les habitants de Derbyshire

ANNÉE I766» 585

m'ont dpimée. Il n y a rien de pareil , je vous as- sure , et cela ma tout lair d une plaisanterie que quelqu'un vous aura faite sur mon compte ; du reste je suis très content du pays et des habi* lants^ autant quon peut l'être à mon âge dun climat et d'une manière de vivre auxquels pn n est pas accoutumé. Tespérois que vous me par-- leriez un peu de votre maison et de votre jardin » ne fût-ce qu en faveur de la botanique. Ah ! que nesuis-je à portée de ce bienheureux jardin, dût mon pauvre sultan le |purrager un peu comme il fit celui de Colombier !

A M. DAVENPORT.

1766.

Je suis bien sensible , monsieur , à Tattention que vous avez de m envoyer tout ce que vous croyez devoir m'intéresser. Ayant pris mon parti sur laffaire en question , je continuerai , quoi qu il arrive , de laisser M. Hume fa^re du bruit tout seul, et je garderai , le reste de mes jours, le silence que je me suis imposé sur cet article. Au reste, sans affecter une tranquillité stoïque, j o^e vous assurer que dans ce déchaînement uni*- versel je suis ému aussi peu quil est possible, et beaucoup moins que je n aurois cru Tètre , si d'avance on me leùt annoncé; mais ce que je vous proteste et ce que je vous jure, mon res- pectable hôte , en vérité et à la face du ciel , c'est qm,e le bruyant et triomphant David Humé, dans tout l'éclat de sa gloire, mcf parott beaucoup

586 GORRESPONDitl^GE.

pltis à plaindre qiié rinforifiilië J. J. Rôrttssèiiti , li^ré à la diâPamatioù pufiliqtre. Je ne voiidrois jp(yur rieir an* monde étté à sa place, et j'y pfé- fèite de beauconp la mienne , mènïe avec Top* pfabre qu'il lui a plu d y attachée.

J'ai craint pour vous ces mauvais tenipd pas- sés. J'espère que ceitx qu'il feit à présent en répa* reroflt le mauvais effet. Je n'rfî pas été lùîéux traité que vous , et je ne connois pîtii guère de bon temps ni pour mon cœur, ni pour mon côfps: j'excepte celui que je pafte auprès de vous: c'est vous dire assez avec quel empressement je vous attends et votre chère famille , que je remercie et salue de toute mon ame.

A M. GtJY.

r

Wootton , le a août 1766.

Je me seroisbien passé , monsieur, d'apprendre les bruits obligeants qu'on répand à Paris sur mon compte , et vous auriez bien pu vous passer de vous joindre à ces cruels amis qui se plaisent à m'enfoncer vingt poignards dans le cœur. Le parti que j ai pris de m'ensevélir dans cette soli- tude, sans entretenir plus aucune correspon- dance dans le monde est l'effet de îna situation bien examinée. La ligue qui s'est formée colitrc Moi est trop puissante , trop adroite , trop ar- dente, trop accréditée, pour que dans ma posi- tion , sans autre appui que la vérité , je sois en état de lui faire face dans le public. Couper ks tètes

ANNÉE 1766. 587

de cette hydre sefvîrôît qu'à ïes inultiplièr) et je n aurois J)às tfétrdit uhe' de leurs calomniés y que vingt aiitrës plu^ cruelles lui sùccèdèroîent à Finstant. Ce que j'àî à faire est de bien prendre mon parti Sur les jugemetïts du public, de me taire, et de tâcher au moins de vivre et mourir en repos.

Je n en suis pas rboîns recotinôissant pour ceux que Tîtitérét qùik prennent à moî, engage a m'înstruîre de ce qui se paâSe : en m aflflîgeant , ils m'obligent ; s'ils ine fobt du mal , c'est en vou- lant me faire du bien. Ils croient que ma répu- tation dépend d'une lettre iiijurîease, cela peut être; mais, s'ils croient que mon honneur en dé- pend, ils se trompetit. Si ThonneUr d'un homme dépendoit des injures qu'oBt lui dit, et de^ ou- trages qu'on lui fait, 11 y a long-temps qu'il ne me resteroit plus d'hotmeur à peridre; mais, au contraire , il est même au-dessous d'un hon- nête homme de repousser certains, outrages. On dit que M. Hume me traite de vile canaille et de scélérat. Si je savois répondre à de pareils noifas, je m'en croirois digne.

Montrez cette letltre à mes amis, et priez-les de se tranquilliser. Ceux qui ne jugent que sur dés preuves ne me condamneront certainement pas, et ceux qui jugent sans preuves ne valent pas la peine qu on les désabuse. M. Hume écrit , dit-on, qu'il veut publier tolites les pièces rela- tives à cette affaire; c'est, j'en réponds, ce qu'il se gardera défaire , ou ce qu il se gardera bien au

588 CORRESPONDANCE.

moins de faire fidèlement. Que ceux qui seront au fait nous jugent, je le désire; que ceux qui ne sauront que ce que M. Hume voudra leur dire ne laissent pas de nous juger; cela m est, je vous jure, très indifférent. .) ai un défenseur dont les opérations sont lentes, mais sûres: je les attends. Je me bornerai à vous présenter une seule ré* flexion. Il s agit, monsieur, de deux hommes, dont lun a été amené par lautre en Angleterre presque malgré lui: letranger, ignorant la lan* gue du pays, ne pouvant parler ni entendre, seul, sans ami, sans appui, sans connoissance , sans savoir même à qui confier nne lettre en sû- reté, livré sans réserve à lautre et aux siens, malade, retiré, et ne voyant personne, écrivant peu , est allé s enfermer dans le fond dtme re- traite où il herborise pour toute occupation : le Breton , homme actif, liant, intrigant, au milieu de son pays, de ses amis, de ses parents, de ses patrons, de ses patriotes, en grand crédit à la cour, à la ville; répandu dans le plus grand monde , à la tête des gens de lettres , disposant des papiers publics, en grande relation chez l'étranger, sur -tout avec les plus mortels en- nemis du premier. Dans cette position, il se trouve que l'un des deux a tendu des pièges à l'autre. Le Breton crie que c'est cette vile ca- naille, ce scélérat d'étranger qui lui en tend: l'étranger, seul, malade, abandonné, gémit, et ne répond rien. Làrdessus le voilà jugé, et il de- meure clair qu'il s est laissé mener dans le pays

ANNÉE 1766. 5Ô9

de Tautre, qu'il sest mis à sa merci, tout exprès pour lui faire pièce et pour conspirer contre lui. Que pensez-vous de ce jqgement? Si j'avois été (capable de former un projet aussi monstrueu-' sèment extravagant, est Thomme ayant quel- que sens, quelque humanité, qui nedevroit pas dire: Vous faites tort à ce pauvre misérable; il est trop fou pour pouvoir être un scélérat: plai- gnez-le, saignez-le ; mais ne Tinjuriez pas. J'ajou- terai que le ton seul que prend M. Hume devroit décréditer ce qu il dit : ce ton si brutal , si bas , si jndigne d'un homme qui se respecte , marque assez que lame qui la dicté n est pas saine ; il n'annonce pas un langage digne de foi. Je suis étonné , je l'avoue , comment ce ton seul n'a pas excité l'indignation publique. C'est qu'à Paris, c'est toujours celui qui crie le plus fort qui a rai- son. A ce combat-là je n'emporterai jamais la victoire, et je ne la disputerai pas.

Voici, monsieur, le fait en peu de mots. Il m est prouvé que M. Hume, lié avec mes plus cruels ennemis, d'accord à Londres avec des gens qui se montrent, et à Paris avec tel qui se montre pas , m'a attiré dans son pays , en ap- parence pour m'y servir avec la plus grande os- tentatioix, et en effet pour m'y diffamer avec la plus grande adresse ; à quoi il a très bien réussi. Je m'en suis plaint : il a voulu savoir mes raisons ; je les lui ai écrites dans le plus grand détail; si on les demande, il peut les dire; quant à moi, je n'ai rien à dire du tout.

599 CORRESPONDANCE.

Plus je pense à la publication promise par M. Hume, moins je puis concevoir quil Fexé- cute. S'il lo^e faire , à moins d'énormes falsifica- tions, je prédis hardiment que, malgré son ex- trême.adresse et celle de ses amis, sans même que je m'en.môle , M. Qume est un homme démasqué. .

A MILORD -MARÉCHAL.

Le 9 août lyGô,

Les choses incroyables que M. Hume écrit à Paris sur mon cpn^pte me font présumer que, S'il lose, \l ne m£)pquera pfis de voU^ en écrire •autant ; je ne suis pas en peine de ce que vous en penserez. Je me flatte , milord , d être usaez connu de vous^ et cela me tranquillise; mais il m'accuse ^vec tant d audace dawr reftisé mal- honnêtement la pension ^ après la voir acceptée, que je crois devoir vous envoyici* une copie fidèle de 1^ lettre que j écrivis à ce siijetà M/ le général Couwai. J'étois bien embarrassé dans cette lettre^ ne voulant pas dire la véritable cause démon refus, et oe pouvant pn allégiier aucune autre. Vous conviendrez, je m assure, que si Ion peut s en tirer mieux que je qe fis, on ne peut du moi|[is s'en tjrer plus honnêtement. J ajouter.ois qu'il ç^t faux que j'aie jamais accepté pension; j'y mi$ seulement votre agi^éiq^çqt pour condition liécessaire, et, quand cet agfrément fut venu, M. Dume alla en avant sfms me consulte!* dav^n* tage. Comme vous ne pQuyez savoir ce qui s'est

ANNÉE 1766^ §91

passé. en Angleterre |t mon égard depuis mon ar-^^ ifivée , il est impossible que vous pronôiiGiezdaii^ cette fifSaurfs, avec connoissjance , entre M. Humd et moi : ses procédés secrets sont trop incroya- bles, et il ùy a personne au monde moins fait .que vous pour y ajouter foi. Pour moi , qui lejs ai sentis si cruellement, et qui n'y peux penser qu avec la douleur la plus amère, tout ce qu il me reste à désirer est de n en reparler jamais : mais comme M. Hume ne garde pas le même sir lepçe, et quil avance les choses les plus fausses du ton le plus affirmatif^ je vous demande aussi;, milQrd,:Un/s justice que vous ne pouvez me re*- jFuser; cest, lorsqu'on pourra vpus dire ou vous écrire qu^e j ai fait volontairement une chose inr juste ou malhppnète, d'être Men persuadé qjue cela n est pas vrai.

»

A J^lfABÈJiSE i,A MARQUISE DE VERDELIN.

Wootton, août 1766.

4a^ atteadu , madjaime, votre retour k Paris pour voi|S répondre , ps^rcequ il y a , pour écrire des provinces d'Angleterre dans.les provinces de JPrsince.y ^es embarras que j aurais peine et lever d'ici.

Vous 91e demandez quels sont mes griefs cotitre M. Hume. Des griefs? non, madame, ce n est pas le mi^ot : ce mot propre n existe pas dans la langue françoise ; et j espère , pour Thonuçnr /de VhumaQité 9 qu'il in existe dans aucune langue.

Sgft GORËESPONDANGE.

M. Hume a promis de publier toutes les pièces relatives à cette affaire : s'il tient parole , vous verrez, dans la lettre que je lui ai écrite le lo juil- let, les détails que vous demandez, du moins assez pour que le reste soit superflu. D'ailleurs, vous voyez sa conduite publique depuis ma der- nière lettre; elle parle assez clair, ce me semble, pour que je n aie plus besoin de rien dire.

Je vous dois cependant , madame , d'examiner ce que vous m alléguez à ce sujet.

Que la fausse lettre du roi de Prusse soit de M. d'AIembert, ami de M. Hume, ou deM. Wal- pole , atni de M. Hume , ce n est pas au fond de cela qu il s agit ; c est de savoir , quel que soit Fau- teur de la lettre, si M. Hume en est complice. Vous voulez que madame Dudefland ait travail- lé à cette lettre ^ à la bonne heure r xnais deul autres écrits, mis successivement dans les mêmes papiers , et de la même main , ne sont sûrement pas celle dune femme; et, quant à M. Wal- pale, tout ce que je puis dire est quil faut assu- rément que je connoisse mal en style pour avoir pu prendre le françois dun Ânglois pour le françois de M. d'Alémbert.

Votre objection , tirée du caractère connu de M. Hume, est très forte , et m étonnera toujours: il n'a pas fallu moins que ce que j ai vu et senti d'opposé pour le croire. Tout ce que je peux con- clure de cette contradiction est qu'apparemment M. Hume n'a jamais haï que moi seul; mais aussi quelle haine, quel art profond à la cacher et &

ANNÉE 1^66. 593

ras|ou vir? le même cœur p.ourroit-il aufBre à deux passions pareilles ?

' . On vous marque que j ai voué àM.Huméuïie' baine implacable , parcequïl veut me déshonorer en me forçant d'accepter des biénîFaits. Savez^vous bien* madame , ce que milord-màréchal,,à qui vous me renvoyez, eût fait si on lui.eût dit pa- reille chose? il eût répondu que cela n etoit pas

vrai , et n eût pas même daigné m'en parler.' Tout ce que vous ajoutez sur Thonneur que meut fait une pension du roi d'Angleterre est très juste; il est seulement étonnait que vous

, ayez cru avoir besoin de me dire ces cboseis-là\ Pour vous prouver , madanîe , que je pense 'exactement comme vous sur cet article ^ je vous envoie ci-jointé la copie d'une lettre que j'écrivis', il y a trois mois, à M. le général Conwai , et dans laquelle j'étois même fort embarrassé, sentant déjà les trahisons de Hume, et ne voulant ce- pendant pas le notfimer. Il ne s'agit pas de'savoir si cette pension m'eût été honorable , mais si elle J'étoit assez pour que je dusse l'accepter à tout p9x, même à, celui de l'infamie.

Quand vous me demandez quel est le sujet qui ose solliciter son maître pour un homme .qu'il veut avilir, vous ne voyez pas qu'il faisoif de cette sollicitation son grandmoyen pofcrm'ac- cuser bientôt de la plus noire ingratitude. Si M. Hume eût travaillé publiquement à m'avihr lui- même, vous auriez raison; mais il ne faut pas supposer qu'il exécutoit avec bêtise un projet si

.17. .38

$94 CORftESPONDAMCE.

profotidëment médité : cette objection se^^oit bonne encore, si, connu depuis lonç-temps de M. Humé ^ j!avoi0 été inconnu du roi d'Angleterre et de su cour; mais votre lettre même dit le con- traire : cette affaire ne pou voit tourner, comme elle a.fait, quà T^vantagede Ml' Hume. Totttela cour d'Angleteri*e dit maintenant : Ce pauvre homme ! Il croit que tout le monde lui ressemelé; nous y avons été trompés comme lui.

Dans le plan qu'il fc'étoit fait , et qu il a si plei- nement elLécùté, de pâroitre me servir en public avec la pluf ^ande ostentation, et de me diffa- mer ensuite avec la plus grande adresse , il devoit . écrire et parler honorablement de moi. Youliez- VDUs qu'il allât dire du mal d'un homme pour lequel il affectoit tant d'amitié ? c'eût été se con- tredire , et jouer très mal son jeu : il vouloit parottre avoir été pleinement ma dupe; il pré paroit l'objection que vous me faites aujour*- d'hui. * *

Vous me renvoyez , sur ce que vous appelez mes griefs, à milord-maréchal, pour en juger: milord-maréchal est trop sage pour vouloir, d'où il est, voir mieux que moi ce qui se passe je suis; et quand un homme, entre quatre yeux m'enfonce à coups redoublés un poignard dans l#8ein, je n'ai pas besoin, plur savoir s'il m'a touché , de l'aller demander à d'autres.

Finissons pour jamais sur ce sujet , je vous supplie. Je vous avoue, madame , tonte ma foi- blesse. Si je savois que M. Hume ne ^Lit pas dé-

0 ANNÉE 1766. SgS

tnasqué aVâDt sa mort, jaurois jpeine à croire encore à la Providence.

Je me fais quelque scrupule de mêler dans une même lettre des sujets si disparates; mais^ cette atteinte de goutte que vous avez sentie, mais les incommodités de vos enfants, ne me permettent pas vous rien dire ici d'eux et de vous. Quant à la goutte, il nest pas naturel «fu'elle vous mal- traite beaucoup à votre âge, et j'espère que vous en serez quitte pour un ressentiment passager ; mais je nenvisage pas de même cette humeur scrofuleuse, qui paroit avoir été transmise % vos enfants par leur pèrej Tâge pubère les gué- rira , comme je l'espère, ou rien ne les guérira; et, dans ce dernier cas , je vois une raison déplus de combler les vœux d un honnête homme qui a toute votre estime, et qui mérite tout votre at- tachement. Vos filles, malgré leur mérite, leur naissance et leur bien, se marieront peut - être avec peine, et peut-être aurez- vous vous-même quelque scrupule de les marier. Ah! madame*, les races de gens de bien sont si rares sur la terre ! voulez-vous en laisser éteindre une ? A la place des simples et vrais sentiments de la nature, ^ on étouffe , on a fourré dans la société je ne sais quels raffinements de délicatesse que je ne sauroîssouffrir. Croyez-moi, croyez-en votre ami, et Tami de toutes choses hoimêtes ; mariez-vous, puisque votre âge et voire cœur le demandent ; rintérêt même de vos filles' ne s'y oppose j^s.

Vos enfants dés deux parts auront les biens de

3$.

L

5g6 COKRESPOHDAKCE. ^

leur père j et ils auront de plus les uns dans les antres un appui, que vous rendrez très solide par rattachement mutuel que. vous leur saurez ipspirer : mon intérêt aussi se mêle à ce conseil , je vous l'avoue ; je sens et j ai' grand besoin de sentir qu'on n'est pas tout-à-feit misérable, quand on a des amis heureux. Soyez-le l'un et l'autre , et l'un par l'auy^e ; qu'au milieu des afflictions qui m'accablent , j'aie la consolation de savoir que j'ai deux amis unis et fidèles qui parlent quelquefois avec attendrissement de mes misères; elles m'en seront moins rudes à supporter. Taime ^ envisager comme faite une chose qui doit se faire. Permeltez-nnoi de vous conseiller , lorsque vous^serez dans votre nouveau ménage , de bien choisir ceux à qui vous accorderez l'entrée de votre maison ; qu'elle ne soit pas ouverte à tout le monde, comme la plupart des maisons de Paris. Ayez un petit nombre d'amis sûrs , et tenez- vous^ en à leur commerce : ayez-en , si vous voulez ^ qui aient de la littérature, cela jette de l'agfé- ment dans la société ; mais point de gens de let- tres de profession, sur toute chose; jamais au- cun auteur, quel qu'il soit. Souvenez-vous de cet avis, madame; et soyez |ûre que si vous le négligez vous vous en trouverez mal tôt ou tard. Je n'ai pas la force d'étendre jusqu'à vous ma résolution de ne plus écrire ; c'est une résolution que j'avois pourtant prise , mais quii est impos- sible à mon cœur d'eçécuter : je vou§ écrirai quel- quefois, madame, mais rarement peut-être ; je

ANNÉE 1766, 597

voudrais Y{tren cela ^vous ne m'imitassiez pas. Je ne dois pas vous affliger, et vous pouvez consoler. Je vous prie de ne remettre vos lettres ni à M. Coindret, ni à personne, mais de ies en- .voyer vous-même sous 1 adresse enjointe, exac- tement* suivie , sans gue mon nom y paroisse en aucune façon : en prenant soin de faire affran- chir les lettres jusqua Londres, elles parvien- dront sûrement , et personne ne les euvrirs^que moi; mais il faut tacher, par économie, d éviter lès paquets , et décrire plutôt dos lettres simples sur d aussi grand papier quon veujt ; car, que* que grosse que soit une lettre simple, elle ne paye que pour simple; mais la moindre enveloppe renchérit le port exorbitamment. Le dernier pa- quet de M. Goindet mra coûté »x francs de port : je ne les ai pas regrettés assurément ; ce paquet contenoit une lettre de vous , mais en tout ce qui peut se faire avec économie, sans que la chose ftille moins bien, je suis dans une position qui m en rend le soin très utile. Au reste, je ne sais pas qui peut vous avoir dit que j etois à viagt- cinq lieues de Londres ; j en suis à cinquante- bonnes , et j'ai mis quatre jours à les faire , ^aveo les mêmes chevaux à la vérité. Recevez, madi^me, les salutations de la plus tendre amitié.

598 CORBESPOKDAIICE.

A M. MARC-MI^ShEL KET,

WoottQi», août 1766.

Je reçois , num cher compère j avec grand plai^ •ir, de ww noavdlea : limpossibilité de^rouver nulle part ce repos après leouel mon cœur soa<- pire inutilement m eût fait un scrupule de vous donner des miennes, pour ne pas vous affliger. D'ailleurs , voulant me recueillir en moi*-même^ autant qnil esttpossil^, et ne plus ritm savoir âe ce qui se passe dans le monde par rapport à moi 9 j'ai rompu t#ut commerce de lettres, hors les cas d absolue nécessité : cela fera que je vous écrirai plus jrarement désormais ; mais soyes sur que mon attachement pour vous , et pour toutes qui vous appartient, e$t toujours le même, et que ce seroit une: grande consolation pour moi dans la vieillesse qui s'approche, au milieu d un cor« tége dedouleurs de toute espèce, d embrasser mk chère filleultf avant ma mort.*

J ai su que vous aviez eu aussi quelques.affaires •désagréaUes : j en étois^en peine ; et je vous au^ rois écrit à ce sujet , si vov^ ne m'aviez prévenu, J augure, sur ce que vous ne m en dites rien, que tout cela ua pas au des suites, et je m'en réjouis de tout mon cœur ; mais mon amitié pour vous ne me permet pas de vous taire mon sen- timent sur ces sortes d affaires. Tandis que vous commenciez et que vous aviez besoin de mettre, pour ainsi dire, à la loterie, il vous convenoit

ée oourir qu^qu^a li^qu^a po^r«voM« avancer 9 mais inaintenant , qu^ vdtre maiaau est Uen établie, qire vos afl^ire$, comme je le suppose ^^ sont en bon état, les dérapgez pas p^r votro faute ; jouissez eo paix de la fortune dont la Pro« Tid^ce a4)éni votre travail ; et, au lieu d*expor» ser le bien de vos enftmls et le vôtre, contentes^ TOUS de Venlretenir en sûreté, fl§nê plus vou« permettra dentreprrises ba9ardeuse8. Voilà ^ mon cher eomp^re, un conseil de lamitid, et je croi» de la raison : si vous trouvez qu il soit à votns usage, profite^en. *

Vos gazettea disent dooe que M. tiuroe e^ mon bienfaiteur, et que sui&son protçgé. Que Dieu me préserve d'ôtrç SOM vent protégé* W sorte, e% de* trouver en ma vie encore un pareil bienfaiteur \ Je présume que cet article n est que préparatoire, et qu^il en suivra "bientàt un te^ qond aussi véridique , ausai bumain , an^si jusft?. Qu importe, mon cher çpmpère? IjaiaiMi dire, et M. Hume , et les plénipotentiaires, et les pnia^ sances , et les ga9«tiei>8 » et U publie « et tQu^ le monde; quils crient, qullp montraient, qn'ili m iositltent , qu ils disent et fa96eot%ut ce qu ila voudront : mon ame, en dépit d'eux, restera toujours la même ; il n e#t pas au pouvoir de» hommes de la çbauger. l^e pubUc défnrmeî^ eft mort nour moi; je vont prie, quand vou» m'é^ crire?, de ne me reparler jamaia de #e quW y ,dit-

* MM. Becket et de Hondt ne m'ont point parlé

6ob 'correspondance.

de la pension idê mademoiseUe 14e VasseUr; et comme Tannée n'est pas écoulée, cela ne préisse pas : mais je vous prie de ne vous servir jamais de ces rnessieurs-, pour me rien envoyer, ni pour rien qui me régarde; j ai senti , dans plus d'une a£&ire, Tinfluence qiie M. Hume a su r eux. 11 vient de m en arriver une qui mérite d^être con- tée. M. Dupe^où ayant jugé à pVopos de ni^en* voyer mes livres , je Tavois peié de les adressera ces messieurs , qui s étoient offerts. Ayant une col- lection considérable d estampes , dont les droits , exigés à la rigueur, auroient passé mes ressour- ces , je les priai de tàd[ier faire mitiger le droit , ^ dautai^t plus que la moitié de mes estampes ne . . valant pas ce droit jaimerois mieux les abandon- lier que de le payer sans rabais : ces messieurs promettent de faire de leur mieux ; ils reçoivent mes- livres, et, outre quinze louis de port, en prennent quinze autres chez mon banquier pour les frais ide douane, gardent et fouillent les li- vres tant qui! leur plaît, sans me rien marquer de leur arrivée , m envoient enfin sans avis un ballot que je les avois priés de m envoyer sitôt que les miens arriveroient. J'ouvre ce ballot mes estam|fes étoient ; je trouve les porté-feuille& vides, et pas une seule estampe ni petite ni grande, sans quils aient même daigné me mar- quer ce quils en avoient fait: Ainsi j ai quinze Ipuis de port, autant de douane , sans savoir sur quoi, et pour cent%)uis d'estampes perdues^

ANNÉE 1766. 60/

«ans qu'il m'en reste une seule (i). Je ne sais sr les*livres que vous avez vus doivent payer à Xondres mille écus de douane; mais je sais bien qucfsi je le& revends , comme il" le faut bien ,^e n en retirerai pas la moitié de cette somme. Il y a un seul article d une livre sterling (cest près d'un louis) , pour une vieille guitare sourde, brisée et pourrie , qui ma coûté six francs de France /et dont je ne les retrouverai jamais; cela ne se feroit pas à Alger, mais cela se fait . à Londres , grâces aux bons soins de ces mes- sieurs. Si je laisse long-^temps mes livres dans leur magasin^ et s'ils me font payer à proportion pour lentrepôt, ne le pouvant gas, je serai forcé de Jeur laisser mes livres : ainsi j'aurai perdu par leurs bons soins tous m^s livres , toutes mes es- "^ tampès^ et trente louis d'argent comptant. Que dites-vous de cela? Je crois que ces messj^rs sont par eux-mêmes de fbrt honnêtes gens ; mais je crois aussi qu a'mon égard ils cèdent trop à Tin- * sdgation d'autrui : c est pourquoi je veux n'avoir .avec eux , si je pujis , aucune sorte d'affaires, dp peur de m en trouver toujours plus mal. Je cher- cl^rai, si vous y consentez, à%ie prévaloir sur vous, des trois cents francs de mademoiselle Le Vasseur soit par. lettrcKie-change, soit en vous envoyant d'Angleterre son reçu , en échange du-

(i) Ces estampes, déplacées des porte-feuilles qui les eontenoient , se êont retrouvées dans un antre b^lLot^

»

602 g6r11C6PQNI»AI9CB.

quel vous en donnerez largent à célui'qui voiii le remettra: * ^

Je dois avoir paraii^mes livrer uo exemplairt «lïlr la musique du Dei^in du viliage : ù Youif^r* 998 tez à vouloir la faire Ngraver, je pourraÎB eor* riger cet exemplaire, et vous louvoyer; mai» il faut du teropâ^ non leuk^ientf our attendre Too^ cagion, mais pour le faire venir de Londie», par^ cequil faut que je donne commission' à qnel-» qu'un de confiance d ouvrir la balle tl est , pour len tirer et me fenvoy^r ; ce qui ne peut se &ire avant cet hiver. Je suis très fàêhé que vous pu- bliiez ia Reine fantasque y pareeqûe cela peut faire encore des tracasserie^ désagréables pour vous et pour moi.

Guy ma écrit au sujet du Dictionnaire de Ma^ sique : il se plaint de vous et de vos propositions; * qu^ trouve déraisonnables : je lui ai répondu qu'il fit comme il lentetidroit ; que je vous ai** mois fort tous les deui(, mais que de» affai^ res de libraire à libraire, je ne m en mêleroîa de mes jours. Mille tendres salutations a ma« dame Sey. J'embrasse la ckère petite et son cher papa. ^ f

Voici une adresse dont il fiiut v^^ue servir àé^ sormais, quand vous m'émrez: ne faites point d'enveloppe; et, quoique mon nom Ue paroisae point sur la lettre , soyez fur que personne ne l'ouvrira que moi, et quelle me parviendra Bure- ment, pourvu que vous^uiviess exactiament la* dresse, et que vous afiranchissiez jusqu'à Lon-

^9

ANNÉE 1766. Coî

dres, anns quoi les leltres pour les provîaces d'Angleterre restent au rebut.

A M. D'IVËRNOn.

Wootton, le ï6 août 1766.

. Je suis extrêmement en peine de vous , man« sieur, n ayant point vos nouvelles depuis Le 21 juin : je vous ai marqué , il est vrai , qiie je ne vous écrirpis pas; mais, comme vorfs nétie» pas dsins le même embarras que moi, je me^lattois que mon silence ne produiront pas le vôtre ; et j W père au moins, puisque vous ne m avez rien écrit de contraire à la promesse que vous m avez faite de me venir voir cet ^tomne ^ que cette pror mtsse sera exécutée : ainsi je vous attends au ..mois.d^ novembre, fâché seulement que vous ne preniez pas une meilleure saison..

Je vous prie de voir, en passant k Lyon , ma- dame Boy de La Tour, ma bonne amie, et sa chère fille, et de m'apporter amplement de leurs nouvelles : apprenez<-moi le rétjiblissément de la première , et le bonheur de la seconde 4ans soi^ mariage ; rien ne manquera à mon plaisir en vous embrassant: assurez -les de ma tendre et. con- stante ^mitjé pour elles , et dites-leur que vous leur expliquerez à votre retour pourquoi «je oe leur ai pointécrit, moi qui pense continuellement à elles, et pourquoi je n écris plus à personne, ^ors les cas de nécessité.

Vous ne manquerez pas, je vous prie, en pasc

6o4 CORRESPONDANCE.

sant à Paris, de voir madame la veuye Darhesne, libraire , et M. Guy, à qui je compte envoyer une lettre pour vous , je rassefoMerai ce que je peux avoir à y<ms dire d'ici à ce temps-là, con- cernant votre voyage : en attendant, je vous pré- viens de ne donner votre confiance à personne à Londres, sur ce qui me 'regarde, mais de re- mettre, s'il se peut, les affaires que «vous pour- riez avoir dans cette capitale à votre retour , vous pourrez a^ssi m y* rendre des services. Je vous |irie aussi de ne m amener personne àe Londres «qui que ce puisse être, et quelque pré- texte qu'ijs puissent prendre pour vous accompa- gner : il suffira que vous preniez, pour la route, un domestique qui sache la langue ; je ne vois pas que vous puissiez vous en passer ; car dips la route, ni dans cette contrée , personne ne sait un seul mot de françors.

' Je ne vous envoie point cette lettrepar M. Lu- cadou ; vous en saurez la raison quand nous nous serons vus : ne me répondez pas non plus par son canal;* mais ^envoyez votre lettre à M. Da- ^ peyrou , qui aura la bonté de me la faire parve- nir ;' je vous avoue même que je desirerois que M; liUcadou ne fut pas prévenu de votre voyage, de crainte quil ne survint des (^stadiBs qui vous empécheroient de lachever. Je ne puis vous ^1 dire ici davantage ; mais tout ce que je de- sire pour ce moment le plus au monde est de vous voir arriver en bonne santé. Je vous em» Jbrasse.

.ANNÉE 1766, 6ô5

A M. DUPEYRGU.

t

Wootton,l.,e 16 août 1766.

Je De doute point, mon cher hôte, que les choses incroyables que M. Hume écrit par^tout ne vous soient parvenues, et je ne suis pas en peine de lefFet quelles feront sur vous. Il promet. au public une relation de ce qui s est passé entre lui et moi avec le recueil des lettres. ^i ce recuejl est fait fidèlement , vous y verrez dans celle que je lui ai écrite le 10 juillet un ample détail de: sa conduitcet de la mienne , sur lequel vous pour- fez ju|;er entre nous ; mais comme infaillible^ ment il ne fera pas cette publication , du moins sans les falsifications les^lus énormes, je me ré- serve à vous mettre au fait, par le retour de M. d'Ivçrnois ; car vous copier maintenant cet immense recueil , c est ce qui ne m est pas possi- ble , et ce seroit rouvrir, toutes mes plaies : j'ai besoin d'un peu de trêve pour reprendra mes forces prêtes à pie manquer; du reste je le laisse ' déclamer dans le public , et s'emporter aux in-^- » jures les ylus brutales ; je ne sais point quereller en charretier: j'ai un défenseur dont les opéra- tions sont lentes , mais sûres ^ je les attends,et je me tais.

Je vous dirai seulement un mot sur une pen-

'sion du roi d'Angloterre dont il a été question ,

et dont vous m'aviez parlé vousr-même: je ne

vous répondis pas sur cet article, non seulement

6o6 CORRESPftNDANCE.

à cause du secret que M. Hume exigeoit , au nom du roi, et que je lui ai fidèlement gardé jusqua dk quil Tait publié lui-même, mais parceque, n ayant jamais bien compté sur cette pension , je voulois vous flatter pour moi de cette espé- rance que quand je serois assuré de la voir rem- plir. Vous sentez que rompant* avec M. Hume, après avoir découvert ses trahisons , je ne pou'^ vois sans infamie accepter des bienfaits qui me venoient par Ii)^ : il est vrai que ces bienfaits et ces trahisons semblent s'accorder fort mal ensemble; tout cela' s'accorde pourtant fort bien. Son plan étoit de me servir ^publiquement avec la plus grande ostentation ^ et de me diffamer eu secret avec la* plus grande adresse : ce dernier objet a été parfaitement rempli. Vous aurez la clef de. tout cela: en* attendant, comme il publiepar- tout quaprès avoir accepté la pension je 1 ai malhonnêtement refusée, je vous envoie une copte de la lettre qi;ie j'écrivis à ce sujet au mi- nistre , par laquelle vous verrez ce qu'il en est. Je reviens maintenant à ce «que vous m'en avez écrit.

Lqrsqu'on vous marqua que la pension m'a- t voit été offerte , cela étoit vrai ; mais lorsqu'on ajouta que je lavois refusée ^ cela étoit parfaite- ment faux ; car, au contraire , sans aucun doute alors sur la sincérité de M. Hume, je ne mis, pour accepter cette pension, qu une condition unique , savoir l'agrément de milord-maréchal , que, vu ce qui s'étoit passé à Neuchate], je ne

AïïHÉfe 1766. ^ 607

pouvois me Hiapênser d'obtenir. Or, noiîs avions eu cet agrément avant mon départ de Londres;

il ne restoit de la partie la cour qu à terminer laffaire ^ ce ({ue je n espéroiê pourtant pas beau- coup; mais ni dans ce temps-là, ni avant, ni après, je nen ai parlé à qui que ce fut au lyonde, hors le seul milord-maréchal, qui sûrement m'a* gardé le secret : il faut donc que ce secret ait été ébruité de |a part de M. Hume. Or, comment M. Hume a-t-il pu dire que j'avois refusé, puis*^ que cela étoit faux , et qu aloi^ ipon intention n etoit pas même de refuser ? Cette anticipation ne montrë-t-elle pas qu'il savoit ^ue je serois bientôt forcé à ce refus, et qu'il entroit même dans Ion projet de m'y forcer, pour, amener le^ choses au point il Içs a mises? La chaîne de tout cela îne paroit importante à suivre pour le travail dont je suis occupé; et si vous pouviee parvenir à rembnter, par votre ami^ à la source de ce qu'il vous écrit, vous rendriez un grand ser- vice à la chose et à moi-même. « Les choses qui se passent en Angleterre à mon égard sont, jc^vous assure, hors de toute ima- gination: j'y suis dans la plus complète diffama- tion oii il soit ppssible d être, sans que j'aie donné a cela la moindre occasion , et sans que pas une ame puisse dire avoir eu personnellement )k moindre mécontentement de moi. Il paroitmain* tenant que le projet de M* Hume et de ses asso<« âéê est de me couper toute ressource , \|}nte communication avec le continent . et de me faire

6o8 COBRÉSPONDANCÈ.

périr ici de douleur et de misère. J espère qu'ils ne réussiroat pas : mais deux cnoses me fout trembler: Tune est quil^ travaillent avec fol'ce à détacher de moi M. Davenport , et q^e , s'ils y réussissent , je suis absolument sans asile , et saus savoir que devenir ; lautre , encore plus ef*- ^ frayante, est quil faut absolument que, pour ma correspondance avec vous , j aie un commis- sionnaire à Londres, à cause de F^fFranchisse- ment jusqu'à cette capitale, qu'il ne m'est pas possible de f^ire ici ; je me sers pour cela d'un libraire que je ne connois point, mais qu'on m'assure être fort honnête homme: si par quel- que accident cet homme venoit à me manquer, il ne me reste personne à qui adresser mes lettres en sûreté , et je ne saurois plus comment vous écrire: il faut espérer que cela' n'arrivera pas; mais, mon cher hôte, je suis si malheureux! il ne me faudroit que ce dernier cbup^ . ' Je tâche de fermer de tous côtés la porte aux .nouvelles affligeantes; je ne Us plus aueiin 'pa*^ pier public; je ne réponds plus à aucune lettre, ce qui doit rebuter à la fin de m'en écrire ; je ne parle que de choses indifFéreâtes au seul voisin avec Jiequel je converse, parcequ'il est le seul qui parle françois. Il ne m'a pas été ptjssible', vu Ip, cause , de n'être pas affecté de cette épouvanf- table révcilution , qui , je n en doute pas ^ a gagné toute l'Europe; mais cette émotion a peu duré; la sérénité est revenue, et j'espère qifelle tien- dra : car il me paroit difficile qu'il m'arrive dé-

ANNÉE 1766. 609

formais aucun malheur imprévu. Pour vous, mon cher hôte , que tout cela ne vous ébranle pas: j'ose vous prédire qu un jour FEurope por- tera le plus grand respect à ceux qui en auront conservé pour moi dans mes disgrâces.

A MADAME LA COMTESSE DE BOUFFLERS.

Woot ton 5 le 3o août 1 766.

Une chose me fait grand plaisir, madame, dans la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 27 du mois dernier, et qui ne m'eât parvenue que depuis peu de jours ; c'est de con- noître à son ton que vous êtes en bonne santé.

Vous dites, madame, n'avoir jamais vu de lettre semblable à celle que j'ai écrite à M. Hume; cela peut être , car, je n'ai, moi , jamais rien vu de semblable à ce qui y a donné lieu : cette lettre ne ressemble pas du moins à celles qu'écrit M. Hume, et j'espère n'en écrire jamais qui leur ressemblent.

Vous me demandez quelles sont les injures dont je me plains. M. Hume m'a forcé de lui dire que je voybis ses manœuvres secrètes , et je l'^i fait; il m'a forcé d'entrer là-dessus en explica- tion, je l'ai fait encore, et dans le ^lus grand détail. Il peut vous rendre compte de tout cela, madame; pour moi , je ne me plains de rien.

Vous me reprochez de me livrer à d'odieux soupçons: à cela je réponds que je ne me livre point à des soupçons: peut-être auriez-vous pu,

17' ^9

6lO GOREESPONDANGE.

madame , prendre pour vous un ^eu des leçoni que vous me donnez, netre pas si facile à croire qu« je croyois si facilement aux trahisons , et vous dire pour moi une partie des choses que vous voulez que je me dise pour M. Hume. " Tout ce que vous m alléguez en sa faveur forme un préjugé très fort, très raisonnable, d un très grand poids , sur-tout pour moi , et que je ne cherche point à combattre; mais les pré- jugés ne font rien Contre les faits. Je m abstiens de juger du caractère de M. Hume, que je ne connois pas; je ne juge que sa conduite avec moi que je connois. Peut-être suis-je le seul homme quil ait jamais hàï; mais aussi quelle haine! Un même cœur suffiroit-il à deux comme celle-là?

Vous vouliez que je me refusasse à l'évidence , cest ce que j ai fait autant que j.ai pu; que je démentisse le témoignage de mes sens , cest un conseil plus facile à donner qua suivre; que. je ne crusse rien de ce que je sentois; que je con- sultasse les amis que j ai en France : mais si je ne dois rien croire de ce que je vois et de ce que je sens ils le croiront bien môina encore, eux qui ne le voient pas, et qui le sentent en- core moiis. Quoi, madame! quand un homme vient entre quatre yeux m enfoncer , à coups re- doublés, un poignard dans le sein , il faut, avant doser lui dire quil mcvirappe, que j aille de- mander à d autres s'il ma frappé?

L'extrême emportement que vous trouvez dan«

ANNÉE 1766., 6u

ma lettre me fait présumer , madame , que vous n êtes pas de sang froid vous-même , ou que la copie que vous avez vue est falsifiée. Dans la cir- constance funeste j ai écrit cette lettre, et M. Hume, m a forcé de fécrire, sachant bien ce qu'il en vouloit faire , j'ose dire qu'il falloit avoir une ame forte pour se modérer à ce point. Il n'y a que les infortunés qui sentent combien , dans l'excès d'une afQiction de cette espèce, il est difficile d'allier la douceur avec la douleur.

M. Hume s'y est pris autrement, je l'avoue; tandis quen réponse à cette même lettre il m'é- crivoiten termes décents et même honnêtes; il écrivôit a M. d'Holback et à tout monde en termes un peu différents. Il a rempli Paris, la France, les gazettes, lEurope entière, de choses que ma plume ne sait pas écrire , et qu elle ne ré- pétera jamais: étoit-ce comm€ cela, madame, que j'aurois faire?

Vous dites que j'aurois modérer mon em- portement contre un homme qui m'a réellement s^rvi. Dans la longue lettre que j'ai écrite , le 10 juillet, à M. Hume, j ai pesé avec la plus grande équité les services qu'il ma rendus : il étoit digne de moi d'y faire par-tout pencher la balance en 8a faveur, et c'est ce que j'ai fait : mais quand tous ces grands services auroient eu autant de réalité que d'ostentation, s'ils n'ont été que des pièges qui couvroicnt les plus noirs desseins , je ne vois pas qu'ils exigent une grande reconnois- sance.

39.

6l 1 CORRESPOHD A2VCE.

Les liens de t amitié sont respedables même saprès qu ils sont rompus i cela est vrai , mais cela suppose que ces liens ont existé : malheureuse- ment ils ont existé de ma part ; aussi le parti que j ai pris de gémir tout bas et de me taire est-il îefiet du respect que je me dois.

Et les seules apparences de ce sentiment le soîU aussi. Voilà, madame, la plus étonnante maxime dont j aie jamais entendu parler. Comment? sitôt quun homme prend en public le masque de lamitié, pour me nuire plus à son aise, sans même daigner se cacher de moi , sitôt quH me baise en m assassinant, je dois noser plus me défendre, ni parer ses coups, ni nt'en plaindre,

pas même à lui! Je ne puis croire que c est

ce que vous avez voulu dire : cependant en re- lisant ce passage dans votre lettre, je ny puis trouver aucun autre sens.

Je vous suis obligé, madame, des soins que vous voulez prendre pour ma défense , maïs je ne les accepte pas : M. Hume a si bien jeté le masque, qua présent sa conduite parle et dit tout«à qui ne veut pas s aveugler; mais quand cela ne seroit pas , je ne veux point qu on me jus-r tifie, parceque je n ai pas besoin de j ustification , et je ne veux pas qu'on m excuse, parceque cela est au-dessous de moi; je souhaiterois seulement que, dans Fabyme de nialbeurs je suis plongé , les personnes que j'honore m'écrivissent des letr très moins accablantes, afin que j eusse au moins

/.'

. AJïNÉE 17.66: 6r5

consolation de consenrer pour elles tous le» sentiments quelles in ont inspirés.

A M. D'IVERNOIS.

Wootton , le 3o août 1766*

J ai lu, monsieur, daps votre lettre du 3i juil- let , larticle de la gazette que vousy avez trans- crit, et sur leqjuel vous me demandez des in-^ structions pour ma défense. Eh ! de quoi Je vou» prie, voulez- vous me défendre? de laccusation d'être un infâme? Mon bon ami , vous n'y pense» pas : lorsqu'on vous parlera de cet article , ^t des^ étonnantes lettï*es qu'écrit M. Hume , répondez simplement: Je connois mon ami Rousseau, de pareilles accusations ne sauroient le regarder: du reste, faites comme moi, gardez le silence, et demeurez en repos: sur-tout ne me parlez plus de ce qu'on dit dans le public et dans les gazet- tes ; il y a long-temps que tout cela est mort pour moi.

. Il y a cependant un point sur lequel jie désire que mes amis soient instruits , parcequ'ils pour- roient croire , comme ils ont fait quelquefois^ et toujours à tort, que des principes outrés me conduisent à des choses déraisonnables. M. Hume a répandu à Paris et ailleurs que j'avois refusé brutalement une pension de deux mille francs du roi d'Angleterre, après l'avoir acceptée: je n'ai jamais parlé à personne de cette pension

6l4 GORbESPONDANCK.

que le roi ^ouloit qui fut secrète , et je n'en au- rois parlé de ma vie, si M. Hume neût com- mencé. L'histoire en seroit long;ue à déduire dans une lettre ; il suffit que vous sachiez comment je m en défendis , quand , ayant découvert les manœuvres secrètes de ]Vf Hume , je dus ne rien accepter par la médiation d un homme qui me trahissoit. Voici , monsieur , une copie de la let- tre que j'écrivis à ce sujet à M. le général Conwai, secrétaire d'état. J etois d autant pliis embarrassé dans cette lettre que, par on excès de ménage- tuent, je jie voulois ni nommer M. Hume, ni dire mon vrai motif: je lerivoie pour que vous jugiez ) quant à présent , d'une seule chose , si j'ai refusé malhonnêtement. Quand nous nous ver- rons, vous saurez le reste: plaise à Dieu que ce soit bientôt ! Toutefois , ne prenez rien sur vos affaires d'aucune espèce: je puis attendre, et, dans quelque temps que vous veniez, je vous verrai toujours avec le même plaisir. Je me rap- porte en toute chose à la lettre que je vous ai écrite, il y a une quinzaine de jours, par voie d'ami ; je vous embrasse de tout mon cœur.

P. 5. Il faut que vous ayez une mince opinion de mon discernement, en fait de style, pour vous imaginer que je me trompe sur celui ue M. Voltaire, et que je prends pour être de hii ce qui nVîd est pas; et il faut en revanche que vous ayez une haute opinion de sa bonne foi , po^^ CW)ire que dès qu'il renie un ouvrage t'est une preuve qu'il n'est pas de lui.

AIINÉE 1766. 61 5

A MADAME LA DUCHESSE DE PORTLÂND.

V

Wootton , le 3 septembre 1 766.

Madame,

Quand je n aurois eu aucun goût pour la bo- tanique , les plantes que M. Granville ma remi- ses de votre part m'en auroîent donné ; et , pour mériter les trésors que je tiens de vous , je vou- droià apprendre à les connottre : mais , madame la duchesse, il me manque le plus essentiel pour cela , et ce n est pas assez pour moi de vos hevw bes, il me faudroit de plus vos instructions; que ne suis«»je à portée den profiter quelquefois ! Si, <»>mmençant trop tard cette étude, je navois jamais Thonneur de savoir , j aurois du moins le plaisir dapprendre, et celai d apprendre auprès de vous : j y trouverois cette précieuse sérénité dame, que donne la contemplation des mer<» veilles qui nous entourent; et, que j en devinsse ou non meilleur botaniste , j en deviendrois sû- rement et plus sage et plus heureux. Voilà , ma* 4ame la duchesse , un bien que j aime à cher- cher à v<)tre exemple , et qu on ne recherche iamais en vain : plus lesprit s éclaire et s'instruit, plus le coeur demeure paisiUe ; Fétude de la na- tu re nous détache de nous-mêmes et nous élève à son auteur .|p!est en ce Sens qu on devient "vraiment philosophe; cest ainsi que l'histoire naturelle et la botanique ont un usage pour la sagesse et pour la vertu. Donaer le change à noé

6e6 GOBHESPONDAirCK.

passions par le goût des belles connoissanoes, c est enchaîner les amours avec des liens de fi6urs. Daignez ^ madame la^ duchesse , recevoir ai^ec bonté mon profond respect.

A M. RODSTAN.

Wootton, le 7 septeiobre 1766*

. . Vous méritez bien , monsieur, l'exception que je fais pour vous de très bon cœur au. parti que j ai pris de rompre toute correspondance de let- tres, et de n'écrire plus à personne, hors les cas de nécessité. Je ne veux pas vous laisser un mo- ment la fausse opinion que je ne vois en vous qu un homme d'église , et j ajouterai que je suis bien éloigné de voir .les ecclésiastiques en gAié- ral de Tceil que vqus supposez; ils sont bien moins mes ennemis que des instruments aveu- gles et ostensibles dans les mains de mes eune- mis adroits et cachés. Le clergé catholique , qui seul avoit à se plaindre de moi , ne ma jamais fait ni voulu aucun mal ; et le clergé protestant, qui n'avoit qu'à s'en louer, ne m'en a fait et vou- lu que parcequ'il est aussi stupide que to artisan, et qu'il n'a pas vu que ses ennemis et les miens le faisoient agir pour me nuire contre tous ses vrais intérêts. Je reviens à vous , monsieur , pouf qui mes sentiments n'ont poin%phaDgé , parce- que je crois les vôtres toujours les njèipes, et que les hommes de votre étoffe prennent moins 1 es- prit de leur état qu'ils n'y portent le leur. Jcï^^

ANNÉE 1766. 617

pas craint que les clameurs de M. Hume fissent impression sur vous, ni sur M. Abaua^it, ni sur aucun de ceux qui me connoissent ; et , quant au public , il est mort pour moi; ses jugfements in- sensés Font tué dans mon cœur: je ne conndis plus d autre bien que celui de la paix de lame , e% des jours achevés en repos , loin du tumulte et des hommes ; et si les méchants ne veulent pas m'oublier 9 peu m importe; pour moi , je les ai parfaitement oubliés. M. Hume, en macca* blant publiquement des outrages que vous savez, a promis de publier les faits et les pièces qui les autorisent. Peut-être voudroit-il aujourd'hui n avoir pas pris cet engagement , mais il est pris enfin: sïl le remplit, vous trouverez dans sa re- lation Téclaircissement que vous demandez; s'il ne le remplit pas, vous en pourrez jugei: pâr-là même : un tel silence, ajprès le bruit qu'il a fait, ^seroit décisif. Il faut, monsieur, que chacun ait ^on tour; c est à présent celui de M. Humé: le mien viendra tard ; il viendra toutefois , je m'en fie à la. Providence. J'ai un défenseur dont les opérations sont lentes, mais sûres; je les at- tends, et je me tais. Je suis touché du souvenir de M. Abàuzit et de ses obligeantes inquiétudes : , saltiéz^lè tendrement et respectueusement de ma part; marquez-lui qu'il ne se peut pas qu'un homme qui sait honorer dignement la vertu , en soit dépourvu lui-même: assurez-le que, quoi que puissent faire et dire, et M. Hume, et les gazetiers , et les plénipotentiaires , et toutes les

6l8 CORRESPONDANCE.

puissances de la terre , mon ame restera toujours la même: elle a passé par toutes les épreuves, et les a soutenues ; il nest pas au pouvoir des hommes de la changer. Je vous remercie de lof- fre que vou3 me feites de m 'instruire de ce (jui se passe ; mais je ne laccepte pas : je ne prévois que trop ce qui arrivera , comme j ai prévu tout ce qui arrive. La bourgeoisie n a démenti en rien la haute opinion que j'avois délie; sa conduite, toujours sage, modérée, et ferme dans d aussi cruelles circonstances, o£Pre un exemple petite être unique , et bien digne d être célébré. Jamais Us nont mieux mérité de jouir de la liberté quau moment qu'ils la perdent; et }ose dire qu'ils effacent la gloire de ceux qui lai leur ont acquise. Vous devriez Inen , monsieur , fermier noble entreprise de célébrer ces hommes magna* Himes , en disant Voraiton funèbre de leur li- berté : votre cœur seul , même sans vos talents, suffiroit pour vous faire exécuter supérieure* ment cette entreprise ; et jamais Isocrate et Dé- mosthène n ont traité de plus grand sujet. Fai'- tes-le, monsieur, avec majesté et simplicité; ne TOUS y permettez ni satire ni invective , pas un mot choquant contre les destructeurs de la répiv- blique; les faits, sans y ajouter de réflexion, quand ils^ seront à leur charge. Détournez V06 regards* de l'iniquité triomphante , et ne voyes que la vertu dans les fers. Imitez cette ancienne prêtresse d'Athènes , qui ne voulut jamais pro- noncer d'impréeations contre Akibiade^ disaof

ANNÉE 1766. 619

quelle étoit ministre des dieux, non pour ex- communier et maudire ; mais pour louer et bénir.

A MILORD-MARÉCHAL.

7 septembre 1766.

Je ne puis vous exprimer, milord, à quel point, dans les circonstances je me trouve, je suis alarmé de votre silence. La dernière lettre que j ai reçue de vous étoit du.... Seroit-il possi- ble que les terribles clameurs de M. Hume eus- sent fait impression sur vous, et m eussent, au milieu de tant de malheurs, été la seule consola- tion qui me restoit sur la terre? Non , milord , cela ne peut pas être; votre ame ferme ne peut être entraînée par lexemple de la foule; votre esprit judicieux ne peut être abusé à ce point. Vous n'avez point connu cet homme , personne ne l'a connu , ou plutôt il n est plus le même. !!• na jamais haï que moi seul; mais aussi quelle haine ! un même cœur pourroit'41 suffire à deux comme celle-là? Il a marché jusqu'ici dans les ténèbres , il s'est caché ; mais maintenant il se montre à découvert. Il a rempli l'Angleterre, la France, les gazettes, l'Europe entière, de cris auxquels je ne sais que répondre, et d'injures dont je me croirois digne si je daignois les re- pousser. Tout cela ne décèle-t-il pas avec évi- dence ie but qu'il a caché jusqu'à présent avec tant 4e soin? Mais laissons M. Hume; je veux l'oublier malgré les maux qu'il ma faits : seule-

/

620 CORRESPONDANCE.

ijient quil ne m'^e pas mon père; 'cette perte est la seule que je ne pourrois supporter. Avez* ' vous reçu mes deux dernières lettres. Tune du 20 juillet et l'autre du 9 août? Ont-elles eu le bonheur d échapper aux filets qui sont tendus tout autour de moi , et au travers desquels peu de chose passe,? , Il parott que. Imtention de mon persécuteur et de ses amis est de m'àter ' toute communication avec le continent, et de me faire périr ici de douleur et de misère ; leurs mesures sont trop bien prises pour que je puisse aisément leur échapper. Je suis préparé à tout et je puis tout supporter hors votre silence. Je m adresse à M. Rougemont; je ne.connois que lui seul à Londres à qui j ose me confier :. s'il me refuse ses services, je suis sans ressource et sans* moyens pour écrire à mes amis. Ah , milord \ qu'il me vienne une lettre de vous , et je me con- •sole de toute le rçste !

A M. RICHARD DAVENPORT.

Wootton , le 1 1 septembre 1766.

Après. le départ, monsieur, de ma précédente lettre , j'en reçus enfin une de M. Becket : il me marque que les estampes sont dans une des au- tres caisses ; ainsi je n'ai plus rien à dire: mais vous m'avouerez que , ne les trouvant pas dans la caisse elles dévoient être , et trouvant. les porte-feuilles vidi^s , .il étoit assez naturel que je les' crusse perdues. Il m^e reste à vous faire mes

ANNÉE 1766. 621

excuses de vous avoir donné pour cette affaire bien de lembarras mal-à propos. <

Vous recevez si bien vos hôtes et votre habi-* tation me parolt si agréable , que j ai grande en^ vie de retourner vous y voir l^nnée prochaine. Si vous n étiez pas pressé pouf la plantation votre jardin et que vous voulussiez attendre jus- qu'à Tannée prochaine, il me viehdroit peut- être quelques idées, car quant à présent j ai l'es- prit encore trop rempli de choses^ tristes , pour qu aucune idée agréable vienne s y présenter; mais lasile je suis et la vie douce que j y mène m en rendront bientôt, quand rien du de-* hors ne viendra les troubler. Puissé-je être ou- blié du public, comme je loublie! Quoi que vous en disiez, je préfërerois et je croirois faire une chose cent fois plus utile de découvrir une seule nouvelle plante, que de prêcher pendant cin- quante ans. tout le genre humaini

Nous avons depuis quelques jours^ un bien mauvais temps , dont je serois moins affligé , si jespérois qu'il ne s'étendît pas jusqu'à Daven- port. J'en salue de tout mon cœur les habitants et sur-tout le bon et aimable maître..

A MILÔRD-MARÉCHAL.

Wootton, le 27 septembre 1^66.

Je n'ai pas besoin , milord , de vous dire com- bien vos deux dernières lettres m'ont fait de plai- sir et in'étoient nécessaires. Ce plaisir a pour^

623 CORRESPONDANCE.

tant été tempéré par plus cTun article, par un sur-tout -auquel je réserve une lettre exprès, et aussi par ceux qui regardent M. Hume, dont je ne saurais lire le nom ni rien- qui s y rapporte, sans un serrement de càeur et un mouvement convtrisif , qui fait pis que de me tuer , puisqu'il me laisse vivre. Je ne chercha point, milord , à détruire Fopinion que vous avez de cet homme, ainsi que toute FEurope; mais je vous conjure par votre cœur paternel de ne me reparler ja- mais de lui sans la plus grande nécessité.

Je ne puis me dispenser de répondre à ce qUe vous m en dites dans votre lettre du 5 de ce mois. Je vois avec douleur , me marquez-vous, que vos ennemis mettront sur le compte df M. Hume tout ce qu'il leur plaira d'ajouter au démêlé d'entre vous et lui. Mais que pourroient-ils faire de plus que ce quil a fait lui-même? Diront-ils de moi pis qu il n en a dit dans les lettres qu'il a écrites à Paris, par toute FEurope, et quil a Élit mettre dans toutes les gazettes? Mes autres ennemis me font du pis qu ils peuvent et ne s en cachent guère; lui fait pis qu eux et se cache, et c est lui qtii ne manquera pas de mettre sur leur compte le mal que jusqu'à ma mort il ne cessera de me faire en secret.

Vous me dites encore , milord , que je trouve mauvais que M. Hume ait sollicité la pension du roi d'Angleterre à mon insu. Comment avez- vous pu vous laisser surprendre au point d'aflfir mer ainsi ce qui n est pas ? Si cela étoit vrai , je

. AKNÉE 1766. 623

seroi& un extravagant , tout au moins ; mais rien n'est plus faux. Ce qui m'a fâché, cetoit qu avec sa profonde adresse il se soit servi de cette pçnsion , sur laquelle il revenoit à mon in- su, quoique refusée, pour me forcer de lui mo- tiver mon refus et de lui faire la déclaration qu'il vouloit absolument avoir et que je voulois éviter, sachant bien l'usage qu'il en vouloit faire. Voilà, milord, l'exacte vérité, dont j'ai les preu- ves et que vous pouvez affirmer.

Grâces au ciel j'ai fini quant à présent sur ce qui regarde M. Hume. Le sujet dont j'ai main- tenant à ^ous parler est telque je ne puis me ré- soudre à le mêler avec celui-là dans la même let- tre, je le réserve pour la première que je vous écrirai. Ménagez pour moi vos précieux jours, je vous en conjure. Ah ! vous ne savez pas , dans l'abyme de malheurs je suis plongé, quel se-^ l'oit pour moi celui de vous survivre!

A MADAME ***.

Wootton , le 27 septembre 1766.

Le cas que vous m'exposez, madame, est dans le fond très commun, mais mêlé de choses si ex- traordinaires, que votre lettre a lair d'un romam Votre jeune homme n'est pas de son siècle ; c'est .un prodige ou un monstre. H y a des monst-res dans ce siècle , je le sais trop , mais plus vils quç courageux et plus fourbes que féroces. Quant aux prodiges, on en voit si peu quç ce n'est pas

624 CORRESPONDANCE.

la peine d'y croire ; et si Gassius* en est un de force d ame , il n en est assurément pas un de bon sens et de raison.

Il se vante de sacrifices qui ^ quoiquilsi» fassent horreur , seroient grands s'ils étoient pénibles , et seroient héroïques s'ils étoient nécessaires, mais où, faute de lune, et de lautre de ces condi- tions, je ne vois quune extravagance qui me faittrès mal augurer de celui qui les a faits. Con- venez, madame, qu'un amant qui oublie sa belle dans un voyage , qui en redevient amou- reux quand il la revoit, qui l'épouse et puis qui s'éloigne , et l'oublie encore , qui promet sèche- ment de revenir à ses couches et n'en fait rien, qui revient enfin pour lui dire qu'il l'abandonne, qui part et ne lui écrit que pour confirmer cette belle résolution ; convenez , dis-je , que si cet homme eut de l'amour , il n'en eut guère , et que la victoire dont il se vante avec tant de pompe lui coûte probablement beaucoup moins qu'il ne vous dit.

Mais , supposant cet amour assez violent pour se faire honneur du sacrifice , en est la néces- sité? c'est ce qui me passe. Qu'il s'occupe du su- blime emploi de délivrer sa patrie, cela est fort beau, et je veux croire que cela est utile; mais ne se permettre aucun sentiment étranger à ce devoir , pourquoi cela ? Tous les sentiments ver- tueux ne s'étayentrils pas les uns lies autres , et peut-on en détruire un sans les afibiblir tous? J'ai cru hng-temps^ dit-il , combiner mes iiffec^

ANNÉE 1766. 625

tions ayec mes devoirs. Il n y a point de com^ binaisons à faire ^ quand ces affections elles- mêmes sont des devoirs. V illusion cesse , et je 'vois qiHun vrai citoYen doit les abolir. Quelle est donc cette illusion , et a^^t^il pris cette affreuse maxime? S il est de tristes situations dans la jie, s'il est de cruels devoirs qui nous forcent quel- quefois à leur en sacrifier d autres, à déchirer notre cœur pour obéir à la nécessité pressante^ ou à Tinflexible vertu, en est-il, en peut-il jamais être qui nous forcent d'étouffer des sentiments liussi légitimes que ceux de Famour filial , con- jugal , paternel; et tout homme qui se fait une expresse loi de n être plus ni fils , ni mari , ni père, ose-t-il usurper le nom de citoyen , ose-t-il ' usurper le nom d'homme?

On diroit, madame, en lisant votre lettre, qui! s'agit d'une conspiration. Les conspirations peuvent être des actes héroïques de patriotisme, et il y en a eu de telles; mais presque toujours elles ne sont que des crimes punissables , dont les auteurs songent bien moins à servir la patrie qu'à l'asservir , et à la délivrer de ses tyrans qu'à letre. Pour moi, je vous déclare que j%ne vou- drois pour rien au monde avoir trempé dans la

i conspiration la plus légitime ; parceque enfin ces

sortes d'entreprises ne peuvent s'exécuter ^âns

I troubles, sans désordres , sans violences, quel-

quefois sans effusion de sang, et qu'à mon avis

t le sang d'un seul homme est d'un plus grand

\ prix que liberté de tout le genre humain. Ceux

17. 40

$20 CORRESPONDANGE.

qui aîmeol siocèremeDi la liberté n ont pas oe^ soin , pour la trouver , de tant de machines ; et , s^ns causer ni révolutions ni troubles , qui-» conque veut être libre lest en effet.

Posons toutefois cette grande entreprise corn** me un devoir sacré qui doit régner sur tous les autres, doit-il pour cela les anéantir, et ces di& férents devoirs sont-ils donc à tel point incom-* patibles qu'on ne puisse servir la patrie sans re- noncer à rhumanité? Votre Gassius est-il donc le premier qui ait formé le projet de délivrer la sienne, et c^ux qui Font exécuté Font-ils fait au prix des sacrifices dont il se vante? Les Pélopidas, les Brutus, les vrais Cassius et tant d autres, oi^t-ils eu besoin d abjurer tous les droits du sang et de la nature pour accomplir leurs nobles des» seins ? y eut-il jamais de meilleurs fils , de meil- leurs maris , de meilleiirs pères que ces grands hommes? la plupart , au contraire , concertèrent leurs entreprises au sein de leurs familles; et Qrutus osa révéler , sans nécessité , son secret à sa femme, uniquement parcequ'il la trouva digne d en être dépositaire. Sans aller si loin chercher des exemples , je puis , madame , vous en citer un plu^ moderne d un héros à qui rien ne lûan* que pour être à côté de ceux de lantiquité que d'être aussi connu queux; c'est le comte Louis de Fiesque, lorsqu'il voulut briser les fers de Qê^es sa patrie , et La délivrer du joug des Doria^ Ce jeune hooime si aimable , si vertueux , si par« ff^it, forma ce {;rand dessein presque dè& aon én^

AWNÈE 1766. 627

. lance , çt s'éleva pour ainsi dire lui-même pour Vexécuter. Quoique trè6 prudent, il le confia à son frère, à sa famille, à sa femme auâsi jeune que lui ; et après des préparatifs très grands , très lents , très diflïciles , le secret fut si bien gar- dé , lentreprise fut si bien concertée et eut un si plein succès , que le jeune Fiesque étoît mattre de Gènes au moment qu il périt par un accident. Je ne dis pas qu'il soit sage de révéler ces sor- tes de secrets, même à ses proches , sans la plus grande nécessité ; mais autre chose est , garder son secret, et autre chose, rompre avec ceux à qui on le cache : j'accorde même qu'en mé- ditant un grand dessein , Ton est obligé de s'y livrer quelquefois au point d oublier pour uii temps des devoirs moins pressants peut-être, mais non moins sacrés sitôt qu'on peut les rem- plir; mais que, de propos délibéré, de gaieté %le cœur, le sachant, le voulant, on ait avec la bar- barie de renoncer pour jamais à tout ce qui nous doit être cher, celle de l'accabler de cette décla- ration cruelle , c'est , madame, ce qu'aucune si- tuation imaginable ne peut ni autoriser ni sug- gérer même à un homme dans son bon sens qui n'est pat un monstre. Ainsi je conclus, quoiqu'à regret , que votre Gassius est fou tout au moins , et je vous avoue qu'il m'a tout-à-fait l'air d'un ambitieux embarrassé de sa femme, qui veut cou vrir du masque de l'héroïsme son inconstance et ses projets d'agrandissement : or, ceux qui sa- vent employer à son âge de pareilles ru ses sont

40.

62^ GORHESPONDANGE.

des gens qu'on ne ramène jamais , et qui rare* ment en valent }a peine.

Il se peut, madame^ qu<^ j^ ^^ trompe; cest h vous den juger. Je voudrois avoir, des choses plus agréables à vous dire ; mais vous me deman- dez mon sentiment,. il faut vous le dire, ou me taire , ou vous tromper. Des trois partis j'ai choisi le plus honnête et celui qui pouvoit le mieux. vQus marquer , madame , ma déférence et mon respect.

A M. DUPEYROD.

Wootton, le i5 novembre 1766.

Je vois avec douleur, cher ami^ par votre n^Sy^ que je vous ai écrit des choses déraisonnables dont vous vous tenez offensé. Il faut que vous ayez liaison d'«n juger ainsi ^ puisque vous êtes sang-froid en lisant mes lettrés , et que je ne le suis guère en les écrivant ; ainsi vous êt^splus en état que moi de voir les choses telles qu elles sont. Mais cette considération doit être aussi de votre part une plus grande raison d'indulgence : ce qu on écrit dans le trouble ne doit pas être en- visagé comme ce qu on écrit de . sang-froid. Da dépit outré a pu me laisser échapper des expres- sions démenties par mon cœur , qui n eut jamais pour vousque dessentimentshonorables. Au con- traire, quoique vos expressionsle soient toujours, vos idées souvent ne le sont guère ; et voilà ce qui, dans le fort de mes afflictions, a souvent achevé de m abattre. En me supposant tous les torts dont

ANNÉE 1766, 629

VOUS m'avez chargé, il falloit peut-être attendre un auti^e moment pour me les dire , ou du moins vous résoudre à endurer ce qui en pouvoit résul- ter. Je lie prétends pas , à Dieu ne plaise , m ex- cuser ici, ni vous (charger, mais seulement vous donner des raisons qui me semblent justes , d ou* blier les torts d'un ami dans mon état. Je vous en demande pardon de tout mon cœur; j ai grand besoin que vous me laccordiez, et je vous pro- teste avec vérité que je n'ai jamais cessé un seul moment d'avoir pour vous tous les sentiments que j'aurois désiré vous trouver pour moi. .

La punition a suivi de près l'ofïeqse. Vous ne pouvez douter du tendre intérêt que je prends à tout ce qui tient à votre santé, et vous refuse» de me parler des suites de votre voyage de Beffôrt. Heureusement yous n'avez pu être méchant qu'à demi , et vous me laissez entrevoir un succès dont je brûle d'apprendre la confirmation. Écrivez- moi là-dessus en détail, mon aimable hôte; donnez-moi tout à-la-fois le plaisir savoir que vos remèdes opèrent, et celui d'apprendre que je suis pardonné. J'ai le cœur trop plein de ce be- soin pour pouvoir aujourd'hui vous parler d'au- tre chose ; et je finis en vous répétant du fond de mon ameque mon tendre attachement et mon vrai respect pour vous ne peuvent pas plus sor- tir de mon cœur que l'amour de la vertu.

63a COBRESPOliDANÇE.

t > <

A M, LALLIAUD.

Wootton^le i5 novembre 1766.

A peine noua^connoissons-Dous, monsieur, et vous me rendez les plus vrais services de lami- tié : ce z^le est donc moins ponr moi que pour la chose, et m en est 4'un plus- grand prix. Je vois que ce même amour de la justice , qui brûla toujours dans mon cœur, br^le aussi dans le v6tre : rien ne lie tant les âmes que cette confor-? ^mité. La nature nous fit amis; nous ne sommes, ni vous ni moi, disposés à len dédire. J ai reçu le paquet que vous m avez envoyé par la voie de M. Dutens; c!e8t à mon avis la plus sûre. Le duplicata in'a pourtant çléja été annoncé, et je ne doute pas qu'il ne me parvienne. J admire Fia- trépidité des auteurs de cet ouvrage , et sur-tout s'ils le laissent répandre à Londres , ce qui nie parott difficile à empêcher. Du reste , ils peuvent faire et dire tout à. leur aise : pour moi, je n'ai rien à dire de M. Hume , sinon que j.e le trouve bien insultant pour un bonMiomme^ et bien bruyant pour un philosophie. Bonjour, mon- sieur ; je vous aimerai toujours, ruais je ne vous écrirai pas , à moins de nécessité : cependant je serois bien aise , par précaution , d avoir votre adresse. Je vous embrasse de tout mon cœur, et vous prie de dire à M. Sauttershaim que je suis sensible à son souvenir, et n'ai point oublié notre ancienne amitié. Je suis aussi surpris que fâché

ATÎÎNÉE 1766. 63V

quavec de lesprit, des talents, de la douteur, et une dssez jolie figure, il ne trouTe rien à faire k Paris. Cela viendra , mais les commencements y sont difficiles.

A MADEMOISËLI.E DEWES.

Wootton, le 9 décembre 1766.

Ma belle voisine , vous me rendez injuste et jalotix pour la première fois de ma vie : je n ai pu voir sans envie les cbairies dont vous hdno* riez nKon sultan; et je lui ai ravi lavantage de les porter le premier : j'en aurots parer votre brebis chérie , mais je n ai osé empiéter sur les droits d'un jeune et aimiable berger; cest déjà trop passer les miens de faire le galant à moQ âge; mais puisque vous 'me lavez fait oublier, tâchez de loublier vous-même^ et pensez moins au bàrbôn qui vous rend hommage, quau soip que vous avez pris de lui rajeunir le cœur.

Je ne veux pas, ma belle voisine, vous ennuyer plus long-temps de mes vieilles sornettes : si je Vous contois toutes les bontés et amitiés dont votre cher oncle m'honore, je seror^ encore en- nuyeux par mes longueurs ; ainsi je me tais. Mais revenez Tété prochain en être le témoin vous* même, et ramenez madame la comtesse (i), à condition que nous serons cette fois-ci tes plus

(1) Madame la comtesse de Gowper, veuve du fe|i /sonate Gowper, ei fille du comte de Granville,

63a CORBESPONDANCE.

forts , et qu au lieu de vous laisser enlever comme cette année, vous nous aiderez à la retenir.

A MILORD-MARÉCHAL.

1 1 décembre 1 766.

Abréger la correspondance!... Milord, que mannoncez-vous, et quel temps prenez- vous pour cela ? Serois-je dans votre disgrâce ? Ah ! dans tous les malheurs qui m accablent, voilà le seul que je ne saurois supporter. Si j des torts , daignez les pardonner ; en est-il , en peut-il être , que mes sentiments pour vous ne doivent pas ra- cheter? Vos bontés pour moi font toute la con^ solation de ma vie : voulez-vous m'ôter cette unique et douce consolation? Vous avez. cessé d'écrire à vos parents. Eh ! qu'importe , tous vos parents, tous vos amis ensemble? ont-ils pour vous un attachement comparable au mien ? Eh ! milord, c'est votre âge, ce sont mes maux qui nous rendent plus utiles l'un à l'autre ; à quoi peuvent mieux s'employer les restes de la'Tie, qu'à s'entretenir avec ceux qiH nous sont chers? Vous m'avez promis une éternelle amitié ; je la veux toujours , j'en suis toujours digne. Les terres et les mers nous séparent, les hommies peuvent semer bien des erreurs entre nous ; mais rien ne peut séparer mon cœur du vôtre, et celui que vous aimâtes une fois n'a point changé. Si réel- lement vous craignez la peine d'écrire , c'est mon

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devoir de vous 1 épargner autant qu'il se peut: je ne demande, à chaque fois, que deux lignes, toujours les mêmes, et rien de plus : T ai reçu votre lettre de telle date; je me porte bien, et je vous aime toujours. Voilà tout; répétez-moi ces dix mots douze fois Tannée, et je suis content. De mon côté j'aurai le plus grand soin de ne vous écrire jamais rien qui puisse vous importyner ou vous déplaire : mais cesser de vous écrire avant que la mort nous sépare, non, milord, cela ne peut pas être; cela ne se peut pas plus que cesser de vous aimer.

Si TOUS tenez votre cruelle résolution, j'en mourrai; ce n'est pas le pire; mais j'en mourrai dans la douleur, et je vous prédis que vous y aure; du regret. J'attends une réponse, je -l'at- tends dans les plus mortelles inquiétudes ; mais je connois votre ame et cela me rassure : si vous pouvez sentir cqmbien cette réponse m'est né- cessaite , je suis très sûr que je l'aurai prompte- ment.

A M. D'IVERNOIS.

Wootton, le la décembre 1766.

' J'étois extrêmement en peine de vous, mon- sieur, quand j'ai reçu votre lettre du 19 novem- bre, qui m'a tranquillisé sur votre santé, et sur votre amitié , mais qui m'a donné des douleurs , dont la perte de votre enfant , quelque touché que je sois de tout ce qui vous afflige , n'est pour-

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tenl pas la plus vive. Cette vie, moDsieùr, Vest le temps ni de la vérité , ni de la justice : il faut s en consoler par lattente d'une meilleure.

Tout bien pesé , je ne suis pas fàcbé que vous n ayez pas fait cette année la bonne œuvre que yous vous étiez proposée ; mais je le suis beati*- coup que vous m'ayez laissé dans la plus parfaite kicertitude sur lavenir. Il mlmporteroit de sa-- voir à quoi m'en tenir sur ce point. Il ne s'agit que d'un oui ou d'un non de votre part^ que jlentendrai sans qu'il soit besoin de plus grande explication.

C'est à regret que je vous écris si rarement et si peu : ce n'est pas faute d'avoir de quoi vous entretenir; mais il faut attendre de plus sûres occasions. Mes respects à madame d'Iverçois ; j'embrasse tendrement tout ce qui vous est cher, tous ceux qui m'aiment, et sur-tout votre associé.

A M. DAVENPORT.

32 décembre 1766.

Quoique jusqu'ici, monsieur, malgré mes sol- licitations et mes prières, je "n'aie pu obtenir de vous un seul mot d'explication, ni de réponse sur les choses qu'il m'importe le plus de savoir, mon extrême confiance en vous m'a fait endurer patiemment ce silence , bien que très extraordi* tiâire. Mais, monsieur, il est temps qu'il cesse; et vous pouvez juger des inquiétudes dont je s^is dévoré, vous voyant prêt à partir pour Londres

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dans maccorder, malgré vos promesses, auctiù des éclaircissements que je vous ai demandés avec tant dlnstances. Chacun a son -caractère; je suis ouvert et confiant plus qu'il ne ibudroit peut-être : je ne demande pas que vous le soyez comme moi; mais c est aussi pousser trop loin le mystère, que de refuser constamment de me dire sur quel pied je suis dans votre maiaori , et si jy suis de trop ou non. Considérez, je vous supplie, ma situation, et jugez de mes embar- ras; quel parti puis-je prendre, si vous refusez de me parler? Dois-je rester dans votre maison malgré vous? en puis-je sortir sans votre assis- tance ? Sans amis , sans connoissances, enfoncé dans un pays dont j'ignore la langue , je suis en* tièrement à la merci de vos gens : c'est à votre invitation que j y suis venu, et vous m'avez aidé à y venir; il convient, ce me semble, que vous m aidiez de même à en partir, si j'y suis de trop. Quand j'y resterôis, il faudroit toujours, malgré toutes vos répugnances , que vous eussiez la bon- té de prendre des arrangements qui rendissent inon séjour chez vous moins onéreux pour l'un et pour l'autre. Les honnêtes gens gagnent tou- jours à s'expliquer et s'entendre entre eux : si vous entriez avec moi dans les détails dont vous vous fiez à vos gens , vous seriez moins trompé et je serois mieux traité , nous y trouverions tous deux notre avantage ; vous avez trop d'esprit pour nef pas voir qu'il y a des gens à qui mon séjour dans votre maison déplatt beaucoup, et

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qui feront de leur mieux pour me le rendre dés- agréable.

Que si, malgré toutes ces raisons, tous conti- nuez à garder avec moi le silence , cette réponse alors deviendra très claire , et vous ne trouverez pas mauvais que , sans m obstiner davantage in- utilement y je pourvoie à ma retraite comme je pourrai, sans vous en parler davantage, empor- tant un souvenir très reconnoissant de Fhospita- lité que vous m'avez offerte, mais ne pouvant me dissimuler les cruels embarras je me suis mis en lacceptant.

A LORD VICOMTE DE NUNCHAM,

AVJOURD^HVI COMTE DE HARGOURT.

Wootton, le 24 décembre 1766. -

Je croirois, milord , exéctiter peu honnêtement la résolution que j ai prise de me défaire de mes estampes et de mes livres , si je ne vous prioîs de vouloir bien commencer par en retirer les es-*^ tampes dont vous avez eu la bonté de me faire présent. J en fais assurément tout le cas possible, et la nécessité de ne rien laisser sous mes yeux qui me rappelle un goût auquel je veux renon- cer pou voit seule en obtenir le sacrifice. S'il y a dans mon petit recueil, soit d estampes, soit de livres, quelque chose qui puisse vous convenir, je vous prie de me faire Fhonneur de lagréer, et sur- tout par préférence ce qui me vient de votre digne ami M. Watelet, et qui ne doit pas-

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ser qu'en main d ami. Enfin , milord , si vous êtes à portée d'aider au débit du reste, je recon- noîtrai, dans cette bonté, les soins officieux dont vous m avez permis^ de me prévaloir. C'est chez M. Davenport que vous pourrez visiter le tout, si vous voulez bien en prendre la peine. Il demeure en Piccaddily à côté de lord Egremond. Recevez,' milord^ je vous prie, les assurances de ma reconnoissance et de mon respect.

FIN DU DIX-SEPTIÈME VOLUME.

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