= (sr 2.» 21} r. AT TAt VOYAGE AU POLE SUD ET. DANS L'OCÉANIE. ï. A ® A, Pruan ps a Fonusr, m VOYAGE AU POLE SUD ET DANS L'OCÉANIE SUR LES CORVETTES L’ASTROLABE ET LA ZÉLÉE, EXÉCUTÉ PAR ORDRE DU ROI PENDANT LES ANNÉES 1837-1838-1839-1840, SOUS LE COMMANDEMENT DE M. J. DUMONT D'URVILLE, Capitaine de vaisseau. PUBLIÉ PAR ORDONNANCE DE SA MAJESTÉ, & HISTOIRE DU VOYAGE, PAR M. DUMONT D'URVILLE. TOME PREMIER. PARIS, GIDE, ÉDITEUR. RUE DES PETITS-AUGUSTINS, D, PRÈS LE QUAI MALAQUAIS, 1844. t En K: a l'A UN ÉD dre | BR AAA, UP EAU AT LÉ ‘x ÉQUVA OUI TAC, y Ge À Ut DU (HAJOHE TUE, ON ME AY 04 40 AVERTISSEMENT. Qu'à la vue de ce titre, le lecteur ne S’effraie pas. Je ne serai point long. Ce peu de mots n’a pour objet que de donner quelques explications sur la marche et le mode qu’il m’a semblé con- venabled’adopter dans la relation de ce nouveau voyage. Ma façon de voir n'ayant pas changé depuis la publication du premier voyage de l’Æstrolabe , “cette fois, le style que j’emploierai sera encore simple et modeste ; mais aussi clair, aussi précis qu'il me sera possible de le rendre. En effet, il ma toujours semblé que c’est le seul vraiment approprié à ces sortes de publications; elles doivent être le récit fidèle et sincère des événe- ments qui ont eu lieu dans le cours du voyage : Pexposé consciencieux des observations et des | a en we si AVERTISSEMENT. N faits recueillis dans l’intérêt de la science. Sans doute, dans les ouvrages d'imagination, le talent de l’auteur, l’éclat du style et l'élégance des expressions en font le charme principal. Mais ces qualités perdent beaucoup de ce mérite dans un ouvrage où le fond doit être tout et la forme presque rien. D'ailleurs, je serai sincère, et pour ceux qui ne ea point cette opinion , il y a une autre raison qui sera péremp- toire. La nature ne m'avait point départi, je pense, les dons qui signalent l'écrivain élo- quent; puis, le genre de vie aventureuse et sans cesse active, auquel j'ai été assujetti depuis ma première jeunesse, ne m'a guère permis de suppléer à ce défaut par des études assidues. Dans ce récit je serai néanmoins plus sobre que je ne le fus, il y a douze ans, d’expressions techniques, de descriptions purement nautiques, » et je me bornerai aux détails indispensables, et sans lesquels mon œuvre deviendrait presque inu- tile aux hommes du métier. Car, s'il m’est permis de chercher à éviter quelques épines aux hommes du monde, d’un autre côté, mon travail ne doit pas tromper l’attente de mes compagnons d'armes; surtout de ceux qui, marchant un. jour AVERTISSEMENT. PO : | sur nos traces, chercheraient à compléter, ou peut-être à rectifier nos opérations. | En outre, encouragé par l'approbation de plusieurs personnes honorables, juges bien compétents en pareille matière, au lieu de fondre dans le cours de ma narration les extraits des journaux de mes divers compagnons de voyage, je continuerai de détacher ces divers extraits, pour les rejeter textuellement à la fin de chaque volume en forme d’appendice ; tandis que mon propre journal formera seul le fond de l’ouvrage. | Bien des lecteurs, peut-être, ne songeant qu'au moment présent, blâmeront cette disposition des matériaux ; car ils n’attacheront aucun intérêt à la répétition du même fait, narré successi- vement par divers spectateurs. Cependant, il faut qu'ils observent que ces personnes placées a des points de vue bien différents, mues par des sentiments divers, douées enfin de constitu- tions rarement semblables, doivent éprouver des impressions bien variées. Leurs réflexions, leurs observations en ressentent nécessairement influence. En outre, ces récits deviennent la confirmation ou le controle de la relation du iv AVERTISSEMENT. commandant qui, malgré tous ses efforts et sa bonne foi, ne peut pas être considéré comme infailhble. | Si jen juge par moi-même, et je ne suis pro- bablement pas le seul de mon avis, combien il serait intéressant de pouvoir lire aujourd’hui, au. moins par extraits, lesjournaux des compagnons de Magellan, de Drake, de Tasman, de Dam- pier, etc., et même de Cook, de Bougamville, quoique bien plus rapprochés de nous. Bien que les travaux de nos devanciers nous aient laissé peu de grandes découvertes à faire, les progrès rapides de la civilisation dans les contrées océa- niennes ajouteront, j'en suis certain, dans un siècle où deux, une haute importance à nos travaux , et nos neveux attacheront au récit de nos efforts, un intérêt au moins égal à celui que nous ressentons à la lecture des premiers voyages de découvertes. J. D. D'URVILLE. Paris, 19 mars 18/41. LETTRE DE MINISTRE DE LA MARINE À M. DUMONT D'URVILLE, Capitaine de vaisseau, €OMMANDANT L'EXPÉDITION DES CORVETTES L'ASTROLABE ET LA ZÉLÉE , A TOULON ; POUR LUI SERVIR D'INSTRUCTION RELATIVEMENT AU VOYAGE DE DÉCOUVERTES QU'IL VA ENTREPRENDRE. Paris, le 26 août 1837. Monsieur, le plan du voyage scientifique que vous allez entreprendre avec les corvettes l’'Æstrolabe et la Zélée, proposé par vous-même et modifié selon les in- dications données par le roi, a définitivement recu l'approbation de Sa Majesté. Les travaux que vous avez exéculés dans vos pré- cédentes campagnes, les études auxquelles vous vous êtes livré dans le cours de trois expéditions ‘ dont la science était le but principal, l'expérience que vous y avez acquise, vous donnaient en effet le droit de proposer vos idées sur la direction à suivre dans une 1° de 1819 à 1821, sur la corvette la Chevrette, capitaine Gaultier. — 2° de 1822 à 1825 , sur la corvette la Coquille, capi- taine Duperrey.—3° de 1826 à 1829, sur la corvette l'Astrolabe, capitaine d'Urville. vi LETTRE expédition nouvelle, ayant pour objet de compléter la masse de renseignements recueillis par vous-même et par d’autres navigateurs, sur des parages encore im- parfaitement décrits et cependant fort intéressants à connaître sous les rapports de l’hydrographie, du com- merce et des sciences. Vous avez pu d'avance méditer le plan de cette cam- pagne, en étudier les détails, en calculer les résultats possibles, en prévoir les difficultés et combiner par la pensée les moyens d'exécution à employer pour en retirer tout le fruit qu'elle peut produire. Aussi me suis-je empressé de mettre à votre dispo- sition toutes les ressources qui vous ont paru néces- saires, de vous entourer de collaborateurs possédant votre confiance et de déférer à toutes vos demandes, en ce qui concerne l'armement de l'Zstrolabe et de la Zélée. Je suis donc fondé à attendre beaucoup de la mis- sion que vous allez remplir, et je suis bien persuadé que de votre côté vous ferez tous vos efforts pour jus- tifier et peut-être dépasser ces espérances. Les instructions que j'ai à vous tracer sur la con- duite à tenir dans le cours de votre campagne ne com- portent pas de longs développements. Je vous ai déjà transmis, en effet, un mémoire rédigé au dépôt général des cartes et plans de la marine, qui contient lindica- tion des questions les plus intéressantes à résoudre sous le rapport de l’hydrographie. Je vous ai adressé aussi des instructions spéciales qu'une commission prise dans le sein de l'académie des sciences a rédigées DU MINISTRE DE LA MARINE. VII pour vous sur les divers objets scientifiques dont vous aurez à vous occuper dans le cours de votre voyage. Ces instructions, approuvées par l'académie, sont im- primées, et vous en avez des exemplaires en nombre suffisant pour qu’elles puissent être placées entre les mains de chacun des officiers appelés à vous seconder. J'y joins, selon le vœu de l'académie, les instruc- üons précédemment tracées pour la campagne de la Bonite et dans lesquelles vous trouverez des indica- tions précieuses. | Ces divers documents vous serviront de guide dans l'exécution des travaux qui vous sont imposés et les sources dont ils émanent rendent superflu tout ce que je pourrais ici vous dire sur le même objet. Il me suflira donc de rappeler l'itinéraire que vous devrez suivre, de signaler le but dans lequel il a été concuet d'appeler votre attention sur quelques mtérêts qu, pour être étrangers à la science proprement dite, n’ont pas moins le droit d'être comptés pour beaucoup dans le but d’un voyage de circumnavigation exécuté par des bâtiments de la marine royale. IH importe que l'4strolabe et la Zélée puissent appa- reiller de Toulon vers le premier du mois prochain, et d’après les ordres que j'ai donnés à ce sujet, je ne doute pas que ces deux corvettes ne soient entièrement prêtes à cette époque. Partant de cette supposition, je vous recommande de faire vous-même toutes vos dispositions pour pou- voir mettre à la voile le 1° septembre. Vous dirigerez votre route de manière a atteindre, Viil LETTRE dans le milieu d'octobre, les îles du Cap Vert. Si vous étiez contrarié par les vents pour votre sortie du dé- troit, vous pourriez prendre à Gibraltar un batiment remorqueur, afin de ne pas perdre inutilement un temps précieux. ! Une relâche de deux jours dans la baie de la Praya vous sera utile pour remplacer l’eau consommée depuis le départ de Toulon, pour prendre quelques provisions fraiches et régler les montres marines. Continuant ensuite votre marche vers le ‘sud, vous atteimdrez, en passant entre les terres de Sand- wich et de New-Shetland, les parages voisins du pôle austral, et vous commencerez, par l'exploration de ces mers, la série de vos travaux. Vous n'ignorez pas les difficultés rencontrées, dans ces latitudes, par les navigateurs qui déjà s'y sont por- tés, ni les découvertes qu'ils y ont faites ; une prudente vigilance vous fera triompher des périls que peut offrir cette navigation, et vous n'oubherez pas que, s'il-est intéressant de recueillir le plus grand nombre possible d'observations sur ces régions à peu près inconnues, la conservation des navires placés sous vos ordres est d’un bien plus haut intérêt et que la plus belle décou- verte ne vaut pas la vie d’un homme. Vous étendrez d’ailleurs vos recherches vers le pôle, autant que pourront le permettre les glaces polaires. Après avoir terminé vos opérations sur ce point, vous serez libre de renvoyer en France la corvette la Zélée, si vous le jugez utile, ou de la retenir pour vous seconder dans vos recherches ultérieures , ‘et remon- DU MINISTRE DE LA MARINE. IX tant au nord, vous irez traverser le détroit de Magellan dont vous ferez l'exploration. Vous visiterez ensuite l'ile Chiloë que fréquentent surtout nos navires baleiniers. Je suppose que vous pourrez être rendu sur les côtes de cette ile vers le mois de mars 1838. | Du 20 au 30 du même mois, l'expédition pourra atteindre Valparaiso, où il sera utile de faire une re- lâche, afin de remplacer l'eau des batiments, prendre du bois et des rafraïchissements, réparer les avaries qui auront pu être faites dans la navigation pénible des mers glaciales et du détroit de Magellan, et enfin de remettre l’Æstrolabe et la Zélée complétement en état de continuer leur voyage. De Valparaiso, vous dirigerez votre route vers le 23° degré de latitude, et prolongeant toute la bande des îles Ducie, Pitcairn, Gambier, Rapa, Rourontac, Mangia, Rarotonga, vous ferez en sorte d'arriver dans le courant du mois de mai à Vavao, où vous relà- cherez pendant dix jours environ. Ce point très-im- portant, surtout pour les baleiniers, est la meilleure station de toute cette partie de l'Océanie. Les premiers jours de juin pourront être employés à compléter sur les îles Viti le grand travail exécuté en 1827 dans le premier voyage de l’'Æstrolabe. L'expédition visitera ensuite, au nord des Nouvelles- Hébrides, les iles Banks dont on ne connaît encore à peu près que le nom ; vous passerez près de Vanikoro, sans y mouiller ; vous vous contenterez d'envoyer vos “ canots à terre, pour visiter le cénotaphe élevé à la 00 LETTRE mémoire de Lapérouse et de ses compagnons, et pour recueillir encore, s'il est possible, de nouveaux renser- gnements auprès des naturels. Vous atteindrez ensuite par Santa-Cruz où Niténdi, le groupe des îles Salomon, vous pourrez sans doute y arriver vers le mois de juillet, et vous en ferez la reconnaissance en visitant surtout avec soin la baïe des Indiens, où divers motifs vous font supposer que les Francais échappés au désastre de Vanikoro durent ter- miner leur carrière. Si l’état des bâtiments le permet, comme je l'espère, vous prendrez dans le mois de septembre la route du détroit de Torrès, vous visiterez la nouvelle colomie hollandaise fondée sur la rivière Dourga, les îles Arrou et Key, puis vous irez mouiller à Amboine. Dans le cas contraire, l'expédition se rendra à Am- boine, en passant par le nord de la Nouvelle-Guinée, et après avoir visité la baie Humboldt, découverte dans votre précédent voyage, mais où l4strolabe ne put alors mouiller. Une relâche de dix jours à Amboine vous suffira, sans doute, pour ravitailler et mettre en état les deux bâtiments. Vous arriverez ainsi aux derniers es du mois d'octobre. C'est alors que vous renverrez la Zélée en France, si d’après les circonstances, vous avez jugé convenable de la garder avec vous, après l'exploration des mers du pôle. | Vous proliterez du retour de ce bâtiment, pour ex- pédier les collections déjà faites, les résultats des tra- DU MINISTRE DE LA MARINE. XI vaux exécutés et pour faire rentrer en France les ma- lades de l'expédition. En novembre et décembre 1838, ainsi que dans le courant de janvier 1839, l’Æstrolabe, en contournant la Nouvelle-Hollande, pour rentrer dans l'Océan Paci- fique, visitera la nouvelle colonie fondée par les An- glais sur la rivière des Cygnes, passera à Hobart-Town, oùelle séjournera huit jours et se dirigera sur la Nou- velle-Zélande. | Vous consacrerez les mois de février et de mars aux travaux à exécuter sur cette grande terre, et vous ex- plorerez surtout avec soin les diverses parties du dé- troit de Cook re vous paraitront pouvoir offrir le plus de ressources à nos navires baleiniers. | En avril, vous conduirez l’Æstrolabe aux îles Cha- tam, sur lesquelles aucun renseignement nouveau n’a été donné depuis leur découverte par Brighton en 1791. Gouvernant ensuite au nord, vous visiterez en mai, juin et juillet, les îles Niouha, Mitchell, Peyster, Saint- Augustin, Gilbert, Marschall, et plusieurs des Carolines récemment reconnues par le capitaine Lütke, mais qu'il serait important de revoir sous les rapports phy- siques et ethnographiques, aussi bien que pour y mon- trer le pavillon francais. Vous atteindrez en août Mindanao, vous y séjour- nerez pendant quelques jours, et vous irez ensuite visi - ter plusieurs points de l’ile de Bornéo, tels que Ba- lambangan, Pontianak et Banyer-Massing. L’Astrolabe pourra arriver, dans le courant d’'oc- tobre, à Batavia, où elle devra ne faire qu'un très-cour!t XII - LETTRE séjour après lequel vous visiterez au moins en un point les côtes de Sumatra. | ù à Ce sera le terme de votre voyage ; le retour de l’ex- pédition. se fera comme à l'ordinaire par le cap de Bonne-Espérance, et vous ramènerez l'Æstrolabe à Toulon en évitant toute relâche qui ne serait motivée par aucun but d'utilité. En approuvant ce plan de campagne, le roi, mon- sieur, n’a pas seulement voulu vous donner l'occasion de compléter les importants travaux que vous avez déjà faits dans l'Océanie. Sa Majesté n’a pas eu en vue seulement les progrès de l'hydrographie et des sciences naturelles; sa royale sollicitude pour les intérêts du commerce francais et pour le développement des ex- péditions de nos armateurs, lui a fait envisager, sous un point de vue plus large, l'étendue de votre mission et les avantages qu’elle doit réaliser. si LL EE LS Vous visiterez un grand nombre de points pr est très-important d'étudier sous le rapport des ressour- ces qu'ils peuvent offrir à nos navires baleiniers. Vous aurez à recueillir tous les renseignements propres à les ouider dans leurs expéditions pour les rendre ss fructueuses. | Vous relàcherez dans des ports où déjà nôtre com merce entretient des relations et où le passage d’un bâtiment de l'Etat peut produire une salutaire in- fluence, dans d’autres où peut-être les produits de notre industrie trouveraient des débouchés ignorés jusqu'a ce jour, et sur lesquels vous pourrez, à votre retour, fournir de précieuses indications. DU MINISTRE DE LA MARINE. XIII Vous aurez probablement aussi l’occasion de rem- plr, sur plusieurs points de votre voyage, la mission de protection qui est le plus bel apanage des comman- dants des bâtiments du roi, et qui rend leur rencontre toujours avantageuse aux navires de notre commerce. Vous n'oublierez pas les obligations qui vous sont imposées sous ce rapport, et c'est ainsi que vous ré- pondrez complétement aux intentions du roi, et que vous justifierez la confiance que Sa Majesté a mise en VOUS. J'appelle toute votre attention sur cette partie de votre mission. Je n’ai rien à vous dire sur les devoirs généraux qui découlent de votre position, comme commandant d’une expédition; vous les connaissez et vous saurez les remplir, comme dans vos précédentes campagnes, avec toute la fermeté qu'exige la discipline militaire, mais en même temps avec tous les ménage- mens que réclame la nature de votre mission. Cette mission est dans vos goûts et de votre choix, vous avez tout ce qu'il faut pour la remplir dignement et la rendre féconde en bons résultats. Je me repose donc entièrement sur votre zèle et votre expérience, et je n'ai plus à vous exprimer qu'un : vœu : puissent vos efforts être couronnés par le succès et votre voyage s'accomplir heureusement ! Recevez, monsieur, l'assurance de ma considération distinguée. | Le vice-amiral, ministre de la marine et des colonies, Signé Rosamrz. L '40S MR Or }: DA FT. y pl il 14 if ‘ a F6 4 " CA d Ua RS RS % L PAR RE NA REC sosihiel à sn “AOL SOLE CON ARE she 4 DRE, dr Re à ol leges { 4 SPAS : > ga4 Ÿ | Î “aout ao 5x stuehett, 664 RM Ac ol À Le HP AGE ré J p { F F 4 RÉEL CEE tiques € fs ONE nan EPS se at OCÉ 4 6 ko: {4 } ; re. INERTTS Ur LAN «y ES L 19 OR GO: MMALAAONO TOURS arrol TR L Per de je NE CT DE 7 FAN PP 1 à (FEI ui 1 LEA UACE 2 RNB REN NE RSR Lty 3 99988 JU ; sales. MU af Lei LOU FFE coudétif 2 01 Pi PAT) Mribpeeoais ka: \ 46 eilius :4 cts MCE LR FR Te Le tra lof 2 Ye CMEERCE FARINE Fu A di, f PA Ter gue 4 = t ) LE Fe _ ï Et \ . t 0 IVe LA 2 WE NOTE DU DÉPOT GÉNÉRAL DE LA MARINE, OUR SERVIR À L'EXPÉDITION DE L'ASTROLABE ET DE LA ZÉLÉE. Lorsque M. d'Urville partira de Toulon, son but sera d’attemdre le plus promptement possible les hautes latitudes sud; on ne doit pas par conséquent lui de- mander de s'occuper sur sa route de recherches qui pourraient le retarder. On lui indiquera donc ici seu- lement quelques points où, sans se déranger de sa route directe, il pourrait diwiger ses bâtiments et faire déjà, même en passant, quelque chose pour l’hydrographie. La première relâche de l_4strolabe devant être à la Praya, nous signalerons à l’attention de M. d'Urville la recherche du danger nommé Bonetta-Rock. Cette vigie marquée sur les anciennes cartes, avait été cher- chée, mais en vain, en 1819, et son existence paraissait très-douteuse. Cependant, voici l'extrait d’une lettre du capitaine Vidal, rapportée dans le Nautcal maga- ane, février 1837, qui ne paraît pas laisser de doute sur l'existence de ce dangereux écueil : « À notre arrivée à la Praya, le consul américain xXy” NOTE « nous informa que le navire anglais Madeline, capi- « taine Hamilton, avait touché sur une roche, au « large de Bonavista, par 16° 19/ 4/ de latitude nord et. « 22° 49/ de longitude O. de Greenwich (24° 39/ « 247 O. de Paris) et s'était perdu. Il avait des chro- « nomètres à bord et allait à Sydney. Le livre de loch «et d’autres papiers furent sauvés. Le naufrage eut « lieu le 5 ou le 7 avril 1835. L'équipage gagna Porto- « Praya dans la chaloupe, deux ou trois jours après « l'accident. C’est l'écueil de Bonetta qui paraît être « beaucoup plus près de Bonavista qu'on ne le sup- « posait. » à en SJ La déclaration du capitaine porte que le 5 avril, à deux heures après-midi, par une brise modérée du N. E., le navire toucha sur un écueil mconnu, l'ile Bonavista restant sept à huit lieues à l’ouest, peu d'ins- tants après le navire coula. 24 Ainsi que l’observe le rédacteur du Nautical, la po- sition de ce danger est incertaine, et comme il se trouve sur la route des bâtiments qui vont à la Praya, il serait nécessaire de le déterminer. M. d’Urville ren- drait donc déjà un grand service à la navigation, dès le début de sa campagne, si sans se déranger de sa route, il pouvait prendre connaissance de ce danger et en déterminer la position exacte. L'avantage qu'il a d’avoir deux bâtiments sous ses ordres lui permet d'em- brasser une certaine étendue de mer et rend ainsi cette recherche plus facile. Après avoir touché à la Praya, M. d’Urville traversera probablement l'équateur entre 16° et 25° 0’. Or, dans DU DEPOT DE LA MARINE. XYII cet intervalle et un peu au sud de la ligne, plusieurs bâtiments ont dit avoir touché, savoir : En 1747, le Prince ressentit deux chocs, par 1° 35/S. et 20° 10/ O. En 1754, la Silhouette , par 0° 20/$. et 23° 16/ O. En 1758, le Fidèle, par 0° 20/5. et 20° 20" O. En 1761, le Vaillant, capitaine Bouvet , vit une île de sable par 0° 23° S. et 21° 30/ O. En 1816, le Triton vit un banc … sur lequel il trouva 23 bras- | ses, par 0° 32/S. et 20° 6’ O. 7 j En 1831, l’A4igle ressentit un choc, comme sil eüt passé sur un rocher, par 0° 22’ S. et 23° 27 0. En 1835, la Couronne res- sentit comme si le navire eût frotté contre un récif de corail, par 0" 97 S. et 29.40! O. Enfin en 1806, M. de Krusen- __sternapercut une colonne de LT 2 _ fumée qu'il crut pouvoir at- tribuer à une éruption vol- canique, par 2° 43! S. et 22° 55/ O. On doit donc engager M. d'Urville à veiller attenti- vement en passant dans ces parages, et si le temps le permettait, à y faire sonder. Comme on a proposé plu- sieurs fois de reconnaitre l'approche des bancs et des terres, par des observations de la température de la L. 6 xyini NOTE mer, il serait important de faire un fréquent usage du thermomètre plongeur. Enfin, comme le capitaine Bouvet dit avoir vu une île, M. d'Urville pourrait diri- ser sa route de manière à confirmer l'existence de cette ile ou à prouver qu'elle n'existe pas, du moins à présent ; car si les secousses ressenties dans ces envi- rons sont dues à des éruptions volcaniques, 1l serait très-possible que cette île eût été vue en effet en 1761 et eût disparu ensuite. Après avoir traversé l'Océan Atlantique méridional, M. d'Urville doit chercher à s'approcher autant que possible du pôle sud, en suivant les traces du capitaint e. Weddell; il passera, soit entre la terre de Sandwich et Hinouvelleéoies soit entre cette dernière île et les Malouines. S'il prenait ce dernier passage, 1l pourrait encore examiner ce que nous devons décidément croire relativement aux iles Aurore que Weddell a vainement cherchées dans la position que leur avait assignée Ma- lespina, et que cependant le navigateur américain Fan- ning dit avoir vues et élève au nombre de trois dont celle du centre se trouve par 52° 58'S. et 50° 11/ O0. de Paris. Weddell pense que Malespina aura peut-être vu les rochers nommés Shag’s-Rocks, qui se trouvent par 53° 48'S. et 45° 45’ O. et que l’on représente aussi au nombre de trois. Weddell lui-même n’a pas pu voir ces rochers ; peut-être en effet ont-ils été pris pour les îles Aurore. 1l serait donc intéressant de courir dans lin- tervalle qui “om e les Malouines de la Nouvellé-Géor- cie, de manière à voir les îles Aurore ou té Rocks, ou enfin les uns et les autres, afin dete DU DÉPOT DE LA MARINE: xIX si on doit enfin effacer de nos cartes les îles Aurore, qui sont un obstacle à la navigation, comme le capi- taine Weddell l’'observe fort bien, car il cite à ce sujet l'exemple d’un capitaine, dont le passage autour du cap Horn avait été de beaucoup retardé par la nécessité où il s'état cru être de mettre en panne, durant la nuit, à raison de la proximité de ces îles. Arrivé dans la mer Glaciale antarctique, nous n’a- vons rien à indiquer en particulier à M. d'Urville. I s'agira alors de constater si réellement il existerait constamment en dedans d’une ceinture de glaces, for- mée le long des iles qui sont entre 60° et 70° de lat- tude, un espace de mer libre dans lequel Weddell a pu naviguer sans obstacle, jusqu'à 74° 15’, et sans être arrêté par les glaces, et où Morrell qui n’a été, il est vrai, que jusqu'à 70°, pense qu'il aurait pu aller jusqu’à 85°. On n'’ajoute pas une confiance entière au dire de Morrell, mais tout le monde regarde la véracité du récit de Weddell comme hors de tout soupcon. Serait-ce seulement une année exceptionnelle où le mouvement des glaces aurait laissé un vaste intervalle libre, ou doit-or s'attendre à trouver toujours le même fait à la même époque : tel est ce qu'il s'agirait de constater. Nous ne pouvons ici que montrer le point à résoudre. Nous ajouterons toutefois que le capitaine Foster, qui en 1829, a fait des expériences de pendule sur l'ile Dé- ception , la plus sud des Nouvelles-Shetland, et qui y séjourna depuis le 10 janvier jusqu’au 6 mars !, n’a- * M, Foster laissa sur cette île un thermomètre de Six , Mar xx : NOTE percut pas de glaces à cette dernière époque en quit= tant cette île, et ce ne fut que quelques jours 7. et plus au nord qu'il en rencontra. L’'académie des sciences s'étant chargée, sur linvi- tation du ministre, de rédiger des instructions pour l_4strolabe, il serait mutile de rapporter ici tout ce’ que né la physique Fo du globe, à l'état et au mouve- ment des glaces, à la température et à la densité de M. d'Urville sera dans le cas d'observer relativement l'eau, etc. Nous nous permettrons seulement de dire que nous regardons comme important de dessiner avec exactitude les glaces qui seront rencontrées, soit isolées, soit en masse ; de tâcher d’en obtenir la hau- teur et l'étendue avec exactitude, car on est souvent sujet à des illusions très-grandes. Ainsi l’on trouve, dans un des voyages de Parry au Nord, la remarque suivante : « Nous eûmes souvent l’occasion de remar- « quer les illusions qui ont lieu dans l'estime et dans « la distance des objets, quand on les voit par-dessus « une surface de neïge. Il n’était pas rare que nous « dirigeassions nos pas vers Ce que nous croyions être «une grosse masse de pierre située à un demi-mille « de distance, et après une minute de chemin nous « trouvions que cet objet pouvait tenir dans la main‘. » La quantité dont les glaces plongent dans la mer quant le maximum etle minimum de température, afin que si un autre navigateur le trouvait plus tard , en pñt avoir les deux ex- trêmes de la température. PPOStET, LL", pe 141. DU DÉPOT DE LA MARINE. nn devrait aussi, s'il était possible, être examinée. On à dit souvent que la 7° partie seulement était visible au- dessus de la surface de la mer, tandis que ? se trou- vaient plongés au-dessous. Cette conclusion a été tirée d'expériences faites sur des cubes de glace, et cette hypothèse donnerait aux montagnes de glace des di- mensions dont l'imagination s’effraie ; mais le docteur Webster qui accompagnait le capitaine Foster, dont il a été parlé plus haut et qui a publié le récit de cette expédition, dit (tome I”, page 142) : « Ayant fait moi- « même quelques expériences de ce genre, j'ai déduit « aussi d’un cube de glace que la septième partie seu- « lement restait émergée ; mais ayant ensuite placé un « cône de glace sur un cube, je trouvai que le cube « flottait aisément et soutenait la petite pyramide «.dont la hauteur était plus que double de la position « immergée du cube. J'ai aussi fait flotter différentes « masses irrégulières et j'ai trouvé que la hauteur de « la partie au-dessous de l’eau variait beaucoup. « Quelquefois elle était moindre que la hauteur de la « partie supérieure, d’autres fois double et dans toutes « sortes de perspectives. » | Nous ferons aussi observer à M. d'Urville qu'il se pourrait que la terre de Graham se joignit avec la terre d'Alexandre 1”, découverte par Bellingshausen, et même à celle de Pierre I”. On trouve en effet dans le dernier supplément que M. de Krusenstern a donné à ses mémoires sur l'Océan Pacifique, le paragraphe sui- vant : … « Ilest très-probableque cette terre (d'Alexandrel*") AXE NOTE « est jointe à la terre de Graham, découverte par Bis- «coe. Si cette dernière, dont la partie méridionale « n’est éloignée de la terre d'Alexandre 1 que de 100 « milles, et est jointe dans le N. E. avec la terre de « Palmer, qui fait partie des îles de Shetlands, joint «_en effet la terre d'Alexandre, il s'ensuivrait que cette « terre aurait une étendue de 250 lieues et mériterait « bien d’être nommée Continent Austral. Il est même «à présumer que a terre d'Alexandre joint aussi la « terre de Pierre I”, le capitaine Bellingshausen, dans « son trajet de cette dernière à celle d'Alexandre, qu'il « découvrit plus tard, ayant eu des signes de terre et « même apercu un changement dans la couleur de « l'eau. » Ç C’est un point dont il serait intéressant de s'assurer si M. d'Urville se trouvait au N. de ces terres, et dont il est bon qu'il soit averti, s'il pouvait pénétrer où a été le capitaine Weddell, afin de ne pas chercher un pas- sage pour retourner au nord par un point où il trou- verait peut-être un obstacle. Quelque peu probable que paraisse être l'existence de l'ile que le capitaine Lundenbourg prétend avoir reconnue en janvier 1836, par 8° 21/ S. et 82° 42/ O. , et qui se trouve sur une route où beaucoup de bâtiments ont passé , on doit cependant engager M. d'Urville à diriger sa route de manière à constater d’une manière certaine, si on doit reconnaître dans cette découverte leffet d’une illu- sion , qui aura fait prendre une masse de glace pour une île. | L’Astrolabe , à sa sortie des glaces, se rendra à Val= DU DÉPOT DE LA MARINE. xt paraiso. On ne croit pas devoir indiquer à M. d'Urville aucun sujet de recherche spéciale dans ce trajet. La côte de Chiloë ayant été explorée par le capitame Fitzroy, et sachant de plus qu'un batiment français est envoyé en ce moment à l'archipel de Chiloë, pour re- connaître cette partie de côte fréquentée aujourd’hui par nos baleiniers. Sans doute, M. d'Urville séjournera assez de temps à Valparaiso pour nous donner un plan exact de cette baie, qui d’ailleurs ne paraît présenter aucun danger. Ce séjour est encore nécessaire pour s'assurer si la marche des chronomètres n’a pas subi des altérations par l'effet du froid que ces instruments auront dû éprouver dans les hautes latitudes. Nous ne saurions trop recommander à M. d'Urville de tacher d'établir les chronomètres à bord, dans un lieu où l’on puisse facilement entretenir une température à peu près uniforme. M. Fitzroy, dans un mémoire in- séré dans le Journal de la société de géographie de Londres, dit qu'il s'est très-bien trouvé de les avoir: placés dans un lit de son bien sec qui amortissait déjà un peu l'effet des secousses. | Si M. d'Urville ; en partant de Valparaiso , revenait au nord , jusque par 27° 4o/, il pourrait visiter la baie Francaise, découverte récemment par le capitaine Langlois , et nous donner le plan de cette position qui parait intéressante pour nos pêcheurs. De là ; se lancant dans le grand Océan , il visiterait les îles de Juan-Fernandez et de Mas-a-Fuera. S'il pouvait s’arré- ter quelques jours dans la première de ces îles, nous lui recommanderions de constater aussi exactement XXIV NOTE que possible l'effet du tremblement de terre arrivé en: 1831. Il paraît que toute la côte d'Amérique est:su- jette à des changements de niveau, par suite des vio-. lentes secousses auxquelles elle est soumise de temps en temps. Jusqu'à ce moment on n’a eu, pour consta- ter ces changements, que des données très-imparfaites : il serait done important que, partout où M. d'Urville séjournera sur cette côte, il pût établir, d’une manière positive, la hauteur de quelques points bien reconnais- sables , comme des rochers dont la position serait dé terminée au-dessus du niveau moyen de la mer, niveau qu'on obtiendra toujours d’une manière assez rappro— chée en observant les hauteurs de deux pleines mers consécutives et de la basse mer intermédiaire, ou ré— ciproquement celle de deux basses mers consécutives et de la pleine mer intermédiaire. Nous n’entreprendrons pas de suivre ici M. d'Urville dans sa route au milieu de la mer du Sud, pour lu indiquer ee qu'il y aurait plus particulièrement à faire: L'étude spéciale qu'il à faite de cette partie nousper- suade qu'il connaît aussi bien que personne les points qui ont besoin d’être visités ; et les cartes qu'il emporte, où sont tracées les routes des différents navigateurs, * indiquent assez quelles sont les îles qu'il serait utile d'approcher pour en constater l’existenee, ou pour-en lier la position avec les îles environnantes ; beaucoup de travaux restent encore à faire, avant que nous puis- sions espérer connaître exactement ce quia si juste- ment été nommé la Polynésie, et malgré les travaux précédents, les navigateurs futurs trouveront encore DU DÉPOT DE LA MARINE. xxY longtemps des positions à rectifier, et de nouveaux points à déterminer. Nous nous contenterons donc de lui faire observer que c'est particulièrement par une liaison bien établie entre les divers points qu'il recon- naîtra , qu'il rendra surtout son travail précieux. Le nombre de chronomètres qu'il a lui permettra d'ob- temir les différences de longitude avec beaucoup de précision ; mais nous lui recommandons de ne jamais laisser écouler un intervalle trop long, sans régler leurs marches par des observations à terre. Cinq jours suffisent pour cela, mais sont nécessaires, et même on ne devra pas se contenter de l’observer à l’arrivée et au départ , mais bien toutes les fois que cela sera pos- sible pendant cet intervalle, soit le matin, soit le soir. On a des moyens faciles pour employer toutes ces ob- servations à la détermination exacte de l’état au chro- nomètre sur le sens moyen du lieu et de sa marche pendant l'intervalle. Nous ferons aussi remarquer à M. d'Urville que c’est aujourd'hui une opinion généralement adoptée que de nouvelles îles surgissent du fond de la mer par l'effet du travail des polypiers. Cette hypothèse qui paraît avoir d’ailleurs beaucoup de probabilité, a donné lieu, même dernièrement, à l'annonce exagérée de nouvelles terres, s’élevant rapidement du fond des eaux et de- vant bientôt donner un aspect tout différent au vaste Océan Pacifique. Mais là, comme dans ce que nous avons remarqué sur la côte d'Amérique, on manque de documents authentiques. Nous trouvons bien, il est vrai, dans le supplément de M. de Krusenstern (p.94), XXI | NOTE la mention d’une petite île qu'il suppose avoir été en 1803 un écueil sous l’eau. Cet habile navigateur cite encore l’île d'Osnabrugh, découverte, en 1769 ; par Carteret , sur laquelle, en 1792, le navire Mathilde vint s'échouer et où, en 1827, le capitaine Beechey trouva encore des débris qu'il croit avoir appartenu à ce bâtiment. Cette ile, indiquée par Carteret comme une petite île très-basse , avait, en 1827, 14 milles de longueur. La place où Beechey trouva les Abris dela aseilte ne pouvait pas être le lieu de l'échouage , à moins de supposer un rehaussement du fond; et il préfère croire que ces débris auront pu être transportés en cet endroit par l'effet des vagues. Sans doute , lorsque de nombreuses années se seront écoulées, l'inspection seule des lieux ou leur description suffira pour cons- tater ces changements. Mais on peut encore avancer de beaucoup l’époque à laquelle on résoudra défini- tivement ces questions, en donnant aux observa- tions actuelles une plus grande précision; surtout sous le rapport des hauteurs qui n’ont jusqu'ici été indiquées que pour ainsi dire à vue. Il y aurait par conséquent de l'intérêt à établir d’une manière certaine quelques points qui puissent par la suite fournir des comparaisons authentiques de nivellemment. Nous pen- sons donc que M. d'Urville rendrait un véritable service à la science en donnant avec toute la précision possi- ble, le plan de quelques localités qui n’ont pas même besoin d'être fort étendues, mais qui comprennent des rochers à fleur d'eau et d'autres à assez petite profon- DU DÉPOT DE LA MARINE. xxvit deur au-dessous de la surface de la mer, pour que leur abaissement au-dessous du niveau moyen püt être obtenu avec beaucoup d’exactitude, et enfin que les côtes environnantes fussent aussi comparées au même niveau moyen. + Nous citerions ensemble, comme pouvant être très- utile pour ce genre de recherche, la reconnaissance de quelques-uns de ces écueils signalés par des navi- sateurs modernes, comme l’écueil Lancaster, situé par 27° 2/ S. et 148° 47! O., les écueils Beveridge et Nicholson , si toutefois ces reconnaissances pouvaient s'effectuer sans compromettre la sûreté des bâtiments. De cette manière, des différences qui, sans cela, pour- raient être attribuées à des inexactitudes de levée, se- raient rendues sensibles et constatées authentique- “ment. 1 C'est principalement dans la partie nommée la mer de Coral , située au sud du détroit de Torrès, que ce mouvement se fait observer avec le plus de dévelop- pement. Nous engageons donc M. d'Urville à y porter toute son attention lorsqu'il entreprendra la recon- naissance de ce détroit. Cette opération, d’ailleurs très-délicate, demande à être suivie avec une grande prudence. M. d'Urville examinera s'il ne serait pas plus avantageux de faire cette reconnaissance de l’ouest à l’est, en prenant pour époque la fin de la mousson du N. O., afin que, dans le cas d’un événe- ment, la mousson du $S. E. commencant, lui per- mit de revenir sur ses pas pour regagner un lieu de refuge. Dans le cas où cette marche, qui lui a paru XXYEI NOTE présenter des avantages lorsqu'elle lui fut indiquée.au mois de mai dernier, serait adoptée, ilaurait à changer un peu son itinéraire et à suivre d’abord la côte E: de la Nouvelle-Guinée qu'il a déjà visitée en 1827, et dont il compléterait la reconnaissance pour venir-ensuite-a Amboine, en passant par un des détroits qui séparent la Nouvelle-Guinée de l'ile Célèbes. D'Entrecasteaux,a passé par le détroit de Pitt, entre lesiles Batantaeet Sal- vatty. M. de Freycinet, M. Duperrey et M. d'Urville lui même, dans le premier voyage de l{strolabe, pas- sèrent au nord de l'ile Waygiou. M. d'Urville pourrait cette fois passer au sud de cetteile par le détroit de Dampier. Il lierait ainsi les travaux de ces prédéces- seurs et nous donnerait les moyens de connaitre bien ces passages sur lesquels plusieurs capitaines ont si- gnalé des erreurs dans les cartes d'Horsburgh. Ainsi, il paraît qu’à l’est des deux îles marquées par 0! 47° S. et 13° 5’ E. de Greenwich, il y en a une troisième, plus petite , qui n’est pas marquée. La latitude des:îles basses (Low Islands) paraît aussi douteuse. Le capi- taine Desse, qui a fait des remarques, dit dans son rapport : « J'ai cru aussi remarquer dans la partie de « l'archipel d'Asie, comprise depuis la grande île:Cé- « lèbes jusqu’au dehors du détroit de Dampier, ensui- «_ vant le grand passage de Pitt, que plusieurs positions « sont très-inexactement déterminées, et: je. eroïs « qu'un petit navire de l’état, bien commandé, pour— « rait rendre de grands services à l’hydrographie «de « ces parages, que le commerce francais commence La « beaucoup à fréquenter. » DU DÉPOT DE LA MARINE. xxx Partant ensuite d’Amboine pour se rendre au dé- troit de Bass, M. d'Urville trouvera le moyen de rec- tifier beaucoup de positions douteuses parmi les îles de Banda, Key, Arrow, etc., en se dirigeant vers la rivière Dourga qu'il a intention de visiter. Nous ne le suivrons pas dans son exploration de la côte O. de la Nouvelle-Guinée et du détroit de Torrès. Mais si M. d'Urville devait, après avoir exploré ce dé— troit, revenir à la côte O. de la Nouvelle-Hollande pour visiter la rivière des Cygnes, nous l’engagerions à exa- miner cette suite de hauts-fonds qui se trouvent entre Timor et la Nouvelle-Hollande. Il serait intéressant de savoir si, dans tout cet espace, on peut toujours atteindre le fond, et quelle est la plus grande profon- deur que l’on trouverait. Un jour viendra sans doute où l’on pourra obtenir la profondeur de la mer, quel- que grande qu'elle soit. C'est aux navigateurs qui cherchent à faire avancer les sciences, à tàcher d’ar- river à ce résultat. En suivant l'itinéraire de M. d'Urville, nous voyons qu'il doit se rendre de la rivière des Cygnes à Hobart- Town. S'il poussait un peu au sud, jusque par 50° en- viron de latitude, il pourrait s'assurer de l'existence de l’île de la Compagnie Royale, qui paraît très-dou- _teuse et en déterminer la position. D'Hobart-Town l’Æ4strolabe se rendra à la Nou- velle-Zélande, dont M. d'Urville a déjà reconnu une parüe. Il complétera ainsi la reconnaissance de ces deux grandes îles, où la civilisation tente de s'intro- duire. I doit aussi visiter les îles Chatam. Nous lui fe- XXX "4 NOTE pe: Mama s0 sl + des observations magnétiques et physiques, faites à l'extrémité S: de la Nouvelle Zélande, ou même, s'il était possible, sur les îles: en- core plus au sud, présenteraient de l'intérêt, comme étant faites sur le point le plus au sud de cette partie du globe. Les études que M. d'Urville a faites de toute la mer du Sud, ne nous laissent rien à [ui indiquer dans la route qu'il doit parcourir en traversant encore ‘une fois, du sud au nord, le vaste amas d’iles qui peuplent cette mer. Nous lui rappellerons uniquement ce. que nous avons dit précédemment relativement à ces.îles qui semblent sortir du sein des eaux et aux écueils qui semblent en être les prédécesseurs, et de plus à la nécessité, pour bien établir son niveau chronomé- trique, de s'arrêter de temps en temps pour régler ses montres. Rentré dans l'archipel bédiées par l’un des passages qui se trouvent au sud de Mindanao, M. d'Urville trou- vera dans l'ouvrage d'Horsburgh un excellent guide. Mais tout utile que soit cet ouvrage, il ÿ a encore bien des choses à faire, avant que d’avoir une carte exactede cet immense archipel. Les données certaines que l’on possède sont en bien petit nombre. Aussi l4strolabe trouvera-t-elle dans sa traversée de l'archipel des iles” Sooloo, de la mer de Sooloo, et surtout sur les côtes de Bornéo, une occasion de faire une ample moisson de travaux importants. Nous engageons M. d'Urville à s'y livrer avec tout le soin que comportent-ces con: naissances, et surtout à se bien persuader que .c'est DU DÉPOT DE LA MARINE. XxxI moins encore l'étendue du travail que son exactitude qui-en fait le mérite, et que dans les parties qu'il doit parcourir il peut à la fois réunir lun et l’autre *. | Après avoir parcouru les côtes de Bornéo, l'Æstro- labe viendra à Batavia. Nous engageons M. d'Urville, sinon à lever un plan de cette baie, ce qui ne lui serait peut-être pas permis, au moins à prendre le plus de relèvements qu'il pourra, et s'il était possible à terre avec le théodolithe, afin de nous donner les moyens de rectifier les plans que nous avons. Une suite de bons relèvements pris dans le détroit de la Sonde serait aussi très-utile, surtout si on pouvait avoir quelques stations a terre. | M. d'Urville compte, en sortant de Batavia, remon- ter la côte O. de Sumatra. Cette côte, hérissée de dan- gers, est en effet très-peu connue. Horsburgh annonce lui-même que la carte qu'il en donne en 1832, n’est qu'une approximation, et nous ferons remarquer en passant que, sur la carte générale, qui comprend de- puis les bouches du Gange jusqu'à la mer de Java et jusqu'au golfe de Tonkin, cette côte ouest de Sumatra n'est pas semblable à ce que présente la carte particu- bière de 1832; quoiqu'on trouve au bas de la carte gé- nérale, corrigée en 1833. Il y a , entre Sumatra et la chaine d’iles qui la prolonge à l’ouest, un grand nom- * Nous signalerons à son attention un banc de 6 brasses, indi- qué récemment au nord des îles Sooloo, par 6° 44 de latitude N. ét 121° 10 de longitude E. de Greenwich ; ainsi qu’un autre sur lequel on n’a trouvé que 7 brasses et qui reste, dans le détroit de Carmmata, par 9° 56 N. ct 111° 47° E. de Greenwich. XxxIT NOTE bre de rochers de corail qui s'élèvent subitement pres- qu'à fleur d’eau et dont il faut bien-se défier. La partie N. de cette côte, depuis les îles Baniack jusqu'à Ana- laboo, a été explorée en 1832 par le capitaine améri- cain Endicott, qui a donné aussi des instructions pour naviguer dans cette partie. Le dépôt de la marime a fait copier la carte et les instructions et M. d'Urville en sera pourvu. En quittant la côte de Sumatra, l'A sénold sé ren- dra à Bourbon pour effectuer enfin son retour en France par le cap de Bonne-Espérance. Les îleset les bancs de la mer des Indes peuvent encore fournir l'oc- casion de quelques observations utiles qui rectifieraient nos données sur les positions de ces bancs! Nous engageons M. d'Urville à faire des observations de courants sur le banc des Aiguilles et dans ses envi- rons, ainsi, au reste, que dans tout le cours de son voyage. Plusieurs navigateurs jettent de temps à autre des bouteilles bien bouchées à la mer, en y renfermant un billet indiquant le lieu et le jour où ces bouteilles ont été jetées. Dans le lieu où on les retrouve, si c'est un pays civilisé, on annonce ordinairement ce fait par des gazettes, ce qui fournit les moyens de connaître le mouvement des eaux au moins à la surface. M. d'Ur- ville fera bien d'employer ce moyen, au moins dans la * Nous signalerons à l'attention de M. d'Urville un banc nommé Outer Shoal. Le capitaine Blackisson, commandant l’Anna-Maria, dit avoir passé dessus le 15 janvier 1830, par 33°43’ S.et 36° 30’E. de Greenwich. H estime qu'il peut y avoir 1 a brasses d’eau dessus. DU DÉPOT DE LA MARINE. XXI partie de son voyage où il pourra espérer que ce ne sera pas en pure perte. Mais comme on a objecté que le vent doit agir beaucoup sur ces corps flottants, il serait bon de charger un peu la bouteille, afin qu’elle füt presque entièrement plongée dans l’eau, ou même on pourrait attacher la bouteille à un morceau de liége, par le moyen d’une ligne de 2 à 3 pieds, et la charger de manière à ce qu'elle tendit la corde sans faire en- foncer le liége. Nous engageons M. d'Urville à essayer de ces divers moyens, même peu après son départ, afin qu'on puisse juger du résultat qu'ils donneraient. Au-delà du cap de Bonne-Espérance nous n'avons rien à recommander à M. d'Urville, qui n'ait été dit précédemment , et nous espérons que dans trois ans, nous le verrons revenir en France avec une ample ré- colte d'observations dont les sciences géographiques et physiques s’enrichiront. Paris, le 25 août 1837. ARE 7 ne Ci | lag SIR 35 Sp: Leo 9Up srsdido 440 srint0S aa & ù fs Sat qu rat ‘ëc rot Et 10 EL HE gré sl ACT DLL sl istrot sf ‘in mir pour DHL NT à re achats sotelef decsetos DUDCE salalrirantéux tro é SEE shrocE àl = it os 7 | D k rodage al ts éhrecs & sb gi Balise }- atrsé (tea LR dits e sd Bb Ha ESA: GET | ; ; De te Ets rose eh eh à HOT É bit midi ob dés 5 5 in PR (HN TT ,HiuecEN'E M $ sobre 25 280 sb ana dt PESTE M anis gs 0" olqrrs gr rtlas teens * F ls t Pa 2 NA L Ru ï : Lo , = x dt 2 à ; LE Le! RULE ; » ‘ : "+ à AE LEA no 2% à j 4 Ve Ê * A 7 fr à @ » ui LA L _ ù 5 - 2 = e Ni 3 A J e LA < AE es > ï E n . \ k « =. L] : Fr)... "AS J (4 : Pi PA À A % Va de L _ * # e r > A : DRE PER EE me Te < j 4 r : Se A A H $ . Ce #4 4 - F, LV . : PA NC ; LH x te j A D 0 3 AE Fi VF Us ., a 4, . Lg s É ; * 7 ne MEACUORT \ | ÉTAT | DES OFFICIERS ET MARINS EMBARQUÉS SUR LES CORVETTES L’ASTROLABE ET LA ZÉLÉE PENDANT LE COURS DE LA CAMPAGNE: En donnant 77 extenso l'état nominatif de toutes les personnes qui ont fait partie des équipages des deux corvettes, je suis, pour la seconde fois, l'exemple donné dans les relations des voyages exécutés par Lapérouse et d’Entrecasteaux. Plusieurs autres ont donné seulement les noms des persotines de l'état- major. Mais n'est-il pas de toute justice de consigner, à la mémoire de nos neveux, au moins les noms des braves marins qui ont partagé les dangers, les fatigues et les privations inséparables de ces vastes entreprises ; sans le concours de ces hommes patients et dévoués , malgré la plus noble audace, malgré l’ex- périence la plus consommée, le commandant verrait bientôt ses efforts paralysés. Sans doute, le comman- dant doit être la tête dirigeant toutes Les opérations, les officiers ses bras ; mais les matelots sont ses jambes, et sans elles, tout mouvement lui serait interdit. Au reste, quand cela ne serait pas de la plus exacte vérité, la conduite des matelots de l’Zstrolabe et de la Zélée a été si louable, elle a si bien répondu à mon attente, qu'a ce titre seul, elle mériterait de ma part cette légère marque de ma gratitude. XXXYI | NOMS rr PRÉNOMS. ee 4 Dumont D'URVILLE Sébastien-César ). IDE Roqueuaurez (Louis- François - Gaston - Marie - Auguste). BARLATIER DeEwas (François- Edmond-Eugène). Durocu (Joseph-Antoine). MarescoT DurTniLLEUL (Jac- ques-Marie-Eugène ). Gournin (Jean-Marie). Courvenr Despois ( Auguste- Elie-Aimé). Vincennon Duuouzin (Clé- ment-Adrien). Ducorrs (Louis-Jacques). Howgrow (Jacques-Bernard). Dumourier ( Pierre - Marie- Alexandre). LE Maisrre Durarc (Louis- Emmanuel). Gervarze (Charles-F rançois- Eugène). Laron» (Pierre-Antoine). Boyer (Joseph-Emmanuel- Prosper). Le Breron (Louis). Deseraz (César). : Ë ( Jules- Lieutenant de vaisseau, Lieutenant de vaisseau. _ [22 novemb. 1810. Enseigne de vaisseau. Idem. 8 juillet 1816. Idem. Idem. 9 mai 1815. Chirurgien detroisièmeclasse.| 15 PA 1818. - [Secrétaire du commandant. ÉQUIPAGE DATE GRADES: DE LA NAISSANCE. ÉTAT—MAJOR. Capitaine de vaisseau de pre-| 23 mai 1790. miére classe. se-|20 septemb. 1804.| cond. sa 5 mars 1812. Idem. 99 octobre 1810. | Idem. Idem. 8 mai 1814. Ingénieur hydrographe de 17 mars 1811. troisième classe. Commis de marine de troi-| 12 février 1811. sième classe. Chirurgien-major de deu- xième classe. Préparateur d'anatomie. —|21 novemb. 1797. Phrénologiste. 44 avril 1800. Elève de première classe. 98 août 1816. DE L'ASTROLABE. sxxvit LIEU L 6 ségée <à ; OBSERVATIONS DE LA NAISSANCE + 68 à 4 Condé-sur-Noireau ( Calva-|Contre-amiral, 31 décembre 1840. dos). Toulouse (Haute-Garonne ). [Capitaine de corvette, 20 décembre 1840. Dunkerque (Nord). Décoré, 25 janvier 1841. Bastia (Corse). Lieutenant de vaisseau , 20 août 1839. Boulogne-sur-Mer ( Pas-de-|Décédé à bord, 23 novembre 1839. Calais). Port-Louis (Morbihan). Décédé à bord, S décembre 1839. vaisseau, 20 décembre 1840. Chatte (Isère). Décoré, 25 janvier 1841. 00 ——_—_— 0 . : ‘ Maintenon (Eure-et-Loire). [Commis de deuxième classe, 26 décembre 1838. Commis de première classe, 2 septembre 1840. Décoré, 25 janvier 1841. Paris (Seine). Chirurgien de première classe, 11 octobre 1838. Décoré, 25 janvier 1841. Paris (Id.). Décoré, 25 janvier 1841. Rouen (Seine-Inférieure). |Débarqué à Rio-Janeiro, 13 novembre 1837, pour cause de maladie. Dinan (Côtes-du-Nord ). Enseigne de vaisseau, 20 août 1839. Enseigne de vaisseau , 20 août 1839. Débarqué à Samarang , 25 septembre 1839 , pour cause, de maladie. Avignon (Vaucluse ). Enseigne de vaisseau, 20 août 1839. Embar- qué, 28 décembre 1839. Débarqué , 29 avril 1840. Douarnenez (Finistere ). Décoré, 25 janvier 1841. Smyrne. Ecrivain de la marine, 7 décembre 1840. Dunkerque (Nord). Embarqué le 13 décembre 1839. Lieutenant de | XSXFHI _ ÉQUIPAGE NOMS sr PRÉNOMS. GRADES. F __ [DE LA NAISSANCE. | | ÉQUIPAGE. Simon ( Félix-Balthazar). Maître de manœuvre de pre-| 6 janvier 1788. mière classe. PLAGNE (Paul). re canonnier de deuxième| 23 mai 1794. classe. DawreL ( Honoré-Isidore). |Maitre charpentier de pre-| 3 avril 1789. sk mière classe. Kosmanx (Charles-Heuri). |Deuxième chef de timonnerie|10 septemb. 1808. i de première classe. Loxe (Pierre-Sébastien) Deuxième maître de manœu-| 6 mars 1809. vre de première classe. Roucier ( Jacques). Deuxième maître voilier de| G janvier 1812. première classe. Aupe (Antoine-Henri). Deuxième maître calfat de! 2 juillet 1807. deuxième classe. Bourm (Michel-Antoine)., |Quartier-maître charpentier ;| 25 juillet 1811. deuxième classe. Roux (Jean-Baptiste). Quartier - maître canonnier,| 8 mars 1795. première classe. Pinaup (Pierre). . Quartier-maître de manœu-| 28 mai 1807. vre de première classe. Samar (Jean-Paulin). Quartier - maître calfat de| 23 juin 4808. * deuxième classe. Douizcrer (Victor-Pierre- |Quartier-maître de manœu-| 31 janvier 1804. | Joseph ). vre de première classe. Garnier ( Pierre). Matelot de première classe. | 22 janvier 1800. | Surin (Pierre). Idem. 14 octobre 1808. Marin (François-Joseph). Idem. 8 mars 1808. Azpert (Etienne-Victor). |Quartier-maître canonnier de! 10 mai 1810. deuxième classe. Tauzier (Jean). Matelot de première classe. ‘| 418 août 1805. DE L'ASTROLABE. XXXIX a ——_—_——_—_—_——_—_—aa LIEU OBSERVATIONS. DE LA NAISSANCE. Saint-Tropez (Var). Décédé à Hobart-Town, 23 décembre 1839. Toulon (Var). La Seyne (Var). Burbac (Westphalie). Maître canonnier de première classe, 1 sep- tembre 1837. Décoré, 25 janvier 1841. Chef de timonnerie, deuxième classe, 4 sep- septembre 1837. Chef de timonnerie, première classe , 4 janvier 1839. Enseigne de vaisseau, février 1841. Maître de manœuvre, deuxième classe, 1 jan- | vier 484. Maître voilier, deuxième classe, 4 septembre _ 4837. Maître voilier, première classe, 1 janvier | 4839. - [Deuxième maître calfat, première classe, 1 septemb. 1837. Maître calfat, deuxième clas. Æ novembre 1840. Quartier-maître charpentier, première classe, 1 novembre 1837. Deuxième maître charpen- tier, deuxième classe, 4 janvier 1840. Décédé à bord, 5 novembre 1839. Le Bausset (Var). Toulon (Var). | Toulon (Idem). Toulon (Id.). L Toulon (Id.). Charleville (Charente-Infér.). Deuxième maître de manœuvre, deuxième classe, 4 septembre 1837. Deuxième maître de ma- nœuvre, première classe, 4 janvier 1840. Quartier-maître calfat, première classe, 4 sep- temb. 4837. Deuxième maître calfat, deuxième classe, 4 novembre 1840. Laissé à l'hôpital de Bourbon. Toulon (Var). Paris (Seine). 3 Saujon (Charente-Inférieure). Quartier-maître de manœuvre, deuxième classe, 1 janvier 4839. Quartier-maître de manœuvre, première classe, 1 janvier 1840. Quartier-maître de manœuvre, deuxième classe, 4 janvier 4839. Quartier-maître de manœuvre, première classe, 1 janvier 4840, Quartier-maître de manœuvre, deuxième classe, 1 janvier 1839. Quartier-maître de manœuvre, première classe, 4 janvier 1840. Passé sur La Zélée, 4 mai 1840. Embarqué à Korora-Réka, 4 maï 1840. Quar- tier-maître canonnier, première classe, 1 no-; vembre 1840. Quartier-maître canonnieg, deuxième classe, 4 octobre 1840. Lormont (Gironde). Saint-Chamas (Bouches -du- ône). Agde (Hérault). Pimes (Landes). Avriz (Pierre). XL NOMS Er PRÉNOMS. Renaup (François-Marie). Cazor (Jean-Nicolas). Grecory (Matthieu). Rocae (Gervais-Rose-Guil-|- laume). LE Déan (Yves). REuTIN (Pierre-Auguste). Masicy (Blaise-Germain ). Isxan» (Blaise). JOURDAIN (Jenny). TapezLA ( Victor). Le Doux (Joseph-Louis). Brasquezu (Louis-Marie). Besean (Julien-François ). Le Jeune (Joseph). Cosriou (Pierre-Célestin ). Cro (Louis). Le Prince, ( Eugène @ ÉQUIPAGE GRADES. Matelot de deuxième classe. Idem. Id. Matelot de troisième classe. Idem. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. DATE DE LA NAISSANCE. 24 mai 1814. 7 décembre 1806. 8 septembre 1804. 10 mars 1809. 21 février 1813. 4 janvier 1812. 31 maïs 1806. 21 avril 1812. 29 octobre 1817. 28 janvier 1811.| 13 septemb. 1813. 23 février 1816. 6 mars 1816. 26 mars 1817. 26 décemb. 1815. 24 août 1817. 17 avril 1817. 90 novemb. 1814. 30 octobre 1 814. De L'ASTROLABE. '… x LIEU OBSERVATIONS. - DE LA NAISSANCE. St-Nazaire(Loire-Inférieure). Matelot, première classe, 1 septembre 1837. Quartier-maître de manœuvre, deuxième clas., 4 janvier 1840. Quartier-maître de manœuvre, première classe, 4 novembre 1840. Ile d'Yeu (Vendée). Matelot de première classe, 1 septembre 1837. | Quartier-maître de manœuvre, deuxième clas., 1 novembre 1840. Luze (Corse). Matelot de première classe, 1 septembre 1837. Dinan (Côtes-du-Nord). Matelot de première classe, 4 septembre 1837. Plouguet (Côtes-du-Nord). |Matelot de première classe, 1 septembre 1837. LeGua(Charente-Inférieure). Matelot de première classe, 1 septembre 1837. Débarqué à Valparaiso, 29 mai 1838. La Seyne (Var). Matelot de première classe, 4 septembre 1837. Quartier-maître de manœuvre, deuxième clas., 1 octobre 1840. Bordeaux (Gironde). Matelot de première classe, 1 septembre 1837. Quartier-maître voilier de deuxième classe, 1 janvier 1839. Décédé à bord, 5 août 1839. Cannes (Var). Embarqué à Valparaiso, 29 mai 1838. Matelot de première classe , 1 juillet 1833. Débarqué à Otago, 4 avril 1840. L'Eguille (Charente -Infér.).|Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot, première classe, 1 janvier 1839. Mont-de-Marsan (Landes). |Matelot de deuxième classe , 1 septembre 1837. . Matelot de première classe, 1 janvier 1839. Quartier-maître voilier, deuxième classe, 1 novembre 1840. Boulogne (Pas-de-Calais). |Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot, première classe, 1 janvier 1839. Laugaïdic (Morbihan). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Déserté à Talcahuano, 13 mai 1838. Dunkerque (Nord). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 1840. Laissé à l'hôpital de Bourbon. Belfort (Haut-Rhin). Matelot de deuxième classe, 1 janvier 1840. Matelot de première classe, 1 novembre 1840. Amiens (Somme). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe, 4 janvier 1840. Ile d'Yeu (Vendée). Matelot de deuxième classe, 4 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 1839. Bordeaux (Gironde). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 1839. Quartier-maître voilier, deuxième classe, 1 janvier 1840. Pleslin (Côtes-du-Nord). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Déserté à Talcahugno , 12 mai 1838. | DATE NOMS Er PRÉNOMS. GRADES. DE EA NAISSANCE. Nez (Léonard-François). |Matelot de troisième classe.|3 novembre 1806. Rare (Laurent). | Id. 17 novemb. 1816. GrouxanD (Fançois-Daniel). Id. 24 août 1817. Dos (Jean-Marie). | Id. 26 septemb. 1808. BErnanp (Pierre-Léon). H. 4 août 1813. GsoLter (André). Id. 24 novemb. 1799. Boucuer (Joachim). Id. 13 septemb. 1815.| | Tesson (Joseph-Philippe). Id. 25 février 1816. Eveno (Victor). Id. 21 juin 1811. Rousseau (Franç.-Gustave). Id. 21 juin 1816. Larricaux (Pierre). Id. 22 mars 1807. De Nocarer (Raimond). j;; 1 46 janvier 1817.| Durrourc (Antoine-Clément- Id. 6 février 1818. | Edouard). NS Larné (Toussaint-Michel). |Matelot de deuxième classe.|20 janvier 4812. | Cazvé(Félix-Joseph-Olivier). Idem. 21 juin 1811. Sarnr-MarTin (Pierre-Paul-| Matelot de troisième classe. | 24 février 1814. Adeline). | Le Branc(Jean-Marie-Louis). Idem. 27 décembre 1817. | Cauus (François-Marie ). Id. 10 juin 1813. Massé (Jean-Léopold). Id. 12 septemb. 1818. Cuwrus (Frédérick). à Id. Poso (Joseph). | Id. 7 juillet 1816. Simoner ( Charles). Id. 4 octobre 1802. LIEU DE LA NAISSANCE. Toulon (Var). Pauillac (Gironde). Montoir (Loire-inférieure). Paramé (Ille-et-Vilaine). Auzay (Vendée). Palais (Morbihan). Bordeaux (Gironde). Sables d'Olonne (Vendée). Brest (Finistère). Ville-Fargeoux (Yonne). he (Landes). Timnbins (Lot-et-Garonne). La Plume (Lot-et-Garonne). Pleurtuit (Ille-et-Vilaine). St.-Servan (Ille-et-Vilaine). Paris (Seine). Pordic (Côtes-du-Nord). Floubrelance (Côtes-du-N.). Paris (Seine). Angleterre. Villa-Talca (Chili). Perols (Hérault). DE L'ASTROLABE. XLH OBSERVATIONS. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 1839. Matelot de deuxième classe, 4 septembre 1837. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 1838. Quartier-maître timonnier, deuxième classe, 1 janvier 1840. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Décédé à Hobart-Town , 2 février 1840. Matelot de deuxième classe, 4 septembre 1837. Tombé à la mer, 4 juillet 1838. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 1839. Faisant fonctions d’armurier, du 1 mai 1838. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 1839. Matelot de deuxième classe, 4 septembre 1837. Déserté à Singapoure , 2 juillet 1839. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de deuxième classe , 4 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 1840. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Décédé à bord , 1 décembre 1839. Embarqué à Valparaiso, 29 mai 1838. Matelot de deuxième classe , 1 juillet 1838. Faisant fonctions de boulanger, depuis le 415 mai 1838. Matelot de première classe, 14 janvier 1839. Faisant fonctions d’infirmier. Matelot de deuxième classe , À janvier 1839. Décédé à bord , 4 novembre 1839. Matelot de deuxième classe, 1 janvier 1839. Embarqué à Talcahuano , 3 mai 1838. Décédé à bord, 6 novembre 1839. Embarqué à Nouka-Hiva, 4 septembre 1838. Débarqué à Amboine, 12 février 1839. Embarqué à Oupoulou , 27 septembre 1838. Embarqué à Vavao, 9 octobre 1838. + a Korora-Réka , 3 mai 1840, | KLAN ÉQUIPAGE , DATE NOMS Er PRENOMS. GRADES. je DE LA NAISSANCE. Mari-Kerepi. Matelot de troisième classe. Vers 1816. Poinecœur ( Adolphe - Al- Id. 5 juin 1816. phonse). Davi (Pierre-Charles). Id. 29 mai 1812. BAKER ( William). Matelot à six piastres. 22 mars 1817. Cuepevicce (Joseph). Apprenti marin. 7 août 1813. Le Leur De Lausepix (Théo-| dIdem. [41 octobre 1820. dore-Charles). Loxczas (Elzéard-Alfred ). Id. 23 avril 1821. Scumor (Ferdin.-Léopold). Id. 6 septembre 1819. E? 2 DouriLe (Jean-Bapt.-Paul). Mousse. 24 juin 1823. Gavot ( Lazare-Joseph ). Idem. 31 mars 1822. Sixon (Jean-Baptiste-Domi- Id. 121 novemb. 1821. | $ nique ). von, Vicuais (Haldéric-Victor). Id. 18 mai 1822. [Favreau (Louis). Id. 7 août 1893. Savarier (André-Alexandre). Id. 3 juin 1823. Piquenor (Alexandre). Matelot de troisième classe. AGENTS DIVERS. Moser (Frédéric). Armurier-forgeron de pre- mière classe. Baur (Charles). Matelot de deuxième classe. | 15 octobre 1814. Magasinier. | Iugerr (Lazare-Benoît ). Premier commis aux vivres] 6 janvier 1798. de deuxième classe. Marrer (Ferdinand). Distributeur, prémière classe.| 6 janvier 1799. Boulanger. 5 Micuez (Joseph). Coq. 4 avril 1804. & Dusorp (Baptiste). Domestique de l'état-major. HCawacxe (Joseph ). | Idem. 2 juin kS11. DE L'ASTROLABE. XLY LIEU DE LA NAISSANCE. Mafanga (Fonga-Tabou) 4 Le Hâvre (Scine-Inférieurc). Laudiac (Côtes-du-Nord). Sandwich (Angleterre). Pont-Château (Loire-Infér. ). Nantes (Loire-Inférieure). Toulon (Var). Nancy (Meurthe). Valence (Drôme). Toulon (Var). Saint-Tropez (Var). Briançon (Hautes-Alpes). Toulon (Var). Honfleur (Calvados). } Strasbourg (Bas-Rhin). La Seyne (Var). Romans (Drôme). Solliès (Var). San-Salyador (Piémont). - OBSERVATIONS. Embarqué à Vavao, 9 octobre 1838. Décédé à bord, 7 septembre 1839. Embarqué à Hobart-Town , 31 décembre 1839. Embarqué à Hobart-Town, 27 décembre 1839. Embarqué à Hobart-Town, 28 décembre 1839. Matelot de troisième classe, 14 juin 1838. Matelot de troisième classe, 14 juin 1838. Matelot de troisième classe, 23 avril 1839. Vo- lontaire de la marine, janvier 1841. Embarqué à Valparaiso, 29 mai 1838. Matelot de troisième classe, 22 juillet 1838. Matelot de deuxième classe, 1 janvier 1840. Apprenti marin, 1 août 1838. Apprenti marin, 21 novembre 1837. Matelot de troisième classe, 21 novemb. 1839. … Embarqué à Hobart-Town, 21 février 1840. Déserté à Talcahuano , 1 mai 1838. | Premier commis de première classe , 1 septemb. 1837. Déserté à Talcahuano, 15 mai 1838. Déserté à Talcahuano , 22 avril 1838. Débarqué à Talcahuano , 9 mai 1838. XLVI ÉQUIPAGE : DATE NOMS er PRENOMS. GRADES. DE LA NAISSANCE. Dupuis (Antoine-Armand). |Cuisinier de l'état-major. 17 avril 1806. FaBre (Napoléon). Cuisinier du commandant et - des officiers. Perry ( André). |Domestique des élèves. Gaix (Jean-François-Désiré). Idem. | Copaxs (William). Id. 8 septembre 1798. PASSAGER. NIEDERHAUSER. Pêcheur de phoques. - | be cos arf DE L'ASTROLABE. XLVII . LIEU OBSERVATIONS. DE LA NAISSANCE. —_——————— , Moulins (Allier). Embarqué à Valparaiso, 29 mai 1838. Débarqué à Talcahuano, 9 mai 1838. Déserté à Talcahuano, 12 mai 1838. Embarqué à Talcahuano, 22 mai 1838. Débar- qué à Amboine, 12 février 1839. En mer. Embarqué à Hobart-Town, 25 décembre 1839. ‘Débarqué à Korora-Réka , 8 mai 1840. Canton de Berne. Embarqué au Hävre-Peckett, 5 janvier 1838. -Débarqué à Talcahuano, 18 avril 1838. % À XÉVHI ÉQUIPAGE DATE NOMS £r PRÉNOMS. GRADES. DE LA NAISSANCE. ÉTAT-MAJOR. Jacquixor (Charles-Hector).|Capitaine de Corvette. 4 mars 1796. Du Bouzer (Joseph-Fidèle-|Lieutenant de vaisseau , se- 19 décemb. 1805. Eugène). cond. Taaxaron (Charles - Jules- Lieutenant de vaisseau. 7 juillet 1809. . Adolphe). PE Taroy De Monrravez (Louis-| Enseigne de vaisseau. 28 septemb. 1811. François-Marie ). 2 SE Pavin DE LA Farce (Antoine- Idem. 24 juillet 1812. Auguste-Thérèse). à Fr Courvenr-Despois (Aimé-Au- Id. 8 mai 1814. guste-Elie). Huon ne Kerwanec (Félix-|Commis de marine, deuxième} 413 février 1813. Casimir-Marie). classe. Le Guicou (Elie-Jean-Fran-|Chirurgien, deuxième classe.\ 30 juin 1806. çois). % 3 Gouriz (Ernest-Auguste). |Dessinateur. \ mars 1814. Gaitzarp (Jean-Edmond). |Elève de première classe. | 4 1815. Pericor (Germain-Hector). .Idem. "À Sn décemb. 1816. Boxer (Joseph - Emmanuel - Id. | 9 mai 1815. Prosper). | De FLorre (Paul-Louis-Fran- Hd. "| février 1847. çois-René). Jacouinor (Honoré). Chirurgien, troisième classe.| 1 août 1814. ÉQUIPAGE. Gras (Jean-Gaspard). Premier maître de manœuvre! 46 juillet 1797. de deuxième classe. Aucras (Pierre-J oseph). Premier maître de timonnerie| 20 mars 1798. de première classe. As Courezeno (Joseph-Marie-[Premier maître charpentier| 16 juillet 1796. Antoine ). de première classe. Sarusse (Thomas-Pascal). [Deuxième maître calfat de}. 19avril 1802. première classe. DE LA ZÉLÉE. xLIX ou OBSERVATIONS. DE LA NAISSANCE. Nevers (Nièvre). Capitaine de vaisseau, 20 décembre 1840. Paris (Seine). Capitaine de corvette , 20 décembre 1840. Toulon (Var). Décoré, 25 janvier 1841. Vincennes (Seine). Lieutenant de vaisseau, 20 août 1839. Viviers (Ardèche). Décédé à bord, 27 novembre 1839. Dunkerque {Nord). Débarqué le 13 décembre 1839, pour passer sur l'Astrolabe. Brest (Finistère). Quimperlé (Finistère). Châteaudun (Eure-et-Loire).|Décédé à Hobart-Town, 4 janvier 1840. Marennes (Charente-Infér.). [Enseigne de vaisseau, 6 mars 1839. Laissé à l'hôpital de Bourbon, 21 juillet 1840. Devant-les-Ponts (Moselle). |Débarqué à Valparaiso, 29 mai 1838, pour cause de maladie. Avignon (Vaucluse). Passé sur l’Astrolabe, 28 décembre 1839. Ren- tré sur la Zélée, 29 avril 1840. Enseigne de vaisseau, 20 août 1839. Landerneau (Finistère). Embarqué à Taïti, 15 septembre 1838. Enseigne de vaisseau, 20 août 1839. Moulins en Gilbert (Nièvre).|Décoré, 25 janvier 1841. La Valette (Var). Premier maître de manœuvre, première classe, 4 septembre 1837. Décoré, 25 janvier 1841. Toulon (Var). Décoré , 25 janvier 1841. La Seyne (Var). Décédé à Hobart-Town, 8 janvier 1840. Toulon (Var). Maître calfat de deuxième .classe, 1 septembre 1837. Maitre calfat de première classe, 1 jan- vier 1839. Décédé à bord, 10 novembre 1839 À Ï. d ) ÉQUIPAGE DATE NOMS ET PRÉNOMS. GRADES. DE LA NAISSANCE. Purier (Julien). Maître armurier de première| 43 avril 1802. classe. Rogerr (Rémond-Pierre). |Quartier-maître canonnier de|13 novemb. 1804. première classe. ; Bernarp (Charles-Louis). [Quartier - maître voilier de! 22 mai 1813. première classe. Arcerier ( Honoré-Antoine-| Deuxième maître de manœu-| 4 avril 1791. Etienne ). vre de première classe. Fucairox (Jean-Joseph). Quartier-maître de manœu-| 7 janvier 1810. vre de première classe. Ricmeu (Jean-Hipolyte). |Quartier - maître de manœu-| 28 octobre 1810. vre de deuxième classe. Agram (Pascal-Jean-Baptis.).|Quartier-maître calfat de pre-| 29 août 1805. mière. classe. Vivaz (Joseph-Antoine). Quartier- maître charpentier| 10 février 1810. de deuxième classe. Mann (François-Joseph). [Quartier-maître de manœu-| .8 mars 1808. vre de première classe. RTE Toucar» (Simon-Jean). Matelot de deuxième classe. | 3 Janvier 1815. Biner (Joseph). Idem. 2 avril 1813. | . BEernarp (Louis). Id. 44 janvier 1807. qe (Pierre). Id. 29 novemb. 1813. Laconp (Louis). Hd. 4 juillet 1814. Perron (André). Id. 31 mars 1810. Pien (Jean-Baptiste). Id. 9 mai 1810. Gocuer (J.-Bapt.-Edouard). Id. 12 février 1809. Micuez (Lazare). Id. 10 septemb. 1805. Rox (Léon-Pierre). 7 Ale | 14 janvier 1810. + DE LA ZÉLÉE LI sai OBSERVATIONS. DE LA NAISSANCE. Antibes (Var). aute-Garonne). |Deuxième maître canonnier de deuxième classe, ice ) 1 septembre 1837. Deuxième maître canonnier de première classe, 1 janvier 1839. Maître canonnier, deuxième classe, 1 janvier 1840. on (Var). Deuxième maitre voilier de deuxième classe, 1 el janvier 1839. Deuxième maître voilier de pre- mière classe, 1 janvier 1840. La Ciotat (Bouches-du-Rh.).|Laissé à l'hôpital d'Hobart-Town, 19 février k 1840 , pour cause de maladie. Antibes (Var). Deuxième maître de manœuvre, deuxième classe, 4 janvier 1839. Cogolin (Var). Quartier-maître de manœuvre, première classe, 4 janvier 1839. Deuxième maître de manœu- vre, deuxième classe, 4 janvier 1840. Toulon (Var). Deuxième maître calfat de deuxième classe, 1 janvier 1840. Toulon (Idem). Quartier-maître charpentier, première classe, 1 janvier 1839. Saint-Chamas (Bouches-du-|Embarqué le 4 mai 1840, provenant de l’As- Rhône). trolabe. Lg Lyon (Rhône). Matelot de première classe, 1 septembre 1837. | Déserté à Gouaham, 10 janvier 1839. Epargnes (Charente-Infér.). Matelot de première classe, 1 septemb. 1837. Noirmoutiers (Vendée). Matelot de première classe, 1 septembre 1837. Quartier-maître de manœuvre de deuxième classe, 4 janvier 1839. Quartier-maître de manœuvre, première classe, 1 janvier 14840. Bordeaux (Gironde). Matelot de première classe, 1 septembre 1837. Quartier-maître de manœuvre de deuxième clässe, 29 décembre 1839. Quartier-maître de manœuvre, première classe, 7 décemb. 1840. Ars (Charente-Inférieure). |Matelot de première classe, 1 septembre 1837.| Quartier-maître de manœuvre de deuxième classe, 7 décembre 1840. Leguille. (Charente-Infér.). |Matelot de première classe, 1 septembre 1837. Bayonne (Basses-Pyrénées). |Matelot de première classe, 1 septembre 1837. Décédé à bord, 15 juillet 1839. Le Hâvre (Seine-Inférieure).|Matelot de première classe, 4 septembre 1837. Décédé à bord, 17 novembre 1839. Ubaye (Basses-Alpes). Matelot de première classe, 1 septembre 1837. Campe (Gironde). Matelot de premiere classe, 1 septembre 1337. Lu ÉQUIPAGE = DATE NOMS ET PRÉNOMS. GRADES. | DE LA NAISSANCE: Sureau (Jean). Matelot de deuxième classe. | 16 juillet 14810. à Le Mesrre (François-Marie). Id. 28 avril 1807. Le Bris (Yves-Sylvain). Hd. 14 juillet 1813. Rurauro ( Defundini-Mau- K. 1 juillet 4810. rice). Provost (Jean-Louis). | Id. 14 juillet 1814. LE Moicxe (Louis-Léon). |Matelot de troisième classe. | 21 janvier 1810. oucuer (Guillaume). Idem. 22 mars 1816. Mont (Jean). Id. 127 décemb. 1816. Guircer (Honoré-Marius). RARE GR 17 mars 1818. (Mixer (Théophile-François- Id. 4 mars 1819. Flavien). Basar (Gilles-Lazare). Id. {1 septembre 1817. Brunet (Léonard). id. 14 juillet 1812. Tavera (Constantin). Id. 19 décemb. 1810. Gor (François). Id. 9 juin 1816. Le Cerr (Jean-François). 1d. 19 avril 1815. Le Preux (Aristide-Robert). Id. 25 mars 1813. Cornu (Jean-Louis). lu. 28 janvier 1816. RouxEL (Canin ét Id. 27 mars 1813. rie). Ganin (Honoré). Id. 118 décemb. 1816. Arrre (Antoine-Barthélemy). Id. 16 avril 1818. iDeniez (Alexandre). Id. | 6 janvier 1817. DE LA ZÉLÉE. LI EC EEE ET | LIEU OBSERVATIONS. DE LA NAISSANCE. Le Gua (Charente-Infér.). |Matelot de première classe, 1 septembre 1837. Quartier-maître de timonnerie de deuxième classe, 1 janvier 1839. Quartier-maître de ti- monneric, première classe, 1 janvier 1840. Plæmeur (Morbihan). Déserté à Talcahuano, 3 mai 1838. Quimper (Finistère). Déserté à Gouaham, 10 janvier 1839. St.-Maurice {Etats-Sardes). |Matelot de première classe, 1 septembre 1837. Fiaul (Morbihan). | Matelot de première classe septembre 1837 Rochefort (Charente-Infér.).|Matelot de deuxième classe, 15 septemb. 1337- Bordeaux (Gironde). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot ce première classe, 1 janvier 1839. Bordeaux (Idem). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 1840. Toulon (Var). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première elasse, 1 janvier 4839. Port-Louis (Morbihan). Matelot de deuxième classe, 1 janvier 1839. Magasinier, 27 novembre 1839. Matelot de première classe, 7 décembre 1840. Bandol (Var). Matelot de deuxième classe, 4 septembre 1837. Matelot de première classe, 4 janvier 1839. Décédé à bord, 6 novembre 1839. Marmande (Lot-et-Garonne). |Matelot de deuxième classe, 7 décembre 1840. Ajaccio (Corse). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. | ; Matelot de première classe, 11 janvier 1840. Pauillac (Gironde). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 14840. Quartier-maître de manœuvre, deuxième clas., 7 décembre 1840. Tremelor (Côtes-du-Nord). |Débarqué à Valparaiso, 28 mai 1838, pour cause de maladie. Verdun (Meuse). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. 71 Décédé à bord , 1 avr il1838. Redon (Ille-et-Vilaine). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. ; Fe Matelot de première classe, 4 janvier 1840. Pleurtuit (Ille-et-Vilaine). |Décédé à Talcahuano , 20 avril 1838. Agde (Hérault). Matelot de deuxième classe, 4 septembre 1837. Matelot de première classe, 7 décembre 1840. Agde (Idem). Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Eee” | , Matelot de première classe, 1 janvier 1840. Le Croisic (Loire-Inférieure).|Laissé à l'hôpital de Hobart Town, 19 février 1840. LIV ÉQUIPAGE DATE NOMS ET PRÉNOMS. GRADES. DE LA NAISSANCE. 10 maï 1810 Î AzerT (Etienne-Victor). Matelot de troisième classe. 30 novemb. 1817. Rocuerort (Charles). . | Id. Pezrier (Evariste-Guinolet). | Id. 15 juillet 1816. Mixperwax (Jean-Jules). Ed. 20 mai 1818. Fazry (Noël-Eust.-Etienne). Hd. 26 décemb. 1810. De Lorwe (Jacques-Eugène). Id. 17 juin 1817. BEAuPERTUIS (Jean). Hd. 16 décemb. 1816. Mauvorsin (Paulin-Justin), Id. 10 octobre 1816. Roquer (Edouard-Alexand.). Id. 27 octobre 1815. Jouaxarp (Jules). Id. 26 juillet 1816. RocnELOoR. è Id. 19 janvier 1811. | Lourx (Pierre). Id. 3 mars 1318. Poussou (Jean-Baptiste). Matelot de première classe. | 31 juillet 1807. Hezxs (Jean-René). Matelot de troisième classe. 16 mai 1817. | Birou» ( Auguste-Joseph - Idem. 27 septemb. 1818. François). Nocxé (François). Id. 1815. Goxpoin (Constant). Jd. 45 janvier 1820. MacPHERSON (Malcolm). Id. 1816. Dumourar» (Anthelme). Id. 11 septemb. 1814. 2... ut. > DE LA ZÉLÉE. LV LIEU DE LA NAISSANCE. Agde (Hérault). Bordeaux (Gironde). Croïsic (Loire-Inférieure). Bordeaux (Gironde). Six-Jours (Var). Bordeaux (Gironde). Braun (Gironde). St.-Denis (Charente-Infér.). Chandernagor (Colonies fran- çaises). Painpol (Côtes-du-Nord). Bordeaux (Gironde). Bayonne (Basses-P yrénées). Antibes (Var) Brest (Finistère). Lyon (Rhône). Ambon (Morbihan). Caen (Calvados. St.-Jean de Terre-Neuve. Lyon (Rhône). OBSERVATIONS. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe, 1 janvier 1839. Quartier-maître canonnier, deuxième classe , à janvier 1840. Passé sur l’Astrolabe, 4 mai 1840. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Débarqué à Valparaiso, 28 mai 1838, pour cause de maladie. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837.| - Déserté à Talcahuano, 17 mai 1838. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Débarqué à Valparaiso, 28 mai 1838, pour cause de maladie. Matelot de deuxième classe, 1 septembre 1837. Matelot de première classe , 4 janvier 1839. Décédé à bord, 23 novembre 1839. Matelot de deuxième classe, 1 janvier 1839. Décédé à bord, 23 novembre 1839. Matelot de deuxième classe, 4 janvier 1839. Matelot de première classe, 1 janvier 1840. Matelot de deuxième classe, 1 janvier 1839. Matelot de première classe, 4 janvier 1840. Matelot de deuxième classe, 7 décemb. 1840. Embarqué à Talcahuano, 11 avril 1838. Ma- telot de deuxième classe, 7 décembre 1840. Embarqué à Talcahuano, 18 avril 4838. Mate- lot de deuxième classe, 1 janvier 1840. Ma- telot de première classe, 7 décembre 1840. Embarqué à Talcahuano, 24 mai 1838. Mate- lot de deuxième classe, 1 janvier 1839. Dé-| cédé à bord , 11 décembre 1839. Embarqué à Valparaiso , 29 mai 1838. Décédé à bord, 18 janvier 1840. Embarqué à Valparaiso, 28 mai 1838. Matelot de deuxième classe, 1 juillet 1838: Décédé à bord, 7 novembre 1839. Embarqué à Valparaiso, 28 mai 1838. Décédé à bord , 14 novembre 1829. Embarqué à Hobart-Town, 15 décemb. 1839. Déserté à Otago, 13 avril 1840. Embarqué à Hobart-Town, 13 décemb. 1829. Embarqué à Hobart-Town, 15 décemb. 1839. Matelot de deuxième classe, 7 décembre 1840. Embarqué à Hobart-Town, 30 décembre 1839. Matelot de deuxième classe, 7 décembre 1840. LVI EQUIPAGE NOMS ET PRÉNOMS. Voisin (Pierre). (Roserts (John). Pricezey (Joseph). Jones (John). Lzoyp (John). Wizron (Williams). Warson (Joln). Texsier (Pierre). Srvane (Pierre). Le Garp (Jean-Marie). Noxon (Jean-Louis). Dis (Joseph). SruaL (Frédéric). BEauDoin (Jean-Baptiste). Barrois (Charles). Deswinerz (Charles). La Coste (Charles). Lranrin (Victor). GéranD (Jean-Louis). FErAup (Joseph). Roimox (Placide-Adolphe). CouLous (Marius). Moreau (Pierre). GRADES. Matelot de troisième classe. Matelot à 6 piastres. Id. Matelot de troisième classe. Id. Id. Hd. Id. Id. . Id. Id. Id. Apprenti-marin. Idem. Id. Id. Id. Mousse. Idem. Id. Id. Id. Id. DATE DE LA MAISSANCE. 1797. 1822. 27 avril 1803. 23 mai 1807. 24 août 1821. 16 mars 1814. 80 juin 1817. 19 avril 1808. 417 février 1813. 15 août 1821. 14 mai 1821. 19 mai 1820. 1818. 10octobre1823. 25 mars 1823. 12octobre 1821. 29 mai 1821. 27 septemb. 1822. 8 mai 1893. 23 juillet 1823. 12 mai 1825. nn Os ni DE LA ZÉLÉE. LVIIL LIEU OBSERVATIONS. DE LA NAISSANCE. Saint-Lo (Manche). Embarqué à Hobart-Town, 30 décembre 1839. Passé sur la Pauline à Otago, 13 avril 1840. Londres (Angleterre). Embarqué à Hobart-Town , 24 décembre 1839. Déserté à Korora-Réka, 3 mai 1840. Idem. Embarqué à Hobart-Town, 26 décemb. 1839. Milford (Angleterre). Embarqué à Hobart-Town, 26 décembre 1839. Débarqué à Hobart-Town, 21 février 1840. Londres (Angleterre). Embarqué à Hobart-Town, 28 décemb. 1839. Manchester (Angleterre). Embarqué à Hobart-Town , 30 décembre 1839. Débarqué à Hobart-Town , 19 février 1840. Aberdeen (Ecosse). Embarqué à Hobart-Town, 30 décembre 1839. Débarqué à Coupang, 94 juin 1840. Marans (Charente-Infér.). |Embarqué à Hobart-Town, 18 février 1840. Antibes (Var). Embarqué à Hobart-Town; 18 février 1840. Breha (Côtes-du-Nord). Embarqué à Hobart-Town, 20 février 1840. Déserté à Otago, 3 avril 1840. Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). |Embarqué à Hobart-Town, 20 février 1840. Harwich (Angleterre). Embarqué à Hobart-Town, 24 février 1840. Metz (Moselle). Matelot de troisième classe, 14 mai 1839. Ma- telot de deuxième classe, 7 décembre 1840. Quillebeaf (Eure). Embarqué à Valparaiso, 28 mai 14838. Matelot de troisième classe, 1 juillet 1838. Décédé à bord, 5 février 1840. Dunkerque (Nord). Embarqué à Hobart-Town, 18 février 1840. Paris (Seine). Idem. Paris (Idem). Idem. Toulon (Var). Apprenti-Marin, 12 octobre 1837. Matelot de troisième classe, 12 octobre 1839. Paris (Seine). Apprenti-marin, 29 mai 1838. Cotignac (Var). Apprenti-marin, 29 septembre 1838. Vaugirard (Seine). Apprenti-marin, 8 mai 1839. Toulon (Var). Apprenti-marin , 23 juillet 1839. pantin (Seine). Décédé à Hobart-Town, 21 décembre 1839. LYLIT | ÉQUIPAGE DATE NOMS er PRÉNOMS. | GRADES. DE LA NAISSANCE. a ———— AGENTS DIVERS. Resou (Joseph-Fortuné). Magasinier. 26 mars 1799. Worus (Zoïle). Infirmier. 10 juin 1810. BaroNNEr. ‘Idem. 13 octobre 1818. Lion (Lazare). Commis aux vivres. 24 juillet 1797. LevexG (Joseph). Boulanger. 11 novemb. 1806. Fasre (Victor). | Coq. 17 août 1804. Meunier (Joseph). Domestique de l'état-major. | 11 mai 1815. PrLaun (Louis). Idem. 25 décemb. 1803. | Ga (Jean). Domestique des élèves. |8 septembre 1814. Bipar (Charles). Idem. 1820. Axpro (François-Ferdinand). |Domestique de l'état-major. 1808. Ficanières (Jean-Baptiste). |Domestique du commandant. 1800. PASSAGERS. | Bmnine (Georges). | 29 mai 1820. Kakou. Esclave Malais. Waz» (Thomas). 1819. Joxes (John). 1815. Bassezz (Georges). Matelot de troisième classe.| 22 mars 1804. DE LA ZÉLÉE. LIX 2 OBSERVATIONS. DE LA NAISSANCE. Gênes (Etats-Sardes). Décédé à bord, 26 décembre 1839. Metz (Moselle). Débarqué à Talcahuano, 1 mai 1838. Bordeaux (Gironde). Embarqué à Talcahuano, 1 mai 1838. Toulon (Var). Le Beausset (Var). Ollioules (Var). Villeneuve (Isère). Strasbourg (Bas-Rhin). Décédé à bord, 3 novembre 1839. Tarascon (Bouch.-du-Rhône).|Déserté à Talcahuano, 23 mai 1838. Bourbon-Vendée (Vendée). |Embarqué à Valparaiso , 26 mai 1838. Déserté à Hobart-Town, 25 février 1840. Santo-Domingo (Haïti). Embarqué à Hobart-Town, 15 décembre 1839. Déserté à Korora-Réka, 3 mai 1840. Toulon (Var). Débarqué à Sambouangang, 1 août 1839. Londres (Angleterre). Embarqué au Hâvre Pecket, 5 janvier 1838. Débarqué à Talcahuano, 18 avril 1838. Ile-Bouton (Malaisie). Embarqué à Holo, 24 juillet 1839. Débarqué à Samarang, 28 septembre 1839. Bristol (Angleterre). Trouvé à bord, 25 février 4840. Débarqué à ù Otago, 3 avril 1840. Liverpool (Angleterre). Trouvé à bord, 25 février 1840. Débarqué à è Otago , 3 avril 1840. Kingston (Angleterre ). Trouvé à bord, 25 février 1840. : L el ? # à 7 PR À LUE PAM en 1% } 10 # - À te CRETE dv rt te en 6 ga "Or MN eg ri “ai : à œ Mr 2 57 RE 0 SD 02 rt Î; il ) he 4 " #2 Cynr à 1 ne Pr Res { > | PRE ., Ÿ L : F : FETE rs BA MA EME à Teri Ÿ AE OU EENT S OHSUNENEE 9 den % è n + dr , LOVE EU dE PER 4 HE Ho: PA: ME «8 RATS | \ # ri br (EAST v . © D, 08H01 F) it HITS 6 400 vü} 8 rod 5 àvuort +81 RTE ênc, Ga « Sr O8! tir) Où brad à soi INTRODUCTION. Au mois de mai 1835, c'est-à-dire précisément au terme assigné par la convention passée entre le mi- nistère de la marine et l'éditeur, je terminais la publi- cation du Voyage de découvertes de l4strolabe dans toutes ses parties. Sur-le-champ je prévins le ministre qu'ayant accompli le travail qui m'avait jusqu'alors retenu dans la capitale, je me remettais à ses ordres et demandais l'autorisation de rejoindre mon dépar- tement. L'ordre pur et simple de me rendre dans mon port, Toulon, me fut adressé, et je rentrais dans cette ville au milieu du mois de juin, époque fatale où le choléra sévissait avec fureur dans cette partie de la Provence. Une petite fille, l’idole de ses parents, fut immédia- tement la victime de cet horrible fléau. Durant plus de dix-huit mois, je n’eus aucune sorte de part aux nombreuses faveurs du ministère, et je LXIT INTRODUCTION. dus me soumettre à remplir les obscures fonctions auxquelles est assujetti un capitaine de vaisseau dans le port. Au moins j'y apportai, je puis le dire, toute l'exactitude, toute la ponctualité qui doivent caracté- riser l’homme revêtu de l’uniforme , dans quelque si- tuation qu'il se trouve placé. En outre, je dois être sincère , au commencement de la révolution de juillet , une ardeur peut-être immo- dérée m'avait inspiré des opinions très-avancées et que je ne me donnais point la peine de dissimuler. Cette conduite, au moins imprudente dans un état où l'on exige une obéissance passive et presque aveugle, m'avait signalé d'une manière peu favorable au minis- tère de la marine. M. de Rigny m'avait donné des preuves irrécusables de ses mauvaises dispositions à mon égard , et j'avais lieu de penser que ses succes- seurs, sans m'être positivement hostiles, m'étaient néanmoins peu favorables. “ Du moins je sus me soumettre paisiblement et sans récrimination à la position que je m'étais à peu près faite. Jamais personne ne me vit proférer des plaintes inutiles ou me livrer à des regrets superflus. Hormis les moments que je devais accorder aux fonctions de mon grade, mon temps tout entier était consacré à Péducation de mon fils unique, ainsi qu'aux études INTRODUCTION. LXIII d’ethnographie et de philologie des peuples océaniens, études commencées depuis bien longtemps, mais sou- vent interrompues ou du moins entravées par des tra- vaux plus-urgents. Malgré les attaques assez fréquentes d’une maladie cruelle, la goutte , qui me tourmentait depuis plusieurs années , pour un homme aussi casanier que moi, aussi exclusivement attaché aux sentiments de famille, ce genre de vie présentait bien des charmes. Mais diverses raisons s’unirent pour me faire sortir de cette retraite paisible. En avancant dans le cours de mes recherches, je m'apercus que la chaîne des comparaisons était souvent rompue par des lacunes dont plusieurs pourraient être remplies par une nou- velle excursion dans les parages que j'avais déjà deux fois parcourus. Bien des gens qui ne pouvaient deviner les motifs de mon inaction forcée, en plaisantaient et l’attribuaient à un penchant à la nonchalance et à l’apa- thie de ma part , tandis que je me croyais encore toute l'énergie convenable pour naviguer d'une manière au moins aussi active qu'ils le faisaient. Un second fils était venu remplacer la fille que j'avais perdue, et je me figurais que je devais quelques sacrifices à mon re- pos pour assurer un jour le sort de mes enfants d’une manière plus honorable. Enfin, un dernier motif, xt INTRODUCTION. spécieux en apparence, mais au fond le plus puéril , avec mes sentiments et l'expérience que j'avais acquise, acheva de me déterminer. Poursuivi par l'exemple de Cook, je songeais souvent aux trois voyages de ce célèbre navigateur et j'étais tourmenté presque chaque nuit par des songes où je me figurais ‘être en train d'exécuter ma troisième campagne autour du monde. Ces songes avaient cela de bizarre qu'ils avaient pres- que toujours pour but de m’avancer vers le pôle et fi- nissaient d'ordinaire par engager mon navire , qui était constamment l'#strolabe, dans des canaux étroits , des bas-fonds ou même des défilés en terre-ferme où je voulais encore le faire naviguer. Pourtant , tout en admirant les courageux efforts de Cook, de Ross, de Parry, au travers des glaces, je n'avais jamais ambi- tionné l'honneur de marcher sur leurs traces : au con- traire, j'avais toujours déclaré que j'aurais préféré trois années de navigation sous le ciel embrasé des contrées équatoriales à deux mois de séjour dans les régions glaciales. Un fait non moins singulier, c'est que ces songes importuns cessèrent aussitôt que la campagne au pôle fut décidée, et il n’en fut plus jamais question pour moi. | D'autre part, bien des considérations me retenaient à terre; l'existence heureuse et calme que je menais dans INTRODUCTION. LXV ma chaumière, la société d’une compagne chérie qui avait si longtemps souffert de mes absences, le plaisir que j'éprouvais à voir se développer rapidement les fa- cultés de mon fils luttaient avec force contre mes nou- veaux projets. Enfin les désirs vagabonds l’emportèrent encore une fois et je n’eus plus qu'à obtenir l’assenti- ment de ma femme. On concevra sans peine le chagrin qu'elle dut éprouver à mes premières ouvertures ; pourtant, après avoir bien pesé mes motifs, surtout en vue du bien-être de ses enfants , elle consentit à cette longue et douloureuse séparation, elle s'occupa même des préparatifs de mon départ avec un courage, un zèle et un dévouement dont je lui serai toute ma vie reconnaissant. Alors , et c'était au mois de janvier 1837, j'écrivis au ministre de la marine, M. le vice-amiral de Rosamel, pour lui proposer de m’employer dans une nouveile campagne d'exploration autour du globe. Dans une réponse bienveillante, l’amiral-ministre me témoignait sa bonne volonté , mais ajoutait que les dépenses con- sidérables nécessitées par les armements des frégates l'Artémise et la Vénus pourraient le forcer à ajourner l'exécution de mon projet. Un moment je craignis que cette réponse ne fût L) . , L L qu'un moyen poli d’éluder ma proposition , une sorte À € LXVI INTRODUCTION. de fin de non-recevoir , enfin ce qu'on appelle vulgai- rement de l’eau bénite de cour. Peu jaloux de com- mencer à mon âge le triste métier de solliciteur , et pour fixer mon opinion et ma conduite , je m'adressai à un ancien camarade et ami, M. Chaucheprat, alors secrétaire intime du ministre , plus tard secré- taire-général du ministère , et le priai de me dire sin- cèrement ce qui en était; celui-ci m'assura que le ministre était réellement dans les meilleures intentions à l'égard de mon projet, qu'il n’était arrêté que par le chapitre des dépenses. M. Chaucheprat ajoutait que cette affaire était renvoyée à l'examen de M. Tupinier, chef de la direction des mouvements, et que le succès dépendait du rapport qu'il en ferait. Cet admunistra- teur , dont l'esprit éclairé se plaisait à encourager tout ce qui pouvait ajouter aux progrès des sciences et à l'honneur national, m'honorait depuis longtemps de son estime et de sa bienveillance ; dès-lors je pus es- pérer dans la réussite de ma proposition. | En effet, vers la fin de février , je recus une com munication par laquelle on m'annoncait que le roi lui- même, auquel on avait soumis mon projet, l'avait bien accueilli, mais qu'ayant appris qu'un baleinier américain s'était fort approché du pôle austral,, il dé- sirait qu'une expédition francaise fût envoyée dans là xd ve INTRODUCTION. EXVIT même direction. En conséquence , on me proposait le commandemant de deux navires, et je débuterais dans ma campagne par une pointe vers le pôle austral. J'avoue qu'a la première lecture de cette proposition, tout-à-fait inattendue , j'éprouvai une singulière impression ; un moment je restai stupéfait et irrésolu ; mille pensées vinrent traverser mon imagination , et plusieurs d’entre elles n'étaient pas du tout propres à m'exciter à entrer dans cette voie. En effet , la car- rière nouvelle que l’on voulait m'ouvrir n'avait jamais été en rapport avec la direction de mes goûts ni de mes études. J'avais lu les voyages où le roi avait dû puiser ses projets; ce ne pouvait être ailleurs que dans les journaux de Weddell ou de Morrell ; or de ces deux navigateurs , simples pêcheurs de phoques , le dernier, m'était déjà connu pour un fabricateur de contes, et la véracité de l'autre ne m'était pas bien démontrée. F'embrassais facilement toutes les chances d’une tenta- uve aussi aventureuse, dans l'hypothèse où l'on eût voulu la remplir en conscience, et je ne voulais m'en charger qu’à cette condition. Ainsi, dès le début du voyage , il pouvait fort bien arriver que des avaries graves ou des pertes fächeuses me contraignissent à retourner en France et, par conséquent , à renoncer aux conquêtes scientifiques que je me proposais d’exé- LXVIL INTRODUCTION. cuter dans les archipels encore peu connus de l’Océarie. Néanmoins , à force d'examiner l'affaire sous toutes ses faces, je reconnus enfin qu'une tentative vers le pôle austral aurait, aux yeux du public , un caractère de nouveauté , de grandeur et même de merveilleux qui ne pourrait manquer de fixer les regards. Les hommes savent gré qu'on les étonne, a du dire Napo- léon suivant Boiste , et jamais axiôme ne fut peut-être plus vrai ; de là l'admiration des hommes pour toute ac- tion qui dépasse entièrement le cercle habituel de leurs pensées, qui confond toutes leurs prévisions, quand bien même cette action leur serait inutile, même funeste. La pointe au travers des glaces, à supposer imaginaire le récit de Weddell, ne pouvait manquer de donner lieu à des observations importantes sous plus d'un rapport. Deux nations puissantes sur mer en avaient porté ce. jugement , puisque les États-Unis d'Amérique avaient déjà voté une somme énorme pour une expédition destinée à ce but, et en Angleterre la société royale des sciences et la société de géographie étaient en ins- tance près de leur gouvernement pour le même sujet. Dès-lors mon parti fat pris, je m'identifiai sans retour avec la pensée du roi, et je déclarai au ministre que j'acceptais le mandat qui m'était proposé. Je de- mandais en même temps l'autorisation de me rendre à = — - INTRODUCTION. EX Paris, pour m'y occuper des préparatifs nécessaires à cette longue campagne. Enfin je désignais M. le capi- taine de corvette Jacquinot” pour commandant de la conserve qui m'était accordée. Nul autre officier dans le corps entier de la marine ne possédait au même degré ma confiance, et nul autre ne l'aurait justifiée d'une manière aussi complète. Au commencement de mars, l’4strolabe et la Zélée, navires de la même force et de la même nature furent désignés pour cette expédition, et l'ordre fut expédié au port de les préparer convenablement. Aussitôt je dus m'occuper de la composition des états-majors des deux corvettes. Le choix du second del’ Æstrolabe était surtout une affaire importante pour moi. Par malheur, depuis près de quinze années que j'étais affecté à des travaux d’une nature toute spéciale, j'avais cessé à peu près tous rapports avec les jeunes officiers de la marine. J’offris succesivement à mes anciens compagnons de l’4strolabe, MM. Lottin, Gressien et Guilbert de m'accompagner cette fois en qualité de lieutenant chargé du détail. Tous me remer- cièrent, et je ne pouvais leur en vouloir : ils avaient viellh sous le harnais, leurs dispositions avaient changé " Note 1. sx INTRODUCTION. avec l'âge, surtout ils avaient été si froidement ac- cueillis ‘ à la suite du premier voyage, qu'ils devaient être peu jaloux de s’exposer à des épreuves encore plus pénibles. | Dans cet état de choses, après de longs tàtonnements, je dus m'en rapporter à des témoignages étrangers, et il me fallut accepter des sujets que je ne connaïssais en aucune manière, Qu'en résulta-t-il? Quelques-uns eonservèrent jusqu'au bout, le zèle, l'enthousiasme et l'ardeur qui les avaient poussés à entreprendre ce voyage; ceux-là seulement ont été mes véritables compagnons de fortune, et leurs noms ne réveillent dans mon imagination que des souvenirs agréables. Parmi les autres, bientôt dégoütés de ce genre de na- vigation et des privations qu'il entraïnait, les uns se contentèrent de remplir froidement leur service et cessèrent d’attacher aucun intérêt aux opérations de la campagne ; les autres plus exaspérés par les déceptions. qu'ils éprouvaient se montrèrent hostiles aux tentatives 1 Sans attendre la fin de cette narration, la justice et la vérité veulent queje déclare à l'avance qu’il en a été tout autrement cette fois. Le ministre de la marine, M. l'amiral Duperré, à accueilli avec la plus parfaite bienveillance toutes mes propositions en faveur de mes compagnons de voyage, et les a mises sous les yeux de S.M. qui elle-même ne m'a laissé rien à désirer. Aussi leur eu conserverai-je à l’un et à l’autre une éternelle gratitude. eee | INTRODUCTION. LXXI de leur chef, et ne parlaient qu'avec une sorte de dédain de l'expédition à laquelle ils se trouvaient tris- tement enchaînés. Je suis loin pourtant de vouloir attaquer les moyens de ces officiers : la plupart étaient des hommes capables, et bien en état de faire leur devoir ; partout ailleurs ils auraient servi honorable- ment, mais ils ne convenaient en aucune facon à une . semblable mission. Dans les premiers jours d'avril un ordre du ministre m'appela à Paris, où je m'occupai sur-le-champ des recherches, de l'achat des matériaux et de la prépara- tion des instruments utiles à la campagne. Le ministre se montra très-favorable à mes désirs en accueillant toutes les propositions que je crus devoir lui faire, pour assurer la réussite du voyage. À ma demande M. Vin- cendon Dumoulin, ingénieur hydrographe, qui m'avait offert sa coopération, fut attaché à la mission, et cette fois le hasard meservit au-delà de toutes mes espérances. J'exprimai le désir d'aller faire un tour à Londres pour acquérir divers ouvrages et cartes que je n'aurais pu trouver à Paris, et me procurer les renseignements les plus positifs et les plus authentiques touchant les découvertes ‘récemment opérées dans les parages an- tarctiques : sur-le-champ je fus autorisé à faire cette eXCUFSION, LXXII INTRODUCTION. Durant les dix jours que je passai à Londres, du 26 avril au 6 mai, je m'occupai sans relâche des objets qui m'y avaient appelé. Je fus en général ac- cueilli poliment par les personnes auxquelles je m'a- dressai , par les capitaines Beaufort , Washington, De Roos , etc., mais à travers leurs civilités, leurs _offres obligeantes, il était facile de distinguer le regret qu'ils ressentaient de voir un autre qu'un Anglais tenter une carrière qu'ils regardaient comme un domaine exclusif de leur nation. Un jour, je fus invité à diner au club Raleigh, dont tous les membres sont des voya- geurs plus ou moins connus, et je profitai de cette occasion pour demander aux convives quelle opinion ils s'étaient formée de Weddell. il me fut répondu qu'il était considéré par eux comme un True Gentle- man (expression qui répond à peu près à notre locu- tion, véritable homme comme il faut), et qu'en con- séquence ils ajoutaient foi pleine et entière à sarelation. Au demeurant, je ne pus y recueillir, touchant les nouvelles découvertes vers le pôle Sud, rien de plus que ce qui m'était déjà connu depuis longtemps, c’est-à-dire les résultats du voyage de Biscoe, couronné du grand prix des sociétés de géographie de Paris et de Londres. Le 8 mai, j'étais de retour à Paris, je redoublai d'activité pour terminer les affaires qui me retenaient INFRODUCTION. LXXUI encore dans la capitale, et rallier au plus vite le port afin d'y presser les travaux relatifs aux corvettes. Mal- gré mes pressantes sollicitations et les démarches du capitaine Jacquinot , je savais que ces travaux mar- chaiïent bien lentement et qu'il y avait fort à craindre qu'il me füt impossible de mettre à la voile le 15 août, terme que j'avais assigné au ministre pour notre dé- part, en lui représentant que le moindre retard au-delà de ce terme pouvait entrainer de graves inconvé- nients. Pour stimuler l’ardeur de nos matelots et fixer les regards du public sur la marche de notre expédition, le ministre, à ma demande, soumit à la signature du roi un projet d'ordonnance par lequel une prime était promise aux ofliciers-mariniers et marins des deux corvettes, proportionnelle au degré de latitude que nous pourrions atteindre. Il s'agissait de cent francs par personne, une fois parvenus au 75° degré sud, et ensuite de vingt francs en sus pour chaque degré au- dessus de ce parallèle. C'était peu de chose, mais c'en était assez pour le but que je me proposais. Le 19 mai, le ministre de la marine me présenta au ro1. S. M. m'accueillit avec beaucoup d’affabilité, pa- rut très-satisfaite en apprenant que je m'étais chargé volontiers de la course vers le pôle Sud. Elle s'entre- LXXIV INTRODUCTION. tint longtemps avec moi des efforts qui avaient été dirigés vers les glaces de l'hémisphère austral, et des résultats qui avaient été obtenus jusqu'à cette époque. Le roi suivit attentivement ces détails sur une petite carte des régions circumpolaires que j'avais eu soin d'apporter, afin de lui rendre mes explications plus faciles à comprendre. Comme je prenais congé de lui il me renouvela l'assurance de l'intérêt qu'il prenait à notre Campagne, et des vœux quil faisait pour sa réussite. Je n'eus pas autant de sujets de satisfaction de lx part d’une société à l'appui de laquelle je croyais pour- tant avoir quelques titres. Depuis près de vingt an- nées, je n'avais cessé de travailler pour l'accroissement des richesses du Muséum d'histoire naturelle. Au re- tour de chacun de mes voyages, j'avais versé entre les mains de ses administrateurs toutes les collections que j'avais recueillies, et la plupart de ces savants faisaient partie de l'académie des sciences. À ma demande , le ministre voulut bien inviter cette société à rédiger des instructions pour le voyage de l'4sérolabe et de la Zélée. Des causes particulières, dont il est inutile d'entretenir le lecteur, m'avaient mis au plus mal dans l'esprit du chef de la section des mathématiques , aussi 4 dai l'encourag t de ce côté; mais je j'attendais peu d'encouragement de ce côté ; j INTRODUCTION. LXXV eroyais pouvoir au moins compter sur les membres de la section d'histoire naturelle. Cet espoir fut trahi. Soit esprit de corps, soit préventions défavorables contre moi , ils montrèrent peu d'empressement pour l'expédition qui se préparait, et les termes dans lesquels furent concues leurs instructions, furent pour le moins aussi froids qu'ils eussent pu les employer vis- à-vis d’une personne qui leur eût été complétement étrangère. Heureusement , en acceptant la mission périlleuse que le roi m'avait confiée , je n'avais consulté que ma propre énergie, et le désir unique de payer encore une dernière fois mon tribut au progrès des sciences, sans la moindre arrière-pensée de profit matériel. Une voix intérieure, un puissant pressentiment me criait que, tant que je vivrais, je parviendrais à surmonter tous les obstacles, par une volonté ferme et inébran- lable. Dans le cas contraire, si je succombais, ce se- rait au moins honorablement, et ma mémoire serait encore respectée. Bien pénétré de cette idée, je réso- lus de m'abandonner en toute confiance à ma destinée, sans prendre aucun souci des entraves que je pouvais rencontrer sur ma route. Au reste, je dois dire que l'académie des sciences morales et politiques et la s5— ciété de géographie de Paris en agirent tout autrement. es INTRODUCTION. Sur ma simple invitation, l’une et l’autre voulurent bien rédiger une suite d'instructions pleines de di- enité et de convenance, et concues dans les termes les plus obligeants pour moi. En outre, deux étran- sers illustres, MM. de Humboïldt et de Krusenstern, qui m'honoraient depuis longtemps de leur estime, m'adressèrent, chacun de leur côté , des félicitations sur la nouvelle campagne que j'entreprenais, et sur les services que les sciences pouvaient en attendre. D'aussi honorables suffrages furent d'un grand prix à mes yeux et contribuèrent puissamment à me faire oublier des critiques auxquelles je ne devais guères m'attendre. Peu de temps avant la proposition de mon projet, j'avais eu l’occasion de m'occuper de phrénologie, j'a- vais lu et médité avec attention les mémoires de Gall et Spurzheïm, de Vimont et quelques livraisons du jour- nal de la société phrénologique, à l’aide d'un crane divisé suivant la méthode de Gall. Plusieurs points de la doctrine de cet homme célèbre fixèrent vivement mon attention et se trouvaient d'accord avec des opi- nions particulières que je m'étais formées d’après mes propres expériences. À Paris , je fis connaissance avec plusieurs des chefs les plus distingués de cette société ; et s'ils me parurent quelquefois marcher trop vite en appropriant certaines localités bien resserrées du INTRODUCTION. EXXVII cerveau à l'exercice de certaines facultés, au moins j'adoptai presque entièrement leur système, quant à la répartition des facultés intellectuelles, morales où instinctives, dans les trois parues principales de la tête, et même la localisation de quelques facultés. À Londres, j'allai présenter ma tête au fameux cra- moscope Deville, sans qu'il lui fût possible de soup- conner seulement qui je pouvais être, et le résultat de son examen fut de nature à m'étonner. À Paris, la foi vive et ardente de MM. Broussais, Vimont, Dumou- üer, Dannecy, Sarlandière, Gaubert, etc., excita mon intérêt, et je regrettais qu'aucune des personnes de notre expédition ne se fût livrée à cette étude, pour en faire des applications dans le cours de la campagne, quand M. Dumoutier vint solliciter l’autori- sation de m'accompagner, comme la plus grande faveur que je pouvais lui procurer. Je le proposai au ministre qui voulut bien encore acquiescer à cette demande, et il fut embarqué sous le titre de Phrénologiste et Pré- parateur d'histoire naturelle. Plus tard, je lui confiai les fonctions de second chirurgien, dont 1l s’acquitta constamment avec zèle et distinction. Les lettres que m’écrivait M. Jacquinot touchant les travaux des corvettes n'étaient pas rassurantes, et malgré mon msistance près du ministre, malgré les LXXVITI INTRODUCTION. ordres qu'il envoyait de Paris, je commencais à crain- dre de ne pouvoir partir à l'époque désignée. Comme aucune raison majeure ne me retenait plus à Paris, je pris le parti de quitter cette ville pour rejoindre le port, afin d'activer par moi-même l'armement de nos navires. À ce motif, assez puissant par lui-même, se joignait le désir de passer le peu de temps qui me res- tait, près de ma femme et de mes enfants. Ho: A mon arrivée à Toulon , le 3 juin, je trouvai la be- sogne des navires bien peu avancée, et j'employai tous les moyens en mon pouvoir pour la faire marcher plus vite. Le préfet maritime, M. le vice-amiral Jurien, était porté de bonne volonté pour notre expédition et aurait bien voulu seconder mes désirs. Malheureuse- ment le vaisseau l'Æercule et la corvette la Favorite, destinés à transporter le prince de Joinville au Brésil, absorbaient toutes les ressources de l'arsenal, et force me fut de prendre patience. Toutefois, la Zélée entra en armement le 8 juin et l'Astrolabe le 13 du même mois. On travailla sur-le- champ et sans discontinuer à l'armement. Mais cela ne put marcher que très-lentement. La présence des ouvriers à bord gênait beaucoup les travaux et nous avions peu de bras. La direction du port ne pouvait pas nous en fournir , car elle était obhigée de subvenir nee DES INTRODUCTION. EXXIX à d'autres besoins. Notre équipage ne se formait qu'a- vec beaucoup de lenteur, attendu qu'on comptait sur l’arrivée de matelots expédiés du nord par la flûte la Dordogne, et qu'on ne voulait point me permettre d’en prendre sur les vaisseaux alors en rade, où j’au- rais pu trouver une foule de sujets de bonne volonté. Tout le mois de juin s'écoule, celui de juillet le suit, et les travaux sont loin de marcher à mon gré. Cepen- dant chaque jour je me rends à bord et parcours tous les ateliers pour presser les ouvriers. Ces démar- ches me coûtent d'autant plus, que je souffre encore vivement d’un long et pénible accès de goutte, et que durant ces deux mois, mes courses en ville et dans l’ar- senal, ont heu sous un ciel embrasé de tous les feux du midi. Heureusement , je suis bien secondé et tous les officiers et maîtres développent, chacun dans leur sphère, un zèle et une activité merveilleuse. Les récri- minations facheuses dirigées contre l'intérêt de la cam- pagne et sa réussite future , n'ont fait qu'exalter leur enthousiasme, et la plus grande punition qu'on eût pu leur infliger, eût été de leur donner une autre desti- nation, quelques avantages qu'ils eussent pu en at- tendre. Enfin, la Dordogne arrive sur la fin de juillet. Le 1" août , assisté de MM. Jacquinot , Dubouzet et Ro LXXX INTRODUCTION. quemaurel, je passe l'inspection des hommes qu'on di- sait avoir choisis pour notre expédition dans les levées du nord. Sur près de quatre-vingts, nous n’en dési- gnons que vingt; encore pour compléter ce nombre, faut-il admettre des matelots de troisième classe, à peine âgés de 19 à 20 ans; mais ils semblent alertes, bien portants, et surtout de très-bonne volonté, ce qui plaide en leur faveur à mes yeux. Ainsi frustré dans mon attente , je demande au pré- fet l'autorisation de prendre, sur les vaisseaux de la rade, quelques hommes de bonne volonté : ma requête est accueillie, et grâces à ce moyen , les équipages se complétèrent rapidement”. Pour exciter leur ardeur, le ministre avait ordonné qu'on accordät sur-le-champ un avancement en grade ou en classe à tous les sujets qui feraient partie de cette expédition, pourvu qu'ils eussent rempli les conditions exigées en pareil cas. Sage mesure qui eut les plus heureux résultats. Le 15 août, mon terme de rigueur arrive, et loin : d’être prêts à appareiller, il y a encore beaucoup à faire pour l'armement. Heureusement, l'Hercule et la Favorite quittent enfin Toulon, et de ce moment l'arsenal met à notre disposition les moyens néces- “ Note 2. nd INTRODUCTION. # LXXXI saires. La Zélée entre en rade le 14 août et lÆ#strolabe le 21 du même mois. J'aurais bien désiré pouvoir passer vingt jours sur la rade, une fois tous les travaux terminés, avant de lever l'ancre. Ce délai eût été bien utile aux ma- telots pour leur permettre de se reposer un peu des fatigues mouies qu'ils avaient endurées dans l’arme- ment , aussi bien que pour nous donner le temps de mettre en ordre taus les objets dont nos navires étaient httéralement encombrés. Mais les fâcheux retards qu'avaient subis les travaux, me privèrent de ces avan- tages. Au contraire, je me vis forcé d’assujettir nos marins à de nouvelles fatigues, pour ne pas m'expo- ser à perdre la saison prochaine pour l'exploration des glaces. Ces hommes montrèrent un dévouement par- fait et poursuivirent leur pénible tâche sans mur- murer. Le 7 septembre à midi, déjà bien encombrées , les corvettes n’eurent plus rien à prendre dans l'arsenal, et quoique nous eussions eu besoin de huit jours au moins pour nos derniers arrangements, je ne voulus pas perdre un instant de plus, et je donnai l’ordre du départ. À midi précis, je fis mes adieux à ma femme et à mes enfants. Ce moment fat bien douloureux pour | £ f LXXXEU JO INTRODUCTION. moi. Deux fois j'avais déjà subi cette cruelle épreuve; mais alors j'étais jeune, robuste, plein d'espérance et d'avenir, et sous l'empire des illusions. Mais en 1837, j'étais vieux, sujet aux atteintes d'une cruelle maladie, complétement désenchanté et sans aucune illusion. Je quittais donc tout ce qui m'était cher au monde , je renoncais volontairement au seul bonheur que je pouvais goûter, pour me lancer de nouveau dans une carrière pémible , ingrate, et qui ne devait peut-être m'offrir aucun dédommagement réel. Ainsi, quand je donnai le dernier baiser à mon Adèle, toutes ces idées vinrent m'assaillr, je ne pus retenir mes larmes, et je maudis ma triste destinée. Mais il était trop tard ; j'avais empli le calice, il fallait le vider. Je jetai un dernier regard sur les murs de mon humble retraite, puis je m'éloignai rapidement et me rendis àa mon bord. La, je sentis ma fermeté renaltre, toutes mes pen- sées furent consacrées sans réserve au mandat que je m'étais imposé. Dans le cours du voyage, il n'y eut qu'une seule circonstance où mes affections de famille, cruellement froissées, fallrent me faire renoncer à mes projets. SR x ae" CHAPITRE PREMIER. De Toulon à Ténériffe. Le bateau à vapeur le Crocodile avait été mis à ma disposition pour nous aider à sortir de la baie, en cas de calme ou de vent debout. La Zélée avait pu ga- gner la grande rade, et mettre à la voile sans son assis- tance ; mais l’Astrolabe, qui était resté en petite rade, ne pouvait s’en passer. À mon arrivée à bord tout était prêt, je hélai au capitaine du Crocodile de nous don- ner la remorque; mais il se passa près d’une heure avant que sa chaudière füt suffisamment chauffée, et ce ne fut qu'à une heure et demie que nous pü- mes nous ébranler. Nous fûmes bientôt rendus devant Saint-Mandrier, et le vent nous devenant bon, les voiles furent his- sées, le bateau à vapeur congédié, et nous dimes un adieu définitif à notre patrie. La Zélée, qui nous pré- cédait déjà de près de deux milles, modéra son sil- lage pour venir se placer à petite distance par notre E | 1 1837. 7 septembre. 1837. Septembre. 10. 5) VOYAGE hanche. Ainsi commença la navigation que nous de- vions faire durant plus de trois longues années. Le vent d’abord très-léger du N. O. fraîchit rapide- ment, la mer devint dure et clapoteuse; cependant la corvette fila 8 ou 9 nœuds. Malgré le peu de temps que nous avions eu pour mettre en ordre les divers instruments de la mission, il y eut peu d’avaries, et le sympiésomètre placé dans ma chambre soufrit seul par le jeu considérable des cloisons *”. Ce vent mollit dès le jour suivant : nous relevämes dans la soirée les terres de Minorque. Puis nous eûmes de petites brises variables et souvent contrai- res, entremêlées de calme. Ce qui rendait notre navi- gation lente et monotone. Nous eûmes bientôt acquis la conviction que la mar- che de la Zélée était supérieure à celle de l’Astrolabe. Cela me fit plaisir; j'aimais bien mieux que la con- serve fût quelquefois obligée de diminuer de voiles pour nous attendre, que d’être exposée à tenir trop de toile dehors. Par ce moyen le capitaine de la Zélée, avec une certaine vigilance, pouvait toujours main— tenir l’Astrolabe en vue sans forcer de voiles, tandis que, dans le cas contraire, cette dernière manœuvre eût été souvent indispensable. | À six heures et demie du matin, par un calme par- fait, on fit, à bord des deux navires, des expériences de température sous-marine, dont voici les résultats : * Note 3. ** Note 4. AU POLE SUD. 3 La température étant à l’air libre de 23° 4 et à la surface des eaux de 23° 8; le thermométrographe à bord de l’Astrolabe, descendu à. 550 brasses de pro- fondeur, indiqua 12° 8; et sur la Zélée, descendu à 290 brasses, donna 13° 2. Ces deux expériences con- firment les conclusions que j'avais déduites de mes observations de 1829, savoir que la mer Méditerranée, au-delà d’une certaine profondeur, se maintenait à une température moyenne de 42° à 13°. Dans l'après-midi, on a fait des expériences sur la transparence des eaux de la mer. Une assiette de faïence est restée visible à l'œil nu jusqu’à 19 ou 20 brasses de profondeur; à 2 ou 3 brasses plus tôt, on a cessé de la voir en employant le scopéloscope. La théorie semblerait indiquer que la tourmaline qui entre dans le corps de cet instrument , sous l’angle visuel de 37°, doit éliminer tous les rayons réfléchis par l'eau, pour ne laisser subsister que ceux qui lui arrivent directement d’un objet situé sous l’eau. Il en résulterait que cet objet, .vu sous un angle de 37° ou environ, devrait être beaucoup plus apparent à l’aide du scopéloscope qu'à l'œil nu, et l’on avait conçu l’es- poir que cet imstrument pourrait être d’un puissant secours dans les mers semées d’écueils de coraux ou de bancs à fleur d’eau. Pour ne pas me répéter, je déclarerai une fois pour toutes, que dans les nom- breuses expériences faites durant l'expédition, le sco- péloscope n’a pas une seule fois justifié ces espérances. Un mstrument imaginé par M. Biot pour ramener l'eau puisée à de grandes profondeurs de la mer, n’a 1837. Septembre. 1837. Septembre. A1. A: À VOYAGE pas mieux réussi. Mais comme MM. les officiers de la Boniie assurent en avoir tiré un bon parti, il faut sup- poser que le nôtre avait quelque chose de défectueux dans son mécanisme, car M. Dumoulin, à qui J'avais exclusivement confié ces divers genres d'observations, y portait toute son attention, et il ne renonça à cet instrument, du reste fort ingénieux, que lorsqu'il lui fut démontré qu'il ne pouvait pas lui être utile”. Des expériences de température répétées à 100 et 50 brasses seulement de profondeur, accusèrent 13° 5 et 14°; tandis que la surface était à 24° 2. Preuve évi- dente que la couche des eaux, dont la température variable dépend sans doute de celle de l’atmosphère, est peu considérable. Je remarque avec surprise que malgré les calmes et la tranquillité des eaux de la mer, nous ne voyons rien de semblable à ces légions de mollusques divers, qui fournirent, en mai 1826, la matière d’amples mé- moires à M. Quoy, dès le début de la campagne. Quel- ques méduses et velelles se montrerent seules aux re- gards empressés de MM. Hombron et Jacqumot. Par 37° latit. N. et 3° 30/ long. O. le thermoméitro- graphe, par 200 brasses, descend à 12° 8, et par 100 brasses à 13° 8; tandis que la température des eaux superficielles se maintient à 25° 5. Ce jour, à sept heures trente minutes du matin, nous passons à six milles au sud du cap de Gates, et depuis ce moment nous prolongeons à une petite dis- * Note 5. AU POLE SUD. 5 tance la côte d'Espagne. C’est le moyen de rendre fa navigation moins ennuyeuse pour tout le monde, et en même temps de vérifier la marche de nos montres marines. Notre longitude, déterminée déjà par des relè- vements pris à terre, s'accorde parfaitement avec celle qui résulte des chronomètres des deux corvettes. Quoique le point nous plaçät assez près du rocher de Gibraltar, un temps sombre et brumeux nous avait empêchés de rien apercevoir à bord de l’Astrotabe. La prudence nous conseillait donc de mettre en panne pour la nuit, au risque de voir tomber tout-à-fait une petite brise d'est, qui nous avait poussés depuis qua- rante-huit heures environ. Mais en passant près de moi vers cinq heures du soir, le capitaine Jacquinot m'assura qu’à son bord on avait parfaitement reconnu le rocher droit de l'avant dans l’ouest. Cette assurance et la crainte d’avoir demain des vents d'ouest me déterminèrent à pousser de l'avant. À sept heures la nuit était déjà très-noire, à dix heures le rocher se montra Groit devant nous, et M. Demas, dont la vue était meilleure que la mienne, pendant la nuit, aperçut le feu de Tarifa. Vers onze heures la lune vint faibiement éclairer notre route. Toute faible qu'elle était, la brise nous faisait filer #4 nœuds, ce qui suffit pour nous faire refouler lentement le courant. Aussi, à cinq heures du matin nous passions au sud de Tarifa ; à huit heures nous étions parvenus à cinq milles au large de la baie de Tanger, et cette ville, avec ses maisons , ses fortifications et ses navires, se MGR (rail à nos regards. 1837. Septembre. 20, 1837. Septembre. 21. 6 VOYAGE Là, nous fûmes surpris par le calme qui nous ra- mena à vue d'œil dans l’est. Mais de midi à trois heures un heureux retour de marée nous renvoya à cinq ou six milles dans le S. O., de sorte que nous n’étions plus qu’à deux milles environ de la côte à l’ouest de Tanger. À trois heures une petite brise de N. N. O. qui survint, me permit de virer vent arrière et de m'éloi- gner de terre; plus heureux que M. Jacquinot, qui voulant virer vent devant, manqua, et fut rapidement drossé par le courant contre terre. Il fut mème obligé de mettre un canot à la mer pour se tirer de cette mauvaise position. Le vent passa ensuite à l'O. S. ©. assez frais, et nous fümes obligés de courir des bordées pour doubler le cap Spartel, encore n’en vinmes-nous à bout que le jour suivant vers trois heures du matin, et grâce à ce que le vent passa à l'O. N. O. C’est alors que je me félicitai vivement d’avoir donné dans le détroit la nuit précédente. Si j'avais attendu au jour, le calme me surprenait, puis les vents d'ouest, et j'en avais peut-être pour plusieurs jours d'efforts inutiles. Une ficheuse expérience m'avait appris, en 1826, combien ces retards pouvaient se prolonger. J'étais déjà bien arriéré pour la saison, et un contre- temps semblable ruinait peut-être tous mes projets. Une fois lancés dans l’océan, nos bordées devinrent plus aisées. Mais la mer fut plus grosse, et la tempéra- ture baissa d’une manière si rapide que chacun fut obligé d’avoir recours aux effets d'hiver. Les terres n'étaient plus à pour nous renvoyer leur chaleur. e AU POLE SUD. 7 Ce jour nous commençämes, M. Dumoulin et moi, à nous occuper de mesurer la hauteur des principales lames, d’après le procédé que j’employais dans mon dernier voyage; c’est-à-dire en nous élevant à une hauteur suffisante pour mettre sur une même ligne notre œil, le sommet de la vague la plus voisine et l'horizon. Nous trouvames l’un et l’autre, chacun de notre côté, cinq mètres; et cependant ces lames étaient de celles auxquelles on fait à peine attention dans les navigations à travers l'océan ‘. Chacune des corvettes avait été pourvue d’une assez bonne quantité de viandes préparées par le nouveau procédé de Noel et Taboureau. De nombreux éloges avaient été accordés à ces préparations , leurs auteurs étaient déjà proclamés les bienfaiteurs de l'humanité, eton n’aspirait à rien moins qu'à substituer en entier ce système aux salaisons habituelles de la marine. En effet , les expériences tentées à Toulon avaient parfai- tement réussi. Presque tous ceux qui avaient goûté de ces viandes les avaient trouvées supérieures aux viandes salées, et quelques-uns plus enthousiastes les avaient jugées tout ausst bonnes que les viandes fraiches. Pour moi, toujours défiant à l'égard de ces innova- tions tant prônées à l'avance, pour avoir vu le plus sou- vent leurs résulats avorter complétement dans la pra- tique , je m'étais abstenu , et je voulais attendre que l'expérience vint justifier les espérances conçues au " Notes 6 et 7. 1337. Septembre. 23. 1837. Septembre. 8 VOYAGE port. J'avais donc décidé de faire ouvrir chaque mois un des cylindres de 30 kilogrammes qui les conte- naient, afin de vérifier d’une manière exacte combien de temps ces viandes pourraient se conserver à bord. À l'ouverture de la caisse, une odeur nauséabonde s'en est exhalée, mais la chair est assez belle, bien que sa substance soit un peu ramollie. Préparée et cuite suivant les instructions données par les auteurs, tout le monde, d’un commun accord, en a trouvé la soupe fort bonne ; la viande elle-même a été jugée bonne et bien supérieure au bœuf salé, quoique son aspect soit peu agréable à la vue. IH faut remarquer pourtant que l’équipage à paru bien plus réservé dans ses éloges que les officiers; et je me suis rangé parmi les modérés”. Le thermométrographe envoyé à 200 et à 600 bras- ses , a indiqué que la température des eaux de la mer, à ces profondeurs, n'était qu'à 14° et 8°, tandis que celle de la surface atteignait 22° 7. La Zélée, à laquelle j'avais ordonné d'envoyer son instrument à 400 brasses, a eu sa ligne de sonde rompue quand on a voulu la retirer. Ainsi le plomb, le thermométrographe , le cylindre qui le renfermait ont été perdus avec 200 brasses de ligne. M. Jac- quinot n'a expédié un officier pour me rendre compte de cet accident, et me demander un autre thermomé- trographe que je lui ai donné. Quant au cylindre, ilen fera fabriquer un par son armurier, Car ilne m'en reste * Notes 8 et 9. AU POLE SUD. 9 plus que deux que je veux ménager pour nos grandes expériences. "à Au point du jour, nous aperçümes les terres de Lan- cerote bien accidentées et escarpées sur leurs bords. Nous en avons lentement approché, et le soir nous commencimes à découvrir ceux de Fortaventure. Les vents mous et contraires ne cessent d'entraver notre marche, contre-temps désolant pour la relâche que je compte faire à Ténériffe. De puissants motiis m'ont déterminé à échanger notre halte du Cap-Vert pour celle de Santa-Cruz. Ici je pourrai acheter du vin que je re trouverai point dans aucune des îles du Cap- Vert, et je pourrai envoyer M. Dumoulin au sommet du pic pour exécuter diverses observations qu’on m'a dernièrement reproché de n’avoir point faites lors de ma course, en 1826, quoique l’on sût parfaitement que je n'étais point en mesure pour cela. Un calme profond m’imvite à tenter, vers dix heures, une sonde à la profondeur de 1,060 brasses. L’opéra- tion réussit parfaitement. Vingt-six minutes sufii- rent pour faire descendre le plomb. El resta ensuite une heure dix minutes à cette profondeur, avec la ligne parfaitement verticale. Puis en cmquante-sept minutes 1l à été ramené à bord. Un second instrument avait été suspendu à la distance de 800 brasses. La surface des eaux était à 24° 2; on a trouvé pour 100 brasses 5° 1, et pour 800 brasses 7° 2. Ces expériences, longues et pénibles pour notre faible équipage, deviendraient courtes et faciles sur des navires ayant un équipage de 120 hommes ou 1837. Septembre. 27. 28. 1837. Septembre. 10 ; VOYAGE davantage. Car on pourrait alors placer sur la ligneun nombre de bras suffisant pour ramener lestement le plomb, de sorte que la ligne viendrait sous un angle moins oblique, et serait bien moins exposée à s’en- gager sous la carène, ou bien entre le gouvernail et l’étambot, circonstances qui déterminent souvent sa rupture. À quelque distance au-dessus du plomb, j'avais sus- pendu un sac en toile à voile, dans lequel j'avais placé une bouteille hermétiquement fermée, et des morceaux de substances diverses. La bouteille revint littéralement réduite en pous- sière. Parmi les autres substances, les bois seuls furent pénétrés. Mais tous les métaux, or, argent, cuivre, fer, étain, plomb, zinc, la cire à cacheter, le caout- chouc, n’éprouvèrent aucune augmentation de pesan- teur appréciable , malgré la pression de 156 aimo- sphères. Quant aux bois, voici leur état avant et après l'expé- rience : Avant. Après. Sapin, 19 gr. 30 45 gr. 93 Noyer, 11 82 23 59 Chêne, 14 30 26 60 Orme, 23 » 65 44 05 Frêne, 21 41 39 83 Gayac, PL 8 50 Chène vert, 13 40 19 10 Liège, > RL DRASS * Note 10. AU POLE SUD. 11 1837. A six heures , moment précis du coucher du soleil, Sembre. le pic de Ténériffe, dont le piton seul était visible , se dressait droit devant nous sous la forme d’une petite île conique, ou plutôt d’une énorme pyramide d’une forme régulière. Son angle visuel, mesuré au micromètre, était déjà de 19°44//, quoique sa distance, conclue de relèvements assez sûrs , fût encore de 106 . milles. Dans la journée suivante, une faible brise d'est 29. nous fit doubler lentement les hautes terres de Cana- rie , île aux formes sévères et imposantes; tandis que la masse de Ténérifle , surmontée par son immense piton , surgissait insensiblement aux limites de l’ho- rizon. Vingt-sept milles nous en séparaient encore au coucher du soleil; cependant l’aide des lunettes nous permettait de voir queses arêtes étaient parfaitement dégagées de neige, ainsi que sa cime elle-même. J'étais à peine à une encâblure du mouillage, quand 30. un pilote vint m'offrir ses services; je le remerciai, et M. Jacquinot en fit autant. À midi, les deux corvettes mouillaient à côté l'une de l’autre, par 20 brasses fond de sable. 1837. 30 septembre. 12 VOYAGE CHAPITRE I. Séjour à Ténériffe. Vers une heure, le canot de la santé vint nous faire raisonner. Quand nous eûmes répondu aux questions accoutumées , on nous signifia que nous aurions à subir quatre jours de quarantaine. On nous expliqua que cetie quarantaine avait été tout récemment établie sur les navires provenant de la Méditerranée , d’après le bruit qui avait couru de quelques cas de peste qui auraient éclaté dans le lazaret de Marseille. Nous au- rions été soumis à six jours, si notre traversée de Tou- lon à Santa-Cruz se füt effectuée en moins de quinze jours. Pour moi, si désireux de rallier les régions antarc- tiques, cette déclaration inattendue fut bien désa- gréable. Elle le fut encore plus pour nos jeunes offi: ciers, empressés de prendre leurs ébats à terre ; mais chacun dut prendre son parti et contempler tristement AU POLE SUD. 13 les côtes arides et les campagnes brülées de Ténériffe, jusqu'au moment où il nous serait permis de poser es pieds à terre. Le vaisseau l’Hercule et la Favorite se trouvaient à ce mouillage huit ou dix jours avant notre arrivée. Le prince de Joinville avait fait une excursion au pic; et _ à son retour , disait-on , il trouva le brick l’Oreste qui lui avait été expédié pour lui apporter l'ordre de ren- trer en France. Sur-le-champ la division avait repris la mer; et deux jours apres la corvette la Diligente était arrivée de Toulon pour le même objet que l'Oreste , mais elle n'avait fait que paraître sur rade sans y mouiller. À cette nouvelle sPingiation de chacun de nous prit l'essor, bien de suppositions diverses eurent lieu. L'opinion la plus générale fut que le jeune prince avait été rappelé pour prendre part à l'expédition de Constan- tine. Plus tard nous apprîmes qu'aucune d'elles n’était fondée. Le prince de Joinville, en effet, comme chacun le sait, poursuivit sa campagne, et visita les divers points des deux Amériques, ainsi qu'on l'avait an- noncé. J'avais fait demander par notre consul, M. Bretil- lard , un point à la côte où 1l fût possible à nos officiers de commencer leurs observations. On m’indiqua le la- zaret; et vers trois heures , MM. Demas, Montravel et Dumoulin se dirigèrent vers ce point. Mais il leur fut impossible de tenter le débarquement. Le ressac était Si fort, qu'en supposant même qu'ils eussent pu inettre pied à terre, on n'eût pu transporter les instru- 1837. Septembre. 1837. 4er octobre. 14 VOYAGE instruments sans Courir grandement le risque de les perdre. Sur les huit heures du matin, je descendis à terre derrière le môle. Là je trouvai M. Bretillard et don Mathias, directeur de la santé. Je chargeai le premier de s'occuper immédiatement des vivres dont je lui donnai la note, et des préparatifs pour le transport des officiers qui devaient exécuter l'ascension du pie. M. Bretillard déclara qu’il était trop tard pour cette course , et que la neige s’y opposerait; mais don Ma- thias affirma qu'il n’y en avait pas encore. Une charmante goëlette espagnole, nommée Norma, est venue mouiller près de nous dans laprès-midi. Longtemps je l'ai considérée avec un œil de convoi- tise. Combien un semblable navire eüt pu me rendre de services dans les glaces et surtout dans les labyrin- thes de coraux de l'Océanie ! Quel avantage de pouvoir l'expédier en reconnaissance là où nos corvettes sont déjà trop lourdes, trop peu maniables pour pouvoir les y lancer sans de grands risques! Avant de quitter la France, j'avais souvent songé à tout cela. Mais cette acquisition eût accru les dépenses de l'expédition; J'avais peu de crédit et je devais déjà m’estimer heu- reux d'avoir obtenu deux navires solides et bien approvisionnés. Enfin cela eüt encore reculé notre départ déjà si tardif. Dans la matinée, un canot de la santé est revenu lé long du bord pour nous questionner de nouveau sur l'état sanitaire à Toulon, et sur celui de nos équipages. Des bruits bien étranges , des nouvelles sinistres cau— AU POLE SUD. 15 sent aux braves habitants de Ténériffe une vive in- quiétude sur les provenances de la Méditerranée. Un navire arrivé hier d'Espagne s’est plu à leur débiter que quatre cents personnes mouraient chaque jour à Toulon; et ce qu'il y a de plus bizarre, c’est que notre départ de Toulon est postérieur à celui de cet oiseau de mauvais augure. Après avoir gravement écouté les dépositions des capitaines et des médecins, MM. de la santé se sont décidés à prendre nos patentes et à nous promettre l'entrée libre pour demain à midi. Au moyen d'une ancre à jet mouillée au large, d’un faux bras et du cabestan, nous avons profité d’un calme plat pour faire virer la corvette sur elle-même et Jui faire présenter successivement le cap à toutes les pointes du compas. L'expérience a réussi parfaitement et l’on a employé le grand compas placé sur la tête du cabestan , et destine à servir aux observations subsé- quentes. Le point qui a servi constamment de terme de comparaison est la pointe S. E. de l’île de Ténériffe éloignée de 22 milles environ. Les plus grandes diffé- rences relatives aux divers caps n’ont été que de 30 à 40 minutes, c'est-à-dire nappréciables , puisque c’est là précisément la limite de précision pour la lecture des relèvements faits au compas. Vers midi, le canot tant désiré de la santé revient le long du bord. Après une nouvelle série de questions encore plus longues que celles de la veille, au moment où chacun n’attendait plus que le oui définiüif, le di- recteur de la santé nous déclara avec une impertur- 1837. Octobre. 1837. Octobre. 4. 16 VOYAGE bable gravité que nous n’aurions l'entrée que le len- demain au matin. | À cette étrange décision chacun fut désappointé. Le capitaine Jacquinot était furieux, et j'avoue que je fus moi-même assez contrarié de ce nouvel ajournement qui ressemblait fort à une mystification. J’eus même un moment l'envie de remettre à la voile sur-le-champ pour en finiravec tous ces hommes sans parole. Mais les vivres, les montures et d’autres objets avaient été commandés à ma prière par M Bretillard. Il me re- présenta l'embarras où je le mettrais, et je tenais tant moi-même aux expériences que M. Dumoulin devait exécuter dans cette excursion, que Je ne voulus pas la faire manquer pour un jour de plus de retard. Dès huit heures , le canot de la santé vint nous ac- coster, et cette fois 1l nous annonça que nous pouvions communiquer avec la terre. À cette nouvelle, tous les. officiers, ceux qui se trouvaient de service seuls exceptés, prirent leur volée, et les rues solitaires de Santa-Cruz furent bientôt peuplées de Français, cou- rant çà et là, selon que leurs goûts où leurs penchants les dirigeaient. J'avais désigné MM. Dumoulin et Coupvent pour les observations officielles à faire , et devant en consé- quence faire cette course aux frais Ge l'expédition. D'autres s’y joignirent en qualité de simples amateurs comme MM. Dubouzet, Lafarge et Le Guillou, mais cheminant à leurs frais. Vers dix heures, ils se mirent en route, et nous les laisserons accomplir leur voyage sans autres détails. AU POLE SUD. 17 Jai déjà raconté ce que je pus y voir de curieux en 1826, et dans l’appendice on trouvera, si l’on veut, les relations de deux de ces messieurs *. Pour moi, conduit par M. Bretillard, je suis allé faire ma visite au marquis de la Concordia, maréchal de camp, gouverneur des Canaries, homme d’une soixantaine d'années, de bonne mineet doué de toute la gravité espagnole. Son accueil a été poli, mais sans aucune sorte d'empressement, ni même de cette pré- venance presque officielle dans sa position vis-à-vis d’une expédition comme la nôtre. Cette réserve m'a parfaitement convenu; car je me souciais fort peu d’avoir à subir les galas, les bals, les fatigues et les questions ennuyeuses qu'entrainent de coutume ces fastueuses réunions. J'avais besoin de repos et d’indé- pendance pour me préparer au long trajet que j'avais en perspective avant de quitter de nouveau ma pri- son flottante. Je fis donc un tour de promenade en ville avec M. Bretillard. Nous nous présentâmes dans quelques maisons dont les maîtres n'étaient pas visibles, car c'était l'heure de la sieste; puis je rentrai de bonne heure sur ma barque, après avoir arrêté pour le sur- lendemain une promenade à cheval pour Laguna et la belle forêt de las Mercedes. Pour essayer jusqu'à quel degré nous pouvions compter sur la sagesse de nos marins, j'avais con- senti à laisser descendre à terre le quart de chaque * Notes 11 et 12. 3 DL 1837. Octobre. 1837. Gctobr. 18 LL INOYAGE : équipage. En véritables étourdis ; ils: tombèré corps perdu sur le. vin: fortement: alcéolisé du . la plupart firent des libations si aboñdantese qu'ils perdirent la faible dose de raison dont:ils avaient été doués par la nature. Une fois dans cet état suivant la louable coutume des Français, ils allèrent chercher querelle aux habitants de la ville; le guet intervinteet quelques-uns furent logés en prison où il-fallut aller les réclamer. D’autres à bord oublièrent les lois de la discipline. il en résulta que je donnai l’ordre de con signer. sur leurs navires respectifs les deux équipages pour toute la durée de la relâche; me réservant de les en dédommager en des lieux où le jus de la vigne ne serait pas là pour leur faire oublier leurs devoirs": M. Dumoutier avait entendu dire en ville qu’en des grottes situées à quelque distance de Santa— Cruz, il pourrait encore trouver les froides reliques des anciens Guanches; un habitant même s’étaitoffert à lui servir de guide. Pouvoir conquérir quelque crâne de Guanche, c'en était assez pour faire courir notre ardent phrénologiste au bout du monde. Il-me de- manda la permission de s’absenter pour deux jours, et jy consentis très-volontiers. Je lui accordai même un bout de corde pour se laisser glisser le: ré des précipices où ces grottes sont situées. Sur les trois “ne de l’après-midi, at " grosse houle qui rend très-difficile et même périlleux le débarcadère du môle, je descends à terre: M. Bre— * Notes 13 et 14. üllard me conduit d’abord au cabinet de curiosités que J'avais déjà visité en 1826. Je désirais cette fois examiner plus en détail ces débris de l’ancienne in- dustrie des indigènes pour mes études ethnographi- ques, mais la maison était complétement fermée. Ayant témoigné le désir de visiter un des beaux jar- dins du pays, afin d'avoir quelque idée du génie des habitants en horticulture, M. Bretillard me conduisit à celui du capitaine du port qui se trouva fermé. Alors nous nous rabattimes sur celui de M. Mangri, qui avait aussi sa renommée dans le pays. M. Manori, ancien secrétaire de la municipalité sous le régime absolu, s'était signalé par des opininions exagérées qui lui avaient fait nombre d'ennemis dans la faction opposée. Aussi quand la constitution fut proclamée de nouveau, sa maison fut assaillie à coups de pierre, et pour sa propre sûreté il fut longtemps obligé de se cacher. Il n'y avait que quelques mois qu'il com- mençait à se remontrer, et il passait presque toutson temps dans son jardin. Sans doute celui-ci avait dû souffrir de l'absence forcée de son maïtre; cependant il est facile de juger que même aux jours de sa pros- périté, c'était fort peu de chose. C'était tout simple- ment un enclos à peine d’un arpent de surface, en- touré d’un mauvais mur. Au dedans régnait, tout le long de,ce mur,une chétive tonnelle, et dans le milieu s’élevaient sans ordre et clair-semés , quelques bana- niers, papayers, mangoustans, manguiers et figuiers, etc., d’un aspect misérable. Une plantation de millet complétait ces tristes cultures. Tout. cela était bien 1837. Octobre. 1837. Octobre. 20 . VOYAGE ù pauvre, bien aride, bien nu en comparaison deces florissantes et admirables plantations des Moluquesret des îles de la Sonde, où ces mêmes végétaux se déve- loppent avec un luxe et une vigueur incroyables. Toutefois, il est juste d'ajouter que ce petit enclos de M. Mangri était un Eden à côté de celui du pauvre Bretillard qu'il me montra ensuite. Placé vers le pen- chant de la côte, ce n’est qu’un méchant coin de terre aride, triste et sauvage. Dans la saison favorable une maigre plantation de blé et de pommes de terre peut lui donner un peu de verdure, mais en ce moment il est d’une nudité attristante. À peine si un ou deux arbres rabougris offraient un ombrage suffisant con- tre les rayons du soleil. Un petit pavillon, qui cou- ronnait ce prétendu jardin, eût pu offrir quelque agrément, à cause de la belle vue dont on y jouissait, mais ‘on le laissait tomber en ruines. Une bonne partie des coteaux voisins est couverte de Cactus coccifera, et j'appris que la culture de la cochenille est pratiquée aujourd’hui à Ténériffe avec activité et succès. Le consul m'assura toutefois que c’é- tait une industrie bien chétive. Le demi-kilogramme ne se vend que douze francs et coûte bien du travail et bien des peines pour la récolter, et surtout pour la préparer avant qu’elle puisse être livrée à ce prix. Depuis un moment, mes yeux fixaient avec Curlo- sité une longue ligne blanche qui serpentait à une grande hauteur le long de la montagne et dont la blancheur éclatante tranchaïit vivement sur la teinte . orisâtre du terrain. M. Bretillard m'apprit que c'était " 4 , , rs pr en AU POLE SUD. . 21 l'aquéduc en pierre, construit par les soins d’un des derniers gouverneurs, nommé Moralès, en place des simples conduits en bois qui conduisaient jadis l’eau à Santa-Cruz. On avait été obligé de tailler le roc sur une foule de points, et dans un endroit il avait fallu couper une montagne entière pour frayer un passage aux eaux. Pour satisfaire au désir que j'exprimai, le consul se mit à marcher devant moi pour nous en rapprocher. Nous eùmes d’abord à gravir une côte assez roide au travers des laves et des scories. Au bout d’une demi- heure environ, nous nous trouvàmes dans le petit sen- tier pratiqué au-dessus de l’aquéduc lui-même. Bien- tôt ce chemin se trouva suspendu le long d’une pente si escarpée qu'il a fallu entamer profondément le roc à gauche, tandis qu'à droite la vue plonge sur des précipices de plus de 150 mètres de profondeur. C’est alors un petit sentier sans parapet et dont la largeur se réduit quelquefois à 5 ou 6 décimètres au plus. Je m'étais d’abord engagé dans cet effroyable défilé sans trop y prendre garde, et comptant qu'il avait peu d’étendue ; mais en le voyant s’étendre au-delà de mes prévisions , je ne pus me défendre d’un certain senti- ment de terreur involontaire. Malgré mon excellente vue, et peut-être même pour cela, je suis du nombre de ces personnes qui n’aiment point à se trouver sus- pendues sur des objets situés à leurs pieds sans avoir au moins un point d'appui. Je demandai à mon guide, qui marchait devant moi d’un pas assez dégagé, s’il fallait cheminer longtemps de cette manière. Il me 1837. Octobre. 1837. Octobre. 22 : VOYAGE répondit en termes assez vagues , en m’invitaht ne regarder que le roc à gauche et nullement'le-précipice à droite. Je pris mon parti comme je puss mais au iond du cœur je regrettai la sotte curiosité ss ma l'avait attiré dans cette promenade. | | Ce mauvais pas peut avoir 300 mètres drétendie: puis nous traversâmes un Barranco ou torrent étroit et très-creux sur une simple planche de 7 décimètres de large. Après les orages ; ce torrent roule sans’ doute d'immenses masses d’eau qui doivent former d’admi- rables cascades , en se précipitant dans la vallée hs couronnent ces montègues abruptes. 9 * | Alors nous nous trouvâmes devant la Cortadura: C’est une tranchée faite dans une colline afin d'éviter un très-long détour pour la conduite des éaux. Ses di- mensions sont de 20 à 25 mètres de hauteur, sur un mètre au plus de large , et 150 mètres d’étendue: Sa direction ne m'a pas semblé parfaitement rectiligne mais un peu coudée dans le milieu. ” roc est une lave ancienne et très-compacte.. D CFSIS SRE CE Au sortir de la Cortadura , Ÿ rai portent son cours le long de la dit pau mais le chemin présente un aspect moins effrayant , attendu que la pénte com: mence à s’incliner davantage par rapport à la vérti- cale, etl’amateur n'aurait plus tant à redouter la suite d’un unique faux pas: M. Bretillard m’assura que les eaux venaient d’une distance de plus d’un myria- mètre. Jugeant qu’il était temps de rallier mon bord, je voulus savoir s’il n'y aurait pas moyen de revenir par unautre chemin. Mon compagnon me répondit que’cela AU POLE SUD. 23 serait possible, mais que la route était bien deux fois plus longue et plus fatigante , attendu qu’il n’y avait point de sentier frayé, et qu'il faudrait marcher à tra- vers les roches et les broussailles et souvent par des pentes assez roides. Toutefois je ne balançaï pas à prendre cette nouvelle route, sous le prétexte de va- rier mes observations, mais au fond pour éviter les défilés que je ne me souciais nullement de revoir. :: «La nouvelle route, en effet, n’était pas belle, mais nous nous en tiràmes à notre honneur; à einq heures et demie nous rentràmes en ville, et à six heures je me retrouvais à bord, peu ésirui. quoiqu'il y eût bien léngresips que je n’eusse fait une semblable course. Presque toutes les ‘jeunes files et " enfants que J'ai rencontrés sur’mon chemin me demandaient le quartillo. On m'a assuré que la primcipale occupation des classes aisées est le jeu. Le peuple paraît doux, jo- vialet frugal , mais très-enclin à la paresse. Une extrèmedhcence règne dans:les mœurs. À mon pas- sage dans les rues, plus d’une fois j'ai vu s'ouvrir une fenêtre , un joli minois s'y montrer et m'adresser des signes très-significatifs. Vingt années auparavant , Jaurais peut-être, dans ma fatuité , attribué ces avances à ma bonne mine, mais désormais elles ne pouvaient s'adresser qu'aux douros ( piastres ) dont on supposait probablement mon gousset garni! : Toute la nuit la houle a été si dure, j'aiété si rude- ment secoué, que J'ai à peine fermé les yeux, et cela m'a causé un mal de tête assez violent: Néanmoins, 1837. Octobre. 6. 1837. Octobre. PI. 1. 21 VOYAGE pour ne pas manquer lexcursion projetée ; à six heures je suis descendu chez le consul qui m'atten- dait. Je suis monté sur un coursier maigre et dé- charné; M. Bretillard sur un autre qui n’avait pas RS meilleure mine; puis nous nous sommes paisiblement mis en route. Le fils du consul et son:do- mestique nous suivaient sur deux bourriques qui por- laient en même temps nos vivres. Bien qu'améliorée en divers endroits, depuis mon passage d'il y a onze ans, jusqu’à Laguna, la route est toujours fort mauvaise. Plusieurs chameaux, chargés de divers fardeaux, cheminaient assez Téieniont, au milieu de ces chemins raboteux. M. Bretillard m’a ap- pris que cette race d'animaux était maintenant natu- ralisée à Ténériffe, tandis que naguère encore il fallait les tirer de Lancerote ou de Fortaventure. Après avoir traversé rapidement Laguna, qui m'a semblé, comme en 1826, en pleine décadence, au tra- vers des vestiges de son ancienne opulence, nous avons pris une route qui traverse une vaste plaine en- tourée de toutes parts de hautes collines. La forêt de Mercedes occupe le fond de cette vallée, c’est la seule partie boisée de ce vaste amphithéâtre, et les eaux qui s'en échappent sont conduites à Laguna au moyen.de simples dalles en bois découvertes et soutenues à sept ou huit mètres au-dessus du sol. Il en résulte qu'il s’en perd beaucoup dans le trajet, tant par l'effet d’une forte vaporisation que par les fentes ou fissures inévi- tables de l’aquéduc. Tout le sol de cette plaine et des coteaux voisins; AU POLE SUD. 25 que l’on nr'a dit riche et fertile en grains eten pommes de terre, présente à l’œil de l'observateur un aspect sauvage et bizarre , dû sans doute à son origine volca- nique aussi bien qu’à l’absence, ou du moins à la ra- reté des êtres animés, tels qu’oiseaux, insectes, papil- lons, cigales, ete. Parmi les habitants dePair, je n'ai remarqué qu'une petite espèce d’épervier, commune et très-familière, et quelques grands butors, les uns gris, les autres au dos d'une blancheur éclatante, qui se plaisaient à planer surla forêt , attirés sans doute pau la fraicheur de ses ombrages. Vers neuf heures, et à une lieue de Laguna, nous mimes pied à terre à la casila de don Mathias de Cas- tillo y Yriarte. C’est une petite maisonnette qui res- semble tout-à-fait aux méchantes bastides de Toulon, et qui n’est pas mieux ornée au dehors. Je n’y remar- quai qu'un petit treillis couvert d’une vigne d'où pendaient de nombreuses et magnifiques grappes d’un raisin délicieux. J'y pris ma part d’un modeste déjeûner et je sa- blai avec joie un petit vin commun du pays, ve- nant de la cave du consul, tandis qu’il savourait avec délices et à longs traits le vin de la Malgue, dont J'avais apporté quelques bouteilles. Ce vin lui rappe- lait la France, et cette idée en doublait la valeur à ses yeux. | Une heure fut donnée à cette importante occupa- tion, puis nous remontämes à cheval et poussimes jusqu'à la lisière de la forêt, éloignée de vingt minutes 1837. Octobre. 1837. Octobre. 26 VOYAGE environ. Là, nous fümes ‘obligés de mettre piedrà terre, et nous enfilâmes un étroit sentier, le longrdu quel s’enfuyaït en murmurant à ras terre untpetit ruis- seau. Ses eaux formaient une des branches: tributaires de l’aquéduc: Après avoir remonté un instant son COUrS | nous sommes arrivés dans un lieu où l’on a pereé um $ou- terrain de 120 mètres environ de longueur, sur un mètre ou deux de hauteur au plus et unmètre de/lar- geur. Nous avons traversé cette crypte qui devient assez maussade pour le piéton, par la gêne à laquelle elle l’assujettit et le chemin caillouteux et bourbeux qu'on y trouve. Mais ces inconvénients sont compensés jusqu’à un certain point par la fraîcheur délioiause dont on y jouit. | Hi: En sortant de l’autre côté du petit morne qu welle traverse, nous nous trouvames au milieu de la forêt, qui ne mérite plus guère que le titre de bois-taillis, attendu qu’elle n'offre plus que des arbustes et des fougères. Les arbres ont tous disparu. Le plus gros que j'ai mesuré avait tout au plus 13 décimètres de, Gir- conférence et son tronc difforme et tortu n'avait rien de gracieux. Le ton général de cette Ven se a. prochait déjà de celui des îles océaniennes :mais c'était bien chétif , bien misérable enipastirelielt à la magnificence et à la splendeur des Sn FAR siennes. | : En quittant ce canal, qui porte le nom de Bouquai ron, nousnous sommes dvi gés vers une sir Dranolis de l'aquéduc: nous sommes arrivés sur une ‘assez CR OU Er 2) AU POLE SUD. 27 belle esplanade, couverte de petits arbres et dont les parois humides sont tapissées de fougères variées. Jadis un petit édifice servait de réservoir à l’eau à sa sa sortie même du roc; ce quia fait donner à ce lieu lemom de Casita ou Madre del Agua: mais il ne reste plus aujourd’hui de ce petit édifice que les quatre mu- railles bien dégradées. Ces ruines modestes me rappe- laient involontairement celles de la fontaine Egérie à Rome, ou de quelques-unes de ces fontaines antiques sifréquentes sur le sol de la Grèce. Mais en y réfléchis- sant ,j étais obligé de convenir que pour un véritable aptHphne leur date toute moderne ne leur aurait laissé qu’un prix bien médiocre. | -Nous passâmes près d’une demi-heure assis sur les dalles de la fontaine ;, jouissant de l’agréable fraîcheur de ces lieux, et: cassant quelques croûtes de pâté, tandis que mon compagnon me contait ses doléances sur ses privations loin de son pays natal , sur ses pro- jets de retour en France, enfin sur les aventures de sa jeunesse. Je gardais le silence en faisant semblant de l'écouter. Mas le fait est que ma pensée se reportait sur ma propre situation ; je révais tristement aux êtres chers que j'avais laissés en France, et mon cœur sai- gnait en à os là durée d’une absence s si doulou- reuse. 1 [39 De là Casita del is : nous :passämes . à ipendrsie nommé Llana de los viejos (plaine des vieillards ). La tradition veut qu'au temps des Guanches, ce füt là l'endroit où venaient se réunir tous les anciens chefs de Vile, quand il ‘s'agissait de délibérer en conseil 1837. Octobre. 1837. Octobre, 28 VOYAGE solennel sur des affaires d’une importance générale. Quoi qu'il en soit, c’est une esplanade naturelle, si- tuée sur le penchant de la montagne, entourée dans une partie de son pourtour d'énormes rochers, etna- guères entièrement ombragée par des arbres de très- grande dimension. En effet, d’après les troncs qui restent au ras du sol, on peut juger qu’il y en avait de six ou sept mètres de circonférence. Là s'étaient con- servés les plus grands arbres de l'ile, mais l'ouragan qui fit tant de ravages à Ténériffe en 1825, n’en res- pecta pas un seul. Cet ouragan a laissé une telle im- pression dans l’âme des habitants , que quand je vou- lus les faire interroger par le consul touchant cet évé- nement , ils se contentèrent de lui répondre d’un air dolent et consterné : C’est le diable qui a fait cela. Probablement les Guanches auraient tout aussi bien répondu. Près de cette terrasse , un nouveau ruisseau des- cend de cascade en cascade, traverse l’esplanade et s'échappe au travers du bois pour aller se réunir aux deux autres et former le volume complet des eaux de l’'aquéduc. | | En y regardant de près , je découvris dans un coin du Llana un fragment informe de muraille en pierre sèche, et je questionnai M. Bretillard sur son origine et son emploi. Il ne put me donner aucune réponse. Mais comme cet endroit est assez éloigné de toute ha- bitation, même de toute culture, et que l'aspect des lieux ne permet guère de supposer qu’il y en aitja- mais eu, cette construction informe, selon toute ap- . +42 mod br ée.ct AU POLE SUD. 29 parence , ne peut point s'attribuer aux Espagnols. J'aurais donc été naturellement conduit à la consi- dérer comme une œuvre des anciens Guanches qui l’auraient élevée pour enceindre un lieu sacré destiné à des réunions solennelles, si M. Berthelot, qui a donné un excellent travail sur l’histoire des Canaries , ne m'eût assuré qu'il ne connaissait dans toute l’île de Ténériffe aucune construction bien authentique des anciens indigènes. Quoi qu'il en soit, on ne saurait trop insister sur la ressemblance parfaite de ces murs grossiers avec ceux qu'on pourrait trouver à Tœti, Tonga-Tabou, Nouka-hiva et Ualan, etc. J'avais à peu près passé en revue tout ce que la forêt de las Mercedes pouvait offrir à ma curiosité ; aussi nous redescendimes à la casita de don Mathias où nous fimes une seconde halte. De ce site on jouit d’une vue ravissante de la vallée entière de Laguna, des mon- tagnes environnantes et même du pic tout entier, dont la masse s'élève majestueusement au travers de tout cet amas de sommets qui, près de lui, ne semblent que des monticules insignifiants. L'air était si pur, que si nous avions eu des longues vues, nous aurions pu dis- tinguer nos voyageurs sur la crête du Pain de sucre. Des marchands de glace que nous avons rencontrés sur la route de Laguna à Santa-Cruz, arrivant du pic, nous ont appris qu'ils avaient vu hier au soir mes compa- gnons à Estancia , et qu'ils avaient dû gravir ce matin le sommet du piton. À cmg heures trente-cinq minutes je rentrai à bord assez fatigué de ma journée, moins cependant que je 1837. Octobre. 1837. Octobre. 30 7: VOYAGE n'aurais eu sujet de m'y attendre, après une courserde six ou sept heures. D'ailleurs je comptais ne plusre+ descendre à terre et pouvoir me remettre ose siéé ment de ce petit etéra: 02" 1100 run Sur les dix heures du matin, Je suis allé: paid vVi- site au capitaine Vidal, commandant le sloop anglais Æthna, et chargé de la reconnaissance hydrographi- que des îles Canaries. Je l’ai trouvé étendu surson cadre dans sa grande chambre. Depuis près d’uman il est retenu dans ce malheureux état par suite: d’un ulcère opiniätre au genou; et 1l craint d’être contraint de retourner en Angleterre pour ce motif. Toutefois il subit son mal avec courage et patience, et celamn'al- tère point son activité ni son zèle au travail . C'est un homme de 45 ans environ, d’une physionomie agréable et spirituelle, de manières simples et PrÉVONEENS ‘et parlant un peu le français. Ma visite a paru lui faire beaucoup de plaisir. n m'a assuré que sans son mal, à son arrivée, il serait allé sur-le-champ à bord de l’Astrolabe pour examiner mes instruments et mon installation. Sur le désir que je lui témoignai, il me fit à l'instant voir les minutes de ses cartes. Ces minutes sont à une échelle im-— mense, bien détaillées , et ce quinv'a paru d’un grand intérêt pour les marins, les sondes y sont AA avec profusion tout le long des côtes jusqu à 300 brasses de profondeur. L'entretien est tombé sur la hautes du pic. M. Vi- dal en a fait une mesure trigonométrique qui lui a donné 60 mètres environ de plus que celle qui est AU POLE SUD. 31 donnée.dans l'Annuaire ; 3,710 mètres. Il en a aussi une mesure barométrique qu'il n’a pas encore calcu-- lée; la station inférieure avait lieu dans une batterie de l'Orotava. À dire vrai, je n’ai qu'une confiance mé- diocre dans ces deux mesures. Pour la première , parce qu'il n'y a pas au littoral un local bien placé où l'on puisse mesurer une base convenable ; et pour l'autre, j'avoue que les baromètres de l'Æthna ne m'ont pas paru susceptibles d’une grande exactitude. Le capitaine Vidal me témoigna son étonnement de me voir entreprendre un voyage comme le mien avec desnavires aussi petits et sans batteries, ajoutant qu'il voudrait que j'en-eusse un comme l’Æfhna, qui aurait offert bien plus de commodités au capitaine et aux of- ficiers. IL avait parfaitement raison sous ce dernier point de vue, et Sans aucun doute, dans sa chambre vaste et bien aérée, il était tout autrement installé que je ne l’étais dans mon logement sombre et étroit, où je ne respirais qu'un air étouffé. Mais ce n’était pour moi qu'une considération bien secondaire. D'autre part, nos navires étaient solides, faciles à manœuvrer et tout autrement marins que lÆthna , qui probablement n'aurait pas brillé dans d’autres parages que ceux des Canaries. Enfin, condition es- sentielle, sa cale n'aurait pas contenu les vivres amon- celés dans les nôtres. Pour rien au monde je n’eusse changé mon Astrolabe pour son Æthna, et la suite des événements n’a pu que me confirmer dans cette opi— nion. | | | JOÿee L'Æthna avait été pourvu d’une chaloupe pontée. 1837. Octobre. 1837. Octobre. 32 VOYAGE J'ignore si elle a rendu des services à l'expédition, mais pour le moment elle était dans un délabrement presque complet. La salle de travail pour lhydrogra- phie devait être fort commode, mais exigeait un très- grand local. M. Vidal était pourvu de neuf chronome- tres dont la plupart n'avaient que des marches d’une médiocre précision. Les voyageurs du pic sont rentrés en ville vers deux heures après midi. Aussitôt le grand canot est allé les prendre ainsi que tous les instruments qu’on avait portés à terre. M, Dumoulin a été très-satisfait de toutes ses observations. Le baromètre dont M. Coup- . vent s'était chargé a été cassé dans une chute queson cheval a faite; mais par bonheur cet accident n’a eu lieu qu’au retour. Tous les frais réunis de cette excur- sion n’ont coùté au trésor que 48 Rae (environ 256 francs). La hauteur totale du pic, calculée par M. Dumoulin, d’après la méthode d’Oltmanns, s’est trouvée de 1,901 toises (3,705 mètres) ou 5 mètres de moins que celle de l'Annuaire. Conformément à mes observations en 1826, MM. Dumoulin et Coupvent ont remarqué l’éclat plus vif des étoiles, la facilité du son à se propager et l’engourdissement des extrémités du corps. Durant la nuit, le thermomètre est descendu à —0,5. MM. Du- bouzet, Dumoulin et Coupvent ont ressenti des maux de tête assez prononcés, surtout ce dernier. Désireux de ne pas perdre une seule minute de plus, aussitôt que tout fut réintégré à bord et mon cour- rier remis aux mains du consul, je donnai l’ordre AU POLE SUD. 33 du départ. Nous dérapions à sept heures du soir, et à sept heures trente minutes nous faisions route au sud, filant 8 ou 9 nœuds, par une brise fraiche du N. N.E. | Sans doute je ne regrettais point la station de Téné- riffe qui nous avait procuré d’utiles rafraichissements et des observations fort intéressantes; mais j'étais en— core plus satisfait de me revoir en route pour les pa- rages antarctiques. Je voyais avec inquiétude le temps marcher à grands pas, et si nous étions destinés à subir quelques-uns de ces calmes opiniâtres assez fré- quents aux environs de la ligne , ma pointe aux glaces eût été bien aventurée ; c'était là précisément ce que je voulais éviter à tout prix. 1831. Octobre. 1837. Octobre. 43. 14. 34 VOYAGE c % à é Lee > CHAPITRE TI. Traversée de Ténériffe à Rio-Janeiro. Dès le surlendemain nous trouvâmes les ventsalisés réguliers du N. E. qui nous poussèrent assez rapide- ment au S. O. Du reste, la mer était stérile et ne pré- sentait pas même à nos yeux ces brillantes physales que nous y avions vues en si grande abondance dans mes deux voyages antérieurs. Jusqu’aux îles du Cap Vert, notre navigation offrit aucun incident remar- quable. Les deux équipages se portaient bien, seule- ment la santé de M. Lemaistre Duparc, élève de pre- mière classe sur l’Asfrolabe , parti malade de Toulon, loin de se rétablir, empire sensiblement, et il est me- nacé d’une maladie de poitrine. En outre, le 13 au soir, M. Jacquinot m'annonça qu’un de ses matelots venait de tomber d’une vergue sur le pont, et que le médecin ne pouvait pas encore se prononcer sur les suites de cette chute. Vers dix heures du matin, le point me plaçait à 15 RS. AU POLE SUD. 30 à 18 milles à l’ouest de l’île Sant-Antonio, et j'ai cru distinguer la terre confusément à travers la brume; mais aucune pointe bien arrêtée. J’en ai conclu que le courant avait dû me porter au large, et l'observation de midi a prouvé en effet qu'il y avait eu 8 milles de courant en vingt-quatre heures à l’ouest. Ayant substitué la relâche de Ténériffe à celle des îles du Cap Vert, je passai tout franc devant ces dernières, et ne songeai plus qu’à rallier le plus promptement possible les régions australes. La proximité des terres nous a valu la présence de nombreux fous à manches de velours , de bandes d’exocets et de beaux trigles aux nageoires azurées, bondissant à la surface des eaux. La chaleur commence à se faire sentir dans l'inté- rieur du navire , et j'établis mon domicile habi- tuel dans la petite chambre de la dunette. Cette re- traite m'a été bien précieuse, et je ne crois pas que Jeusse résisté aux fatigues de ce voyage, si elle ne m'avait offert un asile salutaire dans mes souffrances habituelles. Aujourd'hui nous avons perdu les vents alisés et les grains ont commencé à nous assaillir. Il y en a d'assez violents et accompagnés d’une pluie abondante. Dans la journée suivante, la mer a été dure et saccadée ; les lames courtes et irrégulières atteignaient quelquefois 5 ou 6 mètres de hauteur, sans mériter aucunement d’être remarquées pour leurs dimensions *. * Note 15. 1837. Octobre. 1831. 49 Octobre. 39. 36 | VOYAGE Dans l'après-midi, par 7° 40/latitude:S. et 23° 40! longitude O. nous avions reçu trois ou quatre grains modérés, mais à six heures quarante-cinq minutesül en a passé un beaucoup plus pesant, chargé de-pluie et de vent, qui a duré une demi-heure environ. Ila fallu arriser les huniers et même laisser porter vent arrière , à cause d’une saute de vent très-brusque de VE. N.E. au sud. Dans ce grain , la brume a été si épaisse que nous avons tout-à-fait perdu la Zélée de vue. Le grain passé nous avons revu ses feux sous le vent à nouset à bonne distance. La brise s'étant rétablie au S. E. joli frais, et le ciel s'étant éclairci, nous avons fait route , maïs la Zélée est restée tout-à-fait de l'arrière , sans paraître nullement bouger de place. ke Au bout d’une heure d'attente, voyant que notre conserve restait immobile et ne faisait aucun si- gnal; supposant qu'il lui était arrivé quelque ava- rie, Jai laissé porter sur elle, filant quatre ou cinq nœuds sous les huniers seuls. Au bout de vingt minutes j'étais bord à bord avec elle; à ma demande : Quivous a retenus? chacun a cru entendre répondre, Avarie. Cinq minutes après j'ai fait la question : Peut-on faire route? un Oui très-distinct ayant été répliqué, j'ai remis le cap au sud en forçant de voiles, et la Zélée nous a suivis. Chacun est resté bien convaincu qu'une avarie avait occasionné son retard forcé. Cependant le jour suivant, après avoir: donné comme de coutume, au coucher du soleil, l’ordre pour Ja nuit au capitaine Jacquinot, je lui ai demandé AU POLE SUD. 37 quelle sorte d’avarie il avait éprouvée, et j'ai appris qu'il n’en avait point subi, que le calme seul l'avait arrêté. Après le grain, il était resté une demi-heure en calme plat sans gouverner, puis une autre demi- heure en ne filant qu'un nœud sous toutes voiles. C’est un fait assez curieux de voir la Zélée à peine éloignée d'un mille et demi de l’Astrolabe, surprise par le calme, tandis que sa compagne avait une brise . capable de lui faire filer six nœuds en route. Aussi sentimes-nous le vent graduellement tomber à me- sure que nous approchions de notre conserve, et quand je remis en route, nous ne pümes guère filer que deux nœuds. C’est un exemple remarquable de l'espace très-circonscrit où certains vents peuvent quelquefois souffler à la mer ”. Par une brise à peine sensible duS. E. j'ai envoyé le thermométrographe à 300 brasses; point de fond. La température était à 28° à la surface; on n’a trouvé que 9° à cette profondeur. Le soir, M. Jacquinot m'a appris qu'il avait envoyé son instrument à 600 brasses, et le mercure était descendu à 5°. Un udomètre avait été placé sur la dunette près du couronnement, dans l’endroit qui semblait le mieux placé pour ne recevoir d'autre eau que celle de la pluie. Le 16, dans un grain qui dura de dix heures à deux heures de l'après-midi, il ne reçut que 12 mil- limètres d’eau. Le 23, de minuit à quatre heures, une pluie continuelle donna 30 millimètres. Mais le 25, à * Note 16. 1837. Octobre. 21. 23. 1837. 25 octobre. 26. 38 VOYAGE la suite d’une saute de vent subite du sud à l’est; xl y eut une pluie très-abondante et qui dura, sans in- terruption, de sept heures trente minutes à minuit. Cette fois l’éau monta dans l’udomètre jusqu’à la hau- teur de 65 millimètres. J’ai fait distribuer encore quelquefois du bœuf de Noël et Taboureau. L’équipage montre de plus en plus une répugnance déclarée pour cet aliment et préfère le bœuf salé. Presque tous, en outre, soutiennent que - cette viande leur fait mal aux dents, à cause du sal- pêtre qui entre dans sa préparation. La plupart des officiers rabattirent beaucoup des éloges qu'ils: lui avaient d'abord donnés, et moi-même, je la trouvai encore bien inférieure à la qualité médiocre que je lui avais accordée dès le départ ” Le docteur Hombron me déclare que l’état de M. Du- parc devient fort grave, et ce Jeune homme le re- connaît lui-même. Il aurait dû débarquer à Ténériffe, d’où son retour en France eût été facile et prompt, mais il n’a pas voulu acquiescer à cette proposi- tion, et je vois très-peu de moyens de le rapatrier Mob Toutefois, je ferai ce que je prices pour lui offrir une chance de salut. FA Ce même jour, par 2° 30/ lat. N. et 26° long. O., nous eûmes enfin les vents alisés du S. E. et S.S. E.. qui nous permirent de faire un peu plus de route dans le sud; et le 28 au soir, nous passâmes la ligne équi- noxiale par 23° 30’ de long. O. On voit que malgré * Notes 17, 18, #9 et 20. AU POLE SUD. 39 tous mes efforts pour gagner le plus possible au sud, 7 les vents et les courants m'ont affalé beaucoup plus que je ne voulais dans l’ouest. Dans la navigation ordinaire, on ne saurait se tenir trop en garde contre cet inconvénient ”. La cérémonie du baptême a eu lieu suivant l’anti- que tradition; et suivant cette louable coutume, elle a été accompagnée de libations abondantes. Cependant aucune suite facheuse n’en est résultée, et tout s’est passé avec ordre et décence. | Sur la déclaration officielle et motivée du médecin en chef, qu'il n’y aurait plus aucun espoir pour la vie de M. Dupare, s’il était obligé de faire la pointe aux gla- ces, je me décidai à toucher à Rio-Janeiro pour l'y déposer. Au moins, ce court dérangement me mettra peut-être à même de remplacer notre farine con- sommée , si M. le contre-amiral Leblanc, comman- dant notre escadre du Brésil, veut bien consentir à la demande que je me propose de lui adresser **. Nous sommes péniblement contrariés par des vents 11 Novembre. du sud; en approchant des terres; cependant le 11, au matin, par 21° lat. S., nous découvrons les terres du Brésil à 15 ou 18 lieues de distance déjà hautes sur l'horizon. Dans l’après-midi, les sondes donnent 29, 26 et 27 brasses fond de sable. Je mets le cap au S. O. + O., précisément sur le cap Frio. À cinq heures du matin, comme le jour commen- 12. © Notes 21 et 22. * Notes 23, 24 et 23. 1837. Novembre. 40 VOYAGE çait à poindre, je reconnus le cap Frio à bonne dis- tance dans l'O. : S. O. Je mis le cap droit dessus, et à dix heures du matin, nous étions précisément sur son méridien à 3 milles au sud. À l’aide d’une jolie brise du N. E., nous prolongeâmes la côte à.4 ou 5 milles de distance, sur une mer aussi calme que celle d’un bassin complétement fermé, dont les eaux présentaient une teinte d’un vert blafardirès-prononcé. Au coucher du soleil, nous n’étions plus qu'à 4 ou 5 milles du mouillage, lorsque le vent mallit subite- ment et fit place à des risées très-faibles, avec des grains de pluie très-gênants. Jusqu'à neuf heures trente minutes, je continuai à manœuvrer. dans l’es- poir de pouvoir profiter d’un souffle plus favorable ; enfin, à cette heure, ennuyé de mes tentatives inu- iles, je me décidai à passer la nuit aux petits bords, sans m'éloigner de l'entrée de la baie. Plusieurs na- vires avaient pris le même parti, et nous fûmes obl- gés d'apporter une grande vigilance pour ne pas aborder quelques-uns d’entre eux, au travers des grains fréquents qui se succédaient, et souvent bor— naient notre horizon à moins d’une encàblure: Dès que les premières lueurs du jours. le wper- mirent, je reconnus l’île Raza à son fanal à 3 ou 4 milles dans le N. O. Je serrai le vent en forçant de voiles, et malgré les torrents de pluie, à sept heures dix minutes, je pus laisser tomber l'ancre par21 brasses, fond. sable gris, à peu près à mi-distance entre les îles de Raza et Paya; la Zélée mouilla près de nous. Te BE € > AU POLE SUD. 41 Sur-le-champ, nonobstant la pluie qui continuait à tomber en abondance, je fis mettre à la mer et armer notre grand canot. MM. Demas, Hombron, Ducorps, Duparc, et les maîtres d'hôtel s’y embarquèrent et le canot poussa à neuf heures quinze minutes. M. Demas, qui commandait la corvée, était chargé de remettre M. Duparc aux ordres de M. le contre- amiral Leblanc, et de lui présenter ma demande de farine. Si elle était accordée, il devait aviser aux moyens de nous la faire parvenir le plus tôt possible. Dans le cas contraire, 1l devait s'occuper uniquement de faire faire les provisions de toutes les tables, que MM. Hombron et Ducorps s'étaient chargés de sur- veiller ; et dans tous les cas, il lui était enjoint de faire tout son possible pour rentrer dans la soirée *. Comme je suivais la marche de notre canot avec ma lunette, à la distance de 3 milles environ, je l'ai vu accoster un canot qui s’en est retourné avec lui. J'ai supposé naturellement que c'était quelque embar- cation de l'amiral, qui, prenant nos navires pour l’un de ceux qui devaient accompagner le prince de Join- . ville, avait été envoyé pour faire ses offres de service. Tout le reste de la journée, la pluie a tombé sans cesser un moment. À peine si dans quelques courtes éclaircies, nous pouvons entrevoir quelques lignes confuses des terres. C’est un temps extrêmement maussade pour ces contrées. Toutefois, j'ai reconnu que rien n’était plus facile * Notes 26 et 27 1837. Novembre. 1837. Novembre. 42 - VOYAGE et moins dangereux à prendre, que le mouillage ex- térieur de Rio-Janeiro. Bon fonds, point de dangers, appareillage facile de tous les vents. Pour ceux qui, comme nous, ne veulent point entrer dans la baie, je recommanderais particulièrement la position que nous occupions , à mi-distance de Raza à Paya. En voici les relèvements : Le fanal de Raza, S. 38° O0. 3 milles. Ile Paya, N. 32° E. 3 milles. Pain de Sucre, N. 32° O. 5 milles. Le capitaine Jacquinot, qui est venu nous faire wi- site dans la soirée, m'a appris que tout le monde se portait bien à son bord, sauf le cuisimier de l’état- major. Encore ce mal était-il tout simplement de la nostalgie jointe à une frayeur excessive des glaces. Au: reste, sur le désir exprimé par M. Jacquinot, je l’au— torise à accorder la permission de débarquer à ce pol- tron, si l’occasion s’en présente pendant notre séjour. Il avait fait si mauvais temps toute la journée, que j'espérais peu voir rallier M. Demas dans la nuit. Toutefois, il est rentré à dix heures du soir et m'a rendu le compte suivant de sa mission. | | Sur la rade, il n’avait trouvé aucun navire de guerre français; le contre-amiral Leblanc était partile 10 du courant. En conséquence, il était allé, sur-le- champ, déposer à terre MM. Hombron, Ducorps et Duparc; puis il avait poussé au large pour éviter la dé- sertion d'aucun de ses matelots, ce qui est fort à redouter dans cette ville remplie d’embaucheurs et de fainéants soudoyés tout exprès pour exercer leur AU POLE SUD. 43 honteux métier. En passant près de la frégate an- glaise le Dublin, un officier anglais l'avait invité à monter à bord, de la part de son chef: c'était le vice— amiral sir Graham Edem Hammond, commandant la station de l'Amérique méridionale. Cet officier général combla M. Demas de politesses, s’informa de notre expédition avec beaucoup d'intérêt, et le chargea de me présenter ses offres de service, ajoutant qu'il se trouverait fort heureux de suppléer l'amiral français, pour tout ce qui pourrait m'être utile ou agréable. Apprenant que M. Demas tenait beaucoup à se rendre, le soir même, à bord, quoiqu'il craignît que les cui- siniers n’eussent pas terminé leurs provisions dans la soirée , il poussa la politesse jusqu'à donner l’ordre au Packet (bateau de poste) de transporter demain ma- tin, à bord de l’Astrolabe , tous ces hommes avec leurs provisions. M. Demas fut retenu à dîner avec les offi- ciers du Dublin, et les matelots anglais traitèrent nos canotiers avec la plus cordiale hospitalité. En quittant le Dublin, M. Demas se transporta à bord de la corvette américaine Fire-Field, pour de- mander, de ma part, des nouvelles de l'expédition des Etats-Unis. Le capitaine du Fire-Field dit à M. De- mas que cette expédition composée de la frégate Macedonian , et de quatre navires plus petits et com- mandée par le capitaine Jones (Thomas), avait dû appareiller de New-York le 1° octobre, et qu’on s’at- tendait tous les jours à la voir paraître à Rio-Janeiro. C'était là tout ce qu’on en savait. Enfin, M. Demas me dit que le canot que je lui avais 1837. Novembre. 1837. Novembre. 14. 44 VOYAGE vu accosier sur sa route, était une emharcation aban: donnée à la merci des flots. IL avait tenté de Ja remorquer pour la sauver; mais ayant reconnu que cette opération lui occasionnerait un trop grand re- tard, il avait largué sa remorque et l'avait laissée aller de nouveau en dérive *. | Au jour, la pluie a enfin cessé, mais la brume a persisté, et les terres ne se sont montrées que partiel- lement et par intervalles. Dès sept heures du matin, nous avons remarqué une petite goëlette, sous pavil- lon anglais, louvoyant à l'entrée du goulet. Soupçon- nant que ce devait être celle qui portait nos gens et nos provisions, et la voyant retenue par le calme qui régnait sur la terre, j'expédiai deux canots pour nous ramener les uns et les autres, et je remis à l’élève de corvée une lettre de remerciements avec une médaille en argent, que je priais le capitaine du Packet de faire remettre à M. l’amiral Hammond, et de plus, une mé- daille en bronze pour le capitaine même du Packet. Au moment où nos canots accostalent le Packet, la brise étant devenue favorable, il a pris nos canots à sa remorque et ne les a laissés aller avec les provi= sions, qu'au moment où 1] passait à une cinquantaine de brasses au vent à nous. Nous-mêmes étions prêts à appareiller, et n’attendions, pour cela, que d’avoir hissé nos canots après les avoir déchargés. : BE Les maîtres d’hôtel avaient pu faire d'assez copieuses provisions; mais tout cela coùûta fort cher, parce * Note 28. ER? ’ AU POLE SUD. 45 qu'on profita sans doute du peu de temps dont ils Lit. pouvaient disposer, pour les tromper. M. Ducorps, à ma recommandation, avait fait une provision de tabac pour le compte des deux équipages, et 1l se trouva de mauvaise qualité. k Enfin, en l'absence de l'amiral, MM. Hombron et Ducorps avaient laissé M. Duparc aux soins de notre consul, qui a promis de lui faire donner tous les soins possibles, dans une maison de campagne agréable, où il pourra respirer l’air le plus salubre. 1837. 44 Novembre, 46 VOYAGE CHAPITRE IV. Traversée de Rio-Janeiro au Port-Famine. Ayant terminé toutes les affaires qui m'avaient porté à toucher à Rio-Janeiro, dès une heure trente minutes après-midi, les deux corvettes remirent à la. voile, au grand regret d’une bonne partie de nos offi- ciers, qui auraient bien désiré une plus longue relâche dans une ville qui leur promettait tant de jouissances et de distractions. Moi-même, qui n'avais jamais vi- sité cette célèbre capitale de l'empire brésilien, je n'aurais pas mieux demandé que d'y passer au moins deux ou trois jours. Mais ces deux ou trois jours au- raient pu m'en faire perdre plusieurs autres, et c'était ce que je devais éviter. D'ailleurs, je n'avais pas en- trepris ce voyage pour satisfaire seulement une vaine et frivole curiosité. Il fallait rallier, sans retard, les régions australes. _ Le ciel s'étant embelli et la brise s’étant établie à VE. S. E. nous fimes route au S. S. O. filant 5 ou AU POLE SUD. 47 6 nœuds. Avec le beau temps, toutes les espèces de races maritimes reparurent autour de nous. Albatros, pétrels, damiers, se jouaient à la surface des eaux, tandis que des bandes innombrables de scombres (espèce de bonites) agitaient par moments les eaux avec une telle pétulance, et sur des espaces si étendus, qu'on eût dit de véritables brisants. Nous vimes aussi quelques baleines plus paisibles , et ne révélant leur présence que par des jets d’eau solitaires accompa- gnés d’un bruit sourd et monotone. | Nos chronomètres doivent avoir peu varié depuis notre départ, puisque la moyenne de trois bonnes montres a donné, cet après-midi, à M. Demas, une longitude qui s’est accordée à une minute près avec celle qui a été déduite des relèvements sur la carte de M. l'amiral Roussin. Sur les dix heures du matin, une douzaine de su- perbes coryphènes (vulgo dorades) ont entouré la corvette. L'un de nos matelots nommé Surin, habile harponneur, a bientôt ramené à bord deux de ces poissons longs de trois pieds environ. Un autre s’est échappé grièvement blessé des dents de la foène. Ce mets a été fort bien accueilli sur nos tables, et il est bien fâcheux que ces bonnes fortunes arrivent si ra- rement. Dans la journée du 14 au 15 novembre, un courant remarquable s'était déjà prononcé, d'environ 24 milles à l'O. S. O0. mais durant les vingt-quatre heures qui ont suivi, 1l s’est élevé jusqu’à 43 milles au S. O. C’est très-singulier en pleine mer. F . 1837. Novembre. 16. 1857. Novembre. 20. 48 | VOYAGE Dans la journée du 19, par 31° à 32° lat. Suun vent du S. S E. assez frais souleva une mer dure; mais il tomba promptement, et dès le jour sui- vant, de bon matin, le calme permit d'envoyer le thermométrographe à 360 brasses de profondeur ; point de fond ; 19° à la surface des eaux ; à 360 brasses 445, | Vers dix heures, j'ai voulu essayer de mesurer la force du courant au moyen d’un canot mouillé en pleine mer. Pour cela, j'ai expédié le chef de timon-— nerie dans le boat armé par deux matelots, il a été bien fixé en place au moyen d’un plomb de 43 kilo- grammes suspendu à 45 brasses de ligne. Diverses expériences faites au lock, n’ont donné pour moyenne que 0" 16 par heure; ce qui était évidemment inexact, puisque le navire Me en calme plat, avait évi- demment dérivé de près d’un mille sur le canot. Ce- pendant celui-ci était si immobile, que les deux hom-— mes, en nageant de toutes leurs forces, ne OH le faire Bouger de place. Quand j'ai donné l’ordre de relever le plomb, cela est devenu impossible au chef de timonnerie, aidé de deux matelots, et il a fallu envoyer le canot major.à leur aide. | Le calme a persisté, dans l'après-midi, avec de longues houles du sud. Le thermométrographe a été successivement envoyé aux profondeurs. de 185, 85, 153 et 53 brasses; pour 19° 5, à la surface des eaux, on a obtenu successivement 15°, 20° 5,15°5 et 20° 6. Cela prouve toujours que, jusqu’à une petite PR AU POLE SUD. 49 - profondeur seulement, la température des couches inférieures peut dépendre de la EEE atmos- phérique. | Par 36° latitude sud, nous filons sur une mer mer- veilleusement unie avec de légers vents de la partie du nord. Quelques grands paquets de Laminaria pyri- fera commencent à se montrer, et certains espaces de mer sont chargés des corps de petits msectes assez bien conservés. Ces insectes appartiennent à la famille des Carabiques , et, dans mon opinion, ils ont dû être entraînés par les flots du fleuve de la Plata dont nous sommes peu éloignés. Dès six heures du matin, Surin harponne deux beaux marsouins appartenant à l'espèce Delphinus cruciger de Quoy. Les médecins ont préparé sa peau et son squelette pour le Muséum. Tout l'équipage s’est régalé de la chair de ces cétacées, assaisonnée avec une sauce très-épicée; ce mets, auquel j'ai goûté, ne m'a point paru désagréable. En outre, j'ai mangé du foie en fricassée avec plaisir, et J'avoue que je l'aurais peut-être confondu avec du foie de bœuf ou de cochon. Les oiseaux des régions antarctiques commencent à apparaître, tels que les damiers, les pétrels géants, les pétrels puffins tout noirs, et ceux à deux cou- leurs, noirs et blancs. De plus, deux grèbes. Plu- sieurs phoques passent aussi le long du bord nageant entre deux eaux, et montrant à peine leur tête au ni- veau des flots. Les paquets de Laminaria deviennent plus nombreux, et je remarque une belle touffe de À À  1837. Novembre. 23. 1837. Novembre. 25. 50 VOYAGE d’Urvillea utilis (Bory). Parfois aussi la teinte’ forme des ondes est traversée par de grandes"zone jaunâtres, sans doute chargées de frai de poisson ou d’animalcules microscopiques. Vers six heures du soir, une brume subite et très- intense vient nous envelopper, et nous fait perdre de vue la Zélée, à peine éloignée de trois encablures au vent. Nous faisons les signaux convenus pour nous conserver au moyen des coups de canon. Cependant, vers minuit, nous cessons de nous entendre. À deux heures du matin, nous avons entendu les coups de canon de la Zélée, et au point du jour, nous l'avons revue, à 7 ou 8 milles devant nous, aux bor- nes de l’horizon, et à midi, nous l’avions ralliée. Cette épreuve me force à adresser des instructions plus ex- plicites à M. Jacquinot, pour éviter une fâcheuse sépa- ration. Dans ce but, je lui donne l’ordre, des qu’il cessera d'entendre les coups de canon de l’Astrolabe, de rester en panne au point où il se trouvera. Si le temps ne lui permet point de prendre la panne , il üendra la cape et courra des bordées de deux heures, de ma- nière à se maintenir sur le même point le plus qu’il pourra. Il passera trois jours ainsi, soit en panne, soit à la cape, puis se rendra au premier rendez-vous con- venu. | Par ce moyen, du moins, je saurai toujours sur quel point environ je pourrai le chercher; tandis qu’en errant à l'aventure, chacun de notre bord, il y aurait peu de chances pour nous retrouver. | AU POLE SUD. 51 Je lui fis passer cet ordre au moyen d’un petit ba— rillet construit pour cet effet, et cette opération, qui nous épargna la mise d’un canot à la mer, se fit assez lestement. Le vent du S. ©. fraîchit dans la soirée, et ballotte nos navires en retardant leur navigation. Malgré tous mes efforts, ces fâcheux vents du $. O0. m’écartent de terre, et me forcent à renoncer à la relâche que Je mé- ditais, à Bahia-Nueva, sur la côte de Patagonie, pour le cas où le temps m'aurait favorisé. Je sens de plus en plus que je suis parti trop tard de Toulon. Le vent du N. O0. d’abord frais et modéré dans la matinée, a rapidement fraichi, et a soufilé grand frais dès dix heures. Nous courions rapidement au S. O. Les plus fortes lames ont rapidement atteint une hauteur totale de 6 ou 7 mètres. Cependant ce coup de vent était très-modéré, et ne pouvait, en aucune façon, se comparer à ceux de notre dernier voyage. En outre, les lames, ne venant que du cap Corrientes, ne pouvaient acquérir aucun développement. Si nous l’eussions reçu à deux cents lieues plus au large, nous aurions vu bien autre chose. Nous n'avons embarqué qu'une ou deux lames vers une heure après-midi. Puis, le vent mollit prompte- ment en variant à l’ouest, après quoi il revient au S. O. et même au S. S. O0. Tout cela est bien contrariant; et pour nous achever, les observations du 28 nous ap- prennent que nous avons été remportés par le courant de 4% milles au nord! À huit heures du matin, dans un calme parfait, nous 1837. Novembre. 28. 29: 1937. Novembre. 9 décembre. 2 - VOYAGE avons envoyé le thermométrographe à 500 et 300 brasses. On à eu 5 et 6° pour la température des eaux à ces distances, tandis que celles de la surface se main- tenaient à 11° 5. Les observations de midi accusent encore près de #0 milles de courant au N. N. E. en vingt-quatre heures. : Les brumes deviennent fréquentes, et il faut avoir recours aux coups de canon pour nous conserver en— semble. Dans la soirée du 2, la brume est si épaisse qu'on distingue à peine les feux de la Zélée, bien qu’on entende facilement la voix de l’homme en vigie sur ie bossoir.. Jusqu’alors la sonde avait été plusieurs fois envoyée jusqu'à 100 brasses et au-delà sans trouver fond, mais aujourd'hui on l’a obtenu par 82 brasses, et #l s’est trouvé de sable gris. La température était encore de 5° à cette profondeur, tandis que la surface s'élevait à 11° 3. Les observations de midi ont prouvé que, durant . l'espace complet de trois jours où le soleil nous a cons- tamment fait défaut, les courants nous ont portés de 55 milles au nord et 33 milles à l’ouest. Ces résultats sont d'autant plus remarquables, que les vents ont presque toujours dépendu du nord pendant tout ce temps. Dans la soirée, le vent saute de l'O. au S. S. O. en augmentant rapidement de force, et souffle en coup de vent modéré pendant toute la journée suivante. Les lames sont creuses et assez courtes ; mesurées sé- _ dti AU POLE SUD. à3 parément par M. Dumoulin et par moi, elles atteignent huit mètres et demi de hauteur totale. Aussi méritent- elles à peine d’être citées près de celles que j'observai en 1826‘. | A travers les flots agités se jouent beaucoup d’al- batros, de damiers et de pétrels cendrés, et l’on vit flotter de nombreux et volumineux paquets de La- “minaria pyrifera. | Dans la matinée, la mer se montre un moment chargée de petits animaux que j'avais pris d’abord pour du fretin de poisson très-menu. Mais vus de près et à la loupe, on reconnaît que ce sont des crustacées d’une forme très-élégante. J'étais parvenu par 52° environ lat. S. et 67° 40/ . long. 0. De petites brises, de l'E. au S. E. ne me per- mettaient pas de cheminer rapidement vers la terre des Etats; cette considération jointe à l’idée pénible de perdre inutilement à la mer un temps précieux, -me décidèrent à prendre un parti que je méditais de- puis longtemps, mais que J'avais toujours dissimulé dans la crainte d’être trahi par les circonstances. Ce fut d'échanger la triste et insignifiante relâche de la terre des Etats, contre un mouillage bien plus inté- ressant sous tous les rapports dans la Patagonie. L'on peut se rappeler que dans le projet de campa- gne, tel que je le conçus et le proposai au ministre, l'exploration du détroit de Magellan devait servir de prélude aux travaux que je voulais exécuter dans Note 29. 1827. Décembre. 10, 1837. Décembre. 54 , - VOYAGE l'Océanie. Dans mes navigations précédentes, jamais la fortune ne m'avait donné le moyen de visiter les rives de ce fameux canal, et je tenais beaucoup à satis- faire ma curiosité. Je conviens facilement qu'après les travaux continus et consciencieux du capitaine King, nos résultats, sous le rapport hydrographique , n’au- raient été que d’un intérêt secondaire; mais dans toutes les parties de l’histoire naturelle, quelle récolte curieuse et tout-à-fait neuve! Quelle brillante scène d'observations s ouvrait à nos investigations ! N’était- il pas curieux de vérifier, par nous-mêmes; ce qu'il y avait de réel dans les périls affreux et sans cesse.re- naissants de cette navigation, au dire des vieux navi- gateurs? Enfin, je désirais vivement visiter ces fameux Patagons, objets de tant de fables, de discussions et de . controverses. Malgré toutes ces considérations bien susceptibles sans doute de rendre pour moi le détroit de Magellan un objet du plus haut intérêt, quand j'acceptai la partie. de la mission relative aux glaces australes, je sentis, sur-le-champ, qu'il me faudrait probablement faire le sacrifice du détroit; je le craignis encore plus, quand je vis notre départ différé jusqu’au 7 septembre. Aussi j'eus soin de prévenir le ministre que ce serait à la terre des Etats que je ferais la station préparatoire pour me lancer dans les glaces. En effet, l’époque con- venable pour cette dernière navigation me paraissait être de la mi-décembre au mois de mars, et c'était aussi précisément l’époque où j'aurais dû me trouver dans le détroit. AU POLE SUD. D Toutefois je conservais encore quelque espoir au fond du cœur, pour le cas où les vents in’auraient bien servi; alors je pouvais réparer le temps perdu en me trouvant au cap des Vierges vers la mi-décembre, et dans cette hypothèse, j'avais encore 45 jours à donner aux terres magellaniques. Mais les contrariétés que J'avais éprouvées dans la Méditerranée, aux environs de la ligne et dans ma tra- versée depuis Rio-Janeiro, m’avaient forcé déjà à en- tamer décembre. Malgré toute mon envie, j'hésitais à - m'engager dans le détroit, dans la crainte d'y être retenu plus que je ne l’aurais voulu, et de me trouver trop pressé pour mon excursion vers le pôle Sud. D'autre part, depuis une quinzaine de jours, j'avais relu, avec une extrême attention, tous les récits des navigateurs qui avaient tenté des découvertes dans les régions antarctiques. Tous leurs récits, toutes leurs dépositions tendaient à me convaincre que les effets du dégel ne deviennent vraiment complets dans ces parages qu'en janvier et même février. Par consé- quent, toute tentative ayant uniquement pour but de _ pénétrer directement au sud, devenait intempestive, étnaurait d'autre résultat que d'exposer les marins à des fatigues et à des dangers complétement inutiles. Mieux valait donc les employer à des opérations plus - fructueuses, et qui offraient d’ailleurs la perspective de leur procurer quelques rafraîchissements et surtout quelques moments de distraction. Une fois bien pénétré de ces idées, je ne songeai plus qu’à rallier un port commode Lu le canal, sur- 1837. Décembre. 1837. Décembre. 11. 56 VOYAGE tout le port Famine, si cela n’était pas trop pénible, et à tirer le meilleur parti possible du temps que je voulais consacrer au détroit, un mois environ. Sur-le-champ, je mis le cap au S. O. :S. en forçant de voiles, et fis préparer les ancres légères pour la navigation du canal. Ces préparations donnerent à chacun l'éveil sur ma nouvelle résolution, et ce fut le signal d’une joie universelle chez les officiers comme chez les matelots. Le soir, j'appelai à l’ordre le capitaine Jacquinot pour lui faire part de mes nouvelles intentions. Il m'en témoigna toute sa satisfaction, assurant qu'il aurait, toute sa vie, regretté de n'avoir pu voir le célèbre détroit, et que ce serait un des’ beaux épisodes du voyage. En me voyant changer de route, il avait cru, ainsi que tous ses officiers, que je voulais chercher la vigie de l’Aigle, dont la position avait été marquée précisément sur le point où nous nous trouvions en ce moment. Je ne m’en étais pas même occupé, bien convaincu qu'un pareil écueil ne peut point se trouver sur une route qui est sillonnée depuis plus de deux siècles par tant de navires. “ Je DORE bien reconnaître la terre dans la soirée, puis m'en trouver très-près le lendemain au point du jour. La brise demeura si molle que nous ne pümes rien voir de certain, bien que la Zélée nous eût si= gnalé la vue de la terre droit de l'avant au S. 61° 0. à 7 heures du soir. Bientôt le vent fraîchit au N. N. O., * Notes 30 et 31. AU POLE SUD. 57 et souffla bon frais par rafales et avec une mer sac- cadée. A dix heures, je repris la bordée du large, et au moment de l’évolution, la sonde donna 30 brasses fond de sable et gravier. Le vent ayant passé au nord, avec un ciel très- chargé et des grains de pluie assez fréquents, à une heure et demie, je reprends la bordée de la terre; à deux heures et demie, je fais forcer de voiles et nous filons jusqu’à 6 nœuds au travers d’une houle dure et irrégulière. Au point du jour, je m’étonnai de ne pas voir la terre; et ce ne fut qu'à six heures que nous la reconnûmes distinctement dans l’ouest, sous l'apparence d’une côte basse, uniforme et coupée à pic à son extrémité. C'était le cap des Vierges, et dès ce moment ma manœuvre devint tranquille et certaine. Bientôt nous nous sommes trouvés à 5 ou 6 milles seulement du cap, et j'ai gouverné pour passer à très-petite distance de la pointe basse de Dungeness. Il était alors sept heures vingt minutes, et M. Du- moulin a, dès ce moment, commencé l'immense série de travaux hydrographiques que je lui ménageais pour toute la durée de l’expédition. En comparant nos travaux faits à la voile, avec ceux du capitaineKing, cela nous donnerait la mesure du degré d’exactitude sur lequel nous pourrions compter; en outre, J'étais bien aise de préparer les états-majors des deux corvettes au genre d'opérations qui constituait véritablement notre mandat aux yeux de la marine. Avant de nous engager dans le détroit, on me per- 1837: Décembre. 12. 1837. Décembre. 58 VOYAGE | mettra de consacrer le chapitre suivant à une revue succincte des opérations exécutées dans lexdétroit de Magellan, depuis sa découverte jusqu’à notre arrivée. AU POLE SUD. 59 CHAPITRE V. Des navigations dans le détroit de Magellan. Chacun sait que le détroit de Magellan fut décou- vert par le célèbre navigateur de ce nom, en 1520. A ce sujet, je ne crois avoir rien de mieux à faire que de citer l'extrait du président Desbrosses, fait, en ma- jeure partie, d’après la relation du chevalier Piga- fetta, compagnon de Magellan. « Le jour de sainte Ursule (21 octobre 1520), après « avoir doublé, vers 52°, un cap auquel on donna le « nom de cap Vierge, on vit la mer s’enfoncer dans « les terres entre deux rivages assez serrés, dont l’un « faisait face droit au sud, l’autre droit au nord. Toute « l’escadre entra dans cette embouchure, qui s’avan- « çait toujours à l’ouest sur une largeur variable de « 2 à 10 milles. Le général, rencontrant au bout de « quelques jours divers canaux, envoya trois vais- « seaux à la découverte de différents côtés. Nous « étions au-delà du 52° degré. Les nuits n'étaient pas VOYAGE alors de cinq heures. Il avait projeté, si ce n'était pas ici le détroit, de sortir de cette baie et de monter vers le pôle jusqu’à 75°, où le soleil serait toujours sur l'horizon. Des trois vaisseaux, le premier fut repoussé par les courants dans la Mer du Nord. Alors les Espagnols se saisirent du capitaine Alvar Meschiste, neveu de Magellan, le mirent aux fers, et après lui avoir fait signer, dans les tortures, une dé- claration portant que ce détroit prétendu n'était qu’une fable inventée par son oncle et par lui, à dessein de faire, comme ils l'avaient fait, cruelle- ment périr les Espagnols, ils reprirent le chemin de l’Europe, amenant avec eux l’un de ces géants patagons, qui mourut dès qu’il sentit les climats chauds. Le second bâtiment, qui avait cherché dans un canal vers le sud-est, ne trouva qu’une mer basse, pleine d’écueils et de roches escarpées. Mais le troisième, qui avait tiré au sud-ouest, rapporta qu'il avait trouvé une belle rivière remplie de sar- dines, à qui l’on en avait donné le nom; que quoi- que en trois ou quatre jours de navigation, il n’eût point aperçu d’issue, il avait toujours trouvé la mer sans fond; que l'observation des grands courants, qui semblaient venir à lui d’une haute mer, l'avait déterminé à envoyer en avant la chaloupe, laquelle avait enfin découvert un cap avancé sur un nouvel Océan. A ces mots, les cris d’allégresse se répan- dirent par tout l'équipage. La plupart de nos gens pleuraient de joie. Notre général imposa d'avance à ce Cap le nom de cap Désiré, et nous donnâmes au rer ER AU POLE SUD. GI À détroit celui de Magellan. (Les naturels du pays « l'appellent Kaïka). Nous fimes voiles, ayant à notre « droite le continent, que nous appelons des Pata- « gons : à la gauche, un autre que nous nommâmes « Terre de Feu, parce qu'on en voyait quantité sur « les côtes, et que le flux, aussi bien que le bruit des « courants, nous fit juger être un amas d'îles. Tout ce « détroit me parut de la longueur d'environ 100 lieues. « On y trouve en abondance du bois, de l’eau douce, « de belle verdure, des dorades, des aibacores, des « bonites, des poissons volants appelés colondiens, « exquis à manger. Mais le pays était si froid, si rude, « si peu cultivé, qu'avec l'impatience qui nous tenait «tous de voir un nouvel Océan, notre général ne jugea pas s’y devoir arrêter. Nous descendimes seu- lement dans les terres à une lieue du débouquement « du détroit, et nous ne trouvâmes qu’une mauvaise « cabane et plus de 200 sépulcres. Il nous parut que « les sauvages venaient ici inhumer leurs morts près « du rivage, et qu'ils avaient leurs habitations plus « loin dans les terres. La quantité de squelettes de « baleines jetés par la tempête contre les côtes, nous « donna lieu de conjecturer que la mer était fort « orageuse en ce détroit. Les côtes en sont, durant « 50 lieues, pleines de belles baies les plus agréables « du monde. Le reste est de montagnes couvertes de « neiges; sauf certaines forêts de grands arbres, dont « le bois brülé rendait une bonne odeur, qui nous « rafraichissait les esprits animaux. Le 28 novembre, « vingt-deuxième jour de notre entrée dans le détroit, À À 62 VOYAGE « nous l’aperçcümes enfin cet Océan tant désiré, àqui | « son calme et sa beauté ont mérité, de notre part, le . « nom de Mer Pacifique. Alors quelques-uns'de nos « pilotes dirent que, puisque l’on avaittrouvé le pas- « sage, il fallait s’en retourner en Espagne, et revenir « avec une flotte avitaillée de frais; mais le général : « poursuivit sa route et rejeta bien loin cet avis. » Vers 1523, Garcie de Mendoce, gouverneur du Chi, essaya de faire traverser le détroit de l’ouest à l’est, chose qui avait été faussement jugée impraticable. Le capitaine Ladrilleros, chargé de cette mission, partit du Chili, pénétra dans l’Océan Atlantique; maïs ef- frayé par les gros temps qui régnaient alors, 1l revint sur ses pas jusqu’au Chili. Dans le journal de Spil- berg, on lit que les deux vaisseaux de Ladrilleros trou- vérent, au sud du détroit, un passage, par où il put gagner la pleine mer en courant du nord au sud, et l’on a supposé que ce passage devait être le canal Saint-Isidore. Au mois de juillet 1525, l’empereur Charles-Quint expédia, sous les ordres de Garcie de Loaise, pour faire le tour du monde, une flotte de six vaisseaux. Le vice-amiral était le fameux Sébastien Cano, qui avait ramené le vaisseau de Magellan. Arrivé le 1% janvier 1526, dans la rivière Sainte-Croix, l'amiral envoya Cano en avant pour reconnaître le détroit, et celui-ci assailli par la tempête, près du cap Vierge, y perdit son navire et une partie de l’équipage. Néanmoins la flotte donna dans le détroit le 26 du mois, mais le vent contraire la repoussa encore une fois près de la rivière AU POLE SUD. 63 Sainte-Croix. Puis dans une nouvelle tentative, elle fut entraînée au sud, et ce ne fut que le 8 avril qu’elle put yentrer, et alla mouiller dans une bonne baie qu'on nomme Saint-Georges. On y vit des naturels que les uns nommaïent des géants, les autres des Patagons. Enfin le 25 mai, l’escadre entra dans la Mer du Sud. « Dans quelques endroits resserrés, dit la re- « lation, les montagnes des deux rivages sont si hautes, « qu'elles paraissent toucher le ciel. Le froid est ex- « trême en ces endroits, où le soleil ne pénètre que « rarement, et souvent pour un moment; on peut « juger de ce que c’est dans la saison de l'hiver, quand « les nuits y sont environ de dix-sept heures de durée. « Laneïige, à force d'y vieillir, est devenue bleue. Mal- « gré cela, on y trouve abondance de beaux arbres « verts, de bonnes eaux, de bons poissons, sardines, « anchois, merluches, tiburons, bonites, etc., des « chèvres d’une grande espèce et des missilions ; « enfin de bons ports où l’on peut mouiller sur 14 et « 15 brasses de fond. Les marées des deux mers y « montent à la hauteur d'environ 50 lieues, se re- « joignant vers le milieu du détroit où l’ebbe et le « jusant sont très-forts. » Simon de Alcazova ayant entrepris, en 1534, de conduire une colonie au Pérou, entra dans le détroit vers la fin de janvier de l’année suivante; mais divers contre-temps le forcèrent à retourner à l’île des Loups Marins. 1 envoya son lieutenant Rodrigue de l'Isle, à ia tête de 200 hommes, pour faire une reconnaissance dans l'intérieur; pendant ce temps, Alcazova fut lui- 64 VOYAGE _ même menacé par ses officiers et matelots. Rodrigue, à son retour, reprit l'autorité, châtia les coupables; mais l’expédition avorta complétement. Cinq ans plus tard, Guttieres de Carvajal, évêque de Plaisance, arma à ses frais trois navires, dont il confia le commandement à Alfonse de Camargo. Celui-ci avait pour mission de se rendre au Pérou en traver- sant le détroit de Magellan. Parti de Séville au mois d'août 1539, 1l mouilla, le 20 janvier 1540, près du cap Vierge. À peine l’escadre donnait dans le second goulet, que le principal vaisseau se jeta à la côte où il fut brisé, et l'équipage se sauva à terre. Le second na vire, monté par Camargo, püt enfiler le détroit, et at- teindre, en très-mauvais état, le port d’ArequipasEnfin le dernier vaisseau, après avoir couru plusieurs dan- gers dans le détroit, alla mouiller dans une baie nom- mée de los Zorras, d'après le grand nombre de renards qu’on y vit. Surpris par l'hiver, le navire y resta six mois, puis il remit à la voile le 24 novembre pour retourner en Europe. ; François Drake, chargé par la reine d'Angleterre Elisabeth, d'aller ravager les possessions espagnoles, partit de Plymouth le 15 septembre, avec une flotte de cinq navires, et le 20 août suivant, entra dans le détroit de Magellan. Le 24, on toucha sur deux iles où se trouvait une quantité de pingouins, et l’on en tua 3000 en un seul jour pour la provision de l’escadre; ces îles reçurent les noms de Saint-Georges, Saint- Barthélemy, Sainte-Elisabeth. Plus loin, on mouilla près d’une île où l'amiral envoya reconnaître un ca- AU POLE SUD. 65 qui s'étendait vers le nord, où l’on trouva des sau- s d’une taille médiocre, avec les membres bien tournés et le visage peint en rouge, qui se 1 nouris- saient de moules et de la chair des loups Marins. Ce canal paraît être celui qui porte le nom de Saint-Jé- rôme. Le 6 décembre, Drake sortit du détroit pour s'élancer dans la Mer du Sud. | Après Drake, vient immédiatement Pedro Sar- miento, expédié du Callao, le 11 octobre 1579, par le vice-roi du Pérou, avec deux forts navires, pour cou- rir à l'encontre du général anglais. Au travers d’une foule d’exagérations et même de mensonges évidents, Sarmiento nous a fourni, sur le détroit et sur les terres qui l’avoisinent, des détails bien plus positifs, bien plus étendus que tous ses prédécesseurs. Après avoir exploré plusieurs des îles situées au nord du cap Pillar, par le travers de l'archipel Sainte- Croix, 1l fut séparé de sa conserve, qui reprit le che- min de Lima, après avoir couru jusqu’au 58° parallèle. Sarmiento resté seul, n’en continua pas moins ses recherches avec persévérance. Ayant manqué l’em- bouchure ordinaire du détroit, il poussa jusqu’à 54 sud et pénétra dans le détroit par le canal S.-Isidore. À la pointe Santa-Anna , il éleva une croix et prit posses- sion du sol environnant au nom du roi d'Espagne, non pas, dit la relation, sans avoir soutenu, contre les sau- vages , un combat sanglant où il demeura victorieux. C'est là qu'ayant gravi sur les montagnes, il aurait: «eu l'aspect d’une grande plaine très-agréable, semée « de bourgades en grand nombre, de beaux édifices, | À 5 66 VOYAGE «de hautes tours et de superbes temples. » nuant sa route le long du détroit, il arriva au goulet qu’il nomma Nofre-Dame-de-Gr'âce(probablement ce- lui qui porte maintenant le nom de 2*goulet). Là, il eut encore à guerroyer contre les indigènes qu'il traité de géants, et les ayant défaits, en parcourant le pays, ileut encore la vue de ces édifices merveilleux ; maïs il a soin d'ajouter que tout cela lui semblait fantastique et qu'il n'en pouvait croire ses yeux. Un peu plus loin, vers l’ouest, 1l trouve encore des sauvages grands, vigou- reux et bien proportionnés. Cette région lui sembla plus tempérée que les autres, car, nonobstant le froid, elle produisait du coton et de la cannelle que les na- turels nommaient Cabea. Sans doute, Sarmiento a pu très-bien confondre l’écorce de Winter avec la cannelle, mais il n’y a rien dans ce pays qui ait pu passer pour du coton. Du reste, il est à peu près évident, aujour- d’hui, que cenavigateur mélait toutes ces fables à des faits positifs, pour amener plus facilement la cour d'Espagne à l'exécution des projets qu'il méditait. Dès qu'il eût terminé son exploration du détroit, 1 se dirigea immédiatement sur l'Espagne, où ses récits pompeux et ses fictions réussirent à persuader au roi Philippe I de bâtir une forteresse dans le détroit, pour en défendre l'entrée aux étrangers, attendu, di- sait Sarmiento, que le canal était si étroit, que des bâtiments pourraient très-facilement en défendre ‘l'entrée. En conséquence, dès l'année suivante, 1581, une flotte de 23 navires, montée par 3,500 hommes, fut AU POLE SUD. 67 destinée à la fondation de la nouvelle colonie, dont . Sarmiento devait être le gouverneur. Flores de Valdes était amiral de la flotte, et elle portait, en outre, 500 hommes de vieilles troupes pour le Chili. Dès le dé- part, une tempête dispersa les vaisseaux, -fit couler bas sept d’entre eux portant 800 hommes. Une seconde tempête fit périr encore un gros bâtiment, avec 300 hommes et 20 femmes destinés à la nouvelle colonie. Divers autres accidents furent cause qu'on n’arriva au détroit que dans la saison contraire, et il fallut re- tourner à Paraïba passer l'hiver. Enfin, Sarmiento ne put attérir au détroit qu'avec 400 hommes et 30 fem- mes ayant pour 8 mois de provisions. Là, sur les trois vaisseaux qui lui restaient seulement, un vint à périr, il garda le second, et le troisième, sous les ordres de Ribeira, fut renvoyé en Espagne pour chercher des SeCOuUrS. Quant à Sarmiento, il construisit d’abord un fort à l'entrée du détroit, le nomma Nom de Jésus, y laissa 150 hommes, puis se rendit par terre avec le reste de son monde, et parvenu au milieu du détroit, y éleva une place nommée Philippeville, qu'il pourvut d’une bonne artillerie. Cela fait, il revint avec 25 matelots a Nom de Jésus, où un coup de vent rompit ses cà- bles et le chassa dans l'Océan Atlantique. Alors il se dirigea vers Rio-Janeiro, où il comptait sur des se- cours qu'il n’y trouva pas; puis à Fernambouc, où il s’en procura d’insuffisants, enfin à Bahia, où il fit nau- frage. Avec une constance digne d’un meilleur sort, il rebâtit en ce port un nouveau navire, remit sous voiles 68 VOYAGE avec ses provisions, et une nouvelle témgpôte le con-. traignit à les jeter à la mer et à relâcher à Rio. E sortant enfin de ce port, il tomba inopinément au milieu de la flotte anglaise aux ordres du chevalier Raleigh , fut fait prisonnier et conduit en Angleterre. Plus malheureux encore, les pauvres colons aban- donnés sans ressources et persécutés par la faim, les intempéries de l'air, les sauvages et les bêtes féroces épuisèrent la coupe des maux. Des plantes qu'ils se- mèrent ou plantèrent aucune ne put croître, de sorte que leurs provisions une fois entièrement épuisées, la plupart moururent de fann. Alors ils se mirent à errer à l'aventure sur les bords du détroit, cherchant leur nourriture par le moyen de la chasse et de la pêche. Ils passèrent ainei une année entière vivant de feuilles, de fruits, de racines, et d'oiseaux quand ils pouvaient en tuer. Réduits au nombre de 23, dont 2 femmes, sur 400 qui formaient primitivement la colonie, tous, hormis un seul, nommé Hernando, qui fut recueilli par Candish, se décidèrent à prendre par terre la route de Rio de la Plata. On ne sut jamais quel fut leur sort. Tenté par les succès de Drake, Thomas Candish équipa, pour son compte particulier, une flotte de 3 vaisseaux, afin de courir sur les Espagnols dans Ja Mer du Sud. Appareillés le 21 juillet 1586, ils don- nérent dans le détroit le 3 janvier 1587. Le 7, ils recueillirent sur le rivage le malheureux Hernando, unique survivant de la colonie espagnole, et le sur- lendemain ils mouillèrent devant Philippeville, dont L AU POLE SUD. 69 is trouvèrent encore les ruines debout. On remarqua pourtant que « la situation était agréable et avanta- « geuse, proche des bois et de l’eau, dans le meilleur « endroit de tout le détroit de Magellan. » C'est de cette époque que ce lieu prit le nom de Port-Famine, pour consacrer la mémoire du désastre des colons espagnols. Le 14, l'escadre doubla le cap Forward, puis tou- cha à la rivière des Coquillages, sur la rive du sud, dans une baie sablonreuse, au nord, nommée Elisa- beth ; à 2 milles plus loin, Candish ayant remonté en bateau une jolie rivière l’espace de 3 lieues, y trouva un terrain uni, fertile et habité par des sauvages fa- rouches et anthropophages. D'après le grand nombre de morceaux d’épées, couteaux et autres morceaux de fer dont leurs flèches étaient armées , on jugea qu'ils étaient les exterminateurs des Espagnols de Philippe- ville. Les sauvages, dit un narrateur, firent tout ce qu'ils purent afin d'attirer les Anglais vers eux; pour toute réponse, Candish fit tirer dessus un coup de canon qui en tua plusieurs. | De là jusqu'au canal Saint-Jérôme, ce ne fut qu'une suite presque continuelle de coups de vent et de tem- pêtes qui les forçaient à chaque instant à chercher un abri. Les équipages souffrirent beaucoup de la faim. Enfin on entra dans l'Océan Pacifique, le 24 fé- vrier 1587, apres cinquante-deux jours de traversée. Animé par les résultats de sa première course, Can- dish avec une flotte de cinq navires, repart de Ply- mouth le 6 août 1591, et va mouiller le 8 avril suivant 70 VOYAGE au Port-Famine. Là ils virent venir un jour à eux plus de mille sauvages nus, que l'historien Knivet appelle des Cannibales. Ces hommes étaient fort défiants et ne se laissaient AppoyoRer qu'à distance d’une longue perche qui servait à transmettre les échanges. Le froid était si intense qu'on perdait quelquefois huit ou neuf hommes par jour. Une première fois la flotte parvint jusqu'à 4 lieues de l'embouchure occi- dentale du détroit; puis une suite d’affreux coups de vent la renvoya sur la fin du mois dans l’Océan Atlan- tique. Candish rentra néanmoins dans le détroit, per- dit dans un endroit neuf hommes qu’on supposa avoir été mangés par les Patagons qu’on dépeint toujours comme une sorte de géants très-féroces. Deux fois la flotte anglaise débouqua dans la Mer du Sud, et deux fois le vent la repoussa dans le détroit; la se- conde fois elle fut entraînée jusque dans la Mer du Nord. Alors Candish prit le parti de s’en retourner en Angleterre. | Gependant; le 11 juillet 1593, il voulut encore re- venir à la charge, mais cette fois il mourut en route. L'expédition de l'Anglais Jean Chidlez ne fut pas beaucoup plus heureuse. Il mit à la voile de PIy- mouth , le 5 août 1589, avec cinq navires, entra dans le détroit le 1° janvier 1590, perdit quinze hommes avec sa chaloupe aux îles des Pingouins (c’est-à-dire Ste- Elisabeth, Saint-Barthélemy), et mouilla au Port-Fa- mine, où sept autres hommes furent tués par les sau- vages. La relation porte qu'ils y recueilirent encore un Espagnol de la colonie de Philippeville. S'il en était. AU POLE SUD. 71 ainsi, le Hernando de Candish n’était pas le dernier. Chidley s’avança huit ou dix fois à quelques lieues au- delà du cap Forward; mais chassé par les vents et les courants, il fut constamment repoussé dans l’est. Enfin, après avoir perdu trois ancres, trente-huit hommes, et se voyant menacé d’une révolte, il finit par reprendre la route d'Europe; il vint faire côte sur les plages de Normandie, avec six hommes seulement qui réussirent à se sauver au rivage près de Cher- bourg. Richard Hawkins éprouva presque autant d’obsta- cles, mais il réussit à les surmonter. Il fit voile de Plymouth, le 8 avril 1593; après avoir découvert les îles que les Anglais ont nommé Falkland, et les Fran- çais Malouines, 11 embouqua le détroit, le 10 janvier 159%, où il aperçut des cochons sur le rivage, doubla le cap Forward, puis après deux vaines tentatives pour débarquer, dans lesquelles le vent le repoussa tres-loin à l’ouest, au moment où il commençait à perdre courage, il profita d’une brise favorable et put donner dans la Mer du Sud, mais non pas sans avoir subi des pertes et des avaries considérables. Les Hollandais, pour la première fois, se montrent dans ces parages, et leur début est signalé par des tra- verses inouies. À l'exemple des Anglais , ils forment le - projet d'aller s'enrichir en saccageant les possessions espagnoles. Dans cette intention, ils arment à Rotter- dam une flotte composée de cinq vaisseaux, ayant pour amural Jacob Mahu qui meurt peu de temps après son départ, et est remplacé par le capitaine Simon de 72 . VOYAGE Cordes. Les autres capitaines se nomment Balthasard de Cordes, Girard van Beuningen, Jurieu van Bokolt, bientôt remplacé par Dirk Gheritk et Sebald de Wert. La flotte met à la voile de Rotterdam, le 27 juin 1598, embouque le détroit le 6 avril suivant, et après avoir touché aux iles des Pingouins et à la baie des Moules ou Mossel-bey , elle va mouiller, le 18 du mème mois, dans une baie qui reçut le nom de baïe de Cordes. Elle resta là jusqu’au 23 août, où la faim , le froid et une série de tempêtes continuelles réduisit Les équipages à la dernière extrémité et fit périr plus de cent hommes. De là on passa à la baie de Ridders, où les sauvages montrèrent une extrème barbarie en exhumant, outrageant et mutilant les cadavres des Hollandais enterrés sur ses bords. De là, jusqu’à la fin du détroit, après avoir subi une foule de désastres et d’avaries de toute nature, la flotte put sortir le 3 septembre, mais elle ne tarda pas à être dispersée. L’amiral avec le vaisseau de Beu- ningen, se rendit immédiatement sur les côtes du Chili. Dirk Gheritk fut chassé jusqu’au 64° degré sud, où il découvrit une côte montueuse et M sard de Guise et Scbald db Wert, après avoir spa se briser sur les côtes d'Amérique par suite d'un coup" de vent furieux , ils furent contraints de rentrer dans le détroit pour chercher quelques vivres à la baie des Soucis. En quittant ce mouillage, ils coururent de nouveaux dangers ; les deux navires se perdiremt AU POLE SUD. F+ de vue, et de Wert alla mouiller seul dans la baie de Cordes; comme il se trouvait là, arriva la flotte d'Olivier de Noort, qui venait de Hollande. L'em-— bonpoint et le teint frais des arrivants, contras- taient singulièrement avec les figures maladives des . matelots de Sebald de Wert. Ce capitaine retourna jusqu'à la baie Ridders, en janvier 1600, où ül trouva des piles de glaces de plusieurs brasses d'é- paisseur. Enfin, le 21 janvier, ayant perdu sa dernière cha- loupe, et n'ayant plus qu'une seule ancre, il fut obligé de quitter le détroit, et rentra dans la Meuse, le 14 juillet 4600, n'ayant plus que trente-six hommes sur cent cinq qu'il avait en partant de Hollande. Balthasard de Cordes fut plus heureux, et put sor- ur du détroit et continuer sa route. Olivier de Noort, dont nous venons déjà de parler, était parti de Rotterdam, le 2 juillet 1598, avec quatre vaisseaux et deux cent quarante-huit hommes. Après cinq tentatives inutiles, il put entrer dans le détroit le 25 novembre. Il mouilla successivemeut au cap Foreland et au Port-Famine, où l’on chercha vaine- ment les ruines de Philippeville. Le 25 décembre, il mouilla dans la baie de Cordes ; de là il passa à la baie Maurice, et après avoir essuyé des coups de vent, des rafales et des courants impétueux, il donna, le 29 février 1600, dans l'Océan Pacifique. Georges Spilberg paraît avoir été le plus heureux de tous ceux qui auraient traversé le détroit de Ma- gellan, depuis sa découverte jusqu'à lui. Parti de Zé- 74 VOYAGE lande le 8 août 1614, avecsix vaisseaux, il entra, le 25 mai suivant, dans le détroit, mouilla aux îles des. Pingouins et au Port-Famine. La relation fait men- tion simplement que, « près des ruines de Philippe= « ville, le terrain était tout semé d'arbres et fort uni «en quelques endroits, avec des apparences que « les Espagnols l'avaient autrefois cultivé. » Le 16 avril on mouilla sur la baie de Cordes, où l’on eut des relations avec les indigènes. Enfin, le 6 mai, on sor- tit du détroit en courant quelques dangers; mais la relation ne parle point de ces tempêtes perpétuelles et de ces misères affreuses qui reviennent sans cesse dans les récits des navigations précédentes. À la même époque, en janvier et février 1616, Le Mairé et Schouten découvraient une nouvelle route en faisant le tour du cap Horn par le sud; et cette navigation, plus facile et moins dangereuse avec des vaisseaux aussi lourds et aussi mauvais voiliers que ceux de cette époque, fut cause que la route du dé- troit fut moins pratiquée. Garcia de Nodalès, envoyé par le roi d’Espagne pour explorer le nouveau passage par le détroit de Le Maire, fut encore plus heureux dans sa traversée du détroit de Magellan, de l’ouest à l’est. En effet, parti de Lisbonne avec deux caravelles sous ses ordres, le 27 septembre 1618, il arriva sans encombre vis-à-vis de la baie Saint-Sébastien, au sud du cap Vierge qu'il prit pour l'entrée d’un nouveau passage , examina avec soin le détroit de Le Maire, découvrit les îles voi- sines du cap Horn, et revint par le détroit de Magel- AU POLE: SUD. 75 lan, après avoir contourné toute la Terre de Feu. Dans cette dernière traversée, Nodalès ne paraït avoir es- suyé aucun désastre, puisque après avoir touché à Fernambouc, il rentra à Séville le 9 juillet 1619, après neuf mois et demi de navigation et sans avoir perdu un seul homme, résultat presque merveilleux pour ces temps. Le roi Jacques d'Angleterre expédia le capitaine Jean Narborough avec 2 vaisseaux , chargé de la mis- sion expresse d'explorer les terres Magellaniques. Ce navigateur partit de Deptford le 26 septembre 1669, perdit sa conserve en Attérissant sur la côte des Pata- sons, et entra seul dans le détroit, le 13 octobre 1670. Rejeté en pleine mer par les vents, dans une seconde tentative, il alla mouiller à l’île Elisabeth. Il toucha ensuite à la baie Fresh-Water, à Port-Famine, et re— leva avec soin toute l'étendue du détroit, depuis ce dernier lieu jusqu’au canal Saint-Jérôme. Il quitta le détroit le 26 novembre, remonta la côte d’Amérique jusqu’à Valdivia, rentra par l’ouest dans le détroit, le 22 décembre, et rentra le 14 janvier 1671. Les An- glais, d’après les documents recueillis par Narborough, tracèrent une carte du détroit, qui naguères encore était la meilleure que l’on possédât. | Le capitaine de vaisseau français de Gennes, arma une flotte de six vaisseaux pour aller piller les possessions des Espagnols sur la côte de l'Amérique. Parti de La Rochelle le 3 juin 1695, il doubla, le 11 février, le cap Vierge, et mouilla le 13 dans la baie Boucault, puis à l’île Saint-Georges, et entra le 76 VOYAGE 24 dans la baie Famine, où l’on eut des rapports avee les sauvages. On toucha ensuite sur la baie Saint- Nicolas, qu’on nomma baie Française ; mais on"tenta vainement de pousser plus avant; des rafales terri- bles rejetèrent l’escadre au Port-Famine. Les vents toujours contraires, et le manque de vivres contrai- gnirent le général à renoncer à ses projets; le 10 du même mois, l’escadre rentra dans l'Océan D ue et à Rochefort, le 21 avril 4697. | Beauchèsne-Gouin, également capitaine de vais- seau français, tint la même route avec quatre navires. Il était sorti du pertuis d’Antioche, le 17 décembre 1698, et le 24 juin de l’année suivante, il doubla le cap Vierge, n'ayant plus alors avec lui qu’un seul vais- seau de la division. Beauchêsne mouilla sur plusieurs points, et entre autres au port Galant , le 12 septem-— bre. «Là, dit Villefort dans son journal, je fus témoin « d’une chose bien surprenante. Une femme sauvage « étant dans l’eau pour raccommoder son canot fut « prise du mal d'enfant. Elle ne fit que s’accroupir, « et mit en notre présence son enfant au monde, qui « paraissait n'avoir que 3 mois et qui apparemment « était mort; car ayant achevé de le tirer avec ses « mains, elle le regarda et le jeta aussitôt dans l'eau « Sans s'étonner, ni faire aucun cri; après quoi elle « se remit à travailler. » Après de longues contrarié- tés et plusieurs efforts inutiles, Beauchèsne réussit à donner dans la Mer du Sud, le 21 décembre 1699. Ainsi cette traversée ne cire pas moins de six mois entiers. + ni. dc AU POLE SUD. 77 Plus de soïxante années s’écoulent sans qu'aucune expédition connue se rencontre dans le détroit de Magellan. Les difficultés, les obstacles essuyés par les navigateurs, effraient ceux qui leur succèdent, et ceux-ci préfèrent la grande route en faisant le are du cap Horn. ARE: Le premier que nous voyons reparaître dans ces canaux fertiles en tempêtes, c'est le commodore an- glais Byron, expédié par son gouvernement pour un voyage autour du monde, et quiayant sous ses ordres le vaisseau le Dolphin et la frégate Tamar, appareilla des dunes, le 21 juin 1764. Le 21 décembre suivant, a D dedans du détroit, peu loin du cap de 1E on eut des relations amicales avec une se tribu de Patagons. Suivant Byron, tous nes auraient eu une taille moyenne de six pieds (mesure anglaise), et quelques-uns auraient eu jusqu'à sept pieds. Leur carrure et leurs membres auraient été proportionnés à cette taille, e£ certaines femmes auraient approché de ces dimensions. Le 27, les navires mouillèrent au Port-Famine, où Byron fit exécuter des fouilles sur le morne dépouillé d'arbres, mais l’on ne découvrit rien de l’ancien établissement espagnol. Le 4 janvier, Byron remit à la voile pour se rendre aux îles Falkland; mais il rentra dans le détroit le 18 février, et dès le 21, revint mouiller au Port-Famime. Après une courte station, l’expédi- tion remit à la voile, et après avoir essuyé divers coups de vent, sortit du détroit le 9 avril 1765. Immédiatement après Bvron, ou plutôt concurem- 78 VOYAGE ment avec lui, lors de son retour du Port-Egmont, vient le capitaine français Bougainville : après avoir déposé au Port-Louis des Malouines, sa nouvelle colonie, 1l se dirigea vers le détroit de Magellan pour y chercher les bois nécessaires à son établissement naissant. Ce fut le 16 février 1765 qu’il doubla le cap des Vierges, sur le navire l’Aigle, en même temps que les vaisseaux de Byron, et il alla mouil- ler le 21 dans une petite anse qui reçut son nom. Il y passa le temps nécessaire pour faire sa cargaison de bois de construction, et embarqua près de deux mille plants d’abres , et il aura aussi été merveilleusement favorisé par le temps, car il put être de r'etoi ul colonie, le 29 du mois suivant, sans aucun ac de L'année suivante, les capitaines Duclos-Guyo rot à La Giraudais, commandant les navires l'Aigle et VE- toile, mouillèrent au Port-Famine dans le même but au mois d'avril, et repartirent pour les Maloumes vers la fin du mois de juin suivant. Une escarmouche eut lieu entre les Français et les naturels de Port-Famine ; plusieurs de ceux-ci furent tués ou blessés et tous dé- campèrent. Aux environs du cap Grégory, les Pata- gons, au nombre de huit cents environ, s'étaient montrés plus traitables, et on put former avec eux une espèce de traité d'alliance. Après avoir exécuté la partie de ses instructions qui lui prescrivaient la remise de sa colonie des Ma- louines entre les mains des Espagnols, Bougainville, en 1767, se détermina à suivre sa route vers la Mer du Sud, par le détroit de Magellan. Il donna dans le AU POLE SUD. 79 détroit, le 8 décembre au soir par un gros temps et des vents contraires, si bien qu'il fut obligé, le 7, de mouil- ler sous le cap Possession. Près de ce cap, on eut des relations amicales avec les Patagons. Après bien des contrariétés, on put mouiller, le 16, à Port-Fa- mine, et le 18 dans la baie Bougainville, où l’on passa douze jours. Bougainville éprouva ensuite des coups de vent terribles et très-répétés, qui mirent souvent ses deux navires à deux doigts de leur perte et le retinrent durant vingt-six jours seulement au Port- cu Enfin, trente-six heures d’un bon vent lui ermi rent de se ps à de ce point à l'embou- ablab le à celle de Byron, et ayant sous ses ordres, en outre du vaisseau le Dolphin qu’il montait, le Shop Swallotv et la flüte Prince Frederick, quitta Plymouth le 22 juin 1766, et embouqua le détroit dans la jour- née du 16 novembre. Là on eut des communications avec les Patagons, et des mesures positives donnèrent 5 pieds 10 pouces et six pieds (anglais) pour leur taille moyenne. L’escadre mouilla le 26 décembre au Port- Famine où l’on fit de l'eau et du bois. Ayant renvoyé le Prince Frederick aux îles Falkland, le 18 janvier 1767, Wallis remit à la voile avec le Swallow pour continuer sa route. Il fut étrangement contrarié par les mauvais temps dans le reste de la traversée; les cou- rants et les vents lui firent une guerre continuelle, et ses deux navires coururent les plus grands dangers. 80 i VOYAGE Cependant ils parvinrent à sortir du détroit dans la nuit du 10 au {1 avril, et dans cette nuit même eut lieu la séparation des navires , heureux accident pour la géographie, puisqu'il en résulta la découverte de plusieurs terres par le capitaine Carteret, terres que ne vit point son commandant Wallis. À la suite des voyages de ces célèbres navigateurs, plusieurs navires anglais et américains ont encore dû traverser le détroit de Magellan, surtout à une époque assez récente, où l’abondance des phoques a dü atti- rer au travers des canaux qui séparent la Terre de Feu un grand nombre de navires affectés à cette | é- che; mais ces aventuriers ne nous ont laissé auct trace authentique de leurs excursions. Toute | = péditions de découvertes, pour éviter une perte d e temps considérable, doubla le le cap Horn, et le dé- troit de Magellan était pour ainsi dire aies F Enfin le gouvernement anglais se décida à faire exécuter l'exploration des terres Magellaniques. Le capitaine King commença ce travail en 1826 et y con- sacra plusieurs années. Cette tâche fut poursuivie par le capitaine Fitz-Roy, qui la termina en 1834. Les opérations de ces deux capitaines produisirent une suite de cartes, qui donnent de la manière la plus détaillée et la plus satisfaisante la configuration de cette multitude d'îles, d’ilots et de canaux, qui décou- pent la pointe méridionale de l'Amérique. J'avais pu emporter avec moi les cartes du capitaine King, dont j'ai été à même de vérifier toute l'exactitude. Celles du capitaine Fitz-Roy n'étaient point encore terminées. & AU POLE SUD. gl s ee se ag # + CHAPITRE ie ces js : ra ï # & LE S Hi Ne Eh va * : ëÇ Navi rigation depui is l'entrée du détroit de Magellan ju jusqu’ au à Por t- Ver _Famine. " %. # Vers huit heures , nous passions à un mille au plus de cette longue plage basse que les premiers naviga- teurs anglais nommèrent Dungeness, par analogie avec une plage d’un aspect semblable près de Douvres. C’est une pointe élevée de trois mètres au plus au-dessus du niveawdes basses eaux, qui se détache brusquement des falaises escarpées de la côte, et qu’on n’aperçoit de loin qu’à la nappe d'argent formée par les flots dé- ferlant sur ses bords quand là mer est grosse. Sur la pointe même , je remarquai de grosses mas- ses noirâtres que je Lis d’abord pour des rochers; mais la longue vue m'y montra distinctement un troupeau de phoques de grande taille, qui nous regar- daient passer d’un air stupide; et bientôt le vent nous apportaquelques-uns de leurs hurlements. De nom- breuses bandes d’albatros et de pétrels voltigeaient ou 1. 6 1837. {2 décembre. 1837. Décembre. 6 82 VOYAGE se tenaient posés tout près d'eux, et quelquefois même au milieu d'eux, ainsi que des troupes de graves et impassibles pingouins. Cette pointe une fois doublée, nous prolongeîmes à deux ou trois milles de disc la côte nord du dé- troit , terre d’une moyenne hauteur, avec des falaises escarpées , du reste aride , pierreuse et d’une hideus e nudité. Une brume très-épaisse nous dérobait entière- nent la côte méridionale du détroit. Poussés rapidement | par une brise fraiche du ES nous filions avec vitesse sur une mer peu tourmentée : 2 aussi, à dix heures vingt minutes, nous passions au sud-est à deux milles environ du cap Possession, et dès une heure quarante minutes nous donnions dans le premier goulet. Comme nous arrivions vers la fin de ce canal, la marée reversa et le jusant fut, durant une heure ou deux, si rapide, que tout ce que nous pûmes gagner fut de nous maintenir sur place avec un sillage de sept ou huit nœuds. Les bords de ce canal sont formés de terres peu élevées , pierreuses et très-stériles en apparence, car en les examinant de près on les trouverait peut-être bien tapissées de diverses plantes magellaniques. Vers cinq heures j'avais réussi, en ralliant de très- près la bande du sud-est, à sortir du goulet, et je me trouvais dans ce vaste bassin situé entre les goulets, et qui reçut des Espagnols le nom de baie Saint-Phi- lippe. Là, je me croyais désormais à l'abri de tout contre-temps, quand le vent a molli et la marée nous a prompfement entraînés en arrière de près de trois AU POLE SUD. 83 milles. La Zélée, qui se trouvait un peu plus avant que nous dans la baie, fut un moment en danger de toucher à la côte, près de la pointe Baxa , et ne se dé- gagea que par une rapide évolution. Vers sept heures , le flot commença à se déclarer et j'en profitai pour courir des bordées contre le vent d'O.S. O. et faire en sorte de m'élever dans le bassin de Saint-Philippe. Cela fut assez bien durant une heure, et nous gagnâmes d’une manière satisfaisante, malgré les grains de vent et de pluie qui se succédaient par intervalles. Mais le temps devenant de plus en plus mauvais, les rafales ayant augmenté et la nuit se faisant très-noire, à neuf heures trente minutes, je donnai l’ordre d’être prêt à mouiller et fis serrer toutes les voiles. Au commandement mouille, la chaine de l’ancre de tribord fit décapeler de la bitte le manchon en fer, elle s’engagea et ne put courir dans l'écubier. Alors l'ancre resta suspendue et fortement pressée par le courant sur la joue antérieure du na- vire, de sorte qu'il devint impossible de la dégager. instruit de cet accident, je donnai sur-le-champ l’ordre de mouiller l'ancre de babord et le même in- convénient lui arriva. Alors j'ordonnai de préparer l'ancre de veille. C’eût été une position extrêmement critique si nous eussions été près de la côte ; mais je savais que J'en étais loin. D'ailleurs je présumais qu’en tous cas la force des courants m’eüt maintenu dans leur lit, et par conséquent à une certaine distance des terres. Mais ce qui vint compliquer notre position d’une 1837. Décembre. 1537. Décembre. 8£ VOYAGE manière bien plus effrayante, c’est que M. Jacquinot me voyant à sec de voiles, et croyant que j'étais réel- lement mouillé, vint is jeter l’anere à une dis- iance raisonnable. Mais en dérivant, l'Astrolabe s’en rapprocha, et l'ancre de babord ayant enfin paré quand nous eûmes filé assez de chaîne, les deux cor- vettes, travaillées à la fois par le vent.et le courant, au travers d’une mer très-dure, faisaient des sauts ter- ribles l’une vers l’autre , et dans ces mouvements dé- - sordonnés elles ne passaient quelquefois qu’à une dizaine de mètres l’une de Fautre. La mer était si rudement tourmentée , que les lames, quoique très- courtes, venaient quelquefois déferler jusques sur le pont. Sans doute un abordage en pareille circonstance eût eu des suites épouvantables; mais à céla il n'y. avait rien à faire qu'à attendre patiemment. C'est donc ce que nous fimes, et après deux heures d’anxiété bien vive, vers minuit, le vent et le courant perdirent ensemble beaucoup de leur vioience, et le reste de la nuit se passa tranquillement ”. La force du courant qui entrainait la ligne nous avait fait penser que nous avions mouillé par 22 brasses, mais il n’y avait réellement que 16‘brasses defond. | DUTY ; En montant sur ma dunette, à six heures du matin , je jouis d’un ciel d’une admirable sérénité et d’un horizon parfaitement pur. La mer était tout-à- fait calme, et nos deux corvettes se balançaient dou- cementau milieu d’un beau bassin qui nous semblait * Notes 32 et 33. EVE re EC St AU POLE SUD. complétement environné de terres, car on distinguait à peine les entrées des deux goulets. Les terres étaient peu élevées, agréablement accidentées, toutes dépouillées de verdure, à cela près de buissons très- chair-semés. Au N. 0. règne la chaine modeste des monts Grégory, et dans le S. E. seulement commen- cent à se montrer des sommités plus élevées. * Vers huit heures, la. marée commença à filer au S. 0. ; nous Kai Tancre et mimes à la voiie avec une faible brise du S. ©. Comme j j'avais à traverser une zone où nous n'avions guères que sept et huit brasses d’eau , je profitai de notre faible sillage pour mettre la drague: à la traîne, dans l intérêt de l histoire 1337. Décembre. lo LM, Howbron fit son eut: ei a: i, à laide d’une jolie brise du N. E. nous ivons donné dans Je second gouliet, filant cinq ou six nœuds. Mais il paraît que la marée était encore contre nous, attendu que 2% milles environ fournis par le lôch, de deux heures à six heures après-midi, se sont réduits à 7 milles de vraie route. Dès le matin, de grands feux allumés des deux côtés de la baie SR PRISE nous avaient démontré la présence des Patagons sur la côte nord, et des Péche- rais sur la côte sud. En filant le long du goulet, nous vimes des Guanaques sur la côte de la Terre de Feu. Au premier abord, la distance nous les fit prendre pour.des sauvages montés à cheval, tantôt arrêtés , tantôt galopant le long de la plage: et cela m'étonnait beamecoup, car je savais qu'on n'avait jamais vu de 1837. Décembre. 86 VOYAGE chevaux sur la côte sud du détroit. Mais nous recon- nümes bientôt notre erreur. Ts Vers six heures, la marée se déclara décidément pour nous, et son action, jointe à celle d’une bonne brise qui nous poussait rapidement droit vent arrière, à raison de six ou sept nœuds, nous rapprocha promptement de la pointe Nuestra Señora de Grazia. Tout à coup un grand feu brilla sur la falaise escarpée qui forme la pointe opposée du détroit ou cap Samt- Vincent. L'aide des lunettes nous y fit bientôt distin- guer cinq personnages marchant en gesticulant avec vivacité pour nous faire des signaux. Presque tous les officiers , et moi le premier, nous fümes persuadés que ces mdividus n étaient point vêtus comme des sauvages. Quelques-uns s s’ ima- ginaient même reconnaître la nature de leurs vête- ments. Aussitôt l’idée nous vint que c’étaient de mal- heureux naufragés abandonnés sur ces côtes qui imploraient notre assistance. Nonobstant le regret que j'éprouvais à shsfendré ma course, et peut-être même le risque que je courais de perdre une aussi belle chance pour pousser de l'avant, l'humanité me commandait de courir au se- cours des infortunés que nous croyions avoir sous les yeux. Sur-le-champ je revins brusquement sur babord et cinglai droit sur le cap Saint-Vincent. À mesure que nous approchions, notre assurance primitive se con- nÿ vertit en doute, et quand nous ne fümes plus qu’à un mille du cap, chacun de nous put se convaincre que les individus qui avaient si vivement excité notre AU POLE SUD. 87 commisération étaient tout simplement de braves Pécherais affublés de longs manteaux de peau, se chauffant paisiblement autour de leur feu et se levant de temps en temps pour nous regarder. Ainsi désa- busé et regrettant la route que je venais de perdre inutilement, je remis le cap au $. O. pour m'avancer dans la baie Elisabeth, comprise entre l’île de ce nom et la côte septentrionale. Au même moment un autre feu se montra sur cette dernière terre , près du hâvre Oazy”. Mais bientôt notre attention se fixa tout entière sur un spectacle plus grandiose, plus magnifique. Ce fut, à neuf heures et demie, celui que nous offrit le coucher du soleil, disparaissant lentement derrière les montagnes de la Patagonie, droit devant nous. Les nuages qu'il venait de traverser et ceux qui l’entou- raient jusqu’à une grande distance, par leurs teintes variées d’un pourpre enflammé, d’un vert tranchant, de rayons orangés , imitaient parfaitement les reflets d'un vaste imcendie ou la déflagration d’un immense volcan. C'était quelque chose de terrible et d’imposant au plus haut degré, et je confesse que, pour ma part, je n'avais jamais rien vu de semblable. Aussi je con- templais avec enthousiasme ce tableau merveilleux et vraiment magique, quand une arrière-pensée fàcheuse vint traverser mon imagination et donner un autre cours à mes méditations; dans ces contrées, un aspect pareil du ciel devait me présager du mauvais temps, _ æ * Note 34. 1837. Décembre. 1837. Décembre. 83 VOYAGE et c'est ce que me confirmait une baisse excessive du mercure déjà descendu jusqu'à 0*,736. J'attendais donc une de ces tempêtes du dé qui soufilent d’abord du N. au N. O. pour sauter ensuite au S. 0.° Dans cette crainte, pour éviter des retards fà- cheux, je résolus, role l'obscurité, de profiter du vent et de la marée, encore favorables, pour m'avan- cer le plus qu’il me serait possible dans le canal:Je prolongeai donc, presqu’à toucher laeôte, Pile Ehsa- beth, j'allai virer très-près du continent, puis après avoir couru un petit bord sur l'ile, sur le bord suivant je doublai à petite distance le cap Purpoise; ensuite je me trouvai dans un canal large et dégagé où Je pou- vais subir un coup de vent sans inquiétude. Il était alors minuit, j'envoyai se coucher les hommes qui n'étaient pas de quart et j'allai moi-même prendre un repos dont j'avais grand besoin, attendu les fatigues de la journée. Cette manœuvre, à laquelle personne ne s’atten— dait, fut admirée par les uns et jugée imprudente.et iéméraire par les autres *". Quoi qu'il en soit, elle prouva à tous qu'au besoin l’on ne me verrait pas manquer d'audace ni de présence d'esprit, et,c'était, ce que je voulais faire comprendre aux deux équi- pages. Lors de l'armement, comme ils me -Voyaient marcher pesamment et On. à cause du accès de goutte que je venais de Kent ils avaient * Notes 35 et 36. ** Notes 37 et 58. AU POLE SUD. 89 paru bien surpris d'apprendre que j J'étais leur com- mandant , et quelques-uns | _mê s'étaient écriés snif Oh! ce bonhomme-là ne ne e nous mênera pas bien loin. Je leur promis dès ce m moment, in petto, si Dieu lui donnait vie, que ce bonhomme leur en ferait voir en afiotion comme ils n’en avaient jamais vu. | Cependant, dans la facile traversée de Toulon au détroit, qui ne différait en rien des navigations habi- tuelles, je ne me tenais guères sur le pont que pour me promener, et j'intervenais fort peu de ma propre personne dans les manœuvres à faire, laissant l’offi- cier de quart exécuter les ordres que je donnais. Aussi les matelots de l'Astrolabe avaient à peu près conservé leur première idée, me considérant presque comme un soliveau. | Mais arrivé au détroit, mon rôle changea complé- tement. Tant que le jour durait, depuis trois heures du matin jusqu'à dix heures & soir, je ne bougeais point de la dunette et surveillais moi-même toutes les opérations ; la nuit même, couché à moins de deux mètres du timonnier, j'entendais tous les ordres que l'officier lui donnait et me faisais rendre compte des moindres variations du vent et des courants. C'était une vigilance continuelle et de tous les instants, et c'est ainsi que j'ai agi durant tout le cours de la cam- pagne, lorsque je ne me trouvais pas en pleine mer, c’est-à-dire durant près de quinze ou dix-huit mois. Des mon entrée dans le détroit, j'avais pu m'as- surer que les cartes de King, dont j'étais pourvu, 1837. Décembre. 1837. Décembre. 90 VOYAGE étaient très-exactes; en outre 54 ‘avais la meilleure vue de tout l'équipage or, j'ai toujours été convaincu qu'un capitaine ‘avec une bonne vue, de bonnes cartes et de la vigilance, peut se pelisicis toutes sortes de manœuvres, même celles que bien des hommes jugeraient extravagantes. Je prévoyais que dans mes tentatives au travers des glaces il nous fau- drait souvent recourir à des évolutions soudaines et imprévues, et je voulais y préparer nos ma- rins. Mes intentions furent remplies, car au sortir du détroit, les matelots des deux navires, en parlant de nos opérations dans ce canal, aimaient à répéter : Ce diable d'homme est enragé ; il nous a fait raser les roches, les écueils et la lerre comme s’il n'avait jamais fait d'autre navigation dans sa vie... Et nous qui le croyions mort dans le dos! C’est ainsi que leur confiance en moi prit naissance, et qu’elle s’accrut successivement au point de me désespérer; car ils s’imaginaient à la fin, dans les pé- rils les plus imminents, que j'avais pré de gaieté de cœur une semblable position, et que j'en sortirais toujours dès que je le voudrais. Quand nous eûmes doublé le cap Negro, au lieu du vent du nord sur lequel je comptais, une saute subite. nous amena du vent de l’'E.S. E. qui passa au S. E: soufflant grand frais avec des rafales violentes char- gées de torrents de pluie. Il fallut mettre à la cape, et courir de petits bords entre le cap Negro et la Terre de Feu. Vers trois heures, dans une éclaircie bien fugitive, AU POLE SUD. ve 91 nous pümes reconnaître le cap Negro, l'ile Elisabeth ‘île Santa-Magdalena. Cela dura peu, mais c’en fut assez pour me rassurer complétement sur ma posi- tion et me démontrer que le courant ne nous avait point portés vers les récifs qui avoisinent cette der- nière terre, la seule chose à craindre dans cette partie - dudétroit. Vers n ,la masse de la Terre de Feu se distingue confie au travers des grains, mais il est impos- sible de distinguer aucun de ses accidents. À cinq heures, le vent commença à varier et passa successi- vement au S. S. E. au S. au S. O. et même à l’ouest à huit heures. Alors l'horizon commence à se décou- vrir un peu , et les montagnes de neige de la Patago- nie montrent leurs crêtes dentelées. Parfois même les deux côtés nous apparaissent en même temps, et nous reconnaissons aVeC Jole que nous avons gagné au sud. Nous continuons à courir des bordées dans ce but. Debout dès trois heures du matin, je vois avec joie que le ciel s’est dégagé, les terres sont passablement découvertes et je reconnais parfaitement les caps Monmouth, Valentyn et même le cap Isidore. À l’aide d une jolie brise d’O. N. O. et d’une mer très-unie , je force de voiles et commence à courir de longues bordées pour atteindre le Port-Famine, dont la pointe Anna nous signale bientôt l’entrée. Tout a changé d'aspect autour de nous. Les deux terres sont désormais très-bien accidentées, offrant plusieurs plans de montagnes dont quelques-unes, fort élevées, 1837. Décembre. , ? | 1837. Décembre. 02 | VOYAGE soni couronnées de neige. La côte de Fo verte d'une magnifique verdure ; et chat admire les DE Aie que se développé à ni ES risées nous filionsÿ jusqu’à 8, ail SM Abe L'équipage, animé par l espoir de inch ) | terre, manœuvrait avec beaucoup d' rd Es. î profitais des moindres déviations due | É. mes bordées meilleures. Aussi, us à franchir, à quatre heures du soir, lé è la pointe Anna, Je laissai tomber l'ancre au Port-Fa- mine, par dix tes. fond de sable fin et vase, à deux # ou trois encäblures de la côte, précisément. devant l'aiguade principale. Puis je RS dériver la corvette. sur la côte, mouiller l’autre ancre, et nous fümes alors te avec nos deux ancres de poste, , celle de babord ayant 72 brasses de chaîne dehors, et celle. de tribord 50 brasses. La Zélée prit son poste à une ; encâblure plus à l'ouest. Fo: AU POLE SUD. - | #00 CHAPITRE VI. L14 La Séjour au Port-Famine. . ss | Aussitôt que les canots furent mis à l’eau, chacun des officiers prit sa volée vers la terre, et moi-même, accompagné de M. Roquemaurel, je descendis dans ma yole à la recherche des lieux les plus propices pour faire l'eau et le bois. Le débarquement est partout facile. Il y à une belle source précisément devant nos navires , dont l’eau, très-bonne quoique légèrement vourbeuse peut être conduite à bord de la chaloupe à laide de nos manches. Quant au bois, sur la plage même on en troûve des troncs abattus et tout secs, qui pourraient très-bien servir. Mais M. Roquemaurel préféra en faire couper dans la forêt voisine, qui pourra en approvisionner encore, durant un si ou deux, tous les navires qui passeront dans ce canal. Le rochers de la côte sont littéralement couverts de moules, de patelles, de fissurelles, de buceins ,etc., qui vont offrir un délicieux supplément aux gamelles de l'équipage. J'ai aussi remarqué avec joie les touffes 1837. Décembre, ‘ } : 4 à à k 4 1e 1 4 QE | L PE Ê. 4 £ F4 [ £ À + Lai re. dj Li OST 2 Ÿ éd: pt MM EN ee M UE. de né ne CS ARS A SE SG 1837. Décembre. PI, 1, 94 VOYAGE nombreuses de céleri dont ces plages sont pourvues, ainsi qu’une sorte de petite composée, analogue au pissenlit pour la forme et le goût, dont je mecom- poserai d'excellente salade. Nous vimes aussi un site très-convenable pour établir l'observatoire, abrité par une petite colline contre les vents les plus violer ts. Cet examen terminé, je me dirigeai vers. deux poteaux situés au sommet de la presqu'ile, qui, du mouillage , avaient attiré mes regards. Je grimpai au travers de broussailles épaisses, et parvenu auprès de ces poteaux, sur le plus grand, je pus lire , une ins- cription détaillée portant qu'il avait été élevé parle capitaine King, à la mémoire de son master Ainsworth, et de deux matelots noyés dans une embarcation qui avait chaviré dans le port San-Antonio; l’autre po- teau annonçait que le capitaine Dugué, du navire le Hävre, du Hâvre, avait passé ici en 1834. Sur des troncs d'arbre, on PER lire encore les noms de quelques autres navires” À la vue de la Hérénsiitté végétation qui m ‘entou- rait et qui se trouvait alors dans tout son luxe, je ne pus résister au désir de prélever un tribut sur cette jolie flore. Je savais que les échantillons magellani- ques étaient encore bien rares dans les herbiers de l'Europe; c'était un point de comparaison curieux à établir avec la flore des Malouines que j'avais publiée en 1898 : enfin cette occupation allait ajouter un nou- vel intérêt aux excursions que je me proposais d’exé- w. à of * Note 59. Be. AU POLE SUD. 95 cuter dans les forêts d’alentour. Du reste, je ne me proposais d'herboriser qu'en simple amateur, et je ne voulais nullement empiéter sur les droits de MM. Hombron et Jacquinot, que j'avais spécialement chargés de ce genre de recherches. Comme j'allais me rembarquer, vers huit heures du soir, mon patron me remit un petit baril qu'on avait trouvé suspendu à un arbre de la plage, tandis qu'on avait lu sur un poteau voisin l’imscription post- office. Ayant reconnu qu'il contenait des papiers, je le transportai à bord et pris connaissance des diverses pièces qu'il renfermait. C’étaient des notes des capi- taines qui avaient passé par le détroit, sur l’époque de leur passage, les circonstances de leur traversée, quelques avis à leurs successeurs, et des lettres pour l'Europe ou les États-Unis. Il paraît que la première idée de ce bureau de poste en plein vent fut due au capitaine américain Cunningham, qui se servit tout simplement d’une bouteille suspendue à un arbre, en avril 1833; son compatriote Water-House y ajouta, en mars 1835, l'utile complément du poteau avec l'inscription. Enfin, le capitaine anglais Carrick , commandant le + Ra: Mary-Ann, de Liverpool, passa par le détroit en mars 1837, allant à San-Blas de Californie : 1l y passa encore à son retour, le 29 novembre 1837, c’est-à-dire seize jours avant nous, et c'est lui qui avait substitué le baril à la bouteille, avec Invitation à ses successeurs d’en faire usage pour les lettres qu'ils voudraient faire parvenir à leurs di- verses destinations. 1837. Décembre. 1837. Décembre. 16. PI. HE. + 06 VOYAGE | Je me propose d'ajouter encore à cette mesure vrai- ment utile etingénieuse dans sa simplicité , en créant un vrai bureau de poste au sommet dela presqu'i car son inscription , par la dimehsion de ses carac- tères , sera telle qu'elle forcera l'attention dés mavi ja teurs qui ne voudraient pas mouiller au Port-Famine + et la curiosité les portera à envoyer un canot visiter la boite qui sera appliquée au poteau. Selon toute appa- rence, nous serons les premiers à en recueillir les. fruits, et nos familles seront agréablement surprises | de recevoir de nos nouvelles de cette terre sauvage et solitaire, au moment même où nous allons nous lancer vers les glaces polaires. Il a fait beau temps et nous en avons profité pour acheminer tous les genres de travaux. Le bois, l’eau, les observations d’angles horaires, de physique, de météorologie, de marée, d'histoire naturelle, ete., tout a marché de front. Les bords de la baie Famime ont tout à coup vu leur silence, leur isolement habi- tuel faire place aux cris bruyants et joyeux des ma- rins, aux détonations presque incessantes des chas- seurs, aux coups de la cognée déclarant la guerreàla forêt voisine. C’est une étrange métamorphose que celle qui s’opère presque subitement sur la terre la plus déserte, quand une poignée de matelots viénty faire son séjour, seulement pour quelques jours. Quand je vis tous les travaux bien en train, je descen- dis moi-même avec M. Hombron pour aller faire une promenade sur les bords de la rivière Sedger ; mais son embouchure, à marée basse, est obstruée par des AU POLE SUD. 97 bancs de sable presqu’à sec, et je fus obligé de débar- | quer sur la plage voisine, formée par une bande de beau sable blanc qui borde de vastes pâturages, entre- mêlés de quelques broussailles ; là, je recueillis quel- ques fleurs curieuses, je tirai deux ou trois bécassines; puis je ralliai le bordxie la rivière, où je trouvai mon canot qui avait pu y entrer à la marée montante. À trois cents mètres de son embouchure, la plaine offre un espace marécageux de plusieurs arpents de surface , entièrement couvert par d'immenses troncs d'arbres étendus sur le sol. Ces troncs nus et dépouillés de leurs branches, offrent un aspect bien bizarre ; on dirait d’ossements gigantesques blanchis par l’action du temps. Nul doute qu'ils ne soient apportés de la forêt voisine par les eaux du fleuve, à la suite des pluies extraordinaires qui grossissent son lit et cau- sent la ruine des arbres qui en sont trop voisins. Ar- rêtés par la barre qui se trouve à l'embouchure de la rivière , ils sont jetés sur ses bords et y restent pres- qu'à sec quand les eaux reprennent leur niveau habi- tuel. Des flottes entières trouveraient à s’approvision- per dans ce chantier naturel. Ayant passé sur la rive opposée, je traversai la ri- vière , puis je gagnai une grande et belle forêt qui lui sert de lisière; bien qu’elle soit peu fournie, il est difficile et souvent pénible d’y pénétrer, à cause des arbustes armés d’aiguillons qui y sont assez fréquents. Le hêtre antarctique (Fagus antarctica) fait bien cer tainement la base de ces forêts; c’est un bel arbre, dont le feuillage d’un vert tendre produit par sa teinte | # 7 1837: Décembre. PI. VI. 1837. Décembre. 98 VOYAGE | et la disposition de ses rameaux un effet charmant. Le tronc de cet arbre, souvent haut de 20 à 30 mètres sur près d’un mètre de diamètre, offre de magnifiques espars. Je crois qu'il est à la fois trop lourd et trop cassant pour être bien avantageux à la marine ; mais il ne pourrait manquer d'être utile aux constructions ordinaires. Avec lui se trouvent aussi deux autres arbres , savoir : l'écorce de Winter ( Winteria aroma- tica), longtemps préconisée comme épice, en place de la cannelle , et une sorte d’épine-vinette (Berberis), dont le bois est très-solide; mais ils sont moins abondants que le hêtre, et ne s'élèvent jamais qu’à de moindres dimensions. Excepté les mousses, les li- chens et autres plantes de cet ordre, ces forêts n’of- frent que peu d'intérêt aux naturalistes; point de mammifères, de reptiles ni de coquilles terrestres ou fluviatiles; une ou deux sortes d'insectes, un petit nombre d'oiseaux c’est tout ce qu’on y peut trouver après de longues recherches. Toutelois , 1l faut remar- quer qu’on y rencontre souvent des fientes chargées de poils et de plumes, appartenant à un carnassier d'une petite taille, probablement cette espèce de tigre ou de lion nommée puma ou jaguar au Chili. Quand j'eus bien rempli ma boîte de mousses et de lichens, je rentrai avec M. Hombron dans ma balei- nière, avec l'intention de remonter le cours du fleuve. Quoique le courant fût assez rapide, nous avançämes bien l’espace de deux milles environ. Les rives sont bien dessinées , bordées de beaux hêtres qui forment des voûtes magnifiques; mais on voit, à la nature du er rt AU POLE SUD. 99 sol, que le fleuve en se débordant doit assez souvent causer de vastes inondations , et les pieds de tous ces arbres sont alors baignés par les eaux. Le lit du Sedger peut avoir 30 ou 40 mètres de largeur ; il est assez régulier et généralement dégagé, st l’on excepte quelques troncs d'arbres qui sont restés engravés dans le sable ou la boue; mais sa profondeur ne dépasse guère trois à quatre mètres de marée haute, et de marée basse, le canot pourrait quelquefois toucher sur les bas-fonds *. Coînme il se faisait tard, et que le jusant très-mar- qué laissait au courant toute sa marche, je ne poussai pas plus loin cette fois et me décidai à revenir sur mes pas dans un endroit où la rivière s’encaissait plus profondément entre des rives de trois ou quatre mètres de hauteur ; là, les troncs d'arbres devenaient encore plus fréquents et plus dangereux. A mon retour, Je tuai coup sur coup deux oies qui traversaient la rivière au-dessus de nos têtes; elles appartenaient à l'espèce bonne à manger, et il y en eut assez pour défrayer constamment ma table durant plusieurs Jours; cela joint aux petits gobies qu'on prenait en abondance à la ligne, aux grosses moules arrachées aux roches, et à la salade de céleri, me permettait de faire une chère de chanoine. Combien de fois, par la suite, ai-je regretté l'abondance du Port-Famine **. MM. Dumoulin et Roquemaurel ont mesuré au mi- * Note 40. "* Note 41. 1837. Décembre. AT: 1837. Décembre. 100 VOYAGE cromètre et à la chaïnette une base pour les opérations relatives au plan du port, sur la grande plage de sable comprise entre l'emplacement de l’ancienne Philippe- ville et l'embouchure de la rivière. Ne Le Conformément au système que j'ai adopté, je dois faire exécuter par M. l’ingénieur-hydrographe PDu- moulin tout ce qui aura trait à la grande hydrogra- phie, c’est-à-dire le tracé des côtes; et selon leur tour, par MM. les officiers des deux corvettes, tous les plans de port. En conséquence, M. Duroch a été chargé du plan de la baie Famine, et MM. Thanaron tt La Farge ont eu pour leur tâche le plan de la bæe Voces, qui vient immédiatement à la suite dans leS. O0. Moi-même, après mon diner, je descends à la pointe Anna et fais une courte promenade sur le revers opposé à notre mouillage, en suivant les roches de la côte ; j'y recueille quelques plantes curieuses; de gros souffleurs viennent respirer jusque dans les laminaires et les grandes fucacées qui tapissent la rive, ainsi que deux ou trois phoques qui ne montrent qu’un instant leurs têtes ; puis je traverse la presqu'île pour rallier mon canot auprès de lobservatoire. Au sommet de la presqu'île , je suis enveloppé par des torrents de fumée, et je suis obligé de faire un long détour pour ne pas en être asphyxié : c’est à l’œuvre de nos dignes matelots, tout-à-fait semblables aux enfants, qui n’ont pas de plus grand plaisir que de détruire ;. c'est ainsi probablement qu'il faut expliquer ces vastes clairières qui se présentent quelquefois subitement au milieu de forêts compactes, sans qu'aucune différence Me AU POLE SUD. 101 essentielle dans le sol puisse expliquer une semblable anomalie. On conçoit du reste qu’à défaut d’interven- tion humaine, la foudre suffirait pour occasionner de vastes incendies, et par suite ces plaines singulières *. Les pêcheurs à la seine ont été plus heureux que ces jours derniers ; ils ont pris quelques beaux mulets, de petits éperlans et deux lamproies curieuses et peut-être nouvelles. Tous les travaux marchent à la fois avec une mer- veilleuse activité; j'ai annoncé que le départ aurait lieu le 26 du mois courant, et chacun s’empresse, à bord des deux navires, pour se tenir prêt à cette épo— que. Le temps lui-même, d'ordinaire si inconstant, si fâcheux dans ces climats, parait conspirer en no- tre faveur , et si l’on en excepte quelques rafales de peu de durée, les journées sont belles et les travaux sont à pee suspendus quelques instants. Malgré les fatigues mséparables d’une vie aussi active, les mate- lots sont joyeux et contents ; 1ls mettent souvent pied à terre, ils courent dans les bois, ils pêchent, ils se gorgent de coquillages, et ce train de vie est tout à la fois salutaire et plein d'agrément pour eux. La journée promettant d’être belle, dès neuf heures trente minutes je m'embarque dis ma yole avec M. Dumoutier pour aller faire un tour sur la plage de Rocky-Point, près de laquelle J'avais remarqué des plaines assez dégagées , lorsque je louvoyais pour at- teindre le mouillage de Port-Famine. * Notes 42 et 43. 1837. Lécembre. 18. 1837. Décembre. 102 VOYAGE En doublant la pointe Anna, nous vimes deux pho- ques qui prenaient leurs ébats au travers des lami-— naires, presqu’à toucher la pointe; sur notre route, nous rencontrâmes aussi bon nombre de cormorans, de pingouins et de canards; le vent et le courant nous étaient contraires, de sorte que nous n’arrivämes qu'à midi au fond de la baie Rocky, après avoir été régalés d’un grain de pluie assez abondant et dont l'extrême fraicheur était loin de nous procurer des sensations agréables. Cette baie Rocky, défendue d'une part par la pointe Anna, de l’autre par un brisant qui se projette au large de la pointe du nord, peut offrir un bon mouil- lage par tous les vents, en exceptant seulement ceux du N. E. au S. E. Au fond coule un beau ruisseau d'une eau limpide , abondante, et qu'il serait facile d’embarquer; enfin, le rivage offre une agréable lisière. d’un terrain très-uni, couvert de belles pelouses de verdure; puis il se relève graduellement en amphi- théâtre et se couvre de bois peu épais. Si j'en excepte quelques merles, une grive et d’autres petits oiseaux, ma chasse fut peu fertile, et la flore me parut encore moins variée que sur les bords du Sedger. Quelques cabanes abandonnées, formées de simples branchages recouverts d'herbe desséchée, me rappelaient assez bien celles des misérables Australiens du Port du Roi Georges. Je pris le parti de revenir à la pointe Anna, en suivant le littoral. Heureusement le jusant était très-avancé, autrement nous n'eussions pas pu y réussir, car en certains endroits les eaux, à AU POLE SUD. 103 marée haute, viennent battre sur une côte peu prati- cable. Entre Rocky-Point et la pointe Anna, règnent trois petites anses nommées par King, Wig-wam, Middle et Steamer-coves; toutes offriraient d'excellents mouil- lages pour de petits navires, et au besoin pour des bâtiments comme les nôtres, en portant des ancres à terre; chacune d'elles est pourvue d’un joli ruisseau d’une belle eau, et partout le bois se ferait aisément, sans We ds troncs flottés qu'on trouve partout plage. = à toutes ces baies, le sol est composé de schistes de phyllades par couches très-régulières de un à deux décimètres d'épaisseur, disposées sous divers angles d'inclmaison, depuis le gisement horizontal presque jusqu'au vertical. Au bord de Wig-wam-cove, on observe quelques masses solitaires et arrondies de granit blanchâtre , en blocs de douze ou quinze quin- taux. Cette course eût été assez agréable , si les grains de pluie n’eussent pas été aussi fréquents. J'ai oublié de mentionner qu’au fond de la baie Steamer, près d’un ajoupa en ruines, nous remar- quàmes plusieurs ossements de chevaux , preuve in- faillible que les Patagons doivent quelquefois pousser leurs excursions jusqu’en ces lieux ; et ils doivent in- contestablement suivre le bord de la mer à marée basse, comme nous avons fait, puisque toute autre direction serait impraticable pour des chevaux. J'ai fait jeter quelques coups de drague autour des navires pour l’histoire naturelle, et l’on s’est procuré 1837. Décembre. 19. 1837. Décembre. PE IV. 104 VOYAGE quelques coquilles curieuses comme volutes , terebra- tules, etc. Geux qui ont eu le courage de lire ki prétendus voyages de l'américain Benjamin Morrell a se rappeler qu’il dit avoir visité, en 1827 (juin), ruines de l’ancienne Piel fondée par cr miento, qu'il avait reconnu ses remparts, ses forts, son Mise sa prison, etc. ; il termine même en décla- rant qu'il faudrait peu de travaik pour remettre tout sur pied. Dès leur apparition, les récits de Morrellmr se aient paru empreints d’un caractère d'exag gération bien évident ; toutefois , comme ik s’y trouvait en même temps . pr vraies, je n'avais pas encore acquis la certitude que M. Morrell pût débiter avec tant d'assurance des contes entièrement faux. Ja- vais communiqué aux officiers des deux bords le passage de l'Américain relatif aux ruines en question , et les avais priés de me faire part des découvertes qu'ils pourraient faire en ce genre. Rien ne fut décou- vert qui ressemblât à des ruines , dans le rayon qu'ils parcoururent en tous sens; tout autour du mouillage, et il était bien impossible que rien d’important eût échappé à des investigations si multipliées. Cepen- dant la plupart partagèrent ma conviction sur cepoint, | que l'établissement espagnol n'avait pu être placéque sur un monticule de forme oblongue, situé au bord de la baie, à peu de distance de la rivière. En effet, ses flancs complétement dégagés, son isolement complet, l'esplanade qui le couronne et son heureuse exposi- AU POLE SUD. 105 tion qui commande tous les points d’aleniour, sans être lui-même dominé, avait dû le rendre éminem- ment propre aux desseins de Sarmiento. | -Je me proposai donc de fureter avec soin tous les recoins de cette espèce de redoute pour voir si je n’y découvrirais pas quelques vestiges de l’ancienne co- onie. Dans ce but, sur les six heures du soir, je des- cendis avec M. Roquemaurel sur la plage, à peu de distance du coteau, puis nous nous dirigeämes vers ce morne et commençàmes à le gravir. Vers le milieu du talus, que couvre un épais tapis de gazon, et souvent des arbrisseaux rabougris, du côté de la mer, règne une sorte de rebord en forme de terrasse étroite où s'élèvent trois potaux ; le premier rappelle les noms de trois matelots de l’Adventure morts dans l'hiver de 1828; le second, indique la tombe du capitame du brick Actéon de Greenwich, mort en 1829; enfin sur le troisième, devait se trouver une plaque en cuivre qui aura été enlevée. De là, nous passons au sommet qui offre un beau plateau assez uniforme. Après l'avoir traversé, nous nous assurons que le revers de ce monticule est escarpé du côté de l'intérieur. À sa base règne encore une plaine bien dégagée jusqu'aux li- mites de la forêt, éloignée d’un demi-mille environ. Ainsi ce coteau était parfaitement isolé de toute part, la partie seule qui regarde le fond de la baie offre une pente moins roide; encore serait-il facile de le défendre avec une forte palissade. Nos plus minutieuses investigations ne nous firent rien découvrir qui parüt avoir appartenu à l’ancien 1837. Décembre, 1837. Décembre. 106 VOYAGE établissement; du reste, ilest facile de concevoir que les colons espagnols ne rént employer dans toutes leurs constructions que du bois et de la terre; et l’un | et l’autre ont dû disparaître complétement dns un laps de temps de deux à trois siècles; mais l'aspect des lieux confirme de plus en plus le voyageur dans l'opinion que Philippeville ne put occuper aucune autre position; ou bien elle eût été très-mal choïsie pour sa défense. Au point culminant de ce morne remarquable est plantée une planche dont l'inscription annonce qu’elle a été élevée à la mémoire du maître de pêche (master sealing) et d'un matelot du Ketch-Uxbridje , noyés en 1829, dans Fury-harbour. C’est toujours avec une sorte de mélancolie que l’on parcourt ces modestes inscriptions ; un retour bien naturel sur nous-mêmes nous rappelle involontairement qu’exposés à des dan- gers semblables, nous sommes exposés à un pareil sort. Mourir sans doute est la loi commune, et plus que tout autre , le navigateur qui va à la découverte de côtes ignorées doit envisager la mort de sang-froid ; mais mourir loin de tous ceux qui vous sont chers, sans pouvoir leur adresser un dernier adieu, c’est, à mon avis, l’idée la plus triste, la plus affligeante pour l’homme qui à de véritables affections sur cette terre. Après avoir acquis , M. de Roquemaurel et moi, la conviction que M. Morrell s'était complétement joué de la bonne foi de ses lecteurs, nous voulümes re- joindre le canot ; mais , comme la marée était basse, il avait dû se tenir à près de deux encablures au large; AU POLE SUD. | 107 je lui hêlai de se rapprocher de la rivière, où nous pûmes nous embarquer, et nous renträmes ! à bord vers dix heures. ‘ En descendant, nous avions vu beaucoup de pois- sons frétiller dans les eaux voisines de la rivière, et j'avais fait donner l’ordre de diriger les pêcheurs sur ce point. La seine et le trémail y furent mis en jeu, et pour la première fois on prit assez de poissons pour que tout l'équipage en eût une ration honnête. Cétaient toujours des mulets, des éperlans et des loches. Un peu après midi, je débarque sur la plage voi- sine du morne de Philippeville, et suivi d’un de mes canotiers , je m’enfonce dans une forêt composée de beaux arbres , et qui n’est séparée du rivage que par une lisière étroite d’un terrain marécageux. Sur les bords de cette forêt, on voit les vestiges d’abattis d'arbres fort considérables et déjà anciens. Plusieurs des arbres , toujours des hêtres , qui les composaient, ont d'énormes dimensions; ainsi j'en mesurai deux, dont l’un me donna 3" ,23 et l’autre 3" ,26 de circuit à hauteur d'homme. Le premier était encore en pleine vigueur, l’autre était mort, mais on en pouvait trou- ver de plus gros encore. Pour la première fois, je recueillis sur des feuilles souvent baignées dans l’eau , de petites coquilles flu- viatiles voisines des bulimes de la plus petite taille, et je ramassai quelques plantes que je n’avais pas en- core trouvées. Je fis surtout une récolte assez abon- dante de lichens et de mousses sur les troncs d'arbres. _ 1837. Décembre. 20, 4831. Décembre. 21. 22. 108 VOYAGE La pluie qui a tombé presque continuellement,et qui a bien entravé tous nos travailleurs, me force à rentrer à cinq heures, trempé jusqu'aux 05° La pêche à la seine et au trémail a encore fourmi environ cinquante livres de poisson, assez pouren dis- tribuer à tout le monde. En outre, la pêche à la ligne qui rapporte beaucoup de petits gobies, excellents à manger, procure un très-heureux supplément)" aussi chacun jouit d’une santé florissante. Cette journée a encore été pluvieuse, et j'en pro= . fite pour mettre à jour la correspondance que je veux confier à notre bureau de poste en plein air; malgré les grains, les officiers des deux bords conti- nuent leurs sondes, attendu qu’ils sont pressés par le peu de temps mis à leur disposition. Dès deux heures du matin, MM. Dumoulin, Hom- bron et Gourdin, accompagnés de plusieurs officiers de la Zélée, se disposent à gravir au sommet du mont Tarn : on trouvera dans les notes les récits de l’un de ces messieurs, touchant cette rude et fati- gante eXCursion *. Moi-même, encouragé par l'apparence d’une belle journée, je m'embarque avec le jeune chirurgien Le Breton, pour remonter le cours du Sedger aussi loin qu'il me serait possible. Quoique j'eusse choisi le moment le plus favorable de la marée, et malgré tous les efforts des canotiers, tout ce que je pus obtenir fut d'aller environ deux fois plus loin que la dernière * Note 44. AU POLE SUD. 109 fois. Là , quoique le lit de la rivière ait encore envi- ron 20 mètres de largeur, sa rapidité et surtout sa fai- ble profondeur réduite à 5 ou 6 décimètres, défendent tout progrès ultérieur. Em e tenant compte que de la distance parcourue, on se it disposé à l’estimer à six milles au moins, nai: étant monté sur un morne de la rive droite, je pus découvrir la baie au N. N.E. du compas, ainsi que nos deux corvettes, à quatre milles environ. Ainsi l’on pourrait tout au dé porter à trois milles en ligne droite l'étendue de ce cours d'eau depuis son embouchure jusqu’au point où nous nous trou- VIOnS. L'illusion tient à ce que son cours fait de grandes sinuosités ; Jai même remarqué un point où il forme une vraie presqu'île dont l’isthme est à peine large de 60 ou 80 mètres. Ses bords offrent un aspect imposant et tout-à-fait pittoresque, Par une disposition parti- culière à ses feuilles, le hêtre antarctique semble étendre horizontalement ses rameaux en guise de vastes parasols au-dessus des eaux du fleuve , et l’on navigue ainsi sous un dais de verdure continuelle. Je remarquai aussi un beau loranthus qui couvrait en- tièrement de ses fleurs écarlates un tronc rabougri d’épine-vinette autour duquel il s'était enlacé. C’est le même que celui qui croît au Chili, et l’on peut re- marquer qu'en général les plantes du détroit de Magellan se retrouvent aussi dans le Chili, un petit nombre excepté. Il en est de même des quadrupèdes, des oiseaux et des msectes. 1837. Décembre. 1837. Décembre. Pl, Vet VI 23. 110 VOYAGE Près des bords de la rivière, nous vimes des trac es nombreuses et encore toutes récentes du passage des Guanaques et de l’animal carnassier dont j'aÿ déjanfait mention : au reste, ces forêts n’offrent rien de nou- veau. J’y chassai quelques perroquets et quelques grives ; M. Le Breton fit deux jolis dessins des bords de la rivière. FA Le J'ai mesuré les deux plus gros troncs 46 hêtre que j'aie observés : l’un m'a donné 4",50 et l’autre 5" de circonférence; je ne pense pas exagérer en estimant à 50 mètres la hauteur totale de chacun d’eux. Quant à arbre de l’écorce de Winter, je n’ai pas’ vu de tige qui dépassât 3 décimètres de diamètre, mais elles sont fort élancées et peuvent atteindre de 18 à 20 mètres de hauteur; l'épine-vinette est toujours plus diffuse et plus rébougrisl Favorisés par le courant, notre retour s’est opéré rapidement, et nous sommes rentrés à bord vers cinq heures et demie; en rade, le vent du S. O0. avait soufflé avec une extrême force, mais nous étions abrités dans la forêt, et nous avons joui d’un temps délicieux. La journée suivante a été moins belle; le ciel était couvert, et le temps humide et pluvieux; aussr les cimes de toutes les montagnes étaient couronnées de brumes épaisses. Cependant, de deux à cmq heures de l’après-midi, je m'amuse à promener la drague avec ma baleinière. Je ne ramène Jamais que d'énormes paquets de balamites; une fasciolaire et deux ou trois terébratules seules sont en outre le fruit AU POLE SUP. EX de mes efforts. Le fond de la baie, près de terre, est une vase très-molle absolument stérile. Ces messieurs ont été de retour de leur course au mont Tarn sur les quatre heures, un peu harassés. Ils ont trouvé l'ascension moins pénible qu’ils ne le craignaient ; de grands feux les ont passablement ga- rantis du froid pendant la nuit; mais ils ont été bien contrariés par les grains et les brouillards. Ces der- _niers les ont complétement privés de la belle vue qu'ils se promettaient. Du reste, M. Dumoulin a exécuté les observations qu'il avait projetées. Depuis notre arrivée, tous nos moments ont été très-activement employés, et nos équipages n’ont pas cessé de travailler ; aujourd'hui dimanche, je leur accorde enfin relâche; la matinée est pour une des bordées et l'après-midi pour l’autre; encore sont-ils obligés de prélever là-dessus le temps nécessaire de laver leur linge et leurs hamacs ; 1ls sont enchantés de cette faveur et s’en donnent à cœur joie. Plusieurs des officiers de l’Astrolabe avaient ex— primé le désir de remonter la rivière, et je leur donne le canot-major; mais cette embarcation est trop lourde et tire déjà trop d’eau ; leur navigation est en- travée par les troncs d'arbres échoués dans son lit et ils sont obligés de s'arrêter à peu de distance des li- mites de la forêt. Je descends sur la plage de Philippeville et parcours avec attention les terrains des alentours. Des recher- ches plus minutieuses me font découvrir des insectes et des plantes curieuses qui m'avaient échappé; je re- 1837. Décembre. 24. 1837. Décembre. 112 VOYAGE cueille surtout avec joie quatre ou cinq espèces: de plantes identiques ou du moins très-analogues à celles qui croissent en France dans les genres Equisetum , Myriophyllum , Ruppia, Lithospermum , Valantia Gnaphalium, etc. Doit-on les considérer comme 2 gènes ou bien comme des espèces introduites avec les plantes dont les Espagnols durent tenter la cul- ture ? C’est là une question déjà difficile à résoudre. En certains lieux de la plaine , on a soulevé de grandes plaques de gazon sans doute pour faire de la tourbe; dans une petite masse d’eau formée par l'un de ces creux, J'ai observé de petits Gyrins que je n'ai pu réussir à capturer. Le soir, M. Hombron me communiqua les fleurs de deux ou trois plantes qu’il avait rapportées du som- met du mont Tarn; comme je ne les avais point vues dans la plaine , ce fait annonce qu’à ces latitudes cer- taines espèces sont propres à des stations plus éle- vées : il est regrettable qu'il n’en ait pas rapporté un plus grand nombre d'échantillons. Le boat envoyé à la pêche est revenu avec une car- gaison de 70 à 80 kilogrammes de beaux poissons. Vers une heure après midi, je m'embarque et fais d’abord donner cinq tours de drague entre la corvette et le rivage, mais sans en retirer aucun résultat digne d’être cité. Puis, je passe deux heures à ramasser sur les rochers des moules, des patelles, fissurelles, sipho- naires, murex, licornes, etc., quelques échantillons de thalassiophytes et à renouveler ma provision de céleri et de salade de Perdicium ; ces promenades paï- AU POLE SUD. 113 sibles me sont à la fois salütaires et agréables; elles font trève aux ennuis du bord et m'offrent toujours quelque but d'utilité. Pourquoi suis-je prédestiné à en jouir si rarement, mais un cadre immense m'est tracé et il ne tiendra pas à moi qu'il ne soit rempli et même dépassé, si mes projets pouvaient s’accom- plir *. Plusieurs de nos officiers, et M. Dumoutier parti- culièrement, brülaient du désir de pouvoir communi- quer avec les Patagons; en effet les récits merveilleux, les fables débitées à diverses reprises par une foule de navigateurs, les controverses auxquelles des opinions contradictoires avaient donné lieu ; en outre, les idées vagues et bizarres qui se rattachent à la vue d'un sauvage quand on n’en a jamais vu, tout cela était bien capable d’exciter la curiosité de jeunes cerveaux. Ils en avaient déjà assez de l'aspect des lieux et des beautés sauvages que leur offrait la nature. Il leur fallait du nouveau , et une entrevue avec les indigènes leur en promettait. Dans le sud du Port-Famine, le terrain jonché de bois impénétrables jusqu'aux bords de la mer, et parfois si escarpé qu'il en devient im-— praticable, ne peut offrir de chance d'y trouver aucune population. C'était donc vers le nord qu'ils devaient plutôt se diriger, car j'ai déjà dit qu’à la pointe Rocky, lxcôte est assez unie et se trouve bordée de prairies naturelles d’un accès plus facile. En outre, les ajoupas, les carcasses de chevaux et quelques * Notes 45 et 46. L 8 1837. Décembre. 26. 1837. Décembre. 27. 114 VOYAGE we débris de corbeilles ou paniers annoncent quelles Pa- tagons s’avançaient quelquefois jusqu’en ces lieux. MM. Dumoutier, Marescot et Gourdin sont donc partis ce matin de très-bonne heure, dans l'intention bien prononcée de pousser aussi (on qu'ils le a raient vers le nord. Je me contentai de faire encore une petite course d'amateur aux environs de l'observatoire. La chaloupe et le grand canot rapporterent à bord tous les objets qui avaient été déposés à terre, surtout les instruments divers. Le timonier Coste resta seul pour continuer les observations de marée. Le grand canot rapporte le soir près de 100 kilo- grammes de poisson pris à la seine ” Un poteau solide et haut de 3 à4 RÈRES , est planté au point le plus élevé de la presqu'ile Santa-Anna; une inscription en très-gros caractères, portant les mots posie aux lettres, annonce sa destination aux navires sous voiles, et une véritable boîte à lettres bien conditionnée et doubiée de zinc intérieurement , est appliquée solidement contre le poteau. Cet établisse- ment est susceptible de durer de longues annéi S, si personne ne vient le détruire ** Nos officiers rentrent à bémhi vers deux heures, bien fatigués, mais complétement désappointés dans dis recherches des sauvages. Pour dire un dernier adieu aux plages du Port- * Notes 47, 48 et 49. ** Note 50. AU POLE SUD. | 125 Famine, je descends sur les bords de la baie Voces. Dans les sabies qui la bordent, je recueille encore diverses sortes de plantes fort jolies, et je ramasse quel- ques insectes nouveaux; en Me promenant très-dou- cement je poussai jusqu’à la forêt : dans cette partie, elle est composée de beaux arbres peu rapprochés; en outre, le terrain qu'ils recouvrent est serré, compacte, très-doucement ondulé, tapissé de mousses et pres- que entièrement dépourvu de broussailles. Tous ces motifs en rendent la promenade facile et agréable. D'autre part, à cela près de quelques oiseaux peu com- mups , jes recherches en tous genres y sont presque infructueuses. Je n'étais embarqué dès six heures pour rallier les cervettes, mais le vent contraire et un banc de sable très-étenau qui s'étend à près d’un mille au large de la grève, me forcérent à de longs détours et jen’arrivai guères qu'à huit heures du soir. Tout était prêt pour le départ fixé au lendemain; je trouvai M. Jacquirot qui m’attendait à bord de l4s— trolabe; et je lui remis les instructions relatives à la suite de notre navigation dans le détroit de Magellan. Ainsi s'écoula notre station au Port-Famine, qui procura à la mission de grands avantages. L'eau et le bois y furent facilement et promptement remis au grand complet. Une foule de réparations ou installa- tions nouvelles y furent achevées ; enfin des opéra- tions de toute espèce en hydrographie, en physique, en histoire naturelle y furent exécutées avec succès. Les naturalistes y firent leurs débuts de la manière la plus riche et la plus brillante; les nombreux objets 1837. Décembre. 4837. Décembre. 116 VOYAGE qui ont été le fruit de leurs recherches offrent d'autant plus d'intérêt que les divers musées de la Franceme possédaient absolument rien de ces régions inexplo- rées. Un petit nombre de plantes recueillies par Com- merson et conservées dans l’herbier de M. de Jussieu , représentait tout ce qu’on en savait. Notre séjour aura enrichi la science d’une foule de documents nouveaux. Pour ma part, à titre de simple amateur, je pense avoir recueilli une bonne partie des végétaux qui composent Ja flore de ces pays, et je ne doute pas que les recherches actives et persévérantes du docteur Hombron n'aient obtenu de leur côté des résultats très-importants. Sous le rapport nautique, je ne saurais trop recom- mander cette station aux capitaines appelés à tra- verser le détroit. Le mouillage, facile à prendre, est abrité contre les vents les plus à craindre, et je ne pense pas qu'aucun autre port du canal puisse offrir autant d'avantages réunis. D'ailleurs, arrivé dans cette baie, on est déjà fort avancé dans sa route, et en excellente position de profiter du momdre souffle favorable pour doubler le cap Forward et che- miner vers l’ouest. La position est encore plus avan- tageuse pour les navires qui auraient à faire route vers le cap des Vierges. EL Re. - AU POLE SUD. 117 CHAPITRE VITE Du Port-Famine au hâvre Peckett « . . Fa , (| Dès emq heures du matin, Fancre était relevée, et 98 à nous tentions de vider la baie à l’aide des embarca- tions, mais le calme et les folles brises, jointes aux remous de courants irréguliers, n’aboutirent qu’à nous faire pirouetter sur place. Pendant ce temps Kosmann, le chef de timonnerie, était allé porter avec le petit canot, dans la boîte que nous avions établie, toutes nos lettres pour la France. J'y avais joint un rapport au ministre de la marine touchant nos diverses opéra- tions, depuis le départ de Rio-Janeiro jusqu’au départ de Port-Famine. Amsi que je l'avais espéré, ces lettres furent recueillies par un capitaine américain peu de temps après notre passage, fidèlement transmises au ministre de la marine, et les diverses familles des membres de l'expédition eurent la satisfaction de rece- voir de leurs nouvelles au mois de juin suivant. Vers sept heures , un léger souffle d’E. N. E. nous 837. écembre. 1837. Décembre. 118 VOYAGE donna quelque espoir; mais le calme survint de nou- veau, et nous ne‘pümes nous écarter un peu de la pointe du Sedger qu’à la faveur d’un faible courant de flot qui nous fit dériver lentement dans le sud. Pourtant vers midi, le vent s'établit à l’est et fraîchit de manière à nous faire filer successivement 2, 3, 4 et jusqu'à 6 nœuds avant deux heures. Alors c'est une délicieuse navigation; la température est douce, le ciel dégagé, et la mer est si belle qu’on croirait volontiers naviguer sur les eaux d’un beau fleuve. Nous défilons rapidement devant les entrées des jolies baies Eagle, Geese, Indian, Dubouchage, Bour- nand, Bougamville, et devant la spacieuse rade de St-Nicolas. Partout la côte est bordée de magnifiques rideaux de verdure et s'élève en amphithéâtres boisés, jusqu'aux pics âpres et neigeux des monts Tarn, No- dales et de la chaîne qui domine le cap Forward. Vers trois heures et demie nous rangeons à moins d’un mille de distance le cap Sourcilleux , pointe extérieure du continent américain, limite commune où viennent se confondre les eaux des deux océans, et point jadis si redouté des navigateurs à cause des sautes de vent brusques et soudaines qui venaient souvent frustrer leurs plus belles espérances. | | Le cap lui-même est un mont sourcilleux en forme de cône arrondi au sommet, s'élevant en pentetrès- rapide du sein même de l'onde à une prodigieuse hauteur. Il est cependant dominé par des pics aigus, découpés, couverts de neiges éternelles, et leurs flancs souvent revêtus d’une terre sablonneuse entièrement AU POLE SUD. 119 nue, aux teintes violettes ou bleuâtres, attestent de fréquentes avalanches, entrainant sans doute avec la neige la surface du sol qu'elle recouvre”. Sur toute la bande du sud qui appartient à la Terre de Feu, les terres encore bien plus accidentées pré- sentent les formes les plus étranges; ce sont tour à tour des pyramides aiguës, des dômes plus arrondis, des clochers ou des mamelles réunies deux à deux. D'autrefois des chicots à trois pointes, et souvent enfin des dentelures profondes et continues ; tout cela entre- mêlé de ravins très-profonds. Les sommets sont cou- verts de neige plus épaisse, et la végétation plus ra- bougrie y prend une teinte triste et jaunâtre, tout-à- fait semblable à celle des feuilles mortes Quand on contemple ces merveilleux accidents du sol, Pimagination se reporte involontairement à l’une de ces révolutions du globe dont les puissants efforts durent morceler la pointe méridionale de l'Amérique, et Jui donner la forme de cet archipel compacte qui a reçu le nom de Terre de Feu; mais quel fut l'agent mis en œuvre par la nature pour opérer ces résultats, le feu, l’eau, ou un simple déplacement des pôles. Jus- qu’à présent la question, je pense, n’est pas encore résolue, et pour ma part, J'avoue que je ne suis pas complétement satisfait des explications les plus ingé- nieuses. Au-delà du cap Forward, la végétation patagonienne s'appauvrit peu à peu, et l’on n’y retrouve plus ces * Notes 51 et 52. 1837... Décembre. 1837. Décembre. 120 VOYAGE riantes et majestueuses forêts qui décoraient la bande occidentale aux environs de Port-Famine. Il est vrai que les côtes généralement plus escarpées me per- mettent pas la formation de ces belles vallées si pro- pices au développement complet du hêtre antarctique. À l’aide du vent d’est qui avait beaucoup fraichi à six heures, nous dépassions la masse oblongue du cap Holland, et nous approchions rapidement du Port- Galant. Depuis ce moment jusqu’à la nuit, nous ne cessèmes d'observer une colonne de fumée qui sem- blait constamment sortir d’un même point, par-delà un pic neigeux qui domine cette partie de la côte. Sa constance et sa régularité nous firent soupeonner à tous l'existence, sinon d’un véritable volcan, au moins d’une fumerolle abondante, et le désir de vérifier ce fait m'aurait fait toucher avec plaisir à Port-Galant. Toutefois, craignant de regretter plus tard la perte d'un temps pour nous si précieux ; dominé d’ailleurs par le désir d'arriver au plus tôt à Playa-Parda où je voulais faire la première halte, je me décidai à pousser de l'avant et à passer la nuit sous voiles. Malheureusement à huit heures et demie, le vent tomba subitement, et laissa nos navires absolument à la merci du courant entre le Port-Galant et les îles Charles situées au beau milieu de cette partie du dé- troit. Ce contre-temps me força à passer une nuit très-pénible et à profiter du moindre souffle pour nous maintenir vers le milieu du chenal. Nonobstant des remous de marée assez fréquents, la mer resta belle, nous pouvions manœuvrer; en AU POLE SUD. 121 outre la neige qui couvrait les montagnes reflétait une lueur pâle qui nous aidait à reconnaître les formes de la terre. Sans doute, il était ficheux de voir mes belles es- pérances si subitement frustrées ; mais en définitive j'avais été bien servi depuis mon entrée dans le détroit, et c'était un grand point que d'avoir pu explorer un si grand développement de côtes en un si court espace de temps. M. Dumoulin n’avait cessé de faire, avec as- siduité, la géographie de toute cette étendue de terres. A midi, la température avait été si douce que le thermomètre à l'ombre était monté à 14 5, et c'est beaucoup pour ces régions; il retomba dans la nuit à 9°. Peu après minuit, le flot se prononça, et nous fit perdre les derniers trois milles de route que le jusant nous avait fait gagner au-delà du Port-Galant. Il en résulta qu'à quatre heures, quand la brise s’éleva su- bitement de l'ouest, nous étions précisément en face de la baie Fortescue qui sert de mouillage extérieur au Port-Galant. Renonçant à courir de pénibles bordées contre un vent directement contraire, je pris mon parti sur-le- champ, et mettant le cap sur la baie, nous rangeimes à quelques toises de distance la pointe Milagro que Je savais très-accore. J’allai mouiller entre cette pointe et l’îlot Wigwam par six brasses et demie, fond de sable et coquilles brisées. La Zélée imita notre ma- nœuvre. Aussitôt le canot major fut mis aux ordres de M. Gourdin chargé de lever le plan du Port-Ga- lant, et de déposer à terre MM. Dumoulin et Hom- 1837: Décembre. 29: P}, VILLE, 1537. Décembre. P].OVEX. 132 VOYAGE bron qui se proposaient de gravir les monts voisins pour aller à la recherche du volcan soupçonné la veille. En même temps M. La Farge, d’après mon ordre, est chargé du travail relatif à la baie Fortescue. L'entrée du Port-Galant est très-pittoresque, ét ses rives offrent encore de beaux arbres bien qu'inférieurs par leurs dimensions à ceux de Port-Famine. Les monts qui entourent ce joli bassin sont évidemment trop élevés, trop rapprochés et couverts d’une neige trop constante pour que la température n’y soit pas plus basse que dans les régions plus orientales L’échelle des marées est établie sur la plage entface des corvettes, et les chefs de timonnerie chargés de ces observations, mesurent la hauteur du niveau-des eaux de dix minutes en dix minutes, comme cela s’est déjà fait à Port-Famine, et doit se faire durant tout le cours de la campagne. Aussitôt que jeus déjeüné, malgré mes fatigues de la nuit dernière, vers neuf heures et demie, accompagné de M. Le Breton, je me fis débarquer sur la rive droite du Port-Galant, que borde une assez jolie grève. Là je mesurai une base au micromètre pour le travail de M. Gourdin, et Je recueillis quelques plantes. Puis, laissant sur ce point M. Le Breton occupé à prendre une vue de l’ilot Wig- wam et de la montagne de la Croix qui le domine, Je me suis transporté au fond de la baie. Accompagné de mon domestique Joseph, je m'en- fonçai sur les bords d’un torrent assez large, rapide, mais peu profond, alimenté par la fonte des neiges qui couronnent les pitons d'alentour. AU POLE SUD. 193 Dans les terrains tourbeux qui avoisinent ce torrent, il faut marcher avec beaucoup de précautions, car il s'y trouve fréquemment des fosses profondes d’un mètre ou deux, que dissimule l’épais tapis qui les re- couvre , et l’on pourrait se blesser assez grièvement dans ces espèces de chausse-trape. Du reste, j'y trouvai avec plaisir une espèce de conifère assez semblable au cyprès pour l'aspect, mais dont les tiges étaient pres- que toujours rabougries et même mutilées par l'effet du vent; jy recueillis quelques fougères et plusieurs cryptogames qui ne s'étaient pas encore montrés à mes veux. Au reste, ily a très-peu d'oiseaux, je n’y vis pas un seul insecte, et la pêche des coquilles y fut aussi moins fructueuse qu'à Port-Famine. J'ailai reprendre M. Le Breton près de la rivière de l'Est, et je dois mentionner que cette rivière, comme la précédente, à moins d’un mille du rivage, se pré- sente sous la forme d’une belle cascade, descendant perpendiculairement de 15 à 20 mètres de hauteur, ce qui est un beau spectacle à contempler de près; mais pour y arriver, il faut traverser des bois très- fourrés et parfois presque impénétrables. Je passai ensuite sur l’ilot de Wigwam, charmant bouquet d'arbre situé entre les deux baies; ces plages en grande partie sablonneuses sont tapissées par des espèces de plantes appartenant à la famille des com- posées, l’une semblable à Aster marilimum, a des fleurs variées de bleu et de violet; et l’autre appro- chant des doroniques, a de belles fleurs jaunes : ces deux plantes y croissaient avec une telle abondance 1837. Décembre. 1857. Décembre. 124 VOYAGE qu'on eût dit un parterre cultivé à dessein. En ce moment le soleil dardait ses rayons avec tant de force sur ce petit com de terre qu'il y éleva la température de 15 à 20° en peu de moments, aussi nous transpirions copieusement au travers de nos vêtements d'hiver, et cela faisait un contraste étonnant avec les glaciers qu nous environnaient. Du reste cette chaleur insolite fût de courte durée. â i Il était quatre heures et mon estomac me conviait déjà au retour, quand j'aperçcus MM. Hombron et Dumoulin sur la rive opposée. Conjecturant qu'ils de- vaient être fatigués de leur course et ne voyant point de canot à portée de les recueillir, j’allai moi-même les prendre et les ramenai à bord avec moi. Après de grands efforts et de vaines tentatives sou- vent périlleuses, ils s'étaient approchés du piton qui domine le fond de la baie, mais ils n’avaient rien aperçu qui pût ressembler à un volcan. Ce rapport serait peu concluant, attendu que le point d’où la fumée - semblait jaillir était situé bien au-delà de cette mon- tagne. Une raison plus spécieuse serait qu'aujourd'hui on n'a plus rien revu du mouillage. Il n’est pas du tout impossible qu'une tribu füt établie dans une vallée située dans cette direction, alors la fumée eùt été produite par quelque feu allumé par les indigènes. Quoi qu'il en soit, cette course a été utile sous les rapports botanique et géologique ”. Mon intention était de remettre immédiatement à . * Note 53. AU POLE SUD. 125 la voile, et dès quatre heures j'étais debout dans ce but. Il faisait beau temps, mais le vent était à l’ouest. Alors je pris le parti de passer encore cette journée au mouil- lage. Pour l'utiliser de mon mieux, j'expédiai le grand canot de la Zélée à la disposition de MM. de Montravel et Dumoulin pour lever le plan de la rade formée par les iles Charles, et M. Marescot, dans le canot major, fut chargé de celui des baies de Cordes et San Miguel. Enfin M. Gourdin employa ce délai à prendre de nouvelles lignes de sonde dans le bassin du Port-Ga- Jant. Dans la matinée, M. Hombron me fit passer en revue toutes les plantes qu'il avait rapportées de sa course de la veille, et j'en vis plusieurs toutes nou- 1837. 30 Décembre. velles pour moi. Cela me donna l'envie d'aller moi- P même explorer ces régions élevées, et bien que le ciel eüt déjà mauvaise apparence, je me fis Jeter avec Joseph sur la plage près de la corvette. Une montagne fort haute s'élève entre les deux baies de Fortescue et de Cordes, et se termine au rivage en une presqu'ile très-basse qui sépare ces deux bassins. C’est par cette presqu'île que je com- mençal Mon excursion pour suivre une pente qui là me semblait plus accessible que partout ailleurs. Aussitôt que j'eus mis pied à terre, je ne tardai pas à découvrir une foule de petites plantes fort élé- gantes, ce qui me donna beaucoup d'espoir pour le reste de la course. Par malheur, une demi-heure s'était à peine écoulée, lorsque la pluie commença à tomber a verse, chassée par un vent violent et très-froid. Afin 1837. Décembre. 126 VOYAGE d'être plus ingambe, j'avais laissé ma confortable ca- pote pour endosser une veste de prunelle, aussi je fus bientôt trempé jusqu'aux os. J'eus bien envie d'allumer du feu pour me sécher, mais il se trouva que mon imprévoyant compagnon avait oublié briquet et'allu- mettes. Dans cette fâcheuse conjoncture, lewparti le plus sage eût été de retourner à bord, mais il m'en coûtait de renoncer à ma course, et je. poussai de l'avant, espérant qu'une marche forcée pourrait me donner quelque chaleur. Dans la plaine formée par la péninsule, on trouve un grand nombre de ces cyprès dont j'ai déjà parlé ; mais aucun ne s'élève à plus de 10 à 12 mètres; et le sol couvert d’un tapis très-épais de plantes naines, est aussi parsemé de fondrières très-dangereuses. À 2 ou 300 mètres de hauteur, près de deux maraïs d'une eau très-claire, je tuai d’un seul coup'deux vanneaux; j'en vis encore plusieurs autres ,-mais le fusil refusa constamment son service. D'ailleurs: mes mains étaient déjà tellement glacées par le froid queje ne pouvais plus mettre ma crosse en joue. Je fus done réduit à m'occuper uniquement de botanique, occæ pation dans ce moment fort peu agréable; attendu qu'il fallait souvent s étendre sur l’herbe mouillée pour distinguer et arracher ces plantes presque microsco- piques. Au reste, ma récolte avait été si heureuse que j'avais recueilli déjà toutes les espèces rapportées la veille par M. Hombron, et encore bien d’autres: Je me rap- pelais très-bien d'en avoir vu un bon nombre dans AU POLE SUD. 127 l'herbier de Commerson déposé chez M. de Jussieu, {2 ans auparavant, alors que je m’occupais de la pu- blication de ma Floruia Mactoviana. Une partie de la montagne me parut formée par une espèce de marbre blanc d'un grain très-fin; un peu plus haut venait du grès; enfin dans les parties les plus élevées, c'était un schiste lamelleux en forme d'ardoise. Cependant il ne faut considérer ces obser- vations que comme des indications plus ou moins im- parfaites, Car mes connaissances en géologie ont toujours été tres-bornées. Je ne cessai d’herboriser avec succès tant que le sol offrit quelque végétation. Nous trouvâmes le premier glacier, longue ravine couverte d’une neige à demi- gelée, sous laquelle on entendait le bruit d’un fort cou- rant alimenté par le dégel de la croûte superficielle. Là, l'air était déjà très-froid et la marchettrès-pénibie; cependant je voulus aller plus loin. Parvenu à la der- nière terrasse, à celle que domine immédiatement le piton termmal, le vent devint si impétueux qu'il était bien difficile de se tenir debout et tout-à-fait impos- sible de marcher sans courir le risque d’être violem- ment jeté par terre. | Le froid étant devenu intolérable, mes mains com- plétement glacées avaient perdu tout sentiment, et je sentais dans tout le corps une impression de torpeur et d’atonie générale qui me serait sans doute devenue funeste si j'avais voulu me reposer. En un mot je n'ai pas souvenance d'avoir jamais éprouvé un froid aussi excessif. | 1837. Décembre. 1837. Décembre. 128 ‘VOYAGE Voyant qu'il m'était impossible d'aller plus loin sans un danger imminent, considérant aussi qu'il n’y avait plus la moindre trace de végétation, bien que nous fussions encore à 500 mètres environ au-dessous du sommet, je pris le parti de rebrousser chemin. Cette décision causa une grande joie à mon compagnon Joseph. Jusqu'à ce moment il n'avait osé rien dire; mais il m'avoua alors qu’il ne pouvait pas imaginer ce qui me poussait à braver un froid pareil, et qu'il croyait qu’il en serait mort si j'avais voulu continuer. Notez pourtant qu'il était muni d’une bonne capote de laine bien chaude. Du point où nous étions parvenus, nous aurions joui d’une vue magnifique si le ciel avait été clair. Immédia- tement sous nos pieds, à gauche se déroulait le bassin de San—Miguel et celui de Port-Galant sur la droite. Les canots de MM. fMarescot et Gourdin paraissaient gros comme des coques de noix, et nos deux corvettes eussent passé tout au plus pour de petites chaloupes. Toute la péninsule, entre les deux baies, pouvait s’'embrasser sous un angle très-aigu, semblable à une petite plaine basse, uniforme et médiocrement boisée; on y voyait aussi çà et là quelques marais. Comme je redescendais, malgré le froid violent que j'éprouvais, je voulus encore glaner quelques'échantil- lons. Tandis que je voulais cueillir une charmante petite pinguicula sur les bords d’une flaque d’eau, mes mains glacées ne me permirent plus de manœuvrer conve- blement ma serpette qui coupait parfaitement; ellese referma malgré moi sur l'index de la main droite*et AU POLE SUD. 129 m'ouvrit une entaille très-profonde près de la se- conde articulation. Vainement je voulus y faire une ligature avec mon mouchoir, il en découla quan- tité de sang, ce qui acheva de me mettre hors de combat. “ Heureusement, à mi-chemin environ, la pluie cessa, le vent s’adoucit, et grâce à la vitesse de notre marche, la chaleur vitale revint peu à peu et nous remit en bonne humeur. Du reste il nous fallut deux heures entières pour descendre en marchant d'un bon pas sans nous arrêter : nous avions mis trois heures à monter. Je fus content de la conduite de Joseph dans cette circonstance; il se montra bon compagnon et supporti courageusement cetie course vraiment pé- nible à tous égards. Nous rentrames à bord vers cinq heures; je chan- geai de linge et dinai de bon appétit, ce qui m’eut bientôt remis de mes fatigues. Le capitaine Jacquinot étant venu prendre mes ordres, je lui annonçÇai que je renonçais à sortir du détroit par l'ouest, à cause de la saison trop avancée; j'allais revenir sur mes pas, faire en sorte d’avoir “une entrevue avec les Patagons, puis rallier au plus vite les régions antarctiques. MM. de Montravel et Marescot sont rentrés dans la soirée, et malgré le mauvais temps, tous deux ont ho- norablement rempli leur mission *. Dès quatre heures tout le monde est debout, et l’on * Notes 54, 55 et 56... I. &O 1837. Décembre. 31, 1837. Décembre. IS VOYAGE se prépare à l’appareillage; quand l'ancre approche de la surface de l’eau, nous reconnaissons qu’elle a une patte cassée, et c’est celle qui a touché le fond; l’autre est parfaitement nette, tandis que la chaîne estchargée d’une boue très-adhérente. Nous sommes obligés de rester en panne pour échanger cette ancre mu- tilée contre une autre. Puis à six heures, nous fai- sons définitivement route avec un vent du N. O. in- décis. J'avais rallié cette fois la côte du sud pour la recon- naître de plus près; mais le temps resta très-cou- vert, la pluie survint et on ne put exécuter aucun travail. Le baromètre descend à 0”, 737, et la pluié est très-froide. Pourtant la mer est belle, plus unie qu'avec les vents du N. E. déux jours aupara” vant. À onze heures quinze minutes, nous repassons aû sud du cap Forward à moins d’un mille de distance. Ensuite je remets le cap au N. E., chassé par une brise d'O.S. O. très-fraîchie; et à midi et demi je mouillais sur la baie Saint-Ni6blas par 11 brasses, fond de sable fin. Je filai jusqu'à 72 brasses de chaîne: pour me tenir en gardé contre les rafales subites et so " impétueuses qui descendent du pic de Nodales.” La Zélée qui avait mouillé beaucoup trop près du banc qui sert comme de ceinture à l'embouchure de la rivière, fut obligée de relever son ancre pour venir se placer près de nous; car nous occupions le meilleur poste de la baie. M. Duroch fut chargé de la levée du plan de la baie AU POLE SUD. 131 dans toute sa partie méridionale, et la partie du nord fut confiée aux soins de M. Coupvent. Le grand canot, envoyé pour faire de l’eau à la rivière de Gennes, ne put accoster à cause de la marée basse; mais il fut plus heureux pour la pêche, car la seine rapporta une bonne provision de poisson, en général de petite dimension. Je gardai tout le reste du jour le bord pour me re- poser des fatigues des Journées précédentes. En outre Jarrêtai avec le capitaine Jacquimot pour le jour suivant une course en canot dont le but devait être de remonter la rivière aussi loin que faire se pourrait. La baie Saint-Nicolas, nommée plus tard baie des Français par Bougainville, offre un aspect infiniment plus gracieux que celle que nous quittions. La plage se dessine en forme d’arc très-surbaissé, bordé par un joli rideau d'arbres d’une verdure tendre et délicieuse. ‘ilot et la rivière semblaient placés là pour ajouter en- core à l'effet du coup d'œil. Cette dernière arrive du fond d’une vallée qui s'enfonce très-loin dans l’ouest, et se trouve encadrée d'un bord par la chaîne du Tarn et de l’autre par celle de Nodales. Les flancs des monts Nodales sont couverts de forêts et leurs cimes sont garnies d'une neige éblouissante. Nous avons en outre joui dans l’après-midi d'une température très- modérée. Pour laisser à mes compagnons un souvenir durable de l’année nouvelle qui s’ouvrait devant nous sous de si brillants auspices, je remis à MM. Jacquinot et Ro- quemaurel des médailles de l'expédition, savoir 18 en 41837. Décembre. PI. VHI. 1338. 4er janvier. 1838. Janvier. 132 VOYAGE argent pour les officiers, et 8 en bronze pour les élèves. Tous parurent sensibles à cette attention, et en effet à cette époque, tous étaient encore animés d'un bon esprit et pleins d’ardeur *. Plus tard je distribuerai de ces médailles à tous Le officiers mariniers et marins dont j'aurai été satisfait ; car Je trouve plus convenable de les laisser entre les mains de personnes qui y attacheront du prix et seront intéressées à les conserver , que d’en gratifier des in- dividus pour lesquels ce ne serait souvent qu’un jou- jou imsignifiant. À sept heures du matin, je me suis embarqué dans mon canot avec le jeune Le Breton que j'aime à mener avec moi pour prendre le croquis des sites qui attirent mon attention. Le capitaine Jacquinot s "embarque dans le sien avec MM. Dubouzet et Le Guillou, puis nous nous dirigeons de conserve vers la rivière de Gennes. Nous eûmes quelque difficulté à franchir sa barre, bien que nous y fussions déjà à mi-flot. Son lit est étroit et souvent presque entravé par les troncs d'arbres tombés en travers. Sur la droite, on voit un wigwam (cabane en branchages ) assez bien conservé; ce qui prouve que les Pêcherais fréquen- tent quelquefois ce point. Le cours de la rivière se dirige assez inifétmembt vers l'ouest, et je crois que sa profondeur ne varie guères qu'entre un et deux mètres. Les arbres qui couvrent ses rives sont bien moins beaux que ceux * Notes 57 et 58. AU POLE SUD. 133 du Sedger. Après avoir navigué l'espace de deux milles au plus, en heurtant souvent contre les troncs d'arbres submergés, les matelots furent obligés de se mettre à l’eau pour faire avancer le canot, et bientôt il vint un détour où la rivière devenue trop basse et trop rapide, nous força de nous arrêter. Nous mîmes donc pied à terre, et chacun de nous s'éparpilla dans la forêt. Pour moi, suivi de mon domestique, je passai mon temps à chasser et à herboriser. Je reconnus avec surprise qu’il se trou- vait là plusieurs espèces de plantes qui n'étaient point à Port-Famine, malgré sa proximité; il y avait surtout une belle mousse rameuse au sommet, toute nouvelle pour moi. Je recueillis deux ou trois coléop- tères ; mais, en oiseaux, je n'observai que quelques merles et une grive que je tuai. Le sol, dans ces forêts, est dégagé, ferme et facile à parcourir, En outre, il y a de belles clairières, avec des arbres semés çà et là, couvertes de belles pelou- ses ou de tapis délicieux formés par des mousses compactes. Un beau soleil animait toute cette nature sauvage et pittoresque ; la neige éblouissante des pics voisins ressort comme des rubans d'argent au-dessus des masses de verdure, et tout invite à la rèverie et à la contemplation. Au pied d’un hêtre touffu, étendu sur un frais tapis de mousse, je restai quelque temps absorbé dans mes pensées, qui se reportaient tour à tour de ma paisible cabane dé Toulon aux glaces que je devais bientôt affronter. Les regrets du passé, les soucis de lavenir et l’ennui du présent; ainsi 1838. Janvier. PL: 1838. Janvier. 131 | VOYAGE se divisait mon existence , et c'était le sort qui m "était encore réservé pour Iogtéipe Dix heures et demie étaient arrivées et je me rap- pelais que c'était l'heure que j'avais fixée à mes com pagnons pour nous réunir à déjeuner; nous nous installimes modestement sur le sable , au bord même de la rivière ; des feuilles de papier ou de Misandra magellanica arrachées aux plantes du voisinage, nous servaient de vaisselle; nous fimes un joyeux festin, dont le saucisson, le lard du bord, un poulet et une oie rôtie formaient la base, arrosés par trois bouteilles de vin vieux et blanc. La scène se termina en sa- blant une bouteille d’Aï en l’honneur du premier jour de l’année qui commençait, surtout au succès de no- ire effort prochain dans les glaces. | La conversation étant tombée sur ce chapitre, chacun fitson hypothèse sur la limite que nous pour- rions atteindre. On fut curieux de connaître mes prétentions. Je déclarai que si la relation de Weddell était vraie, je ne voulais pasm'abonner à moins du 80° degré de latitude. On trouva ce chiffre exagéré, et l'événement ne prouva que trop bien qu al l'était en effet ; car ilme fallut bien en rabattre. M. Le Guillou m'exposa alors toute l'importance qu'il y aurait, dans l'intérêt de la géologie, à explorer le cap Remarquable où Bougainville avait signalé l'existence de coquilles fossiles. Malgré tout le désir que j'avais de ne pas perdre un moment, je lui promis de tout tenter le lendemain pour lui procurer cette satisfaction. Dès-lors, comme je l'avais fait dans AU POLE SUD. 135 ma campagne précédente, et comme je me promettais de le faire dans tout le cours de mon nouveau voyage, j'avais pris avec moi-même l'irrévocable engagement de favoriser également les diverses branches des scien- ces, toutes les fois que cela serait possible sans com- promettre les opérations principales qui m'étaient imposées. Après notre déjeûner, nous passèmes encore, M. Jacquinot et moi, environ deux heures à l'ombre de ces délicieux bocages, en nous entretenant paisi- blement des objets de nos affections et de nos projets pour l'avenir. A trois heures, nous rembarquâmes pour opérer notre retour. Le matin, nous avions 6b- servé deux oies et deux sarcelles en remontant la ri- vière; en la descendant, nous vimes deux sarcelles et un plongeon à la tète marquée de rouge ; mais ces o1- seaux étaient si défiants et si alertes quenousne pûmes en atteindre aucun. | Le capitaine Jacquinot poussa sur-le-champ jusqu'à sa corvette. Pour moi , tenté par l'aspect d’un char- mant bouquet de beaux hêtres, je débarquai sur la rive gauche, où j'eus bientôt abattu plusieurs perroquets. Ces oiseaux semblaient s'être donné rendez-vous dans ce massif pour y exercer leur intarissable babil. La promenade était charmante dans ce bois; sur la lisière on trouvait abondance de céleris, et le Misandra magellanica ÿ atteignait un développement prodi- gleux, comparativement à l’état où je l'avais habituel- lement observé aux Malouines en 1822. La pluie vint à tomber en abondance et me força à 1838. Janvier. PEUX 1838. Janvier. 136 VOYAGE plier bagage. Regrettant, mais un peu tard, de n'avoir pas eu la prudence de M. Jacquinot, je me hâtaï _ rallier le bord. Les travaux hydrographiques ont été terminés ainsi que les observations de M. Dumoulin, Il a venté sur la baie très-frais du $S. S. 0., avec de fortes-rafales; mais la tenue est si bonne que les deux navires n'ont pas bougé. ‘ae. M. Duroch m'a remis une bouteille qu'il a protiv dé à la plage. Elle renfermait un billet du capitaine Car- rick, indiquant qu'il avait mouillé sur cette baïe àla fin de novembre dernier, pour y faire de l'eau et du bois. La bouteille exhalait encore l'odeur du tafia qu’elle avait dû contenir. MM. Lafarge et Jacquinot jeune , qui étaient allés se promener au fond de la baie Bougainville, y avaient rencontré une plaque en tôle, sans caractères appa- rents. Îls avaient aussi visité le cap Remarquable.et n'y avaient entrevu aucune trace de coquilles fos- siles *. Dans la soirée, on a distribué aux hommes des deux équipages tous les effets de supplément accordés pour la navigation des glaces, savoir : grosses bottes de Terre-Neuve, capotes, gilets et caleçons de flanelle. Nous n’aurons plus à leur donner que les gants de laine pour compléter leur costume antarctique. Le temps est couvert et il fait calme. Néanmoins à six heures du matin, nous avons dérapé et mis à la * Notes 5g et Go. AU POLE SUD. 137 voile. La marée et de petites fraîcheurs du N. E. nous ont bientôt poussés au milieu du canal, puis la même _ brise avec la marée contraire nous ont ramenés tout près de l’ilot de la baie. Ce n’est guères que vers trois heures que nous avons pu faire un peu de chemin et rallier l’île Nassau. Dès six heures, j'avais expédié vers le cap Remar- quable le canot-major de la Zélée avec MM. Coup- vent et Le Guillou, et le nôtre avec MM. Gourdin et Hombron. Quand ils revinrent à bord, nous appri- mes que les prétendues coquilles fossiles de Bougain- ville n'étaient que des petits galets empâtés dans une gangue calcaire, formant au reste une couche très- épaisse depuis le niveau de la' mer jusqu'à une hauteur de 50 mètres environ. | M. Coupvent me rapporia la plaque en fonte dont il a été déjà question. Elle pesait au moins 75 kilo- grammes mais ne portait aucun Caractère , et 1l serait difficile d'imaginer à quel emploi elle avait pu être destinée , à moins : qu'elle n'ait servi de foyer pour quelques chaloupes de pêcheurs de pho- ques. Un superbe albatros, tout blanc comme un cygne, à l'exception seulement du petit bout des ailes, a nagé longtemps derrière nous , cherchant à faire son profit de ce que l’on jetait à la mer. Quelques coups de fusil lui ont été envoyés sans l’atteindre. J'ai saisi cette oc- casion pour signifier que je ne permettrais la mise à Notes 61, 62 et 63. 1838. Janvier. 1838. Janvier. 138 VOYAGE l'eau d’un canot que dans le cas où il s'agirait d'aller recueillir un objet destiné à la collection du Muséum. La manie des collections particulières se développait déjà à tel point que je dus prendre des mesures pour éviter les désordres auxquels elle pouvait mener. Je Jaissai chacun libre de recueillir pour lui-même ce qui lui conviendrait, mais je défendis qu'on disposät, ni des bras des matelots , ni des moyens de l'expédition pour son propre compte , et j'en donnai moi-même Fexemple. Dans un moment de calme profond, j'envoyai le thermométrographe à 290 brasses sans trouver le fond, à moins de deux milles de terre. La température de la surface était de 9°, à cette profondeur elle. des- cendit à 2°. C’est un fait très-remarquable : car ilest probable qu’à ces profondeurs les courants ne peuvent introduire directement les eaux d'aucun des deux océans. On serait donc conduit à penser que ce se- rait là la température propre à cette profondeur. Sur les trois heures, ainsi que je l’ai déjà dit, une petite brise de S. O. se leva et nous pûmes cheminer piano piano sur la mer la plus calme. Nous défilâmes successivement devant les jolies baies qui se suivent depuis l’île Nassau jusqu’au cap Isidore, toutes offrant les aspects de terrain les plus gracieux. Nous repas— sames devant la baie Voces, et désormais chaque site, chaque accident du sol rappelait à notre imagi- nation les lieux que nous avions si bien explorés la semaine précédente. En examinant avec un nouveau soin Port-Famine AU POLE SUD. : 139 et ses alentours, chacun de nous resta convaincu que le choix fait par Sarmiento de ce point pour y fonder sa colonie était très-judicieux. Dans tout le détroit, nul autre n'aurait offert les mêmes avantages, soit pour la bonté et la sécurité du mouillage, soit par les ressources de tout genre qu’on y peut trouver. Nulle part le sol ne paraît susceptible d’y être cultivé avec le même succès. Bien certainement cette position sera de nouveau occupée, et cette fois elle ne sera plus abandonnée. Alors aussi le détroit de Magellan ne peut manquer d'être fréquenté habituellement par les na- vires; Car 1l n'y aura pas de comparaison à établir entre la navigation douce et assurée du canal et la traversée pénible et dangereuse des mers du cap Horn. Cette dernière voie sera surtout complétement abandonnée par ceux qui voudront rentrer de l'Océan Pacifique dans l'Atlantique. Tout porte à croire que sous peu d'années , ces avantages seront compris et exploités par les Anglais, ces envahisseurs acharnés du globe entier. À huit heures du soir, comme je me trouvais à un demi-mille environ de la pointe Anna , j'expédiai Kosmann avec le canot, pour aller porter dans notre boîte aux lettres un nouveau pli par lequel je rendais compte au ministre des opérations exécutées depuis le départ de Port-Famine jusqu’à ce moment*. Le canot revint à neuf heures et demie, puis je mis en panne afin de profiter du beau temps pour voir * Note 64. 1838. Janvier, 1838. 8 janvier. 140 VOYAGE. plus distinctement le jour suivant les côtes de celle portion du canal si confusément reconnues Jo: s de notre arrivée. M. Dumoulin ne cessait de pour suivre ses relèvements avec tout le zèle imaginable. Au point du jour, c’est-à-dire dès deux heures et demie, avec un temps superbe, une mer très-calme et une jolie brise du sud, je ralliai la côte de la Terre de Feu, et M. Dumoulin y reprit le fil de ses opéra- tions. Nous suivimes la terre à deux ou trois milles de distance. Elle est généralement basse le long de la côte, découverte et peu accidentée, seulement de gros rochers isolés, semés par intervalles sur la plage nous servaient à merveille de jalons pour les relèvements. Au demeurant, elle n’offre pas le moindre danger, sauf quelques pointes très-basses qui pouvaient se prolonger sous l’eau à deux ou trois encäblures au large, et qu'il sera toujours prudent de contourner à une bonne dis- tance. | | La journée a été si belle, la température. si douce qu'on aurait vraiment dit: d'une belle ; Journée de printemps en France. Le thermomètre, à deux heures, marquait 18°,2. Aussi nous avons tous été obligés de dépouiller nos vêtements d'hiver. On a vu quelques Guanacos sur le rivage et des bandes nom- breuses de cormorans. | Comme nous passions entre Pile Male et la baie Gente-Grande, dans l’après-midi, le moindre fond a été de 15 brasses, puis nous avons eu 20, 25 ou 30 brasses au plus, sans voir aucune apparence de danger près des îles Magdalena et Martha. Si les dan- AU POLE SUD. 141 sers annoncés n’existaient pas, il en résulterait natu- rellement que ce passage serait bien plus spacieux, plus commode et plus direct que d’aller s'engager soit à l’ouest soit à l’est de l’île Elisabeth. Nous avons vu un feu dans l’intérieur, près de la baie Gente-Grande, deux ou trois sur l'île Elisabeth, et un autre très-apparent près du hâvre Oazy. Mon dessein était d'aller immédiatement au mouillage devant . Oazy- Harbour; mais la brise a molli et refusé, et vers neuf heures la marée du jusant a commencé à m'entrainer sensiblement vers le second goulet. En conséquence, j'ai pris le parti de rester en panne, me laissant dériver au gré du courant. M. Demas m'a soumis les résultats qu'il avait ob- tenus pour la longitude du Port-Famine, par les mar- ches des chronomètres. En définitive, ils sont satisfai- sants, surtout celui donné par le n° 199, qui s’est ac- cordé à la minute avec la position qui avait été adoptée par le capitaine King. Vers quatre heures du matin, la brise faible passe du N. N. E. au N. N. O. et amène dela pluie; presque au même moment, la marée nous reporte sensible- ment vers l’île Elisabeth. Sur-le-champ, prenant mon parti, je mets le cap au 0 :S. O., décidé à laisser tomber l'ancre entre l'ile Elisabeth et la grande terre, pour avoir une entrevue avec les indigènes. A l’aide du vent et de la marée favorable, nous cô- toyons la rive de la grande terre à un ou deux milles de distance. Comme nous passions devant l'entrée du hâvre Oazy, il nous fut aisé de distinguer avec les 1838. Janvier. 1838. Janvier, 142 VOYAGE Junettes un camp nombreux de Patagons , établi près du rivage avec leurs cabanes, leurs chevaux, leurs chiens et même un pavillon américain planté sur un morne voisin. | La brise me favorisant, je me décidai à mouiller devant le hävre Peckett; la sonde rapportait assez régulièrement 8 ou 7 brasses; mais au moment où nous passions à trois encäblures au large d’un ilot situé près de la pointe nord de la baie, la quille de la corvette frotta tout à coup par moins de trois bras- ses. Après une ou deux minutes d’hésitation, elle fran- chit et poursuivit tranquillement sa route. Sur-le- champ je hêlai à la Zélée , qui suivait immédiatement dans nos eaux, de fes porter, et cette manœuvre Jui évita ce ler. Au moment où l’on s’apperçut que nous touchions, il y eut un moment d'étonnement et même d’agitation dans l’équipage, et quelques clameurs se faisaient déjà entendre. D'une voix ferme j'imposai silence , et sans paraître m'inquiéter en rien de ce qui venait d'arriver, Je m'écriai: Ce n’est rien du tout et vous en verrez bien d’autres. Par la suite , ces mots revinrent souvent à la mémoire de nos matelots. Il est plus im- portant qu’on ne pense pour un capitaine, de conser- ver le calme le plus parfait et la plus grande impas- sibilité au milieu des périls les plus imminents, même de ceux qu'il pourrait juger inévitables. En pareil cas, des ordres dictés par l’impatience, la colère et l'épouvante démoralisent les marins et ne peuvent amener que le désordre et la confusion dans les ma Si AU POLE SUD. 143 nœuvres à exécuter. Si le chef veut inspirer la con- 155: fiance, il faut qu'il conserve l'attitude la plus tranquille; souvent même 1l est convenable que tout en redou- blant lui-même de surveillance, il paraisse plus indif- férent encore que d'ordinaire. Une demi-heure après, nous laissions tomber l'ancre par sept brasses et demie, sable et vase, et nous filions 54 brasses de chaîne, 1838. Janvier, 114 VOYAGE CHAPITRE IX. Séjour au hâvre Peckett et départ du détroit. À dix heures et demie, je permis à tous les offi- ciers de l’Asérolabe et de la Zélée de descendre à terre; tous sans exception étaient bien impatients de voir pour la première fois des sauvages. Alors il leur semblait que ce spectacle ne cesserait de leur offrir de nouvelles jouissances dans le cours de la campagne; mais le moment ne devait pas tarder à venir où ils en seraient complétement rassasiés et où ils soupire- raient avec ardeur après l’époque où ils n’en rever- : raient plus. Le vent d’ouest ne tarda pas à fraichir et souffla bientôt grand frais avec des rafales très-violentes, un temps clair et une température assez élevée pour ces climats. Nous dümes filer jusqu’à 126 brasses de chaîne pour assurer notre tenue. Heureusement dans cette direction le vent venait du fond du hävre et ne pouvait soulever de houle, quoique sa violence, ot ÈS AU POLE SUD. 145 en soulevant la surface des eaux, la fit voltüiger en forme de poussière argentée. | 11 fut impossible d'envoyer les canots à la recherche des officiers déposés à terre avant neuf heures et demie du soir, et chacun d’eux fut enchanté d’échan- ger la nuit maussade qu'ils se préparaient déjà à passer sous les teñtes des Patagons , au sommeil confortable pris dans leurs couchettes habituelles. D'ailleurs ils n'étaient pas fâchés d'ajouter un joyeux supplément au piteux repas qu'ils avaient fait à terre. Quand le grand canot était descendu dans la mati- née avec les officiers, une foule de naturels à cheval étaient déjà rassemblés à terre près du point de débar- quemeni ; ils avaient accueilli très-amicalement leurs hôtes. Enfin, voyant le canot se disposer à s’en re- ‘tourner, plusieurs d’entre eux s'étaient jetés dedans pour venir nous rendre visite. On eut beaucoup de peine à les faire débarquer. Trois seulement reçurent l'autorisation de rester dans le canot. | En arrivant, ils montèrent à bord avec aisance, se peéonièsient avec confiance et sans embarras et se comportèrent décemment. L'un d'eux était un homme de 45 ans, l’autre pouvait avoir de 25 à 30 ans, enfin le troisième n’accusait guères, par son ex- térieur, que 20 ou 22 ans. Doux, paisibles et complai- sants, ils ont fait de leur mieux pour répondre à toutes les questions dont on les importunait. Ils examinaient avec calme et tranquillité les objets qu’on leur pré- sentait, sans témoigner beaucoup de convoitise pour les posséder , et n’ont donné aucune preuve de pen- L. 10 1838. Janvier. 1838. Janvier. 145 VOYAGE chant au vol, nonobstant le soin avec lequel je faisais surveiller leurs moindres mouvements sans leur donner heu de s’en apercevoir, surtout tant qu'ils sont restés dans ma chambre. | Leur taille moyenne paraît être de 1,732; l’un d'eux avait 1,760, mais ils sont larges de carrure; sans être nullement musculeux, leurs membres sont gros, arrondis, potelés, bien propor- tionnés, avec les extrémités d’une petitesse remar- quable pour des sauvages aussi mal vêtus. Leur peau est lisse, douce et simplement olivâtre, plus encore par malpropreté et exposition habituelle à l'air que par leur complexion naturelle; leurs cheveux sont noirs, longs, peu épais, pendants par derrière et rete- aus sur le front par un bandeau. Leur figure est ouverte, très - large dans sa partie inférieure et rétrécie au sommet, car le front est singulière- ment bas, étroit et fuyant en arrière. Leur physiono- mie est habituellement calme et sans expression, seu- lement animée quelquefois par un sourire bonasse, qui semble annoncer la douceur de caractère de ces hommes. Les yeux étroits, allongés et peu ouverts rappellent à l'instant le type mongol, les pommeites sont assez saillantes , le nez écrasé plutôt petit que grand, la bouche moyenne ainsi que le menton. Peu de barbe ni de poils. Attitude généralement molle, imdolente et paresseuse. Rien n’annonce. en eux la vigueur, la souplesse ni l’agilité; et à les voir assis, debout ou en marche, on les prendrait plutôt pour des femmes d’un sérail d'Orient que pour AU POLE SUD. 147 dès sauvages aussi rapprochés de létat de nature. Leur vêtement national est un large manteau en peaux de guanaques, de renards ou de tigres sauvages proprement tannées et solidement cousues ensemble. Il en est même dont le revers est décoré de dessins imprimés d'une manière élégante. Par-dessus , ils portent une espèce de tablier retenu par une cemture autour des reins. L'un d'eux, sous son manteau, avait un ajustement complet d'Européen: habit, veste, gilet, pantalon et bonnet de police, rien n’y manquait que la chaussure. Sans doute 1l tenait cela de quelque Européen, moyennant des peaux qu'il avait livrées. Quoi qu'il em soit, comme tous les sauvages de l'Océanie, il semblait tirer vanité de son déguisement, qui lui convenait bien moins que son costume na- tional. Avec eux était venu un Européen établi dans cette tribu, dont l'extérieur chétif et les traits décharnés annonçaient la plus profonde misère. Il se disait Amé- ricain des Etats-Unis. Mais l’ayant mterrogé en anglais, je vis bientôt qu'il parlait fort mal cette langue; je compris seulement qu’il était natif de la Suisse et des environs de Berne. Ayant appelé Kosmann qui parlait l’allemand, je recueillis ce qui suit sur le compte de cet individu. Niederhauser (John) , horloger de son métier , était alé tenter la fortune aux Etats-Unis, mais elle fut sourde à ses avances. Après avoir subi maint revers, il ajouta foi aux brillantes promesses d’un pêcheur de phoques qui recrutait des dupes pour armer son 1838. Janvier. 1838. Janvier. 148 VOYAGE schooner destiné à la pêche des phoques. Des rives de New-Yorck, le pauvre horloger fut transporté sur les iles sauvages de la Terre de Feu, au sud du cap Pillar. Suivant la coutume, il fut déposé sur une de ces iles, avec sept de ses camarades et quelques provi- sions pour faire la chasse aux phoques et préparer leurs peaux. Trois ou quatre mois après, le schooner revint, prit les peaux préparées et laissa les pêcheurs avec de nouvelles provisions pour trois autres mois; mais cette fois le schooner ne revint pas. Niederhauser attribuait cet abandon à ce que le capitaine ayant fait une très-mauvaise pêche et se trouvant au bout de ses vivres, s'en était retourné aux États-Unis, sans s'occuper davantage des hommes qu'il laissait derrière lui. Cette raison peut bien être la vraie; mais 1l est possible que le schooner ait péri, ou bien encore que le capitaine aït abandonné ces hom- mes uniquement pour n'être pas obligé de leur fournir leur part de pêche , procédé assez commun parmi ces aventuriers. Quoi qu'il en soit, ces malheureux, après avoir épuisé leurs provisions, montant leur canot , embou- quèrent le détroit par la partie de l'ouest, et «près diverses haltes, vinrent faire tête au milieu des sau- vages du hâvre Oazy. Six d'entre eux poursuivirent leur navigation avec le canot ; mais deux, Niederhau-— ser et un Anglais nommé Birdine, préférèrent rester parmi les indigènes. Ceux-ci accueillirent leurs hôtes avec une parfaite bienveillance, leur donnèrent des femmes et partagerent avec eux tout ce qu'ils avaient. AU POLE SUD. 149 Niederhauser assure que jamais ilsn’eurent à se plun- dre d'aucun mauvais traitement. Tout ce qu’il possé- dait , et même sa petite collection d'outils d'horloger avait été respectée par les sauvages qui ne se permirent pas la moindre dilapidation. Seulement les Patagons raillaient quelquefois les Européens et les traitent de sourmands et de paresseux , quand ils les voyaient se Mdve de leur nourriture. En effet, quand la chasse était bonne, la cuisine allait bien, et nos deur * aventu- riers s'emplissaient l'estomac ; mais quand le mauvais temps ou des localités stériles amenaient la diseute, it fallait souvent , durant plusieurs jours, ne vivre que de racines fort insipides et très-peu nu- tritives. Aussi nos deux gaillards paraissaient vraiment exténués de misère et de privations ; si bien qu'ils n'espéraient pas pouvoir résister un mois de plus à ce triste genre de vie. ils avaient vu passer nos navires trois semaines auparavant , et c'élaient eux qui aiti- saient le feu allumé près de la pointe Nuestra-Señora, tandis que nous courions sur le cap Saint-Vincent. Is me Supplièrent avec instance de les recevoir sur nos corvettes et jy consentis. Niederhauser embarqua comme passager sur l’As{rolabe et Birdine fut reçu au même titre sur la Zélce. Pendant les deux ou trois mois qu’il avait passé au milieu des Patagons, Niederhauser avait acquis quel- que teinture de leur langage. Profitant de cette cir- constance, je me mis aussitôt à la besogne, et aidé du matelot Bawr qui parlait l'allemand et de mon secré- 4838. Janvier. 1838. Janvier. 150 VOYAGE taire M. Desgraz, en questionnant notre Suisse, je pus me procurer en patagon la valeur de la plupart des mots qui composent mon vocabulaire compa- ratif de toutes les langues connues. Le langage de ces hommes est guttural, singulièrement accentué et leurs articulations sont souvent difficiles à rendre. Comme on l’observe chez les Boschismans, leurs consonnances finales sont fréquemment suivies d’un léger claquement de langue imitant confusément le son # ou {l, et presque impossible à exprimer correc- tement par notre écriture. L'un de ces hommes dina avec moi, un autre avec les officiers et le troisième avec les élèves. Mon convive, après avoir copieusement diné, demanda un morceau de pain qui restait sur la table pour son Pikinini et le ramassa dans un petit sac. Ën me voyant prendre un livre, il prononça le mot bouk (book). Tous trois au reste baragouinaient différents mots espagnols ou anglais. Celui que j'avais traité, sans doute pour me faire la cour, répéta plusieurs fois ces mots : Angrès no good, American no good, Francès bueno : puis il ADAUMANT Hatavai Francès very good. Cependar m'a beaucoup parlé d’un certain Johnson verygo s’informait , avec beaucoup d'intérêt, s’il était de retour en Amérique; le nom de King lui a paru tota- lement inconnu. Après le diner, ils ont témoigné le désir d’être ren— voyés à terre, surtout après avoir reçu de moi chacun un grand couteau. Pourtant ils ont parfaitement compris que cela était impossible à cause du vent, et AU POLE SUD. _ 151 se sont paisiblement étendus sous une tente qu'on leur a préparée dans la chaloupe. À neuf heures et demie, on les à réveillés pour les remettre à terre. Au retour, leur chef amené par les officiers à pris leur place dans la chaloupe; un troupeau de femmes s’est précipité dans le canot pour venir aussi à bord, et il a fallu presque employer la violence pour leur faire évacuer l’em- barcation; il paraît que la prostitution est désor- mais aussi universelle dans ces contrées que dans l'Océanie. D'après Niederhauser, l'histoire des Patagons géants ne serait qu'une fable; :l y a quelques hommes d’une, plus haute taille parmi eux , et voilà tout; les habi- tants de la Terre de Feu appartiendraient à une autre race rabougrie, faible, misérable, timide et moins in- telligente. Quand les Patagons peuvent les attraper, ils font leursenfants esclaves, mais les libèrent quand ils sont grands; les Pêcherais ont des pirogues et s’adon- nent à la pêche; les Patagons sont presque toujours à cheval et vivent presque éntièrement de chasse. Ce sont les Pècherais qui fréquentent les îles sur l’autre rive du détroit, tandis que les Patagons ne quittent pas le continent ; mais dans l’intérieur, ils s’enfoncent quelquefois à la distance de cinq ou six cents milles en poursuivant leur vie errante et nomade *. À mon lever, vers six héures du matin, M. Du- moutier m'a présénté son ami particulier Kongre, "Notes 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74 et 55. 1838. Janvier. 1838. Janvier. 152 VOYAGE grand chef de la tribu établie près de nous. C'est un bel homme de 30 à 36 ans, porteur d’une figure douce et bonne, et affublé comme ses sujets d’un manteau de peau et d’un tablier. M. Dumoutier, partageant l'illusion commune, l'avait cru bien plus grand que moi; mais une mesure exacte le désabusa en lui prouvant que le sauvage avaït au contraire 7 ou 8 millimètres de moins. M. Kongre m'a instamment demandé la faveur d'amener sa femme à bord, ce que je lui ai accordé en lui donnant un beau couteau qui lui a fait grand plaisir, puis il est redescendu à terre dans le canot qui y a conduit les officiers *. _ Au même moment, j'ai expédié le grand canot de la Zélée avec MM. de Montravel et Dumoulin, pour faire la géographie des baies Gente-Grande et Lee- bay; il s’agit surtout de fixer les doutes relatifs à une prétendue communication de la baie Gente-Grande avec le bassin de Saint-Philippe, au moyen d’un canal étroit. Cette mission devait durer trois jours environ et terminait avec honneur la série de nos travaux dans ces parages, sans compter qu'elle pouvait pro- curer à ces deux officiers une entrevue avec les Pé- cherais. Le grand canot, en rentrant à bord, amena trois nouveaux indigènes; l’un d'eux, frère du chef Kongre, était un jeune garçon de 18 à 20 ans, haut de 1"“,760 environ, parfaitement bien proportionné * Note 76. AU POLE SUD: 153 et d'une figure douce et agréable, d’un maintien décent. Le second était un Banian. qui paraissait très-bien connaître le commerce, car il apportait des peaux qu'il eut soin de placer d'une manière très-lucrative. Cependant, il finit par devenir si exigeant, que per- sonne ne voulut plus de sa marchandise; pour une méchante petite peau, il demanda jusqu’à un sac en- tier de biscuit. Le troisième était un individu de petitetaille, étioké, rabougri, la figure toute barbouillée de suie, et qui ne souffla pas un seul mot. On ne put savoir si c'était un homme ou une femme, tant sa tournure semblait hétéroclite. Vers une heure après midi, le vent ayant enfin cessé, bien que le temps füt encore très-couvert, le capitaine Jacquinot et moi nous descendimes à terre devant le camp des Patagons établi sur la pointe N. du hâvre Peckett. Ce camp est tout simplement com- posé de tentes de peaux, soutenues sur des pièces de bois, au nombre de trente ou quarante, et placées sur deux rangs ; chaque tente paraît destinée à loger une famille, c’est-à-dire le père, la mère et les en- fants. Ceux-ci, assez nombreux , sont paisibles, gais, peu turbulents et déjà remarquables par l’élargisse- ment de leur face. Décidément, le chef et son frère m'ont semblé deux des plus beaux hommes de toute la tribu; la femme du premier a aussi des traits assez agréables. Un autre naturel de très-grande taille m'a frappé par son rap- 1888. Janvier. PI. XIT. 1838. Janvier. 151 VOYAGE prochement avec le type des Nouveaux-Zélandais; son nez bosselé et presque aquilin, ses pommettes assez saiflantes et surtout sa figure moins élargie, me por- teraient à penser qu'il sera venu des rives de la Nou- velle-Zélande avec quelqu'un de ces pêcheurs de phoques qui recrutent si souvent leurs équipages dans cette contrée et qu'ennuyé de la navigation , il sera aussi resté avec les Patagons ; ce qui fortifierait cette conjecture, c'est que lui seul m'a offert quel- ques traces dé tatouage à la naissance du nez. Du reste, Je n'ai pu obtenir aucun renseignement po- sitif sur son compte. Le long des pieux qui soutiennent les tentes, sont suspendus des morceaux de chair de Guanaco ; ils se contentaient de la présenter quelques moments au feu, puis ils la croquaient à belles dents à demi-crue, avec des patelles qu'ils faisaient aussi rôtir un instant sur le brasier. Les femmes et les enfants avalaient en outre avidement les baies rouges d’un petit Empetrum rampant, et les rendaient ensuite presque sans les digérer, comme l’attestaient leurs excréments; c’est le cas de faire observer que ces gens sont très-sales à cet égard, car ils ne se donnent même pas la pemeé de s'éloigner de quelques pas de leurs tentes pour satis- faire au premier besoin de la nature. On me montra la plante dont ils emploient la racine pour leur servir de pain, comme le font les Nouveaux-Zélandais du Pleris esculenta; €’est une espèce d’Azorella à fleurs jaunes, très-voisine, par la forme, du gommier des Malouines ou Bolax glebaria. AU POLE SUD. 155 J'aigoûté de ces racines et je leur ai trouvé un goût légèrement sucré, point désagréable; mais cet aliment m'a paru fort peu nourrissant. Ces gens, hommes et femmes, passent leur temps nchalamment étendus sur leurs peaux, au milieu leurs chiens et de leurs chevaux. Un de leurs passe-temps favoris est de cherche rla vermine dont ils sont abondamment pourvus pour s’en régaler. Ils redoutent tellement la moindre marche à pied, que pour aller chercher des coquilles au rivage, à peine éloigné de 50 ou 60 pas, ils montent à cheval. A ma prière, le brave Kongre a revêtu son costume de guerre ; c’est un casque en cuir fortifié par des plaques d’airain, bombé et surmonté par un beau cimier en plumes de coq, et une tunique en cuir de bœuf très-épais, teinte en rouge et bariolée de bandes longitudinales jaunes; enfin, un long cimeterre à double tranchant ; puis il a posé tandis que MM. Gou- pil, Roquemaurel et Marescot s’efforçaient d’en faire un croquis. Sous ce costume , le pauvre homme était loin d’avoir un air belliqueux, car il semblait au con- traire honteux et confus et ne savait trop quelle atti- tude prendre. Mais, de sa part, cette complaisance décélait un esprit plus éclairé et plus confiant que chez ses compatriotes; ceux-ci refusaient à tout prix de laisser prendre leur portrait, dans la crainte de quelque sortilége de notre part. Je témoignai ma gratitude à Kongre en donnant une galette de biscuit à son petit enfant, attention qui parut toucher les pa- 1838. Janvier. PI. XIII. PI. XIV. 1838. Janvier. 156 VOYAGE | rents, particulièrement la maman, qui pressa son en fant avec amour contre son sein, et megratifia dun regard très-expressif. Près de la tente du chef étaient accroupis deux vieil- lards, homme et femme, qu’on eût dit être ses paren ou ceux de sa femme ; ils semblaient avoir au ne. 79 ans. L'homme surtout avait une superbe tête de vieillard, et quand il se leva, je lui donnai volontiers près de 5 centimètres de Gus qu'à moi, c’est-à-dire environ 1",790; malgré son âge, c'était un homme tres-vert, et ses dents étaient fort belles. Niederhauser me fit remarquer quelques individus qu'il me dit être Pêcherais ; pour moi, c'était le même type de race, seulement ils étaient plus chétifs, plus misérables, et leur visage plus raccourci et encore plus aplati vers un front tres-déprimé, annonçait des facultés intellectuelles plus pauvres. Faïts esclaves dans leur enfance , ils étaient devenus libres une fois adultes. % C’est le devoir des femmes d' 1 au loin chercher du bois à brüler, car il n’y a pas un arbrisseau dans ces vastes steppes; mais elles ne manquent pas de monter à cheval pour cela, et elles ménagent avec soin leurs combustibles, ne s’en servant que pour préparer leurs aliments. Malgré la rigueur habituelle de ces climats, les enfants de un à trois ans se rou- lent tout nus par terre, sans paraître nullement souffrir du froid ; tous sont potelés, joufflus et ont des ventres rebondis comme de vrais chérubins. Deux marmots aux cheveux frisés m'ont paru êtré AU POLE SUD. 157 les fruits du croisement de quelque Anglais ou Améri- cain avec les beautés patagones; toutes ont paru dis- posées à en faire autant avec les Français; mes deux passagers assurent que ces femmes sont singulière- ment lascives; je ne sais pas si MM. Dumoutier, Du- corps et Desgraz, qui m'ont demandé à passer la nuit sous leurs tentes ont essayé de s'assurer de ce fait. L'une des jeunes filles que j'ai vues m'a frappé par sa peau plus blanche que ceile de ses compagnes , et presque aussi claire que celle de bien des filles du peuple en Provence; toutefois, tout bien considéré, pas une d'elles, suivant nos idées de beauté pour la femme, ne mérite d’être citée, non pas pour gentille, mais seulement pour passable dans leur sexe. Après avoir examiné attentivement, durant une heure environ, cette petite peuplade, ma curiosité fut satisfaite et je dirigeai mes investigations sur le tapis végétal que je sentais sous mes pieds; c'était une im mense plaine, doucement ondulée, couverte de plantes herbacées , sans aucune espèce de véritable arbuste ; j’eus bientôt rempli ma boîte de nouveaux échantillons de plantes dont plusieurs se rapportaient à ma Florula des Malouines. Je ne citerai qu’une-jolie petite Calceolaria à fleurs jaunes, un Cylisus rampant à feuilles soyeuses, un Ancistrum à fruits tres-gros, une petite Pimpinella à fleurs jaunes, un charmant Gna- phalium en gazon, un Brômus à balles renflées, un Slipa, etc. Le maître d'équipage m'’apporta aussi quelques insectes qu'il avait trouvés sous les touffes de gazon. 1838. Janvier. PI, XEV. 1838. Janvier. 158 VOYAGE À cinq heures après midi, je m'en retournai à bord avec MM. Roquemaurel, Marescot et Duroch, sous une pluie battante fort peu divertissante ; puis le vent reprit à l'O.S. 0. et ne tarda pas à souffler de nou- veau avec force *. J'avais projeté ce matin une excursion au fond du hâvre Peckett, mais un vent violent d'ouest, accom-— pagné de grains de pluie et de grêle, me retint à bord. Sur les onze heures, nous avons vu les indigènes démonter leurs tentes, plier bagage, monter sur leurs chevaux et se diriger par bandes détachées vers leur station habituelle, au hâvre Oazy. En effet, 1ls man quaient de bois, d’eau et de vivres, et pour prolonger leurs privations, ils ne trou vèrent pas leur commerce avec nous assez fructueux. Comme c’était le début de la campagne, nos libéralités furent bien trop bornées au gré de leurs désirs. Peu après, nos amateurs nocturnes, MN. Ducorps et Dumoutier, car M. Desgraz y avait renoncé, ren- trèrent à bord_très-contents de l'hospitalité patagone. Le premier, par un Gaoutcho de Montevideo, établi depuis huit ans parmi ces naturels, et ayant deux femmes et plusieurs enfants, s'était procuré divers renseignements assez curieux. Plus malheureux, M. Dumoutier n'avait réussi à palper aucun crâne, toujours repoussé par le soupçon de magie que ses allures avaient inspiré aux sauvages crédules, défiants ‘INote,7g, AU POLE SUD. 159 et craintifs. Seulement, tandis qu’il cherchait à per- suader une Patagonne, sa compagne lui souffla adroi- tement son cràniomètre, qu’il ne put recouvrer. MM. Roquemaurel , Gourdin et Gervaize sont partis à une heure pour faire le tour du hâvre entier ; mais ils sont rentrés à neuf heures du soir, sans y avoir réussi. Ils sont tombés sur une tribu d’une cin- quantaine d'individus d’une race bien inférieure à celle que nous venions de fréquenter, sorte de parias qui semblaient repoussés de toute société avec les autres. Ceux-ci consentirent à vendre quelques peaux et un arc. Moi-même , à une heure trente minutes, je suis parti dans ma baleinière, et j'ai mis pied à terre près de la pointe méridionale de la baie; au bord de la mer, j'ai trouvé une misérable famille composée d’un jeune homme assez alerte, d’une femme âgée et hideuse de laideur et de saleté, et de trois marmots non moins malpropres. Ceux-c1 étaient tout nus , et les deux autres n'avaient autour des reins que de mau- vais lambeaux de peau; leur cabane n'était qu’un treillage de branches , à demi-recouvertes de lam- beaux de peau, et qui ne pouvait les garantir que bien imparfaitement des injures de l'air. Le jeune homme semblait assez posé, mais la vieille ne cessa de gazouiller. Comme un vrai traquet de moulin, sa langue ne s’arrêtait pas un instant ei son babil inta- rissable ressemblait à une sorte de gloussement per- pétuel. Voyant enfin que je ne disais rien à tout cela, tous deux me demandèrent du tabac; je fus long- 1838, Janvier. 1838. Janvier. 160 VOYAGE temps sans les comprendre, et je n’en vins à bout que lorsqu'elle me montra celui qu’un de mes canotiers tenait en ce moment dans sa main; bien certaine- ment, sa requête ne pouvait s'adresser plus mal qu’à moi, qui ai toute ma vie abhorré cette drogue; heu- reusement un Canotier, en courtois chevalier, con- sentit à partager sa provision avec cette pauvre créature. En retour, le jeune homme, en nous voyant cueillir du céleri, voulut nous aider dans cette récolte. | Plus tard , j'entendis raconter, je ne sais plus où, qu'un Européen, voulant convertir et civiliser les Patagons , s'était établi au hâvre Peckett, où ilavait même commencé quelques cultures ; mais, qu’ennuyé de sa triste existence, 1l s’en était retourné parmi les hommes civilisés. Je ne serais pas du tout surpris que la case de nos Pêcherais ne füt sur l'emplacement qu'avait occupé celle du pélerin en question; car ce terrain semblait avoir été remué, et il y croissait des . plantes européennes qui ne se trouvent point ailleurs et qui accompagnent d'ordinaire nos plantes pota- sères. De là , je pris ma course vers de magnifiques pelouses qui me rappelaient merveilleusement Îles steppes de la Crimée. J’eus bientôt enrichi ma collec- tion d’une quinzaine d'espèces que je n'avais pas encore vues ; j'y observai le gommier des Malouines, et je tombai sur deux étangs d’une eau très-salée, bien qu’on ne découvrit aucune communication ex- térieure avec la mer; il semblait même que leurs eaux suivaient les mouvements de la marée, à en AU POLE SUD. 161 juger du moins par une large laisse d’eau sur une argile bleuâtre encore toute humide. | De là, je gravis sur un tertre voisin, d'où je pus jouir d’une vue magnifique, embrassant plusieurs milles de rayon dans ces immenses steppes; mais je n'aperçus aucun guanaco. Dans cette promenade , je vis deux bécassines, de gros pluviers noirs et beaucoup d'alouettes, de chevaliers et d’alouettes de mer. | N'ayant pu gagner l’ilot de l’intérieur du hâvre, à cause du vent et de la marée contraire, je me labatiis sur l’île Plate, située à l’entrée; elle était presque couverte de goëlands et de labbes qui voltigeaient tout autour denous en faisant un tintamarre affreux ; deux j jours auparavant, leurs nids avaient été ravagés par les hommes du canot-major , lorsque M. Roque- maurel était allé y chercher sans succès le puits in- diqué par le capitaine King. M. Marescot, malgré le gros temps, avait employé cette après-midi à sonder sur le banc où l’Astrolabe avait touché en entrant; son travail a prouvé que ce danger ne s’étendait effectivement pas au- dela de trois câbles au large, ainsi que je l'avais estimé. À quatre heures du matin, MM. Roquemaurel, Duroch, Gourdin et Dumoutier sont descendus près de la pointe S. de Peckett, pour se diriger vers l'O. S. O., dans l'espoir de gagner, ou du moins d'a- voir une vue du fond du bassin d'Otway-water ; d'après la carte de King, la distance qui séparerait I 11 1838. Janvier. 1838. Janvier. 162 VOYAGE cette baie des bords du hâvre Peckeit ne serait pas de plus de sept milles en.ligne droite”. M. Marescot a encore consacré cette journée à faire des sondes dans le hâvre extérieur, dus bout j jus- qu'à l’autre. a Ce matin, j'ai adressé She questions à Nie— derhauser; en voici les principaux résultats : le grand vieillard dont j'ai parlé avant-hier, ‘était le grand-père de la femme de Kongre; autant quenotre Suisse peut en juger , il lui donnerait 90 ou 100 ans d'âge. Un autre vieillard, des bords du Port-Désiré, aurait, dit-il, compté 150 hivers. Kongre peut avoir une trentaine d'années. Les sauvages VUS la veille par M. Roquemaurel appartiennent à une tribu qu il désigne sous le nom de Canoe-Indians (indiens àpi- rogues) , de la même famille que les habitants de la Terre de Feu. Les Patagons ne leur font aucun mal; seulement, ils leur enlèvent quelquefois leurs enfants pour les employer à faire leur cuisine, puisals les li- bèrent quand ils sont grands. Quelquefois aussi, ils vont les vendre à leurs voisins du nord, qui les re- vendent aux Espagnols de Rio-Negro ou de Monte- video; c’est par échange qu'ils se procurent leurs chevaux et les divers De d'industrie européenne qu’on voit entre leurs mains. Niederhauser soutient avoir vu, près du Port-Dé- siré, un naturel d’une taille vraiment colossale, de 10 pieds de haut ou 2,920 (9 pieds français). Sa * Notes 78, 79, 80 et 81. AU POLE SUD. 163 main n'aurait pas pu embrasser un des pouces du géant ; mais c’est une exception et il n’existe pas de peuplade entière de cette stature. Dans ses courses avec les naturels, il n’a jamais vu Otway-waier, car leurs chevaux les obligent à suivre constamment les chemins en plaines et pâturages: ils ne pourraient pas, sans danger pour eux et leurs montures, s'engager dans les forêts qui recouvrent les flancs des montagnes. Des iles Grave et Landfall à la partie du détroit située près de Playa-Parda, Niederhauser a parcouru trois canaux de communication, praticables seule- ment pour des embarcations, parsemés d’ilots et bordés de terrains bas et habités. Sur la Terre de Feu, il a vu quelquefois ensemble jusqu’à 40 pirogues et 150 naturels, tous gens faibles, chétifs et pusilla- nimes. Il a quelquefois fait fuir une troupe entière avec une clef ajustée sur eux en guise de pistolet. Il ne connaît rien du tout du côté de la baie Gente- Grande, attendu que les phoques n’y vont point. Le plus grand nombre de Patagons réunis qu'il ait vu a été de mille environ. Niederhauser paraît actuelle- ment tres-content de son sort; la cuisine de l’Astrolabe l’a parfaitement restauré, et il paraît avoir 20 ans de moins. J'avais le projet de faire une dernière visite à la terre patagonienne , mais une pluie abondante et un vent violent m'ont contraint à garder le bord. À mon diner, j'ai goûté de la chair de guanaco que J'ai trouvée fort bonne, préparée soit en guise de 1838. Janvier. 1858. Jarnvicr. 64 VOYAGE becfteek , soit rôtie à la poële; préférable même à celle du cerf, car elle est moins sêche. Il est fâcheux ue MM. les Patagons qui nous avaient promis pour aujourd’hui une douzaine de ces animaux, ne nous aient pas tenu parole; probablement ces pauvres diables en peuvent à peine attraper suffisamment pour leur propre consommation. À cinq heures et demie du soir, sont rentrés, sans aucun résultat, MM. Roquemaurel , Duroch et Du- moutier , car M. Gourdin les avait quittés à mi-che- min ; ils avaient cheminé l’espace de 12 ou 13 milles au moins en ligne droite au S. O. du compas, et au point où ils rebroussèrent chemin, leur vue pouvait encore s'étendre 6 ou 8 milles plus loin , sans rien qui put faire présumer la présence d’une grande baie. IT faut doncen conclure que la position d'Oitway- water, par rapport à Peckett, est très-défectueuse, au moins en longitude, sur la carte du capitaine King. Ces messieurs ont vu quelques guanacos et au- truches ; ils ont encore ramassé dix-sept œufs de cet oiseau et ont tué quelques étourneaux à ventre rouge; ils ont observé un grand marais intérieur, sans communication avec la mer, et en revenant, ils ont passé peu loin du fond du bâvre Shoal-Harbour. Du reste , partout, le sol à été trouvé ferme et facile pour la marche *. | De bonne heure, armé de ma longue vue, je veu- lais l’arrivée du grand canot de la Zélée; à sept * Notes 82 ct 83. AU POLE SUD. 165 heures, au moment où la brise venait de s'éta- blir au N. O., le canot s’est montré à toute vue dans la direction du cap Saint-Vincent. Aussitôt les préparatifs d'appareillage ont été faits, et comme le canot accostait, vers neuf heures, nous faisions route. Malgré le flot, nous avons enfilé assez lestement le second goulet. À midi, la marée s’est prononcée pour nous, mais en revanche, le vent a beaucoup molli. Ce n'est pas la première fois que j'observe, lors- qu’une brise fraîche souffle avec la marée contraire, que le vent tombe quand la marée reverse. À quatre heures après midi, nous donnions dans le premier goulet avec un jusant très-rapide qui nous le fit franchir en moins d’une heure. À six heures, comme nous nous trouvions à peu près à mi-distance entre le cap Orange et le cap Pos- session , nous avons embarqué le grand canot et ma baleinière, qui a été placée à poste fixe sur les deux vergues de rechange, entre le grand mât et le mât d’artimon. Ensuite, je gouvernai directement vers le cap Ca- therine,;,en traversant la vaste baie Lomos. Nous avions une jolie brise d'O. N. O. avec un beau temps qui nous permettait de distinguer facilement toutes les terres; mais le flot détruisait une bonne partie de notre sillage, de six nœuds; aussi, à huit heures du soir, nous étions encore loin dans l'O. N. O: du cap Catherine qu’on n’apercevait encore qu’à peine. Toutefois, avec la route que nous faisions, 1838. Janvier. 1838. Janvier. 166 VOYAGE je jugeai qu'à minuit nous devions avoir complétement vidé le détroit. C’est ainsi qu'au bout de SR jours nous pre— nons congé du fameux détroit de Magellan, après avoir parcouru les deux tiers de son étendue , après avoir relevé tous les accidents de ce développement de côtes; après avoir dressé une dizaine de plans de baies ou de ports; après avoir enfin recueilli une foule de documents et de matériaux en tout genre, d'un grand intérêt pour les sciences. C’est un temps bien fructueusement employé, et qui donne une idée de ce que nous aurions pu faire s'il nous eüt été permis de consacrer trois mois entiers à ces travaux , comme le portait mon projet primitif; mais je ne devais pas oublier que l'exploration polaire était le but principal de la première partie de notre cam- pagne. L’exploration du détroit de Magellan ne pou- vait plus être qu'un hors-d’œuvre imprévu ;, et je pense en avoir fait un épisode important pour notre voyage. Il faut avouer aussi, qu’en masse, nous avons été bien favorisés par le temps; car si nous avions eu souvent à subir des vents violents de l’ouest, comme ceux que nous venons d'éprouvemà Pec- kett, il nous eût été impossible d'exécuter ‘autant d'opérations diverses. | Malgré les fatigues, inévitable suite d’une naviga- tion aussi active, nous n'avons pas un seul malade sur les deux corvettes, et tout le monde est gai, content et plein d'espoir pour lavenir. Sans doute c’est un bien heureux résultat qui dépasse toutes mes AU POLE SUD. 167 espérances. Pourtant cela ne doit pas m'empêcher de regretter vivement le mois qu'on m'a fait perdre à Toulon, en effet, c'eût été autant de plus pour les travaux à exécuter dans le détroit, surtout j'aurais pu donner quelques jours de repos de temps en temps aux équipages *. * Notes 84 et 85. 1838. Janvier. Cut " no L à LOTS À. tout" Éoibrequiél s'oe ad'op, fort fs \ - CAR ' de sà fa Fe { \ ‘ > pi Lil à F 4 - ü « 4 È : à En Uk - | gra é enpiabitan le SH est sf QAUE ersfe ab pris RUES vis cpl HPLC LE LE pére tt a: CHE "fibre Lars PES RON EX ON RON Ne F4 My ar: tbe EME F1 x : À L à ox ; UE - ee: at CE à sw = Ta S ’ , Sy à ‘ + 00 LE £ rs PALETTE LÉ CRE. HART ED - C0 CE OUR "M = (4 # Fr {a k a ] Ÿ LÉ tRS ! . me ’ 4, : rs _ 4 $ "“ à / CAE PRE 12 Ë LA ? 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FL 02 EN e . s à "1 x ‘ Ve . £« 22 ñ > En x £ n Ro = u ait Ts fa ex: To NUE Ter à tal 2 £ L a ER | ” ? ÿ - LA © Le : - jure : 2 L a." “ NOTES. Note 1, page LxIx. J'étais loin de penser me trouver de nouveau et pour la troi- sième fois dans les hasards d’une campagne de découvertes ; je croyais terminer ma carrière maritime par quelques voyages Or- dinaires qui m'eussent peut-être confiné dans la Méditerranée, lorsque le commandant d'Urville crut entrevoir que loccasion était favorable pour solliciter un commandement et présenter le plan d’une nouvelle expédition. Son but principal était d'aller re- cueillir dans les îles de la mer du Sud quelques documents pour terminer un important ouvrage qui, depuis longues années, était l’objet de ses travaux et de ses recherches. L'arrivée de M. le vice- amiral Rosamel au ministère de la marine lui fit espérer d'être accueilli , et en cela ses prévisions ne le trompèrent pas. Loin d’imiter un de ses prédécesseurs , qui n'avait cessé de dé- précier les voyages et qui avait constamment éloigné de toutes faveurs ceux qui y avaient coopéré, le nouveau ministre s'em- “pressa de soumettre le projet au roï qui donna aussitôt son adhé- sion ; ilen agrandit même l'itinéraire, en désirant que la nou- velle expédition débutât par s’avancer aussi près que possible du pôle sud et fit ses efforts pour suivre la route de l'Anglais Weddell, qui assurait avoir atteint presque sans difficulté le 74° parallèle. Pour assurer davantage le succès de cette première partie de la 172 NOTES. campagne il fut décidé, et l’on prévint immédiatement M. le com- mandant d'Urville qu’on lui donnerait deux bâtiments ; lun de- vait être l’Astrolabe, qu'il avait déjà désigné, l’autre était laissé à : _son choix, tant pour la nature du navire que pour le capitaine appelé à le commander. M. d'Urville indiqua la Zéée qui était en tout semblable à l’Astrolabe , et me fit en même temps la pro- position de l'accompagner derechef dans ses nobles travaux, offre honorable que je m’empressai d'accepter et qui fut ratifiée par le ministre. Dès-lors nous nous mîmes à l’œuvre, et nous nous occupâmes entièrement des réparations et de l'armement des deux corvettes. | (M. Jacquinot.) | Note 2, page LXXX. Des ordres avaient été donnés pour diriger , des côtes de la Manche sur Toulon, des marins choisis et de bonne volonté ; mais , comme cela arrive presque toujours dans des choix pareils, ces marins soi-disant d'élite, quand ils arrivèrent, furent recon- nus comme très-médiocres , et les capitaines, usant du droit que leur avait laissé le ministre, furent obligés de les refuser. A la fin de juillet seulement, le dernier convoi de’ ces matelots par la corvette de charge la Dordogne arriva à Toulon ; on trouva parmi eux si peu de bons matelots volontaires que, pour former nos équipages , nous dûmes avoir recours à un appel aux marins des vaisseaux alors en rade de Toulon. Les autorités maritimes et les commandants des vaisseaux se prêtèrent à cette mesure avec com- plaisance, et nous pûmes désormais choisir sur un nombre pres- que triple de celui qui nous était nécessaire. La prime accordée par l'ordonnance du 30 mai et le goût qu'ont en général les bons matelots pour la grande navigation et les expé- ditions les plus aventureuses ; tant ils ont l'habitude de laisser à leurs chefs le fardeau de la responsabilité, avaient multiplié le NOTES. 173 nombre des volontaires. Il en fut de même du corps des officiers qui ne furent pas plus que les marins arrêtés ni effrayés par les prédictions sinistres et les attaques imprudentes lancées contre notre expédition : ils déploraient seulement l'effet qu’elles pou- vaient produire sur leurs familles. (M. Dubouxet.) Note 3, page 2. Le commencement de notre navigation nous fit augurer on ne peut plus favorablement du succès. Officiers et marins étaient pleins du plus noble enthousiasme pour la campagne, déjà on bâtissait des châteaux en Espagne pour le retour et on discutait . des plans de voyage , comme si on touchait déjà à cette époque ; la confiance était dans tous les cœurs et tout le monde était animé d'une gaieté qui promettait de ne pas se démentir. (M. Dubouzet.) Note 4, page 2. Le soir, le soleil couchant était d’un rouge vif, l'horizon avait dans le N. O. une teinte rouge orangée, passant bientôt à une nuance rutilante analogue aux vapeurs nitreuses; ses derniers rayons ont pris une teinte pâle qui s’effaçca dans l’azur du ciel. Nous avons pris ce crépuscule pour un indice de vent , mais no- tre équipage , peu soucieux des tempêtes, a déjà entonné le re- frain du gaillard d’avant : Nous irons jusqu’au bout du monde, L’Astrolabe ne périra pas. La brise a fraichi pendant la nuit, la mer est devenue plus grosse , la corvette a tangué plus rudement ; sa marche ne m'a pas paru trop inférieure, Elle à atteint dix nœudë , avec des vents de 174 NOTES. travers , sous les huniers, un ris pris; des basses voiles et le petit foc ; par cette forte brise, les deux corvettes avaient une marche peu différente. | | . (M. Roquemaurel.) Note 5, page 4. Plusieurs fois nous avons essayé le scopéloscope de M. Arago, et malgré toutes les précautions possibles, nous n’avons pu par- venir à aucun bon résultat. Une assiette de porcelaine attachée à l'extrémité d’une ligne plongée dans la mer, sous une profondeur de 19 brasses et demie, cessait d’être visible à l'œil nu ; avec le scopéloscope, on ne pouvait l’apercevoir à cette distance, et il est très-fâcheux que les résultats de l'expérience ne soient pas venus confirmer la théorie de cet ingénieux instrument qui repose en- tièrement sur les propriétés de la tourmaline. Nous n’ayons pas été beaucoup plus heureux avec l'instrument de M. Biot, au moyen duquel on peut tirer de l’eau de la mer à diverses profon- deurs. Mais je crois que s’il n’a pas réussi comme on devait s'y attendre, cela peut dépendre du mauvais état des soupapes. (M. Gervarze.) Note 6, page 7. Dans la soirée, on s'occupe à observer la haute des lames ou plutôt de la houle, car la mer que nous ressentons est une longue houle venant du nord. Nous nous accordons.tous à esti- mer que les plus hautes pouvaient avoir 5 ou 6 mètres dehauteur, { La houle était aussi très- -longue, et il était diflicile d’en estimer la longueur. | (M. Gourdin.) NOTES. 175 Note 7, page 7. On a distribué à l'état-major et à l'équipage des capotes imper- méables à capuchon, faites en toile peinte. Il serait à désirer que les équipages des bâtiments de l'Etat fussent pourvus de pareilles capotes, pour les garantir de la pluie et du froid pendant les quarts d'hiver, et des coups de mer dans les embarcations. Cette tenue n’est pas élégante, sans doute, mais les matelots s’en trou- veraient bien. (M. Roquemaurel.) Note 8, page 5. On a distribué, en ration à l'équipage, du bœuf préparé à la facon de M. Taboureau, pharmacien de Rochefort. Cette viande préparée au demi-sel et renfermée dans un cylindre de tôle her- métiquement fermé, dans lequel avait été refoulé du gaz acide carbonique, a été trouvée très-belle. On l'a mise à dessaler dans l’eau de mer pendant quinze heures, et l’eau a été changée trois fois, suivant les instructions de l’inventeur. Dès l'ouverture du cylindre en tôle, le gaz s’est échappé avec sifflement, une odeur assez forte et même désagréable se dégagea de la viande. Mais il fut reconnu qu’elle n’avait pas éprouvé d’altération bien sensible. L’équipage a mangé à dîner du bœuf ainsi préparé. La soupe qui en résulta fut trouvée très-bonne, et le bouilli supérieur au bœuf salé ordinaire. J'ai fait garder pendant quatre jours un kilo- gramme de cette viande imprégnée de sa saumure, dans une assiette logée dans la cale. Malgré l'humidité et le mauvais air qui règnent dans un pareil lieu , la viande s’y conserva assez bien. Elle avaït pris une teinte plus foncée et semblait s'être un peu affaissée. L’odeur, quoique un peu nauséabonde, n'était point 176 NOTES. abs6lument putride. Les chairs, à l'intérieur, avaient encore la rougeur du jambon, quoique infiniment plus mollasses. Cet échantillon de viande fournit une bonne soupe ; le bouilli était foncé en couleur, racorni et peu savoureux. (M. Roquemaurcel.) Note 9, page 8. Le soir, nous mangeâmes un excellent bouilli de la même viande (de Noël), et la soupe fut trouvée aussi délicate que de la soupe faite avec de la viande fraîche. | . (W. Gourdin.) Note 10, page 10. Il scrait intéressant de répéter cette expérience en employant des cubes de mêmes dimensions parfaitement sains et secs. Il n’est pas douteux que la forme extérieure des échantillons doit influer sur le degré d'absorption qui dépend de la manière dont les fibres ont été découpées. Peut-être pourrait-on employer une expérience de ce genre pour arriver à la connaissance du degré de salure des couches intérieures, d'où on pourrait conclure quelque chose sur les courants sous-marins. On prendrait un cube de bois bien homogène (le frêne serait assez convenable), parfaitement desséché, après avoir été quelque temps plongé dans l’eau distillée, pour y rendre gorge des sels qu’il pourrait encore conserver à l’état libre. Ce cube ayant été pesé avec soin, serait ensuite immergé dans la mer à la profondeur voulue. On le lais- serait exposé à la compression de la couche sous-marine, tout le temps qui serait jugé nécessaire pour sa complète imbibition. Ce cube serait remonté à sa surface et pesé immédiatement. On conclurait ainsi le poids du liquide absorbé. Ce même cube ef à sé ep en NOTES. 177 longtemps exposé au soleil s'y dessécherait ; et lorsqu'il se serait complétement dépouillé de son eau, une nouvelle pesée ferait connaître le poids du sel qui, étant comparé au poids de l’eau absorbée, donnerait le degré de salure. Il est bon d'employer une sorte de bois qui n'ait pas une trop grande avidité pour l’eau, pour éviter les modifications que ce bois pourrait éprouver dans son trajet au travers des couches intermédiaires. (M. Roquemaurel.) Note 11, page 17. Nous nous dirigeâmes chez M. Brétillard, vice-consul de France, qui avait eu l'obligeance de se charger de nous procurer les montures et les guides pour notre expédition. Nous y arri- vâmes à neuf heures. On s’empressa aussitôt de charger les bagages, et nous employâmes ce temps à débattre les prix avec les guides et à tâcher de réduire le plus possible le nombre de ceux qui devaient nous accompagner. Malgré tons nos efforts, nous fûmes obligés de subir le joug de la Costombre et d'avoir un guide par cheval, les nôtres ne devant cependant nous conduire que jusqu’à l'Orotava qui n’est qu’à sept lieues de Sainte-Croix. Quant aux prix , nous fûmes obligés de subir aussi ceux qu’elle impose, car là, comme partout, les guides s'entendent comme des larrons en foire, et sont habitués à exploiter les voyageurs et à les traiter de Turc à Maure. Après avoir rempli à la Locanda voisine nos gourdes de voya- geurs de vin du pays, plus propre à nous faire supporter la cha- leur de la route que les vins de France, nous montâmes à cheval et nous mîmes en route sans perdre un instant. Il était alors neuf heures et quart. Notre caravane, moitié scientifique, moitié compo- sée d'amateurs du pittoresque, et par-dessus tout joyeuse, se com- posait de M. Dumoulin, ingénieur de l'expédition , de M. Coup- vent-Desboïs, enseigne de vaisseau et de moi, tous deux porteurs E 12 178 NOTES. d'un baromètre en bandoulière et chargés des observations de physique, de M. le Guillou, chirurgien de la Zélée, de M. Lafarge, enseigne de vaisseau, tous armés du marteau de géologue et disposés à ne point s’épargner la peine pour ramasser des échan- tillons de toute espèce du pic. Nous étions tous montés sur d’as- sez bons chevaux et accompagnés chacun d’un guide pour mo- dérer plutôt leur ardeur que pour les stimuler, et d’un sixième guide chargé d’escorter les deux ânes qui portaient les bagages et les instruments. Nous primes en sortant de la ville la route de Laguna qui suit les hauteurs voisines. Pendant l’espace d'environ une lieue, cette route est assez bien entretenue, et ne présente que les difficultés naturelles de l pente rapide du ter- rain; mais au-delà, elle cesse pour ainsi dire d’être tracée, et on gravit les montagnes au milieu des coulées de basalte dont les aspérités seules empêchent les chevaux de glisser. Sur les côtés du chemin et par-dessus les blocs de basalte qui le bordent dans quelques endroits, on aperçoit quelques champs de maïs fraîche- ment récoltés dans les lieux seuls où les cultivateurs avaient pu diriger les eaux, et çà et là quelques plants de figuiers et de cactus qui rappelaient assez , surtout avec le ciel brûlant qui nous ser- , vait de voûte, l'aspect de l'Afrique. Des misérables huttes voi- sines disséminées sur le bord de la route, on voyait sortir des enfants à demi-nus, sur la figure desquels des mouches se dis- putaient le peu de place qui n'avait pas été envahi par la crasse, et qui venaient nous demander sur le ton habituel des mendiants de tous les pays un quartillo. En approchant de Laguna, le pays s'embellit, et une fois rendus sur le plateau où est bâtie cette ville, nous nous trouvâmes au milieu de champs de bléet de maïs, et de jardins plantés d'arbres chargés de fruits, entourés de murs cou- verts de treilles et de grandes joubarbes. A l'entrée de cette ville se trouve une grande place bordée de beaux édifices. Ses rues sont larges, régulières, garnies de trottoirs comme celles de Ste-Croix, mais presque désertes. Les maisons n’y ont généralement qu'un NOTES. 179 étage et le rez-de-chaussée est occupé par des boutiques qui n'ont rien de remarquable, si ce n’est les nombreuses enseignes des bar- biers sur lesquelles on voit peints la lancette et le bras du patient d’où le sang: coule dans un vase placé au-dessous. Ces enseignes sont toujours restées en Espagne les attributs du métier, en dépit des progrès qui ont séparé pour jamais en Europe la profession des Sangrados de celle des Figaros, et ont ravi à celle-ci son plus bel apanage. Si on ne voyait à cette heure presque personne dans les rues, nous surprîimes néanmoins aux ventanas plusieurs jolis minois qui, poussés par la curiosité si naturelle aux filles d'Eve, jetaient à la dérobée des regards sur nos costumes bi- zarres et nos figures étrangères. Nous ne restâmes pas naturelle- ment en arrière, et saluèmes ces visages gracieux qui répondirent à nos saluts avec ce ton de familiarité innocente et polie qui ca- ractérise les mœurs espagnoles. Les champs voisins, une partie de la ville et les jardins de La- guna ont formé jadis un lac où se déversaient les eaux qui coulent des montagnes voisines et qui encaissent ce plateau au N. E. et au S. O. C’est de là que lui vient son nom de Laguna. Avant 1822, cette ville était le siége du gouvernement. Elevée de 400 toises au-dessus du niveau de la mer, la température y est aussi beaucoup plus agréable qu’à Sainte-Croix. Ses magnifiques jardins couverts de palmiers, de dattiers, lui donnent en outre un air de fraîcheur qui plaît, et en fait une résidence agréable. En sortant de cette ville, nous entrâmes dans une plaine dont le sol mêlé d'argile et d’un tuf volcanique extrêmement meuble, paraît très-fertile. Les champs étaient encore couverts alors des chaumes du blé et du maïs, témoignages des dernières récoltes, et des charrues attelées de bœufs d’une petite race étaient en ce moment occupées au labourage. Ce spectacle champêtre avait pour nous un vif attrait; hors de la vue de la mer, nous pouvions nous croire transportés au milieu des champs de notre pays, et nous avions rompu pour quelques instants avec la vie mono- 180 NOTES. tone du bord. La route suivait sa direction vers le sud-ouest, et à mesure que nous avancions, le paysage devenait de plus en plus varié, le chemin tout en plaine et fort beau nous permettait d’ac- célérer le pas. Le terrain devint au bout d’une heure plus inégal, la plaine se resserra et nous eûmes à traverser quelques lits de torrents. Enfin à midi, nous arrivâmes à Agua-Garcia, un des sites les plus pittoresques de toute la route. Là, le chemin est traversé par un aquéduc en boïs suspendu à une vingtaine de pieds de hauteur. L'eau la plus limpide y coule toujours abondamment, et après avoir arrosé tous les jardins situés dans la direction de son cours, va alimenter la ville dé Tacoronte qu’on apercoït dans le lointain. À gauche, sur un pétit tértre, se trouve un abreuvoir dontles auges sont en lave; là, tous. les voyageurs ont l'habitude de s’arrêter pour faire boire les che- vaux et les laisser reposer, et la beauté du site les inviteeux-mêmes à en faire autant. Nous y restämes environ une demi-heure, je l’'employai à remonter le cours des eaux. J'avais à peine fait quel- ques pas pour gravir le sommet de cette colline, quand j’apercus un charmant vallon rempli d'habitations, à travers lequel serpentait l’aquéduc, si simple dans sa construction, qu’il rappelle l'ouvrage des peuples les moins avancés dans la civilisation. Je le suivis des yeux jusqu’à une belle et magnifique forêt qui garnit les flancs de la montagne d’où descendent ses eaux; j'aurais voulu pouvoir errer tout à mon aise pendant quelques heures aw milieu de ces ombrages délicieux, mais il fallut se contenter de les contempler de loin, ainsi que tout le panorama qui se déployait à mes regards. Les habitations disséminées dans la plaine, entourées de jardins et de bouquets d'arbres, me permirent de suivre la direc- tion des eaux jusqu’à Tacoronte, petite ville située sur le bord de la mer , dans une position des plus agréables, car tout est fertile autour d’elle. La plaine est sillonnée par des ravins profonds, creusés par des torrents dont les bords sont garnis de cactus et près desquels on voit surgir les belles hampes de l’agave améri- NOTES. 181 came. Reposés par notre halte dans le site d'Agua Garcia, le seul endroit où l’on trouve de l’eau sur la route, nos chevaux nous conduisirent avec une nouvelle ardeur jusqu’à la Matanza (le massacre), lieu célèbre et ainsi nommé des Espagnols, parce qu'ils y furent taillés en pièces par les Guanches, qui étaient alors commandés par un de leurs plus valeureux chefs, le der- nier prince de Tacoronte. Nous rencontrâmes presqu’à cha- que instant sur la route des paysans au teint bronzé, ayant la démarche grave et sérieuse des Espagnols, vigoureux et bien découplés , comme tous les montagnards. Tous demandaient à nos gardes si nous étions des Anglais, car ce sont les voya - geurs de cette nation qu'on voit le plus souvent dans toutes les parties du monde. Tous nous saluaient d’un air respectueux qui nous étonnait; à Ténériffe la distinction des rangs est toujours fort tranchée, et lorgueil démocratique n’a pas encore assez pé- nétré pour que le paysan croie pouvoir s’y soustraire, en refusant le salut à l'homme d’une classe plus élevée, au joug de l'inégalité qui lui pèse et qui n’en existe pas moins pour cela dans les pays les plus démocratiques. Dans ceux-ci, je regarde comme une exagération funeste cette idée qui tend à abolir une coutume toute patronale qui n’a rien d'humiliant et qui a son côté utile, en ce que cette marque d’égard et de bienveillance réciproque de deux hommes qui se rencontrent sur une route et se saluent, tend à resserrer les liens de la société et ne peut avoir que la plus heureuse influence sur les relations des hommes qui la com- posent. Je ne jageai donc point les habitants de Ténériffe comme moins civilisés, parce qu'ils nous témoignaient ces marques de déférence ; malheureusement bientôt après j'eus lieu de voir, à leurs habitudes mendiantes, que ce peuple a bien peu le sentiment de sa dignité. Des groupes de belles villageoises qui passaient auprès de nous, à l'œil vif et au teint basané, auxquelles les belles proportions de leur taille, de leur sein, et leur désinvolture dé- gagée donnaient un air de santé et de beauté toute particulière, 182 NOTES. vêtues d’un simple jupon moitié collant qui dessinait parfaitement leurs formes, d’une chemise et d'une mantille, la tête couverte d’un chapeau de feuilles de palmier comme celmi des hommes, marchant pieds nus et portant presque toutes d'énormes paniers de fruits, et causant entre elles d’un air joyeux et gaillard , ne nous en demandaient pas moins un quartillo. Nous rencontrâmes bientôt après un compatriote qui fut dans le ravissement de retrouver des Français avec lesquels il pût parler sa langue natale, et qui, dans l’effusion de sa joie, fut sur le point d'abandonner les affaires qui le conduisaient à Sainte- Croix, pour nous accompagner jusqu'à l’Orotava et nous y rece- voir chez lui. Nous apprîmes de lui qu'il était directeur du jardin botanique de cette ville, et il nous témoigna tout le plaisir qu’il aurait à nous en faire les honneurs et à nous procurer toutes les plantes et les graines du pays que nous désirerions. L'air ouvert de ce brave homme prévenait tellement en sa faveur, que nous regrettions vivement de ne pouvoir pas prolonger notre séjour à l'Orotava jusqu’à son retour. Pour célébrer cette rencontre, nous lui offrimes au milieu du chemin des rafraîchissements dont nous étions abondamment pourvus et nous trinquâmes avec lui au souvenir de la patrie. Nous savions assez ce que c'était que d’en ètre longtemps séparés, pour comprendre les sensations qu’il éprouvait et qui lui faisaient tant d'honneur. En le quittant, nous traversâämes un ravin profond formé par une large fracture qui paraît s'être produite dans les couches de basalte qui se trouvent sur les côtes, et dominent la route à une hauteur d'environ quarante pieds. On voit à nu les masses prismatiques de leurs s/ratas inclinées ; celles-ci recouvrent des bancs de tuf volcanique d’un rouge éclatant. Nous ramassämes quelques échantillons de ces roches qu’il fut très-difficile de dé- tacher. Bientôt après, tournant vers la gauche, nous vimes se déployer devant nos regards toute la partie occidentale de l’île, la plus renommée pour ses vignobles. Aussi la culture en est-elle NOTES. ÿ 183 très-soignée, et avant d'atteindre Matanza, les deux côtés de la route étaient bordés de champs de vignes. Nous atteignimes cet endroit à une heure après midi; les hauteurs qui le dominent et le ravin profond qu'on traverse avant d'y arriver, ont été sans doute le théâtre des exploits des Guanches, quand'ils vainquirent pour la dernière fois leurs intrépides conquérants. Là nous fimes une halte de quelques ‘instants pour faire reposer nos chevaux que la chaleur avait fait beaucoup souffrir ; nos guides. voulaient nous y faire arrêter pour dîner, mais ce point étant encore trop près de Sainte-Croix, nous insistèmes pour passer outre, et les fimes taire en leur achetant du pain et des œufs, et quelques fruits pour nous désaltérer. L'auberge de Matanza res- semblait parfaitement à ces hôtelleries si bien décrites dans les romans de Le Sage ; ses murs étaient tapissés de mauvaises gra- vures représentant la vie de Geneviève de Brabant et ses mal- heurs. Le village se compose d'une quarantaine de maisons autour d’une modeste église, sans compter les espèces de cavernes habitées par de pauvres familles. Les jardins d’alentour sont remplis de dattiers couverts de fruits qui sont petits et ligneux et sont loin de ressembler aux dattes de la Barbarie. La prin- cipale utilité de cet arbre, je crois, est l'emploi qu’on fait de ses feuilles pour faire des chapeaux et des nattes. De Matanza à Vittoria, le chemin est roide et difficile. Le pays est entièrement planté de vignes ; à droite, à une distance qui va- rie d’une à deux lieues , on a la mer , et à gauche, dans le loin- tain , d’assez hautes montagnes. Le village de Vittoria se compose d’une centaine de maisons ; là les conquérants se vengèrent de la défaite de Matanza , et le nom de leur victoire est resté au théâtre de leurs exploits. La route est remplie de petits monuments qui renferment des niches de saints et de madones, objets de la véné- ration du peuple dont la religion ne consiste guères qu’en cela. La campagne à nos pieds était remplie de paysans des deux sexes occupés à la vendange ; mais à la hauteur où nous étions, la plus 184 NOTES. grande partie des raisins étaient encore loin d’être mûrs. Nous dé- couvrimes bientôt après le port de l’Orotava, petite ville où il y a un fort mauvais mouillage que fréquentent cependant les cabo- teurs, pour y venir chercher les vins qui sont les plus renommés de toute l’île. La plaine allait toujours en s’agrandissant, et comme le chemin tournait à gauche, nous ne tardâmes pas à voirla ville de l’'Orotava, située à mi-côte dans une des positions les plus heu- reuses qu'on puisse rencontrer. Les environs sont boisés , cou- verts de jolies maisons de campagne, et le pays a un air de prospé- rité que semblaient cependant démentir les importunités des enfants et des femmes. qui nous demandaient l’aumône sur la route. À quatre heures nous arrivâmes à l’Orotava , grande et jolie ville, dont les rues sont larges, bien pavées, mais fatigantes à cause de la rapidité de leur pente. Les maisons , bâties avec une pierre de lave noire, sont toutes d'architecture mauresque, et ont un caractère d'originalité qui plaît à l'œil ; mais ce que cette ville a de plus remarquable et de plus curieux, ce sont ces eaux limpides qui coulent avec une abondance rare, à plein canal, dans les principales rues, et répandent un air de fraîcheur dé- licieux. Nous descendimes près de l’église dans une auberge où nos guides nous conduisirent, en nous disant, pour la vanter, qu’elle avait logé dernièrement un prince Français. Comme c’est, je crois, la seule de la ville, ce n’était guères une recommanda- tion. Nous avions encore deux heures de jour devant nous ; nous les employâmes à visiter la ville et ses environs. Nous entrâmes d’abord dans l’église, qui était tout contre l'hôtel ; l'architecture en est mesquine et de mauvais goût ; un vieux padre,qui en était le gardien , nous en fit cependant admirer les beautés que nous cherchions en vain , en nous disant que c'était une imitation de Saint-Pierre de Rome. La coupole appartient en effet au même ordre d'architecture ; mais combien d’imitations des œuvres du génie n'ont rien de leurs modèles! Nous nous gardâmes bien de NOTES. 185 désenchanter ce brave padre, qui tout content de voir que nous partagions son enthousiasme , nous conduisit jusques dans le ves- taire pour offrir successivement à notre admiration toutes les cha- subles ; il nous proposa même de monter jusqu’au clocher , nous avions nos jambes à ménager pour le pic, et cela offrait trop peu d'intérêt pour nous faire accepter son offre que nous refusâmes poliment. Nous ne nous doutions pas alors qu’en acceptant celle que des enfants qui nous suivaient, nous firent de nous conduire au jardin botanique , nous allions faire ce que nous voulions évi- ter. On nous l'avait dit à un quart d'heure de marche de la ville ; nous en mimes cependant trois à nous y rendre, suivis d’un nom- breux cortége de mendiants , dont nous ne nous débarrassämes qu'en distribuant des sous. Comme le chemin qui conduisait au jardin allait en descendant , nous le parcourûmes sans nous aper- cevoir de sa longueur. Il était bordé de haies d’épines en fleurs , entrelacées de charmants buissons qui servaient d'enceintes à de jolies maisons de campagne. A la porte de chacune de celles-ci nous croyions être au terme de notre route; mais les enfans qui nous guidaient, nous répondaient avec un imperturbable sang- froid , luzgo señor. Enfin, cependant nous arrivâmes devant le jardin , que rien ne distingue extérieurement, si ce n’est un grand mur d'enceinte qui n’est pas toujours continu. La porte donne sur une grande allée du côté de l’ouest, plantée de dracæna draco , arbre particulier aux Canaries , qui produit une espèce de résine à laquelle dans le pays on accorde des propriétés den- tifrices. Nous fûmes parfaitement accueillis à notre arrivée par la senora don Miguel Daguaire, ou plutôt madame Daguaire, comme elle nous ledit, épouse du jardinier que nous avions rencontré sur notre route avant Matanza. Après nous avoir raconté avec une volubilité surprenante son histoire , celle de ses malheurs et du naufrage qui l’avait condamnée à cet exil ,ellenoussauta pres- que au cou, tant elle paraissait heureuse, comme son mari, de retrouver des Francais. La pauvre femme nous exprima sa joie 186 NOTES. dans un langage moitié espagnol, moitié francais (car en voulant apprendre la première langue, elle avait oublié autre) qui avait quelque chose de plaisant, et nous fit de son mieux les honneurs du jardin , en nous exprimant tous ses regrets de l'absence de don Miguel. Cet établissement qui est aujourd'hui dans un état pres- que d'abandon, fut créé par un riche Espagnol des Canaries , à la fin du siècle dernier ; il voulait doter son pays de toutes les productions des pays tropicaux. Le gouvernement, auquel il ap- partient aujourd’hui, y entretient un jardinier, sans faire seule- ment le quart des frais qui seraient nécessaires pour le maintenir sur un pied d'utilité pour le pays et d'agrément pour les habi- tants. Je remarquaï, en me promenant , toutes les plantes du midi de la France, et beaucoup d'arbres de’la Chine et des Canaries, tels que le superbe magnolia, l'arbre à suif de la Chine, le vernis du Japon, le dracæna-draco et une grande quantité d’ananas. Je me procurai un peu de la fameuse racine de dracæna , et la nuit nous ayant surpris tandis que nous étions à contempler toutes ces. richesses végétales, nous primes congé de la vieille señora , qui nous vit partir presque les larmes aux yeux, et nous exprima en- core une fois combien elle serait heureuse de revoir sa chère Lor- raine, ce qui excita parmi nous les sentiments d'intérêt et de pitié qu’elle méritait. IL faut voir hors de leur pays les gens qui ont perdu l'espoir de jamais y rentrer, pour pouvoir comprendre combien est fort le sentiment qui nous y attache. En remontant jusqu’à l’Orotava , nous éprouvâmes une vive chaleur , et la mon- tée qui nous avait paru si douce en descendant, fut très-pénible, et nous arrivèmes à l'hôtel, harassés de fatigue. Nos compagnons qui, pour ménager leurs baromètres, n'étaient arrivés qu'après nous à l’Orotava, nous attendaient avec impatience, et nous nous mimes à table aussitôt. Notre appétit avait été tellement excité par la marche, que nous nous aperçûmes à peine combien tout ce qu'on nous servait était mal préparé. Comme nous quittions là nos montures pour prendre des mules, nous arrêtämes celles-ei NOTES. 187 et un guide pour le lendemain. L'hôtel n'ayant pas de chambres suffisamment pour nous loger ; on établit des lits de sangle dans la salle du billard , où nous reposâmes tant bien que mal jusqu'au lendemain matin. Le froid qui fut naturellement sensible à des gens comme nous, qui venions de passer par les chaleurs de Santa-Cruz et de la route, nous éveilla heureusement avant cinq heures, que nous avions indiquées à nos guides pour l'heure du départ, car ceux-ci s'étaient endormis sur la consigne, et nous aurions éprouvé sans cela un grand retard. Nous nous levâämes tous dans les meilleures dispositions. Nos bagages étaient si considérables qu’on mit beaucoup de temps à les charger ; 1l avait fallu cette fois ajouter une mule de renfort pour porter l’eau qui nous était nécessaire, à l'endroit où nous devions bivouaquer ; nous avions en outre un guide spécial pour voyager dans les solitudes voisines du pic qui ne sont connues que d'un petit nombre de gens. Le temps était beau, l'air calme, et les nuages qui couvraïent la veille au soir le sommet du pic, étaient dissipés et nous promettaient une journée sans pluie, temps presque indispensable pour un pareil voyage. Car on souffrirait beaucoup au bivouac de l’Estancia, et avec des pluies comme celles qui tombent dans la montagne, il serait impossible de gravir le pic et même dangereux de le tenter. À cinq heures et demie, notre caravane était en campagne, munie de vivres et d’eau pour deux jours, auxquels chacun de nous avait ajouté quelque chose qu’il portait avec lui et un léger à-compte pris à l'hôtel. Nous sortimes de la ville par un chemin rapide, pavé de laves glissantes que, grâces à nos excellentes montures, nous fran- chîmes rapidement. Le jour commençait à paraître, mais à cette heure, où presque tout le monde dormait encore, le silence de la ville, la teinte sombre de ses maisons, le style de leur architec- ture, le léger brouillard qu’on apercevait dans la montagne et celui qui reposait sur la mer dans le lointain, donnaient à tout ce qui nous entourait un air de sévérité qui invitait au recueil- :# ÉBT., 188 NOTES. lement, et contre lequel notre gaieté naturellement bruyante, réagissait avec peine. Nous passämes près de l’ancien collége, grande et belle maison qui ressemble à un palais, aujourd'hui déserte, grâce aux persécutions qu’éprouvèrent ceux qui étaient jadis à la tête de cet établissement. Je cherchai en vain du regard, dans le jardin qui l'entoure, le beau pied de dracæna draco si souvent cité par les voyageurs, arbre que la tradition a dit bien antérieur à la descente de Jean de Bethencourt et de ses com- pagnons dans l’île, en 1406, époque à laquelle il était aussi haut et aussi creux qu'aujourd'hui. Cependant il a 48 pieds à sa base, q J P 9 et avait 70 pieds de hauteur avant le coup de vent de 1819. Le savant M. Berthelot qui a trouvé des dracænas dans les lieux les plus inaccessibles de l’île, a prouvé que cette plante est l'arbre propre des Canaries. Ses recherches ont démontré que les Guanches faisaient des bouchons de son bois, et d’autres savants ont fondé là-dessus l'hypothèse qu’il devait être le dragon du jardin des Hespérides de la fable, hypothèse qui s’accorderait avec celle qui suppose que les Canaries sont les débris de l’Atlan- tide des anciens, abimée dans un jour de cataclysme, celui où, selon quelques géologues, Calpe ou Abyla s'ouvrirent pour laisser passer les eaux de la Méditerranée. Nous suivimes, en sortant de la ville, pendant trois quarts d'heure environ, un sentier étroit qui traversait des ravins, où la lave glissante se montrait souvent à nu. À gauche, nous laissions des chaumières entourées, de figuiers, de cactus et de treilles, et à droite des vignobles-plantés par gradins, comme on les cultive en Provence et dans tous les pays où les coteaux sont escarpés. Nous arrivâmes ensuite dans un magnifique vallon couvert d'énormes châtaigniers au feuillage touffu, qui semblaient ètre enfermés dans des murs naturels de basalte représentant les arêtes qui encaissent ordinairement les diverses coulées sur les flancs d’une montagne. volcanique. Les éboulements successifs et les eaux ont tellement modifié la surface de ce ravin ,.qu'il paraît aujourd’hui former le lit d’un torrent; / CENNEE NOTES. 189 la végétation y est pleine de vigueur, et le doit sans doute aux eatix qui, sans être apparentes, doivent suinter presque partout en arresant un peu. Après avoir traversé ce vallon, nous vimes encore quelques champs de maïs et de lupin, et bientôt après une nature tout-à-fait inculte. On ne voyait plus alors que des arbres à feuilles épaisses et persistantes, tels que des lauriers, des olea, des ilex, des myrtes, ete. Nous étions entrés dans ce qu’on appelle, avec raison, la région des nuages; car presque toujours un rideau de ceux-ci nous séparait du pays qui était au-dessous de nous, nous interceptait la vue de la mer, et nous offrait de ce côté, quand les rayons du soleil réussissaient à pénétrer au travers, des appa- ritions vraiment fantastiques. Quelques pins rabougris se dis- tinguaient parfois au milieu de cette végétation qui bientôt elle- même changea tout-à-fait de caractère, et nous entrâmes alors dans la zone des bruyères touffues, dont la hauteur variait de quatre à cinq mètres. Les espèces en paraissaient assez variées, et à leur ombre on voyait s'élever quelques thyms rabougris et d’autres petits arbrisseaux. On voyait voltiger autour de ces fleurs quelques papillons, peu d'oiseaux; mais en revanche, le gibier y abondaït, des lapins partaient à chaque instant au pied de nos chevaux, nous n'avions malheureusement ni le temps ni les moyens de les chasser. En nous élevant un peu, l'atmosphère s'éclaircissait, mais aussi la végétation devint beaucoup moins active, les bruyères plus rares. Nous fimes halte au fond d’un petit ravin , pour attendre les mules chargées de bagages, et reposer nos montures qui en avaient bien besoin. Le soleil , qui avait dissipé les brouillards, nous permettait d’apercevoir tout le chemin que nous venions de parcourir : nous avions derrière nous tout le rideau de montagnes qui sépare l'Orotava de Laguna, et devant nous l'entrée des Cañadas et le pic qui se détachait ma- jestueusement de sa base et semblait se perdre dans les nues. Des paysans qui descendaient d’un village situé à gauche des Ca- ñadas, le plus élevé de toute l’île, vinrent nous vendre des figues 190 NOTES. et des fruits de cactus que la nature stérile qui nous entourait nous fit trouver délicieux : d’autres portaient à l’Orotava des copeaux de boïs gras destinés aux pêcheurs. Tous ceux-ci, ha bitués à voir des voyageurs escalader le pic, étaient bien loin de comprendre le but qui nous y conduisait, maïs n’en parais- saient pas moins fiers, comme tous les habitants de Ténériffe, de ce que leur île possède une pareille merveille. Ils nous prédirent, eu nous quittant, du beau temps, mais nous engagèrent à bien nous défier du froid. Dès que nous nous remîmes en route, le che- min commenca à devenir de plus en plus difficile, et nous ne vimes plus pour toute végétation autour de nous, que des cytises et des Spartium suprä-nubium. Sur les flancs des montagnes que nous avions à notre gauche, on apercevait des cônes aplatis qui né- taient autres que les anciens cratères des volcans dont les érup- tions avaient produit les coulées qui tapissaient les bords des ravins. Nous nous arrêtions souvent pour regarder derrière nous la mer de nuages formés par les vapeurs condensées sur les forêts et qui nous interceptaient la vue du véritable océan. Souvent l'horizon paraissait même si bien marqué que l'illu- sion était presque complète; on voyait les flocons écumeux des lames qui ressemblaient à des flocons de neige, et quelque- fois même plusieurs étages marqués, qui tous offraient à nos re- gards l'aspect du ciel pommelé des marins toujours si changeant. C'était à nos pieds et non au zénith que le ciel paraissait, et ce spectacle tout nouveau pour moi qui n'avais jamais gravi de hautes montagnes, m’offrait le plus vif intérêt, et je ne me fati- guais pas d’en jouir. Nous laissèmes à gauche, avant d’entrer dans les Cañadas, la grotte du pin (Cueva del Pino) des Espagnols, remarquable en ce qu’elle renferme le seul pin qui croît à cette hauteur. Nous fimes ensuite notre entrée dans les Cañadas, grandes plaines tout- à-fait désertes et stériles, recouvertes entièrement de pierres ponces et d’obsidiennes , dont la couleur blanchâtre réfléchit les rayons PA NOTES. 191 du soleil au point d’éblouir, et produirait une chaleur très-srande si elle n'était tempérée par le vent du nord, déjà très-frais à cette hauteur de 1/00 toises. Aussi l'air était d’une siccité fatigante. Ces vastes plaines resserrées entre des montagnes d’où leur vient le nom de Cañadas (qui veut dire gorges de montagnes), ont formé l’ancien cratère du volcan. Là, la végétation cessa presque en- üèrement, le Spartium suprä-nubium est la seule plante qui survit, encore est-il très-disséminé. Il en de même des oïseaux et des insectes, et cette nature inerte rend le trajet triste et monotone au milieu de ces solitudes. Des blocs de basalte à cristaux de feld- spath paraissent cà et là au milieu de ces plaines où ils semblent avoir été lancés du cratère ou volcan dans les grandes éruptions -des temps anciens, et viennent seuls rompre l’uniformité des champs d’obsidienne. Plusieurs de ces blocs ont jusqu’à vingt pieds de diamètre , leurs formes sont très-variées et on aperçoit quelques prismes assez prononcés sur leurs arêtes. Avant d’en- trer dans les Cañadas , nous rangeâmes de très-près un cratère éteint qui paraît avoir été en activité à une époque très-rappro- chée de nous. Les mules glissaient presque à chaque pas sur ce sol mouvant, et l’une d’elles fit un faux pas qui renversa son cavalier, accident qui n’eut d'autre suite que de casser un baro- mètre; aussi redoublâämes-nous de prudence. Nous mimes une heure et demie à franchir ce passage. Du milieu des Cañadas on apercut enfin le dôme immense du pic sur les flancs duquel on voyait d'énormes blocs de basalte entassés de manière à rappeler les grandes murailles cyclopéennes. Mais les masses de cha- cun de ces blocs étaient telles que la nature seule avait pu les y placer, et ce travail pouvait défier tous ceux des géants. Ces masses énormes suspendues sur nos têtes nous masquaient sou- vent la vue du cône, au pied duquel nous arrivâmes enfin à trois heures et demie. Nous lattaquâmes bravement alors, par un monticule très-escarpé, formé d’un amas d’obsidiennes jaunâtres et de pierres ponces qui, cédant sous les pieds des mules, ren- 192 NOTES. daient son ‘ascension fort difficile, bien que le sentier tournât la position. Après trois quarts d'heure de marche très-pénible pour elles et pour nos guides , nous arrivâmes au plateau de la Es- tancia de los Ingleses, terme de notre route pour la journée, et où l’on couche habituellement. Là d'énormes blocs de basalte semblables à ceux de la plaine se trouvent agglomérés et forment un abri naturel, et le Spartium supra-nubium s'y rencontre assez abondamment pour alimenter l'indispensable feu qu'on est obligé d'allumer. Nous primes possession aussitôt d’un de ces abris. Le vent du nord, qui soufflait au point de paraître déjà froid, nous promettait un grand abaissement de température ; nos guides prirent aussi bien vite leurs précautions. Arrivés 1à ; nous nous trouvions dans un véritable désert , isolés du monde entier, à 1600 toises d’élévation ; la masse de nuages que nous avions laissée au-dessous de nous, avant d'entrer dans les Caña- das , nous masquait aussi une grande partie de l’île, et on ne voyait pointer, de temps à autre, que quelques sommets hors de la ceinture de cratères volcaniques qui entouraient le grand cratère que nous venions de traverser. Pressés de reconnaître les lieux qui nous entouraient, nous profitèämés des deux héures de jour qui restaient encore pour gravir la montagne jusqu'à Aaz-vista. Nous mîimes une demi-heure très-pénible à arriver jusqu'à ce plateau situé au sommet d’un petit monticule d’ob- sidiennes qui nous séparait de la grande chaussée de blocs ba- saltiques suspendus sur nos têtes. On y voyait cependant quel- ques traces du passage des mules. Chemin faisant, nous vimes au milieu des touffes de Spartium des fientes de lapin qui prouvaient que nous n'étions pas les seuls habitants de ce désert ; peu se doutaient, en venant s’y réfugier, qw’ils y trouveraient encore leur plus cruel ennemi, car nos guides nous dirent en avoir tué sou- vent. La station d’Alta-vista étant plus rapprochée du pic, il ar- rive quelquefois que des voyageurs la choïsissent pour passer la nuit, mais l’abri y est beaucoup moins bon qu’à la Estancia, et il # NOTES. 193 faut y porter avec soin du bois, si l'on veut 7 faire du feu. Nous voulûmes pousser plus loin, mais la crainte de ne plus retrouver notre route, si la nuit nous surprenaït au milieu des précipices qu'il fallait désormais parcourir, nous força à revenir sur nos pas; mais non pas avant d’avoir aperçu le pic, dont le sommet paraissait presque à nous toucher, quoique encore bien loin de nous. ; La descente fut beaucoup plus difficile, car, obligés de sauter de rochers en rochers, nous manquâmes plusieurs fois de nous rompre le cou. Nous rapportâmes néanmoins des échantillons des roches les plus remarquables qui se composaient de trachytes, de basaltes et de débris de coulées de différents âges , plus ou moins altérés par l'air, le feu et les eaux pluviales, et présentant divers degrés de cristallisation. Un peu avant sept heures, nous rentrâ- mes à la Estancia, oùnotre souper et un bon feu nous attendaient ; nous fimes honneur au premier, car tout paraît bon à un pareil bivouac. La flamme vive et pétillante de notre superbe feu répan- dait une clarté qui animait et égayait tout ce qui nous entourait; le spartium brülait à ravir, en dépit de la raréfaction de l'air, qui, théoriquement, doit ralentir la combustion , et, par re- connaissance , nous étions tentés de le classer parmi les meilleurs bois de chauffage. Bientôt après le souper , nous endossâmes nos vêtements de nuit. Un de nos compagnons de voyage, M. Coupvent, un peu meurtri par sa chute de cheval, fut pris d’une espèce de refroi- dissement qui céda heureusement bien vite, grâce aux soins qui lui furent donnés et à une tasse de thé qu’on lui fit aussitôt. Cha- cun de nous prit position , peu de temps après, devant le foyer, et s’arrangea le mieux qu’il put pour se faire un lit de cailloux, ayant pour oreiller un porte-manteau et enveloppé dans un manteau où une couverture. Une petite muraïlle en pierre, de deux pieds d’élévation , nous séparait de nos guides , qui avaient, de leur côté, un feu pareil au nôtre. Le rocher nous servait d'a- 4 ; 13 194 NOTES. bri contre le vent du nord ,-qui souffla toute la nuit: Quand nous eûmes trouvé chacun la position la plus convenable , nos conversations cessèrent, et nous fimes tous nos efforts pour tâcher de dormir un peu, afin d’être en état de supporter les fati- gues du lendemain. Ces peines furent inutiles. D'un côté, le bruit des causeries de nos guides entre eux et avec nos mon- tures, celui que faisait à chaque instant l’homme chargé d’ali- menter le feu , en passant près de nous; et, d’un autre côté, le froid qui pénétrait, malgré toutes mes précautions , par-dessous mon manteau, tandis que je grillais de l’autre, me tinrent éveillé. D'ailleurs , je sentis bientôt que j'avais à lutter contre un ennemi de tout sommeil bien plus cruel, car les puces, qui étaient naturalisées depuis long-temps dans cette station, où, sans doute, elles n'étaient pas venues toutes seules, se reveillèrent à la douce chaleur de notre foyer et commencèrent à me faire une guerre à outrance, ainsi qu'à tous mes compagnons. En vain je voulus opposer une résignation stoïque à leurs piqûres , qui me causaient un plus grand mal en me tenant éveillé que par leurs morsures mêmes ; en vain , pour détourner quelque temps mon attention , je fixai mes yeux sur la belle constellation d'O- rion , dont les brillantes étoiles venaient défiler successivement et s’éclipser derrière l’angle d’un énorme bloc basaltique qui nous abritait du côté du sud, comme devant un cercle mural ; à mi- nuit; la position n’était plus tenable , et je fus obligé deme lever pour aller prendre lair sur le plateau. À peine avais-je quitté le voisinage du feu, que je sentis combien la température avait baissé; mes sens , en effet, ne me trompaient pas; car le ther- momètre, qui était à 14° à huit heures du soir, était descendu à 8°. Mais il était impossible de voir une nuit plus belle: Le ciel était d’une pureté telle, que les étoiles les plus petites étaient étincelantes de lumière, et celle-ci était même tellement répandue dans l'atmosphère, qu'on eût cru que la lune était encore sur horizon , quoiqu'elle fût couchée depuis longtemps. Les mon- NOTES. 195 tagnes qui me dérobaient alors une grande partie du ciel avaient une teinte noirâtre assez prononcée pour qu'elles se détachassent de manière à ce qu'on apercût distinctement leurs contours. À quelques pas de notre camp régnait le silence le plüs lugubre : on pouvait facilement se croire seul au milieu de cette solitude, et s’y livrer à son aise au recueïllement et à la méditation que tout semblait inspirer. Une foule de réflexions généralement tristes vinrent m'assaillir en ce moment : elles roulaient sur la France, qui était déjà si loin de moi ; sur ma famille et mes amis, que j'avais quittés pour si longtemps ; sur les chagrins que leur avait causé mon départ, et sur les chances heureuses et mallhieu- reuses d’un voyage qui débutait par cette intéressante ascension ; et me causaient des émotions souvent pénibles , qui me firent ce- pendant du bien , car je sortis de ces rêveries plein de confiance dans l'avenir. Ce n’était pas des émotions de ce genre que j'é- tais venu chercher au pic, j'étais venu y admirer la nature et une de ses plus grandes merveilles , et satisfaire au désir de l'étu- dier. Sans doute , ce désir aurait trouvé ample matière pour quelqu'un plus initié aux sciences que je ne le suis; maïs, si javais manqué mon but de ce côté, au moins ce retour sur le passé, cette anticipation de l'avenir , que tout ce qui m’entourait fit apparaître dans mon esprit, me dédommagèrent à eux seuls de la peine et des fatigues du voyage. On se lasse de tout dans la vie, et dans l’ordre moral et intel- lectuel, cette vérité est surtout juste et applicable. Après une promenade solitaire d’une demi-heure, temps pendant lequel l'imagination peut faire bien du chemin, le froid me ramena vers notre camp où, dars tout autre position, mon retour eût pu jeter l'alarme ; mais nous n’avions rien à craindre de ce côté, car nous n'avions rien de capable de tenter des voleurs ; et qui eût voulu d’ailleurs se faire voleur à ce prix!... J”y retrouvai mes compagnons qui , à défaut de sommeil, continuaient à cher- cher le repos dans limmobilité et bravaient les maudites puces 196. NOTES, avec un Courage digue de ces banians, sectateurs de Brama, qui, par pénitence, se consacrent à nourrir de leur sang tous les parasites de l'humanité, qui sont pour eux des objets dignes de la plus grande vénération. A côté d’eux, à travers un nuage de fumée et à la clarté des feux, j'admirais les figures calmes de nos guides qui ressemblaient, tant par leurs costumes, les roches qui reflétaient leurs ombres et leur aïr mâle et énergique, à ces bandits de la Corse et de la Calabre, qu’on nous représente se partageant la nuit le butin de la veille dans une halte au milieu des montagnes. Je pris place alors auprès du feu, et là j'essayai de tracer quelques lignes, en attendant le jour, pour ma famille et pour mes amis. J’arrivai ainsi à la troisième heure de la nuit ; mes compagnons n’y pouvant plus tenir, se levèrent alors et s’'approchèrent du feu; nous nous entretinmes des fatigues de la nuit et nous convinmes que c’était forcer le sens des mots que d'appeler cela du repos. Le thermomètre était alors descendu à cinq degrés; nous arrêlâmes en conseil quatre heures et de- mie pour le moment du départ, afin de ne pas nous trouver avant le point du jour à A/ta-vista , où le chemin devient impra- ticable de nuit. Quand cette heure tant désirée arriva, nous nous mimes en route escortés du guide et de deux de nos muletiers qui portaient nos instruments, les vivres et un pâté que nous avions destiné à être mangé solennellement sur le sommet du cratère. Nous avions alors dans la figure une bise glaciale de nord à laquelle on était plus sensible qu’à des gelées intenses; cet air était tellement sec, que nous avions déjà les lèvres toutes ger-. cées, et en grimpant par une pente aussi rapide, on était d'autant plus suffoqué , que l’air était déjà excessivement raréfié ; j’éprou- vai pour mon compte des douleurs d'oreilles comme quand on plonge à une grande profondeur , et j'avais beau hâter le pas sur ce terrain mouvant ct difficile, j'avais marché pendant près d’une demi-heure, avant d’avoir pu me réchauffer les pieds. Il faisait à peine jour , quand nous atteignîmes Alta-vista ; nous ne nous y NOTES. 197 arrètèmes que le temps nécessaire pour reprendre haleine. Au bout d’une demi-heure environ de marche, au milieu de blocs de trachyte et de basalte, en sautant de l’un sur l’autre, au risque de se rompre le cou et en faisant de la gymnastique continuelle, nous arrivâmes à la Cueva de las Nieves (grotte des neiges), es- pèce de grotte où, pendant toute l’année, l'eau veste congelée, et où, dans l'été, on vient souvent chercher de la glace de l'Orotava. Là, nous fûmes témoins d’un des plus magnifiques spectacles auxquels on puisse assister dans les montagnes, surtout à cette hauteur , celui du lever du.soleil , qui sortait alors brillant et ra- dieux du sein des vapeurs qui couvraient l'Océan et n’éclairait encore que les habitants favorisés de ces régions; car pour les créatures de la plaine et du rivage, son disque qui paraissait considérablement aplati et grandi au-delà de toute idée par la ré- fraction , était encore plongé au-dessous de l'horizon pour quel- que temps. Les effets du rayonnement à l’entour avaient quelque chose de fantastique ; il eût fallu des pinceaux pour pouvoir les rendre , et je doute encore qu'il eût été possible d'y parvenir; à plus forte raison ma plume serait-elle impuissante ; je me bornerai donc à signaler ce phénomène aux observateurs curieux, comme digne à lui seul de les engager à gravir de hautes montagnes. Le thermomètre marquait alors 5°,8 et le baromètre était descendu à 0" ,4994. Nous apercûmes bientôt après l'espèce de pain de su- cre appelé e/ Pilon, qui s'élevait majestueusement du milieu du plateau qui couronne la montagne. Nous mimes près d’une heure à atteindre cette espèce de dôme, tant la marche était lente et diff cile entre les deux amas de blocs basaltiques qui couronnent ses flancs. Grâce à la saison , on n’apercevait aucune neige dans les vides qu’ils laissaient entre eux; quand elle recouvre ce sentier, il est bien de redoubler de prudence, mais on re peut pas dire ce- pendant que ce passage offre jamais , comme on le disait jadis, de dangers sérieux. Un peu avant d'arriver à la petite plaine semée de massifs de lave d’où s'élève le Pain de Sucre, nous ramassimes 128 NOTES. en passant quelques mousses qui tapissaient des fissures brûlan- tes d’où sortaient des vapeurs aqueuses très-chaudes. Nous nous y arrêtâmes quelques instants avant d'entreprendre notre der- nière ascension , dont nous mesurions d'avance toutes les difficul- tés. Enfin, nous nous mîmes en marche. La base et les flancs du Pain de Sucre sont couverts d'un amas d’obsidiennes mouvantes dans lesquelles nous enfonciens à mi-jambe et qui cédaient tellement sous ros pas que nous avancions à peine d’un sur trois. Nous avions eu la précaution de mar- cher tous de front pour éviter les accidents qu’auraient pu occasionner les éboulements. Presque à chaque ‘instant nous étions obligés de nous arrêter pour reprendre haleine, et nous éprouvions tous plus ou moins des oppressions pénibles, occa- sionnées par la grande raréfaction de air, qui furent accompa- gnées chez quelques personnes de saignement de nez, tant cette raréfaction avait rompu l'équilibre nécessaire dans notre organi- sation entre la pression intérieure et celle de l'atmosphère. Enfin, après nous être aidés bien souvent des pieds et des mains , nous atteignimes, au bout de trois quarts d'heure, le sommet du cône. Arrivés là, nous vimes un cratère à moitié oblitéré, dont les parois unies et légèrement inclinées, s’élevaient à des hauteurs inégales et des bords desquelles, seulement, sortaient de distance en dis- tance des vapeurs sulfureuses assez abondantes. Le fond du cra- tère paraissait tout-à-fait éteint. Nous contournâmes ce vaste en- tonnoir en nous appuyant comme nous pouvions sur les blocs irréguliers de basalte blanchis par la fumée, qui formaient les parois du cratère, et qui, semées très-irrégulièrement, nepermet- taient d’accès que du côté par où nous l’avions abordé. ILest destiné probablement à s’affaisser un jour pour donner coursà une nou- velle éruption qui produira un nouveau cône, comme celui qu'il couronne me paraît s'être élevé lui-même au-dessus d’un ancien cratère représenté parfaitement par le dôme qui lui sert de base; et celui-ci, à une époque beaucoup plus éloignée, où laction res NOTES. | 199 volcanique agissait avec une toute puissance dont les temps his- toriques n’offrent point d'exemples , sortit lui-même sans doute des Cañadas, ce grand cratère si bien dessiné, le plus important de l’île , dont l’origine elle-même fut toute volcanique. Les bords des diverses fumerolles sont tapissés de beaux cristaux de soufre, d'efflorescences d’alumines et d’alumines pâteuses. En marchant dessus, nous éprouvions une chàleur assez vive. Nous -ramassä- mes des échantilions de ces diverses substances, et quelques mor- ceaux d’obsidienne nitreuse, mélée à la masse qui couvrait Les flancs du Pain de Sucre. Le ciel était pur, sans nuages, d’un bleu sombre et la brise soufflait modérément du N.E., la température s'élevait jusqu’à 14° et baissait à l'ombre jusqu’à 9° ; etle froid était encore sensible, Cependant, vers dix heures, nous com- mençàmes à être imcommodés de la chaleur, et plusieurs de nous éprouvèrent des douleurs de tête assez vives auxquelles on fit peu d'attention. Je me félicitai d’avoir apporté pour coiffure un cha- peau de paille, quoiqu’en partant de la Estancia, cette coiffure ne fût guères de saison. Quand j'eus parcouru dans tous les sens le cratère et ses alentours , je m'arrêtai pour jouir du coup d'œil imposant que m'offrait la vue de la partie du pic de Teyde, qui: s'élevait au-dessus de la mer de nuages qui semblait isoler du monde entier. Ces vapeurs se dissipaient cependant. quelquefois en partie, et me permettaient d’apercevoir sur quelques points la grande chaîne de cratères qui descendent par gradation jusqu'à la mer, et l'Océan sans bornes qui venait baigner la base du pic, car la surface entière de l’île pouvait passer pour la sienne. Je pus découvrir dans une de ces éclaircies, quelques-unes des îles voisines qui paraissaient autant de points disséminés sur cette immense surface. Un besoin vulgaire, mais qui n’en était pas moins impérieux ; m'arracha au bout de quelques temps à l’ad- miration de ces merveilles de la nature que je ne me lassais pas de contempler ; Fheure du déjeûner était arrivée et nous com- mencions à éprouver un vif appétit. Nous placämes le fameux 200 NOTES. pâté que nous avions apporté avec nous sur le point culminant du pic; son utilité pour nousalors , lui donnait droit à de pareïls honneurs, et après avoir rassemblé près de lui toutes nos provi- sions , nous battimes en brèche cette forteresse avec une telle ac- tivité qu’au bout de peu de temps tout avait disparu, et il neres- tait pas même pierre sur pierre. Jamais déjeûner ne fut trouvé plus exquis, nous étions aussi fiers que joyeux de faire un pareil repas à 1800 toises au-dessus du niveau de la mer, et pensions que bien des gens nous envieraient un pareil bonheur. Après cet excellent déjeûner , chacun de nous travailla à compléter sa col- lection minéralogique ; et à midi précis, chargés de nos pierres et de tous nos outils, nous commencâmes à descendre le Pain de Sucre, opération qui s'exécuta souvent plus vite que nous ne voulions et qui dura à peine dix minutes. Puis, sans nous arré- ter, nous continuâmes ainsi jusqu'à la Estancia , où nous fûmes rendus à deux heures précises. Après tous les savants du pre- mier ordre, quiont visité successivement le pic de Teyde, et leurs théories si claires et si satisfaisantes sur sa formation, il y aurait de la témérité de ma part à vouloir hasarder quelques idées sur un pareil sujet que je n’ai pu d’ailleurs étudier que très-impar- faitement. Notre but. était seulement de mesurer de nouveau la hauteur précise de la montagne, et d’y faire des observations d'intensité magnétique. Grâce aux soins de MM. Dumoulin et Coupvent, elles furent exécutées de la manière la plus satisfai- sante. Mes observations particulières se bornaient donc à consta- ter que les descriptions que j'avais lues, avant d’y monter , m'ont paru on ne peut plus satisfaisantes. Arrivés à la Estancia, nous ne perdimes pas de temps pour: nous remettre en route, ettraversâämes rapidement les Cañadas, qui cette fois n'avaient plus le même intérêt pour nous. A mesure que nous descendions ;, nous éprouvions un changement de tem- pérature et d'atmosphère, qui nous faisait éprouver un bien-être sensible. Quelque effort que nous fissions pour hâter le retour, NÔTES. 201 Ja nuit nous surprit encore dans les régions inhabitées, etil était huit heures du soir, quand nous ralliâmes notre gîte à l’Orotava, tous tellement fatigués , qu’à peine nous eûmes Le courage de nous mettre à table et de manger quelque chose avant de nous coucher. J'aurais bien désiré pouvoir m’arrêter un jour à cette station, mais dès le lendemain matin, nous reprîimes nos anciennes montures et partimes pour Sainte-Croix. Nous nous arrêtâmes durant quel- ques temps à Laguna, pour y visiter deux églises assez belles, dont l’une est remarquable par des boiseries qui ne sont pas sans mérite, et l’autre par une chaire soutenue par des anges armés d'un glaive, dont l'exécution est assez belle. Les églises me paru- rent du reste décorées avec assez mauvais goût, malgré la richesse des autels, où l’on voyait beaucoup de dorures et d’ornements d'argent massif. À midi, enfin, nous arrivâmes à Sainte-Croix, le terme de notre course, bien fatigués, mais bien contents de l'avoir faite. (M. Dubouzet.) Note 12, page 17. Axrivés au pied du piton, nous gravissons, durant une dernière heure, des cendres et des débris de pierres, et nous touchons enfin au but désiré, le point le plus élevé de ce monstrueux volcan. Le cratère fumant se présente à nos yeux comme une demi- sphère creuse , soufreuse, couverte de débris de ponces et de pierres, large d'environ {00 mètres et profond de 100. Le thermo- mêtre qui est, à l'ombre, de 5° à dix heures du matin, s’est brisé, placé sur le sol, dans un endroit qui laïssait échapper des va- peurs sulfureuses. Il y a sur les bords et dans le cratère une foule de fumerolles qui distillent le soufre natif, qui forme la base du sommet, La vitesse des vapeurs est assez grande pour faire en- tendre des détonations. La chaleur du sol est telle qu'en cer- 202 NOTES, tains endroits , il est impossible d’y pes les pieds pendant quel- ques instants. Maintenant, jetez vos regards autour de vous, voyez ces trois montagnes entassées les unes sur les autres ; n'est-ce pas une œuvre des géants pour escalader le ciel? Considérez ces immenses coulées de lave qui divergent d’un point unique et forment la croûte que, peu de siècles auparavant, vous n’eussiez point fou- lée impunément, Voyez au loin cet archipel des Canaries , jeté cà et là sur la mer, qui brise sur les côtes de l’île dont vous êtes le sommet, vous pygmées :.. Voyez comme Dieu doit voir, et soyez payés de vos fatigues, voyageurs que l'admiration des grands spectacles de la nature a conduits à 3704" sue du niveau de la mer. QUE Coupvent.) Note 13, page 18. À sept heures du matin, une embarcation s'approche de la cor- vette ; elle porte la commission sanitaire. La mystification dela veille avait prédisposé à une froide réception et la commission ne monta pas même à bord. Immédiatement après l'admission , le commandant descend à terre ; à son retour, la permission d'aller à terre est accordée à tout l’état-major. À onze heures nous sau- tions sur le débarcadère, la mer y brise avec force et en rend l'ap- proche assez difficile. On entre dans la ville par une porté gardée par un poste de soldats habillés de blanc, avec des bandoulières noires. Tout auprès , à droite, se trouve le jardin que nous aper- cevions depuis le bord, c’est l’Alameda, promenade publique ; exiguë s’il en fût, entretenue aux frais des citoyens désireux d’a- jouter aux agréments de leur ville , ainsi que l'annonce une pom- peuse inscription placéé à son entrée. C est là où, le soir, les habitants de Santa-Cruz viennent respirer l'air frais de la mér succédant aux chaleurs du jour. Ces habitudes se retrouvent NOTES. 203 dans tous les climats chauds où la première partie de la nuit est le moment où la température est le plus agréable. A gauche de la porte et en montant obliquement, on arrive, au bout de quelques pas, sur une grande place pavée en briques et entourée de bancs de pierre. À son entrée, se trouve une pyramide quadrangulaire en marbre supportant une statue de la Vierge. Aux quatre coins du piédestal , une statue de Guanche , drapée à la romaine, indi- que le ciel d’une main et tient un fémur humain dans lautre. L'inscription sculptée sur ce monument, apprend qu'il a été sculpté aux frais d’un Génois habitant Santa-Cruz, en l'honneur de la Sainte-Vierge , dont une apparition dans cet endroit même présagea aux Espagnols une victoire sur les Guanches , posses- seurs primitifs de l’île. La sculpture de ce monument à été faite à Gênes et n’en est pas meïlleure pour cela. À tout prendre, c’est un monument de mauvais goût et de mauvaise exécution. À l’au- tre extrémité de la place, s’élève une croix fort simple. La struc- ture des maisons est celle que les Espagnols ontrecue des Mau- res. Rarement les édifices dépassent deux étages ; des galeries en bois environnent une cour couverte à l'air et au soleil, Les appar- tements donnent d’un côté sur la galerie et de l’autre côté ouvrent leurs fenêtres sur la rue. Les jalousies remplacent les vitres le plus souvent, et, sous leur couvert, on apercoit plus d’un œil suivre la marche des passants. Presque toutes les portes des maisons sont fermées , et, lorsqu'elles s'entr'ouvrent , on apercoit un bapanier aux larges feuilles abritant de son ombre le milieu de la cour; autour de lui sont groupés des pots de fleurs. Les rues sont assez larges , pavées de petits cailloux; des trottoirs en briques et en larges dalles offrent, de chaque côté, un marcher plus commode ; c’est là seulement que circulent gravement les no- tables de la ville; le milieu de la rue paraît être dévolu à de mal- heureux petits ânes , trottant sous le double ennui d’une lourde charge et de coups libéralement distribués. Les vêtements de la classe aisée n’ont rien de particulier. Seulement, de larges fa- 204 NOTES. voris ; d'épaisses moustaches et des chapeaux pointus les distin- guent des étrangers. Leurs femmes ont le costume espagnol : mantille noire, bas de soie , robe et souliers en soie aussi ; elles se montrent rarement dans les rues; à peine en avons-nous vu. deux ou trois. Les hommes du peuple sont vêtus de guenilles :. une culotte courte, ouverte sur les côtés, laisse quelquefois voir un calecon de toile grossière ; quelques-uns portaient, malgré la. saison, des manteaux de couleur jaunâtre, assez semblables à. ceux des charretiers provençaux, eten même temps un chapeau. de paille recouvrait une vaste chevelure qui n'avait probable- ment jamais été peignée. Les femmes portent un costume parti- culier : par-dessus une mantille d’étoffe de laine , "tantôt grise, tantôt blanche, elles se coiffent d'un chapeau d'homme en feutre. Ce costume n’a rien de gracieux et paraît repoussant même au premier aspect. En général, le peuple est dégoûtant, sale, en haillons, couvert de vermine ; il paraît joindre une profonde mi- sère à la nonchalance peut-être particulière au sang africain qui coule mélangé dans leurs veines. Leur conformation est loin d’être belle. Une peau brune, presque basanée, des traits peu gracieux, des pieds et des mains mal faits, ne sont pas rachetés par de belles dents et quelques beaux yeux. Les femmes âgées surtout sont laides ; elles doivent perdre facilement la fraîcheur et la jeunesse précoce naturelle aux peuples du midi. Les habitations du peuple sont dégoûtantes à voir. La plupart de ces cases étaient bâties comme des écuries : la terre pour plancher , le toit pour plafond. À peine contenaiïent-elles quel- ques ustensiles de ménage. Ces maisons étaient communes dans le voisinage de l’église des Franciscains. Une d’elles ; large de six pas sur huit de large, contenait pour tous meubles un pliant, sur lequel des guenilles entassées formaient une espèce de matelas ; une chaise délabrée, deux ou trois pots de terre se trouvaient près de deux grosses pierres noircies qui formaient un foyer sans cheminée. La trace de la fumée se voyait sur le mur. Quelle mi- NOTES. 205 sère !... Aussi, comme au temps de Labillardière, cette malheu- reuse population est livrée à la plus abrutissante prostitution , et, comme les gens du navire où il se trouvait, plusieurs per- sonnes des nôtres auront à se souvenir longtemps d’avoir cédé aux prévenances des femmes de Santa-Cruz. L'église des Franciscains possède un intérieur frais et élégant. La principale entrée se trouve dans la tour du clocher ; elle est de forme carrée et s'élève à une grande hauteur. En entrant, on est frappé de la propreté qui y règne ; le plancher est formé de carreaux de marbre alternativement noirs et blancs; les murs sont symétriquement divisés en autels successifs. Le grand-autel déploie un étalage de bois doré, au milieu duquel se trouve une niche recouverte d’un voile. Un enfant remplissait les fonctions de cicérone : il tira un cordon, et la statue en bois de saint Fran- cois parut ; elle était brillante comme si on l'avait peinte récem- ment. Les deux autels qui occupaient les deux côtés du grand avaient aussi de semblables niches. Celui de gauche offre une grande simplicité de parure. Sur des cadres légèrement bordés d’un filet d’or , les rideaux foncés , recouvrant les saints, rehaus- saient l’éclat du fond blanc. Vu à travers la colonnade , à une certaine distance, cet autel fait un très-joli effet. Au-dessus d’un des autels , auprès de la porte d’entrée, se trouvent deux dra- peaux déchirés et largement troués. L’un d’eux est un pavillon anglais, pris sur Nelson lors de sa tentative infructueuse sur Santa-Cruz. Nous n’avons pu. reconnaître l’autre, et à notre grand regret, notre cicérone nu-pieds n’a pu nous en dire l'histoire. Deux ou trois mauvais tableaux étaient suspendus aux murs de l'église. Un d'eux , de vieille date, et restauré tant bien que mal, représentait la naissance du Christ. Un autre montrait de bons moines franciscains tirant des flammes de l’enfer et des étreintes des serpents de pauvres âmes damnées, tandis qu’un ange, en costume de guerrier grec, pèse dans une massive balance deux rouleaux de papier. Auprès de ce tableau earactéristique 206 NOTES. se trouve un tronc, et il ne doit pas être le moins producuf, Au pied du grand autel se trouvaient quelques pierres indi- quant des tombeaux , parmi lesquels se trouve celui d’un consul français nommé Cazalon, mort en 16**. Au sortir de cette église, nous nous acheminons pour aller visiter celle dont nous aperce- vions le clocher rivalisant de hauteur avec celui de l’église des Franciscains. Malheureusement elle est fermée, ce qui nous oblige à revenir sur nos pas. Nous nons rendons chez le consul français, M. Bretillard. Sa rue est celle des grands magasins , contenant des marchandises anglaises et françaises. Les étoffes sont généralement de fabrique anglaise. La quincaillerie et autres objets semblables proviennent de nos manufactures. Un des marchands , chez qui nous faisions différentes emplettes, nous dit qu’au bout de quelques années, lorsque son: fonds était épuisé, il allait faire ses achats à Marseille et venait les débiter de nouveau. Les prix de ces marchandises sont fort élevés et dé- passent trois ou quatre fois la valeur primitive de l’objet. Malgré ces hauts prix, il est beaucoup d'objets qu'on ne peut pas se procurer , comme des crayons de dessin, du papier pour le même objet, etc., etc. (M. Desgraz.) Note 14, page 18. L'eau ne m’a pas paru très-abondante à Santa-Cruz. Je n'ai vu sur la place principale qu'une seule fontaine monumentale, éle- vée en l'honneur de la Vierge. Un obélisque en marbre blanicest surmonté de sa statue. Aux angles du piédestal sont quatre. rois guanches, qui paraissent se réjouir de la lumière qui vient. de luire sur eux ; ils tiennent à la main des ossements humains: Une inscription rappelle la conversion du peuple guanche à la religion chrétienne. Elle eût pu ajouter que , pour rendre la conversion plus complète, les Espagnols exterminèrent la nation indigène: D : NOTES. 207 Aujourd’hui , le peuple guanche n'existe plus que de nom. Ses ossements sont enfouis dans les cavernes de l’île, d’où les Espa- gnols vont chaque jour les exbumer pour satisfaire la curiosité des voyageurs. | (M. Roquemauréel.) : Note 15, page 35. Dans les grains , 'Astrolabe se comporte parfaitement ; la mà- ture est tellement solide qu’un grain très-fort, recu les huniers hauts, ne fit pas seulement ployer les mâts de hune. La cor- vette est tellement chargée , qu’elle incline peu ; et néanmoins ses mouvements sont très-doux; elle s'élève parfaitement à la lame et mouille très-peu. Ses mouvements de tangage sont doux et mo- dérés; mais elle a besoin, lorsque la brise est fraîche, d’être dé- barrassée de bonne heure de ses perroquets et de son grand foc, qui lui rendent le tangage dur. Sous les huniers et les basses- voiles elle se comporte à merveille. (M. Gourdin.) Note 16, page 37. Temps incertain et orageux ; brise variable du N. au S., pas- sant par l'E. Le soir , le ciel prend un aspect menaçant : éclairs dans le N. E. Le tonnerre se fait entendre , et le grain de N.E. nous a assailli avec violence. La brise a soufflé de tous les points de l'horizon, et un nuage d’une pluie tiède s’est abattu sur là corvette. On à mis des feux de position pour éviter une sépara- tion avec notre conserve. Pendant que nous manœuvrions pour fuir devant le grain et profiter ensuite de la brise favorable pour faire route, /a Zélée, dont nous distinguions les feux, parais- sait s'éloigner de nous rapidement. On vira de bord vers elle, pour en connaître la cause, et l’on s’apercut bientôt que la Zélée 208 | NOTES. restait immobile, enchaînée par le calme. Un violent orage avait éclaté sur nous ; l’Astrolabe avait été pendant 30 minutes le jouet des vents , et sa conserve restait au même moment dans un calme parfait, à moins d’un mille de distance. Ce phénomène, assez fréquent dans le voisinage des terres, doit être rare en pleine mer , où rien ne semble s'opposer à l'impulsion du vent ou ac- croître son effet dans une petite étendue. (M. Roquemaurel.) - Note 17, page 38. Deux cylindres de viande préparée ont perdu par les soudures une partie du gaz carbonique et de la saumure. On a décidé qu'ils seraient consommés le plus tôt possible, pour éviter de plus grandes pertes. La viande a été trouvée inférieure à celle du pre- mier cylindre. L’équipage ne la mange qu'avec répugnance. Il se plaint des picottements qu’elle cause aux gencives. Il lui préfère le bœuf salé ordinaire, et surtout le lard. Parmi l'état-major, les opinions sont partagées. ( M. Roquemaurel. ) Note 18, page 38. Une des boîtes qui contenaient le bœuf préparé par Noel suin- tait à l'extérieur par un défaut de soudure ; nous l’ouvrimes immédiatement pour l’examiner. Une partie de la viande, celle du dessus, fut trouvée avariée ; le reste, en assez bon état de conservation , fut distribué à l’équipage. Sur vingt kilogrammes que contenait cette caisse , huit furent jetées à la mer. Du reste, cette préparation était peu appréciée par les matelots, qui lui préféraïent de beaucoup les salaisons ordinaires. (M. Jacquinot. ) Le ee NOTES. 209 Note 19, page 35. On a donné à l'équipage de la viande de Noel. Je commence à croire, sans l’assurer pourtant, que cela ne vaut rien. L’équi- page préfère le bœuf salé ; il se plaint que la nouvelle viande attaque les gencives. Il est vrai qu’un picottement assez vif suit ordinairement la mastication, La chair paraît cependant assez belle à la vue, mais l’odeur en est mauvaise. Cuite et broyée dans la main, elle se résout en poussière jaunâtre ayant une forte odeur de putréfaction. À bord de a Zélée, une partie d’une caisse entière a été condamnée pour ce molif; le reste a été mapgé. Somme toute , l'équipage ne veut plus de cette viande ; et, comme cette question le touche-de plus près que létat- major , il est fort heureux qu'on n'en ait pris qu'une très-petite quantité. Trois des caisses avaient fait explosion, les gaz s'étant échappés par les parties soudées , qu'ils ont fini par crever. CM. Durockh.) Note 20, page 98. Le 19 novembre nous fimes une nouvelle distribution de viande de Noel. Les avis se trouvèrent partagés relativement à cette préparation, que peu de personnes mangeaient avec plaisir. La chair avait le défaut d’être molle et de présenter au début une odeur peu agréable. (M. Jacquinot.) , Note 21, page 39. -Pendant ce jour, nous remarquons dans l'air trois courants très-différents. Les nuages inférieurs , estimés à 8,500 mètres, se mouvaient du S. E. au N. O., dans la direction du vent ; une L. 1 À 210 | NOTES. seconde bande de nuages plus élevés avait un mouvement con- traire du N. O. au S. E:, ou plutôt de l'O. à l'E. Ensuite, une troisième bande de nuages bien plus élevée que les deux pre- mières, et en forme de barbes de chat, se mouvait-dans le même sens que la bande inférieure. : " (M. Gourdin.) Note 22, page 39. Pendant toute la journée, j'ai remarqué que les nuages chas- saient dans deux directions tout-à-fait opposées ; les moins élevés marchaient dans le sens du vent, les plus hauts dans le sens con- traire. Dans la soirée, ou distinguait trois courants d’air chas- sant les nuages de l'atmosphère dans trois directions. Les nuages supérieurs et inférieurs chassaient dans le sens du vent, les in- termédiaires dans la direction opposée. Ceux-ci étaient les plus légers et les moins bien terminés. (M. Gervarze.) Note 23, page 39. On put remarquer pendant la journée plusieurs courants tout- à-fait opposés dans les régions supérieures de l'atmosphère. Les nuages les plus rapprochés de nous suivaient la direction du vent frais, qui dépendait alors du S. S. E., tandis que ceux qui occupaient une région plus élevée suivaient.une direction tout- à-fait contraire. (M. Marescot. ) Note 24, page 39. Notre relâche a un but tout d'humanité : nous avions à bord un élève attaqué de la poitrine. La température des régions po= NOTES. 211 laires devait être préjudiciable à sa maladie. Le climat doux et tempéré du Brésil, l'air sain qu'on y respire devaient, au con- traire, être favorables à son rétablissement. En se détournant un peu de sa route, notre commandant peut arracher un jeune offi- cier à une mort imminente ; et si un jour les glaces du pôle se referment sur nous , ce sera une victime de moins. (M. Gourdin.) Note 25, page 39. M. Coupvent, que j'avais chargé des observations de physique, dont les études et le goût sont portés vers cette science , voulut observer des inclinaisons de l'aiguille , afin de profiter de notre position actuelle aux environs de l'équateur magnétique. Malgré sa persévérance et toutes les peines qu’il se donna pour utiliser l'instrument qui avait été mis à sa disposition , il ne put jamais parvenir à en rer le moindre parti. Les barreaux aimantés qui lui avaient été fournis par l'arsenal de Toulon se trouvèrent nuls et ne produisirent aucun effet sur les aiguilles , qui elles-mêmes étaient mal centrées et roulaient sur des chapes défectueuses. La boussole avait d’ailleurs été construite pour les expériences à terre, et ne comportait aucune des conditions nécessaires pour paralyser les effets du tangage et du roulis. Malgré tous les soins que l'on prit pour remédier à cet inconvénient, en les plaçant dans une cage à double suspension, il fut impossible d'obtenir le moindre résultat satisfaisant. Je regrettai d'autant plus de ne pas avoir un meilleur instrument, que M. Coupvent eût pu amasser des matériaux pleins d'intérêt qui eussent servi à corro- borer les observations du même genre faites simultanément et dans les mêmes conditions à bord de / Astrolabe. K CM. Jacquinot.) 212 NOTES. Note 26, page 41. Nous avions toujours l'espoir de pénétrer dans la rade de Rio- Janeiro, lorsqu’à sept heures quarante-cinq minutes du matin l’_Astrolabe cargua ses voiles et jeta l’ancre à trois milles dans le N.E. de l'ile Raze. Nous imitâmes immédiatement sa manœuvre, et nous mouillâme par 24 brasses, fond de gravier et coquilles brisées. Peu après, le commandant d'Urville me prévint par une lettre qu’il ne s'était décidé à relâcher que pour mettre à terre un de ses élèves, M. Duparc, dont la santé était très-délabrée, et qui ne pouvait, sans courir de grands risques, continuer la cam- pagne. Il m’engageait à profiter de cette occasion pour faire quel- ques provisions etenvoyer des nouvelles en France. Après s'être flatté d'aller jouir d’un peu de repos dans une bonne rade, il devait nécessairement paraître dur de mouiller en pleine mer, avec plus d'inquiétude pour le navire qu’on n’en a généralement sous voiles. Mais, en y réfléchissant , il devenait certain que le commandant avait toute raison d’en agir ainsi, d'abord pour ne pas perdre un temps devenu très-précieux pour remplir ses instructions, ensuite pour se prémunir contre les désertions des matelots, très-communes dans ces relâches. (M. Jacquinot.) Note 27, page 41. On a appris à bord d’une corvette des Etats-Unis , que l’expé- dition américaine préparée pour le pôle austral devait partir de New-York vers les premiers jours d'octobre. Cette division, com- mandée par le commodore Jones, se compose du Maceaoniar (petite frégate), un brick, un schooner et deux transports. L'expédition est scientifique au plus haut degré, ayant un véri- table institut en miniature, dans lequel toutes les partftes de la re NOTES. 213 science sont représentées. Dieu veuille que l'orgueil et l'envie qui perpétuent la discorde au sein de nos sociétés savantes les plus célèbres , ne se glissent point au milieu des capacités réunies dans l'expédition américaine et ne la rendent pas infructueuse. Le commodore aura autant de mal à tempérer les rivalités intrai- tables de la science, qu’à conduire en droit chemin tous les na- vires de sa division au milieu des glaces et des brumes impéné- trables. (M. Roquemaurel.) Note 25, page 44. Le matin, à cinq heures, on a harponné du gaïllard d'avant deux énormes marsouins, chacun du poids d’un quintal environ. À peine hissés à bord, ces animaux ont été partagés. L'histoire naturelle n’a pas été oubliée. MM. les naturalistes ont eu le squelette, et la chair a été divisée parmi tout l’équipage, qui, pendant deux jours , en a fait ses délices. Quant à moi, privé de nourriture fraîche depuis longtemps, j'en ai mangé avec plaisir . malgré la dureté, la couleur noire de la chair et son goût huileux an peu prononcé. (M, Gervaize.) Note 29, page 53. mn. | Dans la nuit, limpétuosité croissante du vent de S. O. avait fait mettre les huniers aux bas ris ; aujourd’hui, il nous oblige à mettre à la cape, sous le grand hunier et le petit foc. La hau- teur des vagues est estimée à vingt-six pieds ; la mer embarque très-souvent à bord, et le navire ressent quelquefois des chocs très-violents. À chaque nouvelle lame , la corvette se dresse en levant le nez, s’abaisse sur le côté comme si elle allait sc ren- verser , puis recommence ce manége à chaque mouvement de ces grosses lames. 1": (M. Desgraz. ) 214 NOTES. Le Note 30, page 56. À six heures du soir, le commandant d'Urville m’ayant appelé à son bord par un signal, je m'y rendis immédiatement. Il me prévint qu'après avoir réfléchi plus mûrement sur le mouillage de la terre des Etats , il s’était convaincu que cette relâche serait trop stérile pour l'expédition, qu’elle nous offrirait peu de res- sources pour les équipages, le poisson y étant très-rare et la chasse peu abondante; qu’en outre, nous pourrions éprouver de grandes contrariétés avant d'atteindre un ancrage sûr. A ces premières considérations venait encore s’en joindre une autre plus importante; c’est que d’après toutes les chances, d’après toutes les relations, nous ne pourrions pas espérer trouver un passage dans le sud avant le 15 février, et que par conséquent toutes nos tentatives antérieures ne seraient propres qu’à nous causer des peines et des fatigues inutiles. Après avoir bien tout pesé, et voulant autant que possible remplir ses instructions qui, bien que vaguement tracées sur cette première partie de la campagne , parlaient néanmoins du détroit de Magellan après sa pointe au sud , reconnaissance impossible à cette époque, il se décidait à commencer par cette exploration , et allait faire route pour le mouillage du Port-Famine. Je ne pus qu’approuver cette décision qui était toute dans l'intérêt de la campagne, de la science et de la santé de nos matelots. Les faits bien arrêtés et bien convenus, je retournai à bord de la Zélée, où cette nouvelle causa une joie générale. (WT. Jacqüinot) Note 31, page 56. Ce jour, le commandant se voyant si peu favorisé pour se rendre à la terre des Etats qui nous offrait d'ailleurs peu de NOTES. 25 ressources et d'intérêt, s'est décidé à faire route pour le détroit de Magellan ; dont l'exploration entrait d’abord dans les plans- de l'expédition. Si l'été austral n’ést pas encore assez avancé pour que la débâcle des glaces ait laissé des passages préférables vers le pôle, nous ne pouvons que gagner à employer le mois de dé- cembre à la reconnaissance d’une partie du détroit qui, depuis Bougainville, n’a été visité par aucune expédition francaise. Nous sommes à même de vérifier quelques points du travail du capi- taine King, et juger du degré de confiance dont ses cartes doivent jouir. Il est d’ailleurs d’un grand intérêt pour nous de visiter la Patagonie et la Terre de Feu, qui peuvent être considérées comme les limites australes de la végétation et des climats habités par l'homme. Le Port-Famine, situé au centre du détroit, nous offrira une relâche plus profitable que la terre des Etats où l’on trouve, dit-on, peu de gibier et de poisson. (M. Roquemaurel.) Note 32, page 84. Le soir, la terre prit un aspect menacant; ce n’est qu’à grande peine que nous pûmes débouquer du premier goulet. Les terres qui bordent cette baie sont si basses, qu'on n’en aperçoit que des lambeaux qui se détachent à peine de l'horizon, laissant entre eux des intervalles qu'on prendrait pour autant de goulets. Le cap Gré- gori seul se relève assez pour fournir un point de reconnaissance. Apercu sur le côté N.0. dela baïe une lignede brisants. Louvoyé toute la soirée contre le vent et le courant contraires, pour attein- dre le mouillage du cap Grégori. Mais les grains et la pluie cou- vraient la terre, et empéchaient de bien apprécier sa distance. À neuf heures-et-demie du soir, mouillé par 16 brasses d’eau, fond de vase et petits galets, à environ 4 ou 5 milles de l'entrée du deuxième goulet. La brise souflait par violentes rafales , et le 216 NOTES. courant avait repris toute sa force. Le plomb de sonde emporté par le courant accusait 25 brasses de fond, tandis que nous n’é- tions que par 16 brasses. En mouillant l’ancre de tribord, le manchon en fer de la bitte fut soulevé, et retomba sur la chaîne qu’il étrangla contre le montant de la bitte, en empéchant la chaîne de filer. L’ancre poussée par le courant contre la carène du navire, resta suspendue à l’écubier, sans qu’il fût possible de la faire parer. L’ancre de babord éprouva un accident semblable en tous points; de telle sorte que la corvette resta plus de dix minutes livrée sans défense à un courant de près de 8 nœuds et à une très-forte brise. Plus près de terre, la corvette eût couru le risque de faire côte et d’y rester. On parvint à soulever le man- chon de la bitte de babord qui faisait stopper sur la chaîne qu’on put ainsi filer jusqu’à go brasses. On travailla jusqu’à minuit à remettre au bossoir l'ancre de tribord, et le lendemain on répara les bittes. À onze heures du soir, le courant avait toute sa force, et la brise soufilait toujours par violentes rafales, la mer quoique resserrée ‘dans un bassin, s'élevait en vagues courtes et serrées qui défer- laient sur le pont. L’artimon qui avait été bordé ne put nous faire éviter le vent et la lame. La Zélée qui venait de mouiller près de nous, resta comme l’Astrolabe, le jouet du vent et de la marée; les corvettes obéissant tantôt à l'impulsion du vent, tantôt à celle du courant, se croisèrent plusieurs fois à petite distance, de ma- nière à nous faire redouter un abordage qui nous eût mis en pièces. Notre anxiété ne disparut qu'après minuit, où le vent et la marée perdirent peu à peu de leur violence. | (M. Roquemaurel. Note 33, page 84. Nous demeurâmes dans cette terrible position depuis dix beu- res du soir jusqu'à trois heures du matin. Jamais quart ne me NOTES. 217 fut aussi pénible que celui que je fis cette nuit. Je crois qu'il est impossible d'être plus en danger de s’aborder, et un abordage dans cette nuit eût été affreux; la mer était monstrueuse et défer- lait sur les gaillards..…. (M. Gourdin.) Note 34, page 87. Dans l'après-midi, comme nous rangions à deux milles de distance la rive gauche du canal ou la Terrede Feu, on crut aper- cevoir un homme sur la crête des falaises. Bientôt il en parut un second et puis deux autres. Le premier était à cheval, ’et les autres semblaient suivre au petit pas leurs paisibles montures qui étaient chargées de quelques fardeaux. On fit bien des con- jectures sur la présence de ces hommes sur la Terre de Feu, et surtout sur l'apparition des chevaux, qu’on croyait n’exister que sur les terres de la Patagonie. A la distance ou nous étions , il était difficile de rien préciser sur la taille des indigènes, à moins ‘être aussi crédules ou même aussi portés à l’exagération que l'étaient nos devanciers. Cependant, les individus qui fixaient notre attention s'étant arrêtés, puis cheminant de nouveau, je fus frappé de voir les piétons sans cesse accolés à leurs montures. Enfin un examen plus attentif à l’aide des lunettes, nous fit juger que ce que nous avions pris pour un cavalier n’était qu’un ani- mal à-croupe arrondie, tête élevée, poil rougeûtre, ventre blanc, queue blanche, courte et touffue; en nn mot une sorte de mou- ton du Pérou, connu sous le nom de lama ou guanaco. Ces timides bêtes, après avoir fait quelques pas, et jeté un regard sur la mer, rentraient dans leurs domaines. Vers sept heures du soir, au moment où nous allions débouquer du second goulet, on apercut sur le cap St.-Vincent quien forme la pointe S. O., du côté de la Terre de Feu, une fumée qui nous apprit que cette partie de la côte était habitée, On vit en effet au 218 NOTES. sommet du Cap un grouped’individus faisant signe de leursmains, en agitant quelque portion de leur vêtement. Le commandant pensant que ces hommes pouvaient être des naufragés implorant du secours, fit route pour se rapprocher du cap. Les signaux continuèrent : mais arrivés à moins d’un mille du rivage, nous vimes distinctement cinq sauvages occupés à attiser le feu autour duquel ils étaient grouppés, sans qu'ils parussent s'inquiéter beaucoup de notre manœuvre; quelquefois seulement, l’un d'eux se levant faisait quelques pas en gesticulant, ou restait debout à contempler la mer et les navires. Ces hommes semblaient vêtus de peaux d’un rouge pareil à celui du guanaco: Cette sorte de manteau était jetée sur les épaules, sans aucune facon ou ajustement. L’un d’eux portait une espèce de jupon ou très= large culotte de couleur claire, qui descendait j usqu'au genou. Je n'ai pu distinguer les coiffures ni les armes qui pouvaient'être des lances, des javelots on de simples bâtons. La Zélée apercut sur la rive opposée du goulet un cavalier qui serait un Patagon, si la Zélée n'avait pas comme nous pris un guanaco pour un cavalier. | (M. Roquemaurel.) Note 35, page 68. L2 À neuf heures et demie, le disque du soleil disparaïssait derrière les montagnes au S. O. du cap Negro. Mais ses dérnières lueurs coloraient encore l'horizon de la plus belle pourpre. Ja- mais sous le ciel des tropiques, spectacle plus imposant ne s’offrit à nos regards. Au dessus des terres, drapées d’un nuage noir, s'élevait un immense cône enflammé. Son sommet touchait aux montagnes ; sa base se pérdait en rayons étincelants dans le fir- mament. Des nuages d’un rouge sombre divisaient ce cône en plusieurs zones dont la hauteur grandissait ou s’abaissait, suivant les diverses périodes de ce vaste incendie. Il nous semblait voir j: Be NOTES. 219 des tourbillons de fumée s’élevant en bases horizontales au-dessus du foyer de cetembrasement. Tantôt cette fumée stationnait au- dessus du volcan comme un nuage noir; tantôt elle s’évanouis- sait en vapeurs légères , d’une teinte bleuâtre ou violacée. Une lave brûlante ruisselait du sommet du cône et sillonnait les nua- ges et les montagnes. Mais bientôt les feux de ce volcan fantas- tique s’éteignirent dans les cîmes neigeuses de la Patagonie, qui se couvrirent d'orages et de frimats. Comme nous longions de fort près la côte N. 0. de Pile Elisa- beth, nous recûmes une bouffée de fumée que nous supposèmes venir des feux allumés sur la côte par les Pêcherais. Le temps était trop sombre pour qu'il nous füt possible de rien distin- guer. (M. Roquemaurel.) Note 36, page 88. A huit heures et demie, notre attention est attirée par le plus beau coucher du soleil que j'aie encore vu. D’éclatantes couleurs rouges de feu et dorées ressortaient sur les teintes plus pâles et bistres de l'horizon. Une nuance insaisissable d’un violet plus ou moins foncé aidait au reflet des plus brillants contrastes de la lumière, Un immense incendie dans un temps calme, une gigan- tesque éruption volcanique ne pouvaient donner qu’une faible idée de ce magnifique spectacle. Longtemps nous avons pu suivre les dégradations des belles couleurs pourpres qui entouraient la place où le soleil avait disparu, comme autant de faisceaux par- tant du même centre. A dix heures, on put encore voir les teintes jaunâtres qui avaient succédé aux prunitives splendeurs ; bien avant dans la nuit, on aurait pu indiquer la place du coucher par le pâle rayon qui y demeura longtemps fixé. (M. Desgraz.) 220 NOTES. Note 37, page 88. Nous longions la côte N. de l’île à un mille de distance, filant six nœuds, la Zélée à deux encablures dans nos eaux. Arrivés à la pointe O. de l’île, nous serrons le vent; mais la bordée nous portait sous le vent du cap Negro, nous virons vent devant, sous les huniers et la misaine, et avec une hardiesse inouie, nous courions droit sur la pointe sud de l'ile Elisabeth ; pendant ce temps, nous établissions la grande voile et le perroquet de fougue qui avaient été serrés, et la brigantine, puis environ huit minutes après le premier virement de bord, nous virons de nouveau. Nous n’étions plus qu’à deux encâblures de terre, et il nous eût peut-être été funeste de manquer à virer. Le comman- dant ordonna ces manœuvres avec le plus grand calme et le plus admirable sang-froid. De la bordée suivante nous doublâmes le cap Negro à un mille de distance. (M. Gourdin.) Note 38, page 58. Dans la nuit, nous sommes restés sous voiles, et par une ma- nœuvre hardie, nous avons passé entre l’île Elisabeth et la côte. Tous les officiers s'accordent pour admirer l'habilité et le sang- froid du commandant dans la navigation épineuse du détroit. La manœuvre de la nuit dernière a presque enthousiasmé ces messieurs. (M. Desgraz.) Note 39, page 94. Des cénotaphes ont été élevés sur divers points de la côte, à la mémoire de quelques baleiniers anglais ou américains. Ce sont NOTES. JU de simples planches ou poleaux ; lun de ces potsaux avait été planté par le capitaine Dugué du navire le Hävre, comme un souvenir de son passage par le détroit. On. trouva suspendu à un arbre un petit baril avec cette inscription Post-office. I con- tenait plusieurs notes où renseignements nautiques laissés par les capitaines anglais ou américains, sur le détroit de Magellan, l’époque de leur passage, l’état des vents, des courants, etc. Au temps où la pêche des phoques avait attiré bon nombre d’Amé- ricains dans ces parages, l’un d'eux, M. Water-House avait dé- poséau Port-Famine, qui était le point de relâche le plus fré- quenté par les pècheurs, une bouteille servant à recevoir les notes et lettres des divers navires. Ceux qui passaient par le détroit pour se rendre en Europe ou au Chili, emportaient les dépêches à leur destination. Le capitaine anglais Carrick eut l'heureuse idée de convertir la bouteille de Water-House en un véritable bureau de poste, sans directeur ni commis. Le mo- deste baril fut placé à cette extrémité du monde, sous la sauve- garde et à l'usage des navigateurs. L’honorable M. Carrick est passé depuis pour la cinquième et sixième fois, emportant toutes les lettres ; nous n’avons trouvé que les notes et renseignements nautiques. Le baril-poste fut religieusement remis à la place. Nous lui donnâmes une succursale signalée par un poteau élevé sur la crête d'un petit morne escarpé qui domine l’aiguade ; une feuille de cuivre clouée au poteau recut l'inscription suivante : CORVETTES FRANCAISES ASTROLABE ET ZÉLÉE, COMMANDANT D'URVILLE » ARRIVÉES ICI LE 12 DÉCEMBRE 1837, PARTIES LE 28 DÉCEMBRE POUR LE POLE AUSTRAL. Une boîte revêtue de zinc recut nos dépêches pour la France, avec une note pour les navigateurs qui viendront après nous. Elle fut attachée au poteau avec un écriteau où l’on pouvait lire 222 NOTES. du mouillage, Posre aux Lerrres. Espérons que le digne capi- taine Carrick passera bientôt en ces lieux et se chargera de porter en Europe des nouvelles de notre expédition, pourrassu- rer quelques gens timides qui nous croient déjà peut-être broyés dans les glaces ou les rochers. (M. Roquemaurel.) Note 40, page 99. Dans la baie Famine se jette la rivière Sedger que plusieurs voyageurs ont trouvée navigable à diverses hauteurs, selon l’en- combrement de son lit. Deux jours après notre arrivée, nous partimes de grand matin dans une yole légère pour.en tenter l'exploration, avec la résolution bien arrêtée de le remonter autant que nous le pourrions. À son embouchure, les bords sont. plats et marécageux, mais à un demi-mille le lit s’encaisse au-milieu d’une forêt presque impraticable. De chaque côté s'élèvent des arbres gigantesques, les uns déchaussés par le courant de la ri vière et prêts à tomber, les autres debout encore et servant d'appui aux premiers, jusqu’à ce qu'ils soient déracinés à leur tour. Un grand nombre étaient abattus sur la rive et n’attendaient qu’une crue de la rivière pour descendre à la mer, aller s’échouer.et pourrir sur d’autres rivages. Il serait difficile d'imaginer un ta- bleau plus pittoresque que celui que chaque coude dévoilait ànos yeux. Partout c'était ce désordre admirable que l'on, ne saurait imiter ; un amas confus d'arbres, dé"branches brisées, de troncs couverts de mousses qui se croisaient en tous sens. A neuf heures du matin, nous trouvant, d’après motreestime, à quatre milles environ de l'embouchure, nous mîmes pied à terre sur un point où la forêt était moins épaisse et songeâmes à dé- vorer un excellent déjeûner qui avait été apporté. Le froid et la longue matinée avaient considérablement aiguisé nos appétits qui surent faire une prompte justice du solide et du liquide qui, en NOTES. 223 dépit de certains Spartiates, firent sur nous un effet infiniment plus salutaire que leur brouet noir. Avant notre halte, nous étions graves comme des docteurs en théologie , mais à dater de ce mo- ment, la chaleur de nos estomacs se communiquant à nos cer- veaux ; la gaieté remplaca cette gravité insipide qui fait tout ju- ger froidement et dont le mérite est d'empêcher de dire et de faire des sottises sans jamais pouvoir mener à bien. Voici bien, diront les sages, le raisonnement d’un fou; mais en dépit d'eux, je maintiens mon dire. Pendant que nos hommes se reposaient, nous nous répandi- mes dans la forêt en quête d’oisesux, d'insectes et de plantes, mais le peu de fruits que nous retirâmes de nos recherches, nous les fit bientôt abandonner, et à onze heures, nous nous remîmes en route pour continuer notre course. À mesure que nous avan- cions, le courant augmentait et souvent nous fûmes forcés de dé- barquer pour haler le canot à la cordelle. La rivière se rétrécissait et la force diminuait considérablement à chaque coude. A trois heures nous arrivâmes à un point très-resserré entre des falaises _ assez élevées et après avoir vainement lutté contre la force du courant qui se précipitait sur les bords , nous nous décidâmes à rebrousser chemin. Nous pûmes exactement estimer, en descen- dant, la distance que nous avions parcourue; elle s’est trouvée de 7 milles À, et je crois que personne n’a remonté cette rivière plus loin que nous; quoique notre yole tirât très-peu d’eau, nous tou- chions à chaque instant au point où nous nous sommes arrêtés et que nulle embarcation n'aurait pu franchir. Je pense que nous devons notre réussite à une grande crue de la rivière dans les jours précédents, crue dont nous vimes encore les traces toutes fraîches et qui avaient sans doute déblayé le lit des arbres qui doivent presque toujours l’encombrer. (M. Montravel.) 224 NOTES. Note 41, page 99. Malgré leur aspect sombre et sauvage, les forêts de la Patago- nie ne sont pas entièrement privées des agréments que présentent les contrées moins éloignées de l'équateur. De vastes clairières offrent à l’œil du voyageur de magnifiques pelouses bordées de grands arbres peuplés de perroquets, de pies, de merles et de grives. Dans ces enceintes solitaires, dont le silence n’est troublé que par la voix des oiseaux, on peut un instant se croire au mi- lieu d’un de nos anciens parcs féodaux en un jour de printemps; mais illusion s'envole aussi prompte que la rafale de l’ouest qui, dans quelques minutes couvre l’azur du ciel d’un voile d’ardoise et roule dans les vallées des tourbillons de neige et de gréle, avec _des torrents de pluie. Les cläirières elles-mêmes sont peu pratica- bles, à cause d’une herbe touffue qui couvre des mares d’unéteau croupissante. Cependant le chasseur sans cesse contrarié par Les difficultés du terrain, doit s’estimer heureux de rencontrer! ces clairières non loin de la mer et de la rivière Sedger. C'est delà . qu'il peut atteindre au passage les vols d'oies ou de canards, où surprendre les bécassines et une foule d’autres oiseaux qui vien- nent réjouir nos tables, ou s’enfouir dans les charniers des natu- ralistes. (M. Roq uemaurel D Note 42, page 101. Le sol de la presqu'île Santa-Anna est formé d’une roche schis- teuse dont on retrouve les couches feuilletées sur tous les points du contour de la baie qui n’ont pas été envahis par les alluvions. Cette roche est recouverte d’une couche d’humus de 5 à 7 déci- mètres d'épaisseur, où croissent des herbes touffues, des plantes épineuses, des groseillers sauvages et plusieurs autres arbustes NOTES. 225 qui formaient un fourré des plus inextricables, l’eau qui provient de la fonte des neïges de l’intérieur du pays ou des pluies, mais non point je crois des sources jaillissantes, sourd au-dessus de la roche, au milieu d’un faisceau de racines et de taillis, et s’épan- che vers la mer en une foule de petits filets qu’on rencontre sur les divers points de la côte. L'eau arrive donc chargée de matières végétales qui lui communiquent leur saveur, et une partie de leur odeur. Mais, grâce aux basses températures de ces climats, ces derniers végétaux n’exhalent point d’odeur malfaisante, et ne nuissentque fort peu à la pureté des eaux. (M. Roquemaurel.\ Note 43, page 101. Le temps étaitbeau, la brise au N. 0. Je quittai le bord à trois heures du matin, accompagné de MM. Dubouzet, Thanaron, Montravel et Le Guillou , dans l'intention de remonter la rivière Sedger, et d'en suivre le cours aussi haut que nous le pourrions. Le canot que nous primes était léger, marchait bien, et réunissait les conditions nécessaires pour cette exploration. D’après le récit de quelques navigateurs qui nous avaient précédés, nous devions craindre de voir notre marche arrêtée à trois ou quatre milles de embouchure par les arbres qui, à cet endroit, obstruaient la rivière et fermaient toute issue aux embarcations. Mais nous fümes plus heureux, nous pénétrâmes à six milles, et pour aller plus loin, nous ne trouvâmes d'autre obstacle que le courant qui était très-violent et que nous ne pûmes "jamais franchir, quelques efforts que firent nos matelots, qui dans cette circonstance ne se ménagèrent pas. Nous eûmes presque partout une profondeur de quatre à cinq pieds à égale distance des deux rives. Je ne sau- rais déterminer jusqu'à quelle hauteur l'influence de la marée se fait sentir. Le capitaine King affirme que l'eau est douce à un mille de l'embouchure. | à 15 226 NOTES. Partout, sur ses deux bords, la végétation est riche et vigou- reuse. Quelques pointes seulement offrent un débarquement facile. Dans tous le reste, la côte est à pic et couronnée d’un ri- deau d’arbres très-pressés les uns contre les autres ; quelques-uns d’une grosseur étonnante, présentant douze à quinze pieds de cir- conférence. Durant tout le trajet que nous pûmes effectuer, nous jouimes d’un coup d'œil admirable, et nous éprouvämes!: une douce sensation en naviguant au milieu de ces deux murailles verdoyantes qui, malgré la rigueur du climat, étaient animées par la présence d’une infinité d'oiseaux. En quelques endroits, nous trouvâmes des empreintes assez fraiches qui nous indiquaient que quelques bêtes féroces y avaient passé depuis peu de temps. La Sedger est extrêmement sinueuse et revient quelquefois sur elle-même, en décrivant un cercle presque entier pour remonter ensuite. À l'endroit des cascades, les courants sont souvent très- forts , et il faut gouverner avec beaucoup d'attention. Dans ces circonstances, chaque fois que le terrain permet de débarquer, il faut en profiter pour faire haler à la cordelle; c’est le seul moyen de franchir plusieurs pas qui, avec les avirons seuls, offriraient beaucoup de difhicultés et de fatigues. Nous employâmes deux heures et demie à descendre vers Pem- bouchure, et à sept heures du soir nous étions de retour à bord. M. de Montravel qui s’était muni d’une boussole , dressa le cro- quis du cours de cette rivière. CN. Jacquinot.) Note 44, page 108. Le vendredi 22 décembre, à quatre heures du matin ; les chi- rurgiens des deux bâtiments, Dumoulin et moi, nous partons dans le grand canot de la Zélée et nous nous faisons mettre à terre sur la rive orientale de la rivière qui débouche dans la baie NOTES. 297 Voces. L'ordre de M. d'Urville était de faire tous nos efforts pour parvenir sur l’un des sommets de la chaîne du mont Tarn; les chirurgiens pour y faire de la botanique et de la minéralogie, Dumoulin et moi des observations barométriques et d'intensité magnétique. * Déposés sur la grève, il nous fallut immédiatement pénétrer dans une forêt tellement épaisse, tellement remplie de broussailles, que nous fûmes effrayés de la perspective qui nous attendait , s’il fallait continuer notre route avec de pareilles difficultés. La bous- sole fut donnée à l’un de nous qui prit la tête de la colonne et donna la route , d’après le relèvement pris du canot, sur une montagne qui semblait la moins /inaccessible. Heureusement à mesure que nous avancions les broussailles diminuaïent, bientôt elles disparurent entièrement, et notre marche ne fut plus en- travée que par des troncs d’arbres énormes entassés les uns sur les autres. Nous fimes de l'équilibre, et malgré quelques chutes, après avoir marché encore une heure , nous sortimes de ce bois, pour entrer dans une clairière d'environ un mille dans sa plus grande dimension. Nous y gagnâmes peu pour la facilité de la marche; car le sol était couvert d’une croûte de mousse reposant sur une terre tellement tourbeuse et imprégnée d’eau que nous enfoncions jusqu'aux genoux. Nous fimes halte sur la lisière de la forêt qui se présentait en face de nous, aussi vierge que la première. Un fait qui saute aux yeux de quiconque cherche à pénétrer dans l’une de ces retrai- tes silencieuses que la main des hommes n’a point encore défigu- rée, c'est que le premier abord présente des difficultés presque insurmontables qui vont bientôt en s’aplanissant de plus en plus. La nature a-t-elle voulu défendre d’une ceinture de ronces et d’é- pines ombre mystérieuse des bois ; où n’est-ce que la réunion physique suivante. L'air qui circule librement autour d’une grande étendue de terrain couverte de grands arbres, poussé par les diverses brises 228 NOTES. qui agitent l'atmosphère, pénètre jusqu'à une certaine profon- deur dans le massif d'arbres qu'il entoure et donne aliment à toutes les broussailles parasites que la végétation lui présente. Arrivé à une certaine profondeur, l'air moins souvent renouvelé ne fournit plus d’acide carbonique à tous les germes qui cou- vrent le sol, et qui périssent faute de cet aliment. On remarque en effet que les accidents de terrain qui permettent à l'air une circulation plus active dans certains lieux, le lit d’un torrent, une gorge entre deux monticules, dont l'entrée se présente ouverte aux vents régnants, favorisent le développement d’une végétation plus active. Je pense donc que la circulation de l'air favorise le développement de la végétation des forêts. Ainsi je | n’attribue pas tant l'absence de la végétation dans la partie des terres qui sont exposés au S. O. dans le détroit de Magellan, à la violence des coups de vent de cette partie, qu’à la température de l'air que ces vents apportent et à la neige qui s’y accumule plus que partout ailleurs, et qui y fond beaucoup plus tard. L’abaissement de température a toujours été le plus grand en- nemi de la végétation, comme de toutes les fermentations possti- bles. Mais revenons à notre halte. Après avoir allumé du feu dans le tronc d’un arbre mort, nous passâmes l'inspection de nos provisions, et une oïie, fruit de notre chasse, plumée et préparée par nos mains, suspendue “par un fil de caret à un bâton horizontal reposant à chacune de ses extrémités sur deux bigues, reçut une cuisson préparatoire devant ce feu magellanique, et fut ensuite dévorée par des appétits non moins magellaniques. Après un léger déjeûner, le courage nous revint aux jambes et nous nous remîmes en route, passant alternativement de forêts en clairières, dirigés par notre seule boussole, tirant du gibier toutes les fois qu'il s’en présentait sur notre passage, afin d’aug- menter nos provisions. NOTES. 229 A mesure que nous avancions, la route devenait moins aride; la végétation moins active avait espacé les arbres davantage. Nous fimes halte vers midi, afin de manger plus copieusement que nous ne l’avions fait le matin. Le bois n'étant pas rare, nous n'étions pas avares de feu; l’eau seule manquait, et pour nous en procurer, nous fûmes forcés de faire un trou dans la terre et de recueillir l'eau qui filtrait peu à peu et se rendait dans la “partie inférieure de l’excavation. Honneur à notre matelot Le- jeune que nous avions nommé cuisinier en chef! Il nous fit avec des hächis de gibier et de lard l’un des plats les plus savoureux que j'aie mangés, même dans des temps plus favorables au déve- loppement des sciences culinaires. Convenablement restaurés, nous continuâmes à gravir. La vé- gétation devint rabougrie. Enfin nous apercûmes devant nous le penchant de la montagne dégagé des grands arbres qui jus- que-là nous en avaient caché laspect. La boussole devint inutile. De grandes flaques d’eau provenant de la fonte des neiges, des mousses, des buissons parant la terre; telle est la nature d’une plaine sur laquelle repose la dernière élévation qui conduit sur la crête de la montagne. Nous arrivons au milieu des neïges ; la soirée ét Il faliu nuit; nous allâmes donc nous établir au-dessus d’une plaque de trop avancée pour gravir au sommet le même jour. sercher un endroit favorable pour dîner et passer la neige, où quelques arbustes de trois pieds de hauteur étaient le meilleur abri que nous pussions trouver en ces lieux. Nous y dinâmes tarit bien que mal; mais la difficulté d’y faire du feu, l'humidité du terrain, la température si basse , la pluie, la grêle et les raffales nous forcèrent à quitter cette station et à descendre quelques milles pour chercher un meilleur abri. Nous y réussimes, et placâmes notre bivouac dans un bou- quet de grands arbres ; quelques-unes de ces tiges majestueuses étaient mortes et desséchées par le temps ; nous en incendiâmes 9230 NOTES. le pied ; le feu d’abord circonserit à la partie inférieure, gägna de proche en proche les. ‘branches les plus élevées et s’ ‘épanouit en larges gerbes de flammes, dont l'éclat illuminant au loin les buissons et les arbres, donnait un aspect étrange à ces lieux plu- tôt destinés à recevoir les reflets monotones de la neige que. la couleur sanglante de l'incendie. Les arbres attaqués et minés au pied par le feu finirent par tomber tout enflammés sur les arbres voisins en y communiquant l'incendie. Nous reposâmes ainsi tranquilles et muets, entourés d’une ceinture de feu. Le jour vint mettre fin à notre quiétude et nous nous dispo- sâmes à gravir au sommet de la montagne qui se trouvait encore à une lieue de nous. Le temps était pluvieux et nous voulions nous hâter pour être de retour le soir aux bâtimens. Afin de ne pas nous charger, nous eûmes la funeste idée de laisser nos vivres et nos fusils à notre gîte, comptant les y reprendre au retour en y déjeûnant. Nous traversâmes donc de nouveau la plaine que nous avions vue le jour précédent, et nous arrivâmes près des neiges qui couvrent le penchant sud de la montagne, mais le temps avait tenu la promesse que son apparence indiquait : da pluie, la grêle commencaient à tomber. Malgré tout, Dumoulin et moi, nous continuâmes à gravir par une pente tellement à pic que souvent pour ne pas dégringoler sur ce terrain. fallait se jetter à plat ventre et se retenir de toutes parts aux petites inégalités du sol. Après beaucoup de peines et de dangers, nous arrivèmes au sommet le plus élevé, en cotoyant un préci- pice, de neige qui se trouve dans la partie sud de là montagne. Les vents du S. O. rendus glacés par une neige fondue qui nous traversait, en rendait le séjour insupportable ; nous y restèmes environ une heure à observer. Lorsque tout fut terminé, nos membres étaient tellement glacés, qu’à peine s'ils € étaient sensi- bles. Nous eûmes recours à nos gourdes qui contendient encore une petite quantité d’eau-de-vie. Alors nous pûmes nous remuer LT NOTES. 231 et reprendre peu à peu la route de la descente. Le docteur de l Astrolabe n'avait pu nous suivre ; nous commencâmes à avoir de l'inquiétude. Au milieu de la brume qui s’épaississait autour de nous, en vain nous aurions cherché à lapercevoir. Nous l’appelâmes de toute la force de nos poumons , longtemps ce fut en vain; mais en approchant du précipice de neige dont nous avons parlé, nous le trouvâmes transi de froid , assis près d’un buisson. Il nous raconta que des vertiges l'ayant empêché de gravir la montagne, il était allé herboriser dans les environs ; qu'ayant perdu son orientement, il s'était arrêté découragé, près du précipice, attendant tout du hasard. Une fois tous réunis, nous songeâmes à retourner à l'endroit où nous avions bivoua- qué. Alors une horrible angoisse s’'empara de nous , la brume ne nous laissait pas voir à cent pas; n’ayant ni provisions, ni armes, nous étions sans ressources dans ce pays de désolation. Quel- qu'un qui ne doute de rien assura avoir la mémoire des lieux, et se fit fort de nous conduire à bon port. En disant cela, il se met en route. Quand il fut à cent pas, rendu presqu’invisible par la brume, nous le suivimes tous, les uns comme les moutons de Pa- nurge, les autres afin de ne pas se quitter et de combattre la ten- dance qui existait chez quelques-uns de se débander, de courir en avant ou de rester en arrière. Au bout d’une demi-heure de marche, on ne s’entendait plus , une heure après la désorgani- sation était complète, et tout le monde finit par avouer qu’on était désorienté. Quand cet aveu eut été ainsi fait par celui même qui avait la mémoire des lieux , je fis la proposition suivante : de retourner sur nos pas, en suivant toujours la ligne de plus grande pente, ce qui devait naturellement nous conduire au sommet que nous venions de quitter. Une fois rendus à ce point de dé- part, en suivant la route directement opposée au relèvement que, dans nos habitudes de prévisions , j'avais pris de notre halte de la nuit dernière, au moyen de ma boussole que j'avais eu soin d'apporter, nous devions réunir pour nous toutes les chances 232 NOTES. probables de retrouver nos vivres et nos armes, On approuva, et l’on se mit à l'œuvre sans retard. Deux heures après, nos pré- visions avaient réussi. Après avoir marché de la montagne, dans la direction donnée par la boussole, l’espace de temps que nous avions mis à y venir, on établit un quartier général, et de cé point comme centre, des reconnaissances furent poussées dans plusieurs sens, sans s'éloigner de la portée de la voix qui seule au milieu de la brume nous réunissait à volonté. Au bout de deux heures, dis-je, des explosions de coup de fusil successives nous annoncèrent le résultat heureux de notre recherche. M. Gaillard, dans sa reconnaissance, était tombé nez à nez avec notre bou- quet d'arbres qui fumait encore. Tout le monde se dirigea vers le point d’où provenaient les explosions et nous fûmes bientôt tous réunis. Dès-lors toutes nos misères furent terminées. Quelques-uns de nous épuisés de lassitude s’endormirent aussitôt; d’autres em- ployèrent l'heure que nous consacrions au repos, en attaquant ‘avec courage les provisions qui nous restaient. A dix heures et demie, les dormeurs furent réveillés à grande peine, et nous re- commencâmes à descendre, toujours au moyen de la boussole. À deux heures, nous étions arrivés sur la côte que nous longeà- mes jusqu’à la petite rivière qui nous séparait de la Sedger. Nous passâmes à gué sur la rive orientale. Alors, M. Hombron s'arrêta nous conjurant de ne pas l’abandonner, car, disait-il , il n'avait plus la force de faire un pas. Huon et moi, nous restâmes avec lui, Dumoulir et Gaillard continuèrent afin de faire des signaux sur la pointe Sedger, et de nous envoyer le canot. Le docteur Le Guillou nous avait quittés à notre arrivée sur la plage. Nous donnâmes à M. Hombron ce qui restait dans nos gourdes, nous allumâmes un bon feu , en réunissant un monceau de bois sec que laisse la mer en se retirant. Il reprit bientôt quelques for- ces, et nous pûmes continuer ensemble notre route jusqu’à l'em- bouchure de la rivière Sedger. NOTES. : 233 3% F . a Eu C \ Le même jour, 23 décembre à six heures du soir, réunis à nos Li 0 À camarades autour d'une table bien servie, nous leur racontämes nos misères et nos dangers. (M. Coupvent.) Note 45, page 115. À trois heures, je m'achemine, avec MM. Duroch et Dumou- lin, vers la pointe Santa-Anna, que nous doublons dans l’inten- tion d'explorer cette partie de la côte. Nous suivons le rivage, qui est très-difficile à cause des rochers qui le bordent , et, après deux heures de marche, nous arrivons en chassant à une petite anse que nous traversons ; et, en doublant la pointe opposée, nous entrons dans une baie, la plus belle que j'aie vue. Un sable fin sur le rivage, la mer calme, de hautes forêts qui la dominent et l'entourent dans toute son étendue. Au fond , une cabane formée de branches d’arbre attachées régulièrement entre elles par des liens en jonc : une entrée basse est la seule ouverture , sa forme est sphérique, et peut avoir 3 ou 4 mètres carrés, sur 1 mètre et demi de hauteur ; le feu se faisait au milieu de la hutte, ainsi que les reste noircis du foyer, qui se compose d’une seule pierre, lattestent. Un ruisseau coule auprès, et se rend, en sortant des bois, dans la mer. Pendant que je contourne la baïe, Dumoulin traverse les bois, où il aperçoit des aigles et beaucoup de perro- quets, qui nous étourdissent de leurs cris. J’arrive enfin sur une pointe de rocher ; à mon approche, une grande quantité d’oi- seaux de mer s’envolent. Celui qui a fixé le plus mon attention est, je crois, un huîtrier. Ce superbe oïseau a les pattes jaunes, le bec long et rouge, le corps noir, et l'extrémité des ailes blan- ches. Je le siffle pendant plusieurs minutes, il plane sur ma tête; j'essaie de le tirer, il s'envole; je le siffle de nouveau, et à plusieurs reprises il revient décrire dans son vol de nombreuses circonférences autour de moi. À trois heures , nous prenons la 234 . NOTES. route du Port-Faminé, et rencontrons beaucoup de fossiles, non loin de la pointe Santa-Anna. À cinq heures, j'étais de retour; je me jette sur mon diner, et termine, en m’étendant. sur mon ha- mac, la plus agréable journée que j'aie encore passée à Magellan. (M. Gervaize.) Note 46, page 115. De l'endroit où nous étions mouillés, on distinguait plusieurs pics couverts de neige, sur l’un desquels le capitaine King était monté, lors de son voyage d'exploration dans le détroit de Magel- lan. Le récit qu’en avait fait cet habile officier anglais excitait au plus haut point l'enthousiasme de nos géologues et de nos natu- ralistes : une expédition fut donc décidée et arrêtée pour: le 24 décembre. Nos savants s’y rendirent, les uns armés d’un baro- mètre, pour en déterminer la hauteur ; ceux-ci, de pioches.et de marteaux géologiques ; ceux-là, de tout ce qu'il fallait pour re- cueillir et conserver des plantes, des insectes , des coquilles ter- restres. Le plus haut pic avait été déclaré inaccessible: par les Anglais, et nos explorateurs le trouvèrent é, salement défendu. par des forêts impénétrables et d'inaccessibles marais : on fut donc obligé de se contenter du plus voisin, et de celui que King avait déjà visité. On employa deux jours à faire ce pélerinage difficile et pénible. La hauteur de ce morne fut déterminée barométri- quement, et on trouva qu’elle était de 668 mètres. Quant à la géologie et à la botanique, elles y récoltèrent peu de chose ; quel- ques échantillons de pierres assez insignifiantes ne compensèrent pas les fatigues de quarante-huit heures de marche, et la flore de ces montagnes n’offrit qu’une bruyère étiolée, assez semblable à celle qu’on rencontre dans nos gorges alpines. On remarqua seu- lement quelques traces d'animaux à poil, mais sans pouvoir déter- miner l'espèce à laquelle ils appartenaient. a (M. Marescot.): 8 k NOTES. 235 Note 47, page 114. Pour rendre complètes les observations que nous fûümes à même de faire pendant notre séjour au Port-Famine, nous au- rions vivement désiré y voir venir quelques naturels, soit du continent, soit de la Terre de Feu. Nous savions que ces derniers fréquentaient quelquefois la côte de Patagonie, dans leurs piro- gues , et nous vimes à plusieurs reprises , dans les environs du Port-Famine, des traces de leur passage, quelques débris de ca- banes construites par eux au milieu des broussailles, en coupant les branches du milieu et en réunissant toutes les autres en forme de berceau. Sous ces huttes, qui annoncent bien peu d'industrie chez ceux qui les avaient construites, on remarquait des amas de coquilles et des dents de veaux marins, dont on sait qu'ils se nourrissent. Mais jamais nous ne fûmes assez heureux pour voir arriver une de leurs pirogues vers nous. Plusieurs officiers des corvettes entreprirent des expéditions lointaines du côté du nord, en suivant la côte, dans l'espoir de trouver des endroits habités par les Patagons ; mais des difficultés insurmontables pour tous les empêchèrent d'aller aussi loin qu'ils auraient désiré, et ils revinrent sans avoir rien vu, si ce n'est quelques wigwams aban- donnés par les Pêcherais. D’autres, désireux de connaître la na- ture du pays, au-delà des montagnes qui bordaient notre hori- zon, gravirent un jour le mont Tarn, avec tous les instruments nécessaires pour mesurer sa hauteur.et faire des observations de physique, et manqguèrent en partie le but de leur voyage; car la brume et la pluie, qu'ils eurent presque constamment au sommet, les empêchèrent de rien voir ; et ils revinrent exténués de fatigue, aprés avoir passé une nuit pénible, presqu’au sommet de cette montagne, exposés à un froid très-vif, quoique son élévation ne dépasse pas 1200 mètres. L'histoire naturelle seule profita donc de toutes ces excursions, et nos naturalistes, pendant leur séjour, 236 NOTES. y firent des collections précieuses en tout genre, surtout en bota- nique : nous étions dans la saison la. plus favorable pour cela. La rade offrit, en draguant, aux amateurs | de coquilles: ‘de beaux échantillons de deux espèces de térébratules, quelques jolis pei- gnes ; et chacun put ramasser à marée basse, sur les roches du rivage, tant qu’il en voulut, des masses de turbots, de patelles et de moules : les plus nombreuses étaient les moules striées, dites magellaniques. Ces moules étaient malheureusement remplies de perles, et nous privaient de la grande ressource dont elles eussent été sans cela pour nos tables, dans un pays où il fallait s’indus- trier pour vivre passablement. Malgré le triste sort qu’eut la colonie espagnole de Philippe- ville, il n’est pas douteux qu’on ne püût facilement réussir à fonder au même endroit un établissement ; et je ne craindrais pas de in’avancer, en assurant qu'il prospérerait. Le climat de ce pays est loin d’être aussi affreux qu’il a été dépeint, et me paraît se rap- procher beaucoup de celui de la même zone en Europe. Les na- tions qui pourraient entreprendre cette tâche avec le plus de suc- cès seraient célles du nord de l'Europe, qui s’y acclimateraient facilement. Quelle que soit celle qui s’y établira la première, elle rendra un véritable service à la navigation et au commerce , et; quelque intéressées que soïent ses vues, elle méritera néanmoins la reconnaïssance de toutes les autres. Si, pendant longtemps, des cartes imparfaites et le défaut de pilotes ont éloigné les naviga- teurs de ces parages, aujourd’hui, qu’une partie de ces difficultés a disparu, il en est encore bien peu qui osent s’y aventurer ; car, en cas d'événement, ils savent qu'ils seraient tout-à-fait dénués de ressources , et exposés ou à mourir de faim sur les lieux, ou à courir les plus grands risques en cherchant à gagner, sOit par terre, soit par mer, un pays civilisé, tant ceux-ci sont éloignés et les obstacles qui les en séparent multipliés. S'il existait une colo- nie européenne dans le détroit, cette navigation n’offrirait plus aucun danger réel, et, en temps de paix, on verrait tous les navi- : NOTES. 237 res qui se rendent dans la mer Pacifique ; en été comme en hiver, préférer ce passage à celui du cap Horn; car il offrirait l'avantage d’abréger leur route et souvent la traversée, et, dans les autres cas, celui d'éviter aux navires les dangers de la grosse mer, et les avaries qui souvent en résultent en doublant le cap Horn. Le pas- sage d’un océan à l’autre deviendrait alors on ne peut plus facile, et un véritable cabotage que feraient les plus petits navires, en prolongeant de près les deux côtes de l'Amérique méridionale. Les colons du Port-Famine trouveraient sur toute la côte du détroit, pendant les premières années, d’abondantes ressources dans la pêche, en attendant qu'ils eussent pu défricher le sol et lui faire produire des céréales, des racines de toute espèce et des lé- gumes. Dans les plaines, les bois, dont l'exploitation serait utili- sée, feraient place à d'excellents pâtura ges, où l’on pourrait nour- rir beaucoup de bestiaux. Avec de pareïls moyens, et ceux que fourniraient des communications faciles avec le Chili et les répu- bliques du Paraguay, dans un temps comme le nôtre, où la navi- gation a subi tant de perfectionnements , et entre autres celui de l'application de la vapeur, on pourrait s’établir sur ces côtes, sans craindre le sort de Philippeville. J'aisouvent pensé qu’il conviendrait à la France d'entreprendre une pareille colonisation ; et je répondrais à ceux qui pourraient m'objecter que la rigueur du climat serait faite pour en dégoûter les colons , qu’on a vu sous le même climat , au milieu du dernier siècle, nos populations maritimes du nord surmonter toutes les difficultés d’un pays beaucoup plus ingrat, car les Malouines n'avaient pas même de bois , et réussir à fonder un établissement qui aurait prospéré, et serait aujourd’hui le siége d’une colonie florissante, sans les ridicules exigences de l'Espagne, qui fit valoir ses droits de souveraineté sur ces îles, droits auxquels, autant par politique que par respect pour le droit des gens, le gouvernement d'alors céda, en abandonnant ce pays. Je ne pense pas qu'aujourd'hui aucun État fût en droit d’établix 238 | NOTES. - des prétentions souveraïnes sur cette partie de la Patagonie. Dans un temps donc où l'Angleterre s’est emparée de toutes les îles si- tuées dans la zone tempérée, où on peut établir a colonies agri- coles, ce pays est le seul où la France puisse fonder un établisse- ment de ce genre, et certes il n’est pas à dédaigner. Il serait hono- rable pour elle et à la fois très-utile, de transporter sur ces plages sauvages et pour ainsi dire désertes, ses mœurs et sa civilisation. En y jetant les fondements d’un nouvel Etat, ce seraïît pour elle en même temps augmenter son influence politique, et contribuer à la civilisation générale du monde, à laquelle les grandes na- tions doivent travailler de tous leurs moyens, sous peine de dé- choir. Si la gloire militaire, si chère au pays, n'entre pour rien dans une pareille entreprise, celle qu’on recueillerait serait beau- coup plus durable et plus profitable. Elle fournirait les moyens d'employer l’activité et l'industrie de cette partie de la population qui, sans doute, est pleine d’intentions droites et honorables, mais qui, désireuse de participer au bien-être de ceux qui possè- dent, se lance souvent dans des entreprises où elle échoue ; faute d’avoir bien calculé tous Les obstacles. En eftet, dans une société comme la nôtre, chacun trouve inévitablement dans l’exércicé de ses facultés une foule d’entraves, chaque fois qu’il vient se frotter contre une autre personnalité que la sienne, et subit les inconvé- nients de la concurrence, qui n’en est pas moins la sauve-garde de l’industrie. Alors ces gens, souvent à tort, accusent la société des malheurs qu’ils éprouvent , et tournent contre elle, pour la renverser, les eflorts et l'activité qu'une meïlléure direction au- rait pu lui rendre si profitables. D: Pour diminuer à là fois les charges d’un pareil établissement et le rendre plus tôt productif, le gouvernement, après avoir pris possession des terres , ferait bien d’en confier l'exploitation à des compagnies formées par des riches capitalistes auxquels on ac- corderait les mêmes priviléges qu'à celles qui ont déjà réussi à fonder des colonies florissantes sur les côtes méridionalés de NOTES. 239 l'Australie. Ces compagnies réussiraient beaucoup mieux que le gouvernement à y appeler des colons, à bien les choisir, et le contrôle qu'exercerait sur elles le gouvernement leur donnerait, pour les particuliers , toutes les garanties désirables. Ces com pa- gnies n'ont pas l'inconvénient des anciennes compagnies souve- raines, et ne sont pas fondées comme elles sur le monopole et ce- pendant elles en ont tous Îles avantages ; car elles offrent seules le moyen de réunir les capitaux nécessaires à des entreprises de ce genre, elles évitent au gouvernement le soin d'intervenir dans les concessions de terres que ses agents font souvent avec si peu de discernement ; elles lui ôtent aussi le caractère de spéculateur qu'il aurait s’il entrait comme partie intéressée dans les transac- tions, enfin elles inspirent plus de confiance aux capitalistes aven- tureux qui viennentexercer dans un pays nouveau leur industrie, que le gouvernement lui-même qu’il n’est que trop habitué chez nous à voir se mêler de tout, et à nuire à la production par ses mille et une petites tracasseries, et les entraves qu’il est toujours porté à mettre à toute industrie. Je n’ai pas besoin d’ajouter que les principes les plus larges sur la liberté du commerce, la liberté politique et la liberté religieuse serviraient de bases, du consen- tement de tous les actionnaires, aux institutions de cette colonie dès son berceau ; ce qui serait beaucoup plus difficile à établir si le gouvernement se trouvait à sa tête, et elles produiraient inévi- tablement tous les avantages qu’on en retire dans les sociétés nouvelles. Si les considérations politiques ne suffisaient pas pour engager la France à fonder une colonie à Port-Famine, ce lieu serait émi- nemment propre à devenir le siége d’une colonie pénale qui lui manque et dont le besoïn se fait vivement sentir. Ce lieu et toute la côte sud de Patagonie, réunissent les conditions nécessaires à un pareil établissement. L'éloignement de ce pays et son isolement da reste de l'Amérique , quoique rien ne paraïsse l'en séparer, offriraient une garantie suffisante contre le retour en France des 240 NOTES. déportés et leur désertion, et le climat permettrait de leur imposer un travail rigoureux qu’on ne peut pasexiger des Européens dans la zone torride. On pourrait mettre à profit, en fondant une pa- reille colonie, l'expérience qu’a acquise l'Angleterre, y rendre la déportation une punition effective et exemplaire pour la société, et la faire tourner en même temps à l'amendement du coupable. En purgeant ainsi la. France de l’écume de sa population, on pourrait à peu de frais, comparativement au résultat, transformer ces éléments nuisibles en instruments utiles, et les transplantant sur un autre sol, loin du théâtre de leurs crimes et des témoins de leur flétrissure, former, en se servant d'eux comme auxi- liaires, une colonie agricole dont les progrès seraient très-rapides. La France cesserait alors d’être obligée de conserver dans son sein les bagnes, écoles de vice et d’immoralité, qui tendent à corrom- pre la population des ports de mer ; car l’action désorganisatrice de ces criminels acquiert, comme toutes les puissances dece monde, de la force en se centralisant, et si on leur ôte la liberté, on ne leur ôte pas pour cela les moyens de nuire. Nos arsenaux qui ne retirent, quoi qu’on en dise , que bien peu d'avantages du travail de ces hommes, verraient cesser ces vols organisés par eux, dont le trésor a tant à souffrir, et que la police la plus active ne peut qu'imparfaitement prévenir, déprédations auxquelles tant de gens sont disposés à se prêter, en y prenant part, s'appuyant sur le principe des consciences larges, que voler l'Etat ce n'est pas voler. (M. Dubouzet.) Note 48, page 114. Le même jour, à deux heures du matin je partis avec MM. Du- moutier et Marescot pour aller à la recherche des Patagons. M. Dumoutier avait passé toute la nuit à écrire, Marescot et moi nous n'avions dormi que quelques heures. NOTES. 241 Nous suivimes le rivage, en contourant toutes les baies, ce qui allongeait beaucoup notre route. A neuf heures du matin envi- rom, nous nous arrêtèmes pour déjeüner. Nous avions déjà mar- ché près de sept heures, et la plus grande partie du temps dans un sable mouvant ou sur des galets qui roulaient sous les pieds. Nous avions trouvé dans la matinée un nid de canard con- tenant sept œufs; Marescot nous en fit une excellente ome- lette. A onze heures, nous nous remimes en route; mais nous ne marchâmes plus aussi bien. M. Dumoutier ne pouvait plus aller de l'avant et nous arrëtait à chaque instant. Cependant nous con- tinuâmes à marcher jusqu’à environ quatre heures ; depuis onze heures, nous n’avions guères fait plus de deux lieues. M. Du- moutier s'arrêta là, et déclara qu'il lui serait impossible d’aller plus loin. Nous ne pouvions pas l’abandonner. Du reste, nous étions chargés de gibier que nous avions tué dans la journée, et nous continuâmes jusqu'à la nuit. Nous ne pûmes aller qu’une couple de lieues plus loin; nous vimes que notre partie était man- quée ; nous nous décidâmes à rétrograder et à chercher un gîte pour la nuit. Nous ne trouvâmes point d’endroit plus commode pour passer la nuit que celui où nous avions déjeûné, etnous rétrogradâmes jusques-là. Nous n’y arrivâmes qu’à sept heures, et encore lais- sâmes-nous M. Dumoutier de larrière. Nous fimes cuire des moules pour notre souper. Nous man- geèmes aussi quelques mouettes rôties que nous avions apportées. Puis nous nous mîmes à couper des branches vertes, et en moins d’un quart d'heure, nous avions bâti une hutte très-confortable pour passer la nuit. Pendant ce temps, M. Dumoutier amassa un grand tas de bois sec pour entretenir le feu durant la nuit. Deux de nous se couchèrent sous la tente, le troisième fit faction près du feu. Nous fûmes fréquemment troublés pendant la nuit par Ï. 16 242 NOTES. des cris debêtes fauves qui vinrent rôder sur les bords de la ri- vière et nous forcèrent à nous tenir sur nos gardes. Le 27 décembre à quatre heures, nous levâmes le camp et nous mimes en route pour retourner à bord. À huit heures, nous nous arrêtämes dans une des baïes que nous avions contournées la veille, etnous y déjeûnâmes près d’une hutte de sauvages, sur les bords d’un petit ruisseau. Enfin à midi, nous arrivâmes sur la plage devant le navire, à l'endroit où se trouvait la tente. Tout avait été enlevé, il ne res- tait plus que quelques hommes qui lavaient leur linge à l’aiguade. Après avoir passé l'après-midi à chercher des coquilles, à sept heures du soir, nous rentrâmes à bord. (M. Gourdin.) Note 49, page 114. Quant à 4 ville de Philippeville, bâtie par la colonie espagnole, dont Morrell prétend avoir vu les beaux restes, c’est-à-dire des tours, des bastions et des murailles, elle n'existe plus : on recon- naît seulement le plateau où cette ville fut élevée. Quelques pierres rares indiquent qu’autrefois le pavillon de la péninsule flotta peut- être sur une ville ; mais quant aux tours et aux jolies choses que Morrell prétend avoir vues en 1827, il faut admettre que ce navi- gateur quelque peu enthousiaste, ou n’a pas été au Port-Famine, ou n’était pas bien éveillé quand il y passa. (M. Marescot.) Note 50, page 114. Les préparatifs pour le départ s’achèvent : le bois, le charbon et l’eau sont embarqués ; la tente de l'observatoire est démontée ; tous les objets déposés à terre rentrent à bord, et demain nous dirons adieu à cette terre pittoresque. Bientôt les traces de notre passage s’effaceront ; les oiseaux, effrayés par nos feux et par nos NOTES. 243 cris, reviendront sur les lieux d’où nous les aurons chassés ; une nouvelle poussée de feuilles marquera la place où nous avons dé- vasté la forêt, et la baie reprendra l’aspect qu’elle avait avant notre arrivée. Le commandant laissera une boîte clouée sur un poteau, dans laquelle nous mettrons nos lettres, avec une recommanda- tion pour les capitaines qui les trouveront, et qui pourront les expédier à leur adresse. Si l'expédition au pôle nous est fatale, nos familles recevront au moins de ce point reculé une dernière ex- pression de notre souvenir. Le poteau est dressé sur la colline en face du mouillage, parfaitement en évidence, à côté du poteau indiquant le passage, en 1835, du brick francais le Aévre, capitaine Dugué : on ne saurait mouiller à Port-Famine sans l'apercevoir. Le petit baril du capitaine américain Waterhouse sera aussi remis à sa place. J'apprends, en rentrant à bord, que l'équipage du grand canot avait vu, près de la forêt, à côté de la petite rivière, un animal appelé loup par les uns, tigre par les autres, qui s’avançait vers eux, lorsque leurs clameurs l'effrayèrent, et il s'enfuit. Ceci est une nouvelle preuve de la timidité de ces animaux, carnassiers sans doute, mais qui paraissent redouter l’homme; car, le soir, j'ai passé dans les mêmes endroits, suivant toujours la lisière des bois, dans l'obscurité, sans rien apercevoir qui ait pu m'indiquer une compagnie aussi peu agréable. (M. Desgraz.) Note 51, page 119. Nous eûmes cependant un beau et noble spectacle à voir pen- dant notre courte traversée de Port-Famine à la baie Galant. Après avoir vu se dérouler devant nous le panorama des terres bouleversées et des sombres rochers couverts de neige qui ter- minent cette partie de l'Amérique du sud, à deux heures de l'après-midi, nous vimes se dresser à deux milles devant nous le 2 24 | NOTES. gigantesque cap Forward, avec ses larges crevasses chargées de glace, ses lichens d’un vert sombre et triste, et sa ceinture de grands arbres, qui semblent l’entourer ainsi à sa base pour mieux faire ressortir son sommet aride et menaçant. C’est là que le célèbre Magellan s'arrêta, étonné lui-même de son audace, tandis que ses équipages, énouvantés à la vue de cette nature bouleversée, refusaient d’aller plus loin, et lui criaient qu'il les menait dans les gorges de l'enfer. Revenu bientôt à lui- même, Magellan imposa à ceux qu'il commandait, en poignar- dant les auteurs d’une semblable panique, et en ordonnant à son neveu d'aller à la découverte. Bientôt après, le cap de la Victoire fut reconnu, et l'expédition de Magellan, décimée par le scorbut, par les maladies, arriva enfin aux Philippines, pour annoncer au monde une découverte qui devait, quarante ans plus tard, con- duire à celle du cap Horn. (M. Marescot.) Note 52, page 119. La côte nord de l’île Clarence est découpée par plusieurs baies profondes , qui n’offrent pas de très-bons mouillages. Ici, la côte de la Terre de Feu, s’infléchissant vers le nord, enveloppe le cap Forward, pour courir au N. O., qui est la direction générale du détroit, à partir de ce cap. Cela fait qu'avant d'avoir doublé le cap Forward, on se trouve enfoncé dans un bassin sans issue appa- rente. La Terre de Feu est bordée d’une suite de pics escarpés, dont la hauteur ne paraît pas excéder 6 à 800 mètres. Quoique moins élevés, peut-être, que le mont Tarn, ils sont plus chargés de neige que ce dernier. 11 m’a semblé que leur ensemble n’affec- tait aucune direction qui pût se rattacher à quelque grande chaîne. On dirait que cette extrémité de l'Amérique, bouleversée par de profondes convulsions, séparée violemment du continent, et incendiée par les feux de mille volcans, aurait éprouvé une hosc NOTES. 245 véritable ébullition. La terre, boursoufflée et crevassée de toutes parts, aurait subi des déchirements, qui produisirent les formes les plus bizarres. La surface, exposée à un refroidissement subit, n’éprouva pas ces affaissements graduels, qui peuvent émousser les angles et adoucir les contours ; elle conserva ses aspérités et la rudesse de sés formes. On n’aperçoit sur ces rochers sauvages. qu'une rare végétation ” (M. Roquemaurcl.) Note 53, page 124. Outre la rivière dont j'ai déja parlé, il y en a une autre qui se jette dans le fond du port, en suivant le grand ravin. Arrivé sur ses bords, j'entendis le bruit d’une cascade ; je me dirigeai aussi- tôt sur ce bruit, et je parvins à en approcher, malgré le peu d’agré- ment que me procura la route qu'il me fallut parcourir dans ce. but. Je tombai plusieurs fois dans des trous qui avaient jusqu’à 6 mètres de profondeur, sans exagération : heureusement, on ne pouvait se faire aucun mal, vu que ces chutes n'étaient autre chose que des glissades sur un lit de mousse. Mais il fallait en- suite remonter, ce qui prenait beaucoup de temps et donnait. beaucoup de fatigue. Dès que j'étais rendu sur les bords de ces trous , il fallait encore aller à pas de loup et en tâtant le terrain avant d'avancer une jambe, sous peine de tomber de nouveau. Il me fallut beaucoup de temps pour gagner environ un quart de lieue ; mais une fois arrivé, je fus amplement dédommagé de toutes mes peines : le coup d’œil le plus pittoresque s’offrit à ma vue. J’occupais une position un peu élevée, au-dessus du réservoir supérieur ; je voyais à mes pieds l’eau bondir en flots écumants, et renvoyer au loin les brillantes étincelles dont une fine poussière venait humecter ma figure. Rien ne rempait la belle nappe d’eau qui se déroulait devant moi ; elle occupait toute la largeur du tor- rent; les pierres formant la plate-forme du bassin supérieur sem- 246 NOTES. blaient avoir été façconnées tout exprès. Ma position élevée me permettait encore de voir quelques détours du torrent, serpentant à travers des arbres de toute espèce. Et ces arbres, inclinés sur les bords du torrent, joignaient leurs sommets, comme pour lui former un rideau, et le dérober ainsi aux regards. Enchanté de la beauté du paysage, je voulus suivre, en montant, le cours de la rivière; il me fut impossible de pénétrer beaucoup plus avant, et je m'en retournai sur la plage par le même chemin, fort content de mon excursion. (M. Duroch.) Note 54, page 129. Nous éprouvâmes , le 30 décembre, un de ces brusques chan- gements de temps, qui firent dire, avec quelque fondement, aux anciens navigateurs qui fréquentaient le détroit , qu'il n’y avait pas d'été dans ces parages. À un calme parfait et à une température très-douce, succédèrent, dans un instant, une bour- rasque de N. O. et d'ouest, de la pluie, de la neige fondue, et en- fin de la grêle, qui firent baisser considérablement la température ; et nous souffrimes tous d'autant plus du froid , que la veille nous avions eu une journée de printemps. s (M. Dubouzet.) Note 55, page 129. Pendant le peu de temps que nous séjournâmes dans la baie Fortescue, nous n’eûmes pas à nous féliciter du temps que nous y rencontrâmes : une pluie presque continuelle, des fortes rafales de vents d'ouest et O. N. O. vinrent contrarier singulièrement ceux qui avaient quelques travaux hydrographiques à. faire. Quant au pays, étudié sous son point de vue utile, je pense qu'il est loin du Port-Famine. Des forêts plus impénétrables encore NOTES. 247 que celles que j'avais vues à notre premier mouillage, de hautes montagnes couvertes de neige, des cascades, des ravins char- mants, peuvent offrir un vif intérêt à l'artiste, au poëte ; mais je n’y ai pas remarqué les moyens de colonisation qu’on pourrait rencontrer au port qu'avait choisi Sarmiento. La température a même été trouvée plus rigoureuse, à cause des neiges sur lesquelles le vent du nord ou N. O. souffla pres- que continuellement pendant notre séjour à Port-Galant. Je fus envoyé dans le canot qui dressa le plan de la baïe de Cordes, nom que lui laissa le navigateur hollandais qui la décou- vrit le premier. ’ Cordes-Bay est à quatre milles à l’ouest du cap Galant. Cette baie est reconnaissable à une ile d’un beau vert, qui se trouve à son entrée, ainsi qu'à une montagne surmontée de trois pics, d’environ 1,500 à 2,000 pieds anglais de haut(467 à 610 mètres), et qui se détachent des autres chaînes du fond de la baie. Pour entrer dans la baie, on passe entre la pointe à l’ouest et l'ile verte qui est au milieu de l'entrée (île Muscle). Cette passe peut avoir un demi-mille de large ; et c’est après avoir doublé la pointe qu’on arrive dans la baie, qui est singulièrement rétrécie par des bancs et des roches. Il est facile, au reste, de reconnaître ces bancs, qui sont couverts d'immenses fucus qui restent à la surface de l’eau. Le mouillage se trouve après la pointe, entre les fucus qui l’en- tourent et le grand banc qui court ouest et est. Il y à une monta- gne qui est reconnaissable , et qui couronne le fond de la baïe du mouillage. On peut y jeter l’aucre par 6 et 8 brasses fond de sable et vase. Quant à la lagune qui ferme le port, l'entrée en est très-étroite et a peu d’eau. Les petits navires pourraient s’ÿ risquer, mais seulement en se touant ou vent sous vergue. C'est, au reste, un pays charmant : une rivière se jette dans le fond du port, dont on pourrait facilement creuser l'entrée ; il y à 248 NOTES. un mélange de plaines et de montagnes, qui offriraient et des forêts pour le bois, et des champs pour la culture: La rade, quoique peu éloignée, est assez fermée cependant, pour que les communications ne soient jamais interrompues entre le port et elle. La chasse et la pèche, à en juger par une simple excursion, offriraient toutes les garanties possibles de réussite. Je ne sais même pas, s’il fallait faire un choix entre les ports San-Miguel et Famine, quel serait celui des deux à qui je donne- rais la préférence pour un établissement. (M. Marescot.) Note 56, page 129. Ce mouillage (des îles Charles), parfaitement abrité de tous les vents par le grand rapprochement des côtes voisines, en ayant soin toutefois de fermer l'entrée du N. O. de préférence à celle du S. O., offre l'avantage de pouvoir en sortir à volonté par l’une ou par l’autre passe. | Sur ces îles, nous avons trouvé plusieurs huttes abandonnées, les unes depuis quelque temps déjà, mais les autres depuis peu de jours. Sur l’île de l’est et dans la passe du nord, nous avons rencontré, près de la mer, une fontaine près de laquelle on re- marquait des traces toutes fraîches de pieds humains, et je ne doute pas que, si nous avions eu le temps de les suivre, nous n’eussions rencontré des naturels ; mais j'étais trop pressé de finir mon travail avant la nuit, pour rien accorder à la curiosité. A neuf heures trente minutes du soir, ayant terminé le plan de ce port, malgré une pluie continuelle, je sortis par la passe du nord, et repris la route du Port-Galant , où j'arrivai à une heure du matin. (M. Montravel.) NOTES. 249 Note 57, page 132. A peine étions-nous mouillés sur cette rade, qu’on commença à en lever le plan. Le dernier jour de l’année 1837 fut consacré, comme tous les autres, à un travail trés-actif. Le commandant d'Urville nous fit la galanterie, pour fêter l’avénement de l’an- née 1838, de nous distribuer à chacun une des médailles de l’ex- pédition. Elles furent accueillies avec joie et reconnaissance ; et chacun de nous entrevit, quoique bien loin dans l'avenir, le jour où il éprouverait le bonheur de déposer dans les archives de sa famille ce souvenir destiné à rappeler la part qu'il aura prise à l'expédition. (M. Dubouzet.) Note 58, page 132. Pour nous, le premier jour de l’année se passa au mouillage. Le commandant nous à fait présent d’une médaille de l’expédi- tion : c’est une attention de sa part à laquelle j'ai été très-sensi- ble, et qui m'a causé un plaisir d'autant plus vif que je ne m’y attendais nullement. (M. Gervaize.) Note 59, page 136. Vers six heures du matin, nous descendîmes trois à terre, l’ar- tiste, le docteur Jacquinot et moi, dans l'intention de dessiner, de ramasser quelque fossiles, si nous en trouvions, et de passer la journée à terre. Arrivés près du cap Est de la baie, nous laissâmes le dessinateur faire un croquis , et, le marteau géologique à la main, la carnassière sur le dos, nous gravimes bravement les ro- chers , le docteur et moi. Les chemins étaient presque impratica- bles : il fallait être fous pour y passer. Nous étions souvent sus- 250 NOTES. pendus à 10 ou 12 mètres au-dessus des rochers maritimes, les mains accrochées dans quelques creux de’la roche, presque à pic, sur les flancs de laquelle nous pouvions à grand’peine nous tenir. Au bout d’un quart d'heure, après bien des difficultés, nous arrivâmes à la pointe extrême; de là, nous apercevions de- vant nous d’abord l’île Nassau, à notre gauche ; les deux caps de la baie de Bougaïnville ; et, plus loin, ce fameux cap Remarquable, qui forme la baie de Bournand. Comme il est très-élevé, il ne nous paraissait pas fort loin; et l’idée de rapporter à bord t un. chargement complet de fossiles, nous fit prendre subitement la ré- solution d’y aller. Après avoir consulté nos provisions, quiconsis- taient en trois petits pains, deux biscuits, un morceau de fromage et une gourde pleine d’eau-de-vie, nous nous mîmes gaiement en route. D'abord cela n'allait pas mal : quoique nous fussions obli- gés plusieurs fois de mettre les pieds dans l’eau pour franchir les rochers des bords de la mer, le chemin était encore passable ; mais, arrivés à la pointe ouest de la baïe Bougainville, cela com- mença à se compliquer terriblement : de grands arbres étaient abattus dans la mer, et ils barraient complétement le passage. Nous avions bien cherché à passer par le bois au-dessus, mais c'était tout-à-fait à pic, et il fallut y renoncer. Alors, ne voyant pas d’autres moyens, nous escaladâmes, en nous déchirant de tous côtés, cette barrière de branches, marchant littéralement sur des troncs et des branches d'arbres suspendus en l’air et diver- geant dans tous les sens. Il y avait près de quatre heures et demie que nous marchions, l'air était passablement vif, et nos estomacs commencaient terriblement à se sentir de certain besoin. Aussi, rien ne nous arrêtait, et nous allions aussi vite que possible; car c'était au fond de la baie Bougaïnville que nous comptions déjeû- ner, sachant qu’il y avait un ruisseau. Nous arrivâmes enfin sur la plage, qui est remplie de gros cail- loux ; nous y trouvâmes une grande plaque de fonte, couchée par terre; nous la retournâmes pour voir s’il n’y avait pas d’inscrip- NOTES. 251 tion, nous ne vimes rien. Le lendemain, sur nos indications, des canots qui allèrent au cap Remarquable la rapportèrent. | _ Dans un petit enfoncement, sous un joli et frais berceau d’ar- bres , nous apercûmes notre petit ruisseau fuyant dans les cail- loux du rivage; son eau était d’un jaune rouge ; cependant elle nous parut du nectar. Nous nous ässîmes sur l’herbe, et nous étalä- mes nos provisions. Pendant dix minutes, environ, on n’entendait que le courant du ruisseau et le bruit expressif de nos mâchoires. Dieu, le bel appétit ! nous ne nous donnions pas le temps de res- pirer. Enfin, il fallut boire, car nous étouflions : un coco nous servit à mêler à l'onde pure du ruisseau un peu d’eau-de-vie, et je puis jurer que jamais boisson ne me parut plus douce, plus agréable. Notre premier feu s'étant un peu apaisé, nous nous miîimes à causer, tout en finissant notre modeste repas. Pendant que le docteur arrangeait les plantes du matin, je chargeai tran- quillément ma pipe, et pour l’allumer dignement je mis le feu à un coin du bois; le soir il durait encore. Nous vîmes des traces très-peu anciennes de la présence des bâtiments. Il y avait une grande clairière dans le bois, produite par une coupe. La baie était très-petite : c’est plutôt une crique. L'entrée n’a pas un quart de mille de large, mais elle est assez enfoncée, et le fond m’a paru assez pd: elle est entièrement entourée d'arbres, et nous re- marquâmes des troncs d’une dimension gigantesque, étendant au loin sur l’eau leur masse touffue de branches. Du reste, la baie et tout le pays que nous avions parcouru et que nous parcou- rûmes ensuite est formé par de hautes collines boisées qui tom- bent brusquement à la mer. C’est probablement la partie du détroit où la végétation est la plus vigoureuse et la plus riche. A gauche, était un petit ilot boisé. Il était onze heures, environ, quand nous nous remimes en route. Au bout d’un quart d'heure de marche, le chemin suivant le bord de la mer devint tout-à-fait impraticable ; et voulant abso- lument pousser de l'avant, nous nous décidâmes à couper dans 252 NOTES. les bois, en grimpant la colline. Quoique ce fût presque à picen cet endroit, nous aidant des pieds'et des mains, noüsaccrochant aux racines, aux pieds des arbustes, nous parvinmés à gagner le à sommet, où nous nous reposâmes sur un lit fleuri de petites bruyères très-basses et de mousse. La vueétait admirable et pla- nait sur tout le détroit. Les grandes montagnes de l’île de Clarence: semblaient avoir grandi en nous élevant. Le ciel était très-beau sur nos têtes. Le vent balancait les hautes cimes du hêtre austral. et du bouleau, tandis qu’à nos pieds nous entendions'le bruit plaintif de la mer, qui battait les rochers : c'était réellément beau. Nous entrâmes dans la forêt. Quant je ne vis plus autour de moi % CP D 4 que cette masse touffue de grands troncs, que balancaït légère- ment la brise, qui gémissaient en se frottant les uns contre les autres, au milieu de cette solitude imposante, en foulant cette épaisse mousse qui couvrait le sol et tous ces arbres séculaires jetés pêle-méle, j'éprouvai ce frisson et ce recueïllement qui vous prennent en entrant dans une église gothique pendant la nuit. Même majesté, mêmes jours mystérieux ; il y régnait ce même froid humide des vieux murs; puis, par là-dessus, comme une harmonie sauvage et lointaine, ce bruissement du vent dans les arbres ; les grandes voix de la mer, arrivant par intervalles ; le bruit même de la mer, qui retentissait comme sous une voûte, tout portait à l’âme et au cœur un langage pénétrant et solennel. Au milieu de tout cela, j'avais presque un frisson de peur. Nous marchâmes ainsi environ vingt minutes, obligés (antôt de passer de petits ravins sur des troncs jetés d’un bord à l’autre, tantôt nous courbant sous des espèces de ponts, enfoncant dans la mousse, escaladant ce sol coupé de vieux troncs cachés dans la mousse ; enfin, au milieu de ce beau désordre primitif d’une forêt vierge, nous revimes le jour, et j'avoue que cela me soulagea. Ce silence et cette solitude m’avaient causé une impression qui me serrait le cœur. Nous reprîimes bientôt le bord de la mer, n'ayant fait que couper une des pointes de la baie de Bournand. Le cap dc. NOTES. 253 Remarquable était en face de nous, de l’autre côté de la baie; mais le chemin, de ce côté, ne nous paraissait pas praticable. Ce- lui que nous suivimes alors était superbe : c'était une large plage de sable et de rochers, qui commençait où finissait le bois. La marée était basse, et je jugeai que cette plage devait se réduire à bien peu de chose à la marée haute. Nous vimes là une masse de grives, que notre approche n’effa- roucha nullement. Le docteur, qui avait son fusil, en tua trois ou quatre, que nous comptions faire rôtir si nous ne pouvions pas revenir à bord pour diner. Arrivés au fond de la baie, il nous fallut encore remonter dans la forêt; et voyant que le cap était absolument à pic et inabordable par mer sans canot, nous réso- Iûmes d'aller à son sommet, où nous apercevions de temps en temps la roche à nu : cela nous suffisait pour notre récolte de fos- siles. Nous passâmes donc encore à travers les bois, mais la pre- mière surprise était passée : d’ailleurs, celui-là n’avait pas le beau caractère de celui que nous avions traversé auparavant. Il res- semblait à ceux du Port-Famine ; seulement, les arbres étaient plus élevés, et l’intérieur par conséquent plus praticable, car il n’y avait pas de broussailles. Nous trouvâmes sur le penchant, à peu près au milieu du coteau, un énorme bloc de granit. J'en pris un échantillon, que je donnai à bord au docteur, pour l’histoire naturelle, Près du sommet, la montagne était à nu dans un en- droit. Cela nous parut être la même formation que le cap lui- même, L'aspect du reste était le même ; et cela me désespéra assez, car il n’y avait nulle trace de coquillages fossiles. C'était une agglomération de cailloux roulés, agglutinés par un ciment très- dur ; l'extérieur était revêtu d’une couche assez épaisse de sal- pêtre. Le sommet du coteau était beaucoup moins boisé, et les arbres moins grands. Nous vimes là la même espèce de cyprès que j'avais déjà vue dans la baie Fortescue, et que nous n’avions pas trouvée au Port-Famine. De temps en temps, il y avait des clairières dé- 254 NOTES. pourvues d'arbres, et le sol, en ces endroits, était couvert d’une herbe très-touffue, et quelquefois de joncs dans les creux. Nous marchâmes environ une heure dans les bois avant d'arriver au- dessus du cap Remarquable, car nous fûmes obligés de traverser un grand ravin. J'avais déjà de fortes craintes sur les prétendus fossiles du cap, et elles furent bientôt réalisées , car nous descen- dîmes au bas d’une grande portion à pic de la montagne : c'était absolument la même nature de roches que celles que nous avions remarquées auparavant sur le penchant de la montagne. Le cap n'était donc plus qu’un grand bloc de eiment liant des couches de cailloux. Nous primes plusieurs échantillons pour preuve, et, après nous être reposés, nous retournâmes sur nos pas, comptant revenir par la forêt, comme étant plus commode et plus praticable que le maudit chemin de la mer. Malheureusement j'avais oublié ma boussole de poche, et je craignais bien un peu de nous perdre; mais une nuit à passer dans le bois ne nous effrayait pas. Nous refimes le même chemin, à peu près, en suivant la crête, afin d’avoir vue autour de nous pour nous reconnaître. Comme nous étions harassés de fatigue, les haltes étaient fréquentes, et à cha- que fois j'allumais un grand feu dans la forêt : c’est ce qui nous évita une furieuse corvée. Le matin, l’ingénieur- hydrographe s'était fait débarquer sur l’île de Nassau, pour faire des observa- tions ; et, dans l'après-midi, le canot qui alla le chercher, ayant recu pour indication d’aller où il y avait un grand feu, vint droit dans la baie de Bournand, où nous étions, croyant y trouver l’in- génieur. Nous poussâmes aussitôt des cris féroces, et nous nous hâtâmes de descendre pour profiter de cette bonne aubaïne. Mais quand nous revinmes sur nos pas pour chercher un endroit pour descendre, les feux que nous avions allumés derrière nous, et qui s'étaient joints, nous barrèrent le passage, et je vis un instant où nous étions bloqués d’un côté par le feu, et de l'autre par un précipice affreux. Heureusement nous découvrimes un petit pas- sage, où nous nous engageâmes, au risque de nous rompre le cou, NOTES. 255 tant la pente était rapide. Mais l’idée de retourner en canot à bord, au lieu de faire trois ou quatre lieues dans le bois, étant déjà haras- sés de fatigue, nous faisait avancer sans voir. Nous ne descendions pas, nous nous précipitions ; car la perspective de passer la nuit, quand on n’a fait pour tout repas du jour que le maigre déjeûner du matin, et nous n’avions plus rien, était peu attrayante. Aussi nous fûmes bientôt au bas du ravin, au milieu duquel coule un petit ruisseau. Le canot appartenait à l’As/rolabe, et nous indi- quâmes au patron où se trouvait l'ingénieur. Nous le primes sur l'ile de Nassau, et revinmes à bord vers cinq heures et demie du soir, où nous trouvâmes un superbe diner de jour de l'an, avec des vins de toutes qualités, et au milieu de tous les officiers, élèves et commandant réunis. On ne voulut d’abord pas croire que nous avions été au cap Remarquable, malgré les échantillons que nous rapportions. Et le premier médecin du bord, voulant s’assurer lui-même de la formation du cap, obtint le lendemain matin un canot pour aller l’explorer. Les échantillons qu’il en rapporta étaient absolument semblables aux nôtres. Quant il eut examiné le chemin que nous avions dû faire pour aller au cap, il ne pouvait concevoir com- ment nous avions pu passer. (M. La Farge.) Note 60, page 136. Pendant notre séjour dans cette baie, on trouva quelques co- quilles fossiles sur les roches calcaires du nord de la baie. MM. de La Farge et Jacquinot qui allèrent reconnaître le cap Re- marquable de Bougainville, n’y trouvèrent pas, comme l’a signalé ce navigateur, des coquilles fossiles, mais bien un conglomérat de cailloux roulés, enveloppés dans une gangue aussi dure qu'eux qui annonce un des derniers étages des terrains secon- daires, ou peut-être le commencement des formations tertiaires, 256 NOTES. fait d'autant plus intéressant à noter, qu'au sommet de lachaîne, comme sur le rivage de la côte de Port-Famine qui n’est qu'à cinq lieues dans le nord , on trouve partout un calcaire siliceux secondaire des plus anciens. Rien ne nous retenant plus dans la baïe , nous fimes voile dès le point du jour. On profita du calme pour envoyer examiner de nouveau le cap Remarquable, et on put se convaincre encore de l'erreur du célèbre marin, car les échantillons rapportés pris sur les côtes des falaises escarpées qui terminent ce cap, ne sont autre chose que des gompholithes, sans aucune trace de fossiles organisés. (M. Dubouzet.) Note 61, page 137. Un peu à l’ouest de la baïe Française se trouve un cap élevé et que Bougainville appela Remarquable, soit à cause de sa forme, soit pour un autre motif. Dans la relation pleine d'intérêt de son voyage, il raconte qu’il a vu sur ce cap des débris de coquilles fossiles et une nature de terrain toute particulière. Une expédi- tion savante fut dirigée sur ce point, pour vérifier ces faits avancés par notre célèbre compatriote. On n’y trouva qu’une forte pla- que en fonte, toute rongée de rouille, et qui probablement repo- sait là depuis bien des années. N'ayant aucune inscription, ni aucun litre par conséquent à mériter l'attention des savants, elle fut méprisée et rejetée bien entendu dans le domaine de l’armu- rier forgeron du bord. (M. Marescot.) Note 62, page 137. Le 2 janvier, je fus expédié à trois heures du matin, avec le canot-major et le docteur Le Guillou, pour faire une reconnais- sance au cap Remarquable de Bougainville, que ce navigateur NOTES. HA annonce dans son ouvrage composé en entier de coquilles fossiles . J'avais l'envie de rejoindre les bâtiments sous voiles après une heure de séjour ; mais le calme n’ayant pas permis aux navires de sortir promptement de la baie, je pris sur moi de rester plusieurs heures et de visiter les baies Bournand, Dubouchage et Bougain- ville Le cap Remarquable, ainsi nommé par ce dernier navigateur, est fermé comme l’ilot Saint-Nicholas, de cailloux roulés réunis en poudingue, par une pâte carbonatée. Voilà donc les coquilles fossilles de notre compatriote Bougainville, qui pouvait être un très-spirituel écrivain, mais peu consciencieux en fait de rensei- gnements géologiques. Les caps des trois baïes que j’ai nommées plus haut sont formés des mêmes roches que le cap Remarqua- ble, de calcaire tirant au gneiss. ( M. Coupvent.) Note 63, page 137. Notre canot-major et celui de la Zé/ée ont été expédiés avec les naturalistes et deux ofhciers pour aller visiter le cap Remarqua- ble que Bougaïnville prétend être chargé d’ossements et de co- quilles fossiles. Ce cap , taillé à pic, ressemble de loin à une fa- laise grisâtre bordée de verdure. Les embarcations expédiées"vers ce point sont rentrées à onze heures. Les naturalistes ont rap- porté que les prétendus fossiles du cap Remarquable n'étaient autre chose que des galets agglomérés en poudingue par une sorte de ciment naturel formé de sable, d’un peu d'argile et d’oxide de fer. Ce cap seul est formé de poudingues que Bougainville a pris de loin pour des fossiles, ne les ayant pas sans doute examinés d'assez près. Les caps environnants sont d’une nature schis- teuse, On à trouvé sur une grève voisine du cap Remarquable une plaque épaisse de fer d'environ un millimètre portant à chaque CG 17 / 258 NOTES. angle les clous qui avaient servi à la sceller. Les angles étaient abattus comme pour recevoir quatre montants carrés. Il est pos- sible que cette plaque servit de support aux pieds de quelque instrument. | À huit heures du soir, le temps était fort beau , la mer calme. Après avoir doublé par une faible brise de S. O. la pointe Isidro, nous rentrions dans la baie du Port-Famine que nous ne comp- tions pas revoir de cette campagne. Le silence le plus profond régnait dans ces belles forêts qui naguères encore étaient animées par la présence de nos chasseurs et de nos bûcherons. Aucun feu ne brûlait sur la grève et les montagnes que nous avions laissées fumantes de toutes parts. Les mouettes avaient repris possession de leur domaine , et voltigeaient en tourbillons aux lieux où mos corvettes avaient stationné. Un canot fut mis à la mer pour porter à la poste française du Port-Famine les nouvelles dépèches du commandant. Le minis- tre est sans doute informé des motifs qui nous ont empêchés de pousser jusqu'au bout l’exploration du détroit de Magellan. La fréquence des vents d'ouest eût rendu très-longue et pénible la fin de cette reconnaissance hydrographique. En nous enfonçant plus avant nous courions risque d'arriver trop tard dans les gla- ces , au lieu qu’en retournant sur nos pas, nous pouvons rectifier quelques points de notre premier travail, avoir une entrevue avec les habitants de la Patagonie et de la Terre de Feu, et débouquer du détroit d'assez bonne heure pour arriver aux îles Shetland dans la saison convenable. (M. Roquemaurel.) Note 64, page 139. La brise d’abord incertaine nous ramène maintenant avec vi- tesse vers des lieux connus; bientôt nous apercevons les sites du Port-Famine. Voici le Mont-Tarn, plus loin la pointe Sainte- \ NOTES. 259 Anne, la rivière Sedger, ici le lieu du mouillage. Nous revoyons successivement les lieux de nos chasses , le rivage battu en tous sens dans nos courses de chaque jour, et jusqu'aux traces de nos incendies. Chaque coup d'œil fait naître un souvenir, et nous pensons avec plaisir aux jours que nous y avons passés. Des ba- leines se promènent autour du port, comme lorsque nous y étions mouillés. Rien n’est changé dans ce délicieux tableau, nous seuls l'avons quitté. À huit heures , nous mettons en panne pour en- voyer une embarcation porter une lettre du commandant dans la boîte ; elle est de retour à neuf heures ; les voiles sont orientées et nous disons un adieu définitif aux lieux de notre première et plus agréable relâche. | (M. Desgraz.) - Note 65, page 151. Ces messieurs n'avaient eu qu’à se louer de leurs relations avec les naturels. Ils avaient échangé avec eux des plumes d’autruches, des peaux de renards, des peaux de chats-tigres, des éperons, des lacs et quelques autres objets. Les couteaux longs et droits avaient été vivement recherchés par ces Indiens qui n'avaient paru faire aucun cas des verroteries. Le biscuit néanmoins avait eu le dessus sur toute autre chose, et avec quelques galettes on eût pu se pro- curer une de leurs plus belles fourrures. Ils avaient demandé avec empressement du tabac à fumer, avaient apprécié les sabres et les étoffes rouges, et s'étaient montrés surtout fort avides d’eau- de-vie. D'après Bougainville et d’autres navigateurs, nous étions per- suadés qu'ils étaient très-jaloux de leurs femmes, et qu’ils s’em- presseraient de les dérober à nos regards. Maïs nous pûmes nous convaincre que depuis lors, les mœurs s'étaient singulièrement modifiées sous ce rapport, car nos messieurs purent non-seule- ment les approcher, mais ils ne dépendait que de leur volonté 260 NOTES. d'en obtenir les faveurs pour quelques bagatelles. Les nraris pa- raissaient très-disposés à céder leurs droits et firent méme des propositions auxquelles il était difficile de se méprendre. e_/E Jacquinot.) Note 66, page 151. Nous répondimes à l’empressement qu'ils nous témoignaient de. communiquer, en nous y rendant aussitôt dans les deux grands canots des deux corvettes armés de fusils, car cette précaution est toujours bonne à prendre, quand on va chez les nations sauvages. À peine avions nous touché le rivage, que plusieurs Patagons descendirent de cheval, vinrent au-devant de nous et nous accueillirent de la manière la plus aimable. À notre grande sur prise, nous reconnûmes parmi ex, sous un costume de peaux taillées d’une manière différente, deux Européens qui, malgré les traces de la misère.qu'ils portaient sur leurs figures, avaient encore assez conservé les traits de leurs race, pour qu’on ne pût pas s’y méprendre; nous les primes d’abord pour des pêcheurs ou des naufragés ; l’un d’eux qui vint au-devant de nous, nous apprit qu'il appartenait à l'équipage de la goëlette des Etats-Unis l'AÆnne- Howard de New-London, et qu'il avait été mis à terre avec son compagnon , il y a trois mois, sur l’île Graves avec une chaloupe et des vivres; manquant de provisions, et ne voyant plus revenir leur bâtiment, ils étaient entrés dans le détroit, et ne voulant pas courir avec leurs autres compagnons , les chances de mourir de faim ou de se noyer en cherchant à gagner Rio-Négro avec leur barque, ils s'étaient fait débarquer au milieu de cette tribu, chez laquelle ils avaient reçu un asile et l’hospitalité qui leur avait sauvé la vie. Celui-ci nous dit s’appeller Lawrence Smith Brimi- dine et être Anglais de naissance, et l’autre déclara se nommer Niederhauser, être né en Suisse où il exercçait la profession . NOTES. 261 d'horloger. Cet état a bien peu de rapport avec celui qu'il rem- plissait à bord de la goëlette, et nous aurait portés à douter de la vérité de leur assertion , si nous n'avions su de combien d’aven- turiers se remontent les navires qui se livrent à la pèche des pho- ques. Quoi de plus aventureux en effet que la vie de ces hommes, qu'un navire en cours de pêche dans les parages des mers Aus- trales dépose sur les différentes îles avec des vivres et des instru- ments de pêche, pour venir les reprendre ensuite à son retour; à moins , ce qui n’arive que trop souvent, que les tempêtes et les chances de la mer ne le mettent dans l'impossibilité de le faire. = Quoi qu'il en fût, nos deux prétendus pêcheurs nous parurent bien fatigués du régime des Patagons, et nous supplièrent en grâce de les prendre sur nos corvettes. Comme cela ne dépendait pas de nous, nous en envoyâmes un plaider sa cause auprès du commandant d'Urville , et laissâmes embarquer en même temps quelques Patagons qui nous en témoignèrent ardemment le désir : c'était au besoin autant d’otages que nous avions, quoique rien ne semblt en indiquer l'utilité. Au bout de peu de temps, nous fümes entourés de tous les autres qui s’empressèrent d'échanger avec nous des plumes d’autruches, des peaux, des flèches, contre des colliers, des couteaux que chacun de nous avait apportés, mais tous montraient généralement de la préférence pour le bis- cuit. La tribu ne tarda pas à être toute réunie, et les femmes s’acquittèrent alors de leurs fonctions , en plantant leurs tentes à l'abri du petit monticule que forme le sommet du cap où nous étions débarqués. Nous vimes s'élever alors un petit village formé d’une vingtaine de tentes, rangées sur deux lignes. Chacune de ces tentes se composait d’une demi-douzaine de pieux plantés en rond qui soutenaient une grande toile faite de peaux cousues en- semble , et formait ainsi une espèce de hutte, qu’on avait orientée de manière à ce que l'ouverture , qui occupe près du tiers de la cironférence, fût à l'abri du vent régnant. Sur un pieu placé en travers de cette porte pour la consolider, on voyait suspendus les L Ù 262 NOTES. provisions et les harnais des chevaux. La construction de ces huttes fait qu’à chaque changement de vent, on court risque avant de les avoir orientées , d’être inondé par la pluie ou logé comme à la belle étoile. En moins d’une demi-heure, le camp fut tout-à-fait formé, les chevaux furent abandonnés à eux-mêmes, et se mirent à paître dans les environs ; les chiens restèrent à rôder tout autour; et dès que les femmes eurent terminé ce travail, on les vit après vaquer à tous les autres soins du ménage, tandis que leurs indolents maris restaient les bras croisés à les regarder faire, et se seraient bien gardés de les aider à planter les pieux des tentes, même quand leurs forces ne suffisaient pas, car dans ce cas nous les vimes forcées d’avoir recours à leurs compa- gnes. À peine me trouvai-je au milieu de cette tribu que j’examinai avec la plus grande attention ces fameux Patagons que je désirais tant voir, ce peuple de géants sur lequel on a débité jadis tant de fables , et dont tant d’autres versions contradictoires ont cherché à rabaïsser la taille au-dessous de la moyenne. Ce qui na frappé d’abord en eux, ce n’est pas tant leur taille que je n'ai jamais ren- contrée au-dessous de cinq pieds cinq à six pouces, souvent de huit, neuf et dix pouces, mais jamais au-dessus, que leur énorme carrure, leur large et grosse tête, et leurs membres épaïs et vi- goureux. Ils ont le cou court, sont légèrement voûtés et ont les formes arrondies ; mais si leur embonpoint empêche les muscles de se dessiner, ils n’en paraissent pas moins robustes. Leur tête qui est très-grosse, n’a pas un développement cérébral propor- tionné, néanmoins ils paraissent intelligents. Leurs pommettes sont saillantes, et la largeur de leur face contribue à faire paraître le crâne moins volumineux. Leur visage est rond et un peu plat, leurs yeux légèrement obliques, comme ceux des Chinois, ont de l'expression, mais plutôt celle de la douceur que toute autre. Leurs cheveux sont noirs, ils les portent longs, plats et noués sur la tête, leurs dents sont remarquables par leur blancheur, et NOTES. 263 leur teint est rouge bronzé comme celui de tous les indigènes de l'Amérique, sans distinction de climat. Leurs pieds et leurs mains sont bien proportionnés ; mais chez eux la jambe paraît un peu faible, ce qui s'explique par leur genre de vie qui se passe en grande partie à cheval ou couché. Tout cet ensemble constitue une belle race d'hommes, pleine de force et de vigueur. Leur chef, grand et bel Indien, d’environ trente ans, qui mal- gré le peu d'autorité dont il paraïssait jouir, avait néanmoins un peu d'influence sur eux, nous fit voir leur costume de guerre, et “s'en revêtit devant nous. Ce costume consistait en une espèce de blouse à manches , faite en peau de bœuf, très-épaisse et cousue très-solidement , qui couvrait à peu près tout le corps, pouvait presque produire l'effet d’une cuirasse, et parer du moins les plus faibles coups. Sa tête était couverte d’un grand chapeau à coiffe onde en forme de casque, recouvert de plaques de cuivre et orné d’un gros plumet de plumes d’autruche. Ce chef qu’on nous dit s’appeller Xonguer, nom qu'il tient des Anglais, portait ce lourd costume avec grâce, quelque écrasant qu’il fût ; il s’arma d’une lance, la fit mouvoir avec une agilité remarquable et nous donna une représentation de leurs combats. On l’eût pris à sa taille, à ses formes athlétiques, à ses bras vigoureux, pour un de ces héros qu'Homère nous dépeint comme de véritables géants qui imposaient à un ennemi ordinaire, autant par leur masse que par leur courage. Konguer nous montra bientôt après, en dévorant une cuisse moitié crue de guanaque, qu’il leur ressemblait peut- être encore davantage par l'appétit, et était digne de s’asseoir à leur banquet. | Les femmes , après avoir complété leurs travaux, rallièrent les tentes; elles nous varurent beaucoup moins bien que les hommes. Elles portaient à peu près le même costume, à tel point que nous les confondimes souvent avec eux; leur manteau de la même étoffe n’en différait que parce qu’il était agrafé sur la poitrine, et laissait ainsi le mouvement des bras plus libre. Elles avaient en 264 NOTES. général la figure peinte d’ocre et de graisse, sans règle bien fixe; mais j'en remarquai plusieurs qui l'avaient bariolée de lignes transversales de noir et de rouge dessinées avec un soin etune coquetterie dont l'effet était assez bizarre. Parmi celles qui étaient peintes de cette manière, une jeune fille fixa particulièrement notre attention. Elle se distinguait par ses agaceries , tout en se peignant ainsi le visage, et paraissait ajouter aux grâces naturelles du sien, ce nouvel agrément, comme un moyen infaillible de sé- duction dont elle paraissait convaincue. Ce moyen lui réussit en effet, si on put en juger par lempressement qu'on remarqua bientôt autour d’elle. Son plus grand attrait à mes yeux, eût été un ratelier de dents d’une blancheur éclatante, admirablement rangées, qualité qui lui était commune avec toute sa race et que rien ne pouvait surpasser. Ses dents comme celles de la femme chantée par le roi-prophète «semblaient des brebis qui montent du lavoir, toutes jumelles; il n’en était aucune qui n’eût son égale. » Cette beauté patagone était digne enfin de fixer l’atten- tion, même sans la différence des lieux , des méridiens et des an- técédents aussi favorables pour être séduit que trois mois d’une vie moitié sauvage, isolés du beau sexe, comme celle que nous 8€) , venions de passer. Toutes ces femmes se montrèrent avides d’ob- jets de parure, tels que colliers et verroteries ; mais comme les hommes , elles leurs préféraient cependant le biscuit. Autour de ces huttes, on vovait s’agiter une multitude d’enfants pour les- ) y 8 P quels surtout les mères nous demandaient des colliers dont elles leur surchargeaient le cou et les bras. Ces enfants n étaient, pour ainsi dire, pas vêtus ; un petit carré de peau leur cachaït seule- ment les épaules; aucun d’eux cependant ne sentait le froid , quoiqu'il fût sensible alors, car le vent soufflait très-fort du SO. Hommes, femmes, enfants nous parurent sans cesse occupés à manger d'une manière gloutonne, de la viande ou une espèce de racine qui croissait abondamment dans le voisinage, et dont le principe nutritif paraissait bien maigre. Cette racine et quelques NOTES. 265 baies rouges ramassées sur des arbustes comme ceux que nous avions vus sur toute la côte, entraïent exclusivement comme nourriture dans leur diète habituelle. (M. Dubouzet.) 4 Note 67, page 151. Le. mauvais temps nous a empêchés de renvoyer à terre nos hôtes patagons qui paraissaient impatients de regagner leur gîte. Ils nes ‘accommodaient guères des mouvements du navire, etsouf- fraient du mal de mer. Cependant de connaissaient déjà passable- ment les usages du bord, et frayaient volontiers avec les matelots. A l’heure du diner ils flairaient l’odeur de la soupe, et semblaient très-disposés à partager notre repas. L’un d’eux s’assit à notre table et fit honneur au festin, quoiqu'il eût déjà englouti plusieurs galettes de biscuit. Ilconserva pendant le dîner un maintien très- digne; n’éprouvant d'autre embarras que celui de manier la fourchette et le couteau. Il but volontiers du vin et surtout de l’eau-de-vie, dont nous ne voulûmes lui donner qu'avec modé- ration. Il manifesta même pour cette liqueur un goût très-pro- noncé, disant qu'il lui fallait plus d’une bouteille d’aguardiente pour le rendre buracho. Il est à supposer que notre convive avait eu des relations avec les Espagnols. J'ai été étonné de la ressemblance qui existe entre les individus d’une même tribu. Je n’ai pas rencontré comme chez nous ces différents types de physionomie qui ont exercé la sagacité de La- vater. Un seul homme m'a paru avoir un caractère de figure étranger à celui de la tribu. Je ne parle pas des Pécherais qui appartiennent à une famille particulière, et dont le type est bien distinct. Ceux-ci ont les traits plus écrasés, le visage plus court, le nez et la bouche plus lar ges, les yeux plus fendus et légèrement obliques, l'angle intérieur étant relevé. Leur taille est moins élevée que celle des Patagons au milieu desquels ils vivent quelquefois 266 NOTES. dans un état d'isolement qui, au dire de nos réfugiés, est une vé- ritable servitude. S'il en est ainsi, on ne peut admettre qu'unjoug trop lourd pèse sur les Pêcherais qui ont tant de moyens de’s'y soustraire. À part les dissensions intestines qui peuvent éclater au sein des tribus, pour le partage du gibier, les Patagons n’ont que de rares occasions de guerroyer. La rencontre entre deux tribus n’est, dit- on, jamais meurtrière, et il suffit d’un seul homme hors de com- bat, pour que chaque parti se retire de son côté. | Les femmes seraient sans attraits pour d’autres que des marins qui, après une longue navigation, n’y regardent pas de si près. Elles ne sont pas plus exemptes de coquetterie que nos dames, et emploient comme elles les bijoux , les odeurs et les cosmétiques pour relever l’éclat de leur toilette, ou raviver la fraîcheur de leur teint. Mais là du moins , l'entretien de la parure et des attraits des dames ne cause à leurs maris qu’une dépense très-modique. Un collier de verroterie, quelques anneaux de cuivre ou de fer- blanc leurs tiennent lieu de pierreries: La graisse et la moëlle de guanaco, seule ou mêlée au charbon et à locre rouge, suffisent pour lustrer les cheveux ou le visage. » Les cheveux peignés avec une brosse ou une racine assez sem- blable à un petit balai, sont divisés au sommet de la tête, et retom- bent sur chaque épaule où ils sont quelquefois attachés en forme de queue. La figure est barbouillée uniformément de rouge et de noir, depuis la naissance des cheveux, jusqu'aux milieu du men- ton. Quelquefois cet enduit n’occupe que la moitié du visage jusqu'au-dessous des yeux. 1] m’a semblé que cette sorte de mas- que n’était pas d’un effet désagréable. Je n'ai pas remarqué qu'une couleur particulière fût affectée aux femmes et aux filles. è Les Patagons , quoique de mœurs peu austères , n’en cachent pas moins avec le plus grand soin leurs parties sexuelles. Ils dé- ploient même dans ces dehors de chasteté une adresse assez sin NOTES. 267 gulière, trouvant toujours le moyen de couvrir leurs organes avec l’un des coins de leur vêtement de peau, sans gêner en rien leurs mouvements. Cherchant à découvrir si la circoncision était pratiquée parmi ce peuple, je n’ai jamais pu sur ce point sur- prendre sa vigilance. Mais parmi un assez grand nombre d’en- fants, je n’en ai pas vu un seul qui fût circoncis. La médecine est pratiquée chez eux par des charlatans, devins ou astrologues qui, quoique n'ayant pas pris leurs grades dans nos doctes facultés, n’en expédient pas moins leur monde, secun - dum artem. Mais l’inviolabilité des esculapes du Sud ne paraît pas aussi respectée que celle de nos docteurs. Le chef Kondo en assomma un, dit-on, de sa propre mains peu de jours avant notre arrivée, et cette exécution fut approuvée par les membres de la tribu. | Il est bien difficile de préciser quelque chosesur la religion deces peuples, leurs croyances sur la divinité et l’immortalité de l'âme. Une conversation par signes sur de pareïlles matières est impos- sible. Il faudrait assister aux pratiques de leur culte intérieur pour savoir le Dieu qu'ils adorent. On a remarqué cependant que le chef Kondo, ayant passé la nuit à bord, couché dans la cha- loupe, monta dès le matin sur la dunette; et là, la face tournée vers le soleil, avec un recueillement qui avait quelque chose de solennel, il agita plusieurs fois, en s'inclinant, un bouquet de plu- mes d’autruche qu’il tenait à la main. Ce fait, dont je n’ai pas été témoin, pourrait-il être regardé comme un hommage d’adoration rendu à l’astre du jour? Je n’ai pu savoir si les Patagons et les Pécherais ont une langue commune. Cette langue est tellement gutturale, les sons en sont quelquefois si étouffés qu’il estbien difficile d'y rien comprendre. On dirait un bruit produit par l’ébullition d’un corps gras ou une sorte de râlement. Parmi le grand nombre de mots qu’on a cher- ché à recueillir de leur bouche pour en faire un vocabulaire, il en est fort peu dont les sons aient été clairement perceptibles , et 268 NOTES. qu'il ait été possible de transcrire, en leur conservant ‘une pro- nonciation équivalente. CM. RS r "à | ue e Note 68, page 151. # Mon premier soin, en arrivant à terre, fut de mesurer le plus grand des Patagons qui se trouvaient à la plage; et je fus fort étonné de ne lui trouver que 1",85 de hauteur, taille fort élevée, sans doute, mais bien au-dessous de celle que leur ont attribuée Byron et les autres navigateurs du siècle dernier. Nous allions nous mettre en route pour nous rendre au camp de la tribu, lors- que le chef nous fit comprendre qu'il était levé, et que toute la tribu allait incessamment arriver... Nous vimes effectivement un grand nombre de chevaux chargés de femmes, d'enfants, et de tentes, qui s ’approchaient, et toute la côte semée de Ayalien qui arrivaient au galop. La caravane s'arrêta à portée de fusil du point où nous avions débarqué, et, en un clin-d’œil, les tentes de peaux de guanaques et de chevaux se trouvèrent dressées par les soins des femmes seules, que toutes nos tentatives galantes ne purent réussir à distraire de leurs travaux. Mais dès que cette besogne fut terminée, elles passèrent à leur toilette; car, comme toutes les femmes du monde, celles-ci ont leur coquetterie. Cette toilette, du reste, ne consiste qu’à se peigner la chevelure et à se peindre en rouge une partie du visage. Les unes se tracèrent une ligne rouge passant au-dessous des yeux, en divisant ainsi la figur e en deux parties ; les autres se teignirent de manière à ne laisser la couleur naturelle de la peau qu’à une ligne d’un pouce de lar- geur, encadrant dans un ovale leur visage déjà assez original par lui-même. Comme les hommes, les femmes ont la figure large, les yeux petits, très-couverts et inclinés à la chinoise, la peau cui- vrée, les lèvres épaisses et les dents du plus bel émail. Le bizarre badigeonnage de leur toilette produisit d’abord sur nous une im- NOTES. 269 pression peu favorable ; mais nous finimes d'autant mieux à nous y accoutumer, que c’est la seule marque extérieure qui nous fit distinguer les sexes, et que dès-lors seulement se terminèrent une foule de méprises assez singulières. M°** remarquant sous un manteau de peau des formes sveltes et une figure plus gracieuse que toutes les autres, se confondait depuis une demi-heure en caresses et en protestations tendres, auxquelles son idole semblait faire fort peu d'attention ; rien ne le rebutait, ni la froideur dédai- gneuse de sa beauté farouche, ni les regards étonnés des Patagons présents. Il porta enfin une main téméraire sur le trompeur man- teau, dont un mouvement indiscret lui découvrit sa méprise. Il recula confus et fut plus circonspect, de peur de prendre encore un jeune garcon pour une jeune fille, erreur désagréable, même dans une tribu de Patagous. | Pendant que nous étions à terre, le vent, qui soufflait du N. O. lors de notre débarquement, fraîchit considérablement, ce dont nous n'avions pris aucun souci tant que l’heure du diner était loin de nous; mais, quand elle fut arrivée, le cours de nos idées changea complétement, et suivit la pente que lui imprimaient nos estomacs. Il était visiblement impossible que les navires commu- niquassent avec nous, et nous nous trouvions, sans vivres aucuns, au milieu de gens qui, nous ayant à force d'importunités arraché le biscuit que nous avions apporté, paraissaient très-peu disposés à nous fournir de quoi apaiser notre faim. Enfin, la nuit appro- chant, il nous fallut bien aviser aux moyens de nous procurer des aliments et un abri pour la nuit. Nous réussimes à obtenir du chef de la tribu une tente, qu'il fit dresser au milieu du camp; mais nous ne pûmes, malgré son influence, parvenir à avoir autre chose qu’un morceau de guanaque, de trois livres au plus. Triste pitance, pour satisfaire dix-sept affamés, dont chacun eût eu peine à se contenter du tout. Quelques-uns partirent pour la chasse, et les autres se répan- dirent dans la plaine, creusant la terre pour extraire des racines , 270 NOTES. que, pendant la journée, nous avions remarquées servant de nourriture à nos hôtes. Après une heure d’absence, les chasseurs revinrent apportant quelques oiseaux de mer, et les autres leur offrirent en échange des racines destinées à remplacer le pain. Chacun se mit à l'œuvre pour allumer le feu et plumer les oiseaux. Une baguette de fusil nous servant de broche, nous eûmes bientôt fait rôtir notre chasse, que nous dévorâmes en moïns de temps qu'il n’en avait fallu pour la plumer. C'était un spectacle curieux de voir nos deux états-majors groupés autour d’un feu mesquin , et dévorant à belles dents du guanaque et des oïseaux moitié crus, moitié charbonnés, au milieu de cette tribu sauvage, qui ne sem- blait pas se douter que notre repas fût en dchors de notre genre de vie ordinaire. Le pittoresque de notre situation fit de’notre frugal dîner une fête charmante, dont le souvenir restera sans doute à chacun de nous comme celui d’un beau jour. (M. Montravel.\ Note 69, page 151. Avant de quitter les tentes des naturels, le soir nous remar- quâmes que, pour se coucher, ils les divisaient en plusieurs com- partiments : des peaux tendues entre les pieux qui soutiennent les tentes formèrent ces divisions. Nous crûmes voir aussi que chacune de ces divisions était habitée par une famille : du moins, dans plusieurs , nous vîimes coucher ensemble un homme , une femme et des enfants. Il me parut évident que chaque tente con- tenait plusieurs familles , et que, pour la nuit, chacune se reti- rait dans un compartiment particulier. Pendant la nuit, les chevaux païssent à l'aventure dans la plaine ; mais les chiens cou- chent sous la tente, parmi les hommes. Pour la nuit, ils ont en- core le soin de fermer , avec des peaux, le devant de leurs tentes, mais seulement jusqu’à une certaine hauteur. Je ne saïs si c’est NOTES. 271 pour se garantir du frais, ou pour se défendre de l'attaque des “ LS bêtes féroces. (M. Gourdin.) | Note 70, page 191. En approchant la côte, nous les vimes tous en silence à une certaine distance de la mer; tous leurs yeux, fixés sur nous, ex- primaient une curiosité calme et digne. Deux hommes se détachè- rent, descendirent sur le bord de l’eau, en nous indiquant la route à suivre pour éviter les cailloux et les rochers qui auraient empé- ché le canot d’accoster. Quel fut notre étonnement en entendant ces deux hommes parler anglais, et quand nous reconnûmes qu'ils étaient Européens. Bientôt au courant de leur histoire, nous sû- mes qu’ils étaient des pêcheurs de phoques, abandonnés par un navire sur l’une des îles de la Terre de Feu, et que, manquant de vivres , ils étaient venus sur la côte de Patagonie, se joindre aux peuplades errantes qui habitent ces contrées désertes. Reçus par eux et traités comme des enfants de la tribu, on leur avait donné un cheval et une femme. Ne vivant que de chasse, de racines et de coquilles , ils nous virent arriver comme des libérateurs. L'un était de Londres, l’autre Suisse, provenant tous les deux du même navire américain. Nous les prîmes sur les corvettes, où ils furent considérés comme de notre équipage. Il n’y avait alors près de nous que quelques hommes ; mais de loin nous en apercümes un plus grand nombre qui se dirigeaient, à cheval, vers l'endroit où nous nous trouvions. Je fus bientôt en communication avec un Indien de Montevideo, qui parlait espa- gnol, et nous servit d’interprète avec les naturels. La stature de ces hommes, quoique très-élevée, est généralement de moins de deux mètres. Ils sont tous vigoureusement constitués ; leurs ex- trémités sont délicates. Ce sont de fort bonnes gens, qu’un peu de biscuit et d’eau-de-vie rend trés-heureux. Nous fümes conduits 272 NOTES. par eux à quelque distance, où nous trouvâmes le reste de latribu, qui avait apporté les tentes, afin de s établir près desfbâtiments, pour la facilité des communications. Tous les pénates étaient portés par quelques chevaux. Les femmes sont chargées de la construction des huttes. Elles commencent par enfoncer quelques piquets dans la terre, puis placent dessus quelques peaux de gua- naques cousues ensemble, et voilà une tente. D’autres peaux dans l'intérieur pour se coucher, des morceaux de guanaque pendus à des piquets, si la chasse a été heureuse, puis une dizaine d’Indiens mâles ou femelles, couchés pêle-mêle avec des chiens : voici une famille. Multipliez ce résultat par 20, et vous aurez l’idée exacte d’une tribu de Patagons. Ils n'ont pour tout vêtement qu’un manteau en peaux de guana- ques, tannées d’une manière particulière, et dans lequel ils s’enve- loppent. À leurs pieds, une peau découpée et cousue (à l'instar d’une bottine) leur monte jusqu'aux mollets ; à leurs talons, une espèce d’éperon, formé d’un morceau de bois pointu, qui ne les quitte presque jamais; car le cheval est le moyen de locomotion adopté par ces peuplades , qui ne se transporteraïent pas à cin- quante pas de distance, sans monter un des nombreux chevaux qui pâturent en liberté autour de leur camp. Leur chevelure, noire et lisse, est retenue par un bandeau qui fait deux fois le tour de la tête. Voyez cette jeune fille revêtue d’un manteau neuf, ses cheveux gracieusement rejetés en arrière; elle est occupée à rectifier deux lignes blanches et rouges qui lui traversent la figure : c’est là le soin le plus important de sa toilette. Elle se mire avec complai- sance dans ce miroir, que vous Européen lui avez apporté; elle veut attirer vos regards, la pauvre enfant, et vous plaire. Depuis longtemps elle a été nommée la plus belle de la tribu : ses yeux sont petits, maïs vifs; sa bouche est grande, mais quand elle sou- rit elle laisse voir des dents d’une blancheur éclatante, et rangées telles, qu’une petite-maîtresse parisienne en mourrait de dépit; NOTES. 273 ses lèvres sont grosses, mais voluptueuses ; ses gestes, ses regards vous appellent au plaisir, Étranger ! Telle est l'hospitalité des Patagons. La victime est parée pour le sacrifice ; elle s’y présente d'elle-même; elle en fera la moitié des frais. Ne sois donc pas si cruel; ne crains pas les regards étrangers. L'acte que la nature approuve n’excitera ni un rire moqueur, ni une parole piquante, chez ces enfants de la nature, que la civilisation n’a pas corrom- pus de préjugés, et qui considèrent la reproduction comme le de- voir le plus important de l'homme. Le chef paraît être l'arbitre souverain; c’est à lui qu'il faut s'adresser en cas de vol, et son influence vous fera rapporter sans bruit l’objet dérobé : tel est du moins ce qui m'est arrivé dans ma dernière course. J'avais perdu une assez grande quantité de tabac, dont ces Indiens sont très-friands ; je m’en aperçus au mo- ment du départ, alors que la plupart de mes camarades étaient déjà en route. Je m'’adressai en toute hâte au chef, et le pressai de me faire rendre l'objet dérobé. Pendant que j'avais la tête tournée d’un autre côté, il dit quelques paroles aux femmes qui m’entou- raient, et que je soupconnais fortement : lorsque je me retournai vers lui, il me présenta mon sac turc. Je récompensai sa bonne foi en partageant ce qui s’y trouvait avec lui. La loi du talion n’est pas de rigueur chez eux. Un Indien me disait que lorsqu'un meurtre avait lieu on examinaiït si les raisons en étaient puissantes : dans ce cas, tout est dit. Si elles ne parais- saient pas au chef assez concluantes , le meurtrier était chassé de la tribu ; quelquefois tué par le chef. Quand un guerrier meurt, toutes les personnes qui vivaient dans sa hutte sont reportées dans les autres. Le chef partage entre elles les ustensiles de première utilité, tels que couteaux, sabres, ciseaux : tout le reste, chevaux, chiens, peaux, huttes, tout est tué et livré aux flammes sur la tombe du mort. Celle-ci est sim- plement un trou en terre, fait de telle sorte, que le corps se trouve A assis au lieu d’être couché; puis on le recouvre de terre, sur la- E. 18 274 | NOTES. quelle les ronces et les herbes effacent bientôt les traces dela bêche. : Les deux corvettes étant mouillées au hâvre Peckett, nous nous trouvâmes à terre une grande partie de l'état-major des deux na- vires. Le vent de N. O. , maniable le matin, fraichit de telle sorte vers le soir, qu’il nous parut certain qu'avec la meilleure volonté possible on serait forcé de nous laisser passer la nuit avec les Patagons. En vain nous fimes des feux de peloton, à la pointe où l’on devait nous prendre; l'aperçu parut bien à la corne, mais les grands canots étaient toujours filés sur leurs bosses , derrièr e l’Astrolabe et la Zélée, et vraiment ïl ne faisait pas un temps à les mettre dehors. À six heures du soir, ayant pris notre parti en braves, nos dix- sept estomacs demandaient à grands cris leur nourriture ordi- naire. Mais, hélas! nous avions été trop prodigues avec les Pata- sones, qui se faisaient payer leurs caresses avec du biscuit, ou plutôt nous les avions trop caressées ; de manière qu’il ne nous restait qu'un grand appétit, et le gibier que quelques: uns de nous avaient tué en rôdant autour du camp. Nous retournâmes près des tentes, chercher quelqu'’an qui nous parût bien approvisionné en guanaque, et proposer des échanges aux propriétaires ; mais les malheureux étaient presque aussi affamés que nous. Pour dernière ressource, nous eûmes re- cours au chef, et lui demandâmes l'hospitalité. 11 donna l’ordre à ses femmes de nous faire une tente près de la sienne; et pärtagea avec nous la venaison qu’il possédait encore : c'était peu de chose pour tant de monde. Les femmes nous allumèrent un feu devant notre hutte. Là se bornait l'hospitalité ; il nous restait à faire cuire notre diner, consistant en oiseaux et une bouchée de guana- que.pour chacun. | Alors vous auriez vu dix-sept officiers de marine occupés à vider des huitriers, à plumer des alouettes et des bécassines, et les embrochant à une baguette de fusil, pour les faire rôtir devantle À NOTES. 275 feu ; et cela avec le même sang-froid qu ‘ils auraient mis à comman- der la manœuvre d’un vaisseau. à Jamais, peut-être, un repas ne fut assaisonné par un appétit plus violent, et moins rassasié. Vers neuf heures du soir, la brise ayant molli, nous pûmes re- tourner à bord. Heureusement pour nous, l'hospitalité patagone nous fut inutile ; car il fit toute la nuit un vent et une pluie hor- ribles. (M. Coupvent.) Note 71, page 151. A midi, le canot-major est de retour, après avoir laissé à terre ses passagers ; il ramène à leur place trois Patagons et un Euro- péen vêtu d'habits usés, sans souliers, montrant sur toute sa per- sonne les marques de la misère et de la privation : son attitude souffrante et sa maigreur inspirent la pitié. Interrogé d’abord en auglais , il nous dit qu'il provient du schooner américain Anna- Howard , capitaine Johnson , destiné à la pêche des phoques. Abandonné par ce navire, sur un rocher aux environs du cap Pillar, avec sept de ses camarades, ils parvinrent à traverser le détroit dans l’embarcation qui leur était laissée et joïgnirent la tribu patagone avec laquelle nous communiquons. Là, ils se séparèrent : ses compagnons s’en furent avec le canot, et lui resta, avec un autre individu nommé Smith, au milieu des Patagons. Il vante beaucoup l'hospitalité des Patagons, quoique les fatigues de leur existence errante lui aient imposé des privations qui ont ébranlé sa santé. La voix de Jean Niederhauser est pleine d’émo- tion lorsqu'il raconte son histoire; et lorsqu'il recoit l'assurance qu'il ne tient qu’à lui de s’embarquer à bord de la corvette, d’a- bondantes larmes inondent son visage. Longtemps il ne peut sur- monter son émotion, et laisse intacts dans l’entrepont les aliments qu'on s’est empressé de lui présenter, et dont il avait été privé si 276 NOTES. longtemps. Plus tard, il raconte avec plus de détails encore, en allemand, car il est d’origine suisse, les événements de son séjour parmi les Patagons, dont il loue à tous égards la bonté et la dou- ceur. | st Un de ces Patagons était habillé de vêtements européens, cadeau de quelque navire baleinier, sans doute. 11 portait avec satisfaction un double rang de boutons en cuivre, et un bonnet de police, auquel était adaptée une immense visière. Il nous mon- trait souvent son vêtement, et semblait y attacher un grand prix, ou en demander un autre. Les objets que ces hommes paraissaient le plus désirer, et qu’ils demandaient très-souvent, étaient du biscuit, des couteaux et du tabac. Ils nous disaient à chaque ins- tant : Galetli, grande cuchillo, big Knife, tabacco, mots qu’ils auront appris des pêcheurs anglais, et qui indiquent des commu- ninications fréquentes avec des Européens. Nous parvenions faci- lement à nous faire comprendre d’eux et à obtenir un vocabulaire des mots les plus usuels. Lorsque nous demandons leurs noms, ils nous donnent les sobriquets anglais de Jack et de John, en y ajoutant le titre de capitaine : ce ne fut qu'après quelques pour- parlers qu’on parvint à obtenir leurs véritables dénominations patagones. Le plus âgé se nommait Karroly; Wiver était le nom du plus jeune, et le troisième s'appelle Bÿyey. Il est difficile de préciser leur âge : ils s’épilent la barbe et même une partie des sourcils, ce qui contribue à les rajeunir. Ils parlent rarement entre eux, et ils causent à voix basse, sans jamais crier ; ils sourient presque toujours, et rient souvent d’un rire guttural. Leur prononciation se fait, en grande partie, du gosier ; les lettres ?, 7,9, du grec moderne, le arabe, se trouvent souvent dans leurs mots, mais le # est employé encore plus fré- quemment. Ils emploient presqu’à chaque instant, ainsi qu’une aspiration courte, espèce de point d’arrêt devant les sons que nous rendons par des voyelles, et qui séparent les mots en deux. Ainsi, léé, eau, se prononce /e-he, ou plutôt /e-eh ; ottel, yeux, oft-l. (M. Desgraz.) NOTES. 277 Note 72, page 151. Les femmes paraissaient se livrer assez volontiers aux étran- gers : reste à savoir si elles y sont poussées par l'appât du gain ou par attrait du plaisir. La communauté des tentes rend les rela- tions des sexes assez difficiles ; cependant, une peau tendue à pro- pos sépare au besoin le couple amoureux des autres personnes qui sont dans la tente. Ces femmes résistent difficilement À l'attrait de quelques galettes de biscuit ou de quelques colifichets. Je crois mème que leurs maris, leurs parents, seraient les premiers à les livrer, si on leur offrait quelque chose qui püût les tenter. Ces femmes sont tellement sales , qu’il faut, ce me semble, être doué d'un grand courage pour rechercher près d'elles les plaisirs des sens. Hommes et femmes sont également sales. Je crois qu'ils ont horreur de Peau, et qu'ils conservent avec soin la croûte qui les recouvre partout, pour les mettre à l'abri des intempéries des sai- sons. Leurs longues chevelures, les peaux qui les couvrent, ser- vent de repaires à une grande quantité de vermine. J'ai vu plu- sieurs femmes qui en cherchaient dans les têtes de leurs enfants, les manger avec un certain plaisir. Elles se servent, en guise de peigne, d’un petit balai de racines assez dures. (M. Gourdin.) Note 73, page 151. Je mai point rencontré parmi les naturels ces géants dont ont parlé les anciens navigateurs : le plus grand que j'aie vu avait 1",86; mais ils m'ont semblé être, en général, d’une belle taille. Leur figuré est belle, la tête forte, le corps bien fait, mais sans muscles. Chez les femmes, la taille est je crois supérieure, à pro- portion, à celle des hommes ; mais j'ai cru remarquer qu'elles 278 NOTES. : avaient la figure moins belle, ce dont je n’ai pas pu bien juger, à cause de la crasse qui les couvre et de la couleur ocreuse dont elles se barbouillent le visage. Une ou plusieurs peaux cousues en- sembles composaient leurs vêtements ; jetées sur leurs épaules, une ceinture les retient au milieu de leur corps. Un bandeau en peau autour de la tête tient leurs cheveux noirs, qu'ils portent longs et flottants. Des bas en peau recoivent leurs pieds; deux morceaux de bois armés d’une petite pointe en fer, et réunis par des lanières en cuir qui s’attachent sur le sommet du pied, leur servent d’éperons. L'intérieur de leur manteau est peint en petits carreaux rouges, de forme irrégulière. Les hommes , dans leur costume de guerre, se couvrent la tête d’un casque en cuir très- fort et à larges bords, qui quelquefois est embelli par des orne- ments en cuivre. Leurs armes sont l'arc et les lassos, qui sont composés de trois lanières en cuir armées de pierres rondes à leur extrémité. La chasse est la seule occupation des hommes, et la seule nourriture des naturels, avec quelques coquillages. Le pays est riche en guanaques, autruches, lièvres et renards : aussi de- vient-il facile aux habitants de les poursuivre avec leurs chevaux, de les embarrasser avec leurs lassos , qu'ils lancent avec adresse, pour les assommer ensuite. Les hommes étant dans l’habitude de s'épiler, il serait très-difficile de les reconnaître des femmes si ces dernières ne portaient les cheveux en tresses, le costume étant le même pour les deux sexes. Ces peuples sont phthirophages , et paraissent aimer beaucoup le tabac, l’eau-de-vie et les liqueurs fortes ; ils sont doux et hospitaliers. Je n’ai rien observé qui püt me permettre de dire quelque chose de leurs mœurs ou de leurs croyances religieuses ; cependant ils ont des idoles qu’ils cachent avec grand soin. Je ne sais si les Patagons célèbrent le mariage, n1 même s’il existe à cette occasion quelques cérémonies ; je les crois polygames : d’ailleurs ils ne paraissent nullement jaloux de leurs femmes. (M. Gervaize.) NOTES. 219 Note 74, page 151. Plusieurs naturels vinrent à bord ; les relations que nous eûmes avec eux furent amicales, mais, pour débrouiller le chaos de leur civilisation morale et religieuse, il aurait fallu rester davantage au milieu d'eux, et surtout se résoudre à vivre avec eux. C’est une belle race d'hommes pour la construction'et la structure du corps. Moins grands cependant que les Patagons de Bougainville et des autres navigateurs, qui, je crois, avaient l'habitude d’exagérer un peu les choses, ils sont d’une haute stature relativement à nous; et je pense qu’en fixant leur taille moyenne à 5 pieds 6 pouces, je ne m'écarterai pas beaucoup de la vérité. Chasseurs et cavaliers, ces hommes n’ont pas senti encore le besoin de se réunir en nation et d'élever des villes ; ils vivent avec leurs chiens, leurs chevaux, qui sont leurs seules richesses. Au- jourd’hui ici, demain là, ils plantent leurs tentes dans les vallées qui leur offrent les ressources de la chasse et la facilité d’avoir de l'eau et du bois. Leur principale nourriture est la chair de guanaco, animal qui a quelques rapports avec les daims de nos contrées. Ils en mangent la chair rôtie, n’employant en guise de pain qu’une espèce de racine blanche dont j'ignore et le nom et les propriétés, mais qui ressemble assez à celle de la guimauve. | _ Les deux matelots que nous avons recueillis à bord ont dépeint les Patagons comme des hommes bons et hospitaliers. Ils ne por- tent du reste sur leurs traits aucun caractère de férocité. Ont-ils un culte, ou n’en ont-ils pas? C'est une question que: nous n'avons pas pu résoudre, à cause du court séjour que nous avons fait parmi eux. Il nous est bien revenu qu’ils adoraient le soleil et le feu ; mais ce serait, je crois, s’avancer un peu trop que d'établir un système sur les propos décousus de gens intéressés à avoir quelque chose d’extraordinaire à nous raconter. 7” 380 NOTES. Ils sont superstitieux ; les femmes surtout croient aux sorts, à la puissance de leur faire du mal. Hommes et femmes, nous les avons trouvés fort peu disposés à se laisser dessiner : on n’a pu saisir leurs traits qu’à la dérobée, et un peu au hasard. Le mot demonio ayant été prononcé plusieurs fois devant moi quand j'ai fait mine de dessiner l’un d’entre eux, j'ai conclu qu'ils reconnaissaient peut-être, comme presque tous les peuples s sau- vages, des sorciers et une puissance occulte. La tribu, au reste, avec laquelle nous avons eu des relations, reconnaïssait un chef; mais cette royauté patagone m'a fait l'effet d’avoir plutôt une influence patriarchale qu'un pouvoir absolu. (M: Marescot.) Note 75, page 151. eo Le court séjour que nous avons fait au milieu de cette tribu n'a pu m'en apprendre davantage que je n’ai dit, sur leurs usages. Pourtant je vais transcrire ici quelques renseignements que j'ai pu tirer de l'Anglais que nous avons recueilli; comme je les aï recus, | je ks donne sans en garantir l’exactitude. Leur nourriture se compose de viandes et de racines, ainsi que je l'ai dit plus haut. Ils coupent les viandes en tranches, la battent entre deux pierres pour la mortifier et la laissent boucaner à l'air pendant quelque temps. Lorsqu'elle est arrivée au point voulu, ils la battent de nouveau et la mettent sur les cendres pour la faire griller à moitié seulement; quelquefois ils la mangent crue ou la font bouillir dans un vase autour duquel se groupent tous les membres de la famille et ils mangent, non jusqu'à ce que leur appétit soit satisfait, mais jusqu’à ce qu’il ne reste plus:rien dans le vase. Quant aux racines, ils les mangent crues. Ils prennent un grand soin de leurs enfants ; auxquels ils sont très-attachés. Chaque soir, après les avoir lavés ét séchés, les 2 NOTES. 261 mères les mettent dans leur berceau fait en branchages entrela- cés comme ceux en osier. À l’âge de sept ou huit ans, ils les lais- sent à eux-mêmes. Lors de leurs fêtes, qui ont lieu deux ou trois fois dans l’année, ils tuent un cheval et le mangent : pendant deux jours ils dansent depuis le matin jusqu’à la nuit, chantant une chanson dont Je sujet est le capitaine et les matelots d’un navire qui leur ont rendu service. Ils jouent aux cartes et aux boules, ayant pour enjeux des billes, des manteaux, des brides, des objets en cuivre et tout ce qu’ils possèdent. Les femmes ai- ment beaucoup le jeu et jouent leurs orneménts et de la graisse. Lorsqu'un jeune homme veut se marier, il fait sa cour à une jeune fille pendant trois ou quatre mois, et lorsqu'ils ont fait leurs conventions, le jeune homme donne au père de la jeune fille un cheval, un manteau et quelques objets en cuivre. Alors le père prenant la main droite de chacun des jeunes gens les réunit et dès-lors ils sont mariés. * Lorsque le mari meurt, ses amis tuent son cheval et sés chiens, brûlent sa tente et jettent au milieu du feu tout ce qui lui appar- tenait; mais les femmes qui sont rangées autour du feu s’empressent de retirer tous les objets qui y ont été jettés. Les amis du défunt croient que s'ils n’accomplissaient pas fidèlement ce devoir, il mourrait de faim dans l’autre monde, qu'ils supposent être les Andes du Chili. Dès que ce devoir est accompli, ils enveloppent le cadavre dans un manteau et le placent sur un cheval qu’une femme conduit au lieu de la sépulture, fosse carrée de quatre ou cinq pieds de profondeur, que plusieurs amis ont préalablement creusée avec les mains. Pendant toute la cérémonie, ils poussent des cris affreux ‘et font un bruit vraiment infernal. Ils font des prières pour lui, pendant deux ou trois jours, après lesquels ils l’oublient complétement. La femme coupe ensigne de veuvage une partie de ses cheveux et cherche un mari qu’elle peut épouser le lendemain méme, ou bien elle retourne chez son père. Lorsqu'une femme meurt, on 282 NOTES. brûle. sa tente, on tue ses chevaux, mais on fait paraître moins de douleur que pour la mort d’un homme. Lorsqu'un Indien a quelque griefs contre un voisin, il-lui porte un défi : tous deux vont endosser le costume de guerre qui se compose d’un manteau fait de la peau la plus épaisse du guana- que, d’un chapeau ou casque garni de lames de cuivre et orné d’un plumet. Ils se rendent alors sur le lieu désigné pour le com- bat, et là le sabre au poing, ils combattent quelquefois pendant une demi-heure, se portant coup pour coup, jusqu’à ce que l’un des deux reste sur la place. Le vainqueur est porté aux nues, tandis que le vaincu est traité de lâche ; on se contente de l’enterrer sans aucune cérémonie, enveloppé dans son manteau: C’est là ce qu’ils appellent le combat singulier. Si une tribu a à se plaindre d’une autre tribu, elle lui envoie un défi, et s’il est accepté, ils montent à cheval et entrent une centaine à la fois dans la lice. : Dès que sur cenombre, un seul a été tué et un ou deux blessés, le reste prend la fuite, et le lendemain, les deux tribus traitent de la paix, en se donnant une fête, et s'offrent en cadeaux des che- vaux, des objets en cuivre, des manteaux, etc. Les femmes assis- tent au combat armées de bâtons, mais comme les hommes ontun grand goût pour le sexe, ils ne les combattent qu’un instant, sans jamais chercher à les tuer, et ils finissent toujours par se séparer bons amis.. Le lendemain de la conclusion de la paix, les deux tribus font une chasse générale dans laquelle elles prennent:sou- vent une centeine de guanaques qu'ils se partagent. La tribuque nous rencontrâmes comptait, il ya peu de temps; vingt-un médecins, et aujourd’hui il n’en reste aucun, tous ayant été tués. Ils faisaient mourir tous les malades dont ils avaient à se plaindre et ne savaient guérir les autres que souvent dame na- ture tirait de peine. Après avoir ainsi fait périr plus de deux cents individus de tout sexe et de tout âge, les autres ouvrirent les veux et les massacrèrent l’un après l'autre. Le dernier avait été tué NOTES. 283 peu de jours avant notre arrivée par le chef lui-même qui l’appela en combat singulier et le perça de sa lance. Les Patagons croientenun Dieu qui, selon eux, habite les Andes où vont les morts, comme jé l’ai déjà dit. Ils ont une très-grande peur du tonnerre qu'ils croient être la manifestation de la colère de Dieu, et lorsqu'il se fait entendre, ils se mettent en prière hors de leurstentes, conjurant Dieu de s’apaiser, et promettant dede- venir meilleurs, mais dès que l’orage est passé, ils ne songent plus à leurs promesses. Ce peuple est d'une saleté révoltante. Tous sont couverts de vermine dont ils sont du reste fort friands. Pour la trouver ils battent leurs manteaux ou autres peaux avec un ‘bâton, et dès qu’elle en sort ils la dévorent avec avidité. Chacun de nous a été à chaque instant témoin de ce dégoûtant spectacle, et j'avoue que je ne crois pas que j'aie jamais rien vu de plus révoltant que tous ces gens, hommes et femmes, récherchant avec soin ce que nous regardons et fuyons avec tant d'horreur !.... (M. Montravel.) Note 76, page 152. Le roi patagon ou capitaine Congrey, comme on l'appelle in- différemment , a pour véritable nom celui de Wishel. Il est en- core jeune, et mesure 1%,87 de taille. Il ne porte pas d’orne- ments en verroterie comme nos visiteurs d'hier, mais son manteau est en revanche beaucoup plus beau. Il est formé de peaux noires et blanches d’un poil assez fin. S. M. a roulé une grande partie du matin dans l’entrepont en donnant audience à l'équipage ; elle semblait sentir qu’elle était avec des gens d’une condition infé- rieure, car elle demandait à chaque instant le capitaine. Enlevé bientôt à sa popularité, le capitaine Congrey vint s’attabler au carré, buvant du thé et de l’eau-de vie comme un véritable An- glais 1] ne cessa pas de tenir un rouleau de belles plumes d’au- 284 | NOTES. uches qu'il paraissait vouloir offrir au commandant. 1l n’en fat rien cependant et redescendit à terre, en le tenant toujours à la main, et avec les pans de son manteau remplis de cadeaux pro- portionnés à sa dignité. Plus érudit que ses sujets, il'sait beau- coup de mots anglais et espagnols, au moyen desquels il se faït comprendre. Aussitôt après le déjeûner nous noûs embärquons avec le roi Wishel et un Gaucho brésilien qui vit au milieu de ces hordes sauvages. Niederhauser nous en avait déjà parlé et nous avait raconté son histoire. Il avait été emmené aux Malouines pour y exercer son métier de Gaucho; ce fut en retournant de cette colonie dans son pays que des circonstances que je necon- nais pas bien, le jetèrent au milieu de la horde de Patagons dans laquelle il £'est fixé. 11 s’est marié et offre le curieux exemple d’un homme retournant à l’état sauvage, après avoir vécu dans une société civilisée. La coupe de sa figure indique seule son origine. La couleur de sa peau, celle de ses cheveux, ses vêtements.et ses habitudes le rendent semblable aux Patagons. Déjà il semble avoir oublié sa langue natale , l'espagnol, et n’en articule les mots qu'avec un certain travail de mémoire. (M. Desgraz.) Note 77, page 158. Le matelot que nous recueillimes à bord de l’Asérolabe, Suisse de naissance et horlogèr de son état, avait avec lui une petite boîte contenant les instruments de son métier. On ne lui en dé- roba pas un seul, pendant le temps qu'il passa parmi eux: Ces Indiens ne furent pas aussi probes à notre égard, ils nous dérobèrent quelques mouchoirs et surtout ceux de la couleur rouge. Ils essayèrent aussi à nous dérober quelques petits cou- teaux et des grains de verroterie. | MM. Dumoutier et Ducorps passèrent la nuit au camp pour étudier un peu plus facilement les mœurs de ces peuples. Ils vo- ièrent au premier, outre divers, ustensiles, un compas en cuivre à branches courbes dont il se servait pour mesurer des diamètres de crâne. Quant au second, ils lui volèrent divers objets. Les métaux polis et brillants sont ceux qui les tentent d'avantage: tels sont le cuivre, l’argent.et le ferblanc. Avant de prendre une arme, un sabre, uu coutelas quelconque, ils regardent d’abord s’il est bien poli. Après les divers larcins dont les Indiens se rendirent coupables à notre-égard, nous devons les regarder comme enclins au vol. Cependant le matelot que nous avions à bord nous assura le con- traire ; il nous dit même que dans la tribu on châtiait sévèrement un voleur pris sur le fait, mais que c'était notre peu de généro- sité envers eux qui les avaient rendus aussi pillards. Il nous dit aussi que les femmes étaient plus voleuses que les hommes. (M. Gourdin.) Note 78, page 161. Je voulais contourner le hâvre Peckett, et reconnaître l’em- bouchure de la rivière. Mais le hâvre s'enfonce dans le N. O. de plus d’une lieue. Ses bords sont découpés d’une suite de baies qui en allongent singulièrement le circuit. La chasse des oies et des huiîtriers nous ayant d’ailleurs fait perdre beaucoup de temps, nous nous rabattimes sur une tribu de Pêcherais campée à peu de distance de la rive N. E. du hâvre, à l'abri d’une petite dune. Le camp se composait de 8 à 10 tentes faites d’un simple auvent circulaire. Les peaux maintenues par des piquets forment un peu le dôme, mais sont loin d'offrir un aussi bon abri que les tentes patagoniennes. Dureste, j'ai remarqué partout unemisère extrême et une malpropreté dégoûtante. Mêmes vêtements , nourriture , instruments de chasse que les Patagons. Je n’ai vu ni bateaux ni instruments de pêche; quelques chevaux paissaient autour du camp dans une sorte d'enceinte formée par des arbres rabou- 286 NOTES. gris, les seuls que j'ai pu voir dans ces contrées. Cette tribu ne différait donc de celle du hâvre Oazy, que par le mode de cons= truction des tentes, et par le caractère de physionomie des natu- rels, qu’on ne sauraïît confondre avec celui des Patagons. Il existe- rait donc sur la côte de Patagonie des peuplades de Pécherais vivant de la chasse et ignorant la navigation et la pêche. Attirés dans une des tentes par des lamentations et des cris aigus, nous avons vu une vieille femme enveloppée de peaux qui paraissait malade; ses compagnes nous faisaient signe d’appro- cher aveé précaution et sans bruit. Elles soulevèrent la peau qui recouvrait la malade, en exprimant par leurs gestes qu’elle allait trépasser. Pour cela, elles soufflaient sur leurs doigts qu’elles élevaient au-dessus de leur tête, comme pour exprimer que le dernier souffle ou l’âme de la moribonde allait s'envoler vers le ciel. Celle-ci se redressant pourtant sur son séant, se plaignit d’une oppression à la poitrine et d’un grand embarras dans les voies aëriennes. Soulevant ensuite un bras décharné, de l’autre elle indiquait la saignée comme le seul remède à ses maux. Le cas était embarrassant , n'ayant que des couteaux ou de mauvais ci- seaux d'échange, il eût été absurde de tenter une saignée. Après avoir tâté le pouls et vu la langue de la vieille, nous fâmes assez heureux pour lui faire comprendre quelques signes de consola- tion et d'espérance. Une galette de biscuit distribuée à ‘toute la famille fut dévoré en un clin d'œil, et fit renaître la joie dans la tente pêcherais. ( M. Roquemaurel. ) Note 79, page 162. | Comme nous revenions sur nos pas, nous vimes venir à nous deux Indiens qui nous ayant accostés, nous firent entendre que leur tribu était tout près de nous, en nous invitant à les suivre. Nous trouvâmes effectivement à deux ou trois portées de fusil NOTES. 287 du rivage, dans une petite vallée à l'abri de quelques broussailles, un camp composé de six tentes. Quelques chevaux maigres et chétifs paissaient autour de ces tentes. Grand nombre de chiens s'élancèrent contre nous. Il était évident que les gens de cette tribu étaient tout différents de ces grands indigènes que nous avions déjà vus. Cette tribu se composait tout au plus de 50 personnes, y compris grand nom- bre d’enfants. Ces Indiens nous parurent beaucoup plus pauvres, beaucoup plus malheureux et aussi sales que les premiers. Les peaux qui couvraient leurs tentes étaient toutes trouées et en lambeaux. Leurs manteaux était vieux , sales , usés, et ils prenaient à peine le soin de s’en cacher. Les femmes ne portaient pas de ceinture, - et nous parurent ainsi plus impudiques. C’est à peine, si elles re- couvraient les parties sexuelles et plusieurs se permirent des attouchements indécents. Les hommes étaient moins grands et avaient les traits moins réguliers que ceux de l’autre tribu. Ce- pendant le genre de figure était à peu près le même, sauf le nez moins aquilin. Les femmes étaient beaucoup plus petites, avaient le nez retroussé, la bouche grande, avec les dents belles. Elles se peignent aussi la figure; comme les femmes de la première tribu, j'en vis plusieurs qui n'avaient pas plus de 4 pieds 6 ou 8 pouces de haut. Ces femmes contrairement aux autres me paru- rent avoir peu de gorge. J'en vis plusieurs qui allaitaient et qui w’avaient, pour ainsi dire, pas de sein. Les’ enfants têtent longtemps, j'en ai vu à la mamelle qui pa- raissaient avoir trois ou quatre ans. Les femmes doivent engen- drer de bonne heure, car celles qui allaitaient ces enfants, parais- saient très-jeunes. Nous ne vimes dans toutes ces tentes qu’un petit morceau de viande d'autruche. Plusieurs cavaliers arrivèrent pendant que nous étions là; mais ne rapportèrent rien : probablement la chasse n'avait pas été heureuse. Nous vimes beaucoup de coquilles près 288 | NOTES. des tentes et plusieurs mangeaient des moules et des patelles qu'ils faisaient cuire au feu. Ils ont tous des flèches, mais ils pa= raissent tenir beaucoup à leurs arcs. L'un d’eux voulut, jetcrois, nous faire comprendre qu’il tenait autant à son arc que nous à nos fusils. Li dt f} La manière de vivre de ces Indiens me fit penser qu'ils tenaient peut-être autant des Pécherais que des Patagons. Ils: doivent aussi se servir de la fronde , car plusieurs en avaient suspenduestau cou. Cinq des tentes étaient sur un même rang, la sixième était de l'arrière. En entrant dans cette tente, j’entendis dans un coïn des gémissements. Plusieurs jeunes femmes et enfants qui:se chauf- faient autour du feu me firent entendre que c'était quelqu'un qui allait mourir. Enfin je vis sortir de dessous les peaux qui étaient dans le coin de la tente deux vieilles femmes. Toutes deux pleuraient, «et la plus jeune me fit signe qu'elle allait mourir. Pour cela, élle por- tait la main fermée à la bouche et la dirigeait vers de iciel en l’ouvrant et en souflant. Voulait-elle faire entendre que son âme allait s'envoler ? Cette femme malade me fit aussi signe de la sai- gner. Tous me le demandaïent avec instance pour celle , mais je n'avais aucun instrument. Je me contentai de la consoler de mon mieux et de lui faire entendre que son mal n’était pas grand. Les jeunes qui étaient dans la tente paraissaient s'inquiéter peudes souffrances qu’endurait cette malheureuse. La vieille femme me continua à se lamenter. Dans la case où était la malade, nous remarquâmes un petit garcon plus blanc que les autres, et bien déluré, avecodes yeux bleus et des cheveux bouclés ; le père de cet enfantn'étaitsans doute pas un Patagon. Nous restûämes peu dans cette tribu et nous nous acheminâmes vers le bord. à 20 (AZ. Gourdin.) NOTES. 289 Note 80, page 161. À onze heures, je descends à terreavec MM. Roquemaurel et Gourdin ; après avoir contourné le hâvre Peckett et suivi le rivage durant une heure et demie environ, nous rencontrons deux hommes qui nous engagent à venir visiter leurs cases. Après une marche assez longue à travers des bruyères, nous apercevons sur une éminence qui domine la mer quelques huttes d’un aspect encore plus misérable que celles du camp. Elles sont au nombre de huit, quelques chevaux paissent dans les alentours, et de nom- breux chiens nous annoncent par leurs aboïements. Les hommes et les femmes qui habitaient les cases étaient beaucoup plus petits et moins robustes que ceux que j'ai déjà vus. Entrant dans une de ces mauvaises cases, je vis une femme qui me fit signe en pleurant de me retirer. J’avançai néanmoins et j'en aperçus une autre cou- chée sur des peaux. Celle qui pleurait me fit signe qu’elle désirait que je saignâsse la malade , me faisant entendre du geste qu’elle allait bientôt expirer, ce que je crus qu’elle m'indiquait, en met- tant sa main dans la bouche, et puis l’élevant en regardant le ciel. Après avoir acheté des peaux, un arc et des flèches , dont ils ne se défaisaient qne difficilement , nous revenons à bord en chas- sant, et en rapportant avec nous quelques coquilles. (M. Gervaize.) Note 81, page 161. Sur les dix heures du matin, le canot-major quitta la corvette pour porter à terre quelques officiers. Pendant qu'il s’y rendait, nous vimes que les Patagons avaient démonté leurs tentes, qu'ils les chargeaient sur les chevaux et qu’ils se disposaient à quit- ter notre voisinage et à porter leur camp ailleurs. Nos mes- sieurs revinrent bientôt et nous donnèrent la véritable raison de .. 19 290 NOTES. ce départ. La chasse n'avait rien produit, les vivres étaient épui- sés, et ils allaient chercher meilleure fortune sur un autre point, promettant toutefois de nous envoyer des guanaques le lende- main, s’ils parvenaient à en attraper quelques-unes. (M. Jacquinot.) Note 82, page 164. Partis d’un petit morne situé à la pointe S. O. de l'entrée du hâvre Peckett, nous parcourûmes vers le S. O. une distance d’en- viron quinze milles sans avoir trouvé le bras de mer en question. Une pluie continuelle, un vent froid , l'impossibilité d'allumer un feu et de bivouaquer, puis enfin la nécessité de rallier le bord avant le 8 au matin, nous obligèrent à renoncer à cette recherche. Le lieu où nous nous arrêtâmes semblait être le point culminant des terres environnantes. À partir de là, les ondulations du terrain s’étendaient à toute vue vers le S. O., où nous aurions pu voir la mer à neuf milles de distance, si elle eût existé réellement. On peut donc affirmer que dans la direction du S. O., l’isthme de Brunswich doit avoir plus de huit lieues de largeur, au lieu de trois lieues que King lui a donnée. Peut-être l’hydrographe an- glais a-t-il pris pour un bras de mer unelongue suite de bras que nous avons cotoyés et laissés enfin à notre gauche. Le terrain que nous avons parcouru est d’une uniformité mo- notone. C’est une vaste plaine, ou plutôt une suite de plaines en- tourées de petits bourrelets de terre dont la hauteur n'excède pas 40 à 50 pieds. Ces massifs dont le talus est souvent d’une grande régularité, paraissent jettés au hasard dans toutes les directions, sans qu’il soit possible d’estimer le cours des eaux qui semble les avoir formés. Le sol, de nature tourbeuse, est criblé d’une multi- tude de terriers assez semblables à ceux de nos taupes. Des légions de rats habitent ces demeures souterraines , vivant peut-être de la même racine dont les Patagons se nourrissent. Ces rats dela NOTES, z91 plus grande espèce, ont une assez jolie fourrure, noire sur le dos et blanche sous le ventre. Les Patagons en fabriquent quelques manteaux. Je n’ai vu dans les steppes désertes que des joncs, des. herbes et quelques plantes épineuses. Dans ces tristes solitudes, l'œil n’est jamais réjoui par la vue d’un seul arbre; car on ne saurait appeler de ce nom une sorte de groseiller sauvage et un autre arbriseau à feuilles cendrées dont le sol est couvert. Les replis du terrain enferment d'assez grands lacs où des vols innom- brables d’oies et de canards peuvent braver les flèches inoffensi- ves des indigènes. Les parties marécageuses servent de refuge aux bécassines. Les guanacos se tiennent de préférence sur les crêtes des monticules d’où ils peuvent apercevoir à de grandes distances la troupe des chasseurs patagons. Toujours alertes et attentifs au moindre bruit, ces timides animaux n’ont, pour se soustraire à leurs ennemis , qu’une extrême vigilance, et une vi- tesse qui ne le cède qu’à celle des chevaux. Dans notre course, nous apercümes deux guanacos qui, le cou tendu, se tenaient déjà sur leurs gardes ; car ils décampèrent avant que nous les eussions approchés à plus d’un demi-mille. Ayant fait halte pour déjeûner au milieu d’une plaine cou- verte d'herbes sèches, nous vimes partir très-près de nous une petite autruche qui venait d'abandonner son nid où nous recueïlimes dix-sept œufs encore chauds. Un peu pius loin une très-belle autruche se présenta tout à coup devant nous; elle semblait marcher difficilement. Mais nos armes étaient en très-. mauvais état , et nous eûmes le regret de les manquer. Nous ne fümes pas plus heureux sur deux autres de ces oiseaux qui nous échappèrent encore. A la vérité, je ne sais trop comment il eût été possible de les porter à bord, par le mauvais temps qui nous a poursuivis sans relâche. L'autruche de Patagonie a une taille au moins égale à celle d'Afrique; mais son plumage fui est très- inférieur. est d'un gris pommelé'et manque de ce velouté qu'on remarque sur les plumes d'Egypte ou de Maroc. 292 NOTES. Nous passâmes sur le bord d’un lac d’eau salée dont le fond, d’une belle argile très-liante ; m’a paru très-propre à faire dela poterie. Mais les naturels ignorent le parti qu’ils pourraient en tirer. Ce lac, dont les eaux exhalent une: odeur infecte se trouve à moins d’un mille de la pointe S. O. de l'entrée du hâvre Peckett. (M. Roquemaurel. ) Note 83, page 164. C’est dans une de ces courses, le 7 janvier, veille du départ, que nous eûmes le plaisir de voir et de tirer plusieurs autruches, d’une espèce beaucoup plus petite que celle d'Afrique. Nous en trouvâmes une sur son nid : à peine nous eut-elle aperçus qu’elle fila avec la rapidité d’une flèche. Je n’exagère point en disant qu’un cheval lancé au galop l’eût à peine suivie. Nous ramassâmes les œufs au nombre de dix-sept. Pendant cette promenade, nous apercûmes aussi quelques guanaques vues de loin. Le terrain que nous parcourûmes était une vaste plaine couverte de pâtura- ges et coupée parallèlement par des tranches de terre plus élevées que le niveau du sol et ressemblant assez à des remparts. L'inter- valle entre deux tranches était généralement rempli en partie par des espèces de lacs, sur lesquels se laissaient voir une immense quantité de gibier. Le reste du terrain se composait de marais etde pâturages et contenait peu d’eau. La pente du sol.le plus sectétait percée dans tous les sens par une infinité de trous faits par des rats ou des belettes, et en telle quantité qu’on ne pouvait faire un pas sans mettre les pieds dedans et courir le risque de tomber ou de se donner une entorse. Nous comptions sur le retour pour nous mettre à chasser des autruches , des oïes etdes canards.Mais il plut toute la journée, et après: avoir fourni une course de cinq, lieues dans l’intérieur, nous nous hatâmes de regagner le bord, (M. Durockh.) È 1 x î 4 4 # : KL # À es VE 2 + NOTES. 293 Note 54, page 166. Le passage de l'océan Atlantique dans locéan Pacifique par le détroit de Magellan, avec les cartes tout imparfaites qu’elles sont encore, ne présente pas de dangers comme autrefois, car avec les mouillages connus qui se trouvent dans toutes les parties, on a tous les moyens possibles d'assurer sa navigation. Mais si l’on y trouve l’avantage d’éviter les grosses mers du cap Horn qui fati- guent beaucoup les bâtiments et leurs agrès, le passage de l’Atlan- tique dans l'océan Pacifique par cette dernière route présente peut-être encore la plupart du temps beaucoup moins de dangers aux bâtiments du commerce, il évite bien des soucis à leurs capi- tames , et les traversées sont peut-être encore plus courtes qu’en passant par le détroit où les vents d’ouest et de S. O. qui règnent surtout dans l'été, dominent toujours et sont bien violents, et où le vent d’'E. et de N. E., qui est favorable, amène avec lui un temps sombre et pluvieux, qui rend la navigation difficile dans un es- pace aussi resserré. Toutes ces raisons font qu'on compte encore chaque année le nombre de navires qui s’aventurent dans le dé- troit en se rendant dans la Mer du Sud ; et je crois qu'il en sera ainsi tant qu'il n’y aura pas d'établissement dans le dé- toit. Dans ce cas seulement, il se formerait très-vite des pilotes qui feraient disparaître toutes les difficultés de ces passages, ai- deraient les navires à profiter de toutes les circonstances et trou- veraïent moyen, en dépit des vents, de leur faire passer le détroit dans un temps au moins aussi court que les traversées moyeunes, en doublant le cap Horn. Le grand problème qui serait alors ré- sulu, ferait renoncer tout-à-fait à cette route ; mais d'ici là qu’on ne soit pas étonné, si beaucoup de navires faiblement armés, comme le sont les navires du commerce, préfèrent la navigation du 294 NOTES. large, à une navigation entre des côtes resserrées comme celles-ei a matt dans des parages aussi variables et aussi venteux. Quant au passage du détroit, en allant vers l'Atlantique, il est non-seulement facile, mais praticable presque toute l’année , et très-avantageux pour ceux qui suivent cette route. (M. Dubouzct.) Note 85, page 166. Le 5 janvier au matin , je quittai la Zé/ée dans le grand canot avec quatre jours de vivres pour aller faire l’exploration du golfe de Gente-Grande et de la baie appelée Lee-Bay, partie non connue et que le capitaine King disait pouvoir communiquer avec, la grande baie Saïnt-Philippe par un canal étroit. Ce qui avait donné lieu à cette opinion était une coupée que nous avions re- marquée aussi dans Lee-Bay, mais que nous reconnûmes dans notre expédition pour n'être autre qu’une partie très-basse de la côte entre deux mornes plus élevés, ce qui de loin présentait Pap- parence d’un canal". | Après troisjours d'absence, continuellement contrariés par un coup de vent de l’ouest au N.0., qui plusieurs fois nous mit en 1 Un individu, qui prétendait avoir servi de pilote au capitaine King, m'assura, à notre arrivée à Talcahuano, que ce passage existail en effet, mais praticable seulement pour des embarcations. D’après les renseignements que je recueilis, son entrée dans la baie Gente-Grande se trouvait précisément au point sur lequel je fs route le 6 au soir, seul point qué je ne pus voir d’une manière satisfaisante , y étant passé à dix heures du soir, dans toute la vio= lence du coup de vent. C’eût élé vraiment jouer de malheur/.... D'un autre côté, M. Howard, lieutenant de la corvette V'Alligator, qui était embarqué sur l’ Adventure lors de l'expédition du capitaine Fitz-Roy, ñ m’assura plus tard, au contraire, qu'envoyé pour déterminer celte baïe Genie î Grande, il n'avait trouvé aucun canal, ce qui, démentait complétement, Pass, ni sertion du pilote prétendu du capitaine Kiny, NOTES. 295 danger réel, nous revinmes à bord, non sans avoir complété notre exploration, mais sans avoir réussi à rencontrer un seul habitant, ce qui me contraria infiniment. Le 8 au matin, à peine eûmes-nous mis le pied à bord que nous mimes à la voile pour sortir du détroit dont nous débouquâmes le lendemain 9 au matin. (M. Montravel.) FIN DU TOME PREMIER. thon dhqton riove sie lro die Dastides Hssuerausr ess: #riaée y n Ey F UT ? : (i Pa 46 1 PARLES LE | Le “À FE: : "1 t \ » .HARMAMA AMOT, UE 44. , ” … y «$ à - Û re PRESSEE NN] ur LOST LEP | ARMES TNT da “0° 5713 Bale Es a 12 72° [08 Pa Aymond Free Lu Ce Ts 2 Coma te Master LA Gente CG & : + Torre bat VE minrEta déuse LA Por D Le € Orange = 27 Ë Tù Ë ‘ Æ \ à f NC LÉ Guherine, & / | AR Csetrita AN PE, \ at à Na Cap Nombre PL VE nn RS DE DÉTRONT DE MAGELLAN = — L 224 CE Gare 27 CotClles TES _ SR ee LA NC 22 Le ARR Re ve ARE TT, SN CR TES LA PARTIE DU == TR EE Er SES NC pur M. VINCENDON DUMOULIN. er = LM Tao DOTE La Marine RP D, Se ES; = Ÿ KANYE 184» Ï IN — D 212121 ne MACRLELU nn AE PEN fs Ris WTE RLTIPR “ss : ; : THEL 118@ 16 oo sit HEIN EN HOTTUUT Harner ets RUE fire! FA EHERSE ŒETULER TE ; TT { 3 LATE [TH TNAN , s = ! Le DENPEE CETTE] HU fi ( LS AHERUE iles TE