N THE CUSTODY OE THE BOSTON PUBLIC L1BRARY. 5HELF N° **ADAMS -131.13 **m :N^ (SUVRES D E MAUPERTUIS, Digitized by the Internet Archive in 2010 http://www.archive.org/details/uvresdemaupertui01maup Pei/iijpar T&urniere UVRES MAUPERTUIS. Nouvelle Édition corrigée & augmentée. TOME PREMIER. m- "3K — 3W"-3w"*"*Ïr" *X""3S* "3(^*- Chez JEAN-MARIE BRUYSET Imprimeur-Libraire , rue S. Dominique» Ma DCC LXVIIL Avec Approbation & Privilège du Roi. w =48fc= r'àki *rs vj* #*•*& r£« 4* ■•■"; 4* .■"•.-•' ~s» = nous nous f parâmes. Vous vous deflinâtes au Commerce 9 je réfolus de m! appliquer aux Sciences. Dix ans après nous nom retrouvâmes. Là fortune avoit fécondé la fageffé de toutes vos entreprifes : & dans la partit même que favois embrajfée 3 vous ndvie^ pas fait de moin- dres progrès, Quoique les con- noijfances étrangères à votre objet principal n euffent été quun amu^ fement pour vous , le talent vous avoit aujfz bien fefvl quau- toit fait F étude la plus ajjîduè* Je n avais pas eu le même avan- tage : avec beaucoup d'applica- tion je navois que peu avancé dans la carrière des Sciences ^ & rien n avoit fuppléé au peu % i j iv EPITRE. de foin que j'avois pris de ma fortune. Telle étoit la filiation vu nous nous trouvions par rap- port a nous-mêmes : celle où nous étions par rapport a la fociétê était encore plus différente. Apres avoir porté juj qu'aux extrémités de V Afe Vefprit & les vertus de notre Nation > & avoir ménagé fes intérêts che^ le Peuple le plus habile de l'Uni- vers , vous rapportiez dans votre Patrie le Citoyen le plus utile. Je ne fuis pas affe^ vain pour croire que mes travaux foient jamais d'une grande utilité : quand même ils auroient eu tout le fucces qu'ils pouvaient avoir , ils n'étoient guère du genre de ceux qui peuvent accroître le bonheur d'un Etat. EP I TR E. V Les fcienc.es. auxquelles je me fuis le plus long- temps appliqué 9 nous présentent le fuperflu , & nous refufent le néce (Taire : elles nous découvrent quelques vérités peu intéreffantes % & laiffent dans les ténèbres celles qui nous inté- relfent le plus. Je parle ici des bornes que la nature des chofes met à notre connoijfance : il en ejl d'autres bien plus étroites que ma propre foiblejje ma pref crites. Vous jugere^ auxquelles des deux il faut attribuer ce qui manque a mes ouvrages. Il < fe- rait inutile de vous demander les complaifances de V amitié : vous me lire^ avec cette jufîelfe d'efprit que vous porter en tout ; & je ferai content , parce que a iij EPITR El vous me lire^ dans cette ai pojîtion Jî rare che^ les lecteurs ordinaires , que lorfque vous trouvère^ quelque défaut dans mon Livre , vous Jouhaiterie^ quil ny fût pas. 5% * & «7- f ■% p 'F «l K Vif AVERTISSEME SUR CETTE NOUVELLE ÉDITION. 01 CI une Edition de mes Ouvrages plus correâe & plus ample qu'aucune de celles qui ont paru. Dans les précédentes on avoit omis tout ce qui étoit purement mathématique ; on le retrouve ici y & il forme le quatrième tome. Quelques pièces cependant relieront encore répan- dues dans les Mémoires de l'Aca- démie Royale des Sciences de Paris. Ces pièces , lorfque je les donnai , purent être favorable- ment reçues d'un jeune Acadé- micien , ou excufées par les cirçonftances qui mettent quel- a. xy P AVERTISSEMENT* quefois dans les Compagnies pen^ dant un temps certaines matières fur le tapis ; aujourd'hui çlles ne m'ont plus paru dignes de revoir Je. jour. J'ai fait un choix de ce que je croyois avoir fait de meilleur : dans les pièces qui font reliées j'ai fait encore des retranchemens & des correûions : j'ai changé pour quelques-unes l'ordre où elles étoient dans l'Edition de Drefde > & les ai mifes dans un ordre nouveau qui m'a paru plus convenable : enfin j'ai ajouté quel- ques ouvrages qui n'avoient point ç nçore paru, S S A I D E COSMOLOGIE. Mens agitât molem, Virgil. ./Eneid. ïib. VI. Pflr-ir'inrti'iii g B mi ii.km1 »l,ji )nnnnrïïa P-^"^ • •. - ******* • :.'■ *^*% AVANT-PROPOS. WiF^MANS tous les temps il s'efi w D % trouvé des Philosophes qui ont fefe^bii entrepris d'expliquer le fiyfiéme du Monde. Mais fans parler des Philo- fophes de l'antiquité qui l'ont tenté $ fi un Defcartes y ci fi peu réujfi y fi un Newton y a laijfé tant de chofies à defirer ? quel fiera l'homme qui ofera l'entreprendre ? Ces voies (î fimples qua fiuivi dans fis productions le Créateur s deviennent pour nous des labyrinthes dès que nous y voulons porter nos pas. Il nous a accordé une lumière fujfijante pour tout ce qui nous étoit utile _, mais il fiemble qu'il ne nous foit permis de voir que dans Vobfiurité le refile de fion plan. Ce nefi pas quon ne fioit parvenu à lier ensemble plufieurs phénomènes y à les déduire de quelque phénomène intérieur 3 & à les fioumettre au calcul: xij AVANT-PROPOS. fans doute même les temps & l'expé- rience formeront dans ce genre quelque chofe de plus parfait que tout ce que nous avons. Mais un fyflême complet y je ne crois pas qu'il foit permis de l'efpérer : jamais on ne parviendra à fuivre £ ordre & la dépendance de tou- tes les parties de l'Univers. Ce que je me fuis propofé ici efl fort différent : je ne me fuis attaché qu'aux premiè- res loix de la Nature , qu'à ces loix que nous voyons conflamment obfer~ vées dans tous les phénomènes r & que nous ne pouvons pas douter qui ne foient celles que l'Être fupréme s' efl. propofées dans la formation de l'Uni- vers. Ce font ces loix que je m'ap- plique à découvrir , & à puifer dans la fource infinie de fageffe d'où elles font émanées : je, ferois plus flatté d'y avoir réufji 9 que fi féwis par- venu par les calculs les plus difficiles à en fuivre les effets dans tous les détails. Tous les Philofophes d'aujourd'hui forment deux fecles. Les uns voudroient Joumettre la Nature à un ordre pure** AVANT-PROPOS. xîij ment matériel y en exclure tout prin- cipe intelligent ; ou du moins vou- droient que dans l'explication des phé- nomènes , on n'eût jamais recours à ce principe _, qu'on bannit entièrement les caufes finales. Les autres au con- traire font un ufage continuel de ces caufes 5 découvrent par toute la Nature les vues du Créateur 5 pénètrent fes deffeins dans le moindre des phénomè- nes. Selon les premiers , l'Univers pourroit fe paffer de Dieu : du moins les plus grandes merveilles quon y ob- ferve n'en prouvent point la néceffiti* Selon les derniers ? les plus petites parties de l'Univers en font autant de démo njl rations : fa puijfance -9 fa fa- geffe & fa bonté font peintes fur les ailes des papillons & fur les toiles des araignées. Comme il n'y a aujourd'hui pref- qu aucun Philofophe qui ne donne dans l'une ou dans Vautre de ces deux ma- nières de raifonner , je ne pouvois guère manquer de déplaire aux uns & aux autres. Mais des deux côtés le péril n'étoit pas égal» Ceux qui veulent xîv AVANT-PROPOS. j Joumettre tout à l'ordre purement rnàté^ riel y ont encore quelqu indulgence pour ceux qui croient que l' intelligence gou- verne s & ne les combattent qu'avec les armes de la P hilofophie : ceux qui voient par -tout l'intelligence , veulent au on la voie par - tout comme eux i combattent avec des armes facrées 9 cherchent à rendre odieux ceux qu'ils ne fauwient convaincre. J'ai été attaqué par ces deux efpe~ ces de Philosophes , par ceux qui ont trouvé que je faifois trop valoir les caufes finales ? & par ceux qui ont cru que je n'en faifois pas affe^ de cas» La raifon me défend contre les uns ; un fiecle éclairé n'a point permis aux autres de m' opprimer. J'aurai bientôt répondu à ceux qui blâment Vufage que j'ai fait des cau- fes finales dans une matière mathé- manque : cefl juflement ce qu'il y à de mathématique dans cette matière qui rend plus viUorieufe l'application que j'y ai faite des caufes finales. QueU ques-uns ne veulent point admettre de ilité entre ce qu'on appelle mouve* Wient 9 force , action $ effet des corps* Ils fe fondent fur ce que nous ne con*> tevons point clairement comment les corps agiffent les uns fur les autres* Mais Us agijfent , foit comme caufes immédiates $ foit comme caufes occa* fionelles ; & agiffent toujours avec une certaine uniformité p & félon de cer- taines loix : & s'il nous manque quel** que chofe pour expliquer la manière dont ils agiffent y nous ne fommes pas moins en droit d'appeller effet ce qui fuit toujours un phénomène , & caufe ce qui le précède toujours. Si ces Phi* lofophes veulent effayer dans quelque autre genre que ce foit de donner une idée plus parfaite de ce que tout le monde appelle caufe & effet ? ils s'y trouveront peut-être fi embarraffés qu'ils ne nous en difputeront plus- l'ufage dans une matière où peut *- être leur rapport efl moins obfcur qu'en aucune autre* Ma réponfe fera un peu plus Ion-* crue pour ceux qui ont cru que je ne faifoïs pas affe^ de cas des caufes fi- nales P parce que je ne voulois pas Us xvj AVANT-PROPOS fuivre dans l'ufage immodéré qu'ils en font* Ceux-ci ont voulu perfuader que je cherchois à détruire les preuves de. l'exiflence de Dieu que l'Univers pré* fente par- tout & aux yeux de tous les hommes , pour leur en fubjlituer une feule qui nétoit à la portée que d'un. petit nombre* Ils ont regardé comme une impiété que fofa(fe examiner la valeur des preuves qu'ils tirent indif tintement de toute la Nature pour nous convaincre de la plus grande des vérités* S'il étôit quejlion ^examiner Jî , pour établir une opinion jauffe quon croiroit utile _, il feroit permis d'em* ployer des argumens fufpe&s j on au* roit bientôt répondu , en difant qu'il ejl impofjlble que le faux foit jamais utile. Outre que l'admifjion du faux ren* verfant V ordre & la sûreté de nos con* noiffances , nous rendroit des êtres dé* raifonnables y s il efl quejlion de porter les hommes à quelque chofé qui foit véritablement utile , la vérité prêtera toujours de bons argumens , fans quon foit obligé d'en employer d'infidèles* Mais AVANT-PROPOS, xvij Mais nous fommes bien éloignés d'être ici dans ce cas : Vexijlence de Dieu ejl de toutes les vérités la plus sûre. Ce qu'il faut examiner _, c ejl fi pour démontrer une telle vérité , il ejl permis de fe fervir de faux argumens 9 ou de donner à des argumens foibles une force qu'ils n'ont pas. Or cette queflion fera aufji d'abord réfolue par le principe que nous venons de pofer : Le faux ne pouvant jamais être utile 9 on ne doit jamais l'employer ; & don- ner à des preuves plus de farce qu elles n'en ont 9 étant une efpece de faux , on ne doit pas plus fe le permettre. Non feulement des principes contraires dé- graderoient la lumière naturelle , Us feroient tort aux vérités mêmes qu'on voudroit prouver : on rend fufpecle la vérité la plus sûre lorf qu'on n'en pré- fente pas les preuves avec affeç de juf- tejfe ou avec affe^ de bonne foi. C'efi cela que j'ai foutenu ^ c'ejl uniquement cela. J'avois d'abord averti que l'examen que je faifois des preuves de l'exiflence de Dieu ne portoit fur aucune de celles (Euy, de Maup* Tom* L p xviij AVANT-PROPOS. que la Métaphyfique fournit. Quant à celles que la Nature nous offre y je les trouve en fi grand nombre ? & de de- grés d'évidence fi différens 9 que je dis qu'il feroit peut - être plus à propos de les faire p a fier par un examen judi- cieux _, que de les multiplier par un ^ele mal - entendu : quil faut plutôt leur afjtgner leur véritable degré de force 9 que leur donner une force imaginaire : quil faut enfin ne pas gliffer parmi ces preuves des raifonnernens qui prouve- roient le contraire. Voilà ce que j'ai dit y & que je dis encore. Le fyftême entier de la Nature fuffit pour nous convaincre qu'un rLtre infi- niment puiffant & infiniment fage en efl Fauteur & y préfide. Mais fi ? com- me ont fait plufieurs Philofophes _, on s'attache feulement à quelques parties y on fera forcé d'avouer que les argu- mens qu'ils en tirent nom pas toute la force qu'ils penfent. Il y a ajjèç de bon & ajfeç de beau dans F Univers pour qu'on ne puifje y méconnoître la main de Dieu : mais chaque chofe prife à part n'efl pas toujours cffe^ bonne AVANT-PROPOS. xix ni ajfe^ belle pour nous le faire recon» noître. Je n'ai pu m empêcher de relever quelques raifonnemens de ces impru- dens admirateurs de la Nature y dont F athée fe pourroit fervir aujji - bien queux. F ai dit que ce nétoit point par ces petits détails de la conflruilion d'une plante ou d'un infecle ? par ces parties détachées dont nous ne voyons point affe^ le rapport avec le tout y qu'il falloit prouver la puijfance & la fageffe du Créateur : que c'étoit par des phénomènes dont la jimplicité & l'uni* verfalité ne foufjrent aucune exception & ne laijfent aucun équivoque. Pendant que par ce difcours je bief- fois des oreilles fuperjîitieufes , & qu'on craignoit que je ne voulu ffe anéantir tou- tes les preuves de l'exijlence de Dieu , quelques - uns croy oient que je voulais donner pour une démonjl ration géomé- trique celle que je tirois de mon prin- cipe. Je tombe rois moi - même en quel- que forte dans ce que je reprends y fi je donnois à cette preuve un genre d& force quelle ne peut avoir. ë i] xx AVANT-PROPOS. Les dêmonfl rations géométriques ^ tout évidentes qu elles font 9 ne font point les plus propres à convaincre tous les efvrits. La plupart feront mieux perfuadés par un grand nombre de pro- babilités que par une preuve dont la force dépend de t extrême précifïon. Auffi la Providence ria-t-elle fournis à ce dernier genre de preuves que des vérités qui nous étoient en quelque forte indifférentes , pendant quelle nous a x donné les probabilités -, pour nous faire connoître celles qui nous étoient utiles. Et il ne faut pas croire que la sûreté au on acquiert par ce dernier moyen foit inférieure à celle quon acquiert par r autre : un nombre infini de probabili- tés efl une dcmonfl ration complette 9 & pour l'efprit humain la plus forte de toutes les démonflrations ■. La Nature fournit abondamment ce "genre de preuves ; & les fournit par gradation ? félon la différence des ef prits. Toutes nom pas la même force , mais toutes prifes enfemble font plus que fufffantes pour nous convaincre* Veut-on faire un choix ? onfent mieux AVANT-PROPOS. xxj le degré de clarté qui appartient à celles qui rejlent : pouffe - t- on plus loin la févérité ? le nombre des preuves dimi- nue encore _, & leur lumière devient encore plus pure» C'ejl ainji que> 9 mal- gré quelques parties de l'Univers dans lefquelles on n ap perçoit pas bien l'or- dre & la convenance _, le tout en pré- fente ciffc^ pour qu'on ne puïjfe douter de l'exiflence d'un Créateur tout-puiffant & tout fage : cejl ainji que pour ceux qui voudront retrancher des preuves celles qui peuvent paroitre équivoques 9 ce qui en rejle ejl plus que fuffifant pour les convaincre : cejl ainji enfin, que le Philofophe qui cherche cette vérité dans les loix les plus univerfelles de la Nature 9 la voit encore plus dijlinc- temenu Voilà ce que j'avois à dire fur les preuves de l'exiflence de Dieu que nous tirons de la contemplation de l'Univers* Et penfant fur cette importante vérité comme je penfe 3 je ferois bien malheu- reux fi je m'étois exprimé de manière à faire naître quelque doute. Parlons maintenant du principe que ë iij xxlj AVANT-PROPOS. j'ai regardé comme un des argumens des plus forts que l'Univers nous offre pour nous faire reconnoître la fgeffe & la puiffance de fon fouverain auteur. C'efi un principe métaphyfique fur le- quel toutes les loix du mouvement font fondées. C'ejl que ? lorfqu'iî arrive quel- que changement dans la Nature 3 la quantité d'aérien employée pour ce changement eft toujours la plus petite qu'il foit pcffible : l'aclion étant le pro- duit de la mojfe du corps multipliée par fa viteffe & par Vefpace qu'il par- court. J'avois donné ce principe dans un Mémoire lu le i5 Avril IJ44 , dans l'affemblée publique de l' Académie Ro- yale des Sciences de Paris : il ejî inféré dans fes Mémoires _, & on le trouvera dans le tome IV. de cette Édition. Sur la fin de la même année parut un excel- lent ouvrage de M. Euler : dans le fup~ plément qu'il y joignit , il démontre : Que dans les courbes que des corps dé- crivent par des forces centrales y la viteffe d,u corps multipliée par le petit arc de la courbe faut toujours un mini- AVANT-PROPOS. sxiij mum. Cette découverte me fit d'autant plus de plaifir quelle et oit une des plus belles applications de mon principe au mouvement des planètes , dont en effet il ejl la règle. Ceux qui nétoient pas affe^ injlruits dans ces madères 9 crurent que je ne faifois ici que renouveller l'ancien axio- me 9 Que la Nature agit toujours par les voies les plus fimples. Mais cet axiome 9 qui nen ejl un qu'autant que Vexijlence & la providence de Dieu font déjà prouvées , ejl fi vague que perfonne encore n'a fu dire en quoi il confifie. Il s'agiffoit de tirer toutes les loix de la communication du mouvement d'un feul principe y ou feulement de trou-* ver un principe unique avec lequel tou- tes ces loix s'accordaient : & les plus grands Philofophes l'avoient entre- pris. Def cartes s y trompa. C'efi affe\ dire combien la c/ioje étoit difficile \ Il crut Que dans la Nature la même quantité de mouvement fe confervoit toujours : prenant pour le mouvement e iv xxîv AVANT-PROPOS. le produit de la maffe multipliée par la viteffe : quà la rencontre des différentes parties de la matière , la modification du mouvement étoit telle , que les maf- fes multipliées chacune par fa vîteffe , formoient après le choc la même fomme qu'auparavant. Il déduifit de là fes loix du mouvement. I] expérience les démen- tit , parce que le principe n étoit pas vrai* Leybnit^ fe trompa aufji : & quoi" que les véritables loix du mouvement fuffent déjà découvertes , il en donna ( * ) d'aujji fauffes que celles de Defcartes. Ayant reconnu fon erreur 3 il prit un nouveau principe : c étoit Que dans la Nature la force vive fe conferve tou- jours la même : entendant par force vive le produit de la maffe multipliée pa,r le quarré de la vîtejje ; que lorsque les corps venoient à Je rencontrer , la mo- dification du mouvement étoit telle que la fomme des maffes multipliées cha* cttne par le quarré de fa vîteffe dcmeu- ( * ) V. Theoria mctûs abftra£U , feu rationes mo- tuum univeriales. AVANT-PROPOS- xxv rolt après le choc la même quelle étoït auparavant. Ce théorème étoit plutôt une fuite de quelques - unes des loix du mouvement , que le principe de ces loix* Huy^ens , qui Vavoit découvert ? ne Vavoit ja^mais regardé comme un prin- cipe : & Leybnit^ , qui promit toujours de l'établir à priori , ne Va jamais fait. En effet la confervation de la force vive a lieu dans le choc des corps élaf tiques , mais elle ne Va plus dans le choc des corps durs : & non feulement on nen fauroit déduire les loix de ces corps y mais les loix que ces corps fui- rent démentent cette confervation. Lorf- quonfit cette objection aux Leybnit^iensy ils aimèrent mieux dire Qu'il ny avoit point de corps durs dans la Nature > que d' abandonner leur principe. C'étoit être réduit au paradoxe le plus étrange auquel V amour d'un fyflême ait jamais pu réduire : car les corps primitifs ^ les corps qui font les élémens de tous les autres , que peuvent - ils être que des corps durs ? En vain donc jufquici les Philofo- plies ont cherché le principe univerfel xxvj AVANT-PROPOS. des loix du mouvement dans une foret inaltérable ? dans une quantité qui fe confervât toujours la même dans tou- tes les collifions des corps ; il nen ejl aucune qui foit telle. En vain Defcar- tes imagina un monde qui pût fe peiffer de la main du Créateur : en vain Ley- bnit^ fur un autre principe forma le même projet : aucune force , aucune quantité qu'on puijfe regarder comme, caufe dans la diflribution du mouve- ment , ne fubfifle inaltérable. Mais il en e(l une , qui produite de nouveau 9 & créée pour ainfl dire à choque inf- iant , efl toujours créée avec la plus grande économie qu'il foit poffible. Par là VUnivers annonce la dépendance & le befoin où il efl de la prêfence de fon auteur ; & fait voir que cet auteur efl auffi fage qu'il efl puiffant. Cette force efl ce que nous avons appelle l'action : cefl de ce principe que nous avons dé- duit ^toutes les loix du mouvement ? tant des corps durs que des corps élaf- tiques. J'eus toujours pour M. de Leybmt^ la plus grande vénération : j'en ai donné AVANT-PROPOS. xxvij les marques les plus authentiques dans toutes les occafions où j'ai eu à parler de cet homme illuflre : cependant je ne pus m9 empêcher de m' écarter ici de fes opinions. Trouvant mes idées aufjî claires & même plus claires fur la nature des corps durs ? que fur celle des corps élafliques 3 & trouvant un principe qui fatisfaifoit également au mouvement des uns & des autres ? je ne profcrivis point l'exiftence des corps durs. Voyant que la force vive ne fe confervoit pas dans la collijion de tous les corps ? je dis que la confervation de la force vive n'étoit point le prin- cipe univerfei du mouvement. Enfin ne trouvant plus rien qui m'obligeât à croire que la Nature ne procède jamais que par des pas infenfibles s j'ofai douter de la loi de continuité. Aujji-tôt je vis fondre fur moi toute la fecle que M. de Leybnit^ a, laijfée en Allemagne y fecle d'autant plus attachée au culte de fa Divinité , que fouvent elle nen comprend pas les oracles. Ceci n'efî guère croyable 9 mais il efl cependant vrai j tandis que les uns xxviij AVANT-PROPOS. me traitoient comme un téméraire oui ofoit être d'un fentiment différent de celui de Leybnit^ 9 les autres vouloient faire croire que je prenois de lui les chofes les plus oppojées à fon fyjlême : à quoi ne peut pas porter un culte aveu- gle _, & l'efprit de parti ! Je ne parle ici qu'à regret d'un évé- nement auquel mon ouvrage a donné heu : mais il a fait trop de bruit pour que je puijfe me difpenfer d'en parler. M, Kœnig , Projeteur en Hollande y fit paroître dans les actes de Leipfick de Vannée lybi , une Diffe nation dans laquelle il attaquoit plujieurs articles de l'Ejfai de Cofmologie _, & vouloit en attribuer d'autres , aujji - bien que quelques découvertes de M. Euler , à M. de Leybnit^ , dont il citoit le frag- ment d'une lettre, M. Kœiiig , Membre alors de V Aca- démie , attribuant à Leybnit^ des cho- fes que d'autres Académiciens avoient données comme leur appartenant dans des ouvrages lus dans Jes afjemblées & inférés dans fes Mémoires , l'Acadé- mie Je trouva intérejfée à conjlater ce qui appartenoit à chacun. Elle fomma M* Kœnig de produire la lettre origi- nale dont il avoit cité le fragment : & le Roi , comme protecteur de l'Aca- démie , écrivit lui - même à MM. les Magifirats de Berne pour les prier de faire la recherche de cette lettre dans les fources que M. Kœnig avoit in- diquées. Après les perquifitions les plus exactes , MM. de Berne ajfurerent Sa Majeflé qu'il ne s'étoit trouvé aucun veflige de lettres de Leybnit^. U Aca- démie en donna avis à M. Kœnig $ elle lui répéta plusieurs fois fon ïnf tance ; & ne reçut de lui que quelques lettres 9 d'abord pour décliner l'obliga- tion où il étoit de produire l'original de ce qu'il avoit cité ? enfuite pour alléguer la difficulté de le trouver ; il ne difoit pas même . l'avoir jamais vu. L' Académie trouvant dans toutes ces circonjlances y dans le fragment même , & dans la manière dont il avoit été cité , de fortes raifons pour ne le pouvoir attribuer à Leybnitr 9 déclara que cette pièce ne méritait au- cune créance*, xxx AVANT-PROPOS. M. Kœnig ? auffi mécontent que Jl on lui eût fait une injujlice , fe répan- du en invectives ; & après avoir tenté vainement de donner le principe à Ley- bnitr comme une découverte digne de lui y voulut le trouver par- tout comme une chofe fort commune ; le conjondre avec le vieux axiome d' Ariflote , Que la Nature dans fes opérations ne fait rien en vain ., & cherche toujours le meilleur ; & en gratifier tous ceux qui avoient jamais prononcé cet axiome. Ce fut alors quun homme dont la, candeur égale les lumières 3 M. Euler , ayant entrepris d' examiner ce que les Philofophes qu'on nous choit avoient entendu par ces paroles d* Ariftote , & l'ufage qu'ils en avoient fait 9 mit dans tout f on jour la nouvelle injujlice quon v oui oit nous faire. Notre illujlre dé- fenfeur fit voir que par l'application que Leybnit^ lui - même avoit faite de V axiome des anciens ^ il étoit démontré qu'il n av oit point connu notre principe : il fit voir encore que le plus fidèle 5 le plus zélé y & peut-être le plus éclairé de fes difcipks , M. Wolff \ ayant voulu AVANT-PROPOS, xxxj Je fervir du même axiome dans la même matière y avait totalement abandonné fort maître , & ne s'était pas plus rapproché de nous. Enfin après toutes les preuves qui avaient déterminé F Académie à pro- noncer contre V authenticité du frag- ment , M. Euler trouva dans les ou- vrages de Leybnit^ des preuves qui ne laiffoient plus cette authenticité poffî- lie. Il fit voir que non feulement Ley- bnit^ ne s'était point fervi de notre principe dans des occafions cà il en eût eu le plus grand befoni ; mais en- core que pour parvenir aux mêmes con- clufions qui en coulaient tout naturel^ lement $ il avoit employé un principe tout oppofé. La force de ces preuves pour ceux qui examineront la chofe en Géomètres efl telle y que quand même on auroit produit à NL ICœnig une lettre de Leyhnit^ contenant ce frag- ment qu'il eût pris pour originale y tout ce qu'on en pourrait conclure fe- rait qu'on l'aurait trompé : les écrits de Leybnit^ imprimés de fan vivant & faits fes yeux 7 ayant une autorité que xxxij AVANT-PROPOS. ne fauroit avoir quelqii autre papier que ce foit qui n aurait paru qu après que Leybnit^ n étoit plus. * * Tant s'en faut donc que Leybnitz ait ja- mais eu le principe de la moindre quantité d'action ? qu'au contraire il a eu un principe tout oppofé , dont l'ufage , excepté dans un feul cas , n'étoit jamais applicable , ou condui- sit à l'erreur. Et l'on ne voit pas auffi que Leybnitz ait voulu dans aucun autre cas faire l'application de ce principe. On ne pouvoit donc rien imaginer de plus ridicule que de fuppofer le fragment de cette lettre qui at- îribuoit à Leybnitz un principe oppofé à celui qu'il a publiquement adopté. Et l'on ne fauroit fauver cette abfurdité par la dif- férence des temps où l'on voudroit fuppo- fer qu'il a eu ces difFérens principes ; car Leybnitz ayant expliqué la réfraction par un principe tout différent de celui de la moin- dre action , fi depuis il étoit parvenu à la connoiffance de ce principe univerfel qui y étoit n* applicable , la première chofe fans doute qu'il eût faite , c'eût été d'en faire l'application aux phénomènes de la lumière , pour lefquels il s'étoit fervi d'un principe il éloigné de celui-ci. C'eft. une cliofe alîuré- ment digne de remarque , qu'un partifan de Leybnitz nous ait mis en même temps dans la double obligation de prouver que le prin- ce AVANT-PROPOS, xxxiij hie notre principe eût été connu de Leyhnit? y communiqué à Hermann y fut pcijje à d'autres ; f y confentirois volontiers fi la chofe étoit poffible , & j'y gagner ois peut-être davantage : ce ne ferait pas pour moi une petite gloire de myêtre fervi plus heureufement que ces grands hommes d\in infiniment qui auroit été commun à eux & à moi» Car il faut toujours quon m'accorde que j malgré cetter connoiffance y ni Leybnitr ni aucun d'eux na pu dé- duire les loix univerfelles du mouve- ment d'un principe qui portât l'em« preinte de la fagejfe & de la puijfance de l'Etre fuprême y & auquel tous les cîpe de la moindre action eu vrai ? & qu'il n'eft point de Leybnitz. C 'étoit une adreffe fin ainfi qu'on a coutume de faire dans la Statique ordinaire , j'avois fait une application de mon principe à £ équilibre : j'ai re- tranché ce problême , qui par ces con- ditions étoit trop limité. La loi géné- rale de V équilibre ou du reoos ? à, laquelle pour déterminer tous les cas a1' équilibre il faut avoir recours _, eil celle que je donnai en iy40 9 dans les Mémoires de V Académie des Scien- ces de Paris 5 & quon trouve dans le IVe. tome de cette Édition* Cette loi au refte s'accorde fi parfaitement avec celle de la moindre quantité d'ac- tion 5 qu'on peut dire quelle n'efl que la même. Cefl dans les trois Diffe nations de M. Eule r , inférées dans les Mémoires de r 'Académie Royale des Sciences de Berlin pour Vannée iy5i ? qu'on xxxvj AVANT-PROPOS. trouvera fur cette matière tGUt ce quon peut dejîrer , & ce que nous n aurions jamais pu Ji bien dire. C'efl là que je renvoie ceux qui voudront s'in/Iruire 7 & ceux qui voudront difputer. V ESSAI D E COSMOLOGIE. Œuv. de Maup* Tom, h ^***#*;C#:* ******* s*******.***'***:*: *3&d 3^ ■ x--a- -«•• *■■ ^ £•* S #4 ■* "^ * *> » *" *" *" *" *^ Première Partie, Où l'on examine les preuves de Fexiftence de Dieu 7 tirées des merveilles de la Nature* IO 1 T que nous demeurions ren- fermés en nous-mêmes , foit que -^ nous en fortions pour parcourir les merveilles de l'Univers , nous trou- vons tant de preuves de Fexiftence d'un Etre tout-puiffant & tout fage , qu'il eft en quelque forte plus néceffaire d'en diminuer le nombre , que de chercher à l'augmenter ; qu'il faut du moins faire un choix entre ces preuves , examiner leur force ou leur foibieffe , & ne A ij 4 Essai donner à chacune que le poids qu'elle doit avoir : car on ne peut faire plus de tort à la vérité 3 qu'en voulant l'appuyer fur de faux raifonnemens. Je n'examine point ici l'argument qu'on trouve dans l'idée d'un Etre infini \ dans cette idée trop grande pour que nous la puiflions tirer de notre propre fond ? ou d'aucun autre fond nni , & qui paroît prouver qu'un Etre infiniment parfait exiile. Je ne citerai point ce confentement de tous les hommes fur l'exiftence d'un Dieu , qui a paru une preuve fi forte au Philofophe de l'ancienne Rome (a). Je ne difcute point s'il eft vrai qu'il y ait quelque peuple qui s'écarte des autres fur cela ; fi un petit nombre d'hommes, qui penferoient autrement que tous les autres habitans de la Terre , pourroit faire une exception ; ni fi la diverfité '9 qui peut fe trouver dans les idées qu'ont de Dieu tous ceux qui admettent fon exiftence , empêcheroit de tirer grand avantage de ce confentement. Enfin je n'infiflerai point fur ce qu'on (a) Cicer. TufcuL l. $• t> e Cosmologie. t peut conclure de l'intelligence que nous trouvons en nous-mêmes , de ces étin- celles de fageffe & de puiffance que nous voyons répandues dans les êtres finis , & qui fuppofent une fource immenfe & éternelle d'où elles tirent leur origine. Tous ces argumens font très -forts : mais ce ne font pas ceux de cette efpece que j'examine. De tout temps ceux qui fe font appli- qués à la contemplation de l'Univers y ont trouvé des marques de la fageffe & de la puiffance de celui qui le gou- verne. Plus l'étude de la Phyfïque a fait de progrès , plus ces preuves fe font multipliées. Les uns , frappés confufé- ment des carafteres de Divinité qu'on trouve à tous momens dans la Nature ^ les autres , par un zèle mal à propos religieux , ont donné à quelques preu- ves plus de force qu'elles n'en dévoient avoir , & quelquefois ont pris pour des preuves ce qui n'en étoit pas. Peut-être feroit-il permis de fe relâ- cher fur la rigueur des argumens , fi l'on manquoit de raiforts .pour établir un principe utile : niais ici les argumens: 6 Essai font affez forts , & le nombre en eft allez grand , pour qu'on puiffe en faire l'examen le plus rigide & le choix le plus fcrupuleux. Je ne m'arrêterai point aux preuves de l'exiftence de l'Etre fiiprêrne , que les Anciens ont tirées de la beauté , de l'ordre & de l'arrangement de l'Uni- vers. On peut voir celles que Cicéron rapporte (a) , & celles qu'il cite d'après Ariftote (£). Je m'attache à un Philo- fophe qui par {es grandes découvertes étoit bien plus qu'eux à portée de juger de ces merveilles , & dont les raifonne- mens font bien plus précis que tous les leurs. Newton paroît avoir été plus touché des preuves qu'on trouve dans la con- templation de FUnivers , que de toutes les autres qu'il auroit pu tirer de la profondeur de fon efprit. Ce grand homme a cru ( c ) que les mouvemens des corps céleftes démon- troient allez fexiftence de celui qui les (a ) TufcuL L 28 & 2p. (b) De Nat. Deor. IL 57, 38» ( c ) Newt. Opticks III. Book. Qucry 31* de Cosmologie. j gouverne. Six planètes, Mercure, Vénusr La Terre , Mars , Jupiter & Saturne ? tournent autour du Soleil. Toutes fe meuvent dans le même fens , & décri- vent des orbes à peu près concentri- ques : pendant qu'une autre efpece d'aftres , les Comètes , décrivent des orbes fort différens , fe meuvent dans toutes fortes de directions , & parcou- rent toutes les régions du Giel. Newton a cru qu'une telle uniformité ne pou- voir être que l'effet de la volonté d'un. Être iuprême. Des objets moins élevés ne lui ont pas paru fournir des argu- mens moins forts. L'uniformité obier- vée dans la conftruftion des animaux , leur organifation merveiileufe & rem- plie d'utilités y étoient pour lui des preuves convainquantes de l'exiftence d'un Créateur tout-puiffant & tout fage. Une foule de Phyficiens , après Newton , ont trouvé Dieu dans les aftres , dans les infeftes , dans les plantes y dans l'eau ( a ).. (a) ThéoL afîron. de Derham. ThéoL phyfîq. du même, ThéoL des inCeB.es , ThéoL des coquilles, de Lejfer, ThéoL de Veau 9 de Fabricius* A iv 8 Essai Ne diffimulons point la fbiblefle de quelques - uns de leurs raifonnemens : & pour mieux faire connoître l'abus qu'on a fait des preuves de l'exiftence de Dieu ., examinons celles même qui ont paru fi fortes à Newton. L'uniformité ? dit-il , du mouvement des planètes prouve nécessairement un choix. Il n'étoit pas pofîible qu'un deftin aveugle les fît toutes mouvoir dans le même fens & dans des orbes à peu près concentriques. Newton pouvoit ajouter à cette uni- formité du mouvement des planètes, qu'elles fe meuvent toutes prefque dans le même plan. La zone , dans laquelle tous les orbes font renfermés , ne fait qu'à peu près la 1 7me. partie de la fur- face de la fphere. Si l'on prend donc l'orbe de la Terre pour le plan auquel on rapporte les autres , & qu'on regarde leur pofition comme l'effet du hafard , la probabilité ? que les cinq autres orbes ne doivent pas être renfermés dans cette zone , efl de \js i à i \ c'eft-à- dire-, de 1 419856 à ï. Si l'on conçoit comme Newton ? que z> e Cosmologie. 9 tous les corps célefles attirés vers le Soleil fe meuvent dans le vuide , il eft vrai qu'il n'étoit guère probable que le hafard les eût fait mouvoir comme ils fe meuvent. Il y reftoit cependant quelque probabilité , & dès-lors on ne peut pas dire que cette uniformité foit l'effet néceffaire d'un choix. Mais il y a plus : l'alternative d'un choix ou d'un hafard extrême n'eft fondée que {ur l'impuiffance où étoit Newton de donner une caufe phyfique de cette uniformité. Pour d'autres Phi- lofophes qui font mouvoir les planètes dans un fluide' qui les emporte , ou qui feulement modère leur mouvement 9 l'uniformité de leur cours ne paroît point inexplicable : elle ne fuppofe plus ce fingulier coup du hafard , ou ce choix , & ne prouve pas plus l'exiftence de Dieu , que ne feroit tout autre mou- vement imprimé à la matière (a). Je ne fais fi l'argument que Newton tire de la conftruéïion des animaux eft ( a ) Poye% la pièce de M.- Dan. Bernoullifur Vincli- na'ifon des plans des orbites des planètes , qui remporta le prix de ÏAcad. des Se, de Paris en 1734* io Essai beaucoup plus fort. Si l'uniformité qu'on obferve dans pluiïeurs étoit une preuve , cette preuve ne feroit-elle pas démen- tie pair la variété infinie qu'on obferve dans plusieurs autres ? Sans fortir des mêmes éiémens , que l'on compare un aigle avec une mouche , un cerf avec un limaçon , une baleine avec une huî- tre ; & qu'on juge de cette uniformité. En effet , d'autres Philofophes veulent trouver une preuve de l'exiftence de Dieu dans la variété des formes , & je ne fais lefquels font les mieux fondés. L'argument tiré de la convenance des différentes parties des animaux avec leurs befoins paroît plus folide. Leurs pieds ne font-ils pas faits pour marcher , leurs ailes pour voler , leurs yeux pour voir , leur bouche pour manger , d'au- tres parties pour reproduire leurs fem- biables ? Tout cela ne marque-t-il pas une intelligence & un deffem qui ont préfidé à leur conftru&ion ? Cet argu- ment avoit frappé les Anciens comme il a frappé Newton : & c'eft en vain que le plus grand ennemi de la Provi- dence y répond ? que l'ufage n'a point ns Cosmologie. it été le but , qu'il a été la fuite de la conftruftion des parties des animaux ; que le hafard ayant formé les yeux , les oreilles > la langue , on s'en eft fervl pour entendre ? pour parler (a). Mais ne pourroit - on pas dire que dans la combinaifon fortuite des pro- duftions de la Nature , comme il n'y avoit que celles où fe trouvoient certains rapports de convenance 9 qui puffent fubfifter , il n'eft pas merveilleux que cette convenance fe trouve dans toutes les efpeces qui actuellement exiftent ? Le hafard 9 diroit-on , avoit produit une multitude innombrable d'individus j un petit nombre fe trouvoit conftruit de manière que les parties de l'animal pou- voient fatisfaire à fes befoins , dans un autre infiniment plus grand , il n'y avoit ni convenance , ni ordre : tous ces der- niers ont péri ; des animaux fans bouche ne pouvoient pas vivre , d'autres qui manquoient d'organes pour la généra- tion ne pouvoient pas fe perpétuer : les feuls qui foient reftés font ceux où fe trouvoient l'ordre & la convenance 3 & (a) Lucret, l, IK ii Essai ces efpeces , que nous voyons aujour- d'hui , ne font que la plus petite partie de ce qu'un deftin aveugle avoit produit. Prefque tous les Auteurs modernes , qui ont traité de la Phyfïque ou de l'Hiftoire naturelle , n'ont fait qu'éten- dre les preuves qu'on tire de l'organi- fation des animaux & des plantes , & les pouffer jufques dans les plus petits dé- tails de la Nature. Pour ne pas citer des exemples trop indécens , qui ne feroient que trop communs , je ne parlerai que de celui (a) qui trouve Dieu dans les plis de la peau d'un rhinocéros ; parce que cet animal étant couvert d'une peau très-dure , n'auroit pas pu fe remuer fans ces plis. N'eft- ce pas faire tort à la plus grande des vérités , que de la vouloir prouver par de tels argumens ? Que difoit-on de celui qui nieroit la Provi- dence , parce que l'écaillé de la tortue n'a ni plis, ni jointures ? Le raifonne- ment de celui qui la prouve par la peau du rhinocéros eft de la même force. Laiffons ces bagatelles à ceux qui nen Tentent pas la frivolité. (a) Philof. Tranfaâ, À7°. 470. de Cosmologie. 13 Une autre efpece de Philofophes tombe dans l'extrémité oppofée. Trop peu touchés des marques d'intelligence & de deffein qu'on trouve dans la Na- ture , ils en voudroient bannir toutes les caufes finales. Les uns voient la fuprême Intelligence par-tout ; les autres ne la voient nulle part : ils croient qu'une Méchanique aveugle a pu former les corps les plus organifés des plantes & des animaux , & opérer toutes les merveil- les que nous voyons dans l'Univers (#)„ On voit par tout ce que nous venons de dire > que le grand argument de Defcartes , tiré de l'idée que nous ayons d'un Etre parfait , ni peut-être aucun des argumens métaphyfiques dont nous avons parlé , n'avoit pas fait grande impreffion fur Newton 5 & que toutes les preuves que Newton tire de l'uni- formité &■ de la convenance des diffé- rentes parties de l'Univers, n'auroient pas paru des preuves à Defcartes. 11 faut avouer qu'on abufe de ces preuves, les uns en leur donnant plus de force qu 'elles n'en ont , les autres en les ( a ) Defcartes Princip* V Homme de Defcartes, i4 Essai multipliant trop. Les corps des animaux & des plantes font des machines trop compliquées \ dont les dernières parties échappent trop à nos fens , & dont nous ignorons trop Pufage & la fin , pour que nous puiffions juger de la fageffe & de la puiffance qu'il a fallu pour les construire. Si quelques-unes de ces machines paroiflent pouffées à un haut degré de perfection , d'autres ne fem- blent qu'ébauchées. Plusieurs pourroient paroître inutiles ou nuifibles , fi nous en jugions par nos feules connoiïfances _, & fi nous ne fuppofions pas déjà que c'eft un Etre tout fage & tout-puiffant qui les a mifes dans l'Univers. Que fert-il , dans la conftruétion de quelque animal , de trouver des appa- rences d'ordre & de convenance , lorf- qu'après nous fommes arrêtés tout-à- coup par quelque conclufion fâcheufe ? Le ferpent , qui ne marche ni ne vole , n'auroit pu fe dérober à la pourfuite des autres animaux , fi un nombre prodi- gieux de vertèbres ne donnoit à fon corps tant de flexibilité , qu'il rampe plus vite que plufieurs animaux ne mar- dm Cosmologie. ï 5 chent : il feroit mort de froid pendant l'hiver , fi fa forme longue & pointue ne le rendoit propre à s'enfoncer dans la terre : il fe feroit bleffé en rampant con- tinuellement , ou déchiré en paffant par les trous où il fe cache , fi fon corps n'eût été couvert d'une peau lubrique & écailleufe : tout cela n'eft-il pas ad- mirable ? Mais à quoi tout cela fert-il ? à la confervation d'un animal dont la dent tue l'homme. Oh ! replique-t-on , vous ne connoiffez pas l'utilité des fer- pens : ils étoient apparemment néceffai- res dans l'Univers : ils contiendront des remèdes excellens qui vous font incon- nus. Taifons-nous donc , ou du moins n'admirons pas un fi grand appareil dans un animal que nous ne connoiffons que comme nuifible. Tout eft rempli de femblables raifon- nemens dans les écrits des Naturaliftes. Suivez la produftion d'une mouche 9 ou d'une fourmi : ils vous font admirer les foins de la Providence pour les œufs de l'infefte , pour la nourriture des petits , pour l'animal renfermé dans les langes de la chryfalide , pour le déve- \6 Essai loppement de fes parties dans fa méta- morphofe. Tout cela aboutit à produire un infe&e incommode aux hommes , que le premier oifeau dévore , ou qui tombe dans les filets d'une araignée. Pendant que l'un trouve ici des preu- ves de la fageffe & de la puiffance du Créateur 9 ne feroit-il pas à craindre que l'autre n'y trouvât de quoi s'affer- mir dans fon incrédulité ? De très-grands efprits , auffi refpefta- bles par leur piété que par leurs lumiè- res ( a) , n'ont pu s'empêcher d'avouer que la convenance & l'ordre ne pa- roiffent pas fi exaftement obfervés dans l'Univers , qu'on ne fût embar- raffé pour comprendre comment ce pouvoit être l'ouvrage d'un Être tout fage & tout-puiffant. Le mal de toutes les efpeces , le défordre , le crime , la douleur , leur ont paru difficiles à concilier avec l'empire d'un tel Maître. Regardez , ont-ils dit , cette Terre ; les mers en couvrent la moitié ; dans le refte , vous verrez des rochers efcarpés, ( a ) Médit, chrét, & métaph, du P. MaUbranche , Médit. VIL des de Cosmologie. ij êes régions glacées , des fables brûlans* Examinez les mœurs de ceux qui l'ha- bitent ; vous trouverez le menfonge ^ le vol , le meurtre , & par-tout les vices plus communs que la vertu. Parmi ces êtres infortunés , vous en trouverez plu* fieurs défefpérés dans les tourmens de la goutte & de la pierre , plufîeurs lan-= guiffans dans d'autres infirmités que leur durée rend infupportables , prefque tous accablés de foucis & de chagrins. Quelques Philofophes paroiffent avoir été tellement frappés de cette vue, qu'ou- bliant toutes les beautés de l'Univers , ils n'ont cherché qu'à juftifier Dieu d'avoir créé des chofes fi imparfaites* Les uns , pour conférver fa fageffe ? fem- blent avoir diminué fa puiffance 5 difant qu'il a fait tout ce qu il pouvait faire de mieux (a) y qu'entre tous les Mondes poffibles , celui-ci , malgré fes défauts i étoit encore le meilleur. Les autres , pour conférver fa puiffance , femblent faire tort à fa fageffe. Dieu , félon eux > pouvoit bien faire un A4 onde plus parfait que celui que nous habitons : mais il aurait (a) Leibn'u^, tluod. IL part. iV. 224 1 225. Œuv, de Maup. Tom. L g î8 E s s a i fallu quily employât des moyens trop com- pliqués y & il a eu plus en vue la manière dont il opéroit , que la perfection de l'ou- vrage (a.). Ceux-ci fe fervent de Fexem- ple du Peintre , qui crut qu'un cercle tracé fans compas prouveront mieux fon habileté , que n'auroient fait les figures les plus compofées & les plus régulières , décrites avec des inftrumens. Je ne fais fi aucune de ces réponfes eft fatisfaifante ; mais je ne crois pas ' l'objeftion invincible. Le vrai Philofo- phe ne doit , ni fe laifier éblouir par les parties de l'Univers où brillent l'ordre & la convenance , ni fe laiffer ébranler par celles où il ne les découvre pas. Mal- gré tous les défordres qu'il remarque dans la Nature , il y trouvera afTez de caraâeres de la fageffe & de la puiffance de fon Auteur , pour qu'il ne puiffe le niéconnoître. Je ne parie point d'une autre efpece de Phiioiophie , qui foutient qu'il n'y a point de mal dans la Nature : que tout ce qui ejl , ejl bien ( b ). (a) Mahbr anche , Médit, chrét, & métaph, VIL (fa) Pope 9 E jf ai fur V homme* de Cosmologie. ïo Si Ton examine cette proportion , fans fuppofer auparavant Fexiftence d'un Être tout-puifiant & tout fage , elle n'eft pas foutenable : fi on la tire de la fuppo- fition d'un Etre tout fage & tout-puif- fant , elle neft plus qu'un afte de foi* Elle paroît d'abord faire honneur à la fuprême Intelligence 5 mais elle ne tend au fond qu'à foumettre tout à la nécef- fité* C'eft plutôt une confolation dans nos miferes , qu'une louange de notre bonheur. Je reviens aux preuves qu'on tire de la contemplation de la Nature ., & j'ajoute encore une réflexion : c'eft que ceux qui ont le plus raffemblé de ces preuves , n'ont point aflez examiné leur force ni leur étendue. Que cet Univers dans mille occafions nous préfente des fuites d'effets concourant à quelque but > cela ne prouve que de l'intelligence & des deffeins : c'eft dans le but de ces deffeins qu'il faut chercher la fageffe. L'habi- leté dans l'exécution ne fuffit pas ; il faut que le motif foit raifonnable. On n'ad- mireroit point , on blâmeroit l'Ouvrier ; &il feroit d'autant plus blâmable, qu'il %o Essai auroit employé plus d'adrefle à conf- truire une machine qui ne feroit d'au- cune utilité , ou dont les effets feroient dangereux. Que fert - il d'admirer cette régu- larité des planètes à fe mouvoir toutes dans le même fens , prefque dans le même plan , & dans des orbites à peu près femblables , û nous ne voyons point qu'il fût mieux de les faire mou- voir ainfi qu'autrement ? Tant de plan- tes venimeufes & d'animaux nuifîbles , produits & confervés foigneufement dans la Nature , font-ils propres à nous faire connoître la fageffe & la bonté de celui qui les créa ? Si l'on ne décou- vroit dans l'Univers que de pareilles chofes , il pourroit n'être que l'ouvrage des Démons. Il eft vrai que notre vue étant auffi bornée qu'elle l'eft , on ne peut pas exiger qu'elle pourfuive affez loin l'or- dre & l'enchaînement des chofes. Si elle le pouvoit , fans doute qu'elle feroit autant frappée de la fageffe des motifs , que de l'intelligence de l'exécution : mais dans cette impuilTance où nous de Cosmologie. h fommes , ne confondons pas ces diffé- rens attributs ; car quoiqu'une intelli- gence infinie fuppofe néceffairement la fageffe , une intelligence bornée pour- roit en manquer : & il vaudroit autant que l'Univers dût fon origine à un deftin aveugle 3 que s'il étoit l'ouvrage d'une telle intelligence. Ce n'eft donc point dans les petits détails , dans ces parties de l'Univers dont nous connoiffons trop peu les rapports ? qu'il faut chercher l'Etre fuprême ; c'eft dans les phénomènes dont Funiverfalité ne fouffre aucune exception , & que leur fimplicité expofe entièrement à notre vue. Il eft vrai que cette recherche fera plus difficile que celle qui ne confifte que dans l'examen d'un infeéle , d'une fleur , ou de quelqu'autre chofe de cette efpece , que la Nature offre à tous momens à nos yeux. Mais nous pouvons emprunter les fecours d'un guide affuré dans fa marche , quoiqu'il n'ait pas encore porté fes pas où nous voulons aller. Jufqu'ici la Mathématique n'a guère Biij %z - Essai eu pour but que des befoins greffiers du corps , ou des fpéculations inutiles de l'efprit : on n'a guère penfé à en faire ufage pour démontrer ou découvrir d'autres vérités que celles qui regar- dent l'étendue & les nombres ; car il ne faut pas s'y tromper dans quelques ouvrages , qui n'ont de Mathématique que l'air & la forme 9 & qui au fond ne font que de la Métaphyfique la plus incertaine & la plus ténébreufe. L'exem- ple de quelques Philofophes doit avoir appris que les mots de lemme , de théo- rème & de corollaire 9 ne portent pas par -tout la certitude mathématique ; que cette certitude ne dépend , ni de ces grands mots , ni même de la mé- thode que fuivent les Géomètres , mais de la fimplicité des objets qu'ils confi- derent. Voyons fi nous pourrons faire un ufage plus heureux de cette feience. Les preuves de l'exiftence de Dieu quelle fournira auront fur toutes les autres l'avantage de l'évidence ,, qui earaftérïfe les vérités mathématiques : ceux qui n'ont pas affez de confiance de Cosmologie» 2? dans les raifonnemens métaphyfiques 3 trouveront plus de fureté dans ce genre de preuves : & ceux qui ne font pas affez de cas des preuves populaires 9 trouveront dans celles-ci plus d'éléva- tion & d'exa&itude. Ne nous arrêtons donc pas à la fim- ple fpéculation des objets les plus mer- veilleux. L'organifation des animaux 9 la multitude & la petiteffe des parties des infeftes , Fimmenfité des corps cé- leftes , leurs diftances & leurs révolu- tions , font plus propres à étonner notre efprit qu'à l'éclairer. L'Être fuprême eft par-tout ; mais il n'eft pas par-tout également vifible. Nous le verrons mieux dans les objets les plus fimpîes : cherchons -le dans les premières loix qu'il a impofées à la Nature ; dans ces règles univerfelles ? félon lefquelles le mouvement fe conferve , fe diftribue 7 ou fe détruit ; & non pas dans des phé- nomènes , qui ne font que des fuites trop compliquées de ces loix. J'aurais pu partir de ces loix , telles que les Mathématiciens les donnent y & telles que l'expérience les confirme j> B iv %4 Essai & y chercher les carafteres^ de la fa- gefïe & de la puiffance de l'Etre fuprê- me : cependant , comme ceux qui les ont découvertes fe font appuyés fur des hypothefes qui n'étoient pas purement géométriques, & que par -là leur cer- titude ne paroit pas fondée fur des dé- monftrations rigoureufes ; j'ai cru plus fur & plus utile de^ déduire ces loix des attributs d'un Etre tout - puifTant & tout fage. Si celles que je trouve par cette voie font les mêmes qui font en effet obfervées dans l'Univers , n'eft- ce pas la preuve la plus forte que cet Être exifte 3 & qu'il eft l'auteur de ces loix ? Mais , pourroit-on dire , quoique les règles du mouvement n'ayent été jufqu'ici démontrées que par des hy- pothefes & des expériences , elles font peut-être des fuites néceffaires de la nature des corps ; & n'y ayant rien eu d'arbitraire dans leur établiffement , vous attribuez à une Providence ce qui n'eft l'effet que de la néceffité. S'il eft vrai que les loix du mouve- ment foient des fuites indifpenfables de de Cosmologie. 2 j la nature des corps , cela même prouve encore la perfeftion de l'Etre fuprême : c'eft que toutes chofes foient tellement ordonnées , qu'une Mathématique aveu- gle & néceflaire exécute ce que l'intel- ligence la plus éclairée & la plus libre prefcrivoit. i6 Essai ESSAI DE COSMOLOGIE. IIe. Partie, Oà l'on déduit les loix du mouvement des attributs de lafuprême Intelligence. E plus grand phénomène de la j Nature , le plus merveilleux , eft le mouvement : fans lui tout feroit plongé dans une mort éternelle , ou dans une uniformité pire encore que le Chaos : c'eft lui qui porte par - tout l'aftion & la vie. Mais ce phénomène , qui eft fans ceffe expofé à nos yeux , lorfque nous le voulons expliquer ? paroît incompréhenfible. Quelques Phi- lofophes de l'antiquité foutinrent qu'il ny a point de mouvement. Un ufage trop fubtil de leur efprit démentoit ce que leurs fens appercevoient : les difficultés qu'ils trouvoient à conce- voir comment les corps fe meuvent > leur firent nier qu'ils fe meuffent , ni qu'ils puffent fe mouvoir, Nous ne de Cosmologie. 27 rapporterons point les argumens fur lefquels ils tâchèrent de fonder leur opinion : mais nous remarquerons qu'on ne fauroit nier le mouvement que par des raifons qui détruiroient 9 ou ren- draient douteufe l'exiftence de tous les objets hors de nous -9 qui rédui- roient l'Univers à notre propre être , & tous les phénomènes à nos per- ceptions. Des Philofophes plus équitables , qui admirent le mouvement ? ne furent pas plus heureux lorfqu'ils entrepri- rent de l'expliquer. Les uns le regar- dèrent comme effentiel à la matière $ dirent que tous les corps par leur nature dévoient fe mouvoir 3 que le repos apparent de quelques-uns n'étoit qu'un mouvement qui fe déroboit à nos yeux , ou un état forcé : les autres ? à la tête defquels eft Àriftote 9 cherchèrent la caufe du mouvement dans un premier moteur immobile & immatériel. Si la première caufe du mouvement refte pour nous dans utle telle obfcu- rité ? il fembleroit du moins que nous 28 Essai puffions efpérer quelque lumière fur les phénomènes qui en dépendent : mais ces phénomènes paroiffent enve- loppés dans les mêmes ténèbres. Un Philofophe moderne très - fubtil , qui regarde Dieu comme l'auteur du pre- mier mouvement imprimé à la ma- tière , croit encore Faftion de Dieu continuellement néceffaire pour toutes les diftributions & les modifications du mouvement. Ne pouvant comprendre comment la puiflance de mouvoir ap- partiendroit au corps , il s eu cru fondé à nier qu'elle lui appartînt ; & à conclure que lorfqu'un corps choque ou preffe un autre corps , c'efl: Dieu feul qui le meut : l'impul'fion n'eft que l'occafion qui détermine Dieu à le mouvoir ( a ). D'autres ont cru avancer beaucoup 5 en adoptant un mot qui ne fert qu'à cacher notre ignorance : ils ont attri- bué aux corps une certaine force pour communiquer leur mouvement aux autres. Il n'y a dans la Philofophie moderne aucun mot répété plus fou-. (a) Makbr anche* de Cosmologie. 29 Tent que celui - ci , aucun qui foit û peu exa&ement défini. Son obfcurité l'a rendu fi commode , qu'on n'en a pas borné l'ufage aux corps que nous connoiflbns ; une école entière de Phi- losophes atrribue aujourd'hui à des êtres qu'elle n'a jamais vus une force qui ne fe manifefte par aucun phé- nomène. Nous ne nous arrêterons point ici à ce que la force repréfentative , qu'on fuppofe dans les élémens de la matière , peut fignifier : je me restreins à la feule notion de la force motrice ? de la force en tant qu'elle s'applique à la Îîroduftion , à la modification , ouà a deftruftion du mouvement. Le mot de force , dans fon fens pro- pre , exprime un certain fentiment que nous éprouvons lorfque nous voulons remuer un corps qui étoit en repos i ou changer , ou arrêter le mouvement d'un corps qui fe mouvoit. La per- ception que nous éprouvons alors eu fî conftamment accompagnée d'un chan- gement dans le repos ou le mouve- ment du corps ? que nous ne faurions 3ô Essai nous empêcher de croire qu'elle en eft la caufe. Lors donc que nous voyons quel- que changement arriver dans le repos ou le mouvement d'un corps 7 nous ne manquons pas de dire que c'eft l'effet de quelque force. Et fi nous n'avons le fentiment d'aucun effort que nous ayons fait pour y contribuer , & que nous ne voyions que quelques- autres corps auxquels nous puiffions attribuer ce phénomène , nous plaçons en eux la force , comme leur appar- tenant. On voit par-là combien eft obfcure l'idée que nous voulons nous faire de la force des corps , fi même on peut appeller idée , ce qui dans fon origine n'eft qu'un fentiment confus $ & Ton peut juger combien ce mot ? qui n'exprimoit d'abord qu'un fentiment de notre ame 9 eft éloigné de pouvoir dans ce fens appartenir aux corps. Ce- pendant 5 comme nous ne pouvons pas dépouiller entièrement les corps d'une efpece d'influence les uns fur les au- tres } de quelque nature qu'elle puiffe jd e Cosmologie. 31 être , nous conferverons ? fi l'on veut , le nom de force : mais nous ne la me- iîirerons que par fes effets apparens y & nous nous fouviendrons toujours que la force motrice , la puiffance qu'a un corps en mouvement d'en mouvoir d'autres , n'eft qu'un mot inventé pour fuppléer à nos connoiffances ? & qui ne fignifie qu'un réfultat des phénomènes. Si quelqu'un qui n'eût jamais touché de corps , & qui n'en eût jamais vu fe choquer , mais qui eût l'expérience de ce qui arrive lorfqu'on mêle enfemble différentes couleurs , voyoit un corps bleu fe mouvoir vers un corps jaune 7 & qu'il fût interrogé fur ce qui arri- vera lorfque les deux, corps fe rencon- treront -, peut-être que ce qu'il pour- roit dire de plus vraifemblable feroit 9 que le corps bleu deviendra vert dès qu'il aura atteint le corps jaune. Mais qu'il prévît 9 ou que les deux corps s'unir oient pour fe mouvoir d'une vîteffe commune , ou que l'un corn- muniqueroit à l'autre une partie de fa vîteffe pour fe mouvoir dans le mëniQ fens avec une vîteffe différente , 32 Essai ou qu'il fe réfléchiroit en fens contraire 5 je ne crois pas cela poffible. Cependant , dès qu'on a touché des corps , dès qu'on fait qu'ils font impé- nétrables y dès qu'on a éprouvé qu'il faut un certain effort pour changer l'état de repos ou de mouvement dans lequel ils font , on voit que lorfqu'un corps fe meut vers un autre , s'il l'at- teint , il faut , ou qu'il fe réfléchiffe , ou qu'il s'arrête , ou qu'il diminue fa vîtefle ; qu'il déplace celui qu'il ren- contre , s'il eft en repos ; ou qu'il change fon mouvement , s'il fe meut. Mais comment ces changemens fe font-ils ? Quelle eft cette puiflance que femblent avoir les corps pour agir les uns fur les autres ? Nous voyons des parties de la ma- tière en mouvement , nous en voyons d'autres en repos : le mouvement n'eft donc pas une propriété effentielle de la matière ; c'eft un état dans lequel elle peut fe trouver , ou ne pas fe trou- ver 9 & que nous ne voyons pas qu'elle puiffe fe procurer d'elle-même. Les parties de la matière qui fe meuvent > ont- p-E Cosmologie. 33 ont donc reçu leur mouvement de quelque caufe étrangère , qui jufqu'ici m'eft inconnue. Et comme elles font d'elles-mêmes indifférentes au mouve- ment ou au repos , celles qui font en repos y reftent , & celles qui fe meu- vent une fois ? continuent de fe mou- voir jufqu'à ce que quelque chofe change leur état. Lorfqu'une partie de la matière en mouvement en rencontre une autre en repos , elle lui communique une partie de fon mouvement , ou tout fon mou- vement même. Et comme la rencon- tre de deux parties de la matière , dont l'une eft en repos & l'autre en mouvement , ou qui font en mouve- ment l'une & l'autre , eft toujours fuivie de quelque changement dans l'état des deux , le choc paroît la caufe de ce changement y quoiqu'il fût ab- furde de dire qu'une partie de la ma- tière , qui ne peut fe mouvoir d'elle- même , en pût mouvoir une autre. Sans doute la connoiflance parfaite de ce phénomène ne nous a pas été accordée -9 elle furpafle vraifemblable- (Euvt dz Maupt Tom, I, Q 34 Essai ment la portée de notre intelligence* Je renonce donc ici à Fentreprife d'ex- pliquer les moyens par lefquels le mou- vement d'un corps pafle dans un autre à leur rencontre mutuelle : je ne cher- che pas même à fuivre le phyfique de ce phénomène auffi loin que le pour- roient permettre les foibles lumières de mon efprit , & les connoiffances dans la Méchanique qu'on a acquifes de nos jours : je m'attache à un principe plus intéreffant dans cette recherche. Les Philofophes qui ont mis la caufe du mouvement en Dieu , n'y ont été réduits que parce qu'ils ne favoient où la mettre. Ne pouvant concevoir que la matière eût aucune efficace pour produire , diftribuer & détruire le mou- vement , ils ont eu recours à un Etre immatériel. Mais lorfqu'on faura que toutes les loix du mouvement font fon- dées fur le principe du mieux 9 on ne pourra plus douter qu'elles ne doivent leur établiffement à un Etre tout-puif- fant & tout [âge ^ foit que cet Être a gifle immédiatement , foit qu'il ait donné aux corps le pouvoir d'agir les uns de Cosmologie. jc fur les autres , foit qu'il ait employé queiqu'autre moyen qui nous foit en- core moins connu. Ce n'eft donc point dans la Mécha* nique que je vais chercher ces loix , c'eft dans la fageffe de l'Etre fuprême* Cette recherche étoit fi peu du goût , ou û peu à la portée des Anciens , qu'on peut dire qu'elle fait encore anjour» d'hui une fcience toute nouvelle. Com- ment en effet les Anciens auroient-ils découvert les loix du mouvement 9 pen- dant que les uns réduifoient toutes leurs jfpéculatïons fur le mouvement à des difputes fophiftiques , & que les autres nioient le mouvement même ? Des Philofophes plus laborieux ou plus fenfés ne jugèrent pas que des diffi- cultés attachées aux premiers principes des chofes fuffent des raifons pour défef pérer d'en rien connoître , ni des excufes pour fe difpenfer de toute recherche. Dès que la vraie manière de philo- fopher fut introduite , on ne fe con- tenta plus de ces vaines difputes fur la nature du mouvement 5 on voulut fa- voir félon quelles loix il fe distribue 9 C ij $6 E -S S A I fe conferve & fe détruit : on fentît que ces loix étoient le fondement de toute la Philofophie naturelle. Le grand Defcartes , le plus auda- cieux des Philofophes , chercha ces loix , & fe trompa. Mais , comme fi les temps avoient enfin conduit cette matière à une efpece de maturité , Ton vit tout-à-coup paroître de toutes parts les loix du mouvement 9 incon- nues pendant tant de fiecles: Huygens, Wallis & Wren les trouvèrent en même temps. Plufieurs Mathématiciens après eux 5 qui les ont cherchées par des routes différentes , les ont confirmées. Cependant tous les Mathématiciens étant aujourd'hui d'accord dans le cas le plus compliqué , ne s'accordent pas dans le cas le plus fimple. Tous con- viennent des mêmes diftributions de mouvement dans le choc des corps élajliques ; mais ils ne s'accordent pas fur les loix des corps durs : & quel- ques-uns prétendent qu'on ne fauroit déterminer les diftributions du mou- vement dans le choc de ces corps. Les embarras qu'ils y ont trouvés leur de Cosmologie. 37 ont fait prendre le parti de nier Pëxif- tence , & même la poffibilité des corps durs. Ils prétendent que les corps qu'on prend pour tels ne font que des corps élaftiques , dont la roideur très-grande rend la flexion de leurs parties imper- ceptible. Ils allèguent des expériences faites fur des corps qu'on appelle vulgaire- ment durs , qui prouvent que ces corps ne font qu'élaftiqués. Lorfque deux globes d'ivoire ? d'acier ? ou de verre , fe choquent , on leur retrouve peut- être après le choc leur première figure ; mais il eft certain qu'ils ne l'ont pas toujours confervée. On s'en affure par fes yeux , fi l'on teint l'un des globes de quelque couleur qui puifle s'effacer & tacher l'autre : on voit par la gran- deur de la tache , que ces globes pendant le choc fe font applatis , quoi- qu'après il ne foit refté aucun chan- gement fenfible à leur figure. On ajoute à ces expériences des raifonnemens métaphyfiques : on pré- tend que la dureté 9 prife dans le fens rigoureux , exigeroit dans la Nature. Ciij 3§ Essai des effets incompatibles avec une cer- taine loi de continuité. Il faudrait , dit-on , lorfqu un corps dur rencontrerait un obftacle inébranla- ble , qu'il perdît tout-à-coup fa vîteffe , fans quelle paffât par aucun degré de diminution ; ou qu'il la convertit en une vîteffe contraire ? & qu'une vîteffe poiitive devînt négative , fans avoir paffé par le repos ( a ). Mais j'avoue que je ne {ens pas la force de ce raifonnement. Je ne fais fi l'on connoît affez la manière dont le mouvement fe produit ou s éteint , pour pouvoir dire que la loi de con- tinuité fût ici violée : je ne fais pas trop même ce que c'eft que cette loi. Quand on fuppoferoît que la vîteffe augmentât ou diminuât par degrés , n'y auroit-il pas toujours des paiTages d'un 'degré à l'autre ? & le paffage le plus imperceptible ne viole -t- il pas autant la continuité , que feroit la deffr action fubite de l'Univers ? Quant aux expériences dont nous (a) D if cour s fur les loix de la communication du, mouvement 9 par M* Jean Bern.ouUi% de Cosmologie. 39 venons de parler , elles font voir qu'on a pu confondre la dureté avec Yélafli- cité ; mais elles ne prouvent pas que l'une ne foit que l'autre. Au contraire , dès qu'on a réfléchi fur Y impénétra- bilité des corps , il femble qu'elle ne foit pas différente de leur dureté ; ou du moins il femble que la dureté en efl: une fuite nécefTaire. Si dans le choc de la plupart des corps , les par- ties dont ils font compofés fe féparent ou fe plient , cela n'arrive que parce que ces corps font des amas d'autres % les corps primitifs 9 les corps fimpies , qui font les élémens de tous les au- tres , doivent être durs , inflexibles ^ inaltérables. Plus on examine l'élafticité , plus il paroît que cette propriété ne dépend que d'une ftrufture particulière , qui laifle entre les parties des corps des intervalles dans lefquels elles peuvent fe plier. Il femble donc qu'on feroit mieux fondé à dire que tous les corps font durs , qu'on ne l'eft à foutenir qu'il n'y a point de corps durs dans la: , C iv 40 Essai Nature. Mais je ne fais fi la manière dont nous connoiffons les corps nous permet ni l'une ni l'autre affertion. Si l'on veut l'avouer , on conviendra que la plus forte raifon qu'on ait eu pour n'admettre que des corps élasti- ques , a été l'impuifTance où l'on étoit de trouver les loix de la communica- tion du mouvement des corps durs. Defcartes admit ces corps , & crut avoir trouvé les loix de leur mouve- ment. Il étoit parti d'un principe affez vraifemblable : Que la quantité du mouvement fe confervoit toujours la même dans la Nature. Il en déduiiît des loix fauffes y parce que le principe n'eft pas vrai. Les Philofophes qui font venus après lui ont été frappés d'une autre confer- vation : c'eft celle de ce qu'ils appel- lent la force vive , qui eft le produit de chaque maffe par le quarré de fa vîtejfe. Ceux-ci n'ont pas fondé leurs loix du mouvement fur cette con- fervation , ils ont déduit cette confer- vation des loix du mouvement , dont ils ont vu qu'elle étoit une fuite. de Cosmologie. 41 Cependant , comme la confervation de la force vive n'avoit lieu que dans le choc des corps élaftiques 9 on s'eft affermi dans l'opinion qu'il n'y avoit point d'autres corps que ceux-là dans la Nature. Mais la confervation de la quantité du mouvement nefl vraie que dans cer- tains cas. La confervation de la force vive na lieu que pour certains corps* Ni l'une ni l'autre ne peut donc paffer pour un principe univerfel , ni même pour un réfultat général des loix du mouvement. Si l'on examine les principes fiir lefquels fe font fondés les Auteurs qui nous ont donné ces loix , & les routes qu'ils ont fuivies , on s'éton- nera de voir qu'ils y foient fi heureufe- ment parvenus $ & l'on ne pourra s'empêcher de croire qu'ils comptoienî moins fur ces principes , que fur l'ex- périence. Ceux qui ont raifonné le plus jufte ont reconnu que le principe dont ils fe fervoient pour expliquer la communication du mouvement des corps élaftiques ne pouvoit s'appliquer 42 Essai à la communication du mouvement des corps durs. Après tant de grands hommes qui ont travaillé fur cette matière , je n'ofe prefque dire que j'ai découvert le principe univerfel fur lequel toutes ces loix font fondées ; qui s'étend également aux corps durs & aux corps élafliques ; d'où dépendent les mouve- mens de toutes les fubftances corpo- relles. Ceft le principe que j'appelle de la moindre quantité d'action. Mais avant que de l'énoncer , il faut expliquer ce que c'eft que l'a£Uon. Dans le mou- vement des corps , l'aftion eft d'autant plus grande que leur maffe eft plus groffe , que leur vîteffe eft plus ra- pide , & que l'efpace qu'ils parcourent eft plus long : l'a£tion dépend de ces trois chofes ; elle eft proportionnelle au produit de la maffe par la vîteffe & par l'efpace. Maintenant void ce principe fi fage , fi digne de l'Etre fuprême : Lorfquil arrive quelque chan- gement dans la Nature > la quantité d'action employée pour ce changement ejî de Cosmologie, 43 toujours la plus petite qu'il [oit pojjihle. C'eft de ce principe que nous dé- duifons les loix du mouvement ? tant dans le choc des corps durs , que dans celui des corps élaftiques $ c'eft en déterminant bien la quantité d'a6Kon qui eft alors néceflaire pour le chan- gement qui doit arriver dans leurs Yiteffes , & fuppofant cette quantité la plus petite qu'il foit poffible , que nous découvrons ces loix générales félon lefquelles le mouvement fe diftri- bue , fe produit ? ou s'éteint (a). Non feulement ce principe répond à l'idée que nous avons de l'Être iii- prême , en tant qu'il doit toujours agir de la manière la plus fage , mais encore en tant qu'il doit toujours tenir tout fous fa dépendance. Le principe de Defcartes fembloit fouftraire le Monde à l'empire de la Divinité : il établiffoit que quelques changemens qui arrivaffent dans la Nature , la même quantité de mouve- ment s'y confervoit toujours. Les ex- ( a ) NB, On a renvoyé la recherche mathématique des loix du mouvement au tome IV» Essai périences , & des raifonnemens plus forts que les fiens firent voir le con- traire. Le principe de la confervation de la force vive fembleroit encore met- tre le Monde dans une efpece d'indé- pendance : quelques changemens qui arrivaient dans la Nature 5 la quan- tité abfolue de cette force fe confer- veroit toujours , & pourroit toujours reproduire les mêmes effets. Mais pour cela il faudroit qu'il n'y eût dans la Nature que des corps élaftiques : il faudroit en exclure les corps durs -9 c'eft-à-dire , en exclure les feuls peut- être qui y foient. Notre principe , plus conforme aux idées que nous devons avoir des cho- fes y laiffe le Monde dans le befoin continuel de la puiffance du Créateur , & eft une fuite néceffaire de l'emploi le plus fage de cette puiffance. Les loix du mouvement ainfi dé- duites , fe trouvant précifément les mêmes qui font obfervées dans la Na- ture , nous pouvons en admirer l'ap- plication dans tous les phénomènes 5 dans le mouvement des animaux * de Cosmologie. 4$ dans la végétation des plantes ^ dans la révolution des aftres : & le fpe&a- cle de l'Univers devient bien plus grand , bien plus beau , bien plus digne de fon Auteur. C'eft alors qu'on peut avoir une jufte idée de la puif- iance & de la fageffe de l'Être fu- prême ; & non pas lorfqu'on en juge par quelque petite partie dont nous ne connoiflbns ni la conftruâion , ni l'ufage , ni la connexion qu'elle a avec les autres. Quelle fatisfa£tion pour l'elprit humain en contemplant ces loix y qui font le principe du mouve- ment de tous les corps de l'Univers , d'y trouver la preuve de l'exiftence de celui qui le gouverne ! Ces loix fi belles & fi fimples font peut-être les feules que le Créateur & l'Ordonnateur des chofes a établies dans la matière pour y opérer tous les phénomènes de ce Monde vifibie. Quelques Philofophes ont été affez téméraires pour entreprendre d'en ex- pliquer par ces feules loix toute la méchanique , & même la première formation : donnez-nous ? ont -ils dit ^ 46 Essai de la matière & du mouvement , & nous allons former un Monde tel que celui-ci. Entreprife véritablement ex- travagante ! D'autres au contraire , ne trouvant pas tous les phénomènes de la Nature ajttez faciles à expliquer par ces feuls moyens , ont cru néceffaire d'en ad- mettre d'autres. Un de ceux que le Le foin leur a préfentés , eft Y attraction , ce monftre métaphyfîque fi cher à une partie des Philofophes modernes , fi odieux à l'autre : une force par la- quelle tous les corps de l'Univers s-àttireftt. Si l'attraftion demeuroit dans le va- gue de cette première définition , & qu'on ne demandât auffi que des ex- plications vagues , elle fuffiroit pour tout expliquer : elle feroit la caufe de tous les phénomènes : quelques corps attireroient toujours ceux qui fe meuvent. Mais il faut avouer aue les Philo- fophes qui ont introduit cette force n'en ont pas fait un ufage auffi ridi- cule. Ils ont fenti que pour donner de Cosmologie. 47 quelque explication raifonnable des phénomènes , il falloit par quelques phénomènes particuliers remonter à un phénomène principal , d'où l'on pût enfuite déduire tous les autres phéno- mènes particuliers du même genre. C'eft ainfï que par quelques fymptômes des mouvemens céleftes , & par des obfervations fur la chute des corps vers la Terre ? ils ont été conduits à admettre dans la matière \ une force par laquelle toutes fes parties s'atti- rent fuivant une certaine proportion de leurs diftances ; & il faut avouer que ? dans l'explication de plufieurs phénomènes , ils ont fait un ufage merveilleux de ce principe. Je n'examine point ici la différence qui peut fe trouver dans la nature de la force impuljîve , & de la force attractive ; fi nous concevons mieux une force qui ne s'exerce que dans ie contaft , qu'une autre qui s'exerce dans l'éloignement : mais la matière & le mouvement une fois admis dans l'Univers ? nous avons vu que Féta- bliffement de quelques loix d'impulfion Essai était néceflaire ; nous avons vu que 5 dans le choix de ces loix , l'Être fu- prême avoit fuivi le principe le plus îage. Il feroit à fouhaiter pour ceux qui admettent l'attraâion , qu'ils lui puffent trouver les mêmes avantages. Si les phénomènes du mouvement de ces corps immenfes qui roulent dans l'Univers ont porté les Aftrono- mes à admettre cette attra£tion , d'au- tres phénomènes du mouvement des plus petites parties des corps ont fait croire aux Chymiftes qu'il y avoit encore d'autres attractions : enfin on eft venu jufqu'à admettre des forces répulfives. Mais toutes ces forces feront -elles des loix primitives de la Nature 9 ou ne feront - elles point des fuites des loix de l'impulfion ? Ce dernier n'eft- îl point vraifemblable 9 fi l'on confi- dere que dans la .Méchanique ordi« naire , tous les mouvemens qui fem- blent s'exécuter par traclion , ne font cependant produits que par une véri- table puLJîon ? Enfin le grand homme qui a introduit les attrapions n'a pas ofé de Cosmologie. 49 ofé les regarder comme des loix pri- mitives , ni les fouftraire à l'empire de l'impulfîon ; il a au contraire in- finué dans plus d'un endroit de fon merveilleux ouvrage 5 que l'attraâion pouvoir bien n'être qu'un phénomène dont l'impulfion étoit la véritable caufe ( a ) : phénomène principal dont dépendoient plufieurs phénomènes par- ticuliers , mais fournis comme eux aux loix d'un principe antérieur. Plufieurs Philofophes ont tenté de découvrir cette dépendance : mais û leurs efforts jufqu'ici n'ont pas eu un plein fuccès , ils peuvent du moins faire croire la chofe poffibîe. Il y aura toujours bien des vuides , bien des interruptions entre les parties de nos fyftêmes les mieux liés : & û nous réfléchirons fur l'iniperfeétion de l'inf- trument avec lequel nous les formons , fur la foibleffe de notre efprit , nous pourrons plutôt nous étonner de ce que nous avons découvert ? que de ce qui nous refte caché. (a) Newton, Phil. nat, pag> 6 , \6q , 1B8 -, 530 ," Edit. Londin. 1746. (Euv. de Maup. Tom. L £) jfo Essai Ouvrons les yeux , parcourons l'Uni- vers , livrons - nous hardiment à toute l'admiration que ce fpe&acle nous caufe : tel phénomène qui , pendant qu'on ignoroit la fageffe des loix à qui il doit fon origine , n'étoit qu'une preuve obfcure & confufe de l'exif- tence de celui qui gouverne le Monde , devient une démonstration y & ce qui auroit pu caufer du fcandale ne fera plus qu'une fuite néceffaire des loix qu'il falloit établir. Nous verrons , fans en être ébranlés , naître des monf- tres , commettre des crimes , & nous fouffrirons avec patience la douleur. Ces maux ne porteront point atteinte à une vérité bien reconnue : quoique ce ne foit pas eux qui la fiffent con- noître 9 ni rien de ce qui renferme quelque mélange de mal ou d'inutilité. Tout eft lié dans la Nature : l'Univers tient au fil de l'araignée , comme à cette force qui pouffe ou qui tire les planètes vers le Soleil : mais ce n'eft pas dans le fil de l'araignée qu'il faut chercher les preuves de la fageffe de fon Auteur. de Cosmologie. 51 Qui pourroit parcourir toutes les merveilles que cette fageffe opère ! Qui pourroit la fuivre dans Timmen- Ûiè des Cieux , dans la profondeur des mers > dans les abîmes de la Terre ! îl n'eft peut - être pas encore temps d'entreprendre d'expliquer le fyftême du Monde : il eft toujours temps d'en admirer le fpeftacle. J^k fc'àf3**- 5f h <0k, i U E S S A ï ESSAI DE COSMOLOGIE, 1 1 Ie. Partie. Spectacle de F Univers. E Soleil eft un globe lumineux , gros environ un million de fois comme la Terre. La matière dont il eft formé n'eft pas homogène , il y paroît fouvent des inégalités ; & quoi- que plufîeurs de ces taches difparoiffent avant que d'avoir parcouru tout fon difque , le mouvement réglé de quel- ques-unes ? & le retour au même lieu du difque , après un certain temps , ont fait voir que le Soleil immobile , ou prefque immobile dans le lieu des Cieux où il eft placé 9 avoit un mou- vement de révolution fur fon axe , & que le temps de cette révolution étoit d'environ 25 jours. Six globes qu'il échauffe & qu'il éclaire fe meuvent autour de lui. Leurs groffeurs ? leurs diftances & de Cosmologie. 53 leurs révolutions font différentes : mais tous fe meuvent dans le même fens , à peu près dans le même plan , & par des routes prefque circulaires. Le plus voifin du Soleil & le plus petit , eft Mercure : fa plus grande diftance du Soleil n'eft que de 5137 diamètres de la Terre , fa plus petite de 3377 ; fon diamètre n'eft qu'envi- ron la 300me. partie de celui du Soleil» On n'a point encore découvert s'il a quelque révolution fur lui - même ; mais il tourne autour du Soleil dans l'efpace de 3 mois. Vénus eft la féconde planète : fa plus grande diftance du Soleil eft de 8008 diamètres de la Terre , fa plus petite de 7898 : fon diamètre eft la ioome. partie de celui du Soleil : elle tourne fur elle-même \ mais les Aftronomes ne font pas encore d'accord fur le temps de cette révolution. M. Caffini y ar l'obfervation de quelques taches y a faifoit de 23 heures ; M. Bianchini „ par d'autres obfervations , la fait de 2,4 jours. Sa révolution autour du Soleil eft de 8 mois, D lit 54 Essai Le troifieme globe eft la Terre que nous habitons , qu'on ne peut fe dit» penfer de ranger au nombre des pla- nètes. Sa plus grande diftance du Soleil eft de 1 1 187 de fes diamètres ; fa plus petite de 108 13. Elle tourne fur fon axe dans Tefpace de 24 heures , & emploie un an à faire fa révolution autour du Soleil dans un orbe qu'on appelle récliptique. L'axe de la Terre , Taxe autour duquel elle fait fa révo- lution diurne , n'eft pas perpendicu- laire au plan de cet orbe : il fait avec lui un angle de 66— degrés. Pendant les révolutions de la Terre autour du Soleil 9 cet axe demeure prefque paral- lèle à lui-même. Cependant ce parallé- lifme n'eft pas parfait ; l'axe de la Terre coupant toujours le plan de l'éclipti- que fous le même angle , tourne fur lui - même d'un mouvement conique dont la période eft de 25000 ans 5 & que les obfervations d'Hipparque comparées aux nôtres nous ont fait connoitre. On doute encore fi Fangle fous lequel Taxe de la Terre coupe le plan de récliptique eft toujours le de Cosmologie. js même : quelques obfervations ont fait penfer qu'il augmente ? & qu'un jour les plans de l'écliptique & de l'équa- teur viendroient à fe confondre. Il fau- dra peut-être des milliers de fîecles pour nous l'apprendre. Cette planète , qui eft celle que nous connoiffons le mieux , nous peut faire croire que toutes les autres , qui paroiffent de la même nature qu'elle , ne font pas des globes déferts fufpendus dans les Cieux 9 mais qu'elles font habitées comme elle par quelques êtres vivans. Quelques Auteurs ont hafardé fur ces habitans des conjectures qui ne fauroient être ni prouvées ? ni démenties : mais tout eft dit , du moins tout ce qui peut être dit avec probabilité , lorsqu'on a fait remarquer que ces vaftes corps des planètes , ayant déjà tant de chofes communes avec la Terre , peuvent encore avoir de commun avec elle d'être habités. Quant à la nature de leurs habitans , il feroit bien témé- raire d'entreprendre de la deviner. Si l'on obferve déjà de û grandes variétés entre ceux qui peuplent les différens D iv 56 Essai climats de la Terre > que ne peut-on pas penfer de ceux qui habitent des planètes fi éloignées de la nôtre ? leurs v ariétés paffent vraifemblablement toute l'étendue de notre imagination. La quatrième planète eft Mars. Sa plus grande diftance du Soleil eft de 18315 diamettres de la Terre, fa plus petite de 1 5 2 1 3 ; fon diamètre eft la i70me. partie de celui du Soleil. Sa révolution fur fon axe eft de 25 heures , & celle qu'il fait autour du Soleil s'achève dans 2 ans. La cinquième planète , & la plus groffe de toutes , eft Jupiter. Sa plus grande diftance du Soleil eft de 59950 d .;metres de la Terre , fa plus petite de 54450 ; fon diamètre eft la 9me. partie de celui du Soleil. Il fait dans ï o heures fa révolution fur fon axe ; fon cours autour du Soleil s'achève, dans 1 2 ans. Enfin la fixieme planète , & la plus éloignée du Soleil , eft Saturne. Sa plus grande diftance du Soleil eft de 110935 diamètres de la Terre , fa plus petite de 98901 3 fon diamètre de Cosmologie. 57 la nrae. partie de celui du Soleil. On ignore s'il tourne fur fon axe. Il emploie 30 ans à faire fa révolution dans fon orbe. Voilà quelles font les planètes prin- cipales , c'eft-à-dire ? celles qui tour- nent immédiatement autour du Soleil , foit que pendant ce temps - là elles tournent fur elles-mêmes ou non. On appelle ces planètes principales par rapport aux autres appellées Jecon- daires. Celles-ci font leurs révolutions , non immédiatement autour du Soleil , mais autour de quelque planète du premier ordre , qui fe mouvant autour du Soleil , tranfporte avec elle autour de cet aftre celle qui lui fert de fatellite. L'aftre qui éclaire nos nuits , la Lune , efl: une de ces planètes fecon- daires. Sa diftance de la Terre n'efl: que de 30 diamètres de la Terre 9 fon diamètre n'efl: guère que la 4me. partie du diamètre de la Terre. Elle fait 1 2 révolutions autour de la Terre , pen- dant que la Terre en fait une autour du Soleil 58 Essai Les corps des planètes fecondaires f opaques comme ceux des planètes du premier ordre 9 peuvent faire conjeftu- rer qu'elles font habitées comme les autres. Depuis l'invention des télefcopes on a découvert quatre fatellites à Jupiter j quatre Lunes qui tournent autour de lui , pendant que lui-même tourne autour du Soleil. Enfin Saturne en a cinq. Mais on découvre autour de cette planète une autre merveille , à laquelle nous ne connoiffons point de pareille dans les Cieux : c'efl: un large anneau dont elle eft environnée. Quoique les fatellites paroiflent des- tinés à la planète autour de laquelle ils font leurs révolutions , ils peuvent pour les autres avoir de grandes utili- tés ; & l'on ne peut omettre ici celle que les habitans de la Terre retirent des fatellites de Jupiter. C'efl que ces aftres ayant un mouvement fort rapi- de j pafîent fouvent derrière les corps de leur planète principale , & tom- bent dans l'ombre de cette planète 9 de Cosmologie. qui ne recevant fa lumière que du Soleil , a toujours derrière elle un ef- pace ténébreux , dans lequel le fatel- lite , dès qu'il entre , s'éclipfe pour le ipeftateur ; & duquel reffortant ? il paroît à nos yeux. Or ces éclipfes & ces retours à la lumière étant des phé- nomènes qui arrivent dans un inftant 5 fi Ton obferve dans différens lieux de la Terre l'heure de l'immerfion ou de rémerfion du fatellite , la différence qu'on trouve entre ces heures donne la différence des méridiens des lieux où l'on aura fait les obfervations : chofe fi importante pour le Géographe & pour le Navigateur. Deux grands fluides appartiennent à la planète que nous habitons : l'un eft la mer , qui en couvre environ la moitié : l'autre eft l'air , qui l'envi- ronne de toutes parts. Le premier de ces fluides eft fans ceffe agité d'un mouvement qui l'élevé & l'abaiffe deux fois chaque jour. Ce mouvement beaucoup plus grand dans certains temps que dans d'autres , va- riant auffi félon les différentes régions 6o Essai de la Terre , a une telle correfpon- dance avec les pofîtions de la Lune & du Soleil , qu'on ne fauroit y mé- connoître l'effet de ces aftres , quoique l'effet de la Lune foit de beaucoup le plus fenfible : à chaque paffage de la Lune par le méridien , l'on voit les mers inonder les rivages quelles avoient abandonnés. L'autre fluide eft l'air. Il enveloppe de tous côtés la Terre , & s'étend à de grandes diftances au-deffus. Soumis comme la mer aux afpefts de la Lune & du Soleil , des propriétés particu- lières ajoutent de nouveaux phénomè- nes à fes mouvemens. C'eft l'aliment de tout ce qui refpire. Malgré fa lé- gèreté , les Phyliciens font venus à bout de le pefer , & de déterminer le poids total de fa maffe par les expé- riences du baromètre ; dans lequel une colonne de mercure d'environ 27 pou- ces de hauteur eft foutenue par la colonne d'air qui s'étend depuis la furface de la Terre jufqu'à l'extrémité de l'atmofphere. Deux propriétés fort remarquables de Cosmologie. 61 de Pair font fa compreffîbilité & fon reflbrt ; c'eft par celles-là que l'air tranfmet les fons. Les corps fonores par leur mouvement excitent dans l'air des vibrations qui fe communi- quent jufqu'à notre oreille ^ & la vî- teffe avec laquelle les fons fe tranf- mettent eft de 170 toifes par chaque féconde. Lorfqu'on confidere les autres planè- tes , on ne peut pas douter qu'elles ne foient formées d'une matière fem- blable à celle de la Terre ? quant à l'opacité. Toutes ne nous paroiffent que par la réflexion des rayons du Soleil qu'elles nous renvoient : nous ne voyons jamais de la Lune 9 notre fatellite , que l'hémifphere qui en eft éclairé : fi , lorfqu'elle eft placée entre le Soleil & la Terre ? on y apperçoit quelque légère lueur , ce n'eft encore que la lumière du Soleil qui eft tom- bée fur la Terre renvoyée à la Lune ? & réfléchie de la Lune à nos yeux : enfin dès que la Lune entre dans l'om- bre que forme la Terre vers la partie oppoiee au Soleil 2 le corps entier 6i Essai de la Lune , ou les parties qui entrent dans l'ombre s'éclipfent , comme font les fatellites de Jupiter & de Saturne dès qu'ils entrent dans l'ombre de ces aftres. Quant aux planètes principales , la Terre en étant une , la feule analogie conduiroit à croire que les autres font opaques comme elle : mais il y a des preuves plus fûres qui ne permettent pas d'en douter. Celle des planètes dont la iituation à l'égard du Soleil demande qu'elle nous préfente les mêmes phafes que la Lune , nous les préfente en effet : Vénus obfervée au téiefcope nous montre tantôt un difque rond , & tantôt des croiflans , plus ou moins grands félon que Phémifphere qui eft tourné vers nous eft plus ou moins éclairé du Soleil. Mars nous préfente auffi différentes phafes , quoi- que fon orbite étant extérieure à celle de la Terre , fes phafes foient moins inégales que celles de Vénus. Le paffage de Vénus & de Mercure fur le Soleil , qui s'obferve quelque- fois , pendant lequel on les voit par- de Cosmologie.; Courir fon difque comme des taches obfcures , eft une nouvelle preuve de ieur opacité. Jupiter & Saturne , dont les orbes renferment l'orbe de la Terre , ne fauroient être expofés à ce phéno- mène : mais les éclipfes de leurs fatel- lites , lorfqu'ils fe trouvent dans leur ombre , prouvent aiTez que ce font des corps opaques. Les taches qu'on obferve avec I télefcope fur le difque des planètes , & qui confervent conftamment leur figure & leur fituation , prouvent que les planètes font des corps folides. La Lune 9 la plus voifine de nous , nous fait voir fur fa furface de grandes cavités ? de hautes montagnes , qui jettent des ombres fort fenfibles vers la partie oppofée au Soleil : & la furface de cette planète paraît affez femblable à celle de la Terre P fi on l'obfervoit de la Lune ; avec cette différence que les montagnes de celle- ci font beaucoup plus élevées que toutes les nôtres. Quant au Soleil ? on ne peut dou- ter que la matière dont il eft formé 64 Essai ne foit lumineufe & brûlante. Il eft la fource de toute la lumière qui éclaire la Terre & les autres planètes , & de tout le feu qui les échauffe. Ses rayons étant condenfés au foyer d'un miroir brûlant , & fi leur quantité & leur condenfation font affez grandes , ils font un feu plus puiffant que tous les autres feux que nous pouvons produire ^vec les matières les plus combufti- ^bles. Une fi grande afKvité fiippofe la fluidité : mais on voit encore que la matière qui compofe le Soleil eft fluide par les changemens continuels qu'on y obferve. Les taches qui paroiffent dans le difque du Soleil ? & qui difpa- roiffent enfuite 9 font autant de corps qui nagent dans ce fluide , qui en paroiffent comme les écumes , ou qui s'y confument. On a toujours fia que le Soleil étoit la caufe de la lumière ; mais ce n'eft que dans ces derniers temps qu'on a découvert que la lumière étoit la ma- tière même du Soleil : fource inépuifa- ble de cette matière précieufe ! depuis la multitude de fiecles qu'elle cpule , on £> E CvSMOL'ÔGiÈ. 6è en ne s apperçoit pas qu'elle ait fouffert aucune diminution. Quelle que foit fon immenfité- , 3uelle fubtilité ne faut -il pas fuppofer ans les fuiffeaux qui en fortent ? Mais fi leur ténuité paraît merveiiieufe j quelle nouvelle merveille n'eft-ce point $ lorfqu'on verra qu'un rayon lumineux $ tout fubtil qu'il eft , tout pur qu'il paroît à nos yeux , eft un mélange de différentes matières ? lorfqu'on faura qu'un mortel a fu analyfer la lumière , découvrir lé nombre & les dofes des ingrédiens qui la compofent ? Chaque rayon de cette matière , qui paroît û iimple , eft un faifeeau de rayons rou- ges , orangés , jaunes , verts ^ bleus > indigots & violets , que leur mélange confondoit à nos yeux ( a )9 Nous ne faurions déterminer avec précifion quelle eft la fineife des rayons de lumière , mais nous connoiflbns leur vîtefle ; dans fept ou huit minutes ils arrivent à nous -3 ils traverfent dans un temps fi court tout l'efpace qui fé« pare le Soleil & la Terre 9 c'eft-à-dire <* ( a ) Newton Optik. CEuv« de Maup, Tôm, h Ë 66 Essai plus de trente millions de lieues. Tout effrayantes pour l'imagination que font ces chofes , des expériences incontefta- blés les ont fait connoître (a). Revenons aux planètes , & exami- nons un peu plus en détail leurs mou- vemens. Les routes qu'elles décrivent dans les Cieux font à peu près circu- laires j mais ce ne font pas cependant abfolument des cercles ? ce font des ellipfes qui ont fort peu d'excentricité. Nous avons auffi confidéré les pla- nètes comme des globes , & il eft vrai qu'elles approchent fort de la figure fphérique : ce ne font pourtant pas , du moins ce ne font pas toutes , des globes parfaits. Dans ces derniers temps on foup- çonna que la Terre n'étoit pas par- faitement fphérique. Quelques expé- riences firent penfer à Newton & à Huygens qu'elle devoit être plus éle- vée à Féquateur qu'aux pôles , & être un fphéroide applati. Des mefures aâuelles de différens degrés de la (a) Philof. Tranfaiï, N°, 40^. de Cosmologie* 6j France fembloient lui donner une figure toute oppofée , celle d'un fphéroïde allongé, Ces mefures prifes par de très- habiles Obfervateurs fembloient dé^- îruire la figure applatie , qui n'étoit prouvée que par des expériences indi- reâes , & par des raifonnemens. Telle étoit l'incertitude , lorfque le plus grand Roi que la France ait eu ordonna la plus magnifique entreprife qui ait jamais été formée pour les Sciences. C'étoit de mefurer vers l'é- quateur & vers le pôle les deux degrés du méridien les plus éloignés qu'il fût poffible. La comparaifon de ces degrés devoit décider la queition 5 & déter- miner la figure de la Terre. MM. Godin y Bouguer ? la Condamine , par- tirent pour le Pérou ; & je fus chargé de l'expédition du pôle avec MM. Clairaut , Camus , le Monnier & Outhier. Nous mefurames , dans les déferts de la Lapponie , le degré qui coupe le cercle polaire , & le trouvâ- mes de 57438 toifes. Comparant ce degré à celui que les Académiciens envoyés au Pérou ont trouvé à Féqua- E i) 68 Essai teur , de 56750 toiles (a) 5 on voit que la Terre eft applatie vers les pôles , & que le diamètre de l'équateur fur- paffe l'axe d'environ une 200me. partie. La planète de Jupiter , dont la révo- lution autour de l'axe eft beaucoup plus rapide que celle de la Terre , a un applatiffement beaucoup plus con- sidérable , & fort fenfible au télef- cope. Voilà quelle eft l'économie la plus connue de notre fyftême folaire. On y obferve quelquefois des aftres que la plupart des Philofophes de l'antiquité ont pris pour des météores paffagers ; înais qu'on ne peut fe difpenfer de regarder comme des corps durables , & de la même nature que les pla- nètes. La différence la plus confidérable qui paroît être entre les planètes & ces nouveaux aftres , c'efl; que les or- bes de celles-là font prefque tous dans le même plan , ou renfermés dans une zone de peu de largeur ? & font des (a) Journal du voyage fait par ordre du Roi à tjauauur s par M* de la Çondamine% n e Cosmologie. ipfes fort approchantes du cercle t les Comètes au contraire fe meuvent dans toutes les direftions , & décrivent des ellipfes fort allongées. Nous ne les voyons que quand elles paffent dans ces régions du Ciel où fe trouve la Terre 9 quand elles parcourent la par- tie de leur orbite la plus voifine du Soleil : dans le refte de leurs orbites elles difparoiffent à nos yeux. Quoique leur éloignement nous em- pêche de iiiivre leurs cours , plusieurs apparitions de ces aftres ^ après des intervalles de temps égaux , femblent n'être que les retours d'une même Comète. C'eft ainfi qu'on croit que celle qui parut en 1682 étoit la même qui avoit été vue en 1607 ? ea 1 5 3 1 & en 1456. Sa révolution fe- roit d'environ 75 ans , & Ton pour- roit attendre fon retour vers Tannée 1758. De même quatre apparitions de la Comète qui fut remarquée à la mort de Jules -Céfar 5, puis dans les années 5. 3 1 , 1 1 06 9 & en dernier lieu en 1680 , doivent faire penfer que ç'eft la même , dont la révolution etfc E iij. 70 XS S S A 1 de 575 ans. La poftérité verra û la conje&ure eft vraie. Celle-ci , en 1680 5 s'approcha tant du Soleil , que dans fon périhélie elle n'en éroit éloignée que de la 6rae. partie de fon diamètre. On peut juger par-là à quelle chaleur cette Comète fut expofée : elle fut 28000 fois plus grande que celle que la Terre éprouve en été. Quelques Phiiofophes , confîdérant les routes des Comètes qui parcourent toutes les régions du Ciel 9 tantôt s'ap- prochant du Soleil jufqu'à pouvoir y être englouties 9 tantôt s'en éloignant à des diftances immenfes , ont attribué à ces aflres des ufages finguliers. Ils les regardent comme fervant d'aliment au Soleil 9 lorfqu'elles y tombent, ou com- me deftinées à rapporter aux planètes l'humidité qu'elles perdent. En effet , on voit afTez fouvent les Comètes en- vironnées d'épaiffes atmofpheres , ou de longues queues 5 qui ne paroiffent formées que d'exhalaifons & de va- peurs. Quelques Phiiofophes , au lieu de ces favorables influences « en ont de Cosmologie. ji fait appréhender de très - funeftes. Le choc d'un de ces aftres qui rencontrè- rent quelque planète > fans doute la détruiroit de fond en comble. Il eft vrai que ce feroit un terrible hafard 9 fî des corps , qui fe meuvent dans tou- tes fortes de directions dans l'immen- fité des Cieux , venoient rencontrer quelque planète ; car malgré la groffeur de ces corps , ce ne font que des ato- mes , dans l'efpace où ils fe meuvent. La chofe n'eft pas impoffibîe 5 quoiqu'il fût ridicule de la craindre. La feule approche de corps auffi brûlans que le font quelques Comètes , lorfqu'elles ont paffé fort près du Soleil , la feule inondation de leurs atmofpheres ou de leurs queues , cauferoit de grands défordres ïiir la planète qui s'y trouve- roit expofée. On ne peut douter que la plupart des animaux ne périffent , s'il arrivoit qu'ils fuffent réduits à fupporter des chaleurs auffi exceffives , ou à nager dans des fluides ii diflerens des leurs 9 ou à refpirer des vapeurs auffi étran- gères. Il n'y auroit que les animaux f% . Essai les plus robuftes , & peut-être les plus vils , qui confervaffent la vie. Des efpeces entières feroient détruites -, & l'on ne trouveroit plus entre celles qui refteroient l'ordre & l'harmonie qui y avoient été d'abord. Quand je réfléchis for les bornes étroites dans lefquelles font renfer^ mées nos connoiffances , fur le defir extrême que nous avons de favoir , & fur Fimpuiffance où nous fommes de nous inilruire $ je ferois tenté de croire que cette difproportion , qui fe trouve aujourd'hui entre nos connoif- fances & notre curiofité , pourrait être la fuite d'un pareil défordre. Auparavant toutes les efpeces for- moient une fuite d'êtres qui n'étoient pour ainfi dire que des parties conti* guës d'un même tout : chacune liée aux efpeces voifines , dont elle ne dif- féroit que par des nuances infenfibles , formoit entr'elles une communication qui s'étendoit depuis la première jus- qu'à la dernière. Mais cette chaîne une fois rompue 5 les efpeces que nous ne pouvions connoîtrç que par Tentremife de Cosmologie. 73 de celles qui ont été détruites ? font devenues incompréhenfibles pour nous : nous vivons peut-être parmi une infi- nité de ces êtres dont nous ne pouvons découvrir , ni la nature ? ni même J'exiftence. Entre ceux que nous pouvons encore appercevoir, il fe trouve des interru- ptions qui nous privent de la plupart des fecours que nous pourrions en re- tirer : car l'intervalle qui eft entre nous & les derniers des êtres n'eft pas pour nos connoiffances un obftacle moins invincible que la diftance qui nous fépare des êtres fupérieurs. Chaque efpece , pour l'univerfalité des chofes , avoit des avantages qui lui étoient pro^- près : & comme de leur affemblage réfultoit la beauté de l'Univers , de même de leur communication en réful- toit la fcience. Chaque efpece ifolée ne peut plus embellir ni faire connoître les autres : la plupart des êtres ne nous paroiflent que comme des monftres , & nous ne trouvons qu'obfcurité dans nos con- noiffances. C'eft ainli que l'édifice le 74 Essai plus régulier , après que la foudre Fa frappé , n'offre plus à nos yeux que des ruines , dans lefquelles on ne re- connoît ni la fymétrie que les parties avoient entr'elles , ni le deffein de FArchite&e. Si ces conje&ures paroiffent à quel- ques-uns trop hardies , qu'ils jettent la vue fur les marques inconteftables des changemens arrivés à notre planète. Ces coquillages , ces poiffons pétrifiés , qu'on trouve dans les lieux les plus élevés & les plus éloignés des riva- ges y ne font-ils pas voir que les eaux ont autrefois inondé ces lieux ? Ces terres fracaffées , ces lits de différentes fortes de matières interrompus & fans ordre , ne font - ils pas des preuves de quelque violente fecouffe que la Terre a éprouvée ? Celui qui dans une belle nuit re- garde le Ciel , ne peut fans admiration contempler ce magnifique fpeftacle. Mais fi fes yeux font éblouis par mille Etoiles qu'il apperçoit , fon efprit doit être plus étonné lorfquil faura que toutes ces Etoiles font autant de Soleils DE COSMÔLOCIE. 7J femblables au nôtre , qui ont vraifem- blablement comme lui leurs planètes & leurs comètes ; lorfque l'Ailrono- mie lui apprendra que ces Soleils font placés à des diftances fi prodigieufes de nous , que toute la diftance de notre Soleil à la Terre n'eft qu'un point en comparaifon : & que quant à leur nombre , que notre vue paroît réduire à environ 2000 , on le trouve tou- jours d'autant plus grand , qu'on fe fert de plus longs télefcopes : toujours de nouvelles Etoiles au-delà de celles qu'on appercevoit ; point de fin , point de bornes dans les Cieux. Toutes ces Etoiles paroiflent tourner autour de la Terre en 24 heures : mais il eft évident que la révolution de la Terre autour de fon axe doit caufer cette apparence. Elles paroiflent encore toutes faire autour des pôles de l'écliptique une révolution dans l'ef- pace de 25000 ans : ce phénomène eft la fuite du mouvement conique de l'axe de la Terre. Quant au change- ment de fituation de ces Etoiles , qu'il femble qu'on dût attendre du mouve- j6 Essai ment de la Terre dans fon orbe ; toute la diftance que la Terre parcourt de- puis une faifon jufqu'à la faifon op- pofée n'étant rien par rapport à fa diftance aux Etoiles , elle ne peut eau- fer de différence fenfîble dans leur afpeél. Ces Etoiles , qu'on appelle fixes 9 gardent entr'elles conftamment la même Situation ^ pendant que les planètes ou Etoiles errantes changent continuelle- ment la leur ^ dans cette zone , où nous avons vu que tous leurs orbes étoient renfermés ; & que les Comètes , plus errantes encore 9 parcourent indiffé- remment tous les lieux du Ciel. Quelquefois on a vu tout-à-coup de nouvelles Etoiles paraître : on les a vu durer quelque temps , puis peu à peu s'obfcurcir & s'éteindre. Quelques- unes ont des périodes connues de lu- mière & de ténèbres. La figure que peuvent avoir ces Etoiles , & le mou- vement des planètes qui tournent peut- être autour y peuvent être les caufes de ces phénomènes. Quelques Etoiles , qu'on appelle de Cosmologie, nèhuleufes , qu'on ne voit jamais que comme à travers d'atmofpheres dont elles paroiffent environnées , nous font voir encore qa'il y a parmi ces aftres beaucoup de diverfîtés. Enfin des yeux attentifs ? aidés du télefcope > découvrent de nouveaux phénomènes : ce font de grands efpa- ces plus clairs que le refte du Ciel , à travers lefquels l'Auteur de la Théo- logie agronomique a cru voir PEmpirée ; mais qui plus vraifemblablement ne font que des efpeces d'aftres moins lu- mineux ;, & beaucoup plus grands que les autres 9 plus applatis peut-être 5 & auxquels différentes fituations femblent donner des figures irrégulieres. Voilà quels font les principaux ob- jets du fpeftacle de la Nature. Si l'on entre dans un plus grand détail , combien de nouvelles merveilles ne découvre - 1 - on pas I Quelle terreur n'infpirent pas le bruit du tonnerre & F éclat de la foudre ? que ceux même qui nioient la Divinité ont regardés comme fi propres à la faire craindre ! ui peut voir fans admiration cet arc y8 Essâî de Cosmologie. merveilleux qui paroît à l'oppofite du Soleil , lorfque par un temps pluvieux les gouttes répandues dans Tair fépa- rent à nos yeux les couleurs de la lumière ! Si vous allez vers le pôle , quels nouveaux fpeftacles fe prépa- rent ! Des feux de mille couleurs , agités de mille mouvements , éclairent les nuits dans ces climats , où Faftre du jour ne paroît point pendant l'hiver. J'ai vu de ces nuits plus belles que les jours , qui faifoient oublier la dou- ceur de l'Aurore & l'éclat du Midi. Si des Cieux on defcend fur la Terre ; fi après avoir parcouru les plus grands objets', l'on examine les plus petits , quels nouveaux prodiges ! quels nou- veaux miracles ! Chaque atome en offre autant que la planète de Jupiter. Fin de VEffai de Cofmologie* DISCOURS SUR LES DIFFÉRENTES FIGURES DES ASTRES, Oà ton ejfaje d'expliquer les principaux phénomènes du CieL DISCOURS 8i ïltgjfckîkg^g^^ DISCOURS* SUR Z£? DIFFÉRENTES FIGURES DES ASTRES, Où ton effaye d'expliquer les principaux phénomènes du Ciel. §. I. Réflexions fur la figure des A (1res. p^fî] E p u i s les temps les plus Ç D % reculés ? on a cru la Terre g*&*9l fphénque , malgré l'apparence qui nous repréfente fa lurface comme plate , lorfque nous la considérons du * Ce Difcours fut imprimé pour la premiers fois à Paris en 1732* Œuv. de Maup. Tom. i, F §z Figure milieu des plaines ou des mers. Cette apparence ne peut tromper que les gens les plus groïîiers : les Philofophes , d'accord avec les Voyageurs , fe font réunis à regarder la Terre comme fphérique. D'une part , les phénomè- nes dépendant d'une telle forme > & de l'autre , une efpece de régularité , avoient empêché d'avoir aucun doute for cette fphéricité : cependant , à confidérer la chofe avec exa£Htude , ce jugement que l'on porte fur la fphé- ricité de la Terre n'eft guère mieux fondé que celui qui feroit croire qu'elle eft plate ? fur l'apparence groffiere qui la représente ainfi -9 car quoique les phénomènes nous faffent voir que la Terre eft ronde , ils ne nous mettent cependant pas en droit d'affurer que cette rondeur foit précifément celle d'une fphere. En 1672 , M. Richer étant allé à la Cavènne 9 pour faire des obfervations aftronomiques , trouva que l'horloge à pendule qu'il avoit réglée à Paris fur îe moyen mouvement du Soleil retar- doit confidérablement. Il étoit facile jd e s Astres. §3 de conclure de-là que le pendule qui battoit les fécondes à Pans , devoit être raccourci pour les battre à la Cayenne, Si Ton fait abftraftion de la réfif- tance que l'air apporte au mouve- ment d'un pendule , ( comme on le peut faire ici fans erreur fënfible ) la durée des ofciilations d'un pendule qui décrit des arcs de cyclcïde , ou , ce qui revient au même , de très- petits arcs de cercle , dépend de deux caufès ; de la force avec laquelle les corps tendent à tomber perpendiculai- rement à la furface de la Terre , & de la longueur du pendule. La lon- gueur du pendule demeurant la même , la durée des ofciilations ne dépend donc plus que de la force qui fait tomber les corps , & cette durée de- vient d'autant plus longue que cette force devient plus petite. La longueur du pendule n'avoit point changé de Paris à la Cayenne ; car quoiqu'une verge de métal s'al- longe à la chaleur , & devienne par- là un peu plus longue lorfqu'on la F ij 84 Figure tranfporte vers Féquateur , cet allon- gement eft trop peu confidérable pour qu'on lui puiffe attribuer le retarde- ment des ofcillations , tel qu'il fut obfervé par Richer. Cependant les ofcillations étoient devenues plus len- tes : il falloir donc que la force qui fait tomber les corps fût devenue plus petite : le poids d'un même corps étoit donc moindre à la Cayenne qu'à Paris. Cette obfervation étoit peut - être plus finguliere que toutes celles qu'on s'étoit propofées : on vit cependant bientôt qu'elle n'avoit rien que de conforme à la théorie des forces cen- trifuges , & que l'on n'eût , pour ainfi dire , dû prévoir- Une force fecrette , qu'on appelle pefanteur ? attire ou chaffe les corps vers le centre de la Terre. Cette force , fi on la fuppofe par -tout la même , rendroit la Terre parfaitement fphéri- oue 5 fi elle étoit compofée d'une matière fluide & homogène , & qu elle n'eût aucun mouvement : car il eft évident qu'afin' que chaque colonne ce fluide ? prife depuis le centre des Astres. 8j jufqu'à la fuperficie , demeurât en équilibre avec les autres , il faudroit que fon poids fût égal au poids de chacune des autres ; & puifque ia matière eft fuppofée homogène , il faudroit , pour que le poids de cha- que colonne (m le même 3 qu'elles fuflent toutes de même longueur. Or il n'y a que la fphere dans laquelle cette propriété fe puiffe trouver : la Terre feroit donc parfaitement fphé- rique. Mais c'eft une loi pour tous les corps qui décrivent des cercles , de tendre à s'éloigner du centre du cer- cle qu'ils décrivent ^ & cet effort qu'ils font pour cela s'appelle force centri- fuge. On fait encore que fi des corps égaux décrivent dans le même temps des cercles différens 9 leurs forces cen- trifuges font proportionnelles aux cercles qu'ils décrivent. Si donc la Terre vient à circuler autour de (on axe , chacune de fes parties acquerra une force centrifuge , d'autant plus grande que le cercle qu'elle décrira fera plus grand , c'eft- F iii 86 Figure à-dire , doutant plus grande qu'elle fera plus proche de Féquateur , cette force allant s'anéantir aux pôles* Or , quoiqu'elle ne tende direéte- ment à éloigner les parties du centre de la fphere que fous 1 equateur , & que par -tout ailleurs elle ne tende à les éloigner que du centre du cercle qu elles décrivent ; cependant en dé- compofant cette force , déjà d'autant moindre qu'elle s'exerce moins proche de Féquateur , on trouve qu'il y en a une partie qui tend toujours à éloi- gner les parties du fluide du centre de la fphere. En cela cette force eft abfolument contraire à la pefanteur , & en détruit une partie plus ou moins grande ? félon le rapport qu'elle a avec elle. La force donc qui anime les corps à defcendre , réfultant de la pefanteur inégalement diminuée par la force cen- trifuge , ne fera plus la même par-tout , & fera dans chaque lieu d'autant moins grande , que la force centrifuge l'aura plus diminuée. Nous avons vu que c'eft fous i'é- d e s Astres. quateur que la force centrifuge eft la pius grande : c'eft donc là qu'elle dé- truira une plus grande partie de la pefanteur. Les corps tomberont donc plus lentement fous Féquateur que par-tout ailleurs ; les ofcillations du pendule feront d'autant plus lentes ? que les lieux approcheront plus de Fé- quateur ; & la pendule de M. Richer , tranfportée de Paris à la Cayenne ? qui n'eft qu'à 4d £5 ' de Féquateur 9 devoit retarder. Mais la force qui fait tomber les corps eft celle - là même qui les rend pëfans : & de ce qu'elle n'eft pas la même par-tout ? il s'enfuit que toutes nos colonnes fluides ,-fi elles font éga- les en longueur , ne pèleront pas par- tout également y la colonne qui répond à Féquateur pefera moins que celle qui répond au pôle : il faudra donc , pour qu'elle foutienne celle du pôle en équilibre , qu'elle foit compofée d'une plus grande quantité de matière ; il faudra qu'elle foit plus longue. La Terre fera donc plus élevée fous Féquateur que fous les pôles ; & d'au- F iv 88 F i ù v r e tant plus applatie vers les pôles, que la force centrifuge fera plus grande par rapport à la pefanteur : ou , ce qui revient au même , la Terre fera d'au- tant plus applatie , que fa révolution fur fon axe fera plus rapide ; car la force centrifuge dépend de cette ra- pidité. Cependant fi la pefanteur eft uni- forme , c'eft-à-dire 5 la même à quel- que diftance que ce foit du centre de la Terre , comme Huy gens l'a fuppofé r cet applatiffement a les bornes. Il a démontré que fi la Terre tournoit fur fon axe environ dix-fept fois plus vite qu'elle ne fait , elle recevroit le plus grand applatiffement qu'elle pût rece- voir 9 qui iroit jufqu'à rendre le dia- mètre de fon équateur double de fon axe. Une plus grande rapidité dans le mouvement de la Terre communi- queroit à fes parties une force centri- fuge plus grande que leur pefanteur y & elles fe diffiperoient. Huygens ne s'en tint pas là : ayant déterminé le rapport de la force cen- trifuge fous l'équateur à la pefanteur , des Astres. 89 il détermina la figure que doit avoir la Terre , & trouva que le diamètre de fon équateur devoit être à fcn axe comme 578 à 577. Cependant Newton partant d'une théorie différente , & confidérant la pefanteur comme l'effet de l'attraâion des parties de la matière ? avoit déter- miné le rapport entre le diamètre de l'équateur & l'axe , qu'il avoit trouvé l'un à l'autre comme 230 a 229. Aucune de ces mefures ne s'accorde avec la mefure actuellement prife par MM. Caffini & MaraldL Mais fi de leurs obfervations , les plus fameufes qui fe foient peut - être jamais faites 5 il réfulte que la Terre , au lieu d'être un fphéroïde applati vers les pôles , eft un fphéroïde allongé , quoique cette figure ne paroiffe pas s'accorder avec les loix de la Statique , il fau- droit voir qu'elle eft abfolument im- poffible , avant que de porter atteinte à de telles obfervations. Ceci étoit imprimé quatre ans avant que 'feu (fe été au Nord pour y mefurer le degré du méridien. Nos mefures font contraires à celle-ci 9 & font la Terre applaiie. F I G U R E g*-HHMUB—BMWiJllHll^«mw * "■ ■■■ Hl»—!— I I. Difcufflon métaphyjique fur ¥ attraction* Es figures des corps céleftes dé- pendent de la pefanteur & de la force centrifuge. Sur cette dernière il n'y a aucune diverfité de fentimens parmi les Philofophes -9 il n'en eft pas ainfï de la pefanteur. Les uns la regardent comme l'effet de la force centrifuge de quelque ma- tière , qui circulant autour des corps vers lefquels les autres pefent , les chafle vers le centre de fa circulation : les autres , fans en rechercher la caufe 9 la regardent comme û elle étoit une propriété inhérente au corps. Ce n'eft pas à moi à prononcer foi- une queftion qui partage les plus grands Philofophes , mais il m'efl: per- mis de comparer leurs idées. Un corps en mouvement qui en rencontre un autre , a la force de le mouvoir. Les Cartéfiens tâchent de tout expliquer par ce principe ? & de des Astres. ci faire voir que la pefanteur même n'en eft qu'une fuite. En cela le fond de leur fyftême a l'avantage de la {im- plicite ; mais il faut avouer que dans le détail des phénomènes il fe trouve de grandes difficultés. Newton peu fatisfait des explica- tions que les Cartéfiens donnent des phénomènes par la feule impulfîon , établit dans la Nature un autre prin- cipe d'a&ion ; c'eft que toutes les par- ties de la matière pefent les unes vers- les autres. Ce principe établi ? Newton explique merveilleufement tous les phénomènes $ & plus on détaille , plus on approfondit fon fyftême , & plus il paroît confirmé. Mais outre que le fond du fyftême eft moins fim- ple , parce qu'il fuppofe deux prin- cipes , un principe par lequel les corps éloignés agiffent les uns fur les autres paroît difficile à admettre. Le mot d'attraftion a effarouché les efprits ; plufieurs ont craint de voir renaître dans la Philofophie la do£lrine des qualités occultes. Mais c'eft une juftice qu'on doit 92 Figure rendre à Newton 9 il n'a jamais regardé l'attraftion comme une explication de la pefanteur des corps les uns vers les autres : il a fouvent averti qu'il n'em- ployoit ce terme que pour défigner un fait , & non point une caufe $. qu'il ne l'employoit que pour éviter les fyftêmes & les explications ; qu'il fe pouvoit même que cette tendance fut caufée par quelque matière fubtile qui fortiroit des corps , & fût l'effet d'une véritable impulfion y mais que quoi que ce fût , c'étoit toujours un premier fait , dont on pouvoit partir pour expliquer les autres faits qui en dépendent. Tout effet réglé , quoique fa caufe foit inconnue , peut être l'ob- jet des Mathématiciens , parce que tout ce qui eft fufceptible de plus & de moins eft de leur r effort , quelle que foit fa nature ; & l'ufage qu'ils en feront fera tout auffi fur que celui qu'ils pourroient faire d'objets dont la nature îeroit abfolument connue. S'il n'étoit permis d'en traiter que de tels , les bornes de la Philofophie feroient étran- gement refferréeSo des Astres. 95 Galilée , fans connoître la caufe de la pefanteur des corps vers la Terre , n'a pas laifïe de nous donner fur cette pefanteur une théorie très-belle & très- fûre y & d'expliquer les phénomènes qui en dépendent. Si les corps pefent encore les uns vers les autres , pour- quoi ne feroit-il pas permis auffi de rechercher les effets de cette pefanteur , fans en approfondir la caufe ? Tout fe devroit donc réduire à examiner s'il eft vrai que les corps ayent cette tendance les uns vers les autres : & fi l'on trouve qu'ils l'ayent en effet , on peut fe con- tenter d'en déduire l'explication des phénomènes de la Nature , laiffant à des Philofophes plus fublimes la recher- che de la caufe de cette force. Ce parti me paroîtroit d'autant plus fage , que je ne crois pas qu'il nous foit permis de remonter aux premiè- res caufes , ni de comprendre com- ment les corps agiffent les uns fur les autres. Mais quelques-uns de ceux qui rejet- tent l'attraftion la regardent comme un monftre métaphyfïque j ils croient 94 Figure fon impoffibilité fi bien prouvée , que quelque chofe que la Nature femblât dire en fa faveur y il vaudroit mieux confentir à une ignorance totale , que de fe fervir dans les explications d'un principe abfurde. Voyons donc fi Fat- tra£Kon , quand même on la confidé- reroit comme une propriété de la ma- tière , renferme quelque abfurdité. Si nous avions des corps les idées complettes ; que nous connuffions bien ce qu'ils font en eux - mêmes , & ce que leur font leurs propriétés ; com- ment & en quel nombre elles y ré- fident y nous ne ferions pas embarraf- fés pour décider fi Tattraftion efi: une propriété de la matière. Mais nous fommes bien éloignés d'avoir de pa- reilles idées \ nous ne connoifïbns les corps que par quelques propriétés , fans connoître aucunement le fujet dans lequel ces propriétés fe trouvent réunies. Nous appercevons quelques ailem- blages différens de ces propriétés , & cela nous fuffit pour défigner tels ou tels corps particuliers. Nous avançons des Astres, 95 encore un pas , nous diftinguons diffé- tens ordres parmi ces propriétés ; nous voyons que pendant que les unes varient dans différens corps ? quelques-autres s'y retrouvent toujours les mêmes : & de-là nous regardons celles-ci comme des propriétés primordiales , & comme les bafes des autres. La moindre attention fait recon- noître que l'étendue eft une de ces propriétés invariables. Je la retrouve fi univerfellement dans tous les corps , que je fuis porté à croire que les autres propriétés ne peuvent fubfîfter fans elle ? & qu'elle en eft le foutien. Je trouve auffi qu'il n'y a point de corps qui ne foit folide ou impénétra- ble : je regarde donc encore l'impé- nétrabilité comme une propriété effen- îielle de la matière. Mais y a - 1 - il quelque connexion néceflaire entre ces propriétés ? l'éten- due ne fauroit-elle fubfifter fans l'im- pénétrabilité ? devois-je prévoir par la propriété d'étendue quelles autres pro- priétés l'accompagneroient ? c'eft ce que je ne vois en aucune manière. F I C U & E Après ces propriétés primitives des corps , j'en découvre d'autres qui , quoiqu'elles n'appartiennent pas tou- jours à tous les corps , leur appartien- nent cependant toujours , lorfqu'ils font dans un certain état $ je veux parler ici de la propriété qu'ont les corps en mouvement , de mouvoir les autres qu'ils rencontrent. Cette propriété , quoique moins uni- verfelle que celles dont nous avons parlé , puifqu'elle n'a lieu qu'autant que le corps eft dans un certain état , peut cependant être prife en quelque manière pour une propriété générale relativement à cet état , puifqu'elle fe trouve dans tous les corps qui font en mouvement. Mais encore un coup , l'aflemblage de ces propriétés étoit-il nécefTaire ? & toutes les propriétés générales des corps fe réduifent- elles à celle-ci ? Il me fembie que ce feroit mal raifonner que de vouloir les y réduire. On feroit ridicule de vouloir affi- gner aux corps d'autres propriétés que celles que l'expérience nous a appris des Astres, 97 qui s'y trouvent ; mais on le ferolt peut-être davantage de vouioir , après un petit nombre de propriétés à peine connues , prononcer dogmatiquement J 1 O i. Fexclufion de toute autre 5 comme fi' nous avions la meiùre de la capacité des fujets , lorfque nous ne les con- noiflbns que par ce petit nombre de propriétés. Nous ne tommes en droit d'exclure d'un fujet que les propriétés contra- diâoires à celles que nous favons qui s'y trouvent : la mobilité fe trouvant dans la matière , nous pouvons dire que l'immobilité ne s'y trouve pas : la matière étant impénétrable ? n'eft pas pénétrable. Proportions identi- ques , qui font tout ce qui nous eft permis ici. Voilà les feules propriétés dont on peut affurer Fexclufion. Mais les corps 9 outre les propriétés que nous leur connoiffons , ont - ils encore celle de pefer ,, ou de tendre les uns vers les autres , ou de ? &c. ? C'eft à l'expé- rience , à qui nous devons déjà la con- noiflance des autres propriétés des (Euv. de Maup, Tom, î, Q 98 Figure corps , à nous apprendre s'ils ont en- core celle-ci. Je me flatte qu'on ne m'arrêtera pas ici , pour me dire que cette propriété dans les corps , de pefer les uns vers les autres , efi moins concevable que celle que tout le monde y reconnoît. La manière dont les propriétés réfident dans un fujet eft toujours inconceva- ble pour nous. Le peuple n'eft point étonné lorfqu'il voit un corps en mou- vement communiquer ce mouvement à d'autres ; l'habitude qu'il a de voir ce phénomène l'empêche d'en apper- cevoir le merveilleux : mais des Phi- lofophes n'auront garde de croire que la force impulfîve foit plus concevable que Fattra&ive. Qu'eft-ce que cette force impulfive ? comment réfide-t-elle dans les corps ; qui eût pu deviner qu'elle y réfide , avant que d'avoir vu des corps fe choquer ? La réfidence des autres propriétés dans les corps n'eft pas plus claire. Comment l'impénétra- bilité & les autres propriétés viennent- elles fe joindre à l'étendue ? Ce feront là toujours des myfteres pour nous. des Astres. ç^ 9 dira-t-on peut-être 9 les corps n'ont point la force impulfive. Un corps n'imprime point le mouvement au corps qu'il choque ; c'eft Dieu lui- même qui meut le corps choqué , ou qui a établi des loix pour la communi- cation de ces mouvemens. Ici l'on fe rend fans s'en appercevoir. Si les corps en mouvement n'ont point la propriété d'en mouvoir d'autres ; fi lorsqu'un corps en choque un autre 9 celui - ci n'eft mu que parce que Dieu le meut , & s'eft établi des loix pour cette diftri- bution de mouvement ; de quel droit pourroit-on affurer que Dieu n'a pu vouloir établir de pareilles loix pour l'attra&ion ? Dès qu'il faut recourir à un Agent tout-puiffant 9 & que le feul contradiftoire arrête , il faudroit que l'on dît que rétabliffement de pareilles ioix renfermoit quelque contradiftion : mais c'eft ce qu'on ne pourra pas dire $ & alors eft - il plus difficile à Dieu de faire tendre ou mouvoir l'un vers l'autre deux corps éloignés , que d'attendre , pour le mouvoir , qu'un corps ait été rencontré par un autre ? G ï) îoô Figure Voici un autre raifonnement qu'on peut faire contre l'attra&ion. L'impé- nétrabilité des corps eft une propriété dont les Philofophes de tous les partis conviennent. Cette propriété pofée ? un corps qui fe meut vers un autre ne fauroit continuer de fe mouvoir , s'il ne le pénètre : mais les corps font im- pénétrables ; il faut donc que Dieu établilïe quelque loi qui accorde le mouvement de l'un avec l'impénétra- bilité des deux : voilà donc l'établiffe- rnent de quelque loi nouvelle devenu néceffaire dans le cas du choc. Mais deux corps demeurant éloignés ? nous ne voyons pas qu'il y ait aucune néce£ fité d'établir de nouvelle loi. Ce raifonnement eft , ce me fembîe , le plus folide que l'on puiffe faire con- tre F^ttraftion. Cependant ? quand on n'y répondroit rien , il ne prouve au- tre chofe , fi ce n'eft qu'on ne voit pas de néceffité dans cette propriété des corps : ce n'eft pas là non plus ce que je prétends établir ici ; je me fuis Borné à faire voir que cette propriété eft poffible. d es Astres. ïoï lis examinons ce raifonnement. Les différentes propriétés des corps ne font pas , comme nous l'avons vu * toutes du même ordre \ il y en a de primordiales , qui appartiennent à la matière en général , parce que nous les y retrouvons toujours , comme l'étendue & l'impénétrabilité. Il y en a d'un ordre moins nécef- faire , & qui ne font que des états dans lefquels tout corps peut fe trouver , oh ne fe pas trouver ? comme le repos & le mouvement. Enfin il y a des propriétés plus par- ticulières , qui désignent les corps , comme une certaine figure ? couleur , odeur , &c. S'il arrive que quelques propriétés de différens ordres fe trouvent en op- pofition , ( car deux propriétés pri- mordiales ne fauroient s'y trouver ) il faudra que la propriété inférieure cède & s'accommode à la plus néceffaire ? qui n'admet aucune variété. Voyons donc ce qui doit arriver , lorfqu'un corps fe meut vers un autre dont l'impénétrabilité s'oppofe à frax G iij 102, F I G U R E mouvement. L'impénétrabilité fubfif- tera inaltérablement : mais le mouve- ment , qui n'eft qu'un état dans lequel le corps fe peut trouver , ou ne fe pas trouver, & qui peut varier d'une infinité de manières ? s'accommodera à l'impé- nétrabilité ; parce que le corps peut fe mouvoir , ou ne fe mouvoir pas $ il peut fe mouvoir d'une manière ou d'une autre ; mais il faut toujours qu'il foit impénétrable , & impénétrable de la même manière. Il arrivera donc dans le mouvement du corps quelque phénomène , qui fera la fuite de la fii- bordmation entre les deux propriétés. Mais fi la pefanteur étoit une pro- priété du premier ordre ; fi elle étoit attachée à la matière 9 indépendam- ment des autres propriétés ; nous ne verrions pas que fon établiffement fat néceflaire , parce qu'elle ne le devroit point à la combinaifon d'autres proprié- tés antérieures. Faire contre Fattraflion le raifonne- ment que nous venons de rapporter , c'eft comme fi , de ce qu'on eft en état d'expliquer quelque phénomène , on des Astres. 103 concluent que ce phénomène eft plus néceffaire que les premières propriétés de la matière , fans faire attention que ce phénomène ne fubfifte cm'en confé- quence ae ces premières propriétés. Tout ce que nous venons de dire ne prouve pas qu'il y ait de l'attrac- tion dans la Nature ; je n'ai pas non plus entrepris de le prouver. Je ne me fuis propofé que d'examiner fi l'attrac- tion , quand même on la confidéreroit comme une propriété inhérente à la matière ? etoit metapliyhquement îm- poffibie. Si elle étoit telle 7 les phéno- mènes les plus preffans de la Nature ne pourroient pas la faire recevoir : mais fi elle ne renferme ni impoffibi- lité ni contradiftion , on oeut ex ami- ner librement fi les phénomènes la prouvent ou non. L'attraélion n'eft plus , pour ainfi dire , qu'une queftion de fait ; c'eft dans le fyftême de l'Uni- vers qu'il faut aller chercher il c'eft un principe qui ait effectivement lieu dans la Nature , jufqu'à quel point il eft néceffaire pour expliquer les phé- nomènes , ou enfin s'il eft inutilement G iv 104 Figure introduit pour expliquer des faits que l'on explique bien fans lui. Dans cette vue , je crois qu'il ne fera pas inutile de donner ici quelque idée des deux grands fyftêmes qui par- tagent aujourd'hui le monde philofo- phe. Je commencerai par le fyftême des tourbillons , non feulement tel que Defcartes l'établit , mais avec tous les raccommodemens qu'on y a faits. J'expoferai enfuite le fyftême de Newton , autant que je le pourrai faire , en le dégageant de ces calculs qui font voir l'admirable accord qui règne entre toutes fes parties , & qui lui donne tant de force. s. mi. Syflê/ne des tourbillons , pour expliquer le mouvement des planètes , & la pefanteur des corps vers la Terre. PO u r exnliauer les mouvemens des planètes autour au Soleil , Defcartes les fuppofe plongées dans un fluide 3 qui circulant lui-même autour des Astres. 105 de cet aftre , forme le vafte tourbillon dans lequel elles font entraînées , comme des vaiffeaux abandonnés au courant d'un fleuve. Cette explication ? fort fimple au premier coup d'œil , fe trouve fujette à de grands inconveniens lorfqu'on l'examine. Les planètes fe meuvent autour du Soleil , mais c'eft avec certaines cir- conftances qu'il ne nous eil plus per- mis d'ignorer. Les routes que tiennent les planètes ne font pas des cercles , mais des ellipfes , dont le Soleil occupe le foyer. Une des loix de la révolution eft que 7 fî l'on conçoit du lieu d'où une planète eft partie , & du lieu où elle fe trouve aftuellement , deux lignes droites tirées au Soleil , l'aire du fefteur elliptique formé par ces deux lignes , & par la portion de Fellipfe que la planète a parcourue , croit en même proportion que le temps qui s'écoule pendant le mouvement de la planète. De-là vient cette augmentation de vîteffe qu'on obferve dans les planètes ? lorfqu'elles 10$ Figure s'approchent du Soleil : les droites tirées des lieux de la planète au Soleil étant alors plus courtes -? afin que les aires décrites pendant un certain temps foient égales aux aires décrites dans le même temps , lorfque la planète étoit plus éloignée du Soleil , il faut que les arcs elliptiques parcourus par la planète foient plus grands. Toutes les planètes que nous con- noiflbns fuivent cette loi j non feule- ment les planètes principales , qui font leur révolution autour du Soleil ; mais encore les planètes fecondaires , qui font leur révolution autour de quel- que autre planète , comme la Lune & les fatellites de Jupiter & de Saturne : mais ici les aires qui font proportion- nelles au temps , font les aires décri- tes autour de la planète principale , qui eft à l'égard de fes fatellites ce qu'efl: le Soleil à l'égard des planètes du premier ordre. Par cette loi , l'or- bite d'une planète , & le temps de fa révolution étant connus , on peut trou- ver à chaque inftant le lieu de l'orbite où la planète fe trouve. des Astres* 107 Une autre loi marque le rapport entre la durée de la révolution de cha- que planète ? & fa diftance au Soleil 5 & cette loi n'eft pas moins exactement obfervée que l'autre. C'eft que le temps de la révolution de chaque planète autour du Soleil eft proportionnel à la racine quarrée du cube de fa moyenne diftance du Soleil. Cette loi s'étend encore aux pla- nètes fecondaires : en obfervant que dans ce cas les révolutions & les diftan- ces fe doivent entendre par rapport à la planète principale , autour de la- quelle les autres tournent. Par cette loi , la diftance de deux planètes au Soleil , & le temps de la révolution de l'une étant donnés , on peut trou- ver le temps de la révolution de l'au- tre \ ou le temps de la révolution de deux planètes , & la diftance de l'une de ces planètes au Soleil étant donnés ^ on peut trouver la diftance de l'autre. Ces deux loix pofées , il n'eft plus feulement queftion d'expliquer pour- quoi en général les planètes tournent autour du Soleil 5 il faut expliquer ~io8 Figure encore pourquoi elles obfervent ces loix , ou du moins il faut que l'expli- cation qu'on donne de leur mouve- ment ne foit pas démentie par ces loix. Puifque les diftances des planètes au Soleil , & les temps de leurs révo- lutions font différens , la matière du tourbillon n'a pas par - tout la même denfité , & le temps de fa dévolution n'eft pas le même par - tout. De ce que chaque planète décrit au- tour du Soleil des aires proportionnelles au temps , il fuit que les viteffes des couches de la matière du tourbillon font réciproquement proportionnelles aux diftances de ces couches au centre. Mais de ce que les temps des révo- lutions des différentes planètes font proportionnels aux racines quarrées des cubes de leurs diftances au Soleil , il fuit que les vîteffes des couches font réciproquement proportionnelles aux racines quarrées de leurs diftances. Si Ton veut donc affurer une de ces loix aux planètes , l'autre devient né- ceffairement incompatible. Si l'on veut que les couches du tourbillon ayent les des Astres. i 09 vîteffes néceffaires pour que chaque pla- nète décrive autour du Soleil des aires proportionnelles au temps , il s'enfui- vra ? par exemple , que Saturne deyroït employer 90 ans à faire fa révolution : ce qui eft fort contraire à l'expérience. Si au contraire on veut conferver aux couches du tourbillon les vîteffes néceffaires ? pour que les temps des révolutions foient proportionnels aux racines quarrées des cubes des diftan- ces ; on verra les aires décrites autour du Soleil par les planètes ne plus fuivre la proportion des temps. Je ne parle point ici des objections contre les tourbillons , qui ne paroif» fent pas invincibles. Je ne dis rien de celle que Newton avoit faite 9 en fup- pofant ? comme fait Defcartes, que le tourbillon reçoive fon mouvement du Soleil , qui tournant fur fon axe , com- muniquerait ce mouvement de couche en couche jufqu'aux confins du tour- billon. Newton avoit cherché par les loix de la Méchanique les vîteffes des différentes couches du tourbillon , & ii les trouvoit fort différentes de celles no Figure qui font néceflaires pour la règle de Kepler , qui regarde le rapport entre les temps périodiques des planètes , & leurs diftances au Soleil. M. Bernoulli , dans la belle DifTertation qui rem- porta le prix de l'Académie en 1730 , a fait voir que Newton n'avoit pas fait attention à quelque circonftance qui change le calcul. Il eft vrai qu'en faifant cette attention , on ne trouve pas encore les vîteffes des couches , telles qu'elles devroient être pour l'ob- fervation de cette loi ; mais elles en approchent davantage. Enfin , de quelque caufe que vienne le mouvement du tourbillon , on pourra bien accorder les vîteffes des couches avec une des loix dont nous avons parlé ; mais jamais avec l'une & l'autre en même temps. Cependant ces deux loix font auffi inviolables l'une que l'autre. Les gens les plus éclairés ont cher-, ché des remèdes à cela. Leibnitz fut réduit à dire ( a ) qu'il falloir que par ( a ) Voyez Acl. Erud. 168 p , pag. 82 ; 6» 1706 9 pag, 446. ' * n E S AS T R ES. îîf foute la couche où fe trouve chaque planète il y eût une circulation , qu'il appelle harmonique , c'eft-à-dire 3 une certaine loi de vîteffe propre à faire fui- vre aux planètes celle des deux loix qui regarde la proportion entre les aires & les temps : & qu'il falioit en même temps que par toute l'étendue du tourbillon il fe trouvât une autre ïoi différente pour faire fuivre aux pla- nètes la loi qui regarde la proportion entre leurs temps périodiques & leurs diftances au Soleil. Voilà tout ce qu'a pu dire un des plus grands hommes du îiecle pour la défenfe des tourbil- lons. M. Bulffînger , dans la Differtation qui remporta le prix en 1728 ? recon- noît & démontre encore mieux la né- ceffité de ces différentes loix dans le fluide qui entraîne les planètes. Mais il n'eft pas facile d'admettre ces diffé- rentes couches fphériques fe mouvant avec des vîteffes indépendantes & in- terrompues. Il y a encore contre ce fyftême une ©bje£Uon qui n'eft guère moins forte. ii2 Figure Les différentes couches du tourbillon ont à peu près les mêmes denfités que les planètes qu'elles portent , puifque chaque planète fe fondent dans la cou- che où elle fe trouve ; & ces cou- ches fe meuvent avec des vîtefifes fort rapides. Cependant nous voyons les Comètes traverfer ces couches fans recevoir d'altération fenfible dans leur mouvement. Les Comètes elles-mêmes feroient auffi apparemment entraînées par des fluides qui circuleroient à tra- vers les fluides qui portent les planètes , fans fe confondre ? ni altérer leur cours. Paffbns à l'explication de la pefan- teur dans le fyftême des tourbillons. Tous les corps tombent , lorfqu'ils ne font pas foutenus ? & tendent à s'approcher du centre de la Terre. Defcartes , pour expliquer ce phé- nomène , fuppofe un tourbillon d'une matière fluide qui circule extrêmement vite autour de la Terre dans la direftion de l'équateur. On fait que lorfqu'un corps décrit un cercle , il tend à s'é- loigner du centre : toutes les parties de des Astres. 113 de ce fluide ont donc chacune cette force centrifuge 9 qui tend à les éloi- gner du centre du cercle quelles dé- crivent. Si donc alors elles rencontrent quelque corps qui n ait point , ou qui ait moins de cette force centrifuge 9 il faudra qu'il cède à leur effort \ & les parties du fluide ayant toujours plus de force centrifuge que le corps , pren- dront fucceffivement fa place , jufqu'à ce qu'elles l'ayent chaiTé au centre. Cette explication générale de la pefanteur fe trouve encore expofée à de grandes difficultés , dont nous ne rapporterons que les deux principales ? font de iiuygens. Ce grand homme objeéta ± 1. Que fi le mouvement d'un pareil tourbillon étoit affez rapide pour chaA fer les corps vers le centre avec tant de force 5 il de vr oit faire éprouver aux mêmes corps quelqu'impulfion hori- zontale ? ou plutôt entraîner tout dans le fens de fa direction. 2. Qu'en attribuant la caufe de la pefanteur à un tourbillon qui fe meut parallèlement à l'équateur ? les corps Œuv. de Maup. Tom. I. H ï 1 4 Figure ne feroient point chaffés vers le centre de la Terre , mais devroient tomber dans des plans perpendiculaires à l'axe, La chute des corps étant l'effet de la force centrifuge de la matière du tour- billon , & cette force tendant à éloi- gner cette matière du centre de cha- que cercle qu'elle décrit , elle devroit dans chaque lieu chaffer les corps vers le centre de ce cercle ; & les corps , au-lieu de tendre vers le centre de la Terre , tendroient vers les centres de chaque cercle parallèle à l'équateur. Or ni l'un ni l'autre de ces deux effets n'arrive. On remarque par- tout que la chute des corps n'eft accom- pagnée d'aucune déviation , & que les corps tombent perpendiculairement à la furface de la Terre. Voyons les remèdes que Huygens apporte aux inconvéniens qu'il trouve dans le fyftême de Defcartes. Au-lieu de faire mouvoir la matière éthérée toute enfemble autour des mêmes pô- les , il fuppofe qu'elle fe meut en tout fens dans l'efpace fphérique qui la con- tient. Ces mouvemens fe contrariant n es Astres. 115 les uns les autres 9 jufqu'à ce qu'ils foient devenus circulaires , la matière éthérée yiendra enfin à fe mouvoir dans des furfaces fphériques dans tou- tes les direéKons. Cette hypothefe une fois pofée déli- vre le tourbillon des deux obje&ions qu'on lui faifoit. 1. La matière éthérée qui caufe la pefanteur circulant dans toutes les di« reéHons , elle ne doit pas entraîner les corps orizontaiement comme le tour- billon de Def cartes , parce que l'im- pulfion horizontale qu'ils reçoivent de chaque filet de cette matière eft dé- truite par une impulfion oppofée. 2. On voit que les corps doivent tomber vers le centre de la Terre , parce que la matière éthérée qui cir- cule dans chaque fuperficie fphérique les chaffant vers l'axe de cette fuperfi- cie 9 ils doivent tomber vers l'mter- feftion de tous ces axes ? qui eft le centre de la Terre. Ce fyftême fatisfait donc mieux aux phénomènes de la pefanteur ■ que ne fait celui de Defcartes : mais il .faut H i j n6 Figure avouer auffi qu'il eft bien éloigné de fa {implicite. Il n'eft pas facile de con- cevoir ces mouvemens circulaires de la matière éthérée dans toutes les di- reélions : & ceux mêmes qui veulent tout expliquer par Timpulfion de la matière éthérée , n'ont pas été con- tens de ce que Huygens a fait pour la foutenir. M. Bulffinger ne pouvant admettre ce mouvement en tout fens ? a pro- pofé un troifieme fyftême. Il prétend que la matière éthérée fe meut en même temps autour de deux axes perpendiculaires l'un à l'autre : mais quoiqu'un pareil mouvement foit déjà affez difficile à concevoir ? il fup- pofe encore deux nouveaux mouvemens dans la matière éthérée ,, oppofés aux deux premiers. Voilà donc quatre tour- billons oppofés deux à deux , qui fe traverfent fans fe détruire. C'eft ainfi que dans le fyftême des tourbillons on rend raifon des deux principaux phénomènes de la Nature. Qu'une matière fluide qui circule ■entraîne les planètes autour du Soleil $ des Astres. 117 que dans le tourbillon particulier de chaque planète , un pareil mouvement de matière chafife les corps vers le centre : ce font là des idées qui fe préfentent affez naturellement à Pefprit. Mais la Nature mieux examinée ne permet pas de s'en tenir à ces premières vues. Ceux qui veulent entrer dans quelque détail font obligés d'admettre dans le tourbillon folaire l'interruption des mouvemens des différentes cou- ches dont nous avons parlé ; & dans le tourbillon terreftre ? tous ces diffé- rens mouvemens , oppofés les uns aux autres , de la matière éthérée. Ce n'eft qu'à ces fâcheufes conditions qu'on peut expliquer les phénomènes par le moyen des tourbillons. Ces embarras ont fait dire à l'Au- teur ( e s Astres. 119 centre des aires proportionnelles aux temps : & réciproquement , que fi un corps décrit autour d'un centre immo- bile 9 ou mobile 9 des aires propor- tionnelles aux temps ? il eft attiré vers ce centre. Ceci démontré par les raifonnemens de la plus fûre Géométrie , il l'appli- que aux planètes , qu'il confidere fe mouvoir a ans le vuide 9 ou dans des efpaces fi peu remplis de matière ? qu'elle n'apporte aucune réfiftance fen- fïble aux corps qui s'y meuvent. Les obfervations apprenant que toutes les planètes du premier ordre autour du Soleil , & tous les fatellites autour de leur planète principale ? décrivent des aires proportionnelles aux temps ; il conclut que les planètes font attirées vers le Soleil ^ & les fatellites vers leur planète. Quelle que foit la loi de cette force qui attire les planètes , c'eft-à-dire , de quelque manière qu'elle croifle ou di- minue , félon la diftance où font les planètes , il fuffit en général qu'elles foient attirées vers un centre , pour H iv no Figure que les aires qu'elles décrivent autour fuivent la proportion des temps. On ne connoît donc point encore , par cette proportion obfervée , la loi de la force centrale. Mais fi l'une des analogies de Kepler ( c'eft ainfi qu'on appelle cette pro- portionnalité des aires & des temps ) a fait découvrir une force centrale en général , l'autre analogie fait connoître la loi de cette force. Cette autre analogie , comme nous l'avons vu ci-deffus , confîfte dans le rapport entre les temps des révolu- tions des différentes planètes & leurs diftances. Les temps des révolutions des différentes planètes autour du Soleil , & des fatellites autour de leur planète , font proportionnels aux ra- cines quarrées des cubes de leurs diftances au Soleil , ou à la planète principale. Or cette proportion entre les temps des révolutions , & les diftances des planètes , une fois connue , Newton cherche quelle doit être la loi félon laquelle la force centrale croît ou DES A S TRES. 121 diminue , pour que des corps qui fe meuvent par une même force dans des orbites circulaires , ou dans des orbites fort approchantes , comme font les planètes , obfervent cette propor- tion entre leurs diftances & leurs temps périodiques : & la Géométrie démontre facilement que cette autre analogie fuppofe que la force qui attire les planètes & les fatellites vers le centre , ou plutôt vers le foyer des courbes qu'elles décrivent ? eu. réciproquement proportionnelle au quarré de leur diftance à ce centre y c'eft-à-dire , qu'elle diminue en même proportion que le quarré de la diftance augmente. Ces deux analogies , fi difficiles à concilier dans le fyftême des tourbil- lons y ne fervent ici que de faits qui découvrent , & la force centrale , & la loi de cette force. Suppofer cette force & fa loi ? n'eft plus faire un fyftême ; c'eft décou- vrir le principe dont les faits obfer- vés font les conféquences néceffaires. On n'établit point la pefanteur vers 111 F I G V R E le Soîeii , pour expliquer le cours des planètes ; le cours des planètes nous apprend qu'il y a une pefanteur vers le Soleil , & quelle eft fa loi. Voyons maintenant quel ufage Newton va faire du principe qu'il vient de dé- couvrir. Aidé de la plus fublime Géométrie , il va chercher la courbe que doit décrire un corps > qui avec un mou- vement re&iligne d'abord , eft attiré vers un centre par une force dont la loi eft celle qu'il a découverte. La folution de ce beau problême lui apprend que le corps décrira né- eeffairement quelqu'une des feétions coniques ; & que fi la route que trace ce corps rentre en elle-même , comme il arrive aux orbites des planètes , cette courbe fera une ellipfe , dans le foyer de laquelle réfidera la force centrale. Si Newton a dû aux deux premiè- res analogies la découverte de l'attrac- tion & de fa loi , il en voit ici la confirmation par de nouveaux phéno- mènes. Toutes les obfervations font des Astres. 123 voir que les planètes fe meuvent dans des ellipfes , dont le Soleil occupe le foyer. Les Comètes , fi embarraffantes dans le fyftême des tourbillons 9 donnent une nouvelle confirmation du fyftême de l'attraéKon. Newton ayant trouvé que les corps qui le meuvent autour du Soleil 9 tendent vers lui , fuivant une certaine loi , & doivent fe mouvoir dans quel- que feftion conique , comme il arrive en effet aux planètes , dont les orbites font des ellipfes 5 confidere les Comètes comme des planètes qui fe meuvent par la même loi ? dont les orbites font des ellipfes y mais fi allongées , qu'on les peut prendre , . fans erreur fenfible 9 pour des paraboles. Il ne s'en tient pas à cette confidé- ration , qui déjà prévient affez en fa faveur -, il lui faut quelque chofe de plus exafl:. Il faut voir fi l'orbite d'une Comète , déterminée par quelques points donnés dans les premières ob- fervations , & par l'attra&ion vers le Soleil , quadrera avec la route que 124 Figure la Comète décrit réellement dans le refte de fon cours. Il a calculé ainfi , lui & le favant Aftronome M. Halley , les orbites des Comètes , dont les obfervations nous ont mis en état de faire cette comparaifon : & Fon ne fauroit voir fans admiration que les Comètes fe font 'trouvées aux points de leurs orbites ainfi détermi- nés 9 prefqu avec autant d'exaftitude que les planètes fe trouvent aux lieux de leurs orbites déterminés par les tables ordinaires. Il ne paroît plus manquer à cette théorie qu'une fuite afîez longue d'ob- fervations , pour nous mettre en état de reconnoître chaque Comète , & de pouvoir annoncer fon retour 5 comme nous faifons le retour des pla- nètes aux mêmes points du Ciel. Mais des aftres 9 dont les révolutions , félon toutes les apparences , durent plusieurs fîecles , ne paroiffent guère faits pour être obfervés par des hommes ? dont la vie eil fi courte. Voilà , quant au cours des planètes & des Comètes , tous les phénomènes des Astres. 125 expliqués par un feul principe. Les phénomènes de la pefanteur des corps ne dépendroient - ils point encore de ce principe ? Les corps tombent vers le centre de la Terre y c'eft l'attra&ion que la Terre exerce fur eux qui les fait tomber. Cette explication eft trop vague. Si la quantité de la force attra£Hve de la Terre étoit connue par quel- qu'autre phénomène que celui de la chute des corps > l'on pourroit voir fi la chute des corps , circonftanciée comme on fait qu'elle l'eft ? eft l'effet de cette même force. Nous avons vu que comme l'attrac- tion que le Soleil exerce fur les pla- nètes fait mouvoir les planètes autour de lui , de même l'attraénon que les planètes qui ont des fatellkes exercent fiir eux les fait mouvoir autour d'elles : la Lune eft fatellite de la Terre , c'eft donc l' attraction de la Terre qui fait mouvoir la Lune autour d'elle. L'orbite de la Lune & le temps de fa révolution autour de la Terre font çoqnus : on peut par -là connoître Îl6 F I G V R E Pefpace que la force qui attire la Lune vers la Terre lui feroit parcourir dans un temps donné , fi la Lune venant à Çerdre fon mouvement , tomboit vers la erre en ligne droite avec cette force, La moyenne diftance de la Lune à la Terre étant d'environ 60 demi- diametres de la Terre , on trouve par un calcul facile que l'attra&ion que la Terre exerce fur la Lune , dans la région où elle eft > lui feroit parcourir environ 1 5 pieds dans une minute. Mais l'attra&ion croifTant dans le même rappott que le quarré de la diftance diminue , fi la Lune ou quel- qu'autre corps fe trouvoient placés près de la iuperficie de la Terre , c'eft- à - dire , 60 fois plus près de la Terre que n'eft la Lune , l'attra£Hon de la Terre feroit 3600 fois plus gran- de +$ & elle feroit parcourir au corps qu'elle attireroit environ 3600 fois 1 5 pieds dans une minute , parce que les corps , dans le commence- ment de leur mouvement ? parcourent des efpaces proportionnels aux forces qui les font mouvoir. des Astres. iij Or on fait par les expériences de Huygens Fefpace que parcourt un corps animé par la feule pefanteur f vers la furface de la Terre : & cet efpace Te trouve précifément celui que doit faire parcourir la force qui re- tient la Lune dans fon orbite > aug- mentée comme elle doit être vers la furface de la Terre. La chute des corps vers la Terre elî donc un effet de cette même force : d'où l'on voit que la pefanteur des corps plus éloignés du centre de la Terre eft moindre que la pefanteur de ceux qui font plus proches , quoique les plus grandes diftances où nous puif» fions faire des expériences foient trop peu confidérables pour nous rendre ienfible cette différence de pefanteur. Des expériences particulières ont appris qu'à la même diftance du cen- tre de la Terre , les poids des diffé- rens corps , qui réfultent de cette attra&ion , font proportionnels à leurs quantités de matière. Cette force qui attire les corps vers la Terre agit donc proportionnellement n8 Figure fur toutes les parties de la matière. Or l'attraâion doit être mutuelle ; un corps ne fauroit en attirer un autre , qu'il ne foit attiré également vers cet autre. Si l'attraftion que la Terre exerce fur chaque partie de la matière eft égale 3 chaque partie de la matière a auffiune attra&ion égale , qu'elle exerce à fon tour fur la Terre ; & un atome ne tombe point vers la Terre > que la Terre ne s'élève un peu vers lui. C'eft ainfi que le cours des planètes & toutes fes circonftances s'expliquent par le principe de l'attra&ion : mais encore la pefanteur des corps n'eft qu'une fuite du même principe. Je ne parie point ici d'irrégularités fi peu considérables , qu'on les peut négliger fans erreur , ou expliquer par le principe. On regarde le Soleil , par exemple j comme immobile au foyer des ellipfes que décrivent les planètes : cependant il n'eft point abfolument immobile ; l'attraftion entre deux corps étant tou- jours mutuelle , le Soleil ne fauroit at- tirer les planètes , qu'il n'en foit attiré. Si des Astres. 129 Si Ton parle donc à la rigueur ^ le Soleil change continuellement de pla- ce , félon les différentes fituations des planètes. Ce n'eft donc proprement que le centre de gravité du Soleil & de toutes les planètes qui eft immobile. Mais l'énormité du Soleil par rapport aux planètes eft telle , que quand elles fe trouveroient toutes du même côté , la diftance du centre du Soleil au centre commun de gravité , qui eft alors la plus grande qu'elle puiffe être , ne feroit que d'un feul de ks diamè- tres. Il faut entendre la même chofe de chaque planète qui a des fatellites. La Lune , par exemple , attire tellement la Terre , que ce n'eft plus le centre de la Terre qui décrit une ellipfe au foyer de laquelle eft le Soleil : mais cette ellipfe eft décrite par le centre commun de gravité de la Terre & de la Lune , tandis que chacune de ces planètes tourne autour de ce centre de gravité dans Pefpace d'un mois. L'attraftion mutuelle des autres pla- nètes n'apporte pas à leur cours de (Euv, de Maup. Tom, I, \ 130 Figure , changemens fenfibles \ Mercure , Vé- nus , la Terre & Mars n'ont pas affez de groffeur , pour que leur aftion des unes fur les autres trouble fenfiblement leur mouvement. Ce mouvement ne fauroit être troublé que par Jupiter & Saturne , ou quelques Comètes dont l'attra&ion pourroit caufer quelque mouvement dans les aphélies de ces planètes , mais fi lent , qu'on le né- glige entièrement. Il n'en eft pas de même de l'attraftion qui s'exerce entre Jupiter & Saturne ; ces deux puiffantes planètes dérangent réciproquement leur mouvement lorf- qu'elles font en conjon&ion ; & ce dérangement eft affez confidérable pour avoir été obfervé par les Aftronomes. C'eft ainfi que l'attraftion & fa loi ayant été une fois établies par le rap- port entre les aires que les planètes décrivent autour du Soleil & les temps , & par le rapport entre les temps pé- riodiques des planètes & leurs diftan- ces ; les autres phénomènes ne font plus que des fuites néceffaires de cette attraction, Les planètes doivent décrire DES ASTRES. 131 îes courbes qu'elles décrivent ; les corps doivent tomber vers le centre de la Terre ? & leur chute doit avoir la ra- pidité qu'elle a $ enfin les mouvemens des planètes reçoivent jufqu'aux déran- gemens qui doivent réfulter de cette attraéHon. Un des effets de l'attraéKon , qui eft la chute des corps 9 fe fait affez apper- cevoir ; mais cet effet même eft ce qui nous empêche de découvrir l'at- ira£Hon que les corps exercent entr'eux. La force de PattraéHon étant pro- portionnelle à la quantité de matière des corps , l'attraâïion de la Terre fur les corps particuliers nous empêche continuellement de voir les effets de leur attraftion propre ; entraînés tous vers le centre de la Terre par une force immenfe , cette force rend infen- fibles leurs attractions particulières , comme la tempête rend infenfîble le plus léger fouffie ( a ). ( a ) Cependant cette attraElion ne feroit pas tout-à- fait infenfîble , pourvu qu'on la recherchât dans des corps dont les majjes eujfent quelque proportion avec la majfe entière de la Terre. MM. Bouguer & de la. Condamine envoyés par le Roi au Pérou , ont trouvé ni 132 F I G U R E Mais fi l'on porte la vue fur les corps qui peuvent manifefter leur at- traction les uns fur les autres , on verra les effets de l'attraâion auffi continuel- lement répétés que ceux de l'impul- fion. A tout inftant les mouvemens des planètes la déclarent , pendant que l'impulfion eft un principe que la Na- ture femble n'employer qu'en petit. L/attraftion n'étant pas moins poffi- ble dans la nature des chofes que l'im- pulfion : les phénomènes qui prouvent Pattraftion étant auffi fréquens que ceux qui prouvent l'impulfion : lorf- qu'on voit un corps tendre vers un autre ., dire que ce n'eft point qu'il foit attiré , mais qu'il y a quelque matière invifible qui le pouffe , c'efl: à peu près raifonner comme feroit un partifan de l'attraéHon , qui voyant un corps pouffé par un autre fe mouvoir , qu'une très-grojfe montagne , appellée Chimboraco 9Jztuée fort près de Véquateur _, attiroit à elle le plomb qui pend au fil des quart- de-cer des. Et par plusieurs obfer- valions des hauteurs des Etoiles prifes au nord & au fud de la montagne , ils ont trouvé que cette attrac- tion êcartoit le fil à plomb de la verticale d'un angle Je 7" ou B\ des Astres. 133 diroit que ce n'eft point par l'effet de l'impulfion qu'il fe meut \ mais parce que quelque corps invifible l'attire. C'eft maintenant au Lefteur a exa- miner fi Tattraftion eft fufKfamment prouvée par les faits , ou fi elle n'eft qu'une fiction gratuite dont on peut fe paffer. s- v.. Des différentes loix de la pefanteur , & des figures qu elles peuvent donner aux corps célejles. JE reviens à examiner plus particu- lièrement la pefanteur ? dont les effets combinés avec ceux de la force centrifuge déterminent les figures des corps céleftes. Pour que ces corps parviennent à des figures permanentes , il faut que toutes leurs parties foient dans un équi- libre parfait. Or ces parties font ani- mées par deux forces , defquelles doit dépendre cet équilibre ; l'une , qui eft 1 iij • 134 Figure la force centrifuge ? qu'elles acquièrent par leur révolution , tend à les écar- ter du centre ; l'autre , qui eft la pe- fanteur , tend à les en approcher. Sur la force centrifuge il ne peut y avoir de difpute : elle n'eft que cet effort que les corps qui circulent font pour s'écarter du centre de leur circulation; & elle vient de la force qu'ont les corps pour perfévérer dans l'état où ils font une fois , de repos ou de mouvement. Un corps forcé de fe mouvoir dans quelque courbe , fait un effort conti- nuel pour s'échapper par la tangente de cette courbe ; parce que dans cha- que inftant , fon état eft de fe mouvoir dans les petites droites qui compofent la courbe , & dont les prolongemens font les tangentes. La nature de la force centrifuge , & fes effets , font donc bien connus. Il n'en eft pas ainfi de la pefan- teur. Les Philofophes s'en font fait différens fyftêmes , félon les différens phénomènes fur lefquels ils fe font fondés. A ne juger de cette force que par des Astres. 135 le phénomène le plus fenfible qui nous la manifefte , par la chute des corps vers le centre de la Terre , les expé- riences la feroient croire uniforme , c'eft-à-dire toujours la même ? à quel- que diftance que ce foit de ce centre* En comparant les efpaces dont les corps tombent vers la Terre avec les temps qu'ils emploient à tomber , Ton trouve ces efpaces proportionnels aux quarrés des temps. Galilée 9 le premier qui a fait des recherches fur la loi que fuivoit la pefanteur ? en conclut , & eut raifon d'en conclure que cette force qui fait tomber les corps vers le centre de la Terre étoit uniforme & confiante. Mais pour bien juger de la loi de cette force , il ne failoit pas s'en tenir aux phénomènes qu'elle exerce à d'auflî petites diftances que celles auxquelles les expériences fur la chute des corps ont été faites ? & auxquelles nous pou- vons les faire. En confidérant la déten- tion de la Lune dans fon orbite comme l'effet d'une pefanteur vers le centre de la Terre ? & en comparant cet effet avec celui de la pefanteur qui fait I iy 136 Figure tomber les corps vers ce centre , on trouve que ces deux forces peuvent n'être que la même , diminuée dans la région de la Lune autant que le quarré de la diftance au centre de la Terre y eft augmenté. En étendant cette théorie aux pla- nètes qui font immédiatement leur révolution autour du Soleil , on trouve la même loi pour la force qui les re- tient autour de cet aftre : & pour les fateilites qui font leurs révolutions autour de Jupiter & de Saturne ^ la même loi encore. Il paroît donc par tout le fyftême folaire que la pefanteur vers les centres de la Terre , du Soleil & des Planètes 9 ejl en raifon inverfe du quarré des di fiances. Newton , joignant à cette théorie d'autres expériences, découvrit que la pefanteur nétoit quun phénomène résul- tant d'une force répandue dans la ma- tière 9 par laquelle toutes [es parties s'attirent en raifon renverfée du quarré de leur diflance ; & que la pefanteur ne fembloit avoir fon aclion vers les cen- tres de la Terre 7 du Soleil , de Jupiter des Astres. i & de Saturne , que parce que la figure de ces aftres étoit à très-peu près fphé- rique : & qu'outre que leurs maries pouvoient le confondre avec leurs centres par rapport aux diftances des aftres qui faifoient autour leurs révolu- tions , la loi d'une attraction dans la matière en raifon inverfe du quarré des diftances de chaque particule de matière fubfiftoit la même au - dehors des corps fphériques qui en étoient formés , par rapport aux diftances de leurs centres. Ç'avoit été un grand pas de fait dans la Philofophie , d'avoir , par les expériences de la chute des corps vers la Terre , rnefuré la force qui les fait tomber , & d'avoir trouvé que ces expériences fuppofoient une force uni- forme. C'en fut un autre d'avoir comparé cette force avec celles qui retiennent les planètes dans leurs orbites : d'où réfulteroit le fyftême d'une pe fauteur en raifon inverfe du quarré des diftances aux centres de la Terre , du Soleil & des autres Planètes* îjS Figure Mais le plus grand pas de tous , c'eft d'avoir découvert une force attrac- tive répandue dans toutes les parties de la matière 7 qui agit en raifon inverfe du quarré de leur dijlance : d'où réful- îent tous les phénomènes précédens : la chute des corps vers le centre de la Terre ; une pefanteur vers les centres du Soleil , de la Terre , & des autres planètes en raifon inverfe du quarré des diftances à ces centres. Il femble qu'on peut , fans beaucoup hafarder , fe déterminer en faveur de ce dernier fyftême. Cependant comme tout ce que j'ai à dire s'accorde également avec les trois , & avec plufieurs autres encore qu'on pourroit imaginer , je laifle à chacun à en penfer ce qu'il voudra : il pourra également adapter fes idées à l'explica- tion des phénomènes que je vais propo- fer. C'eft cette considération qui m'a fait omettre ici quelques calculs trop dépendans de telle ou telle hypothefe. Sans parler des anciens Philofophes ^ il femble que parmi les modernes , avant Newton , quelques - uns ont eu DES A S TRES. I39 l'idée d'une attra&ion répandue dans la matière qui caufoit la chute des corps vers la Terre ? & la détention des planètes dans leurs orbites. Kepler en avoit fenti le befoin pour expliquer les mouvemens céleftes : & l'on peut voir ce qu'en difoient des Auteurs célèbres 50 ans avant que le fyftême de Newton parût. Voici comment ils s'expliquent (a). La commune opinion efl que la pe- fanteur ejl une qualité qui réjide dans le corps mime qui tombe. D'autres font d'avis que la defcente des corps procède de V attraction d'un autre corps qui attire celui qui defcend , comme la Terre. Il y a une troifieme opinion , qui nefl pas hors de vraifemb lance ; que c'eft une attraction mutuelle entre les corps 3 eau- fée par un defîr naturel que les corps ont de s'unir enjemble : comme il ejl évident au fer & à l'aimant ? lef quels font tels y que Jz l'aimant ejl arrêté , le fer ne l'étant pas , Vira trouver y & fi le fer efl arrêté , r aimant ira vers lui y & fi tous deux ( a ) Fermât, var. oper. mathem. pag. 124. ï4ô Piqûre font libres y ils s'approcheront réciproque- ment Fiai de Vautre , enforte toutefois que le plus fort des deux fera le moins de chemin. Il eft vrai que celui qui a déduit cette force des phénomènes 9 qui en a calculé rigoureufement les effets , & fait voir leur conformité avec la Na- ture , c'eft celui-là feul qui eft l'auteur du merveilleux fyftême de Fattra&ion : mais il eft vrai que les Philo fophes françois que je cite en avoient déjà quelque idée ; qu'ils n'avoient pas pour elle l'éioignement que ceux qui font venus depuis ont témoigné ; & qu'ils s'exprimoient d'une manière bien plus dure que Newton n'a jamais fait , fans avoir les raifons que ce grand homme a eu pour l'admettre. C'eft chez eux qu'on peut dire qu'elle n'étoit qu'une qualité occulte. Il paroît donc aujourd'hui démontré que dans tout notre fyftême folaire , cette même propriété répandue dans la matière fubfifte : mais autour des autres Soleils ? autour des Étoiles fixes , & autour des planètes que vraifembla- des Astres. 141 bîement elles ont , les mêmes phéno- mènes auroient-ils lieu , & les mêmes loix de pefanteur s'obferveroient-elles ? Rien ne peut nous en affurer , & nous n'en pouvons juger que par une efpece d'induftion. Toutes les loix précédentes de pefan- teur donnent aux aftres qui ont une ré- volution autour de leur axe les figures de fphéroïdes applatis. Et quoique tou- tes les planètes que nous connoiffons dans notre fyjlême folaire approchent de la fphéricité , elles n'en étoient pas moins îujettes à des figures fort appla- ties : il ne falloir pour cela qu'une pefanteur moins grande ? ou une révo- lution plus rapide autour de leur axe» Et pourquoi î'efpece d'uniformité que nous voyons dans un petit nombre de planètes nous empêcheroit-elle de foup- çonner du moins la variété des autres que nous cache Fimmenfité des Cieux ? 1 Relégués dans un coin de l'Univers avec de foibles organes ? pourquoi bornerions-nous les chofes au peu que nous en appercevons ? 14* Figure §. V I. Z?&r taches lumineufes découvertes dans le Ciel. Ans ces derniers temps , non feulement on a découvert que quelques planètes de notre fyfiême folaire n'étoient pas des globes par- faits ; on a porté la vue jufques dans le Ciel des Étoiles fixes , & par le moyen des grandes lunettes on a trouvé dans ces régions éloignées des phénomer- nes qui femblent annoncer une auffi grande variété dans ce genre , qu'on en voit dans tout le refte de la Nature. Des amas de matière fluide 3 qui ont un mouvement de révolution autour d'un centre , doivent former des aftres fort applatis & en forme de meules , qu'on rangera dans la claffe des Soleils ou des planètes , félon que la matière qui les forme fera lumineufe par elle- même , ou opaque 9 & capable de ré- fléchir la lumière j foit que la matière DES ASTRE S. Ï43 de ces meules foit par -tout de même nature ; foit que pefant vers quelque aftre dune nature différente , elle l'inonde de toutes parts , & forme autour un fphéroïde applati qui ren- ferme l'aftre. De célèbres Aftronomes s'étant ap- pliqués à obferver ces apparences célei- tes , qu'on appelle nébuleufes , & qu'on attribuoit autrefois à la lumière con- fondue de plufieurs petites Étoiles fort proches les unes des autres ? & s'étant fervis de lunettes plus fortes que les lunettes ordinaires ? ont découvert que du moins plufieurs de ces apparences , non feulement n'étoient point caufées par ces amas d'Étoiles qu'on avoit ima- ginés , mais même n'en renfermoient aucune ; & ne paroiffoient être que de grandes aires ovales , lumineufes , ou d'une lumière plus claire que le refte du Ciel. Huygens fut le premier qui décou- vrit dans la conftellation à'Orion une tache de figure irréguliere ^ & d'une teinte différente de tout le refte du Ciel , dans laquelle , ou à travers 144 F ï G U R E laquelle il apperçut quelques petites Étoiles ( a ). M, Halley parle de fix de ces taches , dont la ire. eft dans Yépée cFOrion , la 2e. dans le Sagittaire , la 3e. dans le Centaure , la 4e. précède le pied droit $ Antinous , la 5 e. dans Hercule , & la 6e, dans la ceinture d'Andromède (b). Cinq de ces taches ayant été obfer- vées avec un télefcope de réflexion de 8 pieds , il ne s'en eft trouvé qu'une , celle qui précède le pied à' Antinous , qui puiffe être prife pour un amas d'Étoiles. Les quatre autres paroiiTent de gran- des aires blanchâtres ^ & ne différent entr'elles qu'en ce que les unes font plus rondes , & les autres plus ovales. Dans celle cYOrion , les petites Étoiles qu'on découvre avec le télefcope ne paroiffent pas capables de caufer fa blancheur ( c ). M. Halley a été fort frappé de ces phénomènes , qu'il croit propres à (a) Huyg. fyft. faturn. ( b ) TranfaftioTis philofophlques , num. 347. (c) «-—-----..—— num» 428, éclaircir DESASTRES. J4J éclaitcir une chofe qui paroit difficile à entendre dans le livre de la Genefe 9 qui eft que la lumière fut créée avant le Soleil. ïl recommande ces merveil- leux phénomènes aux fpéculations des Naturalises & des Aftronomes. M0 Derham a été plus loin , il regarde ces taches comme des trous à travers les- quels on découvre une région immenfe de lumière , & enfin le Ciel empyrée» Il prétend avoir pu diftinguer que les Etoiles qu'on apperçoit dans quel- ques-unes font beaucoup moins éloi- gnées de nous que ces taches. Mais c'eft ce que l'Optique nous apprend qu'on ne fauroit décider. Paffé un certain éloignement , qui même n'eft pas fort confidérable , il n'eft pas poffible de déterminer lequel eft le plus éloigné , de deux objets qui n'ont ni l'un ni l'autre de parallaxe , & dont les degrés de lumière font inconnus. Tous ces phénomènes fe trouvent par notre fyftême fi naturellement & fî facilement expliqués , qu'il n'eft oreC- que pas befoin d'en faire l'application. Nous avons vu qu'il peut y ay-çûf (ËuVt de Maup\ Tonio I. JJ, Î46 Figure dans les Cieux des maffes de matière , foit lumineufe > foit réfléchiffant la lumière , dont les formes font des fphéroïdes de toute efpece , les uns approchant de la fphéricité , les autres fort applatis. De tels affres- doivent caufer des apparences femblables à celles dont nous venons de parler. Ceux qui approchent de la fphéri- cité feront vus comme des taches cir- culaires 9 quelqu'angle que faffe l'axe de leur révolution avec le plan de l'écliptique 5 les autres , dont la figure eft applatie 9 doivent 'paroître des ta- ches circulaires ou ovales ^ félon la manière dont le plan de leur équateur fe préfente à l'écliptique. Enfin ces affres applatis doivent nous préfenter des figures irrégulieres , fî plufieurs , diverfement inclinés & pla- cés à différentes diftances , ont quel- ques-unes de leurs parties cachées pour nous par les parties des autres. Quant à la matière dont ils font formés 9 il n'eft gueres permis de pro- noncer fî elle eft aufîi lumineufe que celle des Étoiles / & -fi elle ne brille nESAsTRES. I moins que parce qu'elle eft plus éloi- gnée. S'ils font formés d'une matière auffi lumineufe que les Etoiles , il faut que leur grofleur foit énorme par rapport à la leur , pour que , malgré leur éloi- gnement beaucoup plus grand , que fait voir la diminution de leur lumière, on les voye au télefcope avec grandeur & figure. Et fi on les fuppofe d'une grofleur- égale à celle des Étoiles , il faut que la matière qui les forme foit moins lumineufe , & qu'elles foient beaucoup plus proches de nous 9 pour que nous les puiffions voir avec une grandeur fenfible. On prétend cependant que ces ta- ches n'ont aucune parallaxe : & c'eft un- fait qui mérite d'être obfervé avec foin. Peut-être que ce n'eft que par un trop petit nombre d'aftres obfervés qu'on a défefpéré de la parallaxe des autres. On ne peut jufqu'ici s'affurer fi les aftres qui forment ces taches font plus ou moins éloignés que les Étoiles fixes. 148 Figure S'ils le font plus , les Étoiles qu'on découvre dans la tache d'Orion , & qu'on découvriroit vraifemblablement dans plufieurs autres , font vues pro- jetées fur le difque de nos aftres , dont la lumière plus foible que celle de l'Étoile ne peut la ternir. S'ils le font moins ? la matière qui les forme n'em- pêche pas que nous ne voyions les Étoiles à travers , comme on les voit à travers les queues des Comètes. §. V I I. Des Etoiles qui s'allument ou qui s'é- teignent dans les deux ? & de celles qui changent de grandeur. LA différence entre l'axe de notre Soleil & le diamètre de fon équa- teur n'eft prefque rien : la pefanteur immenfe vers ce grand corps 9 & la lenteur de fa révolution autour de fon axe , ne lui donnent qu'un applatifle- ment infenfible. D'autres Soleils pour- roient être applatis à l'infini. Toutes des Astres* 149 tes figures s'accordent auffi-bien avec les loix de la Statique , que celle d'un fphéroïde plus approchant de la fphere : Il n'y a que la fphéricité parfaite qui ne s'y accorde pas , dès qu'ils tournent autour de leur axe. On ne connoît jufqu'ici la figure des Étoiles fixes par aucune obfervation : nous ne les voyons que comme des points lumineux ? dont Féloignement nous empêche de difcerner les parties. On peut raifonnablement penfer que dans leur multitude il fe trouve des figures de toute efpece. Cela pofé , il eft facile d'expliquer comment quelques Étoiles ont difparu dans les Cieux , comment d'autres ont femblé s'allumer , ont duré quelque temps , enfuite ont ceffé de luire , & ont paru s'éteindre. Tout le monde fait la difparition d'une des Pléiades. On obferva en 1572 une nouvelle Étoile qui vint paroître dans la CaJJiopée , qui l'empor- toit en lumière fur toutes les Étoiles du Ciel , & qui , après avoit duré plus d'un an , difparut. On en avoit vu une dans K iij Î^O Jt ï G V R E la même confteliation en 94^ 9 fous l'empire d'Othon ; il eft fait mention d'une qui parut encore vers la même région du Ciel en 1 264 : & ces trois pourroient affez vraifembiablement n'être que la même. On obferve auiîî dans quelques conf- tellations 9 des Etoiles dont la lumière paroît croître & diminuer alternative- ment $ il s'en trouve une dans le col de la baleine , oui femble avoir des périodes réglées d'augmentation & de diminution , & qui depuis plufieurs années étonne les Obfervateurs. Le Ciel & les temps font remplis de ces phénomènes (a). Je dis maintenant que fi parmi les Étoiles il s'en trouve d'une figure fort applatie , elles nous paroîtront comme feraient des Étoiles fphériques dont le diamètre feroit le même que celui de leur équateur , lorfqu'elles nous pré- fenteront leur face : mais fi elles vien- nent à changer de fituation par rapport à nous , fi elles nous préfentent leur ( a ) Voye^ Vhijtoire de ces Étoiles dans les Éiém» d'Aitron. de M. Cajjiriu des Astres» 151 tranchant , nous verrons leur lumière diminuer plus ou moins x félon la dif- férente manière dont elles fe préfen- îeront : & nous les verrons tout-à-fait s'éteindre , fi leur applatiffement & leur diftance font affez confidérables. De même , des Étoiles que leur fitua- îion nous avoit empêché d'apperce- voir 9 paroîtront lorfqu'elles prendront une fituation nouvelle 3 & ces alterna- tives ne dépendront que du change- ment de fituation de ces aftres par rapport à nous, Il ne faut plus qu'expliquer comment il peut arriver du changement dans la fituation de ces Etoiles applaties. Tous les Philofophes d'aujourd'hui regardent chaque Étoile fixe comme un Soleil à peu près fembîabîe au nôtre , qui a vraifemblablement fes planètes & fes comètes , c'eft-à-dire , qui a au- tour de lui des corps qui circulent avec différentes excentricités. Quelqu'une de ces planètes qui cir- culent autour d'un Soleil applati peut avoir une telle excentricité ,, & fe trouver fi près de fon Soleil dans fon K iv 't^i Figuré périhélie , qu'elle dérangera fa Situa- tion , foit par la pefanteur que chaque planète porte pour ainfi dire avec elle , ielon le fyftême de Nev/ton , qui tait tjue dès qu'elle paffe auprès ae fon Soleil , la pefanteur de fon Soleil vers elle y & la pefanteur d'elle vers lui , ont un effet fenfibie ; foit par la pref- fion qu'une telle planète cauferoit alors au fluide qui fe trouveroit refferré entre elle & fon Soleil , fi l'on vouloit encore admettre des tourbillons. De quelque caufe que vienne la pefanteur , tout conduit à croire qu'il y a autour de chaque planète & de chaque corps célefte une force qui feroit tomber les corps vers eux , comme celle que nous éprouvons fur notre Terre. Une pareille force fuffit pour changer la fituation d'un Soleil , iorfqu'une planète paffe fort proche de lui ; & cette fituation changera félon la manière dont le plan de l'orbite de la planète coupera le plan de Féquateur du Soleil. Le paffage des planètes dans leuf périhélie auprès des Soleils appiatis doit des Astres. î j 3 non feulement leur faire préfenter des faces différentes de celles qu'ils préfen- toient ; il peut encore changer la fitua- tion de leur centre ? & les déplacer entièrement. Mais on voit affez que quand le centre de ces Soleils feroit avancé ou reculé de la diftance d'un ou de plufieurs de leurs diamètres , ce changement ne pourroit pas nous être fenfible pour des Étoiles dont le dia- mètre ne nous l'eft pas. Ainfi quand on auroit obfervé avec exaftitude que le lieu de ces Étoiles fujettes au chan- gement a toujours été le même dans le Ciel , il n'y auroit rien en cela qui fût contraire à notre théorie. On a préten- du cependant avoir remarqué quelque changement de fituation dans quelques- unes j & fi ce changement eft réel , il fe trouve expliqué par ce que nous difons* Les Étoiles dont les alternatives d'augmentation & de diminution de lumière font plus fréquentes , comme l'Étoile du col Je la baleine , feront environnées de planètes dont les révo- lutions feront plus courtes. L'Étoile de CaJJîopée P & celles dont i Ç4 Figure on n'a point obfervé d'alternatives 5 ne feront dérangées que par des planètes dont les révolutions durent plusieurs fiecles. Enfin , dans des chofes auffi incon- nues que nous le font les planètes qui circulent autour de ces Soleils , leurs nombres , leurs excentricités , les temps de leurs révolutions , les combinaifons des effets de ces planètes les unes fur les autres , on voit qu'il n'y aura que trop de quoi fatisfaire à tous les phé- nomènes d'apparition & de difparition , d'augmentation & de diminution de lumière. ^^wn^v:i»jjMi»m:J:.^!jg«J'-.'i f.i»—*in-«'-jtf?ri'i""T-i' i i tu im iiiimp— n §. VII I. De l'anneau de Saturne. Près avoir vu que vraifembla- blement il fe trouvoit dans les Cieux des aftres fort applatis , & que ces aftres dévoient produire tous les phé- nomènes d'apparition & de difparition de nouvelles Étoiles j d'augmentation des Astres'. î 5 5 & de diminution de fplendeur, qu'on a obfervée dans plufieurs ; nous tirons de notre théorie l'explication d'un phé- nomène qui paroît encore plus mer- veilleux , & qui , quoiqu'il foit l'uni- que de cette efpece qui paroiffe à nos yeux j n'eft peut-être pas l'unique qui foit dans l'Univers. Je veux parler de X anneau qu'on ofa- ferve autour de Saturne , & en général des anneaux qui fe peuvent former autour des aftres. Les Comètes ne font 9 comme nous l'avons vu ? que des planètes, fort ex- centriques ? dont quelques-unes «, après s'être fort approchées du Soleil , s'en éloignent en traverfant les orbites des planètes plus régulières ? & parcourent ainfi les différentes régions du Ciel, Lorfqu'elles retournent de leur péri- hélie _, on les voit traîner de longues queues \ qui vraifemblablement font des torrens immenfes de vapeur , que l'ar- deur du Soleil a fait élever de leur corps. Si une Comète dans cet état paffe auprès de quelque puiffante pla- nète , la pefanteur vers la planète doit t<$6 F ï G t? R E détourner ce torrent , & le déterminer à circuler autour d'elle , fuivant quel- que ellipfe ou quelque cercle : 6l la Comète fourniffant toujours de nou-< velle matière , ou celle qui étoit déjà répandue étant fuffifante ,-il s'en for- mera un cours continu , ou une efpece d'anneau autour de la planète. Or quoique la colonne qui forme le torrent foit d'abord cylindrique , ou conique , ou de quelqu'autre figure , elle fera bientôt applatie , dès qu'elle circulera avec rapidité autour de quel- que planète ou de quelque Soleil , & formera bientôt autour un anneau mince. Le corps même de la Comète pourra être entraîné par l'aftre , & forcé de circuler autour de lui. Ce que j'ai dit ci-defïus des planètes plates qui dévoient fe trouver dans le fyftême du Monde , eft confirmé dans notre fyftême folaire par les obferva- tions qu'on a faites de l'applatiffement de Jupiter , & par notre mefure de la Terre. A l'égard des Étoiles plates , les n e s Astres. 357 phénomènes précédens paroiffent nous avertir qu'il y a en effet de ces Étoiles dans les Cieux. Mais quant aux torrens qui circu- lent autour des planètes ; nous voyons une planète où il femble que tout fe (bit paffé comme je viens de le dire : & l'on ne devroit pas s'étonner quand on verroit des planètes ceintes de plufieurs anneaux pareils à celui de Saturne. Ces anneaux doivent fe former plu- tôt autour des greffes planètes que des petites , puifqu'ils font l'effet de la pefanteur plus forte vers les groffes planètes que vers les petites : ils doi- vent auffi fe former plutôt autour des planètes les plus éloignées du Soleil , qu'autour de celles qui en font plus proches ; puifque dans ces lieux éloi- gnés la vîteffe des Comètes fe rallen- tit , & permet à la planète d'exercer fon aftîon plus long - temps , & avec plus d'effet , fur le torrent. Tout ceci eft confirmé par l'expérien- ce : la feule planète que nous voyons ceinte d'un anneau fe trouve une des ï)c? Figure plus grofles , & la plus éloignée du Soleil. Le nombre des fatellites qu'a Sa- turne , & la grandeur de fon anneau , peuvent faire croire qu'il les a acquis aux dépens de plufieurs Comètes. En effet , il faut que cet anneau , tout mince qu'il nous paroît > foit formé d'une quantité prodigieufe de matière , pour pouvoir jeter iùr le difque de la planète l'ombre que les Aftronomes y obfervent \ pendant que la matière des queues des Comètes paroît fi peu denfe 9 qu'on voit ordinairement les Jitoiles à travers. Il eft vrai auffi que la pefanteur que la matière de ces queues acquiert vers la planète , lorf- qu'elle eft forcée de circuler autour s la peut condenfer. Quant aux planètes qui ont des fa- tellites ? fans avoir d'anneau , l'on voit affez que la queue étant une chofe accidentelle aux Comètes , & ne fe trouvant qu'à celles qui ont été affez proches du Soleil , une Comète fans queue pourra devenir fateilite d'une planète ? fans lui donner d'anneau. Il des Astres, 159 efl: poffible auffi qu'une planète ac- quière un anneau fans acquérir de fa- teilite ? fi la planète trop éloignée du corps de la Comète ne peut entraîner que fa queue. La matière qui forme ces anneaux , au lieu de relier foutenue en forme de voûte autour de la planète , peut l'inonder de toutes parts , & former autour d'elle une efpece d'atmofphem applatie ; & ce qui peut arriver aux planètes , peut arriver de la même ma- nière aux Soleils. On prend pour une atmofphere femblable autour de notre Soleil cette lumière que M. Caffini (a) a obfervée dans le zodiaque. Newton a remarqué que la vapeur des Comètes pouvoit fe répandre fur lés planètes , lorsqu'elles venoient à s'approcher : il a cru cette efpece de communication néceffaire pour répa- rer l'humidité que les planètes per- dent fans ceffe. Il a cru même que les Comètes pouvoient quelquefois tom- ber dans le Soleil ou dans les Étoiles : & c'eft ainfi qu'il explique comment (a) Mémoires de l'Académie des Sciences f tome VllL i6o Figure une Etoile dont la lumière eft prête à s'éteindre , fi quelque Comète lui vient fournir un nouvel aliment , re- prend fa première fplendeur. De célè- bres Philofophes Ànglois , M. Halley & M. Whifton , ont bien remarqué que fi quelque Comète rencontroit notre Terre , elle y cauferoit de grands acci- dens , comme des bouleverfemens , des déluges , ou des embrafemens. Mais au lieu de ces finifires cataftro- phes , la rencontre des Comètes pour- roit ajouter de nouvelles merveilles y & des chofes utiles à notre Terre. s. ix. CONCLUSION. Conjectures fur V attraction. Près avoir expofé les principaux phénomènes du Monde , après avoir fait voir que tous étant dépen- dans de cette force qu'ont les corps en mouvement d'en mouvoir d'autres -9 de Fimpulfion 9 dont la nature des corps des Astres, 161 corps nous fait voir la néceflite ? mais dont les loix font fondées fur la fa- geffe de la fouveraine Intelligence : plufieurs de ces phénomènes, femblent ne pouvoir être expliqués fans admet- tre encore dans la Nature une autre force , par laquelle les corps éloignés agiflent les uns fur les autres , une attraftion. Il feroit à fouhaiter que nous trouv allions dans la nature des corps auelque raifon qui eût rendu cette force néceffaire y comme nous voyons que l'impulfion Tétoit ; & que nous pufîions en déduire les loix d'un principe auiîi lumineux. Peut-être 5 & apparemment fi F at- traction a lieu dans la Nature , aux yeux de celui qui comprend toute Yeffen.ce des corps , Fattraftion étoit une fuite néceffaire de cetre effence : mais pour nous , jufqu'ici fi cette pro- priété exifte dans la matière , & crue nous voulions favoir pourquoi , il nous faut recourir immédiatement à la vo- lonté du Créateur. Cependant cette volonté fuppofée de répandre Fattraélion dans la matière 5 Œuv. de Maup. Tom. h L Figure on peut demander s'il n'y auroït pas eu quelque raifon qui eût pu en dé- terminer les loix ? pour faire que cette force fuivît la proportion inverfe du quarré des diftances plutôt que toute autre ? Voici quelques réflexions que nous extrairons d'un Mémoire que nous lûmes autrefois dans l'Académie des Sciences de Paris. L'attraQion , qu'on fuppofe répan- due dans la matière , ne dépend point de la figure des corps. Chaque partie ayant cette force attraélive , la fomme de toutes ces forces demeure toujours ia même dans la même maffe , quel- que changement qui arrive dans fa figure. Cependant comme dans l'exer- cice de Fattraftion fur quelque corps extérieur , fon énergie pour le tirer réfulte de la composition de toutes ces forces dont les lieux , les quantités & les directions varient dans différentes figures du corps attirant , les différen- tes figures varient les effets de l'attrac- tion dune même quantité de ma- tière. Ce principe donc ? que l'expérience des Astres. 163 par oit fî bien confirmer 5 que les mêmes quantités de matière pefent également à la même diftance de la Terre , in- dépendamment de leurs figures ; ce principe 5 dis - je 9 n'eft pas vrai à la rigueur ; car la pefanteur des corps vers la Terre dépendant non feulement de l' attraâion que la Terre exerce fur eux , mais auffi de celle qu'ils exercent fur la Terre , ces attrapions dépendent de la figure particulière des corps ; quoique dans les figures îes plus variées des corps ? fur lefqueîs nous pouvons faire l'expérience > la dif- férence qui réfulte dans ces forces , de ce que quelques parties font plus reculées ou plus avancées , plus d'un côté ou plus de l'autre ? ne foit pas fenfible. Si l'on conçoit un atome ou un très - petit corps placé fur Taxe pro- longé d'une malfe fpliérique , & au'on conçoive enfuite cette malle , fans que fa quantité de matière- change 5 s'applatir jufqu'à devenir un plan cir- culaire , ( dont le ^centre demeure le même que celui de la fphere ) & qui L ij î6*4 Figure fe préfente perpendiculairement à l'axe fur lequel eft placé le corpufcule $ le corpufcule dans ces deux cas éprou- vera de la même quantité de matière deux attrapions qui peuvent infiniment différer. Si la diftance du corpufcule eft in- finiment grande par rapport au dia- mètre de la fphere ,, les attra61ions que les fpheres exercent far le corpuf- cule fiiivent les mêmes proportions que F attraction générale des parties de la matière. Par rapport à des ES'ÀSTR£S. I matière , dont l'attra&ion ne peut ja- mais avoir lieu que fur les corps placés hors d'elles \ puisqu'elles font les der- nières parties de la matière. Ain/i l'avantage d'uniformité que fembleroit avoir fur cette loi d'attrac- tion celle qui iuivroit la proportion {impie direfte de la diftance ? loi qui fe conferve dans les fpheres , tant par rapport aux corps placés au de- hors , qu'aux corps placés au dedans; cet avantage , dis - je i n'eft point ici un avantage réel par rapport à l'ana- logie ou à l'accord de la même loi dans les parties & dans le tout : & cette loi d'une attraction qui croîtroit quand les diftances augmentent , pa- roîtroit contraire ; à l'ordre univerfel cle la Nature , où les effets diminuent avec Péloignement des caufes. Si donc le Créateur & l'Ordonna- teur des chofes a voulu établir quel- que loi d'attraftion dans la matière , on voit que toutes les loix ne dé- voient pas lui paroître égales. En effet ? s'il a fait un choix , il y aura eu fans doute des raifons pour ce choix. ïjo Ficure des Astres. Je fens la témérité qu'il y auroit k croire pénétrer de tels myfteres : mais tout peut être propofé , pourvu qu'on ne lui donne pas plus de poids qu'il n'en a. Fin du Difcoursfur les différentes figures des AJlres* D E L E. Rifum reputavi errorem ; & gaudio dixi : Quid fruflra deciperis ? Eccîefiaft. cap. II. kn«r.-;fn.i.iij<.jt»-»mc«n.JPfJi,«Ti ,ffl , ^y, ,,„ tjamiJfMMMimi ijja^mrcjj PREFACE. Illustre ami , * V o U S ave^ fait affe^ de cas de cet Ouvrage pour employer quelques - uns de vos momens à le traduire : je puis Vejlimer affe{ pour vous l'offrir» Si je me trompe dans le jugement que j'en porte , cejl du moins un hommage public que mon cœur & mon efprit vous rendent $ & je le mets plus volontiers à la tête de ce Livre ? oàj'ai tâché a" approfondir la matière de toutes la plus importante ? que * Ceci fut adreïlé à M. le Générai de Still ? .Adjudant-général de S. M. PrufT. & Gouverneur de LL. AA. RR. Mgrs. les Princes Henry & Ferdinand , Frères du Roi. C'en1 lui qui efl l'Auteur de la belle Traduction Allemande de la première Édition de cet Ouvrage, i74 PRÉFACE. je ne Faurois mis à la tête de ceux qui ont pour objets des fciences moins utiles. Dans celui-ci la dignité du fujet doit faire oublier ce qui manque à la manière, dont je l'ai traité ; & c'efl fans doute à cette confi dération que je dois l'approba- tion que vous lui ave^ donnée. Vous ave% encore fur mon Livre un autre droit , auquel vous n ave^ pas penfé : j'avois à peindre C homme vertueux ; vous m'ave^ fervi de modèle : & je nai point eu befoin d'imiter le Peintre ? qui , pour faire un tableau parfait ? ejl obligé d'en aller chercher ça & là les différentes parties ; j'ai trouvé tout dans le même homme : la fagacité de l'efprit qui dé- couvre le vrai , & la jufcefe qui en fait tirer les conféquences , la droiture du cœur PRÉFACE. 175 qui fait connoitre la juflice ^ & le courage qui la fait pratiquer. Je ne parle point d'une autre efpecê de courage , de celui qui tant de fois vous a fait prodiguer votre vie dans les combats 9 & qui vous a mérité le grade élevé oit vous êtes : celui - ci cependant , qui par oit répandu dans toute une armée 9 n'appartient réellement qu'à un très-petit nombre , fi , comme en vous > il efl animé par V amour de la Patrie ? & éclairé par la feience de la guerre. Après de fi grands objets , dirai -je encore un mot de votre goût pour les Lettres ? qui à la Cour & dans les Camps vous a fait vivre avec Cicéron & Virgile; qui vous fait parler & écrire comme eux / qui vous met enfin au rang de ces anciens 176 PRÉFACE. Capitaines dont Athènes & Rome nous fournirent à peine quelques exemples ? |l II !■ IH' lllll !!■ XI ■■ I ■ I II II II II "I I I 'Ij'avois à me défendre £ avoir dans rOu vragefuiva nt expofé quelqu 'opi- nion hajardée , je n'aurois qu'à raconter comment il a vu le jour. Ce nefl point ici une hifloire a Auteur qui cherche à faire valoir ^ ou à excufer fon Livre $ ceft F exacte vérité : Qu'ayant écrit ces Réflexions pour moi & pour un très-petit nombre d'amis ? je les envoyai à M. le Préfident Henault avec la plus fîncere. recommandation de ne les faire voir à perfonne. J'ignore de quelle manière on a abufé de fa confiance j mais je fus dans la plus grande furprife ? lorfque j'appris que PRÉFACE. 177 que l'Ouvrage paroijfoit à Paris > & y faifoit plus de bruit que peut - être il ne mérite, Puifqu il m ejl échappé $ & que je ne le crois pas de nature à être défavoué ? j'en donne ici une Édition plus correcte que celles qui ont paru , qui nom été faites que fur quelques copies tirées à la hâte* Peut-être , dans ce moment oà je pa« rois faire quelque cas de mon Ouvrage 9 me demandera -t-on pourquoi donc je n'avois pas voulu le publier ? J'avoue ma foiblejfe. Je crois vrai tout ce que jyai dit 9 & je ne l'aurois pas dit fans cela ; je crois même qu'il peut être utile : cependant je prévoyois qu il pourroit être mal interprété , & me fufciter des difpu- tes ; & j'avoue que , quand j'eujfe été Œuv. de Maup. Tom, I, J$ î7S PRÉFACE. fur du triomphe , j'aimois encore mieux mon repos* Tout homme qui écrit aujourd'hui ejl fur de trouver deux fortes d'adverfaires ; un petit nombre qui paroiffent animés de V amour de la vérité y un grand que la feule malignité infpire : j'ai trouvé des uns & des autres. Je tâcherai de fa tis faire les premiers ^ les autres ne méritent pas qu'on leur réponde : qu'importe en effet de /avoir fi telle ou telle perfonne efl de mes amis ou non ? Je refpecte trop mes Lecteurs pour les entretenir long- temps de moi : on ne peut d'ailleurs parler de foi fans prendre un air d 'humilité qui fouvent efi fufpecl , ou un air d' ofîentation qui toujours révolte* Cependant la manière dont plufleurs per- PRÉFACE. i farines ont attaqué mon Ouvrage me force à entrer ici dans quelques détails. On Va voulu repréfemer comme un fruit amer de la mélancolie. Le Public ne fe met guère en peine de f avoir fi je fuis trille ou f je fuis gai ; cependant comme cette idée pourroit prévenir contre l'Ouvrage même y il efl peut-être à propos que ceux qui ne me connoiffent point fâchent aue je ne l'ai écrit 9 ni dans l'exil ^ ni dans le chagrin : que ça été dans mes plus beaux jours , au milieu d'une brillante Cour y dans le palais a un Roi qui m'a placé dans un état fort au-dejfus de ce que j'aurois pu efpérer. Si dans cette ftuation^ fai trouvé encore des ennuis dans la vie 3 cela même ne doit - il pas me perfuadcr qu'aucune vie nen efl exempte ? M ij r&b PRÉFAC É. On a paru choqué du plan de mon Ouvrage ? comme Jî je m'étois propofé de faire haïr la vie. Le Poète ou l'Orateur qui 9 par des peintures plus vives que jtdelles 5 voudroit répandre fur nos jours plus de trijlejfe qu'il n'y en a , fer oit Blâmable : mais le Phiiofophe qui compte & pefe les peines & les plaijîrs l'eft-il ? Et celui qui trouve mauvais qu'on lui préfente ce calcul , ne rejfemble-t-il pas à un homme dérangé , qui fe fâche lorfque fon Intendant lui fait voir le compte de fa dépenfe & de fes revenus ? Nous lifons dans l'hifloire de la PhU hfophie quHegefas av oit fait un livre où il repréfentoit f bien tous les maux de la vie , que plufieurs ne vouloient plus vivre après l'avoir lu* Ptolomée profcrivit F Tt È F A G E. r.g.j le. livre r& défendit àf Auteur d'enfeigner une telle doctrine. Il eut peut-être raifon ; ce ferait un ouvrage pernicieux que celui qui nous peindrait trop vivement nos maux 5 s'il ne, nous prefento.it en même temps les motifs qui nous les doivent faire fupporter , , & ne nous en indiquait les remèdes : mais, certains ouvrages y s'ils ne font pas Ji dangereux , font peut-être plus mal faits ■■_, dans lef quels ? après avoir déduit de la P hilofophie toutes les raifons de haïr la vie ? l'on tire d'une fource toute différente les,, motifs pour la fupporter. Je n'ai eu dans celui-ci que la vérité pour objet , & que la P 'hilofophie pour guide. Je n ai fondé que fur elles le calcul, que j'ai fait des biens & des maux j je nai tiré que d'elles les moyens pour augmenter M iij î8* PRÉFACE. la fomme des uns > & diminuer la fomme des autres : & Jï j'ai entrevu un but plus élevé que celui où fembloit tendre la route que je tenais 9 ce na été que le fil du raifonnement qui m'y a conduit. Mon Ouvrage a eu un fort fort finguliert les uns Vont voulu faire pafjer pour un ouvrage d'impiété , les autres l'ont pris pour un livre de dévotion. Il nejl ni Vun ni l'autre. Les Théologiens veulent trop impérieujement interdire la faculté de raifonner ; les Philofophes de ce temps croient qu'on catéchife ,, dès qu'on parle de Dieu. Ce contrafle dans les jugemens qu'on a portés me feroit affe^ croire que y ai gardé un jujle milieu. En effet , la Jîtuation de mon efprit était telle ^ que j'étais également éloigné PRÉFACE. 183 du bonheur d'être dévot 3 & du malheur d'être impie : & je me trouvois dans des circonfiances où je pouvois avec la plus grandie liberté écrire tout ce que je penfois. Dans F envie que favois de rendre cet Ouvrage le meilleur qu'il m'étoit pojfzble $: avant que de le faire réimprimer , . j 'ai voulu attendre toutes les critiques qui paroîtroient. Je me les fuis fait foigneufe- ment envoyer : voici quelques articles que j'y ai trouvés , qui m'ont paru mériter d'être éclairas* j I. Quelques -uns ont cru trouver une, efpece de fcandale dans ce que j'ai dit, ( chap. j. ) Ne craignons donc point de comparer les plailîrs des fens avec M. i¥ i84 PRÉFAC E. les plaiiîrs les plus intellectuels ; ne nous faifons pas l'illufion de croire qu'il y ait des plaifîrs d'une nature moins noble les uns que les autres : les plaifîrs les plus nobles font ceux qui font les plus grands. Ceux qui ont critiqué ce paragraphe avaient fans doute oublié la définition que 'fai donnée du plaifir. Il ejl certain que la perception agréable ne tire fa valeur que de fon intenfité & de fa durée ; & que dans cet infiant où je la confidere ^ celle qui naît des pafjzons les plus brutales peut être composée à celle que nous caufent les venus les plus pures* Il ne faut pas ici confondre le bonheur avec le plaifir : le bonheur ? comme nous V avons dit _, efl la femme des biens qui rejle après qu'on- PRÉFACE. 185 a retranché la fomme des maux. Et loin que le bonheur qui naîtroit de ces pajjions pût être comparé à celui qui naît de la vertu , on fait voir dans cet Ouvrage , que même il nexifle pas comme quantité pofîtive ; cefl-à-dire que les biens qui naiffent de ces plaijîrs feront toujours détruits & furpaffés par les maux qui en feront les fuites* On peut donc nier la réalité du bonheur qu'on chercheroit dans les plaifirs du corps , mais on ne peut pas nier la réalité de ces plaifirs : on ne peut pas nier qu'ils ne puiffent être com- parés aux plaifirs de Vame ? ni qu'ils ne puiffent même les furpaffer. De plus grands P hilofophes que ceux qui me veulent reprendre 5 pour avoir confondu le plaifir avec le bonheur , font i86 PRÉFACE. tombés dans bien des fophifmes & des contradictions. Leurs invectives contre les plaifirs des fens peuvent échauffer le cœur: mais il fe trouvera aujji des efprits qui feront plus frappés des calculs froids & fecs que je donne ? que des déclamations fondées fur de faux principes. • 1 1. J'ai compris fous deux genres tous les plaifirs & toutes les peines : j'ai ap- pelle plaifirs & peines du corps toutes les perceptions que Came reçoit par l'im- preffwn des corps étrangers fur le nôtre $ j'ai appelle plaiiirs & peines de l'ame toutes les perceptions que l'ame reçoit fans Tentremife des fens : & j'ai réduit les plaifirs de l'ame à deux feuls objets y à la pratique de la juftice ? & à la vue da PRÉFACE. 187 la vérité ; les peines de l'âme 5 ci avoir manqué l'un ou Vautre de ces objets. Un ami refpeciable a cru que mon ériuméra- tion n'étoit pas complet te : qu'il y avoit des plaijirs & des peines qu'on ne vouvoit réduire ni à l'un ni à l'autre de mes deux genres. Comme Jurement ce qui a arrêté F homme dont je parle en arrêterait bien d'autres 9 & qu'apparemment je ne m'étois pas ajfe^ expliqué , je reviens ici à examiner Ji ma divijîon des plaijirs & des peines com- prend tout : & je cherche dans l'exemple qui m'a été propofé y s'il y a quelque chofe qui ne vienne pas des Jources que j'eijjigne 3 & quifijje un genre à part ; ou Jl ce n'ejl qu'un cas compofé de caufes comprijes dans mon ézuméraiion* i8S P R É F A C E. La mort m'a enlevé mon ami :. j'ai ■perdu un homme qui me procuroit mille commodités , qui flattoit mes goûts & mes pafjions ; un objet qui plaijoit à mes yeux ; une voix agréable à mon oreille ,; jufques - là ma peine n'appartient qu'au corps. Je regrette un homme éclairé qui m'ai- doit à découvrir la vérité. ; un homme vertueux qui in entretenoit dans la pra- tique de la jujlice : ma peine appartient à Vame. Et f plufeurs de ces motifs fe trouvent combinés ensemble y ma peine ejl un fentiment mixte ? qui je rapporte à Famé & au corps j & à chacun des deux plus ou moins > félon la dofe des motifs. Si l'on analyfe de la forte les cas les- PRÉFACE. i plus compliqués , & qu'on fe fouvienne des définitions que fiai données ( ckap, j.) on trouvera toujours que les plaifirs & les peines n'ont pas d'autres fiourc es que celles que je leur ai ajfïgnées, III. On m'a reproché Savoir parlé trop favorablement du Suicide. Confidé- rant le Suicide hors de la crainte & de Vefipérance d'une autre vie , je l'ai regardé comme un remède utile & permis .* le confidérant comme Chrétien , je l'ai re- gardé comme V action la plus criminelle ou la plus infenfée. Et tout cela me paroît fi évident > que je ne faurois rien dire qui puijfe en augmenter l'évidence. S'il n'y avoit rien au - delà de cette vie 9 il feroit fouvent convenable de la terminer: i9o PRÉFACE. mais le malheur de notre condition pri~ fente , au lieu de devoir nous en faire chercher le remède dans l' anéantiffement , nous prouve au contraire que nousfommes deflinés à une vie plus heureufe , dont l'efpérance doit nous rendre celle-ci fup~ portable* I V. On m'a voulu faire un crime de ce que j'ai dit , que la Religion n'étoit pas rigoureufement démontrable. Je le répète : fi elle était rigoureufement démon* trahie , tout le Monde lafuivroit* Perfonm ne fort des écoles de Géométrie avec le moindre doute fur les propofîtions quily a entendues : voyer parmi ceux qui forte ni des bancs de Théologie , combien il y en a de perfuadés ! Je ïai dit ; il faut ici PRÉFACE. 191 que le cœur aide à perfuader Vefprit. Cefi ce qui me fait donner tant de poids à la preuve tirée du bonheur que la Religion porte avec elle. V. Je nai plus quun mot à dire 9 & qui efl prefque inutile : cefi fur lefiyle de r Ouvrage. On Va trouvé trifie & fec : j'avoue quil Vefi ; mais je ne crois pas quil dût être autrement. Quand j9 aurais été capable de le parer de fleurs s lafévé* rite du fujet ne le permettoit pas* <** ESSAI x9î T^ ||C=:= ~^SS= ;-^sasas-^==-5^ I D E PHILOSOPHIE MORALE. CHAPITRE I. Ce que c'ejl que le bonheur & le malheur. IupSvUij Appelle plaijir toute per- |$ J g|| ception que l'âme aime mieux j[^|^!| éprouver que ne pas éprouver» J'appelle peine toute perception que l'ame aime mieux ne pas éprouver qu'éprouver. • Toute perception dans laquelle l'ame QEuv. de Maup. Tom, I, • JJ ï94 t s s a i voudroit fe fixer , dont elle ne fou- Iiaite pas l'abfence ? pendant laquelle elle ne voudroit ni pafîer à une autre perception , ni dormir ; toute percep- tion telle eft un plaijîr. Le temps que dure cette perception eft ce que j'ap- pelle moment heureux. Toute perception que l'âme vou- droit éviter , dont elle fouhaite l'ab- fence , pendant laquelle elle voudroit paffer à une autre , ou dormir ; toute perception telle eft une peine. Le temps que dure cette perception eft ce que j'appelle moment malheureux. Je ne fais s'il y a des perceptions indifférentes , des perceptions dont la préfence ou l'abfence foient parfaite- ment égales. Mais s'il y en a , il eft évident qu'elles ne fauroient faire des momens heureux ni malheureux. Dans chaque moment heureux ou malheureux , ce n'eft pas affez de con- fidérer la durée y il faut avoir égard à îa grandeur du plaifir , ou de la peine : j'appelle cette grandeur intenjîté. L'in- tenfité peut être fi grande ? que quoi- que la durée fût fort courte P le moment DePhîLOSOPHIE MORALE. Ï9J heureux ou malheureux équivaudrait à un autre dont la durée feroit fort longue j & dont Pintenfité feroit moin- dre. De même la durée peut être il longue 9 que quoique Pintenfité fut fort petite 5 Le moment heureux ou mal- heureux équivaudrait à un autre dont Pintenfité feroit plus grande ? & dont la durée feroit moindre. Pour avoir Peftimation des momens heureux ou malheureux , il faut donc avoir égard non feulement à la durée , mais encore à Pintenfité du plaifir ou de la peine. Une intenfité double , & une durée fîmple , peuvent faire un moment égal à celui dont Pinten- fité feroit fimple 9 & la durée double. En général ., Cejiimation des momens heureux ou malheureux ejl le produit de Pintenfité du plaifir ou de la- peine par la durée. On peut aifément com- parer les durées ; nous avons des in£ trumens qui les meiurent , indépen- damment des illuiîons que nous pouvons nous faire. Il n'en eft pas ainfi des intenfités ; on ne peut pas dire il Pintenfité d'un plaifir ou d'une peinç N î i îç)6 Essai eft précifément double ou triple de l'intenfité d'un autre plaifir ou d'une autre peine. Mais quoique nous n'ayons pas de mefure exafte pour les intenfîtés , nous fentons bien que les unes font plus grandes que les autres , & nous ne laiflbns pas de les comparer. Chaque homme , par un jugement naturel , fait entrer l'intenfité & la durée dans l'eftimation confufe qu'il fait des mo- mens heureux ou malheureux. Tantôt il préfère un petit plaifir qui dure long-temps , à un plus grand qui paffe trop vite -y tantôt un plaifir très- grand & très-court , à un plus petit & plus long. Il en eft ainfi de la peine : quoi- que fort grande , elle peut être û courte , qu'on la fouffrira plus volon- tiers qu'une plus petite & plus longue : & elle peut être fi petite , que quoi- qu'elle durât fort long- temps ? on la préféreroit à une très-courte qui feroit trop grande. Chacun fait cette com- paraifon comme il peut : & quoique les calculs foient clifférens , il n'en eft pas moins vrai que la jufte eftimation %>e Philosophie morale. 197 des momens heureux ou malheureux eft , comme nous l'avons dit , le pro- duit de l'intenfité du plaifir ou de la peine par la durée. Le bien eft une fomme de momens heureux. Le mal eft une fomme femblable de momens malheureux. Il eft évident que ces fommes > pour être égales , ne rempliront pas des in- tervalles de temps égaux. Dans celle où il y aura plus d'intenfité , il y aura moins de durée ; dans celle où la durée fera plus longue , l'intenfité fera moindre. Ces fommes font les élémens du bonheur & du malheur. Le bonheur eft la fomme des biens qui refte ,, après qu'on en a retranché tous les maux. Le malheur eft la fomme des maux qui refte , après qu'on en a retranché tous les biens. Le bonheur & le malheur dépen- dent donc de la compenfation des biens & des maux. L'homme le plus heureux n'eft pas toujours celui qui a eu la plus grande fomme de biens* N îij î9§ Essai Les maux dans le cours de fa vie ont diminué fon bonheur : & leur fomme peut avoir été fi grande ? qu'elle a plus diminué fon bonheur que la fomme des biens ne l'augmen- toit. L'homme le plus heureux eft celui à qui , après la dédu&ion faite de la fomme des maux , il eft refté la «plus grande fomme de biens. Si la fomme des biens & la fomme des maux font égales , on ne peut appel- 1er celui à qui il eft échu un tel par- tage, heureux ni malheureux : le néant vaut fon être. Si la fomme des maux furpaffe la fomme des biens , l'homme eft malheureux 5 plus ou moins , félon que cette fomme furpaffe plus ou moins l'autre : fon être ne, vaut pas le néant. Enfin ce n'eft qu'après ce dernier calcul , qu'après la déduc- tion faite des biens & des maux 9 qu'on peut juger du bonheur ou du malheur. Les biens & les maux étant les élé- jmens du bonheur ou du malheur , tout notre foin devroit être employé à les bien connoîîre , & à tâcher de de Philosophie morale, i les comparer les uns aux autres ; afin de préférer toujours le plus grand bien , & d'éviter le plus grand mal. Mais il fe rencontre bien des difficul- tés dans cette comparaifon 3 & chacun la fait à fa manière. L'un , pour quelques moniens de volupté 9 perd fa fanté ou détruit fa fortune : l'autre fe refufe les plaifirs lea plus vifs , pour voir croître un tré- for dont il ne jouira jamais. Celui-ci languit dans les longues douleurs de la pierre $ celui - là le livre à la plus cruelle douleur pour en être délivré. Et quoique les biens & les maux paroiffent d'efpeces fort différentes , on ne iaiffe pas de comparer les uns avec les autres ceux qui femblent le plus hétérogènes. C'eft ainfi que Sci- pion trouve dans une aftion généreufe un bien plus grand que dans tous les plaifirs qu'il peut goûter avec fa Captive. Ce qui ajoute une nouvelle diffi- culté à la ,comparaifon des biens & des maux , c'eft le différent éloigne- ment d'où on les confidére. S'il faut N iv ioo Essai comparer un bien éloigné avec un bien préfent , ou un mal préfent avec un mal éloigné , rarement fera- 1- on bien cette cornparaifon. Cependant l'inégalité des diftances ne caufe de difficulté que dans la pratique : car l'avenir , qui vraifemblablement eft à notre portée par l'état de notre âge & de notre fanté , devroit être regardé à peu près comme le préfent. Il y a encore une autre comparai- fou plus difficile , & qui n'eft pas moins néceffaire : c'eft celle du bien avec le mal. J'entends ici Feftimation du mal qu'il fau droit raifonnablement fouffrir pour équivaloir à tel ou tel bien , ou Teflimation du bien dont il faudroit fe priver pour éviter tel ou tel mal. Quoiqu'on ne puiffe guère faire cette cornparaifon avec jufteffe , il y a une infinité de cas où l'on fent qu'il eft avantageux de fouffrir un mal pour jouir d'un bien , ou de s'abftenir d'un bien pour éviter un mal. Si les biens & les maux font vus dans dilïérens éloignemens , la corn- paraifon devient encore plus difficile* HePhîLOSOPHIE MORALE. 201 C'eft dans toutes ces comparaifons que confifte la prudence. C'eft par la difficulté de les bien faire qu'il y a fi peu de gens prudens : & c'eft des différentes manières dont ces calculs fe font que réfuite la variété infinie de la conduite des hommes. CHAPITRE IL Que dans la vie ordinaire la fomme des maux furpajfe celle des biens. Ous avons défini le plaifir , toute perception que Famé aime mieux éprouver que ne pas éprouver ; toute perception dans laquelle elle voudroit fe fixer , pendant laquelle elle ne fou- haite ? ni le paflage à une autre per- ception , ni le fommeiL Nous avons défini la peine 9 toute perception que Famé aimeroit mieux ne pas éprouver qu'éprouver ; toute perception qu'elle voudroit éviter , pendant laquelle elle fouhaite le paffage à une autre per- ception 9 ou le fommeil. tôt Essai Si Ton examine la vie d'après ces idées y on fera furpris , on fera effrayé de voir combien on la trouvera rem- plie de peines 9 & combien on y trouvera peu de plaifirs. En effet , combien rares font ces perceptions dont Famé aime la préfence ? La vie eft-elle autre chofe qu'un fouhait con- tinuel de changer de perception ? elle fe paffe dans les defirs ; & tout l'inter- valle qui en fépare i'accompliffement , nous le voudrions anéanti : fouvent nous voudrions des jours , des mois > des ans entiers fupprimés : nous n'ac- quérons aucun bien qu'en le payant de notre vie. Si Dieu accompliffoit nos defirs $ qu'il fupprimât pour nous tout le temps que nous voudrions fùpprimé ; le vieillard feroit furpris de voir le peu qu'il auroit vécu ; peut-être toute la durée de la plus longue vie feroit réduite à quelques heures. Or tout ce temps dont on auroit demandé la fuppreffion pour paffer à I'accompliffement de fes defirs , c'eft- à-dire , pour paffer de perceptions à de Philosophie morale. 203 d'autres , tout ce temps n'eft compofé que de momens malheureux. Il y a , je crois , peu d'hommes qui ne conviennent que leur vie a été beaucoup plus remplie de ces momens que de momens heureux , quand ils ne confidéreroient dans ces momens que la durée : mais s us. y ront entrer Biiïterifîté , la fomme des maux en fera encore de beaucoup augmentée : & la proposition îera encore plus vraie : Que dans la vie ordinaire la fomme des maux furpajje la fomme des biens \ Tous les divertiffemens des hommes prouvent le malheur de leur condition. Ce n'eft que pour éviter des percep- tions fâcheufes , que celui-ci joue aux échecs y que cet autre court à la chaf- fe : tous cherchent dans des occupa- tions férieufes ou frivoles l'oubli d'eux- mêmes. Ces diftra&ions ne fuffifent pas ; ils ont recours à d'autres reffour- ces : les uns par des liqueurs excitent dans leur ame un tumulte , pendant lequel elle perd l'idée qui la tourmen- toit j les autres par la fumée des feuilles d'une plante cherchent un étourdiffe- 2LD4 Essai ment à leurs ennuis ; les autres char- ment leurs peines par un fuc qui les met dans une efpece d'extafe. Dans l'Europe , FAfie , l'Afrique & l'Amé- rique , tous les hommes , d'ailleurs fi divers , ont cherché des remèdes au mal de vivre. Qu'on les interroge : on en trou- vera bien peu , dans quelque condition qu'on les prenne , qui vouluffent re- commencer leur vie telle qu'elle a été y qui vouluffent repaffer par tous les mêmes états dans lefquels ils fe font trouvés. N'eft - ce pas l'aveu le plus clair qu'ils ont eu plus de maux que de biens ? Eft-ce donc là le fort de la Nature humaine ? Eft - elle irrévocablement condamnée à un deftin fi rigoureux ? ou a- 1- elle des moyens pour changer cette proportion entre les biens & les maux ? N'eft-ce point le peu d'ufage , ou le mauvais ufage que l'homme fait de fa raifon , qui rend cette proportion fi funefte ? Une vie plus heureufe ne feroit-elle point le prix de ks réflexions & de fes efforts ? de Philosophie morale, 205 CHAPITRE III. Réflexions fur la nature des plaifirs & des peines. Es Philofophes de tous les temps ont connu l'importance de la re- cherche du bonheur , & en ont fait leur principale étude. S'ils n'ont pas trouvé la vraie route qui y conduit ? Ils ont marché par des fentiers qui en approchent. En comparant ce qu'ils ont découvert dans les autres fciences avec les excellens préceptes qu'ils nous ont laiffés pour nous rendre heureux y on s'étonnera de voir combien leurs progrès ont été plus grands dans cette îcience que dans toutes les autres. Je n'entrerai point dans le détail des opinions de tous ces grands hom- mes fur le bonheur , ni des différences crui ont pu fe trouver dans les fenti- mens de ceux qui en gênerai etoient de la même fefte : cette difcuffion ne feroit qu'une efpece d'hiftoire ? Ion- io6 Essai gue y difficile , incertaine ? & fûrement inutile. Les uns regardant le corps comme le feul infiniment de notre bonheur & de notre malheur , ne connurent de pïaifirs que ceux qui dépendoient des impreffions que les objets extérieurs font fur nos fens , ne connurent de peines que celles qui dépendoient d'impreffions femblables. Les autres donnant trop à l'ame , n'admirent que les pïaifirs & les peines qu'elle trouve en elle-même. Opinions outrées , & également éloignées du vrai. Les impreffions des objets fur nos corps font des fources de piaifir & de peine : les opérations de notre ame en font d'autres. Et tous ces pïaifirs , & tontes ces peines , quoiqu'entrées par différentes portes r ont cela de commun ? que ce ne font que des perceptions de l'ame , dans lefquelles l'ame fe plaît ou fe déplaît , qui font des momens heureux ou malheureux. Ne craignons clone point N de com- parer les pïaifirs des fens avec les de Philosophie morale. 2 plaifirs les plus intellectuels ; ne nous faifons pas Fillufion de croire qu'il y ait des plaififs d'une nature moins noble les uns que les autres : les plaifirs les plus nobles font ceux qui font les plus grands. Quelques Phiiofophes allèrent fi loin, qu'ils regardèrent le corps comme touî- à-fait étranger à nous : & prétendi- rent qu'on pouvoir parvenir à ne pas même fentir les accidens auxquels il eft lui et. Les autres ne fe tromperoient pas moins , s'ils croyoient que les impref fions des objets extérieurs fur le corps puffent tellement occuper Famé , qu'el- les la rendirent infeniïbie à les réfle- xions. Tous les plaifirs & toutes les peines appartiennent à Famé. Quelle que fût l'impreffion que fit un objet extérieur fur nos fens , jamais ce ne feroit qu'un mouvement phyfique , jamais un plai- fir ni une peme , fi cette irnpreffioti ne fe faifoit fentir à Famé. Tous les plaifirs & toutes les peines ne font que les perceptions : la feule différence io8 Essai confifte en ce que les unes font exci- tées par Fentremife des objets exté- rieurs , les autres paroiffent puifées dans l'âme même. Cependant , pour éviter la longueur , & pour m'exprimer de la manière la plus ufitée , j'ap- pellerai les unes plaifirs & peines du corps ; les autres , plaijïrs & peines de Vame. Je ne nierai point que les plaifirs & les peines du corps ne foient de vrais plaifirs & de vraies peines , ne faffent des biens & des maux. Quelque peu de rapport qu'on voye entre les perceptions de l'ame & les mouve- mens qui les font naître , on ne fauroit en méconnoître la réalité. Et le Philofophe qui difoit que la goutte n'étoit pas un mal , difoit une fottife $ ou vouloit feulement dire qu'elle ne rendoit pas l'ame vicieufe , & alors difoit une chofe bien triviale. Les plaifirs & les peines du corps font donc fans contredit des fommes de momens heureux & de momens malheureux ., des biens & des maux. Les plaifirs & les peines de Famé font d'autres de Philosophie morale. 109 d'autres fommes pareilles. Il ne faut négliger ni les unes ni les autres ; il faut les calculer 9 & en tenir compte. En examinant la nature des plaifirs & des peines du corps ? nous commen- cerons par une remarque bien affli- geante : c'eft que le plaifîr diminue par la durée , & que la peine aug- mente. La continuité des impreffions qui caufent les plaifirs du corps en affoiblit Fintenfité : Fintenfité des peines eft augmentée par la continuité des impreffions qui les caufent. 1. Qu'on parcoure les plus grands plaifirs que les objets extérieurs puif- fent nous procurer -, on verra que , ou la fenfation qu'ils excitent eft de nature à ceffer fort promptement9 ou que fi elle dure , elle s'affaiblit > de- vient bientôt infipide , & même in- commode , fi elle dure trop long- temps. Au contraire , la douleur que caufent les objets extérieurs peut durer autant que la vie ; & plus elle dure , plus elle devient inilipportabîe. Si l'on doute de ceci , qu'on effaye de pro- longer Fimpreffîon de quelque objet (ÈW. de Maup. Tom. ï. O no Essai des plus agréables ; on verra ce que le plaifir devient : que Faftion du fer ou du feu fur notre corps dure un peu ; qu'on y tienne feulement des cantharides un peu trop long - temps appliquées ; & l'on verra à quel point peut s'accroître la douleur. 2. Il n'y a que quelques parties du corps qui puiffent nous procurer des plaifirs : toutes nous fons éprouver la douleur. Le bout du doigt , une dent , nous peuvent plus tourmenter que l'organe des plus grands plaifirs ne peut nous rendre heureux. 3. Enfin il y a une autre considé- ration à faire. Le trop long , ou le trop fréquent ufage des objets qui caufent les plaifirs du corps conduit à des infirmités : & l'on n'en devient auffi que plus infirme par l'application continuée ou répétée trop fouvent des objets qui caufent la douleur. Il n'y a ici aucune efpece de compen- fation. La mefure des plaifirs que notre corps nous peut faire goûter eft fixée & bien petite ; fi l'on y verfe trop , on en eft puni : la mefure des peines z>e Philosophie morale, ni fans bornes 9 & les plaifirs même contribuent à. la remplir. Si Ton difoit que la douleur a {es bornes \ que , comme le plaifir > elle émouffe le fentiment , ou même le détruit tout -à -fait: cela n'a lieu que pour une douleur extrême , une dou- leur qui n'eft point dans l'état ordinaire de l'homme , & à laquelle aucune efpece de plaifir ne fe peut comparer. Par tout ce que nous venons de dire on peut juger de la nature des plaifirs & des peines du corps , & de ce qu'on peut en attendre pour notre bonheur. Examinons maintenant la nature des plaifirs & des peines de l'âme. Avant que d'entrer dans cet exa- men , il faut définir exaftement ces plaifirs & ces peines ; & ne les pas confondre avec d'autres affeftions de* l'ame , qui n'ont que le corps pour objet, Je m'explique. Je ne compte pas parmi les plaifirs de l'ame le plaifir qu'un homme trouve à penfer qu'il augmente fes richefies , ou celui qu'il relient à voir fon pouvoir s'accroître-, O i j 'ai i Essai fi , comme il n'eft que trop ordinaire , il ne rapporte fes richeffes & fon pou- voir qu'aux plaifirs du corps que ces moyens peuvent lui procurer. Les plai- firs de l'avare & de l'ambitieux ne font alors que des plaifirs du corps , vus dans l'éloignement. De même nous ne prendrons pas pour des peines de l'ame les peines d'un homme qui perd fes richeffes ou fon pouvoir , fi ce qui les lui fait regretter n'eft que la vue des plaifirs du corps qu'ils lui pou- voient procurer ? ou la vue des peines du corps auxquelles cette perte l'ex- Après cette définition -, il me fem- ble que tous les plaifirs de l'ame fe réduifent à deux genres de perception ; l'un qu'on éprouve par la pratique de la jufiice , l'autre par la vue de la vérité. Les peines de l'ame fe réduifent à manquer ces deux objets. Je n'entreprends point de donner ici une définition abfolue de la jus- tice , & n'ai pas befoin de le faire. J'entends feulement jufqu'ici par pra- tique de la jufiice 3 l'accompliffement de Philosophie Morale. 21 f de ce qu'on croit fon devoir ? quel qu'il foit. Il n'eft pas non plus néceffaire de définir ici exactement la vérité. J'en- tends par vue de la vérité , cette per- ception qu'on éprouve lorfqu'on eft fatisfait de l'évidence avec laquelle on voit les chofes. Or ces deux genres de plaifir me paroiffent d'une nature bien oppofée à celle des plaifirs du corps. i°. Loin de paffer rapidement , ou de s'affoiblir par* la jouiffance 5 les plaifirs de Famé font durables ; la durée & la répéti- tion les augmentent. 20. L'ame les reffent dans toute fon étendue. 30. La jouiffance de ces plaifirs , au lieu d'af> foibîir l'ame , la fortifie. Quant aux peines qu'on éprouve 9 lorfqu'on n'a pas fuivi la juftice 9 ou lorfqu'on n'a pu découvrir la vérité y elles différent encore extrêmement des peines du corps. Il eft vrai que l'idée qu'on a manqué à fon devoir eft une peine très-douloureufe : mais il dépend jours de nous de l'éviter ; elle eft e-même fon préfervatif : plus elle O iij 2.14 Essai eft fenfible i plus elle nous éloigne du péril de la reffentir. Pour la peine qu'on éprouve dans la recherche d'une vérité qu'on ne fauroit découvrir , l'homme fage ne s'attachera qu'à celles qui lui font utiles 3 & il découvrira celles-là facilement. Mais , me dira-t-on peut-être , les plaifirs de l'âme ne peuvent -ils pas procurer aux hommes un fort plus heureux que celui que vous nous avez dépeint ? N'y a-t-il donc pas des Sages dont la vie fe paffe dans la pratique de la jujtice ? & dans la contemplation de la vérité ? Je veux croire qu'il y en a : mais outre les peines du corps auxquelles ils font toujours expofés , fi l'on compte les Ariftides &les Newtons, on verra que ces hommes font trop rares pour empêcher que la propofition ne foit vraie : Que dans la vie ordinaire la jomme des maux furpajje la fomme des biens. de Philosophie morale. 215 CHAPITRE IV. es moyens pour rendre notre condition meilleure,. 'Est par ces considérations , & non en niant , comme quelques Sophiftes , la réalité des plaifirs & des peines du corps , que nous devons nous conduire. Laiffons notre ame ou- verte à quelques perceptions agréa- bles , qu'un ufage fobre & circonlpeft des objets extérieurs y peut faire naî- tre y mais ne laiffons pas entrer cette foule d'ennemis qui menacent fa ruine» Ne difons pas que la volupté n'eft pas un bien $ mais fouvenons - nous toujours des maux qu'elle traîne après elle. Etant ainfi expofés par rapport à notre corps à beaucoup plus de pei- nes que de plaifirs : à des peines que la durée augmente , à des plaifirs qu'elle diminue : s'il nous étoit poffi- Ele de nous fouftraire entièrement aux O iv 2i 6 Essai impreffions des objets extérieurs , de renoncer totalement aux plaifirs des fens pour être affranchis de leurs pei- nes ; ce feroit affurément le meilleur parti : il y a beaucoup plus à perdre qu'à gagner , en y reftant expofé* Mais comment éviter l'effet de ces impreffions ? Nos corps font partie du monde phyfique : toute la Nature agit fur eux par des loix invariables : & par d'autres loix 5 que nous fommes éga- lement obligés de fabir 9 ces impref- fions portent à l'ame les perceptions de plaifir & de peine. Dans cet état , qui paroît purement paffif y il nous refte cependant une arme pour parer les coups des objets , ou pour en amortir l'effet. C'eft la li- berté , cette force fi peu compréhen- fible , mais fi inconteftable $ contre laquelle le Sophifte peut difputer 5 mais que l'honnête homme reconnoît tou- jours dans fon cœur. Il peut avec elle lutter contre toute la Nature : & s'il ne peut pas toujours tout-à-fait vain- cre , il peut du moins toujours n'être pas entièrement vaincu. Arme fatale de Philosophie morale, nj qu'il tourne fi fouvent contre lui- même ! Si l'homme fait faire ufage de fa liberté , il fuira les objets qui peuvent faire fur. lui des impreflions funeftes : & fi ces impreflions font inévitables > elle lui fervira à en diminuer la force. Dans les états les plus cruels , il n'y a perfonne qui ne fente en lui-même un certain pouvoir qu'il peut exercer même contre la douleur. Si la liberté peut nous préferver des impreflions dangereufes des objets ; fi elle peut nous défendre des peines du corps , & nous en difpe'nfer avec économie les plaifirs , elle a bien un autre empire fur les plaifirs & les pei- nes de l'ame : c'eft là qu'elle peut m 4 • / triompher entièrement. tre vie n'eft donc qu'une fuite de perceptions agréables & fâcheufes , mais dans laquelle les perceptions fâ- cheufes l'emportent de beaucoup fur les perceptions agréables. Le bonheur & le malheur de chacun dépendent des fommes de bien & de mal que ces perceptions font dans fa vie, âi8 Essai Cela pofé 5 il n'y a que deux moyens pour rendre notre condition meilleure. L'un conlifte à augmenter la fomme des biens : l'autre , à diminuer la fomme des maux. C'eft à ce calcul que la vie du Sage doit être employée. Les Philofophes de l'antiquité , qui avoient fans doute fenti la vérité de ceci , fe partagèrent en deux claffes. Les uns crurent que pour rendre notre condition meilleure , il ne falloit qu'ac- cumuler le plus de plaifîrs qu'il étoit poffibie : les autres ne cherchèrent qu'à diminuer îes peines. C'eft là , ce me femble , ce qui diftingua effentiellement les deux fa- meufes feftes des Épicuriens & des Stoïciens : car c'eft n'en pas avoir pé- nétré l'efprit , que de ne pas avoir apperçu les différens moyens que cha- cune fe propofoit ; & de faire confifter leur différence dans la recherche de plus groliiers , ou plus purs. Je l'ai déjà dit $ tant qu'on ne confi- dere que l'état préfent , tous les plai- fîrs font du même genre : celui qui naît de Fa&ion la plus brutale ne cède de Philosophie morale. 219 point à celui qu'on trouve dans la pra- tique de la vertu la plus épurée. Les peines ne font pas non plus de genre différent : celles qu'on reffent par l'ap- plication du fer & du feu peuvent être comparées à celles qu'éprouve une confcience criminelle. Toutes les pei- nes ? tous les plaifirs , ne font que des perceptions de l'ame , dont il faut feu- lement bien calculer l'intenfité & la durée. Ce qui carafliérife donc les deux feftes , c'eft que l'une & l'autre re- connoiffant que le plus grand bonheur eft celui où la fomme des biens 5 après la déduftion de la fomme des maux , demeuroit la plus grande ; dans les moyens que ces feftes propofoient pour rendre notre condition meilleure , celle des épicuriens avoit plus en vue l'aug- mentation de la fomme des biens , & celle des Stoïciens la diminution de la fomme des maux. Si nous avions autant de biens à efpérer que de maux à craindre , l'un & l'autre fyftême feroient également fondés. Mais fi l'on fait attention à ce 22.0 Essai que nous avons remarqué dans les Cha- pitres précédens fur les plaifirs & les peines ^ on verra combien il eft plus raifonnable de chercher à rendre notre condition meilleure par la diminution de la fomme des maux , que par l'aug- mentation de la fomme des biens. Je ne m'arrêterai donc point à la fefte d'Epicure ; j'examinerai feulement celle des Stoïciens , qui me paroiffent ceux qui ont raifonné le plus jufte. CHAPITRE V, Du fyjîême des Stoïciens* JE ne remonterai point jufqu'à Zenon : ce que nous favons de lui eft trop peu de chofe pour pou- voir bien juger de ce qu'il enfeignoit & de ce qu'il penfoit. Ce n'eft dans l'origine d'aucune fefte qu'on en trouve les dogmes les plus raifonnables ? ni les mieux digérés. Ce qui nous touche le plus , c'eft la doftrine des Stoïciens , telle qu'elle fut après que les temps de Philosophie morale, m Se les réflexions des grands hommes qui la profefferent l'eurent conduite à fa maturité.- Le recueil le plus ample que nous ayons des dogmes de cette fe£te , eit celui que Seneque nous a laiffé. Tous les ouvrages de ce Philofophe 9 fous des titres difterens & multipliés , n'en font que l'expofition. Epiclete les pro- duifit avec moins d'art & plus de force. Nous avons le fyftême de ce grand homme dans deux ouvrages différens : l'un contient des difeours négligés & diffus y tels cpiArrien les - recueillit fortant de fa bouche : l'autre eft fon Enchiridion , ferré & métho- dique ? dans lequel , malgré fa briè- veté , on trouve le fyftême le plus complet de Morale , & toute lafeience du bonheur. A ces ouvrages admira- bles on en doit ajouter un plus admi- rable encore. C'efl: celui de F Empe- reur Marc - Aurele : fes Réflexions adrejjees à lui - même , mais dignes de fervir de leçons à tout l'Univers» Ce Prince Philofophe n'a , ni le brillant du Précepteur de Néron ^ ni la fé- 111 E S S A T chereflfe de l'Efclave d'Épaphrodîte : fon flyle porte par-tout le caraftere de l'élévation de fon ame ? de la pureté de fon cœur 9 & de la grandeur des chofes qu'il dit. Il remercie les Dieux de lui avoir refufé les taîens de la Poéfîe & de l'Éloquence ? & ne s'ap- perçoit pas qu'il les a. Il poffede tou- tes les connoiffances de fon temps , & ne fait cas que de celles Qui enfei- gnent à régler le cœur : toutes les autres , il les méprife également. Il traite de véritable fottife la recherche de la ftrufture & des mouvemens de l'Univers : fa feule étude eft celle de l'homme. Ces divines leçons % il les pratiqua toute fa vie : & enfe rendant heureux , il eut fur les deux autres Philofophes l'avantage d'avoir fait le bonheur d'un Empire qui faifoit la plus grande partie du Monde. Un Courtifan qui a elïuyé de gran- des viciffitudes ; qui s'eft trouvé élevé au comble des honneurs , puis abaiffé dans les plus profondes difgraces ; un tel jouet de la Fortune doit avoir fenti le befoin de la Philofophie ftoïcienne. x>e Philosophie morale. 223 Un Efclave accablé du poids de fa chaîne , affujetti aux caprices d'un Maître cruel , n'avoit d'autre reffource que cette Philofophie , qui promet un bonheur qui ne dépend que de nous. Mais un Empereur qui n'éprouva jamais aucun revers , qui fut conf- tamment comblé des faveurs de la Fortune , n'eut pas les mêmes motifs. Il femble qu'il ne dût chercher qu'à étendre la puiffance de celle qui lui prodiguoit tous les biens qu'elle peut donner : il vit que tous ces biens n'étoient que des illufions, Seneque & Epiftete femblent n'être parvenus à la Philofophie que par bé- îbin & par art : la Nature forma Marc Aurele Philofophe , & éleva fon cœur à une perfeérion à laquelle fes lu- mières ne pouvoient le conduire. La Philofophie ftoïcienne n'avoit point la vertu pour but , ce n'étoit que le bonheur préfent : & , fi l'on s'y trompoit , c'eft que les routes qui conduifent à l'un & à l'autre font jufqu'à un certain point les mêmes. 224 Essai Les préfervatifs & les remèdes ^ que le Stoïcien recommande contre les maux de cette vie , font : de fe rendre maître de (es opinions & de fes defirs : d'anéantir l'effet de tous les objets extérieurs : enfin ^ de fe donner la mort , fi l'on ne peut trouver la tranr quillité qu'à ce prix. En lifant les écrits de ces Philofo- phes , on feroit tenté de croire que ce qu'ils propofent eft impoffible : cet empire fur les opérations de notre. ame , cette infenfibilité aux peines du corps , cet équilibre entre la vie & la mort , ne paroiflent que de belles chimères. Cependant , fi nous examinons la ma- nière dont ils ont vécu , nous croirons qu'ils y étoient parvenus , ou qu'ils n'en étoient pas éloignés : & fi nous réfléchirons fur la nature de l'hom- me , nous le croirons capable de tout , pourvu qu'on lui propofe d'aflez grands motifs j capable de braver la douleur y capable de braver la mort ; & nous en trouverons de toutes parts des exem- ples. Si vous allez dans le nord de l'Amé- rique , t>e Philosophie morale. 125 rique , vous trouverez des peuples fau- vages 9 qui vous feront voir que les Scevola , les Curtius & les Socrates , n'étoient que des femmes auprès d'eux : dans les tourmens les plus cruels , vous les verrez inébranlables , chanter & mourir. D'autres que nous ne regar- dons prefque pas comme des hommes , & que nous traitons comme les che- vaux & les bœufs • dès que l'ennui de la vie les prend , la favent terminer. Un vaiffeau qui revient de Guinée eft rem- pli de Gâtons qui aiment mieux mourir que de furvivre à leur liberté. Un grand peuple , bien éloigné de la bar- barie , quoique fes moeurs foient fort différentes des nôtres , ne fait pas plus de cas de la vie : le moindre affront , le plus petit chagrin , eft pour un Ja- ponois une raifon pour mourir. Sur les bords du Gange , la jeune Indienne fe jette au milieu des flammes , pour évi- ter le reproche d'avoir furvécu à fon époux. Voilà des nations entières parvenues à tout ce que les Stoïciens preicri- voient de plus terrible. Voilà ce que QEuv, de Maup. Tom, I. P :li'S E s s à i peuvent l'opinion & la coutume. Ne doutons pas que le raifonnement n'ait autant de force : ne diftinguons pas même du raifonnement la coutume & l'opinion ; ce font des raifonnemens fans doute , feulement moins appro- fondis. Le Nègre & le Philo fophe n'ont qu'un même objet ; de rendre leur condition meilleure. L'un , chargé de fers , pour fe délivrer des maux qu'il fouffre , ne voit que de terminer fa vie : l'autre , dans des palais dorés , fent qu'il eft réellement fous la puif- fance d'une Maîtreffe capricieufe & cruelle 9 qui lui prépare mille maux. Le premier remède à efiayer , c'eft l'in- feniibilité j le dernier , c'eft la mort. Ceux qui ont écrit fur cette matière prétendent qu'une telle reffource ? loin d'être une aftion généreufe , n'efl: qu'une véritable lâcheté. Mais il me femble que c'eft ne pas diflinguer affez les différentes pofitions où l'homme fe peut trouver. Si l'on part d'une Religion qui pro- mette des récompenfes éternelles à celui qui fouffre patiemment 3 qui de Philosophie morale, nj menace de châtimens éternels celui qui meurt pour ne pas fouffrir ; ce n'eft plus ni un homme courageux , ni un lâche qui fe tue , c'eft un infenfé : ou plutôt , la chofe eft impoffible. Mais nous ne confidérons ici l'homme que dans l'état naturel ? fans crainte & fans efpérance d'une autre vie , unique- ment occupé à rendre fa condition meilleure. Or dans cette pofition , il efl évident qu'il n'y a ni gloire , ni raifon _, à de- meurer en proie à des maux auxquels on peut fe fouftraire par une douleur d'un moment. Dès que la fomme des maux furpaffe la fomme des biens > le néant efl: préférable à l'être : & les Stoïciens raifonnent jufte „ lorfqu'ils regardent la mort comme un remède utile & permis. Quelques-uns ont été jufqu'à la confeiller affez légèrement ; & Marc-Aurele , cette ame fi douce & fi belle , penfoit ainfi ; fors de la vie y dit-il , fi elle te devient à charge y niais fors -en fans plainte & fans murmure 0 comme d'une chambre qui fume. ( a ) (a) Mare-Aureh\ IV. %.XXX. Pi) 11% E S S A î Seneque parle avec bien plus de force du droit que chaque homme a de fe donner la mort , dès Qu'il trouve fa vie malheureufe. Il s'étonne que quelques Philofophes ayent pu penfer différemment. Quelle magnifique def- cription nous fait -il de la mort de Caton(a) ! Quelles louanges ne donne- t-il pas à ce jeune Lacédémonien , qui aima mieux fe calfer la tête que de faire le fervice des Efclaves (b) ! à cet Allemand deftiné au combat des bêtes , qui avala l'éponge qui fervoit à nettoyer les ordures ( c ) ! Mais rien ne fait mieux connoître le peu de cas que les Stoïciens faifoient de la vie , que l'hit toire qu'il ajoute : Marcellinus , ennuyé d'une longue maladie , héfitoit à fe donner la mort , & cherchoit qui l'en- courageât : Tu fais bien des conjultations pour peu de chofe ? lui dit un Philofo- phe de cette fefte ? qu'il avoit envoyé chercher : la vie nejî rien , tu la par- laves avec les Efclaves & les animaux / ( a ) Scnec, de Provid. cap. Ih (b) Idem , Epift. LXXVIL (c) Idem, Epift, LXX. de Philosophie morale. 229 mais la mort peut être belle. Et il ne fi pas néceffaire ? pour J avoir mourir , d'être fort brave ? ni fort malheureux ; il fuffit d'être ennuyé. Marceliinus perfuaclé , accomplit fon deffein par une mort que Seneque appelle délicieufe ( a ). On ne peut pas douter que cette queftion , du droit que l'homme a fur fa vie , ne dépende des idées qu'il a d'une Divinité qui lui permet ou qui lui défend d'en difpofer ; de la morta- lité , ou de l'immortalité de l'ame. Il eft donc certain que la Religion des Stoïciens les laiffoit libres à cet égard. Il nous feroit fort difficile de déter- miner quelles étoient précifément leurs idées fur la Divinité. L'un définiflbk Dieu , un être heureux , éternel , bien- faifanî. L'autre faifoit des Dieux des différens ordres. Zenon ne reconnut d'autre Dieu que l'Univers* Si ces Philofophes- paroiffent avoir eu quelquefois des idées plus élevées de la Divinité , ils n'en eurent guère de plus diftinftes. Croire des Dieux , & croire une (a) Senec. Epift. LXXVlh P iîj «30 Essai Providence , n'étoit pas , chez les an- ciens Philofophes , une même chofe. lis ne voyoient en Dieu la néceffité y ni d'être unique , ni éternel , ni la caufe libre & prévoyante de tout ce qui arrive dans F Univers. Les Dieux y félon plufieurs , n'étoient que des êtres fans intelligence , fans aftion 3 inutiles pour le gouvernement du Monde. Si quelquefois les Stoïciens parlent d'une Providence , & de l'empire des Dieux 9 leurs difcours font plutôt des déclama- tions que des difcours dogmatiques. Us ne furent , ni plus d'accord , ni plus éclairés fur la nature de notre ame. La plupart la prirent pour une matière fubtile ^ ou un écoulement de la Divinité. Les uns la regardèrent comme fe diffipant à la mort ; les au- tres 5 comme fe réunifiant à la fource dont elle étoit fortie. Mais y portoit- elle , y confervoit-elle le fouvenir de fon état précédent ? Tout ce qui nous refte de ces Philofophes eft rempli fur cette matière , non feulement d'obfcu- rités , mais même de contradictions. Ce qui paroît certain ? & c'eft ce de Philosophie morale. 231 qui eft bien étrange , c'eft que les Stoï- ciens regardoient ces queftions comme indifférentes pour la conduite des mœurs. On voit dans piufîeurs endroits des ouvrages de ces grands maîtres de morale 3 qu'ils laiffent ces chofes dans un doute 9 dont il ne paroît pas qu'ils fe mettent en peine de fortir. Cependant , avec auffi peu de fyf- îême fur les Dieux 5 la Providence , & l'immortalité de l'ame , les Stoïciens femblent être parvenus là où nous ne parvenons que par la connoiffance d'un Dieu qui punit & récompenfe une ame immortelle , par l'efpérance d'un bon- heur éternel ? ou par la crainte d'être éternellement malheureux. C'eft un myftere difficile à compren- dre , fi l'on n'a pas confidéré les chofes comme nous l'avons fait. Et un iliuftre Auteur , à qui nous devons l'excellente hiftoire critique de la Philofophie % pour n'avoir pas fait ces réflexions , me femble avoir avec un peu de pré- cipitation accufé les Stoïciens cFincon? féquence , ou de mauvaife foi (a)*. ( a Y Bift. cru, de U PhïU tr IL chap. 28, P iv i^i Essai Le feul amour du bonheur fuffifoit pour conduire le Stoïcien au retran- chement de tout. Perfuadé que dans cette vie les maux furpaffent toujours les biens 9 il trouvoit de l'avantage à fe priver des plaifirs pour s'épargner les peines , & à détruire toute fenfibi- lité. Si la Nature ne permettoit pas qu'il fut heureux ? l'art le rendoit im- paffible. CHAPITRE VI. Des moyens que le Chrijlianifme propofe pour être heureux. T O i l a jufqu'où la raifon feule put atteindre : voyons mainte- nant lî la raifon éclairée d'une nou- velle lumière peut aller plus loin ; fi elle peut nous enfeigner des moyens plus sûrs pour parvenir au bonheur , ou du moins pour rendre notre condi- tion meilleure. Je n'examine ici la Religion que par rapport à cet objet : je ne relevé de Philosophie morale. 233 point ce qu'elle a de divin ? ni ne m'arrête aux difficultés que peuvent faire à notre efprit {es Myfteres : je ne confidere que les règles de conduite qu'elle prefcrit , & les fuites néceffaires de ces règles par rapport au bonheur de la vie préfente. On prit le Chriftia- nifme naiffant pour une nouvelle fefte de Philofophie. Ne l'envifageons pas autrement : comparons la morale de l'Evangile à celle des Stoïciens. Quelques Auteurs , par un zèle peu judicieux 5 ont voulu trouver dans la morale de ces Philofophes la morale du Chriftianifme. On eft furpris de voir combien le favant Dacier s'eft donné de peine pour cela , & qu'il n'ait pas fenti la différence extrême qui fe trou- ve entre ces deux Pliilofophies , quoi- que la pratique en paroiffe au premier coup d'œil la même. Aveugle à ce point , il n'a cherché qu'à donner un lens chrétien à tout ce qu'il a traduit. Il n'eft pas le premier qui foit tombé dans cette erreur : nous avons une vieille paraphrafe d'Epiftete , attribuée à un Moine grec ? dans laquelle on 134 E s s a i trouve EpiSete & l'Evangile également défigurés. Un Jéfuite plus homme d'efprit (a) a mieux fenti la différence des deux Philofophies , quoiqu'il ait encore fait im parallèle qui femble les rapprocher. Le rapport qui fe trouve entre les - mœurs extérieures du Stoïcien & du Chrétien a pu faire prendre le change à ceux qui n'ont pas confidéré les cho- ies avec allez d'attention. ? ou avec la jufteffe néceffaire : mais au fond il n'y a rien qui admette fi peu de concilia- tion ; & la morale d'Epicure n'eft pas- plus contraire à la morale de l'Evangile que celle de Zenon. Cela n'a pas befoin d'autre preuve que l'expofition du fyf- îême ftoicien que nous venons .de faire , & l'expofition du fyftême chré- tien. La fomme du premier fe réduit à ceci : Ne penje quà toi ; facrifie tout à ton repos, La morale du Chrétien fe réduit à ces deux préceptes : Aime Dieu de tout ton cœur : aime les autres hom- mes comme toi-même. Pour bien comprendre le fensde ces ( a ) Le P. Mourgues^ jde Philosophie morale. 235 dernières paroles , il faut favoir ce que le fyftême chrétien nous enfeigne par rapport à Dieu > & par rapport à l'homme. Dieu eft l'Ordre éternel , le Créateur de l'Univers , l'Etre tout-puiffant , tout fage & tout bon. L'homme eft fon ouvrage , compofé d'un corps qui doit périr , & d'une anie qui durera éter- nellement. Ces deux idées établies fuffifent pour faire connokre la juftice & la nécelïïté de la morale chrétienne. Aimer Dieu de tout fon cœur , c'eft être entièrement fournis à Tordre , n'a- voir d'autre volonté que celle de Dieu , & ne fe regarder que par rapport à ce qu'on eft à fon égard. Aimer les autres hommes comme foi- même , n'eft que la faite du premier précepte. Celui qui aime Dieu parfai- tement ? doit aimer l'homme qui eft fon ouvrage : celui qui n'aime rien que par rapport à Dieu , ne doit fe donner aucune préférence. 11 n'eft pas difficile de voir que l'ac- compliftement de ces préceptes eft la £j6 Essai fomce du plus grand bonheur qu'on puiffe trouver dans cette vie. Ce dé- vouement univerfel procurera non feu- lement la tranquillité ; mais Famour y répandra une douceur , que le Stoï- cien ne connoît point. Celui-ci tou- jours occupé de lui-même , ne penfe qu'à fe mettre à l'abri des maux : pour celui-là il n'eil plus de maux à craindre. Tout ce qui peut nous arriver de fâcheux dans l'état naturel vient , ou de caufes purement phyfîques , ou de îa part des autres hommes. Et quoi- qu'on pût réduire ces deux genres d'accidens à un feul principe , le Stoï- cien & le Chrétien les ont confidérés fous des afpeâs différens , dans la pra- tique de leur morale , & ont cherché différens motifs pour les fupporter. Le Stoïcien prend les accidens phy- fiques pour des arrêts du Deftin , aux- quels il doit fe foumettre , parce qu'il feroit inutile d'y réfïiter. Dans le mal que lui font les hommes il n'eft frappé que du défaut de leur jugement : il les regarde comme des brutes ? & ne veut de Philosophie morale. 237 pas croire que de tels hommes puiffent î'offenfer. Un Deftin inflexible ? des hommes infenfés ; voilà tout ce qu'il voit : c'eiî: dans ces circonstances qu'il doit régler fa conduite. Mais fon état peut-il être tranquille ? Les maux en font-ils moins cruels , parce qu'ils font fans remède ? Les coups en font-ils moins fenfibles 3 parce qu'ils partent d'une main qu'on méprife ? Le Chrétien envifage les chofes bien différemment. Le Deftin eft une chi- mère : un Etre infiniment bon règle tout , & a tout ordonné pour fon plus grand bien. Quelque chofe qu'il lui arrive , il ne fe foumet point parce qu'il feroit inutile de réfifter ; il fe foumet parce qu'il applaudit aux décrets de la Providence , parce qu'ii en connoît la juftice & la bonté. Il ne méprife point les hommes pour s'empêcher de les haïr y il les refpe&e comme l'ouvrage de Dieu , & les aime comme fes frères. Il les aime lorf- qu'ils l'offenfent , parce que tout le mal qu'ils peuvent lui faire n'eft rien 238 Essai au prix des raifons qu'il a pour les aimer. Autant que les motifs du Stoïcien répandent de trifteffe fur fa vie ? autant ceux du Chrétien rempliffent la fienne de douceur : il aime 9 il adore ? il bénit fans ceffe. Jupiter & Deflin , faites -moi faire ce que vous aver ordonné : car fi fy voulois manquer y je deviendrais crimi- nel $ & il le faudroit bien faire pour- tant (a). Il fuffit de comparer cette prière avec celle du Chrétien , pour connoître la différence qui eft entre ces deux Philofophies. Quant aux biens que le Stoïcifme & le Chriftianifme promettent , com- ment pourroit-on les comparer ? L'un borne tous fes avantages à la vie pré- fente : l'autre , outre ces mêmes avan- tages 9 qu'il procure bien plus sûre- ment , en fait efpérer d'autres devant lefqueîs ceux-ci ne font rien. Le Stoï- cien & le Chrétien doivent être tou- jours prêts à quitter la vie : mais le pre- mier la quitte pour retomber dans le ( a ) Epicl. Mari. §. Z. i>e Philosophie morale, i néant , ou pour fe perdre dans l'aby- me des êtres ; le fécond , pour com- mencer une nouvelle vie éternellement heureufe. Tous les biens que promet la Phiiofophie ftoïcienne fe réduifent à un peu de repos pendant une vie très - courte : mais un tel repos vaut- il ce qu'il en coûte pour y parvenir ? Oui , dans la fuppofition d'une def- truftion totale , ou d'un avenir tel que l'avenir des Stoïciens , celui qui d'un feul coup s'affranchit de tous les maux de la vie eft plus fage que celui qui fe confume en efforts pour parvenir à ne rien fentir. Après avoir examiné les principes du Stoïcien & ceux du Chrétien , en tant qu'ils fe rapportent immédiate- ment au bonheur de celui qui les fuit ; confidérons - les maintenant fous un autre afpeft , par rapport au bonheur de la fociété en général. Si l'on n'avoit pas fend toute la différence qui eft entre les deux mo- rales : fi l'on avoit pu les confondre , en les confidérant dans chaque indi- vidu : c'eft ici Qu'elles laiffent voir la 140 Essai diftance immenfe qui eft entre elles. Quand le Stoïcien feroit parvenu à être heureux ? ou impaffible , on peut dire qu'il n'auroit acquis fon bonheur , ou fon repos ? qu'aux dépens des au- tres hommes , ou du moins en leur refufant tous fes fe cours. Peu t'importe 9 dit le grand Dofteur de cette fefte , que ton valet foit vicieux , pourvu que tu conferves ta tranquillité (a). Quelle différence entre cette difpofition de cœur , & les fentimens d'humanité & de tendreffe que le Chrétien a pour tous les hommes ! occupé fans ceffe du foin de leur être utile , il ne craint , ni fatigues , ni périls : il traverfe les mers , il s'expofe aux plus cruels fupplices , pour rendre heureux des hommes qu'il n'a jamais vus. Qu'on fe repréfente deux ifles , l'une remplie de parfaits Stoïciens , l'autre de parfaits Chrétiens. Dans l'une , cha- que Philofophe ignorant les douceurs de la confiance & de l'amitié y ne penfe qu'à fe fequeilrer des autres hommes : il a calculé ce qu'il en pouvoit atten- (a) Eplt'L Matin eh. XL , dre, de Philo Sophie morale. 141 dre , les avantages qu'ils pouvoient lui procurer , & les torts qu'ils pouvoient lui faire ; & a rompu tout commercé avec eux. Nouveau Diogenes _, il fait confjfter fa perfection à occuper un tonneau plus étroit que celui de fon voifin. Mais quelle harmonie vous trouve- rez dans l'autre ifle ! Des befoins qu'une vaine Philofophie ne fauroit diffimuler , toujours fecourus par la juftice & la charité , ont lié tous ces hommes les uns aux autres. Chacun , heureux du bonheur d' autrui ? fe trouve heureux encore des fecours que dans fes mal- heurs il lui prête. fflJ.^fJ«Maim,#!H~.BMttJ«-'.W-Wjgf CHAPITRE VIL Réflexion fur la Religion. Ous n'avons confidéré jufqu'ici le Chriftianifme que comme un fyftême de Philofophie. Il eft certain qu'il contient les vraies règles du bon- heur : & s'il n'y avoit que la morale Œuv. de Maup. Tom. I. Q ±41 Essai de l'Evangile à établir , il n'y a aucun homme raifonnable qui refusât de s'y foumettre. Il n'eft pas nécefïaire de re- garder le Chriftianifme comme divin , pour le fuivre quant aux règles prati- ques qu'il enfeigne \ il foffit de vouloir être heureux , & de raifonner jufte. Mais le Chriftianifme n'eft pas feu- lement un fyftême de Philofophie 5 c'eft une Religion \ & cette Religion , qui nous prefcrit des règles de conduite dont notre efprit découvre fi facilement l'excellence , nous propofe des dogmes de fpéculation qu'il ne fauroit com- prendre. C'eft fous ce nouvel afpeâ que nous allons confidérer le Chriftianifme. Nous venons de voir l'avantage qu'on trouve à pratiquer fes préceptes ; voyons les raifons qui peuvent nous porter à rece- voir fes dogmes. Ces dogmes > fi on les envifage féparés & indépendans du fyftême entier de la Religion , ne fauroient que révolter notre efprit. Ce font des propofitions éloignées de toutes nos connoiflances , des Myfteres incompréheniîbles pour de Philosophie morale. 243 nous. Nous ne faurions donc les ad- mettre que comme révélés , & fur la foi de la Divinité même. En les considérant de la forte , on trouve encore bien des difficultés. Tou- tes les Religions ont leurs dogmes , & toutes donnent ces dogmes pour des vérités révélées. Pour établir les preuves de la révéla- tion , on cite les miracles : toutes les Religions encore citent les leurs. Ce font là les points principaux fur lefquels les incrédules fondent leurs objeéHons : & ce n'efl: pas une petite entreprife que de leur faire voir la différence qui fe trouve entre la révé- lation des Chrétiens , & celle des au- tres peuples. Un avantage qu'a la Religion chré- tienne , & dont aucune autre ne peut fe vanter , c'eft d'avoir été annoncée un grand nombre de fiecles avant qu'on la vît éclorre , dans une Religion qui conferve encore ces témoignages, quoi- qu'elle foit devenue fa plus cruelle ennemie. De grands hommes femblent avoir Qij 144 Essai dit fur cette matière tout ce qu'on pou- voit dire de plus fort. M'en rapportant fur cela à eux , je me propofe feulement ici quelques confidérations nouvelles. Je refpe&e le zèle de ceux qui croient pouvoir , par la feule force de leurs argumens , convaincre l'incrédule \ & démontrer à la rigueur la vérité du Chriftianifme : mais je ne fais fi l'en- treprife eft poffible. Cette conviâion étant le pas décifif vers le falut , il femble qu'il foit néceffaire que la grâce & la volonté y ayent part. Cependant 5 quoique la lumière de notre raifon ne puiffe peut-être pas nous conduire à des démonstrations rigou- reufes , il ne faut pas croire qu'il n'y ait que ce genre de preuves qui foit en droit d'affujettir nos efprits. Si la Religion étoit rigoureufement démontrable , tout le Monde feroit Chré- tien 5 & ne pourroit pas ne le pas être ; on acquiefceroit aux vérités du Chrif- tianifme 9 comme on acquiefce aux vérités de la Géométrie , qu'on reçoit parce qu'on les voit 9 ou dans leur évi- dence ? ou dans le témoignage univer* de Philosophie morale. 245 fel des Géomètres. Il n'y a perfonne 9 parmi ceux -mêmes qui ne font pas capables de fuivre les démonftrations ? qui ait le moindre doute fur la vérité des proportions d'Euclide : c'eft que le consentement de tous lés hommes fur une chofe qu'ils ont examinée ? fait une probabilité infinie que celui qui l'exa- minera la trouvera telle qu'ils Font trouvée : & une telle probabilité eft pour nous une dérnonftration rigou- reufe. Je dis auflî que fi l'incrédule avoit des armes vi&orieufes contre les dog- mes du ChrifKanifme 9 û ces dogmes étoient tels qu'on en pût démontrer l'impoffibilité ; je dis que perfonne ne feroit Chrétien , ni ne pourroit l'être. Ces deux propofitions font des fuites néceffaires de l'empire de l'évidence , qui captive entièrement notre liberté. Je n'examine point ici ce que difent quelques-uns , qu'il y a des hommes , qui perfuadés au fond du cœur de la vérité de la Religion ? la démentent par leurs aftions : le cas eft impofîible. Cependant, en difant que l'impie ne Q H 246 Essai fauroit trouver de contradi£Kon dans nos dogmes^ & que le Chrétien n'en fauroit démontrer rigoureufement la vérité 5 à Dieu ne plailë qu'on croie que je regarde le problême comme égal pour l'un & pour l'autre. Si le dernier degré d'évidence nous manque , nous avons des preuves allez fortes pour nous perfuader. La vérité de la Religion a fans doute le degré de clarté qu elle doit avoir pour laiffer l'ufage néceffaire à notre volonté. Si la raifon la démontroit à la rigueur , nous ferions invinciblement forcés à la croire ? & notre foi feroit purement paffive. Le grand argument des efprits forts contre nous eft fondé fur l'impoffibi- lité de nos dogmes : & en effet , fi ces dogmes étoient impoffibles , la Reli- gion qui ordonne de les croire feroit détruite. Quelque captieux qu ayent été fur ce point les raifonnemens de quelques incrédules , ceux qui liront les réponfes qui y ont été faites par des hommes bien fupérieurs (a) verront ( a ) Leibnh^ 9 Malchanchs , &c. BePhUOSÔPHIE MGB.ALE. l^J combien tous ces raifonnemens font frivoles. Jamais on ne fera voir d'irnpoffibi- lité dans les dogmes que la Religion chrétienne enfeigne. Ils paroiflent obf- curs y & ils doivent le paroître. Si Dieu a révélé aux hommes quelque chofe des grands fecrets fur lefquels il a formé fon plan , ces fecrets doivent être pour nous incompréhenfibles. Le degré de clarté dépend de la proportion entre les idées de celui qui parle , & les idées de celui qui écoute : & quelle dilproportion , quelle incommenfura- bilité ne fe trouve-t-il point ici ! Je dis plus. Si quelqu'un des Écri- vains facrés eût été tellement infpiré 7 qu'au lieu de nous donner quelques dogmes détachés , il nous eût déduit ces dogmes de leur dépendance avec le plan général de la Divinité \ il n'y a nulle apparence que nous y euffions pu rien comprendre. Les principes dont il eût fallu partir étoient trop élevés , la chaîne des proportions étoit trop longue ; on ne peut guère douter que des idées d'ordres tout-à-fait différens Qiv 248 Essai de celles que nous pouvons avoir n'en- traffent dans ce plan. Pouvoit - on croire que le fyftême général que Dieu a fuivi ; dans lequel , non feulement le phyjîque , le moral , le métaphyfique , font combinés y mais dans lequel fans doute entrent encore bien d'autres ordres , pour lefquels nous n'avons ni termes ni idées ; pouvoit- on , dis - je , croire qu'un tel fyftême fût à la portée des hommes , quand on voit ce qu'il leur en coûte pour con- noître quelque petite partie du fyftême du Monde phyiîque , combien peu d'efprits font capables d'y parvenir , & combien il eft douteux que les plus favans y foient parvenus ? L'expofîtion du plan général auroit donc été inutile aux hommes. Il étoit fans doute néceffaire qu'ils en connut fent quelques points : mais la vue de leur connexion avec le tout étoit im- poffible y & il falloit que , par quelque principe qui fut à leur portée y ils fe fcumiffent à ce que leur efprit ne pou- voit comprendre. Qu'on ne croye pas que nos dogmes L de Philosophie morale. 249 ayent ici le moindre défavantage ; ni que d'autres Religions , ni d'autres feftes de Philofophie ., donnent des réponfes plus fatisfaifantes fur toutes les grandes queitions qu'on peut leur faire. Il îuffit , pour connoître leur irnpuif- fance , de jeter la vue fur les fyftêmes que les plus grands Philofophes de l'An- tiquité , ou que ceux de nos jours qui fe font piqués de s'être le plus affran- chis de préjugés , ont propofés. Une Divinité répandue dans la matière , un Univers Dieu y un même être dans lequel fe trouvent toutes les perfeftions & tous les défauts , toutes les vertus & tous les vices , fufceptible de mihVmo- difications oppofëes , eft-il plus facile à concevoir que le Dieu du Chrétien ? Un être penfant qui fe diffipe ou s'a- néantit à la mort , fe conçoit-il mieux qu'un être fimple qui fubfifte & con- ferve fa nature , malgré la féparation des parties du corps qu'il animoit ? Une fuite fans commencement d'hommes & d'animaux , ou une produftion d'êtres organifés par la rencontre fortuite des atomes ? eiî - elle plus croyable que z$o Essai Fhifloire de la Genefe ? Je ne parle point des fables que les autres ont imagi- nées pour expliquer la formation de F Univers» De tous côtés on ne trou- vera qu'abfurdités : & plus on y pen- fera 9 plus on fera forcé d'avouer que Dieu , la Nature & l'homme , font des objets qui paifent toutes nos idées , & toutes les forces de notre efprit. Ne pouvant admettre pour juge fur ces matières une raifon fi peu capable de les comprendre , n'y a-t-il donc point quelque autre moyen par lequel nous puiffions découvrir la vérité ? Si l'on réfléchit attentivement fur ce que les plus grands Philo fophes de tous les temps & de toutes les fectes , qui ont fait de la recherche du bonheur leur principale étude , ont manqué leur but > & fur ce que les vraies règles pour y parvenir nous ont été données par des hommes fimples & fans fcience -, on ne pourra s'empêcher d'être frappé cFétonnement , & de foupconner du moins qu'un plus grand Maître que tous ces Phitofophes avoit révélé ces règles à ceux de qui nous les tenons* de Philosophie morale, ijt Mais voici un argument qui me paroît plus clireft & plus fort. S'il y a un Dieu qui prenne foin des chofes d'ici bas , s'il y a des vérités que tous les hommes doivent recevoir , & fur lefquelles la lumière naturelle ne puiffe immédiatement les inftruire , il faut qu'ils y puiffent parvenir par quel- que autre voie. Il eft un principe dans la Nature , plus univerfel encore que ce qu'on appelle la lumière naturelle , plus uni- forme encore pour tous les hommes , auffi préfent au plus ftupide qu'au plus fubtil : c'eft le defir d'être heureux. Sera- ce un paradoxe de dire que c'eft de ce principe que nous devons tirer les règles de conduite que nous devons obferver , & que c'eft par lui que nous devons reconnaître les vérités qu'il faut croire ? Voici la connexion qui eft entre ces chofes. Si je veux ■ m'inftruire for la nature de Dieu , fur ma propre nature , for l'origine du Monde 9 for fa fin , ma rai- fcn eft confondue ; & toutes les {e£tes me laiffent dans la même obfcurité. 2<}Z E S S A I , &C. Dans cette égalité de ténèbres , dans cette nuit profonde , fi je rencontre le. fyftênie qui eft le feul qui puiffe rem- plir le defir que j'ai d'être heureux , ne dois -je pas à cela le reconnoître pour le véritable ? Ne dois-je pas croire que celui qui me conduit au bonheur eft celui qui ne fauroit me tromper ? C'eft une erreur ? c'eft un fanatifme , de croire que les moyens -doivent être oppofés , ou différens , pour parvenir à un même but , dans cette vie ? & dans une autre vie qui la fuivra : que pour être éternellement heureux , il faille commencer par s'accabler de trifteffe & d'amertume. C'eft une impiété de penfer que la Divinité nous ait détournés du vrai bonheur , en nous offrant un bon- heur qui lui étoit incompatible. Tout ce qu'il faut faire dans cette vie -pour y trouver le plus grand bonheur dont notre nature foit capable ? eft j ans. doute cela même qui doit nous conduire au bonheur éternel. Fin de l'Effai de Philofophie morale. IÉFLEXIONS PHILOS OPHIQI/ES SUR ORIGINE DES LANGUES % E T LA SIGNIFICATION DES MOTS. 2 5 "fejMsaaa^BaKgsE^KaaaMeaaBgKa^ H 'Écrit qu'on donne ici était de- meuré pendant quelques années dans l'obfcurité, La rareté des exemplaires 9 dont on n'avoit imprimé qu'une douraim pour quelques amis ^ la difficulté de la matière qu'il traite ? enfin peut-être fa jufie valeur ? l'avaient laiffé prefque inconnu* Lorfque le Libraire Waltker le fit paraître l'année dernière dans un recueil de mes Ouvrages , plufieurs Lecteurs le regardèrent comme quelque chofe d'inin* telligible $ d'autres n'y virent que des réflexions fort communes \ Entre ces deux extrémités y j'en aurais laiffé penfer tout ce qu'on aurait voulu y î56 AVERTISSEMENT. fi l'on ne m'eût fait lire le jugement qu'en a porté un homme tout autrement éclaire que ces Critiques. Mais fi ce ju- gement ne pouvoit m' être indiffèrent par l'autorité de celui qui le portoit 5 il me devenoit encore bien plus intéreffant par les foupçons qu'il faifoit naître. M. Boindin , qui av oit fans doute vu les Réflexions philofophiques fur l'ori- gine des Langues , avant qu'elles fuffent publiques , & quon en connût l'Auteur , avoit fait fur cet Ouvrage des remar- ques fort obligeantes dans unfensy mais que je me flatte qu'il nauroit jamais publiées. Ces remarques commencent ainfi* II ne faut pas demander de qui eft cet ouvrage ? La petiteffe du vo- lume j la précifîon géométrique qui . 7 AVERTISSEMENT. 257 y règne , & les doutes métaphysiques dont il eft rempli , en décèlent affez FAuteur 9 & feraient foupçonner que £es recherches fur l'origine des Langues n'en font que le prétexte. Je ne me laiffe point prendre par ce début. Tout ce que dit M. Boindin d * avantageux pour moi tourne roit contre 9 fi ce qu'il injinue enfuite étoit fondé» Plus un ouvrage de cette nature auroit de précijîon & de Géométrie 5 plus il pourroit être pernicieux* Mais je me crois fi fur de détruire de tels foupçons 9 que je ne crains point de remettre fous les yeux du Lecteur les remarques de M. Boindin , qu'on trouvera à la fin de cet écrit 9 pourvu qu'on life enfuite avec attention ce que jy réponds , ou ce que j'explique* Œuv. de Maup. Tom, L R 159 s*S& à 4 i 1 «* ,# ^x^^Vfc*. %, |& ■ ■ 7 "-. mm nr^TOCT;F7CT:irTrair7r^ SI RÉFLEXIONS PHILOSOPHIQUES SUR r ORIGINE DES LANGUES, ET LA SIGNIFICATION DES MOTS. L B^-^j^M E S fignes par lefquels les I L F hommes ont dénVné leurs ^ttiFt^ premières idées ont tant din^ fluence fur toutes nos connoiffances 9 que je crois que des recherches fur l'origine des Langues , & fur la ma- niere dont elles fe font formées ^ îTiéritent autant d'attention , & peuvent utiles dans "étude de la i6o Réflexions Phiîofophie que d'autres méthodes qui bâtiffent fouvent des fyftêmes fur des mots dont on n'a jamais approfondi le fefts. I I. On voit affez que je ne veux pas parler ici de cette étude des Langues dont tout l'objet eft de favoir que ce qu'on appelle pain en France s'appelle bread à Londres : plufieurs Langues ne paroiffent être que des traduftions les unes des autres y les expreïîions des idées y font coupées de la même ma- nière , & dès - lors la comparaifon de ces Langues entre elles ne peut rien nous apprendre. Mais on trouve des Langues 9 fur -tout chez les peuples fort éloignés , qui femblent avoir été formées fur des plans d'idées fi diffe- rens des nôtres ? qu'on ne peut pref» que pas traduire dans nos Langues ce qui a été une fois exprimé dans celles- là. Ce feroit de la comparaifon de ces Langues avec les autres qu'un efprit philofophique pourroit tirer beaucoup d'utilité. PHILOSOPHIQUES. l6l I I I. Cette étude eft importante , non feulement par l'influence que les Lan- gues ont fur nos connoiffances ^ mais encore parce qu'on peut retrouver dans la conftruftion des Langues des veftiges des premiers pas qu'a fait Fefprit humain. Peut-être fur cela les jargons des peuples les plus fauvages pourraient nous être plus utiles que les Langues des nations les plus exer- cées dans l'art de parler 9 & nous apprendroient mieux Fhiftoire de notre efprit. A peine fommes-nous nés , que nous entendons répéter une infinité de mots qui expriment plutôt les préjugés de ceux qui nous environnent , que les premières idées qui naifîent dans notre efprit : nous retenons ces mots , nous leur attachons des idées confufes 5 & voilà bientôt notre provifion faite pour tout le refte de notre vie , fans que le plus fouvent nous nous foyons avi- fés d'approfondir la vraie valeur de ces mots , ni la fureté des connoiflan- ces qu'ils peuvent nous procurer ^ ou R iij %6l RÉFLEXIONS bous faire croire que nous poiTédons* I V. Il eft vrai que , excepté ces Langues qui ne paroiffent que les tradu&ions des autres , toutes les autres éîoient fimples dans leurs commencemens. Elles ne doivent leur origine qu'à des hommes fimples & groffiers , qui ne formèrent d'abord que le peu de lignes dont ils avoient befoin pour exprimer leurs premières idées. Mais bientôt les idées fe combinèrent les unes avec les autres , & fe multiplièrent ; on multi- plia les mots , & fouvent même au-delà du nombre des idées* Cependant ces nouvelles expreffions .qu'on ajouta dépendirent beaucoup des premières 9 qui leur fervirent de bafes : & de - là eft venu que dans les mêmes contrées du Monde , dans celles où ces baies ont été les mêmes , les efprits ont fait aflez le même chemin , & les fciences ont pris à peu près le même tour. PHILOSOPHIQUES, l6$ V L Puifque les Langues font forties de cette première (implicite 5 & qu'il n'y a peut-être plus au Monde cie peuple allez (auvage pour nous inftruire dans la recherche d'une /vérité pure que chaque génération a obfcurcie ? & que d'un autre coté les premiers mo mens de mon exiftence ne fauroient me (ervir dans cette recherche ; que j'ai perdu totalement le Convenir de mes premières idées 9 de Fétonnernent que me caufa la vue des objets lors- que j'ouvris les yeux pour la première fois , & des premiers jugemens que je portai dans cet âge , où mon ame plus vuide d'idées m'auroit été plus facile à connoître qu'elle ne. l'eft aujourd'hui , parce qu'elle étoit 5 pour ainfi dire , plus elle-même ; puifque , dis - je , je fuis privé de ces moyens de m'inftruire , & oue je fuis obligé de recevoir une infinité d'exoreiiions étaolies , ou du moins de m'en fervir 9 tâchons d'en connoître le fens , la force & l'éten- due : remontons à l'origine des Langues, Riv ^ 264 RÉFLEXIONS & voyons par quels degrés elles fe font formées* VIL Je fuppofe qu'avec les mêmes facul- tés que j'ai d'appercevoir & de rai- sonner , j'euffe perdu le fouvenir de toutes les perceptions que j'ai eues jufqu ici , & de tous les raifonnemens que j'ai faits ; qu'après un fommeil , qui m'auroit fait tout oublier 9 je me trouvante fubitement frappé de per- ceptions telles que le hafard me les préfenteroit ; que ma première per- ception fût , par exemple , celle que j'éprouve aujourd'hui , lorfque je dis , je vois un arbre ; qu'enfuite j'euffe la même perception que j'ai aujourd'hui , lorfque je dis , je vois un cheval : dès que je recevrois ces perceptions ^ je verrois auffi - tôt que l'une n'eft pas l'autre , je chercherois à les distin- guer ; & comme je n'aurois point de Langage formé , je les diftinguerois par quelques marques , & pourrois me contenter de ces expreffions 3 À & B ? pour les mêmes chofes que P H I L 0 S 0 P H I QU E S. ±6<} j'entends aujourd'hui , lorfque je dis ? je vois un arbre ? je vois un cheval. Recevant enfuite de nouvelles per- ceptions , je pourrois toutes les dési- gner de la forte ; & lorfque je dirois 5 par exemple , R , j'entendrois la même chofe que j'entends aujourd'hui ? lorf- que je dis ? je vois la mer. VIII. Mais parmi ce grand nombre de perceptions , dont chacune auroit fon ligne 9 j'aurois bientôt peine à distin- guer à quel Signe chaque perception appartiendroit ; & il faudroit avoir recours à un autre Langage. Je re- marquerois que certaines perceptions ont quelque chofe de fèmblable , & une même manière de m'affeôer, que je pourrois comprendre fous un même fîgne. Par exemple , dans les percep- tions précédentes 9 je remarquerois que chacune des deux premières a certains carafteres qui font les mêmes , & que je pourrois défigner par un Signe commun : c'eft ainSi que je change- rois mes premières exprefîlons Simples KEFLEXîONS A & B en celles-ei , CD, CE 5 qui ne différeroient des premières que par cette nouvelle convention , & qui ré- pondroient aux perceptions que j'ai maintenant , lorfque je dis , je vois un arbre , je vois un chevaL IX. Tant que les carafteres femblables de- mes perceptions demeureroient les mêmes , je les pourrois défîgner par le feul figne C : mais j'obferve que ce figne fimple ne peut plus fubfifter lorfque je veux défigner les percep- tions , je vois deux lions > je vois trois corbeaux $ & que pour ne déligner dans ces perceptions par un même figne que ce qu'elles ont d'entièrement fembla- ble , il faut fubdivifer ces fignes , & augmenter le nombre de leurs parties : je marquerai donc les deux percep- tions , je vois deux lions 9 je vois trois corbeaux , par CGH&CÏK; & j'acquerrai ainfi des fignes pour des parties de ces perceptions qui pour- voient entrer dans la compofition des fignes dont je me fervirai pour exprimer PHILOS O P H I (IV ES. l6j d'autres perceptions qui auront des par- ties femblables à celles des deux per- ceptions précédentes. .A.. Ces carafteres , H&K, qui répon- dent à lions & à corbeaux , ne pourront fuffire que tant que je n'aurai point à faire la defcription de lions & de cor-* beaux : car û je veux analyfer ces parties de perceptions , il faudra en- core fubdivifer les fignes. X I. Mais le caraftere C , qui répond à je vois , fub(ifi:era dans toutes les per- ceptions de ce genre ; & je ne le changerai que lorfque j'aurai à défigner des perceptions en tout différentes y comme celles-ci , y entends des fons 5 je fens des fleurs ? &c. X I I. C'eft ainfi que fe font formées les Langues. Et comme les Langues une fois formées peuvent induire dans s erreurs ? & altérer toutes nos 268 RÉFLEXIONS connoiffances vil eft de la plus grande importance de bien connoître l'origine des premières propositions , ce quelles étoient avant les Langages établis , ou. ce ou elles feroient fi l'on avoit établi d'autres Langages. Ce que nous appel- Ions nos fciences dépend fi intimement des manières dont on s'eft fervi pour défigner les perceptions , qu'il me fem- ble que les questions & les propofitions feroient toutes différentes fi l'on avoit établi d'autres expreffions des premières perceptions. XIII. Il me femble qu'on n'auroit jamais fait ni queftions , ni propofitions ? fi l'on s'en étoit tenu aux premières ex- preffions fimples A , B , C , D , &c. Si la mémoire avoit été affez forte pour pouvoir défigner chaque perception par un figne (impie , & retenir chaque figne ? fans le confondre avec les au- tres , il me femble qu'aucune des queftions qui nous embarraffent tant aujourd'hui ne feroit jamais même entrée dans notre efprit $ & que ? dans P H I L 0 S 0 P H I QUE S. 269 cette occafion plus que dans aucune autre , on peut dire que la mémoire eft oppofée au jugement. Après avoir compofé 5 comme nous avons dit , les expreffions de différen- tes parties ? nous avons méconnu notre ouvrage : nous avons pris chacune des parties des expreffions pour des chofes ; nous avons combiné les chofes entre elles , pour y découvrir des rapports de convenance ou d'oppofition ; & de- là eft né ce que nous appelions nos fciences. Mais qu'on fuppofe pour un moment un peuple qui n'auroit qu'un nombre de perceptions affez petit pour pouvoir les exprimer toutes par des caractères fimples : croira-t-on que de tels hom- mes euffent aucune idée des queftions & des proportions qui nous occupent ? Et quoique les Sauvages & les Lappons ne foient pas encore dans le cas d'un auffi petit nombre d'idées qu'on le fuppofe ici ^ leur exemple ne prouve- î-il pas le contraire ? Au lieu de fuppofer ce peuple dont le nombre de perceptions feroit fi 27O RÉFLEXIONS refferré , fuppofons - en un autre qui auroit autant de perceptions que nous , mais qui auroit une mémoire aflez vafte pour les défigner toutes par des iip-nes fimples , indépendans les uns des autres , & qui les auroit en effet défignées par de tels fignes : ces hom- mes ne feroient-ils pas dans le cas des premiers dont nous venons de parler ? Voici un exemple des embarras où ont jeté les Langages établis, X I V. Dans les dénominations qu'on a données aux perceptions dans l'éta- biiffement de nos Langues , comme la multitude des fignes fimples furpaffoit trop l'étendue de la mémoire , & auroit jeté à tous momens dans la confufion , on a donné des fignes généraux aux parties qui fe trouvoient le plus fou- vent dans les perceptions , & l'on a défigné les autres par des fignes par- ticuliers , dont on pouvoir faire utage dans tous les fignes comppfés des expreffions où ces mêmes parties fe trouvoient : on évitoit par - là la mul- P H I L 0 S 0 P H I Q.27 E S* VJ\ tiplication des lignes fîmples. Lorfqu'on a voulu anaîyfer les perceptions ? on a vu que certaines parties fe trouvent communes à plufieurs 9 & plus fouvent répétées que les autres ; on a regardé les premières comme desfujets fanslefquels les dernières ne pouvoient fubfîfler. Par exemple , dans cette partie de percep- tion que j'appelle arbre , on a vu qu'il fe trouvoit quelque chofe de commun à cheval , à lion y à corbeau , &c. pen- dant que les autres chofes varioient dans ces différentes perceptions. On a formé pour cette partie uni- forme dans les différentes perceptions un figne général , & on l'a regardé comme la bafe ou le fujet fur lequel réfident les autres parties de perceptions qui s'y trouvent le plus fouvent jointes : par oppofition à cette partie uniforme des perceptions , on a défîgné les autres parties , plus fujettes à varier , par un autre figne général ; & c'eft ainfî qu'on s'eft formé l'idée de fubfiance ? attri- buée à la partie uniforme des percep- tions y & l'idée de mode 9 qu'on attri- bue aux autres. ZJZ RÉFLEXIONS X V. Je ne fais pas s'il y a quelque autre différence entre les fubftances & les modes. Les Philofophes ont voulu éta- blir ce caraftere diftinftif , que les premières fe peuvent concevoir feules , & que les autres ne le fauroient , & ont befoin de quelque fupport pour être conçues. Dans arbre 9 ils ont cru que la partie de cette perception qu'on appelle étendue , & qu'on trouve auflï dans cheval , lion y &c. pouvoit être prife pour cette fubjlance ; & que les autres parties , comme couleur ? figure 9 &c. qui différent dans arbre 9 dans cheval , dans lion , ne dévoient être re- gardées que comme des modes. Mais je voudrois bien qu'on examinât fi , en cas que tous les objets du Monde fuffent verds , on n'auroit pas eu la même raiibn de prendre la verdeur pour fubjlance. X V L Si Ton dit qu'on peut dépouiller l'arbre de fa verdeur ? & qu'on ne le peut P H ï L 0 $ O P H I QU E S. 273 peut pas de fon étendue : je réponds que cela vient de ce que dans le Langage établi on eft convenu d'appel- îer arbre ce qui a une certaine figure indépendamment de fa verdeur. Mais fi la Langue avoit un mot tout diffé- rent pour exprimer un arbre fans verdeur & fans feuilles , & que le mot arbre fût néceffairement attaché à la verdeur ^ il ne feroit pas plus poffible d'en retrancher la verdeur que l'étendue. Si la perception que j'ai Marbre eft bien fixée & limitée 9 on ne fauroit en rien retrancher fans la "détruire. Si elle n'eft compofée que détendue , fi- gure & verdeur ? & que je la dépouille de verdeur & figure ? il ne reliera qu'une perception vague d'étendue. Mais n'aurois- je pas pu par de fembla- bles abftraftions dépouiller Yarbre de X étendue & de la figure 9 & ne feroit- il pas refté tout de même une idée vap-ue de verdeur? XVII. Rien n'eft plus capable d'autorifer Œuv, de Maup. Tom. I, S 274 RÉFLEXIONS mes doutes fur la quefKon que je fais ici , que de voir que tous les hommes ne s'accordent pas fur ce qu'ils appel- lent fubfiance & mode. Qu'on interroge ceux qui n'ont point fréquenté les écoles \ & l'on verra , par l'embarras où ils feront pour diftinguer ce qui eft made & ce qui eft Jubjlance ? fi cette diftin&ion parok être fondée fur la nature des chofes. XVIII. Mais fi l'on rejette le jugement de ces fortes de perfonnes , ce qui ne me paroît pas trop raifonnable ici , où l'on doit plutôt confulter ceux qui ne font imbus d'aucune doftrine , que ceux qui ont embraffé déjà des fyftê- rnes ; fi l'on ne veut écouter que les Philofophes , on verra qu'ils ne font pas eux-mêmes d'accord fur ce qu'il faut prendre pour fubjlance & pour mode. Ceux-ci prennent Yefpace pour une fubftance , & croient qu'on le peut concevoir feul indépendamment de la matière : ceux-là n'en font au'un ■mode ? & croient qu'il ne fauroit fubfifter PHILOSOPHIQUES, 1J^ fans la matière. Les uns ne regardent ia penfée que comme le mode de quel- qu'autre Jubjlance , les autres la pren* nent pour hifubjiance elle-même. Si Ton trouve les idées fi différentes chez des hommes d'un même pays", & qui ont long-temps raifonné enfemble 9 que feroit-ce fi nous nous tranfportions chez des nations fort éloignées , dont les oavans neunent jamais eu de com- munication avec les nôtres , & dont les premiers hommes euffent bâti leur Langue fur d'autres principes ? Je fuis perfiiadé que fi nous venions tout-à- coup à parler une Langue commune , dans laquelle chacun voudroit traduire fes idées , on trouveroit de part & d'au- tre des raifonnemens bien étranges , CD ' ou plutôt qu'on ne s'entendroit vpoint du tout. Je ne crois pas cependant que la diverfité de leur Phiîofophie vînt d'aucune diverfité dans les premières perceptions % mais je crois qu'elle vïen- droit du Langage accoutumé de chaque nation , de cette defiination des figues S ij ±j6 R E F LE X I 0 N s aux différentes parties des perceptions : deflination dans laquelle il entre beaucoup d'arbitraire , & que les premiers hommes ont pu faire de plujieurs manières diffé- rentes ; mais qui une fois faite de telle ou telle manière > jette dans telle ou telle propofition 9 & a des influences conti- nuelles fur toutes nos connoiffances. Revenons au point où j'en étois de- meuré , à la formation de mes premiè- res notions. J'avois déjà établi des fïgnes pour mes perceptions ; j'avois formé une Langue , inventé des mots généraux & particuliers , d'où étoient nés les genres , les efpeces , les indivi- dus. Nous avons vu comment les différences qui fe trouvoient dans les parties de mes perceptions m'avoient fait changer mes expreffions fimples A & B , qui répondoient d'abord à je vois un arbre _, & je vois un cheval y comment j'étois venu à des fignes plus compofés , C D , C E , dont une partie 9 qui répondoit h je vois , demeuroit la même dans les deux propofitions , pen- P B 1 1 0 S 0 P H ï QU ES. 277 dant que les parties exprimées par D & par E , qui répondoient à un arbre tkkun cheval, avoient changé. J'avois encore plus compofé mes lignes , lor£ qu'il avoit fallu exprimer des percep- tions plus différentes , comme , je vois deux lions , je vois trois corbeaux y mes fignes étoient devenus pour ces deux perceptions, CGH & CÎK: enfin 011 voit comment le befoin m'avoit fait étendre & compofer les fignes de mes premières perceptions 3 & commencer un Langage. XXI, Mais je remarque que certaines per- ceptions , au lieu de différer par leurs parties , ne différent que par une efpece d'affoibliffement dans le tout ; ces per- ceptions ne paroiffent que des images des autres ; & alors , au lieu de dire CD, (je vois un arbre ) je pourrois dire c d , j'ai vu un arbre. X X I I. Quoique deux perceptions femblent être les mêmes , l'une fe trouve quel- S ni A £78 RÉFLEXIONS quefois jointe à d'autres perceptions qui me déterminent encore à changer leur expreffion. Si , par exemple , la perception c d , j'ai vu un arbre , fe trouve jointe à ces autres , je fuis dans mon lit 3 j'ai dormi , &c. ces percep- tions me feront changer mon expref- fion cd , j'ai vu un arbre 3 en >^5 j'ai rivé d'un arbre. XXIII. Toutes ces perceptions fe reffem- blent fi fort , qu'elles ne paroiffent différer que par le plus ou le moins de force ; & elles ne paroiffent être que de différentes nuances de la même perception : ce n'eft que le plus ou le moins de nuances de la même percep- tion , ou Faffociation de quelques- autres perceptions , qui me font direyV vois un arbre 9 je penfe à un arbre 3 j'ai rêvé d'un arbre 9 &c. XXIV. Mais j'éprouve une perception com- pofée de la répétition des perceptions précédentes ? & de Faffociation de PHILOSOPHIQUES. quelques cir confiances qui lui donnent plus de force , & femr^lent lui donner plus de réalité : j'ai la perception j'ai vu un arbre , jointe à la perception j'étais dans un certain lieu ; j'ai celle j'ai retourné dans ce lieu , j'ai vu cet arbre j j'ai retourné encore dans le même lieu s j'ai vu le même arbre , &c* cette répétition 9 & les circonftances qui Faccompagnenî , forment une nouvelle perception , je verrai un arbre toutes les fois que j'irai dans ce lieu : enfin I il y a un arbre, j , XXV. Cette dernière perception rranfporte pour ainii dire fa réalité fur fon objet y & forme une proposition fur l'exiftence de l'arbre comme indépendante de moi. Cependant on aura peut-être beaucoup de peine à y découvrir rien de plus que dans les propofitions précédentes , qui n'étoient que des figues de mes per- ceptions. Si je n avois jamais eu qu'une feule fois chaque perception je vois un arbre ? je vois un cheval , quelque S iv Z$0 RÉFLEXIONS vives que ces perceptions enflent été ^ je ne fais pas fi j'aurois jamais formé la propofition il y a : fi ma mémoire eût été affez vafte pour ne point craindre de multiplier les fignes de mes per- ceptions 9 & que je m'en fuffe tenu aux expreffions fimples A , B ,, C , D , &c. pour chacune ., je ne ferois peut- être jamais parvenu à la propofition il y a , quoique j'euffe eu toutes les mêmes perceptions qui me Font fait prononcer. Cette propofition ne feroit- elle qu'un abrégé de toutes les percep- tions je rois > j'ai vu _, je verrai ? &C ? XXVI. Dans le Langage ordinaire on dit 5 il y a des fons. La plupart des hommes fe repréfentent les fons comme quel- que chofe qui exifte indépendamment d'eux. Les Phiiofophes cependant ont remarqué que tout ce que les fons ont d'exigence hors de nous n'eft qu'un certain mouvement de l'air caufé.par les vibrations des corps fonores , & tranfmis jufqu à notre oreille. Or cela ,' que j'apperçois lorfque je dis j'entends PHILOSOPHIQUES. 2§I desfons, ma perception , n'a certaine- ment aucune refiernfaiance avec ce qui fe paffe hors de moi , avec le mouve- ment du* corps agité : voilà donc une perception qai eft du même genre que la perception je vois ? & qui n'a hors de moi aucun objet qui lui reffemble. La perception je vois un arbre n'eft- elle pas dans le même cas ? Quoique je puiffe peut-être fuivre plus loin ce qui fe paffe dans cette perception , quoique les expériences de l'Optique m'apprennent qu'il fe peint une image de l'arbre fur ma rétine ^ ni cette image , ni l'arbre ? ne reffemblent à ma per- ception. XXVII. On dira peut-être qu'il y a certaines perceptions qui nous viennent de plu- fieurs manières : celle - ci 9 je vois un arbre , qui eft due à ma vue , eft encore confirmée par mon toucher. Mais quoi- que le toucher paroiffe s'accorder avec la vue dans plufieurs occaftons , fi l'on examine bien ? l'on verra que ce n'eft que par une efpece d'habitude que l'un 2§2 RÉFLEXIONS de ces fens peut confirmer les percep- tions qu'on acquiert par l'autre. Si l'on n'avoit jamais rien touché de ce qu'on a vu , & qu'on le touchât dans une nuit obfcure 9 ou les yeux fermés , on ne reconnoîtroit pas l'objet pour être le même 5 les deux perceptions je vois un arbre , je touche un arbre , que j'exprime aujourd'hui par les lignes CD & PD, ne pourroient plus s'ex- primer que par les lignes CD & P Q.? qui n'auroient aucune partie commune y & feroient abfblument différentes. La même chofe fe peut dire des percep- tions qui paroîtroient confirmées d'un plus grand nombre de manières. X X V ï 1 1. Les Philofophes feront , je crois f prefque tous d'accord avec moi fur ces deux derniers paragraphes ; & diront feulement qu'il j a toujours hors de moi quelque chofe qui caufe ces deux perceptions , je vois un arbre , j'entends des fons : mais je les prie de relire ce que j'ai dit fur la force de la prppofition il y a ? & fur la manière PHILOSOPHIQUES. 283 dont on Ja forme. D'ailleurs que fert- il de dire qu'il y a quelque chofe qui eft caufe que j'ai les perceptions je vois , je touche , j'entends 9 û jamais ce que je vois , ce que je touche > ce que j'entends ne lui reffembîe ? J'avoue qu'il y a une caufe d'où dépendent toutes nos perceptions ? parce que' rien nefi comme il efi fans raifon. Mais quelle eft-elle cette caufe ? Je ne puis la péné- trer , puifque rien de ce que j'ai ne lui reffembîe. Renfermons - nous fur cela dans les bornes qui font prefcrites à notre intelligence. XXIX. On pourroit faire encore bien des queftions fur la fucceffion de nos per- ceptions. Pourquoi fe fuivent - elles dans un certain ordre ? Pourquoi fe fuivent - elles avec de certains rapports les unes aux autres ? Pourquoi la oer- ception que j'ai , je vais dans l'endroit où j'ai vu un arbre , eft-elle fuivie de celle , je "vois un arbre ? Découvrir la caufe de ctttQ liaifon 7 eft vraifemb^a- %%4 Réflexions blement une chofe au-deffus de notre portée. X X X, Mais il faut bien faire attention à ce que nous ne pouvons être nous- mêmes les juges fur la fucceffion de nos perceptions. Nous imaginons une durée dans laquelle font répandues nos perceptions , & nous comptons la dis- tance des unes aux autres par les par- ties de cette durée qui fe font écoulées entr'elles. Mais cette durée qu'eft-elle ? Le cours des aftres , les horloges , & femblables inftrumens , auxquels je ne fuis parvenu que comme je l'ai expli- qué , peuvent - ils en être des mefures fuffifantes ? A. X X 1. Il eft vrai que j'ai dans mon efprit la perception d'une certaine durée ? mais je ne la connois elle-même que par le nombre de perceptions que mon ame y a placées. Cette durée ne paroît plus la même lorfque je fouffre , lorfque je m'ennuie s P H 1 1 0 S 0 P H I QU E S. 2$ J ou lorfque j'ai du plaifir *, je ne puis la connoître que par la fuppofition que je fais que mes perceptions fe fuivent toujours d'un pas égal. Mais ne pour- roit-il pas s'être écoulé des temps im- menfes entre deux perceptions que je regarderois comme fe fuivant de fort près ? XXX 1 L Enfin , comment connois-je les per- ceptions paffées , que par le fouvenir 9 qui eft une perception préfente ? Tou- tes les perceptions paffées font -elles autre chofe que des parties de cette perception préfente ? Dans le premier inftant de mon exigence ne pourrois- je pas avoir une perception compofée de mille autres comme paffées ; & n'aurois-je pas le même droit que j'ai de prononcer fur leur fucceffion ? •S/iST 257 SJ7R LE LIVRE INTITULE réflexions philosophiques sur l'origine des Langues , et la signification des mots. Œuvres de M. Boindin y tome IL « Ï.T'L ne faut pas demander de qui » J_ eil cet Ouvrage ? La petiteffe du » volume , la pré ci/ion géométrique » qui y règne , & les doutes métaphy- p> fiques dont il eft rempli ., en déce- » lent affez ( a ) l'Auteur , & feroient » Soupçonner que Tes recherches fur » l'origine des Langues n'en font que le » prétexte ; & que fon véritable objet » eft de nous convaincre de l'imper- » fe£tion de nos connoiffances , & de » l'incertitude des principes far lefquels »> elles font fondées. ft IL En effet tout ce qu'on y dit ( a ) M, de Maupertuis, 288 RÉFLEXIONS » fur la manière dont les Langues fe » font formées n'eft que la plus foible » partie de l'Ouvrage , & une pure fup- » pofîtion ^ car ce n'eft point par un » procédé géométrique , par des divi- » fions , des fubftitutions de fignes ? & » des transformations algébriques , que » s'eft établie la première manière d'ex- » primer nos perceptions -, mais par çle » fimples additions & multiplications de » fignes , à mefure que les idées font » devenues plus compofées , jufqu'à ce » que ce grand nombre de fignes fim- » pies & particuliers furchargeant la » mémoire , & caufant de la confufion , » ait été réduit à des fignes généraux » & abftraits de genres , d'efpeces & » d'individus , comme on peut s'en con- » vaincre par l'exemple de la Langue » franque , qui n'emploie que des infi- » nitifs avec un pronom perfonnel , & » un adverbe de temps , pour défigner » le préfent , le paffé & le futur , pen- » dant aue les Langues cultivées & » perfectionnées expriment le perion- » nel , le nombre & le temps , par » les différentes inflexions du verbe. » III. Il P H I L 0 S O P H I QU E 8. 289 » III. Il faut même remarquer à ce m fujet une petite négligence de i'Àu- » teur , qui a tout l'air d'une contradic- » tion , dans l'art. 13, où après avoir » dit que fi la mémoire étoit affez forte » & allez étendue pour pouvoir défi- » gner fans confufion chaque percep- » tion par un figne (impie ? aucune des » queftions qui nous embarrafîent tant » aujourd'hui ne fèroit entrée dans notre » efprit y il en infère enfuit e que , dans » cette occafion plus que dans aucune » autre , on peut dire que la mémoire » eft oppofee au jugement. Car il fem- » ble au contraire qu'il en faudrait *> conclure que c'eft l'imperfeftion & » le défaut de mémoire qui nous oblige » de former ces queftions embarraffan- » tes , & qui eft par conféquent oppofée » au jugement : & peut-être n'eft-ce là » qu'une faut£ d'expreffion. » IV. Mais rien n'eft plus jufte que » ce que l'Auteur dit fiir les inconvé- » niens qui réfultent de la lignification » des mots , & des différens fens qu'on » y attache ; & fur l'incertitude des Œuv, de Maup. Tom. I. T I90 RÉFLEXIONS » principes qui font la bafe & le fon- » dément de nos connoiffances. En » effet les perceptions que nous avons » des objets externes n'en prouvent » point du tout l'exiftence & la réalité -, » & les idées mêmes que nous nous for- » mons de fubftance & de mode n'ont » rien de folide ni de réel , & ne prou- » vent point avec évidence que l'éten- » due & la penfée foient plutôt des fubf- » tances que des modes. Les raifons » que l'Auteur emploie pour nous en » convaincre font la partie de l'Ouvrage ►> la plus importante & la plus curieufè. »V. Je douterois feulement que » l'affertion il y a ( des objets externes ) » ne vient que de la répétition des pér- it ceptions que nous en avons , & je » ferois porté à croire qu'une feule de » ces perceptions feroit auffi propre à » nous perfuader de leur exiftence , » que le grand nombre & la répétition » des mêmes perceptions. » VI. A l'égard des réflexions qu'on » trouve à la fin de l'Ouvrage , fur la PHILOSOPHIQUES* 2Ç)î » durée , & fur l'impoflibilité où nous » fommes de la mefurer , & de décou- » vrir la caufe de la liaifon & de la » fucceffion de nos idées , elles feroient » capables d'infpirer des foupçons fur » la néceffité & l'éternité de notre être ; » & ce font là de ces vues métaphyfï- » ques que l'on peut regarder comme » le principal objet de l'Auteur. Ainfi 9 »quoiqu'au premier coup d'oeil cet » Ouvrage ne paroiffe point donner de » prife à la critique , il eft néanmoins »> certain qu'on en pourroit tirer des n induftions très-fcabreufes. T 293 É P O N S E AUX REMARQUES PRÉCÉDENTES, I. JE puis me plaindre avant tout de ce qu'on m'accufe d'avoir , fous un titre qui ne promettait que des recher- ches fur les Langues , caché des re- cherches d'un ordre fupérieur à celui que je femblois traiter. Peut - être le titre que j'ai donné à mon écrit ne&.~ il pas le plus jufte qu'on pût lui don- ner : mais comme j'ai réduit toutes les questions que mon plan renfermoit aux expreffions dont les hommes fe font fervis pour rendre leurs idées , & que , pour réfoudre ces queftions , il me fuf- fifoit de faire l'analyfe des fîgnes qui les expriment ; des réflexions fur la manière dont fe font formées les Lan- gues , au lieu d'être le mafque de l'ob- jet que je me propofois , étoient l'objet même : & ce n'eft pas ma faute fi > par Tiii 294 RÉFLEXION^ réflexions philosophiques fur l'origine des Langues , M. Boindin a entendu des réflexions fur la Grammaire. D'ailleurs ai-je diflimulé le but que je me propofois , lorfque j'ai dit dès l'abord que c'étoit de faire voir l'in- fluence qu'ont fur nos connoiflances les fîgnes dont nous fommes convenus pour les énoncer , & pour nous en rendre compte à nous-mêmes ( c'eft au Lefteur à choifir entre les deux expreflions. I V. Cette remarque ne contenant que des éloges , ce fera fans doute celle qui mériteroit le plus d'être combattue $ mais ce neft pas à moi à le faire. P H I L 0 S 0 P H I QU E S. 3OI V. J'ai expliqué ( §. XXIV. ) la ma- nière dont nous venons à former cette proportion il y a : je l'ai regardée comme le réfultat de plufleurs percep- tions qui ont certains rapports entre elles , comme ,je vois un certain objet y je F ai vu , je le verrai y &c. M. Boindin dit qu'il douterait que l'affertion il y a ne vînt que de la répétition des per- ceptions ; & qu'il ferait porté à croire qu'une feule feroit auffi propre à nous perfuader de l'exiflence des objets ex- ternes , que le grand nombre & la répé- tition des mêmes perceptions. Comme M. Boindin ne propofe ce qu'il dit ici que comme, un doute , & que je fuis bien éloigné de donner ce que j'ai dit pour une démonftration , je ne fuis point obligé ni n'entreprends de dé- truire fon doute. Je crois même que le point où différens hommes diront il y a ne fera pas le même pour tous ; un fimple oui -dire fuffit à quel- ques-uns pour leur perfuader l'exiftence d'objets que la perception même de 301 RÉFLEXIONS vue ne fuffiroit peut - être pas pour perfuader à d'autres. Je ne fais fi une perception unique , qui ne tiendroit à aucune autre de même genre , fuffi- roit pour faire dire à un bon efprit , il y a , ou tel objet exifle : & je fuis furpris de trouver ici M. Boindin ( à qui l'on n'a jamais reproché la crédu- lité ) fi facile à perfuader. Mais s'il avoit voulu dire qu'une feule percep- tion fuffiroit pour établir la propofition il y a , pourvu que cette perception , quoique peut-être la première de fon efpece , fe préfentât comme la répéti- tion de plufieurs autres , nous ferions du même fentiment , & il n'auroit dit que ce à quoi j'en fuis venu dans le dernier paragraphe de mes réflexions : mais il ne paroît pas que ce foit là fa penfée. Il femble que , malgré fon extrême fagacité , il n'a pas fuivi ou entière- ment compris le fens de la propofition il y a ; & qu'il eft refté au point où tous les autres Philofophes reftent , lorfcru'après être convenus qu'il fe pourroit que tous les objets que nous P H I L 0 S 0 P H I QU E S* 303 eonfidérons comme exiftans n'euffent d'autre exiftence que celle que notre perception leur donne , ils diftinguent cette eipece d'exiftence intelligible d'une autre exiftence matérielle hors de nous , & indépendante de nous : diftinftion vuide de fens , & qui ne fauroit avoir lieu ? fi l'on nous a bien fuivis. Un objet extérieur à nous ne fau- roit reflembler à une perception y tous les Philofophes , & même tous ceux qui ne font pas Philofophes , & qui y penfent un peu , en conviennent. Quelques - uns ont déjà réduit les corps à de (impies phénomènes -9 & pour expliquer comment ces corps fe fai- foient appercevoir , ont eu recours au mot de forces : mais fi ces forces appar- tiennent aux objets mêmes , on retombe dans l'impoffibilité d'expliquer comment elles agiffent fur nous : & fi elles appar^ tiennent à l'être appercevant , ce n'eft plus qu'afiigner à nos perceptions uns caufe inconnue. 304 RÉFLEXIONS V I. Voici l'article qu il m'étoit le plus important de relever , parce qu'il a plu à M. Boindin de repréfenter ce que je dis fur la durée , & fur l'im- poffibilité où nous fommes de la me- furer , & de découvrir la caufe de la liaifon & de la fucceffion de nos idées , comme capable de faire naître des foupçons fur la néceffité & l'éter- nité de notre être , comme des vues métaphyfiques dont on pourroit tirer des induftions très-fcabreufes , qui au- roient été mon véritable objet , & auxquelles les réflexions fur l'origine des Langues n'auroient fervi que de prétexte. Tout fyftême intelle&uel , tout fy£- tême dans lequel la révolution des aftres , le mouvement des horloges , les livres de chroniques & d'hiftoires ne font que des phénomènes , conduira à ces doutes que M. Boindin repré- fente comme fi dangereux : & quoi- que notre fyftême aille peut-être plus loin que les autres ? il ne contient rien F H I L 0 S 0 P H I QU E S. 305 rien qui puiffe plus alarmer , ni même rien qui puiffe alarmer , fi on l'entend bien. Je fuis à couvert fous l'autorité des Auteurs qui ont réduit tout ce que nous voyons à des phénomènes ? fans que les gens les plus orthodoxes ayent crié contre eux : & il feroit bien in- jufte que M. Boindin voulût me faire un crime de ce que les dévots ne leur reprochent pas. Mais fi l'on veut que je m'appuye encore d'une autorité plus direfte & plus refpe&abie, je citerai M. Berkeley, dont les opinions approchent encore plus des nôtres. Voudra-t-on que ma Phiîofophie foit plus timide que celle de cet Evêque ? Les autorités ne me manqueroient donc point , fi j'avois ici quelque chofe de trop hardi à juftifier : & elles fe- roient , je crois , plus que fuffîfantes pour défendre un homme à qui font état & fon genre de vie permettent une honnête liberté de penfer. Mais je ne fuis point ici réduit aux autorités pour me défendre ; je puis faire voir que mes réflexions fur la (Euv. de Maup* Tom. I, y / 306 Réflexions durée «, fur l'impoffibilité de la mefu- rer , §c de découvrir la caufe de la liaifon & de la fucceffion de nos idées , font bien éloignées d'infpirer des. fou- pçons fur la nécejjité & Yètemité de notre être. Je conviens qu'il eft difficile de fe juftifier contre des accufations trop vagues , ou de répondre à des objec- tions qui ne préfentent point de fens affez déterminé ; & c'eft le cas où je me trouve. Je fixerai donc le fens du reproche de M. Boindin , & je le ferai au péril de lui en donner un qui ne feroit pas le fîen ; mais on verra du moins que , dans celui que je lui donne , je ne cherche pas à me favo- rifer moi-même. Ce que M. Boindin entend par un être nécejjaire & éternel , eu apparem- ment ce qu'entendent , ou les Philofo- plies orthodoxes , lorfqu'ils confiderent Dieu comme têtre néceffaire , éternel , infini , indépendant dx tout autre être $ ou une autre efpece de Philofophes , qui donneroient les mêmes attributs à l'Univers. M, Boindin voudroit-il PHILOSOPHIQUES. 3 QJ m'imputer de prendre l'homme pour la Divinité ou pour l'Univers ? Vou- droit-il faire croire que je le regarde comme un être néceffaire , éternel ? infini , indépendant ? moi qui ne lui attribue qu'une exiftence fi peu né- ceffaire & fi peu éternelle , qu'entre deux perceptions qu'il fe reprélente comme confécutives ? je dis qu'il pourroit y avoir eu des intervalles immenfes où il n'auroit pas même exifté ; moi qui le regarde comme un être qui pourroit être interrompu & renouvelle à chaque inftant. Y a-t-il rien de fi éloigné de la nëceffité & de l'éternité , qu'une exiftence qui n'eft peut - être pas même continue ? M. Boindin me reprqchera-t-il de prendre l'homme pour l'Etre infini ? à moi qui le reconnois fi borné , que fa mémoire n'eft pas fuffifante pour y marquer ni retenir fes perceptions , qu'il s'emhar- raffe continuellement lui-même dans les moyens qu'il a choifis pour s'en rendre compte. Enfin , dira-t-il que je le regarde comme indépendant ? tandis que je craignois qu'on ne me reprochât Vit 308 RÉFLEXIONS de le faire trop gêné ou trop paffif ; & que je dis que la caufe de {es per- ceptions eft vraifemblablement au deffus de notre portée. Je me fuis tantôt contenté de citer des autorités , parce qu'elles fuffifoient pour mettre mes opinions à couvert , & que la plupart de ceux à qui j'au- rois à faire font d'ordinaire plus con- vaincus par les autorités ,, que capa- bles de difcuter eux-mêmes ce qu'ils voudroient condamner : mais je puis dire que le fyftême qui réfulte de mes réflexions fur l'origine des Langues tranche ou anéantit toutes les difficul- tés qui fourmillent dans les autres fyf- îemes. Dans ceux mêmes où l'on eft parvenu jufqu'à dire que nous ne fau- rions nous affurer que tous les objets que nous appercevons exiftent autre- ment que dans notre ame $ on peut encore demander fi ces objets 9 outre cette exiftence intelligible , n'auroient pas une autre exiftence réelle &. in- dépendante de nous : & alors , fi les objets font capables de cette autre exiftence 3 la nier ou en douter pour- PHILOSOPHIQUES, 309 roit répugner à la révélation , qui nous parle de ces objets comme exiftans. Mais dès que toute réalité dans les objets n'eft , & ne peut être , que ce que j'énonce lorfque je fuis parvenu à dire il y a , il n'eft plus & il ne peut plus être pour les objets diffé- rentes manières d'exifter : il eil vrai , il eft indubitable qu'ils exiflent dans toute l'étendue de la fignification de ce mot , & qu'on ne peut plus trouver leur exiftence en oppofîtion avec ce qui nous eft révélé. Fin du Tome premier. T A B L Des Ouvrages contenus dans ce Volume* ESSAI DE COSMOLOGIE. VanTt propos , page xj I. Part. Ou Von examine les preuves de V exis- tence de Dieu tirées des merveilles de la Nature , 3 II. Part. Ou Von déduit les loix du mouvement des attributs de lafuprême Intelligence y 26 III. PART. Spectacle de V Univers ? 52 ilj.j_.lj. n. - m 1 m ii 1 1 — — "■* ■ '■"■ ■■" —■ " ■* ~*^ I S C O U R S SUR LES DIFFÉRENTES FIGURES DES ASTRES, Où l'on ejfay -e*d 'expliquer les principaux phénomènes du Ciel. % I. À RÉFLEXIONS fur la figure des Àjlresfi 1 § II. Difcuffion mètaphyfeque fur F attraction , 90 g ÏII, SyfUme des tourbillons , pour expliquer le mouvement des planètes , & la pefanteur des corps vers la Terre 3 104 TABLE. § IV . Syflême de V attraction , pour expliquer les mêmes phénomènes , 1 1 8 §. V. Des différentes Lolx de la pefanteur , & des figures qu'êMes peuvent donner aux corps cè- le (les , 133 §. VI. Des taches lumineufes découvertes dans le Ciel , 142, § VIL Des Étoiles qui s'allument ou qui s^ étei- gnent dans les deux , & de celles qui chan- gent de grandeur, 148 § VIII. De Vanneau de Saturne, ■ 1 54 §IX. Conclujion., Conjectures fur t ' attraction, 160 ESSAI DE PHILOSOPHIE MORALE, Reface, 173 Éclairciffemens , 176 Chap. I. Ce que c'efl que le bonheur & le mal- heur , 193 Chap. IL Que dans la vie ordinaire la fomme des maux furpaffe celle des biens , 20 1 Chap. III. Réflexions fur la nature des plaifirs & des peines , 205 Chap. IV. Des moyens pour rendre notre con- dition meilleure , 215 Chap. V. Du fyflême des Stoïciens , 220 Chap. VI. Des moyens que le Chriflianifim. propofe pour être heureux , 232 Chap» VII. Réflexions fur la Religion , 241 TABLE. RÉFLEXIONS PHILOSOPHIQUES Sur l\ongine des Langues , & la ligni- fication des mots. Verti ' SSEMENT , . 255 Réflexions philofophiques fur l'origine des Lan- gués , & lajignification des mots , - 259 Remarques de M, Boindin fur cet ouvrage , 287 Réponfc aux Remarques de M. Boindin ? 293 Fia de la Table du Tome premier. Cleaned & Oiled V . - * ...v /as'""*'*'* £TM "§•*•*