= 2 = = = Hi — ea C2 … £ = F IT SHHTTUATER DU 1 hi ah QUE VOYAGE AU POLE SUD _ ET DANS L’OCÉANIE. X. É | VOYAGE AU POLE SUD ET DANS L’OCÉANIE SUR LES CORVETTES L'ASTROLABE ET LA ZÉLÉE; EXÉCUTÉ PAR ORDRE DU ROI PENDANT LES ANNÉES 1837-1838-1839-1840, SOUS LE COMMANDEMENT DE M. J. DUMONT-D'URVILLE, Capitaine de vaisseau; PUBLIÉ PAR ORDONNANCE DE SA MAJESTÉ, sous la direction supérieure DE M, JACQUINOT, CAPITAINE DE VAISSEAU, COMMANDANI DE LA ZÉLÉED: HISTOIRE DU VOYAGE, PAR M. DUMONT-D'URVILLE, TOME DIXIÈME. PARIS. GIDE ET C*, ÉDITEURS, . RUE DES PETITS-AUGUSTINS, 5. — _ 1846 CHAPITRE LXIX. : Séjour dans la baie de Timor-Coupang. — "Traversée de la baïe Coupang à l'ile Bourbon. La rade de Coupang est considérée comme la meil- - leure de toutes les îles Timor; elle a cependant le défaut d’être trop profonde et entièrement ouverte aux vents du N. O. Pendant neuf mois de l’année, les vents d’est soufflent avec une régularité parfaite, le mouillage y est alors excellent ; la mousson d’ouest, qui est aussi assez régulière, amène rarement des ou- ragans dans ces contrées. La baie Coupang est fré- quentée pendant toute l’année par un grand nombre de navires; la facilité qu’elle présente de pouvoir y entrer et en sortir avec tous les vents, la rend pré- cieuse pour les bâtiments qui viennent y mouiller. Notre relâche à Timor avait principalement pour but de remplacer notre eau, de faire du bois et enfin de procurer des vivres frais à nos marins, rudement éprouvés par les dernières fatigues et réduits de- puis longtemps au régime des salaisons. Bien que l’état x C0 | l * | Le … 1840. 91 Juin. 1840. , Juin. #: 4 2 . VOYAGE sanitaire de nos équipages füt assez satisfaisant, notre navigation dans ledétroit de Torrès les avait beaucoup fatigués. Parmi les officiers, nous comptions plusieurs malades : M. Gaillard donnait des inquiétudes plus vives que jamais ; M. Dumoulin était atteint d’une ma- ladie grave qui ne laissait que peu d’espoir de le sau- ver; je sentais moi-même que, si la campagne devait se prolonger encore quelque temps, je ne pourrais ré sister. Heureusement notre relàche à Timor venait de terminer la série de nos travaux; désormais nous devions nous rendre directement en France, mais avant de rentrer dans notre patrie, il nous restait encore de longues et pénibles traversées. Je cherchai donc à procurer à nos matelots tout le bien-être pos- sible en faisant d’amples provisions de 7 vivres frais à l’île de Timor. Aussitôt que nous fûmes mouillés, J'envoyai un of- ficier auprès du résident, pour le complimenter et traiter la question du salut national. Vingt et un coups de canon furent tirés par l’Astrolabe, ils nous furent immédiatement rendus par le fort; nos embarcations portèrent ensuite à terre tous ceux que le service ne retenait point à bord. M. Gronovius, résident de Cou pang, accueillit toutes nos demandes avec une bonté parfaite; ils’empressa de donner des ordres pour met- tre à notre disposition toutes les ressources de la co- lonie. Les abords de la terre sont fort dangereux pour les Européens, à cause des maladies qu ils y gagnent ; je redoutai surtout d’être obligé d’ envoyer nos hom- mes à l’aiguade, dans la crainte de les exposer aux DANS L'OCEANIE. 3 fièvres du pays, presque toujours mortelles pour les Européens. M. Gronovius nous rendit un service si- onalé, en mettant à notre disposition plusieurs hom- mes du pays, qui, avec nos chaloupes, purent en peu de temps compléter notre provision d’eau. Nous trouvâmes au mouillage deux navires hollan- dais. L’un d’eux était une petite goëlette appartenant - à la maison Lasnier de Batavia. Les produits princi- paux du commerce de Coupang sont la cire et le bois de Sandal ; ces deux articles composaient le charge- ment de la goëlette en question, qui se disposait à partir le lendemain même pour Batavia. Le second de ces bâtiments était un trois-mats du commerce que déjà nous avions vu la veille, au moment où nous dépassions la pointe sud de Timor. La ville de Coupang , vue de la mer, a une assez triste apparence; ellene gagne pas non plus à être exa- minée de près. Habitué depuis longtemps à la propreté et au bon goût qui se font, en général, remarquer dans les autres villes hollandaises, le voyageur est pénible- ment affecté de la malpropreté de cet établissement, où il ne rencontre que ruines et confusion. En débar- quant sur une grève de cailloux où la mer déferle sans cesse, même dans la bonne mousson, il faut gravir un talus formé de décombres et d'immondices pour arri- ver au Campong chinois, à l’est dela rivière. Deux ou trois rues parallèles au rivage, coupées par quelques ruelles, n’offrent à l'œil que le triste aspect de la mi- sere et de l'inaction, au lieu de cette activité, de cette industrie, de cet C aisance que l’on remarque en géné- 1840. Juin, 4 VOYAGE | | ral dans les comptoirs néerlandais. La rue principale vieut aboutir à un pont de bois jeté sur la rivière; l'embouchure de cette rivière forme une espèce de barachoïis qui peut servir de refuge à une douzaine de bateaux ; mais ces embarcations ne peuvent en fran- chir la barre qu’à marrée haute. À quelques centaines de pas au-dessus du rivage, cette prétendue rivière se réduit à un ruisseau obstrué par des cailloux et qui n’est pas même navigable pour des pirogues. Le fort Concordia, bàti sur le bord de la mer et sur la rive gauche du ruisseau, domine le petit port et le quar- tier chinois; il est lui-même dominé par le terrain en- vironnant qui s’élève en pente douce vers l’intérieur. Il n’a ni fossés, ni retranchements extérieurs d'aucune espèce; ses mursen moëllons sont lézardés de tous cO- tés, et en plusieurs endroits, ils n’ont que trois à qua- tre metres dehauteur. C’est une forteresse à la turque, susceptible d’aucune résistance. Sur la rive gauche de ce ruisseau, on ne rencontre que quelques cases clair semées, environnées d’une assez belle végétation ; ses rivages sontfrais et ombragés; on doit même y trouver quelques sites agréables en remontant son cours jus - qu'au ravin profond qu'il s’est creusé dans les hau- teurs qui dominent la ville; mais si l’on s’écarte de ses bords on monte sur des collines brülées par le soleil, couvertes d'herbes et d’arbustes. Le terrain en est pierreux, et paraît formé de débris d'un calcaire ma- dréporique que l’on retrouve sur les escarpements du rivage. Pr Toutes les habitations qui composent la ville sont ss DANS L'OCÉANIE. 5 des constructions malaises, faites avec peu d'ordre et peu de soin. La demeure du résident, celle d’un créole, M. Thielmann, qui reçut en 1821 M. de Freys- sinet, sont les seules habitations un peu remarqua- bles. Pendant tout notre séjour, elles nous furent constamment ouvertes, et nous reçümes un accueil bienveillant que nous ne saurions oublier. Elles sont situées en dehors de la ville, à quelques pas de la ri- vière. Coupang estla moins importante peut-être de toutes les factoreries hollandaises de l’Inde. L’insalubrité du pays, les mœurs sauvages des habitants, et plus que cela peut-être l’éloignement de ce comptoir, ont em- pêché les Hollandais d'étendre leur domination dans V'intérieur de l’île. Du reste, les dépenses de la factore- rie doivent être très-minimes, à en juger surtont par la faiblesse de la garnison, composée d’une tren- -taine de cipayes commandés par un sergent hollan- dais. Le capitaine Moyle, commandant la goëlette de la maison Lasnier, s'était fixé à Coupang depuis trois ans, pours’y livrer au commerce. D’après son témoignage, pendant cet espace de temps, 1l n'avait fait des achats que pour la somme de 800,000 fr. Ce négociant sem- blait accorder au comptoir portugais de Djieli, établi, comme on le sait, sur l’autre extrémité de l’île Ti- mor, une importance commerciale beaucoup plus grande, bien que les Portugais qui l'occupent soient, en général, très-pauvres. Là, tous les officiers , tous les employés se livrent au commerce; le gouverne- + 1840, Juin. 1840. Juin, 6 VOYAGE ré ment portugais leur accorde des appointements tel- lement faibles , qu’il leur serait impossible d'exister, s’ilsne jouissaient d’uneliberté complète, pour faire le commerce à leur propre compte. M. Moyle nous mon- tra une grande quantité de bijoux, qu'il avait achetés à Djieli. Le travail de ces ornements était d’une délica- tesse extrême, et leur prix de revient très-minime ; ce sont les Chinois et surtout les indigènes qui se li- vrent à cette industrie. La rade de Coupang est surtout fréquentée par les baleiniers; de l’aveu de tous les pêcheurs, il paraïtrait que la pêche du cachalot, exclusivement exploitée au- jourd’hui par les Américains et par les Anglais, n’est nulle part plus productive que sur la côte de Timor, Ces cétacés, en quittant les côtes de la Nouvelle- Hollande, celles des Philippines et de la Nouvelle- Guinée, fréquentent, à ce qu’il parait, ces parages, lorsqu'ils se rendent de l’Océan indien dans le grand Océan. D'un côté, les eaux froides qui leur sont an- tipathiques, ne leur permettent pas de faire le tour de la Nouvelle-Hollande pour se rendre dans l'Est, et enfin les récifs qui encombrent le détroit de Torrès, le peu de profondeur de la mer dans ces canaux, les empêchent de prendre cette route. C’est au moment de leur passage dans les détroits de l’est, à des épo- ques fixes et bien connues des baleiniers, que ceux-ci viennent faire la pêche sur ces côtes, et quelquefois ils réussissent à compléter leur chargement en très— peu detemps. La Hollande, dont les possessions sont riveraines de ces mers, s’est laissée jusqu’à ce jour ra- DANS L'OCEANIE. 7 vir tous les avantages de cetteindustrie par les Améri- 1840. cains et par les Anglais. La France qui, après l’Angle- nr terre et les Etats-Unis , occupe le troisième rang pour la pêche dela baleine, ne possède encore point de bâti- ments de commerce exclusivement destinés à la pêche du cachalot. Il serait vivement à désirer que cette in- dustrie fût encouragée chez nous, car elle auraitl'avan- tage de familiariser nos marins avec des mers qu’ils fréquentent rarement. Tous les bâtiments, quel que soit leur pavillon, sont admis sur la rade de Coupang, aux mêmes conditions que les navires hollandais ; ils peuvent y vendre et y acheter librement toute espèce de marchandises, sauf les toiles, dont le monopole.a été réservé à la société de commerce des Pays-Bas. La relàche de Coupang est d'autant plus précieuse pour les pêcheurs de cachalots, que l’on y trouve fa- cilement à s’y pourvoir de viande fraîche et de légumes à des prix très-modérés. Le seul monument que l’on remarque à Coupang est PL GLXXXXT. le temple Chinois, bâti sur un petit monticule près de Ja ville, en face du fort Concordia. Il se compose d’une grande salle rectangulaire, dallée en pierres, recou- verte d’une charpente en bois ; au milieu se trouve une grande table garnie d’ornements propres au culte ; au fond s'élève l'autel, surmonté par une statue entourée de cierges odoriférants dorés et coloriés. Les habitants de Timor paraissent avoir la peau plus foncée en couleur que les Javanais ; les hommes sont de petite taille et d'apparence chétive. Comme les Malais, ils portent un mouchoir autour de la tête, Fes 8 VOYAGE mais leur chevelure est plus forte et plus crépue. Tous mâchent le bétel : ils fabriquent une grande quantité de petits étuis en bambou, destinés à renfermer cette drogue, qui ne les quitte jamais. Sous le rapport in- dustriel, ils sont très-inférieurs aux autres Malais ; ils se livrent peu à la culture des terres, et, bien que leurs îles puissent, comme celles de l'Ouest, produirele café et toutes les denrées coloniales, ils n’ont à livrer à la consommation que du maïs et des légumes. Les buffles, les bœufs et les chevaux sont tres-abon- dants. L'île de Rotti est surtout renommée pour ses chevaux; ces animaux, quoique petits, sont vifs et vi- goureux. Ils forment un des articles d'exportation les plus importants. | Nous nous trouvions à Coupang dans la saison la plus redoutée pour les fièvres et les maladies qu'en- gendrent les pluies et la chaleur. Aussi je ne voulais faire qu'un très-court séjour dans la baie : trois jours seulement devaient être consacrés à la relâche. La veille de notre départ, Je reçus la visite de M. Grono- vius, qui vint m’inviter à dîner à la maison de la ré— sidence, ainst que les deux états-majors. Les douleurs incessantes que J'éprouvais depuis longtemps ne me permirent point d'accepter cette invitation; mais la majeure partie des officiers passa la soirée à l’hôtel du résident, où M. Gronovius avait réuni toutes les autorités européennes de la colonie , au nombre de cinq, savoir : le chef des troupes, le médecin , le directeur des douanes, le ministre protestant et un négociant. | À DANS L'OCÉANIE. g M. Gronovius avait été pendant fort longtemps ré- sident de l'établissement hollandaisde Pontianak dans l'ile de Bornéo. Il paraissait connaître parfaitement cette contrée , où il avait résidé plusieurs années. C'était un homme de quarante-cinq à cinquante ans, s'exprimant bien en français, et se plaignant haute- ment de son gouvernement qui, pour des motifs que je ne connais pas bien, l'avait brutalement rappelé de sa résidence pour le placer dans le comptoir peu im- portant de Timor. Il possédait sur Bornéo, plusieurs documents assez insignifians du reste, qu'il m'aban- donna facilement, et enfin une carte manuscrite dont il fit don à M. Dumoulin‘. En outre, M. Gronovius nous raconta une infinité de détails et d’anecdotes re- cueillis pendant son séjour à Bornéo, dans lesquelles il usait sans doute largement de la liberté qu’il avait de ne pouvoir être contredit. Pendant le diner qu’iloffrit * Ces renseignements ont été insérés dans le septième volume. La carte dont il est ici question a aussi été gravée, et fait partie de® l'album pittoresque et non point de l'atlas hydrographique du voyage. Depuis son impression, plusieurs personnes dont les noms jouissent à juste titre d’un très-grand respect dans les sciences, n'ont écrit que cette carte n'était point à la hauteur des connaissances actuelles ; je crois donc devoir déclarer ici que, sauf quelques légères corrections, dans le tracé de la côte, faciles à - reconnaître, cette carte a été gravée telle qu'elle m'a été donnée par M. Gronovius, elle n’a été publiée par moi qu'à titre de ren- seignements, et uniquement pour sauver de l’oubli un document qui peut, je crois, malgré des travaux plus récents et plus exacts, être utile aux personnes qui s'occupent de la géographie cle cette vaste contrée, encore si imparfaitement explorée. V: D: s y. Pa 19e, el pe = 1840. Juin, 40 VOYAGE à nos états-majors, laconversation roula principale- ment sur les actes de son gouvernement à Pontianak ; noustrouvons consignés dans le journal de l’un desoffi- ciers de l’expédition, des détails curieux sur ce sujet, dont cependant la responsabilité doit rester tout en- üère au narrateur «M. Gronovius, dit M. Désgraz, a été rappelé de sa résidence sur Bornéo, à la suite des hostilités survenues entre les Chinois de Montradok et les Hollandais établisà Sambas. Desactes d’uneatrocité révoltante ont été la conséquence de cette lutte ; car, suivant M. Gronovius, des soldats hollandais prison- niers de guerre auraient été livrés parles Chinois, tout vivants, à des cochons qui les auraient dévorés. De son côté le résident, usant du droit de représailles, aurait fait enfermer dans un sac un Chinois vivant, pour le jeter ensuite à la rivière. Parmi toutes les scènes ra- contées par M. Gronovius, se trouve le récit d’une excursion qu'il aurait faite dans une tribu de Dayaks ; cette peuplade s'était réunie pour célébrer l’arrivée de quelques têtes ennemies, M. Gronovius considérait comme un fait acquis à l’histoire de ce peuple, Phabr- tude où les hommes seraient, lorsqu'ils veulent con- tracter mariage, d'offrir pour cadeau de noces à leurs fiancées une ou plusieurs têtes sanglantes d’ennemus. L'assemblée au milieu de laquelle se rendit lerésident, se composait d'environ 400 individus de tout sexe; elle était réunie dans une grande case qui servait à loger pluseurs familles. On avait préparé une liqueur enivrante tirée d’un arbre du pays, puis on y avait dé- layé la cervelle des têtes ennemies. Tous ces sauvages DANS L'OCÉANIE. 11 burent cette liqueur, et bientôt se plongèrent dans une ivresse complète. Alors ils se livrèrent à une or- gie qu'il est impossible de décrire. Le lendemain, les femmes en se baignant dans la rivière, se versaient de l’eau sur la tête avec les débris des crânes brisés la veille , auxquels elles insultaient encore. « Suivant M. Gronovius, aucun homme ne pour- rait se marier qu'en apportant une ou plusieurs tètes en dot à sa fiancée. Celui qui est parvenu à réu- nir plusieurs trophées de cette espèce, jouit d’une haute réputation ; il marche la tête haute et partout où 1l passe, ilinspirelerespect. Aucune femme, queile qu'elle soit, ne saurait lui refuser ses faveurs; toutes au contraire recherchent l’honneur de devenir mère avec lui, dans l’espérance d'avoir un rejeton aussi vaillant que le père. Certaines tribus de Dayaks au- raient une coutume fort bizarre, celle de se perforer le membre viril par des aiguilles de métal plus ou moins grosses. Ces aiguilles sont aplaties aux extré- mutés pour empêcher leur déplacement. M. Gronovius en a compté neuf sur un même individu. C'était un chef, il les portait en or. Ses sujets, moins riches, en avaient en argent et même en cuivre. Ces dernières donnaient souvent lieu à des plaies sérieuses, pro- duites par l’oxydation du métal. « Les Dayaks habitent dans de grandes cases où se réunit toute une tribu. Souvent ces édifices sont fort étendus, car chaque ménage y a sa porte particulière et son logis. Les guerres continuelles que se font ces peuples, et l’état d'alarme dans lequel ils vivent cons- 1840. Juin. 1840. Juin. 12 | NOYAGE É. à tamment, les poussent à se réunir pour pouvoir mieux se défendre. « Le sel et le tabac sont les denrées les plus avi dement recherchées par ces sauvages. Au dire de M. Gronovius, le climat de Bornéo serait tres-sain, mais la petite vérole y ferait constamment des ravages affreux. » Dans la soirée, je reçus le capitaine Moyle, qui, depuis nous, avait visité le port Essington pour y porter des bœufs. Les nouvelles qu’il me donna sur l'établissement anglais étaient des plus désastreuses. Il paraît qu'après le passage de nos corvettes, un vio- lent coup de vent avait assailli cet établisstnett) et y avait fait des ravages affreux. Tout avait été détruit. La maison du gouverneur elle-même avait été, disait- il, transportée à plus de vingt pas de la position qu'elle occupait ; tous les arbres avaient été abattus, les em- barcations brisées sur la côte. La corvette le Pelaurus avait été jetée dans la vase du rivage, d’où elle n'avait été retirée qu’à force de temps et de travaux, pour être enfin jugée incapable de reprendre la mer. Leca- pitaine Bremer avait quitté la colonie avant le désas- tre, et, placéà la tête d’une division navale, 1l était allé prendre part aux évéments survenus en Chine. Nous apprimes aussi que, dans le mois de novem- bre 1839, à la suite d’une forte éruption du volcan de Ternate,un violent tremblement de terre avait ébranlé cette île jusque dans ses fondements, et avait détruit en entier sa jolie ville, en ensevelissant sous ses ruines un grand nombre des habitants. Malheureusement DANS L'OCÉANIE. 13 M. clin n'avait que fort peu de détails sur cet 140. épouvantable désastre, et nous ne pümes rien ap- prendre sur le sort des nombreux amis que nous avions faits lors de noire passage dans ces îles. Le 26 juin, nous devions mettre sous voiles. La 26 longue campagne des corvettes l’Asfrolabe et la Zélée était alors réellement terminée ; ilne nous restait plus qu'à regagner la France, etdésormais notre navigation n'offrait plus de difficultés: Le mandat de l'expédition étant accompli ; je résolus de m'entourer de tous mes compagnons de voyage, afin de les mettre à mème d'apprécier les résultats de la mission avectoute con- ” naissance de cause. À huit heures du matin, je réunis chez moi tous les officiers et élèves des deux navires sans exception, et là, après leur avoir annoncé mes in- tentions, je leur donnai connaissance des instructions du ministre.F’avais usé largement dela latitude qu’elles - m'accordaient de modifier à mon gré l'itinéraire qui m'avait été tracé. Je devais à mes compagnonsde route de leurexpliquer les motifs qui m’avaient guidé, et je fis suivre la lecture des instructions qui m'avaient été données de quelques mots dans lesquels je résumai toutes les opérations de la campagne , en comparant les points que nous avions étudiés et quin’étaient point compris dans notre itinéraire, avec ceux que nous avions laissés de côté * * Note sur les opérations de la campagne de l’Astrolabe et de la Zélée, lue par le commandant de l'expédition à toutes les personnes des deux états- Majors réunies dans sa chambre, le 26 juin 1840, à huit heures du matin. Maintenant, messieurs, jetons un coup d’œil rétrograde sur la 1840. Juin. 27 14 VOYAGE ‘ Une heure après, nous étions sous voiles, et nous nous éloignions rapidement de la terre. Dans la soirée, nous aperçümes quelques sommets de S1- mao et de Savu; le lendemain, toutes les terres campagne et comparons les parties que nous avons laïssées avec celles que nous avons faites en sus de ce qui nous était commandé. f : La premièrecatégorie renferme les îles Chiloë, Rapa, Rouroutou, Mangia, Rara-Tonga, Mitchell, Peyster, S'aint- Augustin, Fee Détroit de Cook et Chatam. Avec l'exploration polaire, il était bien impossible de songer à Chiloé. Il eût été absurde de songer au détroit de Magellan, après le travail des glaces ; bien m’en a pris de l'avoir fait au pa- ravant, mais aussi j'assumais là une pesante responsabilité pour mes opérations subséquentes, Rapa, Rouroutou, Mangia , Rara-Tonga, sont de petites îles misérables, presque dépeuplées et sans mouillages ; d’ailleurs, une pénible et stérile tentative sur l’île de Pâques m'a démontré qu'il m’eût fallu peut-être consacrer cinq à six mois pour faire des progrès à l’ouest sur ce parallèle. Les petites îles des Carolines que nous n'avons point vues éht été remplacées par d’autres plus importantes à signaler à la géo- graphie. J'ai laissé le détroit de Cook , en apprenant à Hobart-Town et à Otago que nos baleiniers n’y allaient jamais, et j'ai concentré mes efforts sur les parages qu’ils fréquentent. D'ailleurs, l'4s- trolabe en avait déjà reconnu la meilleure partie. Quand j'indiquai Chatam dans mon plan de campagne, cepoint me semblait alors presque vierge. La visite et les prouesses de l’Héroïne l'avaient complétement défloré pour nous. D'ailleurs, à cette époque, je devais songer sérieuseurent au retour. Cela établi, opposons à ce même déficit la somme des opéra- tions que notre mission offrira à la géog AE: et à la OS . DANS L’OCEANIE. 45 avaient disparu et nous faisions bonne route vers 1840. l'ile Bourbon. | Les vents d’est nous poussèrent rapidement et nous firent franchir la zone des mers qui baïgnent les îles sur des points dont il n’était pas méme question ; d’abord l’ex- ploration de toute la côte orientale de /a terre de Feu, celle des îles Orkney, de plusieurs des New-South Shetland , et la découverte de la terre Louis-Philippe. R L’exploration des îles Juan-Fernandez, Ambroise Félix, Cler- mont- Tonnerre, Serles, presque tout le groupe de Nouka-Hiva, les îles Tiokea, Oura, Raraka , Witigenstein, Greig. Tout l’ar- chipel Taërr, les îles Scilly, Mopelia, tout l'archipel Samoa, les îles Aapai, les îles M indanao au nord de Santa-Cruz, les îles Har- dy, Saint-Jean, Caen , ie groupe Abgarris. Toutes les îles situées entre Mindanao et Célébes. Presque toutes les Moluques depuis Ternate jusqu'à Banda compris. Les îles au sud-est de Céram, Céram-Laut, Goram, Mata-Bella, Matawolka, Tawa. Plus de cent lieues de la côte sud-ouest de la Nouvelle-Guinée. Toute la côte nord de Céram, de Bourou , la cote sud de Célébes, les dé- troits de Banka , de Durionet de Singapour, archipel presque entier de Sobo , les îles Banguey, Balambangan , Cagayan-Solo, le détroit de Bassilan, et toute la bande de Bornéo, Enfin une partie de la bande orientale de la baie Lampoung sur Sumatra. Ajoutons à tout cela la seconde pointe au sud, la découverte du pôle magnétique Austral , les îles Auckland , toute la bande orientale de Z'ile Stewart et de Tavaï-Pounamou, La partie occi- dentale des îles Loyally, toute la bande sud de la Louisiade, la réunion de cet archipel à la Nouvelle-Guinée, une bonne étendue e la côte sud-est de cette grande terre ; enfin nos travaux dans le détroit de Torrès, dont le passage était simplement indiqué comme possible et dans une toute autre combinaison. Dans iout le projet je n’ai renoncé qu’à un seul mouillage posi- tivement indiqué, C’est celuide la rivière des Cygnes. À l’époque Et LT pa 16 VOYAGE sans de la Sonde. Le 2 juillet, nous aperçümes la petite île Moni ou Chrisimas, qui sert habituellemént de recon- naissance aux bâtiments qui se dirigent versle détroit de la Sonde. Nous dûmes ensuite passer très-près de l’île des Cocos, mais nous ne la vimes pas. | 7 Le 7 juillet, nous étions par 13° 19’ de lat. Sud et 94° 27’ long. Est. Les vents qui s'étaient maintenus jusques-là à un ou deux quarts au nord de l’est, variè— rent dans la soirée, et se fixèrent enfin au nord-ouest. où je passai sur son parallèle, si j'avais voulu y conduire les cor- vettes, il est probable que nous eussions encore perdu plus de monde que nous n'avons fait. Dans tous les cas, le reste de la campagne était perdu et nous n’avions plus qu’à nous en aller. D'ailleurs, à ceux qui demanderaientune compensation n’avons- nous pas à présenter nos stations dans le détroit de Magellan, à Conception, Manga-Reva, Nouka-Hiva, Taiti, Samoa, Tsts, Gouaham, Ternate, Banda, Raffles, Essinoton, Dolo, Dubus, Warou, Singapour, Solo, Samaraing, Auckland, Otago, Aka- roa, Baie des Iles, Toud et Timor. Vous savez d’ailleurs qu’en cela, ce ne sont pas de simples noms que nous énoncons ; mais que toutes les branches des sciences onttrouvé une part de butin plus ou moins riche dans notre apparition sur ces divers points, . et tout aujourd’hui nous présage le plus heureux sort pour cet immense bagage. | Sans doute les opinions de chacun sontlibreset chacun de nous jugera l’expédition comme il lui conviendra; mais vous me per- mettrez de vous dire qu'aujourd'hui je crois fermement que l’ex= pédition aura beaucoup gagné aux modifications qu’elle a subies. 11 y a plus, je suis intimement convaincu que la portion sup- plémentaire de la campagne, qui n’était point demandée, consti- tuerait à elle scule un ensemble aussi plorieux, aussi utile, que _le cadre qui nous était imposé et dont nous n'avons supprimé qu'une portion très-minime. his DANS L'OCÉANIE. 17 Dansces parages, où les vents du sud-est soufflent toute l'année, cette circonstance devait nous surprendre. Nous étions loin de toute terre, et nous ne pouvions “attribuer cette anomalie à son voisinage. La mer se faisait très-grosse ; une forte houle venant du sud- ouest arrivait jusqu’à nous. Plus tard, les vents pas- sèrent au sud et soufflèrent avec violence pendant deux ou trois jours. Ensuite, nous retrouvâmes les alizés, qui nous amenèrent le 17 au soir en vue de l’île Rodrigues. Le 19, à midi, les hauts pics de l’île Mau- rice parurent au-dessus de l'horizon; bientôt après, nousaperçümes le volcan de Bourbon, quoique nous en fussions encore à près de trente lieues. Un torrent. de laves s’échappait de son cratère et descendait sur .ses flancs en formant une longue nappe de feu, qui servait merveilleusement à éclairer notre navi- gation. | Le 20 juillet, de très-bonne heure, nous suivions de près la côte de cette île. Depuis trois ans, c'était là première fois que nos yeux se reposaient sur une terre française; aussi nous ne pouvions nous lasser - de la regarder. Du reste, la culture de cette l'ile est tellement bien ordonnée qu'elle présente un aspect ravissant. À onze heures, nous apercevions déjà les navires mouillés dans la rade de Saint-Denis; nous nous flattions de pouvoir atteindre le mouillage de bonne heure, mais le vent nous manqua tout à coup, et nous dûmesencore passer la nuit sous voiles. Enfin, le lendemain, à sept heures du matin, nous laissàmes tomber nos ancres au milieu de quatorze navires X. 2 2 1840. Juillet, 20 * Re Rae F. 1 no D null # -- =: SEA DANS L'OCEANIE 419 CHAPITRE LXX. AR : < à É ê À \ . a" Séjour sur la rade de Saint-Denis (île Bourbon). — Mouillage à l'île Sainte-Hélène. — Traversée de l’île Bourbon à Toulon. Dans la matinée du jour qui nous amena au mouillage , M. le contre-amiral de Hell , gouverneur . de la colonie de Bourbon, avait été frappé par la perte douloureuse de l’un de ses parents. Lorsque je . lui envoyai un officier pour lui présenter mes com- pliments et lui annoncer notre arrivée, il était plongé dans la douleur la plus amère; cependant il fit les ré- ponses les plus bienveillantes. IL avait appris que j étais souffrant, et il m'offrait tous les secours que Vétat délabré de ma santé pouvait exiger. Je n’ou- blierai jamais toutes les prévenances ettoutes les at tentions dont je fus l’objet de sa part dans cette cir- constance. | 4 Comme on le sait, l’île Bourbon ne présente au- _cune baie, aucune rade où les navires puissent trou- ver un abri assuré ; le fond du mouillage de Saint- Denis est d’une bonne tenue, mais la mer y roule ME PLAN + € 1840. 91 Juillet, 1849. Juillet. - 20 VOYAGE DST AE constamment des vagues énormes qui agitent 1 ne Je vires sur leurs ancres, et rendent le séjour du bord ne peu favorable à la santé des malades. On à bien cons- | truit à grand’peine un barachois où peuventse réfu= gier les embarcations ; toutefois l’entrée n'en est. pas toujours libre, car il arrive souvent que la mer ” brise avec “ob sur la rade et la rend impraticable sit aux embarcations. ; : æ Mon premier soin, une fois que nous fûmes mouil- lés, fut d'envoyer. nos malades à l'hôpital à terre, pour qu'ils pussent y recevoir des soins et compléter leur guérison. Plusieurs hommes, attaqués par la dyssen- ierie, n'avaient pu se rétablir complétement depuis notre départ d'Hobart-Town. Parmi les officiers dela Zélée, l'état de M. Gaillard n'avait fait qu'empirer: il. était attaqué de phthisie, et déjail ne laissait auxméde= cins que peu d'espérance de guérison. À bord de lAs= trolabe, M. Dumoulin avait éprouvé une terrible re- chute depuis notre départde Timor; pendant plusieurs jours, nous avions craint de le perdre. Son séjour à terre devait activer sa guérison, et cependant les mé decins ne pensaient pas qu’il pût opérer son retour M en France sur nos corvettes. Pour ma part, les souffrances ne me laissaient plus aucun repos; la goutte s'était fixée aux intestins, et j'éprouvais des douleurs extrèmement vives auxquelles } je m'étonne d’avoir pu résister. Toutefois, je ne voulus point descendre à terre avant d’avoir vu ES ie les malades pour l'hôpital de la colonie. JE À trois heures de l'après-midi, je lis saluer de neuf _ # x DANS L'OCÉANIE. 4; 424 coups de canon le contre-amiral gouverneur, je pas- sai la soirée à recevoir la visite des officiers des na- -vires sur la rade, qui m'apprirent les plus récentes nouvelles de la France. Chacun de nous employa , pour ainsi dire, cette journée à lire les lettres de sa famille, dont le nombre fort heureusement était considérable. J’appris surtout avec une satisfaction bien vive les promotions de grade de plusieurs offi- ciers de l'expédition, pour lesquels j'avais sollicité de- puis longtemps la bienveillance du ministre. Malheu- reusement toutes les demandes que j'avais faites dans le cours de la campagne n'avaient point été éga- lement accueillies. MM. Tardy de Montravel et Ma- rescot avaient seuls été promus au choix au grade de _ lieutenant de vaisseau. C’étaient là des récompenses bien méritées; mais en rejetant les demandes que j'a- vais faites en même temps pour les autres officiers de lexpédition, c'était établir une distinction fâcheuse et qui aurait peut-être pu produire le découragement, si les travaux de la campagne avaient dû se continuer. Dans tous les cas, ces nominations, auxquelles ve- naient s'ajouter celles deMM. Duroch, Gaillard, Boyer etde Flotte, par rang d'ancienneté, furent reçues avec joie par tous mes compagnons de voyage. Tous les officiers et les élèves, unis entre eux par une cordiale amitié, si favorable au succès des expéditions loin- taines, se réjouirent simcèrement de l'avancement dont quelques-uns d’entre eux avaient été l’objet. Je ne pus descendre à terre que le lendemain ; j'étais d’une faiblesse excessive; toutefois j'éprouvai 1810. Juillet. - 4840. Juillet. 92 VOYAGE déjà du soulagement en quittant l’Asfrolabe où le“ repos était presque impossible avec là houle qui agitait constamment la rade. Je ne voulus point d’a- bord me présenter chez le gouverneur. L'événement malheureux qui avait eu lieu la veille, était trop ré cent encore pour aller le troubler par une misite officielle; mais à peine avais-je fait quelques pas que: je fus accosté par l’aide-de-camp de M. de Hell, qui me manifesia le désir de cet officier général de me voir passer la soirée à l'hôtel du gouvernement. Dans cettecirconstance, les soins queje reçusetles pré- venances dont je fus l’objet n'ont laissé le plus agréa- ble souvenir et méritent toute ma reconnaissance. La colonie était, au moment de notre passage, en- combrée de militaires ayant droit à leur renvoi en France après avoir complété le temps dû au service. I n’y avait sur la rade que la frégate la Junon qui püt recevoir la mission de les ramener en France. L’or- donnateur, M. Bédier, dans l'intérêt de ces hommes, me demanda d'en reconduire quelques-uns sur nos corvettes à Foulon. J'acceptai volontiers, mais je ne voulus consentir à recevoir que des hommes valides et bien portants, dans la crainte qu’à mon arrivée dans un port de France, on ne nous imposât une longue quarantaine, toujours fort désagréable et surtout après un voyage de longue haleine comme le nôtre. Je ne voulus point non plus recevoir d'officiers. Ce- pendant, avant de prendre une résolution défini- tive à cet égard, j'allai faire moi-même une visite à nos malades. J'y trouvai M. Gaillard toujours dans DANS L'OCÉANIE. 23 un état déplorable ; il se décida facilement à rester dans la colonie pour regagner plus tard la France après une guérison que, seul parmi nous tous, il espérait encore. M. Dumoulin allait beaucoup mieux. Après une crise violente à laquelle il avait résisté, les médecins croyaient à une guérison assurée; mais 1ls voulaient que cetofficier fit un séjour de deux ou trois mois à Bourbon, avant de s'exposer aux mers {ou— jours dures du cap de Bonne-Espérance. J'engageai vivement M. Dumoulin à suivre l'avis des médecins, mais toutes mes instances devinrent inutiles. Il ne voulait consentir à abandonner l’Astrolabe que sur un ordre formel de ma part, qui l’eût vivement con- trarié et que je ne voulus point lui donner. Quant à nosdyssentériques, leur étatn’inspirait aucune crainte sérieuse ; il n’yavyait non plus aucun inconvénient à ce qu’ils séjournâssent à l'hôpital de Bourbon jusqu’à ce qu'ils fussent parfaitement rétablis. En conséquence, j'annonçai à M. Bédier que j'accepterais quatre-vingts hommes répartis par égale moitié sur les deux cor- vettes ; mais que je ne pouvais disposer d'aucune chambre en faveur des officiers. Plus tard cependant le capitaine Jacquinot accepta à son bord un jeune enseigne de vaisseau, qui voulait se rapatrier et qui remplaca M. Gaillard dans le service du bord. Je prévins en même temps M. Bédier que mon départ _ était irrévocablement fixé à la fin du mois, et qu'il voulüt bien faire presser l’'embarquement de ces hommes et des vivres supplémentaires que nécessi- tait leur présence, pour que je n’éprouvasse aucun 1840. Juillét. f 1840. Juillet: 26 30 8 Août. 2 VOYAGE [TER retard. Quarante tonneaux d’eau, quatre mois de vivres pour cent dix honunes, quelques rechanges et une ancre de hossoir de 900 kilog. nous furent cédés et transportés à bord avec une célérité qui. témoigne en faveur des ressources de notre petite co= lonie et de la bonne organisation du service de la marine. (> Le 26, je fis rassembler tout l'équipage, auquel j'adressai une courte allocution ; je fis ensuite distri- buer vingt médailles de l'expédition aux maïtres.et aux matelots qui avaient pris une part si active aux travaux de la campagne, et qui, par leur courage, leurzèle etleur conduite irréprochable, avaient sisou- vent mérité mon-estime et mon admiration. À deux heures, je descendis à terre et je présentai au gouver- neur tous les officiers. L'accueil que nous reçümes de M. de Hell fut, comme toujours, non-seulement poli, mais bienveillant. | Le 30 au matin, tous nos passagers étaient em— barqués , tous nos préparatifs de départ étaient ter- minés, et, dans la soirée, nous appareillâmes avec les brises de terre, qui bientôt nous poussèrent au large. Les calmes nous laissèrent quelque temps en- core en vue de la côte, puis la brise s’établit au sud | est et nous nous éloignâmes rapidement, Jusqu'au 8 août, les vents furent des plus favo- rables ; la mer était dure et fatigante , mais chaque” jour nous rapprochait un peu plus de la France, et … nous étions loin de nous plaindre; car la brise frai- che servait admirablement à abréger notre navigation: … ï DANS L'OCÉANIE, 95 Cependant, nous avions alors atteint le 30° degré de latitude ; nous quittions la zone des vents alizés pour entrer dans celle des vents variables, Nous ne tardà- mes pas à ressentir leur influence. Les vents d'ouest vinrent nous contrarier et nous forcer à louvoyer. Heureusement ces parages si constamment battus | par la tempête, étaient alors calmes et tranquilles ; c'était là le point critique de notre traversée, car il n’est pas rare d’être assailli près du cap de Bonne- Espérance par des vents d'ouest tr ès-violents, qui for- cent le navigateur à battre la mer pendant fort long- temps avant de pouvoir quitter FOcéan Indien. Après cinq jours d'attente, la brise se fixa de nou- veau à lE.N.E Le 15, à dix heures du matin, malgré la brume, nous aperçümes la terre; mais là _ les vents nous abandonnèrent. Ils se fixèrent ensuite de nouveau au N.0. et enfin, après avoir varié dans toutes les directions, nous finimes par rester en calme complet. Nous apercevions toujours les hauts som- mets de l'Afrique, apparaissant comme des îles iso- lées au milieu de l'Océan; le temps était du reste très-beau , mais je redoutais à chaque instant de voir _ nos navires éprouvés par un coup de vent aussi vio- lent que celui que nous reçûmes dans les mêmes parages lors de mon premier voyage, et qui plaça cette même As{rolabe, que je montais ions , dans une position très-critique. 3 Enfin , le 21, la brise se fixa de nouveau à J'E.N.E. Le 2%, à sept heures du matin, poussés par une belle brise , nous aperçûmes, à dix lieues environ 1840, Aoûf. 43 21 26 _ VOYAGE 1840. Août. 7 Septembre. de distance , la haute montagne de la Table , ét, dé- à sormais libre de toute inquiétude, nous entré dans l'Atlantique , en mettant directement le Al: sur ‘4 l’île de Sainte-Hélène. Le 7 septembre, la vigie signala la brie devant. nous. Le ciel était couvert, et une brume épaïssé couvrait tous les sommets de l'ile Sainte-Hélène. Enfin, à dix heures et demie, nous doublions la pointe N.E. de l’île, et bientôt nous aperçümes les … maisons de James-Town. Mais là. une fois abrités par la terre, nous ne pûmes plus avancer qu’à l’aide des rafales souvent- violentes qui s’échappent sou- dainement à travers les ravins de ce rocher stérile; à midi, nous étions mouillés , et, quelques heures: après, nous pouvions librement dcscR le à terre. Je n'avais d'autre but, en mouillant à l’île de Sainte- Hélène, que de remplacer l’eau qui avait été con- sommée et qui nous était nécessaire pour continuer notre route. Pendant mes voyages précédents, soit à bord de la Coquille, soit à bord de l’Astrolabe, * j'avais visité tous les points de l’île, où s’attachent les | souvenirs ineffaçables du séjour de l’homme le plus extraordinaire des temps modernes. Aussi, je me bor- … nai à faire quelques courses dans la ville, pendant que _tousnosofficiersse hâtèrentde faire le pieux pèlerinage de Long-Wood, pour visiter les lieux rendus à jamais. « célèbres par l'exil de empereur. On nous apprit que l’on attendait tous les jours la division commandée par le prince de Jomville , qui devait venir chercher. 1 les nobles dépouilles dont l’île de Sainte-Hélène était — DANS L'OCÉANIE. 97 _ dépositaire. Des ordres venaient d'arriver d'Angle- terre, afin de hâter les dispositions nécessaires pour l'exhumation des cendres de Napoléon. Quelques jours encore , et il ne devait plus rester à Sainte- . Hélène, à ces lieux si souvent visités par tous les voyageurs , que l'intérêt qui s'attache toujours aux grands événements et aux scènes sur lesquelles ils se _sont passés. | J'avais appris que nos matelots avaient manifesté le désir d'aller à terre pour visiter le tombeau et la maison occupée par l’empereur; je me hâtai d'aller au-devant d'un désir si légitime, en accordant des permissions gépérales à nos équipages pour se rendre à terre par bordée. Le 8, dans l'après-midi, malgré un temps incertain, on voyait de la ville, sur les flancs des montagnes qui l’enfourent de tous côtés, les ma- rins de l’Astrolabe et de la Zélée se diriger pieuse- ment-vers la vallée de Long-Wood; malgré cette per-- mission générale et les cabarets sans nombre de la ville, je dois dire à la louange de nos matelots que . non-seulement je n'eus pas le moindre désordre à - réprimer, mais Je n eus encore aucun reproche à leur adresser. _. On me montra à terre le char funèbre qui avait été disposé pour le transport des cendres de Napo- léon jusqu'aux abords du rivage, où le cercueil de- vait être remis entre les mains du Prince. Ce char n'avait rien de remarquable, si ce n’était d’avoir été construit dans l'ile même, où il est difficile de trouver des ouvriers. | 1840. Septembre, 1840. Septembre. 20 Octobre. 28 VOYAGE Re J'appris encore que, depuis peu, les Anglais avai en 1 établi à Sainte-Hélène un observatoire magnétique, afin d’y faire des observations pendant. toute la durée de l'expédition commandée par le capitaine Ross. n° était dirigé par M. Lifroy, jeune officier d' antil= 4 lerie, plein de mérite et possédant des connaissances | fort étendues. Malheureusement, cet officier avait - fixé le siége de ses opérations dans le palais neuf qui fut bâti pour servir de demeure à Napoléon, et qui . ne fut jamais habité par l’illustre exilé. Je ne pus me décider à entreprendre une course longue et RE pour aller visiter cet observatoire. ROUrS Le 9 septembre, nous avions reçu notre pro= vision d’eau ; à deux heures , la moitié de l'équipage, qui était allée à terre en permission, fut de retour à bord, et alors rien ne nous retenant plus au mouil- lage, nous remimes immédiatement à la voile. | Notre navigation ne présenta plus aucun événe- ment digne d’être rapporté. Le 12 octobre, nous pro- * fitâmes du calme pour essayer de faire une sonde . thermométrographique; mais à peine avions-nous . filé huit cents brasses de ligne qu’elle se rompit. Heureusement l'instrument qui avait été placé dans « le cylindre en cuivre, avait été comparé queries jours auparavant. ù Le 20 octobre, nous étions en vue 4 Sainte-Marie, | la plus orientale des îles Açores ; poussés par une belle | brise du S.S.E., nous la dépassimes rapidement. Après quelques jours de calme, nous atteignimes de forts vents de N.0. qui nous amenèrent le 81 L'octo- 3 DANS L'OCÉANIE. 29 bre en vue de la côte d’Espagne. Le lendemain, nous entrions dans la Méditerranée; enfin le 6 novembre, à quatre heures du soir, nous aperçûmes le cap Sicié ; le temps était brumeux et la pluie tombaït à torrents ; nous étions tous sur le pont, avides de contempler la terre de-France, et à dix heures du soir, nous laissämes tomber pour la dernière fois l’ancre dans la - rade de Toulon, au milieu de l’escadre commandée par VPamiral Lalande. Il y avait trente-huit mois, juste à pareil jour, que nos deux corvettes avaient quitté le port de Toulon pour entreprendre leur cam— pagne d'exploration. Le lendemain , à six heures du matin, nous obte- nions la libre entrée. Nous vimes avec joie M. Lafond, pour qui nous avions conservé des inquiétudes sé- rieuses après son départ de Batavia, accourir vers VAstrolabe ; 11 se chargea de faire le service néces- saire du bord pendant que tous nous allions à terre revoir nos familles, et apprendre des nouvelles qui nous intéressaient si fort. Quant à moi, il était temps d'arriver : mes souffrances avaient cruellement aug- _menté, et j’eus besoin de tous les soins qui me furent - prodigués pour pouvoir, au bout de deux mois, me rendre à Paris, où m'appelaient les ordres du minis- tre de la marine. Je m'’occupai immédiatement de Ja rédaction des matériaux recueillis dans le cours de la campagne”. ET * Notes 3 et L. 1840. 6 Novembre, LEE ER ec NOTES. Note 1, page 18. 2 L'eau de la rivière qui traverse la ville de Coupang, contenant une assez grande quantité de matières calcaires, fut, dès le prin- cipe, signalée comme peu saine, et ne servant qu'aux usages du peuple ; les Européens et les gens aisés lui préfèrent celle d’un grand ruisseau situé à environ un mille dans l’est, et c'est à ce der- nier endroit que nous puisâmes, pour remplacer celle qui nous manquait. Les bœufs , les cochons , les chèvres et la volaille se trouvant en abondance et à un prix modique, nous n'éprouvèmes aucune difficulté pour nous procurer ce dont nous avions besoin ; il n’en fut pas de même pour les légumes frais qui sont très- rares, el que les autorités seules du pays parviennent, non sans peine cependant, à faire servir sur leurs tables. Ce n’est pas que le sol se refuse à la production ; la paresse seule des habitants en est la cause; ils se contentent d’un peu de riz , de quelques poignées de maïs, et de temps à autre d’une légère quantité de poisson sec ; ils ne voient rien au-delà, et ne cèdent qu’à la con- trainte ou à la peur du châtiment, pour se livrer à des travaux dont ils ne sauraient concevoir l'utilité et dont le résultat ne leur offre la perspective d'aucune jouissance. sd La garnison de Coupang n’est que de cinquante soldats java- nais ; ils sont logés dans le fort , et sont chargés de l’entretenir ; À 3 34 _ NOTES. du reste leur service n’est pas fatigant, et jamais ils ne sont appelés à faire des courses dans l'intérieur. La tranquillité et l'inertie de la population, la rareté des disputes, les crimes presque inconnus, rien enfin ne réclame l'intervention dela force armée, dont, au besoin, on pourrait se passer sans la moindre inquiétude, mais que l’on conserve comme signe d'occupation mi litaire , et pour ne pas donner prétexte à d’autres puissances de venirs’y établir. À la suite des fatigues qu'il avait éprouvées sw la côte de la Loutsiade et dans le détroit de Torres, le commandant d Urville se trouvait , lors de notre arrivée à Timor, atteint d’une forte at- taque de goutte , accompagnée de vives douleurs dans les en- - trailles ; il ne put quitter un seul instant Le bord, durant la relà” che , et même sa position nous inspira quelques inquiétudes. Heureusement, la crise se calma dans la journée du 24, et il put jouir de quelques moments de repos. Le lendemain, au matin, avant de signaler l’appareiïllage, il assembla chez lui les officiers des deux corvettes , et là, leur fit lecture des instructions que le gouvernement lui avait envoyées pour la campagne que nous ve- nions d'exécuter ; chacun put se convaincre, non-seulement de la fidélité avec laquelle il les avait suivies, mais encore on put juger que la masse des travaux exécutés en dehors de ce qui était ordonné, pouvait à elle seule constituer une expédition glorieuse. | (M. Jacquinot.) Note 2, page 18. L'île de Timor est très-fertile ; elle fournit abondamment aux besoins desnombreux baleiniersaméricains etanglais quirelâchent de préférence à Coupang, où ils ont libre entrée sans aucun droît d'ancrage. La pêche du cachalot occupe toujours une soixan- , . = | 0 . taine de ces navires dans le voisinage de Timor ; qui est le ceñtre de leurs croisières et où ils viennent de temps à autrese ravitailler. Ce cétacé, encore très-commun aujourd’hui, depuis la côte sud de à 14 * ou L % NOTES. 45 Timor jusqu’au nord de Ternate, route qu'il est obligé de sui- vre pour se rendre de l'Océan indien dans la mer Pacifique, dis- paraîtra bientôt sous le harpon infatigable de ces deux nations, et les pêcheurs français, toujours tardifs, toujours à une distance infinie de ceux-là, a’arriveront que pour glaner avec peine sur ce terrain déjà moïssonné par d’autres. Ainsi ont procédé tou- jours nos pêcheurs , ou plutôt nos armateurs qui n'ont pas assez le génie du commerce, pour courir les plus légères chances d’une entreprise, hors de leurs routinières spéculations. Ce que l’on comprend cependant plus difficilement encore, c'est que les Hollandais qui, les premiers, ont fait dans l’hémi- sphère nord la guerre aux baleines, qui dans la pêche ont été longtemps les maîtres de tous, laissent sans s’'émouvoir exploiter par d’autres une mer toute hollandaise. Uniquement occupée de ses cafés, de son thé, Java ne voit plus que cette double mine à l'exploitation de laquelle elle sacrifie ses trésors et ses bras,tand is qu'il lui serait facile, par quelques armements, de ravir à l’An- gleterre et aux Etats-Unis une source de grandes richesses, Mais les Hollandais tombent par entêtement, dansles fautes où nousen- traînent notre insouciance et nos terreurscommerciales. Ils sesont butés aux sucres, aux cafés el aux thés, et rien ne les en sortira. Nous avons été parfaitement accueillis à Coupang par le rési- dent M. Gronovius, homme aimable et instruit, qu'un long sé- jour à Bornéo a mis à même de faire sur ce pays un grand nom- bre d'observations ethnologiques, et de construire une carte in- téressante, dont il a doté l'expédition. Ces matériaux sont d’au- tant plus curieux, qué M. de Gronovius a eu pendant un long séjour à Pontianak, et sur divers points de Bornéo, toutes les facilités possibles de se procurer des renseignements de toute espèce, sur l’intérieur de cette île, dont les mœurs et les divisions sont. si peu connues. C’est une acquisition précieuse pour l'expédition. | M. Gronovius nous a longtemps et souvent parlé de Bornéo, et m’a presque donné l'envie de visiter des lieux dont il m'a fait une si brillante description. La conversation de cet homme aima- 36 NOTES. ble m'intéressait on ne peut plus et n’amusait par le tour plaisant que son flegme hollandais donnait à toutes ses narralions, voire même à la décapitation de 950 Chinois exécutés l’un après l'au- tre sous ses yeux. Je crois, du reste, qu’il a le talent d’armer la vé- rité d'amplifications et de détails qui lui donnent une teinte de merveilleux qui charme etamuse son auditoire. Coupang est le seul établissement des Hollandais sur l’île de Timor, et de lui dépendent les îles voisines, telles que Ombay, Flores, Sandalvood , etc., etc. La garnison se compose d’une cin- quantaine de soldatsjavanais, commandés par un sous-lieutenant hollandais. C’est avec si peu de monde qu'ils dominent sur une population assez nombreuse, mais d’une grande douceur, comme l'indique le seul fait qui nous a été rapporté, que jamais, pour ainsi dire, la! justice n’a à intervenir dans les relations des natu- rels entre eux ou avec les Européens. Cette rareté de crimes est un fait remarquable dans la Malaisie, où les indigènes sont si généralement portés au vol et à la piraterie. Les Portugais ont un établissemt à Delhi, sur la côte nord de l'île, seul reste des conquêtes du grand Albuquerque dans les Indes. 1] a suivi la dé- cadence de cette puissance naguère si florissante. Aujourd’hui ; Deïhi n’est qu’un poste sans aucune imporlance commerciale et n'ayant presqu'aucune relation avec la métropole; il ne tardera pas sans doute à tomber complétement dans l’oubli et à périr faute d'aliments. (M. Montravel.) Note 3, page 29. Nous passèmes neuf jours seulement sur la rade de Saint-De - his, pour y remplacer notre eau et nos vivres, et pendant ce temps, nous fûmes constamment favorisés par le beau temps. Nous n’eûmes pas même ces grandes brises, si communes dans la sai- son. Je trouvai que cette colonie avait fait d'immenses progrès, depuis que je l'avais visitée en 1824. Nous eûmes autant à nous louer de l'hospitalité des habitants, que dans nos plus agréables NOTES. 37 relâches de voyage, ct nous aurions été bien fâchés de quitter sitôt cette bonne île, si, alors que nos travaux étaient finis , nous n'avions été aussi pressés de revoir nos familles... A notre arrivée à Sainte-Hélène, on nous apprit que des ordres venaient d'arriver d'Angleterre de faire des dispositions pour rendre au prince de Joinville , qui était attendu avec deux fré- gates, les dépouilles mortelles de Napoléon ; quand les vigies avaient signalé deux bâtiments de guerre francais, on nous avait fait l'honneur de nous prendre pour ces frégates. Nous dûmes nous féliciter d’être arrivés à Sainte-Hélène avant l'enlèvement de ces froides dépouilles, si précieuses à la France. Le 8 au matin, je fis le pélerinage accoutumé du tombeau et de Longwood. J'avais été obligé de me munir d'avance d’une permission qu'on me fit payer trois shillings, car les An- glais spéculent sur tout, pour visiter la maison aujourd'hui pres- qu’en ruines où le guerrier le plus illustre des temps modernes passa les longues années d’une captivité pleine d'amertume., J'éprouvai, en yarrivant, un sentiment pénible en voyant trans- formée en une écurie, la chambre où il renditledernier soupir; ce quime parut une espèce de profanation honteuse, surtout pour le gouvernement d’une nation qui affecte souvent tant de vé- nération pour les débris les plus insignifiants des vieux mo- numents, et pour les lieux qui rappellent la tradition de faits les plus ordinaires. Ün pareil abandon porte à faire croire que les Anglais qui, aujourd'hui, il fautleur rendre cette justice, désap- prouvent tant l’infâme conduite de sir Hudson-Lowe à l'égard de son prisonnier, et la politique qui fitsacrifier un ennemi désarmé, n’osent pas témoigner leurs sentiments ouvertement. Le tombeau se ressentaitaussi, quoiqu’un peu moins, de cet abandon coupable. Sa situation, au fond de cette vallée si triste, où l’empereur aimait à venir se reposer avec ses compagnons d’infortuue, loin des regards importuns des satellites de son geôlier, est faite par elle-même pour disposer à la mélancolie, et quand on réfléchit que sous ces quatre pierres entourées d’un mauvais grillage, et ombragées de saules et de cyprès, repose celui dont la renommée fut si grande, 38 : NOTES. et dont le nom, aujourd'hui encore, est dans toutes les hou. ches, et suffit pour passionner les hommes dans toutes les parties du monde, on fait malgré soi de tristes réflexions sur la fragilité des grandeurs humaines. Nous eûmes, dans notre excursion au tombeau et à Longwood, un temps affreux, une pluie presque continuelle, et beaucoup de vent; à chaque instant on se trouvait dans la région des nuages, et souvent ils interceptaient, sur la route de Longwood, la vue de la vallée voisine. J’appris que ce temps était celui qui régnait pres- que toujours dans ces parties élevées de l’île ; aussi n'est-il pas étonnant que la constitution robuste de l'empereur y ait résisté si peu. à En allant visiter la maison qu’on avait fait édifier pour rem- placer la masure de Longwood, qu'habita toujours Napoléon, je vis le nouvel observatoire de physique, établi dans cette île par le. capitaine Ross. Il était dirigé par un jeune officier du corps royal d'artillerie, qui me parut fort entendu ; il me recut avec une poli- tesse exquise, et mit beaucoup de grâce à me faire voir ses ins- truments. Tous étaient exclusivement destinés aux observations magnétiques; mais il attendait incessamment d’autres instruments - pour observer les phénomènes de lélectricité. L'idée qui a porté le gouvernement britannique à établir ainsi des observatoires dans diverses parties du monde, fait autant d'honneur à cette na- tion que la libéralité qui préside à son exécution, et avec la- quelle on traite les hommes qui consacrent leurs veilles à des tra- vaux aussi ingrats, et dont les générations à venir recucil- leront seules les fruits ; car ce sont des matériaux qu'on amasse pour elles. | Je ramenaï avec moi à James-Town, ce jeune obseryateur qui vit avec beaucoup d'intérêt les instruments de M. Dumoulin, et les travaux que nous avions exécutés. (M. Dubouzet.) NOTES. 39 Note 4, page 29. «we Le 7 septembre 1840 , avec le jour , l’île de Sainte-Hélène apparut enfin à nos yeux impatients de la voir. Un voile de brume en cachaït les contours ; il fallut encore quelques heu- res d’un sillage rapide, pour nous permettre d’apercevoir plus distinctement une succession de falaises à pic ou de pentes in- accessibles qui la limitent vers la mer, La roche nue frappe par- tout le regard, et si quelque apparence de végétation se montre cà et là, elle est confinée aux étroits interstices qui séparent les sommets de l’île. Dans l’intérieur, l'œil effrayé s'arrête à regret sur des pics aigus qui touchent aux nuages. D’immenses précipices, d’étroits et profonds ravins sillonnent un sol sans verdure, sans culture apparente, un terrain ingrat, aride, désolé. A l'aspect de cette île, si affreusement tourmentée, placée sous un ciel si rarement pur, la même tristesse s'empare de toutes les pensées, la même excla- mation s'échappe de toutes les bouches : Quel horrible séjour |... Poussés par les fraîches brises de lalisé, nous atteignimes le mouillage devant James- Town, vers onze heures. À peine l'ancre fut-elle tombée, que le capitaine du port et le médecin de la co- lonie vinrent nous faire raisonner, et nous communiquèrent en même temps une nouvelle qui produisit une émotion générale à bord. Ils nous apprirent qu’un ordre du gouvernement anglais était arrivé aux autorités de Sainte-Hélène de livrer les restes de l'empereur au prince de Joinville, investi du commandement d’une division navale, pour recevoir et transporter en France ce précieux dépôt. L'arrivée de cette division devait avoir lieu très- prochainement; car, à la date des derniers avis reçus d'Europe, on savait qu'elle était partie pour accomplir sa mission. Cet événement ajoutait un nouvel intérêt à notre relâche. E0 NOTES. Nous devions être des derniers à visiter le tombeau de l'empereur, pendant que son corps y reposait encore... Une formidable batterie, surchargée de gros canons et d'obu- siers, précède, sur le bord de la mer, la porte basse et massive qui ouvre l'accès de la ville anglaise. Du reste, James-Town n’a d’une ville quelenom. Elle est habitée par deux ou trois mille âmes au plus, et ses maisons, hautes d’un étage, quelquefois de deux, petites, chétives, forment une rue unique qui se prolonge dans la direction d’un ravin encaissé entre les parois des hautes montagnes qui le dominent. Cette situation de la ville effraie la pensée. Il semble que la chute d’un fragment de rocher peut à chaque ins- tant porter la destruction dans ses édifices étriqués , et qu'il suffirait de lancer des boulets avec la main, du haut des forts qui couvrent la crête du mont de l'Echelle (Ladder-Hill), pour rui- ner la ville couchée à ses pieds. Vers la fin de l'unique rue de James-Town, on atteint uné bifurcation de la route, Le chemin de droite suit le prolongement de la ville, de plus en plus rétrécie; il mène à la chute d’eau de Briars, près de laquelle on voit encore la maisou qui fut ha- bitée par Napoléon, les cinquante premiers jours de son séjour dans l’île. Le chemin de gauche conduit au tombeau de l’empe- reur. Il serpente sur les flancs des monts, du côté de la ville. Sa pente est rapide et l’ascension fatigante. Un parapet en garnit le. contour fort à propos, car il suflirait d’un faux pas pour être roulé jusqu’au fond des précipices qui le bordent. À mesure qu’on s'élève sur cette route, la ville s Amoin dre de plus en plus; ses maisons s’écrasent. Elles n'apparaissent vlus que comme des taches blanches et rouges semées sur un sol brun, comme une sorte de ruisseau coloré conlant vers la mer au fond d’une crevasse des montagnes. La mer n'apparaît elle-mêmequ'au bout d’une longue fente des, terres. Vers l’intérieur la vue est peut-être moins triste. La cascade de Briars, projette ses blanches eaux au-dessus d’un vaste en- tonnoir creusé dans le roc. Ce filet d’eau brille au bord de la pa- roi supérieure de ce bassin naturel, avant de tomber sous forme NOTES. 41 de colonne inclinée, fléchissant au gré des bouffées de vent, qui partent des hauts sommets pour descendre avec une impé- tuosité croissante dans la vallée, et de là vers la rade. Au pied de cette cascade, sur un terrain élevé, maïs assez plat, sont réunis tous les jardinsde la ville. Ils jettent un tapis de ver- dure, qui pourrait faire comparer ce point à un oasis, si son ho- rizon était plus vaste. La maison qui servit de résidence à l’empe- reur est une des plus reculées et la mieux située. Mais là, comme partout, la vue est bornée var d'immenses rochers nus et stériles, par des batteries et des forts échelonnés jusque sur les sommets les plus abruptes, par des murs entassés les uns sur les autres. Rien ne rappelle mieux l'aspect d'une prison ; libre, il semble qu'on soit à l’étroit; la poitrine est oppressée, la pensée s’em- _preint de mélancolie. On s'étonne presque que des hommes puis- sent demeurer, de leur propre volonté, sur une terre sem- blable. Bientôt le chemin fait un coude et sa pente, désormais trop rapide, n’est plus tracée qu’en zig-zag. Après avoir dépassé deux nouveaux contours, on arrive sur un point culminant, d’où l'œil embrasse dans le lointain l'immense horizon de l'Océan, et sur un plan plus rapproché, les ondulations de la mer, frangées d’écume, qui viennent battre le pied des falaises. De cette hauteur l'incli- naison du terrain paraît prodigieuse, ilsemble qu’il suffirait de se laisser glisser pour descendre jusqu’au rivage. Le vent passe par rafales glacées sur ce sommet aride et descend, en suivant les plis de la montagne, vers la mer où il produit, au loin, des chan- gements de teinte sur la surface mobile des eaux. : La route continue à monter; elle s'enfonce un peu plus loin dans un bois de pins , qui avoisine une maison blanche, située presqu'au point culminant de ce plateau. Le vent arrache aux branches des arbres des rumeurs monotones ettristes, semblables ‘au bruit de la mersur les grèves. Leur feuillage sombre, sans cesse agité, acquiert cependant de la vigueur. [Il anime un peu ce triste paysage. Bientôt deux routes se présentent; la première suit la crête des 7° ES NOTES. monts ; elle conduit à Longwood, la seconde descend dans un ra- vin , elle conduit au tombeau. Un sentier la divise à sa nais- sance ; il se dirige vers la mer. Rens Sur cet espace privé de l'abri du bois on sb de nouveau la violence des vents constants de l’alisé. Des touffes d'herbes à fleurs jaunes, des buissons rabougris, croissent sur des pentes où la terre végétale n'a que peu d'épaisseur. Ils donnent pâture à quelques vaches de chétive apparence, qui lèvent la tête et sem- blent reconnaître l'étranger qui vient troubler leur repos. On est alors à quelques pas d’un ravin, qui porte le nom au moins singulier de Bol de punch du Diable. Le tombeau de l'em- pereur y est placé. Le premier objet qui frappe la vue dans cette direction, est. une petite maison blanche comme les Anglais en bâtissent. Un enfant de douze ans, placé en vedette n’apporta aussitôt une carte sur laquelle onlisait : A LA TOMBE DE NAPOLÉON, Saïinte-Ilélène. Rafraîchissement sont suppliés aux visiteurs , sous la licence du gouvernement, | - pour le bénéfit | We d’UNE VEUVE ET DE SA FAMILLE, La spéculation avait passé par là. La tombe du grand capitaine servait de réclame à une auberge. J'avais vu maintes fois le nom de l’empereur placé sur l'enseigne des boutiques ; je l’avais vu figurer dans les parades de foire ou sur la scène de quelques théâtres ; mais jamais, cependant, je n'avais éprouvé de sentiment comparable à celui que m’inspira la lecture de cette carte. Dans les parades de foire, sur le théâtre, il semble qu’on rende encore un culte, si grossier qu’il soit, à la mémoire de l’homme illustre. Ici, c'était en face de son tombeau qu'on spéculait, non plus sur un nom ou sur de glorieux souvenirs, mais sur le yoisi- page .de ses dépouilles mortelles! Une buvette à côté d’une NOTES. 13 tombe, et quelle tombe! celle de l’homme qui a rempli le monde de son nom et du bruit de ses entreprises. À mes yeux, c'était une douloureuse profanation. Déjà l’époque du règne de l’empereur est loin de nous. C’est à peine si la jeune génération de notre temps était née lors des évé- nements qui amenérent sa chute. De ses triomphes, de sa splen- deur, de sa puissance, il ne reste que des traditions. Sa prodi- gieuse fortune n'apparaît même dans les souvenirs de ses compa- gnons d'armes que comme un rêve , et cependant, en approchant de l’enceinte circulaire qui environne l’espace où son tombeau est placé, il semble que sa mort soit récente, que sa captivité date de la veille, et qu’on vienne d’assister à l’inhumation. A la vue de la plaque grise, sans inscription, qui recouvrait son corps, le cœur se serre ; c’est avec une douloureuse émotion qu'on contemple celte fosse vulgaire où ont abouti tant de génie, tant de puissance et de gloire. C’est avec un pieux recueillement qu’on s'incline devant une si grande adversité, et qu'on touche de l'œil ce terrible exemple du néant des choses humaines... . Un vieux gardien était préposé à la garde du tombeau. Sa solde était presque tout entière dans les libéralités des visiteurs. Aussi ne leur laissait-il aucune trève. Il ne permettait pas le recueille- ment; à toute force, il voulait remplir son office de cicerone, et débiter sa marchandise, qui consistait en rejetons du saule pleu- reur qui ombrage ou plutôt qui ombrageait le tombeau ; car le vieux tronc était mort depuis longtemps. Il ne restait plus qu’un seul arbre debout, et ses branches languissantes, son écorce maladive, indiquaient assez qu’il ne devait pas survivre au dépla- CA du corps qu’il abritait. La description du tombeau est dans tous les souvenirs. Nous ne l’entreprendrons pas, Au moment où nous l’avons vu, les pré- paratifs pour l’exhumation étaient déjà faits. Sous une tente placée à quelques pas, on avait réuni tous les instruments néces- saires à cette opération , qui ne devait avoir lieu qu’à l’arrivée du prince de Joinville. Je m'étais muni à James-Towyn d’une permission de l’état- " kk NOTES. major de la place, qui était, disait-on, indispensable pour visiter le tombeau. Elle fut inutile. Le gardien vint en courant au de- vant de moi, et, sans demander de laissez-passer, m'introduisit daus l'enceinte, où ilcommenca sur-le-champ à débiter avec vo- lubilité le thème ordinaire de son discours aux étrangers. Il dé- buta par me montrer d'une main la consigne écrite qui défend formellement de couper des branches de saule pleureur ; en même temps il tenait dans l’autre main, comme un palliatif à la sévérité de cette défense, une serpette ouverte. En effet, la con- signe n’avait de valeur que celle d'une lettre morte et on avait au- tant de branches de saule qu’on en désirait, au prix d’un demi- shilling la pièce. ALL Une guérite, veuvede son factionnaire, était placée à l'entrée du tombeau. Elle ne servait plus qu’à contenir des registres sur les- quels les voyageurs inscrivent leurs noms avec un empressement qui a presque la force d’un instinct. Ce penchant à couvrir les murs, les monuments ou le papier d'inscriptions n’a pas manqué de s'exercer ici. Au dire du gardien, les premiers registres sont de- venus la propriété des gouverneurs successifs de l’île, qui les ont emportés en Angleterre. Plus tard , personne ne s’est plus soucié de les recueillir, et maintenant ils deviennent la possession du gardien qui les annule, ou s’en sert pour allumer sa pipe. Que de gens seraient désappointés s'ils connaissaient le sort de leurs inspirations ! La plupart de ces écrits , tracés par des hommes appartenant à toutes les classes de la société, portent l’empreinte d’un même sentiment : celui d'une profonde pitié, qui inspire des pensées trés-singulièrement exprimées. C’est un mélange de réflexions naïves , d'indignation violente, de douleur et de regrets, respec- table en lui-même, mais qui donne plus de prise encore au ridi- cule qu’à la sympathie. En quittant le ton:beau, les mains garnies de branches de cyprès et de saule, et de feuilles du géranium planté par madame Bertrand, je rencontrai plusieurs de mes compagnons qui venaient d'arriver, Je les suivis dans la maison où, comme moi, ils avaient NOTES. 45 été conviés à se rafraîchir. On se hâta de nous demander quels mets nous désirions pour déjeüner, et bientôt le repas fut prêt. Notre hôtesse, madame Torbett, était une femme de cinquante ans environ. Elle habitait Sainte-Hélène depuis 1815, et préten- dait avoir connu l’empereur. Son mari était le propriétaire du terrain contenu dans le creux du Bo! de punch du diable. A la mort de Napoléon, on lui demanda s’il voulait accéder aux der - nières volontés de l’empereur, qui avait exprimé le désir d’être enterré dans ce site pour lequel il avait toujours marqué une pré- dilection particulière. M. Torbett agréa cette proposition sur-le- champ, et peu de jours après, son champ recutles restes mortels de lillustre captif. Il ne faut pas croire que la concession faite par M. Torbett fût entièrement désintéressée. Au dire du gardien du tombeau, cette concession fut au contraire une source de gain considérable pour cette famille, | D'abord, le gouvernement anglais lui alloua une indemnité annuelle de 200 livres sterling. Au bout de quatre ans, pour échapper aux demandes incessantes de la famille Torbett, cette rente fut rachetée au moyen d’une somme de 1200 livres sterling, une fois payée; ce qui produit un total d'environ 50,000 fr. Ensuite, pendant une assez longue période d'années, la famille Torbett resta en possession du droit d'exploiter ouvertement les voyageurs, en exigeant de chacun d'eux une somme de cinq shillings (6 fr.), pour les admettre auprès du tombeau. Maintenant, fidèle à ces habitudes d’exploitation, elle tient au- berge. De sorte que, si ces détails sont vrais, la pauvre veuve serait loin d’être dans le dénuement qu'’ell: semble afficher. Mais il est un autre fait qui, s’il est vrai, jette une ombre de plus sur la conduite de cette famille. Le gardien du tombeau nous raconta également qu’à l'époque où le terrain du tombeau appartenait encore à la famille Torbett, des Anglais de la plus basse classe, se réjouissant peut-être de voir le régime impitoyable de surveillance imposé à la popula- tion finir avec la mort du monarque captif, venaient se réjouir et 00 _ NOTES. même danser dans le voisinage du tombeau; ils foulaient aux pieds ce sépulcre, en poussant des cris sauvages. Aucune pré- caution ne fut prise pour mettre à l'abri de profanations aussi outrageantes ce lieu qui devait être sacré à tant de titres; les propriétaires du sol n’y mirent aucun empêchement. Ce ne fut que bien plus tard, cinq ans environ après la mort de l’empereur, qu’un successeur de Hudson-Lowe , mieux inspiré , fit ériger la palissade qui existe encore, et nomma un gardien pour veiller à l'entretien des lieux. IL fit en même temps planter quelques cyprès, transporter du gazon, et donna enfin à cette enceinte l'aspect qu'elle a conservé depuis... Prévénante, affable même, madame Torbett inspire un certain respect. Par leffet même des sentimens qu'on ressent après la visite du tombeau, on est naturellement induit à interpréter la tristesse de son maintien et à considérer ses vêtements de deuil comme un témoignage de douleur, comme un hommage accordé à la mémoire de Napoléon, tandis qu’en réalité, ce n’est peut-être qu'un calcul de plus. J'étais malheureusement trop prévenu par les discours du gardien , son ennemi autant que son concurrent auprès des voyageurs , pour partager cette première impression favorable. Presque tous mes prédécesseurs ; dans la chaleur de leur enthousiasme, avaient mélé le souvenir de Napoléon à l'accueil qu’ils avaient recu chez wadame Torbett, et, sur sa de- mande , ils s'étaient empressé d'écrire en sa faveur les attesta- tions les plus élogieuses et les recommandations les plus vives adressées à leurs compatriotes. Dans la liasse de ces attestations placées devant nous, pour stimuler sans doute notre verve, j'en remarquai plusieurs, écrites avec une emphase inouïe. Du reste, presque toutes les nations avaient apporté leur contingent de pensées grotesques , grotesquement exprimées. Les Français se faisaient remarquer, et cela se concoit, par l'expression d’une sen- sibilité plus vive, mais, il faut l'avouer, conçue en termes tout aussi bizarres. | = Un de ces certificats annonçait au public que celui qui l'avait donné, était venu visiter Le tombeau avec sa femme et son fils, et , D ’ NOTES. 47 qu'il avait fait un bon déjeûner chez la compagne du grand homme. Un autre, tout en vouant les Anglais à l'exécration , remerciait madame Torbett de l'intérêt qu’elle portait aux restes de Napo- léon, et lui promettait la reconnaissance de la nation française. Une autre aîtestation était ainsi conçue : « Les deux soussignés, « provencaux, frères compatriotes du grand Napoléon, à qui nous « sommes venus rendre hommage, accompagnés de nos épouses, « flattés de l'accueil de cette bonne veuve, nous implorons l’in- « dulgence qu’on doit au malheur. » Sur une auire feuille, un artiste dramatique, un dignitaire étranger, un général, un mous- se, un cuisinier, un avocat et un officier avaient successivement inscrit leurs noms à des dates différentes, et franchement on ne saurait à qui décerner la palme. | Tous ces écrits concouraient au même but : celui de remercier madame Torbett de son hospitalité généreuse. Il semblait que ce füt un devoir pour tous les voyageurs, et particulièrement pour les Français, d'exprimer une profonde reconnaisssance envers une personne qui voulait bien recevoir leur argent et qui poussait le _ dévouement jusqu’à tenir auberge... Un sentier tracé dans le ravin, derrière la maison de madame Torbett, abrège la distance qui sépare le tombeau de Longwood. 11 aboutit à la route assez large et assez belle qui suit, comme je J'ai déjà dit, la crête des montagnes. Le sol du ravin est aride et sec; quelques broussailles y croissent à peine. Sur la grande route, la végétation est un peu plus fournie. Ce chemin est bordé de chaque côté de grandes plantes qui forment des haies assez bien entretenues ; il se dirige vers une porte massive, reconnais- sable à deux bombes en fer qui surmontent ses pilastres. Cette porte s'ouvre sur le domaine de Longwood, résidence de l'empereur. A l'entrée, le regard s’arrête d’abord sur un plateau plus ver- doyant que l’espace qu'on vient de pareourir. Au-delà de ce plateau , une succession de montagnes, de cônes aigus, de pics taillés en aiguilles, se développent sans interruption jusqu'à la mer, qu'on aperçoit au loin, comme une sombre bordure de cet \ 48 NOTES. is effrayant paysage. Sur chacune de ces sommités, on retrouve la trace des constructions destinées aux gardiens du prisonnier. Des mâts de signaux, des télégraphes se dressent de toutes partset sur divers points, plus rapprochés, des édifices affectésaucasernement des troupes, témoignent de la rigoureuse surveillance dont il était l'objet. Au bout de quelques pas , on arrive auprès de deux maisons. L'une est assez grande; elle est mieux abritée, son extérieur est plus frais. L'autre est petite, son apparence est dégradée. Des bâtiments sales et noirs l'entourent. La première maison est celle qui fut élevée pour servir de logement à l'empereur, longtemps après son arrivée, et qu'il n’a jamais habitée. La seconde est celle où il demeura constamment. Quelle que soit la tristesse ressentie en visitant le tombeau, elle ne saurait égaler celle qu’on éprouve en entrant dans cette de- meure. On est saisi d’un juste sentiment d’indignation en voyant dans quel état les propriétaires de eet édifice l’ont laissé. On a peine à comprendre une si révoltante incurie; car elle fait encore plus de honte pour ceux qui la tolèrent qu’elle ne froisse les sen- timents de ceux qui en sont les témoins. Pourtant Longwood, on nous l’a affirmé, est une propriété de la compagnie des Indes, affermée à un officier en retraîte de l’ar- mée anglaise (le capitaine Mason, autant qu’il w’en souvient), au prix de 160 livres sterling, environ 4000 fr. Le rapport des terres dépasse de beaucoup le taux de la rente que la compagnie perçoit, et on est même surpris qu'elle se soit contentée d’un bail aussi faible. En outre, Longwood procure à son locataire une autre source de revenus qui provient d’une taxe prélevée sur la curio- sité des voyageurs. 11 faut un permis du prix de trois shillings pour visiter cette habitation, et cet impôt doit produire lune somme assez considérable. On ne peut donc trop s'étonner, non- seulement de ce que les autorités anglaises souffrent un pareil oubli de ce qu’on doit à la mémoire de l’homme le plus illustre du siècle, à la mémoirs du souverain déchu , mais encore de voir un ancien officier, un militaire qui a peut-être pris part aux j E 4 i Le NOTES. 19 guerres glorieuses de l'empire, témoigner si peu de respect pour des souvenirs dont il tire un profit matériel. Cette conduite est d'autant plus odieuse qu’elle est volontaire ; elle est sans excuse plausible, et mérite la réprobation de tous les cœurs honnètes. L'intérieur de l’édifice comprend cinq ou six pièces en tout : la première est la plus grande ; elle peut avoir huit pas de largeur sur une longueur de douze. Elle servait de salle de billard. La pièce suivante était le salon de réception. Qui pourrait le re- connaître ? un moulin à bras en occupe la plus grande partie. C’est dans ce salon, entre les deux fenêtres qui l’éclairent, que le - corps de Napoléon fut déposé après sa mort; c’est là, nous dit le . guide qui nous conduisait, qu’il fut placé dans le cercueil. Là, l'édifice change de forme. Deux ailes font saillie de chaque côté. L’aile gauche contient deux pièces : la salle à manger; une seule fenêtre l’éclaire, elle fait face à l’est; une cheminée est placée vis-à-vis la fenêtre. La pièce suivante servait de bibliothè- que ; elle est éclairée par deux fenêtres qui s'ouvrent aussi à l’est. Cette chambre est la mieux conservée de toutes; elle est ornée d’une boiïserie en assez bon état. On croit y sentir encore une certaine odeur de maroquin, qui est particulière aux bibliothè- ques. Napoléon se rendait de son appartement, qui formait laile droite, dans la salle à manger située en face, par une porte inté- rieure murée aujourd’hui. 1l passait ensuite dans la bibliothèque. Les parois de toutes ces chambres étaient barbouillées de noms écrits à la craie, presque jusqu’au plafond. Le moulin à bras lui- même en était couvert. Les plus anciennes inscriptions dataient de trois ans. Elles ne pouvaient pas tarder à être effacées par les voya- geurs avides de trouver une place pour y placer leur signature. On ne peut parcourir ces différentes pièces sans ressentir une vive émotion. On assiste presque aux actes de la vié du prison- nier. On le suit dans ses moindres occupations ; on le voit ren- fermé dans sa bibliothèque, s’efforçant d'oublier le poids de la captivité, ou bien penché vers les persiennes de ses fenêtres, exa- minant à travers leurs fentes les troupes du camp voisin et jugeant, spectateur invisible, de leurs manœuvres. Toutes ces pensées X. | % 80 7 HAN . Er oe chambre. Des alats étaient déposés là où fut son n cab toilette. Des immondices jonchaient le sol. Devant un tableau, le cœur le plus froid doit ressentir une en émo- tion. MR EL Ve rés Après avoir parcouru ete écurie , nous n'avions plus envie de rien voir. Nous savions quel spectacle nous attendait à Longwood ; nous étions prévenus, et cependant il produisiten:i nous H here et profonde impression. Nous comprîimes parfaitement alors les sentiments de ceux qui inscrivaient, sur le registre placé dans la k première salle, des invectives et des récriminations adressées au "4 gouvernement anglais. Leur indignation était bien naturelle, seulement ils n'avaient pas songé que des manifestations inutiles sont au moins puériles , et qu'une nation qui ose tenir une pa- sx 4 reille conduite est encore plus insoucieuse de sa propre dignité M qu'elle ne porte atteinte à l'admiration et à la renommée de celui " qui fut son prisonnier volontaire. | nn. us ee 1 Ce registre, rempli de démonstrations énérgiques ou de A cl tes amères, est une preuve que la vue de Longwood produit : 4 _sur les voyageurs un effet plus triste que celle du tombeau: Dans M celui-ci on a lu l'arrêt du destin, tandis qu'à cet on a. FUN Au milieu de toutes les pensées tracées sur ce volume, on TE | marquait celle-ci dela main d’un Anglais :« Qui que vous si so « considérez la vanité de k ploie humaine, Fer qui en a k, 1 cru reconnaître les signes d’un orgueilleux mépris. NOTES. 51 « alors à celui qui a souffert cette dégradation. Il est plus digne ‘« d’être un portier de théâtre qu’un lord, » Sur un autre feuillet, on avait inscrit ces lignes : « Mes chers « amisles Français, ne croyez pas que tous les Anglais ne respec- « tent pas la mémoire de votre empereur. Je puis vous assurer « que beaucoup d’entre eux ont de la sympathie pour votre na- « tion. » Une autre main avait écrit au-dessous : À second Byron. Ces deux inscriptions sont à noter, car elles sont exceptionnel- les, Ordinairement les Anglais se contentent de signer tout sim- plement leurs noms au-dessous de la date de leur visite. Malgré les vives attaques des Français, ils restent impassibles. Ils se bornent à nommer invariablement Napoléon le général Bo- paparte, et vraiment, @n voyant encore maintenant cette opi- niâtre persévérance du caractère anglais, on ne sait si on doit s'étonner davantage de la prodigieuse destinée du guerrier ou de linébranlable constance de ses ennemis à le combattre ; constance qui lui survit et qui le poursuit encore jusque dans ls moindres actes. qui se rattachent à sa mémoire. < -Nous quittâmes ce lieu devenu si malheureusement célè- bre, en jetant un dernier regard sur l'édifice de Longwood , sur la mer sombre qui borne l'horizon , sur l’avenue formée par des arbres souffreteux incessamment secoués par le vent. Nous dimes un dernier adieu à cette partie de l’île qui nous avait paru d’abord plus riapte que les autres portions que nous avions vues. Mais _ nous avions éprouvé quelques instants l'impression de la captivité - et sous le poids de nos pensées, nous avions senti qu'on peut mourir de chagrin dans un pareïl séjour. Le vent ne cesse jamais de souffler avec violence sur ce plateau entièrement découvert. Les nuages y passent à fleur de terre, voilant et découvrant alter- nativement les élévations voisines. Il y fait froid et humide. Onest transi. On ne dirait pas qu'on se trouve sur une terre tee sous les tropiques. En passant devant le tombeau , nous nous arrêtâmes encore quelques instants. Le gardien m’aperçut de loin, et vint m'offrir de boire de l’eau du ruisseau qui coule tout auprès. « Napoléon, 52 de NOTES. à « me dit-il, la trouvait excellente; il croyait qu’elle guériss « des maladies. » Me voyant insensible aux avantages qu'il mérait, le vieux soldat finit par me proposer un singulier 1 ma AIS shé : celui d’un verre de cette-ea u contre un verre d’ eau de vie. Pendant que j'attendais le retour de mes compagnons, ss pe dans les environs , madame Torbett me donna quelques détails à à. peu près insignifiants sur l’empereur. Elle n’habitait pas à cette époque cette maison, qui était confiée à une vieille négresse. ce. femme avait souvent recu la visite de Napoléon et de ses compa- : 4 enons de captivité. Elle rapportait qu’un jour il laissa couler ses de larmes devant elle ; ce qui, je l'avoue, me paraît peu probable. Madame Torbett possèdait une bague contenant des cheveux dé Napoléon. Elle la montrait avec empressement à ses visiteurs. Cette précieuse relique était une recommandation nouvelle à ajouter à toutes celles éparses sur la table. La bague est large. Une glace carrée la surmonte et laïsse voir au-dessous quelques | cheveux parfaitement noirs. - | | À trois heures, nous nous acheminâmes vers la ville en silence et d’un pas rapide, comme pour échapper à nos impressions. Le temps , déjà mauvais le matin, devint détestable. Les hauteurs étaient couvertes par un épais brouillard qui limitait la vueà quinze pas. Des bouffées d’un ventglacial précipitaientdesbancs debrume M dans les ravins ouverts sous nos pieds , où ils évoluaient con- | ne fusément et donnaient aux paysages de bizarres aspects. La brume ne cessa qu'au moment où nous attergnimes les régions plus basses. Là, le ciel s’embellit un peu. Nous ressentimes lin- fluence du soleil caché jusque là, et en même temps nos pensées, occupées jusqu'alors des lieux que nous venions de visiter et des souvenirs qu’ils rappelaient, prirent un autre essor, à la vue de l’Astrolabe et de la Zélée, qui, dans peu de temps, sl HEUS 14 ramener au port après une si longue absence !..…. (M DFE » Te k el re + x 0: Be | NOTICE BIOGRAPHIQUE. JULES-SÉBASTIEN-CÉSAR DUMONT -D'URVILLE. Tout le monde se rappelle encore avoir vu passer dans les rues de Paris, devenues un instant tristes et silencieuses, le cortège mortuaire qui conduisait à léur dernière demeure, les restes inanimés de la fimille du contre-amiral Dumont-d'Urville. Trois chars funèbres composant le lugubre convoi - - se dirigeaient, accompagnés par une foule immense, vers le cimetière Mont-Parnasse ; car avec Dumont- d'Urville étaient morts aussi, sa femme et son unique fils ; il ne restait plus de son nom un seul être qui püt venir sur sa tombe et y pleurer. Dans le premier char, et comme si c'était à l'enfance d'enseigner à la vieillesse le chemin de la mort, étæient renfermés les restes sanolants et défigurés de l'enfant. Ses amis, ses condisciples dont il était le premier à la classe, mais le camarade bien-aimé partout, étaient venus lui dire un dernier adieu au bord de la tombe, et l'y conduisaient , le cœur ému et les larmes aux yeux. 56 | NOTICE te parents nn : dE débris d'une “ae mille éteinte. < ITU de Enfin, les compagnons A voyage de lillustee navi- Le : gateur s'étaient réunis derrière le troisième char, où | D l’on remarquait une foule immense et pressée de sas +" vants , d'hommes politiques, d'artistes, de négociants, : | des dignitaires de tout rang et de toute classe, qui auraient pu faire croire à un étranger arrivé ce jour= là dans la capitale, que c'était assurément le cortège d’un prince allant retrouver ses nobles aïeux au tom- beau de ses pères. : De nos jours, où la politique et l'intérêt ont t jeté | tant de divisions parmi nous, c'était assurément un spectacle touchant, que de voir tous les partis ou— blier un instant leur colère devant la terrible catas- trophe qui avait frappé tant de familles , que de voir toutes les D'IPRRUDEE "SE se réunir autour d’un même tombeau. | CA EN C’est que l’homme, que tant d’honneurs entouraient après sa mort, avait su, dans une vie trop courte, mé- riter la reconnaissance des savants par les progrès im menses qu'il avait fait faire aux sciences, par les col= “ lections précieuses dont il avait enrichi nos musées; il … \ avait acquis l'estime et l'affection de tous, par les ser-. "4 vices qu'il avait rendus au pays; il avait gagné lacon— sidération générale, parce que l'opinion publique accueille toujours avec faveur ceux dont les noms sel BIOGRAPHIQUE. #7 noble ambition d'acquérir de nouvelles connaissances et de les faire partager , par trois fois Dumont-d'Ur- ville avait fait le tour du monde; son vaisseau avait parcouru toutes les zones des mers les plus tempè-— tueuses depuis les pôles jusqu’à l'équateur, et tou- jours il l'avait ramené au port; puis le 8 mai, ils … étaient partis trois, l'amiral, sa femme et son fils, . confiants et joyeux; quelques heures après ce n'étaient plus que trois cadavres. Dumont-d’Urville était mort sous les roues brülantes d’une voiture à vapeur, lui qui aurait dû mourir sur le pont d’un vaisseau, au milieu de l'ivresse du combat, en un jour de bataille, car il était aussi brave que savant; ou bien encore dans des contrées lointaines, victime de son dévouement et de son ardeur pour la science, sous le soleil brû- lant de l’équateur ou dans les glaces du pôle Sud; lui qui aurait dû avoir un étendard pour linceul, et l'Océan pour tombeau, il était mort sur un grand chemin... | à Deux ans auparavant , la France entière s'était émue au nom du commandant des corvettes l’A4strolabe et la Zélee; des rapports d’un haut intérêt adressés au … ministre, des antipodes de Paris, venaient d'annoncer les découvertes importantes faites par Dumont-d’Ur- ville pendant son troisième voyage de circumnaviga- tion, et probablement le dernier; car, à son retour en France, il avait fait ses adieux à la mer; doréna- vant, exclusivement occupé de l'éducation de son fils unique qui réunissait toutes ses affections , il avait pris la ferme résolution de passer au milieu de sa fa- Ha. Lee NOTICE, mille si souvent privée de son chef, les € _ jours que pourraient lui laisser encore les cruels maux - qu'il endurait; sa vie s'était usée dans! ces! pénibles eXCUrSIONS ; 1 fatigues et les privations avaient bien | hâté l'époque de la vieillesse; jeunesse, santé, affec— 1 tions de l'époux et du père, tout cela Dumont-d'Ur4 4 ville l'avait sacrifié à sa noble ambition; pour lui la mort eût été une délivrance ; mais , disait-il souvent, . il n'avait point encore accompli son mandat! sur la « terre; malgré des douleurs incessantes, la vie, pour lui, | était encore semée de douceurs, à côté de sa femme si dévouée et de son fils si affectionné; il avait aussi à cœur de livrer à la publicité le récit de l'expédition | qu'il venait de terminer. | M OR Cette tache qu'il s "était imposée et qui devait, dans sa pensée, clore sa vie, il ne lui a point été er 1 la remplir ; les trois premiers volumes du Foyage au Pôle Sud et dans l'Océanie, ainsique les trois premiers + chapitres du quatrième, ont seuls été rédigés par lui. La 4 partie ethnologique sur laquelle il avait porté toute son 1 tention , et qu’il s'était réservée, est restée inachevée. | Doué d’une mémoire prod Dumont-d'Urville k laissait trop à ses souvenirs. Dans son troisième voyage | À decircumnavigatien, suivant ses propres aveux, ilavait surtout pour but de compléter ses observations, sur les langues océaniennes, qui depuis plus de quinze ans. ! étaient l’objet de ses études, et sur lesquelles 11: prépa 4 rait depuis bien longtemps un travail important ; et ce per dans ses ie di on ne trous «re (TALS BIOGRAPHIQUE. 59 les quelques écrits qu'il nous a laissés, ne permettent même pas de retracer tout le cadre du travail qu’il s'é- taitréservé. Sesjournaux de bordeux-mêmes, quoique très-complets, ne renferment que le sommaire peu étendu des événements principaux arrivés pendant le cours de l'expédition ; il comptait avec raison sur sa | mémoire pour compléter son récit au moment de la rédaction. C'était donc une œuvre difficile que celle de terminer l'ouvrage que sa mort laissait inachevé ; con- .fiée au dévouement et à l'affection de ses compagnons de voyage, elle est à peu près accomplie. L'histoire du voyage est terminée , tous les matériaux ethnolo- siques ont été rassemblés et mis en ordre par l’un de ses compagnons de route, par celui qui, sous ses or- dres, s'était le plus occupé de la science de la lin- _guistique dans laquelle déjà il était très-versé. Dans . peu de temps, cette partie, aujourd'hui sous presse, verra le ; jour. Il nous reste à présent un dernier devoir à accom- plir, à nous qui avons été chargé de continuer la tà- che que s'était réservée le chef de l'expédition ; c’est celui de faire connaître la vie de Damont-d’Urville. Il est loin de notre pensée de vouloir porter un juge- ment sur des actes et des travaux qui sont aujour- d'hui du domaine public, et le panégyrique louan- -sgeur nest plus dans nos mœurs; mais lorsqu'on fait un voyage de quelque étendue avec une personne, on estMtoujours bien aise d’avoir des renseignements sur son compagnon, et, quoi qu'on en dise, ces notions préliminaires influent souvent sur l'opinion qu'on doit 60 NOTICE 11 en concevoir. Le lecteur verra donc avec Ÿ intérêt, peut-être, quels furent les premiers pas dans Î la carrière de ce marin intrépide, avec qui ilvient de. 4 traverser toutes les mers, depuis le Pôle sud jusqu'à « l'équateur. Tout en AR à nos sentiments d'af eC- . tion et de reconnaissance, nous avons compté, pour 4 publier quelques détails sur la famille et les premières 1 années de l'amiral Dumont-d'Urville, sur l'intérêt qui . s'attache toujours à tout homme illustre, à toute intel- ligence vaste et puissante, enfin à tout cœur noble e et généreux. LE Be à Mais avant tout, qu'il nous soit permis d'inscrire, une fois de plus, un nom cher à tous les officiers de l'astrolabe et de la Zélée, celui d'un jeune officier qui, plein de’vie et de courage, au moment où less corvettes quittèrent le port, ut mourir loin de sa famille, loin de ses amis, loin de la France, victime de la science, sous le poids des US qu'il avait endurées. | | 1 - Lorsque les journaux de la capitale annoncèrent, en 1837, l'expédition des corvettes l'Æstrolabeetla Zélée, destinées à exécuter un voyage de circumnavigation , et à pénétrer dans les glaces polaires du Sud ; malgré les dangers sans nombre que devait entrainer cette … bardie entreprise, dangers qui furent alors proclamés bien haut , même à la tribune parlementaire , NOUS de-. vons le dire à la gloire de notre marine, une foule” d'officiers sollicitèrent vivement la faveur d'enprre quer avec Dumont-d'Urville. Un jeune é depuis peu d'années du vaisseau école, BIOGRAPHIQUE. 61 premier pas dans la carrière maritime, se fit inscrire un des premiers parmi ceux qui, stimulés par une noble ambition, demandaient à prendre part à cette belle - entreprise. C'était Gaillard (Jean-Edmond); son dé- vouement fut compris, sa demande exaucée, et il fut embarqué à bord de la corvette la Zélée, comme élève de première classe, pour aller ensuite mourir, enseigne de vaisseau, sur l'île lointaine de Bour- bon, quelques mois après que cette corvelte avail quitté cette terre française, pour opérer sans lui son heureux retour dans le port d’où elle était partie. | Dans la carrière des armes, plus que dans toutes les autres, peut-être, l’homme destiné à exposer sa vie sur un champ de bataille , s’habitue à risquer son existence dans toutes les circonstances qui peuvent décider de son avancement ; mais certes, au- cune idée ambitieuse n'avait dû pousser notre jeune compagnon de route dans sa détermination. Élève de première classe, il ne pouvait espérer le brevet d’officier qu’à son tour d’ancienneté; il avait la certi- tude que cette époque serait arrivée bien avant que les corveties ayant achevé leur long pélerinage, il serait possible à ses chefs de faire connaître ses titres … à la faveur royale. Mais Gaillard savait qu’à bord des _ navires commandés par Dumont-d'Urville, qui - deux fois déjà avait fait le tour du globe terrestre, il - y aurait des dangers à braver, des privations et des fatigues à endurer; et aussi de la gloire pour tous, et il n'avait pas hésité. IL était parti à l’âge de vingt ans, QE à D ce oo + RICE) où l'avenir est sans s limites ï avait laissé Ce fut un jour de Mr tristesse pour Tel soumis et affectueux, celui où les DES quit- | tèrent le port de Toulon; car Gaillard avait ‘une | mère chérie, dont les yeux s'étaient gonflés de ar mes en voyant s'éloigner, pour un silointait voyage, | l'objet de sa tendresse maternelle. Mais lui, cette 1 première douleur calmée, ardent et NA . il s'était abandonné à sa nouvelle destinée ; avec. l’insouciance de son âge, il avait sans pâlir, sans re { grelter la terre, supporté toutes les péripéties de a } vie du marin. Gaillard était un noble cœur, un. brave et courageux jeune homme , qui avait embrassé | la carrière de la marine, bien décidé à à faire digne- | ment son mélier, et, chose rare encore de nos jours, 4 il avait su toujours s’y faire aimer. Quelquefois peut-être, au milieu des nuits PR unit encore tous les membres survivants de l'expédition! au “Ml Sud dans l'Océanie; mais, il est douloureux de le dire, ur ses fait seul exception ; il à été également repoussé par Fin s, de Le l chante association fraternelle. Il serait du reste b nommer. | “be BIOGRAPHIQUE. 63 geuses, lorsque le vent sifflant à travers les cordages porte l'âme du voyageur vers les douces rêveries de sa patrie, il revoyait encore, par la pensée, à travers quelques larmes arrachées par ses souvenirs, et le foyer si calme du toit paternel , et ses joies si douces, -etses heures de si agréables et intimes expansions ; car les corvettes avaient pris leur mouillage à Hobart- . Town; les maladies qui avaient décimé nos équipages allaient avoir un terme, et bientôt ceux qui avaient heureusement échappé à cette époque désastreuse , allaient revoir leur patrie. Et voila qu’un jour où , entourées de glaces flot- tantes arrachées par la mer au rivage de leur nouvelle découverte, la terre Adelie, les corvettes étaient sans mouvement, reténues sur les eaux par le calme; -un signal paraît sur le bâtiment amiral, il ordonne - qu'une embarcation montée par les officiers chargés des observations de physique, se détache de chacun _ des navires pour aller essayer de gravir sur une de ces montagnes glacées. Un canot quitte la Zélée, c'est Gaillard qui le commande; il vient se réunir à l'embarcation de l’A4sfrolabe , et ensuite ils se dirigent _ ensemble sur celui des blocs de glace qui paraissait le plus abordable. | ù La mer couvrait d’écume les bords de cristal de ces imposantes masses flottantes ; mquietssur le sort de ces frêles embarcations abordant ces terribles montagnes glacées, tousles ofhiciers des corvettes suivaient, à l’aide deleur longue-vue, les mouvements de leurs hardis compagnons. Bientôt des grapins d'abordage furent Cr 64 QE . NOTICE : lancés, et on vit un jeune officier chercher avec l'ai e + d'un cordage, à s'élever contre la muraille droite et . glacée, sous laquelle la mer brisait avec violence. Cest E Gaillard qui, emporté par son zèle, a tenté cette dan- ; gereuse ascension ; ; PUIS ses forces ont trahi son cou- À rage, et bientôt bc matelots de l'embarcation qu'il commande , sont obligés de se dévouer pour re- M cueillir leur jeune officier; Gaillard a ses habits « traversés par une eau glacée; vainement ses ma à rins font ployer les avirons sous leurs robustes mains , au risque de les briser, afin de revenir promp- À tement à bord de la Zélée; vicüme de son dévoue- ment, Gaillard vient de contracter le germe de la maladie qui doit l'enlever, et contre laquelle viendront échouer tous les soins que lui prodigueront en vain la science et l'affection. LA | 1 Le 21 juillet 1840, les corvettes l'Ast0labe 4 1, 4 Zélée mouillaient sur la rade toujours houleuse de l'ile | Bourbon. Ce même jour, deux officiers appuyés sur les bras de leurs amis, entraient ensemble à l'hôpital F de Saint-Denis; tous les deux atteints de maladies « graves, quoique différentes, laissaient bien peu d'es- poir sur leur retour à la santé. Ils furent réunis dans M une même chambre, ils devinrent les confidents de” leurs mutuelles souffrances ; leur amitié déjà si étroite vint s'augmenter encore sur leurs lits de douleurs. Lors- | qu’ensuite, au moment où les corvettes déployaient leurs voiles, l'un d'eux déclara que, contrairement aux ordres des médecins, il persistait à ne pas aban- 1 donner son navire ; car sa mère l’attendrait sur le 3 NOTICE BIOGRAPHIQUE. Nr 6ù vage, et son désespoir devait être mortel si l#strolabe rentrait au port sans lui ramener son fils; alors Gail- lard soulevant sa tête, et prenant la main de son com- pagnon de douleur, lui fit ainsi ses adieux. « Je fais des vœux sincères pour votre retour en France; mes meilleurs souvenirs seront loujours pour nos compa- enons de route; quant à moi, j'espère bien aussi ren- trer au port; mais si je dois mourir sur cette île éloi- gnée, loin de toutes mes affections, que mes amis pensent quelquefois à moi, qui les ai tant aimés, et que ma bonne mère sache un jour que je suis mort en bémissant son nom. » Le 15 mai 1842, lorsque autour de la tombe ouverte pour recevoir le corps de leur commandant, la ma- jeure partie des officiers des corveites l'4sérolabe et la Zélée se trouvèrent de nouveau réunis pour dire un dernier adieu à leur illustre chef, ils s'abordèrent en silence et en se serrant la main; ils se rappelaient que quatre fois déjà ils s'étaient confondus dans une même douleur , pendant le cours du voyage, en rendant les derniers devoirs à leurs infortunés com- pagnons, Marescot, de La Farge, Gourdin, Ernest Goupil; et il y avait à peine trois mois qu'un na- vire, arrivant de l'île Bourbon, avait apporté la fa- tale nouvelle que Jean-Edmond Gaillard était mort. Il était mort aussi, victime de son zèle, martyr de la science, à la fleur de l’âge, lorsque la vie lui présentait encore un si bel avenir ; il était mort loin de la France, loin de toutes ses affections. Son corps reposait, il est - Vrai, sur une terre francaise ; mais plus malheureux que X, 6) x # 66 NOTICE BIOGRAPHIQUE. ceux de ces camarades qui l'avaient préce tombe, il n'avait pas eu la consolation de voir, : mn 2.4 de son lit de douleurs, ses compagnons de route l'assis- ! ter dans sa cruelle et longue agonie..…… Alors le dernier vœu de l'infortuné enseigne avait été exaucé; camcha- cun des officiers des corvettes l’4srolabe et la Zélée _ressentait pour lui affection d'un frère, et l'annonce de de sa mort avait retenti dans leur cœur, comme la perte d'un membre d’une famille unie et affectionnée. L'année 1790 rappelle une des époques les plus agitées de notre révolution. De Paris, foyer révolu- üonnaire, chaque jour arrivait à nos provinces le récit des terribles événements qui minaient avec fra- cas les degrés du trône, et qui, à quelques mais de là, devaient porter la tête d’un roi sur l’échafaud. Tous les yeux étaient alors fixés sur les travaux de l’Assemblée Nationale, où trois partis étaient en pré». sence, combattant encore à outrance, bien que déjà ne l'issue de la lutte ne fût presque plus douteuseque pour ceux qui avaient (out à y perdre et rien à y gagner. Déjà les nobles et les prêtres avaient vu tomber leurs privilèges devant la réaction populaire, et dé- 4 sormais tous leurs efforts devaient TRSkEE. impuissan 4 /? NOTICE BIOGRAPHIQUE. 67 pour arrêter les débordements du peuple surexcité par la lutte et enivré par la victoire qu'il avait rem- portée. Aussi, nous n’essaierons pas de décrire l'anxiété qui régnait, au mois de mai 1790, dans la famille noble de Gabriel Dumont-d'Urville, bailli de haute- justice , à Condé-sur-Noireau. Ce fut au milieu des troubles de cette année à jamais célèbre, et le vingt-troisième jour de ce même mois de mai, que naquit Jules-Sébastien- César Dumont- d'Urville. Cet enfant, qui, cinquante ans plus tard, devait L mourir officier de la légion-d’ honneur el contre— amiral de France, recut la plus étrange éducation qui se puisse voir. Son père descendait d'une bonne famille attachée à la magistrature, et il exercait lui même la charge de bailli, achetée par un de ses aïeux. Il avait épousé mademoiselle de Croisilles, issue de l’une des familles les plus nobles et les plus pauvres de Normandie. Les persécutions qui, à cette époque, atteignaient tous les gens titrés, ne devaient point épargner la maison d'Urville; et les malheurs de la proscrip'ion, joints aux infirmités de la vieillesse, privérent le jeune d’Urville de son père, dans un age encore si peu avancé, que C'est à peine, comme il l’a dit lui-même, s'il en avait conservé le souvenir. Mais il restait encore à l'enfant sans père, un guide pour ses jeunes années, un refuge pour les dou- leurs des premiers jours de la vie, un conseil pour les heures de découragement et de folles idées; il lui restait la chose la plus sainte et la plus adorable en re NOTICE À BIOGRAPHIQUE. Dour ce Hobde il lui restait le cœur dévoué d’une mère. Madame d'Urville, femme sainte et pieuse, attachée 4 aux idées aristocratiques qui s’éteignaient chaque jour, | sans instruclion pour ainsi dire, comme presque toutes les femmes nobles de ce temps, avait rassemblé toutes ses espérances sur la tête chérie de son fils aîné, Jules d'Urville. Lorsqu'en 1797, la mort vint la priver de son époux, ce fut une chose étrange de voir de quel respect elle s’efforcait d’entourer cet enfant de sept ans, qui était devenu le chef de la famille, et, à ce titre, suivant les mœurs de l’époque dans les familles nobles, avait droit à l'obéissance de tout ce qui l’entourait. Femme d’un dévouement sans bornes, pendant ces sept années, madame d'Urville fut la. providence de sa famille. On le sait, la révolution marchait sans re- garder en arrière, et sans: s'arrêter aux taches de sang qui rejaillissaient sur elle. La famille d'Urville, menacée comme les autres, dans ces jours de deuil, ne dut son salut qu’à sa retraite absolue et à la chute de Robespierre; mais elle fut obligée de quitter Condé. Après avoir habité successivement Wassy et Vire, en tribu errante et proscrile, elle alla s'établir à Caen. Deux ans après, en 1795, elle quitta cette dernière ville, et vint se fixer à deux lieues de là, dans une _petite propriété située sur lés bords de l'Orne, où M. d'Urville père vint mourir. fi On le voit, la destinée avait réservé bien des larmes. et des ie aux premières années de l’enfant, bien des luttes et des épreuves au cœur de la mère. Ces M sept annces que nous venons d’esquisser rapidement, Ji NOTICE BIOGRAPHIQUE. 69 eurent au moins cela de profitable, qu’elles apprirent à celui qui devait , dans le cours de sa glorieuse exis- tence, éprouver tant de découragements, et surmon- ter tant de dangers, qu'elles lui apprirent, disons- nous, à supporter l’adversité, à cuirasser son âme contre le malheur. | _ L'année 1797 était venue, et avec elle des jours meilleurs pour tant de têtes jadis destinées à la hache du bourreau. Le calme et la sécurité avaient de nouveau pris place au foyer de la famille d'Urville, si longtemps inquiète et désolée. C’est alors que s’ouvrit une ère nouvelle pour le fils aîné de cette famille ; il allait commencer à s'instruire; l'enfant al- lait devenir homme. | | Lorsqu'on étudie la vie des hommes illustres, en suivant la marche de ces existences dont il ne nous reste que le souvenir, on se plaît à chercher si leurs premiers pas dans la vie n’ont pas été marqués par quelque signe précurseur de leur destinée future; mais celle du marin célèbre qui nous occupe, n’in- dique rien qui ait pu faire entrevoir d'abord la bril- Jante carrière qu'il devait parcourir. Enfant, sa cons- titution est frêle et délicate; son maintien , il est vrai, est calme, et son visage pensif; mais rien en lui n’an- nonce le navigateur habile et intrépide, le voyageur aussi ardent que Christophe Colomb, aussi audacieux que Vasco de Gama. Quelque chose cependant, pour un observateur attentif, pouvait faire deviner le sa- vant botaniste qui dota la France de si riches collec- tions. À l’âge de sept ans, ses promenades favorites 1 NOTICE BIOGRAPHIQUE. : sont les bois solitaires, les prairies verdoyantes, et tous les lieux où la-nature parle aux sens et à l'âme; il aime la liberté des champs, se récrée avec les plantes, et reste, pendant de longues heures, ense- veli dans des rêveries profondes , absorbé dans la x lecture de l'Histoire du peuple de Dieu. Et cependant, son instruction, jusqu'alors confiéé à quelques prêtres réfugiés chez sa mère, se réduisait à peu de chose; il avait appris le Catéchisme histori- que, la Bible, le Dictionnaire ecclésiastique, lorsqu'en 1798, son oncle, l'abbé de Croisilles, frère de madame d'Urville, vint se fixer auprès de sa sœur. Cet ecclé- siastique, d’une érudition très-étendue et d’une grande portée d'esprit, consacra tous ses soins à l'éducation si négligée de son jeune neveu. C’est alors, comme nous l'avons déjà dit, qu'une ère nouvelle s’ouvrit de: vent cette vive intelligence, qui n’avait besoin, pour se développer, que d'un guide capable de la diriger: Quoique d’une santé toujours faible, Jules D'Urville se livra à l’étude avec une ardeur extraordinaire. «Le travail, a-t-il dit lui-même, me semblait une « chose si naturelle, si satisfaisante, que je n’ima- « ginais pas comment un enfant eût pu désirer s’y « soustraire. Le peu que je vaux, j'en suis redevable «à mon bon oncle, dont le savoir était aussi ai- « mable que varié. Au bout de deux ans, je traduisis « assez couramment Quinte-Curce et Virgile; je sus « J’arithmétique et de la géométrie. » Les vies de Plu- : tarque, a dit l’un de ses historiens, l’histoire de la dé-=, couverte de l'Amérique et le théâtre de Racine étaient = AR Sr © Er PR PRET CRE COR Re Û En mp > PAST NOTICE BIOGRAPHIQUE. TA ses livres de prédilection. Sa mémoire, par la suite prodigieuse, quant aux lieux , s'exercait alors sur les poètes , et 1] récita sans faute un chant de l'Enéide. A douze ans, il dévora un cours de rhétorique, et il _apprit en trois mois l'algèbre du premier degré. Quoi qu'il en soit, si l’on se reporte à l’époque où ces événements se passaient, c’est-à-dire de 1798 à 1802, on comprendra comme nous que c'était-là, : pour le jeune d’Urville, une étrange éducation. En- touré de prêtres attachés aux principes de l'Eglise catholique, Jules d'Urville était d’une piété remar- quable ; sa mère s'était constamment efforcée de lui faire partager les idées aristocratiques auxquelles elle était si fort asservie; et dans l'agitation gé- nérale de ce temps, il était impossible que ce vent de révolution qui soufflait de toutes parts, passät, sans l’'effleurer au moins, sur cette jeune imagination avide d'indépendanceet de liberté. Aussi, ne pourrions-nous dire la lutte incessante qui s'était établie dans cette jeune tête rêveuse ; lutte pleine de raisonnements et de passions, où les idées les plus opposées se livraient ba— taille; lutte, il faut bien le dire, qui accompagna l'enfant, devenu homme, jusqu’à son tombeau. Dans ses-dernières années encore, on pouvait reconnaître dans le marin, vieilli par les fatigues et les lravaux , et les traces maternellement aristocratiques, et les souvenirs patriotiquement républicains de son enfance. . Dumont-d'Urville ne fut jamais homme du monde, et sil eut le cœur d'un gentilhomme, il eut toujours l'écorce d’un plébéien. 1 72 = NOTICE BIOGRAPHIQUE. L'éducation de Jules d'Urville, avait eu un but : ar rêté : on le destinait à la prêtrise. Le voir entrer en religion, c'était la plus chère espérance de sa mère ir qui, depuis quelque temps, sentait bien qu'il fallait renoncer à l'espoir de voir un jour cet aîné de la fa= mille investi de tous les priviléges qui revenaient jadis aux nobles premiers-nés. Bien que d’une piété fervente, … l'enfant ne voyait ces dispositions de sa mère qu'avec. une répugnance marquée, et se sentait soutenu avec bonheur par son oncle, l'abbé de Croisilles , “qui. penchaïi, lui, pour la carrière des armes. Mas sel et sans conseils, l'enfant avait déjà fait bien des rêves de grandeur, bien des projets ambitieux qui devaient peut-être, décider de son avenir ; rêves el projets qui plus tard Mébipot aussi à tous les actes de sa vie, et qu'il a voulu raconter lui-même , dans des mémoires inédits. R | «Conduit un jour de foire à Condé, mon pays na- « tal, dit-il, quoique mon cœur ne me parlat que fai- = « m'avait produit aucun homme célèbre, je me promis «de redoubler d'efforts, afin d'y faire parvenir un « jour mon nom sur les ailes de la renommée. Habi- « tuellement plongé dans de semblables réflexions, j'en «avais contracté un air sérieux et froid, peu ordi= « paire à mon âge. Tant d’orgueil entre- Lil dans l'âme . « d’un marmot!.....» Toujours préoccupé de ces idées de soie et de SANTE lejeuned'Urvillefinissait sa rhétorique, lors- #8 cblement pour ma patrie; comme cette petite ville … “3 de ee 2 #10 PRE. : 1 qu'après le rétablissement du culte catholique, M. de NOTICE BIOGRAPHIQUE. 73 Croisilles fut nommé grand-vicaire et secrétaire-#éné- ral de l'évêché de Bayeux. Ces nouvelles fonctions ne lui firent pas abandonner l'éducation de son neveu. Toute la famille vint s'établir près du nouveau fonc- tionnaire, et Jules d'Urville put suivre un cours de mathématiques à l’école secondaire de Bayeux, en même temps qu'il recevait quelques lecons particulières de grec, qui lui permirent bientôt de traduire Lucien. L'on était en 1804, et Jules d'Urville avait alors quatorze ans. Napoléon venait de faire bénir, par le pape Pie VIT, la couronne d’empereur que son génie avait placée sur sa tête. Ce fut alors aussi qu'il ouvrit les lycées impériaux, soumis à une discipline toute militaire, et où la jeunesse vint avidement puiser une instruction qui püt la mettre à la hauteur de l'impul- sion imprimée à la France par la gloire de l'empire. Notre jeune héros ne devait pas être des derniers à rechercher lhonneur, alors tant ambitionné, d’obte- mr une place dans les écoles. Sa mère s'y opposait pourtant; mais malgré l'amour qu'il avait pour elle, rien ne put arrêter l'enfant avide de connaître et de travailler. D'ailleurs ; il y avait dans celte nouvelle existence qui s’ouvrait devant lui, quelque chose qui lui parlait au cœur, et semblait lui dire que là, enfin, il allait trouver une solution à ses rêves ambitieux, un aliment à son âme inquiète. Ainsi donc, après un brillant concours, Jules d'Ur- ville entra au lycée de Caen , comme élève boursier de la commune de Bayeux. Toujours poursuivi par ses _idées de gloire, il demanda à suivre les cours de troi- 1 :. NOTICE BIOGRAPHIQUE SR sième, bien que son examen lui permit d'entrer dans la classe de seconde d’humanités. Son but était d’avoir : beaucoup de prix à la fin de l’année; son calcul Ed ge td a va pleinement réalisé. Ces succès, loin d'être acceptés avec joie par sa mère, devinrent pour tellesle sujet. d’une profonde douleur. Elle voyait, en effet, par là ses plus chères espérances détruites; la gloire mili- « taire devait rapidement enflammer cette jeune imagi- nation, et la faire renoncer pour toujours à l'habit Dome | | , l'enfant avait emporté avec jui ces ‘dédie He PUS qui devaient nécessairement prendre des | forces au milieu de cette ‘génération, tout enivrée des succès militaires de l'empire. C’était alors, comme il l’a dit lui-même, un enfant faible et malhngre, petit de taille, au visage pensif, aux cheveux plats, Ses jambes grêles, son gros ventre, sa grosse tête, cet- air morose qui ne le quittait presque jamais, | furent plus d'une fois l'objet des railleries joyeuses | de ses jeunes amis; mais lui, sans paraitre y prendre garde antrement que par ce sourire triste et fin à la fois, sous lequel il déguisait si souveñt ses im pressions douces ou amères, il allait toujours poursui- vant ses chères rêveries. Rarement on le voyait prendre part aux jeux bruyants de ses condisciples; au travail, DRE ot nul n'avait plus d’ardeur ; aux heures de repos, nul n'était plus silencieux et plus grave ; parfois PPRrAISE de sérieuses discussions, où les projets d'avenir n'é= taient pas oubliés, s 'élevaiententre lui et ses deux amis, ; ses rivaux d'étude, Fagon et Geo Son absence é NOTICE BIOGRAPHIQUE. 75 totale aux jeux de ses camarades l'avait fait sur- nommer /e rhéteur ! Pourtant, ce n’était point le rhéteur qu'il eût fallu le nommer, mais bien le rêveur : car c'était, en effet, un rêve continuel que la vie de Julesd'Urville; c'était tout un combat qui se livrait dans cette jeune tête. L'exis- tence de nos écoliers d'aujourd'hui ne peut en rien se comparer à celle des lycéens de l'empire. Le collége, à cette époque, était comme tous les autres lieux en France, comme le théâtre, la tribune, les salons, les endroits publics, le collége était alors une réunion : d'êtres pensants, où les questions politiques si graves et si audacieuses du temps, se traitaient sous tous les points de vue; où l’on plaidait le pour et le contre; où chacun donnait son opinion sur les événements du jour : seulement, là, ces questions étaient peut-être traitées avec plus de chaleur que partout ailleurs ; les plaidoyers étaient plus audacieux, et les opinions plus neuves el plus originales; et puis, il y en avait bien peu, parmi tous ces jeunes enfants, qui n’eussent un père, un frère, un parent sous les drapeaux; il y en avail peu dont le nom ne se fût pas trouvé parmi ceux des braves inscrits, après un jour de bataille, au bul- letin de la grande armée. Or, c’étaient de beaux jours pour tout le lycée, que ceux où, par les grandes portes tout ouvertes, on voyait s'avancer un père, un frère, un parent, la poitrine couverte de broderies et de décorations, le visage noblement sillonné par le fer ennemi. C’étaient alo:s des cris de joie, et des chants de triomphe; et puis ces braves soldats de l'empereur, 76 NOTICE BIOGRAPHIQUE. embrassant quelque tête chérie, repartaïent bien vites . car leur maître n’attendait pas;ils repartaient pour aller . cueillir de nouveaux grades et denouveaux honneurs, « ou bien encore, pour mourir surun champ de bataille! Seul peut-être parmi tous ses condisciples, Jules d'Urville n'avait à l'armée ni frères, ni parents, ni » amis. Mais lorsqu'arrivaient les jours de fête dont nous parlons. tout à l’heure, pour qui l’eût bien exa- 4 miné, avec son front pâle et des éclairs dans les yeux, | celte paleur et ce feu du regard eussent montré à * découvert toutes les chaudes pensées de l'enfant taci- turne et sombre. Lui aussi, il voulait de la gloire et des ” honneurs. Alors, en attendant qu'il devint un héros, | l’écolier se remettait au travail avec plus d'ardeur, et laissait derrière lui tous ses rivaux. | | Néanmoins, ce ne fut que quelque temps après que : se révéla son goût pour la marine et les voyages. Son assiduité et son intelligence l'avaient fait remat- ' quer de ses professeurs. Pour le distraire dans sesré- Ë créations, on l’abonna à un cabinet de lecture. Alors il lut, ou plutôt il dévora les voyages d’Anson, de Bougainville, de Cook; sa vocation venait de lui être révélée. Quelques mois avant sa mort, et lorsque, dans les premiers jours de l’année 1841, le roi venait de signer son brevet de contre-amiral, il se rappelait M avec bonheur le pari assez curieux qu'il fit, à l’époque où il était encore sur les bancs, avec l’un de ses con- disciples, nommé Fagon, qui mourut, tout jeune encore, capitaine d'artillerie. Fagon rêvait d'être sé= : nateur, ou lieutenant-général, à cinquante ans; Jules NOTICE BIOGRAPHIQUE. 71 d'Urville fit une gageure de cinquante louis, qu’à cet âge il serait contre-amiral. Les récits des navigateurs célèbres qu'il avait lus frappèrent vivement son imagination; et, en lui fai- sant entrevoir un genre de gloire auquel il n'avait _ jamais songé , ils avaient irrévocablement fixé sa des- tinte. Doué d’une volonté énergique et d’une per sistance extrême , il ne lui avait jusqu'alors manqué qu’un but pour concentrer tous les efforts de son intel- _ligence. PA Des succès brillants avaient marqué le passage de Dumont-d'Urville sur les bancs du lycée de Caen. Avec son caractère, son intelligence et sa persévé- rance, il n'avait jamais cessé d'occuper le premier rang parmi les élèves de sa classe. Mais tous ces triomphes ne purent vaincre la répugnance extrème de sa mère pour le régime des écoles impériales; elle préféra re- noncer au bénéfice d’une bourse que son fils avait obtenue au concours, plutôt que de le voir soumis à cette discipline intérieure, qui faisait disparaitre parmi les jeunes écoliers toutes les distinctions de la noblesse - du sang. Plein de respect et d'affection pour elle, son fils se soumit ; mais, en même temps qu'il consentait à ne plus aller au lycée que comme externe, il an- noncait à sa mère sa résolution inébranlable de re- noncer à la prêtrise, et son désir d'arriver à l'école Polytechnique. En conséquence, en septembre 1807 il subit l'examen ; mais, quoique reconnu admissible par ses examinateurs, il fut refusé. Son rang sur la liste ne lui permit pas de compter parmi les heureux. 78 NOTICE BIOGRAPHIQUE. TRES Toutefois, il dut à cette circonstance l'offre qui lui fut faite, d'entrer comme élève à l'école de Fontaiñe= bleau. Son oncle, de Croisilles, le pressait vivement 1 d'accepter cette position, qui lui ouvrait la carrière 1 des armes, si brillante et si enviée à cette époque; mais déjà la résolution du jeune d'Urvillé était iné- branlable ; il répondit à l'offre qui lui était faite par un | refus for nu et en avouant hautement ses désirs d’en- trer dans la carrière de la marine. \ Deux mois après, Jules d'Urville embrassaït sa mère, que son départ pour Brest laissait sans espoir pour ses projets; il quittait ses parents, ses amis, pour faire son premier pas dans la carrière qu'il s'était 1 choisie, où l’attendaient tant de déceptions et de dan- gers; 1l en avait calculé toutes les chances; peut-être entrevoyait=il déjà tout ce que l'avenir lui réservait de gloire et d'honneur, et son âme, un moment éprouvée par ces tristes adieux, ne tarda pas à re- « lrouver toute son énergie au souffle des vents de mer. _- _ Au mois de novembre 1807, Jules d'Urville était. recu par M. Caffarelli, préfet maritime de Brest, pour qui il avail une leture de recommandation. Il avait à NOTICE BIOGRAPHIQUE. 79 peine dépassé ses dix-sept ans; son corps était frêle, mais sa résolution inébranlabie. La France ne comp- tait pas encore d'école de marine. Seul, et sans appui assuré, Jules d'Urville venait demander au chef mili- taire du port de Brest d'embarquer comme simple no- vice, sil ne pouvait débuter dans la carrière de la marine par un service plus en rapport avec son édu- Calion, son intelligence et son instruction. Il fut plus heureux qu'il ne l’espérait : accueilli avec bonté par M. Gaflarelh, 1l fut immédiatement appelé à servir comme aspirant auxiliaire sur l’Zgurlon, le premier vaisseau qu'il eût vu, el qui était commandé par le capitaine Mamgon, dont la bienveillance devait à ja- mais mériter la reconnaissance du jeune officier. C'était une vie bien nouvelle pour le jeune d’ Urville, Wque celle que lui avait faite son entrée sur le vaisseau _l'Aquilon. L'enfant rêveur des premières années, l’é- colier penseur et morose du lycée de Caen, était, sans aucun doute, bien mal à l'aise au milieu de ses jeunes compagnons, peu studieux pour la plupart, et adonnés a tous les plaisirs bruyants du marin à terre. Aussi, ses plus douces heures étaient celles qu'il Foie consacrer au travail, | Il était, nous l'avons dit, aspirant provisoire; un concours était nécessaire pour obtenir son premier grade dans la marine : pendant une année il s'y pré- pare; et lorsque les examinateurs arrivent, le nom quäls placent en tête de leur liste des soixante-douze admissibles est celui de Jules d'Urville. Il abandonne alors pour quelque temps l'étude des sciences mathé- 80 NOTICE BIOGRAPHIQUE, OS matiques , sur lesquelles il venait d'être inter # tous ses loïsirs, 1l les emploie à fouiller la biblio— | .thèque du port; il apprend l'hébreu, pour fondre en- suite les grammaires hébraïque, grecque et! latine, et cela, dit-il, dans le seul but d'apprécier le reproche l fait aux catholiques, d'avoir altéré le sens de la Bible. | Il fuit les lieux de dissipation , il ne connaît que les plaisirs de l'étude. Ses travaux lui avaient fait reporter » les yeux avec amour vers ses premiers désirs, et il avait plus que jamais repris ces projets de gloire qui « l'avaient conduit dans la marine. Avant decolliciter un. embarquement qui lui permit de suivre cette noble \ impulsion , il voulut revoir sa famille. Un congé lui fut 1 accordé. Son séjour dans sa ville natale devait être de courte durée : il avait à peine embrassé sa mère, « son oncle, ses parents et ses amis, qu'il se-rendait a Havre pour être embarqué sur la frégate l'Ama- zone. « Je trouvais que rien n'était plus noble, plus Re | « d'une âme généreuse, — dit-il, en parlant-deises « projets de voyages lointains, — que de consacrer « « sa vie aux progrès des sciences. C’est pour cela que M « mes goûls me poussaient plutôt vers la marine de « découvertes, que vers la marine purement militaire. « « Sans redouter les chances des combats, mon es-" «prit naturellement républicain ne pouvait con-« «cevoir la gloire réelle , se rattachant à l'action « d'exposer ses jours, et de détruire ses semblables ;« « pour un différend de choses et de mots. Par mal= = « heur, on ne songeait guère alors aux expéditions de M nn A 2.7 ## NOTICE BIOGRAPHIQUE. 81 « découvertes ; mails je voulus du moins échanger "344 etinsignifiant service des ports et des rades, « contre une navigation aclive, où je pourrais ap- «prendre mon métier et visiter des contrées loin- « laines. Dans ce but, j'embarquai sur la frégate l4- « mazone, en armement au Havre, qu'on croyait «destinée à une campagne dans l'Inde *. » Malheureusement la frégate ne partit pas, et pen- dant les dix-huit mois qu’il resta à son bord, le jeune aspirant commenca à éprouver tous les ennuis et les _.dégoüûts du méuer. Ce devait être, en effet, une chose … terrible pour l'âme fière et indépendante de Jules d'Urville, que cette obéissance passive à des chefs sou- vent peu éclairés, comme cela était assez général à cette époque. Sa pensée était constamment triste; à ces causes de dégoût pour l'état qu'il avait embrassé avec tant d’ardeur, venaient encore se joindre les réflexions que faisaient naître dans cette jeune et ardente tête les événements et la politique du jour. Nourri des idées républicaines de Sparte et d'Athènes, encore sous l'impulsion des souvenirs de jeunesse , et de l'éducation que lui avait donnée sa mère; élevé d’ailleurs à l’école de la liberté, Jules d'Urville voyait, avec une profonde douleur, Nhaéhédi) entouré du prestige de ses mille victoires, sacrifier à son ambi- ton la liberté de la nation, et le jeune libéral s'était pris d’un profond mépris pour le nouvel ordre de choses, qui, par suite de nos désastres maritimes, le * Mémoires inédits de Dumont-d’Urville : Introduction aux Souvenirs d'un Voyage autour du monde. x x. 6 ” , » #4 _ - % hu 82 NOTICE BIOGRAPHIQUE. condamnait à l’inaction. Si sa fortune le lui à eût alors quitté la marine pour se livrer à. | mais force lui fut de rester à son poste, et de boire Fe comme il l’a dit, le calice jusqu'a la lie. DR NT AN TES Sur la fin de 1810, à la suite d’un nouveau “CO cours, il fut nommé aspirant de première classe. IL était alors embarqué sur le vaisseau le Suffren, moui é | sur la rade de Toulon. A cette époque, les Anglais, à maîtres de la mer, tenaient tous nos ports étroitement bloqués par leurs escadres. Tous les efforts de Pem- : pire s'étaient tournés vers le Continent, après le dé-. sastre de Trafalgar, et les marins, restés à la gard de nos vaisseaux, étaient condamnés à la plus com- plète inaction. On comprend combien ce service imsi- gnifiant, auquel était attaché Jules d'Urville, avait dû jeter de découragement dans son âme ardente, dévoré qu'il était par la noble ambition des grandes choses. Il chercha des consolations dans l'étude. Pen- dant son séjour au Havre , il avait revu son cours de mathématiques, afin de préparer son deuxième concours; il avait appris l'allemand et l'anglais : il utilisa ses loisirs, à Toulon, en étudiant l'espagnol » et l'italien : il relut ses classiques; la physique et la chimie l’occupèrent tour à tour. Rarement il descen= * dait à terre, et ce n’était que pour se livrer à l'étude de la botanique, qu'il menait de front avec celle de l’astro- nomie. L'escadre française faisait peu d'évolutions ; chaque fois qu’elle s’aventurait en pleine mer, pour- suivie par les vaisseaux ennemis, elle était promptement obligée de reprendre son mouillage, à l'abri des bat- NOTICE BIOGRAPHIQUE. de 83 teries qui garnissaient les côtes. IL restait bien du temps au jeune aspirant du Suffren à dépenser pour son instruction ; aussi était-ce un des officiers les plus érudits de l’escadre, lorsque, le 28 mai 1812, muni de son brevet d’enseigne signé par l'empereur, il embarqua en cette qualité à bord du vaisseau le Borée. | 7 Dans son nouveau grade, il fut attaché à la 49° com- pagnie des équipages de ligne, f6rmant partie des marins du Borée ; il sut gagner la confiance de ses hommes et leur affection; il sut enfin, chose rare alors pour tout officier qui n'avait pas mené au feu les soldats qu'il commandait, il sut mériter les regrets de sa compagnie, lorsqu'il fut distrait de l’équipage du Borée pour embarquer d’abord sur le Donawert, commandé par le brave Infernet, et ensuite sur la Ville de Marseille. | _ Les nouvelles fonctions que lui imposait le grade d’enseigne , auquelil venait d'être promu, ne parvin- rent pas à lui faire surmonter le dégoût qu'il éprouvait pour la marine ; l’inaction à laquelle étaient condamnés nos escadres réagissant sur l'esprit des commandants, en leur Ôtant toutes les chances d’un avancement vi- vement désiré, rendait aussi la position des subal- ternes pénible et difficile ; aussi voyons - nous qu’à cette époque, Jules d'Urville, toujours dominé par des idées de gloire, poursuivi par le désir de concourir à quelque grande entreprise, était dévoré par les chagrins et les ennuis qui résultaient de sa posiuon, « Cruellement décu dans mes espérances, 84 NOTICE BIOGRAPHIQUE. va m'S « dit-il dans un de ses manuscrits”, je crus enfiu que « je ne pourrais jamais trouver l’occasion d'exécuter « les projets qui m’avaient poussé dans la marine , et «je n’aspirai plus qu'au moment où je pourrais quitter « l'ingrate et pénible carrière que j'avais embrassée. « Mais l’'ambitieux Napoléon venait de lasser la for- « tune. » À cette époque, en effet, elle venait de déserter ses drapeaux à Moscou ; une suite non interrompue de désastres amenèrént sur le sol francais les hordes en= nemies, et le héros qui si longtemps avait fait trembler tous les souverains de l’Europe , fut à son tour obligé de déposer la couronne impériale. Les Bourbons reprirent les rênes de l'Etat, et, à la suite du traité à jamais déplorable de Paris, les mers furent enfin ou- vertes à nos vaisseaux, si longtemps bloqués dans nos ports. Le vaisseau la Ville de Marseille fut destiné à con- duire le duc d'Orléans à Palerme, et à l'en ramener ensuite en France avec toute sa famille. Dans cette courte campagne, qui ne dura que quatre jours pour aller et huit ou dix jours pour revenir, il put enfin se faire une idée de la navigation. « Je sentis effective- ee «ment, dit-il, qu’elle devait être dix fois moins insi- « pide que le service infiniment désa gréable que j'avais «€ fait, durant six ans et demi, dans les rades, et qui « m'avait si profondémeni dégoûté de la marine. » Du reste, pendant cetle courte traversée il ne vit que la ville de Palerme; il apercut de loin les côtes de Sar- 1 Introduction aux nor d'un Voyage autour du monde (Mé- moires inédits). + ‘lun à PAGES re à, ERA Le rt ; Gate su - NOTICE BIOGRAPHIQUE. 8: daigne, celles de la Corse et de l’île d'Elbe. Pour la première fois , il approcha la famille d'Orléans. Quinze ans plus tard , il devait la revoir assise sur le trône de France, au retour du voyage qu'il avait exécuté sur les côtes d'Angleterre, afin d'y déposer dans l'exil u retour, la Ville de Marseille fut désarmée, et Jules d'Urville se trouva de nouveau réduit au service du marin à terre. « Je ne fus point fäché, dit-il, de « respirer quelque temps l'air pur des champs, après « le séjour que je venais de faire sur les planches du « vaisseau ; d’ailleurs, je renouvelai connaissance avec « l’un de mes anciens camarades de lycée, l'ingénieur _« de Cerisy, qui, plus heureux que moi, avait été ad- « mis à l’école Polytechnique, et qui, en outre de ses ns t travaux obligés, s'occupait avec ardeur d’entomo- « logie. Il me communiqua le goût de cette science. « J’arpentai rapidement, et sans relâche, les ravins, les « montagnes, les forêts voisines de Toulon, et bientôt « je réussis à me former une collection assez complète « des espèces circumtoulonnaïses. » Au mois de mars 1815, Napoléon abandonnant sa retraite sur l’ile d'Elbe, débarquait nuitamment sur les côLes de Provence. Pendant cent jours encore il fut maître de la France; l'Europe entière était en feu. L'enthousiasme du peuple français était au comble: il avait suffit à l'empereur dedéployer ses aigles pour voir se grouper autour de lui les militaires de toutes armes qu'il avait si souvent conduits à la victoire. Juies d'Ur- 86 NOTICE BIOGRAPHIQUE. ville ne participa point à cet entraînement gén « J'avais déploré, dit-il, la ridicule ligne de conduite « adoptée par les Bourbons, depuis leur rentrée; mais « je détestais bien davantage le despotisme militair « grand-homme. L’ineptie des Bourbons laissait du « A « « couvrir de leurs signatures aflirmatives, même ceux Ka à «qui avaient témoigné le plus leur amour gp la « dynastie légifime. » : Sans nos désastres à Watérlod, sl P'epetrd) fût resté sur le trône, peut-être Jules d'Urville sans for tune, sans moyens d'existence, eût élé contraint de quitter la marine; ce fut pourtant dans ces circons- tances qu'il se maria; « mais, dit-il, j'avais donné ma « parole , et je ne pensais pas que rien püt me dégager « de ma promesse. » IL épousa une jeune et belle pro- vencale, dont le nom plébéien fut d’abord repoussé par madame d’Urville la mère, ennemie des mésal- liances, mais qui, par ses vertus et ses qualités, sut toujours mériter l'affection de son mari, l'estime et * l'amitié de ses parents et de ses amis. Plus tard, il devait éterniser son nom en l’imposant à l’une de ses plus belles découvertes, à la terre 4déle, | Ce fut alors que Jules d'Urville, dont le dégoût pour la marine n'avait fait qu'augmenter,redoutant de voir sa carrière brisée par l'opposition énergique qu'il DATICE BIOGRAPHIQUE. 87 avait faite aux idées de l'empereur, envoya sa démis- | sion d’e nseigne, afin d'obtenir un brevet de capitaine d'infanterie ; mais bientôt Bonaparte fut obligé dequitter une secomde fois la France, pour aller terminer son étonnante carrière sur l’aride rocher de Sainte-Hélène ; les Bourbons revinrent; à la suite des étrangers ils re- montèrentsur letrône, et alors cette demande resta sans effet ; le jeune enseigne put continuer son service dans le port, ainsi que ses études d'entomolosie. En 1816, le vaisseau le Royal-Louis fut armé et décoré pompeusement pour recevoir la duchesse de Berry, qui devait faire quarantaine à Toulon. Sa si- gnature négative à l’acte additionnel de Napoléon, avait jeté sur Jules d'Urville un certain vernis de dé- vouement à la branche réhabilitée, auquel il avait été loin de songer à cette époque, mais qui lui valut d’être embarqué sur le Royal-Louis, bien qu'ilne fit aucune démarche pour obtenir cette faveur alors vivement désirée. « Je riais sous cape, dit-il, moi dont les idées « déjà prononcées étaient toutes républicaines, de me « voir confondu avec ce troupeau de chaleureux pala- « dins de la légitimité. » Du reste, la duchesse alla purger sa quarantaine à Marseille ; « nous en fûmes « quiltes, ajoute-t-il, pour une visite assez courte «qu'elle vint faire à Toulon, pour céder aux vœux « empressés de son peuple fidele. » A peu de temps de là, son tour d'embarquement appela sur la gabarre l’Ælouette, commandée par le lieutenant de vaisseau Rigodit. L'antipathie qu'il avait pour la carrière du marin l'y suivit, et s’il n’eüt L 88 NOTICE BIOGR APHIQRE. EE eu la crainte d'être rangé parmi les marins d'eau douce, comme il l’a dit lui-même, il eût dei ch hebncnil Cependant, la gabarre devait aller d'a- ; bord à Civita-Vecchia , et il avait tant d'enfie de voir Rome, que ce seul espoir le fit passer par dessus la pro- fonde répugnance qu'il éprouvait pour sa profession. Après deux ou trois mois de courses méditerranéennes, arriva à Civita, et pendant six jours entiers, Jules d'Urville put parcourir Rome, visiter ses édifices, et mettant à profit les études de sa jeunesse , y recueillir un fonds inépuisable de souvenirs. Qu'on se figure, en effet, cette àme d'élite, cet esprit si vaste et si rempli, à faisant revivre par la PRE sur cette terre, toutun … monde qui n'existe plus! qu’on se le figure, parcourant seul et réveur, ces rues aujourd’hui presque désertes et autrefois si peuplées, ces temples qu’encombrait jadis une foule pieuse, et qu'elle délaisse maintenant , cet immense Forum où toutes les destinées de l'empire romain avaient été discutées, ce Capitole qui deux fois avait été le bouclier dé la ville éternelle! Mais quelques années encore, et le jeune enthou- siaste devait pleinement satisfaire tous les rêves qu'a- vait fait naître en lui la lecture des poètes et des his- toriens, en foulant aux pieds la terre illustrée jadis par les exploits d'Achille, la grandeur de Thémistocle, et le passage victorieux d’Alexandre. L' Alouette revint bientôt à Toulon, puis après un court séjour dans cette ville, elle remit à la voile pour Lorient. L'4louette, en quittant le port , allait se di- riger sur le cap de Bonne-Espérance, où l’attendait SE DR an ro 2 7 * , NOTICE BIOGRAPHIQUE. 89 hs terrible naufrage. Malgré l'attrait d’un semblable voyage pour le jeune officier, Jules d'Urville demanda et gr son débarquement. 11 venait d'apprendre qu’une expédition de découvertes, sous le commande- ae À. ment de M. de Freycinet, se préparait en France. C’é- {ait la première fois, depuis qu'il appartenait au corps de la marine, qu’une semblable circonstance se présentait; on pense bien qu'il ne voulait point la perdre. En quittant l’4louette, il ne fit qu'un court séjour en Normandie, dans sa famille , qu'il n'avait par revue depuis quatre ans, puis il se rendit sur-le-champ à Paris, dans l'espérance d’y rencontrer M. de Freycinet. Celui-ci était déjà à Toulon, pour présider à l'arme ment de son navire. Le jeune et ardent marin, ne s’ar- rêtant pas un instant, arriva bientôt après lui, et malgré toutes ses prières, malgré ses nombreuses dé- marches, il n'obtint qu'un refus poli à sa demande d’embarquer sur l’Urante; les choix du capitaine étaient déjà faits, et il ne pouvait augmenter le nombre des officiers de sa corvette. Ce refus, qui lui fut peut-être par la suite plus heureux que fatal, ne lui fit pas moins éprouver d’a- 28 90 NOTICE BIOGRAPHIQUE, mers chagrins, de grands décourag encore une fois le travail. et l'étude qui dévinrent sa consolation dans ces moments difficiles. ni « En manquant une aussi belle occasion dé réa | « les voeux de ma jeunesse, dit-il, je crus que la for- « tune m'imposait pour toujours la loi 53 renoncer. « Je me soumis à ses décrets; j'abjurai toute idée « d'ambition et d'avancement, et je me promis même «de ne faire aucune démarche pour dépasser mon tour « d'embarquement. | « La botanique devint mon refuge; en compagnie « de plusieurs amis, je passai tout l’été de 1817 à par- « courir les environs de Toulon pour étudier sa flore, «el j'eus bientôt formé un herbier considérable. Ce € fut un temps heureux pour moi; devenu étranger à «toule autre pensée, je ne songeais alors qu'à enregis- Utrer dans mon imagination tous les végétaux qui ta- « pissaient les monts et les vallées méditerranéennes: « Il ne me manquait que d’avoir un peu plus d'ai- « sance; combien de fois, en effet, j'ai hésité, re- «culé, et souvent même ajourné inétstholie une « faible dépense nécessaire pour l'achat d’un livre où | « d'objets utiles à mes études. | i « L’'Uranie, en mettant à la voile, emporta un de «nos compagnons de travail; bientôt ensuite un se- | «cond fut obligé de nous quitter, et notre troupe bota- « rophile se trouva réduite à deux promeneurs. Toute- « fois, après avoir consacré l'hiver à étudier nos ré=" « coltes, au printemps de 1818, nous recommencâmes « de plus belle nos excursions. Nous eûmes méme | dé NOTICE BIOGRAPHIQUE. 91 « quelquefois pour compagnon le contre-amiral Ha- _æmelin, qui s'était épris d une belle passion pour celle | Pence. &Enfin, mon fidèle compagnon dues recut une « autre destination, et je restai seul, ce qui amortit « considérablement mon zèle. » Ce goût pour la bota- nique qui ne lui fit jamais défaut, et qui, plus tard, devait conduire le contre-amiral Dumont-d'Urville à des travaux importants, suffisants pour immortaliser son nom, avait pu, pendant quelque temps, cicatriser la-plaie faite à son cœur par le départ de l'Urante, sur läquelle il n'avait pu obtenir d'être embarqué; mais malgré sa résolution, malgré l'affection qu'il portait à sa famille, et le bonheur dont ii y était entouré, ces promenades instructives ne pouvaient pas longtemps suffire à son âme toujours avide de grandes choses, toujours tourmentée par des projets de voyages loin- tains. La direction donnée à son esprit ne pouvait rester lon Dour sans amener de résultats, et le moment étaitarrivé où cette intelligence devait prendre son es- sor. Le ministre de la marine avait confié au capitaine Gauthier, commandantla Chevrette, la mission d'opérer le relèvement des côtes et des îles de la Méditérranée. Troisexplorations avaient déjà produit de beaux résul- tats, lorsqu’au moment de commencer sa quatrième ex- cursion, il demanda un officier qui pût l’aider dans ses travaux hydrographiques. Grace à la protection de M. Hamelin, alors major-général de la marine de Toulon, et avec lequel il était entré en relation, à cause de leur conformité de goût pour les sciences er ile 02 “th NOTICE BIOGRAPHIQUE. naturelles, Dumont-d'Urville fut désigné pour faire * partie de cette quatrième exploration; ce choix justifié { par les talents du jeune enseigne, le fut encore par le: zèle dont il fit preuve pendant une campagne de neuf mois. Ce fut alors qu'il eut le bonheur, — bonheur inestimable pour son âme ardente et toujours attris- tée, — de fouler aux pieds ce sol de la Grèce, jadis. tant vénéré par lui, inépuisable champ de vieux sou- venirs, terre classique de héros homériques dont il. avait fait, dans sa jeunesse, ses idoles et ses dieux, patrie des philosophes à la morale grave et profond et des républicains aux idées ardentes et libres, toutes. choses qui sympathisaient si bien avec sa morale etises idées à lui!... C'était encore un de ses rêves qui trou- vait sa réalisation; car que de fois, l’écolier des bords de l'Orne, le lycéen de Caen , à la lecture d'Homère, de Sophocle ou de Platon, ne s’était-il pas épris d’un grand enthousiasme pour cette terre des braves sol- dats et des libres penseurs ; que de fois il avait ambi- üionné de pouvoir la visiter un jour ! Ses vœux com- mencaient donc à s'accomplir. De retour à Toulon, et riche déjà des connaissances acquises, M. d'Urvillene tarda pas à repartiravec le capi- taine Gauthier, pour accomplir l'exploration hydrogra= phique dudétroit des Dardanelles, du canalde Constan=« tinople et de la mer Noire. Durant ce voyage la gabarre j la Chevrette, dit-il, « fit le tour entier des côtes du « Pont-Euxin , promena le pavillon francais du Bos« «phore de Thrace ‘au Bosphore Cimmérien, et des: « bouches du Phase à celles de lIster, traversa plu . NOTICE. BIO )GR. APHIQUE. 93 « sieurs fois la Propontide et termina son explora- « tion au fond du golfe d'Argos. » Au reste, cette dernière campagne (1820) lui fut _ favorable sous tous les rapports. Partout où il put meltre le pied à terre, il recommenca ses études de naturaliste et d’archéologue. Ses recherches fu- rent fécondes , et le hasard lui procura l’occasion de rattacher son nom à une découverte importante dans les fastes de l'antiquité. À son passage à Melos, l'équipage de la Chevrette apprit qu’une statue venait d’être trouvée dans les dé- combres de l’ancienne ville. D'Urville alla la visiter avec plusieurs de ses camarades; ceux-ci n’y virent qu’un morceau de marbre comme un autre; mais lui, fut tellement frappé de la beauté des formes et de l’ex- cellent goût du morceau tout entier, qu'il en traca une notice assez détaillée ; il avait reconnu, dans cette sta- tue , la célèbre 7enus V'ictrix qui, depuis, a reeu le nom de Vénus de Milo. On eût alors pu l’acquérir pour 500 piastres turques, environ /00 francs de notre monnaie. Il dit à M. Gauthier qu'il l’achéterait de ses propres deniers, s'il voulait lui permettre de l'embarquer à bord de la Chevrette; mais celui-ci, alléguant la nature de la campagne qu'il allait faire, le mauvais temps qu'il pourrait rencontrer dans la mer Noire, ne répondit à cette proposition que par un refus formel ; et dès lors, il fut obligé de renoncer à ses projets. Cependant à Constantinople, M. de Ri- vière, notre ambassadeur, l'interrogea longuement sur celte découverte, et lui demanda la copie de la notice SE. : NONCE BIOGRAPHIQUE. qu’il en avait tracée, promettant de faire M de ce chef-d'œuvre pour le Musée de Paris: Eneffet, à son retour en France, d'Urville apprit, de lai Re Pr Seori Ve % bouche même de M. de Rivière, que cette magnifique | M.de Mar-_ statue venait d'être acquise par jé soins de M cellus , sans qu'il leût même vue, et sur la seule au. torité de la notice qu'avait rédigée Dumont-d'Urville. « Placée aujourd'hui dans le Musée de Paris , cette sta- tue, sous le nom de Vénus de Milo, occupe le pre- mier rang parmi les chefs d'œuvre de lart antique. De retour en France à la fin de 1820, M. Gauthier fil encore choix du jeune et savant enseigne, pour travailler, sous sa direction, à la construction des cartes de la Méditerranée. En conséquence, il se di= rigea vers la capitale, avec sa famille réduite à sa femme | et un fils de quatre ans environ , et avec ses immenses collections. Il partagea celles-ci libéralemententre le … Muséum et une foule de botanistes; puis il lut à l’Aca= “. démie des Sciences, sur son dernier voyage, une no- tice qui le mit en rapport avec plusieurs des membres de cette société. Partageant son temps entre ses tra- vaux au dépôt de la marine et ses études botaniques , 1] menait une existence active, maïs peu aisée et par suite semée de grandes privations. Simple enseigne de vaisseau, ses appointements se bornaient à 2000 francs par an; sa femme était sans fortune aussi, et il new Far presque rien de son patrimoine. | { Heureusement, fort heureusement pour cette vie de. privations qu'il n'aurait pu supporter longtemps, et aussi pour son courage qui allait toujours en décrois= H 7 &, (4 4 NOTICE BIOGRARAIQUE. | 95 * sant, à mesure que l’amertume entrait dans son cœur, fort heureusement disons-nous, cet état de choses ura pas longtemps. Le 1** mai 1821, il fut nom- aé chevalier de la Légion-d'honneur; le 15 août de la même année, après neuf ans de service comme en- seigne , il fut promu au grade de lieutenant de vais- seau. C'étaient là, pour l'instant, tous ses désirs; il allait pouvoir avouer hs hautement un projet concu de- puis son arrivée à Paris, avec l’un de ses camarades , M. Duperrey; projet qui devait donner un commen- | cement de réalisation à ses désirs de grands voyages et de découvertes , et que son grade , inférieur à celui de M. Road ancien officier de l'Uranie, fait lieutenant de vaisseau au retour de cette expédition, avait retardé jusqu'alors. | « À cette époque, dit-il, rebuté par treize années de « misères, d'humiliations et d'efforts sans succès, on « a vu mon ardeur s'éteindre, les illusions de la jeu- « nesse se dissiper, mon ambition s'anéantir ; résolu à « trainer mon triste harnais par la seule raison que mes « moyens de fortune ne me permettaient point de le « quitter, » Voila ce qu'était, à l'age de trente-un ans, Jules d'Urville; fatigué des hommes et des choses, ai- gri par les événements ; mais, quoiqu'il en dise, tou- jours soutenu par une volonté énergique, toujours do- -miné par les idées de gloire et d’ambition de sa jeu- nesse, qui devaient lui faire surmonter les difficultés sans nombre et les obstacles qui s'opposaient encore aux combinaisons de son ardente imagination. Le projet d’un voyage de découvertes et de circum- “ 96 NOTICE BIOGRAPHIQUE. navigation présenté au ministre de la marine MM. Duperrey et d'Urville, rencontra tt ul M el L n°7 de nombreuses objections; la jeunesse: d officiers, les dépenses énormes occasionnées demande fût accordée; mais ces obstacles dispa- : rurent devant l’ardeur et l'enthousiasme de ces jeunes officiers, et enfin, M. de Clermont-Tonnerre, alors mi- nistre de la marine, confia le commandement de la Coquille à M. Duperrey, tandis que Jules d'Urville, moins ancien de grade, était nommé lieutenant en + premier chargé du détail, à bord de cette corvette « destinée à aller parcourir les parages les moins con- nus du grand Océan. Avant de partir pour ce lointain voyage, Jules d'Urville voulut revoir sa famille; il conduisit sa femme et son fils en Normandie; il voulut faire une dernière visite à la tombe de son-vénérable oncle de. Croisilles à qui il devait tant , et qu'une attaque d’apo- plexie avait frappé de mort en 1819, au moment où il allait voir son élève et son neveu, entrer dans la voie qu'il avait si longtemps ambitionnée. Des démêlés d'in- « térêts abrégèrent son séjour dans sa famille; il revint à Paris consulter encore les savants qui l’honoraient À de leurs conseils et de leur appui, et ensuite, muni - de leurs instructions, il se rendit à Toulon pour surveiller l'armement de la corvette. ci Tout en poursuivant les préparatifs du voyage dem la Coquille, Jules d'Urville, doué d’une activité infatigable, terminait la publication d’un ouvrage im<® NOTICE RIÉRRRFMQUE. Ag 1 portant sur les plantes qu'il avait recueillies dans ses deux campagnes du levant Cetouvrage, auquel ilavait donné le titre de: Enumeratio Plantarum , lui coûla cinq mois d'un travail opiniâtre et de des fatigues ; car il voulut comparer chacune de ses plantes avec celles que rapporte Tournefort. Il le publia à ses frais, bien qu’à cette époque tout son avoir ne dépassât pas 800 fr. de rentes inscrites sur le grand livre; et au mo- mentoù il allait entreprendre un long et dangereux voyage, « c'était l'unique fortune, dit-il, quej'eusselais- . « sée à ma femme et à mon enfant, si j'eusse succombé à dans mon entreprise. Toutefois, si peu que ce fût, 1e « m'était doux de penser qu’au moins, après moi, ces « deux êtres chéris n’eussent pas été réduits à Pin- « digence. » _ Le 11 août 1822, la corvette la Coguille quittait le . port de Toulon, dans lequel ellene devait révenir qu’a- près une campagne de trente-deux mois. Iln’entre point dans le cadre que nous nous sommes tracé pour cette esquisse biographique, d'examiner ici, ni surtout d'as- seoir un jugement sur tous les travaux exécutés par cette expédition; malheureusement, il est vrai, le voyage de la Coquille n'est pas encore complétement X. 7 98 -+ NOTICE BIOGRAPHIQUE. publié, mais au retour de la corvette, l’Ins depuis a admis dans son sein le co t “perrey, l’Institut, disons-nous, par l'organe dre de ses savantes commissions, a fixé l'attention pul hs que sur les résultats obtenus dans cette longue : Navi gation , et les éloges qui, à cette époque, furent don= « nés au Capitaine , à son second , ainsi qu'aux officiers « ses compagnons de voyage , par cette illustre société, sont un beau titre de gloire pour tous ceux qui y ont-pris part. Du reste , parmi les ofliciers qui com- posaient l'état-major ï la corvette, se trouvaient Ê 4 MM. Bérard, aujourd'hui membre correspondant ‘ad { l’Institut de France, Jules de Blosseville, qui devait « plus tard périr si misérablement victime de son amour pour la science, Jacquinot et Lottin, anciens compa= gnon de Dumont d'Urville sur la Chevrette, et cuis plus tard, avec lui pour chef, devaient prend part à tant et de si nobles entreprises. Sans doute, en entreprenant ce long voyage, Jules d'Urville voyait le commencement de la réahsation de ses plus beaux rêves; mais avec son imagination 1 vive, avec ses connaissances et son intelligence ,ïil. devait rester encore quelque chose de triste et d’'amer | _ au cœur du jeune marin : il n’était que le second à bord de ce navire commandé par un officier de son grade, de songe, et qui était son chef, lorsqu'il avait été si longtemps son égal. Par le fait de sa position, « _les fonctions les plus fastidieuses et en même temps les plus assujettissantes lui étaient dévolues; & “était à lui de prévoir tous les mille détails matériels LÉCes- NOTICE BIOGRAPHIQUE. 99 sités par cette navigation extraordinaire; et cependant, lui aussi connaissait tous les points où 1l y avaitdes ob- servations à faire, des travaux utiles à exécuter, lui aussi se sentait dde de diriger ce navire de manière à lui faire accomplir la plus belle mission ; mais avant tout il doit obéir , et tout en se réservant d'étudier la botanique et l’ethnologie, il sait bien que quels que soient les lieux où la corvette doit jeter l'ancre, il pourra y faire de nombreuses et fructueuses récoltes. Aussi, malgré tout ce qu'il y a de pénible dans sa position , il saura la supporter, car il est décidé à tout par amour pour la science, et la corvette est à peine: sortie du port, que déjà il s’est, pour ainsi dire, fait une vie à part sur cet espace si étroit que contient le pont du bâtiment. Tous ses loisirs, illes passe dans sa chambre, pour s'y livrer à l'étude ; bientôt, après la première relâche, il a déjà bien assez à faire de classer les mille plantes, que dans ses promenades il a recueillies ; mais en outre, chaque jour, et quelles que soient les fatigues de la journée, il consigne, avec . détail sur son journal, toutes les observations qu il a faites. Les travaux hydrographiques et physiques du voyage de la Coquille sont à peu près publiés; ils ont ouvert, à juste ütre, les portes de l’Institut au commandant de la corvette; mais la narration du voyage n’est connue que par l'ouvrage émérite de M. Lesson, naturaliste de l’expédition , dont le nom jouit d’une si haute estime aujourd’hui dans les sciences naturelles. Jules d'Urville avait aussi écrit 100 NOTICE BIOGRAPHIQUE. l'histoire de ce voyage, dont il fut un des collabora-. teurs utiles; ce manuscrit, s'il a existé, a probable- | ment disparu après sa mort, lors du partage de ses biens par ses héritiers, dans sa campagne de Toulon. Quelques pages seulement de ce précieux écrit sont tombées entre nos mains, lorsqu'au nom du ministre de la marine, ses compagnons dans son dernier voyage autour du monde, sont allés réclamer ses papiers à son domicileà Paris, malheureusement elles ne contiennent Ja mé atesst AE Séhssininer: sriéess at 4 que quelques détails qui lui sont personnels, etoù nous avons puisé largement pour esquisser les premières années de son existence. Nous y avons trouvé aussi tous les détails de l'armement de la corvette , et enfin le récit du voyage jusqu'à Ténériffe seulement; mais ces quelques pages, dont nous citerons les deux passages les plus remarquables, suffisent pour faire comprendre combien il est regrettabie que cet important man uscrit n'ait jamais vu le jour. | La corvette la Coquille n'avait pas encore franchi le détroit de Gibraltar, que déjà la vue des côtes d'Es- pagne avait arraché à l’âme rêveuse et souvent poé- tique du jeune officier, des pages empreintes du senti- ment le plus profond et de la plus haute philosophie. « Le 17 août, dit-il, nous passions devant le cap Saint- « Martin, qui nous annoncait le voisinage de la superbe « Valence et des côtes agrestes d’Alicante. Le 18 et le «19, poussés par une brise de N. E., nous filämes ra- nl « L'aspect de ces terres rappela à mon imagination : « d'une part, la. puissance des Maures leurs anciens « pidement le long des côtes du OA de Grenade. #3 24 NOTICE BIOGRAPHIQUE. 101 «maîtres, leur magnificence, leurs suceës dans les «arts, et, de l’autre, les exploits des premiers Castil- « Jans. Longtemps l'issue de cette luite opiniâtre fut | incertaine; enfin, la fortune favorisa les efforts des ….« enfants de Pélage, et cette nation qui, sortie des af sables de la Libye, avait menacé de son joug l’Eu- Fe: « rope entière, en fut bannie sans retour. De musul- _mane qu’elle eût été, l'Europe resta chrétienne, et «la Croix conserva son empire sur celle partie du «monde. Loin de moi l'envie de préconiser les dog- « mes absurdes de Mahomet, ni les mœurs semi-bar- « bares de ses disciples! Cependant il est probable « Que sous le joug de plomb des Osmanlis, la race « humaine eût été plus paisible et moins exposée à «ces guerres d'extermination qui, à tant d'époques « différentes, ont signalé la fougue effrénée des secta-- «teurs du Christ. D'un autre côté,'ces persécutions, «ces manœuvres n'ont-elles pas été nécessaires à « l'esprit humain pour le faire sortir de sa léthargie, « pour le stimuler: vivement et le faire marcher à « grands pas vers ces étonnantes découvertes qui ont « caractérisé le 18° et le 19° siècles ? C’est bien le cas « de répéter que, dans la nature humaine, tout n’est « que doute et incertitude. L'homme le plus éclairé « peut à peine se flatter d’avoir détourné, à son profit, « un faible rayon de ces flots de lumière , dont l'éclat « sans doute nous anéantirail, si la vérité pouvait tout « à Coup se montrer à nous sans voile. » Les sciences, on le voit, d'ordinaire si sèches et si arides, n’empêchaient pas l'esprit si vaste de d'Ur- 102 NOTICE BIOGRAPHIQUE. ville de s ‘élever parfois aux plus hautes considérations | philosophiques. Au reste, il était impossible qu Len fût ‘autrement ; l'homme de trente ans croyait avoir eu déjà trop à se plaindre des hommes et des choses; pour que son äme, en quelque circonstance que. CE: fût, ne püût trouver matière aux réflexions graves, aux idées tristes, aux pensées amères. Telle était do sa vie. Ardent au travail, nul ne fut, pendant te A la campagne, plus intrépide et plus infatigable que lui, soit dans les moments critiques de la navigation, soit dans les courses aventureuses , à travers des pays inconnus, nécessitées par le but même de l’expédi- tion; et lorsqu’au retour de ces scientifiques et Ile rieuses promenades, ses compagnons , accablés de fa- tigue , s'empressaient de chercher de nouvelles forces dans le repos et le sommeil, presque toujours d'Ur- ville, sans sommeil, sans repos, mettait en ordre, elésnit. étudiait et les plantes et les insectes, et toutes les richesses qu’il avait recueillies. Ce furent deux années bien remplies, deux années où le savant marin fit faire bien des progrès aux sciences dont il s'était particulièrement chargé : la bo- tanique et l’ethnologie. Toutefois, qu'on ne croie pas que là se bornèrent ses travaux : il n’est pas une seule branche du grand arbre scientifique qui n'ait été l'ob- jet de ses soins; tout était matière à observations k e 4 F ù à “ di L 9 d pour cet esprit avide de connaître : un oiseau quis'é- battait sur les vagues, une plante qui paraissait dans M le sillage du navire, tout lui fournissait matière à de 1 graves. et sérieuses études. Que de nuits il passa à ob. :i FT NOTICE BIOGRAPHIQUE. 103 server cette lueur phosphorescente que l’on voit tou- jours dans le remous des vaisseaux *! La vue d'une terre à laquelle se rattachaient quelques souvenirs histori- * J'avais le quart de minuit à quatre heures, et durant tout ce temps j'ai pu examiner à mon aise le phénomène de la phosphorescence. Il se développait surtout dans toute sa magnificence, dans les lames brisées par l’éperon du navire. Là, je voyais se succéder à chaque instant de larges nappes argentées, assez semblables pour le fond de la couleur et les effets de la lumière, à certaines portions les plus brillantes de la voie lactée. Au milieu de ces nappes, et presqu’à leur surface, jaillissaient en tous sens des jets d’une lumière bien plus vive, et figurant parfaitement les étincelles des chandelles romaines dans nos feux d'artifice; puis ils filaient rapidement le long du bord, sous la forme de globules enflammés, auxquels on eût distinctement assigné moins de six lignes de diamètre. Ces globules attirèrent mon attention, et j'étais fortement préoccupé de l’idée qu’ils devaient-être produits par quelqu’animal. Leur dimension apparente me fit penser d’abord que je pourrais facilement les saisir pour les examiner. Dans ce but, M- de Blosseville et le maître canonnier, Rolland, s’unirent à moi pour tâcher d’en attraper quelques-uns ; mais à peine le filet d’étamine était-il sorti de l’eau que le globe lumineux se réduisait à un simple point et finissait bientôt par s’éteindre et disparaitre compléte- ment, sans qu’il füt possible de deviner ce qui avait pu produire un éclat si vif. J'allais être près d’en conclure que le phénomène appartenait immé- diatement aux gouttes d’eau de mer, lorsque M. de Blosseville me fit re- marquer un de ces points lumineux qu’il avait réussi à fixer sur le bord d'un morceau de papier. À la vue simple, je vis alors un atome semblable à un brin de poussière ; mais armé d’une forte loupe, je reconnus bientôt un animalcule qui paraissait tenir du poisson et du crustacé ; je remis au jour l'examen plus attentif de cet entomostracé; voici quel en fut le résultat : ST Pour corps une enveloppe papyracée , pellucide, et vide intérieurement, terminée d’un côté par une apparence de tête munie d’un bec pointu voisin de celui des poissons; tête carrée, totalement aplatie; abdomen renflé, presque vésiculeux, terminé par une sorte de queue cylindrique et finissant absolument en forme de nageoire; un autre appendice inférieur à cette queue m’a paru se terminer en pointe. L’analogie me portait à penser que cet appendice ne devait pas être uni- que, et j'allais m'occuper de la recherche du second, lorsque M. Bérard, qui avait eu la complaisance de me tracer l’esquisse de.cet entomostracé, le laissa tomber, et il se trouva brisé dans sa chute. M. Bérard avait re- JO +. : NOTICE BIOGRAPHIQUE. ques, le jetait dans les méditations les plus profondes; le calme et la tempête étaient également pour lui lob- jet de grandes et poétiques réveries ; enfin, comme Je _ marqué un trait rougeâtre dans la partie correspondante à l'abdomen. Serait-ce le siège principal de l’animation et en conséquence le foyer de la phosphorescence ? | Pourquoi ces animaux, rarement visibles ne l’état ordinaire de la mer, développent-ils une phosphorescence si vive dans le remous du vaisseau ? Pourquoi la lumière qui en résulte diminue-t-elle si rapidement au sortir de l’eau? Pourquoi disparait-elle entièrement au bout de quelques instants ? | A ces questions, voici les réponses que je ferais, réponses que je n’ex- pose toutefois qu'avec la juste défiance que m'inspirent les connaisssances incomplètes que je possède sur ces sortes de matières. Dans l’état ordinaire des ondes, ces animalcules se trouvent sans doute toujours immergés de quelques pouces au moins au-dessous de la sur- face, et leur éclat est peu sensible. Mais lorsqu'un corps quelconque vient à diviser visiblement les eaux, un grand nombre d’entr’eux doit à l’ins- tant se trouver transporté à la surface où ils flottent en tout sens. C’est ce qui doit arriver surtout sur une grande échelle, dans le tourbillon qu’occasionne le sillage. 1] y a lieudecroire, en outre, que le choc brusque et violent qu'ils reçoivent alors , doit produire, dans ces petits êtres, une. surexcitation temporaire, et par suite développer encore plus la propriété phosphorescente dont ils sont naturellement pourvus. La gouttelette d’eau dont ils restent entourés , formant un globule diaphane, par son pouvoir réfringent, multiplie encore cet éclat. À peine exposés à l’air, cette in- tensité doit diminuer rapidement par la fusion de la goutte ambiante. Enfin la lumière cesse probablement avec l’existence fasitné de ces ani- malcules. En raisonnant par no , ne serait-on pas fondé à penser que la teinte lumineuse, mais à un moindre degré, du reste des flots mis en mouvement, est due à une sorte d’autres petits animaux semblables ou dif- férents, mais doués de propriétés analogues et bien microscopiques encore. Que si la comparaison m’est permise, par une belle nuit d'été les étoiles du premier ordre brillent, isolées à nos yeux , d’une lumière éclatante, tandis qu’une foule incalculable d’autres astres plus petits ou plus éloi- gnés, réunis et confondus, ne nous offre plus que des bandes entières d’une lumière pâle et incertaine. ; (Voyage autour du monde sur .la corvette la Coquille, 4 mémoires inédits . TELL) al NOTICE BIOGRAPHIQUE. 405 disait l'un de ses biographes, à propos d’une autre campagne : « Il interrogeait à la fois la nature morte et la nature vivante, faisait de l’histoire avec des _ ruines, de la science àvec des api et de Pétrée avec toute chose. » - Et d’ailleurs, l expédition lui avait Dour OC- casion dé mettre à profit cette soif insatiable de tra- vail qui le dévorait. La Coquille traversa sept fois l’é- quateur, et parcourut plus de 24,000 lieues : les îles Malouines , les côtes du Chili et du Pérou, l'archipel Dangereux, et plusieurs autres groupes disséminés sur la vaste étendue de l'Océan Pacifique, la Nouvelle-Ir- lande, la Nouvelle-Guinée, les Moluques et les terres de PAustralie, avaient été tour à tour ses points de relâche, ou le but de ses reconnaissances; lesîles Cler- mont-Tonnerre, Lostange et Duperrey ses décou- vertes géographiques. Les grandes collections qu’elle rapportait pour le Muséum d'histoire naturelle, furent l'objet d'un rapport particulier des membres compé- tents de l’Académie des sciences, et ces collections, pour tout ce qui concernait l’entomologie et la bota- nique, étaient dues en grande partie au zèle infati- gable de d'Urville. Il avaitexploré, dans ses laborieuses berborisations, les plages désertes de la baie de la Soledad et les pittoresques vallées de Taïti. L’archipel des Carolines lui avait aussi fourni son contingent de richesses; et dans la Nouvelle-Hollande, où la végé- tation se montre sous des formes si luxuriantes, ses excursions botaniques s'étaient étendues jusqu’au-delà des montagnes Bleues, dans les immenses plaines de 106 NOTICE BIOGRAPHIQUE. Bathurst. Au milieu de ses nes recherches, This toire de l’homme ne resta pas indifférente à ses yeux; Î et les tribus sauvages de l'Océanie, l'étude de leurs 4 mœurs et leur langage, vinrent apporter un nouvel M aliment à ses observations. RS Nr do on À Enfin, le 24 mars 1825, la Coquille rentra dans le port de Toulon, après avoir tenu la mer pendant près de trois ans. Elle revenait chargée de riches dé- pouilies, où toutes les sciences allaient retrouver leur part. Le gouvernement, voulant reconnaître les ser- * vices rendus par l'expédition , ordonna la publication du voyage sur une échelle splendide , publication qui, nous l’'avonsdéjàdit, n’estpas encore terminée. A son re- tour, d'Urville publia séparément plusieurs fragments sur ses travaux particuliers pendant le voyage de la Coquille; et comme un éclatant hommage rendu à ses travaux, l’Académie exprima le vœu , dans sa séance du 24 août de la même année, de voir publier la Flore des îles Malouines, qu'il avait composée pen- dant le cours de la traversée. M C'était une première justice rendue au véritable tictel lent de d'Urville, justice qui devait être bientôt { entière; une ordonnance royale du 12 novembre À 1824 lui conféra le grade de capitaine de frégate. IL M étail temps enfin qu'un peu de faveur vint entourer À le pauvre lieutenant, jusque-là laissé dans l'ombre, Î et dont le cœur, à ce délaissement , s'était bien ul- : céré et bien gonflé d'amertume. Ce fut aussi une consolation pour le père, déjà malheureux ; car, àson retour à Toulon, d'Urville n'y avait plus retrouvé # NOTICE BIOGRAPHIQUE. 407. son fils. Pendant son absence l'enfant avait péri sous les yeux de sa mère, dont l’excessive tendresse et les soins minutieux n'avaient pu le sauver. Ainsi, aux déceptions sans nombre qu’il avait éprouvées, à ces dégoûts qui. si souvent avaient été sur le point de lui faire abandonner sa carrière, étaient venues se joindre les douleurs de l'affection paternelle, d'autant plus vives pour cette âme déjà blessée , que sous les appa- rences d’un marin brusque , et souvent même bourru, il cachait le cœur du père le plus tendre et de l’époux le plus affectueux. Tout cela, chagrins extérieurs et domestiques, vint s’effacer un instant devant une faveur nouvelle, de- vant un grade nouveau; ce fut pour cet ardent marin un jour bien doux et bien mémorable, que celui de sa promotion parmi les officiers supérieurs de la marine militaire; car il y avait dans ce grade qui lui était conféré, toute l'espérance d’une nou- velle vie; il'y avait pour le père, un soulagement à la gêne de la famille; pour le voyageur aventureux , de nouvelles mers à explorer; pour le savant in- fatigable, des contrées riches encore à parcourir ; pour l’intrépide géographe , des découvertes à faire ; nouveau Christophe Colomb, l'habile navigateur es. pérait aller planter son ur sur un sol vierge de toute trace européenne ! L'avenir était si beau ! il y avait tant de choses dans ce seul mot, l'a- venir: !...., | Sans repos, sans relâche, le nouveau. capitaine con- coit le plan d’une deuxième exploration ; pendant le 108 NOTICE BIOGRAPHIQUE. voyage qu'il vient d'exécuter sur la Coquille | occupé principalement de botanique, ses travaux les sciences naturelles lui ont valu les éloges de l'Ac spect parmi les naturalistes ; dans ses nouvelles explorations démie, son nom jouit à juste litre d’un grand re il va se signaler comme navigateur et comme géogra ap. ‘4 probation du ministre , il a indiqué bien des décou- « phe. Dans le projet de voyage qu'il présente à l’a vertes à faire, bien a travaux à exécuter ; grace à son activité, au zèle et au dévouement qu'on lui con-« nait, toutes les objections que l'on oppose à ses de- mandes sont levées. Une ordonnance royale du 12 novembre 1825, vient confier à Dumont-d'Urville le ent de la Coquille, qui doit prendre dé- # sormais le nom de l’#strolabe, Dorénavant , sous les ordres de ce chef intrépide, deux fois encore cette corvette doit parcourir toutes les mers du Sud, visiter . tous les archipels ionorés, traverser ses canaux, dé- couvrir ses récifs dangereux. La frégate que montait« l’infortuné Lapeyrouse, s'appelait aussi l4sérolabe. Le gouvernement a recueilli naguère de vagues indi=« ces sur cette grande infortune ; la plus belle mission L que puisse recevoir d'Urville du ministre de la marme« est de découvrir le lieu du sinistre, où peut-être quel-M ques-uns de nos malheureux compatriotes vivent en- core ; combien de dangers la nouvelle 4strolabe ne devra-t-elle pas brayer avant d'arriver sur cette île ignorée, où son équipage sera décimé par les mala= * es 5 Mails Re aura LHpAnEUE d'élever un de NOTICE BIOGRAPHIQUE. 409 heureux compagnons, et de rapporter en France les débris de ses vaisseaux arrachés aux récifs, seuls témoins d'un terrible naufra ge. Allons ! infatigable he savant ble dis encore une fois adieu à ta femme et à (on nouveau- né dont l'affection t'est si précieuse ! Encore une fois, arrache-toi à leurs embrassements, pour aller confier ta vie aux planches que navire, aux vents inconsiants, à des mers inconnues! Va, va, pars! le noble amour de la gloire t’enflamme trop vivement pour tromper ton espoir ! Va, sois calme au milieu des tempêtes, poursuis ta tâche sans crainte et sans terreur ; marche {oujours où ta pensée te guide ; Lu as trop d’ardeur pour ne pas réussir! Tu reviendras victorieux !.… L’Astrolabe appareilla de Toulon le 25 avril 1826 seulement ; malgré l’ardente activité de son capitaine, tous les préparatifs n'avaient pu être terminés qu’à cette époque. k Pour ses principaux collaborateurs, Dumont- - d'Urville avait choisi des personnes qu'il connaissait . depuis longues années ; parmi les officiers se trouvait MM. Jacquinot et Lottin, marins du mérite le plus distingué, et qui avaient déjà navigué avec lui depuis 410 , NOTICE BIOGRAPHIQUE. _ quinze à seize ans. On le voit, il ne manque des se confier à de vieilles connaissances. FOR À En quittant les Canaries, la corvette se dirigea sur l'Australie et de là sur la Nouvelle-Zélande, à travers" des dangers de toute sorte. Elle parcourut ensuitelles côtes de la Nouvelle-Guinée, semant partout sur son Ë passage des noms célèbres affectés, soit aux îles, soit à des caps, soit à des baies de terres découvertes. De “ la Nouvelle-Guinée, d'Urville fit route pour Am- boine, et enfin après une longue navigation, il arriva à Vanikoro, cette ile aux douloureux souvenirs. C'était là, sur des rochérs de coraux, à quelques « brasses de profondeur, que gisaient depuis quarante w ans, les restes du naufrage de Lapeyrouse; des ancres, : des canons, des boulets et quelques ustensiles en fer et en fonte. D'Urville, dont le cœur en apparence si froid et si endurci, avait cependant des larmes pour tous les malheurs, recueille avec religion ces seuls débris d’une grande et déplorable catastrophe. Par ses ordres un monument s'élève près des rochers, causes M du désastre ; monument qui dira, par sa seule pré sence, aux navigateurs audacieux parcourant ces mers, toute une lamentable histoire et ses funestes résultats. Enfin, la corvette reprenant sa course, fait encore des travaux importants dans les archipels des Mariannes, des Carolines, dans les détroits des Molu-M ques. Bientôt après, revenant à travers la mer des l Indes pour se rapprocher du cap de Bonne-Espé- » rance, elle opère son retour en France, le 25 mars 1828 , après un voyage de vingt-trois mois. st) 2 Fu NOTICE BIOGRAPHIQUE. MA “ul n'entre nullement dans notre pensée, après ce rapide exposé du voyage de circumnavigation de l’4s- trolabe, de porter un jugement sur ses résultats ; ce voyage est depuis longtemps apprécié dans les comp- tes-rendus de l’Académie des sciences de l’année 1829. On y hit un rapport de M. de Rossel , alors directeur- général du dépôt des cartes et plans, des plus favora- bles aux travaux hydrographiques de cette expédition; lesprit sérieux et consciencieux de ce célèbre hydro- graphe est suflisamment connu pour faire apprécier . toute la portée des éloges qu'il accorda aux opéra- tons de cette campagne, d'autant mieux qu'à cette époque, Dumont-d'Urville lui était complétement in- connu ; mais nous trouvons dans les mémoires inédits de l'illustre marin le jugement qu'il a porté lui-même sur l'expédition qu'il commandait, et on nous saura sans doute gré de le donner. « Cette aventureuse « Campagne, dit-il, a surpassé toutes celles qui avaient «eu lieu jusqu'alors, par la fréquence et l’immensité « des périls qu’elle a courus, comme par le nombre «et l’étendue des résultats obtenus en tout genre. « Une volonté de fer ne m'a jamais permis de reculer « devant aucun obstacle. Le parti une fois pris de pé-- « rir ou de réussir, m'avait mis à l’abri de toute hé- « sitation, de toute incertitude. Vingt fois, j'ai vu l’#s- « trolabe sur le point de se perdre, sans conserver au «fond de l’âme aucun espoir de salut. Mille fois j'ai « compromis l'existence de mes compagnons de voyage « pour remplir l’objet de mes instructions, et durant «deux années consécutives, je puis aflirmer que 112 NOTICE BIOGRAPHIQUE. « nous avons couru “pie de ques réels ch « la navigation in Braves, pleins tes > « les officiers ne se dissimulaient point les dan els «auxquels je les exposais journellement ; mai ais 1 « gardaient le silence et remplis noblement leu « tache. « De ce concert admirable d'efforts ëL de dé | « ment résulta cette masse prodigieuse de décou- « vertes, de matériaux et d'observations que nous «avons rapportés pour toutes les connaissances hu= 4 « maines, et dont MM. de Rossel, Cuvier, Geoffroy, » ( Desfontaines, etc., juges savants et désintéressés, « rendirent alors un compte exact. | 2 « Mais, ajoute-t-il , si dans le cours de la campagne « je ne ménageais point les services ni les jours de . «mes compagnons de voyage, du moins dans les « comptes que je rendais au ministre de mes opé- «rations, je sollicitais pour eux les récompenses dues « à un dévouement si admirable, avec cette äpreté, « cette énergie que donnent la conviction et la vé- « «rité.... Inutiles efforts! À mon retour, je vis « « qu'aucun de ces cordons accordés si souvent à l'in- « Ctrigue et aux bassesses, n'avait été octroyé a mes « « nobles compagnons. Indigné, je demandai à être « « mis enjugement; j’offris même ma démission... M « Après avoir mille fois affronté la mort, après avoir î « couru tous les dangers qu'il est possible d’imagi- « «ner, je ne me sentais pas la force de ramperde- « vant les hommes qui disposaient des faveurs, et mon NOTICE BIOGRAPHIQUE. 113 «indignation était parvenue au dernier degré. » C'était vers la fin de 1828 ; à cette époque, on se le rappelle, une sourde agitation régnait déjà dans les esprits, par suite du désordre apporté chaque jour dans les affaires du gouvernement de Charles X. Grâce à quelques personnes malveillantes, d'Ur- ville, comme il le dit lui-même, après avoir mille fois affronté la mort, après avoir couru tous les dan- sers, vit toutes les demandes qu'il était si justement en droit de faire, indistinctement repoussées. Ce cruel déboire , auquel ïl était loin de s'attendre, vint abreuver son cœur d’amertume et de dégoûts. Il en résulta, pour le caractère de l’homme, un surcroit d'humeur chagrine et sombre, et son indignation était difficile à cacher, avec les formes brusques et si peu mondaines qui lui étaient propres, et que le rude métier de marin n'avait point contribué à modifier.Sans aucun doute, d'Urville n'avait jamais été un homme du monde et encore moins un homme de cour; mais à cette époque surtout, habitué à commander, pro- fondément blessé dans son amour-propre par les in- . justices dont il se croyait victime, froissé par ce qu'il appelait des dénis de justice, son esprit droit et juste se révoltait contre les actes du pouvoir; sa parole était brève, son abord froid, et dans sa conversation, il ne pouvait plus déjà se ployer à ces formes bienveil- Jantes, sous lesquelles les hommes de cour savent si bien déguiser même leurs plus intimes pensées. Ce n'est pas sans dessein que nous accusons ici plus for- tement ces quelques traits de notre portrait, que nous X. 8 114 NOTICE BIOGRAPHIQUE. cherchons à les faire plus clairement ressortr ; car, dans les graves événements politiques qui vont suivre, il sufhra de se rappeler ce que nous venons de dire de ce caractère, pour comprendre combien furent in- justes les accusations d’ingratitude et de dureté qui furent lancées contre cet illustre marin, au sujet de la mission qui lui fut confiée par le gouvernement de juillet 1830. Cependant, le 8 août 1829, M. Hyde de Neuville, quittant le fauteuil ministériel, voulut rattacher le der- nier jour de son ministère à un acte de justice, en faisant signer au roi le brevet de capitaine de vaisseau pour d'Urville, et à un acte de grandeur, en faisant ordonner la publication du voyage de l’Æstrolabe sur la plus noble échelle. Certes, c'était là une grande satisfaction pour le commandant de l'Æs'rolabe ; mais elle avait déja le tort immense d'arriver trop tard ; le coup avait trop vivement porté; et le chef de l’ex- pédition, froissé de n’avoir pu obtenir pour ses com- pagnons de route les récompenses si légitimement ac- quises, triste et mécontent, ne pardonna jamais ce retard au gouvernement de Charles X. Re Malgré l'ordonnance royale, malgré la volonté du ministre, le commandant de l’4strolabe éprouva en- core de nombreuses contrariétés pour sa publication. « IL fallut, dit-il, l'intérêt direct que M. d’Haussez « apporta à ce voyage sans m'avoir jamais connu, et «sa volonté ferme pour lever tous les obstacles. « Quelques aient été depuis les torts de ce ministre en- « vers la Fi ance, c'est à lui qu'elle doit réellement la: à NOTICE BIOGRAPHIQUE. 415 « publication du voyage de l’4st:olabe, et sans lui, « tout eût élé suspendu pour toujours. » Du moment où la publication fut définitivement arrêtée, d'Urville. se renferma uniquement dans cette occupation, et y consacra régulièrement dix heures de ses journées. C’est ainsi que dans moins de six mois, après avoir étonné le monde par l'audace du marin, la persistance infatigable du savant, il vint l’étonner encore par la fécondité de l'écrivain et de l'auteur. | À cette époque encore, il éprouva un nouvel échec. L’Académie des sciences avait hérité de grandes ri- chesses à la suite de cette dernière campagne, et c'était un désir bien naturel que celui d’aspirer à faire partie de cette savante assemblée ; plusieurs académiciens exprimèrent au savant el intrépide commandant la ré- solution de l’admettre dans leur corps. M. de Rossel, décédé le 20 novembre, avait pour ainsi dire Fe dans ses rapports le commandant de l'Æsérolibe, pour le remplacer à la section de géographie et de naviga- üon. Jusqu'au jour de lélection, d'Urville s'était cru certain de la réussite. Aussi, lorsque le dépouille- ment du scrutin académique vint lui signaler le nom de son heureux concurrent, il éprouva un vif désap- pointement. Vivement blessé dans son amour-propre, 11 devait plus tard épancher toute sa bile et contre le ministère, à qui il reprochait de n'avoir pas rendu justice à ses compagnons, et contre l'Institut qui lui avait préferé son concurrent. Le récit du voyage de l’4strolabe se termine par un écrit dans lequel, 416 NOTICE BIOGRAPHIQUE. sous le titre de Conclusions et Réflexions, il donna cours d’une manière facheuse à toute son indignation. Incapable de déguiser tout ce qu'il y avait d'amer- tume dans son cœur, il dut par l’äpreté de son style, peinture fidèle de son caractère droit et ferme, mais si peu courtisan, il dut, disons-nous, s’aliéner à tout jamais les bureaux ministériels et le corps savant de l’Insuitut. « Aussi, dès ce moment, dit-il, on ne me «revit plus, ni chez aucun ministre, ni à aucune « séance de l'Académie; je sentis que je n'avais plus «rien à attendre que du public et de la postérité. Je «ne songeai plus qu'a leur présenter le récit de mes «voyages et les résultats de nos travaux. Je me fé- « licitai même d'être réduit, pour ainsi dire, à éviter « certains hommes dont je détestais les voies. Mon «amour de lindépendance mon horreur pour les cintrigues et les ruses du jésuitisme, s'étaient encore JS ES «accrus par les échecs que j'avais éprouvés et que «je n'attribuais qu'aux cabales dont j'avais été l'objet. « Renfermé dans mon cabinet, et borné au commerce « d’un très-pelit nombre d'amis qui partageaient mes « principes, je voyais avec douleur l'orage qui gron- | « dait sur notre belle patrie, et les épouvantables « désastres qui devaient en être la conséquence iné- « vitable. » Et, en eflet, vraiment cosmopolite pendant six années, Dumont-d'Urville menait alors en famille une vie laborieuse et casanière, dans l’obscure rue du . Battoir-Saint-André-des-Arts , lorsque tout à CPR surgit la révolution de 1830 ! HS NOTICE BIOGRAPHIQUE. 117 Les fatales ordonnances du 25 juillet étaient venues annoncer à la France attérée les intentions du gou- vernement. Prompte comme la foudre, la réaction la plus terrible arrêta à son berceau ce dernier effort du pouvoir absolu. Le peuple de Paris se souleva pour défendre ses droits, et bientôt on le vit inscrire lui-même, sur les pavés sanglants de la capi- tale , la plus énergique des protestations contre ces ordonnances. Dans trois jours, un roi perdit sa cou- ronne, et la France changea de dynastie. On peut penser qu'avec ses opinions chagrines et indépendantes, M. d'Urville accueillit avec transport ce mouvement libre et spontané. Son parti ne fut pas un moment indécis; il assista en personne aux glorieuses journées; et dès le 29, il courut porter son tribut à la cause nationale, et se faire inscrire à sa commune pour payer de sa personne, comme simple citoyen, si le cas devenait nécessaire. Le sang fumait encore dans les rues de Paris, lors- que d'Urville se rendit au Palais-Royal, pour offrir ses services au gouvernement provisoire. Le 2 août, il fut mandé au ministère de la marine; c'était pour recevoir la mission de conduire hors de France Char- les X et sa famille. Etrange coïncidence! bizarre rapprochement ! déjà en 1514, Dumont- d'Urville, simple enseigne de vais- seau , est embarqué sur la Frlle de Marseille, qui va chercher en Sicile, pour la ramener en France, la famille d'Orléans. Seize ans plus lard , c’est encore lui qui est choisi pour conduire én exil la famille déchue. 118 NOTICE BIOGRAPHIQUE. Nous croyons avoir déjà assez longuement parlé desopinions politiques de Dumont-d'Urville, pour quil soit parfaitement inutile d’ Y revenir. Aureste, deux mots suffiront pour les rappeler : sauf quelques pré- jugés aristocratiques, derniers souvenirs de l'éducation maternelle, d'Ürville était profondément libéral. Mais nous avons dit aussi, etnous le répétons encore, sous les” dehors brusques du marin et le caractère chagrim de l’homme si souvent trompé dans ses espérances, se cachaient un cœur sensible à l'excès, une âme com- pâtissante à toutes les infortunes. Sans aucun doute, la famille exilée constamment entourée, quelques jours auparavant, de courtisans empressés, et habi- tuée à un langage toujours louangeur, allait trouver une différence bien grande dans son contact avec ce marin rude, mais bienveillant, âpre, mais juste et compatissant; les paroles qui, sur les questions des princes déchus, sortiront de la bouche de Du- mont-d'Urville animé de sentiments patriotiques, ennemi juré de toute flatterie , et n'ayant jamais com- pris qu’il fût possible de déguiser son intime pensée, seront bien différentes de celles des hommes com- posant l'entourage du prince exilé, et dont les con- seils trompeurs avaient consommé la ruine ; mais quoi- qu'en aient pu dire ses détracteurs, la conduite du commandant de lÆ4strolabe, sera en tout point con- venable; sans doute, il ne pourra, d’un jour à l'autre, changer en entier sa nature ; ses formes seront brus- ques , son langage conservera toute sa franchise et un peu de son âpreté ordinaire; mais il mettra tous ses + PR i # si) NOTICE BIOGRAPHIQUE. 119 soins pour assurer, dans cette courte traversée, le bien-être de ses illustres passagers ; sans s'éloigner des règles du devoir, il saura témoigner à la famille détrô- née tous les égards, tout le respect que comporte une si grande infortune. Du moment où d'Urville fut chargé de cette pénible mission, mettant de côté tous ses res— sentiments personnels , toutes ses opinions politiques, il ne vit plus, dans la famille remise à ses soins, que des princes malheureux confiés à sa sollicitude; il pré- voyait bien alors que, grâce à ses opinions libérales, srace à l'entourage des princes détrônés, qui conti- nuait auprès des enfants de France, trop jeunes en- core pour juger eux-mêmes sa conduite envers eux, pendant leur séjour à bord de son vais- seau ; il prévoyait bien, disons-nous, que plus tard il serait en butte à d’injustes accusations; aussi n’eût-il pas accepté cette mission, s’il n’en eût bien compris toute l'importance. Esclave du devoir, d'Urville n'hésita ‘pas un instant. Il crut de son hon- neur de donner cette preuve de dévouement à la cause nationale. Mais il fallait partir à l'instant même pour aller fré- ter au Hâvre deux paquebots américains, le Great- Britain et le Charles-Caroll, les conduire à Cher- bourg et là, attendre Charles X, pour être prêt à le transporter sur-le-champ au lieu qu'il voudrait dési- gner. Le 5 août , d'Urville quitta Paris. Le 7, les deux paquebots étaient amarrés dans le port de Cherbourg ; et, grâce à cette activité surprenante dont il fit 120 NOTICE BIOGRAPHIQUE. toujours preuve , le 16 du même mois, les deux na- vires déjà désignés, plus la flûte la Serre et le cutter le Rédeur n'attendaient plus pour mettre à la voile que leurs illustres et infortunés passagers. De tousles voyages commandés par Dumont-d'Ur- ville, celui qu'il fit en Angleterre, à cette époque, pour y conduire Charles X et sa famille, est le seul qui n'ait pas été publié dans tous ses détails. Nous avons sous les yeux un manuscrit qui a été terminé le 7 jan- vier 1831, et dans lequel Dumont-d'Urville a réuni lui-même, dans le but évident de les rendre publi- ques, toutes les circonstances de cette traversée. Cette mission , la seule ayant un caractère évidemment po- litique à laquelle il ait coopéré, est celle qui a donné aussi lieu au plus grand nombre d’accusations portées contre lui; il n'y a pas fort longtemps encore, que dans un journal, organe ordinaire du parti légitimiste, on lisait une lettre, attribuéeau duc de Bordeaux, dans laquelle de graves reproches étaient adressés au com- missaire du roi, sur sa Conduite auprès des princes dé- chus , pendant leur traversée de France en Angleterre; il nous eût donc été bien agréable de pouvoir répondre victorieusement à toutes ces injustes accusations, par le récit officiel de ce qui s'est passé à bord des navires américains, sur lesquels s'est embarquée la famille dé- chue ; mais les événements de 1830 sont encore trop près de nous, pour publier dès aujourd’hui ces mé-— moires, sans réveiller des susceptibilités et des pas- sions déjà assoupies. Nous nous contenterons donc de donner un apercu rapide de ce court voyage, d’a- ‘sis NOTICE BIOGRAPHIQUE. 121 près la relation officielle qui est entre nos mains. Le 16 août, à deux heuresde l'après-midi, toute la fa- mille des princes déchus s’embarqua sur le Great-Bri- tain. Entouré par un équipage étranger, et sansmoyens _ pour fairerespecter ses ordres, dans le cas d’une révolte en faveur du prince détrôné, Dumont-d’Urville avait fait à l'avance le sacrifice desa vie pourassurer le succès de la mission qui lui avait été confiée. « Si vous aper- « cevez un pavillon rouge en tête du mât, avait-il dit « aux capitaines des navires de guerre, la Serne et le « Rodeur, chargés de l'escorter, tirez quelques boulets « à toute volée; mais si, par l'effet d’une drisse de « hüne coupée, vous apercevez le hunier venir en bas « brusquement, il y aura urgence, et alors vous vous « approcherez du Great-Britain, et vous tirerez à le -« couler bas avec tous ceux quile montent, sans vous « occuper de moi. » Du moment où la famille royale mit le pied sur son bâtiment, commenca la tâche véritablement difficile du marin si peu courtisan. Que d'intérêts opposés ne : fallait-il pas concilier, que de passions devaient être étouffées, combien surtout ne devait-il pas assouplir ses manières brusques, dompter son caractère indépen- dant ! On mit à la voile, et dès la première heure il donna une preuve manifeste de sa complaisance, de sa solli- citude pour tout ce qui pouvait rendre plus doux -* sort des princes infortunés. Le Great-Britain était sous voiles, et il allait aug- menter sa toile pour sortir de la rade, lorsque Dumont- 199 NOTICE BIOGRAPHIQUE, d'Urville fut prévenu qu'il n’y avait que du biscuit à bord ; le boulanger du bâtiment étant resté à terre, il n'y avait pas de pain ; fatisué de ce contre-temps, non pour lui même, habitué qu'il était depuis si longtemps aux privalions de tout genre, d’Urville ne put con- sentir à voir la famille royale réduite à la nourriture erossière des marins. Malgré ses instructions, malgré les avis du pilote qui le prévenait qu'il n'y avait pas de temps à perdre, s'il voulait sortir dans la journée, il voulut attendre qu'un canot envoyé à terre püt rap— porter du pain, au risque peut-être de compromettre sa responsabilité. Cette preuve de sollicitude ne fut cer- lainement pas la dernière. Pendantles six jours que la fa- mille des Bourbons resta à bord du Great-Britain, le Ca- pitaine passa deux nuits surlepont, afin deleur laisser la . disposition entière des appartements ; et respectant leur aversion pour la couleur tricolore, il s’abstint de porter son uniforme. Toutefois, n'oublions pas de dire que c'est à d’Urville que revient l'honneur d’avoir fait recon- naltre {e Pen notre pavillon national sur les côtes anglaises, où depuis les jours de l'empire, il 2 sait pour la première fois *. * Extrait du voyage du capitaine Dumont-d’Urville en Angleterre, Pour y conduire Charles X et sa famille (mémoires inédits). | Jeudi 19 avril 1830. — « Pour me conformer à l'esprit de mes ins-M tructions qui me recommandaient d'éviter toute espèce d'appareil qui püt ï être désagréable à nos passagers, j'avais profité de mon court séjour sur la rade de Spit-Head pour éviter de traiter des saluts et de me présenter À aux autorités de Portsmouth. J’espérais que notre relâche devait être au plus de 48 heures devant Cowes; je pouvais partir, comme j'étais venu, » presque inaperçu. Mais Charles X ne me parlait plus de son départ, et je. sus qu’à terre Je peuple anglais paraissait surpris que je n’eusse fait aucun ni 3 1 » La NOTICE BIOGRAPHIQUE. 193 Le voyage s’acheva sans événements bien remar- quables. Pendant la relache à Cowes, les princes par- coururent les livraisons déjà publiées du voyage de _VAstrolabe, et regrettèrent beaucoup que le chef salut. Le pavillon tricolore reparaissait pour la première fois devant les enfants d’Albion, et il était de mon devoir qu’il fût authentiquement re- connu, si mon séjour devait se prolonger sur cette rade... Vendredi 20 août. — À 6 heures du matin, je me rends en grand uniforme à bord de la Seine ; à 7 heures, nous nous mettons en route pour Portsmouth avec le capitaine Thibault, officier plein d'honneur, de zèle et de probité. | En arrivant à terre, le consul et son fils nous conduisirent à la taverne - où nous fümes proprement servis, suivant la coutume anglaise, Le dé- jeüner fini, pour m'’éviter toute démarche désagréable et sonder les dis- positions des autorités anglaises à notre égard, j’envoyai le jeune Van- der-berg chez l'amiral Folley, commandant de la marine, pour le prévenir de nôtre arrivée dans Portsmouth et lui demander s’il était disposé à nous recevoir ; le consul et son fils me-répétaient que cette précaution était inutile et que tout le monde serait flatté et honoré de nous recevoir, ajou- tant que le peuple se souléverait, si l’on nous faisait la moindre impoli- tesse ; je leur répondis que je n’étais point venu pour exciter une révolu- tion dans Portsmouth, et que je devais être basé positivement sur l'accueil que j'allais recevoir des autorités. ; Le jeune Van-der-berg resta une heure absent; déjà ce retard me pa- raissait d’un singulier présage , quand il revint m’annoncer qu’il n’avait pu voir l'amiral, mais que celui-ci lui avait fait dire par son secrétaire qu’il ne pouvait me recevoir avant lundi, et me faisait, du reste, des ex- cuses. | On peut juger que cette réponse me parut tant soit peu inconvenante, pour ne pas dire impertinente. Comment, moi, chef de ja division fran- çaise, chargé de la conduite de la famille déchue, je me donnais la peine de me rendre de Cowes à Portsmouth pour faire une visite de politesse à M. l'amiral, et M. Folley n’était point disposé à me recevoir avant lundi. Je commençai à croire que cet officier, pris au dépourvu, attendait ces ordres de son gouvernement, afin de savoir quelle conduite il devait tenir envers moi, et qu'il pouvait y avoir quelque chose de vrai dans l'avis offi- cieux que m'avait donné Charles X. Piqué au dernier degré, je me plaçai au bureau de M. Van-der-berg et griffonnai sur le champ le billet suivant : 4124 NOTICE BIOGRAPHIQUE. d'une expédition aussi belle, ne leur eût pas été pré- senté. C'était une vie assez monotone que celle des illustres passagers du Great-Britain. Matin et soir, toute la famille montait sur le pont, comme pour cher- « Monsieur l’Amiral, « Des considérations particulières de convenance et d'égards vis-à-vis la personne de S. M. Charles X m’avaient empêché, le premier jour de mon arrivée, de me présenter chez vous, avec les couleurs qui sont deve- nues celles de la France, et j’espérais que notre séjour à Spit-Head ne se- rait que d’un ou deux jours au plus; ma relâche s’est déjà prolongée au delà de ce terme, et j’ai cru devoir, avec le capitaine Thibault, vous rendre la visite que la politesse impose aux commandants de bâtiments de guerre qui viennent mouiller sur une rade étrangère. Vous nous avez fait ré- pondre que vous ne pouviez pas nous recevoir aujourd’hui. En conséquence, nous retournons sur nos vaisseaux, et je me contente de vous faire ob- server que nous avons actuellement rempli les devoirs de politesse aux- quels nous étions tenus vis-à-vis de l’autorité supérieure, à Portsmouth. J'ai l'honneur, etc. » — Veuillez me traduire cela en bon anglais, monsieur Van-der-berg. — Mais, monsieur, — monsieur lamiral, a fait une impertinence, et il faut qu’il sache que je l'ai sentie. Alors il commença sa traduction qui fut très-longue et dura près d’une heure. Durant ce temps, je conversais avec le capitaine Thibault, qui approuvait - vivement le parti que je venais de prendre , et j’écrivis au ministre ce qui venait de m'’arriver ; je le priais en même temps d’abréger ma relâche à Portsmouth, en me donnant l’ordre précis de me rendre sur le champ à la destination ultérieure de Charles X, ou d'opérer mon retour en France. M. Van-der-berg, ayant terminé sa traduction, me la présenta. Après lavoir lue : M. le eonsul, lui dis-je, je ne sais point assez bien l’anglais pour l'écrire correctement, mais ce que j'en sais me suffit pour voir que votre tra- duction n’est point correcte. — Tenez, monsieur le capitaine, ajoutai-je en m’adressant à une personne bien mise, que le consul venait de me présenter comme un capitaine de vaisseau de la marine anglaise, ayez la bonté d’expliquer à M. Van-der-berg comment mes expressions devaient être rendues en votre langue, pourexprimer fidèlement mesidées. Cet officier eut la complaisance de se prêter à mon désir; puis, tandis que M. Van-der-berg écrivait la missive : M. le commodore, me dit-il, est- NOTICE BIOGRAPHIQUE. - 425 cher, à travers la brise douce de l'Océan, un adou- cissement à ses douleurs. Les enfants, à cet age heureux où l’on rit de tout, où la joie chasse si vite les larmes, jouaient bruyamment sur le pont , tandis que il bien possible que l'amiral ne vous ait point reçu?—Je lui racontai de point en point ce qui venait de m'’arriver; il en parut stupéfait et chercha à ex- cuser son chef sur ses occupations, puis il me proposa de visiter la ville et ses établissements, s’offrant poliment à me servir de guide. Je vous re. mercie, lui dis-je d’un ton froid, mais poli, M. le capitaine, de votre offre obligeante, mais la conduite de votre chef me défend d’en profiter. Je vais m’en retourner sur mon navire ét je n’en bougerai plus désormais que votre amiral lui-même ou un officier de mon grade ne soit envoyé de sa part pour me rendre ma visite. Sans le grand âge de M. Folley, je lui aurais certainement écrit plus sévèrement encore. Le capitaine anglais ne répon- dit rien, me salua en silence et sortit. Enfin M. Van-der-berg avait terminé sa lettre et la cachetait. J’avais fermé mon pli pour le ministre , et je me disposais à repartir, lorsqu'un messager vint en toute hâte demander M. Van-der-berg. Le fils se rendit à cet ordre et presqu’au même instant le capitaine anglais reparut et m’in- xila à attendre le retour de ce jeune homme. Au bout d’un quart d'heure, il fut de retour et me dit d’un ton em- pressé ce qui suit : amiral l'avait reçu d’un air très-inquiet, il était fu- rieux contre son secrétaire et désolé de ce qui venait d’arriver, il ne pou- yait lattribuer qu’à un mal-entendu. M. Folley n’avait nullement compris que je m’étais donné la peine de venir moi-même à Portsmouth pour lui faire une visite etil s'était imaginé que c'était de Cowes que je lui faisais demander si je pouvais me présenter chez lui, et qu’il ne m'avait indiqué le lundi suivant que parce qu’il voulait avoir l'honneur de m’inviter à di- ner avec le capitaine Thibault pour ce même jour ; l’amiral ajoutait qu’il craïgnait d’avoir pu paraître impoli à mon égard et s’offrait à venir lui- même me rendre à l’instant sa visite chez le consul, si je l’exigeais, pour réparer ce qu’il y avait eu de bizarre dans sa réponse. Bien que je ne fusse pas complétement convaincu d’un mal-entendu, je feignis d’y croire, et je répondis simplement : que d’après l’excuse que me donnait l'amiral tout était oublié, et que j'allais à l'instant même me rendre chez lui. Enfin, nous fûmes sur le champ introduits. M. Folley se confondit en excuses, en politesses et offres de service de toutc nature. Je le remerciai en ajoutent que je n’avais besoin de rien du tout. Dans la conversation, os 126 NOTICE BIOGRAPHIQUE. les princesses, leurs mères, tristement penchées sur le bord du navire, s'abandonnaient à leurs doulou- rouses réflexions. À quelques pas de là, Charles X et le duc d’Angoulême, se promenaient gravement,.et il lui échappa de me dire qu'il venait à l’instant même de recevoir de son gouvernement la décision relative à la demande formée par Charles X de descendre en Angleterre et d'y être reçu avec les honneurs dus à son rang. On lui accordait la permission de débarquer sur le sol anglais, mais seu- lement comme un simple particulier, et il devait renoncer à toutes pré- tentions touchant les honneurs dus à son rang. + M. Folley, en me faisant cette communication, oubliait sans doute que cette nouvelle, jointe au mécontentement que j'avais hautement manifesté, pouvait bien être la cause réelle de ce changement de conduite avec moi ; du moins, c’est ce que j’imaginai, peut-être injustement, mais je jugeai à à propos de dissimuler. J’abordai ensuite le chapitre du salut ; à cela, M. Folley réposdit sur le champ qu'il était prêt à me rendre celui que je ferais, mais qu’il croyait devoir me prévenir qu’en cela il serait obligé de suivre les réglements de la marine anglaise : le premier salut se doit au pavillon et se règle sur les grades respectifs des commandants. Qu’au reste, il me considérait comme contre-amiral et me rendrait sur le champ le salut, en cette qualité. Mais il était amiral, et l’infériorité eût été, à mon avis, encore trop marquée; je lui demandai vainement à ce que le salut national eût d’abord lieu, puis celui du pavillon. Il allégua que cela ne pouvait avoir lieu ; il appela en témoignage divers officiers supérieurs présents à notre entrevue, qui con- firmèrent son assertion. En conséquence, satisfait de la reconnaissance très- explicite qu’il venait de faire de mon pavillon, je lui déclarai que je renonçais au salut, attendant à ce sujet des ordres plus positifs de mon gouvernement; j'aurais peut-être pu me conformer aux coutumes locales, sans encourir aucun blâme, d’autant plus qu’il existe dans nos nouvelles M ordonnances de la marine ur article conçu dans ce sens ; mais je ne vou- lais point laisser planer sur une premiêre démarche d’une nature siauthen » tique le moindre soupçon de faiblesse. Du reste, en sortant de chez l'amiral, le consul me proposa de faire in- sérer dans le journal de Portsmouth le résultat de ma conversation avec’ l'amiral Folley, afin de détruire toute espèce de dgute sur la reconnaissance” formelle de notre pavillon. J’approuvai fortement cette publication. - Après avoir laissé nos noms chez le gouverneur Campbell qui élait , ensure 1 I ES ess NOTICE BIOGRAPHIQUE, 127 revenaient sans cesse sur les derniers et terribles évé- nements des journées de juillet. Attirés, sans doute, par la bienveillance du capitaine, ils semblaient re- chercher sa conversation, toujours intéressante el toujours variée. Souvent, tout le monde reposait à bord du Great-Britain, excepté les hommes de quart, que le roi infortuné et le capitaine de vaisseau, ar- pentaient encore le pont du navire, emportés qu’ils étaient l’un et l’autre, par leurs idées et leurs ré- flexions. Certes , il dut arriver bien des fois, dans ces quelques jours, que le simple oflicier et celui qui avait porté une couronne, se trouvèrent en opposition ma- nifeste ; car le marin, à l'esprit si M et si indépen- dant, ne pouvait faire de concessions à personne. Le 17 août, l'escadrille était arrivée à Cowes; le lendemain, les princesses quittaient le Great-Britain après avoir, à plusieurs reprises, jémaigné à Dumont- d'Urville leurs remerciements. Le roi et le duc d’An goulême ne quittèrent le bord du Great-Britain que le 23 août; il nous suffira de citer les paroles de Charles X, au moment ou il se sé- parait de Dumont-d'Urville, pour faire apprécier absent, nous avons fait un tour dans la ville qui est médiocrement bâtie, mais où règne une activité assez grande ; puis, à trois heures, nous avons remis à la voile ; mais la marée cette fois était contre nous, et sans un yacht du club que nous rencontrâmes sur notre route, je ne sais vraiment, pas quand nous aurions pu arriver. Les gentlemen qui le montaient m’of- frirent avec la plus grande politesse à nous recevoir à leur bord et prirent notre canot à la remorque. Leur charmante et légère embarïation navi- guait d’une manière admirable, et nous eûmes bientôt atteint le mouillage de Cowes. À six heures du soir, j'étais de retour à berd du Great-Britain. 128 - NOTICE BIOGRAPHIQUE. toute la délicatesse qu’il avait apportée dans sa mission. « Mon cher capitaine, dit Charles X avec effusion « de cœur, et en serrant les mains de d'Urville , il « m'est agréable de vous témoigner de nouveau toute « ma gratitude, et de vous remercier de toutes les at— « tentions et de toutes les complaisances que vous « avez eues pour moi et pour toules les personnes de « ma famille. Il est impossible d’avoir rempli votre « mission avec plus d'honneur et de délicatesse; je . « suis ravi d'avoir fait votre connaissance, et j'espère, « si jamais nous nous revoyons, être à même de vous «le prouver plus dignement que je ne le puis faire «aujourd'hui ”. » ” Le 25 août, l'escadrille rentrait à Cherbourg, après avoir débarqué, sur les plages de Portsmouth, toute la famille exilée. Cette mission, délicate et difficile, avait été si dignement remplie par le capitaine d’Ur- ville, que tous ses amis s’attendaient à le voir honoré : de quelque récompense si bien méritée. Seul, et ses écrits en font foi, il n'avait jamais rien espéré de la mission qui lui avait été confiée; son . amour du devoir, son dévouement à sa patrie, Pa- vaient seuls poussé à ne pas décliner la tâche pénible de conduire dans l'exil la famiile déchue; caril pré- voyait à l'avance , que cette mission, loin de lui faire honneur ou de lui porter profit , lui attirerait de nom- « breux désagréments, et l’exposerait à toutes les in- * Textuel (Voyage inédit du capitaine Dumont-d’Urville en Angleterre x pour y conduire Charles X et sa famille.) NOTICE BIOGRAPHIQUE. 129 justes accusations des partis. Ses prévisions se réali- sèrent pleinement ; il était à peine rentré en France, que sa conduite était soumise, par les partisans de la légitimité, à de fausses et injurieuses interprétations, et quelques mois après , il fut complétement oublié. Ses amis en éprouvèrent un grand désenchantement. Pour lui, douloureusement fixé depuis longues années sur ce qu’on doit attendre de la reconnaissance des hom- mes, il revint paisiblement et avec bonheur, comme il le dit, a ses moutons , c'est-à-dire à ses chères étu- des, à ses travaux tte Tout entier, dès lors, à ces occupations, il se ren ferma dans une grande et laborieuse solitude. En- touré de sa femme, de ses enfants, dont l'un, Jules, était déjà un prodige de savoir, il s’estimait parfaitement . heureux. Cette vie de famille, si calme, si monotone, si modeste, élait pourtant pleme de charmes pour le … marin hardi et aventureux , pour le navigateur infati- gable, qui avait si souvent livré sa vie aux vents et aux flots. Seul, et dans le silence du cabinet, il rê- Yait néanmoins, au milieu de cette existence pai- . sible, d’autres voyages, d’autres dangers. Mais il avait encore sept années à attendre, avant de voir ses vœux _se réaliser. : IL était le seul précepteur de son fils, dont il avait fait, à l’âge de six ans, une sorte de phénomène de science. Jules n'était déja LE un enfant, à cause de son application constante à l'étude et de fe variété de ses connaissances. À cet âge où d'ordinaire on est si peu avancé, il apprit les éléments de l'anglais, en même | + 9 Fâge a seize ans, àge heureux où a vie di à AA où out sourit et enchante; et qui, arrivé là, devait. Le mourir si misérablement au milieu d’une partie de. plaisir... nie ‘À L'éducation de cet enfant ent non cing ans, . la plus délicieuse distraction de l'amiral. Peu à à peu, il lui communiqua son amour pour les sciences hi cette ardeur infatigable pour le travail qui ne l'a } pas quitté, Avec quel bonheur le père ne voyait=il pas, B jeune intelligence de son fils embrasser tant de con= naissances, sans en être fatiguée! Sans doute, bien des | | fois, au milieu de ses lecons si variées et s1. savantes, | 4 le marin, vieill dans les fstigues et les labeurs, se. prit à rêver à son enfance à lui, si studieuse el si. remplie, et, bien des fois, il dut reporter avec amo ses regards sur cette tête chérie qui | lui promettait a et devait si peu tenir ! SHC Cependant son activité ne se ral pas. publication de son dernier voyage était poursui avec une rapidité bien faite pour étonner les plus conds écrivains, Un grand nombre de mé ir lus par hu à la société de géographie, eten tous ces ouvrages, on est étonné d ts ras + d RU NOTICE BIOGRAPHIQUE. 131 de d'Urville un grand écrivain peut-être, s'il n’eût de préférence cherché la gloire du marin audacieux et du savant. … Ce qui surtout à cette époque contribuaià répan- dre ses travaux et à rendre son nom populaire, ‘fut cette immense publication _presqu'entièrement sortie de ses mains, et qui parut sous le titre de Voyage pittoresque autour du monde. Cette œuvre dont d'Urville concut le plan général, dont il fournit _ tous les matériaux et écrivit le dernier volume, vint _ attirer tous les regards sur l'Océanie, cette partie du _ monde habitée par quelques sauvages, et jusque-là connue des seuls savants; et en même temps qu'elle jetait une grandelueur te connaissances géographi- _ ques, elle répandit aussi une auréole de gloire sur le front de celui qui avait doté sa patrie de si lpRÉfiuseR richesses. Ce nouveau et légitime succès, joint à des études longues et sérieuses qu'il avait entreprisessur les lan gues des différents peuples, études que sa mort a lais- sées incomplètes et inachevées, firent concevoir à linfatigable marin un nouveau plan de découvertes. Il s'agissait tout d'abord d’un simple voyage autour du monde, à travers les îles sans nombre dont la _ réunion forme l'Océanie. - Après avoir formulé le plan de sa nouvelle campa— gne, basée sur les recherches de linguistique qui l’oc- Cupaient principalement, Dumont-d'Urville quitta Toulon qu'il habitait depuis quelque temps, et où sa vaste intelligence trouvait peu d’aliment dans le ” 132 NOTICE, BIOGRAPHIQUE. service militaire du port, set il LES astre bee le Roi ajouta, en ide a Pibnerel qui lui x était présenté l'exploration des mers glaciales du sud. D'Urville ne demandait qu’un seul navire pour allée à 5 ue. % visiter de nouveau ses chères tribus océaniennes, on lui en donna deux; c'était là une juste récompense due à son mérite; car la présence de deux bâtiments sous ses ordres entraînait pour leur commandant tous les avantages attachés à la haute position de chef de division. LANTA A cette époque, Dumont--d'Urville, tourmenté par des douleurs de goutte, avait déjà l'aspect d’un vieil lard, malgré son âge peu avancé ; son corps était usé, mais sa volonté était toujours inébranlable. Il avait conservé cette énergie et celte activité si nécessaires à un chef d'expédition; les noms de d'Urville et de l45> trolabe, commeil le disait lui-même, devaient, en s'as-. sociant de nouveau, produire de nombreux et utiles résullats. Aussi, vainement de tous côtés, autour de lui, etmêmeà la tribuneparlementaire, des prédictions # j sinistres se firent entendre. Rien ne pouvait arrêter les navires dont l'armement se poursuivait avec activité. Il s'était assuré le concours de son digne et fidèle com RAT le capitaine J PRES de ses anciens M NOTICE BIOGRAPHIQUE. 132 à braver, iln’a jamais manqué d'officiers de bonne vo- lonté dans la marine francaise; bientôt de tous côtés parvinrent des demandes, et les étais-majors furent désignés avant, pour ainsi dire, de connaître les noms des navires qu'ils devaient monter. Cependant ce ne fut pas sans une profonde émotion que le marin intrépide se sépara des siens; malade et épuisé, il était père, et toute sa famille , tous ses amis s'étaient réunis pour l’arrêter dans sa résolution, pour l’enga- ger à renoncer à une entreprise si hasardeuse, dans son état de santé. | Pour tous ceux qui, comme nous, purent voir les larmes inonder son visage contristé par la douleur, lorsqu'arrivé à Valparaiso, des lettres lui apprirent la perte de son plus jeune fils et le désespoir de la mère, il sera facile de comprendre combien furent tristes ces pénibles adieux, combien il devait lui coûter d’aban- donner de nouveau sa famille éplorée, pour se confier aux vents et aux flots de l'Océan ; combien enfin était srande cette énergie qui lui faisait sacrifier à l'a- mour de la science, non-seulement son repos et sa . tranquillité, mais encore toutes les joies du cœur, toutes les jouissances si douces du foyer conjugal. Le 7 septembre 1837, l'4strolabe et la Zélée quit- tèrent le port de Toulon, qu’elles ne devaient plus re- voir qu'en novembre 18/0. Un mois après le retour, Jules-Sébastien-César Du- mont-d'Urville, retenuencore à Toulon parles mauxaf- freux qu'il avait endurés pendant cette dernière et pé- mble campagne, recevait comme une digne récompense on NOTICE M £ ES Le 8 mai 1842, l'amiral Dumont-d'Urville , : a 1 femme et son fils étaient partis pour aller passer une journée de plaisir à Versailles ; le soir ils ne reparu= rent pas. trois jours après seulement, leurs cadavres mutilés et défigurés devaient être reconnus par leurs. amis et lescompagnons de route de l'amiral, parmi les débris humains déposés au cimetière du Mont-Par- nasse, après le terrible événement arrivé sur Ê chemin de fer. | ne Voilà ce qu'avait été ce marin illustre : enfant stt dieux et rêveur, jeune homme au cœur loyal, s et franc : à Re homme énergique; r l'exécution de ses ne marin Rits brassant prede toutes RE connaisse C NOTICE BIOGRAPHIQUE. CO LT. merveilleusement intelligent ! D'un abord froid en en apparence, mais affectueux et doux dans l'intimité; républicain peu dangereux, comme nous l'avons dit, _ car ses idées démocratiques étaient légèrement em- preintes de sentiments aristocratiques. Voilà ce qu’a- vait été Dumont-d'Urville ! après avoir réuni sur sa tête les couronnes du naturaliste, celles du géographe et celles du navigateur, il aspirait encore à d’autres - gloires, il voulait voir son nom cité parmi ceux des philologues et des philosophes! il voyait le même nom revivre avec bonheur, dans son fils, et révait sans doute pour l'enfant un avenir plus brilla nt encore que le sien, lorsque la mort est venue tout détruire..! Quelques jours après cette terrible catastrophe qui vint couvrir la France d’un deuil général , on lut dans le Moruteur: Le 11 Mar. «Nous devancons lecompte-rendu de l’Aca- …_ … démie des Sciences, pour donner la partie de la séance du lundi 9 , consacrée à l’affreux événement arrivé sur le chemin de fer. | « L'Académie des Sciences a interrompu pen- dant quelque temps ses travaux, dans la séance d'aujourd’'hw, pour entendre les détails qui lui ont K J 136 NOTICE BIOGRAPHIQUE. été donnés sur la catastrophe arrivée le on 8 mai au soir, au chemin de fer... Ces renseigne “ ments ont été communiqués par M. Cordier, a pe | près dans ces termes : RS $ « .…. Les cinq premières voitures , occupées par Jet de « voyageurs , sont venues successivement se précipiter Fo « sur les locomotives renversées et sont né « dessus, en vertu de leur vitesse acquise. En même. « temps, les monceaux de coke enflammé qui étaient «sur les grilles, sur celles de la seconde locomotive «principalement, se sont trouvés entraînés ou lancés «au milieu des voitures, et ont développé un affreux … + «incendie auquel les caisses en bois, dans lesquelles. « sont renfermées les chaudières des locomotives et … « les planches minces qui entrent dans la construc- «tion des voitures ont fourni un élément très-actif... « Les malheureux voyageurs, renfermés dans les pre= «mières voitures, poussaient des gémissementsaffreux, ed «et personne ne pouvait les secourir. Suivant M. le | «commissaire de police de Meudon, l’une des voi-. « tures a été brûlée dans un intervalle de dix minutes. « Hier au soir il y avait quarante et un morts; la « plupart des cadavres étaient charbonnés et mécon— « naïssables à un tel point, qu'on a dû les porter | im 51" Cine « médiatement au cimetière... LED ti ; Le « Sans entrer dans la discussion des causes diverses. « qui ont concouru à cet épouvantable: désastre , et « des mesures qu'il conviendra de prescrire FoU « prévenir le retour, il est évident, NOTICE BIOGRAPHIQUE. 137 « en tête du convoi a été l’origine du mal, et que « l'usage de ces locomotives devrait être prohibé..…. « Quant à l'incendie qui a accompagné la catastro- « phe du 8 mai, nous croyons que ce fait est encore « sans exemple dans l’histoire des chemins de fer. » « L'Académie a écouté ces tristes détails dans un | douloureux silence... | : + «A la suite de cette communication, le bruit s’é- tant répandu, dans l Académie , que M. l'amiral Du- -mont-d'Urville était au nombre des morts, ou que du moins il n'avait puêtre retrouvé après l'accident, quoi- - qu'on sût positivement qu'il était monté dans un des “premiers wagons, M. Arago a proposé de désigner » deux commissaires chargés de recueillir des rensei- * enements sur cette illustre victime, et si, par bon- _heur, on le retrouvait parmi les blessés, de lui témoi- _gner tout l'intérêt que l’Académie ie à son mal- _heur : cette proposition, faite en termes très-convena- “bles, a été accueillie avec empressement par le corps “savant, qui a désigné immédiatement MM. Adolphe Brongniart et Gaudichaud, pour accomplir cette pé- -mble mission. » 13 Mar. «Le conseil municipal de Paris a voté, dans sa séance d'hier, la concession à perpétuité de quatre mètres de terrain dans le cimetière du Sud (Mont- “Parnasse), pour la sépulture du contre-amiral Du- mont-d'Urville, de sa femme et de son fils. « Le conseil a voulu s'associer, par ce vote, aux re- grets qu'inspire la perte d’un homme qui a rendu des services distingués à la science, et qu’une catastrophe, famille. | « Le cortége marchait dans l'ordré suivant : ‘un ‘détaz | î chement de gardes municipaux ouvrait la marche; venaient ensuite les trois corbillards , celui du fils d'a bord, puis celui de la mère, et enfin celui de l'amira Vi entouré d’une double haie 48 marins en grand uni-. «forme. Les cordons étaient tenus par MM. Villemain , ministre de l’instruction publique, le vice-amiral La" bretonnière, Beautemps-Beaupré et de Jussieu. Le deuil était conduit par MM. Vincendon-Dumoulin et Hombron ; il se composait, indépendamment des parents et amis, de M. l'amiral Duperré, ministre d # la marine et die colonies; de M. larhiral Roussin; de MM. les vice-amiraux Rosamel, Halgan, Verhüel ; Lalande, Willaumez, Jurien-Lagravière, Grivel, Le— marant, de Mackau, Ducrest ie Vies Bou _ NOTICE BIOGRAPHIQUE. 139 Rendu et Burnouf : du muséum, des sociétés de statis- que, de géographie, d'hydrographie ; le corps des in- génieurs hydrographes, le bureau des longitudes; les élèves du collége Louis-le-Grand, condisciples du jeune Dumont-d'Urville ; les maire et adjoints du 11° arrondissement ; tous les chefs de bureau et employés du ministère de la marine, etc. , etc. « Le cortége était escorté par des détachements dés 29° léger, 3° et 68° de ligne, et précédé du corps de musique du 12° régiment de ligne, qui exécutait des marches et des symphonies funèbres. … « Dans l’église Saint-Sulpice, un triple catafalque avait été élevé au milieu de la croix de la nef; à gau- che, celüi du fils, recouvert d’un drap de soie blanc parsemé d'étoiles d’or; à droite, celui de la mère , et au milieu le catafalque de l'amiral, dominant les deux autres. …. «Les corps ayant été recus par le clergé, un servicé solennel a été célébré au milieu du plus profond re- cueillement. | «Après le service, le cortége s’est mis de nouveau en “marche , dans le même ordre, et s’est dirigé vers Le ci- “metière de Mont-Parnasse, où les restes de cette mal- heureuse famille ont été déposés dans un terra dé- ; signé par M. le préfet de la Seine, et dont la conces- sion à perpétuité a été votée par le conseil municipal de la ville de Paris. Re «Plusieurs discours ont été prononcés sur la tombe de l’illustre navigateur. « Voici les paroles prononcées par M. Vincendon- 140 NOTICE BIOGRAPHIQUE. Dumoulin , mgénieur hydrographe d I pôle Sud : k « Messieurs , ‘SU sr « Je ie aux hommes illustres réunis . « a amis , AR compagnons de voyage de. Ke 5 < l'infortuné navigateur, vous dont je suis aujourd'hui le mandataire dans ces tristes adieux, souvenez-vous avec | î moi de ces paroles sublimes qui peignent si bien le: grand caractère de notre illustre chef, lorsque, au. milieu des glaces du pôle austral, nos navires “late tant corps à corps avec elles attestaient par leurs débris notre triste Impuissance AU Une seule pen- 1 «sée, disait-il, peut troubler mon âme, c’est celle q que. «tant d'hommes jeunes encore et riches d'avenir doi E. « vent trouver ici une mort Dir) il est de mais as fin, EE terres A Er se déroulent. devant mn us NOTICE BIOGRAPHIQUE. 441 ‘au milieu de ces îles nombreuses, sur chacune des- _ quelles il comptait des amis. - « Reportez-vous avec moi, Messieurs, à cette épo- que douloureuse où la mort, s’abattant sur nos cor- veltes, marquait d'un jour de deuil chaque découverte, chaque récolte acquise à la science : combien alors cetie grande âme fut cruellement éprouvée! d'Ur- ville avait vu succomber le tiers de ses compaynons; le sillage de ses navires était semé de cadavres, les douleurs les plus aiguës tourmentaient son corps, et - cependant il n’hésita pas. « Bientôt, nous dit-il, nous « allons disputer de nouveau à des pavillons rivaux la « gloire d'atteindre le pôle Sud.» Et pas un mur- mure ne s'éleva de ces équipages trois fois décimés par les maladies, affiblis par mille privations, et désireux avant tout de revoir la patrie. C’est qu'il avait su gagner l'affection de ses marins; il avait su surtout mériter cette confiance aveugle qu'ils lui avaient accordée, et seul il pouvait encore les con- duiré à des dangers nouveaux. Quelques jours après, les couleurs nationales flottaient les premières sur ces terres mystérieuses dont les glaces éternelles défen- “dent les approches. Le contre-amiral Dumont-d'Ur- ville venait de doter le monde d'un continent nou— veau, de la terre Ædelie. | « À ce nom, je m'arrêle. Trois cercueils sont devant YOus, amis ; je n’ai pas une parole de consolation à vous donner. Comme moi, vous avez aimé cette famille malheureuse. Adèle Dumont-d'Urville, digne compa- gne de notre illustre chef, la mort nous a tout ravi; 13 | “NANICE HOGRAPHIQUE ae 3, . l'élever dus te récit ne toutes lle | _ nous avons connues. tes 15.670 SHARE voir à pan; à lat terre ces Fr dar la plus forte épreuve à laquelle nous pui sions Soumis. nn | = « Adieu donc notre illustre chef! de Ale in à fortunée ! nous vous avions offert amour et dévo | ment, nous ne pouvons plus aujourd'hui qu a votre tombe de nos larmes! » $ Le HR # é à « Voici le discours de M. Berthelot; secrétaire Ù néral de la société de géographie : . “ee à « La société de géographie ne pouvait être a d'une manière plus cruelle que par la mort duf dent de sa commission centrale. 0e de se n succès du savant navigateur, de tu qui fut son ami et qu'il vit débuter dans A rière , alors que prenait naissance cette yalle d’où devaient sortir Pat tard f | NOTICE BIOGRAPHIQUE. 143 «Emule de gloire des Bougainville, des Cook, des Vancouver, des Lapeyrouse, Dumont-d'Urville occu- ; pera un rang distingué parmi les navigateurs qui, de- : puis la seconde moitié du dernier siècle, ont le plus contribué aux progrès de la géographie. Comme le é capitaine Cook, qu'il placait toujours en première ligne, il fit trois fois le tour du monde ; comme lui, il … concut avec un rare talent des projets de campagne … quil poursuivit avec constance et accomplit avec … autant d'habileté que de courage; de même que lui …_ encore, nul de nos marins n’a plus honoré ce métier …. 51 pémible pour ceux qui veulent en remplir dignement … les devoirs. Ah! Dieu me garde de soulever le voile … funèbre qui couvre cette tombe, pour vous montrer le … déchirant spectacle qui s'offrirait à vos regards! Assez d'émotions ont aflligé nos âmes dans ces jours de. £ deuil ! Mais dans la destinée de deux navigateurs éga- ….|ement célèbres, il est, Messieurs, une ire coïnci— Ë | dence que je ne puis taire : les compagnons de Cook - ne purent rendre les honneurs militaires qu’à quelques restes mutilés de leur infortuné commandant, et vous … savez tous quelle triste dépouille mortelle nous réunit ba ST Ps ù autour de ce cercueil... ! «C’est à la mémoire de l'historien qui écrivit l'éloge | de Cook et de Bougainville que nous rendons hom-. mage, à la mémoire du marin intrépide qui montra de Le | F EE out d’ UE qui retrouva l’ile ilot hé où es vaisseaux de Lapeyrouse vinrent se briser, qui éleva sur les rochers de Vanikoro un modeste monument au #" Es … L | e 2. ue “ * nu Le) | 144 NOTICE BIOGRAPHIQUE. VOR navigateur dont le souvenir vivra nt ar le. malheur et la gloire, à Dumont-d'Urville qui rapporta en France les vieux débris de ce grand naufrage! 4 « Depuis quelque temps, l’inexorable destin choisit i ses victimes parmi ce qu'il y a de plus éminent et de plus regrettable parmi nous. Nos plus hautes illustra- 1 tions contemporaines semblent atürer les coups du | sort, comme les monts élevés attirent la foudré. Du- - mont-d'Urville, qui avait tout bravé sur les eaux, s. périt par le feu! Mais des hommes tels que lui ne dis-. paraissent pas tout entiers; leur souvenir reste impé- rissable comme leur âme; l’histoire des sciences géo- graphiques a déjà enregistré dans ses annales les grands travaux qu'il accomplit, et la patrie, qui récompense les services rendus, inscrira son nom dans ses fastes. « Ce nom restera attaché aux extrémités du monde, comme celui des Magellan, des Baffin, des d’Entre- casteaux ; on le lira sur ié cartes, comme sur cetle ä tombe, près de celui de l'épouse qu'il chérissait, du 1 jeune fils qu'il aimait si tendrement. La terre Adélie, le mont d'Urville, l'ile de l’'Astrolabe, rappelleront À le théâtre de ses dérièle découvertes et tout ce. qu il 4 fit pour la science, dans la mémorable expédition qui | a répandu tant de lumières sur des régions. presque inconnues avant lui. Les secrets que la nature avait, : cachés dans des mers mystérieuses, la direction et la 1 tendance des courants magnétiques, tous les: phéno- À mènes qui ot intéresser la navigation, Je char 1 M dnsee ds ÉMIS 7 FLE LE POS SC ES ST ENT AT NOTICE BIOGRAPHIQUE. 145 des montagnes de glace, le flambeau de l’observation porté jusqu'aux dernières limites des mers navigables, le pavillon national saluant les terres de Louis-Philippe à plus de trois mille lieues de la France, voilà les ti— tres de gloire de celui dont nous honorons la cendre! voilà ses droits aux hommages de la postérité ! « Les qualités morales du contre-amiral d’Urville seront appréciées par tous ceux qui l'ont connu dans l'intimité, comme le sera aussi le sentiment d’admira- tion que ses travaux scientifiques doivent inspirer à tous ceux qui savent le juger. Chez lui la force d'âme, l'inébranlable volonté, l’audacieuse résolution éma- maient de l'intelligence qui l'éclairait. Vous, Messieurs, qu'il présidait dignement dans vos séances , vous avez pu apprécier tout ce qu'il avait conservé d'affection sincère, de pensées nobles et désintéressées, de dé- vouement à la science, tout ce qui restait d'énergie, en un mot, dans un corps usé avant le temps par de longues fatigues , assailli par de précoces infirmités, et souvent tourmenté par la douleur, mais qui semblait se ranimer par l'étude, en présence de devoirs tou- jours consciencieusement remplis. « Entouré de la considération de tous, si simple dans la haute position que lui avaient valu ses services, si reconnaissant des égards et distinctions que vous lui dispensiez, pouviez-vous penser que vous auriez si Lôt la douleur de le perdre ?.. Mais, c’en est fait, 1l n’est plus parmi nous! et, cette fois, c'est pour toujours :.…, « Adieu, contre-amiral! honneur et paix à ta cen- dre! que mes paroles te soient consolantes, s'il v'est X. 10 146 NOTICE BIOGRAPHIQUE. dû de les entendre du séjour de l'éternité; elles te sont adressées par un ami et au nom d’une société fière du brillant reflet que tu fis rejaillir sur elle, « Adieu, Dumont-d’Urville, adieu ! !! » M. Domeny de Rienzi, membre de plusieurs aca- démies francaises et étrangères, et qui faisait le tour du monde pendant que M. Dumont-d'Urville achevait: sa seconde expédition, a prononcé le discours sui- vant : | « MESSIEURS , « Huit jours sont à peine écoulés qu’une horrible catastrophe a consterné Paris. Quand j'aurais une voix éclatante comme l’airain, je ne pourrais raconter tant de maux; mais, parmi tant de déplorables victimes, la mort, sous la forme la plus affreuse, est venuefrap- per l’illustre amiral d'Urville, dont le cercueil est à vos pieds. Celui qui avait tant de fois bravé la fureur, des flots, et naguère les montagnes de glaces, a péri lentement au milieu des flammes à cinquante-un ans, et dans une partie de plaisir, «La mort nous l’a rendu corhéuite. comme les restes des exécrables festins de ces anthropophages que nous vimes dans les îles de l'Océanie. Sa femme et son fils unique ont partagé son sort. ! « J'ai raconté dans l'Ercyclopédie des gens du monde les diverses expéditions de mon ancien ami. «Tous ces travaux réunis nous permettent de com- - parer M, Dumont-d’Urville à l'heureux et intrépide NOTICE BIOGRAPHIQUE. 447 Cook, le plus grand navigateur connu; mais ceux de M. d'Urville se distinguent par une plus grande exac- titude ; car on trouve, dans les détails des décou- vertes du capitaine Cook, moins de savoir et des erreurs singulières qui frappent les yeux un peu exercés. « N'oublions pas que M. d'Urville , plus heureux que l'amiral d'Entrecasteaux , a reconnu l’île de Va- nikoro, où, sur le récif qui cerne en partie le havre de Mangadei, il a fait élever au savant et infortuné Lapérouse un modeste cénotaphe, témoignage des regrets de la France. « Au retour de sa troisième campagne autour du monde, et vers les régions antarctiques , où des noms français ont été inscrits de sa main, le commandant d'Urville recut le grade de contre-amiral. Certes, quand la gloire se donne si facilement aux guerriers qui achètent souvent de faibles conquêtes aux prix du sang national, combien doit-elle -être, à plus juste titre , la récompense de tant de terres explorées ou reconnues, de tant de découvertes précieuses, de tant de trésors d'histoire naturelle et d'anatomie amassés pour la science, dont M. d'Urville a enrichi sa patrie et le monde. « Son fils, sa superbe espérance, semblait, si jeune encore, continuer l'illustration de son nom. Botaniste et philologue comme son père, il avait déjà, dès l'âge de neuf ans, traduit du chinoïs en francais le Tahro du sage de la Chine, Koung-tszeu (Confucius), et le Schang-Moung de Meung-tszeu (Mencius). 118 NOTICE BIOGRAPHIQUE. «En qualité de sinologue, le jeune Jules-César d'Urville n'avait pas de rivaux en Europe. | Hi « La compagne de M. d'Urville était digne d’un tel époux. Adieu femme courageuse! Adieu mon cher Jules! Adieu d'Urville! adieu! Si tés doctes conver- sations nous manquent, {tu ne manqueras jamais à nos conversations, et lon image et tes nobles travaux res- teront vivants au fond de mon cœur. » 19 Mar. « Une allocution touchante a été prononcée sur la tombe du jeune Dumont-d’Urville , par M. Au- guste Humbert, au nom de l’/cadénue de la Jeunesse, société dans laquelle venait d’être recue la malheu- reuse victime du fatal événement du 8 mai. Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette pas de reproduire ce discours, qui a vivement ému les assistants. » Je crois devoir, sous le titre de Pièces justificatives, joindre à lhistoire du Voyage les rapports officiels adressés, pendant le cours de la campagne, au ministre de la marine par le chef de l'expédition. Ces rapports résument, en effet, toutes les opérations des corvettes l'Astrolabe et la Zélée, et doivent corroborer la nar- ration. En outre, il ne m’appartenait point, dans le cours du récit, de faire ressortir les noms des officiers qui, par leur zèle et leur mérite, eussent sans doute été signalés d’une manière spéciale par leur com- mandant, et c'est au moins justice que de reproduire à la suité de cet ouvrage les éloges dont ils avaient été l’objet pendant le cours de l'expédition. M. Dumont-d'Urville ayant pu rédiger lui-même toute la partie du récit, depuis le départ de France jusqu'à celui de Taïti, il était inutile de reproduire les rapports qui ont trait à cette première période du voyage ; cependant j'ai cru devoir conserver les par- ties dans lesquelles le commandant de l’Astrolabe fait ressortir les services rendus par ses compagnons de roule. ! À la suite de ces rapports, le lecteur trouvera les 150 ordres et les instructions adressés par le chef de l’ex- pédition au commandant de la Zélée, pendant le cours du voyage, dans la prévision où les deux cor- vettes eussent été séparées par quelques circons- tances imprévues. Sous le titre Renseignements, j'ai joint à une note médicale, dont l'insertion m'a été demandée par M. Hombron, chirurgien-major de l’Astrolabe, deux mémoires que M, Dumont-d'Urville avait jugé impor- -tants, et qui lui avaient été communiqués, je crois, par leurs auteurs. | Enfin, quelques lettres doivent encore trouver leur place à la fin de ce volume, ainsi que cela été annoncé dans le cours de l'ouvrage. V. D. PIÈCES JUSTIFICATIVES. Santa-Crux de Ténériffe, 6 octobre 1837. e e 0 » » , e e » ° ° e 0 ° e ° 0 ° e ° « MM. les officiers poursuivent avec zèle et assiduité toutes les observations possibles de température, de météorologie et de physique ; les officiers et les élèves exécutent les calculs astrono- miques et nautiques, et les médecins commencent à exploiter la vaste carrière de l’histoire naturelle, qui leur est dévolue ; l’ac- cord le plus heureux règne entre ces diverses personnes, malgré le contraste apparent de leurs travaux, et j'espère qu’il subsistera pendant toute la PORN la garantie la plus infaillible pour nos succès à venir. M. le capitaine Jacquinot me suit constamment de près sur la Zélée, dont la marche est supérieure à celle de l’Astrolabe, I] est, ainsi que moi, satisfait de ses officiers et de son équipage. Je compte remettre à la voile demain, etc, ° ° e D e ® ° e 4 e 0 e e e 0 e 0 e e e e Li Rade de Rio-Janeiro, le 13 novembre 1837. C’est un fâcheux motif qui me procure aujour d’hui l'occasion de vous donner des nouvelles de l'expédition. M. Lemaistre du Parc, élève de première classe, souffrait déjà , à notre départ de Toulon, d’une fièvre intermittente ; maïs le désir ardent qu'il avait de faire la campagne, le fit passer par-dessus les observa- tions qui luifurent adressées par les médecins et par moi-même, pour l’engager à rester en France. Au lieu de céder aux soins des 132 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. médecins, au repos et à l'influence d’une navigation jusqu’à pré- sent peu pénible, comme il y avait lieu de l’espérer, la maladie s’est aggravée de plus en plus, les poumons ont été attaqués, et l'état de M. du Parc, est aujourd'hui tellement critique, que les médecins ont déclaré qu'il aurait fort peu de chances pour échapper à notre tentative vers les glaces du pôle austral, tandis qu'il pourrait y en avoir de nombreuses en sa faveur dans un sé- jour convenable à terre, et au milieu des ressources qu ‘il pour- rait y trouver; devant une pareille considération, malgré l'envie que j'avais d’abréger, le plus qu’il m'était possible, ma traversée jusqu’à la terre des Etats, j'ai cru devoir faire le sacrifice de deux ou trois jours, pour déposer M.du Parc sur un point central de notre station du Brésil, où j'ai remis cet élève aux ordres de M. le contre-amiral commmandant la station, qui lui donnera la destination la plus convenable. Heureux si je puis, par cette pré- caution, conserver à la marine et à sa famille un sujet qui, sous tous les rapports, promet de devenir un très-bon officier. ISERE | Corvette l'Astrolabe, 25 mai 1838, à la mer. e. . . e 0 e 0 0] C] C] e e e 0 e e e L L u En terminant ce rapport, vous me permettrez de rendre de nouveau un témoignage authentique de ma satisfaction pour le zèle, le courage et les talents déployés par tous mes collabora- teurs. M. le capitaine Jacquinot s’est montré tel que je le con- nais déjà depuis bientôt vingtans, parfait sous tous les rapports. MM. Dubouzet et Roquemaurel nous ont admirablement bien -secondés. | MM. Demas et Montravel, chargés des montres nt par les circonstances les plus dures, par les temps les plus rigoureux, ont poursuivi leurs délicates observations avec une assiduité sans pareïlle; et tous les autres officiers, médecins et élèves ont parfaitement fait leur devoir. Pour les observations de physique et le tracé des glaces et des côtes, M. l'ingénieur-hydrographe Dumoulin, n’a laissé ab- La PIECES JUSTIFICATIVES. 153 solument rien à désirer, et il a mesuré la hauteur et l'étendue de près de trois cents des principales glaces que nous avons vues. Sur la Zélée, M. Goupil emplit ses cartons de tableaux pré- cieux, et sur l’Astrolibe, le jeune chirurgien Le Breton, qui a un talent remarquable dans ce genre, exécute aussi à ma de- mande des dessins charmants. Au milieu de ces motifs de satisfaction, je n’éprouve qu’un seul regret véritable : c’est de n'avoir pu faire gagner à nos équi- pages la prime qui leur était annoncée. Bien certainement, les malheureux ont cent fois plus travaillé, plus souffert, et cent fois plus mérité cette récompense que si nous eussions trouvé la mer libre; car, dans ce ca, quinze jours d'une navi- gation paisible et exempte de dangers eussent suffi pour nous conduire jusqu'au 75° degré, et nous en ramener. Naturel- lement insouciant de son avenir, comme vous le savez bien, amiral, le matelot attache peu de prix à l'argent pour l’argent même ; aussi les nôtres ont bien vite oublié la prime, aprèsenavoir plaisanté durant quelques jours. Mais je ne l'ai pas oubliée ; je n'oublierai pas non plus les épreuves terribles auxquelles je-les ai soumis. Plusieurs d’entr’eux ont des familles auxquelles ces indemnités feraient grand bien. Vous verrez ce qu’il sera possi- ble de faire pour eux, et je m'en rapporterai entièrement à vos sentiments d'humanité, sil vous est permis de suivre leur inspi- ration. Valparaiso, 25 mai, au soir. J'arrive à Valparaiso et jy suis accueilli par la plus terrible nouvelle : un nouveau coup vient de me frapper dans mes plus chères affections, et les suitesen seront peut-être encore plus fu- nestes pour moi... Pour mes efforts futurs c’est un triste encou- ragement. N'importe, amiral, je remplirai, jusqu’au bout, si j'en ai la force, le mandat que j'ai demandé et accepté; à Sincapour, je m'acquitterai de mon mieux de la commission que vous m'avez donnée. En partant d'ici, je me dirigerai immédiatement sur les îles Gambier, où nos missionnaires ont formé un établisse- 154 VOYAGE DANS L'OCEANIE. ment, puis je ferai en sorte d'exécuter de mon mieux le réste dé nos travaux dans l'Océanie. Retenu à Conception, quatre jours de plus que je nele voulais, par des vents d'ouest grand frais, j'ai mis ce témps à profit pour vous envoyer des copies ou des calques de presque tous les travaux hydrographiques déjà accomplis , et je serais bien aise que vous fassiez donner aussi de la publicité à notre travail sur les terres Louis-Philippe. Je joins encore à ce paquet des vues diverses exécutées par M. Goupil, et qui pourront vous donner une idée de notre excursion dans les glaces ; j’ai même supposé que le Roi lui-même pourrait prendre plaisir à voir ces échantillons de nos pémbles efforts," 200." JEU Monsieur le Ministre, Je rouvre ce paquet pour vous rendre compte d'une opération que je viens d'accomplir dans l'intérêt de la mission. Les morts, les déserteurs et les malades laissés ici avaient occasionné un dé- ficit de bras assez LD dans notre petite division pour me faire craindre des conséquences facheuses. J'ai exposé mes besoins au capitaine Duhaut-Cilly qui, sur le champ, s'est em- pressé de mettre à ma disposition les hommes qui m'étaient né- cessaires.-Au coup de sifflet donné dans son équipage, huit hommes de bonne volonté se sont présentés pour: faire notre campagne, et j'en ai accepté six, trois pour chaque corvette. Pre- nant en considération cette preuve de dévouement de leur part, d'entreprendre une longue et pénible compagne au moment d’être prêts à retourner dans leur patrie, j’ai accordé à chacun d’eux l'avancement auquel avaient déjà participé tous ceux qui étaient partis de Toulon avec nous ; et en cela je me crois assuré de votre pleine approbation. Agréez, etc. re PIÈCES JUSTIFICATIVES, 155 Le rapport adressé au ministre du port d'Umata (île Guaham) se trouvant complétement reproduit dans celui daté de la rade d'Amboine, nous nous dispensons de le publier. Rade d’'Amboine, îles Moluques, Astrolabe, le 17 février 1839. Monsieur le Ministre, Dans la dernière lettre que je vous ai adressée de Guaham il y a environ un mois, je vous annonçais d’'Amboine un rapport plus détaillé sur les opérations de notre campagne ; mais l’état habituel de malaise et de souffrances anqueh je suis réduit depuis près de deux mois, ne m'a pas permis de m’ occuper de ce travail : je me contenterai donc de vous envoyer d'ici un duplicata de ma lettre de Guaham, en y joignant seulement le récit de notre traversée des iles Mariannes à Amboine, Depuis notre départ de Taïti, c’est-à-dire depuis quatre mois et demi environ, nous avons accompli d'immenses travaux pour lesquels la fortune et le temps nous ont merveilleusement secon- dés ; car j'ayouerai franchement que tout le zèle et toute l’expé- rience du monde n’auraïent pu atteindre à de pareils résultats , si les circonstances les plus heureuses ne nous eussent presque constamment favorisés. En voici l'aperçu rapide : En quittant Taïti, le 46 septembre, nous reconnûmes toutes - les îles qui dépendent de cet archipel, et même Mopélia et Scilly. Ces îles n'avaient plus été revues depuis Cook, et trop de con- fiance de ma part, dans les positions très-incorrectes de ce célè- bre navigateur, faillit causer la perte des deux navires sur les périlleux brisants de Mopélia. Une rapide traversée nous porta ensuite aux îles Hamoa (jadis îles des Navigateurs). Nous prolongeâmes dans toute leur étendue ces terres fertiles et riantes en suivant la côte à deux ou trois milles de distance au plus, Nous mouillâmes dans le petit port d’Apia, havre sûr et commode sur la bande nord d’ Opoulou (île Oyolava de La Pérouse), Durant les six jours que nous y passâmes, nos relations avec les naturels furent constamment amicales : seule- 156 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. ment un mauvais sujet s’avisa de dépouiller un jour un | élève qui l'avait pris pour guide. Le déploiement de notre force armée sur la grève amena sur-le-champ la restitution de tous les objets vo- lés, et, en outre, la tribu du coupable nous livra douze petits ue par forme d’ amende. Là, nous eûmes du moins la consolation d'apprendre, d' une manière à peu près certaine , que le‘désastre de l'expédition de Lapérouse à Maouna avait été occasionné par une circonstance purement fortuite. Les corps des Français qui succombèrent fu- » rent inhumés, et non dévorés comme on l'avait longtemps ima- giné, attendu que les naturels de Aamoa n'ont jamais été canni- bales. Enfin deux ou trois Français qui revinrent ds leurs bles- sures furent bien traités par les sauvages et vécurent pres ou moins longtemps dans ces îles. De là nous passâmes à J’avao, aujourd’hui complétement ran- gée sous les lois des missionnaires méthodistes ; puis, aux îles Hapaï, que nous traversâmes presque en entier, explorant des canaux et des écueils qui n'avaient jamais été reconnus. - Désormais des travaux d’une plus grande importance et en- tourés de plus grands dangers nous attendaient. J’engageai les deux corvettes dans le fameux archipel des îles 7 : à Laguem- ba, je pris pour interprète un chef de Tonga- Tabou, nommé Latshika, appartenant à la première famille de Tonga et jouis- sant d'une haute influence dans les îles Viti. | Je questionnai Latshika sur la malheureuse affaire de Bureau: il avait intimement connu ce capitaine , et il me donna les rensei- gnements les plus positifs sur sa fin tragique. Son assassin était Nafalassé, chef puissant et redouté de l'île Piva, dépendant du grand chef de Pao sur Viti- Lebou ; il avait été comblé de faveurs et de présents par Bureau, et la cupidité seule l'avait pr à commettre cet acte avec une atroce perfidie. Je sentais parfaitement qu'il était de l'honneur de notre pa- villon de châtier un pareil forfait; mais la certitude que Piva était environné de récifs périlleux rendait l’entreprise fort épi- neuse pour nos navires. Je balançais donc à exposer le salut de la mission pour cet objet, quand Latshika ajouta que Nakalassé; devenu leffroi de tous les chefs voisins, et fier des fusils, de la“ poudre et des canons qu'ils avaient trouvés sur le brick la José=« PIÈCES JUSTIFICATIVES. 157 phine , répétait avec arrogance qu'il désirait ardemment l’arrivée d'un navire de guerre français , afin de se mesurer avec lui; son insolence n'aurait plus connu de bornes, et cette impunité au- rait porté les autres chefs à des actes de la même nature. Je conduisis donc les corvettes au travers des écueils de Piva , et, le 16 octobre, vers midi, après avoir plus d’une fois frotté leurs flancs contre les coraux, elles furent mouillées à deux milles environ du fort de Nakalassé. Sur-le-champ, j'expédiai un officier avec Latshika vers la- bouni-valou (titre qui correspond à celui de chef suprême ou em- pereur ), pour lui demander que le traître Nakalassé me fût livré, ou , à défaut, pour le prévenir que, dès le jour suivant, Piva se- rait livré aux flammes. Ce grand personnage, nommé Tanoa, vieillard à longue barbe , âgé d'environ soixante-dix ans, recut mes envoyés avec la plus haute distinction, protesta de son atta- chement pour les Français et de son horreur pour le crime de Nakalassé. Mais il redoutait son puissant vassal, qui l'avait déjà une fois expulsé du trôneet forcé de chercher un asile dans les îles voisines. Au sein même de sa capitale, à Pao , un parti considé- rable favorisait en secret Nakalassé. Aussi Tanoa dut avouer qu’il lui était impossible de nous livrer le coupable, ni même de nous assister ouvertement contre lui; mais qu'il nous verrait très- volontiers diriger nos forces contre ce chef; loin de lui porter seeours , s’il cherchait un refuge sur son territoire , il le tuerait et le mangerait sur-le-champ, et cela, quoique Nakalassé ait épousé la propre nièce de Tanoa. io Nakalassé, de son côté, ayant appris mes intentions, déclara qu'il était déterminé à nous attendre dans son fort de Piva, et qu'il se ferait enterrer sous ses ruines plutôt que de l’évacuer. Dès le jour suivant, à cinq heures du matin , les embarcations des deux corveites jetaient sur les récifs de Piva cinquante ma- rins armés, sous les ordres de M. le lieutenant de vaisseau Du- bouzet, auxquels s'étaient joints presque tous les officiers des deux navires, comme simples volontaires. La position du fort _ était à peu près imprenable, et nos officiers avouèrent qu'une douzaine d'hommes, bien résolus, leur auraient pu faire un grand mal, sans courir eux-mêmes aucun danger. Mais il paraît qu’au monient même où il vit les Francais aborder sur son île, l’or- 158 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. gueil et la férocité naturelle de Nakalassé firent place au plus grand découragement. Nos hommes trouvèrent la place complé- tement abandonnée ; les portes des maisons étaient fermées. Sur. Je champ, le village entier fut livré aux flammes ; le palais de Nakalassé, Vorgueil et le palladium de son maître (au demeu- rant, édifice vraiment remarquable pour ces contrées), ne fut Dose qu'un monceau de cendres et de décombres. _ Cela fait, et ce fut l'affaire de deux heures au plus, M. Du- bouzet PA à bord avec ses compagnons. Bien que le triomphe fût plus facile que je ne pébss je fus charmé de n'avoir trouvé aucune résistance, et de n'avoir été obligé de causer la mort de personne, même de Nakalassé. Du reste, Latshika et Tanoa lui- même m'assurèrent que ce chef était maintenant un homme perdu; cette affaire, pour lui, était plus funeste que s’il eût succombé avec ses guerriers en se défendant noblement. L’uni- que sort qui l’attendait désormais était d’être traqué, saisi, puis rôti et dévoré lui et les siens, attendu qu’un préjugé religieux lui interdisait de rebâtir son village sur Pia, et que, partout ail- leurs , il se trouverait au pouvoir de ses ennemis. Quoi qu’il en soit, pour compléter notre œuvre, et à la prière de Tanoa, nous descendimes, l'après-midi, dans tout notre ap- pareil militaire, à Pao, chez l'abouni-valou, où il nous recut sur la grande place du lieu, dans toute la pompe de Vi4i, à la tête des vieillards de la nation accroupis gravement , avec leur casse-tête à la main, et rangés sur deux files , tandis qu’une foule considé- rable, groupée aux alentours, es vait le silence le plus reli- gieux. Quand nous eûmes tous pris place, je chargeai Latshika d’ex- pliquer à Tanoa que nos navires n'étaient point destinés à faire la guerre aux peuples de l'Océanie ; mais qu'ayant appris sur ma , route le crime de Nakalassé et ses provocations contre la nation française, j'avais jugé qu’il fallait châtier une pareille insolence. Le crime de Nakalussé était d'autant plus odieux qu'il n'avait été Pro en aucune manière par le capitaine Bureau. C’est pour- quoi j'avais ruiné de fond en comble Piva, et pareil sort était réservé à tout chef qui tenterait d’insulter, sans motif, un na- vire français. La punition pourrait étre quelquefois tardive à cause des distances; mais elle serait toujours infaillible, Quant PIÈCES JUSTIFICATIVES. 459 àlui, Tanoa , et à son peuple de Pao, nous les regardions comme des amis, et j'espérais que l’union et la bonne intelligence régne- raient toujous entre eux et les Français. Ces paroles, qui avaient pu exiger cinq ou six minutes de ma part, pour les proférer lentement ct gravement, furent reprises par l’éloquent Latshrka ; il en fit une véritable harangue qui dura près de trois quarts d'heure , prononcée avec une pose, une di- gnité et une assurance que nous admirâmes tous, et qui parut faire la plus profonde impression sur tous les chefs et le peuple de Pao. Latshika interrompait par moments son discours, et à dessein, pour écouter l’effet de ses paroles. Alors les principaux chefs répondaient gravement par le seul mot saga ou binala, c'est juste, c’est bien. Je remarquai pourtant quelques chefs qui gardaient une figure triste et morose, sans jamais approuver, mais sans oser contredire, et je sus ensuite que c’étaient les partisans de Naka- lassé , consternés de sa ruine. Mais l'immense majorité fut pour les Français, Quelques tours d’exercice de la mousqueterie nous valurent de vifs applaudissements ; puis Tanoa fit apporter des vivres pour tous ses hôtes. Il vint dîner avec moi à bord , où je lui fis des présents , ainsi qu’au brave Latshika, qui s’était par- faitement comporté dans cette affaire; enfin tous deux prirent congé de moi et sen retournèrent à Pao. Ce qui fit le plus d'impression sur l'esprit des naturels, ce fut la rapidité avec laquelle notre expédition fut conduite. Tanoa, la veille , avait souvent témoigné ses craintes sur le succès de notre entreprise ; il avait même pensé que nous n’aurions pas osé atta- qué Nafkalassé dans son fort, ou du moins qu'il nous aurait fallu plusieurs jours pour le réduire. Aussi sa surprise fut grande quand il vit que Piva était livré aux flammes, même avant que le soleil fût levé. La nouvelle en fut vite répandue dans toutes les îles de l'archipel, et partout nous étions précédés par la réputa- tion d'hommes qui avaient vaincu et ruiné Nakalassé, la terreur de toutes ces îles. Malgré la nature essentiellement scientifique de notre campa- gne, il me fut agréable, amiral, d'avoir pu remplir, en cette cir- constance, la partie de vos instructions où vous me recommandez la protection et les intérêts de notre commerce, toutes les fois que 460 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. l’occasion s’en présenterait. Déjà , à la Conception, j'avais été à même de faire respecter l'autorité méconnue de quelques capi- taines. En outre, les pénibles reconnaissances , les nombreux plans des ports qui seront exécutés dans cette campagne, les pré- cieux r enseignements que nous fournirons, offriront de nouvelles ressources aux navires (le notre nation, que différents genres de spéculation appellent déjà à parcourir l'Océanie, à l'exemple des Anglais et des Américains, Ainsi, les personnes qui ne veulent absolument considérer que le côté positif des dépenses de la ma- rine seront obligées de reconnaître que celles de notre mission ; d’ailleurs si modiques, ont encore un but réel et immédiat d'u- tilité publique. Nous eûmes de la peine encore à sortir des écueils de Piva ; ensuite nous traversâmes en entier l'archipel Fit, après avoir mouillé à Lebouka, sur l'ile Obalaou et à Boua, sur la grande île Vanoua-Lebou. Un temps superbe nous servit à souhait pour ces périlleuses explorations. Après avoir pris connaissance de l’île Aurore, daus les Nou- velles-Hébrides, je fis la géographie du Pic del’ Étoile et du groupe de Banks, dont l'existence seule était connue. L'île de Farikoro fut visitée, et les îles de Nrtendi et Mindana reconnues. Enfin, le travail important des iles Salomon fut commencé le 18 novembre, et, depuis les îles Anna et Catalina, au S., jusqu'a la pointe N. de Bouka, plus de deux cents lieues de côtes à peu près incon- nues furent relevées dans le plus grand détail , la route des cor- vettes passant rarement à plus de trois milles et souvent à un mille de la côte. Une relâche de six jours eut lieu sur l’île Saënt- Georges, près de la grande île Isabelle, et signalera une station utile et commode pour les navires en ces parages, Nos relations avec les naturels furent toutes pacifiques ; pendant celte relâche. les vents dE. firent place à la mousson d’O., qui ne cessa ensuite, de souffler d’une manière invariable. L'exploration des îles Salomon étant terminée, nous recon- nûmes encore les îles Hardy, Saint-Jean, Caen, et le groupe 4b- garris ; puis je fis route au N. pour chercher les vents alisés du. N.E. Nous reconnûmes les groupes de Nougoucr et de Louasap, dans les Carolines , encore inexplorés. Nous passèmes six jours au mouillage, au centre du grand groupe de Rouk (Hogoleu de PIECES JUSTIFICATIVES. 161 M. Duperrey}), où nul navire n'avait mouillé avant nous. Nos relations avec les naturels, d’abord amicales, furent troublées , vers la fin, par l'attaque imprévue d’une vingtaine de pirogues sur le grand canot de l’Asrrolabe, envoyé en reconnaissance. Il fallut déployer, aux yeux de ces perfides sauvages , la supériorité de nos armes, et quelques-uns payèrent cher leur imprudence. Enfin, le 1°" janvier 1839, les deux corvettes laissèrent tomber l'ancre sur la jolie petite rade d'Umata, où j'ai pu procurer aux deux équipages les rafraichissements dont ils étaient privés de- puis longtemps. Toutefois, après une navigation aussi longue, aussi active sur chaque corvette, nous ne complions que deux malades, et tous les autres jouissaient de la santé la plus flo- rissante. | | | Nous quittâmes cette place le 10 au matin, nous dirigeant au S. O. Je recounus toute la partie de Gouap que n'avait pu voir V Astrolabe en 1828 ; dans la journée du 16 janvier, nous prolon- geàmes les îles Peu de fort près. Les naturels de Prilio vinrent nous visiter dans leurs pirogues ; deux, Malais, se disant naufs de Banda, naufragés sur cette île, se plaignirent amèrement de la manière dont les naturels les traitaient, et me supplièrent de les recevoir à bord de l’Astro/abe : jy consentis, et je viens de les déposer à Amboine. Dans les journées du 20 janvier et les sui- vantes , nous explorâmes le canal de Serangani, et les côtes mé- idiotiales de Mindanao , dans une étendue de quarante lieues environ. J’envoyai même M. Dumoulin sur la côte, observer des inclinaisons ct des intensités magnétiques qui seront de quelque intérêt pour les physiciens , attendu que l'équateur magnétique passe par ces lieux. Les naturalistes, de leur côté, recueillirent quelques échantillons des productions de cette grande île. Ensuite je me repliai vers le sud. Nous fimes la géographie de cette chaîne d’iles qui parait lier, par une base sous-marine, le système des Philippines à la grande île de Célébes. Près de la pointe E. de Sanguir, une fâcheuse série de contrariétés , prove- nant surtout de courants accompagnés d’un calme subit, mit les deux corvettes dans le plus grand péril. Durant près d’une demi-heure, acculées à quelques toises de rochers, sur les- quels la mer brisait avec fureur, elles se virent menacées d’une perte complète. Une heureuse brise, aussi subite que le X. Ai 162 VOYAGE DANS L'OCEANIE. calme qui l'avait précédée , nous tira promptement d'embairas. Ce travail fini, j'allai mouiller devant la délicieuse île de Ter- nale, où nous passâmes trois jours, parfaitement accueillis par les autorités du lieu, qui nous procurèrent le plaisir de passer une soirée chez le sultan de Ternate, soirée qui fut très-agréable, en ce qu’elle nous donna l'idée du degré de civilisation auquel ces peuples étaient parvenus, avant leur conquête par les Eu- ropéens. Enfin, le 4 tévrier, à midi, nous avons mouillé sur la rade d'Amboine ; où nous avons été accueillis, comme de coutume, par les autorités hollandaises, avec la plus grande cordialité Elles se sont, sur-le-champ ; empressées de fournir à tous mes besoins, et ont poussé l’obligeance jusqu’à partager avec nous ce qui restait dans leurs magasins. Aussi je compte repartir d'ici à peu près complétement see tous les rapports. Mon intention est de remettre à la voile le 18 février au matin. Je visiterai Banda, la rivière Dourga, où les Hollandais eurent un établissement qu'ils ont abandonné depuis deux ans; puis je lancerai les corvettes dans le détroit de Torrès. Si le mauvais temps , les récifs ou les maladies m’opposent de trop grands obs- tacles, je me replierai sur les Moluques, et j’utiliserai, du mieux qu'il me sera possible, la fin de la sampaEuR au profit de la navigation et des sciences. A bord des deux corvettes , tout le monde se porte bien, et je suis le seul dans un état de santé moins satisfaisant. Le zèle des officiers se soutient, et la masse des travaux recueillis est déjà in- calculable, Cependant je me contenterai de vous envoyer d'ici un calque de notre travail sur les îles Salomon, avec prière de lui donner de la publicité par la voie des Annales maritimes et du Bulletin de la Société de géographie; car, après notre exploration des glaces et des terres antarctiques, ce sera le morceau le plus important du voyage. Veuillez agréer, etc. PIECES JUSTIFICATIVES. 163 Rade de Batavia, 18 juin 1839. Monsieur le Ministre, Depuis notre départ d’Amboine, depuis quatre mois environ, - un bonheur presque constant a présidé à toutes nos opérations, et nous avons pu exécuter une masse de travaux au moins dou- ble de celle que nous pouvions raisonnablement espérer; l’apercu rapide queje vais avoir l'honneur de vous en donner vous démon- trera que je n’exagère point. Le 18 février, nous avons quitté la rade d’Amboine, où nous avons été si généreusement accueillis, et je me dirigeai sur les îles Banda, autant pour avoir uneidée de ses fameuses plantations de muscadiers que pour saluer le gouverneur des Moluques, alors en tournée d'inspection dans ce petit archipel. Le 21, nous étions mouillés dans le joli canal qui sépare Banda-Bessar de Banda-Neïreï. M. le colonel-gouverneur de Stuers et M. le résident de Banda nous comblèrent de préve- nances et de politesses. Juste appréciateur des travaux de notre mission, le colonel de Stuers enrichit nos collections d’un beau douyong vivant et d’un animal voisin du Potorou , qui for- .mera peut-être le type d’un genre nouveau. En outre, il voulut bien lui-même, dans une charmante excursion, nous montrer les superbes plantations qui font la richesse de ces îles, et nous ex- pliquer, avecla plus grande complaisance, les manipulations di- verses que subit la muscade avant d’être expédiée pour la mé- tropole. | Avec d'aussi aimables hôtes, le temps fuyait avec rapidité. Pourtant je remis à la voile le 25 février. Ayant rallié la côte _S.E. de Ceram, nous en fimes la connaissance aussi bien que celle des îles Kessing, Ceram-Laut , Goram, Tenimbar, Mata- Bella, Mana-Wolka et Tosva, si vaguement configurées sur les meilleures cartes. Ensuite, poursuivant notre route à l’'E., nous attaquâmes les hautes terres de la Nouvelle-Guinée, près la pointe du S. O. et la prolongeâmes l’espace de quatre-vingts lieues environ, jusqu’à la rivière Outanata. Là, revenant au S., je me dirigeai vers le dé- troit de Torres, pour constater si la fin de la mousson d’O. me permettrait encore d’en effectuer le passage. 164 VOYAGE DANS L'OCEANIE. Mais, à mesure que j’avancais dans l’E., je vis le vent mollir et varier graduellement. Nous parvinmes pourtant jusqu’au cap Walsch, et nous le reconnûmes comme avait fait jadis Cook, à neufou dix milles de distance, quoique nous n’eussions plus que quelques pieds d’eau sous notre quille, puisque la sonde ne rap- portait plus que quatre brasses de fond. 1 IL est évident que les calmes et les brises variables que nous éprouvions annoncaient le reversement prochain de la mous- son. Je renonçai donc à pousser plus loin vers l'E., et m'ef- forçcai, sans plus de retard, de regagner dans l'O. le terrain que j'avais perdu. Durant près de quinze jours, il nous fallut lutter contre une série de grains violents, de sautes de vent’et de bourrasques fort ennuyeuses et fatigantes pour les équipages; mais j'eus bien sujet de me féliciter de la résolution que j'avais prise ; car il est fort douteux que les deux corvettes eussent pu échapper à leur perte, si nous eussions été engagés dans les récifs du détroit sous de pareils auspices. Enfin, le 27 mars, les deux corvettes purent s’amarrer ep par- faite sécurité au fond de la vaste baie de Raffles. Les Anglais fon- dèrent sur ce point, il y a quelques années, un établissement qu'ils abandonnèrent bientôt, et dont nous vimes les ruines. Bien qu’incessamment poursuivis et dévorés par les moustiques, les mouches et les fourmis, nous mimes tous à profit les huit jours que je consacrai à cettestation, et la masse entière des ob- servations et des matériaux eut beaucoup à gagner à cette relà- che, d'autant plus que jamais navire francais n'avait encore vi- sité cette portion de l'Australie. Deux jours après notre arrivée, à notre grande surprise, nous recûmes la visite d'une embarcation anglaise montée par des offi- ciers. Ceux-ci nous racontèrent qu'ils avaient appris notre pré- sence à Raffles-Bay par des Bouguis, occupés à pêcher le tripang, etajoutèrent que les Anglais venaient de fonder de nouveau,depuis six mois environ, un établissementau port Essinsion, à quelques lieues‘ dans l'O. de notre mouillage, sous la direction de M. le ca- pitaine de vaisseau Bremer. Je leur promis d’aller rendre une courte visite à leur gouverneur, si les vents me le permettaient. _ En effet, Le 6 avril, nous sortions de Raffles-Bay, et quelques heures après, nous laissâmes retomber l’ancre au fond du beau PIECES JUSTIFICATIVES. 165 bassin du port Essington, à trois milles environ de la cité nais- sante de Vittoria. Dès le jour suivant, j'allai rendre ma visite au capitaine Bre- mer, officier d’une aménité, d’une douceur de caractère et d’une noble simplicité de manières qui, dès le premier abord, prévien- nent singulièrement en sa faveur. Il parait animé d’un zèle si ar- dent et d’une volonté si ferme pour le succès de sa naissante co- lonie, et il a su sibien inspirer les mêmrs sentiments à tous ses subordonnés, qu'il sera bien démontré que l'Angleterre doit re- noncer à ce projet, si ce nouveau fondateur y échoue. Par son climat, par les localités, surtout par la nature de son sol, le port Essington est loin de présenter les avantages que les Anglais ont trouvés sur d’autres points de l'Australie, notamment au port Jackson, à Hobart-Fown , à King-George-Sound et même à Swan-River. Mais j'avoue franchement qu’un établissement dans ces parages, quel qu'il puisse être , sera un 'erand bienfait pour les navires destinés au passage du détroit de Torrès. Du moins, après cette épineuse navigation, ils pourront compter sur un lieu de ressources et de rafraîchissements, et, en cas desinistre, sur un asile et des secours assurés. Au demeurant, à juger par les travaux déjà exécutés, il m'a semblé qu’en six mois les marius et les soldats de la corvette l’Al/igator, affectée au service de cette colonie, ont bien mis leur temps à profit. Le 7 avril au matin, à mon retour, je recus à bord de l’4stro- labe le digne capitaine Bremer, et quelques-uns de ses officiers ; puis, après avoir pris congé l’un de l’autre aussi affectueusement que si nous eussions été de vieux amis, dès midi je cinglai au N. Comme je vous l’annonçai déjà par mon rapport d’Amboine, mon but désormais était d'utiliser de mon mieux le reste de la campagne, par des travaux divers dans les Moluques et dans les Philippines. À cette époque de l’année, vouloir rentrer dans l'Océanie en faisant le tour de la Nouvelle-Hollande, c'eût été employer, presque sans aucun résultat, le reste du voyage. En effet, il eût fallu compter sur deux mois environ pour atteindre Hobart- Town, puis sur deux autres mois pour cette relâche et la navigation de la Nouvelle-Zélande, où je me serais trouvé en plein Hiver, et par conséquent dans l’impossibilité de rien faire de bon, ni pour l'hydrographie, ni pour l'histoire naturelle. 166 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Qu'on ajoute à cela deux autres mois pour rallier quelqu'un des archipels de la Polynésie, et voilà six mois d'écoulés sans autre résultat qu’un espace immense de mer sillonné sans fruit. Par la voie nouvelle que je me proposai de suivre, à chaque pas des mines fécondes en tout genre à exploiter s’offrant à mes regards, ne me laissaient que l'embarras du choix et le regret de ne pouvoir les aborder toutes. L’événement a encore dépassé mes espérances, Grâce à un heureux concours de circonstances, en trois mois j'ai pu enrichir l'expédition d’une masse de faits, de matériaux et d'observations, qui seule surpasse déjà tout ce que je pouvais attendre pour le reste du voyage, en suivant l’autre route. Puis, un avenir tout entier de sixou huit mois est encore là pour ajouter à toutes ces acquisitions. : Du 12 avril au 21 du même mois, nous fimes l'exploration complète de toute la bande occidentale du groupe des îles Arrou, si peu connues jusqu'à présent, et dont le tracé sur les cartes était tout à fait incorrect. Nous passâmes, en outre, trois jours au mouillage du havre Dobo, entre les îles Æ/”ama et Wokan, temps qui fut bien fructueusement employé de toutes manières. Nous eûmes des relations journalières et amicales avec les natu- rels de ces îles, ainsi qu'avec une horde nombreuse et indus- trieuse de Bouguis de Mankassar, temporairement établis à Dobo pour leur commerce. Sur la point S. de Wokan, je retrouvai et visitai avec intérêt les ruines de l'aucien fort hollandais et des édifices qui l’entou- raient. Par leur nature et leur étendue, ces ruines attestent que l'établissement avait dû être assez important. Mais aujourd'hui murs, remparts, tombeaux, fontaines, tout commence à dispa- raître sous un voile épais d'herbes, de lianes et de plantes para- sites qui envahissent avec rapidité le sol naguère occupé par l'homme. Pourtant, il y a quarante ans au plus que ce painié est complétement abandonné. Le 22, nous reparûmes sur la côte méridionale de la Nouvelle- Guinée pour combler quelques lacunes que les vents contraires et les brumes m'avaient contraint de laisser dans notre travail du mois précédent. Cette fois, d’ailleurs, je pus conduire les deux corvettes au fond de l'immense baie Triton, devant le lieu même où les Hollandais tentèrent récemment un établissement, qu'ils PIÈCES JUSTIFICATIVES. 167 ont éva£ué, il y a trois ans environ. Car c’est bien ici devant les îles Arrou, près de l’île /essels, et non pas à la rivière Dourga, comme on l'avait écrit ; qu'avait été placé le fort Dubus. Sur le littoral, un espace triangulaire dans la forêt, un peu plus dégagé, indiquait seul de loin à nos regards curieux le lieu où fut la co- lonie, De près une petite jetée, un four en maçonnerie et quel- ques morceaux de palissades à demi-carbonisés sont les seules traces matérielles du travail des hommes. Une végétation d'une incroyable activité se hâte de recouvrir les lieux qui furent dé- frichés, et déjà sur plusieurs points des arbres ont pu s'élever de 20 à 25 pieds , dans le court espace de trois années. Sauf Les bords marécageux de la rivière, tout lesol qui environne la baie Triton est montueux, et recouvert de forêts si épaisses et souvent si enlacées, que la promenade est loin d’y être facile ni agréable. Néanmoins, le court espace de temps qui fut donné à celte relâche enrichit notablement le domaine de l'histoire natu- relle, et les plans levés seront d’un hautintérêt pour la navigation. Le 30 avril, nous quittâmes la baie Triton. Le jour suivant, nous explorâmes une baie spacieuse qui lui est presque contiguë dans l’ouest, et qui était complétement inconnue avant nous. Puis, favorisés par une belle brise, nous fimes la reconnaissance détaillée de toute la partie de la Nouvelle-Guinée comprise entre la pointe S.-O. et l'entrée du canal de Macluer. Cette partie de côte est très-accidentée, et se découpe en vastes enfoncements, où doivent exister des mouillages admirables, Ce sera une belle mine à exploiter pour la mission qui aura pour but spécial la géogra- phie de cette grande terre. Quant à moi, jaloux de mettre à pro- it un bon vent, afin de remplir avec honneur le cadre plus large et, à mon avis, bien autrement glorieux, qui avait été mis à ma disposition, je me hâtai de gouverner sur la belle île de Ce- ram, et, le 6 mai, nous mouillâmes pee de la pointe orientale, dite la baie de /arou, où nous PA trois jours qui furent bien mis à profit. Puis nous tracèmes en détail toute la côte septentrionale de la longue île de Ceram jusqu’au détroit. de Bourou ; la côte septen- trionale de Bourou fut également relevée , ainsi que la partie du S. de Bouton ; enfin toute la portion méridionale de Cé/ébes, de- puis Salayer jusqu'à Mankassar. En passant, je dois faire obser- 168 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. ver que jusqu’à nous aucune de ces terres n'avait été régulière- ment tracée. Enfin, le 22 mai, nous mouillâmes sur la jolie rade de Man- kassar, où nous passâmes cinq jours, temps rigoureusement né- cessaire pour régler nos chronomètres. Les attentions deM. Bous- quet, gouverneur de Célèbes, et de son aimable dame, ont con- tribué à nous rendre ce séjour agréable, en même temps qu'il a. offert de nouvelles récoltes à l'expédition. Jamaisnavire de guerre français n'avait encore paru sur la rade de Mankassar, et nous serons les premiers à en donner un plan détaillé, ainsi que des passes qui y conduisent. Sans doute, Monsieur le Ministre, vous admirerez comme jé le fais moi-même, dans chacune de nos rélâches, la bienveillance soutenue, les prévenances, les généreux procédés que nous té- moignent les autorités hollandaises dans tous les lieux où nous nous présentons ; mais je dois vous apprendre qu’indépendam- ment de leurs dispositions naturellement bienveillantes, il est en- core un autre motif qui les porte à redoubler de soins et d'égards pour notre mission. Je le dois à l'avantage de pouvoir mettre sous leurs yeux les magnifiques atlas de la dernière expédition del 4s- trolabe. La vue de ces grands travaux, publiés d’une manière si splendide, excite sans cesse leur admiration. Toussont obligés de convenir que la nation capable de produire d'aussi beaux monu- ments et de les livrer franchement au publie , sans arrière-pensée de mystère ou d'intérêt privé, est une pation vraiment gr ande et libérale. C’est un aveu même que sont obligés de faire Lis Anglais éclairés, d’ailleurs si entichés de leurs préjugés exclusifs en fa- veur de leur nation. Ils n'ont rien de semblable à présenter. De là pour eux, cette lutte de prévenances en notre faveur, cet heu- reux empressement à nous procurer les moyens de succès que nous pouvons souhaiter , en un mot, cet honorable désir de de coopérer, autant que leur position le permet, à une entreprise consacrée au bien général de l'humanité, aux progrès communs «le toutes les connaissances, bien plutôt qu'à aucune considéra- tion de politique ou d'intérêt national. Le 29 mai, nous quittâmes Maukassar ; nous détermiuâmes plusieurs des îlots et dangereux bas-fonds situés entre Célcbes et Bornéo, où nous mouillâmes le 1°" juin, devant le cap Salatan, PIÈCES JUSTIFICATIVES. 169 pointe S. de cette île immense. Dans la journée du 2, les deux grands canots furent expédiés à la côte, avec les naturalistes et plusieurs officiers ; ils y pas èrent la journée entière. Nos vivres tiraient vers leur fin; aussi, dès le 3, je remis à la voile et gouvernai directement sur RuliKa; où j'ai mouillé le 8 dans l'après-midi. … Vous vous étonnerez peut-être, Monsieur le Ministre, qu'après une navigation continue de plus de cinq mois au travers des Mo- _Jluques, après avoir fréquenté plusieurs contrées réputées mal- saines, comme la Nouvelle-Guinée, Arrou, Ceram, Mankassar, surtout après les travaux prodigieux exécutés à l'ancre comme à la voile, nos deux équipages aient pu arriver à Batavia en bonne santé. C’est pourtant ce qui a eu lieu : sur les deux corvettes, pas un homme n’est porté sur la liste du médecin ; tous sont gais, contents et porteurs de figures de prospérité. Puisse cela conti- nuer let, nonobstant les grandes opérations que je médite en- core, je me flatte de l'espoir que’ tous reverront, sains et saufs, leur patrie dans quinze mois environ. J'ai pu me procurer ici, par la maison Lagnicr et Borell, et à des prix modérés, tous les vivres dont nous avions besoin, c’est- ä-dire biscuit, farine, vin , arack, légumes et autres objets de moindre impor tance. Aussi nos dépenses sont-elles encore fort modiques. Je compte remettre à la voile le 19 juin, m’engager dans les détroïits de Banka et Durion, passer quatre ou cinq jours à Sin- gapour, où je m'acquitterai de votre commission près de M le président de la chambre de commerce. Jeme dirigerai ensuite sur Sambas , de là sur Sambouangan. Alors ma navigation sera su- bordonnée à l’époque où je pourrai y arriver; si le temps me le permet encore, je rentrerai dans l'océan Pacifique pour y opérer de nouvelles reconnaissances ; sinon j'irai passer quelques jours à Maville, et peut-être à Macao, et m’en reviendrai avec la mous- son du N: E. Dans ce dernier cas, la campagne pourrait être abrégée de deux ou trois mois; dans l’autre, elle embrassera le laps de temps complet de trois années, sur lequel j'avais toujours compté en partant de France. 4 Les officiers et les équipages des deux corvettes continuent à faire leur devoir. Mais la voix de la justice et de la vérité me force à citer particulièr ement les noms suivants : d’abord mon excel- 170 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. lent, fidèle et vieux compagnon, le capitaine Jacquinot ; MM, Du- bouzet, de Montravel, Lafarge et Marescot, Loujours animés du même zèle pour la campagne, de la même confiance envers leur # chef, l’infatigable M. Dumoulin, dont l’activité nes "est pas un mo- ment de , et MM. les chirurgiens naturalistes, qui pour- suivent avec une rare constance leurs estimables travaux. Rade de Sincapour, Astrolabe , 1er juillet 1839, Monsieur le Ministre, L'expédition a quitté Batavia le 19 juin, comme elle y est ar rivée sans compter un seul malade dans les deux équipages; nous avons fait la géographie suivie et complète des détroits de Ban- ka, Durion et Singapour, sondant tous les quarts-d'heure, et fixant ainsi d'une manière plus précise qu'on ne l'avait jamais fait, les positions des îles et les dangers épars sur cette route. Dans l’après-midi du 27 juin , nous avons mouillé sur la rade de Singapour, ou nous-avons recu l'accueil le plus honnête de la part de toutes les personnes honorables de cette intéressante co- lonie. Mais je doïs placer au premier rang M. Baleister, chez le- quel j'ai trouvé l'hospitalité la plus franche et la plus cordiale, et dont l'utile et instructive conversation m'a fourni les plus pré- cieux renseignements, pour les recherches qui m’occupent d'une. manière plus particulière. Il m'est agréable de vous signaler d’une manière toute spéciale , le nom de ce fonctionnaire qui en. avait déjà agi avec un pareil empressement envers les navigateurs de l’Artémise , lors de leurs passage à Singapour. Je me suis acquitté de votre commission, M. le Ministre, près le président de la chambre de commerce de, Singapour, A dé- faut d’autres documents positifs , je lui ai offert de votre part, un« des deux exemplaires dé la collection des Annales maritimes dont F vous aviez gratifié l'expédition , en lui promettant la suite des numéros postérieurs au mois de juin 'iE M. Johnston à à paru. 4 extrêmement sensible à cette offre, et m'a prié de vous en témoi-. gner toute sa reconnaissance. L a En l'absence d'aucun agent français sur Lis place de Singapour, - < LL ÿ l'A À LA 2 : PIÈCES JUSTIFICATIVES. 171 il m'a semblé qu’il était demon devoir de porter à votre connais- sance l'événement suivant, tel qu’il est rapporté dans la dernière gazette de cette place. (Cette narration a été reproduite dans le tome VIT). J'ajouterai, M. le Ministre, qu'il m'a été impossible d'obtenir, sur cette triste catastrophe, des renseignements plus précis, plus détaillés que ceux de la gazette, ; si le port de Rigas se fût trouvé peu éloigné de ma route, j'aurais été moi-même en chercher sur les lieux, et voir s’il y aurait eu moyen d'obtenir quelque satisfac- tion des naturels : mais pour cela il eût fallu renoncer définitive- ment à la suite de nos opérations, je n'ai pas cru convenable de le faire, d'autant plus, que tout ce que j'aurais pu obtenir, m’a- t-on dit ici, eût été de brûler les cases des naturels de Rigas, comme ont fait les navires américains et anglais, qui ont voulu dernièrement venger sur leurs auteurs de pareïls forfaits : les naturels s'échappent dans les forêts, et reviennent dès que les pavires ont mis à la voile. : Nous quitterons demain Singapour 5 nous nous dirigerons sur Bornéo que nous visiterons près de Sambas, puis ; si le vent me favorise, je passerai à .So0/00. On nous a dit ici que le sultan de ces îles avait expédié, vers le Roï des Français , des ambassadeurs qui ont dû passer par ici il y a peu de temps. Je saurai si cela est vrai, et dans tous les cas, je croirai aller au-devant de vos in- tentions , en faisant à ce prince indépendant, des présents et des avances de politesse dont les suites pourraient être avantageuses pour notre commerce et lui présenter de nouveaux débouchés ; car soyez bien persuadé, M. le Ministre, que je ne perds jamais Voccasion de concourir à ce but d'utilité positive, tout en rem- plissant le mandat purement scientifique de notre mission. Veuillez agréer , etc. 3 Samboangan , île Mindanao, Astrolabe , le 4 août 1839. Monsieur le Ministre, Avant de lancer une seconde fois nos deux navires au travers de l'Océanie, j'ai voulu donner encore quelques détails sur le 172 = VOYAGE DANS L'OCÉANIE. reste de nos opérations au travers des îles de pue « Indien. Nous quittâämes Singapour le 2 juillet, PERS entre la pointe de Romanie et Pedro-Branco, puis, gouvernâmes directe- ment sur Bornéo après avoir reconnu les Anan:bas du Sud, Les îles Victory, Saddle et Sambilan; le 8 juillet, vers midi, je mouillai en pleine côte, par quatre brasses et demie, à quatre. milles environ de l'embouchure de la rivière de Sambas. Les naturalistes , l'ingénieur et quelques officiers furent sur- le-champ ado à terre pour reconnaître le cours du fleuve. © I leur fut démontré qu'il était impossible d'y faire entrer les _corvelles ; aussi, dès le jour suivant au lever du soleil, je m'em- pressai de quitter ce mouillage nullement sûr avec la mousson d'ouest ; et bien m'en prit, car deux heures après il survint des rafales d’une violence extrême, qui auraient pu nous causer des inquiétudes graves , si nous les eussions reçues au mouillage. Nous passâmes ensuite entre les Natunas du Sud et la côte de Bornéo,remontâmes au N.E., nous subimesla queued’un typhon par la latitude de 6 à 7 degrés N.; et dans la journée du 10, nous prolongeämes, à petites distances, lesîles Balambangan, Banguey, Mangsee, Cagayan-Soto dont nous fimes la sivsnaghiie Le 20, nous attaquâmes de vaste archipel de Solo, près du groupe Tawr- Tawi, et le 21, dans l'après-midi, nous mouillâmes devant la ville de Soos, résidence du sultan , chef de toutes ces îles. J'ai déjà eu l'honneur de vous prévenir, M. le Ministre, qu’à Singapour , j'avais appris que ce prince indien avait dû écrire, il y avait un an environ, au Roi des Français, pour l'inviter à envoyer dans son île des navires de commerce, leur promettant sécurité et protection contre les nombreux pirates qui relèvent de son autorité. En lui faisant une courte visite. mon but était de le fortifier dans ces intentions bicnveillantes, et en même temps de m ’enquérir des ressources que notre commerce pour ait retirer de cette nouvelle issue pour ses produits. F2 : En conséquence, dès Le 22 au matin, après l'avoir fait prévenir par un officier, M. le capitaine Jacquinot et moi pie de la plupart des officiers de l'expédition et d’une escorte de 24 ma rins armés , nous allâmes lui faire une visite officielle: nous vis" mes bientôt que le premier effet de cette démarche de notre party fut de frapper de terreur et d'inquiétude toute cette population ” PIÈCES JUSTIFICATIVES. 173 le sultan lui-même semblait en proieaux plus vives appréhensions. Malgré les cadeaux assez généreux que je lui fis, malgré mes pro- testations amicales , durant toute l’entrevue , il sembla inquiet et très-mal à son aise: son premier ministre, Datou-Molou, homme d’un caractère plus décidé, d’un esprit plus souple et qui parais- sait avoir eu de plus fréquents rapports avec les Européens, se rassura mieux, et ne tarda pas à répondre d’une manière assez convenable à mes questions. Il avoua qu'il avait, en effet, écrit au Roi des Français, ainsi que le sultan, déclarant qu'il désirait voir les Français à Solo, promettant qu'ils y seraient reçus avec considération et amitié, sans avoir rien à redouter de la part des forbans. Alors, je m'informai de la qualité des produits'qu'ils aimeraient à recevoir de la France, comme de ceux qu'ils pourraient offrir à nos navires : on me répondit que tous les objets de France seraient bien venus, surtout les étoffes, les meubles, les armes, les instru- ments , etc. ; et que les Francais trouveraient en échange, de la nacre, des perles, de l’écaille du tripang et des nids d’hiron- delle, etc. , etc. Eu égard à la nature de tous ces produits de re- tour, et au petit nombre des individus qui pourraient acheter et payer en numéraire, il estévident que de semblables spéculations w'offriraient à nos navires que des chances bien précaires et encore plus bornées. Ce genre de trafic ou plutôt de brocantage, ne peut guère convenir qu'aux navires espagnols de Manille, qui sont en majeure parte ou presqu’en totalité armés de naturels des Philip- pinesou de Mindanao, passent quatre ou cinq mois sur la rade de Solo, et s’en vont quand ils ont pu compléter leur cargaison , la vendre’sur les marchés de Canton et de Macao. Nonobstant sa bonne volonté apparente, le ministre Molou ne crut pas pouvoir nous autoriser à parcourir son île, ni même les environs de la ville, il se rabattit constamment sur les mau- vaises intentions des naturels de la montagne, qui nous tueraient infailliblement, sans égard pour les ordres du sultan ; cela est bien possible ; mais, d’un autre côté, je voyais facilement que les habitants et les chefs de la ville eux-mêmes, n’étaient pas encore parfaitement rassurés sur nos intentions. [ls nous prenaient pour des Hollandais venus pour tirer vengeance de quelques actes de piraterie, récemment exercés contre leurs navires par ces pirates. 174 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Alors nous rentrâmes sur nos navires, le capitaine Jacquinot. et moi n’en sortimes plus durant les trois jours que nous pas sèmes encore à Solo, plusieurs de nos ofliciers -allèrent cepen-« dant àfterre et furent bien accueillis par les Datou ou chefs. Déja® même ils paraissaient convaincus que nous n’étions pas Hollan-. : daïs, et semblaient disposés à à se confier à nous ; mais je ne jugeai pas que a ol valût une plus grande perte de temps pour l’ex-M ps ; j'avais à Pen près atteint le but ee me proposais en allant à Sob ; j'avais montré et fait connaître à ces peuples notre“ pavillon , et il y a lieu de penser qu'ils le respecteront en le re- voyant plus tard ; j'avais reconnu la nature des produits quel l'île pouvait fournir; enfin, j'avais fixé nos idées sur la puissance tant préconisée de ce roitelet de brigands, pompeusement dé- coré du titre de sultan, et dont les sujets ne lui obéissent à peu près qu'autant que cela leur convient. Le 25 au matin, ayant remis à la voile, nous terminämes, dans cette journée et les deux suivantes, un travail hydrogra- phique sur l'archipel Sob,qui aura d’autant plus d'intérêt, que tout ce qui existe sur ces parages est encore fort inexact. Le 28 au soir, j'ai mouillé sur la rade de Samboangan, prin- cipal établissement des espagnols sur la vaste île de Mindanao. J'ai consacré huit jours à cette station. M. Dumoulin y a exécuté une série complète de variations diurnes de l'aiguille aimantée, désirées par les physiciens. MM. les naturalistes ont exploité toutes les richesses que cette terre presque inconnue leur a offertes, nos montres ont été ré- glées, et l'équipage a joui de quelques jours de repos dont il avait besoin. Rien de plus aimable, de plus obligeant que l'accueil que nous avons reçu de M. le gouverneur de cette place, le Jieute- nant-colonel don Manuel Sanz et de M. le commandant de la marine, don Manuel de la Crux. Le 30 juillet j'ai passé l'inspection générale des équipages des’ deux corvettes placées sous mes ordres, et je vous adresse avec ce rapport les résultats de cette opération. Demain, 6 août, jeremettrai à la voile, je traverserai l’ Archipel des Carolines, je couperai, si je le puis, l'équateur par 160 degrés” longitude E.; je cinglerai au $., etje toucherai à #angaroa surw PIÈCES JUSTIFICATIVES. 475 la Nouvelle Zélande. Enfin, je compte me trouvrr, au mois de décembre prochain, à port Jackson. Agréez, etc. Rade de Samarang, Astrolabe , le 29 septembre 1839, \ Monsieur le Ministre, L'expédition quitta Sambéangan le 6 août au matin, ainsi que je vous l’annonçais , je me dirigeai vers. l’est pour rentrer dans l'Océanie, déjà j'eus quelques difficultés pour me rapprecher de la pointe sud de Mindanao ; mais une fois parvenus à ce point, au lieu des vents et des courants de l'O. à l'E. sur lesquels j'avais droit de compter à cette époque de l’année, je ne trouvai que des folles brisées de l’est, des calmes et surtout des courants très- violents qui me renvoyèrent en peu de jours fort loin dans l'ouest. | Je ne jugeai point à propros de perdre davantage un temps précieux dans une lutte aussi stérile que pénible dans ces brü- lants parages , et je me rabattis sur le détroit de Makassar; dans ce long canal notre navigation fut encore bien contrariée par les vents et les courants constamment contraires. Cependant en met- tant à profit les moindres déviations du vent, surtout en mouil- lant à propos presque tous les soirs ; le 18 septembre, dans la matinée, nous doublâmes la pointe S. E. de Bornéo, et le jour suivant , dans la soirée, nous primes de nouveau notre point de départ devant la pointe Salatan, pour les côtes de Java. Cette partie laborieuse de notre campagne aura valu à la navi- gation plus de 120 lieues des côtes de Bornéo, tracées dans le plus grand détail et sondées avec un grand soin. Deux excur- sions à terre ont aussi produit à l’histoire naturelle des objets intéressants, J'ai mouillé à Samarang le 24 septembre, et je compte en re- partir le 30 septembre au matin, je franchirai le détroit de la Sonde, passerai peut-être deux ou trois jours sur un point de Sumatra, puis conduirai directement l'expédition à Æobart- Town où je compte me trouver sous deux mois environ, et par consé- quent dans été de l'hémisphère austral. 176 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. ; Ca es La veille de notre départ de Samboangan nous eûmes la dou - leur de perdre l’un de nos meilleurs matelots, nommé Avril. Il avait recu à l’arrivée, dans le tr avail de la manœuvre, une Jégère blessure qui semblait à peu près guerric, quand il fut tout à coup saisi d'une attaque de tétanos qui l'enleva en vingt-quatre heures, malgré tous les soins des médecins. Ce brave homme, que cha- cun à bord aimait et estimait, laisse une femme et deux en- fauts en bas à age ; qui mériteront certainement toute votre sol- licitude. Aujourd'hui tout le monde se porte bien, excepté l'élève de première classe, M. Laifond, atteint d’une maladie chronique, pour laquellele médecin juge le repos et le séjour à terre indispen- sables pour son traitement. En conséquence, j'ai pris le parti de le renvoyer en France par le navire de commerce le Bombay, capi- taine Gaubil, qui mettra incessament à la voile pour Bordeaux. Veuillez agréer, etc. | Rade de Batavia, le 4 octobre 1839. Je viens de mouiller sur la rade de Batavia, ou je vais essayer de me procurer du vin pour les équipages, certain qu'il y sera à meilleur prix qu'à Hobart-Town; s’il n’y en a pas sur la place, ec que je crains fort, d’après ce qu’on m'a dit à Samarang, des demain je remettrai sous voiles pour continuer ma route. . .... Corvette l'Asirolabe , Hobart-Town , le 15 décembre 1839. Monsieur le Ministre, Si la fortune nous a servi au delà de nos plus vives espérances, durant près de huit mois, pour l'exécution des immenses travaux que nous venons d'accomplir dans les archipels des Moluques , de la Sonde et des Philippines, en retour elle nous a fait payer chèrement ses faveurs dans notre dernière traversée. Heureux d’avoir pu échapper, dans nos diverses relâches ct même à Batavia, aux maladies si fréquentes et si meurtrières de » PIÈCES JUSTIFICATIVES. 177 ces parages ; jaloux surtout de conserver un aussi précieux avan< tage , à mon arrivée à Samarang, contre ma coutume, j'avais consigné nos deux équipages sur leurs navires, et les officiers avaient eu seuls la permission de communiquer avec la terre. Aussi quittâmes-nous cette rade avec deux ou trois malades seu - lement et en marche parfaite de convalescence. Durant les deux jours que je dus passer à Batavia pour re- cevoir le vin que j'avais demandé, le commis d'administration alla dans la ville pour régler les comptes avec le fournisseur ; nulle autre personne , pas même moi, ne bougea des corvettes, il y avait donc tout lieu d'espérer que nous quitterions ces con- -trées sous les meilleurs auspices. LRU Cependant, avant de leur dire un adieu définitif, je voulus remplir encore l’article de mes instructions qui me recommande de visiter au moins un port de la côte de Sumatra; nous avions reconnu une assez bonne étendue de sa côte orientale dans les détroits de Banka et de Duriou; mais le temps qui me talonnait alors , ne m'avait point permis de m'arrêter ailleurs qu'à Singa- pour; cette fois je choisis un point de la baie Lampoung, près de la rade de Rajah-Bassah. La nature du sol, l'aspect des lieux, la libre circulation de l'air dans une rade ouverte à tous les vents, repoussaient toute idée d'influence pernicieuse. Les collections d'histoire naturelle s’enrichissaient d'objets précieux, et chacun se félicitait des avantages de cette station; mais, dès le troisième jour, les rapports des médecins m'annoncaient que sur chäque corvette, trois ou quatre personnes offraient des symptômes de dyssenterie; bien qu'ils fussent loin d’être alarmants , à l'instant même, je donnai l'ordre de l’appareillage, les ancres furent levées et deux jours après nos bâtiments perdaïent de vue les côtes re- doutées de Java, pour cingler vers les parages tempérés de la Tasmanie. Tout en faisant des progrès, durant une quinzaine de jours , la maladie fut loin de nous inquiéter sur le sort de ceux qui en étaient atteints; mais, dans les derniers jours d'octobre, elle prit le caractère le plus sinistre et le plus rebelle à tous les efforts de la médecine. Enfin, nous eûmes la douleur de perdre dix-sept personnes de l'expédition, savoir : onze sur la Zélée et six sur l’Astrolabe ; dans ce nombre se trouvent trois officiers, sa- voir : MM. Marescot, Lafarge et Gourdin ; je regrette bien vive- x. A2 178 VOYAGE DANS L’'OCÉANIE. ment surtout les deux premiers, sujets d’un vrai mérite et qui avaient conservé le zèle le plus louable pour la mission pénible, mais glorieuse, à laquelle ils avaient voué leur existence. Vous pourrez vous rappeler, Monsieur le Ministre, que de Taïti et depuis lors à diverses reprises, je vous avais demandé le grade de lieutenant de vaisseau pour M. Marescot, et j'allais vous faire la même proposition en faveur du digne et infortuné Lafarge. Dans les premiers jours de décembre, la fureur du fléau s'a- paisa ; mais nous conseryâmes une vingtaine de malades, dont plusieurs encore gravement atteints : en arrivant à Hobart-Towr, ils ont été sur-le-champ envoyés à un hôpital installé à terre, où ils recevront les soins nécessaires à leur fâcheuse position ; l’état sanitaire de M. Goupil, dessinateur. de la mission, n’obligera peut-être à le renvoyer immédiatement en France ; heureusement, cette perte sera compensée par le travail du jeune Lebreton, dont je vous ai déjà entretenu , et qui m'a promis de redoubler de zèle et d’ardeur pour suppléer au vide laissé par le dessinateur en ütre. Je ne compte m'arrêter à Hobart-Town que le temps nécessaire pour les réparations de l’Æstrolabe, et rafraîchir un peu son équi- page. Mais les pertes que nous avons essuyées, le nombre de ma- lades déposés à terre, me forcent à modifier mes projets. Le capi- taine Jacquinot, malgré qu’il lui en coûte de se séparer de moi, même pour un court espace de temps, va rester ici avec la Zélée le temps nécessaire au rétablissement des malades. Pour moi, après une relâche de vingt jours au plus, et après avoir pris sur la Zélée sept ou huit hommes valides, je vais remet- te à la voile et profiter de l'été austral pour pousser une nouvelle pointe et aller reconnaître le point d'arrêt de la banquise, sur le méridien dela Tasmanie. Dans ces parages oùnul navigateur, pas même Cook, nes’est avancé au-delà du 55° degré de latitude, il m'a semblé que ce serait un point de géographie important à ré- soudre que de fixer la limite des glaces, limite que nous avons vu régner si constamment dès les 63° et 64° degrés de latitude sud , entre les terres Louis-Philippe ct celles de Sandwich. Au reste, mon intention n’est nullement de séjourner cette fois dans ces parages rigoureux, je me replierai immédiatement verslenord, je visiterai, si le vent mele permet, les îles Macquarie * ro PIiECES JUSTIFICATIVES. 479 ou Auckland, puis j'irai reprendre la Zélée à la Baie des Iles de la _ Nouvelle-Zélande, fixée comme point de réunion ultérieure. De là, l'expédition effectuera son retour en France par l'est ou par l'ouest, suivant les circonstances et l’état des équipages. Selon toute probabilité, nos navires rentreront au port au mois de sep- tem br prochain. | Les comptes régulièrement expédiés en France, de chaque re- lâche, ont pu vous démontrer, Monsieur le Ministre, combien ontété modiques nos dépenses en pays étranger, avec quel soin nous avons ménagé les vivres, les agrès, les voiles et toutes les ressources mises à notre disposition, en un mot, combien nous avons été avares des deniers de l'Etat. À moins de malheurs im-— prévus, j'espère toujours qu'à notre retour en France, les dé- penses occasionnées par notre mission dépasseront de bien peu celles qui auraient été indispensables pour le service ordinaire. Veuillez agréer, etc. | Hobart-Town, le 31 décembre 1839. Monsieur le Ministre, Dans la lettre que j'ai eu l'honneur de vous adresser, en date du 15 décembre, et qui a dû vous parvenir deux ou trois se- maines avant celle-ci, après vous avoir rendu compte des événe- ments de la campagne, depuis le départ de Samarang jusqu’à notre arrivée à Hobart- Town, je vous annonçais que mon inten- tion était de laisser la Zélée à Hobart-Town avec tous les ma- lades, tandis que je pousserais seul, avec l’Astrolabe, une pointe au sud. Contre mon attente, il nous a été possible de rencontrer quel- ques hommes, pour remplacer en partie les vides laissés dans nos équipages par les morts et les malades. M. le capitaine Jacquinot m'a promis d’être lui-même prêtàremettre à la voile pour l’époque que j'avais fixée, et il m’a témoigné tant de regrets d’être obligé de me quitter dans cette nouvelle phase de notre navigation, que j'ai fini par accepter sa compagnie. Une autre considération, bien puissante pour me décider, était la certitude que l'absence de la 180 -__ VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Zélée ne pourrait produire qu’un effet très-fâcheux sur le moral de nos matelots, accoutumés à voir, dans ce navire notre fidèle compagnon, un asile prêt à les recevoir et à les sauver en cas d'ac- cident. | Dans ce nouvel arrangement, je laisserai à l'hôpital de Hobart- Town les malades, probablement au nombre de quinze ou seize, encore trop faibles pour reprendre la mer, sous la surveillance mé- dicale et administrative de M. le docteur Hombron. A notre sortie des glaces, M. le capitaine Jacquinot viendra les reprendre à Ho- bart-Town, tandis que je continuerai nos opérations sur la Mou- velle- Zélande, et nous nous rejoindrons à la Bare-des-Iles au mois | de mars ou d’avril, pour nous diriger ensemble vers la France. Le gouverneur de V’an-Diemer’s-Land, sir John Franklin, et toutes les autorités de la colonie, nous ont comblés de politesses, et se sont empressés de fournir à tous nos besoins avec la plus parfaite obligeance. Mon projet de pousser une nouvelle pointe au sud, sur le méri- dien d'Hobart-Town, n'avait d'abord pour but que d'ajouter à tous nos travaux déjà accomplis un honorable supplément; mais ce que j'ai appris ici m'a prouvé que cette tentative était presque une obligation. L'expédition américaine qui se trouve en ce mo- ment à Sydney, l'expédition de James Ross, qui va arriver inces_ samment ici, poursuivent avec ardeur le même but, et chacun ne pense qu'aux progrès possibles vers les régions antarctiques. Dans un pareil mouvement des esprits, il eût été ficheux qu’une expé- dition française eût été obligée de se tenir en arrière. Reste à sa- voir jusqu’à quel point la fortune va nous favoriser dans cette nouvelle tentative. J'ai l'honneur de vous adresser les calques de deux cartes, con- tenant nos opérations sur la côte S. O. de ja ‘Nouvelle-Guinée et sur la côte S. E. de Bornéo. , Comme ce sont deux morceaux importants de géographie, j'ai désiré les assurer contre toutes les chances de malheur, et je se- rai bien aise qu'il leur soit donné de la publicité dans le Bulletin de la Société de géographie et dans les Ænnales maritimes. PIECES JUSTIFICATIVES. 181 19 février 1840, Hobart-Town, Astrolabeu] Monsieur le Ministre, Il n’y a que deux jours que je suis de retour à Hobart-Town, et je m'empressse de vous transmettre les résultats de notre se- conde excursion dans les régions polaires du sud. Ces résultats, je l'espère, seront de nature à exciter l'intérêt général ; ‘ils devront surtout être favorablement accueillis par le roi, qui, lui-même, dirigea mes efforts vers les parages antarctiques. Pour répondre à son attente, il verra que, malgré les fatigues, les dangers et le terrible fléau qui accompagnèrent ma première tentative, j'ai pris sur moi d’en hasarder une seconde, sur un point du globe préci- sément opposé à celui qui m'avait été indiqué. Deux considéra- tions puissantes me poussaient dans cette direction : d’abord le champ était complétement vierge , puisque aucun navigateur n’y avait jamais pénétré au-delà dû 59° degré; ensuite, dates le petit nombre de déclinaisons de l'aiguille aimantée jusqu'alors observées dans des latitudes bien: moins élevées, les physiciens avaient été conduits à placer le pôle magnétique austral dans ces parages. Mon unique regret était d’avoir affaire à des équipages fatigués par vingt-huit mois de la navigation la plus active qui aït jamais été accomplie, et de plus, tout récemment décimés par l’affreuse dyssenterie ; cependant je savais qu’ils avaient confiance en mon étoile, Dans les états-majors, à travers l’ennui général, quelques personnes, encore animées du feu sacré, souhaitaient presque aussi ardemment que moi de voir cette nouvelle pointe s’accom- plir, et m'invitaient à cette tentative. Enfin la concurrence des capitaines anglais Ross et américain Wilkes, acheva de me décider. Je ne songeai qu'aux précautions nécessaires pour rendre cette nouvelle épreuve moins fatale que la première à nos marins, et le succès le plus complet a couronné les mesures que j'ai prises. Nous appareillâmes d’Hobart- Town le 1° janvier au matin ; mais le vent contraire me forca de laisser tomber l'ancre dans la rivière au bout de quelquesheures. Le 2, nous pûmes vider la Bare des Tempéles ; maïs nous fûmes encorequelques jours contrariés 182 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. par les calmes ou les folles brises. Nous ne fimes vraiment route que le 4, avec des vents qui ne cessèrent désormais de souffler entre l'O. N°O. et l'O. S. O. ; si bien que notre route put régulièrement valoir le S. {S. O., l’espace de plus de qua- tre cent cinquante lieues, sans dévier , d'une manière sen- sible. Dans la journée du 10 janvier, nous passâmes fort près de la position assignée aux îles Royal-Company, sans voir ni terre, ni aucun indice qui pût annoncer sa proximité. Depuis le 12 janvier, M. Dumoulin, toutes les fois que l'état de la mer le permit, observa l’inclinaison de l’aiguillé aimantée, qui continua de croître avec une régularité satisfaisante depuis 74 degrés jusqu’à 86 degrés environ, là où il nous fut défendu d’aller plus avant. En outre, je faisais observer ‘plusieurs fois”par jour par le chef de timonnerie Kosmann, sujet précieux par son zèle pour les observations et les calculs, les variations ; et les re- gistres de l'expédition en présenteront de nombreuses séries. La température décrut régulièrement etuniformément jusqu’au 15 janvier, où elle ne fut plus que de 2 degrés, tant à l'air qu’à la surface des eaux. Ce jour même, nous coupämes là route de Cook en 1773, et depuis ce moment nous nous trouvâmes sur un espace de mer que jamais aucun navire n’avaitsillonnéavant nous. Le jour suivant, au matin, par 60 degrés de latitude et 144 de- grés de lougitude, nous vimes la première glace, masse de 5o pieds de hauteur sur 200 d’étendue, débris informe et sans doute de puis longtemps travaillé et réduit par le frottement et l'agitation des flots. Désormais, nous en vimes régulièrement, chaque jour, quel- ques-unes, mais rares, clair-semées et, en général, de dimensions moyennes. Aussi notre navigation, eu égard à la disparition presque complète des nuits, fut peu pénible jusqu’au 17. Alors, par 62 et 63 degrés, les glaces devinrent nombreuses et offrirent des masses imposantes, plusieurs d’entre elles ayant 300 ou {oo toises d’étendue sur 100 ou 139 pieds de hauteur. Les grains de neige, devenus fréquents, réduisaient souvent notre horizon à 100 ou 200 toises de distance. Le jour suivant, on compta jusqu’à 60 grosses glaces tout autour de nous. Il fallut de nouveau user de la plus grande vigilance pour éviter d'aborder PIÈCES JUSTIFICATIVES. 183 aucune de ces redoutables masses, ou de se laisser entraîner sur elles par les courants dans les moments de calme. Le 19, au matin, par 65 degrés de latitude sud, le froid devint très-vif; la température des eaux était au-dessous de la glace fondante. Quelques pingouins se montrèrent autour du navire; et le soir, par 66 degrés environ, les glaces couvraient presque entièrement l'horizon tout autour de nous. Le vent était tombé, il faisait un calme profond, et nous ne pouvions plus manœuvrer les corvettes. Par bonheur, nous avions pu nous placer sur un espace un peu plus libre, entre deux chaînes de glaces énormes, et si rapprochées qu’elles nous abritaient parfaitement des grandes houles du large. à Nous avions été déjà plusieurs fois trompés par de fausses ap- parences de terre: aussi nous étions devenus, en général, fort difficileset même un peu incrédules sur ce chapitre ; néanmoins, dansla soirée, une longue ligne brune, basse, uniforme et régnant duS. à l'O.S. O., attira et fixa mon attention par sa permanence, comme la constance de sa teinte et de ses formes. Elle résista au coucher du soleil, à son absence et à son retour sur l'horizon. Dès lors je fus convaincu que la terre était sous mes veux, et il ne s'agissait plus que de nous en rapprocher suffisamment. J'y tenais d'autant plus que nombre de personnes ne partageaient pas ma conviction. Par malheur, la journée du 20, qui nous gratifia d’un ciel d’une pureté, d’une beauté bien surprenante pour ces climats, ne nous apporta pas un souffle de vent. Nous restämes à peu. près cloués en place, éprouvant le supplice de Tantale à la vue de cette terre qui excitait si vivement notreimpatiente curiosité. Nos joyeux matelots, qui n'avaient quitté la viande fraîche que depuis deux ou trois jours, et qui tous, sans exception, se por- taient à merveille, imaginèrent d'employer ce beau temps à une cérémonie de leur invention, analogue au baptême de la ligne. Cette fois, c'était le père Antarctique qui, à la tête de son cor- tége burlesque, venait nous ouvrir la porte de ses Etats, moyen- nant une initiation à laquelle chacun denous devait se soumettre. Je me prêtai de bonne grâce à ces facéties ; les officiers en firent autant ; ce fut une journée complète de fête et de réjouissances pour l'équipage de l'Astrolabe. 11 n’est pas besoin de dire que les - ,S 184 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. ablutions d’eau froide n’eurent pas lieu comme au baptème de la ligne ; la température était loin d'y convier les acteurs : maïsils s'en dédommagèrent copieusement par des ablutions intérieures d’un autre liquide plus réchauffant. Cependant toutse passa par- faitement bien, etil n’y eut aucun désordre. { Le 21, dès une heure du matin, je profitai d’une jolie petite brise du S. E., pour cingler au S. S. O. vers la terre. Pour y par. venir, nous avions à traverser une chaîne immense de grosses glaces en forme de tables et des plus fortes dimensions. Je cher- chais des yeux le canal le plus ouvert et le moins périlleux. De deux à six heures, nos corvettes défilèrent tranquillement dans ces détroits de nouvelle espèce. Quelquelois les canaux n’offraient pas plus de deux ou trois câbles de largeur, et alors nos navires semblaient ensevelis sous ces resplendissantes murailles de 100 à 150 pieds de hauteur verticale, dont la masse énorme semblait prête à nous anéantir. Puis, le canal s’ouvrant tout à coup, nous passions subitement dans des bassins plus spacieux , environnés de glaces aux formes bizarres et fantastiques, qui présentaient le spectacle le plus merveilleux, et rappelaient involontairement ces palais de cristal et de diamants jadis si communs dans les contes de fées. F Un ciel pur, un temps délicieux, une brise à souhait, nous servirent admirablement dans cette audacieuse navigation. Nous sortimes enfin de ces canaux tortueux et resserrés, dont les hautes parois nous avaient longtemps dérobé la vue des terres, et nous nous trouvâmes sur un espace relativement dégagé, d’où nous pûmes contempler la côte dans toute son étendue visible. Distante de nous alors d'environ 8 ou 10 milles, c'était un im- mense ruban de terre, s'étendant à perte de vue du S. $S. E. à l'O. S. O., haut de 200 à 300 toises, entièrement couvert deglace et de neige qui en avaient complétement nivelé la cime, tout en laissant sibeitél les ravines sur la pente des terres, ainsi que les baïes et les pointes au rivage. Tantôt ces glaces n'offraient qu'une nappe plane, uniforme, d’une blancheur terne et mono- tone ; tantôt leur surface était sillonnée , hachée, irouée, tour- mentée comme si elles avaient subi l'action d’une violente convul- sion ou d’un dégel subit et irrégulier dans ses eftets. Un grand nombre de montagnes de glace, récemment détachées de la côte, sé À PIÈCES JUSTIFICATIVES. 185 n'avaient pas encore eu le temps des’en éloigner; eten défendaient le plus souvent l'approche. -Cette solide barrière nous interdisait tout progrès vers le sud; mais le méridien sans déclinaison devait se trouver peu éloigné dans l’ouest. M. Dumoulin avait déjà observé près de 86 degrés d'inclinaison, et je pouvais essayer du moins d'approcher du pôle magnétique austral, autant que les terres me bn or D'ailleurs une ie petite brise de l'E. S. E. semblait sourire à ce projet. Je mis donc le cap à l’ouest, et nos corvettes défilèrent le long de la terre à 5 ou 6 milles de distance, saluées de temps en temps par le cri rauque des grotesques pingouins, auxquels nos matelots répondaient de leur mieux. A midi, d'excellentes observations donnèrent 66 degrés 30 minutes latitude sud, et 138 degrés 21 minutes longitude est. Toutes les boussoles des navires affo- laient d’une manière étrange, et sur l’Asérolabe il n’y eut que le compas renversé de ma dunette qui continuât de marquer la route avec une certaine précision. Notre nouvelle découverte s’étendait donc précisément sous le cercle polaire antarctique, puisqu'elle courait à peu pré E. etO. En outre, nous étions peu éloignés du pôle magnétique. A cinq heures du soir la brise fit place au calme, et j'en pro- fitai pour expédier MM. Dumoulin et Coupvent sur une très- grosse glace, à 2 milles de distance, afin d’y exécuter les observa- tions d’inclipaison, déclinaison et intensité magnétiques tout à leur aise. Ces opérations leur prirent trois heures entières , etils réntrèrent à bord à neuf heures trente minutes, très-satisfaits de leur station. Jusqu’alors nos yeux, armés de toutes les lunettes du bord, avaient interrogé minutieusement tous les accidents du sol, et n'avaient pu y saisir un seul point que la glace eût laissé à découvert. Malgré l’invraisemblance d’une glace compacte de 1500 pieds de hauteur, on eût pu conserver encore quelques doutes sur l'existence positive de la terre. D'ailleurs, je tenais infiniment à pouvoir offrir à nos géolog;: ues des échantillons de cette portion de notre globe, les premiers, sans aucun doute, nn été soumis aux regards des hommes. Enfin, vers cinq heures trente minutes, après diverses décep- tions occasionnées par les fausses annonces des hommes en vigie , 186 _ VOYAGE DANS L'OCÉANIE. M. Duroch attira mon attention sur des taches noires situées sur la partie même du rivage la plus rapprochée, partie qui nous avait été jusqu'alors masquée par une longue chaîne de glaces très-serrées qui régnait entre elle et nous. Après quelques ins- tants d’examen, je ne pus conserver ancun doute : c'étaient vrai- mentdesroches, effleurissant à la surface de la a neige, qui ifrappaient mes regards ; et sur ce point la glace avait laissé le sol à nu dans une certaine étendue. Un moment j'hésitai à envoyer des canots aussi loin des navires (près de six milles de distance) ; car je sa- vais combien les vents sont peu stables en ces parages et combien les brumes sont épaisses et fréquentes. C'était une idée affreuse pour moi d’être exposé à livrer à une perte inévitable, à une mort horrible , les équipages des deux embarcations , si des vents du large venaient me forcer à m’éloigner subitement de cette côte dan= gereuse. Toutefois, placant ma confiance en ma destinée, dans l'aspect séduisant du ciel, et craignant de ne plus retrouver une aussi belle occasion, j'expédiai un canot de chaque corvette vers ce point intéressant de la côte. MM. Duroch, Dumoutier et Le Breton s'embarquérent dans ma baleinière, et MM. Dubouzet et Leguillou dans la pirogue du capitaine Jacquinot. Le ciel nous fut favorable. Les matelots, qui partageaient eux-mêmes l’ardeur et l'enthousiasme de leurs offi- ciers, ramèrent avec une vigueur incroyable; et, dès onze heures de la nuit, les deux canots rentraient à bord, après avoir accompli leur rude et longue corvée. Les deux embarcations étaient chargées de cailloux arrachés à la roche vive : c’étaient des granites de teintes variées, plus ou moins battus par la lame. Ils rapportaient aussi quelques pingouins, qui me parurent d’une espèce différente de celles que nous avions observées dans notre première course aux glaces. Enfin M. Dumoutier me remit quel- ques fragments d’une grande fucacée, jetée par la lame sur la ro- che. Du reste, on n'avait observé aucune trace vivante d’être organisé, soit dans le AS animal, soit même dans le règne végétal. A l'aspect de ces roches , personne à bord ne conserva le moin- dre doute sur la nature de la haute et puissante barrière qui fermait la route de nos navires. Alors j'annonçai aux officiers ras- semblés en présence de l'équipage que cette terre porterait désor- Lan + PIECES JUSTIFICATIVES. 187 mais le nom de terre Adélie, Cette désignation est destinée à per- pétuer le souvenir de ma profonde reconnaissance pour la compagne dévouée qui a su par trois fois consentir à une sépara- tion longue et douloureuse, pour me permettre d'accomplir mes projets d'explorations lointaines. Ces pensées seules m’avaient poussé dans la carrière maritime depuis ma plus tendre enfance. De ma part, ce n'est donc qu'un acte de justice, une sorte de de- voir que j'accomplis, auquel chacun ne pourra s ‘empêcher de donner son approbation. Dans la nuit et la journée suivante (22 janvier), je conti- nuai de suivre la terre à deux lieues de distance avec une petite brise d’est. Le ciel était toujours beau, mais il faisait très-froid. Dans la nuit, le mercure était descendu de 5°,5 au-dessous de zéro , et en plein midi l’eau qui tombait sur le pont s’y congelait sur-le-champ à l'ombre. Le 23, je voulus continuer de prolonger la terre, qui s’éten- dait indéfiniment vers l’ouest ; mais, dès quatre heures du matin, les glaces se resserrèrent et, quand nous en fûmes assez près, nous reconnûmes qu’elles étaient soudées par une banquise qui semblait s'étendre de la terre vers le nord. En conséquence, je serrai le vent tribord, pour essayer de doubler cette barrière inattendue par l'est; mais au bout de chaque bordée elle se re- montrait bien tranchée, et paraissait nous envelopper des ses longs replis, Alors je n’eus plus d’ autre ressource que de louvoyer entre la terre et la banquise, pour me relever du triste cul-de-sac où je me - trouvais enfoncé. Vingt-quatre heures après , au bout de deux longues bordées , je virai encore sur le bord de la banquise, qui semblait toujours courir au N. E. , aussi loin que la vue pouvait s'étendre. Jusque-là , pourtant, ce n’était encore qu’une affaire de patience et de vigilance ; car après tout, dans des circonstances ordinaires, nous pouvions toujours espérer de sortir par le che- min où nous étions venus. Mais le temps, si constamment beau depuis quatre jours , changea subitement : le ciel se chargea de toutes parts, le vent fraîchit rapidement à l'E. S. E, , et dès midi il soufilait en coups de vent furieux, accompagnés de rafales vio- lentes. Ces rafales étaient chargées d’une neige épaisse qui se glaçait en tombant sur le pont et les agrès, et bornait le plus 188 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. souvent notre horizon à quelques longueurs de navire. Acculés, comme nous l’étions, entre la terre , d’une part, et la banquise sous le vent, obligés en outre de courir nos bordées au travers d’un espace parsemé de glaces, notre position devint des plus menaçantes. Je ne pouvais songer à garder une cape ordinaire sous petite voilure, sans tomber promptement et inévi- tablement dans les fatales banquises , où nous aurions été bientôt démolis; il fallut conserver de la toile assez pour soutenir les cor- vettes le plus longtemps possible et les empêcher de tomber sous le vent. Heureusement nos solides mâtures purent résister à ce rude assaut ; mais, à moins d’avoir passé par ces épreuves, il est difficile d'imaginer ce que nos équipages eurent à souffrir en cette circonstance. La moindre manœuvre exigeait pour son exé- cution le concours de tous les bras et entraînait les plus grandes difficultés, à cause de la glace qui roidissait les cordages et les empêchait de courir dans les poulies , revêtues elles-mêmes d’une croûte de verglas et de neige glacée. | Je vis que le froid, la fatigue et l'épuisement allaient bientôt me priver du secours précieux des bras des matelots , si je vou- lais tous les conserver sur le pont; aussi, malgré la gravité du moment, je les divisai en deux bordées , quise relevaient d'heure en heure. L'une des bordées se réchauffait autour de tous les feux allumés, et y séchait ses vêtements , trempés de neige et d’eau de mer, tandis que l’autre veillait sur le pont; mais toutes les deux se réunissaient pour chaque manœuvre à exécuter. Les officiers se relevaient aussi par bordées. Pour moi, abrité sous ma du- nette, mais l'œil constamment fixé sur les moindres variations du temps ou de la mer, je n’en bougeai point perdant toute la durée du coup de vent , et je donnai de là les ordres à exécuter à l'officier de quart. Nonobstant tous nos efforts et la voilure effrayante que nous portions, je m’apercus Pientôt que nous dérivions dans l’ouest , et que si le coup de vent durait plus de vingt-quatre heures, il nous restait bien peu de chances de salut. La position de la Zélée devint encore plus précaire, et me causa les plus vives inquiétudes. Malgré la fureur des rafales, maloré l'épaisseur de la neige, elle avait su se maintenir à trois ou qua- tre encâblures dans nos eaux ; elle avait même suivi notre vire- 1 2% PIÈCES JUSTIFICATIVES. 189 ment de bord près de la terre Adélie, quand , à six heures trente minutes, on me dit qu’elle carguait son grand hunier. Dans une pareille position, une avarie seule pouvait contraindre le capi- taine Jacquinot à diminuer de voiles, et je lui fs le signal de liberté de manœuvre, qu'il ne put voir; car au même instant, un tourbillon de neige plus épais que les précédents sépara définiti- vement les deux navires. Il n’y eut pas d'amélioration sensible dans notre position jus- qu'à minuit; mais, à partir de ce moment, le vent s’affaiblit par degrés, la mer s dotée, et l'horizon s’élargit jusqu’à un demi- mille, gclquehois © à un mille de distance. Dans la matinée du 2 nous pûmes augmenter de voiles , et l'espoir vint renaître au cœur de tous les habitants de l’Astrolabe. Malgré le mauvais temps qui régnait encore, nous continuâmes hardiment nos bordées pour nous élever au vent. | Les craintes mêmes qui nous tourmentaient sur le sort de no- tre conserve furent peu à peu dissipées. Dès cinq heures, la vi- sie crut l’entrevoir un moment, à six ou sept milles sous le vent à nous , peu loin des grandes îles de glace qui bordaïent la ban- quise ; à neuf heures trente minutes, quelques personnes crurent l'avoir vue très-clairement. Enfin , à six heures du soir, dans une longue bordée que nous poussions sur la terre, nous reconnûmes tout à coup et très-visiblement notre fidèle campagne cinglant sous toutes voiles pour nous rallier; car elle était tombée à près de sept ou huit milles sous le vent. Aussitôt, je laissai arriver tout plat sur elle, et deux heures après, les deux corvettes naviguaient paisiblement l’une près de l’autre , comme s’il n’était rien arrivé. En ce moment, mon cœur fut de d’un grand poids ; car) quelle que fût la satisfaction que m’eût causée la découverte de la terre Adélie, elle eût été à jamais empoisonnée par la perte de la Zélée, si une funeste catastrophe eût terminé sa carrière, ou même s'il m'avait fallu l’abandonner dans ces tristes parages. Dans la soirée, la mer s’embellit; il vint une petite brise de S. O., et je conçus un moment l'espoir de pouvoir suivre, cette fois, la terre du côté de l’est après avoir été si brusquement arrêté dans l’ouest. Toute la journée du 26 fut, en conséquence, employée à rallier la terre dont nous n’étions plus, le soir, qu’à trois ou quatre lieues , et à réparer les avaries souffertes dans le 190 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. dernier coup de vent. En douze heures , il avait fait plus de tort à nos voiles el à notre gréement que six mois de nos HAYIgAHIOns antérieures. | Le 27, dès minuit, le vent repassa à l'E.S. E., et fraîchit très- promptement , accompagné de rafales et de grains de neige. Nous étions en ce moment engagés entre deux chaînes de blocs énormes et très-rapprochés qui se comptaient par cent et deux cents. Cette position n’était pas agréable; aussi, renonçant à tous projets ultérieurs d'exploration sur cette portion de la terre Adé- lie, je m'empressai de porter au nord, sous toute la voile possi- ble, pour nous échapper du labyrinthe où nous étions engagés. Vers cinq heures, nous nous trouvâmes sur un espacé*où les glaces clair-semées nous permettaient du moins de naviguer avec moins de péril ; il était temps d’y arriver; car le vent souffla de nouveau à l’est avec une violence extrême, soulevant une mer très-dure, et nous enveloppant d’une neïge épaisse et continuelle qui nous masquait entièrement l'horizon. Cependant je laïssai successivement porter au N. N. O., N. O. et O. N. O., et même à l’ouest, afin de rallier au plus tôt le méri- dien sans déclinaison. Les fragments de glaces étaient nombreux sur notre route; mais nous ne vimes que quelques grosses glaces; la neige nous cachait les autres. Vers trois heures cinquante mi- nutes , nous tombâmes tout à coup au milieu d’un lit fort épais des mêmes glacons, qui nous fit juger que nous venions enfin de doubler, à une petite distance, la pointe nord de la fâcheuse banquise qui nous avait causé tant de soucis trois jours aupa- ravant. | Ce second coup de vent s’apaisa vers minuit, après avoir rendu la journée encore très-pénible pour l'équipage, à cause du froid, de la mer qui déferlait fréquemment sur le navire, et de la neige qui se glaçait en tombant sur toutes ses parties. Le 28 janvier, le vent souffla du S. au S. O. avec un ciel très- sombre et une neige continuelle qui ne cessa de borner notre vue à une très-courte distance. Pourtant je POESIE ma route à l'ouest. Dans la journée suivante, le vent repassa à l’est grand frais, par rafales, et chassant une neige plus épaisse que jamais, qui nous maintint dans l'ignorance complète de ce qui se trouvait autour de nous. Elle encombra la corvette , et il fallut la jeter à PIECES JUSTIFICATIVES. 1 191 la mer de temps en temps. Sur les trois heures de l'après-midi, le ciel s'éclaircit, mais l'horizon resta embrumé. Toutefois, je gouvernais au S. O. et, dès trois heures trente minutes, notre route fut barrée par une banquise flanquée de quelques gros gla- cons, et distante au plus de trois ou quatre milles. Sur les deux corvettes , quelques matelots crurent apercevoir des portions de terre au-delà de la banquise ; mais ce fait mérite confirmation : je suis presque sûr que la terre Adélie , dont nous avions tracé en- viron cent cinquante milles d’étendue, doit se prolonger jusque- là, mais trop loin dans le sud peut-être pour qu’elle pût être apercue du point de vue où nous étions. Le 30, à trois heures du matin, le vent fraîchit de nouveau à. l'est, il souffla avec une grande violence dès cinq heures et il: amena son cortége habituel de rafales, neige et grêle. Toutefois, l'horizon étant un peu moins borné, je piquai dans le S. O., filant six nœuds, au travers d’une mer très-grosse. À huit heures vingt minutes, la vigie signala la terre devant nous. D'abord simple ligue, basse, légère et confuse, elle s’é- claircit, se dessine peu à peu et présente enfin à nos yeux un spectacle nouveau. C’est une muraille de glace parfaitement ver- ticale sur ses bords et horizontale à sa cime, élevée de cent vingt à cent trente pieds au-dessus des flots. Pas la moindre irrésularité, pas la plus légère éminence ne rompit cette uniformité, dans les vingt lieues d’étendue qui furent tracées dans cette journée, bien que nous en ayons passé quelquefois à deux ou trois milles de distance, de manière à en saisir les moindres accidents. Ca et la, quelques grandes glaces gisent Le long de la glace compacte , mais en général la mer est presque libre au large, Ce jour, à midi, les observations donnèrent 64 degrés 30 minutes latitude sud, et 129 degrés 54 minutes longitude est. La sonde ne trouva pas le fond à cent soixante brasses. Touchant la nature de cette muraille énorme, les avis furent encore une fois partagés : les uns voulaient que ce ne fût qu’une masse de glace compacte et indépendante de toute terre ; les au- tres, et je partage cette opinion, soutenaient que cette formi- dable ceinture servait au moins d’enveloppe ou de croûte à une base solide soit terre, soit rochers, soit même bas-fonds épars en avant d’une grande terre. En cela , je me fonde toujours sur 192 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. le principe qu'aucune glace d’une grande étendue ne peut se for- mer en pleine mer, et qu'il lui faut toujours des points d'appui solides pour lui permettre de s ‘établir à poste fixe. Ainsi, dans les régions polaires arctiques, on voit, en hiver, de grandes étendues de.côtes entiérement ensevelies sous d’épaisses croûtes de glace; ainsi, même dans les régions septentrionales de la France, on voit après d’abondantes chutes de neige suivies d’une forte gelée, on voit, dis-je , les inégalités du sol s’effacer peu à peu, et sou-. vent disparaître complétement sous les couches de neige qui les recouvrent. Seulement, dans cette hypothèse, j'avoue qu'il est difficile de s'expliquer la parfaite uniformité des couches de glace qui formaient notre grande muraille. Je ne saurais admettre que des masses aussi gigantesques soient le produit d’une seule an- née, et l’on devrait ÿ distinguer l’apport des années successives par des couches plus ou moins inclinées à l'horizon. Quoi qu'il en soit, après avoir couru à l'O. S. O. l’espace de vingt lieues, cette falaise glacée prit tout à coup sa direction au S. O. Il était alors dix heures du soir; je continuai ma route au S. O., m'attendant à la retrouver au jour le lendemain matin. Mais le 31, à trois heures du matin, quoique j'eusse piqué au sud, nous ne trouvâmes à sa place qu’une formidable chaîne de grosses îles de glace; et plus loin, au S. O., nous retombâmes sur une véritable banquise qui régnait désormais aussi loin dans l'O. et le N. O. que la vue pouvait s'étendre du haut des mâts. La variation , de N. E. qu’elle était, était devenue N. O., et même assez forte. Nous avions donc dépanss dans ces journées tempêtueuses, le méridien où la déclinaison était nulie. MM. Du- moulin et Coupvent pensaient avoir recueilli des documents suf- fisants pour déterminer la position du pôle magnétique austral à moins d’un degré près, et ce pôle ne pouvait se trouver que sur la terre Adélie elle-même, ou du moins sur les glaces compactes qui l'accompagnent. Je jugeai donc que notre tâche était remplie. L’Astrolabe et la jug | P Zélée pouvaient se retirer de la lice, après avoir fourni pour leur part un contingent honorable à la géographie et à la physique. Sans contredit, il n’eût pas été impossible de pousser plus loin à ! ) P l’ouest, d'y tracer une plus grande étendue de la banquise, peut- être même d’y retrouver la terre; car je pense qu’elle environne P:ECES JUSTIFICATIVES. 193 la majeure partie du cercle polaire, et quelle finira presque tou- jours par se montrer aux yeux du navigateur assez heureux ou assez téméraire pour franchir les masses de glaces accumulées qui la ceignent d'ordinaire, pourvu toutefois qu'une banquise re- belle et insurmontable ne vienne pas frustrer tous ses efforts ; mais je pris en considération l’état des équipages, de celui de la Zélée surtout, bien plus faible encore que celui de l’Astrolabe. Je pensai qu'il y aurait de la cruauté à abuser de leur courage et de la confiance qu'ils m'avaient témoignée, en me suivant jus- qu'ici sans murmurer, si je voulais les entraîner à des périls sans cesse renaissants. Je réfléchis que des travaux importants et une longue navigation réclamaient encore leur concours et leurs forces pour huit mois au moins. Enfin, je puis l'avouer sans roupgir, j'étais moi-même très-fatigué du rude métier que je ve- nais de faire, et je doute fort que j’eusse pu y résister long- temps. Ainsi , le 4° février 18/40, par 65° 20” latitude S. et 1280 94’ longitude E:., je dis un adieu définitif à ces régions sauvages et je mis le cap au nord, pour rallier Hobart-Fown. J'avais pris le part de faire une seconde reläche dans cette colonie, afin de procurer quelques jours de repos et des rafraîchissements à nos marins avant de les conduire à de nouvelles fatigues. Certes , ils avaient bien mérité cette petite douceur, car il est impossible de déployer plus de courage, de résignation, et même d’abnégation et de mépris de la mort qu'ils ne Pont fait dans les monients les plus critiques. Notre retour s’accomplit sans difficultés et sans incident re- marquable. Les vents de l'est et du N. E. continuërent de nous contrarier durantquelques jours; mais ceux de l'ouest leur ayant succédé nous poussèrent rapidement vers Hobart-Town, où nous sommes arrivés le 17 février au soir. Les glaces nous ont suivis encore assez longtemps, et nous ayons vu la dernière par le parallèle de 57° de latitude S. : Dans cette courte, mais pénible et périlleuse campagne, tous les officiers , élèves et médecins des deux corvettes , sans excep- tion ; ont parfaitement fait leur devoir, et je n'ai que des éloges à donner à leur conduite. Cependant je dois signaler ici, d’une manière toute particu- lière, les noms des personnes qui, demeurées fidèles à leurs man _ x, 13 194 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. dats , n’ont cessé de me montrer le dévouement le plus absolu ; la confiance la plus honorable, et l'enthousiasme le plus soutenu pour les travaux glorieux qu’elles étaient appelées à partager Leur concours loyal, la certitude de mériter du moins leurs suffrages, ontseuls pu m raider à à m “élever au-dessus de bien des mécomptes; à persévérer dans mes pr ojets, enfin à assumer sur moi les terri- bles chances de ma dernière pointe au pôle. Je nommerai donc : 4° Mon excellent, vieux et fidèle compagnon, M: le capitaine ess attaché à ma bonne comme à ma mauvaise fortune, qui n’a pas voulu se séparer de moi POLE rester à Hobart-Town ; malgré mes offres et mes instances. Peu s’en est fallu qu'il ne soit devenu la victime de son dévouement. 2° Son digne second, M. le lieutenant de vaisseau Dubotisét ; qui à constamment réf ses fonctions de la manière la plus distinguée , sans proférer un murmure, sans exprimer un re- gret, en montrant toujours le plus bel exemple de on et d’obéis- sance à mes ordres. MM. de Montravel et Coupvent, qui ont toujours su conser- ver les sentiments généreux qui les avaient, dès le début, portés à partager les dangers de cette expédition, sentiments dont ils n’ont cessé de donner des preuves; ces deux officiers, par la cons- tance de leur zèle et de leur dévouement, m'ont souvent rappelé ceux qui m'avaient accompagné dans le premier voyage de l'45- trolabe. 3 Enfin, MM. Dumoulin et Dumoutier, toujours animés du même enthousiasme, de la même activité et du même dévoue- ment, dans toutes les circonstances possibies. Etrangers au corps spécial de la marine, tous deux ont offert un exemple admirable de ce que peuvent enfanter le courage ; le savoir et la ferme vo= lonté de concourir au progrès des sciences. Les matériaux que M. Dumoulin aura recueillis au profit de la physique et de l'hy- drographie, surpasseront tout ce que l’on pouvait attendre. M. Dumoutier, de son côté, n’a cessé de s'occuper avec assiduité de ses études anthropologiques. La collection des crânes et des moules en plâtre exécutés sur le vif, sera d’un intérêt puissant et entièrement neuf pour la physiologie. En outre, en l’absence de M. Hombron, demeuré à Hobart-Town pour indisposition , ainsi que M. Demas, M. Dumouter a dirigé à bord de l’Astrolabe ; PIÈCES JUSTIFICATLVES. 195 le service de santé, à ma parfaite satisfaction, et avec un tel suc- cès, qu’à son retour à Æobart- Town, cette corvette ne comptait pas un seul homme vraiment malade. J’aime aussi à rendre jus- tice à M. Duccrps , commis d'administration, jeune homme ins- truit, dévoué, et d’une excellente conduite. Il a toujours montré le meilleur esprit et n’a cesséde remplir ses fonctions de manière à mériter mon estime et men approbation. Tout me donne lieu d'espérer que MM. Dubouzet, de Mont- ravel ét Dumoulin ont déjà recu les faveurs que j'ai vivement sollicitées pour eux , savoir : M. Dubouzet le grade de capitaine _de corvette, M. de Montravel celui de lieutenant de vaisseau, et M. Dumoulin la croix de la Légion-d'Honneur. Aujourd'hui, je vous supplie, Monsieur le Ministre, de vouloir bien placer sous les yeux de Sa Majesté les demandes suivantes, savoir : Pour M. J acquinot, commandant la corvette la Zélée, le grade ‘ de capitaine de vaisseau. Vous connaissez tout le mérite de cet officier, et il en a donné de nouvelles et éclatantes preuves dans le commandement qu'il exerce depuis bientôt trois ans. Pour M. Coupvent, enseigne de vaisseau , le grade de lieute- nant de vaisseau. Cet officier promet à la marine un sujet distin- gué, si on ne laisse pas son ardeur s’éteindre dans les grades in- férieurs. Pour M. Ducorps , commis d'administration, un avancement dans son corps. C'est un sujet qui mérite de s'élever au-dessus de ses collègues, et sans son excessive modestie, probablement il serait déjà sorti de la foule où il végète. Pour M. Dumoutier, la décoration de la croix d'honneur. Ce serait une faible Ds de satisfaction pour tous les services “qu'il aura rendus à la mission, et pour la beile conduite qu’il n’a cessé de déployer. Je regrette vivement que sa position comme étranger à la marine, ne me permette point de demander da- vantage pour Jui. Cette décorationlui prouvera du moins que le ministère de la marine se plaît à honorer le mérite et à le faire valoir près du roi, même chez les sujets qui ne sont que tempo- rairement attachés à son département. Enfin, Monsieur le Ministre, j'ai cru pouvoir promettre à nos équipages, qu’en raison de nos derniers efforts, de nos derniers - 196" VOYAGE DANS L'OCÉANIE. succès, et surtout de leur excellente conduite, la prime qui leur avait été promise leur serait payée. Je suis persuadé que vous ac- quitterez ma promesse ; je suis même persuadé que s’il fallait pour cela une mesure législative , vous n’hésiteriez pas à la pro- poser aux chambres, qui sans doute y souscriront avec empres- sement. Qui sait même si ces chambres, étonnées de la modicité du chiffre, ne proposeront. pas de l'élever à un taux plus digne d’un grande nation? En effet, qu'est une chétive somme de douze à quinze mille francs à un gouvernement comme celui de la France, divisée entre cent trente personnes, DORE rémunérer tant de fatigues, de privations et de misères? Veuillez agréer, etc. Le rapport suivant, daté de Toulon, résumant toutes les opérations des corvettes l'A4strolabe et la Zélée, depuis leur départ d'Hobart-Town, j'ai jugé iuutile de reproduire les lettres adressées au Ministre, des mouil- lages de la Baie des Iles (Nouvelle-Zélande) et de Saint-Denis (Ile Bourbon), par le commandant de l'expédition. Rade de Toulon, Astrolabe, novembre 1840. Monsieur le Ministre. Cette lettre vous annonce l’heureuse arrivée des corvettes l45- trolabe et la Zélée sur la rade de Toulon, où nous avons mouillé le 6 novembre au soir. Comme il est probable que mon rapport de Bourbon ne vous sera pas encore parvenu, comme il est même douteux que celui de la Nouvelle-Zélande soit arrivé dans vos mains, je vais faire remonter le récit de nos opérations jusqu’à notre départ d'Ho- bart- Town, qui eut lieu le 25 février 18/0. 7 ESS Notre traversée de ce port aux îles Auckland fut plus longue PIECES JUSTIFICATIVES. 197 que je ne m'y attendais , eu égard aux vents faibles et variables que je rencontrai. Nous passâmes neuf jours aux îles Auckland, temps rigoureusement nécessaire pour les observations physiques de M. Dumoulin , devenues d’autant plus intéressantes qu’elles complétaient la série de toutes celles qu'il avait exécutées dans les régions antarctiques; le plan des îles et du hâvre fut levé par les officiers, tandis que les naturalistes étudiaient tous les règnes de la nature. Aussi, cette limite extrême des êtres organisés, dans cette partie du globe, sera désormais aussi bien décrite qu'elle était auparavant complétement inconnue. Delà je me dirigeai sur la Nouvelle-Zélande , que j'attaquai aux îles Snares ; ensuite, depuis le cap Sud jusqu'au détroit de Cook, toute la côte orientale fut reconnue. _ Vous m'ignorez pas, Monsieur Le Ministre, que c’est là le théä- tre où cinquante à soixante de nos navires baleiniers exercent chaque année leur estimable industrie. Notre travail leur sera d'autant plus utile, que nous avons visité le port d'Oéago et d’A- Faroa , leurs principaux endroits de relâche, et que nous avons levé le plan des deux hâvres. En l'absence du navire, spécialement chargé de leur protec- tion, l'apparition de nos deux corvettes a produit un bon effet, et je me suis empressé de rendre à nos compatriotes tous les services qui dépendaient de moi. À Otago, le capitaine du navire le Favre m'ayant représenté la faiblesse de son équipage, par suite de dé- sertions , j'ai mis à sa disposition deux matelots de bonne volonté, pris sur les deux corvettes. À Akaroa, le capitaine del’ Héva, était venu me voir à la mer, et m'avait demandé l’asistance d’une cha- loupe pour lui porter une ancre dans une baïe voisine; celle de l’Astrolele fut immédiatement expédiée pour cet objet. Au détroit de Cook finissait la tâche que je m'étais imposée, et le temps, qui s’écoulait avec rapidité au milieu de ces travaux incessants, me forçait à songer sérieusement au retour. Cepen- dant, je passai en vue de plusieurs des points qui avaient été re- connus dans la précédente campagne , et je constatai avec bien de la satisfaction l’extrême exactitude de ces opérations ; aussi, je naviguai désormais sur cette côte avec autant de sécurité que si je me fusse trouvé sur celles de l'Espagne ou de l'Italie. Toutefois , ce dernier voyage signalera un écueil très-dange- 198 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. reux, et qu'il est d'autant plus important de connaître, qu'il, se trouve directement sur la route de la baie Touranga (baïe Po- verty de Cook, baie Taoné-Roa de ma carte), et jusqu'aujour- d’hui, cette baie, du reste dangereuse, nullement propre à un long séjour, est le seul point de la Nouvelle-Zélande où un na- vire puisse encore se procurer des cochons et autres provisions à vil prix. C’est un fait dont nous pûmes nous-mêmes nous as- surer dans la journée du 24 avril; mais je repartis dès le même soir, et je fis bien, car des vents d’est qui succédèrent , dès le lendemain, à ceux de S. O., auraient pu placer nos deux cor- vettes dans une position peu rassurante. | Enfin , nous arrivâmes à la bare des Iles le mercredi 29 avril. On connaît en Europe l’acte extraordinaire par lequel lAngle- terre a pris possession de la Nonvelle-Zélande. Malgré la nature bizarre et entortillée des termes dans lesquels il est concu, je n'hésite pas à déclarer que c’est un véritable envahissement, et les faits qui l'ont depuis accompagné le prouvent assez, puisque les naturels, privés du droit de disposer de leurs terres, sont de fait dépossédés. Dans l’état actuel où se trouve l'Europe, cet acte me paraît si outrageant pour les autres nations, surtout pour la France et les Etats-Unis, dont les citoyens exerçcaient une bran- che d'industrie fort importante dans ces régions fort éloignées ; il me parut si contraire aux droits des nations, que je crus devoir m'abstenir à l’'abord de toute communication avec le capitaine Hobson, gouverneur improvisé de cette nouvelle succursale de la Grande-Bretagne. Cependant, comme il me fit adresser ses offres de service, je lui portai une carte, après lui avoir fait con- naître que c'était seulement au capitaine Hobson ; chef des An- glais établis à la Nouvelle-Zélande, que je faisais ma visite, mais nullement au gouverneur de la Nouvelle-Zélande elle-même , titre que je ne reconnaîtrais qu'après en avoir reçu la notifica- üon officielle de la part de mon gouvernement: Tic Américains , de leur côté, ne paraissent pas disposés à admettre bénévolement cette nouvelle usurpation de l'Angleterre. J'avais eu un moment l'envie d'adresser au capitaine Hobson une protestation formelle à cet égard ; mais, privé comme je l'étais de toute instruction positive du gouvernement français, et dans la crainte de faire une démarche inconsidérée, je me contentai de \ PIECES JUSTIFICATIVES. 199 considérer comme non avenue la prise de possession du gouver- nement anglais, et d'agir comme si la Nouvelle-Zélande était encore entièrement indépendante. Toutefois, Monsieur le Ministre, il ne faut pas se dissimuler que cet état ne peut subsister longtemps. Il faudra quela France fasse une démonstration telle , que les Anglais soient forcés de s’arrêter dans leurs odieux empiétements , ou bien qu'elle recon- naisse franchement leurs prétentions ; et alors nos compatriotes, tant ceux qui sont établis dans ces contrées, que ceux qui n’y apparaissent que pour la pêche à la baleine, seront obligés de se soumettre prochainement à toutes les avanies que le gouverne- ment local voudra bien leur faire subir. Ici, je trouvai encore nos missionnaires catholiques , sous la direction de M. l’évêque de Maronné, exerçant leur pacifique ministère, avec une simpli- cité, une eharité sans borne et une abnégation qui contrastaient d’une manière bién étrange avec l’arrogante, la forte et surtout la sordide cupidité des missionnaires anglicans , bien plus occu- pés de leur propre intérêt que du bien-être des naturels , qu'ils prétendent diriger dans la voie du salut. Cette disparate est telle- ment choquante, qu’elle frappe les Anglais même, si mal disposés envers les Français, particulièrement sous le rapport du culte. Aussi, comme je l'avais déjà fait à Mangareva, je crus aller au- devant des intérêts de Sa Majesté, en accordant à ces estimables apôtres le modique secours dont notre mission pouvait dis- poser. Le 4 mai, dans la matinée, nous fimes nos adieux aux plages de la Nouvelle-Zélande, et fimes route au nord. Le 10, nous eûmes connaissance du volcan Mathews, et le 12 nous commencâmes l'exploration de la bande occidentale de l'archipel Loyaly, qu'il nous ayait été impossible de reconnaître lors du dernier “voyage de l’Astrolabe. Ce travait fut complétement terminé dans la journée du 15, et de ce moment je m'empressai de rallier, le plus vite possible, la terre de la Loursiade. Cette découverte est éminemment francaise, puisqu'elle est due à Bougainville, et qu'après lui d'Entrecas- teaux seul avait reconnu la partie septentrionale ; nulle autre ex- pédition n’en avait approché, si ce n’est l’Astrolabe, qui avait re- connu , en 1827, le cap de la Délivrance, sur l’île Rossel. Ainsi, 200 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. toute la partie méridionale était très-vaguement tracée, surtout l'intervaile entre le point d'arrêt de Bougainville, et la Nouvelle Guinéeétait demeuréecomplétement inconnue; seulement la plu- part des cartes y placaient un détroit d’assez longue étendue. Tout en me dirigeant vers le détroit de Torrés , je me pc de combler ces lacunes géographiques. Le 22 mai, nous attérimes au nord de l’île Rossel, et depuis ce jour, jusqu'au 29 mai, nous necessâmes de suivre la terre de très-près, traçant avec exac- titude les divers accidents dans un développement de près de deux cents lieues de côtes. Cette navigation exigea une grande vigilance à cause de la grosse mer, des vents violents de $S. E. au S. S.E., des grains et des brumes fréquentes, qui nous empêchaïent de découvrir, longtemps à l'avance, les récifs dont ces terres sont hérissées dans presque toute leur étendue. Toutefois, à cela près de quelques petites alertes causées par des récifs isolés, imprévus et souvent assez “éloignés de terre, nous pûmes nous acquitter heureusement de cette tâche. Dans la journée du 28, nous constatâmes qu'il n’existait pas de détroit entre la Nouvelle-Guinée et la Loutisiade ; c’est un fait im- portant que nous serons les premiers à signaler. Nons tracâmes environ trente lieues d’étendue de la Nouvelle- Guinée , au-delà du cap Rodney, et près de ce cap lés terres nous offrirent l'aspect d’un des plus beaux pays du monde; beau champ à exploiter pour une expédition dont l'équipage n'aurait point encore souffert et qui aurait du temps à y consa- crer. Mais j'avais déjà bien dépassé le terme qui m'était assigné, et je ne pouvais me dissimuler qu’il était grand temps d’en finir. Je fis donc route à l’ouest pour franchir le détroit de Torrés par la route la plus septentrionale; je choisissais cette direction afin d'offrir du nouveau à la géographie, sachant que le capitaine Wickam et d’autres étaient chargés d’expdrer les passes du midi, presque exclusivement fréquentées par les marins anglais. Le 31 mai et le 1°* juin, dans la matinée, nonobstant des vents très-violents du S. Ô. et des brumes souvent très-génantes, notre navigation avait été prospère et notre reconnaissance heureuse ; je me promettais même de vider le détroit dès le lendemain matin, ce cul était une traversée admirable par cette route; mais trop de confiance accordée de ma part dans l’esquisse imparfaite PIÈCES JUSTIFICATIVES. 90 tracée par Bligh, faillit causer l'entière ruine de l'expédition. Le 4° juin, à trois heures de l'après midi, en arrivant près de l'île Farrior ou plutôt Toud , je donnai dans une fausse passe, et ne reconnus ma ie que lorsqu’il ne fut plus possible de la réparer. _ Nousmouillâmes par trois brasses et demie, fond de coraux, et bientôt les deux corvettes touchèrent assez fortement; les équi- pages exécutèrent de rudes travaux pour tâcher de nous tenir à flot, mais la marée montante brisa nos ancres dans la nuit, en- traiîna les deux corvettes et les fit monter toutes les deux sur un banc de coraux. A la basse mer suivante, la Zélée, qui avait monté en entier sur le récif, se trouva n’avoir que six pieds d’eau à tri- bord et quatre à babord, et elle ne prit qu'une bande modérée, mais l’Astrolabe resta suspendue au bord même du récif, avec deux ou trois pieds d’eau à tribord seulement, et ayant douze et quinze pieds à babord. Aussi, dans toute la journée du 2 juin, conserva-t-elle une bande eftrayante qui, à neuf heures'du soir, devint telle qu’elle nous fit craindre un moment de chavirer com- plétement sur le bord du récif; heureusement le flot suivant la redressa. Le 5 juin, au matin, la Zélée se remit à flot; et dans la nuit suivante, en faisant au rates des efforts désespérés, l’4s- trolabe quitta elle-même sa triste position, et fut remise à flot dans un canal étroitoù nous étions du moins, hors de danger. Il nous fallut ensuite plusieurs jours pour reconnaître et sonder avec soin les canaux tortueux et étroits qui pouvaient nous remettre sur la bonne voie. Enfin, le 9 juin ce travail fut terminé. L’Astrolabe laissa sur le récif sa fausse quille etsacontre-quille tout entières, mais sans faire une goutte d’eau de plus qu'auparavant. Les deux corvettes ne perdirent ni ancres ni chaînes, mais plusieurs ancres eurent leurs pattes cassées. Le 12 juin, nous vidâmes heureuse- ment le détroit, après avoir terminé une reconnaissance qui ren- dra cette traversée aussi facile à ceux qui suivront nos traces, qu’elle a été pénible pour nous. Afin de procurer des r:fraîchissements aux deux équipages, je me dirigeai vers Coupang-sur-Timor, ou nous mouillâmes le 20 _ juin, et d’où nous repartimes le 26, avec tous nos hommes bien portants, à l'exception de quatre ouicinq personnes malades déjà depuis longtemps ; les vents d’est nous firent rapidement franchir + 202 VOYAGE DANS L'OCÉANIE, l'intervalle qui sépare Coupang de Bourbon, où nous mouillâmes le 2 juillet, Grâce aux mesures prises par le gouverneur de cette colonie, nous pûmes sur-le-champ remplacer nos vivres, qui étaient entièrement consommés, et dès le 30 remettre à la voile, À la demande et dans le bien du service, je consentis à recevoir sur chacune des corvettes quarante soldats du détachement de la colonie, qui avaient droit à être rapatriés. Ces hommes se sont très-bien conduits durant toute la traversée. ji è Je fis, à Sainte-Hélène, une station de deux jours, pour rem- placer notre,eau. À cette époque (du 7 au 9 septembre), on atten- dait avec impatience, dans cette île, l’arrivée du prince de Join- ville avec ses deux navires. Toutes les dispositions étaient déjà prises pour la remise du corps de Napoléon. A Bourbon, j'avais déjà vu avec plaisir, M. le Ministre, que trois officiers de l'expédition avaient recu de l'avancement, sa- voir : deux au choix et un à l'ancienneté. En arrivant en France, je m'attendais à trouver également accueillies les demandes que je vous adressai à notre second retour des glaces. Sans doute, l’u- nique motif de ce retard a été le désir de connaître la fin de notre campagne. Dans cet espoir, j'ai l'honneur de vous représenter encore une fois le tableau général de toutes les demandes faites dans le cours de la mission ; vous verrez que mes prétentions sont loin d’être exagérées. Cependant, pour le cas où vous trouveriez impossible de faire droit à toutes mes propositions, j'ai eu soin de disposer les noms dans l’ordre de préférence suivant lequel je désire qu'elles soient accueillies. Malgré la gravité de la position qui retient sous les drapeaux la plupart des marins français, il me sera sans doute permis, M. le Ministre, de vous représenter qu’il y aurait une sorte de cruauté à refuser un congé de six mois, ou de trois mois au moins, aux marins de l’Astrolabe et de la Zélée ; d’ailleurs il serait probable : qu’une pareille mesure rayirait à la Fran ce cette poignée d’hom- mes précieux échappés à tant de dangers et de chances affreuses, mais encore tout meurtris des coups de ce long combat de trente- huit mois qui a moissonné tant de leurs braves camarades. Pour moi, M. l'amiral, tout en surveillant l'expédition des nom- breux objets destinés au dépôt général de la marine, au muséum ‘d’histoire naturelle et au musée naval, tout en attendant votre PIECES JUSTIFICATIVES. 203 ordre pour me rendre à Paris, je vais tâcher de raffermir un peu une santé très-délabrée et qui, depuis quelque temps, ne me pro- met que des chances peu flatteuses pour l'avenir. Quelles que soient les intentions de Sa Majesté au sujet dela pu- blication de cette gigantesque expédition, je vous prierais de don-" ner l’ordre à M. le docteur Hombron, chirurgien-major de l’4s- trolabe, d'accompagner ces récoltes afin d'assister à leur déballage, à leur remise , et surtout afin de surveiller leur sage répartition, 11 est à désirer que les intéressantes écoles de médecine de nos ports s'enrichissent des nombreux doubles que nous rapportons, plutôt que de les laisser s’entasser dans la métropole, pour y dé- périr, y être gaspillés, ou tout au moins y devenir inutiles aux progrès des connaissances. TeP a été le sort d’une bonne partie des objets rapportés dans ma précédente campagne. J'espère que, sur ce point, vous par- tagerez complétement ma manière de voir. Veuillez agréer, etc. Paris, le 16 novembre 1840. A M. LE CAPITAINE DE VAISSEAU DUMONT-D URVILLE, A TOULON. Monsieur lé commandant, J’ai recu le rapport que vous m'avez fait l'honneur de m'a- dresser le 8 de ce mois, pour m'annoncer l’arrivée à Toulon des corvettes l’Astrolabe et la Zélée. J'ai suivi, avec un très-vif intérêt, dans ce rapport l'aperçu des opérations faites à bord de l’expédition, sous votre commande- ment, depuis son départ d'Hobart-Town. - J'ai vu qu'animé d’un noble zèle pour la science, vous avez su faire tourner à son profit chacune de vos relâches, et que d’im- portants matériaux sont le fruit de cette périlleuse et longue campagne. Bien qu’il n’entrât pas spécialement dans l’accomplissement de la tâché que vous étiez appelé à remplir, de veiller aux intérêts 204 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. WE du commerce, vous avez encore su lui rendre utile, dans les pa- rages de la Nouvelle-Zélande, le concours de l expédition : c'est là un résultat dont j' aime à vous féliciter. AA UT Votre retour à Toulon termine une campagne dont toutes-les circonstances ont été marquées par des actes de dévouement et de zèle, auxquels le pays tout entier n’a pu qu'applaudir. C’est avec un véritable plaisir, monsieur le commandant, que je vous félicite de cet important résultat; je vous en témoïgne ma haute satisfaction ; je vous charge de l’exprimer aux états-majors et équipages de l’Astrolabe et de la Zélée qui, pendant cette cam- pagne, ont dignement répondu à l’exemple que vous leur avez donné. Recevez, monsieur le commandant, l’assurance de ma considé- ration très-distinguée. n Le Ministre secrétaire d’État de la marine et des colontes, Amiral DUPERRÉ, à ORDRES ET INSTRUCTIONS. Toulon , le 6 septembre 1837. Monsieur le capitaine Jacquinot fera tous ses efforts pour ne jamais perdre de vue l’Astrolabe , ni de jour, ni de nuit. Pour cela , il la suivra d'aussi près que la prudence le permettra, avec le vent et la mer qui régneront ; il commandera aux officiers et aux élèves de quart la plus grande vigilance à ce sujet. Route. Si un accident imprévu venait à séparer la Zélée de l'Astrolabe, M. Jacquinot conduirait d’abord la Zélée sur la rade de Santa- Crux, à Ténériffe, ou il attendrait l’Astrolabe huit jours entiers ; puis, il ferait route pour l'ile Sant- Antonio du cap Vert, où il attendrait l’Astrolabe huit autres jours ; de là, il se dirigerait sur Montevideo, où il l'attendrait encore huit jours. Enfin, s’il ne la voyait pas Tes ilserendrait au port Saint-John de la Ter re des Etats , situé à deux milles environ de la pointe Est, sur la | PIÈCES JUSTIFICATIVES. 205 bande septentrionale, où il attendrait l Astrolabe un mois entier. Au bout de ce terme, si ce dernier navire ne réparaissait point, M. Jacquinot serait libre, où bien d'opérer son retour en France, ou bien de tenter seul une pointe vers le pôle Austral, entre les iles New-Shetland et Sandwich, ou bien de continuer sa route vers les îles de l'Océanie et d'y opérer, suivant que son zèle et ses connaissances le guideraient. Seulement je signalerai à son atten< tion spéciale , le groupe entier des îles Salomon, toute la partie septentrionale de la Nouvelle-Bretagne, et toute la bande méri- dionale de la Louisiade et de la ee depuis le cap Due “ie jusqu'au ne Velsch. er Le capitaine de vaisseau, etc. Santa-Crux de Ténériffe, 6 et 8 octobre 1837. En cas de séparation définitive des corvettes l’Astrolabe et la Zélée, M. le capitaine Jacquinot se dirigera immédiatement sur la Terre des Etats. Cependant, comme son navire paraît avoir une marche supérieure à celle de l’Astrolabe, si la bordée lui permet- tait d'atteindre l'île de la Trinité, il croiserait durant quarante- huit heures sous le vent et très-près de cette île pour m’attendre; si l’Astrolabe ne paraissait point au bout «de ce délai, M. Jac- quinot conduirait la Zélée au fond du port Cook de la Terre des Etats, où il séjournerait un mois ; après ce terme, et lorsqu'il se serait assuré que l’Astrolabe ne serait mouillée sur aucun autre point de la Terre des Etats, M. Jacquinot prendrait le parti qui lui conviendrait le mieux, conformément aux instructions déjà tracées dans ma note du 6 septembre 1837. Signaux de brume et de nuit pour l’Astrolabe et la Zélée. 17 A l’approche d’une brume intense ou d’une nuit sombre, la Zélée devra venir se placer et se maintiendra à trois enca- blures au plus, au vent ou sous le vent de l’Astrolabe, et par sa hanche de l’arrière. 2e Si, à cette distance, il était à craindre qu'un navire ne püt pas apercevoir l’autre à cause de l’obscurité, la Zélée se mettrait 906 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. , dans les eaux de l’Astrolabe , et se maintiendrait à un FFM de distance seulement. 3° Dans ces deux cas, l'Æstrolabe faciliterait par sa manœuvre, s'il est nécessaire, celle de la Z élée, et ne ferait ensuile aucune manœuvre ultérieure pour augmenter ou diminuer de voiles, où changer sa route d’une manière notable sans la faire précéder par uu coup de pierrier; un coup de pierrier serait aussi tiré au cas où elle viendrait à masquer inopinément. FRÈRE 4° Deux coups . pierrier successifs indiqueront qu'on | va virer de bord. : 5: Si, malgré ces précautions , la Zélée venait à perdre de vue Do me elle tirerait un coup de canon et mettrait en panne aussitôt , si le temps était maniable ; si le temps était forcé, elle mettrait sur-le-champ à la cape les amures au bord d’où le vent dépendrait déjà, et attendrait sous l’une de ces allures » qu’elle eût revu lAstrolobe. Le commandant signalera qu'il a en- tendu , en répondant sur-le-champ par ün coup de canon. 6: Si l’Astrolabe tire la première un coup de canon , et que la Zélée la voie encore, ce sera pour celle-ci un signal de ralliement immédiat, pour venir prendre son POSE derrière le comman- dant; sinon, elle mettra en panne ou à la cape, suivant le temps. En tout cas, elle répondra par un coup de canon. 7° Quand les ad corvettes se seront perdues de vue, des coups de canon isolés, tirés d'heure en heure ou de demi-heure en demi-heure par chaque corvette, suivant le temps et la dis-. tance présumée , indiqueront les positions réciproques. 8° Un coup de canon immédiatement suivi d'une fusée tirée d’une des corvettes , annoncera à l’autre une avarie majeure. 9° Deux coups de canon précipités 1H0IQUEROE le besoin d’un secours pressant. A1 10° Un coup de canon suivi immédiatement d’un coup de! pierrier, indiquera là vue subite d’une terre ou qu danger … inopiné. Astrolabe , le 25 novembre 1837. s Le capitaine de vaisseau, etc. a — —— “ PIECES JUSTIFICATIVES. 207 Port-Famine, le 27 décembre 1837. \ À moins de contrariétés trop grandes, l'expédition sortira du _détroït de Magellan par l’ouest, ou par le cap Pillar. Le com- mandant de la Zélée fera tout ce qu'il pourra pour se maintenir en vue de l’Astrolabe , à distance telle néanmoins qu'il ne puisse trop la gêner dans ses manœuvres. Si des circonstances inopinées venaient à opérer une sépara- tion , le premier point de ralliement serait le port Gallant sur la côte nord du détroit, par 53 degrés 42 minutes latitude S. et par 74 degrés 17 minutes longitude O., où M. Jacquinot attendrait l’Astrolabe deux jours. Le second point serait la baie de Playa- Pardd sur la même côte, par 53 degrés 18 minutes latitude S., et 75 degrés 16 minutes longitude O. , ou il attendrait l PAU trois jours ; enfin , le troisième et dernier point serait le hâvre de Mercy, sur la côte sud, près du cap Pillar, par 52 degrés 45 minutes de laütude S., et 76 degrés 56 minutes longitude O., ou M. Jacquinot attendrait encore dix jours entiers. Au bout de ce temps il sortirait du détroit, doublerait le cap Horn, gagneraït directement les îles Orkney, ou il mouillerait au port Spreace , dans le détroit de Leithwatthe ; à M. Jacquinot atiendrait encore l’Astrolabe dix jours. Enfin, s’il ne la voyait point paraître, il demeurerait maître de sa manœuvre , comme je l'ai prescrit déjà par mes précédentes instrucuüons. _ Ci-joint, le capitaine Jacquinot trouvera le calque du détroit et les plans des hâvres de Playa-Parda, de Mercy et des îles Orkney, ainsi que l’ordre de distribution extraordinaire de vi- vres pour les hommes fais ant le quart à la mer. Quand sous voiles, ou à l’arrivée dans un mouillage, l’Astro- labe hissera le numéro du grand canot de la Zétée, accompagné -du pavillon, national, ce signal indiquera que le commandant désire l'envoyer en reconnaissance ; alors, le capitaine Jacquinot le fera armer en guerre, en ayant soin d’y placer comme réserve, dans une caisse de tôle, pour trois jours de biscuit rt les ca- notiers , puis il pop aux ordres du commandant, à bord de l’Astrolabe ou au lieu indiqué par le signal MU > S'il y avait lieu ; dans ces occasions , en outre de l’officier commandant 208 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. spécialement le canot et en ayant la responsabilité, M. Jacquinot aura soin que quatre personnes au plus de l'état-major s’y em- barquent, savoir : deux officiers ou élèves, un médecin et le dessinateur ; toute autre personne ne pourrait embarquer qu’à titre de canotier. R & Le capitaine de vaisseau, etc. En mer, Astrolabe, 15 février 1838. Monsieur Jacquinot, commandant la Zélée, Mon cher capitaine, pour quitter ces maussades parages, je n’attends plus que d’avoir pu explorer les environs du méridien de 32 à 34 degrés, par où ce diable de Veddell a dû pénétrer vers le pôle, et si la route est encore fermée, là je quitterai définiti- vement la partie. Tâchez toujours de conserver l’Astrolabe comme vous avez fail; néanmoins, si une séparation s’opérait malgré tous nos soins , restez deux jours entiers à croiser sur le point où elle au- rait eu lieu en limitant à six milles en tout sens vos bordées. Puis rendez-vous aux Orkney où vous croïiserez de même cinq jours entiers sur la bande sud, prefitant de cette circonstance pour en faire la géographie. Enfin , si vous ne nous voyez point paraître , rendez-vous directement sur la rade de la Conceprion au mouillage de Talcahuano; car c’est là où , pour maintes rai- sons, je compte mener les deux corvettes ; la, vous pourriez tou- jours à l'avance vous occuper à nous faire préparer les vivres nécessalres, tels que salaisons, légumes , biscuit, farine et même vin s’il y en avait, tout cela dans la proportion de quatre ou cinq mois pour chaque navire, excepté la farine dont il faudrait davantage. | Enfin, si au bout de deux mois de séjour à Talcahuano vous ne voyiez point paraître l'Astrolabe, vous resteriez maître de votre manœuvre ; je vous conseillerais néanmoins d'opérer votre retour en France en faisant le tour du monde, en visitant les îles tr, Salomon, Nouvelle-Bretagne et Nouvelle-Guinée, ce qui consti- tuerait encore une très-glorieuse expédition avec ce que nous avons déjà fait. At . Tout à vous, etc. # Re PIÈCES JUSTIFICATIVES. 209 Astrolabe, devant Juan-Fernandez, 4 juin 1838. Instructions particulières. Si, à partir de Juan-Fernandez , la Zélée venait à quitter l’4s- trolabe, M. le capitaine Jacquinot se dirigerait sur Æ/7aihou (île de Pâques ), où il croiserait trois jours sous le vent de cette île, pour m'attendre, ayant avec les naturels les relations que la prudence lui dicterait ; puis il se rendrait à Gambier, où il at- tendrait quinze jours entiers l’Astrolabe, et pendant ce temps, il ferait travailler au plan détaillé de tout le groupe, en commen- çant par la partie septentrionale; enfin, il gagnerait Taiti et mouillerait sur la baie de Matavaï. Si deux mois s’écoulaient sur ce point sans que l’Astrolabe y pote , M. Jacquinot resterait maître de sa manœuvre. Quand un canot de la Zélée ira en reconnaissance à terre, je” recommande instamment au capitaine Jacquinot de ne pas per- mettre que les deux médecins s’y embarquent à la fois, cela est contraire au service ct aux règles de la prudence; la justice et l'intérêt de la mission exigent que MM. Leguillou et Jacquinot alternent pour ces circonstances. Le capitaine de vaisseau, etc. A bord de l’Astrolabe, Manga-Revya, 4 août 1838. ° En cas de séparation des deux corvettes, le capitaine Jac- quinot se rendra immediatement dans la baie de Taio-Hae ou Tchichagoff sur l'île Nouka- Hiva, dont le plan est joint à cette note; là , il attendra l’Asrrolabe durant dix jours. 2° Ensuite il se rendra sur la baie Matavaï à Tauti, où il at- tendra encore durant un mois. Si l’As/rolabe ne paraissait point durant ce temps, il serait à peu près certain qu'elle aurait fait naufrage sur les îles Pomo'ou. Alors le capitaine Jacquinot s’occuperait de la recherche et du sauvetage de l'équipage, en commencant naturellement par les îles situées le plus près de la route à tenir de Manga-Reva à x: À 4% 210 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Nouka-Hiva , comme de ce dernier point à Tai. Les indications des naturels dirigeraient sa route et ses opérations. . Le capitaine de vaisseau, etc. ‘ Rade d'Apia, 2 septembre 1838. Si une séparation avait lieu , M. le capitaine Jacquinot atten- drait l’Astrolabe trois jours, en croisant sous le vent de l’île Za- guemba. NH attendrait encore trois ire sous le vent de l’île Goro, puis il se rendrait à la baie du Bois de Sandal, où il attendrait encore durant quinze jours. Ce délai passé, il se rendrait au port Résolution , sur l’île Z'anna, où il attendrait encore durant un mois ; puis il resterait maîlre de sa manœuvre. Si des circonstances imprévues empêchaient M. Jacquinot d'atteindre le mouillage de Sandal-W00d, il se rendrait directe- ment au port Résolution, où il attendrait l’A4strolabe durant deux mois ; puis il serait maître de sa manœuvre. | - Le capitaine de vaisseau, ete. Astrolabe , 21 novembre 1838. En cas de séparation avant la fin du travail des îles S#omon , M. le capitaine Jacquinot ira attendre l’Astrolabe au port Praslin, ou Havre des Anglais (Nouvelle-Frlande), l'espace de quinze jours. Après ce délai, ou si le travail des îles Salomon était terminé, M. Jacquinotse rendrait immédiatement aux îles Æo:o/eu (Caro- lines), où ilchercherait un mouillage dans la a sous le vent, etattendrait l’As/rolabe quinze autres jours. De là , il ferait en sorte d'atteindre Ambotne par la route e qu il jugerait la plus prompte, et qui serait je crois le détroit des Mo- luques, entre Célébes et Guilolo. Le capitaine Fos atten- drait trois mois à Æmboine , puis, si l'Astrolabe ny paraissait point, il serait maître de sa manœuvre. Le capitaine de vaisseau, etc. 4 PIÈCES JUSTIFICATIVES. 241 Astrolabe, le 24 février 1839. Si une séparation s'opérait entre les deux corvettes, suivant les lieux où cela arriverait, les lieux de rendez-vous seraient suc- cessivement ; | LE 1° La partie nord des îles Arrou, où la Zélée attendrait trois jours, soit aux petits bords, soit à l'ancre. 2° La partie la plus ouest du cap Æ/elsh, où la Zélée atten- drait cinq autres jours, soit aux petits bords, soit à l'ancre. 3° L'île Délivrance. La Zélée mouillerait dans le canal, à huit milles environ au nord, par six ou sept brasses, et attendrait l’45- trolabe durant huit jours. Pendant ce temps, ses canots pousse- raient des reconnaissances aux environs. | | 4° L'île Turnagain. La Zélée mouillerait sur la bande nord et attendrait cinq jours. 5° L'île Dungeness. La Zélée mouillerait sur la bande nord et attendrait 5 jours. 6° L'île Dalry mple. La Zélée mouillerait sur la bande nord- ouest etattendrait cinq jours. ‘7° Enfin lesiles Murray. La Zélée mouillerait sur la bande nord, dans la baie de Freacherous. Là, on attendrait l’Astrolabe a rant un mois, les canots poussant des reconnaïissances jusqu’à huit ou dix lieues à la ronde. | Au bout de ce temps, le capitaine Jacquinot demeurerait maî- tre de sa manœuvre. Seulement, après d'aussi nombreux délais, la mousson d’est aurait eu le temps de s'établir, et je lui conseil- lais de revenir dans l’ouest, d'autant plus que cela lui donnerait peut-être le moyen de retrouver quelques traces de l’Astrolabe. Dans le cas où il lui arriverait à lui-même malheur dons le détroit de Torrés, autant que faire se pourrait, il accosterait les îles de la route, planterait une gaule avec pavillon rouge, et enter - rerait au pied une bouteille, avec la note succinte des événements qui lui seraient survenus. L’Astrolabe en ferait autant de son côté. Le capitaine de vaisseau, etc. + 212 | VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Astrolabe, 19 ae 1839. Mon cher capitaine. Voilà le mois de mars trop avancé pour songer raisonnable- ment à poursuivre mes projets sur le détroit de Torres, et je crains même que la mousson d'ouest ne nous abandonne bientôt, après de rudes bourrasques. Ainsi, bon gré, malgré, il faut avaler le tour immense et stérile de la Nouvelle-Hollande, que j'avais si bonne envie d’éluder. Le premier rendez-vous serait la rivière des Cygnes , si vous avez le vent bon pour cela, et vous attendrez l’Astrolabe durant’ quinze jours. Mais si le vent vous contrariait, vous poursuivriez droit à Hobart- Town, où vous attendriez l’Astro!abe deux mois en- tiers; passé ce délai, si elle ne paraissait point, vous feriez ce que vous voudriez. Votre affectionné, etc. LA Raffles-Bay, le 4 avril 1839. En cas de séparation des corvettes : | 1° A l’est du 127° degré de longitude E., gagner Banda, et A huit jours l’Astrolabe ; 2° À l'est du 117° degré de longitude E., gagner Macassar, et attendre huit jours l’Astrolabe. 3° A l’est du 111° degré de longitude E., gagner Sourabaya, et attendre l4strolabe deux mois. Si elle ne paraissait point, liberté de manœuvre. Cependant, comme 1l serait probable qu'en pareil cas l’Astrolabe auraït fait naufrage, M. Jacquinot fera bien d'employer les movens qui dé- pendront de sa situation et de l'assistance des autorités locales, pour s'occuper de la recherche des naufragés. Le capitaine de vaisseau, etc. ” PIÈCES JUSTIFICATIVES. 213 Rade de Soog, le 24 juillet 1839. Note pour M. le commandant de la Zélée, en cas de séparation. A l'ouest du méridien de 132 degrés longitude E., la Zé/ée at- teindrait l’île Angour (archipel Pelew), et passerait là cinq jours à croiser bord sur bord, à la distance de deux ou cinq milles de la côte. | A l’est du méridien de 132 degrés, età l’ouest de celui de1 50, la Zélée atteindrait le groupe Hogoleu, et croiserait également cinq jours sous le vent de ces îles. De là elle gagnerait, si elle le pouvait, l’île Ua/an, et mouil- lerait dans le havre de la Coquille, où elle attendrait dix jours l Asirolabe. Sinon elle gagneraïit, le plus tôt possible, port Jackson, où le ca- pitaine Jacquinot attendrait l’Astrolabe jusqu'au 1°" janvier 18/40; passé ce délai, il resterait maître de sa manœuvre. Le capitaine de vaisseau, etc. Mouillage de Sambas, 8 juillet 1839. Note pour M. le commandant de la ZLélée. Tant que les deux navires seront à l'ouest de l’île Za/am- bangan, si une séparation avait lieu, la Zélée irait attendre l’4s- trolabe dans la baie Malondon, où elle mouillerait près de la bande ouest, et passerait huit jours. Après ce délai, ou bien si la séparation avait lieu à l’est de l’île Balambangan, la Zélée irait directement au mouillage de Sam- bouangan,sux Vile Mindanao, oùelle attendrait l’Astrolabe durant un mois. Au bout de ce temps, M. Jacquinot resterait maître de sa manœuvre. Le capitaine de vaisseau, etc. 914 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Astrolabe, 12 août 1839. Mon cher capitaine, Je vois que je ne peux pas compter sur les vents d'ouest, tant annoncés par Horsburgh pour ces parages ; dégoûté par lés con- trariétés que j'ai éprouvées depuis Sambouangan, et impatient d'arriver à temps à Port-Jackson et Hobart-Town, je renonce décidément au grand tour par l’est, et m'en tiendrai tout simple- ment à celui par l’ouest ; seulement je ferai en sorte de donner à l'est de Guilolo, si je puis; sinon, nous enfilerons encoïe une fois le détroit des Moluques. En cas de séparation, voici donc les nouveaux points de ren- dez-vous : 1° Au nord du 3° degré de latitude sud, gagner la baie de Caïeli, et y attendre l doi dix jours; 3° Au sud de cette latitude, gagner la baïe de Coupang-sur- Timor, et y attendre l’Astrolabe deux mois ; passé ce délai, vous serez maître de votre manœuvre. Tout à vous, etc. En mer, Astrolabe, le 5 août 1839. Noté pôur M. le commandant de la Lélée. Dans le cas très-probable où l'expédition serait obligée de prendre la route du détroit de Makassar, voici les nouveaux points de rendez-vous : 1° Premier point de rendez-vous devant la rivière Gooty, par six et sept brasses de fond; attendre huit jours ; ; 2° Mouiller dans la baie au N. E. de Poulo-Laut, et attendre dix jours ; 3° Enfin, gagner Banian-W'angui dans le détroit de Bah, et attendre un mois entier. Puis liberté de manœuvre. . Le capitaine de vaisseau, etc. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 215 Astrolabe, Hobart-Town, le 31 décembre 1839. Instruction pour M. le capitaine Jacquinot. M. le capitaine Jacquinot manœuvrera de manière à conserver l’Astrolabe en vue, autant que possible. Si, malgré ses efforts, une séparation avaitlieu, il mettraitsur- le-champ en panne, ou ferait de petits bords de six milles chacun, de manière à s’éearter le moins possible du lieu de la séparation. Il passerait ainsi trois jours entiers, tirant d'heure en heure un coup de canon et conservant ses feux durant la nuit; au bout de ce temps, il serait maître de se rendre aux îles Auck/and, pour y attendre l’Astrolabe, ou de gägner directement Hobart- Town. Là, il reprendrait tous les malades, sans distinction, déposés dans cette ville, et ferait en sorte de se rendre à la Baie des Iles, avant lé 1° avril au plus tard. A la Bâäie des Iles, M. Jacquinot aitendrait l’Astrolabe jus- qu'au 1° juin 1840; passé ce terme, il sérait maître de sa ma- nœuvre. Si l’état de santé de son équipage ne permettait plus à la Zélée de suivre l’Astrolabe, le capitaine Jacquinot se rendrait à bord du commandant, pour recevoir ses ordres touchant ce qu’il y aurait à faire ; en cas d'impossibilité par le mauvais témps, il en donne- rail cbtitidsatite äu commatidant par le télégraphe marin. Une fois engagée dans les glaces, la Zélée évitera de $e tenir trop prés de l’Astrolabe, pour lui laisser l'espace pour manœuvrer en cas de rencontre imprévue. Le capitaine de vaisseau, etc. Astrolabe , 1e 19 mars 1840. Note pour M. le capitaine Jaëquinot. Si une séparation avait lieu avant le 44° degré de latitude, M. le capitaine Jacquinot atteindraitle port d’Akaroa, sur la pointe E. de la presqu'île de Banks, et y attendrait huit jours l’Astrolabe. 216 VOYAGE D. ANS D'OCÉANIE. u bout de ce temps, comme dans le cas où la séparation au- rait lieu au nord du 44° degré de latitude sud, la Zéfée se rendrait directement à la Baie des Tes, mouillerait devant le village de Xo- rora-Reka, et y attendrait l’Astrolabe jusqu’au 1* juin 18/40; passé cette époque, M. Jacquinot resterait maître de sa ma- nœuvre. | Le capitaine de vaisseau, etc. Astrolabe, le 4 mai 1840. Note pour M. le capilaine Jacquinot. Si une séparation avait lieu avant le 21° degré de latitude sud, le capitaine Jacquinot irait attendre l’Astrolabe au Havre Balade, (Nouvelle-Calédonie), où il se tiendrait paré à appareiller sur-le- champ; car l’As/rolabe ne mouillerait probablement point, et se contenterait de tirer des coups de canon pour le rappeler. Au bout de huit jours d'attente, ou bien si la séparation avait lieu au nord du 21° degré, M. Jacquinot se dirigerait immédiate- ment vers le détroit de Torrès, par l’une des passes du nord; il irait attendre l’Astrolale au mouillage de la bande nord de l'ile /7/aman ou des Trattres ; au bout de dix jours d'attente, il débouquerait du détroit, se rendrait directement au port Æs- sington, où il ne ferait que le séjour rigoureusement nécessaire, puis accomplirait le reste de son retour en France comme il le ju- gerait convenable. Cependant, comme il serait probable, en pareil cas, que l’Astrolabe aurait fait naufrage dans le détroit de Torrés, dans les diverses stations où il passerait, il aurait soin de faire pu- blier, dans les journaux des localités, les instructions capables de diriger ceux qui voudraient s'occuper de la recherche de ce navire. Je recommande de nouveau expressément à M. le capitaine de la Zélée, de laisser toujours au moins quatre on cinq encà- blures d'intervalle entre l’Astrolabe et la Zélée, tant que nous se- rons engagés dans les canaux du détroit. Le capitaine de vaisseau, etc. D — PIÈCES JUSTIFICATIVES. ° o7 Astrolabe, le 31 décembre 1839, Ordre et instruction pour M. Hombron, chirurgien-mayjor de PAs- trolabe, pentant son séjour à Hobart-Town. Le capitaine de vaisseau, commandant l'expédition au pôle austral et dans l'Océanie, Prenant en considération les rapports des médecins de l’expé- ditiou, les circonstances présentes, et surtout la nature de la na- vigation qu'il se propose d'entreprendre immédiatement après son départ de Hobart-Town, Arrête ce qui suit : | 1° Tous les malades des deux corvettes, au nombre de seize, resteront à Hobart- Town, dans le local loué pour les recevoir. Voici leurs noms : | MM. Æombron, chivurgien major de l’Astrolabe; Demas, lieu- tenant de vaisseau; Goupil, dessinateur; Coutelency, maître charpentier ; Robert, deuxième maître canonnier; Sureau, quar- tier-maître de timonuerie; Michel, Brunet, Beaudouin, Martini, Stahl, Lédéan, Niel, Malesieux, Camus, Bernard, matelots. 2° Toutes ces personnes resteront sous la surveillance de M. Hombron, dont la santé lui permet d'exercer cette fonction, bien qu'il ne soit pas en état de suivre l'expédition aux glaces Australes ; 3° À défaut d’autre comptable, M. Hombron sera également chargé de la partie de l'administration ; et le commandant de l’ex- pédition se plaît à espérer qu'il réglera les dépenses de manière à ce qu'il n’y en ait pas d’autres que celles qui seront rigoureu_ sement indispensables au rétablissement et à l'entretien des ma- lades ; 4° M. Hombron attendra le retour de la Zé/ée jusqu'au 15 avril 1840; É 5° Au retour de la Zé/ée, M. Hombron se rembarquera sur cette corvette avec tous les hommes confiés à ses soins, et cela sans dis - tüinction, quel de soit alors leur état ; 6° Cependant, à cette époque, MM. Demas et Goupil seront maîtres de rester dans Ja colonie ; mais, dans ce cas, leur retour 218 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. en France sera à leur charge; il serait également à leur charge, s’il voulaient quitter Hobart-Town, avant le retour de la Zélée; 7° Si la Zélée n’est pas de retour le 16 avril, M. Hombron s’a- dressera à M. le gouverneur et à la personne déléguée par ce fonc- tionnaire, pour le transport de tous les malades et le sien propre, de Hobart-Town à l’île Maurice , sur un navire du commerce ou autre, faisänt cette navigätion ; 8° M. le gouverneur sera prévenu, par le conimandänt de l’ex- POS que les frais du séjour à Hobart-Town et du transport à Maurice, seront remboursés par le trésor royal de la marine de Fränce, sur les bons délivrés par M. Hombro; 9° De l’île Maurice, M. Hombron se rendra immédiatement, avec tous les malades, à l’île Bouïbon ; il y a des octasions à peu près journalières pour opérer ce trajet ; 10° A son arrivée à l’île Bourbon, M. Hombron se mettra aux ordres de M. le gouverneur de la colonie, en lui présentant cette instruction; de ce moment, il se conformera de tout point aux mesures que M. le gouverneur de Bourbon jugera convenables pour rapatrier MM. les officiers et tous les autres malades; - 119 Un crédit de 200 livres sterling lui sera ouvert chez M. Dunn, pour couvrir les dépenses probables du séjoùr des maladés à Hobart-Town. Par ce moyen, il pourra solder, par semaine où par mois, les comptes de dépenses présentés par M. Bedfort. Au départ il arrêtera, avec ces deux messieurs, le compte général des dépenses qui auront eu lieu ; 19° Le commandant d'Urville recommande de nouveau, à M. Hombron, la plus grande économie et l’ordre le plus sévère dans ses dépenses, afin que les suites d’une mesure aussi inso- lite, mais aussi indispensable dans l’intérét de l'humanité, com- biné avec l’honneur de l'expédition, puissent néanmoins mériter l'entière approbation du Gouvernement; des dépenses immodé- rées et peu justifiables ont eu lieu dans le service des malades, au commencement de la relâche ; le commandant espère que l'expé- . rierice aura prouvé qu’elles ne doivent pas se renouveler; 13° Si les marins confiés aux soins de M. Hombron man-- quaient à la discipline et aux mesures qu’il juge! ait convenable de prescrire pour leur bien, il s’adresserait à l'autorité locale pour les faire mettre en prison , et les y maintenir le temps qu il PIÈCES JUSTIFICATIVES. 219 jugerait convenable ; et dans ce cas, il ne leur serait alloué stric- tement que la ration accordée aux prisonniers ; 14° En cas de décès, il s'entendra avec l'abbé Terrey, pour les _inhumations et actes de décès à retirer pour les familles des morts; il retirerait aussi chez lui les effets des décédés, après avoir fait constater, en présence de deux témoins, la nature et le nombre des objets; au retour de la Zé/ée, M. Huon de Kermadec régu- larisera de son mieux ces diversès opérations ; 15° D’après les comptes déjà arrêtés, il paraît que la dépense de chaque homme pourra être réduite à deux schellings et demi par tête, tout compris, frais d'hôpital, vivres, médicaments, loyer, etc. C’est le but vers lequel M. Hombron doit sans cesse tendre. - Le capitaine de vaisseau, etc. ) NOTE SUR L'ÉTIOLOGIE DE QUELQUES MALADIES INTERNES ÉPIDÉMIQUES Qui furent ou sont encore réputées contagieuses. PAR M. LE DOCTEUR HOMBRON. La médecine possède des ouvrages pratiques, où l’empirisme constitue la moitié de l’art de guérir; elle possède des ou- vrages classiques où rien n'est discuté. L’étiologie n’est qu’un pêle-mêle sans critique, sans philosophie. En méde- cine, rien n’est classé : la scienee n’existe donc pas. Personne n’est mieux placé que le médecin de la marine pour beaucoup voir, beaucoup comparer, et personne, mieux que lui, ne peut contribuer à la philosophie de la science *. AVANT-PROPOS. Ce petit mémoire est la préface d’un travail considérable, en - trepris depuis longtemps, et que d’autres occupations m'ont empéché de poursuivre : je crois devoir en émettre les princi- pales idées, car je pense qu'il est nécessaire de sortir un peu de cette ornière où nous engage l'esprit positif du siècle, esprit bon * J'aurais désiré réunir dans un même volume ce petit aperçu sur les maladies épidémiques, un mémoire sur la topographie de Java et l’histoire minutieuse de la dyssenterie de l’Inde, mais le défaut d’espace n’en a pas permis l’admission dans le dixième volume de la relation du voyage au pôle sud. La topographie de Java a été imprimée dans les Annales mari- times, année 1845, 999 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. en lui-même, maïs qui a malheureusement aussi son exagération. De crainte de faire des hypothèses, on s’abstient de raisonner, de remonter à l'essence des choses ; on attend du temps et.de l’expé- rience les grandes vérités médicales, que personne ne cherche, parce qu’il est à la mode de n’admettre comme bon, que ce qui peut être rendu évident aux yeux. Maïs on oublie que le raison- nement est un moyen de rechercher et d'analyser‘: c’est une voie féconde en découvertes, soit qu’elle nous y conduise directement, soit qu’elle nous guide par les routes plus ou moins détournées qui doivent nous en rapprocher. Des archives encombrées des faits isolés ne constituent point l’histoire ; elles n’en sont que les éléments; des myriades d'observations médicales bien faites, ne constituent pas la science. La description de tous les êtres, fût-elle parfaite pour chacun d'eux, ne serait que la base de l’his- toire naturelle, sans être encore cette science admirable qui étend nos idées et rectifie notre jugement. Au reste, est-il bien raisonnable d'admettre aveuglément les hypothèses de nos ancêtres, plutôt que de chercher nous-mêmes la lumière que le raisonnement nous permet d’entrevoir, au milieu de la foule des faits bien observés de la médecine moderne. Bien que du temps de Pinel, l'anatomie pathologique fût in- finiment moins avancée qu’elle ne l’est maintenant, bien que toutes les sciences naturelles prissent infiniment moins de part aux idées philosophiques qu'elles inspirent et fécondent, ce grand médecin, suivant les traces de Sauvages et de Cullen , osa, à leur exemple, déclarer la guerre à la routine de son temps et classa les maladies ; car sans classification , il ne saurait exister d'idées de rappor is ou de différences précises et, par cenéquent la science reste à faire. Malheureusement, du temps de Pinel, la foi rude ll faisait encore loi, et l'observation matérielle, lp même qu'on y recou- rait, ne parvenait pas à détruire les idées préconcues puisées à la source des abstractions de l’école. Alors, on voulait expli- quer des faits matériels au moyen de la métaphysique; aujour- d’hui on semble attendre de faits étudiés isolément, d'éléments épars, que le hasard combinera sans doute, une doctrine, une science enfin, et une science digne du temps éclairé où nous vivons ! Point d’ hypothèses, voilà le grand mot à la mode; il est RENSEIGNEMENTS. 293 séduisant, parce qu’il promet beaucoup ; mais il tient peu, parce que des faits nombreux qui ne sont point classés jettent l'esprit dans le désordre, et de la foule des matériaux cliniques, il ne sort que confusion au lieu de conséquences philosophiques , au lieu de principes sénéraux. L'élément intellectuel ne saurait constituer une science sans l'observation des phénomènes de la nature ; mais les faits qui ne sont pas comparés , liés par leurs rapports naturels , éloignés par leurs caractères spéciaux et plus ou moins dissemblables , restent stériles pour les connais- sances humaines. L’empirisme s'empare alors de la carrière et, exploitant l'idée fixe de l'époque, il crie aussi à ceux qui veu- lent penser : point d'hypothèses ! Le nombre Pemporte : il faut donc rentrer sous le joug du niveau. Cette égalité scolastique est commode ; elle favorise le scepticisme de Ja paresse; mais elle n'est pas en harmonie avec le progrès dont notre époque s'en- orgueillit avec raison, en considérant la marche des autres sciences | Lorsque la preuve ne peut être matérialisée, c’est à l'analyse intellectuelle qu’il faut avoir recours, afin de se faire jour vers la vérité. Ce n’est qu'à force de tâtonner que l’on arrive à trouver les principes vrais qui nous conduisent à n'être plus dupes de nos préjugés, dont malheureusement notre éducation médicale est encore fort entachée ; l'hypothèse y est partout , mais appa- remment que son antiquité la rend respectable ! Ce sont les penseurs qui ont fait faire les plus grands pas aux sciences ; ce sont eux qui, partant de connaissances précises et d'observations scrupulenses, sont allés au-delà et ont deviné ce .que d’autres ont, plus tard, reconnu être vrai. Buffon, Haller q 1 P ? - ) , Cabanis et Bichat ont ouvert la carrière à mille beaux talents ; à côté dequelques essais ou d’hypothèses erronnées, mais brillantes, dont l'éclat excita l'enthousiasme et l'imagination scientifique de leur temps, que de grandes vérités apercues et depuis admises au nombre des découvertes les plus riches en résultats ! Il est des questions qui ne sauraient passer à l’état de vérités, que par la communion indépendante des opinions et des réflexions de tous ceux qui aiment sincèrement la science pour la science. Il est donc nécessaire que tous les praticiens écrivent ce qu'ils ont vu, tout ce qu'ils ont compris, et que la discussion écrite de- ; pris, el q 92h VOYAGE DANS L'OCÉANIE. vienné chose de convenance parmi les hommes de science. Il se- rait donc à souhaiter que la publicité fût conçue sur des bases plus larges. Elle est aussi trop sy stémalique ; * en cela elle manque - de cette ampleur que l'étude de la nature e communique ordinai- { rement à tous les hommes instruits. Cette espèce de contre-sens est due à l'influence des petits intérêts d'amour-propre ou à celle des coteries. RÉFLEXIONS GÉNÉRALES. D On doit entendreen médecine, par infection, l'introduction, dans l'économie animale, d’un effluve ou d’un miasme virulent ou non virulent. Cette infection est primitive, spontanée où physique ; elle est secondaire ou pathologique. Dans le premier cas, elle est le résultat : 1° de la constitution géographique, météorologique et topographique du pays; 2° des circonstances matérielles que font naître, le fait seul de la réunion de plusieurs hommes, et les conditions inséparables de la ci- atont Division de l'infection physique que l'on pourrait résumer ainsi : | x Infection naturelle , émanant d’un pays malsain. Infection artificielle; émanant de l’imprévoyance humaine. Dans le second cas, Vinfection secondaire ou pathologique est le produit d’une maladie contagieuse. Parmi ces maladies, les seules que nous devions avoir en vue ici, sont celles par intoxi- cation interne, pr imitivement générale ; les autres sont toutes du domaine des ANA par then tin externe, primitivement locales : elles ne sauraient pendre place au nombre des maladies épidémiques. , Eu coù:ervant au mot sa valéur logique , nous dirons que l’on doit entendre par contagion, là t'asmission d'une maladie par le coutact médiat et immédiat d'un virus, el que ce mode de pro- pagation n'appartient qu'aux ne qui renaissent de l’inocu- lation de ce virus. Faute de cette preuve, la contagion ne saurait être admise : les quarantaines ontidonc été établies sur une hy- pothè-et. \ * Il1ya dix-neufans, que nous avons fait sentir la nécessité de bien dé- finir les mots contagion et infection. On ne s’entendait point alors dans - RENSEIGNEMENTS. 225 Un grand nombre de malades réunis en un lieu étroit, infec- teront l’air en produisant des miasmes , mais ces miasmes n’au- ront rien de vivulent, s'ils ne sont pas le produit d'un travail propre à une maladie, pendant la plus grande intensité du mal et au moment où il atteint son plus haut période ; ce qui cons- titue une véritable excrétion anormale. _ Les miasmes ou les effluves ne sauraient agir comme Îcs virus, ils se mêlent à l'air et empruntent tout à son altéra- tion physique : leur origine n’emprunte rien à l’organisation; ils agissent à la manière des poisons , soit qu’ils nuisent à la compo- sition de nos organes, soit qu'ils portent atteinte aux fonctions du régulateur de lorganisme, je veux parler du système ner- veux. Souvent, ce n'est que par une action prolongée qu'ils trou- blent notre économie, car la maladie n’éclate que lorsque la somme des altérations, que lear passage détermine dans nos organes, est trop considérable. En ceia , ils diffèrent, si ce n'est toujours, au moins le plus ordinairement, des poisons stupéfiants qui anéantissent presque instantanément les fonctions des centres nerveux. Si, à l’aide de la chimie , nous pouvions pénétrer dans lintime composition des miasmes, nous en trouverions de trois espèces : Fes 5 | 1° Le miasme qui prov:ent de la décomposition des matières animales mortes. .2° L’émanation gazeuse qui résulte de la décomposition des subtances végétales mortes. Elle a recu le nom d’effluve. 3° Le miasme qui est le produit des exhalaisons d’un (rep graud nombre d'hommes respirant dans un espace relativement trop rétréci. Ce miasme produit les fièvres éruptives. | L'une de ces dernières affections est contagieuse ; elle est carac- térisée par un ensemble de phénomènes vitaux et éphémères, qui paraissent avoir pour but la production d’un liquide particulier dont l'apparition à la surface de la peau signale la maturité d’un virus. Le mode d'action de ce dernier est comparable à une sorte de fécondation qui aurait pour matrice tout l'organisme et pour placenta les radicules véineuses des membraues tégumentaires, les discussions, faute de ces définitions. (Réflexions sur la fièvre jaune. thèse soutenue à Pafis le 14 avril 1826.) *: 45 226 VOYAGE DANS L'OCEANIE. tant inteynes qu'externes : c'est une véritable excrétion añormale. , Commetousles liquides, il est susceptiblede se réduire en vapeur, et il conserve même ses propriétés contagieuses, Sous cette der- nière forme, il devient miasme. C’est le miasme spécifique, parce qu'il peut reproduire la maladie dont il est le fruit. À ce point de vue, il diffère beaucoup du miasme par simple exhalaison ani- male, vivante, qui produit la première variole de toute épidémie, qui prorluit aussi la scarlatine et la rougeole, et qui contribue, comme cause prédisposante, au développement des fièvres ty- phoïdes. Il ne faut pas perdre de vue que le virus est toujours l'objet d’un travail spécial des solides vivants et malades, et qu'il est conséquemment toujours sous forme liquide. Tous les mias- mes, sans exception de nature, empruntent donc à l’eau le véhi- cule à l’aide duquel ils peuvent se volatiliser, Parmi les causes des maladies, la contagion perd chaque jour quelque portion de son empire usurpé ; mais à mesure qu'elie se renferme dans les bornes du positif, les partisans de linfeetion s’égarent à leur tour; ils supposent que des miasmes endémiques peuvent être transportés du point qui les voit naître sur un point éloigné qui en est ordinairement préservé : ils croient que les per- sonnes atteintes de ces affections exhalent ces mêmes miasmes-qui les ont pénétrées , et auxquels elles doivent lenr maladie. Il me semble que leurs antagonistes sont plus rationnels :-ils font vo yager l'émanation morbide spécifique; ils la font adhérer à quel- ques corps, ainsiquedesodeurs, ou bien ils voient en elle une ex- crétion pathologique, une individualité virulente s’exhalant con- tinuellement du malade et se transmettant autour de lui. I faut bien reconnaître que c’est ainsi, en effet, que procède la conta- gion, quaud elle existe. On ne saurait donc leur reprocher que l'emploi abusif d'une vérité médicale ; car la contagion est un fait, et l'infection et ses conséquences, telle que l’admettent la plupart de ceux qui se croient partisans de linfection , est une hypothèse. Lorsque l'infection semble se propager d'un individu malade à un individu sain, ce n’est qu'une apparence; car, hors du foyer d'infection, toute prétendue transmission de maladie qui n’est point contagieuse, cesse aussilôt. Au reste, est-il bien raison- nable d'admettre, en supposant l'exhalaisons de miasmés absor- r ro 4 2 RENSEIGNEMENTS. 297 bés par les malades, que ces derniers soient susceptibles d’infecter l'air au point de propager l’empoisonnement? Pour y croire, il faudrait d’abord que l'expérience se fit hors des lieux où règne la maladie, et que les personnes appelées à soigner le malade, ainsi transporté, la contractassent. Mais en y réfléchissant, on voit que cela ne peut se passer ainsi, que cetle explication n’est point - satisfaisante et qu’elle n’est surtout nullement physiologique. Pour que l'infection pût se transmettre ainsi, il faudrait que le malade s'imprégoit pour ainsi dire de miasmes : mais celte in- fection nouvelle pourrait-elle se constituer en foyer susceptible d'une certaine durée ? L’individu imprégné ne serait pas inépui- sable. Au reste, il répugne de transformer un malade en une sorte d'éponge, qui transporte les liquides dont elle est imbibée : cette explication physique de l'infection d'individu à individu mérite bien d'être mise au nombre des idées hazardées. La vie oppose upe sorte de résistance et de répulsion à tout ce qui peut lui nuire, et ce n'est qu'à la longue, par le passage continu et par l’action prolongée desmiasmes ou des effluves, qu'ils altérent enfin les fonctions et lèsent l’organisation en lésant la sensibilité. D'un autre côté, une quantité de poison miasmatique suffisante pour en saturer l'économie tuerait ie malade à la manière des poisons stupéfiants concentrés, et cela en très-peu d'heures; mais, encore une fois, celte saturation est un phénomène physique que les lois de la physiologie repoussent. ; Tout le monde sait que les malades vicient l'air en raison di- recte de l'altération physiologique que le mal impose à leur or- ganisme ; pour celte seule raison il est très-important de ne pas les accumuler dans des salles, dont malheureusement l'élévation ne peul jamais être en rapportavec leur grande longueur.Cetteob- servation s’appliqne à toute espèce de maladies,et par conséquent elle n’a rien d’applicable à l’une d’elles plutôt qu’à touteautre; ce- pendant, on ne saurait irop en tenir compte dans un temps d’épi- démie, parce que l’encombrement des malades ajoute à la gravité de la constitution générale, et devient une nouvelle cause d'iilu- sions, par rapport à la contagion et à la manière d'envisager la propagation par infection. La cause qui détermine l’empoisonnement par infection, est ce que les médecins ont appelé miasme, ou éther malfaisant ; nous 228 .. VOYAGE DANS L'OCEANIE. ne le connaissons que par ses eflets et par son origine; son es- sence nous est inconnue ; nous n'avons qu'une connaissance fort imparfaite du mode d'association de ses éléments ; cependant, tout impalpable qu’il soit, nous le saisissons assez, au moyen de lob- servation clinique, pour distinguer le miasme de leffluve. Leur mode d’action n’est pas le même sur l’économie animale ; souvent ils prennent naissance dans les mêmes lieux, mais ils ont étéjus- qu'à présent aussi insaisissables l’un que l'autre. Par incurie, ignorance, ou bien malpropreté, l’homme peut développer l’un et l'autre ; mais alors le foyer en esttoujours peu étendu et ilse borne à un district, à une ville, à une forteresse, à un hôpital, à une prison, etc. Ilest à l'égard des miasmes et des effluves une distinc- tion des plus importantes à faire : ils sont le résultat des condi- tions où la civilisation place l'homme sous le double rapport de ses habitations etdeses habitudes : ou bien ils trouvent leursource dans la constitution physique du pays. Dans le premier cas, le typhus commun, la variole, la scarlatine, la rougeole, les dothi- nentéries typhoïides ”, sont les produits les plus ordinaires. Dans le deuxième cas, ils donnent presque toujours naïssance aux fiè- vres intermiltentes pernicieuses ou non pernicieuses, au choléra, à la peste, aux dothinentéries œdeno-nerveuses **. Nos habitudes nous suivent partout; aussi, nos habitations toujours trop rapprochées, souvent trop peu spacieuses et tou- jours trop closes, doivent être seules accusées de l'existence de la petite véroleque nous répandons dans tous les pays non civilisés. Il suit d’une cinquantaine d'habitations européennes groupées sur une plage sauvage pour ÿ voir la petite vérole sévir tout à coup, et se répandre parmi les indigènes. Il n’est pas toujours nécessaire qu'un des nouveaux venus en soit affecté pour que ce fléau at- teigne les indigènes, il suffit pour cela que plusieurs de ceux-ci visitent souvent les demeures des étrangers, ou y passent une grande partie de leur temps. Il en est de même de la rougeole et de la scarlatine, À ‘* J'entends par cette dénomination les dothinentéries développées sous l'influence accessoire des miasmes. #* J'entends par cette dénomination les dothinentéries développées sous l'influence accessoire des effluves. du RENSEIGNEMENTS. 229 J'ai fait ces remarques un grand nombre de fois au Pérou, eu Bolivie ; les ichthyophages du désert qui vivent au bord de la mer, toujours en plein air, sont affectés de la petite vérole pres- qu'aussitôt leur arrivée dans une ville, où les attire quelquefois le service militaire, plus souvent la curicsité, les tentations du chan- gement et celles de l'ambition. Au Chili, la même chose arrive aux Araucaps qui quittent leurs hautes vallées, les lieux les plus aérés de la terre, et ceux où l'on respire peut-être l'air le plus pur des continents, pour venir s ‘enfermer, pendant un temps plus ou moins long, dans les établissements des descendants de l'Es- pague. Les Boéiens qui veulent naviguer avec les Européens meurent presque tous de cette maladie : et d'éviter ce malheur, jai vacciné un indigène de Tonga, que la persécution des mis- sionnaires de Vavao avait forcé à se réfugier à bord de lÆs/ro/abe. Mais il mourut de phthisie pulmonaire, huit mois après, des sui- tes d’une rougeole intense. Mafi était d’une force remarquable ct d’une très-belle santé lorsqu'il vint à bord. La meilleure vaccine ne préserve pas toujours les nègres créoles, habitués à l'air de la montagne, de la petite vérole, lorsqu'un changement demaître ou d’autres emplois les font tout àcoup pas- ser de la campagne à la ville; j'aurais eu mille preuves de cette -bature à citer. _Ilest rare qu’un vaisseau ou une frégate nouvellement armée n'offre pas quelques cas de variole dans les six premiers mois qui suivent son départ; car il y a toujours, sur un grand nombre de conscrits, quelques habitants de la campagne. Il n’est pas rare que les mousses, qui, cependant , ne sont admis que sur des certifi- cats de vaccination, présentent, malgré cette précaution, quelques cas de petite vérole ou de varioloïde, à bord des navires de l'Etat. Tous ceux qui n’ont pas encore été éprouvés par la rougeole ou la scarlatine contractent l’une ou l'autre de ces maladies, quel- quefois l’une et l’autre successivement. C’est principalement parmi les plus jeunes et les plus nouveaux élèves que la rougeole et la scarlatine sévissent annuellement dans nos colléges ; il en est de même dans les casernes, aux époques où les conscrits y affluent de nos campagnes. Aiusi, nul doute que l'accumulation des hommes, dans de lieux peu étendus ou dans des villes toujours trop circonscerites 0 230 VOYAGE DANS L'OCEANIE. pour leur population, he soit la cause prédisposante de la va- riole, de la rougeole et de la scarlatine; et que les exhalaisons qui s’échappent des corps vivants, quoique bien portants; etqui s'accumulent dans l'air imparfaitement renouvelé, n’en soient les causes efficientes. - & La malpropreté engendre le typhus, cette autre affection de la civilisation ; il sévit dans les villes sales ou mal aérées, dans les hôpitaux, les écoles, les casernes, les prisons, les forteresses, dans une armée, un vaisseau, etc., où l'on néglige les règles de Fhy- giène Les plus communes et les plus faciles. La cause efliciente de son iniasme propre est dans la décompo- sition des matières animales en putréfaction: Ainsi que la cause des maladies érupuüves, celle du typhus peut être aggravée par la constitution passagère où constante de l’at- mosphère du pays ou seulement de celle de la saison ; c'est ainsi que le typhus revêt bien des formes et se complique de mille ma- nières, dont on ne trouvera bien l’énigme qu'en se rendant ün compte exactde la /opographie des régions où on l’observe. Le genre typhus possède un grand nombre d'espèces qu'il appartiendrait aux voyageurs de déterminer; car la comparaison est le seul moyen de les distinguer. Mais les médecins qui parcourent le monde, ressemblent beaucoup à ces naturalistes qui négligent d'observer ou de collecter ce qu’ils rencontrent communément ; ils se laissent prendre à des apparences, à des ressemblances su= perficielles ; s'ils observaient plus profondément, ils trouveraient; à leur grande surprise, des choses fort nouvelles qui ajouteraient beaucoup à l’'enchaînement de nos connaissances médicales *: C’est par des études minutieuses de topographie que l’on arri- vera à comprendre la nature intime de ces typhus endémiques; qui se développent sous l'empire des causes physiques particu- lières au pays, et qui n’est jamais précisément ce tÿphus dû à l'ignorance, à l’imprévoyance, à l’économie aveugle; ou à la pa- resse des hommes réunis en société compacte. * La médecine comparée sè compose de deux branches fort intéres- santes ; l’histoire des maladies de homme comparées sur différents points . du globe ; l’histoire des maladies de l’homme comparées avec celles des animaux. F RENSEIGNEMENTS. 231 La peste du Levant est un typhus du genre de celui auquel je fais ici allusion ; la fièvre jaune est une maladie spéciale; elle fut parfäitement connue des anciens, mais confondue par eux et ja- mais spécialisée; en effet, elle se complique souvent du ty- phus. ; ( Si l’on veut persister à la considérer comme un tÿphus, il fau- dra au moins reconnaîtreque ce prétendu typhus est d’une nature fort singulière, et il faudra bien admettre aussi que, pourle bien traiter, il faut en connaitre les causes spéciales qui en font un typhus sur generis. C’est en effet là qu'est tout l& traitement de cette maladie, et par conséquent les succès que l’on a droit d’at- tendre d'un médecin dévoué à la science et à l'humanité. Fous les médecins qui voudront se livrer à l'étude de cette question, qui oseront surtout en fouiller l’étiologie sur les lieux, arriveront infailliblement à ce résultat que la fièvre jaune n’est pas un ty- phus. Les succès qu’ils obtiendraient alors les convaincraient promptement que leurs travaux ne les ont pas conduits à de l'erreur. AT Le typhus proprement dit, le typhus simple, n'existe pas dans la nature; il n’est jamais que ‘le résultat de l'agglomération mal entendue d’un grand nombre d'hommes; il peut être sporadique, c'est-à-dire qu'il peut se développer chez un individu isolé, qui se trouve tout à coup placé hors de ses habitudes des champs, au milieu d’une ville, ou transplanté de la campagne dans une ca- serne ou dans une prison. Il peut être endémique dans les villes mal administrées : il l'était dans le vieux Paris; par la même raison il l'était autrefois dans les hôpitaux, dans les maisons de réclusion ; il l’est encore dans les bagnes. Souvent alors il de- venait épidémique, parce qu'il arrive toujours que les miasmes endémiques, auxquels se sont nécessairement habitués, Jusqu’a un certain point, les habitants des pays constamment infectés, prennent tout à coup un tel développement sous. linfluence de variations météorologiques , que l'habitude même en devient un faible préservatif. L’endémie du typhus est aujourd'hui chose beaucoup plus rare, mais nos plus grandes cités en sont encore le triste séjour, parce que l’on n’attiche point assez d'im- portance aux préceptes de l'hygiène: ils ont quelque chose de si général et de si vague, qu'ils ne se rattachent clairement à 939 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. aucune nécessité bien reconnue, bien arrêtée et, par consé- quent, bien sentie. 3 Les fièvres éruptives, avons-nous dit, sont le résultat direct d'une grande réunion d'hommes ; la plus exacte propreté en pareil cas ne parvient pas à en prévenir le développement, là où sont entassées de grandes populations, un trop grand nom- bre de personnes. Il importe, ce me semble, que nous mettions à profit ces enseignements, lorsqu'il s’agit de la construction d’une ville nouvelle, d’une maison neuve, d'un hôpital, d’une caserne. Le moyen, en effet, d’obvier autant que possible aux inconvé- nients inhérents à de grandes accumulations d'hommes sur un scul point , c’est de laisser entre chaque habitation un éspace planté d'arbres, de faire des rues larges, et d’accumuler le moins, de monde possible dans des demeures spacieuses *. Ce simple aperçu de ce qu’il conviendrait de faire, prouve à quelles immenses conséquences une connaissance plus exacte des causes des maladies nous entraînerait ; aussi n’avons-nous d'autre but que de constater le fait; on ne saurait penser à détruire les anciennes villes. Cette idée serait la perfection de l’extravagance ; il faut bien accepter les erreurs du passé et subir un mal qu'on ne saurait empêcher : mais il reste bien des villes à fonder sur ce globe, où la civilisation est si jeune encore; aussi importe-t-1l beaucoup de faire remarquer ce qu’il y a encore de gaubois dans cette manière d’entasser, non seulement les maisons, mais encore de construire sur l'emplacement des plus petites cours, et de ré- duire l’espace qui donne accès à l'air, à la dimension d’une espèce de cheminée. La police de Paris serait encore à temps d’empécher bien des abus de ce genre, sielle était bien pénétrée que là gît, en grande partie, la cause incessante des maladies éruptives. En vain, l’on élargit les rues, l'on prend des mesures de propreté sénérale, si la spéculation crée de nouvelles constructions sur des propriétés où déjà l’espace manque à leurs habitants. Dans nos villages les plus heureusement situés, au centre de pays sains, on retrouve ces maladies même sous des chaumières * La Nouvelle-Batavia est ainsi construite ; depuis, les terribles épidé- mies, dont elle a été tant de fois victime, respectent les élégantes retraites des Hollandais. 24 » RENSEIGNEMENTS. 233 isolées, ou vivent pêle-mêle, dans un espace à-peine suffisant pour deux personnes, jusqu’à douze et quinze individus, Ne pourrait- on pas exiger que loutes ces modestes demeures se conuformassent à un plan uniforme où se rencontrât tout ce qui est indispensable à la santé, espace, élévation, circulation de Pair. Petit à petit, l'habitude de vivre dans des maisons commodes rendrait plus difficile sur le choix d’un domicile, et chacun s’efforcerait de parer son habitation, à force de propreté cet d'ordre. Le cadre s’y préterait et naturaliserait le goût de vivre à l'aise, ainsi que le doit faire l'homme qui se respecte. Cet ordre, cette netteté des habitudes feraient de rapides progrès. Quant aux hôpitaux, on devrait bien faire cesser la méthode barbare de convertir en hô- pital d'anciens couvents ; ces établissements ont une destination qui exige un plan spécial, qui ne saurait être conçu sans la con- naissance exacte, non-seulement des préceptes vulgaires et géné- raux de l'hygiène, mais même d’après la connaissance la plus intime possible des causes épidémiques. Deux choses capitales signaleront l’époque de cette réforme salutaire : la suppression des salles trop grandes, et le transport des hôpitaux hors du centre de nos citées, sur des points isolés et réunissant tous les avantages de salubrité. Au centre des grandes villes, il ne devrait exister que de petits hôpitaux annexes qui s'évacueraient tous les jours, au moyen d'ambulances et de précautions convena- bles. L’enlèvement des immondices des villes, une extrême propreté constituent toutes les précautions à prendre pour prévenir le dé- veloppement du typhus ; cependant, il ne faut pas oublier qu'un lieu quelconque, une prison, par exemple, parfaitement propre, peut être frappée du typhus par les émanations continuelles d’un égout voisin, ou de toute autre cause du même genre, dont les exhalaisons abondantes infectent l’air dans une étendue plus ou moins grande. Aussi serait-ce un grand bienfait de pouvoir, tous les jours, nettoyer les égouts, en y faisant passer de grandes quântités d’eau. À Paris, comme dans toutes les vieilles villes, il . resterait ce moyen d'obvier, autant que possible, aux graves in- convénients d’une population trop entassée. Il faudrait faire en grand, pour les égouts, ce que l’on fait en petit pour les ruis- seaux, au moyen de bornes-fontaines. 234 VOYAGE DANS L'OCEANIE. Quant aux miasmes produits de la naturé, sans l'intervention du voisinage de l’homme, aux miasmes qui font partie intégrante du climat, ils sont en général réunis aux effluves, voilà ce que m'a démontré l'étude d’un grand nombre de lieux réputés mäl- sains avec raison, et où se montrent les affections épilémiques des plus graves Or, le typhus commun n’est pas la maladie que développe cette association délétère ; ce sont les fièvres intermit- tentes de toutes les espèces, ce sont certaines fièvr'es typhoïdes, et le choléra, que jé suis tenté de regarder comme l’exagération des unes et de autres réunies. C'est une dyssenterie sui generis, qui n’est pas toujours la con- séquence simple d'une mauvaise nourriture, ainsi qu'on se le figure génére alement en Europe, mais plus souvent encore, elle est, parmi Les équipages de nos vaisseaux , qui recoivent tous aujourd'hui d'excellents vivres, elle est, dis-je, le résultat du refroidissement brusque de la peau, et par suite d’un catarrhe du gros intestin , lequel se complique souvent dans l’Inde, de la dothinentérite et des caractères particuliers au choléra. Celui-ci, comme certaines fièvres intermittentes graves, semble emprunter une partie de son cachet spécial au trouble des fonctions des nerfs trisplanchniques. Au reste, pour le dire en passant, c’est une grande erreur que de croire à l'unité de la dyssenterie; c’est un genre parmi les affections catarrhales et un genre qui possède plusieurs espèces; la diversité des causes déterminantes et des climats en font varier la nature. La multiplicité des affections que nous sommes appelés à com- battre va beaucoup au-delà du cadre de l’école. Que ceux d’entre nous qui voyagent fécondent leur esprit par le travail etfpar la méditalion ; personne n’est mieux placé que le médecin voyageur pour observer beaucoup et pour saisir, s'ils ÿ sont bien préparés, les rapports des maladies entre elles, etsurtout pour apprécier les causes qui les déterminent: La nature met sous leurs yeux; pendant le cours de longues pérégrinatrobs ; où pendant le. séjour dans divers pays, les grandes vérités sans lesquélles la science est malheureusement trop atteinte d'empirisme, La tâche est difficile, parce que les faits sont nombreux, parce qu’ils sont: épars sur toute la terre; aussi n'est-ce pas en bornänt ses études à un cadre étroit d'observations, et en les rerifermant dans les” RENSEIGNEMENTS. 235 limites des livres grossis des faits peu variés d’un champ d'ob- servations r'étréci, que l’on doit espérér faire de la médecine une science résumant ses principes de la multiplicité des maladies bien observées; bien comparées et réunies en faisceaux dans une classi- fication naturelle: faire des topographies minutieuses , savantes même, du moins est-ce là que l'on doit viser; faire la topogra- phie, dis-je, de tous les lieux où sévissent ; sous formes eadémi- ques où épidémiques ; les maladies dites par infection ; c’est le moyen d'arriver promptement à des idées plus exactes sur la na- ture de ces affections qui empruntent au climat seul leurs prin- cipaux caractères. En cela , les Académies et les Sociétés labo- rieuses dévouées à la science pour la seience, et oubliant surtout les iatérêts de leur amour-propre, seraient essentiellement utiles comme centre où les travaux dé chacun devraient être élaborés, et surtout publiés avec de savants commentaires. Que l’on ouvre l'histoire des grandes épidémies, et l'on verra que l'unique objet de la préoccupation des médecitis a été., pres- que toujours ; d'expliquer l'arrivée du fléau dans le pays; fà- cheuse conséquence des idées scolastiques ! À peine admet-on comme cause prédisposante, la malpropreté d’une ville ou toute autre circonstance fâcheuse, que l’on ne pouvait point ne pas remarquer; mais on s'attache obstinément, et vraiment comme par vertige, à voir dans un voyageur, dans un navire, causes si peu | enrapport avec la rapidité de la propagation du mal etsurtoutavec son étendue, l’origine du vaste embrasemeut qui, tout à coup, se développe, et en moins d’un mois, précipite la moitié d’une ville dans la tombe! Cette réflexion seule prouve que tout est à revoir et à refaire en médecine, et que ce siècle si ennemi des assertions et des hypothèses, ex apparence, n’a pas encore une opinion médicale qui n’en soit entachée. Ce qui importe au traitement et à l'hygiène , à la solution des grandes questions sociales, qui intéressent l'humauité entière, c'est l'étude des causes des maladies épidémiques: Leur origine et leur nature, d’où proviennent leurs variétés, ce que pro- duisent ieurs combinaisons ; indiquer les circonstances qui favorisent leurs complications, tel est le programme que l’on doit toujours se proposer, lorsqu'il s’agit de décrire une épidé- mié. Cette méthode invariable donnerait à nos recherches une 236 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. certitude qu'elles ne sauraient avoir, parce qu’elles sont presque toujours dirigées par un esprit qui cherche plutôt la confirmation , des idées de l’école, qu’à s'éclairer en faisant de nouvelles études et en cherchant à en faire prévaloir les vérités, malgré la répul- sion systématique qu'elles doivent invariablement soulever. On voit de suite que le vrai moyen d'atteindre le but que je propose ici, est donc, je le répète, d'étudier la topographie du pays, pour en bien apprécier le climat, les variations qu'il peut éprou- ver, et le genre d'influence qu'il est susceptible d’exercer sur la production des causes des maladies. Si le mal est circonscrit dans une localité peu étendue, il faut joindre à cette apprécia- tion du climat, la description minutieuse des lieux, en subor- donnant l’action de ce climat partiel à celle du climat général, auquel il est nécessairement soumis. Mais on est loin d’avoir suivi cette marche dans l'étude des ma- ladies ; l’étiologie est la partie la moins étudiée, et par cousé- quent la moins intéressante de l'histoire des maladies épidémi- ques et même de toutes les maladies. Lorsqu'aucune circonstance remarquable, comme l’arrivée des marchandises , d'un ou de plusieurs voyageurs, ne peut être accusée de fléau, on se con- tente d’une énumération banale de causes invariables pour toutes les maladies épidémiques possibles : on cherche dans les hôpi- taux , les prisons, les quartiers les moins sains de la ville, où de- metre la classe la plus malheureuse, et l'on ne manque pas d'y trouver les premiers malades de l'épidémie. Pourquoi ces lieux ont-ils offert les premiers malades? On ne s’en occupe que très- accessoirement. Que. fallait-1? Une cause plausible, elle est wouvée ; là s'arrêtent toutes recherches. Si un régiment a tra- versé la ville, on écrit que ce dernier y a laissé des malades et [+ que d'eux est venu le mal. Jamais on n’a songé, même dans les lieux les plus malsains, à se demander si ce régiment, loin d’avoir apporté la maladie ne l’a pas contracté dans le pays? hoc est, er- g0, propter hoc... Si la ville ou le paÿs se trouve sur le passage d’une armée, on pourrait sans manquer de logique, se faire aussila même question ;mais on s’en garde bien; ce w’est pas as- sez simple ; ce sont donc les ambulances qui ont été le foyer de l'épidémie ! Ce surcroît d'habitants entassés sur une ligne déterminée, RENSEIGNEMENTS. 237 pourrait bien être la cause de la calamité publique ; mais on n’a pas l'habitude de considérer la chose sous ce point de vue; l’on persiste donc dans le sentier battu, et l’on écritque l'épidémie vient de loin, qu’elle à été apportée par telle ou telle armée. 11 est ensuite très-facile de prouver que dans ses rangs, parmi des mi- litaires fatigués et soumis à une foule de privations, il doit s'être rencontré de bonne heure des malades, et de suite l'on couclut qu'ils furent l’occasion de lénfection ou de la contagion. Un navire qui arrive du large, au moment où toutes les conditions d’une af- fection épidémique se concentrent sur une ville, doit présenter les premiers cas de la maladie qui se préparait avant l'entrée du bâtüment dans le port ; car la transition brusque de l'air pur du large à celui de terre, est toujours d'autant plus sensible aux ma- rins, que l'atmosphère du pays abordé est moins salubre. J'ai eu la preuve fréquente que cette observation n’est point seulement théorique , mais que la pratique en sanctioune la vérité. Lorsque le début du mal est accompagné d’une pareille circonstance, j'a- voue qu'il est difficile de ne pas en être frappé et même trompé, si des études plus sérieuses que celles que l’on fait ordinairement sur les causes des maladies épidémiques, ne vous mettent en garde contre l'entraînement d’expliquer si facilement l'apparition d’un mal insolite, au milieu de telle ou telle population. Maïs, en vé- rité, pour en venir là, il était inutile d'imaginer le mot infection ; celui de contagion était plus clair et plus rationnel. Il n’est pas de maladie épidémique qui n'ait trouvé son ori- gine au fond d’une cale. C’est tout au plus si l’on daigne s'en- quérir de quelques causes locales, que l’on considère à peine comme des circonstances aggravantes. Les infectionnistes eux- mêmes usent de ce moyen d'expliquer l'apparition subite d'une maladie épidémique, ils exhument volontiers le fléau du fond d’un navire; les mots ne seraient donc que changés? Le système de la contagion subsiste tout entier ! En effet, comment voulez- vous qu'un navire infecte toute une ville sans le secours de la contagion ?..... La malpropreté de la ville, quelques égouts mal construits , la grande chaleur, sont cependant mentionnés ; mais on raconte surtout le plus élégamment possible l'histoire clinique de toutes les épidémies de même nature, qui ont déjà, à diverses époques, frappé sur la malheureuse cité; on rappelle les opinions 238 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. des médecins deces temps éloignés, sur le point de départ de la con- tagion ou de l'infection; car il fallait alors un foyer, comme il le faut aujourd’hui ; telle est l’idée fixe des praticiens : du moment que l’on croit pouvoir l'indiquer. tout est expliqué, quelle que soit la nature de l'épidémie : peste, typhus , choléra, fièvre jaune, va- riole , fièvre putride, rougeole, etc... Le moyen de se faire une idée de la nature de ces affections , avec une nn ie manière de procéder ! | Hippocrate, et depuis lui, le grand Halles, nous avaient donné d'excellents conseils sur la nécessité des topographies médicales : que de faits ce mode d'investigation nous eût révélés, si, depuis le père de la médecine, il fût resté en faveur parmi les médecins. Sans doute, limperfection de la physique n’eût point toujours permis d’avoir des observations bien faites et des applications toutes parfaites; mais l'effort de l'esprit füt resté; c'eût été un degré de franchi pour nous et pour nos neveux: le fait, discuté alors, serait constaté aujourd'hui, en même temps qu'expli- qué, au moins d’une manière plus conforme aux lois bien con- nues de la nature, Nous connaîtrions la majeure partie des cli- mats de la terre habitée, et de cette connaissance serait résultée une connaissance plus convenable, si ce n’est encore complète, des maladies particulières à certains pays, mais qui ne manquent pas de nous visiter de temps en temps, et qui, à ce point de vue seulement, nous intéressent beaucoup. L'observation comparative des symptômes des maladies appar- tenant à la même classe, au même genre, nous eût fait prompte- ment remonter à l'étude de leurs causes, si la routine de l'Ecole n’eût pas été pour la médecine ce qu’elle fut pour toutes les scien- .ces, le plus fatal obstacle à la liberté de l'esprit, qui devient ce- pendant du génie lorsque de la mêlée des intelligences engagées dans la voie de l'observation de la nature, la foutre jaillit de toutes parts, | Ce fut l'observation des symptômes de la fièvre jaune rappro-. chés dans une foule de circonstances, qui me fit sentir la néces-, sité d’insister sérieusement sur la distinction we fiévre jaune spo= radique et de fièvre jaune épidémique. Si elle n’eût jamais été. perdue de vue, elle nous eût éclairés depuis longtemps sur la na ture de cette maladie ; ou eût vu, dans les deux conditions d' une # | RENSEIGNEMENTS. 239 . même affection, des traits tellement différents que l’on aurait peu tardé à reconnaîtreque la fièvre jaune sporadique diffère beaucoup de la fièvre jaune épidémique; que celle-ci est, chez un Européen récemmment arrivé aux colonies de l’ouest, une fièvre typhoïde, ou un typhus compliqué de fièvre jaune, et un typhus ou une fièvre typhoïde, sans complication, chez un créole. Or, cette dis- tinction est toujours bonne à faire pour toutes les fièvres qui peuvent être épidémiques, et par conséquent pour le typhus : en effet, celui-ci existe toujours dans les grandes villes, et il y exerce son fâcheux empire principalement sur les personnes qui y af- fluent des campagnes. Mais lorsque les causes s’aggravent, elles peuvent atteindre un point de’gravité tel, qu'elles agissent sur tout le monde indistinctement, et leurs coups seront alors d’au- tant plus assurés que leurs victimes se trouveront être d’une santé plus faible, moins aguerrie par des épidémies antérieures : souvent alors, il se complique de charbon et de,scorbut. On ne s’habitue point aux miasmes; la résistance que l’orga- nisme leur oppose n’est jamais que relative, ou ne leur échappe qu'autant qu'ils ne sont pas assez concentrés, ou d’une nature assez active pour affecter un homme qui peutimpunément en braver les atteintes plus faibles; mais aussitôt que cet état ha- bituel de l’air devient plus mauvais encore, l'infection s'étend à ceux qui s’en croyaient, avec quelque raison, les plus à Pabri. Jamais un cas de typhus isolé n’a passé pour contagieux ; si bien que la vieille médecine elle-même admettait la non conta- gion du typhus sporadique : est-ce bien raisonnable? Une même maladie a-t-elle deux natures? Non; le degré du mal n’en change ni la cause ni l'espèce, Le typhus n'est-il pas un empoisonnement ? etles gaz délétères, qai ont pénétré dans l’économie du malade, n’auraient-ils pas, ainsi que dans le typhus épidémique, la même tendance à s’é- chapper et à se répandre? Aucune raison ne s’y oppose, ce me semble, à moins que ARRETE de la contagion du typhus soit mauvaise, anti- “physiologique ; c’est, en effet, ce que je crois. Je vais plus loin: je suis convaincu que les cas de peste isolés doivent être rares à Constantinople, à Smyrne, à Jérusalem, à Alexandrie, au Caire, etc..….,etqu'ilss’ observent, sion nesetrompe, à l’époque où la peste a coutume de se montrer dans ces villes, chez 240 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. les étrangers qui subissent l'influence du climat pour la première fois *. Ces cas doivent passer inapercçus, parce qu’ils ne peuvent pas éveiller l’idée de contagion ; mais lorsque, par suite’de causes particulières à la physique générale de certaines années, l'infec- tion acquiert une intensité plus grande, il doit arriver alors ce qui se passe pour le typhus; nul n’est en droit de s’en croire à l'abri, même ceux que d’autres épidémies ont déjà éprouvés. Quant aux cas de peste endémique qui régneraientt ite l'an- née dans les villes dont je viens de citer les noms, je A que ce sont des cas de typhus endémique, et rien de plus **. L'infection constitue une classe importante de maladies, à la- quelle on doit donner le nom de pestilentielles ; car le mot peste rappelle bien l’origine et la cause de ces affections. Essayons de les classer : ainsi que nous l'avons déjà dit, c’est un moyen de saisir mieux leurs rapports et de mieux lire leurs caractères. «Æ LA CLASSIFICATION ÉTIOLOGIQUE. Cette classe des maladies par infection se divise naturelle- ment en trois ordres, qui comprennent : 1° Les affections par intoxication primitivement locale et se propageant par résorption et par inoculaticn; 2° Les maladies par intoxication primitive- ment générale, et qui se contractent par la voie de la respiration, par celle de l'absorption légumentaire et par celle des muqueuses; 3° les maladies épidémiques par brusque perturbation, ou par imperfection habituelle des harmonies organiques contrariées, © sans empoisonnement primitif. | La variole est la transition du premicr ordre au second; car elle peut se transméttre par l’inoculation de son virus qui, en * Nous ne doutons pas que les vents du sud doivent être pour Smyrne, pour tout le littoral de l’Asie-Mineure, etc... le véhicule des miasmes de la vallée du Nil. Quant à Constantinople, ma conviction est que les esprits prévenus y croient voir souvent la peste sporadique, là où il n’y a souvent que typhus et quelquefois fièvre jaune. ** Typhus commun. RENSEIGNEMENTS. 241 vertu de sa virulence extrême, ne tarde point à reproduire une _maladie de toute l’économie. Les second et troisième ordres sont les seuls qui doivent m’oc- cuper ici : le second est celui des maladies par intoxication géné- rale externe, et se divise en deux groupes naturels. :° Le groupe des empoisonnements par émanations physiques et pathologiques. 22 Section A. Empoisonnement par les miasmes, et par les , miasmes et les effluves réunis, ou par l'introduction d’a- liments gâtés. Section B. Empoisonnement par les effluves. 2° Le groupe des empoisonnements épidémiques par altéra- tion du sang : D e or Section À. Mauvaises qualités des aliments et de Pair. Le troisième ordre est celui des maladies épidémiques par in- toxication générale interne, par imperfection des harmonies or- ganiques, Sans empoisonnement primitif, Section À. Affections catarrhales épidémiques de l'intestin grêle. Section B. Affection catarrhales épidémiq ues du gros Intestin. Premier groupe. À. La variole, toutes les fièvres éruptives, l’ur- ticaire, les’ typhus constituent la premiére section de ce prémier groupe; empoisonnements miasmatiques. Cette section comporte naturellement deux divisions : la première renferme les fièvres éruptives, dues à un empoisonnement par des miasmes spéciaux. Une réunion d'hommes dans un espace relativement trop rétréci et où l'air se renouvelle trop lentement, parait être la condition commune et primitives de celles de ces affections qui résultent de l’action de miasmes spéciaux. L’éruption de ces maladies est caractérisée pu un mouvement organique essentiellement-actif, vital : ce qui n’est point daus le typhus, dans la fièvre typhoïde , dans le scorbut; car les pété- chies ne sont qu'un résultat passif, une sorte d’épanchement dans le corps réticulaire. Cette premiére division comprend : 1° Le genre variole, Espèce : variole et ses variétés. x. 46 242 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Cette affection et ses congénères produisent toutes un liquide excré- mentitiel : celui de la variole est seul susceptible d’inoculation. - 2° Le genre rubéole. Espèces, rougeole, scarlatine et leurs variétés. 3° Le genre esséra. Espèce: urticaire et ses variétés. La cause de chacune de ces maladiesest ua miasme particulier, agissant sur l’économie par l’intermédiaire de la circulation, et éliminé par les ca- pillaires exhalants, j La deuxième division de cette première section se compose des maladies épidémiques, par l'introduction d'aliments gâtés ou par empoisonnement iniasmatique; c’est-à-dire par les émanations de substances animales en putréfaction ; quelquefois elles sont mélées à celles des substances végétales mortes, c'est-à-dire aux effluves. | | Elle comprend le genre typhus. Espèces : 1° Typhus commun et ses variétés ; 2° Typhus adeno-nerveux. La cause de chacune de ces maladies est un poison stupéfiant, agissant sur nos tissus par l'intermédiaire de la circulation. — B. La seconde section de ce premier groupe renferme Îles maladies épidémiques, qui reconnaissent pour causes principales L4 les effluves : ‘ 1° Celles-ci agissent à la er G. choléra. is Choléra et ses va- sur tous les centres nerveux : Espèce, riétés. 2° Elles n’agissent que sur un > F. rémit. et inter- centre nerveux. : - (G: apyrerie. 9" PSP 3° Elles n’agissent quesur une Espèces, ]5° F. rémit. et inter- portion d'un seul centrenerveux.) mit. simples. La cause de ces affections est un poison doué d’une action directe sur le système nerveux : il agit sur toute l’économie par son intermédiaite. Dans toute affection rémittente ou intermittente, il y a congestion plus ou moins marquée de tout un appareil, ou d’un seul organe lorsqu'une portion seulement d’un centre nerveux correspondant à cet organe est périodique- ment affecté, Les résorptions déterminent quélquefois des phlébites qui se manifestent par des accès de fièvre intermittente : ils sont mortels lors- RENSEIGNEMENTS. 243 que la suppuration en est la terminaison. Remarquons que, dans ce cas, l’ir- ritalion nerveuse va de l’organe au centre nerveux : dans les fièvres in- termittentes miasmatiques, elle va du centre nerveux aux organes. Deuxième groupe. À. Dans le premier groupe, il n’y a que mé- lange du poison avec le sang, qui n’en est que le véhicule : dans le second , il y a empoisonnement par altération du sang lui- même. | | Ce groupe ne contient qu’une section : celle des maladies qui résultent d’une altération du sang, par les mauvaises qualités de Vair ou des aliments (non gâtés), mêlés ou non à des substances étrangères. Genre anémie. Espèce : 1° Scorbut. L'air trop constamment chargé de vapeur d’eau ; l’action prolongée d’un froid incommode, stupéfiant; des aliments altérés, dans leurs combi- paisons nécessaires à leurs qualités nutritives, par divers moyens de con- servation ; le manque de vivres, sont les causes du scorbut simple. L’altération que le sel fait subir à la viande détruit une partie de ses propriétés nutritives. Le sel lui-même ne doit pas être sans action nuisible sur le sang. — — Espèce : 2° Anémie des mines. L’anémie épidémique des mines d’Anzin, près de Valenciennes, fut due au gaz hydrogène sulfuré, respiré en petite quantité, mais pendant long- temps. — — Espèce : 3° F. jaune simple. L'air très-chaud et très-humide occupe une place considérable ; sa masse diminue dans les poumons, en raison directe de sa dilatation. Iin’est donc bientôt plus en quantité su:fisante relative. L’homme des régions froides ou tempérées éprouve une longue asphyxie. La vapeur des brouillards, dilatée par la chaleur des poumons, gène la respiration d’une manière analogue à la dilatation de l’air humide par la chaleur : aussi est-elle, dans les pays froids, une des causes actives du scorbut, Troisième ordre. L'ordre des maladies épidémiques, par brus- que perturbation, où par imperfecuüon habituelle des harmo- Dies organiques Contrariées : | — Section À. Affections catarrhales épidémiques : sorte d'ac- tion toxique interne, 244 VOYAGE DANS L'OCEANIE Genre typhoïde. Espèce : dothinentérie et ses variétés. 4 — dyssenterie. Espèce : dyssenterie ulcéreuse. Des habitudes et une nourriture nuisibles à la nature de l’homme, en troublant les digestions, finissent par altérer, plus ou moins, nos organgs ; il en résulte non-seulement un état de malaise général, mais même des liquides excrémentitiels, malades, irritants, dont les muqueuses et la peau même subissent la fâcheuse action *, etc. elles sont les véritables causes de la dothinentérie. Mais ces causes , si simples en apparence , sont très- nombreuses ; elles sont toutes relatives à la digestion et à l’assimilation qui en est le complément. Les digestions sont mauvaises par suite de l’habi- tude de trop manger à la fois: de manger une foule d'épices inutiles ; de l’abus des boissons alcooliques ; du changement brusque de tempéra- ture du chaud au froid , du défaut d'exercice, de l’absenee de la lu- mière, de l’habitation dans des lieux obscurs, d’un air toujours hu- mide trop lentement renouvelé , d’un appartement où l’air est trop échaufté, de la constipation habituelle, du changement de nourriture, du passage de la campagne à la ville, d’aliments trop faisandés, du travail de cabinet immédiatement après les repas , des chagrins, des inquiétudes, des craintes prolongées.. Enfin, les miasmes, les effluves constants ou passagers du pays, s’il est malsain, en attaquant l'organisme par leur continuelle action, l’exposent bien plus encore aux effets fâcheux de toutes ces causes : il est même rare qu’il ne leur imprime pas leur cachet. Les causes de la dyssenterie sont les mêmes : dans les pays chauds, elle se complique souvent de dothinentérie parmi les étrangers aborigènes des pays froids ou tempérés. La dyssenterie de l’Inde est dans ce cas. Elle présente même quelques traits de la cholérine. Sous le triple rapport de l'étiologie, sous celui de leurs symp- tômes ou de leur anatomiepathologique, les fièvres typhoïdes sont intermédiaires au typhus et aux fièvres éruptives, a ces dernières encore et aux fièvres intermittentes. Elles sont accompagnées d’une éruption; voilà ce qui légitime leur rapprochement avec les fièvres d’éruption; elles sont accompagnées d'une sorte de stupéfaction qu elles empruntent souvent aux causes au typhus, et toujours à la résorption du poison qui s'écoule de ses propres plaies, voilà pour leur ressemblance avec les typhus ; elles se dé- * Les boutons, les furoncles, ics aphtes annoncent que déjà il existe de l'irritation dans les intestins : ils se montrent toujours sous l'empire d’une mauvaise disposition gastro-entérique, RENSEIGNEMENTS, 245 veloppent dans les pays marécageux, et souvent dans les premiers temps de leur apparition , elles présentent des paroxismes rémit- tents plus ou moins réguliers, voilà pour leur ressemblance avec les fièvres apyrétiques. Tout cela ne constitue pas des complica- tions, parce que cesont autant de symptômes qu'elles puisentdans Ja naturemême de ses causes spéciales : ce ne sont pointdes mala- dies particulières marchant parallèlement avec la dothinentérie. Enfin, lorsque cette affreuse convulsion, que l’en nomme cho- léra, ne tue point le malade en un court espace de temps, on trouve très-souvent dans liléon des plaques de Peyer. IT y a donc aussi quelqueidentité de causes physiques entre le choléra et les fièvres typhoïdes. : 4 Cependant, elles appartiennent bien plus aux circonstances, aux habitudes que nous impose la civilisation, qu'aux infections miasmatiques ou à l’action des effluves. La plus minutieuse propreté ne sufhirait pas pour se préserver de la dothinentérie, et en ce sens encore, elle a un autre point de ressemblance avec les fièvres éruptives. Lorsque des prisonniers sont entassés dans un navire, il faut s’enquérir de la santé de chacun d’eux et obvier, le plus prompte- ment possible, aux troubles dont elle est affectée ; il faut surtout les faire travailler en plein air ; c’est le meilleur préservatif contre toute espèce d’épidémie, mais principalement contre la fièvre ty- phoïde; car, sans lui, toute espèce de soins hygiéniques sontim- puissants contre son invasion. De 1828 à 1829, la corvette le Zybio fut chargée de transporter deux cent cinquante forcats, de Brest à Toulon et de Toulon à Brest. Trois espèces de ventilateurs, sans cesse en mouvement, une propreté de luxe; des bains administrés depuis le jour du départ jusqu’à celui de l’arrivée , tous les jours depuis dix heures du matin jusqu'à trois heures de l'après-midi”; le dégagement continuel du chlore dans tous les points éloignés des ouvertures; * Ces bains se chauffaient au moyen de deux cylindres par baignoire. Ce soin hygiénique est trop négligé dans les bagnes ; aussi les maladies de peau, la saleté, me forçaient-ils à ces lavages continuels : la santé de tous ces malheureux se trouva très-bien de la destruction de la malpropreté dont leurs corps étaient couverts. 246 VOYAGE DANS L'OCEANIE. le bianéttihènit répété des parois du navire avec la chaux, As lavages fréquents du fond de Ja cale au moyen des robinets et du jeu des pompes, une continuelle préoccupation de l’état de santé de ces malheureux; l'administration nécessaire de laxatifs, indi- qués dans une circonstance où le défaut d’exercice continu en- traînait des constipations opiniâtres ; tout devint inutile, à partir du moment où des pluies sans fin nous forcèrent à laisser les condamnés dans l’intérieur du navire et dans une inaction per- pétuelle. Ces hommes ne possédaient point assez de linge pour se changer aussi souvent que cela eût été nécessaire, s'ils eussent partagé les travaux du bord avec l'équipage, pendant tout le temps que dura le mauvais temps ; nous étions donc forcés de les maintenir en bas. Les chaleurs de l'été nous avaient épargnés, l'hiver nous fut défavorable ; des cas de fièvre typhoïde ne tar- dèrent point à'se montrer. Malgré la pluie, les panneaux et les manches à vent étaient diapreds de manière à rester, les premiers toujours ouverts, les secondes toujours en place ; les courants d'air passaient avec force d'un panneau à un autre ; à peine la température différait- elle de deux degrés dans la cale et dans la batterie ; tous les ma- tins, les lits de camp étaient enlevés et aucun débris ne pouvait échapper aux yeux des balayeurs. Aucun linge sale ne séjournait en bas; il était aussitôt lavé par les infirmiers , séché à l'air, où s’il pleuvait, sur le four, lequel était dans la batterie. Toutes les mesures étaient prises contre une infection ; mais elles ne furent pas efficaces contre la fièvre typhoïde. Quelque renouvelé que fût l'air, il ne pouvait l'être assez promptement pour que les exha- laisons animales ne fussent aussi promptement renouvelées que formées ; or, cette circonstance, jointe au défaut de lumière et d'exercice, nous exposait infailliblementaux atteintes de la fièvre typhoïde. Les fièvres typhoïdes ont une origine beaucoup plus physiolo . gique que physique ou miasmatique ; elles dépendent beaucoup de l’imperfection des fonctions ; cependant, elles compliquent quelquefois le typhus : c’est ce que j'ai pu vérifier pendant une épidémie du typhus du bagne de Toulon. J'ai trouvé deux cas de dothinentérie, sur vingt cadavres dont je fis l’autopsie avec les plus grands soins , et la loupe à la main : les deux sujets por- . RENSEIGNEMENTS. 247 teurs des traces de cette complication ne dépassaient, ni l’un ni l'autre, l’âge de trente ans. Les prétendües épidémies de typhus qui poursuivent les armées en marche, nesont que des épidémies de fièvres 1yphoïdes : elles sont le résultat naturel des souffrances, de la fatigue et des pri- vation s_ Pendant la guerre de La. les soldats hollandaïs étaient fré- quemment atteints de RE à forme un peu cholérique, elle débutait par de violentes coliques ; son apparition coïncidait avec celle de la dyssenterie : la dyssenterie de l'Inde mériterait en effet ia dénomination de dyssenterie folliculeuse. Sans avoir eu l’occasion de l’observer, je suis certain qu'elle ne manquerail pas de revêtir cette forme, même en Europe, si une armée était exposée aux fatigues ie opérations militaires au milieu de marécages, pendant les chaleurs de l'été. En Afi ique, il doit y avoir bien des occasions de faire de semblables observations. A l'époque où j'avais l'honneur d’être attaché au service de M. le docteur Le Gris , alors second médecin en chef de la ma- rine au port de Brest, j'observai, pendant cinq mois, de quatre à cinq cents cas de dothinentérie : généralement les ouvriers que la nature de leurs travaux retenait au bord de la rivière du port; les charpentiers occupés à la construction ou à la réparation des Vaisseaux, nous offraient de ces débuts auquels j'avais imposé sur mes feuilles de clinique le nom de début cho/ériforme. J'ai pu aussi vérifier, pendant cette épidémie, ce que déjà j'avais constaté dans différentes circonstances , soit dans les hôpi- taux de Lyon, soit dans ceux de Paris, que les lésions du typhus sur les,viscères n’expliquent point la mort; je n’en excepte point l'état des méninges ; en un mor, l’autopsie ne saurait donner une idée des symptômes observés pendant la vie. Le typhus commun est la triste couséquence d’un empoisonne- ment miasmatique; mais l'étendue de cette infection est bornée à celle des habitations de l’homme; elle peut affecter une maison, un hôpital, une caserne, une école, une forteresse, une portion de quartier, une ville, mais jamais au delà, parce qu'il n'est ja- mais le résultat d'une infection provenant des dispositions géo- graphiques d'un canton, encore moins d’une vaste région. Ce n’est pas que l'on n’observe souvent quelques cas épars au— 248 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. tour, et quelquefois à une assez grande distance, des foyers d'in- fection du typhus commun , mais ces malades isolés ont toujours contracté le mal au sein même de son foyer, où leurs affaires les appelèrent. Les esprits prévenus n’y voient qu’un effet de la con- tagion; mais ces malades ne répandent point leur affection dans les lieux qu’ils habitent, et c’est ce qui arrive pour toutes les ma- ladies épidémiques , si j'en excepte la variole : elles n’emportent point leurs causes avec elles, et l'on peut en dire ce que l’on dit de toutes les maladies : sublalé causé, tollitur effectus. Les typhus , qui proviennent de miasmes émanés d’une topo- graphie spéciale, infectent de vastes régions, et les vents en de- viennent souvent les funestes émissaires. Ces typhus ont des caractères spéciaux et ne constituent jamais des affections sim- - ples ". La maladie que l’école a nommée typhus du Levant, nous en offre un exemple. Je dis un exemple, parce que, lorsque l’on con- naîtra mieux l'histoire de cette maladie comparée à elle-même sur tous les points où elle est susceptible de se déclarer, nous verrons qu’elle peut se présenter sous des formes plus ou moins variables et qu’elle appartient à une foule de localités". Je puis affirmer que rien ne ressemble à la peste comme la prétendue fièvre jaune affectant les Européens qui depuis longtemps habitent les An- tilles ; car ce n’est que le typhus où la dothinentérie compliqués de fièvre jaune, affections qui constituent ce qu’on nomme la fièvre jaune épidémique. Lorsqu'elle atteint un créole, la ressem- blance avec la peste est encore plus réelle, parce que chez eux la suffusion sanguine (ou ictérique ) est à peine marquée, et la teinte plombée domine évidemment. Notre temps n’a pas le monopole des choses que nous observons, car toutes choses se passentaujourd’huicomme elles se passèrentau commencement de la période de création humaine : la nature pré- sente partout depuis les mêmes phénomènes. Ainsi, nul doute quela peste n’existât en Egypte du temps des Pharaons; les Livres Saints en font foi; ce fut une des dix plaies qui frappèrent ce pays; * On y retrouve quelque chose de plus que l’empoisonnement miasma- tique ; on y distingue des symptômes propres aux effluves et jusqu’à des traits de la fièvre jaune. SE, ** Les topographies bien faites nous en feront toujours connaître les causes. à 4 N RENSEIGNEMENTS, 249 Isaïe, Jérémie, Ezéchiel en menacent les Hébreux. Aharoun, 622 ans avant Jésus-Christ, décrivit clairement la petite vérole sous le nom de djidri. Hippocrate indique quelques symptômes sail- Jants de la fièvre jaune à côté de ceux de la peste *. La fièvre jaune avait été observée en Rurope, bien avant la découverte de. _ l'Amérique : mais nos ancêtres ne voyaient en elle que la peste : \ lorsqu'ils l’observèrent en Amérique,dégagée de toute complication et sévissaut sur des Européens, ils en firent naturellement une maladie spéciale, et ils eurent raison. Depuis, ils en reconnurent les traits sur différents points de l'Europe méridionale, en Asie; et leurs esprits prévenus, comme l'était celui de leurs devanciers par rapport à la peste, ne distinguèrent pas la fièvre jaune com- pliquée de la fièvre jaune simple : ce qui ne constitue cepen- dant pas la même affection. Plus tard, ils lobservèrent en Amé- rique même , sous toutes ses formes ; mais ils n’y virent jamais. que la même affection à divers degrés : leurs découvertes à cet égard ne fit même que les affermir bien mieux encore dans la persuasion que la fièvre jaune est un typhus spécial et un ty- phus contagieux, puisqu'ils l’observaient dans des ports de mer en commumications directes avec le Mexique, les Antilles et la Nouvelle-Orléans. On applique, à toutes les maladies épidémi- ques, les raisonnements admis depuis longtemps à Végard de la peste :or, si la base, ou majeure, est fausse, la conclusion doit Yêtre. Je crains bien qu’il en soit ainsi La peste n’est point tou- jours non plus un effet simple d’une cause unique. Elle me paraît très-mal connue : une étude approfondie de ses causes fera tomber bien des vorlés, et dissipera bien des illusions , bien des préjugés ! Je serais bien heureux si jamais je devais être appelé à éclairer celte question , en apportant ma part d'observations méditées sur les lieux. Le typhus commun et le typhus du Levantse ressemblent par leur cause déterminante, l’empoisonnement miasmatique : ils différent l'un de l’autre par l’intensité de la cause toxique qui leur donne naissance : l’une, la peste, considérée seulement à ce point de vue, est véritablement un typhus particulier qui doit son *Sect. 4, aph, 22 ; bid., aph. 55; ibid., aph. 62; ibid., aph. 66. Prœnotiones cœcæ, p. 169, n° 316, Fœsio. ? 250 VOYAGE DANS L'OCEANIE. existence aux grandes décimpositions de la nature; l’autre, le typhus. commun, n’est dû qu'à une infection cir conscrite, née de l'entassemrnt de l’homme sur certains points. % Les diverses directions des vents sont certainement aussi la cause des irradiations de l'infection, dont on a accusé la ronta- gion : celle-ci, je l'avoue, coupait court à toutes les difficultés ; mais malheureusent, la dernière pérégriiation du choléra à à tra- vers le globe ne s’en est pas contentée. ait Lorsque des montagnes, des coteaux élevés coupent la direc- tiou suivie par les miasmes ou les effluves, les plaines qui s'éten- dent du côté du vent, au pied de la chaîne, recoivent de cette cir- constance locale les influences les plus funestes; leur territoire devient le séjour de prédilection du fléau, parce que le renouvel- lement de l'air y est moins facile. Mais ces barrières pourtant ne sont point infranchissables : les coupures plus ou moins surbais- sées qui séparent les principaux pics, les vallées où coulent les ri- vières laissent bientôt passage à ces colonnes d'air sans cesse pous- sées contre l'obstacle, et elles se répandent dans les vallées du versant opposé. En pénétrant dans un pays coupé de monts élevés en sens di- vers, ces vents généraux perdent beaucoup de leur importance ; les brises dues aux dispositions locales sont presque les seuls cou- rants atmosphériques qui s’y fassent sentir. Il en résulte qu’en passant d’une vallée à l’autre, ils varient en raison de la configu- ration inconstante du sol, et que les ramifications de linfection suivent les lignes les plus capricieuses, les plus singulières, si lon ne tient pas un compte minutieux des phénomènes dépen- dant de la physique locale. On concoit done la nécessité d’é- tudier la topographie des lieux successivement parcourus par les épidémies. Car les accidents de la surface du globe modifient les lois générales de sa météorologie ; tout le monde accueillera cette proposition de physique commune. | Les miasmes ou autres émanations qui s’écoulent d’une vallée dans une autre, d’un versant vers un versant opposé, franchissent l'obstacle que leur offrent les plus hautes montagnes, à l'aide des raréfactions et condensations alternatives de l'air. Les couches in- féricures, chargées de miasmes et d’effluves, se raréfient sans cesse, et s'élèvent dans les hautes régions supérieures de l'air; elles s’y RENSEIGNEMENTS, 251 condensent et se précipitent de nouveau vers les couches raréfiées des parties basses. Il n’y a donc pas de doute que les émanations nuisibles d’un sol infecté ne se mêlent, dans la région supérieure de l'air, avec les vapeurs qui leur servent de véhicules, et qu'elles ne seretrouvent en dissolution dns les eaux fluviales. Cela explique peut-être pourquoi les épidémies les plus meurtrières ont paru suivre le cours des rivières. HESE Mais un seul foyer, quelque immense qu’il puisse être, peut-il répandre l'infection sur toute la périphérie du globe, en franchis- sant d'immenses espaces que le poison laisse intacts ? Evidem- ment non. Il faut donc qu'il se soit successivement développé plusieurs épidémies. Mais alors il faut aussi admettre qu’elles se sont établies sur les points [cs plus favorablement disposés pour le développement de la maladie, et qu’une autre cause inconnue en a successivement fécondé les germes. C’est cette cause détermi- nante du choléra qui voyage seule. Mais quelle est-elle? Ici s'ou- vre une immense porteaux hypothèses; elles s'offrent en foule! L'observation en est à son enfance, et le raisonnement est impuis- sant : la cause déterminante du choléra reste donc cachée! 1° Est-ce une modification particulière de l'électricité atmos- . phérique? On sait que l'électricité de l'atmosphère a, sur notre système nerveux, une action marquée : pendant le cours des épi- démies de choléra, beaucoup de personnes se plaignirent de las- : situdes extrêmes ; je les éprouvai moi-même *. 2° Est-ce une émanation terrestre spéciale? Rien ne l'indique ; cependant cela ne serait point un phénomène exceptionnel : au - Pérou, la terre répand une odeur marquée; la plaine de Lima est, sous ce rapport, très-remarquable. Quelquefois même, les émanations d'ammoniaque sulfuré deviennent trllement abon- dantes qu'elles attaquent les peintures faites avec la céruse, et qu’en très-peu d'heures, tout ce qui était blane devient noir. 3° Est-ce une cause liée à l’état vaporeux de l'air? Pendant la dernière épidémie de Brest, l’atmosphère fut constamment voilée ; l'air était très-humide ; il plut très-peu en mai, juin, juillet, * J'ai observé très-souvent une liaison très-intime entre les affections nerveuses, et l’état électrique et magnétique de l’Océan atmosphérique au fond duquel nous vivons. 959 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. août ; les vents ne furent jamais aussi calmes : ils soufilérent gé- néralement de la partie sud, du S. E. au S. O. La température était modérément chaude, et cependant l'air était lourd, la respi- w ration peu satisfaite. Parfois cette légère vapeur, répandue dans l'air, avait une légère odeur que je ne saurais comparer. Dans l'archipel Indien, l’air est toujours chargé d'une vapeur semblable pendant le jour ; ce n’est guère que dans les montagnes ou pendant la nuit que l'air laisse voir un ciel plus pur. La cause spéciale de la fièvre jaune, soit en Europe, soit dans l'Amérique du Nord est impuissante, si elle n’est favorisée par la disposition topographique des lieux : il en est très-probablement de même de la cause spéciale du choléra? Seulement la nature de cette cause est bien particulière, car elle peut faire le tour du monde ;. celle de la fièvre jaune, au contraire, est limitée à cer- taines latitudes de l'hémisphère septentrional. Cette considération | m'a souvent conduit à penser que la cause déterminante de cette maladie est toute dans certaines modifications de l’équilibre des courants électriques ou magnétiques, que la terre échange sans cesse avec son atmosphère ?"Seulement il faudrait, pour en être affecté, des dispositions individuelles que l’âge, d’une part, et. l'air des grandes villes, de l’autre, favoriseraient. S'il en était ainsi, des expériences sur les animaux pourraient amener un jour des résultats intéressants. L'histoire topographique de tous les lieux parcourus par ce: fléau serait, sans aucun doute, on ne peut plus intéressante, et étendrait la sphère des connaissances utiles à l'intelligence des hautes questions médicales. La médecine est une branche de l'histoire naturelle qui n’a point encore eu ses voyageurs spé- ciaux. C’est un des grands malheurs de cette science; chacun y travaille trop isolément et toujours sur un théâtre trop circon< scrit. La médecine ne possède, sur les fièvres épidémiques, que des travaux morcelés faits sur des points isolés; aussi l’histoire« d'aucune d'elles n’est complète. Il devient donc très-difficile de répondre avec une parfaite connaissance de cause, aux grandes 2 » d LA , Q LU ÿ questions de médecine générale, telles que celle de la contagion En … et par conséquent des quaranlaines. Ce sera de l’ensemble des faits étudiés dans leurs rapports: de topographie comparée que l'on obtiendra la lumière. L'étude : RENSEIGNEMENTS. 253 d’une plante n’a qu'une utilité fort contestable, ses résultats sont bien restreints! Mais l'étude d'une famille de plantes éleva l’es- prit à la conception des classifications naturelles. Tout est à re- faire dans l’histoire des maladies épidémiques internes ; il faut tout revoir avec les yeux de la scrupuleuse analyse: : RÉSUMÉ OU DOCTRINE. Des réflexions sur les maladies, de l'étude de leur nature in- time, résulte toujours uue doctrine ; résumons donc la nôtre sur les affections épidémiques internes. ‘19 L'intensité de l'épidémie est déterminée par la puissance et Pétendue de la cause, par le climat, par les saisons, l'habitude, Vâge et non par des virus qui, lorsqu'ils existent, sont toujours le résultat d’une sécrétion pathologique et non de l’exhalation des miasmes absorbés. La première maladie de toute épidémie trouve, dans l'atmosphère et dans la disposition individuelle, ses causes et son caractère. 2° Bien qu'une maladie soit toujours la même sur toute la sur- face du globe, elle recoit cependant, de la topographie des lieux qui l'ont vue naître, une physionomie particulière. Sous ce ca- chet, on apercoit ordinairement les traits de l'endémie locale. Il en est des maladies comme des espèces organisées; elles varient sans changer de type général, suivant le climat où elles se déve- Joppent. L'espèce zoologique comme l’espèce pathologique reçoi- vent de leur climat les modifications harmoniques qui en font des individus spéciaux, et non des variétés. Celte considération nous conduit à nous faire une idée de ce qu’on doit entendre par espèce. | 3° Là où les causes du choléra sont endémiques, partout où elles se développent accidentellement, les fièvres intermittentes per- nicieuses et les fièvres typhoïdes établissent ensembleleur empire. 4° La contagion est bien loin d’avoir expliqué toutes les difli- cultés qui se présentent dans l’histoire des épidémies ; mais c'est un moyen plaüsible de couper court à la difficulté; on en a donc abusé. Plus tard, des intérêts sont venus défendre les réglements dont elle était le principe; cependant, il en est enfin aujourd'hui de la contagion de la plupart des maladies épidémiques comme de 954 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. ces lois de la physique, si longtemps respectées comme de grandes vérités, et que chaque jour de nouveaux travaux renversentet li- vrent à l'histoire des erreurs humaines. Seulement, les physiciens travaillent sérieusement pour la science, les médecins peu. : 5° Certes, si les quarantaines étaient nécessaires, ce serait pour la petite vérole ; et cependant, elle n’a jamais, en France, beaucoup occupé la sollicitude de l’administration ; on ne pense guère à mettre en quarantaine les maisons , les hôpitaux où se déve- loppent des cas de variole. Or, il y a là une sorte de contre-sens. Aujourd’hui, n'est-il pas démontré que la vaccine, ou même la petite-vérole, ne préserve pas à jamais des atteintes de la contagion ? Cela est surtout vrai quand la ‘variole est épidémique : l'épidémie de petite-vérole de la Pointe-à-Pitre, en 1824, a mis, pour moi, cette vérité au grand jour. \ 6° Je n'ai pas l4 prétention de dire qu'il faille mettre les vario- leux au séquestre : on a heureusement les moyens de se passer d’une pareille mesure, mais il est bon de signaler la contradic- tion. Le typhus, nou plus, lorsqu'il règne sporadiquement, voire même épidémiquement dans nos villes, ne provoque d’effroi; et pour que l’on songeât au cordon sanitaire, il faudrait que le mal fût bien meurtrier! On ne craint donc en France que les affec- tions d'outre-mer et celles qui se déclarent sur les navires! Le typhus, cependant, est un mot terrible, qui réveille dans bien des têtes l’idée de contagion. Je me rappelle avoir fait qua- rantaine pour des fièvres.typhoïdes; heureusement que nous ob- tinmes la libre pratique, avaut de perdre quelques malades ; car! sans cela, nous eussions été condamnés à une prison sans fn. Nos règlements sanitaires sont peu logiques en général : il est dur d'é- tre asservi à des exigences absurdes. 7° Eu supposant même que la maladie se déclare à bord , ce qui. arrive pour une foule d'affections contractées à terre, comme les fièvres intermittentes , la dyssenterie, sérait-ce une raison pour # regariler le navire comme un foyer d'infection ? Non : il est évi- dent que les navires plus propres ont quelquefois ainsi beaucoup * de malades. À Quelques personnes peuvent sans doute quitter la terre avec lei f germe de la peste, ainsi que cela arrive pour toute autre mala= RENSEIGNEMENTS, 255 die ; mais ce ne seront là que des faits isolés : ïls ne nous doivent pas plus préoccuper que le typhus sporadique. En prenant le large, on se soustrait à la cause de la maladie, et malgré la pré- sence à bord du typhus oriental, d'pasé n’en aura rien à craindre. Après dix ou douze jours de départ, on n'aura plus à à appréhender de nouveaux cas de peste; parce que le temps de l'incubation sera écoulé. Il ne faut pas perdre de vue que ce qui arrive à un ou à plu- sieurs individus, peut avoir lieu pour tout un équipage; c’est ainsi que l’on a vu le typhus, le choléra, se développer à bord et y faire des progrès effrayants. À peine a-t-0n AHAiée les terres où règnent ces maladies , que le fléau apparaît : il s’y propage avec une rapidité que ne saurait comporter la contagion; car elle ne saurait être un résultat instantané; il faut un certain temps pour que le virus se développe : ce n’est que dans la période de la supuration que la variole est contagieuse. Il n'arrive dans’ ces cas que ce que j'ai vu arriver pour la dyssenterie ou la fièvre intermittente, lesquelles ne passent plus pour être contagieuses. L'idée de la contagion est devenue respectable en vieillissant ; elle a détourné bien des bons esprits de la voie des idées philosophi- ques ; ils ont été entraînés dans uue fausse route. La vérité est une île escarpée : on n’y saurait rentrer quand on en est dehors. Si après dix ou douze jours de départ, des maladies graves se dé- clarent sur un navire encombré de passagers, ce sera le typhus la dothinentérie, la variole, et peut-être l’un et l’autre. C'est ce qui arrive sur les négriers.Cependant, je suis assuré que le trans- port des malades à terre est sans fâcheux résulats, quant au ty- phus , et que si l'on expose incousidérément des travaiileurs dans les cales des navires infectés, cela n’aura de danger que pour ces hommes : une épidémie de variole n’est point aussi inoffensive : j'ai vu desnègres répandre cette maladie à la Basse-Terre Guade- loupe); mais, chose remarquabie, cette infection par contagion fut longue à se propager et n'eut jamais grande étendue. La petite- vérole épidémique , c’est à-dire celle qui naît sous l'empire des causes générales d'infection, frappe, au moment de son début, à la fois sur une foule de points éloignés ; c’est ce que j'ai pu véri- fer plus tard à la Pointe-à-Pître, Une grande chaleur accom - pagnée de calmes prolongés en précéda l'invasion. 256 VOYAGE DANS L'OCEANIE. 8° Si le navire est réellement infecté, il faut se hâter de le fuir aussitôt, car l'obligation imposée de rester à bord devient une cruaulé sans excuse. | 6 Les cordons sanitaires ne sont bons qu’à une chose, C est à em- pècher de pénétrer dans le lieu infecté ; car la sortie en doit-être libre, l'autorité ne doit intervenir que pour régler l’émigration et pour empêcher l'encombrement des fugitifs sur un seul point. 9° Les lazarets ne devraient être que des avant-ports où cha- que bâtiment déposerait ses malades, excepté les blessés et les af- fections légères, et d’où il prendrait immédiatement l'entrée. La raison de ce conseil est que l'encombrement des maladies graves , dans les hôpitaux , nuit à ceux qui s’y trouvent et à ceux qui y arrivent. Mais il est une autre raison , non moins bonne, pour retenir les malades arrivant de la mer dans les lazarets : c'est que l'air de la terre est toujours nuisible aux malades sérieusement atteints, qui viennent du large. Il faut donc les éloigner, le plus possible, de l’atmosphère étouffée de la ville, et à plus forte rai- son de celle d’un hôpital. Ainsi, dans mon opinion, les lazarets devraient être de vastes et beaux hôpitaux situés sur des points élevés au bord de la mer, ousur des îles, maïs en libre commu- nication avec la cité voisine. 10° Quant à l’assainis:ement des bâtiments qu'il est bon d’exi- ger en prévision d’un nouveau voyage, il devrait être i imposé par des réglements ; mais il faut bien qu'il s'opère à l'intérieur du port, puisqu'il ne peut être complet qu'après le déchargement. Or, ces déchargements occasionnent tous les ans quelques cas de typhus sporadiques parmi les matelots : il serait convenable que ces malades fussent aussi envoyés au lazaret. L'air le plus pur possible est le moyen curatif le plus efficace de toute affection par infection *. A ce propos, je dirai que des navires, mis en quarantaine pour un temps assez long, fournissent toujours, au moment du déchargement, beaucoup de malades, sans que l’on semble se rappeler que ces navires ont été mis en état de suspicion. Cela pa- * Le grand air, l'air sans cesse renouvelé, est le moyen de guérison le plus efficace de ces affections : les fenêtres doivent être constamment ou- vertes. Ce que je dis ici est le résultat de mon expérience. RENSEIGNEMENTS. 257 raît une chose toute naturelle, car d’autres navires, qui n’ont point subi de quarantaine, envoient aussi, au même moment, beaucoup de malades à l'hôpital ; ainsi, sans qu’on y pense, on est en droit de ne pas s’effrayer des maladies du navire d'abord sus- pecté et si inutilement séquestré. 11° Après deux ou trois ans de campagne, il n’est po de cale qui ne soit plus ou moins malsaine ; mais remarquons qu’un prétendu foyer d'infection aussi circonscrit, aussi peu étendu, ne saurait infecter une ville, imprégner de miasmes toute l’at- mosplière qui l’environne : il a donc fallu imaginer la contagion, car il faut bien expliquer comment le mal s’est étendu ; mais ce mode de propagation d’individu à individu serait une hypo- thèse fort séduisante, s’il n’était trop lent. Ce n’est point ainsi que procède la nature. Comment expliquer l'illusion des esprits _à cet égard? le voici : toutes les fois qu’une épidémie générale se déclare , tous les médecins de la ville, quelle que soit son éten- due , assistent à la fois à son invasion : dans l’espace de vingt- quatre heures, les praticiens les plus répandus de chaque quar- tier, ont été témoins des premières atteintes du fléau, Les épidémies miasmaliques ont toujours une étendue proportionnée à l'étendue des causes d’infection et à celle des vents qui les traus- portent, si le mal ne se développe pas sur le lieu même où naissent ces causes : c’est un fait qui peut être constaté facilement dans une ville comme Paris, où l'instruction des médecins permet partout des renseignemets parfaitement exacts : la moindre anomalie dans l'éphéméride du jour ne leur échapperait sur aucun point. 1 n’en fut pas de même, malheureusement, pour toutes les villes un peu étendues, qui furent tour à tour l'objet d’en- quêtes médicales : on ne s'abouche guère qu'avec les médecins les plus en renom, il serait même souvent inutile de faire autre- ment *. 11 devient alors très-diflicile de remonter à la source de linvasion : on subit nécessairement et presque à son insu l’in- fluence de quelques opinions ; les archives elles-mêmes sont ré- *1l y a quelques années seulement que le nombre des praticiens distin- gués était généralement assez limité dans les villes secondaires d’une - foule de pays. Je reconnais avec plaisir que la véritable instruction devient plus commune, et qu’elle se répand partout. À 17 258 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. digées sous l'influence de quelques PES haut placées dans london publique : vous ne voyez donc qu'un coin du tableau , car ceux qui vous servent de guides sont eux-mêmes dans ce cas. Quelque célèbre que soit un médecin, il ne saurait, en effet, avoir été apprlé à la fois de tous les points de la ville; l'épidés mie marche donc pour lui dans l'ordre et en proportion des se- cours qu’on réclame de lui successivement. Des praticiens moins connus l'ont souvent devancé dans les quartiers populeux et ont dejà vu les prodromes de l'épidémie, quand il commence aussi à en distinguer les premières traces parmi les membres de l’aris- tocratie. [Il importe done que les médecins se rapprochent, que les sociétés médicales se multiplient. Peu éveillés sur la gravité d'un mal, qu'on n'apprécie pas bien encore, les malades s'empressent peu de se faire transporter aux hpitaux; les premiers qui s'y rendent, sont disséminés dans plusieurs hospices ; on les oublie, parce que des faits plus frap- pants fixent bientôt exclusivement les esprits. En effet, toutes les villes importantes ont toujours un quartier moins salubre que les autres; le plus grand nombre des malades qui encom- brent bientôt les s hôpitaux DÉAAUNE surtout de ce point de la ville : ce fait se présente en saillie, on s’y attache comme à toute circonstance remarquable ; on prononce que l'épidémie à com- mencé dans tel quartier et s'est ensuite répandue par contagion. Si ce quartier accusé est le port, on prouvera facilement que la contagion est émanée d’un ou plusieurs navires, car 1l est bien probable alors que le premier ou l'un des premiers malades aura éte un matelot. C’est précisément ainsi que cela se passe, et voici pourquoi. Les quais, ce qu'on nomme le port dans les villes maritimes j lors même qu'ils appartiennent au beau quartier de la ville, sont les aboutissants des égouts ; les odeurs les plus infectes s'en exha- lent habituellement. Si à cette circonstancefâcheuse vientsejoindre l'influence générale de la mauvaise constitution de l'atmosphère, on concevra que ce quartier soit un des premiers maltraités. Or, ce qu'on admettra facilement pour le port, il faudra bien l'admettre pour les marins occupés à vider des cales plus ou moins malsaines, suivant le genre de chargement, et suivant le degré de propreté du navire, mais qui, certes, ne passeront jamais pour { RENSEIGNEMENTS. 259 des heux salubres. Au milieu de toutes ces conditions, il y a trois chances contre une pour que ces hommes habitués à l'air pur de la mer, plus sensibles par conséquent à une infection qu à un changement de c.imat, soient les premières victimes du fleau qui va frapper la ville entière. AE Si à ces diflicultés de découvrir la vérité, si à ces apparences trompeuses viennent se joindre les erreurs, les préjugés du temps, qui forment nécessairement les op nions de tus ccux qui n'ont eu ni le temps, ni les occasions multipliées de s'occuper de ces sortes de questions, on concevra que l'on admette la contagion comme étant le mode de propagation de toutes Îes maladies epi- démiques par empoisonnemeut masmatique. Ce qui, sauf une seule exception , la variole, est une grande erreur. Les quaran- taiues sont donc nuisibles, puisqu'elles ne sont point utiles. 12° On ne doit pas regarder comme ép démiques ces rougeoles et cesscarlatines qui ne manquent pas d affecter, quille que so:tla saison, les habitants de la campagne qui viennent habiter nos CiLés; il en esi de même de celles qui affectent les conserits dans les ca- sernes. On ne saurait nou plus accuser la contagion en pareil cas, car aussitôt que ces jeunes militaires tombent malades, on les di- rige sur les hôpitaux ; souvent ces maladies n'existent point en ville, ou s’y présentent de la manière la plus isolée, lorsqu'elles font de véritables ravages dans Îcs rangs de la jeune garnison. À eet égard, nous ferons remarquer que les dispositions des ca- sernes, comme celles des hôpitaux, sont extrêmement défectueuses et que le progrès attend là de grandes améliorations. La division des salles et la facilité d'établir partout et à volonté des courants d'air, voilà le principe généräl qui doit présider aux construc- üons des hôpitaux, des casernes , des coiléges, des écoles, des asiles , etc... , des prisons même, tous lieux qui deviennent trop fréquemment encore des foyers d'infection. Ajoutons encore que _ le choix du lieu de construction est aussi de la plus haute im- portance. Les conscrits, comme tous les compagnards, sont victimes de ieur défait d'habitude pour l'air des villes et pour celui des ca- sernes. C'est ainsi que les Européens nouvellement arrivés aux Antilles sout affectés de fièvre jaune, sans que l'on puisse consi- dérer comme une épidémie la maladie qui les décime, C’est tout 260 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. simplement l’action d’un climat étranger sur des exotiques. Ce sont là des dispositions organiques particulières qui ne consti- tuent pas des épidémies. Les causes Me Co , qui n’agissent que sur des individus transplantés tout à coup au milieu de con- ditions géographiques ou topographiques nouvelles, simulent quelquefois une épidémie ; mais le médecin ne doit pas être dupe de cette apparence : il doit bien distinguer l’état normal de la constitution sanitaire du pays, d’un événement qui dépend‘des individus et non d’une modification dans l’état de l'air. Aussi, bien que, d’un autre côté, les causes qui sont endémiques sur un point quelconque, puissent ailleurs devenir épidémiques, en se réunissant brusquement là ou la topographie n’admet point ordinairement leur existence simultanée ; cependant, les résultats sont si différents dans l’une ou dans l’autre circonstance , qu'ils doivent être distingués par des dénominations teen Dans un cas, il n’y à qu’exception à l'état général de la santé publique, les étrangers seuls subissent l'effet de l’endémie; dans l’autre, il y a calamité publique, tout le monde peut être atteint de l'épidémie. La scarlatine, la rougeole , la variole, les fièvres typhoïdes épi- démiques produisent des effets effrayants sur les individus qui n’habitent pas ordinairement les grandes cités. Elles sévissent sur toute uve ville, sur tout un canton, elles n'épargnent aucun âge, etleur malignité se montre surtout dans les hôpitaux, les prisons, les casernes ; la mortalité est grande; les angines gangréneuses tuent alors beaucoup de monde, surtout les vieillards. On n'a point non plus assez étudié les causes spéciales de ces épidémies , elles se montrent là où survient brusquement un sur- croît de population, par suite d'occupation militaire, par exem- ple; elles se montrent dans des villes assiégées où la souffrance et les dangers de la guerre multiplient les maladies parmi les habi- tants. Elles paraissent vers la fin d’hivers rigoureux, pendant lesquels on a pris des mesures minutieuses pour se garantir du froid , sans se préoccuper des moyens d'aérer fréquemment. Elles peuvent régner avec le typhus et avec les fièvres typhoïdes,. Ce ne apercu prouve combien il importe que les médecins fixent leur attention sur l’étiologie des maladies par infection, car c'est le seul moyen de prévenir, plus que par des conseils vagues et généraux, sinon toujours le mal, au moins les épidémies. RENSEIGNEMENTS. 261 L’épidémie de variole dont j'ai déjà fait mention, et qui se dé- veloppa en 1825 à la Pointe-à-Piître, dut son existence à deux causes : à l'encombrement de la population et ensuite à la conta- gion. Le quartier des Abîmes n'était pas encore construit, et la po- pulation fixe de la ville augmentait rapidement à l’époque où le mal se moùtra ; les arrivages étaient considérables, et un grand nombre de nègres, parmi lesquels il en était beaucoup de la côte d'Afrique, travaillaient en ville au transport des marchandises. L’épidémie débuta en partie par ces malheureux ; elle fut terrible pour eux, il en mourut le plus grand nombre. Mais il ne faut pas croire que les premiers malades furent exclusivement des noirs : j'étais en position de voir toutes les ramifications du mal à son début, et lorsque je fus appelé en ville pour donner mes soins à des vario- leux, soit nègres, soit blancs, j'avais déjà constaté, trois jours avant , à l'hôpital maritime et militaire, deux cas de variole. L'un de ces malades était un militaire du 45°, l'autre un matelot. Peu de-jours après M, Ménier, jeune capitaine au long-cours, qui arrivait de France, était affecté de varioloïde. Ce jeune marin avait eu la variole dans sa jeunesse. Ceux qui ne furent pas at- teints de variole ou de varioloïde furent de rares exceptions ; ce- pendant, excepté les nègres nouveaux , tous ces malades avaient _élé vaccinés , plusieurs avaient eu la variole, quelques vieillards - avaient été inoculés. 13° La fièvre jaune , que j'ai malheureusement observée sous toutes les formes , n’est point à mes yeux un typhus; elle est au typhus ce qu'est le scorbut proprement dit à la même maladie ; elle peut en être aussi une complication. Le typhus compliquéde scorbut ne constitue point une espèce : il en est-de même du ty- phus compliqué de fièvre jaune. La fièvre jaune , telle que nous la présentent toute l’année les Européens récemment arrivés aux Antilles , n'a pas le même as- pect, alors même qu’on l’observe pendant l’hivernage , que celle qui complique ie typhus. Cependant ce sont précisément ces difté- rences qui ont conduit à ce résultat, que la fièvre jaune est un ty- phus : on à hésité longtemps à se prononcer sur sa nature, mais l’observation de ces sortes d'épidémies mixtes a décidé les auteurs. Ce fut ainsi qu'elle devint typhus; et, afin d'aider à se le bien per- suader, on à fini par ne plus voir que la marche de la fièvre 962 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. jaune simple avait une marche particulière, comme elle a une cause tout à faitspéciale. Je compte mettre ces faits dans toutleur jour : j ai eu l’occasion de voir ces d'ux maladies régnant ensem- ble. Le typhus compliqué régnait en rade, à bord de quelques navires chargés de morues; la fièvre jaune simple sévisssait ‘au même moment sur les officiers et les soldats Le 48° régie de- puis peu arrivés à la Guadeloupe. Trois espèces composent le genre anémie : 4° le scorbut par défaut d'alimentation suffisamment réparatrice ; 2° l'anémie par défaut relatif d’un air réparateur ; 3° lot des mines. Le scorbut appartient à toute la terre, maïs spécialement aux pays froids ; il y affecte avec prédilection les habitants des pays chauds et tempérés, lors même qu'ils ne sont point dépourvus d'aliments de qualité passable. La fièvre jaune n'appartient qu'aux pays chauds et humides ; ‘elle n’y affecte jamais, dans les tropiques, que les habitants des régions froides et tempé- rées; hors des tropiques, elle est le résultat d’une augmenta- tion subite de chaleur insolite, remarquable aussi par sa durée. Les climats inconstants ont au moins cet avantage , de ne point craindre ses atteintes ; dans les zones tempérées, ce fléau se com- plique souvent de typhus : les villes construites suivant le sys- tème européen réunissent toutes les conditions de cette fà- cheuse complication. L'anémie des mines peut être, à mon avis, le résultat de la com- binaison de l’oxigène de l'air dans les galeries , où d’ailleurs ce dernier se renouvelle difficilement. Je ne doute pourtant point que la respiration à petite dose des gaz méphitiques qui s’y dé- gagent, ne puisse être la cause de la même maladie, comme le” sel contenu dans les viandes conservées , n’est pas non plus sans influer considérablement sur la production du scorbut mari- time. La fièvre jaune , sous le double rapport de la spécialité de sa cause déterminante, de la nécessité d’une certaine topographie, et de certaines prédispositions individurlles, peut être rapprochée du choléra ; seulement sa° case phvsique, la cause s/ne qué non, est plus appréciable. Cette cause efficiente est un air très dilaté el très-chargé de vapeur d eau ; il faut donc au moins une tem- pérature de “ab réaumuriens, has directe, c'est-à-dire pré- RENSEIGNEMENTS. 263 servée de toute réverhération, F1 faut que la ville, ou tout autre lieu, soit sur le bord de la mer,ou toute autre vaste surface d’eau. Il est cependant une foule de lieux, dans la zone tempérée, qui réunissent ces conditions essentielles, etqui cependant n'ontjamais subi les ravages de la fièvre jaune : des conditions prédisposantes sont donc encore nécessaires ? Supposons une ville entourée de hautes terres tès-rapprochées de l'emplacement qu'elle ocenpe, abritée de toutes parts de l'agitation croisée des vents, et ne rece- vant que ceux de la mer, d'autant plus chargés d'humidité qu'ils seront plus chauds, nous concevons que si Le thermomètre mar- que 25° sur un point aéré, au large, par exemple, il en marquera 30° et plus dans cette ville où l'air circule mal, et qui est exposée aux mille rayonnements d’une chaleur réfléchie par ses propres murs et par les falaises qui la dominent. Les effets d’une pareille topographie seront encore bien plus rapides si la ville est précé- dée, du côté de la mer, par une rade parfaitement enclose et ne communiquant avec le large que par un étroit goulet ; les eaux s'y renouvelleront avec difficulté, surtout si elles ne sont point soumises aux alternatives des marées , et eles y acquerront une température qui favorisera plus encore leur évaporation; de plus, Jes brises du large s’échaufferont en passant sur les terres qui entourent la rade, et arriveront ainsi, plus étouffantes encore, dans la ville, parce qu’elles seront plus chaudes et plus saturées de vapeur, que si elles arrivaieut de la mer sans avoir eu à subir l'influence de la terre et de la rade. Cette description n’est pas faite à plaisir, c’est celle de la topo- graphie de la plupart des villes de la zone tempérée nord, qui fu- rent, à diverses époques , le séjour des épidémies de fièvre jaune. Il est d’autres dispositions topographiques qui s'éloignent un peu de ceite forme, au premier coup d'œil; mais, en les étudiant bien, on y retrouve l’ensemble nécessaire à l’étiologie spéciale de la fièvre jaune. Ce n’est pas le cas ici d'entrer dans autant de dé- tails ; je n'ai voulu que donner une idée de l'importance des to- pographies et de leur liaison intime avec les causes des maladies considérées en général. Quant à la fièvre jaune, on conçoit qu’un air aussi peu vital que celui qui résulte des dispositions topographiques que je viens d’ebaucher rapidement , nuise profondément à la santé lorsqu'on 264 VOYAGE DANS L'OCEANIE. n’y est point faconné par l'habitude. La réparation des pertes d’une circulation abondante, destinée à résister aux basses tem- pératures de l'hiver, ne saurait plus avoir lieu, parce que le pou- mon ne reçoit plus la quantité d'aliments qu’il réclame. La fièvre ; jaune est surtout endémique aux Antilles et au Mexi- que , mais elle est loin de ne l'être que là : c’est, on peut le dire, une affection des pays chauds en général. Sans aucun doute, elle a existé et existe sur les rivages du royaume de Siam* ; il w’y au- rait donc rien d'étonnant qu’on en signalât l'existence sur quel- ques points de l’Archipel indien septentrional, dans le canal de Mozambique , partout, enfin, où des terres soumises à une grande chaleur se ramifient dans une mer encaissée **. Comme anémie, la fièvre jaune n’a rien de contagieux ; comme complication du typhus, son histoire est celle des maladies par infection miasmatique de l'air ; maïs, par elle-même, elle ne sau- rait entrer comme élément dans la question de la contagion. * On l'y aurait observée dernièrement. à ** J'ai dit, sur quelques points de l’Archipel indien : pourquoi pas dan tout l’Archipel? Parce que la position géographique de l’Archipel indien méridional, et les phénomènes physiques qui en résultent, le préservent de la fièvre jaune, à partir du cinquième degré de latitude sud. (Voir dans les Annales maritimes de 1845, le mémoire sur la topographie com- parée de Java.) 1 NOTES LE DÉTROIT DE MAGELLAN, COMMUNIQUÉES PAR LE CAPITAINE ROLLET, Commandant le brick le Cygne de Bordeaux. Décembre 1837 et janvier 1838. La terre des deux bords de l'entrée du détroit de Magellan est escarpée, plate, mais élevée : on peut facilement la distinguer à 15 milles de distance. On peut, en entrant, ranger le cap des Vierges très-près. Une fois à l'E. de ce cap ; on distingue en de-- dans une plage de sable qui se prolonge environ 2 milles au S. de la pointe. Cette plage est basse et se trouve garnie, dans sa partie méridionale, d’un banc de roches dont nous nous sommes rap- prochés en louvoyant. Nous avons souvent poussénos bordées jus- qu'à la côte sud du détroit et à 3 milles de terre. Nous n'avons pas trouvé fond à 30 brasses ; cependant il paraîtrait qu’un banc de sable , qui à l'entrée n’est rien, va d’abord , en s’éloignant de la côte, rejoindre ensuite le cap Orange. Depuis le cap des Vierges jusqu'au cap Possession, la côte septentrionale est parfaitement saine ; du moins notre louvoyage sur cette partie de la côte, pendant plusieurs jours, nous a per- mis continuellement de nous en approcher à demi-mille de dis- tance, avant de trouver fond par 30 brasses, ce qui nous a con- 266 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. TR vaincus que le brassiage marqué sur la carte que nous avions était _inexact. | -. Nous avons éprouvé dans cette partie du détroit des vents de S. O. et d’O. très-violents qui nous ont contraints de laisser ar- river et quelquefois de mettre à la cape, et nous perdions alors le chemin gagné dans les vingt-quatre heures. Le lundi, 5 décembre, le vent ayant halé le N.-0., nous avons : longé la côte nord. À neuf heures, nous étions par le travers du cap Possession, qui est très-élevé. Le courant du flot étant alors très- fort, nous gouvernions sur lîle qui se trouve près de la pointe Delgada, pour nous guider dans le chenal : nous avons passé très-près de cette île. Le remoux des courants indique le banc qui la borde, et la sonde est infaillible pour se tenir dans le chenal , où il y a un brassiage considérable: Depuis ce moment (il était onze heures), Le jusant nous a étalés, malgré la force de la brise qui nous faisait filer 6 et 7 nœuds dans certains moments ; nous n'avons pu gagner l'entrée du goulet qu'à quatre heures. Le cou- rant de jusant étant moins rapide, nous avons donné dans-cette gorge, et à cinq heures nous nous trouvions par le travers du cap Orange, louvoyant avec une jolie brise variable du S. au S. O. Les terres des deux bords sont élevées et escarpées : nous pous- sions nos bordées jusqu'à terre. Sur le cap Orange , nous avons apercu du feu allumé par les Patagons, qui sont venus en dedans du goulet, et se sont assis sur le rivage. Notre bordée nous a permis d'aller virer de bord u ès-près d’eux ; ils nous ont fait des signaux, et nous ont même interpellés dans leur Jangue. N'ayant rien à faire avec eux, nous avons continué notre route. Le courant de flot est aussi rapide que celui de jusant dans cet endroit, car, malgré la faiblesse du vent, il nous a jetés dans l'es- pace d’une heüre et demie ou deux heures dans le S. O avec une grande vitesse. Nous avons gouvernésurle cap Saïn'-Grézorre pour rallier l'entrée du deuxième goulet, et chercher nn mouillage pour la nuit dans le nord de l’{/e des Pingouins. À neuf heures du soir, ayant trouvé un fond de 12 brasses, sable gris, fin, mêlé de gra vier, nous y avons jeté l'ancre. (Latitude S , 52° 37 30”; longi- tude O., 70° 04 0”). Dans ce moment uéko} COHEN NSE à se faire sur ce point. Nous n'avons pas été inquiétés par les cou= rants ; leur plus grande vitesse n’a pas excédé 2 nœuds. La dif-. RENSEIGNEMENTS. 267 férence du niveau de l’eau du plein à la basse mer a été d'environ 2 brasses. ; Le mardi 6 décembre 1837, à six heures et demie , nous avons appareillé et fait route pour le second goulet ; favorisés alors par le flux, nous l'avons passé sans virer de bord, bien que le vent fût presque debout. Les deux côtes du goulet sont élevées , elles possèdent quelques criques de bonne apparence; mais, d’après l'ouvrage anglais de King, il ne faut pas chercher à y mouiller. A midi, la faiblesse du vent et le jusant que nous avions depuis onze heures, nous ont forcés à mouiller par 12 brasses d’eau, fond de roches, entre l'{/e de la Madeleine et celle du Contre-Maitre, mais plus près de la première. (Latitude S., 52° 56° 0”; longi- tude O., 72° 38° 0”. A six heures du soir, nous avons appareillé avec le flot, la brise étautau N. O., nous avous fait beaucoup de chemin. Nous avons vu en plusieurs endroits de la côte de la Terre-de- Feu, des feux al- lumés par les Patagons. Au jour, nous nous trouvions par le tra” vers du canal Saint-Sébastien, avec du calme : les courants n’ont pas influé sur notre route. Avec la brise qui vient du S. O., et qui varie ensuite de toutes les parties, nous sommes parvenus à ga- gner le port Famine, où nous avons mouillé après une reconnais- sance de la baie. La terre, entre le cap Saint-Vincent et le cap Monmouth, est basse sur le bord de la côte, et très-élevée dans l'intérieur. L'entrée de la baie Famine est très-facile; il y a d'excellents mouillages au fond du port, par le travers de la leyée de terre dé- nuée d'arbres et couverte d'herbes qui se trouve sur la côte ouest de la baie: mais ne voulant y rester que très-peu de temps, nous avons jugé plus convenable de mouiller vis-à-vis l'entrée de la ri- vière par 18 à 20 brasses, fond de sable vaseux. Nous avons fait les relèvements suivants au com pas : La rivière à l'O. £S. O. La pointe du milieu de la baïe S. S. O. 3° S. — d'entrée nord, N.£N.E,. Nous avons recu dans cette baie plusieurs fortes rafales des- cendant des montagnes qui sont dans le S. OÔ. du mouillage ; mais nous n'avons jamais été contraints de mouiller deux ancres, tant est bonne la tenue. Nous y sommes restés plusieurs jours, , 268 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. contrariés par des vents debout ; nous y avons fait de fort bonne eau et du bois à brûler, que l’on trouve en grande abondancesur le rivage, surtout auprès de la rivière, qui est belle, mais dont l'entrée est fermée par un banc de sable qui laisse un passage pour un fort canot à mi-marée. | Nous avons trouvé à terre des habitations bâties par des Eu- ropéens, et quelques cases de naturels abandonnées. Le gibier s’y trouve aussi en grande quantité, ainsi que le poisson, parti- culièrement à l'entrée de la rivière. Le céleri sauvage y croît en abondance. Nous en avons cueilli sur la pointe nord de l'entrée, qui était très-bon ; on y trouve des bancs de moules excellentes et beaucoup d'autres espèces de coquillages. Le lundi 12, nous sommes partis de la bare Famine, pour con- tinuer notre routre. Nous avons longé la côte à demi-mille de terre ; nous avons partout vu des mouillages charmants sur la côte. Dans la nuit, nous trouvant par le travers du cap Froward , nous avons recu des rafales à compromettre la mâture; le vent venait du N. O., et par conséquent des hautes montagnes qui dominent ce cap, qui est déjà très-élevé. Avec deux ris dans les huniers, nous sommes parvenus à nous rendre par le travers du cap Holland avec le jour; mais le vent ayant augmenté de force, nous n'avons jamais pu gagner le mouillage. En consé- quence, nous avons laissé arriver pour chercher un mouillage dans une des baïes que nous avions aperçues au nord du cap Froward. \ | Le vent était tellement violent que les tourbillons occasionnés par les collines et les montagnes, faisaient lever l’eau à plus de trente pieds de hauteur, elle retombait en pluie épaisse. Aussitôt à l'est du cap Froward, nous nous sommes trouvés un peu à l’abri, nous avons longé la côte, et à midi nous avons mouillé dans une grande baie, au milieu de laquelle se trouve un îlot garni d'arbres. Cette baie est nommée, dans l’ouvrage de King, bare Saint-Nicolas ou baie Française. Elle est grande, la tenue y est très-bonne; car mouillés par 12 brasses de fond, nous n'avons jamais été contraints de mouiller notre grande ancre, quoique les rafales descendant des monta- gnes aient été d’une force extraordinaire; pendant que nous étions au mouillage, le vent faisait tourbillonner l’eau en la fai- RENSEIGNEMENTS. 269 sant voler en poussière à une très-grande hauteur. Le vent n’est pas toujours de la même direction ; mais il y a de la chasse. Cette baie présente un grand avantage à ceux qui font route à l’ouest, à cause desa proximité avecle cap Froward, qu'on ne peut pas toujours doubler la première fois qu'on s’y présente. On'peut aussi y faire de très-boune eau et du bois. La rivière qui se pré- sente dans le fond est aussi grande que celle de port Famine. Le poisson y abonde, il est excellent, ainsi que des oies sauvages, des canards, et une espèce de pintade, qu'on trouve le plus sou- vent sur l'ilot. Sur la côte sud de la baie, il y a, près d’une grosse roche bien remarquable, une source d'eau douce, meilleure que celle de la rivière. Sur lilotoù uous avons fait de fréquentes ex- cursions, nous trouvions des œufs (dans la saison), des moules et autres coquillages très-bons, en grande quantité. La meilleur mouillage est dans le S. O. de Pilot à demi-dis- tance de cet ilot et de la côte, on y trouve de 12 à 13 brasses d’eau, fond d’argile. La baïe est entourée d’un banc de sable qui diminue l’espace pour mouiller, mais qui n’est pas dangereux : car on voit le clapotis de l’eau sur ce banc, pour peu qu’il vente. En visitant lilot, nous avons trouvé amarrée à un arbre une bouteille qui renfermait un papier écrit en anglais, et prouvait qu'un navire américain l'avait placée à cet arbre, à son passage, il y a deux ans ; ne connaissant pas l'anglais, nous n'avons pu en traduire tout le contenu. Nous avons trouvé des habitations de Patagons, les unes anciennes, les autres nouvellement abandon- nées. Quelques jours après noire arrivée nous apercûmes un feu dans le fond de la baie, peu après, trois individus, marchant sur le bord de la mer, pour se rendre dans le lieu le plus voisin du na- vire. La rivière les arrêta pendant un instant ; mais, encouragés par les signes que nous leur fimes en hissant et amenant plusieurs fois notre pavillon, ils se décidèrent à la passer, et vinrent devant Je navire où le canot futenvoyé pour les recevoir ; à notre appro- che ils hésitèrent; mais aux démonstrations d’amitié qu’on leur fit ils s’approchèrent ; on leur donna du biscuit et de l’eau-de-vie, ce qui les rendit plus confiants, on parvint à les amener à bord, et on échangea avec eux quelques peaux fort belles pour des cou- teaux et d'autres objets semblables. On les reconduisit ensuite sur la pointe nord, où nous trou - 4 1 270 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. vâmes une embarcation construite avec des écorces d'arbres, et plusieurs femmes qui vinrent à vous. Une de celles-ci parlait. anglais, et nous fit comprendre qu'ils allaient retourner sur la Terre de Feu etqu'ils reviendraient ensuite fous vendre les peaux qu'ils y avaient laissées: Nous ne les revîimes plus. quoique nous ayons demeuré encore quatre jours au même mouillage. Relévement du mouillage a la baie Française. La rivière au foud de la baie N. N. O. £ N. L'île au milieu de la baie N. N.E.LE, La pointe nord de l'entrée N. E. 5 E. Le vendredi 23 décembre, à 11 heures du matin, nous avons appareillé pour continuer notre route avec une faible brise de N. E. Cependant, à 8 heures du soir, nous étions par le travers de la baie de Castegon avec une fraîche brise d'est qui a calmé vers 11 heures du soir; «u jour nous nous trouvions près du cap Holland avec calm :.Cra'gnant les courants de jusant, nous avions mis notre canot à l’eau ; ils nous servirent à remorquer le navire daus la baie où nous mouillâmes à 6 heures. Cette baie n’est pas au-si grande que la carte l’a faite; elle est étroite et Lon doit ne pas ranger de très-près la pointe d'entrée sud. Du reste, le goë- mon sert de bouée aux roches, sur lesquelles il y a 6 et 7 brasses d'eau. Une fois que l’on a doublé le banc de goëmons on doit chercher à se rendre dans le fond de la baïe et mouiller au milieu par 18 à 20 brasses d’eau. La tenue y est très-bonne, nous avons eu occasion de l’éprouver par un long séjour dans cet endroit, pendant lequel nous avons souvent reçu des brises carabinées du S. O. et d'O. Il y a aussi une rivière assez jolie où l’eau est bonne ; on y trouve du bois à brûler comme partout ailleurs. Quand on vient au mouillage, on doit éviter de tomber près - de la rivière ; car son entrée est fermée par un banc de sable sur lequel il y a peu d’eau. A l’est de la rivière il y a aussi bon mouil- lage; mais on cesse alors d’être à l'abri de la terre avec des vents de S.0.,etla mer y est clapoteuse, tandis qu’au fond on est à l'abri de tous les vents dominants, : RENSEIGNEMENTS, 271 Là, comme ailleurs, le poisson et les coquillages abondent, on y trouve beaucoup de bécasses. Relévement du mouillage. - La pointe de l'entrée S S; 0.) L'entrée de la rivière E. N. E. ) du com pas. Le ÿ janvier . nous sommes partis de cette baie avec une petite brise favoriuble; nous : vous gagné la côte sud du détroit, et le courant du flot aidant, nous avons fait un peu de chemin daus la nuit. Dans la matinée du 8, nous avons dépassé le port Gal/ant et le port Gaston, qui sont d'une jolie apparence. Daus l'après-midi, la brise a fraîchi de l'O., et nous à permis de louvoyer. Le cou- rant du jnsant nous ayant pris par le travers de fa baie d’Arista- zabat, nous y avons mouillé par 17 brasses fond de gravier: nous y avons passé la nuit et fait de l'eau dans une touLe petite rivière au fond de la baie. Le gau matin, à 10 heures, nous avons appareiïllé avec le flot et nous avons continué à louvoyer avec des vents d’O., belle brise. Le courant est très-fort, et nous poussait rapidement au vent; à midi, nous étions à la pointe York du-canal Indien; enfin, à 4 heures, nous avions mouillé dans une des baies de l'ile U/ 0a, par 12 brasses d’eau, fond de roches, au milieu de goëmons. Le fond y estérès-rapide On y est à l'abri de tout vent; si l’on devait fes- ter quelque temps dans la baïe, le meilleur serait de se mettre à quatre amarres dans une crique située à tribord en entrant, der- rière les flots qui sont à l’entrée de la barre; il ya 8 et 10 brasses d’eau, mais on ne pourrait éviter avec une biture de 60 brasses, si. lon y restait mouillé sur une seule amarre. Nous avons trouvé dans cette crique plusieurs cabanes de Pa- tagons, nouvellement abandonnées , mais nous n’avous vu per- sonne. Le bois et l'eau y sont en abondance, une cascade magni- fique vient se décharger au foud de cette baie. Lat. S., 54° 29 30”. Longit. O., 76° 15’ o”. Le mardi 10, nous sommes partis et nous avons continué à lou- voyer avec une brise droite-d:bout. Le canal, qui paraît très-res- serré en cet endroit , est assez large pour permettre de courir 972 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. trois quarts-d’heure sur le même bord. Il est plus large que dans le premier et le deuxième goulet , quoique la carte ne l'annonce pas ; le courant de flot commence à devenir moins fort, et à qua- tre heures, nous trouvant par le travers de la baie Stuardo, nous y sommes entrés et avons mouillé par dix-huit brasses, fond d'argile blanche , semé de roches détachées du fond. Dans cette baie, qui est très-grande, on est à l'abri de la mer; mais le vent souffle avec force, lorsqu'il vient des montagnes si- tuées au S.-0. et à l'O. La tenue est bonne; on doit éviter de passer sur un banc de goëmons qui est à l'entrée, au milieu de la passe. Ou peut cependant le ranger de près , car nous avons trouvé quinze brasses d’eau à son entour. Nous avons sondé toute cette baie et sommes reslés convaincus que le meilleur mouillage est dans le fond de la baie, par quinze et dix-huit brasses de fond d’argile sablonneux, plus sur babord que sur tribord, en allant vers le fond. 11 se trouve, tout à fait dans l’intérieur, un amas de rochers, les uns à fleur d’eau, les autres élevés au-dessus de son niveau. Cependant, avec une embarcation, nous avons fait le tour de la grande île qui forme la baie. I] y a une baie plus ouest, mais la tenue doit y être mauvaise ; nous n’y avons trouvé que des fonds de roches. Le mercredi 11 janvier, nous avons de nouveau mis à la voile, et aidés d’une belle brise d'E. et S. E., nous avons longé de très- près la côte méridionale du détroit ; elle est très-.saine par- tout, et nous avons aperçu partout des ports qui paraissent bons, mais le vent étant favorable, nous en avons profité et con- linué notre route pour le cap Pillarès, où nous étions à quatre heures du matin, le 12. Les courants étaient faibles dans ce mo- ment, probablement parce que nous étions dans les mortes ma- rées. La terre est élevée des deux bords, et ne présentait aucun danger à l'approcher. Nons avons trouvé plusieurs enfoncements semblables à des canaux, et qui n'étaient pas portés sur notre carte. Observations sur Les vents, les courants et les vues de cotes. Pendant le temps que nous avons louvoyé à l'entrée orientale du détroit de Magellan, nous avons resenti des courants assez PIECES JUSTIFICATIVES, 273 flot et de jusant, portant toujours dans la direction du chenal, ou à peu près. Lorsqu'il vente de l'O. ou du S.-0., la mer est très- grosse, surtout pour un petit bâtiment. Nous avons recu souvent des paquets de mer sur le pont. On doit alors aller mouiller dans le N.-E. du cap des Vierges, à un mille de terre. La côte du nord est élevée et plate. Un seul monticule la domine. Dans tous les endroits resserrés, les courants sont très-forts ; nous avons eu lieu de le remarquer, surtout au pre- mier goulet, vis-à-vis l’'anse de la Possession. La côte méridio- nale est peu élevée, jusqu'au cap Orange. Dans le premier soulet, les côtes sont un peu escarpées et un peu élevées. En sortant de ce goulet pour aller dans le S.-0., on doit faire en sorte de ne pas trop se laisser affaler daus l’enton- noir que forment l’île des Pingouins et la côte de la Terre de Feu. . Le courant y passe avec force. Depuis la pointe ouest du premier goulet, la terre est peu élevée jusqu’au cap Saint- Grégoire ; seulement sur la côte, car dans l'intérieur elle est montueuse. Dans la baie Suint-Grégoire, nous n'avons pas éprouvé de grands courants ; mais dans le second poulet, le flot a été fort; les terres sont, comme dans le premier, assez élevées. Quand on vient de l’est, on doit faire attention de ne pas pren- dre pour lentrée du second goulet le fond de la baïe Saint-Gré- goire. La terre y est peu élevée, et ferait croire qu’il y a passage, à cause de la haute montagne taillée à pic que l’on voit dans l’in- térieur, et que l’on pourrait prendre pour le cap Saint- Grégoire. . Depuis notre second mouillage à l’est de l'ile Magdeleine, jus- qu'au cap ÆFroward les courants ont peu influé sur notre route. La terre de la côte de Feu est basse au bord de la mer, et très- haute à plusieurs milles dans l’intérieur ; mais celle de l’ouest est très-haute, et peut être rangée de très-près. Jusqu'au cap Froward , les deux côtes sont très-boisées, excepté sur le sommet des montagnes, toujours couvert de neiges. Depuis le cap Froward jusqu’à la sortie du détroit, les vents ont une force extraordinaire quand ils sont du N.-0., de l’ouest et du sud. Les courants prennent aussi de la force dans cette partie ; les terres sont très-hautes des deux bords, couvertes de bois, et leur x. | 18 974 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. base est dénuée de toute végétation à certaine hauteur; la partie élevée est toujours couverte de neige et de glace, Nous nous sommes aperçus que le courant de flot passe avec rapidité dans le Canal Indien, mais il est aussi d’une grande force vers l’ouest, entre l’île U//oa et la côte nord, Depuis la pointe de la Médaille jusqu'au cap Pilarés, les cou- rants ont peu influé sur notre route , les terres sont élevées, Le cap Pilarés et la côte nord peuvent se voir de très-loin. Dans l'O. du cap Pilarés, on voit plusieurs roches isolées : ; elles peuvent être aperçues à 10 ou 12 milles de distanges | Le cap paraît aride et haché dans son sommet. | Les Evangélistes sont élevés ; on peut les voir de vingt Hélles- Nous avons passé à les ranger au S., à deux milles de distance. Dans tous les mouillages possibles, nous nous sonrmes aper- cus qu'il valait mieux, quand on le pouvait, mouiller près des terres basses que près des montagnes, parce que celles-ci occasion- naient des tourbillons d'une force extraordinaire. Dans la baie Æoiland, nous avons trouvé une roche détachée, couverte de vert-de-gris sur sa surface. Persuadés que cette pierre était chargée de cuivre, et pensant qu'elle pouvait aussi renfermer quelque autre métal, nous en avons détaché quelques fragments que nous avons emportés. Conforme au journal du brick le Cygne, de Bordeaux, ca- pitaine Roulet ou Rollet, remis au capitaine Lacouture, à Valparaiso, par M. Leduc, second du brick. Transcrit à Valparaiso, sur la copie entre les mains du ca- pitaine Lacouture commandant le #7 on de Bordeaux, le 27 mai 1838. OBSERVATIONS AU CENTRE AMÉRIQUE, Divisées en trois parties : la première, traitant la partie nautique; la deuxième, la partie commerciale; et la troisième, les mœurs et usages des habitants, Années 1837 et 1838, PAR LE CAPITAINE LEGENDRE, Commandant le trois-mâts la Lydie de Bordeaux. Remarques nautiques. Route du Sud pour Istapa. — (Les marins ne devront jamais perdre de vue que les observations que nous avons recueillies sur cette route, se rapportent surtout à la saison de l'hivernage, et principalement au mois de septembre.) Vents régnanis. — En partant des ports du Chr: ou du Pérou, il faut se diriger de manière à couper la ligne par 90°, puis faire route pour les volcans de Guatemala, et plutôt à l’est qu’à l’ouest d'eux. À partir de la ligne, on trouve généralement Îcs vents au S. O., temps à grains et pluvieux, brise molle ; et à mesure que lon avance vers le nord , les vents tendent à hâler ctte partie, surtout dans les grains; ce qui fait qu'il est bon d'être de bonne heure en longitude du lieu de sa destination, pour n'avoir ensuite que lenordà faire, cequi est toujours facile. Cependant, si l’on tom- baït à l'est de sa destination, il ne faudrait pas s'en inquiéter; car, 276 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. È à l’aide'des vents de S. E, qui sont très-fréquents près de la terre, dans la mauvaise saison, ou-des brises de terre et de mer dans la bonne, on atteindrait facilement son mouillage. “ Dans tout ce trajet, la variation ne diffère pas sensiblement, et - on peut sans erreur la compter de 8 degrés, à l’est à partirde Lima. Dans notre traversée, qui eut lieu en septembre, nous n'avons éprouvé de courants sensibles qu'entre les quatrième et septième degrés de latitude sud. D’après les longitudes etles latitudes ob- servées, ce courant avait une vitesse diurne de 20 milles au N. 0.1 O., sous le méridien de 86°. Plus Nord nous avons ren- contré de forts lits de courants, mais ils étaient sans effet. Phénomènes divers. — Vers les 8 degrés de latitude septen- trionale, et pendant trois jours, nous avons vu la mer verte comme par 20 brasses d’eau. Nous avons sondé et filé 120 brasses de ligne sans trouver fond. Quelquefois, pendant la nuit, la mer devient phosphorescente et apparaît comme une plaine lumineuse savec quelques intervalles ternes, de manière à faire croire ou à de brisants ou à des bancs de sable blanc; maïs on reconnaît bien- tôt que cet effet est dû à des masses innombrables de polypes et de petits poissons lumineux. Des saisons sur la côte. — La bonne saison, sur la côte, com- mence en novembre pour finir en avril; pendant cet intervalle, le temps est constamment beau : le ciel est pur et sans nuages, la mer unie comme une glace, et les brises de terre et de mer sont régulières. La brise de terre commence vers six heures du soir et finit vers sept heures du matin; après une heure environ de calme, la brise de mer lui succède. Quelquefois, de fortes brisesdeN. E., par rafales, durent de un à trois jours; elles sont plus rares dans l'ouest que dans l’est, et toujours plus faibles le jour que la nuil. rit) Dans la mauvaise saison, aux approches du mois de mai, les vents sont très-variables, les pluies abondantes, particulièrement l'après-midi et la nuit. Après la pluie, le ventse fixe généralement aus. E. Les plus forts grains viennent de terre et soufflent quel- quefois avec violence, ce qui oblige souvent à carguer toutes les voiles ; mais ils ne durent pas longtemps. Les vents de S. O. sont rares, mais ils soufflent parfois à obliger les navires mouillés à PIÈCES JUSTIFICATIVES. 277 Istapa à appareïller ** J'avais, à Zstapa, mouillé mes deux chaînes de 12 lignes ; nous avions 6 brasses filées ; à mesure que la brise fraîchissait, on fila jusqu’à go brasses, et alors on laissa tomber la grande ancre, et l’on fila selon la force du vent, de manière à avoir une touée de 150 brasses : de cette manière, le navire n’a ja- mais chassé. On ne saurait être trop bien monté en ancres eten chaînes; car dans tous les ports de la république, ilest impossible de rien trouver à l’usage des navires. Dans la mauvaise saison, lorsque l’on mouille dans les ports de la côte, les crabans et les herbes s’attachent au bois et au cuivre, et les vers piquent horri- blement les navires qui ne sont pas doublés assez haut; mais aussitôt que novembre arrive, il n’y a plus autant de vers, les embarcations se tienventpropres, et lenavire n’a plus besoin d'être autant soigné à sa flottaison. Aiérages. — Généralement, les terres sont très-élevées dans l'intérieur; mais, près de la mer, ce sont des plaines plus ou moins prolongées, et couvertes d'arbres de la plus riche végéta- tion. En venant du large, et à 4 lieues environ de la terre, on ne voit que des arbres à l'horizon, et lorsqu'on les apercoit, on voit la mer briser au pied de ces arbres, quoique séparés du ri- vage par une plage de sable gris, souvent noir, comme à Jstapa. Dans l’ouest de ce port, les arbres sont serrés et bien fournis ; dans l’est, ils paraissent d’une végétation moins forte et plus clair- semée. | Sondes. — Le long de terre, depuis Zstapa jusqu'à la Union, on peut compter, sans beaucoup d'erreur, qu'à une lieue de terre il y à 20 brasses d'eau, à 2 lieues 25, à 3 lieues 28; c'est ce que nous avons trouvé dans notre navigation. Cette sonde sert beaucoup pour côtoyer la terre, parce que, le plus souvent, la nuit, les terres basses, au bord de la mer, se confondent avec celles de l'intérieur, surtout lorsque la plaine a peu d’étendue vers le uord, comme dabs l’est de la pointe de Remedios. Istapa (port de Guatemala). — Comme nous l'avons dit plus haut, les volcans de Guatemala doivent être le point d’attérage des navires qui vont à Istapa. Ils peuvent s’'apercevoir par un * La mer devient grosse et brise par A0 et 12 brasses, Cependant, un navire bien ancré peut, je crois, tenir à l'ancre. 18 VOYAGE DANS L'OCÉANIE, temps clair, à 35 lieues. Le ‘plus ouest, dit /e Feu, est lé plus élevé; il jette constamment de la fumée blanche et compacte par un cratèresitué à son sommetsur la face du N. E. Cette fumée ne s'élève jamais au-dessus de la tête du volcan, et paraît comme un petit nuage blanc fixe. Celui de lest est prie régulier et plus près de la mer; on l'appelle Fo/can d’eau, à cause d'un grand bassin qui existait jadis à son sommet, du côté du N. O. Les terres, sans doute trop faibles pour résister à la pression du liquide, cédèrent, il y a quelques années ; alors l’eau s’échappant par la brèche, et courant sur un plan incliné d'environ 40°, dé- vasta tout sur son passage, et la ville de Guatemala vit s’'écrouler, en un instant, la majeure partie de ses édifices. Dès cette époque elle fut abandonnée en partie pour construire là nouvelle Guate- mala. La première n’est plus connue que sous le nom d’Antigua. Quand on est en vue de ces volcans, on doit gouverner de ma- nière à rallier la terre et à les relever au compas; celui du Feu au N. 24 O., celui d'Eau au N. 11° O.; car c'est dans ces relèvements que se trouve le mouillage d’Zstapa, et par 15 brasses d’eau. On est alors à 1 mille de terré. Il est bon d'observer qu'a 8 milles environ, dans l’ouest d’Zstapa, il y a deux magasins et deux maisons en paille qui paraissent de loin ; près d’elles, s'élève un mât de pavillon, et l’on pourrait, si les volcans étaient cachés par les nuages, confondre ce hameau avec Zs/apa. Au commence- ment de 1837, c'était là le port de Guatemala, nommé Salinas del Sapote. Depuis, il a été abandonné à cause de son Istapa estsitué par 93° 2’ 30” longitude ouest, et 13° 52° 55” latitude nord, a deux petites lieues de l'embouchure de la rivière de Mi- chatoya, c'est un établissement de bien peu d’i importance. La po- pulation est d'environ cinquante individus; mais, lorsqu'il y a des navires sur rade, on la voit augmenter en raison du travail. Il est bon de savoir qu'il y a deux mâts de pavillon, l'un sur là douane, l’autre chez le commandant. Lorsqu'il y a un navire en vue, le commandant fait hisser son pavillon. Sur toute la côte du Centre Amérique, il y a une plage de sable aü large de laquelle se trouve une barre où vient se briser la mer avec hi ou moins de violence. Pour franchir celle d’Zstapa, on se sert de chaloupes venues d'Europe, et construites sur divers modèles : jusqu’au moment de notré passage, ces émbärcätions A dé PIECES JUSTIFICATIVES. 279 n'avaient que bien imparfaitement rempli ce but; mais la nôtre a débarqué {00 tonneaux et embarqué 200 surons de cochenille, sans mouiller un colis. Fièvres dites de la Côte. — Les équipages séjournant sur la côte plus d’un mois, et particulièrement à Jstapa, sont sujets à être atteints de fièvres irrégulières, .et qui mettent les hommes hors de service pendant deux, trois et quatre mois. On les traite avec succès en employant au début, et hors des accès, l’ipéca- cuanha, des médecines telles que le sel d'Angleterre, etce qui est meilleur, du mercure doux, dit calomel; si la fièvre résiste à ce traitement continué quatre à cinq jours, il faut employer la qui- nine, soit en pilules, soit dans un verre d’eau, et en faire prendre quand le malade n’a pas de fièvre. Ceux qui ne sont pas traités promptement contractent des maladies de foie difliciles à guérir. Les capitaines doivent employer les moyens hygiéniques suivants pour éviter cette maladie : 1° Empêcher les hommes d'aller à terre; 2° ne pas souffrir qu'ils couchent sur le pont, les nuits étant fraîches et humides ; 3° faire changer de vêtements toutes les fois que les hommes sont mouillés par l’eau pluviale ; leur donner à déjeûner du café, et mêler du riz avec les viandes salées ; 5° les exposer le moins pos- sible au soleil; 6° le dimanche, et plus souvent s’il est possible, leur faire prendre un bain d’eau salée à bord. Des ressources qu'offre le port d’Istapa. — On se procure bien difficilement du bœuf, des volailles et des œufs. J'ai toujours été obligé de faire venir ces vivres de la capitale; en faisant quelques sacrifices, on peut se procurer un veau. Le bœuf coûte 2 piastres Varobe ; une poule, 4 réaux; les œufs, 3 réaux la douzaine ; un veau, de 5 à 8 piastres. On prend beaucoup de poisson, assez bon; dans la rivière; mais le commandant du port, qui cumule tout, ne veut pas en vendre aux navires. On prend, le long du bord, des poissons à la ligne, plus particulièrement des ma- chotrans. Arajutla, port de Sansonnati. — Ce port est situé un peu au nord de la pointe Remedios*, et à 2 milles au sud de Rio-Grande. * Cette pointe (de Remedios), d’après la carte, paraît saine et exempte de dangers ; cependant il y a jusqu’à la distance de 4 milles au sud d’elle des roches isolées. 280 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. C'était, du temps des Espagnols, le principal port de la mer du sud, pour le Centre Amérique. Il y avait alors un môle, une aï- guade, quelques fortifications, enfin des magasins bien bâtis. Mais aujourd'hui tout est en ruines ; c’est à peine si les magasins sont en état de recevoir les marchandises. Les négociants de Sanson- nati ont l'intention de rendre à ce port quelques-unes de ses an- ciennes commodités. On peut ‘communiquer facilement avec la terre. Le port est facile en venant de toutes directions ; d'abord par la pointe saillante de Remedios, qui indique sa proximité; en- suite par les volcans d’Zsalco. Sansonnati est, comme nous l'avons dit, très-près d’ Ju c'est dans cette ville qu’on traite les affaires’, les négociants n'ayant pas d’agentsau port. Il faut deux heures pour faire à cheval le trajet du port à la ville ; le chemin est beau et ombragé. Des ressources du port d’Arajutla: — Au port et au village voisin, les volailles coûtent 2 réaux ; les dindes, 3 et 4 ; les œufs, une piastre le cent; les petits cochons de 2 à 8 réaux ; enfin les lé- gumes, les fruits des tropiques, le riz, ainsi que les haricots, y sont abondants dans la belle saison; l’eau y est bonne et se fait à Rio- Grande, avec quelques difficultés ; le bois à brûler est commun et se fait par milliers de bûches fendues, à raison de 3 piastres les mille morceaux. Dans ce port, on pourrait se procurer un beau - pré, une vergue, mais de bois très-lourd et très-solide. Route d’Arajutla au port de la Liberté. — On sort du port ordi- nairement avec la brise de terre, pour doubler facilement la pointe de Remedios , à laquelle on donne bon tour. On se dirige ensuite de manière à côtoyer la terre à une distance de 2 à 3 lieues. C'est le meilleur moyen de naviguer sur cette côte:'et quand on apercoît le volcan de Sar-Salvador, on rallie la terre à 4 ou 5 milles, pour découvrir les maisons. Les /ongos ou alléges, dont on se sert pour débarquer les marchandises au port de la Liberté, sont insufi- santes et sont faites d’une seule pièce d'arbre. Route de la Liberté à La Union. — Côtoyant la terre par 20 et 30 brasses, et le long de laquelle on peut mouiller partout, on rencontre les volcans de Saint-Vincent et de San-Miguel. Entre ces deux volcans on aperçoit, un peu dans l'intérieur, trois pe- tites villes; on voit ensuite le Mogo de Camchagua, formant la - pointe de babord de l'entrée du "port ; c'est la terre la plus élevée PIÈCES JUSTIFICATIVES. 281 de tout ce qui est en vue, sauf les volcans. Lorsqu'on distingue bien les îles élevées de Mangouïra, de Camchagueta, on gouverne alors dessus, en donnant un peu de tour à la pointe Candadillo, qui jette à un mille au large quelq ues rochers. Une fois cette pointe doublée, il n’y a aucun danger pour louvoyer, si les vents étaient contraires; car à une encâblure de terre de l'ile Camchagueta ou du Continent il y à 4 brasses d’eau *. Alors les courants suivent sa direction. Il est difficile d'entrer dans ce port en louvoyant, à cause du rétrécissement du goulet, surtout pour un grand na- vire. Mais alors, si le vent est mou, on peutentrer en dérivant sur son ancre, et d’ailleurs la brise du large est assez commune l’a- près-midi. Près la pointe de babord il ÿ a 15, 16, 18 et 20 brasses d’eau, fond de vase. À deux ou trois encäblures de la pointe S. O. de l’île Bensasacata , et dans l'E. S. E. de cette pointe, il y a deux roches nommées les Deux-Sœurs, qui couvrent dans les grandes marées, et qu'il ne faut pas perdrede vue, si on louvoyait pour entrer.Si les vents étaient sous vergues on devrait prendre le milieu de la passe, et ne pas craindre de ranger les terres de babord, car c’est là le chenal. On se dirige vers le fond de la baie et l’on mouille par 6 et 7 brasses d’eau, par le travers du village de La Union. Lorsqu'on est près de la pointe de San-Baditlo, une excellente marque pour la nuit est de mettre le pain de sucre de l'île exactement dans le milieu du chenal. On peut courir dans cette direction sans crainte. Il faut se rappeler que l'ile du Tigre est celle qui à la forme la plus régulière, c’est-à-dire celle d’un pain de sucre parfait. C'est, d’ailleurs, la seule de cette forme. Ressources du port de la Union. — On peut se procurer à bon compte des volailles, cochons, œufs et bananes auprès d’Arajutla. On y trouve du bois à brüler et de l’eau; mais elle est mauvaise et on est oblige de la faire dans un petit ruisseau qui se jette dans la baie de Chiquirin (ou Quiquirine). On trouve à La Union des Bonos en assez grand nombre pour charger en un jour beaucoup de marchandises ; mais l’inconvénient d’une longue plage de sable, qui découvre à mer basse, fait qu’on ne peut travailler qu'avec la haute marée. Il serait facile de lever cette difficulté à peu de frais, * Le chenal est entre cette ile et la Grande-Terre, et par neuf brasses d’eau. 282 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. mais l'Etat est si pauvre qu’il ne peut rien faire. Ce port est lescul où l'on puisse entreposer les marchandises. Il n'ya pas un maga- sin capable de contenir 100 tonneaux; cependant on assure que le gouvernement vient d'acheter celui d’un particulier, qui offre l'avantage d’être spacieux et au bord de la mer. Mouillage de Quiquirine. — Ce mouillage est par 8 brasses fond de vase, et vis-à-vis une petite baïe circulaire ayant une plage de salle gris-noir, peu ouverte pour les grands navires. Le pOUeL de l'entrée du port est dans cette position. On peut faire son eau dans un ruisseau d’eau limpide qui se jette dans le côté sud de la baie ; mais, pour cette opération, il est bon d’avoir une andarivelle, parce que la mer ÿ est parfois assez grosse pour ne pas pouvoir communiquer sans ce secours. Il est plus facile de faire son eau à mer basse qu'à mer haute, car alors il y a un bassin près de la plage dans lequel on puise l'eau, mais qui se remplit d'eau salée à mer haute. Dans le N. E. de la baie, il y a deux petites cases où vivent deux familles. | Vents et courants observés au mouillage de Quiquirine. — Nous étions, à ce mouillage, pendant le mois de janvier; les vents, le matin, étaient généralement nord, puis se calmaient pour venir à l'E.,et vers le soir à l'E. S. E.; souvent, au coucher du soleil, les vents sautaient au N. E. bon frais, pour cesser progressive ment. Le matin, les vents de N. E. sont aisés à prévoir; si le temps est gris dans cette partie, il y a presque certitude qu'ils viendront; avec le temps clair, il est très-rare de les voir à ra- fales. Les courants, dansles Malines, filent 2 à 2 À nœuds ; dans l'hiver, ils Abäët être plus forts. | | Volcan du Viejo. — En entrant comme en sortant de La Union, -. on voit le volcan du Yejo; il est bien remarquable, d'une Lande | hauteur par rapportaux terres qui l'environnent, et peut se voir à 39 lieues; il sert de reconnaissance pour trouver l'entrée du port de Realico, qui est au S. £S. O. de lui. _ Observations diverses. — Les courants le long de la côte, depuis M Istapa jusqu'à La Union, sont insensibles. Dans le mouillage d’/5- tapa, où nous sommes reslés 85 jours, nous avons remarqué quelquefois, mais rarement, des courants portant à l'ouest, et« filant 2 nœuds ; les vents étaient alors frais de la partie du S. E: Nous avons vu également les courants se diriger vers l'est avec ï LS PIECES JUSTIFICATIVES,. 283 la même force, mais c'était à la suite de vents frais du S. O.; ce qui prouve que les courants sont subordonnés à la direction et à la force du vent. Dans l'été, pendant le calme, lorsque nous ne sous voiles, le plomb n’indiquait aucun courant, et le na- vire était immobile par rapport au fond; dans la saison d'hiver, pendant le jour, les hautes terres sont couvertes denuages, et l'on apercoit très-rarement les volcans; mais, de 6 à 8 heures du matin , il est rare qu'ils soient couverts. L'été, la terre paraît à une grande distance, et est entièrement dégagée de nuages. s Commerce d'exportation. Le commerce d'exportation consisteen or et en argent, pour une valeur de 30,000 piastres environ; 4 à 5000 surons cochenille, 5à 8000 surons d’indigo; ces deux riches produitsaugmentent an- nuellement d’un dixième; 4000 vres, baume du Pérou, 15 à 20,000 euirs secs, un peu/de mauvais sucre brut connu sous le nom de chancacha, pour le Chili, quelques bois de Micaragua, des bois d’acajou et de cèdre, de la sa/separeille, du café réputé fort bon, de lécarlle de tortue. Quoique le cacao se cultive dans le pays et soit un des meilleurs du monde, il ne peut s’exporter à cause de son prix élevé (20 à 25 piastres le cent); il se con- somme dans le pays, qui en recoit lui-même de Guayaquil. Exportations par Istapa. — Par Estapa il ne s’exporte que de la cochenille, et des indigos en petite quantité. Les prix de la coche- nille sont de 10 à 12 réaux la livre, et ceux de l'indigo de à 8, selon les qualités. Il ÿ a de plus à supporter les frais d BAR à 20 réaux par suron, de transport au port, et caisse, ce qui fait 2 piastres de plus. ) Exportations par Arajutla. — \ s are de ce port, plus fré- quenté que celui d’stapa, des cuirs, de la chancara(ou chanca- cha), des indigos, du riz, et tout le baume connu sous le nom de baume du Pérou. Les prix ordinaires de ces marchandises sont : les cuirs à 9 réaux; la chancara 3 piastres les cent livres; 7 + à 8 284 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. réaux l’indiso, 3 piastres les cent livres de r1z, le tout rendu à Arajutla. On aurait peine à former une cargaison dans ce port, à cause de la petite quantité de ses produits. Maison de com- merce : M. Campo. Exportations par La Liberté. — Par La Liberté, il ne s’exporte guére que des indigos, qui sont au même prix qu'à Arajutta; aussi ce port est plutôt pour l'importation que pour l'expor- tation. 3 Exportations par La Union. — Ce port, qui recoit, en temps de foire, 10 à 12 navires venant du Cri, du Pérou et de l'Equateur, tient dans ses magasins plus d’indigo que tous les auires ports réunis ; mais c'est le seul article, avec l’écaille de tortue et quel- ques cuirs que l’on a peine à se procurer. Ce port, à proximité des lieux de foire et offrant aux navires un abri sûr, devrait jouer un grand rôle dans le pays. Cependant, il n’y a pas un négociant qui puisse disposer de {000 piastres, et par conséquent offrir des garanties positives. La population du village de La Union ne s’é- lève pas à 800 âmes. - Des frets. — Les frets ordinaires sont comme suit : Du Pérou. Par suron, indigo. Rx 4 piastres. Par Cuir: , 70 00 1 réal, Du Chili. Par suron, indigo et ose cochentile. . 57 000" 5 piastres. Parc. Ce 1 réal. Par © d’ chancacha. . G réaux. Le passage. . . . : ._. . . . + + 100 prastres, Pour Europe. Par suron. . . . . Gà 8 piastres. Le reste, à 130 et140 francs le tonneau; mais, dans l'impossibi- lité de compléter un chargement en hotel à fret, pour les grands navires, il n y a que la ressource du bois qui donne asséz souvent un bon fret. | Commerce d'importation. — Les principaux articles d’im porta tion sont : les tissus de coton, communs, blancs, imprinee les draps légers, les castmirs (les nôtres sont préférés à ceux des An- glais) ; les tissus de fil, tels que creas, roya! Bretagne (pas de toiles fines); de /a porcelaine commune, très-apparente et dorée, des vases de diverses formes, avec dessins, mais en couleur et pas noirs, tels que batailles, vues, etc.; de la verrerie française et d'Al- LE PIECES JUSTIFICATIVES. 285 lemagne; des eaux de lavande et de Cologne; un peu de parfu- merie; de la Ubrarrie ; des soieries et des rubans français ; des in- diennes francaises; des écharpes un peu larges, en gaze de soie, en coton rayé, en soie Erodée, un peu de divers ; de l'acier, des clous, de la quincaillerie, du cuivre en planches, des armes à feu, particu- lièrement des pistolets de poche et d’arcon; de la fausse bijou terie francaise, et particulièrement des boucles d'oreille; quelques pierres fines montées sur bagues et épingles ; des papiers peints, des papiers demi-flovette, des tableaux, des glaces, des chapeaux de soie et de feutre, des plumes noires pour chapeaux de femme ; enfin, une infinité d'articles connus sous le nom d'articles de Pa- ris. Couleurs préférées; le café, le bleu-céleste, mais pas trop pâle, le bieu-raymond, le noir, le gris-plomb, carmélite et blanc; les autres couleurs sont presque délaïissées. : Liquides et comestibles. — Les eaux-de-vie de 26 à 28 degrés, en barils de 8 veltes ; /es vins en caisse, rouges et blancs; les vins de liqueur, particulièrement Ze malaga; les fruits, au vinaigre et à l'eau-de-vie, en petite quantité, et du cognac en caisses. Les vins en barils sont d’une vente difhicile, à cause des vers qui les percent en 48 heures, et qui causent la perte du liquide. On vendrait quelques caisses de conserves de Colin, un peu de liqueurs très- fines. Les jambons seraient un bon article en petite quantité ; on les vendrait de 3 à 4 réaux la livre. Quelques caisses, prunes et raisins secs, se vendraient à 6 piastres. Ris d'une cargaison. — 1] faut bien se pénétrer qu'une cargaison ne peut se vendre en gros, si elle n’est point composée d'articles courants, comme tissus de coton et faïence ; pour peu que la cargaison soit assortie, il faut une ou deux années pour réaliser. Mais les bénéfices sont en rapport. Malheur à celui qui se trouve obligé d'emprunter sur la cargaison, soit pour payer des avances faites en Europe, soit pour payer le fret, les droits ou es frais de transport. Vous êtes alors sûr que les bénéfices passe- ront entre les mains du préteur, qui vous prend 8 © de commis- sion et 2 ? d'intérêt par mois. Si vous avez besoin de retours anti- cipés, vous payez les produits de 20 à 25 £ au-dessus du prêt d'argent, ce qui ne peut être cependant nommé usure, puisque sans se Aer on gagne ordinairement de 25 à 5o £ sur son ca- pital, et c’est en faisant des avances aux planteurs de cochenille et 286 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. d'indigo, le tout bien hypothéqué sur leurs propriétés, ou même en achetant en foire des indigos contre des marchandises. 7 Maisons de commerce de Guatemala. À Guatemala, ville la plus riche de la république du Centre-Amérique, il y a font peu de ca-: pitalistes, suriout peu de maisons travaillant avec l'Europe. Les plus riches sont celles de don Raphaël, de Uruella, de Klein, de Matao et Morphy. Les autres sont plutôt des marchands que des négociants. Dans les mains de ces maisons se trouvent réunis les capitaux; et si vous avez besoin d'elles, quoique ennemies entre elles, elles s’entendront pour vous dévaliser, si faire se peut. Foires, leur importance. — -W ne se fait d affaires importantes qu’en temps de foire. Celles de Saint-Vincent et de San-Miguel sont les plus considérables. Elles ont lieu fin nôvembre, et atti- rent un grand concours d'individus du Chi, du Pérou et de l'E- quateur, ainsi que de toutes les petites républiques de l'intérieur. C’est là le grand marché aux indipos, et en même tenips, le mo- ment de vendre aux planteurs, parce qu'ils sont munis d'argent. . Les indigos se payent, en foire, 4 & et quelquefois 6 réaux, selon la qualité. Le numéro ci-dessous recoit quelques modifications par diverses causes, l’'empressement des acheteurs en plus ou moins grande quantité, puis le mode de payement : l'usage est de payer portion en espèces, portion en marchandises. Les espèces doivent être en piastres on en parties de piastres, parce que les planteurs ne peuvent employer au payement des Indiens ni les onces, ni leurs parties. Aussi, celui qui viendrait faire emplette avec de l'or payerait beaucoup plus cher les indigos. On serait obligé d'é- changer l'or pour de la monnaie, en perdant une prime, Classement des indigos. — Les indigos se classent comme suit, par numéros : | 1 )ÈS N° 9, 8 et 7. Tous ces numéros sont Flores” 16 et à, — — - Sobres. 4, 3 et 2. — — - Cortes. Plus les indigos sont beaux, plus les surons sont grands. Cette marchandise demande un œil exercé pour sa réception, non-seu- lement pour le classement des numéros, mais pour connaître dans | les qualités inférieures une terre avant l'apparence de cette tein- ture, et que les planteurs introduisent dans les surons. Souvent « le suron est composé d'iudigos de diverses qualités ; alors l'usage _ PIÈCES JUSTIFICATIVES. 287 veut que le suron soit classé selon la qualité la plus inférieure. En général on doit se défier des planteurs et ne rien acheter d'eux sans Le vérifier scrupuleusement, si l’on ne veut être pris pour dupe. L'emballage d’un suron coûte 20 réaux. Il est composé d’un sac en toile, d'une natte et de deux peaux de bœufs cousues, puis liées avec des courroies de la même peau. La cochenille s’em- balle de la même manière. De la cochenille, ses qualités. — La cochenille se divise en trois qualités : | La première, {a cascarille, c'est l'insecte qui à servi à faire l'assimilation. La mouche est noire et légère, la plus grande est _ préférée. La deuxième, C'est l'insecte venu dans toute sa croissance ; elle est grosse, pleine et égale, sans corps étrangers, plus ou moins argentée selon le temps qu'il à fait pendant son accroissement. Les pluies enlèvent cette couleur blanche tant appréeiée en Europe. La troisième. C'est h petite mouche ; elle est assez irrégulière et mélée avec des corps étrangers, tels que gomme de Haba ) gra- vier, insectes ; plus elle est petite, plus elle est difficile à nettoyer. - Dans cette dernière qualité il y a encore bien des divisions ; mais à Guatemala, on ne connaît pas cette manière de classer. Cependant, on dit, c'est de la belle première ou ordinaire, de la belle seconde ou ordinaire. Mais ce n’est pas un classement, c'est ou de la première ou de la deuxième. Dans les achats, il faut éviter d'employer la cochenille rougeâtre ; c’est la moins es- timée en Europe. : He Foire de Stipula. Cette foire est la plus importante après celles dont nous venons de parler, particulièrement pour la vente des marchandises européennes et l'écoulement des fonds de magasins, ‘elle attire environ {0,000 étrangers. Il y a beaucoup d’autres foires, mais de peu d'importance. Stpula est une petite ville qui a l’inappréciable avantage de posséder un Christ noir auquel on attribue un grand nombre de miracles , et dont la réputation at- tire de toutes parts beaucoup de monde. Il vient même des indi- vidus du Mexique pour y faire bénir des reliques. Ces malheu- reux vivent d'aumônes , et une partie meurt en chemin de misère ou de faim. 288 VOYAGE DANS L'OCEANIE. De la contrebande avec le Mexique. La république ayant pour limite à l’ouest celle du Mexique, et cette dernière faisant payer des droits exorbitants sur les marchandises d'importation ,ilen résulte que quelques Mexicains viennent empletter à Guatemala, des marchandises de valeur, telles que soies, rubans et velours. Ce commerce clandestin est bien restreint depuis quelque temps. Routes et frais de _trünsport. Les chemins étant généralement mauvais, les transports par terre sont chers et ne peuvent être supportés par des marchandises de peu de valeur. Les objets de volume tels que glaces, meubles, que l’on ne peut charger sur les mules, coûtent encore plus cher, étant obligé de se servir d’In- diens. Je citerai par exemple un fauteuil à la Voltaire, coûtant à Paris 6o fr., qui a coûté, pour faire 30 lieues, 12 piastres. On peut juger par ce fait des objets analogues. Je croïs que l’on ne s'écarterait pas beaucoup de la vérité en comptant 12 réaux par chaque charge de mule, pour chaque 10 lieues à parcourir, et une piastre par chaque Indien , pour le même chemin. Je fonde ce calcul sur les transports suivants, qui se payent comme suit : De Guatemala à Beliz, 75 lieues, mauvais chemin , 15 piastres la charge ; du même lieu à Zstapa, 35 lieues, beau chemin, 3 La 4 p.; d’Arajutlla à Sansonnati, 5 lieues, très-beau chemin, 6 réaux; du même lieu à San-Salvador, 27 lieues , beau chemin, 4 p.; de La Liberté à San-Salvador, 7 lieues, beau chemin, 1. p. La grande charge d’une mule, c’est 2 surons ou 1/4 arobes , celle de l’Indien 6. En temps de foire on paie les transports un peu. plus cher. On doit observer que tout ce qui est fragile doit être porté à dos d'Indien, et qu’une cargaison pour l’intérieur doit être en colis d'environ 150 livres. On aurait autrement des diff - - cultés sans nombre, et l’on se verrait probablement forcé, au point du débarquement, de refaire ses colis ou de faire porter par des Indiens ce qui deviendrait ruineux. Droits de douane et de ports. Les droits d'entrée sont très-mo- dérés : ils sont de 20 p. ? sur lPestimation qui, bien souvent ; est au-dessous du prix de fabrique. À Guatemala et dans les ports que j'ai visités, j'ai trouvé l’administration de la douane très-in- dulgente et travaillant dans l'intérêt du commerce aux dépens de celui du trésor. Quelques petits cadeaux rendent ces messieurs - - il RENSEIGNEMENTS. 289 doux comme des agneaux. Les navires payent dans un seul port 4 réaux par lonneau et 6 à 7 piastres pour papiers, timbre et ex- péditions. Dans la même opération commerciale, on peut visiter tous les ports sans payer d’autres droits que ceux d'expédition. Statistique. Population. La république compte environ trois millions d’ha- bitants, divisés en trois classes : les blancs, les gens de couleur et les Indiens. Les deux premières classes, à peu près égales en nombre, forment un tiers de la population. Les deux autres tiers sont les Indiens répandus dans toute la république , et quelques milliers de nègres dans l’état de Costarica. Gouvernement. Le gouvernement est fédéral et presque entiè- remeut copié sur celui des Ætats- Unis. Il est composé de cinq états. San-Salvador est le siége de ce gouvernement présidé par Morassan , dont la présidence est près de finir. Mais on ne peut nier que Guatemala soit l’état dominant, celui dont la position est enviée par toute la fédération, cet état doit son influence prépon- dérante à son chef, le docteur Gavés, qui a toujours eu la majo- rité dans les chambres du gouvernenient fédéral. Ce citoyen passe pour un rusé diplomate, et il a eu le talent de faire jouir son état de sept années de tranquillité, ce qui l’a mis en avant de tous les autres, et pour le commerce et pour la civilisation. Ce chef pro- tége les étrangers , et reconnaît que, sans eux, le pays ne pourrait marcher dans la voie des progrès européens. Les Indiens ne voient pas cette protection avec plaisir, mais ils font contre for- tune bon cœur. Commerce, arts, manufactures. Le commerce est, comme les arts, bien arriéré. A la vérité, dans un pays où il faut un mois pour recevoir la réponse d’une lettre expédiée à 50 ou 60 lieues , et où la moitié se perdent, il n’y à pas d’affaires possi- bles. Aussi, les négociants emploicnt-ils rarement la poste ordi- aire ; pour des affaires un peu séricusts ils expédient des cour- > 19 290 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. ricrs à leurs frais. Maïs cela restreint les bénéfices, et les correspondances du commerce languissent où n'arrivent pas à temps. Les arts sont dans l'enfance , à exception de quelques chaînes d'or et autres bijoux assez bien travaillés ; tout ce qui s’y fait est mal confectionné; on ne trouve pas un menuisier capable de faire un meuble propre, pas un forgeron en état de faire un ou- vrage passable. Les bottes et les souliers sont mal faits, les ha- bits mal tournés : on dirait que tout est fait par des apprentis. Moulin & cau et en fer. Depuis peu, le docteur Drivon, créole français , s’est établi à Sansonna!t, et y a créé une sucrerie qui pourra servir de modèle aux autres planteurs. Là , tout marche parfaitement et sans bruit. Un moulin horizontal, mu par une colonne d’eau , produit assez de vesou pour faire dix milliers de sucre. Productions de la terre. La terre est riche en végétation et recoit toute espèce de plantes des deux mondes, Dans la plaine le ca/é, le tabac, le coton, l'éndigo, le nopal, le cacao et surtout la canne à sucre, y Viennent comme par enchantement. Des rivières et de nombreux ruisseaux coulent en abondance et servent à mouvoir des moulins à sucre et d’indigo. Des bois de toute espèce sont répandus sur le plein et servent à la construction des maisons. Une roue de charrette se fait avec une seule tranche d’arbre. On fait annuellement quatre récoltes de mais. Le Llé, l'orge et toutes les espèces de céréales ÿ réussissent parfaitement. Des revenus de l'Etat. Les revenus sont très-bornés , et ils sé composent en outre de l'impôt personnel, qui n’atteint cependant que les industriels (les plus imposés le sont de 16 piastrés ); du droit sur les marchandises importées qui se trouve fort réduit par l'infidélité des employés ; du droit sur les produits du pays qui est de 4 piastres par suron; des emprunts forcés, selon le besoin du moment. ; Armée, L'armée se recrute parmi les hommes de couleur ; quel- ques blancs y s:rvent comme officiers, sans chefs capables, sans discipline el surtout sans connaissance de l’art militaire, Elle est déguenillée et ne mérite pas-le nom qu'on lui donne. Du clergé. Le clergé, peu nombreux, ne jouit pas de l'estime publique, à cause de sa conduite peu édifiante, ilest aussi pauvre RENSEIGNEMENTS. 291 aujourd’hui qu'il était riche du temps des Espagnols. En 1834, le gouvernement fit enlever l’archevèque de Guatemala, ainsi que tous les moines, et il les fit conduire, escortés par un esca- dron de cavalerie, jusqu’à Omsa, où ils furent impitoyablement embarqués et conttres les mains da à la Havane. Beaucoup de grands villages possédant une ou deux grandes églises sont aujourd'hui sans pasteur. Sansonnati, qui possède neuf églises, n’a qu’un pasteur n'ayant pas les moyens de s’a- cheter des vêtements décents , et se plaignant à moi de la misère du clergé. Des Indiens. Les Indiens sont généralement fort doux, sauf quelques rares exemples de vols à ‘main armée commis par eux ; on peut voyager partout sans crainte , pourvu qu'on parle espagnol ; car ils ont la tête montée contre les étrangers. Ils ont le corps bien fait, des jambes d’Hercule et paraissent jouir d’une forte santé. Quoique le Gouvernement ait créé des écoles publi- ques dans les grands villages, les Indiens en retirent peu de profit et vivent dans une ignorance complète. Leur costume diffère peu. Presque tous sont vêtus d’un pantalon de coton blanc, d'un cha- peau de paille et d’une paire de sandales en peau de bœuf. Ils ne marchent jamais sans leur manchette, instrument de fer courbé vers l'extrémité supérieure et tranchant du côté concave. Ils por- tent leur charge sur Le dos, mais tenue sur le front par une large courroie de cuir. Un Indien porte6 arobes en trottant, et fait 5 ou 6 lieues dans la journée. Les femmes, sans être jolies, ont des figures douces et avenantes ; fortement construites , elles ont des bras musculeux et plus forts proportionnellement que les hom- mes ; mais à quinze el seize ans, elles sont entièrement pendantes, et déformées par le mouvement qu’elles font en écrasant le maïs pour en faire la tortille. Les Indiens vont ordinairement le buste nu; tous ont leurs cheveux séparés en deux tresses et tournés autour de la tète. à L'Indien paraît heureux de sa position, soit qu'il travaille son champ, soit qu'il se loue à quelque planteur; pourvu qu'il ait de quoi boire de l'eau-de-vie, c’est là sa suprême jouissance. La femme, je crois, ne jouit pas du même bonheur, elle travaille sans cesse soit à la terre, soit aux soius du ménage et n'a guère de repos, | 292 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Des gens de couleur. Cette caste est comme toutes les castes de sang mêlé, elle ne vaut rieu : car elle a les vices de ses parents saus en avoir les vertus. ils sont paresseux, indolents; c’est le besoin seul de manger qui les fait agir. Ils sont insolents, voleurs et lâches ; ils insultent quand ils sont en nombre, et encore un seul homme avec une arme à feu les fait sauver, fussent-ils au nombre de vingt à trente. Costumes des femmes. Tadinos appelés Nagnons. Les Fe gé- néralement petites, sont jolies et bien faites, et celles qui possè- dent de l’aisance ont un costume ravissant. Il consiste en jupons blancs de mousseline unie et brodée, avec un chamarage qui leur doune un air bien gracieux. La chemise,"seul vêtement du buste, est blanche, assez claire pour laisser voir la couleur des chairs, Elle est très Aéaliete , marque le sein , et est garnie de dentelles et rubans autour du col et des manches, qui n'arrivent qu’au- dessus du coude. La tête est ornée de beaux cheveux avec les- quelssont tressés de larges rubans de satin de plusieurs couleurs, tournés en forme de couronne, sur laquelle est jetée une écharpe de gaze ou de soie flottante, qui couvre, en outre, les bras et la taille. La jambe, toujours bien faite, est pressée par un bas de soie à jour, les pieds sont chaussés d'un soulier d’étoffe de soie de couleur. Ce costume, tant voluptueux, a encore linap- préciable avantage de rajeunir les filles qui le portent. Les femmes de cette classe sont débauchées et s’obtiennent avec faci- lité, moyennant finances. Elles sont perdues dès l’âge de douze à quatorze ans. Guatemala la Nueva. Cette nouvelle ville, située à 7 lieues au N. E. du volcan d'eau, à environ 30 lieues N. N. E. d'Istapa et de la capitale du même nom, est la plus belle ville et la plus riche de toute la république; c'était autrefois le siége du gouvernement fédéral qui, depuis quelque temps, a été tranporté à San-Salvador comme point plus central. Sa popula- tion est estimée à 35,000 âmes. Cette ville offre de grandes com- modités. Elle est grande, spacieuse et bien bâtie. Aux extrémités de la ville, il y a des lavoirs publics couverts, construits avec goût. De la ville, on voit une arène couverte pour les combats de taureaux. Les rues ont presque toutes des trottoirs en pierres lar- ges, et l'eau courtau milieu de plusieurs d’entre elles. Les maisons, \ 4 RENSEIGNEMENTS | 293 toutes sans étages, sont vastes, aérées et possèdent un conduit d'eau suffisant aux besoins de la famille qui les habite. Cette eau vient d'environ 3 lieues ; elle est conduite par un aqueduc qui a dû coûter beaucoup d'argent. Température. Dans les mois d'octobre , novembre et décembre, le matin, le thermomètre de Réaumur marque 10 et 12 degrés à l'ombre, et à midi 15 et 17 degrés, également à l'ombre. En des- cendant dans la vallée d’Amatitau, à 5 lieues de la capitale, le matin il marque 20 à 22 degrés, et à midi 26 dans les mêmes mois. Description du volcan d'Isalco. Ce volcan , dont le sommet est dominé par les terres qui sont au nord de lui est encore dans toute son activité; et il y à soixante ans environ qu'il a commencé à faire ses irruptions et n’a pas discontinué depuis, si l’on en croit les habitants du village d’Zsalco, situé à son pied. A vant son ir- ruption, des troupeaux de bestiaux paissaient dans la plaine dont il occupe la place, et ce n’est que les produits volcaniques qui ont formé la montagne que l’on voit aujourd'hui. Quoique le cratère soit au sommet et tourné vers le nord, cette montagne est entièrement crevassée du sommet à sa base, le feu et la fumée en sortent très-souvent; des détonations très-fortes se font en- tendre à chaque instant et font vibrer les vitres de Sansonnati, qui n’en est éloignée que de 6 à 7 milles. De nuit, c’est un spectacle magnifique, lorsque plusieurs cratères lancent des gerbes de feu et que la lave ‘coule et roule dans diverses directions. Pour les navigateurs c’est un superbe phare ( sur lequel il ne faut pas cependant toujours compter.) Le jour, c’est un point de recon- naissance excellent, car il jette constamment de la fumée, par- fois très-élevée. Si l’on en croit les apparences, on peut dire que dans un temps qui ne peut être très-éloigné, cette montagne, formée de laves et de diverses matières volcaniques , s'écroulera sur ‘elle-même, ne paraissant être qu’une voûte peu épaisse et crevassée dans toutes ses parties. Volcan de San-Salvador. Ce volcan n’est qu’une haute mon- tagne plate, dominant les terres du premier plan. La forme n’in- dique pas un volcan, mais plutôt ce que les Espagnols appellent Tabu. À son extrémité est un petit pic dominant de forme plate. Au mouillage de la Liberté, on n’apercoit que l'extrémité de son sommet ; on peut l’apercevoir de 20 lieues au large. | 294 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Volcans de San-Ficenti et San-Miguel. Le volcan de San-Picenti est une haute montagne dominant toutes les terres environnantes, et présentant, vue surtout du S. E. , deux pointes à son sommet. Celui de San-Miguel est magnifique. Jeté dans une plaine, il forme absolument le pain de sucre et par conséquent se voit tou- jours sous la même forme, de quel point de l'horizon qu'il soit apercu. Ces observations ont été remises au capitaine Lacouture, commandant le trois-mâts le Fois; de Bordeaux, par le capitaine Legendre , commandant le trois-mâts la Lydie de Bordeaux, À Transcrit ce qui précède sur le cahier entre les mains du capitaine Lacouture. Valparaiso, le 27 mai 1838. LETTRES ADRESSÉES A M. DUMONT-D'URVILLE, COMMANDANT DE L’EXPÉDITION AU PÔLE AUSTRAÏ,, PAR MM. DU BOUZET, TARDY DE MONTRAVEL ET COUPVENT-DESBOIS, Le 17 novembre 1839. Zélée , 10 novembre 1839. Commandant, Je regrette vivement d’avoir ignoré le jour où vous êtes venu à bord passer l'inspection de l'équipage, que mon nom, à mon insu, entrait dans les motifs qui ont pu vous y engager; car alors j'aurais pu désavouer sur-le-champ tout ce qu’on avait pu me faire dire, et vous donner des explications suffisantes _ pour me mettre tout à fait hors de cause. C’est ce que je vais essayer de faire aujourd'hui, malgré que M. Leguillou m'ait assuré sur l'honneur qu'il n’a jamais’ eu l'idée de vous parler autrement qu'en son nom, et bien qu'il ait dû vous écrire depuis pour rétracter tout ce qui, dans ses paroles, à pu donner lieu de croire que je participais à la démarche qu'il a faite auprès de vous. S'il en était autrement, mon caractère serait trop gra- vement compromis pour que je puisse me dispenser en ce mo- ment d'établir moi-même mon innocence. Jamais, ni M. de Montravel, ni M. Coupvent, ni moi, n’avons pu songer à vous demander à relâcher soit à la Rivière des 296 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Cygnes, soit à l'Tle-de-France, ni à changer en rien le plan de la campagne. Nous avons les uns et les autres trop le sentiment de nos devoirs, et nous connaissons trop les rapports du service, pour penser à vous faire une pareille proposition, et à nous servir pour cela de l'organe de M. Leguillou. Ce serait agir avec une légèreté qui n’est nullement dans nos habitudes, et dont serait incapable l'élève qui n’a que six mois de navigation. Mal- gré les explications de M. Leguillou, je crois devoir vous dire que je désavouerais toujours en pareil cas celui qui donnerait mon avis sans me consulter, et encore plus celui qui se per- mettrait de donner, comme mon avis, une opinion tout à fait contraire à la mienne. | Voici , en recueillant mes souvenirs, le seul entretien dont je me rappelle, qui puisse avoir donné lieu à de pareilles méprises. Le 31 octobre dernier, MM. de Montravel ct Jacquinot, préoc- cupés l’un et l’autre de l'état aïlarmant de la santé de MM. Gou- pil et de Lafarge, leurs amis intimes, qu'on considérait alors comme les plus malades du bord, me consultèrent pour savoir si je pensais qu’on püût engager le commandant Jacquinot à vous demander à relâcher à la Rivière des Cygnes, établissement le plus voisin pour y donner aux malades, dans un hôpital, des soins plus effectifs pour leur guérison. Je leur répondis qu'il était fort douteux qu'il y eût là un établissement convenable, que nous en étions à quinze jours de distance, temps pendant lequel les malades qui exigeaient de pareils soins pouvaient mourir, et qu'en outre, le commandant Jacquinot, dans sa po- sition, ne pouvait pas vous faire une pareille demande ; sachant surtout depuis deux jours que l’Astrolabe avait plus de malades que nous. Ces messieurs se rangèrent immédiatement demon avis, et cette conversation , qui n’était nullement faite pour venir jus- qu'à vous, se termina là. M. Leguillou étant arrivé un instant après, je lui fis part de notre entretien et lui demandai s'il croyait que l’état des malades exigeât une prompte relâche : « Mon opinion de médeciu, me dit-il, malgré la gravité de toutes « les d'yssenteries, est que jusqu’à présent aucun malade n’est dans «un état désespéré, s’il est vrai que les hommes seraient beaucoup « mieux dans un hôpital, la nature de leur maladie permet de les » se ; \ À .7 « = ? 9 à 0 re « guérir à bord, j'espère qu’elle ne s’aggravera pas, et je ne vois \ ? È { RENSEIGNEMENTS. 297 « pas qu'il y ait lieu de demander encore à relâcher. » Nous en restâmes là , jamais il n'y a eu autre chose de dit entre nous, et je ne vois rien, dans tout cela, qui puisse me prêter l'opinion ab- surde de demander huit jours après à faire route pour FIle-de- France , que je n’ai jamais eue dans la tête, ni l'intention de la manifester sous forme d’avis ; car je ne me promeltais jamais d’en donner que sion m'en demandait et suivant les formes. Je re- pousse donc de toutes mes forces l’imputation d’avoir fait une démarche pareïlle , trop contraire à mes häbitudes pour avoir quelque vraisemblance, et qui, à mes yeux, me compromettrait comme homme, comme officier et comme marin. Rien, je crois, dans mes antécédents , ne peut la faire supposer probable. Si, après ces explications, je pouvais penser, commandant, qu'il restât dans votre esprit la moindre trace des impressions défavorables que tous ces malentendus, que je déplore, ont pu y produire , je verrais avec peine que mon zèle, qui ne s’est jamais ralenti jusqu’à ce jour, n’eût abouti qu’à un aussi fâcheux ré- sultat, et que vous m'ayez retiré la confiance que je crois avoir toujours méritée. Mais je suis trop fort du témoignage de ma conscience pour pouvoir penser qu'il en est ainsi , et j'espère que vous voudrez bien me confirmer dans ces sentiments. En atten- dant ; ? Je suis avec respect, commandant, x Votre très-obéissant serviteur , E. pu Bouzrr. À bord de la Zélée , le 9 novembre 1839. - Mon Commandant, Par les explications qu’a dû nécessairement amener votre der- nière inspection à bord de ja Zélée, j'ai appris, avec le plus grand étonnement, que j'en étais la cause innocente ; mon honneur, comme homme ct comme officier, se trouve trop gravement com-— promis par une apparence de découragement bien loin de ma pensée, pour que je ne sente pas un impérieux besoin : celui de 298 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. repousser toute parts à moi prétée, ou de détruire toute mau- vaise impression qu’une nisrpeees défavorable a peut-être laissée dans votre esprit. ke Fortement préoccupés et même vivement affligés de la position dangereuse dans laquelle se trouvent nos deux amis, MM. de La- farge et Goupil, M. Jacquinot jeune et moi cherchions à saisir toute chance de les sauver. Ne voyant à notre portée aucun port plus voisin que la Rivière des Cignes , c’est vers ce point, et ja- mais vers l'Ile-de-France, dont le nom n’a même pas été pro- noncé, que se sont portés nos vœux ; mais M. du Bouzet, con- sulté par moi, nous a désillusionnés d’un mot, et dès-lors il n’en a plus été question. Je connais trop bien, mon commandant, les exigences du ser- vice et ce que je dois à un chef et à moi même, pour qu'il me soit jamais venu à l'esprit de vous adresser, par M. Leguillou ou par écrit, une demande que je regarderais comme une grave in- fraction aux règles de la discipline et attentatoire à l'honneur d’un officier. Si donc nous avons parlé d’une relâche dans une conversation particulière, soyez bien assuré que ce n'était que l'expression d’un vœu bien naturel, et que rien dans ma con- duite, rien dans mes paroles, n’a pu indiquer jusqu’aujour- d’hui un refroidissement dans mon zèle pour l'expédition et en- core moins la plus légère apparence de découragement. Ce dont je ne tire aucune vanité, vu ma bonne santé. Je déplore ent commandant, que ma conversation du 31 octobre, remise en question huit jours après, ait pris un caractère si différent de celui qu’elle avait dans le principe et qu'elle ait compromis non-seulement mon honneur, mais encore celui de personnes qui y étaient complétement étrangères. Je suis profondément affecté d’avoir à me blanchir d’imputa- tions tendant à déconsidérer mon caractère, et j'ose espérer que toute impression fâcheuse disparaîtra de votre esprit après les explications que M. du Bouzet m'a dit devoir vous donner. Veuillez agréer, mon commandant, l'assurance du profond respect de Votre très-humble et obéissant surbordonné. L. Tarpy DE MonTravez. | RENSEIGNEMENTS, 299 A bord de la corvette la ZcTée, le 9 novembre 1839, Commandant, A la suite de l'inspection que vous fites, le 6 novembre, de l'équipage de la Zélée, M. le commandant Jacquinot nous fit connaître, à MM. du Bouzet, Montravel et moi, qu'une dé- marche faite auprès de vous, en notre nom collectif, par M. Le- guillou , démarche ayant pour but de manifester le désir de relâcher à la Rivière des Cignes ou à l'Ile-de-France, avait causé en partie votre présence à bord. Ignorant qu’une semblable démarche dût être faite auprès de vous , et ne désirant nullement relâcher à la Rivière des Cignes et encore moins à l'Ile-de-France, j'ai dû demander compte à M. Leguillou de mon nom compromis, sans ma participation, par un acte, que mes collègues désavoueront avec juste raison et auquel je suis resté entièrement étranger. Pndepenmment des explications que M. Leguillou a don- nées à MM. du Bouzet et Montravel, ses asso complètes rendent ma justification facile; j'espère donc, commandant, qu’en vous remémorant les paroles de M. Leguillou, vous vous rappelerez que je suis resté tout à fait en dehors des causes qui ont pu vous amener à bord de la Zélée : s’il en était autrement, M. Leguillou aurait à répondre à l’inculpation de s'être servi à tout hasard de mon nom pour appuyer des opinions qui me sont totalement étrangères et dont je décline hautement la responsa- bilité. En cherchant à me convaincre , M. Leguillou a dû me rap- porter une partie de la conversation que vous avez eue avec lui; d’après sa version, mon nom aurait été prononcé par vous seul en ces termes : Quelque beau parleur comme MM. ‘et M. Coup- vent. J'ai donc lieu de craindre, commandant, que vous me con- sidériez comme cherchant à discréditer l'expédition ; cette erreur est si grave, j y ai si peu donné lieu, que je suis encore à com- prendre d’après quelles données vous avez pu concevoir de moi une opinion tellement désavantageuse ; j'en appelle au comman- dant Jacquinot, à tous mes camarades, pourraient-ils citer, dans 300 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. ma conduite ou dans mes paroles, un seul fait, uu seul mot, qui ait pu puire à l'expédition ou porter atteinte au respect dû à son chef. Tous, j'en suis convaincu, me rendront justice ; mais, plus fort de ma conscience que de leurs opinions réunies, je continuerai, j'ose le dire, à bien servir; et, tout blessé et affligé que je serais de voir mon caractère mal apprécié par vous, je n’en entreprendrai pas moins avec zèle les travaux futurs de la campagne, quelle que soit leur nature, quel que durée qu'ils aient. | Veuillez agréer, commandant, l’assurance du profond respect avec lequel je suis Votre subordonné, À. Courvenr- DeEszois. FIN DU TOME DIXIÈME ET DERNIER. TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES & CONTENUES DANS LA RELATION DU VOYAGE AU POLE SUD ET DANS L'OGÉANIE. Abgarris (îles), V, 116. Actéon. (brick l’}, I, 105. _ - Adèle (île), IX, 208. Adélie (terre) If, 123, VIIT,154,170, 176, 193, 219, 243, IX, 100 116. Adi (île), VI, 141, 143, 144. Adventure (navire), I, 105. Æthna (sloop), I, 30, 31. ‘ Agagna, V, 197. Aglaé (le baleinier), IIT, 50. Agua-Garcia, I, 180, 181. Aidoumea (île), VI, 190, 130. Aigle (vigie de l’), I, 56. Aigle (navire l’), I, 78. Aiguilles (banc des), IT, 188. Akamarou (île) ; IIT, 133, 136, 139, 161, 192,198, 202, 209. Akaroa (baie d”’), IX, 145, 148, 149, 150, 151, 154, 155, 156, 157, 177. Alcazova (Simon de), I, 63. Alexander (cap), V, 91. Allang (pointe), V, 257. Alvar-Meschiste (le capitaine), I, 60. Alvaro-Mendana de Neira, V, 95. Amargura (ilot), IV, 129. Amboine , IV, 42, V, 254, 256, 258 et suiv., VI, 174, 175. Ambroise (île), IIT, 119. Ana-Moua (île), IV, 104. 211. Anambas (îles), VII, 101. Anchor-Key, IX, 216. Andoua, IV, 242. Andouma (île), VI, 131. Anfoue (île), IV, 92. Anga-Kawita , II, 179, 210. Anjer (ville), VIIE, 60. Anna (pointe) , I, 91, 92,100, 102, 103, 139. ; Anna-Maria (baie), IT, 235. Anna, V, 17. Annawan (brick), II, 22. Ao-Kena (île), III, 433, 140 , 142, 161, 168,175, 179, 181, 185, 187, 192, 200, 201, 209. Apar (rivière) , VIII, 13. Apia (port d’), IV, 93, 94, 96, 98, 100, 106, 108, 111, 123, 126. Apolina (île), IV, 104, 127. Arago, II, 19, 190, 193, 194. Araucanos, III, 19, 20, 21, 50, 54, 55, 64, 77. Arbre (cap de l’), IX, 74, 83. Arenas (pointe), IT, 27. Arequipa (port d’), I, 64. Ariane (corvette), III, 48, 83,84, 95, 107, 109. Arrowsmith, III, 224, IV, 104, V, “ 302 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Arrou (îles) , VI, 85, 86, 89, 91, 96. Auckland (îles), II, 26, VIIT, 126, Arroub (ile), IX, 216. 225,1X,93,94 ,103,106, 407,11/, 117. : Arsacides (terre des), V, 24, 101. Auribeau (d’), III, 102. Ascension (île de l’), III, 43, 91. Aurore (île), V, 8. Aspland (île), II, 141. Australie, VI, 77, IX, 11 etsuiv., 155. Ata-Touka, IV, 11. Ava-Marou , IIL, 179. Atagor, IX, 220. Azukar (rocher), IT, 195. B. Back (capitaine), IT, 193. Bejean (récif), V; 23. Bahia, I, 67. Belcher (île), IIT, 133. Bahia -Nueva, 1, 51. Belgica (fort), VI, 3. Baie des Iles, IX, 160, 162, 167, 180- Belk (ile), V, 213. Balambangan (île), VIT, 143. Bell (capitaine), IIT, 219. Balie-Papan (baie de), VIII, 43. Bellinghausen (capitaine), IL, 9, 10, Balleny (île), VIII, 126. 12:99; Balleny (le capitaine), VIIT, 193, 199, Benavidès, III, 50. 200, 230, 241. Benguey (île), VII, 143. Banca (détroit de), VIL, 77. Berthelot, I, 29. | Banda (îles), VI, 2-15. “ Bewan (baïe), VII, 145, 203. Banda-Neira (île), VI, 3,5, 6, 7. Biggs (île), IT, 141. Bangas (ile), VIT, 145. Biobo, IT, 194. Banjer-Massing (rivière), VI, 224, VII, | Biot, I, 3. 103. Birdine, Ï, 148, 149. Banks (îles), V, 4. Biscoe (bare I, 94 244 25, Banks (presqu'île de), IX, 145. ITT, 40. Bantam (port de), VIE, 38. Bitinau (île), VIT, 205. Barber, IV, 245. Bivoua (île), IV, 179. Barnard (pic), IT, 163. Bligh, IV, 245, V, 4,6, IX, 45, 216. Barton (écueil), VIT, 142. Blosom (navire le), IT, 165. Bass (détroit de), IX, 9. Bodin (le capitaine), IX 37. Bassilan (île), VII, 205 et suiv. Boni (royaume de), VI, 180. Bass (chirurgien), IX, 36. Bonite (corvette la), Ï, 4, IF, 94, IV, Batavia, VI, 174, 227, VII, 1 et sui- | 172. ; vantes, 2, 3, 40, 4h, 49, 77, 96, 99, Bon-Succès (cap étfaux cap), IT, 32. VIII, 49, 50. Bonthain, VI, 177. Batchan (île), V, 244. Borä-Bora (île), FV, 87. Batigui, IV, 166, 168. Bornéo, VI, 223, VIT, 101, 111, 112, Baubelthouap (île), V, 207. 113, 118, 119, 130, 138, 140, VII, 3: Baudin, IL, 8. 7, 11, 18265e %. 2. Bawr (matelot), I, 149. Bory (ile), V, 158. Beauchesne-Gouin, I, 76. Boschimans, 1,150, Beaufoy (naÿire), IT, 47. Botany-Bay, IX, 36, 37. Beaupré (île), IX, 207. Boua, III, 186, IV, 914, 215, 233, Beautemps-Beaupré, IX, 36. 235, 236, 2/14 Beechey, 1, 133, 135, 163, 164, | Bouang (pointe), VILT, 19. 165-196, 197, 219, Boucault (baie), 1,75. TABLE ALPHABÉTIQUE. Bougainville, I, 78, 79, 131, 134, V, 99, IX, 207, 208, 209. à Bougainville (baie), I, 118, 134. Bougainville (détroit de), V, 91, 92. Bougainville (île de), V, 100. Bouka (île), V, 95, 100. Boulang-Ha (île), [V, 160. Boulé-Komba (fort), VI, 177. Bouquairon (canal), I, 26. Bourbon, X, 19 et suiv. Bournand (baie), I, 118. Bourrou (île), V, 256.” Bourrou (terres de), VI, 176. Boutoun (île), VI, 176. Bowen (John), IX, 37. Boyer (officier), IV, 152, V, 35, VII, 93, VIIL,178, IX, 101, 105, 149, 21: 303 Bransfield (Edouard), If, 11. Bransfield (mont), IT, 148. Bransfied (détroit de), IT, 172. Brésil, I, 39. é Bretillard (consul), I, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 22, 24, 28, 177. Bridgeman (île), IT, 41,124, 145. Briston (roche), IX, 118. Britannia (île), IX, 207. Broken (île), V, 215. Brown (James), Il, 21. Bruny (île), VIII, 93. Buena-Vista (île), V, 24, 96. Bureau (le capitaine), III, 43, IV, 134, 179 et suivantes, 206, 216. Byam-Martin (île), VILLE, 254. Byron, EI, 77, 78, 79. €. Cabéa (canelle), I, 66. Cactus-Coccifera , I, 20. Cagayan-Solo, VIT, 143. Callao (le), I, 65. Calvados (îles du), IX, 208. Camargo (Alfonse de), I, 64. Campbell (île), VIIT, 225. Campbell (cap), IX, 159. Camarie (île de), I, 11, 17,29. Candish, 1,68, 69, 70, 71. Canoe-Indians (peuplade dés), 1, 162. Canton, VII, 95, 97. Cap-Vert (îles du), I, 9, 34, 35. Carimata (îles), VIT, 138, 139. Carimon (montagne grande), VIT, 80. Carlshoff (ile) IV, 53. ; Carolines (archipel des), III, 43. Carrick (cap), I, 95. Carteret (le capitaine), I, 80,V,34,98. Catantiga (île), VII, 79. Catilina (ile), V, 17. Catherine (cap), I, 165. Cazotte (consul), II, 93,105. Célèbes, VE, 176,177, 179, 180, 217, VHL,:2,7. Céram (île), V, 256, VI, 130, 146, 172, 174,175. Chabrol, IX, 206, Chamisso, V, 121, 158. Champel (cap), VI, 24. ‘Charles (îles), 1, 125, IV, 12. Chidley (Jean), I, 70, 71. Chili, 1, 62, 67, 109, III, 8, 75, 89, 98. Chiloë (île de), III, 15, 67. Choiseul (baie de), V, 100. Choiseul (île), V, 89. Christina de Mendana (île), IIT, 221, 226. Christmas ou Moni (île), X, 16, Christmas (île), IT, 22, Christoval (île), V, 16, 18, 98. Claire (ile), V, 4. Clarence (île), Il, 15, 41, 124, 138, 140. Clarie (côte), VIIT, 177. Clermont-Tonnerre (île', III, 218, 219. Cloche (montagne de la), IT, 30. Cocos (île des), VIII, 1, X, 16: Collie (île), IIT, 133. Commerson, I, 116, 127. Concepcion (navire la), IV, 221. Concepcion, Il, 194, 195, III, 11, hh, 54, 6h, 65, 71, 75, 82. Concordia (marquis de Ja), 1, 17. 304 | VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Concordia (fort), IX, 240. Contrariétés (îles des), V, 21, 101. Convicts, IX, 13 et suivantes. Cook, II, 1, 3, 6,8, 10, 18, 199, III, 162, IV, 88, 245, VIII, 188, IX, 35. Cook (hâvre de), II, 33, 34. Coquillages (rivière des), I, 69. Coquille (corvette la), III, 28, 75, IV, 67, 87, 121. Cordes (baie de), I, 72, 73, 74, 125. Cordes (Simon de), I, 71, II, 1. Cordes (Balthasar de), I, 71,73. ° Cordillières (les), IIT, 82. Corn wallis (îles), IT, 45. Coronation (île), II, 135. Coror file), V, 207. Corientes (cap), I, 51. Cortadura, I, 22. Coste (timonier), 1, 114. . Coste (le capitaine), IT, 30. D. Dalrymple (port), VIII, 119,1X, 220. Dannecy (le commandant), III, 86. Darnley (île), IX, 216. Dauphin (pointe du), IV, 57, 58. Daussy (île), II, 148. Daussy, III, 119. Debelle (cap), V, 22. Déception (île), IT, 12, 134, 173. Découverte (cap de la), VIIT, 154. Deer (île\, VI, 1, 78. 229. De la Motte-Duportail, III, 101. Délivrance (cap de la), V, 99, IX, 208. Demas, I, 5, 13, 41, 42, 43, 47, 141, Il, 34, 44, 95, 184, III, 80, 114, 115, 117, 149, 150, 163, 229, IV, 77, 119, V, 29, VI, 31, 151, VII, 103, 109, 206, 207, VIII, 84, 96, 120, 186, IX, 3, 13. D’Entrecasteaux, IT,8, III, 101, V, 14, VII, 115, IX, 9, 37, Derwent (rivière), VIIT, 93, 119, IX, 8, 37, 51. De Flotte (élève), IV, 83, 298, 218, 227. Coupang, IX, 239, 240, X, 1, 2, 5, 6, 7. Coupvent, I, 16, 32, 131, 137, 177, 202, 238,11, 494, IV, 135, 197,218, 229, V, 56, VI, 31, 47, 86, 99, VII, 321, VIII, 79, 87, 98, 111, 129, 146, 147, 148,177, 254, 255, IX, 107, 113, 150. : | Courrier des Indes (le baleinier), LIT, 68. % . Cowey, IT, 1. Cox, IX, 35. Crescent, IIT, 130, 150, 215. Crocodille (vapeur le), I, 1. Croix (montagne de la), I, 122. Croker (île) VI, 31, 47. Crux (port de la), V, 99. Cuningham (capitaine américain), I; 95. Cuningham (Allan), IIT, 40. Cygnes (rivière des), VIII, 80. Desbrosses (président), I, 59. Desgraz, I, 150, 157, 158, 206, 215, 219, 220, II, 39, IV, 36, 93, 122, 161, 229, 257, V, 31, 35, 125, 131, 133, 149, VII, 184, VII, 42, 84. Désiré (cap), I, 60. Diego (cap), IT, 30. Diligente (corvette la), I, 13. Direction (île), IX, 93. Dobo (hâvre), VI, 82, 88, 89. Dokan (îles), VII, 143. Dolphin (vaisseau le), I, 77, 79. Domenica (île), IIT, 223, 226. Dorei (hâvre), VI, 98. Dourga (rivière), VI, 122. Dove (navire), IT, 14, 15. Dower (île), V, 101. Drake (Francois), 1,64, 65, 68, II, 1. Drink-Water (le capitaine), IV, 216, Dryon (iles), VII, 79. Dublin (frégate le), I, 43. Dublon, V, 121. : Dubouchage (baie), I, 118. - to dé oitat ne hé 5 TABLE ALPHABÉTIQUE. Dubouzet, I, 16, 32, 132, 173, 201, 20, Il, 131, III, 184, IV, 41, 196, 197, 200, VI, 86, 122, 153, 219, VII, 13, 94,193, 195, VIII, 79, 87, 91, 93, 09, 104, 112, 131, 147, 148, 185, IX, 101, 104, 132, 134, 196. Dubus (hâvre), VI, 110, 145. Duclos-Guyot, I, 78. Ducorps, I, 41,42, 45, 157, 158, II, 442, 145, IV, 30, 38, 212, V, 35, 86, VIII, 9, 21, 50, 51, 68, 69, 95, 99, IX, 161. Duff (mont), III, 130, 150, 170, 175, 199, 210. - Duff (ile), IIT, 217. Dugué (capitaine), I, 94. Duhaut-Cilly (capitaine), III, 48, 84, 86,93, 104, 108. Dumoulin, I, 4, 7,9,13,16,32,53,57, 09, 100, 108, 111, 121, 124, 195, 136, 2800 159,177, 926. 939, 935, 11, 97, 12,51, 54, 55,57, 62, 67, 73, 76, 86, 199, 131, 134, 150, 184, 191, 194, III, 3, 115, 140, 150, 160, IV, 51, 93,133, 437, V, 10, 12, 20, 23, 29, 30, 34, 56, 148, 205, VI, 10, 22, 31, 45, 46, 47, 86, 131, 151, VII, 171, 173, 174, 209, VII, 4, 15, 61, 84, 111, 121, 129, 136, 146, 147, 148, 164,170, 177,254, 255, 305 IX, 98, 105, 113,119, 196, 217, X, 1, 20, 33. Dumoulin (îlots), II, 159, 162. . Dumoutier, I, 17, 101, 113, 114, 151, 157, 158, 161, 164, III, 22, 28, 64, 77, 133, 140, IV, 34, 43, 122, V, 10, 12, 34, VIII, 77, 96, 100, 120, 137, IX, 107. Dunbar (capitaine), II, 12. Dundas (cap), IT, 66, 130, VIII, 2. Dungeness (pointe de), I, 57, 81. Duo-Bolod (ilot), VII, 204. Duparc, I, 42. Duperrey (capitaine), IT, 8, 111, 218, | 219, IV, 87. Dupetit-Thouars (capitaine), III, 48, 91, 190, IV, 60, 64, 65, 70, 77, 80, 81, 172. Duroch (officier), 1, 100, 130, 136, 158, 161, 164, 209, 9233, II, 44, 105, 148, 152, III, 134, 138, 150, 160, 174, IV, 133, 137, 161, 162, V, 148, VI, 86, VII, 80, 145, VIII, 21, 98, 146, 147, EX, 295, 161,917, X, 97 D’Urville, I, 171, 212, VIII, 189, 190, 191, 192, 194, 241, 242, 253. D'’Urville (mont), II, 156. D'Urville (ile), V, 120. E. Eagle (baie), I, 118. Earakong (île), V, 207. Edwards, IV, 93, 140. Egmond (île de lord), V, 99. Eïhoua (île), IV, 161, | Eiméo (île), IV, 86. Eléphant (île), II, 15, 124, 140. Elisabeth (baie), I, 69, 87. Elisabeth (ile), I, 75, 88, 91, 1/1, 219. Elisabeth (île), IV, 54. Elisabeth-Town, IX, 40. Eliza (navire), II, 14. Elson (l'ile), IIT, 133. : Enderby, II, 23, VIII, 219, IX, 98, 117. Erebus (navire l), VIII, 191, 192, 299, 293, 941. Esmérald, IT, 26. Essington (hâvre), V, 29, 61 et sui- vantes, 74, 75, 76. Estancia, I, 29. Etats (terre des), I, 53, IT, 32. Etoile (navire l’), I, 78. Etoile (pic del’), V, 41. Express (schooner), IT, 12. 306. VOYAGE DANS L'OCÉANIE. F. _ Faka-Fanoua, IV, 131, Falang, V, 158. Falé-Ata, IV, 107, 140, 115. Falkland (îles), 1, 71, 74, II, 18. Famine (baie), 1, 76, 96, 222. Fanfoue, IV, 104. Fanning (Edmond), IT, 11, 12, 43, 21, 22, Faraday (cap), IL, 69. Fatou-Hiva (île), IIT, 226. Fatou-Houkou (île), III, 226. Favorite (corvette la), T, 43. Feed et Goodman (îles), V, 116. Félix (île), IIE, 119. Fernambouc, I, 67. Féti-Houta, IV, 104. Fire-Field (corvette), I, 43. Fitz-Roy, I, 80. Flinders, IL, 8. Flores de Valdes (amiral), I, 67. Florida {ile), V, 24, 96. 79, Gaillard (officier), I, 232, IV, 199, VII, 105, VIII, 129, IX, 150, X, 1, 20, | 91, 22. Gaimard, II, 488. Galera {ile la}, V, 96. Galvez (fort), III, 17,28, 64, 80. Gambier {iles), HI, 86, 196, 197, 198. ' Gaoutchou, I, 158. } Garrido (legouvernenr du Chili), 4IT, 89, 95. Gates (cap), I, 4. Geelvinck (baie de), VI, 22. Geese (baie), I, 118. Gennes (de), I, 75. Gennes (rivière de), I, 131, 132. Gente-Grande (baie), 1, 440, 141, 152, 163. Géologie (pointe), VIIT, 154. 192, 195, 196. | 213, 234,11, 55, III, 185, IV, 42, 193, | 240, VIII, 99, 436, TX, 160 5, 6, 7. Flyng-Fish (schooner), VII, 199, Foreland (cap), I, 73. Fortaventure, I, 9, 24%. Fortescue (bail 121, 122; 125. Froward (cap), I, 69, 74, 116, 118, 119, 130. Foster, IT, 21, 164, 173. Fotoua (ile), IV, 154. Foveaux (détroit de), IX, 124. Française (baie), I, 76. Frecgift (son. IT, 12. Frédérick (brick), IF, 12. Frédérik-Henry (baie), IX, 35. Fresh-Water (baie), I, 75, Fresh-Water (baie), VI, 145. Freycinet, II, 8, IV, 91. Freyre (le général), IV, 67. Friesland (pic), IT, 163. Frio (cap), I, 39, 40. Furneaux, IX, 35. Fury-Harbour, 1, 106. George (baleinier), III, 14. Gerfstein (île), V, 255. Gervaize (officier), I, 159, 174, 210, Gheritk (Théodorie de), I, 1, 44. Gibraltar, I, 5. | Gilolo (terre de), V, 220. Girard van Beuningen, I, 72. Goa (village de), VI, 195. Golfe (îles du), V, 19, 20, 101. Goram (ile), VI, 21, Gouahanm (île), V, 168, 174. Gauap (île), V, 205. Gounong-Api (mont), VI, 2, 3, 4, Goupil, I, 155, III, 94, IV, 77, 10, VIII, 75, 86, 92, 96, 102, 120, he 12/{e + TABLE ALPHABÉTIQUE. Gourdin (officier), I, 108, 114, 121, 122; 125, 128, 137, 159, 1614 164, | 174,176, 207,210, 217,220, II, 39, 131, 487, III, 115, 195, V, 12, VIIL, 3, 86, 02, 98. Gower (île), V, 59. Graciosa (baie), V, 16. Graham (terre de), VIII, 219. Grave (île), I, 163. Grégory (cap), I, 78. Haano (île), IV, 152, 154. Hafoulon-Hou, IV, 133. Halgan (île), IX, 207. Hammond (îles), V, 90. Hapai, IV, 135, 140, 150, 452, 154. Hapas (les), IV, 45 et suivantes. Hatiling (baie), VI, 173, 175. Hawaïi (îles), III, 122, 191. Hawkins (Richard), I, 71. Haycock (île), V, 215, 255, VIT, 140, Heemskerk (bas fond de), IV, 245. Hennel (île), IX, 220. Hercule (vaisseau l’), I, 15. Hermando, I, 68, 71. Hero (sloop), IT, 12. Hersilia (brick), IL, 11, 12. Héva (le baleinier), LIT, 14. Hiao (île); IN, 226. Hiaou (île), IIT, 226. High-Island (île), JIL, 217. Hiva-Hoa (île), IIT, 222, 223, 226. Hobart-Town, VI, 27, VIII, 2, 22, 75, 79, 80, 81, 92,93, 94.et suivantes, 114, 119, 127, 171,185, IX, 1 et sui- vantes, 37, 38, 51, 52, 53, 93, 116. Hogoleu (iles), V, 117, 174. Holland (cap), I, 120. Iankee (hâvre), II, 12. Ika-Na-Mawi (île), III, 39. Ile-de-France, VIII, 80. 307 Gregory (capitaine), III, 107. Grégory (monts), 85. Greig (île), IV, 54, - Guadalcanar (île), V, 24,88, 97, 98, 101. Guadalupe (île), V, 96. Guédé (monts), VIT, 14. Guillaume (île du prince) , IV, 245. Guilolo (ile de), V, 244, 255. Guttieres de Carvajal (évêque), I, 64. Holo (île Solo), VIT, 166. Holoroua (île), IV, 161. ‘Hombron, I, 4, 38, 41, 42, 45, 85, 95, 96,.97, 108, 112, 121, 194, 195, 126,137, 232, 11,55, 153, 181, III, 48, 63, 115, 150, IV, 84, V, 16, 158, VI, 50, 131, VII,43, VIII, 12, 61, 77, 82, 95, 100, 120, 130, 185, IX, 2, 4. Hood (île), IIT, 226. Hood (cap), IX, 214. Hope (île), IT, 124. | Horn (cap), [, 74, 77, 80, 139, 237, II, 5, 481, 190. Hoseason (îles), II, 20. Houa-Houga (île), IIT, 226. : Houa-Houna (ile), III, 226, 234. Houa-Poou (île), IIT, 226,1V, 22, 50. Houa-Poua (île), III, 226. Hougar (île), IX, 220. Houtman ( capitaine - major GCor- neille), VII, 38, 39... Hugues (baie), II, 20, 162. Huitres (baie aux), IX, 35. Hunter, V, 205, IX, 35. Hunter (île), V, 4. Huon, I, 232. Hutchinson, IV, 10, 35. Anaharan, V, 168. Indian (baie), I, 118. Indiens (baie des), V, 102. 308 Intercurrence (île), II, 20. Introduction, I, Lxit. Ireland (île), IV, 53. Jros (île), V, 121. Jacatra, VII, 39, 44. Jacquinot (le docteur Honoré), I, 4, 95, 136, V, 132, VI, 86, VII, 103, 173, VIII, 12, 62, 100. Jacquinot (le capitaine), I, 5, 6, 8, 11, 16, 34, 36, 37, 42, 50, 56, 84,115, 199, 131, 132, 135, 136, 153, 172,208, 209, 210, 212, 213, 296, II, 28, 75, 77, 03, 99, 118, 158, 184, III, 3, 4, 6, 31, 35, 12, 64, 68, 84, 88, 93, 103, 104, 105, 116, 120, 139, 151, 174, 181, 184, 224, IV, 19, 31, 38, 46 et suiv., 58, 77, 81, 84, 120, 134, 137, 155, 213, 218, V, 159, 170, 171, 204, VI, 27, 91, 129, VII, 13, 80, 81, 89, 169, 203, 210, 221, VIII, 19, 24, 37, 58, 61, 74, 76, 78, 82, 89, 98, 102, 107, 131, IX, &, 5, 101, 132, 150, 165, 193. Kaa (ile), IV, 151, 159. Kaïka (détroit de), I, 61. Kairi, V, 220. Kamaka (île), IT, 175, 214. Kambara (île), IV, 161. Kaneongan (cap), VIIL, 5. Kara-Ea (pointe), IE, 175, IV, 8. Karakita (îles), V, 219. Kava-Kava (rivière), IX, 166. Keaki-Noui, IV, 29. Kenibar (district), VI, 175. Kerguelen (le capitaine), IT, 2. Kerguélen (terre de), VIT, 225. Ketch-Uxbridje (navire), I, 106. Key (îles), VI, 85. King (lecapitaine), I, 54,57, 80, 89, 04,103,141,161,164,224, 234, 29,31. VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Isabelle (île), V, 34, 56, 88. Isidore (cap), I, 91, 138. Ivi-Toua, IIT, 145. Ÿ Jacquinot (mont), IT, 150. James-Monroe (sloop), IT, 14, 15. James-Town, X, 26. Jane (navire), IT, 47. Japara, VII, 39, VIII, 19. Java, VII, 13, 17, 37, 38, 39, 54, 39, 54, 55, 56, 57 et suivantes. Jericho, IX, 40. Johannes (îles), V, 211. Joinville (terre de), II, 148. Joinville (prince de), I, 13, 41. Jones Thomas (le capitaine améri- cain), I, 43. Jones (commodore), IIT, 107. Juan-Fernandez, IIT, 111. Jurieu Van Bokolt, I, 72. Jussieu (de), I, 115, 127. King-Georges (île), IT, 145. Kini-Balo (montagne), VII, 142. Kikimaï (île), IIT, 226. Knivet (historien), I, 70. Komo (île), IV, 161. Kongre (chef patagon), I, 152, 155, 162. tie Koro, IV, 234. Korora-Reka (mouillage de), IX, 162, 180, 187. Kosmann (chef de timonnerie), I, 117, 139, 147. AN Kotzebue, IV, 128. Kounla (mouillage de), IV, 152. Krusenstern (de), IIE, 217, IV, 130, V, 4. : TABLE ALPHABÉTIQUE 309 EL. Lacumba (pointe de), IV, 235, 238, Ladrilleros (le capitaine), I, 62. Lafarge (officier ), I, 16, 100, 122, 136, 178, IV, 97, VIII, 73, 86, 90, 92. Lafond (officier), Il, 59, IV, 115, 159, 198, V, 32, 56, 86, 132, 143, VIII, 25, X, 29. La Giraudais, I, 78. Laguemba (île), IV, 151, 161, 201. : Laguna, I, 24, 29, 178. Lampongs (baie des), VIIT, 52, 57, 67. ‘ Lancerotte (terres de), I, 9, 24. Landak, VII, 136. | Land‘all (île), I, 163. Lapérouse, III, 106, 162, IV, 93, 104, V, 7, IX, 9. Lara, VIT, 136. Lataï (île), IV, 151. Launceston, IX, 40. Laurie, Il, 11, 13, 20, 131, 133, 172. Lauzier, III, 60, 61. Laviki (village de), V, 257. Lazareff (le capitaine), IT, 9. Leblanc (contre-amiral), I, 39, 41, . 42. Le Breton (chirurgien), I, 108, 110, 199, 493, 439, II, 55, 151, IIL, 71, 94, 150, IV, 77, VIII, 12, 100, 120. Lebouka (baie de), IV, 217, 2i8, 219, 294, 226, 229, 232. Leewarden (banc de), VI, 172. Le Fouga, IV, 136, 151, 152, 153, 154. Le Goupil (cap), IT, 156. Leguillou, I, 16, 132, 134, 137, Macédonian (frégate), I, 43, I£T, 107. Macquarie (ile), IF, 26. Madre del Agua, I, 27. Madre de Dios (île), IIF, 223. 178, III, 35, 63, IV, 42, 45 et suiv., VII, 203, VIII, 78, 79, 80, 81, 83 90% 1%, He Le Maire, I, 74. Lemaire (détroit de), IT, 28, 30. Lemaistre-Duparc, I,.34, 38, 39, A1, 42, 45. Leone (île), IV, 92, 104. Leva (île), IV, 151, 201, 217. Lewthwaite AP de), IT, 15, 16, 69, 72. Lima, I, 65. Linitan (ile), V, 215. Lirquen, IL, 75. L'Isle (Rodrigue de), I, 63. Livingston (île), II, 163, 168. Llana de los Viejos, I, 27, 28. Loaise (Garcie de), I, 62. Loemar, VII, 136. Lombo (baie), VI, 112. Long-Wood, X, 26. Lonthoir (iles), VI, 3. . Lookout (pointe), II, 140. Lopez Garcia de Castro, V, 95. Lottin, Il, 8 Louasap (île), V, 120. Loubeke (île), IV, 235. Lougonor (iles), V, 120. Louisa (récif), VII, 142. Louisa’s-Shoal, V, 218. Louisiade (la), V, 99, IX , 213 et suiv. Louis-Philippe (terre), IT, 148, 150, 152, 159, 171, 172, VIII, 192, 163. : Loups-Marins (île des), I, 69. Loyalty (îles), IX, 205. Lucepara (île), VII, 78. Mafanga, IV, 131, 135. Magdaälana (île), [, 140. Magdalena (ile), III, 226. Magellan (détroit de), I, 53, 54, 58, 310 59 et suiv., 69, 73, 74, 77, 78, 80, 109, 139, 166, IT, 2, III, 17. Mahu (Jacob), I, 71. Maka-Pou (ilot), III, 210. Makassar, VI, 177, 178, 479, 180, 215, 916, 217, 218, 219, 229, VIII, 2, 48, 22, 66. Malacca (détroit de), VII, 80, 89. “Malaïta (ile), V, 20, 21, 25, 96, 401, 103. N Malouines (îles), I, 71; 78, 135, 294: Mambeo (village de), IV; 219. Manawolka (ile); VI, 21: Manchiri (montagne la), VI, 110, 131. Manga-Reva, III, 122, 124, 131, 133, 139, 140, 143, 151, 159, 162, 163, 164, 171, 175, 178, 198, 201, 209. Magonhai (ile), IV, 234. Mangia (île), II, 189. Mangri, I, 19, 20: Manipa (île); V; 256. Manning, V, 103: Manning (détroit de), V, 91. Manond (ile), IV, 104. Mañoui (ilot); III, 910. Mantannane (iles), VII; 142. Maouna, IV, 93; 104: Mapou-Teoa (le roi), IIT, 141, 142, 150, 151, 164, 201, 215. Marambo (ile), IV, 161. Marescot (officier), I, 114, 125, _ 198, 129, 155, 158, 161, 162, 210, 234, II, 61, 64, 105, 131, 187, Il, 38, 68, IV, 18, 88, 240, V, 11, 25, 29, VIII, 74, 86, 88, 92, 98. Mariannes (îles), V;, 201, VII, 205, 209, VIII, 2; Mariner, IV, 129. Marion, IX, 35. Marou-Tea, III, 215. Marquises (îles), IIT, 189. Marsh (île), V, 88, 90, 101. Martha (ile), I, 140. Martin (cap), II, 234. Martyn, IV, 1290. VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Mas-a-Fuero (île), IIT, 98, 119. Matabella (ile), VI, 21. Matavai, IV, 55, 56, 76, 81. Matchan (île), V, 255. Mattews (volcan), IX, 205. Maupelia (île), IV, 88, 90, 91. Maubpiti (île), IV, 88. Mäürice (baie), 1, 78. Meama (île), IV, 451. . Meïkor (ile), VI, 81, 82, 94. Melawié (rivière), VIT, 438. Melville (île), VI, 47, VIIL, 254. _Mendoce (Garcie de), I, 62. Mendana (îles dé), V, 14, 24%, 98, 99. Mercedes (forêt de las); I, 17, 24, 29. Mer-Pacifique, 1, 6% - Middle (île), II, 156. Milagro (pointe), I, 191. Mille-Vaisseaux (baie des), V, 55, 87, 97. % Mindanao (île), V, 212, VIII, 2. Minerve (île), III, 217, 218: Minorque (ile), I, 2; Mirni (vaisseau russe le), IT, 9; 12. Mocha, III, 67. Moen (ile), V;, 158: Moerenhout, II, 207, IV, 12, 60, 64, 65, 72, 73 et süiv, Moha, VII, 39. Moken, IV, 30. $ Mokii (îlot), IT, 210: Mokoto (Piton), III, 475. Molineux (Hâvre), IX, 122: Molüques, I, 20, V, 245 et Suiv., VI, 77, VII, 40, Mandoor, VII, 136. Moni (île), X, 16. Monroe (baie), If, 14. Monte-Agudo (corvette), III, 48, 50, 65, 79, 84 ; Montémont. (îles), IX, 209. Monte-Verde (île), V, 117. P* Montévidéo, I, 158, 162. à Montmouth (cap), I, 91. Montrado, VII, 486. Montravel, 1, 13, 125, 499; 152, 293, III, 116, 150, IV, 30, 199, V, TABLE ALPHABÉTIQUE. 99,3%; VE, 34, 152, VIII, 3, 11, 79, 87, 99, IX, 101, 105. Montravel (ilot), II, 151. Moralès (le gouverneur), I, 21. _ Moresses (îles), VI, 223. Morokea (pointe), IX, 144. Morrell (Benjamin), I, 104, 106. : II, 15, 17, 54, III, 32, 106. Motane (île), III, 222, 226. - Motir (île), V, 255. Nairn (ilot), V, 89. Nakalossé, IV, 190 et suiv., 231. Nakoro (île), IV, 79. Namouka (île), IV, 154, 161. Nanou-Tabou (îlot de sable), IV, 168. | Narborough (Jean), I, 75. Narrow (île), IT, 441. Nassau (ile de), I, 137, 138. Navigateurs (iles des), IV, 73. Neaou (ile), IV, 166. Negro (cap), I, 90, 91. ei-Afou, IV, 136, 137, 143, 151. eirai (île), IV, 166. Némen (ile), IV, 235. Neuf-Iles (les), V, 99. New-Norfolk, IX, 40, 51, 52. New-South-Shetland (archipel), I, 72, ÏE, 2, 10, 14, 12, 48, 44; 16, 19, 491, 127, 152, 164. New-South-Orkney, IT, 13, 16, 17, M, 66, 67, 7h, 81, 194, 134, 137, 171. . New-South-Greenland, IT, 47, 54, New-Year (île), II, 33. New-Year (île, VI, 29. - Nhao (ile), IV, 166, 168, 171. - Nia-Hidou, IV, 15. Niederhauser (John), 1, 147, 148, 149, 151, 162, 163. Nitendi (île), 13, 42, 18, 46. Nimrod (île), Il, 26. Niniva (ile), IV, 151. Niouha-Foho (île), IV, 140: rues 314 Motou-Iti (île), III, 226. Motou-Riki (île), IV, 168, 171, 217. Mouana, IV, 15. Moules (baie des) ou Mossel-Bay, Ex Moundang (île), V, 220. Mouton-Outa, IV, 73. Mowerby (mont), IT, 24. Mozé (île), IV, 161. Niou-Hiva (vallée de), IV, 36. Nodalès (monts), 1, 118, 131. Nodalès (Garcia de), I, 74. Noel et Taboureau, [, 7, 38. Nombre-Head, Il, 27. Nom-de-Jésus (fort), I, 67. Noort (Olivier de), FE, 72, 75. Norma (goëlette), I, 14, Note du dépôt général de la ma- Jrine, [, xvr. Notre-Dame de-Grâce ( goulet ), I, 65. Nougouor (île), V, 117. Nouhiva (ile), IIT, 226. Nouka-Hiva, I,.29, ITF, 184, 189, 217, 220, 296, IV, 9, 11, 20, 36, 37 Let suiv., 61, 76, - Nousa-Seras (archipel de), VI, 223. Nousa-Tonyn (archipel de), VIF, 222. Noussou-Rourou, VI, 134: Nouvelle-Bretagne, V, 99. Nouvelle-Georgie, IT, 10. Nouvelle-Guinée, V, 99, VE, 21, 95, 75, 93, 108, 145, IX, 213. Nouvelle-Hollande, VI, 29, 40 et suiv., 75, 80, IX, 36, 125. Nouvelles-Hebrides, V, 3. Nouvelle - Zélande, 1, 154, II, 16, III, 39, 105, VIII, 126, 198, IX, 11, 103, 116, 425, 127, 134, 141, 155, 156, 167, 169, 173, 179, 194, 205. Nuestra Senora de Orazia (pointe), I, 86, 149. Ææi # Oazy (hâvre), I, 87, 141, 148, 158. Obalaou (ile), IV, 168, 171, 181, 202, 217, 220, 227, 241. . Obi (ile), V, 244. O’brien (île), II, 141. Océan (le baleinier l’), III, 30. OEneo (brick), IV, 242. Oio-Lava (île), IV, 104. Olo-Singa, IV, 104. Oltmanns, I, 32. Onan (ile), V, 147, 158. Onghea-Lebou (île), IV, 160. Oobeean (iles), VII, 143. Opoulou (île), IV, 93, 94. Opoulou (île), IV, 104, 126. Opoun, IV, 92, 104. Oraderak (pointe), V, 13. Orange (cap), 1, 165. Orange (fort), V, 236. Orange (port), VIII, 192. Pacific (schooner), IT, 21. Pahia, IV, 87. Pain-de-Sucre (île), V, 5. Pain-de-Sucre (Rio-Janeiro), I, 42. Pakoko, IV, 35. Palmas (île), V. 212. Palmer (terre de), If, 20, 21, VIII, 192. Palmer (capitaine Nathaniel), II, 12, 13, 14,15. Pamanoukan, VIII, 14. Pamarong, VIII, 3, 13, 66. Pangasinan (île), VII, 145. Pango-Pango, IV, 106. Pao (île), III, 43, 163, IV, 131,180, 201, 203, 204, 211, 217, 257, 258. Papa-Oa, IV, 81. Papa-Wa, IV, 64. Papeiti, IV, 55, 56, 60, 62, 74. Pâques (île de), IT, 110, Paraïba, I, 67. 0. L VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Orangerie (cul-de-sac de), IX, 210, 211, 213. Oreste (brick l’), I, 13. Origas (port d’), VII, 88. - Orléans (canal d’), II, 158, 159. Orotova (l), I, 31, 177, 182 et suiv. Orozco (la table d’), II, 28. Ortega, V, 24, 34, 97. % Otago (port), IX, 122, 123, 124 141, 177. Otahi-Hoa (île), III, 221. Otway-Water (bassin d’), I, 1614, 163, 164. Oubia (iles), IV, 168. Ouessant (ilot), IX, 209. Ouluthy (groupe), V, 167. Oumol (île), V, 158. Outong-Java (îles), V, 99. Oyo-Lawa (île), IV, 93. Parang (île), VI, 146. Parry (le capitaine), VIII, 106. Passage (île du), V, 55, 87. Passir (rivière), VIII, 13. Passy (cap), IX, 215. Patagonie, I, 51, 53, 87, 91, 217, 294, 235. Patagons, I, 54, 60, 61, 63, 70, 75, 77, 78, 79, 85, 103, 129, 142, 145, 149, 151, 153, 154, 159, 160, 162, 163, 164, 235. Patini, IV, 16. Paya (île), I, 40, 42. Payou (passe de), V, 7. Peacock (sloop), VIIT, 190, 492, 195, 196, 201, 214. Pécherais, I, 151, 156, 160, 235. Pécheurs (île des), IV, 104. Peckett (hâvre), I, 142, 153, 458, 160, 161, 162, 164. Pedro (ile), IIT, 226, _ TABLE ALPHABÉTIQUE. Peligot (officier), IIT, 105. Pelew (île), V, 205, 208. Penang, VII, 89. .Penas (cap), IT, 28, 29. Penco (fort de), III, 71, 73. Pendleton (capitaine), IT, 12, 13, Pengootaran (îles), VIT, 143. Penoleo (le cacique), IT, 56, 77. Pépin (cap), VITE, 455. Periadik (île), V, 125, 158. Pérou, I, 63, 64, III, 8. Pertuis d’Antioche, I, 76. -Philippeville (fort), I, 67, 68, 69,70, 73, 100, 104, 106, 107, 111, 235. Pigafetta (le chevalier), I, 59. Pilas (île), VII, 204. Pillar (cap), I, 65, 148. Pillilew (île), V, 212. Pingouins (île des), I, 70, 72, 74. Pisgah (île du mont), II, 11. Piva, IV, 167, 171, 179, 180, 194, et suiv., 203, 260. . Plata (fleuve de la). I, 49. Plate (île), [,161. Playa-Parda, I, 120, 163. Pomaré-Wahiné, III, 205, IV, 69, Pomotou (archipel), III, 190, 220, IV, 52, 55. Pompalier (l’évêque), III, 91, IV, 139. c Porpoise (brick), VIII, 190, 192, 196, 201, IX. 100, 106. Port-d’Arthur, IX, 3, 40. Port-Désiré, I, 162. Port-Egmont, I. 78. Port-Famine, I, 56, 69, 70, 73, 74, 75, 76,77, 78,79, 91, 92, 96, 99, 101, e. — 313 113,114, 117, 120, 122, 193, 133,138, 141, 234, 235 et suiv., HI, 30. . Port-Galant, I, 79, 120, 121, 122, 195. Port-Louis, I, 78. , ; Port du roi Georges, I, 102. Porter, II, 236, IV, 16, 27. Portlock (récifs de), IX, 215. Possession (cap), I, 79, 82, 165. Potier (île), IT, 22. Poua (ile), IV, 104. Pouinipet (île), V, 174. Poulo-Datou (île), VI, 224. Poulo-Laut (îles), VI, 223, VIII, 14, 18. Poulo-Penang, VII, 89. Poulo-Pisang (île), VI, 14. Poulo-Roun, VI, 2. Poulo-Swangui (rocher), VI, 2. Poulo-Taya (ile), VIE, 79. Poulo-Tiga (île), VITE, 67. Poulo-Way, VI, 2. Pounipet, III, 91. Powell, 11,13,14, 15, 143, IV, 134. Prahou (monts), VIII, 23. Première-Vue (île), V, 90. Président (frégate), IIT, 3, 48, 84, 109. Prieto (cap), V, 24, 96. Prince-Frédérick (flûte), [, 79. = Prince’s-fsland, II, 22. Pritchard, III, 205, 206, 207, IV, 12, 59, 64,65, 71, 72, 76, 83. Proby (île), IV, 160. Pumankab (village de), VII, 109. Purpoise (cap), I, 88. KR. Quiriquina (de). II, 45, 31, 44, 81. | Rajah-Bassa (mouillage de), VIII, Quiros (île), V, 158. Quoy, I, 4, 49. Rabe-Rabe (village), IV, 235. Rabale (village), IV, 235. Raffles (baie), VI, 29, 32 et suiv., 140, 52, 53. Raia-Tea (île), IV, 87. Ramos (îles), V, 24, 96. Rapa, III, 162, 186. Raraka, IV, 54. Raro-Tonga, IIT, 189, IV, 114. 314 Rata-Noui, IV, 16. Ravins (baie des), VITE, 155. Raza (île), I, 40, 42. Record (pointe), VI, 62. Recherche (cap de la), V, 20. Refuge (anse du), IV, 129. Relief (gabarre le), VIII, 190. Remarquable (cap), 1,134, 136. Renouf (capitaine), III, 68. Reynolds, IT, 247. Ribeira, I, 67. Richmond, IX. 40. Riki-Tea (vallée), IIT, 169,175. Rimatera (île), III, 189. Rio-Janeiro, I, 39, 42, 43. 46, 67, 117: Rio-Negro. I, 162. Rio de la Plata, I, 68. Ridders (baie), [, 72, 73. Rochers de la Zélée. IT, 148. Rochers du Nord, V, 6. Rochouze (l’évêque), III, 91 et suiv. Rock-Ship, III, 221. Rocky-Point, I, 100, 103, 113. = Rocky (baie), I, 102. Rocky-Islets, V, 200. Rodney (cap), IX, 214. Rodrigues (ile), X, 17. 4 Saboc (baie), V, 7. Sabrina (terre), VIII, 194. Saddle (île), IE, 132. Sadong (ville de), VIT, 137, Sainson, Il, 188. Saint-Angel (fort), V, 171. Saint-Antonio, I, 35. Saint-Barthélemy (île), I, 64. Saint-Denis (rade de), X, 17. Saint-Georges (île), I, 64, 75. Saint-Georges (baie), I, 63. Saint-Georges {île), V, 27, 28. Saint-Isidore (canal), I, 62, 65. Saint-Jean (île), V, 99, 115. Saint-Jean (îles), VITE, 2. Saint-Jérôme (canal), I, 69, 75. VOYAGE DANS L'OCÉANIE, Rogery (lc capitaine), IT, 22, 26. , | Roggweïin, IV, 53. Rodgerson, IV, 61, 84, 85. Ronde (île), IV. 242, 244. Roquemaurel (officier), I, 93, 99, 105, 106, 131,155, 158,159, 161, 162, 174, 175, 175, 176, 177, 206, 908, 213, 216, 218, 940, 295.920, 11.55, 96, 106, 107, III, 37, 68, 138, 142, 184, 185, 226, IV, 12, 18, 39, 81, 106, 238, V, 29, VI, 40, VIII, 84, 98, 101, IX, 173. it Roquemaurel (cap), IT, 157. Rosamel (île), IT, 148. Roscoff (navire), IV, 11. Rose (île), IV, 91. Ross (contre-amiral), III, 5, 19, 84. Ross (James), IT, 25,54, 128, VIII, 189, 195, 199, 221, 223, 242, 250, 253, IX, 6. Rossel (île), IX, 214. Rotti (île), X, 9. Rouk (ile), V, 132, 158. » Royal-Company (île), VII, 130. Royal-Charlotte, (récif), VIE, 142. Rubens (le baleinier le), IT, 22, 26. Rugged (ile), IT, 11, 168. Rugged (pointe), VITE, 15. Saint-Mandrier, I. 1. th Saint-Nicolas (baie), 1, 76, 130,131. Saint-Nicolas (rade), I, 118. Saint-Paul (cap), II, 29. : Saint-Philippe (baie), I, 82, 83, 85, 159. 1 ’ 3 À ÿ . Saint-Sébastien (baïe), I, 73, IT, 27. Saint-Vincent (baie), III, 23. Saint-Vincent (cap), I, 86, 149, 165, l'OL. © Saint-Yago, TT, 98. | Sainte-Elisabeth (île), I, 64, Sainte-Hélène, X, 26. Sainte-Croix (rivière), I, 62, 68, Sainte-Croix (archipel), I, 65. Sainte-Croix. I, 178, 170, 182,183. ‘1 EP CS 5 TABLE ALPHABÉTIQUE Sainte-Marie (cap), V, 115. Sainte-Marie (îles Açores), X, 28. Salatan (pointe), VI, 223, VIII, 19. Sala-Tiga, VIIE, 34, 35. Saiayer, VI, 176. Salomon (îles), IV, 227, Y, _24, 30, 90, 95, 98, 103. Saivages (iles), III, 30. Sama-Sama (village de), IV, 235. Samarang, VII, 49, VIII, 2, 19, 23, 33, 40. Sambpas (rivière de), VII, 100, 101, 402, 117, 120, VIII, 12. Samboangan, VII, 205,208, 214, VIi, 1, 2. | - Samoa (archipel de), IV, 61, 94, 104, 129, 194, 195, 154. San-Antonio (port), I, 94. San-Dimas (île), V. 96. * Sandwich, II, 3, 4, 22, 124, 197,IV, 77, 172. San-Gergman (île), V, 76. Sangouw. VII, 125, 130, 136, Sanguir (île), V, 216, 219. San-Jéan (port), Il, 33, 34. San-Juan-Bautista (baie), III, 112. _San-Miguel (baie), I, 495. : Santa-Añna (pointe), I, 65, 11/4, 233, Sant-Antonio (cap), Il, 33. - Sant=Antonio (île), I, 35. Santa-Barbarra (baie), III, 33. Sañta-Cruz, I, 9,19, 16, 17, 21,203 | et suiv. Santa-Cruz (île), V, 98. Santa-Cruz (ile de), VIT, 205, 209. Santa-Isabel de la Estiélla (baie de), Ÿ, 76, 77. Santa-Magdalena (île), I, 91. Saor (iles), IV, 243, 24h, V, À. Sarah’s-Bosom (baie de), IX, 414. : Safmiento (Pédro), 104, 106, 139. Saunders (cap), IX, 122. Sava-Lelo (hameau dé), 447 Savaï (baie), VI, 179, 175: Savu, X, 14. Schouten, TI, 74, V, 99, IV, Ï, 65 ét suiv., 116, 315 Scilly (ile),.IV, 90. Scott (le capitaine), IIE, 5,17, 84. Sea-Gull (schooner), VITE, 490, 192. ‘ Sébastien Cano (vice-amiral), I, 62. Sebold de Wert, I, 72. Sedger (rivière), I, 96, 99, 102, 108, 118, 133, 222, 296. Selkirk (matelot anglais), IIT, 117. Serangani (île), V, 212, 216, VIII, 2. Seraph (bric), If, 22. Serles (île), IIT, 217. Sesarga (île), V, 24, 96. Sevai (île), IV, 104, 127. Shefield (James, ÎT, 11, 12: Sherriff (commodoré), If, 11. Shoat (pointe), VIII, 44. Shoal-Harbour, 1, 164. Shouki-Anga, IT, 105. Sidney, IE, 9, IV, 106, VIII, 1, 198, IX, 100. Simao, X, aû. Sumatra, VII, 77, 104, VIÏI, 57, 65, 94. ; Simpson (ile), V, 99. Sincapour, V, 77, VIT, 81, 85, 86, 89, 94, 96, 98, 90, 101. Sinkep (ile), LOT 79. Sintang, VII, 120, 136, 138. Siao (ile), V, 219, 590, Sir Chaärles Hardy (ile de), V, 99. 114. Smith (capitaine marchand), IT, 10, gl À Smith (île), IT, 21, 180. Smith (pointe), VI, 60. Snares (îles), IX, 118. Snow (ile), ÎT, 165: Société (archipel de la), IV, 247. Sœurs (îles les), V, 104. Soungoun-Walar, VI, 131: Soledad (baie), II, 99. Solo (iles de), VIT, 54, 99, 104, 14h, 145, 166, 184,196, 197, 198, 201, 203. Sonde (détroit de la), VIT, 2, 71. Sonnerat (navigateur), VII, 445. Soog (île), VIT, 166, Sorrel, IX, 40. Soucis (baie de I, 72. 316 Songoud (baie), V, 213. Sourabaya, VII, 49. Sourcilleux (cap), I, 118. Sonth-Georgia (île), II, 22. Spartel (cap). I, 6. Spence (hâvre), II, 15, 57, 69, Spilberg, I, 62, 73. Steamer-Cores (anse), I, 103. Tabe-Noui (île), IV, 235. Table (monts de la), VIIT, 115. Tabou, IV, 30. Tabou-Emanou (île), IV, 87. Tacoronte, I, 180. Tahaa (île), IV, 87. Tahofa-Hao, IV, 135, 154. Tahou-Ata, IIT, 226, IV, 114. Tahow (banc), VII, 143. Taïfi (île), IV, 225. Taï-Hao (vallée de), IV, 36. Taï-Hoa, IV, 11, 30, 50. Taïo-Hae, III, 224, 226. Taïo-Hio (vallée de), IV, 36. Taïo-Thae (baie), IIF, 235. Taï-Piis, IV, 11. Taiti, I, 29, III, 122, 123, 131, 163, 169, 186, 204, 205, 206, 207, IV, 9, 51, 55, 56,59,-74, 78, 81. 84, 86, 109, 103, 143, 154, 172. Takoot-Kababawan (île), VII, 145. Talcahuano, II, 124, 71, 82, 85. Talou (port de), IV, 86. Tama (village), IV, 236. Tampoua, V, 13. Tanakéké (îles), VI, 177. Tanjong-Api (pointe), VII, 141. Tanjong-Sampanmange, VIT, 142, Ta-one-Roa, IX, 160. Tarawaï (île), IIT, 133, 160, 178,179, 201, 209. Tardieu (île), V, 158. Tarn (mont), I, 111, 119, 118, 131, 235. Tasman, IX, 34, 35. VOYAGE DANS L'OCÉANIE. 195, III, 11, 12, 13 etsuiv., 44 et suiv., 51, 62, 65, Stewart (ministre), IV, 9. Stewart (île), IX, 119. . Sud (port du), IX, 120,121. Surin (matelot), 1,47, 49. Surinam, VI, 175. Surville, V, 24, 90, 100. Swallow (sloop), I, 79. T. Tasmanie, VIII, 126, IX, 8, 34, 36, 0. Tahou-Hata, IV, 61. Tavai-Pounamou, IX, 121,155, 159, 169. Tchichacoff, IV, 30. Tchanti (village), VIII, 60. Tempèêtes (baie des). VIII, 93, 125. Ténérrffe , L 9, 13, 15, 20, 28, 29, 32, 35, 184. Ténériffe (pic de), I, 11. Tenimbar (île), V, 21, Ternate, V, 228, 235 et suiv., 243, 246, 250 et suiv. Terre de Feu, I, 61, 75, 85, 90, o!, 119, 140, 148, 151, 162, 163, 217, IT, 27, 2. Terror laavire)- WE, 191, 192, 222, 293, 241. Tessi-Levou (village), IV, 236. Tetoua-Motou, IX, 161. Thanaron (officier), I. 100, IIT, 140, 161, 174, V, 149, VII, 178. Thetio (baie), Il, 31. Thierry (le baron), IT, 105, IX, 195, 196, 197,199, et suiv. Three-Hummocks (île), 11, 20. Three-Peaks (île), V, 215. Tidor, V, 220, 242, 243 et suiv., 250 et suiv. Timor, IX, 239. X, 1,2, 7. Tinakoro (piton de), V, 13, 15. Tiokea (île), IV, 52. Tofoua, IV, 151, 159. To-Hou, IV, 104. To! (ile), V, 147. Tomé, IT, 65. TABLE ALPHABÉTIQUE. Tonga, III, 131, IV, 110, 123, 247, 255. - Tonga-Tabou, I, 20, IIT, 169, IV, 431, 135, 147, 148, 151, 153, 261. Torres (détroit de), V, 26, 27, 75, IX, 205 et suiv., 237. Toubai (île), IV, 88. Toud (île), IX, 223, 227, 233, 234, 336. Toui-Papao, IV, 33. Toulon, I, 1. 317 Toupoua, V, 14. Toutou-fla (île), IV, 104, 106. Tower-Island, IT, 13. Trana (île), VI, 81, 95, 99. Trinity (terre), IT, 13, 21, 81, 159, 162. Triton (baie), VI, 109, 140. Trois-Frères, VII, 79, VIII, 52. Tsis (île) V, 121. Tulian (baie de), VIT, 204. 2 U. — V. Ualan, I, 29, III, 91. Umata, V, 170. UÜrukthapel (île), V, 207. Vahai (village), VI, 173, 175. Valdez (port de), IV, 129. Valdivia, I, 65. Valdivia, IIT, 177. Valentyn (cap), I, 91. Valparaiso, III, 17, 37, 63, 82, > 90, 95, 99, 104, 116, 186. Vancouver, II, 8, IX, 35. Van den Brock, VII, 40, 41. Van-Diemen, II, 9, IX, 9, 10, 35, 37. : Vangara, (île), IV, 161. Vanikoro , V, 6, 7, 9, 10, 13, 169, VIIT, 66. Vanoua-Lebou (ile), IV, 225, 235, 2h45. Varela (ile), VIT, 79. Vavai-Noui, IV, 99. Vavao, IIT, 164, 186, IV, 128, 129, 133,136; 139, 142,145, 150, 151, 152, 153, 154, 212. Vari-Ton (iles), III, 189. Vea (îte), IV, 139. W: _ Waï-Anda (passe de), IV, 235 Waï-Apou (cap), IX, 162. Waï-Hou (ile), IT, 110, 121. Wain-Wright (ile) II, 133, Vénus (pointe), IV, 55, 56, 57. . Vénus (frégate la), IT, 190, IIT, 48, 117, IV, 60, 62, 69, 71, 172. Vermoulin (le docteur), IIT, 53, 61. Victoria (fort), V, 258. Victoria (terre), VIIT, 222. 241, 254. Victoria-Town, VI, 62, 76, 77. Victory (île), VII, 101. Vidal (le capitaine), I, 30, 31, 32. Vierges (cap des), I, 55, 57, 50, 62, 64, 74,76, 77, 78, 116. Ville-de-Bordeaux (le baleinier la), IT, 31. Villeneuve (le commandant), III, 18. Vincennes (corvette) IV, 9, VIII, 190, 195, 197, 201, 210, 214. Viti (archipel), IIT, 43, 70, 164,186, IV, 42, 124, 139, 140, 144, 150, 151, 160, 161, 181, 218, 221, 223, 240, 2h11, 244, 245, 246, 248, 249, 255, V, 4. Viti-Lebou, III, 186, IV, 171, 202. 233, 243, 245. Voces (baïe), I, 100, 115, 138. Volsey (navire le), IIT, 87, 88, 89. Vostok (vaisseau russe le), IT, 9, 12. Wai-Tangui (village de), IX.,193. Wakan (ile), VI, 82, 84, 86, 91, 94, | 99. Walker (cap), II, 140. 318 VOYAGE DANS L'OCÉANIE. Wallis (Samuel), T, 79, 80. Wallis (île), IV, 130. Walsh (cap), VI, 25. Wama-Rouni, VI, 131. fVama (ile), VI, 82, 83, 84, 87, 92, 94. Wanba ou Wanla (ile), VI, 83, Wang-Habil (village), VI, 92, Wangui-Wangui (île), VI, 176, Warior (île), IX, 220. Warou (district de), VI, 175. Warrou (baie), VI, 146 et suiv. Washington (détroit de , IT, 14, 15, 72, 133. Wasp (navire le), III, 32. Water-House FAR amérigain), | L, 95. Weddell (ile), II, 132, Weddell, L 134, 171, IL, 17, 18, 19, 26, 4h, 47, 48, 58, 67, 79, 79, 80, : 192, 198. Wellington (île), IIT, 30. l Wellington (mont) VIII, 115, a” L; À | 38, 50. Western (port), IX, 36, 51. Wig-Wam (anse), 1, 103. Wig-Wam (ilot), I, 121, 122, 123, Williams (capitaine), I, 12, Williams (mont), II, 24. Wllkes (capitaine), II, 54, VIII, 171, | 172, 189, 190, 193,194, 200,203, 204 let suiv., 212, 219, 231, 241, IX, 166. Wilson (le capitaine), III, 196, 217, IV, 245. Winchelsea (île de), V, 99. Wittgenstein (ile), IV, 54. Wolf (sables de), IN, 214. Wolf (rocher), V, 255, Yarmouth (ile), IX, 220. Zorras (baie de los), I, 64. D TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE TOME DIXIÈME. Cuar. LXIX. Séjour dans la baie de Timor. — Coupaug. — Traversée de la baïe Coupang à l’île Bour- LEFT LPS OR RE EEE Eee te RS En Cuar. LXX. Séjour sur la rade de Saint-Denis (ile Bour- bon). — Mouillage à l’île Sainte-Hélène. — Traversée de l’ile Bourbon à Toulon. . . . . Notice biographique sur Jules-Sébastien-César. Dumont en D ram à 5 NO 2. à. ... 1... PR HE UE HONS D . : à 02 pete den sn Renseignements. — Notes sur l’étiologie de quelques ma- ladies internes épidémiques qui furent ou sont encore réputées contagieuses ; par M. le docteur Hombron . . Notes sur le détroit de Magellan, communiquées par le ca- pitaine Roilet, commandant le brick le Cygne, de Bor- Lettres adressées à M. Dumont-d'Urville par MM. du Bou- zet, Tardy de Montravel et Coupvent-Desboiïs. . . . . . ‘Table alphabétique des matières contenues dans la relation du Voyage au Pôle Sud et dans l'Océanie. . , . . . .. FIN DE LA TABLE, Imprimerie d'A. SIROU Er DESQUERS, rue des Noyers, 37. 155 . 221 265 209 * it | CNP ECTS PE UM e > DA È - = ” , Ê ; 4 119 0. « 28) « n # s: PTE 14 L ait} HE 4 ; REA # “s ; n cs Dr avA r V2 (ar A Ur ‘ [CELL “" ts 1 [TUE RL ET 0 TLMNLD LEP TU | 24 ARESUPIT ETER (1 is É MIT GEAR BLUE