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SOV
VOYAGE
Al TOUH
DE LA MER MORTE
— PARIS. -
IMP KIM K I' AH .1. CLAYE ET C«
HtIK SAINT-BEXOIT
VOYAGE
ATI TOUR
HE LA MER MORTE
DE DECEMBRE 1880 A AVRIL 1854
F. DE SAFLCY
ANCIKN KI.F.VR flE 1,'KCcUF. POLVTECHNIOI'E , MF.MBBK nF. l-'lNSTITITT
PUBLIC SOUS LES AUSPICES DU MINISTERK DE L'INSTRUCTION PUBLIQUF.
RELATION DU VOYAGE
TOME II
PARIS
GIDE ET J. BAUDRY, tiDITEURS
5, RUE BONAPARTE
1853
VOYAGE EN SYRIE
{nrm^s'xl '.01 ^~ .
ET AUTOUR
DE LA MER MORTE
22 JANVIER.
La nuit a etc horrible ; les rafales de pluie se sont succede
sans interruption , et souvent nous nous sommes reveilles en
songeant , avec certaines angoisses preventives, a la maudite
Sabkhah qu'il nous faut necessairement traverser le plus vite
possible, si nous ne voulons pas nous etablir, pour un mois
peut-etre, dans le Rhor-Safieh.
Maintenant que nous avons parcouru la Moabitide, arretons-
nous un instant, pour voir s'il nous sera possible d'identifier
les noms modernes des ruines dont nous avons releve les posi-
tions, chemin faisant, avec les noms que nous fournissent les
ecrits sacres et profanes de 1'antiquite ; mais avant tout, rap-
pelons le plus brievement possible 1'histoire de la Moabitide.
La Genese nous apprend (xix-37) que Moab naquit de 1'in-
ceste commis par Loth avec sa fille ainee. Apres la catastrophe
de la Pentapole, les Moabites, ses descendants, envahirent
la rive orientale de la mer Morte et le vaste plateau qui la
ii. \
2092791
2 VOYAGE EN SYRIE
domine; ils en chasserent les Emim, car nous lisons dans la
Bible1: — 9. L'Eternel me dit : Ne tourmente point Moab et
ne commence pas de guerre avec eux, car je ne te donnerai
pas de son pays un heritage ; car j'ai donn£ Ar aux enfants
de Loth pour heritage. — 10. Les Emim y avaient auparavant
demeure ; un peuple grand, considerable et de haute stature
,comme les Anakim. — 11. Les Rephai'm sont reputes aussi
comme dag Anakim, et les. JMoabites les appelerent Emim. —
II parait Evident que ces deux versets 10 et 11, aussi bien que
le verset 12, constituent une glose marginale, certainement
posterieure a 1'ecrit de Moi'se lui-meme, et qui se sera intro-
duite dans le texte sacre ; en effet ces trois versets qui mention-
nent la conquete Israelite comme achevee , viennent couper
incidemment 1'ordre que Dieu donne a Moi'se. Quoi qu'il en
soit, il est certain que les Emim, premiers habitants de la
Moabitide, furent expulses et remplaces par la race issue de
Loth, et de son fils Moab.
Les Ammonites, freres des Moabites par Ammon , fils de
Lothet de sa seconde fille, s'etablirent egalement sur la rive
orientale de la mer Morte et du Jourdain, mais plus a Test que
les Moabitee. Ges derniers, apres avoir e"tendu leur domination
jusque vis-a-vis Jericho et au bord du Yabbok, furent refoules
plus tard par les Ammonites au dela de 1'Arnon (Ouad-el-
Moudjeb) qui devint la limile septentrionale de la Moabitide.
Cette limite 6tait deja celle du paysde Moab, lorsque les 116-
breux, partis d'Egypte, vinrent se presenter sur ses fronti6res.
Nous lisons effectivement dans les Nombres (xxi) : — 13. De la
ils (les He"breux) partirent et camperent en deca de 1' Arnon qui
est au desert, sortantdes confins de FAmori, car T Arnon est la
frontiere de Moab, entre Moab et Amori. — 14. C'est pourquoi
1. Deuteronome, n.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 3
il est dit au livre des Batailles de 1'Jternel, le Ouahab a Sou-
fall ct les torrents de 1'Arnon. — 'Ce deuxieine yerset est entie-
rement inintelligible; que signifie ce mot 3m, Ouahab? on
1'ignore completement. En arabe v^-J signifie donner, con-
ceder. Co verset devrait-il , par hasard , se traduire ainsi : —
(Test pour cela que dans le livre des Batailles de Jehovah, il est
dit : La concession faite a Soufah, et les torrents de TArnon, —
et etait-il destine a fixer les Umjtes de la terre donnee aux en-
fants de Moab, et qui commencait a un lieu nomme Soufah, pour
s'etendre jusqu'ik 1' Arnon, Je me garderai bien de proposer cette
interpretation cornme incontestable, et je me bornerai & faire
remarquer que si, dans Soufah, on voulait retrouver un lieu
tenant au Djebel-es-Soufah qui est au sud de l'Quad-ez-Zouera,
et au sud-ouest du Djebel-el-Melehh , on aurait probabjement
les limites meridionales et septentrionales de la Moabitide prp-
prement dite, puisque Zoar etait sur cette liniite, Ceci resulte
clairement du commentaire de saint Jerome x, dans lequel
nous Ijsons : Segor in finibus Moabilanim sita est, dividens ab Us
terrain Philistiim. Mais quittons bien vite }e terrain dangereux
des hypotheses, en ajoutant toutefois que la teneur du verset
suivant, 15 : -— Et le cours du torrent qui tenci vers la ville
d'Ar, et qui s'appuie a la frontiere de Moat), ^ — semble en
quelque sorte completer la delimitation de la terre moabitique,
en determinant sa frontiere orientate,
Quant a la niarche meme des Hebreux vers la frontiere,
elle est parfaitement tracee dans }e livre des Juges (xi, 17,
18). — (Israel) envoya aussi vers le roi de Moab, qui ne vou-
lut pas ( permettre le passage de Immigration h^bra'ique
sur son territoire) et Israel resta a Kades (au sud du pays
de Canaan). — 18. 11 parcourut le desert, fit le tour du pays
1. Ad Jes., xv.
4 VOYAGE EN SYRIE
d'Edom et du pays de Moab, il vint a F orient du pays de
Moab, et campa au bord de F.Arnon. Us n'entrerent pas dans
les limites de Moab, car FArnon formait la limite de Moab. -
De ce verset compare a ceux que j'ai cites tout a Fheure, il
resulte que la vallee de FArnon, apres avoir convert Fextremite
septentrionale de la Moabitide, s'inflechissait au sud, pour en
couvrir e'galement la frontiere orientale. C'est effectivement ce
que fait FOuad-el-Moudjeb, dont Fidentification avec la vallee
de FArnon n'est un sujet de doute pour personne.
J'ai dit tout a Fheure que, d'apres le livre des Nombres,
lors de F apparition des Israelites, FArnon separait le territoire
dcs Moabites de celui des Amorites ; d'ou il resultait que tout le
pays septentrional, compris entre FArnon et le Yabbok, avait
ete enleve par les Amorites aux Moabites, anterieurement a la
venue de Moi'se sur les bords de FArnon. Cette conquete etait
de fraiche date, puisque nous lisons dans les Nombres (xxi, 26) :
— Car Hesboun etait la ville de Sihoun roi d'Amori , qui avait'
combattu^ontre le precedent roi de Moab, et avait pris tout son
pays de sa main jusqu'a F Arnon. — Cette expedition de Sihoun,
si Fon accepte le texte hebrai'que1, aurait atteint Ar meme, la
capitale de la Moabitide ; mais il faut observer que le texte
samaritain, ainsi que les Septante, au lieu de ~\y, Ar, lisenfiy,
jusqu'a, et que des lors il est probable que la conquete Amo-
rite s'est arretee au bord de FArnon. Ouoi qu'il en soit, Sihoun,
roi de Hesboun, ayant refuse aux Israelites le passage a travers
la contree situee entre FArnon et le Yabbok, fut vigoureusement
attaque et battu par eux, a Yahas2; puis toutesses villes furent
livreesau pillage, et tous les habitants mis a mort, hommes,
femmes et enfants3. Le roi de Moab etait alors Balak-ben-
1. Meme chapitre, v. 28.
2. Deuterouoino, 11, 32.
3. Deuterouoine3 n, 34.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 5
Sephour ; ce fut lui qui , n'osant barrer le passage aux Israe"-
lites , envoya chercher Balaam pour les maudire. Chacun sait
comment cette precaution imprecatoire tourna a la confusion
de Balak. Dans ce recit merveilleux I est mentionnee une ville
nominee Kerith-Hesout (xxn-39) , de laquelle partit la premiere
benediction de Balaam. Etait-ce une ville de la Moabitide pro-
prement dite ? Gela parait douteux , puisque le second et le
troisieme points auxquels Balak conduisit Balaam , esperant
que de ceux-la il pourrait lancer sur Israel des imprecations
au lieu de benedictions, sont d'abord le sommet du mont
Fesgah (Pisgah des traducteurs) 2, et ensuite le sommet du
Faour (Peor ou Phegor des traducteurs), montagnes situees
certainement en dehors des limites de la Moabitide propre-
ment dite.
Nous perdons ensuite de vue le peuple moabite jusqu'au
moment ou un peu plus d'un demi-si6cle apres la mort de Josue,
il reussit, avec 1' assistance des Ammonites et des Amalekites,
a subjuguer les Hebreux qui resterent dix-huit ans sous la domi-
nation d'Adjloun (Eglon des traducteurs), roi de Moab. Au
bout de ces dix-huit annees, Ahouad3-ben-Djera (TEhoud fils
de Guera des traducteurs) assassina leroi Adjloun, a la ville des
Palmiers5, en venant d'aupres des carrieres situees vers Hed-
jeldjal (Guilgal), pour demander une audience secrete au
prince H. Ahouad , une fois le meurtre accompli , se sauva par
les carrieres vers Sairah, rassembla les Israelites sur les monta-
gnes d'Ephraim , redescendit avec eux dans la plaine, s'em-
1. Nombres, xxi, xxm.
2. Nombres, xxm, 14.
3. Juges, HI, 14.
4. Ce nom est encore fort en usage chez les Arabes, temoin le neveu de Ham-
dan, scheikh des Thaamera.
5. Jericho?
»;. Jnges, HI, 19 et suivants.
6 VOYAGE EN SYKIE
para dii gue" du Jourdain , et utie fois la retraite coupee aux
Moabites, en mit a mort dix mille.
Du temps de Saul, les Moabites reparaissent parmi les
nations en guerre avec les Hebreux, car nous lisons1 : — Saiil
conquit la royaute sur Israe'l et il combattit tous ses ennemis
a 1'entour : Moab, les fils d'Ammon , Edom , les rois de Sou-
bah, etles Philistins, et partout ou il se tournait, il repandait
la terreiir. — Plus tard encore, David les soumit et les astrei-
gnit a lui payer un tribut2. — 11 battit les Moabites et les mo-
sura au cordeau , les faisant coucher par terre ; et il mesura
deux cordeaux pour faire mourir et puis un cordeau pour laisser
en vie ; les Moabites devinrent sujets et trtbutaires de David.
— Probablement ce verset signifie que tous ceux qui , parmi
les prisonniers moabites, avaient unetaille depassant 1'inter-
valle de deux cordes tendues sur le sol et entre lesquelles on
les forcait a se coucher, furent mis a mort , tandis que tous
ceux dont la taille resta inferieure a 1'intervalle des deux cor-
deaux , eurent la vie sauve. C'est la un effroyable massacre
dont la barbarie passe toute croyance.
Apres la mort de Salomon et lorsque le schisme des dix
tribus fut accompli , les Moabites devinrent tributaires des rols
d' Israel , car nous lisons3 : — Moab se revolta contre Israel
apres la mort d'Ahab. Le roi deMoab s'appelait alors Misfta, et
le tribut annuel qu'il aVait a payer e"tait de 100,000 agneaux
et de 100,000 moutons portant laine^. — Jehouram ayant
succede k son pere Ahab sur le tr6ne de Samarie, s'empressa
d'inviter Jehosaphat, roi de Juda, a 1'aider dans une expedition
contre les Moabites. Les deux monarques se concerterent pour
1. Samuel, i, xiv, 47.
2. Samuel, H, vm, 2.
3. Rois, H, i, 1.
4. Rois, H, HI, 4.
ET AUTOCJR DE LA MER MORTE. 7
attacjuer la Moabitide, en passant par le desert d'Eclom1, parce
le roi de ce pays s'e'tait coalise avec eux. La disette d'eauj
apres sept jours de marche, faillit faire pe"rif Tarmee des trofe
rois allies; mais le prophete Elisaa intervint , I'eaU'du del
tomba en abondance, et les Moabites ay ant eli 1'imprudence
de marcher au-devant de 1'ennemi , furertt poursuivis I'dpee
clans les reins. Toutes leurs villes furent delruites , les terres
cultivtJes furent jonchees de pierres* les citernes furent bou-
chees, les arbres coupes, et le sie'ge' de Kir-Keraset (Kir
Kareschet) fut commenc6 h coups de fronde. Le roi de Moab, a
la tete de sept cents hommes, tenta une sortie vers le camp des
Ivlomites, mais il fut repousse. II e"Ut^ dans cette extr^mit6,
1'horribleidee d'offrir son fils aine* en holocauste surla muraille
de la ville ; alors> tous les Moabites, saisis d'horretir, reunirent
leurs efforts contre 1'armee d'Israel, qui fut obligee d'evacuer
le pays2. 11 est vrai c|ue Cette versioil des deux versets en
question n'est pas la seule plausible, et je dirai meme mieux*
la plus vraisemblable. Le texte se preHe parfaitement a ce que
Ton admette que le roi de Moab n' ay ant pii , dans da sortie,
s'emparer de la personne du roi d'fidom, reusslt a prendre
son fils aine qu'il offrit en holocauste a ses dieux, sur les murs
de Rir-Reraset. Cette interpretation , qui, d'ailleurs, n'est pas
nouvelle, a le tres-grand avantage de servir de commentaire h
un curieux passage du prophete Amos. Void ce passage (ii, 1) :
— Ainsi dit Jehovah : Pour trois peches de Moab et pour le
quatrieme, je ne retiendrai pas le chatiment, parce qu'il a brule,
et rdduit en cendres les ossements du roi d'Edom. — 2. J'en-
verrai le feu dans Moab et il devorera les palais des villes;
Moab perira au milieu du tumulte , parmi les cris de guerre et
les sons du schofar. — 3» J'exterminerai le sofete du milieu de
1. Rois, ii, in, 8.
2. Rois, n, in, 26-27.
8 VOYAGE EN SYRIE
lui, et je ferai mourir tous ses princes avec lui. — II serait dif-
ficile de ne pas reconnaitre le meme fait dans le verset du Livre
des Rois et dans celui d'Amos.
Le Livre des Chroniques T nous raconte en detail une expe"-
dition des Moabites centre Jehosaphat, roi de Juda. Les
Ammonites marchaient avec les Moabites. — 1. On vint
annoncer a Jehosaphat, savoir : une multitude considerable
vient centre toi, d'au dela de la mer (la mer Morte evidem-
ment), d'Aram ( tres-probablement il faut lire d'Edom, DIN au
lieu de DIN), et voici qu'ils sont a Hasasoun-Tamar, qui est Ayn-
Djedy (verset 2). — Jehosaphat eut peur et se disposa a recher-
cher Jehovah, il fit publier un jeune sur tout Juda (verset 3) . —
Sa priere fut exaucee. Jehaziel, saisi de 1'esprit prophetique,
annonca que Juda n'aurait pas a combattre 1'ennemi qui s'ap-
prochait, et que Dieu le combattrait lui-meme. — Demain, des-
cendez contre eux, voici qu'ils montent la montee de Hesis
(p^n r6yD)"; vous les trouverez a 1'extremite de la vallee,
devant le desert de Yerouel (16). — Ainsi que 1'avait annonce
le prophete , un vertige s'empara de 1'armee envahissante , les
Moabites et les Ammonites tomberent sur les Idumeens de la
montagne de Sei'r, et les ecraserent d'un commun accord; puis
ils tournerent leurs armes contre eux-memes et s'entre-detrui-
sirent. Trois jours durant, les sujets de Jehosaphat furent occu-
pes a depouiller les morts. Le quatrieme jour ils s'assemblerent
dans une vallee choisie pour remercier Jehovah, et cette vallee
recut le nom de vallee de la Benediction. Get evenement parait
avoir e"te" la consequence de 1' expedition des rois d' Israel et de
Juda contre les Moabites ; lorsque ceux-ci eurent ete forces de
s'eloigner de la Moabitide, peut-etre le roi Misaa, d'assailli
devint-il assaillant ; cela n'a rien que de tres-probable.
1. Chr. ii, ix.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 9
Nous lisons encore dans les Rois ' : — filise'e mourut et on
1'ensevelit. Dans cette anne"e , les troupes moabites entrerent
dans le pays. — Joas e"tait alors roi d' Israel , et le pays designe
dans le verset precedent est celui sur lequel regnait Joas.
Lorsque les tribus de Ruben et de Gad, et la demi-tribu de
Manasse eurent e"te emmenees en captivite par Foul et
Tiglath-Pilnesser2, rois d'Assyrie , le pays compris entre
1'Arnon et le Yabbok fut, a ce qu'il parait, ressaisi par les
Moabites, puisque Isa'ie et Jere"mie, prophetisant centre la
race de Moab, nornment, comme villes lui appartenant, des
villes certainement comprises dans la contree enleve"e aux
Ammonites par les Hebreux.
Les Moabites , bien longtemps apres , reparaissent dans
1'armee de Nabuchodonosor, comme allies des Chaldeens.
Ainsi nous lisons dans les Rois (H, xxiv, 2) : — L'Eternel
envoya centre lui ( Joakim , roi de Juda ) les troupes des Chal-
deens , les troupes d' Aram , les troupes de Moab et les troupes
des enfants d'Ammon ; il les envoya centre Juda pour le
detruire , selon la parole de 1'Eternel, qu'il avait prononcee
par ses serviteurs les prophetes. —
Josephe 3 nous apprend que cette alliance des Chaldeens et
des Moabites ne fut pas de longue duree ; car la cinquieme
annee apres le sac de Jerusalem , vingt-troisieme du regne de
Nabuchodonosor, ce monarque envahit laSyrie; apres T avoir
conquise , il attaqua les Ammonites et les Moabites qu'il sou-
mit, et il marcha ensuite sur 1'Egypte. G'est tres-probablement
cette expedition qui .ut annonce"e par les terribles propheties
d' Isa'ie, de Jer6mie et de Sophonie. Les Moabites durent etre
alors emmenes en captivite, ces memes propheties en font foi.
1. Rois H, xm, 20.
2. Chroniques, i, v, 2G.
3. Ant. Jud., x, 9, 7.
40 VOYAGE EN SYRIE
Dans le livre de Daniel (xi, 41) nous lisons : — II (le roi du
Nord, Alexandra le Grand) viendra au pays de la gloire, et
plusieUrs pericliteront ; mais ceux-la seront sauves de sa main :
fidom , Moab et les principautes des fils d'Ammon. — Que
ce soit une prophetic reelle oU ecrite apres coup, il en resulte
toujours que le conquerant macedonien n'inquieta pas les
Moabites,
Alexartdre Janna3us, suivant Josephe (xm, 13, 5)< soumit
les Moabites et les Galaadites , qui sont Arabes ( dit 1'histo-
rien juif ) , et il leur imposa des tributs, ce qui ne 1'empecha
pas d'eprouver, peu de temps apres, une effroyable defaite
dont il ne s'echappa qu'a grand'peine* Ses adversaires etaient
alors les Arabes qui, sous la conduite de leur roi Obeda, lut-
terent pendant six annees avec le roi juif , et lui tuerent non
moins de cinquante mille hommes. Cette guerre, neanmoins,
mit entre les mains d'Alexandre Jann«us douze villes qu'il
parvint a enlever aux Arabes. Josephe nomme ces villes ! ;
c'etaient : Medaba, Naballo , Livias, Tharabasa, Agalla,
Athene, Zoara , Oronre , Marissa , Rydda , Lausa et Oryba.
Tout a 1'heure nous ferons usage de ce precieux document.
II faiit tres-probablement rapportera ces evenementslapro-
phetie de Sephaniah (n, 9) : — Certes, Moab sera comme 80-
dome , les fils d'Ammon comme Gomorrhe , une possession
des ranee's , une fosse de sel et une solitude eternelle ; le reste
de mon peuple les pillera , et le reste de ma nation en heri-
tera. —
Depuis lors, le nom des Moabites comme peuple indepen-
dant, disparait et se perd dans celui de la race arabe, avec
laquelle se fond la descendance de Moab. La conquSte romaine
s'etendit sur la Moabitide, pendant les luttes eternelles des
1. Ant. Jud., xiv, 2, 4.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 41
Arabea et de I'empire, et les Remains s'&ablirent en vainqueurS
a Rabbat-Moab (la capitate de la Moabitide), qui devintpour
oux Areopolis, Rir-Heraset recut le nom de Charak-Moba.
Nous verrons , en nous occupant spdcialement de cette der-
ni(>rc ville, les ^venements principaux dont elle fut le theatre.
II ne nous reste plus qu'a extrairo certains passages des
magnifiques proprieties d'Isai'e et de Je>emie pour avoir reuni
tous les documents bibliques qui Be rattachent a la Moabitide.
Depouillons d'abord le texte d'Isai'e :
(xv). — • it Fardeau de Moabl certes, dans la nuit d'atta-
que, e'en est fait d'Ar-Moabk, dans la nuit d'attaque , c"en est
fait de Kir-Moab. — 2. On monte a Hebeith et a Deiboun,
ces hauts lieux sur Nebo et a Meidaba-Moab , pour gemir^
avec toute tete chauve, avec toute barbe rasde. *-^ ft* Hesboitn
et el-Aaleh poussent des cris; jusqu'a Yahas leur vbik est
entendue. — 5. Mon coeur se lamente au sujet de Moab ; ses
fuyards errent jusqu'a Zoar, Veau de trois ans! (Expression
fort obscure.) car la montee de Loueith, on y monte en pleu-
ra nt, et vers Horonai'm (les deux cavetnes) on fait entendre
des cris de detresse. G. — Gar les eaux de Nimrim seront
des solitudes; Therbe est dessechge, la vegetation est detruite,
la Verdure a cesse d'exister. — 7. G'est pourquoi ils portent
sur le torrent des Saules, le reste de leurs biens et leurs tre-
sors. — 8. Car les cris environnent les frontieres de Moab ;
le gemissement enretentit jusqu'a Adjelim, jusqu'a Bar-Alim
leur gemissement. — 9. Les eaux du Delmoun (Delboun?)
sont pleines de sang; j'amenerai sur Dei'moun de nouveaux
malheurs; (je lance) le lion centre les fuyards de Moab et con-
tre le reste du pays.
(xvi.) — 7. G'est pourquoi Moab ge"mit sur Moab; tdUt
gemit autour des ruines de Kir-Heraset; vous soupirez pro-
fondement abattus. — 8. Car les champs de Hesboun sont dans
42 VOYAGE EN SYRIE
1'abandon; la vigne de Sibmah, les maitres des nations en
detruisent les ceps qui atteignaient laazer, qui s'etendaient
jusqu'au desert; leurs sarraents se repandaient, traversaient
la mer. — 9. (Test pourquoi , comme pour laazer, je pleure
la vigne de Sibmah ; je vous mouille de mes larmes, Hesboun
et el-Aaleh, car sur votre recolte, sur votre moisson a retenti
le cri de guerre. — 11. C'est pourquoi mon creur retentit
comme une harpe sur Moab, et mes entrailles (sont emues)
pour Kir-Heras. — 12. On voit alors que Moab est epuise sur
la hauteur; il entre dans son sanctuaire pour prier, mais il
ne le peut. — ill. Mais maintenant Jehovah dit : dans trois
ans, comme les annees d'un mercenaire, la magnificence de
Moab sera confondue avec sa grande multitude de peuples ; le
reste en sera tres-petit et non grand. —
Jeremie est plus precis encore, lorsqu'il prophetise la cata-
strophe qui menace Moab; mais souvent ses paroles sont pour
ainsi dire identiques avec celles d'lsai'e. Extrayons tous les
passages qui peuvent nous etre utiles :
(XLVIII. ) — 1. Sur Moab! ainsi dit Jehovah Sebaouth,
dieu d' Israel. Malheur a Nebo, car elle est ravagee! Kiriat-
hei'm Qst dans la confusion; elle est prise. He-Mesdjeb est con-
fuse et abattue. — 2. La gloire de Moab n'existe plus; dans
Hesboun , ils ont medite du mal centre lui ; allons , extermi-
nons-le pour qu'il ne soit plus une nation. Madmen , toi aussi
tu seras aneanti, le glaive marche derriere toi. — 3. Une
voix plaintive s'eleve de Horonaim : ruine ! grande detresse !
— A. Moab est brise ; les enfants font entendre des cris. —
5. Car la montee de Loueith , des gens en pleurs y montent
en pleurs. Oui, sur la descente de Horonaim, on les entend
pousser des cris de detresse. — 8. La devastation viendra dans
chaque ville; aucune n'echappera; la vallee perit, et la plaine
sera detruite, comme Jehovah 1'a dit. — 9. Donnez des ailes
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 13
a Moab , car il partira au vol ; ses villes seront reduites en
desert, nul n'y demeurera. — 18. Descends (du siege) de la
gloire, assieds-toi dans un lieu aride, habitante, fille de De'i-
boun, car le de"vastateur de Moab monte centre toi, il detruit
tes forteresses. — 19. Porte-toi sur le chemin et pegarde, habi-
tante d'Arouer, interroge le fuyard et 1'echappe, et dis :
qu'est-il arrive? — 20. Moab est dans la confusion , car il
est an£anti. Poussez des cris et des hurlements ; annoncez a
1'Arnon que Moab est devaste\ — 21. Le chatiment est venu
sur le pays de la plaine, sur Holoun , sur Yahasa et sur Mou-
faat. — 22. Sur De'iboun , sur Nebo et sur Beit-Deblate'im.
— 23. Sur Kerithei'm et sur Beit-Djamoul et sur Beit-Maoun.
— 24. Et sur Keriouth et sur Basra, et sur toutes les villes
de la terre de Moab, les eloignees et les voisines. — • 31.
C'est pourquoi je gemis sur Moab; sur tout Moab je ge~mis;
on soupire pour les gens de Kir-Heras... — 32. Je pleurerai
sur toi plus que je ne pleure sur laazer ; vigne de Sibmah ,
tes rejetons passaient la mer, ils s'etendaient jusqu'a la mer
de laazer. — 34. Des cris de Hesboun jusqu'a. El-Aaleh ; jus-
qu'a. Yahas s'etend leur voix; depuis Tzoar jusqu'a Horonai'm,
veau de trois ans (?). Meme les eaux de Nimrim seront depla-
cees. — 38. Sur tous les toits de Moab, et dans ses rues, par-
tout des lamentations, car j'ai brise Moab comme un vase sans
prix, dit Jehovah. — 41. Les villes sont prises, les forteresses
emportees. . . — 42. Moab sera detruit, a ne plus former un
peuple... — 45. Sous 1' ombre de Hesboun se sont arretes, par
(1'epuisement) des forces, les fuyards, car un feu est sorti de
Hesboun et une flamme du milieu de Sihoun ; elle a devore
les sommites de Moab et le sommet des fils du tumulte
(jltfir ^D). — 46. Malheur a toi, Moab, le peuple de Kamous
est perdu, car tes fils ont ete emmenes en captivite et tes
iilles en servitude. — 47. Je ramenerai la captivite de Moab
44 VOYAGE EN SYRIE
dans la suite des temps, dit Jehovah. Jusque-la, le jugement
sur Moab ! —
On voit par la teneur de ces versets 45 et kl que les Moa-
bites ont ete reellement conduits en captivite , ainsi que je
I'ai dit plus haut.
Passons maintenant aux Ventures profanes, Eusebe, au
mot Aa[iva6«, cite un village de ce nom situe a huit milles
d'Areopolis , et un autre du meme nom place" a sept milles
de Hesbon , sur le mont Phogor. Ce nom , Damnaba , est
tres-probablement altere , et il faut le remplacer par celui de
Medabah. Une ville du nom de Mei'dabah est mentionnee dans
le partage de la tribu de Jluben , et necessairement au sud de
son territoire, puisque le livre de Josue (xni, 16) en fait pas-
ser les limites a Mei'dabah. Voici en effet ce que nous lisons :
— Et ils eurent pour limites Arouer, qui est sur le bord de la
riviere Arnon, et la ville qui est au milieu de la vallee, et
toute la plaine pres (ou jusqu'a) T Mei'dabah. — Plus haut
(verset 9), on lit deja: — - Depuis Arouer, qui est au bord
de la riviere Arnon, et la ville qui est au milieu de la vallee
et toute la plaine de Mei'dabah jusqu'a De'fboun. --~Ces deux
passages suffisent parfaitement pour demontrer que la Mei'da-
bah dont il y est fait mention, etait situee au nord de I' Arnon
et dans le territoire des Amorites, c'est-a-dire entre 1' Arnon
et le Yabbok.
Dans les Ethniques d'Etienne, on lit ! «Medaba, ville des Na-
bateens. Les habitants de cette ville s'appellent lesMedabenes,
ainsi que 1'ecrit Uranius dans son deuxieme livre des Arabi-
ques. » Cette Medabah (Mvj^aga) des Nabat(5ens, est-elle la
Mei'dabah amorite? N' est-elle pas plutot la moabite? Je ne me
charge pas de le decider. Quoi qu'il en soit, le texte d'Eusebe
1. Suivant qu'on lit dans le texte ^y ou ^y, comine le portent quelque's edi-
tions.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 15
nous apprend qu'a huit milles d'er-Rabba, doivent se roncontrer
les ruines d'une ville moabite qui portait le meme nom que la
ville de Modabah, situe"e pres de Hesbon. Au reste, Reland,
parmi les douze villes enlevees par Alexandre Jannaaus aux
Arabes, cite Medaba, Zoar etChoronai'm, comme appartenant
a la Moabitide proprement dite , et il en conclut qu'Agalla
(rAgallaim d'Eusebe) etait, comme ces trois villes, au sud
de 1'Arnon.
Nous avons vu que Josephe mentionne Agalla * parmi les
douze villes enlevees aux Arabes par Alexandre Jannreus;
Reland n'he'site pas a retrouver cette AyoX^a dans la ville moa-
bitique nommee D^JN par Isai'c (xv, 8). II est d'autant plus
probable que cette opinion est juste, qu'Eusebe (Jit que de
son temps , il y avait une localite nommee Aya^eip , a huit
milles d'Areopolis, en allant vers le sud.
Eusebe , au mot AouelQ , nous apprend que cette localite ,
de"ja mentionne'e dans la Bible , etait placee entre Areopolis et
Zoar; evidemment cela veut dire que Loueith etait sur la
route frequente'e, ^tablie entre ces deux villes extremes : et,
puisque 1'ficriture sainte nous parle de Ja montee de Loueith,
il n'y a pas possibilite de chercher cette localite ailleurs que
dans la partie montueuse de la route, c'est-a-dire dans les
montagnes memes qui separent le plateau de Moab de la
plage de la mer Morte, ou du Rhor moabitique.
Enfin , saint Jerome , dans son Gommentaire d'lsai'e (xv) ,
nous apprend que Zoar 6tait de la terre de Moab : « Segor in
finibusMoabitarum sita est, dividensab eis terram Philisthiim. »
La Bible est d' accord avec cette assertion de saint Jerome ,
puisque le peuple de Moab abandonnant les bords de 1'Arnon,
est represente comme fuyant jusqu'a Zoar. De 1' ensemble des
1. Ant. Jud., xiv, 2-4.
46 VOYAGE EN SYRIE
textes analyses plus haut, 11 resulte que la Moabitide avail
pour limites , au nord 1'Arnon , a Test probablement encore
la vallee de 1'Arnon, qui s'inflechissait vers le sud, et au sud
une ligne qui passant par Zoar, separait la Moabitide du
pays des Philistins. Vers cette frontiere meridionale devait se
trouver une localite nommee Soufah. Enfin une route, partant
d'Areopolis pour gagner le sud de la Moabitide, et specialement
la ville de Zoar, passait par une localite nommee Loueith.
J'accorderai tres-volontiers que la determination de cette
frontiere meridionale n'a rien de precis, et qu'elle est meme
fort vague ; mais la oil les renseignements sacres et profanes
nous manquent absolument , nous devons nous estimer heu-
reux de pouvoir planter avec securite de simples jalons, en
quelque petit nombre qu'ils soient.
Ptolemee , si les longitudes et les latitudes qu'il a determi-
nees nous avaient ete transmises avec correction, pourrait
nous etre d'un tres-grand secours; malheureusement, les chif-
fres geographiques qui nous viennent de lui sont si frequem-
ment entaches d'erreurs palpables, qu'il ne faut s'en servir
qu'avec une extreme reserve. En construisant les positions
relatives des villes suivantes
Jerusalem. . . 66 et 31 f
Engaddi .... 66 -V et 31 f
Thainara 66 i et 30 -f-i
Zoara 67 -3- et 30 ±
Charakmoba. 66 -f- et 30
Callirhoe 67 ,'. et 31-^.
on reconnait que les positions de Jerusalem , d' Engaddi , de
Thamara et de Callirhoe sont a peu pres justes, tandis que
les chiffres relatifs a Charakmoba et a Zoara sont parfaitement
inadmissibles. Ainsi, probablement, pour Charakmoba c'est 67
qu'il faut lire, et pour Zoara 66 (il est bien entendu que je
laisse de cote les fractions, sur lesquelles je ne me permet-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 17
trai pas de faire de corrections ) , car sans cela Zoar serait
dans tine position plus orientale que Karak , ce qui n'est pas
soutenable.
La frontiere meridionale que je viens d'assigner a la region
de Moab n'a pas ete permanente , et la delimitation de cette
region a pu varier au sud, aussi bien qu'au nord. -L'ficriture
sainte, en efiet, donne 1'Arnon pour limite septentrionale a la
Moabitide, lors de l'apparition des Hebreux, et les propheties
d'lsai'e et de Jeremie nous font voir que les Moabites repri-
rent le pays entre 1'Arnon et le Yabbok, apres la captivite des
dix tribus. Quanta la frontiere meridionale, du temps de saint
Jerome, Zoar etait sur la lisiere de la Moabitide et de la
Palestine. Pour Josephe , Zoar etait une ville d' Arabic ; et
dans 1'ecriture sainte, cette Zoar, ville de la Pentapole maudite,
dans la Genese, devient probablement une ville d'Idumee, dans
le livre de Josue, c'est-a-dire a 1'epoque du partage de la
terre promise, et enfin, une ville de la Moabitide, lorsque
paraissent les propheties d'lsai'e et de Jeremie.
J'ai dit tout a 1'heure que Zoar etait probablement une
appartenance de 1'Idumee , lors de la delimitation des terri-
toires assignes aux tribus; en effet nous lisons dans Josue (xv) :
1. — Voici les limites que le sort assigna ci la tribu des fils de
Juda, selon sa famille : pres la limite d'Edom, au midi , le
desert de Sin , a I'extremite meridionale. — 2. Leur limite au
sud partit de 1'extremite de la mer Salee , depuis la langue
qui tourne vers le sud. — 3. Elle va au midi vers la montee des
Scorpions , passe a Sin , et monte du midi a Cades-Barnea et
passe par Hasaroun , et monte a Adar et tourne vers Heker-
kaah, etc., etc. — On voit qu'il n'est nullement question de
Zoar dans ce passage, non plus que dans I'enum^ration des
villes de la tribu de Juda. Je dois de plus faire observer que
parmi les villes de Judee situees sur la frontiere d'Edom, nous
II. 2
18 VOYAGE EN SYRIE
trouvons mentionnee l Adada , que j'ai le premier retrouvee
avec le m^me nom, sur le plateau auquel on parvient par
l'Ouad-ez-Zouera, et apres avoir traverse l'Ouad-et-Thaemeh.
La limite de la tribu de Juda passait done forcement bien pres
de Zoar^ et c'est avec raison que saint Jerome a place cette
ville sur la frontiere extreme de la Palestine et de la Moa-
bitide.
Je ne puis me dispenser de mentionner deux passages extrc-
mement importants tires du texte d'Ezechiel, et qui fixent Id
limite meridionale de la terre promise; les void (XLVII, 19) :
— Et le cote" meridional, b droite depuis Tamar jusqu'aux eatix
de la dispute de Kades, jusqu'au fleuve qui va a la grande mer,
c'est le cote meridional ; — et plus loin (XLVIII, 28) : — Pres de
la limite de Gad , au sud a droite , sera la limite de Tamar,
jusqu'aux eaux de la limite de Kades, jusqu'au torrent pres
de la grande mer. — Les commentateurs font Jericho de la
Tamar designee dans ces deux versets ; mais cette identifica-
tion, deja proposee par le texte chaldeen , n'est pas e"vidente,
puisqiie Jericho n'a jamais etc fe la limite sud de la Jtid6e.
11 serait possible qu'il s'agit la de la Tamara ou Tamaro, que
j'ai retrouvee a Mai'et-Embarrheg ; de lasorte, la position
de la montee des Scorpions (Maalet-Akrabim) se trouverait
identifiable avec 1'un des deux ouad de Zouera ou de Mai'et-
Embarrheg.
Je vais maintenant construire un tableau comparatif des
localites et des ruines que j'ai rencontrees dans la Moabitide,
et des localites antiques qu'il est permis d'y reconnaltre.
Kharbet-Zouera-et-Tahtali Zoar, Segor.
Kharbet-Esdotun Sodome.
Djebel-EsdouinouDjebel-el-Melehh. Montague de Sodome.
1. Josue, xv, 22.
ET AUTbUR DE LA MER MORTE. 19
Djebel-es-Soui'ah Soufah.
Kharbct-Safieh »
Rh6r-Safieh »
Rh6r-en-Nenia'ireh »
Kharbet et Bordj-eii-Nema'ireh Niinrin, Beniiernarim, Benamerium.
Talaa et Kharbet-Sebaan Seboim.
Birket-d-Er.il »
Kharbet-Emthail »
Kliarbet-es-Sa'ietbeh »
Taouahin Es-soukkar »
El-Mezraali . . »
El-Lican He-Li(o;oun.
Kliarbet-abd-er-Rahim »
Khirhet-Adjerrah Agalla,, Adjeliln, Agalleim.
Bir-el-Hafaieh »
Kharbet-el-Hafaieb. »
Kharbet-Nouehin Loueitii, Maalah-he-Loue'ith.
Kharbct-Sarfah »
Redjom-Mahfour »
Kharbet-Emraah »
Redjoin-el-Hammah »
Redjom-el-Aabed. 1 1 ; »
Kharbet-Fouqoua .
Medaba. Damiiaba.
Ouad-Emdebea '
Schihan ..;.....;... , . Bchihouh:
Kharbet-Medjdelem »
Kharbet-Tedouni »
Beit-el-Kenn — »
Er-Rabba » . . ^ Ar, Rabbat-Moab. Areopolis.
Ruines sans noin »
Ruines sans nom »
El-Karak Kir-Herasat, Kir-Moab, Charakmdba.
Ayii-Sara. » s ; . »
Ayn-Aqbech »
Ayn-el-Bcas ; ; »
Qoubbet-Habisieh »
De'ir-el-Mekharib »
Ayn-et-thabib »
Ayn-es-Sekkeh n. »
Ayn-el-Guemaya »
Omm-Sedry , »
Ayn-Zeboub »
Ayn-Erses »
Djebel-el-Hadits »
Djebel-Dzafel »
20 VOYAGE EN SYRIE
Redjoin et Ayn-Talaa ,
Ouad-el-Kharadjeh. . .
Ayn-ed-Draa
Kharbet-ed-Draa
Ruines sans nom
Reste £ discuter maintenant la legitimite des identifications
que je propose.
Celles de Zoar, de Sodome et de la montagne de Sel, sont
tellement liees entre elles, que, Tune des trois etant une fois
etablie, les deux autres en decoulent immediatement et de
toute necessite. Prenons done Sodome , qui est certainement
la plus importante des trois localites, et demontrons d'abord
par la concordance de tous les textes sacres et profanes qui la
concernent, que Sodome, la ville maudite, exista en realite a la
pointe nord du Djebel-Esdoum , ou Djebel-el-Melehh, au point
ou d'enormes amas de decombres, parfaitement visibles et
parfaitement reconnaissables , sont restes pour servir a tout
jamais d'exemple a la perversite humaine.
Le nom de Sodome , dans les livres sacres , est ecrit DTID ;
en arabe il s' ecrit />-*— ', et en grec So^o^a. Cette ville etait
situee sur le bord du lac Asphaltite ; car elle etait voisine de
Zoar, qui etait a la pointe sud de la mer Morte et sur la rive
occidentale. En effet, lorsque Loth se separa d' Abraham, il
prit pour lui la plaine du Jourdain (le pTn 133 des livres
saints, le [/.eya Tve^i'ov des Grecs), jusqu'a Sodome1.
10. — Loth levant les yeux, vit toute la plaine du Jourdain,
arrosee partout ; avant que Jehovah ne detruisit Sodome et
Gomorrhe, elle etait comme le jardin de Dieu, comme le
pays de Mitsrai'm, jusqu'aux environs de Zoar. —
11. — Loth choisit toute la plaine du Jourdain, et il se dirigea
vers 1' orient. Us se separerent ainsi Tun de 1'autre. —
1. Geuese, chap. XIH.
ET ADTODR DE LA MER MORTE. 21
12. — Abraham habitait le pays de Canaan, et Loth dans les
villes de la plaine; et il dressa ses tentes jusqu'a Sodome. —
II resulte clairement, de la teneur de ces versets, que Loth ,
pour aller camper jusqu'a I'extremite de la plaine , allait jus-
qu'a Sodome. fividemment, il n'avait, pour y arriver, ni le
Jourdain ni le lac Asphaltite h traverser, et de meme que Zoar
etait a 1'extremite de cette terre fertile , comparee h la terre
d'£gypte ou meme au jardin de Dieu , Sodome, ville si voisine
de Zoar, devait se trouver egalement a I'extr6mite de la plaine
parcourue par Loth.
Strabon (livre xvi) s'exprime ainsi : « Cette contre*e est,
dit-on, travaillee par le feu ; on en donne pour preuves cer-
taines roches durcies et calcinees vers Moasada, des cre-
vasses, une terre semblable a de la cendre, des rochers qui
distillent de la poix , des rivieres bouillantes dont 1'odeur fetide
se fait sentir au loin; ca et la des lieux jadis habites, boule-
verses de fond en comble ; en sorte qu'on pourrait ajouter foi
a cette tradition repandue dans le pays, d'apres laquelle il
aurait existe jadis en ces lieux treize villes. 11 resterait meme,
dit-on , de leur metropole Sodome, des ruines dont la circon-
ference serait d' environ soixante stades ; des tremblements de
terre, des eruptions de feu, d'eaux chau.des, bitumineuses et
sulfureuses, auraient fait sortir ce lac de ses limites ; des rochers
se seraient enflammes, et c'est alors que ces villes auraient ete
ou englouties ou abandonnees de tous ceux qui purent s'en-
fuir. » (Traductlon de Letronne. ) De ce passage il resulte
clairement que Sodome et la Sodomitide etaient dans la contre"e
ou se trouvait Moasada (Masada). Or, ici, pas de contesta-
tion possible, Masada e"tait a 1'occident de la mer Morte, done
Sodome et Zoar y etaient aussi.
Si de plus nous remarquons que .Tosephe x dit que la lon-
1. Bell. Jud., lib. iv, 8, 4.
22 VOYAGE EN
gueur du lac Asphaltite est de cinq cent quatre-vingts stadas,
qu'il s'etend jusqu'a Zoara d' Arabic et que sa largeur est de
cent cinquante sta4es geulement; que dans son voisinage est
la Sodomitide, etc., nous en devrpns encore conclure que,
puisque Zoar etait a 1'extremite sud du lac Asphaltite , Sodome
s'y trouvait aussi ; et cornme, pour mesurer la longueur du
lac? il n' est pas permis de supposer que Ton ait passe d'une
rive a 1'autre, ilfaut, de toute necessite, que Zoar et Sodome
aient e"te a rextremite sud-ouest du lac Asphaltite.
Galien ', en parlant du sel gemme recueijli au hord du lac
Asphaltite, s'exprime ainsi : « Trpqcgyopsuouci £' aijTous (i'^a;) 2o£o-
p.£vou; aT70 TWV TCSpte^ovTwv r/iv Aipr.v opwv, a /.a^stTspi 5o'5ofAa? etc.
On appelle ce sel sel de Sodome, du nom des montagnes avpi-
sinant le lac, et qui s'appellent Sodome ». La Montague de Sel,
Djebel-Esdqum des Arabes, etait done pour Galien legitime-
ment nommee Sodome.
Au reste, il serait inutile de discuter plus longuement un fait
que personne ne conteste; tout le monde est d'accord sur ce
point, et Sodome etait sur la rive occidental du lac Asphaltite.
Personne n'a imagine de chercher 1'emplacement de cette vilje
sur la rive orientale , devenue plus tard partie integrante de
la Moabitide proprement dite. Nous pouvons done etablir har-
diment ce premier point, & savoir que Sodome etait a la pointe
sud de la mer Morte, et sur la rive occidentale.
Rappelons-nous maintenant que la Genese nous dit expres-
sement (chap, xix, yerspts 15 et 23) que Loth, parti de
Sodome, lorsquedejal'aubedujour avaitparu, entraaZoarau
moment ou le soleil SQ montrait sur la terre. 11 resulte invin-
ciblement de Ja que , de Sodome a Zoar , il ne pouvait guere
y avoir qu'une lieue au plus. Toute localite piacee sur la rive
1. Lib. iv, De simplicium medicamentorum facultatibus, cap. 19.
ET AUTOUR DE LA HER MORTE. 23
orientale du lac Asphaltite est done exclue de toute necessite
do la protcntion de representer le site de la Zoar biblique.
Et maintenant si au point meme oil doivent se trouver
Sodome , Zoar et la Montague de $el , citee par Galien sous le
nom de Sodome (et non de montagne de Sodome, ce qui est
assez ctrange), si, dis-je, en ce point, nous trouvons une vaste
montagne de sel gemme et la seule du pays , nommee Djebel^-
Esdoum , portant sur tous les coteaux qui garnissent sa pointe
nord, les decombres immenses d'une ville, decombres dans
lesquels on retrouve , en se donnant la peine d'y regarder aveo
soin , de nombreux arrasewents de murailles, decombres enfin
que les habitants du pays nqmment JUiarbet-Esdoum , en leur
appliquant la tradition qui concerne Sodome ; si de plus , a un
peu plus d'une demi-lieue de la, vers la montagne, se trouvent
d'autres deconibres d'une ville nommee Zouera-et-Tahtah , la
Zoar inferieure, reste-t-il seulement possible de contester
1' identification de Kharbet-Esdoum avec Sodome, et de Zouera-
et-Tahtah avec Zoar ou Segor? Je ne le pense pas.
Mais, a-t-on dit bien souvent, les villes maudites ont e"te
detruitespar le feu du ciel d'abord, puis submergees par le
lac Asphaltite, qui s'cst forme tout d'un coup, pour engloutir la
vallee de Siddim et la Pentapole que cette vallee contenait.
Yoila en substance ce que Ton oppose h la prevention emise
et soutenue par moi, que j'avais retrouve sur place les mines
bien visibles des villes de la Pentapole. Sur quoi 1'explication
qu'on allegue contre mon opinion est-elle appuyee? ou a-t-on
trouve la catastrophe de la Rentapole racontee de fagon h per-
rnettre de supposer un seul instant, que les villes frappees par
la colere celeste, ont ete englouties au fond du lac? Est-ce dans
la Sainte Bible? est-ce dans les ceuvres des ecrivains de I'anr-
tiquite? Pas plus d'un cote que de 1'autre. Je ne sais quel
conimentateur aura imaging un beau jour la fable dont j'ai
24 VOYAGE EN SYRIE
donne en quelques mots 1'analyse ; et cette fable, par cela mSme
qu'elle offrait plus de surnaturel et d'inexplicable, a ete preci-
sement admise sans examen. Depuis lors, une foule de voya-
geurs en Palestine, ont repete les memes contes en I1 air, en se
gardantbien, et pour cause, d'aller verifier par eux-memes
1'exactitude des faits dont ils copiaient la narration sur les ecrits
de leurs devanciers ; et de la sorte des faits parfaitement con-
trouves ont ete un beau jour si bien etablis, par une serie de
temoignages qui ne valaient pas mieux 1'un que 1'autre, qu'il
a du forcement arriver que mes compagnons de voyage et moi
fussions pris, au retour, pour des imposteurs, ou tout au moins
pour des observateurs incapables d'interroger convenablement
un terrain.
J'ai dit tout a 1'heure qu'il n'e"tait pas possible de trouver,
dans les ecrits sacres et profanes de 1'antiquite, un seul passage
qui put donner a penser que la mer Morte s'est formee subite-
ment, a 1'epoque de la catastrophe de la Pentapole. Je dirai
quelque chose de plus precis encore, c'est que ces ecrits, sacres
et profanes, sont parfaitement unanimes pour demontrer sura-
bondamment que jamais les villes maudites n'ont ete englouties
dans les eaux du lac. Mais il ne suffit pas de le dire , il faut le
prouver, et c'est ce que je vais faire.
Nous lisons dans la Genese (xix) : 24. — Jehovah fit pleuvoir
sur Sodome et sur Gomorrhe, du soufre et du feu qui venait de
Jehovah, du ciel.
25. — 11 bouleversa ces villes et toute la plaine, tous les habi-
tants de ces villes, ainsi que la vegetation de la terre. —
II est bien clair que, dans cet expose si bref de la cata-
strophe qui detruisit les villes maudites, il n'est pas le moins du
monde question de 1' intervention des eaux de la mer Morte.
Nous lisons encore plus loin, verset28: — Et (Abraham)
regardant vers Sodome et Gomorrhe, sur toute la surface des
ET AUTOUR BE LA MER MORTE. 25
environs de la plaine, il vit une fume'e s' clever de terre, sem-
blable a (celle d') une fournaise. —
La fumee qui s'elevait de terre e"tait celle des villes incen-
diees, done il n'est pas question ici de 1'engloutissement de
ces villes sous les eaux du lac , car il n'y eut plus eu alors de
fumee possible.
Dans le Deuteronome (xxix, 22) nous lisons encore : — Soufre
et sel , tout le pays incendie, ne pouvant etre ensemence , ne
produisant rien et aucune herbe ne poussant sur lui , comme
la subversion de Sodome et de Gomorrhe, d'Adamah et
de Seboi'm, que 1'Eternel a renverse'es en sa colere et en son
ardeur. —
Un terrain submerge sous les flots sal£s et amers du lac
Asphaltite, n'eut assurement pas (He decrit ainsi. Done du temps
de Moi'se 1'idee de la submersion de la Pentapole n'e"tait admise
par personne.
Amos a prophetis6 au temps d'Ozias, roi de Juda, et de
Jeroboam, fils de Joas, roi d'Israel l. Nous lisons dans son livre
(iv, 2) : — Je vous ai ren verses comme I'immense renverse-
ment de Sodome et de Gomorrhe ; vous futes comme un tison
echappe de 1'incendie, et vous n'etes pas revenusjusqu'amoi,
dit Jehovah. —
Done, pour Amos, les emplacements de Sodome et de
Gomorrhe etaient comme un tison tire d'un incendie. Certes il
n'est pas question de submersion dans ce verset.
Sephaniah (Sophonie) a prophetise" sous Josias, filsd'Ammon,
roi de Juda; nous lisons dans son livre (n, 9) :— rC'estpourquoi
je suis vivant! dit Jehovah Sebaouth, le dieu d'Israel ; certes
Moabsera comme Sodome, les fils d'Ammon comme Gomorrhe,
un lieu delaisse couvert de ronces, une fosse de sel et une soli-
1. Amos., ch. i, v. 1.
26 VOYAGE EN SYRIE
tude eternelle; le reste de mon peuple les pillera, le reste do
mon peuple en heritera. —
Done pour Sepfraniah les emplacements de Sodome et de
Gomorrhe n'etaient pas ense veils sous les eaux de la mer
Morter
Nous lisons dans Jeremie (XLIX) : 17. — Edom seradesolee;
quiconque passera pres d'elle. sera frappe d'etonnement et
insultera a toutes ses plaies.
18. — Gomme la subversion de Sodome et de Gomorrhe et
(des vjlles) ses vojsines , a dit Jehovah : il n'y aura plus
personne qui y demeure, il n'y aura plus personne qui y
sejourne.
Un peu plus loin le prophete repete la meme pensee dans
lestermes suivants (L, 40) :• — Comme. la subversioi] de Dieu
(exerpee) sur Sodome, Gomorrhe et ses voisines, dit Jehovah :
II n'y demeurera plus personne et le fils de 1'homme n'y sejour-
nera pas. —
Ce qui est bien plus positif encore, c'est ce que contient le
verset 38 du meme chapitre , verset qui concerne , par con-
sequent , la meme contree menacee par la colere divine :
— 38. Secheresse centre ses eaux; qu'elles se dessechent, car
c'est un pays d'idoles; qu'ils deviennent insenses par leurs
terreurs. — Certes il ne s'agit pas la d'une contree qui doit perir
par la submersion, mais bien par le fleau precisement contraire.
Done pour Jeremie, qui a ecrit cela au commencement du
regne de Sedecias, il est bien clair que la Pentapole ne fut pas
engloutie sous les eaux de la mer Morte.
Que trouvons-nous enfm dans le Nouveau Testament? Dans
la % lettre de saint Pierre (n), nous lisons (v. 6) : « nefta?
2o^o'{J!,a)v x.al rojxoppa; Tecppcotja; xaTa(7Tpco
\ ^ v^lr5" ^ : Et ellesont subsiste jusqu'a notre epo-
que. Ces (villes) sont en ruines ; elles ne contiennent pas d' ha-
bitants.
Aboulfeda, quoique moins explicite, est du meme avis; il
est vrai qu'Edrisy dit que Sodome et les villes voisines sont
1. Ant. Jurt., i, xi, 1.
2. Hist., lib. v, cap vn.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 29
ensevelies sous les eaux de la mer Morte. II y avail done deja
disaccord parmi les ecrivains les plus distingues de 1'lsla-
inisme. Mais cela n'empeche pas le moins du monde qu'il n'y
ait eu accord Evident parmi les ecrivains de 1'antiquite, sacres
et profanes, pour rejeter la fable de 1'engloutissement sous
Teau des villes de la Pentapole.
Voici done encore un point parfaitement etabli et incontes-
table : les villes de la Pentapole n'ont pas ete submergees apres
leur incendie. Elles n'etaient done pas baties sur le terrain
qu'on croit, a tort, avoir ete envahi subitement par la mer
Morte.
II y a plus, le texte sacre lui-meme prouverait que, quand
bien meme la plaine de Siddim eut ete en tout ou en partie
envahie par les eaux des lacs, il n'en serait pas de meme des
villes de la Pentapole. En effet, ces villes ne pouvaient pas etre
situees dans la vallee de Siddim, comme 1'a tres-judicieusement
fait observer Reland, dont personne, je pense, ne suspectera
1'admirable critique. Que lisons-nous dans la Bible1 a propos
des rois de la Pentapole?
rfen D^ Kin oncm p^y ^>N van rhx hi
Hi omnes congregati sunt in valle Siddim , qua3 est mare
Salsum.
Reland2 s'exprime ainsi a propos de ce verset : « II n'est dit
« ici qu'une seule chose, c'est que la vallee qui s'appelait au-
« paravant vallee de Siddim, devint ensuite la mer Morte, ce
« que je ne conteste pas. En effet , cette vallee peut avoir ete
« inondee par les eaux de cette mer, soit par suite d'une crue
« du Jourdain , soit par le jaillissement d'eaux souterraines
« ou autres; mais comme on ne sait ni quand, ni comment la
« chose est arrivee, il n'est pas necessaire de s'etendre sur ce
1. Genose, xiv, 3.
2. Pal., Ub. i, p. 254.
36 VOYAGE EN SYRIE
« point. L'e"crivairi sacfe ne dit pas que les cinq villeS, Soddme
« et les autres, furent situees dans la vallee de Siddinl; il y a
« plus, c'est le contraire que Ton peut conclure du texte cite,
« puisqiie les rois de ces cinq villes, apres avoir reuni leur
« armee, se rassembleient fins^ii pcy W : versus vallem
« Siddim : vers la vallee de Siddinl. Que si tjuelqu'un voulait
« traduire dans la vallee, cela reviendrait aU meme. Done
« probabiement la Vallee de Siddim etait autre chose que la
« contre"e dans laqUelle leurs cinq villes £taient situees. Oui
« dirait par exemple? les habitants d' Amsterdam, de Harlem
« et de Leyde ont marche au devant de 1'ennemi et se soht
« reunis en Hollande , — precisement pared qUe ces villes
« sont des villes hollandaises ; ttiais oil peut proprement dire
« les habitants de ces villes se sont reunis dans le lieu ou est
« aiijourd'hui le lac de Harlem ; et il est permis de conclure de
« l^i que le lac de Harlem est different de la contre'e dans
« laquelle ces villes sont situees. »
Cette argumentation de fteland serait, je crois, assez difficile
a retorquer, et Ton me permettra de la trouvei- concluante ; a'U
reste, Reland s'appuie sur une tres-juste observation de plus :
c'est que dans le vefset du chapitre xix de la Genese ou il est
dit que Dieu fit pleuvoir le soufre et le feu sur les villes iiiau-
dites et toute la plaihe, Texpression dont se sert 1'ecrivain
sacre pour rendre cette dei^niere idee est "iDi : le circuit, la
plaine, et non pas DHPn pav I la vallee de Siddim.
Pour abr^ger, je dirai que 1'illustre Helahd , avec Son tact
ordinaire, avait parfaitement devine que les villes de la Penta-
pole devaient £tre sur les bords du lac Asphaltite, ei que leurs
f uihes pouvaient, devaient meme s'y retrouver. Ce qUe le criti-
que judicieux avait devine du fond de son cabinet , I'observa-
tion faite sur les lieux memes, pres d'un siecle etdemi apres la
publication de son admirable livre, 1'a completement v^Hfie.
ET AUTOtJR DE LA MER MORTE. 31
Voici la conclusion logique de tout ce qiii precede. 11 est
indubitable, qu'en outre de Ayn Djedy (Engaddi), de Masada,
de Thamara et de Zoar, il h'y d pas eii, depuis la catastrophe
de la Pentapole, d'alitres villes constriiites sur les rives occiden-
tales de la mer Morte; il faut done, de toute necessite, fecon-
naitre Sodome dans le Ktiarbet fisdoum des Ar'abes, et au pied
de la montagne de Sel que Galien nomme expressement Sodo-
ma; de m3me qu'il faudra retrouver d'autres villes maudltes
dans les riiines evidentes de villes qui se fericohtreroht sur ce
meme littoral.
Jl n'y a pas besoin, je pense, d'iine demonstration plus
ample de ce fait, que Foil pourra attaquer, rtiais noh infirmer,
que les mines qui sont connues des Arabes sous le nom de
Kharbet-Esdoum , sont bien reellement les ruines de la So-
dome biblique. II n'y aura plus pour contester cette decou-
verte reelle, d'autre ressource que celle de hier hardiment
1' existence m^me de ces fumes que mes compagnons et moi
nous avons vUes k deux reprises , et la seconde fois surtout
avec grand soin. Je m* attends a cette negation, mais, sans
modestie, je declare que je me permets devoir plus de con-
fiance dans une observation faite longiiement par mOi-meme ,
en compagnie de quatre Francais assez intelligents pour recon-
naltre des rulnes, la ou sont ert realite des ruifles, que les
Arabes qui m'acconlpagnaient et avec lesquels j'etais en
mesUre de conVerser habitUellement , m'ont designees sous le
nom fort significatif de Kharbet-Esdoum, que dans toilte obser-
vation contraire, faite un peu vite peut-etre et avec des con-
victions preconcues, telles, par exemple, que 1'impossibilite de
trouver Zoar sur la rive occidentale de la mer Morte. J'ai montre
surabondammeiit que cette derniere opinion etait en opposition
flagrante avec le texte meme de FEcriture Sainte ; il est done
bien clair que toute conclusion qui se rattachera de pres ou
32 VOYAGE EN SYRIE
de loin £ une erreur cT appreciation aussi forte, aura grand
besoin d'etre tres-serieusement controlee.
Resumons. Sodome etait a la pointe sud-ouest de la mer
Morte ; la montagne de Sel est appelee Sodome par Galien.
Done , Sodome etait au lieu meme ou est la montagne de Sel.
Cette montagne, les Arabes 1'appellent indistinctement Djebel-
el-Melehh, ou, comme Galien, Djebel-Esdoum. Si done on
voit a la montagne de Sel des decombres d'une ville , il y a
toute apparence que ce sont les decombres de Sodome ; et
cette apparence devient une evidence impossible a nier, si les
habitants du pays sont unanimes pour donner a. ces decombres
le nom de Kharbet-Esdoum (ruines de Sodome), en leur appli-
quant 1'histoire traditionnelle de la ville maudite. Toutes ces
conditions etant rigoureusement realisees, il n'est pas possible
de se refuser a croire que ces ruines d'une Sodome, sont bien
les ruines de la Sodome biblique.
Les souscriptions des actes du premier concile de Nicee
contiennent la mention de Severe , eveque de Sodome , parmi
les eveques d' Arabic. Reland, a qui ce fait curieux ne pouvait
echapper, 1'a discute avec soin r. « II faudrait etre insense,
« dit-il, pour voir designee dans ce passage la Sodome ren-
« versee par la colere divine, et qui ne devait plus etre jamais
« habitee. Quel est le lieu que nous supposerons cache sous
« cette denomination? Ce ne peut etre Zoar, car Zoar fut une
« ville de Palestine et non d' Arabic ; ce ne peut etre Sycama-
« zona, qui fut aussi une ville de Palestine et non d' Arabic. »
En consequence, Retend soupconne qu'il s'agit de quelque
ville episcopate d' Arabic, relevant de 1'eveche metropolitan!
de Rostra , et dont le nom pouvait etre Zozoyma ou Zorai'ma.
Ce qui lui fait adopter cette hypothese, c'est la mention qu'il
1. Pal., lib. iv, p. 1120. Aduoiueu Sodoma.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 33
trouve dans 1'index arabe des noms des eveques qui ont sou-
scrit au concile de Nicee. II lit, en effet, jjb^^Ji ^^^jL,
qu'il transcrit Severus Zozamaon. Remarquons que jamais le
sad ne s'est prononce 2, et que le second, en y restituant un
point tres-probablement oublie, fournit une lecon ^Us^s^l
dans laquelle il est bien clair que se trouve la transcription ,
aussi rigoureuse que possible , du genitif grec SQ&tyuw. Du
reste , il n'est plus possible aujourd'hui de revoquer en doute
1'existence d'un eveque de Sodome nomme Severe, qui prit part
aux actes du concile de Nicee, puisque la version copte de ces
actes , publiee et commentee par mon savant confrere et ami
M. Ch. Lenormant, mentionne ce saint personnage d'une
maniere tres-precise. Est-ce a dire pour cela que Sodome se
releva de ses mines, et qu'une Sodome moderne, contempo-
raine du concile de Nice"e , fut le siege d'un episcopat chre-
tien? Pas le moins du monde. Nombre d'eveques ont porte et
portent encore de nos jours des titres de villes qui n' existent
plus que dans la memoire des homines. 11 y a bien eu, au
meme concile, un Eveque d'llion ! En conclurons-nous qu'llion
avait ete rebatie ? Nullement, j'imagine. Du temps de Josephe,
Sodomitide etait encore le nom de la contree ou fut Sodome,
et ce nom a tres-bien pu donner naissance au titre episcopal
a 1'inexactitude duquel Reland avait conclu. Quant a 1' argu-
ment que Reland tire de la position de Zoar en Palestine, et
non en Arabic, cet argument n'a pas une valeur re"elle, puisque,
dans Josephe, Zoar est nominee la Zoar de 1' Arabic x, Zwapa
TT(; Apa&a;, et que dans un autre passage ', il nous est dit que
Zoar, Zwapa , fut une des douze villes enlevees par Alexandre
Janna3us aux Arabes 3.
1. Bell. Jud., iv, VIH, 4.
2. Ant. Jud.j xiv, n, 4.
3. Daiis le recit de la fuite de Loth, lors de la ruiue de Sodome, Josephe appelle
II. 3
34 VOYAGE EN SYRIE
Dans les actes du concile de Chalcedoine, Musonius, eveque
de Zoar, est classe une fois parmi les eveques de la deuxieme
Palestine et une autre fois parmi ceux de la troisieme , ce qui
est plus exact. Areopolis, Characmoba (er-Rabba et Karak),
et Petra , etaient certes des villes de 1' Arabic , et el les sont
inscrites parmi les villes episcopates de la troisieme Palestine ;
il n'y a done rien d'etonnant a ce que Zoar, ville arabe, ait
ete citee parmi les eveches de la troisieme Palestine.
Occupons-nous maintenant plus spe'cialement de Zoar elle-
meme. Dans les Ethniques d'Etienne, nous lisons au mot ZOAII :
« Zoar est un grand bourg ouune forteresse de la Palestine, situe
sur les bords du lac Asphaltite (em rri A<7.ap e-u seal vuv Xeyerai. KaXoSci yap
ouTto? E^pawi TO 6"Xiyov. — On la nomme encore maintenant Zoor,
car les Hebreux appellent ainsi ce qui est petit. —
Nous avons groupe tous les passages sacres et profanes qui
pouvaient nous aider a determiner la position de Zoar, et nous
avons deja conclu a I'identite forcee de la Zoar biblique avec
la Zouera-et-Tahtah , dont les ruines se voient a droite et h.
gauche du debouche de l'Ouad-ez-Zouera. Inutile done d'in-
sister plus longuement sur la legitimite de cette identification.
D'apres saint Jerome, Zoar s6parait la Palestine de la
Moabitide ; done une partie du terrain place au sud de Zoar,
devait appartenir a la Moabitide. J'ai rapporte plus haut les
versets bibliques qui mentionnent, a propel des frontieres
de la Moabitide, un lieu nomme Soufah, o^poseVdans une
phrase ambigue d'ailleurs, aux torrents de la vallee de 1'A.rnon.
J'ai conclu de ce passage que si Soufah etait une localite" , celle-
ci devait etre plac6e au sud de la Moabitide. Plus que jamais
1. Bell. Jud., i, IT, 4.
10 VOYAGE EN SYRIE
je persiste dans cette manure de voir, precisement parce quc
la montagne qui est en contact immediat au sud avec le Djebel-
ez-Zouera, se nomme encore de nos jours Djebel-es-Soufah.
Je crois tres-fermement que, cette fois encore, s'est conserve
intact un nom biblique meconnu jusqu'a present, et qu'un
lieu, nomme des 1'antiquite la plus reculee Ouahab, a existe
vers le pied du Djebel-es-Soufah, qui etait alors a I1 extreme
frontiere de la Moabitide.
J'ai discute deja la convenance de chercher dans le Kharbet
et le Bordj-en-Nemai'reh , les ruines de Nimrin, devenu Bene-
marim, et Bennamerium. II serait done superflu d'y revenir
ici. 11 en est de meme d'Adjerrah, que je regarde formelle-
ment comme TAdjelim de 1'Ecriture et 1'Agallade Josephe.
J'ai mentionne dans mon itineraire les ruines qui commen-
cent au Talaa-Sebaan, et qui s'etendent sur plusieurs plateaux
successifs, situes au pied des montagnes de Moab et depuis la
sortie de l'Ouad-ed-Draa jusque vers la plage de la mer Morte.
Je propose formellement de voir dans ces ruines enormes, les
restes de la Seboim qui fut enveloppee dans la catastrophe de
la Pentapole. line ville aussi considerable que celle dont
1' existence est constatee par les ruines en question, ne saurait
avoir existe inapercue, dans les siecles dont Thistoire nous a
ete conservee avec details. Plusieurs crateres effroyables,
trois au moins, entourent le site que j'attribue a Seboi'm , et
ils ont du consommer en un clin d'ceil 1'aneantissement de cette
ville coupable, que les explosions , partant d'au moins trois
cotes a la fois , ont du pulveriser. Rien , absolument rien ne
prouve que toutes les cites maudites se trouvaient sur la meme
rive occidentale de la mer Morte. 11 y a meme de fortes pre-
somptions en faveur de 1'opinion que je crois devoir e"mettre,
que 1'une au moins des villes de la Pentapole devait etre sur la
rive orientale. En effet, une fois la catastrophe accomplie ,
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. H
pourquoi Loth eut-il monte dans la montagne au-dessus de
Zoar, au lieu de se reTugier sur la rive orientale qui devait lui
paraitre un refuge plus assure, si le terrible chatiment ne
s'etait pas etendu sur cette rive? Dira-t-on que celle-la n' etait
pas habitee? Cela parait bien peu vraisemblable, car il n'y
avait aucune raison absolument pour que la rive, devenue plus
tard moabitique, ne participat point a la fertilite de toute la
plaine. II y a plus, nous savons que les Emim habitaient cette
contree, et Seboim pouvait tres-bien etre une ville des Emim.
Ni Loth, ni ses filles, qui avaient habite longtemps Sodome,
ne pouvaient ignorer r existence d'une population nombreuse
sur Tautre rive, et les filles du patriarche n'eussent pas cru a
la destruction totale de Fespece humaine, si le fleau qui les
avait chassees de Sodome, n'eut pas egalement frappe , sous
leurs yeux, la rive opposee a celle sur laquelle elles avaient
cherche un refuge. D'ailleurs 1'injonction des anges qui decide-
rent le patriarche a fuir de Sodome, etait formelle : « Ne t'arrete
pas dans toute la plaine, fuis vers la montagne, » lui disaient-
ils ; par consequent, toute la plaine etait menacee et allait etre
bouleversee. II ne peut done venir a Tidee de personne que la
portion orientale de la plaine ait echappe au desastre general.
Tout bien considere , des villes pouvaient et devaient exister
au pied des montagnes de Moab ; et rien , absolument rien ,
n'empeche de croire que Tune des villes de la Pentapole ait
existe en ce point. En consequence, puisque je trouve* dans
cette region-meme, une ville enorme ecrasee par les crateres
d1 explosion qui 1'entourent, et dont une partie s'appelle encore
aujourd'hui Sebaan, je n'hesite pas a y voir la Seboim de 1'Ecri-
ture, et je le fais avecd'autantplusde conviction, que ces mines,
tout a fait semblables d'ailleurs a celles de Sodome, ne sauraient
s'identifier avec aucune autre ville de 1'antiquite. Au reste , si
Ton se refusait a admettre 1'existence de 1'une des villes de la
42 VOYAGE EN SYRIE
Pentapole sur la rive orientale de la mer Morte , on mettrait
du coup a neant les presomptions sur lesquelles Irby et Man-
gles d'abord, puis Robinson et d'autres voyageurs encore,
ont cherche" a etablir que les mines placets a proximite de la
presqu'lle d'el-Mezraah sont celles de Zoar. Repetons-le encore
une fois : Sodome ne pouvait guere etre a plus d'une derni-
lieue de Zoar, et en ce cas , Sodome , pour ces doctes voya-
geurs, aurait e"te" forcement sur la rive orientale de la mer
Morte , que celle-ci existat ou n' existat pas encore, ce qui ne
change absolument rien a 1' affaire, puisque les distances hori-
zontales, en tout etat de cause, doivent etre restees les memes.
En resume, on me permettra, j'espere, d'user du meme droit
que ces messieurs, et de mettre au Kharbet-Sebaan, Seboi'm,
avec un peu plus d' assurance qu'ils n'en ont eue en mettant
arbitrairement Zoar en ce point , et sans que la presence
d'aucun texte ou d'aucun souvenir traditionnel put legi timer
cette hypothese.
Comme pour Nimrin et Adjelim, j'ai fait voir ddja la per-
manence de 1'appellation biblique de la presqu'ile de la mer
Morte. Du temps deMoi'se, elle s'appelait fH^rt, la Langue ; de
nos jours , elle s'appelle toujours ^/-.JJ! la Langue.
Une localite des plus importantes a determiner, c'est celle
de Louei'th. Elle ^tait sur la route d'Areopolis a Zoar, du
temps d'Eusebe. L'Ecriture la place sur une montee; done
Louei'th, placee sur la voie frequentee d'Areopolis a Zoar,
voie qui passait, a n'en pas douter, par 1'Ouad-ebni-Ham-
mid, devait se rencontrer de toute necessite dans 1'Ouad qui,
de la rive moabitique, montait a la plaine d'Areopolis. Or, la
derniere montee qui donne acces a ce haut plateau , gravit a
travers des ruines enormes, un Djebel-Nouehin ou Nouehid ;
ces ruines portent le meme nom de Nouehin ou Nouehid ; les
lettres L et N , dans la bouche des Arabes de cette contree ,
ET ADTOUR DE LA MER MORTE. 43
permutent avec une extreme facility : je n'he"site done pas un
seul instant a voir dans les ruines et la montagne de Nouehid,
les ruines et la montee de Loueith.
Eusebe nous a re"vele 1'existence d'une ville de la Moabitide,
nomme'e Medabah , place"e a huit milles d'Areopolis , sur le
plateau qui s'eHend au sud de 1'Arnon, comme une autre
Medabah plac6e presque en face , 1'etait sur le plateau qui
s'etend au nord de 1'Arnon. Si Ton se rappelle que le vallon
qui coupe les ruines immenses du Kharbet-Fouqoua , et dont
les deux revers sont couverts des decombres d'une ville tres-
considerable, se nomme Ouad-Emdebea, on ne sera nullement
etonne, je pense, que je propose formellement de retrouver la
Medabah d' Eusebe, dans la ville ruine'e qui couvre les deux ,
rives de T Ouad-Emdebea. II existe bien , au pied meme du
piton sur lequel est bad Karak, un Ouad-el-Medabeh ; mais
cet ouad , qui change imme'diatement de nom , ne peut rien
avoir de commun avec la Medabah d1 Eusebe.
Schihan, on 1'a vu, est une locality des plus curieuses ; et je
n'ai pas hesite a reconnaitre dans la ruine qui couronne le
monticule de Schihan, un de ces temples qui etaient places sur
les hauts lieux. Si nous nous rappelons que Jeremie dit
(XLVIII , fr5) : — Une flamme est sortie du milieu de Sihoun ;
elle a devore les sommites de Moab , etc., --on ne trouvera
probablement pas etrange que je retrouve le Sihoun biblique,
dans le Schihan de nos jours , et que je propose cette identi-
fication avec une confiance entiere. x
Nous avons vu qu'un verset d'lsai'e (xv, 7) mentionne un
torrent des Saules : — G'est pourquoi, ditle prophete, ils por-
tent sur le Torrent des Saules le reste de leurs biens et leurs
tresors. — Un peu plus haut, verset 5, il est dit que les fuyards
errent jusqu'a Zoar. Evidemment ces fuyards reculaient devant
Penncmi, et le Torrent des Saules devait etre sur la route du
44 VOYAGE EN SYRIE
plateau de Moab a Zoar. De plus, la denomination speciale
de Torrent des Saules, prouve clairement qu'il n'y avait pas
plusieurs cours d'eau qui meritassent ce nom. Je me permet-
trai done de reconnaitre le Torrent des Saules de la Bible,
dans le cours d'eau dont le lit est rempli de salix babylonica,
et qui descend , sous le nom de Se'il-ouad-ebni-Hammid , de
la vallee meme que remonte la voie antique.
Quant aux deux villes d'er-Rabba et de Karak, tout le
monde est d'accord pour les identifier, la premiere avec
Rabbat-Moab, et la deuxieme avec Kir -Moab. II serait done
inutile de discuter longuement la legitimite de cette double
identification, et je me bornerai a rappeler le plus brieve-
ment possible les principaux faits historiques qui concernent
ces deux villes.
Le premier nom d' Areopolis fut Ar; ce nom (-,y comme -py)
signifie litteralement ville. Suivant le temoignage de Theodoret T ,
Ariel aurait ete aussi le nom de cette ville. Ge renseignement
nous est fourni une seconde fois par le meme ecrivain, dans
son commentaire du chap. 29 d'lsai'e. Geci est tres-possible ,
mais il n'est nullement demontre que ce ne soit pas une autre
localite qui ait porte ce nom. Sozomene mentionne comme
ville d' Arabic , Areopolis qui etait de la troisieme Palestine.
II dit de plus (1. vn, 15) qu'en Arabic, les Petreens et les
Areopolitains combattirent avec fureur, pour defendre les
temples de leurs dieux. Etienne, dans ses Ethniques, nous
apprend qu' Areopolis est la meme ville que Rabath-Moba ,
qui n'est evidemment que Rabbat-Moab. C'est saint Jerome a
qui nous a fait connaitre la veritable origine du nom d'Areo-
polis, etqui nous a premunis contre la tentation de traduire
ce nom par ville de Mars.
1. Comm. d'lsaie, 15.
2. Comm. de Josue, c 15.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 45
Dans la Notitia diynitatum imperil nous lisons :
Cohors tertia Alpinorum apud Arnona
Cohors tertia felix Arabum in ripa vadi Apharis fluvii,
in castris Arnonensibus.
Equites Mauri lllyriciani Areopoli.
Et enfin :
Equites promoti indigenae Speluncis.
Nous sommes done fixes sur la nature de la garnison
d'Areopolis et des bords de 1' Arnon , a 1'epoque ou fut redigee
la notice. Eusebe et saint Jerome, dans 1'Onomasticon (ad
vocem Apvwv), disent qu'au nord on montre un lieu qui con-
tient une garnison. Les termes memes dont se sert saint
Jerome sont les suivants : « In satis horribili loco vallis in
praerupta demersaB. » Cette vallee abrupte estsans doute celle
de 1'Arnon. Reland a propose deja de voir la mention de ce
meme lieu dans le passage de la Notice des dignites imperiales,
qui concerne les Equites promoti indigence places aux Speluncae.
Si maintenant nous voulons bien nous rappeler que DTiD, nom
d'une localite moabitique mentionnee souvent dans les Ecritures,
signifie les deux cavernes, nous serons tout naturellement
conduits a voir dans les Speluncce de la notice, la Horonei'm de
la Bible.
Deux notices grecques des patriarcats, dont la seconde
est attribute a Tepoque de 1'empereur Leon Auguste, sont
inserees dans le vaste Recueil des ecrivains byzantins. La pre-
miere nous donne : ,
IlapcoyjAou^ou (lisez Xapax[j(.(6Sa), ApioTroX
EXoSca, Zaupa, Bipoaajxcov (lisez Btpoca&ov ).
La seconde :
XapayfxoG^a, ApsoTroXt?, Mai|;i;, EXoO'ca, Zwopa,
A 1'epoque de la redaction de ces deux listes, Areopolis
etait done tres-certainement un siege ecclesiastique. Remar-
46 VOYAGE EN SYRIE
quons en passant que Zoar y est placee entre Elousa et Bir-
seba. Celle-ci est a 1'extremite sud du territoire de Juda.
Elousa est place"e par Ptolemee parmi les villes de 1'ldumee,
situees a 1'occident du Jourdain. Puis done que Zoar est men-
tionnee entre ces deux localites, Zoar etait forcement sur la
rive occidentale de la mer Morte , prolongation de la vallee du
Jourdain T.
Areopolis fut une ville episcopale, et nous connaissons les
noms suivants des prelats qui y ont sie'ge. 1° Anastasius , qui
estmentionne dans les actes d'Ephese, inserts au concile de
Chalcedoine 2. 2° Polychronius , qui est cite dans la lettre de
Jean le Hierosolymitain, inseree aux actes du concile de Con-
stantinople 3 et eerite au nom des eveques des trois Palestines.
3° Helie, qui souscrivit aux actes du concile de Jerusalem,
tenu en 536 4.
La derniere mention d' Areopolis que je trouve dans les
ecrivains anciens est due a saint Jerome 5. Voici en quoi elle
consiste : « Audivi quemdam Areopoliten, sed et omnis ci vitas
testis est , motu terra? magno in mea infantia , quando totius
orbis littus transgressa sunt maria , eMem nocte muros urbis
istius corruisse. »D'apres les ecrits d'Ammien Marcellin, on a
trouve que cet evenement avait eu lieu dans 1'annee 315, sous
le consulat de Yalentinien et de Valens. Cette date est extre-
mement importante, puisqu'elle fixe 1'epoque de la destruc-
tion des monuments d' Areopolis, et entre autres de la porte
Romaine dont 1'etat actuel denote encore aujourd'hui, d'une
maniere 6vidente, 1'intensite du tremblement de terre qui la
renversa en partie.
1. Reland, Pal., p. 462.
2. Gonciles generaux, tome IV, p. M8,
| 3. Cone, gener., tome V, p. 192i
4. Cone, gen., tome V, p. 284.
5. Comm. d'lsaie, c. 15.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 47
Le nom primitif d' Areopolis , Rabbat-Moab, la capitale de
Moab, s'est conserve pour ainsi dire intact jusqu'a nos jours,
puisque les ruines de cette ville s'appellent toujours er-Rabba,
sans qu'il soit reste trace, dans la memoire des habitants du
pays, du nom relativement moderne Areopolis.
Passons maintenant a Karak. II n'y a pas de doutes a clever
sur T identification de Karak avec Xapa>t{xw§a, Karak de Moab.
Ptolemee mentionne cette ville parmi celles de 1' Arabic Petree,
et lui assigne les longitude et latitude suivantes : 66° 1/6 et 30°.
Dans les anciennes notices ecclesiastiques elle porte le nom
de Xapay(xouj(a, ou celui plus corrompu encore, par la faute des
copistes, de napw^ofyou, et elle se trouve classee parmi les
villes de la troisieme Palestine. Etienne, dans les Ethniques,
dit que de son temps elle faisait partie de la troisieme Pales-
tine, mais que Ptolemee, qui merite toute confiance, la clas-
sait parmi les cites arabes. II ajoute qu'on lui donne aussi le
nom de Mw6ouyapa<;.
Cette ville etait le siege d'un eveche, car nous trouvons
parmi les prelats qui souscrivirent au concile de Jerusalem
en 536, Demetrius Xapa*fjuu£wv.
A 1'epoque des croisades, Karak devint un lieu tres-impor-
tant, comme poste avance de la chretiente en Arabic. Voici ce
que raconte Foucher de Chartres (ch. XLIII) : « En 1115, le
roi alia en Arabic et y eleva un chateau sur un certain mon-
ticule qu'il reconnut etre place, de toute antiquite, dans une
forte situation , non loin de la mer Rouge , a trois jours de
chemin environ de cette mer , et a quatre de Jerusalem. Bau-
douin mit dans ce chateau une bonne garnison , destinee a
dominer sur toute la contree d'alentour, pour 1'avantage des
Chretiens, et il ordonna qu'il s'appellerait Mont-Real, par
honneur pour lui-meme, qui avait construit ce fort en peu de
temps, a 1'aide de peu de monde et avec une grande audace. »
48 VOYAGE EN SYRIE
Lin peu plus loin (ch. XLIV) nous lisons encore : « En 1116,
le roi alia visiter le chateau et poussa jusqu'a la mer Rouge,
pour reconnaitre un pays qu'il n'avait pas encore vu, et pour
chercher si, par hasard, il n'y trouverait pas quelques-unes des
choses dont nous manquions. »
Guillaume de Tyr raconte les memes faits a 1'annee 1115
(1. xi, ch. 26). Get historien nous apprend qu'en 1172
Selah-ed-Din assiegea vainement Mont-Real (lib. 20, ch. 27).
Quelques annees apres (en 1183), 1'emir recommenca le
siege de Karak et s'en rendit maitre (1. 22, ch. 28). « Grant
talent avoit, dit-il, que il aseist une cite qui fu anciennement
appelee la Pierre del Desert, mes Ten la desine ore le Grac... »
Renaut de Chastillon etoit alors sire du Krak de Mont-Real ,
« il estoit sire de cele terre de par 1'eritage se fame » . Chacun
sait que Renaud de Ghastillon, tombe entre les mains de
Selah-ed-Din , fut mis a mort sous les yeux de ce prince , qui
ne voulut pas user envers lui de sa generosite habituelle, et
qui vengea, par son supplice, le pillage d'une caravane musul-
mane que le sire de Krak avait arretee et devalisee quelque
temps auparavant.
Une position militaire aussi importante que celle de Karak
avait du etre utilisee des Pantiquite la plus reculee, et il est
tres-probable que la moderne Karak est batie sur 1'emplace-
ment de la ville forte de Moab, qui, dans I'Ecriture sainte,
porte les noms de Kir-moab, et de Kir-heraset ou Kir-heras l.
Nous avons vu que la vallee del'Arnon s'appelle aujourd'hui
Ouad-el-Moudjeb. Ge nom est-il significatif? Je 1'ignore 2.
1. Isaie, xvi, v. 7 et 11; Jeremie, XLVIH, 31; Rois, H, XIH, 26.
2. Dansle Kamous le pluriel v — ^aw!y» signifle lieuxoii des homines, enluttant,
> -^
se jetteut a terre; en ce cas la vallee de 1'Arnon serait appelee la valle"e da lieu de
lutte. Mais ceci est plus que douteux.
..
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 49
Qubien nous a-t-il conserve la me'moire d'une cite" moabitique?
Ce qui pourrait le faire croire, c'est le verset 1 du ch. XLVIII
de Jeremie, dans lequel nous lisons : « Hemesjeb (3JWDn)
est confuse et abattue » . Ge mot hebra'ique signifie lieu haut
et fortifie. Mais plusieurs commentateurs , tels que Raschi et
Kim'hi, declarent que c'est un nom d'endroit; des lors la pro-
nonciation en est fort incertaine. On a transcrit ce nom Misgab ;
maisrienne prouvequ'il ne fallait pas le transcrire Mousdjeb,
et dans ce cas, il serait pour ainsi dire identique avec le
nom moderne el-Moudjeb qu'a pris 1'Arnon. Quoi qu'il en soit,
je ne tiens en aucune facon a cette hypothese.
Pour en finir avec les documents geographiques relatifs a
la Moabitide, je citerai un verset du livre Ier de Samuel (xxn,
3), ou il est dit : — David s'en alia de la (de la caverne
d'Adoullam) a Mitspa (nDtfD) de Moab, et il dit au roi de
Moab : « Que mon pere et ma mere se retirent aupres de
« vous, jusqu'a ce que je sache ce que Dieu fera de moi. » —
J'ignore entierement s'il existe quelque trace de cette localite
moabitique.
II ne me reste plus a parler que des routes etranges, borders
de pierres lichees, et que nous avons rencontrees en grand
nombre dans la plaine de Moab. Je n'hesite pas a y reconnaitre
quelques-unes de ces routes antiques dont il est question dans
le livre des Nombres (xxi) 21. — Israel envoy a des messagers
a Sihoun, roi d'Amori, pour dire : 22 — Permets que je passe
dans ton pays ; nous ne nous detournerons ni dans les champs,
ni dans les vignobles ; nous ne boirons pas 1'eau de la citerne ;
nous marcherons par le chemin royal , jusqu'a ce que nous
ayons passe" tes limites — .
II me parait tres-probable que les routes frayees, appele"es
alors "j^DH "pi , comme elles le sont encore de nos jours,
V^r9, etaient bordees, a droite et a gauche, de longues
II. 4
. V.OYAGE EN SYRIE
files de grosses pierres, afm qu'il ne fut pas possible d'en
sortir, pour entrer dans les terres cultivees, en pretextant 1' in-
certitude de leur trace. Du reste , ce mode de demarcation
des routes n'etait pas particulier a la Moabitide , puisque les
officiers americains envoy es par le capitaine Lynch a Masada,
sur la rive occidentale de la mer Morte, rencontrerent , au
dela de l'Ouad-es-Seyal, une route toute semblable, et que moi-
meme j'en ai retrouve aussi , a Djembeh , localite qui presente
des traces tres-apparentes d'une ville contemporaine des temps
bibliques les plus recules, et qui etait situee entre Zoar et
Hebron, c'est-a-dire dans le pays de Canaan. II y a done toute
apparence que les routes que nous avons suivies dans la
Moabitide, etaient de ces routes royales analogues a celles que
les Hebreux s'engageaient a suivre, sanss'en ecarter, dans le
territoire de Sihoun , roi d' Amori.
-
Ge que Ton savait jusqu'ici sur 1'etat moderne de la terre
de Moab, se bornait a bien peu de chose , quoique la Moabi-
tide, proprement elite, eut ete exploree deja deux fois, sans
compter la course faite, en 1822, par un M. Hyde , dont nous
avons retrouve le nom sur • les murs du temple de Beit-el-
Kerm. Le premier de tous , Tillustre Burckhard,t visita cette
curieuse contree en 1811. II parcourut d'abord le pays
d' Amori , place au nord de 1'Arnon , et y retrouva plusieurs
sites bibliques, tels que ceux de Medaba et d'El-Aaleh. Ayant
alors franchi TArnon , qu'il donne pour limite a la province
de Belka et a celle de Karak , il tra versa la plaine que j'ai
traversee moi-meme, mais plus a Test que je ne 1'ai fait.
Ainsi , il passa en yue du monticule de Schihan, qu'il laissa
a trois quarts d'heure de chemin sur sa droite, et sans le
visiter. Depuis 1'endroit nomme Mehalet-el-Hadj, il trouva une
route pave'e dirigee vers Rabba , c'est-a-dire au sud-ouest. 11
passa par Bei,t-el-Kerm , et s'arreta dans les ruines du temple
ET AUTQIQR DE LA MER MORTE. 5<
uuquel il attribuc a tort une antiquite reculee. II commet une
autre erreur encore, en disant que ce temple e"tajt oetostyle, et
que ses colonnes avaient trojs pieds de (ftaipMre. On a yu
qu'en realite ce temple est tetrastyle et que ses colonnes ont
une dimension beaucoup plus considerable. 11 retrouva comme
nous, parini les decombres, des debris de colonnes de plus pe-
tite dimension, et appartenant evidemment a d'autres edifices.
A une heure trois quarts de chemin, apres Peijt-ei-l£erm
( £JA)| c^-; ) , Burckhardt renconjtra le village ruine de IJa-
mei'mat ( c->U~»cs. ) ; de la, il alia vjisiter les restes d'er-jiabfya.
Trois quarts d'heure apres avoir quitte cette ville en ruines, il
rencontra, au sud-est, deux sources abon^antes nommees el-
DjeJ)eibah et el-Yaroud. 11 traversa ensuijte les ruines de Qa-
ritselah ( i^ji ) , et arriva enfm a Karak , dont le scheikh se
nummait alors Youssef-Medjaby ; mais Burckhardt se tron>pe,
sans aucun doute , et il a ecrit jVJedjaby au lieu de Midjielly.
A Karak , notre voyageur, qui ne trouva pas T occasion ni la
possibilite de descendre dans le Rhor, prit des infornjations
sur la topographic de la cote orientale de la mer Morte. II
mentiorme la riviere de Djerra ( t^L J^ ) , qui n'esjt tres-
certainenient pas le Nahr-ed-Draa, mais bien le Sei'l-puficJ-
ebni-Hammid, qui sort de 1'Ouad-Adjerrah, puisqu'il ajoute
que dans la vallee que suit cetlte rjviere, qu'il identifie, mais
avec toute reserve, avec le Zared de TEcriture, il y a des
ruines de muraijles et d'edilices, situ,eeg k c^nq heures de
chemin, au nord de Karak.
11 mentionne egalement le Rhor-|Safieh (a-io^c), qu'il
dit place vers 1' embouchure de ji'Ouad-el-Ahhsa, et qui est,
dans la saison d'hiver , le rendez-vous de grandes tribus
nomades. La riviere qui descend de TOuad-el-Ahhsa, separe,
dit-il, le pays de Karak, du district sud nomme Djebal. ^1
suppose que remplacement de la ^qar biblique doit etre cji
52 VOYAGE EN SYRIE
che dans le Rhor-Safieh. II nomme encore le Sei'l Assal , dont
il ecrit le nom Jlc , sans Stresur que 1'orthographe de ce
nom ne soit pas plutot Assan. Cette riviere coule , dhVil , pres
de Katherabba (il ne faut pas oublier ici que Burkhardt se
sert du th anglais, qui est a peu pres identique, pour la pro-
nonciation, avec le O que j'ai rendu par tz). Apres Katze-
rabba, il mentionne el-Nemei'rah ; c'est ren-NemaTreh que
nous avons traversee. Enfm, il nomme el-Mezraah, qui est
situee en face du milieu du lac Asphaltite, et aupres de ce der-
nier endroit, les Taouahin-es-Sakkar (^XJi ^^t^fe) qui
sont les ruines d'une ville antique.
Burckhardt avait pris des informations fort exactes, ainsi
qu'on le voit, et il avait m£me recueilli des notes sur la vege-
tation du Rhor, puisqu'il mentionne, comme s'y trouvant a
foison , VAsclepias Procera , que les Arabes nomment Ocher
(^JLC ). Tel est en substance le resultat de 1'exploration hardie
de Burckhardt.
Apres lui (en 1818) vinrent MM. Irby et Mangles, dont
je vais de meme analyser le recit. Partis d'Hebron le 18 mai,
ils allerent gagner, en deux jours, l'Ouad-ez-Zouera , par
lequel ils descendirent dans le Rhor, afin de se rendre a Petra,
en passant par Karak. Ges messieurs signalent d'abord la
ruine du petit fort arabe de Zouera-el-Fouqah , qu'ils appel-
lent el-Zowar. Le 20, ils traverserent la Sabkhah, apres avoir
campe" au pied de la montagne de Sel ou de Sodome. Ils firent
en passant une observation qui est tres-juste : c'est que les
montagnes de la rive ouest de la mer Morte ont une hauteur
decroissante a mesure qu'elles s'avancent dans le sud, tandis
que les montagnes de la rive orientale ont une elevation qui
semble a tres-peu pres constante. Dans la Sabkhah , ils fran-
chirent six cours d'eau plus ou moins rapides. Ils arriverent
ensuite a une contre"e boise"e, d'un aspect charmant, c'est-a-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 53
dire au Rhor-Safieh. Us y trouverent une petite riviere que
les Arabes leur nommerent Nahr-el-Hegan (la riviere du che-
val, dont ils ecrivirent le riom el-nahr-Houssan). Les ciairieres
etaient cultivees et plantees d'orge.
A cette e"poque de 1'annee, Irby et Mangles eurent beau-
coup a souffrir dans le Rhor, de tres-grosses mouches de
cheval (sans doute des cestres ou taons) , dont la venue,
leur dit-on, fut une plaie qui contribua puissamment a la
destruction de Sodome et de Gomorrhe. Les Arabes qu'ils
rcncontrerent Etaient des Ghorneys (sans aucun doute des
Rhaouarna), et, plus heureux que nous, les voyageurs n' eurent
qu'a se louer de 1'excellent accueil qui leur fut fait par eux.
Les Ghorneys different beaucoup (et ceci est tres-vrai) des
Arabes nomades, car ils habitent des huttes de boue, de
branchages et de roseaux , et ils cultivent le terrain qui les
entoure. Apres avoir passe le Houssan, ils gagnerent le pied
des montagnes et traverserent une plaine encombr^e de blocs
de pierre roules, qui etaient du granite rouge et vert, du
porphyre vert, rouge et noir, de la serpentine, du basalte
noir, de la breche, et bien d'autres especes de roches pre-
cieuses. II est a presumer, disent-ils, que c'etait dans cepays
que les anciens se procuraient les matieres precieuses avec
lesquellcs ils ont faconne les innombrables colonnes qui ornent
aujourd'hui, dans T Orient, les bains et les mosquees.
Les montagnes qu'ils longeaient leur semblerent formees
generalement de gres ou de marbre. Ils arriverent ainsi a la
presqu'ile et ils camperent sur les bords d'une charmante
ravine arrosee par une riviere nominee el-Dara (c'est le Nahr-
ed-Draa) dont les rives etaient couvertes d'un epais fourre de
palmiers nains, d'acacias, d'epines et d' oleander. Voici le
resume de 1'itineraire de nos voyageurs dans le Rhor : en
deuxheures et demie, ils allerentde la rive occidentale du Rhor,
54 VtiYAGE EN SYRIE
c?est-a-dire du pied de la montagne de Sel, jusqu'au Rakh,
premier cours d'eau sale" (ce nom m'est totalement inconnu) ;
de la; en uhe demi heufe, ils gagnererit Szafye (Safieh) ou
Ahsa, et le Nahr-el-Houssaii (c'est sans aucun doute le Nahr-
Safieh) ; de Safieh, ils marcherent sur le Nahr-el-Assel (Nahr-
el-Ecal) ; de la, en deux heures, ils atteignirent la nier, et, en
deux heures de plus, el-Dara (ed-Drfta) , ou Ils passerent la
Suit.
Le lendemain, au point du jour, MM. Irby et Mangles se
mirent en devoir de gravir la montagne et de gagner les hau-
teurs. Ils rencontrerent, chemin faisant , le chaos que nous
avons traverse nous-memes. « G'£taient, diseni-ils, d'eriormes
fragments de la grosseur d'une maison, qui, se d&achant des
hauteurs, s'6taient jete"s confus^ment dans le precipice, les uns
sur les autres. » Un quart d'heure apres, ils arriverent a un petit
etang place au-dessous d'un olivier isole (c'est sans doute
l'Ayn-es-Sekkeh, que nous avons vu au point nomme Omm-
Sedereh). Ils rencontrerent ensuite des champs d'orge, places
dans la vallee a leur gauche, et a travers lesquels serpente un
cours d'eau nomme Souf-Saffa, qui se rend a la mer Morte (je
n'ai pas entendu prononcer le nom de cette riviere). Ils remar-
querent, en passant, d'anciens aqueducs qui alimentaient des
moulins (certainement a l'Ayn-es-Sara, et a 1'Ayn-Aqbech ou
Qobech). Ils avaient alors devant eux le chateau de Karak,
mais ils n'apercevaient aucune partie de la ville ; ce chateau
leur presentait deux masses s6parees, la premiere a Tangle sud
de la ville , et la seconde plus au nord, consistent en un grand
edifice nomme par eux Seraglio-of-Melah-a-Daher (c'est indu-
bitablement la tour bade par Malek-ed-Dhaher-Bei'bars) . Entre
ces deux masses de constructions militaires, est la seule porte
qui donne acces dans Karak. C'est une porte ogivale, sur-
montee d'une inscription arabe, placee a 1'entr^e d'une caverne
ET AUTOtfR DE LA MER MORTE. 55
riaturelle (c'est Ic tunnel par lequel nous avons quitte Karak, et au
cfebouche duquel nous avons eie salues d'une volee de pierres).
MM. Irby et Mangfes, dont la presence a Karak ne fut con-
trarie"e en aucune facon, purent examiner a loisir les anciennes
constructions que renferme cette espece de vifle. Le chateau
et son eglise, la tour de Eie'ibars, la mosqu^e et les citernes
eurent tour h tour la visite de rios voyageurs, qui commettent,
au sujet du chateau de Mont-Real, une erreur historique qu'il
est bon de relever en passant. Ces messieurs attribuent a tort
la prise de Karak a Godefroi de Boulogne, (jui Taurait appe!6
mons Rcgalis. Nous avons, un peu plus haut, constate" que
cette conquete et cette denomination sont dues au roi Bau-
douin, qiii ne prit Karak qu'en 1115.
lls re'rtcontrerent quelques troncons de colonnes antiques,
et ehfm un bas-relief encastre" dans une muraille, et repre"sen-
tant une grande aile (longue de sopt pieds et large de quatre) ,
ayant une analogic frappante avec 1'aile dii globe aile si sou-
vent repre"sente sur les moiiunients e"gyptiens. Je ne doute pas
quo ce ne soit effectivemient le fragment d'un globe ail6, qui
etait accole de deux yeux mystiques d'Horus, dont a mon
tour j'ai retrouv6 Tun. Enfm, ils virent, dans les mines,
deux inscriptions grecques sans interet, a ce (Ju'ils disent. Ils
visiterent 6galemeht la fontaine et les grottes s^pulcrafes
devant lesquelles j'ai passe, au fond de la valise de Karak.
fividemment, il y aurait a decouvrir a Rarak beaucoup de
restes d'antiquites, appartenant meme a 1'epoque moabitique ,
mais j'avoue, en toute humilite, que je ne me chargerai pas
d'en aller faire la recherche.
A.pres une course asscz longue a Petra, MM. Irby et Man-
gles revinrent a Karak, dont ils appellent le scheikh Joussouf
Magella. De la ils allerent faire une excursion dans le Rhor, et
examiner les ruines situees sur les bords du Dara (Ed-Draa) ,
56 VOYAGE EN SYRIE
ruines dans lesquelles ils supposerent qu'il fallait voir Zoar. 11s
rentrerent une seconde fois a Karak, et de la se mirent en
route pour le Haouran , a travers la plaine moabitique. Ils
allerent camper d'abord aux ruines d'Er-Rabba. Le 6 juin ils
visiterent Beit-Kerm (Beit-el-Kerm) qui est distant d'Er-Rabba
d'un mille et demi, dans la direction du nord. Ils ont parfai-
tement reconnu que le temple mine est de 1'epoque romaine,
et ils supposent que ce temple pourrait bien avoir pris la place
de celui d'Atargatis qui etait a Carnai'm r. A deux heures et
demie, au nord de Beit-Kerm, ils virent une petite eminence
qui domine tout le pays environnant, et qu'ils appellent Sheikh-
Harn (c'estSchihan).
Le 8 juin, ils allerent traverser le Wady-Modjeb (Ouad-el-
Moudjeb ) , en cheminant sur les traces de la voie pavee
romaine. Ils virent dans la descente, les ruines d' edifices
militaires de 1'epoque romaine, probablement des forts que
j'ai signales plus haut et qui contenaient une garnison, ad
Speluncas. Enfin ils rencontrerent quelques bornes milliaires ,
qui toutes (celles du moins qui etaient lisibles) dataient du
regne de Trajan. Au fond de 1'Ouad , ou ils n'arriverent
qu'apres une heure et demie de descente extremement fati-
gante et difficile, ils trouverent les ruines d'un pont romain.
Sur 1'autre flanc de 1'ouad, ils rencontrerent de nouveau les
traces de la voie antique, et plusieurs bornes milliaires portant
le nom de Marc-Aurele.
Inutile de parler ici de I'itmeraire quMls suivirent dans le
territoire Amori, c'est-a-dire a travers la contree situee au
nord de l'Ouad-el-Moudjeb, ou de TArnon. Je me bornerai a
feliciter tres-sincerement MM. Irby et Mangles de 1'exactitude
de leurs observations.
1. Machabees, r, v. 43.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 57
Quelques mots maintenant sur ['excursion de M. Lynch sur
le rivage oriental de la mer Morte, jusqu'a Karak, et j'aurai
groupe tout ce que Ton a su jusqu'ici, sur le pays de Moab.
Le 30 avril 1848, le capitaine Lynch, monte sur 1'une de ses
deux embarcations, vint mouiller au fond du golfe forme par la
pointe nord de la presqu'ile, qu'il nomme pointe Costigan , en
memoire de son infortune devancier sur cette cote inhospita-
liere. II gagnaensuite le miserable village d'el-Mezraah, situe a
une demi-lieue de chemin du mouillage ; il y fit la remarque
que nous y avons faite plus tard nous-memes, sur 1'etrange
physionomie des Rhaouarna qui 1'habitent, etqui ont une figure
beaucoup plus africaine qu'asiatique.
La il recut la visite de Soulei'man, fils d'Abd-AJlah, scheikh
Chretien de Karak, lequel etait depute par ses coreligionnaires,
pour inviter les officiers americains a venir visiter leur triste
ville. Toute 1' expedition e"tait hbrriblement souffrante , et en
danger imminent, si son chef ne lui faisait respirer un autre
air que celui de la fournaise dans laquelle ces hommes etaient
incessamment brules. En consequence, M. Lynch se decida a
tenter 1'excursion de Karak, autant du reste par amour-pro-
pre et pour ne pas sembler reculer devant le danger, que pour
trouver cet air salubre indispensable a sa troupe affaiblie.
Le lendemain, il visita les ruines placees a proximite d'el-
Mezraah, et qu'il suppose etre celles de Zoar. II y reconnut
I'enceinte d'un edifice carre, et beaucoup de fondations d'edi-
fices, parsemees de fragments de poterie; il y rencontra de
plus une petite meule a bras. Ces traces de fondations presen-
tent tous les indices d'une grande antiquite, et le capitaine
Lynch n'hesite pas a reconnaitre, dans ces ruines, celles qti'Irby
et Mangles avaient visitees bien avant lui, en leur appliquant,
sans la moindre apparence de raison, le nom de la Zoar
biblique.
58 VOf AGE EN SYRIE
Au retour de cette promenade, il trouva Mohammed, scheikh
musulman de Karak, qui veriait d'arriver avec le scheikh Chre-
tien Abd-Allah lui-mSme. Moha'mmed, qul n'est autre que notre
Mohammed-el-Midjielly, parut immediatement a t'officier ame-
ricain le plus insolentt le plus insupportable et le plus couard
des hommes. Le 2 mai, malgre" le desir extreme qu'il avait de
renoncer a la course de Karak, le capitaine Lynch, croyant
qu'il manquerait a fa dignite de son pays s'il ne visitait pas
cette ville , se mit en route de tres-grand matiri.
II franchit le fuisseau qui descend de 1'Ouad-ebni-Ham-
mid, traversa le plateau qui domine la plaine qu'il appelle la
plaine de Zoar, et rencontra sur ce plateau, les restes d'un fort
qu'il regarde comme contemporain des croisades. Gagnant de
la un point situe a deux failles plus au sud, il entra dans
I'Ouad-el-Karak, et, & la description qu'il en fait, il est impos-
sible de ne pas reconrialtre FaffreuX abime nomme l'0uad-el-
Kharadjeh.
II rencontra, chemin faisant, lecharmaritruisseau d'ed-Draa1,
mais il n'en recueillit pas le nom; en resume", il suivit, ainsi
que cela devait etre , mais en sens inverse , la route que nous
avons suivie nous-memes, pour descendre de Karak dans le
Rhor. Le chaos gigantesque dont j'ai parle ne pouvait man-
quer d' exciter la curiosite de M. Lynch, et il le mentionne
efieetivement comme line des choses les plus etonnantes qu'il
ait rencontrees.
Bientot, la vallee que M. Lynch gravissait, se garnit d'oli-
viers; la forteresse ruine'e de Karak et la majestueuse tour qua-
drangulaire de la pointe nord-ouest du plateau, apparurent a
nos voyageurs qui arriverent enfm au tunnel que j'ai demerit, et
par lequel on pen etre dans 1'interieur de Karak. M. Lynch alia
se loger au couvent chretien, comme 1'avaient fait Irby et Man-
gles, les seuls Francs qui, depuis le temps des croisades,
ET AUf OUR DE LA MER MORTE. 59
avaient ose pe'ne'trer, avec leur caractere de Francs, dans cette
miserable ville. La petite eglise que j'ai trouve"e acheve"e, e"tait
alors en construction. Les officiers ame'ricains se mirent, &
tout hasard, en devoir de parcourir la ville et les ruines du
chateau; celles-ci exciterent vivement leur admiration, par leur
extreme importance. De la ils allerent examiner la grahde tour,
qui leur sembla de construction sarrazine. Dans Tapres-midi,
M. Lynch sonda le terrain, pour savoir s'il Mi serait possible de
faire une pointe vers le Rhor-Safieh, mais il lui fut declare que
la chose etait impraticable, et, en consequence, il renonca,
bien a contre-coeur, au projet de visiter ce splendide delta,
comme il 1'appelle.
Le 31 mai, a six heures et demie du matin, le capitaine
Lynch, qui n'avait eu que des deboires avec 1'insolent scheikh
de Karak, parvint h deguerpii- de Cet affreux repaire de ban-
dits, mais en ordre de bataille et la carabine au poing. Mo-
hammed, furieux de n' avoir rien pu extorquer aux Americains,
les suivait avec de mauvais desseins sans doute. M. Lynch
chargea le lieutenant Dale et un de ses homines les plus e"ner-
giques, de se porter inopinement aux flancs du cheval de
Mohammed, et de forcer celui-ci a marcher, en le tenant en
respect comme un prisonnier, avec la consigne de lui bruler
la cervelle, au premier geste qui trahirait une perfidie de sa
part. Mohammed se voyant pris , devint aussi humble et ailssi
plat, qu'il avait 6te impertinent et hautain jusqu'alors. II fut en-
traine de la sorte jusqu'au mouillage ou 1'embarcation attendait
son equipage et ses officiers. Le vieux scheikh Abd-AIlah recut
un present de M. Lynch, et Mohammed n'eut pour tout bakh-
chich que sa liberte qil'orn lui rendit. II eut beau supplier
M. Lynch de lui donner quelques capsules seulement, afin de
n'avoir pas la honte de revenir les mains vides, il en fut pour
ses supplications et ii'obtint absolument rien. La barque fut
60 VOYAGE EN SYRIE
aussitot remise a la mer, tout le monde y prit place, et
M. Lynch quitta la plage moabite, sans doute pour ne plus
jamais la revoir. En resume, ses observations, fort sommaires
d'ailleurs, sont suffisamment exactes, et je crois pouvoir attri-
buer au souvenir de 1'aimable visite des Americains a Moham-
med-el-Midjielly, tous les agrements que nous avons retires de
la notre, deux annees plus tard.
II est grandement temps, maintenant, que je reprenne mon
journal de voyage, et j'y reviens en toute hate.
11 me serait difficile de decrire la joie qui nous tient tous au
coeur ce matin. Dans quelques heures, nous serons a 1'entree
de I'Ouad-ez-Zouera; nous aurons quitte, pour n'y jamais
revenir, la plage maudite sur laquelle nous avons couru tant
de dangers, en si peu de jours. Nous emportons avec nous des
documents geographiques et archeologiques d'un prix inesti-
mable. Ce voyage ou, nous disait-on, nous peririons tous
infailliblement, nous 1'avons accompli, sans que 1'un de nous
en rapportat une egratignure. Nous sommes tous sains et
dispos, et notre bourse seule est malade, bien malade, j'en
conviens ; mais avons-nous trop cherement paye 1'honneur de
voir les premiers une foule de localites , dont la connaissance
ne peut manquer de Jeter un jour tout nouveau sur les saintes
Ecritures? Non, sans doute; remercions la Providence de
1'assistance qu'elle nous a donnee; et puisqu'il est ecrit :
« Aide-toi et le ciel t'aidera » , ne nous endormons pas dans
les delices un peu prematurees, peut-etre, de notre Capoue
bedouine, et partons.
Gette fois, il ne faut pas presser vigoureusement nos mou-
kres. Leurs habitudes de nonchalance et d'apathie sont primees
par les craintes de toute nature dont ils vont etre affranchis
tout a 1'heure ; ils se hatent done tout seuls.
Pendant que nos tentes et nos bagages se chargent sur le
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 61
dos de nos mulcts, je recois la visile de nos scheikhs des Beni-
Sakhar, visite amicale, je le veux bien, mais quelque peu
interessee. Ces braves gens ne seraient pas de bonne race, s'ils
s'abstenaient de nous demander, a qui mieux mieux, des
bakhchich. A chacun je donne un surcroit de solde de cent
piastres, et je fais triomphalement cadeau du petit pistolet
tromblon, au scheikh qui en etait si e"perdument amoureux
depuis hier.
Tous les habitants du campement nous entourent avec des
marques reelles d' affection, auxquelles nous soimnes d'autant
plus sensibles, que nous n'avons pas ete, jusqu'ici, gat6s en
ce genre. Samet-Aly, dans un moment de tendresse, me jette
a brule-pourpoint la proposition la plus saugrenue, et j'en suis
on ne peut plus touche , malgre son incongruite. « Nous
t'aimons tous, me dit-il; veux-tu etre notre frere et rester
avec nous? Tu seras scheikh comme nous, et tu choisiras
trois femmes, parmi les filles de notre tribu qui t'adopte. » Je
me hate de lui repondre que c'est trop d'honneur que la
tribu veut me faire, que je ne m'en sens pas suffisamment
digne , et que d'ailleurs des devoirs imperieux me rappellent
dans mon pays. Mon refus ne cheque pas ces braves gens ,
et ils me serrent affectueusement la main, en m'affirmant que
leurs regrets sont vifs de me voir partir, sans qu'ils puissent
esperer qu'ils me reverront jamais. — Allah aalem ! Dieu le
sait. — Voila ma reponse.
Avant de quitter les Beni-Sakhar, je me rappelle que j'ai
line provision d'aiguilles a coudre, destinees a mesdames les
Bedouines et dont pas une seule n'a &e distribute jusqu'ici.
Si je ne veux pas rester empetre avec mes aiguilles, le moment
est venu d'en faire des largesses. J'annonce done a haute voix
cet acte de splendide generosite, et en un clin d'reil une nu6e
de femmes, de toutes les couleurs et de tous les a"ges, se pro-
68 VOYAGE EN SYRIE
cipite vers moi. G'est un joli choix de physionomies , et
i'avoue que je m'estime bien heureux d' avoir pu decliner
1'honneur d'epouser trois de ces dames. Le pillage des aiguilles,
car c'est un vrai pillage, prend moins de temps qu'il n'en
faut pour le raconter ; nous ferons bien de veiller a nos hordes,
car il ne nous reste pas de quoi recoudre un bouton.
Pendant que je procedais a cette distribution, un Bedouin,
venu pour faire une visite dans la tribu, s'est pris de yueule
av.ec un enorme chien qui lui a profondement entame le ten-
don d'Achille. Le malheureux, qui rit et ne profere pas une
plainte , est etendu sur le dos , parce qu'il ne peut plus se
tenir qu'a cloche-pied. On me supplie d'aller a son secours.
Je ne sais en verite qu'y faire. Je me contente d' engager
les amis du blesse a, lui bassiner, avec de 1'eau et du sel ,
1'affreuse mprsure dont il souffre, et je rapproche les levres
des plaies, le moins mal (jue je peux, avec de larges plaques de
taffetas gomme. Je voudrais bien monter a cheval et partir
au plus vite ; mais le diable s'en mele apparemment , car? a
peine debarrasse de mon mordu, j'ai affaire a un malade plus
serieux. G'est un epileptique qui se tord dans les convulsions
tetaniques de son horrible infirmite. On ne me demande pas ,
il est vrai, de lui porter secours ; mais on desire savoir ce que
je pense de son mal : — Houa meidjnoun ! dis-je ; il est pos-
sede d'un esprit d'en haut ! — Et tous les assistants de re-
pondre en cho3ur : — Tha'ieb ! c'est bien cela. II est clair que
je passe du coup pour un des croyants les plus orthodoxes.
Gomme tout le monde est d'avis qu'il faut laisser notre homme
en communication avec son djin , sans les deranger par des
soins inopportuns , j'approuve fort cette determination que je
mets moi-meme en pratique , je I'avoue humblement. G'est
bien mal de voir spuffrir, sans aller au secours de celui qui
souffre; mais, que Ton se mette a ma place, et Ton excusera
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 63
mon egoi'sme de ce moment. L'inlernale Sabkhah est la a
quelques kilometres de nous : il faut la franchir, et cette pen-
see me donne froid dans le dos, j'en conviens. Allons-nous
pouvoir nous en tirer, sans nous y engloutir jusqu'au dernier?
Alfreuse question, ,dont j'ai hate d'aborder la solution.
Enfin, tout est pret; il est a peine huit heures du matin;
nous spmmes tous a cheyaj : en route done ! et que Dieu nous
vienne en aide 1
Nous avons d'abord longe le pied des montagnes, en nous
tenant eloignes du fourre que nous voulons traverser le plus
directement possible. N.ous remontons done directement au
sud, jusqu'a hauteur du campement des Ahouethat , chez les-
quels nous avons passe une nuit , quelques jours auparavant.
La, nous tournons subitement a 1'ouest, et nous marchons
bon train a travers la foret. Nous avons bientot atteint les
tentes dont nous redoutons 1'hospitalite , grace a 1'experience
que nous en avons deja faite; mais presque tous les bandits
sont en campagne, depuis quelques jours. Ils sont alles hous-
piller un campement ennemi assez eloigne. 11 n'y a done
plus au gite que des femmes, des enfants, et un petit nombre
d' homines charges de proteger les tentes delaissees. Personne
ne nous adresse la parole , et nous passons rapidement , tout
en nous debattant centre un terrain affreusement detrempe.
(Juc sera-ce done tout a 1'heure ? Il y a vraiment de quoi
prendre un peu de souci.
Nous sommes arrives sans encombre a la large lisiere d,e
roseaux qui nous cache encore la Sabkhah, et ici vont evi-
demment commencer nos tribulations. Nous faisons passer nos
bagages devant nous, et nous voyons disparaitre une a une
toutes nos betes de charge, suivies des moukres, dorit la pru-
dence accoutumee se signale outre mes.ure aujourd'hui. Cha-
cun pousse sa bete dans une direction, au lieu de suivre con-
64 VOYAGE EN SYRIE
stamment la piste qu'a tracee la premiere. Cette fois encore,
quelques mules voyagent pour leur propre compte, et, en
moins de dix minutes, les unes sont embourbees et les autres
jetees sur le flanc, grace aux charges mal attachees , et que
les maudits roseaux ont fait tourner. Ge sont des criailleries a
rendre fou, qui partent de dix points a la fois, et il nous faut
perdre pres d'une demi-heure h attendre que toute la caravane
ait rebrousse chemin, et soit venue reprendre pied sur un ter-
rain un peu plus solide.
Enfin, toute la bande, betes et hommes, est revenue sur ses
pas, sans encombre. Mais nous ne pouvons c ontinuer cejeu
dangereux ; il faut done gagner un autre passage plus aisement
franchissable. Nous remontons de quelques centaines de pas
au sud, dans 1'esperance qu'en nous e"loignant de la plage,
nous rencontrerons un terrain moins fortement detrempe.
Effectivement, au bout de quelques minutes, le scheikh Abou-
Daouk juge que 1'endroit ou nous sommes parvenus, est favora-
ble ; il entre done dans les roseaux , et tout le monde le suit.
Ici le fourre est moins e"pais, la lisiere est beaucoup moins
large, et quelques minutes nous suffisent pour etre arrives en
face de la redoutable Sabkhah.
Qu'on se figure une plaine couverte de neige fondue et me"-
langee de boue, sur laquelle miroiterait un soleil pale; voilci
ce qui s'offre devant nous, sur une profondeur de pres de trois
lieues. Pas un caillou, pas une herbe, de la fange partout et
toujours. Que sont devenus les cours d'eau que nous avons &
franchir? Nous allons bientot le savoir, mais nous le devinons
avec une veritable terreur.
Les scheikhs Beni-Sakhar, en vrais Arabes qu'ils sont, nous
ont conduits jusque-la; il est bien clair qu'ils comptent sur un
bakhchich supreme. Quant a nous, nous comptons bien nous en
affranchir, et les quitter en ne leur donnant qu'une derniere
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 65
poignee de main. Comme je suis le chef de la caravane, c'est
a rnoi que les demandes doivent etre adressees, et Mohammed
qui s'en doute, me presse d'un simple clignement d'ceil, de lan-
cer mon cheval dans la Sabkhah, bien assure qu'il est qu'il n'y
a pas d' amour de bakhchich qui decide nos insatiables amis a
risquer leurs chevaux et leurs personnes sur ce deplorable ter-
rain. Je comprends I'invitation, et j'en fais aussitot mon profit,
au grand desappointement des scheikhs, qui s' attendant a une
halte en ce point, avaient deja mis pied a terre. Des que je
suis engage d'une dizaine de pas dans 1'affreuse plaine, les
scheikhs renoncent a 1'espoir qu'ils avaient si amoureusement
caresse ; ils remontent a cheval, nous jettent un dernier adieu,
et rentrent dans le fourre de roseaux.
Nous voila done debarrasses de toutes nos sangsues, et nous
marchons les uns derriere les autres, avec les precautions infi-
nies que nous inspire 1' aspect du terrain. Ces precautions ne
sont certes pas de luxe, et nous sommes obliges de veiller
incessamment aux pas que nous faisons en avant, pour peu que
nous ayons la prevention, en apparence exage"ree, de nous tirer
en vie de ce bourbier. Abou-Daouk et son frere marchent les
premiers, moins en eclaireurs, qu'en hommes qui connaissent
a merveille le seul chemin a prendre.
Au bout de quelques minutes, se presente un premier torrent;
il est gonfle, impetueux, effrayant. Arrives sur la rive, nos
fantassins se depouillent de tous leurs vetements et entrent
bravement dans 1'eau; leur instinct de sauvages leur a indique
un gue qu'ils traversent, en n'ayant de 1'eau que jusqu'aux ais-
selles. Apres eux passent les cavaliers , et j'avoue qu'en ce
perilleux moment, chacun de nous s'occupe de son propre salut,
sans trop s'inquieter de ce que feront les moukres et les mules.
Nous sommes arrives sains et saufs sur 1'autre rive, enchantes
de nous etre tires d' affaire cette premiere fois; mais toutes nos
II. 5
66 VOYAGE EN SYRIE
betes de charge sont restees en arriere, et nous ressentons bien
quelques angoisses, en pensant a 1'effet d'un courant aussi vio-
lent sur les larges masses des bagages.
Pendant que les plus avisos suivent obstinement la meme
piste et coupent le fil de 1'eau aux memes points, un miserable
baudet charge d'un sac d'orge, provision de nos chevaux,
trouve plus raisonnable sansdoute d'aller droit au plus court;
il s'ecarte du gue en lui tournant betement le dos; il est en-
traine, perd pied aussitot, et plonge a plusieurs reprises, en
faisant des efforts desesperes pour resister au courant qui 1'em-
porte. Evidemment il est perdu, c'est la notre premiere pensee.
Mais nous avionscompte sans le devouement de nos Bedouins, si
nousavions bien compte sur 1'apathie stupide de nos moukres.
En un instant, tous ces homines de fer, se tenant par la main,
s'arc-boutent de leurs pieds crispes, centre la fange de la rive,
dans laquelle ils enfoncent jusqu'au-dessus des genoux ; ceux
qui forment I'extremite' de cette chaine humaine descendent
dansle torrent, saisissent le malheureux ane par les oreilles,
par la queue, par le sac qui lui est attache sur le dos. L' animal
n'a plus la force de faire le moindre mouvement pour aider ses
sauveteurs; il est clair que la terreur 1'a paralyse, et pourtant,
en quelques minutes, malgre' le pen de solidite de la berge qui
s'eboule deux ou trois ibis, en rejetant a 1'eau hommes et bete,
celle-ci est enfin hissee a demi morte sur le bord. On la releve a
grand' peine, on la debarrasse de sa charge que 1'eau a rendue
trois fois plus pesante et qu'elle n'est plus de force a supporter,
et aussitot nos sauvages amis, se tenant toujours par la main,
se mettent, en guise de rejouissance, a danser en rond, en
entonnant un chant etrange. Je n'oublierai de ma vie ce curieux
et emouvant spectacle.
Enfin, nous pouvons nous remettre en marche ; mais Abou-
Daouk a gagne du terrain, pendant les minutes qui viennent de
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 67
s'e"couler en pure perte. Nous voyons bien qu'il fait a chaque
instant des crochets, pour ^viter sans doute de dangereuses
fondrieres ; mais comment reconnaitre sa piste? A peine le pied
de son cheval a-t-il re"ussi & sortir de ce terrain gluant, que le
trou qu'il a laisse, se referme et se remplit d'eau. G'est done
bien maintenant que nous allons cheminer a la gra"ce de Dieu.
En peu d'instants chacun de nous va pour son compte, iso-
lement et s'ingeniant a deviner les points sur lesquels il peut
se risquer, tout en pensant aux chances de s'engouffrer dans
quelque fondriere de laquelle il n'y aurait aucun moyen de se
tirer. fidouard et Philippe seuls marchent d'assez pres derriere
moi ; d'instinct et de coaur, ils se de"cident a courir la chance
que je cours moi-meme.
J'entends alors des cris dans le lointain, c'est notre ane qui,
n'en pouvant plus, vient de retomber dans la boue et d'y perir
en un clin d'oeil. On laisse la sa carcasse, et on continue a
avancer. Un quart d'heure apres, c'est un de nos chevaux de
charge qui tombe dans la fange , y disparait a moitie, et s'y
enterre si bien latete et les naseaux, qu'il meurt sur-le-champ.
Nouvelle perte de temps pour le depouiller de la charge qu'il
portait, et que nous ne voulons pas abandonner.
Nous avons deja franchi la moitie de la Sabkhah, et nous
commencons a nous aguerrir un peu, malgre 1'horrible appre-
hension que nous cause 1'approche des autres cours d'eau, bien
plus redoutables que celui que nous avons deja franchi, et qui
vont tout a 1'heure nous barrer le passage. A. chaque instant,
des mules ou des chevaux glissent et tombent, et nous voyons
avec fureur nos moukres ne prendre aucun souci du danger
que courent les betes de leurs compagnons. Une fois meme,
Tun d'eux, un nomme Aly, que nous avons amene de Beyrout,
se refuse obstinement a porter secours a 1'un de ses collegues;
ce n'est qu'en lui montrant le bout d'un pistolet que je In
68 VOYAGE EN SYRIE
decide a faire ce qu'il aurait probablement bien voulu qu'on
fit pour lui en semblable circonstance.
Un moment, je 1'avoue, je me crois perdu, et tout mon
sang se glace dans mes veines. Je sens le train de derriere
de mon cheval s'affaisser subitement; il enfonce des deux pieds,
et je ne reussis que par un effort desespere, en le soutenant
de toutes mes forces et en le frappant avec rage, a lui faire
franchir ce mauvais pas. Edouard et Philippe ont vu ma de-
tresse : ils accourent & mon aide , mais lorsqu'ils arrivent, le
danger est heureusement passe.
On concoit qu'ci partir de ce moment, toutes mes apprehen-
sions qui s'e"taient calmees, renaissent de plus belle.
Heureusement, au moment ou nous atteignons le bord du
premier des cours d'eau qu'il nous reste £ franchir, nous re-
connaissons avec une joie indicible, que la pluie qui nous a si
fortement tourmentes depuis deux jours, ne s'est pas etendue
au delk de la rive orientale de la mer Morte , et que les tor-
rents qui descendent des montagnes de la cote occidentale,
aussi bien que de celles qui forment, au sud, la limite de la
Sabkhah, n'ont eu aucune crue a subir. Loin de la, il semble
que ces torrents soient devenus beaucoup moins considerables
que lorsque nous les avons traverses, a notre premier passage.
Les franchir cette fois, n'est plus qu'un jeu, et nous atteignons
enfm la plage defoncee qui forme le pied de la montagne de
Sodome. La, nous respirons a 1'aise ; la, du fond du coaur,
nous remercions la Providence de la protection evidente qu'elle
nous a donnee. Nous devions tous perir dans cet affreux bour-
bier, et nous en sommes quittes pour un cheval et un ane !
C'est done un tribut bien modeste que nous avons paye" k la
Sabkhah.
Apres les heures cruelles que nous venons de passer, on
comprend que nous ayons tous besoin, hommes et betes, d'une
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 69
haltc qui nous permette d'oublier les emotions dont nous ve-
nons d'etre affranchis. Chacun descend de cheval et s'etend
sur le gravier sale qui forme le sol meuble que nous avons eu le
bonheur d'atteindre. Nous profitons de cette halte pour dejeu-
ner, et je n'ai pas besoin, jepense, .de dire avec quelle joie
d'enfant nous buvons une rasade d'eau et de raki , a notre pays,
que nous sommes maintenant a peu pres certains de revoir, et
au succes de notre course aventureuse.
Nos pauvres amis, les Bedouins de notre escorte , font
comme nous ; ils ont repris leur leger costume , et se sont
baignes dans la derniere riviere que nous avons coupe"e, pour
se d6barrasser des innombrables souillures de boue qu'ils
avaient recues , chemin faisant, en courant a droite et a gau-
che, au secours de tout le monde, et surtout en tombant pres-
que a chaque pas sur cette fange gluante, ou Ton ne peut
prendre de point d'appui qu'a la condition d'y pene"trer. L'un
de nos Thaamera, belle et noble creature, aussi de"vouee que
notre bon Ahouad, et qui pourrait servir de modele a un sculp-
teur pour une statue heroi'que, est subitement pris d' horribles
crampes d'estomac, qui, en un clin d'oeil, alterent sa physio-
nomie au point de lui donner I' air d'un moribond. Un de ses
freres de tribu lui frictionne a tour de bras le dos et la poitrine;
rien n'y fait. La fatigue et 1' emotion ont, a la lettre, ecrase ce
pauvre garcon. On m'appelle bien vite aupres de lui, et je le
trouve se tordant sur la plage, sous les etreintes du mal. Je ne
sais comment le soulager, et j'imagine, a tout risque, de lui
faire avaler un demi-verre de raki. De sa vie il n'en a bu, et
j'espere que la nouveaute de la chose pourra causer a 1'es-
tomac de mon Bedouin une telle surprise, que les crampes
s'arreteront. Je fais done apporter le raki que je lui destine,
mais voila mon homme qu'un scrupule de musulman arrete,
et qui repousse le verre. Je n'ai plus alors qu'une ressource,
70 VOYAGE EN SYRIE
c'est d'appeler le Khatib , et de le prier de persuader a notre
ami que ce que je lui veux faire prendre, est un remede veri-
table et rien de plus. Le Khatib insiste sur ce point, mon Be-
douin se decide alors, ingurgite 1' eau-de-vie en faisant d'abord
une legere grimace, et au bout de quelques secondes, il est
tout etonne de se sentir si completement soulage , qu'il se
redresse en riant, et se remet sur pied, en reprenant sa bonne
et joyeuse figure. Nous voila, grace a Dieu, debarrasses d'une
veritable inquietude.
Arrive alors pres de nous, conduit par Matteo, un de nos
moukres qui pleurniche; c'est le proprietaire du cheval qui
s'est noye dans la boue. Je lui donne, au nom de mes amis et
au mien , une indemnite de 100 piastres, et le pauvre here
reprend, a son tour, une face de beatitude. On conviendra
que c'est faire des heureux a bon marche. Nous faisons, de
plus, distribuer entre tous nos hommes, une gratification de
200 piastres, ce qui acheve de remettre la gaiete dans tous
les coeurs, et de faire oublier les fatigues et les terreurs de
la Sabkhah.
Peu apres midi, nous remontons a cheval, et nous longeons
de nouveau le pied de la montagne de sel, du Djebel-Esdoum.
Nous repassons devant la grotte ou nous nous sommes arretes,
quelques jours avant , pour dejeuner , et nous en trouvons
1' entree a demi obstruee par d'enormes blocs de sel, que les
dernieres pluies ont detaches de la masse, et qui ont roule
jusqu'au pied de la montagne. Des blocs de ce genre se pre-
sentent a nous sur presque toute I'etendue de la montagne
elle-meme , et ces nouveaux eboulements ont parfois modifie
singulierement 1' aspect des escarpements. A voir certaines de
ces aiguilles de sel recemment isolees, je concois a merveille
que M. Lynch ait pu prendre un bloc semblable pour ce qu'il
a appele le pilier de sel destine a representer la femme de
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 71
Loth. II est facheux que 1'estimable officier americain n'ait pas
vu la montagne de sel a deux reprises differentes, dans la
saison des pluies ; il eut reconnu cent ferames de Loth pour
une.
Le niveau de la mer semble s'etre un peu e"leve", pendant le
temps qui s'est ecoule entre nos deux passages, car le bord de
1'eau proprement dit, s'est sensiblement rapproche du pied de
la montagne. Au reste, la plage est si plate en ce point, qu'une
hauteur d'eau d'un demi-metre de plus, doit amener celle-ci
a bien plus de cent metres de distance de son niveau primitif.
11 resulte de cette crue, que le terrain sur lequel nous chemi-
nons, est beaucoup plus difficile qu'a notre premiere visite.
11 est deux heures quarante-six minutes, lorsque nous nous
retrouvons precisement en face , et a dix metres a gauche , du
monceau de ruines qui porte le nom de Redjom-el-Mezorrhel.
Le bord de 1'eau n'est guere qu'a quarante ou cinquante me-
4res a notre droite, tandis que le pied de la montagne n'est
qu'a une trentaine de metres du chemin que nous suivons.
Nous marchons au nord , six ou sept degres ouest , au moment
ou nous arrivons au Redjom-el-Mezorrhel. A deux heures cin-
quante-deux minutes, nous tournons a 1'ouest-nord-ouest. La
mer est alors a quatre-vingts metres , et le pied de la montagm,
a cent cinquante metres. La plage, ainsi elargie, presente de
gros blocs de pierre, uses par le temps, au milieu desquels
nous reconnaissons bientot des files regulieres, qui ne sont que
des arasements de murs antiques. Nous sommes done certai-
nement au milieu de ruines apparentes et reconnaissables, qui
se montrent jusqu'a deux heures cinquante-six minutes, c'est-
a-dire sur une etendue de pres de quatre cents metres seule-
ment. En ce moment nous cheminons au nord-nord-ouest. A
notre droite est une plage sablonneuse, et devant nous, le fourre
d'arbustes ou d'arbres naiiis, dans lequel nos compagnons
72 VOYAGE EN SYRIE
s'etaient imprudemment mis en chasse, lors de notre premier
passage.
A notre gauche, le Djebel-Esdoum a cesse de former une
seule masse, et nous sommes arrives en face des vastes ma-
melons , ou mieux , des collines qui garnissent la pointe nord
de cette montagne. Sur ces mamelons, qui ont une superficie
fort e'tendue , paraissent des amas de de'combres , indices cer-
tains de 1'existence, en ce point, d'une ville tres-considerable.
Nous contournons exactement le pied de ces decombres , dont
il nous est impossible de meconnaitre 1'origine. A trois heures,
le fourre d'arbres qui nous cache la mer est a quatre-vingts
metres , a notre droite. Nous marchons toujours au nord-nord-
ouest. A trois heures sept minutes , nous traversons le lit d'un
torrent a sec, large de quinze metres. En ce point, les ma-
melons, couverts de ruines, sont separes par une ravine, et ils
semblent former deux pates distincts, sur lesquels reposent les
ruines immenses que les Arabes qui m'accompagnent sont una-
nimes pour appeler Esdoum. Dans la plaine meme, au dela
du lit de torrent dont je viens de parler, se montrent de nom-
breuses files de blocs de pierre, restes d'habitations primitives.
Nous marchons a I'ouest-nord-ouest, a trois heures onze minu-
tes, au point meme ou les ruines placees dans la plaine cessent
de paraitre. Nous suivons alors constamment cette direction ,
tandis que le delta sur lequel se trouve notre route, est devenu
une vaste plaine, toute ravinee, jonchee de gros blocs roules,
et planted de nombreux mimosas ou seyal. A trois heures
quinze minutes, nous sommes a la hauteur de la pointe extreme
du Djebel-Esdoum , qui se termine en escarpement a pic sur
une large et belle plaine, plantee de mimosas, et qui s'etend
au loin dans la direction du sud-sud-ouest. A trois heures
trente minutes seulement, nous avons atteint le pied des pre-
mieres collines, hautes d'une trentaine de metres, qui forment
ET AUTODR DE LA MER MORTE. 73
1' embouchure de l'Ouad-ez-Zouera, que nous commencons
& gravir a trois heures trente-deux minutes , en cheminant
d'abord directement a 1'ouest. Sur les plateaux des deux col-
lines que je viens de signaler, sont des decombres tres-nom-
breux, semblables a ceux d'Ayn-Djedy, d'Esdoum, d'en-Ne-
mai'reh et de Sebaan. Pour les Arabes , ces de"combres se nom-
ment Zouera-et-Tahtah. Ce sont done ceux de la Zoar qui s'est
substitute a la Zoar biblique et sur le meme emplacement.
Nous avons vu que la limite des ruines d'Esdoum s'est
montree a nous a trois heures onze minutes ; nous touchons aux
ruines de Zoar ou Segor, a trois heures trente minutes : ce sont
par suite dix-neuf minutes que nous avons mises a parcourir
1'intervalle qui separe ces deux localites, c'est-a-dire un peu
moins de deux kilometres. C'est done avec toute raison que
j'ai declare* plus haut, que la situation relative des ruines de
Sodome et de Zoar, rendait parfaitement compte de toutes les
circonstances du re"cit que la Bible nous donne , de la fuite de
Loth, fuite qui dut s'accomplir dans le temps ecoule entre
1'aube et le lever du soleil.
A trois heures trente-quatre minutes , nous cheminons direc-
tement a 1'ouest , longeant le pied des collines qui bordent a
droite le lit profondement encaisse* du torrent qui a creuse
POuad-ez-Zouera. Ce lit a, en certains endroits, une largeur
d'une centaine de metres environ , mais en d'autres il se r6-
trecit tres-fortement. Par-dessus les collines de gauche , nous
apercevons le sommet du Djebel-Esdoum qui semble etre a
environ quatre kilometres de nous. Nous marchons toujours
a une quinzaine de metres des escarpements du lit de Touad.
En ce moment , nous voyons a notre droite un immense cirque
bouleverse", qui parait etre un veritable cratere d' explosion.
Rien ne peut peindre 1' aspect desole 'de l'Ouad-ez-Zouera.
De tous cotes, on n'apercoit que d'immenses dechirures, que
74 VOYAGE EN SYRIE.
des rocs arraches violemment et jetes au fond de 1'ouad , que
des monticules a pic, d'une roche friable qui ressemble a de
la cendre volcanique, et qui n'est en realite que du sable ana-
logue a celui des monticules de Sebbeh et de la presqu'ile
d'el-Lican. Apres avoir assez longtemps chemine au bord du
lit de 1'ouad , qui est a trente metres en contre-bas de notre
route et qui offre par-ci par-la quelques gros seyal clair-semes,
nous descendons au fond de 1'ouad meme, que nous sui-
vons pendant quelque temps. A partir de trois heures qua-
rante-neuf minutes , a notre gauche , une haute montagne de
couleur brune, et qui semble avoir ete calcinee par un feu
ardent, domine de tres-haut 1'ouad encaisse dans lequel nous
avancons. A droite, s'elevent de meme, a une tres-grande
hauteur, des roches brunes dechiquetees. Nous paraissons
done enfermes entre deux murs , qui montent a perte de vue
et qui ne sont separes que par un intervalle d'une centaine de
metres au plus.
Depuis trois heures quarante minutes environ, la direc-
tion de notre route s'est peu ecartee de 1'ouest-nord-ouest. A
trois heures cinquante-cinq minutes, nous nous trouvons en
face d'une enorme bifurcation de 1'ouad. La branche de droite
est un veritable cul-de-sac, qui s'enfonce de deux ou trois
cents metres, a 1'ouest, dans la masse des roches calcaires;
la branche de gauche , qui est la veritable continuation de
l'Ouad-ez-Zouera , se dirige au sud-sud-ouest. C'est par la
que nous gagnerons demain le haut pays. Pour aujourd'hui,
nous allons camper dans 1'enfoncementde droite, qui se nomme
en-Nedjd (Imminence de terrain). La, se montre un petit pla-
teau rocailleux sur lequel paraissent quelques decombres d'une
construction tres-antique. G'est au pied de ce plateau que nos
tentes se dressent. Un peu plus pres de 1' entree du Nedjd, est
creusee, dans le flanc de la montagne, une grette tres-haute,
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 75
mais peu profonde, dans laquelle vont s'6tablir nos scheikhs
et leurs troupes. Nous avons fait halte a trois heures cin-
quante-sept minutes.
Pendant notre marche dans l'Ouad-ez-Zouera, et lorsque
nous avons ete sur un terrain deja un peu eleve au-dessus du
niveau de la mer Morte , nous avons eu le bonheur d'assister a
un spectacle dont on ne jouit pas deux fois dans sa vie, et dont
je ne puis me dispenser de dire quelques mots. Nous avons,
pour ainsi dire , 6te temoins de la catastrophe de la Pentapole ,
et nous sommes tout emus encore de la scene que nous avons
admiree avec le plus vif enthousiasme.
Lorsque nous cheminions peniblement entre le Djebel-Es-
doum et la mer, un orage , descendu des montagnes de Canaan,
avait eclate sur le lac Asphaltite, a peu pres a la hauteur de
Masada et de la presqu'ile d'el-Lican. Des nuages d'un gris
fonce avaient relie le ciel a la mer, en nous cachant dans
d'epaisses tenebres, toute la partie septentrionale de cette pro-
fonde vallee. Tout a coup , un splendide arc-en-ciel , eclatant
de lumiere, et pare des plus brillantes couleurs, vint figurer une
sorte de pont gigantesque, jete par la main de Dieu entre les
deux rives de la mer Morte. On conceit combien la magnifi-
cence de ce spectacle avait du nous impressionner ; mais ce
n'etait rien encore aupres de ce qui nous etait reserve pour la
fin de notre journee.
Lorsque nous commencames a gravir les premieres pentes
de l'Ouad-ez-Zouera, de gros nuages noirs, chasses par le
vent d'ouest, passant par-dessus notre tete , et par-dessus le
Djebel-Esdoum, s'abattirent sur la mer Morte, gagnerent le
Rhor-Safieh, et, se relevant sur le flanc des montagnes de
Moab, ne tarderent pas a degager le tableau, et a laisser aper-
cevoir la mer, comme une vaste nappe immobile de plomb
fondu. A mesure que I'orage s'avancait vers I'orient, 1'occi-
76 VOYAGE EN SYRIE
dent redevenait pur et brillant. II y eut alors un moment ou le
soleil a son declin, lanca par-dessus les montagnes de Canaan
des rayons rouges qui vinrent, pour ainsi dire, couvrir des
feux d'un immense incendie, tous les sommets de Moab. La
base de ces belles montagnes resta noire comme de 1'encre.
Au-dessus, le ciel morne et sombre : au-dessous, comme une
lame metallique d'un gris plombe' et sans reflet : autour de
nous, le silence, le desert et la desolation. Bien loin , a 1'occi-
dent, un ciel pur et sans nuages, qui eclairait une terre benie,
tandis que nous semblions fuir une terre a jamais maudite.
II faut avoir etetemoin d'un spectacle pareil, pour compren-
dre toute 1' admiration dont nous fumes saisis alors. Nos Be-
douins eux-memes, bien qu'habitues aux grandes scenes de la
nature , ne purent resister au sentiment qui s'emparait de
nous. — Chouf, ia-sidy, me disaient-ils ; chouf I Allah yedrob
Esdoum! (Vois, seigneur, vois! Allah frappe Esdoum!) — et ils
avaient raison. Le spectacle effroyable dont Loth fut le temoin,
a peu pres du meme point ou nous etions places tout a 1'heure,
dut avoir une grande analogic avec la scene grandiose dont la
Providence vient de nous gratifier.
Notre bonheur d'avoir echappe aux Bedouins de la Moabi-
tide, au scheikh de Karak et a la Sabkhah, notre joie d'avoir
reconnu les ruines de Sodome, et d'avoir assiste a une sorte de
mise en scene de la catastrophe de la Pentapole, ont defraye
notre conversation du soir, sous la tente. II nous a ete bien doux
de repasser un a un, dans notre memoire, tous les episodes de
notre course aventureuse, et de nous repeter, en savourant le
double parfum du djebely et du moka, que les dangers reels
sont maintenant passes, et qu'il ne nons reste plus qu'a jouir,
en securite, de nos decouvertes et des fruits de notre labeur
perseverant.
Rothschild, qui n'avait pas de carte a faire, en suivant obsti-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 77
nement une ligne donne"e, la boussole et le carnet a la main,
s'est hardiment lance" tout seul au milieu des ruines de Sodome ,
qu'il a traversees dans toute leur longueur, au risque d'y faire
quelque mauvaise rencontre. Lorsque je 1'avais vu s' engager
imprudemment dans ce terrain peu sur, j'avais depeche" a sa
suite deux de nos Djahalin, que j'avais charge's, en outre, de
me chercher, au milieu des ruines , quelque fragment de pote-
rie. Arrives au Nedjd, ils m'ont bravement offert les debris
d'une Jarre, parfaitement moderne, et qu'ils ont deterre"e je ne
sais ou. Gette brillante trouvaille leur a rapporte" quelques
piastres, mais je me suis empresse de m'en de"barrasser au
profit des rocailles sur lesquelles nous sommes campes.
II y a tout lieu de croire que l'Ouad-ez-Zouera n'est que la
Montee des Scorpions de la Sainte Bible. Pour ma part , je n'en
doute pas; mais, ce dont je suis tres-sur, c'est que POuad-ez-
Zouera a tous les droits possibles a cette denomination. Je
defie que Ton retourne un caillou du Nedjd, je dis un seul cail-
lou, sans trouver dessous un de ces de"sobligeants animaux.
Dans notre tente meme , ces vilaines betes que nous deran-
geons, se promenent de ci, de la. Au reste, 1'habitude est une
seconde nature; c'est la sagesse des nations qui 1'a dit, et elle
ne Pa pas dit sans raison. II y a un mois , la vue d'un scorpion
m'agacait cruellement les nerfs; aujourd'hui son apparition,
meme inopinee, ne me cause plus la moindre dmotion, et je
marche dessus fort tranquillement. Ceci revient a dire que,
sans aimer plus tendrement les scorpions, je ne m'en effraie
plus.
Notre nuit a e"te" parfaite, et nous nous sommes endormis, en
pensant a P issue presque inesperee de notre beau voyage d'ex-
ploration.
78 VOYAGE EN SYRIE
23 JANVIER.
Ce matin , nous n'avons eu besoin de presser personne ; au
petit jour tout le monde etait pret, et nous seuls, qui devious
donner le bon exemple, avons retarde le depart. II est vrai
que j'etais parfaitement decide a ne jamais permettre qu'on
se mit en marche avant que nous eussions fait notre premier
dejeuner, dejeuner frugal s'il en fut, mais qui n'en etait pas
moins necessaire, si nous voulions resister aisement a la fatigue
et aux mauvaises influences du climat.
A six heures cinquante-neuf minutes, nous etions en route,
et, revenant sur nos pas, nous entrions dans TOuad-ez-Zouera,
que nous avions laisse, la veille, a notre gauche, pour aller
camper au Nedjd. line fois entres dans 1'ouad, qui n'a guere
que quarante ou cinquante metres de largeur, et qui continue a
etre domine, a droite par un immense piton de sable d'un blanc
jaunatre, et a gauche par des roches brunes dechiquetees et a
pic, nous marchons a 1'ouest, quelques degres nord. Presque
aussitot , deux enormes pitons de sable se montrent a gauche de
1'ouad, tandis qu'une grosse roche brune, de la meme nature
que celle que nous avions un instant avant a notre gauche , fait
saillie a droite sur les monticules de sable. Les roches qui tor-
ment le fond de 1'ouad sont tapissees, comme nous avions deja
eu 1' occasion de le remarquer hier soir, d'une c route formee
d'un conglomerat de petits fragments roules, noyes dans une
pate calcaire qui s'est moulee sur toutes les saillies et sur toutes
les cavites de ces roches. Est-ce un produit d' alluvion ou un
produit volcanique? Je ne me charge pas de le decider; c'est
1' affaire des geologues de profession.
Nous continuous a monter pendant quelques minutes, et, a
sept heures douze minutes, nous arrivons a une mine du moyen
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 79
age, connue des Arabes sous le nom de Qasr-ez-fcouera, ou de
Zouera-el-Fouqah (la Zoar supe'rieure) . De*ja cette interessante
ruine a ete decrite par MM. Irby et Mangles, et, beaucoup
plus tard, par M. de Bertou; mais, comme des mines sembla-
bles sont rarement visitees, je ne pense pas abuser de la
patience de mes lecteurs, en leur donnant, le plus brievement
qu'il me sera possible, une idee des constructions accumulees
en ce point de TOuad-ez-Zouera.
La route assez difficile que nous venons de suivre, longe le
flanc gauche d'un piton calcaire, fort escarpe, dont tout le
plateau est occupe par des constructions militaires bien en-
tendues, et destinies a commander tout le passage a travers
l'Otiad-ez-Zouera. A la pointe orientale du piton, est une sorte de
petit fortin carre qui domine la portion de la route venant des
bords de la mer Morte. Un peu en arriere de ce fortin , c'est-
a-dire a 1'ouest , et sur un tertre de quelques metres de hauteur,
est une autre enceinte defensive beaucoup plus considerable.
C'est une sorte de pentagone dont la face orientale pr&sente un
front flanque de deux tours rondes; celle de droite, c'est-a-dire
du nord , est ruinee , tandis que celle de gauche est en assez
bon etat de conservation. La face* occidentale offre un saillant,
garni d'une tour ronde qui domine toute la portion de la mon-
tee qui, apres avoir contourne le piton, gagne le haut pays.
Au sud de cet edifice principal, et au meme niveau que le
petit fortin carre dont j'ai parle d'abord, sont encore debout
deux murailles assez hautes, d'un Edifice qui devait etre carre",
et qui presente , sur sa face occidentale , une porte ogivale ,
bien conservee, mais sans ornement, et sur la face sud , autant
que je puis m'en souvenir, deux baies ou fenetres. Toutes ces
constructions sont en pierre de taille blanchatre, bien appa-
reillees, mais d'assez petite dimension. En avant de cet Edifice
est un puits creuse dans le roc.
80 VOYAGE EN SYRIE
A gauche du chemin , et a pea pres en face du fortin carre ,
se trouve une roche fort elevee qui est percee, a une assez grande
hauteur, d'une grotte avec fenetres formant des sortes d' em-
brasures ay ant vue sur la route , et disposees de facon a croiser
sur celle-ci, sinon des feux de defense, au moins les projec-
tiles, de quelque nature qu'ils fussent, qui devaient interdire,
au besoin, Faeces du terrain superieur. Au dela de ce rocher,
au pied duquel est entaillee dans le rocher une belle citerne
quadrangulaire , monte, vers le sud-ouest, un ravin assez
rapide, conduisant vraisemblablement a la grotte indiquee
tout a 1'heure.
Le flanc droit du ravin est forme par une roche enorme au
pied de laquelle est creusee, en avant du Qasr, une seconde
citerne carree, en tres-bon etat, mais ne contenant que de
1'eau bourbeuse en petite quantite. La route passe a gauche de
cette citerne , et presente plusieurs amas de decombres , indi-
ces, meconnaissables aujourd'hui , d' habitations, ou, plus vrai-
semblablement, de petits edifices militaires accessoires, servant
d'avant-postes.
La montee est extremement raide , et elle atteint assez promp-
tement un point ou commence une serie de zigzags fort courts
et fort resserres. En ce point , deux amas de decombres , pla-
ces Tun a droite, 1'autre a gauche de la montee, se reconnaissent
par leur disposition meme, pour deux postes avances. A peu
pres a moitie de la montee en lacets qui est taillee dans les
flancs d'une roche brune fort dure, le chemin se trouve coupe
par trois murs, aujourd'hui en ruines et qui, vraisemblable-
ment , etaient jadis perces d'ouvertures , capables de donner
passage a des chameaux charges.
11 est sept heures vingt-quatre minutes , quand nous arrivons
au dernier lacet, qui nous amene sur un petit plateau montant,
ou nous laissons souffler nos chevaux pendant trois minutes.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 84
En ce point, la route, qui marche toujours directement a
1'ouest, est flanquee a gauche par une muraille ruinee. Un pen
plus haut encore , a sept heures trente et une minutes , nous pas-
sons par dessus les decombres de deux nouvelles murailles qui
barrent le passage. Ici le chemin devient tres-pierreux , et il
s'incline par quelques lacets, fort raides encore , vers le nord-
nord-ouest.
A sept heures quarante et a sept heures quarante-cinq minu-
tes , je prends la direction de notre route , qui reste constam-
ment au nord-ouest. Nous sommes arrives alors a un plateau
convert partout de tas de pierrailles , et qui semble avoir £te
violemment remue par quelque commotion volcanique. A no-
tre droite , court parallelement a la ligne que nous suivons, un
ravin escarpe et tres-large, qui, de loin, parait fort prof ond.
Sur ce plateau, qui presente a peine par-ci par-Ik un brin
d'herbe, j'apercois, du haut de mon cheval, une sorte de fleur
assez semblable a une grosse paquerette dessechee ; elle est
bien ouverte , bien etale'e sur le sol , et parait vivante. En
mettant pied a terre et en y regardant de plus pres, je recon-
nais une plante de la famille des radices, mais qui a perdu ses
feuilles et ses pe"tales; en un mot une plante morte et par-
faitement morte, Dieu sait depuis quand; elle ne jouit plus
que d'une sorte de vie fantastique. J'en recueille un certain
nombre d'echantillons, que je place dans les fontes de mes
pistolets, celles-ci e"tant devenues depuis longtemps veuves de
toute espece d'arme a feu, et ne recevant jamais que des
cailloux et des plantes, dont elles sont bounces chaque jour.
Un mot encore sur cette plante etrange. Le soir, en vidant
mes fontes, je fus tres-e"tonne de trouver mes fleurs fer-
me"es, seches et dures comme du bois. Je reconnus alors une
petite fleur a longue racine pivotante, que je n'avais vue que
morte, mais que j'avais de"ja recueillie a la haite de dejeuner,
II. 6
82 VOYAGE EN SYRIE
avant de descendre £ Ayn-Djedy. Ce qui m'avait empeche de
deviner cette identite au premier coup d'ceil, c'est que 1'une avait
subi I' action de I'humidite, et que I'autre avait ete recueillie
parfaitement seche. II etait clair des lors que ce vegetal
ligneux et coriace ci 1'exces, jouissait d'une propriete hygrome-
trique tres-remarquable. A 1'instant meme j'en fis ['experience,
et je constatai que le Kaff-Maryam, ou rose de Jericho de«
pelerins (Anastatica hierichuntica) , si renomme pour sa vertu
hygrometrique, etait a mille lieues de ma trouvaille. Un Kaff-
Maryam mis dans 1'eau n'est completement ouvert qu'au
bout d'une heure et demie, et ma petite conquete s'epanouis-
sait a vue d'oeil, ce qui n'est iiullement une exageration; en
trois minutes au plus, elle etait parfaitement ouverte,
Je me rappelai alors la piece de blason nominee rose de
Jericho, et qui figure dans certains ecussons datant des croi-
sades; je fus immediatement convaincu que j'avais retrouve
la veritable rose de Jericho, perdue de vue depuis la chute du
royaume latin de Jerusalem, et remplacee, dans 1' affection des
personnes pieuses, par 1' Anastatica ou Kaff-Maryam, qu'une tra-
dition musulmane, admissible pour des Chretiens, signala a la
piete des premiers pelerins qui demanderent aux habitants
du pays, quelle etait la plante de la plaine de Jericho, qui ne
mourait jamais, et qui ressuscitait quand on la trempait dans
1'eau.
Quoi qu'il en soit, ce singuiier vegetal hygrometrique con-
stitue, }wur les botanistes, un genre tout nouveau, a en juger
par ce que nous en connaissons, c'est-a-dire par son sque-
lette. Mon ami, 1'abbe Michon, s'est charge de decrire eette
curieuse plante, et il m'a fait la galanterie de la baptiser du
nom de Saulcya hierichuntica. A coup sur, c'est beaucoup plus
d'honneur pour moi, que pour la plante. Je reviens a mon iti-
neraire.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 83
A sept heures cinquante-huit minutes, nous gagnons, par
quelques lacets, un plateau de rocailles qui semblent avoir ete
frites, et nous arrivons a une veritable petite plaine dans
laquelle nous entrons a huit heures deux minutes. Depuis que
nous avons atteint la crete qui limite le plateau, nous marchons
a peu pres invariablement au nord-ouest. A huit heures cinq
minutes, nous apercevons a dix metres a notre gauche, un
monceau de ruines, assez semblables aux decombres d'une tour
rondo. En ce point commence le plateau qui se nomme Ras-
ez-Zouera. Le large ravin signale tout a 1'heure s'est rappro-
che de notre route a droite. Entre sept heures cinquante-cinq
minutes et huit heures cinq minutes, il avait ete masque par
des mamelons et par deux assez fortes collines de rocailles,
dont les sommets sont places dans la direction est-sud-est.
A huit heures dix minutes , nous cheminons au nord-Ouest
sur une petite plaine domine'e, a trois cents metres a droite,
par des collines elevees, et a huit cents metres a gauche, par
une haute montagne calcaire, dont le pied est garni de mame-
lons de sable grisatre, accumule en roches compactes. Vers le
sommet de la montagne de gauche parait une grotte carree,
evidemment taillee de main d'homme. A huit heures quinzc
minutes, nous descendons par un leger ressaut dans une autre
petite plaine mamelonnee, sur la gauche de laquelle sont places
a environ six cents metres, des monticules fort eleves. La plaine
ne merite guere ce nom que sur une largeur de quatre
cents metres au plus. Ce lieu continue & s'appeler Ras-ez-
Zouera.
A huit heures trente minutes, nous ne sommes plus se"pares
que d'une cinquantaine de metres, du pied des collines de gau-
che. A huit heures trente-quatre minutes, nous sommes preci-
sement en face du sommet d'une haute colline de sable com-
pacte, et a huit heures trente-cinq minutes, nous traversons tin
84 VOYAGE EN SYRIE
ravin qui vient da sud-ouest. Au deli est une petite plaine qui
s'enfonce de six cents metres a notre gauche, pour se retrecir
a huit heures quarante minutes, de facon a n' avoir plus que
soixante metres de largeur a gauche, et cent metres a droite,
jusqu'au pied d'une haute colline qui vient masquer celle dont
j'ai signale le sommet. En deca du ravin franchi a huit heures
trente-cinq minutes, les bouffees de dejections volcaniques
avaient commence a reparaitre. A huit heures quarante minu-
tes, nous coupons un autre ravin, et nous entrons dans un
nouvel ouad assez retreci , qui porte le nom d'Ouad-et-
Thaemeh; nous cheminons alors directement & 1'ouest, quel-
ques degre"s nord. Jusqu'a huit heures quarante-sept minutes,
nous traversons une petite plaine large de quatre cents metres
au plus, dominee de partout par des collines de sable ; Touad
devient alors un veritable ravin fort etroit et encaisse, dans
lequel nous marchons au nord-nord-ouest. De belles coule'es
de lave s'y font remarquer. A deux mille metres a notre
gauche, se montre le sommet d'une haute montagne, etnous
debouchons bientot sur un petit plateau, dedeux cent cinquante
metres de diametre environ.
A huit heures cinquante-cinq minutes, notre route se redresse
et monte toujoursdans l'Ouad-et-Thaemeh, dans la direction du
nord-ouest. Nous avons a notre gauche une ligne de collines,
eloignees de nous de trente a quarante metres, tandis que les
collines de droite sont, en moyenne, a une centaine de metres
de notre route. Nous -arrivons b neuf heures, a un ravin que
nous traversons , et en deck duquel paraissent deux tombes
arabes, tombes qui ne sont, comme toujours, que deux mon-
ceaux de pierres e"videmment accumulees de main d'homme.
Le ravin que nous avons coupe" fait un coude sur notre gauche,
pendant qne nous marchons directement au nord, pour se rap-
procher tres-promptement de la route que nous suivons et qu'il
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 85
vient recouper coup sur coup en deux points. Le ravin est
alors fort etroit, et c'est pour ainsi dire au fond de son lit que
nous cheminons. A neuf heures huit minutes, il s'incline vers
le nord-ouest, et en ce point se montrent dans les roches, a tra-
vers lesquelles nous avancons, de belles et larges infiltrations
violettes, jaunes et vertes , dues vraisemblablement a la pre-
sence de sels de cuivre et de manganese, qui ont penetre les
masses calcaires.
A neuf heures douze minutes, notre route est exactement a
1'ouest, et les mamelons resserrent de plus en plus le ravin
que nous suivons constamment. Les roches a travers lesquelles
passe celui-ci, presentent de belles masses roses et jaunes,
dont la coloration est certainement due a la presence des sels
metalliques que j'aisignales toutal'heure. Enfin, a neuf heures
vingt-deux minutes, nous gravissons une petite montee assez
raide, entre deux roches violettes, a 1'apparence rotie , et qui
ne lui laissent guere que quelques metres de largeur. Ce point
etrange et sur lequel il n'est guere possible de meconnaitre une
action volcanique violente , se nomme Souq-et-Thaemeh ( le
marche d'et-Thaemeh).
Cette fois, le nom d'et-Thaemeh qui frappe nos oreilles
depuis plus d'une demi-heure, accole k celui d'un marche, me
cause un etonnement assez naturel. Je me hate done d'interro-
ger Abou-Daouk et Hamdan, qui me racontent tous les deux
qu'en ce point exista jadis le marche d'une ville detruite par
le feu du ciel et par la vengeance d'Allah. Cette ville s'ap-
pelait et-Thaemeh, et nous sommes sur I'emplacement du
marche qui s'y tenait. D'et-Thaemeh a Adamah, il n'y a pas
si loin que je ne sois bien tente de me croire sur le site de
Tune des villes de la Pentapole maudite. Y a-t-il sur les co-
teaux voisins des decombres de cette ville? Je 1'ignore, bien
que mes guides me disent oui. Quant & le verifier moi-meme,
86 VOYAGE EN SYRIE
enterre comme je le suis entre deux roches elevees, il ne m'est
pas possible de le faire. Ge que je dois dire, c'est qu'avant
et apres le Souq-et-Thaemeh , je n'ai absolument rien vu qui
put me permettre de soupconnerl' existence d'une ville antique,
en ces lieux si profondement tourmentes.
A neuf heures vingt-cinq minutes, l'Ouad-et-Thaeineh s'elar-
git subitement, et un ravin large et profond le longe a quatre-
vingts metres sur notre gauche. Nous marchons alors au
nord-ouest, entre deux rangees de collines. A neuf heures
vingt-neuf minutes, nous traversons le ravin que nous
avons apercu, quelques minutes avant, et a neuf heures
trente-deux minutes, nous avons , a cinquante metres a notre
gauche, une colline assez elevee, que domine une ruine tres-
apparente.
Depuis une demi-heure, le ciel etait devenu tres-sombre,
et de temps en temps des gouttes de pluie avaient rendu ma
besogne de topographe fort difficile. En ce moment la pluie
devient si forte et si glace'e, que malgre ma bonne volonte, je
me vois reduit a renoncer a continuer la carte du pays. Le ciel
est pris de tous les cotes ; il est evident que le mauvais temps
ne nous quittera guere de'la journee, et je suis au desespoir,
en pensant que le travail que j'ai poursuivi avec tant de perse-
verance jusqu'ici, ne m'est plus possible. J'ai beau me rai-
sonner, je n'ai pas le courage de prendre bravement mon parti
de ce cruel contre-temps , et je maugree a dire d' expert contre
la pluie qui m'a gele les doigts, au point de ne plus me per-
mettre de tenir mon crayon, ma boussole, et encore moins mon
calepin qu'elle aurait bientot detrempe", en m'enlevant tres-
certainement le fruit de mon travail anterieur.
Nous continuous a cheminer, dans une obscurite presque
complete, a travers un pays tourmente, et que bat incessam-
ment une pluie infernale. Bientot la grele se met de la partie,
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 87
et elle nous fouette si durement Ic visage, que nous ne savons
plus comment nous garantir de la sensation douloureuse que
nous fait souffrir le choc des grelons aigus qu'elle nous envoie.
Nos pauvres montures elles-memes refusent d'avancer sous
cette rude bourrasque, et elles fmissent par tourner le dos et
par se mettre, sans permission, en mesure de recevoir sur la
croupe, 1'affreuse grele qui leur frappait les naseaux. Pendant
quelques minutes, hommes et b£tes tendent piteusement le
dos, en souhaitant et en attendant que le ciel devienne .plus
clement.
Nos scheikhs, qui ne sont pas plus patients que nous, s'in-
quietent assez peu de ce que nous deviendrons, et ils cherchent
un refuge a eux connu, sans nous pr^venir de son existence;
si bien, que quand la grele cesse, pour laisser la place a la pluie
toute seule, nous n'avons plus de guides avec nous, si ce n'est
notre pauvre Ahouad, qui n'a pas voulu nous quitter. Sur ses
indications, nous nous remettons en marche aussi bon train
que nous le pouvons, a travers des plateaux fortement detrem-
pes, et nous arrivons, au bout d'un quart d'heure, dans le fond
d'un ravin peu escarpe, et sur lequel d^bouche une grotte spa-
cieuse ou se sont refugie\s tous nos hommes. Le temps semble
un peu s'eclaircir, et, degoute que je suis par Torage de tout
£ 1'heure et par 1'interruption forced de mon leve du pays, j'ac-
cueille fort mal la proposition que me fait Abou-Daouk de
nVarreter dans cette grotte, et d'y passer le reste de la journe"e
et la nuit.
Qu'y gagnerions-nous? Probablement le meme temps pour
demain. D'ailleurs, il n'y a la ni eau, ni bois. Comment done
nous etablir et passer vingt-quatre heures dans cette affreuse
grotte ? Malgre la bonne volont6 de tout notre monde qui de"sire-
rait fort s'arreter laet se secher de son mieux, je donne Tordrc
de continuer la marche. J'ai encore 1'espoir ridicule que nous
88 VOYAGE EN SYR1E
pourrons arriver £ Hebron dans la soiree, bien que tous
nos Arabes affirment unanimement que la chose est impra-
ticable. Je reste inflexible, et je donne de nouveau le signal du
depart. Toutefois, comme la pluie recue avec 1'estomac creux,
n'a rien d'attrayant, je retiens Matteo et Ahouad avec nous, et
nous dejeunons au fond du ravin, un peu au sud de la caverne.
J'apprends alors que ce payss'appelle Belad-er-R'mai'l. Des
barrages antiques de grosses pierres coupent partout le ravin,
et des ruines tres-apparentes se montrent autour de nous.
Nous sommes done certainement sur 1'emplacement d'une
ville contemporaine des temps bibliques. Quelle dut etre cette
ville ? Je 1'ignore , et le nom moderne er-R'mail de la localite
n'eveille, a mon tres-grand regret, aucun souvenir qui me per-
mette de recourir a un texte tire des Ecritures.
Je hasarderai cependant une hypothese. Nous trouvonsdans
Eusebe (ad vocem Apa^a) la phrase suivante : Kiipi aico Terap-
TOU <77){/.eiou MaXaaOl, T?,; $t XeSpGv CCTTO ewtoci, Arama est un
bourg situe au quatrieme milliaire a partir de Malatha J, et
au vingtieme a partir d1 Hebron. Si nous rapprochons ce pas-
sage de celui du meme livre, ou il est dit que Thamara
est un bourg eloigne de Malatha d'une journee de marche,
pour ceux qui vont d'Hebron a Ai'lah , nous serons presque
tentes de chercher 1'Arama d'Eusebe dans Ter-R'niai'l ou
nous nous sommes arretes pour dejeuner, au milieu des ruines
considerables d'une ville qui dut etre importante. Mais, je
le repete, je ne me permets de proposer cette identifica-
tion, qu'avec la plus entiere reserve.
Pendant notre dejeuner, qui nous a pris £ peu pres un quart
d'heure, les nuages se sont divise"s, et un soleil pale nous a
lance quelques froids rayons, pour nous encourager a reprendre
1. Malatha n'est certainement pas autre chose que la cite nominee Moiiladah
dans Josue, xv, 26, six, 2, etdaus les Chroniques, I. iv, 28.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 89
bravement notre route. Tous nos ba gages sont en avant et
notre escorte avec eux. Ainsi que je 1'ai deja dit, Ahouad seul
n'a pas voulu nous quitter. Nous nous remettons done en mar-
che, et sortant, h travers les mines a fleur de terre, du vallon
d'er-R'ma'il, nous montons sur un vaste plateau assez nu, mais
qui semble neanmoins offrir un sol propre a la culture. De
loin nous apercevons Abou-Daouk qui , inquiet de nous voir
faire, en ce pays tres-peu sur, une halte trop prolongee, s'est
arrete pour nous attendre et nous servir de sauvegarde. II est
de fait que nous touchons alors au pays soumis a sa toute
puissante domination, et qu'en compagnie de lui seul, nous
pouvons defier tout ce qu'il y a de Bedouins a dix lieues a la
ronde. Toutefois, le scheikh sait a merveille que si nous nous
amusions a flaner sous la protection de notre bonne mine , les
plus vertueux de ses administres ne resisteraient pas a la ten-
tation de nous detrousser le plus qu'ils pourraient. Notre ami
nous attend done, et, quand nous sommes arrives pres de lui,
il nous engage a marcher bon train , vu que la journee n'est
pas fmie, et que nous avons encore pour bien des heures de
voyage, avant d'arriver a un point ou nous puissions camper,
avec de 1'eau a boire et du bois a bruler.
J'ai la candeur de lui reparler de mon desir de coucher le
soir meme a Hebron, et maitre Abou-Daouk me rit au nez, sans
juger n^cessaire de depenser une phrase pour me dire qu'il ne
serait guere plus difficile d'aller coucher a Jerusalem. Ahouad
est plus galant et plus explicite : — Tu crois aller a Hebron au-
jourd'hui, me dit-il, et je t' engage a y renoncer; si tu veux
marcher sans t'arreter une seule minute, tu pourras peut-etre
bien y arriver demain matin ; mais je t'assure qu'il ne faudra
pas que tu perdes ton temps a ramasser des plantes et des sara-
sir (c'est le pluriel arabe du mot sarsour, par lequel les Be-
douins designent tous les scarabees possibles). A r audition
90 VOYAGE EN SYRIE
de cet avertissement, je commence a croire que je ferai bien de
renoncer a I'esp&rance de prendre gite, pour cette nuit, ailleurs
que sous une tente bien froide et bien mouillee.
La plaine que nous traversons est parsemee de delicieux
bouquets de fleurs d'un blanc rose, de la famille des liliacees,
et qui font plaisir a voir. Cette fleur a la taille et la forme de
celle de la colchique d'automne, si commune a la fin de
septembre, dans les prairies de notre pays.
Comme la pluie m'a force d'abandonner, vers dix heures,
mon lever du terrain, et que je n'ai rien pu noter sur une
etendue de plus de deux lieues , je cede a la paresse qui me
souffle a 1'oreille que je ne pourrais plus relier les localites que
je reconnaltrais maintenant, a 1'immense canevas que j'ai re-
cueilli, sans interruption, depuis Beit-Lehm jusqu'au Souq-et-
Thaemeh. Que ce soit paresse, fatigue ou impossibility plutot
prevue que re"alisee, je renonce a faire de la carte. Je ne pense
plus qu'a trouver au plus vite un gite ou je puisse me secher,
me rechaufTer et me reposer. Ghaque fois cependant que des
traces de villes ruinees se presentent a moi , je me sens pris
d'un veritable remords, et je m'enquiers avec soin du nom de
ces ruines, ainsiquedel'heure a laquelle elles sont en vue. De la
sorte, j'espere pouvoir fournir a d'autres, plus favorises que moi
par le temps, les indications necessaires pour relever a loisir la
position de ces localites. G'est ainsi qu'a onze heures vingt-sept
minutes, j'ai apercu a gauche, a environ un kilometre de la
route que nous suivons, et sur le sommet d'une colline, une
ruine en apparence assez importante et qui porte le nom de
Qasr-el-Adadah. II serait difficile de meconnaitre ici une loca-
lite biblique, Adadah ( mjny ) , que nous trouvons mentionnee
dans Josue (xv, 22) parmi les villes qui formaient 1' extreme
frontiere meridionale de la tribu de Juda. On voit que le nom
de cette ville antique s'est conserve sans la moindre alteration,
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 91
et que la situation de la moderne Adadah convient parfaitement
a la position de 1'Adadah biblique. Autant que je puis aujour-
d'hui m'en souvenir, Qasr-el-Adadah se trouve a une assez
faible distance d'er-R'mai'l; mais je suis certain que nous
avons apercu cette ruine , avant d'arriver devant la vaste
grotte d'er-R'mall.
En parcourant dans toute son etendue la plaine que j'ai
signalee plus haut, et oil nous attendait Abou-Daouk, nous
avons rencontre les emplacements de deux locality's antiques.
La premiere, vue a une heure quinze minutes, se nomme
Kharbet-Esded ; et la deuxieme , traversee a deux heures dix
minutes, est connue des Bedouins sous le nom de Rharbet-
Hezebeh. J'ignore completement s'il est possible d'identifier
ces noms modernes avec ceux de villes antiques , connues
par des mentions tirees des ecrits sacres ou profanes. Le
livre de Josu6 (xix, 3) mentionne, parmi les villes assignees a
la tribu de Simeon et prises dans le territoire meridional de la
tribu de Juda, une ville de Etsem (Q^y). Serait-ce par hasard
notre Hezebeh? Je laisse a de plus hardis a affirmer que
cette identification est raisonnable , et je me borne a la men-
tionner en passant.
Nous cheminons pendant plusieurs heures dans la vaste
plaine designee tout a 1'heure. Elle est close a 1'horizon , c'est-
a-dire vers 1'ouest, par un rideau de montagnes, ou plutot de
collines, qui ne paraissent pas tres-elevees et sur lesquelles on
distingue des arbres ou tout au moins de forts arbrisseaux, for-
mant des taillis ayant tout a fait 1'apparence de bois de basse
futaie. II est quatre heures un quart, quand nous arrivons au
pied de cette ligne de collines. Nous avons laisse sur notre
gauche, a une distance d'environ deux ou trois kilometres et
sans la pouvoir visiter, une locality ruinee assez importante et
que les Arabes nomment el-Qeritein; probablement sous ce
92 VOYAGE EN SYRIE
nom se trouve cachee une antique denomination de Kiriathai'm
(OTpip). Mais la seule Kiriathai'm mentionnee dans les Saintes
Ecritures, est une ville devenue partie integrante de la Moabi-
tide et qui, par consequent, ne peut en aucune facon etre
recherchee a el-Qeritein. Nous avons dans les villes du par-
tage de la tribu de Juda une ville de Keriouth-Hesroun ; mais
il y aurait, malgre la concordance apparente de situation, plus
que de 1'imprudence a proposer 1'identification de ces deux
lieux ancien et moderne. Quoi qu'il en soit, a en juger par le
rapport de nos Arabes, les ruines situees a el-Qeritein sont tres-
considerables et denotent en ce point la preexistence d'une
ville importante.
Laissant done el-Qeritein a notre gauche , nous gagnons le
fond d'une petite vallee fort douce, arrosee par un ruisseau qui
semble avoir une existence permanente , et non due acciden-
tellement aux pluies de 1'hiver, puisque son lit, assez creux
d'ailleurs, estplante de jolis petits arbres. Ce ruisseau contourne
un vaste mamelon rocailleux, dans les flancs duquel sont percees
plusieurs grottes, et qui presente sur toute sa superficie des
traces non equivoques d'habitations antiques; c'est Djenbeh.
Des avenues de pierres fichees, assez semblables a celles que
nous avons rencontrees dans la Moabitide, donnent acces sur ce
plateau, et descendent des collines environnantes, sur lesquelles
on apercoit aussi de nombreuses traces d' edifices d'origine
tres-primitive , vu la grossierete de leur construction. Tout au
sommet du monticule de Djenbeh, se trouve une sorte d'en-
ceinte, formee par une veritable muraille de roches, d'un ou
deux metres au plus de hauteur. Quelques-unes de ces roches,
detachees de la masse , sont pour ainsi dire disposees comme
des dolmens celtiques, et ce n'est pas sans un certain etonne-
ment, que je constate ce fait curieux. Tout le sol, d'ailleurs, est
jonche de debris de poterie rouge cannelee , poterie a laquelle
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 93
je suis convaincu qu'il faut attribuer une antiquite fort reculee.
Les grottes de Djenbeh servent aujourd'hui d' Stables aux tribus
nomades qui viennent visiter ce terrain , et nous y trouvons ,
a notre tres-grande satisfaction , deux ou trois Bedouins etablis
avec un troupeau de moutons. Voila une veritable bonne for-
tune dont nous allons nous hater de profiter.
Le temps est affreusement froid et humide; il s'agit de nous
rechaufier , et , pendant que les tentes se dressent et que nos
scheikhs s'installent, eux et leurs chevaux , dans une grotte
placee a quelques metres a gauche de notre campement, je
songe au moyen le plus sur d' avoir promptement la provision
de bois necessaire pour notre cuisine et pour les feux de
bivouac. Je fais venir Djahalin et Thaamera , et je promets
vingt piastres pour un tas de bois convenable. Maintenant
que j'ai parle" tant de fois de 1'amour des Bedouins pour les
piastres , il est inutile , je crois , que j'insiste beaucoup , pour
faire comprendre 1' entrain, je veux dire 1'enthousiasme, avec
lequel ma proposition est accueillie. Toute la bande part
comme une volee de perdreaux , les coups de yatagan reten-
tissent de tous les cote's , et , en moins de dix minutes , nous
avons deux fois plus de bois qu'il ne nous en faut pour la nuit.
II est vrai que c'est du bois vert qui fume beaucoup mieux
qu'il ne brule ; mais enfin il suffit pour rotir nos moutons et
pour nous rechauffer un peu , et en campagne , il ne faut pas
etre difficile.
Notre soiree s'est passee un peu moins gaiement que d'ha-
bitude ; nous e"tions harasses , transis et de mechante humeur
contre un temps et une atmosphere si differents de ceux que
nous venions de savourer, pendant une vingtaine de jours, dans
le chatid bassin de la mer Morte. Nous n' avons done d'autre
pense"e que celle de nous reposer au plus vite. Aussi , apr£s le
diner, le cafe" et le tchibouk , tous mes compagnons ont gagne*
94 VOYAGE EN SYRIE
leurs couchettes. Je me suis hate" de mettre a 1'encre le peu
de carte que j'ai pu lever dans la matine'e, et j'ai imite de
grand coeur le bon exemple qui m'etait donne. Je me suis
couche moitie en maugreant , moitie en me felicitant d' avoir
mene mon entreprise a bonne fin.
Je ne dois pas ne'gliger de raconter ici la derniere tri-
bulation bedouine que nous avons enduree , apres avoir
franchi le passage du Souk-et-Thaemeh. Avant 1'orage qui
nous a si vertement fouette la figure, la pluie n'avait paru
que par intervalles et sans autre facheux effet que celui de
m'empecher d'exposer mon carnet de route a une destruction
complete , si je voulais continuer a y tracer notre itineraire.
Nous parcourions alors une region calcaire fort montueuse.
Depuis notre depart d'en-Nedjd, Abou-Daouk et Hamdan
n'avaient cesse" de nous presser de gagner du terrain , et de
recommander expresse"ment a tout notre monde, de marcher en
masse et sans ceder, pour quelque cause que ce fut, a la fan-
taisie de rester en arriere. A un certain moment , nous vimes
sur le sommet d'un mamelon, au pied duquel nous allions
arriver, un Bedouin accroupi, la tete dans les deux mains et les
coudes sur les genoux. Le drole ne fit pas un seul mouvement,
et nous passames a cot6 de lui, sans qu'il eut meme 1'air de
nous apercevoir.
Une fois que nous fumes entr£s dans le veritable coupe-
gorge qui se trouvait au dela du monticule ou notre homme
etait certainement en vedette , il disparut , et quelques minutes
plus tard, nous vimes une trentaine de figures patibulaires
sortir, en meme temps, de tous les ravins d'alentour et se
diriger vers nous, 1'escopette au poing. Abou-Daouk alors
s'elanca au-devant de ces messieurs et leur tint le langage sui-
vant, que je reproduis sans y changer une syllabe : — Ya
nas, fih lehm takalouhou, ouelakin fih lehm ma takalouhouch
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. »5
abadan. — « O hommes ! il y a de la viande pour vos dents ,
mais il y a aussi de la viande qui ne sera jamais pour vos
dents ». — Gette courte allocution, ou plus vraisemblable-
mcnt la voix redoutee de I'illustre Abou-Daouk , produisit un
effet magique. Nos aspirants detrousseurs jugerent prudent de
s'abstenir; ils comblerent le scheikh des Djahalin de marques
de respect, et ils s'e"lancerent, sans le moindre signe d'hesita-
tion, sur un immense plan incline" qui conduisait au fond d'une
horrible valle'e, ou se voyaient quelques tentes, comme des
points noirs sur une plaque de craie. C'etait un coup manque" ;
car il n'y avaitpas a plaisanter avec le haut et puissant seigneur
qui avait fait a nos bandits 1'honneur de leur adresser la parole.
Ces messieurs, du reste, ne s'e"loignerent pas, sans emporter
un leger souvenir de notre passage. Un de nos moukres s'e"tant
arrete quelques instants , pour une cause ou pour une autre ,
fut accoste par quelques-uns de ces bons amis qui g'empres-
serent de partager avcc lui tout ce qu'il avait sur le dos.
Touchante fraternite du desert, dont les effets parurent de fort
mauvais gout au pauvre moukre, qui rejoignit la caravane
avec autant de honte que de mauvaise humeur.
Lcs Arabes qui avaient nourri quelques instants 1'espoir de
nous faire un mauvais parti, appartenaient a une tribu qui
porte le nom d'Adoullam, nom antique que nous trouvons
mcntionne dans la Bible, exactement sous la meme forme
(D^iy). Adoullam etait une ville de la tribu de Juda l situe"e
dans la plaine. Que les Arabes que nous avons rencontres, aient
tire leur nom de la cite biblique, cela ne saurait faire pourmoi
I' ombre d'un doute; mais au point ou ils se sont presented a
nous, nous etions au milieu de la region montueusedu tem-
toirede Juda, et, certainement , 1' Adoullam biblique ne pou-
.;,,i!/.n,.*DU .jflA .
TV,
96 VOYAGE EN SYRIE
vait etre situee en cet endroit. N'oublions pas, cTailleurs, que
nous avions affaire a des Arabes nomades qui promenent leur
noin dans des paysassezetendus. Eusebenousapprendqu'Adoul-
lam e"tait une grande bourgade, placee a dix milles d'Eleu-
theropolis, vers 1'orient. Josephe parle deux fois d'Adoullam.
La premiere1', a propos de ce que David, s'echappant de
Djitta, vint se re"fugier dans la caverne placee pres de la ville
d'Adoullam, qui etait de la tribu de Juda (wpo? A.$oiA^ap
•rco'Xei). La seconde2, a propos des villes fortes qui furent con-
struites les premieres par Roboam , fils de Salomon , dans le
territoire de la tribu de Juda ; le nom d'Adoullam est e"crit dans
ce passage 6£otoa[/..
Nous avons vu qu'Eusebe place cette localite" a dix milles
d'Eleutheropolis vers 1'orient: Saint Jerome ecrit a douze milles.
Reland fait observer avec toute raison que la ville mentionnee
par Josue , parmi celles de la tribu de Juda qui sont situees dans
la plaine, ne pourrait que tres-difficilement etre confondue avec
la ville qu'Eusebe place a 1'orient et a dix milles d'Eleuthero-
polis, parce que ce point si nettement precise se trouve neces-
sairement dans les montagnes et non dans la plaine de Juda.
Y a-t-il eu deux localites distinctes du nom d'Adoullam ? Cela
parait vraisemblable. II serait fort curieux en ce cas que 1'une
des deux eut existe vers le lieu ou nous avons rencontre" les
Arabes de la tribu des Adoullam, et que la vaste grotte d'Er-
R'mai'l fut la grotte ou David s' etait refugie , et de laquelle il
se rendit aupres du roi de Moab , afm de lui demander asile
pour sa famille. Malheureusement, ce sont la de ces hypotheses
dont il est impossible de demontrer la justesse , et qui sont
peut-etre a cent lieues de la ve"rite" 3.
1. Ant. Jud., vi, xii, 3.
2. Ant. Jud., vui, x, 1.
3. La belle carte de Zimmermann porte au point meme ou nous avons rencontre
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 97
24 JANVIER.
Ce matin a notre lever, le ciel n'est que menacant. Les
images sont divises, et un soleil pale et froid, comme le soleil
de la fin d'octobre en France, vient de temps en temps egayer
la nature, le moins mal qu'il peut. Esperons done que la journee
sera passable et que nous pourrons arriver de bonne heure a
Hebron, sans avoir eu a trop souffrir de la pluie. Je le desire
d'autant plus vivement, que deja je me suis amerement repro-
che ma paresse a demi excusable de la veille. Je suis decide"
a reprendre mon etude topographique du pays a parcourir,
et s'il plait a Dieu, cette fois, je pourrai continuer mon travail
que je relierai, comme je pourrai, au reste de la carte, en rat-
tachant a Jerusalem tout le terrain qui nous separe encore de
cette ville.
Nous sommes arrives au beau milieu du pays des Djahalin ,
nous n'avons done plus besoin de 1'escorte de ceux-ci , qui ,
apres les fatigues qu'ils ont endurees pendant tant de journees,
n'ont plus qu'une seule pensee, celle de regagner leurs tentes
au plus vite. Us nous demandent done a prendre conge de nous,
ce matin me'me. Quant a leur scheikh, bien qu'il n'ait, je ne
sais trop pourquoi, qu'un desir assez mediocre de nous con-
duire jusqu'a Jerusalem, il se decide a nous y accompagner,
autant, j'ai la fatuite de le croire, par amitie pour moi, que
parce qu'il sait que notre bourse est parfaitement a sec et que
nous ne pouvons lui donner le bakhchich auquel il a droit, que
lorsque nous aurons fait une visite a notre banquier.
les Adoullam, le nom de Dhullam. Sans aucun doute ce sont les monies Arabes
dont nous aA'ons eu le plaisir de voir, en passant, beaucoup trop d'echantillons. Mais
quelle est la veritable orthographe de leur nom? Jusqu'a plus ample informe", je me
permettrai de tenir a celle que j'ai deduite de mes conversations sur place, avec les
Djahalin, dont le territoire touche a celui des Adoullam.
ii. 7
98 VOYAGE EN SYRIE
II s'agit done de servir la solde si legitimement gagnee par
nos Djahalin, et nous nous en occupons avant de lever le camp.
Chacun recoit ce qui lui revient de piastres , plus un kafieh
neuf, quelques balles et de la poudre. Notre munificence
exalte la reconnaissance de ces braves gens qui , apres nous
avoir bien baise la main a tous , nous quittent en hate , por-
tant sur leurs visages expressifs, la trace d'un regret de nous
quitter, presque aussi vif que le plaisir de regagner leurs
foyers.
Avant de les cong&lier, j'ai parcouru le plateau de Djenbch
et j'ai pris, le plus rapidement possible, un plan cavalier dc
cette interessante localite1. Enfin tout est pret; les tentcs sont
repliees, tous nos bagages charges sur le dos de nos chevaux
et de nos mulets. Noils avons pris notre frugal refjas du matin,
et a huit heures treize minutes , nous nous sommes mis en
marche, esperant bien arriver en tres-peu d'heures a Hebron.
Ainsi que je me le suis promis , j'ai repris au depart ma
besogne topographiqne de tons les jours. Le temps est froicl
et maussade, mais au moins il n'est point pluvieux, et je
puis continuer mon travail j au depart de notre campemcnt
de Djeribeh. Nous montons directement au riord, en longeant
le pied de la colline sur laquelle etait la ville de Djenbeh *. En
gagnant la pointe nord de cette colline ^ nous apercevons sur
les flancs droit et gauche du petit ravin que nous suivons, et an
fond duquel coule un ruisseati d'eau vive, des ruines et des
grottes 6videmment taillees de maiti d'homitie. Devant nous se
presente alors une gorge assez large, difigde au nord, moritant
1. Voyez pi. xiv.
2. Le livre de Josue inentionae (iv, 83) une tocalite de Juda situee sur la mon-
tagne, et nomme Janoum ( ^^ ). G'eSt le setl nom qui ait quelque analogic, mais,
je 1'avoue, bien eloignee, avec le DOin moderne Djenbeh, que porte une ruine tres-
certainement contemporaine des temps btbliques.
ET AUTOUR Dfe LA MER MORTE. 99
rapidement et dans laquelle nous nous engagdOns. (Test de
cette gorge que descend le ruisseau qui contourne la base du
Djenbeh , et nous la trouvons barree par six ou sept murs anti-
ques , de construction tres-grossiere. Sur le flanc gauche de
cette gorge , assez difficile & gravir, paraissent qtielqiies ruines
clair-semees. Vefs la crete, une loilgue muraille antique longe
notre rdute, sur le flanc de la colline de droite.
Arrives au sommet de la montee, £ huit heiires trente-trois
minutes , nous nous engageons sur une espece de col domine
ft gauche par une colline peu elevee , et qui n'a, sur notre
droite, qu'Une largeur de soixante- quince metres d'abord,
puis qui se retre"cit tres-promptenlent, jusqu'a n'avoir plus que
vingt-cinq metres. A partir de la commence un escarpement
presque a pic , qui plonge sur une vallee fort profonde , nom-
rtlee Ouad-el-Merked , et au fond de laqfuelle nous voyons des
champs bien cultive's. Dans cette vallee soht des ruines nom-
inees Kharbet-el-Merked , situees au pied m6me de 1'escarpe-
ment, et que nous ne pouvons par consequent apefeevoir.
Ces ruines sont situe"es presque exactefnent a Test de Djenbeh.
Je he trouve dans 1'ficriture sainte qtftine seule localite
dont le nom presente quelque ressemblance avec celui d'el-
Merked ; c'est Malckeda , ville de la tribu de Juda , meii-
tionnee z parmi les villes de la plaine. Cette ville fut prise
par Josue (x, 28), qui fit passer tous ses habitants du fil de
Tepee. Eusebe, au mot ]teaxr,^a, et salfit JerOme nous appren-
nent que cette ville etait a huit milles ft 1'est d'Eleiithdropdlis^
([ui doit etre bien voisine de la modernc Beit-Djibrin^ si ce n"est
Beit-Djibrin elle-m^me. Josephe , en racontant 1' exploit do Jo-
sue, nomme cette meme ville Maxjoi£« 3. Je suis assez dispose &
1. Josue, xv, 41.
2. Ant. Jnd.,r, i, 17.
100 VOYAGE EN SYRIE
croire que notre el-Merked pourrait bien etre la Makkeda,
mpc, biblique.
A huit heures trente-cinq minutes, nous nous engageons
dans un ravin dirige au nord, et dont nous abandonnons
bientot le fond, pour cheminer sur le flanc de la colline de
gauche. A huit heures quarante minutes, nous marchons au
nord-ouest, a trente-cinq metres environ dufond du ravin, eta
deux cents metres settlement, a vol d'oiseau, du sommet de la
colline qui domine la droite de ce ravin. A huit heures cinquante
et une minutes, notre route s'incline au nord -nord-ouest, pour
passer immediatement a 1'ouest, sur un plateau de trois cents
metres de largeur, enferme entre deux lignes de collines assez
£ levees. A neuf heures precises , nous marchons au nord-ouest
et nous sommes en face de mines enormes qui garnissent
toute la pointe ouest de la colline de gauche , que nous lon-
geons depuis dix minutes. Ce sont de longues files de murailles
primitives, se recoupant a angle droit, ayant une longueur
de plus de cinq cents metres, et sur Tune desquelles est
appuyee une vaste enceinte quadrangulaire. Au dela est une
petite plaine de cinq cents metres de profondeur, garnie de
ruines, et a laquelle aboutissent de belles et larges allees de
pierres fichees, tout a fait semblables aux routes royales de la
terre de Moab.
Ces ruines, qu'il serait tres-important d'examiner avec soin
et £ loisir, portent le nom de Kharbet-Omm-el-Arays (ruines de
la mere de la fiancee). A neuf heures douze minutes, ces ruines
enormes n'ont pas encore cessede se montrer, etnous cotoyons
une double alle"e de pierres, qui est bien conservee sur une
etendue de trente metres environ. Puis une allee simple s'in-
clinant au nord-ouest, a travers un petit vallon d'une trentaine
de metres de largeur, va aboutir a une enceinte circulaire, con-
struite en tres-grosses pierrea, et qui couronne le sommet d'un
ET AUTOUR DE LA MER MOKTE. 101
grand mamelon, que nous laissons a notre gauche. A neuf
heures vingt et une minutes , nous marchons a peu pres exac-
tement au nord. Depuis quelques temps, les larges gouttes
d'une pluie glacee sont venues nous assaillir, et bientot des
nuages, chassis avec violence par le vent d'ouest, se sont
amonceles sur notre tete ; ils crevent tout d'un coup , et nous
sommes noyes dans une de ces pluies de Syrie , dont on ne
peut se faire une juste idee, qu'a la condition de les avoir
endure'es. Cette fois encore, il me faut, bon gre, mal gre ,
renoncer a lever le terrain; je rennets, en soupirant, mon
carnet et ma boussole dans ma poche, et je me re"signe,
non sans un gros creve-cceur, a faire ce que j'ai fait hier,
c'est-a-dire a m'efforcer de graver dans ma memoire les noms
des localites importantes que je rencontrerai chemin faisant ,
et, si faire se peut , les heures precises auxquelles je les aurai
rencontrees.
Au bout de quelques minutes, je suis parfaitement absous,
a mes propres yeux, de ma paresse force* e de ce jour. La pluie
est devenue tellement drue, tellement glaciale, que la recevoir
est un veritable supplice. Nous avons beau nous abriter dans
nos caoutchouc , eri tres-peu d' instants nous sommes transis ,
transperces, mouilles jusqu'aux os, et c'est a grand'peine que
nous pouvons continuer a tenir les renes de nos chevaux, tant
le froid nous a rapidement enleve 1'usage des mains et des
pieds. Je renonce a peindre 1'exasperation ridicule avec la-
quelle je me suis niaisement insurge", pendant quelques heures,
centre 1'inclemence du ciel ; j'ai eu beau jurer, tempeter, je
n'en ai pas recu une goutte d'eau de moins , et je n'ai pas
cesse" de grelotter une seconde plus t6t. Au reste, je dois decla-
rer, pour m'excuser, que le moindre de mes guignons dans
cette cruelle journee fut le froid, et que ce qui me mit le plus au
de"sespoir, ce fut 1'impossibilite de prendre une seule note , au
102 VOYAGE EN SYRIE
milieu d'un pays couvert de localites bibliques, que je ne fai-
sais qu'apercevoir en passant. Je formai des lors le projet de
revenir sur ce terrain et d'entreprendre, aussitot que le temps
me le permettrait , une exploration de tout le pays de Canaan.
Ce dessein une fois arrete , je n'eus plus de regrets aussi vifs,
et ce fut alors seulement que je maugreai pour tout de bon
contre la pluie et centre la froidure, pour elles-meme.
Quoique decide a revenir, je ne negligeais pas de demander
le nom de toutes les ruines que je rencontrais sur ma route ,
et c'est ainsi que je recueillis les notes suivantes, dont je sens
tout le prix, aujourd'hui que j'ai du renoncer au vif plaisir de
voir en detail et a 1'aise cette contree si inteiessante. J'ai dit
tout a 1'heure que j'avais ete contraint d'abandonnner le trace
de ma carte, des neuf heures vingt et une minutes. A neuf
heures quarante-huit minutes, nous avons laisse, a cent metres
environ sur notre droite, une colline couverte de ruines :
c'est le Djebel et le Kharbet-Mayn. Nous trouvons dans Josue
(xv, 55), parmi les villes de la region montueuse de Juda :
Maoun, Kermel, Ziph etlouta. — LalVIaoun (SiV£) citee dans
ce verset, n'est certainement pas autre chose que le Kharbet-
Mayn, en face duquel nous venons de passer. De la teneur de
ce premier verset il resulte tres-certainement que Maoun etait
voisine de Rermel et de Ziph, et nous allons voir tout a 1'heure,
que cela est parfaitement exact. Nous lisons dans le livre
de Samuel (xxin, 24 et 25) : — 11s se leverent et allerent a
Ziph devant Saiil ; David avec ses gens etait dans le desert de
Maoun, dans une plaine a droite de Yesimoun. — • 25 Saiil alia
avec ses gens a Ja recherche; on 1'apnonca a David qui des-
cendit vers le rocher et resta dans le desert de Maoun. Saiil
1'ayant appris, poursuivit David dans le desert de Maoun. —
Plus loin encore nous lisons (xxv, 2) : — II y avait un homme
a Maoun dont les biens etaient a Kermel ; cet homme etait fort
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 103
puissant; il avail trois mjlle tjrebiset milie chevres; il etait pour
|a tonte de ses brebis, a Kermel. — L' ensemble de ces versets
demontre encore que Maoun et Kermel etaient voisines , et que
de plus }e pays dans lequel etait situeMa'oun, etait une solitude.
Certes ce pays n'a pas gagne depuis : c'est un veritable desert
dont 1'aspect doit etre des plus tristes par le beau temps; qu'on
juge par la, c|e pe qu'il m'a paru par une pluie battanle et gla-
ciale. Encore un mot a propos de Maoun ; $usebe dit que cette
yjlle etait situee dans la partie orientale de la Daroma '.
A dixheures, nous nous trouvons en face 4'un tertre couvert
de ruines et situe in une centaine de metres k droite de la route
que nous ^ivons. Ges ruines se norqment Kharbet-Omm-el-
Aamid (ruines de la mere des cplonnes) . II est bien pjair que
cettc denomination t^oute moderne ne pent nous seryir en rjen,
pour determiner le nom primitif de cette localite.
A dix heures cinquante minutes, nous longeons d'autres ruines
considerables et dont je ne puis obtenir le nom, des Arafyes
quj se trouvent avec moi. Enfin , a onze heures precises nous
entrons an milieu des ruines de Kermel. Une constructiqn
carrpe du nioyen age, domine, de tpute sa hauteur qpi est
enorme, le vaste emplacement de la ville de Kermel. Au
pied de cette espece de citadelle, qui date vraisemblablement
de Tepoque des croisades, gisent de beaux trongons de cojonnes
et un chapiteau qui a servi & couronner le montant d'une porte.
line magnifique citerne est creusee dans le roc, a un niveau un
peu inferieur a celui du plateau sur lequel est assis le chateau.
Jusqu'a perte de vue paraissent des rues garnies, sur jeurs
deux cot^s, de ruines contigues d'habitations, d'une antiquite
assez reculee. Une visite detaillee de cette localite ne pourrait
manquer d'offrir des resultats de la plus grande importance.
1 . On se rappelle que c'est ainsi que se nommait la partie meridionale du terri-
toirc de Juda.
104 VOYAGE EN SYRIE
Ce que fen ai vu, je n'aipu malheureusement le voir qu'en me
refugiant derriere le chateau , afm de m'abriter pendant quel-
ques instants, centre la pluie qui nous fouettait sans pitie depuis
pres de deux heures, et encore me suis-je bien garde de mettre
pied a terre, car j'eusse ete dans 1'impossibilite physique de
remonter a cheval.
Kermel, ainsi que nous 1'avons dit un peu plus haut, est
citee parmi les villes de la tribu de Juda z et a cote de Maoun.
Effectivement les ruines de Mayn et de Kermel ne sont separees
1'une de 1'autre, que d'un peu plus d'une heure de marche,
c'est-a-dire que d' environ une lieue et demie , ou deux lieues
an plus. Cette ville exista avec une importance reelle jusqu'a
la domination romaine, et meme assez tard, puisque nous
lisons dans la notice des dignites de 1'empire : Equites scu-
tarii Illyriciani Chermulce. Les cavaliers scutaires d'lllyrie
tenaient done garnison a Chermula, qui n'est certainement
que notre Kermel; aussi Eusebe, dans son Onomasticon, aumot
Kapp,>.o?, nous apprend-il qu'il y avait une garnison romaine
en ce lieu.
A la sortie de Kermel, nous retrouvons d'enormes allees de
pierres, semblables en tout a celles de la Moabitide , sauf que
les blocs employes ne sont pas de lave. Ces allees se montrent
de tous les cotes , coupant le terrain a droite et a gauche du
chemin que nous suivons et qui cette fois est bien trace, lon-
geant le flanc des coteaux et s'enfoncant dans des vallons garnis
de petits chenes verts. Partout se voient des ruines d'une anti-
quite tres-reculee. Une heure apres avoir quitte Kermel , par
exemple, nous traversons les decombres d'une veritable ville ;
mais nous n'avons ni le temps ni le courage de les examiner.
Une seule chose attire notre attention en passant : c'est un puits
1. Josue, xv, 55.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 105
entaille dans le roc, avec margelle et auge pris dans la masse.
II est evident que ce puits est de la plus haute antiquite" ; mais
il m'est impossible d' avoir le nom de cette ruine. Chacun marche
pour son compte, empaquete, aussi 6troitement que possible,
dans tout ce qui peut le garantir quelque peu de la pluie et du
froid ; j'adresserais done vainement une question a nos Arabes ;
ils ne 1'entendraient pas , ou plus probablement encore ils ne se
donneraient pas la peine d'y faire attention, pour n'etre pas
obliges d'y repondre. Decidement, cette affreuse journee, c'est
notre retraite de Moscou, et nous sommes en pleine deroute.
Un peu plus loin , cependant , on me montre un monticule
situe £ quelques cents metres a droite de la route , et couvert
de ruines. C'est Zif, dont le nom antique, n'a pas subi la
plus petite alteration. Le verset 55 du chapitre xv de Josue",
on se le rappelle , ne contient que les quatre noms : Maoun ,
Kermel , Zif et Youta. 11 semble que ces localites devraient
etre rangees dans ce verset, comme elles le sont sur le terrain,
c'est-a-dire en remontant du sud au nord. 11 en faudrait con-
clure que Youta doit etre cherchee au nord de Zif; mais il n'en
est rien. La carte de Zimmermann porte, vers ce point, une
seule localit^, nomm£e Youkin , et il serait difficile de croire,
bien que les deux noms commencerit par lameme syllabe, qu'il
y a identite entre la Youta biblique et la Youkin moderne.
Cela parait d'autant plus difficile d'ailleurs, que Youta existe
toujours assez pres et a 1'ouest de Kermel, fort loin, et au sud-
sud-ouest de Zif.
Le nom de Zif est commun a deux localites bibliques de la
tribu de Juda. AJnsi , nous trouvons l a 1'extremite sud du ter-
ritoire de Juda, et dans le voisinage d'Adada et de Cades, une
Zif qui ne peut etre evidemment confondue avec celle qui se
1. Josue, xv, 24.
/I06 VOYAGE EN SYRIE
trouve dans IB voisjnage d' Hebron et de Kermel. Eusebe nous
apprend que celle-ci etait £ huit milles d'lfebron, dans la Da-
roma ; mais ce cjiiffre me parait altere , et je le crois un peu
exagere. Josephe * mentionne Zif sous le nom de z^pa parmi
les premieres yilles que Jloboam, fils de Salomon, fit fortifier
dans le pays de Juda. Un autre passage, extremement impor-
tant, se lit dans le meme livre 2. II nous apprend que David,
parti de la solitude au-dessus de Ayn-Djedy ( Evys&alv ) , vint
dans la campagne de Zif (r?,; Zto'/iv/i?) , a un lieu nomine
Kasne (a; Ttva TOTCOV Kaivviv JCO&OUJJUVYIV ). Je suis bien tente
cette foisde voir dans la Kasne de Josephe, la Youkin modernc,
sj voisine de Zif.
La contree de Zif etait loin d'etre florissante a Tepoque
biblique, puisque nous lisons dans Samuel (xxm) : — 14. Ua-
vid demeura au desert dans les lieux forts , et il demeura sur
une montagne , dans le desert de Zif. Saul le cherchait tou-
jours, mais Dieu ne le livra pas en sa main.[ — 15. David vit
encore que Saiil etait sorti pour attenter a sa vie ; et David etait
dans le desert de Zif, a Harsah (nti'in^) 3- Enfin (ch. xxm,
v. 19), nous lisons encore : — Les habitants de Zif mon-
terent vers Saiil, disant : David se tient cache aupres de
nous, dans les lieux forts, a JJarsah, sur la colline de Haki-
lah, qui est a la droite de Yesimoun (ou du desert, car le
mot lesimoun, po^s a egalement cette signification) .
A partir du point ou nous sommes en vue des mines de
Zif, nous entrons dans une contree montueuse, verdoyante
et boisee. Tous les coteaux sont couyerts de petits cheries
1. Ant. Jud. viii, x, 1.
2. Ant. Jud. vr, xm. 2.
3. Void ce que Cahen fait observer a "propos de ce nom : « Selon quelques-uns
c'est un nom d'endroit : & Horscha; d'apres le chaldeen ce mot signifie dans la
foret. » Les nombreux chenes verts qui couvrent tous les flancs des vallees de cette
contree, rendent cette version assez probable.
ET AUTOUR DE LA AJER MORTE. IQ7
verts. Des ruines se nipntrent partout Je long cle la route, et de
temps a autre nous apercevons , sur les hauteurs , dcs Arabes
qui gardent cle nornbreux troupeaux de moutons et de chevres.
Lc tcinps ne s'est pas embelli, au contraire. Plus nous avons
avance vers Hebron , plus la pluie a ete diluvienne. Enfm a
une heure , apres avoir passe devant un ignoble batiment qui
portc le nom pompeux de lazaret, apres avoir longe unc
immense citerne creusee dans le roc , entre un vaste cimetiere
musulman et la pointe ouest de la yille, nous penetrons dans
cclle-ci, par une petite ppterne qui donne acces dans une rue
plus etroite , plus mat pavee, plus tortueuse et plus sale encore
que les rues de Jerusalem; c'est Naplouse en laid.
Nous sommes alles, conduits par Matteo, nous loger dans
une petite case humide et froide , mais assez propre , ou nous
arrivons avec un veritable bonheur. Un immense brasero rem-
pli de charbon incandescent, nous 'est apporte au bout de
peu df instants; nous nous depouillons le plus vite possible
des veternents que la pluie a colles sur nos personncs, et
nous nous sechons le moins mal que nous pouvons, avcc
une porte toute grande ouverte, afin de nous eviter 1' ennui
d'etre immediatement asphyxies par le charbon. Nous dejeu-
nons en hate, nous prenons force cafe, nous fumons force
tchibouks, et au bout d'une heure, nous nous trouvons un peu
ragaillardis. II etait temps, car depuis le matin nos esprits
avaient une immense propension a tourner au lamentable.
Impossible de mettre le pied hors de notre gite; nous avons
ete assez mouilles comme cela, et nous renoncons au desir de
visiter Hebron , coute que coute , precisement parce que nous
nous promettons d'y revenir. Helas! cette fois, comme tou-
jours, nous eussions 6te sages de braver la pluie quelques
moments de plus, afin d'emporter au moins une idee de la
ville. Tout ce que j'en sais se borne a beaucoup trop peu de
108 VOYAGE EN SYRIE
chose. Elle occupe le fond d'une assez large vallee, dont les
coteaux sont garnis de beaux oliviers et de vignobles. A Test,
la ville s'eleve un peu sur le flanc de la colline , et c'est la
qu'est placee la mosquee, inaccessible pour tout autre que pour
un Musulman , et dans laquelle est enferme , a ce que Ton
dit , le fameux caveau de Makfelah ou furent enterres Sara et
les patriarches Abraham, Isaac et Jacob.
Quelques mots maintenant sur I'origine d'Hebron ; il en est
assez sou vent fait mention dans 1'Ecriture sainte. Nous y
lisons r : — Sara mourut a Kiriath-Arbet , qui est Hebron , au
pays de Canaan ; Abraham vint faire le deuil de Sara et la
pleurer. — 19. Ensuite Abraham enterra Sara, sa femme,
dans la caverne du champ de Makfelah , devant Mamra ; la est
Hebron dans le pays de Canaan. — 20. Le champ , ainsi que
la caverne qui s'y trouve , resta a Abraham comme une pro-
priete sepulcrale venant des fils de Heth. Les bocages de
Mamra sont mentionnes dans un autre passage 2 : — Abraham
dressa ses tentes, vint et s'etablit dans le bocage de Mamra,
qui est pres de Hebron , et il y batit un autel a Jehovah. —
De ces deux passages reunis , il resulte evidemment , a mon
sens, que le bocage de Mamra etait sur l'emplacement de la
partie orientale de la ville actuelle d'Hebron. Enfin la vallee
de Hebron (jron poy) est mentionne'e au verset 14 du chap.
xxxvn de la Genese.
Quanta 1'antiquite de la ville d'Hebron, elle est fix6e par
un passage biblique 3. — Hebron avait et6 batie sept ans avant
Tsaan d'figypte. — Tsaan, c'est incontestablement Tanis ; mais
malheureusement ce texte ne nous indique pas quand Tanis
fut batie. Hebron fut donnee en heritage a Kaleb, fils de
1. Genese, xxm, 2.
2. Genese, xm, 18.
3. Nombres, 13, 22.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 409
Yafnah l. L'ficriture nous apprend encore que Kiriath-Arba" ,
qui est Hebron, sur la montagne, fut choisie pour une des
villes de refuge 2. Enfm la grande piscine que nous avons vue
en entrant a, Hebron est aussi mentionnee dans la Bible , car
nous lisons 3 : — David commanda a ses gens qui les tuerent ;
ils leur couperent les mains et les pieds, et les pendirent pres
l'e"tang qui est pres d'Hebron (piann rtt"On *?y), et ilspri-
rent la tete d'Is-Basath et 1'ensevelirent au sepulcre d'Abner, a
Hebron. — Une piscine pareille £ celle qui existe de nos jours,
est incontestablement d'une tres-haute antiquite*.
II y aurait un chapitre entier a ecrire sur 1'histoire d'He-
bron, si Ton voulait en coordonner tous les faits, epars dans la
Bible et dans les ecrits sacres et profanes ; mais, un semblable
travail n' entrant pas dans le cadre que je me suis trace, je me
contenterai de renvoyer aux sources originates. D'ailleurs Til-
lustre Reland a reuni au mot Chebron, la plupart des passages
que je pourrais citer ici , et je me dispense de copier un resume
beaucoup mieux fait sans doute que je ne 1'eusse fait moi-
meme, et fait d'ailleurs avec beaucoup plus d'autorite" scienti-
fique que je n'en puis esperer pour moi. Je me bornerai done
a, dire qu'Hebron a recu des Musulmans le nom d'el-Khalil
(1'Ami de Dieu) , en commemoration du patriarche Abraham ,
qui porte specialement parmi eux le nom d'el-Khalil.
Nous avons eu, vers la fin de la journee, la visite d'un haut
et puissant personnage , qui nous a etc amene par les scheikhs
Abou-Daouk et Hamdan. C'est le scheikh Abd-Allah, qui jouit
d'une suprematie a peu pres absolue sur tous les Arabes repan-
dus dans le pays d'Hebron. II est extremement poli , et nous
fait des offres de services fort obligeantes, pour le cas oil nous
1. Josue, xiv, 13 et 14.
2. Josu6, xx, 7.
3. Samuel, n, iv, 12.
110 VOYAGE EN SYRIE
desirerions revenir a Hebron et etablir 15. notre quartier ge"ne-
ral , afm d' explorer toute la contree d'alentour. Nous acceptons
avec reconnaissance , et nous nous promettons bien de mettre
h profit la bonne volonte de ce haut et puissant petit seigneur.
J'ai fait aujourd'hui cadeau a notre bon Harridan d'un assez
beau sabre, de mon excellent fusil a deux coups et de mes pis-
tolets de poche, pour lui temoigner toute ma reconnaissance.
Le brave homme a toutes les peines dii monde ft ne pas laisser
percer la joie vive qu'il ressent , et a conservet Fair froid et
guinde qu'exige imperieusement le decorum arabe, datis toutes
les circonstances heureuses Ou malheu'fetlses. Nous ne nous y
laissons pas prendre, et il est bien clair que nous avons vigou-
reusement chatouilleT amour-propre duscheikh des Thaamera,
en mettant entre ses mains de magnifiques armes, qu'il aura
bientot detraquees, mais qui n'en exciteront pas moins 1'admi-
ration de tous les Bedouins qu'il rencontrera desormais.
La fatigue de la journee a ete telte quc nolis avons tous hate
de nous mettre au lit; aussi, le diner et les ecritures sont-ils
expedies en hMe, apres quoi chacun s'etend sur sa1 couchette,
en pensant que demain nous rentrerons a Jerusalem.
Avant le diner, Matteo m'a fait voir line sorte de petite capse
en marbre blanc, et ert forme de sarcophage, portant une cfoix
patee, a branches egales, sur 1'une de ses faces. Cette espece
d'urne funeraire, a trois cases, est laprbpriete de notre hote;
elle a ete decouverte, a ce que pretend celui-ci, dans une des
nombreiises grottes sepulcralcs cntaillees dans le flanc des col-
lines qui environnent Hebron. J'ai bien qilelqUe envie d'acquerir
ce curieux marbre, mais j'ai peurque son detenteur ne 1'estime
trop haut, a en juger par le cas qu'il a 1'air d'en faire. Cepen-
dant, apres quelques pourparlers, dans lesquels Matteo me sert
d'intermediaire , je fais 1'emplette de 1'urne, pour une somme de
soixante piastres, sur lesquelles, tres-probablement , Matteo
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 111
proleve la dime que les drogmans Dnt la douce habitude de
pnlper, dans tons les marches qu'ils sont charges de conclure
pour leurs maltres.
2S JANVIER.
Notre nuit a ete excellente, malgre les cris incessants des
chakalSj tjui sont comme chez eux dans les rues d'Hebron.
Nous aVons dormi comme des sduches, et cependant il me
semble que j'ai entendu la porte de notre chambre, qu'il suffit
de pousser du bout du doigt pour qu'elle s'ouvre, geinir sur
ses gonds. Qui est entre chez nous? Je n'en sais rien, et je
ne m'ett inquiete guere d'abord; rien n'a disparu, chaque
chose est ft sa place. Mais, abomination de la desolation! on
se rappelle que Papigny avait tue un charmant colibri daris le
Rhor-Safieh , et que je m'etais approprie sans scrupule la de-
poililledu charmant petit animal. De plus, entre Er-K'mail et
Djenbeh , Belly avait tue un ravissant oiseau assez seiriblable ft
une perdrix, mais jaune et orne d'uh collier brim. Les deux
betes etaient reservees au scalpel dii naturaliste, tit Belly
devait les depouiller avec soin , des que nous serious arrives ft
.h'TUsalem. Voilft qu'un miserable chat, bieh plus anlatetir d'oi-
st^nux quo nous tous, est venu, cette tluit, croquer hos deiix
tresors, et d^barrasser notre ami de la cofVe"e qtii Tattendait.
G'est cet affreux animal qui s'est faufile chez ndtis en malfai-
tcur, pendant la nuit, et il ne noils a laisse, des deux oiseaux
prises si haut par nous, que trois ou quatre plUmes et (juelques
bouts de patte; Je fais une horrible gHmace, en decouvnml
ce mystere d'iniquit^; je gronde tout le moride, qtii n'en peut
mais, et j'avoue qtie je demahde all ciel de rencontrer nioii
(Minemi^ le chat, pour lui faire payer cruellement le^ tort qu'il
m'a fait, en se livrant ft son metier de chat. Quand je1 me"
H2 VOYAGE EN SYRIE
lamenterais jusqu'a demain, je n'en aurais pas une plume ni
une patte de plus, des deux oiseaux croques; je prends done
le parti le plus sage , celui de ne pas gemir outre mesure , et
de regretter in petto.
Nous nepouvons, ni ne voulons nous eterniser a Hebron. Nous
avons une hate extreme de rentrer a Jerusalem , et nous nous
mettons a cheval par un temps assez joli et assez clair, mais
tres-froid. Nous sortons de la ville par la porte qui nous y a
donne acces hier ; nous longeons de nouveau la vaste piscine
dont j'ai deja parle"; nous tournons a droite, entre la piscine
et le cimetiere musulman, en passant a travers de magnifi-
ques oliviers, et nous ne tardons pas a nous engager dans une
montee pavee, vraisemblablement la voie antique qui con-
duisait d'Hebron a Jerusalem. Cette montee est aujourd'hui
transformee en un veritable torrent, qui occupetoute la largeur
du chemin et qui roule impetueusement jusqu'au fond de la
vallee d'Hebron, les eaux dont reffroyable pluie des derniers
jours a inonde le pays d'alentour.
A droite et a gauche de la route, sont de magnifiques
vignobles , au milieu desquels paraissent frequemment des
cabanes et des tours rondes, placees la, sans doute, comme
batiments d' exploitation, aussi bien que comme postes de pro-
tection, destines a recevoir des gardiens. Du reste, ce mode
de surveillance n'est pas d'invention toute recente en Judee,
puisque le prophete Isai'e nous apprend que de son temps
il etait deja en usage; voici, en effet, ce que nous lisons
dans son livre (i, 8) : — Elle est restee, la fille de Sion,
comme une cabane dans un vignoble. Et , plus bas ( v ) :
— 1. Je veux chanter a mon bien-aime le chant de mon ami
sur son vignoble : Mon bien-aime avait un vignoble sur une col-
line grasse. — 2. II Tentoura d'une haie, en 6ta les pierres,
y planta de bons ceps, construisit une tour dans le milieu, et
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. m
y creusa aussi une cuve ; puis il espe>a qu'il produirait du
raisin , et il produisit du verjus. — On le voit une fois de plus ,
rien ne change dans ce pays, et ce qui s'y pratiquait il y a
trente siecles, s'y pratique exactement de meme aujourd'hui.
Une fois arrives sur les plateaux , nous ne tardons pas £ ren-
contrer, a gauche de la route, des ruines tres-apparentes, nom-
inees Kharbet-er-Ram , et, un peu plus loin, Kharbet-en-Na-
sara. Quelle est cette Rama? je 1'ignore. Quant au bourg dont
les ruines portent le nom d'en-Nasara ( les Chretiens) , il est
presque permis de supposer qu'il dut son origine aux croisades;
n6anmoins, je me garderais bien de 1'affirmer; car, pour assi-
gner b. une Iocalit6 ruined une origine relativement aussi mo-
derne, il faudrait en avoir examine les restes avec tres-grand
soin , et c'est ce que je n'ai pu faire.
Un peu plus loin , nous apercevons sur notre droite le vil-
lage de Halhoul; et quelque temps apres, & Test, celui d'ech-
Chioukh. Cette fois, pas de doute possible ; nous avons affaire
& une localite biblique (Vir6n) qui se trouve mentionnee
dans Josue (xv, 58) parmi les villes de la region monta-
gneuse de Juda. — Halhoul, Beit-Sour et Djedour. — Un vil-
lage moderne de Beit-Sour existe h peu de distance, & 1' Occident
de Halhoul ; et au nord-ouest de ce meme village , nous avons
rencontre , quelques minutes plus tard , un village d'ed-
Deroueh qui pourrait bien avoir pris la place de la Djedour
biblique. Plus loin encore , et a droite de la route , se mon-
trent d'autres ruines assez 6tendues et qui s'appellent Abou-
Fid. Ces ruines ont un aspect qui denote une antiquit6 fort
reculee.
Apres avoir passe en face d'un village situe" un peu loin
& gauche de la route, et nomm6 Beit-Oummar, nous arri-
vons a 1' entree d'une charmante valise, garnie de beaux arbres
qui ombragent une fontaine nomm£e Bir-el-Hadji-Ramadan.
II. 8
m. VOYAGE EN SYRIE
Gette vallee se nomme Ouad-cl-Biar, et elle a recu son nonr
de plusieurs puits tres-eonsiderables , que Ton rencontre che-
min faisant, et qui sont vraisemblablement fort anciens, car
ce ne sont surement pas les Arabes de nos jours qui ont
pris la peine de les creuser. Une fois au fond de 1'Ouad-
el-Biar, on gravit le rideau de collines qui le ferme, et
en cheminant a travers des rochers nus, par des sentiers
tres-etroitSj tres-difficiles pour les chevaux, et le long des-
quels on rencontre des restes de constructions d'une tres-haute
antiquite , on arrive enfin a une crete de laquelle on apercoit
a ses pieds, et a droite, au fond d'une vallee verdoyante,
des enclos mines qui portent le nom de Deir-el-Benat. L&
fut evidemment un couvent de filles a 1'epoque des croisades.
Un peu plus loin, a 1'ouest, on apercoit le village d'Ertas % et
devant soi , une forteresse du moyen age en assez bon etat :
c'est le Qalaat-el-Bourak. En deca de eelle-ci sont trois
immenses citernes, connues des voyageurs sous le nom d'e-
tangs ou de vasques de Salomon* Enfin, au nord-ouest du
Qalaat-el-Bourak, parait une construction importante nom-
mee el-Khoudr; c'est un ancien couvent de Saint* George. La
vue dont on jouit de ce point eleve est admirable ^ et on ne
se lasse pas de la contempler.
Nous eussions et6 ravis de faire notre halte du dejeuner,
avec un pareil panorama sous les yeux ; mais il est utile et
agreable d' avoir de 1'eau k boire en mangeant, et cette con-
sideration elementaire nous decida a deseendre jusqu'au pied
1. Le village d'Ertas ne serait-il pas par hasard 1'Arethusa dont park Josephe
Ant. Jud. xiv, iv, 4 ) et qu'il cite comme ayant ete enlevee aux Juifs par Pompee,
et restituee ot ses habitants avec Marissa, Azof et lamnia. Josf'phe, dans ce meme
passage, dit que ces villes etaieut dans 1'interieur des terres, et eomnie Marissa
devait se tronvef dans le voisinage, il est tres-possible que 1'Ertas moderne ne soit
en realite que I"*?.*™* de Josephe. Cet higtorien repete les meinesfenseigneinents
sur Arethusa dans la Guerre Judalque (i, vu, 7>.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 445
des .murailles du Qalaat-el-Bourak , oil unc fontaine abon-
( la ntc, qui alimente, pour sa petite part, les trois vasques de
Salomon , nous promettait tout le comfort que nous pouvions
desirer dans le desert. En quelques minutes nous fumes
arrives ; notre tapis fut etendu au-dessus de la fontaine meme ;
nous nous etendimes cette fois sur le gazon, et nous fimes
honneur a nos poules dessechees et a nos ceufs durs, avec
une joie tres-vive, en pensant que nous allions rentrer a
Jerusalem, et y trouver enfin le repos dont nous commencions
a avoir le plus grand besoin.
Pendant notre festin, le gouverneur turk du ch'ateau, au
pied duquel nous nous etions etablis, sortit a cheval en com-
pagnie de trois ou quatre autres Turks de la vieille roche,
c'est-a-dire costumes a 1'ancienne mode. Ces messieurs allaient
faire une petite promenade de sante; ils ne nous honorerent
pas de la moindre attention, etnous leur rendimes amplement
leur politesse. Nos scheikhs, surtout, prirent en les voyant
passer, une expression de souverain mepris que ceux qui en
etaient 1'objet n'eurent pu, avec la meilleure volonte du monde,
considerer comme une marque de deference. Le fait est qu'en
ce pays, les Turks ne se donnent que 1'air de mepriser les Ara-
bes dont ils ont une peur affreuse ; tandis que les Arabes ne se
font pas faute de mepriser souverainement les Turks, et de le
leur faire bien voir, des qu'ils sont hors de Tenceinte de Jeru-
salem. Geci revient a dire que la domination ottomane s'etend,
tant bien que mal, jusqu'aux murs de la ville, et que, cette
barriere une fois passee, il ne reste plus, de cette domination,
que ce que les Bedouins en veulent bien supporter. II ne faut
pas £tre un devin de premiere qualite, pour pronostiqiief dm is
un avenir assez peu eloigne, 1'expulsion radicale de la race
turke, de toutes les contrees oil la race arabe est le vrai pfO-
duit du sol. Je pensais ceci pendant notre dejeuner sur Ir
446 VOYAGE EN SYRIE
bord des vasques de Salomon , et je ne me doutais pas que,
moins de deux annees apres, le scheikh Abd-Allah, dont j'avais
recu la visite a Hebron, s'emparerait pour tout de bon de
cette ville; qu'il en chasserait honteusement tout ce qu'elle
renfermait de Turks, et que le pacha de Jerusalem, accou-
rant avec les troupes qu'il avait sous la main , pour reprimer
la rebellion , recevrait a mi-route une si bonne correction qui
put lui apprendre a rester tranquille dans le chef-lieu de son
pachalik , qu'il se haterait de regagner Jerusalem et de s'y
claquemurer un peu plus vite qu'il n'en etait sorti.
Apres une heure de pause aupres du Qalaat^el-Bourak,
nous remontons a cheval et nous nous remettons en route.
Nous traversons bientot l'Ouad-ed-Thaamera, et, a ce point,
tous nos braves amis se hatent de prendre conge de nous,
pour regagner leurs tentes. II ne reste plus avec nous que
Hamdan et Abou-Daouk. Laissant alors Beit-Lehm sur notre
droite, nous passons en vue des villages de Beit-Djala1, de
Nahhalin, d'er-Bezeth a, de Beit-Safafa, et de Maleha, village
qui donne son nom a 1'Ouad-el-Maleha. Toutes ces localites sont
situees sur les collines placees a notre gauche, et desquelles
nous nous ecartons, pour venir rejoindre la route de Beit-Lehm,
au point meme ou se trouve le tombeau de Rachel. Nous
avons apercu , sur les hauteurs placees a quelques kilometres
a 1'ouest de la ligne de villages mentionne~s tout a Fheure ,
une localite nommee el-Kabou, et aupres de laquelle se trouve
1. Beit-Djala n'est tres-probablement que Djalah (n?3) mentionnee parmi les
villes de la montagne, dans la tribu de Juda ( Josue, xv, 51). A c&te de Djalah le
m6me verset mentionne le village de Halin (7^n) 1ue Je su^s ^ea tent^ ^'identifier
avec le village de Nahhalin, si immediatement voisin de Beit-Djala.
2. Er-Bezeth n'est peut-6tre que le lieu ou Bacchides, parti de Jerusalem, vint cam-
per (Maccabees, i, 75, 19). Son nom est ecrit s^ue ou Btfa.*; mais Josephe ecrit le
nom de cette localite 8,6^66 ( Ant. Jud., xn , xi , 1 ) et nous apprend que Bacchides
vint attaquer Judas Maccabee qui y etait campe.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. m
un autre petit village nomme" el-Houaladjeh. Matteo m'ap-
prend, chemin faisant, qu'a une demi-heure de distance d'el-
Qabou se trouve un village nomme Battir ou Ton voit une
assez belle fontaine. A la droite de Battir, et sur la hauteur
qui domine ce village , sont des ruines. Enfm , entre el-Qabou
et Jerusalem, est le couvent de Saint-Jean, non loin duquel
sont les ruines de Modei'm, patrie des Maccabees. La avait etc
construit leur mausolee , orne de pyramides , et dont 1'histo-
rien Josephe nous a laisse une pompeuse description.
Matteo m'a appris encore qu'a quelques lieues , pre*cisement
a 1'ouest d'el-Bourak , se trouve un village avec ruines qui se
nomme Chouei'kah. C'est tres-certainement la Socho des tra-
ducteurs de la Bible , mentionnee au verset 35 du chapitre xv
de Josue, parmi les villes de la plaine, puisque cette Socho
(rcnry, Chouikah) est citee avec Yarmouth, et qu'il existe,
precisement a cote de Choueikah , un village qui se nomme
toujours Yarmouth. Remarquons , en passant , que nous trou-
vons mentionnee, parmi les villes de la region montueuse de
Juda, une autre Socho (verset A8 ) : — Et sur la montagne
Semir, el-Iatiret Chouikah. — II n'y a pas de confusion possible
entre ces deux localites du meme nom. Le seconde devrait-elle,
par hasard , etre placee au village actuel d'ech-Chioukh , qui
est situe a Test de Halhoul ? Je laisse a de plus habiles le soin
de le decider.
Nous voila done presque a la porte de Jerusalem ; Dieu
soit loue ! Comme la journee est assez avancee deja , il n'y a
pas pour nous de temps a perdre, si nous voulons trouver les
portes de la ville ouvertes encore. Nous pressons done le pas et
nous allons bon train ; pas assez bon train pourtant, pour qu'un
Arabe a pied ne puisse nous depasser. II court comme un Bas-
que, et il jette anos scheikhs, en passant, quelques mots que
je n'entends pas. Ceux-ci m'ont Tair aussitot un peu preoc-
• .Lin •
vH8 VOYAGE EN SYRIE
cupes; je m'empresse de leur demander ce dont il s'agtt,
et void ce que j'apprends. Si le pieton qui vient de nous
rejoindre, et qui a fait la route de Hebron a Jerusalem en
quatre heures et deraie, n'arrive pas a temps poiir remettre
aux autorit^s de Jerusalem une lettre ecrite par le directeur du
lazaret d'Hebron , qui declare que nous ne sommes pas une
provenance d'figypte avec patenle brute., nous allons etre mis ,
clair et net , en quarantaine pendant cinq jours, extra-muros.
— Mais , cf est absurde ! nous £crions-nous ; est-ce que nous
venons d'figypte? — Qu' est-ce que cela fait? me repondent
Hamdan et Abou-Daouk. Puisqu'on ne sait pas d'ou nous ve-
nons , on ne manquera pas de croire de preference que nous
venons d'el-Arich, puisque nous sommes en vie, par suite de
ce raisonnement tout simple, que si nous e"tions alles a Karak,
nous devrions £tre morts.
Heureusement , le directeur du lazaret d'Hebron etait un
brave homme qui , pr6voyant le de*sagrement que nous allions
rencontrer a la porte de Jerusalem, avait depech6 un bon
marcheur qui, pour quelques piastres, apportait noire patent?
nette aux autorites sanitaires de la ville sainte.
Comme nous continuons a marcher le plus vite possible,
nous rencontrons, a Mar-Elias, des Beit-Lehmites qui viennent
de la ville et qui nous confirment la bonne nouvelle que nous
allons coucher cinq nuits de plus sous la tente. Le drogman ,
Francois,- qui etait parti le matin bien avant nous d'Hebron,
afin d'aller pre"parer les logements, a e"t£ mis provisoirement
en quarantaine au Bab-el-Khalil, ou il est garde a vue, comme
un vrai pestifer^ qu'il n'est pas. On peut se figurer h quel point
nous sommes inquiets et furieux tout a la fois. Enfin nous
avons franchi tout ce qui nous reste de chemin a faire et nous
touchons a la porte de la ville. Francois vient d'etre mis en
liberty, et nous sommes ad mis en libre pratique, grace a notre
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. lg
brave coureur d'Hebron. Je fais donner vingt piastres a celui-ci,
ct Ic pauvre diable se trouve admirablement paye" de sa peine.
Co n'est en verite" pas cher.
La premiere personne que j'apercois c'est notre bon abbe
Michon, qui, de retour lui-me'me, depuis quelques heures seu-
lement, de son voyage a Beyrouth, est venu attendre notre ar-
rivee a la porte de la ville , des qu'il a appris que notre drog-
man Francois y avait paru. En rentrant a Jerusalem, il avait
etc regale de la nouvelle de notre mort , qu'on donnait pour
certaine depuie huit jours deja. Notre ami , M. Botta, lui-me'me,
n'etait pas sans quelques inquietudes sur notre sort; il n'avait
pu, d'aucune maniere, obtenir lamoindre nouvelle de nous, et
ce silence absolu lui laissait beaucoup a penser sur Tissue proba-
ble de notre expedition aventureuse ; et voila que tout a coup
nous reparaissions tous bien portants, et ravis du succes ines-
pere de notre beau voyage. «
Apres les premiers embrassements, le cher abbe" me donna
des nouvelles de mon fils, qu'il avait embarque" a Beyrouth, en
etat assez satisfaisant de sante. Je rentrai done dans la ville
sainte, le coaur content. Comme nous avions casse" aux gages,
et pour cause , T hotel Meshulam, nous allames descendre tout
droit au couvent des Franciscains, c'est-a-dire a la Casa-Nuova,
ou nous fumes accueillis avec cette douce cordialite* qui touche
si vivement et qui donne tant de prix a la modeste hospitalite"
des bons Peres. L'abb6 avait deja sa cellule; de petites cham-
bres a deux lits nous furent assignees aussitot, et nous emm&ia-
geames le plus gaiement du monde. Nos chambres e"taient con-
tlgiies, et ouvraient toutes sur la me'me galerie en plein air;
nous restions done reunis , et aussi bien cases qu'on peut 1'e'tre
a Jerusalem. Le seul reproche que nous puissions faire a ces
chambres, c'est de ne nous avoir servi que pendant la saisoir
des pluies, ce qui les rendait cruellement humides. Comme il
<20 VOYAGE EN SYRIE
serait un peu injuste de s'en prendre aux bons Peres de la ri-
gueur de la saison , je ne puis que leur redire ici du fond du
coeur toute ma reconnaissance, comme je la leur ai deja dite
en les quittant, pour ne plus les revoir peut-etre.
L'ordinaire du couvent est assez chetif , mais il est bien im-
possible qu'il en soit autrement, puisque la sainte maison donne
gratis, pendant un mois, I'hospitalite la plus complete a qui
veut la prendre. Nous etions un peu trop sensuels pour nous
contenter des maigres repas reglementaires, et, comme nous
devions garder, pour tout le reste du voyage, notre brave Mat-
teo, celui-ci fut, sur notre demande, mis en possession d'une
espece de salle basse qu'il transforma en cuisine, et nous con-
tinuames , comme par le passe , a vivre de poules et de mou-
tons. II est vrai que bien souvent nous allions nous dedomma-
ger a 1'excellente table de notre bon consul, chez lequel nous
passions presque toutes nos soirees , a moins que la pluie ne fut
telle, qu'il n'y avait pasmoyen de mettre le pied hors du logis.
Nous avons essaye, apres le diner, de nous rechauffer un
peu a 1'aide d'une vaste mangale, ou brasero, qui nous a tous
entetes si bel et si bien que, tenant un peu a notre existence,
maintenant que nous 1' avons tiree des griffes du diable, nous
nous decidons a ne jamais faire usage de ce meuble , parfait
pour les gens qui tiennent a s'asphyxier proprement. Qu'il
fasse done aussi froid que le climat le voudra maintenant, nous
n'essaierons plus de nous chauffer les mains, que chez notre
digne ami le consul.
Enfin, nous pouvons nous deshabiller pour tout de bon , apres
tant de journees ou la chose nous a ete completement interdite !
Enfin , nous pouvons entrer et reposer dans de vrais lits ! Pour-
quoi faut-il que ceux-ci soient humides comme si Ton avait
trempe les draps dans une citerne! Nous avons deux chances a
courir : ou bien nous allons faire de 1'hydrotherapie pour guerir
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 42*
les rhumatismes a venir, ou bien nous allons prendre provisoire-
ment les rhumatismes, sauf a les trailer plus tard par 1'hydro-
therapie. A la grace de Dieu ! Nous n'en avons pas moins affaire
a des lits qui nesont plus fantastiques, et, cette consideration
1'emportant sur toutes les autres, nous nous empressons d'af-
fronter les quelques minutes de sensation d^sagreable que nous
ne pouvons eviter, et nous nous endormons, comme on s'endort
apres vingt et quelques jours de campagne et de bivouac.
JERUSALEM, DU 26 JANVIER AU 5 FEVRIER.
Gette fois encore, je me dispenserai de donner le journal
assez insignifiant de mon sejour a Jerusalem. Quelques mots
suffiront pour faire connaitre ma vie quotidienne. Apres le de-
jeuner, si le temps le permet, je cours aux monuments que j'ai
le plus a coeur de bien connaitre ; ce sont : 1' enceinte du tem-
ple , et les tombeaux , ou les caves sepulcrales qui entourent la
ville. Ma journee se passe a mesurer et a dessiner sur place. Si
la pluie est tellement violente qu'il soit impossible de se risquer
hors de la ville, je reste a la Casa-Nuova, ou je classe la collec-
tion de roches ramassees autour de la mer Morte ; d' autres fois,
je mets des croquis a 1'encre ou j'etudie 1'excellent livre de
Quaresmius. Presque toutes nos soirees sont consacrees a 1' ex-
cellent M. Botta, chez lequel nous trouvons constamment 1'ac-
cueil le plus amical. Quelquefois aussi, nous allons passer
quelques heures dans le salon de M. Pizzamano , salon dont les
honneurs sont faits avec une grace parfaite par madame Piz-
zamano.
Le 3 fevrier, au soir, Matteo nous a donne" une soiree arabe,
avec charivari oblige de joueurs de canoun et de tambourin ,
qui se mettent 1'un ou 1'autre, sans trop savoir pourquoi, a
chanter tout d'un coup des gargouillades invraisemblables,
*22 VOYAGE EN SYRIE
avec une voix de tete nasillarde a dire d'expert. Le chant et
I'accompagnement ne sont pas cousins, car its se tournent per-
petuellement le dos. Pour nous faire honneur, a nous Francais,
lors de notre entree dans la salle de la fete , 1'orchestre en ques-
tion nous a clapote et tambourine un semblant de Marseil-
laise des plus heteroclites , et j'avoue que mon amour-propre
de musicien europeen a ete singulierement froisse". Si c'est sur
cet echantillon, interprete de pareille facon, que Ton juge
a Jerusalem la musique francaise, nous devons passer pour
d'affreux racleurs, a qui toute note est bonne , venant au hasard
et sans s'inquieter plus de celle qui la suit que de celle qui la
precede.
Pendant deux bonnes heures nous* avons goute ce delicieux
passe-temps, au milieu de figures d'hommes, jeunes ou vieux,
fumant le tehibouk et buvant du vin ou de Teau et du caf6 , sui-
vant que 1'invite est chretien ou musulman. Comme Matteo est
Chretien , la majorite" n'est pas du c6te des sectateurs de Maho-
met. Des confitures ou des petites patisseries au miel viennent,
de temps k autre, interrompre le concert. Pour donner a celui-
ci plus d' animation, c'est-a-dire pour stimuler I'ardeur des
executants , Mohammed , qui est accroupi & cote de moi ,
m'exhorte a financer. J'envoie done, au nom de nous tous, une
cinquantaine de piastres & chaque musicien , et je declare que
c'est beaucoup plus qu'il ne merite. A partir de ce moment , le
charivari redouble; j'aurais bien mieux aim6 que ses auteurs
prissent tout autrement notre bakhchich , et comprissent que ce
qu'ils avaient de mieux k faire , pour s'en montrer tout h fait
dignes, c'etait de se taire.
Nous de"sirerions fort nous en aller, et nous soustraire aux
charmes infmiment trop prolong^s de cette soiree masculine ,
mais il nous manque le bouquet, que nous devons nous resi-
gner a attendre ; la maitresse de la maison , avec toute la par-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 423
tie feminine do la socie"te" re"unie chez Matteo, est parfaitement
claquemure'e et s'occupe de la confection du bouquet annonce".
Celui-ci n'est autre chose qu'un amas blanchatre, haut comme
une taupiniere de forte taille, surmonte* de fleurs, de petites
bougies allumees et de decoupures de clinquant. Tout cela n'a
pas trop mauvaise mine, je Pavoue, et cependant je me de-
mande ce que c'est. Comme on depose cette machine devant
moi , sans I'ombre de cuiller ou de fourchette , il faut bien
que je jette mon bonnet par-dessus les moulins et que j' en-
tame la chose avec les doigts. C'est un melange de farine, de
eucre, d'amandes pile'es, et de je ne sais quoi encore; je soup-
conne qu'il entre la-dedans beaucoup de chandelle. Quoi qu'il
en soit, 1'objet en question s'appelle kenafeh. A Jerusalem,
pas de vraie f6te sans kenafeh ; mais aussi , pas de kenafeh
sans vraie fete.
Je voudrais bien ne pas §tre force" de manger beaucoup de
ce mets ebouriffant; mais on nem'a pas 1'air de vouloir Ten-
lever de sitot de devant moi : c'est bien trop de prevenance. II
y a toutefois un honneur auquel je me soustrais resolument ;
c'est celui d'avaler les boulettes que vos voisins vous faconnent
et vous offrent a 1'envi. Je mets sur le compte de mon manque
absolu d'appetit, 1'atroce repugnance que me cause cette atten-
tion de luxe, et je laisse mon pauvre ami Edouard payer pour
nous deux, en ingurgitant ce que chacun lui sert. J'avoue que
les grimaces que je lui vois fairp, ne me disposent nullement a
me relacher de ma temperance calcul^e. Maintenant, nous
pouvons quitter la partie, et laisser nos gracieux hdtes se livrer
a tous leurs e"bats. Nous levons done la stance, et nous rega-
gnons la Casa-Nuova , ou nous sommes bien assures de n'avoir
plus de kenafeh a aftronter.
A notre sortie , Matteo nous a pr^sente dans la cour madame
Matteo qui est, ma foi , une fort jolie femme, et k laquelle nous
-124 VOYAGE EN SYRIE
donnons, a tour de role, une poignee de main d'adieu. Nous
avons laisse au maitre de la maison un bakhchich de trois cents
piastres, afin de ne pas etre en reste avec notre serviteur.
Le lendemain, A feVrier, toute notre journee a ete consacree
a la visite du monument nomme Tombeau des Rois , Q'bour-
el-Molouk ou Q'bour-es-Selathin. C'est, jusqu'ici, ce que nous
avons admire le plus vivement ; nous y avons decouvert trois
couvercles de sarcophages, qui seraient inappreciables dans
un musee comme celui du Louvre. A partir de ce moment,
nous commencons a nous preoccuper des moyens d'enlever
et de nous approprier ces precieux debris de Fart judai'que.
Mais, avant tout, il faut que nous etudiions a fond le monu-
ment lui-meme et que nous cherchions a deviner s'il a bien le
droit de porter le nom qu'il porte. II nous faut tres-peu de temps
pour nous former une conviction a son egard , et nous ne tar-
dons pas a acquerir la certitude morale qu'en penetrant dans
cette cave merveilleuse , nous penetrons dans le sepulcre de
David et des rois de sa dynastic.
Mais ce n'est pas encore ici le lieu d' examiner cette question
d'une maniere approfondie, et je me reserve de la trailer in
extenso, dans un chapitre special, qui viendra un peu plus loin,
lorsque, quittant Failure d'un homme qui transcrit son journal
de voyages, je ferai connaitre separement les resultats de mes
observations sur tous les monuments particuliers que renferme
1'enceinte de Jerusalem , ou qui , par leur voisinage de cette
enceinte, appartiennent incontestablement a Thistoirede la ca-
pitale des rois de Juda.
Nous avions hate de continuer notre exploration de la mer
Morte, et de visiter avec soin la pointe nord de cet Strange
bassin. En consequence, nous nous etions abouches avec les
scheikhs qui, d'ordinaire, se chargent, moyennantun bakhchich
de cent piastres par tete de voyageur, de conduire les pelerins
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 125
a Jericho , au Jourdain et a la mer Morte , et de les prot^ger
contre tout venant , pendant cette excursion qui ne prend
pas plus de trois jours. Ce sont : Hat-Allah , scheikh du vil-
lage de Siloam, et les deux freres Mahmoud et Moustafa,
scheikhs du village d'Abou-Dis, place a droite de la Fontaine
des Apotres, ou Bir-el-Haoud, sur les hauteurs qui dominent la
vallee qui conduit a Jericho, a environ un kilometre au dela de
Bethanie. Hat-Allah est un petit vieillard, encore vert et replet,
doue d'une grande energie et d'une vivacite de jeune homme.
Quant aux deux scheikhs d'Abou-Dis, ce sont, Mahmoud sur-
tout, deux magnifiques creatures, ayant toujours le sourire
sur les levres, et d'une complaisance et d'un denouement
a toute epreuve. Ces trois personnages s'engagent a nous
fournir une escorte suffisante, prise parmi leurs administres.
Comme nous voulons voir le littoral du lac Asphaltite jusqu'au
point ou nous 1'avons attaque, c'est-a-dire jusqu'a l'Ayn-el-
Rhouei'r, nous avons necessairement un peuplus de temps a con-
sacrer a notre promenade , et nous ne pouvons trailer avec nos
scheikhs sur le meme pied que les voyageurs ordinaires. Au
reste, nos conventions sont bientot faites, et, en doublant la
dose des piastres, nous pouvons, s'il nous plait, doubler la
dose des journees a d^penser.
Nous prenons done rendez-vous pour le 5 fevrier au matin ,
a la porte de la Casa-Nuova. Matteo a recu nos ordres; nos
provisions sont faites; tous nos ba gages sont pr6ts, et nous
attendons avec une vive impatience 1'heure du depart, afin
d'aller completer le travail d' exploration dont nous avons deja
fait une si bonne partie.
5 FEVRIER.
Ce matin , nous etions prets de tres-bonne heure a monter
a cheval; mais nous avons e"prouv6 une fois de plus tous les
126 VOYAGE EN SYRIE
ennuis inseparables d'un depart qui depend de moukres sy-
riens. II etait plus de neuf heures, lorsque nous avons pu
nous mettre en route , et ce n'a ete qu'apres des criailleries
interminables, que nous avons pu voir notre petite caravane en
mesure de quitter Jerusalem. Nous avons eu le soin de faire
partir nos bagages par le Bab-el-Khalil , ce qui leur evitera
1'ennui de traverser les rues etroites et encombrees de Jeru-
salem. Quant a nous, nous avons prefere eviter le detour
enorme que cet itineraire exige , et nous avons gagne direc-
tement le Bab-Setty-Maryam , avec la conviction que nous
arriverions a el-Aazarieh ou Bethanie, tout aussi vite que nos
betes de charge.
II etait neuf heures cinquante-sept minutes, lorsque nous
avons franchi la porte de la ville. Devant cette porte com-
mence immediatement une rampe d'une centaine de metres,
dirigee a Test, et qui gagne, par deux coudes successifs,
le lit a sec du Kedron, c'est-a-dire le fond de la vallee
de Josaphat des Chretiens et des juifs, Ouad-Faraoun des mu-
sulmans. Un pont en pierre traverse le lit du torrent , et Ton
trouve immediatement apres ce pont, a gauche et en contre-
bas de quelques metres , le petit plateau sur lequel est assise
1'eglise de Setty-Maryam, ou est le tombeau de la Vierge ,
tombeau venere des musulmans comme des Chretiens. La fa-
cade de 1'eglise n'est pas a plus de trente metres de la route.
II est dix heures une minute, lorsque nous sommes en face du
portail.
En ce point, la route tourne immediatement a droite, c'est-
a-dire au sud-sud-est, en longeant la rive gauche du Kedron,
plantee d'oliviers d'une antiquite incontestable, et bien cer-
tainement superieure a celle de la venue de Notre-Seigneur.
A gauche du chemin, et a un niveau plus eleve, est 1'enclos
connu plus specialement sous le nom de Jardin des Oliviers.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. m
Quelques arbrcs venerables sont enferltiesl dans cet enclos ;
mais ceux qui sont restes a 1'exterieur, ont tout autant d£
droits qu'eux, pour revendiquer 1'honneur d'avoir et£ les te-
moins des evenements de la Passion* La route que nous sui-
vons n'est pas a plus de trois cents metres de 1'enceinte actuelle
du Ilaram , e'est-a-dire du plateau sur lequel etait assis Id
temple de Salomon. Le Kedron a son lit creus6 precisement
au milieu de cette distance, e'est-a-dire a cent cinquante
metres a droite du chemin que nous suivons et qui s'^leve sur
le flanc du mont des Oliviers.
A dix heures cinq minutes, nous laissons, a cent trente
metres environ a notre droite et au-dessous de nous , le tom-
beaU d'Absalon, ou Qobr-Faraoun des musulmans* Au delft,
tout le flanc de la montagne est couvert de pierres tumulaires
qui lui donnent 1' aspect d'un veritable pave de geants* C'est 1^
cirnetiere des juifs, A dix heures neuf minutes , nou^ sflmmes
au-dessus et a deux cent cinquante metres, en ligne directe, du
village de Siloam. La, nous nous dirigeons k rest-sud-est, eii
contournant le flanc meridional du mont des Oliviers. Le som-
met de celui-ci est a trois cents metres environ sur notre gau-
che* Nous sommes alors dans une vallee bien plantee d'oli-
viers. A dix heurea quinze minutes, nous sommes en fae^
d'une petite plaine de deux cents mfetres de diametre, au fond
de laquelle commence une vallee qui descend pour aller re-
joindre la Vallee du Kedron, Ouad-en-Nar. Au dela de cette
petite plaine, la route, qui est toujours entaillee dans le roc
depuis dix heures dix minutes, toufne au sod et gagne le fond
do la vallee oil nous touchons a dix heures viTigt minutes. Le
flanc gauche de cette vallee, c'est-a-dire* le flanc que' noiis
suivons, est tout a fait rocailleux. La route est dirigee au
sud-est. A dix heures vingt-cinq minutes, nous passons a cote
d'une tombe antique creusee dans le roc. La, nous marchons
128 VOYAGE EN SYRIE
directement a 1'est. De hautes collines forment le flanc droit
de la vallee que nous suivons, et ou nous trouvons, adix heures
vingt-sept minutes , des traces evidentes d'une voie pavee an-
tique. A dix heures trente minutes, nous sommes arrives au
village d'el-Aazarieh. A droite de la route sont quelques rares
habitations et un petit edifice religieux musulman; a gau-
che , au milieu des maisons du village , parait une tour car-
ree, exactement semblable, pour la construction, a la tour de
David. C'est done, sans aucun doute, un monument mili-
taire qui date de 1'epoque des rois de Juda.
El-Aazarieh, c'est incontestablement Bethanie dont il est
si frequemment question dans les saints fivangiles. Saint Jean
(n, 18) nous apprend que Bethanie e"tait e"loignee de quinze
stades de Jerusalem, ce qui fait un peu moins de deux milles.
Saint Marc (11, 1) dit que Bethanie etait situee contre le
mont ties Oliviers. Epiphanius 1 fait observer que 1' antique
voie publique qui conduisait de Jericho a Jerusalem , passait
par Bethphage, Bethanie et le mont des Oliviers. L'Evangile
de saint Luc nous dit tres-positivement ( xxiv, 50) que : « le
Christ ayant conduit ses disciples de Jerusalem a Bethanie ,
leur y donna sa benediction , et que pendant qu'il les benis-
sait , il s'e"leva vers le ciel. » Ce passage me parait tout £ fait
concluant contre la tradition qui place si loin de Bethanie,
le lieu ou s'effectua 1'ascension de Notre-Seigneur. Reland a
deja releve" cette erreur palpable, et il a eu parfaitement rai-
son de le faire. Saint Jerome, dans son Onomasticon, dit
que Bethanie est situee a la seconde borne milliaire & partir
de Jerusalem, et sur le flanc du mont des Oliviers, ce qui
est tout a fait exact.
G'est a Bethanie qu'eut lieu la resurrection de Lazare, et
l. Adversus haereses, lib. i, p. 340.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 429
il est bien probable que le nom moderne el-Aazarieh, du vil-
lage de Bethanie, n'a jamais eud'autre origine que le miracle
qui s'opera , au vu et au su de tous les habitants , sur le
cadavre de Lazare. Quant a Bethphage", maison sacerdotale
qui devait attenir a Bethanie, je n'en ai pas reconnu les
traces.
Un peu au dela du village d'el-Aazarieh , et au point meme
ou la route, tournant au sud-est, commence a descendre vers le
fond de ia vallee, nous avons a notre droite , et a un kilometre
environ , le sommet sur lequel est bati le village d'Abou-Dis.
Est-ce une localite" antique qui a pris ce nom ? Je 1'ignore.
A dix heures quarante et une minutes, la route, qui a repris la
direction de Test, passe a cent metres environ d'un puits
nomme Bir-el-Ai'd. A dix heures quarante-neuf minutes , nous
retrouvons un tres-beau troncon de la voie antique que suit
constamment le trace du chemin actuellement en usage , et
nous descendons par quelques zigzags fort raides , entailles
dans le flanc d'une colline escarpee , a la tete de l'0uad-el-
Haoud. La est une citerne nommee par les Arabes musul-
mans Bir-el-Haoud (le puits de 1'auge), et par les Chretiens
Fontana deyli Apostoli. II est dix heures cinquante-quatre
minutes, quand nous arrivons a la fontaine , & droite de la-
quelle se voient les murs d'un khan mine. Nous mettons pied
a terre, et nous faisons halte pres de la citerne, pour de"-
jeuner.
A onze heures quarante-cinq minutes, nous remontons a
cheval, et nous reprenons notre route en suivant le fond de la
vallee qui se dirige d'abord au nord-ouest, et qui conserve
cette direction sur une etendue de plus d'un kilometre. Nous
cheminons a une quinzaine de metres a droite d'un lit de
torrent a sec, qui n'est separe lui-m^me que de vingt-cinq
metres environ, du pied des colline* de gauche, dont le flanc
ii. 9
430 VOYAGE EN SYRIE
est rocailleux ; a droite est une assez haute colline nominee
er-Ras.
A midi une minute , nous avons & notre droite un vallon en
culture, de vingt-cinq metres de largeur, et qui s'enfonce au
sud. A gauche est une autre petite vallee nommee Kaaziz. L£
se montrent de nouveau des traces incontestables de la voie
antique que nous suivons toujours et qui s'est redressee a
Test. Au deli de la vallee cultivee que je viens de signaler ,
le flanc des hauteurs de droite devient tout & fait rocailleux, et
l'Ouad-el-Haoud se resserre de plus en plus. A midi cinq mi-
nutes, nous avons franchi le lit du torrent dont 'nous suivons
la rive gauche , en marchant au nord-est. lei 1'ouad change
de nom ; il s'appelle Ouad-es-Sekkeh r et les traces de la voie
antique reparaissent. A midi onze minutes, nouveau troncon
de voie antique. A midi quinze minutes, nous sommes en face
d'une vallee qui s'ouvre sur notre droite et qui s'appelle Ouad-
Monfakh. Une fois la tete de cet ouad franchie , celui dans
lequel nous cheminons prend une largeur de cent cinquante
£ trois cents metres environ. Sur notre droite se montre alors
un plateau eleve sur lequel sont placees des ruines nominees
Kharbet-el-Merassas. En face est un enfoncement formant
petite plaine , et nomme Choeb-ezr-Zenbeh.
J'ignore entierement ce que dut etre la localite antique dont
les ruines existent encore aujourd'hui, sou&le nom de Kharbet-
el-Merassas. Nous trouvons bien, dans le Livre de Josue (xv,
59) , une ville de Maarat (mya) , citee parmi les villes de la
partie montagneuse de la Judee; mais il serait peu prudent,
je crois, de chercher cette Maarat a la Merassas de nos jours.
La seule chose qui puisse militer en faveur de cette attribution,
c' est que, dans la version des Septante, Beit-Lehm se trouve
mentionnee au verset suivant , et que , par consequent , Maarat
et Beit-Lehm ne devaient pas etre fort eloignees Tune de Tan-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. >31
tre. II est vrai que le texte hebraique, consent par les Juifs,
supprime en ce passage le nom de Beit-Lehrn; mais saint
Jerome, qui avail remarque cette suppression, 1'explique en
avancant que les Juifs ne 1'ont opere'e que pour empecher qu'il
ne parut, d'apres leurs propres livres sacre"s, que le Christ
etait sorti de la tribu de Juda. Reland a suppose que la Maarat
biblique pouvait bien avoir donne" son nom au naont Mardes,
mont assez eleve, place dans le voisinage de la mer Morte, et
sur lequel saint Euthymius trouva un puits et des restes d'habi-
tation l. II serait probablement beaucoup plus raisonnable de
chercher ce mont Mardes dans la montagne que j'ai signalee
dans le voisinage du couvent de Mar-Saba, et au sommet de
laquelle est place le Qalaah-Mardah. C'est 1£ une identification
que j'ai neglige de faire, en parlant de cette localite, et aujour-
d'hui je la propose d'une maniere formelle.
A midi vingt et une minutes , nous nous retrouvons a gauche
du lit du torrent, et toujours au fond de la vallee, qui a pris
une largeur de cent vingt metres environ ; mais elle se retre*cit
de nouveau tres-fortement presque aussitot apres, et les traces
de la voie antique repar aissent. Un peu plus loin , a midi vingt-
six minutes, nous avons a notre gauche une petite plaine, large
de cinquante metres, et qui s'enfonce de trois cent cinquante
metres au plus, dans le rideau de collines qui forme le flanc
gauche de 1'ouad. Nous croyons alors etre arrives au fond de
celui-ci, et la se trouve un puits, dont je n'ai pu savoir le nom
particulier, s'il en a un, et qui est creuse au pied de la colline
de droite; mais, 1'ouad s'infl^chit a gauche, et, apres avoir
contourne la base du mamelon qui semblait le clore, il se re-
dresse au nord-est, et reprend une largeur d'une cinquantaine
de metres. A midi trente-eiflq minutes, nous passons devant
1. A eta Sanctorum, t.II, p. 306,
-134 VOYAGE EN SYR1E
un ouad , large de cent metres environ , et qui s'etend vers le
nord-^ouest, c'est-a-dire a notre gauche, tandis qu'£ droite se
dirige vers le sud-ouest l'Ouad-el-Merassas, dont nous attei-
gnons la tete a midi quarante minutes. Dans cet ouad , les terres
sont en culture et deja tres-verdoyantes. Au del£ de 1'Ouad-
el-Merassas , 1'ouad dans lequel nous cheminons court directe-
ment a Test, et il presente encore des traces tres-visibles de la
voie pav.ee antique.
A midi quarante-six minutes, nous entrons dans une petite
plaine d' environ cent cinquante metres de largeur, bien cul-
tivee, et nominee M'qaab-es-Semin ; nous la traversons suivant
son grand axe, qui est dirige a 1'est-nord-est. Cette petite
plaine est dominee a droite par un coteau peu eleve , et £ gau-
che par des collines plus hautes et a contours accidentes. A
midi cinquante-six minutes, la vallee que nous suivons s'est
retrecie de nouveau, et nous y marchons dans la meme direc-
tion, tres-voisine de Test, jusqu'a une heure deux minutes. En
ce moment, nous faisons brusquement un crochet a droite, pour
entrer presque immediatement dans 1'Ouad-Estedeh, qui court
a Test pendant pres d'un kilometre. A une heure dix minutes,
cet ouad tourne au nord-nord-est, et il nous amene, a une
heure quinze minutes, en face d'un vallon de trente metres de
largeur, plante d'oliviers, et qui s'etend sur notre droite, c'est-
a-dire vers le sud. Au dela , nous gravissons , sur un troncon
de la voie antique, un plateau sur lequel nous arrivons a une
heure dix-huit minutes. La est une ruine peu importante nom-
mee Thour-ed-Dabor. A une heure vingt et une minutes, nous
descendons du plateau par une route entaillee dans le roc
meme, et, en marchant directement a Test, nous arrivons, a
une heure trente-cinq minutes, vis-a-vis d'un petit oualy ruine
qui se nomme Qobr-el-Khoukh.
Une serie de plateaux, montant insensiblement , et sur les-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. <33
quels reparaissent encore des traces de la voie pave*e antique,
nous amene, a une heure trente-sept minutes, a un puits
nomme Bir-el-Khan, aupres duquel se voient quelques de-
combres peu importants et un troncon de colonne. A gauche de
la route est une colline basse qui nous masque une valle"e nom-
mee Ouad-abou-Kebdah ; et , a cette colline se relie presque
aussitot un monticule tres-considerable , sur lequel est assise
une ruine assez vaste nommee Khan-el-Hatrour, ou el-Khan-
el-Ahmar. II est une heure trente-huit minutes, quand nous
arrivons , au dela du Khan-el-Ahmar, a une crete au dela de
laquelle commence la veritable descente vers la plaine du
Jourdain. J'ai trouve le Khan-el-Ahmar d£signe sous le nom
de la Tour Rouge, dans le journal d'un pelerin du xive siecle,
publie" dans un recueil de province , fort estimable , la Revue
d'Austrasie, qui a paru a Metz pendant quelques annees '.
Au xive siecle , le khan recevait encore les voyageurs ; aujour-
d'hui, il est parfaitement desert et ruine, et personne n'a la
moindre envie de s'y arreter.
A partir de la crete que nous avons atteinte a une heure
trente-huit minutes, commence une descente tortueuse a tra-
vers des collines, et dont la direction g£n£rale est d'abord au
nord-est. A une heure cinquante-quatre minutes, la route se
1. Relation d'un voyage de Metz a Jerusalem, entrepris en 1395, par quatre cheva-
liers messins. L'Austrasie, Revue du nord-est de la France, 3« vol., 1838. Le style de
ce recit a raalheureusement ete rajeuni par son editeur, qui semble n'avoir p?s
toujours reproduit rigoureusement les distances marquees dans Toriginal. Voici le
passage qui concerne la Tour Rouge : «Nous allames la premiere journee coucher a
onze lieues (?), en une ville (?) ou il y a un bon logis pour heberger les gens etran-
gers ; elle est proche d'une montagne sur laquelle est un chateau qui a nom de Tour-
Rouge. Le dimanche apres minuit (20 octobre), nous quittames ladite auberge, et
allames jusqu'environ quatre lieues, a une petite tour qui se dit la Tour de Jericho.»—
Un second passage qui se lit un peu plus loin me semble inadmissible, le void : « De
Bethanie nous allames giter au cazale de la Tour-Rouge, dont nous partimes le lundi
moult grand matin pour retourner a Jerusalem. » II parait difficile qu'on ait et6 de
Bethanie a la Tour-Rouge pour regagner Jerusalem; disons mieux: c'est impossible.
43* VOYAGE EN SYRIE
redresse £ 1'est. A deux heures precises, la vallee dans la-
quelle nous cheminons, se nomme Ouad-er-Rouman ; elle pre-
sente des ruines tres-apparentes et des traces de la voie anti-
que. A deux heures trois minutes , nous rencontrons des coulees
de lave , et a deux heures six minutes , nous retrouvons la voie
antique ; puis a deux heures onze minutes, nous arrivons a des
ruines tres-considerables, qui portent le nom de Kharbet-
Samrah. Ge qui se pre"sente d'abord, c'estun chapiteau grossier,
de forte dimension, et que les Bedouins appellent Dabbous-
el-Aabed (la massue de 1'esclave). De deux heures onze minu-
tes a deux heures vingt , les ruines ne cessent de se montrer ,
aussi bien que la voie antique, qui est bordee par un mur que
Ton suit sur une longueur enorme (de deux heures onze, jusqu'a
deux heures vingt-trois minutes). A deux heures vingt minutes,
la direction de notre route est au sud-est, et £ deux heures
vingt-trois minutes , nous debouchons par 1' Akbat-el-Kerath ,
dans 1'Ouad-Teicoun, qui court directement a Test, et ou Ton
retrouve immediatement la voie antique et le mur qui 1'accom-
pagne. A deux heures trente minutes, le pave reparait, ainsi
qu'a deux heures trente-six minutes, ou il est resserre entre
deux murs antiques. La se trouve une petite cote assez raide ,
nommee Akbat-es-Sakkar , au dela de laquelle la route conti-
nue a descendre, a travers des collines et des mamelons , en
longeant un ravin assez profond , sur le bord duquel on re-
trouve, de loin en loin, la voie antique et des traces de mur.
A deux heures cinquante-six minutes, le scheikh Moustafa,
qui met la meilleure volonte du monde a me faire voir les ruines
auxquelles il a compris que je m'interessais, mais sans qu'il
puisse deviner pourquoi, me fait abandonner la caravane
dont la route est alors directement a Test , et gravir la colline
tres-abrupte qui forme le flanc gauche du chemin, a droite
et a gauche duquel paraissent, en ce moment, deux iron cons
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. <35
de canaux aqueducs d'une assez grande longueur. Ce n'est pas
sans des difficultes reelles, que noschevaux arrivent au sommet
de la cote , sur laquelle nous nous sommes aventures ; mais
lorsque j'ai atteint ce sommet, je suis loin de regretter ma
peine. Devant moi s'ouvre un immense precipice presque &
pic, et assez semblable aux gorges les plus se"veres des
Pyre'ne'es. Au fond de ce precipice , qui se nomme Ouad-el-
Kelt, coule avec fracas un torrent dont je puis entendre le
mugissement. C'est le Nahr-el-Kelt. Sur le torrent paraissent
trois belles piles bien conserves d'un pont-aqueduc antique ,
et un peu a droite du pont , sur la rive opposee a celle sur la-
quelle nous sommes perches, se voit, toujours au fond de 1'Ouad,
une ruine qu'il n'est guere possible d'appre*cier d'une si grande
hauteur; c'est le Deir-et-Times.
Une fois mes notes prises , nous redescendons sur ' la route
qu'a suivie la caravane , et que nous rejoignons , a trois heures
huit minutes, au point ou se trouve une ruine carree, de vingt-
cinq metres de cote environ, et qui se nomme Beit-Djabor.
Nous marchons toujours a Test, et, pour ainsi dire, sur le flanc
m^me de l'Ouad-el-Kelt , puisque, en ce moment, il n'y a pas
plus de soixante-dix metres de distance horizontals, entre
le bord du torrent et le chemin. A droite et a une centaine de
metres, est le sommet d'une petite colline qui en precede deux
autres. A. trois heures vingt minutes , commence l'Akbat-er-
Riha, la descente proprement dite de Jericho. C'est une suite
de zigzags assez raides, dont la direction generale est a Test ,
et qui vont toujours se rapprochant de l'Ouad-el-Kelt. A trois
heures vingt-neuf minutes , nous ne sommes plus qu'a quinze
minutes de cet ouad qui n'a plus qu'une centaine de metres de
profondeur. A droite du chemin parait un beau troncon d'aque-
duc , puis une ruine carree , en petit appareil romain reticule
des bas temps, et qui porte encore le nom de Beit-Djabor ou
136 VOYAGE EN SYRIE
celui de Hak-ed-damm. C'est a cet edifice que la tradition rat-
tache , sans aucune vraisemblance , la parabole du voyageur
attaque sur la route de Jericho (saint Luc. X. 30).
A trois heures trente-deux minutes, nous sommes arrives
tout a fait au pied de la montagne, et nous touchons a la
plaine. LeNahr-el-Kelt, qui a cesse d'etre encaisse, coule alors
a vingt-cinq metres a gauche du chemin , a droite duquel se
presentent en quantite , des decombres qui couvrent une vaste
etendue de terrain. Ges ruines sont nominees par les Bedouins
Kharbet-Qaqoun. A trois heures trente-six minutes, nous som-
mes tout a fait en plaine , et nous passons a cinquante metres
a gauche d'un tertre, probablement artificiel, qui se nomme
Tell-el-Alay. La notre route tourne brusquement au nord, pour
aller couper le lit du Nahr-el-Kelt, au dela duquel elle se re-
dresse immediatement a Test. Sur la rive gauche que nous
venons d'atteindre, les ruines reparaissent en grande quantite,
et je rencontre un chapiteau assez etrange, mais malheureuse-
ment trop fruste pour qu'il soit possible d'en tirer parti. Nous
longeons alors le pied d'un monticule assez bas et couvert de
ruines, qui n'a pas plus de deux cents metres de diametre.
A huit cents metres sur notre gauche sont de tres-hautes mon-
tagnes , qui forment la suite de la veritable muraille qui borne
a Toccident la vallee du Jourdain. Presque exactement a notre
gauche, est le sommet qui se nomme Djebel-Korontol ; c'est la
montagne de la Quarantaine, & laquelle la tradition rattache
la retraite des quarante jours, de Notre Seigneur. Au pied de
cette montagne, et au milieu de beaux bouquets d'arbres, est
la fontained'Elisee, l'Ayn-es-Soulthan, qu'avoisinent des ruines
etendues, que les Arabes appellent Tahouahin-es-Sakkar (les
moulins a sucre) . A trois heures cinquante-huit minutes, nous
passons en vue, et a vingt metres environ, d'un pont-aqueduc
a arceaux en ogive , jete sur le Nahr-el-Kelt, et nous arri-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 137
vons, a travers des decombres, h. une se"rie de petits mamelons
verdoyants et couverts d'arbrisseaux. Le lit du Nahr-el-Kelt
est garni de tres-beaux arbres, parmi lesquels nous reconnais-
sons le Neubq, que nous avons vu si souvent sur la rive orien-
tale de la mer Morte. Nous sommes alors dans une belle plaine
ravinee , mais couverte d'une verdure luxuriante et embellie
par une foule de charmantespetitesfleurs. A quatre heures sept
minutes, nous nous arretons sur un tertre degage d' arbres, et
tres-rapproche de la riviere qui murmure a notre droite.
A gauche sont etablies de mauvaises huttes de branchages et
de boue, et devant nous s'eleve une vaste tour carree en fort
mauvaisetat, habitation d'une douzaine de cavaliers irreguliers
turks. Les huttes constituent er-Riha, Jericho ! la Tour, c'est
le Bordj-er-Riha, la forteresse de Jericho ! II y a vraiment une
sorte de derision providentielle dans 1'accolement de pareilles
choses et de pareils noms! Quoi qu'il en soit, nous voici a
Jericho. Nos tentes se dressent en hate , et nous nous dispo-
sons a passer une soiree aussi agreable que possible, sous le
ciel le plus doux qui existe au monde.
L'abbe, qui a fait une ample moisson botanique pendant
toute la route, se hate de mettre son herborisation en ordre.
Je passe ma carte a 1'encre et j'ecris mes notes; nos amis
cherchent , les uns des insectes, les autres des oiseaux & tuer,
et nous atteignons assez promptement 1'heure du diner. Comme
toujours , nous sommes entoures de toute la population d'er-
Riha qui envahit notre campement, mais d'une maniere inof-
fensive et tout simplement pour se regaler a 1'aise du plaisir
de nous admirer.
Apres notre repas, nous entendons nos Arabes chanter,
et comme nous avons garde bon souvenir de notre soiree
de Sebbeh , nous nous empressons de sortir de nos tentes ,
afm d'aller gouter une fois de plus le plaisir d'apprecier
<38 VOYAGE EN SYRIE
des rejouissances bedouines. Gette fois, la realite" de"passe de
beaucoup notre attente, et nous assistons a un veritable drame
burlesque, que jouent des gaillards assez jeunes, qui se sont
affubles de haillons etranges et de chevelures et barbes posti-
ches en etoupe. Je demande la permission de ne pas raconter
par le menu les details de la mise en scene, et, bien moins en-
core, le canevas du drame represente devant nous. Je me bor-
nerai a dire que 1'un des deux acteurs finit par etre tue par
1'autre, etqu'une fois mort 11 reste etendu sur le dos, resistant a
toutes les evocations de son meurtrier, qui feint le plus profond
desespoir; celui-ci s'arrache a poignees les poils de sa barbe
d' etoupe, se jette du sable et du gravier sur la tete , se meur-
trit la figure et la poitrine de taloches parfaitement innocentes,
gemit, pleure, et hurle parfois; il secoue son mort, en letiraillant
en tous sens, et se lamente obstinement sur sa misere qui le met
hors d'etat de pourvoir aux funerailles du defunt. La-dessus,
quete a la ronde, et moisson de piastres que le drole empoche,
en repetant le plus souvent possible ses contorsions de deses-
poir. Ce qui m'a frappe le plus, ce qui irTa meme tres-vivement
etonne, c'est de voir les assistants trouver bon que la priere
musulmane fut singee par notre homme, et cela sans qu'il leur
vint a la pensee de le rouer de coups, pour lui payer un sembla-
ble sacrilege. Ainsi, les Bedouins en sont deja a tourner la
priere en ridicule ; c'est un bon indice de civilisation avancee.
Je doute que des bouffons eussent ose se permettre pareille in-
cartade, avant la domination egyptienne. Quand notre homme
a fait toute la collecte qu'il peut esperer de faire, il va , en
gambadant, saisirun brandon allume aufeu du bivouac devant
lequel se joue la scene; il 1'approche autant qu'il peut du dos
du defunt, que ce contact vivifiant ressuscite aussitot. Alors,
commence entre eux une danse forcenee , avec accompagne-
ment de giffles et de coups de pied , et la farce est jouee. Je
ET AUTOUR DE LA MEK MORTE. 439
dois dire qu'elle m'a semble parfois assez plaisante, mais que
tous les assistants arabes ont temoigne par des cris de joie et
des eclats de rire perpetuels, tout 1'interet qu'ils prenaient &
cette scene comique jouee en plein air. Voila ce qu'est le
theatre bedouin, et nous sommes charmes d' avoir paye" quel-
ques piastres, pour assister a une representation.
Tout etant rentre dans le silence , nous avons regagne nos
tentes , et nous nous depechons de nous etendre sur nos cou-
chettes. Demain matin nous irons visiter le Jourdain , et nous
regagnerons de la, avec un veritable bonheur, les rivages de la
mer Morte.
Occupons-nous maintenant des localites ruinees que nous
avons rencontre"es sur la voie antique de Jerusalem a Jericho.
La premiere que nous ayons traversee est placee, on s'en sou-
vient, au point nomme Thour-ed-Dabor (la montagne de Da-
bor?), et je pense que ce nom nous rappelle un nom biblique
qui se trouve mentionne dans le passage suivant ' : — 5. Et
la limite (de la tribu de Juda) du cote du nord, depuis la lan-
gue de mer de 1'extremite du Jourdain. — 6. La limite s'eleve
vers Beit-Hadjlah , passe au nord de Beit-Haarbah , s'eleve a
Ebn-Bahan ( la pierre de Bahan , fils de Raouben) . — 7. La
limite s'eleve vers Dabor, a partir de la vallee d'Akour
Je ne doute pas que la Dabor cite"e dans ce passage , ne soit
1'origine de la denomination donnee aux ruines qui parais-
sent au Thour-ed-Dabor, et a l'Ouad-ed-Dabor, que nous
rencontrerons un peu plus loin. D'un autre cote , Strabon
(livre xvi) mentionne deux forts qui etaient situes dans les
defiles qui conduisent a Jericho, et qui furent pris par Pompee,
apres la reduction de Jerusalem. II nomme ces forts Threx et
Taurus, et ce dernier pourrait tres-bien n'etre que notre
Thour-ed-Dabor.
1. Josue, xv.
140 VOYAGE EN SYRIE
Cette ville de Dabor a porte plusieurs noms a 1'epoque bi-
blique ; ainsi , nous lisons dans Josue ( xv, 19 ): — Kerit-
Sanah, qui est Dabor; et, dans le meme chapitre (vers. 45) :
— Le nom de Dabor fut autrefois Kerit-Sepher. — Le pre-
mier de ces deux noms signifie ville ou Ton inculque, ou Ton
repete (mtr de pi? pour ruo ) , le second signifie ville du livre;
les deux noms peuvent done parfaitement s'interpreter : la ville
des homines lettres, et c'est ainsi, en effet, que les Septante
ont rendu Kerit-Sanah par noXi? ypa|AjAsmov.
Un peu plus loin , nous avons rencontre des ruines tres-
considerables qui portent le nom de Kharbet-Samrah. Nous
lisons dans Josue (xv) : — 21. Les villes de la tribu des fils
de Ben lemin, par families, furent Jericho, Beit-Hadjlah et
Amik-Kaziz. — 22. Et Beit-Harbah, etSamrai'm, et Beit-El. —
Dans ce passage, deux noms me paraissent tres-importants ;
c'est d'abord Amik-Kaziz, la vallee de Kaziz; or, nous avons
rencontre, a deux kilometres a Test du Bir-el-Haoud, ou Fon-
taine des Apotres, la tete d'une vallee qui s'appelle Kaaziz, et
qui nous a conserve intact le nom de la cite de Benjamin nom-
mee, dans Josue, Amik-Kaziz. L'autre nom est Samrai'm, que
je crois pouvoir identifier avec la Samrah dont nous avons
traverse les ruines, et qui etait tres-certainement de la tribu
de Benjamin.
Les vastes ruines connues aujourd'hui sous le nom de Khar-
bet-Kakoun ( ^^ »/* ), ne rappellent, que je sache, d'autre
denomination antique que celle de la forteresse nominee Aaywv.
J'ai peine a croire qu'elles representent une partie de la Jericho
primitive. J'en deduirai un peu plus loin les raisons.
Reste enfin le Nahr-el-Kelt, qu'il n'est pas possible de ne
pas identifier immediatement avec le Kerith que nous trouvons
mentionne dans la Bible de la maniere suivante ' : — 2. La parole
1. Rois, I, xvu.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 441
del'£ternel lui fut (auProphetefilie), disant: — 3.Va-t-end'ici,
dirige-toi vers 1' orient, et cache-toi pres du torrent de Kerit
(rvo *?n:), qui est vis-a-vis du Jourdain. — De Kerit a Kelt
ou Kelit , il y a si pres qu'il est evident que ces deux noms
sont identiques, et que le Nahr-el-Kelt n'est autre chose que le
Kerit du livre des Rois.
II ne nous reste plus maintenant qu'a nous occuper de Jeri-
cho, et qu'a rechercher I'emplacement probable de cette im-
portante cite. Son nom hebra'ique s'ecrit inT et HITT ( Ie-
rihouet lerihah). Sous cette derniere forme, il a la plus grande
analogieavec lenommoderneEr-Riha. La catastrophe qui frappa
Jericho est racontee en detail dans le chapitre vi du livre de
Josue. Les Juifs etaient d'impitoyables conquerants , car (ver-
set21) tout, dans la malheureuse ville, hommes, femmes, jeunes,
vieux, jusqu'aux boeufs, aux agneaux et aux anes, fut passe au
fil de Tepee. Une prostitute avec sa famille trouva seule grace
devant les vainqueurs, parce qu'elle avait donne asile a deux
espions Israelites, envoyes en secret pour reconnaitre la place
avant qu'elle ne fut attaquee T. Josue fit alors un serment", di-
sant : Maudit soit 1'homme, devant 1'Eternel, qui se levera et
rebMira la ville de Jericho : que par son fils aine, il jette les
fondements, et que par son jeune fils, il en mette les portes. —
Cette malediction n'arreta pas les reconstructeurs de Jericho,
car nous lisons3 : — Dans son temps (du roi Ahab) , Kiel, de
Beit-El, batit Jericho; par (la perte d')Abiram, son aine, il
en jeta les fondements, et par (celle de) Sedjib, son plus
jeune fils, il en posa les portes; selon la parole de 1'Eternel,
qu'il avait proferee par Josue fils de Noun.
Jericho fut done certainement reconstruite ; aussi en trou-
1. Jos&phe raconte le sac de Jericho avec les memes details (Ant. Jud., v, i, 5-10).
2. Jos., vi, 26.
3. Rois, I, xvi, 34.
U2 VOYAGE EN SYRIE
vons-nous la mention un tres-grand nombre de fois, dans les
ecrits sacres et profanes , posterieurement au desastre qu'elle
essuya a la venue des Israelites sur la rive droite du Jourdain.
Au reste, puisque dans le livre de Josue lui-meme (xvm, 21),
Jericho se trouve classee parmi les villes du partage de Benja-
min, il est bien clair que la ville ne fut pas rasee et efTtcee de
la surface de la terre, comme le chapitre vi semblerait le faire
entendre. Je ne citerai qu'un seul passage biblique pour prou-
ver que Jericho avait ete reconstruite a une epoque fort reculee;
c'est celui ou il est question du miracle par lequel le prophete
Elisee rendit salubres les eaux de la source de Jericho. Nous
lisons1 : — Les gensde la ville dirent & Elisee : Voici, mainte-
nant le sejour de la ville est bon , comme mon seigneur voit,
mais les eaux sont mauvaises et la terre sterile. — 20. 11 dit :
Apportez-moi un vase neuf et mettez-y du sel, et ils le lui appor-
terent. — 21. II se rendit a la source de 1'eau et y jeta du sel,
et il dit : ainsi a dit 1'Eternel : J'ai rendu ces eaux saines, il
n'en proviendra plus ni mort ni sterilite. — 22. Les eaux de-
vinrent saines, jusqu'a ce jour, selon la parole qu' Elisee avait
proferee. — Puisque le sejour de la ville etait bon, c'est qu'ap-
paremment la ville avait ete rebatie avec soin. Ce passage, de
plus, semble prouver que la ville de Jericho se trouvait en rea-
lite vers la fontaine d'Elisee, plutot que vers le point ou sont
places le Bordj-er-Riha et le village moderne que Too prend
pour Jericho. Vers cette fontaine, en effet, se voient des
ruines qui portent le nom de Tahouahin-es-Sakkar ( les mou-
lins a sucre) ; mais je ne les ai pas visitees, et, par consequent,
je ne me permettrai pas de discuter leur age probable.
Josephe parle souvent de Jericho, qu'il place a soixante stades
du Jourdain 2. II dit qu'entre Jerusalem et Jericho il y a une
1. Rois,II,n, 19.
2. Ant. Jud., iv, in, 3.
ET AUTOUR DE LA'MBR MORTE. U3
vastft solitude; que Jericho, apres avoir e"te le siege de Tun des
cinq synodes, ou conventions juridiques, etablis par Gabinius ' ,
devint une des onze toparchies de la Judee 2, et que cette ville
avail un hippodrome 3. Que Jericho est situ^e dans une
plaine , que domine une montagne nue et sterile qui se relie,
au nord , aux champs scythopolitains (c'est-a-dire a la campa-
gne de Beysan) , et, au sud, a la Sodomitide et au lac Asphal-
tite4. Que la plaine de Jericho est si admirabtement fertile, et
arrosee par une source si abondante, qu'elle peut, a bon droit,
recevoir le nom de contree divine, ftsiov ^wpwv 5. Enfin, que
Jericho est a cent cinquante stades de Jerusalem , et que tout
1'intervalle qui separe ces deux villes est desert et rocailleux,
tandis que tout le pays qui separe Jericho du Jourdain et du
lac Asphaltite est a peu pres plat, mais neanmoins sterile6.
Strabon (lib. xvi) fait mention de deux forteresses qui
etaient placees dans les defiles qui conduisent a 1'entree de
Jericho, nominees Threx et Taurus, et que Pompee detruisit.
Josephe parle egalement de forteresses qui auraient ete assises
autour de la ville ; ainsi , il cite une citadelle, nominee Aaywv ,
placee au-dessus de Jericho 7. Le livre des Maccabees (i, xvi, 15)
parle d'une petite forteresse dependante de Jericho, qui s'appe-
lait Awx ou AWXO;. Or, il existe au nord de Jericho et de 1'Ayn-
es-Soulthan, une autre source qu'avoisinent des ruines visitees
par le docteur Robinson. Comme cette source se nomrne Ayn-
Douk, Robinson a conclu que les ruines aupres desquelles
elle se trouve, sont celles de la forteresse ou Simon Maccabee
1. Bell. Jud., i, VH, 5, et Ant. Jud , xiv, 5, 4.
2. Bell. Jud., HI, HI, 5.
3. Bell. Jud., i, 23, 6.
4. Bell. Jud., iv, VHI, 2.
5. Bell. Jud , i, vi, 6, et v, HI, 5.
6. Bell. Jud., iv, HI, 3.
7. Ant. Jud., xiii, viu, 1, et Bell. Jud., i, u, 3.
U4 VOYAGE EN SYR1E
fut traitreusement assassine" par son gendre Ptotemee r. Mais
comme pour Josephe cette forteresse est celle de Dagon , que
je pense retrouver au Kharbet-Qaqoun , c'est-a-dire bien loin
de 1'A.yn-Douk, il se peut qu'il y ait ici confusion.
Enfin , Josephe mentionne encore a une forteresse , construite
par Herode au-dessus de Jericho, et nomm^e Kuupo? , que des
se"ditieux prirent et raserent, sous le regne d' Agrippa. In autre
passage du meme historien 3 parle de cette citadelle de Cyprus :
Ev iepiyoi1 [xera^u K'JTtpou TOU E.
Tell-Arraneh E. 15«> S.
Le Nahr-el- Kelt ne passe pas a plus de vingt-cinq metres
au sud de la tour.
Rien de plus malpropre, rien de plus delabre que le Bordj-
er-Riha. Cavaliers et chevaux y vivent pele-mele, assez misera-
blement ; mais, ce qui y vit triomphalement, c'est la vermine.
La tour a un premier e"tage sans toit , duquel on monte , par un
escalier qui ne vaut pas mieux que celui qui y conduit , a une
sorte de plate -forme regnant sur les quatre faces de la tour, et
a laquelle les murs exterieurs servent de parapet. Tout cela est
horriblement enfume, disloque et croulant. Un beau jour, la
forteresse tombera sur le dos de la garnison et 1'ecrasera d'un
coup, a la grande satisfaction des Arabes qui, bien qu'ils aient
affaire a une dizaine de cavaliers irreguliers peu tracassiers, ne
les en aiment pas plus pour cela.
Nous avons ete obliges d' accepter le cafe offert par les de-
fenseurs de la forteresse , ce qui nous a encore coute une di-
zaine de piastres, ensuite de quoi nous avons bien vite regagne
notre camp, que nous avions donne 1'ordre de lever prompte-
ment , vu que la journe"e que nous devions faire etait longue
et rude.
A. huit heures vingt- quatre minutes, nous etions a cheval, et
nous nous dirigions vers le Jourdain , en faisant toutefois un
detour qui nous permit d'aller visiter les mines du monastere
de Saint-Jean. Nous coupons d'abord le Nahr-el-Kelt, au dela
duquel nous marchons au sud-ouest, a travers des terrains en
culture, mais en culture fort mediocre. A. partir de huit heures
1. C'est laNemrah (miD3) delatribu de Gad. (Nombres 32, 3), la Ntefi d'Eu
sebe, et probablement la Peit-Nimra du livre des Nombres (32, 36), Bi)8vtnf><« qu'Eu-
. sehe plarp pi os de I-ivias.
»• .1)
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 147
trente minutes , nous longeons un ravin plac6 a une trentaine
de metres a notre gauche, et qui coupe un terrain garni de pe-
tits arbres. A huit heures quarante minutes , nous rencontroris
un aqueduc qui traverse ce ravin et que Ton nomme Djesr-el-
MaTeh (le pontde 1'eau). Nous marchons alorsa 1'est-sud-est,
et nous eonservons invariablement cette direction jusqu'a la
ruine curieuse que nous allons voir. Un peu au dela de 1' aque-
duc, nous coupons un ravin qui va converger avec celui dont
nous suivions le bord.
A huit heures quarante-six minutes, nous rencontrons a notre
droite une ruine carree, qu'entourent des amas de decombres
assez clair-semes. L'ensemble de ces ruines se nomme Kharbet-
el-Moharfer. Robinson ', qui a traverse" ces memes ruines, sup-
pose qu'elles peu vent etre celles de la Gilgala, mentionnee par
Eusebe et par saint Jerome, comme etant a deux milles de
Jericho et a cinq milles du Jourdain. A neuf heures dix minutes,
nous sommes au milieu d'un terrain tout a fait effondre et pMeux,
qui nous rappelle, pour la consistance, celui du pied de la mon-
tagne de sel , avant d'arriver a la Sabkhah. Nous traversons
encore alors un tres-large ravin peu profond, et apres avoir
parcouru une plaine entierement coupee de ravins boueux,
mais plantes de bouquets d' arbres nains, nous arrivons, a neuf
heures vingt-cinq minutes , a la ruine que nous sommes venus
voir et que les Arabes nomment Dei'r ou Qasr-Hadjlah. C'est
le monastere de Saint-Jean que les quatre chevaliers messins,
dont j'ai deja cite le pelerinage, a propos du Rhan-el-Ahmar,
mentionnent de la maniere suivante : « Apres nous etre baigne*s
dans les eaux du Jourdain et avoir fait nos devotions, nous
allames a un bel hotel, en forme de maison forte, ou se trouve
une tres-belle et tres-devote chapelle, desservie par des
'.'"'fj'^*'-*''' J I'F ( 7' .OTwtTIHOI ' nfW '
1. Bibl. Resenrches, t. II, p. 273.
U8 VOYAGE EN SYRIE
moines grecs. Ce lieu fut jadis la retraite de saint Jean-
Baptiste, quand il etait au desert; et en verite, ses environs
sont si desoles qu'ils meritent bien ce nom. Les moines de
ceans nous montrerent une main qu'ils nous dirent etre dudit
saint Jean-Baptiste , et devez savoir que ces moines ne sont
pas catholiques, mais Grecs schismatiques. » Je regrette vive-
ment de n'avoir a ma disposition que cette traduction mediocre
du texte primitif. En 1522, Salignac retrouva ce monastere
habite par des moines de Fordre de saint Basile; mais Qua-
resmius le mentionne comme une ruine. C'est effectivement
une ruine tres-interessante, bien qu'elle soit assez moderne, et
il y aurait des dessins fort curieux a y recueillir, si Ton voulait
y copier toutes les peintures religieuses , assez bien conservees
encore, et que Ton y rencontre sur les inurs de toutes les
salles et de la chapelle. Des legendes grecques accompagnent
ces peintures.
II est assez difficile, assez dangereux meme, de se promener
dans ces ruines, qui sont encombrees, jusqu'au faite des mu-
railles, de blocs de pierre de taille, restes de toutes les voutes
de Fetage superieur, et qui cedent parfois sous les pieds, en
vous exposant a vous rompre les jambes. Papigny en fait 1'ex-
perience; il s'aventure sur une voute qu'il croit solide, et sa
jambe droite la traverse immediatement, en s'ecorchant et se
meurtrissant de la facon la plus desagreable ; heureux encore
d'en etre quitte a si bon marche 1
Avant d'arriver au Qasr-Hadjlah, nous avons derange une
panthere , que deux ou trois de nos Arabes ont poursuivie vai-
nement, comme toujours, et au risque de s'embourber, eux et
leurs chevaux, de facon a ne pouvoir jamais s'en tirer. II parait
que ces aimables animaux affectionnent ce quartier, ou ils sont
assures de trouver urie abondante nourriture, gr&ce a la presence
dessangliersqui pulluient dans ces ravins humides. Maisceux-ci
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 449
qu'y trouvent-ils a manger? J'avoue que je ne le devine pas.
Le fait, c'est qu'ils y vivent, et qu'ils y vivraient fort heureux
et fort tranquilles, n'etait le voisinage desobligeant des pan-
theres. Nous quittons le Qasr-Hadjlah a neuf heures quarante-
deux minutes, en nous dirigeant d'abord au nord-est. Nous
avons a quinze metres sur notre gauche le large ravin que nous
avons traverse avant d'arriver au couvent de Saint-Jean. Tres-
peu de temps apres, notre route tourne et se dirige a 1'est-sud-
est. A neuf heures cinquante minutes, nous traversons de nou-
veau le ravin, et, en marchant au nord-est, nous arrivons,
a dix heures trois minutes, a une belle fontaine, entouree de
broussailles et d'arbres nains. C'est FAyn-Hadjlah. La, sans
aucun doute, exista la cite biblique nommee dans 1'ficriture
Beit-Hadjlah (Beth-Ghoglah des traductions de la Bible).
Beit-Hadjlah etait une ville de la tribu de Benjamin *. — Les
villes de la tribu de Benjamin, par families, furent: Je'richo,
Beit-Hadjlah (r^nn rsr) et Amik-Raziz. — Enarabe, lenom mo-
derne de cette fontaine s'e"crit : iJb^, et il est bien clair que le
nom hebrai'que n'a pas e'te le moins du monde altere. Tres-cer-
tainement, le monastere, dont nous venons de visiter les ruines,
et qui n'est situe qu'a environ deux kilometres de la fontaine,
a pris son nom du voisinage de celle-ci. Quant a 1' existence
d'une cite biblique aupres de 1'Ayn-Hadjlah, elle est, pour
moi , demontree par la presence de gros cubes de mosaique
primitive, que j'y ai ramasses, et auxquels le savant Bobinson
n'a pas fait attention, puisqu'il declare qu'autour de la fontaine,
il ne reste aucune trace de localite antique, quoiqu'il soit
demontre pour lui que la fut la Beit-Hadjlah de 1'Ecriture-
Sainte. Cette ville biblique etait sur la limite de la tribu de
Juda et de la tribu de Benjamin, puisque nous lisons dans Jo-
1. Josue, xviii, 21.
450 VOYAGE EN SYRIE
sue (xv) — 5 et la limite du cote du nord, depuis .la
langue de mer de 1'extremite du Jourdain. — 6. La limite s'e-
leve vers Beit-Hadjlah, passe au nord de Beit-Harbah, s'eleve
h la pierre de Bahan , ills de Raouben.
La limite meridionale de la tribu de Benjamin est ainsi de-
crite dans Josue (xv, 19). — La limite passait du cote de
Beit-Hadjlah , au nqrd ; la limite aboutissait a la langue de la
mer salee au nord, a 1'extremite meridionale du Jourdain:
voila la limite du sud. — Enfin, saint Jerome, au mot Arca-Atad,
cite une Bethagla, qui etait eloignee de Jericho de deux milles,
et de trois milles du Jourdain. G'est tres-certainement la cite
biblique qui etait bade autour de 1'Ayn-Hadjlah.
Apres avoir passe a gauche de 1'Ayn, nous nous dirigeons
a peu pres en droite ligne sur le Jourdain ; c'est-a-dire qu'apres
avoir marche d'abord h 1'est-nord-est, nous revenons a Test, a
dix heures onze minutes, pour ne plus quitter cette direction
jusqu'au bord meme du fleuve. En ce moment, nous aperce-
vons a notre gauche, et & trois ou quatre kilometres, une
mine placee sur une elevation qui domine la rive droite du
Jourdain. Cette ruine est connue des Arabes sous le nom de
Qasr-el-Yahoud. Je ne puis absolument rien dire de cet edifice
que je n'ai pas visite. Bobinson, qui ne 1'apas visite non plus,
suppose qu'il represente le monastere de Saint Jean-Baptiste
qui etait place au bord du Jourdain , et qui est mentionne par
Procope , comme ayant existe deja. avant 1'epoque de 1'empe-
reur Justinien.
A partir du point ou nous avons marche directement a Test
pour gagner le bord de la riviere, la plaine descend vers celle-
ci par deux ressauts successifs de quelques metres chacun. A
dix heures dix-sept minutes , nous passons par-dessus un anti-
que canal-aqueduc, & fleur de terre, et nous arrivons enfin a la
rive du Jourdain , a dix heures quarante-six minutes. Rien de
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. <5<
plus riant que cette rive qui est plantee cTarbres magnifiques,
parmi lesquels se trouve un peuplier dont les fleurs en chaton
sont d'une belle couleur purpurine. Les grands arbres bordent
immediatement le rivage, qui est forme par une jolie prairie
couverte de fleurs et plantee de saules. La berge est a pic , et
s'eleve de deux ou trois metres au-dessus de 1'eau. La riviere
est tres-grosse et 1'eau qu'elle roule est extremement sale et
j une.
Comme nous nous sommes munis, a Jerusalem, de bouteilles
de fer-blanc destinees a emporter de 1'eau du fleuve sacre,
nous nous ingenions a remplir nos bouteilles, et la chose n'est
certaineraent pas aisee. Heureusement , un tronc d'arbre, dont
le pied estplante dans le flanc memede la berge, est fortement
penche sur 1'eau, et, en se mettant a califourchon sur ce tronc
d'arbre, nous pouvons, en allongeant un bras, tandis que nous
nous cramponnons de 1'autre, recueillir 1'eau que nous desirous
emporter et en emplir nos bienheureuses bouteilles. 11 ne s'agit
pas de perdre les arcons, car la riviere est en ce moment tres-
profonde et tres-rapide, et le bain qu'on y prendrait involon-
tairement, pourrait mener loin, meme un bon nageur qui n'au-
rait pas la chance de se raccrocher tres-vite aux branches de la
rive. De charmants ilots couverts d'arbreset de verdure, encom-
brent le lit de la riviere. En un mot, il est difficile de rencontrer
un site plus pittoresque et une vegetation plus luxuriante.
Pendant que notre dejeuner s'apprete , et que le tapis qui
nous sert de table et de siege, est mollement etendu sur 1'herbe,
chacun se met en quete des objets qu'il affectionne. L'abbe cher-
che et trouve de charmantes plantes. Edouard, Philippe, Pa-
pigny et moi nons cherchons des insectes sous les feuilles mor-
tes et sous les pierres. Notre chasse est merveilleuse, et nous
rencontrons de magnifiques especes de coleopteres , tout a fait
inconnuesaux entomologistes, et dont 1'une (c'estun Helluo) n'a
<52 VOYAGE EN SYRIE
d'analogues que dans les regions tropicales de Fancien et du
nouveau monde. II faut bien en conclure que le climat de la
vallee du Jourdain a une grande ressemblance avec celui de
Tlnde.
Notre dejeuner s'est passe" fort gaiement. Seulement, la pluie
qui est survenue, a mis de 1'eau , non pas dans notre vin, mais
dans notre eau. Nous nous en sommesgarantiscommenousavons
pu, c'est-a-dire fort mal. Mais elle n'a pas dure ; c'etait un grain
passager qui a cesse au bout de peu de temps. Pendant le repas
nos Arabes ont eu 1'attention de nous couper quelques baguettes
tres-droites, desquelles nous comptons faire des Cannes, au
retour. L'un d'eux, surtout, ne manque pas une occasion de
nous procurer ce qu'il regarde comme curieux, dans 1'espe-
rance de toucher un bakhchich, bien entendu. C'est ainsi qu'il
me ramasse, dans Tun des ravins que nous suivons, avant d'ar-
river au bord du Jourdain, un morceau de soufre qu'il m'ap-
porte en triomphe, et, un peu plus tard, sur les branches de-
garnies de feuilles de quelques-uns des arbrisseaux au milieu
desquels nous cheminons, des boules noires, qu'il prend pour
des fruits maudits, et qui ne sont, en realite, que le produit de
la piqure d'un insecte hymenoptere du genre des Cynips.
A midi vingt-deux minutes, nous quittons, beaucoup trop
promptement a notre gre, cet endroit enchanteur, qui est celui
ou viennent se baigner les pelerins qui visitent le Jourdain, et
qui leur est donne comme le lieu meme ou Jesus-Christ recut
le bapteme. Gette tradition merite-t-elle reellement confiance?
je 1'ignore, mais j'en doute un peu.
Apres etre remontes de la prairie ou nous avons dejeune, sur
le plateau qui la precede, et cela en suivant en sens inverse le
meme chemin qui nous y a conduits , nous tournons brusque-
ment a gauche, et nous marchons d'abord directement a 1'ouest,
et parallelement au Jourdain , que nous avons a une quinzaine
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 15*
de metres a notre gauche. A midi trente minutes , la direction
que nous suivons est au sud, quelques degre"s ouest , et nous
sommes alors & sept ou huit metres seulement du Jourdain, qui
forme en cet endroit une anse de cent cinquante metres de lar-
geur. Ici les arbres ne nous cachent plus 1'autre rive , que
nous voyons couverte de mamelons de sable gris. Au dela de
la petite anse, nous traversons un veritable bourbier, dans le-
quel le scheikh Mahmoud s'enfonce avec son cheval. II nous
faut perdre cinq minutes pour que ses amis aient le temps de
les tirer de Ik, lui et sa bete.
A midi quarante-cinq minutes , nous avons en vue , a quatre
kilometres environ sur notre droite, le Qasr-Hadjlah, que nous
avons quitte il y a quelques heures; nous entrons alors dans
une vaste plaine, sans vegetation, qui nous rappelle tout a fait
la Sabkhah de la pointe sud de la mer Morte. Gette plaine est
traversee par la route que Ton fait suivre aux pelerins que Ton
mene du Jourdain au bord de la mer Morte, et qui s'appelle
Sekket-el-Bahr. A un certain moment mon pauvre cheval
s'embourbe jusqu'aux naseaux dans la fange sur laquelle nous
cheminons, et j'avoue que, cette fois encore, j'ai une peur
affreuse. Je sors comme je puis du trou dans lequel nous
sommes encastres, et je laisse a Mahmoud et a Mohammed le
soin de desincruster ma pauvre monture. Quant a moi, je
m'eloigne le plus vite possible de ce point dangereux, en mar-
chant de preference sur les touffes de soude qui se montrent
par-ci par-la , et qui donnent quelque consistance au terrain.
II est une heure vingt-cinq minutes quand cet ennuyeux
accident m' arrive, et nous marchons alors a 1'ouest-sud- ouest.
A une heure precise notre route avait tourne deja au sud-ouest.
Enfin, a une heure quarante-cinq minutes, nous sommes ar-
rives sur la plage tant desired, et a cinquante metres seulement
du bord de Teau. Nous avons alors en vue , a six cents metres
<54 VOYAGE EN SYR1E
de distance horizontal, un Hot, couvert de decombres, et qui
n'a guere qu'une cinquantaine de metres de largeur. G'est le
Redjom-Louth (le monceau de Loth). Quelles sont les anti-
ques constructions qui ont existe sur cet Hot? Nul ne peut le
savoir ; mais, a coup sur, elles appartiennent a une epoque tres-
reculee , et probablement contemporaine de la catastrophe qui
a detruit la Pentapole. Je ne doute pas que ces mines ne soient
celles qui ont donne lieu a la tradition, repetee tant de fois par
les voyageurs, et d'apres laquelle il a ete si longtemps admis,
comme un fait avere, que les ruines de Sodome existaient sous
I'eau, qu'on les y apercevait, et que, lorsque les chaleurs etaient
tres-fortes, et par suite le niveau des eaux assez bas, ces ruines
restaient a decouvert. II est inutile de faire remarquer ce que
cette tradition a d'impossible, quant a Sodome bien entendu!
Sodome etait -certainement a la pointe sud de la mer Morte , et
le Redjom-Louth est a la pointe precisement opposee, c1est-a-
dire a vingt-cinq lieues du site de la Sodome biblique.
Le point ou nous avons aborde la plage de la mer Morte, est
fort eloigne de I'embouchure du Jourdain, et celle-ci, de loin,
parait placee tout a fait a Tangle de la face nord du perimetre
de la mer, et a la base des montagnes de Moab. Mais, cette
position n'est probablement pas rigoureuse, et il doit y avoir
une certaine etendue de plage , non appreciable de loin , entre
la rive gauche du Jourdain et le pied de la chaine moabitique.
Nous tournons directement a I'ouest, et, a une heure cin-
quante-deux minutes, nous sommes sur une sorte de langue de
terre qui, dans la saison des basses eaux, doit former isthme et
relier le Redjom-Louth au continent. Cet ilot n'est, aujourd'hui,
separe de la terre-ferme que d'une centaine de metres au plus,
et que par un bas-fond que nos chevaux traversent avec la plus
grande facilite pour aller prendre pied sur lui. II m'est impos-
sible de ne pas affirmer quelapretendueimpossibilite, pour les
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 155
chevaux, de cheminer dans les eaux de la mer Morte, impossibi-
lite telle qu'ils seraient immediatement renverse's par suite de la
densite de ces eaux, constitue une fable qui n'a aucune espeee
de fondement, et qui, comme tant d'autres, a et6 re"petee a
plaisir, en acquerant droit de bourgeoisie dans les remits de tous
les voyageurs.
Au bout de quelques minutes, nous coupons un ruisseau assez
large et assez profond, ou plutot une sorte de petite riviere, qui
vient se Jeter dans la mer Morte, en courant, sur tout ce que
nous pouvons voir de son parcours, du nord au sud. Nous som-
mes alors devant une petite crique, situee a 1'ouest du Redjom-
Louth, et qui s'enfonce d'une trentaine de metres dans les ter-
res. A une heure cinquante-huit minutes, nous sommes en Face,
et justement au nord, du petit cap qui forme le bord occidental
de cette crique. Nous tournons alors directement au sud,
et nous cheminons, a travers des arbustes che"tifs, sur un
terrain meuble , couvert de cailloux roules et jonche" de troncs
d'arbres a 1'apparence carbonisee. Nous sommes ici dans le
Rhor-el-Djahir, et nous nous maintenons constamment a vingt
ou trente metres du bord de I'eau, en suivant a peu pres pa-
rallelement tous les contours qu'il forme.
Bientot, notre route s'etablit au sud, quelques degres ouest,
et va, en s'inclinant de plus en plus vers le sud-ouest, jusqu'k
deux heures quarante-deux minutes, qu'elle a gagn6 1'ouest-
sud-ouest. La plage, a notre gauche, est garnie de bois flotte
noirci, d'arbrisseaux, de broussailles, et, parfois, d'epais et
grands roseaux, mais jusqifa deux heures dix-neuf minutes
seulement; a ce moment finit le Rhor-el-Djahir. A deux heures
cinq minutes, nous avons en vue, a six kilometres environ sur
notre droite, un plateau nomine" el-Hadjr-Lasbah , et, un peu
plus vers le sud , et a huit kilometres , le Nakb-Goumran , sur
lequel nous nous dirigeons, a deux heures trente et une minutes.
<56 VOYAGE EN SYR1E
En ce moment , nous sommes precise'ment en face de 1'embou-
chure de FOuad-Zerkah, qui s'ouvre sur le bord oriental de la
mer Morte. A deux heures quarante-deux minutes, la plage s'e-
tend a notre gauche, sur une largeur de deux cents metres. A.
deux heures quarante-neuf minutes, nous nous sommes rap-
proches du bord de la mer, qui n'est plus qu'a vingt-cinq metres
a notre gauche. A deux heures cinquante-cinq minutes , nous
ne sommes qu'a mille metres environ de la chaine des mon-
tagnes de Canaan, et, a notre droite, s'ouvre un ouad tour-
mente, qui se nomme Ouad-Goumran. Une montagne moins
elevee et des monticules de sable gris nous en separent , et
nous marchons au milieu de decombres qui portent le nom de
Kharbet-el-Fechkhah. Dans le flanc de la montagne interposee
entre la grande chaine et nous, et en avant meme de 1' Ouad-
Goumran , est percee une grotte parfaitement visible, du point
oil nous sommes parvenus.
Nous nous rapprochons rapidement du flanc des montagnes,
ou plutot ce sont elles qui se rapprochent de notre route, qui, a
trois heures quatorze minutes, est a deux cents metres seule-
ment de 1'entree de 1'Ouad-Goumran et a cinq cents metres du
bord de la mer. Nous marchons alors au sud-ouest. A trois
. heures seize minutes , nous sommes dans les ruines nommees
Kharbet-el-Fechkhah, et nous rencontrons un mur antique, dont
la direction est perpendiculaire a la route que nous suivons , et
qui est place a droite de notre route. Quelques gros monticules
de sable gris masquent 1'entree de 1'ouad. Le pied de la mon-
tagne est alors a cent cinquante metres a droite , et le bord de
la mer a cinq cent cinquante metres a gauche. La grotte que
nous avions apercue de loin , est a une distance horizontal
de cent soixante metres, a droite, et a cent metres, environ,
au-dessus de notre route. Cette grotte est carree, et elle porte
le nom de Morharrat-es-Sai'd.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 157
L'intervalle qui se"pare le pied des montagnes et le bord de
la mer va toujours se r&recissant ; ainsi, a trois heures trente
minutes, nous marchons directement au sud , au pied meme de
la montagne , et a deux cents metres seulement du bord de la
mer, qui commence a etre couvert d'une lisiere de roseaux im-
inenses, tout a fait semblables a ceux que nous avions admires,
un mois avant, a notre arrivee a l'Ayn-el-Rhoueir. A trois heu-
res seize minutes, le flanc de la montagne se creuse, a notre
droite, et forme une sorte de cirque, dans lequel je crois recon-
naitre un cratere. Deux vastes mamelons de sable gris cou-
vrent Pentre'e de ce cirque. Au dela se montrent encore des
ruines que nous traversons , pour arriver, a trois heures qua-
rante minutes, au point ou nous trouvons notre camp e"tabli.
A deux cents metres en avant, c'est-a-dire au sud de nos tentes,
est la source chaude et saumatre qui se nomine Ayn-el-Fech-
khah. La plage a, en ce point , deux cents metres de largeur
environ, et le voisinage de la source a fait pulluler les grands
roseaux, qui forment un epais fourre" regnant jusqu'au bord
meme de la mer Morte. Enfin, un peu au nord de notre camp,
et entre celui-ci et la mer, sont des ruines, a fleur de terre,
tres-apparentes, etqui appartiennent incontestablementa la plus
haute antiquite. Elles sont connues des Arabes sous le nom de
Kharbet-el-Yahoud.
Nous voila done etablis une fois encore, et malheureusement
pour la derniere fois, sur le bord de cette mer que nous aimons
tant, maintenant que nous savons ce que valent les contes fan-
tastiques dont on s'etait servi pour en faire un lieu de maledic-
tion et de mort. Je dois avouer, cependant, que cette fois son
voisinage nous parait assez mediocrement agre"able, grace a des
nuees de moustiques qui nous devorent, et qui ne se contentent
pas de se jeter sur toutes les parties de notre corps qui restent
livrees a nu a leur aiguillon, mais qui trouvent encore le secret
458 VOYAGE EN SYRIE.
de transpercer nos vetements, et de nous atteindre a travers
drap, toile et flanelle. C'est a devenir fou de colere centre
ces endiables animaux.
Autre agrement du voisinage de 1' Ayn-el-Fechkhah ! J'ai dit,
tout a 1'heure, que 1'eau de cette source etait saumatro , bien
que potable a la rigueur. Elle sert a nous faire le potage et le
cafe le plus execrables que j'aie jamais goutes; mais, comme
nous n'avons pas d'autre eau, il faut bien nous contenter de
celle-la, et nous soulager, en faisant tout autant de grimaces
que nous le voudrons, de la dure necessite oil nous sommes,
d'avaler cette infecte drogue.
Malgre les moustiques, 1'abbe et moi nous sommes mis
en course pour chercher ruines, plantes et coquilles, pendant
le peu d'heures qui nous restent, avant que 1'obscurite ne vienne
et que notre diner ne soit pret. L'abbe est alle herboriser sur
la plage meme, a travers la lisiere de roseaux; il a ramasse,
au bord de la mer, des coquilles mortes et blanches qu'il m'ap-
porte triomphalement, comme un produit du lac Asphaltite lui-
meme ; mais je le desenchante bien vite, en lui faisant recon-
naitre que ce sont des melanopsides qui ont vecu dans leau
douceatre del' Ayn-el-Fechkhah , et qui, entrainees dans le lac,
apres leur mort , ont ete rejetees sur la plage , ou le temps et
1' influence de 1'eau affreusement salee qui les a incessamment
baignees, ont fortement aitere leur test et change sa couleur
noire primitive en une couleur d'un blanc roussatre. Gomme
1'abbe, quelques-uns des voyageurs qui nous ont precedes sur
les rives de la mer Morte , ont ramasse des coquilles mortes
rejetees sur la plage; ils en ont conclu que des mollusques
vivaient dans la mer Morte, et ils ont tire cette conclusion trop
vite. 11 est indubitable, pour moi, que ces coquilles n'etaient que
des coquilles fluviatiles, semblables aux melanopsides recueil-
lies par 1'abbe Michon, et qu'elles provenaient, soit des cours
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. -189
d'eau qui se jettent dans le lac Asphaltite , soit des sources qui
existent sur ses bords.
Pendant que 1'abbe se promenait sur la plage, j'etudiais, de
mon cote1, le Kharbet-el-Yahoud. C'est au milieu de cette ruine
venerable que mon ami vient me rejoindre. A mon tour, je lui
fais voir ma trouvaille qui a plus d'importance que la sienne, et,
malgre les moustiques qui nous font nous dechirer a 1'envi le
visage et les mains, nous nous decidons a lever immediatement
le plan de Tedifice antique, dont les arasements subsistant en-
core, nous permettent d'etudier les contours sur presque toute
son etendue. Ces arasements consistent en enormes blocs de
pierre non tallies, formant des murailles que Ton peut appeler
cyclopeennes, et qui ont un metre d'epaisseur.
Voici la description de toutes les parties reconnaissables de
cet etrange Edifice , que je n'hesite pas a considerer comme
contemporain de Sodome et de Gomorrhe, et, tres-probable-
ment, comme un des debris de la derniere de ces villes. Sur
un mur de face, oriente au nord-nord-est, et detrente-six metres
de developpement, sont appuyes trois pavilions carres , de six
metres de cote", disposes aux deux extremites et au milieu de
la face. Celle-ci se prolonge un peu au dela du pavilion de
droite, dont le flanc droit commence une ligne de muraille de
vingt-deux metres de developpement, perpendiculaire, par con-
sequent, a la face principale. Sur ces vingt-deux metres, six
forment le cote du pavilion , et les cinq derniers metres sem-
blent avoir servi de face gauche a un pavilion semblable, dont
le mur de fond s'etend sur une longueur de quelques metres, en
dehors du mur perpendiculaire a la face principale. A 1'extre-
mite de gauche de celle-ci, vient aboutir une longue muraille,
de soixante-huit metres de developpement, plus inclinee a Test
que la premiere , et , a tres-peu pres , au nord-est. Le mur de
gauche du pavilion carre de gauche, se prolonge de vingt et un
460 VOYAGE EN SYRIE
metres, perpendiculairement £ la grande face. L£ , la muraiile
s'interrompt sur une etendue de cinq metres, puis reprend un de-
veloppement de quatorze metres. Sur cemur de quatorze metres
sont appuyes, a droite, deux pavilions carres ayant egalement
six metres de cote; un intervalle de deux metres separe ces
deux pavilions. Les deux murs de face se prolongent p-iralle-
lement, et a gauche, d'une longueur de seize metres, dont les
six derniers sont recoupes de la longueur totale, par deux murs
egalement paralleles, et separes 1'un de 1'autre par un intervalle
de six metres. Ces deux murs ont un developpement total de
vingt metres, dont les six derniers forment encore un pa-
vilion de six metres de cote '. 11 semble probable que les sept
diflerents pavilions dont je viens de donner la description ,
etaient des chambres ou habitations qui etaient appuyees sur
de vastes enclos, dont il est bien difficile, aujourd'hui, de devi-
ner la destination premiere, fitaient-ce des enceintes consacrees,
ou tout simplement des sortes de lieux fermes, dans lesquels des
troupeaux pouvaient etre rassembles pendant la nuit? c'est la
un point qu'il est a peu pres impossible de preciser, et que je
n'essaierai meme pas de discuter. Je me bornerai a faire ob-
server que dans un edifice, tres-probablement religieux, et que
j'ai decouvert plustard au milieu des ruines de Hazor, aussi bien
que dans le temple du mont Garizim, j'ai retrouve des pavilions
analogues, disposes d'une maniere toute semblable, aux angles
et sur le milieu de chacune des faces de 1'enceinte carree qui
constituait 1' enclos sacre.
Contents de notre decouverte archeologique , nous sommes
rentres dans la tente, avec la satisfaction de gens qui n'ont
pas perdu leur temps. A Toauvre, nous avions un peu oublie
les moustiques ; aussitot en repos , nous avons senti les piqures
1. Voy. pi. xnr.
ET AUTOUR. DE LA MER MORTE. 161
auxquelles nous avions cesse de faire attention, et nous nous
sommes remis a nous dechirer de plus belle, en grattant les
affreuses ampoules que nous devions aux attaques des vilaines
petites betes. .4 part les moustiques, notre soire"e s'est passee
tres-agreablement a mettre en ordre toutes nos conquetes de
la journee : carte, dessins, notes, plantes, coquilles et
insectes, rien n'y manque, et nous avons amplement enrichi
nos collections, pendant les quelques heures qui viennent de
s'ecouler.
7 FEVRIER.
.La nuit a ete fort douce et fort tranquille; nous etions assez
fatigues, et nous avons dormi une bonne dizaine d'heures sans
debrider. Probablement la fumee de nos tchibouks n'est pas
du gout des moustiques d'Ayn-el-Fechkhah ; ce qui est sur, a
tout le moins, c'est que nous en avons ete de"livre"s pendant
notre sommeil.
Le reverend Robinson donne, dans son excellent livre,
une description de l'Ayn-el-Fechkhah, qu'il a visite en venant
d'Ayn-Djedy a Jericho (12 mai 1838). II n'etait pas possible
qu'un observateur aussi attentif laissat echapper le fait de la
presence des ruines situees aupres de la fontaine. Aussi dit-il :
« Near the fountain are the foundations of a small square
tower and of other small buildings; wheter ancient or not,
we could not tell. » II est vivement a regretter que le savant
voyageur n'ait pas consacre , comme nous , un peu de temps a
Texamen de ces interessantes ruines; il eut, j'en suis assure,
acquis la conviction qu'elles etaient bien loin d'etre petites et
de peu d' importance.
Notre projet est d'aller aujourd'hui camper aupres du cou-
vent musulman de Naby-Mousa ; c'est une assez faible course,
mais nous aurons au moins 1'avantage de pouvoir etudier un
ii. 11
162 VOYAGE EN SYRIE
peu mieux encore le pays que nous traverserons, puisque nous
ne serons pas trop presses par le temps. A huit heures seize mi-
nutes seulement, nous nous mettons en route et nous nous diri-
geons au nord-nord-est , en laissant a notre droite le Kharbet-
el-Yahoud. A. vingt-cinq metres a notre gauche commencent les
escarpements du Djebel-Fechkhah, et la mer est a deux cents
metres a droite, bordee d'un £pais fourre de roseaux geants.
A huit heures vingt-cinq minutes , le pied de la montagne est
masque par une colline couverte de decombres, et notre route
elle-meme traverse des decombres analogues, qu'un ceil exerce
peut seul reconnaitre. Un peu plus loin, nous sommes juste-
ment en face du sommet du Djebel-Atarous , qui n'est tres-
probablement que le mont Nebo.
A huit heures trente etune minutes, nous avons, a environ
cinquante metres a notre gauche, un cirque tres-semblable a
un cratere, et que recouvrent deux mamelons eleves, de sable
que Ton serait tente de prendre pour de la cendre volcanique.
Les ruines se montrent toujours , et les Arabes leur donnent le
nom de Kharbet-Fechkhah. La plage va constamment en s'e-
largissant et elle a quatre cents metres de largeur sur notre
droite, lorsque nous sommes en face et a cent metres de 1'Ayn-
. Araous, qui coule au bord de la lisiere de roseaux. A huit
heures trente-cinq minutes, nous coupons un veritable fosse de
cloture, de cinq metres de largeur, et auquel il n'est pas pos-
sible d'assigner une origine autre que le travail de rhomme.
Le pied de la montagne s'eloigne aussi de notre route, dont
la direction n'a pas vane" , et il est maintenant a cent metres
de cette route. Presque aussitot apres avoir franchi le fosse
de cloture dont je viens de parler tout a I'heure , reparaissent
des ruines en beaucoup plus grande quantit^, et qui sont
incontestablement le squelette d'une tres-grande ville , dont les
ruines que nous avons reconnues en decadu fosse, represented
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 163
peut-e*tre une sorte de faubourg. Nous avons en vue, a
trente metres sur notre droite , un fosse revelu en pierres, et
que nous suivons parall element sur une assez grande longueur.
C'est tres-probablement le meme foss6 de cloture que nous
avons travers^ tout a 1'heure , et qui a fait un coude pour se
diriger au ' nord-nord-est. La portion de ces ruines , dans
laquelle nous avancons en ce moment, se nomme encore
Kharbet-Fechkhah. A huit heures quarante et une minutes,
nous sommes a cinq cents metres du bord de la mer , et entre
le pied de la montagne et notre route, se voient les decombres
d'une tour ruine"e. La lisiere de roseaux suit toujours les con-
tours de la plage. A huit heures quarante-sept minutes, nou
sommes arrives en face de 1'extremite nord d'une tres-longue
muraille, qui n'est vraisemblablement encore que la continua-
tion du fosse revetu dont nous avons deja rencontre deux tron-
cons considerables. Nous passons aussi en ce moment sur les
arasements d'une enceinte carree assez vaste.
Je disais tout a 1'heure que les ruines au milieu desquelles
nous cheminons, ne sont pas faciles a reconnaitre, et qu'il est
fort probable que cent voyageurs de suite les fouleraient, sans
se douter de leur existence. Cela est si vrai, qu'ayant averti
1'abbeMichon de leur presence, celui-ci m'ad'abord ri aunez, de
facon a me faire bien comprendre que j'etais un visionnaire.
Heureusement le fosse" de cloture que nous avons eu a tra-
verser et les murailles qui sont venues apres , m'ont permis
de lui faire toucher du doigt ce que j'appelaisune ruine, et lui,
un tas de pierres jetees la au hasard par la nature. L'abbe ,
qui ne demande pas mieux que d'y voir clair en tout, n'a pas
besoin d'un temps bien long pour se rendre a 1'eVidence, et
des qu'il a reconnu un seul arasement de muraille antique,
il n'a plus le moins du monde besoin d' avoir mon avis, pour
distinguer au premier coup d'reil les points ou ont existe
464 VOYAGE EN SYRIE
d' antiques edifices, de cette etrange construction si barbare,
si sauvage, veux-je dire, qui caracterise une epoque certai-
nement contemporaine de la catastrophe de la Pentapole.
J'ajouterai que si le docte Robinson, dont nul plus que moi
n'a le droit d'admirer et de vanter bien haut la religieuse
exactitude, n'a pas mentionne ces mines, c'est qu'il n'a pas
suivi le chemin que nous suivons en ce moment, et que, se
rendant directement de l'Ayn-el-Fechkhah an bord du Jour-
dain, il a passe a travers le Rhor-Djahir, comme nous-memes
nous 1'avons fait hier, en serrant la plage de tres-pres, et par
consequent en laissant bien loin sur sa gauche les ruines de la
ville primitive immense, que j'ai le bonheur de signaler le pre-
mier aux geographes et aux archeologues.
A. huit heures cinquante minutes, nous sommes a trois cents
metres du pied de la montagne et a huit cents metres du bord de
lamer. En ce moment s'ouvre a notre gauche 1'Ouad-Goumran
ouOumran, que recouvrent deux immenses mamelons de sable
compacte , sur lesquels sont des decombres en quantite et ,
entre autres, une ruine carree bien apparente, et qui porte
specialement le nom de Kharbet-Fechkhah. Ces deux mame-
lons avancent tellement en dehors de I'Ouad-Goumran, que
nous sommes obliges d'obliquer assez fortement a droite de la
ligne que nous suivions obstinement depuis notre depart du
camp. Nous contournons done , et toujours au milieu des
ruines , la base de ces deux mamelons , a environ vingt-cinq
metres de leur pied. Quand nous les avons depasses, le pla-
teau, couvert de decombres, sur lequel nous montons, reprend
un peu plus de largeur vers le pied de la montagne , et notre
route se dirige alors exactement au nord. A droite s'etend,
entre la mer et nous, une large plaine ravinee et couverte
de monticules de sable.
A neuf heures cinq minutes , la montagne est a deux cents
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 165
metres a gauche, et nous en sommes separes par une col-
line dont le pied est a cinquante metres de notre route. La
plaine qui nous separe de la mer a ici douze cents metres
de largeur au moins. Toujours des ruines en quantite. A neuf
heures six minutes , nous montons sur un petit tertre couvert
de decombres , au milieu desquels parait une allee de pierres
fichees, bien conservee, et nous arrivons sur le revers oppose,
au bord d'un large ravin qui n'est que le d4bouche de 1'ouad,
nomme Ouad-Djoufet-Zabel. A. neuf heures quinze minutes,
nous marchons au nord-ouest , sur un plateau assez eleve , au
milieu d'une belle allee de pierres, qu'accompagnent, h droite,
quelques ruines qui deviennent de plus en plus clair-semees
et qui disparaissent completement a neuf heures dix-huit minu-
tes. Nous sommes alors a au moins huit kilometres du bord de
la mer, dont nous voyons a merveille la plage basse et de"foncee
que nous avons longee laveille. A trente metres sur notre gau-
che, s'eleve une montagne brune, toute dechiree, et qui semble
avoir ete rotie. Derriere celle-ci , et au pied des grands escar-
pements de la chaine de Canaan, court 1' Ouad-Djoufet-Zabel,
dont nous avons franchi tout a 1'heure 1' embouchure.
Depuis la tete de 1'Ouad-Goumran, lesvastes ruines que nous
venons de rencontrer portent le nom de Kharbet-Goumran ou
Oumran. Commencons par signaler 1'analogie bien etrange, si
elle n'est que fortuite, de ce nom et de celui de la Gomorrhe
que detruisit le feu du ciel , avec Sodome et les autres villes
coupables. Je declare done , sans aucune espece d'hesitation ,
que les ruines nominees par les Arabes Kharbet-el-Yahoud ,
Kharbet-Fechkhah et Kharbet-Goumran , ruines qui n'en font
qu'une et qui se prolongent sur une etendue de plus de six
kilometres , sans interruption , sont en realite , pour moi , les
ruines de la Gomorrhe biblique. Que si on me le conteste, ce a
quoije m'atte nds parfaitement du reste, je prie ici mes contra-
166 VOYAGE EN SYRIE
dicteurs de vouloir bien m'apprendre quelle ville autre qu'une
ville contemporaine de Gomorrhe, si ce n'est elle-meme, a
pu exister au bord de la mer Morte, a une epoque plus re-
cente , et sans qu'il soit possible d'en retrouver la moindre
trace, dans les ecrits sacres ou profanes. Jusqu'a ce qu'ils
m'aient edifie sur le compte de cette ruine qui a bien quelque
importance, puisqu'elle n'a pas moins d'une lieue et demie
de developpement , je prendrai la liberte grande de rester de
mon avis , et d'engager les gens a qui je dis : La sont les
ruines de Gomorrhe , — a aller verifier sur place , s'il est pos-
sible d' avoir et de soutenir une opinion differente de celle que
j'emets aujourd'hui.
La Genese (ch. x, vers. 19) contient un passage qui parait
contredire formellement 1' identification que je viens de pro-
poser et que je maintiens nonobstant. Voici ce passage :
— « Les limites des Canaaneens furent depuis Sidon , en
venant vers Djerar, jusqu'a Gaza (n*y) l ; en venant vers
Sodome, Gomore, A.damah et Seboi'm, jusqu'a Lechaa. »
— Remarquons d'abord que de Lechaa , saint Jerome fait
Callirhoe, point ou se trouvaient de magnifiques sources mine-
rales , et qui touche a 1'Ouad-Zerkah , sur la rive orientale de
la mer Morte. Saint Jerome a eu tres-probablement raison ,
et la place que ce verset assigne a Seboi'm , entre Sodome et
Lechaa , c'est-a-dire entre le Djebel-Esdoum et 1'Ouad-Zerkah,
me semble militer singulierement en faveur de la determina-
tion que j'ai faite des ruines de Seboi'm auTalaa-Sebaan, c'est-
a-dire au pied des montagnes de Moab. Malheureusement, la
teneur de ce meme verset intervertit 1'ordre naturel des villes de
la Pentapole, telle que je crois fermement 1'avoir reconstituee,
puisque la ville de Gomorrhe se trouve intercalee entre So-
1. Cette prononciation Gaza du nom primitif n^5 legitime parfaitement la tran-
scription Gomorah du nom primitif mOJ? • •
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 467
dome et Adamah, si voisine de Sodome, tandis que pour moi,
Gomorrhe est a la pointe nord de la mer Morte, c'est-a-dire
a vingt-cinq lieues de Sodome et d'Adamah.
Ne serait-il pas possible de se rendre compte autrement de
la teneur de ce verset, en voyant dans les quatre noms Sodome
et Gomorrhe, Adamah et Seboi'm , les points extremes de deux
lignes formant les frontieres de la terre des Canaaneens? Puis-
qu'il n'estpas question de limiter cette terre par la cote du lac
Asphaltite, n'est-il pas naturel de mentionner les deux cites
qui occupaient les points extremes de cette cote? Nous avons
ainsi une delimitation beaucoup plus intelligible, puisque la
ligne jusqu'a laquelle s'etend la possession des Ganaaneens,
n'est plus interrompue, depuis Gomorrhe jusqu'a Sidon, a tra-
vers les terres, de Sidon a Gaza le long de la Mediterranee ,
de Gaza a Sodome a travers le continent, et de Sodome a
Gomorrhe le long de la mer Morte ; puis a partir d'Adamah,
c'est-a-dire d'un point presque identique de position avec
Sodome, jusqu'a 1'Ouad-Zerkah-Mayn. En d'autres termes, la
race de Canaan , fils de Kham , occupa les deux bords de la
mer Morte et tout le pays compris au sud d'une ligne par-
tant de Sidon et aboutissant a la pointe nord de la mer
Morte, jusqu'a une autre ligne partant de Gaza et aboutissant
a la pointe sud de la mer Morte. Je declare ne pas tenir for-
tement k cette explication d'un verset aussi difficile a com-
menter; mais je declare aussi tenir d'une maniere absolue a
I'identification de la Gomorrhe biblique , avec les ruines im-
menses auxquelles est encore attache de nos jours le nom de
Kharbet-Goumran ou Oumran.
Je reprends mon itineraire. A neuf heures vingt-trois
minutes, nous continuons a marcher au nord-nord-est sur un
plateau assez eleve , et nous longeons , a quinze metres de di-
stance , le flanc de la montagne dechiree et brulee que j'ai
-168 VOYAGE EN SYBIE
signalee, des neuf heures quinze minutes. A cinq cents metres
sur notre droite , commencent a se montrer de tres-nombreux
mamelons arrondis de sable, qui couvrent la plaine basse qui
s'etend de 1£ jusqu'k la plage de la mer Morte. A neuf heures
vingt-neuf minutes, nous sommes en face de I'extreinite nord
de la montagne dechiree dont j'ai dej& parle deux fois et qui,
en ce point, est percee vers son sommet d'une grotte en arc
deplein cintre. Cette grotte est-elle naturelle? c'est ce qu'il ne
m'est pas possible de dire ; mais j'avoue que je ne le pense
pas. A la meme heure , nous avons exactement a notre droite
la pointe nord de la mer Morte, et la tangente, menee du point
ou nous sommes, a cette pointe nord, serait perpendiculaire a
la route que nous suivons, et qui est au nord-nord-ouest.
A neuf heures trente-sept minutes, nous commencons a
revoir des mines qui se trouvent sur un joli plateau verdoyant
qui n'est , a vrai dire, qu'une prairie. Ce plateau se nomme
Ardh-el-Hadjr-Lasbah , et les ruines , Kharbet-Lasbah. La
montagne que nous longeons alors et qui fait corps avec la
haute chaine de Canaan, se creuse, en ce point, de cent cin-
quante metres environ, pour former une sorte de cirque qui
entoure la prairie. A neuf heures quarante minutes, nous ren-
controns un roc isole qui a ete tres-probablement apporte la
de main d'homme , et qui se nomme el-Hadjr-Lasbah ; trois
autres rocs semblables, disposes a quinze metres environ Tun
de 1'autre, sont poses en arc de cercle sur le plateau. Evidem-
ment nous avons ici la contre-partie des cromlechs celtiques.
Ce qui est certain, c'est que les Arabes venerent la premiere
de ces roches, qu'ils regardent comme une pierre consacree
par Abraham, et sur laquelle le patriarche a fait des sacrifices,
en 1'honneur de Dieu.
Nous'trouvons, dans I'ficriture sainte, la mention de quatre
pierres portant un nom special : ce sont 1° 1'Ebn-Bahan, la
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 169
pierre de Bahan, fils de Raouben *. — 6. La limite (du territoire
de Juda) s'£leve vers Beit-Hadjlah, passe au nord de Beit-
Harbah, s'e"leve a la pierre de Bahan, fils de Raouben. —
7. La vallee s'eleve de la vallee d'Akour a Dabor. — La
meme pierre est encore citee a comme se trouvant aussi sur
la limite du territoire de Benjamin. — 2° La pierre de 1' as-
sistance3.— Et ils camperent pres de la pierre de Passistance
("iiyn pNn). L'origine du nom de cette pierre est rappelee
dans Samuel 4 (I, vn, 12) — Samuel prit une pierre qu'il
placa entre he-Misfah et he- Sen, et il 1'appela Ebn-Azer,
disant : Jusqu'ici PEternel nous a secourus. — 3° La pierre
du voyageur (^mn ptf)5- — 4° Enfin la pierre de Zahlet qui
etait au pres d'Ayn-Radjel.
Des Pepoque biblique certaines roches isolees portaient
done des noms particuliers , et il est tres-possible que notre
Hadjr-Lasbah soit une de ces pierres. De plus nous savons6
que les autels primitifs des Hebreux devaient etre faits « de
pierres entieres, sur lesquelles on n'a pas leve le fer. » II est
done possible aussi que le Hadjr-Lasbah soit bien, ainsi que le
veut la tradition, une roche consacree au culte de Jehovah, des
1'epoque des patriarches. Peut-etre, a la rigueur, pourrait-on
etre tente de voir dans le Hadjr-Lasbah, la pierre de Bahan,
qui devait evidemment se trouver dans la meme region ; mais
comme ces deux denominations n'ont absolument aucune res-
semblance , je suis tout dispose a me prononcer centre cette
identification.
A neuf heures quarante-quatre minutes, nous traversons un
1. Josue, xv; 6.
2. Josue, 18, 17.
3. Samuel, i, iv, 1.
4. Samuel, i, xx, 19.
5. Rois, i, i, 9.
6. Josue, VHI, 31.
no VOYAGE EN SYRIE
large ravin dont I'origine n'est qu'£ tme centaine de metres a
notre gauche, et sur le plateau meme du Hadjr-Lasbah. En
deca de ce ravin sont quelques ruines qui se montrent egale-
ment sur le revers oppose. La commence le terrain nomme
Ardh-el-Qenetrah. Ges ruines ont un aspect assez etrange ,
grace a la couleur rouge-brune des blocs irreguliers qui les con-
stituent. Nous coupons encore une ravine, au dela de laquelle
la route s'eleve. A neuf heures cinquante et une minutes, nous
sommes au bord d'un ouad assez profond, nomme Ouad-
el-Abiadh , qui s'ouvre immediatement a droite en un vaste
precipice. Nous marchons alors directement au nord, et a neuf
heures cinquante-trois minutes, nous passons entre un edifice
carre ruine et une immense muraille en blocs rouges , dont il
ne reste comme d'ordinaire qu'un arasement. Ce mur s'in-
flechit au nord-nord-ouest, pour former a notre gauche une
sorte de vaste enceinte arrondie, sur laquelle s'appuie une
ruine carree, vers 1'extremite. Du premier edifice carre, dont
j'ai signale la trace, part un autre mur de meme nature que
1'autre, et qui se dirige au nord-nord-est , sur le plateau que
nous parcourons, plateau qui n'a qu'une centaine de me-
tres de largeur, a droite de notre route. A deux cents me-
tres a droite de celle-ci, commence une petite chaine de monti-
cules de sable, au dela de laquelle parait un ouad qui s'appelle
Ouad-Dabor. Sur la colline qui domine a Test cet ouad, parait
encore un edifice carre ruine, qui etait construit en blocs
rouges, et auquel se rattachent les fondations d'un pan de
mur forme encore des memes materiaux , et qui gravit le
revers oppose de 1'Ouad-Dabor. Ce lieu qui, ainsi qu'on le
voit, presente les traces non equivoques d'une assez vaste
enceinte, datant tres-probablement d'une epoque fort reculee,
porte le nom special de Racem-el-Qenetrah ( les vestiges de
Qenetrah). Les montagnes de la chaine canaaneenne, se
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. O1
sont rapprochees de notre route, et la branche de gauche du
mur d' enceinte s'eleve sur leurs flancs, pour redescendre sur le
plateau et recouper notre route qui est alors a 1'ouest quelques
degres nord, precisement vis-a-vis des ruines qui paraissent sur
le flanc gauche de FOuad-Dabor. 11 est neuf heures cinquante-
neuf minutes , quand nous passons sur les fondations de la
muraille , et au dela nous marchons au pied meme des escar-
pements de gauche , dans l'Ouad-el-Qenetrah, ounous entrons
par un chemin tortueux dont la direction generate est a 1'ouest.
II serait extremement curieux de savoir quelle est la localite
antique qui est represented par le Racem-el-Qenetrah. Mais
j'avoue que^esuis dans 1'impossibilite' absolue de rien proposer
d' admissible a cet egard. Serait-ce par hasard la forteresse
voisine de Jericho et que Pompee reduisit apres la prise de
Jerusalem , forteresse que Strabon nomme Threx ? Bien que
la chose soit possible, j'en doute tres-fort.
Nous continuons a marcher, a peu pres directement a 1'ouest,
et, a dix heures dix minutes, nous laissons a notre gauche le
chemin qui conduit de Jericho a Mar-Saba. A dix heures quinze
minutes, nous faisons un large crochet pour descendre dans
1'Ouad-Dabor, qui vient du sud-est. II. est dix heures vingt
minutes, quand nous atteignons le fond de 1'ouad, et nous y fai-
sons la halte du dejeuner. Cet ouad est tapisse de la plus char-
mante verdure emaillee de fleurs delicieuses; nous admirons
entre autres un convolvulus ou liseron nain, a fleurs bleues d'une
delicatesse extreme. Au reste, tous les coteaux tourne"s a Test
ou au sud, sont garnis d'une verdure printaniere qui leur donne
un aspect des plus riants, et bien different de tout ce que nous
avions vu jusqu'ici. Au fond de 1'ouad se montrent, dans la
roche, des filons de la pierre bitumineuse qui se nomme Hadjr-
Mousa (pierre de Moise). Cette pierre, qui brule comme de la
mauvaise houille, sert, a Jerusalem, pour fabriquer des coupes
172 VOYAGE EN SYRIE
et d'autres petits objets qui se vendent aux pelerins , comme
souvenirs de la Terre-Sainte et de la mer Morte.
A onze heures dix-neuf minutes, nous repartons, et apres
avoir suivi quelques minutes 1'Ouad-Dabor, nous gravissons le
flanc oppose de celui-ci. Quelques zigzags assez durs nous ame-
nent, h onze heures vingt-sept minutes , sur la crete opposee de
1'ouad dont nous nous eloignons, en marchant d'abord directe-
ment au nord. L'ouad continue a 1'ouest; nous sommes bientot
sur un plateau tres-etroit, ou, mieux, sur un col, compris entre
1'Ouad-Dabor, que nous suivons a peu pres parallelement, en
le laissant a cent metres sur notre gauche , et un vallon ver-
doyant qui s'ouvre immediatement a notre droite. Ce vallon est
domine par des collines calcaires, en ce moment couvertes de
verdure. Notre route est alors au nord-nord-ouest , et elle s'a-
vance dans un ravin etroit, de huit a dix metres de largeur au
plus, et qui nous amene, a onze heures trente-huit minutes, sur
le plateau accidente ou est place le monastere musulman de
Naby-Mousa. La, nous voyons d'abord un puits nomme Bir-er-
Raay, au dela duquel paraissent les ruines d'une muraille. Sur
notre gauche, se voit, dans un petit vallon, un oualy nomme
Qobr-er-Raay. Er-Raay, pour les Musulmans, est le confident
et 1'ami de Mousa ou Moi'se. Nous approchons enfin du mo-
nastere, dans lequel nul Chretien ne peut penetrer. Nous tour-
nons derriere cet edifice religieux , par un crochet d'une cen-
taine de metres, et nous etablissons notre camp au pied meme
de Naby-Mousa. G'est un grand edifice carre dont la face d' en-
tree est oriente"e au nord-est. II est onze heures quarante-qua-
tre minutes , quand nous mettons pied a terre. Nos tentes sont
adossees a un monticule calcaire peu eleve et qui se relie a une
serie de monticules de la meme nature.
Le Qobr-er-Raay est a un kilometre a 1'ouest, quelques de-
gres sud, de Naby-Mousa. Du haut du monticule au pied du-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 473
quel nous sommes campus, nous voyons tres-distinctement le
Bordj-er-Riha, et la ligne qui joint ces deux points fait un an-
gle de vingt-sept degre"s est, avec la direction du nord magne-
tique. Enfm, le plateau au milieu duquel se trouve etabli le
monastere se nomme Koutzban-Naby-Mousa (les collines sa-
blonneuses de Naby-Mousa) .
Pendant que notre camp s'etablit, j'envoie quelques-uns de
nos Arabes me chercher des echantillons du calcaire bitumineux
que nous avons rencontre" au fond de 1'Ouad-Dabor, afm d'en
emporter et d'en bruler sur place, pour constater sa propriete
combustible. Je monte sur les monticules voisins pour exami-
ner un peu le pays; il semble que nous soyons au milieu d'une
mer orageuse petrifiee , tant les mamelons qui nous entourent
sont arrondis et multiplies autour de nous. L'imam qui est a la
tete des religieux musulmans etablis£ Naby-Mousa, vient nous
faire une visite, interessee, comme toujours. C'est un homme
en haillons, ayant la tete nue, les cheveux tres-noirs, longs et
crepus, et le teint olivatre; en un mot, il nous offre le type de
la salete et du fanatisme. G'est un Indien, et nos guides nous
apprennent que presque tous les religieux qui viennent s'etablir
ici, sont, comme celui que nous voyons en ce moment, des In-
diens. II s'agit de payer notre bienvenue a cet ignoble magot,
et je lui donne une vingtaine de piastres, qu'il recoit sans dire
merci, et de 1'air du monde le plus farouche.
Ma pierre de Moi'se est apportee en bonne provision, et j'ex-
trais du tas quelques echantillons, plus precieux que tous les
autres, parce qu'ils presentent quelques empreintes parfaite-
ment nettes d'un tres-joli peigne (peclen), coquille dont la de-
termination servira, je 1'espere, a preciser 1'age geologique de
la formation dans laquelle il se trouve. Quelques morceaux du
calcaire sont immediatement allumes, et ils brulent comme
une houille de mauvaise qualite, en repandant une odeur infecte
474 VOYAGE EN SYRIE
de bitume. Loysel s'est mis en chasse, selon sa louable habi-
tude ; une espece de moineau, tout occupe a piailler sur un tas
de pierres , ne voit pas arriver notre Nemrod , qui lui tire un
coup de fusil a bout touchant et le fait voler en miettes. Je ne
voudrais pas affirmer que la pauvre petite bete ne s'e"tait pas
posee sur le bout du fusil. Quoi qu'il en soit, le chasseur jubile,
il ramasse une aile et deux pattes qui tiennent encore un peu
ensemble , et il nous apporte en triomphe sa piece de gibier.
Enfin, j'en ai tue un ! s'ecrie-t-il. — Un quoi? — Un varmeau!
— - Ca un vanneau; c'etait un pierrot! — Du tout! c'etait un
vanneau . jeune ! Et nous, de rire de tout notre coeur.
Pour les Musulmans, le tombeau de Moise est renferme dans
rinte"rieur du saint edifice qu'ils appellent Naby-Mousa , et au
pied duquel nous sommes campes. Nous aliens brievement
examiner cette etrange tradition, qui ne peut pas supporter le
moindre examen. Nous lisons dans le Deuteronome ( xxxiv ) :
— 1. Moi'se monta des plaines de Moab a la montagne de Na-
bou, au sommet du Fesgah, qui est en face de Jericho; 1'Eter-
nel lui fit voir tout le pays , de Galaad jusqu'a Dan. — 2. Et
tout Nephtali, et tout le pays d'Ephrai'm et de Manasse, et tout
le pays do Juda, jusqu'a la mer qui est derriere lui. — 3. Et
le midi et la campagne de la vallee de Jericho, ville des pal-
miers, jusqu'a Zoar. ... — 5. Moi'se mourut la, au pays de
Moab, d'apres la parole de 1'Eternel. — 6. II 1'enterra dans la
vallee, au pays de Moab, vis-a-vis de Beit-Faour; personne,
jusqu'a ce jour, n'a connu sa sepulture. —
Quel que soit 1'auteur de ce trente-quatrieme chapitre du
Deuteronome, chapitre qui ne peut evidemment 6tre attribue a
Moi'se lui-meme, mais qui a probablement ete e"crit par Josue,
il est bien clair que Moi'se est mort et qu'il a ete enterre sur la
terre moabitique, c'est-a-dire a Test du Jourdain. II n'y a done
pas de tradition musulmane qui puisse avoir la moindre valeur
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. H5
centre le texte precis que je viens de rapporter. Ce texte a de
plus 1'avantage de donner lieu a deux observations assez cu-
rieuses. La premiere, c'est que de la teneur du verset 3 qui
dit : et le midi et la campagne de la vallee de Jericho, la ville
des palmiers, jusqu'a Zoar, il faut necessairement conclure
contre ce que Ton a cru devoir deduire des versets de
la Genese (xin) ou il est dit : — 10. Loth, levant les yeux, vit
toute la plaine du Jourdain; elle etait arrosee partout, avant
que Jehovah ne detruisit Sodome et Gomorrhe; elle etait
comme un jardin magnifique, comme le pays de Misrai'm jus-
qu'aux environs de Zoar. — Et 12. — Abram habitait le pays
de Canaan, et Loth dans les villes de la plaine, et il dressa ses
tentes jusqu'a Sodome. — Ces versets n'ont pas la moindre va-
leur pour prouver que la mer Morte n'existait pas avant la ca-
tastrophe de la Pentapole. Et c'est pourtant du silence de ces
versets sur le compte du lac Asphaltite, qu'on a pretendu de-
duire le fait que ce lac n'existait pas au temps auquel ces ver-
sets se rapportent. Or, il n'est pas plus question de la mer
Morte dans notre verset du Deuteronome ; en conclurons-nous
que cette mer n'existait pas a 1'epoque de la redaction du Deu-
teronome? Comme cela n'etait pas possible, on a prudemment
laisse de cote ce verset, si genantpour la th^orie malencontreuse
que Ton a longtemps opposee aux textes sacres eux-memes,
quelque explicites qu'ils fussent sur ce point de doctrine.
La seconde observation que me suggere le texte sacre dont
je viens de donner la traduction , est relative au mont Fesgah
de la Bible ( JTIDD). De tous les passages de 1'ficriture ou il
est question de cette montagne celebre, il resulte qu'elle etait
dans le pays de Moab, et, par conseqnent, sur la rive gauche
ou orientale du Jourdain et du lac Asphaltite. J'ai vainement
interroge les Arabes Thaamera, les Djahalin et les Beni-Sakhar
surtout, poursavoir s'ilsconnaissaient un Djebel-Fesgah dans les
476 'VOYAGE EN SYRIE
contrees parcourues par eux dans le voisinage d'Er-Riha. Us
ont ete unanimes pour me repondre qu'il n'y avaitqu'une seule
montagne de ce nom, et qu'elle etait situee precisement au-
dessus de Jericho ; en un mot, que c' etait le Djebel-Fechkhah,
qui projette au dehors de la chaine de Canaan, le cap nomme
Ras-el-Fechkhah, sur le flanc nord duquel est situee la source
nominee Ayn-el-Fechkhah.
La ressemblance singuliere qui existe entre les deux noms
de montagnes Fesgah et Fechkhah a du naturellement me
frapper, et je me suis demande s'il n' etait pas possible qu'une
mauvaise interpretation des textes sacres ou le mont Fesgah est
mentionne, eut fait admettre, a tort, que cette montagne, au
lieu d'etre a droite de la vallee du Jourdain , etait dans la position
precisement opposee. Commencons par dire que, pour 1'obser-
vateur place a Jericho, deux sommets seuls se distinguent par
une plus grande elevation, ou par une position telle que tout le
pays, au sud et aunord, en soit reellement visible: ce sont, dans
la chaine moabitique, le Djebel-Atarous (mont Nebo), et,
dans la chaine canaaneenne , le mont Fechkhah.
Ceci pos6 , examinons un a un tous les passages des textes
sacres ou i\ est question du Fesgah. Nous avons d'abord le
verset 1" du chapitre xxxiv du Deuteronone, cite plus haut,
et ou il est dit que MoTse monta des plaines de Moab a la mon-
tagne de Nabou, au sommet du Fesgah qui est en face de Jeri-
cho ( IDT ^D-ty YtfK moan vxr\ -Q: in ^N ). Des mots he-
breux eux-memes, il resulte que le mont Nabou est la tete, le
sommet du Fesgah qui est en face de Jericho, a moins que
le mott^Ni n'ait ete pris dans le sens de in fronte , vis-
a-vis de. Si, ce dont je doute fort, cette interpretation etait
possible, notre texte deviendrait parfaitement clair, et le Fes-
gah de la Bible ne serait autre que le Fechkhah des Arabes de
nos jours.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 177
Le Deuteronome parle trois fois encore du Fesgah. Nous y
lisons (ch. m, \ 7) : — Et la plaine, et le Jourdain, et la limite,
depuis Kenerout jusqu'a la mer de la plaine, la mer salee, sous
Asedout du Fesgah, a I'orient. — II me parait bien etrange que
1'expression, a 1'orient (nmTD), ait ete jugee necessaire, apres
la mention du Fesgah. Ne semble-t-il pas resulter de ce fait
que, le Fesgah etant a 1'occident, ilafallu exprimer tres-explici-
tement que le territoire de Raouben et de Gad etait a Torient,
afm d'eViter une confusion possible? Je laisse a de plus habiles
a le decider. Quant a Asedout, Ounklousse explique ce mot
par"jDl!>E, effusion. Cohen ajoute : «Ce sont lespieds des mon-
« tagnes qui semblent se r^pandre , ou les torrents qui se pre-
« cipitent du haut des montagnes. » Enfin, les Septan te ne tra-
duisent pas le mot Asedout, tandis que la Vulgate le traduit par
radices. Le verset que nous venons de rapporter , a 1'examiner
de pres, prouve done plutot que le Fesgah etait a 1'occident de
la valle'e du Jourdain.
Le troisieme passage du Deuteronome est plus embarrassant,
et pourtant il est loin d'etre aussi concluant qu'on serait tente
de le croire an premier abord. Le void (ch. m, 27) : —
Monte au sommet ? du Fesgah (c'est Dieu qui parle a Moi'se) ,
leve tes yeux vers 1'occident, le septentrion, le midi et I'orient,
et regardedetes yeux, car tu nepasseraspas ce Jourdain. — Le
texteporte mo^n ii'fco n^y simplement, et cetexte, sans la pre-
position ^N , apres le verbe n*?y , monte , pr^sente une sorte
de monstruosite. n1?); est un verbe essentiellement neutre , et
qui ne saurait comporter de regime direct. Si done , cette fois
encore, nous admettions la possibilite de traduire le mot rtn
isole, par en face de, vis-d-vis de, noire verset deviendrait par-
faitement clair. Si Ton met de cote" cette traduction, hypoth6-
tique, je le veux bien, le textedemeure boiteux et obscur. Reste
enfin, dans le Deuteronome, le passage suivant (ch. TV,
II. 12
m VOYAGE EN SVRIE
— Et toute la plaine en deca du Jourdain , a r orient, jusqu'a
la mer de cette plaine, sous Asedout duFesgah. — Nous avons
vu, tout a Theure, ce qu'il fallait entendre par Asedout du Fes-
gah ; remarquons que , cette fois encore , il est bien specific
qu'il s'agit de 1'orient de la vallee du Jourdain. Le dernier
membre de la phrase signifie tres-nettement , a la lettre : Et
jusqu'a la mer de la plaine (qui est) au pied du Fesgah (sous
Asedout du Fesgah ). Ce verset ne prouve done absolument
rien en faveur de 1'opinion qui place le Fesgah a 1'orient de
la vallee du Jourdain, et c'estprecisement le contraire qui a lieu,
puisqu'il a fallu faire mention de 1'orient; en effet, il semble
probable que la phrase contient la mention d'un point geogra-
phique place a 1' Occident, et dont la presence pourrait induire
le lecteur en erreur.
Dans le livre de Josue" ( ch. XH ) , nous trouvons la des-
cription du pays enleve par les Hebreux , combattant sous les
ordres de Mo'ise. — 3. Et la plaine jusqu'a la mer de Kene-
rout, a 1'orient et jusqu'a la mer de la plaine (qui est) la mer
salee, a 1'orient, (qui est) le chemin de Beit-Heyasmout et (qui
est) vers le sud, au pied du Fesgah, (toujours sous Asedout
du Fesgah, ruDDH nn^K nnn). — Ne semble-t-il pas que cette
expression, que nous retrouvons constamment la meme, soit
une expression consacree, une sorte de formule ge'ographique?
Je suis bien tente de le croire, pour ma part. Du reste, cette
fois encore, le verset que je viens de traduire ne peut servir a
rien, pour prouver que le mont Fesgah etait a 1'orient du Jour-
dain; et, comme le mot a 1' orient est repete deux fois, j'en
conclus encore que la phrase mentionne probablement un point
qui est a 1'occident. S'il n'en e'tait pas ainsi , a quoi bon cette
insistance a bien etablir que le pays decrit est a 1'orient du
Jourdain et de la mer Morte?
Malheureusement il n'en est plus de meme du verset 20, du
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 179
chapitre xm de Josue, ou il est question des possessions terri-
toriales de la tribu de Raouben , possessions qui etaient bien
positivement a 1'orient de la vallee du Jourdain. — 20. Et Beit-
Faour , et Asedout du Fesgah, et Beit-Heyasmout. — De la
teneur de ce verset, il resulte irrefragablement que Beit-Faour
(Beth-Peor) et Asedout du Fesgah etaient dans la meme con-
tree. Or, pour Beit-Faour, il n'y a pas 1' ombre d'un doute a
conserver , done pour Asedout du Fesgah le doute devient
bien difficile.
Dans le livre des Nombres , il est deux fois question du
Fesgah. D'abord , au chapitre xxi. — 20. Et de Bamout a la
vallee qui est au territoire de Moab, au sommet du Fesgah, et
qui a vue vers Hyesimoun. L'expression hebrai'que est encore
njDDn liWi; or, il est bien clair qu'il n'y-a Pas de vallee (rt^n)
au sommet d'une montagne, et ces deux mots, la vallee qui est
au sommet du Fesgah , hurlent de se trouver ensemble. Le
sens , la vallee qui est en face du Fesgah , serait certainement
plus naturel; mais serait-il admissible? J'en doute fort, je le
repete.
Enfin , le dernier passage biblique ou il soit question du
Fesgah se trouve dans les Nombres (xxm), Balak , roi de
Moab , veut que Balaam maudisse les Israelites, et, pour cela :
— 111. II le conduisit dans la campagne de Soufim, vers le
sommet du Fesgah. — Le texte porte cette fois ruosn *?**, et
il peut, a la rigueur, se traduire : au sommet du Fesgah ; mais
*?N signifie versus., ad, ergd , adversiis, prope, juxtd, plus
exactement que super, qui se rend proprement par by. II
serait done tres- naturel de traduire cette fois 1'expression
biblique par : adversus caput Fesgce; ce qui reviendrait tres-
nettement au sens, en face du mont Fesgah.
J'ai passe en revue tout ce qui, dans la Bible, concerne le
mont Fesgah, et je n'ai pas cru devoir negliger un seul texte,
480 VOYAGE EN SYRIE
parce que la position de cette montagne historique est d'une
extreme importance. De tous ces passages, un seul est decisif,
et fixe a 1'orient du Jourdain la position du mont Fesgah ; tous
les autres nous laissent dans le doute, et, je dirai plus, nous
conduisent a croire que le mont Fesgah etait a V Occident. Je
ne me permettrai pas d'emettre une opinion precise sur ce
point de geographic, et je me bornerai a dire que, sur les rives
de la mer Morte, pres de Jericho, il n'y a qu'une seule mon-
tagne qui ait une position exceptionnelle qui ait du la faire
remarquer de tout temps, c'est le Djebel-Fechkhah. Cette
montagne forme un veritable redan, le Ras-el-Fechkhah, qui
se prolonge fortement en avant de la chaine canaaneenne.
Enfin, le sommet du Fechkhah est en face du sommet du Djebel-
Atarous, ou mont Nabou, sommet qui est a une assez forte
distance horizontale de la vallee du Jourdain et de la mer
Morte.
Qu'il y ait une analogic frappante entre les deux noms Fes-
gah et Fechkhah , cela ne peut faire question. Je ne saurais
admettre que la denomination Fechkhah soit moderne, puis-
qu'elle s' applique a des mines contemporaines de la pen-
tapole maudite; je ne pourrais done accorder qu'une seule
chose, c'est qu'a 1'orient de la plaine du Jourdain, aussi bien
qu'a 1'occident, il y avait un Djebel-Fesgah , on Fechkhah.
Mais, il est necessaire de constater une fois de plus que les
Arabes, et entre autres les Beni-Sakhar, qui sont les maitres
de la contree orientale ou devrait se trouver le Fesgah de la
Bible, sont unanimes pour ne reconnaitre d'autre montagne de
ce nom que le Djebel-Fechkhah. Voila done, a mon tres-grand
regret, une curieuse question de geographic sacree que je suis
oblige de laisser dans le doute.
Eusebe, an mot A&xpei';/,, mentionne le mont a<7y,[X£V
du livre de Judith. Ainsi que je 1'ai dit plus haut, ce nom,
grace a la permutation toute naturelle du B en M et recipro-
486 VOYAGE EN SYRIE
quement, aura pu devenir Me>.6ev , et de la a Melaeb, il y a si
pres, qu'il est tout simple de penser que les Arabes ont trans-
forme ce nom, dont ils ne comprenaient pas le sens, puisqu'il
n'en avait pas, en Malaeb, qui avait un sens qui leur e"tait tout
a fait familier.
Je n'ajouterai plus qu'un mot a propos du passage du livre
de Judith, c'est qu'il resulte de la mesure prise par les Juifs
envoyant des e"missaires a Beit-Horon et a Jericho , que deux
corps d'armee distincts menacaient Jerusalem, en suivant, Tun
la route par les plateaux, et 1'autre la route de la vallee du Jour-
dain. Au reste, une semblable mesure etait command6e par la
prudence pour un capitaine qui tenait a ce que son armee trouvat
sur son chemin les subsistances necessaires. Jeter une multitude
de soldats sur un seul et meme point a la fois , c'etait ruiner le
pays, en s'affamant; diviser cette multitude en plusieurs corps
operant simultanement par des routes differentes, c'etait divi-
ser les forces de la defense, en subvenant a tous les besoins de
1'attaque. En resum6 , les ruines placees a el-Melaeb sont
incontestablement & cheval sur une route antique qui, de la
vallee du Jourdain, conduisait dansle haut pays et a Jerusalem.
Le livre de Judith nous parle d'une Belmen qui e"tait certaine-
ment une place forte etablie sur une route semblable, peu
eloignee de Jericho ; je propose doncde voir cette Belmen, dans
les ruines d'el-Melaeb.
Revenons a notre itineraire. Du point nomme Maksar-el-
Hecan, on apercoit au loin, devant soi et un peu a gauche, les
sommets du Mont des Oliviers. Nous traversons alors, en nous
dirigeant a peu pres constamment a 1'ouest , une belle et large
plaine, tres-favorable a la culture, mais qui semble aujourd'hui
an peu abandonnee. A dix heures quinze minutes, nous mar-
chons a 1'ouest quelques degres nord, et nousavons en vue, a
notre gauche, les ruines d'un khan assez vaste, et a environ
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 187
quinze cents metres au sud, une grotte taille"e dans le flanc de
la montagne qui de ce cote ferme la plaine. Cette grotte se
nomme Raq-ed-Dei'r (la petite source du couvent). Sur notre
droite et au nord-ouest se montre, a environ huit kilometres, un
sommet couvert de ruines et qui se nomme Arkoub-es-Safah
(1'eminence de Safah). Quelle est cette Safah? je 1'ignore.
A dix heures vingt minutes , nous passons a cote" d'une
fontaine moderne , a la droite de laquelle est trace le chemin
qui conduit au khan mine" dont j'ai parle tout a 1'heure ; ce
batiment, que les Arabes ne connaissent que sous le nom de
Kharbet-el-Khan (le khan ruine) , est alors a trois cents metres
au plus a notre gauche. En ce point notre route longe un cime-
tiere place" entre elle et le khan. Ici le terrain est en culture et
la plaine est coupee a notre droite par un lit de ruisseau a sec,
que nous suivons parallelement. A dix heures vingt-huit mi-
nutes, la plaine se couvre de larges mamelons assez bas, entre
lesquels nous cheminons a 1'ouest. A dix heures trente-quatre
minutes, le lit de ruisseau que j'ai signale tout a 1'heure, en-
tre dans un vallon qui se nomme Ouad-es-Snecel, et coupe
notre route, pour passer a notre gauche. A dix heures trente-
neuf minutes, il la recoupe encore une fois, et enfin h dix heures
quarante-cinq minutes, nous rejoignons la route d'er-Riha,
c'est-a-dire le chemin que nous avons parcouru trois jours
avant. A partir de ce moment je cesse naturellement de pren-
dre des notes topographiques sur un terrain que j'ai suffisam-
ment etudie a mon premier passage.
Une fois rentres dans la vallee que nous avons de"ja parcou-
rue en sens inverse, nous accelerons notre marche, afm d'evi-
ter la pluie qui nous menace depuis une heure. En arrivant au
Bir-el-Haoud, nous faisons halte pour dejeuner, et nous som-
mes obliges de nous reTugier dans les ruines du khan voisin ,
centre les larges gouttes d'eau qui commencent a tomber. Nous
m VOYAGE EN SYR1E
regagnons ensuite El-Aazarieh, et, comme la pluie a cesse,
nous faisons un detour, pour entrer dans le village et visiter, en
passant, la grotte sepulcrale a laquelle la tradition rattache le
miracle de la resurrection de Lazare. C'est un caveau profond,
a plusieurs etages, et ou Ton descend par des escaliers fort rai-
des. Au fond, on trouve les parois du rocher tapissees de reve-
tements en grosses pierres de taille , avec ouvertures ogivales.
Un autel grossier, en pierre, sert, a certains jours, pour cele-
brer le saint sacrifice de la messe. Est-ce bien la le caveau
funeraire ou fut depose le cadavrede Lazare? Je Tignore, mais
c'est parfaitement possible ; ce qui est sur, c'est que des Fepo-
que des croisades, epoque a laquelle il faut rapporter les con-
structions ogivales de 1'interieur, la tradition qui concerne ce
caveau etait deja etablie.
D' El-Aazarieh , ou nous avons fait une pause d'un quart
d'heure , nous regagnons , le plus promptement possible , la
vallee de Josaphat et la porte Saint-Etienne. Nous voila done
rentres a Jerusalem , sans accident et avec une ample moisson
de faits nouveaux de tous les genres. La pluie, du reste, nous
a repris pour tout de bon sur le flanc du Mont des Oliviers,
et nous sommes fort heureux de nous refugier, au plus vite,
dans nos cellules de la Casa-Nuova. Apres une heure de repos,
donnee aux delices du moka et du latakieh, je passe a Tencre
mes notes topographiques de la matinee, et je me complais a
rummer mes trouvailles de 1'heureuse course que je viens de
terminer. La pluie s'est etablie serieusement ; le ciel est pris
de tous les cotes; en voila, sans aucun doute, pour quelques
jours.
DU 8 AU 21 FEVR1EK.
Je me suis reserve de m'occuper en detail et separement, des
monuments antiques de Jerusalem ; c'est ce que je vais faire
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 189
maintenant, en groupant sous le nom de chacun des Edifices
que j'etudierai, toutes les observations que j'ai faites sur son
compte, et, le plus souvent, a plusieurs reprises. Je n'avais pas
d'autre moyen d'eviter les redites, on de sauver a mes lecteurs
I' ennui de revenir un certain nombre de fois sur le meme
sujet ; ils me pardonneront done de resumer, en deux lignes,
1'histoire de notre dernier sejour a Jerusalem , pour proceder
immediatement a 1'examen des curieux debris qui existent
a 1'interieur et a, 1'exterieur de cette ville. J'y suis arrive* con-
vaincu que je ne trouverais pas trace de monuments datant
de 1'epoque des rois de Juda : j'ai acquis, de visu, la conviction
qu'il en est tout autrement, et que ces monuments abondent.
Puisse-je faire passer cette conviction dans 1'esprit de tous
ceux qui me feront 1'honneur de lire ce livre, que je destine
bien plutot a dire ce que je crois pour mon compte, qu'a dire a
autrui : Voila ce qu'il faut que vous croyiez.
Depuis le jour de notre rentree , jusqu'au vendredi 21 fe"-
vrier, nous avons ete presque constamment bloques a la Casa-
Nuova, par des pluies effroyables qui ont fait crouler une
quarantaine de maisons , si bien que toutes les rues de Jerusa-
lem sont coupees, par ci, par la, par des barricades de decom-
bres, que Ton escalade comme on peut, en prenant force pre-
cautions afin d'eviter 1'ennui de se casser les jambes. Nos
soirees , quand il a ete possible de franchir le seuil de notre
porte, ont ete" consacrees a notre ami, M. Botta, a r exception
de quelques-unes que nous avons donnees a 1'excellente famille
Pizzamano. Get horrible temps a fmi par nous reduire au deses-
poir le plus comique. Aussi, vienne le premier rayon de soleil,
et nous fuirons sur 1'heure, au risque d'aller nous enterrer dans
les fondrieres de la plaine d'Esdraelon; et ceci n'est pas une
plaisanterie! Car les courriers de Beyrouth, d' ordinaire si re"-
guliers, n'arrivent plus qu'apres des retards de plusieurs jours.
190 VOYAGE EN SYRIE
dus aux difficultes que presentent des chemins completement
defences. Nos lourds bagages auront bien de la peine & s'en
tirer; mais nous avons perdu patience, et nous regardons, a
1'avance, notre depart de Jerusalem comme 1'heure d'une veri-
table delivrance.
Ceci dit, je viens en hate k mon etude archeologique de la
cite sainte. L'enceinte du temple de Salomon a droit a la place
d'honneur, je commencerai done par elle.
EL-HARAM-ECH-CHERIF, ENCEINTE DU TEMPLE.
Je savais depuis longtemps qu'il existait a Tinterieur de Je-
rusalem, et sur un point de I1 enceinte du haram qui a pris la
place du temple de Salomon , un pan de muraille que les Juifs
ont, de tout temps, considere comme un debris du temple
primitif. Je savais, de plus, que le pied de ce mur, dont 1'ap-
proche n'etait pas interdite aux Juifs, etait pour eux une
sorte de sanctuaire ou ils venaient prier le vendredi soir ; que
la, on les voyait souvent se lamenter, pleurer et enfoncer la tete
dans les trous de la sainte muraille , afin d'y faire couler les
larmes qu'ils versent en pensant a la ruine de Jerusalem et
du temple. Ne comptant rencontrer que cet unique debris des
constructions salomoniennes , on concoit que ma premiere
visite a 1'enceinte du haram dut etre pour le Heit-el-Morharby
(le mur occidental). G'est sous ce nom que la venerable mu-
raille est connue a Jerusalem, bien que les Juifs allemands
et polonais qui se fixent dans cette ville , prononcent ce nom
Goutz-el-Maarabeh.
En arrivant devant ce mur respectable , je fus frappe d'ad-
miration. Sur une hauteur de plus de douze metres, la construc-
tion primitive est restee intacte ; des assises regulieres de belles
pierres, parfaitement equarries, mais en bossage, c'est-a-dire
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 491
olfrant une bande lisse qui encadre les joints, sont superposees
jusqu'a deux ou trois metres du faite de la muraille. II suffit
d'un seul coup d'oeil pour reconnaitre que la tradition juive est
indubitablement vraie. Un mur semblable n'a ete construit ni
par des Grecs ni par des Remains. C'est e"videmment la un
echantillon de 1' architecture hebrai'que. Dans les assises infe"-
rieures, les pierres sont assez regulierement d'une largeur dou-
ble de leur hauteur ; parfois , cependant , des blocs Carre's se
trouvent juxtaposes entre les blocs a grande largeur. Les quatre
dernieres assises sont formees de blocs carres, sauf 1'avant^der-
niere, qui est composee de blocs trois fois plus longs que hauts.
A mesure que les assises s'elevent au-dessus du sol, les dimen-
sions des blocs diminuent. Enfin , chaque assise est en retraite
de cinq centimetres sur 1'assise precedente, et ces retraites suc-
cessives constituent, on le voit, un fruit considerable pour la
muraille salomonienne. La portion de celle-ci qui est laissee
comme lieu de priere aux Juifs, est comprise entre le mur
d'enceinte dumekhemeh (tribunal turc) et le mur de cloture
d'une maison particuliere. Sa longueur, mesuree entre ces deux
limites, est de vingt-neuf metres soixante-dix centimetres. On
apercoit, au dela de ces murs infranchissables, la muraille an-
tique se prolonger, en droite ligne, de douze metres environ £
droite, et de onze metres a gauche, c'est-a-dire vers le mekhe-
meh. Au dela, les constructions modernes ont masque la mu-
raille du temple. Enfin, le mur primitif est couronne, & son som-
met, par quelques assises regulieres, il est vrai, mais de petites
pierres de taille. Gertainement ces assises superieures sont de
construction assez recente, et il faut necessairement n'en faire
remonter 1'^ge que jusqu'a Tepoque musulmane.
Sur la face du mur antique se montrent des en tail les consi-
derables qui ont servi sans aucun doute, mais & une epoque
indeterminee, a appliquer un fronton a ce point de 1'enceinte
192 VOYAGE EN SYRIE
sacree. Ges entailles creusees en niche, c'est-a-dire arrondies
par le haut et a encastrement rectangulaire par le has, ont des
dimensions differentes , Tune d'elles a jusqu'a un metre vingt
centimetres de hauteur ; peut-etre ont-elles ete pratiquees lors
de la reconstruction du temple par Herode, pour qui I'emploi
des frontons devait etre tout naturel. Y eut-il au-dessous de ce
fronton une porte ou poterne donnant acces dans I' enceinte
sacree et percee dans la muraille primitive? Je I'ignore. II
faudrait pour s'en assurer pouvoir penetrer dans des mai-
sons particulieres , et en ce pays la chose n'est pas facile a
effectuer.
En etudiant avec soin le Heit-el-Morharby , je m'e'tais
mis a meme de reconnaitre, partout ou elles se montreraient,
les traces des constructions judai'ques, c'est-a-dire datant de
I'epoque de Salomon et des rois de la dynastie de David. Je
pouvais done commencer I'examen de I'enceinte du temple,
avec la certitude que je ne me tromperais pas sur I'cige des
differents appareils dont j'y constaterais la presence. Suivant
done la rue nommee Tharik-el-^alam (la voie douloureuse) , je
gagnai la porte Saint-Etienne (Bab-Setty-Maryam) , en longeant
toute la face nord de I'enceinte du temple. Deux portes placees
au bout de deux ruelles sombres donnent acces sur le plateau
du Moriah, c'est-a-dire sur le vaste preau au milieu duquel
etait bati le temple, remplace aujourd'hui par le Qoubbet-es-
Sakhrah, qui est la mosquee d'Omar proprement dite.
II est impossible , gr&ce a la presence de nombreuses con-
structions modernes, telles que le Serai' et la caserne qui recou-
vrent cette longue face septentrionale , de savoir si des frag-
ments de I'enceinte primitive sont en globes dans ces construc-
tions. G'est du haut de la terrasse du Serai' que les Chretiens,
assez heureux pour obtenir la permission d'y monter, jouissent
de la vue la plus rapprochee de I'interieur du Haram. J'ai du a
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. <93
Tintervention de notre ami, M. Botta, le plaisir (Taller contem-
pler, du haul de cette terrasse, Tenceinte sacree dont ma qualite
de chretien m'interdisait 1'acces, sous peine de mort, et j'ai pu
juger de la avec quelle scrupuleuse exactitude avait ete leve le
plan du Haram, reproduit d'apres Catherwood, dans Tadmi-
rable plan de Jerusalem , que nous devons aux soins et aux
recherches de feu M. Schultz. Un tiers de la longueur de cette
face nord, et le tiers qui est attenant a Tangle nord-est, est
recouvert par une vaste piscine , sur le compte de laquelle je
reviendrai en son lieu. En approchant du bord de cette piscine,
on reconnait Tangle de Tenceinte salomonienne ; quatre belles
assises de blocs enormes en bossage, font retour sur la face
nord de Tenceinte sacre"e, et il n'y a pas de doutes a conserver
sur la presence, en ce point, de Tangle meme de cette en-
ceinte. Le rempart moderne est appuye contre cette amorce
de la face nord, et il forme la continuation de la face est du
temple, face qui se trouve ainsi parfaitement reliee a Tenceinte
actuelle de la ville.
Sortant alors par la porte de Saint-fitienne et tournant im-
mediatement a droite, on longe une plate-forme quadrangulaire
qui a servi de base a une eglise chretienne aujourd'hui rasee.
Suivant la tradition, c'est en ce point que saint fitienne a e"te
lapide ; la commence immediatement le cimetiere musulman.
A trente et un metres cinquante centimetres de la porte de
Saint-fitienne, la face du mur d' enceinte est recouped par une
longue ligne verticale de construction salomonienne. G'est le
cote est de Tangle primitif dont nous avons vule cote nord, en
visitant la piscine. En ce point onze assises de blocs salomoniens
sont restees intactes et elles s'etendent vers le sud, sur la face
de la muraille. Quelques-uns de ces blocs ont une saillie tres-
considerable en bossage , en dehors du plan dans lequel est
compris le cadre de jointoiement. J'ai mesure deux de ces
n. n
m VOYAGE EN SYRIE
blocs qui n'ont pas moins de cinq metres vingt-huit centime-
tres et sept metres vingt-cinq centimetres de longueur, sur un
metre de hauteur. Onpeut juger par la de Tenormite de Tappa-
reil salomonien.
Les onze assises cessent bientot de se montrer, les infe-
rieures seules e"tant restees en place. La face salomonienne, qui
se presente ainsi la premiere , est en retraite de trente-quatre
centimetres sur la face du mur moderne, dans lequel s'ouvre la
porte de Saint-Etienne ; elle a un developpement de vingt-cinq
metres soixante centimetres. A Textremite de cette face com-
mence, en retraite de deux metres vingt-cinq centimetres, une
face de cinquante-cinq metres de developpement, avec sou-
bassement forme de deux assises de blocs salomoniens, en
retraite, Tune sur 1'autre, de trente-cinq centimetres. La meme
retraite de trente-cinq centimetres existe entre le mur superieur
et la face de la deuxieme assise. G'est naturellement h partir de
la face de ce mur superieur, que doivent se compter les deux
metres vingt-cinq centimetres de distance qu'il y a entre les
plans des deux faces de mur. .4 Textremite sud des cinquante-
cinq metres, reparait Tappareil salomonien, avec une saillie
telle, que la face commencant en ce point, soit exactement
le prolongement de la face salomonienne de Tangle nord-
est. A vingt-cinq metres en deca de ce nouvel angle, se trou-
vent deux assises, sans retraite, formees de deux pierres
enormes ay ant cinq metres soixante- quirize centimetres de
longueur, sur un metre soixante-cinq centimetres de hauteur.
Entre ces blocs immenses et la nouvelle face de mur salomo-
nien, 1'appareil est petit; le mur d'enceinte est par consequent
moderne en ce point et il a ete destine a fermer vraisemblable-
ment une breche. La face salomonienne suivante , qui com-
mence juste a quatre-vingts metres soixante centimetres de
Tangle nord-est, a un developpement de vingt et un metres
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 495
cinquante centimetres. Les assises inferieures sont seules de
I'appareil salomonien.
Vient alors une nouvelle face, ayant deux metres de saillie
sur la face precedente , et un developpement total de seize
metres quatre-vingt-dix centimetres. C'est la qu'est placee la
porte Dore"e (les porles oires des croises); sauf les pi6droits
des deux arcs de la porte et les archivoltes de celle-ci , tout
y est modern e et de construction turke. Les piedroits ont
deux metres dix centimetres de largeur, et ils sont construits en
grosses pierres de taille, bien superieures, sans doute, aux blocs
de la maconnerie moderne dans laquelle elles sont enclaves,
mais bien inferieures, pour les dimensions, aux blocs des por-
tions salomoniennes de 1'enceinte. 11 serait trop difficile de de-
crire par le menu les moulures chargees d'ornements et d'a-
canthes, ou de rinceaux de feuillages, qui couvrent les archivol-
tes des deux arcs de la porte Doree ; j'aime mieux renvoyer aux
dessins que j'en ai pu recueillir, malgre Tetat de degradation
avancee de tous les ornements, que le temps a fortement ron-
ges. La largeur de chacune des arcades de la porte est de
trois rnetres quatre-vingt-cinq centimetres. Dans la maconne-
rie moderne, au sommet de la muraille et au-dessus du centre
meme de la double porte , est encastre un chapiteau antique,
d'apparenc romaine des bas temps.
A quelle e*poque appartient la porte Doree? C'est la une
question qui aete bien souvent debattue, sans avoir jamais recu
de solution satisfaisante. La tradition chre"tienne veut que ce
soit la porte meme sous laquelle a passe Notre Seigneur, lors
de son entree triomphale a Jerusalem, etje declare, sans au-
cun scrupule, que j'adopte pleinement la tradition chretienne
sur ce point. II m'est imposible de ne pas attribuer a He"rode la
construction de la porte Doree, et je vais en de"duire les raisons.
Nous savons que ce fut par cette porte que 1'empereur He>a-
496 VOYAGE EN SYRIE
clius fit son entree triomphale a Jerusalem , quand il y apporta
la sainte croix reprise aux Perses; cette porte existait done
de"ja sous Heraclius. II n'est pas question de cette porte parmi
les constructions dont Justinien orna Jerusalem ; d'ailleurs, elle
n'est nullement du style des edifices de Justinien ; elleest encore
bien moins du style des monuments du siecle d'Hadrien. En re-
vanche , elle offre une ornementation vegetale outree, essentiel-
lement hebrai'que, mais impregnee d'hellenisme. Qui, des lors,
peut, mieux qu'H6rode, avoir fait elever cette belle porte, lors
de la construction du temple somptueux qu'il fit batir? De la
sorte, la tradition chretienne devient certaine. Sans aucun
doute, cette tradition existait deja a 1'epoque d'Heraclius, puis-
que ce fut par la porte Doree, sanctifiee par 1'entree du Christ,
que ce monarque voulut entrer lui-meme a Jerusalem, avec sa
precieuse conquete.
Encore un mot. Contre la face sud de 1' enceinte du temple, se
voit la mosquee d'El-Aksa, qui n'est autre chose qu'une eglise
de la Vierge, construite par 1'ordre de Justinien, suivant la nar-
ration de Procope. Bien au-dessous du niveau de cette eglise,
et centre elle, se voit, dans le mur d'enceinte, & moitie cachee
par le mur du jardin de la mosquee d'El-Aksa, et a demi enter-
r6e , une belle porte , exactement du meme style que la porte
Doree. Cette seconde porte a ete forcement condamnee a
1'epoque de la construction de 1'eglise ; elle n'est done pas
de 1'epoque byzantine; elle n'est pas romaine non plus, cela
est indubitable : force est done de la reporter, comme la
porte Doree, a 1'epoque d'Herode, et de la considerer comme
une partie des constructions magnifiques ordonnees par ce mo-
narque. Je puis, sans doute, me tromper, mais j'attendrai
qu'on me le demontre par des arguments peYemptoires, avant
de changer d'opinion '. Williams, dans son excellent livre sur
1. Voyez 1'excellente discussion de Williams (The Holy city, t. II, p. 372 et sui-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE <97
la cite sainte (torn. II, pag. 355 et suiv.), a accumute une
foule de fails qui demontrent que la porte Dor6e, ainsi que le
veut la tradition chretienne, musulmane et juive, est bien une
, porte du temple. II laisse entrevoir son d^sir d'y reconnaitre
une porte d'Herode; mais, parce qu'il e"tait encore seul de son
avis, il n'a pas ose 1'emettre nettement. Nous sommes deux,
maintenant, etje soutiendrai, jusqu'a demonstration contraire,
que la porte Doree n'est ni byzantine, ni romaine; il est bien
entendu que je ne parle ici que de ce que j'ai pu voir a 1'aise,
a l'exte"rieur du haram. Cette porte est d'un style particulier,
qui convient a merveille a 1'epoque gre"co-juive, c'est-a-dire
au regne d'Herode.
Pendant 1' existence du royaume latin de Jerusalem, les portes
oires restaient fermees, et elles n'&aient ouvertes que deux fois
1'an. La premiere, le dimanche des Rameaux, en commemo-
ration de Pent-re" e triomphale de Notre Seigneur Jesus-Christ,
arrivant a Jerusalem par cette porte ; et la seconde , le jour
de la fete de V Exaltation de la Croix, en souvenir du passage
d'Heraclius. Tres-probablement, cette double porte n'etait que
close et non muree , a cette epoque. II paraitrait bien difficile
d'admettrequ'elle eut ete degagee et condamnee deux foistous
les ans, par les Chretiens; c'eut ete une besogne a y laisser
les macons en permanence. Ce sont les Musulmans qui 1'ont
muree, parce qu'il existe chez eux une tradition, fort repan-
due, qui dit que, si un jour les Chretiens chassent de nouveau
les Musulmans de Jerusalem, ils entreront dans cette ville par
la porte Doree. Ce qui a pu donner lieu a cette tradition,
c'est le fait que les croises penetrerent dans la place, tres-pres
vantes) sur 1'identite de l'6glise de la Vierge et de la mosquSe d'el-Aksa. II est diffi-
cile de trouver un livre plus soigneusement et plus consciencieusement 6crit que
1'ouvrage que je viens de mentionner. Pour ma part, j'en fais tres-grand cas, et je
prise tres-fort la critique judicieuse de sou auteur.
198 VOYAGE EN SYKIE
de la porte Doree, qui dut etre ouverte aux assaillants, par les
premiers guerriers qui reussirent a deloger les defenseurs de
la muraille orientale du temple.
Au dela de la porte Doree, en suivant la direction que nous
avons suivie jusqu'ici, c'est-a-dire en allant du nord au sud,
on voit, a quinze metres cinquante-cinq centimetres du flanc
droit de la porte Doree, une petite poterne muree, de deux
metres de hauteur, sur un metre cinquante centimetres de lar-
geur, au plus. Depuis le ressaut de la porte Doree, jusqu'au
cote droit de la poterne, toute la base du mur d' enceinte est
salomonienne, et la hauteur de la poterne est exactement for-
mee de deux hauteurs des assises de ces blocs enormes. A. par-
tir du cote gauche de la poterne, la construction salomonienne
disparait pour un certain temps; mais 1'appareil est toujours
tres-beau. Ou bien nous avons ici, ainsi que je le crois, un pan
de mur de 1'epoque d'Herode, ou bien nous sommes en face
d'une reconstruction datant de 1'epoque d'Hadrien, c'est-a-
dire du haut empire. Le linteau de la poterne muree est forme
d'une seule pierre, qui offre une particularity fort curieuse : on
y distingue encore, avec un peu d'attention, une croix grecque
patee. Elle est peinte en rouge et entouree d'un double cercle
vert, borde de rouge, et d'un troisieme cercle exterieur, dentele
et peint en rouge. Enfin, a un pied a gauche de la poterne, se
voit une sorte de pilier carre, en sail lie sur le mur, et offrant
une cavite spherique, percee dans le fond, contre le mur, d'un
trou rond dont il ne m'a pas e"te possible de deviner I' usage.
Etait-ce une sorte de conduit par lequel on devait, la nuit, se
faire reconnaitre, pour obtenir 1'ouverture de la. poterne; c'est
possible, mais je me garderais bien de 1'affirmer. Quoi qu'il
en soit , il est certain que cette petite porte est bien celle qui
est designee sous le nom de porte de Josaphat, dans la cu-
rieuse description de la Jerusalem des croisades, publi^e par
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 499
M. le comte Beugnot, comme annexe a sa magnifique edition
des Assises de Jerusalem.
A partir de la poterne que je viens de decrire, commence,
ainsi que je Pai dit, une face de muraille de construction hero-
dienne, ou tout au moins romaine, qui a un developpement de
dix-huit metres trente centimetres. Un peu en avantde Pextre-
mite se trouve, applique centre la muraille, un petit edifice
carre , qui a quatre metres vingt centimetres de cote. G'est
une sorte d'edicule recouvrant des tombes musulmanes. Le
mur fait saillie de soixante-six centimetres sur la face pre"ce-
dente, et, sur une &endue de cent quatre-vingt-quatorze metres,
sa construction montre, par ci, par la, des fragments de Pap-
pareil d'Herode ou des Remains, mais presque partout du
rhabillage turk. G'est dans cette partie que se voient, encas-
tres dans la maconnerie, des bouts de colonnes, de matiere
parfois magnifique, faisant saillie a Pexterieur. Ces colonnes,
encastrees la par les Arabes ou les Turks , viennent , tres-pro-
bablement, des edifices somptueux qui, depuis le temple de Sa-
lomon , se sont succede sur le plateau du mont Moriah. L'un
de ces troncons de colonne, place au faite du mur d'enceinte et
vers P angle sud-est, a recu des Musulmans le nom d'Et-Tharik
(le chemin). Cette pierre, lors du jugement dernier, doit jouer
pour eux un grand role, car c'est par la que le prophete re-
descendra sur la terre.
Au bout des cent quatre-vingt-quatorze metres du mur mo-
derne, reparaissent , sur une longueur de neuf metres seule-
ment, les blocs salomoniens; puis de nouveau un pan de rha-
billage moderne, de onze metres d'etendue. A partir de la
jusqu'a Pangle sud-est, les blocs salomoniens se rencontrent
en place, et quelques-uns d'entre eux atteignent des dimensions
enormes : ainsi Pun d'eux, que j'ai mesure, porte sept metres
quatre-vingt-cinq centimetres de longueur, sur un metre de
200 VOYAGE EN SYR1E
hauteur. Du point ou les blocs salomoniens reparaissent jus-
qu'£ Tangle sud-est, il y a soixante-huit metres quatre-vingts
centimetres.
Sur cette portion de la muraille d' enceinte, j'ai eu le bon-
heur de faire une petite decouverte qui n'est certainement pas
sans inte'ret et dont je vais dire quelques mots, avec d'autant
plus de plaisir, que je n'ai pas oublie" I'importance que feu
M. Schultz sembla attacher a ce fait tout nouveau, lorsque j'eus
le plaisir de lui en faire part, le lendemain meme du jour ou je
Tavais constate.
A vingt-cinq metres en arriere de Tangle sud-est de Ten-
ceinte, le mur rentre de douze a qtiinze centimetres, sur une
largeur de trois metres cinquante centimetres; il fait ensuite
saillie de la meme quantite sur une largeur de six metres, pour
rentrer encore sur une largeur de un metre quatre-vingts cen-
timetres, au dela de laquelle il se retrouve dans \e plan exte~
rieur general de cette portion de la face orientale. II y a done,
en d'autres termes, une saillie du mur salomonien de six me-
tres de largeur, encadree entre deux faces en retraite et de lar-
geur diffe>ente. L'assise inferieure est aux trois quarts entente
dans les detritus de toute nature, amonce!6sautour del'enceinte
du Haram, et formant un sol couvert d'herbe , qui , a partir de
ce point, est en pente tres-sensible, jusqu'a Tangle sud-est de
la muraille. L'assise qui est placee au-dessus de celle dont je
viens de parler, est composee de deux grands blocs et d'un
petit bloc carre qui a ete rajuste £ droite. Les deux blocs prin-
cipaux sont en saillie de quarante centimetres sur la face du
mur, et ils forment un enorme boudin ou tore. Au-dessus est
une assise de un metre cinquante centimetres de hauteur, for-
med de deux blocs e"gaux de trois metres de longueur chacun,
et tallies en veritables voussoirs , c'est-a-dire evides en arc de
cercle a leur partie inferieure, de facon & donner une longueur
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 201
de soixante-quinze centimetres au pan coupe superieur qui re-
presente un joint. Une seule pierre, moitie moins haute que les
precedentes , recouvre les deux voussoirs et formait vraisem-
blablement le sol d'une fenetre avec balcon, donnant sur cette
portion de la vallee de Josaphat, qui regarde la fontaine de
Siloe , le village de Siloam et les beaux jardins potagers dont
est rempli le fond de la vallee. Effectivement, un seul bloc de
un metre quatre-vingts centimetres de hauteur, sur un metre
de largeur, est etabli perpendiculairement au milieu du plateau
de six metres, faisant sol de fenetre, et a droite et a gauche de
ce bloc vertical, sont deux ouvertures de un metre quatre-vingts
centimetres de hauteur, sur deux metres cinquante centimetres
de largeur, murees en pierres de petit appareil, et par conse-
quent sans accord avec toutes les portions de murailles placees
autour de ce point. Enfin, au ras du sol de la fenetre, et a
gauche, existe encore dans le mur un bloc assez gros qui porte
deux encastrements carres fort distincts , dont Tun est imme-
diatement en contact avec le montant gauche de la fenetre de
gauche et avec le sol de cette fenetre, et 1'autre, un peu plus
haut de quelques pouces et rejete un peu a 1'exterieur. Sans
aucun doute, ces encastrements n'ont pas ete tailles la sans rai-
son, et pour moi il est evident qu'ils ont ete destines a assu-
jettir une balustrade qui garnissait la double baie a balcon que
je viens de decrire. Gertes le fait de 1'existence d'une fenetre a
balcon a 1'epoque salomonienne, car je n'hesite pas a attribuer
cette antiquite a la portion du mur d' enceinte, dans laquelle
elle est percee , est un fait que les architectes seront fort eton-
nes, je le crois, de voir enoncer sans scrupule. Au reste, si j'ai
bonne memoire , le palais de Rarnac , palais bien plus ancien
encore, pre"sente un fait a peu pres analogue. Quoi qu'il en
soit, voici deja un premier exemple de 1'emploi du voussoir a
douelle circulaire, a 1'epoque purement hebraiique.
202 VOYAGE EN SYRIE
A partir de 1' angle sud-est, la muraille a un developpement
en ligne droite, de cent quarante-six metres cinquante centime-
tres, jusqu'au mur lateral du jardin attenant a la mosquee d'el-
Aksa. La construction salomonienne sepresente immediaternent
a Tangle et elle continue, sur une etendue de trente et un me-
tres vingt-deux centimetres, jusqu'a une porte ogivale muree,
de deux metres cinquante centimetres de largeur. Cette porte
est de 1'epoque des croisades tres-probablement, mais elle n'a
pas de caracteres assez distincts, pour qu'il soit possible de lui
assigner une origine chretienne ou musulmane. A trente me-
tres a gauche de cette premiere porte, se voient trois grands
arceaux d'apparence romaine, en plein cintre, mures comme
la porte ogivale precedente. Les baies de cette triple porte ont
chacune quatre metres trente-deux centimetres d'ouverture, et
les piedroits ont un metre soixante-quinze centimetres de lar-
geur. A partir du flanc gauche de la derniere des trois portes
(vers 1'ouest bien entendu), recommencent immediaternent les
assises salomoniennes, qui se montrent sans interruption jus-
qu'aupres du mur de cloture moderne de la mosquee d'el-Aksa,
mur qui vient recouper perpendiculairement la grande mu-
raille d'enceinte, a soixante-dix metres vingt-deux centimetres
de la triple porte muree.
A. cette meme porte de gauche se trouve en place un magni-
fique bloc, orne de moulures, auquel on n'a fait aucune atten-
tion jusqu'ici, et qui neanmoins est, si je ne me trompe, d'un
prix inestimable. Evidemment nous avons dans ce bloc un
fragment du piedroit primitif, reste en place ; or, ce fragment,
qui se relie immediatement a des assises de Tappareil salomo-
nien, est salomonien lui-meme ; il nous offre un echantillon de
moulure qui n'est ni bysantine, ni romaine, ni grecque ; force
est done d'y voir autre chose, et cette autre chose ne peut
etre qu'une moulure juive, tres-probablement salomonienne.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 203
Je m'abstiens de donner la description detaille'e de ces mou-
lures, pour epargner ail lecteur 1'ennui de chercher a se rendre
compte d'une serie de mots techniques et de chiffres, formant
un tout peut-etre incomprehensible. J'aime mieux renvoyer au
dessin que j'ai fait avec le plus grand soin, de ce precieux de-
bris de sculpture judai'que '.
Le mur de cloture du jardin d'el-Aksa coupe h peu pres par
le milieu, ainsi que je 1'ai deja dit, une porte antique a demi
enterree , d'un style architectural assez etrange, et chargee
d'ornementation vegetale completement analogue a celle de la
porte Doree a. fividemment nous avons la, sous les yeux, les
restes d'une belle porte antique, enclavee dans de la maconnerie
beaucoup plus re'cente. De cette porte on voit un arc surbaisse
forme d'un large cordon couvert de rinceaux de feuillage ,
auquel est tangent un encadrement rectiligne, compose de deux
larges bandes a rinceaux semblables, separes par un cordon
d'oves. La portion superieure du cadre est tangente , non pas
a la partie exterieure de 1'arc orne de rinceaux , mais bien a la
courbe inferieure de cet arc, ce qui est au moins fort etrange,
et bien loin de ce qu'aurait exige 1'art grec ou romain. Au-
dessus du cadre, pa rait d'abord une assise de blocs tres-grands,
que surmonte une assise de voussoirs, dont rien absolument ne
justifie la presence ; au-dessus de ceux-ci regne une corniche
assez elegante formee d'un beau rinceau qui court au-dessus
d'une ligne de modillons, etque surmonte une moulure simple.
Toute la portion de droite de cette corniche manque aujour-
d'hui, de sorte qu'il serait impossible de deviner ou elle se ter-
minait. L'arc inferieur ne repose d' aplomb sur aucun systeme
de piedroit; il en existe bien un, forme" de gros blocs super-
poses, mais il est devie et rejete en dedans de la porte, de
1. Voyez pi. xxiu.
1. Voyez pi. xxiv.
204 VOYAGE EN SYRIE
fagon a ne pouvoir servir de support a la portion inferieure du
cadre, portion que 1'on serait tente, mais a tort, de prendre
pour 1'amorce d'un chapiteau de pilastre. En resume, le style
de cette porte, certainement contemporaine de la porte Doree,
est des plus singuliers et appartient a un systeme architectural
tout a fait en dehors des principes classiques. Une fenetre
grillee est percee dans le mur au-dessous de 1'arcade ; j'ai
essaye de voir quelque chose par cette fenetre qui donne sur
les substructions de la mosquee d'el-Aksa, et il ne m'a pas ete
possible de discerner quoi que ce fut, tant Tobscurite etait
epaisse dans ce souterrain.
On a beaucoup ecrit deja sur 1'age probable de cette porte,
que les uns ont crue byzantine etles autres romaine ; a mon avis,
elle n'appartient ni a Tune ni a Tautre de ces deux epoques.
C'est Justinien, ainsi que nous le savonspar Procope, qui a
fait batir 1' eglise de Sainte-Marie , devenue la mosquee d'el-
Aksa. Notre porte est enormement en contre-bas du sol de cette
eglise; elle n'a done pas la moindre relation avec elle. Mais les
architectes de Justinien trouvant debout ce debris venerable
du temple d'Herode, 1'aurontrespecte, et fait entrer dans leur
plan de reconstruction, en 1'enclavant dans la maconnerie qui
devait soutenir la plate-forme sur laquelle ils voulaient batir
leur eglise. Ce qui ne contribue pas peu a me le faire croire ,
c'est la presence, dans la maconnerie qui encadre la porte anti-
que, d'une inscription encastree, sens dessus dessous, dans le
mur, et qui tres-certainement a ete renversee a dessein et mise
la pour constater le renversement des idees qui en avaient
dicte'la teneur. Voici cette inscription :
TITO AEL. HADRIANO
ANTON1N6 AVG. PIO
P. P. PONTIF. AVGVR.
D. D.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 205
t A Titus Julius Hadrien Antonin Auguste le Pieux, pere de
la patrie, pontife, augure, par decret des decurions. »
Nul doute que cette inscription n'ait 4t4 encastree dans la
base d'une statue elevee a 1'empereur Antonin le Pieux. Krafft
a conclu de sa presence, que la porte antique dont je m'oc-
cupe, etait du regne d'Hadrien; mais Williams a fait justice
de cette bizarre conclusion, tiree de la presence d'une inscrip-
tion evidemment deplace"e, puisqu'elle est sens dessus dessous,
et il a cru devoir conclure que la porte en question e"tait du
temps de Justinien. J'ai deja dit pourquoi je ne puis admettre
cette opinion. Pour moi , comme pour le savant Williams,
I 'inscription a ete mise la a 1'epoque oil Justinien a ordonne la
construction de Pe"glise de la Vierge; mais voila tout. 11 n'y
a aucune analogic entre la nature de la pierre dont on s'est
servi pour construire la porte, et celle de la pierre qui porte
1'inscription. 11 y a plus : un des voussoirs primitifs dont j'ai
parle, a ete entame pour servir d'encastrement au cote gauche
et a Tangle inferieur de 1'inscription. Celle-ci a done ete en-
castre"e dans le mur, posterieurement a 1'existence de la porte
antique. Par suite, il est logique, s'il est vrai que cette inscrip-
tion ait etc" placee la a 1'epoque de Justinien, de conclure que
la porte inferieure est bien ant&rieure a cette e"poque. Aussi
n'hesite-je pas, plus que pour la porte Doree, a la considerer
comme un fragment d'une porte de 1'enceinte du temple re-
construit par Herode.
Maintenant, est-il possible de deviner 1'origine de cette inscrip-
tion precieuse? Je crois que oui, et je vais essayer de le demon-
trer. Gommencons par dire que Krafft, qui conclut de la presence
de 1'inscription que la porte est du regne d'Hadrien, ne s'est pas
apercu, ainsi que le fait tres-judicieusement observer Williams,
qu'il nes'agit pas d'Hadrien dans 1'inscription, mais bien d' An-
tonin le Pieux, qui prit pour surnoms, par reconnaissance et par
206 VOYAGE EN SYRIE
affection, les noms d'Hadrien et d'^Elius, qui ne lui apparte-
naient pas. Krafft aurait pu conclure tout au plus, si 1'inscrip-
tion cut ete placee de facon a etre lue , que la porte etait du
temps d'Antonin. Williams a public cette inscription, etrange-
ment estropiee par un de ses devanciers qui y lisait le mot
nOAH pour nOAis , ville ! , avec quelques legeres incorrec-
tions que je crois devoir signaler au savant auteur de la Cite
Sainte. Le texte porte positivement AEL au lieu de AIL. De
plus, la derniere ligne ne se compose que des deux siglesD.D.
( decurionum decreto ) , et non des lettres D D P P qui ne
pourraient se lire que Decuriones posuerunt, contrairement au
style lapidaire qui exige « Ponendum curavit ou curaverunt. »
Revenons k 1'origine de 1'inscription. Apres Teffroyable de-
nouement de la revolte des Juifs souleves par Bar-Koukeba
(fcOTCrn&o) , Jerusalem fut transformed en colonie romaine,
par Hadrien, qui lui donna le nom d'/Elia-Capitolina. Un
temple pai'en fut installe sur 1' emplacement meme du temple
des Juifs, et les magistrats remains de la nouvelle colonie ele-
verent, au meme point, une statue en 1'honneur de 1'empereur.
Son successeur, Antonin le Pieux , recut tres-probablement le
meme hommage ; ce qui est sur, c'est que le pelerin de Bor-
deaux qui visita la ville de Jerusalem en 333, dit expresse-
ment dans sa description du temple : « Sunt ibi et statuse duae
Adriani, et est non longe de statuis lapis pertusus, ad quern
veniunt Judasi singulis annis et unguent eum, et lamentant se
cum gemitu et vestimenta sua scindunt, et sic recedunt. » Ce
passage curieux constate que les deux statues imperiales
etaient pres de la pierre visitee avec devotion par les Juifs,
pierre qui n'est que la roche veneree encore aujourd'hui des
Musulmans, sous le nom d'es-Sakhrah, et quiestenfermee dans
la mosquee d'Omar.
fitaient-ce bien deux statues d'Adrien qui se voyaient, en
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 207
333, sur ['emplacement sacre du temple? 11 est fort probable
que non. A quoi bon elever deux statues au meme prince, et au
meme endroit? Je n'hesite pas a croire que la seconde etait
d'Antonin le Pieux, et le pelerin, en lisant 1'inscription votive
quiportait Tito Mlio Hadriano, n'aura pas pris, plusque Krafft,
la peine de lire plus loin une inscription qui devait le scanda-
liser. Ceci revient a dire que, pour moi, 1'inscription dont je
m'occupe, est bien celle qui etait encastree dans la base de
l'une des deux statues elevees par les decurions d'^Elia Capi-
tolina, a Hadrien d'abord et plus tard a Antonin le Pieux.
Continuous notre inspection de 1'enceinte antique du temple.
Le mur de cloture du jardin d'el-Aksa s'eleve perpendiculai-
rement, ainsi que je 1'ai dit, sur le grand mur d'enceinte ; il se
dirige droit au sud, sur une longueur de dix-neuf metres qua-
rante centimetres. La il fait un angle droit a I'ouest, sur une
longueur de sept metres vingt centimetres ; puis un nouveau cro-
chet au sud, de neuf metres trente centimetres, et un retour
d'equerre, vers I'ouest, de dix metres de longueur. Les quatre
branches de muraille que je viens de mesurer, sont en macon-
nerie recente et probablement turke. Au point ou nous sommes
arrives, la muraille salomonienne reparait et descend directe-
ment au sud, sur une longueur de soixante-un metres soixante
centimetres. A 1'extremite de cette branche, commence une
autre branche beaucoup plus longue, dirigee ci I'ouest, et de
construction salomonienne : celle-ci a cent cinquante metres
soixante-dix centimetres ; la est appliquee contre le mur, une
tour carree moderne qui a six metres de face et qui est en sail-
lie de cinq metres, sur 1'enceinte. Dans le flanc gauche de cette
tour est une poterne fermee d'une porte de fer ; au dela il n'y
a plus que des parties tiirkes de 1'enceinte militaire de la
ville, conduisant au Bab-el-Morharibeh (la porte occidentale).
L' enceinte sacree que nous avons perdue de vue, a partir.de
208 VOYAGE EN SYRIE
la porte antique situee au-dessous d'el-AJksa, ne doit pas etre
confondue avec les deux grandes branches de muraille salo-
monienne que nous venons de reconnaitre, au sud du plateau
qui servit d'assiette au temple; celles-ci, en effet, sont une
partie integrante de la plus ancienne enceinte militaire, dont
fut munie la capitale du royaume de Juda. II ne faut pas
oublier, nonplus, queje me sers de 1'expression salomonienne,
par pure abreviation, et pour indiquer la construction qui ap-
partient incontestablement, suivant moi, a la dynastie de David,
c'est-a-dire qui est anterieure au sac de Jerusalem par les As-
syriens, et £ la destruction du royaume de Juda. Le plan des
ingenieurs anglais, public par Williams, ne fait pas entrer ces
deux magnifiques murailles dans le trace de 1'enceinte primi-
tive de Jerusalem, et c'est bien certainement a tort. II en est
de meme pour le plan de Schultz et de Catherwood.
Quels que soient les textes sur lesquels il est possible de
s'appuyer, pour reconstruire approximativement surun plan,
le trace de 1'enceinte que Josephe appelle le premier mur, il
faut, de toute necessite, faire entrer dans ce trace les deux por-
tions de muraille salomonienne que j'ai decrites plus haut.
Tous les blocs primitifs sont en place, aucun d'eux n'a ete de-
range , et les assises sont en aussi bon etat que si le tout venait
d'etre construit recemment.
Le recit de Josephe est sans contredit de tous le plus impor-
tant sur ce sujet. Voici done ce qu'il dit en substance de 1'en-
ceinte primitive l : le premier mur commencait a la tour Hip-
picus, s'etendait vers le Xystus, gagnait de la le Sanhedrin, et
venait se terminer au portique occidental du temple. L'autre
branche commencait a la meme tour Hippicus, se prolongeait
d'abord en faisant face a 1'occident, se dirigeait, en traversant
1. Bell. Jud., », IT. *.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 209
Ie lieu nomine" Bethso, vers la porte des Esseniens, et, faisant
face au sud, passait au-dessus de la fontaine de Siloe; de la elle
reprenait de nouveau une direction faisant face a I'orient, en
se dirigeant vers la piscine de Salomon, et, s'etendant jusqu'au
lieu qu'on appelle Ophla, venait fmir au portique oriental du
temple. 11 resulte necessairement de cette description que ce
qui se trouve aujourd'hui entre la porte antique, situee au-
dessous d'el-Aksa, et Tangle sud-est de 1' enceinte actuelle du
Haram-ech-Gherif, aussi bien que la face orientale de cette
enceinte , faisait partie integrante de la premiere muraille
decrite par Josephe.
Voyons maintenant s'il est possible de reconnaitre le trace
de cette seconde branche du mur construit par les rois de la
dynastie de David. La tour Hippious est incontestablement la
tour actuelle de David, dont la construction ne saurait etre
attribute, en aucune facon, a une epoque posterieure a celle des
rois de Juda, si ce n'est meme a celle de David, dont elle porte
probablement le nom a juste titre. La branche occidentale,
dont parle Josephe, devait longer Templacement actuel du
couvent armenien, vers 1'extr^mite sud duquel se trouvait le
lieu nomine Bethso. La porte des Esseniens ne pouvait de-
boucher sur 1'escarpement abrupt du mont Sion , et elle n'e-
tait tres-probablement que la porte actuelle de Sion, Bab-en-
Naby-Daoud, nommee aussi Bab-£ahioun. Cenom de fahioun
ne nous a-t-il pas conserve" le nom donne par Josephe (TVIV
Eccr^wv 7ru>,y)v)? En verit^, je le crois, et il me parait plus na-
turel de chercher le nom corrompu des Esseniens, dans le nom
actuel de la porte Bab-Gahioun , que celui du mont Sion , qui
pouvait tout aussi bien s'appliquer a d'autres portes ouvertes
dans 1' enceinte qui couronnait le mont Sion.
La fontaine de Siloe n'a pas change de place, et la branche
de Tenceinte moderne, qui fait face au sud, & partir du Bab-
ii. n
210 VOYAGE EN SYRIE
Cahioun, se dirige bien au-dessus de la fontaine de Siloe. L'en-
ceinte primitive s'inflechissait ensuite vers I' orient, en passant
a la piscine de Salomon. Que peut e"tre cette piscine de Salo-
mon? On n'en sait rien. On voit a la fontaine meme de Siloe
une citerne assez vastequi, dans le plan de Schultz, porte le
nom d'etang de Salomon ou du roi; mais il n'est pas possible,
d'apres le texte de Josephe, qae la fontaine de Siloe et la pis-
cine de Salomon ne soient pas deux choses tres-distinctes ; il
faut done, de toute necessite, chercher ailleurs 1'etang de Sa-
lomon ; or, comme il existe, en communication avec la piscine
de Siloe, par un aqueduc souterrain, une belle source nommee
source de la Vierge, il serait possible que cette source fut un
des deux endroits signales par Josephe. D'un autre cote , le
plan de Schultz mentionne une vieille citerne qui se trouve au
nord-est de Siloe, et je prefere voir dans celle-ci la citerne de
Salomon (2o>>o|xaivo; Ko^j^^'Opa). Le mur primitif d'enceinte
pouvait parfaitement passer au-dessus ou a cote de cette pis-
cine, qu'il ne pouvait atteindre qu'en s'inflechissant, ainsi que
le dit Josephe, vers 1'orient.
Ophel etait une sorte de faubourg place\ de 1'aveu de tout
le monde, sur la pointe sud du mont Moriah. Le trace de la
muraille a partir de la n'est plus donne par Josephe ; mais ce
mur, se dirigeant vers une porte antique qu'aura remplace le
Bab-el-Morharibeh , venait admirablement rejoindre le grand
saillant situe au sud d'el-.\ksa , saillant qui touche a Ophel
en le dominant; a partir de la, ainsi que je 1'ai dit, 1'enceinte
se continuait le long des faces sud et est du Haram-ech-Cherif.
Tel est, en definitive, le trace que j'admets, en rejetant for-
mellement le trace propose par Schultz, trace qui, militairement
parlant, ne me parait pas admissible. Ce trace d'ailleurs a
pour moi le grave inconvenient d'entourer Ophel , que le texte
de- Josephe ( xal ^t^xov [^eypt Xtopou^rivo; ov xa>ou
Upoi T/IV avo> TuoXtv auT/i TOTS (xsan T-
mee aujourd'hui Bab-el-Aamoud , ou Bab-ech-Gham , ne soit
sur 1'emplacement de Tune des anciennes portes percees dans la
seconde enceinte. En effet , on retrouve sur les flancs de cette
porte, moderne d'ailleurs, et a la base de la construction,
des blocs salomoniens formant assises, et qui n'ont tres-cer-
tainement pas ete deranges de la position qui leur fut primiti-
vement assignee. C'est done avec toute raison que feu Schultz
fait passer I'ancienne muraille a la porte de Damas. Je n'ai pas
rencontre ailleurs, dans Tenceinte moderne, deces memes blocs
salomoniens, qui peuvent servir de jalons pour reconstruire la
muraille que Josephe appelle la deuxieme.
Quant a la troisieme muraille , c'est-a-dire celle d' Agrippa,
elle est si nettement decrite par Josephe, qu'il n'est pas possible
de se meprendre sur son trace. Schultz a fixe admirablement
ce trace sur son beau plan de Jerusalem. Je renvoie done a ce
plan, que 1'etude que j'ai faite, sur le terrain, des debris de
Tenceinte d'Agrippa, m'a fait accepter entierement, et sans
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 210
que j'aie pu conserver de doutes sur son exactitude, en ce qui
concerne cette troisieme enceinte de Jerusalem.
TOMBEAU DES ROIS DE JUDA.
Lorsque, sorti de Jerusalem par la porte de Damas, on che-
mine sur la route de Naplouse, on rencontre, a environ cinq
cents metres des murailles, un monument funebre de la plus
grande magnificence et auquel une tradition constante attribue
le nom de Tombeau des rois (Qbour-es-Selathin, ou Qbour-el-
Molouk). Cette denomination reste la meme, que Ton s'adresse
aux Juifs, aux Musulmans et aux Chretiens du pays. Mais est-
elle juste? C'est ce qu'il importe de rechercher. Avanttout,
disons qu'il n'est pas possible, quand on foule la terre judai'que,
de meconnaitre la valeur de la tradition orale. Pour peu que
Ton veuille bien la consulter, les saintes ficritures a la main,
on ne tarde pas a la respecter, comme on respecterait un livre
authentique ; car, dans toute 1'etendue de cette terre , on re-
connait, a chaque pas, que les souvenirs bibliques y sont im-
perissables. La, rien de ce qui s'y rattache ne change, rien ne
s'oublie, pas meme un nom ; et ce sont les evenements humains
dont la m^moire y a souvent ete perdue. Ainsi, les catastrophes
terribles dont Jerusalem a ete successivement le theatre, ont a
peu pres disparu du souvenir des hommes ; mais s'agit-il d'un
fait, meme secondaire , relatif a 1'histoire primitive du peuple
hebreu, ce fait semble recent, tant est precise et vivace la tra-
dition qui 1'a recueilli ettransmis d'age en age. J'espere faire
voir, en discutant tout ce qui concerne le monument connu
sous le nom de Tombeau des rois, que cette fois encore la tra-
dition est vraie , et que c'est bien la qu'ont repose les Rois de
Juda.
Bien des fois deja, les caveaux des Qbour-el-Molouk ont ete
220 VOYAGE EN SYR1E.
decrits, mais malheureusement avec trop de precipitation, et
pour ainsi dire en courant. Telle est, je crois, la seule raison
qui a, jusqu'a ce jour, empeche de determiner, d'une ma-
niere satisfaisante, I'origine de ce grand monument.
Pendant bien des jours je I'ai etudie avec le soin le plus
minutieux , je I'ai leve avec toute Inexactitude que Ton peut ap-
porter dans une operation de ce genre, et je me crois en droit
d'affirmer qu'aucun detail de sa construction ne m'a echappe.
Le plan scrupuleusement exact que je public aujourd'hui , me
dispensera d'entrer dans le detail fastidieux des mesures que
j'ai recueillies, avec le soin qu'un officier des armes speciales
met d'habitude a lever un batiment quelconque. Je me hate
d'ajouter que je ne pretends, en aucune facon, me faire un
merite d'avoir execute un travail qui se rattachait, en quelque
sorte, a mon premier metier. Sans plus ample preambule j'en-
treen matiere1.
Un plan incline vers Test , et place entre deux murailles de
rochers, aboutit a une paroi verticale dans laquglle est perce
un soupirail, grossierement creuse, donnant jour sur une sorte
de citerne, ou il n'est pas possible de penetrer par cet orifice ,
et dont toute autre entree est perdue. Que peut etre cette
cave? J'ai le regret de 1'ignorer; mais je me console en pen-
sant que tout le monde 1' ignore com me moi, et que des fouilles,
malheureusement impraticables en ce pays, pourraient seule s
nous apprendre quelque chose sur sa destination premiere.
Dans la muraille de gauche, vers le fond de cette espece de
cour, est percee une porte en plein cintre , orne"e d'un simple
filet creux a 1'exterieur. Cette porte est aujourd'hui enterree
jusqu'a la naissance du cintre, de sorte qu'on ne peut la fran-
chir qu'avec difficulte. EHe debouche sur une large cour carree,
1. Voyezpl. «vin etxitx.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 221
a parois verticales taillees dans le roc. Un accident, sur lequel
nous reviendrons plus tard, a fait tomber une epaisseur assez
grande de la muraille et, de la porte, de sorte qu'il n'est plus
possible aujourd'hui de savoir si elle etait plus ornee a 1'inte"-
rieur qu'a l'exte"rieur. Le sol de cette cour est evidemment
reridu inegal par des accumulations de de"combres, surtout
vers la muraille ouest, ou ces decombres fonnent une elevation
de quelques pieds. Dans cette muraille du fond est pratique ,
avec un art tres-remarquable, un large vestibule qui etait autre-
fois soutenu par deux colonnes prises dans le roc meme, etpar
deux piliers faisant corps avec la muraille de rocher. Les deux
colonnes ont ete brisees, et il n'en reste d'autre trace qtie la
partie superieure du chapiteau de droite, encore appendue au
plafond. Au-dessus du vestibule et sur la face meme du rocher,
court une longue frise sculptee avec une delicatesse et un gout
exquis. Le centre de la frise est occupe par une grappe de rai-
sin , embleme de la terre promise et type habituel des mon-
naies asmoneennes. A droite et a gauche de cette grappe, sont
places symetriquement une triple palme d'un dessin elegant ,
une couronne et des triglyphes, alternant avec des pateres
ou boucliers ronds repetes trois fois.
Au-dessous regne une riche guirlande de feuillages et de
fruits, retombant a angle droit de chaque cote" de 1'ouverture
du vestibule. La portion de gauche de cette guirlande a ete
beaucoup plus maltraitee par le temps, que la portion de droite.
Au-dessus de la ligne des triglyphes, commence une belle cor-
niche, formee de moulures elegantes, malheureusement tres-
endommagees, et s'elevant jusqu'au sommet de la roche, c'est-
a-dire jusque vers le niveau du sol de la campagne environ-
nante. A premiere vue, on reconnait, a la presence d'une large
fissure qui scinde obliquement I1 architrave et le linteau du
vestibule, qu'un tremblement de terre a mutile" le monument
222 VOYAGE EN SYRIE
et renverse les deux colonnes qui Tornaient primitivement.
line fois descendu sur le sol du vestibule, on aper^oit au fond
de la paroi de gauche , une petite porte fort basse , et par la-
quelle on ne peut passer qu'en rampant. G'est 1'entree des
caveaux.
Cette entree, qui est aujourd'hui libre, etait jadis deguisee
avec soin. On en jugera par la description suivante de 1'appa-
reil, assez complique, destine a masquer la porte. Un disque de
pierre d'une grande epaisseur, roulant dans une rigole circu-
laire, venait s'appliquer exactement contre la baie, et cette
lourde pierre ne pouvait se mouvoir, sur le plan incline que lui
offrait la rainure dans laquelle il se trouvait engage, qu'a Taide
de la pression d'un levier, agissant de droite a gauche pour de-
gager la porte, et de gauche a droite pour la clore. Afm d'ope-
rer ce double mouvement, il fallait arriver jusqu'au disque par
un couloir direct, que recouvrait ordinairement une pierre
enorme dont les encastrements lateraux sont bien conserves.
Ge couloir aboutissait, d'une part, directement a la porte d' en-
tree, et de 1'autre, a un large puits, aujourd'hui comble en tres-
grande partie ; on voit qu'une fois la pierre de recouvrement
degagee de son encastrement, le couloir devenait praticable,
et qu'il etait alors facile de solliciter, a Taide d'un levier dont
le point d'appui se prenait sur 1'arete meme de 1'encastrement,
le disque de pierre, force des lors & se mouvoir en montant a
gauche de la porte, sur le plan incline de la rainure circulaire.
Mais pour que le disque put monter, il fallait, de toute neces-
site, enlever une seconde dalle, moins epaisse que la premiere,
et dont les encastrements sont paralleles a la paroi dans laquelle
la porte est pratiquee ; une fois le disque de cloture ainsi chasse
a gauche, et cale fortement, le passage devenait libre. Pour
remettre le disque en place, il fallait penetrer dans un second
couloir, creuse sous le roc, et recoupant le premier a angle
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 223
droit, presque centre P orifice du puits. Ce couloir auxiliaire se
dirigeait brusquement , par un retour d'equerre, vers la paroi
du vestibule, et conduisait parallelement an premier couloir
direct, a un point ou le levier pouvant s'appliquer au cote gau-
che du disque , le forcait a redescendre et & regagner la place
qu'il devait occuper pour fermer Pedifice.
Toutes ces dispositions, auxquelles personne jusqu'ici ne me
semble avoir fait la moindre attention , sont parfaitement in-
tactes; les deux dalles encastrees ont seules disparu, et le dis-
que n'a pas conserve une position rigoureusement verticale,
par suite du peu de soin que Pon a mis a Pecarter et a le caler.
A cela pres, tout le systeme de cloture se trouve dans Petal ou
Pa laisse Phabile architecte qui Pa concu.
Mais ce n'est pas tout encore, il nous reste maintenanl a
parler du systeme de fermeture interieure.
Dans une large feuillure venait s'encastrer hermetiquement
une porte massive de pierre, £ double gond pris dans la masse,
et qui, probablement, roulait de facon qu'il fut possible de la
mettre aisement en mouvement, par unepression venant de Pex-
terieur, tandis que la disposition des crapaudines devait, si la
porte etait abandonne"e a. elle-meme , la faire aussitot retom-
ber, par son propre poids, dans la feuillure ou elle s'encas-
trait hermetiquement , je le repete, et de telle facon que, pour
Phomme enferme derriere elle , il n'y avail plus aucun moyen
de la faire mouvoir.
Cette premiere porte franchie , on se trouve dans une salle
earree , dont les cotes sont paralleles a ceux du vestibule ,
comme du reste les cotes de toutes les autres salles.
Trois portes se presentent , Pune percee & peu pres au mi-
lieu de la face ouest, et les deux autres dans la face sud ; cette
salle sert en quelque sorte de deuxieme vestibule, puisque au-
cune tombe ne s'y Irouve placee. Trois pelites niches triangu-
.;•- : :,»
224 VOYAGE EN7 SYR1E
laires, taillees avec soin dans les faces ouest, sud et est, ont die"
destinees a recevoir des lampes sepulcrales , dont la trace est
tout a fait visible ; au plafond, se lisent quelques noms de voya-
geurs , parmi lesquels j'ai retrouve avec un grand plaisir celui
de mon savant confrere et ami M. Leon Delaborde, suivi de la
date 1827.
La porte de la paroi ouest donne acces dans une chambre
plus petite, mais carree aussi et dont tout le centre est plus
profond que le seuil , de facon a former une assez large ban-
quette sur tout le pourtour de la salle.
Chacune des trois faces, autres que la face d'entree, est
percee de trois ouvertures. Toutes trois sont en plein cintre;
mais les deux portes laterales, qui n'ont que moitie de la hau-
teur de la porte centrale, sont en outre munies d'une feuillure
rectangulaire, de sorte qu'a premiere vue elles semblent car-
rees. Les six ouvertures laterales donnent acces dans des
tombes, et les trois centrales dans des petites chambres con-
struites de la maniere suivante : a droite et a gauche elles
sont garnies de plans horizontaux ou couchettes, surmontees
d'une arcade en plein cintre ; au fond est pratiquee une cou-
chette semblable, mais taillee en voute cintree dans sa lar-
geur. 11 faut naturellement y porter le haut du corps, pour
juger de son etendue qui est masquee par le massif de la
roche.
Deux de ces chambres (celles du nord et du sud) sont mu-
nies, au-dessus de chaque couchette, d'entailles destinees a
contenir des lampes sepulcrales, et semblables en tout a celles
de la salle d'entree. Elles ont aussi des traces evidentes des
lampes qui y ont brule jadis. Ges petites niches a lampes man-
quent dans la chambre du cote" ouest. Quant aux six tombes,
elles sont de differentes formes et construites en general sur le
principe suivant :
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 225
On penetre d'abord dans une petite chambre dont le sol
porte, h partir du seuil, une large rainure, destinee tres-proba-
blement a recevoir une saillie menagee au-dessous de la caisse
du sarcophage , afin de fixer celui-ci solidement. La tete du
sarcophage , mis en place , devait necessairement masquer
une ouverture donnant acces dans un reduit carre* , de dimen-
sion beaucoup trop petite pour avoir jamais pu recevoir un
corps. Nous verrons plus loin qu'il est possible de deviner la
destination de cette petite piece qui devait rester cachee, tant
que la tombe qui la precedait n'aurait pas ete violee. L'une des
tombes (celle qui est placee a I'extremite gauche de la face
nord) n'a pas de rainure sur le sol. La tombe de gauche de la
face ouest, au lieu de presenter 1'ouverture du petit reduit der-
riere la tete du sarcophage , suppose mis en place, la presente
sur le cote gauche , saris toutefois que ses dimensions aient ete
changees. Enfin, la tombe de gauche de la face sud n'a pas de
reduit comme les autres.
Au-dessous de la couchette du fond de la chambre a trois
couchettes, placee sur la face nord, est percee une petite ouver-
ture assez difficile a franchir et qui conduit par un plan incline
a une chambre inferieure , portant a sa face ouest une cou-
chette surmdntee par un cintre, et sur sa face nord, deux eta-
geres juxtaposees comme les marches d'un escalier. Le conduit
incline qui amene dans cette chambre, debouche par un fort
ressaut, au-dessus d'une seulemarche elevee quise termine au
sol. 11 est evident , a priori , que les deux etageres n'ont pu
recevoir de sarcophages, et qu'il n'a pu s'en trouver un que sur
la banquette du fond, c'est-a-dire parallelement a la face du
monument. Comme de plus cette petite salle est taillee preci-
se'ment dans 1'axe du vestibule, il n'est pas possible de douter
qu'elle n'ait eu une importance particuliere, et que tout le mo-
nument ne lui soit en quelque sorte subordonne.
n ^ • • Mttl) /l.a
H. 45
226 VOYAGE EN SYRIE
G'est dans cette chambre se"pulcrale que gisaient dedaign6s
les deux morceaux du beau couvercle de sarcophage qui se
trouve aujourd'hui depose au Louvre.
Revenons a la description des autres salles.
La porte de droite, pratiquee dans la face sud de 1'anti-
chambre, d6bouche un peu obliqtiement dansune salle carree
de me"me dimension que la precedente, munie comme elle
d'une large banquette et perc£e de trois tombes, sur chacune
de ses faces ouest et sud, tandis qu'une seule ouverture, percee
a droite de la porte d'entre"e, conduit, par un escalier de six
marches, suivi d'un palier incline, a une autre chambre basse,
munie sur trois faces d'une banquette surmontee par un arceau
en plein cintre.
Un seul dessus de sarcophage existe encore dans cette cham-
bre basse, et il est orne, sur sa longueur, de trois rosaces,
ciselees de chaque c6te. Parmi les six tombes taillees dans les
deux autres faces de la chambre superieure, la premiere, c'est-
a-dire celle de droite de la face ouest, n'a pas de reduit. Les
deux suivantes sont en tout semblables a la tombe complete
que j'ai decrite plus haut; celle de droite de la face sud n'a
jamais 6te qu'e"bauchee et n'a pu recevoir de sarcophage; les
deux dernieres n'ont pas non plus de reduit, et'sont en tout
semblables k la tombe de droite de la face ouest. Quant & la
face est, 1'architecte qui a regie 1'ordonnance du monument,
savait qu'elle etait trop rapprochee de la face ouest de la cham-
bre suivante, pour que P£paisseur intermediaire put recevoir
des tombes. Aussi ces parois sont-elies restees intactes.
C'est la porte de gauche de la face sud de rantichambre, qui
conduit dans cette derniere salle. Elle a , comme les deux
autres, sa banquette sur tout le pourtour, et six tombes seule-
ment, dont trois sur la face sud et trots sur la face esU De ces
six tombes , deux settlement ont pu recevoir des corps,
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 227
du centre de la face sud et cejle de droite, en faisant face a |a
paroi e^t. Joutes les au,tres sont resides a 1'etat d'ebauche, et
avec les memes dimensions que 1'ouverture analogue, dej£
signalee dans la description de La chambre precedente. Quant
aux deux tomfres qui ont et§ pflcupees, la premiere n'a pap
de reduit , et la derniere e,st munie d'un reduit place sur eon
flanc droit,
Enfin, les troi^ cfyarnpres sepulcrales ^uperieures, garnies
de Banquettes, (Haient closes par ^e belles portes ep pierre,
tout a fait analogues k celle qu^ j'ai deprite en parlant de
Tantichambre. Ces portes, yiolemmept brisees, gisent aujour-
d'hui en debris, parmi |es nombreux fragments accumules sur
le sol, fragments noyes dans la boue, et qui representent cer-
tainement les pierres qui fermaient jadis tou)tes les tombes, et
les restes des tombe^ elles-memes..
Dans ces cayes il regne constamment une chaleur etouffante,
et le sejour qu'on y doit faire. esf, d'autant plus desagreable,
que de toutes les parois .et des plafonds, suinte s^ns cessp une
veritable pluie qui rend le travail de Texplorateur tres-difficile.
Pendant toute la duree de la tache penible que je m'.etais im-
posee, j'ai ete seconde avec une patience, h toute epreuv$ par
mon compagnon deyoyage, fidouard Delessert, q.u'aucune
difficulte ne rebutait; penetrant partout, en se trainant dans
1'eau, il me transmettait avec exactitude les mesures que. ma
taille trop haute et ,trop peu souple, grace ^ 1'age, ne me per-
mettait pa^ de prendre moi-meipe. Somme toute, a force, de
perseverance, et .a la condjtipn (J'aller tres-souvent hors ,du
caveau, chercher un peu d'air respirable, nous avons reussi a
le visit er j usque dans ses recoins les plus caches. De cette
etude, est nee en no.us r,a4miration la plus complete pour
cette magm'fique excay^ition , gui n'a pu etre executed qu'avec
des depenses enormes, ejtp 9§lpn toute vraisemblance , que
228 VOYAGE EN SYR IE
pour une dynastie royale , ainsi que le veut la tradition.
Procedons maintenant par exclusion , et nous verrons qu'en
admettant tour a tour, par hypothese, la presence aux Obour-
el-Molouk, de chacun des monuments funeraires qui ont du
exister dans les environs de Jerusalem , nous serons obliges de
rejeter formellement toutes ces hypotheses, et qu'il ne nous
restera plus, en definitive, que la necessite de retrouver dans
cette cave sepulcrale , celle des rois de Juda.
fitablissons d'abord la serie des monuments royaux que Ton
pourrait etre tente de rechercher aux Qbour-el-Molouk, en fai-
sant abstraction des rois de Juda. Nous n'avons a choisir
qu'entre le tombeau des Princes asmoneens, celui d'Alexandre
Jannaeus , celui des Herodes , et enfin celui d'Helene, reine
d'Miabene, et d'Izates, son fils; or, si nous demontrons que
notre tombeau ne peut etre un quelconque de ces edifices, il
nous faudra revenir au tombeau des rois de Juda , a la con-
dition , bien entendu , de demontrer a'ussi que rien , absolu-
ment rien, ne s' oppose a cette attribution, tandis que tout,
au contraire, concourt a demontrer merveilleusement qu'elle
est juste. f V"
Procedons par ordre.
Nous lisons dans Josephe : « Mais Simon ay ant envoy e des
« affides a Basca, fit apporter les os de son frere (Jonathas
« tue et enterre par les ordres de Tryphon , dans le pays de
« Galaad). II leur fit rendre, a Modeim, les honneurs qui leur
« e"taient dus, et le peuple entier pleura la perte de Jonathas.
« Simon fit construire pour son pere et pour ses freres, un mo-
« nument tres-grand en pierre blanche et polie ; Payant eleve
« jusqu'a une hauteur telle qu'on le voyait de tres-loin, il Pen-
ce toura deportiques avec des colonnes monolithes d'un travail
« admirable. Centre ces portiques, il e"leva sept pyramides,
« une pour ses peres et pour chacun de ses freres, aussi remar-
ET AUTOUR DK LA MER MORTE. 229
« quables par Icur dimension que par leur beaute , et qui sub-
« sistent encore de nos jours '. »
Ce passage est suffisamment precis. Simon a fait construire
(et Ton ne peut identifier un tombeau construit avec un torn-
beau excave, >.iOoj XeuxoC ave^eG^evou) sept pyramides a Modeim,
une pour chacun de ses freres Jean, Judas, Eleazar et Jona-
thas, et trois pour son pere Mathatias , son grand-pere Jean et
son bisai'eul Simon, fils d'AsmonaBus.
Quant a Simon lui-meme, a Jean Hyrcan, a Aristobule et a
Antigone, son frere, nous ne savons pas ou ils ont ete enterres.
Alexandre Jannasus, successeur d' Antigone, ayant eu un tom-
beau special pour lui, il devient probable que chacun de ces
princes a ete renferme dans un sepulcre particulier, et que, par
suite, notre tombeau des rois ne peut leur etre attribue , vu le
nombre des tombes qu'il renferme; s'il n'en etait pas ainsi,
un sepulcre de famille les aurait reunis, et par suite le monu-
ment d' Alexandre serait probablement commun a tous. Nous
verrons un peu plus loin que ce tombeau d' Alexandre ne peut,
en aucune facon, etre confondu avec les tombeaux des rois, et
qu'un texte fort precis le met tres-nettement hors de cause; il
n'y a done pas en definitive a chercher, dans le monument qui
nous occupe, le sepulcre de quelque prince asmoneen , puisque,
dans le cas ou ces princes ont eu un caveau de famille, il n'a pu
etre place Ik, et que tres-evidemment nous avons a classer un
tombeau de famille.
Quant h. Aristobule, fils d'Alexandre Jannaeus, il mourut em-
poisonne a Rome ; mais son corps , conserve dans du miel, fut
envoye en Judee par Antoine, «afin, dit Josephe, d'etre ense-
veli dans les sepulcres royaux 2. »
1 Ant. Jud., XIH, vi, 7.
2. ToT; [iaaiXixoT? pLvr,(xe(oi? evracpriao'p.evo? (Bell. Jud., I, ix, 1); OU sv ral;
rsfojvai (Ant. Jud., xiv, vu, 4).
230 VOYAGE EN SYRIE
Remarquons que dans ce passage il n'est pas question de
tombeau de famille, mais bien simplement de tornbes royales.
Ceci s'accorderait bieh avec le nom traditionnel de nos torn-
beaux des rois, mais la difficult^ insurmontable du site du
monument d'AIexandre qui, plus certainernent peut-etre qu'au-
cun des autres rois asmone"ens, a dfi etre depose dans les
tombes royales, eloigne forcement Tidee qu'il y A identite entre
les uns et les autres. Ecartbtts done les princes asmoneens
pour lesquels il n'est pas possible de revendiqtier les torn-
bedux des rois, les caverneS royales de Josephe.
On a cru pouftant y recorinaitre le monument du roi Alexan-
dre, monument dont Josephe fait uiie mention speciale; mais
cette erreur ne peut eHre commise par quiconque a parcouru
1'enceinte de Jerusalem, avec la volonte ferme de meltre de
cote" les opinions precortcues, et de demander les elements de
sa conviction, a la seule inspection des lieUx et a la lecture des
aneiens.
Nous lisons dans Josephe T avec quelle ^nergie les deux
partis juifs, eiifermes dans la ville, repousserent les premieres
attaqiies de Titus , de"ja maltre de 1'enoeinte batie par He"rode
Agrippa , et campe" sous les murs mdmes de I'enceint6 primi-
tive i au point nomme le carnp des Assyriens. Titus occupait
ainsi tout le terrain situe" eh deca de Cett6 muraille, deja
forcee et conquise, entre le Qasr-Djaloud , fort de Goliath,
eleve a une epoque peu ancienne sur I'emplacement du camp
des Assyriens, el la valle'e du Kedron. En d'autres termes,
c'etait toute la partie dil terraih accessible, ^lace" devant la
ville, que Titus avait enfev^e d^ja; sui* touted les autres faces,
il n'y avait pas plus a songer a aSsfeoir un camp, qu'a diriger
des attaques. Or, qu'arrive-t-il lorsque ces attaques com-
1. Bell. Jud., v, vu, 8.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 234
mencent contre la deuxieme enceinte, au pied de laquelle les
Remains sont parvenus a s'etablir? Les Juifs, sous les or-
dres de Jean , defendent la place , du haut de la tour Antonia
et du portique septentrional du temple, et devant le monu-
ment d'Alexandre; tandis que Simon garnit les murailles,
depuis le point situe vers le sepulcre du grand pretre Jean,
jusqu'a la porte par laquelle 1'eau etait conduite a la tour
Hippicus.
Rien de plus precis que ces details topographiques ; la tour
Hippicus , c'est la tour de David, et la porte dont il est ques-
tion est indubitablement le Bab-el-Khalil, porte qui conduit
a JaiFa, a Hebron et a Beit-lehm. A partir de cette porte,
vers le sud et Test, la vallee de Hinnom, Dji-hinnom des
Ventures ( Djehennam , la vallee de 1'enfer, des Musulmans),
s'ouvre de facon a ne laisser a personne Tidee d'entamer sur
ce point les murailles de la place. D'un autre cote, le mo-
nument du grand pretre Jean, qui n'a pas ete determine
jusqu'ici, ne peut e"tre pour moi autre chose qu'une cave
sepulcrale , isolee , place"e a gauche de la route de Na-
plouse, en sortant par la porte de Damas, et beaucoup plus
pres de la ville que les Qbour-el-Molouk. La position de cette
cave est d'autant plus convenable, qu'elle rend parfaitement
raison de 1'idee qu'eut Titus de commencer, vers ce point,
1'attaque de 1'enceinte d'Herode-Agrippa. 11 marchait ainsi
sur un saillant, et aucun militaire n'admettra jamais qu'il ait
pu songer a faire autre chose. Done, depuis le saillant
occupe aujourd'hui par la Bab-ech-Cham , porte de Damas,
jusqu'a Tangle nord-est du temple, c'est-a-dire jusqu'a la porte
de Setty-Maryam pour les uns, porte de Saint-Etienne pour les
autres, 1'enceinte inte>ieure etait deTendue par les soldats de
Jean. Que dit Josephe? « Ceux qui etaient avec Jean combat-
« taient de la tour Antonia, du portique septentrional du temple
232 VOYAGE EN SYRIE
«et devant les monuments du roi Alexandre1. » II n'est pas
possible d'etre plus clair et plus explicite, les soldats de Jean
combattaient du haut de la tour Antonia et du portique nord
du temple, et devant les monuments du roi Alexandre. Ces
monuments etaient done devant la muraille. Deplus, il s'agit
de plusieurs monuments, puisque le mot py](/.eici>v est au pluriel.
Goncluons, en passant, que vers ce meme point etaient plu-
sieurs monuments attribues a Alexandre, et par suite les p^eia
fia<7t^»ca, dans lesquels les rois asmoneens avaient ete enterres,
mais Alexandre avec plus de somptuosite que les autres , ce
qui est d' accord avec 1'histoire, et ce qui motive I'emploi
d'une expression aussi bizarre que celle de T&V Als;av^ou TOS
paciXew? |AVY)[/.sitov , c'est-a-dire de plusieurs tombeaux assignes
a un seul prince. Ces monuments existent-ils aujourd'hui? Oui,
ils existent, mais dans un etat de mutilation deplorable. Us
ne sont autre chose, comme I'a tres-bien reconnu le pre-
mier mon savant ami le docteur Schultz, consul de Prusse
a Jerusalem , que la cave immense improprement appelee
Grotte de Jeremie, et gardee par un derviche2. En resume,
les premiers Asmoneens ont ete inhumes a Modeim , et les
autres a la porte meme de Jerusalem , dans la grotte au-
jourd'hui mutilee que Ton appelle Grotte de Jeremie. Voila
done les Asmoneens ecartes defmitivement, et ils ne peuvent
1. Ot |/.iv rapt TOV Iwavvflv aivo TE TTJ; Avrwvta? xat TT? wptCTapxTiou area; TCU Up&u
xat itpo TWV AXe^avJpo'j TCU paoiXs'to; u.vr,u.£ituv u.a/0'i/.evct. (Bell. Jud., V, vil, 3.)
2. La grotte de Jeremie serait done supprimee ainsi ? Pas le moins du monde. II se
peut d'abord que les Asmoneens aient profite de la presence de cette grotte, pour entamer
la taille de leur caveau de famille; et d'un autre c6te, s'il n'en etait pas ainsi, nous
aurions a reporter le nom de Grotte de Jeremie a une grotte natarelle, placee au flanc
meme de la cave des Asmoneens et a un point plus eleve, de telle facon que si la tra-
dition, cette fois encore, est vraie, Jeremie etait beaucoup mieux place pour faire
entendre ses lamentations du haut de cette retraite, ouverte a tous les regards, que
dans une cave ou il faut penetrer assez avant pour trouver le point ou Ton dit que
reposait le saiut prophtte.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 233
d'aucune maniere etre supposes entente's aux tombeaux des
rois.
Passons maintenant a la dynastie des Herodes.
Josephe nous apprend que le corps d'Herode le Grand fut
porte* en grande pompe a Herodeum, par les soins de son fils
et successeur, Archelaiis J. Le meme fait est rappele" dans les
Antiquites judai'ques2. Herode le Grand est done ecarte tout
aussi bien que les princes Asmoneens.
Le seul monument d'un Herode dont il soit question dans
Josephe est mentionne dans la Guerre des Juifs. Jl est cite dans
la description des lignes de circonvallation construites par
Titus. « A partir du camp des Assyriens, ou etait le camp de
« Titus, ces lignes s'etendaient au-dessous de la ville neuve,
«gagnaient de la, a travers le Kedron, le mont des Oliviers;
« tournant ensuite au sud, elles embrassaient la montagne jus-
«qu'au Peristereon (c'est le tombeau des prophetes) et la
«colline adjacente qui domine la vallee, pres de Siloam. Apres
« s'etre inflechies vers 1'ouest, elles descendaient au fond de la
« vallee de la Fontaine (au bir-Eyoub) ; puis, remontant aupres du
« monument du pontife Ananus (Tun des nombreux tombeaux
« creuses dans le rocher , au Hak-ed-damm) , et entourant la
« montagne sur laquelle Pompee avait assis son camp , elles
« revenaient au nord, et apres avoir traverse le hameau connu
« sous le nom de Maison des Pois (rpe£!vOwv Jxo?) , et enveloppe
« le monument d'Herode (TO Hpw^ou p-flfxefov), elles rejoi-
«gnaient, par un retour £ angle droit vers 1'orient, le camp
« des Assyriens 3. »
1. SraSiou? £s sxofxtuOyi TO aOrou. (Aut. Jud., XVH, vili, 3.)
3. Bell. Jud., v, xn, 2.
2J4 VOYAGE EN SYR1E
11 n'est pas possible de se meprendre sur le sens de ce pas-
sage, qui precise aussi nettement qu'on peut le desirer, le
trace des lignes de Titus, et qui fixe par suite la position de ce
tombeau d'un Herode. La magnifique plan de Jerusalem, pu-
blie par le Dr Schultz, presente le trace de ces lignes et place
le tombeau d' Herode au sud de 1'etang de Mamillah, et tres-
pres de eet etang. Cette attribution des caves sepulcrales, pla-
cees en ce point, ne me parait pas sujette a contestation ; elle
est aussi heureuse que possible. Ces caveaux sont recouverts
par des masses de decombres qui sont des indices certains de
la preexistence d'un monument tres- important, comme devait
Tetre le tombeau d'un des rois des Juifs. La, done, sont pla-
ces les sepulcres des princes de la dynastie Herodienne, etnul-
lement ou sont les tombeaux des rois.
Notons de plus en passant que ces caves sepulcrales sont
d'un travail plus que mediocre, et que des revetements inte-
rieurs, qui ont entierement disparu, ont pu seuls leur donner
une apparence de magnificence.
Telles qu'elles subsistent de nos jours, elles seraient, pour le
travail, bien au-dessous du plus vulgaire des caveaux funebres
de la vallee de Hinnom. Voici done encore les Herodes ecartes
de la question*
Reste enfin le tombeau d'Helene, reine d'Adiabene, et
d'lzates, son fils, tombeau que la plupart des ecrivains mo-
dernes ont pr6tendu reconnaitre dans les tombeaux des rois ,
faute d'examiner d'assez pres le sens des textes sacres et pro-
fanes qui parlent des tombeaux des rois de Juda , faute sur-
toutd'oser admettre, ce qui est pourtant certain, que beaucoup
d'ornements architectoniques ont ete empruntes, par les Grecs,
aux Pheniciens qui les avaient pretes aux Juifs, plutot que
copies par les Juifs, sur des monuments grecs qu'ils ne con-
naissaient guere tr&s-probablement.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 235
Le monument funeYaire d'He"lene et de son fils est mentionne"
dans cinq passages des e*crivains de rantiquite*. Noils allons les
passer en revue 1'un apres 1'autre.
Josephe nousdit : « Monobaze (roi d'Adiabene, filsd'He'lene,
« et successeur d'Izates), ayant ehvoye a Jerusalem les restes
« de sa mere et ceiix de son frere, les fit ensevelir dans les trois
« pyramides que sa rfiere avait fait construire, a la distance de
« trois stades des nlufs de Jerusalem '. »
t)'apfes ce premier passage, le tombeau d'Helene et de son
fils etait surmont6 de trois pyramides, et situe £ trois stades de
Jerusalem.
Dans la Guerre judai'que 2, nous lisons que Titus, a son arri-
vee devant Jerusalem , tente, a la tete de six cents cavaliers,
une reconnaissance vers la place qu'il vient assieger; tant qu'il
chemine sur la route de"clive qui conduit aux murailles , per-
sonne ne parait aux portes de la ville ; mais des qu'il s*e"carte
du chemin pour s'approcher de la tour Psephina, en presen-
tant sa colonne de cavalerie par le flanc, les Juifs, sortis de la
place par la porte qui est en face du tombeau d'Helene (&ia r?,?
avTixpu tuv E^evvi; (xv^jxetwv ituXn; ) , s'elancent du pied des
tours nomme*es les Tours des femmes, et fondent sur les cava-
liers romains.
Ce passage ne nous apprend qu'une chose certaine, c'est que
le tombeau, ou mieiix les monuments d'He"lene, etaient pres de
la tour Pse'phina.
Dans le reste du me'me passage, nous voyons que Titus fut
poursuivi par la sortie, an milieu de murailles qui environ-
naient des jardins en culture. Or, la tour Psephina, dont la
-* •fil'i? «"1|t»1 ratpw r>,v 6upav OJAOIW? Tvavra
« ouaav TO) racpw Xi6(vnv , [ATI Trpcrspov eaavoi-yeaOat , Tvpiv av •fljxspav re ael ical wpav TO
a-jip TT,V aur»iv. To re 5i tmb JJ.OVGU TC.U (j-r^avYiaaTo; a
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 237
Ce recit bizarre mcrite-t-il notre confiance? A-t-il &£ e"crit
de visu? Je pense qu'on ne peut re"pondre que par la negative
a ces deux questions. Si Pausanias eut pris de semblables
informations sur place, il n'eut pas commis 1'erreur incroyable
qu'il commet, en appelant Helene une femme du pays ( yu
Quant au mecanisme d'horlogerie qui ouvrait le meme jour
et a la meme heure, une fois chaque annee, la porte de pierre
de ce tombeau , on me permettra , j'espere , de n'y croire que
mediocrement, pour une foule de raisons qu'il serait trop long
d'e"numerer ici, et qui ressortent toutes de 1'appreciation mathe"-
matique d'un appareil done" d'une semblable precision. Que
pouvons-nous conclure en definitive de ce passage curieux?
Que Pausanias avait entendu parler des tombeaux de Jerusa-
lem, et entre autres de celui d'Helene; qu'il avait, par manque
de memoire, applique a celui-ci ce qu'on lui avait conte de
1'admirable construction des tombeaux des rois, et qu'il avait
transcrit ou peut-etre meme brode sur ce canevas, la fable de
son mecanisme d'horlogerie. En somme, nous n'avons rien a
tirer du recit de Pausanias.
Reste enfin le cinquieme et dernier passage; celui-ci est
extrait des O3uvres de saint Je"rome et de son livre Epitaphium
Paulce mains. L'ecrivain, racontant le voyage de sainte Paule a
Jerusalem, nous parle de son entree dans cette ville. Elle vient
du cote de Jaffa, notons bien cela, et suivant la route battue,
elle entre dans la ville apres avoir laisse a sa gauche le mau-
solee d'Helene. Voici ses paroles : « Pourquoi m'arreter plus
« longtemps? Ayant laisse a gauche le mausolee d'H^lene,
« reine des A.diab6niens, qui avait fait distribuer du froment au
, auv«cXsto9>i Ji' oXt-yri;. TOUTOV [/.ev S'TI GUTW TOV Si aXXov
«• r:£'.f WU.EVC; , avoi^ai; (xsv OIBC av, xara^etc ^i auTTjv trpoTtpov pta![o(Atvc;. • ( Arcad.,
liv. viii, C. 16.)
i38 VOYAGE EN SYR1E
o peuple souffrant de la faim ; elle entra a Jerusalem , etc. '. »
Resumons maintenant : Le mausolee d'Helene, surmonte
de trois pyramides, etait a trois stades de Jerusalem, dans le
voisinage de la tour Psephina et vis-a-vis une des portes de la
ville ; il etait au nord de la tour Hippicus , et un peu plus loin
vers le nord que la tour Psephina ; enfin , il etait different des
caves royales,
Avee de semblables indications, il etait difficile de se trom-
per, pourvu qu'on eut le desir de ne pas se tromper. JLe doc-
teur Schultz, avec sa sagacite ordinaire et sa connaissance
parfaite du terrain , apres avoir retrouve le soubassement de
la tour Psephina, n'a plus eu qu'a marcher devant lui, dans le
sens fixe par les passages precites, pour tomber a point nomme
sur la tombe d'Helene. Apres lui, j'ai fait de meme, et je me
suis assure que les indications de son plan etaient excellentes ;
le tombeau d'Helene, avec les bases de ses trois pyramides
(ce qui est decisif), existe encore, et Ton voit a cote une
seconde cave sepulcrale dont 1'entree est encore muree , mais
qui a ete violee en defonpant le rocher qui lui servait de pla-
fond, de telle sorte qu'au moment oil j'ai visite leslieux, ce.tte
seconde cave sepulcrale avait ete transformed par les pluies en
veritable citerne. Dan^ le caveau d'Helene, caveau qui,
d'ailleurs, est d'une grossierete de travail qui contraste forte -
ment avec la magnificence de ciselure du tombeau des rois,
il n'y a que deux niches ou fours a cercueil , et encore 1'une
d'elles pourrait-elle bien n'etre que le resultat du travail
entrepris par les violateurs du tombeau, afin d'y penetrer. La
paroi dans laquelle etait percee la porte, avait ete taillee avec
1 . « Quid moror ? Ad laevam, mausoleo Helenae derelicto, quae Adiabenorum regina
« in fame popultun framento juverat, ingressa est Jerosolypiam^ etc. » Lettre 108e a
la vierge Eustocbiuin, avec ce titre : Epitaphium Paulce matris, dans 1'edition Mi-
gne, 1. 1, p. 883.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 23d
soin; elle a 6te brisee violemment, et il n'en reste que de fai-
bles traces. Helene et son fils Izates sont done , comme tous
les autres princes passes en revue jusqu'a present, exclus de
la possession du tombeau des rois.
On peut se demander comment il se fait que des 6crivains,
tels que Chateaubriant et le reverend Robinson, ont reconnu
le tombeau d'Helene dans le tombeau des rois, quand ils de-
vaient tenir compte du passage precis de Josephe, oil il est
dit que le mur d'Herode &grippa passait vis-d-vis le tombeau
d'Helene et ensuite par les cavernes royales T.
Du moment que Josephe distinguait formellement ces deux
monuments, il y avail d'autant plus d'imprudence a les confon-
dre en un seul, qu'il serait fort difficile de s'expliquer pourquoi
la reine Helene, faisant elle-meme preparer un caveau fune-
raire pour son fils et pour elle, aurait eu 1'idee bizarre d'y faire
creuser vingt tombes ; c'etaient dix-huit tombes de trop , et si
leur hypothese paraissait plausible aux deux illustres ecrivains
qui Tout proposee, ils auraient du s'eiforcerde rendre compte
de cette difficulte, qui n'est pas plus leg£re que celle que pre-
sentait la distinction faite par Josephe, entre le tombeau
d'Helene et les cavernes royales.
Le terrain est deblaye devant nous , mais si j'ai montre" oe
que ne peuvent etre les Qbour-el-Molouk, cela ne suffit pas ; il
faut maintenant que je montre ce qu'ils doivent etre et oe qu'ils
sont en effet. — J'ai avance que c'etaient les tombeaux des
rois de Juda, et c'est ce que je vais prouver. Gette fois, je
suis encore a peu pres seul de mon avis; je n'ai plus 1'appui
d'une erudition aussi solide que celie du docteur Schultz, mais
j'espere bien gagner force adherents a mon opinion.
Je vais done recueillir tout ce que je connais de documents
1. « Emira xaGvixov avTtxpu TWV feXs'vn; Mvy,(xsiwv xal Jta aiaiXatorv pafftXtx&v (u.r,xu-
vo'atvcv, -x. T. X- » (Bell. Jud., V, IV, 2.)
2-40 VOYAGE EN SVRIE
devant intervenir au proems, qu'ils soient favorables ou nori;
et apres les avoir minutieusement discutes , car la question en
vaut la peine, je pourrai, si je ne me trompe, laisser tout le
monde conclure pour moi, et je m' assure que les avis ne seront
guere divises.
Commencons par extraire du livre des Rois, du livre des
Chroniques et des Antiquites judaiques de Josephe, tout ce
qui est relatif a 1'inhumation des rois de Juda : nous compare-
ons ensuite tous ces passages entre eux.
1. DAVID.
« David se coucha avec ses peres et fut enseveli dans la
« ville de David l. »
« II (David) mourut dans une heureuse vieillesse, rassasie*
« de richesses et d'honneurs , et son fils Salomon regna en sa
« place2. » -
Josephe nous dit :
« Son fils Salomon 1'enterra a Jerusalem magnifiquement,
a et en outre de tous les autres honneurs qui etaient rendus
« d'habitude aux rois, lors de leurs funerailles, il ensevelit
« avec lui des richesses considerables. On peut conjecturer
« quelle etait Tenormite de ces richesses, par ce que je vais
« raconter. Apres un laps de temps de treize cents ans, le
« pontife Hyrcan, assiege par Antiochus surnomme Eusebes,
« fils de Demetrius, voulant lui donner de Targent, pour qu'il
« levat le siege et s'eloignat avec son armee, mais ne sachant
a comment parfaire la somme dont il avait besoin , fit ouvrir
« une des chambres du tombeau de David, et en ayant
« emporte trois mille talents , en donna une partie £ Antiochus
1. I Rois, ii, 10.
». I Chron., MIX, 28.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 24«
« et se deMivra ainsi des assiegeants, comme je I'ai dit ailleurs.
« Plus tard, apresun grand nombre d'annees, le roi Herode,
« ayant penetre dans une autre chambre , en tira de grandes
« richesses. Mais aucun d'eux ne parvint aux sarcophages des
« rois, car ils etaient places sous terre, avec un art tel, que
« rien ne paraissait aux yeux de ceux qui penetraient dans le
«monument '. »
Ce meme fait est raconte plus loin de la maniere suivante :
« Herode, qui depensait des sommes enormesa Tinterieur
« et a 1'exterieur de son royaume, ayant entendu dire que
« Hyrcan, son predecesseur , ayant ouvert le sepulcre de
« David, en avait enleve trois mille talents d' argent, et qu'il
« restait encore de grandes richesses dans le monument,
« richesses avec lesquelles il pourrait faire face a ses largesses,
« avait forme depuis longtemps le projet d'imiter cet exemple.
« Ayant done fait ouvrir le sepulcre pendant la nuit, il y
« penetra avec ses amis les plus fideles, prenant de tres-
« grandes precautions, pour que la chose ne fut pas sue dans
« la viUV, il n'y trouva pas, comme Hyrcan, de 1'argent
« monnaye, maisdes ornements d'or, et une grande quantite
« d'objets precieux qu'il enleva, sans rien laisser. En furetant
« avec soin , il voulut penetrer plus avant , et chercher jusque
« dans les sarcophages (6»ixa?) ou etaient deposes les corps
« de David et de Salomon. Mais il perdit deux de ses dory-
« phores, qui, dit-on, perirent e"touffes par des flammes qui
« les frapperent au moment ou ils y penetraient. Herode,
« epouvante, sortit, et pour apaiser Dieu, il fit clever a la
a porte du sepulcre, un monument en pierre blanche, dont la
« construction couta des sommes tres-fortes 3. »
Examinons ces passages :
1. Ant. Jud., vn, xv, 3. Ur'vr
A , ,
2. Ant. Jud., xvi, vn, 1.
u. 16
242 VOYAGE EN SYRIE
David fut enterre magniiiquement dans la cite de David ,
dit le livre des Rois, a Jerusalem, dit Josephe; et comme
celui-ci, en parlant de 1' expedition nocturne d'Herodele Grand,
ajoute que ce prince prit les plus grandes precautions pour
que son attentat ne fut pas connu en mile (sv TYI TroXei), nous
sommes presqu'en droit d'en conclure que le tombeau de
David etait hors de la ville.
Apres ceci , un autre passage de Josephe prouve beaucoup
mieux encore, que le tombeau de David etait hors de 1' enceinte
de Jerusalem. Voici ce passage :
« Mais au lieu de recevoir une garnison dans la ville, ils
« offrirent des otages et cinq cents talents d' argent, dont ils
« verserent de suite trois cents, en donnant les otages qu'il
« plut au roi Antiochus d' accepter. Parmi eux se trouvait
« le frere d'Hyrcan. Cela fait, Antiochus leva le siege et se
« retira *. »
Que conclure de ce fait? Que Hyrcan, enferme dans ses
murailles, n'avait que trois cents talents a sa disposition, et
qu'il dut obtenir la levee du siege, pour extraire du tombeau
des rois, de quoi parfaire la somme promise. Si le tombeau a
violer eut ete sur le mont Sion , le roi des Juifs eut-il paye
un a-compte aux assiegeants? Gertainement non.
Au reste , ce qui est certain , c'est que le tombeau contenait
de tres-grandes richesses, puisqu'elles suffirent a rassasier la
rapacite de deux rois profanateurs. Quant au fait que les sar-
cophages etaient si bien caches, qu'en penetrant dans les
caveaux on n'en voyait aucun, la chose (si le tombeau des rois
de Juda est le Qbour-el-Molouk) est parfaitement exacte, car
il n'y en avait pas un seul qui fut visible, grace a 1'art avec
1. « AVT! P.SVTOI ft TTK; ^ppoupa; ojiinpou; e^iJoaav xal raXavra
« wv eu6i>; ra Tpiaxo'ffta xal TOO; ofwrlpouc irpoaJe^ajxtvou AVTIO'XOU TOO Ba.u[xot; Iv TOO; Ovfxai; TWV ^adi^ewv 4. »
Roboam a 6te enterre dans les sepulcres royaux.
ft. ABIAS.
« Abias se coucha aupres de ses peres, on Tense velit dans la
» ville de David 5.
« Abias se coucha aupres de ses peres et on 1'enterra dans la
« ville de David 6.
« 11 fut enseveli a Jerusalem dans les sepulcres de ses ance-
« tres. Kal OaTrreTai [xsv sv iepocoXujAOK; sv rat; irpoyovHcaT? Ovixai?7. »
Abias a ete enterre dans les sepulcres royaux.
1. Ant. Jud., viii, vn, 8.
«. I Rois, xiv, 31.
3. II Chron., xa, 16.
4. Ant. Jud., VHI, x, 4.
5. I Rois, xv, 8.
6. II Chron., xm, 23.
7. Ant. Jud., viii, xi, 3.
246 VOYAGE EN SYRIE
5. ASSA.
« 11 se coucha aupres de ses peres et fut enseveli avec ses
« peres, dans la ville de David, son pere '. »
« II se coucha aupres de ses peres; on 1'enterra dans le
« sepulcre qu'il s'etait fait faire, dans la ville de David; on le
« mit sur un lit qu'on avait rempli d'epices et de parfums
« divers prepares par 1'office du parfumeur , et Ton alluma
« pour lui un bucher extremement grand 2. »
Josephe ne dit Hen du lieu de sepulture d'Assa, qu'il appelle
shanes.
Assa a ete enterre dans les sepulcres royaux. — Le v. 14
du ch. xvi du if liv. des Chroniques, est tres-precieux , en ce
qu'il nous apprend que les rois se faisaient preparer leur
tombe de leur vivant. Quant au bucher dont il est ici ques-
tion , je transcris la note de Cahen : « On lui fit un trh-grand
« bucher. Kim'hi suppose qu'on y brula des essences ou des
« objets a son usage; c'est bien plutot le bucher qu'on trouve
« encore dans 1'Inde. Toujours parait-il que notre maniere
« de faire les funerailles etait alors inconnue. »
Je me deciderais difficilement & admettre que la combus-
tion des corps ait ete pratiquee par les Hebreux. J'aime
mieux m'en referer a 1'opinion de Kim'hi.
6. JOSAPHAT.
« 11 se coucha avec ses peres et il fut enseveli avec ses
« peres, dans la ville de David , son pere 3. »
1. IJRois, xv ,?24.
2. II Chron., xvi, IS'.etl*.
3. I Rois, xin, 51.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 247
« II se coucha avec ses peres et il fut enseveli aupres de
« ses peres, dans la ville de David r. »
« II eut des fune" rallies magnifiques a Jerusalem, car il
« avait ete 1'imitateur des actions de David. Ta>' w
« i'9a^*v. « (Ant. Jud., IX, v, 3.)
248 VOYAGE EN SYR1E
Cette contradiction ne pourrait-elle se concilier, en disant
que Joram ne fut pas juge digne d'etre depose dans le torn-
beau qu'il s'etait fait preparer de son vivant et qui, par suite,
sera reste inoccupe dans les se"pulcres royaux? Je serais pres-
que tente de le croire.
En resume, si Joram s'est fait preparer une tombe dans le
caveau des rois, il n'y a certainement pas etc depose.
8. OKHOSIAS.
« Apres qu'il fut mort a Megiddo ses serviteurs le trans-
« porterent a Jerusalem et 1'ensevelirent dans son sepulcre,
« aupres de ses peres, dans la ville de David '. »
Les Chroniques nedisent rien des fune"railles d'Okhosias.
« 11 fut porte, nous dit Josephe , a Jerusalem , et y fut en-
« seveli. KopaOei; £ ei? lepocc&ufxa T?J? exet Ta f>\ I K
« vovwv, aceoyi; yevoptevoi; 3. »
Voici encore une contradiction entre le livre des Rois et les
Chroniques, appuyees par le recit de Josephe.
II est probable qu'elle doit s'expliquer de meme que celle
que nous avons rencontree plus haut.
Quoi qu'il en soit , nous admettons que Joas n'a pas ete en-
seveli dans les sepulcres royaux , bien que son tombeau y ait
ete prepare de son vivant.
1. II Chron., xxiv, 16.
2. Ant. Jud., ix, vui, 3.
3. II Rois, xu, 22.
4. II Chroniques, xxiv, 25.
$. Ant. Jud., ix, vui, 4.
250 VOYAGK EN SYKIE
12. AMAZIAS.
« II fut enseveli a Jerusalem aupres de ses peres, dans la
« cite de David r.
« Et ils 1'enterrerent aupres de ses ancetres, dans la ville
* de Juda 2.
« Et ayant porte son corps a Jerusalem , ils 1'ensevelirent
« royalement. Kal TO jxev cw^a xopucavre; ei£ iepouoXupia ^a^iXi-
Je n'ai plus a revenir ici sur le nom ville de Juda , donne
au lieu d'inhumation d'Amazias, j'en ai suffisamment parle
plus haut.
Amazias a done ete depose dans les sepulcres royaux.
IV. — 13. AZARIAS OU OSIAS.
« II se coucha avec ses peres et on Pensevelit aupres de ses
« peres, dans la ville de David 4.
« 11 se coucha aupres de ses peres ; on 1'enterra aupres de
« ses peres, dans le champ ou etaient les tombeaux des rois,
« parce qu'ils dirent : il est lepreux 5.
« II fut enseveli seul dans ses jardins. ExYi^eyO-n <& pvo? ev
« TO!? eauToij XYI'TTOI; 6. »
Voici trois versions differentes ; nous mettrons tout d'abord
de cote celle de Josephe, et nous ne tiendrons compte que des
1. II Rois, xiv, 20.
2. II Chron , xxv, 28.
3. Ant. Jud., ix, ix, 3.
4. II Rois, xv, 7.
5 II Chron., xxvi, 23.
6. Ant. Jud., ix, x, 4.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 251
deux que nous trouvons dans 1'ficriture. Celle des Chroniques
me parait, par cela meme qu'elle est tres-pre"cise, devoir £tre
accepi^e. J'admettrai done qu'Osias ne fut pas enseveli dans
les sfyulcres royaux.
ill. JOTHAM.
« 11 se coucha avec ses peres et fut enseveli aupres de ses
« peres, dans la ville de David, son pere '.
« II se coucha aupres de ses peres ; on 1'enterra dans la
* ville de David a.
* Et il fut enseveli dans les sepulcres royaux. ©arcrsTat £' ev
« Toci? Saat^uai; Ovfxati; 3. »
Jotham a ete enterre dans les sepulcres royaux.
J i1 Afiaoia ^puab^ xat ap-ppc;
•i ev Toti; paatXeioii e^etpcpnae. » (Josephe, Ant. Jud., ix, «, 3.)
2. Vnir Josephe, Ant. Jnd., a, n, 2.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 259
deux tombes. Heureusement la Bible nous vient en aide, fize-
khias fut enterre avec luxe dans une chambre particuliere,
ntys:?. C'est done a lui que j'attribue sans hesitation la
seconde chambre inferieure, dans laquelle on penetre par
Tescalier debouchant dans la seconde chambre sepulcrale que
nous venons d'etudier.
Que deviennent des lors les deux tombes ebauchees de ce
cote? Les places abandonnees de ManassEs et d'Ammon, qui se
firent enterrer dans le jardin d'Oza.
Apres ces deux rois, vient Josias, qui reprit avec ferveur le
culte du vrai Dieu et qui reposa dans les sepulcres royaux. La
tombe qui se presente imme"diatement apres est complete , et
elle contient une cachette h tresors. Josephe nous rend tres-
bien compte de la presence de cette cachette. Void ses expres-
sions :
« Ensuite, Josias, apres avoir v6cu en paix et avoir surpass^
« tous les autres en richesses et en gloire , mourut de la ma-
« niere suivante ' . »
11 raconte alors la fin malheureuse de ce monarque.
Apres Josias viennent Joakhaz, Joakim, Joakin et Sede-
kias, dont les malheurs sont bien connus et avec lesquels finit
la dynastie et le royaume de Juda. 11 etait done naturel qu'a-
pres la tombe de Josias, 11 n'y eut plus que des tombes Ebau-
chees.
Je le demande maintenant, est-il possible que le hasard seul
ait preside £ 1'enchevetrement etrange de ces tombes achevees
et inachevees des Qbour-el-Molouk , lorsque cet enchevetre-
ment s'explique de lui-meme, aussitot que la vraie attribution
de ce monument illustre est trouvee? Je me dispenserai de r&-
pondre moi-meme.
1. <• Ztiaa; J'sv tipriv? «•«?« T*UT» tuaioc;, in £i x.a.1 irXourw xat TT ««pa iraatv
E TGUTW TW Tpo'irw TOV ^iov. » (Ant. Jiid.j x, iv, 5.)
260 VOYAGE EN SYRIE
D'ailleurs, la disposition de ces tombes, avec reduit destine"
a recevoir des objets precieux ou destresors, ne se trouve ab-
solument que 1£ , dans 1' immense necropole de Jerusalem , et
cette disposition presente une anomalie inexplicable , si Ton ne
reconnait pas, dans ces cachettes, la trace de I'habitude que
Ton avait d'enterrer les rois de Juda avec leurs tresors.
Nous lisons dans Dion-Gassius, a propos de la destruction de
Jerusalem par les Remains : « Ceci leur avait ete annonce par
«le fait que le monument de Salomon, pour lequel ils ont un
«profond respect, s'ecroula et tomba spontanement1. » On me
permettra de chercher dans cette assertion une preuve de plus
a 1'appui de mon systeme; les oscillations d'un tremblement de
terre ne font pas crouler un caveau taille dans la masse du roc;
cela seul peut crouler qui a ete bati ou qui n'offre pas une re-
sistance egale dans tous les sens. D'ailleurs, pour que les Juifs
trouvassent un presage fatal dans 1'ecroulement du tombeau
de Salomon , il fallait que cet ecroulement put etre vu de leurs
yeux a.
Pouvaient-ils savoir ce qui s'ecroulait dans 1'interieur d'une
cave sacree, ou il etait impossible de penetrer, ainsi que nous
le dit Josephe? Je n'hesite pas a repondre que non. Qu'en con-
clure? Que ce fut le vestibule apparent qui fut abattu par un
tremblement de terre, et que ce meme tremblement de terre fit
egalement crouler le monument expiatoire d'Herode, eleve par
ce prince, apres sa profanation, a la porte meme du tombeau
1. Histoire romaine., 1. LUX, c. 14.
2. Dans les Actes des Aptitres nous lisons : « Mes freres, qu'il me soit permis de
« TOUS dire hardiment sur le patriarche David, qu'il est mort, qu'il a ete enseveli, et
« que son se"pulcre existe aupres de nous, jusqu'a ce jour. A.vJps; a^eXcpd, e£',v etrtsTv
« atra itappr,aia; irpb? ujxa; ircpt TCU narpiap^ou AaSiJ, on xxt eT£XeuTr,as jcai ETacpYi,
« TO avxua auTCU earlv £v r.uiTv a^pt ffc inu.e'pa; raurr,;. Actes, n, 29. » Saint Pierre et
ceux qui Vecoutaient connaissaient done parfaitement le tombeau du roi David, qui
£tait encoiv intact, au moment de la predication du prince des apAtres.
ET AUTOUR DE LA MEIl MORTE. 261
des rois. Comparons ces fails avec les lieux tels qu'ils sont au-
jourd'hui. L'entablement du vestibule est fendu dans toute sa
hauteur, et I'une des deux parties s'est abaissee d'une maniere
appreciable. Les deux colonnes qui le soutenaient ont etc force-
ment broyees en ce moment, aussi bien que la face interieure
de la muraille de rocher, dans laquelle est taill^e la porte qui
amene dans la grande cour de F6difice. Enfin, le tertre assez
eleve, qui est place juste en face du vestibule, recouvre tres-
probablement la base du monument expiatoire, bati par He-
rode, et que la nieme catastrophe aura frappe l.
J'arrive enfin aux objections qui peuvent etre elevees centre
1'attribution que je viens de donner aux Qbour-ejl-Molouk. J'es-
pere n'en negliger aucune ; mais, dans tous les cas, j'en ver-
rais, avec grand plaisir, surgir de nouvelles, parce que je me
crois dans le vrai, et qu'il me serait probablement ais6 de les
refuter.
Les seules objections que je crois avoir a combattre sont les
suivantes :
1° Le tombeau de David et de sa dynastie £tait sur le mont
Sion, et il y est encore en grande veneration parmi les Musul-
mans ;
2° Les ornements architectoniques des Qbour-el-Molouk
sont formes de motifs empruntes a 1'architecture grecque ;
3° Le livre de Nehemie semble placer le tombeau de David
sur le mont Sion ;
4° Enfin ce tombeau a ete ouvert par hasard , il y a quel-
ques siecles, suivant le recitde Benjamin de Tudele, et referme
aussitot par ordre du rabbin de Jerusalem.
Voila tout, si je ne me trompe. Examinons done ces objec-
tions Tune apres I'autre.
1. Voyezpl.xxvm.
•J6» VOYAttK EN SVRIE
On a dit si longtemps que le tombeau de David etait sur le
mont Sion , qu'on a fini par le croire. Mais sur quelle base so-
lide est done assise cette opinion? Est-ce 1'Ecriture sainte qui
nous 1'apprend? Non. Est-ce Josephe? Pas davantage. D'ou
vient-elle done? J'avoue que je 1'ignore completement. S'il n'y
a pas d'autre raison pour le croire que 1'emploi des mots v%2
TTi , dans la mile de David, dans les differentes indications que
nous fournit 1'ficriture sainte, pour le lieu d'inhumation de
David et de sa dynastie, cette raison est faible,^ainsi que je 1'ai
deja montre, et que je vais le faire voir de nouveau.
Je citerai pour cela quelques passages tires de 1'Ecriture
sainte, et qui prouvent que 1'expression ivn TJJ, n'a jamais
eu le sens etroit qu'on lui applique d' ordinaire, en tenant
compte de quelques versets du texte sacre et en passant 1'e-
ponge sur quelques autres, ce qui est commode sans doute pour
la discussion , mais seulement jusqu'au jour ou Ton trouve sur
son chemin un contradicteur qui ne se contente pas d'a pen pres,
lorsqu'il s'agit de demontrer un fait important.
Lorsque j'ai publie ines idees, fort nouvelles j'en conviens,
sur le compte des Qbour-el-Molouk , j'ai vu surgir les dene-
gations les plus passionnees, et les brevets d'ignorance m'ont
etc distribues avec une generosite rare; j'ai du naturellement
examiner de pres les arguments avec lesquels on battait en
breche 1' opinion que j'avais emise. Je n'aurai done qu'a re-
produire ici ce que j'ai dit ailleurs, en remerciant sincerement
mes adversaires du service qu'ils m'ont rendu, en m'aidant
tres-puissamment & completer la demonstration des faits que
j'avan>;ais.
Voici done deux passages qui prouvent que le nom Cite de
David s'appliquait a autre chose qu'a la forteresse placee sur
le sommet du mont Sion. Nous lisons dans les Chroniques (II,
xxxii, 5) : Etil (Ezekhias) fortifia Meloua (Millo), cite de Da-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 263
vid (sous-entendu qui est la). Meloua, dont on a voulu faire
une colline, est une vallee ; Meloua , c'est incontestablement le
Tyropoeon , le Tyropoeon s'appelait done aussi la Cite de
David.
Plus loin encore1, nous lisons : Apres cela, il (Manasse)
batit un mur exterieur a la ville de David, vers I'occident de
Gihon, dans la vallee, jusqu'a la porte des Poissons, le con-
tinuant jusqu'a Ophel, qu'il eleva, elevant eonsiderablement...
Certes, ce qui est designe ici par cite de David n'est pas exclu-
sivement la forteresse placee au sommet du mont Sion. Notons
en passant que ce mur de Manasse n'est tres-probablement que
le mur magnifique dont deux immenses troncons se relient au
jardin de la mosquee d'el-AJksa.
Les moeurs judai'ques s'opposaient invinciblement a ce que
des sepulcres fussent etablis dans 1'interieur d'une ville; ceci ne
saurait etre douteux; un curieux passage de Josephe constate
ce fait, a propos de la fondation de Tiberiade a. Void, apropos
de la population qu'Herode implanta dans la ville qu'il venaitde
fonder, ce que dit 1'historien : « Pour les decider a habiter dans
« cette ville, il fit batir leurs maisons et leur donna des terres,
«parce qu'il savait qu'il etait contraire aux lois et aux moeurs
« judai'ques d'habiter une ville pareille; en effet, en construisant
«Tiberiade, on avait detruit un certain nombre de sepulcres,
« qui se trouvaient sur son emplacement, et notre loi declare
« impur, pendant sept jours, quiconque habite un lieu seinbla-
« ble. » Les habitants de Jerusalem eussent done ete impurs a
perpetuite , et Salomon tout le premier ; lui qui ( 'evait donner
1'exemple du respect aux lois divines et humaines , il les eut
done enfreintes sans hesitation , et tous ses successeurs eussent
'
1. Chrou., II, uxiii, :4.
2. Voir Ant. Jud., xviu, 11, 3.
-26i VOYAGE EN SYK1E
ete aussi peu scrupuleux que lui? et les habitants I'eussent souf-
fert, sans mot dire? Cela est de toute impossibilite.
Ne savons-nous pas, d'ailleurs, que Salomon fit habiter hors
de la forteresse de Sion la fille de Pharaon r, qu'il avait epou-
se"e, parce que ce lieu, e"tant sacre, ne pouvait etre profane par
la presence d'aucum? chose impure; et le roi, si scrupuleux en
cette circonstance, eut mis ses scrupules de cote, lorsqu'il s'a-
gissait d'un cadavre et d'une tombe? Je me dispense de repon-
dre a cette question.
Le palais que Salomon lit batir pour la reine etait a Meloua ;
la reine sortit done de la cite" de David pour aller habiter Me-
loua ; et voila que , dans les Chroniques, Meloua devient partie
integrante de la cite de David. Cette denomination n'est done
pas exclusivement attachee a la forteresse du mont Sion.
Je ne conteste nullement que cette forteresse n'ait ete, par
excellence, nommee la Cite de David; mais, est-ce une raison
pour que ce nom n'ait pu, par extension, s'appliquer a la capi-
tale tout entiere du royaume de David? Je ne le pense pas.
Jerusalem est devenue la ville de David, comme Ninive la
ville de Ninus, comme Rome la ville de Romulus, comme Aix-
la-Chapelle la ville de Charlemagne.
La presence de nombreux tombeaux ne pouvait, dit-on, cau-
ser aucune souillure dans la forteresse de Sion. Ceci ne me
parait pas demontre, et le roi Salomon, qui forcait la reine, sa
femme, fille du puissant roi d'Egypte, a loger hors de r enceinte
de la forteresse, parce que cette enceinte etait sacree et que la
presence d'une femme pouvait la souiller, Salomon aurait eu
mauvaise grace a trailer ainsi la reine, s'il avait pris le parti
d'e*tablir a poste fixe des tombes, fut-ce celle de son pere, dans
1'enceinte ou avait repose 1'arche d'alliance. Nous lisonsa : « Sa-
1. Rois, I, ix, 24 et Chron., If, vm, 11.
2. Chroii., II, vm, 11.
ET AUTOUR l)E LA MER MORTE. 265
« lomon fit monter, de la ville de David, la fille de Pharaon a la
«maison qu'il lui avaitbatie; car il avait dit : II ne doit pas me
«demeurer une femme dans la maison de David, roi d'Israel;
« car ils sont sacres les lieux oil est venue Tarche de Jehovah. »
Le mot employe par Tecrivain sacre est ri7, n, et signifie HU6-
ralement faire monter; en conclurons-nous , qu'en quittant le
sommet du mont Sion, la reine a du monter pour gagner sa
nouvelle demeure? Nullement; je pense, moi, qu'elle a du des-
cendre forcement. Je demande la permission de faire observer
que le radical de ce mot est le meme que celui du mot n*?VB ,
sur le sens duquel je conserve done mon opinion en toute secu-
rite, et que je continuerai & considerer comme signifiant, lieu
profond, dans le verset qui concerne la tombe du roi Ezekhias.
Le tombeau de David, dira-t-on, est bien reellement a la
mosquee de Naby-Daoud, si veneree des Musulmans, qu'ils n'y
laissent penetrer ni les Chretiens ni les Juifs. Examinons ceci.
La mosquee de Naby-Daoud passe bien, en effet, parmi les Mu-
sulmans, pour contenir le tombeau du saint roi. Mais, qu'est-ce
que c'est que cette mosquee? C'est 1'eglise chretienne batie sur
Templacement de la maison ou cut lieu la sainte Gene. G'est
dans le caveau meme ou les Musulmans out place leur tombeau
postiche de David, que fut apprete Tagneau pascal , et le docte
Ouaresmius constate, dans son livre inappreciable, que les
moines Chretiens, expulses de cette eglise, lorsqu'elle fut trans-
formee en mosquee, n'avaient jamais eu Tidee d'y voir quoi que
ce fut qui ressemblat aux caves sepulcrales des rois de Juda.
Comment done les Musulmans ont-ils, un beau jour, pretend u
que la mosquee de Naby-Daoud contenait le sepulcre du saint
roi? Tres-probablement, ils 1'ont fait avec les elements de cer-
titude qui leur ont servi lorsqu'ils ont determine la place du
tombeau de Moise a Naby-Mousa, c'est-k-dire a^ quelques heu-
res seulement de Jerusalem, tandis qu'il est parfaitement cer-
206 VOYAGE EN SYR1E
tain que Moi'se mourut de 1'autre cote du Jourdain, et qu'il fut
enterre dans une vallee de la terre de Moab.
En derniere analyse, 1'opinion qui place a Naby-Daoud le
tombeau de David n'est nullement soutenable , et elle croule
d'elle-meme. Au reste, pour accrediter leur fable pieuse, les
Musulmans, sous pretexte de je ne sais quels evenements ter-
ribles qui menacent quiconque penetrerait dans le caveau ou
ils affirment que repose le roi David, n'y laissent entrer per-
sonne, pas plus les Musulmans que les autres.
Je ne m'arreterai pas plus longtemps sur cette premiere ob-
jection , et je la laisse pour ce qu'elle vaut. Passons a la se-
conde.
Effectivemeut, la frise ciselee sur le rocher dans lequel est
taille le vestibule des Qbour-el-Molouk offre des triglyphes et
des pateres, de plus, les moulures dont la corniche est sur-
chargee ont bien 1'elegance des moulures grecques1. Mais
pourrait-on affirmer que les ordres dorique et ionique sont d'in-
vention grecque? Je ne crains pas de dire, parce que les ob-
jections abondent, qu'en le faisant on courrait grand risque de
se tromper. II est aujourd'hui demontre pour moi, et j'espere
avoir bientot beaucoup d'architectes de mon avis, que le chapi-
teau ionique est venu des Pheniciens aux Hebreux, et beaucoup
plus tard aux Grecs. Ce chapiteau, je 1'ai retrouve en Phenicie et
dans une localite moabite , certainement beaucoup plus vieille
que les villes grecques, et, certes, les Moabites n'avaient point
eu de grands rapports avec les Grecs, lorsqu'ils batissaient leurs
etranges cites, en blocs de lave non equarris et formant de ve-
ritables murs cyclopeens. Je n'ajouterai plus qu'un mot sur ce
point. Le monument de Khorsabad est anterieur a la belle ar-
chitecture ionique des Grecs: eh bien! que Ton ouvre le livre
1. Voyez pi. MX.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 267
de M. Botta et Ton y trouvera, planche Mil, un petit edifice
orne de deux colonnes £ chapiteaux ioniques et d'un couron-
nement d'antefixes, represente sur un bas-relief assyfien, tire
du palais de Khorsabad.
Sur un autre bas-relief ( planche 141) , on verra le pillage
d'un temple, avec les pretendues pateres de notre frise des
Qbour-el-Molouk , et Ja ces pateres seront aisement reconnues
pour des boucliers appendus aux murailles. Quant aux trigly-
phes, void qui peut sirigulierement modifier 1'opinion qu'ils
sont d'origine grecque; je transcris integralement une note
tres-importante que je dois a Tamitie de M. Prisse d'Avennes :
« Les Grecs ne peuvent pas plus revendiquer r invention des
« triglyphes que celle de la colonne dorique. Les monuments
« egyptiens presentent tous les Elements de cet ordre d'archi-
« lecture, usite bien avant que les Grecs n'aient songe a elever
« des edifices. Ainsi, dans les hypogees de Beni-Hacan, qui
« remontent aux Pharaons de la 12e dynastie, c'est-a-dire a
« environ 3,000 ans avant J.-C. , on voit des colonnes a canne-
« lures, appelees par Champollion Protodoriques , et des enta-
« blements ornes de Gouttes et de Mutules. Dans les hypogees
«de Koum-el-Ahmar, qui datent de la 6e dynastie, ainsi que le
« prouvent les cartouches de Papi et de Teti qui y sont graves,
«on remarque des piliers a fleurs de lotus, qui soutiennent
« une architrave portant des especes de triglyphes. Get orne-
« ment caracteristique existe aussi sur plusieurs edicules peints
« ou sculptes a desepoques anterieures aux premiers monuments
« grecs. J'en ai reuni de nombreux exemples dans mon Histoire
«de fart chez les auciens Egyptiens, ouvrage entierement ter-
« mine depuis longtemps, mais que je ne puis livrer a la publi-
« cite, sans 1'appui du gouvernement.
« A Karnak, sur des colonnes formees de tiges et de boutons
«de lotus, on trouve des ornements tailles dans le genre des
268 VOYAGE EN SYR1E
«triglyphes. Ces coloimes appartiennent au regne de Thout-
« mes III, de la 18e dynastie. Enfm, toutes les corniches egyp-
«tiennessont decorees de veritables triglyphes, bicolores ou
« tricolores, alternant avec des cartouches divins ou les cartou-
«ches du roi fondateur du monument. J'ajouterai encore que,
« sur les plafonds de tous les hypogees, on trouve des ornements
« formes de meandres, qu'on appelle aussigrecqucs, parce qu'on
« croyait cet ornement particulier aux Grecs. Je ne pousserai
« pas plus loin ce parallele, qu'on pourrait etendre a toutes les
« parties les plus caracteristiques de 1'architecture des Hellenes.
« L' architecture egyptienne s'est modelee sur les premiers
« edifices qui etaient construits en bois, et non sur les habitations
«des Troglodytes, sur des grottes ou des Speos, comme 1'ont
« avance trop legerement MM. Huyau et Gau, et tout derniere-
«ment M. Raoul-Rochette ; c'est une verite demontree par
« 1' etude approfondie des monuments egyptiens. On reconnait,
« en effet, dans les agencements des colonnes, des architraves,
«des mutules, des corniches, etc. , .etc. , des preuves incontes-
« tables de cette origine. Les portes des Hypogees sont quel-
«quefois decorees de linteaux hemicylindriques, representant
«un tronc d'arbre a. demi equarri; les plafonds sont souvent
« ornes de poutres et de solives , peintes de facon a imiter la
« couleur et tous les accidents du bois, systetne d'ornemen-
«tation qui atteste, d'une maniere irrecusable, le type primitif
«de T architecture egyptienne. Mais elle dedaigna bientot ces
« constructions ephemeres, pour employer des materiaux tout a
« la fois plus durables et plus appropries k ses besoins. On peut
«suivre encore, sur les monuments epars dans la vallee du Nil,
« Thistoire des developpements successifs de 1'art. D'abord pa-
« raissent les formes rectilignes, nees avec la charpente et trans-
« mises a la pierre; puis, Tart, s'elevant a Timitation de la nature,
« introduit, vers Tepoque de la 12e dynastie, les formes vegetales
HT AUTOUR DE LA MER MORTE. 26ft
«dans les piliers, les colonnes et toute rornementation ; enfin,
« au temps de la 18° dynastie, les formes humaines s'allient par-
u lout aux formes geometriques et vegetales et amenent la per-
« fection de 1'architecture.
« L'art ne prend naissance chez un peuple , que sous 1'in-
« fluence de maintes circonstances fecondes , qu'il n'est pas
« donne a tous de reunir. A.ussi, il y a gerieralement en archi-
« tecture une transmission hereditaire des idees, des me'thodes
« et du style, des peoples majeurs a tous les peuples en travail
« de civilisation. En Grece, les traditions primitives temoignent
« que tous leurs precedes techniques et artistiques furent de>i-
« v6s de la Phenicie et de 1'figypte. Tout demontre chez les
« Grecs, et principalement chez les Atheniens, le carac-
« tere et le style d'un art d'emprunt. On sait que des corpo-
rations vagabondes d'artistes, des pontifes lithotomistes ,
« avaient porte dans 1'IIellade tous les arts utiles : pratique et
« modeles leur venaient de Tetranger, et probablement des
« bords du Nil. Le principal monument construit par Dedate,
« 6tait un labyrinthe pareil a celui qui existait en Egypte. En
« admettant que les Grecs n'aient pas adopte, dans leurs co-
« lonnes doriques et leurs triglyphes, des formes d^ja invete'rees
« en figypte, ils auraient rencontre les memes configurations,
« en partant du meme point, les constructions en bois, archi-
« tecture primitive de tous les peuples. Mais les premiers edi-
« fices en charpente dilferent tellement partout, que la dissem-
« blance de la donnee primordiale, doit conduire a des resultats
a et a des developpements tres-varies. C'est precise"ment cette
« donnee des temps fabuleux, antehistoriques, de 1'architecture,
« qui me parait eminemment egyptienne. Alteres par des be-
« soins locaux, perfectionnes par des idees et un gout particu-
« liers, ces Elements d'empmnt ont enfante a leur tour des
« merveilles.
370 VOYAGE EN SYRIE
« Quant aux Hebreux, eieves au milieu des monuments de
« rfigypte , ils n'ont pas eu ci passer par tous les developpe-
« ments de Tart; ils ont du , sinon se mettre a la hauteur ou
« leurs mattres se trouvaient alors, du moins adopter leurs for-
« mes architectoniques, tout en cherchant un art national. Mal-
«gre ce ([ue dit la Bible des ouvriers envoyes par Hiram, les
« Pheniciens, qui n'ont laisse aucun monument d'une origina-
« lite incontestable, ne me paraissent pas avoir ete les uniques
« maitres des Hebreux. Salomon , marie a la fille d'un roi
« d'Egypte, avait surement aussi des artistes de ce pays. D'ail-
« leurs, la civilisation e"gyptienne s'etait tellement repandue
« dans 1'ancien monde, qu'on rencontre partout leur systeme
« d' architecture , 1'empreinte de leur genie , dans la Judee
« comme dans la Phe"nicie, a Ninive comme a Persepolis.
« L'£gypte, cette terre feconde qui portait en elle assez d'idees
« pour defrayer toute la civilisation antique , pendant des sie-
«cles, a successivement procree Tart architectural, chez les
« Pheniciens, les Hebreux , les Assyriens et les Grecs. »
En definitive, quels sont les autres ornements de cette frise?
des couronnes , despalmes, des feuillages et des fruits. Qu'on
veuille bien relire, dans la Bible, la description des edifices
somptueux eieves par Salomon , a 1'aide des artistes attires
par lui de Phenicie, et Ton sera tout surpris de reconnaitre que
tous les ornements des Qbour-el-Molouk, sont precisement ceux
que les ecrivains sacres mentionnent, comme ayant ete em-
ployes dans les embellissements du temple et du palais.
On m'a objecte que le saint roi David, vu ses habitudes de
simplicite, n'avait pas du se faire construire, pendant sa vie,
de tombeau pour lui-meme; le roi qui ne donnait qu'une sim-
ple tente a 1'arche d'alliance, a-t-on dit, ne pouvait songer a sa
depouille mortelle. J'en demeure d'accord, c'est done Salomon
qui a fait creuser le tombeau de son pere « Son fils Salo-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 271
« mon I'ensevelit magnifiquement a Jerusalem. £6a^s 8' aO-rov 6
« TCOU; 2o>.o{Atov sv hpoca de Josephe , et il en a conclu que Herode , au com-
mencement de son regne, s'etait fait batir un tombeau m£-
diocre, qu'il n'aura plus trouve digne de lui, quand il s'est vu
au faite des grandeurs et de la richesse ; qu'alors il s'en sera
1. Benjamin de Tudele oublie d'expliquer comment un ordre quelconque a pu etre
donne par un Rabbin et execute publiquement a Jerusalem. Les pauvres Juifs de
Jerusalem ne connaissent la d'autres ordres que ceux auxquels ils obeissent si hum-
blement.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. .279
fait construire un splendidc, qui n'est probablement autre
chose que les Qbour-el-Molouk. Cela, malheureusement , est
contraire a 1'histoire; car nous savons1 que lorsque Herode
mourut a Jericho, ses funerailles furent c&ebrees avec Teclat
10 plus grand, et que son corps fut transporte en grande
pompe , par une route de deux cents stades, a Herodeum , ou
11 devait etre enterre, suivant sa volontd expresse. Herodeum
etait eloigne de Jerusalem de soixante stades 3. G'est encore
Josephe qui nous le dit expressement. Ceci pose, je demande
ce que peuvent etre les cTcviXata 6aca, s'ils ne sont les torn-
beaux des rois de Juda , et j'attendrai la reponse.
En resume, aucune objection serieuse ne subsiste, et je
crois avoir le droit de dire que les tombeaux des rois de Juda
etaient bien dans la cave sepulcrale qui porte encore le nom
de Qbour-el-Molouk , de tombeaux des rois.
Jamais, du reste, jusqu'a une epoque assez re"cente, 1'en-
tre"e du tombeau de la jdynastie de David n'a ete inconnue a
Jerusalem, ainsi qu'on semble le croire. Ge n'est qu'au moyen
age, que la tradition vraie s'est perdue a moitie, et que , tan-
dis que le monument authentique conservait son noble nom ,
on lui substituait un caveau fantastique, situe sur le sommet
du mont Sion, dans Tinterieur de la citadelle, c'est-a-dire en
un point ou il n'y a jamais eu de tombeau.
Josephe nous affirme qu'H£rode avait fait construire un
monument expiatoire a. la porte du caveau royal. Saint Pierre
parle du tombeau de David comme bien connu de tous. Dion
Cassius nous affirme que la chute du tombeau de Salomon fut
pour les Juifs un triste presage de ruine. Et erifin , ce qui est
bien plus positif encore, nous lisons dans la Lettre de saint
1. Josephe, Ant. Jud., xvm, vm, 3.
2. JosC'phe, Ant. Jiul., xv, TX, 4.
280 VOYAGE EN SYRIE
Jerome & sainte Paule r, pour 1' engager a venir habiter Beit-
Lehm : « Tenebimus manus, ora cernemus, et a desiderato vix
« avellemur araplexu. Ergo ne erit ilia dies , quando nobis li-
« ceat speluncam Salvatoris intrare? In sepulcro Domini flere
« cum sorore, flere cum matre? Grucis deinde lignum lam-
« bere, et in Oliveti monte, cum ascendente Domino, voto et
« animo sublevari? Videre exire Lazarum fasciis colligatum ;
« et fluenta Jordanis ad lavacrum Domini puriora ; inde ad
« pastorum, caulas pergere , in David orare mausoleo. » Saint
Jerome savait done tres-bien ou etait le mausolee de David ,
et l'entre"e n'en etait inconnue de personne , puisqu'il dit a
sainte Paule qu'ils iront prier ensemble dans ce mausolee.
Chose etrange ! nous lisons dans 1'Itineraire de Bordeaux a
Jerusalem, ecrit en 333 : « Item ab Hierusalem euntibus Beth-
leem millia quatuor ; super strata, in parte dextra , est monu-
mentum ubi Rachel posita est uxor Jacob. Inde millia duo a
parte sinistra est Bethleem ubi natus est Dominus Jesus-
Christus. Ibi basilica fa eta est jussu Constantini. Inde non
longe est monumentum Ezechiel, Asaph, Job et Jesse, David,
Salomon , et habet in ipsa crypta ad latus deorsum descenden-
tibus Hebraeis scriptum nomina superscripta. » Oue penser de
cette indication ? Je ne me charge pas de le deviner. En tout
cas , ce qui est certain , c'est que pour les habitants de Je>u-
salem , en 333 , le tombeau de David et de Salomon n'etait
pas cache dans les flancs du mont Sion.
Pour 1'auteur du meme itineraire , le monument connu au-
j ourd'hui sous le nom de tombeau d'Absalom etait le tombeau
du roi Ezekhias. Si Ton se rappelle que le tombeau d'Ezekhias,
quelle que fut sa position relative, devait, suivant 1'Ecriture-
Sainte , exister au meme point que les tombeaux des rois , il
1. Lettre ILIV, ecrite entro 388 et 400.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 281
6tait de consequence necessaire, pour le pelerin de Bordeaux,
d'admettre que les tombeaux des rois de Juda e'taient en ce
meme lieu. Gette opinion, du reste, est d'accord avec celle de
I'auteur de la Chronique paschale, qui dit que le tombeau du
prophete Isai'e (c'est ainsi que le pelerin de Bordeaux appelle
le tombeau monolithe de Zacharie) fut place tout pres de
celui des rois, derriere le cimetiere des Juifs, dans la region
du midi.
On le voit , au ivc siecle , 1' incertitude existait , et la
chaine de la tradition etait deja interrompue ; saint Jerome
parvint, sans aucun doute, a la renouer, et je ne doute pas
que les Obour-el-Molouk n'aient ete , pour lui comme pour
moi , le sepulcre de David et des rois de sa dynastie.
TOMBEAU DES PROPHETES.
Le long de 1'enclos du jardin des Oliviers ( Gethsemani ,
aujourd'hui el-Djesmanieh) passe un chemin qui conduit au
sommet du mont des Oliviers ou Djebel-Thour et a 1'eglise
de 1' Ascension. Tout le terrain que Ton traverse pour arriver
la, est tellement encombre de debris de toute nature, tels que
briques, poteries, marbres ou mosai'ques, qu'il est indubitable
que le flanc occidental de la montagne, a servi autrefois d'as-
siette a un vaste faubourg de Jerusalem.
A une centaine de metres en avant de 1'eglise de 1'Ascen-
sion, des fouilles toutes nouvelles ont fait decouvrir une citerne,
et les fondations ainsi que les debris d'un edifice religieux, qui
n' etait probablement qu'une eglise construite par 1'ordre d'He-
lene ou de Constantin. Des debris de corniches, des chapi-
teaux corinthiens et des futs de colonnes prnes de moulures
evidemment romaines , ne laissent pas de doute sur 1'ori-
gine de ce monument ruine". Ses debris sont charries a grande
282 VOYAGE EN SYRIE
peine, du point ou ils ont ete deterres, vers le fond de la vallee
de Josaphat, ou ils sont vendus aux Juifs, pour etre depeces par
eux et devenir des pierres tumulaires a ajouter a rinnombrable
quantite de pierres de ce genre, qui tapissent tout le flanc de
la vallee, depuis le tombeau d' Absalom jusqu'au village de
Siloam.
Au-dessous de 1'eglise meme de 1'Ascension est creuse un
caveau , au fond duquel conduit un escalier assez raide et garni
d'un palier, sur le milieu de sa longueur. Au milieu de ce
caveau est un enorme sarcophage antique, forme d'une cuve
et d'un couvercle en dos d'ane, le tout du plus grossier travail.
Pas d'inscription sur le sarcophage; mais dans les parois
memes du caveau, on voit une inscription grecque ainsi concue :
0APCIAO
METIAA
0YAICA0AN
ATOC
Prends confiance, Dometila, personne n'est immortel! — Deux
ou trois inscriptions koufiques sont egalement encastrees dans
les murailles, mais 1'obscurite et le peu de temps que j'avais a
leur donner, m'a empeche d'entreprendre de les dechiflrer. Je
les signale done aux voyageurs futurs.
Quelle est cette Dometila (Domitilla sans doute)? Jel'i-
gnore. Les Juifs de Jerusalem ont imagine de faire de ce
sepulcre chretien , celui de la prophetesse Houldah ; mais c'est
la une tradition qui , bien que generalement recue parmi eux,
n'a pas le moindre fondement.
En suivant les hauts plateaux qui couronnent le mont des
Oliviers, et en se dirigeant vers le sud , on gagne un second
sommet qui precede celui du mont du Scandale, ainsi nomme
de ce que Salomon y construisit des temples aux faux dieux
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 283
qu'adoraient ses femmes, prises dans toutes les nations voi-
sines. J'ai rencontre sur ce second sommet du mont des Oli-
viers, deux belles citernes dont I'ouverture est tout a fait sem-
blable a celle des silos de 1' Algerie , et une colonne couchee a
base polygonale que je me suis empresse de dessiner, parce
que ses moulures sont d'un style fort dtrange, Je ne sais &
quelle epoque la faire remonter *.
De ce sommet, comme de celui de I' Ascension, la vue est
admirable, et je doute qu'il y ait au monde un panorama qui
vaille celui-la. A 1'ouest, Jerusalem, le theatre du plus mer-
veilleux evenement qui se soit accompli sur la terre, et les pla-
teaux qui s'etendent au dela, vers la mer. Au sud, laplainequi
conduit a Beit-Lehm ; au-dessous de soi, la valle"e de Hinnom,
la vallee du Redron (qui se nomme Ouad-en-Nar a partir de la
vallee de Hinnom) et la vallee de Josaphat. An nord, les pla-
teaux de plus en plus elevens qui s'echelonnent dans la direction
de Naplouse. Derriere soi, enfm, le desert de Jud6e, la vallee
du Jourdain, la mer Morte qui ressemble a une immense chau-
diere de plomb fondu, et plus loin encore les montagnes, aux pro-
fils severes, des Moabites et des Ammonites. C'est la un spec-
tacle que Ton ne se lasse pas de contempler avec la plus vive
emotion , et que Ton ne quitte qu'a regret, en retournant bien
souvent la tete, afin d'en jouir le plus longtemps possible.
A mi-cote , en montant du jardin des Oliviers a I'eglise de
1' Ascension, si on quitte le chemin pour entrerdans des champs
laboures et plantes d'oliviers, on rencontre, au pied d'un petit
rideau de roches, une rampe tres-abrupte de quelques metres
de longueur seulement, perce"e a cote d'un puits rond, a ciel
ouvert. La rampe conduit au fond d'une rotonde en dome,
creusee dans le roc et qui ne recoit d'autre lumiere que celle
i. Voyez pi. XLV.
284 VOYAGE EN SYRIE
que lui apporte le puits rond entaille dans la voute. Tres-pro-
bablement c'est la rampe qui est antique , et le puits n'aura
etc" creuse que bien posterieurement, pour eclairer aux visiteurs
1' entree du monument. Ge monument, c'est le tombeau des
prophetes , Obour-el-Anbia.
Je vais decrire le plus brievement possible cette excavation
si eminemment curieuse. Le vestibule est une rotonde de sept
metres de diametre ; aux quatre extre"mites de deux diametres
perpendiculaires entre eux, se trouvent, table's dans le roc, des
couloirs de un metre soixante centimetres de largeur, dont
Tun , celui qui fait le prolongement de la rampe par laquelle
on descend dans le caveau, mene directement, par un chemin
de neuf metres de longueur, a une porte donnant acces dans
une petite chambre de deux metres vingt centimetres de pro-
fondeur, sur trois metres quatre-vingts centimetres de largeur.
Dans la paroi du fond est perce un four a cercueil.
A droite et a gauche de la porte d' en tree de cette petite
chambre , qui tient evidemment la place d'honneur, regne un
couloir circulaire qui vient recouper le couloir dont le trace" est
perpendiculaire a celui du couloir conduisant a la chambre
principale. Dans la paroi du fond sont taillees, dans la bran-
che de gauche du couloir circulaire , seize fours a cercueil.
A droite , le couloir est circulaire sur une longueur de sept
metres seulement. En ce point, la paroi du rocher, grace a
la presence de couches de silex, a offert des difficultes de
taille, telles que le plan general a ete abandonne. Quatre
marches grossieres et irregulieres ont ete prises dans la masse,
et montent a une petite chambre carree, de deux metres
trente centimetres de cote. Les parois de celle-ci sont per-
ce" es de cinq fours a cercueil.
A droite de 1'escalier conduisant a cette chambre funeraire
se presente une branche de couloir, de trois metres de Ion-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 285
gueur, et dirigee parallelement an couloir principal trace dans
1'axe du monument. Puis, le couloir devie et se courbe de
nouveau, pour venir aboutir a rextremite de droite du grand
couloir horizontal. Dans cette paroi courbe sont encore entail-
les cinq fours a cercueil , de sorte que le caveau presente seize
fours a cercueil a droite, comme a gauche.
Un second couloir en arc de cercle, de meme largeur que le
premier, est taille a trois metres en arriere de celui-ci. Sur le
milieu de la longueur de sa branche gauche, un passage de
meme largeur le relie au grand couloir a tombes, et dans la
paroi de droite de ce passage est taille un four a cercueil. 11
n'est pas facile de circuler partout dans ce curieux caveau
sepulcral. Ainsi , la branche horizontal de droite est entiere-
ment fermee, contre le vestibule circulaire, par les terres
eboulees, auxquelles le puits creuse dans la voute a donne
acces.
Ge n'est pas tout encore; en retour et au point d' intersection
du couloir horizontal de gauche avec le couloir circulaire inter-
mediaire, commence un nouveau couloir de quatre metres vingt
centimetres de longueur et d'un metre cinquante centimetres
de largeur; au fond de celui-la est un four a cercueil, et Ten-
tree d'un couloir extremement bas et etroit, puisqu'il n'a que
soixante-dix centimetres de hauteur et de largeur, qui s'incline
tres-rapidement et conduit a une serie de chambres de dimen-
sions differentes , contenant encore six fours a cerceuil. Je
renonce a decrire ce labyrinthe dans lequel j'ai failli etoufier,
et que, seuls, 1'abbe Michon et Philippe ont eu le courage de
parcourir jusqu'au bout, au risque de n'en pouvoir jamais sor-
tir. L'abbe, avec cette opiniatrete que rien absolument ne peut
rebuter, n'a pas voulu quitter cette effroyable tombe, sans en
avoir fait un croquis dont les mesures lui etaient fournies par
Philippe. Je suis heureux de les en remercier ici tous les deux ;
286 VOYAGE EN SYRIE
car saris eux, j'eusse bien certainement renonce a connaitre
toute cette partie du monument, partie d'autant plus interes-
sante, que jamais, que je sache, personne n'a ose s'y aventurcr
pour tout de bon. Je renvoie done au plan que j'ai pu en don-
ner, grace au croquis de 1'abbe *.
D'ou vient le nom de tombeau des Prophetes que la tradi-
tion accole a ce singulier monument funeraire? II m'est impos-
sible de le deviner. Je ne connais d'autre mention antique
de ce monument que celle, assez vague d'ailleurs, que nous
fournit Josephe 2, et qui ne peut concerner que notre caveau.
L'historien des Juifs, decrivant les lignes de circonvallation de
Titus, dit que ces lignes , traversant le Kedron, gagnaient le
mont des Oliviers , et que, revenant au midi, elles envelop-
paient la montagne, jusqu'a la pierre qu'on nomme le Periste-
reon, et la colline qui avoisine celle-ci et qui domine la vallee
voisine de Siloam 3. Cette indication est fort precise quant au
lieu qu'elle designe , c'est incontestablement notre caveau
sepulcral, aussi bien que la 2-Awxp', mentionnee dans ce texte,
n'est tres-probablement que le village de Siloam qui n'a change
ni de nom ni de place. Quant a 1'origine et a la veritable des-
tination du monument, elle nous laisse dans la plus complete
incertitude.
Nous lisons dang 1'evangilede saint Mathieu (xxm, 29) i
oual uj/iTv, ypa^iJiaTst; seal cpapisaioi UTroxpural , OTI oiy.o^o|/.£iTe TOU;
Tacpotj; TWV Trpo^/jTaiv xai >so
.
288 VOYAGE EN SYRIE
TOMBEAUX DE LA VALLEE DE JOSAPHAT
TOMBEAU D'ABSALOM
Le premier monument sepulcral que Ton rencontre, en des-
cendant la vallee de Josaphat, a partir du Jardin des Oliviers,
est un mausolee dont toute la base a ete prise dans la masse
du rocher. Une sorte de plate-forme a ete taillee dans le flanc
du mont des Oliviers, et ses parois verticales s'elevent a
droite, a gauche et derriere le monument. C'est le noyau de
roc, isole par la construction de cette espece de cour, qui a ete
taille sur place, pour devenir la base du tombeau ; des blocs
rapportes et bien jointoyes en ont constitue le couronnement.
Voici la description succincte de ce singulier monument qui
a deja ete decrit et figure bien des fois, mais toujours sans
une exactitude suffisante. La base proprement dite du mau-
solee est inscrite dans un carre , de six metres quatre-vingts
centimetres de cote. Sur chacune des faces se detachent deux
colonnes ioniques, et deux demi-colonnes placees dans les
aisselles de deux pilastres d'antes. Sur cet ordrc ionique est
assise une frise dorique, comportant treize pateres dissembla-
bles et quatorze triglyphes avec gouttes. Au-dessus de cette
frise, se trouve une veritable corniche egyptienne, parfaitement
caracterisee, et composee d'un enorme tore ou boudin, que sur-
monte un vaste demi-cavet, evide en larmier. A partir de la
frise dorique, le corps du mausolee est inscrit dans un carre
qui n'a plus que six metres cinquante centimetres de cote.
Jusqu'a la partie superieure de la corniche egyptienne, le mo-
nument est monolithe. A partir de la il est forme de blocs
rapportes.
Le couronnement du mausolee se compose d'abord d'un
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 289
dez carre de six metres trente-trois centimetres de cote", ter-
mine par une petite corniche, formee de deux listels sepa-
res par un tore et surmontes d'une doucine et d'une plate-
bande. Au-dessus de celle-ci s'eleve une partie cylindrique,
ayant pour diametre le cote du dez qu'elle surmonte, c'est-a-
dire six metres trente-trois centimetres. Ce cylindre a pour
base la meme corniche que je viens de decrire, et enfin sur la
surface du cylindre regne un cordon, forme" encore des memes
moulures que celles qui se voient a la base. Le cylindre est
termine" a sa partie superieure par un tore figurant un enorme
cable tordu. Au-dessus de celui-ci parait enfin une sorte de
pyramidion a generatrice evidee en gorge. Le tout est cou-
ronne d'un gros bouquet de palmes, assez semblable a un cha-
piteau egyptien. Ce pyramidion a e'te quelquefois depeint par
le nom de bonnet chinois que des voyageurs lui ont donne\ Ce
n'est certes pas Ik une expression technique, mais elle a 1'avan-
tage de caracteriser assez bien la forme de cet etrange cou-
ronnement de mausolee. Quant aux hauteurs relatives des
portions superieures, c'est-a-dire de celles qui surmontent la
corniche egyptienne, les voici en quelques mots. Le tore cable
partage en deux parties egales la hauteur totale de ces portions
supe'rieures. Le dez cubique avec sa corniche a la meme hau-
teur que la portion cylindrique, jusqu'au tore cable". De la cor-
niche egyptienne jusqu'au-dessus du tore cable ou a la nais-
sance du chapeau, il y a cinq metres trente-six centimetres,
hauteur egale a celle du chapeau avec sa couronne de palmes.
De la moulure intermediaire ou cordon place sur le cylindre
jusqu'a la naissance du chapeau, il y a soixante-six centime-
tres ; le tore cable a deux cent cinquante-trois millimetres de
diametre ; et de la partie inferieure du tore a la partie infe-
rieure du cordon en moulure , il y a huit cent soixante-seize
millimetres.
II. <9
290 VOYAGE EN SYRIE
Les pilastres d' antes ont cinq cent cinquante-sept millimetres
de largeur ; les colonnes ont quatre cent quatre-vingts milli-
metres de diametre et trois cent quatre-vingts millimetres de
saillie sur la face du monument. Les intervalles des colonnes
sont de neuf cent cinquante millimetres. Les demi-colonnes
accolees aux antes ont trente-deux centimetres de largeur de
fut. Les chapiteaux des colonnes ont au sommet sept cent
trente-quatre millimetres de largeur ; et les chapiteaux d' antes
avec ceux des demi-colonnes, un metre deux centimetres. Je
me bornerai a ces mesures de detail, et pour les autres, je
renvoie le lecteur aux planches xxxvii, xxxvm et XLI.
Au-dessus de la corniche egyptienne, la face sud du mau-
solee presente une petite porte carree, placee a un metre trois
cent vingt-quatre millimetres de Tangle sud-est. Cette porte a
un metre cent vingt-cinq millimetres de hauteur, sur quatre-
vingt-treize centimetres de largeur ; elle est surmonte d'un
evidement en cul de four, surmonte lui-meme d'un cercle en
saillie sur la surface du dez carre.
Outre la petite porte, assez difficile a atteindre, dont je viens
de parler, trois larges breches ont ete faites dans le flanc du
mausolee; Tune, dans la face tournee al'occident, entre les
deux colonnes centrales : celle-ci a enleve tout le milieu de la
frise dorique, et elle regne depuis les chapiteaux jusqu'au-tles-
sus du tore egyptien. L'autre breche, ouverte dans la face nord,
entre les deux colonnes centrales, est a bonne hauteur, et il est
tres-aise de penetrer par la dans 1'interieur du monument. La
troisieme breche est entamee dans la face orientale du dez carr£
qui surmonte la corniche egyptieune. Voici la description des
deux etages interieurs. La chambre dans laquelle on penetre
par la breche ouverte au nord, est carree , et encombree de
fragments qui empechent de deviner ce que presente le sol. Le
plafond est garni d'un cadre simple en saillie et de deux cer-
ET AUTOUn DE LA MER MORTE. 291
des concentriques en creux. Les cotes ouest, nord et est, pr&-
sentent une arcade dont le cintre est tangent au cadre du
plafond. Le cote sud n'a pas cette arcade, et il offre, a sa
partie gauche, une ouverture cintree ou viennent aboutir les
marches d'un escalier qui descendait a 1'interieur, en partant
de la porte ouverte dans la face sud, au-dessus de la corniche.
Une petite ouverture, me"nagee dans la masse, conduit au-des-
sus du plafond de la chambre infe*rieure , sous une voftte en
encorbellement , non taillee, tout a fait semblable a celle que
Ton voit a la grande pyramide d'Egypte , voute qui n'a eu
evidemment d'autre destination que celle d'alleger le poids de
toutes les parties supericures de 1' edifice.
Maintenant, que j'ai donne assez minutieusement la descrip-
tion du monument fune"raire connu sous le nom de Tombeau
d' Absalom, je dois emettre 1'opinion que je me suis faite, apres
mures reflexions, sur 1'age probable de cet Strange monument.
Gommencons par rapporter ce que la Bible nous dit du tom-
beau d1 Absalom. Nous y lisons l : — 18. Absalom avait pris et
dresse pour lui, de son vivant, un cippe (n^liD) dans la Val-
lee du Roi : car, disait-il, je n'ai point de fils pour rappeler le
souvenir de mon nom ; et il avait appele" le cippe de son nom,
ct il est appele" main d' Absalom jusqu'a ce jour. —
Ce verset me parait un commentaire introduit beaucoup plus
tard dans le texte du livre de Samuel; il n'enest pas moinsex-
tremement pr^cieux, ainsi qu'on va le voir. Un Matzabet, c'est
certainement en ce cas un monument funeraire, puisqu'il etait
destine a conserver a la posterite le nom d1 Absalom, et, tres-
probablement, a recouvrir sa d6pouille mortelle. D'une part,
quoique ills du roi David, il est evident, par ce fait, qu'il n'a-
vait pas h compter sur un sepulcre pour lui, dans le caveau
1. Samuel, 11, xvni.
292 VOYAGE EN SYRIE
royal, destin6 sans doute a ceux-la seuls qui porteraient la cou-
ronne. D'un autre cote, Absalom fit tres-probablement elever
son monument funeraire dans la vallee ou se trouvait place le
caveau royal. Ce lieu, notre verset 1'appelle la Vallee du Roi
( "j^on pD>). D'ou pouvait provenir ce nom, si ce n'est de la
presence du caveau royal? Je desirerais bien qu'on put me
1'apprendre. Les tombeaux des rois etaient done dans une val-
le"e. Or les Qbour-el-Molouk sont a la naissance de la vallee
de Josaphat; si done la tradition sur le tombeau d' Absalom
pouvait etre admise, sa presence dans la vallee de Josaphat me
fournirait un argument de plus en faveur de mon attribution
des Qbour-el-Molouk aux rois de Juda. Heureusement, je n'ai
pas besoin de cette preuve supplemental , et j'en ai bien
assez d'autres pour etayer mon opinion.
Nous lisons dans Josephe T qu' Absalom s' etait fait construire,
dans la vallee royale , une stele de marbre , eloignee de deux
stadesde Jerusalem, et qu'il appela sa main, disant que, quand
bien meme ses enfants periraient, son nom resterait attache a
cette stele 3.
La tradition qui existe aujourd'hui, date certainement de
1'epoque ou il a etc permis aux Juifs, bannis de Jerusalem par
Tempereur Hadrien, apres la revolte de Bar-Koukeba, de ren-
trer dans cette ville. Ce qui est sur, c'est que, de temps imme-
morial, le tombeau d' Absalom a recu ce nom parmi les Juifs,
qui out peut-etre rapporte avec eux une tradition rabbinique ,
1. Ant. Jud., VH, x, 3.
2. Earwe Si A€soa'>,wa&j ev 77 xaXaSi rf, ^affiXixfi ffrnXr,v Xi6&u [/.ap^apivou, ^uo cra-
Jiou; aTTsy^cuffav ugoaoX6{tuv, fv irscar.fopEUffev t^iav '/.eTpa, etc. Puisque Josephe savait
que le monument d' Absalom e"tait a deux stades de Jerusalem, il savait parfai-
tement ou il etait ; done il existait de son temps, ou au moins il en existait des restes
suffisants pour lui permettre de dire que le cippe etait une a-viXn X(6ou u.apu.apivcu.
Remarquons en passant que le tonibeau d' Absalom est justement a deux stades de
Jerusalem.
ET AUTOUR DE LA MER NORTH. 293
concernant ce monument, lorsqu'ils ont ete admis, par grace,
a habiter de nouveau 1'enceinte, sacree pour eux, de la capitale
de David. Pas un Juif ne passe devant le pretendu tombeau
d' Absalom sans cracher dessus et sans lui jeter une pierre, pu-
nissant par ce double outrage, le crime du fils rebelle.
Maintenant, est-ce a dire pour cela que je pretends demon-
trer que le Tombeau d' Absalom est bien positivement le monu-
ment funeraire dont parlent la Bible et Josephe ? Non , sans
doute ; une conjecture de moi ne peut et ne doit etre une de-
monstration pour personne. J'avoue neanmoins que, comme je
ne vois rien d'absolument impossible a ce que la tradition
sur ce point soit admise comme bonne , je Fadmets jusqu'a
demonstration du contraire; tout a Fheure j'en dirai le
motif.
La sainte Bible nous mentionne encore un monument fune-
raire important, a ce qu'il parait, et je vais transcrire le pas-
sage qui y est relatif. Nous lisons dans Isa'ie ( xxn ) : —
15. Ainsi dit le Seigneur, Jehovah Sebaout : Va vers ce haut
fonctionnaire, Sibna, qui est prepose au palais. — 16. Qu'as-
tu ici, et qui est des tiens ici, que tu te creuses ici un sepulcre?
II creuse dans la hauteur son sepulcre , il taille dans le roc sa
demeure. — Gette portion des propheties d'lsai'e se rapporte
au regne d'Ezekhias, dont ce Sibna etait probablement Finten-
dant. Le tombeau sompteux creuse par Fordre de Sibna, serait-
il un des deux sepulcres voisins de celui d' Absalom? Je ne me
charge pas de le decider : mais, ce que je pretends conclure
de ce passage c'est que, sous les rois de Juda, des tombeaux
magnifiques etaient creus6s, tailles dans le rocher.
Pour les habitants Chretiens de Jerusalem , le mausolee que
je viens de de"crire se nomme aussi le Tombeau d' Absalom. Pour
les musulmans, c'est une autre affaire; ils ne connaissent ce
monument que sous le nom de Tantourah-Faraoun (tantourah
294 VOYAGE EN SYRIE
est le nom d'une coiffure en forme de come-, et longue de plus
de deux pieds, dont s'affublent les femmes du Liban).
J'ai le malheur de me trouver en disaccord complet avec les
antiquaires et les architectes, sur 1'age de ce curieux monument,
qui , pour eux , est un excellent modele de la plus deplorable
decadence de Tart grec. Je suis desole de ne pouvoir en
aucune facon me ranger a leur opinion. Je connais beaucoup
de monuments de la decadence ; mais je n'y ai jamais vu parai-
tre le melange bizarre, que nous rencontrons ici, des membres
caracteristiques des ordres les plus differents , c'est-a-dire de
Tionique et du dorique, le tout surmonte d'une corniche egyp-
tienne. Me sera-t-il permis, a mon tour, de croire et de dire
que des monuments hybrides de ce genre, peuvent etre parfai-
tement anterieurs a 1'epoque ou les Grecs opererent le depart
des elements a 1'aide desquels ils constituerent leurs ordres "
classiques, en empruntant a tous les monuments qui leur pas-
saient sous les yeux, ceux de ces elements qui leur paraissaient
se marier le plus heureusement, pour en faire un tout devenu
desormais homogene.
Je ne sais si Ton m'accordera cela, mais ce qu'il faudra bon
gre mal gre m'accorder, c'estun fait contre lequel il n'y a pas
d' objection possible. A la vue du tombeau d' Absalom, les an-
tiquaires, aussi bien que les architectes se sont ecries unanime-
ment : ceci est un monument de la fin du ivc siecle, au plus
tot ! Je suis afflige d'etre oblige de leur enlever cette croyance,
de la facon la plus peremptoire.
Souvent deja j'ai fait usage du journal ecrit en 333 par le
Pelerin de Bordeaux, mais jamais aussi heureusement que cette
fois. Or voici ce que je lis dans ce journal : « Item ab Hieru-
salem euntibus ad portam, quse est contra orientem, ut ascen-
datur in mont§m Oliveti, vallis quae dicitur Josaphat. Ad partem
sinistram ubi sunt vinea3, est et petra ubi Juda Scarioth Chris-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 295
turn tradidit. A. parte vero dextrA est arbor palmae, de qua in-
fantes ramos tulerunt et veniente Christo substraverunt. Inde
non longe, quasi ad lapidis missum, sunt monumenta duo mo-
nubiles (sic) miraB pulchritudinis facta. In unum positus est
Jsaias propheta, qui (sic) est vere monolitus (sic) etin alium
(sic) Ezechias Rex Juda3orum. »
Gpncluons : en 333, c'est-a-dire justement au bout du pre-
mier tiers du siecle a la fin duquel les antiquaires font remon -
ter les deux tombeaux de la vallee de Josaphat, ces tombeaux
etaient admires de notre pelerin, qui n'a probablement pas in-
vente quo Tun (celui qui est monolithe) etait le tombeau d'Isai'e,
et que 1'autre (celui dit aujourd'hui tombeau d1 Absalom) etait
le mausolee d'Ezekhias, roi de Juda. Sans aucun doute le Pele-
rin avait recueilli la tradition locale, et, on le voit, celle-ci, au
commencement du ive siecle de notre ere, reportait au temps
des rois de Juda des monuments dont tres-certainement la po-
pulation de Jerusalem ignorait 1'origine, precisement parce
qu'elle etait tres-recule'e, et que la chaine de la tradition s' etait
trouvee interrompue par Texpulsion des Juifs de Jerusalem.
Maintenant, done, que Ton dise tant que Ton voudra que je me
trompe, cela impliquera que le Pelerin de Bordeaux s'est tromp^
aussi, et qu'il a admire preventivement des monuments qui ne
devaient exister que cinquante ans environ apres son passage
a Jerusalem.
TOMBEAU DE JOSAPHAT.
Dans la paroi orientale de Tespece de cour, taillte dans le
roc qui entoure le tombeau d' Absalom, se voit, a gauche, le
sommet d'un fronton orne d'acroteres et d' elegants rinceaux
remplissant le tympan. C'est, pour les juifs et les Chretiens de
Jerusalem, le tombeau de Josaphat. Quel Josaphut? Je 1'ignore.
296 VOYAGE EN SYRIE
Ge tombeau ne peut etre vu aujourd'hui ; des terres et des tom-
bes juives en ont bouche 1'entr^e, et il y aurait danger a tenter
d'y penetrer.
Cette cloture ne date que de quelques annees. On pretend
que des curieux ayant furete dans la grotte sepulcrale, y de-
couvrirent un Pentateuque tres-ancien qui etait reste dans une
tombe, et que les Juifs deciderent alors que le caveau serait
ferme. Je ne sais si cette histoire a quelque fondement, mais
ce que je sais, c'est qu'a raon tres-grand regret , j'ai trouve le
monument si bien cache, que j'ai cru prudent de ne pas es-
sayer d'en deblayer I'entree , au risque de deranger quelque
mort, dont les vivants auraient tres-probablement pris le parti
d'une facon desagreable pour moi. Je n'ai done rien a dire sur
cette cave sepulcrale que je n'ai pu visiter.
TOMBEAU DE SAINT-JACQUES '.
A moins de cent pas 2 du tombeau d' Absalom, vers le sud et
toujours dans le roc a pic qui sert de base au mont des Oliviers,
se voit une belle chambre sepulcrale, connue des Chretiens sous
le nom de tombeau de saint Jacques, et des musulmans sous
celui de Diouan-Faraoun (Divan de Faraon) . Voici la descrip-
tion de cette curieuse excavation.
Un vestibule soutenu par deux colonnes et deux demi-pilas-
tres doriques, pris dans la masse du roc, se montre a I'exterieur.
Ges quatre soutiens sont relies par une architrave surmontee
d'une frise dorique, comportant neuf triglyphes avec gouttes,
et surmontee a son tour par une corniche reguliere. La hau-
teur prise entre 1'architrave et le sol du vestibule, est de trois
1. Voyez pi. xxxix.
2. Williams, qui a mesure la distance qui separe ces deux monuments, 1'a trouvee
de cent quarante-cinq pieds anglais, c'est-a-dire de quarante-quatre metres a peu pres.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 297
metres; les intervalles du pilier de gauche et de la colonne de
gauche, et celui des deux colonnes entre elles, sont de un metre
quarante centimetres ; celui de la colonne de droite et du pilier de
ce cote" est un peu moindre, de un metre trente-cinq centime-
tres seulement. La largeur des piliers est de quarante centi-
metres, et la circonference des colonnes est de un metre qua-
rante-huit centimetres, ce qui leur donne quarante -sept
centimetres de diametre. La largeur des chapiteaux des
colonnes est de soixante-neuf centimetres, et leur hauteur
totale de vingt-quatre centimetres. Entre le tailloir qui les
surmonte et le plafond du vestibule, il y a un intervalle de
vingt centimetres. Dans les flancs des pilastres et des colonnes,
sont perces des encastrements et des entailles, dont la plus haute
est placee a un metre quarante-cinq centimetres au-dessous
de la base des chapiteaux ; sans aucun doute ces entailles ont
servi a fixer une balustrade metallique qui a tout naturellement
disparu, parce que la convoitise 1'aura fait arracher.
La plate-forme du vestibule est en retraite d' environ deux
metres sur la saillie du roc inferieur. Ce vestibule a , dans
ceuvre, cinq metres quatre-vingt-dix centimetres de largeur et
deux metres quatre-vingt-dix-huit centimetres de profondeur,
pris entre la face interieure des pilastres et le mur de fond.
Les trois parois de ce vestibule, en faisant face au fond, sont
percees de la maniere suivante : Sur la paroi de gauche
s'ouvre, a un metre trente-six centimetres de la face interieure
du pilastre, une porte de un metre soixante-deux centimetres
de largeur, et regnant jusqu'au plafond. A cette porte aboutit
un escalier a ciel ouvert, forme de marches de dix-sept centi-
metres de hauteur, et conduisant obliquement sur le rocher,
au-dessus du caveau. Dans le mur du fond est perce, a un
metre dix centimetres a partir de I'extremite" gauche, une
porte de un metre soixante-quinze centimetres de largeur,
298 VOYAGE EN SYRIE
et que trois metres six centimetres separent de la paroi de
droite.
A gauche et a cinquante-trois centimetres au-dessus de la
porte, est percee une fenetre, large de quatre-vingts centime-
tres et haute de trente et un centimetres, donnant sur la cham-
bre sepulcrale a laquelle la porte conduit. Enfin le mur de
droite, sur lequel le pilastre est en saillie de vingt centimetres,
presente une porte carree de deux metres trente-deux centime-
tres de cote, eloignee de cinquante-cinq centimetres du mur de
fond, et de dix centimetres seulement de la face interieure du
pilastre. Cette porte donne acces sur un assez long couloir,
qui vient deboucher dans la paroi de gauche de la cour dans
laquelle est place le monument connu sous le nom de tombeau
de Zacharie. Quant au sol du vestibule , il presente a droite et
au fond, c'est-a-dire contre la porte qui conduit au monument
de Zacharie, une sorte de banquette qui a trente centimetres
de largeur, et qui commence a un metre soixante-quinze centi-
metres du flanc droit de la porte conduisant aux chambres
sepulcrales.
Voici la description de ce couloir qui est assez grossiere-
ment taille. Une fois la porte percee dans le flanc droit du
vestibule franchie, on rencontre une plate-forme, de un metre
cinquante centimetres de longueur, au dela de laquelle se
trouve une marche, ayant dans le sens de 1'axe du vestibule,
quarante centimetres de largeur. Gette marche sur laquelle on
descend par un ressaut de dix-sept centimetres, est elle-meme
a dix-sept centimetres au-dessus du sol du corridor qui vient
ensuite, et qui a quatre metres cinquante centimetres de lon-
gueur. La se trouve un nouveau ressaut de dix-sept centimetres,
qui amene a une petite plate-forme en contre-bas, de un metre
cinquante centimetres de largeur, dont le cote gauche est a
trente centimetres du mur lateral de gauche, et a soixante-dix
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 299
centimetres du mur lateral de droite. Cette plate-forme a une
• longueur, suivant 1'axe, de un metre quatre-^vingt-deux centi-
metres. La se termine le corridor, par une paroi verticale dans
laquelle est percee une baie, de un metre quarante-cinq centi-
metres de largeur, et de un metre trente-cinq centimetres dc
hauteur, traversant une paroi de rocher, de un metre trente-
sept centimetres d'epaisseur. Sur la joue droite de cette ouver-
ture, sont pratiques deux encastrements qui ont du. recevoir
jadis des portes de cloture fixes , ear il n'y a nulle apparence
de crapaudines dans lesquelles aient pu tourner des gonds. On
voit que de la sorte , le couloir a neuf metres cinquante-neuf
centimetres de longueur totale, comptee de la face droite du
vestibule, a la paroi gauche de la cour de rocher, dans laquelle
s'eleve le tombeau de Zacharie.
A. 1'exterieur, aussi bien qu'a 1'int^rieur, le caveau est cou-
vert d' inscriptions judai'ques gene"ralement modernes, con te-
nant des noms de pieux visiteurs ; sur 1' architrave on apercoit
une inscription un peu plus longue que les autres, d' apparence
beaucoup plus ancienne, mais que son etat de degradation
rend impossible a lire, a cause de la position tres-genee dans
laquelle on se trouve pour 1'etudier, en s'accrochant a Tune
des colonnes, afm de ne pas rouler au bas du rocher. II
serait a desirer qu'on put, en se munissant d'echelles, prendrc
un estampage et une copie de cette inscription judai'que qui
est peut-etre interessante. Je la recommande done expresse-
ment aux futurs voyageurs.
Pour en finir avec la description de la partie exterieure du
monument, je dirai que de la face inferieure de 1'architrave,
au sornmet de la corniche qui surmonte la frise, il y a un metre
quinze centimetres de hauteur. A partir du pilastre engage de
gauche, la surface du rocher presente deux grandes band'es
lisses, plus hautes que le vestibule exterieur et en saillie de
300 VOYAGE EN SYR1E
vingt-cinq centimetres, sur la surface unie de rocher taille
qui les separe, et qui a un metre quatre-vingt-dix centimetres
de largeur. La saillie en contact avec le pilastre du vestibule, a
un metre cinq centimetres de largeur, et la seconde un metre
dix-sept centimetres. Dans la face intermediate en retraite,
est percee une porte de un metre soixante-cinq centimetres
de hauteur, et de soixante-dix-huit centimetres de largeur,
dont le seuil est de niveau avec celui du vestibule : il y a entre
les piedroits de cette porte et les deux grandes saillies de
rocher, quarante-sept centimetres a clroite , et soixante-quatre
centimetres a gauche. J'ignore ou conduit cette porte et a
quel usage elle etait destinee.
Venons actuellement £ la description du caveau interieur.
En franchissant la porte percee dans le fond du vestibule, on
penetre dans une antichambre, de cinq metres trente centi-
metres de largeur, et de trois metres quatre-vingts centimetres
de profondeur. Trois portes sont percees dans ses parois du
fond, de droite et de gauche. A Tangle gauche, la paroi inte-
rieure a ete brisee violemment , de sorte que je regarde la
fenetre percee dans le vestibule, comme bien posterieure a
1'ordonnance du monument primitif. La porte de gauche con-
duit dans une chambre sepulcrale carree, de quatre metres de
cote. Trois niches a. cercueil y sont percees, deux dans la
paroi faisant face a la porte d' entree, et une dans la paroi
placee a droite de 1'entree.
La porte du fond de 1'antichambre debouche directement
dans une petite chambre, ay ant trois metres trente centimetres
de largeur, sur trois metres quarante-cinq centimetres de pro-
fondeur ; sur les trois cotes du fond regne une banquette con-
tinue de un metre de largeur. Dans la paroi de gauche est une
niche sepulcrale, si peu profonde, qu'elle ressemble presque a
une niche veritable. Dans la paroi du fond , sont pratiquees
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 3(M
deux ouvertures, dont la premiere, c'est-a-dire celle qui se
trouve a gauche, va deboucher obliquement dans une nouvelle
chambre sepulcrale, offrant sur les trois cotes du fond, des
arceaux ou voutes etroites, en retraite dans les parois. La
deuxieme, c'est-a-dire celle de droite, est une simple niche a
cercueil. Dans la paroi de droite est perce"e une seule ouver-
ture, c'est celle d'une niche sepulcrale placee symetriquement
avec celle de la face opposee.
Revenons a 1'antichambre, pour decrire la chambre se"pul-
crale dans laquelle donne acces 1'ouverture percee dans la
paroi de droite de cette antichambre. L'epaisseur de la paroi
qui traverse la porte, est de vingt-cinq centimetres. Cette porte
clebouche dans un couloir de soixante-quinze centimetres de lar-
geur (c'est-a-dire qu'il a precisement la meme largeur que la
ported' entree) . A partir de la joue gauche de la porte, commence
une banquette de quarante centimetres de largeur, au-dessus de
laquelle sont percees deux niches a cercueil , dont les ouver-
tures ont un metre cinquante centimetres de hauteur. La ban-
quette a deux metres vingt-cinq centimetres de longueur; a
son extre"mite, elle est contournee par un retour du couloir
d' entree. Celui-ci est a son tour perce au fond et sur le flanc
droit, de deux autres niches & cercueil. Telle est la disposition
generate de ce curieux monument funeraire.
D'ou est venu a ce caveau le nom de tombeau de saint
Jacques? Je Fignore entierement. Peut-etre saint Jacques,
apres son martyre , fut-il enseveli dans un des fours a cercueil
que contient le monument. Mais c'est la une hypothese toute
gratuite, et qui n'est appuye"e sur rien que sur la tradition
chretienne, qui est elle-meme tres -vague. Saint Jacques,
on le sait, fut precipite" du haut des murailles du temple et
lapide. II priait encore pour ses meurtriers, lorsqu'un des
assistants lui assena sur la tete un coup de masse de foulon, et
302 VOYAGE EN SYRIE
mil ainsi fin 6 son supplice. Josephe ' raconte la mort de 1'apotre
Jacques, et dit que le grand pretre Ananus le Jeune , profitant
de 1'absence des magistrals remains, fit comparaitre devant
son tribunal, un frere de Jesus surnomme" Christos, qui s'ap-
pelait Jacobos, et quelques autres avec lui, et que les ayant
declares coupables de violation de la loi, il les livra au peuple
pour qu'on leslapidcit (raperWxe ^eu^Ovicrofxevou;) . Saint Jacques
parvint-il a se trainer jusqu'au pied de la grotte sepulcrale qui
porte maintenant son nom, et y fut-il depose" apres son mar-
tyre? G'est ce qu'il n'est aucunement possible de dire aujour-
d'hui.
Le tombeau de saint Jacques me rappelle une petite aven-
ture qui ne fut que comique , mais qui aurait pu devenir
tragique; je la raconterai brievement, pour montrer qu'aux
portes meme de Jerusalem, il est bon de prendre garde a soi>
si Ton ne veut pas s'exposer a de desagr6ables surprises. J'e"tais
entre dans ce tombeau avec 1'abbe Michon, afin de recueillir les
mesures dontj'avaisbesoin pour en construire le plan. Un Arabe
de Siloam nous y avait vus penetrer sans armes apparentes,
et il vint s'asseoir tranquillement dans la cour du tombeau de
Zacharie, attendant que nous sortissions, pour nous ranconner.
Lui-meme n'avait pour arme qu'un khandjar assez long, passe
dans la corde qui lui servait de ceinture. Quand, apres quel-
ques heures, nous eiimes franchi la petite porte basse a c6te
de laquelle il fumait son tchibouk, le drole s'approcha vivement
de moi, auquel il ne voyait d'autre moyen de defense qu'un
album sous le bras, et il m'enjoignit tres-effronte'ment de lui
donner un bakhchich. Un bakhchich ! lui dis-je, et pour-
quoi? Est-ce parce que tu as vu ma figure, on bien parce que
j'ai vu latienne? — Je veux un bakhchich, et tu vas me le don-
1. Ant. Jud., xx, ix, 1.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 303
ner, me repondit-il d'un ton assez menacant. — - Je tirai bien vite
un pistolet do mon gousset, je I'nnnai, et le lui mettant sous le
nez : Je n'extorque d'argent a personne, lui dis-je, et je n'en
donne qu'a qui je veux bien; si tu desires avaler de la poudre
et du plomb, a ton service! — La! (non !•)• r^pondit-il en se
rejetant en arriere d'un air fort penaud, et il s'eloigna au plus
vite, peu desireux de continuer une conversation qui prenait
une tournure si diiferente de celle a laquelle il s'attendait. Si
nous eussions ete reellement sans armes, il cut fallu se d6bar-
rasser de ce coquin a prix d'argent. Avis a qui fera des pro-
menades autour de la ville sainte.
TOMBEAU DE ZACHARIE1.
Le monument dont je vais actuellement donner la descrip-
tion , est connu des Chretiens et des juifs sous le nom de torn-
beau de Zacharie. Pour les musulmans, c'est le Qobr-Zoudjet-
Faraoun, le toinbeau de la femme de Faraon. II a une assez
grande ressemblance avec le tombeau d' Absalom ; mais il en
difiere par le eouronnement pyramidal qui le surmonte, et
en ce qu'il est entierement monolithe. Comme pour 1'autre,
une masse de roc a 4te isolee, par la construction d'une com*
cntai!16e dans le pied du mont des Oliviers, et c'est cette masse
qui a ete ciselee et decoree sur place.
La base du mausolee est inscrite dans un carr6, de cinq
metres cinquante-trois centimetres de cote. Chaque face pr£-
sente deux colonnes ioniques et deux demi-colonnes, plac^es
dans les aisselles de deux pilastres d' antes. La face ouest, c'est-
a-dire celle qui fait face a 1'enceinte du haram, a seule ete ter-
minee avec soin, et les trois autres ne sont pour ainsi dire qu'a
1. Voir pi. \i ct 114.
304 VOYAGE EN SYRIE.
1'etat d'6bauche plus ou moins avancee. II est facile de recon-
naitre en beaucoup de points de la surface, et notamment dans
les aisselles des colonnes et des antes, que tout le mausolee, ou
tout an moins le dez inferieur, a ete entierement revetu d'un
crepi rouge tres-lisse, qui ne s'est conserve que dans les parties
defendues contre les injures du temps et des homines.
Voici maintenant le detail des mesures principales de ce
curieux monument. Le pilastre de gauche de la face principale
a cinquante-six centimetres de largeur, et la demi - colonne
qui lui est accolee, a trente centimetres; entre cette demi-
colonne et la colonne entiere qui suit, il y a un intervalle nu de
quatre-vingt-treize centimetres; 1'intervalle des deux colonnes
est de quatre-vingt-quatorze centimetres. II n'y a que quatre-
vingt-huit centimetres entre la colonne de droite et la demi-
colonne qui la suit. Celle-ci a, comme 1'autre, trente centime-
tres de largeur, et le pilastre exterieur n'a que cinquante-quatre
centimetres de largeur. On voit done que ce monument ne
brille pas par 1' exactitude rigoureuse des mesures. Les diame-
tres des deux colonnes sont, pour la premiere, cinquante-six
centimetres, et pour la seconde, cinquante-quatre centimetres
seulement.
Au-dessus des chapiteaux regne une architrave simple, de
cinquante-sept centimetres de hauteur, surmontee d'une cor-
niche egyptienne semblable a celle du tombeau d' Absalom, et
formee d'un tore ou boudin, de trente centimetres de hauteur et
de vingt centimetres de saillie seulement ; le cavet place au-
dessus, a soixante centimetres de hauteur, et quarante centi-
metres de saillie exterieure. Enfin, la plate-bande qui couronne
la corniche, est un peu inclinee de dehors en dedans, et a trente
centimetres de largeur. Le tout est couronne par une pyra-
mide quadrangulaire equilaterale. Le monument est evidem-
ment enterre d'une quantite assez considerable, et qui va pro-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 305
bablement toujours croissant. Ce ne sont pas cette fois les
pierres jetees par les Juifs, qui se sont accumulees & la base
dti mausolee. Bien loin de la, ce monument est chez eux en
grande veneration, et c'est a qui se fera enterrer le plus pres
possible de sa base, sinon centre elle. Les pierres tumulaires
hebrai'ques forment en quelque sorte un large pave qui garnit
la base actuelle du monument , et celui-ci est lui-meme cou-
vert d' inscriptions pieuses et de noms de visiteurs. La hauteur
au-dessus du sol actuel, et comptee jusqu'au sommet de la
corniche egyptienne, est de cinq metres soixante centimetres.
Les chapiteaux sont d'un ionique pur et d'une grande ele-
gance. Au-dessous du chapiteau, le fut de la colonne est garni
d'une guirlande de cannelures amorcees, dont chacune peut
exactement etre comparee a une petite niche. Ce genre d'or-
nementation s'est, je crois, retrouve sur quelques colonnes
appartenant a des monuments observes, en Asie Mineure, par
mon ami M. Ch. Texier. Les chapiteaux d'antes sont formes
de moulures simples, et au-dessous de ces chapiteaux, au lieu
d' amorces de cannelures, paraissent des cordons formes de
quatre pateres. Tous ces ornements ne se repetent pas sur les
autres faces, qui non-seulement ne sont pas terminees, mais qui,
de plus, presentent parfois de vefitables defauts de symetrie.
Quoi qu'il en soit , le tombeau de Zacharie ofire une
masse tres-imposante , et je comprends 1'admiration que
le Pelerin de Bordeaux temoigne pour ce mausolee qu'il a re-
connu comme etant vraiinent monolithe, et auquel il donne le
nom de tombeau du prophete Isai'e. On voit que de 333 a
notre epoque, la tradition a completement change, sans avoir
d'ailleurs rien gagne en certitude. Quel est le Zacharie auquel
on attribue aujourd'hui ce mausolee? Personne n'en sait rien,
et je n'en sais pas plus que les autres sur ce point.
Williams, dans son excellent livre sur la cite sainte, declare
20
306 VOYAGE EN SYRIE
que pour lui, lestrois tombeaux que je viens de decrire, sontbien
certainement anterieurs a 1'epoque de Constantin; il emet meme
une opinion qui trahit ses tendances a voir en eux des monu-
ments d'une epoque fort reculee. Ainsi, a propos du tombeau
d' Absalom, il se demande s'il ne se pourrait pas faire que ce
fut reellement la base du cippe construit par 1'ordre du fils dc
David, dans la vallee royale, et que des artistes grecs auraient
accommode au style d'une epoque de beaucoup posterieure.
Je ne suis pas, je 1'avoue, partisan de cette opinion qui im-
plique un mezzo termine peu admissible, a mon avis. Dans
tous les temps, on a restaure des monuments, on ne les a pas,
que je sache, rhabilles de facon a deguiser completement
leur caractere primitif. Je n'hesite done pas a admettre
que ces monuments , tels qu'ils sont encore aujourd'hui, out
conserve leur decoration primitive, et que leur existence peut
servir d' argument en faveur de 1' opinion bien arretee que je
me suis formee sur place , que 1'art grec s'cst inspire, de la
maniere la plus commode, c'est-a-dire par des emprunts purs
et simples, pour constituer les ordres ionique et dorique, dont
il trouva les elements en Egypte et en Asie.
MONUMENT DE S1LOAM'.
Le village de Siloam est bati sur le flanc du mont du Scan-
dale, et au-dessus des jardins potagers arroses par la fontaine
de Siloe, etqui fournissent de legumes le marche de Jerusalem.
La plate-forme de roc qui porte ce village, presente, a chaque
pas, d'antiques arasements de monuments qui out du etre de-
limits a une epoque excessivement reculee. Enfin, les huttes du
village sont adossees a une muraille de rochers, dans laquelle
se voieut partout des vestiges d'excavations considei'ables. Un
i . Voyez pi. XLII et XLV.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 307
seul monument est reste intact, au-dessus de I'escarpemeiit
qui domine les jardins plantes au fond de la vallee , et je ne
puis, en aucune facon, m'expliquer comment un monument d'une
importance aussi grande, et qui d'ailleurs saute aux yeux des
passants, a pu rester inapergu jusqu'a ce jour, ou du moins
comment il n'a ete decrit par personne. Je me felicite d'etre
le premier a mettre en lumiere un aussi curieux edifice, dont
on ne pourra jamais contester la haute antiquite.
Voici la description exacte du monument. G'est un bloc mo-
nolithe de"tache de la masse, sur trois cotes seulement, c'est-a-
dire au sud, a Touest et au nord. L' entree est a 1'ouest. C'est
exactement la copie en grand de ces edicules monolithes egyp-
tiens qui ornent nos musees. Un dez carre a aretes legerement
inclinees en dehors, constitue la base du monument. Au-dessus,
regne une corniche egyptienne, formee, comme aux tombeaux
d' Absalom et de Zacharie, d'un tore ou boudin, surmonte d'un
large cavet que couronne une simple plate-bande. Au milieu
de la face est ouverte une porte, munie, au sommet, de deux
entailles rectangulaires, placees en dehors des piedroits, et dont
les analogues se retrouvent frequemment aux portes des exca-
vations egyptiennes. Voici maintenant les dimensions des dif-
ierentes parties de cette facade :
Largeur dc la face au-dessous du tore 4n 64.
Id. aux deux tiers de la hauteur de la porte
d'entree 4, 71.
Hauteur de la porte d'entre'e 1, 45.
Largeur de la porte d'eutree , 0, 70.
Distance du sommet de la porte au tore 0, 50.
Largeur du tore 0, 20.
Distance du sommet du tore 4 la plate-bande . . 0, 40.
Hauteur de la plate-bande 0, 28.
Largeur de la plate-forme superieure 5, 16.
Saillie de la plate-bande sur la face 0, 26.
Saillie du tore 0, 12.
Longueur de la plate-forme , depuis la face exte'rieure
justju'au i oclier , 0, 23,
308 VOYAGE EN SYR1E
Les faces laterales ne sont qu'ebauchees, ou du moins elles
ne sont terminees que vers les parties voisines de la farade.
L'interieur de Pedifice est aujourd'hui reinpli de fumier qui
sert de litiere a quelque miserable fellah de Siloam. Yoici,
maintenant. la description de cet inte"rieur. La porte, ouverte
dans une paroi de trente centimetres d'epaisseur, debouche dans
une petite antichambre carree, de quatre-vingt-douze centi-
metres de cote, au fond de laquelle est percee une petite porte
basse, de soixante-dix centimetres de largeur, qui traverse une
seconde paroi de trente centimetres d'epaisseur. Cette porte
debouche dans une seconde chambre carree, de deux metres
quarante-trois centimetres de cote, qui offre sur les parois de
gauche etdu fond, a quatre-vingts centimetres environ au-des-
sus du sol, deux niches en arceaux. La paroi de droite est nue.
II n'est pas possible de meconnaitre la ressemblance frap-
pante qu'il y a entre ce monolithe et les edicules monolithes
purement egyptiens; il ne viendra done a Pidee de personne
qu'il faille 1'attribuer a une epoque romaine ou grecque. Ce
qui est fort curieux, c'est de comparer la corniche qui le
decore, avec la corniche de Pun des batiments ninivites exhumes
par M. Botta clu monticule de Khorsabad l. Le systeme des
deux corniches est exactement le meme. Seulement, comme il
s'agissait a Ninive d'un edifice beaucoup plus considerable
que celui de Siloam , toutes les dimensions des moulures sont
un peu plus fortes, sauf celle de la plate-bande. Voici le
tableau comparatif de ces mesures :
Siloam. Khorsabad.
Hauteur totale de la corniche Om 88 .. Om 92.
Hauteur du tore 0, 20 0, 27.
Saillie du tore 0 12 0,18.
Hauteur du cavet. . 0, 40 0, 45.
Hauteur de la plate-bande 0, 28 0,, 20.
Saillie de la plate-bande 0,26 0,35.
1. Voir la planchc 150, du bel ouvrage de M. Botla. Livraison 69.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 309
A coup sur, les deux architectes qui ont trace les deux cor-
niches avaient etudi^ a une meme ecole architecturale , et ils
avaient les memes principes. L'un etait assyrien , et vivait an
moins six cent vingt-cinq ans avant 1'ere chretienne ; 1'autre
done n'etait ni grec ni romain.
Ici, se presente une fort curieuse question. Le monument
de Siloam appartient-il a 1'epoque des rois de Juda? G'est ce
qu'il serait fort important de preciser. Ici, deux hypotheses se
presentent, et nous allons les examiner tour a tour. Ou c'est
un tombeau, ou c'est un edifice sacre*. Voyons la premiere
supposition. Nous savons que les jardins du Roi occupaient le
fond de la vallee de Josaphat, dans toute la partie que rem-
plissent aujourd'hui les vergers et lespotagersarroses par la fon-
taine de Siloe. Sans aucun doute, le roi n'aurait pas soufiert
qu'on vint placer des tombeaux autour de ses jardins, et de
facon surtout qu'ils les dominassent. Or, c'est ce qui serait in-
failliblement arrive si une necropole, remplace"e par le village
de Siloam, eiit continue a recevoir des morts, a partir du mo-
ment oil les jardins du roi furent traces. 11 est done fort pro-
bable que cette necropole de Siloam aurait ete abandonnee, a
partir du jour ou Salomon eut choisi le terrain place a quelques
metres au-dessous, pour en faire ses jardins royaux. Des
lors, il n'y aurait rien que de tres-logique a regarder cette
necropole comine celle des Jebuseens , qui occupaient le terri-
toire de Jerusalem, avant la venue des Israelites, et qui reste-
rent meme les maitres d'une portion de la ville, apres que
David se fut empare de la forteresse de Sion. Je proposerais
done formellement de voir un monument jebuseen dans le
tombeau monolithe de Siloam, s'il etait admis que c'est un
tombeau.
.T'ai parle tout a 1'heure des jardins du Roi : voici les passages
de 1' fieri ture dans lesquels il est specialement question de ces
310 VOYAGE EN SYRIE
jardins. Nous lisons dans les Rois (II, xxv) : — ft. La ville fut
fendue (une breche fut faite) et tous les gens de guerre s'en-
fuirent la nuit, par le chemin de la porte, entre les deux
murailles, au-dessus du jardin du Roi; et les Casdim (Chal-
deens) etaient sur la ville a 1'entour; etil prit (leroi Sedekias)
le chemin de la plaine. — 5. L'arme'e des Casdim poursui-
vit le roi; ils 1'atteignirent dans la plaine de Jericho, et toute
son armee se dispersa d'aupres de lui. — Du premier passage, il
resulte que les Assyriens ne serraient pas d'aussi pres cette
portion de la ville placee vers le Tyropreon, entre 1'enceinte
du temple et 1'enceinte militaire qui couronnait le mont Sion.
La s'ouvre, au point le plus favorable pour la construction
d'une porte de ville, le Bab-el-Morharbeh qui a, je le suppose,
remplace" la porte dont il est question dans les versets que je
viens de transcrire. Sedekias s'enfuit avec son armee vers Je>i-
cho ; les Assyriens 1'y atteignirent en le poursuivant ; done ils
n'occupaient pas la vallee du Jourdain, et 1' armee envahissante
avait suivi, sinon le littoral, du moins la route qui conduisait
a Jerusalem par les plateaux.
Nous lisons dans Nehemie (in) : — 15. Et Saloum-ben-Koul-
hazeh, chef du district de Mesfah, e"leva la porte de la Source ;
c'est lui qui la construisit, la couvrit, en posa les portes, IPS
verrous, ainsi que les murs de 1'etang de Sehah (nV'^n niTQ ) ,
au jardin du Roi, et jusqu'aux rampes qui descendent de la ville
de David. — Get etang de Selah n'est que la piscine de Siloe, et
la porte de la Source devait par consequent se trouver bien
pres de la fontaine actuelle de la Vierge. Cette porte de la Source
devait des lors etre si pres aussi de la porte par laquelle s'en- !
fuit le roi Sedekias, que pour ma part je suis tente d'identifier
ces deux portes entre elles d'abord, et avec le Bab-el-Morha-
rbeh ensuite. Une ville aussi petite que Jerusalem ne pouvait
avoir une enceinte criblee de portes. A quoi bon, d'ailleurs?
ET AUTOUR DE LA HER MORTE. 311
puisque toutes les voies par lesquelles on pouvait s'eloigner ou
s'approcher de la ville, avaient et ont encore aujourd'hui une
porte qui leur correspond. Concluons-en, que dans la nomen-
clature des nombreuses portes mentionne'es par 1'ficriture
Sainte et par Josephe, il y a forcement des double-emplois.
A Jerusalem plusieurs noms etaient indifferemment appliques a
la mAme porte, aussi bien autrefois qu' aujourd'hui. La est la
seule solution raisonnable du probleme qu'implique 1'etrange
multiplicity des sorties de la ville sainte. L'e"tang de Siloe etait
done, d'apres le texte de Nehe"mie, au jardin du Roi.
Nous retrouvons dans Jeremie ( xxxix , 4) la narration de
la fuite du roi Sedekias, devant 1'arme'e assyrienne. Voici la
teneur du verset m£me : — Ce fut quand Sedekias, roi de
Juda, et tous les gens de guerre les eurent vus, qu'ils prirent
la fuite et sortirent de la ville, pendant la nuit, par le chemin
du jardin du Roi, par la porte entre deux murs, et ils sor-
tirent par le chemin de la Plaine. — La porte entre deux murs
e"tait done celle qui conduisait au jardin du Roi, et cette porte,
c'est toujours , pour moi , celle qu'a remplacee le Bab-el-Mor-
harbeh r.
Nous trouvons encore dans Jeremie (LII, 7) la narration de
la fuite de Sedekias ; mais cette fois nous avons la copie a peu
pres exacte du verset 4 du chapitre xxv du livre XI des Rois,
verset que j'ai cit£ plus haut. Ce sont les memes expressions,
sauf Taddition des trois mots essentiels : TpD iNsn irrov
dont la presence serait ne"cessaire , pour que le texte du Livre
des Rois ne comportat pas une ellipse impossible; sauf encore
1'omission, dans Jeremie, de 1'articlen devant le mot n^1?, nuit;
1. L'un des deux murs qui flanquaient la porte par laquelle s'enfuit Sedfkias, et
qui doimerent leur uom a cette porte, ne peut etre que le magniflque inur saloiuo-
nien dans le prolongeinent duquel se trouve perce le Bab-el-Morharbch. Le second
6
PON06KAAMAPOY
AOOVTEPMANIKH
.
« Monument reserve en particulier a Thecla, iille de Marulfe,
allemande ». J'ignore ce que peut etre le sigma tres-apparent
rejete au-dessous et a droite de la derniere ligne. Voici main-
tenant les copies publiees jusqu'ici, par Scholz (en 1822) et
posterieurement par Krafft.
Scholz. Krafft
MNHMAAIAOYrePMANIKH
^ s c c
, Voici la traduction que Krafft a jointe au texte : « Geci est le
tombeau de dix hommes differents, d'Allemagne. » On con-
viendra sans difficulte, j'espere, que cette traduction est d'une
bouffonnerie transcendante ; aussi Williams, qui te rapporte f,
en fait-il bonne justice. Voici ses propre expressions : And all
that I can venture to assert positively is9 that either his deci-
pherment, or his translation, or, more probably, both, are
grossly erroneous.
1. Holy city, vol. I, supplement, p. 58.
n. M
322 VOYAGE EN SYRIE
Krafft publie une seconde inscription que je n'ai pas vue et
qu'il a trouvee dans la cave sepulcrale nommee retraite des
apotres. Je la rapporterai d'apres lui.
HTSMS
MONACTHPS
TSBENAS
TSFEOP
6HKHAI
A«D6S
66KAAS
CEPA/
Voici la reconstruction et la traduction que Krafft donne de
ce texte : ©HKH AIA^EPHN ©ERA ANAPQN Hro YMENH
MONA2THP1OY TOY BENA2 TOY TEOPriOY. « Tombeau de
dix hommes differents, superieurs du monastere de Benas , de
George. » Je me permettrai de modifier cette tres-amusante
traduction de la maniere suivante : Tombe reservee de Thecla,
sainte hegoumene du monastere de filles de Saint-Georges,
Est-ce la meme Thecla que celle de 1'inscription rapportee
plus haut? Je ne le pense pas; a moins que Krafft ne se soit
trompe, et que les deux inscriptions n'appartiennent, la pre-
miere a la porte d'entree , et la seconde a un four a cercueil
du meme caveau. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une tombe
particuliere : 07i'x.vi (Jta^poixra , de Thecla , Upa; r,youij(.ev/;; ,
sainte superieure du monastere de filles (De'ir-el-Benat), de
saint Georges. Ou etait ce monastere sous le vocable de saint
Georges? Je 1'ignore. On se rappelle qu'il y a, pres des
vasques de Salomon, un De'ir-el-Benat, ou couvent mine de
filles, place, par consequent, assez pros d'el-Khoudr, c'est-a-
dire du monastere egalement ruine de Saint-Georges. Notre
Thecla fut-elle superieure de ce couvent, un pen eloigne de
Jerusalem, il faut le dire? Je n'en sais rien.
Krafft et, d'apres lui, Williams publient une aufre inscrip-
tion du meme cimetiere ; elle est ainai eoncue :
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 323
+ MNHMAAIAePOTHN
AOYPOMIISAriACCItON.
Et Krafft la traduit : Tombeau de differents hommes de Rome,
appartenant a la sainte Sion. Evidemment cette traduction n'a
pas le sens commun. J'ai moi-meme retrouve cette inscription,
et, bien que j'y aie mis toute la patience necessaire, je n'ai pu
dechiffrer que les mots suivants :
* MNHMAAI/ POTHI...
THC. riACCICJN
C'est clans cette inscription , que je ne me charge pas , du
rcste, de completer, que je trouve un fait en opposition avec la
theorie de Schultz l. Celui-ci a publie une derniere inscription
tiree de la meme necropole et qui semble avoir echappe
jusqu'ici a tout autre qu'a lui. La voici :
MNHMAAI AcDGPONTATOVGYrH
NOCONOMIOYTOYFIATPOC
AFOCOY
II me parait tres-probable que cette inscription tumulaire a
etc" mal copiee , probablement a cause de son mauvais etat de
conservation. Je ne chercherai done pas a la reconstituer.
J'ai maintenant pass^ en revue les faits les plus interessants
qui se rattachent a la necropole de la vallee de Hinnom. Je me
bornerai a dire que les excavations sepulcrales qui la consti-
tuent, apres avoir primitivement ete taillees pour etre des torn-
beaux , furent plus tard transformers en asiles de pieux ceno-
bites, qu'elles servirent a cet usage pendant plusieurs siecles
et que, plus tard encore, elles reprirent leur destination pre-
l. Faudrait-U, par basard, lire: MNHMA AIAu.s
:j;50 VOYAGE EN SYR IE
avait 6te reconnue avec toute raison , par Schultz , dans la
cave immense qui porte le nom de Grotte de Jeremie. Je ne
reviendrai done pas sur cette attribution qui ne peut soulever
aucun doute , et je me bornerai a dire quelques mots sur I'etat
actuel de 1'excavation. On y reconnait bien, par-ci par-la,
quelques traces des anciennes parois des chambres sepulcrales,
inais elles ont ete brisees, et semblent avoir ete exploiters
comme une carriere commode , de sorte que le tout ne forme
plus qu'une immense grotte irreguliere . taillee grossierement
et sans grand interet. A gauche existe une petite avance de
rocher en saillie sur la masse, et sur cette saillie, dit la tradi-
tion, dormait le prophete Jeremie. Malheureusement cette
tradition ne supporte pas 1'examen.
Du plafond de la grotte suinte constamment une pluie de
gouttes d'eau, que j'ai vu les pelerins grecs recueillir avec
empressement , pour s'en bassiner les yeux. Etait-ce comme
preservatif centre les ophthalmies , ou comme curatif centre la
myopie? J'avoue n'avoir pas eprouve le moindre desir de m'en
informer. A gauche, en sortant de la grotte, on trouve un
escalier conduisant a une citerne en bon etat, et pleine d'eau.
Je n'en ai pas examine )a structure avec assez de soin , pour
pouvoir parler de son age probable.
Un derviche tourneur reside d' ordinaire a la grotte de
Jeremie, et il preleve un petit tribut stir tous les pelerins qui
se presentent : cela doit lui constituer un assez joli revenu. Le
monticule dans lequel est creusee la grotte de Jeremie est
couvert de tombes musulmanes; enfin, Ton apercoit dans le
tlanc du rocher, a gauche de I'entree actuelle de la grotte,
une assez petite excavation naturelle. Voila tout ce que Ton
pent dire, aujourd'hui, des restes mutiles de la somptueuse
cave sepulcrale qui fut la derniere demeure de la plupart des
princes Asmoneens.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 331
TOMBEAUX SITUES AU FOND DE LA VALLEE DE JOSAPHAT,
AU-DESSOUS ET AU NORD-EST UU TOMBEAU DES ROIS.
Les flancs de la vallee de Josaphat, an nord de Jerusalem,
presentent de nombreuses excavations funeraires qui merite-
raient sans doute une etude toute speciale. Malheureusement
le temps m'a manque" , et je n'ai pu les visiter qu'en courant.
Je n'en pourrai done rien dire de positif, et j'aime mieux
1'avouer simplement.
Schultz, adoptant une tradition juive accre'ditee a. Jerusa-
lem, voit dans une de ces caves funeraires, le tombeau du grand
pretre Simon, surnomme le Juste, fils et successeur du grand
pretre Onias1, et contemporain de Ptolemee Philadelphe. Une
autre de ces caves parait au meme savant, devoir etre le monu-
ment du Foulon, dont il est fait mention dans Josephe a, a
propos de 1'enceinte d'He"rode Agrippa. Cette enceinte , dit
1' historian des Juifs, apres avoir passe aupres des caves royales
s'etendait longuement, et s'inflt3chissant pres du monument du
Foulon, a. une tour angulaire, venait finir a la vallee du Kedron,
en rejoignant la muraille antique. Ral ^ia awr^aiw
p//;x,uvo|J.evov sx-a^TTTeTO p.ev yoviauo ^upyw xara TO KvavOi»jj!.evr(; xo-
Xujj.^vi'Gpa? ).
L'fivangile de saint Jean mentionne la Piscine probatique,
dans le verset 2 du chapitre v. Voici ce verset : « Eessantes.
400 VOYAGE EN SVR1E
24 FfiVRIER.
Notre nuit a ete excellente , et nous sommes parfaitement
reposes. Malheureusement, la chaleur cThier a un peu gate le
temps. Des nuages gris commencent a se montrer, et j'ai bien
peur que notre promenade ne soit contrariee par la pluie.
Comme nous sentons que plus nous tarderons et plus nous
aurons la chance d'etre mouilles, nous nous decidons & em-
porter notre dejeuner sur la montagne. Un grand jeune
homme de la ville nous accompagne, et il n'est pas musulman.
Est-il chretien ? est-il samaritain ? Je ne puis le demeler , bien
qu'ci la nature des indications qu'il m'a donnees pendant notre
excursion, j'aie ete conduit a penser qu'il etait un des mem-
bres de cette etrange secte.
A neuf heures et demie, nous mentions k cheval, et, tour-
nant la pointe ouest de la ville de Naplouse, nous commencions
a gravir un large chemin qui conduit, a travers des vergers,
dont en ce moment tous les arbres sont couverts de fleurs, £
une belle fontaine d'eau vive , placee un peu au-dessus de la
ville. De Ik on peut assez bien apprecier 1'etendue actuelle de
Naplouse , dont 1'aspect general est charmant.
Une fois la fontaine passee , le chemin se retrecit de plus en
plus, et il finit par disparaitre tout & fait, lorsque les vergers
qui le resserrent disparaissent eux-memes. On se trouve alors
au bas d'un ravin assez large, ou plutot d'une gorge fortement
inclinee, et qui s'eleve directement £ une hauteur de quelques
cents pieds, c'est-a-dire jusqu'au plateau du Garizim. Nous
mettons pied a terre, et, tirant nos chevaux par la bride, nous
commencons bravement notre ascension , qui n'est qu'en-
nuyeuse. Au bout d'un quart d'heure, nous touchons enfin au
plateau si desire , et nous trouvons imm£diatement une espece
KT AUTOUR DE LA MER MORTE. 40-1
de chemin que longent des amas de decombres, et qui, apres
cinq ou six cents metres de.parcours au plus, nous amene en
face de ruines tellement importantes, que j'etais bien loin de
m'attendre a une semblable bonne fortune.
J'ai sous les yeux une enceinte immense, construite en blocs
d'un magnifique appareil ; au premier coup d'reil , il est clair
que Page de cette enceinte ne saurait etre posterieur a 1'epoque
du haut empire. Ne serait-ce pas 1'enceinte du temple que les
Samaritains construisirent sur le Garizim, a 1'imitation de celui
de Jerusalem? C'est ce que 1'examen detaille de 1'enceinte
en question nous apprendra tout a 1'heure. Commencons par
une visite rapide des ruines qui nous entourent ; nous dejeu-
nerons ensuite, puis nous reviendrons etudier en detail ce
curieux monument que j'aurai certainement le plaisir de lever
le premier.
Notre guide de Naplouse n'a pas manque de nous dire, en
arrivant devant ces ruines venerables, que c'etait le temple des
Samaritains ; mais, dans le doute ou je suis encore aujourd'hui
sur la foi qu'il professait, je ne voudrais pas donner son asser-
tion pour plus determinante qu'elle ne Test en realite. Nous
verrons, d'ailleurs, que le monument parle parfaitement par
lui-meme, et, qu'en Tetudiant-avec toute 1'attention qu'il me-
rite, on ne tarde pas a etre convaincu qu'il n'a ete construit
que pour servir a un culte quelconque.
En longeant la grande face qui regarde 1'ouest, on ren-
contre, un peu avant son extremite meYidionale, une sorte de
plate-forme composee de grosses masses de pierre , a con-
tours irreguliers, encastrees les unes dans les autres, mais dont
la surface parait avoir ete aplanie. Sont-ce des blocs rap-
porte~s, est-ce le roc qui affleure? G'est ce qu'il est bien diffi-
cile de decider au premier abord. J'avoue, cependant, que les
joints n'ont pas 1'air de fissures naturelles, et qu'en y regardant
II. 26
*«i VOYAGE EN SYRIE
de pres, j'ai acquis pour mon compte la conviction que la etait
un travail humain qui, en ce cas, remontait, sans aucun doute,
& une antiquite tres-reculee. Cette fois encore la tradition
m'est venue en aide, car mon guide, m'arretant vis-a-vis de la
plate-forme en question, me dit : — Ceci est la Haraquah, c'est-
a-dire le lieu ou les Samaritains brulent les victimes oifertes
en holocauste, et qui sont egorgees en un autre lieu que nous
verrons tout a 1'heure. Gette plate-forme s'appelle aussi el-
iacher-Belathat ( les dix blocs de pierre) . — Ge nom singu-
lier me donna 1'eveil , et je pensai immediatement aux dix tri-
bus dissidentes, qui avaient pu £tablir la un autel, destine aux
holocaustes , et forme de dix pierres dont chaque tribu aurait
ainsifourni la sienne. Notre jeune guide ajouta, et Mohammed,
qui nous accompagnait dans notre promenade, nous repeta
apres lui, que la plate-forme de la Harakah etait due a Seidna-
Souleiman (a notre seigneur Salomon). Cela voulait-il dire
qu'elle etait contemporaine de Salomon? G' est tres-possible ;
car, si_, immediatement apres le schisme, Jeroboam fit con-
struire cet autel grossier, il est bien clair qu'il peut passer
pour contemporain de Salomon.
Nous lisons dans le Deuteronome ( xi ) : — 29. Et quand
1'Eternel, notre Dieu, t'aura fait venir au pays ou tu vas pour
le posseder, tu donneras la benediction sur la montagne de
Garizim et la malediction sur la montagne d'Ebal. Puis, plus
loin (xxvn) : — 2. II arrivera un jour que vous passerez le
Jourdain, au pays que 1'Eternel, ton Dieu, te donne; tu t'ele-
veras de grandes pierres et tu les enduiras d'un enduit. — 3. Et
tu ecriras dessus toutes les paroles de cette doctrine-la... —
4. II arrivera, quand vous aurez passe le Jourdain, vous ele-
verez ces pierres que je vous commande, sur la montagne
d'Ebal , et tu les enduiras d'un enduit. — 5. Tu batiras la
un autel a 1'EterneI, ton Dieu, un autel de pierres, tu n'eleve-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 403
ras pas le fer sur elles. — 6. De pierres entires tu bfttiras 1'autel
de 1'Eternel, ton Dieu ; tu feras monter dessus des holocaustes
a 1'Eternel, ton Dieu... — 11. Moi'se commanda au peuple, en
ce jour, savoir : — 12. Geux-ci se tiendront sur la montagne
de Garizim , pour benir le peuple , quand vous aurez passe le
Jourdain : Simeon, Levi, Juda, Issakhar, Joseph et Benjamin.
— ill. Et ceux-la se tiendront, pour la malediction, sur la mon-
tagne d'Ebal : Ruben, Gad, Aser, Zabulon, Dan et Nephtali. —
Viennent ensuite les douze maledictions que devaient prononcer
les levites et auxquelles tout le peuple repondrait : Amen. Les
benedictions ne sont pas contenues dans le texte sacre.
Le Talmud commente ainsi ce passage de 1'Ecriture : « Six
« tribus monterent sur le mont Garizim et six sur le mont Ebal.
« Les Gohenim , les levites et 1'arche etaient entre les deux
«montagnes; les levites, s'etant tournes vers le mont Garizim,
« reciterent les benedictions : Beni soit celui qui ne fera pas
« d'idole , etc. Le peuple repondait : Amen. S'etant ensuite
« tournes vers la montagne d'Ebal, ils reciterent la maledic-
« tion , et on repondait amen. » A cette explication , je trouve
une difficulte. Du haut du Garizim , aussi bien que du haut
de 1'Ebal , il est impossible de voir ce qui se passe au fond
de la vallee de Sichem ; il est bien plus impossible encore
d'entendre ce qu'on y crierait de toutes ses forces. Gomme
1'ficriture ne semble pas confirmer ces details du recit des
talmudistes, je conclus qu'ils sont puerils, et je crois que les
deux ceremonies s'accomplirent dans la vallee qui separait les
deux montagnes sacrees, et de telle facon que chaque groupe
de six tribus put comprendre ce qui se passait, en le voyant,
et repondre amen a propos.
Le livre de Josue raconte comment fut execute 1'ordre de
Dieu, apres le passage du Jourdain. (vm) — 30. Alors,
Josu6 construisit un autel a 1'fiternel, Dieu d'lsrael, sur la
404 VOYAGE EN SYRTE
montagne d'Ebal. — 33. Et tout Israel, ses anciens, ses in-
specteurs, ses juges, 6taient places de chaque cote de 1'arche,
en face des Cohenim, des Invites porteurs de 1'arche d'alliance
de 1'fiternel, l'e"tranger comme 1'indigene; la moitie en face de
la montagne de Garizim , et la moitie en face de la montagne
d'Ebal, comme avait autrefois ordonne" Moyse, serviteur de
1'fiternel , de benir le peuple d'Israel. — Ne semble-t-il pas
Evident, par la teneur de ce verset, que le peuple, bien loin
d'etre divise en deux parts, sur les deux montagnes oppose'es,
etait range des deux cotes de la vallee de Sichem, au fond de
laquelle s'accomplissait la cer&nonie ?
Je dois avouer, neanmoins , que Josephe r raconte le fait
comme les talmudistes. Voici ce qu'il dit : « ( Josue) -etant parti
de la (deSeiloun), avec tout le peuple, pour Sichem, batit
un autel au point ou Mo'ise avait ordonne de 1'elever, et, ayant
partage 1'armee en deux corps, il en placa une moitie sur le
mont Garizim, et 1'autre moiti6 sur le mont Gibal, ou est
1'autel, avec les Invites et les pretres. Lorsqu'ils eurent ofiert
le sacrifice, proclame" les maledictions, et 6crit celles-ci sur
1'autel, ils retournerent a Seiloun. »
Je suis bien tente de croire , en le concluant de 1'impossi-
bilite physique que j'ai signal^e, et qu'implique aussi le r6cit
de Josue, qu'au lieu de traduire, dans les passages bibliques
qui concernent cette importante ceremonie, la preposition ty
par « sur » , il faut constamment la rendre par « contre, en face
de » , ce qui n'est nullement contraire a la grammaire.
L' autel construit par 1'ordre de Josue le fut sur le mont
Ebal (tey in2). Cela n'est pas douteux; bien qu'il paraisse
assez etrange que 1'autel destine a offrir des sacrifices a 1'Eter-
nel, ait 6t4 ^leve sur la montagne maudite, au lieu de 1'etre sur
1. Ant. .Tud., v, i, 19.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 405
la montagne benie. Notre Haraqah n'a done rien a faire avec
1'autel du mont Ebal; et, probablement , Jeroboam, en aban-
donnant le culte qui avait fait etablir ce premier autel, eut
I'id6e d'en construire un semblable sur le Garizim, sur le mont
beni, et, des lors, celui-ci put etre compose de dix pierres
( Aacher-Belathat) , representant chacune une des tribus dissi-
dentes; de meme que le monument construit en commemora-
tion du passage du Jourdain, etait compose de douze pierres,
prises au fond du fleuve , et representant chacune une des
douze tribus d' Israel '.
Je reviens aux ruines qui se voient au sommet du Garizim.
A.U sud de la grande enceinte , et a soixante-quinze metres du
pied de celle-ci, vers Tangle sud-est, se voit une plate-forme
de roc inclinee a 1'ouest, et entouree d'arasements de mu-
railles qui ont du la fermer. Cette plate-forme n'a pas un
contour r^gulier. Vers Test, elle presente une face rectiligne
de onze metres, une autre face de onze metres regarde le sud.
De 1'extremite de celle-ci part une face de six metres seule-
ment, dirigee au nord-nord-ouest , et aboutissant a un orifice
qui ouvre sur une fosse profonde, ou sorte de puits creus6 dans
le roc. L'orifice n'est qu'une large fente, ayant un peu plus
d'un metre de longueur, et parallele & la face de la plate-
forme qui regarde Test. De 1'extremite de 1'orifice, une courbe
peu determinee, d'une quinzaine de metres, va rejoindre la
premiere face mesuree. II est aise de voir, au reste , que le
plan primitif de la plate-forme etait un polygone forme de
trois grands cotes, perpendiculaires entre eux, de onze metres
de longueur, sur lesquels s'appuyaient deux petits cotes, de
six metres, aboutissant a 1' orifice du puits.
Cette plate-forme , que j'ai decrite avec tant de minutie ,
1. Josue, iv, 7-9.
406 VOYAGE EN SYRIE
c'est le veritable autel des Samaritains. C'est sur elle que les
victimes sont egorgees, et c'est dans le puits que j'ai signale,
que s'ecoule le sang du sacrifice.
A partir de la , on apercoit les ruines d'une ville , et d'une
ville qui dut etre tres-considerable. II serait extremement
curieux d'etudier ces ruines a loisir; nul doute que Ton n'y
fit de precieuses decouvertes. Comme malheureusement mes
minutes etaient comptees, j'ai du me borner & en examiner
quelques parties , en toute hate , et je regrette vivement de
n' avoir pu faire plus. Je me bornerai a signaler un singulier
edifice, construit sur le roc, h cent cinquante metres en avant
de la plate-forme des sacrifices. Ses murailles, formees de gros
blocs, ont un metre trente-cinq centimetres d'epaisseur. C'est
nn carre de dix k douze metres de cote" , sur le cote nord du-
quel est appuyee une abside elliptique de dix metres de pro-
fondeur. Que pouvait 6tre ce batiment? Je 1'ignore. Peut-etre
ce fut une eglise ou une chapelle chretienne.
Comme le temps e"tait loin de s'embellir, nous avons, apres
cette inspection sommaire , pris le parti de dejeuner au plus
vite, afin d' avoir ensuite tout notre temps a donner a 1'etude et
au leve de la grande enceinte. Nous sommes done venus nous
installer sur le gazon, contre Tangle nord-est de ce monument,
au pied d'un petit oualy musulman qui porte le nom :'e ech-
cheikh-Rhanem, et nous nous sommes mis en devoir d'expe-
dier rondement notre repas. De la , nous jouissions d'une vue
magnifique. Nous avions au-dessous de nous les pentes orien-
talesdu Garizim, et, au dela, 1'extremite orientale de la vaste
plaine de la Makhnah,qui n'est que la large vallee que longe la
route de Naplouse a Jerusalem. A. notre gauche, nous voyions le
mont Ebal tout entier, et entre lui et nous se trouvait la riante
vallee de Sichem , dont nous ne pouvions nature! lement aper-
cevoir le fond.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 407
J'ai rarement fait un aussi mauvais dejeuner avec autant de
plaisir. L'abbe, Edouard et moi, nous 6tions dans le ravisse-
ment, en pensant a notre de"couverte si inespere'e , et nous eus-
sions joui du beau spectacle que nous avions sous les yeux, dans
toute la plenitude de notre joie, si de larges gouttes de pluie
n'etaient venues nous avertir que la besogne qui nous restait
a faire , ne serait pas commode a terminer.
Aussitot notre dejeuner fini , nous nous sommes bravement
mis a 1'oeuvre, et, bien qu'interrompus a dix reprises par des
averses glace"es qui nous chassaient dans 1'oualy du Scheikh-
Rhanem, ou deux tailleurs de pierre faisaient quelques re*pa-
rations a un escalier, nous avons reussi a lever tout ce curieux
edifice. En voici les dispositions generates.
Le plan de r enceinte principale est un quadrilatere garni,
aux quatre angles, d' avant-corps carres, en saillie de un
metre quatre-vingt-dix centimetres sur les faces ; celles-ci ont
des dimensions differentes. Ainsi, avant-corps compris, les
deux cotes sud et nord ont soixante-dix-neuf metres de deve-
loppement , et les deux autres faces opposees , soixante-quatre
metres cinquante centimetres seulement, toujours avant-corps
compris. Ces avant-corps formaient probablement des tours
carrees. Sur le milieu de la face sud est etabli un avant-corps
exactement semblable a ceux des angles ; il a comme eux huit
metres de cote, et un metre quatre-vingt-dix centimetres de
saillie. Tous les murs principaux ont un metre trente-cinq cen-
timetres d'epaisseur. La face occidentale n'a pas d'avant-
corps en son milieu, et les avant-corps des angles font saillie
sur elle. La face orientale , au contraire , ne pre~sente aucune
saillie des avant-corps. C'est celui de Tangle nord-est qui a
ete occupe par une construction musulmane, et transform^ en
oualy portant le nom d'ech-cheikh-Rhanem.
An milieu de la face nord est pratiquee, dans 1'axe me"me de
408 VOYAGE EN SYRIE
1' enceinte, une porte de cinq metres quatre-vingt-dix centi-
metres d'ouverture, qui avait, a 1'exterieur, des pilastres carres
de un metre quatre-vingts centimetres de largeur, en saillie,
autant qu'on en peut juger par la base de celui de gauche qui
est reste en place. Gette porte a ete muree posterieurement , et
1'arasement du mur de cloture est en place. A droite et a
gauche de cette grande porte d' entree, etaient, a 1'interieur,
deux pavilions massifs formant loge, de cinq metres quatre-
vingt-dix centimetres de cote, hors ceuvre, et dont les murs ont
egalement un metre trente-cinq centimetres d'epaisseur. On
retrouve a 1'interieur, appuyees centre toutes les murailles de
1'enceinte, de nombreuses chambres datant d'epoques diffe-
rentes , a en juger par la diversite d'epaisseur de leurs parois;
dans les plus anciennes, qui sont presque toutes appliquees
contre la face sud , les murs ont egalement un metre trente-
cinq centimetres d'epaisseur, et celles-la font incontestablement
partie du plan primitif de l'6difice.
Au centre de la plate-forme comprise dans 1'enceinte, etait
un edifice octogonal a 1'interieur, et dont 1'entree correspondait
a 1'entree priricipale de 1'enceinte. Sur les cotes du polygone
adjacents a la face d'entree, etaient etablies des sortes de cha-
pelles, a deux absidioles circulaires, placees aux extremites; la
porte de ces chapel les ouvrait a 1'interieur du batiment octo-
gonal. Les deux cotes paralleles a 1'axe general servaient d'ap-
puis a de grandes absides circulaires. Les deux suivants com-
portaient encore, autant que 1'on peut le deviner en construisant
le plan general d'apres ce qui reste de debris reconnaissables,
des chapelles a double absidiole, et enfin la face du fond, paral-
lele a la face d'entree, devait former une abside circulaire. Cette
disposition alternative est extremement curieuse, et elle a une
assez singuliere analogic avec le plan que presentent le temple
phenicien de Krendi, a Malte, et celui de la Giganteja, a Gozzo,
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 409
Notre guide, en nous amenant sur la place ou etait Tocto-
gone que je viens de decrire brievement , me dit : Ceci est la
Qiblah des Samaritains. (iL-J est un lieu particulier de
prieres, dans la mosquee de Jerusalem et dans celle de la
Mecque.)
A Texterieur de la face nord, une autre muraille d'enceinte,
datant de la meme epoque, s'appuie centre T avant-corps de
Tangle nord-ouest, et s'etend en ligne droite sur une longueur de
cinquante-deux metres, non compris 1'avant-corps de Tenceinte
principale auquel ce pan de mur se rattache. A son extremite
opposee, est appliquee une tour quadrangulaire, ayant cinq
metres soixante-dix centimetres dans oeuvre, sur ses cote's nord
et sud , et seulement trois metres quararite centimetres sur les
deux autres faces. A partir de Tangle nord-est de cette tour,
la muraille, qui en continue la face nord, s'etend parallele-
ment a la face d' entree de Tenceinte principale, sur une lon-
gueur de quarante et un metres; la est placee, en saillie d'un
metre quatre-vingt-dix centimetres, une tour carree de huit
metres quatre-vingts centimetres de cote. Au dela , le mur de
face reprend sur une longueur de vingt-deux metres cinquante
centimetres ; puis il fait un coude brusque et se dirige , en
couronnant les escarpements orientaux du plateau de la mon-
tagne, par une branche oblique de quarante-trois metres, sur le
llancseptentrional de T avant-corps con tenant Toualy du Scheikh-
Rhanem, en laissant a Tangle nord-est de celui-ci, une saillie
d'un metre quarante centimetres.
De Tangle sud-est de la tour carree, placee vers le milieu de
la grande branche septentrionale que je viens de decrire, par-
tait un mur oblique dont il ne reste que de faibles portions et
qui se dirigeait, en se redressanta Test, vers la moitie de sa
longueur, a peu pres perpendiculairement a la face nord de
Tenceinte principale, et a quelques metres a gauche de la
410 VOYAGE EN SYR1E
grande entree. Du point ou cette muraille faisait un angle
pour se redresser, partait un mur allant rejoindre la face orien-
tale de la deuxieme enceinte, a cinq metres au nord de TOualy-
ech-cheikh-Rhanem. Tous les murs que je viens de designer
ont la meme epaisseur d'un metre trente-cinq centimetres.
Dans I'espace vide compris entre la face nord de Tenceinte
principale et la seconde enceinte exterieure, espace qu'oc-
cupe en grande partie un cimetiere musulman, et a vingt-
deux metres en avant, c'est-a-dire au nord de celui-ci, est une
magnifique piscine , aujourd'hui a sec , de trente-cinq metres
de longueur, sur un peu plus de dix-huit metres de largeur;
elle est elle-meme batie en murailles d'un metre trente-cinq
centimetres d' epaisseur. Cette piscine s'appuie centre le mur
occidental d' enceinte. Une muraille posterieure , dont il ne
reste que les arasements, relie la face sud de la piscine a la
face nord de Tenceinte principale, a quatorze metres en avant
de Tangle nord-ouest de celle-ci. Cette muraille avait un
metre dix centimetres d'epaisseur. A treize metres a gauche,
c'est-a-dire a Test, sont les arasements de deux murs paral-
leles d'un metre d'epaisseur, et laissant entre eux un couloir
d'un metre vingt centimetres de largeur. Les traces de ces
deux murs cessent brusquement de paraitre, a quinze metres
a partir de la piscine.
Dans le mur septentrional de la piscine, et a sept metres
de Tangle nord-ouest , est pratiquee une niche parfaitement
taillee, et qui denote une grande habilete" dans la science de
la coupe des pierres. Peut-etre etait-ce un regard par lequel
le trop plein de la piscine pouvait se de verse r dans un puits
place a trois metres a droite, et a quatre metres de distance
de la niche.
Telle est la disposition generate de ce magnifique edifice,
dans lequel je n'hesite pas a retrouver le temple des Samari-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. ill
tains, temple dont je vais tout a 1'heure rappeler 1'histoire.
J'ai dit dejji que la face orientale de cette enceinte etait reel-
lement £ la crete du Garizim et dominait les escarpements
plongeant vers la Makhnah. A onze metres en avant de la base
de cette enceinte, paraissent les traces d'un mur dont quel-
ques blocs sont encore en place. Us sont enormes et portent
deux metres d'epaisseur. II semble qu'un escalier ait ete ap-
puye a ce mur, et Ton en distingue encore quatre ou cinq
marches de cinquante centimetres de largeur. L'axe de cet
escalier, s'il a existe , aurait done ete , en ce point du moins,
dirige" du sud au nord, et par consequent il serait venu du cote
oppose a celui ou se trouve Naplouse.
Ai-je besoin de dire tout ce que rev61eraient de faits curieux
des fouilles intelligentes executees sur ce plateau, si elles
etaient praticables.
Nous avions, on le devine, passe quelques heures bien
employees, a relever toutes les mesures ne"cessaires ; 1'abbe,
Edouard et Philippe m'avaient si bien aide de toutes leurs
forces , qu'enfm , malgre la pluie , je tenais le plan de ce
monument curieux. Une fois notre butin acheve, nous son-
geames a la retraite et nous regagnames Naplouse sous une
pluie battante, fort heureux d'avoir paye par un peu de
fatigue et beaucoup d'humidite , un fait archeologique que
j'avais le droit de considerer comme de la plus grande impor-
tance l.
Au retour, j'etais tellement preoccupe des ruines que je
venais de visiter, que j'envoyai Matteo saluer de ma part le
grand pretre des samari tains et lui demander comment s'ap-
pelait la ville ruinee qui avait existe sur le sommet du Gari-
zim. 11 revint bientot et me rapporta le nom que je voulais
1. Voyez pi. xivu.
«« VOYAGE EN SYR1E
connaitre, et que ni les musulmans ni les Chretiens n'etaient
en mesure de me donner. Ce nom etait Louzah! Je pensai
immediatement a Beit-el , dont le nom primitif avait ete Louz
ou Louzah, et je me figurai & tort que la veritable Beit-el
pourrait bien avoir existe au sominet du Garizim. J'ai con-
serve assez longtemps ce doute, qui s'est e"vanoui depuis mon
retour, devant le fait suivant. Saint Jerome, dans rOnomasti-
con, cite une Aoi»;a placee pres de Sichem, a la troisieme
pierre milliaire & partir de Naplouse. C'e'tait incontestable-
ment ma ville ruinee du sommet du Garizim.
Rappelons maintenant en quelques mots 1'histoire de Sichem
et de Naplouse, puis nous nous occuperons de celle du Gari-
zim. Sichem (DDK' de 1'ficriture sainte) a etc" remplacee par
Neapolis, qui est devenue la Naboulis des Arabes et la Na-
plouse des Francs; mais ces deux villes n'etaient pas exacte-
ment au meme point. II n'y a pas de doute a conserver sur ces
deux faits. Ainsi Epiphanius l et saint Jerome a se servent de
1'expression : Sichem , qui est maintenant nommee Neapolis.
Eusebe, dans 1'Onomasticon, dit positivement : Sichem, pres
de Neapolis, ev Ztxipi;, i&nffiov Nea? TroXew; (ad VOCem Tepe-
£ivGo$), et ailleurs (ad vocem 2t%£{/.) : on en montre la place
dans les faubourgs de Neapolis (AewcvuTat o TOTCOC ev
Nsa? TCoXew?) ; enfin au mot Aoi£a, Eusebe dit I
Zuxsfx aTTo '6 p.ewu Nea; TroXeco?, elle est placee pres de Sichem,
au neuvieme mille a partir de Neapolis. Saint Jerome a cor-
rige ce passage qu'il traduit : « juxta Sichem in tertio lapide
Neapoleos. » Peut-etre cette premiere correction n'est-elle pas
suffisante encore, et faudrait-il lire 6' au lieu de y' dans le
texte d' Eusebe, ce qui serait plus en rapport avec la veritable
distance de Louzah a Naplouse, et ce qui expliquerait en
1. Adv. Haereses, lib HI, p. 1055 et 1068.
2. Ep. 86, epitaph. Paulae.
KT AUTOUR DE LA MER MORTE. 413
qnolque sorte 1'erreur du copiste, qui aura pris un B pour un e,
bien plus aisement qu'un r, dont le trace n'a aucun rapport
avec le 0. Quoi qu'il en soit, il parait bien clair que Sichem
n' etait pas sur 1'assiette actuelle de Naplouse, et je suis assez
dispose & supposer cette ville antique a 1'entree meme de la
vallee de Sichem, vers le point ou sont places par la tradition,
le puits de la Samaritaine, le champ de Jacob et le tombeau de
Joseph. L'historien Josephe ' nous apprend que de son temps
Weapon's etait nominee par les indigenes Mabortha.
En aucun endroit 1'Ecriture ne dit explicitement que Sichem
etait voisine des monts Garizim et Ebal ; seulement dans le
Deuteronome (xi, 80) , on voit que ces montagnes sont pro-
ches du Bocage de Mourah , et la Genese (xn, 16) nous dit :
Abram traversa le pays jusqu'a la contree de Sichem, jusqu'au
Bocage de Mourah : ce qui demontre implicitement le voisinage
de Sichem et des deux montagnes saintes. Le patriarche Jacob,
venant de Padan-A.ram, arriva a Sichem, y campa et acheta
des fils de Hemour, pere de Sichem, la piece de terre ou il avait
dresse sa tente a. Dinah, fille du patriarche, fut enleve"e par
Sichem, fils de Hemour, chef du pays 3. Hemour vint alors de-
mander a Jacob la main de Dinah pour son fils , en lui offrant
une alliance entre les deux races. Les fils de Jacob accepterent,
mais a la condition que Hemour et les siens se feraient cir-
concire. Geux-ci y consentirent, et le troisieme jour, lorsque
tous les hommes etaient souffrants des suites de I'op^ration
qu'ils avaient subie, Simeon et Le"vi, a 1'insu de leur pere,
prirent leurs glaives, tomberent sur la ville qui etait en se'curite,
et tuerent tous les males 4; puis ils pillerent la ville, biens et
1. Bell. Jud., iv, 8,- 1.
2. Gen., xxxiii, 19.
3. Gen., xxxiv, 2 etsuiv.
4. Genese, xrxiv, 25.
Hi VOYAGE EN SYRIE
bestiaux, et firent captifs les femmes et les enfants. Cette abo-
minable infamie fut ainsi reprochee a ses fils par Jacob : —
30. Jacob dit k Simeon et a Levi : Vous m'avez afflige, en me
mettant en horreur aux yeux des habitants du pays, des Ra-
naaneens et des Pherisim ! J'ai si peu de monde ; ils pourraient
bien s' assembler centre moi et me f rapper : alors ils me de-
truiront moi et ma maison. — Plus tard, Jacob ayant assemble
ses enfants, pour leur predire 1'avenir de chacun, reprocha
plusa increment a ses deux fils, Simeon et Le~vi, leur brutale
colere T : — 7. Que leur colere soit maudite , car elle est vio-
lente, et leurfureur, car elle est affreuse ; je les diviserai en
Jacob, et je les disperserai en Israel.
Longtemps apres, lorsque Jacob habitait pres d' Hebron,
ses fils, etant alles conduire ses troupeaux du cote de Sichem,
y vendirent leur frere Joseph, qui etait venu les rejoindre pres
de Dothaim 2. Une caravane d'Ismaelites, se rendant en
Egypte, acheta Joseph, et 1'on sait a quel degre de puissance
le fils de Jacob fut eleve7 dans ce pays. Lors de la conquete
de la terre promise, Josue, apres le sac de Jericho et de Ai',
vint, suivant 1'ordre qu'en avait donne Moyse, construire un
autel sur le mont Ebal, et faire proclamer les benedictions et
les maledictions de 1'Eternel, par le peuple d' Israel. J'ai dit
combien il etait singulier que 1'autel de Jehovah eut ete eleve
sur la montagne de la Malediction. Les Samaritains sont du
meme avis , car le texte samaritain du Pentateuque porte que
1'autel de 1'fiternel dut etre et fut construit sur le Garizim.
En consequence , ils accusent les Juifs d' avoir altere sciem-
ment le texte sacre en ce point, comme en beaucoup d'autres;
c'est done bien legitimement a leurs yeux que la Harakah est
1. Gen., XLIX.
2. Gen., xxxvii, 17.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 415
I'autel eleve par 1'ordre meme de Josue, lors de cette impo-
sante c£remonie.
Sichem, sur la montagne d'fiphralm ', fut une des trois
villes de refuge placees sur la rive droite du Jourdain. On salt
que les deux autres etaient Rades et Kiriath-Arbaa ou Hebron.
Abimelek, fils naturel de Gedeon et d'une concubine, sac-
cagea la ville de Sichem, apres avoir assassin^, a Ophrath,
soixante^dix de ses freres. L'un d'eux, Jotham, ayant £chappe"
au carnage, reprocha aux Sichemites d'avoir pris Abimelek
pour roi. — « II alia, se placa sur le sommet dtt mont Garizim,
eleva la voix et les appelant, il dit : « ficoutez-moi , habitants
« de Sichem , et Dieu vous ecoutera aussi. » Ce texte prouve &
merveille qu'au sommet du Garizim on etait bien pres de
Sichem, quand bien m£me il ne devrait pas 6tre pris a la
lettre.
Josephe raconte ce fait de la maniere suivante : « Joatham,
montant sur le sommet du Garizim (qui domine la ville de
Sichem) et elevant la voix afin de pouvoir £tre entendu, le
peuple fit silence pour 1'ecouter, etc. » 11 est bien Evident que,
pour Josephe, Sichem ne pouvait etre dans la vallee et
Joatham sur le sommet du Garizim. Pour lui , Sichem etait £
portee de voix humaine de ee sommet ; si Sichem n^tait pas
ou sont les ruines de Louzah, je defie qu'on explique ce pas-
sage et le passage correspondant de 1'Ecriture Sainte.
Apres la mort de Salomon, Roboam alia a Sichem, car
c'est a Sichem que s' etait rendu tout Israel pour Tetablir roi 3.
La eut lieu la rebellion des dix tribus. Roboam fut oblige de
s'enfuir a Jerusalem, et Jeroboam fut nomme roi d'Israel.
Les tribus de Juda et de Benjamin resterent seules fideles a
1. Josu6, xx, 7.
2. Juges, «, 7.
3. Rois, xii, 1 .
i16 VOYAGE EN SYRIE
Roboam. — Alors Jeroboam batit Sichem sur la montagne
d'Ephrai'm et y demeura. 11 sortit de la et batit Fenouel '. —
Ne semble-t-il pas resulter de ce verset aussi-bien que de celui
ou il est question du discours de Jotham, frere d'Abimelek,
que Sichem etait reellement sur la montagne, et non dans la
vallee si creuse de Naplouse? Je laisse a de plus habiles a le
decider , bien que je sois assez tente de croire que la Sichem
primitive etait placee ou sont aujourd'hui les mines de Louzah,
au sommet du mont Garizim.
Lorsque le roi d'Assyrie Salmanazar eut emmene les dix
tribus en captivite, les Cutheens envoyes de Perse pour les
remplacer, s'etablirent autour de Sichem qui devint le centre
de leur foi , si bien que Naplouse est encore la metropole reli-
gieuse de leurs descendants. Les Cutheens etablis dans la
Samarie, etant decimes parune peste, furent avertis par un ora-
cle, qu'il n'y aurait de salut a espe>er pour eux , que s'ils ren-
daient un culte au Dieu souverain qui, avant leur venue, etait
adore dans ce pays. Us ecrivirent en hate une supplique au
roi d'Assyrie, pour qu'il leur envoyat, d'entre les captifs trans-
portes en Assyrie, quelques pretres qui pussent les instruire
dans le nouveau culte a adopter. Leur priere fut ecoutee favo-
rablement, et le rit samaritain du culte judai'que fut etabli a
partir de ce moment 2.
Au retour de la captivite de Babylone et au moment de la
reconstruction du temple de Jerusalem par Zorobabel, les
Samaritains demanderent aux Juifs a participer a cette recon-
struction, ce qui leur fut refuse formellement 3. Us firent alors
des demarches aupres des rois Achemenides, pour entraver les
projets de Zorobabel et des Juifs revenus dans leur pays.
1. 1 Rois, m, 25.
2. Jos., Ant. Jud., ix, xiv, 3.
3. Esdras., iv, 1 et suiv.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 417
Leurs intrigues furent d'abord couronnees d'un entier suc-
ces, et les travaux longtemps interrompus , ne furent repris que
la deuxieme annee du regne de Darius, mais menes cette fois a
bonne fin. De ce moment, une inimitie complete re"gna entre les
Samaritains et les Juifs. Aussi, lorsque 1'empire Ach&menide eut
ete renverse par Alexandra le Grand, les Samaritains sollicite-
rent du conquerant, I'autorisation de batir pour eux, sur le
mont Garizim, un temple, rival de celui de Jerusalem. Voici
comment la chose est racontee par Josephe.
Apres la mort du grand pretre Jean, Yaddous son fils fut
revetu du souverain pontificat. Yaddous avait un frere nomme
Manasses. Le Cutheen Sanaballete, qui, par consequent, avait
une origine commune avec les Samaritains , et qui avait ete
investi , par Darius, de la satrapie de Samarie, donna, par
ambition, sa fille Nicaso en mariage a Manasses '. Ce fut vers
cette epoque que Philippe, roi de Macedoine, ayant e"te assas-
sine , son fils Alexandre prit la couronne et commenca sa vie
de conquerant , en s'emparant de I'lonie, de la Carie, de la
Lydie et de la Pamphylie a.
A Jerusalem , les membres du conseil s'indignaient de voir
Manasses, epoux d'une Persane, prendre part aux ceremonies
religieuses, dans lesquelles il devait assister le grand pretre ,
son frere. Us en vinrent a exiger de lui qu'il divorcat, ou qu'il
renoncat a s'approcher de I'autel. Yaddous, lui-meme, prenait
parti pour le conseil centre Manasses. Celui-ci vint alors au-
pres de Sanaballete, son beau-pere; il lui peignit la situation
fausse dans laquelle il se trouvait, et, tout en protestant de son
amour pour sa femme, il lui declara qu'il ne voudrait pas,
a cause d'elle, perdre ses droits au sacerdoce qui etait la
1. Ant. Jud., xi, VH, 2.
2. Aut. Jud., xi, VIH, 1.
ii. 27
-
418 VOYAGE EN SYRIE
plus grande des dignites, et qui devait rester dans sa famille.
Sanaballete lui repondit que, s'il consentait a garder sa femme,
non-seulement il iui conserverait le sacerdoce, mais qu'il lui
ferait meme obtenir le souverain pontifical ; il ajouta qu'il ferait,
avec 1'assentiment de Darius , batir sur le mont Garizim, qui
est la plus haute des montagnes de la Samarie, un temple sem-
blable a celui de Jerusalem. Le satrape s'engagait, en outre, a
laisser a son gendre la Satrapie dont lui-meme etait investi.
Manasses, louche par 1'eclat de ces promesses, conserva
Nicaso pour femme, et, comme beaucoup d' Israelites, et de
pretres meme, etaient engages dans des manages inortho-
doxes, de grandes dissensions surgirent dans Jerusalem, les
uns tenant pour le grand pretre Yaddous et ses adherents,
les autres pour Manasses et le satrape son beau-pere '.
Sanaballete avait annonce a Manasses qu'une fois Alexandre
vaincu par Darius, le moment serait opportun pour obtenir du
Roi des rois, tout ce qu'il lui avait promis. II attendait done la
defaite des Macedoniens. Ce fut precisement le contraire qui
arriva. L'armee innombrable des Perses fut battue a plate
couture, et Darius prit la fuite, laissant entre les mains du
vainqueur, sa mere, sa femme et ses enfants. Apres ce succes,
Alexandre fit une pointe en Syrie, forcaDamas et Sidon, et vint
assieger Tyr ; de la , il manda au grand pretre Yaddous de lui
envoyer des auxiliaires et de lui payer le tribut qu'il avait jus-
que-la paye au roi des Perses. Yaddous repondit qu'il s'e"tait
engage par serment a ce que son peuple ne porterait jamais
les armes contre Darius, et que, tant que celui-ci serait vivant,
il ne pouvait violer la foi juree. Alexandre, furieux, lui fit dire
alors que sitot qu'il en aurait fini avec Tyr, il irait, a la tete
de son armee, lui faire une visite a Jerusalem, pour lui ap-
1. Ant. Jud., xi, VHI, 2.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 4<9
prendre a mieux choisir, une autre fois, les gens avec lesquels
il se lierait par serment inviolable '.
Sept mois apres, Tyr tombait au pouvoir d'Alexandre ;
apres deux autres mois , Gaza subissait le meme sort , et le roi
de Macedoine paraissait devant les portes de Jerusalem. J'ai
raconte ailleurs, avec details, Fentrevue d'Alexandre et du
grand pretre, je n'ai done pas a y revenir ici.
Sanaballete , lorsque Alexandre commenca le siege de Tyr,
comprit que le moment etait venu de trahir son maitre, en
tirant profit de sa trahison. II se rendit au camp du roi de Ma-
cedoine et lui fit sa soumission. Se voyant recu avec satisfac-
tion , il prit plus d'assurance encore et aborda le veritable but
de sa defection. II dit au monarque qu'il avait pour gendre
Manasses, frere de Yaddous , pontife de Jerusalem ; que Ma-
nasses avait, parmi les Juifs, un grand parti d'hommes qui
desiraient batir un autre temple , dans les terres soumises a
sa domination; qu'il etait tres-important pour lui de donner
son assentiment a ce projet , parce que c' etait diviser la na-
tion juive et, par consequent , la rendre plus aisee a gouver-
ner. Alexandre se laissa convaincre et accorda a, Sanaballete
la permission que celui-ci demandait. Aussitot, le satrape se
mit a I'o3uvre, et poussa les travaux en toute diligence; le
temple construit, Manasses fut investi du souverain pontificat.
Sanaballete mourut neuf mois apres , au moment ou la ville
de Gaza venait de succomber devant l'arme"e d'Alexandre 2.
Quand les Samaritains virent avec quelle bonte les Juifs
de Jerusalem avaient ete traites par Alexandre, ils deciderent
qu'ils se feraient passer pour Juifs, aux yeux du roi, afm de
tirer parti, pour leur compte, de sa generosite et de sa bien-
veillance. Ges Samaritains avaient alors pour capitale Sichem,
1. Ant. Jud., xi, VHI, 3.
2 Ant. Jud., xi, VIH, 4.
420 VOYAGE EN SYRIE
ville situee devant le mont Garizim et peuplee par des Juifs
apostats ( [XTiTpoiTO^iv TOTS TTJV Sixijxa e^cvTS? , xa[A£v/iv Tupo? TO>
rapt&lv 6'pei). Us avaient, en effet, pris depuis longtemps 1'ha-
bitude de se declarer Juifs, toutes les fois que les affaires de la
nation juive prenaientune tournure favorable, et de nier qu'ils
eussent rien de commun avec elle , aussitot que 1' horizon ju-
da'ique se rembrunissait. line deputation samaritaine accourut
done, en grande pompe, au-devant d'Alexandre, jusqu'aupres
de Jerusalem , amenant le contingent d'auxiliaires que Sana-
ballete envoyait au roi. Comine le monarque les remerciait de
cette marque de soumission et de deference , les envoyes le
supplierent de visiter leur ville, et d'honorer leur temple
de sa presence. II leur promit de le faire aussitot qu'il serait
revenu de 1'expedition dans laquelle il allait s'engager. Les
deputes samaritains parlerent alors de 1' exemption du tribut,
chaque septieme annee, et Alexandre leur demanda qui ils
etaient pour lui adresser une semblable requete. — Nous
sommes Hebreux, repondirent-ils, et on nous appelle les Sido-
niens de Sichem. Alexandre insista : Enfin, etes-vous Juifs?
leur dit-il. Et, comme ils avouaient qu'ils ne 1'etaient pas, —
Ce que vous me demandez, ajouta-t-il, je ne I'ai accorde qu'aux
Juifs. Gependant , quand je serai de retour , et que je saurai
mieux a quoi m'en tenir sur votre compte, je verrai ce que
j'aurai a faire. Ce disant, il les congedia. Quant aux auxiliaires
de Sanaballete, il leur donna 1'ordre de le suivre en Egypte,
avec la promesse de leur distribuer des terres dans ce pays.
C'est ce qu'il fit en effet, quelque temps apres, en les chargeant
de la garde de la Thebai'de f.
Lorsque apres la mort d'Alexandre, son empire eut ete par-
tage entre ses generaux, le temple du Garizim continua a
1. Ant. Jud., xi, viii, 6.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 421
subsister, et la population des Sichemites a se recruter de tous
les Juifs qui etaient chasses de Jerusalem , pour avoir mange
des mets impurs, pour avoir viole le sabbat ou pour avoir
commis quelque delit du meme genre *.
Longtemps apres, lorsque Antiochus Epiphane se fut, sans
coup ferir, empar6 de Jerusalem et 1'eut mise deux fois au
pillage (en 143 et en 145 de 1'ere des Seleucides), les Samari-
tains, redoutant pour eux-memes un sort semblable, adresserent
une supplique a Antiochus, pour lui exposer qu'ils n' etaient,
etn'avaientjamais ete Juifs, mais qu'ils etaient Sidoniens d'ori-
gine; que leurs ancetres avaient cru se debarrasser d'epidemies
cruelles qui les avaient frappes coup sur coup, en adoptant
1'antique superstition du pays, telle que la celebration de la
fete que les Juifs appellent sabbat; qu'un temple anonyme
ayant ete construit sur le mont que Ton appelle Garizim, ils
y offraient solennellement des sacrifices a un Dieu inconnu ;
qu'en consequence, voulant adopter le culte des Grecs, ils
suppliaient le roi de ne pas les confondre avec les Juifs, dans
le juste chatiment des crimes de ceux-ci, et de leur permettre
de dedier leur temple a Jupiter Hellenien.
Antiochus s'empressa de leur faire repondre qu'il leur
accordait leur demande et qu'il les autorisait a dedier leur
temple a Jupiter Hellenien. Gette reponse etait datee du 12
du mois hecatombaeon de 1'an 146 de 1'ere des Seleucides a,
Le temple du Garizim n'eut que deux cents ans d' existence.
« Jean Hyrcan s'empara de Sichem et du Garizim, et il soumit
« la nation des Gutheens, qui exergait son culte dans un temple
« semblable a celui de Jerusalem, temple qu'Alexandre le
« Grand avait autorise Sanaballete a construire , en faveur de
«son gendre Manasses, frere du grand pretre Yaddous, ainsi
1. Ant. Jud., xi, vni, 7.
2. Ant. Jud., XH, v, 5.
422 VOYAGE EN SYRIE
« que nous Tavons raconte plus haut. II arriva done que ce
« temple fut devaste apres avoir dure deux cents ans. » l
Nous sommes maintenant fixes sur 1'epoque de la construc-
tion, sur la duree et sur la destruction du temple construit
par les Samaritains sur le mont Garizim. La venue d'Alexandre
devant Jerusalem eut lieu en 332 avant 1'ere chretienne; en
135 avant Jesus-Christ, Jean Hyrcan fut investi du souverain
pontificat ; c'est au plus tot vers la fin de la deuxieme annee
de son regne, c'est-a-dire en 132, qu'il detruisit le temple
du Garizim ; le calcul de Josephe , qui donhe deux cents ans
d' existence a ce temple, est done parfaitement juste. Antiochus
Epiphanes devint roi en 175 avant Jesus-Christ ; c'est done
dans le voisinage de cette annee, que le temple du Garizim fut
consacre a Jupiter Hellenien.
Passons maintenant aux epoques plus recentes. Les Sama-
ritains, refugies sur le mont Garizim, y furent attaques
par 1'ordre de Vespasien. Cerealis, prefet de la cinquieme
legion , avec six cents cavaliers et trois mille fantassins ,
attendit que la soif eut abattu la multitude refugiee sur la
montagne, car le lieu manquait d'eau, et on etait au fort
des chaleurs de 1'ete. Le Garizim fut alors gravi par les
Romains, et les Samaritains, sommes de se rendre, ayant
refuse de deposer les armes , furent passes au fil de 1'epee, au
nombre de dix mille six cents2. Procope3, raconte que, sous
le regne de Zenon , les habitants de Neapolis assaillirent les
Chretiens qui celebraient la fete de la Pentecote , et couperent
les doigts des mains a 1'eveque Terebinthus, qu'ils trouverent
distribuant la communion aux fi deles. Le pre"lat se refugia
aupres de Fempereur et implora son assistance. Zenon, pour
1. Ant. Jud., XIH, ix, 1.
2. Bell. Jud., in, VIH, 32.
3. De apdif. Just., lib. v, cap. VH.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 423
punir un semblable mefait , chassa les Samaritains du mont
Garizim, et y fit batir une e"glise de Sainte-Marie, qu'il entoura
d'une enceinte faite simplement en pierres amoncelees. Une
forte garnison fut placee dans la ville d'en bas, mais dix
hommes seulement furent preposes a la defense du mur supe-
rieur. Sous le regne d'Anastase, les Samaritains gravirent la
montagne par les escarpements qui n'etaient pas garde's, et
ils s'en emparerent de vive force. Le prefet de la province fit
aussitot saisir et mettre a mort ceux qui s'etaient rendus cou-
pables de cet attentat. Enfin Fempereur Justinien entoura
Teglise du Garizim , d'une autre muraille tout a fait a 1'abri
d'un coup de main, et il fit retablir cinq eglises chretiennes
qui avaient ete incendiees dans la ville. Ceci se passait en
mai 529. (Gyrille de Scythopolis, histoire de Saint-Saba. )
Nous lisons dans 1'Itineraire de Bordeaux a Jerusalem :
Civitas Neapolis. Ibi est mons Agazaren ; ibi dicunt Samaritani
Abraham sacrificium obtulisse, et ascenduntur usque ad sum-
mum montem gradus num. ccc. Inde ad pedem montis ipsius
locus est, cui nomen est Sechim. Ibi positumest monumentum,
ubi positus est Joseph, in villa quam dedit ei Jacob pater ejus.
Inde rapta est Dina filia Jacob a filiis Amorrseorum. Inde pas-
sus mille, locus est cui nomen Sechar, unde descendit mulier
Samaritana, ad eumdum locum, ubi Jacob puteum fodit, utde
eo aqua impleret (sic) , et Dominus Noster Jesus-Christus cum
ea locutus est; ubi sunt arbores platani quos plantavit Jacob,
et balneus qui de eo puteo lavatur.
Ce passage extremement curieux nous fournit plusieurs sujets
d' observations. Pour le pelerin, d'abord, Sichem (qu'il faut
restituer a la place de Sechim), et Sechar, sontdeux lieuxdif-
ferents. Mais cette distinction n'est pas admissible, Sichem et
Sechar etant certainement la meme localite '. Le puits de la
1 . Void re que (lit saint Jerftme. A ce propos : Transivit Sirhem , nnn nt pie-
424 VOYAGE EN SYRIE
Samaritaine et le tombeau de Joseph sont tres-pres 1'un de
1'autre, et c'est a mille pas de 1& que se trouve la Sechar, d'ou
etait descendue la Samaritaine venue au puits de Jacob '. Avec
de semblables indications, il est difficile de ne pas reconnaitre
cette Sichar dupelerin, dans la Louzah du mont Garizim. Enfm
pour monter de Neapolis au temple du Garizim, le pelerin
nous apprend qu'il y avait, de son temps, un escalier de trois
cents marches. Ce nombre, commencons par le dire, est ridi-
cule et impossible , si le temple etait au sommet , et il y etait
en effet, ainsi que nous le verrons tout h. 1'heure. Le Garizim a
certainement une hauteur de cinq a six cents metres au-dessus
de 1'assiette de Naplouse; des lors il est bien evident que ce
n' etait plus par centaines qu'il fallait compter les inarches de
1'escalier conduisant a ce temple. Je proposerais done de lire
quinze cents au lieu de trois cents , et je suis convaincu que
Ton se rapprocherait alors de la verit6.
II n'est pas possible de conserver de doutes sur 1'existence de
cet escalier giganiesque, et voici pourquoi : On connait de ma-
gnifiques medailles imperiales d'Antonin le Pieux, frappees h
Neapolis, et qui represented le mont Garizim avec son temple.
Certainement ce n' etait pas le temple detruit par Hyrcan, mais
quelque temple du paganisme qui avait pris la place du pre-
mier. Quiconque a vu Naplouse et le Garizim sera frappe de
1'exactitude, pour ainsi dire minutieuse, de la vue que presen-
tent ces rares et belles medailles. Or, le detail qui saute imme-
diatement aux yeux, c'est 1'existence d'un immense escalier
qui monte directement de la ville basse au portique du temple.
Celui-ci est muni d'une enceinte, £ I'extremit6 sud de laquelle
se montre une haute tour, et je ne doute pas qu'il ne faille
rique errantes legunt Sichar, quae nunc Neapolis appellatur ( ep. 85, Epitaph.
Paulae).
1. Evangilede saint Jean, chap. iv.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 425
y reconnaitre la tour carree qui etait place"e au milieu de la
face sud de 1'antique enceinte que j'ai decrite plus haut. De
plus, la gorge par laquelle je suis parvenu au sommet du Ga-
rizim, est admirablement mise a sa place sur la medaille, et le
haut de cette gorge est garni de deux tours dont j'aurais tres-
probablement retrouve les bases, si j'avais alors connu ce
detail. Quoi qu'il en soit, il est certain que 1'escalier dont parle
le pelerin de Bordea'ux, et qui existait des le temps d'Antonin,
existait encore, en 333.
Le savant Robinson l s'expriine ainsi sur le compte des ruines
que j'ai longuement decrites, et que son guide samaritain lui
avait nominees el-Qalaat, le chateau : « This was probably the
« fortress, the ruins of which are still seen upon the mountain,
« bearing every mark of a romain origin ». Je ne saurais abso-
lument partager cette opinion. Une forteresse n'est forteresse
qu'a la condition de pouvoir etre defendue, c'est-a-dire d'etre
construite dans un but de defense; or, je le demande, com-
ment defendre une muraille sans parapet, et centre laquelle
s'appuient partout des appartements. Dans une semblable cita-
delle, la garnison eutete reduite a se croiser les bras, en lais-
sant les assaillants s'approcher des murs et faire breche par-
tout ou ils le voudraient, sans qu'elle put en aucune facon s'y
opposer. Je le declare done sans aucune espece d'hesitation,
cet immense monument est bien certainement 1' enceinte du
temple bati par Sanaballete, avec 1'autorisation d'Alexandre
le Grand; et 1'octogone, qui etait le sanctuaire, profane pro-
bablement par la statue de Jupiter Hellenien, aura ete rase
par 1'ordre d'Hyrcan, tandis que 1'enceinte elle-meme etait
traitee un peu moins rigoureusement.
Je ne doute pas que quiconque examinera, sans parti pris
\. Bibl. Res. in Palest., t. Ill, p. 124.
426 VOYAGE EN SYRIE
d'avance, le plan de cet edifice, demeurera parfaitement con-
vaincu que la n'a jamais ete one construction militaire, mais
bien une construction religieuse. Le temple de Sanaballete
e"tait bati a 1'instar de celui de Jerusalem, et effectivement on
reconnait une singuliere analogic dans les dispositions gene-
rales des deux plans. Ainsi , la grande piscine du temple du
Garizim est placee exactement comme 1'etait, par rapport au
temple de Jerusalem, la piscine Probatique, qu'il ne faut pas,
ainsi que je Pai fait voir, confondre avec la piscine actuelle-
ment nomme'e Birket-Israi'l , et qui n'est que la Bethesda de
1'Evangile.
On me permettra, j'espere, de me feliciter d'avoir pu lever
avec soin le plan du temple samaritain, et de croire, que la
conquete de ce plan curieux valait a elle seule le voyage pe-
nible que j'ai entrepris.
Nos amis sont revenus de Sebastieh tout aussi trempes que
nous. Le capitaine Wolf est furieux du retour de la pluie , et
bien qu'il ne soit que depuis vingt-quatre heures a Naplouse,
il commence deja a y trouver le temps bien long. Demain , s'il
fait un temps pareil , nous serons evidemment dans 1'impossi-
bilite de nous remettre en route. Mais je n'en suis pas trop
fache pour ma part ; ce retard force" me permettra de mettre
en ordre mes notes sur le Garizim, et 1'abbe, de son cote,
aura le temps de changer de papier les plantes de ses der-
nieres herborisations.
25 FEVRIER.
Nous avons bien fait hier de ne pas donner d'ordres pour
le depart. 11 a plu toute la nuit, et ce matin il pleut encore, de
telle facon, qu'il semble que le ciel soit en train de se fondre.
J'ai pris bravement mon parti et je mets au net le beau
plan du temple retrouve par nous au sommet du Garizim.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 427
Ge n'est pas une petite affaire. Ce travail m'a de"ja pris quel-
ques heures, lorsque je m'apercois que 1'un des cotes de
1' enceinte a etc mal oriente sans aucun doute, et que le coup
de boussole qui en fixe la direction, doit etre faux. Me voila
desespere, et maudissant le mauvais temps qui me cloue au
logis, et qui m'empeche de rectifier une erreur palpable. II est
dur de quitter Naplouse, en pensant que faute d'un seul coup
de boussole, tout mon travail de deux longues journees sera a
peu pres perdu.
J'ai deja dit qu'fidouard est pre"t a tout, quand il s'agit
de braver pluie, fatigue et danger, pour me fournir un rensei-
gnement essentiel. II fait done seller son cheval et celui de son
fidele Philippe ; il prend ma boussole , et se fait bien indiquer
par moi ce qu'il a a faire la haut ; chacun des deux cavaliers se
munit d'une paire de pistolets et les voila partis tous deux, sous
une pluie battante. Deux heures apres, ils etaient de retour,
mouilles h tordre, et crottes jusqu'au collet de leur habit ; mais
1'erreur etait reconnue et rectifiee, et j'avais enfin mon plan du
temple. On peut bien penser combien je fus et je suis encore
reconnaissant de cette precieuse marque d'amitie.
Pendant que je fmissais mon dessin, MM. Hubeau, Delille
et Wolf sont venus nous voir, et pour tuer le temps, une partie
de whist a e"te" organisee. Apres mon travail acheve\ j'ai moi-
meme pris ma part de cette ressource contre 1' ennui ; puis j'ai
ete me mettre a la disposition de 1'abbe" , pour Taider a passer
la revue de son herbier. Apres le diner, nous avons continue^ ,
et nous ne nous sommes couches, que lorsque toute cette longue
et fastidieuse besogne a ete terminee. Helas ! helas ! beaucoup
de plantes sont perdues; faute d'avoir ete changeesen temps
opportun, elles se sont pourries, en pourrissant meme le papier
qui les contenait.
Pourrons-nous partir demain? A la grace de Dieu !
428 VOYAGE EN SYRIE
26 FEVR1ER.
Une fois de plus, la Providence s'est chargee d'aplanir les
difficultes qui se dressaient devant nous, pour entraver la con-
tinuation de notre voyage. Pendant que nous dormions, les
nuages se sont dissipes, le ciel est redevenu pur, et ce matin,
au petit jour, Matteo nous a prevenus de cet heureux change-
ment de temps. Immediatement 1'ordre du depart a ete donne
a tout le monde ; les bagages ont ete emballes, les chevaux de
charge amenes h notre porte, avec nos chevaux de selle , et
pour eviter 1'ennui d'attendre que nos moukres eussent fini leur
besogne, nous nous sommes hates de partir les premiers, lais-
sant k Matteo le soin de diriger et de surveiller le depart du
reste de la caravane.
De tres-bonne heure nous etions en route, par le plus beau
temps du monde. Nous avons traverse une fois de plus le bour-
bier qui coupe la route , au fond de la vallee de Naplouse ,
sur la rive gauche du beau ruisseau qui 1'arrose, et nous avons
immediatement gravi le flanc septentrional de cette vallee.
C'est la route de Djenin que nous suivons, et cette route, on se
rappelle que nous ne 1' avons parcourue qu'ci nuit close, dans
la soiree de malheur ou nous avons tue un homme, pres de
Djebaa.
Arrives sur le plateau, nous trouvons un sol jonche de debris
antiques de toute nature , et entre autres de gros cubes de
mosai'que primitive. Pres de lei , les rocs qui affleurent sont
tailles en caveaux et en citernes. 11 est done bien evident que
nous sommes sur remplacement d'une ville antique. Quelle
fut-elle? c'estce que j'ignore completement. Ce que je sais seu-
lement, c'est que le chemin qui traverse cet emplacement se
nomme Kallabat-Esnabar. J'avoue tres-humblement que ce
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 439
nom que je me suis fait re"peter dix fois, et que j'ai e"crit imme-
diatement, pour etre bien sur de sa correction, ne m'a rjen
•appris du tout, et que de plus, je n'ai pas pu en de"meler le
sens.
II a bien exists une Sennabris, mais elle £tait entre Beysan
(Scythopolis) et Tabarieh (Tiberiade) et a trente stades seu-
lement de cette derniere ville ; il n'y a done rien de commun
entre Esnabar et la Sennabris de Josephe '. Peut-etre y a-t-il
eu, comme cela arrive pour tant d'autres localites de la terre
sainte, deux villes du nom que les Grecs ont transcrit Senna-
bris. Alors celle que nous venons de rencontrer, serait 1'une
d'elles.
Nous avons traverse de nouveau Fespece de defile ou, il y
a quelques semaines , Mohammed a tue un Arabe , et nous
avons tous parfaitement reconnu la place maudite, bien que
nous ne 1'ayons vue qu'a nuit close. Mais on peut avouer sans
honte et sans scrupule, que Ton ouvre, en pareil cas, des yeux
assez grands pour que Ton puisse, a deux mois de la, se rap-
peler le terrain que Ton a regarde avec une inquietude fort
legitime. A propos de notre homme , nous en avons eu des
nouvelles a Naplouse, et notre hote nous a raconte que nous
1'avions 6chappe belle, a notre premier passage; qu'une dizaine
de coquins, alleches par la vue de nos bagages, nous avaient
tendu une petite embuscade , mais qu'ils s'etaient adresse's a
un detachement de cavalerie turke (precisement celui qui nous
avait depasses a Sanour, et avait fait halte a Djebaa), le pre-
nant pour notre bande ; qu'un des voleurs avait recu dans les
reins une balle qui etait ressortie par Taine droite, et 1'avait
tue raide; que des lors ses compagnons avaient juge mal-
sain de rester en promenade, et s'etaient enfuis sans regarder
1. Bell. Jud., HI, u, 7.
430 VOYAGE EN SYRIE
derriere eux ! O excellents Turks ! Quand nous vous donnions
au diable, parce que vous effarouchiez nos chevaux echappes,
nous ne savions pas quelle belle chandelle nous devrions bru-
ler en votre honneur et par reconnaissance, quelques heures
plus tard. Somme toute, la dette de sang contracted en realite
par nous, avait ete inscrite au compte courant des Turks, et
nous avons cru prudent de 1'y laisser, sans revendiquer le plai-
sir de la solder,
A deux kilometres environ , avant d'arriver a Djebaa, nous
avons laisse sur la hauteur, a droite de notre route, le village
de Yacil. Je trouve dans la liste arabe des villages de ce pays,
publiee par le reverend Robinson, un village nomme Yasid, et
je ne doute pas qu'un Lam final n'ait ete pris a tort pour un
Dal. Ces deux lettres peuvent en effet se confondre aisement.
Jamais, je crois , je n'ai vu un jardin plus charmant que le
terrain que nous traversons, avant d'arriver a Djebaa. La route
est coupee dix fois par un beau ruisseau, qui arrose les champs
et les prairies qu'elle longe. La vegetation est luxuriante;
des fleurs delicieuses resplendissent partout, et, entre autres
raretes, Tabbe, qui nous fait maugreer par son opiniatrete
a rester tou jours a une demi-lieue de la bande, pour ramasser
une plante par ci, une plante par la, nous apporte enfm, au
moment oil nous mettons nous-memes pied a terre, sur le coteau
plante d'oliviefs oil est assis Djebaa, une magnifique Fritillaire
a fleurs vertes ( Fritillaria persica) , dont , a son vif regret , il
n'a pu atteindre 1'oignon.
En attendant le dejeuner, nous faisons une riche collection
des beaux insectes que recele chaque anemone. A peine avons-
nous mange notre premiere bouchee, que 1'abbe n'y tient
plus. II s'empare d'un morceau de pain et de deux oaufs durs,
remonte a cheval, et nous crie de 1'attendre la une demi-heure :
il va chercher son oignon de Fritillaire, et en recueillir d'autres
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 43<
8'il peut. Nous ne savions pas qu'il lui fallait retourner a pres
d'unedemi-lieueenarriere, et nous ne nous en doutames qu'a
1'irripatience avec laquelle nous attendimes le retour de 1'en-
rage botaniste. Au reste, il etait ecrit qu'au nom de Djebaa
serait toujours attache un souvenir de mauvaise humeur contre
le pauvre abbe. 11 ne nous a rejoints qu'apres plus d'une heure
d'absence , et lorsque nous commencions & concevoir quelque
apprehension sur la cause de ce retard incomprehensible. Au
moment ou nous envoyions Matteo a la recherche de 1'absent,
celui-ci reparut radieux; il avait conquis son oignon. Nous
nous hatames de remonter a cheval et de descendre dans la
vallee de Sanour.
Djebaa est incontestablement une localite fort ancienne. Les
rochers qui percent, au-dessus du village, la riante colline qui
lui sert d'assiette, sont perfores de caves sepulcrales, et une
pareille necropole est un indice certain de Texistence d'une
ville antique en ce point. Quelle etait cette ville? II est impos-
sible de le deviner. Josephe ' parle d'une Gaba (ra£a) , voisine
du Carmel, ce ne peut etre evidemment celle-la. fitienne, dans
ses Ethniques , mentionne une Gaba , ville de Galilee. Est-ce la
meme? G'est probable. Quant a la premiere, Josephe, dans sa
Vie (24), dit que Besara est sur les confins du territoire de
Ptolemai's, et a vingt stades de Gaba. Ceci exclut evidemment
notre Djebaa. 11 est encore nomine une yiti dans Zacharie (/j.4,
10). C'etait une petite ville, distante de seize milles de Cesaree,
et voisine de la grande plaine de Megiddo. G'est evidemment la
Gaba de Josephe, et non la notre. Enfin, une ville de la tribu de
Benjamin a porte ce nom, et elle etait & la limite septentrionale
du royaume de Juda 2; ce ne peut encore etre notre Djebaa. En
resume, il ne reste aucune localite, connue dans les ecrits de
1. Bell. Jud., in, HI, 1.
2. Rois, II, xxin, 3, puisqu'il est dit de Djebaa a Bir-Sebaa.
432 VOYAGE EN SYRIE
Fantiquite, qui puisse s'identifier avec la Djebaa moderne; il
n'en demeure pas moins certain que celle-ci a pris la place
d'une ville antique.
line fois arrives an fond de la vallee de Sanour, nous trou-
vons le terrain tellement detrempe que nous sommes obliges
de gagner an plus vite le flanc gauche de la vallee. Celle-ci,
ainsi que Mohammed nous 1'avait annonce a notre premier pas-
sage , forme , en avant de Sanour, un lac immense , peu pro-
fond, il est vrai, mais assez, cependant, pour qu'il y ait impos-
sibilite de le traverser. Nous passons done derriere Sanour, et
nous atteignons bientot le charmant vallon boise qui debouche
dans le Merdj-Sanour , et par lequel nous devons regagner
Djenin. 11 est cinq heures lorsque nous arrivons dans ce beau
village , que nous retrouvons infiniment plus boueux qu'a notre
premiere visite. Nous allons nous loger dans le meme khan,
ou sont deja etablis des moukres, avec leurs betes; de telle
sorte que nous sommes entasses les uns sur les autres, et
que nous aurons a dormir, si nous pouvons, pele-mele avec un
tas de voyageurs, dont le voisinage ne peut manquer de nous
devenir cuisant.
MM. Hubeau, Delille et Wolf nous ont rejoints en route, et
nous sommes arrives avec eux a Djenin. Us ont ete conduits
par leur drogman a un autre logement que nous , et je les en
felicite de tout mon coeur. En entrant a Djenin , nous avons
apercu un nombreux bivouac, etabli sous les beaux palmiers
qui sont plantes a gauche du bourg. C'est une grande cara-
vane de pelerins grecs , qui se rend a Jerusalem pour les fetes
de Paques.
27 FEVRIER.
Nous nous attendions a une nuit horrible, et notre attente
a ete largement depassee. La fumee,. la vermine, et le bruit
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 433
incessant des sonnettes des mules entasse"es dans le khan, nous
ont fait passer une nuit a peu pres blanche. Nous avons toute-
fois appris de Selim, une recette qui nous a procure quelques
bons moments de fou rire. Des anes sont loges avec nous, et ils
ne se genent pas pour braire, ce qui parait charmer les gens qui
partagent notre gite et qui nous voient temoigner 1'impatience
assez legitime de gens fatigues, qui ne seraient pas faches
de dormir quelques moments. Selim nous apprend alors que
Ton peut faire braire a volonte les anes du pays, en leur criant
la syllabe zarrrrh vigoureusement accentu^e, et nous nous em-
pressons d'user de la me"thode. On se moque de Gribouille ,
qui se jette a la riviere, pour eviter d'etre mouille par la pluie,
et nous faisons exactement comme lui. Nos voisins trouvaient
fort plaisant que les anes nous empechassent de dormir, et
nous leur avons , pendant toute la nuit , procure la douceur de
gouter ce chant melodieux. Comme nous etions les plus forts,
et parfaitement armes , notre mauvaise plaisanterie a 6te sup-
port ee avec patience. Mais personne n'a dormi dans le khan,
et les pauvres anes devaient etre aussi fatigues que nous, lors-
que le jour a reparu.
On comprend que nous n' etions pas desireux de faire un long
sejour a Djenin ; le soleil n'etait pas leve depuis une demi-
heure, que tous nos bagages etaienten route, et nous avec eux.
Nous n'avons pas suivi le chemin qui nous avait amends de
Nazareth a Djenin, parce que nous nous y serions perdus dans
la boue ; nous avons file par la droite , en nous maintenant le
plus constamment possible sur les plis du terrain. Toutes les
fois que nous avions un bas-fond et meme une petite plaine
a traverser, nos chevaux entraient dans la boue jusqu'aux ge-
noux, et nous avions une veritable inquietude pour nos betes de
charge, bien plus encore que pour nos montures.
Passant done a droite, et contre le village de Djelameh.
II. 28
434 VOYAGE EN SYRIE
nous avons marche ensuite sur Zerayn ou nous sommes
arrives a neuf heures et un quart. Nous avions quitte Djenin
a six heures trois quarts , et nous avions conserve une bonne
allure, sans faire de pause nulle part. Le village de Zerayn,
la Jezrael de 1'Ecriture, est place sur un contrefort qui domine
le merdj-ebni-Aamer, plaine de Jezrael ou d'Esdraelon, et qui
se detache du Djebel-Nourys. Nous laissons a notre droite une
source, formant une petite mare, nominee el-Ayn-el-Mai'teh (la
Source morte), et au sud de laquelle se voient deux sarco-
phages servant d'auges. Nous longeons a gauche le village,
et, descendant de 1'autre cote du mamelon sur lequel est place
Zerayn, nous nous arretons aupres d'un beau puits evidemment
tres-antique et nomme Bir-Ecoued ( le Puits noir) , probable-
ment a cause des blocs de lave noire qui en garnissent 1' orifice.
La, nous mettons pied a terre pour dejeuner. Le puits est a en-
viron deux cents metres au nord-ouest du village. De la , nous
avons, directement au nord et a cinq ou six kilometres, le
village de Soulem , pays de la Sunamite ; a notre droite, c'est-
a-dire a Test, quinze degres nord a peu pres, se trouve, a une
distance de dix kilometres, le village de Qoumieh. Directement
a Test de nous, se trouve le village de Chattah. Celui-ci a
pris la place d'une localite biblique. Nous lisons en effet, dans
les Juges (vi, 33) : — Tout Madian, Amalek et les Orientaux
s'etaient reunis ensemble, avaient passe ( le fleuve) et s'etaient
campes dans la vallee de Jezrael. — Peu apres, lorsque
Gedeon, avec ses trois cents hommes, eut jete la terreur dans
leur camp "... le camp s'enfuit jusqu'a Beit-Chattah (rPZ'-iy
nK»n), vers Serarath, jusqu'a la fontaine de Abel-Mahoulah,
pres Thabat. — Je ne doute pas que la Ghattah moderne ne soil
la Beit-Ghattah de PEcriture.
1. Juges, vii^ 22.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 435
Sur 1'autre versant du Djebel-Nourys , se trouve, a ce que
m'a assure Mohammed, une belle source, qui sort d'une grotte
et qui forme le Nahr-el-Djaloud.
Revenons maintenant a Zerayn. Ce village a incontestable-
ment pris la place de la Jezrael C?Njnr) de la Bible. Nous
lisons dans Josue" (xix) : — 17. A Issakhar echut le quatrieme
lot, aux enfants d'Issakhar, selon leurs families. — 18. Leur
limite fut h Jezrael, et a Heksalouth, et h Sounem. — On voit que
ce verset place Jezrael ou elle est en effet , dans le voisinage de
Ksalouth et de Soulem. Une des filles de Jezrael devint femine
du roi David; elle se nommait Akhinaam '. La Bible nous ap-
prend que David vint camper , avec son armee , pres de la
fontaine qui est a Jezrael2. Peu apres, il fut oblige de s'eloi-
gner, et les Philistins, qui s'etaient reunis centre lui, monte-
rent a Jezrael 3.
Le roi d'lsrael, Akhab, qui avait epouse Jezabel, fille d'lthou-
Baal, roi de Sidon, residait a Jezrael 4, et il y avait un palais 5,
aupresduquel etait la vignede Nabouth, leJezraelien. On serap-
pelle que, pour avoir cette vigne que Nabouth ne voulait pas ceder
au roi , Jezabel aposta centre Nabouth deux faux temoins , sur
F accusation desquels le malheureux fut lapide. Au moment ou
Akhab prenait possession de la vigne de celui que la reine avait
fait assassiner, parut le prophete filie qui lui dit : — Ainsi a
dit 1'Eternel; a 1'endroit ou les chiens ont leche le sang de Na-
bouth, les chiens lecheront aussi ton sang6... Des chiens man-
geront aussi Jezabel sous la muraille de Jezrael 8. — La terrible
1. Samuel, i, xxv, 43.
2. Samuel, i, xxix, 1.
3. Samuel, i, xxix, 11.
4. Rois, i, XVHI, 45.
5. Rois, i, xxi, 1.
6. Rois, i, xxi, 19.
7. Meme chapitre , verset 23.
436 VOYAGE EN SYRIE
prophetic epouvanta Akhab, qui s'humilia devant la colere de
Jehovah, et reussit ainsi a en retarder 1'effet, jusqu'au temps de
son fils Joram1. Okhosias succeda a Akhab, regna deux ans
et mourut des suites d'une chute. Son frere Joram lui succeda.
II eut guerre avec les Arameens, et ayant recu des blessures
a Ramat de Djelaad, alia se reposer et se guerir a Jezrael, oil
Okhosias, fils de Joram, roi de Juda, vint le visiter2.
Lorsque , par 1'ordre de Dieu , Elisee envoya un fils de
prophete oindre Jehu , comme roi d' Israel , et lui annoncer
qu'il exterminerait la maison d' Akhab, il finit en lui disant3 :
— 10. Les chiens mangeront Jezabel , au champ de Jezrael ,
personne ne 1'ensevelira. Puis il ouvrit la porte et s'enfuit. —
Jehu fut alors proclame roi par ses compagnons de I'armee
(dont il etait un des chefs). II monta a cheval et se rendit a
Jezrael, car Joram etait la, malade de ses blessures (vers. 16).
Une vigie, placee sur une tour a Jezrael, vit venir la troupe
de Jehu, et prevint le roi , disant : Je vois une troupe. Joram
lui dit : Prends un cavalier, et envoie-le au-devant d'eux, et
qu'il leur demande s'ils viennent avec la paix (verset 18). Le
messager fut arrete et ne revint pas; il en fut de meme d'un
second envoye ; la vigie en prevint encore le roi et lui dit :
« Ce doit etre Jehu et ses soldats, car ils courent comme
des insenses. » Alors Joram fit atteler son char de guerre, pour
aller au-devant de Jehu. Okhozias, roi de Juda, 1'accom-
pagna, monte aussi sur son char. Ils rencontrerent Jehu, dans
le champ meme de Nabouth que Jezabel avait fait assas-
siner. « Est-ce que tu m'apportes la paix , Jehu? cria le roi.
— Quoi ! la paix ! avec la luxure et les sortileges de ta mere
Jezabel! » A ces mots, Joram tourna bride et voulut s'enfuir
1. Rois, i, xxi, 29.
2. Rois, ii, viii, 29.
3. Rois, n, ix.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 437
en criant au roi de Juda : « C'est une trahison, Okhozias ! »
Mais Jehu lui lanca une fleche qui pene"tra entre les deux
epaules, traversa le coeur et sortit par la poitrine. Joram
tomba sur les genoux dans son char. Alors, sur 1'ordre de son
chef, Bidkar, Tun des capitaines de Jehu, prit le corps de
Joram, et le jeta dans le champ de Nabouth. Okhozias s'enfuit
par le chemin de la Maison du Jardin, et Jehu le poursuivit,
criant : « Tuez-le aussi ! » Okhozias fut atteint et frappe dans la
montee de Djour, qui est pres de leblaam. II reussit pourtant
a gagner Megiddo , oil il mourut de ses blessures. Jehu revint
a Jezrael et trouva Jezabel qui, apres s'etre peint les yeux et
orne la tete, se tenait b une fenetre du palais. Gomme Jehu
en franchissait le seuil , elle lui cria : « Est-ce la paix que tu
apportes, emule de Zimri ineurtrier de son maitre?» Jehu
leva la tete et cria : « Qui est pour moi? qui? » Deux ou trois
eunuques se montrerent alors, et regarderent de son cote :
« Jetez-la par la fenetre, » leur cria-t-il, et ils le firent. Le sang
de Jezabel rejaillit sur les murs et sur les chevaux. Jehu foula
aux pieds son cadavre , puis il entra dans le palais, mangea et
but ; ensuite il dit a ses serviteurs : « Voyez ce qu'est devenu le
corps de cette maudite, et ensevelissez-le , car elle e"tait fille de
roi. >> 11s allerent pour ensevelir Jezabel, mais ils ne trouverent
plus d'elle, que le crane, les pieds et les paumes des mains. Les
chiens 1'avaient dechiree et devore"e. Ainsi s'accomplit la pro-
phetie prononceeparfilie '. — Deux jours apres furent apporte"es
dans des paniers, a Jehu, qui n'avait pas quitte Jezrael, les
tetes des soixante-dix fils de Joram qui etaient a Samarie ; ainsi
la maison d'Akhab fut aneantie. — Le recitde cet e'venement
tragique est a peu pres raconte de meme par Josephe 2.
L'historien des Juifs appelle Jesrael, Jesrai'la, ville d'Tzaros
1. Rois, ii, ix, 15 a 37.
2. Ant. Jud., ix, vi, 4.
438 VOYAGE EN SYRIE
([/.eypi TV;? iscpayfta; l'(apou TTO/SW? cuv£^paw.e l ). On s'est beau-
coup preoccupe de cette expression i'(apou TroXew?, mais sans
venir a bout d'en deviner le veritable sens. Dans Tedition
meme des classiques grecs de Didot , je trouve a la table des
matieres : Izari (?) urbs ( Jesraela). La chose n'etait pourtant
pas bien difficile a deviner, a mon avis. Jezrael etait une ville
de la tribu d'Issakhar et un copiste maladroit aura ecrit Kapou
au lieu de ica/apt?. II y a dans le texte de Joseph des fautes
de ce genre, tellement palpables, que la rencontre de celle-ci
ne doit pas nous etonner le moins du monde.
Dans 1'Itineraire de Bordeaux a Jerusalem, nous trouvons
1'indication suivante : « Civitas Maxianopoli (alias Maximiano-
poli). — Givitas Stradela x. Ibi sedit Achab rex et Helias pro-
phetizavit ; ibi est campus ubi David Goliath occidit. — Civitas
Sciopoli (alias Scythopoli, sive Bethsan) xn. » La Stradela de
cet itineraire, c'est evidemment notre Zerayn; Scythopolis,
c'est Beysan, qu'il met a xn milles remains de Zerayn ; enfin
Maximianopolis doit etre a x milles remains de Zerayn. Oil doit
etre placee cette Maximianopolis? Voici ce que nous trouvons
dans le commentaire de saint Jerome, au ch. xn de Zacharie :
wAdadrimmon, pro quo LXX transtulerunt POWVO?, urbs est
juxta Jezraelem, quaB hoc olim vocabulo nuncupata est et
hodie vocatur Maximianopolis, in campo Mageddon. » Dans le
commentaire du ch. i d'Osee , saint Jerome dit encore : « Dixi-
mus Jezraelem, quas nunc juxta Maximianopolin est. » Je trouve
sur un itineraire dresse de memoire par Mohammed, de Naza-
reth au couvent du Garmel , a Attil et a Djenin, en passant par
El-Ledjoun (Megiddo), un village nomine Roummaneh et qui
se trouve entre Djenin et El-Ledjoun. Je suis assez porte a
croire que c'est notre Adadrimmon, dont le nom plus recent,
1. Ant. Jud., vin, XHI, 6.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 439
Maximianopolis, aura disparu, pour rendre sa place a 1'ancien
nom, de meme que cela a eu lieu pour Scythopolis, qui a repris
son nom antique de Beit-San, a He" re aujourd'hui en Beysan.
Du temps des croisades, Jezrael fut appele Parvum Gerinum.
Void en effet ce que nous lisons dans Guillaume de Tyr
(xxn, 26) : wJezraheel, nunc autem vulgari appellatione
dicitur Parvum Gerinum. » Apres 1'epoque des croisades, la
tradition de 1'identite de Jezrael et de Zerayn s'est perdue, et
ce n'est que depuis une quinzaine d'annees, que cette identite
incontestable a ete reconnue, pour ne plus se perdre , tres-
probablement.
Une fois le dejeuner termine , nous nous sommes remis en
route , en cheminant toujours sur le flanc des coteaux qui for-
ment la base du Djebel-ed-Dahy, ou Petit-Hermon. G'est evi-
demment de cette montagne qu'il s'agit dans le psaume LXXXIX
(verset 13), ou il est dit : «Le nord et le midi, tu les as
crees : Tabor et Hermon tressaillent a ton nom. » En hebreu
le nom s'ecrit )MDin; pour les Arabes Chretiens, le Djebel-
ed-Dahy s'appelle aussi Haramoun, et son nom s'ecrit ijy'f* ;
les deux orthographes sont done identiques, ainsi qu'on le
voit. Le veritable Hermon est incontestablement le Djebel-
ech-Cheikh, le pic le plus eleve de I'Anti-Liban; et, comme
le Thabor n'est nullement une tres-haute montagne, on ne
voit pas trop pourquoi deux montagnes si differentes que le
Thabor et 1'Anti-Liban, seraient mentionne'es dans le meme
verset, quand ils ne limitent ni le nord ni le sud, ni 1' orient
ni 1'occident, ce qu'il faudrait pour trouver dans ce verset la
designation des quatre points cardinaux. Si, au contraire, il
s'agit de deux montagnes contigues , comme le Thabor et le
Djebel-ed-Dahy, la difficulte disparait, et Ton comprend que le
poete ait accole leurs deux noms, dans une meme phrase. Ce
qui est certain, du reste, c'est que, pour saint Jerome, le
440 VOYAGE EN SYRIE
Djebel-ed-l)ahy se nommait Hermonim; car voici ce qu'il
dit dans sa lettre XLIV, Ad Marcellam : apparebit oppidum
Nairn — videbitur et Hermonim et torrens Endor in quo
superatur Sisera. » Evidemment, il ne peut etre question, dans
ce passage, que du petit Hermon, ou Djebel-ed-Dahy. Au
reste, cette montagne presente une masse verdoyante, mais
sans un buisson ; elle est couverte d'herbages peu epais et ses
flancs inferieurs sont assez bien cultives.
De Zerayn, nous avons ete passer au village de Soulem;
c'est la Sounem de 1'Ecriture; car pour les Arabes, Sounem et
Soulem, c'est tout un. — Leur limite (des enfants d'lssakhar)
fut a Jezrael, Heksalout et Sounem (j^ti') J. Les Philistins
etaient campes a Sounem , et les Israelites a Djelboa , lorsque
Saiil alia consulter la sorciere d' Endor 2. - Abisag, lajeune
fille qui devint la compagne de David, dans sa vieillesse, etait
Sunamite3. C'est a Sounem que demeurait la femme qui
exerca les devoirs de 1'hospitalite envers le prophete Elisee ,
et a laquelle celui-ci annonca qu'elle aurait un fils , malgre le
grand age de son epoux. Ce fils e"tant ne , il tomba malade et
mourut; mais filisee le rendit a la vie4. Dans le Gantique
des Gantiques ( vn , 1 ) , nous trouvons les mots : « Reviens ,
reviens, Sulamite» (rvDSur). S'agit-il d'une jeune fille nee
& Soulem? ou bien ce mot, forme denD1?^, signifie-t-il :
epouse de Salomon? ou bien enfin est-ce une simple epithete,
ay ant le sens de parfait ou de paisible? On n'en sait rien. II
y aurait done quelque imprudence a conclure, de ce passage,
que, des 1'epoque la plus reculee, Sounem s'appelait aussi
Soulem, comme de nos jours.
1. Josue, xix, 18.
2. Samuel, i, xxvin, 4.
3. Rois, i, i, 3.
4. Rois, ii, iv, 8 a 37
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. U1
La partie superieure du Djebel-ed-Dahy est calcaire, mais
elle repose sur une masse basaltique que Ton voit affleurer
partout, sur les flancs que nous avons parcourus, avant de
descendre dans le Merdj-Ebni-Aamer, pour traverser ensuite
la partie assez etroite de la plaine, qui est fermee au sud par le
Thabor, et qui separe le pate du Djebel-ed-Dahy, de la chaine
de montagnes qu'il faut gravir pour arriver a Nazareth.
Nous avions quitte depuis quelques minutes la derniere
colline placee en face d'el-Mezraah , et qui se nomme Tell-
el-Hades ; le terrain sur lequel nous avancions etait tellement
defence, que nous n'avancions qu'avec une grande apprehen-
sion, vu qu'& chaque pas nos chevaux enfoncaient jusqu'aux
genoux. Une large voie, deja pietinee par des centaines de
betes de somme , et par consequent plus sure que toute autre,
s'offrait devant nous, et il etait d'une prudence elementaire
de ne pas chercher a faire mieux que nos devanciers. Nos
moukres, avec leur intelligence accoutumee , c'est-a-dire plus
stupides que leurs mules et leurs anes, eurent peur, a ce qu'il
parait , de se crotter avec la boue du chemin fraye. Us firent
appuyer leurs animaux a une trentaine de pas sur la gauche,
eten un clin d'oeil, une, deux, trois, et enfm presque toutes
nos betes de charge furent enterrees jusqu'aux naseaux. II
fallut deux bonnes heures de criailleries inutiles de nos mal-
adroits, et d'efforts surhumains de quelques jeunes et vigou-
reux Arabes de Nayn, accourus a notre secours, pour que
notre caravane fut remise sur pied, dans un terrain plus
solide. Dans cette occasion, le pauvre Selim n'epargna pas sa
peine, et il laissa ses souliers dans la fange, ou il entrait jus-
qu'au ventre; du reste, il imagina, en cette circonstance, un
singulier moyen de stimuler 1'ardeur des pauvres betes empe-
trees : il les aiguillonnait a coups de poignard, et nous dumes
commander a notre negrillon d'y aller un peu plus modere-
442 VOYAGE EN SYRIE
ment, pour qu'il n'assurat pas les anes et les chevaux centre
le desagrement de mourir noyes dans la boue, en les egorgeant
clair et net.
line fois entres dans la chaine de montagnes qui borne a
1'orient la plaine d'Esdraelon, le reste de notre course, jusqu'a
Nazareth, fut une veritable promenade, a travers des vallees
et des prairies delicieusement fleuries et arrose"es. En les
voyant a mon premier passage en plein hiver, je m'&ais dit
que ces lieux devaient etre enchanteurs, lorsque le printemps
etait revenu; j'avais devine juste, sans doute, mais mon
admiration preventive etait restee bien au-dessous de la realite
dont je jouissais en ce moment.
Bientot Nazareth se presenta devant nous ; vue de ce cote" ,
cette ville offre un charmant aspect. Elle s'eleve doucement en
amphitheatre sur le flanc d'une assez haute montagne; et, en
avant d'elle, une plaine bien cultivee et plantee de beaux oliviers,
s'etend jusqu'aux murs du couvent des Peres de Terre Sainte.
Une petite place separe celui-ci de la Casa Nuova , ou nous
avons deja loge une fois , et ou nous sommes surs de trouver
encore la plus touchante hospitalite. En quelques minutes nous
sommes a la porte de la sainte hotellerie. Comme toujours,
les bons peres s'empressent autour de nous, avec la plus aima-
ble cordialite qui previent tous nos besoins, tous nos desirs; et
nous avons le coaur bien content, en serrant la main de ces
homines de Dieu, qui nous temoignent une veritable joie de
nous revoir tous en bonne sante, et heureux d'avoir accompli
notre pelerinage, sans avoir eprouve un seul accident grave.
A peine etions-nous en vuede Nazareth, qu'un jeune et beau
cavalier accourait a fond de train au-devant de nous, portant en
croupe un joli petit garconnet qui semblait aussi a Faise sur le
cheval, que sur un fauteuil. L'homme etait un neveu de notre ami
Mohammed, nomme Ismayl et que tous ses compatriotes appel-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 443
lent invariablement Ismayn ; 1'enfant e*tait le fils de Mohammed.
Je n'essaierai pas de dire ce qu'eut de touchant la rencontre de
ces trois etres qu'unissaient les liens du sang et ceux de 1'amitie ;
1'enfant, couvert de baisers, passa entre les bras de son pere,
a qui je dis de prendre le galop et d'aller embrasser tous les
siens. Aussitot Mohammed et Ismayl partirent comme deux
fleches , et nous arrivames au couvent, nous escortant nous-
memes, et encore tout attendris de la scene dont nous venions
d'etre les te'moins et qui avait reveille bien vivement, en nos
creurs, le souvenir de tous ceux que nous aimions et qui etaient
encore si loin de nous.
Nous avions a peine eu le temps de nous debarbouiller, et de
savourer le cafe que les bons peres nous avaient offert, lors-
que survint Mohammed en grande toilette , qui nous invita ,
Edouard et moi, a venir prendre le cafe dans sa maison. On
pense bien que nous acceptames avec empressement cette invi-
tation, et cinq minutes apres, nous etions installes sur une
estrade recouverte de tapis, au milieu de tous les proches et de
tous les amis de Mohammed. II nous presenta d'abord sa mere,
bonne vieille femme qui ne savait comment nous te"moigner sa
reconnaissance pour tout ce que nous avions fait en faveur de
son fils. Puis ce futletour de sa tante, et en troisieme lieu celui
de sa femme. Les deux premieres avaient le visage decouvert
et il n'y avait certes pas d'inconvenients a cela ; la troisieme
e"tait hermetiquement voile"e. A sa tournure et a sa taille, nous
jugions bien de"ja que ce devait etre une belle personne. Mais
nous ne pumes conserver de doute a cet egard ; car notre ami,
pour nous donner la plus forte preuve d'amitie qu'un musul-
man puisse donner a un homme, enleva le voile de sa femme,
et mit a de"couvert 1'un des plus beaux et des plus nobles
visages que j'aie jamais vus. Malheureusement, quand les invite's
survinrent, la jeune femme reprit son voile, et j'avoue que
4U VOYAGE EN SYRIE
nous en fumes fort desapointes. II y avail longtemps que nous
n'avions repose nos yeux sur le visage d'une aussi jolie crea-
ture. Quoique bien jeune, la femme de Mohammed, qui est en
meme temps sa cousine, a deux filles qui doivent avoir au-
jourd'hui une douzaine d'annees, et un fils de sept ou huit ans.
Pendant pres de deux heures nous avons fait la conversation
avec tout ce monde, en consommant une effroyable quantite de
findjan de cafe et de tchibouk; puis nous sommes revenus a
la Casa Nuova ou nous attendait notre diner. Une fois le travail
ordinaire de la soiree termine , nous nous sommes empresses
de nous coucher, afm de reparer la nuit blanche passee a Bje-
nin, et nous y avons admirablement reussi, grace a la pro-
prete des chambres et des lits que nous devions a 1'hospitalite
du couvent.
28 FEVRIER.
Ce matin de bonne heure, j'ai ete, avec Tabbe Michon,
prendre conge du pere superieur, et visiter une derniere fois
la cave de I'Annonciation. Une demi-heure apres nous etions
en route pour Thabarieh; MM. Hubeau, Delille et Wolf, de
leur cote, ont pris, a notre tres-grand regret , le chemin de
Saint-Jean-d'Acre. Nous nous accommodions a merveille de la
societe d' aussi braves et aussi aimables compagnons de voyage,
et nous avons eu une peine reelle h nous separer d'eux.
Gomme Edouard et moi nous avons forme le projet de faire
voir Paris a Mohammed , nous avons autorise celui-ci a passer
vingt^quatre heures a Nazareth , dans sa famille ; il nous a
donne, pour le remplacer, son neveu Ismayl, et demain soir il
viendra nous rejoindre a Thabarieh.
Quelques mots maintenant sur Nazareth. 11 est souvent
question, dans 1'Ancien Testament et dans Josephe1, d'une
1. Ant. Jud., iv, iv, 4.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 445
secte judai'que qui s'appelait les Nazareens (Na£apaTot); c'4-
taient des hommes qui, par suite d'un voeu, avaient consacre
leur personne a Dieu, laissaient pousser leurs cheveux et faisaient
perpetuellement abstinence de vin. Josephe les mentionne une
seconde fois r. Voici a quel propos. Le roi Agrippa I", rendu,
par 1'empereur Claude, a la liberte et a la royaute, s'empressa
de revenir h Jerusalem, et de faire de nombreux sacrifices en
actions de graces, suivant tous les preceptes de la loi. II profita
de la meme circonstance pour faire couper les cheveux a une
foule de Nazare~ens (cette fois ceux-ci sont nommes NafrpaToi,
sans doute par suite d'une faute de copiste). Tres-certainement
le roi Agrippa ne commettait cet acte singulierement arbitraire,
que pour plaire aux Juifs, pour lesquels les Nazareens etaient
un sujet de haine. Ces derniers Nazareens n' etaient tres-pro-
bablement que des Chretiens. Evidemment le Christ n'a pu
prendre son nom de Nazareen, de cette secte dans laquelle on
pourrait etre tente de croire qu'il etait entre, puisqu'il buvait
du vin. 11 est done certain qu'il n'a recu ce nom, queparce qu'il
avait passe toute son enfance et sa jeunesse a Nazareth, petite
ville de Galilee. Quant a cette ville, on n'en trouve aucune men-
tion avant 1'epoque de Jesus-Christ, et c'est dans le Nouveau
Testament seulement qu'elle est cite'e.
Je reviens a notre itineraire. Sans entrer dans la ville, nous
avons longe" 1'enclos du couvent, et tourne immediatement au
nord, pour prendre la route de Thabarieh. A quelques cents
pas seulement de Nazareth, nous avons rencontre une assez
belle fontaine, nommee fontaine de la Vierge, ou etaient ras-
semblees, soit pour laver leur linge, soit pour puiser 1'eau de
la provision quotidienne, quelques jeunes femmes, oflrant des
types d'une regularite et d'une elegance remarquables. 11 parait
1. Ant. Jud., xra, vi, 1.
446 VOYAGE EN SYRIE
qu'il y a longtemps que les femmes de Nazareth jouissent du
privilege d'etre jolies, puisque deja. au vie siecle, Antoninus le
martyr ecrivait qu'il y avait a Nazareth des femmes extreme-
ment belles, et qui pretendaient qu'elles avaient ete gratifiees
de ce don precieux, par la vierge Marie. Je ne sais pas si la
sainte Vierge est pour quelque chose dans la beaute des
femmes chretiennes et musulmanes de Nazareth, mais ce que
jesais tres-bien, c'est que cette beaute est tres-reelle, et que
les femmes qui la possedent, ont le droit d'en etre fieres.
Trois quarts d'heure apres avoir quitte Nazareth, nous etions
en face du village d'er-Reyneh, village assez considerable,
bati sur un coteau vis-a-vis duquel se voit, a trois ou quatre
kilometres a. droite, une montagne nominee Djebel-Sikh, et
du flanc de laquelle sort 1'eau qui alimente er-Rei'neh et Sa-
fourieh. Sur le chemin, au bas d'Er-Reyneh, se voient deux
citernes, etune fontainequi porte le nom special d'Ayn-er-Rey-
neh; 1'auge de cette fontaine est, comme a. Zerayn, un sarco-
phage antique, tres-probablement deterre dans le voisinage,
car il est plus que douteux que des Arabes se fussent donne la
peine d'aller le chercher au loin. En tout cas, si Er-Reyneh
a pris la place d'une localite antique , il est impossible de
deviner quelle elle fut.
Le terrain etait si fortement detrempe sur la route, que nous
avons ete obliges d'entrer dans les champs plantes d'oliviers
qui la bordent, et de monter ainsi a plusieurs metres au-dessus
de ce bas-fond boueux, dans lequel il nous serait infailliblement
arrive quelque accident analogue a. celui de la veille, clans la
plained' Esdraelon. Apres avoir franchi le village d'er-Reyneh,
que nous laissons a notre gauche, nous nous dirigeons au nord-
nord-est, ayant droit devant nous le sommet blanc de neige
du Djebel-ech-Cheikh.
Apres vingt minutes de marche, nous voyons a cinq cents
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 447
metres environ, sur notre gauche, une colline arrondie au som-
met, comme si elle eut ete fagonnee de main d'homme, et que
recouvrent les ruines d'un village nomme el-Mechhad. En
arabe, ce mot signifie lieu d'assemblee, sepulcre, et par exten-
sion , edifice sacre place sur un sepulcre , et enfm lieu de
martyre. Ismayl, qui me donne ce nom, ne m'indique pas
que la existe, pour ses coreligionnaires , un des tombeaux du
prophete Jonas, nomine Naby-Younes. Quaresmius rapporte
que la tradition veut que ce village soit bati sur la place de
Geth-Hehefer, ou e"tait ne Jonas '. Gette localite etait dans la
tribu de Zabulon, car nous lisons dans Josue (xix) : — 12. Elle
(la limite) revenait de Sared a Porient, vers le lever du soleil,
jusqu'a la limite de Ksalout-Thabour, aboutissant a Hedaborat
et montant a Yafia. — 13. Et de la elle passait a 1' orient, du
cote oriental, vers Djeth-Hehefer , vers A.tah-Kesin , et elle
aboutissait a Rimmoun, He-Matoar, He-Naah. — Je suis con-
caincu que la Ksalout-Thabour qui se trouve sur la frontiere
de la tribu de Zabulon , n'est pas autre chose que la Ksalout
qui est citee au verset 18 qui suit, comme se trouvant sur la
frontiere de la tribu d'Issakhar, puisque ces deux tribus etaient
evidemment limitrophes. Quant a cette Ksalout, j'ai deja dit
ailleurs, que ce n'est que le village moderne si voisin du mont
Thabor et qui se nomme Iksal. Touraan aurait-il pris la place
de Matoar, dont nous venous de rencontrer le nom? G'est bien
possible ; mais je ne voudrais pas avancer ce fait comme demon-
tre ; loin de la !
Saint Jerome, dans sa preface du prophete Jonas, s'exprime
ainsi : « Geth in secundo Saphorim milliario qua? hodie appel-
latur Dio Ca^sarea, euntibus Tiberiadem, haud grandis est
viculus, ubi et sepulcrum ejus ostenditur. » Ge passage me pa-
1 Rois, ii, xiv, 25.
448 VOYAGE EN SYRIE
rait decisif : a el-Mechhad est un pretendu tombeau du pro-
phete Jonas, le site d'el-Mechhad est bien a peu pres a la
distance de deux milles romains de Safourieh ; je n'hesite done
pas a identifier Djeth-Hehefer avec el-Mechhad.
Un quart d'heure apres avoir passe devant el-Mechhad et
devant le Bir-ech-Chemaly, qui se voit au bas de la colline sur
laquelle sont les ruines de ce village, la route tourne droit a
Test et se dirige sur Kafr-Kenna ; beaucoup plus loin et preci-
sement dans la meme direction que Kafr-Kenna s'apercoit un
gros village nomme Touraan, puis, beaucoup plus loin encore,
et a droite, un second village nomme Nimrin.
Au moment de descendre dans la fertile vallee, sur le revers
oppose de laquelle est Kafr-Kenna, nous avonsfait la rencontre
de deux cavaliers bedouins qui etaient nonchalamment eten-
dus sur 1'herbe, au bord de la route, pendant que leurs che-
vaux, dont la bride etait passee dans la hampe de leurs longues
lances plantees en terre, broutaient ce qu'ils pouvaient attra-
per. Ces deux aimables personnages entamerent la conversa-
tion avec Ismayl, et croyant n'etre compris de personne de
nous, lui reprocherent, tres-amicalement d'ailleurs, la protec-
tion que nous donnait sa presence. Je les remerciai bien vite,
en arabe, de la bonne intention , en leur affirmant que nous
avions de la poudre et des balles pour tout le monde, et la
conversation se termina la.
Rien de riant et de vert comme la jolie vallee que nous
allons traverser, avant d'entrer dans le village de Kafr-Kenna.
Tous les veg^taux y sont en pleine floraison et aussi avances
qu'auxenvironsde Paris, dans les premiers jours dejuin, quand
ceux-ci se montrent beaux et chauds, ce qui n'est pas toujours
le cas. Nous sommes alors assez rapproches du Djebel-Sikh ,
montagne boisee dont j'ai deja parle. Au pied de cette mon-
tagne se trouve, me dit Ismayl, une belle source nominee Ayn-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. U9
Mahil, £ la presence de laquelle un village doit la meme
denomination.
A l'entre"e du Kafr-Kenna est une Fontaine , dont 1'auge est
une assez belle cuve de sarcophage antique, garnie de guir-
landes et de disques, sur ses quatre faces. La presence de ce
sarcophage suffit pour demontrer que Kafr-Kenna a pris la
place d'une localite antique. Arrives au village, nous nous
sommes empresses de mettre pied a terre et de visiter l'e"glise
grecque, qui passe pour avoir ete construite en commemoration
du miracle que fit Jesus-Christ, lorsqu'il changea Teau en vin.
Ici se presente une grave question : Kafr-Kenna est-il bien
sur 1'emplacement de la Kana de Tfivangile? Pour ma part, je
le crois et j'en vais donner tout a 1'heure les raisons, bien que
1' opinion contraire ait ete soutenue, avec un tres-grand talent,
par le Rev. Robinson , pour qui, d'instinct, toute tradition ca-
tholique, qu'il appelle tradition monacale, est gravement sus-
pecte. Du haut de la montagne que couronne 1'Oualy de Naby-
Sayn (que son guide lui a designe sous le nom de Naby-Ismayl,
nom que je dois croire errone, puisque" Mohammed qui habite
Nazareth et qui est musulman, n'a pas varie sur la forme
de ce nom), on a signale a Robinson, au nord et presque a
Thorizon, une localite" ruinee appelee Kana-el-Djalil. Ce nom
lui a (He traduit par Kana de Galile'e , mais j'avoue que je ne
saurais souscrire a cette traduction. Les mots Kana de Galilee,
bien que la Galilee s' appelle reellement el-Djalil en arabe, ne
se traduiraient pas regulierement par Kana-el-Djalil. Ce der-
nier mot est un adjectif signifiant grand, illustre. Je declare
doncen toute conscience, que pour moi les mots JJUs-5! LilS, ne
signifieront jamais que Kana Tlllustre ou la Grande; et j'ai
quelque idee que les Arabes seraient du meme avis que moi.
Cette Kana ruinee est a Test de Kafr-Menda, sur le revers
nord de la grande plaine d'el-Battouf, et a trois lieues environ
ii. 29
450 VOYAGE EN SYRIE
au nord de Safourieh , ce qui la place a quatre ou cinq
lieues, au moins, au nord-ouest de Nazareth. Cette distance
un peu forte s'accorde-t-elle avec le recit de 1'evangeliste
saint Jean? Je me permets d'en douter. J'ai exactement
note le temps que nous avons mis a aller de Nazareth a Kafr-
Kenna ; il nous a fallu une heure et trente-cinq minutes , en
evitant les mauvais bas-fonds d'Er-Reyneh, c'est-a-dire en fai-
sant quelques detours a travers champs, et en nous arretant
un instant pres de ce premier village, puis devant el-Mechhad.
Ce temps correspond assez bien a trois milles remains. Je ne
saurais m'expliquer comment Burkhardt a pu mettre trois
heures et demie a parcourir ce chemin. II a du forcement
s'amuser deux bonnes heures en route.
Revenons au texte de 1'Evangile. Le lendemain du jour ou
le Christ se fut attache, comme disciples, Andre, Simon,
et Pierre, il voulut aller en Galilee (rvj eira-Jpiov r,6e>/;.
1. Josu6,xix, 20.
456 VOYAGE EN SYRIE.
dans la plaine d'Esdraelon ou de Jezrael. II est vrai que le
texte de Josue ne semble pas le moins du monde placer Ka-
chioun pres du Carmel ; bien au contraire !
Quelques minutes apres avoir rencontre la seconde citerne
taillee dans le rocher, nous nous sommes , en tirant vers la
droite, eloignes du Merdj-es-Sabal , et nous avons ete faire
sous un olivier, la halte du dejeuner. Le sommet du Thabor
est a notre droite, c'est-a-dire juste au sud du point ou nous
sommes arretes, inais a deux bonnes lieues de nous. Malheureu-
sement le temps nous presse, et nous avons encore beaucoup
de chemin a parcourir, avant d'arriver & Thabarieh ; il nous
est done impossible de faire un aussi long detour, que celui
que n^cessiterait une visite a la sainte montagne. Nous ne per-
dons pas de temps apres notre modeste festin, et nous remon-
tons immediatement a cheval. En tres-peu de minutes nous
atteignons le village d'ech-Chedjara , jusqu'ou , le 16 avril
1799, les Turks, au nombre de 25,000 homines, furent repous-
ses par une poignee de soldats francais. Le glorieux combat de
cette journee s'appelle, pour nous Francais, la bataille du
Mont-Thabor, et cette bataille aurait suffi a elle seule, pour
illustrer les generaux Bonaparte et Kleber.
Ech-Chedjara est un miserable village, dont les alentours
sont herisses d'enormes haies de cactus. La route passe a droite
du village, et a 1'extremite de celui-ci, elle longe une citerne
tres-profondement creusee sous terre. Un peu au delci est
un tertre arrondi, eleve de deux ou trois metres seulement,
et sur lequel se voient les ruines d'un edifice religieux, qui de
temple remain, sera plus tard devenu une eglise. Le plan de
1' edifice est un parallelogramme de dix metres de longueur, sur
six metres de largeur. Les murs, en belles pierres de taille, en
sont encore eleves de quelques pieds. Six colonnes en ornaient
1'interieur, et des troncons de cinq d'entre elles sont encore
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 457
debout et en place. Les deux colonnes du fond sont e'loigne'es
de deux metres des longs cote's, et separe"es entre elles de
un metre cinquante centimetres. Les deux autres couples de
colonnes 6taient planted, de trois metres en trois metres, en
avant des deux du fond, qui sont appuyees contre des mas-
sifs de pierre de taille qui les relient au mur. Sur le long
cote de droite, est ouverte a cinq metres, en avant du fond,
une porte carre'e de un metre trente centimetres de largeur,
dont toute la partie superieure a disparu , et qui faisait saillie ,
en forme de porche, sur la muraille du temple. A trois me-
tres a droite de cette porte, une petite fenetre est percee dans
le mur. L'orientation de 1'edifice est telle que la porte s'ou-
vrait au nord. En avant de 1'enceinte, deux troncons de co-
lonne gisent sur le tertre.
Parmi les quelques grosses pierres qui sont dans 1'enceinte
sacree, se trouve un chapiteau grossier, sorte de charge du
chapiteau corinthien , et que je ne puis croire tres-ancien. Des
pierres plates recouvrent autour de 1' Edifice et a 1'inte'rieur
meme, des tombes, probablement chretiennes. Sur 1'une d'elles
se voient les lettres suivantes, qui ont douze centimetres de
hauteur AOKI. Une seconde pierre porte les lettres superposes
. Les delta de ces deux fragments d'inscription ont le trait
incline de droite, en saillie recourbee a gauche , sur Tangle
superieur de la lettre, ce qui leur assigne une antiquite peu
reculee. En resume, je crois voir dans ces debris des indices
certains d'une origine byzantine *.
Tout pres de Ik, au milieu de grosses masses de pierres
gisant au bord du chemin, j'ai trouve un enorme bloc de tra-
chyte (espece de lave noire poreuse) qui semble avoir ete un
couvercle de sarcophage; il presente une longue cavite de
1. Voyezpl. XLVI.
458 VOYAGE EN SYRIE
vingt centimetres de profondeur, dont les parois ne sont taillees
verticalement que sur les grands cotes, les extremites etant
arrondies en cul de four. Cette cavite est munie vers son arete
inferieure d'une rainure plus large vers le fond. Le bloc, si
bizarrenent taille, a cinquante-cinq centimetres d'epaisseur.
Apres nous etre arretes a ech-Chedjara le temps necessaire
pour etudier la curieuse ruine que je viens de decrire , je me
suis hate de prendre, du haut du tertre qui la porte, les direc-
tions et les indications des principals localites que nous avions
en vue. Droit devant nous, c'est-a-dire precisement a Test
d'ech-Chedjara, a. trois kilometres au plus (un peu plus d'une
demi-heure de marche, me dit Ismayl) setrouve le village de
Kafr-Sebt. Au sud-est et a deux heures de marche ( douze ou
quirize kilometres) est placee Kafr-Kemeh, ou Kemah, et . enfin
au sud-sud-est, et a six heures de marche, Kaoukab.
J'ignore ce que peut etre Kafr-Sebt. Josephe mentionne
deux localites galileennes dont le nom a quelque analogic
avec celui-la, Saab (2aa£), et Seph (seep). Le premier de ces
endroits est designe comme la patrie d'Eleazar, filsde Samaeos,
qui se distingua a la defense de Jotapata '. Seph est une des
places de la Galilee superieure, que Josephe fit mettre en etat
de defense, pour resister aux Remains5. II est tres-possible
que notre Kafr-Sebt soit une de ces deux villes galileennes,
si toutefois les deux noms ne doivent pas s'appliquer a une
seule et meme ville , comme je suis assez dispose a le croire.
Kafr-Kemah, ou Kemeh, ne peut etre, que je sache, iden-
tifiee avec aucune localite antique. Quant a Kaoukab , le Rev.
Robinson a etabli d'une maniere satisfaisante, que c'est le cha-
teau de Belvoir, ou de Beauvoir, forteresse dont il est souvent
question dans 1'histoire des croisades.
1. Bell. Jud., HI, vn, 21.
2. Bell. Jurt., ku, xxi, 6.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 459
D'ech-Ghedjara, nous nous sommes hates de gagner le vil-
lage d'el-Loubieh ; il est assez considerable, et probablement
ancien, bien que Ton ne m'y ait signale aucune ruine, autre que
celles des maisons renversees par le tremblement de terre du
ler Janvier 1837. Robinson a neanmoins trouve la mention
d'el-Loubieh dans la vie de Selah-ed-Dyn, par Beha-ed-Dyn.
Une belle plaine bien cultivee, s'etend au sud d'el-Loubieh,
mais elle est de beaucoup plus basse que le site du village ;
cette plaine se nomme Merdj-el-Loubieh. La route que nous
longeons, domine toute cette plaine a sa pointe nord, et passe
a cote de deux puits qui se nomment Biar-el-Loubieh. Le
coteau sur lequel nous cheminons, s'etend au sud pour former
le flanc gauche du Merdj. De ce cote, a un ou deux cents
metres au plus , est un mamelon couvert de gros fragments de
rocher, qui semblent etre disposes avec un certain ordre sur
le terrain. Mais il est deja tard , et nous n'avons pas le loisir
de nous assurer du fait de r existence, en ce point, d'un monu-
ment primitif; il nous faut done passer outre. En ce moment
nous apercevons au loin sur notre droite, et vers 1'extremite de
Merdj-el-Loubieh, un village qui se nomme Sayadah.
Un peu plus loin que les Biar-el-Loubieh, la route passe
a cote des ruines d'un khan, et entre dans la plaine de Hattin,
plaine a jamais celebre par la desastreuse bataille qui con-
somma la ruine du royaume latin de Jerusalem. On apercoit,
a environ trois kilometres a gauche, deux sommets de collines
qui dominent la plaine : ce sont les cornes de Hattin (Qoroun-
Hattin). Au pied de ces collines sont les decombres du village
meme de Hattin. La plaine que nous traversons alors, est assez
mamelonnee. Des ravins boueux et semes de blocs de lave, la
coupent frequemment, et souvent aussi on est force de recon-
naitre que ces blocs se rattachent a de veritables coulees volca-
niques restees en place. Partout le terrain est humide et cou-
460 VOYAGE EN SYRIE
vert de la plus riche vegetation : de charmantes fleurs se
montrent & chaque pas, et entre autres un beau Galega a fleurs
violettes et a feuilles tomenteuses, dans lequel je crois reconnai-
tre le Galega o/ficinalis qui est devenu une plante d'agr^ment
fort bien vue dans nos parterres; ici elle foisonne, mais n'en
est pas moins gracieuse pour cela.
Lorsque nous avons encore gagne" un peu de terrain , nous
apercevons, a six kilometres environ sur notre gauche, un ma-
melon que semble surmonter une vaste ruine. Ismayl me dit
que c'est le Qalaat-el-Hammam. Parmi les villes fortes de
la tribu de Nephtali1 est mentionnee Hamath (nan), dans le
voisinage de Kenret, qui a donne son nom a la mer de Kenret,
ou lac de Gennezareth, ou lac de Tiberiade. Cette Hamath est
probablement notre Kalaat-el-Hammam. Une ville nommee
Hamath-Dar (iNTnon) , est mentionnee 2 parmi les trois villes
de la tribu de Nephtali assignees a la tribu de Le"vi. Est-ce la
meme que la ville forte citee dans le partage de Nephtali?
Cahen le suppose, malgre 1'adjonction du surnom Dar qui lui
est assigne" cette fois. Pour ma part, je suis tente de le croire
aussi ; je n'ai pas malheureusement visite cette localite qui pa-
rait etre excessivement curieuse, et dans laquelle Robinson, sur
ce qu'en ont dit Burkhardt , Irby et Mangles, reconnait les
cavernes fortifiees, placees pres d'Arbela , en Galilee , et dont
Josephe parle deux fois, avec d'autant plus de precision, qu'il
les a mises lui-meme en etat de defense. II les appelle dans sa
Vie (parag. 37) la grotte d'Arbeles (ipg-nXov crcvftatov), et
dans la Guerre des Juifs (II , xx , 6) les grottes voisines du lac
de Gennesar (TOC rap! revv/icap T/IV ^[/.vr.v (TTaftaia) . Le nom que
Robinson applique a cette localite est celui de Kalaat-ibn-Maan ;
ce nom differe beaucoup de celui que m'ont dicte Ismayl et
1. Josue, xct, 35.
2. Josue, xxi, 32.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 464
apres lui Mohammed. Mais, comme Robinson et ses devan-
ciers sont d' accord pour placer cette forteresse antique, sur
les flancs escarpes de rOuad-el-Hammam, il est possible que
tout le monde ait raison , bien que je donne tout naturellement
la preference au nom que j'ai recueilli. Comme, a Hattin, Robin-
son a pu recevoir 1'indication des ruines tres-apparentes pla-
cees pres du Qalaat, et qui lui ont ete nommees Irbid, 1'identi-
fication qu'il propose, me parait extremement satisfaisante ; en
effet, 1'Arbeles de la bataille d'.Alexandre, s'appelle aujourd'hui
Irbil , et de Irbid a Irbil il y a si pres, que tres-probablement
1' Irbid de Galilee nous donne le nom moderne d'une antique
Arbeles.
Comme le jour commencait a baisser, nous avons du nous
decider a marcher un peu plus rapidement, quelque vif que fut
Tinteret qui nous retenait dans cette plaine de Hattin, ou tant
de sang chretien a coule jadis sous les coups des soldats de
Selah-ed-Dyn, et devant ces Koroun-Hattin, dernier refuge du
roi Guy de Lusignan et d'une poignee de chevaliers qui y sou-
tinrent trois assauts, avantd'etrefaits prisonniers. Nouschemi-
nions done assez bon train, lorsque Ismayl me fit quitter la route
frayee, pour appuyer a gauche , vers le bord d'un ravin assez
profond. Laquelques roches basaltiques s'elevaient un peu au-
dessus des hautes herbes. — Chouf, me dit le Musulman, —
regarde : — De el-hedjar, hedjar el-khams4 khobzat, — ces
pierres sont les pierres des cinq pains. — La done , pour les
Musulmans, comme pour les Chretiens, s'est accompli le mi-
racle de la multiplication des pains. Au reste, il etait difficile
de s'arreter pour une predication, en un lieu d'oii la vue des
iiucliteurs put se promener sur un plus magnifique panorama;
et, si la tradition est vraie, ce que je veux croire, le Christ
avait choisi , pour repandre sa parole vivifiante, un des plus
beaux sites qu'il y ait au monde.
462 VOYAGE EN SYRIE
Apres avoir fait halte un instant, pour recueillir des frag-
ments de la sainte roche, nous avons repris notre route. De Ik
jusqu'a Thabarieh, il n'y a plus qu'a descendre, et moins
d'une demi-heure apres, nous entrions dans cette ville desolee,
qui n'est, a vrai dire, qu'un amas de decombres, depuis 1'ef-
froyable tremblement de terre qui 1'a bouleversee de fond en
comble. Son enceinte militaire est aujourd'hui dans un etat qui
fait peine a voir ; les pans de mur ont roule tout d'une piece,
les uns par-dessus les autres ; les tours eventrees se sont cou-
chees de ci de la; pauvre ville ! Quelques maisons ont ete reba-
ties par les Juifs, mais la plupart sont restees a terre, pour ne
pas se relever de sitot.
Apres avoir tourne deux ou trois fois, au milieu des ruines
et des murs lezardes qui ne tiennent plus debout que par
un reste d'habitude , nous nous sommes arretes en face de la
maison de M. Weisemann, juif allemand qui s'est etabli a Tha-
barieh et qui y exerce, a sa maniere, les devoirs de Phospita-
lite". Mais n'anticipons pas!
Nous sommes enchantes d'etre arrives et installes assez con-
venablement, en apparence. line chambre qui jouit d'une deli-
cieuse vue sur le lac et sur les montagnes de la cote orientale,
nous est donnee avec un lit pour sept! Heureusement nous
avons nos couchettes, et nous nous etablissons le moins mal
que nous pouvons. La maison a un petit air propre et gai qui
nous rejouit le co3ur, et nous nous trouvons tres-heureux d'y
etre parvenus sans encombre.
M. Weisemann, notre hote, est le gros petit homine qui
trottinait devant nous, sur un ane, a notre depart d'El-Bireh
pour Jerusalem; nous sommes done enchantes de revoir sa
bonne face alTairee. Mme Weisemann, qui est fort prevenante,
serait une tres-jolie femme, si elle n'avait pas dix ou douze pieds
de circonference. Nous mourions de faim, et le diner nous est
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 463
servi; vrai diner & physionomie europe"enne, mais assez me'-
diocre, ce qui n'empeche pas, vu la rarete de la chose, que
nous ne lui fassions le plus grand honneur. Les poissons du
lac, que Ton nous donne, nous paraissent surtout un mets deli-
cieux, et il est de fait que leur chair est tres-succulente et tres-
agreable. Us n'ont pas les innombrables aretes des poissons
ordinaires d'eau douce, et nous MOUS en accommodons par-
faitement bien.
Apres le diner nous nous sommes couche's au plus vite, moi
dans le lit, dont on m'a fait honneur, comme au chef de la
caravane, tous les autres, sur leurs couchettes accoutumees.
Couchettes on lit, c'etait tout un; car nous avons tous passe
notre nuit a maudire une classe des habitants de Thabarieh.
A. ce sujet, un mot : la reine des Puces, disent les Musul-
mans, habite Thabarieh. Us ont raison cent millions de fois ;
mais pourquoi oublient-ils de parler de sa cour et de ses
armees qui sont innombrables?
1" MARS.
Nous ne nous sommes pas Eternises dans nos lits, et pour
cause : ce matin done j'etais sur pied de tres-bonne heure, et
apres un premier regard d'admiration, jete par notre fenetre, a
ce magnifique lac de Gennezareth, I'abbe" et moi nous nous
sommes empresses d'aller faire une promenade sur Pemplace-
ment de la Tiberiade antique. Pour cela faire, il nous a fallu
traverser toute la Tiberiade moderne. C'est bientot fmi; deux
ou trois minutes, au plus, nous conduisent & la porte de la ville,
et. cette porte n'est pas une des choses les moins curieuses que
Ton puisse voir ici. Depuis le jour ou le tremblement de terre a
disloque la ville entiere, les battants de bois de cette porte se
soht tronves encastres dans un tas de decombres, provenant
164 VOYAGE EN SYRIE
de la muraille dans laquelle elle etait percee, de sorte qu'elle
reste a moitie fermee, quand elle devrait 1'etre tout a fait. II
est vrai que personne ne s'en soucie, et que les choses seront
en cet etat, tant que le bois qui compose la porte, n'aura pas
ete use par le temps.
II faut faire un effort reel pour se croire sur les bords du lac
de Gennezareth. Ici , plus de figures voilees , mais de vraies
figures de femmes, habillees comme des femmes juives d'Alle-
magne et de Lorraine ; puis des homines, dont la plupart ont
conserve, sinon tout le costume europeen, du moins le chapeau
rond, que Ton est fort etonne de voir transplant^ en pareil lieu.
Beaucoup de ces hommes ont bien la grande houppelande des
juifs syriens, mais comme celle-ci est identique avec la houp-
pelande des juifs polonais et allemands, et que d'ailleurs ils
ont ou le chapeau rond, ou le bonnet de fourrure, 1'illusion
n'est pas detruite, et il faut recevoir sur la tete, pendant cinq
minutes, les rayons d'un soleil effrene, pour qu'on soit rappele
a la realite. A Thabarieh, on est au bord de Teau, c'est vrai ;
mais ce rivage-la est terriblement chaud , et ressemble fort a
une etuve.
Nous avons d'abord reussi a nous introduire sous de grandes
voutes du moyen age, et qui semblent avoir appartenu a quel-
que edifice religieux du temps des croisades. Elles sont tout
a fait sur la rive, et ne servent aujourd'hui que de receptacle
d'immondices. II va sans dire que les Juifs du voisinage, tout
surpris de nous voir entrer dans un pareil cloaque, viennent
se regaler de notre vue, et, rencontre bizarre! parmi eux se
trouve une femme d'Oran, qui me demande, en arabe du Marh-
reb, si nous sommes Francais. Sur ma reponse affirmative, elle
commence une kyrielle de benedictions cordiales a notre en-
droit. Les Fran^ais sont les liberateurs de ma race, nous dit-
elle, et Dieu doit les benir. Pourtant, cette bonne femme,
ET AUTOUR DE LA MEK MORTE. 465
en depit du bonheur de vivre en Afrique, aupres des libe>a-
teurs de sa race , a suivi son mari a Thabarieh , ou ils sont
venus, avec tous leurs coreligionnaires, attendre la venue du
Messie, et mourir en 1'attendant.
En sortant de la, nous avons traverse ce que Ton appelle le
Bazar. Ce nom implique une excellente plaisanterie ; car ce
bazar se compose de trois ou quatre baraques, dont Tune est
une boucherie, etles autres des boutiques inqualifiables, vuque
Ton a bien 1'air de n'y rien vendre du tout. Devant les maga-
sins de ce bazar, sont des appentis de branchages, soutenus
par des Cuts de colonne empruntes aux ruines de 1' antique
Tiberiade, et, sous ces appentis, trois ou quatre Turks ou
Arabes deguenilles, sont accroupis sur le pave et fument silen-
cieusement leur tchibouk. Notre passage ne reussit pas a les
tirer de leur apathie, et ils trouvent infmiment plus de charme
cl contempler leur fum£e qui tourbillonne, qu'a regarder nos
figures het£roclites. L'abbe et moi le comprenons a merveille,
et nous continuons notre chemin sans faire plus d'attention £
eux, qu'ils n'en font a nous-memes.
Nous voici hors de 1'enceinte de Thabarieh. Pas un nuage
au ciel ! Partout sur la terre la plus riante parure d'herbes et
de fleurs ; partout sur Teau , qui reflete 1'eclat du ciel , des
bandes d'oiseaux aquatiques qui volent, plongent et se jouent ;
devant nous, les ruines de la Tiberiade d'Herode, ruines au-
jourd'hui a fleur de terre, et sur lesquelles la charrue passe
chaque annee, contournant les innombrables trongons de co-
lonnes quis'eleventau-dessus des champs. Au point ou elless'ar-
retent, deux ou trois batiments delabres, ruines d'hier, batis
par Ibrahim-Pacha, sur les admirables sources thermales d'Em-
maiis. A 1'horizon, la vallee verdoyante du Jourdain, born^e a
T Occident par les montagnes de Judee, a 1' orient par celles du
pays des Ammonites. Enfm, de 1'autre cote du lac, les belles
ii. 30
466 VOYAGE EN SYHIE
et riches montagnes du Haouran. Si nous nous tournons vers
le nord, au dela de Thabarieh, le hameau de Medjdel, et les
coteaux qui bordent le lac au-dessus de Gennezareth et de
Capharnaum, premiers contreforts de la chaine que nous au-
rons a gravir pour atteindre Safed. De quelque cote que Ton
se tourne, on voit laterre qu'a foulee le pied de Jesus-Christ et
celui de ses disciples cheris, 1'eau sur laquelle ils ont navigue.
Tout cela inonde" de la lumiere la plus splendide! Que Ton
parcoure 1'univers entier, je defie que Ton trouve un pan-
orama qui vaille celui-la. On se sent ravi, penetre, et Ton con-
temple avec une emotion bien vive , je le declare , cette belle
oauvre de Dieu, ce coin de terre privilegie, ou le Messie a
laisse, a chaque pas, un souvenir de son passage.
Nous avancons, en suivant le chemin qui longe le bord du
lac et qui conduit de Thabarieh a el-Hammam (les Bains).
Sur cette route , passent incessamment des hommes et des
femmes qui vont aux bains on qui en reviennent. A droite de la
route, jusqu'aux coteaux qui forment la base de la montagne
sur laquelle est batie Thabarieh, s'etendent des champs culti-
ves, jonches de futs de colonne couches ou debout. Dans le
flanc meme de la hauteur se montrent quelques rares excava-
tions sepulcrales. A gauche , sont quelques enormes massifs
carres, de maconnerie d'apparence romaine, qui avancent de
quelques metres dans le lac. De quel edifice ont-ils fait partie?
II serait bien difficile de le dire aujourd'hui; peut-etre sont-ce
des moles d'un petit port ou venaient se refugier et s'amarrer
les barques; peut-etre encore se reliaient-ils a un palais dont
quelques pavilions etaient ainsi jetes en avant, pourdemander
un peu de fraicheur aux belles eaux transparentes du lac. Ce
que je leur demande, mod, ce matin, ce sont de charmantes
coquilles fluviatiles, accrochees sous 1'eau au flanc des pierres,
et dont je fais ample provision. A voir Timmense quantite de ces
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 467
coquilles a 1'apparence marine , mortes et routes par le flot ,
former un epais cordon qui ourle la greve, on se croirait au
bord de la mer. II faut, en ve>it4, gouter 1'eau du lac, et se
convaincre ainsi qu'elle est douce, pour ne pas se laisser aller
a Tillusion.
Deux ou trois heures sont bien vite passees, en pareil lieu.
L'abbe a fait une herborisation merveilleuse ; la chaleur devient
intolerable; aussi nous batons-nous, par prudence et un peu
par appetit, de regagner 1' hotel Weisemann, ou le dejeuner
nous attend. Nous rentrons done a moitie rotis , et nous deci-
dons que nous ne ressortirons que vers trois heures, quand la
forte chaleur du jour commencera a tomber, afin d'eviter le
danger des coups de soleil. J'ai conserve d'assez vives dou-
leurs de tete depuis ma promenade a Sebastieh, et j'avoue que
j'ai fort en vie de ne rien faire pour les augmenter.
Apres le dejeuner, nous avons assiste, en fumant, a la con-
fection du portrait de madame Weisemann qui s'est ornee de
se$ plus beaux atours, pour fournir a notre ami Belly un
niodele plus digne de lui. Je pense bien que la chere femme
se figure que le portrait sera pour elle , mais elle se fait une
douce illusion , car Belly est parfaitement decide a emporter
son O3uvre. J'ai ecrit force notes et etudie de notre balcon la
cote orientale du lac ; j'ai bien fixe, sur ma carte de Zimmer-
rnann, 1'embouchure de l'Ouad-es-Samak, et j'ai aide 1'abbe a
visiter son herbier. Le temps s'est ainsi passe ; il est trois
heures , et nous allons nous promener au pied des murailles,
pour chercber des insectes. Notre chasse est merveilleuse;
nous trouvons en grand nombre de magnifiques especes, et
nous ne rentrons que lorsque la nuit arrive.
Notre soiree s'est passee comme d'ordinaire, et sans le
moindre incident qui merite d'etre note. Demain matin, nous
voulons aller dejeuner a la sortie du Jourdain , et en conse-
468 VOYAGE EN SYRIE
quence nous commandons nos chevaux pour sept heures; nous
sommes bien certains d'etre prets de bonne heure, vu ce que
nous devons retrouver dans nos lits.
'". '"A'.<\ :
2 MARS.
Les chevaux sont arrives a 1'heure dite, et nous nous sommes
mis en marche , accompagnes de Matteo et de notre moukre
Said seulement. Le temps est aussi beau qu'hier et promet
deja d'etre aussi chaud. Cependant, quelques nuages errent
au ciel; peut-etre done le soleil nous laissera-t-il, par-ci par-la,
quelques moments de repit. Nous avons pris exactement le
meme chemin qu'hier matin nous avions pris, 1'abbe et moi;
serrant done de tres-pres la rive du lac en longeant les ruines
de Tiberiade, nous sommes arrives, au bout d'une demi-
heure , en face des batiments delabres qui constituent 1'^ta-
blissement des eaux thermales d'el-Hammam. Je les avais
bien juges de loin ; ce sont de vraies masures croulantes et qui
font peine a voir. La source, extremement chaude, qui alimente
ces bains, s'e"coule dans le lac par deux ou trois rigoles tapis-
se"es d'une croute de sediment, blanchatre dans 1'une et ver-
datre dans une autre.
Des la plus haute antiquite, cette source a joui d'une grande
reputation, qui, du reste, parait meritee. Pline en fait men-
tion ; mais c'est surtout Josephe qui en parle de la maniere la
plus precise. Nous lisons dans son livre T, a propos de la fon-
dation de Tiberiade, que le tetrarque Herode (qui etait lie
d'une etroite amitie avec Tibere) batit une vijle dans la plus
belle partie de la Galilee , sur le lac de Gennezareth , et lui
donna le nom dc Tiberiade. II ajoute que desthermes, nom-
1. Ant. Jud., iv, i, 3.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 469
Emmaus , touchent a la meme ville, 0ep[/.a £e oux. cnrwOsv
v jttojAT) Ejjijxaoui; 6'vop.a aur?,. Ce nom d'Emmaiis (ou
d'Ammaiis, car Josephe 1'ecrit des deux manieres) nous est
explique par lui dans un second passage ', ou il nous apprend
que Vespasien, ayant quitte le camp qu'il avait etabli a
Ammaus, devant Tibe"riade, se rendit a Gamala. A ce propos,
Josephe dit entre parentheses « que le nom d'Ammaiis, si Ton
veut I' interpreter, signifie : eaux chaudes. La en elfet se trouve
une source d'eau chaude tres-salutaire pour la guerison des
maladies ([/.eGep^yiveuo^svYi &e A(A(xaoijl? 6ept/.a XeyoiT1 av ECTI yap
sv aurio TCviyvi 9ep[ju«v U^.TWV TTpo? axeciv STUITVIOSIO;). »
Vespasien avait choisi ce point pour y asseoir son camp ,
parce qu'apres etre entre sans coup ferir a Tiberiade, il lui
fallait encore reduire Taricheae, placee vers la pointesud du lac,
etderriere les murs de laquelle les Juifs s'etaient retires. D^ja
Jrby et Mangles avaient remarque, au nord des sources d'el-
Hammam, des coupures tres-distinctes qui relient le lac a la
montagne qui le domine, et ils avaient suppose que c'etaient
les fosses du camp de Vespasien. J'ai moi-meme parfaitement
remarque" ces coupures, qui sont indubitablement les retran-
chements du camp de Vespasien. Josephe raconte que les Juifs
de Taricheas, conduits par leur chef lesous, vinrent se ruer
sur ce camp, au moment meme ou les soldats remains en con-
struisaient 1'enceinte, et qu'ils reussirent non-seulement a
chasser les travailleurs, mais encore a detruire une partie de
Touvrage deja fait2. Bientot les Romains se rallierent, fon-
dirent a leur tour sur les assaillants qu'ils culbuterent et mirent
en deroute. 11s les poursuivirentl'epe"e dans les reins, jusqu'aux
barques qui etaient pretes a recevoir les fuyards. Poussant
alors au large, mais restant a port^e de trait, les Juifs, dit
1. Bell. Jud., iv, i. 3.
2. Bell. Jud.,m,x,l.
470 VOYAGE EN SYRIE
assez plaisamment Josephe, engagerent un combat naval avec
des ennemis places sur terre.
Peu de temps apres que les fosses du camp de Vespasien
sont depasses, on commence a rencontrer des mines tres-con-
siderables de constructions en blocs de lave , non equarris
comme ils le sont dans celles de Tiberiade; ce ne sont que des
arasements, mais parfaitement distincts et reconnaissables. On
y retrouve des enceintes, des allees de pierres, des murs de
soutenement et des bases de tours rondes qui dominaient le
lac. Le long de celui-ci paratt encore sur une assez grande
etendue un mur de quai. 11 n'est pas possible, je crois, de se
tromper sur le nom de cette ville antique : c'est Tarichea3 , sur
laquelle je vais revenir tout a 1'heure.
Ces mines interessantes se moritrent pendant pres d'une
demi-heure, puis elles cessent de paraitre pendant dix minutes
de chemin, pour se rencontrer encore, sur une beaucoupmoins
grande etendue. Cette interruption, d'au moins un kilometre,
doit-elle etre regardee comme necessitant, en de point, la pre-
sence de deux villes detruites? Je ne sais. Peut-etre la plus
eloigneeausudest-elle la Ville primitive, qui se sera rapprochee
posterieurement d'el-Hahimam et du site de Tibe~riade. Du
reste il ne serait pas impossible , a la rigueur, que les traces
de la portion de la ville qui aurait occupe cet intervalle d'un
kilometre, reste vide aujourd'hui, eussent disparu, bieh qu'il
paraisse au moins etrslnge que, sur toute cette etendue de ter-
rain, il n'y ait plus un seul bloc de lave.
Said, interroge par moi sur le nom de la ville dont noils
traversions les mines, m'a repondu : Kedes. J'avoue que
j'ignore completement d'oii peut provenir cette denomina-
tion, que je trouve deja inscrite sur la belle carte de Zimmer-
mann.
f. i
Au dela des mines placees au sud de TarichesR, la mon-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 471
tagne s'ecarte rapidement de la cote, et la commence verita-
blement le Rhor, c'est-a-dire la plaine humide du Jourdain.
On marehe encore une bonne demi-heure, et Ton se trouve
alors a la pointe sud d'une petite vallee mare^cageuse, qui
semble n'etre qu'une veritable laisse du Jourdain, dominee a
1'ouest par le flanc des premieres pentes de la montagne, et a
Test par un enorme massif tres-eleve, et qui forme comme une
sorte de jetee immense, construite pour contenir les eaux du
lac au point me*me oil le Jourdain s'en echappe. La re"gularite
de construction de ce massif est telle, que j'ai grand' peine a
croire que ce ne soit pas une colline artificielle, due a la main
de 1'homme.
Le Jourdain, au point ou il sort du lac de Gennezareth, point
qui se trouve place lateralement et un peu en dega de 1'extre-
mite sud du lac , se retourne brusquement a 1'ouest, en faisant
un angle droit avec le grand axe du lac. 11 ne suit, du reste,
cette direction que sur une longueur de deux ou trois cents
metres, apres laquelle il se redresse brusquement au sud.
G'est cette branche du Jourdain dirigee a 1'ouest, qui alimente
d'eau le marecage que j'ai designe tout a Theure.
A 1'extremite de la grande jetee est le point de debarque-
mentdes voyageurs, que le seul bac qui desserve les deux rives
du Jourdain amene de la rive orientale. Sur cette rive orien-
tale, a un kilometre environ, a gauche du point de depart et
d'arrivee du bac, on voit le village de Samakh, et plus loin
encore, a gauche, des mines tres-apparentes, meme de si loin,
et qui portent le nom de Kharbet-Samrah. Quelle est cette
Samrah? Je serais assez tente de croire que c'est la ville dont
Hyrcan s'empara apres avoir pris Medaba, et que Josephe ap-
pelle Sama3a (xajxaia)1 et Samega (Sa^eya) a. Dans ce dernier
1. Bell. Jud., i, u, 6.
2. Ant. Jud., XIH, ix, 1.
472 VOYAGE EN SYR1E
passage , Josephe nous apprend que Hyrcan , des qu'il connut
la mort d'Antiochus Eusebes, marcha sur les villes de la Syrie,
esperant les surprendre sans defense. Medaba (ville de la rive
orientale du Jourdain) resista pendant six mois, et apres la
reduction de cette ville, ce fut le tour de Samega, ou Samasa, et
des lieux environnants ; puis vint le tour de Sichem et du Gari-
zim. Pour venir de Medaba a Sichem, Hyrcan devait aller
passer le Jourdain, au point ou sont les mines du pont connu
sous le nom de Djesr-Omm-el-Kenatir, c'est-a-dire a un quart
de lieue du point ou le Jourdain sort du lac de Gennezareth.
Notre Samrah est done convenablement placee, pour repre-
senter la Samega de Josephe.
A la pointe nord de la grande jete"e qui sert de digue k la
sortie du Jourdain , se trouve un grand mamelon couvert de
decombres et crible de citernes. Un second mamelon, plus
petit et couvert egalement de ruines, est au nord du premier,
avec lequel le relie une jetee que recouvrent aussi des decom-
bres. Ces ruines sont evidemment modernes et represented
un pauvre village arabe qui a, comme tant d'autres, disparu
depuis un petit nombre d'annees ; il se nommait, et ses restes
se nomment encore, el-Karak. On a pense qu'on pouvait
retrouver dans cette denomination une trace du nom antique
de Taricheaa. J'en demeure d' accord. Mais on a voulu identi-
fier le site d'el-Karak avec celui de Taricheaa, et ici je ne puis
plus etre aussi coulant. C'est tout simplement impossible, et
je vais tout a 1'heure le demontrer de facon a ne pas laisser, je
crois, de place h la replique. Commencons par dire quelques
mots de 1'histoire de Tarichea?.
Cette ville etait situee a trente stades de Tiberiade (ei; Ta-
TIS Ti^ept'a^o? aTreyouca? crania rptaxovTa '). Voici com-
1. Vit. Jos., 32.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 473
ment Josephe de"crit le site de Taricheae, dont il ecrit le nom
indifleremment Tapiyaiai et Tapiyeai. Cette ville , dit-il , est
situee comme Tibe>iade, au pied d'une montagne et munie
d'une forte muraille d' enceinte, mais non aussi forte que celle
de Tiberiade (cette muraille, c'est lui-meme , Josephe, qui
1'avait fait construire) ; toute la ville en e"tait entouree, excepte
du cote7 ou elle etait baignee par les eaux du lac1. II parait
probable que la ville avait recu son nom , des salaisons qui
s'y fabriquaient et qui e"taient faites avec les poissons peches
dans le lac.
La premiere mention de Taricheae faite par 1'historien des
Juifs, est contenue au chapitre xiv de ses Antiques Ju-
dai'ques (VH, 3) ; elle nous apprend que Cassius s'etant reTu-
gie en Syrie, s'en empara et en chassa les Parthes. II revint
alors a Tyr et inarcha de la sur la Judee. Dans cette expedi-
tion, il se rendit maitre de Tarichea3 a la premiere attaque, et
il y fit trente mille captifs. Dans la premiere annee de son
regne, Neron donna a Agrippa une partie de la Galilee, et
entre autres Tiberiade et Taricheae; et, de plus, Julias de la
Pere"e, avec quatorze bourgs qui en dependaient a. J'ai d6ja
dit tout a 1'heure que ce fut 1'historien Josephe qui, a 1' occa-
sion de la venue des Remains en Galilee, mit Taricheae en etat
de defense, avec nombre d'autres places3.
Taricheae avait un hippodrome, nous 1'apprenons par le re"-
cit eminemment curieux de la sedition qui fut fomentee contre
Josephe, par quelques jeunes gens du village de Daberouth
(a-TVO Aa^apiTTcov /.way]; sv rw [/.eyaXco Tue&iw) qui avaient devalis^
Ptolemee, procurateur d' Agrippa et de Berenice, et qui avaient
apporte" le produit de leur vol a Tarichea3, ou Josephe les en
1. Bell. Jud., m, x, 1.
2. Ant. Jud., xx, viii, 4.
3. Bell. Jud., n, xx, 6.
474 VOYAGE EN SYRIE
avait depouilles. Les mecontents s'etaient rassembles, dit
Josephe, au nombre de cent mille (ew ^ex.a (/.upia6sa;) dans Thip-
podrome situe pres de Taricheae (ev ™ jcari Tapi/sa; urrco-
^po'fjup1), Ceci implique evidemment une exageration enorme.
Les Taricheates voulant passer dans le parti d'Agrippa, en
furent empeches par Josephe 2. Le jour meme ou ils vinrent
attaquer le camp de Vespasien, pres des thernies d'Emmaiis,
ils furent, ainsi que nous 1'avons vu, repousses par les soldats
remains, jusque sur leurs barques. Au meme moment, Titus
attaquait, par Tordre de son pere, un rassemblement consi-
derable qui s'etait forme dans la plaine voisine de la ville.
Titus, bien que se voyant tres-inferieur en nombre (il n'avait
d'abord avec lui que six cents cavaliers d'elite), allait charger,
lorsque Trajan, amenant quatre cents autres cavaliers, vint
ren forcer sa troupe; d'un autre cote, Antonius 8ilo, ft la tete
de deux mille archers , avait ete envoye par Vespasien , pour
occuper les hauteurs qui dominent la ville, et ecarter h coups
de fleche les defenseurs des murailles. Les Remains developpant
alors un front de bataille egal a celui de Pennemi , fondirent
sur lui en jetant de grands cris. Les Juifs essayerent de soute-
nir le premier choc, bien qu'ils fussent terrifies par 1'ordre par-
fait avec lequel cette charge de cavalerie s'executait sur eux.
Mais leur ligne fut bientot rompue, et tout ce qui n'etait pas
blesse a coups de javelot, ou ecrase par les chevaux, s'enfuit
en desordre vers la ville. Titus, lance a la poursuite des fuyards,
en fit un grand massacre. II cherchait a leur couper la retraite,
et a les rejeter dans la plaine, sous les coups de ses cavaliers,
mais ils reussirent, par leur masse meme, a se frayer un pas-
sage, et ils finirent par se refugier derriere les murailles de la
place.
1. Bell. Jud., ii, xxi, 3.
2. Vit. Jos. 32 etsuiv.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 475
Presque tous e"taient des Juifs etrangers a, la ville, et lors-
qu'ils y furent rentres, les habitants auxquels cette guerre, qui
compromettait leurs bieiis et leur vie, plaisait mediocrement, et
qui d'ailleurs venaient de voir perir un grand nombre des leurs,
chercherent a se revolter centre ceux que les Remains avaient
mis en fuite ; mais ceux-ci e"taient en majority ; urie dissension
tumultueuse s'e"leva entre les deux partis, et de grands cris se
firent entendre au-dessus des murailles. Titus alors, avec cette
rapidite de vue et cette energie qui font les heros, comprit que
le moment etait opportun pour s£ rendre maitre de la place, et
donnant I'exemple de 1'audace, il lanca son cheval dans le lac,
tourna ainsi le rempart, et, suivi de sa cavalefie qui rie voulut
pas rester en arriere d'un pareil chef, il fit irruption dans Tari-
chese, par la portion du rivage qui n'etait pas defendue par
un mur de quai.
On comprend quelle terreur dut s'emparer des Juifs a la vue
de cet audacieux coup de main. Les Uns s'enfuirent a travers
champs, et beaucoup d'autres perirent en s'efforcant de se re-
refugier sur leurs barques, ou de suivre h la nage celles qui,
chargees de monde, avaient reussi a s'eloigner de la cote. Titus
finit par avoir pitie des habitants qui n'osaient se defendre, et
lorsque tous ceux qui avaient pris part a Taction eurent etc mis
a mort, il donna 1'ordre de cesser le carnage. Geux qui s'etaient
refugies sur le lac, voyant la ville au pouvoir de I'ennemi* s'en-
fuirent au large, et le plus loin possible des Remains.
Vespasien, ihforine aussitot du succes de cet incroyable
fait d'armes, ordonna sur-le-champ d'entourer la ville, et de
mettre a mort quiconque essaierait d'en sortir. Le lendemain ,
il vint a Taricheee et fit commencer aussitot la construction
de radeaux, a 1'aide desquels il put poursuivre et atteindre
ceux qui avaient fui sur le lac. Des que ces radeaux furent
prets, ils furent lance's centre les Juifs, qui essayerent vaine-
476 VOYAGE EN SYRIE
ment de resister. Les Romains en firent un effroyable mas-
sacre, sur le lac d'abord, et ensuite sur la cole ou ils avaient
eterejetes, si bien que 1'air fut longtemps empeste sur les
rives du lac , par les cadavres en putrefaction. Avec ceux qui
avaient peri a la prise de la ville, le nombre des morts s'eleva
a six mille cinq cents.
Aussitot le combat naval termine, Vespasien reunit un conseil
de guerre a Taricheas meme, et on y discuta le sort a reserver
aux vaincus. Les habitants de la ville une fois mis a part et
pardonnes, Vespasien fit semblant d'accorder la vie sauve aux
Juifs etrangers, mais il ne leur laissa que la liberte de s'en
aller du cote de Tiberiade. Les soldats remains en gardaient le
chemin, pour que personne ne put s'en ecarter. Tous durent
done entrer a Tiberiade, et ils y furent aussitot enfermes.
Vespasien les y suivit aussitot , les fit tous amener au stade, et
donna 1'ordre de mettre immediatement a mort les vieillards
et les infirmes, au nombre de douze cents. Les plus jeunes et
les plus vigoureux, choisis au nombre de six mille, furent en-
voyes a Neron a 1'Isthme , et de la multitude de surplus, trente
mille quatre cents furent vendus. Un certain nombre fut en
outre reserve a Agrippa pour qu'il en fit a son bon plaisir, et
ce monarque les fit vendre. 11 est difficile de ne pas croire qu'il
y a beaucoup d'exageration dans les chiffres que je viens de
rapporter T.
Du curieux recit dont j'ai donne 1'analyse le plus suc-
cinctement qu'il m'a ete possible, il resulte 1° que les mu-
railles de Tarichea3 et la ville elle-meme etaient dominees par
une montagne; 2° que la greve non garnie de murailles etait
de nature a permettre a Titus et k ses cavaliers d' entrer dans
la ville , en faisant passer leurs chevaux par le lac. Ces deux
4. Bdl. Jud., ni, i, 1-W.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 477
J'aits sont parfaitement exacts , en ce qui regarde les ruines
qui se nomment Kedes et qui sont bien celles de Taricheae;
ils deviennent forcement inadmissibles, si 1'on veut voir Tari-
chese dans les ruines du village tres-probablement moderne
d'el-Karak. Celui-ci n'a done, comme je 1'ai dit, pris que
le nom de la ville antique en 1'estropiant, sans en prendre la
place.
Pendant notre course de Thabarieh au Jourdain, nous avons
frequemment croise des passants qui se rendaient a Thabarieh,
venant du Rhor, soitde la rive droite, soit de la rive gauche,
par le bac. L'un d'eux, veritable Bedouin, type des Rhaouarna,
nous a fait horreur; le malheureux avait recu sur la figure
un coup de sabre qui lui avait enleve tout le nez et une partie
des levres. Sa plaie n'etait nullement pansee, et il s'en allait
assez tranquillement , au pas de son cheval, et la lance sur
Fepaule , chercher du secours a Thabarieh, ou il esperait pro-
bablement trouver quelque hakim capable de le guerir. Je
doute fort qu'il y ait reussi , et que par la rude chaleur qu'il
faisait dej£ , la gangrene ne lui ait pas joue un mauvais tour.
Du haut de la digue dont j'ai parle plusieurs fois, et
qui domjne le lac de quinze ou vingt metres au moins , on
apercevait dans les eaux de celui-ci, de magnifiques poissons.
Edouard en a tire un'a balle, et la pauvre bete, tournant le
ventre en 1'air, nous a >paru se debattre contre 1'agonie. Une
legere teinte rouge nous a meme semble colorer 1'eau dans
laquelle il nageait. G'etait done un superbe coup de fusil , et
il s'agissait de se rendre maitre du gibier touche. Edouard,
s'accrochant aux buissons qui couvrent le flanc presque per-
pcndiculaire de la digue, parvint au niveau du lac, evidem-
ment tres-profond en ce point. Son poisson s'etait eloigne de
quelques pieds, et il fallut s'aider d'une baguette pour Fat-
teindre; mais, helas! le contact de la bienheureuse baguette
478 VOYAGE EN SYRIE
sembla ressusciter le moribund; a peine atteint, il se retourna,
plongea et disparut, nous laissant tout etonnes et surtout fort
desappointes, car nous avions fermement compte le faire entrer
pour quelque chose dans notre diner du jour.
Une fois installes au bord du Jourdain , nous nous sommes
disperses, pour faire la chasse aux insectes , aux coquilles flu-
viatiles et aux plantes, et nous avons ramasse force merveilles.
Belly et Loysel ont tue des mouettes qui se montrent en grande
quantite a la sortie du Jourdain ; mais, sans en etre bien surs,
nous avons considere ces oiseaux comme identiques avec nos
mouettes des bords de 1'Ocean, et nous les avons laisses la. La
tournured'un autre oiseau d'eau m'a beaucoup frappe dans notre
promenade : c'est une sorte de gros martin-pecheur, tachete de
noir et de blanc , et qui porte une belle huppe sur la tete.
Apres quelques heures employees a explorer les environs du
point curieux ou nous nous etions installes pour dejeuner, il a
fallu songer a regagner Thabarieh, ou Rothschild, suivi de
Selim, etait retourne bien avant nous. Au retour, nous avons
renouvele toutes nos observations sur les ruines curieuses de
Tarichese '.
En repassant aupres des bains d'el-Hammam, j'ai prie
Edouard d'aller reconnaitre, sur le flanc de la montagne, en
avant de Fetablissement thermal, c'est-a-dire au sud, un petit
edifice ruine au milieu duquel paraissait debout un troncon
de colonne. Pour les Juifs de Thabarieh , cet edifice est le torn-
beau d'un prophete. Mais c'est la une tradition extra vagante ;
T^difice en question est d'une construction plus que mediocre,
et qui trahit une tres-faible antiquite. D'ailleurs , la pretendue
colonne est composee de deux tambours de colonne, super-
poses, il est vrai, mais de diametres tout ditferents. Ce tom-
1. Etienne, dans ses Ethniques, dit, au mot Tapixso", que le uom de cette ville
s'emploie indifferemment au sin.gulier et au pluriel.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 479
beau, si e'en est un, ne vaut done pas trop la peine que Ton
se derange de son chemin, pour le visiter.
J'ai verifie, en revenant, que les excavations se"pulcrales que
j'avaisapercuesdeloin, hier matin, sontaunombrededeux. Elles
paraissent difiiciles a atteindre, et il faudrait une course spe-
ciale et assez longue pour aller les etudier. Je suppose qu'elles
sont analogues aux caves sepulcrales des necropoles que nous
avons rencontrees dejci tant de fois.
Toutes les ruines de la Tiberiade antique sont an sud de la
Thabarieh du moyen age; au nord il n'y en a pas trace. Ainsi
que je 1'ai dejci dit, les futs de colonnes vs'y montrent en tres-
grande quantite, surtout au point que les Juifs appellent 1'Ecole
talmudique. Sans aucun doute, desfouilles entreprises sur toute
I'etendue du terrain compris entre la ville actuelle et el-Ham-
mam seraient on ne peut plus productives ; mais, qui les entre-
prendra jamais?
Nous etions arrives a la porte de Thabarieh a cinq heures
precises. A quatre heures dix minutes nous touchions, en reve-
nant du Jourdain, aux ruines de la premiere ville placee au sud
de Taricheas. De la aux ruines d'el-Karak, c'est-a-dire a la
tete septentrionale de la digue, il y a une demi-heure de che-
min. II y a done, £ tres-peu pres, de Thabarieh a la sortie du
Jourdain, pour une heure vingt minutes de chemin, en marchant
bon train , c'est-a-dire en faisant un peu plus d'un kilometre
toutes les dix minutes. C'est done environ neuf a dix kilometres
de distance. On peut encore deduire de la les distances sui-
vantes. II y a sept ou huit kilometres de la porte de Thabarieh a
la pointe sud de la ville en ruines, placee au dela de Tharicheae,
six kilometres de Thabarieh a la pointe sud de Tharieheae ,
dont les traces ont a peu pres deux kilometres d'etendue; enfm,
trois kilometres , au plus , separent el-Hammam de la ville.
Une fois rentres, nous nous sommes assez promptement fait
480 VOYAGE EN SYRIE
servir a diner, et, presque aussitot apres le diner, je me suis
couched J'etais harasse de fatigue, et mon mal de tete n'avait
fait que croitre pendant la journee.
Au retour, nous avons retrouve, avec grand plaisir, notre
brave Mohammed , qui a quitte sa famille pour venir nous re-
joindre et que nous emmenons decidement a Paris avec nous.
Son neveu , Ismayl, voudrait bien etre de la partie et ne plus
nous quitter, mais nous ne pouvons nous accommoder de ce sur-
croit de depense inutile ; en consequence , je lui paye sa solde
des deux jours qu'il est reste a notre service, et je le congedie,
a son grand desappointement.
Maintenant, que nous avons vu tout ce que nous avions a
voir a Thabarieh et au sud de cette ville, nous faisons nos pre-
paratifs pour en partir demain matin. Voyons maintenant ce
que Ton sait de 1'histoire de Tiberiade.
Josephe nous apprend qu'une ville fut fondee, par Herode
Antipas, le t^trarque, dans la plus belle partie de la Galilee,
au bord du lac de Gennezareth , et qu'elle recut le nom de
Tiberiade, en 1'honneur de Tibere avec lequel le tetrarque etait
lie" d'amitie. Celui-ci eut beaucoup de peine a creer une popu-
lation pour sa nouvelle ville, et ce ne fut qu'en accordant des
immunites a ceux qui 1'habiteraient, en leur construisant des
maisons et en leur concedant des terrains , qu'il parvint a y
etablir un ramassis d'etrangers, de gens dont la condition libre
n' etait pas suffisamment etablie, et de Galileens qui y furent
transplantes par force. La cause reelle de cette repugnance
etait que des sepulcres avaient ete detruits, pour jeter les fon-
demerits de la nouvelle ville, et que, par consequent, d'apres
les lois judai'ques, les habitants d'une ville pareille etaient frap-
pes d'une irnpurete de sept jours '. Nous avons deja dit, plus
1. Ant. Jud., XVHI, H, 3.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 484
haut, en parlant de Tarichese, que Tiberiade fut donne"e par
Neron a Agrippa le Jeune '. Cette ville est une de celles que
Flavius Josephe mit en eiat de defense, lorsque Tinvasion ro-
maine menaca la Galilee a. Jean fils de Le" vi , natif de Gis-
cala , ayant ameut6 , par envie , le peuple centre Josephe ,
celui-ci voulut haranguer les seditieux reunis au stade3. II y
avait done un stade a Tiberiade, et ce stade etait au bord du
lac, car Josephe, pendant son allocution, se voyant sur le point
d'etre assassine" par les emissaires de Jean, sauta a bas d'un
tertre de six pieds de haut, sur lequel il s'e"tait place pour mieux
se faire entendre, et se trouva sur le rivage. Par hasard, une
barque se trouvait a sa portee ; il s'y jeta avec deux soldats qui
firent force de rames, et il se sauva au large 4.
II y avait a Tiberiade un palais construit par Herode le te-
trarque; ce palais etait, malgre la severite de la loi judai'que,
orne de representations d'etres animes (£&>cov (xopcpa? l^ovra).
Josephe, charge de mettre la Galilee en defense, vint de Sep-
phoris devant Tiberiade, et, s'arretant a un endroit nomme
Bethmai (et? xwpjv Ttva, Bv)6(/.ao'j; Xeyo^ev/iv, aTre^ooGav Ti^epia^o?
cra^tou; Tecaapa) et eloigne de quatre stades seulement de la
ville5, il manda le senat de Tiberiade et les principaux habi-
tants; il leur dit qu'il etait charge par le se"nat de Jerusalem
de venir leur demander de detruire de fond en comble le palais
d' Herode, dont la presence etait un scandale. Les habitants de
la ville resisterent quelque temps , puis ils finirent par se lais-
ser persuader, et la destruction du palais en question fut deci-
1. Ant. Jud., xx, VHI, 4.
2. Bell. Jud., ii, xx, 6.
3. Bell. Jud., ii, xxi, 6.
4. Loco citato.
5. Ce village devait 6tre tres-probablement au bas de la descente qui am£ne a Tha-
barieh. La effectivement se montrent quelques mines de tres-peu d'importance, et
dout je n'ai pas recueilli le nora.
II. 31
482 VOYAGE EN SYRIE
dee. Tin certain lesotis fils de Sapphias , qui etait le chef des
mariniers et de la lie du peuple, fut plus prompt que Josephe
et ses adherents; par ses soins le palais fut livre a Fincendie
et pille a 1'instant meme, au grand deplaisir de Josephe '.
Celui-ci, quand il fut a la tete de la ville, eut toutes les
peines du monde a la maintenir dans le devoir. Sa popu-
lation etait turbulente et inquiete; tout ce qui etait nouveau
lui paraissait bon , et a plusieurs reprises Josephe eut a repri-
mer des mouvements insurrectionnels. Une fois meme il dut
entrer de vive force dans la place , apres un combat opi-
niatre dans lequel la victoire faillit rester aux habitants a. Dans
une autre circonstance, Josephe arreta les Galileens qui vou-
laient descendre a Tiberiade et mettre la ville a sac , pour la
punir d' avoir songe a pactiser avec le roi Agrippa et avec les
ennemis de la nationalite judai'que 3.
Lorsque Vespasien entra sans coup ferir a Tiberiade avant
la prise de Tarichea3, il vint, avec trois legions, camper en un
point nomme Sennabris, et qui, bien qu'eloigne de trente stades
de Tiberiade, etait parfaitement visible de cette ville. Get
endroit etait done tres-vraisemblablement sur les hauteurs,
puisque Vespasien, venant de Scythopolis (Beysan), ne pas-
sait pas par Taricheae, qui etait dans le Rhor, entre Beysan et
Thabarieh. Vespasien avait envoye en parlementaire, un cer-
tain Valerianus, a la tete de cinquante cavaliers. Quand ils
eurent mis pied a terre, pour prouver leurs bonnes intentions,
lesous, fils de Sapphias (il est appele cette fois : fils de Saphat) ,
fondit sur les Boinains a la tete des bandits qui 1'avaient pris
pour chef, saisit les chevaux et fit prisonniers quarante-cinq sol-
dats qui ne se defendirent pas. Le senat de Tiberiade , desole
1. Vit. Jos., .2.
2. Vit. Jos., 63.
3. Vit. Jos., 68.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 483
de cette infamie , fit aussitfit demander grace pour la ville a
Vespasien qui, le lendemain, envoya Trajan avec de la cava-
lerie au sommet de la montagne1, afin de sender les dispo-
sitions de la population, et quand Trajan se fut assure" qu'elles
etaient bonnes, 1'arm^e tout entiere leva le camp et, traver-
sant Tiberiade, vint camper, ainsi que nous 1'avons vu, entre
cette ville et TaricheaB , ou lesous et ses partisans s' etaient re-
fugies en toute hate.
Epiphanius2 nous apprend que Joseph, Juif converti , recut
de 1'empereur Constantin la permission de construire une eglise
a Tiberiade, aDio-Ca3sarea et a Capharnaiim. Jusque-la le sejour
de Tiberiade n'avait etc permis ni aux Chretiens, ni aux Samari-
tains, ni aux etrangers. Le premier e'veque connu de Tiberiade
est Jean, qui souscrivit aux actes du concile de Chalce"doine en
451. En 536, un autre eveque de Tiberiade, du meme nom,
assista au concile de Jerusalem, et enfin, au concile de Cons-
tantinople, tenu en 553, parut un eveque deTiberiade nomine"
George. Epiphanius 3 raconte que ce Joseph , autorise par
Constantin, s'empara, pour construire son e"glise, d'un vaste
temple, qui e"tait reste" inacheve", que Ton appelait 1'Adria-
nasum, et que les habitants de Tiberiade desiraient transformer
en e"tablissement de bains publics.
Apres la destruction de Jerusalem , Tiberiade fut le refuge
des docteurs du judai'sme. Us y fonderent une tres-ce"lebre e"cole
talmudique, qui fut florissante jusqu'au ive siecle de notre ere,
epoque ou la conversion de Constantin permit de construire
une eglise chretienne dans cette ville. Justinien fit relever les
murailles de Tiberiade, ainsi que nous 1'apprend Procope^.
1. Ce fait prouve sans replique que Sennabris ou Vespasien campait, 6tait sur
les hauteurs.
2. Adv. haeres., 1. i, p. 128.
3. Adv. haeres., 1. 1, p. 136-137.
A. De asdif. Just., v, 9.
484 VOYAGE EN SYRIE
Abou'1-Feda , dans sa geographic , dit de Thabarieh , que
cette ville, deja ruinee de son temps, fut enlevee aux chre-
tiens par Selah-ed-Dyn.
Une petite eglise de Saint-Pierre existe aujourd'hui a Tha-
barieh, et elle a tres-vraisemblablement pris son nom de 1'eglise
qu'Helene, mere de Constantin, fit construire a Tiberiade sous
le vocable de saint Pierre. Ge fait est constate dans 1'Histoire
ecclesiastique de Nicephore Kallistus.
On a quelquefois pense , d' accord en cela avec saint Jerome ,
que Tiberiade avail pris la place de la ville qui, dans 1'Ecri-
ture Sainte , est nommee Kenret ; mais Reland a parfaitement
refute cette opinion, a 1'aide du raisonnement suivant qui me
parait decisif : Kenret (m«) , qui a autrefois donne son nom
au lac de Gennezareth , etait une ville de la tribu de Nephtali T.
La frontiere meridionale de Nephtali commencait a Caphar-
natim, puisque Tevangile de saint Mathieu (iv, 13) nous ap-
prend que Capharnaiim etait situee sur la limite des territories
de Nephtali et de Zabulon; celui de Nephtali etait au nord
et celui de Zabulon au sud ; et comme Tiberiade etait au sud
de Capharnaum, des lors, puisqu'au sud de Capharnaiim etait
le pays de Zabulon, Tiberiade, situee dans le territoire de Za-
bulon , ne peut etre identified avec Kenret , qui etait tres-posi-
tivement une ville de la tribu de Nephtali 2.
II en est absolument de meme de T opinion des rabbins qui
veulent retrouver a Tiberiade le site des villes nephtaliennes
1. Josue, xix, 35.
2. Saiut Jer6me parle deux fois de 1'identite de Tiberiade avec la Kenret biblique.
D'abord dans les commentaires d'Ezekhiel ( XLVIH 21 ) ou il dit : Tiberias quae oliin
appellabatur Chenereth. La seconde fois saint Jer6me n'est plus aussi afflrmatif, et
il ne rapporte qu'un on dit. Voici comment il s'exprime : (Onomast. ad. voc. Chen-
nereth) : Tiberiadem ferunt hoc primum appellatam nomine. D'ailleurs, puisqu'il y
avait des tombeaux iiombreux sur 1'emplacement qu'a occupe Tiberiade, c'est, evi-
demment, qu'il n'y avait pas eu de ville juda'ique sur ce meme emplacement : ceci
est la consequence forcee de la rigueur des lois judaiques sur les cas d'impuret^.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 485
de Raccath et de Hammath. Pour cette demise, j'ai cherche"
a 1'identifier avec le Qalclat-el-Hammam , et je ne crois pas
m'etre trompe en le faisant. 11 est probable, comme le dit Re-
land T, que cette identite" a etc" proposee, parce que le lac por-
tait a la fois le nom de lac de Kenret et de lac de Tibe"riade,
d'ou Ton a conclu que Kenret et Tiberiade etaient la meme
ville. A ce compte, Tiberiade serait aussi Gennezareth, Gen-
nesar, et, qui plus est, la Galilee, puisque le lac s'appelle indif-
feremment le lac de Gennezareth (fivangiles) , le lac de Gen-
nesar (Josephe) , et la mer de Galilee (Evangile de saint
Marc). Nous verrons un peu plus loin s'il n'est pas possible de
demeler 1'origine du nom lac de Kenret.
3 MARS.
Ce matin, de tres-bonne heure, nous avons fait nos prepara-
tifs de depart. La premiere chose a terminer, c'etait notre
compte avec le cher M. Weisemann : cher est bien le mot !
Notre note de defenses nous a ete remise, et nous en avons
pour plus de douze cents piastres ! Je doute que jamais gargo-
tier ait ecorche ses victimes avec une impudence aussi e"hon-
tee. Plus de trois cents francs pour un lit, une seule chambre
pendant trois nuits, et cinq repas plus que mediocres, pour
cinq personnes! On en conviendra, c'e"tait exorbitant.
Maitre Weisemann possede un registre sur lequel les voya-
geurs inscrivent leurs noms , suivis des observations qu'ils
croient devoir faire sur la tenue de la maison ; nous y avons
trouve" une note au crayon de nos amis Maxime Du Camp et
Gustave Flaubert, ajoute"e apres la venue de la carte a payer;
nous en avons trouve d'autres encore, concues dans le meme
1. Falsest., p.
486 VOYAGE EN SYRIE
sens, et nous nous sommes decides £ payer sans mot dire, mais
en nous reservant de constater de bonne encre, dans le registre
en question, notre avis sur 1'honnetete du lieu. Ge sera un pre-
cieux complement de la collection d'autographes deja recueillis
par notre hote. J'ai apprisque, depuis notre passage, le curieux
album avait e"te retire de la circulation, et soustrait a 1' appre-
ciation des nouveaux venus.
Pendant que nosbagages se chargeaient, j'ai apercu, dans
le mur de la cour de 1'auberge Weisemann, deux fragments de
sculpture assez interessants, et dont je me suis hate de prendre
des croquis. L'un , que le proprietaire affirme avoir ete tire" des
ruines d'Omm-Keys (!' antique Gadara), situees sur 1'autre rive
du lac, represente le chandelier a sept branches, entoure" d'une
couronne et accompagne de deux couteatix de sacrifice. L'au-
tre est un fragment de porte antique , offrant 1'encadrement
a crossettes, des tombeaux de la vallee de Hinnom. Probable-
ment ce dernier morceau provientdes ruines de Tiberiade '.
Enfm tout est pret; nous montons a cheval, et nous nous
e"loignons legers de coeurs et d'argent, de la case de notre
fripon d'hote. Fiez-vous done aux gros hommes tout ronds,
apres cela ! Nous devons sortir de Thabarieh , par la porte qui
nous y a introduits ; longeant done a gauche des maisons ren-
versees, et a droite 1'enclos d'une mosquee toute disloquee, nous
franchissons pour la derniere fois 1'enceinte de la ville, et tour-
nant immediatement a droite, c'est-a-dire au nord, nous nous
acheminons vers Safed. Le sentier que nous suivons est deli-
cieusement fleuri ; apres avoir traverse une petite plaine, dans
laquelle est un faible ruisseau qui se rattache a une source
nommee Ayn-el-Barideh , il s'eleve assez rapidement sur le
flanc d'une colline, en continuant de se prolonger a peu pres
1. Voyez pi. XLVI.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 487
parallelement a. la cote. II semble que le lac se soit par6 co-
quettement de tous ses atours, pour recevoir nos adieux ; il est
de fait qu'il nous parait plus riant encore que de 1'autre cote" de
Thabarieh. Quelques roches a fleur d'eau se montrent vers le
large, et elles sont couvertes de milliers d'oiseaux aquatiques,
parmi lesquels les gros pelicans gris sont en majorite. D'in-
nombrables canards prennent leurs £bats sur tous les points ;
le lac est d'une tranquillite parfaite, et ses eaux scintillantes
resplendissent de tout 1'eclat du ciel et du soleil.
Pendant que j'admire, de toutes les forces de mon coeur,
ce magnifique spectacle , 1'abbe" , sans cesser d'en faire autant,
s'arrete a chaque pas, pour remplir de charmantes fleurs,
sa boite d'herborisation. Le temps se passe rapidement, trop
rapidement a notre gre", et lorsque nous avons marche" une
heure et demie, notre route s'abaisse; devant elle s'ouvre une
petite plaine verdoyante et fleurie , et nous arrivons en face
d'un miserable hameau, au milieu duquel se montrent quelques
mines antiques, ayant 1'apparence de restes de fortifications.
Ce hameau, c'est el-Medjdel, la forteresse! Quelle est cette
Medjdel ? c'est la Magdala de 1'fivangile, le lieu de naissance
de Marie-Magdeleine. Nous lisons dans I'^vangile de saint
Marc ( 7 ) , que Jesus-Christ se rendit des frontieres de Tyr et
de Sidon, sur les frontieres de la D^capole, et comme il n'est
nullement question qu'il ait passe ni le Jourdain, ni le lac de
Gennezareth , il parait bien clair qu'il se rendit dans la partie
cisjordane de la Decapole , partie dans laquelle se trouvait
Scythopolis, 1'antique Beit-San. C'est la que s'accomplit le
miracle de la multiplication des sept pains, comme disent
saint Marc et saint Mathieu (et non des cinq pains, el-Khamse-
Khobzat, comme le disent les Musulmans, qui connaissent et
montrent aux voyageurs les plates-formes de roche basaltique
situe"es au-dessus de la montagne qui domine Thabarieh, et
488 VOYAGE EN SYRIE
sur lesquelles les pains furent distribues) . A.ussitot apres , le
Christ et ses disciples vinrent s'embarquer, et allerent toucher
a Magdala, dit saint Mathieu, a Dalmanoutha, dit saint Marc,
ou ils ne s'arreterent qu'un instant, puis ils se dirigerent vers
1'autre rive (ei? TO nepav, Marc et Mathieu ') pour aller gagner
ensuite Cesaree de Philippe, aujourd'hui Banias.
Puisque Jesus-Christ, en s'embarquant sur la mer de Galilee,
apres le miracle de la multiplication des pains, partait pour
Cesaree de Philippe, il est bien clair qu'il ne quittait pas la de-
capole transjordane, car sans cela il eut traverse le lac inutile-
ment, une premiere fois pour venir a Magdala, et une deuxieme
fois pour revenir sur ses pas , vers la route de Cesaree. Je ne
puis done m'expliquer comment le Re"v. Robinson 2 a pu dire :
« After the miraculous feeding of the four thousand , which
appears to have taken place in the country east of the lake ; »
car c'est tout le contraire que 1'on est force de conclure du
texte meme des Evangiles.
Que pouvait etre Dalmanoutha, que 1'un des deux evange-
listes precite's substitue, dans son recit, a Magdala que men-
tionne 1'autre? On 1'ignore. Peut-etre les deux noms s'appli-
quaient-ils indifferemment a la meme localite. Ceci serait
d'autant plus possible qu'el-Medjdel, veritable forme du nom
grecise Magdala, signifie simplement « la forteresse. »
Le Talmud de Jerusalem, compile a Tiberiade, mentionne
Magdala comme une localite voisine a la fois de Tiberiade et
de Hammath. Robinson voit dans Hammath les thermes d'Em-
maiis, maisje crois que c'est a tort. II s'agit la precisement
de la Hammath biblique , remplacee par Qalaat-el-Hammam ;
effectivement el-Medjdel se trouve situee a 1'embouchure de
1. C'est ce mot Peranqui est I'originedu nom de la Peree, Ilepaia, nom qui signifie
au propre le pays d'au dela.
2. Tome III, p. 278.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 489
rOuad-el-Hammam , ce qui place nettement Magdala entre
Tiberiade et Qalaat-el-Hammam, comme 1'indique le Talmud.
Le livre de Josue (xix, 38) mentionne une Medjdel-El
parmi les places les plus fortes de la tribu de Nephtali, et Ton
a pense que c'^tait la meme que notre Medjdel. Je ne puis
le croire, parce que cette ville est cite^e fort loin de Kenret,
dont el-Medjdel est forcement voisine.
Des que Ton a depasse el-Medjdel, on apercoit 1'embou-
chure de rOuad-el-Hammam, et, sur Tun des sommets qui
le dominent, la ruine qu'Ismayl m'a nommee Qalaat-el-
Hammam, aujourd'hui Mohammed me la designe sous le
nom de Qalaat-el-Maan. Ceci se rapproche fort du nom
Qalaat-ebn-Maan. La ruine porte-t-elle en re"alite" les deux
noms que j'ai recueillis? Je suis bien tente" de le croire. M. J.
de Bertou T cite aussi le Qalaat-ebn-Maan , qui pourrait bien
etre, a son avis, la Taricheas de Josephe. Je me dispense de
discuter cette identification.
Au dela d'el-Medjdel commence immediatement une petite
plaine bien arrosee , bien fertile , et dont 1'aspect est char-
mant. Gette plaine, qui se nomme aujourd'hui el-Rhoueyr,
le petit Rhor, le petit marais, c'est la plaine que Josephe
decrit en 1'appelant Djennesar % et dont il fait un delicieux
tableau. Ce tableau a pu etre d'une scrupuleuse verite , a en
juger par 1'etat actuel du terrain que la culture n'a pas aban-
donne, il est vrai, mais dont les habitants sont trop clair-
semes, pour qu'ils puissent en tirer tout le parti qu'on en tirait
autrefois. Dans sa description, Josephe a insere une phrase qui
est bien precieuse. Voici cette phrase : « Joignez a la douceur
de Fair, le bienfaitd'une source tres-abondante que les habitants
du pays appellent Capharnaoum. Quelques personnes ont cru
1. Bull, de laSoc. de gtogr.,i. XII, n° 69 et70, p. 146.
2. Bell. Jud., HI, x, 8.
490 VOYAGE EN SYRIE
que cette source etait relive au Nil , parce qu'elle engendre des
poissons semblables au korakinos, qui vit dans les marais,
pres d' Alexandrie. Cette plaine a , sur la cote du lac qui porte
le meme nom qu'elle, une longueur de trente stades et une
largeur de vingt seulement x. »
Concluons de ce passage, que la plaine que Josephe appelle
revvncap, et qui n'est que notre el-Rhoueyr, parce qu'il n'y a
pas, au bord du lac, d'autre plaine qui puisse lui disputer cet
honneur, a donne son nom au lac lui-meme. Concluons-en de
plus, que la Capharnaum des fivangiles se trouvait forcement
dans cette plaine, puisque du temps de Josephe, c'est-a-dire a
un demi-siecle de distance seulement, les habitants du pays
appelaient Capharnaoum la source qui fertilisait la plaine de
Gennesar.
Maintenant , e~tait-ce la source meme qui portait le nom de
Capharnaoum? Evidemment non. 11 serait absurde de supposer
que Ton eut donne a une source un nom propre commencant
par le mot « kafr, » village. II serait tout aussi absurde de
supposer que Josephe, qui apparemment savait sa langue ma-
ternelle, aurait commis une semblable bevue , sans s'en dou-
ter. Sa phrase a done ete forcement, indubitablement tron-
que"e, et ce qu'il a voulu dire, c'est que cette belle source
s'appelait la source de Gapharnaoum. Capharnaoum etait done
pres de la source qui lui avait emprunte son nom : done la
source une fois trouvee, Capharnaum doit etre retrouvee aussi.
Nous allons voir que cette conclusion toute logique se verifie
sur place, des que Ton veut bien apporter un peu d' attention a
1'examen du terrain.
1. IIpo? fapr?) TWV dupwv euxpaaia xai
auTTiv ol £i7f/_wptoi xaXouot. rauTTiv cpXs'Sa TOU NetXou rtvs? e'S'o^av ETTEI -^evva TW xara riv
AXeJjav^ps'wv Xiavr.v xopaxtvw 7vapai7Xr,(riov. M^xo; £s TCU ^wptou Traparsivst xara TOV
T^; 6(xcovup.ou Xtfiwii; iiri ara^iou? rpiocxovTa xat tupo; eixoat.Bell. Jud.,ni,x,8.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 494
Lorsqu'on a depasse" el-Medjdel depuis une dizaine de mi-
nutes, on traverse le Nahr, qui sort de l'Ouad-el-Hammam,
et Ton trouve un peu plus loin, £ droite du chemin et au milieu
d'un epais fourre" d'arbrisseaux , de plantes grimpantes et de
hautes herbes, un magnifique bassin rond, d'une construc-
tion extremement soignee. Le bord de ce bassin forme un
massif de maconnerie revetu de belles pierres de taille, et dont
1'epaisseur varie de cinq a six metres. Le bassin a de vingt a
vingt-cinq metres de diametre, et deux metres de hauteur
au-dessus du fond. L'eau qu'il contient, et dont la profondeur
n'est guere que de deux pieds au plus, est tres-belle et tres-
limpide. On y voit nager une foule de petits poissons tres-vifs,
assez semblables pour la forme et la taille, autant que j'en ai
pu juger « grosso modo, » a de beaux goujons ou a des e"per-
lans T. A 1'ouest de ce superbe bassin , la plaine est bornee
par des coteaux jonche"s de blocs de lave en innombrable
quantite. fividemment ces blocs ne sont pas venus la tout seuls,
et ils sont, comme ceux de TaricheaB, les restes des construc-
tions d'une ville antique. Seulement, ils sont certainement plus
gros que ceux de Tarichese , et je n'hesite pas a croire que cet
exces de dimensions denote un exces d'antiquite".
II ne me parait pas possible de douter de 1'identite" de la
source que renferme le bassin de pierre decrit tout a Theure,
et qui s'appelle aujourd'hui el-Ayn-el-Medaouarah (la fontaine
ronde) , avec la source dont parle Josephe et qu'il appelle
source de Capharnaoum. Gelle-ci arrosait et fertilisait la plaine
de Gennesar; 1'autre arrose et fertilise toujours la plaine de
Gennesar, qui se noinme aujourd'hui el-Rhoueyr; car 1'eau
s'echappe du bassin par un large ruisseau, duquel on pour-
1. Ge bassin est tout & fait analogue aux bassins de Ras-el-Ayn pr£s Sour, et
comme eux il e"tait destine" £ envelopper la source qui devait fertiliser la contr^e, et
a emmagasiner pour ainsi dire ses eaux.
492 VOYAGE EN SYRIE
rait tres-aisement tirer des canaux d' irrigation La Fontaine de
Josephe nourrissait une foule de petits poissons; la fontaine
ronde contient encore les descendants des poissons dont la
presence a ete signalee par Josephe. Nous sommes done incon-
testablement sur le territoire de Capharnaoum, lorsque nous
sommes a 1' Ayn-el-Medaouarah. Les ruines aujourd'hui recon-
naissables, dont les blocs basaltiques jonchent les coteaux voi-
sins, sont done, incontestablement aussi, les ruines de la Ca-
pharnaum des Evangiles.
A partir de ce bassin remarquable, les ruines ne cessent pas
de se montrer jusqu'au village ruine d'Abou-Ghouched. Ge
village se trouve sur une colline qui se rattache a la chaine
qui borde a 1'ouest la plaine de Gennesar ou d'el-Rhoueyr, et
elle s'avance vers Test, pour retrecir notablement cette petite
plaine. Une quantite tres-considerable de blocs de lave jonche
tout le site d'Abou-Ghouched, et un glacis, forme de blocs
enormes de meme nature et aussi bien conserve que le glacis
de pierres construit au bas du chateau de Karak, garnit la
base de la colline sur laquelle etait le village. De celui-ci il ne
reste que des pansde inur d'apparence tout a fait moderne,
mais au milieu desquels est encore debout une tour carree et
voutee, construite en beaux blocs d'appareil herodien ou romain
du haut empire. Cette tour est appliquee contre une muraille
de construction plus recente.
Au dela, vers le nord-est, les ruines, c'est-a-dire les accu-
mulations sur le terrain, de blocs de lave provenant certaine-
ment d'edifices antiques, continuent a se montrer jusqu'au
bord d'une petite riviere d'eau pure et vive, qu'on m'a nom-
mee Nahr-el-Aamoud, et qui descend de l'Ouad-el-Aamoud
(vallee de la colonne). Au bord dece large ruisseau, qui roule
de belles eaux limpides, est un moulin abandonne. Le Rev. Ro-
binson et M. de Bertou ont, pour ce ruisseau, obtenu de leurs
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 493
guides 1'indication qu'il descendait de POuad-er-Rabadyeh.
Lequel des deux noms est le bon? Je 1'ignore. Mais probable-
ment tous les deux sont admissibles, car le village de Rabadyeh
se trouve dans I'Ouad-el-Aaimoud. Dans la plaine, au-dessous
des memes collines qui avoisinent Abou-Chouched, Robinson a
rencontre, en se dirigeant au nord-est, vers le Khan-Minieh,
un fut de colonne calcaire d'une vingtaine de pieds de longueur
ct de deux pieds de diametre. II suppose , avec raison , que
l'Ouad-el-Aamoud a recu son nom de la presence de cette co-
lonne qui n'est certainement pas venue la toute seule, et que
les Arabes n'ont probablement jamais eu 1'idee d'amener en ce
point. Cette colonne appartient done aux immenses ruines en
blocs de lave, qui commencent vis-a-vis l'Ayn-el-Medaouarah ,
et qui ne cessent qu'au bout de l'Ouad-el-Aamoud.
A quelle localite appartiennent ces ruines immenses. Celles
qui sont dans le voisinage immediat de l'Ayn-el-Medaouarah,
a Capharnaiim, tres-certainement. Mais Gapharnaum s'etendit-
elle jusqu'a Abou-Chouched? G'est ce que je ne puiscroire, vu
la grandeur d'une pareille ville. II y a done eu probablement
au-dessus de la plaine de Gennesar deux villes qui se sont suc-
cede ; la plus ancienne, placee au nord vers 1' entree de cette
plaine fertile, aura occupe" la colline d'Abou-Ghouched (le pere
Scorpion) qui en etait la clef, et c'e'tait une place forte dont un
glacis de blocs de lave garantissait les abords. Cette ville anti-
que, je vais essayer, tout a 1'heure, de prouver que c'etait
Kenret. La seconde, contemporaine de Tarichese, construite
comme elle , et avec les memes mate'riaux qu'elle , e*tait vers
I'extremite sud d'el-Rhoueyr, et dans le voisinage immediat de
l'Ayn-el-Medaouarah, que Josephe appelle Capharnaoum.
Remarquons en passant que, si je ne me trompe pas, sur
la rive occidentale du lac de Gennezareth deux villes impor-
tantes etaient assises aux deux extremites : Taricheae au sud ,
494 VOYAGE EN SYRIE
Kenret au nord. Gette disposition de villes importantes avail
egalement lieu au bord occidental du lac Asphaltite, puisque
Sodome etait a la pointe sud et Gomorrhe a la pointe nord de
la cote. Nous verrons que le meme systeme d'etablissements se
reconnait encore lorsqu'il s'agit du Bahr-el-Houleh.
Revenons a Capharnaum. Ce nom signifie village de Nahoum
(Din: -^r). Cette ville etait sur la limite des deux tribus de
Zabulon et de Nephtali, et au bord de la mer de Galilee1.
5. Notre Seigneur, quittant Nazareth, vint y demeurer2, si
bien que Capharnaum est appelee dans 1'Evangile i£ia iroXis, la
ville particuliere de Jesus-Christ. C'etait une ville florissante3,
et Ton y descendait en venant de Kana 4 comme en venant de
Nazareth 5.
Nous lisons dans Tevangile de saint Mathieu (n-23) cette
terrible parole de Jesus-Christ, prononcee centre Capharnaum :
Et toi, Capharnaum, qui t'es elev^e jusqu'au ciel, tu seras
abaissee jusqu'aux enfers. Kal <>u KaTuspvaov;/. -fi eto? TOU oupavoO
u'|wOsT(ra, ew? a£ou xaTa6i€a<70Y).tjrviov).
Les evangiles nous apprennent encore que Beth-Sai'da etait
au bord du lac de Gennezareth 3, et sur la rive occidental,
puisque nous lisons « ei; TO repav rcpoc BviOcaV^av, sur 1' autre rive,
1. Mathieu, xi, 21; Luc, x, 13.
2. Saint Luc, u, 4, et saint Jean, vn, 42.
3. Saint Jean, XH, 21 ; saiat Marc, vi, 45, et vui, li.
ET AUTOUR 1?E LA MER MORTE. 507
vis-a-vis Beth-Saida, » dans le deuxieme verset que je viens de
citer. Epiphanius r, nous dit que Capharnaum et Beth-Salda
etaient deux villes peu eloigneJes 1'une de 1'autre (ou p,«x,pav
OVTWV TWV TOTCCOV TOUTCOV TW &KXode Antipas imposa
ce nouveau nom, en lui faisant quitter celui de Betharamphta,
ainsi que nous 1'apprend Josephe lui-meme '. Celle-ci s'appe-
lait aussi Livias, parce que la Julie dont elle recut le nom etait
Julie Livie, femme d'Auguste. Gette ville e*tait au pied du
mont Faour ou Phogor, ainsi que nous 1'apprend Eusebe au
mot 4>oywp. Au reste, au te'moignage de Pline, on peut opposer
un temoignage bien autrement concluant, a mon avis : c'est
celui du ge"ographe Ptolemee, qui dans la Galilee, donne les
degre"s de Sepphoris, de Capharcotia, de IVLIAS! et de
Tiberias.
line seule objection peut etre elevee contre les consequences
que j'ai deduites du recit de Josephe : c'est que si Je>emie
est venu s'e'tablir a un stade seulement de Julias, il ne pou-
vait pas etre pres du Jourdain, puisque de Tell-Houm il a
fallu, a Robinson, une heure et demie de marche, pour arriver
au bord de la riviere. A ceci je re"pondrai que 1'expression
dont se sert Josephe est simplement T&wiw TOU iop^avou irora-
pG, et que cela peut parfaitement se traduire par : du cote" du
Jourdain, en admettant que Josephe ait voulu seulement indi-
quer que Je"remie s'^tait place entre la ville et la riviere. En
resume", je maintiens avec une entiere confiance ridentifica-
tion de la Beth-Sai'da-Julias avec la Beth-Sai'da des Evangiles,
et de celle-ci avec les mines de Tell-Houm.
Lorsque Robinson fut arrive au bord du Jourdain, il fut pris
d'un acces de fievre, qui ne lui permit pas de faire avec son
compagrion, M. Smith, une excursion sur la rive gauche du
fleuve. Guid6 par un scheikh des Rhaouarna , M. Smith passa
1. Ant. Jivd., xvni, n, 1.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 5anger un
serpent de plus. En £te, il doit etre horriblement dangereux
de se promener au milieu de ces ruines, qui sont devenues le
domaine exclusif des reptiles.
Voici , en quelques mots , les principals mesures que nous
fournit le plan de T^difice que nous avons leve\ C'est un carre"
peuregulier, assez bien oriente" d'ailleurs, et dont les faces ont a
peu pres soixante metres de developpement. Aux quatre angles,
sont places des avant-corps Carres , de six a sept metres de
c6t6, en saillie d'un metre sur les faces externes des murailles.
Celles-ci ont deux metres d'epaisseur, et sont formers d'e"nor-
mes blocs bruts, relies entre eux par de petits blocs egalement
bruts , s'encastrant dans les vides irre*guliers que les aspe'rite's
des grosses masses laissent cntre elles. Sur le milieu de chacune
des longues faces sont des saillies, d'un metre aussi, et de six me-
tres de longueur, simulant des avant-corps comme ceux des
536 VOYAGE EN SYRIE
angles, et dont les portions qui en faisaient des sortes de tours
carrees fermees, manquent a 1'interieur, aussibien qu'aux tours
angulaires. Une serie de murailles ont laisse a 1'interieur leurs
arasements, en arriere des faces est et ouest. A 1'exterieur de cette
derniere, se relient a I'edifice principal d'autres murs arases,
presentant des contours bizarres, qu'une description ne pourrait
faire comprendre et dont le trace sera beaucoup plus intelligible,
a la premiere vue du plan. A une faible distance, qui ne depasse
pas cent metres, et vis-a-vis de la face occidentale du khan, se
trouve une enceinte polygonale irreguliere, cyclopeenne comme
celle du temple, quoiqu'en appareil plus petit. Nous fumes frap-
pes immediatement de 1'analogie etrange de cette disposition,
avec celle du temple de Garizim et de la plate-forme des sacri-
fices. Gette analogic est-elle fortuite? Je n'en crois rien T.
On voit qu'il y a une ressemblance tres-grande entre 1'or-
donnance generate de cet edifice et celle du temple du Garizim.
Je n'hesite done pas un seul instant a voir dans cette ruine, celle
d'un edifice religieux, appartenanta 1'antiquite la plus reculee.
Les Arabes du village place a Test de ce monument, dans
une espece de bas-fond plante de petits arbres , appellent la
ruine que je viens de decrire El-Khan , mot par lequel on de-
signe, dans tout 1'Orient, les especes d'hotelleries ou les cara-
vanes s'arretent pour passer la nuit. Ce village arabe place pres
d'El-Khan, et dont j'ai neglige de recueillir le nom, est tres-
probablement celui que M. • de Bertou appelle Ardh-ez-Zouk.
Mais c'est la le nom d'un pays et nullement celui d'un village.
Je n'hesite done pas a penser que celui-ci se nomine es-Souq, le
Marche" , et non ez-Zouk , ce qui a une tout autre signification.
Quelle a etc la ville immense dont nous venons de parcourir
les mines, et a laquelle appartenait le temple dont nous avons
t. Voyez pi. xmir.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 537
releve le plan? Tres-probablement Hazor. C'estcequeje vais
essayer de prouver. Rassemblons d'abord ce que nous savons
de Hazor, et recherchons tous les renseignements que nous
fournissent 1' fieri ture-Sainte et Josephe. Nous lisons dans Josu6
(xi, 1) que le roi de Hazor (~n^n), a Tarrivee de Josue dans
la Terre promise, se nommait Yabin. Au verset 2 il est dit qu'il
envoya des emissaires aux rois du nord , au midi, vers Ken-
ret, pour les engager a se reunir a lui, contre 1'ennemi
commun. Hazor etait done au nord de Kenret et du lac de
Gennezareth. Tous les rois convoques (verset 5) se rassemblent
pres des eaux de Meroum (c'est-a-dire pres du lac Samakhonite) .
L'armee coalisee etait si considerable (verset 4) qu'elle etait
comme le sable sur le bord de la mer ; elle comptait des che-
vaux et des cavaliers en tres-grand nombre. Josue, a la tete
du peuple d'Israel, les attaqua, pres du lac Samakhonite, les
battit et les poursuivit jusqu'a Sidon la Grande, jusqu'a Misre-
photh-Mai'm (?) et jusqu'a la vallee de Mesfah, a 1' orient (ver-
sets 7 et 8). — Josue retourna vers ce temps, prit Hazor et
frappa son roi du glaive, car Hazor etait autrefois le plus con-
siderable de ces royaumes-la (verset 10). Us frapperent tous
les etres qui y etaient, par le glaive, les devouant; il ri'y
resta rien de ce qui respirait, et il brula Hazor par le feu
(verset 11). Tous les autres rois coalises virent leurs villes con-
quises; Hazor seule fut incendiee (versets 12 et 13). Le cha-
pitre xii contient la liste des rois qui furent defaits par Josue,
et, au verset 9, nous lisons : Le roi de Hazor, un r.
Dans Tenumeration des villes fortes appartenant a la tribu
de Nephtali, nous trouvons encore Hazor et Ayn-Hazor a.
J'ai rapporte plus haut ce qui a trait au Yabin , roi de Ke-
1. Nous n'avous pas a nons occuper ici des villes do la tribu de Juda, qui portaient
le ineme nom (voyez Josue, xv, versets 23, 25, 27 et 28, et Nehemie, xi, 33).
2. Chap, m, versets 30 et 37.
538 VOYAGE EN SYRIE
nftan, qui regnait a Hazor, et dont Sisera commandait Parme'e.
11 avail neuf cents chariots do for, et il opprima les Israelites,
pendant vingt anne"es. Ses troupes furent deTaites, pres de Me-
giddo , par Barak et Deborah , qui ayant rassemble" autour
d'eux, a Kades, dix mille homines de Zebulon et de Nephtali,
vinrent attaquer Sisera et le battirent. — La main des enfants
d'Israel alia toujours en s'appesantissant sur Yabin, roi de Ke-
naan, jusqu'acequ'ils eussentextermine Yabin, roi de Kenaan '.
Le verset 9 , chapitre xu du Ier livre de Samuel , mentionne
ainsi le fait de la domination de Yabin : Mais ils oublierent (les
Israelites) PEternel, leur Dieu; il les livra entre les mains de
Sisera, general de Hazor.
Nous lisons dans le livre des Rois (I, ix, 15) que Salomon
fit batir Hazor. Void les propres expressions du livre sacre" :
— • Void Poccasion de la corvee que preleva le roi Salomon,
pour batir la maison de Pfitemel, et sa maison, Meloua et la
muraille de Jerusalem, Hazor, Megiddo et Djezer. — Plus loin
(II, xv, 29), nous voyons encore que du temps de Fekah, roi
d'Israel, Tiglath-Felasar, roi d'Assour, vint et prit Ayoun et
Abel-Beit-Maakah, et Yenouh, et Kedes, et Hazor, et le Ge-
et la Galilee, toute la terre de Nephtali, et les transporta (les
habitants) en Assour.
tine des propheties de Jere'mie commence ainsi (xnx, 28) :
Contre Kedar et les royaumes de Hazor, que Naboukadrasor,
roi de Babel , a battus. — Voici ce qui concerne Hazor : —
Fuyez, dispersez-vous. Naboukadrasor, roi de Babel, a forme"
un dessein centre vous, et a concu sur vous un dessein (ver-
set 30). — 31. Levez-vous, montez contre une nation tran-
quille, qui vit en securite* , dit Jehovah ; elle n'a ni portes, ni
verrous, vivant a 1'ecart. — 32. Leurs chameaux seront un
1. Jmres, iv, i, 24.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 539
butin, et la multitude de leurs troupeaux sera livre*e au pillage;
je les dispcrscrai de tous cot6s , les homines a la barbe rasee ,
et j'amenerai leur ruine de tous cotes, dit Jehovah. — 33. Ha-
zor deviendra le repaire des chakals, une solitude pour toujours,
personne n'y demeurera, et aucun homme n'y sejournera. — •
Enfin, il est question dans le livre des Maccabees d'une plaine
d'Azor qui etait en Galil6e (ns$iov Acwp. I, XT, 67).
Voyons maintenant ce que nous apprend Josephe. II ra-
conte ' rhistoire de la defaite de Sisera (Siffapvic), ge~ne"ral
d'Yabin, roi d'Asor ( Aawpoy ). Cette ville, dit-il, 6tait au-
dessus du lac Samakhonite (aOV/5 ft'totyxtttet rfc Seae^wviTi^o?
TupT)?) 5. II avait une armee de trois cent mille fantassins, de
dix mille cavaliers et de trois mille chars de guerre. Tout cela
cHait commande" par Sisera. Comme Josephe precise que Yabin,
roi des Kenaaneens, dtait sort! d'Azor, ville placee sur le lac
Samakhonite, il n'y a pas de doute a conserver sur Pidcntitd
de la Hazor bruise par Josu^ , ct de la Hazor que Barak et
Debora detruisirent de fond en comble 3.
Josephe nous apprend que Salomon, apres avoir fortifie'
Jerusalem , fit construire trois villes qui peuvent 6tre classics
parmi les plus fortes; ce sont : Asor (Icwpov), Magedo et Ga-
zara. Cette troisieme ^tait dans le pays des Philistins. Le roi
d'figypte, beau-pere dc Salomon, vint Tassieger, s'en empara
apres un long si6ge, en extermina la population, la rasa et en
fit cadeau a sa fille, femme dc Salomon 4. Rien ne prouvc quo
la Hazor batie par Salomon soil la meme que la capitale de Ya-
1. Ant. Jiul.,v, v, 1.
2. I^e savant Robiasou, rapportant ce passage de Josephe, le paraphrase ainsi : Jose-
phus places that city (Hazor) on the north of the lake Samochouitis (t. Ill, p. 356).
Je n'oserais traduire ainsi le mot (mi^ncu , bieu que cettc version me convienne a
merveille.
3. Ant. Jud., v, v, 1 et 4.
4. Ant. Jutl., VHI, vi, 1.
540 VOYAGE EN SYRIE
bin , mais rien non plus ne prouve qu'elle soit differente. Peut-
etre Salomon, qui etait maitre de toute la Palestine et de toute
la terre de Kenaan, profita-t-il de la magnifique position mili-
taire de Hazor, pour y etablir une place forte, capable de fermer
la vallee du Jourdain, du cote du nord. La ville salomonienne
peut done tres-bien avoir ete rebatie sur une partie de 1'em-
placement de la Hazor, rasee a deux reprises, par Josue et par
Barak. Enfm, I'expedition de Tiglath-Felasar, dans laquelle les
Assy riens pri rent Kedes et Hazor (KuiW.).
Pour Josephe, « la veritable source du Jourdain e"tait au lac
Phiala, situe dans la Trachonitide, c'est-a-dire a cent vingt sta-
des de Cesare"e ( Banias) , a droite et non loin de la route. Le
Panei'on n' etait que la source apparente de ce fleuve; mais
le Jourdain venait seulement y deboucher, en partant du lac
Phiala, et en s'y rendant par un canal souterrain. Ce Panei'on,
1. Ant. Jud., v, HI, 1.
2. Ant. Jud., VHI, viu, 4.
3. Ant. Jud., i, x, 1.
554 VOYAGE EN SYRIE
duquel on croyait, dans 1'ancien temps, que le Jourdain sor-
tait, avail vu sa beaute naturellc relevee encore par la muni-
ficence royale, et Agrippa avait employe de grandes richesses
a 1'embellir. G'est a partir de cet antre que commence le
cours manifesto du Jourdain. » Tous les details que je viens
de rappeler sont la fidele reproduction de ceux que donne Jo-
sephe x.
Josephe nous apprend encore 2 qu'Herode « fit batir un temple
de marbre blanc, dedie k Auguste, aupres des sources du Jour-
dain. Cet endroit se nomine Panei'on. La, une montagne eleve
son sommet h. une hauteur immense, et, au pied, s'ouvre une
caverne obscure, dans laquelle s'ouvre un gouffre abrupt, plein
d'eau, et d'une profondeur inconnue, car aucune sonde n'en
peut atteindre le fond. Des grottes placees k Texterieur et k
la racine raeme de la montagne , jaillissent des sources abon-
dantes, et c'est de 1& que sort le Jourdain, ainsi que IQ croient
beaucoup de personnes3, »
II est encore question de la source du Jourdain dans Jo-
sephe 4. G'est dans le passage oil il parle de la distribution des
lots de terres conquises attribues aux tribus. — Nephtali, dit-
il, eut jusqu'au mont Liban, et jusqu'aux sources du Jourdain,
qui sortent du pied meme de cette montagne.
Paneas, la Banias moderne, etait le nom de la ville situee
aupres des sources du Jourdain, que Philippe agrandit et em-
bellit, en lui donnant le nom de Cesaree. Paneas devint ainsi
la Ga3sarea Philippi5. Plus tard, le roi Agrippa le Jeune ayant
1. Bell. Jud., HI, i, 7.
2. Bell. Jud., i3xxi,3.
3. Ces details sont a peu pres identiquement reproduits dans les Antiqiutes Juda'i-
ques (xv, x, 3).
4. Ant. Jud., v, I, 22.
5. Ant. Jud., xvm, H, etBell. Jud., n, ix, 1.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 555
considerablement augmentc 1'importance de Cesaree de Phi-
lippe, lui .donna le nom de Neronias x.
Rcsumons maintenant ce que nous apprend Josephe. La
principale source du Jourdain sort du Panei'on, c'est-a-dire
de la grotte de Banias. Une seconde source de ce fleuve se
nommait Uanos. Des sources viennent grossir le petit Jour-
dain au lieu nomine Daphne , au-dessous du temple de la
Vache d'or, et se jettent avec lui dans le grand Jourdain.
Pour Josephe, le grand Jourdain vient du Panei'on, et le petit
vient des sources de Daphne. Mais il y a evidemment ici une
erreur de copiste a corriger dans le texte ; au lieu de Asfyv/is,
c'est AaV/is qu'il faut lire, et il s'agit indubitablement de Dan ;
en elfet, la presence d'un lieu nomme le temple de la Vache
d'or, n'indique-t-elle pas jusqu'a 1'evidence 1'emplacement de
Dan, ou Jeroboam etablit un temple dans lequel fut install^ un
de ses deux Veaux d'or? Daphne est done un lieu a biffer du
catalogue des villes de cette partie de la Syne,
Goncluons : Paneas, aujourd'hui Banias, Gsesarea Philippi
et Neronias, c'est tout un 2. Dan est la ville ruineq que Ton
rencontre sur le plateau situe au dela du Nahr-Hasbayah ,
lorsqu'on a passe la riviere, sur le Djesr-el-Rhadjar. Enfm , le
Tcll-el-Qadhi est 1'emplacement du temple oil Jeroboam avait
place un de ses Yeaux d'or, du Temple de la Vache d'or men-
tionne par Jos6phe. Les ruines de Dan sont contigiies, et pro-
bablement le Tell-el-Qadhi fut travaille de main d'homme,
pour servir d'assiette au temple de Jeroboam.
II s'agit maintenant de verifier si ces conclusions s'accordent
avec les temoignages des ccrivains anciens, autres que Josephe.
Je me dispenserai de rapporter tous les passages qui constatent
1. Ant. Jud., xx, ix, 4.
2. Gctte m6me ville s'est aussi appelee au moyen age Tonopyrgos et Belinas. (Voy.
Reland, Pal., p. 919, advocem Paiieas.)
556 VOYAGE EN SYRIE
que Paneas, Caesarea Philippi et Neronias sont la meme ville,
parce que c'est un fait qui n'est pas sujet a question. Philostor-
gius ' dit que Paneas portait d'abord le nom de Dan , qu'elle
s'appela ensuite Caasarea Philippi, et enfm Paneas, a cause
de la statue de Pan que les gentils y placerent. Theodoret 2 dit
aussi que Paneas et Lai's sont la meme ville. Enfm Benjamin de
Tudele dit encore que Paneas est Dan. Voila sur quelles auto-
rit^s on a voulu quelquefois identifier Dan et Banias.
Eusebe, dans 1' Onomasticon , au mot (SviOGajjt.aie , parle de
Dan qui est pres de Paneas , et au mot Aav il dit que c'est un
bourg place au quatrieme mille , a partir de Paneas , sur la
route de Tyr. II y a environ cinq kilometres de Banias aux
ruines placees a 1'ouest du Tell-el-Qadhi ; c'est done bien 1£
que sont les ruines de la Dan biblique, dont dependait le Tell-
el-Qadhi. Les ruines qui sont autour d'el-Khan sont a douze ou
treize kilometres de Banias, il serait done absurde d'y chercher
les ruines de Dan.
Un mot encore sur 1'histoire de Banias. Lorsque le Christ y
vint, il y guerit miraculeusement une femme qui allait perir
d'un flux de sang. Celle-ci eleva devant la porte de sa maison,
une statue de son sauveur. Julien 1'Apostat la fit renverser et
remplacer par sa propre statue. Ce sont les Annales de Glycas
et la Chronographie de Theophanes, qui nous ont conserve la
memoire de ce fait.
6 MARS.
Hier, en causant avec le scheikh de Banias, j'avais appris
qu'a la porte de la ville, comme il 1'appelait, je trouverais un
tarikh (une date, c'est ainsi qu'en ce pays on appelle les
1. Hist., vn, 3.
2. Qusest., HO in Genesim.
ET AUTOUR DE LA MEK MORTE. 557
inscriptions anciennes) ; je m'e"tais done promis d'y courir ce
matin, avant le depart. C'est ce que j'ai fait, en compagnie
d'Edouard. Le temps est redevenu supportable, il promet
memo d'etre beau dans la journee, car le vent a change, et les
nuages se dispersent peu a peu, en laissant la place au soleil.
De loin , la vieille porte me semble de construction arabe ;
de pres, j'acquiers bientot la conviction qu'elle est fort insi-
gnifiante. Les belles pierres de taille qui en constituent les
parements, ont e"te empruntees a tous les monuments antiques
d'alentour, et au-dessus de 1'archivolte est encastre" un ve>i-
table tarikh arabe, que je n'ai pas le temps de dechiffrer, mais
dont je lis assez pour me convaincre que je suis devant Toeuvre
d'un soulthan mamlouk Baharite. Cette porte debouche sur une
espece de pont qui traverse un cours d'eau tres-vif et consi-
derablement enfle par les pluies. Evidemment, voila encore
un des affluents principaux du Jourdain. A droite et h gauche
du tablier de ce pont, sont couchees, en guise de parapets,
de tres-grosses pierres, provenant aussi des monuments de la
Caesarea Philippi , ou de la Neronias qui lui a succede.
Partout dans le village , et surtout du cote" du canal dans
lequel est resserre le ruisseau venant du Panei'on , on voit des
troncons de colonnes, presque toujours gisant sur le sol ou
dans 1'eau, quelquefois debout et en place. II faudrait evidem-
ment passer quelques jours a Banias, pour e"tudier serieusement
le terrain et les ruines. Gelles-ci fourniraient des donnees assez
nombreuses encore , je le crois , pour qu'il fut possible de re-
constituer une sorte de plan de la ville antique.
A. droite du large chemin , je ne veux pas dire de la rue ,
qui de Banias aboutit au pont et a la porte arabe qui ouvre sur
ce pont, se voient cinq grandes arcades de construction greco-
romaine. Ces arcades sont de bel appareil , et enterrees au-
jourd'hui presque jusqu'a la naissance des archivoltes ; elles ne
558 VOYAGE EN SYRIE
sont du reste que dessinees , car elles forment un mur plein qui
sert de base a un mur moderne.
Je le repetc : le site de Banias promet de belles decouvertes
a qui voudrait y faire un sejour suffisant. Les habitants sont
doux et inoffensifs, et avec un millier de francs, je suis con-
vaincu que Ton ferait retourner le sol de Banias tout entier.
tine fois rentres de notre promenade matinale , nous avons
dejeune en hate , fait charger nos bagages, seller nos chevaux
et pris la route de Damas. Cette route, pendant quelques
heures, a partir de Banias, traverse un pays ravissant. Elle
commence au pont me'me que nous etions venus visiter le ma-
tin. La, on tourne a Test et on longe, a droite, le cours d'eau
qui vient de la source la plus eloignee du Jourdain, et a
gauche, a proximite" de Banias, des pres plantes de grands
arbres , sous lesquels nous avons retrouve" le scheikh , a qui
nous avons ainsi pu faire nos adieux. Le ruisseau coule au
fond d'un petit vallon frais et bien boise, qui s'etend jusqu'k
plus d'une lieue a Test de Banias. Nous finissons par quitter le
bord du ravin ,t et nous appuyons alors un peu au nord, pour
contourner le pied de la montagne, au sommet de laquelle
se trouve la forteresse imposante qui se nomme Qalaat-
Banias. G'est une forteresse en mines et qui de loin semble
dater de Tepoque des croisades. La montagne dont elle oou-
ronne le sommet, est fort elevee et verdoyante. Au sommet,
toutefois, ce sont des herbages seuls qui lui donnent cet
aspect, car les arbres cessent de se montrer sur ses flancs, au
dela des deux tiers de leur hauteur. Les habitants de Banias
assurent que la citadelle (le Qalaat) a ete batie avec les debris
antiques de la ville, et que Ton voit plusieurs tarikhs dans les
murailles. La chose est fort possible ; mais s'y trouve-t-il une
seule inscription antique? Voila ce que j'ignore et ce que je
n'ai pas ete verifier.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 559
Depuis que nous avons comment a contourner la base de
la montagne qui supporte le Qalaat-Banias, la route est deve-
nue assez difficile. Elle monte rapidement et elle est comple-
tement de"trempee et defonce"e par les pluies pr6ce"dentes. Les
arbres, couverts d'humidite", nous arrosent incessamment ;
enfin Tair est tres-froid, et, a mesure que nous gagnons du
terrain , nous reconnaissons , fort desagre"ablement , que nous
cheminons vers la region des neiges e"ternelles. Nous passons
& c3te d'une source dont mes guides ne peuvent me dire le
nom et que je trouve indique"e sur la carte de Zimmermann,
sous le nom de Ayn-el-Hazoury. Je me contenterai de faire
remarquer la singuliere analogic de ce nom avec celui du Ayn-
Hazor, mentionnd dans le livre de Josue, parmi les villes fortes
de la tribu de Nephtali. Le terrain ou nous sommes faisait-il
partie du territoire de Nephtali ? Y a-t-il aupres de cette source
des ruines auxquelles puisse s'appliquer le nom biblique?
Comme je ne Tai pas ve'rifie' , je n'en sais absolument rien, et
je recommande ce sujet de recherche aux voyageurs futurs.
Depuis que nous sommes en train de monter , je m'apercois
que mon pauvre cheval n*a plus aucune 6nergie ; la fatigue
qu'il parait ressentir n'est pas naturelle ; il est surement ma-
lade , et je n'ai pas envie de voyager a pied. J'ordonne done
a Matteo de me donner sa monture, et de s'en choisirune autre
parmi les chevaux de bagage. Get echange fmi , je m'apercois
que j'ai fait un excellent march6. Matteo avait nomme' son
cheval el-Bapour (il vapore, la vapeur), et il avait eu raison ;
c'est une petite bete enrage" e et que je dois plut6t calmer
qu' exciter. Said traine mon cheval par la bride, et nous conti-
nuous notre route.
Apres avoir longe" , a quelques cents metres en contre-bas,
la face orientale du Qalaat-Banias, nous avons, ainsi que je
1'ai deja dit, passe pres de 1' Ayn-el-Hazoury, et laissant a
560 VOYAGE EN SYRIE
quelque distance sur notre droite , un mamelon sur le flanc
duquel est place le village nomme Djebbata-ez-Zeit *, nous
arrivons enfin au niveau d'une assez belle plaine, que Ton ap-
pelle Merdj-el-Afoureh, et qui s'etend de 1'ouest £ Test. A notre
gauche commencent immediatement lespentes assez rapides du
Djebel-ech-Cheikh, de ce magnifique sommet de 1'Anti-Liban,.
dont tant de fois nous avions apercu de bien loin la cime ecla-
tante de blancheur. Les neiges commencent a trois ou quatre
cents metres au-dessus du point ou nous nous arretons pour
dejeuner, et elles se montrent, sans interruption, jusque sur le
pic le plus eleve de la montagne. Devant nous s'ouvre , a Test,
le Merdj-el-Afoureh, au fond duquel nous apercevons au loin
les batiments d'un moulin qui s'appelle Tahouahin-es-Sahar,
du nom de l'Ouad-es-Sahar, dans lequel coule un ruisseau
large et gonfle a cause de 1'epoque ou nous sommes; c'est ce
ruisseau qui alimente le moulin. A droite de celui-ci, c'est-a-
dire un peu au sud, se trouve un etang assez vaste et que
nous apercevons de loin; c'est le lac Phiala, dont Josephe
parle a propos des sources du Jourdain a. Enfin, sur le flanc
du Djebel-ech-Cheikh, en face et a 1'ouest de l'Ouad-es-Sahar,
se trouve le village nomme Medjdel-ech-Chems , dans lequel
on pourrait peut-etre rechercher Beit-Chems de la tribu de
Nephtali 3.
1. Cette Djebbata ne serait-elle pas par hasard celle dont parlentles Talmudistes,
et entre laquelle et Antipatris se trouvaient, a ce qu'ils pretendent, soixante myriades
de villes. (Voyez Reland, p. 801, 802, ad vocem Gebath.)
2. On a souvent avance que le nom Jourdain etait forme des noms Yor et Dan, de
ses deux sources principales. Josephe lui-meme laisse deviner qu'il partageait cette
opinion, puisqu'il donne le nom Danos a celle de ces deux sources qui engendre le
petit Jourdain. Ne serait-il pas plus naturel de ehercher dans ce nom les mots TIJO
;i, Riviere de Dan? Je suis bien tent6 de le croire, bien que ce ne soit pas 1'avis de
Reland. Ce qui est certain, c'est que les Arabes prononcent le nom de ce fleuve Ordan,
ce qui est bien voisin de Jordan.
3. Josue, xix, 38.
ET AUTOUK DE LA MER MORTE. 564
Apres la halte assez courte que nous avons faite en ce lieu,
a cause du froid trop vif et du vent aigu qui nous y fouettait
incessamment la figure , nous avons repris notre voyage, en
nous dirigeant au nord-nord-est. Nous avons escalade" une nou-
velle rampe assez dure et tres-longue, qui nous a conduits dans
une gorge remplie de decombres, dont les mate"riaux d' assez
petit echantillon, sont tous des fragments de lave; ces ruines
n'ont pas de nom connu , ou du moiiis, elles n'en avaient pas
pour Mohammed et Matteo. Le vallon qui les contient aboutit
a une petite plaine dont le fond du sol est volcanique , et dont
la surface est couverte de petits etangs. Ce plateau se nomme
Merdjet-Haderah (?), la plaine inclinee ou basse. En ete, a ce
qu'on m' assure, ce lieu est specialement consacre a la culture
des melons. Beaucoup de decombres insignifiants jonchent le
plateau, et ne sont probablement que les debris d'enclos, des-
tines a separer les lieux de culture appartenant a differents
proprietaries.
Vers le nord, cette petite plaine est bornee par un flanc peu
eleve, entierement volcanique et tout couvert de buissons et
de halliers. Apres avoir assez longuement chemine sur ce ter-
rain, ou un vent glacial continue a nous fatiguer extremement,
nous atteigrions la tete d'une vallee fort large, dont nous sui-
vons pendant quelques minutes le flanc oriental , pour arriver
enfin a un ravin tres-profond, tres-abrupt, tres-difficile, et qui
pour 1'agrement de la marche, a quelque analogic avec I'af-
freuse descente d'Ayn-Djedy. On descend, ou plus exactement
on saute de roche en roche, pendant un quart d'heure, et Ton
debouche enfin sur un plateau inferieur assez etroit et qui s'en-
fonce a 1'ouest, pour servir d'assiette au village assez conside-
rable de Beit-Djenn. Au-dessus du village , la neige se montre
partout et elle garnit les sommets a une distance qui ne doit
guere depasser un millier de metres. Un beau ruisseau tres-
ii. 36
562 VOYAGE EN SYRIE
large, et qui est alimente sans doute par la fonte des neiges,
traverse Beii-Djenn dans toute sa longueur, et se retourne
ensuite brusquement, a la pointe orientale du village, pour
entrer dans la vallee que la route de Damas suit en quittant
Beit-Djenn.
Depuis que nous avions atteint la vallee terminee par le
casse-cou dontj'ai parle tout a 1'heure, nous avions etc garan-
tis du vent ; arrives au village, nous avons pu nous re chauffer un
peu au soleil, qui est magnifique. Mais nous sommes trop pres
des neiges, pour que le froid ne soit pas encore assez piquant.
Au-dessus de Beit-Djenn, et sur le flanc de la rauraille de
rochers a laquelle est adossee la portion du village placee sur
la rive droite du ruisseau, on apercoit quelques entrees d' exca-
vations, qui sont, a n'en pas douter, d' antiques grottes sepul-
crales.
Pour ne pas perdre le reste de notre journee, nous avons
ete, fidouard, Philippe et moi, chercher des insectes et des
plantes, au bord du ruisseau et dans les rochers qui le dominent
et qui forment le flanc gauche de la vallee, par laquelle nous
nous dirigerons demain matin sur Damas. L'eau du ruisseau
n'est, a vrai dire, que de la neige fondue, et cependant j'y
ai ramasse quelques petits hydrocanthares (coleopteres du
genre Colymbetes) qui s'etaient refugies sous les pierres a
moitie submergees. Quelques plantes bien humbles, nous
ont seules dedommages de la peine que nous avions prise d'en
chercher; mais 1'une d'elles, qui est une pensee microscopi-
que extremement jolie, croit assez abondamment entre les
rochers, pour que j'aie pu en faire une ample provision.
Pendant que nous arrivions & Beit-Djenn de notre cot6, un
detachement (TArnautes se derigeant sur Banias, y arrivait du
sien, de sorte-que nous avons eu quelque peine & trouver des
logements pour toute notre caravane. Tout le monde dans le
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 563
village est en 1'air, et je crois que la population n'est pas ravie
de la venue de ces ennuyeux visiteurs qui se sont installes chez
elle, comme en pays conquis.
7 MARS.
Notre soiree d'hier s'est passee assez tranquillement et sans
incident qui vaille la peine d'etre note. 11 n'en a pas ete de
memo de la nuit, car la vermine nous a tortures sans relache.
Ce matin, le temps continue a etre extremement clair, mais
il fait un peu moins froid qu'hier. D'ailleurs, maintenant nous
n'avons plus qu'a descendre, et, a mesure que nous gagne-
rons du terrain, nous nous eloignerons des neiges et nous
trouverons un climat plus doux.
Pendant que nous faisons nos preparatifs de depart, le deta-
chement d'Arnautes fait les siens, mais je dois dire qu'il les
fait d'une maniere assez irreguliere. Depuis une grande heure,
le chef de la bande est a cheval , flanque de deux beyrakdar
( porte-etendard ) , portant, Tun le drapeau rouge officiel des
Turks, et 1'autre un drapeau vert qui est 1'etendard religieux.
Un homme a pied , sur le ventre duquel sont attachees deux
petites timbales , a beau battre toutes les marches possibles,
pour rappeler les guerriers que leur capitaine attend, c'est
exactement comme s'il chantait. Les guerriers, etablis sur
toutes les terrasses des maisons ou ils ont loge, brulent leur
poudre , non pas aux moineaux , mais aux pigeons des habi-
tants; c'est une petarade roulante et incessante. Si ce sont,
comme cela parait fort probable, les munitions de guerre
delivr£es par le gouvernement ottoman a ses soldats, que ces
messieurs brulent et gaspillent avec tant de laisser-aller , il est
clair qu'apres leur depart, les cartouchieres seront comple"te-
ment veuves de cartouches. Au reste, les pigeons sont ceux
564 VOYAGE EN SYRIE
qui courent le moins de danger. Les balles arnautes sont
reduites pour eux a Fetat de mythe ; le bruit seul des coups
de fusil les effarouche un peu, mais pas un seul ne tombe;
decidement, si les Arnautes ont compte sur leur gibier du
matin pour diner ce soir, ils feront maigre chere. Enfin, le
capitaine s'est lasse d'attendre ses braves, et il s'est mis en
route precede de son timbalier et suivi de ses deux beyrakdar.
Le corps d'armee rejoindra la tete, quand il voudra et quand
il pourra.
Notre bande, a nous, etant un peu mieux organisee, nous
avons reussi a partir en meme temps que 1' avant-garde otto-
mane, mais dans le sens pre'cise'ment oppose. Nous avions
perdu de vue Beit-Djenn, derriere les roches qui Fabritent,
que la guerre aux pigeons allait toujours son train. Mon pauvre
cheval, que je n'avais pas cru bien malade hier, est mort
pendant la nuit, et ce matin je Fai vu tristement etendu au
bord du ruisseau, et au beau milieu du village. II restera la
jusqu'a ce que les oiseaux de proie et les chakals Faient fait
disparaitre. Pourquoi n'avouerais-je pas que la vue de cette
bete morte, sur le dos de laquelle j'avais chemine tant de
jours, au milieu de fatigues et de dangers de toute espece, m'a
fait une veritable peine? J'ai compris en ce moment Fattache-
ment des Arabes pour leur monture habituelle. C'etait un
veritable chronometre que ce pauvre cheval , et je dois £ son
calme et a sa patience, d' avoir pu lever, avec une exactitude
satisfaisante , la carte des pays nouveaux que j'ai visites.
La vallee dans laquelle nous nous engageons en sortant de
Beit-Djenn est fort triste encore ; la vegetation n'y est nulle-
ment avancee,et elle ressemble singulierement & ce lledu
nord de la France, £ pareille epoque. Nous marchons sur
Kafr-Haouar, village que j'ai le plus grand desir d'atteindre.
La carte de Zimmermann m'indique, a cote de ce village, un
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 565
point qui porte le nom de « Tombeau de Nimroud. » Vais-je
decouvrir un monument assyrien? Je 1'ignore; mais j'ai quel-
que esperance de faire une bonne trouvaille, et je m'en rejouis
a 1'avance. Helas! j'ai bien fait, pour me rejouir, de ne pas
attendre la vue du tombeau de Nimroud. Apres deux bonnes
heures de marche , nous apercevons enfin Kafr-Haouar ; mes
yeux cherchent partout, et comme j'apercois, sur un coteau
place derriere le village, une sorte de batiment carre" qui ne
ressemble pas a une maison arabe ordinaire, je me dis : « C'est
la que se cache le bienheureux tombeau de Nimroud. » Et
voila que tout a coup mes guides, qui ont accoste quelques
habitants du village, occupes a des travaux de culture, m'ar-
retent devant deux gros blocs carres arraches a quelque edi-
fice antique, et jetes au hasard au milieu d'un champ, a trois
ou quatre cents metres du village , et me disent : « Voila le
Qobr-Nimroud ! » D'abord, je ne veux pas les croire, et j'in-
terroge moi-meme les laboureurs, qui m'affirment unanime-
ment que c'est bien Ik le Qobr-Nimroud ! Quelle degringolade !
« Qu'est-ce done, leur dis-je, que ce batiment qui est la haut? »
Et je leur montre 1' edifice sur lequel j'avais fonde mes plus
chores esperances. « Ca? font-ils, c'est une grange. — Allez
au diable, avec votre grange! » Et je m'eloigne en maudissant
Nimroud, Kafr-Haouar et un peu aussi Zimmermann, qui
m'a procure cette mortification d'archeologue.
En conscience, la Providence des antiquaires me devait
bien un dedommagement , et ce dedommagement ne s'est pas
fait attendre. A mesure que je me rapprochais du village, en
franchissant la distance qui le separe du Qobr-Nimroud , je
regardais plus attentivement une masse blanche r^guliere, qui
s'elevait au-dessus des premieres maisons du village et qui
etait placee au milieu d'elles. En arrivant, je reconnais un
magnifique stylobate de style grec, et me voila ne pensant
566 VOYAGE EN SYRIE
plus au tombeau de Nimroud, mais bien au venerable debris
que j'ai sous les yeux. Faute de grives, mangez des merles,
dit-on , et Ton a raison. A defaut done d'un monument assy-
rien, je vais dessiner un beau monument, probablement
inconnu, d'un art plus recent, j'en demeure d'accord, mais
d'un art qui a bien aussi son merite.
Je fais done mettre pied a terre & tout le monde, je declare
que nous de"jeunerons a Kafr-Haouar, apres que j'aurai pris
tous les croquis dont j'ai besoin, et je me mets immediatement
a 1'oeuvre.
Le stylobate est tout entier en marbre blanc , et il supporte
encore une base de colonne en place. En voici les dimensions
principales : la corniche a soixante centimetres de hauteur et
cinquante centimetres de saillie sur le dez ; celui-ci a un metre
douze centimetres de hauteur, et la moulure inferieure, qui ne
reproduit pas le profil de la corniche, a soixante-quatorze cen-
timetres de hauteur. Le dez inferieur sur lequel s'appuie cette
moulure a une saillie de trente-cinq centimetres sur sa derniere
plate-bande ; il est probablement enterre d'une certaine quan-
tite" , et il a encore au moins un metre de hauteur ati-dessus
du sol , ce qui donne une distance de trois metres cinquante
centimetres a peu pres, entre le sol actuel et la partie infe"rieure
du pie"destal des colonnes ; le fut de celles-ci a quatre-vingts
centimetres de diametre.
Pendant que je prenais ces mesures, 1'abbe", avec sa manie
habituelle de fureter partout, manie fort heureuse aujourd'hui,
de"couvre dans un piedroit de porte, appartenant & une ba-
raque adossee h la partie anterieure de la ruine, un fragment
description grecque mutilee. Bonne trouvaille de plus, et
trouvaille d'autant plus precieuse qu'elle jette une lumiere
bien inesperee sur la nature du monument que nous ve-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 567
nons de retrouver. Void cette inscription , que je me hate de
copier :
OYKIOCAK
BAIOY€YC£BO
tKAIT7€AAeeJ
YFTOTHCKYPIA
TAPPATH
tividemment , il s'agit la de la deesse syrienne Atargatis,
dont le nom tronque se trouve a la dernifere ligne. Notre mo-
nument etait done vraisemblablement un temple d' Atargatis.
A en juger par le style de ses moulures et par celui des carac-
teres de I'inscription , cette derniere doit etre bien posterieure
au temple, qui lui-meme me parait de 1'epoque des Seleucides.
II s'agit probablement d'un objet quelconque mis sous la pro-
tection de la deesse Atargate, et non Atargatis, dont nous
retrouvons cette fois le nom correctement orthograpMe, par
un habitant du pays ou le culte de cette deesse meme etait
florissant. Le consecrateur est Lucius fils d'Ak...baeus, pieux
et sans reproche. C'est mon savant ami et confrere Ph. Lebas,
qui m'a donne la veritable lecon de la troisieme ligne, qui
doit se lire :
KAJAM€Mance folle. Ce doit etre un faubourg, me disais-je;
tout a 1'heure nous arriverons aux palais fe"eriques qui re"alisent
les contes des Mille et une Nuits , et que les voyageurs vantent
avec tant d' ensemble. Au bout du Meydan, nous trouvons le
bazar, vaste rue couverte, ou pietons, cavaliers et chameliers
s'enfournent pele-mele, au milieu des boutiques et dans une
demi-obscurite. La encore , nouvelle disillusion ; le Bazar de
Damas offre un spectacle curieux certainement , mais , 6 Mille
et une Nuits, que vous 6tes loin! Apres le bazar, que nous
avons assez longuement arpent6, nous entrons dans une rue
semblable a toutes les rues des villes de 1'Orient, et qu'on
nomine la rue Droite. Nous y cheminons cinq minutes et nous
nous arretons enfin devant une petite porte, surmonte"e de
1'enseigne francaise : Hotel de Palmy re. Nous sommes arrives,
et nous mettons pied a terre.
On voit que ma premiere impression est loin d'etre flatteuse
pour Damas. J'en veux mortellement a cette ville d'etre si
laide, quand je me 1'gtais figuree si belle ; c'est la un tort que
je ne lui pardonnerai jamais; on n'attrape pas aussi effronte-
ment les gens. Je franchis la porte de Fhotel, je descends
dans une petite cour borgnc, qui tourne et me conduit dans la
580 VOYAGE EN SYRIE
veritable cour de la maison, et voila que je suis frappe d'eton-
nement, et que je rabats deja quelque chose de mon indigna-
tion de tout a 1'heure. Parcourons un peu cette maison , qui
est une maison d'un ordre fort mediocre pour la beaute, a ce
que j'ai appris depuis, par experience.
Au milieu d'une grande cour, dans laquelle trotte une ga-
zelle apprivoisee, est un large bassin plein d'eau, sur lequel
se penchent deux magnifiques Grangers. Devant 1'une des
extrcmites du bassin est une grande salle entierement ouverte
sur la cour, avec estrade sur laquelle on inonte par deux
marches. Autour de cette estrade est appuye contre les murs
un large divan. Deux grandes salles carrees avec estrades,
s'ouvrent a droite et b gauche et sont eclairees par de grandes
fenetres sur la cour. Les murs et les plafonds de ces deux
salles sont litteralements couverts des plus delicieuses ara-
besques ciselees, et entremelees de belles sentences pieuses
tres-elegamment e'crites. Sur le cote oppose s'ouvre une vaste
salle terminee par une abside circulaire avec divan ; au milieu
de celle-ci est un bassin rond, avec un jet d'eau que Ton fait
jouer a volonte. A droite et a gauche sont encore deux salles
avec estrades. Une vigne immense , plantee au pied du mur
de cette face, monte jusqu'au faite de la maison et va former,
sur la terrasse qui la surmonte, une charmante tonnelle sous
laquelle on peut aller respirer et prendre le frais, pendant les
fortes chaleurs de 1'ete. Toutes les parois de ces differentes
salles sont garnies des arabesques les plus gracieuses et les
plus capricieuses en meme temps, et ce sont les ouvriers les
plus vulgaires qui sont capables de les tracer. De nombreuses
chambres sont placees a 1'etage superieur et le long d'une troi-
sieme face de la cour.
Du coup, me voila un peu raccommode avec Damas. Certes,
la maison, vue de Texterieur, a 1'air de la plus ignoble bico-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 581
que de village; & Tint^rieur c'est un bijou digne d'un prince,
et ce n'est, je le repete, qu'une habitation des plus medicares,
et qui est a mille piques des somptueuses demeures que j'ai
vues les jours suivants. fitrange race que cette race arabe des
villes, qui s'efforce de ne laisser voir a Text^rieur de ses mai-
sons que des murs de boue et a moitie croulants, a la condi-
tion que 1'interieur, ou personnene doit pe"netrer, aura toute
I'elegance et toute la splendeur d'un palais.
Une heure apres notre arrivee, nous etions honores de la visite
de M. de Segur, notre consul, et de celle de notre aimable
compagnon de voyage, M. Wood, consul de Sa Majeste britan-
nique. Ges messieurs, aussitot informes de notre entree h Damas,
avaient eu la gracieusete" de nous prevenir, et ils venaient, de
la maniere la plus charmante , nous faire leurs offres de ser-
vice. On peut deviner aisement avec quel vif plaisir nous
avons regu ces deux aimables visiteurs ; nous venions de vivre
pendant bien des jours de la vie sauvage, et nous nous trou-
vions tout d'un coup rentres dans la vie civilisee, avec tout
ce qu'elle a de politesse et de charmes! Comme nous e"tions
horriblement fatigues, nous avons prie" ces messieurs d'agreer
nos excuses pour cette journee. Nous sommes done restes au
logis, et, aussitot apres notre diner, nous avons ete nous
coucher dans de vrais lits.
9 MAUS.
Notre journee s'est passee en visites; d'abord chez notre
excellent consul, chez lequel nous devious diner le soir. 11 a bien
voulu nous presenter a sa famille, de laquelle nous avons rec,u
1'accueil le plus gracieux. L'habitation du consul de France est
ravissante, et a la voir, nous comprenons deja que 1'hotel de
Palmyre, que nous admirions hier avec tant d' enthousiasme,
n'est qu'une masure. M. de Segur, pour nous faire les hon-
582 VOYAGE EN SYRIE
neurs des plus belles habitations de Damas, nous conduit dans
quelques maisons de riches negociants juifs, places sous la
protection de la France. Ce sont MM. Stambouly et Sakai'm ,
chez lesquels nous sommes recus avec la plus exquise poli-
tesse. Dans chaque famille, de belles jeunes femmes, et entre
autres, Mllc9 Sammah et Rifkah, dont j'ai note les noms
comme ceux de deux charmantes creatures , s'empressent de
nous offrir des limonades, des confitures, du cafe et des tchi-
bouk, qu'il ne serait pas poli de refuser; de sorte qu'a notre
troisieme visite, nous en sommes a ne savoir plus comment
faire, et a donner au diable 1'etiquette et la politesse.
Un mot sur ces dames. Toutes, quand il s'agit de faire un
pas, grimpent sur des patins de bois, formes d'une semelle
installee sur deux planchettes d'un pied de hauteur. Je ne
comprends pas comment elles peuvent marcher avec ces usten-
siles incroyables, sur les dalles glissantes de leurs cours et de
leurs appartements. Outre qu'ils leur donnent une taille deme-
suree et pen gracieuse, on entend perpetuellement un cliquetis
de bois sec sur la pierre, et cela ne me parait pas tres-diver-
tissant. Les sourcilsque le bon Dieu leur a donnes, ne sont pas
dignes d' elles, a ce qu'il parait, aussi les rasent-elles avec soin,
et les remplacent-elles par des sourcils fantastiques, formes
d'une ligne arquee, tres-longue et d'autant plus noire qu'elle
est entierement peinte. A. leur place, je declare que je prefere-
rais de beaucoup les vrais sourcils. Les cheveux sont une pa-
rure que les jeunes filles seules ont le droit de porter. Des
qu' elles se marient, leurs pauvres cheveux sont coupes ; ce qui
en reste est soigneusement cache', et remplace par des tours
forme's de plumes d'autruche noires. Ceci est encore d'une
laideur tres-satisfaisante. Esperons, dans 1'interet du beau
sexe damasquin, qu'il mettra quelque jour a 1'index ces modes
absurdes.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 583
A propos de mode, j'ai oublie" d'en mentionner une qui est
universelle parmi les femmes du peuple, et qui commence a
se montrer partout, des qu'on arrive pres de Damas; celle-la
n'est pas nouvelle, il s'en faut , puisqu'elle remonte a Tantiquite
la plus recule"e. II s'agit d'un petit bouton d'or, garni sou-
vent d'une turquoise et qu'on s'implante dans une narine, a
1'instar d'un bouton de chemise. Voici, a ce sujet, ce que je
trouve dans la Bible, a propos du serviteur d' Abraham, venu
en Mesopotamie, afin d'y chercher une femme pour Isaac, fils
de son maitre ',,... Je lui mis ensuite une boucle a la figure et
des bracelets aux mains (traduction de Gahen), Le texte porte
en realite : Je lui mis le nezem au nez et les bracelets aux
mains (nq^'^y Dun). Ge nezem, deja Mendelsohn 1'a traduit
par pendant du nez, bien que les Septante 1'aient traduit par
pendant d'oreilles. Au verset 22 du meme chapitre, il est dit:
Et quand les chameaux eurent fini de boire, cet homme prit
une boucle d'or, pesant un demi-sicle, et deux bracelets pour
ses mains, pesant dix sides d'or. Le texte samaritain, apres
la mention du premier bijou, ajoute, et il la lui mit au nez
( HDN by Dtjn). Quand on a parcouru les villages des environs
de Damas et de Baalbelc, on sait parfaitement a quoi a' en tenir
sur le sens de ces deux versets ; il y est indubitablement ques~
tion de I'ornement de nez que les femmes portent toutes, et
qui n'est pas le moins du monde un anneau, ni un pendant;
c'est un veritable bouton.
En terminant notre tournee dans les palais des protege's fran-
gais, nous nous sommes rendus au consulat d'Angleterre, ou
nous avons eu le d^plaisir de ne rencontrer peraonne, De la
rue droite, dans laquelle est situe 1'hotel de Palmyre, on tourne
a droite, en se dirigeant vers la grande mosque"e, k proximito
i, Oeruese, xxiv, 47.
58i VOYAGE EN SYRIE
de laquelle est situe le palais du consulat d'Angleterre. L'ap-
parence exterieure de celui-ci est a la hauteur de celle des plus
humbles maisons de village, dans notre pays. A I'interieur,
c'est encore plus beau que tout ce que nous avons deja admire
en ce genre. Avant d'arriver a la porte du consul, on longe
une muraille evidemment antique et construite en magnifiques
pierres de taille. Je ne sais a quel monument on pourrait ratta-
cher ce pan de mur qui est tres-long.
Ce soir, nous avons dine chez M. de Segur; apres le diner,
se sont reunis au consulat, tous les membres de la colonie eu-
ropeenne de Damas ; nous avons entendu de la bonne musique,
et nous sommes rentres, enchantes de notre journee, en nous
faisant ouvrir une demi-douzaine de grandes portes de bois qui
closent les quartiers, et aupres desquelles veillent des portiers
qui percoiventunbakhchich, pour vous laisser passer tranquil-
lement.
DU 10 AU 14 MARS.
Ce matin, apres avoir e"crit et mis mes notes en ordre, j'ai
6t6 visiter la porte a laquelle aboutit la rue droite, et qui se
nomme Bab-ech-Charqy, la porte orientale. C'est une grande
porte antique, de construction romaine : un immense arc, au-
jourd'hui mure, servait autrefois de sortie. II etait flanque de
deux arcs plus petits, et c'est celui du cote droit, qui sert au-
jourd'hui de porte a la ville de Damas; evidemment, a cette
porte devait aboutir une rue d'une largeur splendide. Helas !
cela est bien change aujourd'hui, car la rue droite est tout
simplement fort laide, fort etroite, fort sale et fort peu droite.
M. de Segur est venu dejeuner avec nous et nous avons recu
la visite du docteur Hainmerschmidt, celebre naturaliste alle-
mand, que la revolution de Vienne a force de s'expatrier. II
s'est fait musulman, et porte aujourd'hui le nom d'Abd-Allah-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 585
Effendi. II est employe" a Damas en qualite" de medecin des
armees, etil continue a s'occuper tres-activement, en ce pays,
de ses recherches microscopiques sur la zoologie, et sp^ciale-
ment sur la classe des vers. Apres le dejeuner, M. de S6gur
m'a conduit chez le seraskier de 1'Arabistan, Emyn-Pacha.
C'etait un homme tres-distingue et grand amateur d'armes a
feu , dont il entendait fort bien la construction. Peu de temps
apres mon retour en France, j'ai appris la mort du seraskier,
qu'une fievre cerebrale avait emporte en peu de jours. C'est
une veritable perte pour 1'empire ottoman, qui n'a pas beau-
coup de serviteurs dignes de remplacer Emyn-Pacha.
Apres force pipes et force tasses de cafe" , apres une longue
conversation sur la mer Morte (Emyn-Pacha, qui avait long-
temps habite Paris, parlait le francais a merveille), j'ai obtenu
la permission de visiter le vieux chateau de Damas, et un offi-
cier a ete charge de nous y conduire immediatement. G'est
bien le chateau le plus delabre des quatre parties du monde.
Tout ce qui n'a pas croule deja y est croulant , et n'attend
qu'un pretexte pour tomber. J'y ai remarqu6 en passant une
belle inscription arabe encastree au-dessus d'une porte de
casemate : c'est un tarikh du soulthan Kelaoun. Aupres d'une
salle d'armes, sont debout quelques belles colonnes antiques
fort massives, et qui doivent avoir appartenu a un edifice tres-
considerable. Les officiers proposes a la garde de ce qui s'ap-
pelle un arsenal, m'ont montre un tas de vieilles ferrailles,
parmi lesquelles sont jete~s quelques arquebuses a crocs
toutes detraquees , des fleches en quantite, des boules de fer
rouillees, qu'ils m'ont assure n'etre autre chose que les ceufs
ou boules d'acier avec lesquelles se fabriquaient jadis les cele-
bres lames de Damas. Je veux bien le croire pour mon compte,
par deference pour ces messieurs, mais je n' engage pas trop
mes lecteurs a etre aussi polls.
586 VOYAGE EN SYRIE
Sous la voute que soutiennent les colonnes antiques, et au-
dessus d'une porte fermee, etaient accroches un arc immense
et un vieux heaume que je n'ai malheureusement pas pu exa-
miner d'assez pres pour en fixer 1'age. Quant a Tare, M. de
Segur, sur ma priere, a demande au seraskier de lui en faire
cadeau. L'arc lui est venu et notre consul 1'a depose au Musee
d'artillerie. C'est sans contredit une des armes les plus cu-
rieuses que je connaisse. C'est evidemment un arc de machine
de guerre ; le fut, qui est compose de pieces de bois et de nerfs
desseche's, a souffert dans un incendie. Comme il etait supendu
au chateau de Damas, en guise de trophee, il est fort probable
que c'est 1'arc d'une baliste enlevee de 1'une des dernieres
villes prises sur les Chretiens par les soulthans de Damas,
lors de la destruction definitive du royaume latin de Jeru-
salem.
Du haut d'une tour carree sur laquelle nous sommes months
pour jouir du panorama de Damas, j'ai apercu, au-dessus du
bazar et contre la grande mosquee, un magnifique fronton du
haut-empire. J'irai tres-certainement le visiter.
Le surlendemain, M, de Segur est venu nous chereher pour
aller visiter 1'exterieur de la grande mosquee, en passant par-
dessus les terrasses du bazar des orfevres. En sautant d'une
terrasse sur une autre, etainsi de suite, nous avonspu voir une
bonne partie de 1'edifice, dont 1'approche est formellement inter-
dite aux Chretiens. Le haut d'une porte carree, encadree dans
une grande inscription grecque, se montre au-dessus des toits
du Bazar A partir de cette porte, regnent de longues frises
couvertes d'ornements et de moulures. Malheureusement nous
etions fort mal a 1'aise sur ces terrasses. Malgre" la bonne vo-
lonte des quelques bijoutiers du bazar qui nous avaient fait la
courte-echelle pour nous aider £ grimper jusque-lci, un fana-
tique quelconque qui nous eut apercus d'une lucarne, pouvait
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 587
nous envoyer une balle, sans que nous eussions rien a reclamer,
puisque nous e"tions dans notre tort; nos guides eux-memes
ne se montraient pas tres-rassures, II a done fallu nous con-
tenter d'un simple regard jete pour ainsi dire en courant, et
nous sommes redescendus au plus vite dans le bazar, fort con-
tents sans doute d' avoir vu ce que nous avions vu, mais plus
contents encore de rjous etre tires de la sans mesaventure.
Au premier coup d'oeil, 1'inscription grecque de la porte
dont nous avons admire le sommet, m'a paru une inscription
byzantine, et tres-probablement pieuse. La grande mosquee
de Damas est, je le crois, une eglise chretjenne de 1'epoque de
Justinien, qui aura remplace un temple pai'en, et qui sera a
son tour devenue une mosquee.
Apres avoir achete dans le bazar quelques bonnes me"dailles
que les orfevres ne se pressent jamais de fondre, dans 1'espoir
qu'il se presentera, tot ou tard, quelque Europeen qui les achc-
tera un peu plus cher qu'elles ne valent intrinsequement, nous
sommes alles faire une autre promenade sur des terrasses. Mais
cette fois nous ne nous exposions h aucun danger, parce quq
nous ne nous approchions pas d'un edifice religieux, J'ai tout
a 1'heure parle d'un magnifique fronton antique que j'avais
apercu du haut'des mines du vieux chateau; c'est ce fronton
que nous avons etc visiter. Dans la grande allee du bazar qui
aboutit au parvis meme de la mosquee, on ent-re dans uno
boutique : moyennant un bakbchich de quelques piastres au
proprietaire , on grimpe par un escalier fort obscur, au-dessus
du bazar, et Ton se trouve en face de quatre enormes colonnes
corinthiennes que surmonte un fronton gigantesque, sur-
charge d' ornaments. Les maisons modernes se sont accrochees
a ces ven^rables debris, et si ce qui est & 1'exterieur et au*
dessus des baraques, est assez bien conserve, Dieu sait com-
ment ce qui est a rinterieur a 6t6 traite. Quoi qu'il en soil, ce
588 VOYAGE EN SYRIE
fronton se reliait indubitablement , pour moi du moins, au
temple antique, sur 1'emplacement duquel est aujourd'hui la
grande mosquee. II y a trop peu de distance entre les deux
monuments, pour qu'il n'en soit pas ainsi.
Du bazar nous sommes revenus au logis, en passant par la
rue qui longe 1'aqueduc nomme el-Qanaouat, et qui sert a la
merveilleuse distribution d'eau dont jouit Damas entiere. G'est
de Ik que partent, a ce qu'il parait, tous les canaux qui alimen-
tent les innombrables bassins dont tous les quartiers de la ville
et toutes les maisons de chaque quartier sont dotes. Je doute
qu'il y ait une seconde ville au monde plus genereusement et
plus habilement traitee. Des Qanaouat , nous sommes alles a
cote d'un cafe, a la porte duquel est place un assez joli jet d'eau ;
c'est, le seul, je pense, qui existe, a Damas, sur la voie pu-
blique.
Notre depart est fixe pour le 111 mars, et nous avons decide
toute la famille de notre excellent consul a faire avec nous la
promenade de Baalbek. Nous partirons done tous ensemble, et
nous nous quitterons au milieu de ces ruines dont on dit tant
de merveilles, pour rentrer, les uns a Damas et les autres a
Beyrout. M. Gamier, chancelier du consulat, est aussi de la
partie; et comme M. de Segur doit emmener, en outre, son
drogman, un de ses kaouas et une femme de chambre, nous
formerons une veritable caravane.
Les quelques jours que nous venons de passer dans la capi-
tale de la Syrie, se sont e"coules assez rapidement et fort
agreablement , au milieu de toutes les prevenances dont nous
avons e"te entoures par la colonie. Nous avons, notamment,
passe de tres-agreables heures chez M. et Mmc Wood , qui ont
e~te" pour nous d'une affabilite charmante, et qui nous ont
combles de politesses. II est impossible d'exercer d'une ma-
niere plus exquise les devoirs de 1'hospitalite. Mes compa-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 589
gnons ont, a des prix fort moderes, achete" de beaux sabres
provenant du desarmement de la population damasquine. Moi-
meme j'ai fait emplette de quelques morceaux de la vaisselle
de cuivre damasquinee d'or et d'argent, qui a appartenu, il y a
quelques siecles , aux soulthans de Damas. Un chemmaa ou
grand chandelier, entre autres, est un veritable chef-d'oeuvre;
un debris de chandelier de la meme forme porte le nom d'un
Malek-en-Naser, et un support de plat offre celui d'un Malek-
es-Saleh. Comme trois soulthans mamlouks de Damas ont
porte le nom d' el-Mai ek-en-Naser, il est difficile de deviner
auquel des trois ce chemmaa a appartenu; tous les trois ont
regne de 1290 & 1360. Trois Malek-es-Saleh ont e"galement
regne a Damas de 1342 k 1389. II n'est done pas plus aise de
savoir auquel des trois a appartenu le support de plat en ques-
tion. Quoi qu'il en soit, ces pieces de vaisselle sont du xive sie-
cle , d'un tres-beau travail, et bien dignes de figurer dans un
inusee.
J'avoue que la fatigue m'est venue et que j' aspire an mo-
ment d'etre rentre & Beyrout. Je n'ose encore penser trop sou-
vent a mon retour en France. Quoique le moment de quitter la
Syrie approche rapidement, bien des jours m'en separent en-
core; il vaut mieux ecarter, si je le puis, les souvenirs qui
m'assiegent, et qui m'empecheraient infailliblement de tirer du
reste de mon voyage tout le profit que j'en puis et dois tirer
encore. N'importe , je compte maintenant , et sans m'en pou-
voir defendre , les jours avec une certaine impatience. Nous
avons decide que nous nous embarquerions, le 5 avril prochain,
sur le bateau qui partira pour Marseille , et je voudrais tout a
la fois avoir atteint le 5 avril et avoir bien vu tout ce qui me
reste & voir sur la route que j'ai a. parcourir.
A Damas, Gustave de Rothschild nous a quittes, emmenant
avec lui Francois Dzaloglou et Selim. Comme il doit aller en
590 VOYAGE EN SYRIE
Grece, il est presse d'arriver a Beyrout pour s'embarquer sur
le bateau du 16 mars. Voila done notre caravane qui com-
mence a se d(3membrer. Encore trois semaines et nous serons
tous disperses, apreS huit mois d'une vie d'aventures, de dan-
gers et de fatigues, endurSe en commun. Cette pensee de
notre prochaine separation, elle-meme, m'est fort desagreable
et ne contribue pas peu a calmer mon desir de voir du nou-
veau. II me semble que j'ai defense tout ce que j'etais capable
de depenser d'energie et de curiosite , et maintenant j'aspire
franchement au repos. Patience ! quelques jours encore et le
moment du repos sera venu.
Comme les details historiques sur Damas se trouvent partout }
comme en outre, de cette ville, 1'une des plus antiques du monde,
il ne reste rien, ou presque rien au-dessus du sol de la ville
moderne, je me dispense d'en parler plus longuement. S*il etait
facile de faire un long sejour dans cette ville, et d'y entre-
prendre des fouilles suivies sur une grande echelle , on y trou-
verait beaucoup de monuments de tous les temps, cela n'est
pas douteux ; mais malheureusement la chose est si peu facile
que je la crois impossible, quant a present.
14 MARS.
Ce matin, a huit heures, nous e"tions tous a cheval. Nous
nous sommes rendus au consulat; mais la famille de Se^gur
avait pris les devants ; nous avons done iacc^lere le pas , et ,
traversant toute la ville, en passant par une espece de marche"
en plein air, qui longe 1'enceinte du chateau > nous sommes
enfin sortis de Damas par une belle et large route, que bordent
a gauche les premieres assises d'un hopital, commence" par
1'ordre d' Ibrahim-Pacha, etrest6 tout natufellement inacheve,
apres la retraite des figyptieris. Les Damasquins ne r^parent
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 591
pas les mosquees qui croulent, ils les laissent tranquillement
tomber ; comment leur viendrait-il a la pensee de construirc
un edifice nouveau?
Nous avons assez promptement gagn6 le pied de TAnti-
Liban , et nous nous e"levons , a travers une rue du village de
Salehyeh, sur le plateau qui domine ce magnifique village. La,
encore, sevoient les debris de somptueux edifices religieux, qui
ont e"te construits par les soulthans de Damas, et que 1'incurie
syste"matique des maitres actuels du pays a laisse" honteuse-
ment crouler. Nous avons rejoint toute la famille de Segur a
la sortie de Salehyeh, et nous admirons ensemble la vue sans
pareille dont on jouit de ce point. Damas semble mollement
etendue sur un lit de fleurs , car les millions d' arbres frui tiers
qui forment une veritable fore"t autour de la ville, sont en pleine
floraison ; les quelques jours que nous avons passes a Damas
ont ete tres-beaux, et ils ont suffi pour activer d'une mani6re
incroyable la vegetation printaniere. Les abricotiers sont en
majority, parceque leurs fruits desseche*s, ou michmich, con-
stituent un des produits les plus estimes du commerce de'
Damas. Aussi les arbres fleuris ressemblent-ils de loin a des
arbres converts de neige; mais, la chaleur du soleil vient bien
vite detruire ciette illusion.
Apres nous etre arr£te"s quelque temps, pour jouir de cc
magnifique panorama dont nous allons nous eloigner, pour ne
le revoir probablement jamais , nous entrons dahs une laide
ravine taillee dans le roc , et nous commencons a escalader
pour tout de bon le flanc de 1'Anti-Liban. Le pays que Ton
traverse alors est affreux, jusqu'a la vallee du Baradah, jolie
petite riviere poissonneuse qui alimente tous les aqUeducs et
tous les reservoirs de Damas. C'est au village de Doummar
que Ton atteint la vallee du Baradah. A partir de la, nous re-
montons la riviere , en en suivant a peu pres constamment la
592 VOYAGE EN SYRIE
rive gauche, et apres 1' avoir traversed a Doummar meme.
Quatre heures apres notre depart de Damas, nous nous arre-
tons dans un champ pour faire le dejeuner le plus gai et le
plus agreable. Nous repartons immediatement, et, apres trois
nouvelles heures de marche, nous mettons pied a terre dans le
village de Souq-el-Ouadi-Baradah, ou nous devons passer la
nuit,
Avant d'y arriver, nous avons vu, au bord du chemin et dans
le lit meme du Baradah, on plutot d'un canal de derivation qui
en amene 1'eau £ un moulin, des troncons de colonne et d'enor-
mes pierres de taille, dont la presence nous revele immediate-
ment 1'existence, vers ce point, d'une ville antique importante.
Devarit la maison meme ou nous recevons 1'hospitalite, se trouve
un grand moulin alimente par le Baradah, dont le lit est a quel-
ques metres en contre-bas. Ce moulin est , pour ainsi dire ,
construit avec les debris d'un temple antique, dont le soubasse-
ment et quelques bases de colonnes sont encore en place. Nous
voila done bien assures du fait de la presence d'une ville
antique.
M. Gamier, chancelier du consulat de Damas , est loge seul
dans une maison dont la porte nous offre, encastree dans 1'un
de ses piedroits, une curieuse inscription chretienne que je
m'empresse de copier r. Pendant que nous nettoyons a grande
eau 1'inscription que nous voulons lire, un habitant du village
nous dit qu'il connait une autre pierre ecrite, dans un champ
situe a quelque distance, sur le flanc de la montagne, a gauche
de la route que nous venonsdeparcourir. M. de Segur, Edouard,
1'abbe et moi, nous nous y faisons aussitot conduire. Pour
prendre le chemin le plus court, nous descendons d'abord dans
les pres etroits qui forment la rive droite du Baradah, et nous
1. Voyez pi. n.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 593
reconnaissons dans les rochers des traces nombreuses et e" vi-
dentes de constructions antiques. Une fois remonte"s sur la
route de Damas , notre guide nous fait faire une demi-lieue
et nous conduit, a travers les terres labourees, vers le point
ou doit se trouver 1' inscription promise. Mais le pauvre dia-
ble ne la retrouve pas, et nous commenc,ons a supposer qu'il
s'est moque" de nous ; M. de Se"gur se met en colere et tance
vertement notre homme, qui ne sait quelle contenance faire, et
qui gratte avec les mains autour de toutes les pointes de pierre
qui percent au-dessus du sol. De guerre lasse, nous allons
regagner le village, vu que le jour baisse et que robscurite"
arrive grand train , lorsque 1' Arabe jette un cri de triomphe,
il a retrouve' le haut de la pierre qui porte 1'inscription. II la
degage de la terre qui 1'enveloppe, et, de fait, il nous met
sous les yeux une tres-belle stele , portant une date dans une
couronne et deux noms de femme Merits au-dessous r. L' inscrip-
tion parait d'une assez bonne epoque. Je me hate de la trans-
crire, et quand nous rentrons a Souq-el-Ouadi-Baradah, la nuit
est a peu pres venue. Nous avons certainement fait une lieue,
pour aller chercher cette seconde inscription, mais nous ne
regrettons pas notre peine, puisque nous avons trouve" un
monument encore inconnu. Quant a 1'inscription chretienne
du village, M. de Se"gur 1'achete du proprietaire de la mai-
son , et il la fera enlever plus tard a.
Sur la rive gauche du Baradah, a hauteur du village m^rne,
on voit une belle culee de pont, de construction e*videmment
grecque ou romaine. D'ailleurs , les debris antiques se mon-
trent partout dans le village et aux alentours, et il serait e*vi-
1. Voyezpl. LI.
2. Quelque temps apres, en effet, 1'inscription etait apportee a Damas, et elle y est
restee dans la maison du consulat de France. II serait bien a desirer qu'elle fut trans-
portee a Paris et deposee au Louvre. Elle a le m&ite de nous faire connaitre le nom
d'un eveque d'Abila de Lysanias.
II. 38
594 VOYAGE EN SYRIE
demment tres-precieux de retrouver quelque inscription qui
nous donnat le nom de la ville qui a existe en cet endroit. Je
me promets de faire, a mon retour en France , des recher-
ches sur cette localite", et j'espere bien parvenir k la deter-
miner.
Je ne savais pas que, des le lendemain matin, le probleme
serait parfaitement resolu pour moi.
Toute la caravane s'est reunie dans notre logis pour le diner
qui a e"te charmant ; apres le repas, le tchibouk et les cause-
ries ont ete leur train, comme si nous eussions e"te" rassem-
ble"s dans un veritable salon. Puis , 1'heure de la retraite est
venue ; chacun est rentre chez soi, et nous avons passe une nuit
excellente.
15 MARS.
Ce matin, en nous levant, nous avons trouve" le temps brouille,
il a beaucoup plu pendant la nuit; 1'aspect du ciel n'est pas
rassurant, et il nous promet de la pluie pour toute la journee.
Des que je suis debout, un jeune homme du village, qui m'a
vu, la veille au soir, courir avec enthousiasme & une demi-lieue
pour trouver une pierre ^crite, vient m'avertir qu'il en connaft
une autre beaucoup plus pres. Nous nous mettons done aussi-
tot en route, Tabbe et moi. Nous suivons la rive droite du
Baradah (la carte de Zimmermann place a. tort le Souk-el-
Ouadi-Baradah sur la rive gauche) , a, travers des arbres et des
buissons, desquels tombe sur nous une averse perpetuelle, et
nous sommes conduits par notre guide, en face d'une echelle
jetee en travers de la riviere qui est tres-large en ce point, et
qui roule a. travers des rochers, comme un gave des Pyrenees.
J'avoue que je ne suis pas tente de risquer le passage, avec la
chance de me jeter dans le torrent et d'y prendre a, tout le
moinsun bain fort desagreable, si j'ai le bonheur de m'en tirer.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 595
Je rebrousse done chemin ; mais ma timidite n'est pas conta-
gieuse. L'abbe se lance a quatre pattes sur 1'echelle, et arrive
sain et sauf de 1'autre cote. L'Arabe qui le suit en fait autant,
et ils s'eloignent au milieu des monceaux de decombres et des
troncons de colonne encore debout, qui marquent d'une ma-
niere indubitable le principal quartier de la ville antique.
Je suis rentre assez piteusement, et comme je ne veux pas
partir avant que 1'abbe ne soit revenu, la famille de Segur se
met en route ; nous devons la rejoindre le plus promptement
possible. Au bout d'une heure et demie, 1'abbe rentre enthou-
siasme de ce qu'il a vu. D'apres son rapport, nous sommessur
F emplacement d'une tres-grande ville. Les ruines en sont tres-
etendues, et tout le flanc de la montagne qui la domine sur la
rive gauche du Nahr-Baradah, n'est qu'une vaste necropole.
Enfin, il a trouve de belles inscriptions dans les rochers. 11 n'en
faut pas tant pour allumer ma curiosite, etj'e suis tout dispose
a tenter le fameux passage de 1'echelle. Mais il est inutile de
s'exposer a ce casse-cou. Un pont traverse le Baradah, a un
kilometre environ en amont, et c'est par-la que 1'abbe" est re-
venu au Souq-el-Ouadi-Baradah. Nous nous hatons de monter
a cheval, et de gagner au plus vite le pont qui se nomme Djesr-
es-Souq. Chemin faisant, nous apercevons, dans les rochers de
la necropole signalee par l'abb£, un petit fronton recouvrant
deux personnages en haut relief et de grandeur naturelle.
En quelques minutes, nous sommes arrives au pont, et nous
mettons pied a terre. Nous laissons, au pied des rochers, nos
chevaux a la garde de Mohammed, de Matteo et de Sai'd, avec
ordre de preparer notre dejeuner, pour le moment ou nous
reviendrons. Aussitot nous grimpons a travers les rocailles, et a
une vingtaine de metres au-dessus de la route, nous entrons
dans une tranchee de cinq metres de large et assez longue,
entaillee avec grand soin dans la masse. Sur la paroi de gau-
596 VOYAGE EN SYRIE
che sont taillees deux belles niches superposees, dont Tinfe-
rieure contient un cippe en forme d'autel, portant 1'inscription
suivante :
PRO SALVTE
IMP AVG ANTONI
Nl ET VERI M VO
LVSIVS MAXIMVS
7. LEG XVI-F-F-
QVI OPERI IN
STITIT V.S.
A droite de la niche infe>ieure est cisele* un cartouche conte-
nant cette autre inscription :
IMP CAES M AVREL ANTONINVS
AVG ARMENIACVS ET
IMP CAES L AVREL VERVS AVG AR
MENIACVS VIAM FLVMINIS
VI ABRVPTAM INTER....
MONTE RESTITVERVNT PER
IVL VERVM LEG PR PR PROVING
SYR ET AMICVM SVVM.
IMPENDIIS ABILENORVM.
Cette derniere ligne est rejetee en dehors du cartouche, sur
un listel place" au-dessous. Quelques trous reguliers perces au-
dessous de la niche superieure et du grand cartouche, prou-
vent que des ornements avaient 6te" fixes au rocher. De quelle
nature etaient-ils? II n'est plus possible aujourd'hui de le
deviner.
A cent pas plus loin , s'ouvre une nouvelle tranchee de la
meine largeur, maisbeaucoup plus courte, taillee avec le meme
soin, et sur le flanc de laquelle nous retrouvons les memes
inscriptions, mais couples un peu differemment, et completant
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 597
certains mots des deux premiers exemplaires. Je crois done
utile d'en reproduire les variantes. L'inscription votive est en-
core sur un cippe, mais celui-ci est en saillie, et sans encadre-
ment en forme de niche. En voici la forme :
PRO SALVTE
IMP AVG ANTO
NINI ET VERI
M VOLVSIVS
MAXIMVS V
LEG XVI FF QVI
OPER INSTITIT V S
Un grand cartouche contient encore la seconde inscription,
mais cette fois, la derniere ligne est comprise dans le cartou-
che. Jusqu'a la cinquieme ligne , le texte est identique ; cette
cinquieme ligne contient les mots :
VI ABRVPTAM INTERCISO
et a partir de la sixieme ligne, les deux exemplaires restent
identiques.
Voici done le probleme que nous avait offert la recherche du
nom de la ville antique, parfaitement resolu. Cette ville, c'e"tait
Abila, sur laquelle je reviendrai tout a 1'heure. Le Baradah,
sous le regne de Marcus Aurelius et de Lucius,Verus, avait en-
leve", dansune crue, la route publique d' Abila. Les deux empe-
reurs en ordonnerent la reconstruction, et pour eviter un autre
accident du meme genre, Julius Verus, le"gat et propr4teur de
la province de Syrie, fit tailler la nouvelle route dans le rocher,
bien au-dessus du lit du torrent. Ce fut la xvie legion, com-
mandee par Marcus Volusius Maximus, qui, sous la direction
de son chef, acheva les travaux, dont les Abilenes firent tous
les frais. On voit que le hasard m' avait bien servi, et qu'il mV
598 VOYAGE EN SYRIE
vait fourni un excellent renseignement sur le nom et 1'histoire
de 1st ville dont nous foulions le territoire T.
Une fois mes inscriptions copiees, nous descendons dans un
canal-aqueduc tranche dans le flanc des rochers , et nous le
suivons sur une assez grande etendue ; mais bientot les dalles
enormes qui le recouvraient, paraissent en place sur une eten-
due d'une quinzaine de metres; 1'espace ouvert qu'elles laissent v
est trop bas pour que Ton puisse cheminer dessous, autrement
qu'a plat ventre, et comme il faudrait faire un detour immense,
en revenant sur nospas, pour contourner des masses de rochers
tres-considerables, afin de gagner la necropole, il faut bien
nous decider a passer sur la corniche de quinze a dix-huit cen-
timetres de largeur, que ces dalles inclinees laissent libre sur
le rebord du canal. Cette corniche a pic est tracee au-dessus
d'un precipice d'une vingtaine de metres de profondeur; ce
n'est done pas un chemin tres-agreable a suivre. Nous nous
decidons cependant a nous y engager, les uns apres les autres,
sans trop savoir comment nous reviendrons, et nous voila tous
passes de Fautre cote de Tabime, sans le moindre accident.
Nous touchons alors aux tombeaux , et je me depeche de
prendre le plan d'un certain nombre d'entre eux, en choisissant
les plus considerables. Des chambres taillees dans la masse
contiennent, generalement en saillie, d'enormes cuves de dilfe-
rentes hauteurs, et & rebords destines a fixer les couvercles.
Ceux-ci ont tous disparu , et il n'est pas reste, dans toute la
necropole, une seule tombe qui n'ait ete violee. Tous ces plans
de cuves sepulcrales sont figures sur la- planche LII. Quelque-
fois de grands escaliers ont ete tailles dans le roc, pour desser-
vir les caveaux funeraires auxquels ils aboutissent. Un de ces
caveaux qui contient seize cuves de sarcophage, presente a
1. Je ne sais si cette inscription est inedite; mais j'avoue que je ne le pense pas,
elle est trop en vue de tous les voyageurs qai se rendent de Damas a Baalbek.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 599
droite et a gauche de 1'entree, deux petites bales destinees a
apporter un peu de jour dans Tinterieur du caveau. Quelques
cuvessont tail lees a ciel ouvert, et en gradins superposes, sur
les faces horizontales du rocher.
Le fronton que nous avions apercu de la route, en venant
au Djesr-es-Souq , est excessivement mutile ; les deux grandes
figures ont ete violemment brisees et sont extremement frustes ;
de loin elles nous avaient paru d'une conservation satisfaisante.
A cote de ce fronton est un petit caveau sepulcral auquel il se
relie evidemraent Celui-ci ne eontient que cinq tombes : une
£ gauche , au-dessus du sol de la chambre et dans une grande
niche en cul de four; deux au fond, parallelement au cote
meme, et juxtaposees au-dessus du sol, puis deux a droite en
contre-bas; la premiere empietant sur le sol de la chambre,
et la seconde suivant immediatement sous un arceau,
Un peu plus loin, j'ai rencontre sur une face de roche apla-
nie les traces d' inscription :
A
. . . APIOC
(Ici le rocher est brise").
T. . . .
M
En un autre point , deux surfaces en forme de steles ont ete
planees, pour recevoir des inscriptions; celle de gauche porte ,
autant que j'en ai pu juger, malgre son etat de mutilation :
6TOYC
"HOY"
AIOYZ6HP
...6ACAN6.
OYeiOJN.
600 VOYAGE EN SYRIE
La stele de droite est tout a fait mutilee. Enfm, en un
autre point, le rocher presente deux bustes vetus de chla-
mydes , et dont les tetes ont &e entierement brisees.
Comme il est assez malaise de se promener au milieu de
ces rochers, notre exploration nous avait dejci pris trois heures,
quelque diligence que nous y eussions mise; il etait done
grandement temps de songer ci la retraite. Nous nous reunimes
pour revenir au point ou nos chevaux et notre dejeuner nous
attendaient. Arrive & 1'aqueduc et sur la corniche qu'il me
fallait franchir, je sentis que le vertige allait me prendre,
et, comme j'etais assez peu tente de me rompre le cou , je me
decidai a m'arreter, eta faire un detour, quelque long qu'il fut,
pour me debarrasser de cette facheuse necessity. Je vis tous
mes compagnons disparaitre par ce chemin d'ecureuil, et,
quand je me trouvai tout seul , il fallut bien m'ingenier pour
me tirer de la. A une cinquantaine de metres en arriere de
1'extremite de 1'aqueduc, et a quelques metres plus haut , je
voyais une grande coupure dans le flanc de la montagne. J'y
courus au plus vite et je reconnus alors que j'etais a Ten-
tree d'une tranchee taillee a pic dans le roc, et qui servit
probablement au passage d'une route antique. Les traces
du travail des hommes se montraient £ chaque pas. Cette
tranchee a quelques cents metres de longueur; au delk je
me trouvai sur des collines couvertes d'herbes, et assez acci-
dentees pour qu'il me fut impossible de voir a un quart de
lieue autour de moi. Je m' oriental done le mieux que je
pus, et je me dirigeai vers le Baradah. Comme j'avais mar-
ch£ pendant une demi-heure au moins , je depassai de beau-
coup la hauteur du Djesr-es-Souq. Enfm je gravis une der-
niere crete qui me permit d'apercevoir le pont. Je pris la
course et j'arrivai bientot aupres de mes amis, ereinte par
suite de ma promenade solitaire, et trempe a la fois par la
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 601
sueur et par la pluie qui avait comment a tomber depuis
pres d'une heure.
Comme personne ne savait ce que j'e"tais devenu, on etait
un peu inquiet de mon absence ; peut-etre aussi la regrettait-
on d'autant plus vivement qu'elle retardait le dejeuner. Aus-
sitot que je parus , les vivres furent reclames d'un cri unanime
que je ne fus pas le dernier a profe'rer ; je mourais de faim.
Aussitot notre repas fait, nous montkmes a cheval, et,
marchant grand train, nous longeames la rive gauche du
Baradah, et nous atteignimes bientot une assez jolie plaine, que
nous traversames de Test a 1'ouest, et qui se nomme Sahel-
Zebdany. .4. notre droite se trouvait une chaine de montagnes
elevees, parallelement a laquelle e*tait trace"e notre route. Au
bout de la plaine est place* un tres-gros village, nomme Zeb-
dany, et qui pourrait meme a la rigueur passer pour une petite
ville. Une demi-lieue avant Zebdany, une effroyable averse
nous a pris, et comme maintenant nous sommes mouille's
comme des canards, et que d'ailleurs la famille de Segur a
pousse plus loin , nous passons outre. Des debris antiques se
montrent par-ci par-Ik a Zebdany , dans les murailles des mai-
sons et au bord des chemins. A la sortie du village, nous pas-
sons devant un moulin etabli sur un affluent du Baradah , et
auquel conduit un pont antique d'un tres-bel appareil.
A une distance de Zebdany , a peu pres egale a celle du
Djesr-es-Souq a Zebdany , nous passons a cote" d'un village
nomme Ayn-Hour, que nous laissons a notre droite. Un peu
avant d'arriver a hauteur de ce village, j'avais apercu de loin,
dans le flanc de la montagne, des excavations sepulcrales, en
assez grand nombre pour constater la ne*cropole d'une ville
antique. Au dela de Ayn-Hour, notre route qui avait e"t6
jusque-la a 1'ouest-nord-ouest, tourne brusquement au nord-
est. Devant nous, mais a pres de deux lieues, paraissait un
602 VOYAGE EN SYRIE
fourre d'arbres, au milieu duquel etait un village; c'etait
Sarrhayah. Nous en etions encore a pres d'une lieue, lorsque
nous fumes enveloppes par une affreuse bourrasque de neige,
qui ne nous quitta plus jusqu'au village, et qui nous mit dans
un tel etat, qu'en arrivant au gite, il fallut nous depouiller des
pieds a la tete, pour tordre nos chemises et faire secher nos ha-
bits tant bien que mal.
Trois quarts d'heure avant d'arriver a Sarrhayah, nous avons
encore passe a gauche d'uri petit village nomme Marraboun.
Un spectacle des plus curieux nous attendait en mettant pied a
terre. Comme il neigeait beaucoup, tous les habitants du vil-
lage etaient perches sur leurs toits en terrasse , et manoeu-
vraient leurs rouleaux avec fureur, afin de rejeter en bas la
neige qui, en fondant, eut perce tous les plafonds. Les pauvres
gens n'en manquerent certainement pas un flocon. Nos notes
sont Chretiens, et la maitresse de la maison, tout en prenant
des precautions inoui'es pour ne pas incendier sa bicoque, nous
a fait un feu si rejouissant, que nous lui avons immediatement
accorde une gratification de cinq piastres! vingt-cinq sous! et
elle a ete enchantee.
En resume, si notre journee a ete fructueuse arche*ologique-
ment parlant, elle a etc" un peu plus humide que de raison.
Quand je pense a la chaleur dont nous jouissions trop il y a
quelques jours, et au froid intense d'aujourd'hui, je me de-
mande comment nous avons le talent de nous soustraire a I'in-
fluence mortelle de pareilles variations de temperature. Ou la
Providence nous protege manifestement , ou nous sommes
vigoureusement constitues. J'aime mieux croire a la protection
d'en haut.
La neige n'a pas cesse de tomber pendant toute la soiree ;
puis les nuages se sont dissipes petit a petit, et la lune a paru ;
esperons qu'il fera beau demain. Nous avons ete faire une visite
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 603
aux Se"gur, qui n'ont pas voulu braver la bourrasque, pourve-
nir diner avec nous. Leur logement d'ailleurs est assez eloigne
du notre, et les dames ne pouvaient pas, sans inconvenients
graves, se lancer dans des terres labourees, couvertes de neige
fondante, pour le seul plaisir de ne pas rester en famille. Nous
avons done dine tout seuls, et, apres avoir bien bu le cafe et bien
fume, nous nous sommes couches.
Revenons maintenant en arriere, et occupons-nous d'Abila,
dont nous avons, hier et ce matin, visite les ruincs et la necro-
pole. Cette ville qui avait ete le siege de la Tetrarchie de Lysa-
nias, et qui porte quelquefois, en effet , le nom d'Abila de
Lysanias, fut donnee par 1'empereur Claude au roi Agrippa,
avcc tout le Liban '. Dans 1'Itineraire d'Antonin (iter XLIX, a
Seriane Scythopoli occora) , nous trouvons les indications sui-
vantes :
Heliopoli
Abila ( al. Abyla) xxxvm. M. p. (plus minus).
Damasco xviu.
Nous y trouvons encore le troncon de route suivant :
Iter LI, a Damasco Emesa (sic) :
Abila (sive Abyla) xxxvm.
Heliopoli xxxn.
Les chiffres de ces deux fragments sont entierement difle-
rents, 1'une des deux series au moins est done mauvaise. Peut-
etre bien le sont-elles toutes les deux.
La Table de Peutinger nous fournit les mesures suivantes :
(Ed. de Portia, CLXXVIII.)
Eliopoli (al. Heliopoli) Agamamam?
Abila (al. Abyla) XXXH. M. p. ( plus minus ).
Damaspo ( al. Damasco ) XVIH.
Si nous comparons ces chiffres a ceux que nous venons d'ex-
1. Jos., Ant. Jud., xix, v, 1, et xx, VH, 1.
60i VOYAGE EN SYR1E
traire de PItineraire d' Antonin, nous voyons que le chiffre xvm,
eritre Damas et Abila, parait deux fois, ainsi que le chiffre
xxxn , d' Abila a Heliopolis. Ce sont done probablement ces
deux distances qui doivent etre adoptees; elles ont, du reste,
1'avantage d'etre a peu pres d' accord avec les distances reelles
qui separent Damas du Souq-el-Ouadi-Baradah, et le Souq de
Baalbek.
Ptol6me"e place Abila dans la Coelesyrie, et au nord de Da-
rnas; c'est lui qui appelle cette ville l€i*a Aucaviou. Cette ville
avait donne son nom a la Tetrarchie dont elle etait la capitale,
puisque dans 1'evangile de saint Luc (3, 1) Lysanias est inti-
tule Tetrarque de 1' Abilene. Dans les actes du concile de Chal-
cedoine x , nous trouvons mentionne , immediatement apres
Josephe, eveque d'Heliopolis, un Jordanus, eveque d' Abila
(iop^a'vou A^tXr^) . C'est tres-certainement de notre Abila qu'il
s'agit. J'ai parle d'une assez curieuse inscription chretienne,
trouvee dans le montant d'une porte du village d'es-Souq, elle
contientle nom d'un nouvel eveque d' Abila, nomm6 Jean.
Dans le recueil d'ltineraires public par M. de Portia, M. le
colonel Lapie identifie Abila avec une localite nomme en-Nabi-
Abel. Mais ce nom ne peut appartenir qu'a un oualy musul-
man et non aux ruines d'une ville. Je trouve sur la carte de
Zimmermann, dans le voisinage du village de Souq-el-Ouadi-
Baradah, une localite nommee Nabi-Abel, situee au nord et a
pres d'une lieue de I'emplacement reel d' Abila. II est tres-
possible que le nom antique de cette ville ait donne aux mu-
sulmans Tid^e de nommer en-Nabi-Abel , un oualy place dans
son voisinage , mais c'est la tout ce que je puis accorder. Get
oualy n'est nullement sur la route battue de Damas a Baalbek,
oil sont eVidemment des ruines immenses d'une ville que des
1. Tome IV, Concil. gener., p. 80.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 605
inscriptions positives determinent ; il n'y a done pas 1'ombre
d'un doute a conserver stir la necessity de reconnaitre 1'Abila
de Lysanias a Souq-el-Ouadi-Baradah.
16 MARS.
Ce matin, au re"veil, le temps est bien moins mauvais, le
ciel est a peu pres de"gage", et la neige a fonda. Nous nous
preparons done a nous remettre en route , et vers neuf heures
nous montons a cheval. Nous cheminons bientot sur la rive
gauche d'un cours d'eau nomme Nahr-el-Beka, que nous pas-
sons sur un pont nomme Djesr-el-Qadhi. Ce pont est a environ
deux ou trois kilometres, au nord-nord-ouest, du village de
Sarrhayah. Au dela du pont commence une montee fort rude
nommee Akbat-Roummaneh. Elle nous conduit sur le flanc
meridional d'une haute montagne qui fait partie de la chaine
de Tanti-Liban : la route que nous suivons est la plus courte ;
il y en a une autre qui, au lieu de passer par les sommets,
remonte la vallee sur le flanc de laquelle nous cheminons;
celle-ci passe par la localite nommee Nabi-Schit ( le prophete
Seth). Nous atteignons, au sommet de la montagne, un mise-
rable village nomme El-Kheraybeh. De larges plaques de
neige remplissent tous les creux place's de chaque cote de la
route que nous suivons; nous sommes done a une altitude
assez grande; enfin de petits cedres rabougris se montrent
par-ci par-la.
Ensortant d' El-Kheraybeh, nous descendons imme"diatement
dans 1'Ouadi-Masnah , que nous traversons pour regrimper
immediatement apres, sur une autre montagne moins elevee
que la premiere; en redescendant me"diocrement , nous en-
trons dans une sorte de plaine, couple par de larges ravines que
bordent des collines assez peu e"leve"es. La premiere de ces
606 VOYAGE EN SYRIE
ravines que nous traversons se nornme Ouadi-Sbat; la seconde
est rOuad-Djerei'ban. Celle-ci est bordee au sud par des rochers
a pic, dans le flanc desquels sont creuse"es trois grandes grottes
placees a gauche du chemin. Dans le fond du vallon, la route
passe ci cote d'une source nommee Ayn-el-Minteneh. De 1'autre
cote de ce vallon, qui n'a guere plus d'une centaine de metres
de largeur, commence une sorte de grand plateau, a 1'extre-
mite duquel nousdevons trouver Baalbek. Nous passons devant
le village de Bereytan, que nous apercevons a notre gauche ;
plus loin, c'est le village d'Ayn-Bourday qui se montre, et une
demi-heure apres avoir passe a hauteur de celui-ci, nous arri-
vons enfin a Baalbek.
La route que nous suivons, longe le flanc oriental d'une chaine
de collines qui nous masquent encore les ruines des temples
illustres que nous allons visiter, quand nous apercevons deja, a
notre droite et en avant de nous, une ruine d'apparence mo-
derne, et qui se nomme Ras-el-Ayn. C'est de la que sort la
source qui alimentait Heliopolis, et qui y etait conduite par
un canal de trois ou quatre metres de largeur, bati en belles
pierres de taille, borde partout de ruines, et que recouvrent
encore, de loin en loin, des arcs de petits ponts antiques,
construits aussi en gros blocs parfaitement appareilles. Des
que nous sommes arrives en face de 1'extremite de la chaine de
collines placees a notre gauche, les temples se montrent a
quelques cents metres de nous, dans toute leur magnificence.
De ce point c'est deja le plus admirable spectacle que 1'on
puisse imaginer. Nous tournons alors a gauche, pour marcher
vers les temples, et nous reconnaissons que tout le flanc des
coteaux qui dominent le village moderne de Baalbek, et dont
nous suivons le pied sur la rive gauche du canal , est perfore
d' excavations funeraires antiques. II y aurait la des recherches
a faire pour bien des jours, et nous n'en avons que deux ou
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 60?
trois au plus a donner a Heliopolis ! Enfin nous nous arretons a
cote de l'e"glise chreHienne de Baalbek, a trois cents metres au
plus des temples, et devant une maison attenante a celle de
I'^veque, qui h^berge les voyageurs comme un simple hotelier.
C'est chez lui que la famille de Se~gur a ete" prendre gite : nous
sommes loges nous-memes dans la premiere maison, qu' Andre"
et Matteo ont deja fait nettoyer, et qui nous promet un loge-
ment tres-supportable.% Nous voila done installes, avec la cer-
titude de passer ici deux bonnes nuits au moins, sinon trois.
Chemin faisant , quand nous etions en face de Bereytan, on
m'a signale, sur la montagne placed a 1'orient de ce village, et
a une heure et demie de marche, une inscription antique cise-
16e sur un rocher et nomme>, Bab-ez-Zerqah. II y aurait peut-
etre la une decouverte inteYessante a faire , et je recommande
le Bab-ez-Zerqah aux voyageurs futurs.
On pense bien qu'a peine descendus de cheval, notre pre-
miere pensee a 4te de courir aux ruines celebres que nous avions
devant nous. Ces ruines ont 4t6 tant de fois decrites, tantde
fois dessin^es, que je ne pourrais que rep&er ici ce quebeaucoup
d'autres en ont dit bien avant moi. Je me dispenserai done
d'entrer dans des details descriptifs qui n'apprendraient rien a
personne , et je me bornerai a enregistrer les impressions que
j'ai ressenties au milieu de ces splendides monuments.
Pour arriver au premier temple qui se pr^sente, il faut esca-
lader un veritable chaos de troncons de colonnes, de morceaux
d1 entablements et de corniches ; chacun de ces fragments est un
veritable rocher, et Ton est effray6 deja de l'6normite" de ces
materiaux gigantesques. Mais c'est la une miniature que Ton
appelle assez gaiement le petit temple ! Temple d' enfant, effec-
tivement , a cot^ de celui dont nous verrons les debris plus
tard. Nous faisons le tour du peristyle, et, en arrivant & la co-
lonne d'angle du fronton occidental, nousvoyons que son fut,
608 VOYAGE EN SYRIE
noir de poudre , a etc" recemment mine et reduit de moitie par
T explosion du fourneau de mine cache dans ses flancs. C'est
Tadmour-Pacha, general turk place sous les ordres du seras-
kier de Damas, qui, dernierement, apres le combat meurtrier
livre a Baalbek aux insurges qui ont voulu imiter ceux de
Haleb, a eu 1'heureuse idee de faire miner cette colonne, pour
voir s'il y trouverait du plomb. 11 en a , dit-on , tire quatorze
oques, c'est-a-dire pour une valeur de vingt-cinq francs envi-
«
ron. J'en suis bien fache pour Tadmour-Pacha, mais je livre
son nom £ 1'execration de toutes les nations civilisees. Je ne
saurais dire quelle fureur j'ai ressentie, a la vue des traces de
cette mutilation infame. Si cette brute eut e"te pres de moi, en
ce moment, je n'eusse pas hesite, je crois, a la traiter comme
on traite une bete enrage" e.
Presque toute la portion de droite du peristyle a conserve son
plafond qui est orne de riches caissons , peut-etre trop magni-
fiquement surcharges d'ornements. A I'extremite orientale est
Pentree du temple, dans lequel on penetrait par une grande
porte rectangulaire encadree de sculptures du plus charmant ca-
price. Une foule de petites figures se jouent dans des rinceaux de
feuillages , de fleurs et de fruits ; mais toutes ont ete decapitees
par les Barbares. Le claveau central de cette piorte a malheu-
reusement fait coin , et il est descendu de deux metres environ,
au-dessous de sa position premiere , en ecartant violemment , a
droite et a gauche , les blocs qui constituent les claveaux late-
raux. II en resulte que tout ce portail est disloque et que, dans un
avenir malheureusement prochain, il s'ecroulera. A cette porte
sont accoles, a droite et a gauche, et a Tinterieur, deux grands
massifs de pierre, qui sont tout a fait copies des pylones egyp-
tiens. On peut encore monter dans Tun d'eux, mais, pour y pe-
netrer, il faut se trainer sur le ventre, comme un lezard, atravers
une ouverture tres-basse et a moitie bouchee par les debris. Tout
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 609
1'interieur du temple est encombre de masses de pierre tombe'es
des plafonds et des murs. Get interieur n'en est pas moins en-
core admirablement beau. Une seule chose Fa pollue ; c'est Fin-
nombrable ramassis de noms de visiteurs dont toutes les parois
sont tapissees. La vue de ces ineptes signatures a achieve" de me
mettre en colere. Quel interet aura-t-on jamais a savoir que
Messieurs tel et tel ont passe" une demi-heure du temps qu'ils
avaient a consacrer a ces venerables restes, a les salir penible-
ment de leurs noms et de leurs qualites? II y a un proverbe qui
court les rues, et qui est rigoureusement vrai , c'est le suivant :
« Nomina stultorum parietibus hserent. » Les chanteurs monta-
gnards des Pyrenees, entre autres, ont trouve, & ce qu'il
parait, qu'ils faisaient tant d'honneur aux temples de Baalbek,
en les venant visiter, qu'ils y ont place leur catalogue en dix
points differents. Mais laissons ce malheureux travers , et con-
tinuons notre promenade interieure. A droite du petit temple ,
se voit une vaste plate-forme que surmonte encore une magni-
fique rangee de six colonnes corinthiennes reste"es debout, et
reliees par leur entablement ; c'est un fragment du peristyle du
grand temple du Soleil , et , sauf les pie"destaux de beaucoup
d'autres colonnes restes en place, c'est tout ce qu'on en peut
retrouver. Ces colonnes ont ete mesurees par mon ami Maxime
du Gamp ; il leur a reconnu douze metres trente-quatre centi-
metres de hauteur, et sept metres quatre centimetres de circon-
ference ; la colonnade, entablement compris, a vingt-trois me-
tres six centimetres de hauteur totale. Ce temple e*tait orne* de
cinquante-six colonnes, dont dix a chaque extremite" et dix-huit
sur chacun des grands cotes. Les medailles coloniales repre*-
sentent quelquefois l'entre"e de cet Edifice. Le temple de Jupiter
n'avait que trente-quatre colonnes, dont treize sur les cotes et
huit sur chacun des deux fronts.
Entre le grand temple et le petit sont les restes d'une grande
II. 39
640 VOYAGE EN SYRIE
eglise chretienne , construite avec les debris des monuments
pai'ens. Cette mine est enclavee dans une magnifique enceinte
placee en avant du grand temple , et garnie , sur toute son
etendue, de niches qui ont du recevoir une population de
statues. Deux beaux hemicycles, a double etage de niches,
se correspondent sur les deux grands cotes de 1' enceinte. Le
plan general de celle-ci se compose (Tun hexagone appuye
au portique exterieur et sur lequel vient s'appliquer ensuite
un immense parallelogramme ; c'est celui-ci qui servait de
vestibule au grand temple. A Test se trouve un portique
aboutissant, a droite et & gauche, a un pavilion elev6 qui
contient une petite salle carree et obscure. Le portique est
forme d'une grande salle a laquelle conduisait probablement
un immense escalier, qui tenait toute la largeur de cette salle
principale, mais dontil ne reste pas trace. De beaux pie"destaux,
places a la crete du mur moderne qui retombe a pic, de
cette salle du portique sur le terrain environnant, me parais-
sent demontrer que la etait bien la veritable entree de 1' en-
ceinte sacree. Les faces exterieures de deux de ces piedestaux
portent des inscriptions qu'on ne peut lire d'en bas , et qui
n'avaient apparemment pas et6 destinees a n'etre pas lues.
J'en conclus qu'elles avaient £te ciselees, de facon a frapper
les yeux de ceux qui montaient le grand escalier conduisant b
la plate-forme des temples.
Toute cette vaste enceinte a etc malheureusement transfor-
mee en citadelle par les premiers musulmans , tres-probable-
menty et les murailles du pourtour ont etc" rehaussees, avec
des blocs tailles de toute espece , empruntes aux monuments
de 1'interieur. Les murailles, ainsi reconstituees , ont ete cou-
ronnees d'une ligne de creneaux avec meurtrieres, parfaite-
ment conserves en beaucoup de points. En arriere du petit
temple, se voient les restes d'une belle construction musul-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. r.ii
mane , qui fut probablement une espece de palais, reserve" au
chef de la garnison charged de la defense de cette forte-
resse.
En quittant 1'enceinte des temples de Jupiter et du Soleil ,
nous sommes alles visiter 1'edifice que Ton appelle le temple
circulaire. C'est elfectivement un Edifice circulaire sur lequel
s'appuient des courbes soutenues par des colonnes. Entre
celles-ci, le mur de la rotonde presente de grandes niches qui
ont du contenir des statues. Ge petit edifice antique est mal-
heureusement tres-lezarde aujourd'hui , et il menace ruine. Au
reste, il est plutot curieux que beau, et son plan est loin de
me paraitre d'un gout merveilleux.
Apres cette premiere visite, qui nous a remplis d' admiration,
nous sommes rentres a notre menzil. M. de Segur est aussi
furieux que moi, contre la mutilation recente dont nous venons
de constater les detestables effets. J'en suis enchante". II compte
se plaindre au seraskier Emyn-Pacha, a son retour a Damas.
Pour ma part, je ne manquerai pas de m'en plaindre a Vamik-
Pacha, mouchyr de Syrie, lorsque je serai rentre" a Beyrout.
On a dit souvent : « A beau inentir qui vient de loin », je
doute que jamais on ait aussi bravement use de la permission,
que lorsqu'on a fourni, aux editeurs du Magasin pilloresque1,
une vue du village de Baalbek, accompagnee d'une descrip-
tion ou je trouve la phrase suivante : « La promenade sur
le quai , plantee de grands arbres , n'est point sans caractere
et sans beaute". Des barques elegantes et agites animent la
scene , en sillonnant les eaux limpides de la petite riviere de
Ouadi-Nahle, qui, apres avoir arrose les ruines et le village,
va se perdre dans le Nahr-Kasmick. » La pretendue vue de
Baalbek est celle de Tun des jolis villages places sur les rives
1. Annee 1845, p. 977.
642 VOYAGE EN SYRIE
du Bosphore , pres de Constantinople , et la description vaut
la vue, pour Texactitude.
Demain , nous nous mettrons & la besogne, 1'abbe et moi ,
pendant qu'Edouard poussera une pointe jusqu'au village de
Bereytan, ou setrouve, nousdit-on, une necropole presentant
des inscriptions.
17 MARS.
Ce matin, notre premiere pensee a e"te de courir aux ruines ;
c'etait tout naturel. Nous avons done recommence" notre pele-
rinage d'hier, et nous en avons rapporte une admiration plus
vive encore que celle qui nous avait saisis a la premiere vue.
Ces ruines sont d' une magnificence ecrasante. II faudrait des
mois entiers pouretudier aloisir le site d'Heliopolis, et pour ne
rien laisser echapper de ce qu'il contient de curieux.
fidouard , Philippe et Matteo sont alles, ainsi qu'ils 1'avaient
projete", visiter la necropole de Bereytan. L'abbe et moi, nous
devons, apres le dejeuner, grimper £ la necropole de Baalbek,
et chercher des debris antiques , pendant que Belly et Loysel
feront de la peinture ou il leur conviendra d'en faire. Aujour-
d'hui, le temps est tout a. fait beau, et il favorise tous nos
petits projets particuliers.
Aussitot apres le dejeuner, la famille de Se"gur s'est dirigee
du cote de Ras-el-Ayn ; M. Gamier est alle chercher dans les
ruines musulmanes des tarikh k copier; enfin Pabbe et moi,
longeant le cote sud des ruines , nous avons gagne la col-
line au sommet de laquelle toutes les roches sont percees de
caves sepulcrales. Sur le flanc de cette colline s'eleve une
muraille d' enceinte, construite en gros blocs empruntes aux
edifices ruines d'Heliopolis, et au milieu desquels, par conse-
quent, se trouvent, £ chaque pas, des inscriptions et des debris
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 613
de sculpture. Vers le point le plus has de cette enceinte, entre
elle et les temples, se voit une muraille formee d'immenses
blocs et que je crois tres-antique. Parmi les pierres qui jon-
chent le terrain que soutient cette muraille, et presqu'au som-
met de celle-ci, se voit un cippe funeraire qui a ete de"ja public
par Burkhardt, je crois; quoi qu'il en soit, voici I'inscription
qif il porte :
C-CASSIVS ARRIANVS-
MONVMENTVM SIBI
IN LOCO SVO-VIVVS-
FECIT.
Une fois cette inscription copiee, nousavons gagne le pied
de la face interieure du mur d'enceinte, et la nous avons
aussitot commence une riche moisson de notes sur des debris
fort curieux.
L'un des premiers qui m'ait frappe, est un fragment d'in-
scription grecque en caracteres Carre's, de* un metre soixante
centimetres de largeur, et qui a du former la frise d'oin bel
edifice funeraire. Voici comment cette frise etait ornee : une
plate-bande de trente-trois centimetres de hauteur, presente une
serie de petites cannelures, en forme de niches allongees, de
quinze centimetres de longueur, de quatre centimetres de lar-
geur, se'parees de deux centimetres entre elles, et dont le som-
met est eloigne" de six centimetres, de 1'arete superieure. Une
surface de douze centimetres de hauteur a ete mutilee, et au-:
dessous de celle-ci, se voient deux listels, de douze centimetres
de hauteur, contenant chacun une ligne d'ecriture. Au-dessous
est un listel vide, de huit centimetres de hauteur seulement.
Ayant retrouve un peu plus loin un autre fragment de la meme
frise, sans ecriture cette fois, mais dont le dessous des petites
cannelures en niches n'avait pas e"te" inutile, j'ai pu reconnaitre
que sous les cannelures re"gnait un cordon d'oves de huit cen-
614 VOYAGE EN SYRIE.
timetres de hauteur, et plus has encore, un cordon de quatre
centimetres , orne d'olives et de petits cones aboutes deux
a deux. J'ai retrouve trois fragments de cette meme inscrip-
tion dans le voisinage, et voici les portions de texte qu'elles
m'ont fournies; les lettres, ainsi que je 1'ai dit, en sont toutes
carrees1 :
ETPAPXOYKAIAYZ....
"ANE6HKEN.
Ce mot de la seconde ligne termine certainement 1' inscrip-
tion , vu que tout le reste de la plate-bande est demeure vide.
Un second morceau, beaucoup plus long, porte les mots :
GYrATHPZHNOAQPQAYZ. . . .
OYIOIZMN...HZXAPIN
Enfm un troisieme fragment ne porte que les lettres :
OIZ YIOIZ
Boekh, sous le n° 4523 de son precieux recueil, a public
ces fragments d'apfes Pococke qui note, dit-il, que les lettres
de cette inscription sont carries. Voici comment Boekh a
cherche a reconstruire la mauvaise copie de Pococke :
fft £siva TOU £etvo; yuvrj, roO' £sivo;) Ouyarvip, Zr,vo^(6pw Au<7 (i[x)
a^ou xal Au utoT? {x(vv{{AYi)5 y.«p(w) avsfir.jtev.
Le savant Miteur ajoute : Zenodorus hie fortasse ex posteris
est Zenodori Tetrarchee , qui coriducta pretio Lysaniae Tetrar-
chia, Traconitidem, Bataneam, Auranitidem, Paneadem te-
nebat, sed jussu Augusti solam Paneadem retinuit2; mater
defunctorum bis nupta videtur.
Les fragments de cette inscription donnent des renseigne-
ments plus positifs, que ceux que 1'illustre Boekh a pu deduire
1. Voyez pi. LIV et LV.
2. Cf. Joseph., Ant., xv, 10, 1.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 615
de la copie imparfaite qu'il avait a sa disposition. II me parait
en resulter qu'une femme , dont le nom est perdu et qui etait
fille de ? , eleve un monument a Zenodore, fils de Lysanias le
Tetrarque, et a Lysanias, ses fils. Josephe nous apprend que
Zenodore obtint a prix d' argent la Tetrarchie de Lysanias;
mais il ne nous parle pas de la famille de ce Zenodore. Comme
il n'etait guere probable que le premier venu put prendre a
bail une Tetrarchie, on pouvait presumer que ce Zenodore,
assez riche pour la payer a 1'Empire, etait tout naturellement,
par sa naissance, en position de la demander. Cette supposition
est aujourd'hui devenue une certitude , puisque Zenodore est
designe comme le fils du Tetrarque Lysanias, et comme ayant
un frere qui portait precisement le nom de Lysanias. Notre
inscription de Baalbek a done par cela meme une tres-grande
valeur historique. Les fragments de texte qui manquent encore
sont surement enfouis dans la maconnerie de I'enceinte, et
quelque jour ils en sortiront, pour computer un des monuments
epigraphiques les plus curieux.
La meme partie de la muraille m'a fourni quelques debris
fort interessants, tels, parexemple, quequatre morceaux d'une
frise etrange, ornee de la maniere suivante : Une plate-bande
de six centimetres de hauteur et de cinq centimetres de saillie,
rachete par deux pans coupes de huit centimetres de hauteur,
la face de la frise. Celle-ci porte pour toute decoration un trait
de foudre ou zigzag, dont les angles sont a quarante centi-
metres au-dessous de la moulure pre"ce"demment decrite. Les
petits cotes du zigzag ont dix centimetres de longueur, et les
grands (ceux qui se rapprochent de la position horizontal, en
ont trente-cinq. Le trait est forme" d'une plate-bande e"troite ,
rachetant la surface de la pierre, par un plan incline" a sa par-
tie superieure seulement, tandis qu'au-dessous, il est a arete
perpendiculaire sur cette meme surface. Ces quatre fragments
616 VOYAGE EN SYRIE
etaient distribues, assez loin l'un de 1'autre, dans la maconnerie
des murailles.
J'ai encore remarque un angle de fronton, une pierre pre-
sentant une belle acanthe, a droite de laquelle est une rosace,
un bas-relief ayant a peu pres la forme d'une margelle de puits,
et representant un sanglier qui d'un coup de boutoir lance
un chien en 1'air, et enfm les deux parties d'un autel rond ,
de soixante-dix centimetres de hauteur, sur la surface duquel
etaient disposees quatre tetes de taureau, ornees de bande-
lettes, et reliees par de grosses guirlandes de feuillage.
Quelques inscriptions mutilees s'y rencontrent aussi, Tune
est de deux lignes et latine. La premiere ligne, dont les lettres
ont quatorze centimetres de hauteur, contient les mots :
L-FECENN....
et la deuxieme, dont les lettres n'ont plus que neuf centime-
tres, contient les mots :
PIFF...NIVS...
-
dont le deuxieme signe est douteux. Apres le quatrieme, il
manque trois lettres.
Une inscription grecque a peu pres illisible se trouvait noyee
dans la maconnerie a la crete du mur. La pierre de dessous
ayant disparu, on voit maintenant les lettres suivantes :
AAA..LEI (?)'
ZEIAQNI..
XPHZTH..
KAIAAYTT.
Enfin, a Tangle nord-ouest d'une tour carree, en saillie sur
1'enceinte, se lisent les deux mots :
KENTYPIA
TTPIMA
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 6<7
Cette inscription latine, e*crite en caracteres grecs, est plus
precieuse qu'elle ne le laisse supposer au premier abord. En
effet, elle me parait demontrer que ("enceinte militaire, £ la-
quelle elle est posterieure , est une enceinte elevee par les
Chretiens, pour register a 1'invasion musulmane.
Apres avoir recueilli ces curieux debris, -sur la seule branche
de muraille qui, du fond de la vallee, monte au sommet de la
colline ou est la n£cropole, et qui fait face a 1'ouest, nous sommes
rentres dans 1'interieur de 1' enceinte, et nous avons commence"
a explorer la necropole elle-meme. Le temps nous pressait fort,
et j'avoue que j'ai vivement regrette de ne pouvoir examiner
avec soin ces venerables murailles, sur toute Tetendue de leur
circuit, au dedans et au dehors. La, sans aucun doute, il y a
une bien riche moisson a faire, puisque sur une longueur de
trois ou quatre cents metres au plus, j'ai pu retrouver tous les
fragments que je viens d'enumerer. La ligne de muraille fai-
sant face £ Test, est bien autrement considerable , et la aussi
il y a, sans aucun doute, bien des faits nouveaux a constater.
Je recommande done instamment cette recherche aux voya-
geurs qui viendront a Baalbek apres moi, et qui aurontquelques
jours a consacrer aux ruines d'Heliopolis. Je leur promets, en
toute securite de conscience, qu'ils ne perdront ni leur temps
ni leur peine. Comme nous tenions, Tabbe et moi, a visiter 1'ex-
terieur de 1' enceinte des deux grands temples, et a Tetudier
avec soin, il fallait ne pas trop nous arreter et presser ronde-
ment notre besogne.
La premiere chose que nous avons rencontree sur la pelouse,
est un immense chapiteau dorique, de quatre-vingt-douze cen-
timetres de hauteur, offrant une serie de moulures assez com-
pliquees. A la partie inferieure est un cavet, puis un demi-tore,
charge d'oves. Au-dessus est une doucine, puis une plate-
bande; puis une nouvelle doucine, un listel, et une plate-bande
618 VOYAGE EN SYRIE
inclinee vers I'axe de la colonne. La saillie da listel superieur
sur le fut de la colonne est de cent soixante-six millimetres
seulement. La plate-forme du chapiteau est un carre" d'un
metre quatre-vingt-dix centimetres de cote". Cette plate-forme
presente des singularites que je ne me charge pas d'expli-
quer et que je vais- decrire le plus brievement possible. Aux
quatre angles sont des trous qui ont du recevoir des agrafes
destinees a fixer un ornement quelconque. Au milieu est un
enfoncement ayant vingt-huit centimetres de profondeur,
soixante-huit de longueur et soixante-deux de largeur. A Tun
des angles de I'enfoncement est creusee une petite cuve tron-
conique, de trente centimetres de diametre superieur, de dix-
sept centimetres de diametre inferieur, et de dix centimetres
de profondeur. Sur la meme diagonale, vers Tangle oppose, et
a vingt-deux centimetres du premier trou que je viens de de-
crire, on en voit un pareil qui vient rejoindre I'orifice d'ime
perforation complete du chapiteau, encadree dans un petit en-
foncement quadrangulaire, applique contre I'enfoncement cen-
tral, et n'ayant que vingt-deux centimetres de longueur sur
vingt de iargeur. A quoi a pu servir ce dispositif etrange? Je
n'en saisen verite rien.
A une cinquantaine de pas plus loin, gisent sur le sol, appuyes
les uns contre les autres, comme les dames d'un jeu de tric-
trac, les tambours de la colonne a laquelle appartenait le cha-
piteau que je viens de decrire. Ces tambours, an nombre de
treize, semblent avoir un rayon a tres-peu pres constant de
soixante-quatorze h soixante-quinze metres. Ce fut reposait sur
un dez d'un metre quatre-vingt-trois centimetres de cote, sur
quatre-vingts centimetres de hauteur. J'ai dit que le chapiteau
avait quatre-vingt-douze centimetres de hauteur; la somme des
hauteurs partielles des tambours jetes a terre, est de neuf me-
tres vingt-huit centimetres. Le dez sur lequel porte le fut a
ET AUTOUH DE LA MER MORTE. 619
quatre-vingts centimetres. Le reste de la base se compose de
deux dez superposes, de quarante-trois centimetres de hauteur
chacun, en saillie de vingt-huit centimetres Fun sur 1'autre.
L'inierieur repose sur une plate-forme irreguliere etablie sur
le roc, d'un metre de hauteur et de trois metres quatre-vingt-
quatre centimetres de cote. La hauteur totale de la colonne
etait done de douze metres quatre-vingt-six centimetres.
J'ai mentionne, a propos du chapiteau, le trou qui le tra-
verse. Ce trou vient correspondre a un canal, en forme de rai-
nure, qui regne tout le long du fut de la colonne , et qui se
retrouve jusque sur la base. Gette rainure a treize centime-
tres de profondeur et treize centimetres de largeur , plus un
filet de quarante-cinq millimetres qui 1'encadre de chaque
cote. Ce canal, sur la base, se montre a quarante-trois centi-
metres de Tangle sud-ouest du dez superieur, et il continue
a se montrer sur les suivants, et probablement jusqu'a la sur-
face du roc. Je n'ai pas eu la pensee de m'en assurer.
Cette colonne surmontait un caveau sepulcral, ouvert, il y
a quelques annees, par M. Montefiore, d'apres ce que m'ont
dit les habitants de Baalbek. Voici la disposition ge"ne"rale de
ce monument funeraire : la base de la colonne est etablie a
1'extremite ouest d'une plate-forme de rocher, a 1'autre extre-
mite de laquelle conduit un escalier de cinq marches irre"gu-
Jieres, grossierement taillees dans le roc et montant du nord
au sud. A cinq metres en arriere de la base de la colonne,
vers le nord, et a deux metres seulement a droite du centre de
cette base, passe I'axe d'une tranchee de fouille, qui aboutit a
une porte taillee dans le roc vif, d'un metre cinquante centi-
metres de largeur, et qui etait fermee a 1'aide d'une pierre
s'encastrant par cotes dans une coulisse de dix centimetres
de profondeur et de vingt centimetres de largeur. De la pierre
de cloture il ne reste plus trace. Dans la cave ou Ton pe"ne-
620 VOYAGE EN SYR1E
tre, sont places cote a cote plusieurs sarcophages recemment
violes, et dont les couvercles n'ont ete que deranges. L'un
d'eux presente deux genies soutenant de grosses guirlandes,
au-dessus desquelles sont places des mascarons. M. Montefiore
ayant resolu de faire extraire ce sarcophage pour 1'amener en
Angleterre, les aimables habitants de Baalbek se sont em-
presses d'accourir en foule dans le caveau, pendant la nuit
qui suivit la trouvaille, et ils ont brise le sarcophage qui n'en
pouvait mais. Les fragments sont restes dans la cave, et c'est
la que je les ai dessines.
II est clair pour moi que le monument entier se composait de
la cave et de la colonne funeraire qui le surmontait. Peut-etre
cette colonne portait-elle au-dessus de son chapiteau une urne,
ou toute autre espece d'ornement metallique que les pluies au-
raient pu remplir et deteriorer. Des lors le canal creuse le
long du fut de la colonne, et qui devait etre recouvert d'une
plaque egalement metallique, qui s'encastrait dans le fut, etait
destine a conduire les eaux pluviales au bas de la colonne, et
a les perdre dans le terrain. Je livre cette hypothese pour ce
qu'elle vaut, en avouant que je n'en saurais trouver une autre
quelque peu raisonnable.
Un peu plus loin se voit sur le sol, une vaste pierre carree,-
de deux metres quarante centimetres de largeur, dont les
cotes sont arques, et qui presente a sa partie ihferieure et dans
une sorte de voute , un caisson magnifiquement orne. .4ux
quatre coins sont des chapiteaux de pilastres ; le tout etait cou-
ronne par un quadruple fronton. C'etait sans doute le dessus
d'une tombe; et ce toit elegant devait probablement recouvrir
une statue.
Quelques caves sepulcrales creuse"es dans le rocher, m'ont
offertdes dispositions entierement analogues a celles que j'avais
etudiees dans la necropole d'Abila, et a celles qu'Edouard
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 621
etudiait de son cote a Bereytan , pendant que j'etais occup6 h
examiner les monuments de Baalbek. Ainsi 1'une d'elles pr£-
sente une chambre carree, avec une cuve de sarcophage sur
les trois cotes du fond. Une autre , dont la face anterieure est
tres-inclinee sur 1'axe de la chambre, offre une cuve sur le cot6
gauche, deux cuves placets bout a bout sur le cote du fond,
et une quatrieme cuve sur le cot6 droit. Gelui-ci 6tant , par
suite de la forme en trapeze de la chambre entiere, beaucoup
plus court que le cote" gauche, la cuve qui le longe a du em-
pieter sur la rangee du fond , et son extre~mite vient se placer
a la suite des deux cuves qui la composent.
Le temps s'ecoulaittrop rapidement a mon gre, il fallut done
nous decider a regagner les temples au plus vite, afin d'en
etudier les parties exterieures, qui sont presque toujours negli-
g4es, et qui sont pourtant bien plus dignes d'admiration que
les ruines des temples elles-memes.
Sur tout le cote meridional, 1' enceinte exterieure ne presente
absolument que des constructions musulmanes, se rattachant a
la forteresse, qui a pris jadis la place de 1'enceinte sacree des
temples du Soleil et de Jupiter. A la face ouest, 1'aspect est tout
autre, et Ton s'arrete ebahi devant un mur jointoye" avec une
perfection qui passe toute croyance , et forme de blocs dont la
masse est telle, que 1'intelligencene peut absolument se rendre
compte des moyens mecaniques employe's pour les amener de
la carriere, et pour les hisser a une hauteur d'une trentaine de
pieds. Le soubassement du mur d' enceinte est form6 de trois
assises de blocs de"ja tres-considerables et assembles avec une
regularite parfaite. Au-dessus regne un cordon de masses
juxtaposees, et dont la partie supe>ieure qui est en retraite,
rachete par un plan incline" la partie infe>ieure. Ces masses
out au moins quatre metres de hauteur (je ne les ai pas mesu-
rees rigoureusement) , et une largeur qui varie de six h douze
622 VOYAGE EN SYRIE
metres. Ce n'estpas tout; au-dessus de ce soubassement, repose
une assise de trois blocs , dont chacun a aussi environ quatre
metres de hauteur et une vingtaine de metres de longueur au
moins. Toute cette partie de la muraille a ete couronnee par
un appareil romain, ou plutot arabe, quoique assez regulier;
car quelques tambours de colonne et quelques fragments d'en-
tablement provenant du grand temple, y sont encastres. A
droite de la colonnade, presque tout le couronnement de la
muraille est de cette epoque recente. Quant a 1' appareil gigan-
tesque que j'ai decrit tout k 1'heure, il se prolonge sans inter-
ruption jusqu'a. Tangle nord-ouest de 1'enceinte, et cet angle
est intact.
Sur la face nord commence un mur de huit i dix metres
de hauteur, de quatre a cinq metres d'epaisseur et de plus de
soixante metres de developpement ; quelques pierresseulement
en ont fait les frais (je crois me rappeler qu'elles sont au nom-
bre de six) , et ces pierres presentent, sur leur surface, des en-
tailles regulierement espacees, et qui ontindubitablementservi
a y loger des crampons, a I' aide desquels ces masses ont e"te
mises en mouvement. L' enceinte romaine est en deca de ce
mur, de dix a douze metres au moins; je dis que e'est Ten-
ceinte romaine, parce que 1'appareil en est parfaitement beau,
et que le faite de ce mur deja tres-etonnant, sert d'assiette aux
bases des colonnes du grand temple, bases qui sont restees en
place, parce que les Arabes n'auraient pas pris le soin, les
ayant une fois deplacees, de les replacer justement a la meme
distance oil elles se trouvaient dans 1'ordonnance primitive du
monument. L'intervalle compris entre le mur romain et le mur
forme des six masses gigantesques, constitue une sorte de
douve ou de fosse fort frais et fort humide, ou Ton penetre par
une petite porte ouvrant sur la campagne environnante (ou
plus exactement sur une espece de fosse qui, de ce cote",
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 623
entoure 1' enceinte), et percee dans la muraille, en avant et
a I'ouest des grosses masses.
Vers Test, le fond de la douve intermediate s'est evidem-
ment encombre de debris de toute nature. Ce qui est certain ,
c'est qufil s'est assez notablement releve pour que, de la,
on puisse tres-facilement atteindre le haut du gros mur et s'y
promener a 1'aise. Cette douve est close a Test par un mur
dans lequel est percee une porte plus d'a demi enterree, et qui
donne jour sur une immense galerie souterraine dont je par-
lerai tout a 1'heure.
Au point ou les grosses masses cessent de paraitre, com-
mencent les contours de 1' enceinte romaine, rhabillee par les
Arabes lorsqu'ils en ont fait une forteresse. Ainsi que je 1'ai dit
tout a Theure, une espece de fosse en culture, longe toute la
face septentrionale de 1'enceinte, et au dela sont des jardins,
des champs ou des vergers, dont le dernier est termine par un
mur en fort mauvais etat, dans lequel est encastree, sens des-
sus dessous, une inscription grecque inscrite dans un cartouche,
mais fort mutilee; j'ai pu, neanmoins, en dechiffrer tant bien
que mal ce qui suit :
eproNTOYGNAe
T...NATOMOI
CTPATONOMAPXOY
KAI YflATOY
Je crois bien dem&er qu'il s'agit de la portion orientale d'un
ouvrage de fortification (?) eleve par un personnage qui fut
Nomarque (?) et de familleconsulaire, mais je ne me charge
pas de reconstruire 1'inscription entiere; je laisse ce soin aux
epigraphistes experirnentes.
J'ai deja dit que la face orientale offrait primitivement, en
avant-corps, unportiqueauqueldevaitaboutir unvaste escalier,
624 VOYAGE EN SYRIE.
aujourd'hui compl element rase ; douze colonnes, dont les bases
sont en place, soutenaient ce portique. Elles ont eHe jetees a
terre et remplacees par un mur arabe dans lequel les piedes-
taux sont restes engages, parce qiTils etaient faciles a ajuster
avec la maconnerie du mur substitue a la colonnade. Deux
pavilions carres, ornes de quatre pilastres corinthiens enga-
ges, etaient places a droite et a gauche du portique; ils ont
ete hausses et transformed en tours defensives. Au bas, sur
le terrain, parait a gauche un debris d'aqueduc incline, forme
de deux arcades; il est aujourd'hui completement isole.
Sur deux des piedestaux sont gravees des inscriptions, en
caractere grele et allonge de Pepoque de Septime-Severe, et
qui etantplacees a une dizaine de metres de hauteur, au-dessus
du terrain, ne peuvent etre dechiffrees. Comme nous les avions
apercues la veille, a notre premiere visite des ruines, nous nous
sommes munis d'une longue-vue, et en nous couchant sur le
dos, pour assurer un peu la position de la lunette, nous avons
pu, 1'abbe et moi, dechiflrer chacun a notre tour Tune des deux
inscriptions. Le texte parait identique, et de la comparaison
des deux mauvaises copies obtenues ainsi, j'ai pu deduire un
texte assez complet; le voici :
... M DIIS HELIVPOL PRO SALVTE
DIVI ANTONINI Pll PEL AVG ET IVLIAE
AVG MATRIS D IN CASTR SENAT PATRIAE
CAPITA COLVMNARVM DVO AEREA
AVRO INLVMINATA SVA PECVNIA
EX VOTO
Ce texte me parait devoir se reconstituer ainsi : ... Magnis
Diis Heliupoleos, pro salute divi Antonini Pii felicis Augusti et
Juliae Augustas, matrisdomini nostri, castrorum, senatiis, pa-
triae, capita columnarum duo? serea auro inluminata, sua pecu-
nia, ex voto. Cette inscription, que la forme des lettres m'avait
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 625
fait juger du temps de Septime Severe, avant m&ne que j'en
eusse pu lire un seul mot, constate un voeu fait pour la sante"
d'Antonin Caracalla, fils de Septime Severe, et de sa mere Julia
Domna ; on voit done que j'avais assez bien devine" Tage ap-
proximatifdecette inscription. Quoique vivant, Caracalla recoit
deja le titre de Divin , par une insigne flatterie de celui qui a
paye les deux chapiteaux de bronze dore dont il est question
dans le texte ; il est facheux que nous ne sachions pas le nom
de ce personnage. Comme il n'est pas fait mention de Geta,
assassine par 1'ordre de son frere Caracalla , en 212 de Tere
chretienne , ou notre inscription a 6te gravee de 198 a 209
(anne*e dans laquelle Geta recut le titre d'Auguste), ou de
212 & 217, annee de la mort de Caracalla '.
En arriere du portique en avant-corps, sont, a droite et a
1. Wood avail deja remarqu6 et relev6 ces deux curieuses inscriptions, dont il
donne les copies suivantes :
10
MDIISHELIVPOLPROSAL.
ANTONINIPIIFEIAVCIIIVIIAEAVCMATRISDNCASTRSENAT
PAIR....
COLVMNARVMDVMERINMVROINLVMINASVAPECVNIAEX
[VOTOLAS
2»
M DIIS HELIVP
ORIISDNANTONINIPIIIIIAVGFIIVIIAEAVCMAT.ISDNCAS
TONINIANAECAPITACOIVMNARVMDVMER..VROINLVMI-
[NATASVA.EC.
Dans son m^moire manuscrit, dont je parlerai plus loin, Mariettedit au sujet de
ces deux inscriptions : Je ne sais quel sens trouver a ces paroles qui en font partie :
Capita columnarum dum erant in muro inluminata sui pecunii libens merito solvit.
II conclut neanmoins en emettant 1'opinion que les cbapiteaux du portique ont et6
dores, i 1'occasion d'une fete celebree 4 Heliopolis, en 1'honneur de Caracalla et de
Julia Domna, sa mere.
n. *°
626 VOYAGE EN SYR IE
gauche , deux grandes faces de muraille antique , dans les-
quelles s'ouvrent des portes donnant acces dans d'immenses ga-
leries souterraines, qui servent ordinairement d'ecurie aux che-
vaux des voyageurs, et qui ont ete, m'a-t-on dit, employees au
meme usage, par la cavalerie d' Ibrahim-Pacha, pendant 1'occu-
pation de la Syrie par les troupes egyptiennes. Ces galeries sont
fort larges et elles ont une tres-grande longueur ; de plus, elles
meritent bien d'etre etudiees avec soin, car elles fournissent la
demonstration la plus claire et la plus nette de ce fait que les
temples de Baalbek, dont nous admirons aujourd'hui les ruines,
ont ete" eleves sur les restes d'un temple bien plus antique, et
bien autrement important par 1'enormite des materiaux qui y
furent mis en oeuvre.
Voici en quoi consiste cette demonstration. Les galeries sont
voutees en tres-bel appareil romain> et Ton y voit, en clefs de
voute, des pierres presentant des bustes ou des inscriptions la-
tines. Ces voutes sont done incontestablement romaines ; mais,
ce qui ne Test plus du tout, c'est la masse de la construction ,
en blocs beaucoup plus forts, sur laquelle est ent6e la voute
romaine. Ainsi, les bases des cotes sont de cet appareil gigan-
tesque, et une veritable voute primitive, e'crasee a une epoque
bien anterieure sans doute a la fondation des deux grands
temples, a precede la voute actuelle. Cela est si vrai, que des
voussoirs de la partie inferieure de eette voute primitive,
sont rested en place , quelquefois sur une assez grande lon-
gueur, et qu'ils ont recu la retombe'e de la voute romaine, dont
la courbure, d'ailleurs, est toute differente, et beaucoup moins
surbaissee que la courbure de la voute primitive. La couleur
des pierres employees dans les deux portions distinctes de la
construction suffirait , a elle seule , pour demon trer le fait de
Texistence, dans ces galeries, de portions de maconnerie ap-
partenant & des epoques bien eloignees 1'une de 1'autre. Enfin,
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 627
il m'a semb!6 evident, au premier coup d'oeil, que les axes de
ces galeries n'etaient nullement paralleles aux axes des deux
temples remains, dont les colonnades sont orientees de meme.
J'avais malheureusement fait cadeau de ma derniere boussole
au docteur Hammerschmidt ( Abd- Allah - Effendi ), pendant
mon sejour a Damas; je n'ai done pu mesurer Tangle d'incli-
naison de 1'axe des galeries sur 1'axe des temples remains.
En resume, j'avance, sans he"siter, et comme un fait demon-
tre pour moi, que les debris du temple primitif de Baalbek
sont fort reconnaissables ; que ces debris se rencontrent dans
les portions nord et ouest de 1'enceinte, oil sont placets les
masses immenses que jamais les Remains n'eussent sorige a
mettre en osuvre; qu'ils se reconnaissent encore dans les
galeries souterraines qui regnent, a droite et a gauche, sous
le massif qui supporte 1'enceinte sacree placee en avant des
temples romains du Soleil et de Jupiter, et dans la galerie
transversale qui reunit les deux grandes galeries que je viens
de citer, en arriere du portique remain.
Yoici, maintenant, les inscriptions que pre"sentent ces gale-
ries. A la porte de celle de droite, la clef de voute porte
les mots incompre'hensibles, pour moi du moins,
DIVISIO
CIIONN
IAIVIVI
Un peu plus loin , une autre clef de voute pre"sente le mot
G1RSV. Au milieu de la galerie, git, en travers, un e"norme
trongon de colonne de granit, de quatre-vingt-sept centimetres
de diametre. Gette colonne n'a jamais fait partie ni du temple
du Soleil, ni du temple de Jupiter, puisque les colonnes de ces
deux Edifices sont en calcaire compacte.
Dans la galerie de gauche, a vingt-cinq metres en arriere de
628 VOYAGE EN SYR IE
la porte, sont deux claveaux, dont Tun porte un buste, et celui
qui est place a droite de ce buste, les mots :
DIVISIO
MOSO
Enfin, dans la galerie transversale, une des clefs de voute pre-
sente un buste d'Hercule, parfaitement reconnaissable.
Les heures s'ecoulent bien vite au milieu de recherches aussi
interessantes; aussi, I'abb4 et moi, n'avons-nous quitte la place,
que lorsque 1'obscurite nous en a chasses. En rentrant, j'ai
trouve fidouard revenu de sa course ci Berei'tan. II y a trouve
des caves sepulcrales nombreuses, et il en a rapporte quelques
croquis interessants T. Comme je n'ai pas vu ces excavations
funeraires, les dessins en diront beaucoup plus que je n'en
pourrais dire moi-meme. Je ferai remarquer seulement qu'au-
dessus de 1'une d'elles, est taille, dans le roc, un cartouche
contenant une inscription mutilee, dont le mot FLAVIVS a pu
seul etre reconnu par mon ami.
La famille de Segur est venue se reunir a nous pour le diner,
qui a ete tres-gai et tres-cordial. Demain matin nous devons
nous separer, et, lorsque nos amis reprendront la route de
Damas, nous nous acheminerons nous-memes vers Zahleh,
pour franchir, en partant de la, la chaine du Liban et regagner
Beyrout.
Ce soir, la lune dans son plein s'est levee sur les temples,
dont les masses lumineuses se detachent sur la chaine neigeuse
du Liban. Rien de plus noble, rien de plus grandiose, rien de
plus emouvant qu'un pareil spectacle; aussi nous hatons-nous
d'en profiter. N'a pas qui veut la chance de se trouver a Baal-
bek pendant la pleine lune. J'avais admire le Cotysee et le
1. Voyez pi. LIU.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 629
Parthenon a pareille heure; je n'aurais done, pour rien au
monde, renonce" au bonheur de voir Baalbek illuming par les
memes rayons. Quoique je fusse extremement fatigue , j'ai
pris le parti d'aller rejoindre 1'abbe qui avait couru aux rui-
nes, et je declare que je n'ai jamais eprouve" une jouissance
plus vive que celle que m'a procuree cette visite nocturne.
Sous les rayons argentins de la lune tout, dans cette ruine,
s'harmonise, tous les tons heurtes s'adoucissent, tout grandit
et se poetise si bien, que la realite" dont on jouit devient un
reve delicieux qui se grave dans la memoire, pour ne jamais
s'effacer.
La fraicheur de la nuit m'a fait rentrer plus vite que je ne
Paurais desire. J'ai fume* un dernier tchibouk et je me suis
etendu sur ma couchette, en songeant avec bonheur a nos trou-
vailles de la journee, et en meme temps, avec chagrin, a tout
ce que je laisse encore inexplore, pour les voyageurs qui vien-
dront apres moi faire un pelerinage a Baalbek.
Quelques mots maintenant sur cette merveilleuse ville. La
tradition syrienne veut que Salomon ait fonde" Baalbek, comme
il est constant qu'il a fonde Thadamora (Tadmour) ou Pal-
myre1. Malheureusement cette tradition n'est fondee sur au-
cune base solide. II est bien question dans le verset indique
ci-dessus, d'une ville de BSalat que Benjamin de Tudele regarde
comme Baalbek; mais cette identification n'est rien moinsque
sure. Au reste, si Salomon a pu Mtir Palmyre, il a parfaite-
ment pu batir de meme Baalbek, dont le pays e"tait bien plus
ais4ment accessible.
Pompee traversa H^liopolis, en marchantsur Damas*. Plus
tard, cette ville fut transformed en colonie romaine ; et les col-
lections renferment des medailles coloniales frappe"es dans cette
1. Rois, i, ix, 18. — Chr., n, vm, 4 et 6, etJos., Ant. Jud., vm, vi, 1.
2. Jos., Ant. Jud., xiv, in, 6.
630 VOYAGE EN SYRIE
ville, depuis Nerva jusqu'a Gallien. Le litre que recut Helio-
polis fut celui de Colonia Julia Augusta.
Void maintenant les passages reellement importants que
nous fournissent les ecrivains de 1'antiquite sur 1'histoire des
temples de Baalbek. Nous lisons dans Macrobe l : Assyrii
quoque Solem sub nomine Jovis, quern Dia Heliopoliten cogno-
minant, maximis ceremoniis celebrant, in civitate quae Helio-
polis nuncupatur. Ejus dei simulacrum sumptum est de op-
pido jEgypti, quod et ipsum Heliopolis appellatur. Regnante
apud jEgyptios Senemure, seu idem Senepos nomine fuit,
perlatumque est primum in earn, per Opiam legatum Deleboris
regis Assyriorum , sacerdotesque segyptios , quorum princeps
fuit Partemetis ; diuque habitum apud Assyrios, posted Helio-
polim commigravit. Cur ita factum, quaque ratione profectum
in hocce loco ubi nunc est, postea venerit, rituque assyrio magis
quam a3gyptio colatur, dicere supersedi, quia ad prasentem
non attinet causam.
Nous lisons dans Jean Malala a : Mera £e TYJV paadaav A^pia-
voO, fSaaiXeuaev H^io; AVTWVIVO? mo; — OCTI? exTidev ev H^iouTroXet
T^; 4>oivtX7i; Toy Ai€avou vaov TCO Alt (j^eyav i'va xal auTov ovra TCOV
Osajx^Twv. Apres le regne d'Adrien , regna ^Elius Antoninus
Pius — qui batit a Heliopolis la phenicienne, dans le Liban,
un grand temple a Jupiter, assez grand pour etre classe parmi
les merveilles du monde.
Enfin, dans la Chronique paschale 3, nous lisons : ..... 6 0eo>-
00(7105, xal xareXuaev, xal TO Upov HXiouiroXefe)? , TO TOU BaXaviou, TO
jxeya xai -rcepiSoTiTOv, xai TO TpiAiQov, xal ercoi'ncev auTO ExxXviciav
Theodose les renversa, ainsi que le temple
1. Edition de Leyde, Arnold Doude et CorneUle Drienvysen, 1670, p. 310. Satur-
nal, lib. i, cxxm.
2. Joan. Malalae hist. Chron., lib. xi.
3. Olymp. CCLIXXIX, p. 130.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 634
d'Heliopolis, c'est-a-dire celui de Balanios, le grand et fameux
temple, le temple trilithon, et il en fit une e"glise chretienne.
Ce passage est extremement curieux, et nous fournit deux
renseignements tres-importants. Le premier est relatif au nom
Balanios de la divinite du grand et fameux temple d'Heliopo-
lis. J'y trouve le mot semitique Baal et le mot grec viXio?, Soleil,
arabise et prononce" avec la permutation, si frequente parmi les
Syriens, de 1'L en N. Quant au nom Tp&iOov, & trois pierres,
on voit qu'il s' applique a merveille au grand temple de Baal-
bek, dont la plate-forme se compose, a 1'ouest, des trois blocs
immenses que j'ai mentionnes plus haut. C'est cette particula-
rite exceptionnelle qui, sans aucun doute, aura valu au temple
de Baal-Soleil d'Heliopolis , son surnom de trilithon. Deja
Wood , qui cite ce meme passage de la Chronique paschale ,
s'etait parfaitement rendu compte de la signification des deux
mots Balanios et trilithon, contenus dans le texte en question.
Quoi qu'il en soit, cette eglise de Theodose me parait etre
celle dont les ruines se voient a Test du temple du Soleil , et
dans 1'intervalle compris entre celui-ci et le temple de Jupiter.
La publication la plus importante dont les temples de Baal-
bek aient ete 1'objet, est le magnifique volume qui a paru a
Londres en 1757, et a 1'aide duquel Bobert Wood, qui avait
etudie, en architects habile, les ruines d'Heliopolis, dans le
courant du mois d'avril 1751, fit apprecier au monde savant
la splendeur de ces ruines deja illustres.
L'exemplaire de ce livre, d6pos£ a la bibliotheque de 1'Insti-
tut, est extremement precieux, en ce qu'il comporte un appen-
dice manuscrit, signe « Mariette, en 1758 », et contenant des
documents inedits sur Baalbek. Je 1'ai lu avec le plus vif inte-
ret , et j'en ai extrait quelques notes que je suis heureux de
reproduire ici.
Le premier document, par ordre d'anciennete, que je trouve
632 VOYAGE EN SYR1E
insere dans ce memoire, est une sorte de description sommaire
des ruines de Baalbek, redigee en 1705 par le sieur Poullard,
consul de France a Tripoli. J'y trouve le renseignement sui-
vant, sur la grande colonne monumentale que j'ai pu recon-
struire, en etudiant separement chacun de ses fragments : « Le
fut de la colonne est compose de dix-huit pierres. » A cote de
cette phrase est une figure accompagnee de 1'explication sui-
vante : « Figure de la colonne qui servoit a elever les eaux de
« Balbec; le canal du milieu paroit a 1'ouest ; c'est par oil 1'eau
« descendoit. »
Le sieur Poullard s'est trompe sur le nombre de tambours
composant le fut de la colonne. Ghapiteau et piedestal mis
a part, bien entendu, le fut comportait treize tambours et
non dix-huit. L'hypothese sur 1'emploi de cette colonne est
inadmissible; comment aurait-elle servi « a elever les eaux »
de Baalbek, puisqu'elle n'avait d'autre canal que celui « par oil
1'eau descendoit ». Pour descendre, 1'eau aurait du monter
d'abord ; par oil et pourquoi aurait-elle monte? Le sieur Poul-
lard oublie de le dire. Au reste, placer une colonne en guise
de chateau d'eau, sur le sommet d'une colline, au point le plus
eleve d'une ville, pour faire arriver 1'eau de cette ville au
sommet de la colonne elle-meme , c'est tout simplement un
probleme double; car, en outre de la dimculte qu'il y aurait
a le resoudre mecaniquement , il presente la difficulte, au
moins aussi grande, de comprendre dans quel but on se le
serait pose". Au reste , ce qu'il importe de constater, a 1'aide
du travail du sieur Poullard, c'est qu'en 1705 la colonne en
question etait encore debout.
Le second voyageur qui parcourut les ruines de Baalbek et
qui, a son retour en France, en exalta outre mesure la magni-
ficence, est un sieur de la Boque, apres lequel vint le sieur
Granger, botaniste, envoye en Orient par le gouvernement du
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 633
roi, pour recueillir des plantes et des graines. Granger adressa,
en date du 28 Janvier 1736, un rapport au ministre sur la
course qu'il avait faite a Baalbek, pour verifier les assertions
du sieur de la Roque. Sans doute, Granger trouva fort &
decompter des merveilles qu'il s'etait represented en imagi-
nation, d'apres le recit de la Roque, puisqu'il prit a tache,
pour ainsi dire systematiquement, de de'precier les monuments
qui avaient inspire 1'admiration si vive de son devancier.
Voici quelques passages interessants du rapport de Granger,
qui partit de Ketouly le 15 octobre 1735, pour se rendre a
Baalbek.
La Roque avait parle d'inscriptions se"pulcrales, vues par
lui dans les souterrains places au-dessous des ruines. Voici ce
que Granger dit a ce sujet : « II n'y a pas d'inscriptions sepul-
crales dans ces souterrains ; car je ne puis accorder ce nom a
quelques caracteres isoles, qui me paraissent etre 1'ouvrage de
quelques voyageurs qui seront venus visiter ces ruines, et qui
auront voulu en conserver la memoire, en y laissant les pre-
mieres lettres de leurs noms. C'est ainsi que je pense a 1'egard
de ces quatre lettres : D. V. I. S. , qui sont gravies sur une
des voutes et aux cot£s de 1'une de ces tetes qui y sont atta-
chees, et de ces quatre autres qu'on lit a quelque distance :
M 0 V G., qui ne sont formees que par la fume"e d'un flam-
beau. » Gette derniere assertion est completement errone"e, et
la supposition de Granger, sur ces fragments d'inscription, ne
vaut pas la peine d'etre reTutee.
Je trouve encore dans le rapport de Granger le passage
suivant : « Ayant epuise tout ce que j'avais & voir et a exami-
ner dans les ruines du palais de Balbec, je me rendis aupres
( 'une colonne qui est situee dans 1'endroit le plus Eminent de
la ville. M. de la Roque la compare, tant en grosseur qu'en
longueur, a la colonne de Pompee, qui se voit a Alexandrie;
634 VOYAGE EN SYRIE
mais il s'en faut de beaucoup qu'elle lui ressemble, puisque
celle de Balbec n'a tout au plus que quarante pieds de haut,
y compris sa base et son chapiteau, et meme un piedestal
dont la colonne est surmontee, et qui pouvait porter autrefois
une statue. J'ajouterai que le fut de cette colonne est compose
de trois pieces d'une pierre ordinaire, et que je ne lui ai
trouve que six pieds de circonference. »
Toutes ces mesures, tous ces chiffres donnes par le sieur
Granger, sont entierement fautifs. Le diametre de la colonne est
d'un metre quarante-huit centimetres, sa circonference est done
de quatre metres soixante-quatre centimetres, c'est-a-dire de
quatorze pieds a tres-peu pres. G'est beaucoup plus du double
de ce que lui a trouve Granger. Je me bornerai a cette seule
rectification. 11 n'en resulte pas moins qu'en 1735, la colonne
etait encore debout, et que son chapiteau etait couronne par
une sorte de piedestal qui pouvait avoir supporte une statue.
En 1751, lorsque Robert Wood vint a Baalbek, la colonne
etait encore debout. Elle est figuree dans les deux premieres
planches de son livre, et cotee lettre G. Voici ce qu'en dit le
texte : « Colonne de 1'ordre dorique , dont la tige consiste en
plusieurs pierres; elle est seule sur une eminence, au sud-
ouest de la ville. II y a un petit bassin au-dessus du chapi-
teau, qui communiquait avec une cannelure de cinq ou six
pouces de profondeur, taillee le long de la tige. » Wood ajoute
qu'on lui a dit « que la cannelure servait autrefois a faire
descendre 1'eau du bassin, mais on ne nous dit point comment
le bassin etait fourni d'eau. Comme cette invention defigure
fort la colonne , nous la croyons moderne. »
Cette tradition locale me paratt confirmer 1'idee que j'ai
eue, que la rigole en question pouvait servir a 1'ecoulement des
eaux pluviales, ou des neiges recues sur le chapiteau. Dans
quel but? Je Pignore.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 635
18 MARS.
Ce matin, avant de monter a cheval, nous sommes alles
faire une derniere visite aux restes somptueux des temples
d'Heliopolis. Plus on les voit, plus on les admire, et a chaque
promenade on decouvre des faits interessants dont on ne soup-
connait pas 1'existence. Ce ne sont pas des jours ni des se-
maines, mais bien des mois qu'il faudrait passer a Baalbek,
sans quitter ces ruines il lustres, pour emporter la pensee de
n' avoir rien omis d'important. Ainsi ce matin, a gauche du
grand temple du Soleil, je crois avoir retrouve la corniche de
la plate-forme du temple primitif, encore en place, dans le voi-
sinage du petit palais arabe et de I'extremit6 de la grande
galerie souterraine de gauche, c'est-a-dire a droite et tres-
pres du fronton oriental du temple de Jupiter. Le temps m'a
manque pour etudier cette corniche, et pour m' assurer qu'elle
n'appartenaitpas a la plate-forme du temple du Soleil construit
a 1'epoque romaine.
Avant de rentrer au logis ou nos chevaux nous attendaient,
nous avons 6te visiter la mosquee ruinee qui est placee a
Test du petit temple rond ; elle est extremement curieuse
par les debris antiques qui y sont accumule's, et elle meriterait
a elle seule une etude serieuse de quelques jours. Un veritable
benitier chretien , enleve sans doute a 1'eglise construite par
1'ordre de Theodose, s'y voit encore encastre" dans le pave, et
il a tres-probablement servi aux ablutions des pieux Musul-
mans.
Le moment est venu pour nous de quitter Baalbek. II est
deja pres de dix heures, et nous avons peine a nous arracher
aux vives jouissances que nous ont procurees les journees si
vite ecoulees, que nous avons pu consacrer aux ruines d'He-
liopolis.
6J6 VOYAGE EN SYRIE
Nos bagages sont partis depuis plus d'une heure ; il faut
bien nous decider a les suivre. A.U moment de monter a cheval,
nous echangeons avec la charmante famille de Segur, les
temoignages d' affection et les voeux. Vo3ux steriles, helas! car
au milieu de ceux que nous allions quitter, avec 1'esperance de
les revoir heureux, se trouvait une gracieuse jeune fille que le
doigtde la mort avait deja marquee d'un signe fatal. Elle a eu du
moins la douloureuse consolation de respirer encore Fair natal,
et de s'eteindre au milieu des caresses d'un pere et d'une mere
qui 1'idolatraient, et qui n'avaient pu fuir Damas, que lorsque
le mal qui minait leur enfant, avait deja fait des progres centre
lesquels la science humaine devait rester impuissante. Nous
etions tous a mille lieues de la provision de cette cruelle des-
tinee, lorsqu'en face des temples de Baalbek, nous adressions
a tous ceux que nous quittions, des souhaits de bonheur et de
sante, en attendant la joie de nous retrouver a Paris.
Enfm le signal du depart est donne; de part et d'autre, nous
echangeons encore un dernier salut de loin, et pendant que
nos amis remontent vers 1'orient, nous descendons, nous, dans
la Beqaa; c'est ainsi que se nomme, autour de Baalbek, la
riche vallee de la Ccelesyrie.
Le chemin que nous suivons, nous amene d'abord & la car-
riere de laquelle ont ete extraites les masses colossales du
temple, sur les debris duquel se sont eleves les deux temples
remains du Soleil et de Jupiter ; plusieurs blocs tout tail les
gisent encore sur place. L'un d'eux, entre autres, est sem-
blable aux trois blocs immenses dont j'ai parle plus haut, et
qui forment une assise de soixante metres de longueur, a la
face occidentale du grand temple du Soleil. La masse devant
laquelle nous nous trouvons, tient encore a la roche par sa
face inferieure. Toutes les autres sont achevees et taillees a
aretes aussi vives que si les carriers venaient de les quitter.
ET AUTODR DE LA MER MORTE. 637
L'abb6 et Edouard mettent pied a terre pour mesurer ce bloc ;
il a une longueur de vingt-deux pas , c'est-a-dire a peu pres
vingt metres. II a cinq metres de largeur et autant de hauteur.
Les Arabes nomment cette pierre Hadjer-el-Qiblah ( la pierre
du midi, ou vers laquelle on se tourne pour prier).
II est assez curieux d'estimer la force qu'il faudrait employer
pour mettre une masse semblable en mouveinent. Elle cube cinq
cents metres cubes, et comme la pierre est un calcaire extre-
mement dur et compacte, le metre cube doit peser au moins
trois mille kilogrammes, ce qui donne un poids total de quinze
cent mille kilogrammes. II faudrait done une machine de la
force de vingt mille chevaux, pour la mettre en mouvement ,
ou Peffort constant et simultane de pres de quarante mille
hommes, pour lui faire parcourir un metre en une seconde de
temps. LTintelligence recule epouvantee devant un pareil re"-
sultat, et i'on se demande si Ton n'a pas reve, quand on a cru
voir des masses aussi considerables que celles-lei , transporters
ci un kilometre de distance, et a plus de dix metres au-dessus
du sol , par-dessus d'autres masses presque aussi etonnantes,
jointoyees avec la precision que d'habiles ouvriers pourraient
apporter a 1' assemblage de petites pierres d'un ou deux metres
cubes.
De quels moteurs s'est servie la race qui a mis en ceuvre ces
masses effroyables? Dieu le sait ! II y a bien a parier cependant
que les cordes , sollicitees par d'e"normes colonnes d'hommes
agissant avec ensemble, les traineaux, les rouleaux et le plan
incline, ont e"te les seules ressources mecaniques employees
dans cette manreuvre merveilleuse. La presence des encastre-
ments des crampons d'attache, semble le demontrer ; mais ces
moyens une fois determines, nous ne sommes guere plus
avance"s, et la chose reste tout aussi inconcevable. Quels trai-
neaux et quels rouleaux en effet out pu register & un poids
638 VOYAGE EN SYRIE
pareil, et n'etre pas mis immediatement en poussiere? Je
renonce prudemraent a chercher 1'explication d'un fait que je
ne saurais comprendre.
A une tres-faible distance de Baalbek, et bien avant d'ar-
river a la carriere, nous avons vu en passant un tourbeh tres-
venere des musulmans; c'est le tombeau d'une filled1 /Uy, que
notre ami Mohammed nomme Kholeh-bent-el-Imam-Aaly. De
la carriere, nous avons appuye a droite, dans la plaine , pour
nous approcher d'un edifice ruine, orne de colonnes, nomme
Koubbet-Douris , et place sur la route de Zahleh. Cette ruine,
dans laquelle certains voyageurs ont cru voir un monument
antique, est un simple oratoire musulman abandonne. Huit
troncons de colonne empruntes aux mines d'Heliopolis, sou-
tiennent une corniche octogonale de travail arabe. Cette con-
struction a ete d'ailleurs menee avec tant d'intelligence, que
Tune des colonnes a ete plantee la tete en bas, et que la cor-
niche repose en realite sur la base du fut. Le Koubbet- Douris
n'a done qu'un tres-mediocre interet, archeologiquement par-
lant. A un kilometre plus loin et a gauche, nous voyons le
village de Douris. Nous marchons encore pendant pres d'une
heure, et nous traversons un ruisseau nomme Nabaa-Hazir
( la source de Hazir). Au dela, nous mettons pied a terre pour
dejeuner.
Apres une demi-heure de halte, nous remontons a cheval, et
nous atteignons bientot une sorte d'etang, duquel s'^chappe un
ruisseau, fort tranquille d'ailleurs; c'est TAyn-Altoun. Nous y
faisons boire nos chevaux. Nous apercevons alors, sur la hau-
teur, a notre droite, le village nomme Taalyah. Plus loin encore,
nous traversons un petit marecage qui porte le nom de Haouch-
es-Sentn. Au dela se montre , a droite , le village de Temnin-
et-Tahtah; puis, a gauche, celui de Ablah. En continuant a
cheminer un peu, nous apercevons, sur le flanc du Liban, le
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 639
village de Temnin-el-Fouqah. Apres ce village, et a une assez
forte distance, se montre, a peu pres a, la meme hauteur sur le
Liban, le village d'el-Fourzoun. Bientot, nous passons a. droite
d'un tertre que recouvre le village de Naby-Nouh, oil les Mu-
sulmans placent le tombeau de Noe. Nous longeons ensuite les
maisons des deux villages adjacents de el-Moallakat-el-Fouqah
el et-Tahtah, puis nous entrons enfin dans la vaste gorge de
laquelle sort le Nahr-Bardouneh , et sur les deux flancs de la-
quelle, sont baties en amphitheatre les maisons pittoresques de
la charmante petite ville de. Zahleh, ville toute moderne, et
qui est indubitablement destinee & devenir la metropole des
villes chretiennes du Liban. Beaucoup d'habitations y sont ba-
ties & 1'europeenne, et, & vrai dire, en entrant & Zahleh, on se
croirait devant une jolie ville des montagnes du midi de la
France.
De Baalbek a Zahleh, le voyageur traverse obliquement la
Beqaa, c'est-a-dire la plaine de la Ccelesyrie, et il pent aise*-
ment apprecier toute la valeur de cette admirable plaine qui
doit etre d'une fertilite extraordinaire , grace aux nombreux
cours d'eau dont elle est sillonnee, et qui vont tous se reunir
dans le Le"ontes, pour aller ensuite se jeter dans la mer, au nord
de Tyr, sous le nom de Nahr-el-Qasmieh. Les terres sont bien
cultivees partout, surtout a, quelques lieues au sud de Baalbek,
et, dans les environs de Zahleh , le pays a tout a fait 1'appa-
rence d'une des plus riantes contrees de la France.
.4vant de tourner a 1'ouest, pour monter a Zahleh, j'ai
reconnu, dans la plaine, deux grands tumulus reguliers et
par consequent artificiels. Au loin, et jusqu'a I'horizon, on en
distingue trois autres du meme genre, qui sont peut-etre un
peu moins reguliers et qui s'elevent au-dessus de la plaine. Ces
immenses amas de terre, erne's par 1'homme, sont, a ce que je
suppose, de vrais monuments d'une epoque excessivement re-
640 VOYAGE EN SYRIE
culee. Des fouilles conduites avec intelligence en deVoileraient
peut-etre 1'origine ; mais, comment esperer que jamais de sem-
blables fouilles pourront etre entreprises dans ce pays? En
apercevant de loin ces tertres immenses , je n'ai pu m'empe-
cher de penser a celui que j'avais reconnu, quelques mois au-
paravant, sur la route de Nazareth et au bout de la plaine
d'Acre; celui-ci m'a semble avoir quelque ressemblance avec
les tumulus de Ninive; il en est probablement de meme des
cinq grands tumulus de Crelesyrie, places en vue de Zahleh.
Nous avons ete agreablement surpris, en parcourant la ville
entiere, pour aller chercher notre gite, d1 entendre £ chaque pas
les enfants de Zahleh nous crier : « Bonjour ! Monsieur, » en
nous suivant dans des rues dont le sol, defence par d'affreuses
ornieres, offre en ce moment une continuite de cloaques pro-
fonds. Apres avoir traverse le Bardouneh sur un pont solide-
ment construit, nous avons grimpe dans le haut de la partie de
la ville batie sur la rive droite , et nous nous sommes arretes
chez la veuve d'un pharmacien-medecin francais, mort de-
puis tres-peu de temps. Le logement est excellent, surtout fort
propre. Nous passerons done ici une veritable nuit de repos,
et nous en avons bon besoin, car, de Baalbek a Zahleh, nous
avons marche pendant pres de huit heures, sans faire d'autre
halte que celle du dejeuner auquel nous avons consacre une
demi-heure au plus.
Apres notre diner, nous avons eu une nouvelle surprise tres-
agreable. Deux peres Jesuites, etablis & Zahleh, et entre les
mains desquels sont places tous les jeunes enfants de la ville,
qu'ils soient Chretiens ou druzes, sont venus nous faire une vi-
site de politesse. L'un, le pere Philippe, est un Francais, n6
pres de Besancon; 1'autre, le pere Paul, est Italien; pendant
une heure , les deux respectables religieux nous ont vivement
interesses, en nous donnant des details tres-precis sur les
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 644
populations du Liban. Vers neuf heures et demie , les bons
Peres nous ont quittes, et £ dix heures nous e"tions tous cou-
ched.
19 MARS.
Nous avons quitte Zahleh d'assez bonne heure, et il nous a
fallu redescendre dans la plaine de Ccelesyrie, pour aller
chercher la route battue qui traverse la chaine du Liban.
Le temps au depart n'etait ni beau ni laid; mais dans la
montagne il est devenu extremement froid, et une pluie glacee
melee de neige, s'est charged, de temps en temps, de nous
donner desagreablement la preuve que nous franchissions
une chaine fort elevee. Mais n'anticipons pas. Tant que nous
avons descendu de Zahleh , et pendant tout le temps que nous
avons longe le pied du Liban, la temperature a ete fort douce;
des haies plantees de rosiers bordaient les chemins que nous
suivions, et nous sommes venus ainsi, jusqu'a hauteur du village
de Saadeneyn que nous avons laisse a notre gauche. A partir de
la nous avons marche pendant quelque temps, directement au
sud , en ayant droit devant nous un piton qui supporte un vil-
lage nomme Qabb-Elias, et qui de loin presente assez bien
1'aspect d'une forteresse. Le piton de Qabb-Elias ferme preci-
s6ment le debouche de 1'ouad dont nous allons suivre le flanc
droit, pour entrer dans le Liban.
Un peu plus loin que Saadeneyn se trouve, encore a gauche
de notre route , le village de Thaalabeyah. Celui-ci est done
aussi dans la plaine. A peu pres a memje distance de Zahleh
se montre, sur le flanc du Liban, le village de Haouch-
Echtourah. A la hauteur de Thaalabeyah , notre route oblique
assez fortement vers 1'occident, et, laissant assez loin dans la
plaine, c'est-a-dire sur notre gauche, le village de Makseh,
nous entrons pour tout de bon dans la montagne, en suivant
II. 41
642 VOYAGE EN SYRIE
une route qui est loin d'etre bien entretenue. Sur cette route,
d'ailleurs, on rencontre de loin en loin des khans miserables,
ou s'arretent les cara vanes et les voyageurs, pour trouver de
1'eau et du feu au besoin.
Le premier khan que nous rencontrons se nomme el-Khan-
Mourai'djat ; nous passons outre et nous allons nous arreter sous
lehangaradosse au Khan-Mourad, afin d'y prendre notre repas
du matin. La une giboulee de pluie, de neige et de grele, nous
a retenus pres d'une heure. Ce khan est situe au bord d'un
precipice tres-profond, d'ou sort le bruit d'un torrent. Rien
de plus triste que le site du Khan-Mourad , qui rappelle assez
bien les coins les plus laids de la route du Mont-Cenis,
Quand la pluie a cesse, nous avons repris notre marche, h
travers des plateaux converts de plaques de neige qui ont
fourni aux plus jeunes d'entre nous, les munitions de guerre
d'une bataille d'ecoliers. Le premier khan que nous avons ren-
contr6 ensuite, se nomme el-Khan-d-Modahredj, et a proximite
se trouve un passage tres-difficile, £ travers un ravin rocailleux
que j'eusse maudit de grand cceur, s'il n'eut e"te garni de deli-
cieuses hyacinthes bleues qui embaumaient 1'air, de leur doux
parfum. Plus loin encore , nous avons passe" devant le Khan-
A.yn-Sofar, pour aller nous arreter au Khan-er-Roueicat, ou
nous nous decidons a rester pour eette nuit. Nous avions re"solu
d'aller loger a Behamdoun; mais il est tard; nous sommes
fatigues, et d'ailleurs il faudrait faire un detour inutile, pour
aller chercher ce village que nous apercevons a pres d'une lieue
au sud du Khan-er-Roueigat, et qui a le desavantage de n'e"tre
pas sur la route directe de Beyrout, ou nous voulons mainte-
nant arriver le plus vite possible.
Le Khan-er-Roueicat est situe sur un plateau beaucoup
plus bas que la crete du Liban , et il ne s'y trouve plus de
plaques de neige : tout est de"ja fondu. Au nord et h quelques
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 641
cents pas, s'ouvre une large et tres-profonde valle"e, couverte de
villages Chretiens et druzes, et planted d'arbres innombrables :
c'est sans contredit une des plus belles et des plus riches val-
lees du Liban.
Profitantdu peu d'heures dejour qui nous restent, nous avons
fait autour du Khan-er-Roueicat une magnifique chasse aux
coleopteres et aux mollusques; Pabbe", de son cote", a fait une
assez bonne herborisation. Pendant notre repas, deux tou-
ristes, dont Tun est Frangais et 1'autre Suisse, sont venus s'£-
tablir sous deux petites tentes, a proximit6 de notre khan.
Comme ces deux messieurs n'ont pas manifesto la moindre
envie d'echanger meme un salut avec nous, nous avons use"
de la meme reserve, et nous avons pass£ assez gaiement notre
soiree, en pensant que demain nous serons a Beyrout. A.U reste,
nous nous sommes couches de tres-bonne heure, et la vermine,
sur laquelle nous comptions comme d'habitude , a fait deTaut,
a notre tres-vif contentement.
20 MARS ET JOURS SU1VANTS.
Ce matin, la joie d'etre arrives sans malheur au terme de
notre voyage, nous a e"veilles bien avant le jour. Quand nous
pensions que deja 1'aube avait paru , c'etait la lune qui nous
eclairait. II n'e"tait encore que trois heures et demie ; mais nous
voulions nous mettre en route au point du jour , nous n'en
avons done pas moins fait en hate tous nos pre"paratifs habi-
tuels, et lorsque le moment qui n'est plus la nuit, mais qui n'est
pas encore le jour, a 6te arrive", quand nous avons pu discer-
ner les objets places a cent pas de nous, nous avons quitte" le
Khan-er-Roueicat, en marchant droit a I'ouest.
Nous avons, pendant quelque temps, longe" la belle valle"e
dont j'ai parle" plus haut, et nous avons pu juger, tout a notre
aise, de sa beautS et de sa richesse. Cette valle"e est celle d'ou
6U VOYAGE EN SYRIE
sort la riviere qui coule au nord de Beyrcut (Nahr-Beyrout).
Sur le bord du chemin que nous suivions, et £ environ une
heure de chemin du Khan-er-Roueicat, j'ai vu dans un champ
place a la crete meme de la vallee, deux ou trois sarcophages
antiques, entierement semblables a ceux d'el-Khaldah. II doit
evidemment y avoir des decouvertes archeologiques a faire
dans ce quartier de la montagne. Les khans voisins des ruines
se nomment Khan-el-Machrah et Khan-el-Kahaleh.
A partir du Khan-er-Roueicat, nous rencontrons d'abord le
Khan-Husseyn ; puisle Khan-el-Machrah (de la belle verdure),
puis le Khan-el-Kahaleh (Kahaleh est le noin d'une plante du
genre Calendula) . Arrive en ce point, la vue est une des plus
merveilleuses que Ton puisse imaginer. On voit s'etaler a ses
pieds la riche plaine de Beyrout, que dominent les cimes blan-
ches de neige du Liban, et au dela, jusqu'ou la vue peut s'e-
tendre, les flots bleus de la mer de Phenicie. Apres le khan-el-
Kahaleh, la descente commence pour tout de bon, mais par des
chemins si affreux, que ce n'est probablement que par mira-
cle, qu'un cheval, surdeux, ne casse pas le cou de son cavalier.
J'ai juge plus sain d'operer cette descente sur mes propres
jambes, et je m'en suis bien trouve, malgre la chaleur tres-vive
qui nous a pris des neuf heures du matin, c'est-a-dire a partir
du moment ou nous avons commence a parcourir le versant
occidental du Liban. J'ai remarque un point, ou la route
passe comme elle peut a travers des masses de gres ferrugi-
neux, au milieu desquelles coule et bondit un filet d'eau que
leur envoie une source voisine. Des pi antes charmantes et cou-
vertes de fleurs, se montrent partout, et au bas de ces roches,
sont deux ou trois baraques qui se nomment el-Rhazar (le
lieu ou tout abonde) .
Nous etions arrives alors a un plateau interme"diaire entre
les sommets et la plaine. Ce plateau est bien cultive, et un
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 645
cheinin fort commode le traverse. Au premier khan que nous
rencontrons, nous faisons la halte du dejeuner, en nous gararit
avec soin du soleil , derriere les murailles de la maison. C'est
le Khan-el-Djamhour (de Imminence sablonneuse). Autour de
ce khan il y a de 1'eau en abondance. Apres une heure de
repos, nous avons repris notre voyage, et recommencant a des-
cendre, nous avons passe devant le Khan-ech- Ghyakh. Enfin,
nous nous sommes trouves au soinmet des dernieres rampes
en zigzag, qui conduisent a la plaine de Beyrout. Nous les
avons eu assez promptement parcourues, et aupres du Khan-
el-Djedid, place au has de la cote, nous avons commence* a
franchir la plaine qui nous separait encore de la ville. A une
heure moins un quart, nous entrions dans les sables, et & une
heure precise, nous touchions a la porte de Beyrout, que nous
avions franchie quatre-vingt-dix-sept jours auparavant, afin de
commencer notre voyage en terre sainte.
Nous n'avions pas eu un seul accident a deplorer; nous avions
recueilli d'immenses collections de toute nature; nous avions
eu le bonheur de decouvrir beaucoup de faits restes incon-
nus jusqu'a nous ; enfin, nous avions eu la vive satisfaction
d'accomplir, sans encombre, un voyage que personne, avant
nous, n'avait impunement tente. Partout ou un danger s'etait
manifesto, partout ou un obstacle s'etait eleve, obstacle et
danger s'etaient evanouis sans que nous eussions eu, pour ainsi
dire, rien de plus a faire que de nous laisser guider aveugle-
ment par une force plus grande que la volonte humaine. II cut
fallu que nous fussions bien ingrats, pour ne pas reconnaitre du
fond du coeur que la Providence s'etait chargee de veiller pour
nous, et d'aplanir les difficultes de la route, pendant toute la
duree de notre pelerinage. Nous avions mis notre confiance en
elle, et elle nous a payes cette confiance, en nous couvrant de
sa protection incessante.
646 VOYAGE EN SYRIE
Nous voila done a Bey rout ; nous avons regagne 1' hotel
Audibairt, ou nous avons repris avec grand plaisir toutes les
habitudes de notre premier s&jour. II serait completement
denue d'interet, de donner par le menu 1'emploi de notre
temps, pendant les journees qui se sont ecoulees depuis le
20 mars jusqu'au 5 avril, jour de notre depart de Syrie. Jl
me sufiira de dire, que tous nos amis de Beyrout n'ont cesse
de nous faire fete et de nous combler de provenances. Toutes
nos soirees etaient prises par eux, et dans la journee, seule-
ment, nous courions les campagnes d'alentour, pour faire des
recherches entomologiques ou botaniques, toujours suivies de
la plus riche moisson.
Nos amis Belly et Loysel allerent passer trois ou quatre
jours a en-Naby-Younes, et le premier en rapporta des croquis
a 1'aide desquels il fera un delicieux tableau, le jour ou il lui
conviendra de le faire. L'abbe Michon a fait une herborisation
de trois jours dans le Liban, et il m'a rapporte de Beit-Meri,
et du Dei'r-el-Qalaah qui y touche, les estampages des inscrip-
tions antiques qui s'y trouvent. L'une de ces inscriptions est
devenue celebre par le travail plein de finesse qu'elle suggera
a notre illustre Letronne. Cette inscription lui avait fait deviner
1'existence d'un aqueduc antique qui se trouve a trois ou quatre
lieues de la, sur le Nahr-Beyrout. Malheureusement 1'estampage
et par consequent la pierre, ne pennettent pas d' adopter la
legon si habilement concue par le savant helleniste , £ la vue
d'une copie defectueuse du texte en question.
Edouard, de son cote, est alle visiter les ruines de Beit-
Meri, et il en a rapporte de tres-interessants croquis, qu'il a
bien voulu mettre a ma disposition l. J'avoue & ma tres-grande
honte, que la fatigue precedente m' avait ote toute envie de
1. Voyez pi. LVH.
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 647
courir de nouveau les routes du Liban , afin d' explorer des
ruines bien connues , et que je regardais & tort comme peu
importantes. J'ai done laisse" aller Edouard avec son fidele Phi-
lippe, et je suis reste pendant ce temps-l£ au logis, pour mettre
en ordre tous les materiaux que j'avais recueillis pendant le
voyage.
II y avait cependant une localite que je ue pouvais me dis-
penser de visiter, et que j'etais bien decide a voir, quelque
grande que put etre la nouvelle fatigue qui en resulterait pour
moi , c'etait Tembouchure du Nahr-el-Relb ( Lycus des an-
ciens), lieu tres-celebre parmi les archeologues , a cause des
bas-reliefs assyriens et egyptiens qu'il presente, dit-on depuis
longteraps, et qui sont tallies dans le rocher. Voir des monu-
ments veritablement assyriens en place, on concoit que c'etait
une tres-grande joie pour moi; aussi ai-je organise avec un
tres-grand empressement, une promenade d'une journee au
Nahr-el-Kelb. Mon ami, Michel Medaouar, toujours bon et
aimable, a voulu nous faire une fois de plus les honneurs de
son pays, et sachant notre pro-jet d'aller passer quelques heures
au bord du Lycus, il nous a demande de.se charger de notre
dejeuner pour cette charmante partie de campagne , qu'il a
voulu faire avec nous. II va sans dire que -nous avons accepte
avec tres-grand plaisir.
Au jour convenu, nous etions rendus a neuf heures & la porte
de Medaouar qui nous attendait, et nous nous sommes mis
immediatement en route. Jusqu'au pont qui traverse le Nahr-
Beyrout, nous connaissions deja parfaitement le pays; mais
au dela du pont il devenait nouveau pour nous. Nous avons
constamment suivi la plage, en longeant h quelques centaines
de metres les pentes du Liban, sur le flanc duquel paraissent
de charmantes collines, couvertes le plus souvent d'arbres
verts, quelquefois tres-beaux. Nous avons traverse & gue une
648 VOYAGE EN SYIUE
riviere assez large, mais peu profonde, nommee Nahr-Ante-
liyas, et atteint enfm le Ras-Nahr-el-Kelb. En ce point, la
route moderne monte assez rapidement, en suivant le trace de
la voie antique. Au has, et au sud-ouest du Ras ou promon-
toire , les rochers sont entames et presentent des traces nom-
breuses d'une exploitation antique, semblable a celle d'une
carriere. Au sommet meme du promontoire, on signale une
sorte de piedestal pris dans la masse du roc, et sur lequel la
tradition du pays vent qu'ait ete e"tablie une figure colossale de
chien ou de loup, qui a ete, dit-on, culbutee et jetee dans la
mer ; on montre, a 1'appui de cette tradition , un bloc qui git
au fond de 1'eau et qui, jusqu'a un certain point, presente la
tournure d'un corps de chien ou de loup. Dans le voisinage du
piedestal, j'ai trouve, sur un troncon de pilier rond, une ins-
cription tres-usee, tres-fruste, et dont il est bien difficile de
deviner le sens, a cause du mauvais etat de conservation du
texte. Voici les lettres que j'ai pu, ou du moins cru y recon-
naitre, et que je donne prudemment sans explication :
M.. II
GERM...
EMPERA...
CICICONS...
HLVIA~0...
SILYICOIM...
NONI
Au dela, la route descend tres-rapidement & travers une
coupure dans le roc, qui forme des ressauts assez eleves, toute
trace de 1'aplanissement de la voie antique ayant completement
disparu aujourd'hui. Au bas de cette rampe coule le Nahr-el-
Relb, au bord duquel est etabli un khan miserable. A quelques
cents pas plus loin, est un pont qui conduit les voyageurs sur
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 649
1'autre rive, et en un point ou se trouve le canal de"versoir d'un
moulin. La rive gauche, c'est-a-dire celle sur laquelle est eta-
bli le khan, est, an bord de la riviere , taillee k pic de main
d'homme.
Aupres du pont, la surface du rocher pre"sente, dans un car-
touche d'un metre soixante centimetres de longueur, dont les
oreilles ont vingt centimetres de largeur, une inscription, sans
doute deja publie"e bien des fois, et que je crois ne"anmoins de-
voir reproduire ici :
IMP CAES M AVRELIVS
ANTONINVS PIVS FELIX AVGVSTVS
PART -MAX -BRIT -MAX- GERM -MAXIMVS-
PONTIFEX MAXIMVS-
MONTIBVS IMMINENTIBVS
LYCO FLVMINI CAESIS VIAM DELATAVIT
PER
ANTONINIANVM SVAM.
Sauf le mot PER de la septieme ligne, toute celle-ci a eHe*
martelee posterieurement, sans doute pour que le nom de la
legion qui avait fait le travail, et qui se sera rendue coupable
de quelque rebellion , fut voue" a 1'oubli. La huitieme ligne
porte Antoninianum suam , au lieu d'Antoninianam suam. Je
crois fermement que la faute existe en realit4 dans 1' inscrip-
tion, puisque ma copie prise sur place offre cette faute. Cepen-
dant, je n'oserais pas 1'affirmer. Au-dessous du cartouche est
cisele" une espece de petit cippe en forme d'autel, surmonte
d'un disque.
En deca, a quelques metres, c'est-a-dire plus pres de 1'em-
bouchure de la riviere, est une inscription turke illisible, grace
au pen de saillie des lettres qui sont en relief, et & la masse des
lichens qui se sont loges dans tous les creux.
p
:
650 VOYAGE EN SYR1E
J'arrive enfm aux monuments les plus importants. Au-des-
sus du khan, et a quelques metres a droite, c'est-a-dire en
remontant vers le sommet du Has, se trouve un grand cadre
rectangulaire cisele dans le roc, et orne d'une corniche et de
moulures laterales. La corniche se compose d'un cavet place
au-dessus d'un tore, qui surmonte un listel et une plate-bande
qui a, a elle seule, la largeur du tore etdu listel reunis. Aux deux
angles superieurs de la surface renfermee dans le cadre, sont
perces deux trous qui ont indubitablement servi a recevoir
des gonds ou des crampons, destines a fixer une plaque metal-
lique, ou peut-etre memede marbre, dans le cadre pour lequel
elle avait ete preparee. Cette plaque contenait quelque texte
assyrien, cela me parait indubitable.
A cinq metres a droite de cet encadrement, se trouve, sur
une surface taillee en forme de stele dans le roc, haute d'un
peu plus de deux metres, et large d'un metre cinquante centi-
metres, une figure de roi assyrien coiffee du bonnet persan, et
la main droite elevee. Cette figure est completement fruste, et
on n'en peut plus reconnaitre que la masse. A deux metres plus
loin est une autre stele qui contenait aussi une figure assy-
rienne, dont la tete seule est encore reconnaissable ; cette stele
a environ quatre metres quatre-vingts centimetres de hauteur,
et un metre soixante centimetres de largeur.
A vingt metres plus loin, et a dix metres environ au-dessus
du chemin, se trouve une stele assyrienne en meilleur etat que
les precedentes. Elle est encadree dans une plate-bande assez
large, et qui forme archivolte au-dessus de la stele.
A trente metres plus loin et a dix metres plus haut encore
que la precedente, est une nouvelle stele assyrienne, de plus de
deux metres de hauteur et d'un metre dix centimetres de lar-
geur, entoure"e aussi d'une plate-bande. A droite, et a vingt-
cinq centimetres seulement de la stele qui vient d'etre dcsi-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 65<
gnee, se trouve un encadrement plus haut que la stele, et qui
a ete accole a celle-ci a dessein et pour recevoir un texte assy-
rien; ce cadre, forme d'une simple plate-bande, est surmonte
d'une corniche, composee de la plate-bande superieure du cadre,
surmontee d'un tore, au-dessus duquel s'eleve un cavet assez
haut, que couronne une plate-bande en saillie sur le roc. Cette
corniche est identique avec celle du monument monolithe de
Siloam, et avec celle de 1'un des edifices de Ninive decouvert
par M. Botta a Khorsabad. La surface encadree a precisement
la meme hauteur que la stele, et aux quatre angles se montrent
des encastrements, dans lesquels ont ete scelles des crampons
ou gonds de fer. La nature du metal est indique'e clairement
par la couleur que la roche a contracted dans ces encastre-
ments. Quant a la surface elle-meme, elle est parfaitement nue,
et n'a jamais recu le moindre ornement, ni le plus le"ger trait
de bas-relief.
A quinze metres a droite des deux sculptures que je viens
de decrire, et a un metre plus haut, se voit une nouvelle stele
assyrienne, encadree dans une plate-bande de dix centimetres
de largeur, et entouree d'une autre plate-bande exterieure,
irreguliere, et de vingt-cinq centimetres de largeur. Le cadre
de la stele est creuse de dix centimetres , et sur le fond
est tracee une grande figure de roi assyrien ; la stele a deux
metres trente centimetres de hauteur , et un metre vingt-cinq
centimetres de largeur a la base; elle se retrecit un peu au
sommet.
Enfm, a trente metres plus loin, et a quinze metres environ
au-dessus, se voit un tres-beau cadre d'un metre quatre-vingt-
dix centimetres de hauteur, sur un metre vingt-cinq centime-
tres de largeur. II est comme les autres, entoure d'une plate-
bande surmontee d'une corniche plus complique'e. Le cadre
supporte un etroit listel surmonte' d'un plan incline de petite
652 VOYAGE EN SYRIE
dimension, sur lequel s'appuie la corniche ordinaire forme'e
d'un tore, d'un cavet et d'une plate-bande. Cette fois encore le
cadre montre des traces non equivoques de la presence des
crampons de fer qui furent jadis encastres aux quatre angles,
pour fixer une plaque quelconque. Immediatement a droite du
cadre est une stele de plus petite dimension que le cadre,
et placee un peu au-dessus de lui. Celle-ci contient une figure
assyrienne royale, mieux conservee que toutes les autres, bien
qu'elle soit deja tres-fortement deterioree. Le monarque tient
une masse d'armes de la main gauche, et a la main droite ele-
vee, en signe de commandement. Au-dessus de la main droite
se voient encore distinctement deux rangs de symboles. Ce
sont, dans la rangee superieure, une etoile, un disque rond, et
le mihir ou disque aile. Dans la rangee inferieure est un scep-
tre, puis deux baguettes paralleles, puis un globe, duquel par-
tent, eri s'ecartant vers le bas, trois rayons ou cordons de trois
globules; ce dernier signe est identique avec rhieroglyphe
determinatif de la lumiere.
La tete est assez bien conservee encore, et la chevelure ainsi
que la barbe sont tressees avec soin, comme dans tous les bas-
reliefs assyriens que nous possedons. Cette belle stele, dont on
possede en Europe des moulages executes par les soins de
M. Bonomi , etait couverte de caracteres cuneiformes aujour-
d'hui meconnaissables, a 1'exception de quelques signes isoles,
en tres-petit nombre, et qui n'en sont pas moins suffisants
pour caracteriser immediatement un texte ninivite.
Apres avoir bien etudie, et fort longuement, ces debris vene-
rables, je me demandai ou etaient les bas-reliefs egyptiens,
grave's par 1'ordre de Sesostris, et dont on a quelquefois fait
grand bruit , en poussant la plaisanterie jusqu'au point d'en
donner des figures. Je declare tres-nettement et tres-haute-
mentque ces bas-reliefs egyptiens, ainsi que les textes hiero-
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 653
glyphiques que 1'on y a accoles, sont de pure invention , et
d' invention d'autant plus maladroite, que ceux-l£ meme qui
les ont publics , ont eu la malencontreuse idee de les placer
dans les encadrements qui accompagnent les steles assyriennes,
en oubliant de faire disparaitre les traces de crampons, traces
que Ton a religieusement dessine"es, sans se douter qu'en le
faisant on tuait net les bas-reliefs qui eussent etc" destines a
rester perpetuellement caches derriere une plaque de metal ,
ou tout au moins de marbre , fixee sur eux avec quatre bons
et solides crampons. Au reste , la surface de ces encadrements
est tres-nette et n'a jamais rien porte , non plus que les cor-
niches sur lesquelles on a imagine de placer des disques ailes,
suivant la mode egyptienne. La presence de ces sculptures
egyptiennes, au Nahr-el-Kelb, doit done etre mise au rang des
fails controuves sur lesquels malheureusement des savants de
tres-bonne foi ont exerce leur sagacite, sans se douter qu'ils
s'occupaient de la dent d'or.
J'ai du reste la satisfaction de n'etre pas seul de mon avis.
Tous les Francais instruits qui resident a Beyrout, savent par-
faitement qu'il n'y a pas de bas-reliefs 6gyptiens au Nahr-el-
Kelb, et mon jeune et savant ami M. J. Oppert, a son passage
a Beyrout, lorsqu'il se rendait en Mesopotamie avec M. Fresnel,
m'a ecrit , apres avoir visite" le Nahr-el-Kelb , une lettre dans
laquelle il releve se"verement la petite imposture archeologique
dont il avait e"te , sur mon invitation , constater la re~alite.
Apres une journee delicieuse passee au bord du Lycus,
journee dont la botanique, 1'entomologie et la conchyliologie,
ont largement fait leur profit, nous sommes rentre"s & la nuit
a Beyrout , et en rentrant nous avons encore une fois joui de
1'un de ces magnifiques couchers du soleil, qui n'ont pas
leur pareil dans le monde entier, grace a la splendeur des
lignes du paysage.
6fU VOYAGE EN SYRIE
Le temps se passait rapidement et les jours s'e*coulaient, au
milieu de la delicieuse nonchalance de la vie d' Orient, et des
prevenances dont nous etions Tobjet de la part de toute la
colonie franchise. Le 5 avril arriva bientot , et au reveil nous
sumes que le bateau a vapeur le Caire etait en rade, depuis
le point du jour, et qu'il repartirait le soir meme, aussitot
qu'il aurait pris ses depeches. Depuis longtemps deja tous
nos preparatifs etaient faits. Toutes nos caisses furent trans-
porte"es a bord, et apres avoir pris conge" de nos amis, nous
quittames, vers quatre heures, cette douce terre de Syrie sur
laquelle nous avions passe tant d'heureux jours.
A. bord du Caire , nous fumes accueillis comme des amis
par tout 1'etat-major, et entre autres par le commandant du
batiment, M. de Grollier, qui fit si bien que notre traversee
ne nous parut qu'un jour de fete de plus a ajouter a tous ceux
que nous venions de passer a Beyrout. Le surlendemain , au
point du jour, nous etions mouilles dans le port d'Alexandrie,
d'ou nous repartions le soir meme avant le coucher du soleil ;
puis nous allames toucher a Malte, ou nous restames aussi une
journee entiere. Nous longe&mes la cote de Tile de Maritimo,
puis la pointe de la Sicile; nous franchimes le pittoresque
canal de Bonifaccio, longeant a la fois la Sardaigne et la Corse,
et le 16 avril au matin, nous jetions 1'ancre devant Marseille,
dans le port de Frioul, ou nous dumes rester en quaran-
taine, pendant deux jours. Moins de onze jours nous avaient
suffi pour arriver de Beyrout a Marseille. La Providence
avait decide qu'elle nous favoriserait jusqu'au bout de notre
voyage.
Maintenant que deux annees se sont ^coulees depuis mon
retour en France, je songe sans cesse avec delices au beau
voyage qu'il m'a ete donne d'accomplir en Terre Sainte; sou-
vent je regrette les douces emotions que j'y ai ressenties et
ET AUTOUR DE LA MER MORTE. 655
qui sont gravees dans mon coeur, en traits qui ne s'effaceront
jamais. Plus souvent encore, je me prends & espe>er que je
n'ai pas dit un eternel adieu a Jerusalem la sainte et a la terre
cherie des patriarches.
46 avril 4853.
FIN.
PARIS. — IMPRIMER1B DB i. CUYE ET C«, ROE SAlNT-BKNOlT, 7.
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